A B C D E F G H I J K L M N O P Q R S T U V W X Y Z

    
SS. f. (Gramm.) c'est la dix-neuvieme lettre & la quinzieme consonne de notre alphabet. On la nomme communément esse, qui est un nom féminin ; le systême du bureau typographique, beaucoup plus raisonnable qu'un usage aveugle, la nomme se, s. m. Le signe de la même articulation étoit ou chez les Grecs, & ils l'appelloient sigma ; c'étoit chez les Hébreux, qui lui donnoient le nom de samech.

Cette lettre représente une articulation linguale, sifflante & forte, dont la foible est ze. Voyez LINGUALE. Ce dont elle est le signe est un sifflement, hoc est, dit Wa hter (Proleg. sect. 2. §. 29.), habitus fortis, à tumore linguae palato allisus, & à dentibus in transitu oris laceratus. Ce savant étymologiste regarde cette articulation comme seule de son espece, nam unica sui organi littera est (Ib. sect. 3. §. 4. in s.) ; & il regarde comme incroyable la commutabilité, si je puis le dire, des deux lettres r & s, dont on ne peut, dit-il, assigner aucune autre cause que l'amour du changement, suite naturelle de l'instabilité de la multitude. Mais il est aisé de voir que cet auteur s'est trompé, même en supposant qu'il n'a considéré les choses que d'après le systême vocal de sa langue. Il convient lui-même que la langue est nécessaire à cette articulation, habitus fortis, à TUMORE LINGUAE palato allisus. Or il regarde ailleurs (Sect. 2. §. 22.), comme articulations ou lettres linguales, toutes celles quae motu linguae figurantur ; & il ajoute que l'expérience démontre que la langue se meut pour cette opération en cinq manieres différentes, qu'il appelle tactus, pulsus, flexus, tremor & TUMOR. Voilà donc par les aveux mêmes de cet écrivain, la lettre s attachée à la classe des linguales, & caractérisée dans cette classe par l'un des cinq mouvemens qu'il attribue à la langue, tumor ; & il avoit posé, sans y prendre garde, les principes nécessaires pour expliquer les changemens de r en s, & de s en r, qui ne devoient pas lui paroître incroyables, mais très-naturels, ainsi que bien d'autres qui portent tous sur l'affinité des lettres commuables.

La plus grande affinité de la lettre s est avec la lettre z, telle que nous la prononçons en françois : elles sont produites l'une & l'autre par le même mouvement organique, avec la seule différence du plus ou du moins de force ; s est le signe de l'articulation ou explosion forte ; z est celui de l'articulation ou explosion foible. De-là vient que nous substituons si communément la prononciation du z à celle de s dans les mots qui nous sont communs avec les Latins, chez qui s avoit toujours la prononciation forte : ils disoient mansio, nous disons maizon en écrivant maison ; ils écrivoient miseria, & prononçoient comme nous ferions dans miceria ; nous écrivons d'après eux misere, & nous prononçons mizere.

Le second degré d'affinité de l'articulation s est avec les autres articulations linguales sifflantes, mais surtout avec l'articulation che, parce qu'elle est forte. C'est l'affinité naturelle de s avec ch, qui fait que nos grassayeuses disent de messants soux pour de méchans choux, des seveux pour des cheveux ; M. le sevalier pour M. le chevalier, &c. C'est encore cette affinité qui a conduit naturellement les Anglois à faire de la lettre s une lettre auxiliaire, qui avec h, représente l'articulation qui commence chez nous les mots chat, cher, chirurgien, chocolat, chûte, chou : nous avons choisi pour cela la lettre c, que nous prononçons souvent comme s ; & c'est la raison de notre choix : les Allemands ont pris ces deux lettres avec h pour la même fin, & ils écrivent schild (bouclier), que nous devons prononcer child, comme nous disons dans Childeric. C'est encore par la même raison d'affinité que l'usage de la prononciation allemande exige que quand la lettre s est suivie immédiatement d'une consonne au commencement d'une syllabe, elle se prononce comme leur sch ou le ch françois, & que les Picards disent chelui, chelle, cheux, chent, &c. pour celui, celle, ceux, cent, que nous prononçons comme s'il y avoit selui, selle, seux, sent.

Le troisieme degré d'affinité de l'articulation s est avec l'articulation gutturale ou l'aspiration h, parce que l'aspiration est de même une espece de sifflement qui ne differe de ceux qui sont représentés par s, z, & même v & f, que par la cause qui le produit. Ainsi c'est avec raison que Priscien, lib. I. a remarqué que dans les mots latins venus du grec, on met souvent une s au lieu de l'aspiration, comme dans semis, sex, septem, se, si, sal, qui viennent de : il ajoute qu'au contraire, dans certains mots les Beotiens mettoient h pour s, & disoient par exemple, muha pour musa, propter cognationem litterae s cum h.

Le quatrieme degré d'affinité est avec les autres articulations linguales ; & c'est ce degré qui explique les changemens respectifs des lettres r & s, qui paroissent incroyables à Wachter. Voyez R. De - là vient le changement de s en c dans corne, venu de sorba ; & de c en s dans raisin venu de racemus ; de s en g dans le latin tergo, tiré du grec éolien ; & de g en s dans le supin même tersum venu de tergo, & dans miser tiré de ; de s en d dans medius, qui vient de , & dans tous les génitifs latins en idis venus des noms en s, comme lapis, gén. lapidis pour lapisis ; glans, gen. glandis pour glansis ; & de d en s dans raser du latin radere, & dans tous les mots latins ou tirés du latin, qui sont composés de la particule ad & d'un radical commençant par s, comme asservare, assimilare, assurgere, & en françois assujettir, assidu, assomption ; de s en t dans saltus qui vient de ; & dans tous les génitifs latins en tis venus avec crément des noms terminés par s, comme miles, militis ; pars, partis ; lis, litis, &c. ce changement étoit si commun en grec, qu'il est l'objet d'un des dialogues de Lucien, où le sigma se plaint que le tau le chasse de la plûpart des mots ; de t en s dans nausea venu de , & presque par-tout où nous écrivons ti avant une voyelle, ce que nous prononçons par s, action, patient, comme s'il y avoit acsion, passient.

Enfin le dernier & le moindre degré d'affinité de l'articulation s, est avec celles qui tiennent à d'autres organes, par exemple, avec les labiales. Les exemples de permutation entre ces especes sont plus rares, & cependant on trouve encore s changée en m dans rursùm pour rursùs, & m en s dans sors venu de ; s changée en n dans sanguinaire venu de sanguis ; & n changée en s dans plus tiré de , &c.

Il faut encore observer un principe étymologique qui semble propre à la lettre s relativement à notre langue, c'est que dans la plûpart des mots que nous avons empruntés des langues étrangeres, & qui commencent par la lettre s suivie d'une autre consonne, nous avons mis e avant s, comme dans esprit de spiritus, espace de spatium, espérance ou espoir de spes, esperer de sperare, escarbot de , esquif de , &c.

Il me semble que nous pouvons attribuer l'origine de cette prosthèse à notre maniere commune de nommer la lettre s que nous appellons esse ; la difficulté de prononcer de suite deux consonnes, a conduit insensiblement à prendre pour point d'appui de la premiere le son e que nous trouvons dans son nom alphabétique.

Mais, dira-t-on, cette conséquence auroit dû influer sur tous les mots qui ont une origine semblable, & elle n'a pas même influé sur tous ceux qui viennent d'une même racine : nous disons esprit & spirituel, espece & spacieux, &c. Henri Etienne dans ses hypomnèses, pag. 114. répond à cette objection : sed quin haec adjectiva longè substantivis posteriora sint, non est quòd dubitemus. Je ne sais s'il est bien constaté que les mots qui ont conservé plus d'analogie avec leurs racines, sont plus récens que les autres : je serois au-contraire porté à les croire plus anciens, par la raison même qu'ils tiennent plus de leur origine. Mais il est hors de doute que spirituel, spacieux, & autres semblables, se sont introduits dans notre langue, ou dans un autre tems, ou par des moyens plus heureux, que les mots esprit, espace, &c. & que c'est-là l'origine de leurs différentes formations.

Quoi qu'il en soit, cette prosthèse a déplu insensiblement dans plusieurs mots ; & l'euphonie, au-lieu de supprimer l'e qu'une dénomination fausse y avoit introduit, en a supprimé la lettre s elle-même, comme on le voit dans les mots que l'on prononçoit & que l'on écrivoit anciennement estude, estat, establir, escrire, escureuil, que l'on écrit & prononce aujourd'hui étude, état, établir, écrire, écureuil, & qui viennent de studium, status, stabilire, scribere, . Si l'on ne conservoit cette observation, quelque étymologiste diroit un jour que la lettre s a été changée en e : mais comment expliqueroit-il le méchanisme de ce changement ?

Les détails des usages de la lettre s dans notre langue occupent assez de place dans la grammaire françoise de M. l'abbé Regnier, parce que de son tems on écrivoit encore cette lettre dans les mots de la prononciation desquels l'euphonie l'avoit supprimée : aujourd'hui que l'orthographe est beaucoup plus approchée de la prononciation, elle n'a plus rien à observer sur les s muets, si ce n'est dans le seul mot est, ou dans des noms propres de famille, qui ne sont pas, rigoureusement parlant, du corps de la langue.

Pour ce qui concerne notre maniere de prononcer la lettre s quand elle est écrite, on peut établir quelques observations assez certaines.

1°. On la prononce avec un sifflement fort, quand elle est au commencement du mot, comme dans savant, sermon, sinon, soleil, supérieur, &c. quand elle est au milieu du mot, précédée ou suivie d'une autre consonne, comme dans absolu, converser, conseil, &c. bastonnade, espace, disque, offusqué, &c. & quand elle est elle - même redoublée au milieu du mot, comme dans passer, essai, missel, bossu, prussien, mousse, &c.

2°. On la prononce avec un sifflement foible, comme z, quand elle est seule entre deux voyelles, comme dans rasé, hésiter, misantrope, rose, exclusion, &c. & quand à la fin d'un mot il faut la faire entendre à cause de la voyelle qui commence le mot suivant, comme dans mes opérations, vous y penserez, de bons avis, &c.

On peut opposer à la généralité de la seconde regle, que dans les mots parasol, présupposer, monosyllabe, &c. la lettre s a le sifflement fort, quoique située entre deux voyelles ; & contre la généralité de la premiere, que dans les mots transiger, transaction, transition, transitoire, la lettre s, quoique précédée d'une consonne, a le sifflement doux de z.

Je réponds que ces mots font tout-au-plus exception à la regle ; mais j'ajoute, quant à la premiere remarque, qu'on a peut-être tort d'écrire ces mots comme on le fait, & qu'il seroit apparemment plus raisonnable de couper ces mots par un tiret, parasol, pré-supposer, mono - syllabe, tant pour marquer les racines dont ils sont composés, que pour ne pas violer la regle d'orthographe ou de prononciation à laquelle ils sont opposés sous la forme ordinaire : c'est ainsi, & pour une raison pareille, que l'on écrit arc-en-ciel ; parce que, comme l'observe Th. Corneille, (not. sur la rem. 443. de Vaugelas) " si l'on écrivoit arcenciel sans séparer par des tirets les trois mots qui le composent, cela obligeroit à le prononcer comme on prononce la seconde syllabe du mot encenser, puisque cen se prononce comme s'il y avoit une s au - lieu d'un c, & de la même sorte que la premiere syllabe de sentiment se prononce ".

Pour ce qui est de la seconde remarque, si l'on n'introduit pas le tiret dans ces mots pour écrire transiger, transaction, transition, transitoire, ce qui seroit sans-doute plus difficile que la correction précédente ; ces mots feront une exception fondée sur ce qu'étant composés de la préposition latine trans, la lettre s y est considérée comme finale, & se prononce en conséquence conformément à la seconde regle.

La lettre S se trouve dans plusieurs abréviations des anciens, dont je me contenterai d'indiquer ici celles qui se trouvent le plus fréquemment dans les livres classiques. S, veut dire assez souvent Servius, nom propre, ou sanctus ; S S, sanctissimus. S. C, senatus-consultum ; S. D, salutem dicit, sur-tout aux inscriptions des lettres ; S. P. D. salutem plurimam dicit ; S E M P. Sempronius ; S E P T. Septimius ; S E R. Servilius ; S E X T. Sextus ; S E V. Severus ; S P. Spurius ; S. P. Q. R. senatus populusque romanus.

C'étoit aussi un caractere numéral, qui signifioit sept. Chez les Grecs / vaut 200, & / vaut 200000 ; le sigma joint au tau en cette maniere vaut six. Le samech des Hébreux valoit 50, & surmonté de deux points , il valoit 50000.

Nos monnoies frappées à Rheims sont marquées d'une S.


S(Comm.) la lettre S toute seule, soit en petit, soit en grand caractere, mise dans les mémoires, parties, comptes, registres des marchands, banquiers, & teneurs de livres, après quelque chiffre que ce soit, signifie sou tournois. Diction. de comm. & de Trévoux.

S S S, (Ecriture) considérée dans sa forme, est la premiere partie d'une ligne mixte, & la queue de la premiere partie d'x ; elle se fait du mouvement mixte des doigts & du poignet. Voyez le volume des Planches à la table de l'Ecriture, Pl. des alphabets.


S(Art méchaniq.) se dit d'un gros fil-de-fer, recourbé à chacune de ses extrêmités en sens contraire, ce qui produit à-peu-près la forme de la lettre S. L'S des Eperonniers sert à attacher la gourmette à l'oeil de la branche d'un mords, & pour cette raison se nomme S de la gourmette. Voyez GOURMETTE, & Pl. de l'Eperonnier.


Sen terme de Cloutier d'épingle, c'est une mesure recourbée par les deux extrêmités, & formant deux anneaux fort semblables à ceux de la lettre S, dans lesquels on fait entrer le fil, & par ce moyen on fait le clou au numero qu'on veut, puisqu'on le cherche dans une S qui est à ce numero. Voyez Pl. du Cloutier d'épingle.


S'EN VA CHIENS(Vénerie) c'est une expression dont se servent les piqueurs pour se faire entendre des chiens qui chassent ; voici encore d'autres termes qui signifient la même chose, il vala, chiens coutrevaux, chiens ; le piqueur doit les prononcer les uns après les autres & suivant sa discrétion.


S. C.(Art numism.) ce sont deux lettres ordinairement gravées sur les revers des médailles, quand elles ne sont point en légende ou en inscription : il n'est pas aisé de deviner ce qu'elles signifient par rapport à la médaille.

Quelques-uns disent qu'on gravoit ces deux lettres S. C. sur les médailles pour autoriser le métal, & faire voir qu'il étoit de bon aloi, tel que devoit être celui de la monnoie courante ; d'autres disent que c'étoit pour en fixer le prix ou le poids ; d'autres enfin, pour témoigner que le sénat avoit choisi le revers, & que c'est pour cela que S. C. est toujours sur ce côté de la médaille ; mais tout cela n'est pas sans difficulté.

Car s'il est vrai que S. C. soit la marque de la vraie monnoie, d'où vient qu'il ne se trouve presque jamais sur les monnoies d'or & d'argent, & qu'il manque souvent sur le petit bronze, même dans le haut empire & durant la république, tems où l'autorité du sénat devoit être plus respectée ?

Je dis, presque jamais, parce qu'il y a quelques consulaires où l'on voit S. C. comme dans les médailles de la famille Norbana, Municia, Mescinia, Maria, Terentia, &c. sans parler de celles où il y a ex S. C. qui souvent a rapport au type plutôt qu'à la médaille. Par exemple, dans la famille Calpurnia, on lit ad frumentum emundum, ex S. C. ce qui signifie, que le sénat avoit donné ordre aux édiles d'acheter du blé. Il s'en trouve dans les impériales d'argent quelques-unes avec ex S. C. tel qu'il se voit sur le bronze ; d'où je conclus que cette marque n'est point celle de la monnoie courante.

La même raison empêche de dire que S. C. désigne le bon aloi, ou le prix de la monnoie. A ces deux opinions sur la signification des lettres S. C. il faut ajouter celle du sénateur Buonarotti. Il conjecture dans ses Observaz. istoriche sopra medagli Antichi, que cette espece de formule avoit été conservée sur les monnoies de bronze, pour spécifier les trois modules qui étoient déjà en usage à Rome, avant qu'on y frappât des pieces d'or & d'argent ; usage qui a toujours subsisté malgré les changemens arrivés dans le prix & dans le poids de la monnoie. Ce savant ajoute qu'Enée Ucio s'est déjà servi de cette explication, pour rendre raison de ce que le S. C. ne se trouvoit presque jamais sur l'or, ni sur l'argent ; parce que, dit-il, les Romains n'ont voulu marquer sur leurs monnoies que les anciens sénatus-consultes, où il ne s'agissoit que des pieces de bronze. Il explique de même pourquoi le S. C. ne se trouve pas communément sur les médailles ; car c'étoient, dit-il encore, des pieces de nouvelle invention, dont la fabrication & l'usage avoient été inconnus aux anciens Romains.

Quelque respectable que soit l'autorité de M. Buonarotti, il ne paroît pas que son explication ait été jusqu'à présent adoptée par les Antiquaires. En effet, si la marque de l'autorité du sénat n'avoit rapport qu'aux anciens usages de la république sur le fait des monnoies, comme il est certain que la monnoie d'or & d'argent s'introduisit dès le tems de la république, & en vertu des decrets du sénat, pourquoi se seroit-on contenté sous les empereurs, de conserver le S. C. sur le bronze seulement, puisque le bronze n'étoit pas le seul métal qui eût servi de monnoie en vertu des anciens senatus-consultes ?

Le sentiment le plus généralement reçu, c'est que les empereurs avoient obtenu le droit de disposer de tout ce qui concernoit la fabrication des especes d'or & d'argent ; & que le sénat étoit resté maître de la monnoie de bronze : qu'ainsi la marque de l'autorité du sénat s'étoit conservée sur les médailles de bronze, tandis qu'elle avoit disparu du champ de celles d'argent & d'or.

Quoique les historiens ne nous disent rien de ce partage de la monnoie entre le sénat & les empereurs, les médailles suffisent pour le faire présumer. Car 1°. il est certain que le S. C. ou ne se trouve point sur les médailles impériales d'or & d'argent, ou dumoins qu'il s'y trouve si rarement, qu'on est bien fondé à croire que dans celles où il se rencontre, il a rapport au type gravé sur la médaille, & non au métal dans lequel l'espece est frappée. 2°. Cette marque de l'autorité du sénat paroît sur toutes les médailles de grand & de moyen bronze, depuis Auguste jusqu'à Florien & Probus ; & sur celles de petit bronze, jusqu'à Antonin Pie, après lequel on cesse de trouver du petit bronze qu'on doive croire frappé à Rome jusqu'à Trajan Dece, sous lequel on en rencontre avec S. C. Une différence si constante, & en même tems si remarquable, puisque les especes d'or & d'argent n'avoient d'autres titres pour être reçues dans le commerce, que l'image du prince qu'elles représentoient ; tandis que les monnoies de bronze joignoient à ce même titre, le sceau de l'autorité du sénat ; une telle différence, dis-je, peut-elle avoir d'autre cause que le partage qui s'étoit fait de la monnoie entre le sénat & l'empereur ?

Mais quand on soutient que le sénat étoit demeuré en possession de faire frapper la monnoie de bronze, on ne prétend parler que de celle qui se fabriquoit à Rome ou dans l'Italie. A l'égard des colonies & des municipes, & même de quelques autres villes de l'Empire, on ne disconvient pas que les empereurs n'aient pu aussi-bien que le sénat, leur accorder la permission de frapper de la monnoie de bronze. C'est par cette raison qu'on trouve sur quelques médailles de colonies, permissu Augusti, indulgentiâ Augusti ; sur les médailles latines d'Antioche sur l'Oronte, S. C. jusqu'à Marc Aurele ; & sur celles d'Antioche de Pisidie S. R. c'est-à-dire Senatus Romanus. Les proconsuls même qui gouvernoient au nom du sénat, les provinces dont l'empereur avoit laissé l'administration au sénat & au peuple romain, donnoient quelquefois de ces sortes de permissions. Nous en avons des exemples sur des médailles frappées dans des villes de l'Achaïe & de l'Afrique.

A l'égard des villes grecques, comme les Romains conserverent à plusieurs de ces villes leurs loix & leurs privileges, on ne les priva point du droit de battre monnoie, lorsqu'elles furent réunies à l'empire romain. Elles continuerent donc de faire frapper des pieces qui avoient cours dans le commerce qu'elles faisoient entr'elles, & même avec le reste de l'Empire, quand ces pieces portoient l'image du prince. Ces villes n'avoient pas eu besoin d'un senatus-consulte particulier pour obtenir la permission de battre monnoie, puisque cette permission étoit comprise dans le traité qu'elles avoient fait avec les Romains en se donnant à eux.

Dans le bas Empire, l'autorité du sénat se trouvant presque anéantie, les empereurs resterent seuls maîtres de la fabrication des monnoies. Alors la nécessité où ils se trouverent souvent de faire frapper, pour le paiement de leurs troupes, de la monnoie à leur coin dans les différentes provinces où ils étoient élus, donna lieu à l'établissement de divers hôtels de monnoie, dans les Gaules, dans la grande Bretagne, en Illyrie, en Afrique, & ensuite dans l'Italie, après que Constantin l'eût mise sur le même pié que les provinces, en la divisant en différens gouvernemens. On ne doit donc pas être étonné, si après Trajan Dece, on ne trouve plus le S. C. sur le petit bronze, puisqu'il étoit presque toujours frappé hors de Rome, & sans l'intervention du sénat.

Quant à ce qui concerne les médaillons, on peut juger que quelques-unes de ces pieces ayant été destinées à avoir cours dans le commerce, après qu'elles auroient été distribuées dans des occasions où les empereurs faisoient des largesses au peuple ; il n'est pas étonnant qu'on en trouve avec la marque usitée sur les monnoies de bronze, S. C. (D.J.)


S. C. A.(Hist. rom.) ces trois lettres signifioient senatûs-consulti autoritate, titre ordinaire de tous les arrêts du sénat.

A la suite de ces trois lettres suivoit l'arrêt du sénat, qui étoit conçu en ces termes, que le consul prononçoit à haute voix.

Pridie kalend. Octobris, in aede Apollinis, scribendo adfuerunt L. Domitius, Cn. Filius, Aenobarbus, Q. Caecilius, Q. F. Metellus, Pius Scipio, &c. Quod Marcellus consul V. F. (id est verba fecit), de provinciis consularibus, D. E. R. I. C. (c'est-à-dire de eâ re ita censuerunt), uti L. Paulus, C. Marcellus coss. cum magistratum inissent, &c. de consularibus provinciis ad senatum referrent, &c.

Après avoir exposé l'affaire dont il étoit question, & la résolution du sénat, il ajoutoit : Si quis huic senatus-consulto intercesserit, senatui placere auctoritatem perscribi, & de eâ re ad senatum populumque referri. Après cela si quelqu'un s'opposoit, on écrivoit son nom au bas : Huic senatus-consulto intercessit talis.

Auctoritatem ou auctoritates perscribere, c'étoit mettre au greffe le nom de ceux qui ont conclu à l'arrêt, & qui l'ont fait enregistrer.

Les consuls emportoient chez eux au commencement les minutes des arrêts ; mais à cause des changemens qu'on y faisoit quelquefois, il fut ordonné, sous le consulat de L. Valerius & de M. Horatius, que les arrêts du sénat seroient mis dans le temple de Cérès, à la garde des édiles ; & enfin les censeurs les portoient dans le temple de la Liberté, dans des armoires appellées tabularia. Mais César dérangea tout après avoir opprimé sa patrie ; il poussa l'insolence jusqu'à faire lui-même les arrêts, & les souscrire du nom des premiers sénateurs qui lui venoient dans l'esprit. " J'apprens quelquefois, dit Cicéron, Lettres familieres, liv. IX. qu'un senatus-consulte, passé à mon avis, a été porté en Syrie & en Arménie, avant que j'aie sçu qu'il ait été fait ; & plusieurs princes m'ont écrit des lettres de remercimens sur ce que j'avois été d'avis qu'on leur donnât le titre de rois ; que non-seulement je ne savois pas être rois, mais même qu'ils fussent au monde ". (D.J.)


SAADCH(Géogr. mod.) ville d'Asie, dans l'Yémen, à environ 120 lieues de Sanaa. Elle est très-peuplée, selon Alazizi, fertile, & a des manufactures pour la préparation des cuirs, & leur teinture. Long. dans les tables d'Abulféda 66 d 30'. lat. 15 d. 140'. (D.J.)


SAALLA, (Géogr. mod.) riviere d'Allemagne dans la Franconie. Elle a sa source aux confins du comté de Henneberg, & se perd dans le Mein à Gemund, entre l'évêché de Wurtzbourg, & le comté de Reineck qu'elle sépare. (D.J.)


SAAMOUNAS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre des Indes orientales dont le tronc est également gros par le bas que par le haut, & par le milieu il est renflé considérablement. Son bois est épineux, gris par-dehors & blanc à l'intérieur, moëlleux, leger & spongieux comme du liége. Ses feuilles sont oblongues, dentelées & remplies de veines, attachées cinq à cinq par des queues assez longues. Cet arbre produit des siliques oblongues qui contiennent des pois rouges. En coupant les épines encore vertes de cet arbre, on en tire un suc qui passe pour un remede souverain dans toutes les maladies des yeux.


SAANLA, ou SAINA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne au cercle d'Autriche. Elle a sa source dans les montagnes de la basse Carniole, & tombe dans la Save aux confins du Windismarck. (D.J.)


SABA(Géog. anc. & sacr.) royaume dont étoit reine la princesse qui vint à Jérusalem pour voir Salomon. Elle est nommée par J. C. la reine du midi, Matth. xij. 42. Marc. xj. 31.

Le nom de reine du midi dénote que le pays de cette princesse devoit être au midi de la Palestine, ce qui convient à l'Arabie heureuse. Le même passage allégué ci-dessus porte qu'elle vint des extrêmités de la terre. L'Arabie enfermée entre deux golfes, & terminée par l'Océan, répond à cette idée dans le style de l'Ecriture. Elle apporta en présent des choses qui se trouvoient autrefois assez communément en Arabie ; savoir de l'or, des parfums & des pierres précieuses. Enfin, les anciens parlent d'un peuple de l'Arabie heureuse, nommé Sabaei, qui admettoit les femmes à la couronne. Claudien, in Eutrop. liv. II. vers. 320. dit :

Medis, levibusque Sabaeis

Imperat his sexus : reginarumque sub armis

Barbariae pars magna jacet.

Le nombre des interprêtes de l'Ecriture qui cherchent dans l'Arabie heureuse, les états de la reine de Saba, est assez grand, & fournit des hommes illustres.

Il n'y a pas moins d'interprêtes célebres qui mettent en Ethiopie la reine de Saba. Josephe qui a ouvert le premier cette opinion, prétend, Antiq. liv. II. c. v. que la capitale de l'Ethiopie s'appelloit Saba, avant que Cambise lui eût donné le nom de sa soeur Méroë.

Les Géographes connoissent une autre Saba, ville d'Asie, dans l'Arabie déserte, à environ six journées de Jérusalem : le nom moderne est Simiscazar, selon Guillandin de papyro commentar. Cependant Ptolémée, l. V. c. xix. nomme cette ville .

Saba est encore un port de l'éthiopie sur le golfe Arabique, selon Strabon, liv. XVI. p. 770. (D.J.)

SABA, ILE DE, (Géog. mod.) Cette île est au nombre des petites Antilles. Sa situation est par les 17 d 86'de lat. au nord de l'équateur, à deux lieues & demie sous le vent de Saint-Eustache, ce n'est proprement qu'un rocher d'environ quatre lieues de circonférence, fort escarpé, & qui n'est accessible que par un seul endroit, au-dessus duquel les Hollandois habitans dudit lieu, ont élevé plusieurs rangs de murailles construites en pierres seches & disposées de telle sorte qu'on peut fort aisément les renverser par partie ou en total sur ceux qui voudroient escalader cette forteresse naturelle : le dessus de ce rocher est occupé par quelques habitations de peu de valeur.

SABA, ou SAVA, (Géog. mod.) & selon M. Delisle, Saua, ville de Perse, dans l'Irac-agemi, ou l'Irac persienne, sur la route de Sultanie à Cont. Elle est située dans une plaine sablonneuse & stérile, à la vue du mont Elvend. C'est une ville toute dépeuplée, & dont les murs sont ruinés. Son commerce ne consiste qu'en peaux d'agneaux. Long. 85. lat. 34. 56. (D.J.)


SABADIBAE(Géog. anc.) îles de l'Océan dans l'Inde, au-delà du Gange. Ptolémée, liv. VII. c. ij. en compte trois habitées par des antropophages. Il les met au couchant de Habadin, qui paroît être l'île de Java. (D.J.)


SABAE(Géog. anc.) nom commun à différens peuples. 1°. Sabae, ancien peuple d'Asie dans les Indes, selon Denys-le-Periégete, vers. 1141. 2°. Sabae, ancien peuple de Perse selon le même, vers. 1069. 3°. Sabae, ancien peuple de Thrace, selon Eustathe, qui ajoute que Bacchus prenoit d'eux le surnom de sabasius, sous lequel les Thraces lui rendoient un culte particulier. 4°. Sabae, ville de la Lybie intérieure, selon Ptolémée, l. IV. c. vj. qui met cette ville vers la source du Cynyphe. 5°. Sabae, sont les Sabéens, peuple de l'Arabie. Enfin, sabae arae étoit un lieu particulier d'Asie dans la Médie, près la mer Caspienne, & à peu de distance de l'embouchure du fleuve Cyrnus, selon Ptolémée, l. VI. c. ij. (D.J.)


SABAENSSABANS, ou SABEENS, s. m. pl. (Hist. anc.) sectateurs du sabaïsme, ou sabiisme. Voyez l'article SABIISME.

SABEENS, LES, Sabaei, (Géog. anc.) ancien peuple de l'Arabie heureuse. Pline, l. VI. c. xxviij. en parle ainsi : Les Sabéens, dit-il, sont les plus célébres d'entre les Arabes, à cause de l'encens ; ce peuple s'étend d'une mer à l'autre. Diodore de Sicile, après avoir parlé des Sabéens, l. III. c. iv. ajoute, la métropole de ce peuple, appellée Saba, est située sur une montagne. Virgile dit dans ses Géorgiques,

India mittit ebur, molles sua thura Sabaei.

Pline met la métropole sur une montagne remplie d'arbres, & lui donne un roi qui en avoit d'autres sous lui. Les Atramites étoient une des dépendances du royaume des Sabéens. C'est de ces Sabéens que bien des critiques prétendent qu'étoit souveraine la reine de Saba, qui alla voir Salomon.

Il y avoit encore un ancien peuple au voisinage de l'Idumée, qui portoit le nom de Sabéen. (D.J.)


SABAISMEou SABIISME, s. m. (Théol.) comme le nomme M. Fourmont l'aîné. C'est le nom de la premiere sorte d'idolâtrie qui soit entrée dans le monde. Voyez IDOLATRIE.

Le Sabaïsme consistoit à adorer les étoiles, ou, comme le porte le texte de l'Ecriture, tuba schamaïm, ou seba schamaïm, omnes militias coeli ; & l'on sait que par ces termes, les Hébreux entendoient les astres & les étoiles : d'où les modernes ont formé le mot Sabaïsme, pour exprimer l'idolâtrie, qui consiste à adorer les corps célestes, & celui de Sabéens pour signifier ceux qui les adorent. Mais comme le mot hébreu d'où celui-ci est formé, est écrit avec un tzade, que les langues modernes rendent par une S ou par un Z, d'autres par T S ou par T Z : de-là vient qu'on trouve ce mot écrit avec différentes lettres initiales.

Quelques-uns croyent que le Sabaïsme étoit la plus ancienne religion du monde, & ils en mettent l'origine sous Seth fils d'Adam, d'autres sous Noë, d'autres sous Nachor pere de Tharé & ayeul d'Abraham. Maimonides qui en parle fréquemment dans son More Nevochim, remarque qu'elle étoit généralement répandue au tems de Moyse, & qu'Abraham la professoit avant qu'il fût sorti de la Chaldée. Il ajoute que les Sabéens enseignoient que Dieu est l'esprit de la sphere & l'ame du monde ; qu'ils n'admettoient point d'autres dieux que les étoiles, & que dans leurs livres traduits en arabe, ils assurent que les étoiles fixes sont des dieux inférieurs, mais que le Soleil & la lune sont les dieux supérieurs. Enfin, ajoutent-ils, Abraham par la suite abandonna cette religion & enseigna le premier qu'il y avoit un dieu différent du Soleil. Le roi des Euthéens le fit mettre en prison ; mais ce prince voyant qu'il persistoit dans son opinion, & craignant que cette innovation ne troublât son état & ne détruisit l'idée qu'on avoit des divinités adorées jusqu'alors, confisqua ses biens, & le bannit à l'extrêmité de l'orient. Cette relation se trouve dans le livre intitulé la religion des Nabathéens.

Maimonides dit encore que les Sabéens joignoient à l'adoration des étoiles un grand respect pour l'agriculture & pour les bêtes à cornes & les moutons, enseignant qu'il étoit défendu de les tuer ; qu'ils adoroient le démon sous la figure d'un bouc, & mangeoient le sang des animaux, quoiqu'ils le jugeassent impur, parce qu'ils pensoient que les démons eux-mêmes s'en nourrissoient : tout cela approche fort de l'idolâtrie.

M. Hyde, dans son histoire de la religion des Perses, s'est au contraire attaché à prouver que le Sabaïsme étoit fort différent du Paganisme. Il prétend que Sem & Elam sont les premiers auteurs de cette religion ; que si dans la suite elle parut être altérée de sa premiere pureté, Abraham la réforma & soutint sa réformation contre Nemrod qui la persécuta ; que Zoroastre vint ensuite & rétablit le culte du vrai Dieu qu'Abraham avoit enseigné ; que le feu des anciens Persans étoit la même chose que celui que conservoient les prêtres dans le temple de Jérusalem ; & qu'enfin les premiers ne rendoient au Soleil qu'un culte subalterne & subordonné au culte du vrai Dieu.

Selon M. Prideaux, le Sabaïsme étoit encore moins criminel. L'unité d'un Dieu & la nécessité d'un médiateur étoit originairement une persuasion générale & régnante parmi tous les hommes. L'unité d'un Dieu se découvre par la lumiere naturelle : le besoin que nous avons d'un médiateur pour avoir accès auprès de l'être suprême, est une suite de cette premiere idée. Mais les hommes n'ayant pas eu la connoissance, ou ayant oublié ce que la révélation avoit appris à Adam des qualités du médiateur, ils en choisirent eux-mêmes, & ne voyant rien de plus beau ni de plus parfait que les astres dans lesquels ils supposoient que résidoient des intelligences qui animoient & qui gouvernoient ces grands corps, ils crurent qu'il n'y en avoit point de plus propre pour servir de médiateur entre Dieu & eux. Et enfin, parce que les planetes étoient de tous les corps célestes les plus proches de la terre & celles qui avoient le plus d'influence sur elle, ils lui donnerent le premier rang parmi ces médiateurs ; & sur ce pié-là ils firent le Soleil & la Lune les premiers objets de leur culte. Voilà, selon M. Prideaux, la premiere origine de l'ancien Sabaïsme. hist. des Juifs. I. part. l. iij. p. 319.

Nous disons l'ancien Sabaïsme ; car il subsiste encore une religion de ce nom dans l'orient, qui paroît être un composé du Judaïsme, du Christianisme & du Mahométisme ; ce qui a fait conjecturer à Spencer qu'elle est récente, & ne surpasse point le tems de Mahomet, puisqu'on n'en trouve le nom ni la religion marqués dans aucun auteur ancien, ni grec ni latin, ni dans aucun autre ouvrage écrit avant l'alcoran. Voyez SABEENS.


SABAKZAR(Géog. mod.) ville de l'empire Russien, au royaume de Casan, au midi du Volga & de l'île de Mokritz, dont elle est à trois verstes ; les habitations de cette ville ne sont que de bois, comme dans le reste de la Tartarie. Long. 68. 40. lat. 53. 38. (D.J.)


SABALINGIENS(Géog. anc.) Sabalingii ; ancien peuple de la grande Germanie, dans la Chersonese cimbrique, selon Ptolémée, l. II. c. xj. Ils avoient pour voisins les Singulones & les Cobandi. (D.J.)


SABANIS. m. (Hist. nat. Bot.) espece de sénevé ou de moutarde, qui croît dans les Indes orientales, & dont on se sert pour assaisonner les alimens.


SABARIE(Géog. anc.) Sabaria ; ville & colonie romaine, dans la Pannonie. Une médaille rapportée par Golzius & par le P. Hardouin, la nomme Col. Sabaria Claudina Augusta ; & dans le même lieu, on trouve une pierre avec cette inscription, insérée au recueil de Gruter.

L. Val. L. Fil. Cl. Censorinus

D. C. C. S. §. item ve, leg. j.

Les quatre premieres lettres de la seconde ligne, signifient decurio coloniae Claudianae Sabariae. Ptolémée nomme Savariae, dans la haute Pannonie, . Sulpice Sévere dit que S. Martin étoit de Sabarie en Pannonie.

L'abregé d'Aurelius Victor, in Didio Juliano, remarque que dans le même tems on fit deux empereurs, Niger Pescennius à Antioche, & Septime Sévere à Sabarie de Pannonie.

On croit que c'est présentement Sarwar, place forte de Hongrie, au confluent de la riviere de Guntz & du Rab, au comté de Sarwar. Quelques auteurs prétendent qu'Ovide ayant obtenu la permission de revenir de son exil, mourut en chemin à Sabarie.

Gaspard Bruschius dit qu'en 1508, on trouva à Sabarie une voûte avec une inscription, qui marquoit que c'étoit le tombeau d'Ovide : voici l'inscription.

Fatum necessitatis lex.

Hîc situs est vates, quem divi Caesaris ira

Augusti, patriâ cedere jussit humo.

Saepè miser voluit patriis occumbere terris ;

Sed frustrà : hunc illi fata dedêre locum.

Lazius croit que Sabarie est Stainam-Auger, bourgade située sur la riviere de Guntz, qu'il appelle Sabaria ou Sabarius fluvius.

On a vu ci-dessus que S. Martin naquit à Sabarie. Il commença par la profession des armes, & finit par celle de solitaire. Il reçut le baptême à l'âge de 18 ans, fut nommé évêque de Tours dans un âge fort avancé ; bâtit le monastere de Marmoutier que l'on croit la plus ancienne abbaye de France, & y vécut long-tems en anachorete à la tête de plusieurs moines. Il fit une belle action, ce fut de s'opposer tant qu'il put auprès de Maxime, pour empêcher qu'on ne condamnât à mort les Priscillianistes. Il décéda à Tours l'an 397. C'est le premier des saints confesseurs auquel l'église latine ait rendu un culte public. On prêta long-tems des sermens sur sa châsse & sur ses reliques. Venance Fortunat a écrit la vie de S. Martin dans un poëme en quatre livres ; mais ce n'est pas un chef-d'oeuvre pour la diction & pour les faits. Il avoue qu'il l'avoit composé pour le remercier de ce qu'il avoit été guéri d'un mal des yeux par son intercession. (D.J.)


SABASIESS. f. pl. (Mytholog.) fêtes & sacrifices que l'on célébroit en l'honneur de plusieurs dieux surnommés sabasiens. On trouve dans d'anciens monumens ce titre donné à Mithras dieu des Perses ; mais on l'avoit sur-tout donné à Bacchus à cause des Sabes, peuples de Thrace dont il étoit particulierement honoré.

Ce surnom aussi affecté à Jupiter, paroît être le même que celui d'Aegiochus, parce que comme ce dernier vient du grec , qui signifie une chevre, l'autre vient du phénicien tsebaoth, qui veut dire des chevreuils. Ainsi on a dit que Bacchus étoit fils de Caprius, pour signifier qu'il avoit pour pere Jupiter sabazius. Quoi qu'il en soit de cette étymologie, il est sûr qu'on célébroit en Grece, à l'honneur de ce dernier, des fêtes nocturnes nommées sabasiennes, dont Meursius fait mention dans son livre intitulé, Graecia feriata. Quant à celles de Bacchus, on n'en sait point de détail ; mais on conjecture qu'elles n'étoient pas moins tumultueuses que toutes les autres cérémonies du culte de ce dieu. Voyez BACCHANALES.


SABATA(Géogr. anc.) selon Ptolémée, lib. III. ch. iv. ou Sabatia, selon Pomponius Mela, lib. II. c. v. ancienne ville d'Italie dans la Ligurie. Antonin fait mention de Vada Sabatia, dans son itinéraire maritime, & met ce port entre Gènes & Albengue, à 30 mille pas de la premiere, & à 18 mille pas de la seconde. Pline, lib. III. c. v. le nomme portus vadum, Sabatium Strabon, lib. IV. p. 201, dit , nominata, Sabbatûm vada.

Brutus, dans une lettre insérée dans celles de Ciceron, lib. XI. epist. x. dit : " Antoine est venu à Vada, c'est un lieu que je veux vous faire connoître. Il est entre l'Apennin & les Alpes ; & il n'est pas facile d'y passer, à cause de la difficulté des chemins ". Par cette difficulté, il entend les montagnes & les marais ; ce sont même ces marais qui ont donné lieu au mot vada.

La difficulté à-présent, est de savoir si Sabata & Sabatum vada, sont des noms d'un même lieu. Cluvius l'assure ; mais Holstenius dans ses Remarques sur l'ancienne Italie de Cluvier, l'en reprend comme d'une erreur & met entre deux, une distance de 6 ou 7 mille pas. Il prétend que quand Antonin met sur la voie Aurélienne, Cannalicum Vada Sabatia M. P. XII, Pullopicem M. P. XII. Albingannum M. P. VII. Selon lui, Vada Sabatia, est Vadi ou Vaï, Pollupice, est Final ; Albengannum, est Albengue ; & Sabata simplement, est Savonne.

Mais voici une difficulté : si la ville de Savonne, aujourd'hui siege épiscopal, est l'ancienne Sabata, comment a-t-elle pris le nom moderne, car Savonne est un nom ancien, déjà connu du tems des guerres puniques. Tite-Live dit qu'elle étoit dans les Alpes, Savonne, oppido Alpino. De Savo, Savonis, s'est fait Savonne, comme de Narbo, Narbonne ; de Salo, Salone, &c. Ce qui est certain, c'est que l'ancienne Savonne étoit dans les Alpes, & qu'elle doit être différente de Savonne d'aujourd'hui qui est maritime.

Il n'est pas moins certain que l'ancienne Sabata étoit au commencement des Alpes. Strabon le dit, l'Apennin commence à Gènes, & les Alpes commencent à Sabata.

Il paroît que Vada Sabatia étoit jadis un lieu plus fameux que Sabata, ce dernier n'est nommé que par Strabon & par Ptolémée ; l'autre a été connu de Strabon, de Pline, de Brutus, de Mela, d'Antonin, de l'auteur de la table de Peutinger, & de Capitolinus dans la vie de Pertinax, de qui il dit, ch. ix. qu'étant encore simple particulier, il fut taxé d'avarice, lorsqu'à Vada Sabatia, ayant accablé d'usure les propriétaires, il en profita pour étendre son domaine.

Sabata ou Sabatha, est encore le nom d'une ville d'Asie, dans l'Assyrie. Elle est nommée Sambana par Diodore de Sicile. Elle étoit à 30 stades de la Séleucie de Médie. (D.J.)


SABATou SABAT, (Géog. mod.) ville d'Asie au Mawaralnarh, voisine d'Osrushnah, à 20 parasangues de Samarcande. Long. selon Alfaras 89. 55. lat. 40. 20. (D.J.)


SABATHRA(Géog. anc.) ville de l'Afrique proprement dite, entre les deux Syrtes, selon Ptolémée ; c'est la même ville maritime que la Sabrata de Pline, d'Antonin & des Notices. (D.J.)


SABATIASTAGNA, (Géog. anc.) lac d'Italie dans l'Etrurie. Strabon met entre les lacs de l'Etrurie. Silius Italicus, lib. VIII. vers. 491. fait mention du lac Sabat, qu'il appelle Sabatia stagna ; & Columelle le nomme Sabaticius lacus. Ce lac est aujourd'hui le lac de Bracciano. (D.J.)


SABATICELA, (Géog. anc.) contrée d'Asie dans la Médie. Elle prenoit son nom de la ville de Sabata, comme la Sitacène prenoit le sien de la ville Sitace. La Sabatice étoit à l'orient de la Sitacène, & située de telle façon que quelques-uns la donnoient à la Médie, d'autres à l'Elimaïde, selon Strabon, lib. XI. 524. (D.J.)


SABATINCA(Géog. anc.) ancien lieu du Norique, selon Antonin, sur la route d'Aquilée à Lauriacum. Lazius croit que c'est présentement Neumarck au-dessus de Slaming. (D.J.)


SABATINIENSLES, (Géog. anc.) ancien peuple d'Italie, dans la Campanie, selon la conjecture d'Ortelius, qui cite Tite-Live. Sa conjecture est fort juste. Cet historien, l. XXVI. ch. xxxiij. dit : omnes Campani, Atellani, Galatini, Sabatini, qui se dediderunt in arbitrium, &c. On voit que Campani est un nom général qui comprend les noms suivans, comme étant des peuples de Galatia ou d'Atella, villes de la Campanie, on ne peut pas douter que Sabatine n'en fût aussi un peuple. (D.J.)


SABATO(Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté ultérieure ; elle reçoit dans son cours le Calore, arrose Bénévent, & se perd dans le Volturno, vis - à - vis de Caiazzo ; son nom latin est Sabbatus, voyez ce mot. (D.J.)


SABAUCÉS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre du Brésil, qui porte un fruit gros comme les deux poings, qui renferme des petits noyaux semblables à nos amandes par le goût & par la forme.


SABAZIENadj. (Mythol.) , c'étoit nonseulement le surnom de Jupiter chez les Grecs, mais encore le surnom de Bacchus parmi les Sabes, peuples de Thrace, chez lesquels il étoit particulierement honoré sous le nom du dieu Saboué. Le Mithra des Perses se trouve aussi sur d'anciens monumens avec la même épithete. (D.J.)


SABBATS. m. (Hist. jud.) c'est parmi les Juifs le septieme jour de la semaine qu'ils solemnisent en mémoire de ce que Dieu, après avoir créé le monde en six jours, se reposa le septieme. Voyez SEMAINE.

Ce mot est purement hébreu, , & signifie cessation ou repos. Philon le nomme , le jour de la naissance du monde. Quelques-uns prétendent que dès le premier tems de la création, Dieu commanda aux hommes d'observer le jour du sabbat, parce qu'il est dit dans la Genes. chap. xj. 2 & 3, que Dieu sanctifia le jour auquel il se reposa, & qu'il le bénit. C'est le sentiment de Philon, de S. Clément d'Alexandrie, & de quelques rabbins ; mais la plûpart des peres pensent que cette sanctification & cette bénédiction dont parle Moïse, n'étoient que la destination que Dieu fit alors du septieme jour, pour être dans la suite sanctifié par son peuple. On ne voit pas en effet que les patriarches l'aient observé, ni que Dieu ait eu dessein de les y assujettir.

Mais il en fit un précepte exprès & formel aux Hébreux, sous peine de mort, comme on le voit dans l'Exod. xx. & xxj. aussi l'observerent-ils exactement comme un jour consacré particulierement au culte de Dieu, en s'abstenant de toute oeuvre servile. On dit même qu'ils portoient le scrupule à cet égard jusqu'à penser qu'il ne leur étoit pas permis de se défendre ce jour-là s'ils étoient attaqués, & à se laisser égorger plutôt que de combattre. On voit dans l'Evangile que les pharisiens en avoient encore de plus mal fondés. Le sabbat commençoit le vendredi au soir, suivant l'usage des Juifs qui célebrent leurs fêtes d'un soir à l'autre. Les rabbins ont marqué exactement à ceux-ci tout ce qui leur est défendu de faire le jour du sabath ; ce qu'ils réduisent à trente-neuf chefs, qui ont chacun leurs dépendances. Ces trente-neuf chefs sont ainsi rapportés par Léon de Modene, cérémon. des Juifs, part. III. chap. j. Il leur est défendu de labourer, de semer, de moissonner, de botteler & lier les gerbes, de battre le grain, de vanner, de cribler, de moudre, de bluter, de paîtrir, de cuire, de tordre, de blanchir, de peigner ou de carder, de filer, de retordre, d'ourdir, de taquer, de teindre, de lier, de délier, de coudre, de déchirer ou mettre en morceaux, de bâtir, de détruire, de frapper avec le marteau, de chasser ou de pêcher, d'égorger, d'écorcher, de préparer & racler la peau, de la couper pour en travailler, d'écrire, de raturer, de régler pour écrire, d'allumer, d'éteindre, de porter quelque chose dans un lieu public ou particulier. Ces trente-neuf chefs renferment diverses especes, par exemple, limer est une dépendance de moudre ; & les rabbins ont exposé toutes ces especes avec de grands raffinemens.

Le sabbat commence chez eux environ une demi-heure avant le coucher du soleil, & alors toutes ces défenses s'observent. Les femmes sont obligées d'allumer dans la chambre une lampe qui a ordinairement six lumignons, au-moins quatre, & qui dure une grande partie de la nuit : de plus, elles dressent une table couverte d'une nappe blanche, & mettent du pain dessus qu'elles couvrent d'un autre linge long & étroit, en mémoire, disent-elles, de la manne qui tomboit de la sorte, ayant de la rosée dessus & dessous. On va ensuite à la synagogue, où on récite des prieres ; de retour à la maison, chaque chef de famille bénit du pain & du vin, en faisant mémoire de l'institution du sabbat, puis en donne aux assistans. Le matin du sabbat, on s'assemble à la synagogue où l'on chante des pseaumes ; on lit une section du Pentateuque & une des Prophêtes ; suit un sermon ou exhortation qui se fait quelquefois l'après-dînée. Quand la nuit vient, & qu'après la priere du soir faite dans la synagogue chacun est de retour dans sa maison ; on allume un flambeau ou une lampe à deux méches ; le maître du logis prend du vin dans une tasse & quelques épiceries de bonne odeur, les bénit, puis flaire les épiceries & jette le vin par terre en signe d'allégresse : ainsi finit la cérémonie du sabbat.

Les auteurs profanes qui ont voulu parler de l'origine du sabbat, n'ont fait que montrer combien peu ils étoient instruits de ce qui concernoit les Juifs. Tacite, par exemple, a cru qu'ils chommoient le sabbat en l'honneur de Saturne, à qui le samedi étoit consacré chez les payens. Tacit. histor. lib. V. Plutarque au contraire, sympos. liv. IV. avance qu'ils le célébroient en l'honneur de Bacchus qui est nommé sabbos, parce que dans les fêtes de ce dieu on crioit saboï. Appion le grammairien soutenoit que les Juifs célébroient le sabbat en mémoire de ce qu'ils avoient été guéris d'une maladie honteuse nommée en égyptien sabboni. Enfin Perse & Pétrone reprochent aux Juifs de jeûner le jour du sabbat. Or il est certain que le jeûne leur étoit défendu ce jour-là. Calmet, Dict. de la Bible, tom. III. lettre S, page 407.

Le sabbat étoit institué sur un motif aussi simple que légitime, en mémoire de la création du monde, & pour en glorifier l'auteur. Les Chrétiens ont substitué au sabbat le dimanche, en mémoire de la résurrection de Jésus-Christ. Voyez DIMANCHE.

Sabbat se prend encore en différens sens dans l'Ecriture sainte ; 1°. simplement pour le repos, & quelquefois pour la félicité éternelle, comme hebr. ix. 9. & iv. 4. 2°. pour toutes les fêtes des Juifs : sabbatha mea custodite, Levit. xix. 3°. gardez mes fêtes, c'est-à-dire la fête de pâques, de la pentecôte, des tabernacles, &c. 4°. sabbatum se prend aussi pour toute la semaine : jejuno bis in sabbatho, je jeûne deux fois la semaine, dit le pharisien superbe, en S. Luc, xviij. 12. Una sabbathi, le premier jour de la semaine, Joan. xx. 1. Calmet, Dict. de la Bible, tome III. lettre S, page 403.

SABBAT, (Divinat.) assemblée nocturne à laquelle on suppose que les sorciers se rendent par le vague de l'air, & où ils font hommage au démon.

Voici en substance la description que Delrio donne du sabbat. Il dit que d'abord les sorciers ou sorcieres se frottent d'un onguent préparé par le diable, certaines parties du corps, & sur-tout les aines, & qu'ensuite ils se mettent à cheval sur un bâton, une quenouille, une fourche, ou sur une chevre, un taureau ou un chien, c'est-à-dire, sur un démon qui prend la forme de ces animaux. Dans cet état ils sont transportés avec la plus grande rapidité, en un clin d'oeil, à des distances très-éloignées, & dans quelque lieu écarté, tel qu'une forêt ou un désert. Là, dans une place spacieuse, est allumé un grand feu, & paroit élevé sur un trône le démon qui préside au sabbat sous la forme d'un bouc ou d'un chien ; on fléchit le genouil devant lui, ou l'on s'en approche à reculons tenant à la main un flambeau de poix ; & enfin on lui rend hommage en le baisant au derriere. On commet encore pour l'honorer diverses infamies & impuretés abominables. Après ces préliminaires, on se met à table, & les sorciers s'y repaissent des viandes & des vins que leur fournit le diable, ou qu'eux-mêmes ont soin d'apporter. Ce repas est tantôt précédé, & tantôt suivi de danses en rond, où l'on chante, ou plutôt l'on hurle d'une maniere effroyable ; on y fait des sacrifices ; chacun y raconte les charmes qu'il a employés, les maléfices qu'il a donnés ; le diable encourage ou reprimande, selon qu'on l'a bien ou mal servi ; il distribue des poisons, donne de nouvelles commissions de nuire aux hommes. Enfin un moment arrive, où toutes les lumieres s'éteignent. Les sorciers & même les démons se mêlent avec les sorcieres, & les connoissent charnellement ; mais il y en a toujours quelques-unes, & sur-tout les nouvelles venues, que le bouc honore de ses caresses, & avec lesquelles il a commerce. Cela fait, tous les forciers & sorcieres sont transportés dans leurs maisons de la même maniere qu'ils étoient venus, ou s'en retournent à pié, si le lieu du sabbat n'est pas éloigné de leur demeure. Delrio, disquisit. magic. lib. II. quaest. XVI. pag. 172. & suiv.

Le même auteur prouve la possibilité de ce transport actuel des sorciers par le vague de l'air. Il n'oublie pour cela ni la puissance des démons, ni celle des bons anges, ni le transport d'Habacuc à Babylone par un ange, ni celui du diacre Philippe, qui baptisa l'eunuque de Candace, & qui du désert se trouva tout-d'un-coup dans la ville d'Azoth. La fleche d'Abaris, le vol de Simon le magicien, d'Eric, roi de Suede, rapporté par Joannes Magnus, celui de l'hérétique Berenger, qui dans la même nuit se trouva à Rome, & chanta une leçon dans l'église de Tours, si l'on en croit la chronique de Nangis, & quelques histoires des sorciers, lui suffisent pour conclure de la possibilité à l'existence. Peu s'en faut qu'il ne traite d'hérétiques ceux qui soutiendroient le contraire, au moins maltraite-t-il fort Wyer & Godelman, pour avoir prétendu que tout ce que les sorciers racontent du sabbat, n'est que l'effet d'une imagination vivement échauffée ou d'une humeur atrabilaire, une illusion du démon, & que leur voyage en l'air à cheval sur un manche à balai, aussi bien que tout le reste, n'est qu'un rêve dont ils sont fortement affectés. Idem, ibid.

Les preuves de Delrio montrent qu'il avoit beaucoup d'érudition & de lecture ; mais il n'y regne pas une certaine force de raisonnement qui satisfasse le lecteur ; aussi pensons-nous que tout ce qu'on a dit jusqu'à présent de plus raisonnable sur le sabbat, se trouve dans ce qu'on va lire du p. Malebranche qui explique fort nettement pourquoi tant de personnes se sont imaginées ou s'imaginent avoir assisté à ces assemblées nocturnes.

" Un pastre dans sa bergerie, dit cet auteur, raconte après souper à sa femme & à ses enfans les avantures du sabbat. Comme il est persuadé lui-même qu'il y a été, & que son imagination est modérément échauffée par les vapeurs du vin, il ne manque pas d'en parler d'une maniere forte & vive. Son éloquence naturelle étant donc accompagnée de la disposition où est toute sa famille, pour entendre parler d'un sujet aussi nouveau & aussi effrayant. Il n'est pas naturellement possible que des imaginations aussi foibles que le sont celles des femmes & des enfans, ne demeurent persuadées. C'est un mari, c'est un pere qui parle de ce qu'il a vu, de ce qu'il a fait : on l'aime, on le respecte, & pourquoi ne le croiroit-on pas ? Ce pastre le répete donc en différens jours. L'imagination de la mere & des enfans en reçoit peu-à-peu des traces plus profondes ; ils s'y accoutument ; & enfin la curiosité les prend d'y aller. Ils se frottent, ils se couchent, leur imagination s'échauffe encore de cette disposition de leur coeur, & les traces que le pastre avoit formées dans leur cerveau, s'ouvrent assez pour leur faire juger dans le sommeil, comme presentes toutes les choses dont il leur avoit fait la description. Ils se levent, ils s'entredemandent, & ils s'entredisent ce qu'ils ont vu. Ils se fortifient de cette sorte les traces de leur vision ; & celui qui a l'imagination la plus forte, persuadant mieux les autres, ne manque pas de régler en peu de nuits, l'histoire imaginaire du sabbat. Voilà donc des sorciers achevés que le pastre a faits, & ils en feront un jour beaucoup d'autres, si ayant l'imagination forte & vive, la crainte ne les retient pas de faire de pareilles histoires.

Il se trouve, ajoute-t-il, plusieurs fois des sorciers de bonne foi qui disoient généralement à tout le monde qu'ils alloient au sabbat, & qui en étoient si persuadés, que quoique plusieurs personnes les veillassent, & les assurassent qu'ils n'étoient point sortis du lit, ils ne pouvoient se rendre à leur témoignage. " Recherch. de la vérité, tom. I. liv. II. chap. vj.

Cette derniere observation suffit seule pour renverser toutes les raisons que Delrio a accumulées pour prouver la réalité du transport corporel des sorciers au sabbat, à moins qu'on ne dise avec Bodin, que ce sont leurs ames seules qui y assistent, que le démon a le privilege de les tirer de leur corps pour cet effet pendant le sommeil, & de les y renvoyer après le sabbat : idée ridicule, & dont Delrio lui-même a senti toute l'absurdité.

C'est sans-doute par cette considération que l'assistance au sabbat ne gît que dans l'imagination, que le parlement de Paris renvoie tous les sorciers, qui n'étant point convaincus d'avoir donné du poison, ne se trouvent coupables que de l'imagination d'aller au sabbat. Le jurisconsulte Duaren approuve cette coutume. De aniculis, dit-il, quae volitare per aera, & nocturno tempore saltitare & choreas agere dicuntur, quaeritur ? Et solent plaerique quaestores, in eas acerbius animadvertere quam jus & ratio postulet, cùm synodus ancyrana definiverit quaedam esse quae à cacodoemone multarum mulierum mentibus irrogantur : itaque curia parisiensis (si nihil aliud admiserint) eas absolvere ac dimittere merito consuevit. Ayrault & Alciat sont du même sentiment. Ce dernier se fonde sur ce qu'il est faux que les sorciers aillent en personne au sabbat. Mais cette raison est bien foible ; car c'est un assez grand crime que de vouloir y aller, & que de s'y préparer par des onguens qu'elles croyent nécessaires à cette horrible expédition. Ce qui fait penser au p. Malebranche qu'elles sont punissables. François Hotman consulté sur cette question, répondit qu'elles méritoient la mort. Thomas Erastus a soutenu la même chose, & c'est le sentiment le plus ordinaire des jurisconsultes & des casuistes, soit catholiques, soit protestans. Bayle. Répons. aux quest. d'un provincial, chap. xxxix. pag. 577 de l'édit. de 1737. in-fol.


SABBATAIRENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que quelques auteurs ont donné à une secte d'anabaptistes, qui s'éleverent dans le xvj. siecle, & qui observoient le sabbat des juifs, prétendant qu'il n'avoit jamais été aboli dans le nouveau Testament, par aucune loi positive. Voyez SABBAT & ANABAPTISTES.


SABBATAIRESS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que quelques anciens ont nommé les juifs, de leur scrupuleuse observance du sabbat.

SABBATAIRES, s. m. (Gram. Hist. ecclés.) hérétiques protestans qui font le sabbat avec les juifs, blâment les guerres, les lois politiques, les jugemens. & prétendent qu'il ne faut adresser sa priere qu'à Dieu le Pere, & qu'il faut négliger le Fils & le S. Esprit.


SABBATIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques du jv. siecle, ainsi nommés de Sabbathius leur chef, qui ayant d'abord été juif, puis élevé à la prêtrise par Marcien, l'un des évêques des Novatiens, tâcha d'introduire parmi ceux-ci les cérémonies judaïques, en leur persuadant qu'on devoit célébrer la pâque le quatorzieme jour de la lune de Mars. Il forma même un schisme ; mais les Novatiens qui regardoient sa prétention comme une chose indifférente, conclurent que pour cela il ne falloit pas se diviser. Les sectateurs de Sabbathius furent peu nombreux ; ils affectoient une singularité remarquable, sans qu'on sache sur quel fondement ; c'étoit d'avoir tellement en horreur l'usage de la main droite, qu'ils se faisoient un point de religion de ne rien recevoir de cette main ; ce qui leur fit donner le nom d', sinistri, gauchers.


SABBATINES. f. (Gram.) terme d'école, petite thèse que les écoliers soutiennent les samedis, pour s'exercer à la grande thèse de la fin de l'année.


SABBATIQUELE FLEUVE : Sabbaticus fluvius, (Géog. anc.) riviere que quelques auteurs mettent dans la Palestine, & dont d'autres écrivains nient l'existence ; le P. Calmet a traité au long ce sujet.

Josephe, l. VII. c. xiij. parle ainsi de cette riviere. Ce prince, dit-il, (Titus) rencontra en son chemin une riviere qui mérite bien que nous en parlions ; elle passe entre les villes d'Arcé & de Raphanée, qui sont du royaume d'Agrippa, & elle a quelque chose de merveilleux, car après avoir coulé six jours en grande abondance, & d'un cours assez rapide, elle se seche tout d'un coup, & recommence le lendemain à couler durant six autres jours comme auparavant, & à se sécher le septieme jour, sans jamais changer cet ordre, ce qui lui a fait donner le nom de Sabbatique, parce qu'il semble qu'elle fête le septieme jour, comme les juifs fêtent celui du sabbat. Telle est la traduction de ce fameux passage de Josephe, par M. Arnaud d'Andilli, homme très-versé dans la langue grecque, & aidé dans ce travail par de très-habiles gens de sa famille.

D. Calmet, sur ce même passage, nous donne de cette riviere une idée bien différente. Selon lui, Josephe dit que Titus allant en Syrie, vit entre la ville d'Arcé, qui étoit du royaume d'Agrippa, & la ville de Raphanée en Syrie, le fleuve nommé Sabbatique, qui tombe du Liban dans la mer Méditerranée. Ce fleuve, ajoute-t-il, ne coule que le jour du sabbat, ou plutôt au bout de sept jours ; tout le reste du tems son lit demeure à sec ; mais le septieme jour il coule avec abondance dans la mer. De-là vient que les habitans du pays lui ont donné le nom de fleuve Sabbatique.

Pline a voulu apparemment parler du même fleuve, lorsqu'il dit, l. XXXI. c. ij. qu'il y a un ruisseau dans la Judée, qui demeure à sec pendant tous les septiemes jours ; in Judaea rivus omnibus sabbathis siccatur, Voilà certainement Pline d'accord avec la traduction de M. d'Andilli ; cependant D. Calmet a raison, le texte grec de Josephe, porte que ce fleuve ne coule que le samedi ; & comme les savans ont vu que Pline, & la notion que l'on doit avoir du repos du sabbat, conduisent naturellement à dire que ce fleuve couloit six jours, & cessoit le septieme jour ; ils ont tâché de concilier cette idée avec les paroles de Josephe, en les transposant, & lui ayant fait dire le contraire de ce qu'on y lisoit ; & c'est sur ce changement que M. d'Andilli a travaillé. Il semble en effet, que la riviere Sabbatique ne marqueroit pas bien le repos du sabbat, si elle ne couloit que ce jour là ; pour bien faire, observe D. Calmet, elle devoit cesser de couler pour imiter le repos des Juifs.

Mais une autre remarque plus importante, c'est que Josephe est le seul & premier auteur du fleuve Sabbatique, qui vraisemblablement n'a jamais existé ; du moins on n'en connoit point aujourd'hui, & aucun voyageur ni géographe n'en a jamais fait mention : car pour Pline, il est évident qu'il a tiré de Josephe ce qu'il en dit, & même selon les apparences, il n'en croyoit rien. (D.J.)


SABBATUSou SABATUS, (Géog. anc.) riviere d'Italie, au royaume de Naples ; elle coule à Bénévent, & se jette dans le Vulturne. Cette riviere à Bénévent en reçoit une autre nommée Calor, & qui s'appelle encore Calore. Le sabbatus s'appelle sabato.

Sabbatus ou sabatus, est aussi le nom d'une autre riviere d'Italie, selon Antonin, à 18 mille pas au-delà de Consentiae, en allant vers la colomne, le dernier terme de l'Italie pour passer en Sicile. (D.J.)


SABDARIFFAS. f. (Hist. nat. Bot. exot.) espece de ketmia des Indes, nommée ketmia indica vitis folio ampliore, I. R. H. elle pousse une tige à la hauteur de trois ou quatre piés, droite, cannelée, purpurine, rameuse, garnie de feuilles amples comme celles de la vigne, partagées en plusieurs parties dentelées. Ses fleurs sont grandes, & semblables à celles de la mauve, d'un blanc pâle, & d'un purpurin noirâtre ; il leur succede des fruits oblongs, pointus, remplis de semences rondes, que l'on mange comme un légume, ce qui fait qu'on la cultive aux Indes. (D.J.)


SABÉ(Géog. anc.) nom de deux villes d'Arabie, selon Ptolémée, l. VI. c. vij. il appelle l'une, Sabé regia, dont la longitude est selon lui, 76. lat. 13. Long. de l'autre Sabé, 73. 40. latit. 16. 56. (D.J.)


SABECHS. m. (Faucon) est la cinquieme espece d'autour ; le sabech ressemble à l'épervier.


SABELLI(Géog. anc.) diminutif de Sabini, & qui signifie, des petits Sabins, ou plutôt des descendans des Sabins. Horace, l. II. sat. j. v. 35. dit :

Nam Venusinus arat finem sub utrumque colonus,

Missus ad hoc, pulsis, vetus est ut fama, Sabellis,

Quo ne per vacuum Romano incurreret hostis :

Sive quod Appula gens, seu quod Lucania bellum

Incuteret violenta.

" Si je voulois copier Lucile, je vous dirois dans son style, que je ne sais pas trop si je suis de la Lucanie, ou de la Pouille, parce que Vénuse, ma patrie, est sur la frontiere de ces deux provinces. J'ajouterois qu'il y a une vieille tradition que les Romains, après en avoir chassé les Samnites, y envoyerent une colonie, de peur que si le pays étoit dépourvû de garnisons, il ne prît envie aux Apuliens & aux Lucaniens, deux nations belliqueuses, de nous faire la guerre, & de passer au-travers pour entrer sur les terres de la république ".

Je suis ici la traduction du P. Sanadon, qui rend le Sabelli d'Horace par les Samnites & non par les Sabins. Plusieurs savans s'y sont trompés ; M. Dacier prétend aussi que ce sont les Samnites ; & Desprez, dans son Horace à l'usage du Dauphin, a ouvert le même sentiment.

Par ces Sabelli ou Samnites, il faut entendre ceux que l'on appelloit Hirpini, qui touchoient la Pouille au nord, & la Lucanie à l'est. Tous ces peuples descendoient originairement des Ausones, qui depuis prirent le nom d'Osques, & ensuite celui de Sabins ; ceux-ci formerent différentes peuplades, qui furent les Aurunces, les Fidicins, les Samnites, les Picentins, les Vestins, les Marrucins, les Pélignes, les Marses, les Eques, & les Herniques ; les Samnites produisirent les Trentaniens, les Lucaniens, les Campaniens, & les Hirpins ; enfin les Lucaniens donnerent naissance aux Brutiens.

Il est bien vrai que les Samnites étant descendus des Sabins, on a dit quelquefois Sabelli pour Sabini, par une variation de dialecte ; mais ici il ne peut signifier que les Samnites, parce que ces derniers étant dans le voisinage de Vénuse, étoient aussi beaucoup plus à portée de s'en rendre les maîtres, que les Sabins, qui en étoient fort éloignés. (D.J.)


SABELLIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) secte d'hérétiques qui parurent en Orient dans le iij. siecle ; ils réduisoient les trois personnes de la sainte Trinité, à trois relations, ou plutôt ils les confondoient, reduisant la Trinité à la seule personne du Pere, dont ils disoient que le Fils & le S. Esprit n'étoient que les vertus, les émanations, ou les fonctions. Voyez TRINITE & PERSONNE.

Sabellius, leur chef, natif de Ptolémaïde ville de Lybie, y sema ses erreurs vers l'an 260, confondant la trinité des personnes ; il enseignoit qu'il n'y avoit point de distinctions entr'elles, mais qu'elles étoient une, comme le corps, l'ame & l'esprit ne font qu'un homme ; il ajoutoit que le pere de toutes choses étoit dans les cieux, que c'étoit lui qui étoit descendu dans le sein de la vierge, qu'il en étoit né, & qu'ayant accompli le mystere de notre rédemption, il s'étoit lui-même répandu sur les apôtres en forme de langues de feu, d'où on l'avoit appellé le Saint-Esprit.

S. Epiphane dit que le dieu des Sabelliens, qu'ils appelloient le Pere, ressembloit selon eux, au soleil, & étoit un pur substratum, dont le Fils étoit la vertu, ou la qualité illuminative, & le S. Esprit, la vertu échauffante ; que le Verbe en avoit été tiré ou dardé comme un rayon divin, pour accomplir l'ouvrage de la rédemption, & qu'étant remonté aux cieux, comme un rayon remonte à sa source, la vertu échauffante du Pere, avoit ensuite été communiquée aux apôtres.

Cette hérésie trouva des partisans parmi les évêques en Afrique, en Asie, & jusqu'à Rome ; mais elle fut condamnée en 319 dans le concile d'Alexandrie ; elle étoit au fond la même que celle de Praxeas, aussi donna-t-on aux Sabelliens en Occident le nom de Patripassiens ou Patropassiens. Voyez PATRIPASSIENS.

Les Sociniens ont renouvellé dans ces derniers siecles, le sabellianisme, en ne reconnoissant le S. Esprit que comme une vertu, ou une efficace de la divinité. Voyez SOCINIENS.


SABIA(Géog. mod.) nom d'un royaume & d'une riviere de la Cafrerie en Afrique. On ne connoît ni port, ni ville dans ce royaume. La riviere de Sabia le baigne au nord & au sud. Elle a sa source vers le 47. degré de longitude, & un peu au-delà du 21. degré de latitude méridionale. Son cours est d'occident en orient, & peut avoir 40 lieues de longueur. (D.J.)


SABIISME(Relig. orient. mod.) religion des anciens Sabéens, appellés aujourd'hui Sabis, Sabaïtes, Mandaïtes ou les chrétiens de S. Jean. Voyez sur leurs prédécesseurs l'article SABAÏSME.

Les mahométans de la secte d'Ali répandus dans la Perse paroissent l'occuper toute entiere ; cependant il se trouve encore entre ces peuples deux religions fort anciennes.

1°. Celle des Guebres ou Parsis qui sont les adorateurs du feu, les successeurs des mages, les disciples du fameux Zerdascht ou Zoroastre.

2°. Celle des Sabiens ou Mandaïtes, que l'on nomme ordinairement les chrétiens de S. Jean, mais qui de l'aveu de tous les voyageurs ne sont ni juifs, ni chrétiens, ni mahométans. On dit au reste qu'ils regardent S. Jean-Baptiste comme un de leurs prophetes.

Ces deux sortes de sectaires se donnent une origine très-ancienne, se vantent aussi d'avoir des livres de la premiere antiquité.

Les Parsis prétendent posséder ceux de Zoroastre, le Zend, le Pazend, l'Ousta, & ils ont le Sadder pour leur canon ecclésiastique.

Les Sabiens, selon M. Simon, hist. crit. liv. I. ont le Sidra laadam ou la révélation adressée à Adam lui-même, les livres de Seth & ceux de quelques autres patriarches.

Eutychès, patriarche d'Alexandrie, donne pour auteur du Sabiisme Zoroastre, qui l'est certainement du Magisme ; & ce qui prouveroit qu'il avoit là-dessus quelques traditions, c'est qu'il indique par son nom jusqu'au premier grand-prêtre de la secte. Selon M. Prideaux, les Mages & les Sabiens étoient très-distingués sous les rois de Perse d'après Cyrus.

Nous apprenons de R. Moïse, fils de Maimon ou de Rambam, de plusieurs passages du thalmud, des commentateurs juifs, de la plûpart des écrivains orientaux soit chrétiens, soit mahométans, qu'Abraham avoit été élevé dans le Sabiisme. Le passage de Josué sur l'idolâtrie de Tharé est un texte irréfragable : la ville de Charan où ce patriarche, en quittant celle de Our, alla faire sa demeure, étoit dès - lors & a toujours été même jusqu'aux derniers tems le siege principal du Sabiisme. Bâtie, dit Abulfaradge, par Caïnan, fils d'Arphaxad, (mettons Arphaxad lui-même, puisque ce Caïnan est intrus), & illustrée par les observations astronomiques qu'il y fit, ses habitans se porterent d'eux-mêmes à lui dresser des simulacres, & de - là le culte des astres & des statues ; des astres comme d'êtres à la vérité subordonnés, mais médiateurs entre Dieu & les hommes ; des statues comme représentant ces astres en leur absence, par exemple, la lune lorsqu'elle ne paroît plus sur l'horison, les grands hommes lorsqu'ils ne sont plus ou après leur mort.

Voici ce qui dans tous les tems a distingué plus particulierement le Sabiisme : 1°. la connoissance des astres : 2°. l'art de juger par le cours des astres de tous les événemens : 3°. la science des talismans, l'apparition des génies, les enchantemens & les sorts.

Simulacres, arbres dévoués, bois sacrés, temples, fêtes, hiérarchie réglée, adoration, priere, croyance, idée de métempsycose, les Sabiens avoient toutes ces marques de religion intérieures & extérieures ; Corra, astronome sabien illustre, soutenoit encore par des écrits publics, il y a quelques siecles, que toutes ces pratiques leur venoient des anciens Chaldéens.

D'un autre côté, les mathématiciens qui les gouvernoient se livroient à toutes les idées que leur imagination leur présentoit : chacun selon ses calculs & ses systèmes, ils se forgoient des dogmes ou rejettoient ceux des autres. Par exemple, selon quelques-uns, la résurrection devoit se faire au bout de 9000 ans, parce qu'ils fixoient à 9000 ans le tour entier de tous les orbes célestes. D'autres plus subtils vouloient une résurrection parfaite & totale, c'est-à-dire de tous les animaux, de toutes les plantes, de toute la nature ; cela étant, ils ne l'attendoient qu'au bout de 36426 ans.

Enfin plusieurs d'entre eux soutenoient dans le monde ou dans les mondes une espece d'éternité, pendant laquelle tour-à-tour ces mondes étoient détruits & refaits.

Cette secte obligée par sa propre constitution à observer le cours des astres, a produit plusieurs philosophes, & sur-tout plusieurs astronomes du premier ordre.

Mahomet, Alcoran, sura ou chap. ij. a mis le Sabiisme au rang des religions révélées ; mais comme par-là il a embarrassé les docteurs du Musulmanisme, parce qu'enfin en examinant le Sabiisme de près, ils y ont vu des opinions superstitieuses & ridicules, il ne doit pas être surprenant que ce soit à eux que l'on renvoye pour une connoissance plus intime du Sabiisme. Ainsi après Maimonides, Juda Hallevi & quelques autres espagnols, il faudroit encore consulter Scharestani, Beydawi, Ibn Gannan, Ibn Nedun, Kessai, & parmi nos auteurs Golius, d'Herbelot, Hottinger, & quelques autres.

Il faut observer que si l'on n'a pas une notion raisonnable de cette secte & de ses pratiques, quoiqu'absurdes la plûpart, il y a dans Moïse, & en général dans l'Ecriture plusieurs passages que l'on n'entendra jamais.

Nous parlerons maintenant de l'étendue du Sabiisme : Maimonides & Ephodi, & R. Schem Tob ses commentateurs ont envisagé presque toute l'idolâtrie comme une suite des idées sabiennes, & par-là ils y ont enveloppé nécessairement les cultes de toute la terre. Eutychius avoit la même idée, puisqu'après avoir pris le Sabiisme en Chaldée, de-là, dit-il, il est passé en Egypte, de l'Egypte il fut porté chez les Francs, c'est-à-dire en Europe, d'où il s'étendit dans tous les ports de la Méditerranée. Et comme le culte du soleil & des étoiles, la vénération des ancêtres, l'érection des statues, la consécration des arbres constituerent d'abord l'essence du Sabiisme ; cette espece de religion, toute bizarre qu'elle est, se trouva assez vîte répandue dans toutes les parties du monde alors connu, jusqu'à l'Inde & jusqu'à la Chine ; desorte même que ces vastes empires ont toujours été pleins de statues adorées, & ont toujours donné la créance la plus folle aux visions de l'astrologie judiciaire, preuve incontestable de Sabiisme, puisque c'en est le fond & le premier dogme ; la conclusion est simple que soit par tradition, soit par imitation & identité d'idées, le monde presqu'entier s'est vu & se voit encore sabien. Ce qu'on ne peut pas nier, c'est que pour les régions orientales, le Magisme paroît avoir été resserré dans la Perse & dans quelques contrées voisines, & que le Sabiisme paroît avoir été reçu également dans la Chaldée, dans l'Egypte, dans la Phénicie, dans la Bactriane & dans l'Inde ; car s'il étoit clair que les opinions de la religion égyptienne étoient passées & y subsistent encore aujourd'hui, il est évident aussi qu'il s'y étoit mêlé du sabiisme, ce que prouvent assez & Batroncheri & la plûpart des romans indiens.

Ajoutons un mot de la durée du Sabiisme. Qui croiroit que pendant que tant d'autres hérésies, même depuis le Christianisme, se sont éteintes & presque évanouies à nos yeux ; qui s'imagineroit, dis-je, que celle-ci la premiere de toutes, connue avant Abraham, est demeurée jusqu'à nos jours entre le Judaïsme, le Christianisme & le Musulmanisme ? Nous avons une Homélie de S. Gregoire de Nazianze contre les Sabiens, ainsi de son tems il y en avoit dans la Cappadoce. L'alcoran, tous les historiens, tous les auteurs persans en parlent comme d'une religion subsistante chez eux, & cela n'est pas étonnant, puisque Charan & Bassora sont si proches de l'Arabie & de la Perse.

Une circonstance curieuse, ce seroit de savoir pourquoi & depuis quel siecle les Sabiens s'appellent mendaï Jahia, les disciples ou les chrétiens de S. Jean. Il n'est pas facile de le déterminer ; mais il semble que l'histoire arabe nous en donne une époque assez vraisemblable du tems d'Almamon. Ce prince passant par Charan, & sans-doute en ayant entendu parler comme d'une ville de Sabiens, en fit assembler les principaux habitans ; il voulut savoir quelle étoit véritablement la religion qu'ils professoient. Les Charaniens chagrins d'une telle demande, & ne sachant où elle tendoit, ne se dirent ni juifs, ni chrétiens, ni mahométans, ni sabiens, mais charaniens, comme si c'eût été un nom de religion. Cette réponse assez fondée d'ailleurs, mais que le prince musulman prit ou pour une impiété, ou pour une dérision, leur pensa couter la vie. Almamon en colere leur déclara qu'ils pouvoient opter entre les quatre religions permises par le prophete, sans quoi à son retour leur ville seroit passée au fil de l'épée. Là-dessus un vieillard leur conseilla en reprenant leur ancien nom de religion de se dire sabiens. Cela étoit fort sensé ; mais apparemment qu'alors entre les Charaniens & leurs freres les véritables Sabiens il y avoit des divisions & des haines. Plusieurs d'entr'eux aimerent mieux se faire chrétiens ou musulmans : mais ce qui sera arrivé, c'est qu'avec les Musulmans ils se seront dits chrétiens, & qu'avec les Chrétiens ils auront affecté de se faire nommer chrétiens de S. Jean, ou chrétiens mendaï Jahia, disciples de S. Jean.

Il est vrai que du tems de l'Evangile S. Jean a eu des disciples, & que nous n'avons aucune preuve, malgré la prédication du précurseur, qu'ils ayent tous embrassé le Christianisme. Il est vrai encore que les Sabiens d'aujourd'hui font par-tout, & dans leurs liturgies, & dans leurs livres, une commémoration honorable de S. Jean ; desorte que le nom de chrétiens de S. Jean ou de disciples de Jean pourroit avoir une époque plus ancienne, & être des premiers tems du Christianisme : on a même quelques livres de missionnaires qui les ont prêchés, où l'on voit les articles de leur créance, & il y est parlé du baptême. Mais une secte ne se connoît jamais à fond que par la lecture de ses propres livres, & comme nous en avons à la bibliotheque du roi trois manuscrits assez considérables, ces livres examinés en détail pourront mettre en état d'en parler avec plus de certitude. Extrait des Mémoires de l'acad. des Inscr. t. XII. (D.J.)


    
    
SABINA SYLV(Géog. anc.) forêt d'Italie dans la Sabine. Martial, l. IX. épigr. 55. dit,

Si mihi Picenâ Turdus palleret olivâ

Tenderet aut nostras sylvas Sabina plagas.

Nous ne voyons pas dans ce passage que Sabina soit une forêt particuliere ainsi nommée : il y avoit sans-doute des bois dans la Sabine, & on y chassoit ; mais voici un passage plus particulier. Horace, l. I. ode 22. dit qu'étant occupé de ses amours, il s'enfonça trop avant dans cette forêt, où il trouva un loup qui pourtant s'enfuit de lui, quoiqu'il n'eût point d'armes pour se défendre, s'il en eût été attaqué.

Namque me sylvâ lupus in Sabinâ

Dum meam canto Lalagen & ultrà

Terminum curis vagor expeditus

Fugit inermem.

Cette forêt ne devoit pas être fort éloignée de la maison de campagne qu'il désigne par ces mots vallis Sabina, puisqu'il alloit s'y promener seul & à pié. (D.J.)


SABINAE AQUAE(Géog. anc.) petit lac, ou plutôt étang dans le pays des Sabins, selon Pline & Denys. Strabon l'appelle aquae Costicoliae ; c'est maintenant, selon Cluvier, le Pozzo Ratignano, proche du bourg de Cotila. (D.J.)


SABINEou SAVIGNER, (Botan.) sabina, arbrisseau toujours verd, qui vient naturellement dans l'Italie, le Portugal & l'Arménie, dans la Sibérie & dans le Canada. Il peut, avec l'aide de la culture, s'élever à dix piés ; mais ses branches étant fort chargées de rameaux qui se dirigent d'un seul côté, elles ont tant de disposition à s'incliner & à ramper près de terre, que si l'arbrisseau est livré à lui-même, il prend à peine quatre ou cinq piés de hauteur. Ses feuilles ressemblent à celles du tamarin ou du cyprès, mais elles sont si petites, & si peu distinctes, qu'on doit plutôt les regarder comme un fanage mousseux qui enveloppe les jeunes rameaux. Ses fleurs mâles sont de très-petits chatons coniques & écailleux de peu d'apparence. Ses fruits qui viennent séparément, sont des especes de baies bleuâtres, de la grosseur d'un pois, qui contiennent trois semences osseuses ; elles sont convexes d'un côté & applaties sur les faces qui se touchent.

Cet arbrisseau est absolument des plus robustes, il vient dans les pays chauds comme dans les climats très-froids ; il résiste aux plus cruels hivers & à toutes les autres intempéries des saisons ; il s'accommode de tous les terreins, ne craignant ni l'humidité, ni la sécheresse ; il vient sur les lieux pierreux & très-exposés au vent : mais il se plait davantage dans les terres grasses, & il aime mieux l'ombre que le grand soleil. Il se multiplie très-aisément de branches couchées, & tout aussi-bien de bouture. On ne s'avise guere d'en semer la graine, ce seroit la méthode la plus longue & la plus incertaine. Il reprend, à la transplantation, plus facilement qu'aucun autre arbre toujours verd, pourvu qu'on observe les tems propres à planter ces sortes d'arbres ; savoir le mois d'Avril & le commencement des mois de Juillet ou de Septembre.

La sabine seroit extrêmement propre à former de moyennes palissades toujours vertes, de petites haies très-régulieres ; à garnir les massifs des bosquets pour donner de la verdure dans la saison des frimats, & à l'embellissement de diverses parties des jardins, parce que le verd en est agréable & uniforme, & que d'ailleurs cet arbrisseau a la facilité de venir dans les lieux serrés & à l'ombre des autres arbres : mais il répand une odeur si forte & si désagréable, qu'on est forcé de le reléguer dans les endroits éloignés & peu fréquentés. Le bois de la sabine est très-dur, & il n'est point sujet à se gerser. On ne cultive guere cet arbrisseau que par rapport à ses propriétés. C'est un incisif très-pénétrant. Les médecins, les chirurgiens & les maréchaux en font quelque usage.

On connoît peu de variétés de cet arbrisseau.

1°. La sabine à feuilles de tamarisc, c'est la plus commune.

2°. La sabine à feuilles de cyprès, c'est celle qui a le plus d'agrément.

3°. La sabine panachée est d'une fort médiocre apparence.

SABINE, s. f. (Botan.) quoique la sabine soit une espece de génévrier, il importe de faire connoître, & celle qu'on nomme sabine ou savinier, à feuilles de tamarisc, & la sabine ou le savinier à feuilles de cyprès.

La premiere, sabina folio tamarisci Dioscoridis, C. B. jette de sa racine un petit arbrisseau, qui s'étend plus en large qu'en hauteur, & qui est toujours verd ; ses feuilles sont assez semblables à celles du tamarisc d'Allemagne, mais plus dures & un peu épineuses, d'une odeur forte & desagréable, d'un goût âcre ou piquant & brûlant. Cet individu, qu'on appelle mâle ou stérile, porte au sommet des branches de petits chatons ou fleurs à trois étamines par le bas, sans pétales ; il ne leur succede aucun fruit, du-moins pour l'ordinaire, car lorsque l'arbrisseau est vieux ou planté depuis long-tems dans le même endroit, il s'éleve d'entre les feuilles de petites fleurs verdâtres, qui se changent en de petites baies applaties, moins grosses que celles du genevrier, & qui acquierent comme elles en mûrissant une couleur bleue, noirâtre. On le cultive dans les jardins ; mais dans nos climats, il donne si rarement du fruit, qu'on le regarde comme stérile.

La sabine à feuilles de cyprès, sabina folio cupressi, C. B. P. produit un tronc plus élevé que celui de la premiere espece, approchant beaucoup du cyprès par son rapport, & faisant comme un arbre à tige assez grosse, dont le bois est rougeâtre, médiocrement épais. Ses feuilles sont semblables à celles du cyprès, mais plus compactes, d'une odeur forte & pénétrante, d'un goût amer & aromatique, résineux. Ses fleurs sont composées de trois pétales, fermes, pointus, permanens, ainsi que le calice, qui est divisé en trois parties, d'une couleur jaune, herbeuse. Ses baies sont charnues, arrondies, chargées dans leur partie inférieure de trois tubercules opposés, avec un ombilic armé de trois petites dents ; elles contiennent trois osselets ou noyaux oblongs, d'un côté convexe & de l'autre anguleux.

Cet arbrisseau croît sur les montagnes, dans les bois, & autres lieux incultes. On le cultive aussi dans les jardins. (D.J.)

SABINE, (Mat. méd.) sabine à feuilles de tamarisc, & sabine à feuilles de cyprès.

La premiere espece est principalement employée en Médecine tant extérieurement qu'intérieurement, & elle a en effet plus de vertus.

Les feuilles de sabine ont une odeur balsamique forte, & un goût amer, âcre, aromatique. Elles contiennent une quantité très-considérable d'huile essentielle. M. Cartheuser a retiré plus de deux onces & demie d'huile essentielle d'une livre marchande de feuilles de sabine à feuille de tamarisc.

Cette plante tient le premier rang parmi les remedes emmenagogues & ecboliques, c'est-à-dire propres à faire couler les regles & à chasser le foetus de la matrice. Elle a le grand caractere des remedes véritablement efficaces, c'est-à-dire que l'abus en est dangereux. Cependant sa dose même excessive ne procure pas aussi constamment & aussi promtement l'avortement qu'on a coutume de le croire. Quoique ce remede produise le plus souvent des accidens qui obligent d'emprunter le secours d'autrui, & par conséquent d'avoir à pure perte des témoins d'un crime & de la honte qu'on vouloit cacher, il seroit à souhaiter que cette vérité, qui est fondée sur l'observation d'un très-grand nombre de faits, pût détruire la funeste opinion qui est répandue dans le public sur cette prétendue propriété de la sabine. Une autre vérité, fondée aussi sur un grand nombre d'expériences, & qu'il est très-utile de publier dans la même vue, c'est que l'avortement procuré par le secours de ce genre, est encore plus souvent accompagné que celui qui dépend de toute autre cause, d'une hémorrhagie violente qui tue la mere avec l'enfant.

Les feuilles fraîches de sabine s'ordonnent dans les suppressions des regles, & pour chasser l'arrierefaix & le foetus mort, en infusion dans de l'eau ou dans du vin, à la dose d'une pincée ou de deux ; & en poudre, lorsqu'elles sont seches, à celle d'un demi-gros dans un verre de vin blanc, d'eau, de thé, &c. L'huile essentielle de cette plante, donnée à la dose de quelques gouttes, sous forme d'oleo-sacharum, est regardée aussi comme un remede très - efficace dans les mêmes cas.

Ces mêmes remedes sont aussi de très-puissans vermifuges.

Pour ce qui regarde l'usage extérieur de cette plante, elle est mise au rang des plus puissans discussifs & détersifs. Ses feuilles seches, réduites en poudre, s'emploient assez communément pour mondifier, dessécher & consolider les vieux ulceres.

Cette même poudre mêlée avec du miel, ou les feuilles fraîches pilées avec la même matiere, passent aussi pour très-propres à tuer les vers des enfans, si on leur en frotte le nombril.

Les feuilles de sabine entrent dans l'eau hystérique, les trochisques hystériques, le syrop d'armoise, l'onguent martiatum, la poudre d'acier de la pharmacopée de Paris, & l'huile essentielle dans le baume hystérique & dans l'essence appellée dans la même pharmacopée anti-hystérique, & qu'il faut appeller hystérique ; car ce remede est fait pour la matrice & non pas contre la matrice. (b)

SABINE, la, (Géog. mod.) pays d'Italie, dans l'état de l'Eglise, borné au nord par l'Ombrie, au midi par la campagne de Rome dont le Teveronne la sépare, au levant par l'Abruzze ultérieure, & au couchant par le patrimoine dont elle est séparée par le Tibre.

On la partage en nouvelle Sabine, la Sabina nuova, qui est entre Ponte-Mole & le ruisseau d'Aja, & la Sabine vieille qui est au delà du ruisseau d'Aja ; mais malgré cette division, la province entiere n'en est pas moins la plus petite province de l'état ecclésiastique. Elle n'a qu'environ 9 lieues de long sur autant de large, ensorte qu'elle ne comprend qu'une partie du pays des anciens Sabins, dont elle conserve le nom ; & la seule ville qu'il y ait dans cette province est Magliano ; mais plusieurs petites rivieres arrosent le pays : il est fertile en huile, en vin & en passes, qui est une sorte de raisin sec sans pepin. (D.J.)


SABINIENadj. (Gramm. & Jurisprud.) senatus-consulte sabinien, voyez au mot SENATUS-CONSULTE.

SABINIEN, (Jurisprud. rom.) on nommoit Sabiniens, sous les empereurs romains, les jurisconsultes attachés au parti d'Atteius Capito, qui florissoit sous Auguste. Ce parti tiroit son nom de Mazurius Sabinus, qui vivoit sous Tibere. Ils étoient opposés en plusieurs choses aux Proculiens. Ces deux partis régnerent à Rome jusqu'au tems que les empereurs, privant les jurisconsultes de leur ancienne autorité, deciderent les affaires selon leur bon plaisir, sans égard aux loix & à leurs interprétations. (D.J.)


SABINITESS. f. (Hist. nat. Lithol.) nom donné par Pline à une pierre sur laquelle se trouvoit empreinte de la sabine.


SABINS(Géog. anc.) Sabini, ancien peuple d'Italie, dans les terres, à l'orient du Tibre ; une partie de leur région conserve l'ancien nom.

Leur pays étoit bien plus étendu que la Sabine d'aujourd'hui ; il comprenoit encore tout ce qui est au midi oriental de la Néra jusqu'à celle de ses sources, qui est présentement dans la marche d'Ancone, excepté, vers l'embouchure de cette riviere dans le Tibre, une petite lisiere aux environs de Narni, qui étoit de l'Ombrie ; mais Otricoli étoit dans la Sabine. Ainsi tous les lacs aux environs de Riéti, & toute la riviere de Velino qui les forme, étoient dans cette province, jusqu'à la source du Nomano, qui est aujourd'hui dans l'Abruzze ultérieure ; il étoit alors dans le pays des Sabins, & s'étendoit même au delà de la Pescara, où étoit Amiternum, dont les ruines s'appellent encore AmiternoRovinato.

A la reserve de la ville d'Otricoli, qui est aujourd'hui du duché de Spolete, la Sabine n'a rien perdu du côté du Tibre ; & le Teveronne la borne comme il faisoit autrefois, à-peu-près jusqu'au même lieu, excepté qu'elle avoit au midi de cette riviere la ville de Collatia.

Ainsi l'ancienne Sabine étoit bornée au nord-ouest par l'Ombrie ; au nord-est par des montagnes qui la séparoient du Picenum ; à l'orient par le peuple Vestini ; au sud-est par les Marses & les Eques ; au midi par le Latium, & au couchant par le Tibre qui la séparoit des Falisques & des Véïens.

Les uns dérivent le nom de Sabin, de Sabus, capitaine lacédémonien ; les autres tirent ce nom de Sabinus, fils de Sancus, génie de cette contrée, nommé autrement Medius-Fidius, & que quelques-uns ont pris pour Hercule.

Il y a trois opinions différentes sur l'origine des Sabins ; Plutarque, in Numa, & Denys d'Halicarnasse, liv. II. les font lacédémoniens, & disent qu'ils se rendirent d'abord dans le territoire de Pometia, ville des Volsques, & que partant de-là, ils vinrent dans ce pays, & se mêlerent avec les habitans qui y étoient déja. La seconde opinion est celle de Zénodote de Troezene. Il dit que ce sont des peuples de l'Ombrie, qui étant chassés de leur patrie par les Pélasges, se retirerent dans ce pays, & y furent appellés Sabins. La troisieme est de Strabon, liv. III. qui croit qu'ils étoient Autochtons, , & du peuple Opici, avec lequel ils avoient un langage commun. Il paroît que les Pélasges passerent pour la plûpart chez les Sabins.

On sait que les Sabins eurent avec les Romains de grandes guerres, auxquelles donna lieu le fameux enlevement des sabines. Tatius avoit sur les Sabins une supériorité de prééminence ; & après la paix, il passa à Rome où il s'établit ; & du nom de la ville de Cures se forma, selon quelques-uns, le nom de quirites, affecté par les Romains. Les autres demeurerent en repos quelque tems ; mais ils remuerent sous Tullus Hostilius, Ancus Martius & sous les Tarquins. Ils soutinrent encore la guerre sous les consuls, & disputerent assez long-tems la primauté aux Romains. On peut voir dans Florus, liv. I. ch. xiv. comment ils furent vaincus & subjugués. Les Samnites étoient un détachement des Sabins.

Le pere Briet divise le pays de l'ancienne Sabine en trois parties ; savoir, au-delà de Velino : c'est aujourd'hui une partie du duché de Spolete qui est au pape, & de l'Abruzze ultérieure qui est du royaume de Naples : les Sabins en-deçà du Velino, aujourd'hui la Sabine, ou comme il l'appelle Sabio, & les villes dont la possession a été incertaine entre les Sabins & les Latins. Cela fait trois tables différentes, que voici :

Il résulte de ce détail, que les Sabins occupoient cette contrée de l'Italie qui est située entre le Tibre, le Téverone & les Apennins. Ils habitoient de petites villes, & différentes bourgades, dont les unes étoient gouvernées par des princes, & d'autres par de simples magistrats, & en forme de république. Mais quoique leur gouvernement particulier fût différent, ils s'étoient unis par une espece de ligue & de communauté qui ne formoit qu'un seul état de tous les peuples de cette nation. Ces peuples vivoient avec beaucoup de frugalité ; ils étoient les plus laborieux, les plus belliqueux de l'Italie & les plus voisins de Rome. Leurs femmes étoient regardées comme des modeles de pudeur, & passoient pour être fort attachées à leur ménage & à leurs maris.

Romulus fut à peine sur le trône, qu'il envoya des députés aux Sabins pour leur demander leurs filles en mariage, & pour leur proposer de faire une étroite alliance avec Rome ; mais comme le nouvel établissement de Romulus leur étoit devenu suspect, ils rejetterent sa proposition avec mépris. Romulus s'en vengea, & l'enlevement qu'il fit des sabines causa une longue guerre entre les deux peuples. Les Céniniens, les Antemnates & les Crustumeniens furent vaincus. Enfin, Tatius roi des Cures, dans le pays des Sabins, prit les armes, s'empara de Rome, & pénétra jusques dans la place. Il y eut un combat sanglant & très-opiniâtre sans qu'on en pût prévoir le succès, lorsque les sabines qui étoient devenues femmes des romains, & dont la plûpart en avoient déja eu des enfans, se jetterent au milieu des combattans, & par leurs prieres & leurs larmes, suspendirent l'animosité réciproque. On en vint à un accommodement ; les deux peuples firent la paix ; & pour s'unir encore plus étroitement, la plûpart de ces sabins qui ne vivoient qu'à la campagne, ou dans des bourgades & de petites villes, vinrent s'établir à Rome. Ainsi, ceux qui le matin avoient conjuré la perte de cette ville, en devinrent avant la fin du jour, les citoyens & les defenseurs. Romulus associa à la souveraineté Tatius roi des Sabins ; cent des plus nobles de cette nation furent admis en même tems dans le sénat. Cet événement qui ne fit qu'un seul peuple des Sabins & des Romains, arriva l'an 7 de Rome, 747 avant Jesus-Christ. (D.J.)


SABIONCELLO(Géog. mod.) presqu'île de la Dalmatie, dans les états de la république de Raguse, sur la côte du golfe de Venise ; elle est bornée au nord par le golfe de Narenta, & au midi par l'île de Cursola. On lui donne environ 20 milles de tour ; mais dans toute cette étendue elle ne contient que quelques villages, & un couvent de dominicains. (D.J.)


SABIONETA(Géog. mod.) ville forte d'Italie, sur les confins du duché de Mantoue & du Cremonese, capitale d'un duché de même nom, à 15 milles de Parme, & à 25 de Crémone. Par le traité d'Aix-la-Chapelle, la maison d'Autriche l'a cédée en 1748 à dom Philippe duc de Parme. Long. 27. 58. lat. 45. 4.

Gérard de Sabioneta, écrivain célebre du xij. siecle, mais moins connu sous le nom de Sabioneta, que sous celui de Gérard de Crémone, étoit un ecclésiastique versé dans les langues grecque, latine & arabe. Il s'attacha néanmoins particulierement à la Médecine, & l'exerça avec succès en Italie & en Espagne. Il traduisit du grec & de l'arabe en latin divers ouvrages considérables, & en composa lui - même quelques-uns.

Entre ses traductions de l'arabe & du grec, il faut mettre d'abord les oeuvres d'Avicenne, avec des commentaires imprimés à Venise, chez les Juntes, en 1544 & 1555, deux vol. in-fol. 2°. Les oeuvres de Rhasis, Basileae, en 1544, in fol. 3°. Serapionis practica, Venet. 1497, in-fol. 4°. La chirurgie d'Albucasis, imprimée à Venise en 1500, in-fol. 5°. Gebri arabis astrologiae, lib. IX. Norimbergae, 1533, infolio. La seule version latine faite du grec par Gérard de Crémone, est l'Ars parva de Galien.

Cet homme rare dans son siecle par ses études, ne se contenta pas de traduire, il composa même plusieurs ouvrages en Médecine, entr'autres, 1°. Commentarius in pronostica Hippocratis ; 2°. Commentarius in Viaticum Constantini africani, monachi Cassinensis ; 3°. Modus medendi ; 4°. Geomantia astronomica, car il s'appliqua aussi à l'Astrologie. Son style est assurément fort dur & fort barbare, au point qu'il dégoûte les lecteurs les plus patiens ; mais enfin c'étoit beaucoup dans le xij. siecle de pouvoir écrire en latin, & ce qui est plus étonnant, d'entendre le grec & l'arabe. (D.J.)


SABISS. m. (Mythol.) nom d'un dieu des anciens Arabes. Ces peuples payoient la dixme au dieu Sabis. On croit que c'est le même que Sabazeus & Sabur.


SABLEarena, sabulum, glarea, (Hist. nat. Minéralogie) sable n'est autre chose qu'un amas de petites pierres détachées ; il est rude au toucher, & insoluble dans l'eau. De même qu'il y a des pierres de différentes especes, il y a aussi du sable de différentes qualités ; il varie pour la figure, la couleur & la grandeur des parties qui le composent. Le sable le plus grossier se nomme gravier. Voyez cet article. Le sable le plus fin s'appelle sablon : ce dernier paroît n'être autre chose qu'un amas de petits cailloux arrondis, ou de crystaux transparens, dont souvent les angles ont disparu par le frottement. C'est à cette substance que l'on doit proprement donner le nom de sable : tel est celui que l'on trouve sur le bord de la mer ; il est très-fin, très-mobile, & très-blanc, lorsqu'il n'est point mêlé de substances étrangeres ; tel est aussi le sable que l'on trouve dans une infinité de pays ; l'on a tout lieu de conjecturer qu'il a été apporté par les inondations de la mer, ou par le séjour qu'elle a fait anciennement sur quelques portions de notre globe, d'où elle s'est retirée par la suite des tems.

On a dit que c'étoit à cette derniere substance que convenoit proprement le nom de sable : en effet, les autres substances à qui on donne ce nom, n'ont point les mêmes caracteres ; elles paroissent n'être que de la terre, produite par les débris de certaines pierres, & dont les parties n'affectent point de figure déterminée, & qui ne differe en rien de la poussiere. Wallerius a mis le sable dans une classe particuliere distincte des terres & des pierres ; il en distingue plusieurs especes ; mais ses distinctions ne sont fondées que sur des circonstances purement accidentelles ; telles que la couleur, la finesse des parties, & les substances avec lesquelles le sable est mêlé. Il appelle le vrai sable ou sablon dont nous avons parlé en dernier lieu, arena quarzosa ; peut-être eût-il été plus exact de l'appeller arena crystallisata.

Quoi qu'il en soit, c'est-là le sable dont on se sert pour faire du verre ; le sablon d'Etampes & celui de Nevers sont de cette espece ; il varie pour la finesse, la blancheur, & la pureté : celui dont les parties sont les plus déliées, s'appelle glarea mobilis, sable mouvant.

Presque tous les sables sont mêlés de parties étrangeres qui leur donnent des couleurs & des qualités différentes ; ces parties sont des terres, des parties végétales, des parties animales, des parties métalliques, &c.

Le sable noir des Indes, qui est attirable par l'aimant, dont parle M. Musschenbroeck, est un sable mêlé de parties ferrugineuses ; en joignant à ce sable mis dans un creuset un grand nombre de matieres grasses, ce savant physicien n'a fait que réduire ces parties ferrugineuses en fer ; c'est pour cela qu'il a trouvé que ce sable étoit devenu plus attirable par l'aimant qu'auparavant. Les Physiciens, faute de connoissances chymiques, ne savent pas toujours apprécier les expériences qu'ils font.

Le sable verd qui, suivant la remarque de M. Rouelle, se trouve assez constamment au-dessous des couches de la terre, dans lesquelles on trouve des coquilles & des corps marins, semble redevable de sa couleur à la destruction des animaux marins qui l'ont ainsi coloré.

Outre le sable que nous avons décrit, il s'en trouve qui est composé de fragmens ou de petites particules de pierres de différente nature, & qui ont les propriétés de ces sortes de pierres ; tel est le sable luisant qui est un amas de petites particules de mica ou de talc ; il est infusible & ne se dissout point dans les acides. On sent aussi que le sable spatique ou calcaire doit avoir d'autres propriétés : en général, il paroît que les Naturalistes n'ont considéré les sables que très-superficiellement ; ils ne sont entrés dans aucun détail sur leurs figures, qui ne peuvent être observées qu'au microscope, ni sur leurs qualités essentielles, par lesquelles ils different les uns des autres ; il semble que l'on ne se soit occupé que des choses qui lui sont accidentelles. Cependant une connoissance exacte de cette substance pourroit jetter un grand jour sur la formation des pierres, vu qu'un grand nombre d'entre elles ne sont que des amas de grains de sable liés par un suc lapidifique : de cette espece, sont sur-tout les grais, &c.

Le sable mêlé avec de la glaise contribue à la diviser & à la fertiliser ; en Angleterre on se sert du sable de la mer pour le mêler avec des terres trop fortes ; par-là elles deviennent perméables aux eaux du ciel, & propres par conséquent à favoriser la végétation. (-)

SABLE DE LA MER, (Médecine) le sable de la mer est d'usage en Médecine pour les bains que l'on en fait sur les côtes maritimes, & que l'on ordonne aux gens attaqués de paralysie & de rhumatisme ; ce sable est sur-tout recommandé dans ces occasions aux personnes qui habitent les côtes maritimes de Provence & de Languedoc. On fait échauffer le sable pendant les jours les plus chauds de l'été aux rayons du soleil le plus ardent après l'avoir étendu ; ensuite on le ramasse & on enfonce les malades dans ces tas de sable, de façon qu'ils y soient comme ensevelis, lorsqu'ils y ont resté environ un quart-d'heure ou une demi-heure, on les en voit sortir, à-peu-près comme des morts de leur tombeau, de façon que cette espece de bain imite une résurrection ; d'autant que l'on voit tous les soirs les malades sortir des tas de sable, à-peu-près comme des morts de leur tombeau.

L'efficacité de ce bain est dûe à la chaleur, à la salure, & à la volatilité des principes que l'eau de la mer a communiquées au sable, ces principes exaltés par les rayons du soleil, n'en deviennent que plus propres à donner du ressort aux fibres, à résoudre les concrétions lymphatiques, & tous les vices de la lymphe.

SABLE, bain de, (Chymie) voyez BAIN, FEU, INTERMEDE.

SABLE, (Marine) terme synonyme à horloge, voyez HORLOGE. On dit manger son sable, lorsqu'on tourne l'horloge avant que le sable ne soit écoulé, afin que le quart soit plus court ; ce qui est une friponnerie punissable, & à laquelle le quartier-maître doit avoir l'oeil.

SABLE, (Agriculture) on employe dans l'Agriculture plusieurs especes de sable ; les uns sont stériles, comme ceux de la mer, des rivieres, des sablieres, &c. Les autres sont gras & fertiles : de ceux-ci, les uns le sont plus, & c'est ce qui fait les bonnes terres ; les autres le sont moins, ou ne le sont point du tout ; & c'est ce qui fait les terres médiocrement bonnes, ou les terres mauvaises, & sur-tout les terres légeres, arides, & sablonneuses. De plus, les uns sont plus doux, & ceux-là font ce qu'on nomme une terre douce & meuble ; les autres sont plus grossiers, & ceux-ci font ce qu'on appelle une terre rude & difficile à gouverner ; enfin, il en est d'onctueux & d'adhérens les uns aux autres ; ceux qui le sont médiocrement font les terres fortes ; ceux qui le sont un peu plus font les terres franches ; & ceux qui le sont extrêmement font les terres argilleuses & les terres glaises, incapables de culture. (D.J.)

SABLE, FONDEUR EN, (Arts méch.) les Fondeurs en sable ou de petits ouvrages, composent une partie très-nombreuse de la communauté des Fondeurs, qui se partage en plusieurs parties par rapport aux différens ouvrages qu'ils fabriquent, comme fondeur de cloches, de canons, de figures équestres, ou grande fonderie (voyez tous ces articles), & de petits ouvrages moulés en sable. C'est de cette derniere espece de fondeurs dont il est mention dans cet article, & celle qui est la plus commune, parce que les occasions de faire de grandes fonderies sont rares à proportion de celles que les fondeurs de petits ouvrages ont de faire usage de leurs talens.

Pour fondre en sable, on commence par préparer les moules ; ce qui se fait en cette maniere : on corroye le sable dont on doit faire les moules avec le rouleau de bois, représenté figure 12. Planche du fondeur en sable, dans la caisse à sable, qui est un coffre A B C D, non couvert, de 4 piés de long B C, & 2 de large A B, de 10 pouces de profondeur B E, monté fur quatre piés f f f f qui le soutiennent à hauteur d'appui. Voyez la figure 14. Planche du fondeur en sable. Corroyer le sable, c'est en écraser toutes les mottes avec le rouleau ; on rassemble ensuite le sable dans un coin de la caisse, avec une petite planche de six pouces de long, appellée ratisse-caisse ; voyez la figure 14. n °. 2. on recommence plusieurs fois la même opération jusqu'à ce que le sable soit mis en poudre ; c'est ce qu'on appelle corroyer.

Tous les sables ne sont pas également propres aux Fondeurs ; ceux qui sont trop secs, c'est-à-dire, sans aucun mêlange de terre, ne peuvent point retenir la forme des modeles : celui dont les fondeurs de Paris se servent vient de Fontenay-aux-roses, village près de Paris ; sa couleur est jaune, mais devient noire par la poussiere de charbon, dont les Fondeurs saupoudrent leurs modeles.

Pour faire le moule, le sable médiocrement humecté, on pose le chassis A B C D, figure 16. sur un ais, figure 17. & le tout sur un autre ais g h i k, posé en-travers sur la caisse, figure 14. le côté inférieur en-dessus ; on emplit l'intérieur du chassis de sable que l'on bat avec un maillet de bois pour en assûrer toutes les parties, & le faire tenir au chassis dont toutes les barres ont une rainure à la partie intérieure ; ensorte que le sable ainsi battu avec le maillet, forme une table que l'on peut lever avec le chassis ; avant de le retourner on affleure (avec le racloir représenté figure 13. qui est une lame d'épée emmanchée) le sable du moule aux barres du chassis, en coupant tout ce qui est plus élevé qu'elle. On retourne ensuite le moule sur lequel on place les modeles, soit de cuivre ou de bois, &c. que l'on veut imiter. On fait entrer les modeles dans ce premier chassis à moitié de leur épaisseur, observant avant de poser les modeles, de poncer le sable du chassis avec de la poussiere de charbon contenue dans un sac de toile, au-travers de laquelle on l'a fait passer. L'usage de cette poudre est de faciliter la retiration de modeles que l'on doit faire ensuite : le ponsif, qui est une sorte de sable très fin, sert au même usage.

Lorsque les modeles sont placés dans le sable du premier chassis, & que leur empreinte y est parfaitement imprimée, on place le second chassis, fig. 15. qui a trois chevilles, que l'on fait entrer dans les trous correspondans du premier chassis. Ces chevilles servent de repaires, pour que les creux des deux parties du moule se présentent vis-à-vis les uns des autres ; le chassis ainsi placé, on ponce soit avec de la poussiere de charbon ou du ponsif contenu dans un sac de toile les modeles & le sable du premier chassis ; on souffle ensuite avec un soufflet à main, semblable à celui qui est représenté dans les planches du ferblantier, sur le moule & les modeles pour faire voler toutes les parties du charbon ou du ponsif, qui ne sont point attachés au moule ou au modele où on a placé des verges de laiton ou de fer cylindriques, qui doivent former les jets & évents après qu'elles sont retirées : la verge du jet aboutit par un bout contre le premier modele, & de l'autre passe par la breche e pratiquée à une des barres C D, c d de chaque chassis ; ces breches servent d'entonnoir pour verser le métal fondu dans le moule.

Ce premier chassis ainsi préparé, & le second placé dessus ; on l'emplit de sable, que l'on bat de même avec le maillet pour lui faire prendre la forme des modeles & des jets placés entre deux : on commence par mettre un peu de sable sur les modeles que l'on bat légerement avec le cogneux, qui est un cylindre de bois d'un pouce de diametre, & de quatre ou cinq de long, voyez la fig. 11. dont on se sert comme du maillet, pour faire prendre au sable la forme du modele ; par-dessus ce premier sable, on en met d'autre, jusqu'à ce que le chassis soit rempli. On affleure ce sable comme celui du premier chassis avec le racloir, fig. 13. & le moule est achevé.

Pour retirer les modeles qui occupent la place que le métal fondu doit remplir, on leve le premier chassis qui a les chevilles, ce qui sépare le moule en deux, & laisse les modeles à découvert que l'on retire du chassis où ils sont retirés, en cernant tout-autour avec la tranche, sorte de couteau de fer représenté fig. 10. Le même outil sert à tracer les jets de communication d'un modele à l'autre, lorsque le chassis en contient plusieurs, & les évents particuliers de chaque modele. Le moule ainsi préparé, & reparé avec des ébauchoirs de fer, s'il est besoin, est, après avoir été séché, en état d'y couler le métal fondu.

Pour faire secher le moule, on allume du charbon, que l'on met par terre en forme de pyramide, que l'on entoure de quatre chassis, ou demi-moules ; savoir, deux appuyés l'un contre l'autre par le haut, comme un toît de maison, & deux autres à côté de ceux-ci, ensorte que le feu en est entierement entouré ; ce qui fait évaporer des moules toute l'humidité qui ne manqueroit pas d'en occasionner la rupture, lorsqu'on y verse le métal fondu, si les moules n'étoient pas bien séchés auparavant.

Pendant qu'un ouvrier prépare ainsi les moules, un autre fait fondre le métal, qui est du cuivre, dans le fourneau représenté, fig. 1. Le fourneau est un prisme quadrangulaire de 10 pouces ou environ en tous sens, & d'un pié & demi de profondeur, formé par un massif de maçonnerie ou de briques revêtues intérieurement avec des carreaux de terre cuite, capables de résister au feu. Le prisme creux A B C D, c b d, fig. 9. est séparé en deux parties par une grille de terre cuite f f, percée de plusieurs trous : la partie supérieure, qui a environ un pié de hauteur, sert à mettre le creuset E & le charbon allumé : la partie intérieure est le cendrier, dont on forme l'ouverture avec une pâte de terre x. fig. 1. bien latée avec de la terre glaise ou de la cendre ; c'est dans le cendrier que le porte-vent h g F du soufflet aboutit, d'où le vent qu'il porte passe dans le fourneau proprement dit, par les trous de la grille f f, ce qui anime le feu de charbon dont il est rempli, & fait rougir le creuset & fondre le métal qu'il contient. Pour augmenter encore la force du feu, on couvre le fourneau avec un carreau de terre A, qui glisse entre deux coulisses, c d, f e, on a aussi un couvercle de terre pour couvrir le creuset. Voyez CREUSET. Celui des fondeurs a 10 pouces de haut & 4 de diametre. On se sert pour mettre le cuivre dans le creuset d'une cuillere représentée, fig. 4. appellée cuillere aux pelotes, qui est une gouttiere de fer enmanchée d'un manche de même métal ; la cuillere est creuse & ouverte dans toute sa longueur, pour que les pelotes de cuivre puissent couler plus facilement dans le creuset. Les pelotes sont des amas de petits morceaux de cuivre que l'on ploie ensemble pour en diminuer le volume, & faire qu'elles puissent entrer en un paquet dans le creuset ; on se sert aussi au fourneau d'un outil appellé tisonnier, représenté fig. 5. C'est une verge de fer de 2 1/2 piés de long, pointu par un bout, qui sert à déboucher les trous de la grille sur laquelle pose le creuset. On se sert aussi des pincettes, fig. 2. pour arranger les charbons, ou retirer du creuset les morceaux de fer qui peuvent s'y trouver.

Le soufflet I de la forge est composé de deux soufflets d'orgue, qu'on appelle soufflet à double vent, voyez SOUFFLET A DOUBLE VENT, suspendu à une poutre P par deux suspentes de fer P Q, qui soutiennent la table du milieu ; le mouvement est communiqué à la table inférieure par la bascule 10, qui fait charniere au point N ; l'extrêmité O de la bascule est attachée par une chaîne o k, qui tient à la table inférieure où est attaché un poids k, dont l'usage est de faire ouvrir le soufflet, que l'on ferme en tirant la bascule I O, par la chaîne I M, terminée par une poignée M, que l'ouvrier tient dans sa main. Voyez la fig. 1. Le vent passe par le porte-vent de bois ou de fer H G dans le cendrier, d'où il passe dans le fourneau par les trous de la grille, comme il a été dit plus haut.

Pendant que le métal est en fusion, deux ouvriers placent les moules dans la presse, fig. 18. on commence par mettre un ais, fig. 17. de ceux qui ont servi à former les moules sur la couche A B de la presse, qui est posée sur le baquet plein d'eau, fig. 6. sur cet ais on étale un peu de sable, pour que le moule que l'on pose dessus porte dans tous ses points sur le premier moule, composé de deux chassis, on met une couche de sable, sur lequel on pose un autre moule ; ainsi de suite jusqu'à ce que la presse soit remplie ; par-dessus le sable qui couvre le dernier moule on met un ais, par-dessus lequel on met la traverse C D de la presse, que l'on serre également avec les deux écroues E F, taraudés de pas semblables à ceux des vis e f ; toute cette machine est de bois.

Lorsque l'on veut couler le métal, on incline la presse, ensorte que les ouvertures e e des chassis qui servent d'entonnoirs pour les jets, regardent en en-haut ; ce qui se fait en appuyant les moules par la partie opposée sur le bord du baquet, ensorte que leur plan fasse avec l'horison un angle d'environ 30 degrés.

Avant de verser le métal, le fondeur l'écume avec une écumoire représentée fig. 8. c'est une cuillere de fer percée de plusieurs trous, au-travers desquels le métal fondu passe, & qui retient les scories que le fondeur jette dans un coin du fourneau ; après que le métal est écumé, on prend le creuset avec les happes, représenté fig. 3. & on verse le métal fondu dans les moules. Lorsque le métal a cessé d'être liquide, on verse de l'eau sur les chassis pour éteindre le feu que le métal fondu y a mis ; on releve ensuite les moules, & on desserre la presse, d'où on retire les moules, que l'on ouvre pour en tirer les ouvrages. Le sable est ensuite remis dans la caisse, où on le corroie de nouveau pour en former d'autres moules.

Les happes avec lesquelles on prend les creusets dans le fourneau, sont des pinces de fer dont les deux branches sont recourbées en demi-cercle, qui embrassent le creuset ; le plan du cercle, que les courbures des branches forment, est perpendiculaire à la longueur des branches de la tenaille. L'ouvrier qui prend le creuset, a la précaution de mettre à sa main gauche un gros gant mouillé, qui l'empêche de se brûler en tenant la tenaille près du creuset, ce qui ne manqueroit pas d'arriver sans cette précaution, tant par la chaleur des tenailles, que par la vapeur enflammée du métal fondu qui est dans le creuset.

Les fondeurs coupent les jets des ouvrages qu'ils ont fondus, & les remettent à ceux qui les ont commandés sans les réparer.

SABLE, s. m. (Jardin.) terre légere sans aucune consistance, mêlée de petits graviers, qu'on mêle avec de la chaux pour faire du mortier, & dont on se sert pour couvrir les allées. Il y a du sable blanc, du rouge & du noir ; celui-ci se tire des caves. Il a de gros grains comme des petits cailloux, & fait du bruit quand on le manie : c'est le meilleur de tous les sables. On connoît leur bonté en les mettant sur de l'étoffe : si le sable la salit, & qu'il y demeure attaché, il ne vaut rien.

On appelle sable mâle, celui qui dans un même lit est d'une couleur plus forte qu'une autre, qu'on nomme sable femelle. Le gros sable s'appelle gravier, & on en tire le sable fin & délié en le passant à la claie serrée, pour sabler les aires battues des allées des jardins. (D.J.)

SABLE, (Plomberie) les plombiers se servent de sable très-blanc pour mouler plusieurs de leurs ouvrages, & particulierement pour jetter & couler les grandes tables de plomb. Pour préparer le sable de ces tables, on le mouille légerement, & on le remue avec un bâton ; ce qu'on apelle labourer le sable ; après quoi on le bat, & on le plane avec la plane de cuivre. (D.J.)

SABLE, terme de Blason ; le sable est la quatrieme couleur des armoiries ; c'est le noir. Il y a deux opinions sur l'origine de ce terme : plusieurs écrivains le dérivent des martes zibelines, que l'on nommoit anciennement zables ou sables ; d'autres croient que la terre étant ordinairement noire, on s'est servi du mot sable pour exprimer la couleur noire que l'on voit souvent dans les armoiries ; mais quand on considere que la marte est presque noire, & qu'on l'a toujours appellée zibeline, on vient à penser qu'elle est la véritable origine du mot sable en terme de blason. C'est aussi le sentiment de Borel. (D.J.)

SABLES D'OLONE, les, (Géog. mod.) ville maritime de France en Poitou, à 8 lieues de Luçon. Voyez OLONE.


SABLÉ(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Saboloium, Sabloium, &c. petite ville de France, dans le bas-Maine, sur la Sarte, à 10 lieues au sud-ouest du Mans, & à égale distance au nord-est d'Angers. Elle est fort ancienne, car elle fut donnée avant l'an 628 à l'église du Mans par un seigneur nommé Alain. Elle fut érigée en marquisat par Henri IV. en 1602, en faveur d'Urbain de Laval, maréchal de France. Gilles Ménage a publié à Paris l'histoire de cette petite ville, en 1683, in-fol. Son pere, Guillaume Ménage y étoit né. Longitude 17. 14. latit. 47. 49. (D.J.)


SABLÉEFONTAINE, (Chauderonn.) on appelle fontaine sablée un vaisseau de cuivre étamé, ou de quelqu'autre métal, dans lequel on fait filtrer l'eau à travers le sable, pour la rendre plus claire, & pour l'épurer ; on ne devroit jamais se servir de vaisseau de cuivre à cause du verd-de-gris, ou du moins cela n'est permis qu'aux peuples de la propreté la plus recherchée, tels que sont les Hollandois. (D.J.)


SABLERL'ACTION DE, (Physiolog.) c'est une façon de boire dans laquelle on verse brusquement la boisson tout-à-la-fois dans la bouche ; & la langue conduit le tout dans le gosier avec la même vîtesse. C'est cette façon de boire qu'Horace appelle thraciae amystis.

Pour sabler, il y a deux moyens ; l'un de fermer la valvule du gosier en la baissant sur la langue, ou en retirant la langue sur elle, afin de prendre son tems pour avaler. L'autre est d'ouvrir cette valvule, en éloignant la langue de cette valvule, pour laisser passer tout d'un coup la liqueur dans le gosier, sur lequel la langue se retire aussitôt, pour pousser le liquide dans l'oesophage, & pour baisser l'épiglotte, afin de garantir la trachée-artere.

Cette maniere débauchée de boire, peut n'être utile qu'à ceux qui ont quelque médicament dégoutant à prendre. Ce moyen est assez bon pour éviter le dégoût, parce que la boisson passe avec tant de vîtesse, qu'elle n'a pas le tems de frapper desagréablement la bouche ni le nez.

La façon de boire au galet ou à la régalade, comme on dit vulgairement, ne differe de sabler qu'en ce que le sabler se fait en un seul coup, & que le galet se fait en plusieurs.

Pour boire ainsi on renverse la tête, on ouvre la bouche fort grande, on retire la langue en arriere pour boucher le gosier, afin d'éviter la chûte trop promte du liquide, qui incommoderoit la trachée-artere ; on verse de haut, mais doucement, pour donner le tems à la langue & à la valvule du gosier de s'éloigner pour le passage de la boisson, & lorsqu'il en est passé environ une gorgée, la langue & la valvule se rapprochent subitement, pour empêcher que ce qui est encore dans la bouche, ne suive ce qui est déja dans le gosier, & on profite de cet instant, pour respirer par le nez.

A l'égard du sabler, j'ai dit qu'il différoit peu du galet ; & ce que je vais ajouter de la déglutition dans cette façon de boire, servira pour l'un & pour l'autre.

Quand on boit au galet, la racine de la langue & la valvule se rapprochent mutuellement pour retenir le liquide, jusqu'à ce qu'on ait pris son tems pour avaler ; lequel tems est toujours après l'inspiration ou l'expiration ; & quand on veut avaler, on éleve la valvule, on retire la langue en-devant, pour donner passage à une partie du liquide ; ensuite la langue se retire dans le fond du gosier, pour pousser le liquide dans l'oesophage ; de maniere qu'elle ne fait qu'avancer sa racine en devant, pour laisser entrer l'eau, & ensuite se retirer jusqu'au fond du gosier, tant pour pousser le liquide dans le fond de l'oesophage, que pour boucher les narines & la glotte : ces mouvemens instantanés sont répétés, jusqu'à ce que l'on ait achevé de boire. Voyez BOIRE & DEGLUTITION, mém. de l'acad. de Scienc. ann. 1715 & 1716.

J'ajoute seulement qu'il n'y a pas le moindre plaisir à sabler une liqueur agréable, parce qu'on ne la savoure point en l'avalant tout-d'un-coup, & d'une seule gorgée. Il y a plus : dans cette maniere brusque de boire, on risque de s'étouffer, si par hasard la langue n'a pas pu en baissant promtement l'épiglotte, garantir la trachée - artere du torrent d'un vin fumeux ; c'est là-dessus qu'est fondé ce couplet d'une de nos meilleures chansons bacchiques,

Chers enfans de Bacchus, le grand Grégoire est mort !

Une pinte de vin imprudemment sablée,

A fini son illustre sort :

Et sa cave est son mausolée.

(D.J.)

SABLER une allée, (terme de Jardinier) c'est couvrir avec art une allée de sable, pour empêcher que l'herbe n'y vienne. Avant que de sabler une allée, il faut la dresser, ensuite la battre à deux ou trois volées ; car, sans cette façon, le sable se mêle en peu de tems avec la terre. Enfin on met dessus l'allée battue, deux pouces d'épaisseur de sable de riviere, sur lequel on passe le rouleau. (D.J.)


SABLESTANLE, (Géog. mod.) Olearius écrit Sablustan, & d'Herbelot Zablestan ; province de Perse, sur les confins de l'Indoustan, bornée au nord par le Khorassan, au midi par le Ségestan, au levant par le Candahar, & au couchant par le pays d'Héri. Ce pays a pour ville principale Gagnah, si fameuse dans l'histoire orientale. Il est arrosé de rivieres, de sources & de fontaines. Les montagnes dont il est rempli, ont été connues des anciens sous le nom de Paropamisus, & le pays répond en effet, pour la plus grande partie, aux Paropamisades de Quinte-Curce. Le Paropamise est une branche du mont Taurus, toute couverte de bois. Le peuple du pays, dit Olearius, est encore aujourd'hui aussi grossier qu'il l'étoit du tems d'Alexandre. (D.J.)


SABLIERS. m. ou HORLOGE DE SABLE, c'est proprement une clepsydre, dans laquelle on emploie le sable au lieu d'eau. Voyez CLEPSYDRE. (O)

SABLIER, (Ecriture) c'est un petit vaisseau où l'on met du sable ou de la poussiere, qu'on répand sur l'écriture, afin de la sécher plus vîte, ou d'user du papier écrit, comme si l'écriture étoit seche, la poussiere attachée aux lettres buvant le superflu de l'encre, & empêchant que les lettres ne s'effacent.


SABLIERES. f. (Gram. & Oecon. rustiq.) lieu creusé dans la terre d'où l'on tire du sable.

SABLIERE, (Charpent.) piece de bois qui se pose sur un poitrail, ou sur une assise de pierres dures, pour porter un pan de bois ou une cloison. C'est aussi la piece qui à chaque étage d'un pan de bois, en reçoit les poteaux, & porte les solives du plancher.

Sabliere de plancher, piece de bois de sept à huit pouces de gros, qui étant soutenue par des corbeaux de fer, sert à porter les solives d'un plancher. Daviler. (D.J.)

SABLIERES, s. f. pl. (Charpent.) especes de membrures qu'on attache aux côtés d'une poutre, pour n'en pas altérer la force, & qui reçoivent par enclave, les solives dans leurs entailles. (D.J.)


SABLONS. m. (Gram.) sable blanchâtre & grossier, dont on se sert pour écurer la vaisselle qui en est promtement détruite. On dit passer au sablon.

SABLON, (Conchyliolog.) en latin natica ; on pourroit dire natice. C'est un limaçon à bouche demi-ronde ou ceintrée, qui differe de la nérite, en ce qu'il n'a ni dents, ni palais chagriné, ni gencive, ni umbilic comme elle. Il se nourrit sur le rocher, porte une opercule, & rampe comme le limaçon nommé guignette à la Rochelle. Le col, la bouche, le mantelet qui l'enveloppent dans l'intérieur de sa coquille, ressemblent aussi beaucoup, excepté pour la grandeur, à ces trois parties de la guignette. Ses cornes sont assez longues, pointues & très-fines ; l'animal dans sa marche les balance sans interruption du haut en bas, & de bas en haut. Il est rare que dans ce mouvement l'une précede l'autre. Elles se suivent toujours avec beaucoup de justesse, comme si elles battoient en quelque sorte une espece de mesure. (D.J.)


SABLONES(Géog. anc.) lieu de la Belgique. Antonin le met sur la route de colonia Trajana à Cologne, entre Mediolanum & Mederiacum, à huit mille pas de la premiere, & à dix mille pas de la seconde. On croit que c'est Santen sur le Rhin ; du moins Ortelius adopte ce sentiment. (D.J.)


SABLONNERv. act, (Oecon. domestiq.) passer au sablon. C'est une maniere de nettoyer la vaisselle dans les cuisines. Si elle est de cuivre, le sablon enleve l'étamage, & rend les vaisseaux d'un usage dangereux. Si elle est d'argent, elle perd ses formes, & souffre un déchet considérable.


SABLONNEUXadj. (Gram.) abondant en sable ou sablon. Une plaine sablonneuse. Les lieux sablonneux rendent peu de fruits. Sablonneux se dit aussi pour pierreux, de certains fruits dont la pulpe est dure & grumeleuse, telle est la poire appellée doyenné.


SABLONNIERS. m. (Gram.) homme qui va puiser du sablon dans la riviere, ou qui en tire des sablonnieres, & qui en fait commerce.


SABLONNIERES. f. lieu d'où l'on tire le sable.

SABLONNIERE, (terme de Fondeurs) c'est un grand coffre de bois à quatre piés, garni de son couvercle, où les Fondeurs conservent, & sur lequel ils corroyent le sable dont ils font leurs moules. (D.J.)


SABOR LE(Géog. mod.) ou Sor, petite riviere de Portugal. Elle a sa source en Espagne, au royaume de Galice, sur les confins des royaumes de Léon & de Portugal. Elle passe à Bragance, s'accroît dans son cours de quelques ruisseaux, & se perd enfin dans le Duero. (D.J.)


SABORDS. f. (Marine) embrasure ou canonniere dans le bordage d'un vaisseau, par laquelle passe un canon. La grandeur de cette embrasure est proportionnée au calibre du canon. La plûpart des constructeurs lui donnent trois piés deux pouces pour un calibre de 48, trois piés pour un calibre de 36, deux piés neuf pouces pour un calibre de 24, deux piés sept pouces pour un calibre de 18, &c. ainsi des autres calibres à proportion. Il y a sur un vaisseau autant de rangs de sabords qu'il y a de ponts. Leur distance dans ces rangs est d'environ sept piés, & ils ne sont jamais percés les uns au-dessus des autres. Au reste on appelle feuillets leur partie inférieure & supérieure. Voyez encore BATTERIE.

On dit qu'il y a tant de sabords par bande : cela signifie qu'il y a un tel nombre de sabords par chaque batterie. Voyez Planche I. fig. 1. & fig. 2, les sabords & leur situation, & Planche IV. fig. 1, les sabords de la premiere batterie, cotés 197, & les sabords de la seconde cotés 198.


SABOTS. m. (Hist. nat. Bot.) calceolus, genre de plante à fleur polypétale, anomale, & composée de six pétales inégaux, dont quatre sont disposés en croix ; les deux autres occupent le milieu de la fleur. L'un de ces deux pétales est fourchu & placé sur l'autre, qui est gonflé & concave, & qui ressemble à un sabot. Le calice devient dans la suite un fruit ou une espece d'outre à trois angles auxquels adherent trois panneaux qui s'ouvrent, & qui sont chargés de semences aussi menues que de la sciure de bois. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SABOT, s. m. (Hist. nat. bot.) trochus, nom générique que l'on a donné à différentes especes de coquilles. Voyez COQUILLE, & les figures 10, 11 & 13 de la XXI. Planche.

SABOT, (Conchyliolog.) en latin trochus, genre de limaçon de mer de forme conique, & qui ont la bouche applatie en ovale.

Les caracteres de ce genre de limaçons, sont les suivans, selon M. Dargenville ; c'est une coquille univalve, dont la figure est faite en cône ; le sommet est élevé, quelquefois applati, ou tout-à-fait plat. Sa bouche ovale est à dents & sans dents, umbiliquée, & ayant intérieurement la couleur d'un blanc de perle.

La figure conique de ce genre de coquille & la bouche applatie en ovale, déterminent son caractere générique.

Cette famille de limaçons que nous nommons sabots, renferme des especes fort singulieres, qu'on indiquera dans la suite. Il y en a dont la tête en pyramide, forme plusieurs spirales, & ce sont-là les vrais sabots ; d'autres s'élevent la moitié moins & conservent mieux la figure des vrais limaçons ; d'autres sont entierement applatis, tels que la lampe antique & l'escalier ; il résulte de-là que l'élévation de la figure ne détermine pas le vrai caractere d'un coquillage. Il y a des especes de sabots qui sont umbiliqués, & d'autres qui ne le sont pas. Les Bretons appellent sorciere, une espece de sabot qui est petite & plate. Voyez SORCIERE.

Les classes générales de sabots, sont les trois suivantes ; 1°. celle des sabots dont le sommet est élevé ; 2°. celle des sabots dont le sommet est moins élevé, & qui ont la bouche grande, presque ronde & umbiliquée ; 3°. celle des sabots dont le sommet est applati.

Les principales coquilles de sabots à sommet élevé, sont ; 1°. le sabot marbré ; 2°. le sabot tacheté de rouge & de blanc à pointes étagées ; 3°. le sabot pointillé ; 4°. le sabot de couleur verte & chagriné. On trouve aussi dans cette classe le sabot plein de noeuds dont la couleur est, tantôt verte, tantôt rougeâtre, tantôt cendrée, quelquefois jaune, & d'autres fois couleur de rose.

Parmi les sabots de la seconde classe, on distingue ; 1°. la veuve, 2°. la pie, 3°. le tigre, 4°. le sabot à côtes élevées, & à sommet pointu ; 5°. le sabot armé de pointes & de boutons ; 6°. le cul-de-lampe, autrement dit la pagode ou le toît chinois ; 7°. le sabot tout blanc, avec des côtes relevées ; 8°. le sabot garni de pointes en compartimens ; 9°. le sabot brut avec une opercule ; 10°. le bouton de camisole chagriné & qui a des dents : 11°. l'éperon ou la molette d'éperon, 12°. le petit éperon, 13°. le sabot doré à umbilic argenté.

Il faut remarquer ici, que la premiere & la seconde classe de sabots, reçoivent dans plusieurs de leurs especes de tels changemens en passant par les mains de ceux qui les polissent, & quand ces coquilles ont été gardées dans des cabinets, qu'on a de la peine à les connoître.

Par exemple, le sabot marbré paroît alors tacheté de rouge & de blanc ; le sabot verd étant dépouillé, brille comme la nacre de perle ; le sabot doré paroît tout entier couleur d'argent, &c.

Dans la classe des sabots dont le sommet est applati, on compte les especes suivantes ; 1°. la lampe antique, à bouche étendue & plate ; 2°. le sabot rayé de blanc & de rouge, 3°. le sabot, dont la bouche a des dents, 4°. le sabot nommé le cornet de S. Hubert, à levres repliées ; 5°. le sabot, dont le sommet est creusé & fauve ; 6°. le sabot à sommet tout jaune ; 7°. le sabot applati, dont la bouche est presque ronde ; 8°. le sabot nommé l'escalier ou le cadran, à bouche applatie ; 9°. le sabot brun rayé de lignes jaunes & blanches ; 10°. le sabot blanchâtre, marqueté de taches & de raies jaunes ; 11°. le petit sabot applati, tirant sur le blanc, & la couleur de rose.

On trouvera la représentation de toutes ces différentes especes de sabots, dans les auteurs de conchyliologie. L'on verra en même tems, que le nom de sabot conformément à l'origine de ce mot, est fort mal appliqué à différentes especes de ces coquilles, puisqu'il n'y en a que quelques-unes qui ayent la figure du sabot ou de la toupie des enfans. Il vaut donc mieux nommer avec M. Dargenville ces sortes de coquilles, limaçons à bouche applatie ; ajoutons un mot de l'animal même.

Le limaçon habitant du sabot, a la chair d'un blanc sale tirant sur le jaune ; sa bouche est brune, ses yeux sont gros, noirs, & placés à l'ordinaire : les cornes sont coupées dans toute leur largeur par une ligne fauve, ce qui les rend épaisses, & d'une pointe fort camuse.

Ce même animal a un avantage sur le limaçon à bouche ronde, & sur le limaçon à bouche demi ronde, c'est de n'être point sujet comme eux par la configuration & la juste proportion du poids de son corps avec la plaque charnue sur laquelle il rampe, à se renverser en passant dans les endroits escarpés, au lieu que les autres allant par les mêmes endroits, entraînés par le poids de leur coquille peu proportionnée pour la grosseur à la force de l'animal, sont renversés, froissés & blessés, avant qu'ils ayent pû s'en garantir en retirant leurs cornes, leur bouche, & en rentrant promtement dans leur coquille. (D.J.)

SABOT, (Archit.) est un morceau de bois quarré d'environ huit pouces de grosseur, dans lequel s'emboîte l'extrêmité d'un calibre, & sert à le diriger le long de la regle pour pousser les moulures.

SABOT, (Boissellerie) sorte de chaussure de bois léger & creusé, dont les paysans se servent en France, faute de souliers ; les plus propres viennent du Limousin. Ce sont à Paris les Boisseliers, les Chandeliers, & les regrattiers qui en font le commerce en détail. Il y a quelques années qu'un médecin de Londres conseilla de porter des sabots à un jeune enfant de qualité qui commençoit à être attaqué du rachitis ; mais on ne trouva pas une seule paire de sabots dans toute la grande-Bretagne, il en fallut faire venir de France ; je sais pourtant que les anciens connoissoient les sabots, & qu'ils en faisoient ; c'étoit la chaussure des plus pauvres laboureurs ; mais ce qu'il y a de particulier, c'est que c'étoit aussi celle des parricides lorsqu'on les enfermoit dans un sac pour les jetter dans la mer ; Ciceron nous apprend cette derniere particularité prescrite par la loi : Si quis parentes occiderit, vel verberarit, ei damnato obvolvatur os folliculo lupino, soleae ligneae pedibus inducantur. (D.J.)

SABOT, en terme de Boutonnier ; c'est une espece de pompon formant un demi-cercle en-bas, & enhaut s'ouvrant en deux oreillettes de coeur, mis en soie & bordé de cannetille pour entrer dans la composition d'un ornement quelconque. Voyez METTRE EN SOIE & CANNETILLE.

SABOT, instrument de Passementier - Boutonnier ; c'est un petit outil de bois à plusieurs coches, de cinq ou six pouces de longueur dont on se sert pour fabriquer les cordons de chapeaux, c'est-à-dire pour assembler plusieurs cordons ou fils, & les tortiller ensemble pour en faire un plus gros.

SABOT, terme de Cordier ; outil de bois à plusieurs coches, dont le cordier se sert pour cabler le cordage en trois, quatre, ou en plus grand nombre. (D.J.)

SABOT, en terme d'Epinglier ; sa forme est trop connue pour en parler. Les Epingliers s'en servent ordinairement pour frapper sur les bouts d'une dressée qu'ils cueillent. Ils enlevent encore quelquefois le dessus pour s'en servir comme d'une boîte à mettre des têtes, Voyez ce mot à son article.

SABOT, (Maréchallerie) c'est toute la corne du pié du cheval au-dessous de la couronne, ce qui renferme le petit pié, la sole & la fourchette. Le sabot se détache quelquefois entierement, à cause des maladies qui attaquent cette partie ; telles sont les encloueures, le javart encorné, & les bleimes. Un cheval à qui le sabot est tombé, n'est plus propre aux grands travaux.

Le sabot blanc est ordinairement d'une corne trop tendre, le noir est le meilleur : on divise le sabot en trois parties ; la pince, qui est le devant ; les quartiers, qui sont les deux côtés ; & les talons qui sont derriere. On appelle encore le sabot, l'ongle ou les parois du pié.

SABOT, en terme de marchand de modes, est proprement la manche d'étoffe d'une robe de cour ou d'enfant, sur laquelle on met la garniture par étages du haut en-bas. Voyez GARNITURES.

SABOT, (Rubanerie) est une espece de navette de même matiere & à-peu-près de même forme, excepté ce qui suit ; le sabot est d'abord plus épais & plus grand que la navette ; il porte à sa face de devant trois trous placés horisontalement les uns à côté des autres à peu de distance, chaque trou revêtu de son annelet d'émail. Voyez ANNELET. Le sabot contient trois petits canons à bords plats, excepté les deux bords des deux canons des deux bouts qui sont un peu convexes, pour mieux remplir la concavité des deux bouts du sabot contigus à la brochette, & profiter par-là de toute la place ; en outre les bords plats de ces canons qui se touchent dans le sabot n'y laissent pas de vuide, & les bords des deux bouts se trouvant convexes, sont plus conformes à la figure du sabot où ils aboutissent ; l'usage du sabot est de porter, comme la navette, au lieu de trame sur ses trois petits canons, autant de brins de cablé ou grisette, pour en enrichir les bords du galon, le sabot ne se lance jamais en plein comme la navette, il passe seulement à mains reposées à-travers la levée de chaîne qui lui est destinée, après quoi il se pose sur le carton, jusqu'à ce qu'il soit nécessaire de le reprendre ; on entend parfaitement qu'il en faut deux, c'est-à-dire un pour chaque bord, l'un exécutant comme l'autre, les desseins, coquilles, &c. que l'on voit à chaque bord ; cet outil a beaucoup de connexité avec la navette. Voyez NAVETTE.

SABOT, (Tireur d'or) est une partie du rouet du fileur d'or, qu'on peut regarder comme la principale piece du rouet. C'est une roue à plusieurs crans qui décroissent par proportion sur le devant. Elle est traversée par l'arbre qui va de-là passer dans le noyau de la grande roue. C'est sur ce sabot qu'est la corde qui descend par trois poulies différentes sur la roue de la fusée. La raison de l'inégalité de ces crans, de ceux de la fusée, & de ceux des cazelles, est le plus ou le moins de mouvement qu'il faut à certaines marchandises qu'on travaille.

SABOT, (Jeu) turbo, sorte de toupie qui est sans fer au bout d'en bas, & dont les enfans jouent en le faisant tourner avec un fouet de cuir.

Le jeu de sabot est fort ancien. Tibulle a dit dans la cinquieme élégie du premier livre : J'avois autrefois " du courage, & je supportois les disgraces sans m'émouvoir ; mais à présent je sens bien ma foiblesse, & je suis agité comme une toupie fouetée par un enfant dans un lieu propre à cet exercice. "

Asper eram, & benè dissidium me ferre loquebar ;

Ac verò nunc longè gloria fortis abest,

Namque agor, ut per plana citus sola verbere turbo

Quem celer assuetâ versat ab arte puer.


SABOTA(Géog. anc.) ou Sabotale, comme Pline l'écrit, l. VI. c. xxviij. en disant que c'est une ville de l'Arabie heureuse, capitale des Atramites, & que dans l'enceinte de ses murailles on y comptoit soixante temples. (D.J.)


SABOTIERS. m. (Gramm.) ouvrier qui fait des sabots. Ce travail se fait ou dans la forêt ou aux environs. La maîtrise des eaux & forêts veut que le sabotier se tienne à demi-lieue de la forêt.


SABOU(Géog. mod.) les Hollandois écrivent Saboë, qu'ils prononcent Sabou ; petit royaume d'Afrique en Guinée, sur la côte d'Or, entre le royaume d'Acanni au nord, & la mer au midi. Il est fertile en grains, patates & autres fruits. Les Hollandois y ont bâti le fort Nassau, qui étoit leur chef-lieu en Guinée, avant qu'ils eussent pris Saint-George de la Mine, qu'ils nomment Elmina. Les Anglois ont aussi maintenant un fort à Sabou. (D.J.)


SABRAN(Géog. anc.) ville d'Asie en Tartarie, au Capschac, à 98 degrés de longitude, & à 47 degrés de latitude. (D.J.)


SABRAQUESLES (Géog. anc.) Sabracae ; ancien peuple de l'Inde, selon Quinte-Curce, l. IX. c. viij. Ils étoient dans l'espace qui est entre l'Indus & le Gange, mais assez près de l'Indus. Cet historien dit : " Le roi commanda à Craterus de mener l'armée par terre en cotoyant la riviere, où s'étant lui-même embarqué avec sa suite ordinaire, il descendit par la frontiere des Malliens, & de-là passa vers les Sabraques, nation puissante entre les Indiens, & qui se gouverne selon ses loix en forme de république : ils avoient levé jusqu'à soixante mille hommes de pié, & six mille chevaux, avec cinq cent chariots, & choisi trois braves chefs pour les commander. Ce pays étoit rempli de villages. "

Quinte-Curce qui marque leur soumission à Alexandre, ne fait point mention de leurs vies. On lit dans Justin, l. XII. c. ix. hinc in Ambros & Sugambros navigat. Les critiques sont persuadés que c'est la même expédition.

Il y a bien de l'apparence que les Sabracae de Quinte-Curce sont le même peuple que les Sydracae ou Syndraci de Pline, l. XII. c. vj. Cet auteur parlant d'une sorte de figue, dit plurima est in Sydracis expeditionum Alexandri termino. Ailleurs, il nomme les Syndraci entre les Bactriens & les Dangalae. (D.J.)


SABRATA(Géog. anc.) Sabrata colonia, ville maritime & colonie romaine en Afrique, dans la Tripolitaine. Ptolémée, l. IV. c. iij. en fait mention. Antonin & la table de Peutinger, la mettent dans leurs deux itinéraires. C'est aujourd'hui la tour de Sabart. Elle étoit le siege d'un évêque. (D.J.)


SABREou CIMETERRE, s. m. (Art milit.) espece d'épée tranchante qui a beaucoup de largeur, & dont la lame est forte, pesante, épaisse par le dos, & terminée en arc vers la pointe. Ce mot vient de sabel, qui a la même signification en allemand, ou du mot sclavon, sabla, espece de sabre.

Les Turcs se servent fort adroitement de cette arme, qui est celle qu'ils portent ordinairement à leur col. On dit qu'ils peuvent couper d'un seul coup de sabre un homme de part en part. Chambers.


SABUGAL(Géog. mod.) petite ville de Portugal dans la province de Béira, sur le bord de la riviere de Coa, à cinq lieues de la Guarda ; quoiqu'elle soit érigée en comté, elle n'a qu'environ deux cent feux. Long. 10. 20. lat. 40. 22. (D.J.)


SABURES. m. (Médecine) c'est l'humeur grossiere qui enduit quelquefois la langue & le palais d'un homme malade ; & celle qui dans l'état même de santé, tapisse les intestins.

SABURE, (Marine) grosse arme dont on leste un bâtiment.


SABUSS. m. (Mythol.) nom propre du premier roi des Aborigenes, qui fut mis au nombre des dieux. Il étoit fils de Sabatius, que Saturne vainquit & chassa de son pays. Il ne faut point le confondre avec Sabazius. Voyez Vossius, de idololatria Gentilium, l. I. c. xij. (D.J.).


SACS. m. terme général ; espece de poche faite d'un morceau de cuir, de toile, ou d'autre étoffe que l'on a cousue par les côtés & par le bas, de maniere qu'il ne reste qu'une ouverture par le haut. Les sacs sont ordinairement plus longs que larges. On se sert de sacs pour mettre plusieurs sortes de marchandises, comme la laine, le pastel, le safran, le blé, l'avoine, la farine, les pois, les feves, le plâtre, le charbon, & beaucoup d'autres choses semblables. (D.J.)

SAC, (Critiq. sacrée) ce mot d'origine hébraique, a passé dans presque toutes les langues, pour signifier un sac ; outre son acception ordinaire, il se prend pour un cilice, ou pour un habillement grossier ; mais ce n'étoit pas un habillement qui couvrit la tête, car on le mettoit autour des reins, comme il paroît par un passage de Judith, 4. 8. Ils se ceignirent les reins d'un sac. Isaie ôta le sac, qu'il portoit sur ses reins, Isaie, XX. ij. On prenoit le sac dans le deuil, II. Rois, iij. 31. Dans la douleur amere, III. Rois, xx. 32. Dans la pénitence, ibid. xxj. 27. Enfin dans les calamités publiques, Mardochée prit le sac & la cendre, Esther, IV. j. Ils ne jettoient point la cendre sur la tête nue, car les orientaux avoient la tête couverte, mais ils en répandoient , sur leurs mitres. Ce n'étoient pas des mitres épiscopales, mais des especes de bonnets. Dans les tems de bonnes nouvelles, qui succédoient subitement aux événemens malheureux ; on témoignoit sa joie en déchirant le sac qu'on avoit autour de ses reins. (D.J.)

SAC A TERRE, (Art milit.) est un sac de moyenne grandeur qu'on emplit de terre, & dont les soldats bordent une tranchée ou les parapets des ouvrages, pour pouvoir tirer entre deux ensemble. On les fait de bonne toile d'étoupes, ou toile faite de bon fil, le plus fort qu'il se peut, & d'une bonne fabrique, bien serrée. Le sac à terre doit avoir environ deux piés de hauteur sur 8 ou 10 pouces de diametre. Quand le terrein est dur & de roche, on se sert dans les tranchées de sacs à terre & de gabions. On en fait aussi des batteries dans plusieurs occasions. Voyez Pl. XIII.

SAC A LAINE, est un sac qui ne differe du sac à terre, que parce qu'il est plus grand, & qu'il est rempli de laine. On s'en sert pour les batteries & les logemens dans les endroits où il y a peu de terre.

SACS A POUDRE, sont des sacs remplis de poudre qui en contiennent quatre ou cinq livres, & qu'on jette sur l'ennemi avec la main, comme les grenades. Il y en a de plus gros qui contiennent 40 ou 50 livres de poudre, & qui s'exécutent avec le mortier. Voyez sur ce sujet, notre traité d'Artillerie, seconde édition. (Q)

SAC, (Commerce) le sac est aussi une certaine mesure dont on se sert en plusieurs villes de France ou des pays étrangers, pour mesurer les grains, graines, légumes ; ou pour mieux dire, une estimation à laquelle on rapporte les autres mesures. Agen, Clerac, Tonneins, Tournon, Valence en Dauphiné, aussi-bien que Thiel, Bruxelles, Rotterdam, Anvers & Grenade, réduisent leurs mesures de grains au sac, dont voici les proportions avec le septier de Paris.

Cent sacs d'Agen font 56 septiers de Paris, ceux de Clerac de même ; cent sacs de Tonneins font 49 septiers de Paris ; cent sacs de Tournon 48 ; cent sacs de Valence 62 1/2 ; 25 sacs de Bruxelles 19 ; 28 de Thiel, pareillement 19, & cent sacs de Grenade, 43 septiers de Paris. A Anvers les quatorze sacs font le tonneau de Nantes, qui contient neuf septiers & demi de Paris. L'on se sert aussi à Amsterdam du sac pour mesurer les grains ; quatre scheppels font le sac, & 36 sacs le last. Voyez LASN, SCHEPPEL, MESURES. Dict. de Commerce & de Trévoux.

SAC, (Agriculture) les vignerons appellent sac une certaine quantité de marc qui reste après le pressurage du vin ou du cidre, qui est ordinairement la quantité de pressurage que porte un pressoir ; on dit couper, lever un sac. (D.J.)

SAC A POUDRE, (Artificier) les Artificiers appellent ainsi l'enveloppe de papier qui contient la chasse des pots à feu ou à aigrette.

SAC, ou Barril de trompes, (Artificier) pour faire sortir d'un bassin d'eau une grande quantité de feux de toutes especes, préparés pour cet élément ; il n'y a rien de plus naturel que de rassembler plusieurs trompes en faisceau ; cependant on se borne ordinairement au nombre de sept, parce que sept cartouches égaux rangés autour d'un, se touchent mutuellement, laissent entr'eux le moins d'intervalle vuide qu'il est possible, & forment une circonférence susceptible d'une enveloppe cylindrique, qui laisse aussi en-dedans les intervalles de vuides égaux encore plus petits que les autres nombres au-dessus de sept.

Tout l'artifice de cet assemblage consiste donc à lier un paquet de sept trompes faites exprès pour jetter des grenouillieres, des plongeons, des fusées courantes, des serpentaux & des globes, pour brûler sur l'eau. Cette ligature peut se faire par le moyen de ficelles croisées alternativement en entrelas de l'une à l'autre trompe, y ajoutant, si l'on veut, un peu de colle forte pour empêcher qu'elles ne glissent.

Cet assemblage fait, on le fait entrer dans un sac de toile goudronnée fait exprès, dont le fond est un plateau de planche sciée en rond, d'un diametre égal à la somme de trois de ceux de la trompe, sur les bords duquel la toile en sac est clouée & goudronnée. On attache au-dessous du plateau un anneau ou un crochet pour y suspendre un petit sac de sable, dans lequel on y en met autant qu'il en faut pour faire entrer cet artifice dans l'eau jusqu'auprès de son bord supérieur, pour qu'il y soit presque tout caché.

SAC ; en terme de Boursier, est une espece d'étui fait d'étoffe, sans bois, dans lequel on peut mettre telle ou telle chose ; il y a des sacs pour les livres, pour les flacons, & de plus grands encore pour recevoir les livres des dames, & pour l'utilité des voyageurs.

SAC A CHARBON, terme de Charbonnier, on l'appelle aussi charge, parce que c'est tout ce que peut porter un homme. Il contient une mine ; chaque mine composée de deux minots ou seize boisseaux ; le minot de charbon doit se mesurer charbon sur bord. Savary. (D.J.)

SAC DE GRAINS, (Commerce de grains) c'est une certaine mesure dont on se sert dans plusieurs villes de France & des pays étrangers, pour mesurer les grains, légumes ; ou pour mieux dire, c'est une estimation à laquelle on rapporte les autres mesures. Agen, Clérac, Tonneins, Tournon, Valence en Dauphiné, aussi-bien que Bruxelles, Roterdam, Anvers, & Grenade, réduisent leurs mesures de grains au sac. Voyez SAC, Commerce. (D.J.)

SAC A OUVRAGE, en terme de Marchand de modes, est une espece de grande bourse diversement enrichie, & se fermant avec des cordons comme une bourse. Autrefois les dames s'en servoient pour renfermer les ouvrages dont elles s'occupoient. Aujourd'hui ils sont devenus partie de la parure ; on ne sort pas plus sans sac à ouvrage dans le bras que sans fichu sur le cou ; cependant fort souvent l'un est aussi inutile que l'autre.

SAC DE PLATRE, (Plâtrerie) suivant les ordonnances de police de Paris, le sac de plâtre doit renfermer la valeur de deux boisseaux mesurés ras, & les douze sacs font ordinairement une voie. (D.J.)

SACS DE CINQUANTE, en terme de Fondeur de plomb à tirer, sont des sacs de toile contenant cinquante livres de plomb. Il n'y en a ni de plus petits ni de plus grands.

SAC ou CHAUSSE, terme de Pêche. Voyez CHAUSSE.

SAC A RESEAU, (Littérat.) Voyez RETICULUM.


SACA(Géog. mod.) nom commun à une petite contrée de Madagascar, & à une ville ruinée d'Afrique, sur la côte de la Méditerranée, autrefois nommée Tipasa, & qui étoit alors une colonie romaine ; quelques auteurs disent qu'Alger a été bâtie sur ses ruines. (D.J.)


SACALS. m. (Hist. nat. Minéralog.) nom sous lequel on a quelquefois désigné le succin ou l'ambre jaune. Voyez l'article SUCCIN.


SACANIE(Géogr. mod.) la Sacuanie, Zacanie, & Zaconie, sont un seul & même nom. Voyez ZACONIE.

On appelle ainsi la partie de la Morée la plus voisine de l'isthme de Corinthe, entre cet isthme, le duché de Clarence, les golfes de Lépante & d'Engia. Elle comprenoit autrefois les royaumes de Sicile, de Corinthe & d'Argos, aujourd'hui Corinthe & Napoli de Romanie, en sont les principaux lieux. (D.J.)


SACARES. m. (Com.) petit poids dont les habitans de la grande île de Madagascar se servent pour peser l'or & l'argent. Il pese autant que le denier ou scrupule de l'Europe. Au - dessus du sacare sont le sompi & le vari ; au-dessous le nanqui & le nanque. Voyez SOMPI, &c. Dictionn. de commerce.


SACASINA(Géog. anc.) contrée aux confins de l'Arménie & de l'Albanie. Elle va jusqu'au fleuve Cyrus, selon Strabon, liv. XI. pag. 528. Il nomme ce lieu, liv. II. pag. 73. Sacassina, ; au livre XI. pag. 50. Sacasena, ; & dans un autre endroit, pag. 528. qui est celui dont il est principalement ici question, Sacassene, . C'est apparemment le même pays qu'il dit ailleurs avoir été occupé par les peuples Sacae, qui lui avoient donné leur nom. Pline a pris de la Sacassene de Strabon, liv. VI. ch. ix. le nom de Sacassani, qu'il donne aux habitans ; il les place près du Cyrus. (D.J.)


SACAURAQUES(Géogr. anc.) Sacauraci, ancien peuple d'entre les Scythes. Lucien, in Macrobiis, dit que Sinatoclès, roi des Parthes, étant ramené de son exil par les Sacauraques, scythes, à l'âge de 90 ans, commença de régner, & regna encore 7 ans. Ce sont les Saragaucae de Ptolémée, l. VI. c. xiv. dans la Scythie, en-deçà de l'Imaüs, entre le Iaxarte & l'Oxus. (D.J.)


SACCADES. f. en terme de Manége, est une violente secousse que le cavalier donne au cheval en levant avec promtitude les deux rênes à la fois. On s'en sert lorsque le cheval pese trop sur la main ou qu'il s'arme. Voyez S'ARMER.

La saccade est une correction dont on fait rarement usage dans la crainte de gâter la bouche du cheval. Voyez BOUCHE.

SACCADE, (Ecriture) se dit, dans l'écriture, des inégalités de traits, des tourbillons d'encre, des passes trop longues, accidens causés par une plume dont le mouvement est trop rapide & nullement réglé, ou par des soulevées de bras & de poignet trop considérables.


SACCADERv. act. (Maréchal.) c'est mener un cheval en lui donnant continuellement des saccades. Voyez SACCADE.


SACCAGE(Droit de Seigneurs) on appelle ainsi dans quelques coutumes ce qu'on appelle en d'autres minage, c'est-à-dire le droit que les Seigneurs se sont attribués de prendre en nature, une certaine quantité de grains ou de légumes sur chaque sachée de ces marchandises qui s'exposent en vente dans leurs marchés. (D.J.)


SACCAGERv. act. (Gram.) c'est abandonner une ville aux soldats quand elle est prise. Rome a été saccagée plusieurs fois. Nous nous en servons pour des désordres moins grands. Lafontaine a dit du vieillard qui avoit deux maîtresses, l'une vieille, l'autre jeune, que celle-là saccageoit tous les poils noirs & l'autre tous les poils gris. Ce vieillard est l'image de ceux qui n'ont point d'opinion à eux, ils sont dépouillés à mesure qu'ils tombent sous différentes mains.


SACCAI(Géog. mod.) Kempfer ne dit rien de cette ville, peut-être parce qu'elle ne subsistoit plus de son tems ; mais les auteurs de l'ambassade des Hollandois au Japon, en parlent fort au long, & nous la donnent pour une des cinq villes impériales du Japon, dans l'île de Niphon, sur la côte orientale de la baie d'Osaca, à 3 lieues au midi de cette ville. Longit. 152. 27. latit. 35. 46.


SACCARIIS. m. pl. (Littérature) on nommoit ainsi chez les Romains, une compagnie de portefaix, qui avoit seule le privilege de transporter toutes les marchandises du port dans les magazins, personne n'ayant droit d'employer à cet effet ses propres esclaves, & moins encore les esclaves d'autrui. (D.J.)


SACCHISACCHO ou SACS, s. m. pl. (Com.) mesure des grains, dont on se sert à Livourne ; quarante sacchi font le last d'Amsterdam. Le saccho de blé pese environ 150 livres poids de Livourne. Voyez LAST. Dict. de Comm.


SACCILAIRES. m. (Gram. & Divinat.) ceux qui sembloient se servir de magie & de maléfice pour s'approprier l'argent des autres.


SACCOMEUSES. f. (Gram.) Voyez CORNEMUSE.


SACCOPHORESS. m. (Hist. ecclés.) secte d'anciens hérétiques, ainsi nommés parce qu'ils se couvroient de sacs, & faisoient profession de mener une vie pénitente.

Ce mot est grec , formé de , un sac, & , je porte.

Il y a apparence que ces saccophores étoient les mêmes que les Encratites & les Messaliens. Théodose fit une loi contre les Saccophores & les Manichéens. Voyez ENCRATITES & MESSALIENS.


SACCOTTAY(Géog. mod.) ville d'Asie au royaume de Siam, située vers les montagnes qui séparent le Siam & le Pégu.


SACÉESS. f. (Hist. anc.) en grec ; fêtes qu'on célébroit autrefois à Babylone en l'honneur de la déesse Anaïtis. Elles étoient dans l'Orient ce qu'étoient à Rome les saturnales, une fête instituée en faveur des esclaves ; elle duroit cinq jours pendant lesquels, dit Athénée, les esclaves commandoient à leurs maîtres ; & l'un d'entr'eux revêtu d'une robe royale qu'on appelloit zogane, agissoit comme s'il eût été le maître de la maison. Une des cérémonies de cette fête étoit de choisir un prisonnier condamné à mort, & de lui permettre de prendre tous les plaisirs qu'il pouvoit souhaiter avant que d'être conduit au supplice. Voyez SATURNALES.


SACELLAIRES. m. (Empire grec) c'étoit dans l'empire grec, le nom de celui qui avoit soin de la bourse de l'empereur, ou comme nous parlerions aujourd'hui, de la cassette du prince, & qui donnoit à la cour, aux soldats, aux ouvriers, aux officiers du prince, & dans l'Eglise aux pauvres, leurs gages, ou les aumônes que l'empereur leur faisoit. Le pape a eu aussi un sacellaire jusqu'à Adrien. Ce mot vient de saccus, un sac, une bourse. (D.J.)


SACERSACRA, SACRUM, (Littér.) le mot sacer signifie deux choses bien différentes ; ou ce qui est consacré à la religion, ou ce qui est exécrable.

Sacrum, regarde ce qui étoit consacré aux dieux par les pontifes ; sanctum, ce qui étoit saint & inviolable ; religiosum, concerne les tombeaux & les sépulcres des mânes.

Sacer sanguis, est le sang des victimes ; aedes sacra, un temple consacré à quelque dieu ; sacrum ritu ; un rite consacré.

J'ai dit que sacer désignoit aussi ce qui est exécrable. De-là vient que Virgile a dit au figuré auri sacra fames, exécrable faim des richesses. Servius prétend que l'étymologie du mot sacer, en tant qu'il veut dire exécrable, vient d'une ancienne coutume des habitans de Marseille. " Lorsque la peste, dit-il, régnoit dans cette ville, on choisissoit un mendiant, un misérable, qui après avoir été nourri & engraissé pendant quelque tems aux dépens du public, étoit promené par les rues, & ensuite sacrifié. Tout le peuple lui donnoit avant son sacrifice mille malédictions, & prioit les dieux d'épuiser sur lui leur colere. Ainsi cet homme, comme sacer, c'est-à-dire dévoué au sacrifice, étoit maudit & exécrable " (D.J.)

SACER, (Géog. anc.) cet adjectif latin pour le genre masculin, veut dire sacré ; on sait qu'il fait au féminin sacra, & au neutre sacrum. Les grecs l'exprimoient en leur langue, par ; mais ces mots, soit latins, soit grecs, deviennent noms propres & particuliers à un lieu, lorsqu'ils sont attachés à quelqu'autre mot qui les détermine à ce lieu : en voici quelques exemples.

1°. Sacer ager, la campagne sacrée, lieu de l'Asie mineure, au voisinage de Clazomène, selon Tite-Live, l. I. ch. xxxix.

2°. Sacer campus, le champ sacré, lieu dans une île du Nil, auprès des montagnes d'Ethiopie & d'Egypte, en un endroit nommé Philès, selon Diodore de Sicile, lib. I. c. xxij. Le tombeau d'Osiris qui étoit dans cette île, a bien pu donner le nom de sacré à cet endroit.

3°. Sacer collis, la colline sacrée, colline d'Italie, qui selon Tite-Live, lib. II. c. xxxij. étoit à 3 milles de Rome, sur l'autre bord du Téverone.

4°. Sacer fons, la fontaine sacrée, fontaine de l'Epire, selon Solin, ch. vij. " Il y a, dit-il, en Epire une fontaine sacrée, plus froide qu'aucune autre eau, qui produit deux effets très-opposés ; car si on y plonge un flambeau allumé, elle l'éteint ; si de loin, & sans aucun feu, on lui présente un flambeau éteint, elle l'allume ". Le même Solin donne le nom de sacer fons, à une riviere apparemment plutôt qu'à une fontaine, où l'on plongeoit le boeuf consacré au dieu Apis, pour le faire mourir lorsque son tems seroit fini.

5°. Sacer lucus, le bois sacré, bois d'Italie à l'embouchure du Garigliano près de Minturnes, selon Strabon, lib. V. p. 234. Scipion Mazella croit que ce lieu s'appelle aujourd'hui Hami. Il y avoit aussi plusieurs bois sacrés dans la Grece.

6°. Sacer mons, montagne sacrée. Il y avoit une telle montagne dans la Thrace, entre la ville de Byzance & la Quersonnèse de Thrace, selon Xénophon, lib. VII. Il y en avoit une autre en Italie, comme il paroît par une inscription trouvée en cet endroit. Justin, lib. XLIV. c. iij. parle aussi d'une montagne sacrée à l'extrêmité de la Galice. On appelle encore à-présent cette montagne Pico-Sagro. Elle est entre Orense & Compostelle.

7°. Sacer portus, le port sacré, port de la Sarmatie asiatique, sur le pont-Euxin, à 180 stades du port de Pagrae, & à 300 de Sindique, selon Arrien dans son périple du Pont-Euxin.

8°. Sacer sinus, le golfe sacré, golfe de l'Arabie heureuse, sur le golfe Persique, selon Ptolémée, qui le met au pays du peuple Abucaei. (D.J.)


SACERDOCES. m. (Antiq. grec. & rom.) Toute religion suppose un sacerdoce, c'est-à-dire des ministres qui aient soin des choses de la religion. Le sacerdoce appartenoit anciennement aux chefs de famille, d'où il a passé aux chefs des peuples, aux souverains qui s'en sont déchargés en tout, ou en partie sur des ministres subalternes. Les Grecs & les Romains avoient une véritable hiérarchie, c'est-à-dire des souverains pontifes, des prêtres, & d'autres ministres subalternes. A Delphes il y avoit cinq princes des prêtres, & avec eux, des prophetes qui annonçoient les oracles. Le sacerdoce à Syracuse étoit d'une très-grande considération, selon Cicéron, mais il ne duroit qu'un an. Il y avoit quelques villes grecques, comme Argos, où les femmes exerçoient le sacerdoce avec autorité.

C'étoit principalement à Rome que cette hiérarchie avoit lieu. Le sacerdoce fut d'abord exercé par 60 prêtres, élus deux de chaque curie ; dans la suite ce nombre fut augmenté. Au commencement c'étoient les seuls patrices qui exerçoient le sacerdoce, auquel étoient attachées de grandes prérogatives ; mais les plébéïens s'y firent admettre dans la suite, comme ils avoient fait dans les premieres charges de l'état. L'élection se fit d'abord par le college des prêtres : bientôt après le peuple s'attribua les élections, & les conserva jusqu'au tems des empereurs. Le sacerdoce avoit à Rome différens noms & différentes fonctions : le souverain pontife, le roi des sacrifices, les pontifes, les flamines, les augures, les aruspices, les saliens, les arvales, les luperces, les sibylles, les vestales.

Ajoutons que le sacerdoce étoit fort honoré à Rome, & jouissoit de grands privileges. Les prêtres pouvoient monter au capitole sur des chars, ils pouvoient entrer au sénat : on portoit devant eux une branche de laurier, & un flambeau pour leur faire honneur. On ne pouvoit les prendre pour la guerre, ni pour tout autre office onéreux ; mais ils fournissoient leur part des frais de la guerre. Ils pouvoient se marier, & leurs femmes, pour l'ordinaire, prenoient part au ministere. Quand il s'agissoit d'élire un prêtre, on examinoit sa vie, ses moeurs, & même ses qualités corporelles ; car il falloit qu'il fût exempt de ces défauts qui choquent, comme d'être borgne, boiteux, bossu, &c. Romulus avoit ordonné que les prêtres auroient au moins cinquante ans accomplis. (D.J.)

SACERDOCE, (Critiq. sacrée) prétrise, dignité sacerdotale. On peut distinguer dans l'Ecriture trois sortes de sacerdoces : 1°. celui des rois, des chefs de familles, des premiers nés à qui appartenoit le droit d'offrir des sacrifices à Dieu, & qui pour cela étoient appellés prêtres, sacerdotes. 2°. Le sacerdoce d'Aaron & de sa famille, Ecclés. xlv. 8. 3°. Le sacerdoce de Jesus-Christ qui sera sans succession, Hébreux, vij. 24. Quant au sacerdoce chrétien, un pere de l'Eglise l'a fort bien défini, une oblation de prieres & d'instructions par lesquelles on gagne les ames que l'on offre à Dieu. (D.J.)


SACERDOTALadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est attaché à la qualité de prêtre.

Un bénéfice est sacerdotal quand il doit être desservi par un prêtre ; il est sacerdotal à lege, quand c'est la loi qui exige que le pourvu ait l'ordre de prêtrise ; à fundatione, quand c'est le titre qui le requiert. Voyez BENEFICE. (A)


SACESLES, (Géog. anc.) ou Saques, Sacae ; ancien peuple d'entre les Scythes. Diodore de Sicile, liv. II. ch. lxiij. dit, en parlant des Scythes, qu'on les distingue par des noms particuliers ; que quelques-uns sont appellés Sacae, d'autres Massagetes, d'autres Arimaspes. Strabon, liv. II. p. 511. 512 & 513. dit, les Scythes qui commencent à la mer Caspienne, s'appellent Dacae, (Dahae) ; plus à l'orient sont les Massagetes, & les Sacae. Le même auteur nous apprend qu'ils avoient envahi la Bactriane, & le meilleur canton de l'Arménie, qu'ils avoient appellé Sacasena de leur nom, & qu'ils s'étoient avancés jusqu'à la Cappadoce, près de la mer noire. Tandis qu'ils célébroient une fête pour se réjouir du butin qu'ils avoient fait, les officiers persans prirent leur tems pendant la nuit, les attaquerent, & les taillerent en pieces.

D'autres, dont Strabon rapporte aussi le sentiment, mettent cet événement sous Cyrus. Ils disent que ce roi faisant la guerre au peuple Sacae, fut mis en déroute, & s'enfuit avec son armée jusqu'en un lieu où il avoit laissé ses bagages, que là ayant trouvé des vivres en abondance, il avoit fait reprendre des forces à ses troupes. Comme l'ennemi les poursuivoit, il laissa en ce même lieu quantité de vin, & de quoi faire bonne chere, & continua de s'enfuir. Les barbares trouvant des tentes remplies de tout ce qui flattoit leur goût, se livrerent aux plaisirs de la table. Cyrus, qui n'étoit pas fort éloigné, tomba sur eux pendant qu'ils étoient desarmés, & ne songeoient qu'à boire & à danser : il remporta une victoire complete , en mémoire de laquelle fut instituée la fête nommée sacaea.

Ptolémée, qui a pris à tâche de faire connoitre ce peuple, le place entre la Sogdiane & l'Imaüs. Il est, dit-il, borné au couchant par la Sogdiane depuis le coude du Jaxarte jusqu'à sa source, & de-là par une ligne qui va vers le midi, le long d'une branche de l'Imaüs, qui le borne au midi ; il est borné au nord par la Scythie, & à l'orient par l'Ascatancas, qui est une branche de l'Imaüs.

Selon lui, les Sacae étoient nomades, vivoient dans les huttes qu'ils transportoient où ils vouloient ; ils n'avoient point de villes, & se logeoient dans les bois ; il les partage entre plusieurs peuples ; près du Jaxarte étoient les Carates ; dans les pays des montagnes, les Comedes ; près de l'Ascatancas, les Massagetes ; entre ceux-là les Grinéens scythes ; & enfin plus au midi, près de l'Imaüs, les Byltes.

Mais voici ce que je pense de plus vraisemblable sur les Saques. Ils étoient originairement une nation de Scythes établis au-delà du Jaxarte, dans la grande Scythie ; tous les géographes anciens sont d'accord là-dessus ; & les Perses donnoient le nom général de Saques aux peuples que les Grecs nommoient Scythes, & que nous appellons aujourd'hui Tartares. Les Scythes ou les Saques occuperent ensuite la plus grande partie de la Sogdiane, ou du pays qui est entre l'Oxus & le Jaxartes. Ceux qui étoient à l'occident, portoient plus communément les noms de Massagetes & de Corasmiens ; mais les uns & les autres avoient passé l'Oxus, & s'étoient établis en-deçà de ce fleuve.

Les Perses donnoient le nom de Dacae à ceux de ces Scythes qui habitoient des villages ; car ils ne menoient pas tous une vie errante ; & l'on retrouve encore aujourd'hui le nom de Dehistan donné au pays occupé par une nation de Tartares sur le bord de la mer Caspienne, dans le même lieu où les anciens placent les Dacae.

Il semble même que le nom de Saques ou de Massagettes désignoit les Scythes nomades habitant sous des tentes, & vivant de leur chasse ou du lait de leurs troupeaux. L'histoire de Genghizkan & celle de Tamerlan donnent le nom de Ghel au pays des Tartares qui menent une vie errante ; & ce mot semble un reste du nom de Massagetes ; le nom de Capschak, que les Arabes donnent aux plaines desertes qui sont au nord de la mer Caspienne, paroît de même formé sur le nom de Saques ; car on sait que les Grecs n'ayant pas le son du schin des Orientaux, l'exprimoient par une s, comme font chez nous les personnes qui grasseyent. (D.J.)


SACHALITESLES, (Géog. anc.) Sachalitae ; ancien peuple de l'Arabie heureuse, sur la côte de l'Océan, dans un golfe qui dans l'état présent de l'Arabie n'est nullement reconnoissable ; mais cependant on peut dire, sur une combinaison d'indices, que Ptolémée, liv. VI. ch. viij. concevoit ce golfe entre le cap Fartaque & le cap de Razalgate.

Les Sachalites occupoient, selon lui, toute la côte de ce golfe, in quo, disent les traducteurs latins de cet auteur, colymbesi Pinici super utribus navigant, Comme la pêche des perles colymbesi Pinici, se fait par des plongeurs qui vont ramasser au fond de la mer cette sorte d'huitre où elle se trouve : pour traduire Ptolémée d'une maniere intelligible, il falloit dire : in quo est margaritarum piscatio, incolae super utribus transnavigant. En effet, Ptolémée parlant du peuple Sachalitae, dit qu'ils demeuroient dans le golfe Sachalite ; & avant que de nommer les lieux de la côte, il ajoute, à l'occasion de ce golfe, que l'on y pêchoit des perles, & que les habitans le traversoient sur des outres.

Ptolémée, liv. I. ch. xvij. ne borne pas les Sachalites au golfe de ce même nom, il les étend encore le long de la côte jusques dans le golfe Persique. Ainsi leur pays répondoit au royaume de Caresen, au pays de Mahré, au royaume de Mascate, & à une partie du pays d'Oman. Il appelle ce pays Sachalithes regio.

La profondeur que Ptolémée donne au golfe Sachalite, & qui se tire des positions de chaque lieu dont il le borde, ne paroît plus aujourd'hui, à-moins qu'on ne veuille dire que le golfe étoit celui que nous connoissons sous le nom de Taphar, qui est fort étroit ; & par conséquent il répond mal à l'idée des anciens, qui le prenoient depuis le cap Siagros jusqu'au cap Corodamum, c'est-à-dire depuis le Fartaque jusqu'au Razalgate. (D.J.)


SACHÉES. f. (Comm.) ce qu'un sac peut contenir de grains, de légumes, ou de marchandises. Une sachée de laine, une sachée de blé, une sachée de pois.

SACHEE, est aussi la mesure à laquelle on vend les broquettes qui se font à Tranchebray près Falaise, Elle est du poids de soixante livres pour toutes les broquettes communes, & de trente seulement pour celles qui sont du plus fin échantillon. En d'autres endroits on appelle cette mesure une pochée. Id. ibid.


SACHETS. m. (Gramm.) petit sac. Voyez l'article SAC, & les articles suivans. Un sachet odorant.

SACHET, terme de Chirurgie concernant la matiere médicale externe, c'est une composition de médicamens secs & pulvérisés mis en un petit sac. Les sachets doivent avoir la figure des parties sur lesquelles on les applique. Ceux qu'on destine à couvrir la tête sont fait en maniere de bonnet ou de coëffe. Ils sont triangulaires pour couvrir l'oeil. Les anciens donnoient la figure d'une cornemuse aux sachets qu'ils appliquoient sur la région de l'estomac : ils faisoient oblongs, en forme de langue de boeuf, ceux qu'ils destinoient pour la rate, &c. La matiere des sachets est fournie par des feuilles, des fleurs, des fruits de différentes plantes. Les auteurs en donnent plusieurs formules. On a décrit, dans ce Dictionnaire, au mot CUCUPHE, la composition des bonnets piqués aromatiques pour fortifier la tête. Ambroise Paré en fournit une autre contre les affections froides du cerveau. Prenez du son, une poignée ; du millet, une once ; du sel, deux gros ; roses rouges, fleurs de romarin, de stoechas, de cloux de girofles, de chacun deux gros ; feuilles de betoine & de sauge, de chacune demi-poignée : on coud toutes ces drogues en poudre dans une coëffe, qu'on fait chauffer à la fumée de la poudre d'encens & de sandarac, jettée sur des charbons ardens. On applique sur les yeux des sachets discussifs & résolutifs, composés avec les poudres de fleurs de melilot, de camomille, de sureau, les sommités de romarin, les fleurs de stoechas, &c. auxquelles on ajoute de la poudre de café brûlé.

Pour discuter & dissiper des ventosités, on ajoute aux plantes ci-dessus spécifiées, les poudres de semences d'anis, de fenouil, &c. Pour soutenir les poudres & empêcher qu'elles ne se jettent de côté & d'autre, on les met sur du coton, & l'on pique la toile qui fait le sachet. On arrose quelquefois les sachets avec du vin chaud, ou des eaux distillées ; quelquefois on les expose à la vapeur de quelques parfums, à l'humidité vaporeuse de quelque eau distillée jettée sur une pelle rougie au feu, &c. Voyez FUMIGATION. Les plantes émollientes bouillies dans de l'eau s'appliquent aussi entre deux linges, sous la dénomination de sachets ; mais ce sont plutôt des cataplasmes, que pour plus grande propreté on ne fait pas toucher immédiatement à la peau.

Il y a à Paris un empirique qui vend un sachet dit anti-apoplectique, que l'on porte au cou avec un ruban, qui laisse pendre ledit sachet, grand comme l'extrêmité du pouce, sur la région inférieure du sternum. Quoi qu'on ait dit, à l'article AMULETE, de la vertu de ces sortes de parfums, il est difficile que la raison se prête à croire que les causes de l'apoplexie ne peuvent prévaloir contre l'efficacité du sachet. Quelques personnes n'en blâment pas l'usage, parce qu'il est certain, dit - on, qu'il ne fait aucun mal ; mais n'en est - ce pas un très - grand que de mettre toute sa confiance à une pratique inutile qui empêche de se précautionner d'ailleurs par le régime, & des attentions séveres contre l'atteinte d'un accident aussi formidable que l'apoplexie ? Populus vult decipi, decipiatur. (Y)

SACHETS de mitraille, (Artillerie) ce sont de petits sacs de toile qu'on remplit de mitrailles, soit pour armer des canons, soit pour armer des pierriers.


SACHETTESS. f. pl. (Hist. ecclés.) religieuses de l'ordre de la pénitence, ou du sac, ou des sachets ; elles avoient une maison proche Saint-André-des-arcs, dans une rue qu'on appelle encore la rue des sachettes.


SACIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) c'est la même secte que les Anthropomorphites. Voyez ANTHROPOMORPHITES.


SACILÉ(Géog. mod.) petite ville de l'état de Venise, dans la Marche trévisane, à 10 milles de Ceneda. Elle est peuplée & à son aise. Quelques auteurs croyent que c'étoit autrefois un siege épiscopal suffragant d'Aquilée ; mais d'autres savans prétendent que ce siege étoit à Sacileto, bourg du Frioul. Long. 29. 55. lat. 46. 3. (D.J.)


SACILIS(Géog. anc.) ou Sacilimartialium, ville ancienne d'Espagne, en Bétique, au pays des Turdules dans les terres. On croit que c'est présentement Alcorrucen.


SACLÉSS. m. (Gramm.) nom que l'hérésiarque Manès donnoit au mauvais principe.


SACOCHES. f. (Gramm.) partie de l'équipage du cavalier ; c'est un sac de cuir qui est pendu à l'arçon de la selle.


SACODION(Hist. nat. Minéralog.) nom donné par Pline & les anciens naturalistes à l'améthyste lorsqu'elle a un oeil jaunâtre.


SACOMES. m. (Archit.) c'est le profil de tout marbre & moulure d'architecture. Quelques architectes donnent ce nom à la moulure même. Ce terme vient de l'italien sacoma. (D.J.)


SACOUAGEou SACCAGE, s. m. (Comm.) on nomme ainsi dans quelques coutumes, ce qu'on appelle dans d'autres minage ; c'est-à-dire le droit que les seigneurs ont de prendre en nature une certaine quantité de grains ou de légumes sur chaque sachée de ces marchandises qu'on expose en vente dans les marchés. Voyez MINAGE. Dict. de Commerce & de Trévoux.


SACQUEBUTES. f. (Musique instrum.) instrument de Musique qui est à vent, & une espece de trompette harmonique, qui differe de la militaire en figure & en grandeur. Elle a son embouchure ou son bocal & son pavillon semblables ; mais elle a quatre branches qui se démontent, se brisent à l'endroit des noeuds, & souvent au tortil, qui est le même tuyau qui se tortille deux fois, ou qui fait deux cercles au milieu de l'instrument ; ce qui le fait descendre d'une quarte plus bas que son ton naturel. Elle contient aussi deux branches intérieures, qui ne paroissent que quand on les tire par le moyen d'une barre qu'on pousse jusque vers a potence, & qui l'allonge comme on veut, pour faire toutes sortes de tons ; les branches visibles servent d'étui aux invisibles. La sacquebute ordinairement a huit piés, lorsqu'elle n'est point allongée, & qu'on n'y comprend point son tortil. Quand elle est tirée de toute sa longueur, elle va jusques à quinze piés. Son tortil est de deux piés neuf pouces ; elle sert de base dans toutes sortes de concerts d'instrumens à vent, comme font le serpent & la fagot ou basson, & elle sert de basse-taille aux hautbois. (D.J.)


SACQUIERSS. m. pl. (Comm.) mesureurs de sel. On appelle ainsi à Livourne de petits officiers nommés par la ville au nombre de vingt-quatre, pour faire la mesure de tous les sels qui y arrivent. On leur donne ce nom à cause des sacs qu'ils fournissent pour le transport de ces sels. Leur droit de mesurage consiste en une mine de sel comble & deux pellées pour chaque barque qu'ils mesurent. Ils donnent à ces deux pellées surabondantes le nom de sainte-goutte. Ce droit en total produit environ cinq cent écus par an. Id. ib.


SACRA(Hist. anc.) nom que les Romains donnoient en général à toutes les cérémonies religieuses tant publiques que particulieres. Pour celles de la premiere espece, Voyez FETE.

Quant aux autres, outre celles qui étoient propres à chaque curie, il n'y avoit point de famille un peu considérable qui n'eût ses fêtes domestiques & annuelles qu'on nommoit sacra gentilitia, qui se célébroient dans chaque maison, & devoient être régulierement observées, même en tems de guerre & de calamités, sous peine de la vengeance céleste. On célébroit aussi le jour de l'anniversaire de sa naissance, qu'on appelloit sacra natalitia ; celui où l'on prenoit la robe virile, sacra liberalia, & plusieurs autres où l'on invitoit ses parens & ses amis à un grand festin en signe de réjouissance.

SACRA GENTILITIA, (Hist. rom.) On nommoit ainsi chez les Romains les fêtes de famille, qu'ils célébroient régulierement dans chaque maison, dans la crainte de s'attirer la colere des dieux, s'ils y manquoient.

Il n'y avoit point de famille un peu considérable qui n'eût de ces sortes de fêtes annuelles & domestiques, indépendamment de celles de la naissance, qu'ils appelloient natilitia ; & des jours de la prise de la toge qu'ils nommoient liberalia, & auxquels les amis étoient invités comme à une noce.

Tous les anciens écrivains font mention des sacra gentilitia ; mais nous avons là-dessus deux exemples éclatans de l'observation & de l'inobservation de ces fêtes de famille : le premier est tiré du livre sept de la premiere décade de Tite - Live. Le jeune Fabius, dit cet historien, étant dans le capitole, pendant qu'il étoit assiégé par les Gaulois, en descendit chargé de vases & des ornemens sacrés, traversa l'armée ennemie ; & au grand étonnement des assiégeans & des assiégés, alla sur le mont Quirinal faire le sacrifice annuel, auquel sa famille étoit obligée. Le second est du même auteur, livre neuf de la même décade. La famille Potilia étoit très - nombreuse, elle étoit divisée en douze branches, & comptoit plus de trente personnes en âge de puberté, sans les ensans : tout cela périt dans la même année, pour avoir fait faire par des esclaves, les sacrifices qu'ils devoient faire eux-mêmes à Hercule. Ce n'est pas tout, il en couta la vue au censeur Appius, par les conseils duquel ils avoient cru pouvoir s'affranchir de cette sujetion. C'est Tite - Live qui parle ainsi. " De tout tems les hommes ont attribué aux dieux les événemens qui dépendent des causes naturelles. " (D.J.)

1. SACRAVIA, (Géog. anc.) ou le chemin sacré, chemin de Grece dans l'Attique, par où l'on alloit d'Athènes à éleusine.

2. Sacra via, autre chemin dans le Peloponèse, par où l'on alloit d'élide à Olympie.

3. Sacra via, la rue sacrée ; c'étoit une des rues de Rome, qui est nommée dans ces vers d'Horace, l. I. sat. 9.

Ibam fortè viâ sacrâ, sicut meus est mos. (D.J.)


SACRAMACOU(Diète) nom que les habitans de la Martinique donnent au phitolacca, dont ils apprêtent & mangent fort communément les feuilles comme on mange les épinars en Europe. Voyez PHITOLACCA. (b)


SACRAMARONS. m. (Botan. exot.) nom qu'on donne, aux îles françoises, à une herbe potagere haute de quatre à cinq piés ; sa feuille qui est la seule partie de la plante, bonne à manger, en la mettant dans le potage avec d'autres herbes, est longue d'environ six pouces, assez épaisse, fort verte, & bien nourrie. Ses fleurs sont à plusieurs pétales, panachées de verd, de rouge, de violet & de pourpre. (D.J.)


SACRAMENTAIRES. m. (Hist. ecclés.) nom d'un ancien livre d'église dans lequel étoient renfermées les cérémonies de la liturgie & de l'administration des sacremens. Voyez LITURGIE & SACREMENT.

Le pape Gelase fut le premier auteur du sacramentaire, dont Saint Gregoire retrancha plusieurs choses, en changea quelques-unes & en ajouta d'autres. Il recueillit le tout en un volume qu'on nomme le sacramentaire de S. Gregoire.

C'est la même chose quant au fond, que nos rituels & que les eucologes des Grecs. Voyez RITUEL & EUCOLOGE.

SACRAMENTAIRES, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom qu'on donne à tous les hérétiques qui ont enseigné quelques erreurs capitales contre le sacrement de l'eucharistie, mais principalement à ceux qui l'ont attaqué dans sa substance, en niant la présence réelle ou la transubstantiation, comme ont fait dans le seizieme siecle les Luthériens, les Calvinistes, les Zuingliens, &c. Voyez PRESENCE REELLE & TRANSUBSTANTIATION.


SACRAMENTUMJUSJURANDUM, (Litt.) Sacramentum étoit proprement le serment de fidélité que les soldats prêtoient en corps, lorsqu'ils étoient enrôlés. Jusjurandum étoit le serment formel que chacun faisoit en particulier. (D.J.)

SACRAMENTUM, (Littérat.) c'étoit chez les Romains un dépôt que les plaideurs étoient obligés de consigner, & qui restoit dans le trésor selon Valere Maxime. La portion consignée par celui qui succomboit en justice, étoit confisquée, pour le punir de la témérité de sa contestation, & on l'employoit à payer l'honoraire des juges.

Le même usage s'observoit à Athènes, où l'on nommoit ou , une certaine somme que les plaideurs devoient consigner avant que d'avoir audience ; & cette somme montoit selon quelques-uns, à la dixieme partie de l'objet de la contestation que le demandeur & le défendeur étoient obligés de consigner ; mais, selon Démosthène & Isocrate qui devoient en être bien instruits, & selon le scholiaste d'Aristophane sur les nuées, la consignation n'étoit que de trois drachmes si le fonds étoit au-dessous de mille drachmes, & de trente drachmes s'il excédoit. (D.J.)


SACRANIENSLES, (Géog. anc.) Sacrani, ancien peuple d'Italie. Virgile, Aeneid. l. VII. vers. 796. dit :

Et sacranae acies, & picti scuta labici.

Festus fait ici cette remarque : on dit qu'un certain Corybante consacré à Cybèle, étant venu en Italie, occupa le canton qui est au voisinage de Rome, & que de-là les peuples qui tirent de lui leur origine, ont été nommés Sacrani. D'autres croyent que sacranae acies étoient des soldats ardéates, qui autrefois étant affligés de la peste, vouerent un printems sacré, d'où ils furent appellés sacrani. Ce second sentiment rentre assez dans celui de Festus qui ajoute qu'on appelle sacrani ceux qui, venus de Riéti, chasserent des sept montagnes les Liguriens & les Sicules ; car ils étoient nés durant un printems sacré : le premier sentiment rapporté par Servius touchant les Corybantes, ne convient pas mal avec le culte de Cybèle établi à Riéti, selon Silius Italicus, l. VIII.

Magnaeque Reate dicatum

Caelicolum matri.

(D.J.)


SACRARIUM(Antiq. rom.) On nommoit ainsi chez les Romains une espece de chapelle de famille ; elle différoit du lararium, en ce qu'elle étoit consacrée à quelque divinité particuliere, au-lieu que le lararium étoit dédié à tous les dieux de la maison en général. (D.J.)


SACRES. m. (Hist. mod.) cérémonie religieuse qui se pratique à l'égard de quelques souverains, sur-tout des catholiques, & qui répond à celle que dans d'autres pays on appelle couronnement ou inauguration.

Cette cérémonie en elle-même est très-ancienne. On voit dans les livres saints dès l'établissement de la monarchie des Hébreux, que les rois étoient sacrés. Saül & David le furent par Samuël, & les rois de Juda conserverent cette pratique d'être consacrés ou par des prophetes ou par le grand-prêtre. Il paroit aussi par l'Ecriture, que la cérémonie de cette consécration s'étoit conservée dans le royaume d'Israël malgré le schisme, puisque Jéhu fut sacré par un des enfans, c'est-à-dire des disciples des prophetes.

Sous la loi nouvelle, les princes chrétiens ont imité cet exemple, pour marquer sans-doute par cette cérémonie que leur puissance vient de Dieu même. Nous ne parlerons ici que du sacre du roi de France & de celui de l'empereur.

Le lieu destiné pour le sacre des rois de France est l'église cathédrale de Rheims. On remarque néanmoins que les rois de la seconde race n'y ont point été sacrés, si ce n'est Louis le Begue, roi & empereur ; mais ceux de la troisieme race ont préféré ce lieu à tout autre, & Louis VII. dit le Jeune, qui y fut sacré par le pape Innocent II. fit une loi pour cette cérémonie lors du couronnement de Philippe-Auguste son fils en 1179. Henri IV. fut sacré à Chartres, parce qu'il n'étoit pas maître de Rheims qui tenoit pour la ligue. La sainte-ampoule dont l'huile sert au sacre des rois, est gardée dans l'église de l'abbaye de S. Remi, & les ornemens dans le trésor de S. Denis. Le jour de cette cérémonie le roi entre dans l'église de Rheims, revêtu d'une camisole de satin rouge, garnie d'or, ouverte au dos & sur les manches, avec une robe de toile d'argent & un chapeau de velours noir, garni d'un cordon de diamans, d'une plume blanche & d'une aigrette noire. Il est précédé du connétable, tenant l'épée nue à la main, accompagné des princes du sang, des pairs de France, du chancelier, du grand-maître, du grand-chambellan, des chevaliers de l'ordre, & de plusieurs princes & seigneurs. Le roi s'étant mis devant l'autel dans sa chaire, le prieur de S. Remi monté sur un cheval blanc, sous un dais de toile d'argent porté par les chevaliers de la sainte-ampoule, apporte cette sainte-ampoule au bruit des tambours & des trompettes ; & l'archevêque ayant été la recevoir à la porte de l'église, la pose sur le grand autel, où l'on met aussi les ornemens préparés pour le sacre, qui sont la grande couronne de Charlemagne, l'épée, le sceptre & la main de justice, les éperons & le livre de la cérémonie. Les habits du roi pour le sacre sont une camisole de satin rouge garnie d'or, une tunique & une dalmatique qui représentent les ordres de soudiacre & de diacre, des bottines, & un grand manteau royal, doublé d'hermine & semé de fleurs de lys d'or. Pendant cette auguste cérémonie, les douze pairs de France ont chacun leur fonction. L'archevêque de Rheims sacre le roi en lui faisant des onctions en forme de croix sur les épaules & aux deux bras par les ouvertures pratiquées pour cet effet à la camisole dont nous avons parlé. L'évêque de Laon tient la sainte ampoule ; l'évêque de Langres, le sceptre ; l'évêque de Beauvais, le manteau royal ; l'évêque de Châlons, l'anneau ; l'évêque de Noyon, le ceinturon ou baudrier. Entre les pairs laïcs, le duc de Bourgogne porte la couronne royale, & ceint l'épée au roi ; le duc de Guienne porte la premiere banniere quarrée ; le duc de Normandie, la seconde ; le comte de Toulouse, les épérons ; le comte de Champagne, la banniere royale ou l'étendart de guerre ; & le comte de Flandres, l'épée royale. Ces pairs ont alors sur la tête un cercle d'or en forme de couronne. Lorsque ces dernieres pairies étoient occupées par les grands vassaux de la couronne, ils assistoient en personne au sacre & y faisoient leurs fonctions, mais depuis que de ces six pairies cinq ont été réunies à la couronne, & que celle de Flandres est en partie en main étrangere, le roi choisit six princes ou seigneurs pour représenter ces pairs, & un autre pour tenir la place de connétable depuis que cette charge a été supprimée. C'est ainsi qu'on l'a pratiqué au sacre de Louis XIV. & de Louis XV. Au reste le sacre du roi ne lui confere aucun nouveau droit, il est monarque par sa naissance & par droit de succession ; & le but de cette pieuse cérémonie n'est sans-doute que d'apprendre aux peuples par un spectacle frappant, que la personne du roi est sacrée, & qu'il n'est pas permis d'attenter à sa vie, parce que, comme l'Ecriture dit de Saül, il est l'oint du seigneur.

Au sacre de l'empereur, lorsque ce prince marche en ordre avec les électeurs laïques & ses officiers à l'église où se doit faire la cérémonie, l'archevêque officiant, qui est toujours un électeur ecclésiastique, & les deux autres électeurs de son ordre vont le recevoir ; ensuite on célebre la messe jusqu'à l'Evangile, alors on ôte à l'empereur le manteau royal, & deux des électeurs ecclésiastiques le conduisent à l'autel où, après quelques prieres, l'électeur officiant lui demande s'il veut professer la foi catholique, défendre l'Eglise, gouverner l'empire avec justice & le défendre avec valeur, en conserver les droits, protéger les foibles & les pauvres, & être soumis au saint siege. Lorsqu'il en a reçu des réponses convenables, confirmées par un serment sur les évangiles, & fait quelques autres oraisons, les suffragans de l'archevêque officiant découvrent l'empereur pour le sacrer, & l'archevêque prend l'huile benite dont il l'oint en forme de croix sur le sommet de la tête, entre les épaules, au col, à la poitrine, au poignet du bras droit, & en dernier lieu dans la main droite, disant à chaque onction la priere que porte le rituel de cette cérémonie. Les deux autres archevêques électeurs essuyent l'huile avec du coton, ensuite on revêt l'empereur de ses habits impériaux & des autres marques de sa dignité, comme le sceptre, le globe, &c. Quoique la bulle d'or prescrive de faire le couronnement de l'empereur à Aix-la-Chapelle, il se fait cependant ailleurs, comme à Francfort, Augsbourg, Nuremberg.

SACRE ou SACRET, (Art milit.) ce nom se donnoit anciennement à des pieces de canon de fonte, qui pesoient depuis 2500 livres jusqu'à 2850. Elles chassoient des boulets de 4 & de 5 livres, & elles avoient environ 13 piés de longueur. Ces pieces ne sont plus d'usage, mais il est nécessaire qu'un officier d'artillerie en ait connoissance, afin de n'être point embarrassé dans les inventaires qu'il peut être chargé de faire, & dans lesquels il peut se trouver de ces anciennes pieces. (Q)

SACRE, s. m. (Faucon.) c'est une espece de faucon femelle, dont le mâle s'appelle sacret, il a les plumes d'un roux foncé, le bec, les jambes & les doigts bleus ; il est excellent, & courageux pour la volerie, mais difficile à traiter ; il est propre au vol du milan, du héron, des buses & autres oiseaux de montée : le sacre est passager, & vient du côté de Grece ; celui qui est pris après la mue, est le meilleur & le plus vîte.


SACRÉ(Gram. & Théolog.) se dit d'une chose particulierement offerte & destinée à Dieu, ou attachée à son culte par des cérémonies religieuses & des bénédictions. Voyez CONSECRATION.

Les rois, les prélats, les prêtres sont des personnes sacrées. Les abbés sont seulement bénis. Le soudiaconat, le diaconat & la prêtrise sont des ordres sacrés, qui impriment un caractere saint, & qui ne se perd jamais. Voyez ORDRE.

La coutume de consacrer les rois avec de l'huile sainte vient, selon Guntlingius, des Hébreux. Grotius est du même sentiment ; mais il ajoute que chez ce peuple on ne sacroit que les rois qui n'avoient pas un droit évident à la couronne. On croit que les empereurs chrétiens ne se firent point sacrer avant Justin, de qui les Goths emprunterent cette coutume, que les autres nations chrétiennes d'Occident imiterent depuis. Voyez ONCTION & ROI.

Ce terme s'applique aussi à tout ce qui regarde Dieu & l'Eglise. Ainsi la terre des églises & des cimetieres est tenue pour sacrée, c'est pourquoi ce mot locus sacer signifie en droit la place où quelqu'un a été enterré, & c'est un crime capital que de violer les sépultures. Les vases & les ornemens qui servent au sacrifice sont également nommés vases & ornemens sacrés, avec cette différence que les vases ont ce nom d'une maniere plus particuliere, servant à recevoir & à renfermer le corps de Jesus-Christ ; aussi punit-on du feu les voleurs & autres qui les profanent. On donne aussi au college des cardinaux le titre de sacré college.

On appelle l'empereur & le roi d'Angleterre sacrée majesté, sacra majestas. Titre qui mal à propos a scandalisé quelques écrivains qui l'ont traité de blasphême. L'Ecriture ne nous apprend-elle pas que les rois sont les images de Dieu, qu'ils lui sont spécialement consacrés, & ne les appelle-t-elle pas les oints du Seigneur ?

Les anciens regardoient comme sacrée une place où le tonnerre étoit tombé. Voyez BIDENTAL, FULGURITUM & TONNERRE.

SACRE, adj. ce qui appartient à l'os sacrum. Les nerfs sacrés passent en partie par le grand trou antérieur de l'os sacrum, & par les échancrures latérales de l'extrêmité de cet os & du coccyx : ils sont au nombre de six paires. La premiere est fort grosse, la seconde l'est moins, & les autres diminuent successivement. Les quatre premieres paires s'unissent ensemble dès leur entrée dans le bassin pour former le nerf sciatique : elles fournissent outre cela plusieurs filets aux vésicules séminales, aux prostates, à l'uterus, aux trompes de Fallope, à la vessie, au rectum, au corps caverneux, à leurs muscles, & aux autres parties voisines.

Les deux dernieres paires des nerfs sacrés sont très-petites, & se distribuent à l'anus & au tégument voisin.

Les arteres sacrées sont des rameaux de l'aorte inférieure & de l'hypogastrique ; elles se distribuent à l'os sacrum.

SACRE, cap, (Géog. anc.) sacrum promontorium, nom commun à plusieurs caps, dont l'un est, selon Ptolémée, un cap de Lusitanie, aujourd'hui le cap de S. Vincent en Portugal.

Un autre de ce nom est en Irlande, dans la partie méridionale de la côte orientale, selon le même Ptolémée, l. II. c. ij. Ce cap est aujourd'hui nommé Concarne sur les cartes.

Un troisieme est dans l'île de Corse, au nord de la côte orientale. C'est aujourd'hui cabo Corso.

Un autre est dans la Sarmatie en Europe. C'est la pointe orientale de la langue de terre, que les anciens appelloient Achilleos dromos, la course d'Achille.

Un cinquieme est en Asie dans la Lycie, entre l'embouchure du fleuve Limyros & la ville d'Olympe, selon Ptolémée, l. V. c. iij. Sophien l'appelle cabo Chelidoni, d'où les interpretes ont pris leur caput Chelidoniae.

Un sixieme est à l'entrée du Pont-Euxin, selon Zozime, l. II. à 200 stades de Chalcédoine, c'est-à-dire à 25 milles anciens, qui font 5 lieues, de 4000 pas géométriques ; d'autres le nomment Hieron Oros. (D.J.)

SACRES jeux, (Antiq. grecq. & rom.) c'étoit ainsi qu'on nommoit chez les Grecs & chez les Romains tous les jeux faits pour rendre un culte public à quelque divinité. Comme ces jeux ou spectacles entroient dans les cérémonies de la religion, c'est pour cela qu'on les appelloit sacrés & divins. Tels étoient les quatre principaux jeux de la Grece, appellés olympiques, pythiques, néméens & isthmiques : tels étoient chez les Romains les capitolins, les apollinaires, les céréaux, les martiaux, &c. Les honneurs divins ayant été déférés dans la Grece aux empereurs ; les Grecs firent célébrer en l'honneur de ces princes des jeux sacrés sur le modele de ceux qui avoient été primitivement institués en l'honneur des dieux. (D.J.)

SACREE année, (Art numismatiq.) , & année nouvelle sacrée, , inscriptions qu'on lit sur plusieurs médailles frappées par des villes grecques de l'Orient.

Les villes d'Orient offroient des sacrifices, des voeux publics, & donnoient des spectacles magnifiques à l'avénement des empereurs au commencement de leur année civile, & aux jours anniversaires de leur avénement à l'empire.

Ces villes donnoient le nom d'année sacrée à leurs années, à cause de la solemnité des sacrifices & des jeux qui faisoient partie du culte religieux.

Elles appelloient à l'exemple des Romains année nouvelle premiere le jour de l'avénement des princes en quelque mois de l'année qu'il arrivât, comme Séneque l'assûre de l'avénement de Néron, & comme une médaille de la ville d'Anazarbe le prouve pour l'avénement de Trajan Dece.

Elles distinguoient la solemnité du commencement de l'année civile, & la solemnité anniversaire de l'avénement à l'empire par l'inscription de l'année nouvelle sacrée, & par l'inscription de l'année sacrée que l'on gravoit sur les médailles que l'on faisoit frapper pour-lors. (D.J.)

SACREE chose, (Antiq. rom.) les loix romaines ont divisé les choses en sacrées, religieuses & saintes. Celles qui avoient été consacrées aux dieux solemnellement par les pontifes, ou qui avoient été dédiées au culte des dieux étoient appellées sacrées. Les devoirs rendus aux morts, & tout ce qui concernoit la sépulture, étoient du nombre des choses religieuses. L'on appelloit choses saintes celles qui étoient en quelque maniere sous la protection des dieux, comme les murs & les portes d'une ville. On a indiqué dans cet ouvrage la formule qu'on employoit pour la consécration des choses qu'on dévouoit au service des dieux, & nous avons une infinité d'inscriptions qui font connoître que les sépulchres rendoient sacré le lieu où ils étoient élevés. (D.J.)

SACREE guerre, (Hist. grecq.) il y a eu trois guerres sacrées. La premiere éclata contre les Crisséens, qui exigerent de gros droits des pélerins de Delphes, & pillerent le temple d'Apollon ; la guerre leur fut déclarée par l'ordre de l'oracle & des amphyctions ; ils soutinrent un siege de dix ans dans leur ville, qui fut enfin emportée d'assaut. La seconde guerre sacrée s'éleva contre les Phocéens & les Lacédémoniens ; elle dura neuf ans, & finit par la mort de Philomélus, chef des Phocéens, qui voyant son armée défaite, se précipita du haut d'un rocher. La troisieme guerre sacrée, autrement nommée la guerre des confédérés, se renouvella entre les mêmes peuples ; les Phocéens soutenus d'Athènes & de Lacédémone, s'unirent contre les Thébains & les Thessaliens ; & ces derniers appellerent à leur secours Philippe de Macédoine, qui, par son génie & son habileté, devint maître de toute la Grece. Diodore de Sicile & Pausanias ont eu l'art de nous intéresser à leurs descriptions de toutes ces guerres, comme si elles se faisoient de nos jours. (D.J.)

SACREE colline, (Géog. anc.) sacer collis ; colline d'Italie, au bord du Teveronne. Elle étoit, selon Tite-Live, l. II. c. xxxij. à 3 milles de Rome, & à l'autre bord du Teveronne. Il l'appelle sacer mons, & il panche plus pour ceux qui croyent que le peuple romain s'y retira, lorsqu'il se brouilla avec ses magistrats, que pour ceux qui disent que ce fut sur le mont Aventin. Valere Maxime, l. VIII. c. ix. nomme aussi la colline sacrée en parlant de cette sédition du peuple. Il dit : Regibus exactis, plebs dissidens à patribus, juxtà ripam Anienis, in colle qui sacer appellatur, armata consedit. (D.J.)


SACREMENTS. m. (Théologie) en général est un signe d'une chose sainte ou sacrée. Voyez SIGNE.

Ce mot vient du latin sacramentum, qui signifie un serment, & singulierement celui que chez les anciens les soldats prêtoient entre les mains de leurs généraux, & dont Polybe nous a conservé cette formule. Obtemperaturus sum & facturus quidquid mandabitur ab imperatoribus juxta vires. J'obéirai à mes généraux, j'exécuterai leurs ordres en tout ce qui sera en mon pouvoir.

Dans un sens général, on peut dire avec S. Augustin que nulle religion, soit vraie, soit fausse, n'a pu s'attacher les hommes sans employer des signes sensibles ou des sacremens. Ainsi la loi de nature a eu les siens, telle que l'offrande du pain & du vin, pratiquée par Melchisédech ; & l'on trouve dans celle de Moïse la circoncision, l'agneau paschal, les purifications, la consécration des pontifes. Le paganisme pourra mettre aussi au nombre de ses sacremens les lustrations, les expiations, les cérémonies des mysteres d'Eleusine & de Samothrace, car tout cela étoit symbolique & significatif.

Mais dans la loi nouvelle, le mot sacrement signifie un signe sensible d'une grace spirituelle, institué par notre Seigneur Jesus-Christ pour la sanctification des hommes.

Socin & ses disciples enseignent que les sacremens ne sont que de pures cérémonies, qui ne servent tout-au-plus qu'à unir extérieurement les fideles ensemble, & à les distinguer des juifs & des gentils.

Les Protestans n'en disent guere davantage, en prétendant que les sacremens ne sont que de pures cérémonies instituées de Dieu, pour sceller & confirmer les promesses de la grace, pour soutenir notre foi & pour nous exciter à la piété. Ils n'en admettent communément que deux, le baptême & l'eucharistie, ou, comme ils l'appellent, la sainte cène ; les Anglicans y ajoutent la confirmation.

Les Catholiques au contraire, qui pensent que les sacremens produisent par eux-mêmes la grace sanctifiante, en admettent sept après toute la tradition, savoir le baptême, la confirmation, l'eucharistie, la pénitence, l'extrême-onction, l'ordre, & le mariage ; nous avons traité de chacun en particulier sous leur article. Voyez BAPTEME, &c.

Les sacremens sont des êtres moraux qui sont essentiellement composés de deux parties, de quelque chose de sensible, & de quelques paroles. C'est de l'union de ces deux parties que résulte le sacrement ; audit verbum ad elementum, dit S. Augustin, tract. 8. in Joan. & fit sacramentum. Les théologiens scholastiques ont donné le nom de matiere aux choses sensibles, & le nom de forme aux paroles. Voyez MATIERE & FORME.

Les Protestans soutiennent que les paroles qui entrent essentiellement dans la composition des sacremens, doivent renfermer une instruction ou contenir une promesse. Mais l'une & l'autre prétention n'ont nul fondement dans l'Ecriture ou dans la tradition, & d'ailleurs la fin prochaine des sacremens n'est pas d'instruire les hommes, ou de leur promettre la grace, mais de la leur conférer ; ainsi ces paroles sont proprement consécratoires, soit en retirant de l'usage profane la chose sensible qui forme la matiere, soit en initiant aux mysteres divins, celui qui reçoit les sacremens.

Mais outre l'application de la forme & de la matiere, on exige encore dans le ministre qui confere les sacremens, l'intention de faire ce que fait l'Eglise. On dispute beaucoup dans les écoles sur la nature de cette intention, savoir si elle doit être intérieure & actuelle, ou si une intention habituelle, ou virtuelle, ou extérieure, est suffisante pour la validité du sacrement. Voyez INTENTION.

Les sacremens considérés en général se divisent en sacremens des morts & sacremens des vivans. On entend par sacremens des morts ceux qui sont destinés à rendre la vie spirituelle ou aux personnes qui ne l'ont pas encore reçue, comme le baptême, ou à celles qui l'ont perdue après en avoir été favorisés, comme la pénitence. Par sacremens des vivans, on entend ceux qui sont destinés à fortifier les justes & à augmenter en eux la vie spirituelle de la grace ; tels que sont la confirmation, l'eucharistie, &c. On les divise encore en sacremens qui se réïterent, c'est-à-dire qu'on reçoit plusieurs fois, comme la pénitence, l'eucharistie, l'extrême onction, & le mariage ; & en sacremens qui ne se réïterent point, comme le baptême, la confirmation & l'ordre. La raison de cette différence vient de ce que ces derniers impriment caractere. Voyez CARACTERE.

Les sacremens de la nouvelle loi produisent la grace par eux-mêmes, ou, comme parlent les scholastiques, ex opere operato, c'est-à-dire par la simple application du rit extérieur. Mais agissent-ils en cette occasion comme cause physique ou comme cause morale ? L'école est partagée sur cette question ; les Thomistes soutenant que les sacremens produisent d'eux-mêmes la grace par une influence réelle en agissant immédiatement sur l'ame ; les Scotistes au contraire prétendant que l'application & l'administration extérieure des sacremens déterminent Dieu à donner la grace, parce qu'il s'est engagé d'une maniere fixe & invariable à l'accorder à ceux qui les reçoivent dignement. Ce dernier sentiment paroît le plus vraisemblable, car il n'est pas aisé de concevoir comment les sacremens qui sont des êtres corporels, peuvent immédiatement agir sur l'ame qui est une substance spirituelle.

Quoiqu'on convienne en général que Jesus-Christ a institué tous les sacremens, parce que lui seul a pu attacher à des choses corporelles & sensibles la vertu de communiquer la grace sanctifiante, il n'est pas également constant s'il les a tous institués immédiatement, c'est-à-dire par lui-même, ou médiatement, c'est-à-dire par ses apôtres & par son Eglise. Il n'y a point de difficulté par rapport au baptême & à l'eucharistie. Quant aux autres, le sentiment le plus suivi est qu'il les a institués immédiatement, mais ce n'est pas un point de foi, puisque les Théologiens soutiennent librement le contraire.

Les sacremens sont nécessaires pour obtenir la justification, mais non pas tous au même degré. Les uns, comme le baptême & la pénitence, sont nécessaires d'une nécessité de moyen, c'est-à-dire que sans le baptême ou son desir les enfans ni les adultes ne peuvent être sauvés, non plus que les pécheurs ne peuvent être justifiés sans la pénitence ou une contrition parfaite qui en renferme le desir dans le cas de nécessité. Les autres sont nécessaires de nécessité de précepte ; les négliger ou les mépriser, c'est se retrancher volontairement à soi-même des secours spirituels que Jesus-Christ n'a pas voulu préparer en vain.

Enfin l'administration des sacremens suppose des cérémonies ou essentielles ou accidentelles prescrites par l'Eglise. Les premieres qui intéressent la validité du sacrement ne doivent être omises en aucun cas. Les autres peuvent être supprimées dans le cas de nécessité. Voyez CEREMONIE.

SACREMENS, (Hist. ecclésiastiq.) les différentes sectes des chrétiens ont beaucoup varié sur le nombre des sacremens ; & pour abréger ce sujet dont le détail seroit très-étendu, je me contenterai de dire que les Chrétiens de S. Thomas ne reconnoissent que trois sacremens, le baptême, l'ordre & l'eucharistie. S. Bernard mettoit au nombre des sacremens la cérémonie de laver les piés qui se pratique le jeudi-saint. Damien établissoit douze sacremens. Isidore de Séville ne compte pour sacremens que le baptême, le chrême & l'eucharistie. Les Arméniens en général ne mettent point la confirmation & l'extrême-onction entre les sacremens ; mais Vardanès, un de leurs docteurs, établit sept sacremens, savoir le baptême, la célébration de la liturgie, la bénédiction du myron, l'imposition des mains, le mariage, l'huile dont on oint les malades, & la cérémonie des funérailles. (D.J.)


SACRERv. act. (Gram.) dédier à Dieu par le sacre ou par la consécration ; par le sacre, si c'est une personne ; par la consécration, si c'est une chose. Voyez SACRE & CONSECRATION. On sacre les rois. On sacroit autrefois les pierres.


SACRIFICATEURS. m. (Gram.) celui qui sacrifie à l'autel. Voyez SACRIFICE.

SACRIFICATEUR, (Hist. des Juifs) voyez PRETRE des Juifs. J'ajouterai seulement que par ces mots, souverain sacrificateur pour toujours, I. Macchab. xiv. 21, les Juifs entendoient celui dont le sacerdoce seroit perpétué dans ses descendans. (D.J.)


SACRIFICES. f. (Gram.) culte qu'on rend à la divinité par l'oblation de quelque victime, ou par quelqu'autre présent.

SACRIFICE D'ABEL, (Critique sacrée) plusieurs lecteurs vont me demander avec curiosité, que je leur dise dans cet article, en quoi consistoit le sacrifice d'Abel, pourquoi l'être suprême eut égard à son offrande, & non à celle de Caïn, qui cependant lui présentoit les prémices de son travail & le fruit de sa sueur ; enfin comment Dieu fit connoître que l'oblation d'Abel lui étoit seule agréable. Je vais répondre de mon mieux à ces trois questions qui partagent les interpretes de l'Ecriture, anciens & modernes.

L'auteur de la Genèse, c. iv. v. 4. dit, suivant nos traductions, qu'Abel offrit des premiers nés de son bétail, & de leur graisse ; c'est sur ce passage que la plûpart des commentateurs, d'après les rabbins, croyent qu'Abel offrit à Dieu les premiers nés de son troupeau en holocauste, & ils prétendent que cet ordre de sacrifice étoit le seul qui fût en usage avant la loi ; mais divers savans, au nombre desquels est l'illustre Grotius, sont d'une autre opinion. Ils pensent qu'Abel n'offrit que du lait, ou de la crême de son bétail ; ils remarquent, pour appuyer leur sentiment, que l'on n'offroit à Dieu que ce qui servoit de nourriture aux hommes ; & comme avant le déluge ils n'usoient point de viande, ils ne sacrifioient aussi aucune créature vivante.

Nos versions disent qu'Abel offrit des premiers nés de sa bergerie, & de leur graisse. Grotius & M. le Clerc observent que par les premiers nés, il faut entendre les meilleurs, & que le terme signifie souvent tout ce qui excelle dans son genre. Ils remarquent encore que le mot khalab, que l'on a traduit par celui de graisse, signifie aussi du lait, ou la graisse du lait, c'est-à-dire de la crême ; que c'est ainsi que les septante l'ont souvent rendu, & en particulier Genèse xviij. 8. où nos versions portent du lait. Les anciens égyptiens offroient aussi du lait à leurs dieux. Diodore de Sicile rapporte que les habitans de l'île de Méroé avoient coutume de remplir tous les jours trois cent soixante vaisseaux de lait, en invoquant les noms des divinités qu'ils adoroient.

Quant au défaut du sacrifice de Caïn, Philon le fait consister en deux choses : 1°. qu'il ne l'offrit pas assez promtement, mais , après quelques jours ; 2°. qu'il n'offrit que des fruits de la terre, & non les premiers nés de son bétail. L'auteur sacré de l'épître aux Hébreux, c. xj. v. 4. dit bien mieux, que ce fut la foi d'Abel qui fit préférer son sacrifice à celui de Caïn ; cette foi, qui est une subsistance, ou une ferme attente, , des choses qu'on espere, c'est-à-dire, la persuasion que Dieu récompensera les gens de bien dans cette vie ou dans une autre.

Selon la plûpart des commentateurs, Dieu fit descendre le feu du ciel pour marquer que le sacrifice d'Abel lui étoit agréable ; mais il est fort permis de penser différemment. On convient qu'il y a dans l'histoire sainte des exemples de sacrifices consumés par un feu miraculeux ; mais lorsque cela est arrivé, l'Ecriture l'a dit en termes exprès ; au lieu que dans l'occasion dont il s'agit ici, il n'est point fait mention d'un tel feu ; & nous ne devons pas supposer des miracles sans nécessité. D'ailleurs il y a tout lieu de croire que l'impie Caïn se seroit mis peu en peine que son sacrifice fût consumé par le feu ou non. Il est donc naturel de chercher quelqu'autre marque de l'approbation de Dieu dont Caïn ait pu être touché, & qui ait été capable d'exciter son ressentiment contre son frere ; or voici l'idée ingénieuse d'un professeur de Leyde sur cette troisieme question.

Il convient que Moïse rapporte (immédiatement après avoir dit que Caïn & Abel offrirent des sacrifices) que Dieu eut égard à l'oblation d'Abel, & qu'il n'eut point d'égard à celle de Caïn ; mais l'on ne doit pas conclure de-là que les marques de l'approbation divine suivirent d'abord le sacrifice. La maniere dont cette histoire nous est rapportée, nous insinue qu'Abel & Caïn vécurent plusieurs années, l'un comme berger, & l'autre comme laboureur ; & l'on peut supposer, sans faire violence au texte, que lorsqu'ils retirerent quelque profit de leur travail, ils en offrirent les fruits à Dieu, & qu'ils continuerent pendant plusieurs années. Abel, dit l'historien sacré, étoit berger ; mais Caïn étoit laboureur, & il arriva au bout de quelque tems, &c. Ces paroles, au bout de quelque tems, en hébreu mikketz jamin, signifient quelquefois au bout de quelques ou plusieurs années, comme on peut le voir Deut. c. xiv. v. 28. au bout de trois ans, où le mot de trois détermine le nombre des années ; mais comme il n'y a point de nombre marqué dans le passage en question, on pourroit le traduire, au bout de quelques années.

En effet, il est très-probable que ce ne fut qu'au bout de quelques années qu'Abel connut qu'il étoit agréable à Dieu, & Caïn qu'il ne l'étoit point. Le premier prospéra, & vit son troupeau augmenter : Caïn au contraire s'apperçut qu'il ne fleurissoit point, & que la terre ne lui fournissoit pas d'abondantes récoltes : ce furent-là les voies par lesquelles Dieu fit connoître qu'il avoit agréé le sacrifice d'Abel, & qu'il n'avoit point eu égard à celui de Caïn ; & c'est ce qui aigrit le jaloux Caïn contre son frere. Voyant que Dieu le bénissoit beaucoup plus que lui, il résolut enfin de le tuer, & exécuta cet horrible dessein.

On sait de quelle maniere attendrissante & pathétique l'auteur spirituel du poëme de la mort d'Abel a traité tout récemment ce sujet de notre religion. Non-seulement c'est un ouvrage neuf par sa structure, sa forme & son ton ; mais M. Gesner a encore eu l'art d'augmenter l'intérêt que nous prenons à cet événement de l'histoire sainte, par la maniere vive & touchante dont il peint les diverses passions de nos premiers ayeux, & par les graces & la vérité qu'il met dans ses tableaux, lorsqu'il décrit les moeurs des premiers hommes qui ont habité la terre. A l'égard du sacrifice qu'Abel offrit à Dieu, il a cru devoir préférer l'opinion d'une victime en holocauste, au sentiment de Grotius, & voici comme il s'exprime à ce sujet dans la traduction soignée qu'en a faite M. Huber. C'est un trop beau morceau pour n'en pas décorer mon article. Lisez-le.

Le soleil ne donnant plus qu'une lumiere adoucie, dardoit encore ses derniers rayons à-travers le feuillage, prêt à s'aller cacher derriere les montagnes ; les fleurs distribuoient leurs parfums sur les zéphirs, comme pour les charger de les exhaler sur lui ; & les oiseaux à l'envi lui donnoient l'agréable amusement de leurs concerts. Caïn & Abel arriverent sous le feuillage, & virent avec une joie délicieuse leur pere rendu à leurs yeux. Sa priere finissoit ; il se leva, & embrassa les larmes aux yeux, sa femme & ses enfans ; après quoi il s'en retourna dans sa cabane. Cependant Abel dit à Caïn : mon cher frere, quelles actions de graces rendrons-nous au seigneur de ce qu'il a exaucé nos gémissemens, & de ce qu'il nous rend notre précieux pere ? Je vais pour moi, à cette heure où la lune se leve, m'acheminer vers mon autel, pour y offrir au seigneur en sacrifice le plus jeune de mes agneaux. Et toi, mon cher frere, es-tu dans la même idée ? Voudrois-tu aussi sur ton autel, faire un sacrifice au seigneur ?

Caïn le regardant d'un oeil chagrin : oui, dit-il, je vais aller à mon autel offrir en sacrifice au seigneur, ce que la pauvreté des champs me donne. Abel lui répondit gracieusement : mon frere, le seigneur ne compte pour rien l'agneau qui brûle devant lui, ni les fruits de la campagne que la flamme consume, pourvu qu'une piété sans tache brûle dans le coeur de celui qui donne l'un ou l'autre.

Caïn repartit : il est vrai, le feu tombera tout d'abord du ciel pour consumer ton holocauste ; car c'est par toi que le seigneur a envoyé du secours ; pour moi il m'a dédaigné ; mais je n'en irai pas moins lui offrir mon sacrifice.

Abel alors se jetta tendrement au cou de Caïn, en disant : ah, mon frere, mon cher frere, est-ce que tu te fais un nouveau sujet de chagrin de ce que le seigneur s'est servi de moi pour porter du secours à mon pere ? S'il s'est servi de moi, c'est une commission dont il m'a chargé pour nous tous. O mon frere, écarte, je t'en supplie, ces fâcheuses idées ; le seigneur qui lit dans nos ames, sait bien y découvrir les pensées injustes & les murmures sourds. Aime-moi, comme je t'aime. Vas offrir ton sacrifice ; mais ne permets pas que des dispositions impures en souillent la sainteté ; & compte qu'alors le seigneur recevra favorablement tes louanges & tes actions de graces, & qu'il te bénira du haut de son trône.

Caïn ne répondit point ; il prit le chemin de ses champs, & Abel le regardant avec tristesse, prit celui de ses pâturages, chacun s'avançant vers son autel. Abel égorgea le plus jeune de ses agneaux, l'étendit sur l'autel, le parsema de branches aromatiques & de fleurs, & mit le feu à l'holocauste ; puis échauffé d'une piété fervente, il s'agenouilla devant l'autel, & fit à Dieu les actions de graces & les louanges les plus affectueuses. Pendant ce tems, la flamme du sacrifice s'élevoit en ondoyant à-travers les ombres de la nuit ; le seigneur avoit défendu aux vents de souffler, parce que le sacrifice lui étoit agréable.

De son côté, Caïn mit des fruits de ses champs sur son sacrifice, & se prosterna devant son autel ; aussitôt les buissons s'agiterent avec un bruit épouvantable, un tourbillon dissipa en mugissant, le sacrifice, & couvrit le malheureux de flammes & de fumée. Il recula de l'autel en tremblant, & une voix terrible, qui sortit de la nuée, lui dit : pourquoi trembles-tu, & pourquoi la terreur est-elle peinte sur ton visage ? Il en est encore tems, corrige-toi, je te pardonnerai ton péché ; sinon ton péché & son châtiment te poursuivront jusque dans ta cabane. Pourquoi haïs-tu ton frere ? il t'aime & t'honore. La voix se tut, & Caïn saisi de frayeur quitta ce lieu affreux pour lui, & s'en retourna ; le vent furieux chassoit encore après lui la fumée infecte du sacrifice ; son coeur frissonnoit, & une sueur froide coula de ses membres.

Cependant, en promenant ses regards, il vit dans la campagne les flammes du sacrifice de son frere qui s'élevoient en tournoyant dans les airs. Désespéré par ce spectacle, il tourna ses pas ailleurs, & traîna loin de-là sa noire mélancolie, jusqu'à ce qu'enfin il s'arrêta sous un buisson, & bientôt le sommeil déploya sur lui ses sombres aîles.

Depuis long-tems un génie que l'enfer appelloit Anamalech, observoit ses démarches. Il suivit en secret les traces de Caïn, & saisit ce moment pour troubler son ame par toutes les images que pouvoient faire naître en lui l'égarement, l'envie à la dent corrosive, la colere emportée, & toutes les passions furieuses. Tandis que l'esprit impur travailloit à troubler ainsi l'ame de Caïn, un bruit épouvantable se fit entendre sur la cime des montagnes, un vent mugissant agitoit les buissons, & rabattoit les boucles des cheveux de Caïn le long de son front & de ses joues. Mais en vain les buissons mugirent ; en vain les boucles de ses cheveux battirent son front & ses joues, le sommeil s'étoit appesanti sur ses yeux ; rien ne put les lui faire ouvrir.

Caïn frémissoit encore de son songe, lorsqu'Abel qui l'avoit apperçu dans le bocage au pié du rocher, s'approcha, & jettant sur lui des regards pleins d'affection, il dit avec cette douceur qui lui étoit propre : ah mon frere, puisses-tu bientôt te réveiller, pour que mon coeur gros de tendresse, te puisse exprimer ses sentimens, & que mes bras puissent t'embrasser ! Mais plutôt modérez-vous, desirs empressés. Peut-être que ses membres fatigués ont encore besoin des influences restaurantes du sommeil. Mais... comme le voilà étendu, défait... inquiet ;.... la fureur paroît peinte sur son front. Eh pourquoi le troublez-vous, songes effrayans ? laissez son ame tranquille ; venez, images agréables, peintures des douces occupations domestiques & des tendres embrassemens, venez dans son coeur. Que tout ce qu'il y a de beau & de flatteur dans la nature, remplisse son imagination de charmes & de délices ; qu'elle soit riante comme un jour de printems ! que la joie soit peinte sur son front, & qu'à son réveil les hymnes éclosent de ses levres. A ces mots, il fixa son frere avec des yeux animés d'un tendre amour & d'une attente inquiete.

Tel qu'un lion redoutable dormant au pié d'un rocher, glace par sa criniere hérissée le voyageur tremblant, & l'oblige à prendre un détour pour passer, si d'un vol rapide une fleche meurtriere vient à lui percer le flanc, il se leve soudain avec des rugissemens affreux, & cherche son ennemi en écumant de rage ; le premier objet qu'il rencontre, sert de pâture à sa fureur ; il déchire un enfant innocent qui se joue avec des fleurs sur l'herbe. Ainsi se leva Caïn les yeux étincelans de fureur. Maudite soit l'heure, s'écria-t-il, à laquelle ma mere, en me mettant au monde, a donné la premiere preuve de sa triste fécondité. Maudite soit la région où elle a senti les premieres douleurs de l'enfantement. Périsse tout ce qui y est né. Que celui qui veut y semer, perde ses peines, & qu'une terreur subite fasse tressaillir tous les os de ceux qui y passeront.

Telles étoient les imprécations du malheureux Caïn, lorsqu'Abel pâle, comme on l'est au bord du tombeau, risqua de s'avancer à pas chancelans. Mon frere, lui dit-il d'une voix entrecoupée par l'effroi : mais non... Dieu !... je frissonne !... un des séditieux reprouvés que la foudre de l'Eternel a précipités du ciel, a sans-doute emprunté sa figure, sous laquelle il blasphême ? Ah fuyons. Où es-tu, mon frere, que je te bénisse ?

Le voici s'écria Caïn avec une voix de tonnerre, le voici ce favori du vengeur éternel & de la nature ; ah toute la rage de l'enfer est dans mon coeur. Ne pourrai-je ?... Caïn, mon frere, dit Abel, en l'interrompant avec une émotion dans la voix & une altération dans le visage, qui exprimoit tout-à-la-fois sa surprise, son inquiétude & son affection, quel songe affreux a troublé ton ame ? Je viens dès l'aurore pour te chercher, pour t'embrasser, avec le jour naissant ; mais quelle tempête intérieure t'agite ? Que tu reçois mal mon tendre amour ! Quand viendront hélas, les jours fortunés, les jours délicieux où la paix & l'amitié fraternelle rétablies feront revivre dans nos ames le doux repos & les plaisirs rians, ces jours après lesquels notre pere affligé & notre tendre mere soupirent avec tant d'ardeur ? O Caïn, tu ne comptes donc pour rien ces plaisirs de la réconciliation, à quoi tu feignis toi-même d'être sensible, lorsque tout transporté de joie je volai dans tes bras ? Est-ce que je t'aurois offensé depuis ? Dis-moi si j'ai eu ce malheur ; mais tu ne cesses pas de me lancer des regards furieux. Je t'en conjure par tout ce qu'il y a de sacré, laisse-toi calmer, souffre mes innocentes caresses ! En disant ces derniers mots, il se mit en devoir d'embrasser les genoux de Caïn ; mais celui-ci recula en-arriere ;... ah, serpent, dit-il, tu veux m'entortiller !... & en même tems ayant saisi une lourde massue, qu'il éleva d'un bras furieux, il en frappa violemment la tête d'Abel. L'innocent tomba à ses piés, le crane fracassé ; il tourna encore une fois ses regards sur son frere, le pardon peint dans les yeux, & mourut ; son sang coula le long des boucles de sa blonde chevelure, aux piés même du meurtrier.

A la vue de son crime, Caïn épouvanté étoit d'une pâleur mortelle ; une sueur froide couloit de ses membres tremblans ; il fut témoin des dernieres convulsions de son frere expirant. La fumée de ce sang qu'il venoit de verser, monta jusqu'à lui. Maudit coup ! s'écria-t-il, mon frere !... reveille-toi.... reveille-toi, mon frere ? Que son visage est pâle ! Que son oeil est fixe ! Comme son sang inonde sa tête... Malheureux que je suis.... Ah, qu'est-ce que je pressens !... Il jetta loin de lui la massue sanglante. Puis se baissant sur la malheureuse victime de sa rage, il voulut la relever de terre. Abel !.... mon frere.... crioit-il au cadavre sans vie ; Abel, réveille-toi.... Ah, l'horreur des enfers vient me saisir ! O mort.... c'en est donc fait pour toujours, mon crime est sans remede. (D.J.)

SACRIFICES du paganisme, (Mythol. antiq. Lit.) Théophraste rapporte que les Egyptiens furent les premiers qui offrirent à la divinité des prémices, non d'encens & de parfums, bien moins encore d'animaux, mais de simples herbes, qui sont les premieres productions de la terre. Ces premiers sacrifices furent consumés par le feu, & de là viennent les termes grecs , qui signifient sacrifier, &c. On brula ensuite des parfums, qu'on appella , du grec , qui veut dire prier. On ne vint à sacrifier les animaux que lorsqu'ils eurent fait quelque grand dégât des herbes ou des fruits qu'on devoit offrir sur l'autel. Le même Théophraste ajoute qu'avant l'immolation des bêtes, outre les offrandes des herbes & des fruits de la terre, les sacrifices des libations étoient fort ordinaires, en versant sur les autels de l'eau, du miel, de l'huile, & du vin, & ces sacrifices s'appelloient Nephalia, Melitosponda, Eloeosponda, Aenosponda.

Ovide assure que le nom même de victime marque qu'on n'en égorgea qu'après qu'on eut remporté des victoires sur les ennemis, & que celui d'hostie fait connoître que les hostilités avoient précédé. En effet, lorsque les hommes ne vivoient encore que de légumes, ils n'avoient garde d'immoler des bêtes dont la loi du sacrifice vouloit qu'on mangeât quelque partie.

Ante Deos homini quod conciliare valeret,

Fas erat, & puri lucida mica satis.

Pythagore s'éleva contre ce massacre des bêtes, soit pour les manger, ou les sacrifier. Il prétendoit qu'il seroit tout au plus pardonnable d'avoir sacrifié le pourceau à Céres, & la chevre à Bacchus, à cause du ravage que ces animaux font dans les blés & dans les vignes ; mais que les brebis innocentes, & les boeufs utiles au labourage de la terre, ne peuvent s'immoler sans une extrême dureté, quoique les hommes tâchent inutilement de couvrir leur injustice du voile de l'honneur des dieux : Ovide embrasse la même morale.

Nec satis est quod tale nefas committitur ipsos

Inscripsere deos sceleri ; numenque supernum,

Caede laboriferi credunt gaudere juvenci.

Horace déclare aussi que la plus pure & la plus simple maniere d'appaiser les dieux, est de leur offrir de la farine, du sel, & quelques herbes odoriférantes.

Te nihil attinet

Tentare multâ caede bidentium,

Mollibis aversos penates,

Farre pio, & saliente mica.

Les payens avoient trois sortes de sacrifices, de publics, de domestiques, & d'étrangers.

Les publics, dont nous décrirons les cérémonies avec un peu d'étendue, se faisoient aux dépens du public pour le bien de l'état, pour remercier les dieux de quelque faveur signalée, ou les prier de détourner les calamités qui menaçoient, ou qui affligeoient un peuple, un pays, une ville.

Les sacrifices domestiques se pratiquoient par ceux d'une même famille, & à leurs dépens, dont ils chargeoient souvent leurs héritiers. Aussi Plaute fait dire à un valet nommé Ergasile, dans ses captifs, qui avoit trouvé une marmite pleine d'or, que Jupiter lui avoit envoyé tant de biens, sans être chargé de faire aucun sacrifice.

Sine sacris haereditatem suam adeptus effertissimam.

" J'ai obtenu une bonne succession, sans être obligé aux frais des sacrifices de la maison ".

Les sacrifices étrangers étoient ceux qu'on faisoit lorsqu'on transportoit à Rome les dieux tutélaires des villes ou des provinces subjuguées, avec leurs mysteres & les cérémonies de leur culte religieux.

De plus, les sacrifices s'offroient encore ou pour l'avantage des vivans, ou pour le bien des défunts, car la fête des morts est ancienne, les Romains l'avoient avant les catholiques ; elle se célébroit chez eux au mois de Février, ainsi que Ciceron nous l'apprend : Februario mense, qui tunc extremus anni mensis erat, mortuis parentari voluerant.

La matiere des sacrifices étoit comme nous l'avons dit, des fruits de la terre, ou des victimes d'animaux, dont on présentoit quelquefois la chair & les entrailles aux dieux, & quelquefois on se contentoit de leur offrir seulement l'ame des victimes, comme Virgile fait faire à Entellus, qui immole un taureau à Eryx, pour la mort de Darès, donnant ame pour ame,

Hanc tibi, Eryx, meliorem animam pro morte Daretis, Persolvo.

Les sacrifices étoient différens par rapport à la diversité des dieux que les anciens adoroient ; car il y en avoit aux dieux célestes, aux dieux des enfers, aux dieux marins, aux dieux de l'air, & aux dieux de la terre. On sacrifioit aux premiers des victimes blanches en nombre impair ; aux seconds des victimes noires, avec une libation de vin pur & de lait chaud qu'on repandoit dans des fosses avec le sang des victimes ; aux troisiemes on immoloit des hosties noires & blanches sur le bord de la mer, jettant les entrailles dans les eaux, le plus loin que l'on pouvoit, & y ajoutant une effusion de vin.

cadentem in littore taurum,

Constitutam ante aras voti reus, extaque salsos

Porriciam in fluctus, & vina liquentia fundam.

On immoloit aux dieux de la terre des victimes blanches, & on leur élevoit des autels comme aux dieux célestes ; pour les dieux de l'air, on leur offroit seulement du vin, du miel, & de l'encens.

On faisoit le choix de la victime, qui devoit être saine & entiere, sans aucune tache ni défaut ; par exemple elle ne devoit point avoir la queue pointue, ni la langue noire, ni les oreilles fendues, comme le remarque Servius, sur ce vers du 6 de l'Enéïde.

Totidem lectas de more bidentes.

Id est, ne habeant caudam aculeatam, nec linguam nigram, nec aurem fissam : & il falloit que les taureaux n'eussent point été mis sous le joug.

Le choix de la victime étant fait, on lui doroit le front & les cornes, principalement aux taureaux, aux génisses, & aux vaches :

Et statuam ante aras auratâ fronte juvencum.

Macrobe rapporte au I. liv. des saturnales, un arrêt du sénat, par lequel il est ordonné aux décemvirs, dans la solemnité des jeux apollinaires, d'immoler à Apollon un boeuf doré, deux chevres blanches dorées, & à Latone une vache dorée.

On leur ornoit encore la tête d'une infule de laine, d'où pendoient deux rangs de chapelets, avec des rubans tortillés, & sur le milieu du corps une sorte d'étole assez large qui tomboit des deux côtés ; les moindres victimes étoient seulement ornées de chapeaux de fleurs & de festons, avec des bandelettes ou guirlandes blanches.

Les victimes ainsi parées, étoient amenées devant l'autel, & cette action s'exprimoit par ce mot grec , agere, ducere ; la victime s'appelloit agonia, & ceux qui la conduisoient, agones. Les petites hosties ne se menoient point par le lien, on les conduisoit seulement, les chassant doucement devant soi ; mais on menoit les grandes hosties avec un licou, au lieu du sacrifice ; il ne falloit pas que la victime se débattît, ou qu'elle ne voulût pas marcher, car la résistance qu'elle faisoit, étoit tenue à mauvais augure, le sacrifice devant être libre.

La victime amenée devant l'autel, étoit encore examinée & considerée fort attentivement, pour voir si elle n'avoit pas quelque défaut, & cette action se nommoit probatio hostiarum, & exploratio. Après cet examen le prêtre revêtu de ses habits sacerdotaux, & accompagné des victimaires, & autres ministres des sacrifices, s'étant lavé & purifié suivant les cérémonies prescrites, commençoit le sacrifice par une confession qu'il faisoit tout haut de son indignité, se reconnoissant coupable de plusieurs péchés, dont il demandoit pardon aux dieux, espérant que sans y avoir égard, ils voudroient bien lui accorder ses demandes.

Cette confession faite, le prêtre crioit au public, hoc age, soyez recueilli & attentif au sacrifice ; aussitôt une espece d'huissier tenant en main une baguette qu'on nommoit commentaculum, s'en alloit par le temple, & en faisoit sortir tous ceux qui n'étoient pas encore instruits dans les mysteres de la religion, & ceux qui étoient excommuniés. La coutume des Grecs, de qui les Romains l'emprunterent, étoit que le prêtre venant à l'autel demandoit tout haut, , qui est ici ? Le peuple répondoit , plusieurs personnes & gens de bien. Alors l'huissier crioit dans tous les coins du temple , c'est-à-dire loin d'ici méchans ; ou bien , loin d'ici profanes. Les Latins disoient ordinairement, nocentes, profani, abscedite ; chez les Grecs, tous ceux qu'on chassoit des temples, étoient compris sous ces mots généraux, , &c.

Ovide a nommé dans ses fastes liv. II. la plûpart des pécheurs qui ne pouvoient assister aux mysteres des dieux. Voici sa liste qui devroit nous servir de regle.

Innocui veniant, procul hinc, procul impius esto

Frater, & in partus mater acerba suos :

Cui pater est vivax : qui matris digerit annos,

Quae premit invisam socrus amica nurum.

Tantalidae fratres absint, & Jasonis uxor,

Et quae ruricolis semina tosta dedit !

Et soror, & Progne, Tereusque duabus iniquus ;

Et quicumque suas per scelus auget opes.

Nous apprenons de ces beaux vers, qu'à parler en général, il y avoit deux sortes de personnes à qui on défendoit d'assister aux sacrifices ; savoir les profanes, c'est-à-dire ceux qui n'étoient pas encore instruits dans le culte des dieux, & ceux qui avoient fait quelque action énorme, comme d'avoir frappé leur pere ou leur mere. Il y avoit certains sacrifices en Grece, dont les filles & les esclaves étoient bannis. Dans la Chéronée, le prêtre tenant en main un fouet, se tenoit à la porte du temple de Matuta, & défendoit à haute voix aux esclaves étoliens d'y entrer. Chez les Mages ceux qui avoient des taches de rousseur au visage, ne pouvoient point approcher des autels, selon le témoignage de Pline, livre XXX. chap. ij. Il en étoit de même chez les Germains, de ceux qui avoient perdu leur bouclier dans le combat ; & parmi les Scythes, de celui qui n'avoit point tué d'ennemi dans la bataille. Les dames romaines ne devoient assister aux sacrifices que voilées.

Les profanes & les excommuniés s'étant retirés, on crioit favete linguis ou animis, & pascite linguam, pour demander le silence & l'attention pendant le sacrifice. Les Egyptiens avoient coutume, dans le même dessein, de faire paroître la statue d'Harpocrate, dieu du silence, qu'ils appelloient . Pour les Romains, ils mettoient sur l'autel de Volupia, la statue de la déesse Angéronia, qui avoit la bouche cachetée, pour apprendre que dans les mysteres de la religion, il faut être attentif de corps & d'esprit.

Cependant le prêtre bénissoit l'eau pour en faire l'aspersion avec les cérémonies ordinaires, soit en y jettant les cendres du bois qui avoit servi à bruler les victimes, soit en y éteignant la torche du sacrifice ; il aspergeoit de cette eau lustrale, & les autels & tout le peuple, pendant que le choeur des musiciens chantoit des hymnes en l'honneur des dieux.

Ensuite on faisoit les encensemens aux autels, aux statues des dieux, & aux victimes ; le prêtre ayant le visage tourné vers l'orient, & tenant les coins de l'autel, lisoit les prieres dans le livre des cérémonies, & les commençoit par Janus & Vesta, en leur offrant avant toute autre divinité, du vin & de l'encens. Héliogabale ordonna cependant qu'on adressât la préface des prieres au dieu Héliogabale. Domitien voulut aussi qu'on les commençat en s'adressant à Pallas, dont il se disoit fils, selon le témoignage de Philostrate. Toutefois les Romains restituerent cet honneur à Janus & à Vesta.

Après cette courte préface, l'officiant faisoit une longue oraison au dieu à qui il adressoit le sacrifice, & ensuite à tous les autres dieux qu'on conjuroit d'être propices à ceux pour lesquels on offroit le sacrifice, d'assister l'empire, les empereurs, les principaux ministres, les particuliers, & l'état en général. C'est ce que Virgile a religieusement observé dans la priere qui fut faite à Hercule par les Saliens, ajoutant, après avoir rapporté ses belles actions :

Salve vera Jovis proles, decus addite divis,

Et nos & tua dexter adi pede sacra secundo.

Aeneid. l. VIII.

Apulée rend à la déesse Isis une action de grace qui mérite d'être ici rapportée, à cause de sa singularité.

Tu quidem sancta & humani generis sospitatrix perpetua, semper fovendis mortalibus munifica, dulcem matris affectionem miserorum casibus tribuis, nec dies, nec quies ulla, ac ne momentum quidem tenue tuis transcurris beneficiis otiosum, quâ mari terrâque protegas homines, & depulsis vitae procellis salutarem porrigas dexteram, quâ fatorum etiam inextricabiliter contorta retractas licia, & fortunae tempestates mitigas, & stellarum varios meatus cohibes.

Te superi colunt, observant inferi, tu rotas orbem, luminas solem, regis mundum, calcas tartarum ; tibi respondent sidera, redeunt tempora, gaudent numina, serviunt elementa, tuo nutu spirant flumina, nutriunt nubila, germinant semina, crescunt gramina. Tuam majestatem perhorrescunt aves coelo meantes, ferae montibus errantes, serpentes solo latentes, belluae, ponto natantes.

At ego referendis laudibus tuis exilis ingenio, & adhibendis sacrificiis tenuis patrimonio. Nec mihi vocis ubertas, ad dicenda quae de tuâ majestate sentio, sufficit, nec ora mille, linguaeque totidem, vel indefensi sermonis aeterna series. Ergo quod solùm potest religiosus quidem, sed pauper, alioquin efficere curabo, divinos tuos vultus, numenque sanctissimum, intra pectoris mei secreta conditum, perpetuò custodiens, imaginabor.

Ces prieres se faisoient debout, tantôt à voix basse, & tantôt à voix haute ; ils ne les faisoient assis que dans les sacrifices pour les morts.

Multis dum precibus Jovem salutat,

Stans summos resupinus usque in ungues.

Mart. l. XII. épigr. 78.

Virgile dit :

Luco tùm fortè parentis,

Pilumni Turnus sacratâ valle sedebat.

Aeneid. l. IX.

Le prêtre récitoit ensuite une espece de prône, pour la prospérité des empereurs & de l'état, comme nous l'apprenons d'Apulée, livre II. de l'âne d'or. Après, dit-il, qu'on eut ramené la procession dans le temple de la déesse Isis, un des prêtres appellé grammateus, se tenant debout devant la porte du choeur, assembla tous les pastophores, & montant sur un lieu élevé, prit son livre, lut à haute voix plusieurs prieres pour l'empereur, pour le sénat, pour les chevaliers romains, & pour le peuple, ajoutant quelque instruction sur la religion : Tunc ex iis quem cuncti grammateum vocabant, pro foribus assistens, caetu pastophorum (quod sacro sancti collegii nomen est) velut in concionem vocato, indidem de sublimi suggestu, de libro, de litteris faustâ voce praefatus principi magno, senatuque, equiti, totique populo, noticis, navibus, &c.

Ces cérémonies finies, le sacrificateur s'étant assis, & les victimaires étant debout, les magistrats ou les personnes privées qui offroient les prémices des fruits avec la victime, faisoient quelquefois un petit discours ou maniere de compliment ; c'est pour cela que Lucien en fait faire un par les ambassadeurs de Phalaris aux prêtres de Delphes, en leur présentant de sa part un taureau d'airain, qui étoit un chef-d'oeuvre de l'art.

A mesure que chacun présentoit son offrande, il alloit se laver les mains en un lieu exprès du temple, pour se préparer plus dignement au sacrifice, & pour remercier les dieux d'avoir bien voulu recevoir leurs victimes. L'offrande étant faite, le prêtre officiant encensoit les victimes, & les arrosoit d'eau lustrale ; ensuite remontant à l'autel, il prioit à haute voix le dieu d'avoir agréables les victimes qu'il lui alloit immoler pour les nécessités publiques, & pour telles ou telles raisons particulieres ; & après cela le prêtre descendoit au bas des marches de l'autel, & recevoit de la main d'un des ministres, la pâte sacrée appellée mola salsa, qui étoit de farine d'orge ou de froment, pâitrie avec le sel & l'eau, qu'il jettoit sur la tête de la victime, répandant par-dessus un peu de vin ; cette action se nommoit immolatio, quasi molae illatio, comme un épanchement de cette pâte, mola salsa, dit Festus, vocatur far totum, & sale sparsum, quo deo molito hostiae aspergantur.

Virgile a exprimé cette cérémonie en plusieurs endroits de son poëme ; par exemple,

Jamque dies infanda aderat mihi sacra parari,

Et salsae fruges, & circùm tempora vittae.

Eneïd. l. II.

Le prêtre ayant répandu des miettes de cette pâte salée sur la tête de la victime, ce qui en constituoit la premiere consécration, il prenoit du vin avec le simpule, qui étoit une maniere de burette, & en ayant gouté le premier, & fait gouter aux assistans, il le versoit entre les cornes de la victime, & prononçant ces paroles de consécration, mactus hoc vino inferio esto, c'est-à-dire que cette victime soit honorée par ce vin, pour être plus agréable aux dieux. Cela fait il arrachoit des poils d'entre les cornes de la victime, & les jettoit dans le feu allumé.

Et summa scarpens media inter cornua setas,

Ignibus imponit sacris.

Il commandoit ensuite au victimaire de frapper la victime, & celui-ci l'assommoit d'un grand coup de maillet ou de hache sur la tête : aussi-tôt un autre ministre nommé popa, lui plongeoit un couteau dans la gorge, pendant qu'un troisieme recevoit le sang de l'animal, qui sortoit à gros bouillons, dont le prêtre arrosoit l'autel.

Supponunt alii cultros, tepidumque cruorem

Suscipiunt pateris. Virgile.

La victime ayant été égorgée, on l'écorchoit, excepté dans les holocaustes, où on brûloit la peau avec l'animal ; on en détachoit la tête, qu'on ornoit de guirlandes & de festons, & on l'attachoit aux piliers des temples, aussi-bien que les peaux, comme des enseignes de la religion, qu'on portoit en procession dans quelque calamité publique, c'est ce que nous apprend ce passage de Ciceron contre Pison. Et quid recordaris cùm omni totius provinciae pecore compulso, pellicum nomine omnem quaestum illum domesticum paternumque renovasti ? Et encore par cet autre de Festus, pellem habere Hercules fingitur, ut homines cultus antiqui admoneantur ; lugentes quoque diebus luctûs in pellibus sunt.

Ce n'est pas que les prêtres ne se couvrissent souvent des peaux des victimes, ou que d'autres n'allassent dormir dessus dans le temple d'Esculape, & dans celui de Faunus, pour avoir des réponses favorables en songe, ou être soulagés dans leurs maladies, comme Virgile nous en assure par ces beaux vers.

Huc dona sacerdos

Cum tulit & caesarum ovium sub nocte silenti

Pellibus incubuit stratis, somnosque petivit ;

Multa modis simulacra videt volitantia miris,

Et varias audit voces, fruiturque deorum

Colloquio, atque imis acheronta affatur avernis.

Hic & tum pater ipse petens responsa Latinus,

Centum lanigeras mactabat ritè bidentes,

Atque harum effultus tergo, stratisque jacebat

Velleribus. Eneïde, l. VII. v. 86.

Lorsque le prêtre a conduit les victimes à la fontaine, & qu'il les y a immolées, il en étend pendant la nuit les peaux sur la terre, se couche dessus & s'y endort. Alors il voit mille fantômes voltiger autour de lui ; il entend différentes voix ; il s'entretient avec les dieux de l'olympe, avec les divinités même des enfers. Le roi pour s'éclaircir sur le sort de la princesse, sacrifia donc dans cette forêt cent brebis au dieu Faune, & se coucha ensuite sur leurs toisons étendues.

Cappadox, marchand d'esclaves, se plaint dans la comédie de Plaute intitulée Curculio, qu'ayant couché dans le temple d'Esculape, il avoit vu en songe ce dieu s'éloigner de lui ; ce qui le fait résoudre d'en sortir, ne pouvant espérer de guérison.

Migrare certum est jam nunc è fano foras.

Quandò Aesculapi ita sentio sententiam :

Ut qui me nihili faciat, nec salvum velit.

On ouvroit les entrailles de la victime ; & après les avoir considérées attentivement pour en tirer des présages, selon la science des aruspices, on les saupoudroit de farine, on les arrosoit de vin, & on les présentoit aux dieux dans des bassins, après quoi on les jettoit dans le feu par morceaux, reddebant exta diis : de-là vient que les entrailles étoient nommées porriciae, quod in arae foco ponebantur, diisque porrigebantur : de-sorte que cette ancienne maniere de parler, porricias inferre, veut dire, présenter les entrailles en sacrifice.

Souvent on les arrosoit d'huile, comme nous lisons, liv. VI. de l'Eneïde.

Et solida imponit taurorum viscera flammis,

Pingue super oleum fundens ardentibus extis.

Quelquefois on les arrosoit de lait & du sang de la victime, particulierement dans les sacrifices des morts, ce que nous apprenons de Stace, l. VI. de la Thébaïde.

Spumantisque mero paterae verguntur & atri

Sanguinis, & rapti gratissima cymbia lactis.

Les entrailles étant consumées, toutes les autres cérémonies accomplies, ils croyoient que les dieux étoient satisfaits, & qu'ils ne pouvoient manquer de voir l'accomplissement de leurs voeux ; ce qu'ils exprimoient par ce verbe, litare, c'est-à-dire tout est bien fait ; & non litare au contraire, vouloit dire qu'il manquoit quelque chose à l'intégrité du sacrifice, & que les dieux n'étoient point appaisés. Suétone parlant de Jules-César, dit qu'il ne put jamais sacrifier une hostie favorable le jour qu'il fut tué dans le sénat. Caesar victimis caesis litare non potuit.

Le prêtre renvoyoit le monde par ces paroles, I licet dont on se servoit pareillement à la fin des pompes funebres & des comédies, pour congédier le peuple, comme on le peut voir dans Térence & dans Plaute. Les Grecs se servoient de cette expression pour le même sujet, , & le peuple répondoit feliciter. Enfin on dressoit aux dieux le banquet ou le festin sacré, epulum ; on mettoit leurs statues sur un lit, & on leur servoit les viandes des victimes offertes ; c'étoit là la fonction des ministres des sacrifices, que les Latins nommoient epulones.

Il résulte du détail qu'on vient de lire, que les sacrifices avoient quatre parties principales ; la premiere se nommoit libatio, la libation, ou ce léger essai de vin qu'on faisoit avec les effusions sur la victime ; la seconde immolatio, l'immolation, quand après avoir répandu sur la victime des miettes d'une pâte salée, on l'égorgeoit ; la troisieme étoit appellée redditio, quand on en offroit les entrailles aux dieux ; & la quatrieme s'appelloit litatio, lorsque le sacrifice se trouvoit accompli, sans qu'il y eût rien à y redire.

Je ne dois pas oublier de remarquer qu'entre les sacrifices publics, il y en avoit qu'on nommoit stata, c'est-à-dire fixes, immobiles, qui se faisoient tous les ans à un même jour ; & d'autres extraordinaires nommés indicta, indiqués, parce qu'on les ordonnoit extraordinairement pour quelque occasion importante & inopinée ; mais les curieux trouveront de plus grands détails dans Stuckius, de sacrificiis veterum, & dans d'autres auteurs qui ont traité cette matiere à fond. Voyez aussi les articles HOSTIE & VICTIME.

Je n'ajouterai qu'un mot sur les sacrifices des Grecs en particulier. Ils distinguoient quatre sortes de sacrifices généraux ; savoir, 1°. les offrandes de pure volonté, & qu'on faisoit en conséquence d'un voeu, en grec , ou , comme pour le gain d'une victoire ; c'étoit encore les prémices des fruits offerts par les laboureurs, pour obtenir des dieux une abondante récolte ; 2°. l'offrande propiciatoire, , pour détourner la colere de quelque divinité offensée, & tels étoient tous les sacrifices d'usage dans les expiations ; 3°. les sacrifices supplicatoires, , pour le succès de toutes sortes d'entreprises ; 4°. les sacrifices expressément ordonnés par tous les prophetes ou oracles qu'on venoit consulter, . Quant aux rites de tous ces divers sacrifices, il faut consulter Potter, Archoeol. graec. tom. I. p. 209. & suivantes.

Pour ce qui regarde les sacrifices humains j'en déchargerai la lettre S, qui sera fort remplie, & je porterai cet article au mot VICTIME HUMAINE. (D.J.)

SACRIFICES DES HEBREUX, (Critiq. sacrée) avant la loi de Moïse, la matiere des sacrifices, la qualité, les circonstances, le ministere, tout étoit arbitraire. On offroit les fruits de la terre, la graisse ou le lait des animaux, le sang ou la chair des victimes. Chacun étoit prêtre ou ministre de ses propres sacrifices, ou c'étoit volontairement qu'on déféroit cet honneur aux plus anciens, aux chefs de famille, & aux plus gens de bien. La loi fixa aux Juifs ce qu'ils devoient offrir, & la maniere de le faire ; & elle déféra à la seule famille d'Aaron le droit de sacrifier.

Les Hébreux avoient deux sortes de sacrifices, les sanglans & les non sanglans. Il y en avoit trois de la premiere espece ; 1°. l'holocauste, l'hostie pacifique, & le sacrifice pour le péché. Dans l'holocauste, la victime étoit brûlée en entier, sans que le prêtre ni celui qui l'offroit pussent en rien réserver, Lévit. j. 13. parce que ce sacrifice étoit institué pour être une reconnoissance publique de la suprême majesté devant qui tout s'anéantit, & pour apprendre à l'homme qu'il doit se consacrer entierement & sans réserve à celui de qui il tient tout ce qu'il est. 2°. L'hostie pacifique étoit offerte pour rendre grace à Dieu, ou pour lui demander quelque bienfait, ou pour acquiter un voeu ; on n'y brûloit que la graisse & les reins de la victime, la poitrine & l'épaule droite étoient pour le prêtre, & le reste appartenoit à celui qui avoit fourni la victime. Il n'y avoit point de tems marqué pour ce sacrifice ; on l'offroit quand on vouloit, & la loi n'avoit rien ordonné sur le choix de l'animal ; il falloit seulement que la victime fût sans défaut. Lév. iij. 1. 3°. Dans le sacrifice pour le péché, le prêtre avant que de répandre le sang de la victime au pié de l'autel, trempoit son doigt, & en touchoit les quatre cornes de l'autel. Celui pour qui le sacrifice étoit offert n'en remportoit rien ; on en faisoit brûler la graisse sur l'autel. La chair étoit toute entiere pour les prêtres, & devoit être mangée dans le lieu saint, c'est-à-dire dans le parvis du tabernacle. Deutéron. xxvij. 7. Si le prêtre offroit pour ses péchés ou pour ceux de tout le peuple, il faisoit sept fois l'aspersion du sang de la victime devant le voile du sanctuaire, & répandoit le reste au pié de l'autel des holocaustes. Lév. iv. 6.

On employoit cinq sortes de victimes dans ces sacrifices, des vaches, des taureaux ou des veaux, des brebis ou des béliers, des chevres ou des boucs, des pigeons, des tourterelles ; & on ajoutoit à la victime immolée qu'on faisoit brûler sur l'autel, une offrande de gâteaux cuits au four ou sur le gril, ou frits sur la poele ; ou une certaine quantité de fleur de farine, avec de l'huile, de l'encens, du vin, & du sel.

Cette oblation qui accompagnoit presque toujours le sacrifice sanglant, pouvoit être faite seule, sans être précédée de l'effusion du sang, & c'est ce qu'on appelloit sacrifice non sanglant ; on l'offroit à Dieu comme principe & auteur de tous les biens. On y employoit l'encens, dont la flamme par l'odeur agréable qu'elle répand, étoit regardée comme le symbole de la priere, & des saints désirs de l'ame. Moïse défendit qu'on y mêlât le vin & le miel, figure de tout ce qui peut corrompre l'ame par le péché, & l'amollir par les délices. Le prêtre prenant une poignée de cette farine arrosée d'huile, avec l'encens, les répandoit sur le feu de l'autel, & tout le reste étoit à lui. Il devoit manger la farine sans levain dans le tabernacle, & nul autre que les prêtres n'avoit droit d'y toucher.

Il y avoit encore des sacrifices où la victime demeuroit vivante & en son entier, tels que le sacrifice du bouc émissaire au jour de l'expiation, & le sacrifice du passereau pour la purification d'un lépreux. Le sacrifice perpétuel, est celui où l'on immoloit chaque jour sur l'autel des holocaustes deux agneaux, l'un le matin, lorsque le soleil commençoit à éclairer, & celui du soir, lorsque les ombres commençoient à s'étendre sur la terre ; voilà quels étoient les sacrifices des Hébreux.

Tertullien en a fort bien indiqué l'origine ; ce n'est pas, dit-il, que Dieu se souciât de ces sacrifices, mais Moïse les institua pour ramener les Juifs de la multitude des dieux qui étoient alors adorés, à la connoissance du seul véritable. Dieu a commandé à vos peres, dit Justin martyr à Tryphon, de lui offrir des oblations & des victimes, non qu'il en eût besoin, mais à cause de la dureté de leurs coeurs, & de leur penchant à l'idolâtrie. (D.J.)

SACRIFICES des chrétiens, (Critique sacrée) S. Paul, Hébr. ch. xiij. nous les indique en deux mots, louanges du seigneur, confession de son nom, bénéficence & communion. En voici le commentaire par Clément d'Alexandrie, Strom. l. VIII. p. 729. Les sacrifices du chrétien éclairé sont les prieres, les louanges de Dieu, les lectures de l'Ecriture-sainte, les pseaumes & les hymnes. Mais n'a-t-il point encore, ajoute-t-il, d'autres sacrifices ? Oui, il connoît la libéralité & la charité ; qu'il exerce l'une à l'égard de ceux qui ont besoin de secours temporels, l'autre à l'égard de ceux qui manquent de lumieres & de connoissances. (D.J.)


SACRIFICIOSISLA DE LOS, (Géog. mod.) en françois l'île des sacrifices, & plus communément la baye du sacrifice ; petite île de la nouvelle Espagne, dans le golfe du Méxique, auprès de la Vera-Cruz. (D.J.)


SACRIFIERv. act. (Gram.) offrir en sacrifice. Voyez l'article SACRIFICE. Il se prend aussi au figuré. Je me suis sacrifié pour elle. Il m'a sacrifié à son ambition. Je lui ai sacrifié toutes mes fantaisies.


SACRILEGE(jurisprud.) ce terme pris dans sa signification générale s'entend de toute profanation de choses saintes ou dévouées à Dieu. Mais dans l'usage ce terme s'entend principalement des profanations qui se commettent à l'égard des hosties & vases sacrés, des sacremens, des images & reliques des saints & des églises.

La profanation des hosties & vases sacrés est ordinairement punie de la peine du feu avec l'amende-honorable & le poing coupé.

Celle des sacremens est aussi punie du feu ; quelquefois les prêtres sont condamnés à la potence & ensuite brûlés.

La peine de la profanation des images & reliques des saints & des églises est plus ou moins grave ; quelquefois elle est punie de mort, & même du feu, suivant les circonstances. Voyez DIMANCHE, ÉGLISES, FETES, IMAGES, PROFANATION, RELIQUES, SACREMENS, SEPULCRE, SERVICE DIVIN, TOMBEAUX, VASES SACRES. Voyez l'institut au droit criminel de M. de Vouglans, tr. des crimes, tit. 1. ch. ij. (A)

SACRILEGE, (Critique sacrée) sacrilegium ; mot formé de sacra & de legere, ramasser, dérober les choses sacrées. Sacrilege est donc le larcin des choses saintes ; & celui qui les vole, se nomme aussi sacrilege, sacrilegus. Il est dit au II. des Macch. iv. 39. que Lysimachus commit plusieurs sacrileges dans le temple, dont il emporta beaucoup de vases d'or.

Le mot de sacrilege se prend encore dans l'Ecriture, pour la profanation d'une chose, d'un lieu sacré par l'idolâtrie ; c'est ainsi qu'est nommée l'action par laquelle les Israëlites, pour plaire aux filles madianites, se laisserent entraîner à l'adoration de Béel-phégor. Nomb. xxv. 18.

Comme les sacrileges choquent la religion, leur peine doit être uniquement tirée de la nature de la chose ; elle doit consister dans la privation des avantages que donne la religion, l'expulsion hors des temples, la privation de la société des fideles pour un tems ou pour toujours ; la fuite de leur présence, les exécrations, les détestations, les conjurations. Mais si le magistrat va rechercher le sacrilege caché, il porte une inquisition sur un genre d'action où elle n'est point nécessaire ; il détruit la liberté des citoyens en armant contr'eux le zèle des consciences timides, & celui des consciences hardies. Le mal est venu de cette fausse idée, qu'il faut venger la divinité ; mais il faut faire honorer la divinité, & ne la venger jamais ; c'est une excellente réflexion de l'auteur de l'esprit des loix. (D.J.)


SACRIMA(Littérat.) nom que donnoient les Romains au vin nouveau qu'ils offroient à Bacchus, en reconnoissance de la recolte abondante qu'ils avoient obtenue par sa protection. Pitiscus.


SACRISTAINS. m. terme d'Eglise ; officier ecclésiastique qui a le soin & la garde des vases & des ornemens sacrés ; mais le premier sacristain dans l'église romaine, est celui de la chapelle du pape, dont l'office est annexé à l'ordre des hermites de S. Augustin. C'est ainsi qu'Alexandre VI. l'a ordonné par une bulle de l'an 1497, sans qu'il soit même nécessaire que ledit religieux soit dans la prélature. Cependant depuis longtems le pape donne un évêché in partibus à celui auquel il confere cet office ; & quand même il ne seroit point évêque, il peut porter le mantelet & la mosette à la maniere des prélats de Rome. Ce sacristain prend le titre de préfet de la sacristie du pape. Il a en sa garde tous les ornemens, les vases d'or, d'argent, & les reliquaires de cette sacristie. Il distribue aux cardinaux les messes qu'ils doivent célebrer solemnellement, mais ce n'est que d'après l'aveu du premier cardinal prêtre, qui en est proprement le distributeur. Il dit tous les jours la messe aux cardinaux, & leur administre les sacremens ainsi qu'aux conclavistes. (D.J.)


SACRISTIES. f. (Hist. ecclés.) c'est un endroit attenant les anciennes églises, où l'on serre les habits sacrés, les vases, & les autres ornemens de l'autel.

Ce mot est grec ; il est formé de , je sers, à cause que l'on y prenoit tout ce qui étoit d'usage pour le service divin. On l'appelloit aussi , & en latin salutatorium, parce qu'en cet endroit l'évêque recevoit & saluoit les étrangers. Quelquefois aussi il étoit appellé ou , mensa, table, à cause qu'il y avoit des tables sur lesquelles on mettoit les ornemens sacrés, ou , une sorte d'hôtellerie ou de maison dans laquelle on logeoit des soldats.

Le premier concile de Laodicée, dans le 21 St. canon, défend aux prêtres de vivre dans la sacristie, , ou de toucher aux ustensiles sacrés. Une ancienne version latine de ces canons se rend par les mots in secretario ; mais la copie qui en est à Rome, aussi-bien que Denis le Petit, retiennent le mot diaconicon en latin. Il est vrai que Zonaras & Balsamon entendent cette expression dans le 21 St. canon, de l'ordre d'un diacre, & non pas d'un bâtiment. Leo Allatius suit cette opinion dans son traité de templis graecorum ; mais tous les autres interprêtes s'accordent à prendre ce mot pour l'expression d'une sacristie. Outre les ornemens de sacrificature & de l'autel, l'on y déposoit pareillement les reliques de l'église.


SACRO-COCCYGIENen Anatomie ; nom de deux muscles qu'on appelle aussi coccygiens postérieurs. Voyez COCCYGIEN.


SACRO-LOMBAIREen Anatomie ; nom d'un muscle situé sur le dos entre les angles des côtes & leurs apophyses transverses.

Ce muscle est intimément uni par sa partie inférieure avec le long dorsal, & il en est distingué à sa partie supérieure par une petite ligne graisseuse. Il paroît tendineux extérieurement, & charnu intérieurement. Il s'attache au moyen de son plan tendineux à l'os sacrum à levre externe, & à la portion postérieure de l'os des isles, aux apophyses transverses des lombes par des plans charnus, qui paroissent se détacher du plan tendineux, à la partie inférieure des angles de toutes les côtes, à la tubérosité de la premiere aux apophyses transverses des deux vertebres inférieures du col, par des bandelettes tendineuses, & par des plans charnus qui croisent les tendineuses.

Ce muscle est aussi appellé lumbo-dorsal, & dorsal moyen. Winslow.


SACRO-SCIATIQUEen Anatomie ; nom de deux ligamens qui unissent l'os sacrum avec l'os yschium.


SACROSS. m. (Poids) poids des anciens Arabes répondant à une de nos onces. (D.J.)


SACRUMen Anatomie ; nom d'un os qui est la base & le soutien de toute l'épine du dos, ce qui lui a fait donner aussi le nom d'os basiliaire.

On le divise en partie supérieure, en base, en pointe, en deux bords & en deux faces.

Il paroît composé de plusieurs fausses vertebres, qui vont toujours en décroissant vers la pointe : ces fausses vertebres, dans les jeunes sujets, sont unies ensemble par des cartilages mitoyens, mais le tout s'ossifie dans l'adulte, & elles ne forment plus qu'une seule piece.

La face antérieure est concave, on y observe sur les parties latérales quatre trous, quelquefois cinq.

La face postérieure est convexe & fort inégale. On y remarque sur les parties latérales quatre trous placés vis-à-vis de ceux de la face interne ; dans la partie moyenne une espece d'épine ouverte vers sa partie inférieure.

A la base de l'os sacrum il y a deux apophyses obliques circulaires, qui répondent aux inférieures de la derniere vertebre des lombes ; on y voit la face supérieure du corps de la premiere fausse vertebre, entre la partie postérieure & les apophyses obliques, une échancrure, & une ouverture du canal triangulaire fort applati entre les deux faces, lequel communique avec les trous de l'une & l'autre face ; il est continu avec le grand canal de l'épine du dos.

Les parties latérales de cet os sont un peu évasées par en haut, où l'on voit à chaque côté une grande facette cartilagineuse, semblable à celle de la face interne de l'os iléon avec lequel il est articulé. Voyez ILEON.

L'os sacrum est terminé par le coccyx. Voyez COCCYX.


SADAou ALSADOR, s. m. (Botan. exot.) nom donné par les Arabes au lotus, décrit par Dioscoride & autres anciens. Ce buisson est nommé par quelques-uns acanthus, acanthe, à cause qu'il étoit plein d'épines, plante que plusieurs écrivains ont confondue soit avec l'acanthe ordinaire, soit avec l'acanthe de Théophraste, qui n'étoit autre chose que l'acacia. Le fruit de cet arbre, nommé par Virgile baie d'acanthe, est le nabac des Arabes. Sérapion déclare nettement que le sadar ou l'acanthus de Virgile, est la même plante que le lotus cyrénien d'Hérodote, & que le lotus de Dioscoride. Belon l'a aussi décrit sous le nom de napeca, nom qui dérive probablement du mot arabe nabac. Il dit que c'est un arbuste toujours verd, appellé par quelques écrivains grecs aenoplia. Prosper Alpin dans ses plantes d'Egypte parle du nabeca, comme d'un buisson épineux. Léon l'Africain fait mention du même arbre, qu'il appelle par erreur rabech au lieu de nabech ; il dit que c'est un buisson épineux donnant des fruits semblables à la cerise, mais plus petits, & du goût du zizyphe. Ce sont-là les baies de l'acanthe de Virgile. (D.J.)


SADAVAA(Géog. mod.) bourgade d'Espagne, en Aragon, aux confins de la Navarre, dans une plaine très-fertile, sur la riviere de Riguel, qui se jette dans l'Ebre. Quoique cette bourgade n'ait pas cent feux, elle a titre de ville, des murailles, & le droit d'envoyer des députés aux Cortez.


SADou SASJU, (Géogr. mod.) grande île du Japon, située au nord de cet empire, vis-à-vis des provinces de Jectoju & de Jetsingo. On lui donne trois journées & demie de circuit, & on la divise en trois districts. Elle est très-fertile, ne manque ni de bois, ni de pâturage, & abonde en blé, en ris & en gokokf. La mer la fournit aussi de poisson & d'écrevisses. (D.J.)


SADOURS. m. terme de Pêche, est une sorte de filet tramaillé à l'usage des pêcheurs.

Les trameaux aux poissons que les pêcheurs de Bouin, dans le ressort de l'amirauté du Poitou ou des sables d'Olone nomment sadours, sont ordinairement tannés ; ce sont des vrais trameaux sédentaires d'un calibre beaucoup plus grand, tant pour la nappe, que pour les hameaux, que l'ordonnance ne la fixe pour ces sortes de filets, les mailles des hameaux ou homails ayant dix pouces trois lignes en quarré, & celle de la menue flue, toile ou ret du milieu quinze à huit lignes en quarré, ces trameaux sont flottés en pierres, comme les flottes dont on se sert à pié & avec bateaux.

Les pêcheurs nomment aussi sadours les trameaux qui servent en hiver à faire la pêche des macreuses, & autres especes d'oiseaux marins ; ce sont les alourets & aloureaux des pêcheurs des autres lieux, à la différence que ceux de Bouin sont tramaillés, & les autres simplement toiles. Quand ils sont tendus pour la pêche des oiseaux marins, ils sont sur des perches éloignées les unes des autres de neuf brasses ; on plante les perches suivant le vent, qui doit souffler de maniere qu'il batte toujours la côte.

Le ret a 45 brasses de long ou environ, & une brasse de chûte ; il est tendu de maniere qu'il se trouve élevé de 5 à 6 piés au-dessus de l'eau, afin que de haute mer il soit toujours élevé au-dessus de la marée.

La pêche du sadour commence un peu après la S. Michel, & dure ordinairement jusqu'à Pâque, les vents de mer & les nuits les plus sombres & les plus noires sont les plus avantageuses.

Les trameaux ou sadours de la Limagne, ont la maille de la menue toile, nappe ou ret du milieu de deux pouces six lignes en quarré, & celle des hameaux ou homails de 11 pouces six lignes en quarré, & les plus serrées ont les leurs de onze pouces trois lignes aussi en quarré ; les pêcheurs nomment ces sortes de rets des sadours à gibasse.


SADRASou SADRASTPATAN, (Géog. mod.) ville des Indes, en-deçà du Gange, sur la côte de Coromandel, au midi de S. Thomé, à l'embouchure de la riviere de Palaru. Elle est à l'empereur du Mogol. Long. 100. 30. lat. 12. 40. (D.J.)


SADSINS. m. (Hist. nat. Bot.) plante du Japon, qui est un lychnis sauvage ; elle a ses feuilles comme celles de la giroflée ; sa tige est d'environ un pié de hauteur, & ses fleurs blanches ont cinq pétales. Sa racine est longue de 3 ou 4 pouces, d'un goût fade, qui tire sur celui du panais. Il se trouve des imposteurs japonois qui la vendent pour du ginseng.


SADUCÉEN(Hist. des sectes juiv. & Crit. sacr.) La secte des Saducéens, , étoit une des quatre principales sectes des juifs. Il en est beaucoup parlé dans le nouveau Testament.

Ce fut l'an 263 avant J. C. du tems d'Antigone de Socho, président du grand sanhédrin de Jérusalem, que commença la secte des Saducéens, & lui-même y donna occasion ; car ayant souvent inculqué à ses disciples qu'il ne falloit pas servir Dieu par un esprit mercénaire, pour la récompense qu'on en attendoit, mais purement & simplement par l'amour & la crainte filiale qu'on lui doit ; Sadoc & Baithus, deux de ses éleves, conclurent de-là qu'il n'y avoit point de récompense après cette vie ; & faisant secte à-part, ils enseignerent que toutes les récompenses que Dieu accordoit à ceux qui le servent, se bornoient à la vie présente. Quantité de gens ayant goûté cette doctrine, on commença à distinguer leur secte par le nom de saducéens, pris de celui de Sadoc leur fondateur. Ils différoient des Epicuriens en admettant la puissance qui a créé l'univers, & la providence qui le gouverne ; au lieu que les Epicuriens nioient l'un & l'autre.

Les Saducéens n'étoient d'abord que ce que sont aujourd'hui les Caraïtes, c'est-à-dire qu'ils rejettoient les traditions des anciens, & ne s'attachoient qu'à la parole écrite ; & comme les Pharisiens étoient les zèlés protecteurs de ces traditions, leur secte & celle des Saducéens se trouverent directement opposées. Si les Saducéens s'en étoient tenus là, ils auroient eu toute la raison de leur côté ; mais ils goûterent d'autres opinions impies. Ils vinrent à nier la résurrection & l'existence des anges, & des esprits des hommes après la mort, comme il paroît par Matt. xxij. 23 ; Marc, xij. 18 ; Act. xxiij. 8. Ils reconnoissoient à la vérité, que Dieu avoit créé le monde par sa puissance ; qu'il le gouvernoit par sa providence ; & que pour le gouverner, il avoit établi des récompenses & des peines : mais ils croyoient que ces récompenses & ces peines se bornoient toutes à cette vie, & c'étoit pour cela seul qu'ils servoient Dieu, & qu'ils obéissoient à ses loix. Du reste ils n'admettoient, comme les Samaritains, que le seul Pentateuque pour livre sacré.

Quelques savans, & entr'autres Scaliger, prétendent qu'ils ne rejettoient pas le reste de l'Ecriture ; mais seulement qu'ils donnoient la préférence aux livres de Moïse. Cependant la dispute que l'Evangile rapporte que J. C. eut avec eux, Matt. xxij. Marc, xij. Luc, xx. milite contre l'opinion de Scaliger ; car J. C. ayant en main plusieurs passages formels des prophêtes & des hagiographes, qui prouvent une vie à venir, & la résurrection des morts, on ne sauroit assigner de raison qui l'obligeât à les abandonner, pour tirer de la loi un argument qui n'est fondé que sur une conséquence, si ce n'est parce qu'il combattoit des gens qui rejettoient ces prophêtes & ces hagiographes, & que rien ne convaincroit que ce qui étoit tiré de la loi même.

Les Saducéens différoient aussi des Esséniens & des Pharisiens, sur le libre-arbitre & la prédestination ; car les Esséniens croyoient que tout est prédéterminé dans un enchaînement de causes infaillibles ; & les Pharisiens admettoient la liberté avec la prédestination. Mais les Saducéens, au rapport de Josephe, nioient toute prédestination & soutenoient que Dieu avoit fait l'homme maître absolu de ses actions, avec une entiere liberté de faire, comme il veut, le bien ou le mal, sans aucune assistance pour l'un, ni aucun empêchement pour l'autre. En un mot, cette opinion saducéenne étoit précisément la même que fut celle de Pélage parmi les Chrétiens, qu'il n'y a point de secours de Dieu, ni par une grace prévenante, ni par une grace assistante ; mais que sans ce secours, chaque homme a eu lui-même le pouvoir d'éviter tout le mal que défend la loi de Dieu, & de faire tout le bien qu'elle ordonne.

La secte des Saducéens étoit la moins nombreuse de toutes ; mais elle avoit pour partisans les gens de la premiere qualité, ceux qui avoient les premiers emplois de la nation, & les plus riches. Or comme ils périrent tous à la destruction de Jérusalem par les Romains, la secte saducéenne périt avec eux. Il n'en est plus parlé depuis ce tems-là pendant plusieurs siecles ; jusqu'à ce que leur nom ait commencé à revivre, avec quelques modifications, dans les Caraïtes. (D.J.)


SAEPINUM(Géogr. anc.) ancienne ville d'Italie, au pays des Samnites, près de l'Apennin, à la source du Tamarus, selon Ptolémée, lib. III. c. j. Tite-Live parle du siege de cette place par Papirius. La table de Peutinger fait mention de ce lieu, & le nomme Sepinum, à 12 milles de Sirpium. Pline liv. III. ch. xij. met le peuple saepinates entre les Samnites ; & une inscription dans le recueil de Gruter, fait mention d'eux ; municipes saepinates. C'est aujourd'hui Supino, au comté de Molise, dans le royaume de Naples. (D.J.)


SAEPRUS(Géog. anc.) riviere de l'île de Sardaigne, selon Ptolémée, lib. III. c. iij. qui en met l'embouchure sur la côte orientale. Elle conserve son nom ; c'est encore à présent le Sepro, selon le P. Coroneli. (D.J.)


SAETABIS(Géogr. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, au pays du peuple Contestani, dans les terres. Elle étoit sur une hauteur, comme il paroît par ces vers de Silius Italicus. lib. III. v. 873.

Celsa mittebat Saetabis arce.

Saetabis & telas Arabum sprevisse superba,

Et Pelusiaco filum componere lino.

Ces vers font voir non-seulement que Saetabis étoit au haut d'une colline, mais encore qu'il s'y faisoit des toiles qui surpassoient en finesse & en beauté celles d'Arabie, & que le fil qu'on y employoit, valoit bien celui de Péluse en Egypte.

On y travailloit aussi à des étoffes de laine, & Catulle, épigr. xxv. parle des mouchoirs de ce lieu-là, qu'il nomme sudaria Saetaba. Pline donne le troisieme rang au lin de Saetabis, entre les meilleurs & les plus estimés dans toute l'Europe. On prétend que c'est présentement Xativa.

Saetabes est aussi le nom d'une riviere de l'Espagne tarragonoise, dans les terres, au pays du peuple Contestani, selon Ptolémée, lib. II. c. vj. qui en met l'embouchure entre Alone & Illicitanus portus. Il paroît que c'est aujourd'hui Rio d'Alcoy. (D.J.)


SAETTELE CAP DE, (Géog. mod.) en italien punta della Saetta ; cap du royaume de Naples, sur la côte méridionale de la Calabre ultérieure, à une des extrêmités du mont Apennin, entre le cap delli Armi & celui de Spartivento. C'est le Brutium promontorium des anciens, selon Cluvier. (D.J.)


SAFANI-AL-BAHR(Géog. mod.) c'est-à-dire éponge de mer ; petite île d'Egypte, sur la côte occidentale de la mer Rouge, à 13 lieues au nord de Kossir. Elle n'a que deux lieues de longueur sur un quart de lieue de large. Latit. 27. (D.J.)


SAFARSAFER ou SAPHAR, s. m. (Hist. mod.) second mois des Arabes & des Turcs ; il répond à notre mois d'Octobre.


SAFIE(Géog. mod.) les Africains la nomment Asfi, & les Portugais Asafie ; ville d'Afrique dans la Barbarie, au royaume de Maroc, sur la côte de l'Océan, à l'extrêmité de la province de Duquela. Elle est environnée de murs & de tours, avec un château dont les Portugais ont été maîtres depuis l'an 1507, jusqu'en 1641 qu'ils l'abandonnerent. Plusieurs juifs s'y sont retirés pour le trafic. Le pays d'alentour est fertile en blé & en troupeaux. Long. 9. 38. latit. 32. (D.J.)


SAFRA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne dans l'Estramadoure. Voyez ZAFRA.


SAFRANS. m. (Hist. nat. Bot.) crocus ; genre de plante à fleur liliacée & monopétale ; la partie inférieure est en forme de tuyau qui a un pédicule : ce tuyau s'évase par le haut, & il est divisé en six parties. Le pistil s'éleve du fond de cette fleur, & il se divise en trois filamens, terminés par une sorte de tête & par une aigrette. Le calice de la fleur devient dans la suite un fruit oblong, qui a trois angles & trois loges, & qui renferme des semences arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre que la racine est composée de deux tubercules, dont l'un est plus petit que l'autre. Le plus gros se trouve placé au-dessous du plus petit, & il est charnu & fibreux. Ces deux tubercules sont recouverts d'une enveloppe membraneuse. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

La plante dont on tire ces filamens, est nommée crocus ou crocus sativus, par tous les Botanistes. Sa racine est tubéreuse, charnue, de la grosseur d'une noisette, & quelquefois d'une noix, blanche, douce, double, dont la supérieure est plus petite, l'inférieure plus grosse & chevelue. Elles sont revêtues l'une & l'autre de quelques tuniques arides, roussâtres & en forme de réseau. De cette racine sortent sept ou huit feuilles, longues de 6 & même de 9 pouces, très-étroites & d'un verd foncé. Parmi ces feuilles s'éleve une tige courte, qui soutient une seule fleur en lys, d'une seule piece, blanche, fistuleuse par sa partie inférieure, & divisée en six segmens arrondis, de couleur gris-de-lin.

Il sort du fond de la fleur trois étamines, dont les sommets sont jaunâtres, & un pistil blanchâtre qui se partage comme en trois branches, larges à leur extrêmité supérieure, & découpées en maniere de crête, charnue, d'un rouge foncé, & comme de couleur vive d'oranger, lesquelles sont appellées par excellence du nom de safran. L'embryon qui soutient la fleur, se change en un fruit oblong, à trois angles, partagé en trois loges qui contiennent des semences arrondies.

Le safran croît dans la plûpart des pays, soit chauds, soit froids, en Sicile, en Italie, en Hongrie, en Allemagne, en Irlande, en Angleterre, dans plusieurs provinces de la France, dans la Guienne, dans le Languedoc, aux environs d'Orange, dans la Normandie & le Gâtinois. Le safran du Gâtinois & d'Angleterre passe pour le meilleur du monde, & on le préfere, avec raison, à l'oriental.

Le safran se multiplie commodément & communément par le moyen de ses bulbes, qui croissent tous les ans en grande quantité ; car lorsqu'on en seme la graine, il est plus long-tems à venir. On plante ses bulbes au printems, dans des sillons égaux & éloignés les uns des autres de six pouces. Ces bulbes ne produisent que des feuilles dans l'année où elles ont été plantées, & des fleurs l'année suivante au mois d'Octobre. Les fleurs ne durent qu'un ou deux jours après leur épanouissement. Quand elles sont tombées, il sort des feuilles qui sont vertes pendant l'hiver : elles sechent, se perdent au printems, & ne paroissent jamais pendant l'été.

Il arrive de-là qu'aussitôt que les fleurs du safran s'épanouissent, on les cueille au lever, ou au coucher du soleil, & on sépare les filamens du milieu de la fleur ; ensuite on les nettoie bien, on les seche & on les garde. Quelques jours après la premiere cueillette il s'éleve de nouvelles fleurs, on les cueille de nouveau, cette opération dure près de 30 jours.

Au mois d'Octobre, lorsque la plante fleurit, la racine n'est composée que d'une bulbe ; le printems & l'été suivant, elle en a deux l'une sur l'autre. Car lorsque les feuilles croissent au commencement de la belle saison, la partie supérieure de la racine d'où sortent les feuilles, croît aussi dans le même tems, jusqu'à ce qu'elle soit aussi grosse l'été que l'est la bulbe mere ; alors ayant acquis une constitution solide, pleine & succulente, la bulbe mere devient languissante, sans suc, flasque, & disparoît entierement dans le cours de l'automne : c'est l'image de la vie humaine.

Après que les fleurs sont passées, on retire les bulbes de la terre sur la fin d'Octobre ; on les garde dans un lieu sec sans les couvrir de terre ; on les tient éloignées des rayons du soleil de peur qu'elles ne se sechent, & cependant afin qu'elles murissent davantage, ce que l'on connoît quand les feuilles se fannent. Au retour du printems, on les plante de nouveau dans la terre.

Il est peu de plantes d'un aussi grand usage que le safran ; ses fleurs sont agréables à la vûe & à l'odorat. Son pistil est considéré comme une chose précieuse ; il entre dans les apprêts de cuisine ; il sert aux peintres en miniature ; il fournit aux teinturiers une très-belle couleur, & les Médecins l'employent dans plusieurs maladies. La fanne même & les pétales du safran servent dans les pays où on le cultive, à faire du fourrage pour les bestiaux.

Mais le safran, semblable aux plantes les plus précieuses, est tendre, délicat, & ne peut être conservé que par des soins proportionnés à ses usages ; aussi est-il attaqué de plusieurs maladies, qui toutes ensemble tendent à le détruire : cependant il n'en éprouve aucune plus dangereuse, ni qui lui soit plus nuisible, que celle que les habitans du Gâtinois appellent la mort. En effet, elle tue infailliblement le safran ; & de plus elle paroît contagieuse, & toujours en rond. D'une premiere plante attaquée, le mal se répand à celles d'alentour, selon des circonférences circulaires, & qui augmente toujours. On ne peut arrêter le mal que par des tranchées que l'on fait dans le champ pour empêcher la communication, à-peu-près comme dans une peste. C'est dans le printems, dans le tems de la seve, & lorsque le safran devroit avoir plus de force pour résister au mal, qu'il souffre ses plus grands ravages.

Comme il peut causer des dommages considérables, M. du Hamel, à qui d'ailleurs la simple curiosité de physicien auroit pû suffire, en étudia l'origine, & après un nombre de recherches, car il est très-rare que les premieres aillent droit au but, il la découvrit.

Une plante parasite, qui ne sort jamais de terre, & ne s'y tient guere à-moins de demi-pié de profondeur, se nourrit aux dépens de l'oignon du safran qu'elle fait périr, en tirant toute sa substance. Cette plante est un corps glanduleux ou tubercule, dont il sort des filamens violets, velus & menus comme des fils, qui sont ses racines ; ces racines produisent encore d'autres tubercules, & puisque les plantes qui tracent, tracent en tous sens, & que celle-ci ne peut que tracer, on voit évidemment pourquoi la maladie du safran s'étend toujours à la ronde. Aussi quand M. du Hamel examina un canton de safrans attaqués, il trouva toujours les oignons de ceux qui étoient au centre plus endommagés, plus détruits, & les autres moins, à proportion de leurs distances.

On voit pareillement pourquoi des tranchées rompent le cours du mal ; mais il faut qu'elles soient au moins profondes de demi-pié. Les laboureurs avoient trouvé ce remede sans le connoître, & apparemment sur la seule idée très-confuse de couper la communication d'une plante de safran à une autre. Il faut prendre garde de ne pas renverser la terre de la tranchée sur la partie saine du champ, on y renverseroit la plante funeste.

M. du Hamel a observé qu'elle n'attaque pas seulement le safran, mais encore les racines de l'hyeble, du coronilla flore vario, de l'arrête-boeuf, les oignons de muscari, & elle les attaque, tandis qu'elle ne touche pas au blé, à l'orge, &c. Ce n'est pas tant, comme on le pourroit croire, parce qu'elle fait un certain choix de sa nourriture, que parce qu'il lui est impossible à cause de la profondeur où elle se tient, de rencontrer des plantes dont les racines ou les oignons, ne sont qu'à une profondeur moindre. Hist. de l'acad. 1728. (D.J.)

SAFRAN, (Chymie, Diete & Mat. méd.) ses filamens blanchâtres ou d'un jaune pâle par une de leur extrêmité, & d'un rouge orangé ou purpurin par l'autre, d'une odeur assez agréable quoique forte, d'une saveur amere, &c. que tout le monde connoît sous le nom de safran, sont les étamines des fleurs d'une plante à qui appartient proprement le nom de safran ; mais d'après un usage fort reçu, on a transporté le nom de la plante à la seule de ses parties dont on fasse usage, comme on dit blé au lieu de semence de blé ; navets, au lieu de racines de navets, &c.

On doit choisir le safran récent, en filets larges, rouges, flexibles & gras au toucher, quoique sec, d'une odeur très-aromatique, & on doit rejetter celui qui est pâle & en brins menus, trop secs, peu odorans, ou noirâtre, & ayant l'odeur de moisi. On doit outre cela, monder pour l'usage le safran choisi de la partie de ses filets qui est blanche ou jaunâtre.

Le safran contient un principe aromatique très-abondant, très-expansible, & capable de parfumer une grande quantité d'eau, d'esprit-de-vin, d'huile par expression, &c.

Le safran contient aussi une partie colorante extrêmement divisible, & dont une très-petite portion peut teindre une quantité très-considérable de liquide aqueux ou spiritueux ; car cette substance est également soluble par ces deux menstrues, & n'est point miscible au menstrue huileux.

Enfin le safran contient une matiere fixe, qui est également soluble par l'esprit-de-vin & par l'eau ; ensorte que l'extrait de safran peut également s'obtenir par l'application convenable de l'un ou de l'autre de ces menstrues.

M. Cartheuser observe que le safran ne donne point d'huile essentielle ; ou du-moins qu'il n'a jamais retiré un pareil principe du safran ; car quant à ce que cet auteur ajoute, que si on le distille en une quantité considérable, celle d'une livre par exemple, on pourra obtenir jusqu'à une dragme & demie d'huile essentielle très-aromatique & très-pénétrante ; il ne rapporte ce fait que sur un témoignage d'autrui, sur un oui-dire.

Selon le même auteur, une once de bon safran donne environ six gros & demi de cette matiere également soluble par l'esprit-de-vin & par l'eau dont nous avons déja parlé, & qui est d'une nature véritablement singuliere, ayant, lorsqu'elle n'est rapprochée qu'en consistance médiocrement épaisse, l'aspect d'une huile très-rouge, une odeur très-pénétrante, une saveur amere aromatique très-vive, & étant capable d'être entierement redissoute, nonseulement dans l'eau & dans l'esprit-de-vin, mais même dans l'huile, s'il en faut croire Boerhaave. C'est principalement cette miscibilité à l'huile qui, si elle est réelle, constitue la véritable singularité de cette substance ; ensorte que Boerhaave, qui est prodigieusement enclin à voir dans tous les produits & les phénomenes chymiques, des merveilles, des nouveautés, des prodiges, est pardonnable d'avoir trouvé cet extrait de safran, prorsus singulare quid, quoiqu'il eût bien pû se passer de commenter cette assertion en observant que cet extrait n'étoit ni une huile, ni un esprit, ni une gomme, ni une résine, ni une gomme résine, ni une cire, ni un baume.

Le safran est employé dans les cuisines à titre d'assaisonnement, chez quelques peuples de l'Europe, fort peu en France, du-moins dans les bonnes tables ; mais il est généralement employé comme remede. Il est même placé à ce titre dans le rang le plus distingué. Il est célébré du consentement unanime des Médecins, comme un remede des plus précieux, des plus efficaces, une panacée, ou remede universel. Il a été appellé or végétal, aromate des Philosophes. Boerhaave croit qu'il est le véritable aroph de Paracelse ; ce dernier mot n'est que l'abréviation d'aroma philosophorum.

Les qualités du safran plus reconnues, & pour lesquelles il est plus communément employé, sont les qualités cordiales, stomachiques, utérines, antispasmodiques, apéritives, pectorales, anodines, cicatrisantes.

On le mêle très-communément dans les opiates & les autres compositions cordiales, stomachiques, & sur-tout dans les emmenagogues & hystériques. On l'a souvent mêlé à l'opium, soit dans des compositions officinales, soit dans les prescriptions magistrales. Geoffroi doute si cette addition modere l'effet de l'opium, ou si elle l'augmente.

Entr'autres vertus attribuées au safran, mais beaucoup moins constatées que celles dont nous venons de parler, on doit compter sa qualité pectorale, sa vertu specifique contre la jaunisse, sa qualité lythontriptique, & sa vertu alexipharmaque.

La vertu emmenagogue & hystérique du safran nous paroît aussi beaucoup mieux prouvée par l'observation que par l'expérience d'Amatus Lusitanus, qui rapporte qu'une femme ayant pris pendant sa grossesse un médicament qui contenoit du safran, accoucha de deux filles teintes de couleur jaune ; & par celle de J. F. Hertode, qui rapporte dans sa crocologie, qu'ayant mêlé pendant quelque tems du safran dans les alimens dont il nourrissoit une chienne pleine, il trouva la liqueur de l'amnios & la peau des petits chiens teinte de jaune, tandis que le chyle contenu dans les veines lactées avoit sa couleur blanche ordinaire ; circonstance que M. Cartheuser trouve digne de remarque, & qui prouveroit en effet que le safran a une certaine tendance vers la matrice, si cette expérience étoit réitérée & suffisamment retournée ; car unique & isolée comme elle est, elle ne prouve certainement rien, & ne produit pas même une forte présomption.

Le safran est employé extérieurement comme fortifiant, tonique, résolutif, détersif ; on le mêle assez communément au cataplasme de mica panis que l'on veut animer. Il est fort usité dans les collyres, & sur-tout dans ceux qu'on employe comme préservatifs dans la petite vérole & la rougeole.

Les qualités pernicieuses du safran n'ont pas été moins observées, ni peut-être moins exagérées que ses vertus. Ce qu'on a dit de plus sage, c'est qu'il falloit n'user de ce remede que modérément & à propos ; car cette circonspection est nécessaire dans l'administration de tous les remedes actifs & véritablement efficaces. Sa dose a été fixée pour l'usage intérieur à un scrupule, ou tout au plus à un demi-gros en substance, & celle de sa teinture & de son extrait à proportion. Une plus haute dose a été regardée de tous les tems par les plus graves auteurs comme mortelle.

L'odeur du safran est généralement reconnue pour narcotique & enyvrante. Mille observations, soit écrites, soit répandues par tradition, prouvent que des personnes qui avoient respiré cette odeur très-concentrée, qui ont été enfermées par exemple, dans des magasins où il y avoit une grande quantité de safran, qui se sont couchées sur une balle de safran, &c. que ces personnes, dis-je, ont contracté des maux de tête très-graves, quelquefois même incurables, ont eu l'esprit troublé, ont été attaquées d'un ris excessif & involontaire, & même sont mortes. Cette vertu singuliere de produire le ris a été aussi attribuée à son usage intérieur, & elle a été mise au nombre de ses propriétés salutaires, pourvû qu'on la contînt dans de justes bornes par une administration ménagée. Boerhaave s'en explique ainsi : moderato usu verum exhibet exhilarans. C'est dommage que cette qualité ne soit pas mieux constatée. Les expériences qui conduiroient à une vraie conviction n'ont certainement rien de rebutant.

Le safran est employé dans un très-grand nombre de préparations officinales, tant destinées à l'usage intérieur qu'à l'usage extérieur ; il est sur-tout un des principaux ingrédiens de l'élixir de propriété de Paracelse, de l'élixir de Garus, & des pilules de Rufus. Nous citons ces remedes par préférence, parce qu'étant très-peu composés, l'efficacité du safran y est plus sensible & plus réelle. Voyez ces articles.

Le safran donne son nom à un emplâtre, savoir l'emplâtre oxicroceum, que nous avons décrit à l'article EMPLATRE. Voyez cet article. (b)

SAFRAN BATARD, (Botanique) par les anciens, kartan par les Arabes, & carthamus par les Latins ; c'est cette espece de safran nommé carthamus officinalis, flore croceo, I. R. H. 457. Cnicus sativus, sive carthamum, C. B. P. 378.

La tige de cette plante est haute d'une coudée & demi, cylindrique, ferme, branchue, garnie de feuilles alternes, & en grand nombre, longues de deux pouces, larges de huit lignes, arrondies à leur base, & embrassant la tige, terminée en pointe aiguë, garnies de côtes & de nervures, lisses, & ayant à leur bord de petites épines un peu roides. Les fleurs naissent en maniere de tête à l'extrêmité des rameaux. Leur calice est composé d'écailles & de petites feuilles, duquel s'élevent plusieurs fleurons, longs de plus d'un pouce, d'un beau rouge de safran, foncés & découpés en cinq parties.

Les embryons des graines n'ont point d'aigrettes ; & lorsqu'elles sont parvenues à leur maturité, elles sont très-blanches, lisses, luisantes, longues de trois lignes, plus pointues à l'extrêmité inférieure, marquées de quatre angles ; elles contiennent sous une écorce un peu dure, & comme cartilagineuse, une espece d'amande blanchâtre, d'une saveur d'abord douçâtre, ensuite âcre, & qui cause des nausées.

Les fleurs paroissent dans le mois d'Août ; les graines sont mûres en automne. On cultive cette plante dans quelques provinces de France, d'Italie & d'Espagne, non-seulement pour l'usage de la Médecine, mais encore pour la teinture.

On estime les graines récentes, luisantes, blanches, quoique quelques-uns ne rejettent pas celles qui tirent sur le roux, celles dont la moëlle est blanche, grasse, & qui étant jettées dans l'eau, vont au fond ; mais il ne faut jamais employer celles qui sont flasques, moisies, cariées, rousses. On ne se sert que de la moëlle, & on rejette l'écorce.

La graine de carthame, que quelques-uns appellent aussi graine de perroquet, parce que les perroquets la mangent avec avidité, & s'en engraissent sans en être purgés, est un purgatif pour les hommes. Elle est remplie d'une huile âcre, à laquelle on doit rapporter sa vertu purgative. Les Médecins la donnent en émulsion ; quelques-uns la mêlent avec des décoctions, & tous tâchent d'en corriger les défauts par des remedes aromatiques ou stomachiques ; mais le plus sûr est de n'en point faire usage. (D.J.)

SAFRAN BATARD, voyez CARTHAME.

SAFRAN DES INDES, (Botan. exot.) Le safran, ou souchet des Indes, est appellé crocus indicus, Arabibus curcuma par Bontius. C'est une petite racine oblongue, tubéreuse, noueuse, de couleur jaune, ou de safran, & donnant la couleur jaune aux liqueurs dans lesquelles on l'infuse ; son goût est un peu âcre & amer ; son odeur est agréable, approchante de celle du gingembre, mais elle est plus foible.

La plante qui pousse cette racine, est nommée par Bontius, curcuma foliis longioribus & acutioribus ; & dans le jardin de Malabar, maniella kua. Tournefort a fait une erreur en la rangeant parmi les especes de cannacorus ; M. Linnaeus la caractérise ainsi :

Son calice est formé par plusieurs spates partiales, simples, & qui tombent ; la fleur est un pétale irrégulier, dont le tuyau est fort étroit. Le pavillon est découpé en trois parties, longues, aiguës, évasées & écartées. Le nectarium est d'une seule piece, ovale, terminée en pointe, plus grande que les découpures du pétale, auquel il est uni dans l'endroit où ce pétale est le plus évasé. Les étamines sont au nombre de cinq, dont quatre sont droites, grêles, & ne portent point de sommets ; la cinquieme, qui est plantée entre le nectarium, est longue, très-étroite, ayant la forme d'une découpure du pétale, & partagée en deux à son extrêmité, près de laquelle se trouve le sommet. Le pistil est un embryon arrondi qui supporte la fleur, & pousse un stile de la longueur des étamines, surmonté d'un stygma simple & crochu. Le péricarpe ou le fruit, est cet embryon qui devient une capsule arrondie à trois loges séparées par des cloisons ; cette capsule contient plusieurs graines.

La racine du safran des Indes meurit, & se retire de la terre après que ses fleurs se sont séchées. Cette plante est fort cultivée dans l'orient, pour l'usage de sa racine, qui sert à assaisonner la plûpart des mets ; ils usent aussi des fleurs pour en faire des pommades dont ils se frottent le corps. On regarde encore le safran des Indes comme un grand remede pour provoquer les regles, faciliter l'accouchement, & sur-tout pour la guérison de la jaunisse. Enfin les Indiens l'employent souvent dans la teinture.

Il y a une autre espece de safran des Indes que l'on surnomme rond, & que les Portugais nomment raiz de safrao : on ne le trouve pas dans les boutiques. C'est une racine tubéreuse, un peu ronde, plus grosse que le pouce, compacte, charnue, chevelue au-dehors, jaune en-dedans. Cette racine étant coupée transversalement a différens cercles, jaunes, rouges, de couleur de safran, elle imite le safran & le gingembre par son goût & son odeur, qui sont cependant plus foibles que dans le curcuma long ; elle a aussi les mêmes vertus, mais plus foibles. Cette plante qu'on appelle curcuma radice rotundâ dans l'Hort. malab. a les feuilles, les fleurs & les fruits semblables à la précédente. (D.J.)

SAFRAN DES INDES, (Mat. méd.) Voyez CURCUMA.

SAFRAN DE MARS, (Mat. méd.) Voyez MARS.

SAFRAN DE L'ETRAVE, (Marine) piece de bois qu'on attache depuis le dessous de la gorgere jusque sur le rinjot, & qui sert à faire venir le vaisseau au vent, lorsque par défaut de construction, il y vient difficilement. Cela s'appelle donner la pince d'un vaisseau.

SAFRAN, (Charpent.) c'est la planche qui est à l'extrêmité du gouvernail d'un bateau-foncet, sur laquelle sont attachées les barres qui soutiennent les planches de remplage. (D.J.)


SAFRANIERES. f. (Agriculture) plantation de safran dans un lieu préparé & choisi exprès pour sa culture ; on donne ordinairement trois labours par an à la safraniere : le premier quand on le plante, ou s'il est déja planté au printems, quand les feuilles tombent ; le second sur la fin de Juillet, & le troisieme au commencement de Septembre. On choisit de donner le dernier labour par un beau tems, & de ne pas offenser les oignons en labourant.

Une safraniere ainsi ménagée, dure trois années dans sa vigueur ; elle pourroit même continuer à rapporter pendant neuf ans, pourvû qu'on eût soin de la labourer, de la sarcler & de l'amander ; mais il vaut mieux après trois ans de production, lever hors de terre les oignons & les cayeux qu'ils ont produits pour les planter ailleurs, & vendre le surplus. Sitôt que les oignons sont hors de terre, on doit les mettre à l'ombre dans un endroit qui ne soit point humide. Il ne faut jamais les replanter dans l'endroit d'où on les a tirés, parce que la terre est usée ; il s'agit au contraire de la réparer & de la bien fumer.

Plusieurs cultivateurs partagent en quatre ce qu'ils ont de terre à mettre en safran ; ils garnissent les derniers quartiers des oignons & cayeux qu'ils retirent des premiers ; & comme ils ne fleurissent pas tous en même tems, ils ont plus de commodité à cueillir le safran qui refleurit d'un côté pendant que la dépouille se fait de l'autre. (D.J.)


SAFRESAFFRE, ZAFFRE ou SMALTE, s. m. c'est un verre coloré en bleu par le moyen du cobalt, dont on se sert pour faire du bleu d'empoi, & pour peindre en bleu sur la porcelaine, sur la fayance & sur l'émail. Cette substance se débite sous la forme d'une poudre qui est d'un bleu plus ou moins beau ; elle est désignée sous les différens noms de safflor, de smalte, de zaffre, mais elle est plus généralement connue en France sous celui de saffre ou de bleu d'émail.

On a dit à l'article COBALT, que c'étoit ce minéral qui donnoit la couleur bleue que l'on nomme saffri ; on a dit aussi que M. Brandt, savant chymiste Suédois, regardoit cette substance comme un demi-métal particulier, dont le caractere distinctif est de colorer le verre en bleu ; mais depuis la publication du volume qui contient l'article COBALT, plusieurs Chymistes ont fait de nouvelles expériences pour approfondir la nature de ce minéral singulier, & ils en ont porté un jugement tout différent de celui de M. Brandt & des personnes qui ont adopté son sentiment. Cela posé, on a cru devoir rapporter ici les expériences & les idées nouvelles qui ont paru sur ce sujet ; malheureusement, loin d'éclaircir la matiere, elles ne font qu'augmenter nos incertitudes. M. Rouelle, ainsi que quelques autres Chymistes françois, ont cru trouver la confirmation du sentiment de M. Brandt, parce qu'ils ont tiré du safre, c'est-à-dire du verre coloré par le cobalt, une substance parfaitement semblable à un régule semi-métallique, & qui, mêlé de nouveau avec du verre, le coloroit en bleu. Malgré cela, la plûpart des Minéralogistes & Métallurgistes allemands, refusent de regarder le cobalt comme un demi-métal particulier, & prétendent que la substance réguline que l'on tire du cobalt est une combinaison. M. Lehman dans le §. 90 de la nouvelle édition de sa Minéralogie, publiée en allemand à Berlin en 1760, dit que " le cobalt dont on fait la couleur bleue, abstraction faite de l'arsenic qu'il contient, ne peut point donner ni un métal, ni un demi-métal, de quelque façon qu'on s'y prenne, mais en se vitrifiant avec un sel alkali & une terre vitrifiable, il s'en précipite une substance appellée speiss, qui ressemble à un demi-métal, mais qui réellement n'est qu'une combinaison de cuivre, de fer, d'arsenic, & d'une terre propre à colorer en bleu ". Le même auteur ajoute dans le §. 91. " 1°. Que la matiere colorante qui se trouve dans le cobalt qui donne du speiss, est quelque chose de purement accidentel, c'est pour cela qu'elle se sépare de la partie réguline, tant par la vitrification, que par d'autres opérations chymiques ; & même si l'on fait fondre à plusieurs reprises le speiss produit par le cobalt, avec du sel alkali & du sable, il perd à la fin toute sa propriété de colorer en bleu. 2°. On peut s'assurer de la maniere suivante de ce qui entre dans la composition de la matiere réguline du cobalt qui donne le bleu ; pour cet effet, l'on n'a qu'à prendre du prétendu régule de cobalt pur, le faire fondre à plusieurs reprises avec de la fritte de verre, jusqu'à ce qu'il n'en parte plus de fumée, ni d'odeur arsenicale ; alors on n'aura qu'à le remettre de nouveau en régule, en extraire la partie cuivreuse, par le moyen de l'alkali volatil, jusqu'à ce que ce dissolvant ne devienne plus bleu ; enfin, si l'on dissout le résidu dans les acides, & qu'on précipite la dissolution, on ne tardera point à appercevoir le fer ".

M. de Justi, célebre chymiste allemand, très-versé dans la minéralogie, paroît être du même avis que M. Lehman ; il croit que la terre métallique du cobalt qui colore le verre en bleu, est produite par une combinaison du fer avec l'arsenic. Il appuie cette conjecture sur un fait attesté par M. Cramer, qui dit dans sa Docimasie, avoir oui dire que M. Henckel avoit eu le secret de colorer le verre en bleu, en faisant calciner de la limaille d'acier de Styrie. Un des amis de M. de Justi, qui avoit été le disciple de M. Henckel, l'a assuré de la vérité de ce fait, ajoutant même que pour faire cette expérience, il prenoit trois parties de limaille d'acier qu'il mêloit exactement avec une partie d'arsenic, & qu'il faisoit réverberer ce mêlange pendant trois jours, à un feu qui étoit doux au commencement, mais qu'il augmentoit par degrés.

Le même M. de Justi nous apprend, que la manganèse ou magnésie qui est un minéral ferrugineux, si on la joint avec de l'arsenic, & si on la calcine ensuite, devient propre à donner une couleur bleue au verre. Le même auteur parle d'un cobalt noir semblable à la mine d'arsenic noire, qui se trouve dans les terres de la dépendance du duc de Saxe-Cobourg, ainsi qu'au petit Zell, dans la basse-Autriche ; ce cobalt contenoit une grande quantité de fer & devoit sa couleur noire à ce métal, mais il ne contenoit que très-peu, ou même point du-tout d'arsenic ; en mêlant ensemble & faisant calciner ce cobalt noir & ferrugineux avec d'autre cobalt ordinaire, gris & chargé d'arsenic : M. de Justi dit que de ce mêlange, il résultoit une matiere très-propre à colorer le verre en bleu, c'est-à-dire à faire du safre. Il ajoute qu'il n'y a point de cobalt qui ne contienne des parties ferrugineuses plus ou moins abondamment, & il prétend que les cobalts ne sont propres à donner du bleu, que lorsqu'ils contiennent une juste proportion de fer & d'arsenic à la fois ; le cobalt noir du petit Zell donnoit à la vérité tout seul une assez bonne couleur, mais elle devenoit infiniment plus belle, lorsqu'on faisoit calciner ce cobalt avec un autre cobalt très-chargé d'arsenic. De plus, M. de Justi assure qu'il ne s'est point encore trouvé jusqu'ici de cobalt qui ne contint une portion d'argent, d'où il conjecture que l'argent pourroit contribuer à la couleur bleue que produit le cobalt. Telles sont les idées répandues dans différens mémoires sur le cobalt que M. de Justi vient d'insérer dans ses oeuvres Chymiques, publiées en allemand en 1760.

J'ajouterai encore à ces faits, que l'on a donné à M. de Montamy, premier maître d'hôtel de M. le duc d'Orleans, un morceau de cobalt noir trouvé en Espagne, près de la ville d'Aranda, dans la vieille Castille. Cette mine de cobalt calcinée ne donnoit que peu d'indice d'arsenic, cependant M. de Montamy n'a pas laissé d'en tirer un bleu de la plus grande beauté qu'il a employé dans les couleurs pour l'émail, dont il va bientôt enrichir le public. Ce cobalt a donné un bleu très-supérieur à celui des cobalts de Saxe & des autres pays d'Allemagne.

Dans la vie du célebre Becher, on rapporte que ce savant chymiste ayant pris du mécontentement des Saxons, les menaça de faire tomber leurs manufactures de safre, en donnant aux Anglois le secret d'en faire avec du bronze ou de l'alliage métallique dont on fait les cloches, appellé en anglois bell-metal ; peut-être aussi que le bell-metal dont Becher vouloit parler, étoit un minéral qu'il savoit contenir du cobalt.

On peut conclure de tous les faits qui viennent d'être rapportés, que la vraie nature du cobalt n'est point encore parfaitement connue ; que l'on ne connoît point toutes ses mines, & qu'il pourroit y avoir plusieurs manieres de faire du safre. Quoi qu'il en soit, nous allons décrire celle qui se pratique à Schneeberg, en Misnie, qui est l'endroit de toute l'Europe où l'on fait la plus grande quantité de safre, ce qui produit un revenu très-considérable pour l'électeur de Saxe & pour ceux qui sont intéressés dans ces manufactures.

Comme les mines de cobalt qui se trouvent en Misnie sont accompagnées d'une très-grande quantité de bismuth, on est obligé d'en séparer ce demi-métal, qui donnoit une mauvaise couleur au safre. Pour cet effet, on forme une aire, on y place deux longs morceaux de bois, le long desquels on arrange des petits morceaux de bois minces fort proche les uns des autres. On jette la mine par-dessus, on allume le bois lorsqu'il fait du vent, & le bismuth qui est aisé à fondre se sépare de la mine.

Nous ne répéterons point ici ce qui a été dit de la maniere de calciner le cobalt, pour en dégager l'arsenic dont il est abondamment chargé dans la mine ; cette calcination se fait dans un fourneau destiné à cet usage, on étend le cobalt pulvérisé grossiérement sur l'aire de ce fourneau, qui a environ sept piés de long & autant de large. On ne le chauffe qu'avec de bon bois bien sec ; la flamme roule sur le cobalt, que l'on remue de tems en tems avec un rable de fer ; par ce moyen l'arsenic s'en dégage, & il est reçu dans un long tuyau ou dans une cheminée horisontale. Voyez l'article COBALT & la Pl. qui y est citée : on continue cette calcination pendant quatre, cinq, six, & même pendant neuf heures consécutives, suivant que la mine est plus ou moins chargée d'arsenic. Le cobalt grillé se passe par un tamis de fil de laiton, & l'on écrase de nouveau les parties qui n'ont point pû passer au-travers du tamis.

Cependant il faut observer qu'il y a des mines de cobalt qui n'ont pas besoin d'être calcinées, & qui ne laissent pas de donner de très-bon safre ; le cobalt noir, dont nous avons parlé, est dans ce cas, vû qu'il ne s'en dégage que très-peu, ou même point du-tout d'arsenic ; alors le travail est plus facile & moins couteux, puisque l'on épargne les frais & le travail de la calcination.

Le cobalt ayant été calciné & pulvérisé, se mêle avec de la potasse bien purifiée & calcinée dans un fourneau, pour en dégager toutes les ordures & les matieres étrangeres qui peuvent y être jointes. Voyez l'article POTASSE. On y joint encore des cailloux ou du quartz calcinés & pulvérisés, & passés au tamis. Pour pouvoir plus facilement réduire ces cailloux en poudre, on les fait rougir & on les éteint dans l'eau froide à plusieurs reprises ; ce sont-là les trois matieres qui entrent dans la composition du safre. On prend ordinairement parties égales de cobalt, de potasse & de cailloux pulvérisés, cependant il faut consulter la nature du cobalt qui donne, tantôt plus, tantôt moins de couleur ; c'est pourquoi il faut s'assurer d'abord par des essais en petit de la qualité du cobalt, par la couleur qu'il donne, avant que de le travailler en grand. Si l'on n'avoit point de cailloux convenables, on pourroit faire la fritte du verre avec du sable blanc, semblable à celui dont on se sert dans les Verreries.

Lorsqu'on a pris ces précautions, on mêle exactement ensemble la fritte, c'est-à-dire la composition dont on doit faire le safre ; ce mêlange se fait dans des caisses de bois, où il demeure pour en faire usage au besoin.

Le fourneau dont on se sert pour faire fondre le mêlange, ressemble à ceux des verreries ordinaires, il a environ six piés de long, sur trois de large & sur six de haut. Les pots ou creusets dans lesquels on met le mêlange, qui doit faire du verre bleu ou du safre, se placent sur des murs qui sont environ à la moitié de la hauteur du fourneau. L'entrée du fourneau par où l'on y place les creusets se ferme avec une plaque de terre cuite que l'on peut ôter à volonté ; au milieu de cette porte est une petite ouverture qui sert à recuire les essais ou échantillons de la matiere vitrifiée que l'on a puisés dans les creusets au bout d'une baguette de fer ; durant le travail cette ouverture se bouche avec de la terre glaise. Sur chacun des côtés du fourneau sont trois ouvreaux qui servent à mettre la fritte dans les creusets, & à la puiser lorsqu'elle est fondue ; pendant qu'on fait fondre la matiere, on bouche ces ouvreaux à environ un pouce près, & alors ils servent de regîtres au fourneau & donnent un passage libre à l'air. Au-dessous des ouvreaux, il y a encore trois portes ou ouvertures que l'on ne débouche que lorsqu'il y a quelque réparation à faire aux creusets, ou lorsqu'on veut en remettre de nouveaux. Au pié du fourneau est le cendrier & une autre ouverture, qui sert à retirer le verre qui a pû sortir des creusets, que l'on remet à fondre. Les creusets sont faits de bonne terre, on les fait bien sécher dans un fourneau fait exprès, qui est à côté du fourneau de verrerie ; on place six creusets à la fois dans le fourneau ; comme il faut que la chaleur soit très-sorte, on ne le chauffe qu'avec du bois, que l'on a fait sécher presque au point de le réduire en charbon, dans un fourneau qui communique avec le premier ; les buches doivent être minces pour ce travail.

Lorsque le mêlange a été exposé pendant 6 heures à l'action du feu, on le remue dans les creusets avec une baguette de fer ; on continue à faire la même chose de quart-d'heure en quart-d'heure, & on laisse le mêlange exposé au feu encore pendant 6 heures ; ainsi il faut 12 heures pour que la fusion soit parfaite, on n'en emploie que huit lorsqu'on fait du safre commun.

On reconnoît que le safre est assez cuit aux mêmes signes que tout le verre, c'est-à-dire on trempe une baguette de fer dans la matiere fondue ; lorsqu'elle s'attache à la baguette & forme des filamens, c'est un signe que la matiere est assez cuite.

Au bout de ce tems, on puise la matiere fondue qui est dans les creusets avec une cuillere de fer, & on la jette dans des cuves ou dans des baquets pleins d'eau très-pure, afin d'étonner le verre & de le rendre plus facile à s'écraser ; cette opération est très-importante.

Au fond des creusets, dans lesquels on a fait la fonte, il s'amasse du bïsmuth, vu que ce demi-métal accompagne presque toujours les mines de cobalt que l'on trouve en Misnie, & il n'a pu en être totalement séparé par le grillage. Au-dessus de ce bismuth se trouve une matiere réguline, que les Allemands nomment speiss ; cette matiere a été peu connue jusqu'à présent. M. Gellert, dans le tems qu'il a publié sa chymie métallurgique, regardoit le speiss comme un vrai régule de cobalt pur ; il dit qu'en faisant calciner cette matiere, un quintal de cette substance suffit pour colorer en bleu 30 ou 40 quintaux de verre, au lieu que la mine de cobalt grillée de la maniere ordinaire ne peut colorer en bleu que de huit à quinze fois son poids de verre. Voyez la traduction françoise de la chymie métallurgique de M. Gellert, t. I. p. 45. Mais on a appris depuis que M. Gellert s'est retracté sur cet article ; & aujourd'hui avec tous les Métallurgistes saxons, il regarde le speiss comme une combinaison de fer, de cuivre & d'arsenic, & non comme un régule de cobalt.

Voici comment on sépare ce speiss d'avec le bismuth : lorsqu'on laisse éteindre le feu du fourneau, & que l'on veut sacrifier les creusets, on les remplit des résidus qui ont été retirés de ces creusets & qui étoient au fond du verre ; on les fait fondre, alors le bismuth qui est le plus pesant tombe au fond, & le speiss qui est plus leger reste au-dessus ; & lorsque le tout est refroidi, on sépare aisément ces deux substances. Mais la séparation s'en fait encore mieux lorsque l'on allume simplement du feu autour de ces masses régulines qui sont en forme de gâteau, par-là le bismuth qui se dégage est plus pur & se fond plus promtement. Lorsque l'on fait l'extinction du safre dans l'eau, il tombe aussi quelques particules de speiss au fond des cuves, dans lesquelles on éteint le safre dont on sépare ces particules.

Après que le verre bleu a été éteint dans l'eau, on le retire & on le porte pour être écrasé sous les pilons du bocard ; au sortir du pilon, on le passe par un tamis de fils de laiton, & on le porte au moulin. C'est une pierre fort dure, placée horisontalement & entourée de douves, qui forment ainsi une espece de cuve. Au milieu de cette pierre, qui sert de fond à la cuve, est un trou garni d'un morceau de fer bien trempé, dans lequel est porté le pivot d'un aissieu de fer, qui fait tourner verticalement deux meules de pierres ; ces meules servent à écraser & pulvériser encore plus parfaitement le verre bleu ou le safre qui a été tamisé, & qui a été étendu sur le fond de la grande cuve & recouvert avec de l'eau. On broie ainsi ce verre pendant six heures, alors on lâche des robinets qui sont aux côtés de la cuve du moulin, & l'eau, qui est devenue d'une couleur bleue en passant par ces robinets, découle dans des baquets ou seaux qui sont placés au-dessous ; de-là on porte cette eau dans des cuves où elle séjourne pendant quelques heures, par ce moyen la couleur dont elle étoit chargée se dépose peu-à-peu au fond des cuves ; on puise l'eau qui surnage, on la verse dans des auges qui la conduisent à un réservoir où elle acheve de se dégager de la partie colorante dont elle est encore chargée ; l'eau qui surnage dans ce premier réservoir retombe dans un second, & de-là dans un troisieme où elle a le tems de devenir parfaitement claire, & la couleur de se déposer entierement.

On met la couleur qui s'est déposée dans des baquets, où on la lave avec de nouvelle eau pour en séparer les saletés qu'elle peut avoir contractées ; cela se fait en la remuant avec une spatule de bois ; on réïtere ce lavage à plusieurs reprises, après quoi on puise cette eau agitée, on la passe par un tamis de crin fort serré, & cette eau qui a ainsi passé séjourne pendant quelques heures dans un nouveau vaisseau. Au bout de ce tems, on décante l'eau claire, & l'on a du safre qui sera d'une grande finesse & d'une belle couleur.

On étend également cette couleur sur des tables garnies de rebords ; on la fait sécher dans des étuves bien échauffées ; lorsque la couleur est bien seche, on la met dans une grande caisse garnie de toile, où on la sasse au-travers d'un tamis de crin fort serré. L'ouvrier qui fait ce travail est obligé de se bander la bouche avec un linge, pour ne point avaler la poudre fine qui voltige. On met ainsi plusieurs quintaux de safre dans la caisse, on l'humecte avec de l'eau, on le paîtrit avec les mains pour le mouiller également, on le pese ; alors un inspecteur examine si la nuance de la couleur est telle qu'elle doit être ; lorsqu'elle est ou plus claire ou plus foncée qu'il ne faut, il y remédie en mêlant ensemble différens safres, & par-là il donne la nuance requise. Après que cette couleur a été pesée, on l'entasse fortement dans des barrils, sur lesquels on imprime avec un fer chaud une marque, qui indique la qualité du safre qui y est contenu. Les Saxons nomment echel la couleur la plus fine & la plus belle : suivant ses différens degrés de finesse & de beauté, on la désigne par différentes marques ; H E F désigne la plus parfaite ; E F E est d'une qualité au-dessous ; F E est encore inférieure ; M E signifie eschel médiocre ; O E eschel ou couleur ordinaire ; O C marque une couleur claire ordinaire ; O H annonce un bleu vif ; M C claire moyen ; F C couleur fine ; F F C une couleur très-fine. Les barrils ainsi préparés se vendent en raison de la beauté & de la finesse de la couleur, & se transportent dans toutes les parties de l'Europe ; on assure même que les Chinois en ont tiré une grande quantité depuis quelques années.

Telle est la maniere dont on fait le safre en Misnie, où il y en a quatre manufactures qui sont une source de richesse pour le pays. Les Saxons ont fait long-tems un très-grand mystere de ce travail ; le célebre Kunckel est le premier qui en ait donné une description dans ses notes sur l'art de la Verrerie d'Antoine Néri. Depuis, M. Zimmermann en a donné un détail très-circonstancié dans un ouvrage allemand qu'il a intitulé, Académie minéralogique de Saxe ; son mémoire a été traduit en françois, & se trouve à la suite de l'Art de la Verrerie de Néri & de Kunckel, que j'ai publié à Paris en 1752. Cependant il est certain que les Saxons ont toujours fait des efforts pour cacher leur procédé, & jamais ils n'ont communiqué au public les ordonnances & les réglemens de leurs manufactures de safre qui sont de l'année 1617, non plus que les divers changemens qu'on y a faits depuis ce tems.

Quoi qu'il en soit, on fait du safre en Bohème, dans le duché de Wirtemberg, à Ste Marie aux mines en Lorraine, &c. il est vrai que l'on donne la préférence à celui des Saxons ; il y a lieu de croire que cela vient de leur grande expérience, de la bonté du cobalt qu'ils employent, & du choix des matieres dont ils font le verre. Comme le cobalt est une substance minérale qui se trouve très-abondamment presque par-tout où il y a des mines, il est à présumer qu'on réussira aussi-bien que les Saxons en apportant à ce travail la même attention qu'eux. 1°. Il faut bien choisir les cailloux dont on fera la fritte du verre ; souvent des cailloux qui paroîtront parfaitement blancs & purs contiennent des parties ferrugineuses que l'action du feu développe, alors ces cailloux rougiront ou jauniront par la calcination, & ils pourront nuire à la beauté de la couleur du safre ; d'un autre côté, il y a des cailloux qui, quoique naturellement colorés, perdent cette couleur dans le feu, ceux-là pourront être employés avec succès ; on voit par-là qu'il faut s'assûrer par des expériences, de la qualité des cailloux qu'on employera ; au défaut de cailloux, on pourra se servir d'un sable bien blanc & bien pur. 2°. Il faut que la potasse, la soude ou le sel alkali fixe que l'on mêlera dans la fritte du verre soit aussi parfaitement pure. 3°. Il ne faut point négliger l'eau dans laquelle on éteint le verre bleu au sortir du fourneau, afin de pouvoir le pulvériser plus aisément ; si cette eau étoit impure & mêlée de particules étrangeres, elle pourroit nuire à la beauté du safre. En général ce travail exige beaucoup de netteté & de précaution. (-)


SAGAS. f. (Gram. hist.) anciennes histoires du Nord.


SAGACITÉS. f. (Logique) Locke définit la sagacité, une disposition qu'a l'esprit à trouver promtement les idées moyennes qui montrent la convenance ou la dissonance de quelque autre idée, & en même tems à les appliquer comme il faut. (D.J.)


SAGAIES. f. terme de relation, espece de dard ou de javelot des insulaires de Madagascar. Le bois en est long d'environ quatre piés ; il est fort souple, & va toujours en diminuant vers le bout par où on le tient pour le lancer. Le fer de ces sagaies est ordinairement empoisonné, ce qui fait que les blessures en sont presque toujours mortelles. (D.J.)


SAGALASSESagalassus, (Géog. anc.) ville de Pisidie, quoique Ptolémée l'ait mise dans la Lycie ; son erreur est visible, par le consentement général de tous les anciens. Pline, l. V. c. xxvij. la nomme Sagalessus. Strabon compte une journée de chemin entre cette ville & Apamée ; il dit, l. XII. p. 569. qu'elle étoit du département de l'officier que les Romains avoient établi gouverneur du royaume d'Amyntas, & que pour aller de la citadelle à la ville il y avoit une descente de 30 stades.

Arrien, dans ses guerres d'Alexandre, l. IV. donne Sagalassus à la Pisidie. C'étoit, dit-il, une assez grande ville habitée par les Pisidiens. Tite-Live, l. XXXVIII. c. xv. décrivant la route que suivit le consul Manlius pour passer de la Pamphylie dans la Phrygie, dit : " En revenant de Pamphylie, il campa au bord du fleuve Taurus le premier jour, & le lendemain à Xiline-Comé ; de-là il alla, sans s'arrêter, jusqu'à la ville de Cormasa. Celle de Darsa n'étoit pas loin, les habitans s'en étoient enfuis, il y trouva des vivres en abondance. Marchant ensuite le long des marais, il reçut les soumissions de la ville de Lysinoé qui lui envoyoit des députés. On arriva bientôt dans le territoire de Sagalassus, où il y avoit quantité de grains. Les habitans sont des Pisidiens, les meilleurs soldats de tout ce pays ; ce qui joint à la fécondité de la terre, à la multitude d'un peuple nombreux, & à la situation de la ville extraordinairement fortifiée, enfle le courage ". (D.J.)


SAGAMITÉS. f. terme de relation, espece de mets dont se nourrissent les peuples du Canada. La sagamité se fait avec du blé d'Inde que les femmes cultivent, & qu'elles broyent avec des pierres. Elles le cuisent dans l'eau, & y mêlent quelquefois de la chair & du poisson. (D.J.)


SAGANS. m. (Hiérarchie des Hébreux) le sagan chez les Hébreux étoit le lieutenant du grand prêtre, & celui qui faisoit les fonctions en son absence. Ainsi Eléasar étoit le vicaire d'Aaron, souverain pontife. Il est parlé dans les livres des rois de ces deux charges de prêtrise. (D.J.)

SAGAN, (Géog. mod.) petite ville ou bourgade d'Allemagne en Silésie, capitale de la principauté de même nom, au confluent du Bober & de la Queiss, à 38 lieues de Prague, avec un château. Elle étoit autrefois bien peuplée, mais elle a souffert plusieurs malheurs consécutifs, qui l'ont réduite à une seule paroisse ; elle appartient à présent au prince de Lobkowitz. Long. 32. 10'. latit. 51. 34'. (D.J.)


SAGAPENUMS. m. (Hist. des Drogues exot.) suc qui tient le milieu entre la gomme & la résine ; tantôt il est en grandes gouttes comme l'encens, tantôt en gros morceaux : il est roussâtre en-dehors, & intérieurement d'une certaine couleur de corne ; il plie, blanchit sous la dent, & même entre les doigts ; il est d'un goût âcre & mordicant, d'une odeur puante, forte, qui approche de celle du porreau, & qui tient comme le milieu entre l'assa-foetida & le galbanum. Lorsqu'on l'approche de la chandelle il s'enflamme, & quand il est cuit sur le feu avec de l'eau, du vin, & du vinaigre, il se résout entierement ; on en trouve dans les boutiques des morceaux sales, & comme fondus, d'une couleur obscure, mais qui ont le même goût & la même odeur que le plus pur.

On estime le sagapenum qui est transparent, roux en - dehors, qui paroît former intérieurement des gouttes blanches ou jaunâtres, qui lorsqu'on le brise, plie sous les doigts, & qui lorsqu'on le manie, répand une odeur également pénétrante & désagréable.

Charas fait mention d'un sagapenum blanc en-dedans & en - dehors, qu'il croit le meilleur ; mais on en trouve rarement de tel dans les boutiques.

Les anciens Grecs connoissoient le sagapenum : Dioscoride dit que c'est le suc d'une plante férulacée qui croît dans la Médie ; on nous l'apporte encore aujourd'hui de Perse & d'Orient.

La plante d'où il découle nous est inconnue : on conjecture avec assez de raison par les parcelles de tiges & les graines, qui sont souvent mêlées avec ce suc, que c'est une espece de férule. (D.J.)


SAGARI LEZAGARI, ou SACARIE, (Géogr. mod.) riviere de l'Anatolie ; son nom vient sans doute de Sangarios, fleuve assez célebre dans les anciens auteurs, lequel servoit de limites à la Bithynie. (D.J.)


SAGARIS(Géog. anc.) riviere de la Sarmatie en Europe. Ovide, de Ponto, l. IV. eleg. x. v. 45. & seqq. dit en nommant divers fleuves qui avoient leurs embouchures dans la mer Noire :

Adde quod hic clauso miscentur flumina Ponto,

Vimque fretum, multo perdit ab amne suam.

Hùc Lycus, hùc Sagaris, Peniusque, Hypanisque,

Cratesque,

Influit, & crebro vortice tortus Halys,

Partheniusque rapax & volvens saxa Cynapes

Labitur, & nullo tardior amne Tyrus.

Si Ovide n'avoit mis dans cette liste que des rivieres de la côte septentrionale, ce passage seroit décisif ; mais il y en met, comme l'Healise, qui sont de la côte méridionale. Il est naturel de croire que le Sagaris du poëte, est la riviere dont l'embouchure en forme de golfe, est nommée Sagaricus sinus par Pline, l. IV. c. xij. Sagaris s'appelle aujourd'hui le Fagre. (D.J.)


SAGARIUSS. m. (Hist. anc.) marchand de soie ou de couverture.


SAGATIOS. f. (Hist. rom.) c'est ce que nous appellons berner, faire danser sur la couverture : l'empereur Othon s'amusoit dans sa jeunesse à berner les ivrognes qu'il trouvoit la nuit dans les rues ; ce fut aussi l'amusement de Néron.


SAGDou SAGOU, s. m. (Gramm.) pain qui se fait avec la moëlle d'un arbre : on mange le sagou aux Molucques & en d'autres contrées de l'orient.


SAGE LE(Philosophie) le sage, quelque part qu'il se trouve, est, comme dit Leibnitz, citoyen de toutes les républiques, mais il n'est pas le prêtre de tous les dieux ; il observe tous les devoirs de la société que la raison lui prescrit ; mais sa maniere de penser au-dessus du vulgaire, ne dépend ni de l'air qu'il respire, ni des usages établis dans chaque pays. Il met à profit l'instant qu'il tient, sans trop regretter celui qui est passé, ni trop compter sur celui qui s'approche. Il cultive sur-tout son esprit ; il s'attache au progrès des Arts ; il les tourne au bien public, & la palme de l'honneur est dans sa main. Il sait tirer un bon usage des biens & des maux de la vie, semblable à la terre qui s'abreuve utilement des pluies, & qui se pénetre des chaleurs vivifiantes dans les jours brillans & serains. Il tend à de si grandes choses, dit la Bruyere, qu'il ne porte point ses desirs à ce qu'on appelle des trésors, des postes, la fortune, & la faveur. Il ne voit rien dans de si foibles avantages, qui soit assez solide pour remplir son coeur, & pour mériter ses soins. Le seul bien capable de le tenter, est cette sorte de gloire qui devroit naître de la vertu toute pure & toute simple ; mais les hommes ne l'accordent guere, & il s'en passe.

Si vous avez quelque goût pour le sage, & que vous aimiez à entrer dans les détails de sa vie, & dans sa façon de penser, l'aimable peintre des saisons va vous en faire le tableau.

Le sage, dit - il, est celui qui dans les villes, ou loin du tumulte des villes, retiré dans quelque vallon fertile, goûte les plaisirs purs que donne la vertu. Il ne voudroit pas habiter ces palais somptueux, dont la porte orgueilleuse vomit tous les matins la foule rampante des vils flatteurs qui sont à leur tour abusés. Il ne se soucie nullement de cette robe brillante, où la lumiere fait réfléchir mille couleurs, qui flotte négligemment, ou qui se soutient par les bandes d'or, pour éviter la peine de la porter. Il n'est pas plus curieux de la délicatesse des mets : un repas frugal, débarrassé d'un vain luxe, suffit à ses besoins, & entretient sa santé ; sa tasse ne pétille pas d'un jus rare & coûteux ; il ne passe pas les nuits plongé dans un lit de duvet, & les jours dans un état d'oisiveté : mais est-ce une privation pour celui qui ne connoît pas ces joies fantastiques & trompeuses, qui promettent toujours le plaisir, & ne donnent que des peines ou des momens de trouble & d'ennui ?

Loin des traverses & des folles espérances, le sage est riche en contentement, autant qu'il l'est en herbes & en fruits : il s'assied tantôt auprès d'une haie odoriférante, & tantôt dans des bosquets & des grottes sombres ; ce sont les asyles de l'innocence, de la beauté sans art, de la jeunesse vigoureuse, sobre, & patiente au travail. C'est-là qu'habite la santé toujours fleurie, le travail sans ambition, la contemplation calme, & le repos philosophique.

Que d'autres traversant les mers courent après le gain ; qu'ils fendent la vague bouillonnante d'écume pendant de tristes mois ; que ceux-ci trouvant de la gloire à verser le sang, à ruiner les pays & les campagnes, sans pitié du malheur des veuves, de la désolation des vierges, & des cris tremblans des enfans ; que ceux-là loin de leurs terres natales, endurcis par l'avarice, trouvent d'autres terres sous d'autres cieux ; que quelques-uns aiment avec passion les grandes villes, où tout sentiment sociable est éteint, le vol autorisé par la ruse, & l'injustice légale établie ; qu'un autre excite en tumulte une foule séditieuse, ou la réduise en esclavage ; que ceux-ci enveloppent les malheureux dans des dédales de procès, fomentent la discorde, & embarrassent les droits de la justice. Race de fer ! Que ceux-là avec un front plus serein, mais également dur, cherchent leurs plaisirs dans la pompe des cours & dans les cabales trompeuses ; qu'ils rampent bassement en distribuant leurs souris perfides, & en suivant le pénible labyrinthe des intrigues d'état. Le sage libre de toutes ces passions orageuses, écoute, & n'entend que de loin & en sûreté, rugir la tempête du monde, & n'en sent que mieux le prix de la paix dont il est environné. La chûte des rois, la fureur des nations, le renversement des états, n'agitent point celui qui dans des retraites tranquilles & des solitudes fleuries, étudie la nature & suit sa voix. Il l'admire, la contemple dans toutes ses formes, accepte ce qu'elle donne libéralement, & ne desire rien de plus.

Quand le printems réveille les germes, & reçoit dans son sein le souffle de la fécondité, ce sage jouit abondamment de ses heures délicieuses ; dans l'été, sous l'ombre animée, & telle qu'on la goûte dans le frais Tempé, ou sur le tranquille Némus, il lit ce que les Muses immortelles en ont chanté, ou écrit ce qu'elles lui dictent ; son oeil découvre, & son espoir prévient la fertilité de l'année. Quand le lustre de l'automne dore les campagnes, & invite la famille du laboureur, saisi de la joie universelle, son coeur s'enfle d'un doux battement ; environné des rayons de la maturité, il médite profondément, & ses chants trouvent plus que jamais à l'exercer. L'hiver sauvage même est un tems de bonheur pour lui : la tempête formidable & le froid qui la suit, lui inspirent des pensées majestueuses : dans la nuit les cieux clairs & animés par la gelée qui purifie tout, versent un nouvel éclat sur son oeil serein. Un ami, un livre, font couler tranquillement ses heures utiles ; la vérité travaille d'une main divine sur son esprit, éleve son être, & développe ses facultés ; les vertus héroïques brûlent dans son coeur.

Il sent aussi l'amour & l'amitié ; son oeil modeste exprime sa joie ; les embrassemens de ses jeunes enfans qui lui sautent au cou & qui desirent de lui plaire, remuent son ame tendre & paternelle ; il ne méprise pas la gaieté, les amusemens, les chants, & les danses ; car le bonheur & la vraie philosophie sont toujours sociables, & d'une amitié souriante. C'est-là ce que les vicieux n'ont jamais connu ; ce fut la vie de l'homme dans les premiers âges sans corruption, quand les anges, & Dieu même, ne dédaignoient pas d'habiter avec lui.

Ajouterai-je pour terminer le tableau du sage, la peinture qu'en a fait un de nos poëtes d'après ces vers d'Horace, impavidum ferient ruinae.

Le sage grand comme les dieux

Est maître de ses destinées,

Et de la fortune & des cieux,

Tient les puissances enchaînées ;

Il regne absolument sur la terre & sur l'onde ;

Il commande aux tyrans ; il commande au trépas ;

Et s'il voyoit périr le monde,

Le monde en périssant ne l'étonneroit pas.

(D.J.)

SAGES, (Littérature) nom sous lequel les Grecs désignoient en général les Philosophes, les Orateurs, les Historiens, & les autres Savans de toute espece. Pythagore sentit le premier que le titre de sage, êtoit trop fastueux ; il prit celui de philosophe, qui signifie ami de la sagesse. La doctrine des sages, si on en excepte Thalès, qui cultivoit déja la Physique & l'Astronomie, se bornoit à des sentences ou maximes pour la conduite de la vie ; du reste, ni système, ni école formée, ni contradicteurs. (D.J.)

SAGES - GRANDS, (Gouv. de Venise) il y a six sages-grands, ainsi nommés à Venise, parce qu'ils manient les grandes affaires de la république, & que pour cela, on suppose qu'ils ont plus de sagesse & d'expérience que le commun des nobles. Ils examinent entr'eux les affaires qui doivent être portées au sénat, & les lui proposent préparées & digérées ; leur pouvoir ne dure que six mois. On appelle sage de la semaine, celui qui à chaque semaine reçoit les mémoires & les requêtes qu'on présente au college des sages-grands, pour les proposer au sénat. Il y a encore cinq sages de terre ferme : leur fonction est d'assister aux recrues des gens de guerre, & de les payer. On les traite d'excellence comme les autres ; il y a de plus le conseil des dix sages. C'est un tribunal où l'on estime, & où l'on taxe le bien des particuliers, lorsqu'il se fait des levées extraordinaires. Enfin, il y a les sages des ordres, qui sont cinq jeunes hommes de la premiere qualité, à qui on donne entrée au college, où se traitent les affaires de la république, pour écouter & pour se former au gouvernement sur l'exemple des autres sages. Amelot de la Houssaye. (D.J.)

SAGE, (Maréchal.) un cheval sage est un cheval doux & sans ardeur.

SAGE, tableau sage se dit en Peinture, d'un tableau dans lequel il n'y a rien d'outré, & où l'on ne voit point de ces écarts d'imagination, qui à force d'être pittoresques, tiennent de l'extravagant, & où les licences ne sont portées à tous égards qu'aux termes convenables. Peintre sage se dit aussi de celui qui fait des tableaux de ce genre.

SAGES CHIENS, (Vénerie) ce sont ceux qui conservent le sentiment des bêtes qui leur ont été données, & qui en gardent le change.

SAGE-FEMME, s. f. celle qui pratique l'art des accouchemens. Les sages-femmes ont une maîtrise, & ne forment point de communauté entr'elles. Elles sont reçues maîtresses sages-femmes par le corps des Chirurgiens, à la police duquel elles sont soumises. Les loix pour les sages-femmes de Paris sont différentes que pour les sages-femmes de province, tant des villes que des villages. A Paris on ne peut être reçu à la maîtrise de sage - femme avant l'âge de vingt-ans ; il faut avoir travaillé en qualité d'apprentisse pendant trois années chez une maîtresse sage-femme de Paris, ou trois mois seulement à l'hôtel-dieu. Les brevets d'apprentissage chez les maîtresses sages-femmes doivent avoir été enregistrés au greffe du premier chirurgien du roi, dans la quinzaine de leur passation, à peine de nullité ; & les apprentisses de l'hôtel-dieu sont tenues de rapporter un simple certificat des administrateurs, attesté par la maîtresse & principale sage-femme de l'hôtel-dieu.

L'aspirante à la maîtrise de sage-femme est interrogée à S. Côme par le premier chirurgien du roi ou son lieutenant, par les quatre prevôts du college de Chirurgie, par les quatre chirurgiens ordinaires du roi en son châtelet, & par les quatre jurées sages-femmes dudit châtelet, en présence du doyen de la faculté de Médecine, des deux médecins du Châtelet, du doyen des Chirurgiens, & de huit autres maîtres en chirurgie. Si l'aspirante est jugée capable, elle est reçue sur le champ, & on lui fait prêter le serment ordinaire, dont les principaux points sont de ne donner aucun médicament capable de causer l'avortement, & de demander du secours des maîtres de l'art, dans les cas épineux & embarassans.

Pour les sages-femmes de villages, on n'exige point d'apprentissage. Toute aspirante à l'art des accouchemens est admise à l'examen pour la maîtrise, en rapportant un certificat de bonnes vie & moeurs, délivré par son curé, qui ordinairement ne le donne qu'à celle dont les femmes de sa paroisse ont pour agréable de se servir dans leurs accouchemens. Cette aspirante est ensuite interrogée, moins pour donner des preuves de sa capacité, que pour recevoir des instructions par le lieutenant du premier chirurgien du roi, les prevôts & deux maîtres, sur les difficultés qui se présentent aux fâcheux accouchemens.

M. de la Peyronie, premier chirurgien du roi, a fondé par son testament deux professeurs & démonstrateurs pour les accouchemens aux écoles de Chirurgie. Chaque année ils font, l'un un cours pour les sages-femmes & leurs apprentisses, l'autre pour les éleves en chirurgie. Il étoit persuadé qu'une partie aussi essentielle de l'art devoit être enseignée pour l'utilité publique par des hommes consommés dans la théorie & dans la pratique des accouchemens.

Il y avoit une loi parmi les Athéniens qui défendoit aux femmes d'étudier la Médecine. Cette loi fut abrogée en faveur d'Agnodice, jeune fille qui se déguisa en homme pour apprendre la Médecine, & qui sous ce déguisement pratiquoit les accouchemens ; les Médecins la citerent devant l'aréopage ; mais les sollicitations des dames athéniennes qui intervinrent dans la cause, la fit triompher de ses parties adverses ; & il fut dorénavant permis aux femmes libres d'apprendre cet art. Voyez le dictionnaire de Bayle au mot Hiérophile, remarque A. (Y)


SAGEMENT(Maréchal.) mener son cheval sagement, c'est le mener sans colere, & sans le fatiguer.


SAGENES. f. (mesure de longueur) mesure des Russes équivalente à sept piés d'Angleterre. Cinq cent sagènes font un werst. Transact. philos. n °. 445. (D.J.)


SAGESSEVERTU, (Synonym.) la sagesse consiste à se rendre attentif à ses véritables & solides intérêts, à les demêler d'avec ce qui n'en a que l'apparence, à choisir bien, & à se soutenir dans des choix éclairés. La vertu va plus loin ; elle a à coeur le bien de la société ; elle lui sacrifie dans le besoin ses propres avantages, elle sent la beauté & le prix de ce sacrifice, & par-là ne balance point de le faire, quand il le faut. (D.J.)

SAGESSE, (Morale) la sagesse consiste à remplir avec exactitude ses devoirs, tant envers la divinité, qu'envers soi - même & les autres hommes. Mais où trouvera-t-elle des motifs pour y être fidele, si ce n'est dans le sentiment de notre immortalité ? Ainsi l'homme véritablement sage est un homme immortel, un homme qui se survit à lui-même, & qui porte ses espérances au-delà du trépas. Si nous nous renfermons dans le cercle étroit des objets de ce monde, la force que nous aurons pour nous empêcher d'être avares, consistera dans la crainte de faire tort à notre honneur par les bassesses de l'intérêt ; la force que nous aurons pour nous empêcher d'être prodigues, consistera dans la crainte de ruiner nos affaires, lorsque nous aspirons à nous faire estimer des autres par nos libéralités. La crainte des maladies nous fera résister aux tentations de la volupté : l'amour-propre nous rendra modérés & circonspects, & par orgueil nous paroîtrons humbles & modestes. Mais ce n'est-là que passer d'un vice à un autre. Pour donner à notre ame la force de s'élever au-dessus d'une foiblesse, sans retomber dans une autre, il faut la faire agir par des motifs bien supérieurs. Les vues du tems pourront lui faire sacrifier une passion à une autre passion ; mais la vue de l'éternité seule enferme des motifs propres à l'élever au-dessus de toutes les foiblesses. On a vu des orateurs d'une sublime éloquence ne faire aucun effet, parce qu'ils ne savoient point intéresser, comme il faut, la nature immortelle. On en a vu au contraire d'un talent fort médiocre, toucher tout le monde par des discours sans art, parce qu'ils prenoient les hommes par les motifs de l'éternité. C'est du sentiment de notre immortalité que nous voyons sortir tout ce qui nous console, qui nous éleve & qui nous satisfait. Il n'y a que l'homme immortel qui puisse braver la mort : lui seul peut s'élever au-dessus de tous les évenemens de ce monde, se montrer indépendant des caprices du sort, & plus grand que toutes les dignités du monde. Que cette insensibilité fastueuse dont les Stoïciens paroient leur sage, s'accorde mal avec leurs principes ! Tandis que vous le renfermez dans l'enceinte des choses fragiles & périssables, qu'exigez-vous de lui ? Quel motif lui fournissez-vous pour le rendre supérieur à des choses qui lui procurent du plaisir ? L'homme étant né pour être heureux, & n'étant heureux que par les sentimens délicieux qu'il éprouve, il ne peut renoncer à un plaisir que par un plus grand plaisir. S'il sacrifie son plaisir à une vertu stérile, vertu qui laisse l'ame dans une molle inaction, où son activité n'a rien à saisir, ce n'est chez lui qu'une vaine ostentation d'une grandeur chimérique. Placez le sage vis-à-vis de lui-même, qu'il n'ait que lui pour témoin de ses actions, que le murmure flatteur des louanges ne pénetre pas jusqu'à lui dans son désert, réduisez cet homme tristement vertueux à s'envelopper dans son propre mérite, à vivre, pour ainsi dire, de son propre lui, vous reconnoitrez bientôt que tout ce faste de sagesse n'étoit qu'un orgueil imposant qui tombe de lui-même, lorsqu'il n'a plus d'admirateur. Avec quel front voulez-vous qu'un tel sage affronte les hasards ? Qui peut le dédommager d'une mort qui lui ôtant tout sentiment, détruit cette sagesse même dont il se fait honneur ? Mais supposez-vous l'homme immortel, il est plus grand que tout ce qui l'environne. Il n'estime dans l'homme que l'homme même. Les injustices des autres hommes le touchent peu. Elles ne peuvent nuire à son immortalité ; sa haine seule pourroit lui nuire. Elle éteint le flambeau. L'homme mortel peut affecter une constance qu'il n'a pas, pour faire croire qu'il est au-dessus de l'adversité. Ce sentiment ne sied pas bien à un homme qui renferme toutes ses ressources dans le tems. Mais il est bien placé dans un homme qui se sent fait pour l'éternité. Sans se contrefaire, pour paroître magnanime, la nature & la religion l'élevent assez pour le faire souffrir sans impatience, & le rendre content sans affectation. Un tel homme peut remplir l'idée & le plan de la suprême valeur, lorsque son devoir l'oblige à s'exposer aux dangers de la guerre. Le monde verra dans lui un homme brave par raison ; sa valeur ne devra point toute sa force à la stupidité qui lui ferme les yeux sur le précipice qui s'ouvre sous ses pas, à l'exemple qui l'oblige de suivre les autres dans les plus affreux périls, aux considérations du monde qui ne lui permettent pas de reculer où l'honneur l'appelle. L'homme immortel s'expose à la mort, parce qu'il sait bien qu'il ne peut mourir. Il n'y a point de héros dans le monde, puisqu'il n'y en a point qui ne craigne la mort, ou qui ne doive son intrépidité à sa propre foiblesse. Pour être brave, on cesse d'être homme, & pour aller à la mort, on commence à se perdre de vue ; mais l'homme immortel s'expose, parce qu'il se connoit. L'héroïsme, dans les principes d'un homme qui renferme toutes ses espérances dans le monde, est une extravagance. Les louanges de la postérité contre lesquelles il échange sa vie, ne sont pas capables de l'en dédommager. Comment donc & par quel prodige des hommes qui ne paroissent avoir connu d'autre vie que la présente, ont-ils pu consentir à cesser d'être, pour être heureux ? Ciceron a cru que le principe de cet héroïsme étoit toujours une espérance secrette de jouir de sa réputation dans le sein même du tombeau. Mais il y a quelque chose de plus. Il ne seroit pas impossible que ces hommes célebres ayent été plus heureux par leur mort, qu'ils ne l'eussent été par leur vie. Admirés de leurs amis & de leurs compatriotes, persuadés qu'ils le seroient de leurs ennemis mêmes & de la postérité, cette épaisse nuée de tant d'admirateurs a pu, pour des imaginations vives, former un spectacle dont le charme, quoique de peu de durée, fut pour eux d'un plus grand poids que leur propre vie. L'amour de nous-mêmes éclairé par la raison, ne consentira jamais à un tel sacrifice : ce n'est qu'à la faveur des accès d'une imagination séduite & enchantée, qu'il lui applaudira.

Il faut, observe Séneque, apprendre chaque jour à se quitter, il faut apprendre à mourir. Ce sentiment qui est si noble & si relevé dans une bouche chrétienne, paroît tout-à-fait ridicule dans celle d'un stoïcien. Il n'avoit aucune crainte ni aucune espérance pour l'autre vie. Pourquoi donc s'imposoit-il une peine si rigoureuse ? Pourquoi fuyoit-il les plaisirs attirans, lui qui devoit à la mort rentrer dans le sein de la divinité ? Quel avantage avoit le philosophe obscur, toujours rempli de pensées funestes, toujours forcé à se contraindre ; quel avantage avoit-il sur le libertin aimable & aimé, satisfait de son bonheur, ingenieux dans la recherche de la volupté ? Le même sort les attendoit tous deux. La vie des hommes s'envole trop rapidement, pour être employée à la poursuite d'une vertu farouche & opiniâtre. Nous ne pouvons trop chercher à être heureux ; & le présent est le seul moyen qui nous conduise à la félicité, dumoins à celle dont nous sommes capables ici-bas. Dompter ses passions, se gêner sans-cesse, renoncer à ses plus cheres inclinations, corriger ses erreurs, veiller scrupuleusement sur sa conduite, c'est l'emploi d'un homme qui perce au-delà de cette vie, qui sait par la révélation, qu'il survivra à la perte de son corps. Mais les Stoïciens n'avoient pas les mêmes motifs de se flatter ; jamais un avenir obscur ne leur a tenu lieu du présent, & le présent étoit toute leur richesse, l'objet de tous leurs desirs. Aussi les philosophes grecs, qui parloient suivant leur coeur, avoient-ils une morale douce, & accommodée aux différens besoins de la société. Le portique seul se distingua par une sévérité déplacée ; trop de confiance en la raison, l'abus de ses forces, un courage mal entendu le perdirent entierement.

SAGESSE, (Critiq. sacrée) sapience, ; ce mot qui chez les Grecs & les Latins se prend pour la science de la philosophie, a encore d'autres significations dans l'Ecriture. Il désigne par exemple, 1°. dans le Créateur, ses oeuvres divines ; ps. l. 8. 2°. l'habileté dans un art ou dans une science ; Exod. xxxix. 3. 3°. la prudence dans la conduite de la vie ; III. Rois ij. 6. 4°. la doctrine, l'expérience ; Job. xij. 12. 5°. l'assemblage des vertus : à mesure que Jesus-Christ croissoit en âge, il donnoit de plus en plus des preuves de sa sagesse ; Luc. ij. 52. 6°. la prudence présomptueuse des hommes du monde : je confondrai leur sagesse ; I. Cor. j. 19. 7°. enfin la sagesse éternelle est l'être suprême ; Luc. xj. 49. (D.J.)

SAGESSE, (Mythol.) il ne paroît pas que les Grecs aient jamais divinisé la sagesse, qu'ils appelloient , mais ils l'ont du moins personnifiée, & le plus souvent sous la figure de Minerve, déesse de la sagesse : son symbole ordinaire étoit la chouette, oiseau qui voit dans les ténebres, & qui marque que la vraie sagesse n'est jamais endormie. Les Lacédémoniens représentoient la sagesse sous la figure d'un jeune homme qui a quatre mains & quatre oreilles, un carquois à son côté, & dans sa main droite une flute ; ces quatre mains semblent désigner que la vraie sagesse est toujours dans l'activité ; les quatre oreilles, qu'elle reçoit volontiers des conseils ; la flute & le carquois, qu'elle doit se trouver par-tout, au milieu des armées comme dans les plaisirs : c'est du moins là ce que pensent nos mythologues moralistes. (D.J.)

SAGESSE livre de la, (Théol.) nom d'un des livres canoniques de l'ancien Testament, que les Grecs appellent sagesse de Salomon, , & qui est cité par quelques anciens sous le nom grec de , comme qui diroit recueil ou tresor de toute vertu, ou instructions pour nous conduire à la vertu. En effet le but principal que se propose l'auteur de cet ouvrage, est d'instruire les rois, les grands, les juges de la terre.

Le texte original de cet ouvrage est le grec, & il n'y a nulle apparence qu'il ait jamais été écrit en hébreu ; on n'y voit point les hébraïsmes & les barbarismes présque inévitables à ceux qui traduisent un livre sur l'hébreu ; l'auteur écrivoit assez bien en grec & avoit lu Platon & les poëtes grecs, dont il emprunte certaines expressions inconnues aux Hébreux, telles que l'ambroisie, le fleuve d'oubli, le royaume de Pluton ou d'Adès, &c. il cite toujours l'Ecriture d'après les septante, lors même qu'il s'éloigne de l'hébreu, & enfin si les auteurs juifs l'ont cité, ce qu'ils en rapportent est pris sur le grec. Toutes ces preuves réunies démontrent que l'original est grec.

La traduction latine que nous en avons, n'est pas de S. Jérôme, c'est l'ancienne vulgate usitée dans l'église dès le commencement, & faite sur le grec long-tems avant S. Jérôme ; elle est exacte & fidele, mais le latin n'en est pas toujours fort pur. L'auteur de ce livre est entierement inconnu ; quelques-uns l'attribuent à Salomon, & veulent que ce prince l'ait écrit en hébreu, qu'on le traduisit en grec, & que le premier original s'étant perdu, le grec a depuis passé pour l'original ; mais quelle apparence que les juifs n'eussent pas mis cet ouvrage au nombre de leurs livres canoniques, s'il eût été de Salomon ? D'où vient qu'il n'est point en hébreu, que personne ne l'a jamais vu en cette langue, que le traducteur n'en dit rien, & que son style ne se ressent point de son original ?

D'autres l'ont attribué à Philon, mais on ne connoit point précisément quel est ce Philon : car l'antiquité fait mention de trois auteurs de ce nom ; le premier vivoit du tems de Ptolomée Philadelphe ; le second est Philon de Biblos, cité dans Eusebe & dans Josephe ; le troisieme est Philon le juif, assez connu : ce ne peut être le premier de l'existence duquel on a de bonnes raisons de douter, ni le second qui étoit payen, ni le troisieme qui n'a jamais été reconnu pour un auteur inspiré.

Grotius pense que ce livre est d'un juif qui l'écrivit, dit-il, en hebreu depuis Esdras & avant le pontificat du grand prêtre Simon. Il ajoute qu'il fut traduit en grec avec assez de liberté, par un auteur chrétien qui y ajouta quelques traits & quelques sentimens tirés du christianisme ; delà vient qu'on y remarque, selon cet auteur, le jugement universel, le bonheur des justes, & le supplice des méchans, d'une maniere plus distincte que dans les autres livres des Hébreux ; mais Grotius avance tout cela sans preuves. Grot. praefat. in sapient.

Cornelius-A-Lapide croit que le livre de la sagesse a été écrit en grec par un auteur juif, depuis la captivité de Babylone vers le tems de Ptolomée Philadelphe, roi d'Egypte, & il soupçonne que ce pourroit bien être un des septante interpretes, parce qu'au rapport d'Aristée, ce prince proposa à chacun de ces interpretes une question touchant le bon gouvernement de son état ; ce livre pourroit donc être un recueil de leurs réponses, ou avoir été écrit par un seul d'entr'eux à cette occasion.

Le livre de la sagesse n'a pas toujours été reçu pour canonique dans l'église ; les juifs ne l'ont jamais reconnu ; plusieurs peres & plusieurs églises l'ont rejetté de leur canon. Lyran même, & Cajetan ne le reconnoissent pas comme incontestablement canonique ; mais d'un autre côté, plusieurs peres l'ont connu & cité comme Ecriture sainte. Les auteurs sacrés du nouveau Testament, y font quelquefois allusion ; les conciles de Carthage en 337, de Sardique en 347, de Constantinople, in Trullo, en 692, le xj. de Tolede en 675, celui de Florence en 1438, & enfin celui de Trente, sep. 4. l'ont expressément admis au nombre des livres canoniques.

Les musulmans attribuent le livre de la sagesse à leur philosophe Locman, qui n'étoit pas, disent-ils, nabi ou prophete, mais seulement hakim, c'est-à-dire sage. Calmet, Diction. de la Bibl. tom. III. pag. 424. & suiv. (H)


SAGGIOS. m. (Commerce) petit poids dont on se sert à Venise. C'est la sixieme partie de l'once de cette ville ; cette livre a onze onces, chaque once six saggio, & chaque saggio vingt carats. Dict. de Com. & de Trév.


SAGGONASS. m. (Hist. mod.) ce sont les prêtres ou chefs d'une secte établie parmi les negres des parties intérieures de l'Afrique, & que l'on nomme Belli. Cette secte se consacre à l'éducation de la jeunesse ; il faut que les jeunes gens aient passé par cette école pour pouvoir être admis aux emplois civils & aux dignités ecclésiastiques. Ce sont les rois qui sont les supérieurs de ces sortes de seminaires ; tout ce qu'on y apprend se borne à la danse, à la lutte, la pêche, la chasse, & sur-tout on y montre la maniere de chanter une hymne en l'honneur du dieu Belli ; elle est remplie d'expressions obscenes, accompagnées de postures indécentes ; quand un jeune negre a acquis ces connoissances importantes, il a des privileges considérables, & il peut aspirer à toutes les dignités de l'état. Les lieux où se tiennent ces écoles, sont dans le fond des bois ; il n'est point permis aux femmes d'en approcher, & les étudians ne peuvent communiquer avec personne, si ce n'est avec leurs camarades, & les maîtres qui les enseignent ; pour les distinguer, on leur fait avec un fer chaud des cicatrices depuis l'oreille jusqu'à l'épaule. Lorsque le tems de cette singuliere éducation est fini, chaque sagona remet son éleve à ses parens, on célebre des fêtes, pendant lesquelles on forme des danses qui ont été apprises dans l'école ; ceux qui s'en acquitent bien reçoivent les applaudissemens du public, ceux au-contraire qui dansent mal sont hués sur-tout par les femmes.

Le dieu Belli, si respecté par ces negres, est une idole faite par le grand prêtre, qui lui donne telle forme qu'il juge convenable ; c'est suivant eux un mystere impénétrable que cette idole, aussi n'en parle-t-on qu'avec le plus profond respect ; cependant ce dieu ne dérive son pouvoir que du roi ; d'où l'on voit que le souverain est parvenu dans ce pays à soumettre la superstition à la politique.


SAGHALIEN(Géog. mod.) ville de la Tartarie chinoise orientale, dans le gouvernement de Teitcicar, sur la rive droite du Saghalien, dans une plaine fertile. Latit. 50. 2. (D.J.)


SAGHEDadj. (terme de Relation) titre que les rois d'Ethiopie ont pris dans le seizieme siecle, & qui dans la langue du pays veut dire grand, auguste, vénérable ; & cependant ils n'ont aucune de ces qualités, car ils sont petits, vilains & méprisables. (D.J.)


SAGHMANDAH(Géog. mod.) ville d'Afrique en Nigritie, dans la province d'Ouangara, sur la rive septentrionale du Niger. (D.J.)


SAGINAS. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante dont voici les caracteres, suivant le systême de Linnaeus. Le calice est à quatre feuilles qui subsistent après que la fleur est tombée. Ces feuilles sont ovales, creuses & déployées ; la fleur est composée de quatre pétales ovoïdes, obtus, plus courts que les feuilles du calice, mais également déployés ; les étamines sont quatre filets capillaires, à bossettes arrondies ; le germe du pistil est de figure sphérique ; les stiles sont quatre, de forme applatie & recourbée, ils sont couverts de duvets ; les stigma sont simples, le fruit est une capsule ovale contenant quatre loges ; les graines sont nombreuses, très-petites, & attachées au placenta. Linnaeus, gen. pl. pag. 55. (D.J.)


SAGITTAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante, vulgairement nommée queue d'aronde, & dont voici les caracteres. Sa racine est fibreuse, épaisse, fongueuse & rampante ; ses feuilles prennent avec le tems la figure de l'extrêmité empennée d'une fleche ; sa fleur est tripétale comme celle du plantin aquatique ; son fruit est un amas de semences comme la fraise.

Toutes les especes de sagitta ont été rangées par Tournefort, inter ranunculos palustres folio sagittato, c'est-à-dire parmi les renoncules de marais à feuilles faites en fleches. (D.J.)


SAGITTAIRES. m. (Mythol. astron.) constellation, ou neuvieme signe du zodiaque : les uns disent que le sagittaire est Chiron le centaure : d'autres, que c'est Procus, fils d'Euphème, nourrice des muses ; qu'il demeuroit sur le Parnasse, faisoit son occupation de la chasse, & qu'après sa mort, à la priere des muses, il fut placé parmi les astres. (D.J.)


SAGITTALEsagitalis sutura, (Anatomie) c'est la seconde des vraies sutures du crane. Voyez Planc. d'Anat. & SUTURE. Elle est placée le long de la partie moyenne & supérieure de la tête, & se continue quelquefois jusqu'à la racine du nez ; elle prend ce nom sagittale du latin sagitta, parce qu'elle ressemble à une fleche.

M. Hunauld a fait voir à l'académie des Sciences, le crane d'un enfant de 7 ou 8 ans, où il ne paroissoit aucun vestige de la suture sagittale, & de la coronale, ni en dehors ni en dedans ; par conséquent l'os coronal & les pariétaux s'étoient réunis avant le tems, outre que leur réunion prématurée resistoit à l'accroissement que le cerveau devoit encore prendre ; mais dans la surface concave du coronal & des pariétaux de cet enfant, il s'étoit creusé des traces plus profondes qu'à l'ordinaire, des circonvolutions du cerveau qu'elles suivoient. Acad. des Sciences, an. 1734. (D.J.)


SAGITTARIAS. f. (Botan. exot.) c'est la canna indica, radice albâ, alexipharmaca, Raii, hist. 3. 773. Arundo indica, angustifolia, flore rutilo, pediculis donata, Hist. Oxon. 3. 250. Cette plante a la racine genouillée de la grosseur du pouce, blanche & de figure conique ; des intervalles que les noeuds laissent entr'eux, il part de chaque jointure plusieurs fibres par le moyen desquels la plante se nourrit ; la racine pousse plusieurs feuilles de trois pouces de long ; les feuilles extérieures embrassent celles qui sont au-dedans, & sont environnées d'un anneau blanc dans l'endroit où elles se joignent, elles sont minces, fibreuses, herbacées, & d'un jaune verdâtre. M. Hans-Sloane a remarqué qu'on la cultivoit dans les jardins à la Jamaïque & aux îles Caraïbes. Elle a passé de la Jamaïque, dans l'île de S. Domingue ; on en a fait beaucoup de cas à cause de la propriété alexipharmaque qu'on lui attribue. (D.J.)


SAGMENS. m. (usage des Rom.) ce mot, dans Tite-Live, désigne une herbe que les ambassadeurs portoient avec eux. On croit que cette herbe étoit de la verveine, parce que Lucien dit que les Perses en donnoient à leurs ambassadeurs. (D.J.)


SAGNACou SAGANAC, (Géog. mod.) ville d'Asie au Turquestan, selon d'Herbelot, qui dit que le sultan de Kouarezm, prit cette ville sur Tamerlan, l'an 547. de l'hégire. (D.J.)


SAGOCHLAMYS(Littérat.) sorte de vêtement qui tenoit en partie de la saye, sagum, & en partie du surtout que portoient les gens de guerre & les voyageurs, & qu'on nommoit chlamys. Voyez PYTISCUS.


SAGONE(Géog. mod.) Sagona distrutta, ville entierement ruinée de l'île de Corse, dans sa partie occidentale, entre Calvi au nord, & Ajazzo au midi. Elle conserve toujours le titre d'évêché, dont l'évêque réside au bourg de Vico, qui en est voisin, & où on a transféré la cathédrale. Il est suffragant de Pise. Long. 26. 20. lat. 41. 58. (D.J.)


SAGORA(Géog. mod.) petite ville de Turquie, en Europe, sur la mer Noire, entre les villes de Stagnara & de Sissopoli. Niger croit que c'est le Thynias des anciens, ville de Thrace sur les bords du Pont-Euxin.


SAGOUS. m. (terme de Relation) espece de fécule desséchée qu'on tire dans les Indes orientales, de la moëlle d'une espece de palmier nommé zagu. Voyez ZAGU.

Les habitans, après avoir coupé l'arbre, le fendent par le milieu en cylindre, & en tirent toute la moëlle dont il est plein. Ils hachent cette moëlle jusqu'à ce qu'elle soit réduite en poudre dans un sas qu'ils posent sur une cuvette ; à mesure qu'il est plein, ils l'arrosent d'eau, & l'eau en dégageant la moëlle farineuse d'avec l'écorce du bois, tombe dans la cuvette par une rigole où elle se dégorge en laissant son marc au fond. Ce marc étant sec, imite la farine, & c'en est effectivement. Les habitans en font une pâte avec de l'eau, & cuisent cette pâte dans des vases de terre pour leur nourriture. (D.J.)


SAGOUINvoyez SINGE.


SAGRA(Géog. anc.) riviere de la grande Grece, dans la Locride. Cette riviere, dit Pline, liv. III. c. x. est mémorable. Strabon en parle aussi, & remarque que ce nom est du masculin ; ce qui est en effet assez rare dans les noms de rivieres. Sur le bord de cette riviere étoit un temple des deux freres Castor & Pollux, où dix mille locres, assistés des habitans de Rhegium, défirent cent trente mille crotoniates en bataille rangée. De-là vint le proverbe employé quand quelqu'un refusoit de croire une chose, cela est plus vrai que la bataille de la Sagra. Strabon ajoute : on fait un conte à ce sujet ; on dit que le même jour la nouvelle en fut portée à ceux qui assistoient aux jeux olympiques. Ciceron repete ce conte dans son livre de la nature des dieux ; mais il l'accompagne aussi d'un on dit. Le nom moderne de cette riviere est Sagriano.


SAGRELE, (Géog. mod.) petite riviere de la Tartarie Crimée ; c'est le Sagaris d'Ovide, & l'Agaros de Ptolémée.


SAGRES(Géogr. mod.) ville de Portugal, dans l'Algarve, à une lieue & demie du cap Saint-Vincent, promontorium sacrum, & à 45 au midi de Lisbonne. Elle fut fondée au commencement du xv. siecle par l'infant dom Henri, fils du roi Jean I. Elle a un port d'où ce prince envoya des flottes pour chercher de nouvelles routes vers les Indes orientales. Il y a toujours garnison dans la forteresse. Long. 8. 42. latit. 36. 57. (D.J.)


SAGUENAYLE, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle France, au Canada proprement dit. Elle sort du lac Saint-Jean, où se jettent plusieurs rivieres, & se perd dans le grand fleuve de Saint-Laurent, à Tadoussac. Elle est spacieuse, & en certains endroits profonde, dit-on, de quarante brasses.


SAGUINAM(Géog. mod.) baie de la nouvelle France, dans l'Amérique septentrionale, sur la côte occidentale du lac Huron. Elle a sept lieues d'ouverture, & trente de profondeur. Le fond de cette baie présente un beau pays. (D.J.)


SAGUMS. m. (Hist. anc.) vêtement des anciens Gaulois ; il s'attachoit au bas de la cuirasse ; il couvroit la cuisse, & soutenoit l'épée.


SAGUNTIA(Géog. anc.) ou Seguntia, ancienne ville de l'Espagne tarragonoise, au pays des Arevaques, selon Pline, liv. III. ch. iij. Ptolémée ne la connoît point ; mais Tite - Live la nomme Seguntia Celtiberûm. Une inscription de Gruter, p. 324. n°. 2. porte :

C. Atilio. C. F. Quir. Crasso. Segontino.

Antonin met cette Segontia, & encore une autre ville de même nom, sur la route de Mérida à Saragosse ; la premiere, qui est celle-ci, entre Complutum, Alcala de Henarès & Bilbili. (D.J.)


SAGUNTUM(Géog. anc.) Sagonte, ancienne ville d'Espagne, au pays des Hédétains, selon Ptolémée, liv. VI. c. ij. Elle étoit à près de trois milles de la mer, si l'on en croit Tite-Live, liv. XXI. c. vij. & à trois milles entiers, selon le calcul de Pline, liv. III. c. iij.

Rien de plus fameux que le siege & la prise de Sagonte dans l'histoire romaine. Ce fut par ces hostilités qu'Annibal engagea la seconde guerre punique. Les Carthaginois la posséderent huit ans ; les Romains la reprirent sur eux, & en firent une colonie romaine. C'est pourquoi elle est nommée par Pline, liv. III. c. iij. Saguntum, civium romanorum oppidum, fide nobile.

Sa situation près de la mer est marquée sur une médaille de Tibere ; on y voit une galere avec ce mot Sag. & les noms des duumvirs ; & sur une autre médaille du cabinet du roi alléguée par le pere Hardouin, on lit Sagunt. avec une galere de même. Cette ville s'appelloit également Saguntum & Saguntus. La ville de Morviedro occupe à-peu-près la place de l'ancienne Sagonte.

On a découvert près de cette ville, sur le grand chemin au mois d'Avril 1745, un pavé de mosaïque qu'on croit avoir servi au temple de Bacchus ; cette mosaïque, qui est incontestablement un ouvrage romain, ne paroît pas avoir été faite dans un siecle où les arts fussent en vigueur ; & quoiqu'ils ne fussent pas fort avancés dans le tems que la république subsistoit encore, on n'oseroit assurer que cet ouvrage ait été fait par les premiers Romains qui s'y établirent après la prise de cette ville par Scipion. (D.J.)


SAGYLIUM(Géog. anc.) ville d'Asie dans la Phazémonitide, petite contrée du Pont, au voisinage du territoire d'Amasa, selon Strabon, liv. XII. p. 560. Cette ville étoit au haut d'une montagne fort escarpée, sur le sommet de laquelle il y avoit une citadelle qui fournissoit de l'eau en abondance.


SAH-CHERAYS. m. (poids de Perse) ce poids pese onze cent soixante & dix derhem, à prendre le derhem pour la cinquantieme partie de la livre poids de marc de seize onces.


SAHABI(Hist. du mahométisme) les sahabi ou sahaba, sont les compagnons de Mahomet ; mais il est impossible d'en déterminer le nombre, à-cause que les sentimens des écrivains arabes sont fort partagés sur ce sujet.

Said, fils d'Al-Masib, un des sept grands docteurs & jurisconsultes, qui vécurent dans les premiers tems après Mahomet, soutient que personne ne devoit être mis au rang des compagnons du prophête, à-moins que d'avoir conversé du-moins un an ou plus avec lui, & de s'être trouvé sous ses drapeaux à quelque guerre sainte contre les infideles. Quelques-uns accordent ce titre à tous ceux qui ont eu occasion de parler au prophête, qui ont embrassé l'Islamisme pendant sa vie, ou qui l'ont seulement vu & accompagné, ne fût-ce que durant une heure. D'autres enfin prétendent que cet honneur n'appartient qu'à ceux que Mahomet avoit reçus lui-même au nombre de ses compagnons, en les enrôlant dans ses troupes ; qui l'avoient constamment suivi, s'étoient inviolablement attachés à ses intérêts, & l'avoient accompagné dans ses expéditions. Il avoit avec lui dix mille compagnons de cet ordre quand il se rendit maître de la Mecque ; douze mille combattirent avec lui à la bataille de Honein, & plus de quarante mille l'accompagnerent au pélerinage d'Adieu ; enfin, au tems de sa mort, selon le dénombrement qui en fut fait, il se trouva cent vingt-quatre mille musulmans effectifs.

Les Mohagériens, c'est-à-dire ceux qui l'accompagnerent dans sa fuite à Médine, tiennent sans contredit le premier rang entre ses compagnons. Les Ansariens ou auxiliaires qui se déclarerent pour lui, quand il fut chassé de la Mecque, les suivent en dignité, & ont le rang avant les autres Mohagériens, ou réfugiés qui vinrent après que Mahomet fut établi à Médine. Les meilleurs historiens orientaux distribuent tous ces compagnons en treize classes.

Quelques-uns mettent encore au rang de sahabi, de pauvres étrangers, qui n'ayant ni parens ni amis, & se trouvant destitués de tout, imploroient la protection de Mahomet ; mais on les a appellés plus communément assesseurs que compagnons de Mahomet, parce qu'ils étoient ordinairement assis sur un banc, autour de la mosquée. Le prophête en admettoit souvent plusieurs à sa propre table, & Abulféda nomme les principaux auxquels il donna affectueusement sa bénédiction. (D.J.)


SAHAGUN(Géog. mod.) ville d'Espagne, au royaume de Léon, sur la riviere de Céa, à 8 lieues de Palencia, dans une plaine abondante en grains, vignes & gibier. Elle doit son origine à une abbaye de l'ordre de S. Benoît. Alphonse VI. dit le vaillant, lui donna des privileges en 1074, qui furent augmentés par Alphonse XI. Long. 13. 15. lat. 42. 30.


SAHARA(Géog. mod.) on écrit aussi Sara, Zara, & Zaara. Ce nom, qui veut dire desert, se donne à toute cette étendue de pays qui se trouve entre le Bilédulgerid au nord, & la Nigritie au midi. C'est la Libye intérieure de Ptolémée, dans laquelle il comprend aussi une partie de la Numidie, & de la basse Ethiopie.

Ces vastes deserts de Barbarie ne contiennent que des lieux arides, sablonneux, inhabitables, où l'on fait quelquefois cinquante milles sans trouver un verre d'eau ; le soleil y darde ses rayons brûlans ; & les marchands qui partent de Barbarie pour aller dans la Nigritie, ne menent pas seulement des chameaux chargés de marchandises, mais ils en ont d'autres qui ne servent qu'à porter de l'eau. Indépendamment de cette précaution, ils ne font leurs voyages qu'après les pluies, pour trouver du lait & du beurre sur la route. Ils souffrent encore quelquefois en chemin des coups de vent horribles, qui transportent avec eux des monts de sable dont les hommes & les chameaux sont suffoqués.

" Un vent étouffant souffle une chaleur insupportable de la fournaise dont il sort, & de la vaste étendue du sable brûlant. Le voyageur est frappé d'une atteinte mortelle. Le chameau, fils du desert, accoutumé à la soif & à la fatigue, sent son coeur desséché par ce souffle de feu. Tout-à-coup les sables deviennent mouvans par le tourbillon qui regne ; ils s'amassent, obscurcissent l'air ; le desert semble s'élever, jusqu'à ce que l'orage enveloppe tout. Si le fatal tourbillon surprend pendant la nuit les caravanes plongées dans le sommeil, à l'abri de quelque colline, elles y demeurent ensevelies. L'impatient marchand attend en vain dans les rues du Caire ; la Mecque s'afflige de ce long retard, & Tombut en est désolé ". (D.J.)


SAHIA(Géog. mod.) petite ville de Syrie, à 12 lieues de Hama, & à 13 de Médiez. Elle est sur un rocher escarpé de tous côtés, & a la riviere d'Assi qui en lave le pié.


SAHIDLE, (Géog. mod.) ou Saïd, ou Zaïd, (le) ce mot en arabe désigne en général un lieu plus haut qu'un autre ; on s'en sert en Egypte, pour signifier la haute Egypte, autrement nommée la Thébaïde. La province de Sahid est d'une étendue considérable, mais inhabitée dans sa plus grande partie. Les Turcs en sont les maîtres, & y envoyent, pour la gouverner, un sangiac-bey. Il réside à Girgé, capitale du pays. (D.J.)


SAHMIS. m. (Calend. arménien) nom d'un mois des Arméniens. C'est, selon quelques savans, le premier de leur année, &, selon d'autres, le troisieme. Voyez la dissertation de Schroeder à la tête de son Thesaurus ling. armen. (D.J.)


SAHRAI-MOUCH(Géog. mod.) petite ville d'Asie, au Curdistan, à trois journées d'Eclat. Long. suivant les géographes orientaux, 74. 30. lat. 39. 30. (D.J.)


SAIES. m. (Hist. anc.) c'est le même vêtement que le sagum. Voyez SAGUM.

SAIE, s. f. terme d'Orfévre ; petite poignée de soies de porc liées ensemble, & qui sert aux orfévres à nettoyer leurs ouvrages. (D.J.)

SAIE, (Manufact. en laine) petite serge de soie ou de laine qui a rapport aux serges de Caën. Certains religieux s'en font des chemises ; les gens du monde des doublures d'habit. La saie se fabrique en Flandre.


SAIETTES. f. (Manufact. en laine) autre petite serge de soie ou laine ; espece de ratine de Flandre ou d'Angleterre, qu'on appelle aussi revesche. Voyez les articles REVESCHE & MANUFACTURE en laine.


SAIGAS. m. (Hist. nat.) animal quadrupede, qui, suivant M. Gmelin, ressemble assez au chamois, à l'exception que ses cornes ne sont point recourbées, mais sont toutes droites. Cet animal ne se trouve en Sibérie que dans les environs de Sempalatnaja Krepost ; car l'animal que l'on nomme saiga dans la province d'Irkursk est le musc.

On mange celui dont nous parlons ; cependant entre cuir & chair il est rempli de petits vers blancs, qui se terminent en pointe par les deux extrêmités, & qui ont 8 ou 9 lignes de longueur ; on dit que sa chair a le même goût que celle du daim. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie.

SAIGA, (Monnoie) il est parlé dans les lois que Thierri donna aux Allemands, & que Clotaire confirma l'an 615, d'une monnoie, dite saiga, valant un denier, qui étoit la quatrieme partie d'un tiers de sol, & par conséquent la douzieme partie d'un sol, lequel valoit 12 deniers. Il paroît de-là que le sol de 12 deniers avoit son tiers de sol, aussi-bien que le sol de 40 deniers ; mais je crois que les monnoies dont il est fait mention dans les loix de Thierri, étoient particulieres aux Allemands ; car il en est souvent parlé dans les titres, dans les loix & dans les ordonnances des empereurs qui ont regné en Allemagne. (D.J.)


SAIGNÉES. f. (Médecine thérapeutique) la saignée est une ouverture faite à un vaisseau sanguin, pour en tirer le fluide qui y est contenu. C'est un des plus grands & des plus promts moyens de guérison que la Médecine connoisse.

Le vaisseau ouvert est artériel ou veineux, d'où nait la division de la saignée, en artériotomie & en phlébotomie. Voyez ces deux mots.

On verra ci-après la maniere de pratiquer cette opération, nous allons en examiner l'histoire, les effets & l'usage.

Histoire de la saignée. Laissant à part l'origine fabuleuse que Pline attribue à la saignée, dont il dit qu'on est redevable à l'instinct de l'hippopotame, qui se frottoit les jambes contre les joncs du Nil, pour en faire sortir le sang ; nous dirons que les hommes durent appercevoir de bonne heure les avantages que procuroient les hémorragies excitées par les efforts critiques de la nature, ou même occasionnées par des plaies accidentelles ; qu'il a dû nécessairement tomber dans leur idée d'imiter la nature ou le hazard, dans les cas qui leur paroîtroient semblables. La saignée a donc été un des premiers secours que tous les peuples ont mis en usage contre les maladies.

Le premier exemple que nous en ayons, remonte à la guerre de Troye. Podalire en revenant, fut jetté sur les côtes de Carie, où il guérit Syrna, fille du roi Damaethus, tombée du haut d'une maison, en la saignant des deux bras ; elle l'épousa en reconnoissance. Ce trait conservé par Etienne de Byzance, est le seul que nous trouvions avant Hippocrate, qui vivoit environ 700 ans après la prise de Troyes.

Ce pere de la Médecine parle souvent de la saignée, & d'une maniere qui fait connoître que depuis très-long-tems on la pratiquoit non-seulement sur la plûpart des veines, mais encore sur quelques arteres. Dans l'opinion où il étoit que chaque veine correspondoit à un viscere différent, il en faisoit un très-grand choix : cependant en général, il ouvroit la plus voisine du mal. Ce principe le déterminoit à ouvrir les veines supérieures dans les maladies au-dessus du foie ; & les inférieures dans les maladies qui avoient leur siege au-dessous. Il le conduisoit à saigner sous la langue & sous les mammelles dans l'esquinancie ; les veines du front & du nez, dans les douleurs de tête & les vertiges ; la basilique du côté malade dans la pleurésie. Il laissoit couler le sang jusqu'à ce qu'il changeât de couleur. Il craignoit d'autant plus la saignée dans les femmes grosses, qu'elles étoient plus avancées. Le printems lui paroissoit la saison la plus favorable pour cette opération. Il croyoit que la saignée faite derriere les oreilles rendoit les hommes inféconds. Il la prescrit dans les grandes douleurs, l'épilepsie, les inflammations, les fievres aiguës véhémentes, quand l'âge & les forces le permettent. Lorsque tout concouroit à la conseiller, il attendoit une légere défaillance pour fermer la veine. Il n'en parle nulle part contre les hémorragies ; il paroît par les épidémiques qu'il en faisoit très-peu d'usage.

En recherchant dans tous les ouvrages attribués à Hippocrate, ce qu'il est dit sur la saignée, & dont on s'est servi pour soutenir les plus grossieres erreurs ; on lit dans le livre des affections que la saignée est utile contre l'hydropisie. Mais lorsqu'on s'en tient à ceux qui sont reconnus pour légitimes, on voit une liaison dans tous les principes, dans les conséquences, qui met le sceau à sa gloire. C'est dans ces livres que nous avons puisé l'extrait que nous venons d'en donner.

Dioclès de Caryste, chef de la secte dogmatique, qui mérite le titre de second Hippocrate, suivit à-peu-près les maximes de ce grand homme. Il faisoit usage de la saignée, au rapport de Caelius Aurélianus, dans les inflammations de la poitrine, de la gorge & du bas-ventre, dans les hémorragies, l'épilepsie, la phrénésie ; pourvu que ce fût avant le sept ou huitieme jour, que le sujet fût jeune & robuste, & que l'ivresse n'en fût pas cause. On sera cependant surpris de voir qu'il la prescrivoit contre les skirrhes du foie, & pour guérir ceux que Caelius appelle lieneux, dont les symptomes ne nous paroissent point différer de ceux du scorbut.

Chrysippe, médecin de Gnide, voulant se frayer une nouvelle route qui pût illustrer son nom, chercha à renverser ce que l'autorité & l'expérience des siecles précédens avoient appris en faveur de la saignée. Il soutint ses maximes par une éloquence toujours séduisante pour le peuple ; il forma des disciples qui prêcherent la même doctrine, entre lesquels on doit donner le premier rang à Erasistrate. Ce médecin, fameux par la guérison d'Antiochus, & par les découvertes qu'il fit en anatomie, proscrivoit la saignée de sa pratique (si on excepte les hémorragies), dans le cas même, où de tout tems on s'en étoit fait une loi. Il y suppléoit par les ligatures des extrêmités, la sévérité de la diete, & un grand nombre de relâchans & d'évacuans par les selles, ou par le vomissement. On connoît peu la pratique d'Hérophile son contemporain, & son émule en anatomie ; mais on sait que ses principes poussés trop loin, porterent Sérapion & Philinus à croire que l'expérience seule devoit être la regle des médecins. Ils devinrent parlà les chefs de la secte des empiriques, qui saignoient leurs malades dans le cas d'inflammation, spécialement dans celle de la gorge. Ils étoient cependant en général avares de sang ; aussi avoient-ils succédé à Chrysippe & à Erasistrate. Héraclide Tarentin, le plus recommandable des empiriques, s'éloigna encore plus que les précédens du sentiment des fondateurs de sa secte ; non-seulement il faisoit saigner les épileptiques, les cynanciques, les phrénétiques, &c. mais encore les goutteux, & ceux qui étoient en syncope (les cardiaques), ce que nous qui ne sommes attachés à aucune secte n'oserions faire. On voit par-là que la prétendue expérience peut conduire dans des excès bien opposés.

Les erreurs d'Asclépiade, qui exerça la médecine à Rome avec un succès exagéré, furent encore plus grandes au sujet de la saignée. Ce médecin ne suivoit d'autre regle pour tirer du sang, que la douleur, les convulsions & les hémorragies. Il s'interdisoit la saignée dans la phrénésie & la péripneumonie, lorsqu'il ne trouvoit que des douleurs foibles. En revanche, il la pratiquoit, à l'imitation d'Héraclide, dans ceux qui étoient en syncope. Il observa que la saignée étoit plus avantageuse contre la pleurésie dans l'Hellespont & l'île de Paros, qu'à Rome & à Athènes. Ses principes conduisirent Thémison son disciple à être le chef de sa secte des méthodiques. Ce médecin fatigué, sans-doute, de la multitude des causes de maladie, des remedes que les dogmatiques & les empiriques mettoient en pratique, voulut reduire la médecine à une simplicité plus dangereuse que vraie. Toutes les maladies furent divisées en trois classes ; celles du genre resserré, celles du genre relâché, & celles du genre moyen. Il n'existoit point selon eux, de maladies de fluides. Les solides seuls par leur relâchement ou leur resserrement, produisoient toutes les maladies. Le siege faisoit la différence des symptomes. On sent déja qu'ils ne saignoient que pour relâcher ; c'étoit en effet leur unique vue : ces maximes trouverent des partisans pendant trois ou quatre siecles ; mais enfin leur insuffisance fit qu'on ne les admit plus que pour ce qu'elles valoient. Gariopontus fit des efforts inutiles en leur faveur au milieu du xj. siecle. On n'en parloit plus qu'historiquement, jusqu'à ce que Prosper Alpin voulut, mais inutilement, rétablir cette ancienne doctrine.

Pour juger de la pratique des anciens méthodiques par rapport à la saignée, il nous reste le peu qu'en ont dit Celse, Pline, Galien, & enfin l'ouvrage de Caelius Aurelianus, qui rassemble ce que Thémison, Thessalus, & sur-tout Soranus son maître avoient dit. Il en fit un corps de doctrine estimable par la description des maladies, & la critique qu'on y trouve des maximes de plusieurs médecins, dont on chercheroit en vain des traces autre part. Cette secte, qui réprouvoit les purgatifs, les diurétiques, & en général les médicamens évacuans, quoiqu'elle mît souvent en usage les vomitifs ; qui accabloit les malades de ventouses, de scarifications, de sangsues, de fomentations, de bains, d'épispastiques, de linimens, de cataplasmes ; qui extenuoit d'abord ses malades par un jeûne sévere de trois ou au moins de deux jours ; qui avoit par rapport à l'air, au sommeil, à l'exercice, à la situation du malade, des attentions dignes d'être imitées, saignoit peu, jamais jusqu'à défaillance, rarement avant le troisieme jour, & après le quatrieme, elle faisoit toujours attention aux forces pour s'y décider : si elles étoient affoiblies, les ventouses y suppléoient : du reste, quoiqu'ils choisissoient peu les veines, ils préferoient celles qui étoient opposées à la partie malade. Ils desapprouvoient la saignée des ranines, &, ce qu'on doit louer, ils faisoient moins d'attention à l'âge, qu'aux forces du malade. On voit aussi avec surprise que peu amis de la saignée, ils l'accordoient contre la paralysie, & la cachexie.

Celse qui vivoit à-peu-près dans le tems des premiers méthodiques, trouva la saignée si commune, qu'il étoit peu de maladies contre lesquelles on ne l'employât ; en se conformant aux regles établies par Themison, il en rendit l'usage moins fréquent. Il ne veut pas qu'on la pratique, lorsque les humeurs sont émues, mais qu'on attende le second ou le troisieme jour, & qu'on s'en défende après le quatrieme, dans la crainte de la foiblesse. Cette même crainte l'empêchoit de saigner jusqu'à défaillance. Il reconnoissoit que l'enfance, la grossesse, & la vieillesse étoient des contre-indications à la saignée, sans qu'on dût se l'interdire entierement dans ces cas. La douleur, les hémorrhagies, les convulsions, les inflammations, l'ardeur de la fievre, la cachexie, & la paralysie étoient auprès de lui, comme chez les méthodiques, les indications. C'étoit, selon lui, égorger un homme que de le saigner dans le redoublement. Il faisoit fermer la veine, lorsque le sang sortoit beau. Il reconnoissoit deux sortes d'apoplexies, dans l'une desquelles la saignée étoit mortelle, pendant qu'elle étoit salutaire dans l'autre, & cependant il ne donne aucune regle pour les distinguer.

Galien fut plus libéral que lui du sang de ses malades. Il saignoit quelquefois jusqu'à défaillance, ce qu'il regarde néanmoins comme dangereux. Il répétoit souvent la saignée, & il étoit peu de maladies où il ne la pratiquât pas. L'âge au-dessus de quatorze, la force du pouls, la grandeur de la fievre, &c. étoient les guides qu'il suivoit pour la saignée. Toutes les veines apparentes, & quelques arteres, étoient soumises à son cautere & à sa lancette. Il choisissoit le relâche que donne la fievre, les vaisseaux du côté malade, & ceux qu'il croyoit, selon la fausse théorie de son tems, correspondre avec la partie affectée. Il est le premier, suivant la remarque de M. Leclerc, qui ait déterminé la quantité de sang qu'il avoit tiré. Jusques à lui aucun des médecins dont les ouvrages nous sont parvenus, n'avoit versé le sang avec autant de profusion ; c'est peut-être à cette époque que nous devons le funeste changement qu'introduisit dans la pratique de la médecine le raisonnement poussé trop loin.

Aretée contemporain de Galien, prescrivoit la saignée presque aussi fréquemment. Il saignoit dans les inflammations des visceres, les hémorrhagies, les douleurs, la mélancolie, l'épilepsie, l'éléphantiasis, l'ulcere de la vessie, la néphrétique, l'apoplexie, & dans les fievres ardentes plusieurs fois, par une large ouverture, jusques au point d'affoiblir le pouls, mais non pas de faire évanouir le malade. Dans le choix des veines, il se conduisoit comme Hippocrate & Galien, en préférant la plus voisine du mal ; c'est ainsi qu'il ouvroit les veines du pubis dans les inflammations de la matrice, celles du front dans les douleurs de tête, les ranines dans les inflammations de la gorge ; il pratiquoit aussi l'artériotomie.

Oribase, compilateur de Galien, suivit à-peu-près les mêmes regles dans sa pratique. Il interdisoit, comme lui, la saignée avant la puberté. Il préféroit d'y revenir plusieurs fois, à tirer tout le sang nécessaire dans une seule, sur-tout lorsque le malade étoit foible. Il vouloit que le médecin tînt le pouls, pendant que le sang couloit, crainte qu'il ne pérît dans la défaillance que causeroit une trop grande évacuation. Il vouloit encore que l'on saignât pendant que l'humeur est mue. Il se servoit plus souvent qu'aucun de ses prédécesseurs, de la saignée prophylactique, dans ceux qui sont sujets aux maladies qui l'exigent ; c'étoit sur-tout à l'entrée du printems que ces saignées avoient lieu. Il porta la quantité de sang qu'on doit tirer la premiere fois à une hémine (dix ou douze onces) au plus ; si les forces le permettent, on peut l'augmenter à la seconde. Il ne s'est cependant pas tellement attaché à ces mesures, qu'il ne recommande plusieurs attentions très-sages. Il ouvroit toutes les veines du corps, & quoiqu'il fît, comme Galien, certain choix des veines, dont notre théorie ne s'accommode pas, il recommande expressément d'ouvrir la plus voisine de la partie affectée, ou sur la partie même. Spécialement dans les inflammations invétérées on peut, selon lui, saigner à toute heure du jour ou de la nuit, mais il faut attendre le déclin de la fievre ; & si la saignée n'est que de précaution, on la fera le matin. Il parle de l'artériotomie en médecin qui ne l'a jamais pratiqué ni vu faire. Antyllus, Hérodote, & sur-tout Galien, sont ses guides, dans tout ce qu'il dit au sujet de la saignée ; il n'a paru même à plusieurs médecins, qu'un copiste de ce dernier.

Aëtius a mérité, à plus juste titre encore, d'être appellé le copiste d'Oribase & des auteurs précédens. Nous n'avons pas trouvé dans les ouvrages de ce médecin, un seul mot au sujet de la saignée, qui nous ait paru lui être propre ; ce qui nous force de passer rapidement sur sa pratique.

Alexandre de Tralles employoit la saignée contre toutes les inflammations, & contre la syncope que produit dans les fievres, la plénitude d'humeurs crues, à-moins que cette humeur ne fût bilieuse ; car dans ce cas il préféroit la purgation. Il saignoit les veines les plus voisines du mal, la jugulaire & les ranines dans l'esquinancie. Il parle de la dérivation qu'il pratiquoit en ouvrant la saphene, pour procurer le flux menstruel aux femmes.

Paul d'Aegine est le premier qui ait divisé la pléthore en celle qui est ad vires, & celle qui est ad vasa. Il donne les signes pour connoître l'une & l'autre, & veut qu'on saigne dans toutes les deux jusques après le septieme jour. Avant de saigner il faut vuider les premieres voies par un lavement, s'il y a de la pourriture dans les intestins. Quant au tems de la pratiquer, il préfere le matin, & défend, comme la plûpart de ses prédécesseurs, la saignée dans l'ardeur du redoublement. Il observe qu'elle est utile, non-seulement pour desemplir les vaisseaux, mais encore pour diminuer la grandeur de la maladie. Si le malade tombe en défaillance, & que cependant il soit dans le cas de perdre beaucoup de sang, on y reviendra plusieurs fois, plutôt que de tout tirer dans une ; tout ce qu'il dit d'ailleurs est copié, ou contient des préceptes sur le choix des veines, & la maniere de pratiquer la saignée en différentes parties du corps.

Après Paul d'Aegine, la Médecine paroit abandonnée par les Grecs, pour passer entre les mains des Arabes, qui faisoient plus d'une conquête sur eux. Ils joignirent quelques remedes ou des méthodes qui leur étoient propres, à la doctrine des Grecs qu'ils compilerent. C'est ainsi qu'ils crurent reconnoître avec eux dans la veine céphalique une communication avec le cerveau ; dans la basilique, avec le bas-ventre. C'est ainsi qu'ils ouvrirent presque toutes les veines extérieures du corps, dans les différentes affections ; qu'ils saignoient au pié, pour exciter les regles & les hémorrhoïdes. Ils s'en écarterent cependant dans un point qui a paru essentiel à Brissot & à Moreau. Loin de faire saigner comme les Grecs, le plus près du mal qu'il étoit possible, ils saignoient du côté opposé, dans l'idée où ils étoient qu'on n'ouvroit point une veine, sans attirer sur la partie saignée une plus grande quantité de sang, qu'il n'en sortoit. Isaac-Israëlite, Avenzoar, Rhazis pensoient ainsi. Ce dernier s'autorisoit de Galien, qui suivant la remarque de Jacchinus son commentateur, dit précisément le contraire.

Avicenne, le prince des médecins arabes, avoit adopté ce sentiment, il y avoit joint tant d'inconséquences au sujet de la saignée, qu'il recommande l'ouverture de la veine sciatique (rameau de la saphene placé à côté du talon), contre les douleurs de la cuisse ; celle de la veine du front & du sinciput, de l'artere temporale dans les pesanteurs de tête, les migraines, &c. qu'il défend la saignée dans l'hydropisie, & qu'il ordonne l'ouverture de certaines veines du bas-ventre contre l'ascite. Pour composer son chapitre de la saignée, il avoit mis à contribution Hippocrate, Rhasis, & Galien ; il mérite peu d'être lu.

Albucasis compte trente veines ou arteres qui peuvent être ouvertes, il s'occupe principalement de la maniere de les ouvrir ; attaché à la doctrine d'Avicenne, il ne paroît pas s'en écarter. Copiste comme lui des Grecs, il répete beaucoup de choses que nous trouvons dans leurs ouvrages. Quoiqu'il paroisse dans l'opinion que la saignée attire toujours le sang dans la veine ouverte, cependant il recommande souvent des saignées locales, contre les inflammations graves & les vives douleurs.

Pendant les quatre siecles qui suivirent Avicenne, sa doctrine fut suivie dans la plus grande partie de l'Europe, où on cultivoit la Médecine. Son nom étoit alors aussi respectable, que l'est de nos jours celui d'Hippocrate. On le regardoit comme un homme qui avoit porté la science médicinale beaucoup audelà de ses prédécesseurs ; on tâchoit de méconnoître dans ses ouvrages que, si on excepte la matiere médicale, il avoit presque tout copié des Grecs. Le plus grand effort que purent faire Gordon, Guy de Chauliac, Valescus de Tarenta, Savonarole, &c. fut de chercher à concilier, dans le choix des veines, la doctrine des Arabes & celle des Grecs. Ces derniers saignoient en conséquence du côté opposé, quand il y avoit pléthore, & du côté malade quand elle avoit diminué par les saignées, comme si le méchanisme de l'économie animale, & les lois de l'hydraulique pouvoient changer. Ces médecins suivoient pour la quantité de sang, le tems, les indications, & les contre - indications, les maximes que nous avons trouvées dans Galien & ses copistes grecs & arabes.

Les ouvrages des auteurs grecs étant traduits & devenus communs au commencement du seizieme siecle, il étoit juste que les peres de la Médecine, ses vrais législateurs rentrassent dans leurs droits. Par la comparaison qu'on fit d'Hippocrate & de Galien avec les Arabes, on sentit l'infériorité de ces derniers ; bien - tôt leur étude fut négligée. Galien plus facile à entendre, fut lu & enseigné par-tout ; les éditions s'en multiplierent avec une rapidité qui prouve que le bon goût & la saine philosophie commençoient à naître.

Le choix des veines occupa alors les Médecins avec une ardeur que leur zèle rendoit louable, dans un tems où la circulation du sang étoit ignorée ; c'étoit spécialement dans les inflammations de poitrine, qu'il paroissoit intéressant de décider la question. Brissot, célebre médecin de Paris, comparant le sentiment des Grecs avec celui des Arabes, trouva le premier plus conforme à la raison, le suivit dans sa pratique, le publia dans ses leçons & dans ses consultations. Ses maximes furent goûtées & suivies de plusieurs médecins. Etant allé en Portugal, il y souffrit une persécution qu'il ne méritoit pas. Il y mourut, laissant une apologie de son sentiment, à laquelle René Moreau a ajouté, cent ans après, un tableau chronologique des Médecins, & un précis de leurs sentimens à ce sujet.

Ce siecle vit les médecins partagés en six opinions différentes, au sujet de la saignée dans la pleurésie. Les uns saignoient toujours du côté malade ; les autres du côté opposé ; les troisiemes suivoient d'abord la seconde méthode, ensuite la premiere, & entre-mêloient les saignées du pié ; les quatriemes ouvroient toujours la veine du pié. Vesale conclut de la situation de la veine azygos, qui sortant du côté droit, fournit le sang à toutes les côtes, si on excepte les trois supérieures gauches, qu'on devoit toujours saigner du bras droit, excepté dans le cas où ces dernieres seroient le siége de la douleur. Il eut pour sectateurs Léonard Fuchs & Cardan. Un très-petit nombre embrassa le sentiment de Nicolas le Florentin, qui vivoit au quatorzieme siecle ; il crut qu'il étoit indifférent d'ouvrir l'une ou l'autre veine ; l'évacuation seule lui paroissoit mériter l'attention des Médecins.

L'étude des Grecs devenant toujours plus familiere, les Arabes tombant dans le discrédit, le plus grand nombre des médecins se rangea du parti des premiers. Brissot remporta une victoire presque complete après sa mort. Rondelet, Craton, Valois, Argentier, Fernel, Hollier, Duret, toute l'école de Paris qui l'avoit persécuté, lui rendit les armes. Il y eut même des partisans outrés. Martin Akakia soutint dans la chaleur de l'enthousiasme, que l'opinion des Arabes avoit tué plusieurs milliers d'hommes ; celui-ci trouva cependant encore d'illustres défenseurs.

Scaliger voulant parer les coups, accablans pour-lors, de l'autorité, chercha le premier à prouver par les lois de l'hydraulique, qu'on devoit saigner du côté opposé à celui qui étoit affecté. Toutes ces sectes montroient, comme il n'est que trop ordinaire aux disciples des grands hommes, plus d'opiniâtreté dans le sentiment de leurs maîtres, que de raison & de bonne foi. Jamais Hippocrate & Avicenne n'auroient disputé avec tant de chaleur, sur un point qui nous paroît à présent peu important. Il étoit bien plus essentiel de déterminer les cas où on devoit tirer du sang, & jusqu'à quel point.

L'ouvrage de Botal donna l'allarme à ce sujet. Il poussa dans son traité de curatione per sanguinis missionem, imprimé pour la premiere fois en 1582, l'abus de la saignée à un excès qu'on ne peut se persuader. En voulant trop prouver, il ne prouva qu'une chose, c'est que l'esprit & l'éloquence peuvent en imposer à ceux, qui destitués de l'expérience, ne font pas un usage assez grand de leur raison. Il avança que dans la cacochymie, l'hydropisie, les fievres quartes invétérées, les indigestions, les diarrhées, les suppurations intérieures, &c. la saignée étoit le grand remede. Il osa s'étayer des passages d'Hippocrate tronqués, choisis dans ses oeuvres supposées. Il comparoit les veines à un puits, dont l'eau étoit d'autant meilleure, qu'elle étoit plus souvent renouvellée. Bonaventure Grangier, médecin de la faculté de Paris, s'éleva avec un grand succès contre Botal. Cette faculté le condamna authentiquement, lorsque son traité parut ; & cependant il l'entraîna après sa mort dans la plus grande partie de ses idées. Elle oublia les loix qu'Hippocrate, que Celse, Galien même, &c. avoient établies, auxquels les Fernel, les Hollier, les Duret s'étoient soumis (Ce dernier disoit familierement qu'il étoit petit seigneur). On la pratiqua avec une fureur qui n'est pas encore éteinte, contre laquelle on a vû successivement s'élever de bons ouvrages, & faire des efforts impuissans. La saignée qu'on n'osoit faire, au rapport de Pasquier, une seule fois qu'avec de grandes circonspections, fut prodiguée. La saine partie a su conserver ce milieu qui est le siége de la vérité ; mais plusieurs ont resté entraînés par le préjugé & le mauvais exemple.

La découverte de la circulation du sang, publiée en 1628 par Harvée, sembloit devoir apporter un nouveau jour sur une matiere qui y avoit autant de rapport ; mais elle ne servit qu'à aigrir, qu'à augmenter les disputes. Il y eut de grands débats à ce sujet, au milieu du siecle dernier, qui produisirent une foule d'ouvrages, la plûpart trop médiocres pour n'être pas tombés dans l'oubli : on donna des deux côtés dans des excès opposés. Il en fut qui soutinrent qu'on pouvoit perdre le sang comme une liqueur inutile, tel fut Valerius Martinius ; pendant que d'autres, tels que van-Helmont, Bontekoë, Gehema & Vulpin, prétendoient qu'il n'étoit aucun cas où on dût saigner : thèse renouvellée de nos jours.

Ces excès n'étoient point faits pour entraîner les vrais observateurs ; Sennert, Pison, Riviere, Bonet, Sydenham, suivirent l'ancienne méthode, & furent modérés ; quoiqu'on puisse reprocher au dernier quelques choses à cet égard, & notamment lorsqu'il conseille la saignée dans l'asthme, les fleurs blanches, la passion hystérique, la diarrhée en général, & spécialement celle qui survient après la rougeole, où il paroît la pratiquer plutôt par routine, que par raison ou par expérience.

On voit avec peine Willis, cet homme de génie fait pour prescrire des loix en Médecine, fait pour découvrir, se soumettre aveuglément aux leçons de Botal, conseiller la saignée contre presque toutes les maladies : fere totam Pathologiam, de phleb. p. 173. Il fut repris vivement peu de tems après sa mort, par Luc-Antoine Portius, qui combattit à Rome, en 1682, ce sentiment des galénistes, trop répandus dans cette ville, par quatre dialogues où il faisoit entrer en lice Erasistrate & van-Helmont, contre Galien & Willis. Quoique ce genre d'ouvrage soit peu fait pour les savans, par le tas de mots dont on est forcé de noyer les choses, ils méritent d'être lus par ceux en qui la fureur de verser du sang n'a pu être éteinte par l'observation & les malheurs. On y trouve beaucoup de jugement de la part de l'auteur, qui appuie son sentiment par une apologie de Galien, dans laquelle il excuse ingénieusement ce grand homme, en combattant ses sectateurs avec des armes d'autant plus fortes, qu'il démontre que ceux-ci ont outré la doctrine de leur maître, & d'autant plus raisonnables, qu'il prend pour son principe cette vérité appliquable à tous les moyens de guérison, qu'il vaut beaucoup mieux pécher par défaut que par excès, & que ceux qui s'interdisent absolument la saignée, font une faute bien au-dessous de celle que commettent ceux qui la pratiquent contre tous les maux.

On vit au milieu de ces disputes, s'élever un homme savant, plein de génie, Bellini, qui voulant à l'exemple de Scaliger, appliquer les mathématiques à la Médecine, tomba par des erreurs de calcul, ou des fausses suppositions, dans les paradoxes les plus étranges. Il mit au jour, en 1683, son Traité de la saignée, qui contient onze propositions, avec la réponse & les preuves. Nous ferions tort à l'histoire de la saignée, si nous passions sous silence ces maximes qui ont entraîné le suffrage d'un grand nombre de savans médecins, & donné lieu aux disputes les plus vives.

Le sang, selon Bellini, coule avec plus de rapidité pendant la saignée dans l'artere qui correspond à la veine ouverte, & en s'y portant, ce qu'il appelle dérivation, il quitte les vaisseaux éloignés, ce qu'il nomme révulsion. Après la saignée, la dérivation & la révulsion sont moindres que pendant l'écoulement du sang, & enfin s'évanouissent. On doit saigner dans les inflammations, les rameaux qui ont la communication la plus éloignée avec la partie malade, pour ne point attirer le sang sur celle-ci. La saignée rafraîchit & humecte par l'évacuation qu'elle produit ; elle échauffe & desseche au contraire, lorsqu'elle rend au sang trop géné un mouvement rapide. Elle doit être mise en usage dans toutes les maladies où le sang est trop abondant, où il faut en augmenter la vélocité, rafraîchir, humecter, résoudre les obstructions, ou changer la nature du sang ; la saignée en augmente la vélocité. Il seroit plus avantageux d'ouvrir les arteres, que les veines dans les cas où la saignée est indiquée ; la crainte des accidens doit y faire suppléer par tous les autres moyens que la Médecine a en son pouvoir, tels que les scarifications, les sangsues, les ligatures, &c. les évacuans quelconques peuvent tenir lieu de la saignée. Le tems le plus sûr pour tirer du sang est le déclin de la maladie. On voit dans tout cet ouvrage un grand homme, prévenu de certains sentimens, qu'il soutient avec la vraisemblance que le génie sait donner aux maximes les plus fausses. Quelques erronées que paroissent la plûpart de ces propositions, elles ont eu, comme nous l'avons dit, d'illustres défenseurs, parmi lesquels on doit compter Pitcarn, ce célebre médecin, dont il seroit à souhaiter que les élémens de médecine fussent physicopratiques, au lieu d'être physico-mathématiques ; il étoit trop lié avec Bellini de coeur & de goût, pour ne pas l'être de sentiment.

De Heyde fut un adversaire redoutable de Bellini, il opposa l'expérience aux calculs, il s'attacha ainsi à combattre sa doctrine par les armes les plus fortes. Le recueil de ses expériences parut trois ans après le traité de ce dernier, c'est-à-dire en 1686, & fut sans réplique. M. de Haller a publié 70 ans après des expériences qui confirment celles de de Heyde.

L'histoire du xviij. siecle présente des faits d'autant plus intéressans, qu'ils sont le terme auquel on est parvenu, que de grands hommes, se faisant gloire de secouer tout préjugé, ont cherché la vérité par l'expérience sur des animaux vivans, l'observation sur les malades, le raisonnement & le calcul ; ce qui n'a point empêché un grand nombre de tomber dans des écarts entierement semblables à ceux des siecles précédens : la circulation des sentimens est un spectacle vraiment philosophique. On voit dans la suite des tems les mêmes opinions tomber & renaître tour-à tour, se faire place mutuellement, & accuser par cette révolution, le peu d'étendue & de certitude des connoissances humaines. La vérité trop difficile à saisir, ne présente le plus souvent qu'un de ses côtés ; elle voile les autres, & ne marche jamais sans l'erreur qui vient au-devant des hommes, pendant que celle-la semble les éviter. Toutes les anciennes disputes sur le choix des veines, la quantité de sang qu'on devoit tirer, les cas où on devoit saigner, revinrent & repasserent dans l'espace de 30 ans, par les mains des plus savans médecins françois & étrangers. Celui qui y joua un des principaux rôles, fut M. Hecquet. Une thèse à laquelle il présida en 1704, dans laquelle il soutenoit que la saignée remédie au défaut de la transpiration insensible, fut le principe de la querelle. M. Andry en rendit compte dans le journal des savans, d'une maniere ironique, à laquelle le premier repliqua. Il le fit d'une maniere si aigre & si vive, qu'il ne put obtenir la permission de faire imprimer son ouvrage. Ce fut secrétement qu'il parut, sous le titre d'explication physique & méchanique des effets de la saignée, & de la boisson dans la cure des maladies ; avec une réponse aux mauvaises plaisanteries que le journaliste de Paris a faites sur cette explication de la saignée. Il donna en même tems au public une traduction de sa thèse. M. Andry dupliqua en 1710, par des remarques de médecine sur différens sujets ; spécialement sur ce qui regarde la saignée, la purgation & la boisson. Par ce dernier ouvrage la querelle resta éteinte.

Il n'avoit été question entre MM. Hecquet & Andry, que des cas où on devoit pratiquer la saignée ; le premier excita une nouvelle dispute avec M. Sylva. Ils aimoient trop tous les deux à verser du sang, pour être en différend sur la quantité ; ils combattirent sur le choix des veines. M. Hecquet publia en 1724, ses observations sur la saignée du pié, qu'il désapprouvoit au commencement de la petite vérole, des fievres malignes, & des autres grandes maladies. M. Sylva voulant justifier cette pratique, & expliquer la doctrine de la dérivation & de la révulsion, entendues à sa maniere, donna en 1727, son grand traité sur l'usage des saignées, muni des approbations les plus respectables. Le premier volume est dogmatique ; l'auteur y développe son systême, & combat celui de M. Bianchi, qui huit années auparavant, avoit soutenu dans une lettre adressée à M. Bimi, sur les obstacles que le sang trouve dans son cours : 1°. que la circulation du sang étant empêchée dans une partie, toute la masse s'en ressent : 2°. qu'on doit saigner dans la partie la plus éloignée du mal, à-moins qu'il ne soit avantageux d'y exciter une inflammation plus forte ; ce qui excuse & explique le bon effet des saignées locales. L'autorité d'Hippocrate mal entendue, & de Tulpius, une pratique vague, l'expression des propositions précédentes, étoient les preuves dont M. Bianchi se servoit. M. Sylva se montra par-tout un partisan zélé de la saignée du pié, un ennemi déclaré des saignées faites sur la partie malade, qu'il appelle dérivatives. Forcé de convenir des avantages de la saignée de la jugulaire, il fit les plus grands efforts pour la faire quadrer avec ses calculs. Son second volume répond à M. Hecquet, qui vivement attaqué, fit à son tour imprimer trois années après, son Traité de la digestion, dont le discours préliminaire & trois lettres, servent à défendre son sentiment. Il composa dans sa retraite, une apologie de la saignée dans les maladies des yeux, & celles des vieillards, des femmes & des enfans. Il s'éleva de nouveau contre la saignée du pié, dans son Brigandage de la Médecine. Il n'étoit pas homme à revenir de ses idées ; il les soutenoit dans sa médecine naturelle, qu'on imprimoit en 1736, lorsqu'il fut lui-même la dupe de son goût, nous dirions volontiers de sa fureur pour la saignée. On ne peut voir sans étonnement, qu'un homme de 76 ans, cassé, affoibli par les travaux du corps & de l'esprit, autant que par une longue & pieuse abstinence, ayant des éblouissemens, dont sa foiblesse nous paroît avoir été la cause, fût saigné quatre fois, & notamment quatre heures avant sa mort, dans une maladie d'un mois.

Pour en revenir à M. Sylva, nous dirons que s'il trouva des partisans dans M. Winslou, plusieurs autres membres célebres de la faculté de Paris, & quelques médecins étrangers, M. Hecquet ne fut pas le seul à s'élever contre lui. M. Chevalier, dans ses Recherches sur la saignée ; M. Sénac, dans ses lettres sur le choix des saignées, qu'il donna sous le nom de Julien Morisson ; dans les essais physiques, qu'il a ajoutés à l'anatomie d'Heister, & dans son Traité du coeur ; M. Quesnay, dans son excellent ouvrage sur les effets & l'usage de la saignée, qu'il publia d'abord en 1730, sous le titre d'observations ; M. Buttler, dans l'essai sur la saignée, imprimé en anglois ; ainsi que la théorie & pratique de M. Langrish ; M. Martin, dans son Traité de la Phlébotomie & de l'Artériotomie ; M. Jackson, dans sa Théorie de la Phlébotomie, le combattirent dans tous les points de sa doctrine. M. Oeder prouva en 1749, dans une thèse inaugurale, que le sang qui acquiert plus de vîtesse dans le vaisseau ouvert, entraîne dans son mouvement celui des vaisseaux voisins, d'autant plus fortement, qu'ils sont plus près de lui ; ce qui est directement opposé au sentiment de Bellini & de ses sectateurs. M. Hamberger prétendit que les expériences qu'il avoit faites avec un tube, auquel il avoit donné à-peu-près la forme de l'aorte, démontroient la fausseté de la dérivation & de la révulsion. D'où il concluoit que le choix des veines étoit indifférent, & que l'effet des saignées se bornoit à l'évacuation. Il renouvella par-là les opinions de Nicolas Florentin, Botal, Pétronius, Pechlin & Bohnius. M. Wats se joignit aux adversaires de M. Sylva, dans son Traité de la dérivation & de la révulsion, imprimé en anglois. M. de Haller a publié en 1756, un recueil d'expériences sur les effets de la saignée, qui confirment (comme nous l'avons dit), celles de Heyde, qui contredisent en plusieurs points celles de M. Hamberger, les calculs de MM. Hecquet, Sylva, &c. Nous appuierons nos idées sur l'effet de la saignée, par ces expériences mêmes, qui portent avec elles toute l'autorité dont elles ont jamais pu être revêtues.

M. Tralles écrivit en 1735, sur la saignée à la jugulaire & à l'artere temporale, dont il rendit les avantages évidens. Il s'appuya par un post - scriptum, du sentiment de M. Sylva, quoiqu'il en désapprouvât les calculs, & plusieurs des conséquences qui excluoient l'Artériotomie.

M. Kloeckhof examina dans une dissertation imprimée en 1747, cette question intéressante : quel doit être le terme de la saignée dans les fievres aiguës. Quoique le plus grand nombre des médecins, dont il rapporte les maximes, l'interdise en général après le trois, quatre ou cinquieme jour ; il conclut cependant avec raison, muni de leurs suffrages mêmes, qu'il est des cas (rares à la vérité), où on peut la pratiquer le dixieme jour.

Un anonyme a publié en 1759, un ouvrage sur l'abus de la saignée, auquel on doit des éloges. S'appuyant sur l'autorité des grands maîtres, il réduit l'usage de ce remede dans les bornes où l'ont maintenu le plus grand nombre de ceux dont la gloire a couronné les succès.

Il est tems que nous rendions compte de la doctrine des trois grandes lumieres de ce siecle : Stahl, Hoffman & Boerhaave. Aucun d'eux n'a traité ex professo du choix des veines ; ils paroissent cependant avoir tous pensé que la saignée déterminoit le sang à couler du côté de la veine ouverte. Ils ont au-moins posé ce systême, comme un principe dont ils tiroient des conséquences.

On est surpris quand on voit Stahl, qui regardoit la plûpart des maladies, comme des efforts salutaires de l'ame, qui tend à se débarrasser de la matiere morbifique ; qui est d'après ce principe, très-avare de remedes, prescrire la saignée dans un grand nombre de cas, où les Médecins la regardent comme dangereuse & même nuisible. Telles sont la phthisie, la passion hypocondriaque, les fleurs blanches, la vomique, l'empyeme & quelques autres maladies chroniques ; tandis qu'il en faisoit un très-petit usage dans la pleurésie, les convulsions & les maladies analogues, qu'il l'interdisoit dans toutes les fievres aiguës où la pléthore n'est pas évidemment grave, sur-tout après le 3 ou 4e. jour, & dans les fievres pétéchiales ; s'il l'abandonnoit dans ces cas, il s'en servoit au contraire fréquemment pour prévenir un grand nombre de maladies tant aiguës que chroniques, telles que la goutte, la colique néphrétique, le rhumatisme, les hémorragies. La saignée du pié n'est point, selon lui, contre-indiquée par la grossesse. Il s'éleve contre les médecins qui font trop d'attention à l'âge du malade. Il la défend au milieu de l'été, & veut qu'on ait égard aux phases de la lune. Il s'étoit soumis lui-même à cette loi. Il raconte (dans ses commentaires sur le traité de l'expectation de Gédeon Harvée) qu'à l'âge de soixante-neuf ans, il venoit d'éprouver la cent-deuxieme saignée, depuis celui de dix-sept : & qu'aucune d'elles n'avoit été faite sans un soulagement évident.

Hoffman est encore plus prodigue de sang que Stahl ; il place la saignée au-dessus de tous les autres remedes ; il la reconnoit comme un grand préservatif des maladies, qu'il conseille presque à tout le monde, deux, trois ou quatre fois par an, dans les solstices & les équinoxes. A peine reconnoit-il qu'elle affoiblit l'estomac, & qu'elle ralentit la transpiration. Presque toutes les maladies aiguës & chroniques exigent, selon lui, la saignée. L'hydropisie même en reçoit dans bien des cas, un grand soulagement ; & à ce sujet il appuie son expérience de l'autorité d'Hippocrate, d'Alexandre de Tralles, de Paul d'Aegine, & de Spon qui rapporte dans ses nouveaux aphorismes d'Hippocrate, qu'il a vu un hydropique guéri par vingt saignées, auquel tous les diurétiques & les hydragogues avoient été nuisibles. Il l'exclut à peine dans l'ascite & la tympanite. Il seroit trop long de rapporter toutes les maladies où il la conseille ; il suffit de dire qu'il en fait une panacée, contre laquelle il trouve très-peu de contre-indications.

Nous voici parvenus au célebre auteur qui a su allier la théorie la plus saine & la plus lumineuse, à l'expérience & aux succès les plus décidés : la médecine moderne à l'hippocratique. Boerhaave, sans se prévenir pour aucun remede, les a tous connus, les a tous appréciés, & nous a laissé dans ses aphorismes & ses instituts, les regles les plus sûres qu'on connoisse jusqu'à présent, dans un art où nous venons de rencontrer autant de contradicteurs que d'auteurs. Ce grand homme met des sages bornes à la saignée. La pléthore, l'épaississement inflammatoire du sang, sa raréfaction, & toutes les maladies qui en sont la suite, les inflammations tant internes qu'externes, les délires phrénetiques, les hémorragies qui ne viennent point de la dissolution du sang, la trop grande force, la roideur des solides, le mouvement accéléré des fluides, les douleurs vives, les contusions indiquent, selon lui, la saignée, tandis que le défaut de partie rouge dans le sang, les oedemes, les engorgemens sereux, l'âge trop ou trop peu avancé, les fievres intermittentes, la transpiration arrêtée, la foiblesse du corps, la lenteur de la circulation, en sont les principales contre-indications. Il veut qu'on saigne dans les grandes inflammations internes, avant la résolution commencée, avant le troisieme jour fini, par une large ouverture faite à un gros vaisseau ; qu'on laisse couler le sang jusqu'à une legere défaillance, & qu'on la répete jusqu'à ce que la croute inflammatoire soit dissipée. Il soupçonne que les saignées abondantes pourroient écarter la petite vérole, ou dissiper la matiere varioleuse sous une forme plus avantageuse que l'éruption. Quant au choix des veines, il conseille la saignée du pié dans le délire fébrile & la phrénésie, celle de la veine du front & de la jugulaire dans les mêmes maladies & dans l'apoplexie.

Ayant commencé ce précis des sentimens que les célebres médecins ont eu sur la saignée par Hippocrate, nous ne pouvions mieux le finir que par Boerhaave. L'accord qui se trouve entre ces grands hommes, prouve en même tems que la vérité n'est qu'une, & qu'ils l'ont tous les deux connue & enseignée.

Effets de la saignée. Pour donner une idée exacte des effets de la saignée, il faut d'abord les considérer dans l'état le plus simple, dans un adulte sain, & bien constitué. Nous les examinerons ensuite dans les différentes maladies, lorsque nous parlerons de son usage.

L'expérience faite sur l'homme ou les animaux vivans, peut seule être notre guide ; toute autre nous conduiroit à l'erreur. Nous voudrions en vain appliquer l'hydraulique au méchanisme animal, l'erreur qui en naîtroit, seroit d'autant plus dangereuse, que nous nous croirions fondés sur le calcul, que nous établirions peut-être, comme tant d'autres, notre édifice sur de fausses suppositions, que nous oublierions que tous les problêmes de cette science n'ont pas été résolus, & que la plûpart des causes particulieres qui meuvent les fluides dans l'animal vivant, nous est inconnue.

Le long détail historique que nous avons donné, nous dispense de l'ennui des citations ; après avoir vu les Médecins perpétuellement en contradiction entr'eux, ou avec eux-mêmes, leur autorité toujours balancée ne sauroit être pour nous d'aucun poids, lorsqu'ils n'apporteront pas des expériences claires, précises, concluantes. Nous faisant gloire de secouer à cet égard tout préjugé, c'est à cette même expérience & au raisonnement le plus simple, à nous conduire, & à amener les conséquences pratiques que nous verrons dans la derniere partie.

Si j'ouvre un vaisseau sanguin, veineux ou artériel, peu importe, dans lequel la circulation ne soit gênée par aucune ligature, le sang qui (conformément au méchanisme de tous les animaux) est resserré dans ses vaisseaux, qui est toujours prêt à s'échapper, profite de ce nouveau passage, & s'écoule dans une quantité proportionnée à la pression, au mouvement qu'il essuie, à sa fluidité, & à l'ouverture, au calibre du vaisseau. Le jet sera soutenu avec la même force, ou diminuera insensiblement, si le vaisseau est veineux : il ira par bonds, s'il est artériel. On conçoit aisément, d'après les loix de la circulation, que l'un & l'autre jets suivent le mouvement imprimé par le coeur, immédiatement dans les arteres, & modifié par l'action des muscles & des vaisseaux capillaires dans les veines ; on sent aussi que la plus grande partie du sang qui sort par l'ouverture, est fournie dans les arteres par le courant qui est entre cette ouverture & le coeur, dans les veines entr'elle & les extrêmités.

Lorsque le vaisseau ouvert est mince, jusqu'à un certain point, le sang ne peut sortir que goutte-à-goutte ; la même chose arrivera à un gros vaisseau, si l'ouverture est très - petite ; mais si elle est aussi grande que le calibre de ce gros vaisseau, la colomne de sang qui se présente à la circulation, se partagera en deux portions inégales ; l'une suivra le cours naturel, l'autre s'échappera par la plaie. Cette seconde sera plus considérable que la premiere, parce que le sang n'aura point à vaincre la résistance que présente la colomne de sang contenue dans les veines entre le coeur & la plaie, dans les arteres, entre cette derniere & les extrêmités. Si au contraire cette ouverture est plus grande que le calibre du vaisseau, le sang resserré, comme nous l'avons vu, cherchant à s'échapper, se jettant avec précipitation dans l'endroit où il trouve le moins d'obstacles, accourra des deux côtés de la veine ou de l'artere, les deux colomnes de sang se heurteront par des mouvemens directs & rétrogrades, pour sortir par la plaie. Quoique le mouvement direct soit toujours le plus fort, il n'empêchera pas que la colomne retrograde ne fournisse à l'évacuation, plus ou moins, suivant la grandeur de l'ouverture. C'est cette expérience faite par de Heyde contre Bellini, que M. de Haller a répétée une multitude de fois, de différentes manieres, qui sert de base à la théorie que ce dernier donne de la saignée.

Pendant que le sang s'écoule, il arrive que la colomne de sang qui vient immédiatement du coeur dans les arteres, qui est obligée de traverser les vaisseaux capillaires pour remplir les veines, rencontrant moins d'obstacles, à raison de l'augmentation des orifices par lesquels elle doit s'échapper, accélere son mouvement. Les vaisseaux collatéraux, en comprimant le sang qu'ils contiennent, en cherchant à rétablir l'équilibre, envoyent une partie de ce sang dans le vaisseau où il éprouve le moins de résistance. Mais (ce qu'il est très-important de remarquer) le vaisseau ouvert contient moins de sang, ses parois sont plus rapprochés qu'ils n'étoient avant la saignée ; & quoique dans un tems donné, il s'écoule à-travers le vaisseau, une plus grande quantité de sang, l'augmentation, loin d'être supérieure à la perte, lui est toujours inférieure, par le frottement qui y met un obstacle, la force d'inertie, & le tems nécessaire pour qu'il parcoure l'espace compris entre le lieu d'où il part, & l'ouverture du vaisseau. Bientôt ce mouvement se communique des vaisseaux collatéraux, successivement à tous ceux qui parcourent le corps, sanguins, séreux, bilieux, &c. mais d'autant plus foiblement, dans un espace de tems d'autant plus long, qu'ils sont plus éloignés, plus petits, & plus hors du courant de la circulation du sang contenu dans les vaisseaux qu'on évacue, ou dans ceux qui y correspondent immédiatement.

Cet afflux de sang augmenté pendant la saignée dans le vaisseau ouvert, a été appellé par les Médecins dérivation ; cette diminution de la quantité de sang contenu dans les vaisseaux les plus éloignés, qui vient se rendre au lieu ouvert, ou qui coule en moindre quantité dans cette partie éloignée, parce qu'il faut que le coeur fournisse davantage au vaisseau le plus vuide, parce que le sang se jette toujours du côté de la moindre résistance, s'appelle révulsion. Jusque-là tous les Médecins sont d'accord entr'eux de cet effet pendant la saignée sans ligature ; mais s'ils apprecient la quantité de la dérivation & celle de la révulsion, on les voit se partager. Les uns avec Bellini & Sylva, prétendent que le vaisseau ouvert est plus plein pendant la saignée, qu'il ne l'étoit avant ; que la révulsion est d'autant plus grande que le vaisseau est plus éloigné. Les autres, avec MM. Senac & Quesnay, appellans à leur appui toutes les loix de l'hydraulique, toutes les lumieres de la raison & l'expérience médicinale, conviennent que dans un tems donné, il circule une plus grande quantité de sang dans le vaisseau ouvert, pendant la saignée, qu'avant ou après ; mais que le vaisseau resserré contient réellement une moindre quantité de sang, qui circule plus vîte. Ils insistent & prouvent que la révulsion est d'autant moindre, qu'elle se fait dans une partie plus éloignée. Ils se rient de ceux qui voulant ralentir & diminuer l'eau qui s'écoule par un canal qui répond à un bassin commun, vont chercher le point le plus éloigné, pour y faire une ouverture, & craignent qu'en doublant le diamêtre de ce canal, dont l'entrée ne varie point, ils n'y attirent un débordement.

Voilà (si nous ne nous trompons) le fond de ces disputes vives & intéressantes, agitées entre de grands hommes armés de calculs les uns & les autres sur la dérivation & la révulsion, dans lesquelles on est étonné que la préoccupation ait étouffé la raison la plus simple & la plus naturelle, au point de voir des hommes respectables recourir à des explications forcées, admettre sans-cesse de fausses suppositions, pour accommoder & expliquer par leurs systêmes, des expériences qu'ils ne pouvoient revoquer en doute, & qui les accabloient : telles que l'avantage de la saignée à la jugulaire dans les pléthores particulieres de la tête, qui causent des céphalalgies. Nous aurons lieu d'examiner cet objet plus en détail ; passons aux autres effets de la saignée.

Si le sang coule goutte-à-goutte, il se formera peu-à-peu sur les bords de la plaie un caillot, par l'application & la coalition successive de la partie rouge du sang épaissie, desséchée par le défaut de mouvement, & le contact de l'air. Ce caillot observé si constamment par M. de Haller, arrêtera l'hémorrhagie, collera les bords de la plaie, & enfin laissera voir la cicatrice par sa chûte. Cette cicatrice resserrera le vaisseau, en diminuera le diamêtre dans l'endroit où elle se trouvera placée, à moins qu'il ne survienne à l'artere un anevrisme auquel la force & l'inégalité du jet donneront lieu, en dilatant les membranes affoiblies par la plaie, en empêchant la réunion de la plus intérieure : ce qu'on peut prévenir par les moyens détaillés, lorsqu'il a été question des accidens qui peuvent suivre la saignée. Voyez ANEVRISME.

Si on enleve le caillot avant la réunion de la plaie, & que le vaisseau soit considérable, les symptômes précédens se renouvelleront, le saigné tombera en défaillance, la circulation sera interrompue dans tout le corps, & l'hémorrhagie arrêtée par ce nouvel accident. Ce dernier effet sera d'autant plus promt, que le sang coulera en plus grande quantité dans un tems donné. Il sera dû à l'état des vaisseaux sanguins & du coeur, qui n'étant pas remplis au point nécessaire pour la propagation du mouvement, suspendront leur action, jusque à ce que la nature effrayée ranimant ses forces, fasse resserrer le calibre de tous les vaisseaux, & soutienne cette compression du sang nécessaire à la vie. Si alors le sang s'échappe de nouveau, le caillot à la formation duquel la défaillance donne lieu, ne s'étant point formé par la dissolution du sang, ou par la force avec laquelle il est poussé, la compression étant détruite aussi-tôt que formée, les défaillances répétées améneront la mort.

Si au contraire l'hémorrhagie est arrêtée naturellement ou artificiellement, le resserrement général & proportionné de tous les vaisseaux, & la loi posée que le sang en mouvement se tourne toujours du côté où il trouve moins d'obstacles, feront que l'équilibre se rétablira bientôt dans les vaisseaux sanguins ; de maniere que chacun d'eux éprouvera une perte proportionnelle à son calibre. Cette perte se propagera successivement dans les vaisseaux séreux, &c. qui enverront leurs sucs remplacer en partie le sang évacué, ou qui en sépareront une moindre quantité.

Par l'augmentation de ces liqueurs blanches avec le sang, & par la diminution des secrétions, il résultera une proportion différente entre la partie rouge du sang & sa partie blanche : le trombus diminuera. Voyez SANG. Rien n'est plus constant que cet effet de la saignée, observé avec soin, & démontré avec clarté par M. Quesnay, sous le nom de spoliation. Pour la rendre sensible, il suppose un homme bien constitué, pesant 120 livres ; il calcule qu'il contient environ 20 livres de solides, & 100 livres de fluides, parmi lesquels il trouve 27 livres de sang ; il évalue la partie rouge qui forme le trombus dans la palette à 5 livres. Ces principes posés, si on tire par la saignée une livre de sang, on ôte 1/95 des humeurs blanches ou séreuses, pendant qu'on enleve 1/27 de la partie rouge. Mais comme les humeurs blanches sont bientôt réparées par la boisson & les alimens, ensorte que le corps retourne à un poids égal, comme la partie rouge est la plus difficile à régénérer, on diminue évidemment la proportion de cette derniere par la saignée. Cet effet augmentera suivant la quantité du sang évacué : si elle est grande, le sang étant plus mobile, circulant plus aisément, éprouvant moins de frottement, la nature étant affoiblie par les efforts qu'elle aura faits pour rétablir cet équilibre nécessaire ; les forces, les sécretions, les couleurs, la chaleur diminueront, pendant que la facilité à prendre la fievre, & la sensibilité croîtront.

Si on saigne un grand nombre de fois répétées coup sur coup avant que la régénération du sang ait pû se faire, l'homme le plus sain & le plus vigoureux, on enleve une si grande quantité de cette partie rouge, que l'assimilation du chyle ne pouvant s'exécuter, les forces, les secrétions & les excrétions étant languissantes, tout ce qui étoit destiné à l'évacuation étant retenu dans les vaisseaux sanguins, séreux, &c. des sucs mal digérés stagnant dans le corps, ne pouvant être préparés, corrigés, nettoyés ; cet homme, dis-je, deviendra pâle, bouffi, hydropique, anasarque ; il pourra même arriver que ces maux deviennent mortels ; ils influeront au moins sur tout le reste de sa vie. Il faut une certaine quantité de partie rouge pour qu'elle puisse s'assimiler le chyle.

Le mal que produit une évacuation de quelques onces sera bien-tôt réparé ; il aura été à peine sensible dans un homme robuste & adulte. Il n'en est pas ainsi dans un enfant chez qui la saignée & les hémorrhagies enlevent l'élément des fibres nécessaires à la bonne conformation intérieure & extérieure. Elles sont donc en général nuisibles, ou du-moins très-dangereuses avant l'âge de puberté. Après ce tems, les hémorrhagies régulieres des femmes rassurent un peu contre les maux que produit la saignée ; cependant la foiblesse de leur corps, de leur santé, de leur esprit, le tissu lâche de leur peau, les infirmités, les vapeurs auxquelles elles sont sujettes, paroissent être la suite de ces évacuations, quelques naturelles & nécessaires qu'elles soient.

Tel est le tableau des effets des hémorrhagies & de la saignée faite sans ligature dans un adulte sain ; passons à l'examen de ce que cette derniere produit dans le même homme avec une ligature telle qu'on la pratique communément.

La ligature qu'on applique au bras lorsqu'on veut ouvrir les veines du pli du coude, sert en arrêtant le cours du sang dans ces veines, à les remplir davantage, à en faciliter l'ouverture & l'évacuation. La compression ne se fait pas seulement sentir aux veines extérieures, les arteres les plus profondes en sentent communément l'effort ; mais d'autant moins qu'elles sont plus cachées, fortes, élastiques & à l'abri ; que le sang y circule avec plus de vélocité. Le cours du sang n'étant jamais subitement & totalement arrêté par aucune ligature dans toutes les arteres d'un membre, il arrive toujours un engorgement sanguin au-dessous de la ligature, qui pour être bien faite, doit être serrée de maniere à interrompre la circulation dans les veines, & à ne la ralentir que foiblement dans les arteres : dans cet état les veines s'enflent. Si alors on fait une ouverture plus large que le diamêtre du vaisseau, comme il est ordinaire, tout le sang qui auroit dû retourner au coeur par la veine ouverte, s'écoule par la plaie ; il s'y joint une partie de celui qui cherche inutilement un passage par les autres veines, & qui se débouche par l'endroit où il rencontre le moins d'obstacles.

La quantité de sang qui sort dans un tems donné d'une veine du pli du coude, ouverte avec une ligature au-dessus, est donc supérieure à celle qui couleroit pendant le même tems dans le vaisseau ouvert. On peut l'évaluer au double, si l'ouverture de la veine est égale à son diamêtre ; mais elle est de beaucoup inférieure à celle du même sang, qui s'écouleroit par la somme de toutes les veines du bras. Il arrive donc alors qu'il circule moins de sang dans les arteres brachiales, dont le diamêtre est diminué par la compression de la ligature, dont le sang rencontre plus d'obstacles dans son cours, & moins d'écoulemens ; ce qui est contraire à ce que nous avons observé dans l'effet des saignées sans ligature. Le sang ne viendra pas non plus par un mouvement retrograde, se présenter à l'écoulement ; mais la veine ouverte recevant toujours du sang, n'en renvoyant jamais au coeur, laissera desemplir tous les vaisseaux veineux qui sont placés entre la plaie & le coeur. La défaillance que produira leur affaissement, s'il est poussé trop loin, exigera de la nature & de l'art les mêmes efforts, que nous avons vû nécessaires dans les saignées sans ligature. Cette défaillance survient communément après la perte de dix ou quinze onces de sang. Quelquefois cependant la frayeur la produit plus tôt. Si elle survient aux premieres onces, sans que les causes morales y aient aucune part, on peut assurer qu'elle a été faite mal-à-propos.

Par les regles que nous avons établies, que le seul bon sens nous paroîtroit démontrer, quand même le calcul & l'expérience ne s'y joindroient pas, il est aisé de conclure que la saignée & la ligature produisent deux effets opposés ; que l'une accélere le cours du sang, que l'autre le retarde. Que la premiere détruit en partie l'engorgement auquel la derniere a donné lieu ; & que comme les saignées se font presque toutes avec une ligature, comme l'accélération du sang produite par la saignée est inférieure au retard que celle-ci y met, il en résulte un effet opposé à celui que soutenoient Bellini & Sylva, que les arteres apportent moins de sang pendant la saignée à l'avant-bras, & conséquemment à toutes les parties voisines avec lesquelles il est lié par la circulation, qu'elles n'en apportoient avant, qu'elles n'en apporteront, lorsque la ligature ôtée, le cours du sang étant devenu libre & égal, chaque vaisseau verra passer une quantité de sang proportionnée à son diamêtre, & aux forces qui le font circuler dans son centre.

Les effets de la saignée du pié sont à-peu-près les mêmes par rapport à cette partie, que ceux de la saignée du bras, par rapport à la main & à l'avant-bras. Les arteres ont l'avantage d'être plus à l'abri de la compression ; mais le lave-pié en fait la plus grande différence. Ce lave-pié qui mérite une place distinguée parmi les remedes les plus efficaces, qui est nécessaire dans quelques cas pour augmenter l'afflux du sang dans les extrêmités inférieures, en remplir les veines, & porter un relâchement humide dans tout le corps, souvent plus avantageux que la perte d'une livre de sang, a fait attribuer à la révulsion l'utilité de la saignée du pié dans les maladies de la tête, & a été le principe de toutes les erreurs, de toutes les contradictions qui ont été publiées à ce sujet. Nous avons vû ce lave-pié guérir dans un quart d'heure, comme par enchantement, un homme robuste, au milieu de son âge sanguin, accablé par une violente douleur de tête, sans fievre, à qui on avoit tiré, sans le moindre soulagement, une livre de sang du bras ; il lui survint immédiatement après ce lave-pié, une multitude de furoncles aux jambes, l'épiderme de tout le corps se leva par écailles, & le malade fut guéri sans autre remede, sans rechûte. Si la saphéne avoit été ouverte, on n'auroit pas manqué d'attribuer à la révulsion un effet aussi promt & avantageux.

La ligature qu'on applique au col, lorsqu'on veut saigner la jugulaire externe, ne produit dans le cerveau qu'un engorgement léger, insensible, par la facilité que le sang trouve à sortir par la jugulaire externe opposée, & par les internes, parce que les carotides sont presque autant comprimées que ces veines, & parce qu'on n'interrompt jamais entierement le cours du sang dans la veine même qu'on veut ouvrir. Cet engorgement est bien-tôt détruit, & même surabondamment, par l'ouverture de la veine dans laquelle le sang circule alors avec plus de vélocité, sans en être retardé dans les autres veines du cou. La circulation devient donc par-là un peu plus rapide dans le cerveau ; le sang qui monte par les carotides & les vertébrales, rencontrant moins d'obstacles ; cependant la quantité du sang qui monte est encore inférieure à celle qui est évacuée, par l'effet du frottement, de la force d'inertie, & par le tems nécessaire pour que tout se répare, comme nous l'avons déja prouvé. La saignée de la jugulaire diminuera donc plus promtement que celle des autres veines, la pléthore du cerveau, quoiqu'elle y accélere le cours du sang. Cette accélération même sera utile dans quelques occasions pour entraîner le sang épais, collé contre les parois des vaisseaux ; delà naîtront plusieurs avantages qu'on éprouve dans les maladies du cerveau, où il y a des obstacles particuliers à la circulation ; ces obstacles se présentent assez souvent dans les différentes parties du corps : c'est alors que les saignées locales méritent la préférence & réussissent souvent.

La saignée des ranines a été abandonnée par la crainte des hémorrhagies difficiles à arrêter ; celle de la veine frontale, ou préparate, par son peu d'efficacité. On revient rarement à celle des yeux & du nez, par la difficulté d'en ouvrir les veines ; on doit cependant la surmonter dans les maladies de ces parties, où l'épaississement du sang en retarde la circulation, & attend pour être évacué un heureux effort de la nature, qui procurera une hémorrhagie que l'art doit accélérer. C'est sur ce principe que l'ouverture des hémorrhoïdes est avantageuse, lorsqu'elles sont très-douloureuses, enflammées, lorsque leur gonflement est considérable ou ancien.

On sent aisément combien peu de choix les veines du bras mériteroient, si elles étoient d'une égale grosseur, si leur situation mettoit également le chirurgien à l'abri des accidens. On choisira donc la céphalique, la médiane, la basilique, la veine du poignet, la salvatelle, suivant qu'elles réuniront ces deux avantages, pour opérer plus surement, & avec une moindre perte de sang, une défaillance souvent salutaire. On renverra le choix trop scrupuleux des veines aux anciens, dont on excusera les erreurs par l'ignorance dans laquelle ils étoient des loix de la circulation.

Nous avons vû l'artériotomie faite sans ligature, produire conformément aux expériences de de Heyde & de M. de Haller, les mêmes effets que la phlébotomie dans un sujet sain, sans ligature. Ces effets différeront, si l'artere est ouverte avec une ligature ; dans ce dernier cas la partie, loin d'être engorgée, si la compression ne porte que sur l'artere, sera évidemment moins pleine de sang, puisqu'elle en recevra moins, & qu'une partie de celui qui est contenu dans les veines s'écoulera suivant son cours ordinaire, par l'impulsion qu'il aura déja reçu, par la contraction musculaire, & leur élasticité. Mais cette différence de la phlébotomie à l'artériotomie ne sera, eu égard à l'écoulement du sang, que momentanée, peu considérable ; puisque, comme nous l'avons déja dit, la saignée faite, tout se rétablit dans son cours naturel & proportionné.

La crainte des hémorrhagies, difficiles à arrêter par le défaut d'une compression assez forte, celle des anevrismes, & la profondeur des arteres, empêchent les Médecins de les ouvrir, si ce n'est aux tempes, où la compression est facile. Cette saignée a paru mériter à plusieurs de très - grands éloges. Nous croyons qu'elle est inférieure en tout à celle de la jugulaire ; aussi est-elle presque généralement abandonnée.

Nous venons de suivre les principaux effets de la saignée, faite avec ou sans ligature, à l'artere ou à la veine d'un homme sain, par des ouvertures plus grandes que le diamêtre des vaisseaux, égales ou inférieures. Nous nous flattons de n'avoir suivi que l'expérience & le raisonnement le plus naturel ; il nous reste à examiner ses effets dans les différentes maladies. Pour ne point tomber dans des répétitions ennuyeuses, nous ne nous en occuperons, qu'en parlant de l'usage. Il nous paroît aisé de tirer des principes précédens, les conséquences qui doivent conduire dans la pratique de la médecine. Nous tâcherons de le faire avec aussi peu de préjugés, & de comparer notre théorie avec l'observation-pratique, qui peut seule être notre code, & la pierre de touche propre à décider du vrai ou du faux de notre théorie ; mais pour nous conduire & entraîner notre jugement, l'observation ne doit être, ni vague, ni rare ; elle doit être constante, fixe & décidée ; tâchons de la trouver telle.

L'usage de la saignée. Il est peu de remedes dont on fasse un usage aussi grand, que de la saignée ; il en est peu sur lequel les Médecins ayent autant varié, comme nous l'avons fait voir, en traçant le sentiment de ceux même qui se sont le plus illustrés par leur science. Leurs oppositions & leurs erreurs nous font craindre un sort semblable, & de donner dans les écueils qui se présentent de toutes parts sur une mer fameuse en naufrages. Nous essayerons de suppléer par notre bonne foi, aux lumieres de la plûpart de ceux qui ont traité ce sujet important.

Pour développer à fond l'usage de la saignée, il faudroit descendre dans le détail de toutes les maladies, & même dans leurs différens états. Ce champ seroit trop vaste : obligés de nous resserrer, nous verrons les maladies sous un autre jour, nous rechercherons ; 1°. les indications de la saignée ; 2°. les contre-indications ; 3°. le tems de la faire ; 4°. le choix du vaisseau ; 5°. la quantité de sang, 6°. le nombre des saignées qu'on doit faire. Mais avant de suivre ces points de vûe ; élevons-nous contre deux abus plus nuisibles à l'humanité, que la saignée faite à propos n'a jamais pû lui être utile, abus d'autant plus répréhensibles, que quoique très-communs, ils ne sont fondés que sur une aveugle routine, hors d'état de rendre raison de ses démarches. Ces abus sont les saignées prophilactiques ou de précaution, & celles qu'on se croit indispensablement obligé de faire précéder les médicamens évacuans.

La plûpart des bonnes femmes & quelques médecins, ignorant les efforts, les ressources de la nature, pour conserver l'économie animale, & en rétablir les dérangemens, se flattent de trouver dans la Médecine des secours d'autant plus efficaces, qu'ils sont appliqués plus promtement. Parmi ces secours ils donnent le premier rang à la saignée. Croyant voir par-tout un sang vicié ou trop abondant, qu'il faut évacuer au moindre signal, dans la crainte de je ne sais quelles inflammations, putréfactions, &c. ils le versent avec une profusion qui prouve qu'ils sont incapables de soupçonner qu'en enlevant le sang, ils détruisent les forces nécessaires pour conserver la santé, ils donnent lieu à des stases, des obstructions ; au défaut de coction, aux maladies chroniques, & à une vieillesse prématurée. Saigner est, selon eux, une affaire de peu de conséquence, dont tout homme raisonnable peut être juge par sa propre sensation, dont il est difficile qu'il mésarrive. On diroit que réformateurs de la nature, ils lui reprochent sans cesse d'avoir trop rempli leurs vaisseaux de sang. Tant que le saigné par précaution jouit de toutes les forces d'un âge moyen, il s'apperçoit peu de ces fautes ; mais bien-tôt un âge plus avancé l'en fait repentir, & lui interdit un remede qu'il n'auroit peut-être jamais dû mettre en usage sur lui-même. Ces maux sont encore plus évidens dans le bas âge, ou lorsque l'enfant est contenu dans le ventre de sa mere. On ne peut se dissimuler qu'un grand nombre d'enfans dont la santé est foible, doivent leur mauvais état, aux hémorrhagies, aux saignées ou autres remedes de précaution que leurs meres ont souffert dans leur grossesse ; & cependant une femme du monde croiroit faire tort à sa posterité, si elle ne faisoit pendant ce tems, à la plus légere indisposition ou sans cela, une suite de remedes. Souvent on ne s'apperçoit pas des maux que semblables soins ont produits ; nous croyons même qu'ils ont été utiles & nécessaires : mais il n'est que trop commun de voir un grand nombre de maladies, devenues plus terribles par l'abattement des forces ; & des accouchemens prématurés, par l'enlevement du fluide qui donne le jeu à toute la machine. Et quand il n'y auroit d'autre inconvénient, que celui de faire quelque chose d'inutile & de désagréable, cette raison ne seroit-elle pas suffisante pour en détourner ? Vainement entasseroit-on contre nous une foule d'autorités, nous les recusons toutes ; & de raisonnemens bien plus spécieux que solides, nous en appellons à cette nature, dont tous les Médecins sensés se sont toujours regardés, comme les disciples & les aides, à cette véritable mere, qu'on traite souvent en marâtre. Nous demandons qu'on jette les yeux sur cette multitude de peuples plus robustes que nous, quoiqu'ils habitent pour la plûpart un climat qui ne réunit point les avantages du nôtre ; sur ces hommes, ces femmes du peuple ou de la campagne, d'autant plus heureux, que soustraits à des mains trop souvent ignorantes & quelquefois meurtrieres ; ils ne connoissent pour tout préservatif des maladies, que l'instinct, qui redoute plus les saignées, que tous les autres remedes ; pour être convaincus par la comparaison, que l'homme est sorti des mains du Créateur, en état de se conserver en santé, par les seules lumieres du sentiment bien entendu, par les seuls efforts de la nature, & que dans les maladies ils doivent être sans-cesse consultés. Enfin, quand même on étendroit l'usage de la médecine plus loin que nous ne pensons qu'on doive le faire, il n'en seroit pas moins vrai que jamais un homme en santé, quels que soient son tempérament & sa situation, n'a besoin de saignées pour la conserver. D'ailleurs, c'est ici une affaire d'habitude : il est démontré que les saignées fréquentes sont une des plus grandes causes de la pléthore.

Le second abus se trouve dans les saignées qu'on fait précéder sous le nom de remedes généraux, avec les purgatifs par le bas, les vomitifs, &c. aux remedes particuliers, lorsqu'il n'y a point de contre-indication grave. Abuser ainsi de la facilité qu'on a d'ouvrir la veine, c'est regarder la saignée comme indifférente, & par conséquent inutile ; c'est dumoins être esclave d'une mode si fort opposée à tous les principes de la Médecine, qu'elle est ridicule. Une conduite aussi erronée, fuit tous les raisonnemens, parce qu'elle n'est appuyée sur aucun ; & tout médecin sensé doit rougir d'avouer, qu'il a fait saigner son malade, par cette seule raison qu'il vouloit le faire vomir, le purger, lui faire prendre des sudorifiques, des bouillons, &c. & donner du large, du jeu à ces médicamens. De semblables maximes ne furent pas même enseignées par Botal. Mais les jeunes Médecins, trop dociles à suivre l'aveugle routine de leurs prédécesseurs, qui se sont distingués dans la ville où ils exercent, les copient jusque dans leurs défauts, & s'épargnent la peine de refléchir sur les motifs de leur conduite. Ils se conforment en cela au goût des femmes, qui accoutumées à perdre un sang superflu hors de la grossesse ou de l'allaitement, s'imaginent que la plûpart des maux qui les attaquent, viennent d'une diminution dans cet écoulement, quelquefois plus avantageuse, que nuisible, & le plus souvent, effet de la maladie, au lieu d'en être la cause. Un retour sur les maximes répandues dans tous les ouvrages de Médecine qui ont mérité d'être lûs, & le seul bon sens, détournent d'une méthode meurtriere, qui en affoiblissant les organes, précipite inévitablement, d'un tems plus ou moin-long, la vieillesse ou la mort. Mais c'est trop discus ter une pratique aussi peu conséquente ; tâchons d'établir sur ses ruines, des principes adoptés par la plus saine partie des Médecins.

Indications de la saignée. Si nous cherchons dans les causes de maladies, les indications de la saignée, nous trouvons que la trop grande abondance de sang, la pléthore générale ou particuliere, & sa consistance trop épaisse, coëneuse, inflammatoire, sont les deux seules qui exigent ce remede. La saignée agit dans le premier cas, par l'évacuation ; dans le second, par la spoliation ; les deux principaux effets qu'elle produit ; la dérivation & la révulsion devant être comptés pour des minimum momentanés, & par conséquent négligés.

Quoique nous n'admettions que ces deux indications générales pour la saignée, nous n'ignorons pas que la foule des Médecins enseigne qu'une vive douleur, l'insomnie, une fievre commençante ou trop forte, un excès de chaleur, les convulsions, les hémorrhagies, toute inflammation, sont autant d'indications pressantes pour la saignée ; mais nous savons encore mieux, que si les maux doivent être guéris par leurs contraires, la saignée ne convient dans aucun de ces cas ; à moins qu'il n'y ait en même-tems, pléthore ou consistance inflammatoire : qu'elle n'est-là qu'un palliatif dangereux par ses suites, qu'elle est le plus souvent inutile pour les guérir, & que ces différens symptômes doivent être appaisés par les anodins, les narcotiques, les rafraîchissans, les relâchans, les astringens, les doux répercussifs & les délayans. Nous croyons que communément on juge mal des efforts de la nature, qu'on les croit excessifs, lorsqu'ils sont proportionnés à l'obstacle, & nous sommes convaincus avec Celse, que ces seuls efforts domptent souvent avec l'abstinence & le repos, de très-grandes maladies, multi magni morbi curantur abstinentiâ & quiete, Cels. après en avoir parcouru tous les tems, & effrayé mal-à-propos les assistans, & le médecin peu accoutumé à observer la marche de la nature, abandonnée à elle-même, sans le secours de la saignée, qui, loin de ralentir le mouvement du sang, l'accélere, à moins qu'on ne fasse tomber le malade en défaillance, ainsi qu'il est aisé de l'appercevoir dans les fievres intermittentes qui se changent en continues, ou bien ont des accès plus forts & plus longs, après la saignée. Cette observation sûre & constante, donnera peut-être la solution de ce problème, pourquoi les fievres intermittentes sont-elles beaucoup plus communes à la campagne, qu'à la ville ?

Le plus grand nombre de ceux qui exercent la Médecine, croiroit manquer aux loix les plus respectables, s'il s'abstenoit d'ouvrir la veine, lorsqu'il est appellé au secours d'un malade en qui la fievre se déclare ; & il accuse la maladie des foiblesses de la convalescence, tandis que les évacuations souffertes mal-à-propos n'y ont que trop souvent la plus grande part. Il croit reconnoître, ou du-moins il suppose alors des pléthores fausses, des raréfactions dans le sang. A entendre ces médecins, on croit voir tous les vaisseaux prêts à se rompre par la dilatation que quelques degrés de chaleur de plus peuvent procurer au sang ; & qui, s'ils l'avoient soumise au calcul, n'équivaudroit pas à l'augmentation de masse & de volume, qu'un verre d'eau avalé produiroit. Le rouge animé qui colore presque toujours la peau des fiévreux dans le commencement de leurs maladies, leur sert de preuve. Ils ne voyent pas dans l'intérieur la nature soulevée contre les obstacles & les irritations ; resserrant les vaisseaux intérieurs, & chassant sans aucun danger dans les cutanés un sang qui n'y est trop à l'étroit que pour quelque tems ; qui l'est peut-être utilement, & qui sera nécessaire dans la suite de la maladie. Ils oublient que ces efforts sont salutaires, s'ils sont modérés, & que dans peu le sang qu'on croit surabondant, se trouvera être en trop petite quantité. Les hémorrhagies critiques leur servent de preuve, & ne sont que le principe de l'illusion, parce qu'ils négligent de faire attention, que, pour que les évacuations soient salutaires, il faut qu'elles soient faites dans les lieux & dans les tems convenables ; qu'elles ne doivent pas être estimées par leur quantité, mais par leur qualité ; & qu'enfin les hémorrhagies surviennent souvent fort heureusement, malgré les saignées répétées.

Tout ce que nous avançons ici, aura l'air paradoxe pour plusieurs, jusqu'à-ce qu'ils l'ayent comparé avec la doctrine d'Hippocrate, & encore mieux avec l'observation qui nous doit tous juger.

Après avoir puisé les indications de la saignée dans les causes, cherchons-les dans les symptômes qui annoncent la pléthore & la consistance inflammatoire.

La nourriture abondante & recherchée, le peu d'exercice, auquel les hommes qu'on exclut du peuple, se livrent en général, donnent fréquemment lieu chez eux à la pléthore générale, qu'on reconnoît par la couleur haute des joues & de la peau, les douleurs gravatives de la tête, les éblouissemens, les vertiges, l'assoupissement, la force, la dureté & le gênement du pouls. La pléthore particuliere a pour signes, la tumeur, la rougeur, la douleur gravative, quelquefois pulsative & fixe d'une partie. La consistance inflammatoire doit être soupçonnée toutes les fois qu'avec une douleur fixe, le malade éprouve une fievre aiguë, ce qui nous paroît être un symptôme commun à toutes les inflammations extérieures. On n'en doutera plus, si les symptômes sont graves & le sujet pléthorique. Dans ces deux cas, la partie rouge surabonde, la nature, lorsqu'il y a pléthore, se débarrasse de la portion du sang la plus tenue, du serum qui peut plus aisément enfiler les couloirs excréteurs ; pendant que la plus épaisse est continuellement fournie, accrue par les alimens trop nourrissans, trop abondans, ou que faute d'exercice, elle n'est pas décomposée & évacuée.

Lorsque la pléthore est légere, l'abstinence, la nourriture végétale & l'exercice en sont un remede bien préférable à la saignée ; mais parvenue à un certain point, elle exige qu'on diminue subitement la trop grande proportion de la partie rouge avec la sérosité, dans la crainte de voir survenir des hémorrhagies, des stases, des épanchemens mortels ou du-moins dangereux, des anevrismes, des apoplexies & des inflammations se former dans les parties du corps dont les vaisseaux sanguins sont le moins perméables. Cette pléthore exige qu'on tire du sang par une large ouverture ; du bras si elle est générale, de la partie malade si elle est devenue particuliere. Cependant si on ne se précautionne pas contre les retours, en en évitant les causes, on la verra revenir d'autant plus vîte, d'autant plus fréquemment qu'on aura davantage accoutumé le malade à la saignée. La nature se prête à tout, elle suit en général le mouvement qu'on lui imprime. Tirer souvent du sang, c'est lui en demander une réparation plus promte ; mais qu'on ne s'y trompe pas, il y a toujours à perdre ; la quantité de sang croîtra par la dilatation des orifices, des veines lactées, par une moindre élaboration, par des excrétions diminuées ; ce sang ne sera donc jamais aussi pur qu'il eût été, si on en eût prévenu ou corrigé l'abondance par toute autre voie que par la saignée. Nous appellons à l'expérience de ceux qui ont eu trop de facilité à se soumettre à de fréquentes saignées ; qu'ils disent si le besoin n'a pas crû avec le remede, & si une foiblesse précipitée n'en a pas été la suite, surtout si on leur a fait perdre sans pitié un sang trop précieux, dans l'âge où le corps se développoit, où les fibres attendoient l'addition de nouvelles fibres portées par le sang, pour s'écarter & donner de l'accroissement. Ménageons donc une liqueur précieuse à tout âge, mais spécialement dans le plus tendre & dans le plus avancé ; n'ayons recours à la saignée que dans les cas où le mal est inguérissable par tout autre remède, & dans ceux qui présenteroient trop de danger à tenter d'autres moyens.

Lorsque la fievre se déclare avec la pléthore, ces dangers augmentent ; & on doit alors, dans la crainte des inflammations, des hémorrhagies symptomatiques, &c. qui ne tarderoient pas d'arriver, tirer du sang pour les prévenir. Mais sans pléthore générale ou particuliere, ou sans inflammation, on ne doit faire aucune saignée. C'est une maxime qui nous paroît démontrée par l'observation la plus grossiere des maladies abandonnées à la nature, comparée avec celle des fievres qu'on croit ne pouvoir appaiser qu'en versant le sang, comme si c'étoit une liqueur qui ne peut jamais pécher que par la quantité ; comme si la soustraction de sa plus grande partie, & l'abattement des forces qu'elle procure, étoient des moyens plus sûrs de le dépurer que la coction que la nature fait de sa portion viciée. Nous aurons lieu d'examiner la pléthore particuliere, en parlant du choix des veines : passons aux inflammations.

Il est tellement faux que toute inflammation exige des saignées répétées dans ses différens tems, que sans parler de celles qui sont légeres, superficielles, nous avançons hardiment qu'elles nuisent dans plusieurs qui sont graves & internes, & qu'il en est même dans lesquelles elle est interdite. Si vous refusez de nous en croire ; si vous croyez, qu'abandonnés à une hypothèse, nous en suivons les conséquences sans prendre garde à l'expérience des grands médecins ; consultez les ouvrages de ceux qui n'ont pas été livrés, comme Botal, avec fureur à la saignée ; ouvrez Baillou, praticien aussi sage qu'heureux & éclairé, qui exerçoit la Médecine dans le pays, où la mode & les faux principes ont voulu que la saignée répétée jusqu'à vingt fois, fût le remede des inflammations ; & vous verrez qu'il est un grand nombre de pleurésies & de péripneumonies, (maladies qui exigent plus que toutes les autres la saignée) dans lesquelles elle est nuisible. Vous apprendrez par-tout que, la pléthore & le tems de l'irritation passé, on doit fuir toute perte de sang comme le poison le plus dangereux, qu'elle trouble la coction, qu'elle empêche la dépuration, & qu'elle est propre à jetter les malades dans des foiblesses & des récidives, dont la convalescence la plus longue aura peine à les tirer. Consultez les inflammations extérieures (leur marche peut plus aisément être suivie) & vous verrez si les dartres, la galle, la petite vérole, le pourpre, la rage, les bubons pestilentiels, les ulceres, les plaies enflammées peuvent être guéris par la seule saignée ; si elle n'aggrave pas ces maux, sur-tout lorsqu'ils portent un caractere gangréneux. Vous verrez si la nature n'en est pas le véritable médecin ; & l'excrétion d'une petite portion de matiere viciée & élaborée, le remede. Vous verrez en même tems quels maux étranges peut produire la saignée en arrêtant la suppuration, en donnant lieu à des métastases, des rentrées du pus ; & vous serez convaincu de ces deux vérités, que toutes inflammations n'exigent pas la saignée, & que celles même qui l'indiquent, ne l'indiquent jamais dans tout leur cours. Mais dans les inflammations simples & graves, où il n'y a aucun vice particulier gangréneux, &c. où le malade jouit de toutes ses forces, la saignée faite dans le principe de la maladie, est le plus puissant remede qui soit au pouvoir de la Médecine, & l'antre dont un homme sage ne doit pas s'écarter.

En effet, dans ces inflammations, on trouve en même tems la pléthore & la consistance inflammatoire du sang, on trouve un resserrement spasmodique de tous les vaisseaux, un embarras général dans la circulation par la résistance que le sang oppose au coeur, particulier par l'engorgement, l'arrêt du sang épaissi dans les vaisseaux capillaires de la partie affectée, collé fortement contre leurs parois, & interdisant la circulation dans les plus ténus. Or, le vrai remede de tous ces maux est l'évacuation & la spoliation de ce sang qui, devenu plus aqueux, moins abondant, qui poussé plus fréquemment, avec plus de vélocité, détruira, entraînera avec le tems & l'action oscillatoire des vaisseaux sanguins ce fluide épais, collé contre ses parois, qui peut-être n'auroit pû, sans ces secours, se dissiper que par la suppuration, ou qui interrompant entierement le cours du sang & de tous les autres fluides, auroit fait tomber la partie dans une gangrene mortelle, si le siege de la maladie eût été un viscere. La saignée concourra alors à procurer la résolution, cette heureuse terminaison des tumeurs inflammatoires qu'on doit hâter par les autres moyens connus. Nous verrons dans les articles suivans quelle est la quantité de sang qu'on doit tirer, dans quel tems, &c.

Nous avons avancé que les hémorrhagies, la vivacité des douleurs, les convulsions, le délire, l'excès de chaleur, une fievre trop forte n'étoient point par eux-mêmes des indications suffisantes pour la saignée ; parce que chacun de ces maux avoit des spécifiques contraires à sa nature. Retraçons-nous les effets de la saignée dans ces différens cas, pour nous en convaincre.

L'hémorrhagie est critique, ou symptomatique. Critique, elle ne doit être arrêtée par aucun moyen, elle ne doit être détournée par aucune voie ; la saignée ne sçauroit donc lui convenir. Symptomatique, elle est l'effet de la pléthore, de la dissolution du sang, de la foiblesse ou de la rupture des vaisseaux. Dans le premier cas, on n'hésitera pas de saigner ; mais ce sera à raison de la plethore, & non point de l'hémorrhagie. Dans les autres, on portera du secours par les astringens, les roborans, les topiques répercussifs, absorbans, tous très-différens de la saignée. La défaillance que procure une saignée faite par une large ouverture, facilite à la vérité quelquefois la formation du caillot qui doit fermer l'orifice des vaisseaux rompus ou dilatés ; mais si la prudence ne tient pas les rênes, si elle n'est pas éclairée par la raison, on en hâte les progrès par la dissolution du sang que cause la spoliation.

Les douleurs modérées sont souvent un remede, quoique triste au mal. Telle est la théorie reçue dans la goutte, qui a passé en proverbe, telle elle doit être dans toutes les maladies : car tout se meut par les mêmes principes dans l'économie animale. Si elles sont immodérées, elles demandent l'usage des relâchans, des anodins & des narcotiques. La saignée procurera bien un relâchement, si on la pratique ; mais lorsque nous avons sans-cesse sous la main des remedes qui peuvent produire un effet plus sûr, plus durable, plus salutaire, plus local, qui n'emporte avec lui aucun des inconvéniens de la saignée, pourquoi n'y aurions - nous pas recours préférablement ? Nous disons de même des convulsions & du délire, en en appellant toujours sur ces objets, à l'expérience de tous les vrais praticiens.

L'excès de chaleur trouvera bien plus de soulagement, s'il n'y a ni pléthore, ni inflammation, dans les rafraîchissans acidules, aqueux, dans les bains généraux ou particuliers, le renouvellement de l'air, les vapeurs aqueuses végetales, l'évaporation de l'eau, le froid réel, l'éloignement de la cause, que dans une saignée qui, comme nous l'avons déja prouvé, entraîne avec elle tant d'inconvéniens.

Si la saignée peut changer les fievres intermittentes en continues, par la vélocité que le sang acquiert après qu'elle a été faite, en conséquence de l'augmentation des forces respectives du coeur ; on sent déja qu'il n'est qu'une saignée jusqu'à défaillance qui puisse faire tomber la fievre, qui se renouvellera même bientôt ; on sent aisément tous les maux que de semblables saignées peuvent causer ; abstenons-nous en donc, jusqu'à-ce que nous ne trouvions dans les remedes proposés contre l'excès de chaleur, aucune ressource suffisante, ou que nous ayons reconnu la pléthore & l'inflammation. S'il restoit encore quelque scrupule sur cet objet, nous demandons qu'on examine combien de médecins trompés par la regle qu'il faut saigner dans les fievres véhémentes, ont fait saigner leurs malades dans le paroxisme qui devoit terminer leur vie, lorsque la nature faisoit ses derniers efforts, & en hâtant leur foiblesse, en ont accéléré le terme fatal.

Après avoir parcouru les cas où on peut, où on doit s'abstenir de la saignée, passons à ceux où elle est si nuisible, qu'elle est souvent mortelle.

Contre-indication de la saignée. Si la saignée est indiquée dans la pléthore, & la consistance inflammatoire du sang, il est évident qu'elle doit être défendue dans les cas opposés, lorsque les forces sont abattues, comme après de longs travaux de corps ou d'esprit, un usage immodéré du mariage, lorsque le sang est dissous, & la partie rouge dans une petite proportion avec la sérosité. C'est ainsi que l'âge trop ou trop peu avancé, les tempéramens bilieux ou phlegmatiques, la longueur de la maladie, la cachexie, l'oedeme & toutes les hydropisies, les hémorrhagies qui ont précédé, les évacuations critiques quelconques, & toutes celles qui sont trop abondantes, les vices gangréneux, sont des contre - indications pour la saignée.

Lorsqu'on admet un usage immodéré de ce remede dans la plûpart des maladies, on est forcé d'établir une longue suite de contre-indications pour en empêcher les tristes effets dans un grand nombre de cas ; mais lorsqu'on la réduit dans ses vraies bornes, on se trouve bien moins embarrassé par cette combinaison de causes & d'effets, d'indications & de contre-indications, qu'il est bien difficile d'apprécier.

La modération dans l'usage des remedes, la crainte de tomber dans un abus trop commun, la confiance dans les efforts de la nature, feront que, indépendamment des contre-indications, si le mal est leger, si on peut raisonnablement compter que la nature sera victorieuse, on la laissera agir, on exercera du moins le grand art de l'expectation, en se bornant aux soins & au régime, pour ne pas faire du mal, dans la fureur de vouloir agir, lorsqu'on devroit n'être que spectateur.

Tems de faire la saignée. Nous avons rejetté toutes les saignées prophylactiques, ainsi nous n'avons aucun égard aux phases de la lune, ni même au cours du soleil, pour conseiller des saignées toujours nuisibles, lorsqu'il n'y a pas dans le mal une raison suffisante pour le faire ; lorsqu'il y a pléthore sans fievre, le tems le plus propre pour la saignée, est le plus prochain, en ayant cependant le soin d'attendre que la digestion du repas précédent soit faite. Mais dans les fievres aiguës avec pléthore, ou dans les inflammatoires qui exigent la saignée, nous devons examiner dans quel jour de la maladie, son commencement, son milieu, ou sa fin, à quelle heure du jour, avant, pendant, ou après le paroxysme & l'accès, il est plus avantageux de faire la saignée.

Le tems de l'irritation, qui est celui de l'accroissement de la maladie, est le seul où la saignée doive être pratiquée ; alors les efforts de la nature peuvent être extrêmes, les forces du malade n'ont point été épuisées par l'abstinence, les évacuations & la maladie ; la circulation se fait avec force, les vaisseaux resserrés gênent le sang de toutes parts, la consistance inflammatoire, si elle existe, & l'obstacle, croissent ; la suppuration se fait craindre, & la résolution peut être hâtée. S'il y a pléthore, on doit appréhender les hémorrhagies symptomatiques, la rupture des vaisseaux, les épanchemens sanguins, ce sont ces momens qu'il faut saisir ; mais lorsque la maladie est dans son état, que la coction s'opere, (car quoique la nature commence à la faire dès le principe de la maladie, il est un tems où elle la fait avec plus de rapidité) elle ne convient plus : l'inflammation ne peut être resoute alors que par une coction purulente, qui seroit troublée par la saignée ; dans le tems du déclin ou de la dépuration, ôter du sang, ce seroit détruire le peu de forces qui restent, ce seroit donner lieu à des métastases, ou tout au moins empêcher que cette matiere nuisible, préparée pour l'évacuation, soit évacuée ; ce seroit troubler des fonctions qu'il est important de conserver dans toute leur intégrité ; ces maximes sont si vraies, les médecins les ont de tout tems tellement connues, que si quelqu'un d'eux s'est conduit différemment, aucun n'a osé le publier comme principe ; la seule difficulté a roulé sur la fixation des jours où s'opéroit la coction ; les uns ont cru la voir commencer au quatrieme, & ont interdit les saignées après le troisieme ; les autres ont été plus loin, mais aucun n'a passé le dixieme ou le douzieme. Il est mal aisé de fixer un terme précis, dans des maladies qui sont de natures si différentes, dont les symptomes & les circonstances sont si variés, qui suivent leur cours dans un tems plus ou moins long ; on sent aisément que plus la maladie est aiguë, plus le tems de l'irritation est court, plus on doit se hâter de faire les saignées nécessaires, plutôt on doit s'arrêter ; c'est au médecin à prévoir sa durée. Nous pouvons ajouter que ce tems expire communément dans les fievres proprement dites & les inflammations au cinquieme jour ; mais nous répeterons sans-cesse que le tems qui précede la coction, ou l'état de la maladie, est celui où on doit borner la saignée.

Les paroxysmes ou les accès ayant toujours été considerés par les médecins, comme des branches de la maladie, qui semblables au tronc, ont comme lui un cours régulier, un accroissement, un état & un déclin ; ce que nous avons dit de l'un, doit s'étendre aux autres ; c'est après le frisson, lorsque la fievre est dans son plus grand feu, qu'on doit saigner.

L'interdiction de la saignée dans le frisson, nous conduit à remarquer qu'on tomberoit précisément dans la même faute, si on saignoit dans le principe de la maladie, des inflammations, avant que la nature soit soulevée & ses premiers efforts développés.

Choix du vaisseau. L'histoire de la saignée nous a presenté sur le choix des vaisseaux, une multitude de sentimens si opposés, que quoiqu'on puisse en général les réduire à trois, les révulseurs, les locaux, & les indifférens, il est peu d'auteurs qui n'ayent apporté quelques modifications à ces systêmes. Appliquons à l'usage de la saignée, les maximes que nous avons établies en parlant de ses effets.

La pléthore est générale ou particuliere ; générale, elle suppose une égalité dans le cours de la circulation, un équilibre entre les vaisseaux & le sang, qui sera détruit si on ouvre une veine, pendant tout le tems que le sang coulera, mais qui se rétablira bientôt lorsque le vaisseau sera fermé ; tous les révulseurs conviennent de ce principe avec les indifférens & les locaux ; il est donc égal, dans ce cas, d'ouvrir la veine du bras, du pié, du col, &c. avec ou sans ligature : il n'est qu'une regle à observer, c'est d'ouvrir la veine la plus grosse & la plus facile à piquer ; la plus grosse, parce qu'en fournissant dans un même espace de tems, une plus grande quantité de sang, elle produira avec une moindre perte, l'effet souvent desiré, de causer une légere défaillance.

Mais lorsque la pléthore est particuliere, il en est tout différemment, & nous nous hâtons en ce cas, de nous ranger du parti des locaux. Pour concevoir la pléthore particuliere, il faut connoître ou se rappeller qu'il peut se former dans les veines d'une partie, ou dans les artérioles, des obstacles au cours de la circulation, qui seront l'effet d'une contraction spasmodique de ces vaisseaux, ou des parties voisines, d'une compression extérieure ou interne, d'un épaississement inflammatoire particulier du sang, ou des autres humeurs ; d'un séjour trop long du sang accumulé dans une partie relâchée, dans une suite de petits sacs variqueux, qui circulant plus lentement, s'épaissira, se collera contre les parois des vaisseaux, ce qui forme une pléthore particuliere, dont l'existence est démontrée par l'évacuation périodique des femmes, par les hémorrhagies critiques, certaines douleurs fixes, les hémorrhoïdes, les inflammations, les épanchemens, &c.

Dans tous ces cas la saignée doit être faite dans le siege du mal, ou du moins aussi près qu'il est possible, pour imiter la nature dans ses hémorrhagies critiques, & pour se conformer aux loix de mouvement les plus simples ; c'est ainsi qu'on ouvre les hémorrhoïdes, & les varices quelconques, qu'on scarifie les yeux enflammés & les plaies engorgées, qu'on saigne au-dessous d'une compression forte qui est la cause d'un engorgement, qu'on ouvre les veines jugulaires dans plusieurs maladies de la tête avec succès, & qu'on éprouve continuellement par ces saignées locales des effets avantageux. Qui ne riroit d'un médecin qui ouvriroit la basilique pour guérir des tumeurs hémorrhoïdales extérieures enflammées ? Ici l'expérience vient constamment à l'appui de la raison, l'un & l'autre veulent qu'on attaque le mal dans son siege, & qu'on vuide le canal, part une ouverture faite au canal lui-même, sans recourir aux branches les plus éloignées.

Quantité du sang. La quantité du sang qu'on doit tirer, est bien inférieure à celle qu'on peut perdre ; les funestes expériences de ceux qui ont cru trouver dans la saignée le remede à tous les maux, & les hémorrhagies énormes que quelques malades ont essuyées, ont appris qu'un homme pouvoit perdre dans une seule maladie aiguë, vingt ou trente livres de sang, s'il étoit évacué en différentes saignées, ou si l'hémorrhagie duroit plusieurs jours. Cette quantité est bien plus considérable dans les maladies chroniques ; on a vu verser dans un an, par des centaines de saignées, chacune au-moins de six ou huit onces, autant de sang qu'il en faudroit pour rendre la vie à une douzaine d'hommes. Nous avons honte de rapporter de semblables observations, pour l'honneur de la médecine ; mais elles tendent à prouver toutes les ressources que la nature a en son pouvoir contre les maladies & les fautes des médecins, & nous ajoutons, pour détourner ceux qui seroient tentés de suivre de pareils exemples, que la foiblesse de tous les organes & même de l'esprit, quelquefois incurable, au-moins très-longue à se dissiper, en est inévitablement la suite.

Lorsqu'on tire une grande quantité de sang, le dépouillement de la partie rouge devient de plus en plus considérable, sur-tout si les saignées ont été copieuses, ou se sont suivies rapidement, parce qu'alors la perte de la partie rouge est plus grande proportionnellement ; bien-tôt on ne trouve plus que de la sérosité dans les veines ; ce qu'on appelle saigner jusqu'au blanc ; dans cet état, le sang est devenu si fluide, qu'il est presque incapable de concourir à la coction, qu'il ne peut qu'à la longue assimiler le chyle qui lui est présenté ; ce défaut de coction laisse subsister les engorgemens qui formoient la maladie ; ce qui arrive spécialement dans les fievres exacerbantes, ou d'accès. On sent déja qu'il est des bornes plus étroites qu'on ne le pense vulgairement, à la quantité du sang qu'on doit tirer.

Réduire les efforts de la nature dans leur vrai point de force, dissiper la pléthore, rendre au sang la fluidité qui lui est nécessaire pour circuler librement, en lui conservant la proportion de partie rouge nécessaire à la coction, est l'art dont il faut qu'un praticien soit instruit pour atteindre avec précision la quantité de sang qu'il doit répandre dans les maladies qui exigent la saignée.

L'affoiblissement du jet du sang, est le terme auquel on doit s'arrêter dans chaque saignée. Lorsqu'il est produit par la défaillance que les malades pusillanimes éprouvent en voyant couler leur sang, (défaillance quelquefois plus utile que la saignée même) & que le médecin juge qu'on doit continuer de le laisser couler, on mettra le doigt sur la plaie, on lui laissera reprendre courage, on ranimera le mouvement du coeur par les secours ordinaires, pour donner après cela de nouveau cours au sang qu'on doit évacuer.

Cet affoiblissement du jet doit être attendu dans presque toutes les saignées, sur-tout dans les maladies inflammatoires, & les hémorrhagies, à moins que déja la saignée ne passe seize ou dix-huit onces, que le tempérament du malade se refuse à la saignée, ou que la nature de la maladie le mette dans le cas de n'éprouver que très-tard du ralentissement dans la circulation (comme dans les fous.) On doit s'arrêter alors ; mais communément à la huitieme ou dixieme once, on voit le jet baisser ; nous l'avons vu tomber entierement à la seconde dans un jeune malade d'un tempérament sanguin, accoutumé à la saignée, qui éprouvoit le second jour d'une fievre bilieuse, un redoublement violent, avec une douleur de tête très-vive, en qui une défaillance presque syncopale survint.

La quantité du sang qu'on peut tirer par différentes saignées, sans nuire au malade dans l'inflammation la plus grave dans l'homme le plus robuste, avec la pléthore la plus décidée, n'a jamais paru aux médecins éclairés, dont nous avons tâché de saisir l'esprit, devoir excéder soixante onces ; ce qui fait environ un cinquieme de la masse totale du sang. Dans les inflammations où la consistance inflammatoire, & la pléthore ne se présentent pas avec des caracteres aussi violens, lorsque l'âge ou quelques autres contre-indications viennent mettre des obstacles, il faut rester beaucoup au-dessous, & douze, vingt, ou trente onces tirées en une seule ou différentes fois, suffisent dans les adultes, pour les cas courans.

Nombre des saignées. Nous avons vu qu'on ne doit saigner en général que dans les quatre ou cinq premiers jours de la maladie, jamais excéder soixante onces de sang ; que dans les cas ordinaires, il faut rester beaucoup au-dessous ; qu'il faut fermer la veine dans chaque saignée, lorsque le pouls s'affoiblit ; que le tems le plus favorable pour la faire, est après le frisson, des accès ou redoublemens. En suivant ces maximes, on se trouve borné à faire quatre ou cinq saignées dans les inflammations les plus rares ; une ou deux dans les plus communes ; c'est aussi ce que nous voyons observer par les praticiens les plus judicieux, qui n'étouffent point l'expérience sous les sophismes & les hypothèses dont nous avons fait tous nos efforts pour nous garantir.

SAIGNEE, s. f. terme de Chirurgie ; c'est une opération qui consiste dans l'ouverture d'une veine ou d'une artere avec une lancette, afin de diminuer la quantité du sang. L'ouverture de l'artere se nomme artériotomie (voyez ARTERIOTOMIE) ; & celle de la veine se nomme phlébotomie. Voyez PHLEBOTOMIE. Plusieurs médecins regardent la saignée comme le meilleur & le plus sûr évacuant ; mais néanmoins son usage étoit très-rare parmi les anciens, quoiqu'il soit devenu présentement très-fréquent. Voyez EVACUANT & EVACUATION. On dit que l'hippopotame a appris le premier aux hommes l'usage de la saignée. Car quand cet animal est trop rempli de sang, il se frotte lui-même contre un jonc pointu, & s'ouvre une veine ; jusqu'à-ce que se sentant déchargé il se veautre dans la boue pour étancher son sang.

Il est peu important de savoir à qui l'on doit l'invention d'une opération si utile, & dont les effets admirables étoient connus dès les premiers tems de la Médecine. Nous avons parlé de l'ouverture de l'artere à l'article ARTERIOTOMIE ; & nous avons dit qu'elle n'étoit pratiquable qu'à l'artere temporale. Il n'en est pas de même de la phlébotomie ; on peut ouvrir toutes les veines que l'on juge pouvoir fournir une suffisante quantité de sang. Les anciens saignoient à la tête ; 1°. la veine frontale ou préparate, dont Hippocrate recommandoit l'ouverture dans les douleurs de la partie postérieure de la tête ; 2°. la veine temporale, dans les douleurs vives & chroniques de la tête ; 3°. l'angulaire, pour guérir les ophthalmies ; 4°. la nasale, dans les maladies de la peau du visage, comme dans la goutte-rose ; 5°. enfin la ranule, dans l'esquinancie.

Toutes ces veines portent le sang dans les jugulaires ; ainsi en ouvrant la jugulaire, on produit le même effet qu'on produiroit en ouvrant une de ces autres veines, & on le produit plus facilement & plus promtement, parce que les jugulaires étant plus grosses, elles fournissent par l'ouverture qu'on y fait une bien plus grande quantité de sang. Voy. RANULE.

On ouvre au cou les veines jugulaires externes.

Au bras il y a quatre veines qu'on a coutume d'ouvrir ; savoir, la céphalique, la médiane, la basilique & la cubitale : on pique ordinairement les veines au pli du bras ; mais on peut les ouvrir à l'avant-bras, au poignet & sur le dos de la main, lorsqu'on ne peut le faire au pli du bras.

On peut ouvrir deux veines au pié ; la saphene interne & la saphene externe : on ouvre ces vaisseaux sur la malléole interne ou externe ; & si on ne peut ouvrir ces veines sur les malléoles, & sur-tout l'interne qui est la plus considérable, on peut en ouvrir les rameaux qui s'etendent sur le pié.

On ouvre les veines en-long, en-travers & obliquement ; les grosses veines s'ouvrent en-long ; les petites & profondes, en-travers ; & les médiocres, obliquement.

On distingue deux tems dans l'ouverture des veines, celui de la ponction & celui de l'élévation ; le premier est celui qu'il faut pour faire le chemin de dehors en-dedans le vaisseau ; le second est le tems qu'il faut employer pour faire le chemin de dedans en-dehors, en retirant la lancette. Pendant le premier tems, on fait la ponction avec la pointe & les deux tranchans ; & pendant le second, on aggrandit l'ouverture du vaisseau & des tégumens avec le tranchant supérieur de la lancette.

Avant l'opération, il faut préparer toutes les choses convenables pour la pratiquer, une bougie ou une chandelle allumée, en cas qu'on ne puisse pas profiter de la lumiere naturelle, une compresse, une bande, & un vaisseau pour recevoir le sang ; il faut en outre pour la saignée du pié avoir un chauderon, ou un seau de fayence plein d'eau d'une chaleur supportable, pour raréfier le sang & gonfler les veines. On est quelquefois obligé de s'en servir lorsqu'on saigne au bras, & que les vaisseaux ne se manifestent pas assez. Le chirurgien doit avoir une personne au-moins pour éclairer, tenir le vaisseau qui est destiné à recevoir le sang, & donner quelque secours au malade, en cas de foiblesse ou d'autre accident.

Pendant l'opération, le malade doit être placé dans une situation commode ; il doit être couché, s'il est sujet à se trouver mal. On cherche l'endroit où est l'artere & le tendon ; on pose la ligature à la distance de trois ou quatre travers de doigt du lieu où l'on doit piquer. Voyez LIGATURE. On fait sur l'avant-bras quelques frictions avec le doigt indice & du milieu. Après avoir choisi le vaisseau qu'on doit ouvrir, on tire une lancette, on l'ouvre à angle droit, & on met à la bouche l'extrêmité de la châsse, de façon que la pointe de l'instrument soit tournée du côté du vaisseau qu'on doit saigner. On donne encore quelques frictions, & l'on assujettit le vaisseau en mettant le pouce dessus, à la distance de trois ou quatre travers de doigt au-dessous de l'endroit où l'on doit piquer. On prend ensuite la lancette par son talon, avec le doigt indicateur & le pouce ; on fléchit ces deux doigts ; on pose les extrêmités des autres sur la partie, pour s'assûrer la main ; on porte la lancette doucement, & plus ou moins à-plomb, jusque dans le vaisseau ; on aggrandit l'ouverture en retirant la lancette ; le sang rejaillit aussi-tôt. La personne chargée du vaisseau qui doit recevoir le sang, le présente, & on fait tourner le lancetier dans la main du bras piqué, pour faire passer plus vîte le sang par le mouvement des muscles. Pendant que le sang sort, on pose la main dessous l'avant-bras pour le soutenir. Quand le sang ne sort point en arcade, on lâche médiocrement la ligature ; on met l'ouverture des tégumens vis-à-vis celle de la veine, où l'on fait prendre différentes situations à cette ouverture.

Après l'opération, quand on a tiré la quantité suffisante de sang, on ôte la ligature ; on approche les deux levres de la plaie, en tirant un peu les tégumens avec le doigt ; on nettoie les endroits que le sang a tachés ; on met la compresse sur l'ouverture, & on applique la bande. Voyez le bras droit de la fig. 1. Pl. XXX.

Outre ce qui vient d'être dit, il y a plusieurs remarques à faire sur cette opération, suivant le lieu où on la pratique.

Dans la saignée du bras ; 1°. le vaisseau qu'on doit ouvrir est quelquefois posé directement sur le tendon du muscle biceps, qui fait dans certains sujets une saillie. Il faut alors mettre en pronation le bras de la personne que l'on saigne ; & ce tendon qui a son attache derriere la petite apophyse du radius, se cache, pour ainsi dire, & s'enfonce.

2°. Il ne faut jamais piquer, à moins que le vaisseau ne soit sensible au tact, quand même quelques cicatrices l'indiqueroient ; car il seroit imprudent de piquer au hasard. Il y a des vaisseaux qui ne se font sentir que quelque tems après que la ligature est faite, & d'autres qu'il est nécessaire de faire gonfler en faisant mettre le bras dans l'eau tiede.

3°. Si la proximité du tendon ou de l'artere jointe à la petitesse du vaisseau, fait entrevoir quelque risque à saigner au pli du bras, il faut ouvrir la veine à l'avant-bras, au poignet, & même à la main.

4°. Quand les vaisseaux sont roulans, il faut bien prendre ses mesures pour les assujettir, en mettant le pouce dessus, ou en embrassant avec la main l'avant-bras par-derriere : cette derniere méthode les contient avec plus de fermeté.

5°. Une des regles les plus importantes de l'art de saigner est de porter la lancette plus ou moins perpendiculairement sur la peau, à proportion que le vaisseau est plus ou moins enfoncé. S'il est très-enfoncé, il faut porter la pointe de la lancette presque à plomb ; si on la portoit obliquement, elle pourroit passer pardessus ; si le vaisseau est si enfoncé qu'on ne le puisse appercevoir que par le tact, il ne faut point perdre de vûe l'endroit sous lequel on l'a senti ; on peut le marquer avec le bout de l'ongle ; on y porte la pointe de la lancette, on l'enfonce doucement jusqu'à ce qu'elle soit entrée dans le vaisseau ; ce qu'une légere résistance & quelques gouttes de sang font connoître ; alors on aggrandit l'ouverture avec le tranchant supérieur de la lancette en la retirant. Comme ce sont ordinairement les personnes grasses qui ont les vaisseaux très-enfoncés, ils sont presque toujours entourés de beaucoup de graisse qui les éloigne de l'artere, du tendon & de l'aponévrose.

6°. Lorsque les vaisseaux sont apparens, ils sont quelquefois collés sur le tendon, sur l'aponévrose, ou sur l'artere. Pour les ouvrir, il faut porter la pointe de la lancette presque horisontalement : lorsqu'elle est dans la cavité du vaisseau, on éleve le poignet afin d'augmenter l'ouverture avec son tranchant. On évite d'atteindre des parties qu'il est dangereux de piquer, en portant ainsi sa lancette horisontalement.

Pour la saignée de la jugulaire, on observe quelques particularités. On met le malade sur son séant, & on lui garnit l'épaule & la poitrine avec une serviette en plusieurs doubles. On pose la ligature comme il a été dit au mot LIGATURE. On applique le pouce sur la ligature, & l'autre sur la veine pour l'assujettir ; on fait l'ouverture comme dans la saignée du bras. Si le sang ne sort pas bien, on fait mâcher au malade un morceau de papier ; & s'il coule le long de la peau, on se sert d'une carte en forme de gouttiere, qui s'applique au-dessous de l'ouverture par un bout, & qui de l'autre conduit le sang dans la palette. Après l'opération, on applique une compresse & un bandage circulaire autour du cou.

Pour faire la saignée du pié, on fait tremper les deux piés dans l'eau chaude ; on en prend un qu'on pose sur un genou qu'on a garni de linge en plusieurs doubles : on applique la ligature au-dessus des malléoles ; on remet le pié dans l'eau pendant qu'on prépare la lancette qu'on met à la bouche. On retire le pié, on en applique la plante contre le genou ; on cherche un vaisseau, on l'assujettit après avoir fait quelques frictions, & on l'ouvre en évitant de piquer le périoste sur la malléole, ou les tendons sur le pié. L'on remet le pié dans l'eau ; & lorsqu'on juge avoir tiré la quantité suffisante de sang, on ôte la ligature, on essuie le pié, on applique la compresse, & on fait le bandage appellé étrier. Voyez ETRIER. On doit saigner de la main gauche au bras & au pié gauches, & de la main droite au bras & au pié droits.

Les accidens de la saignée sont légers ou graves. Les légers sont la saignée blanche, lorsqu'on manque d'ouvrir le vaisseau faute des attentions que nous avons prescrites, ou parce que le malade retire son bras ; le trombus (voyez TROMBUS) ; l'échymose (voyez ÉCHYMOSE) ; la douleur & l'engourdissement par la piquure de quelques nerfs (voyez PLAIES DES NERFS). Les accidens graves sont les piquures de l'aponévrose & du périoste, qui sont quelquefois suivis de douleurs & d'abscès (voyez PLAIES DES APONEVROSES ET DU PERIOSTE) ; la piquure du tendon (voyez PLAIES DES TENDONS), & enfin l'ouverture de l'artere. Voyez ANEVRISME.

M. Quesnay a fait un excellent traité de Chirurgie, sur l'art de guérir par la saignée. Il y a un traité particulier sur l'art de saigner par Meurisse, chirurgien de Paris. Et un autre qui est plus à la portée des éleves, dans les Principes de Chirurgie par M. de la Faye. (Y)

SAIGNEE, s. f. (Architect.) petite rigole qu'on fait pour étancher l'eau d'une fondation ou d'un fossé, quand le fond en est plus haut que le terrein le plus prochain, & que par conséquent il y a de la pente. (D.J.)

SAIGNEE DE SAUCISSON, (Art milit.) c'est dans les mines la coupure que l'on fait au saucisson, pour mettre le feu à la mine. Voyez TRAINEE DE POUDRE.

SAIGNEE d'un fossé, (Art milit.) c'est l'écoulement des eaux qui le remplissent. Quand on a saigné un fossé, on jette sur la bourbe qui y reste des claies couvertes de terre ou des ponts de joncs, pour en affermir le passage. Dict. milit. (D.J.)


SAIGNERv. act. & neut. c'est verser du sang ou en tirer. Voyez les articles SAIGNEE.

SAIGNER un fossé, en termes de fortification, c'est en faire écouler l'eau.

Pour saigner un fossé, on pratique des rigoles ou des especes de petits canaux, de maniere que le fond se trouve plus bas que celui du fossé. C'est ainsi qu'on en use pour l'écoulement des eaux des avant-fossés lorsque le terrein le permet, & de même pour le fossé du corps de la place. On occupe après cela le fond du fossé en plaçant sur la vase ou le limon des claies pour empêcher d'enfoncer dans la boue. Voyez PASSAGE DE FOSSE. (Q)

SAIGNER se dit dans l'Artillerie, d'une piece lorsqu'étant montée sur son affut, la volée emporte la culasse, ce qui arrive lorsqu'on tire de haut en-bas. (Q)

SAIGNER DU NEZ se dit dans l'Artillerie, d'une piece de canon, dont la volée emporte la culasse lorsqu'elle est montée sur son affut.

On dit encore qu'une piece de canon saigne du nez lorsque sa volée devient courbe ; ce qui arrive quand le métal se trouve fort échauffé par le trop grand nombre de coups tirés de suite. Dans cet état, la courbure de la volée faisant baisser le bourlet, la bouche de la piece se trouve au-dessous de la direction de l'axe, ce qui dérange la justesse de ses coups. (Q)


SAIGNEUXadj. (Gram.) sanglant, souillé de sang. On le dit d'une piece de chair ; ce morceau est tout saigneux ; le bout saigneux. Voyez BOUT-SAIGNEUX.


SAIKAIDO(Géogr. mod.) grande contrée de l'empire du Japon dans le pays de l'ouest. Saikaido signifie la contrée des côtes de l'ouest. Cette vaste contrée est composée de neuf grandes provinces, qui sont Tsikudsen, Tsikungo, Budsen, Bungo, Fidsen, Figo, Fiugo, Odsumi & Satzuma. Le revenu annuel de ces neuf provinces monte à 344 mankokfs. (D.J.)


SAIKOKFILE, (Géog. mod.) c'est-à-dire le pays de l'ouest, grande île de l'Océan. Après l'île de Niphon, c'est la plus considérable en étendue des trois grandes îles qui forment l'empire du Japon. Elle est située au sud-ouest de l'île de Niphon, dont elle est séparée par un détroit plein de rochers & d'îles, qui sont en partie desertes & en partie habitées. On la divise en neuf grandes provinces, & on lui donne 148 milles d'Allemagne de circuit. (D.J.)


SAILLANTadj. ou part. (Gram.) qui s'avance en-dehors ; la partie saillante de cette façade ; enfoncé est le correlatif & le contraire de saillant. Il s'emploie au figuré : voilà un morceau de poésie bien saillant ; voilà une pensée saillante.

SAILLANT, en terme de Fortification, signifie ce qui avance. Voyez ANGLE SAILLANT.

On dit le saillant du chemin couvert, pour l'angle saillant formé par les branches qui se rencontrent vis-à-vis l'angle flanqué des bastions, des demi-lunes, &c. (Q)

SAILLANT, en termes de Blason, se dit d'une chevre, d'un mouton ou d'un bélier représenté avec les pattes de devant élevées comme pour sauter.

Un lion saillant est celui qui est placé en bande, ayant la patte droite de devant à droite de l'écusson, & à gauche la patte gauche de derriere. C'est ce qui le distingue du lion rampant. Voyez RAMPANT.

De Cupis à Rome, d'argent au bouc saillant d'azur, onglé & acorné d'or.

SAILLANS, (Géog. mod.) petite ville de France au bas Dauphiné, dans le Diois, sur la Drôme, entre Die & Crest. On croit voir dans son nom un reste de celui de Sangalauni, anciens peuples de cette contrée. (D.J.)


SAILLE(Marine) exclamation que font les matelots lorsqu'ils élevent ou poussent quelque fardeau.


SAILLIES. f. (Art d'écrire) pensée vive qui paroît neuve, ingénieuse, piquante, & qui n'est cependant pas réfléchie. Pour peu qu'on considere les choses avec une certaine étendue, les saillies s'évanouissent, dit l'auteur de l'esprit des loix. Elles ne naissent d'ordinaire que parce que l'esprit se jette tout d'un côté & abandonne les autres. Si l'on examine de près les saillies qu'on voit dans tant d'ouvrages qu'on aime & qu'on admire tant aujourd'hui, l'on verra qu'elles ne tiennent à rien, qu'elles ne vont à rien, & ne produisent rien ; elles ne doivent donc leurs succès qu'à la frivolité d'esprit qui caractérise ce siecle. (D.J.)

SAILLIE ou PROJECTURE, s. f. (Archit.) avance qu'ont les moulures & les membres d'architecture au-delà du nud du mur, & qui est proportionnée à la hauteur. C'est aussi toute avance portée par encorbellement au-delà du mur de face, comme fermes de pignon, balcons, ménianes, galeries de charpente, trompes, &c. Les saillies sur les voies publiques sont réglées par les ordonnances.

On doit regarder toute saillie comme la mesure ou la distance de laquelle une partie d'un ordre & de chaque membre en particulier s'avance sur l'autre, en comptant depuis l'axe. Les saillies des membres sont proportionnées à leur hauteur, excepté dans les plates-bandes, auxquelles on donne pour saillies la hauteur du liteau, & excepté encore la platebande qui est une partie essentielle de la corniche, & qui a toujours une saillie extraordinaire. (D.J.)

SAILLIE, (Danse) ou pas échappés de deux piés ; ce sont des pas de danse qui s'exécutent de la maniere suivante.

Il faut être élevé sur les deux pointes, les piés à la quatrieme position, le corps également posé. Je suppose que le pié droit soit devant vous : laissez échapper vos deux jambes comme si les forces vous manquoient, vous laissez glisser le pié droit derriere, & le gauche revient devant. En partant tous deux à-la-fois & en tombant les deux genoux pliés, vous vous relevez au même instant, & remettant le pié droit devant, le pié gauche revient derriere, ce qui vous remet à la même position où vous étiez en commençant. Comme vous êtes encore plié, vous vous relevez du même tems en rejettant le corps sur le pié gauche, & assemblant par ce mouvement sauté le pié droit auprès du gauche en vous posant à la premiere position : vous faites ensuite un pas du pié gauche, ce qui s'appelle dégager le pié, ce qui vous met dans la liberté de faire les pas qui suivent. Cet enchaînement de pas se fait dans l'étendue de deux mesures à deux tems légers.

Ces pas se font encore en tournant. Ayant les deux piés à la premiere position, & étant élevé sur la pointe, vous pliez en laissant échapper les deux piés à-la-fois à la distance de la seconde position en tombant plié ; vous vous relevez, & vous rapprochez les deux piés l'un près de l'autre à la premiere position ; vous dégagez ensuite l'un ou l'autre des deux piés pour faire tels autres pas que vous souhaitez.

SAILLIES, (Géog. mod.) petite ville de France dans le Béarn, au diocèse de Lescar, à 12 lieues de Pau. Elle est remarquable par une fontaine salée qui s'y trouve, & qui fournit beaucoup de sel au Béarn. (D.J.)


SAILLIRv. n. (Gram.) c'est faire une éminence remarquable. Faites saillir cette partie, détachez-la du fond. Il se dit aussi du mouvement rapide des eaux jaillissantes ; on voit saillir de cet endroit mille jets. Saillir, c'est la même chose que couvrir. Cette jument n'a point encore été saillie.


SAINadj. (Gram.) qui jouit d'une bonne santé, qui n'a rien d'alteré, de corrompu, de contagieux. Cette femme est saine, on peut en approcher sans danger. Il se dit aussi de l'air ; l'air de cette contrée est sain. Des choses qui contribuent à la santé ; la promenade est saine ; le métier des lettres est mal sain ; les feves sont lourdes & mal - saines. Il étoit sain d'entendement. Il a les moeurs saines. Sa doctrine est saine. Il a le jugement sain.

SAIN, (Critique sacrée) ; ce mot dans l'Ecriture se prend au figuré pour ce qui est pur, vrai, conforme à la droite raison ; un discours sain, , à Tite, c. ij. 8. est une doctrine pure, honnête, solide, utile, véritable ; ce mot a le même sens dans les auteurs prophanes. Archidamas, roi de Lacédémone, voyant un vieillard étranger qui teignoit ses cheveux pour paroître plus jeune, se mit à dire : que nous proposera de sain un homme dont non-seulement l'esprit est faux, mais la tête même. Aelian. Var. hist. lib. III. c. xx. (D.J.)

SAIN, île de, ou SAYN, (Géog.) petite île située sur la côte méridionale de la basse-Bretagne, vis-à-vis la province de Cornouailles. M. de Valois prétendoit que Mercure y étoit anciennement adoré. Pomponius Mela, l. III. c. xj. qui parle de l'oracle de cette île, ne nomme pas la divinité qui le rendoit ; mais dom Martenne a donné tant de demi-preuves que c'étoit la Lune, qu'on ne peut pas se refuser au sentiment de ce savant bénédictin. Au reste, c'étoient des druidesses qui rendoient l'oracle ; elles vouoient une chasteté inviolable à la déesse qu'elles servoient. Si l'on en croit les auteurs, ces vestales gauloises étoient souvent consultées pour la navigation. L'idée qu'on avoit qu'elles pouvoient s'élever dans les airs, disparoître à leur gré, & reparoître ensuite, ne contribuoit pas peu au grand crédit qu'elles avoient acquises. On les nommoit Senae, soit parce qu'elles n'étoient d'abord qu'au nombre de six ; soit que ce nom fût celte d'origine, & signifiât respectable ; enfin c'est de ce nom que l'île où elles habitoient fut appellée l'île de Sain. (D.J.)

SAIN ET NET, (Maréchal.) un cheval sain & net, est celui qui n'a aucun défaut de conformation, ni aucun mal.


SAIN-DOUXS. m. (Chaircuiterie) sorte de graisse très-molle & très-blanche que les chaircuitiers tirent de la panne du porc, en la faisant fondre dans une poële ou chaudiere ; les réglemens des manufactures de lainage défendent aux tondeurs de draps de se servir pour l'ensimage des étoffes, d'autres graisses que de sain-doux. (D.J.)

SAIN - DOUX, (Diete, Pharm. Mat. méd.) Voyez GRAISSE, Chymie, &c.


SAINFOINS. m. (Hist. nat. Botan.) onobrychis, genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique découpée comme une crête de coq, & hérissée de pointes dans quelques especes : cette silique renferme une semence qui a la forme d'un rein. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les fleurs sont disposées en épi fort serré. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort en distingue six especes, dont la principale est à fleurs rouges, & à gousses taillées en crête de coq ; onobrychis major foliis viciae, fructu echimato, en anglois, the great vetch leav'd cocks head, with an echinated fruit.

Sa racine est longue, médiocrement grosse, dure, vivace, garnie de quelques fibres, noire en-dehors, blanche en-dedans. Elle pousse plusieurs tiges longues d'environ un pié, droites, fermes, d'un verd rougeâtre ; ses feuilles sont assez semblables à celles de la vesce ou du dalega, mais plus petites, vertes en-dessus, blanches & velues en-dessous, pointues, attachées par paires sur une côte, qui se termine par une seule feuille, d'un goût amer, & d'une odeur légerement bitumineuse. Ses fleurs sont légumineuses, disposées en épis longs & fort serrés, qui sortent des aisselles des feuilles ordinairement rouges, soutenues par des calices velus. Quand les fleurs sont passées, il leur succede de petites gousses taillées en crête de coq, hérissées de pointes rudes. Ces gousses renferment chacune une semence qui a la figure d'un petit rein, grosse comme une lentille, & d'assez bon gout dans sa verdeur. (D.J.)

SAINFOIN, (Agricult.) cette plante est nommée onobrychis par les Botanistes, sainfoin en françois, & de même en anglois the wholesome hay, parce qu'elle est fort saine, & qu'elle convient merveilleusement fraîche ou seche à tous les bestiaux. Quelques-uns l'appellent l'herbe éternelle, à cause qu'elle dure long-tems dans une même terre. Dans quelques provinces on l'appelle esparcette.

Si l'on cultive cette excellente plante suivant la nouvelle méthode de M. Tull, on en aura des brins qui s'éleveront jusqu'à cinq piés de haut, avec des touffes de fleurs rouges, de trois, quatre & cinq pouces de long ; enfin par cette méthode un arpent de sainfoin vient à produire autant d'herbe que trente ou quarante arpens de prés ordinaires. Il est donc important d'entrer dans les détails de la culture de cette plante utile.

La grande fertilité du sainfoin procede principalement de la prodigieuse quantité de racines qu'il produit. Son pivot s'étend quelquefois à 15 ou 20 piés de profondeur en terre, & de plus il est pourvu de plusieurs racines latérales, qui s'étendent sur-tout vers la superficie dans la bonne terre.

C'est une erreur de croire que pour que le sainfoin réussisse bien, il faut qu'il y ait, à une certaine profondeur, un banc de tuf, de pierre, ou de craie qui arrête le progrès de ses racines. Au contraire, plus la terre a de fond, plus les racines s'étendent & plus cette plante est vigoureuse.

Comme assez souvent il y a une partie de la semence qui n'est pas propre à germer, il ne faut pas manquer d'en semer à part une petite quantité pour l'éprouver.

On ne doit pas semer cette graine à plus d'un demi-pouce de profondeur, sur-tout dans les terres fortes ; car comme les lobes de la semence, qui est grosse, doivent percer la terre pour former les feuilles similaires, que d'autres nomment feuilles séminales, il arrive souvent qu'ils ont trop de peine à se dégager de la terre. Alors il n'y a que la tige qui se montre en forme d'anneau, & la plante périt.

Comme le sainfoin est plusieurs années avant de donner un produit considérable, on a coutume pour tirer un profit de la terre, de semer avec la graine de sainfoin, du treffle, de l'orge, de l'avoine, &c. L'orge & l'avoine n'occupant pas longtems la terre, ces grains font peu de tort au sainfoin ; mais les plantes vivaces, comme le tresle, lui en font beaucoup.

Dans les années seches, il arrive souvent, que quand on a fauché l'orge ou l'avoine, on n'apperçoit pas de sainfoin. Néanmoins en y regardant de près, on voit ordinairement des filets blancs qui indiquent que le sainfoin a levé, mais que les feuilles qui étoient fort menues, ont été fauchées avec l'orge ou l'avoine.

Si les grains qu'on seme avec le sainfoin sont drus, s'ils ont poussé avec vigueur, & sur-tout s'ils ont versé, il arrive ordinairement que le sainfoin est étouffé : mais cet accident arrivera rarement, si on le seme suivant la nouvelle méthode de Tull ; car comme on seme le sainfoin dans des rangées séparées de celles du blé, de l'orge, &c. il court moins de risque d'être étouffé. Il faut cependant convenir qu'il réussit toujours mieux quand il est semé seul.

Quand M. Tull commença à cultiver du sainfoin, suivant sa méthode, il employoit 2 galons de semence, ou un peu plus de 2 tiers de notre boisseau de Paris, pour un acre de terre. Mais étant arrivé par accident, que presque toute la semence qu'il avoit mise en terre étoit périe dans un acre ou deux de terrain, qu'il avoit semé trop tard, il fut agréablement surpris de voir au bout de trois ans quelques piés de sainfoin d'une grosseur extraordinaire, qui étoient restés çà & là à une telle distance, qu'il n'y en avoit qu'environ quatre piés dans une verge de terre quarrée : desorte que cette partie de son champ lui fournit le double d'herbe, que le reste où la semence n'avoit pas péri, & où le sainfoin étoit beaucoup meilleur que dans les terres qui avoient été semées à l'ordinaire.

M. Tull conclut de-là, qu'il est avantageux de semer le sainfoin fort clair, pour que les racines d'un pié ne nuisent pas à celles d'un autre ; & il pense que ceux-là se trompent qui sement leur sainfoin fort dru, dans l'espérance de se procurer une abondante récolte, puisqu'ils réduisent leur sainfoin dans le même état où il est sur les hauteurs de la Calabre auprès de Croto, où cette plante vient naturellement sans aucune culture, mais où elle est si basse & si chétive, qu'on a peine à s'imaginer ce qui a pu déterminer à la cultiver.

M. Tull appuie son sentiment sur une observation qu'il est bon de rapporter. Il dit qu'un champ de sainfoin aboutissant sur une terre qu'on labouroit pour la mettre en blé, avoit été fort endommagée par les charrues, qui ayant çà & là entamé sur le sainfoin, en avoit beaucoup arraché ; mais que le dommage n'étoit qu'apparent, puisque cette partie du champ avoit dans la suite produit plus d'herbe que les autres.

Il paroît que notre auteur pense qu'un galon, ou très-peu plus du tiers de notre boisseau de Paris, de bonne semence suffit pour un acre de terre ; mais il faut que cette semence soit bien également distribuée partout, desorte qu'il reste entre chaque pié de sainfoin, des espaces à-peu-près égaux : c'est ce qu'on peut faire avec le nouveau semoir de son invention, & non autrement. Il ne faut pas craindre de diminuer la récolte en diminuant le nombre des plantes ; car le produit d'une seule plante bien cultivée passera une demi-livre. Ainsi, lorsqu'il y aura 112 plantes dans une perche quarrée, quand on supposeroit que chaque plante, l'une portant l'autre, ne produiroit qu'un quart de livre de foin, on aura néanmoins 28 livres de foin par perche quarrée. On ne s'attendroit pas à une recolte aussi considérable ; quand les plantes sont encore jeunes & petites, elles ne couvrent pas la terre, & il semble que la plus grande partie du champ reste inutile ; mais quand les plantes sont parvenues à leur grandeur, elles couvrent toute la terre. Il y a encore un avantage qu'on retire de la nouvelle culture ; c'est que si le sainfoin cultivé a été semé de bonne heure, il commencera dès la seconde année à fournir une petite recolte qui égale celle de la troisieme année du sainfoin ordinaire.

De plus, M. Tull assure que le sainfoin, cultivé suivant ses principes, plaît aux bestiaux, parce que les bestiaux mangent par préférence les herbes qui sont crues avec plus de force & de vigueur. Il est pourtant avéré que les bestiaux préferent l'herbe fine à celle qui est grosse : or le sainfoin qui est cultivé suivant la nouvelle méthode, doit être fort gros.

Quoi qu'il en soit, l'auteur conclut de ses expériences, 1°. que si l'on seme du sainfoin dans le dessein de le cultiver avec la nouvelle charrue, la façon la plus convenable est de le semer en deux rangées paralleles, qui soient éloignées l'une de l'autre de 8 pouces, & de donner 30 ou 32 pouces de largeur aux plates-bandes : desorte qu'il doit y avoir quatre piés du milieu d'un sillon au milieu d'un autre.

2°. Si l'on seme du sainfoin dans l'intention de le cultiver à la main avec la houe, il convient de mettre 16 pouces d'intervalle entre les rangs, & qu'il y ait dans les rangs au-moins 8 pouces de distance, d'un pié à l'autre.

3°. Si l'on seme du sainfoin dans l'intention de ne point le labourer, il faut mettre les rangées à 8 pouces les unes des autres ; & faire ensorte de ne pas employer plus de semence, que quand on laisse 16 pouces entre les rangs ; car il faut que chaque pié de sainfoin ait assez d'espace autour de lui, pour étendre ses racines, & tirer la substance qui lui est nécessaire, sans être incommodé par les piés voisins.

Le sainfoin s'accommode de presque toutes sortes de terres, excepté des marécageuses ; mais il vient mieux dans les bonnes terres que dans les maigres, & il se plaît singulierement dans les terres qui ont beaucoup de fond.

Quoique cette plante ne soit pas délicate, il ne faut pas s'imaginer qu'on soit dispensé de bien labourer la terre où on doit la semer. Au contraire, comme immédiatement après sa germination elle jette quantité de racines en terre, il est bon qu'elle la trouve bien labourée, & le plus profondément qu'il est possible.

On peut semer le sainfoin dans toutes les saisons de l'année ; mais quand on le seme en automne, il y a à craindre qu'il ne soit endommagé par les gelées. Si on le seme l'été, il arrive souvent que la graine reste longtems en terre sans germer ; ou si elle leve, la sécheresse ordinaire dans cette saison, fait languir les jeunes plantes. Ainsi, le mieux est de semer le sainfoin au printems, quand les grandes gelées ne sont plus à craindre.

Nous avons dit qu'il convenoit de semer le sainfoin par rangées, deux à deux, qui soient écartées les unes des autres de 8 pouces, & de laisser 30 ou 32 pouces d'intervalle entre chaque deux rangées ; enfin qu'il convenoit de faire ensorte que dans la longueur des rangées, les piés du sainfoin fussent éloignés les uns des autres de huit pouces. Il seroit difficile de remplir toutes ces vues en grand, sans le secours du nouveau semoir.

On peut encore, au moyen de cet instrument, placer les grains dans le fond des petits sillons qui sont ouverts par les socs du semoir, & ne les recouvrir que de la petite quantité de terre qu'on sait être convenable. Par ce moyen la jeune plante se trouve au fond d'une petite rigole, ce qui est fort avantageux, non-seulement à cause de l'eau qui s'y ramasse ; mais encore, parce que cette rigole se remplissant dans la suite, la plante se trouve rehaussée par de nouvelle terre.

Il ne sera pas nécessaire de labourer tous les intervalles à la fois, mais tantôt les uns, tantôt les autres ; de cette façon l'on ne laboureroit qu'une cinquieme partie de terrein, ensorte que le sainfoin pourra subsister trente ans dans une même terre, ce qui la rendra bien plus propre à recevoir les autres grains qu'on y voudra mettre dans la suite.

Le sainfoin mérite bien qu'on donne des soins à sa culture, car c'est assurément une des plus profitables plantes qu'on puisse cultiver. La luzerne ne peut venir que dans les terres fraîches, humides, & très-substantielles. Le treffle ne réussit que dans les bonnes terres : au lieu que le sainfoin s'accommode de toutes sortes de terres ; & quoiqu'il vienne mieux dans les unes que dans les autres, il subsiste dans les plus mauvaises.

Le sainfoin a cet avantage sur les prés ordinaires, qu'il fournit beaucoup plus d'herbe. Outre cela, on parvient plus fréquemment à le fanner à-propos ; car le pois de brebis, la vesse, la luzerne, le treffle, & même les foins ordinaires, doivent être fauchés, quand ces différentes plantes sont parvenues à leur maturité ; si l'on différoit, on couroit risque de tout perdre : que le tems soit à la pluie ou non, il faut les faucher, au risque de voir l'herbe pourrir sur le champ, si la pluie continue. Il n'en est pas de même du sainfoin ; car on peut le faucher en différens états avec un profit presqu'égal.

1°. On peut faucher le sainfoin avant que les fleurs soient du tout épanouies. Alors on a un fourrage fin qui est admirable pour les bêtes à cornes ; & ces sainfoins fauchés de bonne heure, fournissent un beau regain qui dédommage amplement de ce qu'on a perdu, en ne laissant pas parvenir la plante à toute sa longueur.

M. Tull prétend même que ce fourrage est si bon, qu'on peut se dispenser de donner de l'avoine aux chevaux, quand on leur fournit de cette nourriture. Il assure qu'il a entretenu pendant toute une année un attelage de chevaux en bon état, en ne leur donnant que de ce foin, quoiqu'ils fussent occupés à des travaux pénibles. Il ajoute qu'il a engraissé des moutons avec la même nourriture, plus promtement que ceux qu'on nourrissoit avec du grain. Mais on ne peut avoir de ce bon foin, que quand on le cultive suivant sa méthode : l'autre monte en fleur presqu'au sortir de terre.

2°. Si le tems est disposé à la pluie, on peut différer à faucher le sainfoin quand il est en fleur. Ce fourrage est encore fort bon pour les vaches, mais il faut prendre garde en le fannant de faire tomber la fleur, car les bestiaux en sont très-friands, & cette partie qui se détache aisément, les engage à manger le reste.

3°. Si la pluie continue, on peut laisser le sainfoin sur pied, jusqu'à ce qu'il soit entre fleur & graine. Alors la récolte est plus abondante ; non-seulement parce que la plante est parvenue à toute sa grandeur ; mais encore parce que l'herbe étant mieux formée, elle diminue moins en se séchant. Il est vrai que le fourrage n'est pas si délicat ; mais les chevaux s'en accommodent bien, parce qu'ils aiment à trouver sous la dent les graines de sainfoin qui commencent à se former.

4°. Si le tems continue à être à la pluie, plutôt que de s'exposer à voir pourrir sur terre son sainfoin, il vaut mieux le laisser sur pié. Car la graine mûrit & dédommage en bonne partie de la perte du fourrage ; non-seulement parce que cette graine peut se vendre à ceux qui veulent semer du sainfoin, mais encore parce que deux boisseaux de cette graine nourrissent aussi bien les chevaux, que trois boisseaux d'avoine : & généralement tous les bestiaux en sont très-friands, aussi bien que les volailles.

Lorsque la paille de ce sainfoin qui a fourni de la graine a été serrée à-propos, elle peut encore servir de fourrage au gros bétail. Ils la préferent au gros foin de prés-bas, & à la paille du froment ; mais pour qu'ils la mangent bien, il la faut hacher à-peu-près comme on fait la paille en Espagne, ou la battre avec des maillets, comme on fait le jonc marin dans quelques provinces.

Il nous reste à dire quelque chose de la façon de fanner le sainfoin. La faux le range par des especes de bandes, qu'on nomme des ondins, parce qu'on les compare aux ondes qui se forment sur l'eau. Dans le tems de hâle, le dessus des ondins est sec, un ou deux jours après qu'il a été fauché. Lorsqu'il est en cet état, le matin après que la rosée a été dissipée, on retourne les ondins l'un vers l'autre. Cette opération se fait assez vîte, en passant un bâton sous les ondins pour les renverser.

On les renverse l'un vers l'autre, pour que les deux ondins se trouvent sur la partie du champ qui n'a pas été labourée, & pour qu'il y ait moins de foin perdu ; parce que, quand on la ramasse, il suffit de faire passer le rateau, ou pour parler comme les fermiers, le fauchet sur les espaces.

Sitôt que les ondins retournés sont secs, on les ramasse avant la rosée du soir en petits moulons, qu'on appelle des oisons, parce qu'étant ainsi disposés, ils ressemblent à un troupeau d'oies répandues dans un champ, & comme le sainfoin est en plus grosses masses, il craint moins la rosée, & même la pluie quand elle n'est pas abondante.

Si on laissoit le sainfoin répandu fort mince sur tout le champ pendant une huitaine de jours, quand même il ne tomberoit point d'eau, il perdroit beaucoup de sa qualité. C'est pourquoi, sitôt qu'il est suffisamment sec, il faut le mettre en grosses meules, ou le serrer dans les granges : & à cette occasion, il est bon de remarquer, que supposant le sainfoin & le foin ordinaire également secs, on peut faire les meules de sainfoin beaucoup plus grosses que celles de foin, sans craindre qu'il s'échauffe, parce que les brins se pressant moins exactement les uns contre les autres, il passe entre deux de l'air qui empêche la fermentation.

On a observé que le sainfoin n'est jamais meilleur que quand il a été desseché par le vent, & sans le secours du soleil. Outre cela, une pluie qui feroit noircir le foin ordinaire, le treffle, & même la luzerne, n'endommage pas le sainfoin ; il n'est véritablement altéré que quand il est pourri sur le champ.

Quand le tems est disposé à la pluie, si le sainfoin n'est pas encore sec, on peut le ramasser en petits meulons, & on ne craindra pas qu'il s'échauffe, si l'on met au milieu de chaque meulon une corbeille, ou un fagot qui permette la circulation de l'air & l'évaporation des vapeurs ; mais sitôt que l'herbe est bien seche, il faut la serrer dans des granges, ou en former de grosses meules, & les couvrir avec du chaume.

Parlons à présent de la récolte du sainfoin qu'on a laissé mûrir pour la graine. Comme toutes les fleurs du sainfoin ne s'épanouissent que les unes après les autres, la graine ne mûrit pas non plus tout-à-la-fois. Si l'on coupoit le sainfoin lorsque les graines d'en bas sont mûres, on perdroit celles de la pointe. Si l'on attendoit pour faucher les sainfoins, que la graine de la pointe fût mûre, celle d'en bas seroit tombée & perdue. Ainsi il faut choisir un état moyen, & alors les graines qui sont encore vertes achevent de mûrir, & au bout de quelque tems, elles sont aussi bonnes que les autres.

Il faut bien se donner de garde de faucher, ni de ramasser ces sortes de sainfoins dans la chaleur du jour ; la plus grande partie de la graine seroit perdue. Le vrai tems pour ce travail, est le matin ou le soir, quand la rosée ou le serein rendent la plante plus souple.

S'il fait beau, le sainfoin se desseche assez en ondins, sans qu'il soit besoin de les retourner ; mais s'il a plû, & qu'on soit obligé de retourner les ondins, le mieux est pour ne point faire tomber la graine, de passer le bâton sous les épis & de renverser l'ondin de façon que les piés des sainfoins ne fassent que tourner comme sur un axe. Il ne faut pas attendre que le sainfoin soit fort sec pour le mettre en meules, car en couroit risque de perdre beaucoup de graines. Il y a des gens qui pour ne point courir ce risque, l'enlevent dans des draps ; alors on le peut serrer si sec qu'on veut, puisque la graine ne peut se perdre.

Mais si l'on veut battre le sainfoin dans le champ, il ne faut point faire de meules ; il suffit de ramasser le sainfoin en meulons, & pour lors il ne peut pas être trop sec. On prépare une aire à un coin d'un champ, ou bien l'on étend un grand drap par terre ; deux métiviers battent le sainfoin avec des fléaux, pendant que deux personnes leur en apportent de nouveau dans des draps, & deux autres nettoyent grossierement avec un crible la graine qui est battue. La graine ainsi criblée, & mise dans des sacs, est portée à la maison. A l'égard de la paille, on la ramasse en grosses meules pour la nourriture du bétail ; mais il faut empêcher qu'elle ne soit mouillée, parce qu'elle ne seroit plus bonne à rien.

Un article très-important, & néanmoins très-difficile, est de conserver la semence qui a été battue dans le champ ; car il n'y a pas le même inconvénient pour celle qu'on engrange avec la paille ; elle se conserve à merveille.

Celle qui est dépouillée de sa paille, a une disposition très-grande à fermenter, desorte qu'un petit tas est assez considérable pour que la graine du centre s'échauffe. Inutilement l'étendroit-on dans un grenier à sept ou huit pouces d'épaisseur ; si on ne la remuoit pas tous les jours, elle s'échaufferoit. Le meilleur moyen est de faire dans une grange un lit de paille, puis un lit fort mince de graine, un lit de paille & un lit de graine, & l'hiver on peut retirer cette graine, & la conserver dans un grenier ; car comme elle a perdu sa chaleur, elle ne court plus le même risque de se gâter.

Il faut terminer ce qui regarde le sainfoin, par avertir que si on ne faisoit pas paître les sainfoins par les bestiaux, ils seroient bien meilleurs qu'ils ne sont. M. Tull recommande sur-tout qu'on les défende du bétail la premiere & la seconde année & tous les ans au printems.

Enfin il prétend qu'il a rajeuni des pieces de sainfoin où le plant étoit languissant, en faisant labourer des plates-bandes de trois piés de largeur, & laissant alternativement des planches de sainfoin de même largeur. Il assure que ce sainfoin ayant étendu ses racines dans les plates-bandes labourées, avoit repris vigueur & fourni de très-bonne herbe. Voyez Tull, Horseboing Husbandry, p. 76 & suiv. ou le traité de M. du Hamel de la culture des terres, tom. I. (D.J.)

SAINFOIN, SAINT-FOIN ou GROS FOIN, (Mat. méd.) les anciens faisoient de cette plante beaucoup plus d'usage que nous. Dioscoride, Galien, Pline, &c. en parlent comme d'un remede usité, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Ils regardoient les feuilles de cette plante comme fortifiantes, résolutives, diaphorétiques & diurétiques : mais encore une fois, les modernes ne l'employent plus.

On a observé que les feuilles de sainfoin cueillies immédiatement avant l'apparition de la fleur, & séchées avec soin, prenoient la forme extérieure & l'odeur du thé verd : il ne seroit pas étonnant qu'elles eussent aussi la même vertu. Voyez THE. (b)


SAINGOUR(Géog. mod.) riviere d'Asie, dans l'Indoustan, sur la route d'Agra à Patna. Elle se perd dans le Géméné. (D.J.)


SAINTadj. (Gramm. & Théolog.) ce nom qui signifie pur, innocent, parfait, convient particulierement à Dieu qui est saint par essence.

Il a été communiqué aux hommes célebres par leur vertu & leur piété : les premiers fideles l'ont donné généralement à tous les chrétiens qui vivoient conformément aux loix de Jesus-Christ. Dans la suite le nom de saint & de très-saint, a été donné & se donne encore aux patriarches, aux évêques, aux prêtres, aux abbés, & aux personnes d'une éminente piété. Mais on a particulierement affecté le nom de saint, à ceux qui sont morts & que l'on croit jouir de la gloire éternelle. Les Grecs l'ont donné aux martyrs, à leurs patriarches, à leurs évêques morts dans la communion de l'Eglise catholique, & aux personnes qui avoient vécu & qui étoient mortes saintement. Dans l'église latine ce nom a été donné autrefois aux martyrs, & à tous ceux dont la sainteté étoit notoire. Depuis le xii. siecle on l'a réservé à ceux qui ont été canonisés par les papes après les informations & cérémonies accoutumées. Voyez CANONISATION.

Un des points qui divisent les Protestans d'avec les Catholiques, c'est que ceux-ci adressent aux saints des voeux & des prieres pour obtenir leur intercession auprès de Dieu ; ce que les Protestans condamnent comme une idolâtrie, prétendant que c'est assez honorer les saints, que de proposer leurs exemples à imiter. Voyez CULTE & INVOCATION.

Le nombre des saints reconnus pour tels est presque infini ; le pere Papebrock en compte dix-sept ou dix-huit cent pour le premier jour de Juin seulement ; ce ne sont pas seulement les Protestans qui ont trouvé étrange cette multitude prodigieuse de saints. Le savant pere Mabillon écrivain très-catholique, dans sa dissertation sur le culte des saints inconnus, observe qu'on rend des honneurs à des saints prétendus, qui peut-être n'étoient pas chrétiens, dont on ne sait pas même les noms, ou auxquels on adresse des prieres sans savoir par aucun jugement de l'Eglise, s'ils sont dans le ciel. Mais l'Eglise, loin d'autoriser les superstitions à cet égard, les condamne & veut qu'on ne reconnoisse pour saints, que ceux dont on a des actes authentiques. Bollandus, Rosweid, le pere Papebrock & autres jésuites, se sont attachés avec un zele infatigable à ce travail, & ont publié vingt-quatre volumes in-folio pour les six premiers mois de l'année, & depuis la mort du pere Papebrock, ses continuateurs en ont encore donné plusieurs. Voyez ACTES & BOLLANDISTES.

SAINT LE, (Hist. jud.) dans l'Ecriture, marque en particulier la partie du temple qui étoit entre le vestibule & le sanctuaire, & dans laquelle on voyoit le chandelier d'or, l'autel des parfums, & la table des pains de proposition.

Le saint ou les saints, sancta, se prend pour tout le temple, ou même pour le ciel : le Seigneur a regardé du haut de son saint, psal. cj. . 20. Louez le Seigneur dans son saint, ps. cl. . 1.

Le saint des saints, ou le sanctuaire, marque la partie la plus intérieure & la plus sacrée du temple, où étoit l'arche d'alliance, & où personne n'entroit jamais, sinon le grand-prêtre, une fois l'année au jour de l'expiation solemnelle. Voyez EXPIATION & SANCTUAIRE.

SAINT, SAINTETE, (Critique sacrée) ; sainteté signifie la pureté d'ame, Thess. iij. 13. la piété envers Dieu, Luc, j. 75. La sainteté, dit Platon, est cette partie de la justice qui consiste dans le service des dieux ; & celle qui consiste dans les devoirs des hommes envers les hommes, est la seconde partie de la justice. Mais la sainteté du temple dans l'Exode, c'est le temple de Jérusalem consacré au culte de Dieu seul. Les choses saintes sont les mysteres de la Religion, Matt. vij. 6. La qualification de saints, se donne dans le vieux Testament aux anges, aux prophetes, aux patriarches, aux sacrificateurs, au peuple juif ; dans le nouveau-Testament les apôtres honorent de ce titre les fideles & les chrétiens, parce qu'ils doivent mener une vie pure & religieuse. (D.J.)

SAINT, (Géog. mod.) les mots saint & sainte, ont été imposés en Géographie à plusieurs lieux où l'on a bâti des églises & des monasteres, auxquels on a donné le nom des saints dont on y révéroit la mémoire.

Ces églises & ces monasteres ont été avec le tems accompagnés de quelques maisons, & ont vu se former à l'ombre de leurs clochers, des villages, des bourgs, ou des villes, qui ont ensuite pris le nom du saint.

Des navigateurs ont trouvé des îles, des rivieres, des ports, dont ils ignoroient la dénomination, & ils leur ont donné celui du saint ou de la sainte, dont ils portoient eux-mêmes le nom, ou du saint dont l'église célébroit la mémoire le jour de la découverte.

Il est arrivé de cette maniere, que les noms de saint & de sainte, sont devenus assez ridiculement des noms géographiques ; de plus, ces noms géographiques en se multipliant prodigieusement, ont jetté une grande confusion dans cette science ; mais il n'y a point de moyen d'y remédier.

Les Italiens disent santo, pour saint ; seulement au lieu de santo, ils disent sant devant les mots qui commencent par une voyelle, & san devant ceux qui commencent par une consonne, sant'Ambrosio, sant'Agostino, san Paolo. Cette regle est la même dans les noms de lieux imposés par les Espagnols.

On ne trouvera guere dans ce Dictionnaire (& seulement sous leurs noms propres) que les endroits un peu considérables, nommés par les François saint, par les Italiens & les Espagnols santo, sant'ou san ; car les détails minucieux ne conviennent point à cet ouvrage. (D.J.)

SAINTS culte des, (Hist. ecclés.) ce n'est pas mon dessein de faire méthodiquement l'histoire de l'invocation & du culte des saints ; mais le lecteur sera peut-être bien-aise de trouver ici le morceau de M. Newton sur cette matiere, & qui n'a point encore été traduit en françois.

Trois choses, selon lui, donnerent occasion à ce culte ; 1°. les fêtes célébrées en mémoire des martyrs ; 2°. la coutume de prier auprès de leurs sépulchres ; 3°. les prétendus miracles opérés par leurs reliques.

Grégoire de Nysse rapporte que Grégoire évêque de Néocésarée & de Pont, s'étant apperçu que les jeux & les fêtes payennes retenoient le commun peuple dans l'idolâtrie, permit qu'on célébrât des fêtes en mémoire des martyrs, & que le peuple s'y divertît. On substitua bien-tôt après la fête de Noël aux bacchanales ; celle du premier Mai aux jeux de Flora ; celles de la sainte Vierge, de saint Jean-Baptiste, & des apôtres, aux fêtes marquées dans le vieux calendrier romain, les jours de l'entrée du soleil dans quelque signe du zodiaque. Cyprien ordonna de tenir un registre exact des actes des martyrs, afin d'en célébrer la mémoire ; & Felix évêque de Rome, jaloux de la gloire des martyrs, commanda d'offrir annuellement des sacrifices en leur nom.

La coutume de s'assembler dans les cimetieres où étoient les sépulchres des martyrs, laquelle commença à être en vogue du tems de la persécution de Dioclétien, contribua encore à l'établissement du culte des saints. Le concile d'Eliberi ou d'Elvire en Espagne, tenu en 305, défendit d'allumer pendant le jour des cierges dans les cimetieres des martyrs, de peur de troubler leur repos. Celui de Laodicée, tenu l'an 314, condamna ceux qui abandonnant les cimetieres des vrais martyrs, alloient faire leurs prieres auprès des sépulchres des martyrs hérétiques ; & l'an 324, un autre concile dénonça anathème à ceux qui par arrogance abandonneroient les congrégations des martyrs, les liturgies qu'on y lisoit, & la commémoration qu'on faisoit de ces athletes du Seigneur.

Avant qu'on eût la liberté de bâtir des églises pour y célébrer le service divin, on s'assembloit dans les cimetieres des martyrs ; on y faisoit tous les ans une commémoration de leur martyre ; on allumoit des flambeaux en leur honneur, & on jettoit de l'eau benite sur ceux qui y venoient pour leurs dévotions. Lorsqu'ensuite la paix fut donnée à l'Eglise, & qu'on bâtit des temples magnifiques pour s'y assembler, on transporta les corps des saints & des martyrs dans ces temples. L'empereur Julien reprocha aux chrétiens cette coutume.

Dans la suite, on attribua aux os des martyrs la vertu de faire taire les oracles, de chasser les démons, de guérir les malades, d'opérer toutes sortes de miracles ; c'est ce qu'on prouve par des témoignages de divers peres. On garda religieusement leurs reliques ; on s'imagina que les saints après leur mort, devenoient les protecteurs & comme les dieux tutélaires des lieux où étoient leurs os.

Enfin, on commença à leur rendre un culte religieux & à les invoquer, premierement en Egypte & en Syrie, ensuite à Constantinople, & dans les églises d'occident. Grégoire de Nazianze adresse des prieres à Athanase & à Basile ; & il rapporte que Justine fut protégée miraculeusement, parce qu'elle invoquoit la sainte Vierge. Grégoire de Nysse implora le secours d'Ephrem & du martyr Théodore. A Constantinople, l'invocation des saints fut inconnue jusqu'à l'année 379, que Grégoire de Nazianze la leur enseigna : saint Chrysostome l'appuya fortement ; mais l'empereur Théodose défendit quelque tems après, de déterrer les os des saints & des martyrs, ou de les transporter d'un lieu à un autre.

Sans adopter toutes les idées de M. Newton, on ne peut disconvenir qu'il n'y ait dans ce petit morceau des vûes très - justes sur l'origine du culte des saints ; & d'ailleurs il faut observer que ce beau génie n'avoit fait que jetter ces remarques sur le papier, sans y mettre la derniere main. (D.J.)


SAINT LOUISORDRE DE, (Géog. mod.) ordre de chevalerie en France, créé en 1693 par le roi Louis le Grand, pour honorer la valeur des ses officiers militaires. Le roi en est le grand-maître ; & par l'édit de création, il a sous lui 8 grands croix, 24 commandeurs, & les autres simples chevaliers. Mais en 1719, le roi actuellement régnant, rendit un autre édit portant confirmation de l'ordre, création d'officiers pour en administrer les affaires, augmentation de deux grands croix, de cinq commandeurs & de cinquante-trois pensions, nombre au reste qui n'est pas tellement fixe qu'il ne puisse être augmenté à la volonté du roi, puisqu'en 1740, on comptoit quatorze grands croix, & quarante-quatre commandeurs. Les maréchaux de France, l'amiral & le général des galeres sont chevaliers nés. Pour y être admis, il faut avoir servi dix ans en qualité d'officier, & faire profession de la religion catholique, apostolique & romaine ; cependant le tems du service n'est pas une regle si invariable qu'elle n'ait ses exceptions, le roi accordant quelquefois la croix à un jeune officier qui se sera distingué par quelque action extraordinaire de valeur.

L'ordre a 300000 livres de rente annuelle, qui sont distribuées en pensions de 6000 livres à chacun des grands - croix ; de 4000 & de 3000 livres aux commandeurs ; de 200 livres à un certain nombre de chevaliers : & ensuite depuis 1500 jusqu'à 800 livres à un grand nombre de chevaliers & aux officiers de l'ordre, ou par rang d'ancienneté, ou à titre de mérite, & sous le bon plaisir du roi. Ces fonds sont assignés sur l'excédent du revenu attaché à l'hôtel royal des invalides à Paris.

La croix de l'ordre est émaillée de blanc, cantonnée de fleurs-de-lis d'or, chargée d'un côté, dans le milieu, d'un saint Louis cuirassé d'or & couvert de son manteau royal, tenant de sa main droite une couronne de laurier ; & de la gauche une couronne d'épines & les cloux, en champ de gueules, entourée d'une bordure d'azur, avec ces lettres en or, Ludovicus magnus instituit 1693 ; & de l'autre côté, pour devise, une épée nue flamboyante, la pointe passée dans une couronne de laurier, liée de l'écharpe blanche, aussi en champ de gueules bordée d'azur comme l'autre, & pour legende ces mots : Bellicae virtutis praemium. Les grands-croix la portent attachée à un ruban large couleur de feu passé en baudrier, & ont une croix en broderie d'or sur le juste-au-corps & sur le manteau. Les commandeurs ont le ruban en écharpe, mais non la croix brodée, & les chevaliers portent la croix attachée à la boutonniere avec un ruban couleur de feu. Leur nombre n'est pas limité ; on en compte aujourd'hui plus de quatre mille.

Par édit de Louis XIV. donné au mois de Mars 1694, il est statué que " tous ceux qui seront admis dans cet ordre, pourront faire peindre ou graver dans leurs armoiries ces ornemens : savoir, les grands-croix, l'écusson accollé sur une croix d'or à huit pointes boutonnées par les bouts, & un ruban large couleur de feu autour dudit écusson, avec ces mots, Bellicae virtutis praemium, écrits sur ledit ruban, auquel sera attachée la croix dudit ordre ; les commandeurs de même, à la reserve de la croix sous l'écusson ; & quant aux simples chevaliers, il leur est permis de faire peindre ou graver au bas de leur écusson une croix dudit ordre attachée d'un petit ruban noué aussi de couleur de feu ".


SAINT-GRAAL(Hist. des pierres précieuses. Litholog.) vase précieux fait, à ce qu'on dit, d'une seule émeraude. On a béni & sanctifié ce vase sous le nom ridicule de saint-Graal. Les chanoines de l'église cathédrale de Genes en sont les dépositaires. Durant le séjour que Louis XII. fit à Genes, l'an 1502, les chanoines le lui firent voir.

Ce vase s'est toujours conservé dans le trésor de la métropole. Il est taillé en forme de plat d'un exagone régulier. Il a sept pouces de chaque côté, quatorze pouces de diametre, trois pouces & demi de creux, trois lignes d'épaisseur. On voit au-dessous du vase deux anses taillées dans la même pierre, & qui ont chacune trois pouces & demi de long, cinq lignes de diametre. Le vase pese un marc & demi ou douze onces.

La couleur de cette pierre est, au jour, d'un verd qui surpasse celui des autres émeraudes. A la lumiere des flambeaux, elle est transparente, nette & brillante ; on voit sur une de ses anses une entaille faite par un lapidaire, en présence de l'empereur Charles V. qui fut convaincu par cette épreuve, que c'étoit une vraie émeraude ; mais il est fort permis d'en douter.

Ce vase fut trouvé, disent les Génois, à la prise de Césarée. Les alliés partagerent le butin ; les Vénitiens s'emparerent de l'argent ; les Génois se contenterent de cette pierre. On lit dans un manuscrit de la métropole, que c'est le plat dans lequel Jesus-Christ mangea l'agneau pascal à la derniere cêne qu'il fit avec ses apôtres. La tradition de la république veut que ce soit le plat où fut présentée la tête de S. Jean-Baptiste.

Ces traditions ne demandent pas une réfutation sérieuse ; mais cette émeraude, si elle étoit vraie, seroit une piece singuliere. On ne la montre, pour le persuader au public, qu'avec de grandes formalités. Un prêtre en surplis & avec l'étole prend le vase, ayant passé au cou un cordon dont chaque bout est noué à chacune des anses. On ne la montre encore qu'aux personnes de distinction, & par un décret du sénat.

M. le chevalier de Cresnay, lieutenant général des armées navales, qui conduisit à Genes, par ordre du roi, madame infante, duchesse de Parme, sur la fin de l'année 1753, demanda à voir ce vase, & le vit avec tous les officiers de son escadre. M. de la Condamine l'a examiné de son côté, & en a parlé dans un mémoire qu'il a lu à l'académie des Sciences. (D.J.)


SAINT-PIERRESAINT-PIERRE

Jules II. sous qui la Peinture & l'Architecture commencerent à prendre de si nobles accroissemens, voulut que Rome eût un temple qui surpassât de beaucoup Sainte-Sophie de Constantinople. Il eut, dit M. de Voltaire, le courage d'entreprendre ce qu'il ne pouvoit jamais voir finir. Léon X. suivit ardemment ce beau projet. Il falloit beaucoup d'argent, & ses magnificences avoient épuisé son trésor. Il n'est point de chrétien qui n'eût dû contribuer à élever cette merveille de la métropole de l'Europe ; mais l'argent destiné aux ouvrages publics ne s'arrache jamais que par force ou par adresse. Léon X. eut recours, s'il est permis de se servir de cette expression, à une des clés de S. Pierre, avec laquelle on avoit ouvert les coffres des chrétiens pour remplir ceux du pape : il prétexta une guerre contre les Turcs, & fit vendre des indulgences dans toute la chrétienté, à dessein d'en employer le produit à la construction de son nouveau temple.

Le plus singulier de cette basilique, c'est qu'en y entrant on n'y trouve rien d'abord qui surprenne à un certain point : la symmétrie & les proportions y sont si bien gardées, toutes les parties y sont placées avec tant de justesse, que cet arrangement laisse l'esprit tranquille ; mais quand on vient à détailler les beautés de cet admirable édifice, il paroît alors dans toute sa magnificence. En voici seulement les principales dimensions.

Sa longueur est de 594 piés, sans compter le portique ni l'épaisseur des murs. La longueur de la croix est de 438 piés ; le dôme a 143 piés de diametre en-dedans ; la nef a 86 piés 8 pouces de largeur, & 144 de hauteur perpendiculaire ; la façade a 400 piés de profil : du pavé de l'église au haut de la croix qui surmonte la boule du dôme, on compte 432 piés d'Angleterre. Le portail est digne de la majesté du temple.

Ce sont d'abord plusieurs gros piliers qui soutiennent une vaste tribune, ces piliers forment sept arcades, qui sont appuyées, de marbre violet d'ordre ionique : le devant de la tribune est aussi orné de colonnes, & d'une balustrade de marbre ; au - dessus sont des fenêtres quarrées qui font un fort bel effet ; & le tout est terminé par une balustrade sur laquelle on a placé la statue de Notre-Seigneur & celles des douze apôtres, qui ont 18 piés de haut.

La coupole est sans-doute l'objet de ce temple le plus digne de nos regards : il ne restoit dans le monde que trois monumens antiques de ce genre ; une partie du dôme du temple de Minerve dans Athènes, celui du Panthéon à Rome, & celui de la grande mosquée à Constantinople, autrefois Sainte-Sophie, ouvrage de Justinien. Mais ces coupoles assez élevées dans l'intérieur, étoient trop écrasées au-dehors. Le Bruneleschi, qui rétablit l'Architecture en Italie au xjv. siecle, remédia à ce défaut par un coup de l'art, en établissant deux coupoles l'une sur l'autre dans la cathédrale de Florence ; mais ces coupoles tenoient encore un peu du gothique, & n'étoient pas dans les nobles proportions. Michel-Ange Buonaroti, donna le dessein des deux dômes de Saint-Pierre, & Sixte-Quint exécuta en vingt-deux mois cet ouvrage dont rien n'approche.

Toute la voute est peinte en mosaïque par les plus grands maîtres. Ce dôme est soutenu par quatre gros piliers, au bas desquels on a placé quatre statues de marbre blanc plus grandes que nature.

Urbain VIII. a fait construire pour sa part le grand autel de marbre de ce temple, dont les colonnes & les ornemens paroîtroient par-tout ailleurs des ouvrages immenses, & qui n'ont là qu'une juste proportion ; c'est le chef-d'oeuvre du Bernini, digne compatriote de Michel-Ange.

Le grand autel dont nous parlons est directement sous le dôme ; quatre colonnes de bronze torses, ornées de festons, soutiennent un baldaquin de métal ; quatre anges de même matiere plus grands que nature, posés sur chaque colonne ; & plusieurs petits anges distribués sur la corniche, donnent une majesté singuliere à cet autel.

La confession de Saint-Pierre, qu'on suppose l'endroit où cet apôtre a été enterré, est directement dessous : ce lieu, qui est interdit aux femmes, est tout revêtu de marbre, & magnifiquement décoré.

Tout reluit d'or & d'azur dans Saint-Pierre de Rome ; tous les piliers sont revêtus du marbre le plus poli ; toutes les voûtes sont de stuc à compartimens dorés.

On trouve dans ce lieu des morceaux de peinture des plus grands maîtres. Le cavalier Lanfranc a peint la voûte de la premiere chapelle. On voit dans la seconde un saint Sébastien du Dominiquain. Dans la chapelle du saint Sacrement est un tableau de la Trinité de Pierre Cortone, &c.

Les morceaux de sculpture surpassent peut-être tout le reste : le plus considérable est la chaire de S. Pierre. Cette chaire, qui n'est que de bois, est enchâssée dans une autre chaire de bronze doré, environnée de rayons, & soutenue par les quatre docteurs cardinaux de l'Eglise, Saint Ambroise, saint Jérôme, saint Augustin, & saint Grégoire, dont les statues plus grandes que nature, sont posées sur des piédestaux de marbre. Le dessein de ce bel ouvrage est encore du cavalier Bernin. Aux deux côtés de la chaire de S. Pierre sont deux superbes mausolées, l'un d'Urbain VIII. & l'autre de Paul III. (D.J.)


SAINT-THOMASSAINT-THOMAS


SAINT-THOMÉS. m. (Com. Monnoie étrangere) monnoie d'or que les Portugais ont fait battre à Goa ; elle vaut deux piastres, un peu plus ou un peu moins. (D.J.)


SAINT-VINCENTISLE DE, (Géog. mod.) l'une des Antilles située par les 13 degrés 3 minutes de latitude au nord de l'équateur, entre Sainte-Alousie & les Grenadins ; cette île qui peut avoir environ vingt lieues de tour, est possédée par deux sortes de sauvages distingués en caraïbes rouges & en caraïbes noirs ; les premiers sont les plus anciens ; leur taille est moyenne ; ils ont la peau d'une couleur bronzée, le front applati par art, & les cheveux très-longs & presque droits ; les seconds, dont l'origine vient, selon toutes les apparences, des negres fugitifs de la Barbade, sont grands, bien proportionnés ; leur couleur est d'un assez beau noir ; ils ont les cheveux crépus, & le front applati à l'imitation des précédens dont le nombre est considérablement diminué. Ces sauvages ont permis à quelques européens françois de s'établir parmi eux dans la partie occidentale du pays, après leur avoir fixé des limites au-delà desquelles ils ne peuvent s'étendre.

Le terrein de S. Vincent est fort montagneux, très-bien boisé, & arrosé de petites rivieres ; il produit beaucoup de tabac, du caffé, du coton, du mahis, & des légumes en abondance. Vers l'extrêmité septentrionale de l'île est une grosse montagne séparée des autres par des précipices & des ravines très-profondes, au milieu desquelles on voit encore aujourd'hui des traces bien sensibles des torrens de soufre & de matieres fondues, qui du sommet de la montagne coulerent jusqu'à la mer, lors de la fameuse irruption de son volcan en l'année 1719. Voyez SOUFRIERE.


SAINTAUBINET(Marine) c'est un pont de cordes supporté par des bouts de mâts, posés en-travers sur le plat-bord, à l'avant des vaisseaux marchands. Voyez encore PONT DE CORDES.


SAINTE-BARBES. f. (Marine) nom qu'on donne à la chambre des canonniers, parce qu'ils ont choisi sainte Barbe pour patrone. C'est un retranchement à l'arriere du vaisseau, au - dessus de la soue, & au-dessous de la chambre du capitaine. Voyez la Marine, Pl. IV. fig. 1. la sainte-Barbe, cotée 107. On l'appelle aussi gardiennerie, parce que le maître canonnier y met une partie de ses ustensiles. Il y a ordinairement deux sabords pratiqués dans l'arcasse, pour battre par derriere, & le timon ou barre du gouvernail y passe.


SAINTE-CROIXL'ILE DE, (Géog. mod.) l'une des Antilles située par les 17 degrés 36 minutes de latitude, au nord de l'équateur, à 15 ou 16 lieues dans l'est sud-est de Portorico, sa longueur est d'environ 9 lieues sur une largeur inégale ; son terrein produit les plus beaux arbres du monde, dont le bois est propre à construire de très-beaux meubles. Cette île, qui étoit sous la domination de la France, depuis l'établissement des Antilles, fut cédée vers le commencement du regne de Louis XV. aux Danois, qui y ont aujourd'hui une assez nombreuse colonie, malgré l'imtempérie du climat.


SAINTE-LUCIEBOIS DE, (Botan.) espece de cérisier sauvage. Voyez MAHALEB, (Botan.)


SAINTESou SAINCTES, (Géog. mod.) on écrivoit anciennement Xaintes ; ville de France, capitale de la Saintonge, sur la Charente, qu'on y passe sur un pont, à 16 lieues au sud est de la Rochelle, & à 25 au nord-est de Bourdeaux.

Cette ville, qui du tems d'Ammien Marcellin, étoit une des plus florissantes de l'Aquitaine, est aujourd'hui une petite & pauvre ville ; ses rues sont étroites, & les maisons mal bâties. Il y a cependant une sénéchaussée, un présidial, & une élection, qui est de la généralité de la Rochelle. Les Jésuites y ont tenu un college, & les Lazaristes y tiennent un séminaire.

L'évêché de Saintes, qui passe pour un des plus anciens des Gaules, est suffragant de Bourdeaux ; il vaut douze à quinze mille livres de revenu, toutes les charges acquittées. Il est composé de 565 églises, tant paroissiales que succursales ; ces dernieres sont au nombre d'environ 60. Le chapitre de la cathédrale est composé d'un doyen & de vingt-quatre chanoines, dont les quatre qui ont les dignités, sont nommés par l'évêque, quoique le chapitre soit indépendant de lui.

On a tenu divers conciles à Saintes ; savoir en 563, 1075, 1080, 1088 & 1096 ; c'est dans ce dernier que fut ordonné le jeûne des veilles des apôtres.

Il y a dans un fauxbourg de cette ville, une riche abbaye de bénédictines, fondée l'an 1047, sous le titre de Notre-Dame. Long. 37. 2. lat. 45. 39.

La ville de Saintes s'appelloit anciennement Mediolanum, comme Milan dans la Gaule cisalpine, & elle avoit un amphithéâtre avec beaucoup d'autres marques de grandeur lorsqu'elle étoit située sur une montagne. Cette ville que les auteurs, jusqu'au cinquieme siecle, appellent Mediolanum, ayant été entierement ruinée par le passage des Vandales, & des autres barbares qui traverserent les Gaules pour aller en Espagne, fut rebâtie dans une situation plus commode que l'ancienne, car elle est sur le bord de la Charente. Depuis ce tems-là, le nom Mediolanum n'a plus été en usage, on ne s'est servi que de celui du peuple Santones, d'où est venu le mot de Saintes.

Amelotte (Denys), pere de l'oratoire, naquit à Saintes, en 1606, & se montra de bonne heure ennemi de MM. de Port-royal, dans l'espérance d'obtenir un évêché. Il a donné une version du nouveau Testament en quatre volumes in -8°. qu'il mit au jour en 1666, 1667 & 1668. Cette version n'est pas fort exacte, & l'on y a trouvé des fautes assez grossieres, principalement pour ce qui regarde la critique. Le pere Amelotte mourut en 1678, âgé de soixante-douze ans. (D.J.)


SAINTETÉS. f. (Gramm. & Théolog.) qualité ou état d'un homme saint, ou exempt de péché. Voyez PECHE.

Sainteté se dit aussi des personnes sacrées, & des choses destinées au service de Dieu & aux usages de la religion. Voyez SACRE & SAINT.

On dit dans ce sens jours saints, ordonnances saintes, sainte Bible, saint Evangile, guerre sainte, &c. Les Catholiques romains appellent l'inquisition, le saint office, & le siege de Rome, le saint siege. Voyez INQUISITION, &c.

Sainte huile, eau sainte, &c. Voyez ONCTION, EAU, &c.

La Palestine est appellée par excellence la Terre sainte, & Jérusalem la sainte cité. Tel prince croyoit signaler sa religion en allant combattre pour la conquête de la Terre sainte. Voyez CROISADE.

Dans les pays catholiques, un tiers de l'année est employé en fêtes ou jours saints. Il n'y a point d'autres jours saints en Ecosse, que le Dimanche.

Semaine sainte, est la derniere semaine du carême, que l'on appelle aussi semaine de la passion. Voyez CAREME & PASSION.

On donne quelquefois le nom d'année sainte, à l'année du jubilé. Voyez JUBILE.

Il y avoit dans le tabernacle, & ensuite dans le temple de Salomon, deux lieux particuliers, dont l'un s'appelloit le lieu saint, sanctum, & l'autre, qui étoit le plus reculé, le saint des saints, sanctum sanctorum, ou le sanctuaire. Voyez SANCTUAIRE.

Le saint étoit séparé du saint des saints par un voile. L'arche de l'alliance étoit dans ce dernier. Voyez ARCHE.

Sainteté est un titre de vénération que l'on donne au pape, comme celui de majesté aux rois. Voyez TITRE, QUALITE.

Les rois même, quand ils écrivent au pape, lui donne le titre de sainteté ou de saint pere, en latin, sanctissime & beatissime pater. Voyez PAPE.

On donnoit autrefois le titre de sainteté à tous les évêques, comme on voit dans saint Augustin, Fortunat, Nicolas I. Cassiodore, &c. Saint Grégoire même en a appellé quelques-uns, votre béatitude & votre sainteté.

Les empereurs grecs de Constantinople portoient le titre de saint & de sainteté, à cause de l'onction de leur sacre. Ducange ajoute qu'on a aussi donné le nom de sainteté à quelques rois d'Angleterre, & que les orientaux l'ont souvent refusé au pape.


SAINTEURS. m. (Droit coutumier) vieux mot qui se trouve dans la coutume d'Haynault, ch. xxiij. où il est traité du rachat de servage, pour lequel est dûe quelque redevance à celui par lequel la personne a été affranchie. Un sainteur ou saintier étoit un serf d'église, un oblat, un homme qui par dévotion s'étoit fait serf d'un saint ou d'une sainte, patrons de cette église. Pour cet effet le sainteur se passoit la corde des cloches au cou, & mettoit sur sa tête, & quelquefois sur l'autel, quelques deniers de chevage ; voilà une idée folle, & qui tient bien de la barbarie des anciens tems. Comme les servitudes étoient différentes, dit M. de Lauriere, tous ceux qui étoient sainteurs ou saintiers des églises n'étoient pas serfs mainmortables & mor - taillables, ni hommes de corps.


SAINTOISLE, (Géog. mod.) petit pays de France, dans le diocèse de Toul en Lorraine, entre le Toulois & le Chaumontois. Ce petit pays est appellé dans les titres Segontensis pagus, ou comitatus Segintensis. Frédegaire parle d'un de ses comtes, & il y en eut d'autres que celui-là. Le Saintois changea son nom en celui de Vaudemont sur la fin du xj. siecle, & l'empereur l'érigea en comté, séparé du duché de Lorraine ; mais il y a été réuni par le duc René, l'an 1473. (D.J.)


SAINTONGELA, (Géog. mod.) province de France bornée au nord par le Poitou & l'Aunis, au midi par le Bourdelois, au levant par l'Angoumois & le Périgord, au couchant par l'Océan. Elle a environ 25 lieues de long, & 12 de large. La Charente la partage en méridionale & septentrionale. La premiere a Saintes, capitale, Marennes, Royan, Mortagne, &c. La seconde comprend Saint-Jean-d'Angeli, Tonnay-Charente, Taillebourg, &c.

Les Saintongeois, ainsi que Saintes, capitale du pays, ont tiré leur nom des peuples Santones, célebres dans les anciens auteurs, comme on le verra sous ce mot. Ils furent du nombre des Celtes jusqu'à ce qu'Auguste les joignit à la seconde Aquitaine. César dans ses commentaires vante la fertilité de la Saintonge, où le peuple helvétique qui quittoit son pays vouloit aller s'établir.

Les François occuperent la Saintonge après la défaite & la mort d'Alaric. Eudes, duc d'Aquitaine s'en rendit le maître absolu. Eléonore de Guienne en étoit en possession lorsqu'elle épousa Henri roi d'Angleterre ; il arriva de-là que ce pays fut possédé par les Anglois en pleine souveraineté, jusqu'à ce que Charles V. la leur enleva, & la réunit à la couronne, de laquelle elle n'a point été démembrée depuis : car on ne voit pas que le don que Charles VII. en avoit fait à Jacques I. roi d'Ecosse, l'an 1428, ait eu lieu.

La Saintonge & l'Angoumois font ensemble le douzieme gouvernement de France ; mais l'Angoumois est du parlement de Paris, & la Saintonge est du parlement de Bordeaux. Ses finances sont médiocres. Le domaine est presque entierement aliéné. Les douannes y sont très - considérables, & rapportent beaucoup aux fermiers.

Le pays produit du blé & des vins ; mais son principal commerce est le sel, qui est le meilleur de l'Europe. Ce commerce n'est pas néanmoins d'une grande utilité à la province, à cause des droits prodigieux que levent les fermiers, qui emportent la plus grande partie du profit. Les marais même de la basse Saintonge ne servent plus à-présent que de pâturages, qu'on appelle marais-gatz. Les principales rivieres qui traversent cette province, sont la Charente & la Boutonne.

Le Brouageais, petit pays, a été démembré de la Saintonge, & fait à-présent partie du gouvernement d'Aunis.

Jean Ogier de Gombault, l'un des premiers membres de l'académie françoise, & en son tems un poëte célebre, étoit un gentilhomme de Saintonge. Il s'acquit l'estime de Marie de Médicis, du chancelier Séguier, & des beaux esprits de son tems. Ses sonnets & ses épigrammes sont les meilleurs de ses ouvrages. Il composa les épigrammes dans sa vieillesse ; &, ce qui paroit singulier, elles sont en général supérieures à ses sonnets, parmi lesquels il y en a beaucoup de très-bons, quoique Despréaux dise :

A peine dans Gombault, Maynard & Malleville,

En peut on admirer deux ou trois entre mille.

Les vers de Gombault ont de la douceur, & sont tournés avec art ; ce qui caractérise encore ce poëte, c'est beaucoup de délicatesse. Il a fait des pieces de théâtre dont la constitution est dans le goût de son siecle, mais dont les détails méritent quelque estime.

Le dictionnaire & le supplément de Moréri ne font point mention de l'Amarante de Gombault : c'est une pastorale en cinq actes, où l'auteur a mis à la vérité trop d'esprit, mais où l'on trouve aussi dans quelques endroits le naturel qui convient au genre bucolique. La versification n'en est pas égale ; c'est un défaut ordinaire à cet auteur dans tous ses ouvrages un peu longs : il ne se soutient que dans ses petites poésies. Il étoit calviniste, & mourut en 1666, âgé de près de 100 ans. (D.J.)


SAINTREdroit de saintre ou de chaintre ou de chambre, (Jurisprud.) les seigneurs ont ce droit sur les lieux non cultivés, en chaume, en friche, en bruyeres, en buisson ; il consiste à y faire paître leur bétail, à l'exception de tous autres qu'ils en peuvent éloigner.


SAINTSplus communément SAINTES, ISLES DES, (Géog. mod.) ce sont trois petites îles situées en Amérique entre la pointe méridionale de la Guadaloupe, & la partie septentrionale de la Dominique, sous le vent de Marie-Galande.

Ces îles sont disposées de telle sorte qu'elles forment au milieu d'elles un port fort commode ; leur terrein quoique très-montagneux, produit du coton, du caffé, du tabac, du mahys & des légumes ; les habitans françois qui les occupent, élevent des bestiaux, des volailles, des cabris, des moutons & des cochons dont ils font commerce avec la Guadeloupe & la Martinique. Le pays est sain, à l'exception de quelques fievres annuelles ; & il manque d'eau courante.

SAINTS ou SAINTES, épithete qui précéde souvent le nom de plusieurs des îles Antilles, dont quelques-uns ont été obmis dans les volumes précédens.

Sainte-Alousie, voyez LUSSIE ou LUCIE.

Saint-Barthélemi, île appartenant aux François qui y cultivent du tabac, du coton & des légumes ; elle est située par les 17 degrés 45 minutes, entre Saint Martin & S. Christophe.

Saint-Christophe, cette île très-agréable qui dans le commencement fut établie en commun par les François & les Anglois, est restée à ces derniers depuis l'année 1702. Son climat est fort sain ; elle est située par les 17 degrés 26 minutes au nord de l'équateur, & peut avoir environ dix-huit lieues de tour.

Sainte-Croix, voyez l'article SAINTE-CROIX.

Saint-Eustache, île hollandoise, Voyez EUSTACHE.

Saint-Jean, petite île, l'une des vierges appartenant aux Danois, voisines de S. Thomas. Cette île est très-médiocre.

Saint-Martin, l'une des Antilles située par les 18 degrés de latitude au nord de l'équateur, entre l'Anguille & S. Barthélemi. Cette île est occupée en commun par les François & les Hollandois qui y cultivent du mahis, des feves, & autres légumes dont ils font commerce à la Martinique.


SAIOUNAH(Géog. mod.) ville d'Afrique, sur la côte orientale, dans le Zanguebar, & au midi de la ville de Sofala. (D.J.)


SAIPAou SAYPAN, (Géog. mod.) autrement nommée l'île de S. Joseph, Isle de l'océan oriental, dans l'Archipel de S. Lazare, c'est une des îles Marianes, & qui est la plus peuplée après celle de Guahan. Elle a environ 20 lieues de tour, & est toute montagneuse. Latit. selon le P. Gobien, 15. 20'. (D.J.)


SAIPUBISTUHS. m. (Hist. mod.) dixieme mois des Georgiens ; il répond à notre mois d'Octobre.


SAIQUES. f. (Marine) sorte de bâtiment grec, dont le corps est fort chargé de bois, qui porte un beaupré, un petit artimon & un grand mât, lequel s'éleve avec son mât de hune à une hauteur extraordinaire, étant soutenu par des galaubans & par un étai, qui répond à la pointe du mât de hune sur le beaupré. Il n'a ni misaine, ni perroquet, ni haubans, & son pachi porte une bonnette maillée. Les Turcs s'en servent, soit pour les voyages qu'ils font à la Mecque, ou pour le commerce du levant.


SAIRE LA(Géog. mod.) petite riviere de France, en basse - Normandie, au Cotentin. Elle a ses sources dans la forêt de Brix, court d'orient en occident, & se jette dans la mer, proche la pointe de Reville. (D.J.)


SAIS(Géog. anc.) ancienne ville de la basse-Egypte, dans le nôme qui en prenoit le nom de Saitès Nomos, & dont elle étoit la métropole, à deux schoënes du Nil. La notice de Léon le sage, la met au rang des villes épiscopales de la basse - Egypte, qui reconnoissoient Alexandrie pour leur métropole.

Sa plus grande gloire est d'avoir donné la naissance à Psammithicus. La victoire qu'il remporta sur ses ennemis l'an 670 avant J. C. le rendit maître de toute l'Egypte. Il donna des terres aux Grecs qui l'avoient soutenu, & ouvrit à leurs compatriotes l'accès de son pays. Il fit élever ses sujets dans la connoissance des arts & des sciences, & protégea leur commerce. Il mourut 626 ans avant J. C. & fut enterré à Saïs dans le temple de Minerve. (D.J.)


SAISIES. f. (Gram. & Jurisprud.) en général est un exploit fait par un huissier ou sergent, par lequel au nom du roi & de la justice, il arrête, & met sous la main du roi & de la justice, des biens ou effets auxquels le saisissant prétend avoir droit, ou qu'il fait arrêter pour sûreté de ses droits & prétentions.

On ne peut procéder par voie de saisie sur les biens de quelqu'un, qu'en vertu d'une obligation ou condamnation, ou pour cause de délit, quasi-délits, chose privilégiée, ou qui soit équivalent.

Pour saisir, il faut être créancier, soit de son chef, soit du chef de celui dont on est héritier.

Il y a diverses especes de saisies, savoir, pour les meubles, la saisie & arrêt, la saisie & exécution, la saisie gagerie, & pour les immeubles, la saisie réelle.

Ces différentes sortes de saisies, & quelques autres qui sont propres à certains cas, vont être expliquées dans les divisions suivantes.

Il y a plusieurs choses qui ne sont pas saisissables, savoir :

L'habit dont le débiteur est vêtu, ni le lit dans lequel il couche.

On doit aussi laisser au saisi une vache, trois brebis ou deux chevres, à moins que la créance ne fût pour le prix de ces bestiaux.

On ne peut pareillement saisir les armes, chevaux & équipages de guerre des soldats & officiers.

Les personnes constituées aux ordres sacrés ne peuvent être exécutées en leurs meubles destinés au service divin, ou servans à leur usage nécessaire, de quelque valeur qu'ils puissent être, ni même en leurs livres qui leur seront laissés jusqu'à la somme de 150 liv.

Les chevaux, boeufs & autres bêtes de labourage, charrues, charrettes & ustensiles servans à labourer & cultiver les terres, vignes & prés, ne peuvent être saisis, même pour les deniers du roi, à peine de nullité, si ce n'est pour fermages, ou pour le prix de la vente desdites choses.

Les distributions quotidiennes & manuelles des chanoines & prébendes, les oblations, les sommes & pensions laissées pour alimens, les émolumens des professeurs des universités, les bourses des secrétaires du roi, les gages des officiers de la maison du roi faisant le service ordinaire, les appointemens des commis des fermes & autres sommes qui sont de même privilégiées, ne peuvent être saisies. (A)

SAISIE plus ample est une saisie réelle dans laquelle on a compris plus d'immeubles que dans une autre. Il est d'usage que la saisie réelle la plus ample prévaut sur celles qui le sont moins ; c'est-à-dire, que le créancier qui a fait la saisie la plus ample, est celui auquel on donne la poursuite de la saisie réelle. (A)

SAISIE ET ANNOTATION est celle qui se fait sur les biens des accusés absens. On l'appelle saisie & annotation, parce qu'anciennement on mettoit des panonceaux & autres marques aux héritages saisis. (A)

SAISIE ET ARRET est celle que le créancier fait sur son débiteur entre les mains d'un tiers qui doit quelque chose à ce même débiteur, à ce que ce tiers ait à ne se point dessaisir de ce qu'il a en ses mains au préjudice du saisissant.

La saisie & arrêt se peut faire sans titre paré, en vertu d'une ordonnance du juge sur requête.

Elle contient ordinairement assignation au tiers saisi pour affirmer ce qu'il doit, & pour être condamné à vuider ses mains en celles du saisissant. Voyez ARRET, CREANCIER, DEBITEUR, OPPOSITION. (A)

SAISIE EN EXECUTION est une saisie de meubles meublans, & autres effets mobiliers, tendante à enlever les meubles, & à les faire vendre, pour sur le prix en provenant être payé au saisissant ce qui lui est dû.

On ne peut saisir & exécuter sans avoir un titre paré & exécutoire contre celui sur lequel on saisit.

Cette saisie doit être précédée d'un commandement fait la veille.

Outre les formalités des ajournemens qui doivent être observés dans cette saisie, il faut que l'exploit de saisie contienne élection du domicile du saisissant dans le lieu où l'on saisit ; & si c'est dans un lieu isolé, il faut élire domicile dans la ville, bourg ou village plus prochain.

Les huissiers & sergens doivent marquer si leur exploit a été fait devant ou après midi.

Il faut aussi qu'ils soient assistés de deux records, qui doivent signer avec eux l'original & la copie de l'exploit.

Avant d'entrer dans une maison pour saisir, l'huissier doit appeller deux voisins pour y être présens, & leur faire signer son exploit ; & en cas de refus de leur part de venir ou de signer, il doit en faire mention.

S'il n'y a point de proches voisins, il faut, après la saisie, faire parapher l'exploit par le juge le plus prochain.

Quand les portes de la maison sont fermées, & qu'on fait refus de les ouvrir, l'huissier doit en dresser procès-verbal, & se retirer devant le juge du lieu pour se faire autoriser à faire faire ouverture des portes en présence de deux personnes que le juge nomme.

A Paris, on nomme un commissaire pour faire ouverture des portes.

La saisie doit contenir le détail de tous les effets qu'elle comprend.

S'il y a des coffres & armoires fermées, & que le débiteur refuse de les ouvrir, l'huissier peut se faire autoriser à les faire ouvrir pour saisir ce qui est dedans ; comme l'huissier doit établir un gardien aux choses saisies si le débiteur n'en offre pas un solvable, l'huissier peut laisser un de ses records en garnison, ou enlever les meubles & les mettre ailleurs à la garde de quelqu'un. Voyez COMMISSAIRE & GARDIEN.

Les meubles saisis ne peuvent être vendus que huitaine après la saisie.

S'il survient des oppositions à la vente, le saisissant doit les faire vuider dans un an, & faire vendre les meubles au plus tard dans deux mois après les oppositions jugées ou cessées.

Quand les saisies sont faites pour choses consistantes en espece comme des grains, il faut surseoir la vente des meubles saisis jusqu'à ce que l'on ait apprécié les choses dûes.

L'huissier doit signifier au saisi le jour & l'heure de la vente, à ce qu'il ait à y faire trouver des enchérisseurs si bon lui semble.

La vente doit se faire au plus prochain marché public aux jours & heures ordinaires des marchés.

Le gardien doit être assigné pour représenter les meubles, afin que l'huissier les puisse faire enlever & porter au marché.

Les choses saisies doivent être adjugées au plus offrant & dernier enchérisseur, & le prix payé comptant, sinon l'huissier en est responsable.

Le procès-verbal de vente doit faire mention du nom de ceux auxquels les meubles ont été adjugés.

Les diamans, bijoux & vaisselle d'argent ne peuvent être vendus qu'après trois expositions à trois jours de marché différens.

Les deniers provenans de la vente doivent être délivrés par l'huissier au saisissant jusqu'à concurrence de son dû, & le surplus au saisi, ou en cas d'opposition, à qui par justice sera ordonné. Voyez le titre XXXIII. de l'ordonn. de 1667, & les mots CREANCIER, DEBITEUR, EXECUTION, EXECUTOIRE, TITRE PARE, VENTE. (A)

SAISIE GAGERIE est une simple saisie de meubles meublans qui se fait, soit par le seigneur censier pour les arrérages de cens à lui dûs, soit par le propriétaire d'une maison pour ses loyers, soit par le créancier d'une rente fonciere pour les arrérages de sa rente. Voyez ci-devant GAGERIE. (A)

SAISIE FEODALE est celle que le seigneur dominant fait du fief mouvant de lui.

Cette saisie se fait en plusieurs cas, 1°. quand le fief est ouvert par succession, donation, vente, échange ou autrement, & que le vassal ne se présente pas pour faire la foi & hommage, & payer les droits. 2°. Lorsque le nouveau seigneur a fait assigner ses vassaux pour lui venir faire la foi, & qu'ils ne le font pas. 3°. Quand le vassal ne donne pas son aveu dans le tems de la coutume. 4°. Faute par le vassal de payer l'amende, pour n'avoir pas comparu aux plaids du seigneur.

Quand le vassal a été reçu en foi, le seigneur n'a plus qu'une simple action pour les droits.

La saisie féodale doit comprendre le fond du fief, mais en saisissant le fond, on peut aussi saisir les fruits.

En cas de saisie réelle du fief, la saisie féodale est préférée.

L'usufruitier du fief dominant peut saisir pour les droits à lui dûs.

Les apanagistes peuvent aussi saisir en leur nom.

Mais les engagistes ne le peuvent faire qu'avec la jonction du procureur du roi.

Le tems après lequel le seigneur peut saisir est différent, selon les coutumes. A Paris, le délai est de quarante jours, à compter de l'ouverture du fief.

Quant aux formalités de la saisie féodale, il faut en général y observer celles qui sont communes à tous les exploits, & en outre les formalités particulieres que la coutume du fief servant exige.

La saisie ne peut être faite qu'en vertu d'une commission spéciale du juge du seigneur ; ou s'il n'a point de justice, il faut s'adresser au juge royal du fief servant.

L'huissier doit se transporter au principal manoir de ce fief.

L'exploit doit contenir élection de domicile au château du fief dominant, ou chez le procureur-fiscal.

Quand la saisie est faite faute de foi & hommage, il n'est pas besoin d'établir commissaire, parce que comme elle emporte perte de fruits, le seigneur doit jouir par ses mains ; mais dans les autres cas où la saisie n'emporte pas perte de fruits, il faut y établir un commissaire.

La saisie féodale doit être signifiée au vassal en personne, ou domicile, ou au chef-lieu du fief servant, ou procureur-fiscal, receveur ou fermier.

On doit renouveller la saisie féodale tous les trois ans, à - moins que l'on ne soit en instance sur la saisie.

Si pendant que la saisie tient, il se trouve des arriere-fiefs ouverts, le seigneur suzerain les peut aussi saisir féodalement.

Le seigneur plaide toujours main-garnie pendant le procès ; c'est-à-dire que par provision il jouit des fruits. Voyez les auteurs qui ont traité des fiefs, & notamment les commentateurs de la coutume de Paris sur les articles 1, 2, 9, 28, 29, 30 & 31.

SAISIE MOBILIAIRE est celle par laquelle on n'arrête qu'un effet mobilier ; telles sont toutes les saisies & arrêts de sommes de deniers, de grains, fruits & revenus, & autres effets mobiliers, les saisies gageries, les saisies & exécution de meubles, à la différence de la saisie réelle, qui est une saisie immobiliaire, parce qu'elle a pour objet le fond même d'un immeuble. Voyez SAISIE & ARRET, SAISIE-EXECUTION, SAISIE GAGERIE, SAISIE REELLE. (A)

SAISIE ET OPPOSITION est la même chose que saisie & arrêt. Voyez ci-devant ARRET & SAISIE ET ARRET. (A)

SAISIE REELLE est un exploit par lequel un huissier saisit & met sous la main de la justice un héritage ou autre immeuble fictif, tel que des cens & rentes foncieres ou constituées dans les pays où elles sont réputées immeubles, offices, &c.

Il y a même certains meubles que l'on saisit réellement, tels que les vaisseaux & moulins sur bateaux.

On n'use point au contraire de saisie réelle pour les biens qui ne sont immeubles que par stipulation.

On appelle cette saisie réelle, parce qu'elle a pour objet un fond, & pour la distinguer des saisies mobiliaires qui n'attaquent que les meubles ou effets mobiliers ou les fruits.

On confond quelquefois la saisie réelle avec les criées & le decret, quoique ce soient trois choses différentes ; la saisie réelle est le premier acte pour parvenir à l'adjudication par decret, les criées sont des formalités subséquentes, & le decret est la fin de la saisie réelle.

Quelquefois aussi par le terme de saisie réelle on entend toute la poursuite, savoir la saisie même, les criées, le decret, & toute la procédure qui se fait pour y parvenir.

Chez les Romains, on usoit de subhastations, qui ressembloient assez à nos saisies réelles. Voyez SUBHASTATIONS.

La saisie réelle est donc le premier exploit que l'on fait pour parvenir à une vente par decret ; soit volontaire ou forcée.

Toute saisie réelle doit être précédée d'un commandement recordé, & doit être faite en vertu d'un titre paré.

Si celui sur lequel on saisit est mineur, il faut auparavant discuter ses meubles.

Il faut aussi avoir attention de faire la saisie réelle sur le véritable propriétaire, autrement elle seroit absolument nulle.

Si l'on saisit un fief, il suffit de désigner le corps du fief que l'on saisit ; mais quand on saisit les biens en roture, il faut détailler chaque corps d'héritage.

La saisie réelle doit être portée devant le juge auquel l'exécution du titre appartient.

Les juges des seigneurs en peuvent connoître, mais les criées doivent être certifiées devant le juge royal, lorsque la justice seigneuriale n'est pas assez considérable pour y faire la certification des criées.

La poursuite de la saisie réelle appartient naturellement à celui qui a saisi le premier.

Cependant si quelqu'autre créancier fait une saisie réelle plus ample, il doit avoir la poursuite.

Il en seroit de même, si le premier saisissant étoit désintéressé, ou qu'il négligeât de suivre sa saisie, un autre créancier pourroit se faire subroger a la poursuite.

Le commissaire établi à la saisie réelle doit faire enregistrer la saisie, afin qu'elle soit certaine & notoire.

Quand la saisie réelle n'a pour objet que de parvenir à un décret volontaire, on ne fait point de bail judiciaire ; mais dans le decret forcé, le commissaire à la saisie réelle fait convertir le bail conventionnel en judiciaire, s'il y en a un ; ou s'il n'y avoit point de bail, il établit un fermier judiciaire.

On doit ensuite procéder aux criées, & les faire certifier.

S'il survient des oppositions à la saisie réelle, soit afin d'annuller, soit afin de distraire ou afin de charge, afin de conserver ou en sousordre, on doit statuer sur les oppositions avant de passer outre à l'adjudication ; & si la saisie réelle est confirmée, on obtient le congé d'adjuger, c'est-à-dire un jugement portant, que le bien saisi sera vendu & adjugé par decret au quarantieme jour au plus offrant & dernier enchérisseur, qu'à cet effet les affiches seront apposées aux lieux où l'on a coutume d'en mettre.

Le poursuivant met au greffe une enchere de bien saisi, appellée enchere de quarantaine, contenant le détail des biens saisis & les conditions de l'adjudication.

Les quarante jours expirés depuis l'apposition des affiches, on met une affiche qui annonce que l'on procédera un tel jour à l'adjudication, sauf quinzaine.

Au jour indiqué, l'on reçoit les encheres ; & après trois ou quatre remises, l'on adjuge le bien saisi par decret au plus offrant & dernier enchérisseur.

Quand le decret est forcé, l'adjudicataire doit consigner le prix, après quoi l'on en fait l'ordre entre les créanciers.

Dans les decrets volontaires, les oppositions afin de conserver sont converties en saisies & arrêts sur le prix. Voyez les traités des criées de le Maitre, de Gouge, Bruneau ; le traité de la vente des immeubles par decret de M. d'Hericourt, & les mots CRIEES, DECRET FORCE, DECRET VOLONTAIRE, OPPOSITION, POURSUIVANT, VENTE PAR DECRET. (A)

SAISIE VERBALE étoit la saisie féodale, que dans la coutume d'Angoumois le simple seigneur du fief qui n'a point de sergens, ni autres officiers, & n'a seulement que justice fonciere, faisoit sous son sein privé & le scel de ses armes pour la faire signifier par un sergent emprunté. Voyez la coutume d'Angoumois, titre I. article 2. & Vigier sur cet article. (A)

SAISIE, dans le Commerce, se dit lorsque l'on arrête, ou que l'on s'empare de quelque marchandise, meuble ou autre matiere, soit en conséquence de quelque arrêt obtenu en justice, ou par quelqu'ordre exprès du souverain.

Les marchandises de contrebande, celles que l'on a fait entrer frauduleusement, ou que l'on a débarquées sans les faire intériner, ou que l'on a déchargées dans les endroits défendus, sont sujettes à la saisie. Voyez CONTREBANDE.

Dans les saisies en Angleterre, une moitié va à celui qui a déclaré, & l'autre moitié au roi. En France, lorsque l'on saisissoit des toiles peintes, &c. on avoit coutume d'en brûler la moitié, & d'envoyer l'autre chez l'étranger ; mais en 1715, il fut ordonné par un arrêt du conseil, que le tout seroit brûlé.


SAISINES. f. (Gram. & Jurisp.) signifie possession ; ce terme est opposé à celui de désaisine, qui signifie dévêtissement de possession.

Coutume de saisine, voyez ci-devant au mot COUTUME.

Saisine en cas de nouvelleté, est la possession qui a été troublée nouvellement, c'est-à-dire lorsque l'on est encore dans l'an & jour du trouble.

Simple saisine, est lorsque le possesseur qui se plaint d'avoir été troublé, allégue seulement qu'il avoit la possession depuis 10 ans ; mais non pas qu'il l'eût pendant l'an & jour qui ont précédé le trouble. Voyez le tit. 4. de la coutume de Paris, & les mots COMPLAINTE, ENSAISINEMENT, NANTISSEMENS, MISE DE FAIT, VEST & DEVEST. (A)

SAISINE, (Marine) petite corde qui sert à en saisir une autre.

SAISINE de beaupré, ou LIVRE, (Marine) on appelle ainsi plusieurs tours de corde qui tiennent l'aiguille de l'éperon avec le mât de beaupré.


SAISIRv. act. (Gram.) s'emparer, prendre, entrer en possession, livrer. Saisissez cette occasion ; saisissez -vous de cet homme ; je l'ai saisi de cet objet, le mort saisit le vif ; il a été saisi d'une colique ; le froid le saisit ; l'ambition l'a saisi ; saisi de colere, d'enthousiasme, de fanatisme ; il saisit facilement les choses les plus difficiles ; faites saisir ses biens, pour assurer votre dette ; le juge est saisi de la connoissance de cette affaire. Voyez SAISIE.

SAISIR, signifie arrêter, retenir quelque chose, comme marchandises, meubles, bestiaux, soit par autorité de justice, soit en conséquence des édits & déclarations du prince, soit enfin en vertu de ses ordres, ou de ceux de ses ministres. Voyez SAISIE.

SAISIR, (Marine) c'est amarrer, voyez AMARRER.


SAISISSANTadj. (Jurisp.) est le créancier qui a fait une saisie sur son débiteur. Dans les saisies mobiliaires, le premier saisissant est préféré aux autres, à-moins qu'il n'y ait déconfiture. Voyez CONTRIBUTION, CREANCIER, DETTE, SAISIE. (A)


SAISISSEMENTS. m. (Gram.) l'effet de quelque frayeur subite sur les personnes foibles. Cette nouvelle lui causa un saisissement mortel.

Saisissement se dit aussi de l'action de saisir ; le saisissement de l'épée.

L'exécuteur de la haute-justice appelle saisissement, les cordes dont il lie les mains & les bras du patient qui lui est abandonné.


SAISONS. f. (Cosmographie) on entend communément par saisons, certaines portions de l'année qui sont distinguées par les signes dans lesquels entre le soleil. Ainsi, selon l'opinion générale, les saisons sont occasionnées par l'entrée & la durée du soleil dans certains signes de l'écliptique ; ensorte qu'on appelle printems, la saison où le soleil entre dans le premier degré du belier, & cette saison dure jusqu'à ce que le soleil arrive au premier degré de l'écrevisse. Ensuite l'été commence, & subsiste jusqu'à ce que le soleil se trouve au premier degré de la balance. L'automne commence alors, & dure jusqu'à ce que le soleil se trouve au premier degré du capricorne. Enfin l'hiver regne depuis le degré du capricorne, jusqu'au premier degré du belier.

Il est évident que cette hypothèse des saisons n'est point admissible, parce qu'elle n'est pas vraie dans tous les lieux ; mais seulement pour ceux qui sont au nord de l'équateur. En effet, au sud de l'équateur, le printems dure tant que le soleil remplit son cours depuis le premier degré de la balance, jusqu'au premier degré du capricorne ; l'été, depuis celui-ci jusqu'au premier degré du belier, & ainsi de suite, tout au contraire de ce qui arrive vers le nord.

De plus, cette hypothèse de saisons ne convient point à la zone torride ; la preuve en est palpable, car on doit avouer que quand le soleil passe par ces lieux, il y a été, à-moins que quelque cause n'y mette obstacle. Par rapport aux cieux, & dans les lieux situés sous l'équateur, il ne doit être ni printems, ni automne, quand le soleil a passé le premier degré du belier, mais plutôt l'été ; car alors le soleil passe sur ces lieux, & ainsi y cause la plus grande chaleur. On ne peut donc pas y transporter l'été au premier degré de l'écrevisse ou du capricorne.

On en peut dire autant des lieux situés entre l'équateur & les tropiques, parce que le soleil y passe aussi, avant que d'arriver au premier degré de l'écrevisse ou du capricorne. Le même inconvénient se rencontre par rapport au printems & à l'automne sous la zone torride, puisqu'il paroît n'y avoir ni l'une, ni l'autre de ces deux saisons, sur-tout sous l'équateur.

D'autres auteurs déterminent les saisons par le degré de chaleur ou de froid, ou par l'approche & l'éloignement du soleil. L'idée que les Européens ont communément des saisons, renferme l'un ou l'autre de ces deux points, & sur-tout le froid & le chaud ; quoique les Astronomes aient encore plus d'égard au lieu du soleil dans l'écliptique. Il est certain qu'en beaucoup d'endroits sous la zone torride, les saisons ne répondent point au tems que le soleil s'en approche ou s'en éloigne, car on y compte l'hiver qui est pluvieux & orageux, quand ce devroit être l'été, puisque le soleil en est alors plus proche ; & tout au contraire, on y compte l'été quand le soleil s'en éloigne. En un mot, on y fait consister l'été dans un ciel clair ; & l'hiver dans un tems humide & pluvieux. Il est donc vrai que les idées des saisons different considérablement suivant les lieux ; cependant voici ce qu'on peut établir de raisonnable.

1°. Puisque dans plusieurs lieux, comme sous la zone torride, & même dans quelques endroits de la zone tempérée, la chaleur & le froid ne suivent pas le mouvement du soleil ; on ne doit pas penser que ce soit la chaleur & le froid qui font les saisons, à-moins qu'on ne distingue entre les saisons des cieux & celles de la terre. Je me sers de ces termes faute de meilleurs. Ainsi la saison de l'été terrestre d'un lieu, est le tems de l'année où il y a fait la plus grande chaleur. Mais l'été céleste, est le tems où l'on doit attendre la plus grande chaleur, à cause de la position du soleil : raisonnons de même par rapport à l'hiver. Or quoique l'été & l'hiver, tant terrestre que céleste, arrivent en plusieurs lieux dans le même tems de l'année, il y a pourtant des endroits sous la zone torride, où ils arrivent dans des tems différens. Il en faut dire autant du printems & de l'automne, tant céleste que terrestre.

2°. Comme il n'y a que peu d'endroits où l'été & l'hiver terrestre different du céleste, par rapport au tems de l'année, & que le plus souvent ils arrivent dans le même tems ; on doit donc appeller l'été, l'hiver, &c. céleste, simplement été, hiver, &c. sans y ajouter le mot de céleste ; mais quand on veut parler des saisons terrestres, il faut ajouter en les nommant le mot terrestre, pour les distinguer de celles qu'on nomme simplement été, hiver, quand il n'y a point de différence entre la terrestre & la céleste.

L'été céleste d'un lieu est la saison dans laquelle le soleil approche le plus de son zénith, & l'hiver celle où il s'en éloigne le plus. Le printems est la saison qui est entre la fin de l'hiver, & le commencement de l'été ; & l'automne se trouve entre la fin de l'été & le commencement de l'hiver. C'est ainsi qu'il faut entendre ces quatre saisons dans tous les lieux ; mais nous nous contenterons de remarquer ici que sous la zone temperée & la zone glaciale, les quatre saisons célestes sont presque de la même longueur ; & que sous la zone torride elles sont inégales, la même saison y étant différente selon les différens lieux.

La premiere partie de cette proposition est claire, parce que le soleil parcourt trois signes dans chaque saison ; ainsi les tems seront à-peu-près égaux à quelques jours près, c'est-à-dire que dans les lieux au nord, l'été est de 5 jours, & le printems de 4 jours plus longs que l'automne & l'hiver ; au lieu que dans les lieux placés au sud, l'automne & l'hiver l'emportent d'autant de jours sur le printems, à cause de l'excentricité du soleil.

3°. Dans les lieux placés sous l'équateur, les saisons sont doubles ; les deux étés sont fort courts, ainsi que les deux printems qui n'ont chacun que 30 jours. Les deux étés & les deux printems ont tout au plus 64 jours chacun, c'est-à-dire 2 mois & 2 ou 4 jours. Mais l'automne & l'hiver ont chacun 55 jours, c'est-à-dire les deux automnes 110 jours, & les deux hivers autant, c'est-à-dire près de 4 mois.

4°. Sous la zone torride, plus les lieux sont proches de l'équateur, plus leur été est long, & leur hiver court ; & l'automne & le printems plus ou moins longs qu'à l'ordinaire. Si les lieux ont moins de 10 degrés de latitude, l'été ne dure pas moins de six mois ; & l'on peut calculer par les tables de déclinaison, la longueur de chaque saison.

Il seroit trop long de déterminer ici dans quel mois de l'année les quatre saisons arrivent sur la terre sous la zone torride, sous la zone glaciale, & sous la zone temperée ; Varenius vous en instruira complete ment : je me borne à trois observations.

1°. Sous la zone tempérée, l'approche ou la distance du soleil est si puissante, quand on la compare aux autres causes, que cette approche ou distance sont presque les seules choses qui reglent les saisons. En effet, dans la zone temperée septentrionale, il y a printems & automne quand le soleil parcourt les signes depuis le belier par le cancer, jusqu'à la balance ; car alors il est plus proche de ces lieux : ensuite allant de la balance au belier par le capricorne, il forme l'automne & l'hiver ; mais sous la zone tempérée méridionale, c'est tout le contraire, & les autres causes ne détruisent jamais entierement l'effet de celle-ci, comme elles font sous la zone torride.

2°. Cependant les saisons different dans les divers endroits, de maniere qu'il fait plus chaud ou plus froid, plus sec ou plus humide dans un lieu que dans un autre, quoique dans le même climat ; mais elles ne different jamais de l'hiver à l'été, ni de l'été à l'hiver : car il y a des pays pierreux, d'autres marécageux ; les uns sont proches, les autres sont loin de la mer ; il y a des terres sablonneuses, d'autres sont argilleuses.

3°. La plûpart des lieux voisins du tropique sont fort chauds en été ; quelques-uns ont une saison humide, à-peu-près semblable à celle de la zone torride. Ainsi dans la partie du Guzarate, qui est au-delà du tropique, il y a les mêmes mois de sécheresse & d'humidité qu'en-dedans du tropique, & l'été se change en un tems pluvieux : cependant il y fait plus chaud, à cause de la proximité du soleil, que dans la partie seche de l'année quand il y a un peu de froid. Chez nous, nous ne jugeons pas de l'hiver & de l'été, par la sécheresse & l'humidité, mais par le chaud & le froid.

On trouvera dans la lecture des voyages, quantité de pays où les saisons sont fort différentes, quoique ces pays soient à-peu-près sous le même climat. Par exemple, l'air n'est pas si froid en Angleterre qu'en Hollande, ni qu'en Allemagne, & on n'y resserre point les bestiaux dans les étables en hiver. Il y a un pays, entre la Sibérie & la Tartarie, vers la partie septentrionale de la zone temperée, où il y a des campagnes excellentes, des prairies agréables, & presque point de froid en hiver. On y a bâti la ville de Toorne, qui est maintenant assez forte pour repousser les insultes des Tartares.

C'en est assez sur ce sujet, & d'ailleurs le lecteur curieux d'entendre la cause des différentes saisons qui regnent sur notre globe, en trouvera l'explication claire & solide à l'article PARALLELISME de l'axe de la terre. (D.J.)

SAISONS, (Mythol. Iconol. Sculpt. Poésie) les anciens avoient personnifié les saisons : les Grecs les représentoient en femmes, parce que le mot grec est du genre féminin. Les Romains qui appelloient les saisons anni tempora, du genre neutre, les exprimoient souvent par de jeunes garçons qui avoient des aîles, ou par de très-petits enfans sans aîles, avec les symboles particuliers à chaque saison. Le printems est couronné de fleurs, tenant à la main un cabri, qui vient en cette saison, ou bien il traît une brebis ; quelquefois il est accompagné d'un arbrisseau, qui pousse des feuilles & des rameaux. L'été est couronné d'épis de blé, tenant d'une main un faisceau d'épis, & de l'autre une faucille. L'automne a dans ses mains un vase plein de fruits & une grappe, ou bien un panier de fruits sur la tête. L'hiver bien vêtu, bien chaussé, ayant la tête voilée ou couronnée de branches sans feuilles, tient d'une main quelques fruits secs & ridés, & de l'autre des oiseaux aquatiques. Les aîles qu'on donne quelquefois aux quatre saisons, conviennent non-seulement au tems, mais aussi à toutes ses parties.

M. de Boze a décrit, dans les mémoires de littérature, un tombeau de marbre antique, découvert dans des ruines près d'Athènes. Les quatre saisons de l'année forment le sujet de la frise du couvercle de ce monument précieux. Elles y sont représentées sous autant de figures de femmes, que caractérisent la diversité de leurs couronnes, l'agencement de leurs habits, les divers fruits qu'elles tiennent, & les enfans ou génies qui sont devant elles. Le sculpteur ne les a pas placées dans leur ordre naturel, mais dans un ordre réciproque de contrastes ; qui donne plus de force & plus de jeu à sa composition. Ainsi l'été & l'hiver, saisons diamétralement opposées par leur température, sont désignées par les figures des deux extrêmités de la frise, l'une couchée de droite à gauche, & l'autre de gauche à droite ; entr'elles sont le printems & l'automne, comme participant également de l'été & de l'hiver ; les quatre génies sont rangés de même.

La premiere figure couchée de droit à gauche, représente l'été ; elle est à demi - nue, elle est couronnée d'épis, & elle en touche d'autres qui sont entassés dans sa corne d'abondance ; le génie qui est devant elle, en touche aussi, & tient de plus une faucille à la main.

L'hiver, qui est à l'autre extrêmité couchée de gauche à droite, paroît sous la figure d'une femme bien vêtue, & dont la tête est même couverte avec un pan de sa robe ; les fruits sur lesquels elle étend la main, sont des fruits d'hiver ; le génie qui est devant elle n'a point d'aîles, & au - lieu d'être nud comme les autres, il est bien habillé ; enfin il tient pour tout symbole un lievre, parce que la chasse est alors le seul exercice de la campagne.

L'automne est tournée du côté de l'été ; elle est couronnée de pampre & de grappes de raisin ; elle touche encore de la main droite des fruits de vigne ; & son petit génie en agence aussi dans sa corne d'abondance ; enfin elle est découverte dans cette partie du corps qui touche à l'été, & vêtue dans celle qui répond à l'hiver.

Le printems est adossé à l'automne sous la figure d'une femme couronnée de fleurs ; la corne d'abondance que son génie soutient en est pleine aussi. Un pié qu'elle étend du côté de l'hiver, est encore avec sa chaussure ; une partie de sa gorge est cachée, & elle n'en découvre que ce qui est du côté de l'été.

Toutes ces idées de sculpture sont fort ingénieuses ; mais les descriptions que les Poëtes ont fait des saisons ne sont pas moins pittoresques. Lisez seulement pour vous en convaincre celle d'Horace dans l'ode diffugere nives ; elle est peut-être moins enrichie d'images que la peinture du printems qui est dans l'ode solvitur acris hiems, mais elle est plus fournie de morale.

Frigora mitescunt zephyris : ver proterit aestas,

Interitura, simul

Pomifer autumnus fruges effuderit : & mox

Bruma recurrit iners

Damna tamen celeres reparant caelestia lunae.

Nos ubì decidimus

Quo pius Aeneas, quo Tullus dives, & Ancus

Pulvis & umbra summus.

" Les zéphirs succedent aux frimats ; l'été chasse le printems pour finir lui - même, sitôt que l'automne viendra répandre ses fruits ; & l'hiver tout paresseux qu'il est, remplacera bien-tôt l'automne. Cependant les mois recommençant toujours leur carriere, se hâtent de réparer ces pertes, en ramenant tous les ans les saisons dans le même ordre. L'homme seul périt pour ne plus renaître. Quand une fois nous avons été joindre le pieux Enée, le riche Tullus, & le vaillant Ancus, nous ne sommes plus qu'ombre & que poussiere, & nous le sommes pour toujours ".

Proterit aestas interitura, ces expressions figurées sont énergiques, & font un bel effet dans la poésie lyrique, qui permet, qui demande cette hardiesse. L'année est ici dépeinte comme un champ de bataille où les saisons se poursuivent, se combattent, & se détruisent. D'abord victorieuses, ensuite vaincues, elles périssent & renaissent tour - à - tour ; l'homme seul périt pour ne plus renaître.

Chaque saison lui dit :

Nous sommes revenues,

Vos beaux jours ne reviendront pas.

Enfin j'ai lû depuis peu un charmant poëme anglois sur les saisons, dont M. Thomson est l'auteur. Le génie, l'imagination, les graces, le sentiment regnent dans cet écrit, les horreurs de l'hiver même prennent des agrémens sous son heureux pinceau ; mais ce qui le caractérise en particulier, c'est un fond d'humanité, & un amour pour la vertu, qui respirent dans tout son ouvrage. (D.J.)

SAISONS FIXES DE L'ANNEE, (Médecine) ce sont celles dont la température ne varie point, & qui ne promettent que des maladies d'une espece favorable, & d'un prognostic aisé ; au-contraire les saisons variables sont celles qui sont inconstantes, changeantes, & dont on ne peut porter un jugement assuré.

Les saisons de l'année & leurs vicissitudes occasionnent de grands changemens dans les maladies, comme Hippocrate l'observe, ce qui fait que l'on doit avoir égard à leur température & à leurs altérations. Cela est si vrai que les praticiens les plus expérimentés s'attachent sur-tout à bien remarquer la différence des saisons, bien persuadés qu'elle influe infiniment sur le traitement des maladies, comme sur les tempéramens.

L'astronomie & la connoissance de l'air & des saisons est donc utile au médecin pour bien des raisons ; 1°. pour connoître les causes des maladies & des différens symptomes ; 2°. pour se mettre plus au fait des différentes altérations que l'air peut produire sur les tempéramens ; 3°. pour savoir varier les remedes, & reconnoître l'altération même qui peut arriver aux médicamens dans certaine constitution de la température des années & des saisons.

SAISON, (Agricult.) c'est une certaine portion de terre qu'on laboure chaque année, tandis qu'on laisse reposer les autres, ou qu'on les seme de menus grains. Les terres de France se partagent d'ordinaire en trois saisons ; une année on y seme du blé ; la deuxieme année on y seme des menus grains ; la troisieme on laisse reposer la terre. (D.J.)


SAITES(Hist. des Egyptiens) on appelle saïtes, les rois d'Egypte qui ont regné à Saïs, ville du Delta dans la basse Egypte ; on en compte trois dynasties. La premiere fut établie par Bochoris, l'an du monde 3265, & le 771 avant Jesus-Christ, & ne dura que 44 ans. La seconde eut pour chef Psammiticus, & commença l'an du monde 3308, & le 727 avant J. C. elle continua sous cinq de ses successeurs, & finit sous Psamménitus, qui fut vaincu par les Perses 525 ans avant Jesus-Christ. La troisieme fut renouvellée par Amyrtheus, l'an du monde 3623, & le 412 avant Jesus-Christ, & ne dura que six ans, sous ce prince seul. (D.J.)


SAJI(Géogr. anc.) ancien peuple de Thrace. Strabon, l. XII. p. 549, dit : Certains Thraces ont été appellés Sinthi, & ensuite Saji. C'est chez eux qu'Archiloque dit qu'il jetta son bouclier : ce sont à présent, poursuit Strabon, ceux que l'on appelle Sapae ; ils demeurent aux environs d'Abdere & des îles voisines de Lemnos. Parlant, l. X. p. 457. de l'île de Samothrace, il dit : Quelques-uns croyent qu'elle a eu le nom de Samo des Saji, peuples de Thrace qui l'ont autrefois habitée, aussi-bien que le continent. Il semble douter en cet endroit, si ces Saji sont le même peuple que les Sapaei & les Sinthes d'Homere, & il rapporte à cette occasion les deux vers d'Archiloque. (D.J.)


SAKARA(Géog. mod.) village d'Egypte, appellé communément le village des momies. A l'endroit qui renferme ces momies est un grand champ sablonneux où étoit peut-être autrefois la ville de Memphis ; du-moins Pline dit que les pyramides sont entre le Delta d'Egypte & la ville de Memphis, du côté de l'Afrique. Or le village de Sakara n'est éloigné des pyramides que d'environ trois lieues. Il n'y a que du sable tout-à-l'entour, & ce sable est d'une si grande profondeur, qu'on ne peut trouver le terrein solide en fouillant. Les momies sont sous deux des caves souterraines. Voyez MOMIE. (D.J.)


SAKÉAS. f. (Antiq. persanes) fête considérable des Cappadociens, qui se célébroit à Zéla & dans la Cappadoce avec grand appareil, en mémoire de l'expulsion des Sagues ; c'est le nom que les Persans donnoient aux Scythes. On solemnisoit la même fête en Perse, dans tous les lieux où l'on avoit reçu le culte d'Anaïtis ; on donnoit ce jour - là de grands repas, dans lesquels les hommes & les femmes croyoient honorer la déesse en buvant sans ménagement. Ctésias, Hist. de Perse, liv. II. a parlé du sakéa des Persans, & Bérose appelle de même les saturnales qui se célébroient à Babylone le 16 du mois Loüs ; dans cette fête on donnoit le nom de zoquane à l'esclave qui y faisoit le personnage de roi.

Dion Chrysostome, art. iv. de reg. parle vraisemblablement de la même fête qu'il appelle la fête des sacs : " Ne vous souvenez-vous pas, dit-il, de la fête des sacs que les Perses célebrent, & dans laquelle ils prennent un homme condamné à mort, le mettent sur le trône du roi, & après lui avoir fait goûter toutes sortes de plaisirs, le dépouillent de ses habits royaux, lui font donner le fouet, & le pendent ".

Mais Strabon est celui de tous les anciens qui paroît nous ramener à la véritable origine de cette fête, & nous apprendre en même tems à quelle divinité elle étoit consacrée ; or comme il devoit être très-instruit des coutumes & de la religion des peuples qui célébroient cette solemnité, étant né en Cappadoce ; je vais rapporter ce qu'il en dit. " Parmi les Scythes qui occupoient les environs de la mer Caspienne, il y en avoit que l'on nommoit Sakéa ou Saques ; ces Saques faisoient des courses dans la Perse, & pénétroient quelquefois si avant dans le pays, qu'ils allerent jusques dans la Bactriane & dans l'Arménie, & se rendirent maîtres d'une partie de cette province, qu'ils appellerent de leur nom Sakasene, d'où ensuite ils s'avancerent dans la Cappadoce, qui confine le Pont-Euxin. Un jour qu'ils célébroient une fête, le roi de Perse les ayant attaqués, les défit à plate couture. Pour éterniser la mémoire de cette victoire, les Perses éleverent un monceau de terre sur une pierre, dont ils formerent une petite montagne, qu'ils environnerent de murailles, & bâtirent dans l'enceinte un temple, qu'ils consacrerent à la déesse Anaïtis, & aux dieux Amanus & Anaudratus, qui sont les génies des Perses, & établirent en leur honneur une fête appellée saka, qui se célebre encore par ceux qui habitent le pays de Zéla, car c'est ainsi qu'ils nomment ce lieu. " (D.J.)


SAKINAC(Géog. mod.) baie du Canada, qui a 15 ou 16 lieues de longueur, & 6 d'ouverture. La riviere du même nom, & à laquelle on donne 50 lieues de cours, se décharge au fond de cette baie. (D.J.)


SAKISLES, (Géog. mod.) peuple sauvage de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle France ; ils sont brutaux, voleurs, & bons chasseurs. (D.J.)


SALILHA DO ou ILHA DO SALE, (Géog. mod.) en françois île du sel, île d'Afrique, sur la côte de Nigritie, & la plus orientale des îles du Cap-verd, entre lesquelles on la compte. Cette île s'étend huit ou neuf lieues du nord au sud, & elle n'en a au plus que deux de largeur. Elle est toute pleine de marais salans, & on lui a donné le nom de Salée, de la quantité de sel qui s'y congele naturellement. La stérilité de son terroir est si grande qu'on n'y voit que quelques arbustes du côté de la mer, quelques chevres, & des flamingos, qui sont des oiseaux sauvages assez semblables aux hérons. Latit. 16. (D.J.)


SALALA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, dans la haute Saxe. Elle a sa source dans l'Eichtelberg en Franconie, où sont aussi les sources du Mein, de l'Egra, & du Nab. Elle entre en Misnie, arrose le duché d'Altenbourg, Naumbourg, Weissenfels, Mersbourg, Halle, Bernebourg, & se perd enfin dans l'Elbe, entre Dessau & Barbi, aux confins de la basse Saxe. (D.J.)

SALA, s. f. terme de Relation, nom d'une oraison des Musulmans. Le vendredi, qui est le jour de repos des Turcs, ils font, sur les neuf heures du matin, une oraison de plus que les autres jours, & cette oraison s'appelle sala. Après cette oraison, les gens de condition s'amusent aux exercices des chevaux, & les artisans peuvent ouvrir les boutiques, & travailler pour gagner leur vie. Duloir. (D.J.)


SALACERS. m. (Mytholog.) les plus savans Mythologues ignorent quel dieu étoit Salacer. Varron, de ling. latinâ, lib. IV. lui donne l'épithete de divus pater, & nous apprend seulement que ce dieu avoit un prêtre nommé flamen Salacris. (D.J.)


SALACIAS. f. (Mytholog.) surnom latin d'Amphitrite, ainsi nommé de l'eau salée ; d'autres en font une Néréïde, & d'autres une divinité de la mer. (D.J.)

SALACIA, (Géog. anc.) 1°. ancienne ville de l'Espagne lusitanique, au pays des Turdétains, selon Ptolémée, l. II. c. 5. Il la met auprès de l'embouchure du Calippus & de la ville de Caetobrix. Ses interpretes croyent que c'est Sétubal, & Clusius est de ce sentiment ; mais d'autres savans croyent que Sétubal, ville nouvelle, tient à-peu-près la place de Cetobriga ou Caetobrix, & que Salacia est aujourd'hui Alcacer-do-sal. Une inscription de Gruter, p. 13. n °. 16. montre que c'étoit un municipe ; & Pline, l. IV. c. 22. l'appelle ville impériale, Salacia, cognominata urbs imperatoria.

2°. Salacia, ancien lieu de l'Espagne tarragonoise. Antonin le met sur la route de Braga à Astorga, à vingt mille pas de la premiere. (D.J.)


SALADES. f. (Cuisine & Méd.) on donne ce nom à toutes les herbes qui se mangent avec le vinaigre, tant feuilles que racines. Les plus en usage sont la laitue, la chicorée blanche & sauvage, le pourpier, la pimprenelle, le cresson, le cochlearia, le cerfeuil, l'estragon, & toutes les plantes antiscorbutiques.

Les salades en général sont bonnes dans différentes maladies, & doivent être préférées aux remedes pris en décoction, en infusion, ou autrement, parce que le vinaigre & les aromates qui entrent dans la salade redonnent de la vigueur à l'estomac, lui rendent son ressort, & enfin servent à empêcher les irritations, les spasmes & les mouvemens convulsifs de ce viscere.

C'est pourquoi le vinaigre est si utile dans les hoquets, les affections nerveuses de l'estomac, dans le relâchement & l'atonie de la tunique musculeuse. Mais il faut éviter de prescrire ce remede dans l'acescence des humeurs, & lorsque l'estomac est gorgé d'acide.

La salade de cresson, de chicorée sauvage, de cochlearia est la meilleure parce que les parties volatiles de ces plantes tempérées par l'acide du vinaigre, forment un sel neutre, très-utile pour les tempéramens sanguins & humides.

SALADE, s. f. c'est, dans l'Art militaire, une espece de casque léger, assez semblable au pot en tête. On lui donne aussi le nom de bourguignote. La salade étoit appellée morion dans l'infanterie.

On voit, par les commentaires de Montluc, & les autres écrits militaires du même tems, qu'on donnoit le nom de salades aux gens de cheval qui en étoient armés. Ainsi, pour exprimer par exemple, qu'on avoit envoyé deux cent cavaliers dans un poste ou dans un détachement, on disoit, qu'on y avoit envoyé deux cent salades. (Q)


SALADIERS. m. (Gram.) plat de fayence ou de porcelaine, destiné à préparer & servir la salade.

SALADIER à jour, s. m. (terme de Vannier) sorte de petit panier à jour, haut d'un pié, avec un anse & un petit couvercle. (D.J.)


SALADINEadj. (Jurisprud.) Voyez ci - devant au mot DIXME, l'article DIXME SALADINE.


SALADOEL RIO, (Géog. mod.) nom de deux petites rivieres d'Espagne, dans l'Andalousie. L'une coule à une lieue de Xerès au midi, & se perd dans la baye de Cadix ; l'autre se jette dans le Xenil, entre Grenade & Ecija. (D.J.)


SALAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) droit que quelques seigneurs ont de prendre une certaine quantité de sel sur chaque bateau qui passe chargé de sel dans leur seigneurie. (A)


SALAGOULA (Géog. mod.) petite riviere de France, en Languedoc. Elle a sa source dans le diocèse de Lodeve qu'elle arrose, & se perd dans la riviere de Lergue. (D.J.)


SALAGRAMAM(Hist. nat. & superstition) c'est le nom que les Indiens donnent à une pierre coquilliere ou remplie de coquilles fossilles, que l'on trouve dans la riviere de Gandica, qui se jette dans le Gange près de Patna. Cette pierre, qui est réputée sacrée, est communément noire, quelquefois marbrée & de différentes couleurs, de forme ronde ou ovale. Les Indiens croyent qu'elle a été rongée par un ver, & que le dieu Vistnou, changé en ver, est cause de la figure qu'on y voit. Si l'on consulte le dessein qui nous est parvenu dans les lettres édifiantes, le salagramam n'est qu'une pierre qui porte l'empreinte d'une corne d'ammon, & que l'on détache des roches de la riviere de Gandica. Les Indiens, plus superstitieux que physiciens, en distinguent différentes especes, consacrées à des dieux différens, & auxquels ils donnent des noms divers. Les Brames offrent des sacrifices de râclure de bois de santal à cette pierre divine, & lui font des libations. Voyez les lettres édifiantes, tome XXVI. page 399.


SALAIRES. m. (Gramm.) est un payement ou gage qu'on accorde à quelqu'un en considération de son industrie, ou en récompense de ses peines & des services qu'il a rendus en quelque occasion. Il se dit principalement du prix qu'on donne aux journaliers & mercenaires pour leur travail.

SALAIRE, porte, (Antiq. rom.) Salaria ; une des portes de l'ancienne Rome, ainsi nommée parce que c'étoit par là que le sel entroit dans la ville ; on l'appelloit autrement Quirinale, Agonale & Colline. (D.J.)


SALAISONS. f. (Commerce) ce mot se dit des choses propres à manger qui se salent avec du sel pour les pouvoir garder, & empêcher qu'elles ne se corrompent ; ainsi l'on dit faire la salaison des harengs, des saumons, des morues, des maquereaux, des sardines, des anchois. Trévoux. (D.J.)


SALAMANDRES. f. (Zoologie) reptile assez semblable au lézard, & qui vit sur terre, de même que dans l'eau.

Les reptiles, especes d'animaux les plus acrédités en merveilles chez le vulgaire toujours crédule, & les plus négligés par les gens du monde toujours légers ou toujours occupés de leurs plaisirs, attirent au contraire les regards des Physiciens, avides de s'instruire jusques dans les plus petits sujets de l'infinie variété du méchanisme de la nature. Graces à leurs recherches, les salamandres qui tiennent les premiers rangs dans la classe des reptiles, ont été dépouillées des singulieres propriétés qu'elles ne devoient qu'à l'erreur, & sont devenues en même tems un objet de curiosité. Justifions ces deux vérités par les observations de MM. du Verney, Maupertuis, du Fay & Wurffbainius.

Division des salamandres en terrestres & aquatiques. Tous les auteurs ont rangé les salamandres sous les deux classes générales de terrestres & d'aquatiques ; mais cette distinction paroît peu juste, parce que ces animaux sont réellement amphibies, & ne peuvent être appellés aquatiques, que parce qu'il s'en trouve un plus grand nombre dans l'eau que sur terre ; celles que l'on prend dans l'eau deviennent terrestres, lorsqu'on les ôte de l'eau ; & celles qu'on trouve sur terre vivent communément dans l'eau, lorsqu'on les y met ; mais les unes & les autres semblent encore aimer mieux la terre que l'eau.

On ne doit cependant pas nier qu'il ne puisse s'en rencontrer qui soient uniquement terrestres ; mais c'est ce dont aucun naturaliste n'a donné jusqu'à ce jour des expériences décisives. De plus, on est tombé dans deux excès opposés ; de ne pas assez distinguer des especes différentes, ou de les trop multiplier. Il est vrai qu'il est difficile de statuer le nombre des especes de salamandres, parce que le sexe & l'âge font de grandes variétés dans la même, & que pendant presque toute l'année on en trouve de tous les âges. La division faite par M. du Fay, des salamandres qu'on nomme aquatiques en trois especes ; cette division, dis-je, peche en ce qu'elle n'est que particuliere à une certaine étendue de pays ; c'est pourquoi sans rien statuer sur une énumération dont la fixation nous manque encore, il nous suffira de décrire la salamandre commune, que tout le monde connoît & qui se trouve par-tout.

Description générale de la salamandre commune. Elle est longue d'environ cinq pouces, & a la forme d'un lésard, si ce n'est que le corps est plus gros, & que la queue est plate ; sa peau n'est point écailleuse comme celle du lésard, mais remplie de petits tubercules, & comme chagrinée ; elle est brune sur le dos, jaune sous le ventre, & toute parsemée de bandelettes ou taches noires ; ces taches sont peu apparentes sur le dos, mais très-distinctes sur le ventre, à cause de son jaune orangé.

Sa tête est plate & large comme celle de la grenouille ; sa gueule est fort grande, garnie de petites dents ; ses yeux sont assez gros & saillans. On voit au-dessus de la mâchoire supérieure deux très-petites ouvertures, qui sont les narines ; ses pattes sont brunes par-dessus, jaunes par-dessous, & semées de taches noires comme le reste du corps : les pattes de devant n'ont que quatre doigts ; mais celle de derriere en ont cinq. Sa queue, qui est environ longue comme la moitié de son corps, ressemble à celle du lésard, si ce n'est qu'elle est plus grosse & plus charnue.

On en peut distinguer le sexe à la vue. On ne peut pas facilement distinguer le sexe par les parties extérieures de la génération ; elles sont pareilles dans l'un & dans l'autre, & à l'inspection on les jugeroit toutes femelles ; mais il y a dans d'autres parties du corps deux marques sensibles qui distinguent les mâles. La plûpart des auteurs les ont prises pour des marques caractéristiques d'especes différentes, & en ont ainsi multiplié le nombre par de faux signes.

Les mâles ont sur le dos une membrane large de deux lignes ou environ, dentelée comme une scie, qui prend son origine vers le milieu de la tête, entre les deux yeux, & se termine à l'extrêmité de la queue ; elle est plus étroite, & rarement dentelée le long de la queue ; mais elle élargit tellement la queue, que les mâles paroissent l'avoir de moitié plus large que les femelles. L'autre marque qui designe les mâles est une bande argentée qui est de chaque côté de la queue ; elle a deux à trois lignes de largeur ou environ, à l'origine de la queue, & va en diminuant jusqu'au bout. Cette bande est moins marquée lorsque les salamandres sont jeunes, mais elle devient plus sensible au bout de quelque tems ; elle ne se voit jamais que dans les mâles, non plus que la membrane dentelée dont je viens de parler.

Du domicile des salamandres. On trouve par-tout des salamandres, en France, en Allemagne, en Italie, dans de petits ruisseaux clairs, de petites fontaines, dans des lieux froids & humides, aux piés des vieilles murailles, d'où elles sortent quand il pleut, soit pour recevoir l'eau, ou pour chercher les insectes dont elles vivent, & qu'elles ne pourroient guere attraper qu'à demi noyés, &c. Au reste il s'en faut bien qu'elles aient l'agilité du lésard ; elles sont au contraire, paresseuses & tristes.

De la rosée & du lait qui suinte de leur peau. Quoique leur peau soit quelquefois seche comme celle du lésard, elle est le plus souvent enduite d'une espece de rosée qui la rend comme vernie, sur-tout lorsqu'on la touche, elle passe dans un moment de l'un à l'autre état. Outre ce vernis extérieur, il se filtre sous le cuir une espece de lait qui jaillit assez loin lorsqu'on presse l'animal.

Ce lait s'échappe par une infinité de trous, dont plusieurs sont sensibles à la vue sans le secours de la loupe, sur-tout ceux qui répondent aux mamelons de la peau. Quoique la premiere liqueur qui sert à enduire la cuticule de l'animal, n'ait aucune couleur & ne paroisse qu'un vernis transparent, elle pourroit bien être la même que le lait dont nous parlons, mais répandue en gouttes si fines & en si petite quantité, qu'il ne paroît point de sa blancheur ordinaire.

Ce lait ressemble assez au lait que quelques plantes jettent quand on les coupe ; il est d'une âcreté & d'une stipticité insupportable ; & quoique mis sur la langue, il ne cause aucun mal durable ; on croiroit voir une plissure à l'endroit qu'il a touché : certains poissons ont mérité le nom d'orties, par la ressemblance qu'ils ont avec cette plante lorsqu'on la touche. Notre salamandre pourroit être regardée comme le tithimale des animaux, si son lait étoit aussi corrosif, pris intérieurement ; cependant lorsqu'on écrase ou qu'on presse ce reptile, il répand une singuliere & mauvaise odeur.

Description anatomique de la salamandre. Mais ce ne seroit point connoître la salamandre que de s'en tenir à ces dehors extérieurs qui frappent la vue ; il faut pour s'instruire, entrer dans les détails anatomiques de la structure des parties qui distinguent les deux sexes. Quoique le mystere de la génération soit des plus cachés chez ces sortes d'animaux, cette obscurité ne doit qu'exciter davantage les recherches des Physiciens, pour décider s'ils sont vivipares, ovipares, ou l'un & l'autre.

On peut regarder comme épiderme, la pellicule dont la salamandre se dépouille tous les quatre ou cinq jours. Si on la disseque lorsqu'elle vient de s'en dépouiller, il est impossible de détacher de son corps une autre pellicule ; si elle est prête à la quitter, elle s'enleve très - facilement. Cette peau étant vue au microscope, paroît n'être qu'un tissu de très-petites écailles, ou plutôt l'enveloppe des mamelons du cuir ; au-dessous de cette peau on trouve le cuir qui est assez solide, & on le détache des muscles auxquels il est adhérent par des fibres lâches.

Le bas-ventre a trois muscles distincts ; l'un droit avec des digitations, couvre la région antérieure ; & les deux autres obliques, font les parties latérales ; ayant détaché ces muscles, on découvre le péritoine, qui est adhérent au foie par un petit ligament ; le péricarde semble être formé par une continuité du péritoine. Le coeur est au-dessus du foie, & appliqué immédiatement sur l'oesophage.

Le foie est très-grand, & séparé en deux lobes ; sous le lobe droit est la vésicule du fiel, qui n'est attachée que par son canal ; elle est transparente & remplie d'une liqueur verdâtre. Au-dessous du foie on voit quelques replis des intestins ; les sucs graisseux qui sont d'un jaune orangé, & les ovaires dans les femelles.

Dans l'hypogastre on trouve la vessie adhérente au péritoine par un petit vaisseau : si on la souffle par l'anus ou le canal commun, on voit qu'elle est en forme de coeur. Il y a aux deux côtés du foie, deux especes de vessies remplies d'air ; elles sont très-minces, longues, & finissent en pointe. Voilà toutes les parties qui paroissent lorsqu'on a ouvert la capacité du ventre.

Voici maintenant celles qui sont plus cachées ; le foie & les intestins étant ôtés ou éloignés de leur place, on verra que les sacs graisseux sont séparés en plusieurs lobes, & entourés d'une membrane très-déliée, parsemée de vaisseaux sanguins qui les attachent aux ovaires & aux trompes dans les femelles ; & aux enveloppes des testicules & du canal déférent dans les mâles.

Des parties de la génération de la salamandre mâle. Pour suivre d'abord l'anatomie du mâle, on remarque le long de l'épine deux petits tuyaux blancs, qu'on peut appeller canaux déférens, qui font plusieurs plis & replis ; ils se terminent en devenant à rien par leur partie supérieure, dans la membrane qui les attache, & aboutissent vers l'anus à l'extrêmité d'un petit faisceau de filets blancs, qu'on peut regarder comme les vésicules séminales. Ce petit faisceau remonte le long du canal déférent & les reins, & a environ six à sept lignes de long.

On a trouve beaucoup de variété dans les testicules de cet animal. Le plus souvent il n'y en a que deux, qui sont d'un blanc jaunâtre, de la forme d'une petite feve, assez longs, & ayant chacun une espece de petite glande plus blanche, & presque transparente, appliquée sur la partie supérieure ; ensorte qu'elle semble ne faire qu'un corps avec le testicule, & qu'elle n'en est distinguée que par la couleur. Quelquefois les testicules sont en forme de poire assez irréguliere, & dont la pointe est tournée vers le bas. Assez souvent ils sont joints l'un à l'autre par une espece de petit corps glanduleux. Quelquefois on trouve distinctement quatre testicules, dont les deux inférieurs sont plus petits que les supérieurs. On remarque cette variété dans les différens âges & les différentes especes de salamandres mâles.

La partie supérieure de chaque testicule est attachée au sac pulmonaire vers le milieu de sa longueur par un petit vaisseau ligamenteux ; ou plutôt ce petit vaisseau ne fait que passer dans la membrane qui attache le sac pulmonaire, & va se perdre dans la même membrane proche du canal déférent.

Le canal déférent se trouve vers l'anus ; dans cet endroit est un corps cartilagineux, long d'environ deux lignes, en forme de mitre, qui selon toutes les apparences, tient lieu de verge à cet animal ; car il est vraisemblable que la salamandre s'accouple réellement, quoiqu'aucun physicien n'ait peut-être pas encore vû cet accouplement ; mais ce qui doit persuader qu'il se fait, c'est que les salamandres sont vivipares.

Wurffbainius rapporte qu'il en a vû une faire trente-quatre petits tous vivans ; & M. Maupertuis assure avoir vû une fois dans une salamandre quarante-deux petits, & dans une autre cinquante-quatre, presque tous vivans, aussi bien formés & plus agiles que les grandes salamandres. Celui qui feroit une distinction & qui diroit que les salamandres terrestres sont vivipares, & par conséquent se doivent accoupler ; mais que les aquatiques sont ovipares, & frayent seulement à la maniere des poissons, on pourroit lui répondre que les organes paroissant les mêmes dans les unes que dans les autres, il y a apparence que la génération se doit faire de la même maniere.

Des parties de la génération de la salamandre femelle. On trouve dans les parties intérieures de la femelle, des différences très-sensibles, & les organes très-distingués ; en ouvrant la capacité du ventre, on découvre les ovaires & les sacs graisseux. Lorsqu'on a enlevé les sacs graisseux, l'on voit que les ovaires sont composés de plusieurs lobes, renfermés par une même membrane, qui les separe entr'eux, & les attache aux sacs graisseux, aux trompes, & aux sacs pulmonaires. Cette membrane est toute parsemée de vaisseaux sanguins, qui se partagent en de très-petites branches, sur la surface des ovaires. Les oeufs ne sont point flottans dans la capacité de l'ovaire, mais ils y adherent intérieurement, & vraisemblablement passent de-là dans la trompe.

Après avoir enlevé les ovaires, on découvre les trompes ; elles prennent depuis le col, & faisant plusieurs plis & replis, elles se terminent à l'anus. M. Duverney a fait voir qu'elles avoient à leur extrêmité supérieure, une espece d'ouverture ou de pavillon, par lequel entrent les oeufs. Lorsqu'ils sont entrés dans les trompes, ils acquierent beaucoup plus de grosseur qu'ils n'en avoient dans l'ovaire ; & lorsqu'ils sont arrivés à l'extrêmité inférieure, ils sortent par le canal commun.

Les trompes sont remplies dans toute leur longueur d'une liqueur épaisse, trouble, jaunâtre, en assez grande quantité, & qui ne sort point par le canal commun. Est-ce cette matiere visqueuse qui entoure les oeufs, & qui sert de premier aliment au petit germe qui doit éclorre ? Les trompes se terminent avec le rectum, & le col de la vessie, dans un gros muscle, auquel est attaché l'extrêmité des reins qui adherent aux trompes, dans presque toute leur longueur ; desorte qu'en enlevant ce muscle, on enleve en même tems les reins, les trompes, l'intestin & la vessie.

Il n'y a point de matrice dans cet animal ; ce sont les trompes qui en servent, puisqu'on y trouve quelquefois des petits tout formés.

La salamandre n'est ni dangereuse, ni venimeuse. Parlons maintenant des propriétés attribuées faussement à la salamandre, & de celles qu'elle possede réellement.

Les anciens, & plusieurs naturalistes modernes, ont regardé la salamandre comme un animal des plus dangereux ; si on les en croyoit, des familles entieres sont mortes, pour avoir bû de l'eau d'un puits où une salamandre étoit tombée. Non-seulement, ajoutent-ils, sa morsure est mortelle, comme celle des viperes, mais elle est même plus venimeuse, parce que sa chair, reduite en poudre, est un poison, au lieu que celle de la vipere est un remede.

Tous ces préjugés ont été généralement reçus, jusqu'à ce que des physiciens de nos jours les aient détruits par des expériences expresses. Ils ont fait mordre divers animaux dans les parties les plus délicates, par des salamandres choisies ; ils leur ont fait avaler des salamandres entieres, coupées par morceaux, hachées, pulvérisées ; ils leur ont donné à boire de l'eau dans laquelle on avoit jetté des salamandres. Ils les ont nourris des mets trempés dans le prétendu venin de ce reptile. Ils ont injecté de son poison dans des plaies faites à dessein ; & néanmoins, aucun accident n'est survenu de tous ces divers essais. En un mot, non-seulement la salamandre n'est plus un animal dangereux, de la morsure duquel on ne peut guerir, c'est au-contraire l'animal du monde le moins nuisible, le plus timide, le plus patient, le plus sobre, & le plus incapable de mordre. Ses dents sont petites & serrées, égales, plus propres à couper qu'à mordre, si la salamandre en avoit la force, & elle ne l'a point.

Elle ne vit point dans le feu. Tandis que cette pauvre bête inspiroit jadis aux uns de l'horreur, par le venin redoutable qu'on lui supposoit, elle excitoit dans l'esprit d'autres personnes une espece d'admiration, par la propriété singuliere dont on la croyoit douée, de vivre dans le feu. Voilà l'origine de deux célébres devises que tout le monde connoît ; celle d'une salamandre dans le feu qu'avoit pris François I. avec ces mots, nutrio & extinguo, j'y vis, & je l'éteins ; & celle que l'on a faite pour une dame insensible à l'amour, avec ce mot espagnol, mas yelo que fuego, froide même au milieu des flammes.

On regardoit la salamandre comme l'amiante des animaux ; & toute fabuleuse qu'en paroisse l'histoire, elle s'étoit si bien accréditée parmi les modernes, sur des mauvaises expériences, qu'on a été obligé de les répeter en divers lieux, pour en détromper le public. En France, par exemple, M. de Maupertuis n'a pas dédaigné de vérifier ce conte ; quelque honteux, dit-il lui-même, qu'il soit au physicien, de faire une expérience ridicule, c'est pourtant à ce prix qu'il doit acheter le droit de détruire certaines opinions, consacrées par des siecles : M. de Maupertuis a donc jetté plusieurs salamandres au feu : la plûpart y périrent sur le champ ; quelques-unes eurent la force d'en sortir à demi - brûlées, mais elles ne purent résister à une seconde épreuve.

Cependant il arrive quelque chose d'assez singulier lorsqu'on brûle la salamandre. A peine est-elle sur le feu, qu'elle paroît couverte de ce lait dont nous avons parlé, qui se raréfiant à la chaleur, ne peut plus être contenu dans ses petits réservoirs ; il s'échappe de tous côtés, mais en abondance sur la tête, & sur tous les mamelons, & se durcit d'abord, quelquefois en forme de perles.

C'est cet écoulement qui a vraisemblablement donné lieu à la fable de la salamandre ; toutefois il s'en faut beaucoup, que le lait dont il s'agit ici, sorte en assez grande quantité, pour éteindre le moindre feu ; mais il y a eu des tems, où il n'en falloit guere davantage, pour faire un animal incombustible. Ainsi, l'on auroit dû se dispenser de rapporter dans les Transactions philosophiques, n °. 21. & dans l'abrégé de Lowthorp, vol. II. p. 86. la fausse expérience du chevalier Corvini, faite à Rome, sur une salamandre d'Italie, qui se garantit, dit-on, de la violence du feu deux fois de suite ; la seconde fois pendant deux heures, & vécut encore pendant neuf mois depuis ce tems-là. Les ouvrages des sociétés, & sur-tout des sociétés de l'ordre de celles d'Angleterre, doivent avoir pour objet de nous préserver des préjugés, bien loin d'en étendre le cours.

Elle vit au contraire dans l'eau glacée. Non-seulement les salamandres ne vivent pas dans le feu, mais tout au contraire, elles vivent ordinairement, & pendant assez long-tems, dans l'eau qui s'est glacée par le froid. A mesure que l'eau dégele, on les voit expirer plus d'air que d'ordinaire, parce qu'elles en avoient fait une plus grande provision dans leurs poumons, tandis que l'eau se geloit. On dit qu'on a trouvé quelquefois en été dans des morceaux de glaces, tirées des glacieres, des grenouilles qui vivoient encore : on rapporte aussi dans l'histoire de l'acad. des Sciences, année 1719, qu'on a vu dans le tronc bien sec d'un arbre, un crapaud très-vivant, & très-agile. Si ces deux derniers faits, qui sont peut-être faux, se trouvent un jour confirmés, cette propriété seroit commune à ces différens animaux.

Elle subsiste long-tems sans manger. Les salamandres peuvent vivre plus de six mois sans manger, comme M. du Fay l'a expérimenté. Ce n'est pas qu'il eût dessein de les priver d'alimens, pour éprouver leur sobriété, mais il ne savoit de quoi les nourrir. tout-au-plus elles se sont quelquefois accommodées ou de mouches à demi-mortes, ou de la plante nommée lentille aquatique, ou de ce frai de grenouille, dont naissent ces petits lésards noirs, auxquels on voit pousser les pattes, dans le tems qu'ils ne sont pas plus gros que des lentilles, mais tout cela, elles le prenoient sans avidité, & s'en passoient bien.

Elle change fréquemment de peau. Les salamandres qui sont dans l'eau, de quelqu'âge & de quelqu'espece qu'elles soient, changent de peau tous les quatre ou cinq jours au printems & en été, & environ tous les 15 jours en hiver, ce qui est peut-être une chose particuliere à cet animal ; elles s'aident de leur gueule & de leurs pattes pour se dépouiller, & l'on trouve quelquefois de ces peaux entieres, qui sont très-minces, flottantes sur l'eau. Cette peau étendue sur un verre plan, & vue au microscope, paroît transparente, & toute formée de très-petites écailles.

Il arrive quelquefois aux salamandres un accident particulier ; il leur reste à l'extrêmité d'une patte, un bout de l'ancienne peau, dont elles n'ont pu se défaire : ce bout se corrompt, leur pourrit cette patte, qui tombe ensuite, & elle ne s'en porte pas plus mal ; tout indique qu'elles ont la vie très-dure.

Elle a des ouies qui s'effacent au bout d'un certain tems. Dans un certain tems de l'âge d'une salamandre, on lui voit, lorsqu'elle est dans l'eau, deux petits pennaches, deux petites houpes frangées, qui se tiennent droites, placées des deux côtés de sa tête, précisément comme le sont les ouies des poissons ; & ce sont en effet des ouies, des organes de la respiration ; mais ce qui est très-singulier, au bout de trois semaines, ces organes s'effacent, disparoissent, & n'ont par conséquent plus de fonction. Il semble alors que les salamandres fassent plus d'effort pour sortir de l'eau, qui ne leur est plus si propre, cependant elles y vivent toujours. M. du Fay en a conservé pendant plusieurs mois, après la perte de leurs ouies, dans de l'eau où il les avoit mises. Il est vrai qu'elles paroissent aimer mieux la terre, mais peut-être aussi cette nouvelle eau leur convenoit - elle moins que celles où elles étoient nées. Le lésard est le seul animal que l'on sache, qui perde ses ouies de poisson ; mais il les perd pour devenir grenouille, & en se dépouillant d'une enveloppe générale, à laquelle ses ouies étoient attachées ; ce qui est bien différent de la salamandre.

Elle périt si on lui jette du sel sur le corps. Quoiqu'elles aient la vie extrêmement dure, on a trouvé le poison qui leur est mortel, c'est du sel en poudre. Wurffbainius l'a dit le premier, & M. du Fay en a vérifié l'expérience. Il n'y a pour les tuer, qu'à leur jetter du sel pulvérisé sur le corps ; on voit assez par les mouvemens qu'elles se donnent, combien elles en sont incommodées ; il sort de toute leur peau, cette liqueur visqueuse, qu'on a cru qui les préservoit du feu, & elles meurent en 3 minutes.

L'histoire naturelle des salamandres demande de nouvelles recherches. La salamandre pourra sans - doute fournir encore un grand nombre d'observations, & il y en avoit plusieurs dans les papiers de M. Duverney, trouvés après sa mort, qui n'ont point été imprimées. Nous n'avons touché que quelques-unes des propriétés connues de ce reptile ; mais combien y en a-t-il, qui nous sont inconnues ? Combien de faits qui la concernent, qui méritent d'être approfondis ? Tel est, par exemple, celui de sa génération ; s'il y a des salamandres vivipares, n'y en auroit - il pas aussi d'ovipares ? Des physiciens ont trouvé des petits formés dans leurs corps ; d'autres disent avoir vu des salamandres frayer à la maniere des poissons.

La salamandre a fourni de nouveaux termes inintelligibles à la science hermétique. Au reste, il n'étoit guere possible que la célébrité de cet animal ne vînt à fournir des termes au langage des alchymistes & des chymistes, & c'est ce qui est arrivé. Ainsi, dans la philosophie hermétique, la salamandre qui est conçue & qui vit dans le feu, dénote ou le soufre incombustible, ou la pierre parfaite au rouge, qui sont autant de mots inintelligibles. En chymie, le sang de la salamandre, désigne les vapeurs rouges, qui, dans la distillation de l'esprit de nitre, remplissent le récipient de nuées rouges ; ce sont les parties les plus fixes & le plus fortes de l'esprit ; mais ce terme offre une chimere ; car le nitre ne donne point de vapeurs dans la distillation.

Elle n'a point de vertus médicinales. Entre les médecins qui se sont imaginés que la salamandre n'étoit pas sans quelque vertu médicinale, les uns l'ont mise au nombre des dépilatoires en l'appliquant extérieurement. Les autres ont recommandé ses cendres pour la cure des ulceres scrophuleux, en en saupoudrant les parties malades. D'autres encore en ont vanté la poudre, pour faciliter l'évulsion des dents ; mais il est inutile de faire une liste de puérilités.

Auteurs. Ce n'est pas Aldrovandi, Gesner, Rondelet, Charleton, Jonston, &c. qu'il faut lire sur la salamandre ; c'est Wurffbainius (Joh. Pauli) salamandrologia, Norib. 1683. in -4°. avec figures, & mieux encore les mémoires de MM. de Maupertuis & du Fay, qui sont dans le recueil de l'acad, des Sciences, années 1727 & 1729. (D.J.)

SALAMANDRE FOSSILE, (Hist. nat.) quelques auteurs se sont servis de ce nom pour désigner l'amianthe, à cause de la proprieté qu'il a de ne souffrir aucune altération de la part du feu. Ils l'appellent en latin salamandra lapidea. Voyez LIN FOSSILE & AMIANTHE.

SALAMANDRE de pierre, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pierre connue sous le nom d'amianthe ou de lin fossile.


SALAMANQUE(Géog. mod.) ville d'Espagne au royaume de Léon, sur la riviere de Tormes, qu'on y passe sur un ancien pont de pierre bâti par les Romains ; elle est à 40 lieues au midi de Léon, & à 36 au nord - ouest de Madrid. Long. suivant Harris, 18. 11. 45. lat. 41. 12.

C'est une des plus anciennes villes d'Espagne, ornée d'églises magnifiques, & peuplée de religieux & d'écoliers nobles & roturiers, qui y jouissent de grands privileges. Les couvents y sont nombreux & très riches, sur-tout celui de S. Dominique, de S. François, & de S. Bernard.

On trouve hors de Salamanque un beau chemin, large & pavé, fait par les Romains, & qui conduisoit à Mérida, & de là à Séville ; ce chemin fut reparé par l'empereur Adrien, comme il paroît par l'inscription suivante qu'on y a découverte. Imp. Caesar. divi. Trajani parthici. F. divi Nervae nepos Trajanus. Hadrianus aug. pontif. max. trib. pot. V. cos. iij. restituit.

L'évêché de Salamanque, fondé sur la fin du vj. siecle, & détruit sous la domination des Maures, s'étend aujourd'hui sur deux cent quarante paroisses, & l'évêque jouit de quatorze mille ducats de revenu.

L'université de Salamanque, la plus fameuse de toute l'Espagne, fut fondée par Ferdinand III. vers le milieu du xiij. siecle, des débris de celle de Palencia. Elle est composée, dit-on, de quatre-vingt professeurs, qui ont chacun mille écus de pension. Le recteur de cette université jouit de grands privileges, & est assis sous un dais dans les assemblées publiques. Le maître des écoles crée tous les officiers de l'université, est toujours ecclésiastique, & a huit mille ducats d'appointement. On dit que l'université est riche de quatre-vingt mille écus de rente.

Malgré tant de richesses & de splendeur apparentes, il ne sort pas de cette université un seul savant connu dans le reste de l'Europe ; toutes les sciences qu'on y cultive, se bornent au droit canon, à la théologie, & à la philosophie scholastique ; on enseigne dans les deux principales chaires, la doctrine de S. Thomas d'Aquin, le docteur angélique, & celle de Jean Scot, le docteur subtil, qui établit le premier l'immaculée conception de la sainte Vierge. La bibliotheque de cette université est presque vuide de livres, & ceux qui s'y trouvent sont tous enchaînés.

Aguirre, (Joseph Saëns de) cardinal, de l'ordre des bénédictins, naquit à Salamanque en 1630, & mourut à Rome en 1699. Ses principaux ouvrages sont, 1°. une histoire des conciles d'Espagne. 2°. Une collection des conciles de la même nation. 3°. Une philosophie scholastique, en 3. vol. in-fol. 4°. Une défense de la chaire de S. Pierre, contre la déclaration de l'assemblée du clergé de France de 1682, touchant la puissance ecclésiastique & politique. C'est cette défense qui lui valut le chapeau que le pape Innocent lui donna en 1686. Dans sa collection des conciles d'Espagne, il y a joint plusieurs dissertations pour soutenir les fausses décrétales des papes, ou pour m'expliquer plus clairement, une cause insoutenable. Il paroît qu'il avoit plus d'étude & de lecture, que de génie & de critique. (D.J.)


SALAMBOS. f. (Mythol.) c'étoit la Vénus des Babyloniens, depuis qu'Alexandre eut établi l'empire des Macédoniens en Asie, elle étoit adorée à Tyr & en Syrie, sous le nom d'Astarté. Voyez Saumaise, sur Lampridius, cap. vij. de la vie d'Héliogabale, & Selden, de diis Syris syntagm. II. c. jv. (D.J.)


SALAMIAH(Géog. mod.) ville d'Asie, dans la Perse, sur la rive orientale du Tigre, à une journée de Mosal, en descendant le fleuve vers Bagdat. (D.J.)


SALAMINE(Géog. anc.) en latin Salamina & Salamis. 1°. Petite île de Grece, dans le golfe saronique, vis-à-vis d'Eleusine. Scylax dit, dans son périple : " Tout près de ce temple d'Eleusine, est Salamine, île, ville & port ". La longueur de cette île, selon Strabon, l. IX. étoit de soixante & dix ou quatre-vingt stades. Il y a eu une ville de même nom dans cette île, & cette ville a été double ; l'ancienne étoit au midi de l'île, du côté d'Engia, & la nouvelle étoit dans un golfe & sur une presqu'île du côté de l'Attique. Séneque, dans ses Troades, v. 844. lui donne le surnom de vera, la vraie Salamine, pour la distinguer de celle de Cypre, bâtie ensuite par Teucer, sur le modele de la Salamine de l'Attique.

Strabon, l. VIII. nous apprend que l'île de Salamine a été anciennement nommée Sciras, Cichria, & Pityusa. Les deux premiers noms étoient des noms de héros ; le troisieme vient des pins qui y étoient en abondance. Aujourd'hui on la nomme Colouri.

Il n'est point de voyageur un peu curieux qui se trouvant dans le parage de cette île, sinus Salaminiacus, ne veuille la parcourir, parce qu'elle fut autrefois un royaume, dont Télamon & Ajax qui y naquirent, porterent la couronne ; parce qu'elle est fameuse par la déroute de la nombreuse flotte de Xerxès, victoire de Thémistocle à jamais mémorable ; & finalement pour avoir donné le jour au poëte Euripide, dans la soixante-quinzieme olympiade.

2°. Salamine, ville de l'Asie mineure dans l'île de Cypre ; c'est la même que celle que Teucer y fit bâtir. Horace lui fait dire, ode 7. l. I.

Nil desperandum, duce & auspice Teucro ;

Certus enim promisit Apollo

Ambiguam tellure novâ Salamina futuram.

" Teucer est à votre tête, il est votre garant ; ne desespérez de rien. Apollon, toujours infaillible dans ses oracles, nous offre une seconde patrie dans une terre étrangere ; il nous y promet une autre Salamine, qui balancera un jour la gloire de celle que nous quittons ".

Teucer banni de son pays, prit son parti en homme de coeur, & il n'eut pas sujet de s'en repentir. Sa bonne fortune le conduisit en Cypre, grande île au fond de la Méditerranée ; Bélus qui en étoit le maître, lui permit de s'y établir ; il y bâtit la nouvelle Salamine, qui fut capitale d'un petit royaume, où sa postérité régna depuis pendant plus de huit cent ans jusqu'au court regne d'Evadoras, dont on lit l'éloge dans Isocrate.

Scylax, dans son périple, donne à Salamine de Cypre un port fermé & commode pour hyverner. Diodore de Sicile dit qu'elle étoit à deux cent stades de Citium. Son église étoit fort ancienne ; S. Paul y vint avec S. Barnabé, & y convertit Sergius, act. xiij. v. 5. aussi cette église se vantoit-elle de posséder le corps entier de S. Barnabé, & de n'être pas moins apostolique qu'Antioche : elle gagna son procès sur ce point au concile de Constantinople.

La ville fut ensuite nommée Constantia ; & c'est sous ce nom qu'elle est qualifiée métropole de l'île de Chypre, dans les notices d'Hiéroclès & de Léon le sage : le lieu où elle étoit garde encore le nom de Constantia, car il s'appelle Porto-Constanza.

Sozomène (Hermias), savant historien ecclésiastique du cinquieme siecle, étoit natif de Salamine dans l'île de Cypre. Il fréquenta long-tems le barreau à Constantinople, & mourut vers l'an 450 de J. C. Il nous reste de lui une histoire ecclésiastique en grec, depuis l'an 324 jusqu'à l'an 439. On trouve dans cette histoire imprimée au louvre, l'usage & les particularités de la pénitence publique dans les premiers siecles de l'église.

Mais c'est dans l'île de Salamine du golfe Saronique, qu'Euripide vit le jour l'an premier de la soixante-quinzieme olympiade, un peu avant que Xerxès entrât dans l'Attique. Qu'importe de rechercher s'il étoit noble ou roturier, puisque le génie annoblit tout ? Il apprit la rhétorique sous Prodicus, la morale sous Socrate ou sous un autre philosophe, & la physique sous Anaxagoras ; & quand il eut vû les persécutions qu'Anaxagoras souffrit pour avoir dogmatisé contre l'opinion populaire, il s'appliqua tout entier à la poésie dramatique, & y excella. Il étoit alors âgé de dix-huit ans. Que ceci ne nous porte point à croire qu'il négligea dans la suite de sa vie l'étude de la morale & de la physique : ses ouvrages témoignent tout le contraire ; & même il fit souvent paroître dans ses pieces, qu'il suivoit les opinions de son maître Anaxagoras.

Il composa un grand nombre de tragédies qui furent fort estimées & pendant sa vie & après sa mort ; l'on peut citer de bons juges, qui le regardent comme le plus accompli de tous les poëtes tragiques. Il fut nommé le philosophe du théatre par les Athéniens. Vitruve le dit positivement. Origène, Clément d'Alexandrie & Eusebe, le témoignent aussi.

Je n'ignore pas que les critiques sont fort partagés sur la primauté d'Eschyle, de Sophocle, & d'Euripide. Chacun de ces poëtes a des partisans qui lui donnent la premiere place ; il se trouve aussi des connoisseurs qui ne veulent rien décider : Quintilien semble choisir ce parti ; cependant il est aisé de voir qu'à tout prendre il donne le prix à Euripide. Des modernes ont dit assez bien, sans juger ce grand procès, que Sophocle représente les hommes tels qu'ils devroient être, mais qu'Euripide les peint tels qu'ils sont. Si le dernier n'a pas égalé Sophocle dans la majesté & dans la grandeur, il a compensé cela par tant d'autres perfections, qu'il peut aspirer au premier rang.

Ceux qui croyent que si les poëtes de Rome n'ont guere parlé d'Euripide, c'est à cause que les syllabes de son nom n'avoient pas la quantité qui pouvoit le rendre propre à entrer dans les vers latins, donnent une conjecture fort vraisemblable. Le dieu même de la poésie, l'Apollon de Delphes, fut contraint de ceder aux loix de la quantité : il ne trouva point d'autre expédient que de renoncer au vers hexametre, & de répondre en vers ïambiques, quand il fallut nommer Euripide ; desorte que s'il n'eût su faire que des vers hexametres, il auroit fallu qu'il eût supprimé la sentence definitive qui régla le rang entre trois illustres personnages. Voici cette sentence célebre, que Suidas nous a conservée, au mot .


SALAMINIUS(Mythol.) Jupiter est quelquefois désigné sous ce nom, à cause du culte particulier qu'on rendoit à ce dieu dans cette île de la Grece, vis-à-vis d'Eléusis. (D.J.)


SALANA(Géog. mod.) petite riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ulterieure qu'elle arrose ; elle se jette ensuite dans le phare de Messine, près du bourg de Siglio. (D.J.)


SALANCHES(Géog. mod.) petite ville de Savoye, capitale du haut-Faussigni, à deux lieues audessus de Cluse, au sud-est. Ce n'est proprement qu'un méchant bourg, au milieu duquel passent deux ruisseaux du même nom, qui vont se perdre dans l'Arve. Long. 24. 20. lat. 45. 58. (D.J.)


SALANDRA(Géog. mod.) bourgade d'Italie, au royaume de Naples, dans la Basilicate, à trois lieues de Tricario, sur la petite riviere qu'on nomme Salandra & Salandrella. La bourgade est bâtie sur les ruines d'Acalandra ; la riviere est l'Acalandrum de Pline, l. I. c. xx. elle se jette dans le golfe de Tarente, entre l'embouchure du Basiento, Camentum, & celle d'Agri, Acyris. (D.J.)


SALANDRELLA(Géog. mod.) petite riviere d'Italie, au royaume de Naples ; elle se jette dans le golfe de Tarente, entre l'embouchure du Basiento, & celle de l'Agri. (D.J.)


SALANGAN(Hist. nat.) c'est le nom que les habitans des îles Philippines donnent à l'oiseau dont le nid est un manger si délicieux pour les Chinois ; il est de la grosseur d'une hirondelle de mer, ou d'un martinet, & il attache son nid aux rochers. Voyez NIDS D'OISEAUX.


SALANKEMEN(Géog. mod.) & par les Hongrois, Zalonkemen, qui est la bonne orthographe ; ville de la Hongrie, dans l'Esclavonie, sur le Danube, au confluent de la Teisse, à 12 milles au nord-ouest de Belgrade. On dispute si l'Acumincum d'Ammien Marcellin, est Salankemen, Cametz, ou Peterwaradin. Long. 37. 43. lat. 45. 17.

Ce fut devant cette ville que se donna, en 1691, une fameuse bataille entre les Turcs & les Impériaux, qui furent plus heureux que sages. Les Turcs avoient à leur tête, Mustapha Cuprogli, fils, petit-fils de grand visir, & parvenu lui-même à cette premiere dignité : il ne respiroit que la guerre, blâmant toute proposition de paix. Il avoit commencé par réformer les abus d'une mauvaise administration de sept ans, & par le rétablissement des finances. En ouvrant la campagne sous le regne d'Achmet III, il employa la religion & la sevérité des moeurs ; toutes les mosquées de Constantinople & les pavillons du camp, retentirent de prieres ; une foule de jeunes garçons qui suivoient l'armée, affreux instrumens de débauche & de dépense, furent chassés sous peine de mort, s'ils reparoissoient ; il ne s'agissoit plus que de rendre le courage aux troupes ; le visir s'en chargeoit, en leur traçant la route de Vienne avec le sabre de son pere Cuprogli.

Il avoit déja remporté une victoire complete sur les Impériaux, soumis l'Albanie, la Bulgarie, & repris toute la Servie, Belgrade même, malgré une garnison de six mille hommes ; enfin l'année suivante il vint camper devant Salankemen, sur les bords du Danube. Le prince Louis de Bade, général des Impériaux, fut à peine arrivé pour le combattre, qu'il sembla n'avoir plus que le parti de la retraite. Les Turcs l'attaquerent avec tant de fureur & de conduite, que sa perte paroissoit inévitable ; le champ de bataille étoit déja couvert de chrétiens expirans ; mais la fortune de Léopold voulut qu'un boulet emportât le visir, qui n'avoit guere joui de sa haute fortune, il périt dans le moment où il étoit le plus glorieux & le plus nécessaire. L'aga des janissaires auroit pu le remplacer : un autre boulet l'étendit mort, & les infideles consternés abandonnerent la victoire, qui n'eut cependant d'autre suite que la prise de Lippa, ville infortunée, sans-cesse prise & reprise, également maltraitée par les amis & par les ennemis. Les sauvages dans les forêts sont plus heureux. L'abbé Coyer. (D.J.)


SALANTadj. (Gram.) épithete que l'on donne aux fontaines dont les eaux sont salées, & aux marais où l'on fait du sel. Voyez SEL, LINESINES.


SALAPIA(Géog. anc.) ancienne ville d'Italie, dans la Pouille daunienne, selon Pline, l. III. c. xj. qui ajoute qu'elle est fameuse par l'amour qu'y fit Hannibal, à une beauté de cette ville. Il y a eû deux villes de ce nom, ou plutôt la même ville a été en deux lieux différens. L'ancienne Salapia, dans sa premiere situation, avoit été bâtie par Diomède, & fut abandonnée à cause de l'air mal-sain ; les habitans s'allerent établir en un lieu plus sain, à quatre milles de-là, vers la mer. La ville est détruite, & le lieu conserve le nom de Salpe. (D.J.)


SALAPINA PALUS(Géog. anc.) marais voisin de la ville de Salapia, d'où il tiroit son nom ; Lucain, l. V. v. 377. en parle à l'occasion des barques que l'on amassa de tous les endroits :

Quâ recipit Salapina palus, & subdita Sypûs

Montibus.

Vitruve, l. I. c. jv. dit que Marcus Hostilius, qui transporta les habitans d'un endroit à l'autre, après ce changement de lieu, ouvrit ce lac du côté de la mer, & en fit un port pour le municipe de Salapia. Cela s'accorde avec Strabon, l. VI. qui dit que Salapia étoit le port d'Argypine. (D.J.)


SALAPITIUM(Littérat.) bouffonnerie ; les uns prétendent qu'il faut dire salaputium, & d'autres encore salicipium. Vossius s'est finalement déclaré pour salapitium ; sur cela il nous apprend que salapitta, dans les meilleures gloses, signifie un soufflet, & que de-là est venu que les bouffons, qui se laissoient donner cent coups sur le visage pour divertir le peuple, ont été appellés salpitones, du mot grec , qui veut dire sonner de la trompette, parce qu'à l'exemple des trompettes, ils enfloient les joues de leur mieux, afin que les soufflets qu'ils recevoient, fissent plus de bruit, & divertissent davantage les assistans ; en un mot, Vossius tire de cette remarque, l'origine du mot bouffon, parce que bouffer & enfler signifient la même chose. (D.J.)


SALARIA(Géog. anc.) nom de deux villes de l'Espagne tarragonoise, l'une au pays des Bastitains, dans les terres, l'autre au pays des Orétains, dans les terres semblablement ; c'est Ptolémée qui les distingue ainsi : Salaria in Bastitanis, longitude 13. lat. 39. 20. Salaria in Oretanio. Longit. 9. 24. latit. 40.

La derniere est entre la Guadiana & le Tage ; les Espagnols croyent que c'est présentement Cazorla. La premiere est aux environs du Xucar, selon les indices de Ptolémée. On a des inscriptions où on lit Col. Jul. Salariensis, & Pline, l. III. c. iij. parle d'une colonie nommée de même. (D.J.)


SALASSESLES, (Géog. anc.) Salassi, ancien peuple d'Italie, dans les Alpes. Strabon, liv. IV. p. 205. en décrit aussi le pays. Le canton des Salasses, dit-il, est grand, dans une profonde vallée entre des montagnes qui l'enferment de tous côtés, quoiqu'en quelques endroits le terrein s'éleve un peu vers les montagnes au-dessous desquelles est cette vallée. Il dit encore que la Doria traverse ce pays-là, & qu'elle est d'une grande utilité aux habitans pour laver l'or. C'est pour cela qu'en quelques endroits ils l'avoient partagée en quantité de coupures, qui réduisoient presqu'à rien cette riviere.

Lorsque les Romains furent une fois maîtres des Alpes, les Salasses perdirent leur or, & la jouissance de leur pays ; l'or fut affermé ; & les Salasses qui conserverent encore les montagnes, furent réduits à vendre de l'eau au fermier dont l'avarice donnoit lieu à de fréquentes chicanes.

De cette maniere ils furent tantôt en paix, tantôt en guerre avec les Romains ; & s'adonnant au brigandage, ils faisoient beaucoup de mal à ceux qui traversoient leur pays, qui est un passage des Alpes. Lorsque Decimus Brutus, s'enfuyant de Modène, faisoit défiler son monde, ils lui firent payer tant par tête ; & Messala, hivernant dans le voisinage, fut obligé d'acheter d'eux du bois de chauffage & des javelots de bois d'orme, pour exercer ses soldats.

Ils oserent même piller la caisse militaire de César, & arrêterent des armées auprès des précipices, faisant semblant de raccommoder les chemins, ou de bâtir des ponts sur les rivieres. Enfin César les subjugua, & les vendit tous à l'encan, après les avoir menés à Ivrée, où l'on avoit mis une colonie romaine pour s'opposer aux courses des Salasses. On compta entre ceux qui furent vendus, huit mille hommes propres à porter les armes, & trente-six mille en tout. Terentius Varron eut tout l'honneur de cette guerre.

Auguste envoya trois mille hommes au lieu où Terentius Varron avoit eu son camp. Il s'y forma une ville qui fut nommée Augusta Praetoria ; c'est aujourd'hui Aoste ou Aouste, qui donne le nom à la vallée qui appartient à la maison de Savoye. (D.J.)


SALATLE, (Géog. mod.) riviere de France, en Languedoc. Elle a sa source au sommet des Pyrénées, dans la montagne de Salau, passage d'Espagne, court dans le comté de Conserans, & se jette enfin dans la Garonne à Foure. Cette riviere, comme l'Ariege, roule quelques petites paillettes d'or, que de pauvres paysans d'autour de S. Girons, s'occupent à ramasser, mais dont ils tirent à-peine de quoi vivre. (D.J.)


SALAYASIRS. m. (Ornithol.) nom que les habitans des Philippines donnent à la plus petite espece de canards connue, & qu'on trouve en quantité sur leurs lacs & leurs marais ; ces sortes de canards ne sont pas plus gros que le poing, & ont le plumage admirable.


SALBANDESS. f. pl. (Hist. nat. Minéral.) les minéralogistes allemands se servent de ce mot pour désigner les parties de la roche d'une montagne qui touchent immédiatement à un filon métallique, & qui séparent ou tranchent la mine d'avec ce qui n'en est point. On pourroit en françois rendre ce mot par lisieres ou aîles, parce que ces salbandes terminent les côtés du filon, comme la lisiere termine une étoffe. Chaque filon réglé a quatre salbandes, c'est-à-dire, quatre côtés par lesquels il se distingue de la roche qui l'environne ; savoir, au-dessus & au-dessous de lui, & à ses deux côtés. Dans ces parties le filon est quelquefois tranché net, ou distingué de la roche comme si on lui eût taillé un canal avec le ciseau & le maillet : en un mot, les salbandes sont les parois du conduit dans lequel un filon est renfermé. Quelquefois on trouve entre le filon & la roche qui lui sert d'enveloppe, une terre fine, molle & onctueuse, que les mineurs allemands nomment besteg ou bestieg ; ils la regardent comme un signe favorable qui annonce la présence d'une mine de bonne qualité. On regarde aussi comme un bon signe lorsque les salbandes, ou la pierre qui sert d'écorce & d'enveloppe au filon, est du spath ou du quartz, parce que les pierres sont les matrices, ou les minieres les plus ordinaires des métaux. Voy. FILONS, MINIERES, MINE, &c. (-)


SALCAHUILE DE, (Matiere médic. des anc.) salcae oleum, excellente huile qui se faisoit à Alexandrie avec quantité de plantes aromatiques ; on en composoit de plusieurs especes, dont Aëtius Tetrab. I. serm. j. a détaillé les préparations.


SALDAE(Géog. anc.) ancienne ville d'Afrique. Ptolémée, liv. IV. c. ij. la nomme ainsi au pluriel, lui donne le titre de colonie, & la met dans la Mauritanie césarienne. Pline, liv. V. c. ij. nous apprend que c'étoit une colonie d'Auguste, & l'appelle Salde ; ce doit être Saldae au pluriel. Martien écrit de même, & Antonin met Saldis à l'ablatif, à trente-cinq mille pas de Rusazis. La notice épiscopale d'Afrique met entre les évêques de la Mauritanie & Sitifi, Pascase de Salde, Pascasus salditanis. Quelques-uns croyent que c'est Bugie, d'autres que c'est Alger. (D.J.)


SALDAGNA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la vieille Castille, au couchant d'Aguilardel Campo, & au pié de la montagne appellée Pegna de san Roman, sur la riviere de Carrion.


SALDITSS. m. (Hist. nat. Botan.) plante en forme d'arbrisseau de l'île de Madagascar ; il porte des fleurs couleur de feu, en forme de panache. Sa graine a la grosseur & le goût du pignon. C'est un vomitif très-violent, & qui peut passer pour un poison. On assure que sa racine prise en poudre en est l'antidote.


SALDUBA(Géog. anc.) ancienne ville d'Espagne, dans la Bétique, sur la côte. Pline, liv. III. c. j. après avoir dit que Barbesula est accompagnée d'une riviere de même nom, ajoute, item Salduba ; il en est de même de Salduba. On croit qu'aujourd'hui cette ville est Marbella, & que la riviere est Rio - Verde.


SALEadj. (Gramm.) mal propre, couvert d'ordure. Cette ville est sale. Du linge sale ; un habit sale ; du papier sale ; une couleur sale. Il se dit aussi au figuré. Des paroles sales ; des idées, des images sales ; une parole sale.


SALÉadj. (Gramm.) en qui l'on remarque le goût du sel, soit qu'il en contienne ou non. De la viande salée, du pain salé, des eaux salées. Voyez SEL.

SALE, (Géog. mod.) ville d'Afrique en Barbarie, sur la côte occidentale du royaume de Fez, & sous l'autorité du roi de Maroc. Cette ville est remarquable par son antiquité ; mais elle est encore plus connue par ses corsaires nommés Saletins, & par son commerce, quoique son havre ne soit propre que pour de petits bâtimens. Elle a de bonnes forteresses pour sa défense, & est divisée comme Fez, en ville vieille & en ville nouvelle, qui sont seulement séparées par la riviere de Garrou. Le roi de France a un consul à Salé ; mais ce caractere est assez infructueux, parce que celui qui en est revêtu n'est guere moins exposé qu'un simple marchand aux caprices des habitans. On compte qu'ils sont environ vingt-mille. Ils se qualifient Andalous, comme ceux de Tetouan. Salé est situé à environ 45 lieues au couchant de Fez. Long. 11. 6. lat. 34. 2. (D.J.)


SALÉELA RIVIERE, (Géog. mod.) il y a deux rivieres de ce nom en Amérique, l'une dans la Guadeloupe, qu'elle sépare de la grande terre, l'autre dans la partie la plus méridionale de la Martinique.


SALEM(Géog. sacrée) nom commun à quelques villes ou lieux de la Palestine. Il y avoit une Salem qui appartenoit aux Sichémites ; il y avoit un autre lieu de ce nom dans la campagne de Scytopolis, à huit milles de cette ville ; il y avoit une troisieme Salem ou Salim au bord du Jourdain, où S. Jean baptisoit. Les septante ont quelquefois appellé Salem la ville de Silo ; enfin Jérusalem aussi nommée quelquefois par abréviation Salem dans l'Ecriture : par exemple, on lit au pseaume lxxv. sa demeure est dans Salem, & son temple dans Sion. (D.J.)


SALEME(Géog. mod.) petite ville de Sicile, dans la vallée de Mazara, sur une montagne, à 18 milles au nord-est de Mazara. Long. 50. 30. lat. 38. 5.


SALENAE(Géogr. anc.) ancienne ville de l'île d'Albion, au pays des Catyeuchlani, selon Ptolémée, liv. II. ch. iij. Ses interprêtes croyent que le nom moderne est Saludy.


SALENTIAou SALLENTIAE, (Géog. anc.) ancienne ville de la grande Grèce, au pays des Messapiens, selon Etienne le géographe.


SALENTINSLES, (Géog. anc.) Salentini ; ancien peuple de la grande Grèce. Leur pays s'appelloit Salentina regio. Ptolémée n'y met au bord de la mer que le promontoire nommé Sapygium & Salentinum promontorium. Léandre croit que le pays des Salentins répond à la terre d'Otrante ; cela n'est pas exactement vrai en tout. (D.J.)


SALEPSALOP & SULAP, s. m. (Diete & Mat. méd.) racine ou bulbe farineuse, ou, pour mieux dire, gommeuse, dont la substance est entierement soluble dans la salive & dans les liqueurs aqueuses, qui est inodore, qui n'a d'autre saveur que celle des gommes & des mucilages, qui est fort en usage chez les Turcs, & dont on commence à se servir aussi à Paris. Voici ce qu'en dit M. Geoffroi le cadet dans un des mémoires de l'académie royale des Sciences pour l'année 1740.

On a découvert, en examinant avec attention le salep des Turcs, que c'étoit la bulbe d'une espece d'orchis ou satyrion. C'est une racine blanche ou roussâtre, selon qu'elle est plus ou moins récente. Les Orientaux nous l'envoyent transparente avec un fil de coton. Elle est en usage pour rétablir les forces épuisées ; c'est un restaurant pour les phthisiques ; & on la donne avec succès dans les dyssenteries bilieuses, selon Degnerus, qui a publié deux dissertations sur cette maladie, & qui se servoit du salep des Turcs comme d'un remede, pour ainsi dire, spécifique. Le même académicien a réussi à mettre les bulbes de nos orchis dans le même état que le salep, à imiter parfaitement cette préparation, dont les moyens sont inconnus. Voyez à l'article SATYRION, comme M. Geoffroi s'y est pris.

Quant à la maniere de se servir du salep, voici ce qui en est dit dans une lettre sur cette drogue, que le sieur Andri, droguiste de Paris, a fait mettre au journal de Médecine, Septembre 1759. Suivant Albert Seba, les Chinois & les Persans en prennent la poudre, à la dose d'un gros, deux fois le jour dans du vin ou du chocolat.

Le pere Serici nous apprend que les Indiens en prennent une once le soir à l'eau & avec du sucre ; mais la plus saine partie, ainsi que l'européen, le prend au lait, à la dose d'une demi-once ; on le pulvérise dans un mortier, & on fait bouillir cette farine dans du lait avec du sucre pendant un demi - quart d'heure ; il en résulte une bouillie agréable, avec laquelle on fait son dejeuner ; on peut y mettre quelques gouttes d'eau rose ou de fleurs d'orange.

Degnerus a donné une préparation un peu plus détaillée de ce remede. On fait infuser un gros de cette racine réduite en poudre très-fine, dans huit onces d'eau chaude ; on la fait dissoudre à une douce chaleur, on la passe ensuite dans un linge pour la purifier des petites ordures qui pourroient s'y être jointes ; la colature reçue dans un vase, se congele, & forme une gelée mucilagineuse très-agréable : on en donne au malade de deux heures en deux heures, & de trois heures en trois heures une demi-cuillerée, une cuillerée entiere, plus ou moins, suivant l'exigence des cas.

Cette préparation dictée par Degnerus paroît la meilleure, sur-tout quand on ne veut point faire une bouillie, mais qu'on veut donner ce remede dans quelque véhicule liquide, comme dans l'eau simple, dans du vin, dans de la tisane ; la gelée s'y étendra beaucoup mieux que la poudre : on prend, par exemple, le poids de vingt - quatre grains de cette poudre qu'on humecte peu-à-peu d'eau bouillante ; la poudre s'y fond entierement, & forme un mucilage qu'on étend par ébullition dans une chopine ou trois demi-septiers d'eau ; on est maître de rendre cette boisson plus agréable en y ajoutant du sucre, ou quelques légers parfums, ou quelques syrops convenables à la maladie, comme le syrop de capillaire, de pavot, de citron, d'épine-vinette, &c. On peut aussi couper cette boisson avec moitié de lait, ou en mêler la poudre, à la dose d'un gros, dans un bouillon. (b)


SALERv. act. (Gram.) c'est méler du sel à quelque chose. On sale le pain, la viande, le beurre, le poisson.

SALER les cuirs, (Tannerie) c'est les saupoudrer de sel marin & d'alun, ou de natrum, après qu'ils ont été abattus ou levés de dessus les animaux, pour empêcher qu'ils ne se corrompent, jusqu'à ce qu'on les porte chez les Tanneurs. Savary. (D.J.)


SALERANS. m. (Papeterie) on nomme ainsi dans nos papeteries, une espece de maître ouvrier ou d'inspecteur, qui a soin de faire donner au papier tous ses apprêts, comme de le coller, presser, secher, rogner, lisser, plier, le mettre en mains & en rames. On l'appelle saleran, parce qu'il est le maître de la salle où l'on donne ces dernieres façons au papier. (D.J.)


SALERNE(Géog. mod.) ville d'Italie, aujourd'hui au royaume de Naples, sur le bord de la mer, capitale de la principauté citérieure, au fond d'un golfe de même nom, à douze lieues au sud-est de Naples, & à égale distance au midi de Bénévent. Long. 32. 20. latit. 40. 46.

Cette ville est ancienne, & faisoit autrefois partie du petit pays des Picentins, dont Picentia étoit alors la capitale. Strabon dit que les Romains fortifierent Salerne pour y mettre garnison, & qu'elle étoit un peu plus haute que le rivage. Tite-Live nous apprend, l. XXXII. c. 29, que cette ville devint colonie romaine.

Après la ruine de l'empire d'Occident par les Barbares venus des pays septentrionaux, les Lombards & les Goths se firent des établissemens aux dépens de l'empire grec, qui s'étoit ressaisi d'une partie de l'Italie, sur-tout dans ce qu'on appelle aujourd'hui le royaume de Naples. Mais il n'étoit pas en état de se soutenir contre tant d'ennemis qui l'attaquoient de tous les côtés. Les Lombards formerent des duchés & des principautés, comme Capoue, Salerne, & tant d'autres villes qui étoient alors les résidences de souverains qui s'y maintinrent, moyennant quelques soumissions à l'empire Grec.

Charlemagne, qui détruisit le royaume des Lombards, ne toucha point à ces souverainetés, qui étoient subordonnées à l'empire d'Orient ; ainsi, au commencement de l'onzieme siecle, Salerne étoit capitale d'une principauté, dont le seigneur avoit un très-beau pays. Guaimare, prince de Salerne, regnoit de cette maniere, lorsqu'une centaine de gentils-hommes normands délivrerent cette ville des Sarrazins qui étoient venus pour la piller.

" Ces François, partis en 983 des côtes de Normandie pour aller à Jérusalem, passerent à leur retour sur la mer de Naples, & arriverent à Salerne dans le tems que cette ville venoit de se racheter à prix d'argent. Ils trouverent les Salertins occupés à rassembler le prix de leur rançon, & les vainqueurs livrés dans leur camp à la sécurité d'une joie brutale & de la débauche. Cette poignée d'étrangers, reproche aux assiégés la lâcheté de leur soumission ; & dans l'instant marchant avec audace au milieu de la nuit, suivis de quelques Salertins qui osent les imiter, ils fondent dans le camp des Sarrazins, les étonnent, les mettent en fuite, les forcent de remonter en désordre sur leurs vaisseaux, & non-seulement sauvent les trésors de Salerne, mais ils y ajoutent les dépouilles des ennemis ".

Gisulphe, fils & successeur de Guaimare, se trouva fort mal de n'avoir pas ménagé ces mêmes Normands. Ils l'assiégerent, prirent sa ville, le chasserent du pays, & le réduisirent à aller vivre à Rome des bienfaits du pape. Maîtres de Salerne, ils la fortifierent, & en formerent une nouvelle principauté, dont dix-neuf princes de la postérité de Tancrede jouirent successivement.

Le port de cette ville étoit un des plus fréquentés de cette côte, avant que celui de Naples lui eût enlevé son commerce ; ce port n'est plus rien aujourd'hui, qu'on a abattu le grand mole qui l'enveloppoit, & qui mettoit les vaisseaux à l'abri des orages. Il ne reste plus à cette ville, que le commerce de terre pour la faire subsister. Ses rues sont vilaines & fort étroites ; mais elle a quelques palais aux environs de la place, au-dessus de laquelle est le château.

Salerne fut honorée de la qualité d'archevêché l'an 974 par Boniface VII. Son université, aujourd'hui très-méprisée, a été autrefois fameuse pour la médecine.

C'est à Salerne qu'est mort en 1085 le pape Grégoire VII. qui avoit été si fier & si terrible avec les empereurs & les rois. Il s'étoit avisé d'excommunier Robert, prince de Salerne, & le fruit de l'excommunication, fut la conquête de tout le Bénéventin par le même Robert. Le pape lui donna l'absolution, & accepta de lui la ville de Bénévent, qui, depuis ce tems-là, est toujours demeurée au saint siege.

Bientôt après éclaterent les grandes querelles entre l'empereur Henri IV. & Grégoire VII. L'empereur s'étant rendu maître de Rome en 1084, assiégeoit le pape dans ce château, qu'on a depuis appellé le château Saint-Ange. Robert accourt alors de la Dalmatie, où il faisoit des conquêtes nouvelles, délivre le pape malgré les Allemands & les Romains réunis contre lui, se rend maître de sa personne & l'emmene à Salerne, où ce pape, qui déposoit tant de rois, mourut le captif & le protégé d'un gentilhomme normand.

Masuccio, auteur du xv. siecle, peu connu, étoit de Salerne. On a de lui en italien cinquante nouvelles, dans le goût de celles de Boccace, c'est-à-dire, très-licencieuses. Elles ont été imprimées plusieurs fois, & pillées par des auteurs de même caractere ; témoin les contes du monde adventureux, imprimés à Paris en 1555 in-8 °. La premiere édition du livre de Masuccio a pour titre il novellino, & parut à Naples en 1476, in fol. Elle fut suivie de plusieurs autres, faites à Venise en 1484, en 1492, en 1503 avec figures ; en 1522, en 1525, in-8 °. en 1531, in-8 °. en 1535, in-8 °. en 1541, in-8 °. &c. Malgré toutes ces éditions, un satyrique d'Italie (Francesco Doni) a eu raison de se divertir de l'auteur, en lui attribuant ironiquement un ouvrage imaginaire, intitulé : Masuccio commento sopra la prima giornata del Boccaccio. (D.J.)

SALERNE, golfe de, (Géog. mod.) golfe de la Méditerranée, sur la côte orientale du royaume de Naples. C'est le Paestanus sinus des anciens. (D.J.)


SALERONS. m. (Orfévrerie) c'est la partie d'une saliere où l'on met le sel. Dict. de l'acad. (D.J.)


SALERS(Géog. mod.) petite ville ou bourgade de France, dans la basse-Auvergne, à six lieues d'Aurillac, dans les montagnes. On y commerce en bétail. (D.J.)


SALESOLE, (Géog. mod.) riviere d'Asie, dans l'Anatolie ; elle arrose la partie orientale de la Caramanie, & se perd dans le golfe de Satalie, vis-à-vis de l'île de Chypre. (D.J.)


SALETÉS. f. (Gram.) ordure qui s'est attachée à quelque chose, & dont il faut la nettoyer. La saleté d'une table, d'une chambre, d'un lit, du linge, des habits. Au figuré, il n'y a guere que les ignorans & les libertins qui disent habituellement des saletés. Ce poëte n'a que sa saleté.


SALETIO(Géog. anc.) & Salisso par Antonin, ancienne ville de la Germanie, sur le Rhin, à sept milles italiques de Strasbourg, en allant vers Saverne. Beatus Rhenanus croit que son nom moderne est Selza. (D.J.)


SALEURS. m. (Gram.) celui qui sale. Ce mot s'employe dans la pêche des harengs & de la morue. Il y a des saleurs en titre.

On donnoit autrefois le même nom de saleur, à des especes de devins qui prétendoient connoître l'avenir aux mouvemens de différentes parties du corps qu'ils saupoudroient de sel. Cette espece de divination se désignoit par le nom de salissation, salissatio.


SALFELD(Géog. mod.) 1°. petite ville d'Allemagne, au cercle de la haute Saxe, dans la Misnie, sur la Sala, à environ sept lieues au-dessus d'Iène, avec titre de principauté. Elle appartient à la maison de Saxe-Gotha. L'ordre de S. Benoît y possédoit une riche abbaye, qui a été réunie au domaine par les électeurs de Saxe, dans le tems de la réformation. La principauté peut avoir douze lieues de long sur trois de large. C'est un pays de montagnes, où se trouvent quelques mines de cuivre, de plomb & de vitriol.

2°. Salfeld, petite ville du royaume de Prusse, dans la Poméranie, à cinq lieues de la petite ville de Holtaud, vers le midi. (D.J.)


SALGANÉE(Géogr. anc.) ancienne ville de Grèce dans la Béotie, sur l'Euripe, au passage pour aller dans l'Eubée. Etienne dit Salganens. Tite-Live la met auprès de l'Hermeus, qui doit avoir été une montagne ou une riviere. On la nomme à présent Salganico ; c'est une petite ville de la Livadie. (D.J.)


SALHBERGou SALBERG, (Géog. mod.) petite ville de Suede, en Westmanie, sur la riviere de Salha, près d'une montagne, où sont des mines d'argent, que les Russes ruinerent dans la guerre qu'ils eurent avec les Suédois, terminée par la paix de Nydetat. (D.J.)


SALIA(Géog. anc.) riviere d'Espagne, dans l'Asturie, aux confins de la Cantabrie. Elle donnoit le nom au peuple Saleni, qui étoit dans ces cantons, & que Ptolémée semble nommer Selini : elle le donnoit aussi au lieu Salaniana, dont parle Antonin dans son itinéraire. Cette riviere est aujourd'hui la Saïa. C'est, au jugement de Pinto, la Sauga de Pline. (D.J.)


SALIAES. f. pl. on sous-entend virgines, (Hist. Rom.) filles qu'on prenoit à gage ; elles servoient le pontife à l'autel ; elles portoient l'apex & les paludamenta, & marchoient en dansant.


SALIANS. m. (Hist. nat.) oiseau du Brésil & de l'île de Maragnan ; il est de la grosseur d'un coq-d'inde ; il a le bec & les jambes d'une cigogne, & se sert de ses aîles avec aussi peu de facilité que l'autruche ; mais il est si promt à la course, que les chiens les plus légers ne peuvent l'atteindre. On le prend ordinairement dans des piéges.


SALICAIRES. f. (Hist. nat. Bot.) salicaria, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales, disposés en rond dans les échancrures du calice qui est en forme de tuyau. Le pistil s'éleve du fond du calice, & devient dans la suite un fruit ou une coque ovoïde, qui a deux capsules, & qui renferme des semences ordinairement petites, attachées au placenta, & enveloppées le plus souvent par le calice. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort compte dix especes de salicaire, & nomme pour la premiere, celle qui porte des fleurs purpurines, salicaria vulgaris purpurea, foliis oblongis. I. R. H. 253.

Sa racine est grosse comme le doigt, ligneuse, blanche, vivace ; elle pousse des tiges qui s'élevent quelquefois en bonne terre, jusqu'à la hauteur de cinq piés, roides, anguleuses, rameuses, rougeâtres. Ses feuilles sont entieres, oblongues, pointues, semblables à celles de la lysimachie, mais plus étroites, & d'un verd plus foncé ; elles sortent de chaque noeud des tiges, deux à deux, trois à trois, & environnent ensemble la tige.

Ses fleurs sont petites, verticillées au milieu des branches, ramassées en épis, purpurines, composées chacune de six pétales, disposées en rose, avec douze étamines d'un rouge pâle, qui en occupent le milieu.

Après la chûte des fleurs, il leur succede des capsules oblongues, pointues, couvertes & partagées en deux loges, remplies de semences menues. Cette plante croît abondamment aux lieux humides, marécageux, & le long des eaux ; elle fleurit en Juin & Juillet. On l'estime détersive & rafraîchissante ; mais elle est de peu d'usage.

M. de Tournefort est le premier qui ait nommé cette plante salicaire, salicaria, soit parce qu'elle vient communément parmi les saules, salices, ou plutôt parce que ses feuilles ressemblent à celles du saule. (D.J.)


SALICITES. f. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques naturalistes à une pierre composée de petits corps marins ou de pierres lenticulaires, qui étant posées sur le tranchant, présentent une figure semblable à celle des feuilles d'un saule. C'est la même pierre que l'on appelle aussi pierre frumentaire, lapis frumentarius helveticus.


SALICOQUEVoyez SQUILLE.


SALICORNIES. f. (Botan.) genre de plante dont voici les caracteres ; elle n'a qu'une feuille lisse, pleine de suc, semblable à un poireau, & composée d'écailles articulées comme le bouis. Sa fleur est à pétale, nue, & croît dans les endroits où les écailles s'unissent. Son fruit est une vessie qui contient une semence. Linnaeus caractérise ainsi ce genre de plante : le calice est de forme tétragonale, ventrue, tronquée & subtile ; il n'y a point de couronne à la fleur ; l'étamine est un filet unique, simple & chevelu ; la bossette de l'étamine est arrondie ; le germe du pistil est de forme ovale, oblongue ; le stile est placé sous l'étamine ; le stigma est fendu en deux ; il n'y a point d'enveloppe particuliere au fruit, mais le calice devient plus gros & contient une seule graine.

On ne compte qu'une espece de salicornie, nommée par Tournefort salicornia geniculata, annua, coroll. 51. Ses cendres sont d'un grand usage dans les manufactures de savon & dans les verreries. (D.J.)


SALICOTSterme de pêche, sorte de poissons. Description de leur pêche. La pêcherie du palais, lieu dans le ressort de l'amirauté de Marennes, sur la côte du Ponant, dans laquelle on fait la pêche de ces poissons, qu'on appelle la santé, salicots ou grand barbeau, est particuliere à ce lieu. Pour établir cette pêcherie, on plante dans la roche de petits sapins de vingt-deux à vingt-quatre piés de hauteur ; on les range en quarré, on les enfonce environ de deux piés, & on les dispose de maniere qu'ils se trouvent placés un peu en talut, pour les écarter par le bas, & leur donner une assiette plus ferme ; ensuite à cinq piés environ du bout d'en-haut, on forme avec des traverses une espece de plancher que l'on couvre de broussailles & de branches d'osier ; on fait aussi autour du quarré une enceinte de pareil clayonnage de la hauteur d'environ trois piés, la pêcherie est éloignée de la côte d'environ dix brasses à la pleine mer.

Pour former un accès facile à ces pêcheries, qui sont plusieurs sur différentes lignes, on plante à la côte d'autres perches au pié du rivage à la pêcherie ; ces perches ont deux traverses qui conduisent au premier palais ; la traverse d'en-bas sert aux pêcheurs de marche-piés ; & celle d'en-haut de soutien & de guide, ce qu'on appelle le chemin ou la galerie.

Cette pêche ne se fait que de haute-mer, & seulement depuis le mois de Mars & d'Avril, jusqu'à la fin de Juillet ; ce sont presque les femmes seules qui s'employent à cette pêche ; elles ont pour cet effet quatre à cinq trullottes, ou petites trulles, formées de la même maniere que celles des pêcheurs des monarts ; elles mettent à côté de cet instrument deux pierres pour le faire caler, & pour appât dans le fond du sac des cancres ou crabes dont on ôte l'écaille ; la trullotte est amarrée par un bout de ligne passée au-travers du bout du bouson qui est le morceau de bois, au travers duquel passe la croisée où est amarré le sac ; la femme qui pêche, releve de tems en tems & successivement ses trullottes, pour en retirer la santé qui s'y peut trouver.

Les gros vents, surtout ceux d'ouest & du sud-ouest, détruisent souvent ces pêcheries, qui sont libres, & dont on est obligé de renouveller tous les ans les sapins ; cette précaution n'empêche pas qu'il n'y arrive souvent des accidens, soit que les vents fassent tomber à la mer les femmes en allant dans leurs palais, ou que les pieux se cassent quand elles y sont à pêcher.

Il faut du beau tems & du calme pour faire cette pêche avec succès, elle ne dure que deux heures seulement toutes les marées : savoir, une heure avant le plein de la mer, & une heure après le jussant. Voyez nos Planches de Pêche, qui représentent ces sortes de pêcheries.


SALIENSS. m. pl. (Hist. anc.) nom qu'on donnoit autrefois à des prêtres de Mars qui étoient au nombre de douze, institués par Numa. Ils portoient des robes de différentes couleurs avec la toge bordée de pourpre, & des bonnets très-hauts faits en cône, à quoi quelques-uns ajoutent un plastron d'acier sur la poitrine.

On les appelloit Salii, du mot saltare, danser, parce que ces prêtres lorsqu'ils avoient fait leurs sacrifices, alloient par les rues en dansant ; ils tenoient à leur main gauche de petits boucliers, nommés ancilia, & à la droite une lance ou bâton, avec lequel ils frappoient en cadence sur les boucliers les uns des autres, en chantant des hymnes en l'honneur des dieux.

Il y avoit deux compagnies ou colleges de Saliens. Les anciens Saliens établis par Numa, s'appelloient Palatini : les autres institués par Tullus Hostilius, se nommoient Collini ou Agonales. Servius dit cependant qu'il y avoit deux colleges de prêtres Saliens, institués par Numa, savoir les Collini & les Quirinales : & deux autres classes instituées par Tullus, savoir les Pavorii & les Pallorii, c'est-à-dire prêtres de la peur & de la pâleur, que les Romains adoroient aussi-bien que la fievre. Il est assez douteux que ces derniers fussent véritablement du college des Saliens, puisque Plutarque assure que les véritables Saliens étoient les prêtres des dieux belliqueux, & la peur & la pâleur ne sont rien moins que des divinités guerrieres : à moins qu'on ne dise que dans les combats elles sont connues des vaincus, & en ce cas l'office des Pavoriens & des Palloriens auroit été de les détourner des armées romaines.

Les Saliens avoient coutume de chanter principalement une chanson ancienne, appellée saliare carmen ; & après la cérémonie, ils faisoient entr'eux un grand festin, delà vint le mot de saliares epulae, ou saliares dapes, pour signifier un bon repas.

Ces prêtres avoient un chef de leur corps, qu'on appelloit praesul ou magister saliorum. Il marchoit à la tête, & commençoit la danse : les autres imitoient tous ses pas & toutes ses attitudes. Le corps entier de ces prêtres étoit appellé collegium saliorum.

Festus Pompeius fait mention de filles Saliennes, virgines saliares ; qui étoient gagées par les Saliens pour se joindre avec eux dans leurs cérémonies. Ces filles avoient une espece d'habillement militaire, appellé paludamentum. Elles portoient de grands bonnets ronds comme les Saliens, & faisoient comme eux des sacrifices avec des pontifes dans le palais des rois : mais Rosin, l. III. des antiquités romaines, remarque que Festus est le seul auteur qui parle de ces prêtresses, & ne paroît pas adopter ce sentiment comme quelque chose de certain.

M. Patin, prétend qu'on voit la figure d'un prêtre Salien sur une médaille de la famille Saquinia. Cette figure porte un bouclier d'une main, & un caducée de l'autre. Mais elle paroît avoir le regard trop grave & trop tranquille pour un personnage aussi impétueux qu'étoient les Saliens dans leurs cérémonies, de plus le bouclier qu'elle porte, ne paroît point être le même que celui qu'on appelloit ancyle : car le bouclier de la figure est entiérement rond, & n'est échancré nulle part. Enfin peut - on supposer qu'un prêtre de Mars qui est le dieu de la guerre, eût été représenté ayant en main un caducée qui est le symbole de la paix ? Il y a donc apparence que cette figure dont M. Patin parle, n'est point celle d'un prêtre salien.

Au reste les Saliens avoient été en usage en d'autres villes d'Italie, avant que d'être établis à Rome, & Hercule avoit eu ses Saliens plus anciennement que Mars. Ceux de ce dernier devoient être de famille patricienne, & ils étoient reçus fort jeunes dans ce college, puisque Marc Aurele y fut admis à l'âge de huit ans. On dit que leurs filles ne pouvoient être du nombre des vestales. Outre les anciens Saliens, fondés par les rois de Rome, on en trouve d'autres, nommés Augustales, Hadrianales, Antonini, qu'on croit avoir été des prêtres consacrés au culte de ces empereurs après leur apothéose.


SALIERES. f. (ustensile de ménage) sorte de petit vaisseau de bois qu'on remplit de sel, & qu'on pend au jambage de la cheminée pour le faire sécher.

SALIERE, s. f. (Gram.) ustensile domestique, autre petit vaisseau plat de crystal, de verre, de fayance, d'or & d'argent, qu'on remplit de sel égrugé, & qu'on met sur la table.

SALIERE, (Littérat.) salillum, salinum, concha salis ; les anciens mettoient le sel au rang des choses qui devoient être consacrées aux dieux ; c'est dans ce sens qu'Homere & Platon l'appellent divin. Vous croyez sanctifier vos tables en y mettant les salieres & les statues des dieux, dit Arnobe. Aussi n'oublioit-on guere la saliere sur la table ; & si l'on avoit oublié de la servir, on regardoit cet oubli comme d'un mauvais présage, aussi-bien que si on la laissoit sur la table, & qu'on s'endormît ensuite. Festus rapporte à ce sujet l'histoire d'un potier, qui à ce que croyoit le vulgaire, avoit été puni par les dieux de cette faute ; s'étant mis à table avec ses amis près de sa fournaise toute allumée, & s'étant endormi pris de vin, & accablé de sommeil, un débauché qui couroit la nuit, vit la porte ouverte, entra, & jetta la saliere au milieu de la fournaise, ce qui causa un tel embrasement, que le potier fut brûlé avec la maison. Cette superstition n'est point encore éteinte dans l'esprit de beaucoup de gens, qui sont affligés, si un laquais a oublié de mettre la saliere sur la table, ou si quelqu'un vient à la renverser. Les Romains avoient pris des Grecs ce scrupule ridicule qui a passé jusqu'à nous.

Festus nous apprend encore sur l'usage des salieres à Rome ; qu'on mettoit toujours la saliere sur la table, avec l'assiette dans laquelle on présentoit aux dieux les prémices ; sa remarque nous procure l'intelligence de ce passage de Tite-Live, lib. XXVI, ch. xxxvj. Ut salinum, patellamque Deorum causâ habere possint. " Qu'ils puissent retenir une saliere & une assiette, à cause des dieux. " C'est encore la même remarque qui sert à éclaircir ces vers de Perse, satyre iij.

Sed ruri paterno

Est tibi far modicum, purum & sine labe salinum

Quid metuas ? Cultrixque foci secura patella.

" Que craignez-vous ? Vous avez un joli revenu de votre patrimoine ; votre table n'est jamais sans une saliere propre, & sans l'assiette qui sert à présenter aux dieux les prémices. "

Souvent les salieres que les anciens mettoient sur leurs tables, avoient la figure de quelque divinité. Sacras facitis mensas salinorum appositu & simulacris Deorum. Horace a dit de même.

Splendet mensa tenui salinum.

L'ancien commentateur a observé sur ce vers, que salinum propriè est patella, in quâ diis primitiae cum sale offerebantur, Stace confirme cet usage.

Et exiguo placuerunt farre salina.

Tite-Live, l. XXVI, ut salinum patellamque deorum causâ habeant. Valere-Maxime, en parlant de la pauvreté de Fabricius & d'Emilius : uterque, dit - il, patellam Deorum, & salinum habuit.

Ce fait présupposé, il n'est plus surprenant que les Romains se soient imaginés que la divinité qui présidoit à la table, se tînt offensée, lorsque sans respect on renversoit le sel ; mais on doit s'étonner de ce que dans le christianisme, des personnes, d'ailleurs éclairées, soient encore dans ces idées ridicules, de craindre quelque malheur à cause du renversement d'une saliere. (D.J.)

SALIERE, en terme de Diamantaire, c'est un ustensile de bois, monté sur une patte, & dont la partie supérieure un peu creusée en forme de saliere, reçoit dans un autre trou fait à son centre & qui descend assez bas, la coquille sur laquelle on monte le diamant en soudure. Voyez METTRE EN SOUDURE, & la fig. Pl. du Diamantaire. R la saliere, S, la coquille dans laquelle est monté un diamant.

SALIERES, (Maréchall.) Les salieres du cheval sont à un bon pouce au-dessus de ses yeux. Lorsque cet endroit est creux & enfoncé, il dénote un vieux cheval, ou un cheval engendré d'un vieil étalon. Les jeunes chevaux ont cet endroit ordinairement plein de graisse, laquelle s'affaisse en vieillissant, & devient creux à-peu-près comme celui d'une saliere où l'on met du sel.


SALIÉS(Géogr. mod.) bourgade de Gascogne, dans le Béarn ; elle est remarquable par ses deux sources d'eau salée qui sont très-abondantes. (D.J.)


SALIGNAC(Géog. mod.) autrefois petite ville, aujourd'hui petit bourg de France dans le haut Périgord, célebre pour avoir donné son nom à la maison dont étoit issu l'illustre Fénélon, archevêque de Cambrai. Son Télémaque immortalise sa mémoire. Long. 18. 56. lat. 45. 38. (D.J.)


SALIGNIMARBRE, (Lithol.) Le marbre nommé saligni, est un certain marbre d'Italie, qui ressemble à une congelation. Il a le grain fort rude & fort gros, est un peu transparent, & jette un brillant semblable à celui qui paroît dans le sel, d'où lui vient son nom. (D.J.)


SALIGNONS. m. (Salines) pain de sel blanc qui se fait avec l'eau des fontaines salées, qu'on fait évaporer sur le feu. Ces sortes de pains se dressent dans des éclisses comme des fromages, avant qu'ils ayent pris entierement leur consistance ; on en fait aussi dans des sebilles de bois. Le sel de Franche-Comté & de Lorraine se fait en salignon. Savary. (D.J.)


SALINadj. (Gram.) où l'on remarque le goût du sel, ou qui est de la nature du sel. Cette substance est saline. On trouve au sang un goût salin.

SALIN, s. m. (terme de regrattier de sel) Dans le commerce de sel à petite mesure, on appelle le salin une espece de bacquet de figure ovale, dans lequel les vendeuses renferment le sel qu'elles débitent aux coins des rues de la ville de Paris. Quelques-unes l'appellent saniere. Trévoux. (D.J.)


SALINASSALINAS


SALINELLOLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze ultérieure. Elle a sa source aux montagnes près d'Ascoli, & se jette dans le golfe de Venise, entre les embouchures de Vibrato & du Tordino. (D.J.)


SALINESusines où l'on fabrique le sel. Il y a les marais salans où tout le travail tend à tirer le sel des eaux de la mer ; & les fontaines salantes, où tout le travail tend à tirer le sel marin des fontaines qui le tiennent en dissolution. Nous allons exposer ce qui concerne ces différens travaux, & commencer par les marais salans.

Des marais salans. Pour la construction de ces sortes d'édifices, il faut une terre argilleuse ou terre glaise qui ne soit nullement pierreuse ; si le fonds de cette terre tire sur le blanc, elle fera le sel blanc : ce sel est propre à la saliere : les Espagnols & les basques l'enlevent.

Si le fond se trouve rougeâtre, le sel tirera sur la même couleur ; mais le fonds du terrein sera plus ferme : il est propre pour le commerce de la mer Baltique.

Si le sel est verd, il vient d'un terrein verdâtre, il est propre à la salaison de la morue, du hareng & de toutes sortes de viandes ; le sel gris que l'on nomme sel commun, est le même sel que le verdâtre, mais il est plus chargé de vase.

Il faut toujours tâcher d'établir ses marais en un lieu autant uni que faire se pourra, & veiller à ce que les levées que l'on fera du côté de la mer empêchent l'eau de passer dessus : il est très-important de faire cette observation avant que de construire les marais, sur-tout ceux qui sont au bord de la mer, les autres n'en ont pas besoin. Lorsque l'on a trouvé le terrein, comme on le desire, il faut observer de situer autant qu'il est possible, les marais, de maniere à recevoir les vents du nord-est & un peu du nord-ouest. Car les vents les plus utiles sont depuis le nord-ouest, passant par le nord jusqu'à l'est-nord : les autres vents sont trop mous pour faire saler ; il ne faut pas ignorer qu'un vent fort & un air chaud font saler avec promtitude.

Pour construire un marais, l'on choisit la saison de l'hiver ; alors les laboureurs sont moins occupés, leurs terres sont ensemencées ; mais on peut les construire en tout tems, lorsqu'on a des ouvriers. Il est à propos d'avoir un entrepreneur dont le prix se regle par livre de marais ; c'est l'entrepreneur qui paye ses ouvriers, à moins qu'un particulier ne fît travailler à la journée. Pour la conduite du marais il faut un homme entendu à la planimétrie, & qui ait la connoissance du flux & reflux de la mer, afin de faire creuser le jas, & de poser la vareigne ; ces deux points importent beaucoup à ce qu'un marais ne puisse manquer d'eau en aucun tems ; c'est en quoi la plus grande partie des marais de la saline de Marenne péche, faute d'expérience des constructeurs. Il seroit à souhaiter que tous les maîtres de marais fussent au fait de l'arpentage, & c'est ce qui n'est pas ; ils se contentent pour la plûpart de mesurer le tour d'une terre, & d'en prendre le quart, qu'ils multiplient par le même nombre pour avoir le quarré : cette méthode peut passer pour les terreins quarrés, mais elle devient insuffisante quand la terre a plusieurs angles rentrans. On sent combien il est important que celui qui a la conduite de l'ouvrage, connoisse le local du marais par pratique.

Chaque marais devroit avoir son jas à lui seul pour plus grande commodité ; on peut cependant les accoupler, comme il paroît sur notre plan, & sur celui de la prise du marais de Chatellars ; le marais en seroit toujours mieux, les sauniers seroient moins paresseux à fermer la vareigne ou écluse, & ne se remettroient pas de ce soin les uns aux autres, ce qui fait que bien souvent le marais manque d'eau. Il faut que la sole du jas ne soit élevée que de six pouces au plus, au-dessus du mort de l'eau ; par ce moyen, lors même que l'eau monte le moins, le marais ne peut en manquer ; il ne faut prendre que deux piés d'eau au plus, quoiqu'on en puisse prendre jusqu'à six dans la plus forte maline, ou au plus gros de l'eau, voilà sur quoi on doit se régler. Pour la vareigne, elle auroit huit piés de haut sur deux de large, qu'il ne faudroit pas de portillons, quoique les sauniers en demandent toujours ; ce portillon est sujet à bien des inconvéniens, le saunier se fiant sur ce que le portillon doit se refermer de lui-même quand la mer se retire, ne veille pas à son écluse, cependant le portillon s'engage, le jas se vuide & devient hors d'état de saler, si c'est sur la fin de la maline ; lorsque la maline d'après vient, le saunier prend de l'eau de tous les côtés, cette eau est froide, elle échaude le marais qui par conséquent devient bien souvent hors d'état de saler de plus d'un mois & par delà ; s'il avoit la précaution de mettre l'eau peu-à-peu, il ne tomberoit jamais dans cet inconvénient, le marais ne se refroidiroit pas.

Ensuite on fait les conches à même niveau, & on place le gourmas entre les conches & le jas, comme il est figuré A A, & au plan à la lettre P. Le gourmas est une piece de bois percée d'un bout à l'autre, à laquelle on met un tampon du côté des conches ; on l'ôte pour faire courir l'eau du jas aux conches avec vivacité ; mais quand il y a 5 à 6 pouces d'eau sur les conches, on le remet pour se servir ensuite des trous qui sont dessus le gourmas au nombre de 4 à 5, d'un pouce de diamêtre ; le gourmas est sous l'eau au niveau de la solle, du jas, & des conches ; on le referme avec des chevilles ; quand le saunier prend de l'eau des conches pour entretenir les conchées & le maure, il ouvre une ou deux chevilles, & quelquefois les quatre, pour que l'eau vienne moins vîte que par sa voie ordinaire, & par conséquent elle refroidit moins l'eau des conches.

Le maure est un petit canal d'un pié environ de largeur, marqué par la lettre S ; il fait le tour du marais un pouce plus bas que les conches ; lorsqu'il est au bout, il entre dans la table marquée D, & passe par divers pertuis marqués d d ; le pertuis est un morceau de planche percé de plusieurs trous, qui sont bouchés avec des chevilles, pour ménager l'eau nécessaire dans les tables qui ont au plus 2 pouces à 2 pouces 1/2 d'eau ; de la table il va au muant marqué F, où il conserve la même hauteur d'eau ; du muant il entre par l'endroit marqué O dans le brassour désigné par les lignes ponctuées.

On fait au bout du brassour, avec la cheville V, qui a un pié de long sur huit lignes de diamêtre, des petits trous entre deux terres marqués e, e, e, e, au plan ; c'est par ces trous que l'on fait entrer un pouce d'eau au plus dans les aires pour faire le sel ; l'aire est de deux pouces plus bas que le brassour & le muant ; quand on voit qu'il y a assez d'eau dans les aires pour faire le sel, on referme les trous, en frottant le dedans du brassour avec une pelle marquée T ; on oblige les terres de se rapprocher & de boucher la superficie du trou, pour qu'il n'entre plus d'eau, & le trou reste fait.

Un bon marais doit avoir pour le muant 32 à 33 piés de largeur ; la longueur n'est pas fixe ; les tables avec le maure 30 piés. On met quelquefois une velle marquée H aux deux tiers de largeur du côté du marais, & un tiers du côté des bosses ou morts. Les aires ont 18 à 19 piés de longueur, sur autant de largeur ; elles sont inégales aux croisures de la vie marquée G, qui a 4 ou 5 piés de longueur. Les velles des deux côtés des aires sont de 18 pouces, & en-dedans de 17 piés. Ce sont les beaux marais qui sont faits sur ces proportions. Les aires des croisures qui font les chemins de traverse qui servent à porter le sel sur la bosse, sont plus petites, attendu que leur largeur est prise sur les aires les plus proches de ces mêmes croisures. Cet inconvénient se pourroit corriger si on vouloit y prêter attention : il y a de largeur 180 piés. Celui des marais de Chatelars a dans son milieu 126 piés de large, & au bout 162 ; c'est pourquoi il ne peut avoir que trois rangs d'aires, encore est-il gêné pour ses vivres. Sa longueur est de 195 toises. Quand on fait des marais, la longueur n'est pas déterminée, on se conforme au terrein ; observant cependant que le plus long est le meilleur.

Dans les anciens marais les jas n'ont pas de proportion, mais la grandeur de celui-ci est proportionnée au nombre de livres de marais : il a 19 toises. Les terres d'un jas de cette grandeur sont commodes à faire à cause du charroi ; l'étendue n'en étant pas considérable, rend le transport des terres facile. Les bosses entre jas & marais ont 8 toises ; elles seroient meilleures à 12 & même à 16, comme celles d'entre les deux jas, qui ont 15 toises & demie. La longueur s'en fait aussi à-proportion du marais. Les conches qui répondent aux jas par les gourmas marqués P sur une partie du marais mise en grand pour que l'on voye mieux le cours des eaux qui entrent du même jas dans chaque gourmas ; ces conches, dis-je, sont séparées par une petite velle au milieu, qui fait que quoique la vareigne soit commune aux deux jas, & que les jas ayent communication l'un dans l'autre, les conches sont séparées, elles ont leurs eaux à part ; ces conches ont 182 piés de largeur, mais elles ont sur le côté du marais une petite conche de six toises de large, la longueur en est indéterminée au-moins pour les marais que l'on voudroit construire, car le jas, le marais & les conches qui sont sur ce plan font voir ce que l'on peut faire de livres de marais sur un terrein de 64362 toises quarrées, dont 900 font le journal. Les marais faits suivant ce plan, tant les marais réguliers que ceux qui ne le sont pas, font ensemble 38 livres une aire, savoir 20 carreaux à la livre ; chaque livre a sur les vivres du marais à proportion comme sur les bosses, tables, muants, conches, jas & sarretieres, s'il s'en rencontre aux propriétés du marais. Il faut observer que beaucoup de jas servent à plusieurs marais ; ils ont un nombre d'écluses : celui qu'on nomme jas de l'épée, qui est devenu gaz, ou perdu, avoit, lorsqu'il servoit, 23 vareignes ; il fournissoit près de 200 livres de marais ; il n'étoit pas meilleur pour cela.

Les marais se mettent au coy au mois de Mars. Pour vuider les eaux par le coy, lettre K & H, on observe de boucher les conduits des tables pour qu'elles ne vuident pas ; on largue, on vuide l'eau du muant, ensuite avec le boguet P, on commence à nettoyer celles des aires qui sont au haut du marais, & l'on renvoye l'eau au muant, pour qu'il vuide toujours au coy : c'est ce que l'on appelle limer un marais. Quand les aires sont nettoyées, on en fait autant au muant ; ensuite pour faire passer les eaux des tables au muant & par les brassours, on garnit les aires pour qu'elles ne sechent pas trop. On nettoye les tables, on fait venir l'eau des conches par le maure qui se rend aux tables, & le marais est prêt à saler. Le saunier devroit aussi nettoyer les conches, les eaux en seroient plus nettes. On jette les boues sur les bosses avec un boguet S ; il commence quelquefois à saler au mois de Mai, mais c'est ordinairement au mois de Juin, ce qui dure jusqu'à la fin de Septembre, quelquefois même jusqu'au 10 ou au 15 Octobre, mais cela est rare. Dans toutes les malines qui sont ordinairement au plein & au renouvellement de la lune, on se sert du gros de la mer qui est environ trois jours avant ou après le plein, pour recevoir de l'eau ; les malines qui sont faites de façon que les marées sont à trois piés & demi au-dessus du mort de l'eau, manquent ordinairement au mois de Juillet, tant par la faute des sauniers, que par la mauvaise construction des jas.

On connoît que le sel se forme quand l'eau rougit ; c'est en cet état qu'étant réchauffé par le soleil & par le vent, il se crême de l'épaisseur du verre : alors on le casse, il va au fond, & c'est ce qu'on nomme le brasser ; il s'y forme en grains gros comme des pois, pour lors on l'approche de la vie G avec le rouable qui sert à nettoyer le marais ; ensuite on prend l'outil Q, qui se nomme le servion : il ne differe du rouable qu'en ce qu'il est un peu plus panché, & qu'il a le manche plus court. On s'en sert pour mettre le sel en pile sur la vie ; & lorsque le marais est tiré d'un bout à l'autre, on le porte sur les piles ou pilots faits en cône ; il y a aussi des piles qui sont ovales par le pié, & qui vont en diminuant par le haut, telles qu'on les voit au côté du cartouche où je représente les charrois ; ces piles se nomment vaches de sel. A mesure qu'on tire le sel sur la vie, on garnit les aires de nouvelle eau, pour la préparer à saler. Quand un marais commence à saler, il ne donne du sel que tous les huit jours ; & lorsqu'il s'échauffe, on en tire deux & trois fois par semaine : il s'en est vû même, mais cela est rare, d'où l'on en tiroit tous les jours.

Il est bon d'observer que quand un marais est en train de saler, ou trop échauffé à saler, & qu'il passe des nuages qui donnent un brouillard un peu fort ; le marais en sale beaucoup plus, parce qu'il anime la sole du marais ; & quand il ne mouille pas, on rafraîchit le marais par les faux gourmas marqués b sur le plan ; ce qui empêche que l'eau dans sa course ne se refroidisse ; on abrége en outre son chemin par des petits canaux qui viennent de la table au muant, dont un est marqué g g ; ils sont rangés de distance en distance, comme ceux que l'on nomme faux gourmas : je n'en ai marqué que quelques-uns, pour éviter la quantité des lettres répétées ; j'ai fait de même pour les brassours marqués O, & j'ai seulement ponctué les autres pour faire connoître les petits canaux qui servent à faire entrer l'eau dans ceux qu'on nomme porte-eau de la table ; on fait au muant comme on a fait aux aires, avec le piquet & la palette, pour mettre le sel sur la pile ; on se sert pour cela d'un sac garni de paille ; on le nomme bourreau Y. Un homme le met sur ses épaules ; un second tenant deux morceaux de bois ou de planche, nommés seaugeoire, longs de 8 pouces, sur 2 de large, avec une poignée, figure b b, s'en sert pour remplir le panier X, & le met sur le dos de celui qui a le sac ; celui-ci court toujours, & monte sur la pile. Quand il sale beaucoup, ces gens sont tourmentés par un mal qui leur vient aux piés, & que l'on nomme seaunerons ; mais il n'est pas dangereux, quoiqu'il cause de vives douleurs ; il leur survient encore des crevasses en divers endroits des mains. Quand on veut avoir du sel à l'usage de la table, on leve la crême qui se forme sur l'eau ; ce sel est d'un grain très - fin, & blanc comme de la neige.

Lorsqu'il ne sale plus, on laboure & on ensemence les terres : cet ouvrage se fait à bras, parce qu'on ne peut le faire autrement. Dans l'usage du marais, on se sert d'un outil appellé serrée R, que le saunier nomme la clé du marais, parce qu'effectivement c'est l'instrument le plus utile à sa construction. Il est d'égale grosseur d'un bout à l'autre ; & de plus il a des pointes à l'un de ses bouts qui vont en s'élargissant ; voilà sa vraie forme, & non celle que des auteurs différens de plans de marais lui ont donnée. On doit remarquer encore qu'ils ont mis leur échelle de 200 toises, quoiqu'elle ne soit que de 33 toises 4 piés ; en outre, sur leur plan, ils prennent la fosse du gourmas R, pour le jas ou jars ; ils posent la vareigne T, où elle ne peut être ; parce que où est S, doit être un morceau du jas, & non à l'endroit marqué R. Par conséquent ils mettent un chenal à l'autre bout du marais, & c'est celui qui doit répondre à l'écluse qui va au jas. Ces auteurs ont été mal instruits ; d'ailleurs tout leur marais est fort bon en corrigeant ces fautes d'explication. De plus ils font encore voir le bout du brassour ouvert en correspondance des aires, ce qui n'est pas ; c'est avec le piquet que l'on communique l'eau, comme je l'ai dit ailleurs ; sa coupe ne doit avoir que 5 pouces au plus d'élévation ; & sa hauteur environ 5 piés ; les piles de sel doivent avoir 10 & 12 piés pour les plus hautes ; la leur seroit de 25 piés, ou suivant leur échelle de 25 toises ; ce qui ne peut être. On aura dans nos Planches la prise du marais de Chatelars qu'on a levée sur les lieux avec les mesures les plus justes ; l'on y voit où la vareigne est posée, le tour que les eaux font pour se rendre au muant ; c'est le vrai chenal, le jas, & tout ce qui en dépend. On apperçoit sur notre plan régulier, la course des eaux, à commencer à la vareigne, jusqu'à la coiment où elle va se rendre : l'eau parcourt 2380 toises sur un seul côté du marais, & autant, à quelque chose près, de l'autre côté. Le jas contient 2406 toises 54 piés cubes d'eau, ou environ, en supposant que le jas a deux piés.

Explication des outils. 30. Le rouable est un morceau de planche long de 2 piés, & large de 3 pouces & demi. Au milieu est une mortaise quarrée où l'on fait entrer de force un manche, nommé queue du rouable, long de 10 à 11 piés ; on s'en sert pour nettoyer le marais, & pour pousser les boues ou faignes au bord du marais : il sert aussi à brasser le sel quand il se forme, & à le pousser au bord de la vie.

40. Le servion est un morceau de planche, large de dix pouces, sur un pié de haut mis en pente ; le manche a 4 piés & demi ou 5 piés de long ; il a de plus un support qui le traverse, & qui va aboutir par un bout à l'autre extrêmité de la planche ; on s'en sert à retirer le sel du bord de la vie ; on met le sel en pile dessus pour égoutter ; c'est pour cela qu'il est percé de plusieurs trous.

32. Le boguet est une pelle de deux morceaux, comme on le voit au plan ; le manche a 4 à 4 piés & demi de long ; on s'en sert pour jetter sur les côtés des bosses les boues qui leur servent de fumier ; ces terres de marais étant grasses ou argilleuses sont aussi très-légeres, & par conséquent très-bonnes pour les semences.

26. Les saugeoires sont deux petits morceaux de planche longs de 9 à 10 pouces, sur 2 & demi de large ; sur le milieu de l'extrêmité du haut sont cloués deux petits morceaux de bois, longs de 4 pouces ; ils servent de manche pour les prendre de plat en chaque main ; c'est avec quoi on met le sel dans le panier.

24. Le panier est grand de deux piés ; il en a un de largeur, & sept de profondeur ; on en a plusieurs ; il sert à prendre le sel sur la vie pour le porter sur la pile, pilot, cône, ou vache de sel.

27. Le bourreau est un sac où l'on met un peu de paille ; celui qui porte le sel le met sur son épaule pour empêcher le panier de le blesser.

36. La serrée R, que le sommier nomme la clé du marais, sert à le construire, à boucher & déboucher les pertuis, à raccommoder les velles lorsque l'eau les gâte, ou à raccommoder les trous que les cancres pourroient faire au chantier des claires ou levées.

V. Le picquet est un morceau de bois pointu, long de 10 à 11 pouces, sur 10 à 11 lignes de diamêtre ; il sert à faire les trous au bout du brassour, pour faire entrer l'eau aux aires.

T. La patelle sert à reboucher la superficie des trous du côté du brassour ; elle sert aussi à déboucher les lames d'eau qui prennent l'eau des tables au muant & ailleurs.

41. La beche sert à donner le premier labour aux bosses, le vrai terme est rompre les bosses ; on se sert au second labour d'un outil appellé fesour ou marre.

25. La pelle est d'un seul morceau, longue de 3 piés 1/2, le bas est large de 9 pouces sur un pié de long ; elle est creuse en-dedans, & arrondie vers le manche ; elle sert à prendre le sel à la pile pour le mettre dans des sacs, où se fait le charroi, & à bord à jetter le sel de la barque à bord du navire, c'est ce que l'on nomme lemper. Il tombe sur le pont, d'où on le met dans le boisseau pour le mesurer, avant de le laisser tomber dans le panneau du navire pour aller à fond-de-cale ; alors on se sert de pelles pour le jetter également en avant & en arriere du navire pour faire son chargement.

37. Le boisseau est une mesure qui peut avoir en hauteur 17 pouces, sur 11 1/2 de large par en-haut, & 11 pouces par en-bas ; il tient, mesure de Brouage, 31 pintes 1/2 d'eau, il est fait de mairain & cerclé comme un tonneau ; il a de plus deux oreilles, où est attaché ou amarré un bout de corde long de 2 piés, que deux hommes tiennent pour le renverser en présence d'un commis des fermes & du mesureur. Le mesureur est un homme qui a prêté serment à l'amirauté en présence de deux négocians.

28. Les gaffes sont de diverses grandeurs, il y en a de 20 à 25 piés de long, elles servent au transport du sel ; les barques, par exemple, qui le transportent s'en servent pour pousser, quand elles veulent monter ou descendre d'un chenal ; on dit monter un chenal, pour dire y entrer, & descendre un chenal pour en sortir, il y a une petite gaffe de 6 à 7 piés de long qui sert au bateau de la barque ; 31. la fourche sert au même usage.

Le salé ou trident est un instrument très propre à prendre des anguilles au jas & aux conches.

28. Le sard blanc est une herbe dont on nourrit les chevaux, c'est celle que l'on met sur les huîtres qu'on porte à Paris.

33. Sart ou selin est un sart qui est rond, plein d'eau & de noeuds.

40. Autre espece qu'on appelle sart brandier ; le saunier en fait des balais pour nettoyer les aires où il bat son grain.

35. Autre espece nommée sart lisop, il est bon pour les douleurs & pour prendre les bains.

34. Le tamarin est une plante dont le bois brûle tout verd, il sert aux sauniers pour se chauffer ; ils en font aussi des cercles pour les petits barrils dans lesquels ils portent leur boisson à l'ouvrage.

Du charrois du sel. Les piles de sel sont de diverses formes ; les unes sont rondes, les autres longues, arrondies sur les bouts, & couvertes avec de la paille dont on a retiré le grain, ou avec une herbe qui vient dans les marais jas ou perdus que l'on nomme ronche ; on a soin de la tremper auparavant dans l'eau salée, pour empêcher les corbeaux ou groles de les découvrir l'hiver ; on ne découvre que le côté de la pile qu'on veut entamer, ce que l'on fait au nord de la pile autant qu'on le peut, par ce moyen on perd moins de sel, si on est surpris par le mauvais tems ; c'est une précaution que doit avoir le juré ; le juré est le maître du charroi, c'est lui qui fait agir & qui paye ; il tient un livre coté & paraphé qui se nomme livre de retallement ; il y écrit le jour qu'a commencé & fini le charroi, la quantité de muids, de bosses ou ras, & les sacs qui sont de surplus du muid ; ce livre fait foi en justice, parce que le juré a prêté serment.

Le charroi se fait en présence du commis des fermes qui en prend compte, pour être d'accord avec celui du bord du navire ; il met un homme à bécher le sel, un autre à remplir les sacs, & un troisieme pour les charger & les arranger sur les chevaux dont le nombre est limité par le juré, suivant le chemin qu'il y a à faire ; les chevaux sont conduits par des jeunes gens de douze à treize ans, on les nomme asniers ; l'endroit où on prend le sel se nomme l'attelier ; l'asnier à pié conduit les chevaux au bord de la barque, là un homme exprès pour cela ouvre un peu le sac & le laisse tomber dans une poche que lui présente un autre homme, pour pouvoir prendre le sac de dessus le cheval sans qu'il soit lié ; cela fait, un troisieme vient par-derriere & renverse le sac sur celui qu'on nomme le déchargeur, celui qui renverse se nomme le pousse-cul, & celui qui reçoit le sel dans son pochon, le porteur de gagne. Le pousse-cul suit le déchargeur sur la planche, & lorsqu'il est au bout, il saisit les extrêmités du sac qu'il soutient ; alors le déchargeur largue ou lâche son bout, & tout le sel tombe, aussi-tôt le pousse-cul rapporte le sac à l'ânier, qui monte sur le cheval & retourne en courant à l'attelier.

On se sert de la planche O au plan pour aller de la barque à terre & pour le charroi du sel ; on la nomme planche de charge, elle a d'ordinaire 36 à 40 piés de long, sur 18 à 20 pouces de large, & 3 à 3 pouces 1/2 d'épaisseur. Une barque à charge est une barque vuide ou qui vient de vuider, qui a monté à la charge que le marchand lui a indiqué.

Il y a plusieurs barques dans un seul chenal ; on est quelquefois obligé de les haler, soit parce que le vent est contraire, soit parce qu'il n'en fait pas du-tout ; pour y suppléer, ces barques ont un petit bateau que le mousse mene pour passer celui qui hale, lorsque la mer est haute & qu'il se rencontre un ruisseau qu'il ne sauroit passer sans ce secours, comme on le voit au plan ; 15 la barque, 16 l'homme, 17 le bateau & le mousse.

Un ruisseau est un petit chenal ou canal à l'usage des marais, le chenal en fournit beaucoup de ses deux côtés.

Quand les barques sont chargées, elles mettent dehors du chenal ; si le vent est bon, elles appareillent, c'est-à-dire qu'elles hissent ou haussent leurs voiles qui ne sont que deux, la grand voile & un faux socq. Dès qu'elles sont dehors du chenal, elles mouillent si le navire n'est pas prêt, & attendent qu'il soit arrivé pour vuider. Quelquefois les barques sont chargées, & le navire est encore en Hollande ; cela arrive lorsque le navire est obligé de relâcher pour quelque raison que ce soit. Le bourgeois ou marchand ayant reçu avis du départ de son navire sitôt qu'il est hors du port, fait charger ses barques ; & comme le navire est retardé dans son cours, il faut qu'elles attendent son arrivée ; les marchands s'entre-aident en ces occasions en se donnant les uns aux autres du sel qu'ils se rendent ensuite.

Explication du marais, jas & conches. A Les bosses sont des terreins qui appartiennent au maître du marais, mais les grains, les potages, & tout ce qui s'y recueille appartient au saunier, le maître n'y prétend rien ; il y en a cependant quelques-uns qui ont une espece de gabelles dessus, par exemple, une ou deux mesures de pois ou de fêves ; cette mesure pese environ 37 livres, d'autres ont 2 à 3 1/0 d'huîtres ; mais il n'en est pas de même du sel, le propriétaire en a les 2/3, & est sujet aux réparations des jas, conches & vareignes ; le saunier a son 1/3 quitte. Le maître a la liberté de vendre son sel sans consulter le saunier, & le saunier ne peut en vendre sans un ordre de son maître ; mais avec un ordre, il peut vendre & passer police avec les marchands. Plusieurs maîtres de marais laissent leur procuration à des personnes du lieu, qui ont soin de vendre le sel, de veiller sur les sauniers & de prendre leurs intérêts en tout.

B Le jas est le plus grand réservoir, on y met deux piés d'eau, comme je l'ai dit ailleurs.

E Les conches reçoivent l'eau du jas ; on en modere la hauteur par les gourmas, en ne laissant entrer que 4 à 5 pouces d'eau qu'on entretient par les chevilles du gourmas.

S Le mors est un petit canal qui reçoit l'eau, la conduit autour du marais, & retourne dans la table D par un pertuis ; ce pertuis est un morceau qui arrête l'eau du mors, & qui au moyen des petits trous qui y sont & qu'on bouche avec des chevilles, ne laisse entrer dans la table qu'autant d'eau que le saunier juge à propos. Quand il y a deux pouces d'eau dans la table qui élonge le marais d'un bout à l'autre, l'eau entre par les deux bouts dans le muant F ; le muant qui est au milieu du marais, fournit les petits canaux de 6 pouces de large, nommés brassours O, & les brassours par le moyen d'un piquet en fournissent aux aires ; l'aire est de deux pouces plus bas que le muant, & n'a que 3/4 de pouce de hauteur d'eau.

G La vie du marais est un chemin entre les deux grands rangs d'aires élevé de 5 pouces au plus, & large de 4 à 5 piés ; c'est sur la vie qu'on retire le sel.

H Velles de marais ou de conches sont celles qui entourent les aires, ou qui séparent les eaux de la table en divers endroits, comme aux conches ; elles ont, comme la vie, 5 pouces de haut, font faire aux eaux tous les détours nécessaires, & font qu'elles ne se communiquent que quand le saunier le juge à propos ; au bout de ces velles, les eaux se détournent, c'est ce qu'on nomme les aviraisons, ce qui signifie en terme de saunier détourner l'eau ; elles ont depuis 11 jusqu'à 13 & 14 pouces de large.

K Anternons sont des levées qui sont à la traverse des marais, elles sont aussi hautes que larges, c'est à ces passages qu'on met plusieurs pertuis. Il y a de distance en distance des levées plus larges, qu'on nomme croisures, elles sont aussi larges que les vies ; on s'en sert pour porter le sel sur les bosses.

R Le coi est un morceau de bois percé d'un bout à l'autre, il sert à vuider le marais pour le nettoyer. Quand le marais manque d'eau & que la vareigne ne peut en prendre, on en prend par le coi ; mais cette ressource est mauvaise & désavantageuse pour le maître du marais, parce que cette eau est trop froide.

V b sont des gourmas faits comme celui qui est marqué P, on les appelle faux-gourmas, parce qu'ils ne tirent pas l'eau du jas, mais des conches en droiture. On en met plusieurs qui servent à rafraîchir le marais quand il sale trop, & que le sel n'est pas de qualité requise.

e e Les sarretieres.

h h est une loge ou cabane où couche le saunier pendant l'été.

f f Les clairées ou réservoirs sont ordinairement au-bas des sarretieres où le premier occupant les a faites ; elles n'appartiennent pas au marais, à-moins que le maître ne les ait fait faire à ses dépens : le premier qui les a fait construire en est propriétaire, on les fait sans aucune mesure, elles couvrent un chantier élevé qui est entre les deux de chaque côté de 4 à 5 piés de large, sur 2 piés à 2 piés 1/2 de haut. Tous les terreins paroissent les mêmes, mais ils ne font pas tous les huîtres aussi bonnes, elles sont moins vertes dans une partie des sarretieres que dans l'autre. Du côté de la Sendre, entre le chenal des faux & le chenal de Marennes elles sont très-inférieures ; entre le chenal de Marennes & celui de Lusac un peu meilleures ; entre celui de Lusac & celui de Recoulenne, elles sont les meilleures de la saline : mais au-dessous du chenal des faux elles ne reverdissent pas. Pour élever de bonnes huîtres, il faut avoir au-moins quatre clairées, dont on laisse une toujours vuide. On pêche les bonnes huîtres sur les sables & les rochers de daire, elles sont de la grandeur d'un denier ou d'une piece de 24 sols au plus, il ne faut pas qu'elles soient épaisses : on les porte dans une clairée où on les laisse deux ans ; au bout de ce tems, on sépare celles qui sont en paquet, ce qui est commun, sans blesser les tais ou écailles, & on les met dans une seconde clairée où on les range une-à-une sans se toucher. Une chose fort surprenante est que quand vous les mettriez c'en-dessus-dessous, vous les trouveriez droites le lendemain, elles se redressent au retour de la marée : à trois ans, elles sont belles, on en porte en cet état à Paris, mais elles ne sont pas aussi bonnes qu'à 4 & à 5 ans ; c'est le tems où elles sont dans toute leur bonté. Celui qui a des clairées doit veiller à toutes les malines ou gros de l'eau, voir si la mer n'a pas gâté les chantiers, & si les cancres ne font point de trous, afin de les raccommoder sur le champ, de peur qu'elles manquent d'eau, sur-tout au mort de l'eau que la mer les couvre ; elles supporteroient deux événemens dangereux, l'un dans le grand chaud, parce qu'étant à sec elles mourroient ou creveroient, comme disent les sauniers ; l'autre dans le grand froid, où elles se geleroient ; mais quand elles ont 2 piés ou 2 piés & demi d'eau, elles ne courent pas ce risque, parce que l'eau étant toujours agitée, ne se gele pas. D'ailleurs la mer est moins sujette à geler que l'eau douce. Les huîtres sont sujettes à une maladie quand elles restent trop long-tems dans une clairée, il s'y attache un limon qui les empoisonne, & qu'il faut ôter en raclant les écailles & en les changeant de clairée. Il faut nettoyer la clairée, & la mettre à sec au mort de l'eau ; il faut de plus empêcher la mer d'y entrer pendant cinq à six jours pour laisser sécher ce limon ; quand il est sec, le saunier le détache, on y laisse entrer l'eau qui le porte au-loin, & la clairée est en état d'en recevoir, quand le saunier en aura de nouvelles ; il n'y en mettra cependant pas de grandes la même année crainte d'accident ; il sera plus sûr d'en mettre des petites qui ne risquent rien, parce que cette maladie ne les prend qu'à deux ou trois ans : les sauniers mettent aussi des huîtres qui viennent de Bretagne, mais elles ne deviennent jamais aussi bonnes ; les connoisseurs s'en apperçoivent bien ; elles sont aisées à connoître par les écailles qui sont épaisses & qui paroissent doubles ; les bonnes au contraire ont les écailles fines & unies ; les sauniers nomment tais ce que nous appellons écailles.

Explication de l'écluse ou vareigne. a Boyart de haut est composé de deux pieces de bois, à deux piés de distance, séparés par quatre morceaux de bois e, qu'on appelle traverses.

b Boyart de bas qui ne differe de l'autre qu'en ce qu'il est plus grand ; celui qui est sur le plan est tiré sur un véritable.

c Ces deux pieces se nomment pieces droites, quoiqu'elles soient courbes.

d Les poteaux, ils sont à coulisse en-dedans, la porte glisse dans une mortaise qui y est pratiquée d'un pouce & demi de profondeur sur autant de largeur.

e Traverses qui sont au tiers de haut en dedans, pour assujettir les pieces nommées droites & pour retenir les terres ; les pieces droites sont garnies de planches à cet effet.

f Soubarbe, c'est une traverse qui est vis-à-vis des deux poteaux, au ras de la chapesolle 9 ou son surre de dessous, elle a aussi une rainure où entre le bas de la porte. La soubarbe est de la même grosseur que les poteaux.

i Bordeneau ou porte à coulisse, il est très-utile pour retenir les eaux qui entrent dans le jas, dumoins on est sûr que le saunier ne sauroit le négliger sans beaucoup de malice, au-lieu que le portillon qui bat contre les poteaux à coulisse & contre la soubarbe n'est d'aucune utilité, il rend le saunier paresseux.

Les vareignes sont construites sans fer, toutes de bois, & garnies de gournables ou chevilles, au-lieu de cloux. Le fer ne sauroit durer, à cause du sel contenu dans les eaux qui le rongeroit bientôt.

Description abrégée de la maniere dont se font les sels blancs artificiels dans les sauneries de la basse Normandie. Les sauneries doivent être établies sur des bas fonds aux environs des vases & des embouchures des rivieres, pour que le rapport des terres que fait continuellement la marée, en puisse mieux saler les greves, & les rendre plus propres à la fabrique de cette sorte de sel, dont la préparation & la main-d'oeuvre se font généralement par-tout de la maniere que nous allons l'expliquer ; quelquefois une partie des greves est mouillée plusieurs fois toutes les grandes mers, plus ou moins, suivant que les sauneries sont placées ; mais il faut que la marée couvre les greves au moins toutes les pleines mers, c'est-à-dire tous les quinze jours.

Lorsque ceux qui veulent établir une saunerie ont trouvé une place convenable, ils la brisent & la rendent la plus plate & horisontale qu'il est possible ; soit que cette place soit ancienne ou nouvelle, on la laboure avec une charrue ordinaire attelée de chevaux ou de boeufs, en commençant par le bord de la greve & finissant dans le centre, toujours en tournant ; après quoi on la herse comme une autre terre, en l'unissant le plus qu'il est possible avec un instrument qu'ils nomment haveau ; on fait ordinairement cette préparation la veille de la grande mer de Mars, afin que la marée qui doit couvrir la greve, le gravois ou terroir de la saline puisse y mieux opérer en s'imbibant d'autant plus dans le fond qu'elle sale davantage, & qu'elle unit d'autant plus qu'elle y rapporte beaucoup de sable & de sédiment ; ce qu'elle a fait aussi tout l'hiver qu'elle a couvert les greves des salines toutes les grandes mers. Quand la greve est ainsi préparée, & que les chaleurs l'ont désséchée, on voit aux beaux tems clairs & de soleil vif, la superficie du sable ou greve toute blanche de sel, pour lors on releve cette superficie environ quelques lignes d'épaisseur, suivant le degré de blancheur qu'on y remarque ; on releve aussi le sable par ondées ou petits sillons que les sauniers nomment havelées ; éloignés les uns des autres de six à sept piés au plus ; on fait cette manoeuvre que l'on appelle haveler, avec les haveaux dont on s'est déja servi pour unir le fond à la premiere préparation, il faut une personne pour conduire la tête du haveau, & une autre pour conduire & lever le haveau en mettant toujours les ramassées au bout des dernieres ondées.

Après les havelées finies, on les coupe par petits monceaux, que l'on appelle mêlées, éloignées les unes des autres de six à sept piés ; après quoi on attelle un petit tombereau qu'ils nomment banneau, d'une ou de deux bêtes, le plus souvent d'un ou deux boeufs, que l'on conduit entre les ételées ; pour lors quatre personnes, deux avant & deux arriere, ramassent ou chargent le sable des ételées dans le banneau, qu'un cinquieme conduit au gros monceau, qui est le magasin des sauneries ou des salines.

Près du grand monceau est le quin, le réservoir ou bassin dans lequel les sauniers prennent l'eau dont ils lavent le sable ; cette eau du quin est celle que la marée y rapporte toutes les grandes mers, où elle couvre les greves & remplit le quin.

Lorsque les ételées sont relevées, on repasse de nouveau le haveau sur la greve, comme on l'a fait ci-devant à sa premiere préparation, & on continue la même manoeuvre autant de tems que le soleil & la chaleur en font sortir le sel ; les heures les plus propres sont depuis dix heures du matin jusqu'à deux ou trois heures après midi ; on ne peut être trop promt à haveler ou relever les ételées.

Quand les sauniers veulent faire leur eau de sel, ils prennent au gros monceau le sable que l'on met dans les fosses, qui sont de petits creux ronds d'environ deux piés & demi de diamêtre, profonds de 12 à 14 pouces au plus ; le fond de ces fosses est cimenté de glaise & de foin haché, pour que l'eau qui coule dessus ne se dévoie point, mais qu'elle tombe directement dans le tuyau qui conduit de chaque fosse au canal du réservoir, qui est la tonée de la saline ; autour du fond il y a des petites jentes ou douvelles de hêtre d'un pouce de haut, qui entourent le fond de la fosse, & sur lesquelles sont placées des douves à deux chanteaux, éloignés l'un de l'autre au plus d'une ligne ; on place sur les douves du glu de l'épaisseur d'environ un pouce, sur quoi on met le sable que l'on repasse en l'unissant autant qu'il est possible.

Quand la fosse est ainsi préparée & pleine de sable, on prend dans un tonneau enfoui à portée des fosses, de l'eau que l'on a tirée du sable précédent de la seconde mouillée, c'est-à-dire, des sables que l'on a rechargé d'eau après que la premiere propre à faire le sel en a été tirée.

On charge les fosses ordinairement deux fois par jour ; la premiere eau, qui est la franche saumure, où la bonne eau est quelquefois 4 à 6 heures à passer, suivant que le sable est bien uni & fort pressé, après quoi on appelle du relai la seconde eau que l'on fait passer sur le même sable des fosses, & qui devient la bonne eau au saunier des premieres fosses que l'on recharge ensuite ; l'eau filtre ainsi au-travers du glu du fond des fosses, autant de jour comme de nuit.

Il faut pour faire toutes les préparations un tems sec & chaud ; car on ne peut travailler aux greves, & ramasser le sable sans soleil & sans chaleur. Les sauniers font du sel toute l'année lorsqu'ils ont provision de sable ; mais on n'en ramasse ordinairement que depuis le commencement de Mai jusqu'à la fin d'Août, suivant que la saison est favorable.

On a dit que la premiere eau est la vraie saumure ; elle coule directement par les canaux de chaque fosse dans le tonneau de la saline, qui est placé à côté des fourneaux ; quand on fait le relai ou la seconde eau, on perce le tuyau pour que cette eau ne tombe que dans le tonneau du relai voisin des fosses ; les pluies, comme on le peut voir, font beaucoup de tort à cette manufacture ; elles détruisent aussi les havelées & ételées des greves, qui sont ainsi entierement perdues.

Quand on a tiré la saumure & le relai des greves, qui sont dans les fosses, il ne reste plus qu'une espece de vase que les sauniers rejettent, & que la marée remporte.

Pour vérifier si la saumure est bonne & forte, on a une petite balle de plomb, grosse au plus comme une poste à loup, couverte de cire, qui la rend grosse comme une balle de mousquet ; il faut qu'elle surnage sur cette eau ou premiere saumure ; alors on la jette dans des plombs placés sur des fourneaux dans la saline ; les plombs ou chaudieres qui sont au nombre de trois (& même le plus souvent quelques sauneries n'en ont que deux) sont de forme parallelogramme, ayant 2 1/2 piés de long, sur deux piés de large, & le rebord 2 pouces d'épaisseur, & le tout environ 6 lignes d'épaisseur ; ils sont peu élevés au-dessus de l'atre du fourneau qui est enfoncé, & dont l'ouverture est par-devant. Ils ont chacun deux évens par-derriere : le feu est continuel depuis le lundi, soleil levant, jusqu'au dimanche soleil levant.

Lorsque les sauniers font six jours de la semaine, ou au-moins, ils sont obligés d'avoir été préalablement avertir les commis aux quêtes le samedi de la semaine précédente.

Quand on commence la semaine, & que l'on a allumé le feu au fourneau, on remplit les plombs de saumure que l'on fait bouillir sans discontinuer jusqu'à ce que le sel soit achevé, ce qui dure environ deux heures & demi, à trois heures au-plus ; après que toute l'eau est évaporée, on ramasse promtement le sel avec un rabot, & on l'enleve avec une petite pelle semblable à celles avec lesquelles on leve le sable des havelées, & on jette le sel dans des corbeilles, que l'on nomme marvaux à égoutter ; ces marvaux sont faits en pointes comme les formes où l'on met égoutter les sucres ; après que le sel est égoutté, on le trouve en pierre que l'on met dans les colombiers, & que les sauniers ne peuvent livrer qu'à ceux qui sont porteurs des billets des commis ; les pierres sont plusieurs mois à se former ; un plomb n'en peut faire au plus que deux par an.

On laisse égoutter le sel qu'on releve des plombs environ 5 ou 6 heures ; après quoi on le jette en grenier. Une erre ou relais de sel des plombs ne peut emplir une de ces corbeilles, chaque erre ne formant qu'un carte de plus de boisseau.

Il faut relever les plombs tous les deux jours au-moins pour les rebattre, & les repousser, parce que l'activité du feu & la crasse qui se forme sur les plombs les fait enfoncer, & qu'il faut les redresser & les nettoyer pour qu'ils bouillent plus aisément. Les sauniers appellent ce travail corroyer les plombs ; ce qui se fait au marteau.

Les fourneaux ne peuvent durer au plus que deux mois, après quoi on les démolit pour les rebâtir de nouveau, parce que les premiers se sont engraissés des écumes du sel ; on en brise les matériaux le plus menu qu'il est possible, & on en met la valeur de deux corbeillées dans une mouquée ou relevée de sable dans les fosses, lorsque les sauniers s'apperçoivent qu'elle n'est pas assez forte.

On brûle dans les fourneaux de petites buches & des fagots. Le bois de hêtre pour les buches & de chêne pour les fagots sont estimés les meilleurs bois ; dans les lieux où le bois est rare, on se sert au même usage de joncs marins.

Les sauniers se relaient les uns les autres pour veiller sur les fourneaux, & entretenir toujours le feu en état de faire bouillir également la saumure des différens plombs ; on écume le sel quand il commence à bouillir, avec le même rabot avec lequel on le ramasse quand il est achevé.

L'usage des propriétaires de ces salines & des sauniers qui y travaillent est de partager ; de cette maniere le propriétaire fournit tous les ustensiles & instrumens & le sable, & les sauniers n'ont que la septieme partie du prix de la vente ; il fournit en argent au receveur de la gabelle la valeur d'un boisseau & demi de sel au prix qu'il est quêté ou fixé, en outre les 4 sols pour livre du prix du boisseau & demi ; mais cet usage est particulier à quelques salines.

Le sel fabriqué, comme nous venons de dire, doit se consommer dans les pays des environs, étant ailleurs défendu & de contrebande, il ne va guere que 4 à 5 lieues au plus. Il est de mauvaise qualité, ce qui se reconnoit sur-tout dans les chairs qui en sont préparées, & qui ne se peuvent bien conserver ; c'est pourquoi quand on veut faire des salaisons d'une bonne qualité, on ne se sert quand on le peut que des sels de Brouage qui sont bien plus doux, au-lieu que ceux-ci sont très-âcres & très-corrosifs.

Enumération des instrumens nécessaires aux Sauniers, fabricateurs de sel blanc ramassé des greves. Les charrues semblables à celles de terre ; les herses semblables. Les haveaux sont composés d'une planche d'environ 4 piés de long, de 10 à 12 pouces de haut posée de champ ou cant, le bas en droite ligne & le haut chantourné. Dans cette planche sont emmanchés deux bâtons qui forment le brancart où on atelle la bête qui doit tirer cette machine. Il y a encore deux autres morceaux de bois qui servent de poignées pour gouverner cette machine. Voyez fig.

Banneau ou tombereau, est un tombereau dont les côtés ou bords sont fort bas ; le tombereau même est petit.

Les tonnes sont de grosses futailles qui sont enterrées.

Rabot est une douve centrée du fond du tonneau qui est emmanché.

Les fourneaux sont très-bas, & sont presque posés à rez-de-chaussée. Il y a un creux qui forme l'aire, enfoncé de 20 à 25 pouces.

Crochet de fer, sorte de tisard.

Les pics à démolir sont les mêmes que ceux des maçons.

Le puchoir est un petit tonneau contenant 6 à 8 pintes, avec lequel les sauniers puisent de la saumure dans la tonnée pour en emplir les plombs ; il est pour cet effet emmanché un peu de côté, pour que le saunier prenne plus aisément de la saumure ; le manche est long pour qu'il puisse la renverser où il veut.

Eprouvette. Le petit puchoir d'épreuve est un petit barril de bois que l'on remplit de saumure, dont on fait l'épreuve avec la balle de plomb enduite de cire, dont nous avons parlé ; une tassée de saumure suffit pour cela.

Des fontaines salantes. On donne ce nom à des usines où l'on ramasse les eaux des fontaines salantes, où on les fait évaporer, & où l'on obtient par ce moyen du sel de la nature & de la qualité du sel marin.

Il y a peu de royaumes qui ne soient pourvûs de cette richesse naturelle. Le travail n'est pas le même par-tout. Nous allons parler des salines qui sont les plus à notre portée, décrivant sur quelques-unes toute la manoeuvre, exposant seulement de quelques autres, ce qui leur est particulier.

Voici ce que nous savons des salines de Moyenvic, de Salmes, de Baixvieux, d'Aigle, de Dieuze, de Rosieres, & des bâtimens de graduation construits en différens endroits. On peut compter sur l'exactitude de tout ce que nous allons dire.

SALINE DE MOYENVIC. Moyenvic est situé sur la riviere de Seille, à dix lieues de Metz, entre Ive & Marsal, à environ demi-lieue de l'un & de l'autre.

On ne découvre rien sur la propriété de la saline avant l'an 1298, que Gerard, 68e évêque de Metz, acquit de quelques seigneurs particuliers les salines de Marsal & de Moyenvic, & les réunit à l'évêché. Raoul de Coucy, 76e. évêque, engagea environ l'an 1390, le château de Moyenvic à Henri Gilleux, 60 muids de sel à Robert duc de Bar, & 10 muids à Philippe de Boisfremont. Conrard Bayer de Roppart, 77e. évêque, retira cet engagement l'an 1443. Mais lui & son frere Théodoric Bayer arrêtés prisonniers par l'ordre du duc René, roi de Naples & de Sicile, il en coûta pour sa liberté à l'évêque plusieurs seigneuries, & notamment les salines, que le duc lui restitua dans la suite. En 1571, le cardinal de Lorraine administrateur, & le cardinal de Guise, évêque, laisserent en fief au duc de Lorraine les salines de l'évêché, moyennant 4500 liv. monnoie de Lorraine, & 400 muids de sel. Les ducs devenus propriétaires des salines, étoient obligés suivant le 70e. article du traité des Pyrénées, de fournir le sel nécessaire à la consommation des évêchés, à raison de 16 liv. 6 sols le muid. Enfin celle de Moyenvic fut cédée au roi par le 12e. article de celui de 1661 ; mais ruinée par les guerres, le roi en ordonna le rétablissement en 1673. Depuis ce tems, les charges se sont payées par moitié entre la France & la Lorraine, à des conditions que nous ne rapporterons pas, parce qu'elles ne sont pas de notre objet.

Les eaux salées viennent de deux puits. Le sel gemme, dont il y a plusieurs montagnes & une infinité de carrieres dans la profondeur des terres, est en abondance dans le terrein de Lorraine. Les eaux, en traversant ces carrieres, se chargent de parties de sel ; & plus le trajet est long, plus le degré de salûre est considérable. Mais comme les amas de sel sont distribués par veines, par couches, par cantons, il arrive nécessairement qu'une source d'eau douce se trouve à côté d'une source d'eau salée. Les sources d'eau salées coulent par différentes embouchures, & donnent plus ou moins d'eau, selon que la saison est plus ou moins pluvieuse. On a observé, dit l'auteur instruit des mémoires qu'on nous a communiqués sur cette matiere, que plus les sources sont abondantes, plus leurs eaux sont salées, ce qu'il faut attribuer à l'accroissement de vîtesse & de volume avec lequel elles battent alors les sinuosités qu'elles rencontrent dans les carrieres de sel qu'elles traversent.

Il y a plusieurs sources salées en différens endroits de la saline de Moyenvic. On les a rassemblées dans deux puits, dont les eaux mêlées portent environ quinze degrés & demi de salûre. Le sel s'en extrait par évaporation, comme nous allons l'expliquer.

Les eaux du grand puits sortent de sept sources différentes en qualité & en quantité. Leur mêlange porte 14 à 15 degrés de salure.

Pour connoître le degré de salure, on prend cent livres d'eau qu'on fait évaporer par le feu jusqu'à siccité, & le degré de salure s'estime par le rapport du poids du sel qui reste dans la chaudiere après la cuite, au poids de l'eau qu'on a mise en évaporation.

Autre moyen : c'est d'avoir un tube de verre qu'on remplit d'eau salée, & dans lequel on laisse ensuite descendre un bâton de demi-calibre. Il est clair que l'eau pesant plus ou moins sous un pareil volume, qu'elle est plus ou moins chargée de parties salées, le bâton perd plus ou moins de son poids, & descend plus ou moins profondément.

Les sept sources du grand puits arrivent par différens rameaux qui occupent toute sa circonférence & fournissent environ deux pouces quatre lignes d'eau ; c'est-à-dire, que, si l'on formoit un solide de ces eaux sortantes, elles formeroient un cylindre de deux pouces quatre lignes de diamêtre. Mais l'auteur exact après lequel nous parlons, nous avertit que cette estimation ne s'est pas faite avec beaucoup de précision ; & il n'est pas difficile de s'en appercevoir : car ce n'est pas assez d'avoir le volume d'un fluide en mouvement, il faut en avoir encore la vîtesse.

Ce puits a 52 piés de profondeur, sur 18 de diamêtre par le bas & de 15 par le haut. Le dedans est revêtu d'un double rang de madriers, derriere lesquels il y a un lit de courroi qu'on prétend être de 18 à 20 piés d'épaisseur, & dont l'usage est d'empêcher l'infiltration des eaux douces. On voit la forme du puits, Pl. a. b. c.

On éleve les eaux avec une chaîne sans fin qui se meut sur une poulie garnie de cornes de fer, appellée bouc. Elle est composée de 180 chaînons de 10 pouces de longueur chacun, garnis de 5 en 5 de morceaux de cuirs appellés bouteilles, qui remplissent le diamêtre d'un cylindre de bois creux dans toute sa longueur, appellé buse, & posé perpendiculairement. Les cuirs forcent successivement l'eau à s'élever dans une auge, d'où elle est conduite dans les baissoirs ou magasins d'eau.

La poulie appellée bouc, est attachée à une piece de bois posée horisontalement, ayant à son extrêmité une lanterne dans laquelle une roue de 24 piés de diamêtre & de 175 dents vient s'engrener ; ce rouage tourne sur son pivot, & est mis en mouvement par huit chevaux attelés deux à deux à quatre branches ou leviers. Le pivot est posé sur sa crapaudine, & arrêté en-haut par un gros arbre placé horisontalement.

Le tirage se doit faire rapidement ; parce que les bouteilles ne remplissant pas exactement le diamêtre de la buse, l'eau retomberoit, si le mouvement qui l'éleve n'étoit plus grand que celui qu'elle recevroit de sa pesanteur, desorte que les chevaux vont toujours le galop. Cette machine est simple & fournit beaucoup : mais il est évident qu'elle peut être perfectionnée par un moyen qui empêcheroit l'eau élevée de monter en partie.

On peut réduire ce changement à deux points : le premier, à mesurer l'extrême vîtesse avec laquelle on est contraint de faire mouvoir la machine.

Le second, à éviter l'inconvénient dans lequel on est quand il survient quelqu'accident à la machine, & qu'il faut approvisionner les baissoirs.

Les bouteilles dont on se sert, sont composées de quatre morceaux de cuir, entre lesquels il y a trois bouts de chapeaux, le tout forme une épaisseur de 8 lignes.

Pour fixer ces morceaux de cuir aux chaînons, il y a quatre chevilles de bois qui les traversent ; mais quelque soin que l'on prenne pour les bien ajuster, le mouvement est si rapide, les chocs & les frottemens sont si violens, que ces morceaux de feutre & de cuir n'étant maintenus par aucun corps solide, & d'ailleurs humectés par l'eau, cedent au poids de la colonne.

Pour remédier à cet inconvénient, on propose des patenotres de cuivre garnies de cuir. Ces patenotres seront composées de deux platines d'environ 2 lignes d'épaisseur aux extrêmités, revenant à un pouce dans le milieu, non compris une espece de bouton d'environ deux pouces de hauteur, dans lequel sera un oeillet pour recevoir le chaînon, tant à la platine de dessus qu'à celle de dessous. On laissera entre ces deux platines environ quatre lignes de vuide, pour recevoir deux morceaux de cuir fort. Ces cuirs excéderont les platines de la patenotre d'environ 3 lignes seulement, pour empêcher le corps de la buse d'être endommagé par le frottement du cuir des platines qui n'auront que 4 pouc. 81. de diamêtre. Ces cuirs seront percés quarrément, afin que les deux platines puissent s'emboîter aisément au moyen d'un fer qui les traversera, & des deux ne fera qu'un corps. Le pié cube d'eau salée pese environ 75 liv. 3/4.

Les baissoirs choment quand la machine ne peut travailler.

Pour prévenir les chomages, il faudroit construire une seconde buse en disposant la roue horisontale, de façon qu'elle fît mouvoir les chaînes des deux buses à-la-fois : ce qu'on voit exécuté, fig. 2. Pl. a.

Le pivot de la roue horisontale est placé vis-à-vis le milieu des deux buses ; & on a joint au treuil de la lanterne, dans les fuseaux de laquelle les dents de la roue horisontale s'engrènent, un rouet qui au moyen des deux autres lanternes fait mouvoir les boucs.

En 1723 on rechercha les sources d'eaux salées, qui pouvoient se trouver dans l'intérieur de la saline. Dans la fouille, on en découvrit une, dont l'épreuve réiterée indiqua que la salure étoit de 22 degrés. Le conseil ordonna en 1724 la construction d'un puits pour ses eaux.

Ici l'élévation des eaux se fait par un équipage de pompes composé de deux corps, l'une foulante, & l'autre aspirante. C'est un homme qui fait mouvoir la roue en marchant dedans : cet homme s'appelle le tireur. Les eaux de ce puits se rendent dans les baissoirs, & fortifient celles du grand puits ; de maniere que leur mêlange est de 15 degrés 1/2 de salure.

On entend par baissoirs, des réservoirs ou des magasins d'eau ; le bâtis en est de bois de chêne, & de madriers fort épais contenus par des pieces de chêne d'environ un pié d'équarrissage, soutenus par de pareilles pieces de bois qui leur sont adossées par le milieu. La superficie de ces magasins est garnie & liée de poutres aussi de chêne, d'un pié d'épaisseur, & placées à un pié de distance les unes des autres. Les planches & madriers qui les composent sont garnis dans leurs joints de chantouilles de fer, de mousse & d'étoupe poussées à force & avec le ciseau, & gaudronnées.

Le bâtis est élevé au-dessus du niveau des poëles. Ce magasin d'eau est divisé en deux baissoirs en parties inégales ; la plus grande a 82 piés 4 pouces 8 lignes de longueur, sur 21 piés 6 pouces de largeur ; la petite, 48 piés 8 pouces de longueur, sur 21 piés 6 pouces de largeur : & l'une & l'autre 4 piés 11 pouces de haut, qui ne peuvent donner que 4 piés 6 pouces d'eau dans les poëles, parce qu'ils sont percés à 5 pouc. du fond. Le toisé de ces baissoirs donne 13645 piés cubes 6 pouces d'eau ; comme ils communiquent par le moyen d'un échenal, l'eau y est toujours de niveau ; ils abreuvent 5 poëles par dix conduits. Voyez les fig. d e.

Ces poëles sont séparées par des murs mitoyens, de maniere toutefois que la communication est facile d'une poële à une autre par le dedans du bâtiment. Il y en a quatre de 28 piés de longueur, sur 32, mesure de Lorraine, où le pié est de 10 pouces 5 lignes de roi.

Chaque poële est composée depuis 260 jusqu'à 290 platines de fer battu, chacune de 2 à 2 piés & 1/2 de longueur, sur 1 pié & 1/2 de largeur, & de 4 lignes d'épaisseur au milieu, & 2 lignes 1/2 sur les bords : ces platines sont cousues ensemble par de gros clous rivés par les deux bouts.

Chaque poële est garnie par-dessous de plusieurs anneaux de fer de 4 à 5 pouces de diamêtre, appellés happes, où passent des crocs de fer de 2 piés & 1/2 de longueur, ou environ. Le croc est recourbé par l'extrêmité de façon à entrer dans la happe qui lui sert d'anneau, ensorte qu'il est semi-circulaire. La pointe du haut, longue de cinq pouces ou environ, en est seulement abattue, & tient à de grosses pieces de sapin qu'on appelle bourbons. Chaque bourbon a 30 piés de longueur, sur 6 pouces en quarré ; il y en a 16 sur la longueur de la poële, espacés de 6 en 6 pouces, & appuyés sur deux autres pieces de bois de chêne beaucoup plus grosses, posées sur les faces de la longueur de la poële. Ces deux dernieres pieces se nomment machines.

Une poële ainsi armée est établie sur quatre murs, à l'angle de chacun desquels il y a un saumon de fonte de fer qui la soutient. Chaque saumon a environ un pié en quarré, & cinq piés de long.

Ces quatre murs ont environ cinq piés de hauteur, sur deux d'épaisseur, & forment le même quarré que la poële ; ils sont séparés en-dedans par un autre mur appellé barange, d'environ trois piés de hauteur, & ouverts sur le devant dans toute leur hauteur de deux entrées d'environ trois piés de largeur, & sur le derriere de deux trouées de même hauteur, mais d'un pié & demi seulement de large. Celles-ci servent de cheminées ; c'est par les autres qu'on jette le bois, les fascines, &c. & qu'on gouverne le feu. Les murs de refend servent à la séparation des bois & des braises ; ils sont faits de cailloutage & des pierres de sel qui se forment par le grand feu, lorsqu'il se fait des gouttieres aux poëles, avec de la glaise mêlée de cendres & de crasse provenant des cuites ; cette composition résiste à la violence du feu pendant plusieurs abattues.

Au derriere de chaque poële, & à l'ouverture des cheminées, il y a deux poëlons de 8 à 10 piés de longueur, sur 6 à 7 de largeur, & 10 à 11 de profondeur. Chacun est composé de 28 platines : c'est dans ces poëlons que les conduits ou échenaux amenent les eaux des baissoirs, d'où elles se rendent dans les poëles après avoir reçu un premier degré de chaleur.

Chaque poële est servie par une brigade de 14 ouvriers ; savoir deux maîtres, deux socqueurs, deux salineurs, quatre sujets, & quatre brouetteurs.

On compte le travail des poëles par abattues, composées chacunes de 18 tours, le tour est de 24 heures. Voilà le tems nécessaire à la formation des sels. Lorsqu'une abattue est finie, on laisse reposer la poële pendant six jours, qu'on employe à la raccommoder. Une poële fournit ordinairement depuis 27, 28, jusqu'à 30 ou 31 abattues.

Avant que de mettre une poële en feu, les maîtres, socqueurs & salineurs l'établissent sur son fourneau, & sont dans l'usage de lui donner deux pouces à deux pouces & demi de pente sur le devant, parce que le feu de devant est toujours plus violent ; ensuite ils ferment les joints des platines avec des étoupes, & enduisent le fond de chaux détrempée : ce travail s'appelle clistrer une poële.

La poële clistrée, on passe les crocs dans les happes, on les place sur les bourbons, on établit entre les bourbons & la poële des éperlans ou rouleaux de bois d'un pouce & demi de diamêtre ou environ, pour contenir la poële & arrêter autant que faire se peut les efforts du feu : après quoi on ouvre les conduits des poëlons, & l'on charge la poële d'un pouce d'eau, pour empêcher que le feu d'environ 300 fagots qui ont été jettés dessous ne brûle les étoupes qui bouchent les joints des platines.

Ce premier travail s'appelle échauffée, & se commence entre onze heures & midi ; ensuite les salineurs jettent du bois de corde dans le fourneau, & chargent la poële d'eau jusqu'à 15 à 16 pouces de hauteur ; on diminue ensuite de moitié ou environ le volume d'eau que donnent les échenaux. Le salinage dure environ cinq heures, & consume à-peu-près huit cordes de bois ; pendant ce tems la poële bout toujours à grand feu, & est continuellement abreuvée de l'eau des poëlons. Quoique les poëlons fournissent sans cesse, cependant la poële se trouve réduite après le tems du salinage à 13 ou 14 pouces d'eau, parce que l'évaporation causée par l'ardeur d'un feu extraordinairement violent, est plus grande que le remplacement continuel qui se fait par le secours des poëlons.

Il paroît dans ce tems une crême luisante sur la superficie de l'eau, à-peu-près comme il arrive sur un bassin de chaux fraîchement éteinte : alors on ferme entierement les robinets ; & les maîtres, les salineurs & les sujets remettent la poële aux socqueurs. Ce passage des uns aux autres s'appelle rendre la mure aux socqueurs.

Les socqueurs à qui les brouetteurs ont fait provision de quatre cordes de gros bois, les jettent dans le fourneau à quatre reprises différentes, dans l'intervalle d'environ trois heures ; ils nomment ce travail la premiere, la seconde, la troisieme & la quatrieme chaude ; ces quatre chaudes donnent ordinairement une diminution de quatre pouces d'eau dans la poële.

Sur les dix à onze heures du soir les socqueurs remuent d'heure en heure les braises du fourneau jusqu'à deux heures du matin, & plus souvent, lorsque les braises s'amortissent trop promtement. On donne à ce travail le nom de raillées, parce que l'instrument que l'on employe s'appelle raille : le raille n'est autre chose qu'une longue perche de toute la longueur du fourneau, au bout de laquelle est un morceau de planche.

La chaleur de ces braises donne à la mure presque le dernier degré de cuisson ; & sur les deux heures, lorsque les braises sont amorties, les socqueurs jettent dans le fourneau en deux ou trois fois seize chers de fascines de 20 fagots chacun : après quoi ils remuent de nouveau ces braises jusqu'à quatre heures du matin, que se fait la brisée.

Quelquefois par des accidens, soit de vents contraires à cette opération, soit par la mauvaise qualité des bois, ou parce qu'ils ont été mal administrés dans l'intervalle du salinage ou du soccage, les ouvriers sont forcés d'ajouter quatre à cinq cent fagots à la consommation ordinaire, pour hâter cette cuisson, sans quoi elle anticiperoit sur le tour suivant. C'est ce que les ouvriers appellent entr'eux courir à la paille.

Lorsque le premier sel est formé, les salineurs & les sujets le tirent de la poële avec des pelles courbes, & le mettent égoutter sur deux claies appellées chevres, qui sont posées au milieu des deux côtés de la poële ; & à mesure que le monceau grossit, on l'entoure avec des sangles pour le soutenir & l'élever à la hauteur qu'exige la quantité du sel formé.

Après que le premier sel est tiré, les socqueurs jettent dans le fourneau environ 400 fascines à trois tems, ce qu'ils appellent donner trois chaudes ; & cette opération conduit au dernier degré de cuisson, ce qui reste dans la poële. Cette eau porte ordinairement 38 à 40 degrés de salure.

La formation de ce dernier sel ne finit que sur les dix heures du matin : on le met comme le premier sur les claies ou chevres, où ils restent l'un & l'autre pour se sécher & s'égoutter pendant le tems du tour suivant.

Il y a toujours un des 14 ouvriers de la brigade qui veille sur la poële à tour de rôle pendant la nuit ; ses fonctions consistent à avoir l'oeil aux accidens imprévus, & à faire venir aux heures marquées les ouvriers de rechange au poste & au travail qui leur est assigné.

Nous venons de parcourir les différentes manoeuvres qui s'employent à la fabrication du sel ; supposons maintenant qu'une abattue soit finie, pour voir ce qui se passe jusqu'à ce qu'une autre recommence.

Nous avons dit que l'on donnoit six jours d'intervalle entre chaque abattue, pendant ce tems les maîtres & les socqueurs ôtent les cendres du fourneau, & les portent au cendrier dans des civieres appellées banasses : ces cendres appartiennent au fermier de l'ambauchure (voyez plus bas ce que c'est) ; il en retire environ 800 livres par an. Ensuite on laboure l'âtre du fourneau pour le remettre de niveau, en applanissant les bosses qui se sont faites par les gouttieres de la poële, & les crasses qui en proviennent, ainsi que l'écume que la poële a rendue pendant le tems de la formation, sont enlevées par les sujets & les brouetteurs, & répandues dans l'intérieur de la saline, tant pour élever les endroits qui sont encore inondés par les eaux de la seille, que pour empêcher que les habitans ne se servent des crasses & écumes, dont ils tireroient une assez grande quantité de sel en les faisant recuire.

Pendant le tems de la cuisson, l'écume se tire avec six cuilleres de fer appellées augelots, placées séparément entre les bourbons sur le derriere de la poële. On a fait l'épreuve d'en mettre au-devant ; mais ils ne se chargeoient que de sel, parce que le feu étant plus violent en cet endroit, & l'eau plus agitée par les bouillons, l'écume étoit chassée à l'arriere, comme il arrive à un pot-au-feu. L'augelot est à demeure appuyé sur le fond de la poële, & le mouvement de l'eau y porte les crasses, qui ensuite n'en sortent plus par l'effet de la composition de cet instrument. C'est une platine de fer dont les bords sont repliés de quatre pouces de haut ; le fond en est plat, & peut avoir 18 pouces de long sur 10 de large. Ce qui est une fois jetté dans ce réduit, ne recevant plus d'agitation par les bouillons, y reste jusqu'à ce qu'on l'ôte ; il a à cet effet une queue, ou plutôt une main de fer d'environ deux piés de long. On le retire ordinairement, quand les dernieres chaudes du soccage sont données.

Les six jours d'intervalle d'une abattue à l'autre sont employés non-seulement aux différentes opérations dont nous venons de parler, mais ils sont encore nécessaires à laisser reposer la poële, à la visiter, à y réparer les crévasses & le dommage que le feu peut y avoir causés, à l'écailler, & à la préparer à une autre abattue.

L'abattue finie, les maîtres, les salineurs aidés des socqueurs & des sujets, étançonnent la poële par-dessous, la détachent des crocs qui la soutiennent, ôtent les bourbons, à l'exception de trois, la nettoyent, & en tirent les crasses : ce travail s'appelle socquement des poëles.

L'écaillage suit le socquement. On commence par échauffer la poële à sec, afin qu'elle résiste, sans se fendre, à la violence des coups qu'il est nécessaire de lui donner pour briser & détacher les écailles qui sont extrêmement adhérentes, & ont quelquefois 2 pouces d'épaisseur. Le tout s'enleve ordinairement en trois quarts d'heure de tems ; mais il ne faut pas moins de trente ouvriers qui frappent tout-à-la-fois en divers endroits, à grands coups de massues de fer. Cependant il y a des écailles si opiniâtres qu'il faut les enlever au ciseau. Les Maréchaux rassurent ensuite les cloux étonnés, en remettent des neufs où il est nécessaire, & des pieces aux endroits défectueux.

Ces réparations faites, le directeur, les contrôleurs des bancs, & ceux des cuites en font la visite, & vérifient le travail des maréchaux.

Voyons maintenant ce qu'une poële en feu peut produire de sel, & à combien le muid revient au fermier.

La poële s'évalue à 240 muids par abattue ; l'abattue est de 18 tours, & le tour de 24 heures : donc la poële fait 20 abattues par an, & son produit annuel est de 4800 muids.

Mais il y a des accidens. Le froid, les vents, la vétusté des poëles & les tours en ont. Les premiers sont toujours moins abondans, & ne donnent ordinairement que 12 à 13 muids : les premiers de tous n'en donnent que quatre au plus, soit parce que la poële n'est pas échauffée, soit parce que les gouttieres ne sont pas encore étanchées ; du 5e. au 14e. il se fait 15 à 16 muids ; les derniers en donnent moins, parce que l'écaille de la poële qui est alors forte & épaisse, affoiblit l'action du feu : ce qui bien combiné réduit l'abattue à 220 muids, & le produit annuel de la poële à 4400 ; sur quoi déduisant le déchet à raison de 7 à 8 pour 0/0, on peut assurer que la saline qui travaille à trois poëles bien soutenues, fabriquera par an douze mille trois à quatre cent muids de sel.

Mais les dépenses en bois, en réparations, en poëles, poëlons, &c. se montent à 325369. 2. 7. ce qui divisé par 27654, quantité de muids de sel fabriqués pendant les années 1727 & 8, de même que 325369 2. 7. sont les dépenses de ces deux années, donne le muid de sel à 11 l. 5 s. 3 d. (au reste tout a bien changé de prix depuis le tems que ces calculs ont été faits).

La chevre est une espece d'échafaudage composé de deux pieces de bois de six piés de longueur, liées par deux barres d'environ cinq piés, posées sur les bourbons qui se trouvent au milieu de la poële. Cet échaffaud a une pente très-droite, & forme un talud glissant sur lequel est posée une claie soutenue à son extrêmité par un pivot haut de huit pouces, qui lui donne moins de pente qu'à l'échaffaud.

Lorsqu'il est question de procéder à la brisée, le contrôleur des cuittes, celui qui est de semaine pour ouvrir les bancs, les ouvriers de la brigade se rassemblent ; on ouvre les bancs, & alors un des ouvriers detache la sangle qui soutient la chevre, ôte les rouleaux, & faisant sauter le pivot d'un coup de massue, donne un mouvement à la chevre qui coule par son propre poids, & se renverse sur le seuil du banc. Cette opération se fait en même tems des deux côtés de la poële qui est chargée de deux chevres égales.

Le sel demeure dans les bancs pendant dix-huit jours, au bout desquels on le porte dans les magasins, & ce n'est que lorsqu'il y est, que les contrôleurs s'en chargent en recette.

Ce relevement se fait dans des especes de hottes de sapin appellées tandelins qui sont étalonnées sur la mesure de deux vaxels. Cet étalonnage n'est pas juridique ; il n'est que pour l'intérieur de la saline. Mais le vaxel est étalonné juridiquement en présence des officiers de M. le duc de Lorraine, à Bar où la matrice est déposée. Le vaxel est à-peu-près de la figure d'un muid en largeur, mais il a moitié moins de profondeur. Il contient environ 41 livres de sel : ce qui fait autour de 650 livres par muid, sel de magasin ; car celui des bancs est plus léger, n'ayant point encore acquis son dépôt.

Droit des quatre francs deux gros. Ce droit se leve sur tous les sels qui sortent de la saline pour le fournissement des magasins, tant du département de Metz, que de celui de la saline, à raison de quatre francs deux gros pour chacun muid de sel. Il n'est point exigible sur les sels destinés pour les greniers de Metz & Verdun pour la gabelle d'Alsace & sur ceux qui se délivrent en vente étrangere.

L'embauchure, c'est le fournissement général des ustensiles nécessaires pour le chargement des sels, l'entretien des poëles, &c. les dépenses de réparation des murs, des fourneaux, des atres, fourniture de bourbons, claies, chevres, vaxels, &c.

Les fonctions principales du directeur receveur sont de régir la saline, de recevoir les soumissions pour les traites à faire, en l'absence des fermiers, ou de renouveller pour les voitures des sels, faire exploiter les bois affectés à la saline, & tenir la main à ce que les employés fassent leur devoir, distribuer le sel pour les entrepôts, &c.

Il y a des contrôleurs des bancs, contrôleurs des cuites.

Les veintres sont au nombre de quatre : deux résident à la saline, les autres au-dehors. Ils ont inspection sur les ouvriers boquillons, qu'ils mettent en nombre suffisant dans les coupes, & qu'ils éveillent.

Il y a des portiers.

Sel en pain. Les rois de France & d'Espagne devenus successivement possesseurs de la Franche-Comté, ont conservé l'usage & les différentes formes du sel en pain. Il s'en fabrique de neuf sortes, dont huit pour la province, & un pour le canton de Fribourg.

Gros sel d'ordinaire. Ce pain pese 3 livres 8 onces, ce qui fait pour la charge, composée de 48 pains, 168 livres. Sa forme est ronde & un peu creuse dans le milieu ; il est destiné aux communautés du bailliage d'Amont, à la ville & partie du bailliage de Salins.

Petit sel d'ordinaire. Ce pain pese environ deux livres & demie & la charge de 120 livres. Il est marqué de deux cercles qui regnent autour. Il est destiné aux communautés du bailliage d'Aval.

Petit sel de poste d'ordinaire, pese communément 2 livres 10 onces, & par conséquent la charge est de 126 livres. C'est à l'usage des communautés du bailliage de Salins.

Sel roture, ou d'extraordinaire, marchand dans toute la province, & destiné à subvenir aux besoins de ceux qui n'ont pas assez de sel d'ordinaire, doit peser 3 livres, & la charge 144. Sa figure est comme celle du gros sel d'ordinaire, il n'en differe que par le poids.

Sel marque de redevance. La distribution s'en fait, suivant l'état du roi, aux parties qui y sont employées. Il doit peser 2 livres & 1/2, & la charge 120 livres. Sa forme est celle du sel de poste.

Sel rosiere de redevance. Il se délivre pareillement, en conséquence de l'état du roi ; le pain pese 3 livres 5/8, & la charge 144.

Gros salé de la grande saline à 8 pour charge. Ces gros salés sont affectés aux propriétaires d'états de la grande saline, & aux cours supérieures de Comté. Chacun de ces salés doit peser 12 livres 5/8, figuré comme le moule de la forme d'un chapeau.

Gros salé de la grande saline à 12 pour charge. Même destination que ceux à 8 pour charge, dont ils ne different que de grosseur & de poids ; pese 8 livres chacun.

Sel de Fribourg, se délivre au canton de Fribourg, en exécution d'un traité du roi. Il ressemble au gros sel d'ordinaire ; pese chacun 2 livres 6 onces.

SALINES DE BEXVIEUX ET D'AIGLE appartenantes au canton de Berne, & celle de MOUTIERS en Tarentaise, pays de Savoye, appartenante à sa majesté le roi de Sardaigne, où il y a des galeres, ou bâtimens de graduation.

La graduation est une opération par laquelle on fait évaporer par le moyen de l'air & sans le secours du feu, plusieurs parties douces de l'eau salée, en l'élevant plusieurs fois au haut d'un bâtiment construit à cet effet, par le moyen de plusieurs corps de pompes qu'une eau courante met en mouvement, & la faisant retomber autant de fois de 20 à 25 piés de haut sur plusieurs étages de fascines ; d'où il résulte une grande diminution dans la consommation du bois, & dans les autres dépenses relatives à la fabrication du sel.

Plus la construction des bâtimens destinés à la graduation est parfaite, plus les différentes économies sont sensibles & utiles. Pour déterminer avec certitude l'étendue des bâtimens nécessaires à graduer l'eau d'une source salée, il en faut connoître avec précision le degré de salure. Un long usage a fait remarquer à MM. de Berne que les bâtimens de graduation à une seule colonne de fascines étoient sujets à perdre des portions de sel, en ce que quand il y a beaucoup d'agitation dans l'air, les particules d'eau salée dérivent de la perpendiculaire, & sont emportées lors de leurs divisions. Pour remédier à cet inconvénient, ils ont fait construire un bâtiment auquel ils ont donné 25 piés de largeur au-lieu de 18 qu'avoient seulement les anciens, & ils ont mis double colonne de fascines, qui n'ont que l'ancienne largeur par le haut, mais qui s'accroissant par le bas, prennent la forme d'une pyramide tronquée.

Le méchanisme de la graduation paroît très-simple, & quand on l'a vu pendant 24 heures, on croit le savoir & le posséder à fond ; cependant il y a une infinité de particularités intéressantes qui ne se présentent que successivement ; & sans toutes ces connoissances réunies, on court risque de tomber dans des erreurs qui coûtent cher.

La saline de Bexvieux & celle d'Aigle sont situées vis-à-vis S. Maurice, à l'entrée de la gorge du Vallais, à deux lieues l'une de l'autre.

Il n'y a qu'une source à la saline de Bexvieux ; elle sort d'une montagne appellée le fondement. On l'a découverte en 1664, & l'on pénétra fort avant dans le roc pour en rassembler les filets ; mais on n'est parvenu à la maintenir dans un haut degré de salure qu'en y creusant de tems en tems ; par la raison que les terres qu'elle parcourt ne contenant, selon toute apparence, que des portions & des rameaux de sel, ces rameaux s'épuisent par le mouvement continuel des eaux, qui ne reprennent une haute salure qu'en leur frayant une route nouvelle ; ensorte que cette source est actuellement plus basse de 250 piés que le niveau du terrein où on l'a trouvée originairement, ce qui a obligé de faire des galeries à différentes hauteurs pour en procurer l'écoulement.

Mais comme en approfondissant la source, le travail des galeries se multiplioit, & que la dépense croissoit à proportion, MM. de Berne prévoyant que cette entreprise deviendroit à la fin insoutenable, s'ils ne rencontroient quelque moyen plus simple, faisoient consulter par-tout les ingénieurs les plus habiles ; mais inutilement, jusqu'à ce que M. le baron de Boëux, gentilhomme saxon, leur inspira un vaste dessein, pour lequel il eut sept mille louis de récompense, & quinze cent pour son voyage sur les lieux.

Ce dessein consiste à introduire un gros ruisseau dans l'intérieur de la montagne, par la cime du rocher, pour faire mouvoir plusieurs corps de pompes, au moyen d'une grande roue de 36 piés de diamêtre, posée à plus de 800 piés de hauteur perpendiculaire de l'entrée du ruisseau dans le rocher ; & ce rocher est en partie de marbre, en partie d'albâtre, & de pierre dure ; un mineur n'en emportoit guere plus d'un pié cube en huit jours ; cependant cette montagne est traversée à jour dans plusieurs endroits, & il y a cinq autres galeries, de 3 piés de large, & de 6 piés de haut, qui font en tout plus de 3000 toises de longueur, & de 7 millions 28000 piés cubes. La nature de ce travail, le tems, la dépense, & la grandeur de l'entreprise, sont autant de sujets d'étonnement pour le voyageur, & autant de preuves du cas que l'état de Berne fait de son trésor, & du desir qu'il a de se passer de l'étranger.

Le degré de la source est variable : quand elle est à sa plus grande richesse, elle porte jusqu'à 20 ou 22 parties, épreuve du feu, ce qui feroit près de 28 à l'épreuve du tube ; son plus bas a été à 8 degrés ou à 10, elle produit ordinairement 500 livres pesant d'eau par quart-d'heure ; ces eaux sont conduites de la source, par sa pente naturelle, à la saline de Bexvieux, par des tuyaux de bois de sapin, dans une distance de 5/4 de lieue, où elle est reçue dans des reservoirs, & de-là reprise par un mouvement de pompes que l'eau fait agir, pour la porter dans de grandes galeries appellées bâtimens de graduation, qui peuvent la fortifier jusqu'à 27 degrés ; de-là elle passe par sa pente naturelle dans les bernes ou bâtimens de cuite.

La même montagne fournit encore une autre source, foible, qu'on sépare de la précédente, & qui s'étend par des canaux de sapin, jusqu'à Aigle, lieu distant de-là de deux lieues.

Cette source est fort chargée de soufre & de bitume ; l'odeur en est forte, & l'on en voit sortir l'exhalaison en tourbillon de fumée, même pendant l'été, à l'issue des galeries qui donnent entrée dans la montagne. Les lampes des mineurs enflammoient quelquefois cette matiere, sur-tout dans les galeries en cul-de-sac, où il n'y a point d'air passant, alors elle chassoit avec impétuosité tout ce qui lui resistoit, brûloit, pénétroit les corps ; il y avoit des ouvriers blessés & étouffés de la sorte ; pour éviter cet inconvénient, on établit de distance en distance de gros soufflets de forge, que l'on agitoit sans-cesse pour chasser cette vapeur. C'est ainsi qu'on en usoit lorsque M. Dupin visita ces travaux ; cependant le sel de cette source est beau, bon, sain, crystallin, & blanc comme la neige ; le soufre contribue à lui donner cette blancheur, sans lui laisser son odeur.

On associe à cette derniere source, celle de la montagne de Panet, & leurs eaux vont mêlées, dans les reservoirs ou bâtimens de graduation, prendre, de foibles qu'elles sont, jusqu'à 25 à 27 degrés de salure ; on pourroit les pousser plus loin, mais l'eau trop chargée de sel devient gluante, pâteuse, & ne coule plus aisément par les petits robinets destinés à la répandre en forme de pluie, sur différens étages de fascines qu'elle doit traverser pour arriver à son bassin ; elle s'y attache, se fige, empêche l'effet de l'air, & par conséquent de l'évaporation, quand le tems est convenable, c'est-à-dire gai & sec ; on pousse la graduation depuis un degré & demi jusqu'à dix, en 24 heures. Avant cette découverte il falloit 6 cordes & demie de bois, pour fournir 25 quintaux ; maintenant 3 cordes & demie en donnent 80. Il est inutile d'insister sur l'importance d'économiser le bois.

Comme ce n'est point ici un systême nouveau dont l'événement soit équivoque, ni de ces imaginations philosophiques, tant de fois proposées, souvent essayées, mais dont l'essai en grand a toujours trompé la promesse ; que c'est au-contraire une expérience confirmée par un grand nombre d'années, à la saline de Slutz en Alsace, dans les deux salines de Suisse, & dans celle de Savoye, c'est refuser un avantage certain que de ne pas user d'une telle découverte.

Il y a des bâtimens de graduation à la saline de Moutiers en Tarentaise ; ce sont même les seuls dont nous ferons mention, les autres ne différant de ceux de nos salines, non plus que le reste de la manoeuvre, que par la différence des lieux. Le roi de Sardaigne ayant appris les services que M. le baron de Boëux avoit rendus au canton de Berne, l'appella à la saline de Moutiers, où il fit construire des bâtimens de graduation au nombre de cinq, dont deux ont 440 pas communs de longueur, & les trois autres 320 pas chacun. Ils ont tous 18 piés de large, sur 25 de haut, à prendre du rez-de-chaussée jusque sous la sabliere. La masse d'épines par où les eaux se filtrent, a 6 piés de large, occupe toute la longueur du bâtiment, & la hauteur depuis le bassin ou cuve basse, jusqu'à la sabliere ; ces cuves basses sont fournies par le grand reservoir, dont les eaux sont relevées dans les auges de filtration autant de fois qu'il est nécessaire, par plusieurs corps de pompes qui jouent continuellement, auxquelles l'Isere donne le mouvement ; les eaux sont poussées par la graduation depuis 2 degrés, qui est leur état naturel, jusqu'à 25 & 27.

Le degré s'estime par la livre sur le cent, ainsi la salure est à 20 degrés si l'évaporation étant faite sur 100 livres, il en reste 20.

SALINE DE DIEUZE, il y auroit beaucoup à gagner, à perfectionner les fourneaux ; voici comme on pourroit s'y prendre. L'ouverture superficielle seroit la même qu'aux anciens, c'est - à - dire de 28 piés sur 24 ; les côtés en talud, dont la ligne de pente seroit le côté d'un triangle équilatéral ; la distance de l'aire à la poële, inégale, savoir de 4 piés à l'embouchure, finissant à deux au plus, à l'endroit de la sortie ; il n'y auroit qu'une ouverture de 2 piés de large, & de 4 piés de haut, pour jetter le bois ; cette ouverture, avec un chassis ou huisserie de fer, à laquelle seroit suspendue une porte brisée de même matiere, que l'on ouvriroit ou fermeroit selon le besoin ; on pratiqueroit aux côtés deux fenêtres, pour juger de l'état des feux & de la poële, tout son quarré seroit exactement fermé pour concentrer la chaleur ; l'ouverture du derriere, ou la cheminée, auroit 2 piés de haut, sur 8 piés de large ; ayant remarqué que la chaleur qui sort par cette ouverture étoit fort considérable, on continueroit le fourneau de 9 à 10 piés de large, sur 12 de long, finissant à 7 piés ; l'on appliqueroit dessus un poëlon de même dimension ; l'ouverture ou cheminée de ce second poëlon, donnant encore beaucoup de chaleur, on en ajouteroit un troisieme, à 7 piés de base, finissant à 4, sur 7 à 8 piés de long, ensorte que l'un & l'autre de ces deux poëlons, ressembleroit à des cones tronqués, l'ouverture du dernier poëlon, destiné pour laisser échapper l'air & la fumée, n'auroit qu'un pié de haut, sur 18 pouces de large, & pourroit se fermer par un regitre. Voyez le plan ci-dessus. Dans les bâtimens qui auroient assez de profondeur, on pourroit multiplier les poëlons, pourvû qu'on proportionnât à leur nombre les pentes du fourneau.

Ce fourneau n'auroit pas les mouvemens des autres, le feu y seroit moins concentré, il agiroit avec plus de force, il se répandroit moins au-dehors, il seroit moins diminué au-dedans par l'accès de l'air froid, &c.

On a exécuté ces idées à Dieuze, & c'est tout ce qu'il y a de remarquable ; du reste, le sel s'y fabrique comme à Moyenvic & à Châteausalin.

SALINE DE ROZIERE, particularité des poëles de Roziere. Derriere les poëles il y a des poëlons qui ont 21 piés de long sur 5 de large, & derriere ces poëlons une table de plomb, à peu près de même longueur & largeur, sur laquelle sont établies plusieurs lames de plomb posées de champ, de hauteur de 4 pouces, qui forment plusieurs circonvallations. Toute cette machine s'appelle exhalatoire ; la destination de l'exhalatoire est d'évaporer quelques parties de l'eau douce, en profitant de la chaleur qui sort par les tranchées ou cheminées de la grande poële, & de dégourdir l'eau avant qu'elle tombe dans la grande chaudiere.

Particularités de la fabrication de sel au même endroit. Lorsque les maréchaux ont mis la poële en état, les ouvriers, dès quatre heures du matin, mettent le feu sous le poëlon, avec des éclats de buches, & cependant ils donnent de l'eau aux exhalatoires, laquelle se rend dans le poëlon. Ce poëlon contient de la muire grasse, autant qu'il a été possible d'en ramasser, ce sont les eaux les plus fortes que l'on ait dans le cours ordinaire de la formation du sel, par le moyen du feu.

Si la muire retirée de l'abattue, a été abondante, elle suffit seule à l'opération ; si on juge qu'il n'y en ait pas suffisamment, on jette dans le poëlon du sel de socquement : c'est ainsi que l'on appelle le dernier sel qui reste au fond de la poële, qui est d'un brun jaune, non loyal & marchand, & mêlé de corps étrangers.

Les ouvriers ont toujours de ce sel en quantité, pour parer aux accidens contraires à la formation dont la foiblesse des eaux est très - susceptible : le mauvais tems, le grand vent, le bois d'une moindre qualité, &c. peuvent faire cesser & baisser la poële à un point que l'on ne pourroit la relever & la faire schlotter, tout se perdroit sans former du sel.

Lorsque l'eau, versée des exhalatoires dans le poëlon où est la muire ou le sel de socquement, se dispose à bouillir, on remplit entierement de bois le fourneau de la grande poële, en laissant des jours entre les buches que l'on croise à cet effet ; on allume ce bucher, & sitôt que la poële a pris chaleur, on l'arrose avec la composition du poëlon, que l'on puise avec des vaisseaux appellés seillotes.

Quand le fer de la poële est bien chaud, & qu'il commence à être encrouté de sel formé par l'arrosement susdit, on y laisse entrer l'eau naturelle jusqu'à ce qu'elle soit à peu près pleine ; ensuite on donne quatre chaudes consécutives, c'est-à-dire qu'on charge quatre fois ce fourneau de bois ; la derniere chaude finit à trois heures après midi ; dans l'intervalle de ces chaudes, on leve les augelots, ou ces especes de caisses de fer, avec une ance, qui se posent aux angles & le long des côtés de la poële, & dans lesquels le schlot se dépose.

Cette premiere opération se fait par le maître, le salineur & le boeuf ; c'est ainsi que l'on nomme l'ouvrier qui décharge le bois des charettes, le jette sur la poële, & fait les autres menus services.

A trois heures après midi le socqueur se charge de la poële, il donne la derniere chaude avec le salineur qui se retire à six heures ; le socqueur rabat les braises, & laisse couler de nouvelle eau du poëlon dans la poële, suivant la force de sa muire ; on ne commence à tirer le sel que le 3 ou 4e jour, quelquefois en petite quantité, quelquefois assez abondamment, suivant les accidens survenus pendant la cuisson.

On compte le salinage par abattues, les abattues par tour, le tour est de 24 heures, & il y en a 13 dans une abattue ; chaque tour commence à 4 heures du matin : le produit en sel est plus ou moins grand.

Il n'y a en cette saline que cinq ouvriers, parce qu'ils ne sont pas obligés à travailler le bois.

L'été est la saison la plus favorable au salinage, il y en a bien des raisons qui se présenteront.

On a choisi pour cette comparaison deux mois d'hiver, pendant lesquels le nombre des abattues & des cordes de bois a été à-peu-près le même que dans deux mois d'été.

Lorsque la muire ou l'eau des sources salées, a senti le feu pendant quelque tems, elle devient trouble & elle commence à déposer un corps étranger, de couleur cendrée, gras au toucher, grumeleux ; en continuant de le frotter entre les doigts, on le croiroit plein de sablon assez fin ; cette matiere se nomme schlot, ou terre & crasse de poële ; c'est cette matiere qui forme le corps de l'écaille ou équille ; elle se durcit sur le fond de la poële, devient aussi solide que de la pierre commune, & lie le premier sel qui tombe sur fond ; son dépôt progressif est fini lorsque le grain de sel commence à paroître à la superficie de la muire.

Pour diminuer l'épaisseur de l'écaille qui diminue l'action du feu & ruine les fers, on se sert des augelots, le schlot s'y dépose ; on le jette, parce qu'on sait par expérience qu'il ne contient presque point de sel ; il fait périr les arbres, s'il pénetre jusqu'à la racine ; en le travaillant avec art & sans mêlange, on en tire un sel pareil à celui d'Epson.

On en tire encore d'autres sels ; en l'examinant, il donne des crystaux depuis 6 jusqu'à 18 & 20 lignes de long, & depuis 1 jusqu'à 3 1/2 lignes de largeur ; ce sont des prismes à six pans irrégulierement réguliers ; les deux surfaces du petit diamêtre sont à-peu-près doubles de largeur des deux surfaces qui terminent chaque extrêmité du grand diamêtre ; chacun des deux bouts est terminé en pointe de diamans, par six triangles dont les bases sont égales aux deux plus larges superficies, & aux quatre petites alternes.

Addition à ce qui a été dit des bâtimens de graduation. Pour former le sel de mer on dispose des aires ou bassins, qui ont beaucoup de superficie & peu de profondeur, dans lesquels on introduit l'eau de la mer par des rigoles ; le soleil & l'air agissent sur cette eau, ils l'enlevent, l'évaporent dans un espace de tems plus ou moins long, suivant l'ardeur du soleil, la qualité & l'activité du vent, étant à observer que la saison de l'été la plus chaude, est celle que l'on saisit pour cette opération. Le sel, comme plus pesant que les parties aqueuses, demeure inébranlable aux chocs qu'il reçoit, l'action du soleil, les secousses & les ébranlemens de l'air, l'élevent seulement jusqu'à une hauteur de quelques piés, mais il retombe après quelques pirouettemens, ses parties se réunissent, se crystallisent, & forment enfin un corps solide, dont la figure est communément cubique.

L'art a cherché à imiter la nature par les bâtimens de graduation ; pour cela il n'a que changé la forme de l'évaporation ; celle de la nature se fait dans une disposition horisontale, celle de l'art dans une disposition verticale.

Les bâtimens de graduation sont à jour, élevés de 20 à 25 piés de la cuve à la sabliere ; on force l'eau que l'on veut graduer, à monter par les pompes jusqu'au haut de ces bâtimens, d'où elle se distribue dans des augets de 4 à 5 pouces de largeur & autant de profondeur, disposés suivant la longueur du bâtiment, parsemés de petits robinets à six pouces de distance les uns des autres, qui ne laissent échapper l'eau que par gouttes, lesquelles rencontrant dans leur route une masse de fascines de 20 à 25 piés de haut, sur 10 de large, se subdivisent & multiplient leurs surfaces à l'infini ; ensorte que l'air auquel cette subdivision donne beaucoup de prise, emporte dans l'espace, comme une rosée, les parties douces de l'eau qui se sont trouvées soumises à son action, pendant que les parties qui demeurent chargées de sel, déterminées par le poids, décrivent constamment une perpendiculaire, & se précipitent dans le bassin destiné à les recevoir, d'où elles sont ensuite élevées par d'autres pompes qui les portent dans une autre division d'augets, pour retomber, par la même manoeuvre que ci-devant, dans une autre division de bassin, & successivement jusqu'au dernier, le nombre étant proportionné au degré de la salure de l'eau. On donne aux plus foibles, telles que celles d'un degré & demi ou deux degrés, jusqu'à sept divisions, & l'on peut les pousser jusqu'à 30 degrés en trois jours dans la bonne saison.

Plus la disposition des bâtimens est parfaite, plus les différentes économies sont sensibles. Leur forme, leur exposition, la maniere d'élever les eaux, l'attention au progrès de la salure pour éviter un travail inutile & ménager un tems précieux, le gouvernement des robinets qu'il faut conduire suivant les changemens & le caprice du vent, & mille autres détails que l'on croiroit indifférens, sont d'une importance extrême.

Pour pouvoir déterminer avec certitude l'étendue des bâtimens nécessaires à graduer une source salée, il en faut connoître avec précision la possibilité & la qualité. Mais pour en donner une idée générale, de même que de l'économie qui en résulte, on dira que pour faire par le moyen de la graduation 7000 tonneaux de sel de 650 pesant chacun, avec de l'eau à 4 degrés ou à 4 pour 0/0, il faut 3000 piés de bâtiment & 5000 cordes de bois, & que sans cela, il en couteroit 32000 cordes pour pareille quantité.

On ne connoît point l'auteur de cette machine ; mais il est à présumer qu'elle est fort ancienne, & que la saline de Soultz en basse Alsace, a fourni le modele de celles qu'on a établies dans la suite. C'est surement la plus ancienne. Celles de Suisse, de Savoye & d'Allemagne sont absolument modernes, & il est étonnant que l'on n'ait pas plus tôt fait attention à celle de Soultz, qui est sur le grand chemin de Strasbourg à Mayence, & exposée à la vue de tout le monde. Il n'y a personne à Soultz ni aux environs, qui sache l'origine de cette saline ; le plus ancien titre qui existe est un contrat d'acquisition de 1665.

Elle subsistoit avant les guerres de Suede, pendant lesquelles elle fut ruinée. Rétablie à la paix, elle fut donnée à emphithéote par la maison de Fleckenstein à celle de Krug, moyennant le dixieme du produit en sel. Krug la rendit à Furst, qui la répara de nouveau. Cette saline peut fournir annuellement environ 140 muids, de 650 livres chacun.

Les eaux des fontaines salantes passent par des carrieres souterraines de sel gemme, où elles se chargent de parties de sel, & contractent un degré de salure plus ou moins fort, suivant qu'elles en parcourent sans interruption un plus ou moins long espace, étant à observer que ces roches sont par veines, par couches & par cantons ; & c'est la raison pour laquelle on voit côte à côte une source d'eau douce & une autre d'eau salée ; desorte que la terre étant extrêmement variée dans sa composition, les eaux qui en sortent participent de tous ses différens modes, & elles se trouvent imprégnées de parties de sel à proportion des différences de leurs positions.

La mer est trop éloignée pour s'imaginer qu'elle soit la cause de la salure de ces eaux ; l'eau filtrée dans les terres pendant un si long trajet, se dépouilleroit nécessairement de son sel, à-moins qu'on ne supposât qu'elles sont apportées de la mer ici par un canal fort droit & fort large, ce qui s'oppose à la raison & à l'expérience, par laquelle nous remarquons que l'eau de ces sources vient par différentes embouchures, & qu'elles croissent ou diminuent suivant que la saison est seche ou pluvieuse.

On remarque même que plus elles sont abondantes, plus elles sont salées ; ce qui provient de ce qu'ayant alors plus de volume, de poids & de vîtesse, elles frappent avec plus de violence & émoussent avec plus de facilité les angles des sinuosités qu'elles parcourent, & en entraînent aussi les particules jusqu'où le niveau leur permet d'arriver.

Voilà ce qui nous restoit à ajouter à cet article, d'après lequel on aura, je crois, une connoissance suffisante de ce que c'est que les fontaines salantes ; & les usines qu'on appelle salines. Voyez encore les articles SEL, SEL GEMME, SEL MARIN, & l'art. suiv.

SALINES DE FRANCHE-COMTE, il y en a deux dont l'abondance des sources, la qualité des eaux, & le produit en sel sont fort différens. La saline de Montmorot inférieure en tout à celle de Salins, n'a sur elle que l'avantage de l'avoir précédée. Mais détruite par le feu, ou abandonnée pour quelque autre raison, elle a été oubliée pendant plusieurs siecles, & c'est seulement vers le milieu de celui-ci que l'on a pensé à la relever. Au contraire depuis plus de douze cent ans que la saline de Salins subsiste, elle a toujours été entretenue avec un soin particulier, & a paru mériter l'attention de tous les souverains à qui elle a appartenu. Elle est beaucoup plus considérable que l'autre, & c'est par elle que nous commencerons cet article.

SALINE DE SALINS, (a) elle est divisée en deux parties que l'on distingue par grande & petite saline. Il y a une voûte soûterreine de 206 piés de longueur, 7 piés 5 pouces de haut, & 5 piés de largeur, qui donne communication de l'une à l'autre, ensorte qu'elles ne font ensemble qu'une seule & même maison. Elle est située au centre de Salins, dans une gorge fort étroite. Le rempart la sépare de la riviere de Furieuse, & elle est fermée par un mur du côté de la ville, à qui elle a donné la naissance & le nom. Car Salins a commencé par quelques habitations construites pour les ouvriers qui travailloient à la formation du sel.

Les eaux précieuses de cette saline en avoient fait un domaine d'un grand revenu, & ce fut un de ceux que S. Sigismond, roi de Bourgogne, donna au commencement du vj. siecle, pour doter le monastere d'Agaune. Ce monastere posséda dès-lors Salins en toute propriété jusqu'en 943, que Meinier, abbé d'Agaune, le donna en fief à Albéric, comte de Bourgogne & de Mâcon. Nous ne trouvons rien qui nous apprenne si l'établissement de cette saline est de beaucoup antérieur au vj. siecle. Strabon assure qu'on faisoit grand cas à Rome des chairs salées dans le pays des Séquanois ; mais ce passage ne peut pas s'appliquer à la saline de Salins plutôt qu'à celle de Lons-le-Saunier, qui est sûrement plus ancienne, & à laquelle par cette raison il semble mieux convenir.

La grande saline occupe un terrein irrégulier qui a 143 toises dans sa plus grande longueur du septentrion au midi, & 50 toises dans sa plus grande largeur du levant au couchant. La petite saline placée au septentrion de la grande, & dans la même position, a 40 toises de longueur & 25 de largeur.

Cette derniere renferme un puits appellé puits à muire. Il est à 66 piés de profondeur, depuis la voûte supérieure jusqu'au fond du récipient qui reçoit les eaux salées, & il a 30 piés de largeur, de toutes faces, présentant la forme d'un quarré. L'on y descend par un escalier, & l'on trouve au fond deux belles sources salées (b) qui dans 24 heures produisent 160 muids, mesure de Paris. L'eau claire, transparente, & à 17 degrés, est conduite par un tuyau de bois, dans le récipient des eaux salées. Il est à 5 piés de distance construit en pierre, & contient 47 muids. A côté de ce récipient, il en est un autre de la contenance de 61 muids, dans lequel se rassemblent les eaux de 4 sources (c) une fois plus abondantes que les deux premieres ; mais qui étant seulement à 3 degrés, sont pour cela nommées petites eaux. On en éleve une partie pour des usages qui seront expliqués dans la suite.

En termes de saline, l'on entend par degrés la quantité de livres de sel renfermées dans cent livres d'eau ; c'est-à-dire que 100 liv. pesant d'eau des deux premieres sources qui sont à 17 degrés, rendront après l'évaporation, 17 liv. de sel ; & par la même raison, 100 liv. des quatre dernieres sources, ou petites eaux à 5 degrés, n'en rendront que 5 liv. La pinte de Paris des eaux à 17 degrés, contenant 48 pouces cubes, pese 35 onces 1/4 ; & celle des eaux à 5 degrés, pese 32 onces 5/8.

On connoît le degré des eaux, en réduisant à siccité, par le moyen du feu, une quantité d'eau d'un poids connu, & celui du sel formé donne le degré. Sur cette opération, on a établi une éprouvette qui démontre d'abord la quantité de sel contenu dans 100 liv. pesant d'eau. Cette éprouvette est un cylindre d'étain, d'argent, &c. que l'on introduit perpendiculairement dans un tube de même matiere rempli de l'eau qu'on veut éprouver. Au haut du cylindre sont gravées des lignes circulaires distantes l'une de l'autre, dans des proportions déterminées par l'épreuve du feu. Ce cylindre se soutenant plus ou moins dans l'eau, suivant qu'elle est plus ou moins salée, & par conséquent plus ou moins forte, en désigne les degrés, par le nombre des lignes qui s'apperçoivent au-dessus du niveau de l'eau. Il ne faut pas que l'éprouvette soit en bois, parce que le sel s'y imbibant, donneroit ensuite à l'eau un degré de salure qu'elle n'auroit pas. D'ailleurs, le bois se gonflant ou se resserrant, suivant la sécheresse ou l'humidité de l'air, mettroit toujours un obstacle à la justesse de l'opération.

(a) La ferme générale soustraitant depuis long-tems la saline de Salins, il y a deux régies dans cette saline : celle de l'entrepreneur, dont nous indiquerons les employés dans la suite de ces notes, & celle de la ferme générale, dont nous allons d'abord donner une idée, parce qu'elle n'a point de rapport à toutes les manoeuvres que nous détaillerons, & qui regardent l'entrepreneur.

La régie de la ferme générale consiste à veiller à l'exécution du traité fait avec l'entrepreneur, à recevoir de lui les sels formés ; en faire faire les livraisons, percevoir le prix des sels d'ordinaire & Rozieres ; des Salaigres, Bez & Poussets, & de payer les dépenses assignées sur le produit.

Ses employés sont un receveur général - inspecteur, un contrôleur des salines, un contrôleur à l'emplissage des bosses, un contrôleur au pesage, un contrôleur-géometre, deux contrôleurs aux passavants, huit guettes, faisant les fonctions de portier, & chargés de fouiller les ouvriers & ouvrieres qui sortent des salines ; deux gardes attachés à la saline.

(b) Il y en a même trois : 1°. la bonne source a dix-sept degrés : 2°. le surcroit a dix-huit degrés deux tiers : 3°. le vieux puisoir ; mais cette derniere source n'a que deux tiers de degrés. Aussi ne la réunit-on avec les deux premieres que lorsque l'on fait l'épreuve juridique des eaux. C'est un ancien usage qui n'en est pas plus raisonnable pour cela. Dès que l'épreuve est finie, on renvoie le vieux puisoir dans le puits des petites eaux.

(c) La premiere est le vieux puisoir dont on a parlé dans la note précédente : la seconde s'appelle le durillon ; les autres sont sans nom, & aussi foibles en salure.

L'étain paroit préferable à l'argent, parce qu'il ne se charge pas de verd-de-gris ; & l'on doit toujours avoir soin de laver l'éprouvette avec de l'eau douce après qu'on s'en est servi, autrement elle cesse d'être juste.

Nous observerons ici, qu'il n'y a que les matieres salines qui marquent à l'éprouvette ; parce que le sel seul, pouvant se placer dans les petits interstices qui sont entre les globules de l'eau, la rend plus forte, plus difficile à céder, & s'y insinue même jusqu'à une quantité assez considérable, sans la faire augmenter de volume ; mais l'on auroit beau charger une eau douce de boue, & d'autres parties étrangeres, si on la met à l'éprouvette, le cylindre restera à la marque de l'eau douce, sans indiquer le moindre degré de salure.

Il y avoit autrefois une ancienne éprouvette en usage à Salins, dont le degré étoit d'un tiers plus foible que celui de la nouvelle dont nous venons de parler, c'est-à-dire qu'au lieu d'indiquer une livre de sel renfermée dans 100 liv. d'eau, il n'en indiquoit que les deux tiers d'une livre ; c'est à quoi il faut faire attention, quand on lit quelques mémoires ou procès-verbaux sur cette saline, & les officiers qui font tous les mois la visite des sources pour en constater les degrés, les comptent encore aujourd'hui suivant l'ancien usage.

La grande saline renferme deux puits dans lesquels il se trouve beaucoup de sources, salées & douces. Le premier est appellé puits d'amont ; & le second, puits agray ; & quoique l'un & l'autre soient désignés par le nom de puits, ils n'en ont point la forme. Ce sont de grandes & spacieuses voûtes souterreines bien travaillées, & construites solidement. Elles commencent au puits d'amont ; on y descend par un escalier en forme de rampe, composé de 61 marches. On arrive sur un plancher de 21 piés de long, sur 15 piés de large, sous lequel se trouve un grand nombre de sources de différens produits. Elles sont toutes séparées, non par des peaux de boeufs, comme on le lit dans le Dict. de Commerce, mais avec de la terre glaise préparée & battue, que l'on nomme conroi (d), & couverte par des trapes que l'on leve au besoin.

Il y a sept de ces sources (e) qui par de petites rigoles faites avec le conroi dont on vient de parler, sont amenées dans deux récipiens ménagés dans un même bassin de bois attenant au plancher, & de la contenance de 37 muids, 2 quarts, 58 pintes, mesure de Salins. (f) Elles fournissent par demi-heure 17 quarts, 12 pintes d'une eau à 10 degrés. Les autres, à l'exception de deux nommées les changeantes, n'étant qu'à 1, 2 degrés, ou même la plûpart totalement douces, elles sont rassemblées dans un récipient voisin, de même nature que le premier, & de la contenance de 15 muids, toujours mesure de Salins.

Les deux sources dites premiere & seconde changeantes, parce qu'elles ont souvent varié, ainsi que la troisieme changeante, sont à 2 degrés 2/3. & fournissent par demi-heure 1 quart 50 pintes. Un cheneau de bois les amene dans le récipient des eaux salées, d'où elles sont élevées séparément (g) pour des usages dont nous parlerons dans la suite.

La voûte en cet endroit a 39 piés de haut, à compter depuis le fond des récipiens, jusques sous la clé des arcades, & 44 piés de largeur : le tout à une seule arcade & sans piliers. Elle est construite ainsi dans la longueur de 178 piés ; de-là elle n'a plus que 17 piés de haut sous clé, sur 20 de large, & 148 de longueur ; cette partie sert à communiquer aux sources dites le puits à gray. En cet endroit la voûte a 46 piés de large, sur 34 de hauteur, & 176 de longueur. L'on trouve à l'extrêmité un plancher de 13 piés de large sur la longueur de 25 ; sous lequel sont sept petites sources salées à 13 degrés, couvertes par des trapes, comme au puits d'amont, & conduites par des rigoles de terre glaise dans un petit bassin de réunion où tombe encore un filet d'eau au même degré, dont l'on ignore la source. De ce bassin, où elles prennent le nom de grand coffre, elles sont envoyées par des tuyaux de bois de 18 toises de longueur au récipient des eaux salées, contenant 28 muids. A 18 pouces du fond de ce récipient, il sort encore une source nommée la chevre ; elle est à 10 degrés, & se mêle avec les autres. Leur produit total donne dans 24 heures, 145 muids à 12 degrés 2/3.

L'on doit observer que dans le nombre des sept premieres sources, il y en a une, d'un produit peu considérable, qui tarit dans les tems de grande pluie, & ne reparoît que dans les tems de sécheresse. Autour du plancher qui les couvre, il se trouve encore huit ou dix petites sources presque douces, qui réunies par un cheneau, vont tomber ensemble dans leur récipient, contenant 78 muids.

Toutes les sources salées des trois puits fournissent dans 24 heures 527 muids, dont le mêlange dans la cuve du tripot est ordinairement à 14 degrés. Elles sont mesurées le premier de chaque mois en présence des officiers de la jurisdiction des salines, & des préposés des fermiers. Les quantités de muids rapportées ci-dessus ont été calculées, de même que le degré des eaux, sur le produit total de plusieurs années dont on a tiré le commun. Ces sources augmentent ou diminuent proportionnellement au plus ou moins de pluie qui tombe ; & l'on a remarqué que les années qui étoient abondantes en neige étoient celles où les sources produisoient davantage. En général, plus le produit des sources augmente, & plus elles sont salées ; elles paroissent toutes venir du couchant, & passer sous la montagne sur laquelle est bâti le fort Saint-André.

Les eaux salées & douces des deux salines sont élevées (h) avec des pompes aspirantes, au moyen

(d) Les cinq premieres sources formées de différens sillets, se réunissent dans le plus grand des deux récipiens, & y coulent sous les dénominations que nous allons rapporter.

La premiere, dite les trois anciennes, est à onze degrés de salure.

La seconde s'appelle le corps de plomb ; elle est au même degré que les trois anciennes.

La troisieme ou la petite roue, est à douze degrés.

La quatrieme est nommée la nouvelle source ; ses eaux sont à quatre degrés trois quarts.

La cinquieme dite la troisieme changeante, est à quatre degrés & demi.

(e) Il y a deux préposés pourvûs d'office par le roi pour veiller à l'entretien du conroi qui sépare les sources salées & douces, & conduit leurs eaux dans les bassins qui leur sont destinés. Ils sont aussi chargés d'accompagner les officiers des salines, lorsqu'ils vont faire l'épreuve juridique des sources, d'y suivre le montier de garde dans sa visite hebdomadaire, & d'y conduire les étrangers. On les nomme conducteurs conroyeurs des sources. L'un est pour la grande saline & l'autre pour la petite.

(f) La pinte de Salins contient 64 pouces cubes, & il faut 240 pintes pour le muid.

La pinte de Paris ne contient que 48 pouces cubes, & il en faut 288 pour le muid.

La différence du muid de Salins est donc de 1544 pouces cubes, dont il est plus grand que le muid de Paris, ou de 32 pintes mesure de Paris, qui ne valent que 24 pintes mesure de Salins.

(g) Quoique ces eaux soient élevées séparément, on les réunit aussi avec les premieres, lorsque l'on fait la reconnoissance juridique des sources. C'est à-peu-près comme si une femme, toutes les fois qu'elle visiteroit ses diamans, y méloit des cailloux fangeux qui leur ôteroient de leur éclat & de leur prix, & qu'elle ne feroit entrer dans son écrin que les jours où elle en voudroit examiner la richesse. L'exemple d'une grand-mere imbécille seroit-il suffisant pour autoriser une conduite aussi ridicule ?

(h) Quatre charpentiers attachés aux salines sont chargés de l'entretien des rouages, & des ouvrages qui sont au compte de l'entrepreneur.

L'entretien des bâtimens, & toutes les grosses réparations, sont au compte du roi.

d'une machine hydraulique établie à chaque puits. Les eaux salées sont conduites par différens cheneaux dans le grand récipient appellé tripot ; c'est une vaste cuve toute en pierres de taille asphaltée, & garnie en-dehors de terre glaise bien battue ; elle contient 5568 muids, mesure de Paris. De-là ces eaux sont encore élevées avec des pompes, & distribuées par plusieurs chénaux dans les nauds ou réservoirs, établis près des chaudieres où elles sont bouillies ; on les y fait couler par le moyen d'une échenée que l'on retire ensuite lorsque la chaudiere est remplie, les pompes qui élevent les eaux douces ou peu salées, & qui les jettent dans le canal dit de Cicon, jouent par les mêmes rouages qui font mouvoir celles des eaux salées.

Le canal de Cicon qui reçoit toutes les sources douces de la grande saline, ainsi que les eaux qui ont servi aux machines hydrauliques, commence à l'extrêmité de la voûte du puits d'amont. A cet endroit élevé de 10 piés au-dessus du niveau des sources salées, on en voit une d'eau douce, abondante, claire, & bonne à boire. De-là le canal continue jusqu'à l'autre extrêmité de la voûte dite le puits à gray, où il reçoit encore les eaux qui ont fait mouvoir la machine hydraulique construite pour les pompes de la cuve du tripot ; alors il est fait en voûte, & passe sous la ville de Salins, à 25 piés de profondeur. Il a 332 toises de longueur ; 4 piés de large, sur 6 de hauteur commune, à compter depuis l'extrêmité de la voûte du puits à gray, jusqu'à l'endroit où il jette ses eaux dans la riviere de Furieuse.

Les eaux douces ou peu salées du puits amuré à la petite saline, ainsi que celles qui font mouvoir les machines hydrauliques pour les pompes qui les élevent, sont aussi reçues dans un canal de 53 toises de longueur, du même nom & de la même construction que celui de la grande saline auquel il se réunit.

Les voutes souterreines qui renferment les sources des puits d'amont & à gray, regnent sous le pavé de la grande saline, du septentrion au midi ; leur longueur totale est de 502 piés. On en attribue la construction aux seigneurs de la maison de Salins, qui commencerent à régner vers l'an 941, en la personne d'Albéric de Narbonne, comte de Mâcon & de Bourgogne, sire de Salins.

Nous avons dit que toutes les eaux salées de la grande & de la petite saline, se rassembloient dans la cuve du tripot, d'où elles étoient distribuées dans les réservoirs établis près des chaudieres.

Ces chaudieres ou poëles, toutes désignées par un nom particulier (i), sont au nombre de neuf, avec chacune un poëlon qui les joint par-derriere. Il y en a deux à la petite saline, & sept à la grande. Chaque chaudiere avec son poëlon a un emplacement séparé, & un réservoir ou naud fait de madriers de sapin pour y déposer les eaux nécessaires aux cuites. Cet emplacement s'appelle berne (k) ; il a 64 piés de long sur 38 de large.

Toutes les poëles sont de figure ovale, & les poëlons de celle d'un quarré long plus étroit dans le bout opposé à celui qui touche la chaudiere. Les dimensions communes d'une poële sont de 27 piés 2 pouces de longueur, 22 piés 8 pouces de largeur, & 1 pié 5 pouces de profondeur. Elle contient 90 muids d'eau ; celles du poëlon sont de 18 piés de long, 10 piés 6 pouces de large, & 1 pié 3 pouces de profondeur ; il contient 30 muids. L'un & l'autre sont composés de platines (l) de fer cousues ensemble avec de gros clous rivés, & sont suspendus sur un fourneau, la poële par 135 barres de fer de 4 piés de longueur, & le poëlon par 20 autres barres longues de 6 piés. Ces barres appellées chaînes, sont rivées par-dessous la chaudiere, & accrochées dans le dessus à des anneaux de fer tenans à des pieces de bois de sapin (m), qui traversent la largeur de la poële, & sont appuyées sur deux grosses poutres que soutiennent quatre dés de maçonnerie appellés piles, qui s'élevent de 3 à 4 piés aux quatre angles des murs du fourneau.

Le fourneau est creusé dans le terrein en même longueur & en même largeur que la poële & le poëlon. Le devant fermé par un mur, forme une ouverture ou gorge de 4 piés 6 pouces de hauteur, sur 15 à 16 pouces de largeur. C'est par-là que l'on jette le bois sur une grille de 10 piés de long & de 4 piés de large, placée à 6 piés de distance de la gorge du fourneau, sous le milieu de la poële dont elle est éloignée de 4 piés 6 pouces. Cette grille est composée de gros barreaux de fonte, distans de 3 pouces les uns des autres, pour que la braise puisse tomber dans un fondrier de 3 piés 6 pouces de profondeur & de 4 piés de largeur, creusé depuis l'extrêmité de la grille jusqu'à l'ouverture de la gorge à laquelle il vient aboutir pour faciliter le tirage des braises. Depuis les bords du fondrier, le terrein s'éleve en talud jusqu'aux côtés de la poële (n) ; de façon qu'il n'en est plus qu'à 8 pouces de distance. Il s'éleve de même depuis le bout de la grille jusqu'à l'extrêmité du poëlon, dont alors il ne se trouve plus éloigné que de 10 à 11 pouces. Le fourneau est fermé tout-autour avec de la terre (o), à l'exception de 4 soupiraux de 15 pouces de largeur, que l'on ouvre & ferme, suivant les besoins.

L'activité du feu se trouve dans le centre de la poële : l'air fait couler la flamme sous le poëlon (p), & la fumée s'échappe derriere par une ouverture de 6 à 7 piés de largeur, sur 10 à 11 pouces de hauteur.

La formation du sel se fait dans 3, 4, & quelquefois 5 bernes à-la-fois. Il faut 17 à 18 heures pour une cuite (q) : ensorte que les 16 cuites consécutives, qu'on appelle une remandure, emportent 11 ou 12 jours & autant de nuits d'un travail non interrompu à la même poële. On fait dans le même tems 16 cuites au poëlon, & le sel s'y trouve ordinairement formé 3 ou 4 heures avant celui de la poële (r). La

(i) Les chaudieres de la grande saline sont beauregard, chatelain, comtesse, glapin, grand bief, martinet, & petit bief. Celles qui sont à la petite saline s'appellent l'une chaudiere du creux, & l'autre chaudiere de soupat.

(k) Chaque berne est distinguée par le nom de la chaudiere qu'elle renferme.

(l) Les platines du fond s'appellent tables ; celles des bords versats, dont le haut est terminé par des cercles de fer nommés bandes de toises.

Les poëles sont composées de 350 tables ; de 100 versats, de 195 chaînes, & de 7500 clous.

(m) Le nom de ces pieces de bois est traversiers. Elles sont au nombre de 22, distantes de 10 pouces l'une de l'autre, & ayant chacune 9 à 10 pouces d'équarrissage. Les deux poutres sur lesquelles elles sont appuyées, s'appellent pannes ou pesnes.

(n) Les murs des côtés de la poële se nomment macelles.

(o) Cette partie qui touche les bords de la poële s'appelle rond.

(p) Les poëlons ne sont pas anciens. Il n'y a pas trente ans qu'ils sont en usage dans la saline de Salins. C'est M. Dupin, fermier général, qui les y a introduits. Il en résulte une épargne de bois considérable, & relative à la quantité d'eau que l'on bouillit au poëlon, sans augmenter sensiblement le feu de la poële.

(q) Autrefois la cuite ne duroit que douze heures ; mais le sel en étoit moins pur & moins beau, l'eau n'ayant pas le tems de scheloter assez, ni le sel celui de se former. Aussi étoit il sans consistance, & comme de la poussiere.

(r) Les fevres ou maréchaux chargés de l'entretien des poëles, car on n'en fait jamais de neuves à Salins, étoient autrefois pourvûs de leur office par le roi ; ce qui les mettoit à l'abri de la révocation, & étoit contre le bien du service. On a supprimé ces charges, & les maréchaux sont à présent aux gages de l'entrepreneur, qui avec des appointemens fixes, leur accorde encore onze deniers par charge de toute espece de sel formé, afin de les intéresser par-là à apporter tous leurs soins à l'entretien des chaudieres, & à prévenir les coulées.

Les maréchaux des salines sont à présent au nombre de neuf : il y a quatre maîtres & cinq compagnons.

raison de cette différence est que l'on ne remplit jamais le poëlon déja beaucoup plus petit, afin que l'évaporation s'y faisant plus vîte, on puisse y remettre de l'eau pour la cuite suivante, pendant qu'il y a encore du feu sous la chaudiere.

Avant de commencer une remandure, on prépare la chaudiere 1°. en bridant les chaînes ou barres de fer qui soutiennent la poële & le poëlon, c'est-à-dire, en les assujettissant toutes à porter également ; 2°. en nattant avec de la filasse les joints & les fissures qui auroient échappé à la vigilance des maréchaux ; 3°. en enduisant la surface de la poële & du poëlon avec de la chaux vive délayée fort claire dans de l'eau extrêmement salée, appellée muire cuite, parce qu'elle provient de l'égout du sel en grain : ces trois opérations s'appellent faire la remandure. Ensuite, & immédiatement avant de commencer la premiere cuite, on allume un petit feu sous la poële pour faire sécher lentement la chaux, & on l'arrose avec cette même muire cuite ; ce qui s'appelle essaler, pour que le tout forme un mastic capable de boucher exactement les fissures, & d'empêcher la poële de couler (s).

Le travail d'une cuite est divisé en quatre opérations, connues sous les noms d'ébergémuire, les premieres heures, les secondes heures, & le mettre-prou. On entend par le terme d'ébergémuire, l'opération de faire couler dans la poële les eaux de son réservoir ; elle dure quatre heures, pendant lesquelles on fait du feu sous la chaudiere, en l'augmentant à proportion qu'elle se remplit. Lorsqu'elle est pleine, le service des premieres heures commence ; il dure quatre heures. Alors on fait un feu violent pour faire bouillir l'eau ; de façon cependant qu'elle ne s'échappe point par-dessus les bords ; le service des secondes heures dure aussi quatre heures. Il consiste à entretenir un feu modéré, & à le diminuer peu-à-peu, afin que le sel, qui commence alors à se déclarer puisse se configurer plus favorablement. Le mettre-prou, derniere opération de la cuite, dure cinq heures, pendant lesquelles l'ouvrier jette peu de bois, & seulement pour entretenir le feu, jusqu'à ce que le sel soit entierement formé, & qu'il ne reste que très-peu d'eau dans la poële.

Alors l'on ne jette plus de bois ; quatre femmes nommées tirari de sel, le tirent avec des tables de fer aux bords de la chaudiere, & d'autres ouvriers appellés aides, l'enlevent dans des gruaux (t) de bois, & le portent partie dans les magasins du sel en grains, & partie dans l'ouvroir, dont nous parlerons plus bas, pour y être formé en pains. Lorsque tout le sel est enlevé, on remplit la poële pour une seconde cuite, & ainsi des autres.

Quatre ouvriers & deux femmes sont attachés au service de chaque berne ; les ouvriers que l'on nomme ouvriers de berne (u), travaillent ensemble à préparer la chaudiere ; ce que l'on appelle faire la remandure. Ensuite ils se relevent pour le travail de la cuite ; ensorte que chacun d'eux faisant une de ces quatre opérations, se trouve avoir fait quatre cuites à la fin de la remandure.

Les deux femmes s'appellent aussi femmes de berne ; l'une dite tirari de feu, est occupée à tirer quatre fois par cuite les braises qui tombent de la grille dans le fondrier. Elle employe à cet usage une espece de pelle à feu longue de 20 pouces, large de 14, & dont les bords dans le fonds ont un pié d'élévation. Cette pelle est attachée à une grande perche de bois ; on l'appelle épit. L'autre femme dite eteignari, éteint la braise avec de l'eau, à mesure que la premiere l'a tirée. Toutes les deux sont encore chargées de tirer le sel aux bords du poëlon, lorsqu'il y est formé ; les tiraris de sel dont on a parlé, ne sont que pour la chaudiere.

Les seize cuites consécutives qui composent une remandure, produisent communément 1200 quintaux de sel, & consomment environ 90 cordes de bois. Une corde a 8 piés de couche, sur 4 piés de hauteur ; & la buche a 3 piés & demi de longueur. On fait année commune dans les salines de Salins 132 remandures, qui produisent autour de 158000 quintaux de sel blanc comme la neige, & agréable au gout, pour la formation desquels on consomme près de 11800 cordes de bois (x).

Après que la remandure est finie, on enleve le

(s) La vivacité du feu que l'on fait au fourneau se portant contre le fond de la poële, la tourmente, la bossue, & quelquefois en perce les tables, ou les disjoint. Alors la muire passant par ces ouvertures tombe dans le fourneau, c'est ce que l'on nomme coulée. Pour y remédier, un ouvrier monte sur les traverses de la poële, rompt avec un outil tranchant à l'endroit qu'on lui indique, l'équille qui couvre la place où la chaudiere est percée, & y jette de la chaux vive détrempée. C'est pendant le tems des coulées que se forment les salaigres. La chaleur du fourneau saisissant vivement l'eau qui s'échappe, en attache le sel au fond de la poële, où, lorsque la coulée est longue & considérable, il forme des especes de stalactites qui pesent jusqu'à 30 ou 40 livres ; on ne peut les détacher qu'à la fin de la remandure, quand le fourneau est refroidi. Les petits morceaux de salaigres qui se trouvent dans les cendres des ouvroirs ou des fourneaux, se nomment bez. Il n'y a de différence que dans la grosseur.

Il sembleroit aux chymistes que ces matieres exposées quelquefois pendant dix ou douze jours à une chaleur violente & continuelle, ne peuvent point conserver de salure, parce que l'acide marin emporté par l'activité du feu, doit se dissiper entierement, & laisser à nud la base alkaline dans laquelle il étoit engagé. Cependant les salaigres contiennent encore beaucoup de parties salines ; les pigeons en sont très-friands, & ceux qui ont des colombiers recherchent avec empressement cette espece de pétrification.

Les soins que l'on apporte aujourd'hui aux poëles de Salins empêchant presque entierement les coulées, & par conséquent la formation des salaigres, les fayanciers qui en faisoient grand usage pour leur fabrication, prennent pour y suppléer, des équilles des poëles. Ils les achetent à un prix plus bas, quoiqu'elles renferment beaucoup plus de sel. On vendoit les salaigres 15 liv. le quintal, ce qui étoit plus cher que le sel, & les équilles leur sont données pour 10 liv.

(t) Le portage des sels enlevés de la chaudiere se fait dans des gruaux de la contenance d'environ trente livres. Les aides qui en sont chargés ont chacun 13 sols 4 den. par remandure de la grande saline, & 1 liv. 2 sols 2 den. 2 tiers pour la petite saline.

Le montier de service compte les gruaux de sel sortis de la chaudiere, sur le pié de dix pour onze, qui sont effectivement portés dans les magasins. Le onzieme est retenu pour prévenir les déchets.

Il y a huit montiers, six à la grande saline & deux à la petite. Leurs fonctions sont de veiller sur toutes les parties du service de la formation des sels ; suivre les opérations des cuites, la fabrication des pains, avoir l'oeil sur l'entretien des rouages, enfin sur tout ce qui a rapport au bien du service.

Ils se relevent à la grande saline par garde de trois à trois alternativement, pendant 24 heures, tant de jour que de nuit.

(u) Il y a trente six ouvriers & dix-huit femmes de berne.

(x) L'entrepreneur avec qui la ferme générale soustraite pour la formation des sels, & toutes les opérations qui y sont relatives jusqu'à leur délivrance, est tenu tant par son traité (voyez celui de 1756 avec Jean Louis Soyer), que par les arrêts des 24 Mars 1744, & 30 Mars 1756, de réduire la consommation des bois nécessaires pour la cuite des sels, à la quantité de 15784 cordes ; & de former par an 150773 quintaux 40 livres, ou 111684 charges en toute espece de sels ; les charges évaluées sur le pié de 135 liv. Le prix lui en est payé à raison de 2 liv. 6 sols pour les sels en grains, & de 2 liv. 15 sols pour les sels en pains.

S'il excede la quantité de bois qui lui est accordée, il le paye à raison de 24 liv. la corde ; & si la consommation est moindre, la ferme générale lui donne 3 liv. par corde de bois épargné.

Les bois que l'on amene dans la saline pour la cuite des muires, y sont entassés en piles fort élevées, parce que l'emplacement est étroit. Ces piles se nomment chales ; ceux qui les élevent enchaleurs, & leur manoeuvre enchalage.

peu d'eau qui reste dans la poële (y), & l'on trouve au fond une croute blanchâtre appellée équille, depuis 1 jusqu'à 3 pouces d'épaisseur, & si dure qu'on ne peut la détacher qu'en la cassant avec des marteaux pointus. Elle est formée du premier sel qui, se précipitant au fond de la poële, s'y attache, s'y durcit, par la violente chaleur qu'il y éprouve ; la pureté de l'eau salée à Salins fait que l'équille n'y renferme pas beaucoup de matieres étrangeres ; elles sont presque toutes enlevées par les bassins que l'on met dans la poële, pour que l'ébullition de l'eau les y fasse déposer, & il s'y en mêle fort peu avec l'équille, dont 18 livres en rendent 17 d'un sel très-bon & très-pur. On la brise sous une meule ; ensuite elle est fondue dans de grands bassins de bois avec les petites eaux du puits amuiré, qui se chargent des parties de sel qu'elle contient. On met assez d'équilles pour que les eaux puissent acquérir quatorze degrés de salure, & alors elles sont aussi envoyées à la cuve du tripot.

Le sel en grains que l'on doit délivrer en cette nature est porté de la chaudiere dans des magasins nommés étuailles de sel trié. Il y en a neuf (z) dans la grande saline pour contenir ces sels, & leur faire acquérir le dépôt de six semaines convenu par les traités avec les Suisses, auxquels ils sont destinés. Le tems du dépôt se compte du jour où l'étuaille est remplie. Ces neuf magasins peuvent contenir ensemble 51000 quintaux. Il n'y en a point à la petite saline, où tout le sel en grains est ensuite formé en pains.

De ces neuf magasins, il y en a huit qui ont de grandes cuves au-dessous : l'une est construite en pierre, & les autres en bois ; elles reçoivent l'égoût du sel en grains. La plus petite de ces cuves contient 285 muids, & la plus grande 1700 muids. La neuvieme étuaille n'a, au-lieu de cuve, qu'un chéneau qui conduit son égoût au tripot. C'est cet égout des sels que l'on nomme muire cuite ; elle est ordinairement à 30 degrés (a). On la conduit dans une cuve particuliere, où l'on amene aussi des petites eaux à 5 degrés du puits à muire, ainsi que les changeantes du puits d'amont, jusqu'à ce que le mêlange total ne soit plus qu'à 14 degrés ; alors l'on envoie encore ces eaux dans la cuve du tripot.

Le sel en grains, que l'on destine à être formé en pains, est porté, au sortir de la chaudiere, dans une grande salle appellée ouvroir. Chaque berne a le sien ; l'ouvroir a environ 60 piés de long sur 30 de large : dans un coin de chacun sont établies de longues tables de bois élevées à hauteur d'appui, dont une partie en plan incliné s'appelle sille, & sert à déposer les sels en grains que l'on apporte de la poële ; l'autre partie, nommée massou, est faite avec des madriers creusés d'environ 6 pouces, & destinés pour y fabriquer les pains. Un petit bassin reçoit les muires qui s'égouttent du sel déposé sur la sille ; il y est attenant, & on l'appelle l'auge du massou. Cette muire sert pour paîtrir le sel dans le massou, & aider ses parties à se serrer plus aisément.

Quatre femmes (b) sont chargées de former & de sécher les pains de sel. Elles ont chacune leurs fonctions particulieres : la premiere se nomme mettari, parce qu'elle remplit l'écuelle ou moule dans lequel elle forme le pain avec le sel qu'elle a paîtri.

La seconde se nomme fassari. C'est elle qui donne la derniere forme au pain en passant les mains pardessus pour l'unir, & ôter le sel qui excede l'écuelle ; ensuite elle la renverse dans une autre plus grande, appellée siche, qui est remplie de sel épuré, détache le pain du moule, & le porte sur le sel en grains qui est uni sur la sille.

C'est-là que les deux autres femmes, nommées sécharis, viennent le prendre chacune à leur tour, & le font sécher sur la braise (c) qui est allumée au milieu de l'ouvroir, & répandue dans toute sa longueur.

Six rangs de pains de sel arrangés les uns à côté des autres forment ce que l'on appelle un feu. Il faut ordinairement dix heures pour faire sécher un de ces feux. C'est à cet usage que l'on emploie les braises tirées des fourneaux des bernes ; mais elles ne suffisent pas, & l'on est encore obligé d'en acheter (d).

Après que les pains sont séchés, les sécharis les enlevent de dessus les braises, & les empilent de chaque côté de l'ouvroir : ensuite vient un ouvrier qui les range dans une espece de panier de la largeur du pain, & assez haut pour en contenir douze l'un sur l'autre. Il est construit avec deux baguettes courbées & entrelacées de filets d'écorce de tilleul. Cette opération s'appelle enbenater ; celui qui la fait, benatier (e) ; le panier, benaton, & lorsqu'il est rempli de 12 pains de sel, benate, dont quatre font une charge. Lorsque ces sels sont enbenatés, on les porte au-dessus de l'ouvroir dans le magasin, appellé étuaille de sel en pains.

Tous les sels formés dans les salines de Salins se délivrent tant aux cantons suisses, qu'aux habitans de la province de Franche-Comté. Ceux-ci n'ont que du sel en pains, & le sel en grains, appellé sel trié, est uniquement destiné pour les Suisses.

Il y a d'anciens traités entre le roi & les cantons catholiques du corps helvétique pour une fourniture au volume de 8250 bosses de sel en grains. La bosse (f) est un tonneau de sapin, qui a des mesures

(y) Cette eau, qui est le résidu de 16 cuites, s'appelle eau-mere ; elle est très - salée, mais chargée de parties grasses & huileuses. On la mêle avec des eaux foibles pour les fortifier.

(z) Les neuf étuailles des sels en grains ont chacune un nom particulier ; étuaille de Me François, Pierre vers comtesse ; Pierre vers glapin ; les Allemands vers comtesse ; les Allemands vers glapin ; beauregard ; roziere ; la potesne & les biefs.

Elles ont chacune deux serrures à clés différentes, dont l'une est entre les mains du contrôleur à l'emplissage des bosses, l'autre entre celles des moutiers.

(a) L'eau ne peut jamais avoir plus de 33 degrés de salure ; lorsqu'on l'a portée à ce point, elle est saturée, & ne fond plus le sel qu'on lui présente.

(b) Ces femmes ont pour les quatre 8 livres dix sous de fixe par remandure, & 10 livres 6 sous 8 deniers par 400 champs de sel de toute espece ; ce qui fait pour chaque ouvriere 2 deniers 27/64 par 75 pains de sel qu'elles forment.

Ces femmes, dites femmes d'ouvroir, sont au nombre de 40, dont 28 à la grande saline, & 12 à la petite.

(c) Lorsque les braises qui ont servi au desséchement des pains de sel sont consumées, on en lessive les cendres pour en extraire les parties salines que les pains de sel y ont laissées. Cette opération a un inconvénient, c'est que si l'on retire le sel marin, on extrait en même tems le sel de cendre qui l'altere : on emploie à cet usage les petites eaux du puits à muire.

(d) Avant d'employer les petites braises au desséchement des sels en pain, on les met sur un crible de fer, pour en séparer la poussiere & toutes les parties trop menues ; c'est cette criblure que l'on nomme chanci.

On en distingue de deux especes dans la saline de Salins ; le chanci noir est la criblure des braises qui sont amenées aux salines ; & le chanci blanc est la criblure de celles que l'on tire des fourneaux des bernes. Cette seconde espece est beaucoup plus estimée & plus recherchée que la premiere ; l'une & l'autre se donne en forme de gratification : la délivrance s'en fait dans des besives de bois.

(e) Le benatier est encore chargé de prendre les benates de sel sur la place, à mesure que les poulins les y apportent, & de les arranger sur les voitures des sauniers, après avoir vérifié le compte des charges des benates, & des pains délivrés pour chacune.

(f) Il y a deux especes de bosses ; les longues & les courtes ; la dimension des premieres est fixée à 1 pié 6 pouces 8 lignes de diamêtre des fonds mesurés intérieurement à l'endroit des sables, ou traverses : 6 piés 2 pouces 6 lignes de circonférence extérieure du ventre, & 3 piés 9 pouces 8 lignes de hauteur dans oeuvre entre les deux fonds.

Les bosses courtes doivent avoir 1 pié 9 pouces de diamêtre des fonds ; 6 piés 8 pouces de circonférence, & 3 piés, pouce 10 lignes de hauteur, mesurés de même que les longues.

La premiere espece de bosses est la seule dont on se servoit précédemment ; mais la difficulté de trouver une quantité suffisante de douves assez hautes, a obligé en 1745 d'en fabriquer d'une espece plus courte, en regagnant par la circonférence ce qu'on perdoit sur la hauteur : ainsi les bosses longues & les courtes contiennent la même quantité de sel.

Le remplissage des bosses se fait par les manoeuvres - aides au poulinage : ils chargent le sel du magasin dans des gruaux, & l'apportent dans la salle, où ils le versent dans la bosse. Après les quatre premiers gruaux versés, l'aide au poulinage destiné à la manoeuvre du foulage, entre dans la bosse, foule le sel avec ses piés, & continue ensuite la même chose de quatre en quatre mesures : cette opération s'appelle piétinage.

Lorsque la bosse est remplie, on la laisse pendant huit jours sur son fonds, après lesquels l'aide au poulinage monte de nouveau sur la bosse, la foule de 18 coups de pilon, & fait remplir de sel le vuide qui s'est formé ; ce qui s'appelle fierlinage. Ce mot vient de l'allemand vierling, ou en l'écrivant comme il se prononce, fierling, quart, mesure de Berne. La bosse en doit contenir seize ; ensuite elle est fermée, numérotée, marquée, & mise en rang pour entrer dans les premiers pesages, & être délivrée aux voituriers. Les poulins ont 16 deniers par bosses, pour y apporter le sel, les remplir & fierliner, suivant l'usage que nous avons rapporté.

On appelle envoi, l'expédition de trois ou quatre cent bosses délivrées les jours indiqués pour les chargemens aux communautés qui les voiturent d'entrepôt en entrepôt jusqu'à Grandson & Yverdun.

Lorsqu'elles y sont arrivées, elles doivent encore y rester trois semaines en dépôt ; on les mesure de nouveau, & l'entrepreneur des voitures, à qui le fermier passe pour déchet 9 pour 100 en-dedans, c'est-à-dire qu'il lui en livre 100 pour 91 qu'il lui compte, est tenu de les remplir de façon qu'il n'en revienne pas de plaintes.

Il y a deux salles pour le remplissage des bosses ; l'une appellée la grande salle, en contient environ 600 longues & 400 courtes ; la deuxieme dite salle de l'ancienne forge, contient 400 bosses longues & 300 courtes.

Chaque salle a pour le pésage des bosses deux balances, dont l'une se meut par un balancier, & l'autre par un cric ; elle a aussi deux portes opposées pour la commodité des voitures, qui entrent par l'une afin de charger les bosses, & sortent par l'autre : chaque porte a deux serrures à clés différentes, qui sont comme celles des étuailles partagées entre le contrôleur à l'emplissage & le moutier.

On appelle pousset le sel qui se répand sur le plancher pendant le remplissage des bosses, & qui, foulé aux piés par les ouvriers & les voituriers, ressemble à un sable noir & rempli d'ordures. Les habitans de la campagne le mêlent avec la nourriture de leurs bestiaux, & ils l'achetent dix livres dix sols le quintal : on en donne aussi par gratification aux voituriers qui les premiers frayent les chemins fermés par l'abondance des neiges, & à ceux qui perdent des boeufs en voiturant les bosses.

Quatorze ouvriers nommés bossiers travaillent à la fabrication des bosses dans un attelier qui est dans l'intérieur de la saline, & où on leur amene les douves, fonds & cercles nécessaires.

fixes & déterminées. Elle est réputée contenir 560 livres de sel ; ainsi les 8250 bosses forment la quantité de 46200 quintaux.

Ces sels sont fournis par préférence, & rendus aux frais du roi dans les magasins de Granson & Yverdun en Suisse, où ils sont livrés à chaque canton à un prix fort au-dessous de ce qu'il en coute pour la formation & pour la voiture (g).

On fournit de plus 4570 quintaux de sel en 816 bosses pour le remplissage, & pour les déchets que l'on suppose arriver dans la route. Cette quantité est délivrée gratis : ainsi le total des sels en pains fournis aux cantons catholiques en exécution des traités du roi, est de 50770 quintaux.

Indépendamment du sel en grain, on delivre encore chaque année au canton de Fribourg, en vertu des anciens traités du roi, 4300 charges de sel en pain, du poids de 114 livres la charge, ce qui fait 4902 quintaux. Ce sel est levé à Salins aux frais du canton, qui ne le paye non plus que fort au-dessous du prix de la formation.

Outre ces traités sur lesquels le roi donne une indemnité considérable à ses fermiers, il est encore fait par ceux-ci, suivant la possibilité ou la convenance, d'autres traités avec des cantons protestans (h) pour 35 à 40 mille bosses : ensorte que la formation en sel de Salins pour les différens cantons suisses peut être évaluée, année commune, à 90000 quintaux.

Nous avons dit que l'on ne délivroit que du sel en pain aux habitans de la province de Franche-Comté, & cela est vrai, à l'exception des 164 quintaux de sel en grains distribués par gratification, tant aux principaux officiers de la province & de la ville de Salins, qu'aux officiers & employés des salines.

Avant l'établissement de la saline de Montmorot, celle de Salins fournissoit toute la province ; mais aujourd'hui elle ne délivre plus, année commune, que 67000 quintaux de sel formé en pains.

Il y a neuf especes de sel en pain ; & on les distingue par des marques particulieres à chacune par leur grosseur & par leur poids. Tous les pains sont de forme ronde ; le dessous est à-peu-près convexe, & le dessus contient les marques distinctives. Les moules de chacune de ces especes sont étalonnés sur des matrices qui restent au greffe des salines, & dont les originaux sont à la chambre des comptes de Dole.

La délivrance de ces sels est faite une partie par charge ; la charge est composée de quatre benates, & la benate de douze pains ; & l'autre partie en gros pains de 12 & de 18 livres : la destination & les prix en sont différens.

Des neuf especes de sel rapportées ci-dessus, les trois premieres, appellées sel d'ordinaire (i), sont accordées aux villes & communautés qui les font lever (k) chaque mois dans les salines. La quantité de

(g) Les cantons de Lucerne, Ury, Schwitz, Undervald le haut & le bas, & de Zug, payent la bosse de sel, 20 liv. 16 sols 4 den.

Fribourg, qui outre son sel en pains, a encore 1500 bosses de sel trié, le paye 23 liv. 6 sols 8 den. la bosse.

Soleure n'en donne que 22 liv. 1 sol 8 den.

Et le canton de Berne sur lequel on passe, & qui pour raison de ses péages, a 700 bosses de sel, les paye néanmoins beaucoup plus cher ; il en donne 28 liv. 5 sols.

Pour les 4300 charges de sel en pains qui sont fournis de plus à Fribourg, ce canton la paye à raison de 6 liv. la charge.

(h) La ferme générale a traité avec le canton de Zurich pour lui fournir annuellement quatre mille bosses au volume, & au prix de 36 liv. 10 sols par bosse.

Elle a encore traité avec le canton de Berne pour lui fournir par an vingt quatre mille quintaux de sel trié, au prix de 6 liv. 10 sols par quintal. Une partie de cette fourniture est faite par la saline de Salins, & l'autre par celle de Montmorot.

Ces deux traités, tant avec Zurich qu'avec Berne, sont de la même date. Ils sont faits également pour 24 ans, & ont commence au premier Octobre 1744.

(i) Les trois especes de sel d'ordinaire étant destinées à la fourniture de la Franche-Comté, comme il ne subsistoit anciennement dans cette province que trois bailliages, celui d'amont, celui d'aval & celui de Dole, toutes les villes & communautés ont été employées dans les rôles sous ces trois divisions, ainsi que les especes de sel qui leur sont affectées.

Le gros ordinaire se délivre aux bailliages d'amont & de Dole.

Le petit ordinaire au bailliage d'aval.

Et le sel de porte à quelques communautés du voisinage de Salins, probablement pour les attacher au service des salines.

Quoique ces bailliages aient été supprimés par la création de quatorze nouveaux bailliages, on n'a apporté aucun changement dans l'attribution des sels aux villes & communautés, qui pour cette délivrance, sont toujours réputées appartenir aux anciens bailliages dont elles faisoient partie.

(k) C'est dans les dix premiers jours de chaque mois que les communautés affectées à la saline de Salins, ainsi que les magasineurs, y envoyent lever les premieres leur sel d'ordinaire, & les seconds le sel roziere. Les voituriers qui viennent chercher ces sels se nomment sauniers. Le receveur après avoir vû leur procuration, leur donne un billet de délivrance, qu'ils vont porter à des employés établis sous le nom de contrôleurs aux passavants. Ces commis, au nombre de deux, enregistrent le billet, & expédient ensuite au nom de chaque communauté, avec celui du saunier, les passavans, qui le mois suivant, doivent être rapportés avec la décharge des échevins & des curés des lieux.

Les passavans sont donc des especes de saufs - conduits qui empêchent que ceux qui en sont munis, ne soient arrêtés par les gardes.

Les sauniers payent 13 deniers pour le chargement de chaque charge de sel levé à la grande saline, & 8 deniers seulement pour celui qu'ils levent à la petite. La ferme abandonne ce droit aux poulins qui portent les sels au devant de la saline sur la place où l'on charge les voitures.

Le poulin auquel les sauniers donnent leurs billets de délivrance, les remet à mesure qu'il délivre la quantité de sel énoncée au guette, qui à la porte de la saline, compte sur un chapelet les charges que l'on en sort, & vérifie si elles quadrent avec l'énoncé du billet.

On oblige les sauniers d'amener à Salins douze mesures de blé, en venant lever leur sel ; faute de quoi il leur est refusé. Cette loi est très-sage pour prévenir les disettes auxquelles la ville seroit exposée sans cela.

ce sel fut fixée en 1657 ; mais étant devenue insuffisante par l'accroissement des habitans, on y a suppléé par une quatrieme espece, dite sel rosiere ou d'extraordinaire. Il en est formé différens magasins où chaque particulier va, suivant ses besoins, en acheter au prix fixé par un tarif.

La cinquieme espece de sel en pains est appellée sel de Fribourg. Voyez ci-dessus.

Les quatre dernieres, dont deux sont en gros pains, appellés pour cela gros salés, se délivrent sous le titre de sel de redevance : 1°. pour anciennes fondations faites en faveur des églises, communautés religieuses & hôpitaux de la province : 2°. pour une partie des francs salés des anciens & des nouveaux officiers du parlement, de la chambre des comptes, des chancelleries, & d'autres officiers de la province ; on appelle franc-salé le droit qu'ils ont de lever, les uns gratis, & les autres à un prix très-modique, le sel qui leur est fixé : 3°. pour le rachat du droit de muire que différens particuliers avoient sur les salines.

Ce droit étoit fort ancien : il venoit de ce que divers particuliers, au tems que les salines appartenoient aux seigneurs de Salins, s'étoient associés pour travailler aux voûtes qui renferment les sources. Pendant ce travail, ils avoient aussi découvert d'autres sources salées, & ils en avoient séparé quelques-unes qui se mêloient avec les douces. Ce fut pour les récompenser que le prince leur accorda annuellement une certaine quantité d'eau salée qui se trouva divisée en 419 parts, lorsque les rois d'Espagne prirent possession de la Franche-Comté. Ces parts étoient appellées quartier, & chaque quartier étoit de 30 seaux d'eau salée.

Les rois d'Espagne devenus maîtres des salines formerent le dessein de réunir ces quartiers à leur domaine. Ils n'y trouverent de difficulté que de la part des gens d'église qui en possédoient la plus grande partie, vraisemblablement ensuite des dons qu'on leur en avoit fait. L'affaire fut portée à Rome, où elle ne fut cependant pas décidée à l'avantage des ecclésiastiques. Leurs portions furent estimées, & l'on en créa des rentes & redevances en sel, comme l'on avoit fait pour l'achat des droits des autres particuliers qui s'étoient prêtés de bonne grace à cet arrangement. Ce sont ces rentes & redevances, qu'on appelle rachat de droit de muire. (l)

Tous les bois qui se trouvent dans les quatre lieues autour de la ville de Salins ont été affectés pour la fourniture des salines, par un réglement de la cour du premier Avril 1727. Les forêts comprises dans ces quatre lieues, que l'on nomme l'arrondissement des salines (m) forment ensemble un total de 45340 arpens, dont environ les deux tiers sont au roi, & le reste appartient tant aux communautés qu'aux particuliers, qui ne sont pas les maîtres d'en disposer, & auxquels l'on n'accorde que le bois nécessaire à leurs usages. On leur paie le surplus à un prix fixé par la cour.

Le roi a établi par arrêt du 18 Janvier 1724, un commissaire général pour l'administration & la police des bois, ainsi que pour les chemins & rivieres de l'arrondissement. Cette administration est connue sous le nom de réformation des salines. Elle connoît tant au civil qu'au criminel, de toutes matieres concernant la police & l'administration des forêts.

La réformation est composée d'un commissaire général, d'un subdélégué, d'un lieutenant, d'un procureur du roi, d'un substitut du procureur du roi, de deux gardes-marteaux, d'un ingénieur & directeur des ouvrages, d'un receveur des épices & amendes, de deux arpenteurs, d'un garde-général collecteur des amendes, de deux gardes-généraux, & de 38 autres gardes particuliers.

Il y a encore dans cette saline une autre jurisdiction, à laquelle la maîtrise des eaux & forêts de Salins a été réunie en 1692. Elle connoît tant au civil qu'au criminel, & sauf l'appel à la chambre des comptes de Dole, de tout ce qui concerne les gabelles, conformément aux édits de 1703 & 1705. Elle est en même tems établie pour faire la visite des sources, & connoître de la police intérieure des salines. Cette jurisdiction a pour chef un juge visiteur des salines & maître particulier des eaux & forêts ; ses autres officiers sont les mêmes qu'à la réformation.

Le revenu annuel des salines de Salins peut être évalué, tous frais faits, aux environs de sept cent mille livres, dont quatre cent cinquante mille viennent de la Suisse. Il étoit plus considérable avant que la moitié de la Franche-Comté se fournît en sel de Montmorot.

SALINE DE MONTMOROT. Cette saline, remarquable par ses bâtimens de graduation, est située à 8 lieues sud-ouest de Salins, dans une petite plaine, entre la ville de Lons-le-Saunier, & le village dont elle porte le nom.

Il y a déja eu autrefois à Lons-le-Saunier des salines qui ont long-tems été les seules de la Franche-Comté. On prétend qu'elles existoient avant la venue des Romains dans les Gaules. La ville étoit connue sous le nom latin Laedo, tiré du grec, qui veut dire flux & reflux. D'anciens mémoires assurent qu'on en observoit un dans les eaux salées du puits de Lons - le - Saunier, & que c'est de - là que cette ville a pris son nom. D'autres soutiennent que le mot de Lons, son ancienne dénomination françoise, à laquelle on a ajouté le-Saunier depuis trois siecles seulement, signifioit un vaisseau de 24 muids qui recevoit

(l) L'entrepreneur des salines a pour la partie des bois grand nombre d'employés, dont voici les noms & les fonctions.

Deux visiteurs des bois taillis chargés de suivre l'exploitation des forêts appartenant tant au roi qu'aux communautés.

Trois taxeurs, dont deux à la saline & un au chantier de la ville. Ils sont établis à l'entrée des deux salines pour taxer aux voituriers le montant de leurs voitures : si le voiturier est mécontent il fait mouler son bois.

Deux buralistes ; ils retirent des mains des voituriers les billets des taxeurs, & leur en donnent d'autres sur lesquels ils vont se faire payer du prix de leur voiture chez le payeur des bois.

Un garde visiteur ; il est chargé de faire des visites dans les maisons des villages, autour des forêts & des routes, d'empêcher le vol des bois, & remplacer au besoin les visiteurs & les taxeurs.

Trois commis aux entrepôts ; ils font les fonctions de buralistes & de taxeurs pour les bois qui arrivent à leurs entrepôts.

Cinq commis tailleurs des futaies de sapin ; ils sont préposés à l'exploitation des futaies, & des bois taillis sous futaies ; font façonner les douves & bois de construction, réduire ce qui n'y est pas propre en bois de corde, & les délivrent aux voituriers.

(m) Par arrêt du 4 Août 1750, les bois situés dans les deux lieues excédentes les quatre premieres, furent encore mis sous la jurisdiction de la réformation, & affectés en cas de besoin, au service des salines.

Mais cette nouvelle affectation n'a pas encore été exécutée, à cause des différens ordres que le ministre a donnés pour y surseoir ; il y a même apparence que l'on pourra s'en passer toujours, si l'on continue à bien administrer les bois compris dans les quatre premieres lieues de l'arrondissement.

les eaux salées, & duquel elles couloient dans les chaudieres. Mais l'une de ces opinions n'est pas plus certaine que l'autre ; & elles pourroient bien n'être toutes les deux que le fruit de l'imagination échauffée de quelques étymologistes. Pendant les travaux que l'on a faits dans le puits de Lons-le-Saunier pour l'établissement de la nouvelle saline, on n'y a point remarqué ce flux & reflux dont il est parlé. D'ailleurs le mot de Lons vient probablement de celui de Laedo, & c'est sans raison qu'on lui va chercher une étymologie particuliere.

Si l'on ignore en quel tems les salines de Lons-le-Saunier furent établies, la cause & l'époque de leur destruction ne sont pas moins inconnues. On a trouvé dans les creusages qui ont été faits, une grande quantité de poulies, de rouages, d'arbres de roue à demi brûlés, & l'on peut conjecturer de-là, que ces salines périrent par le feu.

La ville de Lons-le-Saunier, dans une requête présentée en 1650 au conseil des finances du roi d'Espagne, exposa que ses anciennes salines avoient été détruites en 1290, pour mettre celles de Salins en plus grande valeur ; & qu'elle avoit obtenu sur ces dernieres 96 charges de sel par mois. Ce droit lui avoit été accordé en forme de dédommagement par Marie de Bourgogne & Charles V. son petit-fils ; elle en avoit joui jusqu'aux guerres, & aux pestes des années 1636 & 1637 ; & elle demandoit à y être rétablie. Elle obtint ce qu'elle desiroit ; mais enfin cet ancien droit a été réduit en argent, & c'est pour l'acquiter que le roi lui accorde encore à présent 1000 liv. par année pour les salines de Salins.

Cependant, quoique la chûte de celles de Lons-le-Saunier soit fixée dans l'acte que nous venons de citer, à l'année 1290, il est certain qu'elle est postérieure à cette époque. Philippe de Vienne, en 1294, légua par son testament à Alaïs sa fille, abbesse de l'abbaye de Lons-le-Saunier 18 montées de muire à prendre au puits de Lons-le-Saunier, pour elle & pour les abbesses qui lui succéderoient.

C'est au commencement du xiv. siecle qu'on peut vraisemblablement rapporter la destruction de ces salines, & l'on ne trouve point de titre plus moderne qui en fasse mention.

Quoi qu'il en soit, il paroît certain que les eaux qu'on y bouillissoit étoient meilleures que celles dont la nouvelle saline fait usage. Si elles n'eussent été qu'à 2, 7 & 9 degrés, comme on les voit aujourd'hui, il eût fallu une dépense trop considérable pour en tirer le sel ; les bâtimens de graduation n'étoient pas connus alors. Quand ces anciennes salines furent abandonnées, on tâcha d'en perdre les sources en les noyant dans les eaux douces ; l'on n'a pu ensuite les en séparer entierement ; & c'est à ce mêlange encore subsistant, que nous devons attribuer la foiblesse des eaux que Montmorot emploie à présent.

Ce n'est qu'en 1744, que cette nouvelle saline a été établie, avec des bâtimens de graduation, dont les trois aîles forment un demi-cercle, qu'elle ferme en partie par le devant. Les puits dont elle tire ses eaux salées, sont situés à différentes distances hors de son enceinte, ainsi que les bâtimens de graduation. Ce sont de véritables puits, dont les sources saillissent presque toutes du fond. Ils n'ont rien de curieux, & ne méritent pas que l'on en donne ici la description. Ils sont, comme à Salins, au nombre de trois.

Le puits de Lons-le Saunier, ainsi nommé parce qu'il se trouve dans cette ville, fournit dans 24 heures, depuis 1400 jusqu'à 1700 muids d'eau seulement à 2 degrés. Elle est un peu chaude, & le thermometre plongé dans ce puits monte de 4 degrés. Les eaux élevées par des pompes, sont conduites dans des canaux souterreins à la distance d'un quart de lieue, jusqu'à l'aîle de graduation, dite de Lons-le-Saunier.

Le puits Cornoz est éloigné de 34 toises de l'aîle de graduation, à laquelle il donne son nom, & où ses eaux vont se rendre. Il forme deux puits placés l'un à côté de l'autre, dans une même enceinte, pour recevoir deux différentes sources. L'une a 7 degrés & donne environ 200 muids d'eau par 24 heures ; & l'autre 3 degrés, n'en fournit que 12.

Le puits de l'étang du Saloir renferme plusieurs sources salées, qui, par des canaux souterreins, sont conduits à une demi-lieue, dans le bâtiment de graduation, dit du puits Cornoz. La principale à 9 degrés tombe dans le puits où elle se rend par un petit canal taillé dans le roc, & elle fournit 53 muids d'eau par 24 heures. Différentes autres sources à 3 & 4 degrés sortent du fond de ce même puits, & forment un mêlange d'eaux de 6 à 7 degrés, dont le produit varie depuis 63 jusqu'en 73 muids par 24 heures.

On voyoit autrefois dans le même endroit un étang qui y avoit été formé pour submerger les sources salées, & c'est de-là que ce puits a pris le nom de l'étang du Saloir. Il fut creusé en 1733 à 57 piés 4 pouces de profondeur, à laquelle on trouva le rocher d'où sortoit la principale source salée ; & dès ce tems on établit là une saline, qui fournissoit environ dix mille quintaux de sel. Mais elle fut supprimée quand l'on construisit celle de Montmorot, où furent amenées les eaux du puits de l'étang du Saloir.

Ce puits, le plus important des trois par le degré de salure où sont ses eaux, fut mal construit dans les commencemens. Il est tout entouré d'eaux douces, qu'on n'en détourna pas avec assez de soin, ensorte qu'elles y pénétrerent, & affoiblirent de beaucoup les sources salées. On leur a depuis creusé un puisard où elles vont se rendre près du puits à muire, & d'où elles sont élevées par des pompes. Mais cet ouvrage nécessaire n'a pas rendu aux sources leur même degré, qui, en 1734, étoit à 11, & se trouve réduit à 8 ou à 9, encore n'est-on pas assuré qu'elles restent longtems dans le même état ; elles varient beaucoup. La principale source, qui étoit entierement perchée dans le roc, est descendue en partie, & pousse plus de sa moitié par le fond du puits. Plus bas est une source d'eau douce fort abondante, que l'on force à remonter sur elle-même pour la conduire au puisard. Il est fort à craindre que les sources salées continuent à descendre, & s'enfonçant davantage, ne se perdent entierement dans les eaux douces. Il faudroit donc chercher à parer cet accident, qui ébranleroit la saline, & faire de nouvelles fouilles, pour tâcher de découvrir de nouvelles sources.

Les bâtimens de graduation ont été inventés pour épargner la grande quantité de bois que l'on consommeroit en faisant entierement évaporer par le feu les eaux à un foible degré de salure ; car sur 100 livres d'eau, il y en aura 98 à évaporer, si elles ne contiennent que 2 livres de sel. Si au-contraire elles en renferment 16, il n'y aura que 84 livres d'eau à évaporer. Par conséquent dans ce dernier cas on brûlera un septieme de bois de moins que dans le premier, pour avoir 7 fois plus de sel.

Ainsi, supposons qu'il faille 3 piés de bois cubes pour évaporer un muid d'eau, on ne brûlera que 252 piés de bois pour avoir 16 muids de sel, si on se sert d'une eau à 16 degrés. Si au-contraire elle n'est qu'à 2 seulement, pour avoir la même quantité de sel, il faudra brûler 2353 piés de bois. La raison en est sensible. Dans le premier cas, 100 muids d'eau contenant 16 muids de sel, il n'en reste que 84 à évaporer ; mais dans le second, il faut 800 muids d'eau pour en avoir 16 de sel ; & l'on a par conséquent 784 muids à évaporer. Voilà donc 700 muids de plus, pour lesquels il faut consommer 2100 piés de bois, que l'on eût épargnés dans la totalité en se servant d'une eau à 16 degrés.

Ce léger calcul suffit pour démontrer que si l'on bouillissoit des eaux à 2, 3 & 4 degrés, la dépense en bois excéderoit de beaucoup la valeur du sel que l'on retireroit. Mais on a trouvé le moyen de les employer avantageusement, en les faisant passer par des bâtimens de graduations ; ainsi nommés, parce que les eaux s'y graduent, c'est-à-dire, y acquierent de nouveaux degrés de salure, à mesure que l'air, emportant leurs parties douces, qui sont les plus légeres, les fait diminuer en volume.

Les bâtimens de graduation de la saline de Montmorot sont divisés en trois aîles, ou corps séparés, étendus sur quatre niveaux, & placés à différentes expositions.

L'aîle de Lons-le-Saunier, alignée de l'est-sud-est à l'ouest-nord-ouest, a 147 fermes, ou 1764 piés de longueur. Elle ne reçoit uniquement que les eaux à 2 degrés, provenant de Lons-le-Saunier. On appelle ferme une étendue de 12 piés renfermée entre deux piliers.

L'aîle du puits Cornoz, alignée du sud au nord, contient 78 fermes, ou 936 piés. Elle reçoit les eaux des deux puits Cornoz & de l'étang du Saloir.

L'aîle de Montmorot, alignée du sud-sud-ouest au nord-nord-est, a sur deux différens niveaux 162 fermes ou 1944 piés : plus basse que les deux autres aîles, elle reçoit leurs eaux, déja graduées en partie, & acheve de leur faire acquerir le dernier degré de salure qu'elles doivent avoir, pour être de-là renvoyées aux baissoirs ou bassins construits près des poëles.

Ces trois aîles ont ensemble 1944 piés de longueur, sur la hauteur commune de 25 piés, & communiquent l'une à l'autre par des canaux de bois qui conduisent les eaux à-proportion des besoins & de la graduation plus ou moins favorable.

Dans toute la longueur de chaque bâtiment regne un bassin ou réservoir construit en madriers de sapin joints & serrés avec soin, pour recevoir & retenir les eaux salées. Il est posé horisontalement sur des piliers de pierre, & a 24 piés de largeur dans oeuvre sur 1 pié 6 pouces de profondeur : les trois contiennent ensemble 17688 muids d'eau.

Au-dessus & dans le milieu des bassins sont élevées deux masses paralleles d'épines, distantes de trois piés l'une de l'autre ; elles ont chacune 4 piés 9 pouces de largeur dans le bas, & 3 piés 3 pouces dans le haut, & forment une ligne de 22 piés & demi de hauteur sur la même longueur que les bassins.

L'on a placé au sommet de chaque colonne d'épines, des cheneaux de 10 pouces de profondeur, sur un pié de largeur. Ils sont percés des deux côtés de 3 en 3 piés, & distribuent par des robinets les eaux qui coulent dans d'autres petits cheneaux, creusés de 6 lignes, longs de 3 piés, sur 2 à 3 pouces de large, & crenelés par les bords. C'est par ces petites entailles que ceux-ci partagent les eaux qu'ils reçoivent, & les étendent goutte-à-goutte sur toutes les surfaces d'épines, dont les pointes les subdivisent encore & les atténuent à l'infini.

Au milieu de ces deux rangs de cheneaux, & sur le vuide qui se trouve entre les deux masses d'épines, est un plancher pour faire le service des graduations, ouvrir & fermer les robinets, suivant le vent plus ou moins fort, & le côté d'où il vient. Tout l'édifice est surmonté d'un couvert, pour empêcher les eaux pluviales de se mêler avec les salées.

Cinq roues de 28 piés de diametres, que fait mouvoir successivement la petite riviere de Valiere, portent à leur axe des manivelles de fonte qui, en tournant, tirent & poussent des balanciers, dont le mouvement prolongé jusque dans les bâtimens, y fait jouer 40 pompes. Elles sont dressées dans les bassins, d'où elles élevent les eaux salées dans les cheneaux graduans, & leur en fournissent à-proportion de ce qu'ils en distribuent sur les épines.

L'art de graduer consiste donc à étendre les surfaces des eaux, & à les exposer à l'air, pour les faire tomber en pluie à-travers une longue masse d'épines. Par-là les parties les plus légeres, qui sont les douces, se volatilisent & se dissipent, tandis que les autres, plus pesantes par le sel qu'elles contiennent, se précipitent dans le bassin, d'où elles sont remontées pour être de nouveau exposées à l'air, jusqu'à ce qu'elles aient acquis le degré de salure que l'on se propose. Celui auquel on les bouillit communément à Montmorot, est de 12 à 13 ; lorsqu'on leur en fait acquérir davantage, elles n'ont pas le tems de se dégager entierement des parties étrangeres, grasses & terreuses, qui doivent tomber au fond de la poële avant que le sel se déclare.

Il entre ordinairement par jour aux bâtimens de graduation 1200 muids d'eau, & il s'en évapore 900, ce qui feroit par 100 piés de bâtiment, une évaporation d'environ 18 muids d'eau : on a tiré ce jour commun sur l'année entiere de 1759.

Il faut observer qu'il y a des tems, tels que ceux des fortes gelées, où l'on ne gradue point du tout, parce que l'eau se gelant dans les pompes & sur les épines, feroit briser toute la machine. Mais la violence même du froid qui empêche l'évaporation des eaux, y supplée en les graduant par congélation. On perd alors en entier les eaux foibles du puits de lons-le-saunier, & l'on remplit les bassins avec celles des puits Cornoz & de l'étang du Saloir, qui sont à 6 & à 9 degrés. Il n'y a que le flegme, ou les parties douces qu'elles contiennent qui se gelent. Quand elles le sont, on casse la glace, & l'on renvoie aux baissoirs, ou reservoirs établis près des poëles, l'eau salée, qui dans les grands froids acquiert ainsi par la seule congélation, jusqu'à 4 & 5 degrés de plus. Mais le degré n'est pas égal dans tous les bassins ; il est toujours relatif à la quantité des parties douces contenues dans l'eau, & qui sont les seules susceptibles de gelée : ensorte que l'on acquiert quelquefois du degré sur les eaux foiblement salées, tandis qu'on n'en acquiert point de sensible sur celles qui le sont beaucoup.

Les tems les plus favorables pour la graduation, sont les tems secs avec un air modéré. Les grands vents perdent beaucoup d'eau ; ils la jettent hors des bâtimens, & emportent à la fois les parties salées & les douces. Lorsque l'air est très humide, & pendant les brouillards fort épais, l'eau, loin d'acquérir de nouveaux degrés, perd quelquefois un peu de ceux qu'elle avoit déjà. Elle se gradue, mais foiblement, par les tems presque calmes. L'air, comme un corps spongieux, passant sur les surfaces de l'eau, s'imbibe & se charge de leurs parties les plus légeres. Aussi les grandes chaleurs ne produisent-elles pas la graduation la plus avantageuse, parce que l'air se trouvant alors condensé par les exhalaisons de la terre, perd de sa porosité, & conséquemment de son effet.

Nous pensons qu'il y auroit un moyen de tirer encore un plus grand avantage des différentes températures de l'air, dont dépend absolument la graduation. Il faudroit construire un bâtiment à trois rangs paralleles d'épines, où les vents les plus violens gradueroient toutes les eaux, sans les perdre. S'ils emportoient celles de la premiere & de la seconde ligne, ils les laisseroient tomber à la troisieme, qui achevant de rompre leur impétuosité déjà affoiblie, ne leur laisseroit plus jetter au-dehors que les parties de l'eau les plus légeres. Un second bâtiment à deux rangs d'épines, serviroit pour les tems où l'air est médiocrement agité. Enfin il y en auroit un troisieme à un seul rang, & c'est sur celui-ci que l'on gradueroit les eaux, lorsque l'air presque tranquille, ne pouvant agir qu'à-travers une seule masse d'épines, perdroit entierement sa force s'il en rencontroit une seconde, & y laisseroit retomber les parties douces qu'il auroit emportées de la premiere.

Les eaux en coulant sur les épines, y laissent une matiere terreuse, sans salure & sans goût, qui s'y durcit tellement au bout de 7 à 8 ans, que l'air n'y pouvant plus passer, on est obligé de les renouveller. Les épines de leur côté rendent l'eau graisseuse, & lui donnent une couleur rousse. C'est pour cette raison que dans les salines où il y a des bâtimens de graduation, le sel n'est jamais si blanc que lorsqu'on bouillit les eaux telles qu'elles sortent de leurs sources.

Les eaux graduées au degré qu'on se propose, ou auquel l'on peut les amener, sont conduites par des tuyaux de sapin, dans deux reservoirs placés derriere les bernes, & de-là sont distribuées aux poëles qui y répondent. Ces bassins que l'on nomme baissoirs, forment un quarré long de 44 piés, sur 10 de large & 5 de profondeur ; ils contiennent chacun 262 muids d'eau.

Il y a six poëles à Montmorot, dont chacune forme aussi un quarré long de 26 piés, sur 22 de largeur & 18 pouces de profondeur, & contient environ 100 muids d'eau. C'est dans les angles où l'eau ne bouillit jamais, que le schelot s'amasse en plus grande quantité. La premiere poële est la seule qui ait derriere elle un poëlon : encore le sel que l'on y forme est-il si brun, & si chargé de parties étrangeres, que l'on est ordinairement obligé de le refondre.

La cuite ne se divise dans cette saline, qu'en deux opérations ; le salinage & le soccage.

On entend par salinage, tout le tems qui est employé à faire réduire l'eau salée, jusqu'à ce que le sel commence à se déclarer à sa surface. Il s'opere toujours par un feu vif, & dure plus ou moins, ce qui va de 16 à 24 heures, suivant le degré de salure qu'ont les eaux. C'est pendant ce tems que l'eau jette une écume qu'il faut enlever avec soin, & que le schelot, c'est-à-dire que les matieres terreuses, & autres parties étrangeres renfermées dans les eaux, s'en dégagent & se précipitent au fond de la poële. Mais il faut pour cela une forte ébullition : aussi dans les poëlons où l'eau ne bouillit point, l'on ne tire jamais de schelot. Il reste mêlé avec le sel, qui pour cette raison est plus brun, plus pesant & bien moins pur que celui formé dans les poëles. On y amasse toujours la quantité de 16 pouces de muire brisante, c'est-à-dire d'eau dont le sel commence à paroître ; ce qui oblige de remplir la poële à plusieurs reprises, lorsque l'ébullition a diminué le volume d'eau salée que l'on y avoit mise.

Le schelot que l'on tire des poëles dans de petits bassins nommés augelots, que l'on met sur les bords, & où il va se précipiter, parce que l'eau est plus tranquille, sert à former à Montmorot les sels purgatifs d'epsom & de glauber, & la potasse qui sert à la fusion des matieres dans les verreries. Voyez SEL D'EPSON, DE GLAUBER & POTASSE.

Le soccage comprend tout le tems que le sel reste à se former. Il commence dès que l'eau qui bouillit dans la poële est parvenue à 24 ou 25 degrés. C'est alors de la muire brisante, au-dessus de laquelle nagent de petites lames de sel, qui s'accrochant les unes aux autres en forme cubique, s'entraînent mutuellement au fond de la poële. Plus le feu est lent pendant le soccage, & plus le grain du sel est gros. Sa qualité en est meilleure aussi, parce qu'il se dégage plus exactement des graisses & des autres vices que l'eau renferme encore. Cette seconde & derniere opération dure 16 heures pour les sels destinés à être mis en grains, 20 heures pour les sels en grains ordinaires, & 70 heures pour ceux à gros grains. Ces trois différentes especes de sel sont les seules que l'on forme à Montmorot.

Lorsque le sel est formé, il reste encore au fond de la poële des eaux qui n'ont pas été réduites, & que l'on nomme eaux-meres. Elles sont ameres, pleines de graisse, de bitume, & fort chargées de sel d'epsom & de glauber. Elles sont très-difficiles à réduire, & il faut avoir grand soin de ne pas mettre la poële à siccité, pour qu'elles ne communiquent pas au sel les vices qu'elles contiennent. Elles en ont plus ou moins, suivant que les eaux salées dont l'on se sert sont plus ou moins pures. Le sel, au sortir de la poële, est imbibé de ces eaux qu'il faut laisser égoutter. Lorsqu'elles sont sorties des sels, elles prennent le nom d'eaux-grasses ; mais leur nature est toujours à-peu-près la même que celle des eaux-meres. L'une & l'autre sont très-vicieuses à Montmorot, & il seroit à desirer qu'on n'en fît aucun usage.

Neuf cuites font une remandure qui dure plus ou moins, suivant l'espece de sel qu'on veut former.

L'on fait par année, à cette saline, environ 60 mille quintaux de sel, dont la moitié est délivrée en pains, à différens cantons suisses, suivant des traités particuliers faits avec la ferme générale, & l'autre moitié formée en pains, est vendue à différens bailliages de la province. Mais comme Salins fournit de plus aux Suisses les 38 mille quintaux que Montmorot donne pour lui à la province, il s'ensuit toujours que cette derniere saline fait entrer en France environ 350 mille livres par année.

Le sel que Montmorot délivre à la province, étoit séché sur les braises, ainsi qu'on le pratique à Salins ; mais il se trouvoit toujours une odeur fort désagreable dans la partie inférieure des pains, qui d'ailleurs brûlée par l'activité du feu, avoit la dureté du gypse, beaucoup d'amertume, & fort peu de salure. Ces défauts exciterent des réclamations de la part de la Franche-Comté, & donnerent lieu à plusieurs remontrances de son parlement ; le roi en conséquence envoya dans la province, en 1760, un commissaire pour examiner si les plaintes étoient fondées, & pour faire l'analyse des sels de Montmorot.

On n'a trouvé dans cette saline aucune matiere pernicieuse ; les sels en grains que l'on en tire sont très-bons, & les défauts dont l'on se plaignoit justement dans les sels en pains, ne provenoient que du vice de leur formation.

Les eaux grasses à Montmorot contiennent beaucoup de sels d'epsom & de glauber, sont ameres & chargées de graisse & de bitume. Cependant l'on s'en servoit pour paîtrir les sels destinés à être mis en pains. Quand l'on porte les pains de sel sur les braises, on les y pose sur le côté, ensorte que les eaux grasses dont ils étoient imprégnés, descendant de la partie supérieure à la partie basse qui touche le brasier, s'y trouvoient saisies par la violence de la chaleur. Là les graisses dont elles sont chargées se brûloient, & par leur combustion donnoient une odeur insupportable d'urine de chat à cette partie toujours pleine de taches & de trous par les vuides qu'elles y laissoient, & les charbons qu'elles y formoient. Le sel d'epsom s'y desséchoit aussi ; & au-lieu de s'égoutter dans les cendres avec l'eau qui l'entraînoit, il restoit adhérant au bas du pain, où il formoit, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, des especes de grumeaux jaunâtres & d'une grande amertume.

L'on a essayé de former à Montmorot les pains de sel avec de l'eau douce, & alors ils ont été beaucoup moins défectueux que quand ils étoient pêtris avec l'eau grasse ; mais tant qu'ils ont été séchés sur les braises, on leur a toujours trouvé un peu de l'odeur dont nous avons parlé ; & l'on n'est parvenu à les en garantir entierement que par le moyen des étuves faites pour leur desséchement. C'est un canal où l'on conduit la chaleur de la poële à côté de laquelle il est construit. Il est couvert de plaques de fer qui s'échauffent par ce courant de feu, & sur lesquelles on met les pains de sel, après y avoir fait une légere couche de cendre pour que le sel ne touche pas le fer.

Il y a à présent à Montmorot deux étuves divisées chacune en deux corps, & séchant ensemble cent charges de sel. Nous joignons ici le plan de celle qui est au deuxieme ouvroir. Les pains de sel formés, non plus avec l'eau grasse, mais avec l'eau qui sort des bâtimens de graduation, & séchés doucement par la chaleur modérée des étuves, sont très - beaux, & n'ont ni odeur ni amertume ; mais il ne souffre pas si bien le transport, & tombe plus tôt en déliquescence. Les plaintes de la province ont cessé, & le sel en pains de Montmorot n'est plus actuellement fort inférieur à celui que Salins fournit. Il est beaucoup moins pénétrant ; & en général les fromages salés avec le sel de Montmorot ne sont pas si-tôt faits, & ont besoin de plus de tems pour prendre le sel, que ceux que l'on sale avec celui de Salins. Au reste, cette différence n'en apporte aucune dans leur qualité qui est également bonne. Mais le préjugé contraire est si fort universel, qu'il auroit peut-être fallu le respecter, parce que les fromages font une branche considérable du commerce de la Franche-Comté.

Explication des plans des nouvelles étuves établies aux salines de Montmorot.

1. Poële à cuire les sels.

2. Ouvroir où l'on forme les sels en pains, & où on les faisoit dessécher étendus sur les braises.

3 & 4. Premier & second corps d'étuve nouvellement construites pour faire dessécher les sels en pains.

5. Entrée du fourneau sous la poële.

6. Ouverture pour le passage de la fumée que l'on ferme ou que l'on ouvre par un empêlement, pour ôter ou prendre la chaleur ; la conduire aux étuves pour les échauffer.

7. Tranchées creusées de 15 à 18 pouces, sur la largeur de 5 piés, couvertes de larges pierres, soutenues au milieu par un petit mur marqué 8, laquelle tranchée conduit la chaleur aux étuves.

8. Est encore un petit mur de brique construit dans la partie inférieure de l'étuve pour supporter les platines de fer, sur lesquelles sont placées sept rangées de pain de sels dans l'étuve du quatrieme ouvroir, & six seulement dans celle du deuxieme ouvroir ; dans lequel petit mur on a pratiqué de petits intervalles pour que la chaleur puisse s'étendre plus également dans chaque collatéral de l'étuve.

9. Désigne des tuyaux construits à l'extrêmité de chaque corps d'étuve, pour passer la fumée ; le premier débouche dans la berne, à-travers le mur que l'on a percé à cet effet, & le second est monté pardessus les combles : on a pratiqué un glissoir dans chaque tuyau de l'étuve du quatrieme, pour retenir la chaleur, & la renvoyer en entier alternativement dans un seul corps d'étuve, suivant que l'exige le service.

10. Désigne, dans les plans de coupe, les terreins rapportés pour élever l'étuve quelques pouces audessus du niveau du dessous de la poële, pour donner une légere montée à la fumée, & la faire tirer plus rapidement au débouché.

11. Sont des grands volets que l'on peut baisser ou élever, au moyen des poulies, suivant le degré d'évaporation qui se fait au commencement du desséchement, & pour tenir la chaleur concentrée, lorsque la grande évaporation est faite, & précipiter le desséchement des pains.

L'étuve au deuxieme ouvroir est couverte dans les tems nécessaires, par des tables que l'on ôte lors du chargement de l'étuve, dont le service se fait par les côtés sans qu'il soit besoin d'entrer dedans, n'ayant de largeur en tout que ce qu'il en faut pour que les secharis puissent atteindre le milieu ; ce qui ne se pratique pas de même à l'étuve du quatrieme ouvroir, où il est nécessaire d'entrer dans l'étuve, ce qui en rend le service moins promt.

12. Trotoirs pour le service de l'étuve au second ouvroir.

13. Sille & massous.

14. Cuve qui reçoit l'égoût de la sille.

15. Autre cuve où les formari ou fassari prennent l'eau nécessaire lors de la formation.

La différence des deux étuves consiste en ce qu'au second ouvroir, chaque corps d'étuve a son canal particulier qui y conduit la chaleur dès le fourneau de la poële, où chaque canal a son empâlement, au-lieu qu'à l'étuve du quatrieme, le canal est commun pour les deux corps ; la premiere contient environ 40 charges, & l'autre 60. Les deux derniers articles sont de M. l'abbé FENOUILLOT.

SALINES DES ILES ANTILLES, ce sont des étangs d'eau de mer, ou grands réservoirs formés par la nature au milieu des sables, dans des lieux arides, entourés de rochers & de petites montagnes dont la position se trouve ordinairement dans les parties méridionales de presque toutes les îles Antilles ; ces étangs sont souvent inondés par les pluies abondantes, & ce n'est que dans la saison seche, c'est-à-dire vers les mois de Janvier & de Février, que le sel se forme ; l'eau de la mer étant alors très-basse, & celle des étangs n'étant plus renouvellée, il s'en fait une si prodigieuse évaporation par l'excessive chaleur du soleil, que les parties salines n'ayant plus la quantité d'humidité nécessaire pour les tenir en dissolution, sont contraintes de se précipiter au fond & sur les bords des étangs, en beaux crystaux cubes, très-gros, un peu transparens & d'une grande blancheur. Il se rencontre des cantons dont l'athmosphere qui les environne est si chargée de molecules salines, qu'un bâton planté dans le sable à peu de distance des étangs, se trouve en vingt-quatre heures totalement couvert de petits crystaux brillans, fort adhérens ; c'est ce qui a fait imaginer à quelques espagnols du pays de former des croix de bois, des couronnes, & d'autres petits ouvrages curieux.

Les îles de Saint-Jean-de-Portorico, de Saint-Christophe, la grande terre de la Guadeloupe, la Martinique & la Grenade, ont de très-belles salines, dont quelques-unes pourroient fournir la cargaison de plusieurs vaisseaux ; le sel qu'elles produisent est d'un usage journalier, mais il n'est pas propre aux salaisons des viandes qu'on veut conserver long-tems ; on prétend qu'il est un peu corrosif. M. le Romain.

SALINE, (Commerce) ce mot se dit ordinairement des poissons de mer que l'on a fait saler pour les conserver. Il se fait en France & dans les pays étrangers un négoce très-considérable de saline. Les poissons qui en font le principal objet, sont la morue, le saumon, le maquereau, le hareng, l'anchois & la sardine.

SALINES, la vallée des (Géogr. sacrée) vallée de la Palestine que les interpretes de l'Ecriture mettent communément au midi de la mer Morte, du côté de l'Idumée. M. Halifax dans sa relation de Palmyre, parle d'une grande plaine remplie de sel, d'où l'on en tire pour tout le pays. Cette plaine est environ à une lieue de Palmyre, & elle s'étend vers l'Idumée orientale, dont la capitale étoit Bozza. Il est assez vraisemblable que cette plaine de sel est la vallée des salines de l'Ecriture. (D.J.)


SALINS(Géog. mod.) ville de France en Franche-Comté, dans une vallée, entre deux montagnes, sur le ruisseau de Forica, à six lieues au midi de Besançon. Elle est défendue par le fort Saint-André. Il y a quatre paroisses & trois chapitres. Les peres de l'Oratoire y ont un college. Cette ville prend son nom du sel qu'on y fait avec le feu, & dont on fournit la province & une partie de la Suisse. Long. 23. latit. 46. 57.

Lisolas (François baron de) né à Salins en 1613, s'attacha aux intérêts de la maison d'Autriche, à laquelle il rendit de grands services par ses négociations & par ses écrits. Il fut employé dans tous les traités les plus importans, & mourut en 1677, un peu avant les conférences de Nimegue. Son principal ouvrage est intitulé Bouclier d'état & de justice, dans lequel il entreprit de réfuter les droits que Louis XIV. prétendoit avoir sur divers états de la monarchie d'Espagne. Cet ouvrage plut beaucoup à la maison d'Autriche, & fut d'autant plus desagréable à la France, qu'elle étoit mal fondée dans ses prétentions. (D.J.)

SALINS, terme de Pêche ; sorte de pêcherie formée de filets que l'on peut rapporter à l'espece des hauts parcs. Les mailles des rets qu'ils nomment salins sont de deux sortes ; les plus larges mailles ont un pouce en quarré, & les plus serrées ont seulement neuf lignes aussi en quarré.

La pêche avec les rets nommés salins doit être regardée comme une espece de haut parc, de perches & de filets à queue ou fond de verveux ; les pêcheurs qui s'en servent les tendent ordinairement à l'embouchure des canaux ou des achenaux ; pour cet effet ils plantent d'un bord & d'autre trois ou quatre perches hautes d'environ dix à douze piés, comme sont les rets des hauts parcs ; le bas du rets est aux deux côtés ; sur la perche qui est près de terre est amarré un petit bout de ligne pour pouvoir lever le filet dans le premier instant que le jussant commence à se déclarer ; les pêcheurs soit à pié, soit avec les filadieres, levent aussitôt chaque bout du filet qu'ils amarrent au haut des perches, au pié desquelles le rets est arrêté de maniere qu'ils arrêtent tout le poisson que la marée a fait monter ; on y prend des mulles, des lubines, des aloses, des galles & gasts, & autres semblables poissons ronds & longs.

Cette sorte de pêcherie ne se faisant ordinairement que durant les chaleurs des mois de Juin, Juillet & Août, est très-nuisible à la multiplication du poisson, sur-tout si on se sert de mailles serrées, mais avec des rets d'un calibre de 15 à 18 lignes environ, & sans enfouir le bas du filet. Cette espece de pêche pourroit être innocente ; ce rets est de l'espece de ceux que les pêcheurs bas normands placent entre les rochers.

On appelle aussi salins des sortes de fouannes qui ont sept branches ou dents ébarbelées ; celle du milieu l'est des deux côtés, & les six autres seulement du côté de dedans ; elles ont une douille de fer, & sont emmanchées d'une perche d'environ deux brasses de long. Voyez FOUANNE, dont les salins sont une espece.

SALINS, cour des (Hist. de la Rochelle) on nommoit autrefois à la Rochelle la cour des salins, une jurisdiction qui y fut établie vers l'année 1635, avec un impôt très-fort sur les sels de Brouage & de l'île de Ré. La cour des salins fut supprimée quelque tems après ; mais le droit subsiste encore presqu'en entier.


SALIQUESadj. pl. (Hist. mod.) nom qu'on donne communément à un recueil de loix des anciens françois, par une desquelles on prétend que les filles des rois de France sont exclues de la couronne.

Plusieurs auteurs ont écrit sur les loix saliques ; mais comme MM. de Vertot & de Foncemagne, de l'académie des Inscriptions, en ont traité d'une maniere plus intéressante, nous tirerons de leurs mémoires sur ce sujet ce que nous en allons dire, d'autant plus qu'ils se réunissent à penser que ce n'est pas précisément en vertu de la loi salique que les filles de France sont exclues de la couronne.

Selon M. l'abbé de Vertot, il n'est pas aisé de décider quel est l'auteur des loix saliques, & bien moins de fixer l'époque & l'endroit de leur établissement. Quelques historiens prétendent que la loi salique tire cette dénomination salique d'un certain seigneur appellé Salegast, qui fut, dit-on, un de ceux qui travaillerent à la compilation de cette loi. C'est le sentiment d'Othon de Frisingue, liv. IV. Aventin dans le IV. liv. de son histoire de Baviere, rapporte l'étymologie de ce mot salique au mot latin sala, comme si les premieres loix des Francs avoient été dressées dans les salles de quelques palais. D'autres auteurs le font venir d'une bourgade appellée Salectinie, qu'ils placent comme il leur plait, sur les rives de l'Yssel ou du Sal. Enfin on a eu recours jusqu'à des fontaines & des puits de sel, & de-là on n'a pas épargné les allégories sur la prudence des premiers François.

Mais il est plus naturel de rapporter l'épithete de salique à cette partie des Francs qu'on appelloit saliens : hac nobilissimi Francorum, qui salici dicuntur, adhuc utuntur lege, dit l'évêque de Frisingue.

Nous avons deux exemplaires de ces loix. Le plus ancien est tiré d'un manuscrit de l'abbaye de Fulde, imprimé en 1557 par les soins de Jean Basile Herold. L'autre édition est faite sur la réformation de Charlemagne ; & il y a à la fin de cet exemplaire quelques additions qu'on attribue aux rois Childebert & Clotaire. Mais l'un & l'autre exemplaire paroissent n'être qu'un abregé d'un recueil plus ancien. Quelques-uns attribuent ces loix à Pharamond & d'autres à Clovis.

Quoi qu'il en soit, on lit à l'article 62 de ces loix un paragraphe conçu en ces termes : de terrâ vero salicâ nulla portio hereditatis mulieri veniat, sed ad sexum virilem tota terrae hereditas perveniat ; c'est-à-dire pour ce qui est de la terre salique, que la femme n'ait aucune part dans l'héritage, mais que tout aille au mâle. C'est de ce fameux article dont on fait l'application au sujet de la succession à la couronne, & l'on prétend qu'elle renferme une exclusion entiere pour les filles de nos rois.

Pour éclaircir cette question, il est bon de remarquer que dans ce chapitre lxij. il s'agit de l'aleu, de alode, & qu'il y avoit dans la Gaule françoise & dans les commencemens de notre monarchie, des terres allodiales auxquelles les femmes succédoient comme les mâles, & des terres saliques, c'est-à-dire conquises par les Saliens, qui étoient comme des especes de bénéfices & de commanderies affectées aux seuls mâles, & dont les filles étoient exclues comme incapables de porter les armes. Tel est le motif & l'esprit de cet endroit de la loi salique, qui semble ne regarder que la succession & le partage de ces terres saliques entre les enfans des particuliers.

Le vulgaire peu éclairé, dit M. de Foncemagne, entend par le mot de salique, une loi écrite qui exclut formellement les filles du trône. Ce préjugé qui n'a commencé à s'accréditer que sur la fin du xv. siecle, sur la parole de Robert Guaguin & de Claude de Seyssel, les premiers écrivains françois qui aient cité la loi salique comme le fondement de la masculinité de la succession au royaume de France ; ce préjugé est aussi mal appuyé qu'il est universel ; car 1°. le paragraphe 6. de l'article 62. est le dernier d'un titre qui ne traite que des successions entre les particuliers, & même des successions en ligne collatérale. Rien ne nous autorise à le séparer des paragraphes qui le précedent pour lui attribuer un objet différent, rien ne fonde par conséquent l'application que l'on en fait à la couronne. Peut-on croire en effet que les auteurs de la loi aient confondu dans un même chapitre, deux especes de bien si réellement distingués l'un de l'autre, soit par leur nature, soit par leurs prérogatives ; le royaume & le patrimoine des personnes privées ? peut-on supposer qu'ils aient reglé par un même decret l'état des rois & l'état des sujets ? Il y a plus, qu'ils aient renvoyé à la fin du décret l'article qui concerne les rois, comme un supplément ou comme un accessoire, & qu'ils se soient expliqués en deux lignes sur une matiere de cette importance, tandis qu'ils s'étendoient assez au long sur ce qui regarde les sujets ? 2°. Le texte du code salique doit s'entendre privativement à toute autre chose, des terres de conquête qui furent distribuées aux François à mesure qu'ils s'établissoient dans les Gaules, en récompense du service militaire, & sous la condition qu'ils continueroient de porter les armes, & la loi déclare que les femmes ne doivent avoir aucune part à cette espece de bien, parce qu'elles ne pouvoient acquiter la condition sous laquelle leurs peres l'avoient reçu. Or il est certain par les formules de Marculfe, que quoique les femmes n'eussent aucun droit à la succession des terres saliques, elles y pouvoient cependant être rappellées par un acte particulier de leur pere. Si le royaume avoit été compris sous le nom de terre salique, pourquoi au défaut des mâles les princesses n'auroient-elles pas été également rappellées à la succession à la couronne ? Mais le contraire est démontré par un usage constant depuis l'établissement de la monarchie, & dont l'origine se perd dans les tenebres de l'antiquité. Car pour ne nous en tenir qu'à la premiere race de nos rois, Clotilde, fille de Clovis, ne fut point admise à partager avec ses freres, & le roi des Wisigoths qu'elle avoit épousé, ne reclama point la part de sa femme. Théodechilde, fille du même Clovis, fut traitée comme sa soeur. Une autre Théodechilde, fille de Thierry I. selon Flodoard, & mariée au roi des Varnes, selon Procope, subit le même sort. Théodebalde succeda seul à son pere Théodebert au préjudice de ses deux soeurs, Ragintrude & Bertoare. Chrodsinde & Chrotberge survécurent à Childebert leur pere ; cependant Clotaire leur oncle hérita du royaume de Paris. Alboin, roi des Lombards, avoit épousé Closinde, fille de Clotaire I. Mais après la mort de son beau-pere, Alboin ne prit aucunes mesures pour faire valoir les droits de sa femme. Ethelbert, roi de Kent, avoit épousé la fille aînée de Charibert, qui ne laissa point de fils ; cependant le royaume de Paris échut aux collatéraux, sans opposition de la part d'Ethelbert. Gontran avoit deux filles, lorsque se plaignant d'être sans enfans, il désigna son neveu Childebert pour son successeur. Chilperic avoit perdu tous ses fils, Basine & Rigunthe lui restoient encore, lorsqu'il répondit aux ambassadeurs du même Childebert ; " Puisque je n'ai point de postérité masculine, le roi votre maître, fils de mon frere, doit être mon seul héritier ". Tous ces divers exemples démontrent que les filles des rois étoient exclues de la couronne ; mais l'étoient-elles premierement par la disposition de la loi salique ?

M. de Foncemagne répond, que le chapitre lxij. du code salique peut avoir une application indirecte à la succession au royaume. De ce que le droit commun des biens nobles ; dit-il, étoit de ne pouvoir tomber, pour me servir d'une expression consacrée par son ancienneté, de lance en quenouille, il faut nécessairement conclure que telle devoit être à plus forte raison la prérogative de la royauté, qui est le plus noble des biens, & la source d'où découle la noblesse de tous les autres. Mais la loi en question renferme seulement cette conséquence, elle ne la développe pas, & c'en est assez pour que nous puissions soutenir que les femmes ont toujours été exclues de la succession au royaume de France par la seule coutume, mais coutume immémoriale, qui sans être fondée sur aucune loi, a pû cependant être nommée loi salique, parce qu'elle tenoit lieu de loi, & qu'elle en avoit la force chez les François. Agathias qui écrivoit au sixieme siecle, appelloit déjà cette coutume la loi du pays, , & dès-lors elle étoit ancienne, puisque Clovis I. au préjudice de ses soeurs Alboflede & Lantilde avoit succédé seul à son pere Chilpéric. Les François l'avoient empruntée des Germains chez qui on la trouve établie dès le tems de Tacite, qui remarque comme une exception aux coutumes universellement établies parmi les Germains, que les Sitons qui faisoient partie des Sueves, étoient gouvernés par une femme : caetera similes, dit cet historien, uno differunt, quod foemina dominatur ; de morib. Germanor. in fine, ou pour parler plus exactement, dès le tems de Tacite elle étoit observée par les François, que l'on comprenoit alors sous le nom de Germains, commun à toutes les nations germaniques. Ils l'apporterent au-delà du Rhin comme une maxime fondamentale de leur gouvernement, laquelle avoit peut-être commencé d'être usitée parmi eux, avant même qu'ils eussent connu l'usage des lettres. C'est ce qui faisoit dire au fameux Jérôme Bignon, qu'il faut bien que ce soit un droit de grande autorité, quand on l'a observé si étroitement, qu'il n'a point été nécessaire d'en rédiger une loi par écrit. De l'excellence des rois & du royaume de France, pag. 286.

Les recherches également curieuses & solides de ces deux académiciens confondent pleinement l'opinion téméraire de l'historien Duhaillant, qui avance que le paragraphe 6. de l'article 62. concernant la terre salique, avoit été interpolé dans le chapitre des aleuds par Philippe-le-Long, comte de Poitou, ou du-moins qu'il fut le premier qui se servit de ce texte pour exclure sa niece, fille de Louis-le-Hutin, de la succession à la couronne, & qui fit, dit cet écrivain, croire au peuple françois, ignorant des lettres & des titres de l'antiquité des Francs, que la loi qui privoit les filles de la couronne de ce royaume, avoit été faite par Pharamond.

Que cette loi, dit M. l'abbé de Vertot, ait été établie par Pharamond ou par Clovis, princes qui vivoient l'un & l'autre dans le cinquieme siecle, cela est assez indifférent. Mais l'existence des loix saliques, & plus encore leur pratique sous nos rois de la premiere & de la seconde race est incontestable. Il ne se trouve aucun manuscrit ni aucun exemplaire sans l'article 62. qui exclut de toute succession à la terre salique, preuve que ce n'est pas une interprétation. Le moine Marculphe, qui vivoit l'an 660, cite expressément cette loi dans ses formules, & enfin on étoit si persuadé, même dans le cas dont parle. Duhaillant, que tel avoit toujours été l'usage du royaume que, selon Papire Masson, les pairs & les barons, & selon Mézerai, les états assemblés à Paris déciderent que la loi salique & la coutume inviolable gardée parmi les François, excluoient les filles de la couronne ; & de même quand après la mort de Philippe-le-Long, Edouard III. roi d'Angleterre, descendu par sa mere Isabelle de Philippe-le-Bel, se porta pour prétendant au royaume de France. " Les douze pairs de France & les barons s'assemblerent à Paris, dit Froissart, liv. I. chap. xxij. au plus tôt qu'ils purent, & donnerent le royaume d'un commun accord à Messire Philippe de Valois, & en ôterent la reine d'Angleterre & le roi son fils, par la raison de ce qu'ils dient que le royaume de France est de si grande noblesse qu'il ne doit mie par succession aller à femelle ". Mém. de l'acad. des Inscrip. tom. II. Dissert. de M. l'abbé de Vertot, sur l'origine des loix saliques, pag. 603 & suiv. pag. 610, 611, 615, & 617. & tom. VIII. Mém. hist. de M. de Foncemagne, pag. 490, 493, 495, & 496.

SALIQUE, terre, (Hist. de France) on nommoit ainsi chez les Francs des terres distinguées d'autres terres, en ce qu'elles étoient destinées aux militaires de la nation, & qu'elles passoient à leurs héritiers. On peut, dit M. le président Hainault, distinguer les terres possédées par les Francs depuis leur entrée dans les Gaules, en terres saliques, & en bénéfices militaires. Les terres saliques, continue-t-il, étoient celles qui leur échurent par la conquête, & elles étoient héréditaires : les bénéfices militaires, institués par les Romains avant la conquête des Francs, étoient un don du prince, & ce don n'étoit qu'à vie : il a donné son nom aux bénéfices possédés par les ecclésiastiques ; les Gaulois de leur côté, réunis sous la même domination, continuerent à jouir, comme du tems des Romains, de leurs possessions en toute liberté, à l'exception des terres saliques, dont les Francs s'étoient emparés, qui ne devoient pas être considérables, vu le petit nombre des François & l'étendue de la monarchie. Les uns & les autres, quelle que fût leur naissance, avoient droit aux charges & au gouvernement, & étoient employés à la guerre sous l'autorité du prince qui les gouvernoit. (D.J.)


SALIRv. act. (Gram.) c'est rendre sale. Voyez les articles SALE & SALETE. On salit une étoffe ; on salit ses mains ; les discours deshonnêtes salissent l'imagination.


SALIS D'ORse dit en Peinture d'un fond d'or qu'on salit avec des couleurs plus ou moins brunes, dont on fait les ombres qui donnent la forme aux objets qu'on s'est proposé d'imiter. Les espaces d'or non salis sont les rehauts ou lumieres ; ces sortes d'ouvrages ne différent du rehaussé d'or que par la manoeuvre, & produisent le même effet. Voyez REHAUT.


SALISBURY(Géog. mod.) Salesbury, Sarisbury, ou New-Sarum ; ville d'Angleterre, capitale du Wiltshire, sur l'Avon, à 70 milles au sud-ouest de Londres. C'est une des belles villes du royaume, remarquable en particulier par sa cathédrale d'architecture gothique. Salisbury a le titre de comté depuis Guillaume le Conquérant, & son évêché est suffragant de Cantorbery. Long. 15. 53. lat. 51. 4.

On doit distinguer dans l'histoire deux villes de Salisbury, l'ancienne (Old Salisbury) & la moderne. L'ancienne étoit la Sorviodunum des Romains, & elle est nommée dans les chroniques bretonnes, Salesbiria, Saresbiria, Saerbiria, &c. Cette ancienne place fut abandonnée des habitans, sous le regne de Richard I., & l'on transporta la ville dans l'endroit où elle est aujourd'hui.

Bennet (Thomas), célebre théologien du xviij. siecle, y naquit en 1673, & mourut à Londres en 1728, âgé de 55 ans. Voici la liste de ses principaux ouvrages écrits en anglois. 1°. Réponse aux raisons des non-conformistes sur leur séparation de l'église anglicane. 2°. Réfutation du papisme. 3°. Traité du schisme. 4°. Réfutation du quakérisme. 5°. Histoire de l'usage public des formulaires de prieres. 6°. Droits du clergé de l'église chrétienne. 7°. Discours sur la Trinité, ou examen des sentimens du docteur Clarcke sur cette matiere. 8°. Grammaire hébraïque.

Il s'est fait plusieurs éditions de la plûpart des ouvrages que nous venons de nommer, & ils sont tous exempts des défauts qu'on trouve dans la plûpart des livres polémiques. Celui contre le docteur Clarcke est rempli de témoignages d'honnêteté & de politesse : " je me rappelle, dit-il, que quand je vous témoignois par lettres, que je désapprouvois votre opinion, vous eûtes la bonté de souffrir ma sincérité, avec cette patience, cette candeur, cette douceur, qui éclate constamment dans toute votre conduite. "

Ditton (Humfroi), étoit aussi natif de Salisbury. Il cultiva les mathématiques & la théologie. On a de lui un excellent ouvrage, intitulé ; démonstration de la religion chrétienne, où il se propose de raisonner sur ce sujet, d'après la méthode des géometres. Il mourut en 1715, à l'âge de 40 ans.

Massinger (Philippe), poëte dramatique, naquit à Salisbury, vers l'an 1585. Il a composé plusieurs comédies & tragédies, qui ont été jouées avec applaudissement. Langlaine en a rendu compte dans son livre, intitulé : account of the dramatics english poëts, à Oxford 1691, in-8 °. Massinger mourut en 1640, & fut enterré dans le même tombeau où repose Fletchers. (D.J.)


SALITIOS. f. (Hist. anc.) exercice militaire, qui consistoit à voltiger sur un cheval de bois ; on sautoit, tantôt à droite, tantôt à gauche, ayant une épée nue à la main.


SALIVAIREadj. en Anatomie, ce qui est relatif à la salive. Le conduit salivaire de Nuck. Le conduit salivaire de Coschwitz. Le conduit salivaire de Stenon. Voyez NUCK, STENON, &c.


SALIVANTadj. (Thérapeutique) remede salivant, ou sialagogue, c'est-à-dire, remede excitant la salivation, ou l'excrétion, & l'évacuation abondante de la salive.

Les remedes salivans sont de deux especes, savoir : 1°. Ceux qui étant appliqués immédiatement aux organes qui séparent la salive, ou du moins à l'extrêmité de leurs tuyaux excrétoires, en déterminent abondamment l'écoulement. Ces remedes sont connus dans l'art, sous le nom de masticatoire. Voyez MASTICATOIRE ; & même l'action de mâcher à vuide, ou d'écarter & de rapprocher alternativement les mâchoires, est une cause très-efficace de l'écoulement de la salive, auquel une prétendue compression des glandes parotides, ne contribue en rien pour l'observer en passant. Voyez l'article SECRETION.

2°. Les salivans sont des remedes qui étant pris intérieurement, ou introduits par quelque voie que ce soit, dans les voies de la circulation, agissent par une détermination qui mérite éminemment le nom d'élective (Voyez REMEDE & MEDICAMENS), sur les organes excrétoires de la salive, & déterminent un flux abondant de cette humeur. La médecine ne possede qu'un remede qui soit doué de cette vertu ; savoir, le mercure & ses diverses préparations. Voyez MERCURE, matiere médicale. Voyez SALIVATION. (b)


SALIVATIONSALIVATION

D'abord, il faut observer que quoique le mercure agisse sur les glandes salivaires, il ne se porte pas plutôt vers ces glandes que vers les intestins. 2°. Si le mercure se répand également par-tout, il faut chércher dans le seul tissu des glandes salivaires, la raison pour laquelle ce fluide fait une évacuation par ces glandes. 3°. Le tissu des glandes salivaires peut être forcé plus facilement que celui des autres couloirs : ainsi le mercure dilate leurs conduits ; les parties mercurielles qui viennent ensuite, les dilatent toujours davantage ; cette dilatation étant faite, les humeurs se jettent en plus grande quantité vers les endroits dilatés, ainsi il pourra s'y faire un grand écoulement, tandis qu'il ne s'en fera pas dans un autre, & cela par la même raison, que la transpiration étant extraordinaire, le ventre est fort resserré. 4°. Il y a un autre phénomene qui arrive dans l'usage du mercure, & auquel il faut faire attention pour expliquer la salivation ; c'est qu'il survient souvent des gonflemens à la tête, or ces gonflemens n'arrivent que par les obstructions que le mercure cause dans les vaisseaux capillaires, ces obstructions ramassent le sang, & le sang ramassé pousse plus fortement & en plus grande quantité la salive dans les tuyaux secrétoires ; il faut ajouter à cela que le mercure fait une grande impression sur le tissu de la bouche & dans les parties voisines ; & comme les ramifications des nerfs sont très-nombreuses & très-sensibles dans la bouche & sur le visage, l'irritation y deviendra plus aisée & plus fréquente ; cette raison jointe à celle que nous venons de donner peut servir à expliquer la salivation causée par le mercure.

Il résulte de toutes ces remarques, que selon toute apparence, la vertu & l'énergie qu'a le mercure à procurer la salivation dépend de deux qualités principales ; savoir, sa grande divisibilité & sa figure sphérique qu'on trouve jusque dans ses petites molécules.

De la grande divisibilité & de la figure sphérique du mercure, il s'ensuit qu'il peut être porté jusqu'aux extrêmités les plus reculées du corps ; qu'il peut pénétrer la masse du sang & la lymphe, s'insinuer entre les molécules le plus étroitement condensées de ces liqueurs, & par conséquent les diviser. De plus, les molécules les plus grossieres de la lymphe s'arrêtant un peu aux orifices des vaisseaux ; & étant mêlées avec des globules de mercure, elles sont brisées par la force de la contraction des vaisseaux, & par le mouvement continuel de protrusion des liqueurs, elles sont divisées, & acquierent enfin assez de fluidité pour pouvoir passer au-travers des plus petits tuyaux du corps.

Si nous faisons attention aux émonctoires du corps par où peut passer la lymphe trop épaisse, nous n'en trouverons que de deux sortes ; savoir les glandes intestinales & les salivaires. Les couloirs des reins & de la peau, ne laisseront échapper que la lymphe la plus ténue, à cause de la petitesse des vaisseaux ; c'est pourquoi les sudorifiques sont de moindre utilité que le mercure dans les maux vénériens, parce qu'ils chassent seulement par les pores de la peau la lymphe fluide, & qu'ils ne peuvent dissoudre celle qui est épaisse.

Mais les glandes salivaires & intestinales peuvent séparer les sucs épais ; ainsi lorsque l'on employe le mercure, cette lymphe épaisse sort ou par ces deux émonctoires, ou par l'un d'eux seulement, selon que la lymphe qui est dissoute se répand dans le corps en plus ou moins grande quantité. Communément les glandes salivaires versent cette lymphe, parce qu'ayant un sentiment plus vif & plus exquis que celles des intestins, elles sont ébranlées plus fortement par les picotemens que cause cette lymphe âcre, de-sorte qu'elles expriment les sucs qu'elles contiennent, & en attirent d'autres ; cependant on comprend facilement que l'évacuation de cette lymphe se fait par les glandes salivaires ou intestinales, selon le différent degré d'irritation, parce qu'en excitant une plus violente irritation, par le moyen d'un purgatif, dans les glandes intestinales, on arrête la salivation, & l'humeur est portée hors du corps par les intestins. (D.J.)


SALIVES. f. (Physiolog.) humeur claire, transparente, abondante, fluide, qui ne s'épaissit point au feu, qui n'a point d'odeur ni de goût, & qui est séparée par les glandes salivaires, d'un sang pur artériel. Elle devient fort écumeuse étant battue ou fouettée, âcre quand on a grand faim, pénétrante, détersive, résolutive quand on a long-tems jeuné. Elle augmente la fermentation dans les sucs des végétaux & dans les syrops. Après une très-longue abstinence elle purge quelquefois le gosier, l'oesophage, l'estomac & les entrailles ; les hommes & les animaux l'avalent dans l'état sain, pendant le sommeil de même qu'en veillant.

De ces diverses propriétés de la salive, on peut déduire aisément la nature de cette liqueur ; elle n'est à proprement parler qu'un savon fouetté ; les tuyaux qui la séparent sont très-subtils, ils ne laissent point échapper de matiere grossiere, mais seulement une matiere huileuse fort atténuée, mêlée avec l'eau par le moyen des sels & par le mouvement des arteres, & enfin extrêmement raréfiée ; après qu'elle a eté déposée dans les cellules salivaires, elle est encore battue par le mouvement des arteres voisines.

Il suit 1°. que la salive doit être fort délayée & fort transparente, car la division & le mêlange produit cet effet.

2°. Qu'elle doit être écumeuse, car comme elle est un peu visqueuse à cause de son huile, l'air y forme facilement de petites bulles dont l'assemblage fait l'écume.

3°. Elle ne doit pas s'épaissir sur le feu, car les parties huileuses étant fort divisées, elles s'élevent facilement quand la chaleur vient à les raréfier ; elles deviennent donc plus légeres que l'air, au - lieu que la lymphe, par exemple, a des parties huileuses & épaisses, qui laissent d'abord échapper l'eau à la premiere chaleur, & alors ses parties huileuses sont pressées encore davantage l'une contre l'autre par la pesanteur de l'athmosphere de l'air ; de plus la salive contient beaucoup d'air qui se raréfie sur le feu, & écarte les parties qui composent la salive.

4°. La salive n'a presque ni goût ni odeur, car le sel qui s'y trouve est absorbé dans une matiere huileuse & terreuse ; mais cela ne se trouve ainsi que dans ceux qui se portent bien ; car dans ceux qui sont malades, la chaleur alkalise, ou tend à alkaliser les sels, alors la salive peut avoir divers goûts ; elle produira même divers effets, qui pourront marquer un acide ou un alkali. On ne doit donc pas prendre pour regle les opérations chymiques qu'on peut faire sur la salive : outre que les matieres décomposées forment avant la décomposition un assemblage bien différent de celui qu'elles nous présentent étant décomposées ; nous venons de voir que les maladies peuvent y causer des altérations.

5°. La salive dans ceux qui jeûnent doit être âcre, détersive, & résolutive ; alors la chaleur tend à alkaliser les liqueurs du corps, il faut en conséquence que la salive contracte quelque âcreté ; comme on sait que le savon est un composé de sel & d'huile, il n'est pas surprenant que la salive qui est formée par les mêmes principes soit détersive ; enfin elle doit être résolutive ; car outre que par son action elle débouche les pores, elle agite en même tems les vaisseaux, & y fait couler les liqueurs par cette agitation.

6°. La salive peut contribuer à la fermentation ; car les sels étant volatilisés, peuvent se détacher facilement ; ainsi ils pourront alors exciter une fermentation dans les corps où il se trouvera des matieres propres à les décomposer.

7°. Ce que le microscope nous découvre dans la salive, n'est pas contraire à ce que nous venons d'établir ; il nous y fait voir des parties rameuses qui nagent dans de l'eau ; or ces parties rameuses sont les parties de l'huile.

8°. Dans les maladies, le goût de la salive est mauvais ; comme les humeurs séjournent & s'échauffent, elles deviennent âcres, & par conséquent la salive qui en est le produit, doit causer une impression désagréable ; quand on ne sent plus de mauvais goût, c'est un signe que la santé renaît, car c'est une marque que les liqueurs coulent, & ne s'échauffent plus comme auparavant. C'est sur ce principe que les Médecins regardent souvent la langue, & sont attentifs aux impressions qu'y laissent les maladies.

9°. La salive ayant un mauvais goût, les alimens nous paroissent désagréables, parce que leurs molécules se mêlent avec celles de la salive.

Parlons à présent des usages de la salive. Mais pour les mieux comprendre, il faut se rappeller qu'elle est composée d'eau, & d'une assez grande quantité d'esprits, d'un peu d'huile & de sel, qui mêlés ensemble, forment une matiere savonneuse.

Les alimens étant atténués par le mouvement de la mastication, la salive qui s'exprime par cette même action, & se mêle exactement avec eux, contribue 1°. à les assimiler à la nature du corps, dont ils doivent être la nourriture ; 2°. marie les huiles avec les matieres aqueuses ; 3°. produit la dissolution des matieres salines ; 4°. la fermentation ; 5°. un changement de goût & d'odeur ; 6°. un mouvement intestin ; 7°. une réfection momentanée ; 8°. quoiqu'insipide, c'est par elle que s'appliquent à l'organe du goût les corps savoureux.

La salive étoit d'une absolue nécessité. 1°. Il étoit besoin d'une liqueur qui humectât continuellement la bouche pour faciliter la parole, & oindre le gosier pour faire avaler les alimens qui sans cela ne pourroient point glisser. 2°. Il falloit un fluide qui pût dissoudre les sels & les matieres huileuses, & c'est ce que peut faire la salive par sa partie aqueuse, par son sel & par son huile ; si elle eût été entierement huileuse, elle n'auroit point dissout les matieres salines ; & si elle n'eût été qu'une eau pure, elle n'auroit point eu d'ingrès dans les matieres grasses. 3°. Il étoit nécessaire qu'il coulât dans la bouche une liqueur qui pût mêler les matieres huileuses, & celles qui sont aqueuses ; une liqueur saline, aqueuse & savonneuse peut se faire parfaitement, parce que le savon s'unit avec ces deux matieres. 4°. Si la salive avoit eu quelque goût ou quelque odeur, il eût été impossible que nous eussions apperçu le goût ou l'odeur des alimens. 5°. Les sels n'agissent point qu'ils ne soient dissous ; il a fallu un dissolvant qui fût toujours prêt dans la bouche ; la salive passe encore dans la masse du sang avec les alimens, & peut-être qu'elle se perfectionne toujours davantage pour venir reproduire les mêmes effets.

Puisque la salive ne se sépare d'un sang artériel très-pur, qu'après y avoir été élaborée par un artifice merveilleux, se déchargeant dans la bouche, & se mêlant aux alimens, on a tort de la rejetter.

La trop grande excrétion de salive trouble la premiere digestion, & conséquemment celles qui suivent, produit la soif, la sécheresse, l'atrabile, la consomption, l'atrophie. Mais si elle n'est point filtrée dans la bouche, ou du moins si elle l'est en bien plus petite quantité que de coutume, la manducation des alimens, le goût, la déglutition, la digestion sont empêchés, & la soif est en même tems augmentée.

L'écoulement de la salive augmente ou diminue, selon la différente position du corps. 1°. Si on lie le nerf qui va à une glande salivaire, la filtration de la salive ne cesse pas d'abord, mais elle se fait plus lentement. 2°. Si on lie les veines jugulaires à un chien, la salive coule en si grande abondance, que cet écoulement ressemble au flux de bouche que donne le mercure ; cela vient de ce que le sang étant arrêté dans les veines jugulaires, les arteres qui sont dans les glandes qui filtrent la salive, se gonflent, battent plus fortement, & poussent par-là plus de liqueur dans les filtres salivaires. 3°. La nuit il coule dans la bouche moins de salive que durant le jour, parce que durant le sommeil les glandes ne sont pas agitées par les muscles & par la langue, comme elles sont quand nous veillons ; d'ailleurs la transpiration qui augmente durant la nuit, diminue l'écoulement de la salive ; c'est pour la même raison que cet écoulement cesse durant les grandes diarrhées. 4°. Dans certaines maladies, comme la mélancolie, par exemple, la salive coule en grande quantité ; cela vient de ce que le sang trouvant des obstacles dans les vaisseaux mésentériques qui sont alors gonflés & remplis d'un sang épais, le sang se jette en plus grande quantité vers les parties supérieures, & en commun il s'y filtre plus de liqueur. 5°. Dans l'esquinancie la salive coule en grande quantité, parce que les vaisseaux qui vont aux glandes, s'engorgent à cause de l'inflammation ; ainsi l'irritation exprime plus de salive. 6°. Quand la mâchoire est luxée, on éprouve un grand écoulement de salive ; mais cet écoulement ne vient que de ce que les organes de la déglutition sont dérangés. 7°. Dans les petites véroles confluentes, il arrive une grande sputation, parce que la transpiration étant arrêtée, les glandes salivaires reçoivent plus de salive. Ajoutez à cela les pustules qui se forment au gosier. 8°. Pour le crachement qui vient dans la phthisie commençante, il est produit par des obstacles qui empêchent le sang de circuler librement ; on n'a qu'à se rappeller ce qui arrive par la ligature des veines jugulaires, & on expliquera facilement tous les phénomenes de cette espece.

La salivation peut être causée par les matieres âcres ; l'usage du tabac, par exemple, fait cracher beaucoup : ce que les purgatifs âcres produisent dans les intestins, le tabac le produit ici ; il irrite les nerfs, il donne de l'action aux vaisseaux capillaires : tout cela cause un engorgement qui pousse la salive dans les couloirs avec plus de force & en plus grande quantité ; en un mot, le tabac agit comme les vésicatoires ; mais la matiere qui produit la salivation la plus abondante, c'est le mercure. Voyez SALIVATION mercurielle. (Physiol.)

Non-seulement la salive peut être plus ou moins abondante, suivant la disposition des corps, comme on l'a remarqué : non-seulement le mercure peut en produire une évacuation prodigieuse & contre nature par les glandes salivaires, mais de plus, la salive peut être viciée singulierement dans différentes maladies. Il est rapporté dans les journaux d'Allemagne, qu'une vieille femme malade mit de sa salive sur la bouche d'un enfant, & qu'il survint d'abord à cet enfant plusieurs croutes galeuses sur les levres. On lit dans les Transactions philosophiques qu'une jeune femme ayant négligé de se faire têter, rendoit une salive toute laiteuse ; & quand cela lui arriva, ses mamelles se désenflerent. On lit encore dans les mémoires des curieux de la nature, qu'un particulier maladif & pituiteux crachoit une salive qui se coaguloit, & formoit une espece de chaux. (D.J.)

SALIVE maladies de la, (Médec.) I. La salive abonde en plus grande quantité dans la bouche, 1°. dans le tems de la mastication, de la succion & du bâillement, lorsqu'on se porte bien ; 2°. quand on fait usage de quelques remedes, comme de mercure, de mastic, de tabac, de jalap, de méchoacan, de remedes antimoniaux, on rejette encore davantage de salive ; & si cette évacuation ne procure pas la guérison de quelque maladie, elle prive le corps de l'humeur savonneuse qui lui est naturelle, & retarde l'élaboration du chyle ; 3°. lorsqu'au retour de la salive par les jugulaires, il se rencontre quelque obstacle dans l'angine, dans le gouêtre & les autres tumeurs du gosier, si on rejette trop de salive, cet accident menace d'un danger qu'on ne peut prévenir, qu'en dissipant la cause comprimante ; 4°. la salive qui vient à la suite de l'irritation de la bouche, de la détention, de l'odontalgie, soulage rarement, & cause même d'autres maux qui naissent du défaut de secrétion ; 5°. dans le dégoût, la nausée, & les autres maladies du ventricule, l'abondance de salive est un signe de cacochymie, qu'il faut arrêter par le moyen des stomachiques, en évacuant cet amas de mauvaises humeurs ; 6°. dans les maladies hypocondriaques, hystériques, convulsives, la grande salivation est souvent une marque d'un paroxisme prochain ; 7°. dans le scorbut, dans le catharre, & les maladies qui viennent de l'acrimonie des humeurs, l'abondance de salive annonce d'ordinaire la colliquation, sans qu'on en ressente du soulagement ; 8°. cette sécretion est salutaire dans la petite vérole ; souvent enfin elle est symptomatique.

II. Quand la salive abonde dans la bouche en quantité, elle produit la sécheresse & la malproprété de la bouche, la soif & la difficulté de la déglutition ; l'usage d'une boisson abondante acidulée diminue tous ces maux ; dans les maladies aiguës il faut y ajouter les remedes nitreux.

III. Une salive plus épaisse, plus tenace, plus glutineuse, accompagnée d'écume, prouve que les humeurs ne sont pas assez tenues ; il les faut diviser à l'aide des résolutifs, des délayans internes & d'une boisson abondante. La salive trop divisée a rarement lieu dans les maladies, excepté dans celles qui viennent de la colliquation des humeurs.

IV. La salive âcre, corrompue, fétide, acide, amere, salée, douçâtre, exige un traitement tiré de ces boissons dont on vient de faire mention.

V. La salive mêlée de pus marque quelque réservoir caché qu'il faut découvrir, ouvrir, vuider & déterger ensuite. (D.J.)


SALLANDLE, (Géog. mod.) petite contrée des Pays-Bas, aux Provinces-unies. Elle fait partie de la province d'Overissel. Elle est située entre la Dwente & la Trente, qui font deux autres parties de la même province. Elle renferme plusieurs bourgs considérables, & entr'autres villes, Deventer, Zwol & Campen. Le nom de Salland est composé de Sal & land. Sal est la même riviere que l'Issel, & land veut dire pays. Ainsi Salland désigne le pays de l'Issel, parce qu'en effet il est situé sur cette riviere. (D.J.)


SALLES. f. (Architect. antiq. & mod.) c'est la premiere, la plus grande piece d'un appartement, & ordinairement la plus décorée. Les Italiens disent sala.

Il y a des salles au rez-de-chaussée ; il peut y en avoir à tous les étages où se trouvent de grands appartemens. Vitruve parle de trois sortes de salles qu'il nomme tétractiles, corinthiennes & égyptiennes.

Les salles tétractiles étoient des salles qui avoient quatre colonnes ; on les faisoit quarrées, & les colonnes servoient non-seulement à proportionner la largeur avec la hauteur, mais aussi à affermir l'étage de dessus.

Les salles corinthiennes, c'est-à-dire, selon la maniere des Corinthiens, étoient de deux sortes ; les unes avoient leurs colonnes simplement posées sur le pavé, les autres étoient assises sur des piédestaux ; mais en ces deux manieres les colonnes étoient toujours près du mur. Les entablemens se faisoient de stuc ou de bois, & il n'y avoit jamais qu'un rang de colonnes ; les voûtes étoient ou en plein ceintre, ou surbaissées, n'ayant de trait qu'un tiers de la largeur de la salle, & elles devoient être enrichies de compartimens de stuc & de peinture. La longueur de ces salles seroit celle d'un quarré & deux tiers de leur largeur.

Les salles égyptiennes, assez semblables aux basiliques, avoient un portique dans leur pourtour ; car les colonnes étoient éloignées du mur, de même qu'aux basiliques, & sur ces colonnes il y avoit un entablement. L'espace d'entre les colonnes & le mur étoit couvert d'une plate-forme avec une balustrade tout-autour. Dessus ces mêmes colonnes il y avoit un mur continu, avec des demi-colonnes en-dedans moindres d'un quart que celles d'en-bas ; aux entre-colonnes on pratiquoit des fenêtres pour donner du jour à la salle. Les salles égyptiennes devoient être magnifiques & d'une proportion admirable, tant à cause de l'ornement des colonnes, qu'à cause de leur hauteur, parce que le sofite ou plafond étoit audessus de la corniche du second ordre ; il est aisé de juger combien ces salles étoient commodes & propres à faire des assemblées, & à donner toutes sortes de divertissemens.

SALLE, se dit aussi de certains lieux publics où les maîtres reçoivent leurs écoliers, & leur donnent des leçons à danser, ou en fait d'armes ; & c'est ce qu'on nomme salle de danse, salle d'escrime, &c.

Salle d'assemblée, est celle que l'on destine dans une maison pour y recevoir la compagnie.

Salle des gardes, est chez les rois & princes, le lieu de leurs palais où sont leurs gardes.

Salle d'audience, est une piece du grand appartement d'un prince pour recevoir & donner audience à des ministres de princes étrangers, ou autres personnes.

Salle de bal, grande piece qui sert pour les concerts & les danses, avec tribunes élevées pour la musique, comme celle du grand appartement du roi à Versailles. Il y a aussi des salles de ballets, des salles de comédie, des salles de machines, &c.

Salle à manger, piece au rez-de-chaussée près du grand escalier, & séparée de l'appartement : ces sortes de salles étoient appellées cyzicènes chez les anciens.

Salle du commun, piece près de la cuisine & de l'office où mangent les domestiques.

Salle de bain, c'est la principale piece de l'appartement du bain, où sont la cuve & autres ustensiles nécessaires pour le bain.

Salle d'eau, espece de fontaine plus basse que le rez-de-chaussée, où l'on descend par quelques degrés, & qui est pavée de compartimens de marbre avec divers jets d'eau, & entourée d'une balustrade, comme la salle d'eau de la vigne du pape Jules à Rome.

Salle de jardin, c'est un grand espace de figure réguliere, bordé de treillage, & renfermé dans un bosquet, pour servir à donner des festins, ou à tenir bal dans la belle saison ; comme la salle du bas du petit parc de Versailles, qui est entourée d'un amphithéâtre avec sieges de gazon, & un espace ovale au milieu un peu élevé & en maniere d'arene, pour y pouvoir danser la nuit à la lumiere des flambeaux.

Le mot de salle, selon Ménage, vient de l'allemand salh qui veut dire la même chose. Ducange le dérive de sala, qui dans la basse latinité signifie une maison ; mais je crois l'étymologie de Ménage plus vraisemblable. (D.J.)

SALLE, terme de relation, c'est le nom que nos voyageurs donnent aux poches qu'ont les singes aux deux côtés de la mâchoire, où ils serrent ce qu'ils veulent garder. (D.J.)

SALLE-D'ARMES, (Escrime) endroit où s'assemblent les écoliers pour apprendre l'art de l'escrime. Dans une salle-d'armes il doit y avoir des fleurets, voyez FLEURETS, un plastron, voyez PLASTRON, & des sandales : la sandale est un soulier dont l'empeigne est coupée au-dessous de la boucle, & laisse toute l'extrêmité du pié découverte. Les escrimeurs mettent une de ces sandales au pié droit, afin qu'en frappant du pié à terre l'orteil ne se blesse point.


SALLIUS LAPIS(Hist. nat. Lithol.) nom d'une pierre blanche, fort pesante & friable, qui guérissoit, dit-on, les vertiges, qui empêchoit d'avorter, & qui étoit un bon remede pour les maux d'yeux, lorsqu'on la broyoit avec du lait.


SALLONS. m. (Architect.) grande piece située au milieu du corps d'une maison, ou à la tête d'une galerie, ou d'un grand appartement. Sa forme ordinaire est celle d'un rectangle, dont la longueur est à la largeur comme 4 à 3, ou tout-au-plus comme 2 à 1. Ses faces doivent être en symmétrie ; & comme sa hauteur comprend ordinairement deux étages, & qu'il a deux rangs de croisées, l'enfoncement de son plafond doit être ceintré, ainsi qu'on le pratique dans les palais d'Italie. Il y a des sallons quarrés comme celui de Clagny ; de ronds & d'ovales, comme ceux de Vaux & du Rincy ; d'octogones, comme celui de Marly, & d'autre figure. On décore les sallons avec des colonnes corinthiennes qui bordent des glaces ou des tableaux ; mais cette décoration qui comporte une grande richesse, est tout-à-fait arbitraire. On en peut voir un beau modele dans les Pl. VIII. & IX. du tome I. du traité de la décoration des édifices, par M. Jacques-François Blondel.

C'est dans les sallons qu'on se repose lorsqu'on vient de la chasse, ou de la promenade, qu'on joue & qu'on donne des repas de conséquence. Daviler. (D.J.)

SALLON DE TREILLAGE, (Jardinage) espece de grand cabinet dans un jardin, rond ou à pans, fait de treillage de fer & de bois, & couvert de verdure. On trouvera des figures de sallon de treillage dans la théorie & la pratique du jardinage. (D.J.)


SALLUVIENSLES, Salluvii, Salvii, Sallyes, Sallycus, (Géog. anc.) voyez ce dernier mot. Les Salluviens étoient un peuple originaire de Ligurie, établi dans la contrée des Gaules, que nous appellons aujourd'hui la Provence. Les Marseillois ayant réclamé le secours des Romains contre ces peuples, le consul M. Fulvius Flaccus fut envoyé contr'eux l'an de Rome 627 ; il les défit, & en triompha. C'est le premier triomphe des Romains sur les Gaulois transalpins. C. Sextius continua la guerre contre ces mêmes peuples en qualité de proconsul, & il acheva de les soumettre en 629. Il bâtit en ce pays une ville, qui, à cause de l'abondance de ses eaux & du nom de son fondateur, fut appellée Aquae Sextiae ; c'est Aix, capitale de la Provence. (D.J.)


SALM(Géog. mod.) petite ville des Pays-bas, au duché de Luxembourg, à trois lieues de Roche-en-Famine, avec titre de comté. Long. 23. 24'. lat. 50. 6. (D.J.)

SALM, LA, (Géog. mod.) en latin Salmona, petite riviere d'Allemagne dans l'Eistel & dans l'électorat de Trèves. Elle se jette dans la Moselle à 2 lieues au-dessous de Trèves. (D.J.)


SALMA(Géog. mod.) nom de deux villes de l'Arabie-heureuse. Long. de l'une, selon Ptolémée, 70. 30. lat. 26. long. de l'autre, 63. 20. lat. 24. 20. (D.J.)


SALMACIS(Géogr. anc.) fontaine d'Asie dans la Carie. Elle ne doit pas être loin de la ville du même nom, & peut-être lui donnoit-elle son nom. Cette fontaine avoit, disoit-on, la réputation de rendre mous & efféminés ceux qui bûvoient de ses eaux. Strabon, l. XIV. plus judicieux que le vulgaire, ne croit point qu'elle eût cette propriété ; mais, selon lui, ce défaut de ceux qui en bûvoient venoit de leurs richesses & de leur intempérance.

Vitruve, l. II. c. viij. en donne une autre raison. Il y a, dit-il, tout auprès de la fontaine de Salmacis un temple de Vénus & de Mercure. On croit faussement qu'elle donne la maladie de l'amour à ceux qui en boivent ; mais il n'y aura point de mal à rapporter ce qui a donné lieu à ces faux bruits qui se sont répandus par-tout. Il faut savoir, continue-t-il, que les Grecs qui s'établirent en cet endroit, charmés de la bonté de cette eau, y éleverent des cabanes, & qu'ensuite ils attirerent des montagnes les barbares, les engagerent à s'amollir, c'est-à-dire à adoucir la férocité de leurs moeurs, & à se policer en se soumettant aux loix, & en s'accoutumant à une vie moins sauvage.

Festus en indique une raison bien différente ; il avoue que cette fontaine étoit très-funeste à la pudicité, & ceux qui en alloient boire s'exposoient à la perdre, non que l'eau eût par elle-même aucune qualité, mais parce que pour y aller il falloit passer entre des murs qui resserroient le chemin, & donnoient par-là occasion aux débauchés de surprendre les jeunes filles qu'ils deshonoroient, sans qu'elles pussent leur échapper. Ovide, que l'opinion du peuple accommodoit mieux, l'a embrassée.

Cui non audita est obscaenae Salmacis unda ?

C'est ce qu'il dit dans le XV. liv. de ses métamorphoses vers 319. On peut voir comment il a traité la fable de la nymphe Salmacis, l. IV. fab. 11. (D.J.)

SALMACIS, s. f. (Mytholog.) nom d'une nymphe tellement amoureuse d'Hermaphrodite, fils de Mercure & de Vénus, que l'ayant surpris comme il se baignoit dans une fontaine de Carie, elle se jetta dedans & en l'embrassant étroitement, elle pria les dieux de les unir pour jamais. Sa priere fut exaucée, leurs deux corps n'en firent plus qu'un, où étoit néanmoins conservé le sexe de l'un & de l'autre. La fable ajoute que depuis cette fontaine située près d'Halicarnasse fut nommée Salmacis, & que tous ceux qui s'y baignoient devenoient efféminés. (D.J.)


SALMANTICA(Géog. anc.) ancienne ville de la Lusitanie, chez les Vettons, selon Ptolémée, liv. XXI. c. v. Plutarque l'appelle Salmatica, & dit que c'est une grande ville. Il est à croire que Salmantica ou Salmatica est Salamanque. (D.J.)


SALMASTRE(Géog. mod.) ville d'Asie dans la Perse, résidence d'un kan qui y commande, à quatre journées de Tauris & à vingt-huit d'Alep. C'est, dit Tavernier, l. III. c. iv. une jolie ville sur les frontieres des anciens Assyriens & des Medes, & la premiere de ce côté-là des états du roi de Perse. Les guerres du dernier siecle & de celui-ci ont vraisemblablement ruiné cette ville. (D.J.)


SALMES. m. (Comm.) en italien salma, mesure des liquides, dont on se sert dans la Calabre & dans la Pouille, provinces du royaume de Naples. Le salme est de dix stars, & le star de 32 pignatolis ou pots, qui font à-peu-près la pinte de Paris, ainsi le salme contient environ 320 pots ou pintes. Salme est aussi un poids de 25 livres. Salme, c'est encore une mesure de grains dont on se sert à Palerme. Le salme contient 16 tomolis, & le tomolis 4 mondels, 10 salmes deux septiemes font le last d'Amsterdam. Voyez LAST. Dict. de Comm. & de Trév.


SALMEROS. m. (Ichthyol.) espece de petit saumon de riviere ou de lac, qu'on trouve ordinairement près de la ville de Trente. Sa figure est longue & ovalaire, son museau est gros, sa bouche est garnie de dents, sa tête est ronde, son dos est noirâtre, ses côtés sont blanchâtres, son ventre est rouge. Ce poisson tient un peu de la truite. Sa chair a la couleur & le goût de celle du saumon ordinaire ; elle est tendre, friable, nourrissante, excellente à manger, mais de peu de garde. (D.J.)


SALMES(Géog. mod.) on écrit aussi Salme, petite ville ou bourg de Lorraine au pays de Vosge, sur les frontieres de la basse Alsace, près de la riviere de Brusch, à 8 lieues de Strasbourg, à 22 de Nancy & à 14 de Marsal, avec titre de comté. Long. 24. 56'. lat. 48. 35'. (D.J.)


SALMIS. m. (Cuisine) ragoût qu'on fait avec des bécasses, des alouettes, des grives, & autres pieces de gibier roties à la broche, dépecées ensuite & cuites sur un réchaud avec du vin, des petits morceaux de pain, & autres ingrédiens propres à piquer le goût.


SALMIGONDIS. m. (Science étym.) assaisonnement composé de différentes choses. On disoit du tems de Rabelais salmigondin ; à présent on ne connoît plus que le mot vulgaire salmigondi, qui est la même chose que pot pourri. On dérive ce mot de salgami conditum. Les anciens ont appellé salgamum toutes sortes de légumes, comme raves, choux, concombres, &c. que l'on mettoit dans un pot avec du sel pour les conserver ; l'on s'est servi sur cet exemple du mot salmigondi, pour exprimer des ragoûts composés de plusieurs sortes de choses. (D.J.)


SALMONE(Géog. anc.) ville ancienne du Péloponnèse, dans la Pisatide, selon Strabon, l. VIII. Il dit qu'il y avoit une source de même nom, d'où sort l'Enipe, nommé ensuite Barnichius, qui se va perdre dans l'Alphée. (D.J.)


SALMONÉES. m. (Mythol.) frere de Sisyphe, étoit fils d'Eole & petit-fils d'Hellen. Ayant conquis toute l'Elide jusqu'aux rives de l'Alphée, il eut la témérité de vouloir passer pour un dieu. Pour cet effet, il bâtit un pont d'airain, sur lequel il faisoit rouler un chariot qui imitoit le bruit du tonnerre, & de son char il lançoit des torches allumées sur quelques malheureux qu'il faisoit tuer à l'instant, pour inspirer plus de terreur à ses sujets. " J'ai vu, dit Enée, dans les horreurs d'un cruel supplice, l'impie Salmonée, qui eut l'audace de vouloir imiter le foudre du maître du monde : armé de feux, ce prince parcouroit sur son char la ville d'Elis, exigeant de ses sujets les mêmes honneurs qu'on rend aux immortels. Insensé, qui par le vain bruit de ses chevaux & de son pont d'airain, croyoit contrefaire un bruit inimitable " ! Mais Jupiter lança sur lui le véritable foudre, l'investit de flamme (ce n'étoient pas de vains flambeaux), & le précipita dans l'abîme du Tartare. (D.J.)


SALMUNTI(Géog. anc.) , ville maritime d'Asie, où Alexandre assista à des jeux de théâtre. Diodore de Sicile la met sur la mer Erythrée ; mais cette mer s'étendoit au-delà du sein persique, & presque jusqu'à l'Indus. Plutarque semble la mettre dans la Gédrosie, & Arrien dans la Caramanie. (D.J.)


SALNICHLE, (Géogr. mod.) riviere de la Turquie européenne, en Albanie ; elle a sa source dans les montagnes de la Chimera, & se jette dans le golfe de Venise. Les anciens l'ont connue sous les noms de Celydnus & de Pepilychnus. (D.J.)


SALO(Géog. anc.) génit. Salonis, nom latin d'une riviere de l'Espagne tarragonoise. C'est aujourd'hui le Xalon. Martial, né à Bilbilis, lieu situé sur cette riviere, en fait mention, l. X. épig. 103.

Municipes, augusta mihi quos Bilbilis acri

Monte creat, rapidis quos Salo cingit aquis.

Il met, dans une autre épigramme, qui est la 104, cinq relais de Tarragone à Bilbilis & à Salon.

Illinc te rota tollet, & citatus

Altam Bilbilin & tuum Salonem

Quinto forsitan essedo videbis.

C'étoient les eaux de cette riviere qui donnoient une excellente trempe aux ouvrages d'acier que l'on faisoit à Bilbilis. (D.J.)

SALO, (Géog. mod.) ville d'Italie, dans l'état de Venise, au Bressan, sur le lac, & à quatre lieues au nord-ouest de Gardes. Elle communique son nom à tout le canton, qu'on nomme en italien Riviera di Salo ; le mot de riviere se prend ici comme quand on dit la riviere du Levant, la riviere du Ponent, en parlant de la côte de Gènes. Comme ce canton est à couvert des vents du nord, à cause des montagnes, il est fertile en olives, citrons, grenades, oranges, &c. Ce canton est composé de trente - six communautés, qui reglent par un conseil toutes les affaires qui s'y rapportent. Long. de la ville, 28. 7. latit. 45. 36.

Bonfadio, (Jacques) né dans cette ville, fut nommé historiographe de la république de Gènes, qui lui assigna une bonne pension pour cette charge. Il mit au jour les cinq premiers livres des annales de cet état ; mais il y parla si satyriquement de quelques illustres familles génoises, qu'elles en furent vivement irritées. On fit des recherches sur la vie de l'auteur, & on le trouva coupable d'un crime qu'il faut taire, & pour lequel il eut la tête tranchée en 1551. Manuce reconnoît que Bonfadio écrivoit également bien en latin & en italien, romano eloquio & etrusco praecellens. On a de lui des poésies dans ces deux langues. (D.J.)


SALOBRENA(Géog. mod.) ou Salobregna, en latin Selambina, dans Ptolémée, l. II. c. 6. petite ville d'Espagne, au royaume de Grenade, sur un rocher, proche la mer, à une lieue au couchant de Motril, avec un château fortifié, où on tient garnison. Long. 13. 51. latit. 36. 16. (D.J.)


SALOIRS. m. (Chaircuiterie) vaisseau de bois où l'on garde le sel. Les Chaircuitiers nomment aussi saloir, le vaisseau où ils salent la chair de porc & les lards qu'ils coupent & débitent en fleches. Ces saloirs sont ordinairement de bois, quelquefois ronds, & quelquefois longs en forme de coffres ou de cuves. Il y a aussi des saloirs de terre cuite, dont l'ouverture est très-large. Les chairs salées se conservent mieux dans ces derniers ; mais outre qu'ils se cassent aisément, ils ne sont pas capables de contenir beaucoup de chair. (D.J.)


SALOMONLE CAP DE, (Géog. mod.) en latin Salmonium, ou Salmonium promontorium ; il est à la pointe orientale de l'île de Candie, vers l'orient, à onze lieues de Sitia, entre le cap Sidero au nord, & le cap Sacro. (D.J.)

SALOMON, les îles de, (Géog. mod.) îles de la mer du sud, ainsi nommées par Alvaro de Mendoça, qui les découvrit en 1567. Les principales sont, dit-on, au nombre de dix-huit. La plus grande se nomme l'île Isabelle, à laquelle on donne plus de cent lieues de tour. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la plûpart des îles de Salomon ne sont point découvertes, & que celles qui le sont, ne sont pas connues. Tout ce qu'on en sait, c'est qu'en général l'air y est assez tempéré ; mais on ne connoît ni le terroir, ni les habitans de ces îles. Long. selon Dudley, 152. 204. latit. 7. 23. (D.J.)

SALOMON, les piscines de, (Géog. mod.) ou les lavoirs de Salomon, comme Maundrell les nomme. La description qu'il en a donnée, & celle du P. Nau, jésuite, ne s'accordent pas ensemble. Ce dernier les met à deux lieues de la ville de Thécua. Ces deux voyageurs cependant ne comptent que trois piscines de Salomon, dont une partie a été creusée dans la roche vive. Elles reçoivent leur eau d'une fontaine scellée qui est plus haute. On ignore qui est l'auteur de ces sortes de réservoirs d'eau ; mais c'est vraisemblablement quelque calife. (D.J.)


SALON(Géog. mod.) petite ville de France, en Provence, dans la viguerie d'Aix, & traversée par un bras de la Durance, appellé la fosse - Crapone. Salon est à huit lieues au nord-ouest d'Aix, & dépend d'Arles pour le spirituel. On voit dans l'église des cordeliers le tombeau de Michel Nostradamus, qui est mort dans cette ville. Long. 22. 48. latit. 43. 40.

Crapone (Adam de), gentilhomme natif de Salon dans le xvj. siecle, se distingua singulierement par ses connoissances de la méchanique hydraulique. Il exécuta en ce genre des ouvrages dignes de mémoire ; il fit écouler les eaux croupissantes de Fréjus, ce qui rendit l'air de cette ville plus sain. Il imagina & travailla en 1558 au canal de Provence, appellé de son nom le canal Crapone ; c'est un canal de six lieues au-dessus de l'embouchure de la Durance dans le Rhône, & qui porte l'abondance dans des campagnes stériles. Il avoit entrepris de joindre les deux mers en France, & le roi Henri II. avoit même commencé à y faire travailler ; mais la grande capacité de Crapone lui fut fatale : car ayant été envoyé à Nantes en Bretagne pour y démolir les travaux d'une citadelle qu'on avoit exécutée sur un méchant terrein, il fut empoisonné dans la quarantieme année de son âge, par les premiers entrepreneurs de cette citadelle. (D.J.)


SALONA(Géog. mod.) ville de Grèce, dans la Livadie, près du golfe du même nom, sur une petite riviere, à dix-huit lieues au nord-est de Lépante. Elle est habitée en partie par les Turcs, qui y ont sept mosquées, & par les Grecs, qui y ont six églises, avec un évêque suffragant d'Athènes.

Salona n'est point l'ancienne Delphes, ville de la Phocide ; mais c'est Amphisa, comme M. Spon l'a prouvé par une belle & grande inscription latine, qu'il trouva dans une des églises de la ville ; cette inscription étoit un rescrit du proconsul romain Decimius Secundinus, qu'il adressoit aux habitans d'Amphisa. Long. 40. 35. latit. 38. 50. (D.J.)


SALONESalona, (Géog. anc. & mod.) ancienne ville maritime de la Dalmatie. Elle est nommée Colonia-Martia, Julia Salona, dans une inscription rapportée par Gruter, p. 23. n°. 12.

Spon décrit ainsi les restes de cette ville. Salone étoit, dit-il, une ville fameuse dans l'antiquité, mais nous n'y trouvâmes que des masures, & il n'y a plus qu'une église avec quatre ou cinq moulins. Les villes périssent, aussi-bien que les hommes. Elle étoit dans une belle plaine à deux milles de la montagne Morlaque qu'elle avoit au nord, & s'étendoit jusqu'à un petit golfe qui étoit son port, dans lequel va tomber la petite riviere qui passe au milieu & où l'on pêche des truites. Elle est dans une égale distance de Clissa & de Spalatro, environ à 4 milles de l'un & de l'autre. Elle pouvoit avoir 8 à 9 milles de tour ; mais ceux du pays disent qu'elle en avoit davantage.

Le chemin qui va de Salone à Clissa portoit anciennement le nom de via Gabiniana, comme on l'apprend d'une inscription antique ; Clissa a succédé à l'Andetrium des anciens. Zonare rapporte que Dioclétien se retira à Salone, , ville de Dalmatie où il étoit né ; aussi un de nos poëtes fait-il dire à cet empereur dans la tragédie de Gabinie.

Salone m'a vu naître, & me verra mourir.

On nous représente communément Dioclétien comme un ennemi mortel des chrétiens, & son regne comme une saint Barthelemi continuelle. C'est néanmoins ce qui est entierement contraire à la vérité. Les fideles jouirent de la plus grande liberté pendant vingt ans sous cet empereur, & ne furent maltraités sous lui que pendant deux années. Encore Lactance, Eusebe & l'empereur Constantin imputent ces violences au seul Galerius, & non à Dioclétien. Il n'est pas en effet vraisemblable qu'un homme assez philosophe pour renoncer à l'empire l'ait été assez peu pour être un persécuteur fanatique. Concluons que l'ere des martyrs qui commence à l'avénement de Dioclétien, n'auroit dû être datée que deux ans avant son abdication, puisqu'il ne fit aucun martyr pendant vingt ans. C'est la réflexion de l'auteur de l'Essai sur l'Histoire universelle. (D.J.)


SALONIA(Géog. anc.) ancienne ville de Bithynie, selon Etienne le Géographe. Elle est nommée simplement Salon, , par Strabon, l. XII. p. 565, qui dit qu'aux environs il y avoit des pâturages excellens, où l'on nourrissoit des troupeaux de vaches dont le lait servoit à faire un fromage renommé, que l'on appelloit fromage salonite. (D.J.)


SALONICKou SALONICHI, (Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, au fond d'un golfe de même nom, & capitale de la Macédoine, près de la riviere de Vardari, à 50 lieues au sud-ouest de Sophie.

Cette ville autrefois grande & magnifique, connue sous le nom de Thessalonique, est encore peuplée & marchande. Les Juifs font presque tout le commerce qui consiste en soie, laine, coton, cuirs, &c. ils y ont plusieurs synagogues ; les Grecs y ont aussi quelques églises, avec un archevêque. Longitude, suivant le P. Feuillée, Lieutaud, Desplaces & Cassini, 40. 39'. 30''. latit. 40. 41'. 10.

Le gouverneur de Salonicki porte le titre de moula, & sa charge le met en haute considération à la porte. Dans le tems qu'Andronic voulut s'emparer de l'empire, Salonicki fut prise par Guillaume, roi de Sicile. Elle revint ensuite sous la domination d'Andronic Paléologue, empereur de Constantinople, qui, pour s'unir à la république de Venise, lui céda les droits qu'il avoit sur Salonicki ; mais Venise en jouit à peine deux ans. Le sultan turc profita du mauvais état des affaires de l'Italie & de la foiblesse des habitans qui n'étoient pas en état de lui résister. Il envoya un de ses généraux s'emparer de cette ville, dont il est resté maître ; il accorda la tolérance de religion aux Grecs & aux Juifs, & Salonicki redevint florissante. (D.J.)

SALONICKI, LE GOLFE DE, (Géogr. moderne) golfe de la Macédoine dans l'Archipel ; c'est le golfe Therméen des anciens, en latin Thermeus ou Thermaïcus sinus. Il prend aujourd'hui son nom de la ville Salonicki, la seule qui soit sur ses bords. Le P. Coronelli donne 140 milles de longueur à ce golfe, qui par son exposition aux vents est périlleux pour ceux qui y naviguent. (D.J.)


SALONTAS. f. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar qui croît de la hauteur d'une toise. C'est une espece de tithimale qui n'a qu'une seule tige qui porte à sa cime douze ou quinze feuilles en bouquet semblables à celles du lauréole. Ses fleurs sont de couleur de chair.


SALOPIA(Géog. anc.) 1°. nom latin de la ville de Shrewsburi. Quelques livres la nomment aussi Salop. 2°. Nom latin de Shropshire, que l'on appelle aussi la province de Salop. Ainsi ce nom latin sert également à cette province & à sa capitale. Voyez SHREWSBURI. (D.J.)


SALORGES. f. (Commerce de sel) amas de sel ou espece des meules de sel destinées pour en faire commerce. L'ordonnance des gabelles défend d'avoir des salorges plus près de cinq lieues des greniers de la ferme.

On nomme salorges à Nantes, & dans plusieurs autres lieux de la Bretagne, les magasins où les marchands qui font le commerce des sels ont coutume de mettre & conserver leurs sels. Il en est parlé dans la pancarte ou tarif de la prevôté de Nantes. Dictionn. du Comm. (D.J.)


SALPAS. f. (Ichthyolog.) c'est un poisson de mer gros, long, & ressemblant à la merluche : il vit d'algue & de mousse marine. On le fait sécher jusqu'à le rendre aussi dur que du bois, ensorte que pour l'attendrir & le pouvoir manger, il faut le battre quelque tems à coups de maillets. (D.J.)


SALPEvoyez SAUPE.


SALPÊTRES. m. (Chymie) voyez l'article NITRE. Le salpêtre est un sel moyen dont on tire par l'analyse un alkali fixe assez semblable au sel gemme, & un acide volatil qui en fait la principale partie, & d'où naissent les propriétés qui le distinguent d'un autre sel.

Ces propriétés sont de se crystalliser en aiguilles, d'exciter un sentiment de fraîcheur sur la langue, & de se décomposer par le contact d'un phlogistique allumé, auquel son acide s'unit & se dissipe avec bruit.

Ce sel se forme sur la superficie de la terre, dans les caves, celliers, écuries, & autres lieux couverts imprégnés de substances végétales & animales, & où l'air a accès. Les vieux murs formés de matieres qui ont éprouvé l'action du feu, comme le plâtre & la chaux, en contiennent aussi beaucoup.

L'air, suivant le célebre M. Hellot, est l'agent principal qui forme ce sel, non qu'il en contienne en soi, mais comme développant par une sorte de fermentation qu'il excite dans ces matieres, les principes prochains du nitre qui y sont renfermés ; de même dans le suc des raisins ce n'est point l'air qui y dépose le spiritueux inflammable, mais il le développe & le fait en quelque façon éclorre par la fermentation ; & aucun art n'auroit pû l'en tirer sans son entremise.

On peut augmenter la quantité du salpêtre que les terres produisent naturellement, en les abreuvant d'eaux provenant de la putréfaction d'animaux & de plantes ; mais il faut que ces terres soient à couvert, pour les garantir de la pluie, qui dissoudroit & entraîneroit le salpêtre à mesure qu'il se formeroit, & que le lieu soit frais, pour le condenser & lui faire prendre corps. Par la même raison les terres exposées à la pluie ne donnent aucun salpêtre : on n'y trouve en les lessivant & après l'évaporation, qu'une matiere grasse & un peu de sel approchant du sel gemme.

Il faut aussi remuer souvent les terres à la pelle, pour donner lieu à l'air de les pénétrer, & d'y développer les principes nitreux ; plus elles seront remuées, plus elles produiront de salpêtre : dans celles qui ne le sont point, il ne s'en forme qu'à la superficie. On commence au bout de deux mois à y trouver du salpêtre, & elles en acquierent toujours jusqu'à ce qu'elles en soient entierement rassasiées.

L'auteur de cet article vient de découvrir que le sel commun avoit aussi la propriété de produire du salpêtre : que son acide devenoit nitreux, & qu'il en acquéroit toutes les qualités par l'entremise de l'air, étant mêlé avec de la terre.

Pour s'en assurer par l'expérience, il a pris de la terre de jardin & en a fait cinq tas égaux dans un lieu couvert.

Le premier a été exactement lessivé à froid, & on n'y a ajouté aucune autre matiere qu'un peu d'eau pure dont on l'a arrosé lorsque la terre a paru trop desséchée.

Le second a été laissé tel qu'il étoit sortant du jardin ; on l'a seulement arrosé de tems en tems d'un peu d'eau pure comme le premier.

Le troisieme a été différentes fois humecté d'urine.

Le quatrieme a été humecté par égale portion d'urine & d'eau, dans laquelle on avoit fait dissoudre du sel commun jusqu'à saturation.

Et le cinquieme a été seulement humecté d'eau salée.

On a remué ces terres à la pelle trois fois la semaine pendant six mois ; & au bout de ce tems les ayant lessivées, elles ont donné du salpêtre dans les proportions ci - après ; savoir,

Ces expériences, qui prouvent une sorte de conversion du sel commun en salpêtre, font présumer que ces sels pourroient bien être les mêmes dans leur principe, & qu'ils ne différent entr'eux que par une plus grande quantité d'acide volatil qu'une fermentation plus parfaite fournit au salpêtre.

Deux observations paroissent encore appuyer cette conjecture ; la premiere est que le salpêtre se rapproche du sel commun à mesure qu'on le dépouille de son acide, & qu'il devient semblable à ce sel lorsqu'il en est presqu'entierement dépouillé, & qu'au contraire le sel commun se nitrifie à mesure que la fermentation lui fournit cet esprit acide.

La seconde est qu'il ne se forme jamais de salpêtre sans sel commun, même dans la terre qui auroit été exactement lessivée & dépouillée de l'un & de l'autre de ces sels. Ces faits rendent assez probable l'opinion que le sel commun n'est qu'un nitre imparfait.

Peut-être pourroit-on tirer parti de cette découverte, en établissant des halles ou angards, pour y former du salpêtre avec les matieres & par les moyens qui viennent d'être indiqués : il couteroit peu d'en faire l'expérience dans un seul angard ; & en calculant d'après les épreuves que l'on y feroit, on verroit quel seroit l'objet du produit du salpêtre, & de l'économie des frais de formation.

Si la chose se trouvoit praticable, & qu'en multipliant les angards on pût se procurer à moins de frais la quantité de salpêtre que l'on voudroit, il en résulteroit encore les avantages ci-après.

1°. De ne plus tirer de salpêtre de l'étranger.

2°. Que les paysans ne seroient plus exposés à voir tous les lieux bas de leurs maisons bouleversés par les salpétriers, ou à leur donner de l'argent pour en être exemptés, sous prétexte que les terres ne sont pas bonnes.

3°. Que les terres salpétreuses étant un excellent engrais, les paysans s'en serviroient très-utilement pour fertiliser leurs champs, s'ils en connoissoient la propriété, & s'ils savoient que de nouvelles terres mises à la place de celles-ci, auroient acquis au bout de deux ans pour les caves & celliers, & d'une année pour les étables & écuries, assez de nitre pour tenir lieu du meilleur fumier : mais ils ne le soupçonnent pas ; & si la chose avoit lieu, il faudroit les en instruire, les seigneurs décimateurs y seroient intéressés.

Le salpêtre se tire des terres par le moyen d'une lessive à froid ; pour faciliter l'écoulement des eaux, & empêcher que la terre ne bouche le trou du cuvier, on place dedans au-devant du trou, une piece de fond de tonneau en travers, & on remplit l'intervalle avec de petites pierres ou menus platras ; on y met des cendres à-peu-près la sixieme partie de sa hauteur, en même tems qu'elles servent à dégraisser le salpêtre, elles fournissent à la partie acide l'alkali fixe dont elle pourroit manquer ; il n'en faut cependant pas trop mettre, une plus grande quantité l'absorberoit ; on acheve de remplir le cuvier de terres salpétreuses, ou de platras broyés & passés à la claie. Lorsque c'est de la terre, elle doit auparavant avoir été bien ameublie, & il faut la mettre très-légèrement dans le cuvier ; car pour peu qu'elle fût pressée, l'eau ne passeroit point, ou ne passeroit que très-lentement. On la couvre de paille pour empêcher que l'eau ne la comprime lorsqu'on la verse dessus ; on y coule peu-à-peu la quantité d'eau nécessaire pour dissoudre le salpêtre, & pour rendre cette eau plus chargée de nitre, on la passe sur un second cuvier à mesure qu'elle s'écoule du premier, de même du second sur un troisieme, & du troisieme sur un quatrieme. Elle est alors chargée de salpêtre autant qu'elle le peut être si les terres sont bonnes. De ce quatrieme cuvier on la porte dans une chaudiere sur le feu, où on la fait bouillir en l'écumant avec soin, jusqu'à ce qu'elle ait pris assez de consistance pour se congeler lorsqu'on en laisse tomber une goutte sur une assiette ; alors on la transvase dans un vaisseau appellé rapuroir, on l'y laisse une demi-heure pour qu'elle y dépose ses impuretés. Du rapuroir, & avant qu'elle soit refroidie, on la verse dans des bassins ou le salpêtre se forme en crystaux dès qu'il est froid. On met égoutter les bassins le cinquieme jour, & l'eau qui en sort appellée eau-mere, est portée avec les écumes sur les terres destinées à être lessivées, qu'elles bonifient ; ce salpêtre est appellé de la premiere cuite.

Cette cuite produit toujours une certaine quantité de sel commun, qui se forme au fond de la chaudiere, & que l'on en retire avec une écumoire avant de mettre la cuite dans le rapuroir.

Il est à remarquer que le sel commun lorsqu'il se trouve en grande quantité, comme dans la premiere cuite, se forme toujours avant le salpêtre ; & que lorsqu'il se trouve en petite quantité, comme dans la deuxieme & dans la troisieme cuite, c'est le salpêtre qui se forme le premier, & le sel commun reste dissous dans l'eau mere de ces cuites ; ou alors il se formeroit le premier si on cuisoit cette eau mere, attendu qu'il y seroit en grande quantité, à proportion de l'eau & du salpêtre. S'il arrivoit que le sel commun se formât constamment le premier ; il y auroit à dire qu'il faut une plus grande quantité d'eau pour le tenir en dissolution, que pour y tenir le salpêtre, par la raison que le sel commun ne se dissout pas en plus grande quantité dans l'eau bouillante que dans l'eau froide, tandis que l'eau froide rassasiée de salpêtre, peut en dissoudre deux fois plus en la faisant chauffer. Mais pourquoi cette cause ayant son effet en grand, ne l'a-t-elle pas en petit ? Seroit-ce que la petite quantité de sel commun étant répandue dans une grande quantité de salpêtre, les parties de sel s'y trouvent trop éloignées & trop embarrassées dans celles du salpêtre pour se réunir & se crystalliser ?

On purifie le salpêtre en le faisant fondre dans de l'eau & le faisant bouillir jusqu'à ce qu'il se forme une pellicule dessus ; un peu d'alun que l'on y jette pendant qu'il bout, tant à la premiere cuite qu'aux deux autres, y forme beaucoup d'écume que l'on ôte : c'est le premier procédé pour le dégraisser & le purifier. On y emploie aussi la colle-forte, mais avec moins d'effet. La pellicule étant formée, on le verse dans des bassins où il se crystallise presqu'aussitôt : on le met égoutter le troisieme jour, & l'eau qui en sort est jettée sur les terres.

La troisieme cuite, ou seconde purification, se fait de même.

Avant que de décharger les cuviers pour y mettre de nouvelle terre, on y repasse de l'eau pure pour achever d'en enlever le salpêtre, & cette eau qu'on appelle le lavage, est employée pour le lessivage suivant qu'elle fortifie.

Les terres salpétreuses donnent communément un gros de salpêtre par livres de terre, & les meilleures un gros & demi.

Les vaisseaux dans lesquels on forme & on purifie le salpêtre, doivent être plutôt profonds que larges ; il s'en dissipe beaucoup en bouillant, & l'on a remarqué que ce déchet se fait en raison de la surface de l'eau.

En raffinant le salpêtre on se propose d'en avoir un des plus purs, ou qui ait le moins qu'il est possible de substances étrangeres.

Le salpêtre brut, ou de la premiere cuite, tel qu'il sort des plâtres, contient quatre substances différentes, du salpêtre, du sel marin, une eau mere & une matiere grasse.

De ces trois sels il n'y a que le salpêtre qui soit inflammable, & conséquemment il est aussi le seul qui soit propre à faire la poudre à canon.

Le sel, ou sel marin, n'étant point susceptible d'inflammation, ne peut contribuer à celle de la poudre ; au contraire il lui est très-préjudiciable, non-seulement parce qu'il diminue la quantité du salpêtre dans la poudre, mais sur-tout parce qu'il attire l'humidité de l'air, & rend par-là la poudre humide & lui fait perdre son activité.

L'eau mere est une liqueur qui reste à la fin de tous les différens travaux de l'affinage du salpêtre, & qui ne se congele, ou ne se crystallise point, comme font le salpêtre & le sel. Cette eau contient en solution un vrai sel moyen, tels que sont le salpêtre & le sel. Ce sel de l'eau mere est formé par l'union des esprits ou acides du salpêtre, & du sel unis à une terre calcaire, ou telle que la craie. Elle peut être desséchée par des ébullitions suivies ; mais aussitôt qu'elle est exposée au contact de l'air, elle en attire l'humidité, & se résout entierement. La poudre fabriquée avec un salpêtre qui contient de cette eau mere, devient humide très facilement, ce qui est un défaut essentiel.

La matiere grasse qui se trouve avec le salpêtre, quoique combustible, ne peut contribuer à l'inflammation du salpêtre : les huiles ou graisses ne l'enflamment point ; il faut pour y parvenir que les charbons des végétaux soient parfaitement brûlés & privés d'huile. Cette matiere grasse restant unie au salpêtre, l'empêche de s'égoutter & de se sécher, & le rend propre à reprendre de l'humidité.

Si le salpêtre brut ou d'une premiere cuite, à la quantité de 3600 livres, est dissous dans de l'eau, cuit & clarifié par la colle, & mis en crystallisation ou congelation, le salpêtre qu'on obtiendra par cet affinage s'appellera salpêtre de deux cuites.

Ce salpêtre d'une deuxieme cuite, dissous de nouveau dans de l'eau, cuit, & clarifié à la colle, & mis à crystalliser, donnera un nouveau salpêtre qu'on appellera salpêtre de la troisieme cuite : tel que les ordonnances le demandent pour la fabrication de la poudre à canon ; ce salpêtre sera à la quantité de 1988 livres, & l'on employera six heures ou environ à faire ces deux cuites.

Si les liqueurs restantes de ces différens travaux, & que les ouvriers appellent eaux, sont mises ensemble à cuire, clarifiées à la colle, & après avoir été congelées, si elles sont égouttées, elles donneront un salpêtre, brut ou de la premiere cuite. Ce salpêtre de nouveau raffiné en donnera d'une seconde cuite. Enfin ce nitre de deux cuites pareillement affiné, fournira 392 livres d'un salpêtre de trois cuites.

A chaque cuite de ce deuxieme affinage, on aura en même tems que le salpêtre, 427 livres de sel qui se crystallisera au fond des chaudieres. Les eaux étant bouillantes, le sel marin a la propriété de se congeler au fond des vaisseaux qui servent à l'évaporation ou cuite, au lieu que le salpêtre pour se congeler demande le refroidissement : l'art a donc profité des différentes propriétés de ces sels pour les partager.

Les eaux qui proviennent du dernier affinage donneront par la cuite, la clarification & la congelation un nitre brut, qui raffiné encore deux fois, de même que dans les deux raffinages précédens, rendra un salpêtre de trois cuites, pesant 81 liv.

Si l'on cuit & congele encore toutes les eaux restantes des derniers affinages, elles donneront un pain de salpêtre brut de 67 livres. On pourroit poursuivre le raffinage de ce salpêtre jusqu'à zero.

La quantité de sel provenu de ces derniers affinages sera de 177 livres ; & les écumes seront du poids de 171 liv.

La premiere observation que nous ayons à faire sur la fabrication du salpêtre par ces moyens, c'est qu'il sera bien préparé & fabriqué, les congelations en seront parfaites, les crystaux bien formés & très-gros, & donneront par conséquent des pains durs & solides, ce qui fera qu'ils s'égoutteront parfaitement, & ne conserveront presque rien des eaux. Ce salpêtre ainsi fabriqué, pourra se garder long-tems, & sera peu susceptible des impressions de l'air.

Parmi plusieurs moyens que la Chymie fournit pour connoitre la quantité du sel marin contenue dans le salpêtre, il faut préférer la crystallisation qui est la voie la plus simple, la plus facile & la plus vraie.

Toutes les expériences sur les salpêtres de différens affinages, se réduisent à les raffiner de nouveau en petit, pour en séparer le sel & l'eau mere, de même qu'on fait dans les travaux en grand.

Si vous faites dissoudre une quantité donnée de salpêtre dans l'eau, cuire ou évaporer, & mettre ensuite dans un lieu frais pour s'y congeler ; la liqueur restante, ou la solution de salpêtre de nouveau évaporée, & de-là mise à congeler, & que vous répétiez ainsi la crystallisation jusqu'à neuf fois, le salpêtre crystallisant de la sorte peu-à-peu, & en petite quantité chaque fois, le sel se dégagera mieux d'avec lui, & ne paroîtra que dans les dernieres crystallisations suivant qu'il est plus ou moins abondant ; car s'il y en a très-peu, il ne paroîtra avec l'eau mere qu'à la derniere crystallisation. Tel est le moyen que l'on emploie en Chymie pour avoir un salpêtre absolument pur.

Le salpêtre de trois cuites du premier affinage, dissous à une quantité comme dans l'eau, & crystallisé neuf fois, ne donnera dans la derniere crystallisation qu'un vestige de sel, c'est-à-dire à peine quelques grains sensibles, avec un peu plus d'eau mere que ne le fait d'ordinaire le salpêtre qu'on vend à l'arsenal, où il y a souvent des cuites qui ne donnent aucun vestige d'eau mere.

Si le salpêtre de trois cuites du deuxieme affinage est traité de même que celui du premier, le sel paroîtra à la derniere ou neuvieme crystallisation, en quantité un peu moindre que dans le salpêtre du premier affinage ; ce ne sera, pour ainsi dire, qu'une trace de sel, l'eau mere sera à peine sensible.

Le salpêtre de trois cuites du troisieme affinage, crystallisé comme les autres, le sel ne paroîtra qu'à la derniere crystallisation, à-peu-près en même quantité que celui du salpêtre du premier affinage ; il n'y aura presque pas d'eau mere.

L'eau mere à la quantité de 7 livres, 5 onces, donnera à la faveur de l'évaporation, une demi-once de salpêtre, & presque 6 onces de sel ; le reste de la liqueur sera ce qu'on appelle l'eau mere, qui ne crystallise point.

Le tems employé pour les trois affinages sera de 4 jours & demi, & 25 minutes.

Le salpêtre de ces trois raffinages sera aussi parfait qu'il le puisse être, & l'on aura consommé 2638 liv. de bois : employé 3600 liv. d'eau, 9 liv. 10 onces de colle : travaillé 108 heures 25 minutes, ou 4 jours 12 heures 25 minutes : & obtenu 2461 liv. de salpêtre raffiné : de salpêtre brut, provenu des cuites d'eau, 67 livres : d'eaux meres restées des opérations, 28 liv. 8 onces : de sel produit net, 604 liv. enfin des écumes, 171 liv.

Le salpêtre doit être de la troisieme cuite pour être employé à la composition de la poudre, & à celle des feux d'artifice ; pour ce dernier usage on le pile dans un mortier, ou on le broie sur une table de bois dur avec une molette, & on le passe au tamis de soie ; plus il est fin & sec, & plus il a d'effet ; il est par lui-même incombustible, & lorsqu'il s'enflamme & fuse, c'est à l'occasion de la matiere à laquelle il touche, comme lorsqu'il est mis sur une planche ou sur des charbons, l'air subtil qu'il contient, se développant par l'action du feu, exalte les parties sulfureuses que ces matieres contiennent, dont il pénetre les pores ; elles se changent en flamme & emportent avec elles les parties du salpêtre que leur action a divisées ; si au contraire il est mis sur quelque chose d'incombustible & dénuée de ce soufre, comme sur une pelle ou sur une tuile rougie au feu, il fond simplement sans s'enflammer & se reduit en liqueur, il prend corps en refroidissant & forme un sel plus dur & plus solide qu'il n'étoit auparavant, & qui est également propre aux mêmes usages, étant ce qu'on appelle salpêtre en roche, il se raffine même par cette fusion, on en prépare en quelques endroits pour faire de la poudre de chasse en le faisant fondre au feu & sans eau ; on jette un peu de soufre dessus pendant qu'il est en fusion pour achever de le dégraisser, le soufre brûle avec ce qui peut y être resté de graisse, sans allumer le salpêtre, cette opération ne pourroit se réiterer sans l'affoiblir, attendu que n'y ayant plus rien d'onctueux, les esprits auroient plus de facilité à s'en dégager, & qu'il s'en évaporeroit beaucoup.

SALPETRE, à la Monnoie ; on appelle affiner au salpêtre l'affinage de l'argent qui se fait avec ce sel ou nitre ; l'affinage de l'argent par le salpêtre se fait ainsi. On se sert d'un fourneau à vent ; on y met un creuset, on le charge d'environ 40 marcs de matiere d'argent, puis on le couvre, & on charge le fourneau de charbon. Quand la matiere est en bain, on jette deux ou trois onces de plomb dans le creuset, on brasse bien la matiere en bain, voyez BRASSOIR, puis on retire le creuset du feu ; on verse ensuite cette matiere par inclination dans un bacquet plein d'eau commune, pour la réduire en grenaille. Après lui avoir donné trois feux, on laisse refroidir le creuset sans y toucher, on le retire, enfin on le casse, & on y trouve un culot dont le fond est d'argent fin, & le dessus de crasse de salpêtre avec l'alliage de l'argent.


SALPÊTRIERES. m. (Architect.) grande salle d'un arsenal, aux rez-de-chaussée, où sont ordinairement plusieurs rangs de cuves & de fourneaux pour faire le salpêtre. Telle est la salpêtriere de l'arsenal de Paris. (D.J.)


SALPINATESLES (Géog. anc.) ancien peuple d'Italie. Ils s'unirent avec Vulfinius, pour faire la guerre aux Romains, selon Tite - Live, liv. III. (D.J.)


SALPINGO-PHARYNGIENen Anatomie, épithete des muscles qui s'attachent à la portion voisine & cartilagineuse de la trompe d'Eustache, & se terminent à la ligne blanche du pharynx ; c'est une portion du spheno-salpingo-pharyngien. Voy. PHARYNX & SPHENO-SALPINGO-PHARYNGIEN.


SALPINGO-STAPHYLINen Anatomie, nom d'une paire de muscles de la luette, qui viennent en partie de l'os sphénoïde, & sur-tout de la partie postérieure & cartilagineuse de la trompe d'Eustache, & s'inserent à la partie postérieure de la luette.

On les appelle aussi petro-salpingo-staphylins ou péristaphylins internes.


SALSEPAREILLES. f. smilax, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond. Le pistil de cette fleur devient dans la suite un fruit mou ou une baie arrondie, & remplie d'une semence ordinairement ronde ou ovoïde. Tournefort, inst. rei herb. app. Voyez PLANTE, RSEPAREILLEILLE.


SALSES(Géog. mod.) en latin Salsulae, forteresse de France, dans le Roussillon, aux confins du Languedoc, sur le grand chemin de Perpignan à Narbonne, entre les montagnes & un grand étang, qui prend quelquefois le nom de Salses, & quelquefois le nom de Leucate.

La forteresse de Salses a été bâtie par Charles-Quint, & il s'est formé dans ce lieu un village qui a le titre & les prérogatives de ville. Il est à quelque distance du fort, à 2 lieues au-deçà de Perpignan, & à une lieue de la Méditerranée. Le prince de Condé prit le fort en 1639 ; les Espagnols le reprirent en 1640, mais il a été soumis à la France après la conquête de Perpignan. Longitude 20. 34'. latitude 43. 36'.

Salses est célebre par sa fontaine, qui porte le même nom, fons Salsulae. Ce nom exprime la qualité de ses eaux. Elles étoient, selon Méla, plus salées que celles de la mer. Il ajoute qu'auprès de cette fontaine étoit une plaine couverte de roseaux qui formoit un marais, où l'on avoit reconnu par la nature de ce qu'on retiroit du fond, que la mer y pénétroit. Delà, dit-il, quelques auteurs grecs & latins avoient imaginé que les poissons qu'on y prenoit par diverses ouvertures, y croissoient dans la terre, idée absurde, ajoute Méla.

L'existence de ces sortes de poissons est constatée pour le Roussillon par le témoignage des anciens. Athenée nous a conservé un passage de Polybe, qui en faisoit une mention particuliere : cet auteur disoit qu'il y avoit auprès des Pyrénées une vaste plaine, qui s'étendoit jusqu'à la riviere de Narbonne, c'est-à-dire l'Ande, Atax, où l'on trouvoit des poissons ; que le terroir en étoit léger, & couvert d'une grande quantité de chiendent ; que l'eau des rivieres voisines y pénétroit sans peine ; que les poissons attirés par l'appât de ce chiendent s'y insinuoient, & que comme ils se répandoient dans toute la côte, on en faisoit une pêche abondante. Strabon en dit aussi quelque chose. (D.J.)


SALSETTE(Géog. mod.) île de la mer des Indes, sur la côte du royaume de Décan. Elle a, diton, 20 milles de longueur, 15 de largeur, & 70 de tour. Les Portugais, à qui elle appartient, l'appellent l'île des Canarins, à cause d'une célebre pagode de ce nom, qui y attire bien du monde ; mais ce sont les jésuites qui possédent la meilleure partie de cette île, dont ils retirent un grand profit par le commerce du sucre & du riz qu'elle produit. (D.J.)


SALSIFIS. m. Voyez CERCIFI.

SALSIFI ou SERSIFI, (Diete & Mat. méd.) cultivé, des jardins, ou d'Italie, & salsifi sauvage ou des prés. Les racines de ces plantes sont en usage à titre d'aliment & à titre de remede. Elles ont la plus grande analogie avec la scorsonere, qui s'appelle aussi salsifi d'Espagne. On n'a observé aucune différence entre les qualités diététiques des racines des deux salsifis, & celles de la racine de scorsonere. Quant à l'usage pharmaceutique, les premieres peuvent très-bien être substitéues aux dernieres, quoiqu'elles passent pour un peu plus foibles. Voyez SCORSONERE, Diete & Mat. méd. (b)


SALSOLE, (Géog. mod.) il y a deux rivieres de ce nom en Sicile. L'une plus considérable, a sa source dans la vallée de Démona, aux monts de Madonia, & va se perdre dans la mer au golfe d'Alicata. L'autre riviere plus petite, à sa source dans la vallée de Mazara, au mont de Melle, & se jette dans la Platané. La premiere est l'Himera des anciens.


SALSTAD(Géog. mod.) petite ville de Suede, dans l'Uplande, au levant, & vis-à-vis les îles d'Eland, au midi d'Oregrund, & au nord-est d'Upsal.


SALSULAE(Géog. anc.) ancien lieu de la Gaule. Antonin le met sur la route d'Espagne, à trente mille pas de Narbonne, & à quarante-huit mille pas du lieu ad Stabulum. C'est aujourd'hui Salses.


SALSUM FLUMEN(Géog. anc.) riviere d'Asie, dans l'Arabie. Son embouchure doit se trouver entre celle de l'Euphrate, & le promontoire Chalboue, selon Pline, liv. VI. ch. xxviij. Le P. Hardouin observe que le mot Salsum, n'est pas un adjectif dérivé de la salure des eaux, mais plutôt un nom propre d'une origine barbare, ainsi que celui du fleuve Salsos. Il prétend aussi que cette riviere est le Gehon dont parle Moïse dans sa description du paradis terrestre. (D.J.)


SALTA(Géog. mod.) ville toute ouverte de l'Amérique méridionale, au Tueman, sur une petite riviere, au midi de S. Salvador, & à 15 lieues d'Estreco. Quoique cette ville soit petite, elle commerce beaucoup & avantageusement avec le Pérou, en blé, en farine, en bétail, en vin, en chair salée, &c. Latit. méridionale 24. 56. (D.J.)


SALTAIRES. m. (Hist. anc.) étoit anciennement parmi les Romains une espece d'officier ou de domestique, chargé du soin des maisons de campagne, des terres, des bois & de la conservation des fruits, des remparts, &c. Voyez FOREST.

Dans le livre de Nehemie, ch. ij. v. 8. il est parlé d'un officier semblable, custos saltus regis, que les traducteurs anglois rendent par ces mots, keeper of the king forest ; garde de la forêt du roi ; leur traduction paroît exacte, puisque cet officier nommé Asaph, devoit, par ordre d'Artaxerxes, fournir à Néhemie les bois de charpente nécessaires pour les tours, les portes de la ville, & la construction de sa propre maison ; matériaux qui ne se trouvent pas ordinairement dans un verger. Au reste, il se peut faire que cet officier, outre la garde de la forêt, eût encore celle d'une maison : car saltus signifie proprement les bosquets ou les jardins qui font partie de l'ornement d'une maison de plaisance.

Dans les loix des Lombards, saltuarius signifie un officier chargé de la garde des frontieres.


SALTARELLA(Musique italienne) les Italiens appellent ainsi une espece de mouvement qui va comme en sautant, & qui se fait presque toujours en triple, en pointant la premiere de chaque mesure. Brossard.


SALTATESQUISS. m. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne à des juges ou aux membres d'un tribunal supérieur, qui décide de toutes les affaires parmi les négres qui habitent le pays appellé Sierra Leona, en Afrique. Leur réception est des plus singulieres. Le candidat est assis sur une sellette de bois, là le président lui frappe à plusieurs reprises le visage avec les intestins sanglans d'un bouc qui a été tué pour la cérémonie ; il lui en frotte ensuite tout le corps, après quoi il lui met un bonnet rouge sur la tête, en prononçant le mot saltatesqui ; il le revêt d'une longue robbe garnie de plumes, & la fête finit par immoler un boeuf & par des réjouissances. Les avocats qui plaident devant la cour des saltatesquis ont des cliquets dans leurs mains, & des clochettes aux jambes, qu'ils font sonner afin de réveiller l'attention des juges aux endroits de leurs plaidoyers qui demandent le plus d'attention.


SALTIMBANQUES. m. (Maladies) synonyme à charlatan, empirique. Voyez l'un & l'autre.


SALTUM(Géog. anc.) il y a quatre siéges épiscopaux de ce nom. Le premier étoit dans la Palestine, sous la métropole de Césarée, sur la mer ; le second & le troisieme étoient en Arabie, sous deux métropoles différentes ; le quatrieme étoit en Asie, & reconnoissoit Amasie pour métropole. (D.J.)


SALTUS(Géog. anc.) mot latin qui a plusieurs significations. Premierement, il veut dire un saut, & vient de salio, sauter. Outre cela, il signifie un bois, une forêt, ou bien une montagne couverte de bois : il se prend aussi pour un détroit, un défilé, un passage étroit entre des montagnes : de-là vient que dans les Historiens latins, on trouve ce mot employé en quelqu'un de ces sens-là. Nos ancêtres en ont fait Sault, & ont nommé le comté de Sault, un canton de France, que quelques auteurs ont exprimé en latin par Saltuosa provincia, qui en bonne latinité, ne veut dire qu'une contrée couverte de bois. (D.J.)


SALTou SALTZACH, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, dans l'archevêché de Saltzbourg, & dans la Baviere. Elle a sa source dans les montagnes, au voisinage du Tirol, & finit par se perdre dans l'Inn. (D.J.)


SALTZA(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la basse-Saxe, au duché de Magdebourg, sur l'Elbe, à deux milles de Calbe, & autant de Magdebourg ; elle tire son nom des sources salées qui s'y trouvent. Cette ville a été quelque tems libre, & Charlemagne y tint les états de l'empire en 803 ; mais elle a éprouvé de grands malheurs par la longue guerre civile d'Allemagne, & elle ne s'en est pas relevée. Long. 29. 35. lat. 52. 24. (D.J.)


SALTZBERG(Géog. mod.) ville du royaume de Norvège, au gouvernement d'Aggerhus, sur le Drammen, à quatorze mille pas de Christiania, vers le couchant. Long. 26. 6. lat. 59. 4. (D.J.)


SALTZBOURG(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans le cercle de Baviere, siege archiépiscopal, & capitale d'un état souverain, possédé par l'archevêque de Saltzbourg. Cette ville est sur la riviere de Saltz ou Saltzach, qui la traverse, & qu'on passe sur un pont de bois couvert, à 18 lieues au midi de Passau, & à 30 de Munich. Long. 30. 40. lat. 37. 42.

Il paroît que Saltzbourg, en latin Salisburgum, a pris son nom de la riviere de Saltz qui y passe. L'ancienne ville de Jurava ou Juravum des Romains, à laquelle elle a succédé, avoit été ruinée l'an 448, par Attila roi des Huns. Elle fut ensuite rebâtie par les ducs de Baviere, à la recommandation de S. Rupert. Charlemagne la choisit en 803 pour être le lieu du rendez-vous de ses ambassadeurs, avec ceux de Nicephore, empereur de Constantinople, qui y traiterent des bornes des deux empires. Cette même ville fut presque réduite en cendres vers l'an 1195, & rétablie peu de tems après. L'archevêque Paris de Lodron l'entoura de murailles.

Sa cathédrale est une des plus belles églises d'Allemagne, & le chapitre un des plus nobles ; il consiste en vingt-quatre chanoines, qui font tous preuve de huit quartiers ; ils ont tous une maison particuliere :

Et laissent en leur lieu

A des chantres gagés le soin de louer Dieu.

L'université de Saltzbourg a été fondée par le même archevêque qui entoura la ville de murailles ; cette université a pour professeurs des bénédictins, excepté pour le droit civil ; le recteur est toujours un religieux.

L'état de l'archevêque de Saltzbourg est borné au nord, par la Baviere ; au nord-est & à l'est, par l'Autriche ; au midi, par la Carinthie & par le Tirol, qui avec la Baviere le terminent à l'occident. Ce pays est plein de montagnes qui fournissent des eaux minérales ; mais Saltzbourg est l'unique ville qui s'y trouve. (D.J.)


SALUBREadj. (Gramm.) favorable à la santé, soit en guérissant la maladie, soit en la prévenant ; on dit la faculté salubre, les eaux salubres, des substances salubres.


SALUBRITÉS. f. (Gramm.) qualité qui rend une chose saine & salubre : on dit la salubrité de l'air, des eaux, des lieux.


SALUCES(Géog. mod.) en latin du moyen âge Salutiae, ville d'Italie, dans le Piémont, marquisat de même nom, au pié des Alpes, à un mille du Pô, à 10 de Fossano au couchant, à pareille distance du Mont Viso, à 18 milles au sud-est de Pignerol, & à 24 de Turin vers le midi ; son évêché est suffragant de Turin, depuis l'an 1511. On croit qu'elle occupe les ruines de l'ancienne Augusta Vagiennorum. C'est une place très-importante au roi de Sardaigne. Long. 25. 20. latit. 44. 27.

Blandrata (George) naquit à Saluces dans le xvj. siecle ; il vint à Genève, & embrassa le Calvinisme. De Genève il se rendit en Pologne, où il combattit le mystere de la Trinité, avec moins de crainte qu'ailleurs ; il fut d'abord arien, & ensuite embrassa les opinions de Paul de Samosate ; il eût bien mieux fait de ne s'attacher qu'à la Médecine, qu'il pouvoit exercer avec d'autant plus de gloire, qu'il étoit médecin de Sigismond, d'Etienne, & de Christophe Battori, princes de Transilvanie. Il mourut vers l'an 1590, & s'avisa sur la fin de ses jours de thésauriser, d'abandonner les intérêts des Unitaires, & de favoriser les Jésuites. (D.J.)

SALUCES le marquisat de, (Géog. mod.) petit pays d'Italie, où il fait une province du Piémont, près des Alpes. Il est borné au nord par le Dauphiné & le Piémont ; au midi par le comté de Nice & de Coni ; au levant par les provinces de Savillan & de Fossano ; au couchant par la vallée de Barcelonette.

Ce pays a été autrefois plus grand qu'il n'est aujourd'hui ; il avoit ses marquis qui le tenoient en fief des dauphins, desorte que par l'extinction de leur famille, François I. réunit ce marquisat à la couronne ; comme un fief du Dauphiné. Henri IV. l'échangea en 1601 par le traité de Lyon avec le duc de Savoie, qui céda en échange la Bresse, le Bugey, les pays de Val-Romey & de Gex, qui sont en-deçà du Rhône. Saluces & Carmagnoles, sont les deux seules places importantes du marquisat de Saluces. (D.J.)


SALUERv. act. (Gramm.) honorer quelqu'un par quelques démonstrations extérieures convenues entre les peuples ; chaque peuple a son salut : d'un magistrat ignorant, c'est la robe qu'on salue : on salue Dieu, la Vierge, les saints par des prieres & des génuflexions ; les François se saluent en se découvrant la tête, & en s'inclinant ; ou quand ils ont la tête découverte, en s'inclinant seulement ; les Orientaux en posant la main sur la poitrine & s'inclinant aussi ; on va saluer un gouverneur, un seigneur ; on a salué le roi, les enfans de France, les ministres ; nous nous saluons, mais nous ne nous parlons pas.

SALUER, (Critique sacrée) nos traductions rendent le mot grec du nouveau Testament , par saluer ; c'est employer un terme trop foible ; on croiroit qu'il ne s'agit que d'un coup de chapeau ; au lieu que l'expression grecque signifie aimer, estimer, honorer. Ainsi saluer extérieurement, c'est marquer de l'estime, de la considération, du respect ; intérieurement, c'est en avoir. Grotius. Beausobre. (D.J.)

SALUER, (Art milit.) voyez SALUT & SALVE.

SALUER, (Marine) c'est faire hommage, ou rendre honneur à un vaisseau. Voyez SALUT.

Saluer à boulet ; c'est tirer le canon avec un boulet ; cela ne se pratique que pour les rois. Voyez SALUT, article 11.

Saluer de la mousqueterie, c'est tirer une ou trois salves de mousqueterie : ces salves n'ont lieu qu'à l'occasion de quelques fêtes, & elles précedent le salut du canon.

Saluer de la voix. C'est crier une ou trois fois : Vive le roi ; ce que fait tout l'équipage tête nue. On salue ainsi, après avoir salué du canon, ou lorsqu'on ne peut, ou qu'on ne veut pas tirer du canon. Voyez SALUT, art. 7.

Saluer des voiles. C'est amener les huniers à un mât ou sur le ton. Voyez SALUT, art. 7.

Saluer du canon. C'est tirer un nombre de coups de canon ; trois, cinq, sept, neuf, &c. à boulet ou sans boulet, selon que l'on veut rendre plus ou moins d'honneur à ceux qu'on salue. Les vaisseaux de guerre saluent par nombre impair, & les galeres par nombre pair. C'est ici le salut ordinaire ; & j'ajoute à cause de cela, que le vaisseau qui est sous le vent d'un autre, doit saluer le premier.

Saluer du pavillon. C'est embrasser le pavillon, & le tenir contre son bâton, ensorte qu'il ne puisse voltiger ; ou l'amener & le cacher ; cette maniere de saluer est la plus humble de toutes.


SALUM(Géog. mod.) nom commun à une riviere & à un royaume d'Afrique.

La riviere est dans la Nigritie ; c'est un bras de la riviere de Gambie, qui elle-même est une branche du Niger.

Le royaume de Salum, n'est autre chose que le pays situé sur la riviere de ce nom. (D.J.)


SALURES. f. (Gramm.) qualité d'une chose salée.

SALURE de la mer, (Physiq.) Cette salure amere & singuliere a donné lieu depuis long-temps à quelques questions curieuses, qui méritent d'être résolues dans cet ouvrage.

On demande d'abord d'où vient la salure de la mer. La cause la plus probable de la salure de l'Océan se trouve ainsi expliquée par le docteur Halley dans les Transact. philos. n °. 334. J'ai remarqué, dit-il, que tous les lacs du monde, appellés proprement tels, se trouvent salés, les uns plus, d'autres moins que l'Océan, qui dans le cas présent peut aussi être regardé comme un lac ; puisque j'entends par le mot lac des eaux dormantes, dans lesquelles se jettent perpétuellement des rivieres, & qui n'ont point d'issue.

Il y a très-peu de ces lacs dans la partie connue du globe ; & en effet, à le bien prendre, je ne crois pas, continue-t-il, qu'il y en ait en tout plus de quatre ou cinq : savoir, 1°. La mer Caspienne : 2°. la mer Morte, ou le lac Asphaltide : 3°. le lac sur lequel est située la ville de Méxique : 4°. un lac du Pérou appellé Titicaca, qui par un canal d'environ cinquante lieues, communique avec un cinquieme plus petit appellé le lac de Paria ; aucun de ces lacs n'a d'issue. La mer Caspienne qui est le plus grand de tous, est, à ce qu'on prétend, un peu moins salée que la mer Océane. Le lac Asphaltide l'est si prodigieusement, que ses eaux en sont entierement rassasiées, & ne peuvent dissoudre presque rien autre chose ; aussi ses bords sont incrustés pendant l'été d'une grande abondance de sel desséché, d'une nature un peu plus piquante que le sel marin, & qui tient un peu du sel armoniac.

Le lac du Méxique est, à proprement parler, un double lac divisé par un grand chemin qui conduit à la ville, laquelle est construite sur des îles au milieu du lac, sans-doute pour sa sureté. Les premiers fondateurs ont vraisemblablement tiré cette idée des castors qui construisent leurs cabanes sur des écluses qu'ils bâtissent dans les rivieres. La partie de ce lac qui est au nord de la ville & des grands chemins, reçoit une riviere considérable, qui étant un peu plus haute, fait un petit saut ou cascade à son embouchure dans la partie méridionale du lac qui est plus bas. La partie la plus basse se trouve être salée ; mais je n'ai pas encore pu apprendre à quel degré ; cependant la partie plus élevée a ses eaux douces.

Le lac de Titicaca a près de quatre-vingt lieues de circonférence, & reçoit plusieurs rivieres fort grandes & douces. Cependant, au rapport de Herrera & d'Acosta, les eaux sont si saumaches, qu'on ne sauroit en boire, quoiqu'elles ne soient pas tout-à-fait si salées que celles de l'Océan. On assure la même chose du lac de Paria, dans lequel celui de Titicaca lui-même se décharge en partie.

Or je conçois, que comme tous les lacs dont j'ai parlé, reçoivent des rivieres, & n'ont aucune issue, il faut que leurs eaux s'élevent jusqu'à ce que leurs surfaces soient assez étendues pour perdre en vapeur autant d'eau qu'ils en reçoivent par les rivieres ; & par conséquent ces lacs doivent être plus ou moins grands, selon la quantité d'eau douce qui s'y décharge. Mais les vapeurs ainsi exhalées sont parfaitement douces ; desorte que les particules salines apportées par les rivieres restent, tandis que les douces s'évaporent ; d'où il est évident que le sel des lacs augmente continuellement, ou que les eaux en deviennent de plus en plus salées. Mais dans les lacs qui ont une issue, comme celui de Génésareth, autrement appellé le lac de Tibériade, dans le lac supérieur du Méxique & dans la plûpart des autres, l'eau étant perpétuellement courante, est remplacée par de nouvelle eau douce de riviere, dans laquelle il y a si peu de particules salines, qu'on ne s'en apperçoit point.

Or, si c'est-là la véritable raison de la salure de ces lacs, il est assez probable que l'Océan n'est devenu salé lui-même que par la même cause.

2°. On demande d'où procede la différence de salure de la mer, qui est d'autant moins salée qu'on approche des poles, & qui l'est le plus sous l'équateur ou dans la Zone torride. Plusieurs raisons concourent à cette différence de salure.

1°. Le soleil étant plus chaud sous la zone torride, attire plus de vapeurs que dans les climats septentrionaux, & ces vapeurs sont toutes d'eaux douces ; car les particules de sel ne s'évaporent pas si facilement à cause de leur pesanteur ; par conséquent l'eau qui reste dans l'Océan doit être plus salée sous l'équateur que vers les poles, où il ne s'exhale pas tant d'eau douce, parce que la chaleur du soleil y est plus foible.

La seconde cause est la chaleur & la fraîcheur de l'eau, car la même eau, le boeuf mariné, les mets salés, le sont plus quand ils sont chauds que quand ils sont froids, comme chacun peut l'avoir expérimenté, parce que la chaleur ou les particules de feu agitent & aiguisent les particules de sel contenues dans ces viandes, & les séparent les unes des autres, de maniere qu'elles affectent & piquent plus fortement la langue. Donc comme l'eau de la mer est plus chaude vers l'équateur & plus froide vers les poles, il s'ensuit que quand on supposeroit toutes les parties de l'Océan également salées, elles doivent néanmoins le paroître davantage vers l'équateur, & plus douces vers les poles.

3°. La troisieme cause est la qualité plus ou moins grande de sel qui se trouve dans le bassin de la mer ; car comme on ne trouve pas par-tout des mines de sel dans la terre, ni même une égale quantité de sel dans les endroits ou on en rencontre, on doit supposer la même chose dans l'Océan, où il y a des côtes dont le lit n'est pas si plein de sel que d'autres. C'est pourquoi où il se rencontre une plus grande quantité de sel au fond de l'Océan, l'eau doit y être plus salée, parce qu'elle est plus imprégnée de ce minéral, comme il est aisé de le concevoir. Par cette raison l'eau de mer est extrêmement salée auprès de l'île d'Ormus, parce que cette île est toute de sel. Mais y a-t-il une plus grande quantité de mines de sel sous l'eau, sous la zone torride, que sous les poles ? C'est ce qu'on ne peut pas dire certainement, faute d'observations. Bien des gens pensent que cela est probable, à cause de la plus grande chaleur du soleil qui attire les particules douces : quoi qu'il en soit, cette raison me paroît bien foible.

4°. Une quatrieme cause est la fréquence ou la rareté de la pluie & de la neige : l'une & l'autre tombent fort souvent dans les pays septentrionaux ; mais sous la zone torride il n'y a point de pluie du tout dans certaines saisons de l'année, & elles sont continuelles dans les autres tems. Donc l'Océan dans ces derniers endroits n'est pas si salé auprès des côtes dans les mois pluvieux que dans les saisons seches. Il y a même différens endroits aux Indes sur la côte de Malabar, où l'eau de la mer est assez douce dans la saison pluvieuse, à cause de la grande quantité d'eau qui tombe du mont Gate, & qui se jette dans la mer. C'est la raison qui fait qu'en différens tems de l'année les mêmes parties de l'Océan ont différens degrés de salure ; mais comme il y a presque toute l'année des pluies & des neiges dans les pays septentrionaux, la mer y est moins salée que sous la zone torride.

5°. La cinquieme cause est la différence de qualité que l'eau a de dissoudre le sel & l'incorporer avec elle, car l'eau chaude dissout le sel bien plus vîte que la froide ; & conséquemment quand il y auroit la même quantité de sel sous l'eau dans le bassin de la mer auprès des poles que vers l'équateur, l'eau qui y est plus froide ne peut pas sitôt le dissoudre en particules très-menues, & l'incorporer avec elle, que sous la zone torride, où l'eau est plus chaude.

6°. La sixieme cause est la quantité de rivieres condérables qui se déchargent dans la mer ; mais elles ne font de changement que sur les côtes, car le milieu de l'Océan n'en est que médiocrement affecté. Les marins rapportent que sur la côte du Brésil, où Rio de la Plata se jette dans la mer, l'Océan perd son goût salé jusqu'à près de quinze lieues de distance de la côte. On peut en dire autant de l'Océan africain sur la côte de Congo, & dans plusieurs autres lieux, comme vers Malabar dans l'Inde, ainsi qu'on l'a observé ci-devant, &c. On peut ajouter à toutes ces causes les sources d'eau douce qui sortent en quelques endroits du fond de la mer.

Ces causes prises séparément ou toutes ensemble, mettent une grande différence de salure dans les différentes parties de l'Océan, & c'est par elle qu'on est en état d'expliquer cette variété.

On peut en tirer la raison, pourquoi l'eau de l'Océan germanique & de celui du nord ne donne pas tant de sel quand on la fait bouillir, que celle de l'Océan occidental vers l'Espagne, les îles Canaries, & le cap Verd en Afrique, d'où les Hollandois tirent une grande quantité de sel, qu'ils transportent dans plusieurs pays septentrionaux ? Parce que ces côtes sont plus voisines de la zone torride que les autres, quoique peut-être le bassin de la mer y contienne une égale quantité de sel.

L'eau de la mer dans l'Océan éthiopique, vis-à-vis la Guinée, donne en la faisant bouillir une seule fois un sel blanc aussi fin que le sucre, & tel que ni l'Océan espagnol, ni aucun autre en Europe, n'en peut produire d'une seule opération.

On demande si l'eau de la mer est plus douce au fond, & pourquoi on tire dans quelques endroits de l'eau douce du fond de la mer ?

On répond à ces questions que l'eau de la mer n'est pas plus douce au fond qu'à la surface, si ce n'est en quelques endroits particuliers où il se trouve apparemment des sources d'eau douce ; car il est contre la nature que l'eau salée flotte au-dessus de l'eau douce, qui est moins pesante.

M. Hook a inventé un instrument pour découvrir quelle est la salure de la mer à quelque profondeur que ce soit. On le trouve décrit dans les Trans. phil. n°. 9. & n °. 24. ou dans l'abrégé de Lowthorp, vol. 2. p. 260.

On demande si l'on peut désaler l'eau de la mer ; je réponds que la chose est possible.

M. Hanton a trouvé le premier le secret de rendre douce l'eau de la mer. Ce secret consiste d'abord dans une précipitation faite avec l'huile de tartre qu'il fait tirer à peu de frais ; ensuite il distille l'eau de mer : son fourneau tient fort peu de place, & est construit de maniere qu'avec un peu de bois ou de charbon, il peut distiller vingt-quatre pots d'eau, mesure de France, en un jour ; & pour la rafraîchir, il a une nouvelle invention par laquelle au lieu de faire passer le tuyau par un vase plein d'eau, suivant la coutume, il le fait passer par un trou pratiqué exprès hors du vaisseau, & rentrer par un autre, desorte que c'est l'eau de la mer qui fait l'office de réfrigérant. Par ce moyen on épargne la place qu'occupe ordinairement le réfrigérant, ainsi que l'embarras de changer l'eau quand le tuyau l'a échauffée. Mais en troisieme lieu, il joint aux deux opérations précédentes la filtration, pour corriger la malignité de l'eau : cette filtration se fait au moyen d'une terre particuliere qu'il mêle & détrempe avec l'eau distillée, & enfin qu'il laisse se précipiter au fond.

Il prétend que cette eau de mer distillée est assez salubre, & il le prouve, 1°. par l'expérience, en ayant fait boire à des hommes & à des animaux, sans qu'elle leur ait fait aucun mal. 2°. Par la raison fondée sur ce que cette terre particuliere mêlée avec l'eau distillée, émousse les pointes des esprits volatils du sel, & leur servant pour ainsi dire d'étui, emporte leur force & leur âpreté malfaisante en se précipitant. Trans. philos. par Lowthorp, vol. II. pag. 297.

Cependant des marins expérimentés, & sur-tout ceux qui avoient cette machine à bord, ont assuré le public que l'eau de la mer rendue douce par la distillation, n'étanche point la soif ; mais qu'après en avoir bû autant qu'ils pouvoient, ils étoient aussi altérés qu'auparavant, tant les imprégnations que les eaux éprouvent dans leur passage sur la terre, sont nécessaires pour la rendre nourrissante.

Plus ces imprégnations sont riches & sulphureuses, plus les eaux deviennent douces & bonnes : nous en avons un exemple dans la bonté & la salubrité de l'eau de la Tamise, au-dessous de Londres ; sans doute elle lui vient des imprégnations qu'elle éprouve de la part du sol & des boues des ruisseaux de Londres.

D'où vient que l'eau de pluie ramassée au milieu de l'Océan venant des vapeurs que la mer exhale, est douce, au lieu que l'eau que l'on tire de l'eau de la mer, soit en la faisant bouillir ou en la distillant, se trouve toujours salée ?

Ceux qui ont étudié avec soin les secrets de la nature, je veux dire les habiles chymistes, & non ces ignorans qui affectent de l'être, ont jusqu'ici travaillé inutilement pour trouver une méthode de distiller l'eau de mer, ou en extraire l'eau douce ; ce secret seroit pourtant fort beau, & très-avantageux pour la navigation. Quoique dans la décoction & la distillation, qui reviennent en effet à la même opération, il reste du sel au fond du vase, l'eau ainsi séparée ne laisse pas que d'être salée, & n'est point potable, ce qui surprend ceux qui en ignorent la cause : on l'enseigne en Chymie, qui est la véritable philosophie ; on trouve que dans tous les corps deux sortes de sels, quoique parfaitement semblables pour le goût, different beaucoup l'un de l'autre pour les autres qualités. Les artistes appellent l'un sel fixe, & l'autre sel volatil. Le sel fixe, à cause de sa pesanteur, ne s'évapore point dans la distillation, mais demeure au fond du vaisseau, au lieu que le sel volatil est spiritueux. En effet ce n'est rien qu'un esprit très-subtil qui s'exhale aisément sur un feu doux, & qui par conséquent montant dans la distillation avec l'eau douce, se mêle avec elle à cause de la subtilité de ses particules. Les Chymistes trouvent ce sel fixe & ce sel volatil nonseulement dans l'eau de mer, mais encore dans presque tous les corps, en plus ou moins grande quantité : les herbes qui ont un goût piquant en contiennent davantage ; les matieres huileuses & insipides en ont moins. Ainsi la difficulté est de séparer ce sel volatil, ou l'esprit de sel d'avec l'eau ; c'est ce qui a résisté jusqu'à-présent à tous les efforts qu'on a faits pour y parvenir.

Mais pourquoi l'eau de pluie est-elle aussi douce sur l'Océan que sur terre, puisqu'elle est produite des exhalaisons attirées de la mer par la chaleur du soleil, ou exhalées par la force d'un feu souterrein ; évaporation qui ne differe en rien de la distillation ? Il y en a, ce me semble, trois ou quatre raisons.

1°. Une évaporation lente & douce, par laquelle il ne s'exhale de l'Océan que la partie la plus subtile, qui à la vérité contient aussi l'esprit de sel, mais en bien moindre quantité que quand l'évaporation se fait par une forte chaleur. 2°. Le long espace que cette vapeur parcourt avant d'arriver à la région de l'air, où elle se condense en pluie, pendant lequel passage il est bien possible que l'esprit salin se détache petit-à-petit des particules aqueuses. 3°. Le mêlange des autres particules douces d'eau qui se trouvent dans l'air. 4°. Le refroidissement & la coagulation ou condensation de la vapeur ; car en montant de l'Océan, ces vapeurs deviennent par degrés plus froides, & se mêlent avec d'autres qu'elles trouvent en chemin, se condensent & se changent en nuées. Dans le tems de cette réfrigération & condensation, les esprits salins s'échappent avec les particules ignées, & vont occuper le lieu le plus élevé de l'air.

Mais pourquoi la même chose n'arrive-t-elle pas dans la distillation, où les vapeurs exhalées deviennent plus froides & se condensent ? En voici la raison. 1°. Dans ce court espace l'esprit salin demeure étroitement uni avec les particules aqueuses. 2°. La vapeur est conservée dans un vaisseau qui ne laisse à l'esprit aucun jour pour s'échapper. Varenius, géog. physiq. (D.J.)


SALURN(Géog. mod.) Les François écrivent Salourne, ce qui revient au même pour la prononciation ; gros bourg aux confins de l'Allemagne & de l'Italie, dans le Tirol, auprès du Trentin, dont il fait la séparation. Ce lieu est nommé en latin du moyen âge, Salurnum, & Salurnae, au génit. arum. (D.J.)


SALUSdéesse, (Mythol.) Les Romains avoient personnifié & déifié non-seulement les vertus morales, comme l'honneur, la piété, la foi, &c. mais aussi toutes les choses utiles, comme la concorde, la paix, la liberté, enfin la conservation de l'empire sous le nom de la déesse Salus. Aedes cereris salutis, de coelo tactae, comme dit Tite-Live. Son temple avoit été bâti sur le mont Quirinal par C. Junius Bubulcus, dans le tems de sa dictature, l'an 451 de Rome. (D.J.)


SALUTS. m. (Gramm.) est l'action ou la cérémonie de saluer, & de rendre à quelqu'un le respect & la révérence. Voyez SALUER.

Il y a une grande variété dans les manieres de saluer : on salue Dieu par des adorations, des prieres, &c. En Angleterre on salue le roi par génuflexion ; en Europe on se salue les uns les autres en se découvrant la tête & inclinant le corps. Les Orientaux saluent en découvrant leurs piés & mettant les mains sur la poitrine.

Le pape ne salue personne que l'empereur, & c'est une grace qu'il lui fait que de l'admettre à baiser sa bouche.

A l'armée, les officiers saluent par de certains mouvemens de demi-pique ou d'esponton. Voyez SALUT, art milit.

Les anciens croyoient que la statue de Memnon qui étoit dans un temple d'Egypte, saluoit le soleil tous les matins à son lever. Cette erreur venoit de ce que la statue étant creuse, la chaleur du soleil levant échauffoit l'air qu'elle contenoit, & cet air sortoit par la bouche en faisant un peu de bruit, que les prêtres disoient être une salutation que la statue faisoit au soleil.

Le salut sur mer est une marque de civilité, de devoir ou de soumission que les vaisseaux se rendent les uns aux autres, & aux forteresses devant lesquelles ils passent. Voyez SALUT, Marine.

SALUT, (Critiq. sacr.) Ce mot se prend, 1°. pour la conservation, la délivrance de quelque mal ; 2°. pour la vie ou la santé du corps ; 3°. pour la prospérité, Is. lx. 18. ; 4°. pour la victoire, sagitta salutis, IV. des Rois, xiij. 17, la fleche de la victoire ; 5°. la louange qu'on rend à Dieu. Salus & gloria Deo nostro. Apoc. xix. 1 : louez & glorifiez le Seigneur. 6°. Le salut de civilité, d'affection & d'estime. Les Juifs de ces cantons saluent leurs freres qui sont en Egypte, salutem dicunt, II Macc. j. 4. Enfin le salut éternel ; travaillez à votre salut avec crainte & tremblement. Rom. xiij. 11. (D.J.)

SALUT, terme d'église, partie de l'office divin qui se fait le soir après complies chez les Catholiques romains en l'honneur de la Vierge, ou pour quelque fête solemnelle. Déclarerai-je, dit la Bruyere, ce que je pense de ce qu'on appelle dans le monde un beau salut : la décoration souvent prophane ; les places retenues & payées ; des livres distribués comme au théâtre ; les entrevûes & les rendez-vous fréquens ; le murmure & les causeries étourdissantes ; quelqu'un monté sur une tribune qui y parle familierement, séchement, & sans autre zele que de rassembler le peuple, l'amuser jusqu'à ce qu'un orchestre & des voix qui concertent depuis long-tems se fassent entendre. Est-ce à moi, continue-t-il, à m'écrier que le zele de la maison du Seigneur me consume, & à tirer le voile leger qui couvre les mysteres, témoin d'une telle indécence ? Quoi ! parce qu'on ne danse pas encore aux TT, me forcera-t-on d'appeller tout ce spectacle office divin ? (D.J.)

SALUT, LE, à la guerre, ou parmi les troupes, est une marque de soumission & de respect, ou un honneur qu'elles rendent au souverain, aux princes & aux généraux.

Les gens de guerre, dit M. le maréchal de Puységur, dans son livre de l'art de la guerre, ne sauroient donner une plus grande marque de leur respect & de leur obéissance au roi, & à ceux qui le représentent dans les armées, quand ils sont à la tête des troupes, qu'en baissant les armes devant eux pour les saluer. Il ajoute, que le salut le plus simple est le plus noble pour des troupes.

L'ancien salut de la cavalerie consistoit à abaisser la pointe de l'épée devant celui qu'on saluoit, & à la relever ensuite. L'ordonnance du 22 Juin 1755, sur l'exercice de la cavalerie, établit un nouveau salut beaucoup plus composé que le précédent : il doit se faire en cinq tems, soit de pié ferme, ou en marchant.

" Au premier, lorsque la personne qu'on doit saluer sera à cinq pas de distance, on tournera le tranchant du sabre à gauche, prenant la poignée à pleine main, & étendant le pouce jusqu'à la garde, & on élévera le sabre tout de suite, perpendiculaire, la pointe en-haut, la garde à hauteur & à un pié de distance de la cravate, le coude un demi-pié plus bas que le poignet.

Au deuxieme, à trois pas de distance, on étendra le bras pour placer la main au-dessus du milieu de la poche de l'habit étant boutonné, & l'on baissera la pointe du sabre à la hauteur du poignet, observant que la lame soit parallele au corps du cheval.

Au troisieme, à un pas de distance élevant un peu le poignet, & le tournant en-dehors, on baissera la pointe du sabre fort doucement, & autant qu'il sera possible, sans forcer le poignet, tenant toujours la lame parallele au corps du cheval, & l'on restera dans la même position jusqu'à ce que la personne que l'on salue soit éloignée de deux pas.

Au quatrieme, baissant le pouce pour contenir la poignée, on relevera le sabre la pointe en-haut, le tenant perpendiculaire, la garde vis-à-vis & à six pouces de distance du téton droit, le coude à la hauteur du poignet.

Au cinquieme, on portera le sabre à l'épaule, comme il est prescrit pour les cavaliers ".

Quand les officiers doivent saluer de pié ferme, ils le font l'un après l'autre, en observant de garder les distances ci-dessus indiquées ; de maniere que la pointe du sabre soit basse au moment du passage de la personne que l'on salue.

Le salut de l'étendard dont l'ordonnance du 22 Juin 1755 ne parle point, se fait en baissant la lame de l'étendard devant celui qu'on salue.

Si la simplicité du salut en fait la noblesse, comme le prétend M. le maréchal de Puységur, & comme il est difficile de ne pas en convenir, on peut juger aisément lequel des deux saluts précédens, savoir de l'ancien ou du nouveau, mérite la préférence. Comme la forme du salut n'est que de convention, & que la maniere d'y procéder est assez indifférente en elle-même, nous ne ferons aucune observation particuliere sur ce sujet ; nous passerons au salut de l'infanterie, ou de l'esponton, auquel il est fort difficile de donner la même noblesse qu'avoit l'ancien salut de la cavalerie.

Pour le salut de l'esponton, lorsqu'il se fait de pié ferme, l'officier étant reposé sur cette arme, à la tête de sa troupe, doit faire le salut en quatre tems, suivant l'ordonnance du 14 Mai 1754.

" Au premier, il fera à droite, portant l'esponton de biais, le talon en-avant, élevé à deux piés de terre seulement, le bras tendu à la hauteur de l'épaule, & la main gauche empoignera l'esponton environ trois piés au-dessus du talon.

Au deuxieme, la main droite quittant l'esponton, la gauche le fera tourner doucement jusqu'à ce que la lame soit baissée en avant près de terre, & que le talon vienne joindre la main droite, qui sera toujours à la hauteur de l'épaule.

Au troisieme, il ramenera l'esponton dans la même situation où il étoit à la fin du premier tems.

Au quatrieme, il se remettra par un à-gauche, comme il étoit avant de saluer.

Il ôtera ensuite son chapeau de la main gauche, & ne le remettra que quand celui qui reçoit le salut l'aura dépassé de quelques pas.

L'officier qui salue doit avoir attention de commencer ses mouvemens assez à-tems pour que, lorsqu'il baissera la lame de l'esponton, la personne à laquelle il rend le salut soit encore éloignée de trois pas, afin que quand elle sera vis-à-vis de lui, il soit remis à sa place ".

Pour saluer de l'esponton en marchant, lorsque l'officier, portant l'esponton sur le bras gauche, sera environ à trente pas de la personne à qui le salut est dû, il portera l'esponton sur l'épaule droite en trois tems.

" Au premier, il empoignera l'esponton de la main droite à la hauteur de l'oeil.

Au deuxieme, il le portera devant lui sur la droite, le tenant perpendiculaire, le bras tendu en-avant.

Au troisieme, il le mettra sur l'épaule droite, le tenant plat, le coude à la hauteur de l'épaule ".

L'officier qui fait ces mouvemens, doit avoir attention de s'éloigner de trois pas du rang, afin qu'en renversant l'esponton sur son épaule, la lame ne puisse pas blesser les soldats qui le suivent.

Il doit continuer à marcher dans cette position d'un pas égal, jusqu'à ce qu'il soit à neuf ou dix pas de la personne qui devra être saluée, & alors le salut se fera en six tems.

" Au premier, en avançant le pié gauche, & effaçant le corps comme si l'on faisoit à-droite sur le talon droit, on portera l'esponton devant soi, le tenant plat à la hauteur des épaules, la main gauche à trois piés du talon.

Aux deuxieme & troisieme tems, en avançant successivement le pié droit & le pié gauche, on fera tourner l'esponton de la main gauche, comme il a été dit pour le salut de pié ferme, observant que l'esponton se trouve droit lorsque le pié droit arrivera à sa place, & que la lance soit près de terre lorsque le pié gauche arrivera à la sienne.

Aux quatrieme & cinquieme tems, on fera les mouvemens contraires à ceux qui auront été faits aux deuxieme & troisieme, observant de même que l'esponton se trouve droit à la fin du pas qui sera fait du pié droit, & qu'il se trouve plat après qu'on y aura joint la main droite, le pié gauche arrivant à terre.

Au sixieme tems, en avançant le pié droit, on remettra l'esponton sur l'épaule droite ; ensuite avançant le pié gauche on ôtera le chapeau que l'on portera à la main à côté de soi, jusqu'à ce qu'on ait dépassé tous ceux à qui on doit honneur : après quoi on le remettra sur la tête, & à quelques pas de-là on ôtera l'esponton de dessus l'épaule, pour le porter sur le bras gauche ".

Les capitaines & lieutenans de chaque division ne forment qu'un rang, pour saluer ensemble en marchant.

Le salut du fusil, dont les officiers sont armés depuis l'ordonnance du 31 Octobre 1758, doit se faire de la même maniere qu'il avoit été réglé par celle du 14 Mai 1754, pour les officiers de grenadiers qui ont toujours eu des fusils.

Le salut du fusil de pié ferme se fait en quatre tems.

" Au premier, le fusil étant porté sur le bras gauche à l'ordinaire, faisant à-droite, on observera de bien empoigner le fusil de la main droite derriere le chien, tandis qu'on le quittera de la main gauche, & on le portera sur la droite, le bras tendu à la hauteur de l'épaule.

Au deuxieme, on baissera le bout du fusil à terre, le soutenant de la main gauche qu'on aura portée en avant, & sur laquelle on l'appuiera à deux travers de doigts de la sougarde.

Au troisieme, on se remettra comme on étoit à la fin du premier tems.

Au quatrieme, on se reposera par un à-gauche, & on joindra la main au fusil : après quoi on ôtera le chapeau de la main droite, & on le remettra comme il a été dit au salut de l'esponton ".

On doit avoir attention de commencer ces mouvemens assez-tôt pour que le salut du fusil se fasse trois pas en avant de la personne qu'on salue ; & si elle venoit par la gauche, de les faire précéder par un demi-à-gauche.

Le salut du fusil se fait de la même maniere en marchant.

" Le premier tems se fera en avançant le pié gauche, dix pas avant d'être vis-à-vis de la personne qu'on devra saluer.

Le deuxieme, en faisant deux autres pas, de façon que le bout du fusil arrive près de terre, en même tems que le pié gauche posera en avant.

Le troisieme, en faisant le quatrieme & le cinquieme pas.

Le quatrieme, en avançant le pié droit ".

Pour faire le salut du drapeau, les enseignes doivent d'abord appuyer le talon de la lance sur la hanche droite, le tenant un peu de biais, & lorsqu'ils doivent saluer, ils baissent doucement la lance jusqu'auprès de terre, la relevant de même, & ils ôtent ensuite leur chapeau de la main gauche.

Les enseignes doivent s'arranger pour baisser & relever ensemble leurs drapeaux, avant que celui qu'ils doivent saluer soit tout-à-fait devant eux.

Le salut des sergens consiste à ôter leur chapeau de la main gauche, étant reposés sur leur halebarde.

M. le maréchal de Puységur observe sur les différentes formalités prescrites pour le salut de l'esponton, qui rendent ce salut très-composé, que si l'on n'y cherche que de la justesse, il y en a rarement ; qu'à l'égard de l'utilité, il n'y en a aucune : & qu'ainsi le tems qu'on employe à se former au salut de l'esponton, est un tems perdu, ou employé fort inutilement.

Pour rectifier ce salut, lui donner plus d'aisance, & par conséquent plus de grace & de noblesse, cet illustre maréchal pensoit qu'il falloit le rapprocher de l'ancien de la cavalerie, qui étoit en usage de son tems.

Pour cela, son sentiment étoit que lorsque le roi, les princes, ou les autres personnes que les troupes doivent saluer, passeroient à la tête d'un bataillon, les officiers ayant alors l'esponton à la main, devroient au premier tems, sans bouger de leur place, baisser le fer de l'esponton de la main droite devant eux, jusqu'à ce qu'il fût à un demi pié de terre ou environ ; au second tems, remettre l'esponton comme il étoit d'abord ; & au troisieme, ôter leur chapeau de la main gauche. Ce salut, dit-il, approcheroit beaucoup de celui de la cavalerie, & il en auroit toute la noblesse. (Q)

SALUT, LE, est encore, parmi les troupes, une ou plusieurs décharges de l'artillerie d'une place de guerre, qui se fait lorsqu'un prince du sang, un maréchal de France, &c. passe ou entre dans la ville.

Quand un maréchal de France entre dans une ville de guerre, on le salue de plusieurs volées de canon, quand même il ne commanderoit pas dans la province. Voyez MARECHAL DE FRANCE. (Q)

SALUT, (Marine) déférence ou honneur qu'on rend entre les vaisseaux de différentes nations, & parmi ceux de même nation qui sont distingués par le rang des officiers qui les montent & qui y commandent. Cette déférence consiste à se mettre sous le vent, à amener le pavillon, à l'embrasser, à faire les premieres & les plus nombreuses décharges de l'artillerie pour la salve ; à ferler quelques voiles, & sur-tout le grand hunier ; à envoyer quelques officiers à bord du plus considérable vaisseau, & à venir sous son pavillon, suivant que la diversité des occasions exige quelques-unes de ces cérémonies.

Voici ce qui est reglé à cet égard pour nos vaisseaux, tiré de l'ordonnance de la marine de 1689.

1°. Les vaisseaux du roi portant pavillon d'amiral, de vice-amiral, cornettes & flâmes, salueront les places maritimes & principales forteresses des rois, le salut leur sera rendu coup-pour-coup à l'amiral & au vice-amiral, & aux autres par un moindre nombre de coups, suivant la marque de commandement.

Les places & forteresses de tous autres princes & des républiques, salueront les premieres l'amiral & le vice-amiral, & le salut leur sera rendu d'un moindre nombre de coups par l'amiral, & coup-pour-coup par le vice-amiral. Les autres pavillons inférieurs salueront les premiers. Mais les places de Corfou, Zante & Céphalonie, & celle de Nice & de Villefranche, en Savoye, seront saluées les premieres par le vice-amiral. Au reste, nul vaisseau de guerre ne saluera une place maritime, qu'il ne soit assuré que le salut lui sera rendu.

2°. Les vaisseaux du roi portant pavillon, & rencontrant ceux des autres rois, portant pavillons égaux au leur, exigeront le salut de ceux-ci en quelques mers & côtes que se fasse la rencontre ; ce qui se pratiquera aussi dans les rencontres de vaisseau à vaisseau, à quoi les étrangers seront contraints par la force s'ils refusent de le faire.

3°. Le vice-amiral & le contre-amiral, rencontrant le pavillon amiral de quelqu'autre roi, ou l'étendard royal des galeres d'Espagne, salueront les premiers. Le vaisseau portant pavillon amiral, rencontrant en mer ces galeres, se fera saluer le premier par celle qui portera l'étendard royal.

Les escadres des galeres de Naples, Sicile, Sardaigne & autres, appartenantes au roi d'Espagne, ne seront traitées que comme galeres patrones, quoiqu'elles portent l'étendard royal, & seront saluées les premieres par le contre-amiral ; mais le vice-amiral exigera d'elles le salut, & les contraindra à cette déference, si elles refusent de la rendre ; la même chose aura lieu pour les galeres, portant l'étendard de Malthe & de tous autres princes & républiques. A l'égard de la galere patrone de Gènes, tous les vaisseaux de guerre françois exigeront d'elle le salut.

4°. Les vaisseaux portant cornettes & flâmes, salueront les pavillons de l'amiral & contre-amiral des autres rois, & se contenteront qu'on leur réponde quoique par un moindre nombre de coups de canon.

5°. Les vaisseaux des moindres états portant pavillon d'amiral, & rencontrant celui de France, plieront leur pavillon, & salueront de 21 coups de canon ; & l'amiral de France ayant rendu le salut seulement de 13 coups, les autres remettront leur pavillon.

Les vice-amiral & contre-amiral de France seront salués de la même maniere, par les moindres états. Leur amiral saluera de même le premier le vice-amiral & contre-amiral de France : mais il ne pliera son pavillon que pour l'amiral ; ensorte que cette déference de plier le pavillon, ne sera rendue par les moindres états, qu'aux pavillons égaux ou supérieurs.

Les vaisseaux du roi portant cornettes, salueront l'amiral des moindres états, & se feront saluer par tous les autres pavillons des mêmes états.

6°. Lorsqu'on arborera le pavillon amiral, soit dans les ports ou à la mer, il sera salué par l'équipage du vaisseau sur lequel il sera arboré, de cinq cris de vive le roi, & les autres vaisseaux le salueront en pliant leur pavillon, sans tirer du canon. Le pavillon du vice-amiral sera seulement salué par trois cris de tout son équipage ; le contre-amiral & les cornettes par un cri ; & à l'égard des flâmes, elles ne seront pas saluées.

7°. Les vaisseaux du roi portant pavillon de vice-amiral & contre-amiral, rencontrant en mer le pavillon amiral, le salueront de la voix, plieront leurs pavillons, & abaisseront leurs hautes voiles.

8°. Le contre-amiral, les cornettes ou autres vaisseaux de guerre, abordant le vice-amiral, le salueront seulement de la voix, en passant à l'arriere pour arriver sous le vent. Les vaisseaux de guerre qui ne porteront ni pavillons, ni cornettes, se rencontrant à la mer, ne se demanderont aucun salut.

9°. Lorsqu'il y aura plusieurs vaisseaux de guerre ensemble, il n'y aura que le seul commandant qui saluera.

10°. Il est défendu à tous commandans & capitaines françois, de saluer les places des ports & rades du royaume, où ils entrent & mouillent ordinairement, comme aussi de tirer du canon dans les occasions de revûes & de visites particulieres, qui pourroient leur être faites sur leurs bords.

11°. L'amiral, le vice-amiral, le gouverneur de la province, faisant leur premiere entrée dans le port, seront seulement salués du canon. Le vaisseau portant pavillon amiral dans un port, rendra le salut. Le roi se trouvant en personne dans ses ports ou sur ses vaisseaux, sera salué de trois salves de toute l'artillerie, dont la premiere se fera à boulet.

Il y a encore dans l'ordonnance, d'où tout ceci est tiré, un article concernant les galeres.

Quoiqu'il n'y ait plus en France de corps de galeres, comme je l'ai déja dit, voyez GENERAL DES GALERES, cependant j'ajouterai ici ce qui regarde ces bâtimens dans cette ordonnance, d'autant mieux qu'on en entretient actuellement dans les ports.

L'étendard royal des galeres saluera le premier le pavillon, qui rendra coup-pour-coup ; & l'étendard sera salué le premier par le vice-amiral.

Le vice-amiral sera salué par la patrone des galeres, à laquelle il répondra coup-pour-coup ; & elle sera saluée par le contre-amiral, auquel elle répondra de même.

Les autres nations maritimes ont des ordonnances particulieres sur le salut, qu'elles exigent ou qu'elles rendent : mais tout ceci n'est qu'une chose de bienséance ou de convention. Il est reglé qu'en général, les vaisseaux des républiques salueront les vaisseaux des têtes couronnées, s'ils sont de la même qualité que ceux des républiques, d'un pareil nombre ou d'un moindre nombre de coups, suivant ce qui leur est prescrit par leur souverain. A l'égard des républiques, elles se sont accordées à saluer les premieres les vaisseaux de la république de Venise, parce qu'elle est la plus ancienne, & à exiger le salut des souverains qui sont au-dessous des rois.

SALUT, (Escrime) le salut d'armes est une politesse réciproque que se font deux escrimeurs avant de commencer un assaut.

Il s'exécute ainsi ; 1°. on prend son chapeau avec la main gauche ; 2°. on étend le bras gauche, on met son poignet à hauteur du noeud de l'épaule, & l'on tourne le dedans du chapeau du côté de l'ennemi ; 3°. on leve le bras droit & son poignet à hauteur du noeud de l'épaule, & en même tems on frappe du pié droit dans la même place ; 4°. on recule deux pas en arriere en commençant par faire passer le pié droit derriere le gauche, & ensuite le gauche devant le droit ; 5°. on baisse la pointe de l'épée pour saluer les spectateurs qui se trouvent dans la salle, & on remet le bras droit dans sa premiere position ; 6°. on remet son chapeau sur la tête ; 7°. on frappe encore du pié droit dans la même place, & en même tems on met les poignets à hauteur du noeud d'épaule ; 8°. on avance deux pas vers l'ennemi en commençant par le pié gauche que l'on fait passer devant le droit, & ensuite le droit derriere le gauche ; 9°. on se remet en garde. Nota que tous ces mouvemens se font distinctement & sans se presser.

SALUT, (Monnoie) monnoie d'or de France ; Charles VI. fit faire cette monnoie l'an 1421, sur la fin de son regne, & c'est le seul de nos rois qui en ait fabriqué ; elle étoit d'or fin, du même poids que les francs à cheval, & valoit 1 liv. 5 sols, ce qui feroit aujourd'hui environ 16 liv. il y en avoit 63 au marc. Cette espece fut appellée salut, parce que la salutation angélique y étoit représentée. Henri VI, roi d'Angleterre, pendant qu'il posséda une partie de la France, fit fabriquer des saluts d'or, de même poids, de même valeur, & de même titre que ceux de Charles VI. (D.J.)


SALUTAIREadj. (Gram.) qui est utile, qui peut sauver d'un dommage, d'un accident, d'un inconvenient. L'usage de la raison est toujours salutaire. La connoissance de la vertu est toujours salutaire. Une réflexion, un conseil salutaire.


SALUTARIS(Géog. anc.) ce nom a été donné par distinction à quelques provinces, en partie à cause des eaux saines & bienfaisantes qui s'y trouvoient.

Les principales provinces qui ont porté ce nom sont la Galatie, la Macédoine, la Palestine, la Phrygie & la Syrie. La partie à laquelle ce nom étoit affecté dans chacune de ses provinces, faisoit une province particuliere, que l'on distinguoit du reste par ce surnom.

Les anciens géographes, comme Méla, Pline, &c. n'ont point connu ce nom distinctif : il est beaucoup plus moderne. On le trouve dans la notice de l'empire, & dans quelques notices ecclésiastiques. La notice de l'empire nomme la Palestine, salutaire, & la Syrie salutaire, sect. ij. la Galatie salutaire, sect. xvj. la Phrygie salutaire, sect. xv. & la Macédoine salutaire, sect. j. (D.J.)


SALUTATIONS. f. (Hist. des usages) signe extérieur de civilité, d'amitié, d'égards, de déférence, de respect. Les Européens se saluent par des gestes, des révérences, des coups de chapeaux ; les Turcs se baissent, & portent la main à leur turban : mais les Ethiopiens ou Abyssins ont une maniere singuliere de saluer ; ils se prennent la main droite les uns aux autres, & se la portent mutuellement à la bouche ; ils prennent aussi l'écharpe de celui qu'ils saluent, & ils se l'attachent autour du corps, de sorte que ceux qu'on salue demeurent presque nuds, car la plûpart ne porte que cette écharpe avec un caleçon de coton. (D.J.)

SALUTATION ANGELIQUE, (Théolog.) est la priere qu'on nomme autrement ave Maria, dans l'Eglise romaine, & qui est en l'honneur de la Vierge. Elle contient la formule de salut que l'ange lui adressa lorsqu'il vint lui annoncer le mystere de l'Incarnation. Voyez ANNONCIATION & AVE MARIA.


SALUTHvoyez SILURE.


SALVADORSAN, (Géog. mod.) nom commun à plusieurs lieux.

1°. San-Salvador, ville d'Afrique, sur la côte orientale de l'Ethiopie, capitale du Congo, sur une montagne escarpée. Elle est le séjour du roi du pays, & s'appelloit Congo, avant que les Portugais eussent changé son nom. Elle est aujourd'hui peuplée d'européens. Les Jésuites & les Capucins y sont établis ; l'évêque est suffragant de Lisbonne. Latit. méridionale, 5.

2°. San-Salvador, ville de l'Amérique, au gouvernement de Guatimala, à 7 lieues de la mer du sud, à 40 de San-Jago de Guatimala, dans un terrein fertile en fruits, & dans un air assez temperé. Latit. septentrionale, 13. 6.

3°. San-Salvador, ville de l'Amérique méridionale, au Brésil, dont elle est la capitale. Elle est grande, bien bâtie, fort peuplée, très-commerçante, & située sur la baie de tous les Saints, Baya de Todos los Santos ; son assiette n'est pas avantageuse, parce qu'elle est haute & basse, & qu'elle n'a presque point de rues qui soient droites.

Comme on ne peut s'y servir d'aucunes voitures, les esclaves y font la fonction de chevaux, & transportent d'un lieu à un autre, toutes les marchandises ; ils portent aussi les habitans sur une espece de lit de coton à réseau, suspendu par les deux bouts ; ce lit ou palanquin est couvert d'une impériale, d'où pendent des rideaux qui empêchent d'être vû, & qui garantissent du soleil. On est fort à son aise dans ce lit ; la tête repose sur un chevet, & le corps sur un petit matelas proprement piqué ; la chaleur violente du climat, & la molesse extrême des habitans, ont rendu ces hamacs très-communs ; non-seulement pour faire les visites, mais aussi pour se rendre à l'église.

San-Salvador, est la résidence du viceroi du Brésil, le siege d'un archevêque, d'un conseil souverain, & d'une cour des monnoies.

Les maisons y sont hautes, & presque toutes de pierre de taille & de brique. Les églises sont riches, & les communautés nombreuses ; les jésuites seuls y sont au nombre de près de deux cent, & les plus riches de tous les religieux. Ils y possedent une église & un college magnifique, où ils entretiennent six régens pour enseigner.

San-Salvador, est un lieu de grand abord pour les marchandises qui s'y trafiquent, telles que sont les toiles, les baies, les serges, & les perpétuanes ; les chapeaux, les bas de soie & de fil, les biscuits, les farines, le froment, les vins de Port-à-port, &c. les huiles, le beurre, le fromage, les batteries de cuisine, les esclaves de Guinée, &c. Pour toutes ces choses, on y reçoit en retour de l'or, du sucre, du tabac, du bois de teinture du Brésil & autres ; des peaux, des huiles, des suifs, du baume de copahu, de l'ypécacuana, &c.

Cette ville si avantageuse pour les Portugais, est sur une hauteur de 80 toises, qui dépend de la côte orientale de la baie de tous les Saints. Cette hauteur est très-difficile à grimper, & on s'y sert d'une espece de gruë pour monter & descendre les marchandises du port à la ville.

San-Salvador est en général bien fortifiée, mais la garnison est aussi débauchée que mal disciplinée. Les autres habitans ne valent guere mieux ; ils sont voluptueux, ignorans, vains, & bigots. Ils marchent ordinairement un rosaire à la main, un chapelet au col, un S. Antoine sur l'estomac, un poignard sur le sein, un pistolet dans la poche, & une longue épée au côté, afin de ne pas perdre l'occasion en disant leurs chapelets, de se venger d'un ennemi. Lat. méridionale, 12. (D.J.)


SALVAGES. m. (Droit de naufrage) c'est un droit qui se paye à ceux qui ont aidé à sauver des marchandises & autres choses qui périssoient dans un naufrage ; ce droit est ordinairement le dixieme de ce qu'on a sauvé. (D.J.)


SALVAGESILES, (Géog. mod.) on nomme ainsi deux petites îles de l'Afrique dans l'Océan atlantique, entre Madere au nord & les Canaries au midi ; elles sont incultes & inhabitées ; on croit cependant que ce sont les îles de Junon, Junoniae insulae. (D.J.)


SALVATELLES. m. terme d'Anatomie, branche fameuse de la veine axillaire qui s'étend sur la partie extérieure de la main, entre le doigt annulaire & le petit doigt. Voyez AXILLAIRE & VEINE.

Plusieurs médecins, à l'imitation des Arabes, recommandent la saignée de la salvatelle, comme très-propre dans les fievres tierces & quartes, & dans les maladies hypocondriaques.


SALVATIERRA(Géog. mod.) il y a deux à trois villes ou bourgs de ce nom en Espagne, & une en Portugal.

1°. Salvatierra, petite ville d'Espagne en Galice, sur le Minho, dont l'évêché est au nord-est de Tuy. Long. 10. 55. latit. 39. 45.

2°. Salvatierra, petite ville d'Espagne dans la Biscaye, province d'Alava, au pié d'une montagne. Long. 15. 30. latit. 42. 48.

3°. Salvatierra, bourg d'Espagne, dans le comté d'Aragon, au confluent des petites rivieres d'Aragon & de Véral, & à quatre lieues de Java.

4°. Salvatierra, ou Salvaterra, est une ville forte de Portugal, dans la province de Beyra, sur la riviere d'Elia, à l'orient de Ségura. Long. 9. 5. latit. 39. 34. (D.J.)


SALVATIONSS. f. (Gramm. & Jurisprud.) est un terme de pratique, par lequel on entend certaines écritures qui sont faites en repliques à des réponses à griefs, à des réponses à causes & moyens d'appel, à des contredits de production, & à des contredits de production nouvelle.

On les appelle salvations, parce que l'objet de ces écritures est de sauver les premieres écritures, c'est-à-dire, de soutenir les moyens qu'elles renferment. (A)


SALVES. f. (Fortification) salut militaire, qui se fait par la décharge d'un grand nombre d'armes à feu en même tems. Voyez SALUT.

Dans les Transactions philosophiques, M. Robert Clarke nous rend compte d'un effet surprenant que produisit une salve ou quelques décharges de mousqueterie.

A la proclamation de la paix en 1697, deux corps de cavalerie furent rangés de maniere que le centre se trouvoit vis-à-vis la porte d'un boucher, qui avoit un chien le plus gros & le plus hardi qu'il y eût à Londres. A la premiere décharge le chien qui dormoit dans la maison couché auprès du feu, courut en-haut, & se cacha sous un lit qui étoit dans une chambre au premier étage : comme la servante le battoit pour le faire descendre, lui qui n'avoit jamais monté l'escalier, on fit une seconde décharge, à laquelle le chien se leva, sortit de dessous le lit, & fit plusieurs tours dans la chambre, tremblant & frissonnant comme s'il étoit aux abois, & à la troisieme décharge, le chien après avoir fait encore un tour ou deux dans la chambre, tomba par terre & mourut sur le champ, en jettant du sang par le nez & par la gueule. Chambers.

Dans les salves, il est défendu en France par une ordonnance du premier Août 1681, de charger les pieces d'une plus grande quantité de poudre que du poids du quart du boulet. (q)


SALVETAT LAou SAUVETAT, (Géog. mod.) il y a deux bourgs ou petites villes de ce nom en France ; l'une est dans le haut-Languedoc, au diocese de Castres, sur l'Agoust ; ce lieu n'a pour toute décoration qu'un prieuré de bénédictines.

L'autre Salvetat est dans l'Agénois, sur la Seine, à cinq lieues à l'orient septentrional de la ville d'Agen ; ce n'est qu'un bourg, mais bien illustré pour avoir été la patrie du ministre Claude, & du philosophe Régis.

Claude (Jean) l'un des plus habiles théologiens françois du dernier siecle, y naquit en 1619. Il fut ministre à Charenton depuis 1666 jusques à la révocation de l'édit de Nantes en 1685, qu'il se réfugia en Hollande, où le prince d'Orange l'accueillit avec empressement, & commença par lui donner une pension. Il mourut à la Haie en 1687, à 68 ans.

Il fut pendant sa vie l'oracle de son parti, rival digne des Bossuet, des Arnauld, & des Nicole. Il l'a prouvé par sa réponse à la conférence de M. Bossuet ; par sa défense de la réformation contre les préjugés légitimes de M. Nicole ; par ses réponses au traité de la perpétuité ; enfin, par ses divers livres de théologie & de controverse. Il joignoit à beaucoup d'esprit & d'érudition, un style mâle, exact, éloquent, & serré : M. de la Deveze a écrit sa vie. Voyez SAUVETAT.

Régis (Pierre-Silvain), fut un des grands défenseurs du Cartésianisme ; c'étoit beaucoup dans un tems où la physique de Newton étoit inconnue. Les écrits de M. Régis, qu'on ne lit plus aujourd'hui, lui valurent une place à l'académie des Sciences en 1699 ; il mourut en 1707, âgé de 75 ans. (D.J.)


SALVETE(Littérat.) Ce mot signifie impertimini salutem, quand on parle aux dieux. On disoit : estote salvi, lorsqu'on saluoit les hommes, & quelquefois on disoit : accipite salutem quam quis impertitur, en saluant les uns ou les autres. (D.J.)


SALVIA(Géog. anc.) , ville de la Liburnie, dans les terres, selon Ptolémée. Ortelius soupçonne que c'est la Salvia d'Antonin, sur la route de Sirmium à Salones, entre Sarnada & Pelvis, à vingt - quatre mille pas de la premiere, & à dix-huit mille pas de la seconde. (D.J.)


SALYENS(Géog. anc.) en latin Sallyes, ou Salyes, Salyi, Salvii & Salluvii ; ancien peuple de la Provence, le long de la mer, entre le Rhône & le Var. Strabon, un peu après le commencement de son quatrieme livre, dit : La côte est occupée par les Massiliens & les Salies jusqu'à la Ligurie, & aux frontieres de l'Italie, & jusqu'au Var. Ils n'avoient pas seulement le rivage de la mer, car il dit ensuite : le pays montagneux des Salyens avance du couchant au nord, & se recule de la mer insensiblement.

Tite-Live, liv. XXI. ch. xxvj. parlant de P. Cornelius, dit qu'étant parti de la ville avec soixante barques longues, & cotoyant l'Etrurie, la Ligurie & ensuite les montagnes des Salyens, il arriva à Marseille. Comme ils étoient contigus à la Ligurie, ils ont été appellés Gallo-Liguri, mot qui semble marquer qu'ils étoient Liguriens d'origine, quoique établis dans les Gaules.

Ce peuple fut attaqué par les Romains alliés des Marseillois qu'il incommodoit, selon Florus, liv. III. c. ij. Prima trans Alpes arma nostra sensere Salyii, cum de incursionibus eorum fidissima atque amicissima civitas Massilia quereretur.

Ce fut la premiere guerre que les Romains firent au delà des Alpes, en prenant ce mot au - delà par rapport à Rome. Pline, liv. III. ch. xvij. les nomme Sallyi en un endroit : il parle de la ville de Verceil possédée par les Libici, & fondée par les Sallyes : Vercellae Libicorum ex Sallyis ortae. Mais le même auteur, liv. III. ch. iv. les nomme Salluvii, en parlant d'Aix leur capitale, Aquae sextiae Salluviorum. Il les nomme, ch. v. les plus célebres des Liguriens au-delà des Alpes, Ligurûm celeberrimi ultrà Alpes Salluvii.

L'abbé de Longuerue, descrip. de la France, part. I. p. 336. croit que les Salyes étoient subdivisés en plusieurs peuples : les plus proches d'Antibes étoient les Décéates, qui avoient pour voisins les Védiantiens, les Nérusiens, les Suletériens ou Seltériens, dont il est impossible à présent de donner les limites. Les Déciates ou Décéates étoient aux environs d'Antibes ; les Oxybiens, aux environs de Fréjus ; les Védiantiens avoient pour ville, selon Ptolémée, Cemenelium, aujourd'hui Cimiez, près de Nice. Les Nérusiens étoient autour de Vence ; les Suletériens autour de Brignoles & Draguignan. On pourroit y ajouter les Avatici & les Anatilii. Les derniers étoient dans le territoire d'Arles, & les premiers plus près de la mer. (D.J.)


SALZTHALPIERRE DE, (Hist. nat. Litholog.) c'est une espece de marbre d'un gris de fer mêlé de brun, & rempli de cornes d'ammon, de belemnites, & quelquefois de turbinites, dont l'intérieur est souvent rempli par un spath blanc ou jaunâtre transparent. Cette pierre se trouve par morceaux détachés par les champs, aux environs du palais de Salzthal, appartenant au duc de Brunswick. Elle est très-dure au commencement ; mais lorsqu'elle a été quelque tems exposée à l'air, elle devient d'une couleur plus claire & plus tendre, parce qu'elle est parsemée de petits grains de pyrites qui se décomposent. Cette pierre ne se trouve qu'en fragmens ; souvent on y découvre des dendrites, ou des herborisations singulieres.


SAMACA(Hist. nat. Botan.) arbuste des Indes orientales, qui croît abondamment dans l'île de Java, & qui ressemble au citronnier. Son fruit est aqueux & aigrelet ; mais l'on estime sur-tout ses feuilles que l'on confit dans le sucre, & qui passent pour un grand remede dans les fievres chaudes, & dans les maladies inflammatoires.


SAMACHI(Géog. mod.) les Persans & les Arméniens écrivent Schamakhi ; ville de Perse, capitale du Shirvan. Nos auteurs ne s'accordent point sur l'orthographe de ce mot ; car les uns écrivent Samachi, les autres, en plus grand nombre, Scamachie, d'autres, schumachie, & d'Herbelot Schoumacki ; cette différente orthographe, fort commune en géographie, a trompé la mémoire de la Martiniere, qui conséquemment sans en avertir, a fait trois articles différens de cette ville, dont nous parlerons sous le seul mot de SCAMACHIE. (D.J.)


SAMAGENDAH(Géog. mod.) ville d'Afrique, dans la Nigritie, à l'orient & à dix journées de Cougah.


SAMANA(Géog. mod.) petite île de l'Amérique, entre les Lucayes, dans la mer du Nord. Elle est possédée par ses habitans naturels, & peu cultivée. On lui donne quatre lieues de long sur une de large. Elle est située par les 23. 20. de latitude.


SAMANDRACHI(Géog. mod.) île de l'Archipel, vers les côtes de la Romanie ; elle a environ 10 lieues de tour ; il s'y fait quelque trafic de miel & de marroquin. Les anciens la nommoient Samothrace, pour la distinguer de la Samos d'Ionie. Latit. 40. 30. (D.J.)


SAMANÉENS. m. (Hist. des relig. oriental.) les Samanéens étoient des philosophes indiens, qui formoient une classe différente de celle des Brachmanes, autre secte principale de la religion indienne. Ils n'ont point été inconnus des Européens. Strabon & S. Clément d'Alexandrie en ont fait quelque mention. Megasthene, qui avoit composé des mémoires sur les Indiens, appelle les philosophes dont il s'agit, Germanés ; S. Clément d'Alexandrie Sarmanes ou Semni, & rapporte l'origine de ce dernier nom au mot grec , vénérable. Porphyre les nomme Samanéens, nom qui approche davantage celui de Schamman, encore usité dans les Indes pour désigner ces philosophes.

Les Samanéens, au rapport de S. Clément d'Alexandrie & de S. Jerôme, embrasserent la doctrine d'un certain Butta, que les Indiens ont placé au rang des dieux, & qu'ils croyent être né d'une vierge.

Les brachmanes n'étoient originairement qu'une même tribu ; tout indien au contraire pouvoit être samanéen. Mais quiconque desiroit entrer dans cette classe de philosophes, étoit obligé de le déclarer au chef de la ville en présence duquel il faisoit l'abandon de tout son bien, même de sa femme & de ses enfans. Ces philosophes faisoient voeu de chasteté, comme les brachmanes ou gymnosophistes. Ils habitoient hors des villes, & logeoient dans des maisons que le roi du pays avoit pris soin de faire construire. Là uniquement occupés des choses célestes, ils n'avoient pour toute nourriture que des fruits & des légumes, & mangeoient séparément sur un plat qui leur étoit présenté par des personnes établies pour les servir.

Ces Samanéens & les brachmanes étoient en si grande vénération chez les Indiens, que les rois venoient souvent pour les consulter sur les affaires d'état, & pour les engager à implorer la divinité en leur faveur.

Ils ne craignoient point la destruction du corps, & quelques-uns d'entr'eux avoient le courage de se donner la mort en se précipitant dans les flammes, afin de purifier leur ame de toutes les impuretés dont elle avoit été souillée, pour aller jouir plus promtement d'une vie immortelle. On leur attribuoit le don de prédire l'avenir, & S. Clément d'Alexandrie dit qu'ils avoient beaucoup de respect pour une pyramide où l'on conservoit les os d'un dieu.

Il y avoit plusieurs branches de ces philosophes, entr'autres celle des hylobii, ainsi nommés parce qu'ils étoient retirés dans les forêts & dans les lieux deserts, où ils ne vivoient que de feuilles & de fruits sauvages, n'étoient couverts que de quelques écorces d'arbres, ne faisoient jamais usage du vin, & n'avoient aucun commerce avec les femmes. Celles-ci cependant avoient droit d'aspirer au même degré de perfection, & pouvoient aussi embrasser un genre de vie austere.

Ce qui vient d'être rapporté, d'après les écrivains grecs & latins, est ce qui a déterminé à croire qu'il y a peu de différence entre les Samanéens & les brachmanes, ou plutôt qu'ils sont deux sectes de la même religion. En effet, on trouve encore dans les Indes une foule de brachmanes qui paroissent avoir la même doctrine, & qui vivent de la même façon ; mais ceux qui ont une parfaite ressemblance avec ces anciens Samanéens, sont les talapoins de Siam : comme eux retirés dans de riches cloîtres, ils ne possedent rien en propre, & jouissent d'un grand crédit à la cour ; mais quelques-uns plus austeres, ne vivent que dans les bois & dans les forêts : il y a aussi des femmes qui les imitent.

La doctrine des Samanéens se trouve répandue dans les royaumes de Siam, de Pegu, & dans les autres lieux voisins, où les prêtres portent le nom de talapoins. Mais le plus commun, & celui sous lequel ils sont connus à la Chine & au Japon, est celui des bonzes ; dans le Tibet ils sont appellés lamas.

L'Inde est le berceau de cette religion, de l'aveu des habitans de tous les pays où elle s'est établie : il y a apparence qu'elle a même pénétré jusque chez les barbares de la Sibérie, où nous trouvons encore des schamans, qui sont les prêtres des Tungouses ; mais elle n'a pas été uniforme dans tous ces différens pays. Plus les Samanéens se sont éloignés du lieu de leur origine, plus ils semblent s'être écartés de la véritable doctrine de leur fondateur. Les moeurs des peuples auxquels ils ont enseigné leur religion, y ont apporté quelques changemens, parce que les Samanéens se sont attachés plus particulierement à certains dogmes & à certaines pratiques religieuses qu'ils ont jugé convenir davantage avec le caractere de ceux chez lesquels ils vivoient ; mais par-tout on reconnoit la religion indienne.

M. de la Crose, qui a beaucoup parlé des Samanéens, dit qu'il n'en reste plus de traces sur les côtes de Malabar & de Coromandel ; que le culte des brachmes a succédé à celui des Samanéens ; que ceux-ci, selon le témoignage des brachmes, ont été détruits par le dieu Vischnou, qui dans sa sixieme manifestation prit le nom de Vegouddova avatarum ; qui les traita ainsi, parce qu'ils blasphemoient ouvertement contre sa religion, regardoient tous les hommes comme égaux, n'admettoient aucune différence entre les diverses tribus ou castes, détestoient les livres théologiques des brachmes, & vouloient que tout le monde fût soumis à leur loi. M. de la Croze croit que cet événement est arrivé il y a plus de six cent ans. Mais toutes ces traditions des Malabares sont détruites par le témoignage des écrivains grecs qui font mention des brachmes établis de tout tems dans les Indes, & qui leur donnent une doctrine à-peu-près semblable à celle des Samanéens : c'est une remarque que M. de la Croze n'a pu s'empêcher de faire.

Si le nom de samanéen ne paroît plus subsister dans cette partie de l'Inde, nous y retrouvons encore les joghis, les vanaprastas, les sanjassis & les avadoutas, connus sous le nom général de brachmes, & qui comme les Samanéens, n'admettent aucune différence entre les castes ou tribus, & suivent encore les préceptes de Budda, le fondateur des Samanéens. Plusieurs historiens arabes qui ont eu connoissance de ce personnage, le nomment Boudasp ou Boudasf. Beidawi, célebre historien persan, l'appelle Schekmouniberkan, ou simplement Schekmouni ; les Chinois Tche-kia ou Chekia-meouni, qui est le même nom que Schekemouni de Beidawi ; ils lui donnent encore le nom de Foteou ou Foto, qui est une altération de phutta ou butta. Mais le nom sous lequel il est plus connu dans tous les ouvrages des Chinois, est celui de Fo, diminutif de Foto. Les Siamois le nomment Prahpoudi-tchaou, c'est-à-dire, le saint d'une haute origine, sammana-khutama, l'homme sans passion, & phutta. M. Hyde dérive ce nom du mot persan butt, idole, & M. Leibnitz a cru que ce legislateur étoit le même que le Wodin des peuples du nord. Dans la langue des Indiens, Butta ou Budda signifie Mercure.

Il n'est pas aisé de dissiper les ténebres qui obscurcissent l'histoire de ce fondateur de la religion indienne. Les peuples de l'Inde, toujours portés au merveilleux, ne débitent que des fables qui nous obligent d'avoir recours à des historiens étrangers ; & ceux-ci ne nous fournissent point assez de détails pour que nous puissions parvenir à une exacte connoissance du tems & du lieu de la naissance de ce philosophe.

Quoi qu'il en soit, Fo ou Bodha, après s'être marié à l'âge de 17 ans, & avoir eu de ce mariage un fils, se retira dans les deserts, sous la conduite de cinq philosophes. Il y resta jusqu'à l'âge de 30 ans, qu'il commença à publier sa doctrine, prêchant le culte des idoles, & la transmigration des ames. Il mourut âgé de 79 ans. Pour exprimer sa mort, on rapporte qu'il est passé dans le nipon ou nireupan, c'est-à-dire, qu'il est anéanti, & devenu comme un dieu. En mourant il dit à ceux de ses disciples qui lui étoient le plus attachés, que jusques-là il ne s'étoit servi que de paraboles, qu'il leur avoit caché la vérité sous des expressions figurées & métaphoriques ; mais que son sentiment véritable étoit qu'il n'y avoit point d'autre principe que le vuide & le néant, que tout étoit sorti du néant, & que tout y retournoit.

Les dernieres paroles de Fo produisirent deux sectes différentes. Le plus grand nombre embrassa ce que l'on appelle la doctrine extérieure qui consiste dans le culte des idoles ; les autres choisirent la doctrine intérieure, c'est-à-dire qu'ils s'attacherent à ce vuide & à ce néant, dont Fo les avoit entretenus en mourant.

Les sectateurs de la doctrine extérieure sont ceux que nous connoissons plus communément sous le nom de brachmes, de bonzes, de lamas & de talapoins, qui toujours prosternés aux piés de leurs dieux, font consister leur bonheur à tenir la queue d'une vache, adorent Brahma, Vischnou, Eswara & trois cent trente millions de divinités inférieures, font construire des temples en leur honneur, ont une singuliere vénération pour l'eau du Gange, & croyent qu'après la mort leur ame va recevoir en enfer la punition de ses crimes, ou dans le paradis la récompense de ses vertus, d'où elle sort ensuite pour animer des corps d'hommes, d'animaux, des plantes mêmes ; ce qui devient encore une punition ou une récompense jusqu'à ce qu'elle soit parvenue au plus haut degré de pureté & de perfection, auquel toutes ces différentes transmigrations la conduisent insensiblement ; ce n'est qu'après avoir parcouru ainsi les corps de plusieurs êtres, qu'elle reparoît enfin dans celui d'un samanéen. Ceux-ci regardent le reste des hommes comme autant de malheureux qui ne peuvent parvenir à l'état de samanéen, qu'après avoir passé par tous les degrés de la métempsycose.

Ainsi le vrai samanéen, ou le sectateur de la doctrine intérieure, étant censé naître dans l'état le plus parfait, n'a plus besoin d'expier des fautes qui ont été lavées par les transmigrations antérieures ; il n'est plus obligé d'aller se prosterner dans un temple, ni d'adresser ses prieres aux dieux que le peuple adore, dieux qui ne sont que les ministres du grand Dieu de l'univers. Dégagé de toutes ses passions, exempt de tout crime, le samanéen ne meurt que pour aller rejoindre cette unique divinité dont son ame étoit une partie détachée ; car ils pensent que toutes les ames forment ensemble l'être suprême, qu'elles existent en lui de toute éternité, qu'elles émanent de lui ; mais qu'elles ne peuvent lui être réunies qu'après s'être rendues aussi pures qu'elles l'étoient lorsqu'elles en ont été séparées.

Suivant leurs principes, cet être suprême est de toute éternité ; il n'a aucune forme, il est invisible, incompréhensible ; tout tire son origine de lui ; il est la puissance, la sagesse, la science, la sainteté, la vérité même ; il est infiniment bon, juste & miséricordieux ; il a créé tous les êtres, & il les conserve tous : il ne peut être représenté par des idoles ; mais on peut dépeindre ses attributs, auxquels il ne desapprouve point que l'on rende un culte ; car pour lui il est au-dessus de toute adoration : c'est pour cela que le samanéen toujours occupé à le contempler dans ses méditations, ne donne aucunes marques extérieures de culte ; mais il n'est pas en même tems athée, comme le prétendent les missionnaires, puisqu'il ne cherche qu'à étouffer en lui toutes les passions pour être en état d'aller rejoindre son Dieu. Ainsi le vuide & le néant, principe des Samanéens, ne signifient point la destruction de l'ame, mais ils désignent que nous devons anéantir tous nos sens, nous anéantir nous-mêmes pour aller nous perdre en quelque façon dans le sein de la divinité, qui a tiré toutes choses du néant, & qui elle-même n'est point matiere.

Cet être suprême des philosophes de l'Inde est l'origine de tous les êtres, & il renferme en lui les principes de toutes choses : ainsi lorsqu'il a voulu créer la matiere, comme il est un pur esprit qui n'a aucun rapport avec un être corporel, par un effet de sa toute-puissance, il s'est donné à lui-même une forme matérielle, & a fait une séparation des vertus masculine & feminine, qui jusqu'alors avoient été concentrées en lui ; par la réunion de ces deux principes, la création de l'univers devient possible. Le lingam si respecté dans l'Inde, est le symbole de ce premier acte de la divinité ; & tous ensemble, c'est-à-dire ces cinq principes, composent l'être suprême, qui se sert de leur ministere pour gouverner le monde ; mais il viendra un tems qu'il les fera rentrer dans son sein.

Tels sont les principes des samanéens sur la Divinité. On passera sous silence tout ce qui regarde le culte que l'on rend à ces premieres émanations de l'être suprême, & le reste de la religion indienne, qui n'est plus celle des samanéens, mais celle du peuple, moins susceptible de ces grandes idées, & de méditations profondes qui font tout le culte des disciples de Budda. On n'entrera pas non plus dans le détail des différentes sectes qui ont pu s'élever parmi eux. On fera seulement remarquer qu'il se trouve une grande conformité entre la doctrine des samanéens & celle des Manichéens. (D.J.)


SAMANIDES(Hist. orientale) on appelle samanides, la dynastie des califes fondée par Saman, qui de conducteur de chameaux, devint chef d'Arabes ; son fils rendit ses enfans dignes des premiers emplois militaires de l'état des califes. Al-Mamon les avança, & Motamed donna à Nasser, petit-fils d'AssadBen-Saman, l'an 261 de l'hégire, le gouvernement de la province de Mawaralnahar, ou Transoxane. Enfin, l'an 279, Ismaël, frere de Nasser, se rendit le maître absolu de cette province, en conquit d'autres, & fonda un puissant empire, qui a porté le nom de Samanides. (D.J.)


SAMAR(Géog. mod.) & Samal dans les lettres édifiantes ; île de l'Océan oriental, entre les Philippines, au sud-est de celle de Luçon, dont elle est séparée par le détroit de S. Bernardin. Son circuit est d'environ 130 lieues ; elle a dans cette enceinte plusieurs montagnes escarpées, & des plaines assez fertiles. Latit. septentrionale, 11. degrés jusqu'au 13. 30'. (D.J.)


SAMARA(Géog. mod.) ville d'Asie, dans la Tartarie, au royaume de Cassan, & dans le duché de Bulgar, à la gauche, c'est-à-dire à l'orient du Wolga, sur le penchant & sur le haut d'un monticule, à 350 werstes de Casan. Ses maisons sont toutes de bois, & fort chetives.

SAMARA, la, (Géog. mod.) riviere d'Asie, en Tartarie, au duché de Bulgar, dans l'empire russien. Elle a son cours d'orient en occident, passe au midi de la ville Samara, & tombe dans le Wolga.

SAMARA, s. m. (Hist. de l'inquisit.) autrement dit sambenito, & samiretta, noms dignes de leur origine. Espece de scapulaire ou dalmatique que les inquisiteurs font porter à ceux qu'ils condamnent à être brûlés. Le fond du samara est gris, avec la représentation d'une figure d'homme, posé sur des tisons allumés avec des flammes qui s'élevent, & des démons qui l'environnent pleins de joie. Ce raffinement de barbarie, imaginé pour accoutumer le peuple à voir sans peine brûler des malheureux, est peut-être encore plus exécrable que le tribunal même de l'inquisition, tout odieux, tout horrible qu'il est dans son principe. (D.J.)


SAMARACAN(Géog. mod.) ville d'Asie, dans la partie orientale de l'île de Java, à 7 lieues au sud-ouest de Japara, avec laquelle elle trafique.

Paul Lucas parle d'une autre Samaracan, grande ville ruinée en Asie, assez près des frontieres de la Turquie & de la Perse, en allant d'Ispahan à Alep par Amadam. Tout ce que ce voyageur raconte de la magnificence des ruines de cette ville, ne doit passer que pour un roman de son invention. (D.J.)


SAMARATHS. m. (Hist. mod.) nom d'une secte de Benjans dans les Indes, qui croyent que leur dieu qu'ils nomment Permiséer, gouverne le monde par trois lieutenans. Brama, c'est le premier, a le soin d'envoyer les ames dans les corps que Permiséer lui désigne. Le second, nommé Buffina, enseigne aux hommes à vivre selon les commandemens de Dieu, que ces benjans conservent écrits en quatre livres. Il a aussi le soin des vivres & de faire croître le blé, les arbres, les plantes, mais après que Brama les a animés. Le troisieme s'appelle Maïs ; son pouvoir s'étend sur les morts, dont il examine les actions passées pour envoyer leurs ames dans d'autres corps, faire une pénitence plus ou moins rigoureuse, suivant les vertus qu'elles ont pratiquées, ou les crimes qu'elles ont commis dans leur premiere vie. Lorsque leur expiation est achevée, Maïs renvoie ces ames ainsi purifiées à Permiséer qui les reçoit au nombre de ses serviteurs. Les femmes de cette secte persuadées que dans l'autre monde elles vivent sept fois autant, & ont sept fois plus de plaisir qu'elles n'en ont goûté ici bas, pourvu qu'elles meurent avec leurs maris, ne manquent pas à leurs funérailles de se jetter gaiment dans le bucher. Dès que les femmes sont accouchées, on met devant leur enfant une écritoire, du papier & des plumes, pour marquer que Buffina veut écrire dans l'entendement du nouveau né la loi de Permiséer. Si c'est un garçon, on y ajoute un arc & des flêches, comme un présage de sa valeur future, & de son bonheur à la guerre. Olearius, tom. II.


SAMARCANDE(Géog. mod.) grande ville d'Asie, au pays des Usbecks, dans la province de Maweralnahr, sur la riviere de Sogde, à sept journées au nord de la ville de Bockhara. Long. suivant Ptolémée 89. 30. lat. 47. 30. Long. selon NassirEddein, 98. 20. latit. 40. Cette prodigieuse différence entre ces deux géographes, doit provenir de quelque erreur de chiffre. Gréaves établit la latit. de Samarcande, 39. 37. 22.

L'auteur de l'histoire des Tartares, met la longitude à 95. & la latit. à 41. 20. M. Delisle ne met la latitude qu'à 39. 30. Ulug - Beg, qui est exact, à 39. 37.

Samarcande est la Maraganda de Pline, de Strabon, & des autres anciens. Elle avoit du tems d'Alexandre 70 stades de circuit, c'est-à-dire environ 3 lieues de France ; mais elle avoit trois fois cette étendue, lorsque les Mogols l'assiégerent. Il ne faut pas s'en étonner, parce que cette ville renfermoit dans son enceinte, non-seulement des champs labourables, des prés, & une infinité de jardins, mais encore des montagnes & des vallées. Elle avoit douze portes éloignées d'un mille l'une de l'autre. Ses murailles étoient revêtues de tourelles, & entourées d'un fossé profond, sur lequel passoit un aqueduc qui conduisoit les eaux de la riviere en divers quartiers de la ville.

Genzis - Kan, premier empereur des anciens Mogols & Tartares, forma le siege de cette ville, en 1220, & la prit par la mésintelligence qui regnoit entre tant de différens peuples qui l'habitoient. Le sultan Mehemet ne put la défendre avec une armée de cent dix mille hommes.

" Tamerlan descendant de Genzis - Kan par les femmes, & qui subjugua autant de pays que ce prince, établit Samarcande pour la capitale de ses vastes états. Ce fut-là qu'il reçut à l'exemple de Genzis, l'hommage de plusieurs princes de l'Asie, & la députation de plusieurs souverains. Non-seulement l'empereur grec Manuel y envoya des ambassadeurs, mais il en vint de la part de Henri III. roi de Castille. Il y donna une de ces fêtes qui ressemblent à celles des premiers rois des Perses. Tous les ordres de l'état, tous les artisans passerent en revue, chacun avec les marques de sa profession. Il maria tous ses petits-fils, & toutes ses petites - filles le même jour. Enfin il mourut en 1406, dans une extrême vieillesse, après avoir regné 36 ans, plus heureux par sa longue vie & par le bonheur de ses petits - fils, qu'Alexandre le Grand, auquel les orientaux le comparent.

Il n'étoit pas savant comme Alexandre, mais il fit élever ses petits-fils dans les sciences. Le fameux Oulougbeg, qui lui succéda dans les états de la Transoxane, fonda dans Samarcande la premiere académie des sciences, fit mesurer la terre, & eut part à la composition des tables astronomiques qui portent son nom ; semblable en cela au roi Alphonse de Castille, qui l'avoit précédé de plus de cent années. Aujourd'hui la grandeur de Samarcande est tombée avec les sciences ; & ce pays occupé par les tartares Usbecks, est redevenu barbare, pour refleurir peut-être un jour ".

Tout même nous porte à l'imaginer. Samarcande est encore une ville considérable, dont la position est des plus heureuses, pour faire le commerce de la grande Tartarie, des Indes, & de la Perse. Elle ne manque de rien pour sa subsistance ; enfin, elle a autour d'elle à dix lieues à la ronde, un grand nombre de bourgades, dont les jardins délicieux font passer la fameuse vallée dans laquelle elle est située, pour un des quatre paradis terrestres que les Orientaux mettent en Asie. (D.J.)


SAMARIE(Géog. anc.) ville de la Palestine, capitale d'un petit royaume de même nom, qui comprenoit les dix tribus. Elle fut bâtie par Amri, qui acheta deux talens d'argent d'un nommé Somer, la montagne de Someron. Amri éleva sa ville sur cette montagne, qui étoit agréable, fertile, ayant des eaux en abondance, & située à une journée de Jérusalem. Achab bâtit dans cette ville un palais d'ivoire, c'est-à-dire, où il y avoit beaucoup d'ornemens d'ivoire, III. Reg. ch. xiij. Salmanazar, roi d'Assyrie, prit cette ville l'an 720 avant J. C. & la détruisit.

Il paroît qu'elle se rétablit dans la suite, puisque Esdras, l. I. c. iv. & l. II. c. iv. parle déja des habitans de Samarie, & que les Samaritains jaloux des faveurs qu'Alexandre le Grand avoit accordées aux Juifs, se révoltérent ; ce prince, dit Quinte-Curce, l. IV. c. xxj. marcha contr'eux, prit Samarie, & y mit des Macédoniens ; il donna le pays des environs aux Juifs pour le cultiver, & leur accorda l'exemption du tribut.

Jean Hircan prit dans la suite Samarie, & la ruina de nouveau ; mais quand Gabinius fut fait président de Syrie, il entreprit de rebâtir Samarie. De-là vient, dit Syncelle, qu'on l'appelle quelquefois la ville des Gabiniens, c'est-à-dire, la colonie de Gabinius ; cependant Samarie n'étoit encore qu'un village. Hérode fut le premier qui en refit une ville dans les formes, & qui la remit en honneur.

Comme Auguste lui avoit accordé cette place en propriété, il lui donna le nom grec de Sébaste, qui revient au nom latin Augusta, la ville d'Auguste. Il y attira six mille nouveaux habitans, & leur distribua les terres des environs, qui étant extrêmement fertiles, produisirent en si grande abondance, que la ville se trouva bien-tôt riche & peuplée. Il mit une bonne garnison dans la tour de Strabon, qui dans la suite, par compliment pour le même Auguste, porta le nom de Césarée.

Le nom de Samarie étoit commun à la ville, & au pays des environs : desorte qu'il y avoit Samarie ville, & Samarie qui étoit le pays de Samarie. Les auteurs sacrés du nouveau Testament, parlent assez peu de Samarie ville, & lorsqu'ils employent ce mot, ils expriment sous ce nom plutôt le pays que la ville dont nous parlons. Par exemple, quand on lit, Luc, c. xvij. que Jésus passoit par le milieu de la Samarie, cela veut dire par le pays de Samarie. Et dans S. Jean, c. iv. Jésus étant venu dans une ville de la Samarie nommée Sichar : c'est-là qu'il eut un entretien avec une femme de Samarie, c'est-à-dire, une samaritaine de la ville de Sichar.

Après la mort de S. Etienne, les disciples s'étant dispersés dans les villes de la Judée & de la Samarie, Act. c. viij. le diacre S. Philippe vint dans la ville de Samarie, où il fit plusieurs conversions. Les apôtres ayant appris que cette ville avoit reçu la parole de Dieu, y envoyerent Pierre & Jean, pour donner le S. Esprit à ceux qui avoient été baptisés. C'est - là qu'étoit Simon le magicien, qui offrit de l'argent aux apôtres, afin qu'ils lui communiquassent le pouvoir de donner le S. Esprit. Samarie n'est jamais nommée Sébaste dans les livres du nouveau Testament, quoique les étrangers ne la connussent guere que sous ce nom-là. (D.J.)


SAMARITAINELA, S. f. (Fonderie) ce qu'on nomme à Paris la Samaritaine, est un grouppe de figure de bronze placé sur la face d'un château ou reservoir des eaux, qui est construit sur le bord occidental du pont-neuf. Ce grouppe représente un vase où tombe une nappe d'eau qui vient du reservoir ; d'un côté est Jésus-Christ, & de l'autre la Samaritaine, qui semblent s'entretenir. (D.J.)


SAMARITAINS(Hist. Critiq. sacrée) les Samaritains étoient des colonies de Babyloniens, des Cuthéens, & d'autres peuples, qu'Assaradon envoya pour repeupler la province de Samarie, dont Salmanasar avoit transporté le plus grand nombre des habitans au-delà de l'Euphrate du tems de la captivité des dix tribus.

Les Samaritains étoient payens, & ils continuerent à adorer leurs idoles, jusqu'à ce que pour se délivrer des lions, qui les incommodoient beaucoup, ils souhaiterent d'être instruits de la maniere de servir le Dieu d'Israël, espérant d'appaiser par ce moyen la colere du dieu du pays. Ils joignirent donc le culte du Dieu d'Israël à celui de leurs idoles, & de-là vient qu'il est dit dans l'histoire des rois, ch. xvij. v. 33. qu'ils craignoient Dieu, mais qu'ils adoroient en même tems leurs propres divinités.

Lorsque la tribu de Juda fut de retour de la captivité de Babylone, & que le temple eut été rebâti, tous les juifs s'engagerent par un accord solemnel, à renvoyer les femmes payennes qu'il y avoit parmi eux. Il se trouva que Manassé, sacrificateur juif, avoit épousé la fille de Sanballac, samaritain, & que n'étant pas d'humeur à se défaire de sa femme, Sanballac poussa les Samaritains à bâtir sur la montagne de Garizim, près de la ville de Samarie, un temple qui fût opposé à celui de Jérusalem, & il y établit pour sacrificateur Manassé son gendre.

La fondation de ce nouveau temple excita entre les Juifs & les Samaritains une grande dissension, qui s'accrut avec le tems, & dégénéra en une haine si furieuse, qu'ils se refusoient même de se rendre les uns aux autres les services de l'humanité la plus commune. Voilà pourquoi les Samaritains ne voulurent pas donner retraite à Notre Seigneur, quand ils s'apperçurent qu'il alloit adorer à Jérusalem ; deux de ses disciples, savoir Jacques & Jean, extrêmement piqués de cette incivilité, prirent feu, & par un zèle de bonne foi pour l'honneur de leur maître, & pour la sainteté de Jérusalem, ils vouloient se défaire incessamment de ces ennemis de Dieu & de Jesus-Christ, de ces adversaires de la vraie religion, de ces schismatiques ; car c'est ainsi qu'ils se traiterent les uns & les autres. Dans le trouble de leur colere, ils souhaitent que Notre Seigneur leur accorde le pouvoir de faire descendre le feu du ciel, pour consumer les Samaritains, comme avoit fait Elie autrefois en pareil cas, & même pas fort loin de l'endroit où ils se trouvoient alors.

Malgré l'injustice du procedé des Samaritains, & le grand exemple du prophete Elie, dont les deux apôtres se croyoient autorisés, Notre Seigneur censure paisiblement, mais d'une maniere aussi vive que forte, le zèle destructeur de ces deux apôtres : Vous ne savez, leur dit - il, de quel esprit vous êtes, car le fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les ames, mais pour les sauver. Luc, IX. 55. Paroles admirables, qu'il ne faut jamais perdre de vue, parce qu'elles sappent de fond en comble toute intolérance dans le christianisme. Le fils de l'homme n'est pas venu pour perdre les ames, mais pour les sauver.

La religion des Samaritains, comme nous l'avons dit, fut d'abord la payenne ; ils adoroient chacun la divinité de leur pays ; l'Ecriture cite un grand nombre de ces divinités, comme Nerget, Nébahas, Thartac, Rempham ; ils mêlerent ensuite à ce culte prophane, celui du vrai Dieu, que le prêtre de Béthel leur apprit ; mais quand ils eurent tout-à-fait renoncé à l'idolâtrie, pour embrasser la loi du Seigneur, alors ils ne furent plus distingués des Juifs, que par trois articles sur lesquels ils différoient d'eux.

1°. Ils ne reconnoissoient que les cinq livres de Moïse pour vraiment canoniques. 2°. Ils rejettoient toutes sortes de traditions, & s'en tenoient à la parole écrite. 3°. Ils soutenoient qu'il falloit servir Dieu sur le mont Garizim, où les patriarches l'avoient adoré, au lieu que les Juifs vouloient qu'on ne lui offrît des sacrifices que dans le temple de Jérusalem. C'est principalement sur cette élévation d'autel contre autel, & de temple contre temple, qu'étoit fondée, l'antipathie de ces deux peuples. Les Juifs n'avoient point de plus forte injure à dire à un homme, que de l'appeller Samaritain. Jean, VIII. xlviij. Ceux-ci de leur côté, avoient tant de répugnance pour les Juifs, que nous avons vu qu'ils refuserent un jour de recevoir Jesus - Christ, parce qu'il paroissoit diriger ses pas du côté du temple de Jérusalem.

Les Juifs accusent les Samaritains de deux sortes d'idolâtrie sur le mont Garizim. L'une d'y avoir adoré l'image d'une colombe, & l'autre des théraphins, ou des idoles cachées dans cette montagne ; il est vrai que les Assyriens adoroient une de ces divinités, qui, selon Diodore, étoit Sémiramis, sous la figure d'une colombe ; & vraisemblablement les Samaritains mêlerent autrefois le culte de cette idole avec le culte du Dieu d'Israël ; mais ils ne l'ont jamais fait depuis.

Quant au second chef d'accusation des Juifs, il est encore vrai que Jacob ayant trouvé les théraphins ou les idoles que Rachel avoit volées à son pere, les lui ôta, & les cacha sous un chêne à Sichem, & que Sichem est au pié du mont Garizim ; mais les Samaritains n'adoroient que Dieu sur cette montagne, & depuis que Manassé leur eut apporté la loi de Moïse, ils ont toujours été jusqu'à nos jours des adorateurs du vrai Dieu.

Ils adoroient le vrai Dieu du tems de Jesus-Christ ; ils avoient en vénération les livres de Moyse qu'ils ont précieusement conservés ; ils en observoient exactement les loix, & attendoient le Messie comme les Juifs. C'est sans fondement qu'on leur a reproché de donner dans des erreurs grossieres sur la nature de Dieu, quoique peut - être il se trouvât du tems de Jesus - Christ quelque mêlange d'idolâtrie dans leur culte ; on peut du moins le conjecturer, sur ce que notre Sauveur leur reproche d'adorer ce qu'ils ne connoissoient pas. Jean, iv. 22.

Quoi qu'il en soit, les Samaritains d'aujourd'hui sont dans les mêmes sentimens que leurs peres, comme il paroît par les lettres écrites dans le dernier siecle à Scaliger, par les Samaritains d'Egypte & de Naplouse, & par celles qu'ils écrivirent depuis à leurs freres prétendus d'Angleterre.

Ceux qui seront curieux de plus grands détails sur la confession de foi des Samaritains modernes, les trouveront dans l'histoire des Juifs de M. Basnage, tom. II. part. j.

Pour ce qui concerne leur Pentateuque & leurs caracteres, Voyez PENTATEUQUE, SAMARITAIN, MARITAINSAINS, Caracteres (D.J.)

SAMARITAINS, caracteres, (Crit. sacr.) ce sont les vieux caracteres hébreux, avec lesquels les Samaritains écrivirent autrefois le Pentateuque, & dont ils se servent encore aujourd'hui ; ces sortes de caracteres sont affreux, & les plus incapables d'agrément de tous ceux qui nous sont connus. C'étoient les lettres des Phéniciens, de qui les Grecs ont pris les leurs ; le vieil alphabet ionien fait assez voir cette ressemblance, comme le montre Scaliger dans des notes sur la chronique d'Eusebe. Ce furent de ces vieilles lettres que se servirent les prophetes, pour écrire leurs ouvrages, & ce fut avec ces mêmes caracteres que le décalogue fut gravé sur les deux tables de pierre ; le nombre de vieux sicles juifs que nous avons encore, avec l'inscription samaritaine, Jérusalem la sainte, prouve assez l'antiquité de ces sortes de caracteres, auxquels les caracteres hébreux d'aujourd'hui succéderent après la captivité de Babylone ; ces derniers étoient les seuls que le peuple savoit lire alors ; & cette raison engagea Esdras à les employer. Tous les anciens le reconnoissent, Eusebe, S. Jérôme, les deux Talmuds le disent ; en un mot, c'est l'opinion de tous les savans juifs, & Cappel a fait un livre contre Buxtorf le fils, pour la confirmer. (D.J.)


SAMAROBRIVA(Géog. anc.) briva & briga est une diction celtique & gauloise, qui signifie pont, comme il se voit en briva Isurae, ou Brivisura, ou pons Isurae, pont-Oise, ou pont-d'Oise, & en cent places ailleurs : Samarobriva signifie donc Samarae pons, que nous pourrions dire Somme-pont ou pont-sur-Somme, aujourd'hui Amiens, son ancien nom ayant été changé en celui qui a été commun au temple & à la ville Ambiani, d'où est tiré le nom d'Amiens.

De cette démonstration, que Samarobriva signifie Samarat-pont, il s'ensuit que l'ancien nom de la riviere de Somme, qui passe à Amiens, est Samara, & que la riviere de Phrudis, dont Ptolémée fait mention en ces quartiers là, n'est autre que la Somme. Quoique tous les savans conviennent que Samarobriva est Amiens, Ortélius a du penchant à croire que c'est Bray-sur-Somme. La ressemblance des mots semble le favoriser. (D.J.)


SAMBA-PONGO(Hist. mod.) c'est le titre que les habitans du royaume de Loango en Afrique donnent à leur roi, qu'ils regardent non - seulement comme l'image de la divinité, mais encore comme un dieu véritable ; dans cette idée ridicule, ils lui attribuent la toute - puissance ; ils croyent que les pluies, les vents & les orages, sont à ses ordres ; c'est pourquoi ils ont recours à lui dans les tems de sécheresse & de stérilité, & à force de présens & de prieres, le déterminent à leur rendre le ciel favorable. Lorsque le roi consent aux voeux de ses sujets, il ne fait que tirer une fleche contre le ciel, mais il y a lieu de croire qu'il ne s'y détermine que lorsqu'il voit le tems chargé, sur-tout quand c'est de la pluie qu'on lui demande. En un mot, ces peuples croyent qu'il n'y a rien d'impossible pour leur monarque, & lui rendent en conséquence les honneurs divins. Malgré cette haute opinion, ils ne laissent pas de croire que sa vie ne puisse être mise en danger par les sortileges & les maléfices ; c'est sur ce préjugé qu'est fondée une loi irrévocable, qui décerne la peine de mort contre quiconque a vu la roi de Loango boire ou manger ; cet ordre s'étend même sur les animaux. Des voyageurs rapportent qu'un fils du roi, encore enfant, étant entré par hasard dans l'appartement de son pere, au moment où il buvoit, fut massacré sur le champ par ordre du grand prêtre, qui prit aussi-tôt de son sang, & en frotta le bras de sa majesté, pour détourner les maux dont elle étoit menacée ; ainsi la superstition vient par-tout à l'appui des despotes & des tyrans, qui sont quelquefois eux-mêmes les victimes du pouvoir qu'ils lui ont accordé.


SAMBAIAS. m. (Hist. nat. Botan.) fruit des Indes orientales, qui est de la grosseur d'un gland. On s'en sert dans diverses maladies, & sur-tout contre la morsure des serpens & des autres bêtes venimeuses. Il est très-rare.


SAMBAL(Géog. anc.) ville de l'Inde, dans la province de Becar, au Mogol, sur le Gange. (D.J.)


SAMBALLESSAMBALLES


SAMBLACITANUS-SINUS(Géog. anc.) golfe de la Gaule narbonnoise, près de Fréjus ; c'est à ce qu'on croit, aujourd'hui le golfe de Grimaut. (D.J.)


SAMBOUCS. m. (Commerce) bois de senteur, que les nations de l'Europe qui négocient sur les côtes de Guinée, ont coutume d'y porter, non pas pour aucun commerce avec les négres, mais pour en donner aux rois du pays qui en font grand cas ; on y joint ordinairement de l'iris de Florence & autres choses semblables, afin que le présent soit mieux reçu. (D.J.)


SAMBOULAS. m. sorte de panier des sauvages caraïbes, fait en forme de sac ouvert, travaillé fort proprement à jour avec des brins de latanier très-minces, & tissus à peu-près comme nos chaises de canne, ces paniers ont une anse pour les passer au bras & pour les suspendre dans la maison, où ils servent aux sauvages à mettre des fruits, des racines, de la cassave, ou ce qu'ils veulent exposer à l'air libre.


SAMBRACATE(Géog. anc.) île de l'Arabie heureuse, dans la mer des Indes, selon Pline, l. VI. c. xxviij. cet auteur dit qu'il y avoit aussi en terre ferme, une ville de même nom. Parlant ailleurs, l. XII. c. xv. des diverses sortes de myrrhes, il met au cinquieme rang Sambracena myrrha, ainsi nommée, dit-il, d'une ville du royaume des Sabéens, & voisine de la mer. Le P. Hardouin croit qu'il s'agit là de la ville de Sambracate, en terre ferme. (D.J.)


SAMBRELA (Géog. mod.) par les anciens Romains Sabis ; riviere de France & des Pays-Bas. Elle a sa source en Picardie, au-dessus du village de Novion, arrose plusieurs lieux dans son cours, & arrive à Namur pour se perdre dans la Meuse. (D.J.)


SAMBRESLES (Géog. anc.) Sambri ; ancien peuple de l'Ethiopie sous l'Egypte, selon Pline. Il ajoute que chez eux, il n'y avoit point de bêtes à quatre piés qui eussent des oreilles ; ce n'est pas à dire que les animaux naquissent ainsi, c'étoit apparemment la mode chez ce peuple de les leur couper ; peut-être croyoient-ils que le droit de porter des oreilles, n'apartenoit qu'à l'homme. (D.J.)


SAMBROCA(Géog. anc.) riviere de l'Espagne tarragonoise. On croit que c'est le Ter, riviere de Catalogne. (D.J.)


SAMBUCA(Géog. mod.) ville de Sicile, dans la vallée de Mazara, à dix milles de la côte de la mer d'Afrique. (D.J.)


SAMBULOS(Géog. anc.) montagne d'Asie, vers la Mésopotamie. Elle étoit célebre par un temple dédié à Hercule. Tacite, annal. l. XII, chap. xiij. en rapporte une particularité. Il dit que ce dieu avertissoit en un certain tems les prêtres de son temple, de préparer des chevaux chargés de fleches, afin d'aller à la chasse : que ces chevaux couroient vers un bois, d'où ils revenoient le soir fort fatigués, & sans fleches, que la nuit ce même dieu montroit à ses prêtres pendant le sommeil, les endroits de la forêt où ces chevaux avoient couru, & qu'on les trouvoit le lendemain couverts de gibier étendu par terre. En donnant à l'industrie des prêtres, ce que l'on attribue ici à Hercule, il n'y a rien de fort difficile à exécuter.


SAMBUQUES. f. (Musiq. des Hébreux) ancien instrument de musique à cordes, usité en Chaldée, & dont on se servit à la dédicace & à l'adoration de la statue de Nabucodonosor. Les uns croyent que cet instrument étoit triangulaire, & à cordes inégales, & d'autres pensent que c'étoit une espece de flute. (D.J.)

SAMBUQUE, s. f. (Art milit. des anc.) sambuccus, échelle des anciens, de la largeur de quatre piés, laquelle dressée, étoit aussi haute que les murailles qu'on vouloit attaquer. De l'un & de l'autre côté de cette échelle, regnoit une balustrade, sur laquelle on étendoit de grandes couvertures. On la couchoit de son long sur les côtés des deux galeres jointes ensemble, desorte qu'elle passoit de beaucoup les éperons, & au haut des mâts de ces galeres, on mettoit des poulies & des cordes.

Quand on devoit agir, on attachoit les cordes à l'extrêmité de la machine, & des gens de dessus la poupe l'élevoient par le moyen des poulies. D'autres sur la proue aidoient aussi à l'élever avec des leviers. Ensuite les galeres étant poussées à terre, on appliquoit ces machines à la muraille.

Au haut de l'échelle étoit un petit plancher bordé de trois côtés de claies, sur lequel quatre hommes repoussoient en combattant ceux qui des murailles empêchoient qu'on n'appliquât la sambuque. Quand elle étoit appliquée, & qu'on étoit arrivé sur la muraille, on jettoit bas les claies, & à droite & à gauche les attaquans se répandoient dans les forts ou dans les tours. Le reste des troupes les suivoit, & sans crainte que la machine leur manquât, parce qu'elle étoit fortement attachée aux deux galeres.

Voilà le détail de Polybe sur la sambuque ; il ajoute qu'on appella cette machine de ce nom, parce que l'échelle étant dressée, il se faisoit d'elle & du vaisseau joints ensemble, une figure qui ressembloit à l'instrument de musique, nommé sambuque. Voyez la figure que M. Folard en donne, & ses remarques. (D.J.)


SAMES. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer, qui est une espece de muge. Voyez MUGE. Il ne differe du mulet, qu'en ce qu'il a la tête plus petite & plus pointue, & que les traits qui s'étendent sur les côtés du corps, sont moins longs : il a aussi la chair moins blanche, plus molle & moins grasse ; on l'a surnommé poisson innocent, parce qu'il ne mange aucun poisson ; il cherche sa nourriture dans la boue. Le same pond ses oeufs en hiver à l'embouchure des fleuves ; il aime l'eau douce, il remonte les rivieres : on en pêche dans la Garonne, dans le Rhône, la Loire, &c. Rondelet, hist. nat. des poissons. I. part. l. IX. chap. xj. Voyez MULET & POISSON.


SAMEDIS. m. (Chron.) est le dernier jour de la semaine ; il étoit consacré autrefois par les Payens à Saturne, & s'appelloit dies Saturni ; aujourd'hui encore les Anglois l'appellent Saturday, jour de Saturne. C'étoit le jour du sabbat chez les Juifs. Il est encore appellé dans le bréviaire dies Sabbati ; & parmi les chrétiens catholiques, il est consacré à la sainte Vierge. Le roi Louis XI, qui y avoit beaucoup de dévotion, voyant qu'il ne pouvoit éviter la mort par les prieres de S. François de Paule, lui demanda au moins d'obtenir de la sainte Vierge qu'il mourût un samedi. Ce qui arriva en effet. (O)


SAMEQUINS. m. (Marine) sorte de vaisseau marchand turc, dont on ne se sert que pour aller à terre.


SAMIARIIS. m. (Littérature) on nommoit ainsi les armuriers qui polissoient avec la terre de Samos, les armes des soldats prétoriens & des gardes du corps des empereurs. Voyez Pitiscus. (D.J.)


SAMICUM(Géog. anc.) village du Péloponnèse dans l'Elide, près de la mer, & aux confins de la Triphylie, selon Pausanias. Il rapporte que ce lieu fut donné à Polysperchon étolien, pour en faire un lieu de défense contre les Arcadiens. Il ajoute : personne d'entre les Messéniens ni d'entre les Eléens ne m'a paru savoir où étoient les ruines d'Arene : ceux qui ont tâché de les trouver n'ont dit que des conjectures. L'opinion qui paroît plus vraisemblable est celle de ceux qui prétendent que, dans les tems héroïques, Samicum étoit appellée Arene. (D.J.)


SAMIENNEadj. (Mytholog.) épithète de Junon, à cause de la grande vénération qu'on lui portoit à Samos ; les habitans du lieu se vantoient que la soeur & la femme de Jupiter étoit née dans leur île sur le bord du fleuve Imbrasus, & sous un saule qu'ils montroient dans l'enceinte du temple consacré à cette divinité. Ce temple avoit été bâti par les Argonautes, qui y avoient transporté d'Argos la statue de cette déesse. (D.J.)


SAMISS. m. (Soierie) étoffe très-riche, lamée ou tramée de lames d'or ; cette étoffe est de manufacture vénitienne, mais peu connue présentement ; il s'en trouve pourtant encore à Constantinople. (D.J.)


SAMMATHAN(Géog. mod.) ville de France dans le comté de Comminges, au-bas d'un vallon, sur la riviere de Save ou de Seve, à une lieue au nord-est de Lombez. C'étoit autrefois la plus forte place de tout le pays ; mais les guerres des François contre la Gascogne, & ensuite celles des Anglois & des comtes de Foix l'ont ruinée. Long. 18. 36'. latit. 43. 35'.

Belleforest (François de), né dans cette ville, a fait une Cosmographie des annales de France, une histoire des neuf rois de France qui ont eu le nom de Charles, & divers autres ouvrages qui prouvent qu'il songeoit plutôt à vivre par sa plume, qu'à mériter l'estime du public. Il mourut à Paris en 583 à 53 ans. (D.J.)


SAMNITESLES (Géog. anc.) ancien peuple d'Italie, dont le pays s'appelloit le Samnium ; on disoit en latin Samnis au singulier, pour dire un samnite, & au pluriel Samnites. Ce nom est employé dans les auteurs en deux sens fort différens l'un de l'autre. Tantôt les Samnites se prennent pour un nom général à plusieurs peuples qui étoient distingués l'un de l'autre par un nom particulier, & qui néanmoins avoient tous une même origine, parce qu'ils venoient tous également des Sabins. Ces peuples étoient.

1°. Picentes, dont le pays, nommé Picenum, comprenoit une partie de la marche d'Ancone, & une partie de l'Abruzze. On y ajoute l'ager Palmensis, le pays autour d'Ascoli ; le Praetutianus ager, le pays autour de Téramo ; & l'Adrianus ager, le pays autour d'Atri.

2°. Vestini, dont le pays répondoit à cette partie de l'Abruzze ultérieure, entre le fleuve de la Piomba & la Pescara.

3°. Marrucini, leur pays est aujourd'hui le territoire de Chiéti, dans l'Abruzze citérieure.

4°. Trentani, leur pays est aujourd'hui une partie de l'Abruzze citérieure & une partie de la Capitanate. Leurs rivieres étoient le Sangro, le Triguo, le Tiferno & le Fortore.

5°. Peligni, dont le pays répondoit à la partie de l'Abruzze citérieure, qui est autour de Sermona entre la Pescara & le Sangro.

6°. Marsi, les Marses, dont le pays comprenoit une partie de l'Abruzze ultérieure, autour du lac de Célano, le Fucinus lacus des anciens.

7°. Hirpini, dont le pays répondoit à la principauté ultérieure.

8°. Enfin les Samnites proprement dits, dont nous allons parler.

Les Samnites proprement dits, ou les vrais Samnites, occupoient la partie de l'Abruzze supérieure, tout le comté de Molise, avec des parties de la Capitanate & de la terre de Labour. Ils avoient les Poligni & les Trentati au nord, la Pouille daunienne au levant, les Hirpini & la Campanie au midi, & les Marsi au couchant.

Le pays situé entre ces peuples étoit le vrai Samnium, & étoit partagé entre les Caraceni, à qui Ptolémée, l. III. c. j. attribue la ville d'Aufidenae & les Pentri au midi, dont parle Tite-Live, qui dit que leur capitale étoit nommée Bovianum, l. IX. c. xxxj. indè victor exercitus Bovianum ductus ; caput hoc erat Pentrorum Samnitium, longe ditissimum atque opulentissimum armis, virisque.

Les Samnites furent nommés Sabelli ; & Strabon dit formellement que les Picentes & les Samnites tiroient leur origine des Sabins : le corps de ceux - ci fut partagé en deux : la partie établie à l'occident garda le nom de Sabins : celle qui s'étendit à l'orient s'appella d'abord , ensuite , dont les Grecs firent , sur quoi les Romains les ont appellés Samnites. Le nom de Sabelli a été employé par Tite-Live, par Virgile, par Horace, & par d'autres écrivains de la bonne latinité, qui ont tous entendu par ce mot les Samnites.

Ce peuple étoit extrêmement belliqueux, & l'un des plus braves d'Italie. Il défendit sa liberté contre les Romains avec le plus grand courage, & fit plus de résistance que les plus grands rois. Rome fut cinquante ans (Tite-Live dit soixante-dix) à les subjuguer ; mais elle fit un si grand ravage dans leur pays, elle leur démolit tant de villes, que le Samnium, si puissant autrefois, n'étoit plus reconnoissable du tems de Florus. Il fournit aux généraux de Rome la matiere de vingt-quatre triomphes.

Les Samnites descendoient des Lacédémoniens, & respiroient comme eux la liberté. Entre leurs usages particuliers, je ne puis m'empêcher d'en citer un qui, dans une petite république, & sur-tout dans la situation où étoit la leur, devoit produire d'admirables effets. On assembloit tous les jeunes gens, & on les jugeoit. Celui qui étoit déclaré le meilleur de tous, prenoit pour sa femme la fille qu'il vouloit : celui qui avoit les suffrages après lui, choisissoit encore, & ainsi de suite. Il étoit admirable de ne regarder entre les biens des garçons que les belles qualités & les services rendus à la patrie. Celui qui étoit le plus riche de ces sortes de biens, choisissoit une fille dans toute la nation. L'amour, la beauté, la chasteté, la vertu, la naissance, les richesses même, tout cela étoit, pour ainsi dire, la dot de la vertu. Il seroit difficile d'imaginer une récompense plus noble, plus grande, moins à charge à un petit état, plus capable d'agir sur l'un & l'autre sexe. C'est une réflexion de l'auteur de l'Esprit des Loix.

Les villes des Samnites, selon le P. Briet, étoient Beneventum, aujourd'hui Benevent ; Aufidena, aujourd'hui Alfidena. Triventinum, aujourd'hui Trivento. Bovianum, aujourd'hui Boiano ; Triventum, aujourd'hui Molise ; Oesernia, colonie, aujourd'hui Isernia ; Alifae, aujourd'hui Alifi ; Telesia, colonie, aujourd'hui Telèse ; Claudium, aujourd'hui Acrola selon les uns, ou le village d'Arpain selon les autres.

Leurs montagnes étoient Tubernus, aujourd'hui Tabor ; Furcoe caudinae entre Acrola & Ste Agathe.

Leurs rivieres étoient Sabatus, aujourd'hui le Sabato ; Calor, aujourd'hui le Calore ; Tamarus, aujourd'hui le Tamaro. (D.J.)

SAMNITES, s. m. plur. (Litterature) sorte de gladiateurs, ainsi nommés à cause de leurs armes, & que les Romains employoient d'ordinaire à la fin de leur festin pour amuser leurs convives ; quod spectaculum inter epulas erat, dit Tite-Live. C'étoit un divertissement domestique des Romains de faire battre alors aux flambeaux des gladiateurs équipés en guerre, comme les anciens Samnites ; mais comme ils n'avoient pour armes offensives que des fleurets, ils ne pouvoient pas se faire grand mal, & ils se disputoient long-tems la victoire. C'est pourquoi Horace, epist. II. l. II. vers. 98. appelle cet exercice militaire lentum duellum. Il compare fort plaisamment les fausses louanges que les poëtes se donnoient à l'envi, aux coups sans effet que se portoient les gladiateurs samnites. (D.J.)


SAMOGITIELA, (Géog. mod.) en latin Samogitia, province de Pologne. Elle est bornée au nord par la Curlande ; au midi, par la Prusse royale ; à l'orient, par la Lithuanie ; & à l'occident, par la mer Baltique. Elle a 70 lieues de longueur, & environ 50 de largeur.

La Samogitie étoit anciennement habitée par les Aestiens, partagés en diverses nations idolâtres. Jagellon étant devenu roi de Pologne, ramena une partie de ce peuple au Christianisme, & établit en 1413 un siege épiscopal à Midnick. Après sa mort, les chevaliers teutons acquirent la Samogitie du roi Casimir en 1446. Enfin Albert de Brandebourg, grand-maître de leur ordre, s'étant emparé de la Prusse, cette province fut incorporée au royaume de Pologne. La façon de vivre des Samogitiens a tenu de celle des Tartares jusqu'au regne de Sigismond-Auguste, qui eut peine à leur persuader de bâtir des maisons & de vivre en société. Ces maisons sont un méchant toît de terre, de paille & de claie. Le feu se fait au milieu, & la fumée sort par une ouverture qui est en-haut.

La Samogitie est un pays de bois & de montagnes presque inaccessibles, où on nourrit beaucoup de bétail & d'excellens chevaux. On y recueille du miel en abondance, & on trouve dans les forêts toutes sortes de bêtes fauves.

La province est divisée en trois gouvernemens, qui tirent leur nom des villes de Rosienne capitale du pays, de Midnick sur le Wiwits, & de Ponicwiefs. Elle a un staroste pour le temporel, & pour le spirituel un évêque qui réside à Midnick, autrement Womie ; cet évêque est suffragant de l'archevêque de Gnesne. (D.J.)


SAMOJEDESLES (Géograph. mod.) Voyez SAMOYEDES.


SAMOLOIDESS. f. (Botan. exot.) genre de plante dont voici les caracteres. Sa fleur est d'une seule piece divisée en quatre parties presque jusqu'au fond, & en forme d'étoile. De son centre s'éleve un pistil dont la base est entourée de filets déliés accompagnés de quatre étamines. Ce pistil se change en un fruit de figure oblongue à deux panneaux qui contient des semences applaties. Cette plante est commune à la Jamaïque & dans plusieurs autres endroits des Indes occidentales, où les chevres la broutent avec délices. (D.J.)


SAMOLUSS. m. (Botan.) cette plante se nomme communément en françois le mouron d'eau, voyez-en l'article au mot MOURON, Botan. (D.J.)

SAMOLUS, s. m. (Botan.) selon Pline, l. XXIV. c. xj. il y avoit une herbe appellée par les Gaulois, samolus, qui naissoit dans les lieux humides, qu'ils faisoient cueillir de la main gauche par des gens qui fussent à jeun ; celui qui la cueilloit ne devoit point la regarder ; il ne lui étoit pas permis de la mettre autre part que dans les canaux où les animaux alloient boire, & il la broyoit en l'y mettant. Moyennant toutes ces superstitieuses précautions, ils croyoient que cette herbe avoit de grandes vertus contre les maladies des animaux, sur-tout celles des boeufs & des cochons. (D.J.)


SAMONIUMSAMONIUM


SAMOREUXS. m. (Marine) bâtiment extrêmement long & plat qui n'a qu'un mât très-long, formé de deux pieces, que des cordages tiennent à l'arriere & aux côtés, & qui navige sur le Rhin & sur les eaux internes de Hollande.


SAMORIEN(Géogr. mod.) petite ville de Hongrie au comté de Comore ; dans la grande île de Schit. Elle est entourée de murailles. Quelques géographes la prennent pour l'ancienne Crumerum, & d'autres pour le lieu qu'on appelloit Admuros. (D.J.)


SAMORINou ZAMORIN, s. m. (Hist. mod.) c'est le nom que l'on donne à un souverain de l'Indostan, dont les états sont placés sur la côte de Malabare, & qui étoit autrefois le prince le plus puissant de cette côte. Sa résidence ordinaire est à Calecut ou Kalicut. Autrefois le samorin ne pouvoit occuper le trône au delà de douze ans ; s'il mouroit avant que ce tems fut accompli, il étoit dispensé d'une cérémonie aussi singuliere que cruelle ; elle consistoit à se couper la gorge en public ; on dressoit un échafaud pour cet effet, le samorin y montoit, après avoir donné un grand festin à sa noblesse & à ses courtisans : immédiatement après sa mort ces derniers élisoient un nouveau samorin. Les souverains se sont actuellement délivré en grande partie d'une coutume si incommode ; lorsque les douze années sont révolues, les samorins se contentent de donner sous une tente dressée dans une plaine, un repas somptueux pendant douze jours de suite, aux grands du royaume ; au bout de ce tems de réjouissances, si quelqu'un des convives a assez de courage pour aller tuer le samorin dans sa tente, où il est entouré de plusieurs milliers de gardes, la couronne est à lui, & il est reconnu samorin en la place de celui à qui il a ôté la vie.

Lorsque le samorin se marie, il ne lui est point permis d'habiter avec sa femme jusqu'à ce que le nambouri ou grand-prêtre en ait eu les prémices ; ce dernier peut même, s'il veut, la garder trois jours. Les principaux de la noblesse ont la complaisance d'accorder au clergé le même droit sur leurs épouses : quant au peuple, il est obligé de se passer des services des prêtres, & de remplir lui-même ses devoirs.


SAMOS(Géogr. anc.) les anciens géographes parlent de plus d'une ville de ce nom.

I. Strabon distingue trois villes ainsi nommées, 1°. la capitale de l'île de Samos ; 2°. une Samos du Péloponnèse en Messénie ; 3°. une Samos du Péloponnèse en Elide, qui depuis long-tems étoit détruite.

II. Les martyrologes d'Adon & d'Usuard, font mention d'une Samos d'Asie dans la Lycie ; ce n'étoit apparemment qu'un bourg ou un village.

III. S. Thomas d'Aquin, fort mal-habile en géographie, met une Samos en Calabre, où, dit-il, Pythagore prit naissance. Mais aucun géographe n'a connu cette Samos de Calabre ; & si Pythagore est né à Samos comme nous le croyons sur le témoignage de Diogene Laërce & d'autres écrivains, c'est dans l'île de Samos en Ionie que ce philosophe vit le jour. (D.J.)

SAMOS, l'île de (Géogr. anc.) île de la mer Méditerranée, sur la côte de l'Asie mineure, entre l'Ionie à l'orient, & l'île d'Icaria, aujourd'hui Nicarie, au couchant, au midi du golfe d'Ephise. Elle est séparée de l'Anatolie par le détroit de Mycale, qui prend ce nom de l'ancienne ville de Mycalessus, ou de la montagne Mycale, qui est en terre ferme le long de ce détroit, auquel on donne environ trois lieues de large.

L'île de Samos avoit été premierement appellée Parthenia, ensuite Driusa, puis Anthemusa ; on l'a aussi nommée Cyparissia, Parthenoarusa, & Stephane. Pline lui donne 87 milles de circuit, & Isidore pour faire le compte rond, en met 100.

Cette île est toute escarpée, & c'est ce qui lui a fait donner le nom de Samos, car selon Constantin Porphirogenete, les anciens grecs appelloient Samos les lieux fort élevés. La grande chaîne de montagnes qui traversent Samos dans sa longueur, se nommoit Ampelos. Sa partie occidentale qui fond dans la mer du côté d'Icaria, retenoit le même nom ; elle s'appelloit aussi Cantharium & Cerceteus, au rapport de Strabon, l. XIV. & l. X. c'est cette roche qui fait le cap de Samos, & que les grecs modernes nomment Kerki.

Du tems que la Grece florissoit, l'île de Samos étoit fort peuplée, cultivée, riche, brillante, & d'une fertilité que les anciens ne se lassoient point d'admirer. On lui applique ce proverbe : les poules y ont du lait : . C'est dans ce charmant séjour qu'Antoine se rendit d'Ephèse avec Cléopatre pour y prendre part aux divertissemens de cette île voluptueuse, pendant que leurs armées sur terre & sur mer acheveroient de se former contre celle d'Octave, avant la bataille d'Actium. Cléopatre ne pouvoit choisir un lieu plus propre à distraire Antoine & à l'amuser. Samos étoit alors le centre des plaisirs ; tout y respiroit la molle oisiveté ; les richesses de la nature y refleurissoient deux fois chaque année ; les figues & les raisins, les roses & les plus belles fleurs y renaissoient presque aussi-tôt qu'on les cueilloit. In eâ insulâ, dit Athenée, bis anno ficos, uvas, mala, rosas, nasci narrat Aethlius. Pline parle des grenades de cette île, dont les unes avoient les grains rouges & les autres blancs ; le gibier étoit meilleur que dans aucun autre pays. Les routes publiques & les rues des villes étoient ombragées de ces saules de l'Ombrie, aussi agréables par leur feuillage que par leur verdure.

Tous les jours se passoient à Samos en fêtes galantes ; les insulaires alloient ensemble au temple de Junon, & s'y rendoient en habillemens pompeux, ayant par-dessous des tuniques blanches comme la neige, & traînantes jusqu'à terre ; leurs cheveux ajustés, & négligemment épars sur leurs épaules, noués avec des tresses d'or, voltigeoient au gré des zéphirs. Couronnés de fleurs, & parés de tous les ornemens les mieux assortis, ils formoient une marche solemnelle, terminée par une milice revêtue de boucliers resplendissans : ut nexi fuerunt, contendebant in Junonis templum, speciosis vestibus amicti, terraeque latè niveis tunicis solum radebant ; comae cincinni insidebant crinibus quos vittis aureis nexos, ventus quatiebat ; pompam claudebant scutati bellatores.

Il seroit difficile d'exprimer quel étoit dans cette île l'excès du luxe & le déréglement des moeurs. Plutarque dit qu'il y avoit un lieu nommé les jardins de Samos, Samiorum flores, où les habitans se rendoient pour y goûter tous les plaisirs que pouvoit imaginer l'obscénité la plus outrée : Samosos plusquàm credibile est luxu corruptos !

Ces insulaires voluptueux ravis de voir Antoine & Cléopatre applaudir à leurs fêtes, à leurs jeux & à leurs plaisirs, auroient souhaité qu'ils ne les quitassent jamais, & méditoient tous les jours de nouveaux moyens de les retenir. Les rois & les peuples des environs, comme tributaires de l'empire, envoyoient à Samos les choses nécessaires pour le service de la guerre prochaine, & en même tems pour contribuer à divertir le triumvir de Rome & la reine d'Alexandrie, tout ce qu'ils croyoient de plus propre à produire cet effet. Antoine ne recevoit pas seulement toutes sortes de secours & de munitions ; mais tout ce qu'il y avoit de plus célebre en comédiens, en musiciens & en danseurs, venoient s'offrir à ses désirs ; ainsi pendant que par toute la terre on gémissoit à la vue des préparatifs d'une guerre sanglante, on ne parloit dans Samos que de théâtres, que de fêtes brillantes ; & l'on disoit hautement : que feront-ils après la victoire, puisqu'ils en font tant avant le combat ?

Telle étoit alors l'île de Samos ; elle avoit plusieurs excellens ports, & entr'autres celui qu'on nomme aujourd'hui le port de Vati, qui peut contenir une armée navale, & sur lequel on avoit bâti une ville, dont les ruines paroissent d'une grande étendue. La capitale de l'île tenoit depuis le port de Tigani, qui est à trois milles de Cora, jusqu'à la riviere Imbrasus, qui coule à cinq cent pas des ruines du temple de Junon. Vitruve prétend que cette capitale & les treize villes d'Ionie, étoient l'ouvrage d'Ion l'athénien.

Quoique Samos soit entierement détruite, M. de Tournefort dit qu'on peut encore la diviser en haute & basse. La ville haute occupoit la montagne au nord, & la basse régnoit depuis le port Tigani jusque au cap de Junon. Ce port célebre est en croissant, & sa corne gauche est cette fameuse jettée, qu'Hérodote, l. III. comptoit parmi les trois merveilles de Samos. Cette jettée étoit haute de 20 toises, & avançoit plus de 250 pas dans la mer. Un ouvrage si rare dans ce tems-là, prouve l'application des Samiens à la marine : aussi reçurent-ils à bras ouverts Aminoclès corinthien, le plus habile constructeur de vaisseaux, qui leur en fit quatre, environ trois cent ans avant la fin de la guerre du Péloponnèse. Ce furent les Samiens qui conduisirent Batus à Cyrène, plus de 600 ans avant Jesus-Christ ; enfin si nous croyons Pline, ils inventerent des vaisseaux propres à transporter la cavalerie.

A l'égard de la largeur de la ville, elle occupoit une partie de cette belle plaine, qui vient depuis Cora jusqu'à la mer, & du côté du midi, & du côté du couchant, jusqu'à la riviere.

La montagne étoit autrefois percée par des cavernes taillées au marteau, ouvrage d'Eupaline, architecte de Mégare, & qui passoit pour une des merveilles de la Grece. " Les Samiens, dit Hérodote, percerent une montagne de 150 toises de haut, & pratiquerent dans cette ouverture, qui avoit 875 pas de longueur, un canal de 20 coudées de profondeur, sur trois piés de largeur, pour conduire à leur ville l'eau d'une belle source. " On voit encore l'entrée de cette ouverture ; le reste s'est comblé depuis ce tems-là. Au sortir de ce merveilleux canal, l'eau passoit sur l'aqueduc qui traverse le vallon, & se rendoit à la ville par un conduit.

Les mines de fer ne manquoient pas dans Samos, car la plûpart des terres sont d'une couleur de rouille. Selon Aulugelle, les Samiens furent les inventeurs de la poterie, & celle de cette île étoit recherchée par les Romains : Samia vasa etiamnùm in esculentis laudantur, dit Pline ; Samos fournissoit en médecine deux sortes de terre blanche, outre la pierre Samienne, qui servoit encore à polir l'or.

Toutes les montagnes de l'île étoient remplies de marbre blanc, & leurs tombeaux n'étoient que de marbre. Une partie des murailles de la ville qui avoient dix piés d'épaisseur & même douze en quelques endroits, étoient aussi bâties de gros quartiers de marbre, taillés la plûpart à tablettes ou facettes, comme l'on taille les diamans. Nous n'avons rien vu de plus superbe dans tout le Levant, dit Tournefort : l'entre-deux étoit de maçonnerie ; mais les tours qui les défendoient étoient toutes de marbre, & avoient leurs fausses-portes pour y jetter des soldats dans le besoin.

Les maisons de la ville de Samos bâties aussi de marbre en amphithéâtre du côté de la mer, offroient le coup d'oeil d'une ville agréable & opulente ; delà vient qu'Horace l'appelle Concinna. Les portiques étoient magnifiques, & son théâtre encore davantage. Quoiqu'on en ait emporté les matériaux pour bâtir Cora, on trouve encore dans les environs des colonnes de marbre abattues, les unes rondes & les autres à pans.

En descendant de la place du théâtre vers la mer, on ne voit, dit Tournefort, dans les champs que colonnes cassées, & quartiers de marbre : la plûpart des colonnes sont ou cannelées, ou à pans ; quelques-unes rondes, d'autres cannelées sur les côtés, avec une plate-bande sur le devant & sur le derriere, comme celle du frontispice du temple d'Apollon à Délos. Il y a aussi plusieurs autres colonnes à différens profils sur quelques terres voisines ; elles sont encore disposées en rond ou en quarré, ce qui fait conjecturer qu'elles ont servi à des temples ou à des portiques. On en voit de même en plusieurs endroits de l'île.

Enfin Junon protectrice de Samos, y avoit un temple rempli de tant de richesses, que dans peu de tems, il ne s'y trouva plus de place pour les tableaux & pour les statues. Hérodote Samien, cité dans Athenée, Deipn. l. XV, comme l'auteur d'un livre qui traitoit de toutes les curiosités de Samos, assure que ce temple étoit l'ouvrage des Cariens & des nymphes, car les Cariens ont été possesseurs de cette île. Nous parlerons de ce magnifique édifice, à l'article des temples de la Grece.

Junon est représentée dans quelques médailles de Samos, avec des especes de bracelets ; ou des broches, comme l'a conjecturé M. Spanheim, chargées d'un croissant. Tristan a donné le type d'une médaille des Samiens, représentant cette déesse ayant la gorge assez découverte. Elle est vêtue d'une tunique qui descend sur ses piés, avec une ceinture assez serrée ; & le repli que la tunique fait sur elle-même, forme une espece de tablier ; le voile pend du haut de la tête ; & tombe jusqu'au bas de la tunique, comme font les écharpes de nos dames. Le revers d'une médaille qui est dans le cabinet du roi, représente ce voile tout déployé, qui fait des angles sur les mains, un angle sur la tête, & un autre angle sur les talons.

On a d'autres médailles de Samos, où Junon a la gorge couverte d'une espece de camail, sous lequel pend une tunique, dont la ceinture est posée en sautoir, comme si l'on vouloit marquer qu'elle eût été déliée. La tête de ces dernieres médailles, est couronnée d'un cerceau qui s'appuie sur les deux épaules, & qui soutient au bout de son arc une maniere d'ornement pointu par le bas, évasé par le haut, comme une pyramide renversée.

Sur d'autres médailles de Samos, on voit une espece de panier qui sert de coëffure à la déesse, vêtue du reste à-peu-près, comme nos religieux bénédictins. La coëffure des femmes turques approche fort de celle de Junon, & les fait paroître de belle taille ; cette déesse avoit sans-doute inventé ces ornemens de tête si avantageux, & que les fontanges ont depuis imités.

M. l'Abbé de Camps avoit un beau médaillon de Maximin, au revers duquel est le temple de Samos, avec Junon en habit de nôces, & deux paons à ses piés, parce qu'on les élevoit autour du temple de cette déesse, comme des oiseaux qui lui étoient consacrés.

De toutes les antiquités de Samos, il ne nous reste que des médailles, & les noms de plusieurs hommes célebres dont elle a été la patrie ; mais je ne parlerai que d'Aristarque, de Choerile, de Pythagore, de Melissus & de Conon.

Aristarque a fleuri un peu avant le tems d'Archimede, qui comme on sait perdit la vie, lorsque Syracuse fut prise par les Romains, l'an 1 de la 142e olympiade. Vitruve nous apprend qu'il inventa l'une des especes d'horloge solaire. Il est aussi un des premiers qui ont soutenu que la terre tourne sur son centre, & qu'elle décrit tous les ans un cercle autour du soleil. Il fut à ce sujet accusé juridiquement d'impiété par Cléanthe, disciple & successeur de Zénon, pour avoit violé le respect dû à Vesta, & pour avoir troublé son repos ; c'est-à-dire, comme l'explique Plutarque, pour avoir ôté la terre du centre de l'univers, & pour l'avoir fait tourner autour du soleil.

Le zele de Cléanthe auroit dû être suspect à ceux qui connoissoient le fond du système stoïcien : car ce système ramenoit tout à une fatalité, & à une espece d'hylozoïsme ou de matérialisme, peu différent du dogme de Spinosa.

Au reste, l'accusation d'Aristarque doit moins nous étonner, que le traitement fait dans le dernier siecle au célebre Galilée : cet homme respectable, auquel l'astronomie, la physique, & la géométrie ont tant d'obligation, se vit contraint d'assurer publiquement comme une hérésie, l'opinion du mouvement de la terre : on le condamna même à la prison pour un tems illimité ; & ce fait est un de ceux qui nous montrent qu'en vieillissant, le monde ne devient pas plus sage.

L'attachement des Athéniens au dogme de l'immobilité de la terre, étoit une suite de l'idée qu'ils s'étoient formée de l'univers, dans le tems qu'ils étoient encore à demi barbares : incapables de concevoir que la terre pût se soutenir à la même place sans un point d'appui, ils se l'étoient représentée comme une montagne, dont le pié ou les racines s'étendent à l'infini, dans l'immensité de l'espace. Le sommet de cette montagne arrondi en forme de borne, étoit le lieu de la demeure des hommes : les astres faisoient leur évolution au-dessus, & autour de ce sommet : il étoit nuit, lorsque la partie la plus élevée nous cachoit le soleil. Xénophane, Anaximene, & quelques autres philosophes, qui feignoient d'être scrupuleusement attachés à l'opinion populaire, avoient grand soin de faire observer que dans leur système, les astres tournoient autour, mais non audessous de la terre.

Il ne nous reste des ouvrages d'Aristarque, que le traité de la grandeur & de la distance du soleil & de la lune, traduit en latin & commenté par Frideric Commandin ; il parut avec les explications de Pappus, l'an 1572. M. Wallis le publia en grec, avec la version de Commandin, l'an 1688, & il l'a inséré au III. tome de ses oeuvres mathématiques, imprimées à Oxford l'an 1699. Au reste il ne faut pas confondre le philosophe Aristarque natif de Samos, avec Aristarque grammairien qui nâquit dans l'île de Samothrace, & dont nous parlerons sous ce mot.

Choerile, poëte de Samos, étoit contemporain de Panyasis & d'Hérodote, avec lequel il fut en étroite liaison ; il écrivit en vers la victoire des Grecs sur Xerxès. Son poëme plut si fort aux Athéniens, qu'ils donnerent au poëte un statere d'or pour chaque vers, (douze livres de notre monnoie), & qu'ils ordonnerent de plus que cet ouvrage seroit chanté publiquement, ainsi que l'on chantoit les poëmes d'Homere : il mourut chez Archélaüs, roi de Macédoine. Il ne faut pas confondre le Choerile de Samos, avec le Choerile Athénien, qui florissoit vers la 64e olympiade, & à qui quelques-uns attribuent l'invention des masques, & des habits de théâtre. L'histoire parle encore d'un troisiéme Choerile, assez mauvais poëte, qui suivit Alexandre en Asie, & qui chanta ses conquêtes ; ce prince avoit coutume de dire qu'il aimeroit mieux être le Thersite d'Homere, que l'Achille de Choerilus.

Cependant au milieu des palmes les plus belles

Le vainqueur généreux du Granique & d'Arbelles,

Cultivant les talens, honorant le savoir ;

Et de Choerile même excusant la manie,

Au défaut du génie,

Récompensoit en lui le desir d'en avoir.

Le premier des anciens sages qui ait pris le nom de philosophe, est le célebre Pythagoras, fils de Mnésarque. Il se rendit tellement illustre par sa science & par sa vertu, que plusieurs pays se sont attribués l'honneur de son lieu natal. Mais la plus commune opinion lui donne pour patrie l'île de Samos. Il est encore plus difficile de concilier ensemble les savans sur l'époque de sa naissance, & la durée de sa vie ; & la multiplicité des sentimens est trop grande, & leur opposition est trop marquée.

Il florissoit du tems du roi Numa, à suivre une ancienne tradition adoptée par quelques écrivains postérieurs, & rejettée par la plûpart des autres : tradition qui sembloit pourtant avoir pour elle, & des témoignages d'auteurs de la premiere antiquité, & des monumens découverts sous le janicule, dans le tombeau même de Numa. Pythagore, au contraire ne vint en Italie que sous le regne de Servius Tullius, selon Tite-Live ; ou sous le regne de Tarquin le superbe, au rapport de Cicéron ; ou même après l'expulsion des rois & sous les premiers consuls, si l'on en croit Solin.

Pline a placé le tems de ce philosophe vers la xlij. olympiade, Denys d'Halicarnasse après la l. la chronique paschale d'Alexandrie à la ljv. Diogène Laërce à la lx. Diodore de Sicile à la lxj. Tatien, Clément d'Alexandrie & quelques autres à la lxij. Il seroit inutile de grossir davantage la liste des contrariétés des anciens auteurs sur ce point de chronologie : contrariétés qui se trouvent encore augmentées plutôt qu'éclaircies par quatre vies que nous avons de Pythagore, écrites dans la basse antiquité ; l'une par Diogene Laërce ; l'autre par Porphyre ; la troisieme par Jamblique ; & la quatrieme par un anonyme, dont Photius nous a laissé l'extrait dans sa bibliotheque.

On a pourtant vu dans ces derniers tems quelques doctes anglois, Stanley, Dodwel, Sloyd & Bentley, entreprendre de déterminer les années précises du philosophe Pythagore. Ils ont marqué l'année d'avant l'ere chrétienne qu'ils ont cru répondre à sa naissance ; Stanley l'an 566, Dodwel l'an 569, Sloyd l'an 586, & Bentley l'an 605. De ces quatre opinions, la derniere est celle qui fait remonter le plus haut l'âge de Pythagore, & il y a des chronologistes qui lui donnent une antiquité encore plus grande.

Selon M. Freret, la naissance de Pythagore n'a pas pu précéder l'an 600, quoiqu'elle puisse avoir été moins ancienne. C'est entre les années 573 & 532 que Cicéron, Diodore de Sicile, Denys d'Halicarnasse, Tite-Live, Aulugelle, Clément Alexandrin, Diogene Laërce, Porphyre, Jamblique, &c. placent le tems auquel Pythagore a fleuri, celui de ses voyages dans l'Orient & dans l'Egypte, & celui de sa retraite en Italie. On prétend qu'il mourut à Métaponte, du-moins Cicéron n'eut point de soin plus pressant que d'y visiter le lieu où l'on croyoit de son tems que ce philosophe avoit fini sa vie.

On lui attribue plusieurs belles découvertes en Astronomie, en Géométrie, & dans les autres parties des Mathématiques. Plutarque lui donne l'honneur d'avoir observé le premier l'obliquité du zodiaque, honneur que d'autres prétendent devoir être dû à Anaximandre. Selon Pline, Pythagore de Samos est le premier qui s'apperçut que la planete de Vénus est la même que l'étoile du matin, appellée Lucifer, & que l'étoile du soir nommée Hesperus ou Vesper. On prétend aussi qu'il a trouvé la propriété du triangle en général & celle du triangle rectangle. Que ces deux découvertes lui soient dûes ou non, on sait qu'il n'est pas possible sans elles d'avancer d'un pas assûré dans les Mathématiques, ou dumoins dans les parties de cette science qui ont l'étendue pour objet.

Il rejettoit le sentiment en musique, & ne considéroit que la proportion harmonique. Ayant en vue d'établir une constance invariable dans les arts en général & dans la musique en particulier, il essaya d'en soustraire les préceptes aux témoignages & aux rapports infideles des sens pour les assujettir aux seuls jugemens de la raison.

Ce philosophe, conformément à ce dessein, voulut que les consonnances musicales, loin d'être soumises au jugement de l'oreille (qu'il regardoit comme une mesure arbitraire & trop peu certaine), ne se reglassent qu'en vertu des seules proportions des nombres qui sont toujours les mêmes. Ainsi, comme dans l'octave le nombre des vibrations de la corde la plus aigue étoit précisément le double de celles de la plus grave, il en concluoit que cette consonnance étoit en raison double, ou de 2 à 1 ; &, en suivant toujours le même principe, que la quinte étoit en raison sesquialtere, ou de 3 à 2 ; la quarte, en raison sesquitierce, ou de 4 à 3 ; & le ton en raison sesquioctave, ou de 9 à 8. Ainsi dans son système, le ton qui faisoit la différence de la quarte à la quinte, ne pouvoit se partager en deux demi-tons égaux ; & par conséquent la quarte avoit d'étendue un peu moins de deux tons & demi, la quinte moins de trois tons & demi, l'octave moins de six tons, & ainsi des autres accords contre ce qu'établissoient là-dessus les Aristoxéniens, en suivant le seul rapport des sens.

Il est étonnant que ce grand personnage ait proposé ses préceptes de morale sous le voile des énigmes. Ce voile étoit si épais, que les interpretes y ont trouvé autant de sens mystiques qu'il leur a plû.

Quant à ce qui regarde sa philosophie, voyez ITALIQUE, secte, & PYTHAGORICIENS.

Melissus vivoit vers la lxxxiv. olympiade, c'est-à-dire vers l'an 444 avant Jesus-Christ, disciple de Parmenide d'Elée, il en suivit les principes ; mais à la Philosophie, il joignit la connoissance de la marine, & obtint dans sa patrie la charge d'amiral, avec des privileges particuliers.

Conon mathématicien & astronome, fleurissoit vers la cxxx. olympiade. Il mourut avant Archimede son ami, qui l'estimoit beaucoup, lui communiquoit ses écrits & lui envoyoit des problèmes. Il inventa une sorte de volute qui différoit de celle de Dinostrate ; mais comme Archimede en exposa plus clairement les propriétés, il fit oublier le nom de l'inventeur, car on l'a nommée non pas la volute de Conon, mais la volute d'Archimede. Nous ne devons pas douter des connoissances astronomiques de Conon, Catulle lui-même, épigr. 65. les a décrites en beaux vers à l'entrée de son poëme sur la chevelure de Bérenice, soeur & femme de Ptolomée Evergetes ; voici le commencement de sa description poétique.

Omnia qui magni dispexit lumina mundi,

Qui stellarum ortus comperit, atque obitus :

Flammeus ut rapidi solis nitor obscuretur,

Ut cedant certis sidera temporibus,

Ut triviam furtim sub Latmia Saxa relegans

Dulcis amor gyro devocet aërio :

Idem me ille Conon coelesti in lumine vidit

E Bereniceo vertice caesariem

Fulgentem clarè....

(D.J.)

SAMOS, l'île de, (Géog. mod.) île de l'Archipel, sur la côte de l'Anatolie, au midi du golfe d'Ephese. Il ne s'agira dans cet article que de décrire cette île d'après Tournefort, c'est-à-dire telle qu'elle est de nos jours. Ce savant voyageur en a donné le plan.

L'île de Samos est éloignée de Nicaria de 18 milles de cap en cap, & de 25 milles de Scalanova. On ne compte aujourd'hui dans cette île que dix à douze mille habitans presque tous grecs ; ils ont un évêque qui l'est aussi de Nicaria, & qui réside à Cora. Les Turcs y tiennent seulement un cadi & un vaivode, pour exiger la taille réelle.

Les Samiens ne ressemblent pas à ceux qui vivoient du tems de Cléopatre ; car ils n'ont plus de fêtes, de théatres & de jeux pour les amuser. Les femmes sont mal-propres, & ne prennent de linge blanc qu'une fois le mois. Leur habit consiste en un doliman à la turque avec une coëffe rouge, bordée d'une sesse jaune ou blanche qui leur tombe sur le dos, de même que leurs cheveux, qui le plus souvent sont partagés en deux tresses, au bout desquelles pend quelquefois un trousseau de petites plaques de cuivre blanchi ou d'argent bas, car on n'en trouve gueres de bon aloi dans ce pays-là. On y recueille néanmoins beaucoup de grain & de fruits ; les raisins muscats y sont admirables, & le vin en seroit délicieux, si l'on savoit le faire ; les figues y sont blanches, trois ou quatre fois plus grosses que celles de Marseille, mais moins délicates ; la soie de cette île est fort belle, ainsi que le miel & la cire. Pour la scammonée de Samos, elle ne vaut guere, & il est surprenant que du tems de Dioscoride on la préférât à celle de Syrie. L'île est pleine de gibier excellent, & les perdrix y sont en prodigieuse quantité.

La ville de Samos, autrefois capitale de l'île, est entierement détruite. Environ à cinq cent pas de la mer, & presque à pareille distance de la riviere Imbrassus vers le cap de Cora, sont les ruines du fameux temple de Junon la samienne, ou la protectrice de Samos.

A onze milles des ruines de ce temple est un grand couvent de la Vierge, situé à mi - côte de montagnes agréables, couvertes de chênes verts, de pins à pignons, de pins sauvages, de philaria & d'adrachné.

Samos ayant été saccagée & dépeuplée après la paix de Constantinople, fut donnée par l'empereur Selim au capitan Bacha Ochialt, lequel y fit passer divers peuples de Grece pour en cultiver les terres. Depuis la mort de cet amiral, le revenu de Samos a été affecté à une mosquée qu'il avoit fait bâtir à Tophana, l'un des fauxbourgs de Constantinople.

Voilà l'histoire de cette île. J'en dirois davantage, si j'avois pu trouver la description que Joseph Georgirene, évêque de Samos, en a fait en grec vulgaire, & qui a été traduite en anglois ; mais je n'ai pu en découvrir aucun exemplaire, & cet ouvrage manque à la bibliotheque du roi. Latit. 37d. (D.J.)

SAMOS, terre de, (Hist. nat. Minéralog.) c'est une terre ou marne très-blanche qui se trouvoit dans l'île de Samos, on la regardoit comme un grand remede contre les hémorrhagies, les diarrhées, & extérieurement contre les inflammations. On formoit aussi des vases avec une terre de Samos, mais il y a apparence que ce n'étoit point avec celle qui vient d'être décrite, puisqu'une marne n'est point propre à faire de la poterie. M. Tournefort croit que c'étoit avec une terre bolaire d'un rouge foncé qui se trouve dans la même île, & sur-tout près de Bavonda.

Il y avoit encore une terre que Dioscoride a appellée aster samius, que M. Hill croit être une marne, d'un gris de cendre mêlée de talc. Voyez d'Acosta natural history of fossils.


SAMOSATE(Géog. anc.) Samosata, au pluriel génitif, orum ; ancienne ville d'Asie sur l'Euphrate, dans la Comagene, dont elle fut la capitale, aux confins de la grande Armenie, & peu loin de la Mésopotamie.

Pline, l. V. c. xxiv. dit, Samosate capitale de la Comagene. Cette ville étoit en effet la résidence d'Antiochus, à qui Pompée avoit accordé la Comagene, dont ses successeurs jouirent jusqu'à Tibere qui la réduisit en province romaine. Caligula & Claudius la rendirent à ses rois, mais elle redevint province sous Vespasien.

Cette ville a dans quelques médailles le prénom de Flavia qu'avoient aussi d'autres villes de l'Orient. Une médaille d'Adrien porte, . c'est-à-dire, Flavia Samosata, Metropolis Commagenes. Une autre de Severe, . &c. Ainsi elle étoit métropole avant la nouvelle division des provinces ; car au tems de cette division, Hiérapolis devint nouvelle métropole de l'Euphratense, province qui répondoit à l'ancienne Comagene.

Quoique Samosate fut une ville épiscopale & même métropole pour le gouvernement civil, elle ne fut jamais métropole ecclésiastique, & son évêque fut toujours suffragant ou d'Hiérapolis ou d'Edesse.

Le tems de la fondation de Samosate est inconnu, suivant Strabon ; Artemidore, Eratosthene & Polybe en ont parlé comme d'une ville subsistante de leur tems. Nous connoissons des médailles de cette ville qui sont très-anciennes, d'un travail grossier, & dont les légendes se lisent difficilement à cause du renversement des lettres ; on y voit d'un côté le génie de la ville représenté par une femme couronnée de tours, assise sur des rochers, & tenant de la main droite une branche de palmier ou des épis, avec la légende . de la ville de Samosate ; le type du revers de ces médailles est un lion passant, qui étoit probablement le symbole distinctif de la ville. Ce type se voit sur plusieurs médailles du cabinet de M. Pellerin, dont quelques - unes donnent le nom de la ville . & sont d'un travail moins grossier que les médailles plus anciennes.

Le type des anciennes médailles de Samosate, le lion passant, se voit sur une autre médaille du cabinet de M. Pellerin au revers de la tête d'un roi qui porte une tiare haute, semblable à celle qu'on voit sur quelques médailles de Tigrane, roi d'Arménie : au revers on lit au-dessus du lion , au-dessous , du roi Antiochus. Cette tête ne ressemble à aucune des têtes des rois Antiochus qui ont regné en Syrie, ni des Antiochus rois de Comagene. Cette médaille ayant été frappée à Samosate, il y a lieu d'inférer que ce roi Antiochus étoit prince d'une dynastie établie en cette ville, différente de la dynastie des Séleucides qui regnerent dans la Syrie, & ensuite dans la Comagene.

M. l'abbé Belley nous donne, dans les Mémoires de l'académie des Inscriptions, l'explication d'une médaille frappée à Samosate, où l'on voit d'un côté la tête du soleil couronné de rayons, & au revers une victoire passante, tenant de la main droite une couronne de lauriers, & de l'autre une palme, avec cette inscription : , & à l'exergue . Par la lecture de cette médaille, M. l'abbé Belley suppose qu'entre les princes que l'histoire nous apprend s'être soulevés contre Antiochus III. dit le grand, roi de Syrie, il y en eut un nommé Samos qui s'établit dans la Comagene, qui y prit le titre de roi, qui y bâtit une grande ville, laquelle en devint la capitale, parce qu'il y fixa son séjour ; que de son nom elle fut appellée Samosate, & que la médaille en question y a été frappée la trente-troisieme année de son regne, ou de l'établissement de cette nouvelle dynastie.

Mais cette supposition qui dément absolument ce que l'histoire nous apprend de la succession des rois de Comagene est entierement détruite dans un mémoire que M. de Boze a fait en conséquence de celui de M. l'abbé Belley ; & cet académicien prouve que tout concourt à persuader que le Samos de la médaille n'est autre que le , roi d'Emese, dont Josephe & Dion font mention, & qui prêta la main à Cesennius Pétus lors de l'expulsion d'Antiochus IV. du nom, dernier roi de Comagene.

Le nom moderne du lieu qui a pris la place de Samosate est Scempsat ; mais il n'y a plus de ville, ce ne sont que des ruines.

Lucien, littérateur grec plein d'esprit, naquit à Samosate de parens obscurs, sous le regne de Trajan. Son pere en voulut faire un sculpteur, mais ayant été maltraité pour avoir rompu une table en la polissant, il quitta la sculpture, & devint un homme supérieur dans les belles-lettres ; il mourut fort âgé sous le regne de Marc Aurele. Il a su réunir dans ses écrits l'utile & l'agréable, l'instruction à la satyre & l'érudition à l'éloquence. On y trouve par-tout ces railleries fines & délicates qui caractérisent le goût attique. Il jette tant de ridicule sur la théologie du paganisme, qu'il a dû passer pour le plus grand impie de son siecle ; cependant en se moquant des faux dieux, il inspire par-tout du mépris pour le vice. Ses ouvrages ont été publiés en grec & en latin par M. Bourdelot à Paris en 1615, in-folio. & M. d'Ablancourt en a donné une traduction françoise. (D.J.)


SAMOSATIENou SAMOSATÉNIENS, s. m. plur. (Hist. ecclés.) secte d'Antitrinitaires qui parurent dans le troisieme siecle, & prirent ce nom de leur chef Paul, évêque d'Antioche, & natif de Samosate, qui vivoit sous les empereurs Aurélien & Probus.

On les appelloit aussi Pauliniens ou Paulianisans, ainsi que les nomment les peres du concile de Nicée .

La doctrine de Paul de Samosate rouloit principalement sur ce fondement, que le fils de Dieu n'étoit point avant Marie ; mais qu'il tenoit d'elle le commencement de son être, & que d'homme il étoit devenu Dieu. Pour le prouver, il usoit de ce sophisme. Si Jésus-Christ n'est pas devenu Dieu, d'homme qu'il étoit, il n'est donc pas consubstantiel au pere, & il faut de nécessité qu'il y ait trois substances : une principale, & les deux autres qui viennent de celle-là. Pour répondre à ce sophisme, les peres du concile d'Antioche dirent que Jésus-Christ n'étoit pas consubstantiel au pere ; prenant le mot consubstantiel au sens de Paul, c'est-à-dire, corporellement. Mais ils ne prirent pas ce terme dans sa signification exacte. Ils s'attacherent seulement à montrer que le fils étoit avant toutes choses ; qu'il n'avoit pas été fait Dieu d'entre les hommes, mais qu'étant Dieu il s'étoit revêtu de la forme d'esclave ; & qu'étant Verbe, il s'étoit fait chair. Fleury, Hist. ecclés. tome II. liv. viij. n °. 1.

Les Samosatiens renouvelloient par conséquent les erreurs d'Artemonius, & ils s'accordoient aussi en plusieurs points avec Sabellius, quoiqu'ils ne s'expliquassent pas de la même maniere. Ils enseignoient bien que le Pere, le Fils & le saint - Esprit étoient un seul Dieu ; mais ils nioient que le Fils & le saint - Esprit fussent des substances réelles. Selon eux, ces personnes divines subsistoient dans le pere, comme le nom d'homme subsiste dans son entendement.

Saint Epiphane croit que les Samosatiens étoient des Juifs qui n'avoient que le nom de Chrétiens, & ajoute qu'ils se servoient des mêmes argumens que les premiers contre le mystere de la Trinité, & qu'ils s'accordoient avec eux en maintenant l'unité d'un Dieu, sans cependant observer les cérémonies du Judaïsme. Paul de Samosate fut condamné & déposé dans un concile tenu à Antioche même par plus de soixante-dix évêques d'Orient, l'an de Jésus-Christ 269, mais ses sectateurs subsistoient encore dans le siecle suivant sous le nom de Paulianistes. Voyez PAULIANISTES.


SAMOTHRACEILE DE, (Géog. anc.) en grec , en latin Samothraca ; île de l'Archipel, à l'embouchure de l'Hébre. La capitale de cette île portoit le même nom, & est fameuse par un temple dont les mysteres n'étoient pas moins respectés que ceux d'Eleusis. C'étoit un asyle si sacré, qu'Octave, lieutenant du conseil, n'osa en enlever Persès, comme le remarquent Tite-Live, livre XLIV. ch. xxv. & Plutarque, dans la Vie de Paul Emile.

Diodore de Sicile, l. V. c. xlvij. nous dit que l'île de Samothrace fut appellée autrefois Samos, & qu'elle ne prit le nom de Samothrace, qu'après que Samos eut été bâtie, & pour en être distinguée. Ses premiers habitans furent des Aborigènes ; & de-là vient qu'il n'est rien parvenu de certain à la postérité touchant leur religion & leurs magistrats.

Les Samothraces, continue Diodore, rapportent qu'ils ont eu chez eux une très-grande inondation, au sujet de laquelle ils firent des voeux aux dieux de la patrie ; & après avoir été sauvés du danger, ils marquerent dans leur île différentes bornes, & y éleverent des autels où ils faisoient encore des sacrifices du tems que Diodore écrivoit.

Les dieux cabires étoient adorés dans cette île, & ce culte tiroit son origine de Phénicie. Les dieux cabires étoient ceux que les Romains appelloient divos potes, les dieux puissans. Ces dieux étoient ; Axioros, c'est-à-dire, Céres ; Axiokersa, Proserpine ; Axiokerse, Pluton ; & Casmillus, Mercure, qui étoit comme leur ministre. On avoit une très-grande vénération pour les mysteres institués en l'honneur de ces dieux ; car on étoit persuadé que ceux qui y étoient initiés, devenoient plus justes & plus saints ; que les dieux cabires les assistoient dans tous les périls ; & que par leur secours, ils étoient surtout préservés du naufrage. C'est pourquoi les plus grands personnages étrangers étoient fort soigneux de se faire initier dans leur culte.

L'île de Samothrace conserva sa liberté sous les Romains. Pline, après avoir dit, que de l'île de Thasos au mont Athos il y a soixante-douze mille pas, ajoute : il y en a autant à l'île de Samothrace, qui est libre devant l'Hébre, à trente-deux milles d'Imbros, à vingt-deux mille cinq cent de Lemnos, & à trente-huit milles de la côte de Thrace. Elle a trente-deux milles de tour. Elle a une montagne nommée Sarce, qui a dix mille pas d'hauteur. C'est de toutes les îles de ce canton celle qui a le moins de havres. Callimaque la nomme Dardanie, de son ancien nom. Son nom moderne est Samandrachi.

Aristarque, célebre grammairien d'Alexandrie, étoit originaire de Samothrace. Il fut précepteur du fils de Ptolomée-Philométor, roi d'Egypte. Ciceron & Elien rapportent que sa critique étoit si fine, si sûre & si judicieuse, qu'un vers ne passoit pas communément pour être d'Homere, si cet habile grammairien ne l'avoit pas reconnu pour tel. Il mourut dans l'île de Cypre d'une abstinence volontaire, à l'âge de soixante-douze ans, ne pouvant plus supporter les douleurs d'une hydropisie dont il étoit cruellement tourmenté. On donne encore aujourd'hui le nom d'Aristarque à tous les censeurs judicieux des ouvrages d'esprit.

L'édition qu'Aristarque fit des poësies d'Homere, quoique fort estimée par le plus grand nombre, ne laissa pas que de trouver des censeurs. Suidas nous apprend que le grammairien Ptolomée-d'Ascalo publia un livre de Aristarchi correctione in Odysseâ, & que Zénodote d'Alexandrie fut mandé pour faire la révision de la critique d'Aristarque. Cependant la sagacité du grammairien de Samothrace continua de passer en proverbe.

On rapporte de lui un bon mot, qu'il ne faut pas obmettre ici : " Je ne puis pas, dit - il, écrire, ce que je voudrois, & je ne veux pas écrire ce que je pourrois ". Mais Aristarque n'est pas le premier ni le seul qui ait tenu ce discours. Nous lisons dans les recueils de Stobée, que Théocrite interrogé pourquoi il n'écrivoit pas, répondit ; " parce que je ne pourrois le faire comme je voudrois, & que je ne veux pas le faire comme je pourrois ". Plutarque rapporte dans la vie d'Isocrate, que cet orateur étant à la table de Nicocréon, roi de Cypre, fut prié de discourir ; & qu'il s'en excusa en disant : " Ce que je sai n'est pas de saison ; & ce qui seroit de saison, je ne le sai pas ". Combien de gens de lettres sont dans le cas d'Isocrate ! (D.J.)


SAMOTHRACES(Géog. anc.) habitans de l'île de Samothrace. Il y avoit aussi des Samothraces dans le continent de la Thrace, au nord de l'île, au couchant de l'embouchure de l'Hébre, au bord de la mer ; & Hérodote, l. VII., n°. 108, nomme murs de Samothrace, un lieu de la Thrace même. (D.J.)


SAMOURS. m. (terme de relation) On nomme ainsi à Constantinople, & dans les autres échelles du Levant, l'animal dont la fourrure s'appelle en France marte-zibeline. Voyez ce mot. (D.J.)


SAMOYEDESLES, ou SAMOIEDES, (Géog. mod.) peuples de l'empire russien, dans sa partie septentrionale, entre la Tartarie asiatique & Archangel, étendus le long de la mer jusqu'en Sibérie.

Quoique ces peuples paroissent semblables aux Lapons, ils ne sont point de la même race. Ils ignorent, comme eux, l'usage du pain ; ils ont, comme eux, le secours des rugiferes ou rennes qu'ils attellent à leurs traîneaux. Ils vivent dans des cavernes, dans des huttes au milieu des neiges : mais d'ailleurs la nature a mis entre cette espece d'hommes & celle des Lapons des différences très-marquées. Leur mâchoire supérieure plus avancée, est au niveau de leur nez ; & leurs oreilles sont plus rehaussées. Les hommes & les femmes n'ont de poil que sur la tête ; le mamelon est d'un noir d'ébene. Les Lapons & les Lapones ne sont marqués à aucuns de ces signes.

Les races des Samoyèdes & des Hottentots paroissent les deux extrêmes de notre continent. Et si l'on fait attention aux mamelles noires des femmes samoyèdes, & au tablier que la nature a donné aux Hottentots, & qui descend à la moitié de leurs cuisses, on aura quelqu'idée des variétés de notre espece animale ; variétés ignorées dans nos villes, où presque tout est inconnu, hors ce qui nous environne.

Les Samoyèdes ont dans leur Morale, des singularités aussi grandes qu'en Physique. Ils ne rendent aucun culte à l'Etre suprême ; ils approchent du Manichéïsme, ou plutôt de l'ancienne religion des Mages, en ce seul point, qu'ils reconnoissent un bon & un mauvais principe. Le climat horrible qu'ils habitent, semble en quelque maniere excuser cette créance si ancienne chez tant de peuples, & si naturelle aux ignorans & aux infortunés.

On n'entend parler chez eux, ni de larcins, ni de meurtres, étant presque sans passions, ils sont sans injustice. Il n'y a aucun terme dans leur langue, pour exprimer le vice & la vertu. Leur extrême simplicité ne leur a pas encore permis de former des notions abstraites ; le sentiment seul les dirige ; & c'est peut-être une preuve incontestable, que les hommes aiment la justice par instinct, quand leurs passions funestes ne les aveuglent pas.

On persuada quelques-uns de ces Sauvages, de se laisser conduire à Moscow. Tout les y frappa d'admiration. Ils regarderent l'empereur comme leur dieu, & se soumirent à lui donner tous les ans une offrande de deux martres-zibelines par habitant. On établit bientôt quelques colonies au-delà de l'Oby, & de l'Irtis ; on y bâtit même des forteresses. Un cosaque fut envoyé dans le pays en 1595, & le conquit pour les czars avec quelques soldats & quelqu'artillerie, comme Cortez subjugua le Méxique ; mais il ne conquit que des déserts, Hist. de Russie par M. de Voltaire.

Les Samoyèdes s'étendent le long de la mer jusqu'en Sibérie. Ils s'établissent au nombre de sept ou huit hommes & femmes, en quatre ou cinq tentes différentes. Ils s'occupent à faire des chaises, des rames, des machines à vuider l'eau des bateaux, &c. Ils sont habillés de peaux de rennes, qui leur pendent depuis le col jusqu'aux genoux, le poil en-dehors. Leurs cheveux sont noirs, épais, comme ceux des Sauvages ; & ils les coupent de tems en tems par flocons. Les femmes en tressent une partie, & y ajoutent pour ornement, de petites pieces de cuivre, avec une bandelette de drap rouge ou bleu : elles portent par-dessus un bonnet fourré. Leur chaussure consiste en bottines. Leur fil est fait de nerfs d'animaux ; leurs mouchoirs sont de nervures de bouleau fort délié, cousues ensemble.

Leurs tentes sont formées d'écorces d'arbres, cousues par bandes, & soutenues avec des perches. Elles sont ouvertes par le haut, pour en laisser sortir la fumée ; l'entrée a environ quatre piés d'élévation, & est couverte d'une grande piece de la même écorce, qu'ils soulevent pour y entrer & pour en sortir ; leur foyer est au milieu de cette tente.

Leurs traineaux ont ordinairement huit piés de long, sur trois piés quatre pouces de large, s'élevant sur le devant comme des patins. Le conducteur est assis sur le derriere, les jambes croisées, en laissant pendre quelquefois une par-dehors. Il a devant lui une petite planche arrondie par le haut, & une semblable, mais un peu élevée par derriere, & tient à la main un grand bâton garni d'un bouton par le bout, dont il se sert pour pousser, & faire avancer les rennes qui les tirent.

Ils ont chez eux des magiciens qui leur prédisent le bien & le mal qui peut leur arriver. Ils ont aussi des gens qui vendent les vents à ceux qui navigent. Pour cet effet, ils donnent à celui qui entreprend quelque voyage, une corde nouée de trois noeuds, en les avertissant qu'en dénouant le premier, ils auront un vent médiocre ; que s'ils dénouent le second, le vent sera fort ; & que s'ils délient le troisieme, il s'élevera une tempête qui les mettra en danger.

Les Samoyèdes prennent à la chasse les chiens marins, lorsqu'ils viennent s'accoupler sur la glace. Ils s'habillent de la peau, vivent de la chair, & employent l'huile à différens usages. Lorsque leurs enfans meurent à la mamelle, ils les enveloppent d'un drap, & les pendent à un arbre dans le bois : mais ils enterrent les autres.

Ce peuple est répandu de différens côtés, jusqu'aux principales rivieres de la Sibérie, comme l'Oby, le Jénicéa, le LÉna & l'Amur, qui vont toutes se décharger dans le grand Océan. En un mot, les Samoyèdes occupent une vaste étendue de pays, des deux côtés de l'Oby, au nord-est de la Moscovie, depuis le tropique jusqu'à l'Océan septentrional. Ils parlent des langues différentes ; car ceux qui habitent la côte de la mer, & ceux qui demeurent aux environs d'Archangel, sur la Dwina, n'ont pas le même langage.

Quoique leur maniere de vivre paroisse triste aux Moscovites, ils la goûtent par préférence à toute autre ; & leurs députés dirent au czar, que si sa majesté impériale connoissoit les charmes de leur climat, il viendroit sans-doute l'habiter par préférence à Moscow.

C'est en vain que les czars ont établi la religion chrétienne chez les Samoyèdes qui leur sont soumis, ils n'ont pu détruire les superstitions de ces peuples, qui mêlent toujours dans leurs enchantemens, les noms de leurs idoles, avec ce que le Christianisme a de plus respectable. (D.J.)


SAMPITS. m. (Hist. mod.) arme dont se servent les habitans de l'île de Borneo ; il leur sert tantôt comme d'un arc pour tirer des fleches empoisonnées, tantôt comme d'un javelot, & quelquefois comme d'une bayonnette qu'ils mettent au bout de leurs fusils.


SAMPSÉENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) anciens hérétiques que S. Epiphane croit être les mêmes que les Elcésaïtes. Voyez ELCESAÏTES.

On ne peut pas mettre absolument les Sampséens au rang des Juifs, des chrétiens ou des païens. Leurs dogmes paroissent avoir été un mêlange de toutes ces religions. Leur nom vient de l'hébreu semes, soelil, parce qu'on prétend qu'ils adoroient cet astre.

D'un autre côté, ils admettoient l'unité de Dieu, ils usoient d'ablutions, & pratiquoient beaucoup d'autres points de la religion judaïque. Plusieurs d'entr'eux ne mangoient point de chair.

Scaliger, après S. Epiphane, croit que les Sampséens étoient les mêmes que les Esséniens. En effet ces mots Elcésaïtes, Sampséens, Massaliens, Esséniens, semblent être différens noms attribués à une même secte, à moins que l'on n'entende par Elcésaïtes, Sampséens & Massaliens, des hérétiques qui ajouterent diverses erreurs aux opinions des Esséniens. Voyez ESSENIENS.


SAMPSUCHUMS. m. (Botan. anc.) , cette plante des Grecs que l'on prend ordinairement pour notre marjolaine, étoit appellée, selon plusieurs savans, amaracum par les Cizicéniens & les Siciliens, chez qui elle croissoit en abondance, & d'où on tiroit la meilleure & la plus estimée. En d'autres endroits de la Grece ce nom amaracum se donnoit à une plante fort différente de la marjolaine, savoir, à la matricaire ; il se donnoit aussi à la pariétaire. Saumaise croit que le véritable sampsuchum venoit d'Egypte, & que c'est un nom égyptien ; enfin il estime que l'amaracum des Grecs ne différoit du sampsuchum des Egyptiens qu'à l'égard du plus ou du moins de force, en quoi ce dernier l'emportoit. Mais ce qui est plus certain, c'est que dans Dioscoride & d'autres anciens auteurs, amaracum & sampsuchum sont des noms de différentes plantes. Dioscoride, en parlant des huiles, distingue oleum sampsuchinum & oleum amaracinum. Méléagre, dans un de ses poëmes où il passe en revue différens poëtes anciens & modernes, compare l'un à la plante qu'on nommoit amaracum, & un autre au sampsuchum. (D.J.)


SAMSCHE(Géog. mod.) province de la Géorgie, dans les terres, & la plus avancée au midi vers l'Arménie qui la borne de ce côté-là, ainsi que le Guriel à l'occident, l'Immirete au nord, & le Caket à l'orient. Elle a son prince particulier qui est tributaire des Turcs. (D.J.)


SAMSOE(Géog. mod.) petite île de Danemarck, sur la mer Baltique, entre l'île de Funen au midi, & le nord-Jutland au septentrion. Sa longueur du nord au sud n'est que d'environ dix mille pas, & cependant il y a cinq paroisses. (D.J.)


SAMUELSAMUEL


SAMYDAS. f. (Botan.) genre de plante décrit par le p. Plumier sous le nom de guldonia ; en voici les caracteres. Le calice particulier de la fleur est très-gros, composé d'une seule feuille divisée en cinq segmens étendus de toutes parts en forme ovale, & qui subsistent quand la fleur est tombée. La fleur est de la forme d'un cone tronqué ; elle est de la longueur du calice, sillonnée, & dentelée dans les bords. Il n'y a point d'étamines, mais seulement de petits sommets arrondis placés au milieu de la fleur ; le germe du pistil est oval ; le stile est de la longueur de la fleur & pointu. Le stile du pistil est au contraire obtus ; le fruit est une baie ovale à quatre sillons profonds ; il est divisé en quatre loges, & contient plusieurs graines faites en forme de rein. Plumier, xxiv. Linnaei gen. plant. p. 520. (D.J.)


SAN BENITou SACO BENITO, s. m. (Hist. mod.) sorte d'habillement de toile jaune, que l'on fait porter à ceux que l'inquisition a condamnés, comme une marque de leur condamnation.

Le san benito est fait en forme de scapulaire ; il est composé d'une large piece qui pend par-devant, & d'une autre qui pend par derriere ; il y a sur chacune de ces pieces une croix de S. André ; cet habit est de couleur jaune, & tout rempli de diables & de flammes qui y sont peintes.

Il est regardé comme une imitation de l'ancien habit en forme de sac que portoient les pénitens dans la primitive Eglise. Voyez PENITENT. Voyez aussi INQUISITION.


SAN LE(Géog. mod.) riviere de la petite Pologne. Elle a sa source aux monts Crapack, vers les confins de la Hongrie, & après un long cours, elle se perd dans la Vistule, presque vis-à-vis Sendomir. (D.J.)


SAN-SAS. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau du Japon, dont le tronc est court, & l'écorce d'un verd brun. Ses feuilles ressemblent à celles du cerisier ; de leurs aisselles, il naît en automne, un ou deux boutons écailleux, de la grosseur d'une balle de fusil, qui venant à s'ouvrir, font éclorre une fleur à six ou sept grands pétales rouges, en forme de rose de la Chine ; une espece de couronne, qui sort du fond de la fleur, produit plus de cent étamines d'un blanc incarnat, courtes & divisées en deux, avec des pointes jaunes. Cette plante a un grand nombre de variétés dans la couleur & dans la forme double ou simple de ses fleurs, qui lui font donner des noms différens. Celle qu'on nomme sasanqua, produit un fruit de la grosseur d'une pistache. Ses feuilles préparées se mêlent avec celles du thé, pour en rendre l'odeur plus agréable ; & leur décoction sert aux femmes pour se laver les cheveux.


SANAA(Géog. mod.) ville de l'Arabie heureuse, dans l'Iémen, à 15 lieues de Moab, à 36 au levant d'Aden, & à 140 de Moka. C'étoit autrefois la résidence des rois d'Iémen, l'air y est tempéré, & les jours presque égaux dans toutes les saisons. Abulféda vante la quantité de ses eaux, la beauté de ses vergers, le nombre de ses habitans & leurs richesses ; mais il faut rabattre beaucoup des exagérations du style oriental. Long. suivant les tables du même Abulfeda, 67. 20. latit. 14. 30. (D.J.)


SANAGENSES(Géog. anc.) ancien peuple de la Gaule narbonnoise, selon Pline, l. III. c. iv. Le p. Hardouin remarque que ce peuple a été nommé dans les siecles suivans Sanicienses, de Sanicium, ville des Alpes sur la côte de la mer, aujourd'hui Senez. (D.J.)


SANAMARI LE(Géog. mod.) par M. Delisle Sinamari ; riviere de l'Amérique méridionale dans la Guiane. Elle coule entre le Maroni & l'île de Cayenne. Le vaste terrein qui est entre ces deux dernieres rivieres, offre d'agréables collines, dont les revers sont en pente douce ; dix mille habitans y seroient à l'aise, & y feroient des sucreries d'un grand rapport, outre que sans culture les cacaotiers, les cotonniers, les rocouyers y viennent d'eux-mêmes ; mais ce n'est pas le terroir qui manque aux hommes, ce sont les hommes qui manquent à la culture du terroir. (D.J.)


SANAMUNDAS. m. (Botan.) c'est un arbrisseau nommé par Tournefort, thymelaea, foliis chamaelaeae, minoribus subhirsutis. I. R. H. 594. Cet arbrisseau s'éleve à la hauteur d'une coudée, & est très-branchu. Sa racine s'enfonce très-profondément en terre, elle est couverte d'une écorce pliante, visqueuse, & qui se divise en un grand nombre de petits filets, & en flocons qu'on prendroit pour de la laine. Ses branches sont couvertes de la même écorce ; mais cette écorce porte sur elle une substance dense, blanchâtre & argentée. Ses feuilles sont semblables à celles du myrte de Tarente ; elles sont seulement un peu plus larges vers le bout, & se terminent en une pointe plus arrondie ; elles sont tout-à-fait couvertes de duvet, douces au toucher, blanchâtres ou argentées, & luisantes. Ses fleurs sont placées au milieu de ses feuilles, elles ressemblent à celles de l'olivier, sont jaunes, oblongues & tétrapétales.

Nous lisons dans Clusius, que son fruit est assez semblable à celui du garon, mais qu'il est noirâtre. Le même auteur dit que ses feuilles sont charnues, gommeuses, d'abord ameres au goût, mais ensuite acrimonieuses & brûlantes.

Cette plante croît aux environs de Marseille. Ses feuilles purgent violemment. Ray. (D.J.)


SANASS. m. (toile de coton) on appelle ainsi des toiles de coton blanches ou bleues, qui ne sont ni fines ni grosses, que l'on tire des Indes orientales, particulierement de Bengale. Les blanches ont à la piece neuf aunes un tiers sur trois quarts à cinq sixiemes de large ; & les bleues onze aunes un quart à douze aunes, sur sept huitiemes de large. Dict. de Comm. (D.J.)


SANATESS. m. (Hist. rom.) nom que les Romains donnoient à leurs voisins, qui après une révolte se soumettoient aussitôt ; cette promte soumission leur procuroit les mêmes privileges qu'à tous les autres citoyens, en vertu d'une loi des douze tables, qui portoit, ut idem juris sanatibus quod foretibus sit. (D.J.)


SANCERRE(Géog. mod.) ville de France, en Berry, aux frontieres du Nivernois, sur une colline, à la gauche & à une portée de canon de la Loire, à 9 lieues au nord-ouest de Nevers, à 10 de Bourges, à 4 de la Charité, en descendant vers Briare & Gien, & à 46 au midi de Paris, avec titre de comté. Long. 20. 31. latit. 47. 18.

Cette ville a été nommée en latin du moyen âge, Saxia, Saxiacum, Saxiacus vicus, Sancerra, Sancerrium, Santodorum ; & même par quelques-uns Sacrum Caesaris, dans l'idée que Sancerre avoit été bâtie par Jules-César ; mais ce conquérant n'en dit pas un seul mot ; & après lui aucun auteur, ni aucune chartre n'en font mention avant Charlemagne ; c'est peut-être ce prince même qui l'a bâtie, & qui la peupla d'une colonie de Saxons ; du moins ne connoît - on pas d'autre origine de ses noms Saxia, Saxiacum & Saxiacus vicus.

Quoiqu'il en soit, elle étoit possédée dans le x. siecle par Thibaut I. comte propriétaire de Chartres, qui avoit une partie du Berry. Elle passa à ses descendans, ensuite à Beraud, comte de Clermont, & dauphin d'Auvergne. Sa fille épousa Jean de Beuil, & par ce mariage ce comté entra & demeura dans cette maison jusqu'en 1640, que René de Beuil le vendit à Henri de Bourbon, prince de Condé ; de-là vient que la maison de Bourbon Condé en jouit aujourd'hui.

La ville de Sancerre étoit autrefois une des places fortes des calvinistes. Charles IX. après le massacre de la S. Barthelemy, résolut de la leur enlever, & la fit assiéger le 13 Janvier 1573. Ce siege est bien mémorable. Les troupes du roi furent repoussées à tous les assauts, & singulierement à l'assaut général qu'elles donnerent le 11 Mars suivant. Il fallut convertir le siege en blocus, & prendre par la famine une place où l'on ne pouvoit entrer de force.

Les historiens rapportent que les réformés souffrirent pendant ce blocus les mêmes extrêmités que les juifs au siege de Jérusalem. Un pere & une mere réduits au désespoir, y mangerent leur propre fils, âgé de 3 ans, & qui venoit de mourir de faim. On ne se nourrissoit plus dans la ville que des bêtes mortes, de peaux, de cornes de piés de boeufs & de vaches, &c. Enfin, on fut obligé de capituler le 25 Août de la même année. Le roi fit abattre le château, & démolir toutes les fortifications. Sancerre ne s'est pas relevée depuis ; ce n'est plus qu'une seigneurie d'environ 20000 liv. de rente, en y comprenant la baronie de Vailly. (D.J.)


SANCIAou SANCHOAN, (Géog. mod.) petite île de l'Océan oriental, sur la côte de la Chine, près du golfe de Quanton, à 18 lieues au couchant de Macao. Son circuit est d'environ 15 lieues, où l'on ne trouve que trois ou quatre villages dépeuplés : on dit que S. François Xavier y a terminé sa carriere, l'an 1552, & qu'il y a été enterré, mais quoiqu'on ignore le lieu de sa sépulture, on a imaginé qu'on l'avoit découvert ; les missionaires jésuites y bâtirent un autel, qui n'a pas subsisté long-tems. (D.J.)


SANCIRv. n. (Marine) c'est couler & descendre à fond. On dit qu'un vaisseau a sanci sous ses amarres, lorsqu'il a coulé bas, & qu'il s'est perdu tandis qu'il étoit à l'ancre.


SANÇOINS(Géog. mod.) on écrit aussi Xançoins ; petite ville, ou plutôt bourg de France, dans le Berry, aux confins du Nivernois, & à 6 lieues de Nevers sur le ruisseau d'Argent. (D.J.)


SANCRATS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans le royaume de Siam les chefs ou supérieurs généraux des talapoins ou prêtres du pays. Celui qui préside au couvent du palais royal est le plus considéré ; cependant les sancrats, dont la dignité ressemble à celle de nos évêques, n'ont aucune jurisdiction les uns sur les autres ; mais chacun d'eux a au-dessous de lui un supérieur de couvent. Il n'y a que les sancrats qui aient droit de consacrer les talapoins ; ces derniers ont pour eux le plus grand respect après qu'ils les ont élus pour remplir cette place. Leur choix tombe communément sur le plus vieux talapoin du couvent.


SANCTIFIANTadj. (Gram.) qui sanctifie. On dit l'esprit sanctifiant ; la grace sanctifiante. Nous avons vu de nos jours des femmes qui prétendoient avoir la grace des merveilles, sans avoir la grace sanctifiante ; par ce moyen elles faisoient sans conséquence des actions très-profanes, & des miracles ; & elles avoient trouvé le secret de se livrer à leurs passions sans nuire à la dignité de leur caractere.


SANCTIFICATIONS. f. terme de Théologie, se prend quelquefois pour la justification, c'est-à-dire, pour la grace qui opere en nous le mérite de la justice chrétienne. Voyez JUSTIFICATION.

Le mot sanctification désigne plus communément les exercices de piété prescrits par l'Eglise, pour solemniser les dimanches & les fêtes ; c'est dans cette acception ordinaire que nous le considérons : il paroît que la sanctification, prise dans ce dernier sens, étoit un peu différente chez les Hébreux. Ce terme dans leur langue désigne moins les idées modernes de la piété, que l'idée plus simple de célébration, de consécration, destination, &c. En un mot, on le voit par les circonstances & par l'emploi des termes, sanctifier signifie proprement dans le style de Moïse : réserver, choisir, consacrer, destiner ; & par une legere extension, il signifie encore célebrer, distinguer, honorer, &c. Ces divers sens, qui reviennent à-peu-près à la même idée, se remarqueront sans peine dans les passages suivans.

Aaron & filios ejus unges, sanctificabisque eos ut sacerdotio fungantur mihi ; filiis quoque Israël dices hoc oleum unctionis sanctum erit mihi in generationes vestras. Caro hominis non ungetur ex eo, & juxta compositionem ejus non faciatis aliud, quia sanctificatum est & sanctum erit vobis. Exod. xxx. 31.

Omnes decimae terrae... Domini sunt & illi sanctificantur. Levit. xxvij. 30.

Populus sanctus es Domino Deo tuo, & te elegit, ut sis ei in populum peculiarem de cunctis gentibus. Deut. xiv. 2.

Quidquid erit sexus masculini sanctificabis Domino. Ibid. xv. 19.

Abstuli quod sanctificatum est de domo meâ, & dedi illud levitae & advenae, pupillo & viduae. Ibid. xxvj. 13.

Ne polluatis nomen meum sanctum, ut sanctificer in medio filiorum Israel, ego Dominus qui sanctifico vos. Levit. xxij. 23.

Sanctificabisque annum quinquagesimum, & vocabis remissionem cunctis habitatoribus terrae tuae, ipse est enim jubilaeus. Ibid. xxv. 10.

Sanctificetur nomen tuum. Matt. vj. 9.

Je croirois faire tort à l'habileté de mes lecteurs, si je présentois l'explication de ces passages ; rien de plus facile à entendre, & rien ne montre mieux aussi que le précepte, sanctification, exprimé en ces mots, memento ut diem sabbati sanctifices, marque simplement l'ordre de consacrer, d'honorer, de célebrer le sabat par la cessation des oeuvres serviles ; c'est dans ce sens qu'il est dit au même endroit, benedixit Dominus diei sabbati, & sanctificavit eum. Dieu bénit le jour du sabat, & le consacra par son repos, c'est-à-dire qu'il en fit un jour solemnel destiné au délassement, & même à la joie, comme nous verrons tout-à-l'heure. Sanctificabis annum quinquagesimum, ipse est enim jubilaeus. Ex. 25. Vous célebrerez la cinquantieme année, tems de joie & d'abolition qui doit opérer la remise des dettes, & rendre aux anciens possesseurs les terres aliénées.

La même destination du sabat est encore mieux prouvée par ces paroles de l'Exode xxxij. 12. Sex diebus operaberis, septimo die cessabis ut requiescat bos & asinus tuus & refrigeretur filius ancillae tuae & advena. Vous employerez six jours à vos différens travaux, mais vous les cesserez le septieme, afin que votre boeuf & votre âne se reposent, & que le fils de votre esclave & l'étranger qui est parmi vous puissent prendre quelque relâche, & même quelque divertissement. J'observe ici, comme on l'a vu à l'article DIMANCHE, que le refrigeretur de la vulgate n'a pas d'autre sens. Cette idée de réjouissance, d'amusemens honnêtes entroit essentiellement dans la sanctification des fêtes en général ; aussi est-ce dans le même sens que le Sauveur dit en S. Marc, sabbatum propter hominem factum est & non homo propter sabbatum. Marc, ij. 27.

Conséquemment à ce principe de police & de religion, les Israëlites célébroient les plus grandes solemnités par des instructions, des sacrifices, des prieres, & sur-tout par des festins de parens, de voisins & d'amis, où les plus aisés devoient admettre nonseulement tous ceux qui composoient leur famille, mais encore les prêtres, les pauvres, & même les esclaves & les étrangers ; l'on voit que Dieu par ces observances, dont il avoit fait un précepte, vouloit accoutumer son peuple à des procédés de bienveillance & de fraternité. On le voit de même dans Isaïe : uniquement touché des oeuvres de justice & de bienfaisance, le Seigneur rejette ces sacrifices & ces cérémonies légales, que des hommes pervers osoient substituer à la vraie piété.

" Ne m'offrez plus, dit Dieu par son prophête, ne m'offrez plus de sacrifices inutilement ; je ne puis plus souffrir vos nouvelles lunes, vos sabbats & vos autres fêtes ; l'iniquité regne dans vos assemblées... Cessez de faire le mal ; apprenez de faire le bien ; examinez tout avant que de juger, assistez l'opprimé, faites justice à l'orphelin, défendez la veuve ". Isaïe, l. XIII. 16. &c.

On retrouve le même esprit dans les passages suivans, que je copie encore d'après Sacy : " Vous célébrerez la fête des semaines en l'honneur du Seigneur votre Dieu, en lui présentant l'oblation volontaire du travail de vos mains, que vous lui offrirez selon la bénédiction que vous aurez reçue du Seigneur votre Dieu ; & vous ferez des festins de réjouissance, vous, votre fils & votre fille, votre serviteur & votre servante, le lévite qui est dans l'enceinte de vos murailles, l'étranger, l'orphelin & la veuve qui demeurent avec vous... Vous célébrerez aussi la fête solemnelle des tabernacles pendant sept jours, lorsque vous aurez cueilli de l'aire & du pressoir les fruits de vos champs, & vous ferez des festins de réjouissances, vous, votre fils & votre fille, votre serviteur & votre servante, le lévite, l'étranger, l'orphelin & la veuve qui sont dans vos villes ". Deut. ib. X. xj. 13. &c.

Telles étoient les pratiques religieuses ordonnées aux Hébreux ; pratiques encore suivies de nos jours par leurs descendans, & qui furent de même fidélement observées par les premiers chrétiens. Dans la suite des tems cette charité si touchante, qui communique avec des freres pauvres & affligés, qui les fait asseoir à sa table, qui s'attache à les consoler ; cette charité, dis-je, fut remplacée par un surcroit d'offices & de prieres, par des fondations, ou par des legs peu couteux à des mourans ; mais l'esprit de fraternité, l'esprit de commisération & de bienfaisance alla toujours en s'affoiblissant. Chacun occupé de son bien-être, ne songea plus qu'à écarter les malheureux, & l'insensibilité pour les pauvres devint presque générale. On se donna bien garde de les accueillir ; on eut honte de les approcher ; à peine trouverent - ils de foibles secours pour traîner une vie languissante, loin du commerce & de la société. Les plus religieux enfin crurent satisfaire au précepte de l'aumône & remplir tous les devoirs de la charité chrétienne, en distribuant les débris du réfectoire à des mendians vagabons ; pratique au moins plus raisonnable que l'indifférence vicieuse, & trop commune dans les maisons des grands, où il se perd d'ordinaire plus de bien qu'il n'en faudroit pour nourrir plusieurs misérables.

La sanctification des fêtes, comme nous l'avons vu, tenoit beaucoup plus de la fraternité chez les Hébreux. Rappellez-vous, dit le Seigneur, que vous futes autrefois esclaves en Egypte, & que cette pensée vous rende compatissans pour les infortunés ; célébrez vos fêtes par des festins, où vous recevrez dans le sein de votre famille les étrangers même & les esclaves, recordaberis quoniam servus fueris in Aegypto... & epulaberis in festivitate tuâ, tu, filius tuus & filia, servus tuus & ancilla, levites quoque & advena, pupillus ac vidua... benedicetque tibi Dominus Deus tuus in cunctis frugibus tuis, & in omni opere manuum tuarum, erisque in laetitiâ. Deut. ib. xiv. 15. Dieu, comme l'on voit ici, attachoit des récompenses à ces pratiques si pleines d'humanité ; le Seigneur, dit l'Ecriture, bénira vos travaux & vos recoltes, & vous serez dans l'abondance & dans la joie.

Tout cela prouve bien, si je ne me trompe, qu'un peu de bonne chere, quelques amusemens innocens propres à charmer nos soucis, ne doivent pas être considérés comme une profanation de nos fêtes ; bibant, dit le sage, & doloris sui non recordentur ampliùs. Prov. xxxj. 7. Nous adorons aujourd'hui le Dieu d'Abraham & le Dieu de Moïse. La loi qu'il leur prescrivit pour le bonheur de son peuple, est au fond invariable ; & Jesus-Christ enfin, qui est venu pour la perfectionner, nous assure, comme on l'a vu, que le sabbat est fait pour l'homme, & non l'homme pour le sabbat.

Il faut l'avouer néanmoins, nous sommes constamment dans la dépendance du créateur, nous tenons de lui l'être, & tous les avantages de la vie ; nous devons donc, comme créatures, lui rendre nos hommages, & reconnoître ses bienfaits. D'ailleurs les rapports de société que nous avons avec les autres hommes nous assujettissent à d'autres devoirs également indispensables. C'est même sur quoi la loi divine insiste davantage ; sans-doute parce que ces rapports sont plus multipliés. Or pour remplir ces différentes obligations, & surtout pour s'en instruire, il n'est pas de tems plus favorable que le dimanche ; aussi est-ce là parmi nous, comme chez les Juifs, l'une des grandes destinations du repos sabbatique. Il est donc vrai que les instructions & les prieres entrent dans l'idée de la sanctification, & qu'elles font partie essentielle de notre culte ; mais toujours pourtant, qu'on ne l'oublie jamais, toujours d'une maniere subordonnée au délassement récréatif si bien exprimé dans les passages allegués ci-devant. Ces instructions & ces prieres nécessaires pour nous rapprocher de Dieu, servent au réglement de nos moeurs, & contribuent même au bien temporel de la société ; mais elles doivent se renfermer en de justes bornes ; elles n'exigent d'ailleurs ni dépenses, ni fatigues ; sans quoi elles deviendroient incompatibles avec le repos du dimanche. Qu'on me permette ici une comparaison qui peut répandre du jour sur la question présente. Que deux ou trois amis aillent passer un jour à la campagne avec leur famille. Tout ce qu'il y a de jeunes gens, après avoir bien repu, ne songent qu'à jouer, qu'à se divertir, & chacun s'en acquite de son mieux ; le tout sans que les parens y trouvent à redire ; c'est au-contraire ce qui les réjouït davantage, tant qu'ils ne voyent rien contre la décence ; & si quelqu'un dans la troupe paroît moins sensible à la joie, ils l'excitent eux-mêmes à s'y livrer comme les autres. Pourquoi Dieu, qui se compare en mille endroits à un pere de famille, seroit-il irrité des plaisirs honnêtes que les fêtes procurent à ses enfans ?

Il résulte de tout ceci, que des offices & des cérémonies qui ne finissent point, que des discours instructifs à la vérité, mais ordinairement trop étendus, que de longues assistances à l'église, & qui deviennent couteuses ou fatigantes, ne quadrent guere avec la destination d'un jour, qui promet à tous la quiétude & le rafraîchissement. Non facies in eo quidquam operis... ut requiescat servus tuus & ancilla tua sicut & tu. Deut. v. 14. Ut refrigeretur filius ancillae tuae & advena. Exod. xxiij. 14. Sabbatum propter hominem factum est, &c. Marc, ij. 27.

Concluons que la sanctification du dimanche admet aujourd'hui, comme autrefois, d'honnêtes délassemens pour tous les citoyens, même pour les esclaves ; ce qui n'exclut sans-doute ni les instructions, ni les prieres, qui font, comme on l'a dit, une partie essentielle du culte religieux ; instructions & prieres, en un mot, qui renfermées en des justes bornes, & supposées sans peine & sans fatigue, n'ont rien d'incompatible avec le repos sabbatique des Chrétiens. Article de M. FAIGUET.


SANCTIFIERv. act. voyez l'article SANCTIFICATION.

SANCTIFIER, (Critique sacrée) ; ce verbe signifie rendre pur d'une pureté légale ; ce qui se pratiquoit dans l'ancienne loi par certaines cérémonies ; 2°. ce verbe veut dire, honorer, glorifier, sanctificetur nomen tuum ; que vous soyez honoré & loué de toutes les créatures ; 3°. vouer, consacrer, ou par le ministere, comme la tribu de Lévi, Exod. xxviij. 41. ou par la prophétie, comme Jérémie, Exod. j. 5. ou par l'usage, comme le jour du sabbat, Exod. xvj. 23. C'est ainsi que le temple, l'autel, & les vases furent sanctifiés au Seigneur ; c'est-à-dire, furent destinés aux usages de son culte ; ou enfin par l'oblation, comme les premiers nés ; 4°. sanctifier, veut dire, dans saint Luc, chap. x. 36. donner, conférer un ministere sacré. La sanctification de Jesus-Christ a été sa mission, sa vocation à la charge de Messie ; 5°. sanctifier, se prend pour préparer, disposer, sanctifices, sanctifiez-les pour le jour de la mort, dit Jérémie, xij. 13. c'est-à-dire, préparez - les comme des victimes pour le jour du sacrifice ; 6°. ce mot signifie dénoncer, déclarer, sanctificate jejunium, Joël, j. 14. ordonnez-leur un jour de jeûne ; 7°. rendre légitime l'usage de quelque chose. Le mari infidele est sanctifié par la femme fidele, I. Cor. vij. 14. cela signifie, que le commerce qu'ils ont ensemble, n'a rien d'illégitime ; il suffit pour cela que l'une des parties soit fidele. , se prend ici comme dans le sens des viandes sanctifiées, I. Timoth. iv. 4. c'est - à - dire, dont l'usage est permis. De-là vient que le mot ne pas sanctifier, signifie prophaner ; sacerdotes non sanctificabunt populum in vestibus suis ; les prêtres ne prophaneront point leurs habits sacerdotaux, en les portant dans la compagnie du peuple. (D.J.)


SANCTIONS. f. (Loix civiles & naturelles) la sanction est cette partie de la loi qui renferme la peine établie contre ceux qui la violeront.

La peine est un mal dont le souverain menace ceux de ses sujets qui entreprendroient de violer ses loix ; il leur inflige effectivement cette peine lorsqu'ils les violent ; & cela dans la vûe de procurer du bien à l'état, comme de corriger le coupable, de donner une leçon aux autres, & de rendre la société sûre, tranquille, & heureuse.

Toute loi a donc deux parties essentielles : la premiere, c'est la disposition de la loi, qui exprime le commandement & la défense ; la seconde est la sanction, qui prononce le châtiment ; & c'est la sanction qui fait la force propre & particuliere de la loi ; car si le souverain se contentoit d'ordonner simplement, ou de défendre certaines choses, sans y joindre aucune menace, ce ne seroit plus une loi prescrite avec autorité ; ce ne seroit qu'un sage conseil.

L'on demande si la sanction des loix ne peut pas consister aussi-bien dans la promesse d'une récompense, que dans la menace de quelque peine ? Je réponds d'abord qu'en général je ne vois rien dans la sanction des loix qui s'oppose à la promesse d'une récompense ; parce que le souverain peut suivant sa prudence prendre l'une ou l'autre de ces voies, ou même les employer toutes deux.

Mais comme il s'agit ici de savoir quel est le moyen le plus efficace dont le souverain se puisse servir pour procurer l'observation de ses loix, & qu'il est certain que l'homme est naturellement plus sensible au mal qu'au bien ; il paroît aussi plus convenable d'établir la sanction de la loi dans la menace de quelque peine, que dans la promesse d'une récompense. L'on ne se porte guere à violer les loix, que dans l'espérance de se procurer quelque bien apparent qui nous séduit. Ainsi le meilleur moyen d'empêcher la séduction, c'est d'ôter cette amorce, & d'attacher au contraire à la désobéissance un mal réel & inévitable.

Si l'on suppose donc que deux législateurs voulant établir une même loi, proposent l'un de grandes récompenses, & l'autre des peines rigoureuses, il est certain que le dernier portera plus efficacement les hommes à l'obéissance, que ne feroit le premier. Les plus belles promesses ne déterminent pas toujours la volonté ; mais la vûe d'un supplice ébranle, intimide. Que si pourtant le souverain par un effet particulier de sa bonté & de sa sagesse, veut réunir ces deux moyens, & attacher à sa loi un double motif d'observation, il ne restera rien à désirer de tout ce qui peut y donner de la force ; ce sera la sanction la plus complete . Voilà pour les loix civiles ; mais il importe de rechercher s'il y a une sanction des loix naturelles, c'est-à-dire, si elles sont accompagnées de menaces & de promesses, de peines & de récompenses.

La premiere réflexion qui s'offre là-dessus à l'esprit, c'est que ces regles de conduite que l'on appelle loix naturelles, sont tellement proportionnées à notre nature, aux dispositions primitives, & aux desirs naturels de notre ame, à notre constitution, à nos besoins, & à l'état où nous nous trouvons dans ce monde, qu'il paroît manifestement qu'elles sont faites pour nous. En général, & tout bien compté, l'observation de ces loix, est le seul moyen de procurer & aux particuliers & au public, un bonheur réel & durable : au lieu que leur violation jette les hommes dans un désordre également préjudiciable aux individus & à toute l'espece. C'est - là comme une premiere sanction des loix naturelles ; mais si cette premiere sanction ne paroît pas suffisante pour donner aux conseils de la raison, tout le poids & toute l'autorité que doivent avoir de véritables loix, rien n'empêche de dire, que par l'immortalité de l'ame, ce qui manque dans l'état présent à cette sanction des loix naturelles, s'exécutera dans la suite, si la sagesse divine le trouve à propos. (D.J.)


SANCTORIENNETABLE, (Médecine) depuis que Sanctorius a mis au jour la connoissance de la transpiration insensible, on a été curieux de calculer la quantité de cette évacuation, proportionnellement à celle des excrémens, de l'urine, &c. & l'on en a formé des tables indicatives ; mais les plus curieuses sont celles que le docteur Lining a fait d'après ses observations à Charles-Town, ville de la Caroline méridionale. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 470. & 475. (D.J.)


SANCTUAIRES. m. (Gramm. & Théologie) c'étoit chez les Juifs la partie la plus secrette, la plus intime, & la plus sainte du temple, dans laquelle étoit l'arche d'alliance, & où nul autre que le grand-prêtre n'entroit ; encore n'étoit-ce qu'une fois l'année au jour de l'expiation solemnelle.

Ce sanctuaire, qui est aussi appellé le saint des Saints, sancta sanctorum, étoit la figure du ciel, & le grand-prêtre celle de Jesus-Christ, le véritable pontife qui a pénétré les cieux pour être notre médiateur auprès de son pere.

On donnoit le même nom de sanctuaire, à la partie la plus sacrée du tabernacle qui fut dressé dans le désert, & qui subsista encore quelque tems après la construction du temple.

Quelquefois le nom de sanctuaire se prend en général pour le temple ou pour le lieu saint, pour le lieu destiné au culte public du Seigneur ; ce qui a fait penser à quelques auteurs, que le temple entier étoit appellé sanctuaire, & que le saint des Saints, étoit une chapelle ou oratoire placée dans le temple.

Peser quelque chose au poids du sanctuaire, est une expression usitée qui signifie examiner quelque chose avec la derniere équité ; parce que chez les juifs, les prêtres avoient des poids & des mesures de pierre qui servoient à régler toutes les autres. Voyez POIDS DU SANCTUAIRE.

Sanctuaire, parmi les Catholiques, signifie la partie du choeur la plus voisine de l'autel, dans laquelle le célébrant & les ministres se tiennent pendant la messe ; elle est même ordinairement séparée du choeur par une balustrade, & les laïcs ne doivent jamais s'y placer.

Sanctuaire a été employé dans un sens particulier, sur-tout chez les Anglois, pour signifier les églises qui servoient d'asyles aux malfaiteurs, ainsi que cela s'est pratiqué jusqu'au regne d'Henri VIII. Les coupables étoient à l'abri de la recherche de leurs crimes, si retirés dans ces asyles, ils reconnoissoient leur faute dans l'espace de quarante jours, & se soumettoient eux - mêmes au bannissement. Si pendant ces quarante jours un laïc les chassoit de l'asyle, il étoit excommunié ; un ecclésiastique encouroit pour le même fait la peine d'irrégularité.

Du nombre de ces asyles ou sanctuaires, étoient les églises de saint Jean de Beverley, dans la province d'Yorck ; celle de saint Martin le grand à Londres ; la cathédrale de Ripon aussi en Yorckshire, érigée en asyle par Withlafe roi de Mercie ; celle de saint Burien dans la Cornouaille, en vertu du privilége accordé par le roi Athelstan, en 936 ; & celle de Westminster, érigée en asyle par saint Edouard. Voyez ASYLE & FRANCHISES.


SANCTUSSACER, (Lang. lat.) ce ne sont pas deux termes synonymes dans la langue latine ; & nous les traduisons ordinairement au rebours en françois. Proprie sancta dicimus, quae sanctione quâdam confirmata, ut leges sanctae sunt ; sanctione enim quâdam sunt subnixae. Dig. leg. 9. §. 3. Le sens du mot sanctus, répond donc à ce que nous appellons sacré ou inviolable dans notre langue ; & saint au contraire, répond au sens du mot sacer ; quoique ces deux mots viennent visiblement du latin. (D.J.)


SANCUSS. m. (Mythol.) nom du dieu que les Romains honoroient sous le nom de deus fidius, dieu de la foi, & qui étoit reconnu des Grecs pour Hercule, comme l'enseigne Varron. Castalion pense que ce n'étoit point un nom plus particulier d'Hercule, que des autres dieux. On a trouvé plusieurs inscriptions où on lit, Sanctus, sanctus, deus fidius ; on cite entr'autres une pierre qu'on voit à Tibur, sur laquelle ces paroles sont gravées, Sanco, sancto, deo fidio, sacrum.

Sancus est un mot sabin, le même que Sabus, pere de Sabinus, qui donna son nom aux Sabins. Ces peuples le reconnoissoient pour dieu ; quand ils furent admis dans Rome, ils y transporterent leur dieu Sancus, & les Romains lui bâtirent un temple auprès de celui de Quirinus. Outre ce nom, on l'appella Sangus, Sanctus, & Fidius. Tite - Live le nomme simplement Sancus, & le met au nombre des semones, c'est-à-dire, des demi-hommes. C'étoit ainsi que les Romains appelloient certains dieux, qu'ils ne croyoient pas dignes du ciel, mais qu'ils regardoient au-dessus des hommes ordinaires. C'est en ce sens qu'il faut entendre cet endroit de Tite-Live, bona Semoni Sanco censuerunt consecranda : Ovide dans ses fastes, fait mention de tous ces détails :

Quaerebam nonas Sanco Fidiove, referrem

An tibi Semo pater ; tunc mihi sanctus ait, &c. (D.J.)


SANDterme de Géographie ; ce mot veut dire sable en allemand, en flamand, en anglois, & dans les autres langues dérivées de la langue teutonique. Il entre très-souvent dans la composition des mots géographiques de ces langues, & toujours dans la signification de sable. (D.J.)


SANDALARIUS-VICUS(Géog. anc.) quartier & rue de l'ancienne ville de Rome ; cette rue s'appelloit aussi Sandaliaris-Vicus ; Galien en fait mention. Une ancienne inscription porte, D. M. M. Afrani, Heliodori, Magistri, Vici - Sandaliarii, M. Afranius, Itumol, patrono, Fec. Une autre inscription fait connoître que cette rue étoit dans le quatrieme quartier de la ville : Sext. Fonteius, O L. Rophinius, C. N. Pompeius, C. N. L. Nicephor. Mag. ViciSandaliari, Reg. IV. anni XVIII. D. D.

Cela est conforme à Publius Victor, qui met le temple d'Apollon surnommé Sandaliarius, dans le quatrieme quartier de Rome ; Apollon prenoit ce surnom de cette rue, & Suétone marque que le temple avoit été bâti par Auguste. Il acheta, dit-il, les plus précieuses statues des dieux, & les dédia par quartiers, comme l'Apollon Sandaliarius, le Jupiter Fragédus, &c. Cette rue étoit le quartier des Libraires ; Aulugelle dit, l. XVIII. c. iv. in Sandalario apud Librarios fuimus. (D.J.)


SANDALES. f. (Hist. anc. & mod.) sorte de chaussure ou pantoufle fort riche, qui étoit faite d'or, de soie, ou d'autres étoffes précieuses, & que portoient autrefois les dames grecques & romaines ; elle consistoit en une semelle, dont l'extrêmité postérieure étoit creusée pour recevoir la cheville du pié, la partie supérieure du pié restant découverte.

Térence dit, en parlant de cette sorte de chaussure,

Utinam tibi commitigari videam sandalis caput.

plut-à-Dieu qu'elle vous cassât la tête avec sa sandale.

Apollon étoit quelquefois nommé sandaliarius, faiseur de sandale. Les critiques ont été fort embarrassés sur la raison pour laquelle on lui donnoit ce nom ; quelques auteurs le font venir d'une rue appellée vicus sandaliarius, qui étoit habitée principalement par des faiseurs de sandales, & où ce dieu avoit un temple ; mais d'autres font venir avec plus de vraisemblance le nom de la rue, de celui du dieu, & croyent qu'Apollon avoit été appellé ainsi, à cause de sa parure efféminée, comme s'il portoit des sandales de femme.

M. Burette, dans ses dissertations sur la musique des anciens, dit qu'ils se servoient de sandales de bois ou de fer, pour battre la mesure, afin de rendre la percussion rythmique plus éclatante.

Sandale signifie aussi une espece de soulier ou de pantoufle que portent le pape & les autres prélats quand ils officient & qui, à ce qu'on croit, est semblable à la chaussure que portoit S. Barthelemi.

Alcuin dit qu'il y avoit quelque différence entre les sandales des évêques & celles des prêtres & des diacres.

Il n'étoit permis aux moines de porter des sandales que quand ils voyageoient, selon la remarque de Ducange, de Saumaise, &c.

Sandale est encore le nom d'une espece de pantoufle ou soulier découpé par-dessus, que portent aujourd'hui les religieux reformés de différentes congrégations ; elle consiste en une simple semelle de cuir, liée avec des courroies ou des boucles par dessus le haut du pié, qui est presque entierement à nud, à-peu-près comme les peintres peignent le bas du brodequin des anciens. Les capucins portent des sandales, & les récollets des socles ; les sandales sont toutes de cuir, au lieu que la semelle des socles n'est que de bois.

SANDALE, s. f. terme de maître d'escrime ; ce mot se dit parmi les maîtres d'armes, d'un soulier qui n'a qu'une demi empeigne, & qui n'a point de talon. On le met ordinairement au pié droit. (D.J.)

SANDALE, (Marine) sorte de bâtiment du levant, qui sert d'allege aux gros vaisseaux. Voyez ALLEGE.


SANDALINES. f. (Gram. & Com.) petite étoffe qui se fabrique à Venise, & qui se commerce aux Indes occidentales.


SANDALIONou SANDALIUM, (Géog. anc.) île d'Asie, sur la côte d'Ionie ; veut dire une espece de soulier & de chaussure de femme, & cette île étoit ainsi nommée, parce qu'elle en avoit la figure. C'étoit une des trois îles que Pline, l. V. c. xxxj. nomme Trogilies, auprès de Mycale. Cet auteur remarque, l. III. c. vij. que Timée appelloit l'île de Sardaigne Sandaliotis, sans-doute par la même raison, à cause de sa figure en forme de sandale. (D.J.)


SANDANUS(Géog. anc.) riviere de la Thrace, prise en général, qui comprenoit tout le mont Athos, & s'étendoit jusqu'à la Paraxie. C'est sur le bord de cette riviere que Philippe fut atteint d'une fleche tirée par Astère, Olynthien, qui écrivit sur la fleche ces paroles : Astère envoye à Philippe cette fleche mortelle. En effet ce prince repassa le Sandanus à la nage, ayant perdu un oeil de cette blessure. (D.J.)


SANDAPILA(Littérat.) ce mot désigne chez les Romains, une biere, un cercueil fait pour porter en terre les pauvres gens, popularis sandapila. Ce même mot s'appliquoit aux bieres des criminels executés à mort. On appelloit ceux qui portoient en terre les cadavres des uns & des autres, sandapilarii. (D.J.)


SANDARACURGIUM(Géog. anc.) montagne de l'Asie mineure, aux environs de Pompéïopolis, ville de la Galatie, selon Strabon, l. XII. p. 562. Ce nom veut dire un lieu où l'on travailloit le sandarac ; aussi Strabon ajoute que cette montagne étoit creuse, par les souterrains qu'on y avoit percés en y travaillant ; on y employoit des malheureux qui avoient été vendus à cause de leurs mauvaises actions ; car outre que ce travail est fort pénible, poursuit le géographe grec, on dit que l'air de ces mines est mortel à cause des fortes exhalaisons des matieres qu'on y remue ; c'est pourquoi on a interrompu ce travail dont on tiroit peu de fruit, & les ouvriers y périssoient par centaines. (D.J.)


SANDARAQUES. f. (Hist. des drog. exot.) on a donné ce nom à trois différentes substances, qu'il est important de distinguer avec M. Geoffroi. 1°. A une espece d'arsenic rouge, que les Grecs nomment ; c'est pourquoi on l'appelle sandaraque des Grecs, pour la distinguer des autres especes : 2°. à la resine de génevrier, que les Arabes nomment sandarach ou sandarax, & que leurs interpretes ont appellée sandaraque des Arabes : 3°. à une substance qui tient le milieu entre le miel & la cire, que l'on trouve souvent à part dans les endroits vuides des ruches, & c'est la nourriture des abeilles lorsqu'elles travaillent ; on appelle cette troisieme sorte de sandaraque, sandaracha, erithace, & caerithus, comme Pline le rapporte. Cette derniere espece n'est ni d'usage, ni connue dans les boutiques.

La sandaraque des Grecs est nommée par les Arabes, zarnich - alimer, ou réalgar, qui signifie poison ; en effet c'est notre orpiment, ou notre arsenic rouge, qui est un très-grand poison, sur lequel voyez ORPIMENT, ou REALGAR ; car c'est la même chose.

Il nous reste donc seulement à parler ici de la sandaraque des Arabes, qui est le vernis, la gomme, ou la résine des genevriers ; on l'appelle dans les boutiques, sandaracha, vernix, gummi juniperinum. grec. Sandarax arab. C'est une substance résineuse, séche, inflammable, transparente, d'un jaune pâle ou citrin, en gouttes semblables au mastic, d'un goût résineux, d'une odeur pénétrante & suave quand on la brûle ; elle ne se dissout pas dans l'eau, mais seulement dans l'huile, ou l'esprit de vin. On estime celle qui est brillante, transparente, jaunâtre ; on nous l'apporte des côtes d'Afrique par Marseille.

Cette résine découle d'elle-même dans les pays chauds, ou par les incisions que l'on fait à l'écorce du génevrier en arbre, & du cèdre baccifère à feuilles de cyprès. La sandaraque qui découle de ce cèdre, a une odeur plus suave quand on la brûle, & est par cette raison plus estimée ; mais on en trouve très-rarement dans les boutiques. La sandaraque du génevrier est employée extérieurement pour la guérison des ulcères, & en fumigation pour les catharres ; elle sert à faire une poudre dont on frotte le papier pour l'empêcher de boire ; on l'emploie sur-tout pour en préparer un vernis liquide, en la faisant dissoudre dans l'huile de lin, de térébenthine, de spic, ou dans de l'esprit-de-vin. (D.J.)


SANDARESUSS. m. (Hist. nat. Lithol.) pierre dont parle Pline, & qu'il dit être transparente, & d'un jaune d'or.


SANDAVA(Géog. anc.) ancienne ville de la Dacie, selon Ptolémée, l. III. c. viij. ses interpretes croyent que c'est Schesburg. Ils ont pris cette opinion de Lazius, de repub. rom. l. XII. (D.J.)


SANDECZ(Géog. mod.) ville de la petite Pologne, au palatinat de Cracovie, près du mont Krapack, sur les frontieres de la Hongrie, à 10 milles au sud-est de Cracovie, & à 8 des salines de Vielisca. Elle a dans ses environs des mines de cuivre. Long. 38. 55. latit. 49. 52. (D.J.)


SANDI-SIMODISINO(Hist. mod. superst.) c'est le nom que les negres du royaume de Quoja, dans les parties intérieures de l'Afrique, donnent à des jeunes filles, qui sont pendant quatre mois séparées du reste des humains, & qui vivent en communauté sous des cabanes bâties dans les bois, pour recevoir de l'éducation ; la supérieure de cette espece de communauté, s'appelle soguilli ; c'est une matrone respectable par son âge ; les jeunes filles qui doivent être élevées dans cette retraite, sont toutes nues, pendant le tems de leur séjour dans cette école ; on les conduit à un ruisseau où on les baigne, on les frotte avec de l'huile, & on leur fait la cérémonie de la circoncision, qui consiste à leur couper le clitoris, opération très-douloureuse, mais qui est bientôt guérie ; l'éducation consiste à leur apprendre des danses fort lascives, & à chanter des hymnes très-indécens, en l'honneur de l'idole sandi ; quand le tems du noviciat est expiré, la dame supérieure conduit ses éleves au palais du roi, au milieu des acclamations du peuple, elles font devant sa majesté les exercices qu'elles ont appris, après quoi on les remet à leurs parens qui sont charmés des talens que leurs filles ont acquis.


SANDIES. f. (Botan.) mélon d'eau du Pérou & du Brésil. Les sandies sont rondes & grosses comme des potirons, leur chair est semée de pepins arrondis, les uns rouges, les autres noirs, & d'autres jaunes. (D.J.)


SANDRAHAS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre de l'île de Madagascar, qui s'éleve fort haut & fort droit. Son bois est plus noir que l'ébene, & prend un poli aussi brillant que la corne ; les plus gros de ces arbres n'ont que six à sept pouces de diamêtre.


SANDULA(Architect. des Rom.) terme qu'on trouve dans Vitruve, & qui répond à ce que nous nommons du bardeau. C'étoient de petits ais de bois, minces, & dont les Romains se servoient au-lieu de tuiles pour couvrir les maisons. Cornélius Nepos nous apprend qu'ils furent dans cet usage jusqu'à la guerre de Pyrrhus, c'est-à-dire, jusqu'à la quatre cent soixante & dixieme année de la fondation de Rome. (D.J.)


SANDWICH(Géog. mod.) ville d'Angleterre, au comté de Kent, avec titre de comté, à 18 lieues au sud - est de Londres. C'est un des cinq ports du royaume, & dont les députés au parlement sont appellés barons des cinq - ports.

Nous avons dit au mot Rutupiae, que le port d'Angleterre qui du tems des Romains se nommoit portus Ritupensis, ou portus Ritupae, étoit extrêmement célébre, & c'est, selon quelques savans, sur les ruines de Rutupiae, qu'on a bâti Sandwich.

Quoi qu'il en soit, la ville située sur ce port, fut ruinée par les Danois, rétablie depuis, & incendiée sous le roi Jean ; on la releva de ses cendres ; mais sous le regne de la reine Marie, l'entrée de son havre fut tellement bouchée dans une nuit, par un gros navire qui y coula à fond à l'inscu de tout le monde, qu'on n'a jamais pu depuis y rémédier.

M. Moore, avant qu'on eût connu la cause de cet événement singulier, fut envoyé sur les lieux par la reine Marie, pour la découvrir ; les habitans peu capables de l'éclairer, lui députerent un vieillard qui se flattoit d'avoir là-dessus plus de lumieres que ses compatriotes. " Je suis bien âgé, dit-il, & je me rappelle d'avoir vu bâtir le clocher de Tinterton ; il n'étoit question alors ni de bancs de sables, ni de bas fonds, qui empêchassent l'entrée du havre de Sandwich ; ainsi je pense que le clocher de Tinterton en est la cause ". M. Moore rit beaucoup de cette idée, & depuis lors elle est devenue un proverbe anglois, qui s'employe quand quelqu'un rend une raison absurde d'un fait dont on demande l'explication. (D.J.)


SANDYX(Hist. nat. Peinture) on ne connoît point quelle est la substance que les Grecs appelloient sandyx. Quelques-uns ont cru qu'ils désignoient sous ce nom une couleur d'un rouge éclatant, dont on se servoit dans la peinture ; d'autres ont dit que c'étoit un verd tirant sur le bleuâtre. Strabon dit que les Peintres de son tems faisoient usage d'une couleur appellée Armenium pictorium ; & que quelques autres donnoient à cette même couleur le nom de sandycis metallum : elle étoit d'un bleu tirant sur le verd. On croit que la couleur appellée zarnich, par les Arabes, est le sandyx des anciens : Avicenne dit qu'elle étoit ou jaune, ou rouge, ou verte. On présume que par celui qui étoit jaune ou rouge, il a voulu désigner l'orpiment ; & par celui qui étoit verd, le lapis Armenus.


SANÉ(Géog. anc.) ville de Thrace, entre le mont Athos, & la presqu'île de Pallène, selon Hortelius. Hérodote, lib. VII. c. xxij. la met dans l'isthme du mont Athos, auprès du fossé creusé par Xerxès. Thucydide, parlant des villes du mont Athos, met au bord du fossé même Sane, qu'il dit être une colonie de l'île d'Andros. Etienne le géographe, l'abréviateur de Strabon & Plutarque, quaest. graec. en font aussi mention. (D.J.)


SANED(Hist. mod.) c'est le nom que l'on donne dans l'Indostan, à des patentes ou privileges, accordés par le grand-mogol, à certaines provinces ou districts.


SANGS. m. (Anat. & Physiol.) est le nom que l'on donne à la liqueur renfermée dans les arteres qui battent, & dans les veines correspondantes à ces arteres. Voyez ARTERE & VEINE.

Le sang paroît à la premiere inspection, homogene, rouge & susceptible de coagulation dans toutes les parties du corps ; mais différentes expériences nous ont appris qu'il a différens caracteres.

L'hydrostatique nous fait découvrir qu'il y a dans le sang quelque chose de volatil, qui s'exhale continuellement du sang en forme de vapeur, & dont l'odeur tient le milieu entre la mauvaise odeur de l'urine, & celle de la sueur. Cette vapeur contenue dans ses propres vaisseaux, paroît aqueuse, & comme chargée d'une couleur qui tire sur l'alkali.

Le sang de l'homme le plus sain se coagule en une masse tremblante, facile à rompre : il s'épaissit davantage si on l'expose à une chaleur moindre que celle de l'eau bouillante, & même de 150 degrés. On l'a vu se réunir en forme de gelée dans les veines pendant la vie, & dans ceux qui mouroient de fievres violentes. La partie rouge du sang constitue la partie principale de ce coagulement, auquel cette couleur rouge est propre, & qui la communique à toutes les autres parties du sang. Cette même partie du sang, qui peut se réunir en une masse confuse lorsqu'elle est en repos, exposée à un petit froid, à une chaleur de 150 degrés, & mêlée avec l'esprit de vin, avec les acides minéraux, est cependant molle, à-moins qu'elle ne soit endurcie par une trituration pareille à celle qu'elle supporte pendant la vie, ou par quelques secousses semblables. Elle est pesante, & presque plus d'un onzieme qu'un pareil volume d'eau ; elle est toute inflammable lorsqu'elle est dépouillée de son phlegme : la partie rouge fait la moitié & plus de la masse du sang dans les tempéramens sanguins, & le séreux un tiers de la masse ; dans la fievre il se réduit à la quatrieme ou la cinquieme partie.

Ce qui se présente ensuite, c'est la partie blanchâtre & jaunâtre du sang ; & quoiqu'elle paroisse aussi homogene, elle ne l'est cependant pas. Elle est en général plus pesante d'un trente-huitieme qu'un égal volume d'eau ; & plus légere d'un douzieme que le coagulum. Elle se coagule si on l'expose à une chaleur de 150 degrés ; qu'on la mêle avec les acides & l'esprit de vin, & qu'on l'agite, ses caillots sont plus durs que ceux de la partie rouge du sang. Ils sont si glutineux, qu'on ne peut les résoudre, en membrane, & enfin en un corps aussi solide que de la corne. C'est cette humeur qui produit la couënne que l'on remarque dans le sang des pleurétiques, les polipes & les membranes artificielles. On découvre dans ce séreux, outre la partie albumineuse qui peut se coaguler, une eau simple qui en constitue la plus grande portion, & quelque chose de muqueux qui file, & qui néanmoins ne se coagule pas comme la partie albumineuse, par le feu, ni par les acides.

Il n'est que la pourriture & la force de l'air échauffé à 96 degrés, qui puissent occasionner une dissolution fétide dans toute la masse du sang, & sur-tout dans le serum ; car la partie séreuse en est la plus susceptible : la partie rouge l'est moins. A la longue, la partie rouge & la lymphe se changent enfin en une exhalaison fétide & volatile, & déposent un sédiment au fond du vase dans lequel elles se sont corrompues.

Le sang une fois dissous par la pourriture ne peut plus se coaguler ; & lorsqu'une fois il a été coagulé par l'esprit de vin, il ne peut plus se dissoudre.

Outre toutes ces parties que l'on découvre avec facilité dans le sang, il est encore chargé d'une assez grande quantité de sel marin, que l'on distingue par sa saveur légèrement salée, & quelquefois avec le microscope. La nutrition, de même que l'analyse chymique, font voir qu'il est aussi chargé de terre, mêlée avec les parties les plus fluides, & sur-tout avec l'huile. Enfin il y a dans le sang un air non élastique qui est en assez grande quantité, & on s'en assure par la pourriture du sang & du serum, & en pompant l'air qui l'environne. Il ne s'ensuit pas de-là que les globules soient des bulles aériennes, puisqu'elles sont spécifiquement plus pesantes que le serum.

La Chymie nous a fourni différens moyens pour découvrir la nature du sang. Si on expose le sang que l'on a tiré d'un homme sain à un petit feu, il s'en évapore une grande quantité d'eau qui faisoit plus des 5/6 de toute la masse ; elle est presque insipide, & cependant empreinte d'une huile fétide qui se fait sentir de plus en plus, à mesure que la distillation approche plus de sa fin. En exposant le reste à un feu plus fort, il fournit des liqueurs alkalines de différentes especes, dont la premiere est fétide, âcre, rousse & formée d'un sel volatil dissous dans de l'eau, fait environ la douzieme partie de tout le sang.

Il s'éleve avant, & pendant que l'huile s'en détache, un sel volatil sec, qui s'attache par flocons rameux aux parois du ballon : il est en petite quantité, & ne fait pas moins de la cinquantieme partie du sang.

L'autre liqueur qui s'éleve plus lentement est plus pesante, & d'abord jaunâtre, puis noire, ensuite aussi tenace que de la poix, âcre & inflammable ; c'est l'huile du sang humain, elle est en petite quantité, & en fait environ la cinquantieme partie.

Il reste au fond le charbon du sang, tout poreux, inflammable, qui détonne lorsqu'on l'enflamme & se réduit en cendres. L'on retire de cette cendre, après la lessive, un sel mêlé de sel marin & d'un alkali fixe, & un peu de terre ; le sel fixe fait à-peine la quatrevingtieme partie du sang, dont presque la quatrieme est alkaline. On tire au moyen d'un feu violent, de cet alkali quelque chose d'acide, qui tire en partie sur celui de l'esprit du sang, & qui a en même tems quelque rapport avec les alimens tirés des végétaux, dont le caractere n'est pas encore totalement détruit ; c'est ce qui fait qu'on le trouve dans les animaux qui vivent des végétaux, de même que dans l'homme. La terre qui est la cent cinquantieme partie environ, est chargée de quelques particules que l'aimant attire. Le serum distillé donne les mêmes principes que tout le sang ; il fournit cependant moins d'huile & beaucoup plus d'eau.

Cette analyse fait voir qu'il y a dans le sang des liquides plus pesans & plus tenaces les uns que les autres ; qu'il y en a d'aqueux, d'inflammables, & qu'une très-grande partie du sang tend plus à la pourriture & à la nature alkaline : car tant que le sang n'est pas altéré, & qu'il est à-couvert de la pourriture & d'une trop grande chaleur, il ne s'alkalise, ni ne s'aigrit, il est au contraire doux & peu salé ; il est cependant âcre dans certaines maladies, & très-disposé à la pourriture. Par exemple, dans le scorbut dans lequel il ronge les vaisseaux qui le renferment ; dans l'hydropisie où l'eau devient presque alkaline. On trouve dans celui des insectes une chaux alkaline, qui fait effervescence avec les acides.

Les acides violens & l'esprit de vin coagulent le sang. Les acides doux, les sels alkalis, même fixes, & sur-tout les volatils, les acides végétaux & le nitre, le dissolvent ; il ne fait effervescence avec aucun sel. Le mouvement violent, une trop grande chaleur extérieure, fait tomber le sang en pourriture.

Si l'on examine le sang nouvellement tiré dans un tuyau de verre, ou dans les veines des animaux vivans, à-travers le microscope, on y distingue des globules rouges, mols, de figure variable, & qui constituent ce qu'on appelle proprement le cruor, ou la partie du sang renfermée dans les arteres & les veines sanguines.

Ces globules nagent dans un fluide moins dense, dans lequel on distingue avec le microscope, des globules jaunes, plus petits que les rouges, qui ont été auparavant de cette couleur ; & qui par la chaleur & le frottement se changent en de plus petits semblables. De grands hommes après bien des expériences, ont évalué le diamêtre d'un globule rouge de sang, à 1/324 pouce.

On observe, après un examen le plus recherché à-travers le microscope, dans l'eau pâle qui reste & dans laquelle les premiers globules nageoient, des globules aussi transparens que l'eau, & quelques petites pointes de sel.

C'est de ces expériences, comparées les unes avec les autres, que l'on a tiré toutes ces connoissances que l'on a sur le sang. On sait donc que le sang est composé de globules qui se réunissent en une masse confuse lorsque la vapeur qui les tenoit en dissolution s'en exhale, & parce qu'alors leur force d'attraction est plus grande. La partie rouge du sang desséchée & qui s'enflamme, nous fait voir la nature inflammable de ces globules si on la jette dans le feu ; c'est ce que prouve aussi le pyrophore qu'on tire du sang humain, & il est très-vraisemblable que l'huile poisseuse que l'on retire du sang par un feu violent, vient encore de-là.

Le serum jaunâtre qui paroît aussi composé de globules nageant dans l'eau, est tel que nous l'avons décrit ci-dessus. Il se trouve dans une espece de liquamen aqueux & plus fin, dont on ne peut distinguer les particules de l'eau des autres principes, mais en plus petite quantité, dont il est composé ; principes que le feu fait dégénérer en sels alkalis. Les distillations de la salive, du mucus, de l'humeur de l'insensible transpiration, en fournissent autant de preuves.

On ne peut déterminer au juste la quantité du sang ; il est constant que le poids des humeurs surpasse de beaucoup celui des parties solides ; mais plusieurs de ces humeurs ne circulent point ; telles sont la graisse & le suc glutineux qui unit les différentes parties. Si on en peut juger par les grandes hémorrhagies qui n'ont cependant pas fait perdre la vie, par les expériences faites sur les animaux, desquels on a tiré tout le sang, par la capacité des arteres & des veines, les humeurs qui circulent peuvent s'évaluer au moins à 50 livres, dont la cinquieme partie constitue ce qu'on appelle le vrai sang ; les arteres en contiennent environ la cinquieme partie, & les veines les quatre autres.

La proportion de ces élémens n'est pas toujours telle que nous l'avons dit jusqu'à présent : l'exercice, l'âge viril augmente le sang renfermé dans les vaisseaux sanguins, sa rougeur, sa force, sa densité, la cohésion de ses parties, la dureté du serum coagulé, son poids & ses principes alkalis ; au contraire, si on est jeune, oisif, qu'on ne boive que de l'eau, & qu'on ne vive que de végétaux, toutes ces causes diminuent le volume du sang des vaisseaux sanguins, rendent les parties aqueuses plus abondantes, & augmentent à proportion le serum & le mucus qu'il contient ; la vieillesse en augmente la partie rouge, & diminue la partie gélatineuse.

La partie rouge du sang paroît sur-tout propre à produire la chaleur, puisque la chaleur est toujours proportionnée à cette partie : elle l'arrête dans les vaisseaux du premier genre, parce que la grosseur de ses globules l'empêche de passer outre ; & comme ils reçoivent du coeur un mouvement commun à toutes les autres parties, elles ont plus de vîtesse qu'elles, à raison de leur plus grande densité ; de-là ils impriment par cette raison le mouvement aux liqueurs des genres inférieurs ; c'est là pourquoi la partie rouge du sang étant trop diminuée par de fréquentes saignées, le sang séjourne dans les plus petits vaisseaux ; on devient gros, hydropique, & ainsi le renouvellement de la masse du sang paroît dépendre de la présence de la quantité convenable de cette partie rouge ; en effet, les hémorrhagies font dégénérer le sang, qui de sa nature est rouge & épais, en une humeur pâle & séreuse.

Le serum, principalement celui qui se coagule, est sur-tout destiné à la nutrition des parties, à la dissolution des alimens, à arroser la surface externe & interne des cavités du corps humain, à entretenir la souplesse dans les solides, au mouvement des nerfs, à la vue, &c. M. Haller, Physiol.

Les globules rouges du sang ne différent de ceux qu'on trouve dans le chyle, qu'en ce qu'ils sont composés de plusieurs ; leur couleur ne dépend que de cet assemblage, car quand on les sépare, ils reprennent leur blancheur ; de-là vient que tout ce qui paroît rouge dans un sang qu'on expose à l'air, se convertit enfin en sérosité ; car les petits globules qui se séparent les uns des autres recouvrent leur blancheur. La même chose arrive dans le sang lorsqu'il est renfermé dans le corps ; car lorsqu'il a roulé un certain tems dans ses vaisseaux, il change de nature ; ses globules sont fouettés continuellement par les vaisseaux, qui étant aidés de l'action de la chaleur qui survient, divisent les parties du sang, & les réduisent enfin en une sérosité, laquelle se filtre par les couloirs des visceres, ou s'exhale par les pores des poumons & de la peau.

La cause de cette rougeur a fait former bien des systêmes ; celle qui a été reçue le plus généralement est le mêlange du nitre de l'air avec le sang dans les poumons ; quelques expériences chymiques paroissent confirmer cette idée. Mais 1°. avec des sels alkalis on donne de la rougeur au lait : quelle raison aura-t-on donc d'attribuer la couleur du sang au nitre plutôt qu'à des sels alkalis ? l'on peut dire avec autant de vraisemblance qu'un sel lixiviel sorti de la terre ou mêlé avec les alimens, produit la couleur rouge, quand il vient à s'alkaliser par la chaleur du corps : d'ailleurs ne pourra-t-on pas trouver dans l'air quelque miniere de sel alkali, de même qu'on y trouve du nitre ? 2°. on ne sauroit prouver qu'il y ait du nitre dans l'air ; du-moins n'est-il pas concevable qu'il se trouve dans ce fluide une si grande quantité de ce sel.

Je ne parlerai pas ici de ceux qui ont autrefois attribué au foie la rougeur du sang ; on sait que Bartholin l'a dépouillé de cette faculté ; mais je crois qu'on peut lui rendre en partie les fonctions qu'on lui a refusées : il n'est pas prouvé que le chyle ne passe pas des veines mésentériques dans le foie ; au contraire, nous savons que cela arrive dans les oiseaux : des expériences mêmes semblent prouver que la même chose se trouve dans l'homme.

Mais comment est-ce que les globules unis peuvent prendre la couleur rouge par cette union précisément ? On a dit que les couleurs consistoient dans les modifications de la lumiere ; mais par des expériences réitérées, on s'est convaincu que les couleurs étoient particulieres à certains rayons de lumiere.

Les globules dans les gros vaisseaux teignent en rouge toutes les liqueurs qui s'y trouvent ; il ne faut pas pour cela qu'ils soient en une quantité extraordinaire ; on voit qu'il ne faut que peu de vin rouge pour teindre un grand verre d'eau.

La petite quantité des globules rouges fait que les extrêmités capillaires des arteres ne sont pas colorées ; car comme ces globules ne peuvent passer que l'un après l'autre dans les filieres, il s'ensuit que pour un globule rouge il y aura une grande quantité d'eau & de lymphe, & par là la couleur rouge doit se trouver absorbée ; de plus, ces petits globules se trouvant comprimés, leur figure doit changer, ainsi la couleur doit souffrir quelque changement ; aussi a-t-on remarqué que les globules en passant par les extrêmités artérielles, s'applatissent & prennent une couleur jaunâtre ; on apperçoit de petits globules blancs & diaphanes, qui ne sont autre chose que les parties huileuses de la lymphe, qui n'ont encore ni assez de mouvement, ni assez de pression pour changer de couleur.

La rougeur du sang est-elle absolument nécessaire ? On trouve des insectes qui n'ont dans leurs vaisseaux qu'une liqueur blanchâtre & diaphane ; avec ce fluide ils vivent, ils font tous les mouvemens dont leurs petits muscles sont capables.

Le sang n'a pas la même couleur dans tous ses vaisseaux : si l'on ouvre un chien d'abord après qu'il a mangé, on verra qu'il se trouve dans les arteres pulmonaires une matiere blanchâtre mêlée avec le sang ; mais dans les veines le sang est plus rouge ; cela s'ensuit évidemment de ce que nous avons dit. La rougeur du sang dépend de la cohésion des globules du chyle ; ces globules, par la pression qu'ils ont soufferte, ont été unis dans les arteres capillaires ; il est donc nécessaire que le sang soit plus rouge dans la veine pulmonaire que dans l'artere.

Il y a encore une autre différence de couleur dans le sang qui se trouve en divers vaisseaux ; le sang artériel est fort rouge, mais le sang veineux est noirâtre ; cela s'ensuit de même de ce que nous avons établi. La rougeur du sang dépend du mouvement qui se trouvant moins fort dans les veines, doit aussi produire moins d'effet ; mais il y a une raison qui prouve mieux que cette différence doit arriver : c'est que le sang artériel est rempli de lymphe, au lieu que le sang veineux en est privé ; par conséquent les globules rouges se trouvent en plus grande quantité à proportion dans les veines, & le sang doit y paroître d'une rougeur plus foncée & approchante du noir.

Quand on tire du sang des veines & des arteres du même animal, on y remarque une différence : le sang des arteres a à-peu-près la même couleur dans sa surface & dans le fond ; mais le sang veineux est fort noirâtre au fond ; je suppose au reste que l'on mette ce sang dans un vaisseau un peu profond : la différence de couleur ne vient que de ce que le sang artériel est beaucoup plus raréfié & plus mêlé que le sang veineux ; le mouvement qui se trouve dans les arteres & qui manque dans les veines, doit nécessairement produire cet effet.

Outre la partie rouge dont nous venons de parler, y a-t-il dans le sang des parties fibreuses ? Il s'est trouvé des anatomistes qui avec raison, ont nié l'existence de ces parties ; mais il s'est trouvé des physiciens qui leur ont fait diverses réponses pour prouver qu'il y avoit dans le sang de ces sortes de parties. Voyez M. Senac, ess. de Physiq.

Toutes ces matieres qui composent le sang sont agitées de deux mouvemens ; l'un est le mouvement de circulation dont nous avons parlé, & l'autre le mouvement intestin, c'est-à-dire le mouvement des parties sanguines en tout sens. Voyez CIRCULATION.

Le mouvement intestin n'est point prouvé comme le mouvement circulaire, au contraire il souffre beaucoup de difficulté ; on ne nie pas que les parties qui composent le sang n'aient des mouvemens différens dans leurs vaisseaux ; leurs diverses réflexions, l'élasticité de l'air, l'action des vaisseaux ; tout cela doit imprimer divers mouvemens aux diverses parties qui composent le sang ; mais ce qu'on nie, c'est que le mouvement intestin soit essentiel à sa fluidité, c'est-à-dire que le sang ne soit fluide que parce que ses parties sont diversement agitées : une matiere peut être très-fluide quoique toutes ses parties soient dans un repos parfait ; il suffit seulement que ces parties puissent céder à la moindre impulsion ; or cela arrivera nécessairement dès qu'elles ne seront pas unies. Je crois qu'il n'y a personne qui puisse soutenir que la désunion ou la non-adhérence des parties de la matiere, ne puisse exister sans mouvement ; ce sentiment ne souffre pas tant de difficulté que l'autre, on s'épargne par-là la peine de chercher une cause de cette agitation, qu'on a cru trouver dans la matiere subtile, mais que rien ne sauroit prouver ; on ne peut concevoir dans ce fluide un mouvement continuel qui porte ces parties de tous côtés, la raison en est évidente ; car si l'on veut établir un mouvement en tous sens, il faut qu'on dise qu'il n'y a pas d'endroits vers lequel quelque partie de ce fluide ne se meuve ; or si cela est, il n'y aura point de partie en mouvement qui n'en trouve quelqu'une qui aura autant de force qu'elle dans son chemin ; elle ne pourra donc pas se mouvoir, ni par conséquent aucune des autres. Enfin nous nions qu'il y ait dans le sang un principe qui par lui-même donne la fluidité, laquelle ne dépend absolument que du mouvement des vaisseaux ; car les grumeaux qu'on voit dans les vaisseaux de la grenouille qui a été exposée à un froid vif, ne peuvent pas se dissoudre par la chaleur qu'on leur communique en approchant la grenouille du feu ; mais dès que le mouvement du coeur augmente, les grumeaux se divisent dans un instant. Les mouvemens de circulation & de fluidité ne sont pas les seuls qu'on a attribués au sang ; on lui a encore voulu donner un mouvement de fermentation : le sang, dit-on, a des principes acides & alkalis qui, heurtant continuellement les uns contre les autres, doivent nécessairement produire le mouvement que l'on nomme fermentation, comme cela arrive aux liqueurs qui ont ces principes ; mais comme ces principes sont mêlés de parties sulphureuses qui les séparent, il s'ensuit que la fermentation ne doit se faire que peu-à-peu ; au premier instant quelques parties sulphureuses sortiront de l'entre-deux de quelques acides & de quelques alkalis ; au second instant la même chose arrivera à d'autres parties ; ainsi la fermentation se fera successivement : on apporte encore plusieurs autres raisons pour prouver qu'il y a dans le sang un tel mouvement fermentatif. 1°. Dit-on, le chyle se change en sang ; or dans le sang les parties sont changées, & la proportion des principes qui le composent n'est pas la même que dans les parties du chyle ; tout cela, selon plusieurs, ne peut se faire sans fermentation. 2°. Le sang se change en diverses humeurs, & dans ce changement il y a un changement de substance qui ne peut se faire sans fermentation. 3°. Dans le foin & l'avoine, on ne trouve pas de sel urineux ; cependant les animaux qui se nourrissent de ces matieres donnent beaucoup de ce sel par l'analyse ; or ce sel ne sauroit se former sans la fermentation non-plus que le sel salé ; toutes ces raisons sont soutenues de l'analyse de toutes les liqueurs du corps humain, que l'on peut voir à leurs articles particuliers, SALIVE, SUC PANCREATIQUE, SEMENCE, URINE, &c.

Quelque chose que l'on dise, on ne sauroit établir de fermentation dans le sang ; les matieres qui le composent sont fort huileuses : or on sait par la Chymie que l'huile empêche les fermentations ; les acides du vinaigre qui ont dissout le plomb, & qui sont mêlés avec beaucoup d'huile, comme l'analyse nous l'apprend, ne bouillonnent point avec les alkalis : il y a plusieurs autres exemples que je ne rapporterai pas. 2°. Jamais il n'y a eu de fermentation sans repos ; or comment trouver ce repos dans le sang qui est porté par tout le corps avec une grande rapidité.

3°. Mais, objectera-t-on, comment se peut former du sel salé du sang, s'il n'y a pas de fermentation ? A cela je réponds que les acides du vinaigre qui a dissout le plomb, formeront le sel salé avec des alkalis ; cependant on n'y remarque pas de fermentation : d'ailleurs la pression du coeur & des vaisseaux, & la chaleur du sang, feront entrer les acides dans les alkalis, & cela suffira pour former un sel salé, &c.

Toutes ces raisons étant supposées, on peut prouver qu'il n'est pas besoin de fermentation pour former & entretenir la chaleur dans le corps humain. 1°. Les parties solides du corps humain sont très-propres à s'échauffer par les frottemens : on l'expérimente à chaque moment par l'action des mains ou de quelque autre partie. 2°. Dès que le coeur viendra à agir par ses mouvemens alternatifs, il poussera les parois artérielles, qui par leurs vibrations fréquentes s'échaufferont peu-à-peu. 3°. Les vibrations des arteres ayant fort échauffé les autres parties solides, il arrivera que cette chaleur se communiquera aux fluides, ainsi les solides seront la seule cause de la chaleur dans le corps humain. 4°. Les parties fluides qui sont dans les vaisseaux, sont très-propres à s'échauffer, puisqu'elles sont fort huileuses ; ainsi elles pourront s'échauffer beaucoup. 5°. Par ce que nous venons de dire, on se débarrasse facilement de la difficulté qu'on fait d'ordinaire contre ce sentiment ; savoir comment il se peut faire que les fluides s'échauffent beaucoup dans notre corps sans fermentation, puisque l'eau qu'on bat ne s'échauffe jamais. On en trouve aisément la raison dans ce que nous venons de dire ; s'il n'y avoit que de l'eau dans le corps, la chaleur seroit suffoquée, mais il y a d'autres matieres : d'ailleurs si les parois des vaisseaux étoient bien fortes, & que l'eau n'empêchât pas l'esprit animal de couler dans les nerfs, la chaleur pourroit se faire sentir. On n'a qu'à imbiber d'eau des pieces de bois qui s'échauffent facilement, on verra que si on les frotte long-tems l'une contre l'autre, elles s'échaufferont : or cela ne peut se faire qu'il ne survienne quelque chaleur dans l'eau contenue dans les pores ; de plus, s'il y avoit un principe d'élasticité dans l'eau comme dans le sang, la chaleur surviendroit de même par les mouvemens de ce fluide, comme par le mouvement du sang. 6°. Il y a une expérience qui prouve que la cause primitive de la circulation & de la chaleur, est l'action des vaisseaux. Qu'on prenne une grenouille, qu'on l'ouvre & qu'on l'expose au froid, on verra que le sang qui est dans le mésentere se coagulera & se réduira en grumeaux. Si l'on présente ces vaisseaux au feu, les grumeaux subsistent toujours, l'action des parties ignées ne les résout point ; mais dès qu'on présente le coeur de la grenouille au feu, & qu'il commence à battre, dès lors tous les grumeaux disparoissent, & la circulation se revivifie, comme nous avons déja dit. De-là il s'ensuit évidemment que ce n'est pas la chaleur qui donne la fluidité au sang, que ce n'est que l'action des parties solides qui le divisent ; que sa chaleur est un effet du mouvement des vaisseaux, & qu'elle n'est pas même absolument nécessaire, puisqu'elle n'est qu'une suite du ressort des fibres. S'il arrivoit que ces fibres pussent avoir assez de force pour diviser le sang, mais qu'elles n'en eussent pas assez pour s'échauffer, le sang ne seroit nullement chaud, quoiqu'il fût fluide. 7°. On peut voir par tout cela que le sang qui sera trop agité par les parties solides, s'échauffera davantage, tendra à s'alkalifier, deviendra plus âcre. 8°. On peut expliquer pourquoi la chaleur devient plus forte quand la circulation trouve quelque obstacle : les arteres se trouvant plus dilatées, agissent avec plus de force ; ainsi la chaleur doit se faire sentir plus fortement. Voyez M. Senac, essais phys.

On peut concilier tout ce que nous venons de dire du sang, avec les différentes especes de tempéramens que les anciens ont établies. Si le sang abonde en globules rouges ou du premier genre, cet état sera celui que les anciens appelloient tempérament sanguin ; & on rendra raison par-là des symptômes particuliers à ce tempérament. Si les globules rouges sont en petite quantité dans le sang, & que celui-ci soit fluide & séreux, ce sera ce qu'ils appelloient tempérament phlegmatique. S'il arrive, par quelque cause que ce soit, que le sang se trouve surchargé de parties grossieres, épaisses, & difficiles à mettre en mouvement, parties que les anciens ont régardées comme les principaux ingrédiens de l'atrabile, ce sera pour lors cette constitution qu'ils ont appellée mélancolique, temperamentum melancolicum. Nos alimens en général sont d'une matiere acide, ou participent de cette qualité ; mais par les altérations qu'ils ont à souffrir dans notre corps, ils passent bientôt dans un état neutre : la structure du corps des animaux est telle, que la circulation par sa force en atténuant de plus en plus les parties du sang, corrige leur acidité, & les animalise pour ainsi dire ; elle les rend volatils & en état de passer par la voie de la transpiration : c'est cette même force qui les dispose enfin à devenir alkalins ; si rien ne s'oppose à cette transformation, l'haleine devient forte & le sang se corrompt. On voit que la bile avant que de se séparer du reste de la masse du sang, a subi une longue circulation : c'est une des liqueurs animales les plus parfaites, & qui s'éloigne le plus de la nature des acides ; elle est abondante & bien conditionnée dans ceux en qui les liqueurs circulent avec force, & en qui toutes les fonctions s'exécutent bien. C'est cette constitution portée à un degré trop fort, qui mérite à juste titre d'être appellée avec les anciens, tempérament cholérique, ou chaud & bilieux ; la constitution directement contraire à celle-là, dans laquelle la circulation se fait d'une maniere foible & irréguliere, & où le mouvement n'est point assez fort pour changer la qualité de nos alimens, paroit convenir avec la cachexie des anciens, que l'on peut en quelque façon regarder comme une sorte de tempérament, & comme une disposition différente de l'état naturel & régulier. Elle n'est pas, à proprement parler, une maladie particuliere, telle que le seroit une disposition du corps propre à donner lieu à un grand nombre d'incommodités ; cette constitution se trouve communément confondue avec le tempérament phlegmatique, de même le tempérament sanguin & bilieux se trouvent souvent réunis dans un même sujet. On trouve encore dans le corps humain d'autres dispositions générales & différentes de l'état moyen ; & ces différentes dispositions peuvent être désignées par les noms du tempérament sulphureux, salin, chaud, froid, &c. selon la maniere dont on considere les diverses parties qui entrent dans la composition du sang, leur combinaison, & les différentes opérations du corps. Voyez COEUR.

Quant à la dépuration du sang, & à la maniere dont les différentes liqueurs sont séparées, voyez SECRETION.

Pour ce qui est de la transfusion du sang d'un animal dans les veines d'un autre, voyez TRANSFUSION.

Nous avons dans les Transactions philosophiques plusieurs exemples extraordinaires d'hémorrhagies volontaires ; il est fait mention sur-tout d'un enfant qui rendit le sang par le nez, les oreilles & le derriere de la tête pendant trois jours. Depuis ce tems jusqu'au sixieme, il rendit le sang par les sueurs de la tête : au sixieme jour il le rendit par la tête, les épaules & le milieu du corps pendant trois jours. Il continua à saigner des orteils, des jointures des bras, & des doigts de chaque main, & de l'extrêmité des doigts, ce qui dura jusqu'à sa mort. Dans l'ouverture que l'on en fit, on trouva dans les endroits d'où le sang sortoit de petits trous semblables à une piquûre d'aiguille. Voyez HEMORRHAGIE.

Pour la maniere d'étancher le sang, voyez STYPTIQUE.

Pierre de sang, voyez SANGUINE & HEMATITES.

Mains sanglantes (avoir les) c'est une des quatre sortes de délits que l'on peut commettre sur les pays de chasse du roi d'Angleterre. Si on trouve un homme ayant les mains ou une autre partie sanglante, il est condamné comme ayant tué une bête fauve, quand même on ne l'auroit point trouvé chassant. Voyez FORET.

Pluie de sang, voyez PLUIE.

Flux de sang, voyez FLUX & DYSSENTERIE.

Urine de sang, c'est une maladie dans laquelle l'urine sort mêlée avec du sang, en quantité plus ou moins grande. Voyez URINE.

Le sang qui sort ainsi vient des reins, quelquefois aussi de la vessie ou des ureteres. Cette maladie est causée quelquefois par une émotion violente, ou par une chûte en arriere qui cause la rupture de quelques-uns des vaisseaux urinaires : quelquefois aussi elle se trouve à la suite des suppressions subites des hémorrhoïdes ou des regles. La pierre sur-tout dans les reins, occasionne aussi de fréquens paroxismes de cette maladie ; & les cantharides prises intérieurement, ou même appliquées extérieurement sans acides, produisent le même effet. L'urine de sang est un très-mauvais symptôme dans la petite vérole & les fievres malignes, quoique dans quelques occasions elle ait paru servir de crise, & être un indice de la fin de la maladie.

SANG DE BOUC, (Pharmacie) la préparation consiste à le faire sécher pour le garder & le réduire en poudre quand on voudra.

On fera nourrir à la maison un chevreau avec la pimprenelle, le persil, la mauve, la saxifrage ; on lui ouvrira les arteres, & on ramassera le sang qui en découlera ; on le laissera rasseoir ; on en séparera la sérosité, & ensuite on le fera sécher au soleil, ou à une chaleur douce de feu.

Ses vertus sont d'être sudorifique, alexipharmaque ; on l'ordonne dans la pleurésie, à la dose d'un scrupule. Voyez BOUC. C'est ainsi que l'on prépare le sang humain.

SANG, (Critiq. sacrée) ce mot, dans l'Ecriture, marque la vie ; de-là ces expressions figurées, teindre son pié, ses habits de sang, pour dire faire un grand carnage de ses ennemis ; porter sur quelqu'un le sang d'un autre, c'est charger quelqu'un du meurtre d'un autre. Sang se prend aussi pour parenté, alliance. Je vous livrerai à ceux de votre sang qui vous poursuivront, Ezech. xxxv. 6. Ce mot désigne encore la nature corrompue par le péché, Matth. xvj. 17. Il signifie quelquefois le jus du raisin. Judas lavera son manteau dans le vin, in sanguine uvae, Genese. xix. 11. C'est une expression figurée pour peindre la fertilité des vignobles de la tribu de Juda. Malheur à celui qui bâtit une ville dans le sang, Habac. ij. 12. c'est-à-dire par l'oppression des malheureux. O Dieu, délivrez-moi des sangs, dit David, ps. l. 16. c'est-à-dire des peines que je mérite par le sang que j'ai répandu. Ce devroit être la priere de tous les rois qui ont aimé la guerre. (D.J.)

SANG, pureté de, (Hist. d'Espag.) en Espagne on fait preuve de pureté de sang, comme on fait preuve en France de noblesse pour être chevalier de Malthe, ou du Saint-Esprit, &c. Tous les officiers de l'inquisition, ceux du conseil suprême & des autres tribunaux doivent prouver leur pureté de sang, c'est-à-dire qu'il n'y a jamais eu dans leur famille ni juifs, ni maures, ni hérétiques. Les chevaliers des ordres militaires, & quelques chanoines sont pareillement obligés de joindre cette preuve aux autres, qu'on exige d'eux. On les dispense de la pureté de sang au propre, la figurative en tient lieu. (D.J.)

SANG de Jesus-Christ, ordre du, (Ordre milit.) nom donné à un ordre militaire institué à Mantoue en 1608, par Vincent de Gonzagues, quatrieme du nom, duc de Mantoue. On peut lire, sur cet ordre, Donnemundi, dans son histoire de Mantoue, le Mire, Faryn, Justiniani & le pere Helyot. Je dirai seulement que l'habit des chevaliers de cet ordre, à commencer par leur collier jusqu'à leurs bas de soie cramoisi, est assez bisarrement imaginé ; mais c'est à-peu-près la même chose de presque tous les autres ordres militaires de l'Europe. (D.J.)

SANG, conseil de, (Hist. mod.) est un tribunal qui fut établi en 1567, dans les Pays-Bas, par le duc d'Albe, pour la condamnation ou justification de ceux qui étoient soupçonnés de s'opposer aux volontés du roi d'Espagne Philippe II. Ce conseil étoit composé de douze personnes.

SANG - DRAGON, s. m. (Hist. des drog. exot.) sorte de résine connue de Dioscoride, sous le nom de , & des Arabes, sous celui de alachnem ; on l'appelle sanguis draconis dans les boutiques. C'est une substance résineuse, seche, friable, inflammable, qui se fond aisément au feu, d'un rouge foncé, de couleur de sang lorsqu'elle est pilée, transparente quand elle est étendue en lames minces, sans goût & sans odeur, si ce n'est lorsqu'on l'a brûlée ; car alors elle répand une odeur qui approche beaucoup de celle du storax liquide.

On trouve dans les boutiques de droguistes deux sortes de sang-dragon ; le dur est formé en grumeaux, ou en petites masses de la longueur d'un pouce & de la largeur d'un demi-pouce, enveloppé dans des feuilles longues, étroites presque comme celles du jonc ou de palmier : c'est ce que l'on appelle chez les apothicaires larmes, ou gouttes de sang-dragon. Il y en a aussi en masses, ou en pains qui est moins pur, & mêlé d'écorces, de bois, de terre ou d'autres corps hérérogenes. L'autre sang-dragon, que l'on rencontre quelquefois dans les boutiques, est fluide, mou, tenace, résineux, inflammable ; il approche de l'odeur de celui qui est solide ; il est cependant moins agréable : il seche avec le tems, & devient semblable à celui qui est solide.

On trouve aussi très-souvent chez les droguistes un faux sang-dragon, qu'il est très-facile de distinguer du véritable. Ce sont des masses gommeuses, rondes, applaties, d'une couleur rouge-brune & sale, composée de différentes especes de gommes, auxquelles on donne la teinture avec du vrai sang-dragon, ou avec le bois du Brésil. Ces masses ne s'enflamment point, mais elles font des bulles, elles pétillent, elles s'amollissent & se dissolvent dans l'eau qu'elles rendent mucilagineuse comme les gommes. On doit les rejetter entierement. On estime le sang-dragon que l'on apporte en gouttes pures, brillantes, d'un rouge-brun, inflammables, enveloppées dans des feuilles, & qui étant pulvérisées, font paroître une couleur d'écarlate brillante.

Les anciens Grecs connoissoient ce suc résineux, sous le nom de cinnabre, dénomination qui depuis a été transportée par abus à notre cinnabre minéral, que les Grecs appelloient minium ; c'est par le même abus que l'on a donné peu-à-peu le nom de minium à la chaux rouge du plomb.

Dans le tems de Dioscoride, quelques-uns pensoient que le suc, dont nous parlons, étoit le sang desséché de quelque dragon. Dioscoride, à la vérité, rejette cette idée ; mais il ne dit pas ce que c'est que le suc : cependant il y a long-tems que ceux qui ont écrit sur la matiere médicale, conviennent que ce suc découle d'un arbre.

Monard assure que cet arbre s'appelle dragon, à cause de la figure d'un dragon que la nature a imprimé sur son fruit ; mais ne peut-on pas dire que c'est à cause du nom de l'arbre que l'on a cherché & imaginé cette figure de dragon dans son fruit ? Quoi qu'il en soit, les Botanistes font mention de quatre especes de plantes qui portent le nom de sang-dragon des boutiques. Décrivons-les, M. Geoffroy nous dirigera.

La premiere espece s'appelle draco arbor, Clus. Hist. I. C. B. P. 505. palma prunifera, foliis yuccae, è quâ sanguis draconis. Commel. hort. Amstael. C'est un grand arbre qui ressemble de loin au pin par l'égalité & la verdure de ses branches. Son tronc est gros, haut de huit ou neuf coudées, partagé en différens rameaux, nuds vers le bas, & chargés à leur extrêmité d'un grand nombre de feuilles, longues d'une coudée, larges d'abord d'un pouce, diminuant insensiblement de largeur, & se terminant en pointe ; elles sont partagées dans leur milieu par une côte saillante, comme les feuilles d'iris. Ses fruits sont sphériques, de quatre lignes de diamêtre, jaunâtres & un peu acides ; ils contiennent un noyau semblable à celui du petit palmier. Son tronc, qui est raboteux, se fend en plusieurs endroits, & répand dans le tems de la canicule, une liqueur qui se condense en une larme rouge, molle d'abord, ensuite seche & friable ; & c'est-là le vrai sang-dragon des boutiques. Cet arbre croît dans les îles Canaries, surtout près de Madere.

La seconde espece de sang-dragon est appellée palma amboinensis sanguinem draconis fundens altera, foliis & caulice undique spinis longis, acutissimis, nigris, armata, Sherard, Arundo farcta Indiae orientalis, sanguinem draconis manans, Hist. Oxon. Palma pinus, sive conifera, J. B. I. 398. Arundo rotang. Bont. Palma conifera spinosa, Kaempfer. Amaen. exot. 552. Cet arbre est haut de trois toises, hérissé de toutes parts d'épines, d'un brun foncé, droites, applaties, longues presque d'un pouce.

Son tronc s'éleve jusqu'à la hauteur de trois aunes ; il est de la grosseur de la jambe, simple, droit, jaunâtre, garni d'épines horisontales ; il est noueux de lieu en lieu, & ses noeuds sont entourés de branches feuillées ; elles forment un tuyau par leur base, de maniere que la branche feuillée inférieure embrasse toujours celle qui est au-dessus, ce qui fait que ses noeuds ne paroissent pas, à-moins qu'on n'en ôte les enveloppes.

Ces bases de branches feuillées, ou ces especes de tuyau, forment la plus grande partie de la surface extérieure du tronc ; car lorsqu'elles ont été enlevées, on voit la partie médullaire du tronc dont la surface est luisante, de couleur brune, d'une substance blanche, mollasse, fibrée, charnue & bonne à manger. Ses branches feuillées sont clair-semées sur le tronc, & rapprochées vers le sommet.

Elles sont garnies de feuilles rangées par paires de chaque côté, & nues à leur partie inférieure. La côte de ses branches feuillées est lisse, verte en-dessus, pâle & jaunâtre en-dessous, creusée en gouttiere de chaque côté d'où partent les feuilles ; elle est hérissée d'épines courtes, rares, recourbées, jointes deux-à-deux comme des cornes.

Les feuilles que les Botanistes appellent ordinairement des aîles, sont comme celles du roseau, vertes, longues d'une coudée, larges de six lignes, pointues, menues, pendantes, ayant quelques épines en-dessous, & trois nervures qui s'étendent dans toute la longueur.

Les fruits naissent d'une façon singuliere, ramassés en grappes, sur une tige qui vient de l'aisselle des branches feuillées. Ces grappes sont renfermées dans une gaîne, composée de deux feuillets opposés, minces, cannelés, bruns, qui forment une longue pointe aiguë.

La grappe a neuf pouces de longueur, & est composée de quatre, cinq ou six petites grappes qui accompagnent la tige. Ces grappes se divisent en pédicules courts, gros, courbés & posés près l'un de l'autre ; ils portent chacun un fruit dont la base est formée de six petits feuillets minces, membraneuse, de couleur brune, qui servoient de calice à la fleur.

Le fruit est arrondi, ovoïde, plus gros qu'une aveline, couvert d'écailles luisantes, rangées de façon qu'il représente un cône de sapin renversé, car les pointes des écailles supérieures couvrent les intervalles qui se trouvent entre les inférieures, d'où il résulte un arrangement régulier en échiquier. Le sommet de ce fruit est chargé de trois stiles, grêles, secs & recourbés en-dehors.

Les petites écailles sont menues, un peu dures, collées fortement ensemble, de couleur pourpre, à bords bruns, terminées en angles droits par leurs pointes : sous ces écailles on trouve une membrane blanchâtre qui enveloppe un globule charnu, d'un verd pâle avant sa maturité, pulpeux, plein de suc, d'un goût légumineux & fort astringent, qui se répand promtement de la langue à toute la bouche, mais qui disparoît aussitôt.

Les Orientaux, les Malayes & les peuples de l'île de Java, tirent le suc résineux du fruit de cet arbre de la maniere suivante, selon le rapport de Kaempfer. On place les fruits sur une claie posée sur un grand vaisseau de terre, lequel est rempli d'eau jusqu'à moitié ; on met sur le feu ce vaisseau légerement couvert, afin que la vapeur de l'eau bouillante amollisse le fruit, & le rende flasque ; par ce moyen la matiere sanguine qui ne paroissoit pas dans ce fruit coupé, en sort par cette vapeur chaude, & se répand sur la superficie des fruits. On l'enleve avec de petits bâtons, & on la renferme dans des follicules faites de feuilles de roseau pliées, qu'on lie ensuite avec un fil, & que l'on expose à l'air, jusqu'à ce qu'elle soit desséchée.

D'autres obtiennent ce suc résineux par la simple décoction du fruit ; ils le cuisent jusqu'à ce que l'eau en ait tiré tout le suc rouge ; ils jettent ensuite le fruit, & ils font évaporer cette eau jusqu'à ce qu'il ne reste plus qu'un suc épais qu'ils renferment dans des follicules.

La troisieme espece de sang-dragon est nommée, dans Hernandez, 59. ezqua-huilt, seu sanguinis arbor ; c'est un arbre qui a les feuilles de bouillon blanc, grandes & anguleuses ; il en découle par incision une liqueur rouge, dite sang-dragon.

La quatrieme espece s'appelle draco arbor, indica, siliquosa, populi folio, angsana Javanensibus, Commel. Hort. Amst. rarior, 213. C'est un grand arbre qui croît dans Java, & même dans la ville de Batavia ; son bois est dur, & son écorce rougeâtre. Ses feuilles sont placées sans ordre, portées par des queues longues & grêles ; elles sont semblables aux feuilles du peuplier, mais plus petites, longues de deux pouces, larges à peine d'un pouce & demi, pointues, molles, lisses, luisantes, d'un verd-gai qui tire sur le jaune ; d'un goût insipide. Ses fleurs sont petites, jaunâtres, odorantes, un peu ameres ; ses fruits portés par de longs pédicules, sont d'une couleur cendrée, durs, ronds, applatis, cependant convexes des deux côtés dans leur milieu ; membraneux à leur bord, garnis de petites côtes saillantes. Chaque fruit contient deux ou trois graines oblongues, recourbées, rougeâtres, lisses, luisantes, ressemblantes un peu de figure à des petits haricots. Quand on fait une incision au tronc, ou aux branches de cet arbre, il en découle une liqueur qui se condense aussi-tôt en des larmes rouges, que l'on nous apporte en globules enveloppées dans du jonc.

Il seroit bien difficile de dire en quoi consiste la différence des sucs que l'on tire de ces différentes plantes, si toutefois il y a quelque différence ; car on ne distingue point la variété de ces sucs dans les résines seches qu'on nous envoie ; ce qu'il y a de sûr, c'est que le vrai sang-dragon ne se dissout point dans l'eau, mais dans l'esprit-de-vin & dans les substances huileuses. La fumée qu'il répand, lorsqu'on le brûle, est un peu acide, comme celle du benjoin ; c'est une résine composée de beaucoup d'huile grossiere, & d'un sel acide mêlés ensemble ; elle contient peu de parties volatiles huileuses, comme on peut le conclure de ce qu'elle n'a ni gout, ni odeur. On donne au sang-dragon une vertu incrassante & dessicative, & on l'employe intérieurement, à la dose d'une drachme, pour la dyssenterie, les hémorrhagies, les flux de ventre & les ulceres internes. On s'en sert extérieurement pour dessécher les ulceres, agglutiner les levres des plaies, & fortifier les gencives. Les Peintres le font entrer dans le vernis rouge, dont ils colorent les boîtes & coffres de la Chine. (D.J.)


SANG-GRISS. m. terme de relation ; c'est ainsi que les François nomment en Amérique, une boisson que les Anglois ont inventée, & qui est fort à la mode aux îles Antilles françoises. Cette boisson se fait avec du vin de Madere, du sucre, du jus de citron, un peu de cannelle, de muscade, & une croûte de pain rôtie ; on passe cette liqueur par un linge fin, & elle est une des plus agréables à boire. (D.J.)


SANGAMou SOOSIN, (Géog. mod.) une des provinces de la grande contrée du sud-est de l'empire du Japon. Elle a trois journées de long ; c'est un pays plat & stérile, qui ne fournit presque d'autre subsistance que des tortues, du poisson & des écrevisses de mer ; mais on tire une grande quantité de bois de ses forêts, ce pays est divisé en huit districts. (D.J.)


SANGARS. m. (Mythol.) fleuve de Phrygie, pere de la belle Sangaride, qui fit oublier au jeune Attis les engagemens qu'il avoit avec Cybele, & fut cause de la mort de son amant. Pausanias fait Sangaride mere d'Attis, au lieu de son amante ; & rapporte un conte que l'on débitoit à Pessinunte sur Sangaride. Cette nymphe ayant vû le premier amandier que la terre eût produit, y cueillit des amandes, & les mit dans son sein. Aussi-tôt les amandes disparurent, & Sangaride se sentit grosse ; elle accoucha d'un fils que l'on exposa dans les bois, & qui fut nourri par une chevre, il eut nom Attis. (D.J.)

SANGAR, (Géog. anc. & mod.) Sangari, Sacari ou Zacari, ou Zagari, riviere de la Turquie, en Asie, dans la partie septentrionale de la Natolie. Elle vient de la province de Germian, & passant dans celle de Begsangil, elle s'y rend dans la mer noire. Le nom latin est Sangarius, selon Ptolémée, liv. V. ch. 1. & Arrien, l. I. de Alex. Hesychius dit Sagarius, & l'attribue à la Lydie & à la Phrygie. Elle est nommée Sagaris, , dans une médaille de Julia-Pia-Augusta. Stuckius remarque, que le scholiaste d'Apollonius l'appelle Sanga, , & Solin Sangaris.

Plutarque le géographe dit, Sagaris, fleuve de Phrygie ; il ajoute qu'il étoit auparavant nommé Xerabates, par la raison que dans les grandes chaleurs de l'été, il est la plûpart du tems à sec, on l'appella Sagaris, dit cet auteur, parce que Sagaris, fils de Myndon & d'Alexirhoé, ayant méprisé les mysteres de Cybele, injuria les prêtres de cette déesse : Cybele pour le punir lui envoya une manie, dans les accès de laquelle il se jetta dans le fleuve de Xerabate, qui changea alors de nom, pour prendre celui de cet homme.

M. de Tournefort, lettre XVII. tom. II. pag. 84. nomme cette riviere Ava ou Ayala. Il est surprenant, dit-il, que les Turcs ayent reçu l'ancien nom de la riviere d'Ava, car ils l'appellent Sagari ou Sacari, & ce nom vient sans-doute de Sangaris, fleuve assez célebre dans les anciens auteurs, lequel servoit de limites à la Bithynie. Strabon assure qu'on l'avoit rendu navigable, & que ses sources sortoient d'un village appellé Sangias, auprès de Pessinunte, ville de Phrygie, connue par le temple de la mere des dieux ; Lucullus étoit campé sur ses bords, lorsqu'il apprit la perte de la bataille de Chalcédoine. (D.J.)


SANGENONS. m. (Hist. nat. Minéralog.) nom que les Indiens donnent à une espece d'opale qui paroît d'une couleur olivâtre, quand on l'a considerée à l'ordinaire, mais qui paroît rouge comme un rubis, & transparente lorsqu'on regarde le jour au-travers.


SANGHIRAS. m. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar, qui est, dit-on, une espece d'indigo. Les habitans la regardent comme un spécifique & un préservatif contre les maladies contagieuses.


SANGLANTadj. (Gram.) qui rend du sang, qui en est taché. Un sacrifice sanglant, une robe sanglante, une action sanglante, les mains sanglantes ; il se prend dans un sens très-différent, lorsqu'on dit un affront sanglant, une raillerie sanglante, un tour sanglant, un reproche sanglant. Je crois qu'alors ces choses sont comparées à un coup violent qui blesse jusqu'au sang.


SANGLÉparticipe passif, (Gram.) Voyez SANGLE & SANGLER.

SANGLE, terme de Blason, il se dit du cheval, des pourceaux, & des sangliers qui ont par le milieu du corps une espece de ceinture d'un autre émail.

Die Glaubitzer en Silésie, d'azur au poisson d'argent en face, sanglé de gueules.


SANGLERSANGLER

SANGLER LE FROMAGE, (Fromagerie) c'est le serrer bien fort tout-autour avec une sangle de peau ou une légere écorce de sapin, pour en conserver la forme pendant qu'on lui donne le sel. Il ne se dit que des fromages de Gruieres & de Berne. (D.J.)


SANGLESS. f. pl. (Corderies) les sangles sont des especes de tissus grossiers, plus ou moins larges & longs, composés de plusieurs gros fils de chanvre, entrelacés les uns dans les autres, qui se fabriquent par les Cordiers. Les sangles font partie du négoce des marchands de fer & des quincailliers, qui sont du corps de la Mercerie. Elles se distinguent en sangles pour chevaux de selle ; en sangles pour chevaux de bâts ou autres bêtes de sommes, & en sangles à tapissiers ou pour meubles. (D.J.)

SANGLES de chevaux de bâts, (Bourreliers) elles sont étroites, longues, fortes & grossieres. Ces sangles qui s'employent par les Bourreliers, se vendent par pieces plus ou moins longues, suivant que les Cordiers qui les ont fabriquées ont jugé à-propos de les faire, n'y ayant rien de reglé là-dessus ; elles se tirent pour l'ordinaire des mêmes endroits que celles destinées pour les chevaux de selle. Il faut remarquer que tant que les sangles pour chevaux de bâts sont en pieces, elles s'appellent du tissu, & qu'elles ne perdent ce nom pour prendre celui de sangles, que lorsqu'elles sont coupées par morceaux de longueur proportionnée à leur usage. Savary. (D.J.)

SANGLES de chevaux de selle, (Ouvrage de Selliers) elles s'employent par les Selliers, & sont communément blanches ou grises, rayées de rouge & de bleu, ou grises sans raye, ou grises rayées de rouge ; les unes & les autres ont une aune mesure de Paris. (D.J.)

SANGLES de Tapissier, (Tapisserie) elles sont inférieures en qualité à toutes autres, & viennent la plûpart de Châlons en Champagne. Celles qui ont environ 4 pouces de large & qui servent à sangler des chaises, des fauteuils, des sophas, des canapés, des lits, &c. se vendent à la grosse ; chaque grosse est composée de douze pieces, & la piece contient 7 à 8 aunes de Paris. Il s'en fait quelques-unes plus étroites de semblable qualité, qui se vendent de même ; leur principal usage est pour attacher aux métiers des Tapissiers, Brodeurs, &c. Celles de 20 à 24 lignes de large, qui servent à border les tentes & les tapisseries, qu'on appelle bordures, se vendent aussi à la grosse, chaque grosse contient vingt-quatre pieces de 6 à 7 aunes chacune. Savary. (D.J.)

SANGLE, en terme d'Orfévre, c'est une bande de cuir ou de petite corde nattée, environ de la largeur de 4 pouces, au bout de laquelle il y a un anneau de fer pour recevoir le crochet des tenailles ; on se sert aussi quelquefois de corde pour tirer. Elle a même cet avantage sur la sangle, qu'elle n'augmente point le diamêtre de l'arbre en se tournant dessus. Voyez les fig.

SANGLE, (Rubanier) est un morceau de sangle véritablement, attaché à demeure au côté gauche du métier, & qui sert à soutenir les reins de l'ouvrier & à lui donner de la force pour enfoncer les marches lorsqu'il est assis sur le siege ; il attache l'autre bout terminé par un anneau à l'autre côté du métier, après qu'il s'est entouré le corps avec ladite sangle ; cette sangle, outre la force dont on vient de parler, sert encore à l'ouvrier de point d'appui en l'empêchant de reculer de dessus le siege pendant le travail, on peut se passer de cette sangle dans les ouvrages legers.

SANGLES, s. f. (Marine) on appelle ainsi des entrelacemens de menues cordes à deux fils, qu'on nomme bistord, que l'on met en différens endroits du vaisseau, comme sur les cercles des hunes, sur les premiers des grands haubans & ailleurs, pour empêcher que les manoeuvres ne se coupent.

SANGLES-BLANCS, (Comm. de fil) on donne ce nom à des sortes de fils qui viennent de Hollande ; ils servent aux ouvriers en points à picoter leurs ouvrages, c'est-à-dire à faire cette bordure en forme de petites dents, qu'on appelle des picots, dont on termine les points faits à l'aiguille, du côté opposé à celui de l'engrelure. (D.J.)

SANGLES-BLEUS, (Comm. de fil) espece de fil teint en bleu, qui sert à faire les linteaux du linge de table, particulierement aux serviettes & aux nappes. Ces fils se fabriquent & se mettent en teinture à Troye en Champagne, d'où les tisserands qui travaillent à cette sorte de lingerie, & les marchands merciers de Paris, qui font le commerce des fils, ont coutume de les tirer. (D.J.)


SANGLIERS. m. aper, (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer couvert d'écailles, & dont le corps est fort dur, presque rond & applati ; il a une couleur rougeâtre ; les yeux sont grands, le museau est long & mousse ; il y a sur le dos des piquans fort pointus, durs, longs & droits ; les premiers sont courts ; ceux du milieu ont le plus de longueur, & les derniers sont un peu plus grands que les premiers. Ce poisson a deux nageoires aux ouies & deux au ventre ; celles-ci sont garnies de forts aiguillons : il y a aussi au-dessous de l'anus trois aiguillons courts & pointus. Le sanglier differe principalement du porc, en ce qu'il n'a point de dents & que sa chair est bonne à manger ; au lieu que celle du porc a une très-mauvaise odeur & qu'elle est toujours dure. Rondelet, hist. nat. des poissons, I. part. liv. V. chap. xxvij. Voyez POISSON.

SANGLIER, aper, (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede de même espece que le cochon domestique & le cochon de Siam. Quoique ces animaux n'aient à chaque pié que deux doigts qui touchent la terre, & que ces doigts soient terminés par un sabot, ils different beaucoup des animaux à pié fourchu, non-seulement par la conformation des jambes & des piés, mais encore en ce qu'ils n'ont point de cornes, qu'ils ne manquent pas de dents incisives à la mâchoire supérieure, qu'ils ont des dents canines très-longues, connues sous le nom de défenses & de crochets, qu'ils ne ruminent pas, qu'ils n'ont qu'un estomac, &c. La partie du grouin du sanglier & des cochons, à laquelle on donne le nom de boutoir, est formée par un cartilage rond qui renferme un petit os. Le boutoir est percé par les narines & placé au-devant de la mâchoire supérieure. Cette partie, qui est le nez, a beaucoup de force ; ces animaux s'en servent pour fouiller dans la terre. Le sanglier a la tête plus longue, la partie inférieure du chanfrein plus arquée, & les défenses plus grandes & plus tranchantes que les crochets des autres cochons. Sa queue est courte & droite. Il est couvert, comme les cochons, de grosses soies dures & pliantes ; mais il a de plus un poil doux & frisé, à peu-près comme de la laine ; ce poil est entre les soies & a une couleur jaunâtre, cendrée, ou noirâtre sur différentes parties du corps de l'animal, ou à ses différens âges. Tant que le sanglier est dans son premier âge, on le nomme marcassin ; alors il a des couleurs qu'il perd dans la suite, c'est ce que l'on appelle la livrée : elle est marquée sur le foetus dès qu'il a du poil ; elle forme des bandes qui s'étendent le long du corps depuis la tête jusqu'à la queue, & qui sont alternativement de couleur de fauve clair & de couleur mêlée de fauve & de brun ; celle qui se trouve sur le garrot & le long du dos est noirâtre. Il y a sur le reste de l'animal un mêlange de blanc, de fauve & de brun. Lorsque le sanglier est adulte, il a le groin & les oreilles noirs, & le reste de la tête de couleur mêlée de blanc, de jaune & de noir dans quelques endroits. La gorge est roussâtre ; les soies du dos sont les plus longues, couchées en-arriere, & si serrées que l'on ne voit que la couleur brune roussâtre qu'elles ont à la pointe, quoiqu'elles aient aussi du blanc sale & du noir, dans le reste de leur étendue. Les soies des côtés du corps & du ventre ont les mêmes couleurs que celles du dos ; mais comme elles sont moins serrées, le blanc y paroît avec le brun ; les soies des aisselles & des aines sont roussâtres ; celles du ventre & de la face intérieure des cuisses sont blanches en entier, à l'exception de la pointe qui est rousse ; la tête & le bout de la queue & le bas des jambes sont noirs.

Quoique les sangliers soient fort gourmands, ils n'attaquent ni ne dévorent pas les loups ; cependant ils mangent quelquefois de la chair corrompue, mais c'est par nécessité. On ne peut nier que les cochons ne soient avides de sang & de chair sanguinolente & fraîche, puisqu'ils mangent leurs petits & même des enfans au berceau. Le sanglier & les cochons aiment beaucoup les vers de terre & certaines racines, comme celles de la carotte sauvage ; c'est pour trouver ces vers & pour couper ces racines qu'ils fouillent la terre avec leur boutoir. Le sanglier, dont la hure est plus longue & plus forte que celle du cochon, fouille plus profondément & presque toujours en ligne droite dans le même sillon ; au lieu que le cochon fouille çà & là & plus légerement. Pendant le jour le sanglier reste ordinairement dans sa bauge au plus fort du bois ; il en sort le soir à la nuit pour chercher sa nourriture : en été, lorsque les grains sont mûrs, il fréquente toutes les nuits dans les blés ou dans les avoines. Il est rare d'entendre le sanglier jetter un cri, si ce n'est lorsqu'il se bat & qu'un autre le blesse : la laie crie plus souvent. Quand ils sont surpris & effrayés subitement, ils soufflent avec tant de violence qu'on les entend à une grande distance.

Dans le tems du rut, le mâle demeure ordinairement trente jours avec la femelle dans les bois les plus solitaires ; il est alors plus farouche que jamais ; il devient même furieux, lorsqu'un autre vient occuper sa place ; ils se battent & se tuent quelquefois. La laie ne se met en fureur que lorsqu'on attaque ses petits ; elle ne porte qu'une fois l'an. Elle reçoit le mâle aux mois de Janvier & de Février, & met bas aux mois de Mai ou Juin. Elle alaite ses petits pendant trois ou quatre mois ; elle les conduit jusqu'à ce qu'ils aient deux ou trois ans. Il n'est pas rare de voir des laies accompagnées de leurs petits de l'année & de ceux de l'année précédente. La vie du sanglier peut s'étendre jusqu'à vingt-cinq ou trente ans. Il n'y a que la hure qui soit bonne à manger dans un vieux sanglier ; au lieu que toute la chair du marcassin & celle du jeune sanglier qui n'a pas encore un an est délicate & même assez fine. Les anciens étoient dans l'usage de faire la castration aux marcassins qu'on pouvoit enlever à leur mere. Après quoi, on les reportoit dans les bois où ils grossissoient plus que les autres, & leur chair étoit meilleure que celle des cochons domestiques. Hist. nat. gén. & partic. tom. V. Voyez QUADRUPEDE.

SANGLIER (Chasse du) Sa maniere de vivre & ses inclinations ressemblent beaucoup à celles des cochons domestiques. D'ailleurs les sangliers s'accouplent, multiplient avec les pourceaux, & le produit en est fécond. Mais une vie plus agreste, la nécessité de se défendre souvent, & sur-tout la liberté, donnent au sanglier des moeurs mieux caractérisées, dans lesquelles on reconnoît plus distinctement les inclinations de l'espece.

Le sanglier est plutôt frugivore que carnassier ; cependant il est l'un & l'autre. Il vit de graines, de racines, de fruits ; mais il se nourrit aussi volontiers de chair. Il fouille avec son boutoir les terriers de lapins qui ne sont pas à une grande profondeur. Il détruit les rabouilleres, dévore les lapereaux & les lévrauts, sur-tout lorsqu'ils sont encore petits. Il évente les nids de perdrix, &c. mange les oeufs, & souvent réussit à surprendre la couveuse.

On donne différens noms aux sangliers, en raison de leur âge. Les femelles sont toujours appellées laies ; elles entrent en rut dans le mois de Décembre, portent pendant quatre mois & quelques jours, & mettent bas depuis trois jusqu'à huit ou neuf petits : ces petits portent jusqu'à six mois le nom de marcassins ; & depuis cet âge jusqu'à deux ans, celui de bêtes rousses & de bêtes de compagnie. On donne le nom de ragot aux mâles entre deux & trois ans ; après cela, ils sont appellés sangliers à leur tiers-an, puis à leur quart-an ; après quoi on ne les connoît plus que sous le nom de grands vieux sangliers. C'est depuis trois jusqu'à cinq ans que les sangliers sont le plus à craindre, parce qu'alors leurs défenses sont extrêmement tranchantes. Après cela, ils deviennent mirés, c'est-à-dire que leurs défenses se courbent & sont moins incisives : mais la force & la hardiesse des vieux sangliers les rendent toujours fort redoutables.

Les sangliers, lorsqu'ils ont atteint trois ans, ne vivent plus en compagnie ; ils sont alors pourvus d'armes qui les rassurent ; la sécurité les mene à la solitude ; ils vont seuls chercher leurs mangeures, se rafraîchir au souillard (c'est-à-dire se veautrer dans la boue) & se mettre à la bauge ; ils y dorment une partie du jour ; & vu la confiance qu'ils ont en leurs forces, il arrive souvent qu'on ne les en fait sortir qu'avec beaucoup de peine. Ce n'est que dans le tems du rut que la nécessité de chercher des femelles remet ces mâles en compagnie. Quant aux laies, elles vivent toujours en société ; elles s'attroupent plusieurs ensemble avec leurs marcassins & les jeunes mâles dont les défenses ne sont pas encore au point de leur rendre l'association inutile. Tous les sangliers qui composent ces troupes ont l'esprit de la défense commune. Non-seulement les laies chargent avec fureur les hommes & les chiens qui attaquent leurs marcassins ; mais encore les jeunes mâles s'animent au combat, la troupe se range en cercle, & présente par-tout un front hérissé de boutoirs.

Les sangliers ne sont point, comme les cerfs, les daims, les chevreuils, habitans presque sédentaires des pays où ils sont nés. Ils voyagent souvent, pour aller chercher des forêts où les vivres soient plus abondans ; ces émigrations se font ordinairement en automne, lorsque le gland ou la chataigne commencent à tomber ; & on cherche alors avec raison à se défaire de ces nouveaux hôtes. Le sanglier est très-propre à faire un objet de chasse, parce que, sur-tout lorsqu'il est jeune, la chair en est bonne à manger, & que d'ailleurs cet animal est fort à redouter pour les récoltes. Tous les chiens le chassent avec beaucoup d'ardeur, & souvent cette ardeur leur est funeste. Le sanglier, lorsqu'il est chassé, & que la fuite commence à lui devenir pénible, va chercher d'épais haillers où il s'arrête. Alors malheur aux chiens trop hardis qui veulent l'aborder ; l'animal furieux se précipite sur tout ce qui se trouve devant lui. Il faut donc s'attendre à perdre beaucoup de chiens, lorsqu'on veut prendre à force ouverte de vieux sangliers mâles ; il faut du-moins être très-promt à les secourir, & chercher à tuer le sanglier lorsqu'il tient. Ce secours ne se donne pas sans danger pour les hommes ; mais l'habitude & l'adresse à tirer diminuent beaucoup le péril, & ce péril même ajoute à l'intérêt, il rend la chasse du sanglier plus piquante qu'une autre. D'ailleurs il est toujours possible d'éviter ceux de ces animaux qui sont si dangereux pour une meute. On va en quête avec le limier, pour détourner le sanglier ; & il y a des connoissances par lesquelles les véneurs peuvent distinguer sûrement la bête qu'ils mettront devant leurs chiens. Premierement, nous avons dit que les sangliers se rembuchent seuls, lorsqu'ils ont atteint l'âge où ils deviennent dangereux ; & cette solitude est toujours une forte présomption, excepté dans le tems où les laies sont prêtes à mettre bas : alors elles se séparent aussi pour faire leurs marcassins, & on a besoin de marques distinctives pour les reconnoître. L'habitude fait appercevoir des différences sensibles entre la trace du sanglier & celle de la laie. Le sanglier a les pinces plus grosses, la sole, les gardes & le talon plus larges, les allures plus longues & plus assurées. On sait donc sûrement si la bête qu'on a détournée est une laie ou un sanglier ; & dans ce dernier cas, il est aisé d'aller, avec l'aide du limier, le tuer à la bauge.

Lorsque les chiens n'ont devant eux qu'une troupe de laies & de jeunes bêtes, il n'y a pas beaucoup de danger pour eux, & on tâche d'en séparer une, pour y faire tourner le gros de la meute. Cette chasse devient alors très-vive, parce que le sentiment de l'animal est fort, & qu'il ne multiplie pas les ruses ni les retours, comme font les animaux foibles. Si on chasse en pleine forêt, & sur-tout sous des futaies, on peut s'aider de mâtins vigoureux & exercés, qu'on place à portée des refuites du sanglier, & qui le coëffent. S'il y a des plaines à traverser, on joint à ces mâtins des lesses de levriers qui amusent l'animal, & donnent aux autres chiens le tems d'arriver. On peut attaquer de cette maniere les plus grands sangliers même, presque sans aucun danger.

Il y a une autre maniere de chasser ces animaux, mais qui exige trop d'appareil & de dépense pour être fort ordinaire. On environne de toiles une partie de la forêt où l'on s'est assuré qu'il y a des sangliers ; peu-à-peu on raccourcit l'enceinte, & on parvient enfin à resserrer assez étroitement les animaux qui s'y trouvent : alors on les attaque à coups de dards, d'épieu ou d'épée. En Allemagne, où cette chasse est plus commune, les Véneurs exercés se commettent ainsi avec les plus grands sangliers ; mais en France, lorsqu'on donne cette espece de fête, on a soin de ne laisser dans l'enceinte que ceux qui sont un peu plus traitables : sans cette précaution, la fête pourroit être tristement ensanglantée, parce qu'il faut que les chasseurs soient habitués de longue main à cette espece de combat, pour qu'ils puissent le risquer sans trop de desavantage. (M. LE ROI. )

SANGLIER, (Diete & Matiere médic.) la chair du sanglier, & sur-tout du sanglier fait, mais qui pourtant n'est pas vieux, & qui est gras, est assez tendre, quoique ferme, & il est facile, par une courte infusion dans le vinaigre, de la dépouiller absolument du goût qu'on appelle sauvage ou de venaison ; qu'elle ne differe à cet égard du bon boeuf ou du veau un peu fait, que parce qu'elle est un peu plus seche. Dans cet état elle n'est point difficile à digérer, elle convient aux hommes de tous les états, mais sur-tout à ceux qui menent une vie exercée, & il n'y a que les estomacs très-délicats qui s'en accommodent difficilement ; elle ne ressemble en rien à la chair du cochon domestique ; la graisse abondante dont cette derniere est pénétrée, & la fadeur de son suc, établissent manifestement cette différence.

Le jeune sanglier ou marcassin qu'on trouve assez généralement plus délicat, peut être regardé avec raison comme moins salutaire que le sanglier dont nous venons de parler.

Les chasseurs ont coutume d'enlever les testicules au sanglier dès le moment qu'ils l'ont tué, sans cette précaution tout l'animal contracteroit une odeur de bouquin qui le rendroit insupportable au goût.

Les dents de sanglier ou défenses de sanglier, sont mises au rang des absorbans, mais sans qu'on puisse assigner aucune raison valable de la préférence qu'on leur donne sur celles de plusieurs autres animaux ; on leur attribue aussi les vertus imaginaires d'exciter les urines & les sueurs.

Les testicules, la graisse, le fiel de sanglier, &c. (car cette énumération revient toujours), ont aussi grossi la liste des médicamens, mais sont aujourd'hui absolument hors d'usage. (b)

SANGLIER DES INDES ORIENTALES, babyroussa, Pl. III. fig. 3. cet animal ressemble au cerf par sa grandeur, & au cochon par sa figure ; il a le museau allongé, la tête oblongue & étroite, les oreilles petites & pointues, les yeux petits, la queue longue, frisée, & terminée par un bouquet de poils, & les jambes longues & déliées. Les poils du corps sont courts & laineux, & doux, à l'exception de ceux du dos qui sont plus rudes & soyeux ; ils ont tous une couleur blanchâtre ou brune mêlée de gris. Les dents canines de la mâchoire du dessus sont dirigées en haut à leur origine ; elles se recourbent en arriere, de façon que dans le dernier âge de l'animal leur extrêmité aboutit au-dessous des yeux & perce la peau. Les dents canines de la mâchoire du dessous ressemblent à celles des sangliers. Regn. animal. pag. 110.

SANGLIER DU MEXIQUE. Voyez TAJACU.


SANGLONSS. m. pl. (Charpent.) ce sont des pieces de bois comme de fausses-côtes, qu'on met aux bateaux pour les fortifier. (D.J.)

SANGLONS, (Marine) Voyez FOURCATS.


SANGLOTS. m. en Médecine, est un mouvement convulsif du diaphragme qu'on appelle communément hocquet. Voyez HOCQUET.

SANGLOT, (Sellerie) petite courroie qu'on attache à la selle d'un cheval ou au bât des bêtes de somme, pour y attacher les sangles.


SANGROLE, (Géogr. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples. Elle tire sa source de l'Apennin, aux confins de la terre de Labour, & se perd dans le golfe de Venise, à 6 milles au-dessous de Lanciano ; son nom latin est Sagrus & Sarus. (D.J.)


SANGSUE(Zoologie) hirudo ou sanguisuga par les naturalistes ; petit animal oblong, noirâtre, sans piés, vivant dans les lieux aquatiques, marqueté sur le corps de taches & de raies, & ayant dans l'ouverture de la bouche un instrument à trois tranchans, avec lequel il entame la peau pour en sucer le sang.

Les eaux croupissantes fournissent deux especes de sangsues, une grande, & une petite. La grande, nommée sangsue de cheval, en latin bdella seu hirudo equina, croît jusqu'à 5 pouces de longueur ; elle est comme le ver de terre divisée par anneaux au nombre d'une centaine ; on la regarde comme venimeuse dans ses blessures ; la petite espece en differe, non-seulement par la taille, mais par la couleur de son ventre, qui est noirâtre, avec une teinte de verd.

C'est de cette petite espece dont il s'agira dans cet article ; mais pour abréger sa description, déja donnée fort au long par plusieurs naturalistes, comme par Poupart dans le journal des savans, année 1697, par Dillenius, dans les éphémerides des curieux de la nature, année 1718, & par d'autres ; je crois que nous pouvons obmettre ici tout ce que l'on sait communément de la sangsue, & ce qui est facile à chacun d'appercevoir : 1°. par la simple inspection, comme les anneaux cutanés de son fourreau, l'arrangement & les couleurs des raies, des pyramides, des points dont ce même fourreau est orné, l'avidité des sangsues à sucer la chair des animaux, la façon dont elles appliquent leur bouche en forme de ventouse pour s'y attacher, une sorte de mouvement qu'on voit à-travers de leur peau quand elles sucent, & qui semble répondre aux mouvemens de la déglutition : 2°. par des expériences faciles, comme le tems qu'elles vivent dans l'eau, sans autre nourriture que l'eau même, la faculté qui leur est commune avec plusieurs autres especes d'animaux de se mouvoir, quoique coupées par morceaux ; toutes ces choses sont suffisamment connues ; il vaut mieux nous arrêter à l'examen de ces parties, par lesquelles la sangsue a la propriété d'entamer la peau d'un autre animal, & de sucer son sang.

Il y a cinq parties différentes qui y concourent ; savoir, deux levres, une cavité, qui est proprement la bouche, des instrumens pour entamer, d'autres pour sucer, & un gosier pour la déglutition.

Lorsque la sangsue est en repos, sa levre supérieure fait un demi-cercle assez régulier, & l'inférieure une portion d'un plus grand cercle. Quand la sangsue allonge sa tête pour avancer, le demi-cercle de la levre supérieure se change en deux lignes obliques, dont la jonction fait un angle saillant, que la sangsue applique d'abord où elle veut s'attacher, & qui est marqué par un petit point très noir au bord extérieur du milieu de la levre.

La souplesse des fibres de cette partie, lui donne la facilité de prendre la figure dont l'animal a besoin pour tâtonner les endroits où il veut s'appliquer, afin de cheminer, ou pour développer les parties avec lesquelles il doit entamer la peau de quelqu'autre animal. Dans ces deux cas, ses deux levres toutes ouvertes se changent en une espece de pavillon, exactement rond par les bords. Enfin, quand la sangsue est tout-à-fait fixée, par exemple, aux parois inférieurs d'une phiole, sa tête & sa queue sont tout-à-fait applaties, & exactement appliquées à la surface qu'elles couvrent.

L'ouverture qui est entre les deux levres de la sangsue, est proprement sa bouche ; lorsqu'on a tenu ces deux levres dilatées un peu de tems par quelque corps dur, on en voit aisément la cavité. Cette bouche est comme les levres composée de fibres très-souples, moyennant quoi elle prend toutes les formes convenables au besoin de l'animal ; de façon que quand la sangsue veut s'attacher quelque part, elle ouvre d'abord les levres ; ensuite elle retourne sa bouche de dedans en-dehors, elle en applique les parois intérieurs, & de toute la cavité de sa bouche, on ne distingue plus qu'une petite ouverture dans le milieu, où la sangsue doit faire avancer l'organe destiné à entamer.

Cette derniere partie paroît avoir donné bien de la peine aux naturalistes, & tous ne sont pas absolument d'accord sur la forme. Il n'étoit pas raisonnable de croire que la sangsue n'avoit qu'un aiguillon comme le cousin ; on savoit bien qu'elle ne se bornoit pas à faire une piquure, dont il n'auroit résulté qu'une ampoule, une élevation à la peau, on devoit sentir qu'il falloit nécessairement qu'elle fît une plaie, pour sucer le sang avec autant d'avidité, & en aussi grande quantité qu'elle le fait, & qu'un aiguillon ne suffisoit pas pour cela. Aussi trouve-t-on peu d'auteurs de ce sentiment.

L'ouverture que la sangsue laisse appercevoir au milieu de la bouche, appliquée pour entamer, est triangulaire ; par conséquent on a dû imaginer que l'instrument qu'elle lance au-travers de cette ouverture pour entamer étoit triple, aussi cet instrument est-il à trois tranchans.

La découverte pourroit bien en être dûe à la simple observation de la plaie faite par la sangsue. En effet, si l'on examine cette petite plaie, elle représente sensiblement trois traits ou rayons qui s'unissent dans un centre commun, & qui font entr'eux trois angles égaux, & l'on voit que ce ne sont point trois piquures, mais trois plaies. On ne le remarquera pas après avoir appliqué les sangsues à des hémorrhoïdes ; mais si elles l'ont été à d'autres endroits de la peau, & sur-tout d'une peau blanche, on voit le jour même de l'opération, un peu de sang coagulé qui recouvre la plaie ; le lendemain le petit caillot tombe, mais un léger gonflement confond tout. Enfin, le troisieme ou quatrieme jour, on voit distinctement les trois plaies marquées.

L'organe pour entamer est placé, comme on l'a déja dit, entre l'ouverture faite par les deux levres & le fond de la bouche. Après avoir ouvert des sangsues par le ventre, & suivant la longueur de l'animal, & avoir cherché cet organe dans l'endroit désigné, c'est le tact qui en a d'abord découvert quelque chose. On observe qu'en passant le doigt sur l'endroit où est cet organe, l'on sent une impression pareille à celle que fait une lime douce sur le doigt, ce qui suppose déja des parties, qui sont non-seulement raboteuses, mais solides & de la nature de l'os, ou tout-au-moins de la corne.

Considérant ensuite cette partie avec une grosse loupe, on voit que la membrane interne de la bouche vers son fond est hérissée de petites pointes capables, étant si près les unes des autres, de faire des lames dentées. Sur cette simple exposition, on concevra aisément, que si par quelque mouvement particulier, ces lames s'avancent ensemble, & dans le sens de l'ouverture triangulaire vers la partie à laquelle la sangsue applique sa bouche, elles doivent faire une plaie telle qu'elle a été décrite.

Mais dom Allou a été bien plus loin ; il y a découvert trois rangées de dents, ou trois petits rateliers, dont il a décrit la disposition & la structure.

Au-delà des rateliers, dans l'endroit où la bouche retrécie de la sangsue commence à prendre la forme du canal, & où l'on se représenteroit la luette dans l'homme, il y a un mamelon très-apparent, & d'une chair assez ferme. Ce mamelon est un peu flottant dans la bouche, & il paroit assez naturel de lui assigner l'office d'une langue. Lorsque les organes dont nous avons d'abord parlé, sont appliqués où la sangsue cherche sa pâture, lorsque les râteliers ont fait plaie, & que l'ouverture qui est à leur centre est parallele au milieu de la triple plaie faite par les rateliers, il doit être facile au mamelon lancé au-travers de cette ouverture de faire le piston, & de servir à sucer le sang qui sort de l'entamure, pendant que la partie de la bouche continue aux levres, fait le corps de pompe.

Enfin se présente la cinquieme partie de la bouche. L'on voit entre la racine du mamelon que l'on appelle la langue, & le commencement de l'estomac, un espace long d'environ deux lignes, garni de fibres blanchâtres, dont on distingue deux plans, l'un circulaire & l'autre longitudinal. Celles-ci se contractent apparemment pour élargir & raccourcir la cavité de la pompe ; les circulaires resserrent le canal, & déterminent vers l'estomac le sang qui vient d'être sucé.

Ce sang entre alors dans une poche membraneuse qui sert d'estomac & d'intestins à la sangsue, & qui occupe intérieurement une grande partie du reste de son corps. Si on introduit de l'air dans cette partie par la bouche de la sangsue, l'air entre dans un tuyau droit qui est au centre, & qui s'ouvre des deux côtés dans des sacs ou cellules bien plus larges que le tuyau principal. Ces sacs sont faits d'une membrane mince jusque vers la queue de l'animal, où la membrane est fortifiée de quelques fibres circulaires fort distinctes. Si on fait de ces sacs autant d'estomacs, on en pourra compter jusqu'à 24 dans une sangsue assez grosse.

Il y a apparence que le sang sucé par la sangsue séjourne long-tems dans les réservoirs, comme une provision de nourriture. M. Morand assure avoir la preuve, qu'il y est resté quelques mois presque entierement caillé, plus noir que dans l'état naturel, & sans aucune mauvaise odeur ; & comme le sang d'un animal quelconque est le résultat de la nourriture qu'il a digerée, on pourroit croire que la sangsue ne vivant que du sang, n'a pas besoin d'une grande dépuration de la matiere qui lui sert de nourriture. Au moins est-il vrai qu'on ne connoît point d'anus ou d'ouverture qui en fasse la fonction ; & s'il est absolument nécessaire que quelques parties hétérogenes s'en séparent, apparemment que cela se fait par une transpiration perpétuelle au-travers de sa peau, sur laquelle il s'amasse une matiere gluante qui s'épaissit par degrés, & se sépare par filamens dans l'eau où l'on conserve des sangsues.

Comme cette matiere en se délayant dans l'eau, ne forme que de petits lambeaux déchiquetés, M. Morand, pour rendre cette dépouille plus sensible, a mis des sangsues dans de l'huile, & les y a laissées plusieurs jours : elles y ont vécu, & lorsqu'il les a remises dans l'eau, elles ont quitté cette pellicule qui représentoit alors une dépouille entiere de l'animal, comme seroit la peau d'une anguille.

On voit à l'occasion de cette expérience, qu'il n'en est pas des sangsues comme des vers terrestres, & qu'elles n'ont pas leurs trachées à la surface extérieure du corps. Il est vraisemblable qu'elles respirent par la bouche, mais de savoir quelle partie leur sert de poumons, c'est ce qui n'est pas encore connu, non plus que d'autres singularités qui les regardent. On ne sait de leur génération que ce qu'en rapporte Rai, qui dit qu'on trouve quelquefois de jeunes sangsues fort petites attachées ensemble par le ventre en manieres de grappes. (D.J.)

SANGSUE, (Médecine thérapeutique) on se sert des sangsues en médecine pour faire dans certaines parties du corps des saignées peu abondantes.

Ce moyen de tirer du sang paroît avoir été inconnu à Hippocrate & aux médecins qui l'ont suivi, jusqu'à Thémison. Depuis ce dernier auteur, on s'en est servi dans plusieurs maladies, plus ou moins, suivant les sectes & les pays. Les méthodiques en faisoient un très-grand usage, les Italiens s'en servent plus souvent que nous.

Lorsqu'on veut appliquer les sangsues, on choisit les plus petites de celles qui sont rayées sur le dos, & qui naissent dans l'eau la moins bourbeuse. On les affame en les tenant pendant quelques heures hors de l'eau. On excite par cette diete leur besoin de prendre de la nourriture ; on frotte doucement en lavant la partie à laquelle on veut qu'elles s'attachent. Alors on prend une sangsue avec un linge par la queue, & on la porte sur l'endroit frotté, où on la fait descendre par une bouteille à col étroit, un tube, un roseau sur cette partie. Si elle refuse de s'y attacher, on y verse quelques gouttes de sang de poulet, de pigeon, &c. ou de lait ; on pique légerement la partie avec une épingle pour en faire sortir un peu de sang ; & enfin à son nouveau refus, on passe à d'autres, ou on attend qu'un jeûne plus long lui ait rendu le goût pour le sang qu'on veut qu'elle suce. Lorsque la sangsue est rassasiée, elle tombe d'elle-même. On l'engagera à tirer une plus grande quantité de sang en lui coupant la queue ; elle perdra par cette plaie une partie de celui qu'elle vient de sucer, & elle cherchera à réparer cette perte. On répete cette application de sangsues, jusqu'à ce que l'indication soit satisfaite. Si elle tardoit trop de se détacher, on ne l'arracheroit pas avec violence, crainte d'attirer une inflammation, mais on jetteroit une petite quantité d'eau salée, de salive, d'huile de tartre, de cendres, &c. sur sa tête. Il reste après la sortie des sangsues une petite plaie que leur trompe a causée, qui fournit quelquefois une hémorrhagie, qu'on entretient par la vapeur de l'eau chaude, par le bain d'eau tiede, qu'on guerit communément par les astringens vulnéraires les plus doux, par la charpie rapée, l'esprit de vin. On s'est vu cependant quelquefois obligé d'employer les plus forts.

L'application des sangsues doit être recommandée toutes les fois qu'on veut faire de petites saignées locales dans une partie où il y a une pléthore particuliere (voyez SAIGNEE, PLETHORE), & où la situation des vaisseaux, l'état foible & cachéctique du malade, la longueur de la maladie ne permettent pas d'ouvrir des gros vaisseaux. C'est ainsi qu'elles sont utiles aux tempes & derriere les oreilles dans les délires, douleurs de tête, qu'elles réussissent contre les maladies inflammatoires des yeux, étant appliquées au grand angle ; qu'elles sont un excellent remede contre les maux multipliés que la suppression du flux hémorrhoïdal peut produire, en les présentant aux tumeurs que forment ces varices. Elles ont même un avantage dans tous ces cas au-dessus de la saignée, c'est d'attirer les humeurs sur la partie où on les applique, par l'irritation qu'elles causent. On se sert également des sangsues pour tirer du sang du bras, du pié des enfans, & de ceux qui craignent la saignée, ou dont les vaisseaux sont difficiles à ouvrir ; on les applique au haut de la cuisse pour procurer le cours des regles, au col pour guérir de l'esquinancie ; mais ces derniers usages sont assez généralement abandonnés en France.

SANGSUE, (Chirurg.) Les Chirurgiens dans l'application des sangsues, préferent les plus petites aux grosses, en ce que leur piquure est moins douloureuse ; & entre les petites on choisit celles qui sont marquetées de lignes sur le dos.

Il n'est pas impossible que les anciens aient appris à saigner de ces insectes ; car tout le monde sait que lorsque les chevaux sont attirés au printems par l'herbe verte dans les étangs & dans les rivieres, de grosses sangsues qu'on appelle sangsues de chevaux, s'attachent à leurs jambes & à leurs flancs, leur percent une veine, leur procurent une hémorrhagie abondante, & qu'ils en deviennent plus sains & plus vigoureux.

Si contre toute vraisemblance Thémison n'est pas le premier qui se soit servi de sangsues, il est du moins le premier qui en fait mention ; Hippocrate n'en a point parlé ; & Caelius Aurelianus n'en dit rien dans les extraits qu'il a faits des écrits de ceux qui ont pratiqué la médecine depuis Hippocrate jusqu'à Thémison. Les disciples de Thémison se servoient de sangsues en plusieurs occasions ; ils appliquoient quelquefois les ventouses à la partie d'où les sangsues s'étoient détachées, pour en tirer une plus grande quantité de sang. Galien ne fait aucune mention de ce remede, apparemment parce qu'il étoit particulier à la secte méthodique qu'il méprisoit. J'avoue qu'il en est parlé dans un petit traité imparfait intitulé, de cucurbitulis, de scarificatione, de sanguisugis, &c. qu'on attribue à Galien, mais sans aucun fondement ; car Oribase qui a écrit des sangsues, l. VII. dit avoir tiré ce qu'il en rapporte, d'Antille & de Menemaque, l'un & l'autre de la secte méthodique, ou du moins ce dernier. Il y a apparence que l'on doit aux paysans la découverte de ce remede.

La sangsue est, comme on sait, une espece d'insecte ou de ver aquatique, qui appliqué au corps, perce la peau, tire le sang des veines, & procure quelquefois la santé par cette évacuation. C'est par cette raison que les médecins grecs & romains les ont employées de très-bonne heure. Comme il y en a de plusieurs especes, il ne sera pas hors de propos d'établir ici quelques regles qui puissent en fixer le choix.

On prendra d'abord celles qu'on aura pêchées dans des ruisseaux, & dans des rivieres dont les eaux sont claires : ce sont les meilleures ; celles qu'on trouve dans les lacs, dans les étangs & dans les eaux croupissantes, sont impures, & excitent quelquefois des douleurs violentes, des inflammations & des tumeurs. Les Chirurgiens les plus expérimentés préferent encore aux autres, celles qui ont la tête petite & pointue, dont le dos est marqueté de lignes verdâtres & jaunâtres, & qui ont le ventre d'un jaune rougeâtre ; car lorsqu'elles ont la tête large, & tout le corps d'un bleu tirant sur le noir, on les tient pour être d'une espece maligne. Mais une précaution qu'il est absolument nécessaire de prendre, c'est de ne jamais appliquer des sangsues récemment pêchées dans des rivieres ou dans des eaux troubles ; il faut les tenir auparavant dans un vaisseau d'eau pure, & changer de tems en tems cette eau dans laquelle elles se purgeront de ce qu'elles pourroient avoir de sale & de venimeux. Lorsqu'elles auront vécu pendant un ou deux mois de cette maniere, on pourra s'en servir en sûreté.

Avant que d'appliquer la sangsue, on la tirera de l'eau, & on la tiendra pendant quelque tems dans un verre ou dans un vaisseau vuide, afin qu'étant altérée, elle s'attache ardemment à la peau, & tire des veines une plus grande quantité de sang. Quant à la partie qu'il faut faire piquer, ce sont ordinairement les tempes ou le derriere des oreilles, si la tête ou les yeux sont affectés par une trop grande abondance de sang, & sur-tout si le malade est dans une fievre accompagnée de délire. On les applique aussi quelquefois très-convenablement aux veines du rectum, dans les cas d'hémorrhoïdes aveugles & douloureuses : les sangsues ne seront pas moins bienfaisantes dans les hémorrhagies du nez & dans les vomissemens & crachemens de sang : elles sont très-propres à procurer une révulsion, sur-tout lorsque l'hémorrhagie provient de l'obstruction des hémorrhoïdes.

Avant que d'appliquer la sangsue, on commence par frotter la partie jusqu'à ce qu'elle soit chaude & rouge. On prend ensuite l'animal par la queue avec un linge sec, on l'éleve, on le tient à moitié sorti du vaisseau, & on le dirige vers l'endroit où l'on veut qu'il s'attache : ce qu'il fait avec beaucoup d'ardeur. S'il est à-propos d'appliquer plusieurs sangsues, on s'y prendra successivement ainsi que nous venons de l'indiquer. Lorsqu'elles refusent de prendre, ce qui arrive quelquefois, on humectera la partie avec de l'eau chaude, ou avec du sang de pigeon ou de poulet : si cela ne suffit point, il en faut choisir d'autres. L'application des sangsues à la caroncule dans le grand angle de l'oeil après la phlébotomie se fait avec beaucoup de succès dans les maladies inflammatoires de cet organe. La crême & le sucre inviteront les sangsues à s'attacher à la partie qu'on en aura frottée.

Aussitôt que les sangsues sont pleines de sang, elles se détachent d'elles-mêmes ; s'il étoit à-propos de faire une plus grande évacuation, on en appliqueroit de nouvelles, ou l'on couperoit la queue à celles qui sont déja attachées ; car elles tirent du sang à mesure qu'elles en perdent. Si lorsqu'on aura tiré une quantité suffisante de sang, elles ne lâchent point prise d'elles-mêmes, on n'aura qu'à jetter sur elles un peu de sel ou de cendres, & elles tomberont sur le champ. Cette méthode nous paroît la meilleure ; car lorsqu'on les détache de force, elles causent quelquefois une inflammation ou une tumeur. On remettra dans de l'eau claire celles à qui on n'aura point coupé la queue, & on les gardera pour une autre occasion ; quant à celles qu'on a blessées, elles meurent toujours. On lavera les ouvertures qu'elles auront faites, avec de l'eau chaude, & on les pansera avec une emplâtre vulnéraire ; mais ces petites blessures guérissent ordinairement sans remede.

Ceux qui desirent en savoir davantage sur ces insectes, n'ont qu'à lire Aldrovandus, Gesner, Botallus, Petrus Paulus Magnus, Sebizius, Heurnius, Crausius, Schroeder & Stahl qui en ont traité plus au long.

L'hémorrhagie continue ordinairement pendant quelque tems, quelquefois pendant deux heures, & même davantage, après que les sangsues sont tombées. Comme on ne reçoit point alors le sang dans des vaisseaux, & qu'il est entierement absorbé par le linge, il paroît être en beaucoup plus grande quantité qu'il n'est en effet. Cela suffit quelquefois pour allarmer le malade, & jetter dans une vaine consternation les assistans qui ne manquent pas d'imaginer que l'hémorrhagie est très-abondante, & de craindre qu'il ne s'ensuive une foiblesse & la mort.

On préviendra ces terreurs paniques, & l'on arrêtera en peu de tems l'effusion de sang, soit par la compression, soit par l'application d'un styptique, comme de l'eau-de-vie avec un peu de colcothar mis en poudre. Mais un fait plus ordinaire, c'est qu'on soit obligé de baigner avec de l'eau chaude la partie piquée pour en faire sortir le sang plus librement, lorsqu'il n'en vient point une quantité qui réponde au dessein qu'on avoit, en appliquant les sangsues. Heister. (D.J.)

SANGSUE DE MER, hirudo marina, insecte de mer qui ressemble beaucoup à la sangsue d'eau douce ; il est de la longueur du doigt, & plus mince à la partie antérieure qu'à la partie postérieure ; il a deux petites cavités rondes semblables aux suçoirs des polypes par le moyen desquels cet insecte s'attache aux corps qu'il rencontre : ces suçoirs sont placés l'un à côté de la tête, & l'autre à la queue ; le corps est divisé en plusieurs anneaux, & la peau est dure : ce qui fait que cet insecte ne peut pas se mettre en boule ; cependant il peut se rapetisser en retirant la tête & la queue dans son corps ; il vit dans la boue, & il sent mauvais. Rondelet, hist. des zoophites, chap. vij. Voyez POISSON.

SANGSUE DE MER, (Hist. nat. du Chily.) Les sangsues de mer du Chily sont de plusieurs couleurs ; les unes entierement rouges de couleur de feu, d'autres d'un verd-bleuâtre, & d'autres d'un verd-grisâtre. Elles sont articulées de bandes annulaires en grand. Chaque bande est relevée sur les flancs de deux petits mamelons qui leur servent d'autant de jambes pour ramper, de la même maniere que rampent nos chenilles. A l'extrêmité de chaque mamelon, on voit une sorte de nageoire composée d'une infinité de petites épines blanches, qui sont si subtiles & si aiguës, que pour peu qu'on touche cet animal, elles entrent dans les doigts, & pénétrent avec autant de facilité que les piquans imperceptibles des opontia. Les nageoires des mamelons supérieurs ou du dos sont toutes accompagnées d'un pennache verd-gris ; & elles sont composées de quantité de très-petites fibres branchues, que l'on n'apperçoit que dans le tems que l'animal nage, ou marche au fond de l'eau ; ces pennaches s'abattent sur son dos, & ne paroissent que comme un tas de petits vers entrelacés les uns dans les autres, semblables à la mousse des rochers, lorsqu'elle ne surnage pas au-dessus de l'eau. Le p. Feuillée a dessiné quelques-unes de ces sangsues marines dans son histoire des animaux du Chily. (D.J.)

SANGSUES TERRESTRES, (Hist. nat.) des voyageurs nous apprennent que l'île de Ceylan produit une espece de sangsues fort incommode pour ceux qui vont à pié. Elles n'ont d'abord que la grosseur d'un crin de cheval, mais elles se gonflent au point de devenir de la grosseur d'une plume d'oie, & longues de deux ou trois pouces. Ce n'est guere que dans les saisons pluvieuses qu'on les voit ; alors elles montent aux jambes des voyageurs, & les sucent avec une promtitude qui empêche de s'en garantir. On souffre patiemment leurs morsures, parce qu'on les regarde comme fort saines.


SANGUEHAou SANQUEHAR, (Géog. mod.) petite ville d'Ecosse, dans la province de Nithsdale, proche la source de la Nith, à 18 lieues au sud-ouest d'Edimbourg. Long. 13. 28. latit. 55. 42. (D.J.)


SANGUENARESLES, (Géog. mod.) ce sont deux petites îles adjacentes à la Sardaigne, sur la côte orientale du cap de Cagliari, & à 22 milles de la ville de Cagliari, vers l'orient. On les nommoit autrefois Cuniculariae insulae. (D.J.)


SANGUESA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Navarre, sur les frontieres de l'Aragon, & sur la riviere d'Aragon, à huit lieues de Pampelune, & à 11 de Calahorra. Elle est la capitale d'une mérindade de son nom, qui comprend quelques bourgs & plusieurs villages. C'est peut-être la Jurissa (ou Turisia, selon les divers exemplaires) d'Antonin. Long. 16. 30. latit. 42. 25. (D.J.)


SANGUI-CYA(Géog. mod.) riviere d'Asie dans la Perse. Elle sort d'un lac, est profonde, rapide, poissonneuse, & se décharge dans l'Araxe, à trois lieues au sud d'Erivan. (D.J.)


SANGUIFICATIONS. f. (Physiolog.) c'est l'acte par lequel le chyle est changé en sang. Voyez CHYLE, SANG. La sanguification succede à la chylification, & est suivie de la nutrition. Voyez ces articles.

La sanguification se fait ainsi. Après que le chyle a passé par les différentes sortes de veines lactées, & qu'il est parvenu dans le canal thorachique, il est porté de-là dans la souclaviere où il se mêle avec le sang avec lequel il descend dans le ventricule droit du coeur, & s'y mêlant plus intimement, ils circulent ensemble dans toute l'habitude du corps, jusqu'à ce qu'après plusieurs circulations, & après plusieurs dépurations qui se font dans les différens couloirs & dans les différens canaux du corps, ils soient intimement unis, ou, comme disent les chymistes, cohobés, desorte qu'ils ne font plus qu'un tout uniforme qui ne paroît être autre chose que le chyle altéré par l'artifice de la nature & exalté en sang. En effet il ne paroît pas qu'il se mêle aucun corps étranger que le chyle avec la liqueur qui circule, excepté ce qui en a été séparé auparavant pour des cas particuliers, à moins que l'air ne se mêle avec elle dans les poumons : ce qui n'est pas hors de doute & de contestation. Voyez AIR, SANG.

Il est vrai qu'il y a une certaine quantité d'air qui est mêlée avec le sang, & qui circule avec lui ; mais il est douteux si c'est un nouvel air qui vienne se joindre à celui qui étoit contenu en premier dans les matieres dont le chyle a été formé. Les principaux argumens dont on se sert pour appuyer cette opinion, sont la nécessité de la respiration & la couleur écarlate que le sang acquiert dans les poumons, & qui paroît d'abord dans les veines pulmonaires. Le premier est fondé sur une explication assez satisfaisante sous l'article RESPIRATION.

L'autre est appuyé sur les changemens qui arrivent au sang coagulé après la saignée ; si on expose à l'air la partie de ce sang qui étoit dans le fond du vase ; & qui avoit commencé de contracter une couleur noirâtre, cette partie mise à l'air acquerrera une couleur d'un rouge éclatant : ce que nous remarquons s'exécuter de même dans la veine pulmonaire.

Les anciens étoient très-embarrassés pour connoître le siege de la sanguification, de même que pour savoir le lieu & l'instrument par lequel elle s'effectuoit ; si c'étoit dans le coeur, dans le foie, ou dans les poumons, mais selon la doctrine des modernes, le coeur, le foie, les vaisseaux, &c. ne contribuent pas plus à changer le chyle en sang, que le soleil contribue à changer le moût en vin. Voyez COEUR, FOIE.

Les anciens rapportoient la sanguification à la faculté formatrice. Dans le dernier siecle, quand la chymie fut introduite, on croyoit que la sanguification & plusieurs autres choses se faisoient par un ferment, & les médecins de ces tems recherchoient quel étoit le lieu particulier où ce ferment étoit préparé & conservé ; les uns disoient que c'étoit le foie, d'autres la rate, &c. mais ces opinions sont rejettées par les modernes.

On doit admettre deux degrés de sanguification ; le premier qui se réduit seulement à la confusion & à l'intimation des parties, comme étant suffisante pour confondre les différentes couleurs des liqueurs, ensorte que la blancheur du chyle soit perdue & changée en la rougeur du sang ; desorte qu'elle ne paroîtra plus dans sa premiere figure, ni sous sa propre couleur. Il faut supposer que cela se fait seulement par les circulations répétées ; mais on ne peut pas déterminer le nombre de ces circulations. Le second degré est quand les parties du chyle sont si exaltées ou subtilisées, qu'elles perdent toute tendance à la séparation coagulatoire, comme elles l'ont dans le chyle & dans le lait. On peut ajouter un troisieme degré dans lequel les parties du sang qui ne sont pas digérées, sont si brisées & si mêlangées avec le serum, qu'elles ne sont plus capables de séparation. Cette sanguification est morbide, & se fait dans les fievres accompagnées de sueurs de sang, de taches de pourpre, &c.

Le docteur Drake ne doute aucunement que tous ces degrés de sanguification ne soient causés par les circulations réitérées dans lesquelles l'intestin & le mouvement progressif conspirent à mêler & à diviser les parties accessoires. Elles ont sans-doute leur période déterminé dans lequel elles arrivent à leur perfection ; mais nous ne connoissons pas précisément où il doit être fixé.


SANGUIN(Botan.) arbrisseau qui est du même genre que le cornouiller, à l'article duquel on a fait la description détaillée de plusieurs especes de sanguins. Voyez CORNOUILLER.

SANGUIN, adj. se dit en pratique de Médecine, d'un homme qui a beaucoup de sang, où le sang & la chaleur prédomine, & qui a enfin tous les signes du tempérament sanguin. En général dans ce tempérament le sang est bien conditionné & en grande quantité, les vaisseaux sont fort remplis ; les humeurs sont âcres, la couleur est vermeille, les maladies inflammatoires sont ordinaires ; les personnes sanguines doivent se faire saigner souvent, autrement les vaisseaux surchargés attireroient différentes maladies aiguës & chroniques : cependant il faut avoir soin d'être ménagé & discret dans l'administration des saignées ; l'habitude de la saignée est pernicieuse, & fait naître la nécessité de la rendre plus fréquente, ce qui détermine plus promtement la pléthore à se former.

La meilleure façon de prévenir le trop de sang dans les gens qui sont nés sanguins, c'est de leur ordonner un grand régime, un exercice modéré, & enfin des alimens peu nourrissans qui ne fournissent qu'un suc nourricier léger & peu solide.

Les gens sanguins se reconnoissent plus à la maigreur qu'à l'embonpoint, à la grandeur des vaisseaux, à la couleur du visage, qui est d'un rouge tantôt fleuri, tantôt brun, tantôt livide. Le rouge livide marque le trop de sang & son épaississement ; il présage une évacuation, & demande la saignée, si l'évacuation indiquée n'arrive pas au tems marqué & indiqué.


SANGUINAIREadj. (Gram.) qui se plaît à répandre le sang : c'est le plus affreux de tous les caracteres. On y incline les hommes par des combats publics, des spectacles de gladiateurs, des scènes de tragédies ensanglantées.

SANGUINAIRES, s. m. plur. (Hist. ecclésiast.) surnom de quelques anabaptistes, qui, dans le xvj. siecle, bûvoient du sang humain en faisant leurs sermens. Lindan.


SANGUINALISSANGUINALIS


SANGUINARIAS. f. (Botan.) genre de plante décrit par Dillenius, Hort. eltham. p. 262. Le spatha ou l'enveloppe qui renferme la fleur en guise de calice est composée de deux feuilles ; cette enveloppe est ovale, concave, & plus courte que la fleur qui est formée à huit pétales oblongs, obtus, & étendus de toutes parts ; les étamines sont plusieurs filets simples, plus courts que la fleur ; le germe du pistil est oblong & applati ; il n'y a point de stile. Le stigma est sillonné profondément de cannelures dans toute sa longueur ; le fruit est une capsule oblongue, composée de deux loges qui contiennent plusieurs graines rondes. Linn. gen. plan. p. 227. (D.J.)


SANGUINARIUSSANGUINARIUS


SANGUINE(Hist. nat.) nom que l'on donne à l'hématite. Voyez cet article.


SANGUINOLENTadj. (Gram.) qui est mêlé de sang. On dit des crachats sanguinolens, du pus sanguinolent.


SANGUINUSS. m. (Botan. anc.) nom donné par quelques anciens au bouleau à cause de la couleur rougeâtre foncée de ses verges ; Pline appelle aussi cet arbuste sanguineus frutex, & il l'oublie peu après ; les Italiens nomment encore aujourd'hui le bouleau sanguino. (D.J.)


SANGUISORBAS. f. (Botan.) genre distinct de plante que Linnaeus caractérise ainsi. Le calice particulier est composé de deux feuilles très-courtes, opposées l'une à l'autre, & qui tombent avec la fleur. La fleur est une seule feuille divisée en quatre segmens, de forme ovale pointue, & qui se touchent seulement à leur extrêmité inférieure. Les étamines sont quatre filets larges dans leur partie supérieure, & de la même longueur que la fleur. Les bossettes des étamines sont petites & arrondies. Le germe du pistil est quarré & situé entre le calice & la fleur ; le stile est fort court & fort menu ; le stigma est obtus ; le fruit est une capsule contenant deux loges remplies de fort petites graines. Linn. gen. plant. p. 46. (D.J.)


SANHÉDRIN(Critiq. sacrée) mot qui vient du grec synédrion, assemblée ; c'étoit un tribunal chez les Hébreux, dont on fait remonter l'institution jusqu'à Moïse, qui, par l'avis de Jethro son beau-pere, choisit soixante & dix des anciens d'Israël, pour lui aider à porter le poids du gouvernement, Nombre ij. 16. On élisoit les membres de ce conseil dans chaque tribu. Le chef s'appelloit hanasée, président ; le second ab, pere du conseil ; & le troisieme hacam, sage ; mais il y avoit encore chez les Juifs d'autres cours de justice subalterne, qu'on appelloit sanhédrins.

Pour donner au lecteur une idée de ces divers tribunaux tels qu'ils étoient quelque tems avant Jesus-Christ, il faut savoir que Gabinius ayant rétabli Hircan dans la souveraine sacrificature, fit de grands changemens dans le gouvernement civil, car il le rendit aristocratique de monarchique qu'il étoit. Jusques-là le prince avoit gouverné la nation par le ministere de deux especes de conseils ou cours de justice ; l'une de vingt-trois personnes, appellés le petit sanhédrin ; & l'autre de soixante-douze, qui étoit le grand sanhédrin. De la premiere espece, il y en avoit un dans chaque ville : Jérusalem seulement, à cause de sa grandeur & de la quantité d'affaires qui y survenoient, en avoit deux, qui se tenoient en deux salles séparées.

Quant au grand - sanhédrin, il n'y en avoit qu'un pour toute la nation ; il tenoit ses assemblées dans le temple, & les y avoit toujours tenues jusqu'alors. Les petits sanhédrins prenoient connoissance de toutes les affaires qui regardoient la justice pour la ville, & le territoire dans lequel ils se tenoient. Le grand Sanhédrin présidoit sur les affaires de la nation en général, recevoit les appels des cours inférieures, interprêtoit les lois, & de tems en tems faisoit de nouveaux reglemens pour les mieux faire exécuter. Gabinius cassa tous ces tribunaux, & à leur place introduisit cinq différentes cours ou sanhédrins, dont chacune étoit indépendante des autres & souveraine dans son ressort. La premiere fut mise à Jérusalem ; la seconde, à Jéricho ; la troisieme, à Gadara ; la quatrieme, à Amathus ; & la cinquieme à Séphoris. Tout le pays fut partagé en cinq provinces ou départemens, & chaque province obligée de s'adresser pour la justice à une des cours qu'il venoit d'établir, c'est-à-dire à celle qu'il lui avoit assignée, & les affaires s'y terminoient sans appel.

La tyrannie d'Alexandre Jannée avoit dégoûté les Juifs du gouvernement monarchique. Ils s'étoient adressé à Pompée pour le faire abolir, quand il entra dans la discussion du démêlé des deux freres à Damas. Ce fut pour les contenter qu'il ôta le diadême & le nom de roi à Hircan, en lui rendant pourtant la souveraineté sous un autre nom, car il lui laissa toute la puissance ; mais dans cette rencontre ils obtinrent de Gabinius de lui en ôter le pouvoir, comme l'autre lui en avoit ôté le nom ; & il le fit par le changement dont je viens de parler. En effet, son reglement transportoit tout le gouvernement des mains du prince entre celles des grands qui entroient dans ces cinq cours souveraines ; la monarchie se trouvoit par-là changée en aristocratie. Dans la suite Jules César, en passant par la Syrie, redonna la souveraineté à Hircan, & remit les choses sur l'ancien pié.

Hérode étant monté sur le trône trente-sept ans avant Jesus-Christ, versa le sang de ceux de la faction qui lui étoit opposée, dont il avoit le plus à craindre le crédit & l'activité. Tous les membres du grand sanhédrin se trouvérent de ce nombre, à la réserve de Pollion & de Saméas, que Josephe appelle Hillel & Shammaï ; & de tous leurs docteurs de la mischna, ce sont ceux dont il est le plus parlé. Les descendans d'Hillel furent présidens du sanhédrin pendant dix générations. Siméon son fils est celui qui prit l'enfant Jesus entre ses bras, quand on le présenta à Dieu dans le temple, & qui prononça le Nunc dimittis en le voyant. Luc ij. Gamaliel, fils de Siméon, présidoit au sanhédrin, quand S. Pierre & les autres apôtres y comparurent, Actes, v. 34. C'est aussi le maître aux piés de qui S. Paul fut élevé dans la secte & dans la justice des pharisiens, Actes, xxij. 3. Il vécut jusqu'en l'an 18 avant la destruction de Jérusalem, & son fils qui lui succéda périt au sac de cette ville par les Romains.

Il me reste à dire un mot d'une troisieme espece de sanhédrin établi par les Juifs, auquel les vicissitudes dont nous avons parlé ne toucherent point, & qui se soutint toujours la même. C'étoit la cour de trois qui décidoit tous les différends entre particuliers, concernant des marchés, des ventes, des contrats & autres pareilles affaires. Dans tous ces cas-là, une des parties choisissoit un arbitre pour juge ; l'autre en choisissoit un second ; & ces deux arbitres convenoient d'un troisieme. Ces trois personnes ensemble faisoient une cour qui, après avoir entendu les parties, décidoit en dernier ressort.

Ces généralités peuvent suffire pour se faire quelque idée des sanhédrins des anciens Juifs ; mais les lecteurs plus curieux en trouveront des détails circonstanciés dans la Mischna, dans la Gémare, dans Maimonides, dans Selden, Lightfoot, Cock, & quelques autres qui ont traité ce sujet à fond. (D.J.)


SANICLES. f. sanicula, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose & en ombelle, composée de plusieurs pétales disposés en rond, repliés ordinairement vers le centre de la fleur, & soutenus par un calice qui devient dans la suite un fruit composé de deux semences ; elles sont convexes d'un côté, hérissées de pointes, & plates de l'autre. Plusieurs de ces fleurs sont stériles & ne rapportent aucun fruit. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SANICLE, (Mat. méd.) sanicle commune ou mâle. Cette plante est généralement regardée comme un vulnéraire éprouvé. La haute opinion qu'en a le peuple est consignée dans ce proverbe en rime : Qui a la bugle & la sanicle (que les Parisiens prononcent sanique), fait aux Chirurgiens la nique.

Les feuilles de cette plante sont très-communément employées dans les apozemes, les bouillons, les tisanes destinées au traitement de toutes les especes d'hémorrhagies, des chûtes, des coups, &c. contre les cours de ventre, la dyssenterie, &c. le suc exprimé de ses feuilles est aussi employé dans le même cas. On employe tous ces remedes sous forme de gargarisme dans les maux de gorge qui dépendent de relâchement ; on employe aussi le suc & la décoction sous forme d'injection ou de lotion dans le pansement des plaies ; l'infusion théïforme des feuilles de sanicle est aussi usitée pour l'usage intérieur, mais cette infusion ne pouvant être que très-légerement chargée du principe médicamenteux de la plante, doit être regardée comme un remede très-foible.

On conserve dans les boutiques une eau distillée de sanicle, qu'on regarde assez communément comme empreinte des principes vulnéraires astringens de la plante ; mais ces principes ne sont point volatils, & l'eau de sanicle n'est certainement point astringente. Nous avons observé ailleurs la même chose en parlant de l'eau de plantain & de celle de renouée, &c. Voyez ces articles.

Les feuilles de sanicle entrent dans l'eau vulnéraire, le baume vulnéraire & le baume opodeltoch, & son suc dans l'emplâtre opodeltoch. (b)


SANIES. f. terme de Chirurgie, qui signifie la matiere claire & sereuse qui coule des plaies & des ulceres : les Grecs l'appellent ichor.

Elle differe du pus qui est plus épais, & plus blanc. Voyez PUS.

La suppuration des plaies des aponévroses, des ligamens, des articulations, est toujours sanieuse : les ulceres de ces parties ne doivent pas être traités par des remedes gras & onctueux, mais avec des baumes qui s'opposent à la pourriture. Voyez PLAIES DES NERFS, DES TENDONS, DES APONEVROSES & autres parties exanguines. (Y)


SANIEUXadj. qui est chargé de sanie. Voyez SANIE.


SANINDO(Géog. mod.) c'est le nom d'une des sept grandes contrées de l'empire du Japon. Sanindo signifie la contrée montagneuse du Nord, ou la contrée froide. Elle comprend huit provinces qui sont, Tanba, Tango, Tasima, Imaba, Fooki, Idsumo, Iwami, & Oki. Tout le revenu annuel de ces huit provinces, monte à 123 mankokfs. (D.J.)


SANISS. m. (Hist. grecq.) ; genre de punition chez les Grecs, qui consistoit à attacher un malfaiteur à un poteau, & à le laisser dans cet état plus ou moins long-tems suivant son crime. Potter. Archaeol. Graec. t. I. p. 131. (D.J.)


SANITIUM(Géog. anc.) ancienne ville des Alpes maritimes, selon Ptolémée, l. III. c. j, qui étend son Italie jusques-là. C'est à présent la ville de Sénez : les habitans de ce canton sont nommés par Pline Sanagenses, & la ville même est appellée Saniciensium civitas, dans la notice des provinces. (D.J.)


SANJAou SANGIAK, s. m. (Hist. mod.) c'étoit anciennement chez les Turcs le titre qu'ils donnoient à tous les gouverneurs ; aujourd'hui ils sont inférieurs aux bachas & beglerbegs, & ne sont que des intendans ou directeurs des provinces, qui ont droit de faire porter devant eux un étendard appellé sanjak, sans queue de cheval.


SANJENÉ-LAHÉS. f. (Hist. nat. Bot.) arbre de l'île de Madagascar, dont le bois a l'odeur du cumin. Son écorce ressemble à celle du sureau & est très-aromatique ; on dit qu'elle est un remede dans les brûlures.


SANJODO(Géog. mod.) une des sept grandes contrées de l'empire du Japon. Le mot sanjodo, veut dire la contrée montagneuse méridionale, ou la contrée chaude. Elle renferme huit provinces, qui sont Farima, Mimasaki, Bidsen, Bitsju, Bingo, Aki, Suwo & Nagata. Leur revenu annuel monte en total à 270 mankokfs. (D.J.)


SANKIRA(Hist. nat. Botan.) plante du Japon, dont la racine fameuse par ses vertus, est grosse, dure, noueuse, inégale, garnie de longues fibres, rouge ou noire en-dehors, blanche au-dedans, & d'un goût fade. Cette plante, quand elle ne trouve rien qui la soutienne, ne s'éleve que d'une ou deux coudées ; mais lorsqu'elle rencontre des buissons, elle devient beaucoup plus haute. Ses branches sont ligneuses, de la grosseur d'un tuyau d'orge, d'un rouge brun près de terre, garnies de noeuds de deux en deux pouces, & changeant de direction après chaque noeud, d'où sortent deux tendrons semblables à ceux de la vigne, par lesquels la plante s'attache à tout ce qu'elle rencontre. Les feuilles, qui n'ont presque point de pédicules, sont rondes, terminées par une pointe courte, de trois pouces de diamêtre, minces, sans découpures, & d'un verd clair des deux côtés. Sur un pédicule très-mince, long d'un pouce, sont disposées en ombelle, environ dix petites fleurs, de couleur jaunâtre, de la grosseur d'un grain de coriandre, à six pétales & six étamines, dont la pointe est d'un blanc qui tire sur le jaune. Le sommet du pistil qui occupe le milieu de la fleur, est couleur de verd de mer. Après la fleur, il vient un fruit, qui a peu de chair, & qui ressemble à la cerise par sa figure, sa grosseur & sa couleur ; mais il est sec, farineux, & d'un goût austere. Les semences sont au nombre de quatre, cinq ou six, de la grosseur d'une lentille, en forme de croissant ; noirâtres en-dehors lorsqu'elles sont seches ; blanches en-dedans, d'une substance très-dure. Cette plante croît abondamment parmi les ronces & les fougeres.


SANKITS(Hist. nat. Botan.) c'est un petit chamae-cerasus, à feuilles de cerisier sauvage du Japon, lesquelles sont disposées en rond. Ses fleurs sont pentapétales, & ressemblent à celles du muguet ; son fruit est un peu rouge, plus gros qu'un pois, d'un goût doux & styptique, avec un noyau blanc, dur & transparent.


SANNE LA(Géog. mod.) ou la Seine, petite riviere de France, en Normandie, au pays de Caux. Elle a sa source à six lieues de Rouen, & se jette dans la mer à une lieue de Dieppe, & à six de son origine. (D.J.)


SANNESterme du jeu de Trictrac, qui signifie deux fois six, que les dés amenent d'un même coup.


SANNI(Géog. anc.) ancien peuple de l'Asie, assez près de la petite Arménie. Strabon, l. XII., dit, au-dessus de Trébizonde & de Pharnacie, sont les Tibaréniens, les Chaldéens & les Sanni, qu'on appelloit autrefois Macrones, & la petite Arménie.

2. Les Sanni Heniochi, sont un autre peuple différent dans la Colchide. Pline, l. VI. c. iv. & v, en fait mention, & les distingue des Heniochi proprement dits. (D.J.)


SANOCK(Géog. mod.) petite ville de Pologne, dans le palatinat de Russie, vers les montagnes, sur la riviere de San. (D.J.)


SANS - PAIRadj. (Anat.) Voyez AZYGOS.


SANS-PRENDRES. m. terme d'hombre, de quadrille, de médiateur, de tri. Il se dit lorsqu'on fait jouer sans écarter. Voyez ces jeux à leurs articles.


SANSCRIou SAMSKRET, s. m. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne parmi les idolâtres de l'Indostan à une langue fort ancienne, qui n'est connue que des bramines ou prêtres, & dans laquelle est écrit le vedam, qui contient les dogmes de la religion des Indiens. Voyez VEDAM. Cette langue sacrée se trouve ainsi nommée Sanscrit & Samskrotam ; il n'y a que la tribu des prêtres & celle des kutteris ou nobles à qui il soit permis de l'apprendre.


SANSJU(Géog. mod.) une des cinq provinces impériales du Japon dans l'île de Niphon. C'est un pays fort étendu, très-fertile, & qu'on divise en huit districts. Sa longueur du sud au nord, est de cent milles du Japon. Il contient plusieurs bonnes villes, & autres places considérables. (D.J.)


SANSONNETVoyez ETOURNEAU.


SANT(Géog. mod.) les Espagnols & les Italiens disent santo au masculin, & santa au féminin, lorsqu'il s'agit de joindre ce nom adjectif à un nom propre géographique ; alors ils retranchent l'o devant une voyelle, & devant une consonne ; les Italiens écrivent simplement san, en retranchant le t, aussi-bien que l'o, parce qu'en effet il ne se prononce point, pour éviter la dureté de la prononciation. Rien n'est plus commun que san, santo, & santa, devant des noms géographiques de lieux, de villes, de rivieres, d'îles, de montagnes, &c. mais comme tous ces noms chargeroient extrêmement la lettre s, dans un Dictionnaire qui n'est pas destiné à la seule géographie, nous en renvoyons tous les articles sous les mots propres, peu curieux de l'épithete ridicule saint, sainte, san, sancto, & sancta. (D.J.)


SANT-ERINI(Géog. mod.) île de l'Archipel, que les anciens ont connue sous le nom de Thera. Voyez THERA.

Ceux qui nommerent autrefois cette île Caliste, c'est-à-dire très-belle, ne la reconnoîtroient pas aujourd'hui. Elle n'est couverte que de pierre-ponce, ou pour mieux dire, cette île n'est qu'une carriere de pierre-ponce, où l'on peut la tailler par gros quartiers, comme on coupe les autres pierres dans leurs carrieres. Les côtes de l'île sont si affreuses qu'on ne sait de quel côté les aborder. Peut-être que ce sont les tremblemens de terre qui les ont rendues inaccessibles, elles ne l'étoient point autrefois.

Nous marquerons, au mot Thera, l'ancien état de cette île, & les changemens qu'elle a subis ; il s'agit ici du moderne. Après la prise de Constantinople par les François & les Vénitiens, l'île de Sant-Erini, ou Santorien, comme disent les François, fut jointe au duché de Naxie, & dans la suite se rendit à Barberousse, sous Soliman II. Il n'est guere possible de savoir en quel tems elle prit le nom de Sant-Erini ; mais il y a beaucoup d'apparence que ce nom lui est venu de sainte Irene, patrone de l'île. Cette sainte étoit de Thessalonique, & y subit le martyre en 304, sous le neuvieme consulat de Dioclétien.

Quoique le terrein de cette île soit sec & aride, les habitans cependant le rendent fructueux par leur travail & leur industrie ; ils y recueillent beaucoup d'orge, de coton & du vin. Ce vin a la couleur de celui du Rhin, mais il est violent & plein d'esprit ; c'est le principal commerce des habitans, ainsi que le coton dont ils font de belles toiles. Ils sont au nombre d'environ dix mille, presque tous Grecs, répandus dans cinq villages, & dans deux ou trois bourgs, dont le principal se nomme Scaro ou Castro. Pyrgos a le titre de ville, & est la plus jolie du pays, bâtie sur un tertre d'où l'on découvre les deux mers. Le pere Richard a donné la description de toute l'île & de ses écueils qui sont sortis du fond de la mer à diverses fois par des volcans : cette relation est curieuse.

L'île Sant-Erini peut avoir 50 milles de tour. Elle est à deux lieues au nord de celle de Candie, & au sud-ouest de Namfio. Longitude 44. 5. latit. 37. 50. (D.J.)


SANTAS. m. (Monnoie de compte) On appelle ainsi à Bantam, & dans toute l'île de Java, aussi-bien que dans quelques îles voisines, un certain nombre de caxas, petite monnoie du pays, enfilés ensemble avec un cordon de paille. (D.J.)


SANTALS. m. (Botan. exot.) bois des Indes orientales, dont nous connoissons trois especes : le jaune ou le citrin, le blanc, & le rouge.

Le santal citrin, santalum citrinum J. B. est un bois pesant, solide, ayant des fibres droites ; ce qui fait qu'on peut le fendre aisément en de petites planches, d'un roux pâle ou jaunâtre, tirant sur le citrin, d'un goût aromatique un peu amer, d'une acrimonie qui remplit toute la bouche, mais cependant qui n'est pas désagréable, d'une bonne odeur qui approche un peu de celle du musc & des roses.

Le santal blanc, santalum odoratum candidum, Caesalp. différe du citrin par sa couleur qui est plus pâle, & par son odeur qui est plus foible : au reste sa substance est la même, aussi-bien que sa tissure.

Garzias avoue qu'il y a une si grande affinité entre les arbres du santal citrin, & du santal blanc, que l'on a bien de la peine à les distinguer l'un de l'autre, & qu'il n'y a que les habitans qui les vendent aux marchands, qui sachent en faire la différence ; mais le savant botaniste P. Herman nous assure que l'un & l'autre viennent du même arbre, que l'écorce, ou l'aubier s'appelle santal blanc, & que la moëlle ou la substance intérieure, séparée de l'écorce & de l'aubier, est le santal citrin.

Cet arbre qui s'appelle sarcanda dans le pays, s'éleve à la hauteur d'un noyer ; ses feuilles sont aîlées, vertes, imitant celles du lentisque ; ses fleurs sont d'un bleu noirâtre, ses fruits ou ses baies sont de la grosseur d'une cerise, elles sont vertes d'abord, ensuite elles noircissent en mûrissant ; elles sont insipides & tombent aisément. Il y a certains oiseaux, dit Bontius, presque semblables aux grives, qui mangent ces fruits avec avidité, & qui les rendant ensuite avec leurs excrémens, sément les montagnes ou les champs de nouveaux arbres. Le santal vient dans les Indes orientales, & sur-tout dans le royaume de Siam, & dans les îles de Timor & de Solor ; le même Bontius raconte que l'odeur de ces arbres nouvellement coupés, répand je ne sai quoi de pestilentiel, qui est très-ennemi du cerveau.

Le santal rouge, santalum rubrum, C. B. P. est un bois solide, compacte, pesant, dont les fibres sont tantôt droites, tantôt ondées ; le bois du milieu de l'arbre, dont on apporte de grands morceaux séparés de l'écorce & de la superficie ligneuse, est à l'extérieur d'un rouge brun, & presque noir, & intérieurement d'un rouge foncé ; il a un goût légerement astringent & acide, mais aucune odeur manifeste ; l'arbre du santal rouge, s'appelle pantaga ; il est siliqueux, & croît dans le Coromandel.

On substitue quelquefois au santal citrin, un certain bois compacte, pesant, résineux, de couleur d'un roux pâle ou jaunâtre, d'une odeur pénétrante, qui approche de l'odeur du citron, & que l'on appelle communément bois de citron, bois de coco, bois de jasmin. L'arbre dont on tire ce bois, est le nerium arboreum altissimum, folio angusto, flore albo, de Sloane, Cat. plant. ins. jam. nerium americanum lactescens, longissimo folio, flore albo, odoratissimo, H. Beaumont. Quoique cet arbre approche un peu du santal citrin pour la couleur, il en différe cependant beaucoup, par l'odeur, par les fibres qui sont courtes & inégales, & par la substance résineuse dont il est rempli, par le moyen de laquelle il s'enflamme aisément, & s'éteint difficilement.

On trouve aussi fréquemment chez les droguistes, deux bois rouges qu'on donne pour du santal rouge. Ces deux bois viennent des Indes, & de l'Amérique. L'un s'appelle lignum brasiliano simile, seu lignum sapou, lanis tingendis percommodum. C. B. P. L'autre se nomme Brasilium lignum, J. B. Erythroxylum brasilianum, spinosum, foliis acaciae, Parad. Bat. Prod. mais il est facile de distinguer le santal rouge de ces deux bois, soit par l'odeur, soit par le goût : car le santal rouge est de couleur de sang obscur, & un peu austere au goût, & le bois du Brésil est d'une couleur rouge, entremêlée d'un peu de jaune, & d'un goût douçâtre.

Il est vraisemblable que les anciens Grecs & Latins n'ont pas connu les différentes sortes de santaux. Les Arabes sont les premiers qui en fassent expressément mention, sous le nom de sandal. Les nouveaux Grecs, qui ont marché sur les traces des Arabes, en ont aussi parlé ; cependant Saumaise, dans les exercitations sur Pline, croit que les bois appellés ligna sagalina, dont fait mention l'auteur du voyage autour du monde, dans le livre qui a pour titre, periplus, sont les santaux, & que par conséquent ils n'ont pas été inconnus aux Grecs. Le profond silence que Dioscoride & Galien gardent sur ces bois, dont ils ne disent pas un mot, suffit pour détruire l'opinion de Saumaise.

Les santaux contiennent un sel essentiel, acide, une huile épaisse, plus pesante que l'eau, & une petite portion de sel volatil avec beaucoup de terre. L'huile que contient le santal citrin, est plus subtile & plus abondante ; elle est moins subtile dans le santal blanc, & plus épaisse encore dans le santal rouge. On attribue aux santaux la vertu incisive, atténuante & astringente ; on en prépare la décoction comme celle du gayac, & on la donne de la même maniere. (D.J.)


SANTALUMS. m. (Botan.) genre de plante, dont voici les caracteres dans le systême de Linnaeus. Le calice particulier de la fleur est posé sur le germe du pistil, & se partage en quatre quartiers ; la fleur est monopétale, en cloche, dont la bordure est fendue en cinq segmens aigus ; les étamines sont au nombre de huits filets, alternativement plus courts les uns que les autres, & posés sur la partie supérieure du tuyau de la fleur ; le germe du pistil est turbiné, le style est de la longueur des étamines, le stigma est simple, le fruit est une baye. Linnaei, gen. plant. p. 164. (D.J.)


SANTAREN(Géog. mod.) nom corrompu de S. Irenée, dont la fête se célebre le 20 Octobre ; ville de Portugal dans l'Estramadure, sur une montagne près du Tage, à 8 lieues au midi de Leiria, à 9 au sud-ouest de Tomar, & à 15 au nord-est de Lisbonne. Cette ville est très-ancienne, on la connoit sous le nom de Scalobis & de praesidium Julium ; elle contient aujourd'hui environ trois mille habitans, divisés en douze paroisses ; son terroir est d'une fertilité admirable en froment, en vin, & en olives. Dom Alphonse Henriquez prit cette ville sur les Maures, en 1147, & lui accorda de grands privileges, confirmés par Alphonse III. en 1254. Long. 6. 4. lat. 39. 11.

Souza, (Louis de) chevalier de Malthe, étoit natif de Santaren. Il a écrit l'histoire de S. Dominique en portugais ; mais il eût bien mieux fait de donner celle de l'ordre de Malthe. Il est mort en 1632. (D.J.)


SANTÉS. f. (Oecon. anim.) , hygieia, sanitas, valetudo. C'est l'état le plus partait de la vie ; l'on peut par conséquent le définir, l'accord naturel, la disposition convenable des parties du corps vivant, d'où s'ensuit que l'exercice de toutes ses fonctions se fait, ou peut se faire d'une maniere durable, avec la facilité, la liberté, & dans toute l'étendue dont est susceptible chacun de ses organes, selon sa destination, & relativement à la situation actuelle, aux différens besoins, à l'âge, au sexe, au tempérament de l'individu qui est dans cette disposition, & au climat dans lequel il vit. Voyez VIE, FONCTION, AGE, SEXE, TEMPERAMENT, CLIMAT.

Il résulte de cette idée circonstanciée de la santé, que quiconque est dans cet état, jouit par conséquent de la vie ; mais que l'on peut vivre sans être en santé ; ainsi l'idée de ce dernier état en particulier, est plus étendue, renferme plus de conditions que celui de la vie en général.

En effet, 1°. il suffit, pour l'existence de la vie, que le corps animé soit susceptible d'un petit nombre de fonctions, mais sur-tout que le mouvement du coeur & de la respiration se fasse sans une interruption considérable ; au lieu que l'état de santé suppose absolument l'exercice ou l'intégrité des facultés pour toutes les fonctions. 2°. Il ne faut, pour que la vie se soutienne par l'exercice des fonctions indispensables pour cet état, que la continuation de cet exercice, quelqu'imparfaitement qu'il puisse se faire, & même seulement par rapport au mouvement du coeur, quelque peu que ce puisse être, sans celui de la respiration : au-lieu que pour une santé bien établie, non-seulement il faut que toutes les fonctions vitales s'exercent, & que l'exercice des autres se fasse, ou puisse se faire constamment, respectivement à l'utilité dont elles sont dans l'économie animale ; mais encore, que l'exercice s'en fasse de la maniere la plus parfaite dont l'individu soit susceptible de sa nature.

Il s'ensuit donc que quoique la santé exige l'exercice de toutes les fonctions, il suffit que celles d'où dépend la vie, se soutiennent incessamment & dans toute la perfection possible ; il n'est pas nécessaire que les autres se fassent continuellement ni toutes à la fois, il suffit qu'elles puissent se faire convenablement à chaque organe, lorsque la disposition, les besoins de la machine animale, ou la volonté l'exigent, & que cette faculté soit commune à tous les organes sans exception, parce que la perfection est le complément de toutes les conditions.

Ainsi, parmi les actions du corps humain, il en est qui ont lieu nécessairement dans tous les tems de la vie, pour qu'elle se conserve ; tel est l'exercice des principaux organes de la circulation du sang, même dans le foetus ; de ceux de la respiration après la naissance : l'action des premiers doit se répéter chaque seconde d'heure environ ; celle des autres doit avoir lieu plusieurs fois dans une minute s'il est des organes qui ne sont en action que pendant un certain tems, dans l'espace d'un jour naturel, comme ceux de la digestion, des mouvemens des membres, de l'exercice de l'esprit ; ensorte que le sommeil succede à la veille, comme le repos au travail, la nuit au jour ; d'autres organes ont des fonctions réglées pour tous les mois, comme ceux qui servent à l'évacuation périodique des femmes : il est des fonctions qui sont particulieres à chacun des sexes, comme aux hommes d'engendrer, aux femmes de concevoir, & ces fonctions ne peuvent avoir lieu qu'à un certain âge, & n'ont qu'un exercice limité ; elles regardent les adultes, non pas les enfans, ni communément les vieillards, sur-tout par rapport aux femmes.

Ainsi on ne peut pas regarder comme en santé, quiconque ne peut pas exercer les fonctions convenables à son sexe, à son âge, & à la circonstance ; tels sont les eunuques, les mutilés en tout genre ; de même que c'est aussi contraire à l'idée de la santé d'exercer des fonctions qui ne conviennent pas, qui sont déplacées, comme si une femme décrépite est encore sujette à l'évacuation menstruale, ou le redevient, ou si quelqu'un est porté au sommeil extraordinairement hors le tems qui lui est destiné ; par conséquent, la même fonction, qui étant exercée convenablement, est un effet de la bonne santé, devient un signe, un symptôme de maladie, lorsqu'elle se fait à contretems.

La perfection de la santé ne suppose donc pas une même maniere d'être, dans les différens individus qui en jouissent ; l'exercice des fonctions dans chaque sujet, a quelque chose de commun, à la vérité, pour chaque action en particulier, mais il est susceptible aussi de bien des différences, non-seulement par rapport à l'âge, au sexe, au tempérament, comme on vient de le dire ; mais encore par rapport aux sujets de même âge, de même sexe, de même tempérament, selon les différentes situations, les différentes circonstances où ils se trouvent ; ainsi chacun a sa maniere de manger, de digérer, quoique chacun ait les mêmes organes pour ces fonctions.

La santé ne consiste donc pas dans un point précis de perfection commune à tous les sujets, dans l'exercice de toutes leurs fonctions ; mais elle admet une sorte de latitude d'extension, qui renferme un nombre très-considérable & indéterminé de combinaisons, qui établissent bien des variétés dans la maniere d'être en bonne santé, comprises entre l'état robuste de l'athlete le plus éloigné de celui de maladie, & l'état qui approche le plus de la disposition où la santé cesse par la lésion de quelque fonction.

Il suit de-là qu'il n'existe point d'état de santé qui puisse convenir à tout le monde ; chacun a sa maniere de se bien porter, parce que cet état dépend d'une certaine proportion dans les solides & les fluides, dans leurs actions & leurs mouvemens, qui est propre à chaque individu. Comme l'on ne peut pas trouver deux visages parfaitement semblables, dit à ce sujet Boerhaave, instit. med. semeiot. comment. § 889. de même il y a toujours des différences entre le coeur, le poumon d'un homme, & le coeur, le poumon d'un autre homme.

Que l'on se représente deux personnes en parfaite santé, si l'on essaie de faire passer les humeurs, c'est-à-dire la masse du sang de l'un de ces sujets, dans le corps de l'autre, & réciproquement, même sans leur faire éprouver aucune altération, comme par le moyen de la transfusion, si fameuse dans le siecle dernier, ils seront sur le champ tous les deux malades, dès que chacun d'eux sera dans le cas d'avoir dans ses vaisseaux, du fluide qui lui est étranger ; mais si l'on pouvoit tout de suite rendre à chacun ce qui lui appartient, sans aucun changement, ils recouvreroient chacun la santé dont ils jouissoient avant l'échange.

C'est le concours des qualités dans les organes & les humeurs propres à chaque individu, qui rend cet échange impraticable (Voyez TRANSFUSION) ; c'est cette proportion particuliere entre les parties dans chaque sujet, qui constitue ce que les anciens entendoient par idiosyncrasie, & ce que nous appellons tempérament (Voyez IDIOSYNCRASIE, TEMPERAMENT), qui fait que l'exercice des fonctions d'un homme differe sensiblement de ce qui se passe au même égard dans un autre homme, quoiqu'ils soient tous les deux dans un état de santé bien décidée.

Les mêmes organes operent cependant dans l'un & dans l'autre le changement des matieres destinées à la nourriture, en humeurs d'une nature propre à cet effet. Cependant des mêmes alimens il ne résulte pas des humeurs absolument semblables, lorsqu'ils sont travaillés & digérés dans deux corps différens.

Tel homme vit de plantes & de fruits avec de l'eau, & se porte bien ; tel autre se nourrit de viande & de toutes sortes d'autres alimens, avec des liqueurs spiritueuses, & se porte bien aussi : donnez à celui-ci qui est habitué à son genre de vie des végétaux pour toute nourriture, il deviendra bientôt malade ; comme celui qui est accoutumé à vivre frugalement, s'il passe à l'usage de tous les genres d'alimens qui constituent ce qu'on appelle la bonne chere.

Ainsi on ne peut dire en général d'aucune espece de nourriture, qu'elle convient pour la santé préférablement à toute autre, parce que chacun a une façon de vivre, de se nourrir qui lui est propre, & qui differe plus ou moins de celle d'un autre. Voyez REGIME.

La différence des constitutions des tempéramens, n'empêche pas cependant qu'il n'y ait des signes généraux auxquels on peut connoître une bonne santé, parce que dans l'économie animale la variété des moyens ne laisse pas de produire des effets qui paroissent semblables, dont la différence réelle n'est pas assez caractérisée pour se rendre sensible : c'est le résultat de plusieurs effets dont les modifications ne sont pas susceptibles d'être apperçues, d'être saisies, qui forment ces signes visibles, par le moyen desquels on ne peut & on ne fait que juger en gros de l'état des choses.

Ainsi c'est par la facilité avec laquelle l'on sent que se fait l'exercice des fonctions du corps & de l'ame ; par la satisfaction que l'on a de son existence physique & morale ; par la convenance & la constance de cet exercice ; par le témoignage que l'on rend de ce sentiment, & le rapport de ces effets, que l'on peut faire connoître que l'on jouit d'une vie aussi saine, aussi parfaite qu'il est possible. Les trois premieres de ces conditions sont aisées à établir, par l'examen de l'état actuel dans lequel on se trouve ; mais il n'en est pas de même de la derniere, qui ne peut être que préssentie pour l'avenir, à en juger par le passé ; en tant que l'on connoît la bonne disposition du sujet, & la force de son tempérament, qui le rend propre à résister aux fatigues, aux injures de l'air, à la faim, à la soif, par conséquent aux différentes causes qui peuvent altérer, détruire la santé : d'où l'on peut inférer que puisque dans ce sujet les choses non-naturelles tendent constamment à devenir & deviennent naturelles, c'est-à-dire que l'usage des choses dont l'influence est inévitable ou nécessaire, ne cesse de tourner au profit de la santé, à l'avantage de l'individu, pour sa conservation, & pour celle des dispositions à contribuer à la propagation de l'espece ; cet état se soutiendra long-tems.

Il suit de-là que les signes par lesquels on peut présager une vie saine & longue, sont aussi ordinairement les marques d'une santé actuelle bien solide, bien affermie. Les hommes d'une complexion maigre, mais charnue, sont le plus disposés à une bonne santé : les personnes qui avec assez d'embonpoint en apparence, sont d'une complexion délicate, ont des muscles grêles, peu compactes, perdent aisément, par de très-petites indispositions, cette apparence de santé, qui ne dépend que de la graisse qui se ramasse sous les tégumens. Dans cette disposition on est très-susceptible de maladie, ce qui forme une constitution très-éloignée d'être parfaite, lors même qu'elle semble accompagnée des signes de la santé.

La force de la faculté qui constitue la vie, c'est-à-dire de la nature, se dissipe chaque jour plus ou moins par l'exercice des fonctions ; mais dans la santé la nourriture & le sommeil réparent cette perte par la formation & le nouvel aprovisionnement qui se fait du fluide nerveux : la vie se soutient tant que la nature a des forces suffisantes pour surmonter les résistances de la machine animale, par conséquent celles qu'opposent au mouvement les solides & les fluides qui la composent. Plus les forces sont supérieures aux résistances, avec une plus grande masse à mouvoir, plus les forces vitales sont considérables & propres au maintien de la santé ; & au contraire à proportion qu'elles surpassent moins les résistances, avec une moindre masse à mouvoir, la santé est plus foible, plus délicate, plus sujette à se déranger.

Plus la nature a de forces, & moins elle en dépense, plus la santé est ferme & durable ; parce que la provision des forces est plus considérable. C'est delà que dépend 1°. la facilité, l'agilité, la promtitude dans l'exercice des fonctions ; 2°. le contentement intime, la joie de l'ame, qui sont l'effet du sentiment qu'elle éprouve de la conscience qu'elle a de cette disposition, de cette faculté ; 3°. & l'ordre bien réglé, tranquille & durable des différentes actions de l'individu. Trois conditions qui sont essentiellement nécessaires pour le maintien de la bonne santé.

C'est un très-bon signe en sa faveur lorsque chaque jour à la même heure à-peu-près on se sent porté à satis faire aux principaux besoins de la vie ; que l'on se sent de l'appétit pour manger & pour boire ; que l'on le satisfait convenablement ; que la digestion, ainsi que l'excrétion des matieres fécales & de l'urine ont aussi chacune leur tems réglé ; & que le sommeil revient à sa même heure environ, & dure de suite environ le même tems.

C'est aussi une marque de bon tempérament & d'une disposition certaine à une santé durable, lorsque l'on peut se livrer à un exercice assez fort, à un travail du corps assez considérable, sans qu'il se fasse de battement, de pulsation, de palpitation extraordinaire dans aucune partie du corps, sans que l'on ressente aucune douleur, qu'il se forme aucune tumeur, qu'il paroisse aucune rougeur sur la surface du corps. C'est une preuve que la distribution des humeurs se fait avec une égalité bien constante, même lorsqu'il se fait des mouvemens forcés qui pourroient la troubler.

Ceux qui ont beaucoup de vigueur dans les organes, qui sont d'une santé robuste, sont rarement des gens d'esprit ; & au contraire avec de l'esprit on n'a pas ordinairement une bonne santé, parce que l'exercice de l'esprit exige une grande mobilité dans le physique de l'entendement, dans le genre nerveux, laquelle contribue beaucoup à l'affoiblissement du corps, à établir une débilité dominante : au lieu que la roideur des fibres en général qui constitue la disposition à la force du corps, à la vigueur de la santé, s'étend à l'organisation du cerveau & des nerfs ; ce qui les rend moins propres à la vibratilité, qui est nécessaire pour l'exercice des sensations, des fonctions de l'esprit. On ne peut pas réunir dans ce monde toutes les conditions qui peuvent rendre heureux à tous égards : ainsi celui qui a la sagesse (c'est-à-dire le savoir) de Salomon, ne peut pas se promettre la longue vie de Mathusalem. On ne sait autre chose, dit Boerhaave, instit. med. §. 885. de l'anglois fameux pour avoir poussé la vie beaucoup au-delà d'un siecle, sinon qu'il aimoit beaucoup le fromage, & qu'il commit un adultere ayant près de 100 ans. On n'a jamais parlé d'aucune production ni autre preuve de son esprit. M. de Fontenelle qui n'a fini sa carriere qu'au bout d'un siecle, quoiqu'il ait joué un grand rôle dans la république des Lettres, peut être regardé comme un phénomene d'autant plus rare en ce genre.

Les moyens propres à conserver la santé, consistent dans le bon usage des choses non-naturelles, que l'on doit observer pour cet effet le plus qu'il est possible, de la maniere prescrite dans les articles HYGIENE, NON-NATURELLES, choses, REGIME.

Pour ce qui regarde le rétablissement de la santé, c'est aussi au régime & au secours de l'art qu'il faut avoir recours, selon les indications qui se présentent. Voyez MEDECINE, Thérapeutique, DIETE, REGIME, CURATION, TRAITEMENT, REMEDE, Chirurgie, MEDICAMENT, Pharmacie, Chymie.

SANTE, (Mythol. & Littérat.) La santé a été personnifiée ou déïfiée chez les anciens. Pausanias rapporte que son culte étoit commun dans la Grèce : Posita sunt deorum signa Hygiae, quam filiam Aesculapii fuisse dicunt ; & Minervae, cui itidem Hygiae, id est sospitae cognomentum. La premiere étoit apparemment la santé du corps, & la seconde celle de l'esprit. Il dit ailleurs que dans le temple d'Amphyarus il y avoit un autel pour Jaso, pour Vénus, pour Panacée, pour la Santé, pour Minerve : Jaso vient de , guérison. On la fait aussi fille d'Esculape. Pline remarque fort bien que le nom de Panacée promet la guérison de toutes les maladies. Les payens ne prétendirent révérer que la divinité qui donne ce qui conserve la santé.

Les Romains adoroient cette déïté sur le mont Quirinal. Elle nous est représentée comme une dame romaine couronnée d'herbes médicinales, & tenant dans sa main droite un serpent. Elle étoit toute couverte des cheveux que les femmes se coupoient en son honneur.

Son temple, selon Publius-Victor, étoit dans le sixieme quartier de la ville de Rome ; mais Domitien après s'être tiré du péril qu'il avoit couru à l'avénement de Vitellius à Rome, fit élever un second temple à la déesse de la santé, avec cette inscription : SALUTI Augusti.

Il y a un médaillon de Marc-Aurele où l'on voit un sacrifice fait au dieu de la santé par Minerve, & devant elle paroît la Victoire, qui tient un panier plein de fruit. (D.J.)

SANTE, pierre de, (Hist. nat. Minéralog.) C'est ainsi qu'on nomme à Genève & en Savoye une espece de pyrite martiale très-dure, & susceptible d'un beau poli. On taille ces pyrites en facettes, comme le crystal, ou comme les pierres précieuses, & l'on en fait des bagues, des boucles, & d'autres ornemens.

La couleur de cette pierre ou pyrite, lorsqu'elle a été polie, est à-peu-près la même que celle de l'acier bien poli. On lui donne le nom de pierre de santé, d'après le préjugé où l'on est qu'elle change de couleur & devient pâle lorsque la santé de la personne qui la porte est sur le point de s'altérer. Cette pyrite est précisément de la même espece que celle que l'on appelle pierre des incas. Voyez cet article, & Voyez PYRITE.


SANTEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le duché de Cleves, au cercle de Westphalie, à demi-lieue du Rhin, à 2 milles au-dessous de Wesel, & à pareille distance de Gueldres, entre des montagnes. Cette ville, selon Cluvier, occupe la place de l'ancienne Vetera. Long. 24. 10. lat. 51. 36.

S. Norbert, fondateur des Prémontrés, naquit à Santen en 1082, d'une illustre maison. Il aima mieux prêcher de ville en ville que d'avoir des bénéfices. S. Bernard lui donna un vallon solitaire appellé Prémontré, où il fonda l'ordre des chanoines réguliers de ce nom. Il fut nommé en 1127 à l'archevêché de Magdebourg, & mourut dans cette ville en 1134. Le pape Grégoire XIII. le canonisa en 1582. (D.J.)


SANTEOS. m. (Botan.) nom donné par le peuple de Guinée à une plante dont ils font grand cas pour les maladies des yeux ; ils se servent de ses feuilles qui sont noirâtres, de la grandeur & de la figure de celles du laurier. Voyez les Transactions philosophiques, n°. 202.


SANTERNOLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie, elle a sa source dans l'Apennin, en Toscane, au pays de Magello, se partage en deux branches au terroir d'Immola, & toutes deux portent leurs eaux dans le Pô. On prend cette riviere pour le Vaternus des anciens.


SANTERRELE, (Géog. mod.) Sancteriensis pagus, en latin de moyen âge ; petit pays de France en Picardie, borné au nord par l'Artois, au midi par l'île de France, au levant par le Vermandois, & au couchant par l'Amiénois. Il a 20 lieues du midi au nord, & 10 du levant au couchant. Charles V. céda toutes les prétentions qu'il estimoit avoir sur ce pays à François I. par les traités de Cambrai & de Crépy. Il comprend les trois bailliages de Péronne, de Mondidier & de Roye. Péronne en est la capitale ; son terroir est gras & assez fertile. (D.J.)


SANTIAou SANTA-AGATHA, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, au Piémont, à 14 milles de Verceil & à 20 d'Yvrée. François II. duc de Modene y est mort en 1658.


SANTICUM(Géog. anc.) ancien lieu du Norique. Antonin le met sur la route d'Aquilée à Lorch, entre Larix & Virunum, à 27 mille pas de la premiere, & 30 mille pas de la seconde. Cluvier dit que c'est Saameck. Lazius R. R. lib. XII. cap. iij. prétend que les ruines de Santicum sont au lieu que les habitans nomment aujourd'hui Altenbourg & Gradneck. (D.J.)


SANTILLANE(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Sanctae Julianae fanum ou oppidum ; petite ville d'Espagne, dans l'Asturie, dont une partie en prend le surnom d'Asturie de Santillane, à 5 lieues de S. Ander, proche la mer, avec titre de marquisat. On croit que c'est la Concana de Ptolémée, liv. II. ch. vj. Long. 13. 4. latit. 43. 28.


SANTOLINE(Botan.) voyez GARDE - ROBE. Tournefort compte quatorze especes de ce genre de plante, dont on peut voir les caracteres au mot GARDE-ROBE ; c'est le nom vulgaire de la santoline ; les Anglois l'appellent female southernwood.

La plus commune espece est la santolina foliis terrestribus I. R. H. 460. C'est une plante qui pousse comme un petit arbrisseau à la hauteur d'environ deux piés, des verges grêles, couvertes d'un léger duvet blanc. Ses feuilles sont crenélées, blanchâtres ; ses rameaux ont chacun au sommet une fleur, qui est un bouquet de plusieurs fleurons jaunes, ramassés en boules, évasés en étoile, portés sur un embryon, séparés les uns des autres par des feuilles pliées en gouttiere, & soutenus par un calice écailleux : lorsque la fleur est passée, chaque embryon devient une graine un peu longue, rayée & de couleur obscure ; toute la plante a une odeur forte, assez agréable, & un goût âcre tirant sur l'amer. On la cultive dans les jardins. (D.J.)

SANTOLINE, (Mat. méd.) petit cyprès, garde-robe, aurone femelle ; on fait rarement usage de cette plante en médecine ; c'est pourtant un très-puissant fébrifuge capable de chasser les vers & les autres insectes par la seule odeur. C'est à cause de cette derniere propriété qu'on met ses feuilles parmi les étoffes de laine pour les préserver des teignes ; & c'est cet usage qui lui a fait donner le nom de garde-robe.

On convient d'ailleurs assez généralement que la santoline posséde les mêmes vertus que l'aurone mâle. Voyez AURONE. (b)

SANTOLINE, (Hist. des drog. exot.) poudre qu'on nomme encore poudre aux vers, barbotine & sémentine : on l'appelle dans les boutiques santolina, sementina, semen contra vermes. C'est une poudre grossiere, composée de petites têtes oblongues, écailleuses, d'un verd jaunâtre ; d'un goût désagréable, amer, mêlé d'acrimonie, d'une odeur aromatique, dégoûtante, & qui cause des nausées. Cette poudre nous parvient avec de petites feuilles, de petits rejettons, ou de petites branches cannelées.

Quoiqu'elle soit d'usage, son origine nous est inconnue. On doute si c'est une graine, ou une capsule séminale ; ou des germes de feuilles & de fleurs. On ignore quelle est la plante qui la porte, si c'est la zédoaire ou l'absynthe, ou une espece d'aurone, ou le petit cyprès ; on est incertain si elle vient dans la Palestine, dans l'Egypte, dans la Perse, ou seulement dans le royaume de Boutan, à l'extrêmité des Indes orientales. Rauwolf, qui a parcouru les pays orientaux, dit que c'est une espece d'absynthe, que les Arabes appellent scheha, qui croît auprès de Bethléem, & qui est semblable à notre absynthe ; mais les feuilles que l'on trouve parmi cette graine, sont toutes différentes de celles de notre absynthe. De plus, il n'est pas vraisemblable que Prosper Alpin & Weslingius, qui ont recherché avec tant de soin les plantes d'Egypte, & qui ont demeuré l'un & l'autre quelques années dans ce pays, n'en eussent fait aucune mention ; eux qui savoient mieux que personne qu'on étoit fort curieux en Europe de connoître l'origine de cette graine, auroient-ils oubliés de nous l'apprendre ?

P. Herman croit que c'est une espece d'aurone qui se trouve dans la Perse, & dans quelques pays de l'Orient ; il prétend que ce ne sont pas tant de vraies graines, que des enveloppes écailleuses de graines qui ne sont pas encore parfaites ; Tavernier confirme le sentiment de ce savant botaniste, car il raconte que la santoline croît dans le royaume de Boutan, situé sur le bord septentrional du Mogol, d'où l'on nous apporte aussi le musc & la rhubarbe avec cette graine. Il ajoute qu'elle croît encore dans la Caramanie, province septentrionale de la Perse, mais en si petite quantité qu'à peine suffit-elle pour l'usage des habitans du lieu ; enfin, il raconte que cette graine est emportée par le vent : les peuples du pays, ajoute-t-il, se sont mis dans la tête que cette graine se corrompt lorsqu'on la touche avec les doigts, de sorte que pour en avoir, ils portent des gants à leurs mains ; dans les prairies où cette plante abonde, sa graine étant mûre, ils agitent leurs vans de tous côtés pour en attraper les sommités qui en sont remplies, & qui s'en détachent par l'agitation de l'air. Il ne faut pas faire beaucoup de fond sur ce récit d'un voyageur qui ne parle que par oui-dire ; car aucun européen n'a pénétré dans ces contrées reculées de la Perse.

Au reste, l'ignorance où l'on est du pays natal de cette graine, n'empêche point que l'on ne l'employe quelquefois contre les lombrics ; elle est utile dans cette maladie quand on la donne avec l'aquila alba, ou quelqu'autre préparation de mercure ; mais c'est qu'alors la vertu du remede dépend du mercure bien plus que de la santoline : aussi les bons médecins ne connoissent point de meilleurs vermifuges que les préparations mercurielles. (D.J.)


SANTOLINOIDES. m. (Hist. nat. Botan.) santolinoïdes ; genre de plante qui ne differe de la santoline, qu'en ce que sa substance est herbacée, & que ses feuilles sont découpées en très-petites parties, comme celles de l'anthemis. Nova plant. gen. &c. par M. Micheli.


SANTONES(Géog. anc.) ancien peuple de la Gaule. César les met entre les Celtes, parce que de son tems l'Aquitaine étoit bornée par l'Océan, les Pyrenées & la Garonne ; mais sous Auguste, l'Aquitaine fut étendue jusqu'à la Loire : alors les Santones furent censés un peuple de l'Aquitaine. De-là vient la différente maniere de les placer dans la Celtique & dans l'Aquitaine. Leur pays est aujourd'hui la Saintonge. Les anciens ont dit Santones & Santoni. Pline, liv. IV. ch. xix. leur donne le nom de libres, Santones liberi. Ptolémée, lib. II. c. vij. leur donne pour ville Mediolanum, aujourd'hui Saintes. L'auteur de la Pharsale, liv. I. v. 422. dit Santonus au singulier :

Gaudetque amoto Santonus hoste.

(D.J.)


SANTONSS. m. (Hist. mod.) espece de religieux mahométans, vagabonds & libertins. On regarde les santons comme une secte d'épicuriens qui adoptent entr'eux cette maxime, aujourd'hui est à nous, demain est à lui, qui en jouira ? Aussi prennent-ils pour se sauver une voie toute opposée à celle des autres religieux turcs, & ne se refusent aucun des plaisirs dont ils peuvent jouir. Ils passent leur vie dans les pélerinages de Jérusalem, de Bagdad, de Damas, du mont Carmel & autres lieux qu'ils ont en vénération, parce que leurs prétendus saints y sont enterrés. Mais dans ces courses ils ne manquent jamais de détrousser les voyageurs lorsqu'ils en trouvent l'occasion ; aussi craint-on leur rencontre, & ne leur permet-on pas d'approcher des caravanes, si ce n'est pour recevoir l'aumône.

La sainteté de quelques uns d'entr'eux consiste à faire les imbécilles & les extravagans afin d'attirer sur eux les yeux du peuple ; à regarder le monde fixement, à parler avec orgueil, & à quereller ceux qu'ils rencontrent. Presque tous marchent la tête & les jambes nues, le corps à moitié couvert d'une méchante peau de quelque bête sauvage, avec une ceinture de peau autour des reins, d'où pend une espece de gibeciere ; quelquefois au-lieu de ceinture, ils portent un serpent de cuivre que leurs docteurs leur donnent comme une marque de leur savoir ; ils portent à la main une espece de massue.

Les santons des Indes qui passent en Turquie pour le pélerinage de la Mecque & de Jérusalem, demandent l'aumône avec un certain ris méprisant. Ils marchent à pas lents ; le peu d'habillement qui les couvre est un tissu de pieces de toutes couleurs mal assorties & mal cousues.

Dandini, dans son voyage du Mont-Liban, prétend que le titre de santon est un nom générique & commun à plusieurs especes de religieux turcs, dont les uns s'astraignent par voeu à garder la continence, la pauvreté, &c. & d'autres menent une vie ordinaire. Il distingue encore les méditatifs, qu'on reconnoît aux plumes qu'ils portent sur la tête ; & les extatiques, qui portent des chaînes au cou & aux bras pour marquer la véhémence de l'esprit qui les anime ; quelques-uns qui sont mendians ; d'autres se consacrent au service des hôpitaux : mais en général les santons sont charlatans, & se mêlent de vendre au peuple des secrets & des reliques telles que des cheveux de Mahomet, &c. Presque tous sont mendians, & font leurs prieres dans les rues, y prennent leurs repas, & n'ont souvent point d'autre asyle. Lorsqu'ils n'ont point fait de voeux, si ce genre de vie leur déplaît, il leur suffit, pour y renoncer, de s'habiller comme le peuple ; mais la fainéantise & l'oisiveté à laquelle ils sont accoutumés sont de puissans attraits pour les retenir dans leur ancien état : d'autant plus que l'imbécillité des peuples est un fond assuré pour leur subsistance. Guer. moeurs des Turcs, tome I. Dandini, voyage du Liban.


SANTONUM-PORTUS(Géog. anc.) port des Saintongeois, selon Ptolémée, lib. II. c. vij. On ne convient pas du nom moderne. Il le met entre la Garonne & la Charente, presque à distance égale, ce qui convient mieux à Brouage où le place M. de Valois, qu'à Blaye ville sur la Garonne, même fort avant dans cette riviere, au-lieu que le santonum-portus de Ptolémée, doit être sur l'Océan. (D.J.)


SANTORIN(Géographie mod.) Voyez SANT-ERINI.


SANTSIS. m. (Botan. exot.) nom donné par les Chinois à une plante célébre chez eux contre les hémorrhagies. Nos missionnaires rapportent que cette plante croît sans culture sur les montagnes ; sa principale racine est épaisse de 4 doigts, & fournit plusieurs radicules moins grosses, mais qui sont les seules d'usage : elles ont l'écorce rude & brune en-dehors, lisse & jaune en-dedans ; la principale racine jette huit tiges, dont celle du milieu élevée beaucoup au-dessus des autres, porte des bouquets de fleurs. On multiplie le santsi en coupant transversalement la maîtresse racine en diverses tranches, qu'on met en terre à la profondeur d'un pouce, & en 3 ans la plante acquiert toute sa perfection. (D.J.)


SANTVLIET(Géog. mod.) forteresse des Pays-bas dans le Brabant, sur la droite de l'Escaut, entre Lille & Berg-op-zoom. Cette forteresse appartient aux Provinces-unies, & leur est d'une grande importance. (D.J.)


SANUKI(Géog. mod.) une des six provinces de l'empire du Japon, dans le Nankaido, c'est-à-dire dans la contrée des côtes du sud. Cette province a 3 journées de longueur de l'est à l'ouest, & est divisée en 11 districts. C'est un pays médiocrement fertile, où il y a beaucoup de montagnes, de rivieres, & de champs qui produisent du riz, du blé & des légumes : la mer le fournit de poisson. Cette province est fameuse par le grand nombre de personnes célébres qui y sont nées. (D.J.)


SANUTVoyez CANUS.


SAOCES(Géog. anc.) haute montagne de l'île de Samothrace ; selon Pline, lib. IV. c. xij. c'est aujourd'hui Monte-Nettuno, dans l'île de Samandrachi. Il lui donne 10000 pas de hauteur, ce qu'il ne faut pas entendre de sa hauteur perpendiculaire, mais seulement du chemin qu'il faut faire en montant, depuis le pié de cette montagne jusqu'au sommet. (D.J.)


SAONELA, (Géog. mod.) prononcez Sône ; riviere de France, l'une de celles qui grossissent le Rhône. Elle prend sa source au mont de Vosge, traverse la Franche-Comté, la Bourgogne, le Beaujolois, coule le long de la principauté de Dombes, & enfin se rend à Lyon qu'elle coupe en deux parties inégales, & s'y jette dans le Rhône tout joignant les murs de cette grande ville, près de l'abbaye d'Aisnay. Son nom latin est Arar, au génitif Araris. On appelloit déja cette riviere Sauconna du tems d'Ammien Marcellin, qui dit lib. XV. Ararim quem Sauconnam appellant ; & c'est de ce mot Sauconna qu'est venu le nom françois.

Il ne faut pas confondre la Saone avec la Saona, en latin Savo, riviere d'Italie au royaume de Naples, dans la terre de Labour. Cette derniere prend sa source vers Tiano, & se rend dans le golfe de Naples, entre la roche de Montdragon & la bouche du Voltorno. (D.J.)


SAORRou QUINTILLAGE, s. f. (Marine) ces termes sur la Méditerranée signifient lest. Voyez LEST.


SAOULES. f. (Jeu d'exercice) c'est le nom d'un jeu que les seigneurs de paroisse proposent en Bretagne à leurs vassaux, dans des jours de réjouissance, &c. Ce jeu se fait avec un ballon bien huilé en-dehors pour le rendre plus glissant. On le jette à l'avanture, & chacun cherche à s'en saisir & à se l'entr-arracher ; enfin celui qui le peut porter sur une autre paroisse que celle où se fait le jeu, gagne le prix proposé ; ce jeu se nomme en Normandie la pelote ou l'éteuf. (D.J.)


SAOULÉSOU ou SATURé, (Chymie) Voyez SATURATION.


SAOULER(Jardin.) quelques auteurs modernes se sont servis de ce terme en parlant d'une terre qu'on avoit trop fumée ou arrosée.


SAPAEI(Géog. anc.) ancien peuple de la Thrace, selon Etienne le géographe. Appien, civil. lib. V. en fait aussi mention. Leur pays est nommé Sapaica praefectura par Ptolémée, lib. III. c. xj. Leurs villes étoient Aenos, Cypsela, Bisanthe, &c. selon le P. Hardouin, in Plin. l. IV. c. ij.

2. Sapaei, ancien peuple de l'Ethiopie sous l'Egypte, selon Ptolémée, l. IV. c. viij. il les met au midi du peuple Memnones, qui étoient entre le Nil & l'Astapus, près de Méroé. (D.J.)


SAPAJOUvoyez SINGE.


SAPANS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les habitans du Pégu donnent à leurs principales fêtes ou solemnités, qui se célebrent avec beaucoup de pompe. La premiere est la fête des fusées ; les gens riches lancent des fusées en l'air, & ils jugent du degré de faveur qu'ils obtiennent auprès de la divinité, par la hauteur à laquelle leur fusée s'éleve : ceux dont la fusée ne s'éleve point, s'ils en ont les moyens, font bâtir un temple à leurs dépens, pour expier les fautes qui leur ont attiré le déplaisir du ciel. La seconde fête s'appelle kollok, on choisit des femmes du peuple, & sur-tout des hermaphrodites qui sont communs au Pégu, qui forment une danse en l'honneur des dieux de la terre. Lorsque la danse est finie, les acteurs ou actrices entrent en convulsion, & prétendent ensuite avoir conversé avec les dieux, & se mêlent de prédire si l'année sera bonne ou mauvaise, s'il y aura des épidémies, &c. La fête appellée sapankatena, consiste à faire de grandes illuminations, & à promener dans les rues de grandes pyramides ou colonnes. Celle que l'on nomme sapan-dayka, ou la fête des eaux, se célebre en se baignant & en se jettant les uns aux autres une grande quantité d'eau. La fête appellée sapan-donon, se célebre par des joutes ou courses sur l'eau. Le maître ou conducteur de la barque qui arrive la premiere au palais du roi, obtient un prix ; celui qui arrive le dernier reçoit par dérision un habit de veuve : cette fête dure pendant un mois entier.


SAPHAR(Géogr. anc.) ou Sapphar & Saphara par Ptolémée, lib. VI. c. vij. ville de l'Arabie heureuse dans les terres, selon Pline, lib. c. xxiij. c'étoit du tems d'Arrien la métropole du roi des Hémérites & des Sabaïtes leurs voisins. Le P. Hardouin dit que le nom moderne est Sacada. (D.J.)


SAPHENES. f. (Anatomie) cette veine est la plus grosse & la plus longue des six qui forment la crurale. Elle commence par quelques rameaux qui viennent du gros orteil & de dessus le pié, & montant par la malléole interne le long de la jambe, & par la partie intérieure de la cuisse, entre la peau & la membrane charnue, elle va se perdre vers les glandes de l'aine dans la crurale, à l'opposite de la sciatique mineure qui s'y insere à la partie externe ; elle reçoit plusieurs branches dans son chemin, & c'est elle qu'on a coutume d'ouvrir dans la saignée du pié.

Galien, de curat. per venae-sectionem, a le premier établi que l'ouverture de cette veine est efficace pour exciter les regles, parce qu'après l'ouverture le sang se porte abondamment non-seulement à la veine sur laquelle on a opéré, mais encore à tous les vaisseaux qui en dépendent, à cause que le sang trouve moins de résistance à l'endroit où la veine est ouverte, que par-tout ailleurs. Lors donc qu'on a fait la saignée au pié, il se porte plus de sang aux vaisseaux de la matrice qui viennent de la veine-cave, aussi-bien que de la saphene. Et comme le fluide qui s'y porte en plus grande abondance distend considérablement les vaisseaux, le flux menstruel doit trouver une issue plus facile. Aussi lorsque le sang superflu, sans être visqueux, se trouve retenu par le vice des vaisseaux, on n'a pas plutôt ouvert la saphene que les humeurs se jettent en plus grande quantité vers la matrice, au moyen de quoi le cours du sang vers les vaisseaux de l'uretere est plus libre, & procure l'écoulement des regles. (D.J.)


SAPHIRS. m. (Hist. nat.) pierre précieuse, bleue ; elle est transparente & d'une dureté qui ne le cede qu'au diamant & au rubis. Sa couleur se dissipe au feu sans que pour cela la pierre entre en fusion.

Relativement à la couleur, on compte quatre différentes especes de saphirs : 1°. Le saphir d'un bleu céleste, ou d'un bleu d'azur ; c'est celui que l'on regarde comme le plus beau. C'est ce saphir que quelques auteurs appellent saphir mâle ; on le nomme aussi cyanus, parce qu'il est de la couleur des barbots. 2°. Le saphir d'un bleu foncé ; il est moins estimé que le précédent. 3°. Le saphir d'un bleu clair, tirant un peu sur le verd d'eau ; quelques auteurs le nomment saphirus prasitis. 4°. Le saphir très-clair, dans lequel la teinte bleue est presqu'entierement imperceptible. Il n'y a, pour ainsi dire, que la dureté qui mette de la différence entre lui & le diamant ; ce dernier a quelquefois été appellé saphir femelle : d'autres l'ont appellé leuco-saphirus.

Wallerius dit que les saphirs sont ordinairement d'une forme octogone, ou d'un plus grand nombre de côtés ; mais les relations des voyageurs nous apprennent qu'on les trouve communément sous la forme de petits cailloux roulés dans quelques rivieres des Indes orientales, de même que presque toutes les autres pierres précieuses. Les plus beaux saphirs viennent des royaumes de Pégu, de Bisnagar, de Cambaye & de l'île de Ceylan. Ceux qui se trouvent en Bohème, en Silésie, en Saxe, &c. n'ont ni la dureté, ni la vivacité de la couleur des saphirs d'orient.

Il y a tout lieu de croire que la couleur du saphir est dûe au cuivre. Quand on veut priver cette pierre de sa couleur & en faire un diamant, on la met dans un creuset après l'avoir bien entourée de sable fin, parfaitement lavé pour le dégager de toute saleté ; lorsque le saphir aura été ainsi environné de sable, on couvrira le creuset d'un couvercle qu'on luttera bien exactement ; on exposera le creuset au fourneau de verrerie pendant douze heures ; au bout de ce tems on le retirera peu-à-peu, & le saphir aura perdu toute sa couleur ; mais il faudra le faire retailler.

Pour contrefaire le saphir il n'y aura qu'à joindre du saffre, ou du bleu des Emailleurs, à la composition du verre ; on fera des essais pour savoir la quantité de cette matiere qu'il conviendra de joindre au verre.

Le saphirus des anciens n'étoit point la pierre dont on vient de parler, c'étoit le lapis lazuli ; quant au saphir, ils l'appelloient cyanus. (-)

SAPHIR, (Mat. médic.) Voyez FRAGMENT PRECIEUX.


SAPHORIN D'OZONSAINT, (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade à 3 lieues de Lyon.

Guypape, en latin Guidopapa, naquit dans ce bourg au commencement du xv. siecle. Il étudia la Jurisprudence en France & en Italie, & fut employé par le dauphin Louis, depuis Louis XI. en plusieurs affaires importantes, & entr'autres auprès de Charles VII. son pere, dont il s'agissoit d'appaiser la colere. Le roi fut content de la conduite de Pape, & l'employa même dans la suite. Il mourut à Grenoble, vers l'an 1476. Il a composé divers ouvrages qui sont assez rares. Le plus important est intitulé : Decisiones gratianopolitanae, Grenoble 1490, in-fol. cette édition a été suivie de plusieurs autres. Les raisonnemens de cet ouvrage sont judicieux, les preuves solides, & les loix bien employées dans leur vrai sens ; mais le style n'est ni pur, ni latin. Chorier en a donné une traduction qui vaut beaucoup mieux que l'original, & qui est intitulée : la jurisprudence de Guypape dans ses décisions, avec des remarques & la vie de l'auteur, Lyon 1692, in-4 °. (D.J.)


SAPIENCES. f. (Gram.) se dit quelquefois pour sagesse, prudence. Lafontaine a appellé la Normandie le pays de sapience.

SAPIENCE DE JESUS, FILS DE SIRACH, (Critiq. sacrée) c'est le titre grec ordinaire du livre communément appellé l'Ecclésiastique, mis par les uns au rang des livres canoniques de l'Ecriture, & par les autres au rang des apocryphes ; nous ne répéterons pas ici ce qui en a été dit au mot ECCLESIASTIQUE, pour ne point faire de doubles emplois.

L'an 132 avant Jesus-Christ, & la 38 de Ptolomée Evergete II. plus connu sous le nom de Physeon, Jesus, fils de Sirach, juif de Jérusalem, vint s'établir en Egypte, & y traduisit en grec pour l'usage des Juifs hellénistes, le livre que Jesus son grand-pere avoit composé en hébreu, & qui est intitulé dans nos Bibles l'Ecclésiastique. Les anciens l'appellent Panareton, mot grec qui signifie le trésor de toutes les vertus, parce qu'ils le regardoient comme un recueil de maximes les plus vertueuses. Jesus l'avoit écrit en hébreu vers le tems du pontificat d'Onias II. & un autre Jesus son petit-fils le mit en grec. Ce dernier est distingué du grand-pere qui en étoit l'auteur, par le titre de fils de Sirach. L'original hébreu est perdu ; on l'avoit encore du tems de saint Jérôme, car il déclare dans sa préface aux livres de Salomon, & dans son épît. 115. qu'il l'avoit vû sous le titre de paraboles.

Il est vraisemblable qu'il y a dans la traduction grecque des choses qui n'étoient pas dans l'original. La conclusion du ch. l. v. 27. & suiv. & la priere du dernier chapitre, sont sans-doute des additions du traducteur ; car ce que l'auteur y dit du danger qu'il a couru de perdre la vie par une fausse accusation portée au roi contre lui, appartient au regne barbare de Ptolomée Physeon, & ne peut pas regarder le grand-pere de Jesus, qui demeuroit à Jérusalem, trois générations auparavant, lorsqu'il n'y avoit point de tyrannie exercée sur le pays.

La version latine de ce livre de l'Ecclésiastique contient aussi plusieurs choses qui ne sont pas dans le grec. Il faut qu'elles y aient été insérées par celui qui l'a traduit en latin. A présent que l'hébreu qui étoit l'original est perdu, le grec qui est la traduction du petit-fils de l'auteur en doit tenir lieu, & les versions devoient toutes être faites sur le grec, & non sur le latin.

Les juifs modernes ont un livre qu'ils appellent le livre de Ben-Sira, ou du fils de Sira. Comme ce livre est aussi un recueil de sentences de morale ; quelques critiques ont pensé que ce Ben-Sira, ou fils de Sira, étoit le même que Ben-Sirach, ou fils de Sirach ; & que son livre est le même que notre Ecclésiastique ; mais c'est une erreur facile à connoître par la confrontation des deux ouvrages. Celui des Juifs modernes a été imprimé plusieurs fois. Voyez la Bibliothéque rabbinique de Buxtorf, pag. 324. (D.J.)


SAPIENTIAUXadj. (Théolog.) nom que les interprêtes & les théologiens donnent à quelques livres de l'Ecriture qui sont destinés spécialement à l'instruction des hommes, & à leur donner des leçons de morale & de sagesse ; on les appelle ainsi pour les distinguer des livres historiques ou prophétiques.

Les livres sapientiaux sont les Proverbes, le Cantique des Cantiques, l'Ecclésiaste, l'Ecclésiastique, la Sagesse, & selon quelques-uns les Pseaumes & le livre de Job, quoique la plûpart regardent ce dernier comme un livre historique. Voyez HAGIOGRAPHE.


SAPIENZAMARE DI, (Géogr. mod.) on appelle ainsi en Italie cette partie de la Méditerranée qui bat les côtes de la Morée, entre la mer Ionienne au couchant, & l'Archipel à l'orient ; les golfes de Coron & de Colochine en font partie. (D.J.)


SAPIENZELE, (Géog. mod.) on nomme le Sapienze trois petites îles de la Grèce, qui sont sur la côte occidentale de la Morée ; ce sont les Oenusae de Pausanias. Quelques auteurs ont nommé la premiere Sphagia ou Sfragia ; la seconde est appellée par Ptolémée Tiganusa ; la troisieme anciennement nommée Baccantia, aujourd'hui san Venatio, est sans habitans quoiqu'elle ait un bon port. (D.J.)


SAPINS. m. (Hist. nat. Botan.) abies, genre de plante à fleur en chaton, composée de plusieurs sommets, & stérile. Les embryons naissent séparément des fleurs, entre les écailles ou les feuilles d'un épi, & qui deviennent dans la suite une semence garnie d'une aîle membraneuse, & cachée aussi entre les écailles qui sont attachées à l'axe, & qui constituent le fruit des plantes de ce genre ; ce fruit n'est autre chose que l'épi qui est devenu plus gros. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les feuilles naissent seules le long des branches, & non pas par paires comme celles du pin. Tournefort, Inst. rei herb. V. PLANTE.

SAPIN, abies, très-grand arbre, toujours verd, qui se trouve sur les plus hautes montagnes de l'Europe, de l'Asie, & dans l'Amérique septentrionale. On peut admirer dans le sapin, la direction extrêmement droite & uniforme de sa tige, la position horisontale de ses branches, dont chaque étage marque la croissance d'une année, la régularité de son accroissement, la forme pyramidale de sa tête, & sa grande élévation, qui va quelquefois jusqu'à plus de cent piés. Son écorce est cendrée, assez unie, fort seche, & très-cassante. Cet arbre fait beaucoup de racines qui font rarement le pivot ; mais elles s'étendent pour la plûpart, se divisent en quantité de ramifications. Ses jeunes branches se garnissent d'un grand nombre de feuilles petites & étroites, d'un verd tendre & brillant en-dessus & blanchâtre en-dessous ; elles sont placées fort près & à plusieurs rangs de chaque côté des branches en maniere de peigne, & à-peu-près comme la feuille de l'if. Ses fleurs femelles ou chatons paroissent au commencement de Mai ; elles sont d'un assez beau rouge, mais dont l'apparence n'est sensible que de près. Les fruits que produit le sapin sont des cônes qui different de ceux du pin par leur forme qui est cylindrique, au-lieu que le cône du pin est de figure pyramidale. Sa graine aîlée comme celle du pin est plus mollasse, & les écailles qui la couvrent sont moins ligneuses. Il faut s'y prendre à tems pour cueillir les cônes du sapin proprement dit, ou sapin à feuille d'if, car ils ne tombent point en entier ; dès que leur maturité est parfaite, ce qui arrive de bonne heure en automne, les écailles & les graines qui forment le cône se détachent des filets qui les soutiennent, elles tombent & se dispersent de façon qu'il n'est guere possible de les retrouver : les cônes du sapin proprement dit, ont la pointe tournée en-haut, à la différence de ceux de l'épicea qui pendent en-bas.

Le sapin par rapport au volume & à l'utilité de son bois se met au nombre des arbres forestiers du premier rang. Il a de plus le mérite de croître dans des endroits où les arbres d'un bois de meilleure essence se refusent absolument. Il se plaît dans les pays froids & élevés, dans les gorges ténébreuses & sur le revers des montagnes exposées au nord, dans les lieux frais & humides, & dans les terres fortes & profondes ; cependant on le voit réussir aussi dans les terreins sablonneux, maigres & graveleux, pourvû qu'ils aient beaucoup de fond. Le sapin pénetre dans les joints des rochers, & jusque dans les fentes qui en séparent les lits ; c'est même dans cette position que cet arbre réussit le mieux ; il profite également dans le gravier humide, dans les terres rouges, limoneuses, & généralement par-tout où le hêtre réussit. Il peut venir aussi dans la glaise pure & dans un sol fort & grossier, mais il ne réussit pas si bien lorsque les terres sont engraissées de fumier ou qu'elles sont en culture. Il peut se soutenir encore dans les terres seches, pauvres & stériles, à-moins qu'elles ne soient extrêmement sablonneuses & légeres, trop superficielles & sans aucun mêlange ; on l'a vû venir enfin sur des voûtes d'anciens bâtimens fort élevés, où ses racines perçoient à-travers la maçonnerie. Cependant il n'y avoit sur ces voûtes qu'une épaisseur d'un ou deux piés de terre fort légere. Cet arbre ne se refuse presqu'à aucun terrein, si ce n'est à l'aridité de la craie, à la dureté du tuf & au sable vif. Il ne craint jamais le froid, mais il ne fait que languir dans les pays chauds ; il ne réussit même sur les montagnes froides & élevées que quand les plants sont fort près les uns des autres ; c'est aussi le meilleur moyen d'en accélérer l'accroissement dans toutes sortes de terreins.

Dans les pays où il y a de vieux sapins, ces arbres se multiplient fort aisément d'eux-mêmes, mais quand on veut faire de nouvelles plantations, il n'est pas si facile d'y réussir. Quoiqu'à proprement parler cet arbre puisse venir de bouture & de branches couchées, ce sont des moyens trop longs, qui ne peuvent guere servir que pour la multiplication de quelques especes rares de sapins, & qui ne conviennent nullement pour faire des plantations en grand. Ce n'est qu'en semant qu'on peut bien remplir cet objet. Il y a deux façons d'y procéder ; l'une qui est la moins sure & la plus dispendieuse, est de mettre le terrein en bonne culture par plusieurs labours, comme si on vouloit lui faire porter du blé ; de le herser soigneusement sur le dernier labourage au printems ; d'y semer ensuite la graine à plein champ comme on répand le blé ; & de la recouvrir fort légerement en faisant traîner par un cheval des branchages sur le terrein, car cette graine ne leve point lorsqu'elle est trop enterrée. Ordinairement ces semis levent à merveille dans les terreins qui ne sont pas trop exposés au soleil, mais on court le risque de les voir dépeuplés, soit par les chaleurs de l'été ou par les gelées d'hiver. On peut parer le premier inconvénient en semant de l'avoine avec la graine de sapin. Cette avoine entretient une fraîcheur qui garantit les jeunes plants de l'ardeur du soleil ; on peut la couper ou faucher sans endommager le semis, mais l'inconvénient de la gelée reste, & c'est le plus à craindre ; car si le semis a été fait dans une bonne terre, les mauvaises herbes envahissent le terrein les années suivantes & étouffent les jeunes plants, à moins d'y donner des soins de culture qui iroient à grands frais dans un espace un peu considérable. Le sapin d'ailleurs ne peut souffrir la culture, les soins qui lui viennent de main d'homme lui sont contraires, il ne veut être garanti que par les secours de la nature. Une autre maniere de faire des semis du sapin, qui quoique moins expéditive que la précédente, est plus assurée & presque de nulle dépense, c'est de répandre la graine aussi-tôt qu'elle est recueillie, parmi les broussailles, les bruyeres, les genévriers, les ronces, les épines, &c. Plus le terrein sera couvert d'arbrisseaux, plus le semis prospérera. Il pourra sembler que ceci est en contrariété avec ce que j'ai dit sur les herbes qui étouffent les jeunes plants de sapin venu dans une terre cultivée ; mais il faut considérer que la culture prêtant faveur à la crue des mauvaises herbes, elles deviennent folles & couvrent le terrein, au-lieu que les arbrisseaux laissent peu d'herbes à leur pié, & forment un abri naturel aux jeunes plants qui levent ; c'est ainsi que seme la nature ; il est vrai que ses progrès sont lents dans les commencemens. Le tems n'est rien pour elle ; le succès est l'unique but qu'elle se propose. Aussi arrive-t-il que les semis faits de cette façon ne commencent à se montrer qu'au bout de quatre ou cinq ans. Cependant on est dédommagé par la suite des progrès que font ces arbres lorsqu'ils sont dans leur force ; on peut s'attendre que s'ils sont dans un terrein convenable, ils s'éleveront à plus de 30 piés en trente ans, & la plûpart auront jusqu'à deux piés de diametre à l'âge de quarante ans, & on remarque en Angleterre que des sapins âgés d'environ quatrevingt ans avoient aussi quatre-vingt piés d'hauteur sur dix à onze de circonférence dans une terre argilleuse & forte ; mais si l'on ne veut faire que de petites plantations, on pourra semer les graines au mois d'Avril, dans des caisses plattes ou des terrines, ou même dans des planches de terre à potager qui soit meuble & légere, que l'on aura mêlée d'une moitié de vieux décombres.

Il faudra arroser bien légerement dans les tems de hâle & de sécheresse, soit le semis, soit les jeunes plants lorsqu'ils seront levés ; les sarcler au besoin, les garantir de la grande ardeur du soleil avec des branchages feuillus, & serrer les caisses ou terrines pendant l'hiver. A l'égard des planches, il sera à propos de leur faire de l'abri avec de la paille hachée, ou telle autre chose que l'on imaginera pouvoir les sauver des grandes gelées. Il faudra les transplanter au bout de deux ou trois ans sans différer davantage, car ces arbres ne reprennent pas lorsqu'ils sont âgés, à-moins qu'on ne les enleve avec la motte de terre. Les jeunes plants que l'on mettra dans les endroits où l'on voudra qu'ils soient à demeure, seront plantés à trois ou quatre piés de distance, parmi les broussailles & les épines qui s'y trouveront & qu'il faudra laisser, en faisant seulement un trou suffisant pour recevoir le sapin, mais peu profond, & on recouvrira les racines avec de la bonne terre que l'on aura réduite en bouillie dans un baquet. A l'égard des plants auxquels on voudra faire prendre de la hauteur avant de les placer à demeure, il faudra les mettre en pepiniere à trois piés de distance, mais il faudra avoir grand soin de concentrer leurs racines en faisant bêcher à leur pié tous les ans à deux différentes fois, pour couper les fibres qui cherchent à s'étendre ; car la culture de ces arbres dans la pepiniere ne doit avoir pour objet que le moyen de pouvoir les enlever avec la motte de terre, sans quoi nul succès pour la transplantation, qui doit dans tous les cas se faire au mois d'Avril, par un tems doux & couvert ; mais il faut toujours avoir pour principe de ne leur donner que le moins de culture qu'il est possible. Si on plante les sapins trop près, les branches inférieures perdent leurs feuilles & se desséchent, ce qui fait un aspect désagréable ; la distance de douze piés est la moindre qu'on puisse leur donner, lorsque la ligne où on les plante est isolée ; mais si l'on veut former plusieurs lignes de ces arbres, il faut les espacer de dix-huit à vingt piés.

On peut tailler ces arbres sans inconvénient dans toutes les saisons, si ce n'est dans le tems qu'ils sont en pleine seve, & qu'ils poussent ; pourvû cependant qu'on ne leur fasse pas tout-à-la-fois un retranchement trop considérable. On doit considérer aussi que le mois de Septembre est le tems le plus propre à cette opération ; on peut même les arrêter à la cime, quand pour de certains arrangemens on ne veut pas qu'ils montent si vîte. Mais il ne faut pas croire que le retranchement des branches du pié puisse contribuer à leur accroissement ; jamais il n'est plus promt que quand on laisse aller ces arbres à leur gré, & le retranchement des rameaux inférieurs ne leur profite que quand ils se desséchent & tombent d'eux-mêmes, lorsque les arbres sont plantés près les uns des autres. Il ne faut donc les élaguer que peu-à-peu & autant qu'il est besoin, pour leur former une tête à la hauteur que l'on désire.

Comme les forêts de sapins sont ordinairement sur le replat des montagnes fort élevées, & dans des terreins légers qui ont peu de profondeur, que d'ailleurs ces arbres pivotent rarement, qu'ils ont une grande hauteur & qu'ils donnent beaucoup de prise au vent ; il arrive souvent que dans des tems orageux il y a un nombre d'arpens dont tous les sapins sont renversés. Dans ces cas, comme il ne croît aucunes plantes sous les sapins, le terrein paroît entierement dénué des végétaux & sans ressource. Mais bien-tôt il vient des framboisiers, des fougeres, &c. qui par leur ombrage & leur fraîcheur, favorisent la germination des graines de sapin, dont la surface du terrein est toujours suffisamment garnie ; cependant leur succès dépendra sur-tout du soin que l'on aura d'empêcher le parcours du bétail, qui en détruisant l'herbe, laisseroit la terre exposée au desséchement ; d'où il arriveroit que les graines ne leveroient pas.

Il ne faut rien attendre des sapins qui ont été coupés ; ils ne donnent jamais de rejettons. Ce sont autant d'arbres supprimés pour toujours, & qui ne peuvent être remplacés que par les jeunes plants qui ont levé aux environs. Cet inconvénient doit engager à exploiter les forêts de sapins différemment des arbres qui ne sont pas résineux ; on doit donc laisser dans le tems des coupes beaucoup plus d'arbres en reserve que les ordonnances ne le prescrivent en général ; non-seulement pour répandre des graines dans le canton exploité, mais sur-tout pour procurer l'ombre & la fraîcheur qui sont absolument nécessaires pour les faire lever.

On ne fait nul usage du vrai sapin ou sapin à feuille d'if pour l'ornement des grands jardins & des parcs, malgré la beauté de son feuillage qui est d'un verd tendre, brillant & stable. Chacun s'étonne de ce qu'on lui préfere l'épicea que l'on trouve par-tout, & qui n'a pas à beaucoup près autant d'agrément. Mais la raison en est simple ; c'est que l'épicea est plus commun, qu'il se multiplie plus aisément que le sapin, qu'il souffre mieux la transplantation, & qu'il se contente d'un terrein plus médiocre.

On tire de grands services du sapin pour différens arts : le sapin proprement dit que l'on nomme sapin à feuille d'if, donne une résine liquide & transparente, connue sous le nom de térébenthine ; c'est sur-tout dans les montagnes de la Suisse, où il y a beaucoup de sapins, d'où l'on tire cette résine. Sur la façon de la tirer, de l'épurer & de la mettre en état de vente, Voyez le Traité des arbres de M. Duhamel, à l'article abies.

Le bois du sapin est blanc, tendre, léger, & il fend aisément ; cependant il est ferme & ne plie pas sous le faix. Il sert à quantité d'usages ; on en fait la mâture des plus grands vaisseaux ; on en tire des pieces de charpente de toutes sortes d'échantillons. Après le chêne & le châtaignier, c'est le bois le plus convenable pour cet objet. Il en est de même pour la menuiserie, où l'on fait très-grand usage des planches de ce bois ; il est excellent pour tous les ouvrages du dedans. Sa durée est très-longue, s'il n'est pas posé à l'humidité ou couvert de plâtre ; cependant il reste long-tems dans la terre sans pourrir, & il n'y noircit pas comme le chêne ; on en fait aussi les tables des instrumens à cordes. Enfin, ce bois est bon pour le chauffage, & on en peut faire du charbon. Si l'on ferme entierement une chambre avec des volets de sapin amenuisé au point de n'avoir qu'une ligne d'épaisseur, ils laissent passer autant de jour que les fermetures que l'on nomme sultanes ; mais le sapin paroît rouge, & rend le même effet que si la lumiere passoit à-travers un rideau d'étoffe cramoisie. Le bois du sapin est de meilleure qualité que celui de l'épicea, avec lequel on le confond souvent. Le sapin propre à la mâture des vaisseaux se tire ordinairement des pays du nord, & c'est le plus estimé. Cependant on en tire beaucoup du Dauphiné, de la Franche-Comté, de l'Auvergne, & des environs de Bordeaux ; mais tout le sapin que l'on employe à Paris vient de l'Auvergne. On peut donner en hiver aux moutons, les jeunes rejettons & les feuilles du sapin ; cette nourriture leur est fort saine. On fait aussi quelqu'usage en Médecine des plus tendres rameaux de cet arbre.

Voici les especes de variétés que l'on connoît à présent dans le genre du sapin : je désignerai sous le nom de sapin, toutes les especes de cet arbre dont les cônes ont la pointe tournée en-haut, & sous le nom d'épicea, toutes les autres sortes de cet arbre dont les cônes ont la pointe tournée vers la terre.

1. Le vrai sapin ou le sapin à feuille d'if, ou le sapin blanc ; c'est à cette espece qu'il faut particulierement appliquer ce qui a été dit ci-dessus. Il veut un meilleur terrein que l'épicea, il faut plus de soins pour l'élever & le transplanter, & les graines tombent dès le mois d'Octobre avec les écailles qui composent le cône ; ensorte que si l'on veut avoir des cônes entiers pour conserver la graine & l'envoyer au loin, il faut les faire cueillir bien à tems. Son accroissement n'est pas si promt que celui de l'épicea ; il n'est ni si vivace, ni si agreste, mais il a plus de beauté, & son bois est plus estimé ; les plus beaux sapins de cette espece se trouvent sur le mont Olimpe, où ils donnent des cônes d'environ un pié de longueur.

2. Le petit sapin de Virginie ; c'est un arbre de moyenne grandeur, dont les feuilles sont disposées en maniere de peigne, comme celles du vrai sapin. Quoiqu'il soit extrêmement robuste, il ne réussit bien que dans un terrein humide. On prétend que cet arbre n'a pas autant d'agrément que le vrai sapin, parce qu'il étend ses branches horisontalement & à une grande distance, ce qui, au moyen du peu d'élévation de la maîtresse tige, lui donne la forme d'un cône écrasé : mais la singularité même de cette forme peut avoir son mérite dans l'ordonnance d'un grand jardin.

3. Le sapin odorant ou le baume de gilead ; c'est le plus beau de tous les sapins. Aucun auteur n'a encore parlé de la stature : ses feuilles quoique de la même forme & de la même nuance de verdure que celles du vrai sapin, sont néanmoins disposées comme celles de l'épicea, & c'est en quoi on fait consister sur-tout la beauté du baume de gilead. Ses cônes sont longs & se terminent insensiblement en pointe : ils viennent au bout des branches, la pointe tournée en-haut comme ceux du vrai sapin. Les graines & les écailles dont ils sont formés, tombent & se dispersent de bonne heure en automne ; ensorte que si l'on veut avoir de ces cônes pour en conserver la graine, il faut les surveiller au tems de la maturité. M. Miller, auteur anglois, assure que dans quelque terrein qu'on ait planté cet arbre en Angleterre, sa beauté ne s'y est pas soutenue pendant plus de dix ou douze ans ; que quand ces arbres ont passé leur jeunesse, on les voit déchoir, que leur dépérissement se manifeste par la grande quantité de chatons & de cônes qu'ils rapportent ; qu'ensuite ils ne poussent que de petites branches crochues ; qu'il transsude de leur tronc une grande quantité de térébenthine ; qu'alors leurs feuilles tombent, & qu'enfin les arbres meurent au bout d'un an. Cependant le même auteur ajoute qu'il y a un grand nombre de plants âgés de cette espece de sapin qui sont vigoureux & d'une belle venue dans les jardins du duc de Bedford, dont le sol est un sable profond ; d'où on peut conclure que le baume de gilead ne peut prospérer que dans un terrein de cette qualité. On tire de cet arbre une résine claire & odorante, que l'on fait passer pour le baume de gilead, quoique l'arbre qui donne le vrai baume de ce nom soit une espece de térébinthe.

4. Le grand sapin de la Chine ; ses feuilles sont bleuâtres en-dessous, & disposées sur les branches en maniere de peigne. Ses cônes sont plus gros & plus longs que ceux des sapins d'Europe, ils ont sur l'arbre la pointe tournée en-haut ; leurs écailles ainsi que les feuilles sont terminées par un filet épineux.

5. Le très-grand sapin de la Chine ; c'est une variété qui ne differe de l'arbre précédent, que parce qu'elle prend encore plus d'élévation & que les écailles de ses cônes ne sont pas épineuses. Mais ces deux sortes de sapins de la Chine, n'ayant point encore passé en Europe, on n'en peut parler que fort superficiellement.

6. L'épicea ; c'est l'espece de sapin la plus commune en Europe, celle qui atteint une plus grande hauteur, qui se soutient le mieux dans un terrein médiocre, que l'on cultive le plus pour l'agrément, quoique ce soit l'espece de sapin qui en ait le moins. Il a l'écorce rougeâtre & moins cassante que celle du vrai sapin. Ses feuilles sont plus courtes, plus étroites, d'un verd plus mat & plus brun, & elles sont placées autour des nouvelles branches sans aucun ordre distinct. Ses cônes sont plus lisses & plus longs ; ils tombent de l'arbre tout entiers, & peu-à-peu pendant la seconde année, & le plus grand nombre durant la troisieme ; mais si on veut les cueillir pour avoir de la graine, il faut s'y prendre avant le hâle du printems de la seconde année ; car alors les cônes s'ouvrent & laissent tomber la graine qui est fort petite, & que les vents répandent au loin. Il transsude de cet arbre une substance résineuse qui se durcit à l'air, & dont on fait la poix blanche & la poix noire, qui servent à différens usages. Voyez à ce sujet le Traité des arbres de M. Duhamel.

L'épicea se multiplie plus aisément que le vrai sapin. Les branches de cet arbre que l'on marcotte ont au bout de deux ans des racines suffisantes pour la transplantation, & même les jeunes rameaux qui touchent contre terre dans un lieu frais font racines d'eux-mêmes. Il réussit assez bien de boutures ; si on les fait au commencement de Juillet, elles seront propres à transplanter en pépiniere au bout de quatorze mois. Par ces deux moyens de multiplication, la croissance s'accelere plus qu'en semant. L'épicea est l'un des derniers arbres que l'on trouve aux extrêmités du nord, avec le pin, le saule & le bouleau. Il fait le principal fond des forêts de ces climats froids, où il s'éleve à une très-grande hauteur dans la terre forte & profonde des vallées ; quoiqu'il y soit entierement couvert de neige pendant six mois de l'année. Les Suédois, dans la disette des fourrages, donnent aux chevaux des jeunes branches d'épicea hachées & mêlées avec l'avoine. Le bois de cet arbre sert aux mêmes usages que celui du vrai sapin : il est vrai que la qualité en est inférieure, mais il est moins noueux & il se travaille plus aisément.

7. L'épicea dont les cônes sont très-longs ; ce n'est pas ici une simple variété, seulement établie sur la plus grande longueur des cônes ; car cet épicea qui est originaire de l'Amérique septentrionale, est très-différent de celui d'Europe. Il fait un très-grand arbre, bien supérieur en beauté à notre épicea, par l'élégance de sa forme & l'agrément de ses feuilles, qui sont blanchâtres en-dessous & d'un verd de mer en-dessus.

8. L'épinette de Canada ; c'est une sorte d'épicea, que les Botanistes spécifient par de courtes feuilles & de très-petits cônes. Cette épinette a en effet les feuilles plus minces & moins longues que celles de l'épicea commun, & ses cônes ne sont guere plus gros qu'une noisette. On prétend que cet arbre s'éleve dans son pays natal à 20 ou 30 piés ; mais en Angleterre où on le cultive depuis du tems, on ne l'a pas vû passer 8 ou 10 piés de hauteur. On croit que ce qui déprime sa croissance en Europe, c'est la trop grande quantité de cônes dont il se charge de très bonne heure. En broyant entre les doigts des jeunes branches de cet arbre, elles rendent en tout tems une odeur balsamique assez forte & qui n'est point désagréable. On fait en Canada avec les rameaux de l'épinette une liqueur très-rafraîchissante & fort saine que l'on boit avec plaisir, sur-tout pendant l'été, quand on y est habitué.

9. L'épinette de la nouvelle Angleterre ; c'est encore une sorte d'épicea d'aussi petite stature que la précédente, dont les Botanistes la distinguent par ses feuilles qui sont plus courtes, & par ses cônes dont les écailles sont entr'ouvertes ; du reste cet arbre a les mêmes propriétés & autant d'agrément.

10. L'épicea du levant ; ses feuilles sont courtes & quadrangulaires, ses cônes sont très-petits & ont la pointe tournée en-bas. Cet arbre est du nombre des nouvelles plantes, dont M. Tournefort a fait la découverte dans son voyage au levant ; on le trouve aussi dans l'Istrie & dans la Dalmatie.

11. L'épicea à feuille de pin ; les feuilles de cet arbre sont beaucoup plus longues que celles d'aucune autre espece de sapin ou d'épicea ; c'est tout ce qu'on en sait, tant il est encore peu connu. M. d'Aubenton le subdélégué.

SAPIN, (Botan. Agricult.) cet arbre porte sa tête altiere jusqu'à la premiere région de l'air, ethereas ad auras vertice tendit : c'est sur les plus hautes montagnes, & sur-tout dans les forêts du nord, que la terre rassemble

Ces chênes, ces sapins qui s'élevent ensemble ;

Un suc toujours égal & préparé pour eux ;

Leur pié touche aux enfers, leur cime est dans les cieux ;

Leur tronc inébranlable & leur pompeuse tête

Résiste en se touchant aux coups de la tempête ;

Ils vivent l'un par l'autre, & triomphent du tems.

Tournefort compte quatre especes de sapin ; la principale est le sapin à feuilles d'if, dont le fruit taillé en cône se tourne en-haut, abies taxi folio, fructu sursùm spectante ; en anglois, the yewfir-tree with the fruit pointing upwards ; en françois le vrai sapin. C'est un grand & bel arbre, fort haut, fort droit, toujours verd : son bois est blanc, couvert d'une écorce lisse, blanchâtre & résineuse, ses branches sont garnies de feuilles oblongues, étroites, dures, naissant seules le long de leurs côtes. Elles portent des chatons à plusieurs bourses membraneuses qui s'ouvrent transversalement en deux parties, & se divisent dans leur longueur en deux loges remplies d'une poussiere menue. Ces chatons ne laissent rien après eux ; les fruits naissent sur le même pié de sapin formé en plusieurs écailles en cône ou pomme de pin tournés en-haut ; les Latins les nomment strobili : on trouve ordinairement sous chacune de leurs écailles deux semences, &c.

Le sapin ou sapinette du Canada, abies minor pectinatis foliis, virginiana, conis parvis subrotundis, Pluk. Phytogr. tab. 121. fig. 1. est assez semblable à la pesse par son port ; ses feuilles sont cependant plus menues, plus courtes, & rangées en maniere de dents de peigne. Cet arbre est originaire du Canada, où l'on en tire une térébenthine qui est d'une odeur & d'un gout plus agréable que la térébenthine ordinaire ; & comme on donne de beaux noms à toutes les drogues, on appelle communément cette térébenthine, baume de Canada.

Le sapin est d'un grand usage pour la mâture des vaisseaux ; on l'éleve de graines, & on en fait des forêts entieres dans les pays septentrionaux. Les Anglois en élevent plusieurs especes, & particulierement le sapin d'Ecosse, le sapin argenté, le sapin de Norwege, & le sapin à poix ; mais nous ne connoissons en France que le sapin décrit ci-dessus, & la pesse, encore les confond-on d'ordinaire.

SAPIN, (Mat. méd.) cet arbre appartient à la matiere médicale comme lui fournissant une espece de térébenthine, connue dans les boutiques sous le nom de térébenthine de Strasbourg, ou de térébenthine de sapin, & plusieurs autres matieres résineuses, soit naturelles, soit altérées par l'art, dont il a été fait mention à l'article PIN, & dont on parlera à l'article TEREBENTHINE. Voyez ces articles. (b)


SAPINESS. f. plur. (Charpent.) solives de bois de sapin, qu'on scelle de niveau sur des tasseaux quand on veut tendre des corbeaux pour ouvrir les terres & dresser les murs. On fait des planchers de longues sapines, & on s'en sert aussi dans les échaffaudages. (D.J.)


SAPINETTESS. f. (Marine) petits coquillages qui s'attachent à la carene du vaisseau.

SAPINETTE, (Commerce) c'est une espece de liqueur ou de biere en usage dans le Canada, la Virginie, & les autres parties septentrionales de l'Amérique. On la fait avec une espece de sapin que les François nomment épinette blanche, & les Anglois spruce : les Botanistes nomment ce sapin abies foliis brevibus, conis minimis. Cet arbre est très-commun en Canada ; il est assez rare dans les colonies angloises, où le climat est moins froid, & on ne le trouve plus vers le midi, à-moins que ce ne soit sur les hautes montagnes qui sont presque toujours couvertes de neige.

Voici la maniere de faire la sapinette : on fait bouillir de l'eau dans une chaudiere que l'on n'emplit qu'aux trois quarts ; lorsque cette eau commence à bouillir, on y met un paquet de branches de sapin ou d'épinette blanche rompues. On continue la cuisson jusqu'à ce que l'écorce se détache avec facilité des branches, ce qui demande environ une heure. Pendant ce tems on fait griller dans une poële ou du froment, ou de l'avoine, ou de l'orge, ou du maiy, de la même maniere que l'on brûle le caffé, & l'on jette l'un de ces grains grillés dans la chaudiere où cuisent les branches de l'épinette ; on y met aussi quelques tranches de pain grillé ; ce qui se fait pour donner de la couleur à la liqueur. Alors on retire du feu la chaudiere ; on enleve les branches & les feuilles qui ont été cuites ; on passe la liqueur au-travers d'un linge ; l'on y mêle de la melasse ou du syrop de sucre grossier ; on le met tout dans un tonneau ; on y joint une petite quantité de levûre de biere que l'on bat dans la liqueur pour l'y incorporer ; après quoi on laisse fermenter ce mêlange dans le tonneau dont le bondon reste ouvert, & que l'on a soin de remplir à mesure que la liqueur diminue : la fermentation fait qu'il s'en dégage beaucoup de saletés. Si l'on veut que cette liqueur ait un goût piquant, on n'aura qu'à la tirer en bouteilles avant que la fermentation soit achevée ; si on la veut plus douce, on attendra que la fermentation soit entierement achevée.

Cette liqueur est brune ou jaunâtre comme de la biere ; elle est fort agréable pour ceux qui y sont accoutumés, au point que quelques particuliers qui avoient vécu en Canada, en ont fait venir en Europe. Elle passe pour rafraîchissante, pour un très-bon remede dans les affections scorbutiques, & est très-diurétique. Cette liqueur est la boisson la plus ordinaire dans le Canada, dans la nouvelle Yorck, & dans l'Albanie. Il paroît qu'on pourroit l'imiter dans nos pays où elle pourroit être d'une grande ressource dans les tems où la disette des grains rend la biere ordinaire trop chere pour les pauvres gens. Ce détail est dû à M. Pierre Kalm, qui l'a inséré dans les Mémoires de l'académie de Suede, année 1751. Il est aussi parlé de cette liqueur & de la maniere de la faire dans le Traité des arbres & arbustes de M. Duhamel du Monceau, tome I. page 17. (-)


SAPINIA TRIBUS(Géog. anc.) peuple d'Italie, dans l'Ombrie ; Tite-Live en fait mention, l. XXXII. c. ij. Ce peuple tiroit son nom du Sapis, (le Savio) riviere auprès de laquelle il habitoit. (D.J.)


SAPINIERES. f. terme de Batelier, bateau construit de sapin dont on se sert sur la riviere de Loire pour le transport des marchandises. La sapiniere est moins longue, mais plus large qu'un chalant. (D.J.)


SAPINOSS. m. (Hist. nat. Litholog.) les anciens donnoient ce nom à une améthyste très-claire, & fort peu chargée de couleur.


SAPIS(Géog. anc.) riviere d'Italie dans le Picenum, auprès de la ville d'Isarum. Son nom moderne est le Savio ; & comme cette riviere passe à Césena, on la nomme aussi rio-di-Cesena. (D.J.)


SAPONAIRES. f. (Botan.) cette plante est l'espece de lychnis que Tournefort & Ray nomment lychnis sauvage, lychnis sylvestris. I. R. H. 336. Ray, Hist. plant.

Sa racine est longue, rougeâtre, noueuse, rampante, fibrée, vivace ; elle pousse plusieurs tiges hautes d'un pié & demi ou de deux piés, rondes, sans poils pour l'ordinaire, noueuses, rougeâtres, moëlleuses, qui se soutiennent à peine. Ses feuilles sont larges, nerveuses, semblables à celles du plantain, mais plus petites, opposées, glabres, attachées à des queues très-courtes, d'un goût nitreux.

Ses fleurs naissent comme en ombelles aux sommités des tiges, composées chacune de cinq pétales ou feuilles disposées en oeillet, ordinairement d'une belle couleur pourprée, quelquefois d'un rouge pâle, quelquefois blanches, odorantes, avec dix étamines blanches à sommet oblong dans leur milieu. A cette fleur succede un fruit de figure conique, qui n'a qu'une cavité remplie de semences menues, presque rondes & rougeâtres.

Cette plante qui, comme je l'ai dit, est une lychnis sauvage, croît proche des ruisseaux, des rivieres, des étangs, dans les bois & prés humides, & dans les lieux sablonneux ; on la cultive aussi dans les jardins, où elle dure long-tems, en se rendant néanmoins odieuse aux jardiniers par sa maniere de serpenter ; elle fleurit en Juin, & reste en fleur jusqu'au mois de Septembre. Non-seulement sa fleur se joue pour les couleurs, mais elle devient aussi quelquefois double, & s'emploie dans les bouquets à cause de sa beauté & de son odeur agréable ; on donne en Médecine à la plante qui les porte des vertus atténuantes & détergentes. (D.J.)


SAPOTILLE(Mat. méd.) c'est le fruit d'un arbre de l'Amérique nommé communément sapotillier par les habitans du pays, que les Européens appellent aussi poirier ou pommier d'Amérique, & que Linnaeus a désigné par le nom de achrus Plumieri.

Les pepins, ou plutôt les noyaux de ces fruits, sont employés depuis long-tems en Amérique, comme un remede souverain contre la colique néphrétique ; & leur usage s'est communiqué depuis dix à douze ans dans plusieurs provinces maritimes de France. On trouve un mémoire à ce sujet dans le journal de Médecine pour le mois de Mars 1760, par M. Ranson, médecin du roi, à Saint Jean d'Angely.

Les noyaux de sapotille sont, selon la description qu'en donne cet auteur, d'une forme qui approche en gros de celle des pepins de nos poires bien mûres. On les emploie mondés de leur coque & de leur écorce ; ils ne sont point émulsifs, quoiqu'ils soient très-huileux, au point même d'être inflammables ; ils ont un goût très-amer. On fait prendre ce remede sous deux formes ; on en pile un ou deux gros dans un mortier de marbre, & on les délaye dans cinq ou six onces d'eau pour une dose qu'on réitere de quatre en quatre heures, ou de six en six heures, selon l'exigence des cas, & selon que l'estomac soutient ce remede. On l'édulcore aussi quelquefois pour les sujets délicats, avec le sucre ou un syrop approprié ; ou bien on le donne en substance ou incorporé dans un véhicule solide convenable à la dose d'un gros tout au plus. On ne doit pas continuer pendant plus de quatre ou cinq jours l'usage consécutif de ce remede. Il provoque si efficacement dans les coliques néphrétiques curables, le cours des urines & la sortie des glaires & des graviers, que ces corps dont la présence occasionnoit l'accès de colique, sont communément chassés au bout de ce tems ; & que si on continuoit le remede plus long-tems, il attaqueroit le corps même des reins, l'irriteroit, l'enflammeroit ; ce qui n'empêcheroit cependant point de revenir à l'usage de ce remede en saisissant quelques momens plus favorables. (b)


SAPOTILLIERS. m. (Hist. nat. Bot.) sapota ; genre de plante ; quoique ses caracteres soient les mêmes que ceux de guanabane (voyez GUANABANE), il en differe cependant entierement par la nature des fleurs & des fruits, & par le port même de la plante. Le sapotillier est donc un genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond ; il sort du calice un pistil qui devient dans la suite un fruit presque de la forme d'une toupie ou ovoïde ; ce fruit est mou, charnu, & contient une ou deux semences qui sont arrondies, applaties, dures, polies, & qui ont une espece de bec. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.


SAPPADILLES. f. (Botan. exot.) arbre des Indes occidentales, qui est fort cultivé à la Jamaïque & aux Barbades, à cause de son fruit, dont on fait beaucoup de cas dans ces contrées. Cet arbre est nommé par le chevalier Hans-Sloane, dans son cat. plant. Jam. anona foliis laurinis, glabris, viridi-fuscis, fructu minore, rotundo, viridi-flavo scabro, seminibus fuscis, splendentibus, fissurâ albâ notatis.

La sappadille est l'espece d'anona la plus estimée : cet arbre croît à la hauteur d'un pommier : ses feuilles sont semblables à celles du laurier, lisses, vertes-brunes ; ses fleurs sont composées de trois pétales, soutenues sur un pédicule. Après qu'elles sont tombées il leur succede un fruit couvert d'une écorce, & dont la chair environne les cellules, dans lesquelles sont renfermées des graines brunes, luisantes, marquées d'un sillon blanc. Le fruit de cet arbre est plus petit que celui des autres especes d'anono ; sa forme est ronde, & sa couleur jaunit dans la maturité. (D.J.)


SAPPE(LA) dans l'art militaire, est une espece de tranchée que font les soldats à couvert du feu de la place par un mantelet ou un gabion farci qu'ils font rouler devant eux. Cet ouvrage differe particulierement de la tranchée, en ce que celle-ci se fait à découvert, & que la sappe se construit avec plus de précaution, parce qu'elle se fait plus près de la place.

La sappe a moins de largeur que la tranchée, mais on l'élargit ensuite ; elle n'en differe plus alors, & elle perd son nom de sappe pour prendre celui de tranchée.

Il y a plusieurs sortes de sappes :

La simple qui n'a qu'un seul parapet.

La sappe double qui en a deux.

La sappe volante qui se fait avec des gabions que l'on ne remplit pas d'abord. On trace avec ces gabions l'ouvrage qu'on veut former, & l'on y fait aller ensuite les travailleurs de la tranchée pour les remplir de terre. Cette sorte de sappe ne peut guere se pratiquer que la nuit, lorsqu'on est encore loin de la place, & dans les endroits où le feu de l'ennemi n'est pas fort considérable.

La demi-sappe est celle dans laquelle on pose à découvert plusieurs gabions sur un alignement donné, qu'on travaille ensuite à remplir, après avoir fermé les entre-deux des gabions avec des sacs à terre ou des fagots de sappe.

Enfin la sappe couverte est un chemin qu'on fait sous terre pour mettre les sappeurs à couvert des grenades, à l'approche des ouvrages qu'on veut attaquer. On ne laisse par-dessus que deux piés de terre, qu'on soutient, s'il en est besoin, & qu'on fait tomber quand on veut. Cette sappe qu'on ne met guere en pratique, peut être utile dans plusieurs occasions pour cacher son travail à l'ennemi.

La sappe ordinaire ou la simple-sappe, n'est autre chose qu'une tranchée poussée pié-à-pié, qui chemine jour & nuit également. Quoiqu'elle avance peu en apparence, elle fait beaucoup de chemin en effet, parce qu'elle marche toujours. C'est un métier qui demande une espece d'apprentissage pour s'y rendre habile, auquel on est bien-tôt fait quand le courage & le désir du gain sont de la partie.

Voici comment elle se conduit.

L'ouvrage étant tracé, & les sappeurs instruits du chemin qu'ils doivent tenir, on commence par faire garnir la tête de gabions, fascines, sacs à terre, fourches de fer, crocs, maillets, mantelets, &c.

Cela fait, on perce la tranchée par une ouverture que les sappeurs font dans l'épaisseur de son parapet, à l'endroit qui leur est montré, après quoi, le sappeur qui mene la tête, commence de faire place pour son premier gabion, qu'il pose sur son plan, & l'arrange de la main, du croc & de la fourche du mieux qu'il peut, posant le dessus dessous, afin que la pointe des piquets des gabions débordant le sommet, puisse servir à tenir les fascines dont on les charge. Cela fait, il les remplit de terre en la jettant de biais en avant, & se tenant un peu en-arriere pour ne pas se découvrir : à mesure qu'il remplit le premier gabion, il frappe de tems en tems de son maillet ou de sa pioche contre, pour faire entasser la terre.

Ce premier gabion rempli, il en pose un second sur le même alignement, qu'il arrange & remplit de même ; après ce troisieme, un quatrieme, se tenant toujours à couvert, & courbé derriere ceux qui sont remplis ; ce qu'il continue toujours de la sorte : mais parce que les joints des gabions sont fort dangereux avant que la sappe soit achevée, il les faudra fermer de deux ou trois sacs à terre posés bout sur bout sur chaque joint, que le deuxieme sappeur arrange, après que le troisieme & quatrieme les lui ont fait passer.

Au vingtieme ou trentieme gabion posé & rempli, on reprend les sacs de la queue pour les rapporter en avant, afin de les épargner ; desorte qu'une centaine de sacs à terre bien ménagés, peuvent suffire à conduire une sappe depuis le commencement du siege jusqu'à la fin.

A l'égard de l'exécution de la sappe, voici comme elle se doit conduire.

Le premier sappeur creuse un pié & demi de large sur autant de profondeur, laissant une berme de 6 pouces au pié du gabion, & taluant un peu du même côté.

Le second élargit de 6 pouces, & approfondit d'autant, ce qui fait 2 piés de large & autant de profondeur.

Le troisieme & le quatrieme creusent encore chacun d'un demi-pié, & élargissent d'autant, font les talus, & réduisent les sappes à 3 piés de profondeur & autant de largeur par le haut, revenant à 2 piés & demi sur le fond, les talus parés ; ce qui est la mesure que nous demandons pour la rendre parfaite. Il reste quatre hommes à employer de la même escouade, qui se tenant en repos derriere les autres, font rouler les gabions & fascines aux quatre de la tête, afin que les premiers sappeurs les trouvent sous la main ; ils leur font aussi glisser des fascines pour garnir le dessus des gabions quand ils sont pleins ; savoir deux sur les bords & un dans le milieu, qu'on a soin de faire entrer dans les piquets pointus des gabions qui surmontent le sommet, afin de les tenir fermes ; après quoi on les charge de terre.

L'excavation de ces 3 piés de profondeur fournit les terres nécessaires à remplir les gabions, & une masse de parapet formant un talus à terre courante du côté de la place, remplit le haut en bas, qui ne peut être percé que par le canon.

Quand les quatre premiers sappeurs sont las, & qu'ils ont travaillé une heure ou deux avec force, ils appellent les quatre autres, lesquels prenant la place des premiers, ils travailleront de même force jusqu'à ce que la lassitude les oblige à rappeller les autres, observant que celui qui a mené la tête prend la queue des quatre, à la premiere reprise du travail ; car chacun d'eux doit mener la tête à son tour, & poser une pareille quantité de gabions, afin d'égaler le péril & le travail. De cette façon on fait une grande diligence, quand la sappe est bien fournie.

Au surplus, on fait marcher la sappe non-seulement en avant, mais aussi à côté, sur les prolongemens de la droite & de la gauche ; & pour l'ordinaire on voit des quatre, cinq & six sappes dans une seule tranchée, qui toutes cheminent à leur fin.

Dans le même tems, celui qui dirige les sappeurs doit avoir soin de faire servir des gabions & des fascines à la tête des sappes ; ce qui se fait par l'intervention de celui qui commande la tranchée, qui lui fait fournir le monde dont il a besoin.

Le moyen d'être bien servi seroit de donner six deniers de chaque fascine, portée de la queue des tranchées à la tête des sappes, payés sur le champ à la fin des voyages, ou d'une certaine quantité. Chaque soldat en peut porter aisément trois, & faire trois ou quatre voyages ; il faudroit pour la même raison, donner un sou des gabions : en observant cette petite libéralité, les sappes seroient toujours bien & aisément servies.

Il est encore à remarquer que quand on a affaire à des ennemis un peu éveillés, ils canonnent la tête des sappes avant que votre canon tire, de maniere que souvent on est obligé de les abandonner ; mais si on y est forcé de jour, on s'en dédommage pendant la nuit.

A mesure que la sappe avance, on fait garnir celle qui est faite par les travailleurs qui l'élargissent jusqu'à ce qu'elle ait 10 ou 12 piés de large, sur 3 de profondeur ; pour lors elle change de nom, & s'appelle tranchée, si elle sert de chemin pour aller à la place ; mais on la nomme place d'armes, si elle lui fait face, & qu'elle soit disposée pour y placer des troupes.

Ces sortes d'ouvrages qui supposent de l'adresse & de l'intelligence, & qui se font avec danger, doivent être bien payés, si l'on veut être bien servi.

Le prix le plus raisonnable de la sappe doit être 40 sous la toise courante au commencement ; savoir tout le long du travers de la seconde place d'armes, & ce qui se trouve entr'elle & la troisieme.

2 livres 10 sous pour la troisieme place d'armes & le travail jusqu'au pié du glacis.

3 livres pour celle qui se fait sur le glacis.

3 livres 10 sous pour celle qui se fait sur le haut du chemin couvert.

5 livres pour celle qui entre dans ledit chemin couvert.

10 livres pour celle qu'on fait aux passages des fossés secs.

20 livres s'ils sont pleins d'eau ; & quand elle sera double, comme cela arrive quelquefois, il la faudra payer au double, selon les endroits où on la fera.

A l'égard de celle qui se fera dans les breches des bastions & demi-lunes, elle n'a point de prix réglé, parce qu'elle est exposée à tout ce que la place a de plus dangereux ; c'est pourquoi, selon le péril auquel ils seront exposés, il faudra donner ce qu'on jugera à propos.

Le toisé se doit faire par un seul ingénieur préposé pour cela à chacune des attaques ; le même fait le compte des brigades en présence des officiers & sergens, qui ont soin après de faire distribuer aux escouades ce qui leur revient ; c'est pourquoi ils doivent contrôler tous les jours ce que chacun aura fait d'ouvrage, de concert avec l'ingénieur qui fera le toisé, sur le prix desquels on pourroit retenir un dixieme pour les officiers & sergens, afin de les rendre plus exacts à relever & faire servir les sappes.

En observant cet ordre, comme tous sont intéressés à ce travail, il ne faut pas douter qu'il ne se pousse avec toute la diligence possible, & l'on peut estimer qu'ils feront 80 toises en 24 heures.

Au surplus l'ingénieur qui les toisera, le doit faire toutes les 24 heures, & toujours laisser des marques sensibles à la fin de chaque toisé, & tenir registre de tout, afin que quand on voudra le vérifier, on le puisse faire sans confusion.

Or 80 toises, à 2 livres la toise, font 160 livres, dont ôtant le dixieme qui est 16 liv. il reste pour les sappeurs 144 liv. qui distribués à 24 hommes, font 6 liv. pour chacun, ce qui est un gain raisonnable. Ils ne gagneront pas davantage dans le courant du siege, quoique le prix de la sappe augmente à mesure qu'ils approchent de la place, parce que le péril augmentant aussi, il est sûr que plus ils en approcheront, & moins ils feront d'ouvrage.

On a accoutumé de leur payer quelque chose de plus que le prix de la toise courante, pour chaque coupure qu'ils font dans la tranchée, par la raison qu'il y a plus d'ouvrage qu'ailleurs ; cela se peut réduire à doubler le prix de la toise & rien de plus.

Au reste, il y a une chose à quoi les officiers doivent bien prendre garde ; c'est que souvent les sappeurs s'enivrent à la tête de leur sappe, après quoi ils se font tuer comme des bêtes, sans prendre garde à ce qu'ils font, c'est de quoi il faut les empêcher, en ne leur permettant pas d'y porter du vin qui ne soit mêlé de beaucoup d'eau.

Comme rien n'est plus convenable à la sûreté, diligence & bonne façon des tranchées, que cette maniere d'en conduire les têtes, & de les ébaucher, rien n'est aussi plus nécessaire que d'en régler la conduite ; car outre que la diligence s'y trouvera, il est certain qu'on préviendra beaucoup de friponneries qui s'y font par la précipitation confuse avec laquelle elles se conduisent, qui font qu'il y a toujours de l'embrouillement, & quelqu'un qui en profite. Attaque des places par M. le maréchal de Vauban. Voyez Pl. XVI. de Fortification, fig. 2. n °. 1. le plan d'une sappe, sa vue du côté intérieur, n °. 2. & du côté extérieur, n °. 3. le profil d'une sappe achevée, n °. 4. & le profil représentant l'excavation des quatre sappeurs n °. 5. de la même Pl.


SAPPERSAPPER

Pour démolir des murailles fortes & épaisses des vieilles citadelles, &c. on a coutume de se servir de la sappe. Chambers.


SAPPEUR(Fortification) soldat du régiment de royal artillerie destiné à travailler dans les sappes.

On instruit dans les écoles d'artillerie les sappeurs à poser les gabions avec adresse, & en s'exposant le moins qu'il est possible. On dresse les gabions avec la fourche & le crochet de sappe, & l'on fait à genouil un boyau de deux piés de profondeur. Le sappeur doit laisser un grand pié de relais entre les excavations & les gabions, afin qu'ils ne culbutent pas dans la tranchée, ce qui arrive assez souvent. Voyez SAPPE. (Q)


SAPPHIQUEadj. (Littérat.) nom d'un vers fort usité dans la poésie grecque & latine, ainsi appellé de Sapho à qui l'on en attribue l'invention.

Le vers sapphique consiste en onze syllabes ou cinq piés, dont le premier, le quatrieme & le cinquieme sont des trochées, le second un spondée, & le troisieme un dactyle ; comme,

Vivitur parvo bene, cui paternum

Splendet in mensâ tenui salinum :

Nec leves somnos timor, aut cupido

Sordidus aufert Horat.

Ce dernier vers se nomme adonique, & on le joint ordinairement à trois vers sapphiques pour en former une strophe.

Cependant on trouve dans les anciens poëtes tragiques des choeurs composés d'un grand nombre de vers sapphiques qui se suivent immédiatement. En général un vers sapphique est dur quand il n'y a pas une césure après le second pié.

On a tenté, mais sans succès, de faire des vers sapphiques en françois.


SAPRA PALUS(Géog. anc.) lac dans l'isthme de la Chersonese taurique, selon Strabon, l. VII. p. 308. Ce mot , féminin de , veut dire pourri, corrompu. Le lac que Casaubon croit être le même que Byce est au nord de la Chersonese à l'orient de l'isthme qui la joint à la terre-ferme, & qui, comme dit Strabon, le sépare de la mer, c'est-à-dire du Pont-Euxin, ou, ce qui revient au même, du golfe Carcinite. Il étoit plus enfermé qu'il n'est présentement par une langue de terre qui s'avance vers le nord au couchant de ce lac, & qui ne l'empêchoit pas de communiquer avec le Palus Méotide. Cette langue de terre, qui peut bien avoir été anciennement un isthme entier, est encore présentement assez considérable pour marquer l'ancienne étendue du lac Sapra.

2°. Sapra Palus, lac de l'Asie mineure, vers la Troade, auprès d'Astyra, il se décharge dans la mer en un endroit où le rivage est bordé de rochers. (D.J.)


SAQUEBUTES. f. (Lutherie) instrument de musique & à vent ; c'est une espece de trompette différente de l'ordinaire, tant par la figure que par la grandeur. La saquebute est très-propre pour les basses, & elle est construite de maniere qu'on peut la raccourcir ou l'allonger, suivant que l'on veut des tons aigus ou des tons graves. Voyez la fig. Planche de Lutherie. Les Italiens la nomment trombone, les Latins l'appelloient tuba ductilis.

Cet instrument est composé de quatre différentes pieces ou branches, & a ordinairement une espece d'anneau tors dans le milieu, qui n'est que la continuation du tuyau plié deux fois en cercle ; par cette construction il peut aller d'un quart plus bas que son ton naturel. Il a encore deux pieces cachées dans l'intérieur, & qu'on tire avec une barre de fer lorsqu'on veut donner à la saquebute la longueur nécessaire pour un certain ton.

La saquebute a ordinairement 8 piés de long, sans être tirée & sans développer ses cercles. Lorsqu'on l'étend, sa longueur peut aller à 16 piés. L'anneau tors a 2 piés 9 pouces de tour ; on l'emploie comme basse dans tous les concerts d'instrument à vent.

Il y a des saquebutes de différentes grandeurs, selon les différentes parties qu'on veut exécuter. Il y en a particulierement une petite appellée par les Italiens trombone picciolo, & par les Allemands kleine alt-posaune, propre pour les hautes-contres. La partie qui lui convient est appellée trombone primo ou I °. Il y en a une autre plus grande, appellée trombone maggiore, qu'on emploie comme taille ; la partie qu'elle exécute est nommée trombone secondo ou II °. Une troisieme encore plus grande appellée trombone grosso, & dont la partie est le trombone terzo ou III °. Enfin une autre qui est de toutes celles-là, & dont le son est très-violent, principalement dans les basses, sa partie est appellée trombone quarto ou IV °. ou simplement trombone. Elle a ordinairement pour clé celle d'F ut Fa sur la 4e ligne, & même souvent sur la 5e ligne d'en-haut, à cause de l'étendue que cet instrument a dans le bas. Voyez TROMPETTE, & la fig. dans nos Pl. de Lutherie.


SARABAITESS. m. plur. (Hist. ecclésiast.) nom que l'on donnoit autrefois à certains moines errans & vagabonds qui ne suivoient aucune regle approuvée, & alloient de ville en ville, vivans à leur discrétion. Ce mot vient de l'hébreu sarab, se révolter.

Cette étymologie paroît conforme à l'idée que nous en donne Cassien dans sa quatorzieme conférence où il les appelle, renuitae quia jugum regularis disciplinae renuunt. Saint Jérôme n'en parle pas plus favorablement dans une lettre à Eustochium, où il les appelle remoboth ; & S. Benoît en fait une peinture affreuse dans le premier chapitre de sa regle.

C'étoient les Egyptiens qui avoient donné aux sarabaïtes le nom de remoboth ; & voici ce qu'en dit S. Jérome : Hi bini vel terni nec multò plures simul habitant suo arbitratu ac ditione viventes, & de eo quod laboraverint, in medium partes conferunt, ut habeant alimenta communia. Habitant autem quam plurimi in urbibus & castellis, & quasi ars sancta, non vita, quidquid vindiderint majoris est pretii. Inter hos saepe sunt jurgia quia suo viventes cibo, non patiuntur se alicui esse subjectos. Reverà solent certare jejuniis, & rem secreti victoriae faciunt. Apud hos adfectata sunt omnia, laxae manicae, caligae follicantes, vestis crassior, crebra suspiria, visitatio virginum, detractio clericorum, & si quando dies festus venerit, saturantur ad vomitum. Epist. XXII. ad Eustoch.


SARABALESS. f. (Hist. jud.) sorte de vêtement des Hébreux.

Il est dit dans Daniel, c. iij. vers. 94. que les trois hébreux ayant été jettés dans la fournaise ; le feu ne leur fit aucun mal, & que leurs sarabales demeurerent entieres : saraballa eorum non sunt immutata. Ce terme saraballa est chaldéen, & on le lit dans l'original de l'édit de Nabuchodonosor, Daniel, c. iij. vers. 21. Aquila, Théodotion & Symmaque ont lu sarabara, . Tertullien lit de même, & dit dans son traité de Pallio qu'Alexandre le grand n'eut pas honte de quitter l'habit militaire des Grecs pour prendre les sarabares des peuples vaincus. Ces sarabares étoient, à ce qu'on croit, des culottes ou des bandes qui enveloppoient les jambes & les cuisses. On trouve aussi quelquefois sarabara pour un habillement de tête. Voyez Saumaise sur Tertullien de Pallio, c. iv. & Ducange, Gloss. au mot sarabara ; Calmet, Dict. de la Bible, tome III. p. 480.


SARABANDES. f. air de musique & sorte de danse à trois tems, d'un caractere lent, grave & sérieux.


SARABARA(Critiq. sacrée) ce terme grec de Théodotion est expliqué par des hauts-de-chausses ou bandes qui enveloppoient les jambes & les cuisses, braccas ; l'auteur apocryphe des additions faites au troisieme chapitre de Daniel dit, vers. 94. sur les trois jeunes hommes jettés dans la fournaise, que le feu n'endommagea pas même leurs vêtemens. Le grec met . (D.J.)


SARABATLE, (Géog. mod.) riviere d'Asie dans l'Anatolie ; elle se décharge dans le golfe de Smyrne, auprès de Smyrne. C'est l'Hermus des anciens. Voyez HERMUS. (D.J.)


SARABRIS(Géog. anc.) ancienne ville de l'Espagne tarragonoise, selon Ptolémée. Ses interpretes disent que c'est Zamora. Florien d'Ocampo prétend que c'est Toro sur le Duero, & son sentiment est favorisé par Gomez Vasaeus. (D.J.)


SARACENELA, (Géog. anc.) contrée de l'Arabie pétrée, selon Ptolémée, l. V. c. xvij. Elle étoit au couchant des montagnes Noires en tirant vers l'Egypte. (D.J.)


SARACENI(Géog. anc.) ancien peuple de l'Arabie, Eratosthene, dans Strabon, les nomme Scenitae Arabes. Les premiers, dit-il, qui occupent l'Arabie heureuse sont les Syriens. Après eux est une terre sablonneuse & stérile, qui produit des épines & des bruyeres, & qui a de l'eau lorsque l'on creuse dans la terre, comme dans la Gédrosie. Ce pays est occupé par les Arabes scénites qui nourrissent des chameaux.

Pline dit, l. V. c. xj. au-delà de l'embouchure du Nil, qui porte le nom de Péluse, est l'Arabie qui s'étend vers la mer Rouge, & vers cette odoriférante contrée connue sous le nom d'heureuse. Elle est stérile, excepté aux confins de la Syrie, & n'a rien de recommandable que le mont Casius. Ce nom d'Arabes scénites vient de ce qu'ils logeoient sous des tentes, comme font encore les Bédouins.

Ammien Marcellin nous apprend que les Arabes scénites étoient le même peuple que les Sarrasins, gens, dit-il, que nous ne devons jamais souhaiter d'avoir pour amis, ni pour ennemis. Ils courent çà & là, ravagent en un instant tout ce qu'ils trouvent sous leur main, semblables à des éperviers qui, s'ils voient bien haut une proie, l'enlevent par un vol rapide, & ne s'arrêtent point qu'ils n'en soient saisis.

Il ajoute les particularités suivantes : Toutes ces nations qui s'étendent entre l'Assyrie & les cataractes du Nil & jusqu'aux confins de Blemmyes, sont également guerrieres. Les hommes sont à demi-nuds, avec une saie de couleur qui les couvre jusqu'audessus de la ceinture ; ils se portent de divers côtés à la faveur de leurs chevaux qui sont très-légers, & de leurs chameaux, & ne s'embarrassent ni de la paix, ni de la guerre : on ne voit jamais aucun d'eux mener la charrue, tailler des arbres, ou cultiver la terre pour se nourrir ; mais ils sont vagabonds & dispersés dans une grande étendue de pays, sans demeure & sans loix. Ils se nourrissent de chair de bêtes sauvages, de lait qu'ils ont en abondance, & d'herbes de plusieurs especes. Nous les avons vu la plûpart, ne connoissant l'usage du blé, ni celui du vin.

Ptolémée place les Scénites & des Saraceni dans l'Arabie pétrée, & les regarde comme les colonies d'un même peuple ; mais il faut bien remarquer que les noms de Scénites & de Saraceni étoient proprement des sobriquets que les autres peuples leur donnerent. Le mot de scénites vient de ce qu'ils demeuroient sous des tentes ; & le mot saraceni paroît venir de l'arabe sarak, qui veut dire voler, piller, terme qu'on employa pour exprimer les brigandages de cette nation.

Il paroît par Procope que sous l'empire de Justinien les Saraceni, que nous avons nommés en françois Sarrasins, étoient partagés par tribus, entre lesquelles certaines familles conservoient une prééminence héréditaire. Mahomet, qui naquit l'an 571, s'attacha toutes ces tribus de Sarrasins, se mit à leur tête, se fit donner de nouvelles terres par Héraclius, & mourut en 633, après avoir fait de grandes conquêtes en Arabie, que ses successeurs étendirent de toutes parts. Voyez SARRASINS, Hist. (D.J.)


SARACHEon donne ce nom aux petites aloses. Voyez ALOSE.


SARACORI(Géog. anc.) ancien peuple dont Aelien cite cette particularité dans son histoire des animaux, l. XII. c. xxxiv. Les Saracores, dit-il, ne se servent point d'ânes pour porter des fardeaux, ni pour tourner les meules ; mais les Saracores montent sur des ânes pour se battre à la guerre. Aelien ne dit point en quel lieu étoit ce peuple. Ortelius conjecture que ce pourroit bien être le même que les Saragures, peuple d'Asie, selon Suidas, . (D.J.)


SARAGOSou SARAGUSA, (Géog. anc.) en latin Syracusae, ville de Sicile, dans la vallée de Noto, sur la côte orientale, à 45 lieues au sud-est de Palerme. Cette ville, qui a succédé à l'ancienne Syracuse, est encore aujourd'hui une des principales de l'île de Sicile, tant pour la bonté de son port, que pour sa situation avantageuse, ses murailles se trouvant de tous côtés baignées des eaux de la mer ; car elle n'occupe présentement que le seul terrein, qui anciennement étoit appellé Ortygia ou Insula. Un château de figure irréguliere & fort défectueux sert de défense au port, & communique avec la ville par le moyen d'un pont de bois, mais fort mal disposé. On trouve dans ce château l'ancienne fontaine d'Aréthuse, qui est une grande source d'eau. Saragosa contient à peine huit mille habitans, sur-tout depuis le violent tremblement de terre qu'elle a essuyé au mois d'Août 1757 ; ce désastre a renversé un tiers de la ville, & a fait périr environ deux mille ames ; c'est un évêché suffragant de Mont-Réal. Long. suivant Harris, 32. 46'. 16''. lat. 37. 4.

Si jamais moine a été épris de la gloire de son ordre, c'est Cajétan (Constantin) bénédictin, né à Saragosa, en 1565 & mort en 1650, âgé de 85 ans. Il a publié des ouvrages, pour prouver que S. Grégoire, S. François d'Assise, S. Thomas d'Aquin, & même Ignace de Loyola, &c. étoient autant de moines de l'ordre de S. Benoît. Je crains fort, disoit plaisamment le cardinal Scipion Cobelluci, que Cajétan ne transforme aussi saint Pierre en bénédictin. (D.J.)


SARAGOSSEou SARAGOCE, (Géog. mod.) en latin Caesarea Augusta, Caesaraugusta, ou Caesar-Augusta, en espagnol Zaragoça ; ville d'Espagne, capitale du royaume d'Aragon, sur l'Ebre, à sa jonction avec le Gallego & la Guerva. Elle est à 11 lieues communes d'Espagne au nord-est de Calatayud, à 12 de Taraçone, à 16 de Lérida, à 21 au sud-est de Pampelune, à 40 au couchant de Barcelone, à 58 au nord-est de Madrid. Long. 16. 55. latit. 41. 45.

Pline, l. III. c. iij. dit que son ancien nom étoit Salduba ; & l'on croit qu'elle a été bâtie par les Phéniciens. Bochart prétend que Salduba vient du phénicien Saltobaal, qui veut dire, Baal est son soutien. Quoiqu'il en soit, elle conserva son nom de Salduba chez les Romains, jusqu'à-ce qu'ayant été repeuplée par une colonie romaine sous Auguste, elle prit le nom de cet empereur ; d'où s'est formé le nom moderne.

On y a trouvé une médaille d'Auguste en bronze, où l'on voyoit d'un côté un étendard soutenu d'une pique, qui étoit le symbole d'une colonie, avec cette légende autour de la tête d'Auguste : Augustus D. F. & sur le revers, Caesar Augusta M. Por. Cn. Fab. II. Vir.

Le P. Hardouin en fournit quelques autres que voici : l'une représente un laboureur qui mene des boeufs attachés à une charrue, symbole d'une colonie. Varron, lib. IV. de lingua latina, dit que l'on commençoit ainsi une colonie, en attelant un boeuf avec une vache ; de maniere que la vache étoit du côté de la colonie, & le boeuf du côté de la campagne. La charrue, selon cette disposition, traçoit le tour des murailles, & on portoit la charrue au lieu où l'on vouloit avoir la porte de la ville.

Pline dit, liv. III. c. iij. que Saragosse étoit une colonie franche arrosée par l'Ebre, & qu'auparavant il y avoit au même lieu un bourg nommé Salduba. Caesar Augusta colonia immunis, amne Ibero affusa, ubi oppidum antea vocabatur Salduba. Il y a dans le trésor de Goltzius, page 238. cette ancienne inscription : Col. Caesarea Aug. Salduba. Une autre médaille représente la tête d'Auguste couronnée de lauriers, avec ces mots : Caesar Augusta. Cn. Dom. Amp. C. Vet. Lang. II. Vir. c'est-à-dire, Cn. Domitio Ampliato. Cajo Veturio Languido, Duumviris. Une autre porte ces mots : L. Cassio, Caïo Valerio Fenestella, Duumviris.

On lit sur une autre médaille C. C. A. Pietatis Augustae. On y voit la tête de la Piété, pour représenter la piété de Julie, fille d'Auguste. Sur le revers est un temple & les noms des duumvirs. Juliano Lupo Pr. C. Caes. C. Pomponio Parr. II. Vir. c'est-à-dire, Juliano Lupo Praefecto Cohortis Caesarianae Cajo Pomponio Parra Duumviris. Sur une autre, on voit entre deux étendards de cohortes & une aigle légionnaire, ces trois lettres C. C. A. qui signifient Colonia Caesar Augusta.

Le plus grand nombre des médailles portent ces trois lettres C. C. A. plusieurs ont Caesar. Augusta, avec un point après le mot Caesar ; quelques-unes Caes. Augusta : dans toutes ces médailles, il faut lire Caesaraea Augusta. Cellarius soupçonne que le mot de Caesar Augusta pourroit bien être venu de ce qu'en lisant le point a été négligé.

Entre les inscriptions de Gruter, p. 324. n. 12. il s'en trouve une qui, si elle étoit exactement copiée, favorise ceux qui disent Caesaraugusta d'un seul mot ; la voici : Posthumiae Marcellinae ex Caesaraug. Karensi, que M. de Marca explique ainsi : Posthumiae origine Carensi, ex conventu Caesaraugustano. En effet, Pline met le peuple Carenses dans le département de Saragosse.

Saragosse est une des plus belles villes, des plus grandes, des plus riches, & des mieux bâties d'Espagne. Ses rues sont bien pavées, larges & propres. On distingue entre les bâtimens publics, le palais du viceroi, l'hôtel-de-ville, & l'hôpital général. Le palais de l'inquisition a été converti en citadelle ; mais le tribunal ne subsiste pas moins avec tous ses officiers, résident, fiscal, alguasil major, secrétaires, &c.

On compte à Saragosse dix-sept grandes églises & quatorze monasteres. Le chapitre de la cathédrale est composé de quarante-deux chanoines, dont treize ont des dignités. L'évêché qui étoit établi dès l'an 255, ne connoît une suite de ses évêques que depuis 1110. C'est cette même année qu'Alphonse surnommé le batailleur, roi d'Aragon & de Navarre, prit sur les Maures Saragosse, qui devint la capitale de l'Aragon, & qui ne retourna plus au pouvoir des Musulmans. Le pape Jean XXII. étant à Avignon, érigea en 1317 le siége épiscopal de Saragosse en archevêché. La date de la fondation de l'université est de l'an 1574.

Quant au gouvernement de cette ville, soit politique, soit judiciaire, il est bien différent de ce qu'il étoit autrefois. Elle a un viceroi, un capitaine général du royaume, & une audience royale, qui décident de tout. Il n'y a plus de grand justicia d'Aragon. Il étoit difficile de trouver une plus belle disposition que celle des loix de cette ville dans les tems antérieurs. Tout y marquoit l'éminence d'une prudence législative ; mais cette belle économie fut entierement changée en 1707, par l'abolition des priviléges de l'Aragon, que le roi reduisit en province du royaume de Castille, dont on lui donna les loix. La cour des jurés, semblable à celle de la grande Bretagne & encore plus parfaite, a passé à des régidors qui sont à la nomination du roi, & qui ont pour chef un intendant du prince, en qui toute l'autorité réside.

L'air est fort pur & fort sain à Saragosse ; tous les vivres y sont en abondance & à bon marché. On y passe l'Ebre sur deux ponts, dont l'un est de pierre & l'autre de bois. Cette riviere fournit aux habitans de l'eau, des denrées & du commerce ; elle y est belle & navigable : aussi les Carthaginois, les Grecs & les Romains la remontoient jusqu'à Saragosse. Elle coule autour de la ville, de maniere qu'elle en baigne le pié des édifices en quelques endroits, & ses bords y sont ornés d'un quai qui sert de promenade aux habitans. Elle n'avoit pas autrefois précisément le même lit qu'elle a aujourd'hui : comme elle causoit de grands dégâts sur sa route, lorsqu'elle venoit à s'enfler, on y a porté remede, en lui ouvrant un cours avec tant de succès, que quelque débordement qui lui survienne, elle s'étend paisiblement sur le rivage qui est de l'autre côté de la ville ; & quoique le courant soit fort, à cause de tous les ruisseaux qu'elle reçoit, elle ne fait aucun ravage dans les vergers & les jardins de son voisinage.

Prudence, en latin Aurelius Prudentius Clemens, poëte chrétien, naquit en 1348 à Saragosse, selon Alde Manuce, Sixte de Sienne, Possevin & quelques autres. Il fut d'abord avocat, ensuite homme de guerre, & enfin attaché à la cour par un bel emploi. Il n'exerça sa muse sur des matieres de religion qu'à l'âge de 57 ans, & ne dissimula point dans ses écrits le libertinage de sa jeunesse. Voici ses propres paroles :

Tùm lasciva protervitas,

Et luxus petulans (heu pudet ac piget !)

Foedavit juvenem nequitiae sordibus, ac luto.

Les poésies de Prudence sont plus remplies de zèle de religion que des ornemens de l'art ; le style en est souvent barbare, les fautes de quantité s'y trouvent en grand nombre ; & d'ailleurs l'orthodoxie n'y est pas toujours ménagée. On ne sait de qui il tenoit cette anecdote singuliere qu'il avance comme un fait certain (vers 125 & 133.) que les damnés ont tous les ans un jour de repos, & que c'est le jour où J. C. sortit de l'enfer. Il semble même qu'il a cru que l'ame de l'homme est corporelle ; du-moins selon M. le Clerc, ces paroles de Prudence, anima rapit aura liquorum, signifient naturellement la mortalité de l'ame ; mais je crois que c'est mettre sur le sentiment ce qui doit être attribué à la versification.

Quoiqu'il en soit, on a plusieurs éditions de ses ouvrages ; celle de Deventer est la premiere, & celle d'Alde, à Venise en 1502 in-4 °. n'est que la seconde. On estime sur-tout celle d'Hanaw en 1613, celle d'Amsterdam en 1667, avec les notes de Nicolas Heinsius ; & celle in usum delphini, donnée à Paris par le P. Chamillart, en 1687, in-4 °.

Entre les savans plus modernes nés à Saragosse, je me contenterai de nommer Agostino, Molinos, & Surita.

Agostino (Antonio) a été l'un des plus habiles hommes de son siecle, dans la connoissance du droit civil & canonique, dans la littérature & les antiquités. Il fut auditeur de rote, ensuite évêque de Lérida, enfin archevêque de Tarragone, où il mourut en 1586, à 68 ans. La plûpart de ses ouvrages sont très-estimés, sur-tout ceux de la belle littérature ; comme 1°. celui qui a pour titre, familiae Romanorum triginta ; 2°. de legibus & senatusconsultis Romanorum ; 3°. ses dialogues en espagnol des médailles des Grecs & des Romains ; 4°. ses antiquités d'Espagne, qui ont été traduites en italien & en latin ; 5°. enfin le plus considérable de ses ouvrages est la correction de Gratien, dont M. Baluze a donné une excellente édition, imprimée à Paris en 1672, avec de savantes notes.

Molinos (Michel), né en 1627 à Saragosse, ou dumoins dans le diocèse, est connu de tout le monde par sa doctrine sur la mysticité, qu'il répandit en Italie ; il renferma cette doctrine dans un livre espagnol qu'il intitula la conduite spirituelle, & dans lequel il inséra son oraison de quiétude. Tous ses écrits furent condamnés à être brûlés au bout de vingt ans, & l'inquisition mit l'auteur dans une prison perpétuelle, où il mourut en 1696, après 7 ans de captivité, quoiqu'il eût fait abjuration de ses erreurs sur un échaffaud dressé dans l'église des dominicains. Il étoit alors âgé de soixante ans, & le public ne voyoit en lui qu'un honnête prêtre, dont les moeurs étoient irréprochables. Son livre n'avoit été publié qu'avec l'approbation des qualificateurs de l'inquisition. Innocent XI. avoit fait un cas tout particulier de Molinos ; & ce même pape l'abandonna à la persécution des jésuites, qui intéresserent Louis XIV. dans cette affaire.

Surita (Jérôme), né à Saragosse en 1502, a mis au jour une histoire curieuse du royaume d'Aragon. Il mourut âgé de 67 ans. " La seule chose dont on puisse blâmer Surita, dit M. de Thou, ou plutôt le seul malheur dont on le doit plaindre, c'est qu'il ait été secrétaire de l'inquisition, & que passant pour un homme docte, plein de douceur & d'humanité, il ait pris un emploi si cruel en lui-même & si permicieux à tous les gens de lettres ; soit qu'il l'ait cru nécessaire pour pourvoir à sa sûreté ; ou par le destin de sa nation, afin de soutenir sa dignité ". (D.J.)


SARAou BOSNA-SERAI, (Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Bosnie, sur le ruisseau de Migliataska, entre Belgrade à l'orient, & Sebenico au couchant. Ses revenus & ceux de son territoire sont affectés à la sultane mere. Long. 36. 25. lat. 44. 18. (D.J.)


SARAISS. m. (Com. & Hist. mod.) on nomme ainsi dans les états du grand mogol de vastes bâtimens qui sont dans la plûpart des villes, & qui y tiennent lieu de ce qu'on appelle en Europe des hôtelleries. Ils sont moins grands que les caravanserai, & les marchands n'y sont reçus avec leurs marchandises qu'en payant un certain droit. Voyez CARAVANSERAI. Diction. de comm. & de Trévoux.


SARAMANE(Géog. anc.) ville d'Hyrcanie vers le nord, selon Ptolémée, l. VII. c. ix. Ammien Marcellin en parle comme d'une place forte, & dit qu'elle étoit située au bord de la mer. (D.J.)


SARANGAESARANGAE


SARANNE(Hist. nat. Bot.) espece de lys, mais qui ne se trouve qu'en Sibérie, & dans la péninsule de Kamtschatka. M. Steller la nomme lilium flore atro rubente : ce lys croît à la hauteur d'environ un demi-pié ; sa tige est de la grosseur d'une plume de cygne ; elle est rouge par le bas & verte par en haut ; elle est garnie de deux rangées de feuilles ovales ; la rangée inférieure a trois feuilles, & la rangée supérieure en a quatre. La fleur est d'une couleur de cerise foncée, un peu moins grande que le lys ordinaire ; elle est divisée en six parties égales ; le pistil est triangulaire, & applati par le haut, & contient dans trois capsules distinguées des graines rougeâtres & plates. On voit autour du pistil six étamines jaunes par le bout. La racine est aussi grosse que celle de l'ail ; elle est composée de plusieurs gousses, ce qui lui donne une forme ronde. Cette plante fleurit au mois de Juin, & elle croît alors en si grande abondance, que l'on ne voit point d'autres fleurs.

Les femmes du pays en font une sorte de confiture fort agréable, qui, selon M. Steller, pourroit en cas de besoin suppléer au défaut du pain, si l'on en avoit une quantité suffisante. Ce naturaliste en compte cinq especes ; 1°. le kimtchiga, qui ressemble aux pois sucrés, & qui en a à-peu-près le goût ; 2°. la saranne ronde, qui vient d'être décrite ; 3°. l'onsenka, qui croît dans toutes les parties de la Sibérie ; 4. le titichpa ; 5°. le matista stadka travo, ou la douce plante dont on fait non-seulement des confitures, mais encore dont les Russes ont trouvé le secret de distiller une liqueur forte. La racine de cette plante est jaunâtre à l'extérieur, & blanche à l'intérieur ; son goût est amer & piquant ; sa tige est charnue, remplie de jointures, & s'éleve de la hauteur d'un homme ; sa feuille est d'un rouge verdâtre ; la tige est garnie depuis six jusqu'à dix feuilles ; les fleurs sont blanches, fort petites, & ressemblent à du fenouil ; prises ensemble elles présentent la forme d'une assiette, ou forment un parasol. Cette plante a un goût qui a du rapport avec celui de la reglisse. On ne la recueille qu'avec des gants, vu que le jus qui en sort est si caustique, qu'il fait venir des ampoules aux mains. La maniere d'en obtenir une liqueur spiritueuse consiste à verser de l'eau bouillante sur cette plante liée en paquets ; pour faciliter la fermentation on y joint quelques baies de myrtille, ou des prunelles ; on met le tout dans un vaisseau bien bouché, que l'on place dans un lieu chaud, où la liqueur demeure jusqu'à-ce qu'elle cesse de fermenter, ce qui se fait avec grand bruit ; on distille ensuite le mêlange, & l'on obtient une liqueur aussi forte que l'eau-de-vie ; par une seconde distillation elle devient, diton, assez forte pour mordre sur le fer. Deux puds ou 80 livres de cette plante donnent un vedro ou 25 pintes de liqueur forte. Lorsqu'on n'a pas eu la précaution d'ôter la peau de la plante avant la distillation, elle cause une espece de folie à ceux qui en boivent ; d'ailleurs cette liqueur enivre, rend stupide, fait que le visage devient tout noir, & procure des rêves effrayans. M. Steller dit avoir vu des gens qui, après en avoir bû la veille, s'enivroient de nouveau en bûvant un verre d'eau.


SARAPARAE(Géog. anc.) ancien peuple voisin de l'Arménie. Il paroît qu'il étoit originaire de Thrace. Strabon dit, l. XI. p. 531. " On pretend que certains thraces surnommés Saraparae, demeurent plus haut que l'Arménie auprès des Curaniens & des Medes, peuples féroces, qui habitent dans les montagnes, & qui ont coutume de couper les jambes & les têtes aux hommes qui tombent entre leurs mains, car c'est ce que signifie le nom de Saraparae. " (D.J.)


SARAQUINO(Géog. mod.) petite île de la Grece, dans l'Archipel. Elle a quinze milles de tour, & est presque déserte. Elle est vers la côte de la Macédoine, près des îles de Palagnisi & li Dromi, à 25 mille pas de la bouche du golfe Salonique, au levant. (D.J.)


SARATOF(Géog. mod.) Voyez SORATOF.


SARAVI(Géog. mod.) province d'Afrique, en Ethiopie, dans l'Abyssinie, remarquable, parce que ses environs nourrissent les plus beaux chevaux d'Ethiopie ; mais on ne les ferre jamais dans ce pays-là. (D.J.)


SARAVUS(Géog. anc.) riviere de la Belgique, où elle se jette dans la Moselle. Ausone dans son poëme sur la Moselle dit ; v. 367.

Naviger undisona dudùm me mole Saravus

Tota veste vocat : longum qui distulit amnem

Fessa sub augustis ut volveret ostia muris.

Il parle ici de la ville de Treves. C'est un peu audessous de cette ville que cette riviere se jette dans la Moselle. Il remarque qu'elle porte des bateaux. Cette riviere est aujourd'hui nommée Saar par les Allemands, & la Sare par les François ; & la ville qui prend son nom de ce pont, n'a fait que le traduire en allemand, & s'appelle Sarbruck, qui veut dire pont de la Sare. (D.J.)


SARBACANES. f. (Gram.) long canal de bois où l'on met un corps que l'on chasse avec l'haleine.

SARBACANE des Indiens, (Hist. d'Amériq.) c'est l'arme de chasse la plus ordinaire des Indiens ; ils y ajustent de petites flêches de bois de palmier ; qu'ils garnissent au lieu de plumes, d'un petit bourlet de coton plat & mince, qu'ils font fort promtement & fort adroitement, ce qui remplit le vuide du tuyau. Ils lancent la fleche avec le souffle à 30 & 40 pas, & ne manquent presque jamais leur coup. M. de la Condamine a vu souvent arrêter le canot, un indien descendre à terre, entrer dans le bois, tirer un singe ou un oiseau perché au haut d'un arbre, le rapporter, & reprendre sa rame, le tout en moins de deux minutes. Un instrument aussi simple que ces sarbacanes, supplée avantageusement chez les nations indiennes, au défaut des armes à feu. Ils trempent la pointe de leurs petites fleches, ainsi que celles de leurs arcs, dans un poison si actif, que quand il est récent, il tue en moins d'une minute l'animal, pour peu qu'il soit atteint jusqu'au sang. Il n'y a rien à craindre à manger des animaux tués avec ce poison, car il n'agit que quand il est mêlé avec le sang, alors il n'est pas moins mortel à l'homme qu'aux autres animaux. M. de la Condamine a eu occasion de connoître au Para plusieurs portugais témoins de cette funeste épreuve, & qui ont vu périr leurs camarades en un instant, d'une blessure semblable à une piquure d'épingle. Le contre-poison est, à ce qu'on dit, le sel, & plus surement le sucre. (D.J.)


SARBRUCK(Géog. mod.) il y a trois villes qu'on nomme également Sarbourg & Sarbruck ; de ces trois villes, il y en a une qui devroit s'appeller Sarbourg, & qui est celle du voisinage de Treves ; c'est le Castra Sarrae ; & une autre Sarbruck en Lorraine ; c'est le Saravi pons des anciens itinéraires. Distinguons donc ces divers endroits.

1°. Sarbruck, ville d'Allemagne, dans l'électorat de Treves, sur la Sare, qu'on y passe sur un pont, à 3 lieues au midi de Treves. Long. 24. 14. latit. 49. 36.

2°. Sarbruck, ville de Lorraine au pays de Vosge, sur la Sare, au pié des montagnes, près des frontieres de la basse-Alsace, en allant de Metz à Strasbourg, à 6 lieues de Marsal, & à 4 de Phalsbourg. C'est le pons Saravi des itinéraires. Longitude 24. 25. latit. 48. 44.

3°. Sarbruck, village, & autrefois ville de la Lorraine allemande, capitale du comté de même nom. Elle est située sur la Sare, à 6 lieues au-dessus de Sarlouis. Cette ville a été ruinée pendant les guerres d'Allemagne du dernier siecle. Long. 24. 43. lat. 49. 16. (D.J.)


SARCA LA(Géog. mod.) riviere d'Allemagne, dans le Trentin ; elle a sa source aux montagnes qui séparent le Bressan du Trentin, & après un assez long cours serpentin, elle se jette dans la partie septentrionale du lac de Garde, entre Riva & Torbole ; là elle perd son nom, car en sortant de ce lac elle s'appelle le Mincio. (D.J.)


SARCASMES. m. (Littérat.) en terme de rhétorique, signifie une ironie piquante & cruelle, par laquelle l'orateur raille ou insulte son adversaire. Voyez IRONIE.

Telle est par exemple, l'ironie des Juifs parlant à Jesus-Christ attaché en croix. " Toi qui détruis le temple, & le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, &c. Il a sauvé les autres, il ne peut se sauver lui-même ; qu'il descende maintenant de la croix & nous croirons en lui ". Telle est encore celle de Turnus aux Troyens, dans l'Enéide, lorsque dans un combat, il a remporté sur eux quelques avantages.

En agros & quam bello, Trojane, petisti

Hesperiam metire jacens : haec praemia, qui me

Ferro ausi tentare, ferunt : sic maenia condunt.


SARCELLECERCELLE, CERCERELLE, QUERCERELLE, s. f. (Hist. nat. Ornitholog.) querquedula secunda, Ald. Oiseau aquatique, du genre des canards ; il pese douze onces, il a le bec large, noir, & un peu recourbé en dessus ; le sommet de la tête & la partie supérieure du cou sont roux ; il y a deux traits d'un verd foncé & très-brillant, qui s'étendent depuis les yeux jusque derriere la tête, & entre ces traits, une grande tache noire qui se trouve sur l'occiput ; la couleur rousse de la tête est séparée de la couleur verte, par une ligne blanche ; les plumes de la partie inférieure du cou, du milieu du dos, & celles des côtés du corps sous les ailes, ont de petites lignes transversales, ondoyantes, & placées alternativement, les unes noires, & les autres blanches. On trouve des individus de cette espece, dont les plumes du jabot sont jaunâtres, & ont des taches noires disposées comme des écailles de poisson ; la couleur de la poitrine & du ventre est cendrée ; il y a une tache noire sous le croupion : les plumes des ailes sont brunes en entier, à l'exception d'une tache d'un beau verd qui se trouve sur celle du milieu ; la queue est composée de seize plumes qui sont toutes brunes ; les piés ont une couleur brune pâle, & la membrane qui tient les doigts unis les uns aux autres, est noirâtre. La chair de cet oiseau est de très-bon goût. Ray, synop. meth. avium. Voyez OISEAU.

SARCELLE, (Diete) cet oiseau peut être regardé, du-moins en n'en considérant que les qualités diététiques, comme une petite espece de canard sauvage. Voyez CANARD SAUVAGE.


SARCHAN LE(Géog. mod.) province d'Asie, dans l'Anatolie, sur la côte de l'Archipel. Elle est bornée au nord par le Becsangili, & au midi par le Germian ; ainsi elle répond en partie à l'Ionie des anciens. Smyrne est sa capitale ; Ephèse & Fokia sont aussi de cette province. (D.J.)


SARCHES. m. terme de Boisselier, cercle haut & large, auquel on attache une étamine, une toile, ou une peau percée pour faire un tamis, une grèle, un tambour, & autres semblables ouvrages. On s'en sert aussi pour hausser les vaisseaux à faire la lessive. (D.J.)


SARCITES. f. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs à la cornaline, à cause qu'elle est de couleur de chair. On donnoit aussi ce nom à une pierre qui, suivant Pline, se trouvoit dans le ventre d'un lésard. Enfin on a aussi donné le nom de Sarcites à une pierre striée & remplie de fibres, comme la viande de boeuf.


SARCLER(Agricult.) ce mot signifie arracher les méchantes herbes & les chardons qui nuisent aux bonnes plantes & aux blés ; ce travail se fait ordinairement ainsi. Des femmes s'arrangent de front, & ayant à la main un sarcloir, elles coupent les mauvaises herbes les plus apparentes ; si elles sont encore jeunes, les sarcleuses ne les apperçoivent pas, & en ce cas, il faut répéter dans la suite l'opération ; d'ailleurs les plantes les plus menues, qui sont au-moins aussi préjudiciables, telles que le vesceron, la folle avoine, la nielle, la renouée, l'arrête-boeuf, la queue de renard, & tous les petits piés de ponceau, restent dans le champ. Ajoutez qu'en coupant les mauvaises herbes, il n'est guere possible qu'on ne coupe du blé ; & enfin les chardons & les autres plantes bisannuelles, poussent de leurs racines deux, trois, ou quatre tiges, au-lieu d'une, & alors le mal devient plus grand ; les pauvres femmes qui ont des vaches à nourrir, ne demandent pas mieux que d'aller arracher l'herbe des blés ; mais en arrachant l'herbe, elles arrachent beaucoup de blé, & lui font un tort infini, sur-tout quand la terre est humide, en foulant les blés avec leurs piés, & en traînant les sacs qu'elles remplissent d'herbes nuisibles ; ainsi le plus sûr moyen de déraciner les mauvaises herbes, c'est de continuer les labours pendant que les blés sont en terre, suivant la méthode de M. Tull. (D.J.)


SARCLOIRS. m. terme de Jardinier, instrument de jardinier pour sarcler ; il est composé d'un manche de bois, & d'un petit fer aceré au bout de ce manche, pour couper les chardons & autres herbes inutiles. (D.J.)


SARCO-EPIPLOCELES. m. terme de Chirurgie, hernie complete faite par la chûte de l'épiploon dans le scrotum, accompagnée d'excroissance charnue, Voyez HERNIE, EPIPLOON, SCROTUM & SARCOCELE.

Ce terme est composé de trois mots grecs , caro, chair, , épiploon, , ramex, hernie. Nous avons donné au mot sarcocele les signes pour connoître l'excroissance charnue du testicule, & les moyens de traiter cette maladie par médicamens & par opération. Ce qui concerne la hernie épiploïque est traité de même à l'article qui lui est propre. (Y)


SARCO-EPIPLOMPHALES. m. terme de Chirurgie ; c'est la même hernie au nombril que le sarco-épiplocele au scrotum. Voyez SARCO-ÉPIPLOCELE & SARCOMPHALE. (Y)


SARCO-HYDROCELES. m. & f. terme de Chirurgie. C'est un sarcocele accompagné d'hydrocele. Cette derniere maladie est ordinairement consécutive. C'est un accident produit par la premiere en conséquence de la pression & de la rupture des vaisseaux lymphatiques du testicule engorgé. Ce mot est grec, il est composé de , caro, chair, de , aqua, eau, & de , ramex, tumor, hernie, tumeur. Voyez SARCOCELE & HYDROCELE. On trouvera principalement au mot SARCOCELE la méthode de Fabrice d'Aquapendente pour la guérison radicale du sarcohydrocele. (Y)


SARCOCELES. m. terme de Chirurgie, tumeur contre nature du testicule, accompagnée de rénitence, sans douleur, du moins dans son commencement, & qui croît peu-à-peu ; c'est ordinairement le corps même du testicule, augmenté de volume par l'accroissement de sa substance & l'engorgement de ses vaisseaux ; ce mot vient du grec , caro, chair, & , hernie. Les anciens, par rapport au siege de cette tumeur, & sa ressemblance avec celles qui sont formées par déplacement de parties, l'ont appellé sarcocele, & l'ont compris sous le genre des hernies fausses ou humorales.

Les causes externes du sarcocele, sont les coups, les chûtes, les contusions, les froissemens, les fortes compressions ; les causes internes viennent de l'épaississement de la lymphe nourriciere, de la rétention de la matiere prolifique, ou des virus vénériens, cancéreux ou scrophuleux ; l'effet de ces différentes causes peut être très-promt, & former une maladie aiguë inflammatoire, qu'on combat par le régime sévere, par l'usage des délayans, des saignées repetées, & par l'application des cataplasmes anodins & résolutifs ; mais on ne donne proprement le nom de sarcocele, qu'à l'engorgement invéteré & permanent du testicule ; l'usage inconsideré des résolutifs trop actifs, peut causer l'induration du sarcocele, qui devient d'abord skirrheux, & qui peut ensuite dégénérer en cancer.

Il faut bien exactement distinguer le sarcocele des autres especes de tumeurs des testicules, avec lesquelles on pourroit le confondre. On le distinguera facilement de la hernie intestinale ou épiploïque, puisque dans le sarcocele le pli de l'aine est libre, à moins qu'il n'y ait complication de deux maladies ; ce qu'on reconnoîtra par les signes particuliers qui les caractérisent. Voyez HERNIE.

Forestus rapporte l'exemple d'un homme qui avoit une tumeur dure du testicule, comme un skirrhe, qui distendoit le scrotum ; elle fit des progrès pendant cinq ans, tout le monde jugeoit que c'étoit un sarcocele, la tumeur devint molle par l'application des émolliens & des maturatifs ; elle se rompit enfin, & l'évacuation d'une grande quantité d'eau, procura l'affaissement du scrotum & du testicule, & le malade guérit radicalement. C'étoit donc une hydrocele, qu'on avoit méconnue, & à laquelle on auroit pu porter remede bien plus tôt, sans cette erreur dans le diagnostic. Le chirurgien trouve sans-cesse à faire usage de son jugement dans l'exercice de son art, & celui qui ne mérite des éloges que par l'habileté de la main, ne posséde pas la meilleure part.

Toute la substance du testicule n'est pas toujours comprise dans la tumeur ; le sarcocele ne paroît quelquefois que comme une excroissance charnue, qui s'éleve sur le corps même du testicule : c'est au tact à bien faire connoître l'état précis des choses.

Le prognostic du sarcocele est différent, suivant les causes qui l'ont produit, suivant son volume & les progrès plus ou moins rapides qu'il a faits, & suivant les dispositions qu'il a à ne pas changer de caractere, ou à suppurer s'il devient phlegmoneux, ou à dégénérer en cancer, s'il est d'une espece skirrheuse.

On espere ordinairement très-peu des médicamens, pour la guérison de ce mal. Les remedes généraux, qui sont les saignées, les purgatifs, & les bains, préparent au bon effet des fondans apéritifs, & des emplâtres discussifs & résolutifs, tels que ceux de savon, de ciguë, &c. Rulandus recommande comme un très-bon remede, le baume de soufre, dont on oint la tumeur matin & soir. D'autres estiment beaucoup un emplâtre fait avec la gomme ammoniaque, le bdellium, le sagapenum, dissout dans le vinaigre, avec l'addition de quelques graisses & huiles émollientes & résolutives : les frictions mercurielles locales, & l'emplâtre de vigo, sont convenables contre le sarcocele vénérien ; elles peuvent aussi avoir un bon effet s'il est scrophuleux. Voyez ECROUELLES.

Fabrice d'Aquapendente dit, d'après Mathiole, que la poudre de racine d'arrête-boeuf, (ononis) prise intérieurement pendant quelques mois, a la vertu de guérir le sarcocele. Scultet assure s'en être servi plusieurs fois avec succès ; si malgré ces remedes la tumeur fait des progrès, il faut absolument en venir à l'opération, qui doit être pratiquée différemment, suivant les différens cas.

Si la tumeur est skirreuse, & que les douleurs commencent à s'y manifester, c'est un signe qu'elle dégénere en cancer : le caractere spécial de la douleur servira à en juger avec assurance, elle sera lancinante. Voyez CANCER. Dans ce cas il ne faut pas différer l'extirpation du testicule. V. CASTRATION. C'est même le parti le plus assuré pour la guérison des sarcoceles invéterés, & sur-tout lorsqu'ils sont d'un volume considérable. Munnicks a vu emporter un testicule qui pesoit plus de vingt onces, le malade a guéri. Fabrice d'Aquapendente a fait la même opération pour un testicule carcinomateux, gros comme son chapeau ; le malade fut guéri au bout de vingt jours ; il a amputé un autre testicule tuméfié, qui paroissoit fort sain au-dehors, mais qui étoit tout pourri au-dedans : le motif qui l'a porté à opérer dans ce cas, étoit la résistance de cette tumeur invéterée à l'action des remedes.

Il n'est pas toujours nécessaire d'en venir à l'opération. Les auteurs proposent deux autres méthodes d'opérer, qui ont pour objet la conservation du testicule ; dans le cas où cette partie n'est pas tuméfiée dans toute sa substance, & que le sarcocele est une tumeur particuliere qui s'éleve sur la surface, quelques auteurs conseillent de faire une incision à la peau du scrotum, tout le long de la tumeur, afin de l'extirper sans toucher au testicule ; on fera suppurer la base qui y étoit adhérente, par le moyen des onguens digestifs ; d'autres prescrivent l'application d'une traînée de pierre à cautère, pour parvenir au même but ; après la chûte de l'escare, ils poursuivent l'éradication totale de la tumeur, par des remedes cathérétiques : c'est un procedé qui peut avoir du succès en quelques cas ; mais il est bien douloureux & sujet à l'inconvénient de faire suppurer complete ment, ou de faire tomber en pourriture gangreneuse la partie qu'on se propose de conserver, l'incision paroît préférable : on a varié sur la maniere de la faire : tout le monde n'approuve pas l'incision qui découvre la tumeur dans toute sa longueur. Munnicks, & quelques autres praticiens étrangers, recommandent une très-petite ouverture à la partie supérieure du scrotum, dans laquelle on introduira, au moyen d'une tente, des remedes suppuratifs, pour mettre la masse charnue en suppuration ; à chaque pansement, on aura soin, disent-ils, de nettoyer la playe sans en exprimer tout le pus, afin qu'il serve à consumer la tumeur. Voilà la raison du choix de la partie supérieure de la tumeur pour le lieu de l'incision ; mais je trouve que cette maniere de procéder à la guérison du sarcocele, est tronquée, & copiée de Fabrice d'Aquapendente, qui la propose pour la cure de l'hydro-sarcocele : voici comme il décrit ce moyen de curation. On fera une ouverture médiocre au scrotum, en sa partie, non pas trop déclive ou tout-à-fait inférieure, mais à la partie moyenne ; par cette petite incision, on donnera issue à l'eau renfermée dans la tumeur, on y introduit ensuite une tente fort longue, enduite d'un bon onguent suppuratif, tel que le mêlange de térébenthine avec de l'encens, le jaune d'oeuf & le beurre ; on applique par-dessus un emplâtre émollient & suppuratif, comme diachylon gommé avec l'axonge ; on observera, continue notre savant praticien, que quoiqu'on ait des signes que le scrotum est plein de pus, il ne faut pourtant pas le laisser sortir, mais le retenir exprès, avec grand soin, pour qu'il serve peu-à-peu à la putréfaction de la tumeur ; il faut toujours perséverer dans l'usage des remedes maturatifs, jusqu'à-ce que la suppuration ait consommé entierement le mal, ce qui ne s'obtient qu'à la longue : cette méthode, dit l'auteur, est très-assurée & réussit toujours bien pour détruire les hernies charnues, quel qu'en soit le volume. On peut s'en rapporter à la décision d'un aussi grand maître : ce moyen est préférable à la castration, dans tous les cas où elle ne sera pas indispensable.

J'ai vu des accidens mortels de l'ouverture prématurée des sarcoceles suppurés, & ce n'est pas sans raison que Fabrice dit expressément qu'il ne faut pas changer de remedes, mais de s'en tenir aux seuls maturatifs pendant que la suppuration se fait. On voit combien la description de cette méthode avoit été alterée désavantageusement par les copistes qui l'ont fait passer dans leurs ouvrages ; ce qui prouve la nécessité de remonter aux sources, & l'utilité du travail par lequel on cherche à apprécier chaque chose, & à la mettre à sa juste valeur.

Dionis rapporte, dans son traité d'opérations, qu'un malabare des Indes avoit un sarcocele inégal, dur comme une pierre, d'un pié trois pouces & six lignes de longueur, & d'un pié trois pouces de largeur sur le devant ; cette tumeur pesoit environ soixante livres ; la relation en a été envoyée de Pondichery en 1710, par le P. Mazeret, jesuite. (Y)


SARCOCOLLES. f. (Hist. des drogues exot.) en grec , en latin sarcocolla, & par les Arabes ansarot, est un suc gommeux, un peu résineux, composé de petits grumeaux, ou de petites parcelles comme de miettes blanchâtres, ou d'un blanc roux, spongieuses, friables : ces miettes jettent un éclat qui les fait briller par intervalles. Ce suc est d'un goût un peu âcre, amer, avec une certaine douceur fade, desagréable, & qui excite des nausées ; ces parcelles paroissent être des fragmens de larmes, & ne sont guere plus grosses que des graines de pavot.

La sarcocolle obéit sous la dent ; elle se dissout dans l'eau : lorsqu'on l'approche d'une chandelle, elle bout d'abord, & jette ensuite une flamme brillante ; on doit choisir celle qui est spongieuse, blanche & amere. On l'apporte de Perse & d'Arabie. Il y a une autre sorte de sarcocolle brune, sordide & en masse dont Pomet fait mention ; mais c'est une sarcocolle impure qu'on doit rejetter.

La plante qui donne ce suc gommeux, n'a été décrite par aucun auteur, soit ancien, soit moderne, desorte qu'on ne la connoit pas encore aujourd'hui ; les Grecs n'employoient la sarcocolle qu'extérieurement pour dessécher les plaies ; & en effet, elle peut servir à les déterger & les consolider ; elle entre dans l'onguent mondificatif de résine. (D.J.)


SARCOLOGIES. f. (Anat.) C'est la partie de l'Anatomie qui traite de la chair, & des parties molles du corps. Voyez CHAIR.

L'Anatomie se divise en deux parties ; l'ostéologie, & la sarcologie. La premiere traite des os & des cartilages : & la seconde de la chair, & des parties molles. Voyez ANATOMIE.


SARCOMES. m. terme de Chirurgie, tumeur molle sans changement de couleur à la peau, indolente, formée par un amas contre nature de sucs graisseux & lymphatiques. Les Grecs ont pris ces tumeurs pour des excroissances charnues, c'est pourquoi ils les ont appellées sarcomes, . Elles ne sont qu'une portion de la membrane cellulaire adipeuse trop tuméfiée.

Toutes les parties du corps sont sujettes au sarcome, c'est-à-dire, à des tumeurs fongueuses. C'est pourquoi on a donné ce nom aux tumeurs ou excroissances de la matrice & du vagin, & aux polypes du nez, sur la surface du corps : tout sarcome est une vraie loupe graisseuse. Voyez LOUPE & LIPOME.

Quelques auteurs ont pris beaucoup de soin de distinguer le sarcome d'avec le polype. Les signes qu'ils donnent pour les distinguer, paroissent assez mal-fondés, puisqu'ils ne se tirent que de quelques circonstances accidentelles & assez légeres. En consultant avec exactitude la division des différens genres de tumeurs humorales, on voit que le polype ne peut pas être regardé comme un genre de maladie, & que sans égard à son essence, il a toujours été compris dans l'énumération des tumeurs qui prennent leur nom d'une ressemblance plus ou moins sensible à quelque chose qui leur est étranger. Voyez POLYPE.

Le sarcome est le genre dont le polype est l'espece : cela est incontestable, puisque les auteurs mêmes qui ont le plus cherché les différences caractéristiques du sarcome & du polype, n'en mettent aucune entre les causes, les prognostics & la cure des maladies qu'ils ont désignées par ces mots différens. Elles sont donc de même nature, & ce ne sont que des dispositions purement accidentelles qui donnent lieu à des dénominations différentes.

Le sarcome se guérit en l'extirpant avec l'instrument tranchant, ou en le consumant avec les caustiques, ce qui rend la cure plus longue & plus douloureuse ; quoique par poltronnerie la plûpart des malades préferent cette méthode curative à l'extirpation par le fer. On peut lier avec succès les sarcomes dont la base est étroite. Si le sarcome est carcinomateux, il n'y a que l'extirpation, si elle est possible. Voyez CANCER. (Y)


SARCOMPHALES. m. terme de Chirurgie. C'est une excroissance charnue du nombril. Ce mot vient du grec , chair & , nombril. Voyez SARCOME.

On peut tenter la cure du sarcomphale par les remedes émolliens & résolutifs. Si ce traitement ne réussit pas, & que la tumeur soit indolente & un peu vacillante, on peut en faire l'extirpation. Pour cet effet, on incise en long la peau qui recouvre la tumeur ; on découvre la dureté sarcomateuse, & on la détache avec le bistouri des adhérences qu'elle a contractées avec les parties voisines. Il faut être muni de quelque poudre astringente pour arrêter le sang qui sort des vaisseaux qui portoient la nourriture au sarcome. A la levée du premier appareil, on panse la plaie avec le digestif ; & lorsqu'on a procuré la suppuration, on mondifie l'ulcere, & on procede à le cicatriser suivant les regles de l'art. Voyez ULCERE.

Si l'instrument tranchant avoit laissé quelques racines de l'excroissance, on pourroit les consumer avec les caustiques.

Le sarcomphale dégénere souvent en carcinome. Voyez CANCER. (Y)


SARCOPHAGES. m. (Antiq. grecq. & rom.) sarcophagus & sarcophagum, tombeau de pierre où l'on mettoit les morts que l'on ne vouloit pas brûler. C'est de-là que nous est venu le mot de cercueil, qu'on écrivoit autrefois selon son origine sarcueil. Sarcophagus dérive du grec, & signifie à la lettre qui mange de la chair, parce qu'on se servoit au commencement pour creuser des tombes, de certaines pierres qui consumoient promtement les corps. Les carrieres dont on les tiroit, étoient dans une vilie de la Troade, appellée Assum. Dans quarante jours un corps y étoit entierement consumé, à l'exception des os. Cette pierre étoit semblable à une pierre-ponce rougeâtre, & avoit un goût salé ; on en faisoit des vases pour guérir de la goutte en mettant les piés dedans, & ne les y laissant pas long-tems ; ce remede ridicule a eu son cours comme tant d'autres.

Les sarcophages étoient ouverts par le haut, & creusés en forme de coffre : il s'en faisoit de marbre, mais les plus communs étoient de terre cuite ou de tuile battue ; on en a trouvé quelques-uns longs de six piés & larges de deux, à sept lieues de Rheims en Champagne, sur la riviere de Retourne, dans chacun desquels étoient étendus les os d'un homme mort, avec une épée, & près de leur épaule gauche un petit vase de terre plein d'une liqueur huileuse.

Les sarcophages de marbre sont ordinairement faits d'un seul morceau creusé à coups de ciseau ; l'ouverture est capable de contenir un ou deux corps. Le sarcophage décrit par Marlianus, & trouvé dans le lieu qu'on nomme la chapelle du roi de France à Rome, étoit magnifique. Il avoit huit piés & demi de long, cinq de large, & six de profondeur. On dit qu'on y avoit inhumé la femme de l'empereur Honorius avec des ornemens impériaux, qui produisirent quelques livres d'or lorsqu'ils furent brûlés. Il y avoit dans ce sarcophage des vaisseaux de crystal & d'agate, & plusieurs anneaux, outre une pierre précieuse, sur laquelle étoit gravée la tête d'Honorius. Voyez les inscriptions de Gruter.

Il faut rapporter aux sarcophages un coffre de marbre blanc, fait d'une seule piece, qui se voit dans l'église de saint Nicaise de la ville de Rheims ; il a servi de tombeau à Jovinus, chef de la cavalerie & infanterie romaine, & vivant sous le regne des enfans de Constantin : Ammian Marcellin fait souvent mention de lui. Ce coffre est une des plus belles pieces de France en fait de sépulture antique. Il a sept piés de longueur, quatre de largeur, & autant de profondeur : il est taillé à plein relief dans sa face antérieure, & représente une chasse autrefois faite par un seigneur romain, que l'on voit à cheval lançant un javelot contre un lion déja transpercé d'un autre dard depuis la gorge jusqu'au côté gauche, où le fer lui sort entre deux côtes. Autour de ce personnage sont quelques figures à cheval. Il y a plusieurs bêtes mortes sculptées sur le champ, qui servent d'ornement à cet ouvrage.

C'est dans les sarcophages qu'on mettoit anciennement les os ou les corps des grands seigneurs. Cassiodore en parle en ces termes : Artis tuae peritiâ delectati, quam in excavendis, atque ornandis marmoribus exerces, praesenti auctoritate concedimus ut te rationabiliter ordinante dispensentur arcae quae in Ravennati urbe ad recondenda funera distrahantur : quarum beneficio cadavera in supernis humata sunt, lugentium non parva consolatio. C'est d'un sarcophage qui étoit sur la voie appienne, qu'on a tiré l'inscription suivante.

D. M. S.

C. Coerellio. C. F. Fab. Pulcheriano sabino

VIX. AN. LXXI. M. IIII. D. VIII. H. VII. C.

Coerellius. Raneus. Sabinus. sarcophagum fecit

marmoreum V I nonas Maii

M. Junio Sullano, & L. Norbano Balbo

Coss. H. M. D. M. A.

(D.J.)


SARCOPHAGUSLAPIS, (Hist. nat. Lithol.) C'est la même pierre que celle qu'on appelle pierre assienne. Voyez ASSIENNE. M. Henckel croit que cette pierre n'étoit autre chose qu'une substance remplie de pyrites qui se vitriolisent, à cause de la propriété que le vitriol a de ronger les chairs. Voyez PYRITHOLOGIE.


SARCOTIQUESadject. (Médec. & Chirurg.) Ce sont des remedes propres à renouveller les chairs des ulceres & des plaies. De cette nature sont la sarcocolle, le sang-de-dragon, &c. voyez INCARNATIFS & EPULOTIQUES. Ce mot vient du grec , chair.

SARCOTIQUE, s. m. & adj. terme de Chirurg. concernant la matiere médicale externe. C'est un remede qu'on suppose propre à faire revenir la chair dans les ulceres & dans les plaies avec perte de substance. Ce mot est grec, & s'exprime en françois par celui d'incarnatif. Nous avons prouvé, au mot incarnation, qu'il ne se faisoit aucune réparation ni regénération de chairs dans le vuide d'une plaie & d'un ulcere. Aussi voit-on que toutes les especes de médicamens que les auteurs ont mis dans la classe des sarcotiques, se trouvent exactement dans celle des détersifs ou des dessicatifs. Voyez DETERSIF & DESSICATIF. La raison en est simple. Comment les livres qui traitent de la matiere médicale pourroient-ils exposer la vertu des remedes autrement que d'une maniere vague ? Le remede qui est suppuratif dans un cas, est résolutif dans un autre cas. Il n'y en a aucun qui puisse être résolutif dans tous les cas où il faut résoudre. C'est une réflexion que fait M. Quesnay dans son traité de la suppuration, à l'occasion même des sarcotiques dont il décrit la maniere d'agir, suivant leurs genres & leurs especes dans des circonstances différentes. Il ajoute que l'énumération des vertus des remedes que donnent les livres de Pharmacie, nous instruit peu, & qu'il faut que les praticiens découvrent eux-mêmes dans la nature de chaque remede, les rapports qu'il peut avoir avec les indications particulieres qu'il a à remplir. (Y)


SARCUM(Géog. mod.) province d'Asie en Anatolie, dans sa partie occidentale, sur l'Archipel. Elle commence aux Dardanelles, & s'étend jusqu'au golfe de Landrimiti ; mais elle n'a de nos jours aucune place remarquable. C'est cependant la Troade des anciens. (D.J.)


SARDASARDIUS, ou SARDION, (Hist. nat.) nom sous lequel Wallerius & plusieurs naturalistes ont cru que les anciens avoient désigné la cornaline (carneolus) ; mais il y a plus d'apparence qu'ils ont eu en vue la sardoine, qui est jaune, au lieu que la cornaline est rouge. Voyez CORNALINE & SARDOINE.


SARDACHATE(Hist. nat.) nom donné par les anciens à une agate mêlée de cornaline, ou plutôt de sardoine. Elle est blanchâtre & remplie de veines & de taches jaunes ou rougeâtres.

M. Hill dit que le fond de cette pierre est d'un blanc pâle, qu'on y voit plusieurs amas de petites taches rouges, & que cette pierre, qui se trouve sur les bords de quelques rivieres des Indes, est fort dure & prend un très-beau poli. Voyez Hills, natural history of fossils.


SARDAIGNELA, (Géog. mod.) en latin Sardinia, grande île de la Méditerranée, entre l'Afrique & l'Italie, au midi de l'île de Corse, dont elle n'est séparée que par un bras de mer de neuf à dix milles de large, & au nord-ouest de la Sicile. On lui donne environ 170 milles de longueur, 90 milles dans sa plus grande largeur, & 500 milles de circuit. Cluvier lui donne 45 milles d'Allemagne de long, depuis Cagliari sa capitale, jusqu'au bras de mer qui la sépare de la Corse, & 26 milles de largeur, depuis le cap Montefalcone jusqu'au cap de Sarda. On peut voir dans l'itinéraire d'Antonin les anciennes routes de la Sardaigne, avec leurs distances en milles romains. On peut aussi lire la description de ce royaume, publiée à la Haye en 1725, in-8 °.

Cette île, selon Ptolémée, est depuis 29 degrés 50' de longitude, jusqu'à 32 degrés 25'; & depuis 35 degrés 50' de latitude, jusqu'à 39 degrés 30'.

Le P. Coronelli dans son isolario, lui donne depuis le 31 degré 10' de longitude, jusqu'au 32 degré 19'30''; & depuis le 37 degré 14' de latitude, jusqu'au 40 degré 50'.

Selon M. Delisle, qui a eu des observations plus sûres, la longitude de la Sardaigne est depuis les 25 degré 40' jusqu'au 27 degré 20'; & sa latitude est entre les 38 degré 42'30''& le 41 degré 11'.

Les Italiens nomment cette grande île Sardegna ; les Espagnols, Cerdenia. Les Grecs ont dit ; & pour les habitans, , Sardoni.

Presque tous les auteurs disent que la Sardaigne a été ainsi nommée de Sardus fils d'Hercule, qui y conduisit une colonie grecque ; mais Bochart lui donne une étymologie phénicienne. Sans nous arrêter à ces sortes de recherches, nous savons que les Carthaginois s'emparerent de cette île, dont ils furent les maîtres jusqu'à la premiere guerre punique qui les en chassa. Les Romains s'y établirent l'an de Rome 521, sous la conduite de M. Pomponius ; & comme ils conquirent la Corse l'année suivante, ces deux îles furent soumises à un même préteur.

Les Sarasins ayant étendu leurs conquêtes en Afrique & en Espagne, dominerent en Sardaigne dans le vij. siecle. Les Pisans & les Génois les en chasserent. Ensuite dans les guerres qui regnerent entre ces deux nations, Jaques II. roi d'Aragon, s'empara de la Sardaigne en 1330. Cette île est restée annexée à l'Espagne jusqu'à 1708, que les Anglois s'en rendirent les maîtres en faveur de l'archiduc. Enfin, par le traité de Londres, le duc de Savoie, roi de Sicile, céda ce royaume à l'empereur pour celui de Sardaigne ; & cette couronne a passé à son fils qui regne aujourd'hui.

La Sardaigne a été vantée pour sa fertilité par les anciens, Polybe, Cicéron, Pausanias, Pomponius Mela & Silius Italicus ; mais ils s'accordent tous à déclarer qu'autant que la terre y est féconde, autant l'air y est empesté. Martial, liv. IV. épigr. 60. dit, quand l'heure de la mort est venue, on trouve la Sardaigne au milieu de Tivoli.

.... cum mors

Venerit, in medio Tibure Sardinia est.

Cicéron dans une de ses lettres à son frere Quintus, le prie de se ménager, & de songer que malgré la saison de l'hiver, le lieu où il se trouvoit alors étoit la Sardaigne. Et ailleurs parlant de Tigellius, il se félicite de n'avoir pas à souffrir un sarde plus empesté que sa patrie. Suétone remarque que Soevius Nicanor, fameux grammairien, ayant été noté d'infamie, fut exilé en Sardaigne, & y mourut.

Cette île est toujours aussi mal-saine que fertile : on pourroit cependant remédier au mauvais air qu'on y respire, en faisant écouler les eaux qui croupissent, & en abattant des bois qui empêchent l'air de circuler, car le climat n'est pas mauvais en lui-même. L'île est couverte en tout tems de fleurs & de verdure ; le bétail y paît au milieu de l'hiver ; les campagnes sont abondamment arrosées par des rivieres, des ruisseaux & des fontaines ; les bêtes à cornes y multiplient merveilleusement, & donnent des laines, des peaux & des fromages ; les chevaux de cette île sont estimés ; les montagnes, les collines & les plaines, fournissent une aussi grande chasse de bêtes fauves & gibier qu'en aucun pays du monde ; tous les fruits y sont excellens ; les bois sont chargés d'oliviers, de citronniers & d'orangers ; les montagnes y renferment des mines de plomb, de fer, d'alun & de souffre ; les côtes produisent du thon, du corail, & sur-tout ces petits poissons si vantés, connus sous le nom de sardines, à cause de la grande quantité qui s'en pêche autour de cette île. Enfin on y peut recueillir des grains en abondance, comme on en recueilloit du tems des Romains, où cette île étoit mise au nombre des magasins de Rome. Pompée, dit Cicéron, sans attendre que la saison fût bonne pour naviguer, passa en Sicile, visita l'Afrique, aborda en Sardaigne, & s'assura de ces trois magasins de la république.

Ajoutons que la Sardaigne a des ports capables de recevoir toutes sortes de bâtimens ; cependant il ne paroît pas que depuis les Romains aucune puissance ait profité des avantages qu'on peut tirer de la bonté de cette île. Elle renfermoit sous eux quarante-deux villes, & elle n'en a plus que sept ou huit aujourd'hui, Cagliari, Sassari, Oristagni, toutes trois érigées en archevêché ; & quatre épiscopales, savoir Ampurias, Algheri, Alez, & Bosa.

La Sardaigne, dit Aristote, est une colonie grecque qui étoit autrefois très-riche, mais qui a bien déchu depuis. Elle se rétablit sous les Romains, pour retomber dans la plus grande décadence. La raison en est claire : les pays ne sont florissans qu'en raison de leur liberté ; & comme rien n'est plus près de la dévastation que l'état actuel de la Sardaigne, elle est dépeuplée, tandis que l'affreux pays du Nord reste toujours habité. Les maisons religieuses vivent dans cette île sans aucun travail & sans aucune utilité ; leurs immenses privileges sont la ruine des citoyens. Tous les réguliers, soit en qualité de mendians, soit en vertu de quelque indult, ne payent ni taxe ni contribution ; leurs biens ne fournissent rien au gouvernement ; le peuple appauvri s'est découragé ; l'industrie a cessé ; les souverains ne tirant presque rien de cette île, l'ont négligée, & les habitans sont tombés dans une ignorance profonde de tout art & de tout métier. Le roi de Sardaigne lui-même qui possede aujourd'hui cette île, n'a pas cru qu'il fût aisé de remédier à son délabrement, & d'en réformer la constitution. Aussi la cour de Turin ne regarde la Sardaigne que comme un titre qui met son prince entre les têtes couronnées.

Je ne connois que Symmaque, diacre de l'église de Rome, qui soit né dans cette île, & qui ait fait quelque bruit dans le monde. Il succéda au pape Anastase II. en 498, par le crédit de Théodoric, roi des Goths. Il étoit perdu sans ce prince ; mais avec sa protection, il fut déclaré innocent des crimes dont on l'accusoit. On dit que c'est lui qui ordonna le premier de chanter à la messe dans les fêtes des martyrs, le gloria in excelsis. Il mourut en 514. (Le Chevalier DE JAUCOURT )


SARDAM(Géog. mod.) village à une lieue d'Amsterdam sur l'Ye ; mais c'est un village aussi grand, aussi riche, & plus propre que beaucoup de villes opulentes. Le czar Pierre y vint en 1697 pour y voir travailler à la construction d'un vaisseau, & voulut y travailler aussi, menant la même vie que les artisans de Sardam, s'habillant, se nourrissant comme eux, maniant le compas & la hache. Il travailla dans les forges, dans les corderies, dans ces moulins dont la quantité prodigieuse borde le village, & dans lesquels on scie le sapin & le chêne, on tire l'huile, on pulvérise le tabac, on fabrique le papier, on file les métaux ductiles. L'on construisoit alors à Sardam beaucoup plus de vaisseaux encore qu'aujourd'hui. (D.J.)


SARDARS. m. (Milice turque) nom d'un officier qu'on tire du corps de ceux des janissaires pour quelque expédition particuliere d'une certaine importance, comme pour être à la tête de quelques détachemens en tems de guerre. Ce mot est dérivé de la langue persane, où il signifie un chef, un commandant. Aussi un sardar en Turquie est le commandant d'un détachement de guerre, & il est toujours accompagné dans son entreprise d'un député & de deux secretaires ; mais son emploi finit au retour de son expédition, soit qu'elle ait réussi ou non. Pocock, descript. de l'Egypte, p. 169. (D.J.)


SARDEvoyez SARDINE.


SARDELLEvoyez SARDINE.


SARDES(Géogr. anc.) au pluriel par les anciens, & rarement Sardis au singulier ; grande ville d'Asie, dit Strabon, bâtie depuis la guerre de Troie, avec une citadelle bien fortifiée. Elle étoit au pié du mont Tmolus, à 15 lieues de Smyrne, & baignée par le Pactole. Mais grace aux belles observations de M. l'abbé Belley, insérées dans les mémoires de littérature, tome XVIII. in-4 °. je puis fournir l'histoire complete de cette ville, célebre par son antiquité, sa dignité, ses richesses, & ses médailles.

Capitale du royaume de Lydie, & le siége de ses rois, dont la puissance s'étendoit sur une grande partie de l'Asie mineure, elle tomba au pouvoir de Cyrus, après la défaite de Crésus. Sous la domination des rois de Perse, elle conserva un rang distingué. On sait qu'elle fut le séjour de Cyrus le jeune : le satrape ou gouverneur de la préfecture maritime, y faisoit sa résidence. Elle avoit beaucoup souffert par la révolte des Ioniens contre Darius fils d'Hystaspe ; les confédérés conduits par Aristagoras, prirent la ville, la brûlerent : le temple même de Cybele, déesse du pays, ne fut pas épargné. Cet incendie auquel les Athéniens avoient eu part, fut un des motifs qui déterminerent Darius à déclarer la guerre aux Grecs, & servit de prétexte aux Perses pour brûler les temples de la Grece.

Mais la ville de Sardes recouvra son premier état, lorsqu'Agésilas, sous Artaxerxès Mnémon, passa en Asie pour combattre Tisapherne. Alexandre le grand ayant défait sur les bords du Granique les généraux de Darius, dernier roi de Perse, fit la conquête d'une grande partie de l'Asie mineure. La ville de Sardes, qui étoit l'ornement & le boulevard de l'empire des Barbares du côté de la mer, se soumit à ce prince, qui lui rendit la liberté, & l'usage de ses loix. Dans la suite elle tomba sous la puissance des rois de Syrie ; le rebelle Achaeus qui avoit pris le diadème, se réfugia dans cette ville, où il fut pris & mis à mort.

Antiochus le grand ayant été vaincu par les Romains à la bataille de Magnésie, fut dépouillé des états qu'il possédoit en-deçà du mont Taurus : les Romains céderent à Eumène, roi de Pergame, leur allié, la Lydie, & plusieurs autres pays. Attale Philométor, l'un de ses successeurs, laissa par testament au peuple romain ses états, qui trois ans après sa mort furent réduits en province. Cette province est connue dans l'histoire sous le nom d'Asie proconsulaire ; elle étoit gouvernée par un proconsul au tems de la république, & même depuis, Auguste l'ayant cédée au sénat dans le partage qu'il fit des provinces. L'Asie proconsulaire étoit d'une grande étendue ; elle comprenoit la Lydie, la grande Phrygie, la Moesie, l'Eolie, l'Ionie, les îles adjacentes, & la Carie. Ainsi la ville de Sardes passa sous la puissance de Rome.

Elle fabriquoit des monnoies plusieurs siecles avant l'empire Romain. Hérodote assure que les Lydiens furent les premiers qui firent frapper des monnoies d'or & d'argent ; je n'examine point si l'invention de l'art de battre monnoie leur est dûe ; il est certain que cet art est très-ancien en Lydie, & par conséquent à Sardes, qui en étoit la capitale. On voit encore dans les cabinets des anciennes monnoies d'un travail grossier, qu'on croit avoir été frappées sous les Atyades, anciens rois de Lydie. Quoi qu'il en soit, le cabinet du Roi & celui de M. Pellerin conservent plusieurs médailles d'argent & de bronze de la ville de Sardes, où l'on ne voit point la tête des empereurs ; cependant cette ville fit ensuite frapper un grand nombre de médailles avec la tête de ces princes. Les antiquaires en connoissent plus de cent vingt toutes différentes, depuis Auguste jusqu'à Valerien le jeune : il nous reste aussi plusieurs de ses inscriptions ; mais bornons-nous ici à l'histoire simple de cette ville ; nous avons à faire connoître sa position fertile, sa dignité, son gouvernement particulier, ses traités avec d'autres villes d'Asie, son culte religieux, ses temples, ses fêtes, & les jeux qu'elle a célébrés en l'honneur des dieux & des empereurs ; nous indiquerons aussi quels étoient les ministres de la religion des Sardiens. Enfin, comme il est intéressant de connoître quel a été dans la suite des siecles le sort d'une ville si fameuse, nous rapporterons en deux mots ses diverses révolutions depuis le haut empire jusqu'à-présent.

1. La ville de Sardes étoit éloignée d'Ephèse de 540 stades ; &, suivant les itinéraires, de 63 milles, qui font environ 21 lieues communes de France : si nous ne savions pas d'ailleurs qu'elle étoit de l'Asie proconsulaire & en Lydie, les monumens nous l'apprendroient, puisqu'on lit sur ses médailles, , & même le nom du proconsul, gouverneur de la province ; ; & dans une inscription, .

On sait aussi qu'elle étoit située sur le penchant du mont Tmolus, vers le septentrion, selon Pline, l. V. c. xxjx. qui dit Sardibus in latere Tmoli montis ; qu'elle étoit arrosée par le Pactole, cette riviere si vantée dans l'antiquité pour les sables d'or qu'elle rouloit dans ses eaux, & qu'on n'y trouvoit plus au tems de Strabon. Ces circonstances locales sont encore marquées sur les médailles. On voit sur une médaille du cabinet du roi, la tête d'un vieillard couronné de pampre, avec le nom , & au revers une figure assise qui tient un canthare, avec le nom de . Le même dieu, le Tmole, sous la figure d'un vieillard, est représenté sur une des médailles de Sardes, frappée sous Domitien ; & une autre de Septime Severe, suivant le P. Froelich, a sur le revers le Pactole avec ses attributs, & la légende .

L'opulence des rois de Lydie a été célebrée dans la plus haute antiquité : on croit qu'ils puisoient leurs trésors dans les mines d'or du Tmole, où sont les sources du Pactole ; mais ce qui contribua le plus dans tous les tems à la richesse de Sardes, ce fut la fertilité de son territoire. Les côteaux du Tmole étoient plantés de vignobles, dont le vin étoit fort estimé ; aussi a-t-on imaginé que Bacchus avoit été nourri à Sardes, & que cette ville a inventé l'art de faire le vin : ce dieu est représenté avec ses attributs, le canthare, le thyrse & la panthere, sur plusieurs de ses médailles. Une plaine spacieuse s'étend du pié de la montagne jusqu'au-delà du fleuve Hermus, nommée par excellence la plaine de Sardes, .

Elle est arrosée par un grand nombre de ruisseaux, & par le Hermus qui fertilise ses terres. On voit le fleuve représenté sur une médaille de sabine, . La plaine outre les pâturages, produisoit en abondance des blés & des grains de toute espece ; Cérès & Triptolème qui présidoient à l'agriculture, sont représentés sur plusieurs de ses médailles. Sardes, dit Strabon, lib. XIII. p. 627. a été prise par les Cimmériens, par les Trères & les Lyciens, & ensuite par les Perses ; elle s'est toujours relevée de ses malheurs à cause de la bonté de son sol. Cette bonté contribua sans-doute à son rétablissement, après cet horrible tremblement de terre qui renversa en une nuit douze villes d'Asie ; Sardes fut la plus maltraitée : asperrima in Sardianos lues, dit Tacite, annal. xj. 47. aussi eut-elle le plus de part aux libéralités de Tibere, qui fit rétablir ces villes, & Sardes par reconnoissance lui décerna les honneurs divins.

II. Si cette ville fut puissante par ses richesses, elle fut illustre par d'autres titres honorables. Dans la contestation qui s'éleva entre onze villes de l'Asie, qui toutes ambitionnoient l'honneur de bâtir un temple à Tibere, à Livie & au sénat, les villes de Smyrne & de Sardes, à l'exclusion des autres, resterent en concurrence. Leurs députés parlerent devant le sénat, & si ceux de Sardes n'eurent pas l'avantage sur les Smyrnéens, c'est que ces derniers firent valoir leur antiquité, & les services importans qu'ils avoient rendus aux Romains dans les tems les plus difficiles. Sardes néanmoins pouvoit presque prendre sur ses monumens, les mêmes titres d'honneur que Smyrne ; c'étoit une grande ville, dit Strabon, la plus grande de l'Asie, suivant Séneque, & l'une des plus magnifiques. On voyoit près de cette ville, les tombeaux des anciens rois de Lydie, , & en particulier celui d'Alyatte, pere de Crésus.

Antonin Pie dans un de ses rescrits, met Sardes au nombre des villes qu'il qualifie de métropole de peuples. Elle étoit métropole de la Lydie : Lydia celebratur maximè Sardibus, dit Pline, lib. IV. c. xxix. Aussi prenoit-elle le titre de métropole, comme l'a prouvé M. Askew, savant anglois, par une inscription qu'il a copiée sur les lieux en 1748. On lit sur un médaillon de Septime Sévere, . Enfin dans la division que les Romains firent de la province d'Asie en plusieurs préfectures ou jurisdictions, qu'ils nommoient juridici conventus, celle de Sardes à laquelle ressortissoient plusieurs grandes villes, étoit une des plus étendues.

III. Dans les premiers tems, les villes de l'Asie étoient gouvernées suivant leurs loix, & par leurs propres magistrats : elles jouissoient alors d'une véritable autonomie. Sous la domination des Perses elles perdirent cette précieuse liberté. Alexandre le grand les rétablit dans leur ancien état, qui fut confirmé par les Romains, & nous savons que Sardes eut part à ce bienfait.

Le gouvernement de cette ville étoit démocratique ; l'autorité publique s'exerçoit au nom du peuple par un conseil public, comme on le voit sur un monument érigé en l'honneur d'Antonin Pie : . Outre le conseil commun de la ville appellé , composé des archontes & d'autres conseillers, la ville de Sardes avoit un sénat ou conseil des anciens, , dont il est fait mention dans une belle inscription de cette ville, rapportée par Spon (misc. p. 317.) , &c. Ce conseil s'assembloit dans le palais de Crésus, que les Sardiens avoient destiné pour le logement & la retraite des citoyens pendant leur vieillesse. Vitruve, lib. IV. c. viij. parle de ce palais qu'il appelle Gerusia.

Le conseil gerusia étoit établi dans plusieurs villes de l'Asie, suivant les inscriptions & les médailles. Le premier magistrat de Sardes étoit nommé archonte, & quelquefois , préteur ; on sait que le nom d'archonte a pris naissance à Athènes. Les colonies grecques le porterent en Asie, d'où il s'étendit à plusieurs villes de ce continent. L'archontat étoit une magistrature annuelle ; mais l'archonte étoit quelquefois continué ou choisi, deux, trois, ou quatre fois, comme il est constant par les médailles, APX. , étoit éponyme. Son nom inscrit sur les actes publics, marquoit la date des années ; car plusieurs villes marquoient la date des années par les archontes. Dans le grand nombre des médailles de Sardes, il n'y en a que deux frappées sous Tibere, & une sous Trajan, qui portent le nom du proconsul ; mais on y trouve les archontes sous presque tous les regnes, depuis Auguste jusqu'à Valerien le jeune. Ils sont désignés ordinairement par les lettres AP. APX. Sardes avoit aussi un premier magistrat, , strategus ou préteur, qu'on trouve sur quelques-unes de ses médailles, & un , greffier en chef de la ville ; place de confiance, qui demandoit une exacte probité dans celui qui la remplissoit.

IV. Les monumens nous instruisent non-seulement du gouvernement de la ville de Sardes, ils nous ont transmis les différens traités d'union & d'association qu'elle conclut avec d'autres villes, comme avec celle de Pergame, d'Ephèse, de Laodicée & d'Hiérapolis de Phrygie. Ces traités sont désignés sur les médailles par le nom d', que les Latins ont rendu par celui de concordia. Les villes d'Ephèse & de Sardes firent entr'elles un traité d'union sous les Antonins, pour s'associer réciproquement au culte de leurs divinités. En conséquence de cette association, le culte de Diane éphésienne fut établi à Sardes : cette déesse y paroît sur une de ses médailles frappée sous le regne de Caracalla. Par une médaille d'Hiérapolis de Phrygie, qui a d'un côté la tête de Philippe le jeune, on voit que cette ville associa Sardes à la célébration des jeux sacrés ; au revers sont représentées deux urnes, avec des branches de palmier, on lit autour : .

V. Quoique les Grecs, & les autres peuples du Paganisme, reconnussent la pluralité des dieux, cependant chaque pays, & même les villes, adoroient des divinités particulieres. Tels étoient l'Apollon de Milet, l'Esculape d'Epidaure, la Minerve d'Athènes, la Diane d'Ephèse, la Vénus de Paphos, & une infinité d'autres divinités. La ville de Sardes honoroit aussi des divinités tutélaires, auxquelles elle rendoit un culte particulier. Dans les premiers tems elle honoroit Cybèle, dont le temple fut brûlé par les Ioniens sous la conduite d'Aristagoras. Soit que son culte eût été aboli ou négligé, les monumens de Sardes ne la représentent plus que sur une médaille de Salonine femme de Galien. Les habitans de la ville rendirent un culte particulier à Diane. Elle avoit un temple célebre sur les bords du lac de Gygès ou de Coloé, à 40 stades de la ville, d'où elle étoit nommée . Ce lieu sacré étoit infiniment respecté ; il avoit même un droit d'asyle, que les Sardiens prétendoient avoir obtenu d'Alexandre le grand. Comme ces privileges étoient l'occasion de plusieurs abus dans les villes de l'Asie, le sénat les restraignit sous l'empire de Tibere : ainsi le culte de la déesse ne fut plus aussi célebre. M. Askew a copié dans son voyage, une inscription qui fait mention d'une prêtresse de Diane de Sardes.

Proserpine tint le premier rang entre les divinités de Sardes ; elle est représentée sur les médailles de Trajan, de Marc Aurele, de Lucius Verus, de Commode, de Septime Sévère, du Julia Domna, de Caracalla, de Tranquilline, de Galien & de Salonine ; & quelquefois avec son temple. Comme cette déesse étoit la divinité tutélaire de Sardes, cette ville célébroit des jeux en son honneur.

La Vénus de Paphos étoit aussi adorée à Sardes. Elle y avoit un temple qui est représenté sur les médailles d'Hadrien, de Sévere Alexandre, de Maximin & de Gordien Pie, avec l'inscription : ce culte devoit être ancien à Sardes. Hérodote nous apprend à quel point les moeurs de cette ville opulente étoient dissolues dès les premiers tems. Il n'est donc pas étonnant que les Sardiens aient adopté une divinité de l'île de Cypre. Nous avons observé plus d'une fois dans cet Ouvrage, que des pays encore plus éloignés l'un de l'autre, se sont communiqués réciproquement leur culte & leurs cérémonies religieuses. On voit la tête de Vénus sans légende, sur une médaille du cabinet de M. Pellerin ; & au revers une massue dans une couronne de laurier, avec le nom , & un monogramme.

Le dieu Lunus, appellé par les Grecs, paroît sur plusieurs médailles de Sardes. Il est représenté avec un bonnet phrygien sur la tête, & une pomme de pin à la main ; il porte quelquefois un croissant sur les épaules. Sur deux médailles décrites par Haym, on voit d'un côté la tête du dieu Lunus, avec le bonnet phrygien & le croissant : on lit autour ; de l'autre côté, un fleuve couché & appuyé sur son urne, tient de la droite un roseau, & de la gauche une corne d'abondance, avec la légende ; & à l'exergue . L'autre médaille a la même tête avec la même légende, & au revers un gouvernail & une corne d'abondance, posés l'un sur l'autre en sautoir, avec la légende . Ces deux médailles ont été frappées sous le regne de Séptime Severe, à cause du titre de néocores pour la seconde fois, que prennent les habitans de Sardes sur ces monnoies. Le nom d' est une épithete du dieu Lunus, à qui les peuples de l'Asie donnoient différens surnoms, comme de dans le Pont, de en Carie, de à Nisa en Carie, d' en Pisidie, & suivant les médailles citées, d' en Lydie.

Nous avons déja observé que le territoire de Sardes étoit très-fertile en blés, & qu'il produisoit des vins excellens : les Sardiens honoroient spécialement Cérès & Bacchus, & les ont souvent représentés sur leurs monumens. Le cabinet de M. Pellerin conserve un beau médaillon d'argent qui a été frappé à Sardes. C'est une de ces anciennes monnoies qu'on appelloit cistophores, parce qu'elles portoient d'un côté la ciste sacrée, ou la corbeille qui renfermoit les mysteres de Bacchus.

Jupiter est souvent représenté sur les médailles de Sardes, & même sur une de ses médailles on y a gravé la tête & le nom de Jupiter ; il avoit dans cette ville un temple avec des prêtres, & les Sardiens célébroient en son honneur des jeux publics.

Le culte d'Hercule étoit aussi établi à Sardes. Les anciennes traditions du pays avoient conservé la mémoire des amours de ce héros & d'Omphale reine de Lydie. Les Lydiens se glorifioient d'avoir été gouvernés par Hercule & par ses descendans. Ils le consacrerent au nombre de leurs principales divinités ; la ville de Sardes l'a représenté sur plusieurs de ses médailles. On voit sur une médaille du cabinet du roi d'un côté la tête d'Hercule sans légende ; de l'autre, Omphale debout, porte sur l'épaule droite la massue, sur le bras gauche une peau de lion, avec le nom : sur une autre médaille du même cabinet, Omphale est représentée ayant la tête couverte d'une peau de lion. Sur deux médailles de ce cabinet, on voit d'un côté la tête de Proserpine, & de l'autre une massue renfermée dans une couronne de feuilles de chêne. Le cabinet de M. Pellerin conserve aussi plusieurs médailles de Sardes, sur lesquelles Hercule est représenté avec ses attributs.

On voit aussi sur les médailles de Sardes le type de quelques autres divinités, de Junon, de Mars, de Pallas & d'Apollon ; mais aucun monument ne nous apprend que ces divinités ayent eu des temples dans la ville, & qu'elles y ayent été honorées d'un culte particulier.

VI. Les peuples & les villes de l'empire romain élevoient des temples, offroient des sacrifices & décernoient tous les honneurs de la divinité aux empereurs, aux princesses, femmes, meres, filles ou parens des empereurs. Ils ne rougissoient point d'accorder le nom vénérable de , deus, à des hommes qui deshonoroient souvent l'humanité. La ville de Sardes célébra sur ses monumens les vertus, les victoires, les trophées des princes ; elle fit plus, elle les adopta au nombre de ses dieux. Auguste paroît sur une de ses médailles avec cette inscription, . Elle consacra des prêtres en l'honneur de Tibere. La reconnoissance de la ville s'étendit même au jeune Drusus fils de Tibere, & à Germanicus qu'il avoit adopté : sur deux de ses médailles, elle proclame nouveaux dieux les deux césars, . Cette inscription singuliere annonce d'une maniere indirecte la divinité de leur pere. Les Sardiens célebrent en même tems l'heureuse concorde des deux princes, . La couronne de chêne avec ces mots est le symbole des jeux que la province de l'Asie fit célébrer à Sardes en leur honneur.

La flatterie des Sardiens à l'égard d'Hadrien fut portée à l'excès. A l'exemple de plusieurs autres peuples, ils eurent la foiblesse de consacrer au nombre des héros l'infame Antinoüs, comme on le voit sur deux de leurs médailles, avec cette légende, . Ils ne donnerent pas d'autres titres d'honneur à Antonin Pie, un des plus excellens princes, & dont ils avoient reçu des bienfaits signalés, suivant la belle inscription grecque rapportée dans Spon, Voyage, t. III. p. 146. & dont voici la traduction : " Le sénat & le peuple de Sardes ont honoré comme un héros & comme leur bienfaiteur l'empereur César, Titus Aelius Antonin Pie, Auguste, fils du divin Hadrien, petit-fils du divin Trajan, jouissant de la puissance tribunitienne pour la seconde fois, consul pour la troisieme, pere de la patrie ".

L'histoire ne dit point quelles graces ou quels bienfaits la ville de Sardes avoit reçus de Septime Sévere ; mais les médailles nous apprennent que les Sardiens rendirent de grands honneurs à ce prince & à ses enfans ; ils leur éleverent un temple magnifique, & célebrerent à leur gloire les jeux philadelphiens : ils honorerent aussi l'empereur Gordien Pie en représentant Tranquilline sa femme sous la figure & avec les attributs de Cérès & de Proserpine leurs principales divinités ; il paroît qu'ils accorderent les mêmes honneurs à Salonine, femme de Galien. Auguste avoit déja bien voulu permettre aux Sardiens de lui bâtir un temple, qu'ils ont marqué sur une de leurs médailles, au revers de laquelle le prince donne la main à une femme qui a la tête couronnée de tours, & qui est sans-doute le symbole de Sardes. Cette ville, dans ses médailles, se qualifie de néocore, titre honorifique, qui consistoit dans la garde des temples célebres, soit des dieux, soit des empereurs. Les Sardiens ont été honorés trois fois du néocorat, sous Adrien, sous Caracalla, & sous Valérien selon M. Vaillant ; & selon M. l'abbé Belley, sous Auguste, sous Septime Severe & sous Caracalla.

VII. Les jeux & les spectacles chez les Grecs faisoient partie du culte religieux. La ville de Sardes célébroit des jeux en l'honneur des dieux & en l'honneur des empereurs ; les premiers jeux étoient les plus anciens. Nous n'en connoissons par les monumens que de deux especes : les jeux , célébrés en l'honneur de Proserpine, déesse tutélaire de la ville, sont marqués sur deux médailles très-rares du cabinet de M. Pellerin, frappées sous Caracalla. Elles représentent d'un côté la tête de l'empereur couronnée de laurier, avec la légende ; au revers, Proserpine assise ayant à droite un pavot, & à gauche un épi, légende . dans le champ, , sur une base, & au-dessous . Les fêtes de Proserpine sont appellées par le scholiaste de Pindare, par Plutarque & par Hésychius dont Meursius cite les témoignages. Les Sardiens, suivant la médaille, célébroient les jeux actiatiques en l'honneur de Proserpine. La ville de Sardes célébroit aussi des jeux en l'honneur de Jupiter Lydien.

Les jeux que cette ville célébra en l'honneur des empereurs sont connus par un grand nombre de médailles ; tels étoient les jeux augustaux en l'honneur d'Auguste, les jeux philadelphiens & les jeux nommés chrysanthina. Il est fait mention de ces derniers jeux dans les anciennes inscriptions, . Ils sont marqués sur les médailles de Sardes, de Julia Domna, de Caracalla, de Sévere Alexandre, de Tranquilline & d'Otacilia. Vaillant pense qu'ils étoient ainsi nommés d'une couronne de fleurs d'or, soit artificielles, soit naturelles, qui étoit le prix des vainqueurs : en effet, cette couronne est réprésentée sur quelques médailles. L'urne de ces jeux porte une & quelquefois deux branches de palmier, d'où l'on peut inférer que le spectacle étoit composé d'une ou de deux sortes de combats. Au reste, nous voyons dans le droit romain que ces jeux, comme les olympiques, se célébroient tous les cinq ans, c'est-à-dire après la quatrieme année révolue.

Les villes d'Asie, à l'imitation d'Athènes, faisoient élever avec soin la jeunesse, l'instruisoient dans les sciences, & la formoient à tous les exercices du gymnase. La ville de Sardes avoit aussi son gymnase, & célébroit les jeux isélastiques, ainsi appellés, parce qu'ils donnoient aux athletes vainqueurs droit d'entrer en triomphe dans leur patrie. Voyez ISELASTIQUES, jeux.

VIII. Une grande ville doit renfermer plusieurs temples, & un nombre proportionné de ministres destinés à leur service, & ses ministres sont de plusieurs classes. Ceux du second ordre, appellés par les Grecs , paroissent sur quelques inscriptions de Sardes ; on y voit un prêtre de Jupiter, un prêtre de Tibere, . Tous ces ministres étoient subordonnés à un pontife ou grand-prêtre qui avoit la surintendance dans l'étendue de la ville & de son territoire ; ce pontife étoit nommé . Comme Sardes étoit la capitale de Lydie, ce pontife prenoit quelquefois la qualité de grand-pontife, parce qu'apparemment il avoit inspection sur les pontifes des autres villes de Lydie. On lit sur une médaille d'Héliogable, .

Les jeux sacrés, qui se célébroient aux temples communs à toute la province en l'honneur des dieux ou des empereurs, étoient ordonnés par l'asiarque, qui étoit encore différent des pontifes dont nous venons de parler : c'étoit un officier public revêtu d'une espece de magistrature, & d'un sacerdoce singulier qui lui donnoient droit de présider aux jeux. Sur trois médailles de Salonine & sur deux de Valérien le jeune, Domitius Rufus, premier magistrat de Sardes, est nommé asiarque.

Cette ville avoit aussi ses éponymes qui étoient tantôt des ministres de la religion, pontifes, prêtres, & tantôt des magistrats civils qui donnoient le nom à l'année, car les éponymes de Sardes n'ont pas toujours été les mêmes officiers ; il paroît que sous les regnes de Tibere & de Trajan, le proconsul, gouverneur de la province, étoit éponyme ; sous presque tous les regnes suivans jusqu'à Galien les années étoient marquées par la suite des archontes ou des strateges.

Enfin la ville de Sardes avoit des prêtres ou des pontifes d'un ordre distingué, qu'on appelloit stéphanéphores, parce qu'ils portoient une couronne de laurier, & quelquefois une couronne d'or dans les cérémonies publiques. Ce sacerdoce étoit établi dans plusieurs villes de l'Asie, à Smyrne, à Magnésie du Méandre, à Tarse, &c. On voit par les monumens que cette dignité étoit annuelle & éponyme dans quelques villes. Les stéphanéphores, anciennement consacrés au ministere des dieux, furent aussi attachés au culte des empereurs.

IX. Ce précis historique, extrait du savant mémoire de M. l'abbé Belley, & qu'il a rédigé d'après les inscriptions & les médailles de la ville de Sardes, fait assez connoître quel secours l'histoire peut tirer d'une étude approfondie des monumens antiques. Il nous reste à extraire du même mémoire l'histoire abrégée des révolutions de la ville de Sardes, depuis la fin du troisieme siecle jusqu'à présent.

Sous le haut empire, la Lydie fit toujours partie de l'Asie proconsulaire, mais dans la suite cette province fut démembrée ; les pays dont elle étoit composée formerent autant de provinces particulieres : ce changement arriva sous Dioclétien & Maximien Hercule, auxquels les historiens ont reproché d'avoir affoibli l'empire en divisant ses grandes provinces. Ainsi la Lydie devint alors province, & nous voyons dans la notice de l'empire qu'elle fut gouvernée par un consulaire ; Sardes étoit sa ville métropole. Constantin divisa l'Asie en dix provinces, dont l'une étoit la Lydie, dont Sardes fut toujours la métropole. Comme la qualité des eaux rendoit la situation de cette ville propre aux manufactures, nous voyons qu'anciennement les belles teintures de pourpre & d'écarlate faisoient partie de son commerce & de ses richesses. Dans les derniers siecles de l'empire romain, on y établit une fabrique d'armes.

Mais ce qui rendit la ville de Sardes illustre sous les princes chrétiens, ce fut la dignité de son église. Elle étoit une des sept premieres églises d'Asie, fondée par l'apôtre S. Jean. Méliton, un de ses évêques, écrivit en faveur des Chrétiens, & adressa leur apologie à l'empereur Marc Aurele. Ses évêques eurent le rang de métropolitains, Méonius assista en cette qualité au concile général assemblé à Ephese l'an 431, pour condamner les erreurs de Nestorius. Leur jurisdiction étoit fort étendue, & leur suite est assez connue jusqu'à la ruine de la ville.

Depuis le regne d'Héraclius, l'empire d'Orient ayant été divisé pour l'ordre civil en pays ou districts, la Lydie fit partie du district des Thracésiens, & Sardes fut toujours la capitale de ce département. Cette nouvelle division a subsisté jusqu'à la grande invasion des Turcs au commencement du quatorzieme siecle, qui se fit dans la partie occidentale de l'Asie mineure l'an 1313 sous le regne de l'empereur Andronic. Plusieurs chefs de tribus s'étoient rendus indépendans des sultans de Cogni ; & s'étant fortifiés, ils se répandirent vers l'Occident. Mentecha s'empara d'Ephese & de la Carie ; Aïdin de la Lydie jusqu'à Smyrne, Sarkan de Magnésie du Sipyle & des pays voisins jusqu'à Pergame ; Ghermian de la Phrygie Pacatienne ; Carase de la Phrygie ou Troade, depuis Asso jusqu'à Cyzique ; & Osman de la Paphlagonie & d'une partie de la Bithynie. Voilà l'époque de plusieurs toparchies turques ou principautés particulieres, dont les noms subsistent encore dans la division que font les turcs de l'Anatolie, ou comme ils disent, Anadoli.

Osman, duquel descendent les princes Ottomans, fonda un empire qui s'étendit en peu de tems dans trois parties du monde. Bajazeth, son quatrieme successeur, auroit détruit l'empire des Grecs, s'il n'avoit été arrêté dans ses vastes projets par TimurBeck ou Tamerlan, qui le fit prisonnier à la bataille d'Ancora (Ancyre en Galatie) en 1402. Timur ravagea toute l'Anatolie, & envoya ses généraux faire des courses en différens cantons. L'un d'entr'eux dévasta la Lydie & la ville de Sardes, enleva l'or, l'argent, & tout ce qui s'y trouva de précieux : c'est l'époque fatale de la ruine de cette grande ville.

Timur marcha en personne contre Smyrne, & la prit ; ce conquérant remit en possession de la Lydie les fils d'Aïden, qui en avoient été dépouillés par Bajazeth. Amurat détruisit leur famille, & leur principauté ; Sardes ne put se relever, & n'eut plus d'évêque depuis l'an 1450 ; ses droits métropolitains passerent à l'église de Philadelphie, qui en est éloignée de 27 milles. La Lydie, que les Turcs nomment Aïdin-Eili, le pays d'Aïdin, resta soumise à l'empire Ottoman.

Imith a décrit dans son voyage l'état auquel la ville de Sardes étoit réduite l'an 1671 ; ce n'est plus, dit-il, qu'un misérable village composé de quelques chaumieres où logent un petit nombre de turcs presque tous pâtres, dont le bien consiste en troupeaux qui paissent dans la plaine voisine. Il y reste très-peu de chrétiens, sans église & sans pasteur, & qui sont réduits pour vivre à cultiver des terres ; cependant, continue-t-il, Sardes au milieu de sa désolation montre encore des vestiges de son ancienne splendeur : on trouve au midi de la ville de grandes colomnes entieres & sur pié, d'autres renversées & brisées ; l'on voit à l'orient des ruines d'édifices, & d'un magnifique palais, répandues dans une grande étendue de terrein. Les choses ont encore dépéri depuis. L'on sait aujourd'hui de M. Askew, qui a voyagé dans l'Asie mineure depuis l'année 1744, que Sardes est totalement deserte, & qu'il n'y reste aucun habitant, ni turc, ni chrétien ; & que l'on ne trouve plus dans ses anciennes ruines, que quelques inscriptions indéchiffrables.

De tous ses titres, Sardes n'a conservé que son nom : les Turcs la nomment encore Sart. Suivant la géographie écrite en langue turque, qui a été imprimée à Constantinople depuis quelques années, Sardes & son territoire sont compris dans le district ou liva de Tiré, qui fait partie d'Aïdin-Eïli. Le Tmole y est nommé Boz-dag, c'est-à-dire, Montagne de glace. Les princes turcs qui résidoient à Magnésie, alloient ordinairement passer l'été sur cette montagne, pour éviter les chaleurs de la plaine, & prendre le divertissement de la chasse. Le géographe turc observe qu'au nord de la montagne on voit un lac poissonneux, & dont les eaux sont très belles ; il peut avoir de circuit dix milles, qui font environ trois lieues de France : ce doit être le lac de Gygès, dont Homere a parlé, & qui a été célebre dans toute l'antiquité. La plaine de Sardes, qui est une des plus spacieuses & des plus fertiles de l'Asie, est présentement inculte, on l'appelle la plaine de Nymphi.

Tel est l'état du territoire & de l'ancienne capitale de Croesus. Ce prince si renommé par ses richesses, par ses libéralités, par le soin qu'il prit d'attirer à sa cour les premiers sages de son tems, n'est pas moins fameux par les vicissitudes des événemens de sa vie. Après avoir soumis à sa puissance presque tous les peuples de l'Asie en-deçà du fleuve Halys, il perdit contre Cyrus, roi de Perse, la célebre bataille de Thymbrée, fut pris, chargé de chaînes, & condamné à mourir sur un bucher. Il reconnut pour la premiere fois la vérité de ces belles paroles de Solon : " qu'on ne pouvoit appeller un homme heureux qu'après sa mort ". Et il invoqua tout haut en présence de son vainqueur le nom du grand homme dont il les tenoit. Cyrus faisant alors réflexion sur l'inconstance de la fortune, & sur les dangers qu'il avoit couru de son côté un moment avant la victoire, accorda généreusement la vie à Croesus, le gratifia d'Ecbatane, & le traita depuis avec beaucoup de bonté & de distinction. Tout ceci se passa vers l'an 210 de Rome, du tems de Tarquin le Superbe.

Je ne dois pas oublier de couronner l'article de Sardes, en remarquant que les lettres y ont fleuri, & qu'on les cultivoit encore dans cette ville au v. siecle de l'ere chrétienne. Elle a été la patrie de Poliaenus, qui vivoit sous Jules-César, & qui outre des plaidoyers, publia trois livres du triomphe partique, c'est-à-dire, de celui de Ventidius. Elle a produit dans le iv. siecle le rhéteur Eunape, auteur d'une histoire des sophistes, que nous avons, & d'une histoire des empereurs depuis Claude le Gothique, jusqu'à la mort d'Eudoxie, femme d'Arcadius, dont il ne reste que des fragmens, mais qui sont curieux. Strabon dit que Sardes donna la naissance aux deux Diodores, orateurs célebres ; mais elle doit surtout se glorifier de celle d'Alcman.

Je sai que Pausanias, Suidas, & Clément d'Alexandrie, le font naître à Sparte, cependant il étoit né véritablement à Sardes, mais il fut formé & élevé à Lacédémone, & y fleurissoit vers la vingt-septieme olympiade. Esclave d'un spartiate, nommé Agésidas, il fit paroître du génie & des talens qui lui procurerent la liberté, & le mirent au rang des célebres poëtes-musiciens. Il voyagea, & fut partout bien accueilli, mais il vécut principalement chez les Lacédémoniens, & il y mourut ; c'est leur goût pour la poésie qui leur a fait élever un esclave au rang de citoyen, malgré leur usage de n'accorder ce privilege qu'avec beaucoup de réserve.

Alcman fut excellent joueur de cithare, & chantoit ses vers au son de cet instrument. Il fut le chef des poésies galantes & amoureuses ; & puisqu'il ne paroît point que la sévere Lacédémone en ait été scandalisée, on peut juger que le poëte y avoit respecté la pudeur ; ce n'est pas qu'il ne fût un homme de plaisir, il aimoit la table & les femmes ; il convient lui-même quelque part qu'il étoit un grand mangeur, & selon Athenée, il avoit une maîtresse appellée Mégalastrata, distinguée par le talent de la poésie.

Clément d'Alexandrie fait Alcman auteur de la musique destinée aux danses des choeurs. Si l'on en croit Suidas, il fut le premier qui donna l'exclusion au vers hexametre par rapport aux poésies lyriques ou chantantes. On le fait encore auteur d'une sorte de vers nommé alcmanien, & composé de trois dactyles suivis d'une syllabe ; mais ce qui prouve l'excellence des vers & de la musique d'Alcman, c'est que sa poésie n'avoit rien perdu de sa douceur ni de ses graces, dit Pausanias, pour avoir été écrite dans un dialecte d'une prononciation aussi rude que le dialecte dorique.

Pausanias ajoute, qu'on voyoit de son tems à Lacédémone le tombeau de ce poëte. Si les conjectures de M. Antoine Astori, vénitien, exposées dans un petit commentaire imprimé en 1697, in-folio, eussent été bien fondées, on posséderoit à Venise un ancien monument de marbre venu de Grece, & consacré à la mémoire d'Alcman ; mais M. Frid. Rostgaard, savant danois, ayant examiné ce monument, n'y a pas trouvé un seul mot qui concernât le poëte Alcman. Il ne nous reste même que quelques fragmens de ses poésies. Le tems nous a ravi ses six livres de chansons pour les jeunes filles, & son poëme intitulé les nageuses, ou les plongeuses. (D.J.)


SARDESUS(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la Lycie. Etienne le géographe la place près de Lyrnessus. Il est fait mention des habitans de cette ville, sur une médaille de l'empereur Vespasien, où on lit ce mot . (D.J.)


SARDICou SERDICA, (Géog. anc.) ancienne ville, la capitale & la métropole de l'Illyrie orientale, & que l'itinéraire d'Antonin, qui écrit Serdica, marque sur la route du Mont d'Or à Byzance, entre Meldia & Burburaca, à 24 milles du premier de ces lieux, & à 18 milles du second. Les Grecs comme les Latins varient sur l'orthographe du nom de cette ville. (D.J.)


SARDINESARDE, s. f. (Hist. nat. Ichthyologie) poisson de mer fort ressemblant à l'aphye, mais il est un peu plus grand & plus épais. Il ne differe de l'alose qu'en ce qu'il est plus étroit ; au reste il lui ressemble, par la bouche, par les ouies, par les yeux, par les écailles, par la forme de la queue, & par le nombre & la position des nageoires. Voyez APHYE & ALOSE. La sardine a les écailles grandes, la tête d'un jaune doré, & le ventre blanc ; le dos est en partie verd & en partie bleu ; ces deux couleurs sont très-brillantes lorsqu'on tire ce poisson vivant hors de l'eau ; & dès qu'il est mort, le verd disparoit entierement, & le bleu perd beaucoup de son éclat. La sardine n'a point de vésicule de fiel ; elle est plus grasse au printems qu'en toute autre saison. Rondelet, hist. nat. des poissons, prem. part. liv. VII. ch. x. Voyez POISSON.

SARDINE, (Pêche) voici la description de leur pêche, & la maniere de les apprêter. Cette pêche se pratique particulierement sur les côtes de Bretagne, dans les canaux de Belle-Isle. Sur les côtes du nord de cette île, depuis la pointe de Sud, ou du canon de Locmaria, en tirant au nord jusqu'à celle des Doulains, au-dessous d'Auborch. Cette étendue se nomme la bonne Rade ; elle est à couvert des vents de sud-sud-ouest par la terre de Belle-Isle, & de ceux de nord-nord-est par la grande terre qui est au large de l'île qui lui est opposée, & qui baigne la mer sauvage où les sardines ne terrissent point, parce que la lame y est toujours fort haute & très-élevée : la pêche commence ordinairement en Juin, & finit avec le mois de Septembre, ou au plus tard les premiers jours d'Octobre, outre les chaloupes, ceux de Saugon de ladite île, de Port-Louis, de S. Cado, Vauray & de Groa viennent au même lieu ; les chaloupes sont du port de huit, dix à douze barriques au plus, faites en forme d'yolles ou de biscayennes, avec mâts, voiles, quille, & gouvernail ; elles sont aussi garnies d'avirons. Les marchands-propriétaires les fournissent de toutes choses, & prêtes à faire la pêche ; ils leur donnent aussi dix à douze pieces de filets de différens calibres, pour s'en servir durant qu'ils sont sur le lieu de leur pêche, suivant la grosseur des lits, bouillons ou nouées de sardines qui se trouvent souvent durant une même marée de quatre à cinq sortes différentes ; mais les mailles les plus petites sont toujours beaucoup au-dessus du moule de quatre lignes en quarré, fixé par l'ordonnance de la marine de 1684. Pour faire la pêche des sardines, les pieces des rets à sardines non-montées ont ordinairement 22 brasses de long ; & lorsqu'elles sont garnies de lignes & de flottes par la tête, & de plomb par bas pour les faire caler, elles se trouvent réduites seulement à 18 brasses de longueur, afin de donner au filet du jeu, & que le ret reste un peu volage, libre & non-tendu, pour donner lieu aux sardines de s'y mailler plus aisément.

Les filets des pêcheurs de sardines de Belle-Isle flottent à fleur d'eau, comme ceux des pêcheurs poitevins : le fil dont ils sont composés étant très-délié, on est obligé de leur donner du poids par le pié, à la différence des rets ou seines aux harengs, & des manets qui servent à faire la pêche du maquereau, qui calent par leur propre pesanteur, à cause de la grosseur du fil dont ils sont fabriqués ; ces filets ont depuis trois brasses & demie de chûte, jusqu'à cinq brasses ; il faut encore observer que les chaloupes de Belle-Isle, & même celles qui viennent avec elles faire la pêche dans les coureaux d'entre Belle-Isle & Quiberon, ont coutume de revenir à terre tous les soirs ; c'est une des raisons qui a obligé l'amirauté de dispenser les équipages de ces chaloupes de prendre un congé pour la pêche, parce qu'ils sont variables, & qu'il seroit impossible que les maîtres pussent fournir un rolle au bureau des classes, ceux qui montent aujourd'hui dans une chaloupe, la quittant demain pour reprendre leur métier, quand la saison de la pêche est passée.

Les chaloupes repartent le lendemain d'assez bonne heure pour pouvoir être rendues à l'aube du jour sur le lieu de la pêche, qui n'est toujours éloigné que d'une lieue ou deux de terre. La pêche se fait entre les coureaux, c'est-à-dire, entre Belle-Isle & les terres de Quiberon, jusque par le travers de la Pointe d'Etel à l'embouchure de la riviere de S. Cado ; ces fonds n'ont que 8, 10 à 12 brasses d'eau au plus.

Les pêcheurs tendent leurs filets de même que les pêcheurs poitevins, en croisant la marée, & ils amorcent pour mettre le poisson en mouvement, & le faire monter à la surface de l'eau, ce qu'il fait avec beaucoup de précipitation ; les pêcheurs continuant toujours de semer leur boite tant que la marée dure, c'est-à-dire, que les rets restent à la mer jusqu'à ce qu'on les releve pour en retirer les sardines qui s'y sont prises. Quand la pêche est abondante, souvent l'équipage d'une chaloupe en rapporte le soir 25 à 30 milliers, à-moins qu'ils ne les aient renversées à bord des chasses-marées, qui se tiennent toujours sur le lieu de la pêche pour s'en charger & en faire le transport.

On croit devoir ici observer que les pêcheurs de Belle-Isle sont d'un sentiment opposé à celui des pêcheurs poitevins & autres, qui font la même pêche le long des autres côtes méridionales de la Bretagne, prétendant, avec assez de fondement, que la sardine ne se tient pas sur les poissons blancs & les chiens de mer, qui en feroient continuellement une telle curée, qu'ils épailleroient & feroient fuir les lits, troupes ou bandes de ces petits poissons ; que la sardine nage entre deux eaux comme les harengs, & que c'est pour l'attirer à la surface qu'on amorce, la rogue qui est pesante tombant perpendiculairement à fond, si les sardines s'y tenoient, elles ne s'éleveroient pas avec tant de vivacité ; elles trouveroient à fond leur pâture ; cette idée est soutenue de l'expérience qu'ils ont ; c'est aussi celle des pêcheurs des côtes de la Méditerranée où la même pêche se fait sans boite ni appât, & des pêcheurs du hareng qui se tient de même entre deux eaux à différentes profondeurs, suivant les vents qui regnent, ou la qualité des lits des poissons.

Une grande partie des sardines de la pêche de Belle-Isle s'enleve par des bateaux chasse-marées, & le reste s'apporte à terre pour être vendu aux marchands & saleurs, qui ont des presses où ils les préparent de la maniere que nous l'expliquerons ci-après.

Il n'est pas d'usage à Belle-Isle de fumer ou sorreter les sardines ; cette sorte de préparation semblable à celle de l'apprêt des harengs-sors y est inconnue, & n'y a jamais été pratiquée.

L'appât ou la boite qui sert à la pêche de la sardine, que l'on nomme rave, rogue ou resure, comme on l'a dit, est apportée aux pêcheurs de Belle-Isle, de Berghen & de Drontheim en Norvege, & de Hollande. Ce sont les oeufs des morues provenant des pêches des Norvegiens, des Danois, des Hollandois dans les mers du nord ; ces oeufs sont connus sous le nom de stocfish. Les François qui font la pêche sur le banc de Terre-Neuve, salent la rogue pour le même usage, & les pêcheurs picards, normands & autres, qui font hors la manche & dans le canal la pêche des maquereaux, en préparent aussi les oeufs pour servir d'appât à la pêche de la sardine.

Le barril de rave, resure ou rogue venant de Berghen, ne pese qu'environ cent cinquante livres. Voyez RESURE.

Une chaloupe sardiniere consomme pendant la durée de la pêche quelquefois jusqu'à sept & huit barrils, ou trois à quatre barriques de rave ou resure, pendant l'espace de trois à quatre mois qu'elle dure ordinairement ; on ne sauroit rien fixer là-dessus de précis, parce que cette consommation dépend souvent & de l'abondance & de la stérilité de la pêche ; plus il y a de poisson, & moins il faut l'amorcer pour le faire monter ; elle dépend aussi du moins autant de l'intelligence & de l'expérience des maîtres. Il y en a qui employent un tiers plus de resure que les autres.

Les sardines que l'on destine à être salées, se salent en grenier, à terre, dans les presses ou magasins ; quand elles y sont arrivées, on les met égoutter leur eau pendant une heure ou deux avant de les saler ; ensuite on les entasse, & on les arrange de maniere que toutes les têtes se trouvent en-dehors, & les queues en-dedans ; on seme du sel de couche en couche d'un doigt d'épais ; on n'éleve les tas ordinairement que deux ou trois piés au plus, pour ne point écraser ou trop affaisser les sardines qui forment les premiers lits de dessous ; les piles ont une forme irréguliere, & suivant le lieu de la presse où l'on les place ; on laisse ainsi les sardines durant dix à douze jours avant que de les lever pour les aller laver dans l'eau de mer, comme nous l'expliquerons ci-après ; ainsi, quoique les sardines soient bien plus petites que les harengs, il ne faut cependant guere moins de tems pour en perfectionner la salaison. Les harengs sont pacqués en barril, les sardines en grenier.

Lorsque les sardines ont été assez salées, on les enfile par la gueule & par les ouies, comme on fait aux harengs que l'on veut sorer, & de la même maniere, sur de petites broches ou brochettes de coudrier, mais à la différence des harengs, qu'on arrange de maniere qu'ils ne se touchent point, on presse sur les brochettes les sardines de telle sorte qu'elles en remplissent tout-à-fait la longueur.

Les femmes & les filles sont occupées ordinairement à ce travail, elles portent ensuite les sardines ainsi embrochées, sur des civieres au bord de la basse mer, observant que les têtes du poisson soient en-dehors & les queues en-dedans ; elles ne mettent gueres que trois brochettes de largeur sur la civiere ; pour laver les sardines elles prennent par les deux bouts trois brochettes entre les doigts, & elles les trempent plusieurs fois dans l'eau, après quoi elles les remettent sur leur civiere, au fond de laquelle il y a deux petites nattes de paille pour soutenir les sardines, qu'on laisse ensuite égoutter dans les resses pendant quelque tems ; quand elles sont suffisamment égouttées de leur lavage, on les arrange dans des barrils, de la même maniere que l'on alite les harengs que l'on pacque, pour être envoyées dans les lieux de leur consommation.

Il faut ordinairement pour faire une barrique de sardines pressées, la charge de quatre civieres, & on ne peut fixer le nombre des sardines, attendu qu'il dépend de la petitesse ou de la grosseur du poisson qui l'augmente, ou le diminue, parce que c'est le remplissage de la futaille qui en fait le poids ; il en faut quelquefois seulement trois milliers environ, quand les sardines sont belles & grosses pour les remplir, & d'autres fois il en entre jusqu'à dix milliers, lorsque le poisson est de petites pieces & maigre.

Les fusts ou barrils de sardines de Belle-Isle, n'ont guere de bouge ou de ventre, leur forme est celle des barrils de brai du nord ; ils sont faits de bois de hêtre, & un des fonds, qui est celui de dessous, est percé de plusieurs trous, pour donner lieu à l'écoulement de l'eau & de l'huile que la presse en fait sortir ; ces barrils bien pressés & marchands, pesent ordinairement depuis trois cent jusqu'à trois cent dix livres.

Les sardines sont huit à dix jours à être pressées ; quand elles sont bien préparées, elles se peuvent conserver bonnes pendant sept à huit mois au plus ; après ce tems les chaleurs viennent, & les sardines se gâtent, elles deviennent rances & fétides.

Les presses à sardines sont des especes de petits magasins à rez-de-chaussée, sans aucun étage, à la hauteur de 3 piés & demi à 4 piés, il y a des trous dans la muraille d'environ un pié en quarré, & de profondeur pour y pouvoir placer le bout, le lans-pect ou petit soliveau qui forme le levier de la presse ; on place le barril à une distance proportionnée de la muraille, le fond qui est percé est sur un conduit, ou petit égoût, le long duquel coulent l'huile & l'eau qui sortent des barrils, & qui tombent dans une espece de cuve qui sert de réservoir pour recevoir tout ce qui sort des barrils ou presses ; quelques propriétaires mettent au haut des ouvertures des trous, une pierre dure ou un grais ; d'autres y mettent d'un bout à l'autre, une traverse ou un linteau de bois ; on place sur le bout du haut du barril qui est ouvert, un faux fond de bois de l'épaisseur de sept à huit pouces, & ensuite quelques petites traverses de bois qu'on multiplie à mesure que les sardines s'affaissent, & au-dessus on met le levier au bout duquel on place une planche suspendue avec de petites cordes, comme un des fonds d'une balance que l'on charge de pierres & d'autres poids, pour donner un poids convenable & suffisant sur les sardines du barril, & on augmente ce poids à mesure qu'elles se pressent, en remplissant de tems à autres le haut du barril jusqu'à ce que la presse soit achevée, & le barril rempli comme il le doit être.

Comme on ne peut déterminer le nombre des sardines qui entrent dans un barril, on ne sauroit aussi fixer celui des barrils de sardines qui peuvent rendre à la presse une barrique d'huile, parce que comme on vient de l'observer, la sardine maigre & petite rend peu ou point du tout d'huile, au lieu que celle qui est grosse & qui est ordinairement aussi la plus grasse, en fournit beaucoup ; on tire communément des sardines de bonnes qualités, une barrique d'huile de la presse de quarante barriques ; cette huile sert dans l'île, au radoub des chaloupes pêcheuses, & à celui des bâtimens employés au commerce, il s'en consomme encore au même usage que l'huile des baleines, par les corroyeurs, pour repasser leurs peaux, & quoique son odeur soit fort fétide, les pauvres gens s'en servent à brûler dans leurs lampes.

Les mailles des rets avec lesquels on fait la pêche des sardines, sont de trois especes ; les premieres ont 8 lignes en quarré, les secondes ont 7 lignes, & les troisiemes seulement 6. Ainsi elles sont plus grandes que l'ordonnance ne la prescrit, puisqu'elle fixe la grandeur des mailles à 16 lignes de tour, c'est-à-dire à 4 lignes en quarré.

Les rets à grandes sardines ont onze lignes en quarré, les pêcheurs alors ne boitent point ; ces rets servent encore à faire la pêche des éguillettes ou orphies, sur les rochers qu'ils entourent, & durant les mois d'Avril & Mai, ces filets sont les mêmes que les seines au hareng des pêcheurs normands, ils les employent abusivement quelquefois à trainer sur les côtes qui sont couvertes de sables. Voyez la démonstration des différens apprêts des sardines, dans nos Planches de pêches ; la premiere partie de la planche contient la représentation de la maniere de saler les sardines ; la seconde, le lavage des mêmes sardines ; & la troisieme, la maniere de presser les sardines dans les presses ou magasins.

De la pêche de la sardine, & de la maniere de la préparer & de préparer aussi l'anchois, comme on le fait en Provence & en Languedoc. Il n'y a que peu d'années que ces sortes de salaisons sont pratiquées le long des côtes de la Bretagne méridionale, & il ne s'y en prépare guere que sur les côtes de l'amirauté de Quimper, à Concarneau, & à Belle-Isle sur celle de Vannes.

La pêche de ces poissons étant devenue ingrate & stérile sur les côtes du Levant, les Provençaux instruits de l'abondance de cette pêche en Bretagne, y viennent à présent chaque année ; ils y arrivent vers le commencement du mois de Mai, & s'en retournent à la fin d'Octobre.

Ils mettent dans une barrique de sel, du poids de 200 livres au moins, deux livres d'ocre rouge, ou bol arménique en poudre ; ils ôtent des anchois la tête & les entrailles ; ils salent ensuite par lits leurs anchois, qu'ils arrangent le dos en haut, dans de grands & petits barrils qu'ils nomment barrots, les grands peuvent contenir environ 5 à 600 poissons, & les demi à proportion.

Ces sortes de barrils sont fabriqués à Cette, jaugés par la police, & marqués à feu ; il y a à Cette un inspecteur pour cette jauge, & peine d'amende & confiscation des barrots qui n'y seroient pas conformes.

Les grands barrots pleins, peuvent peser 24 à 25 livres ; quand les barrils sont remplis de poissons alités, on l'enfonce, en laissant un trou au milieu du fond du dessus ; on les expose ainsi débouchés au soleil pendant plusieurs jours ; ce que l'on répete trois à quatre fois de quinze jours en quinze jours, pendant que l'on fait cette sorte de préparation.

La chaleur fait fermenter la saumure que le poisson forme de son suc & de la fonte du sel, elle aide à confire le poisson ; la saumure surnage au-dessus du fond, on n'y en met pas de nouvelle quand elle diminue, on a soin de tems en tems de douiller les barrils ; il faut faire attention de boucher avec une cheville les barrils exposés au soleil, pour peu que l'on craigne la pluie, qui altéreroit la saumure, & feroit tort au poisson.

La sardine anchoitée, c'est-à-dire préparée avec le même sel rouge, s'accommode de même, excepté qu'on ne lui ôte que la tête, & qu'on lui laisse les entrailles.

Les sardines les plus petites, qui sont ordinairement celles de primeur, sont celles qui conviennent le mieux à cette préparation, & même les sardines que l'on rebute dans les presses, s'employent dans ces barrots, tant les étêtées, ou celles auxquelles on a coupé la tête, que les égueulées & éventrées, qui ne peuvent servir aux sardines salées & pressées.

Tous les anchois se mettent dans les petits barrils, on sale peu de sardines dans ces futs ; on se sert ordinairement de barriques vuidange de Bordeaux ou de Nantes ; lorsque ces sardines sont arrivées en Languedoc ou en Provence, les négocians qui font ce commerce, les transvasent dans de petits barrils que l'on fabrique chez eux pour cet usage.

Cette espece de salaison n'est marchande que la seconde année ; pour lors elle se trouve de bonne qualité ; celle de l'année n'est point bonne à manger ; lorsque les salaisons sont bien faites, celles de la troisieme & de la quatrieme années sont les plus recherchées, parce qu'alors le poisson se trouve confit dans sa saumure.

On transporte ces salaisons à Nantes & à Bordeaux par la mer, d'où elles passent jusqu'à Cette & à Montpellier par le canal ; on en charge encore quelquefois des bâtimens qui vont en droiture par le détroit, à Marseille, à Cette, & autres côtes du Levant.

La grande vente de ces anchois & sardines se fait à la foire de Beaucaire, d'où elles passent dans les lieux de leur consommation.

Avant la venue des Provençaux en Bretagne, on n'y faisoit aucun cas des anchois ; les pêcheurs les rejettoient à la mer aussi-tôt qu'ils les avoient pris ; depuis leur arrivée, on achete les anchois le quadruple des sardines, & quelquefois six fois plus, & quoiqu'ils ne prennent que les plus petits de ces derniers poissons, que les pêcheurs bretons méprisoient, leur choix n'a pas laissé que de doubler le prix ordinaire des sardines, en quoi les intéressés à cette pêche & les pêcheurs trouvent aujourd'hui un profit considérable sur leurs poissons, dans les lieux où on les sale en rouge.

Les marchands presseurs de sardines, de l'amirauté de Quimper, demandent que les barrils de sardines soient marqués à feu, tant du lieu de la salaison, que de celui du presseur qui l'aura préparé, & cela conformément à ce qui se pratique le long des côtes de la Normandie & de la Picardie, pour les harengs blancs de différentes qualités ; cette police si nécessaire aux marchands commissionnaires, auxquels les négocians forains & étrangers ordonnent de gros achats de ces salaisons, empêche la fraude des petits presseurs, soit par rapport aux sels usés dont ils se servent contre la défense, que pour empêcher le mêlange des sardines de mauvaise qualité, ou de celles qui sont surannées, qu'ils mettent au milieu de leurs barrils, & qu'il n'est pas possible de vérifier quand une fois ils sont pressés ; elle mettra aussi en réputation les marchands presseurs qui prépareront leurs salaisons loyales & marchandes, & empêche les commissionnaires d'être trompés comme ils le sont souvent, en contenant les presseurs, dont les fraudes se découvriront aisément.

Description de la pêche de la sardine à boiter & affarer à la rave, reve, rogue, ou résure, telle qu'elle se pratique aux côtes de Poitou. Cette pêche de la sardine ne se peut faire que de jour ; les pêcheurs n'ont ordinairement qu'un ret ou filet d'une seule piece, qui peut avoir dix-huit à vingt brasses de long quand il est monté, & vingt-cinq brasses non monté, parce que le haut est lâche & flotté, pour donner lieu aux sardines de mailler ; il a quatre brasses de chûte, il est amarré à l'arriere de la chaloupe, avec un cordage qui peut avoir quelques brasses au long du corps du bateau, à la tête du ret ; il est soutenu à fleur d'eau par les flottes du liege dont la tête est garnie, & le bas, pour le faire caler de sa hauteur, est chargé de plomb, de boules de terre cuite, ou de pierres percées ; à mesure qu'il y a du poisson maillé dans le ret, les pêcheurs s'en apperçoivent aisément, par le liege qui plonge ; le maître de la chaloupe est placé à l'arriere pour boiter la sardine, en semant la rave avec une cuilliere ; les autres pêcheurs soutiennent à la marée, avec deux, quatre ou six avirons, suivant la force du vent, ou de la dérive des courans ; la sardine se maille dans le ret en montant du fond pour venir gober l'appât de la rave, ou résure.

Les pêcheurs relevent leurs rets d'heure en heure, plus tôt ou plus tard, quand ils s'apperçoivent qu'il y a du poisson de pris.

Les vents les meilleurs pour faire cette pêche aux côtes du Poitou, sont ceux des rumbs d'aval, qui amenent & poussent le poisson à la côte ; ceux d'est sont tout-à-fait contraires à la pêche, parce qu'ils chassent au large les sardines.

Les sardines du port des Sables sont plus petites que celles que l'on pêche au port de S. Gilles, où les sardines sont même plus grasses & meilleures, & où il n'est pas d'usage d'en faire aucune salaison, tout le poisson de la pêche se consommant à demi salé, dans le pays ; il s'en transporte quelquefois jusqu'à Orleans.

Les pêcheurs ont différentes especes de rets à sardines, comme ceux des sables d'Olone ; ils se servent des filets à plus larges mailles, à mesure qu'ils s'apperçoivent que les poissons des mattes, lites ou bouillons de sardines qui terrissent, sont de plus grosses pieces ; on change les rets alors, & communément ils en ont toujours à bord de deux diverses sortes, pour s'en servir suivant l'occurence ; les plus larges mailles sont celles dont on se sert ordinairement à la fin de la saison, le poisson augmentant à mesure qu'on s'en approche.

Les pêcheurs de S. Gilles ont de cinq especes de mailles à sardines ; les plus larges ont neuf lignes en quarré, celles qui suivent ont huit lignes, la troisieme sorte de mailles a sept lignes aussi en quarré, la quatrieme en a six, & les plus serrées, qui sont les dernieres, n'en ont au plus que cinq en quarré ; on ne charge le pié ou le bas de ces rets, qu'autant qu'il faut pour les faire seulement caler de leur hauteur, les flottes restant à fleur d'eau.


SARDINIERSS. m. pl. terme de pêche, rets à sardines. Voyez SARDINES.


SARDINSvoyez JARDINS & GALERIES.


SARDOS. m. (Diete) espece d'hydromel ou de liqueur fermentée, en usage chez les Ethiopiens & Abyssins. Pour la faire, on met cinq ou six parties d'eau contre une de miel ; on y joint une ou deux poignées de farine d'orge germé : ce qui occasionne une fermentation ; après quoi l'on y met quelques morceaux d'un bois qui a la propriété de faire disparoitre le goût doucereux & fade du miel ; par-là, cette liqueur devient, dit-on, assez agréable.


SARDOINES. f. (Hist. nat. Litholog.) pierre fine d'une couleur jaune, de la nature de l'agate ; elle a beaucoup de transparence, & elle varie pour le plus ou le moins de vivacité de sa couleur, qui est tantôt d'un jaune clair, tantôt d'un jaune plus foncé & tirant un peu sur le brun, tantôt plus ou moins pure & nette. La plûpart des auteurs ont confondu cette pierre avec la cornaline (carneolus), mais il paroît que c'est à tort, puisqu'il est, pour ainsi dire, de l'essence de la cornaline d'être rouge ; & c'est sur cette couleur qu'est fondée la dénomination qu'on lui donne, tandis que la sardoine est toujours jaune. Le nom de cette pierre vient, dit-on, de ce qu'on la trouvoit près de la ville de Sardes, dans l'Asie mineure, ou suivant d'autres, de l'île de Sardaigne, où l'on dit qu'il s'en rencontroit assez communément. Les anciens s'en servoient très-fréquemment pour graver des cachets ; cet usage n'est pas si commun chez les modernes ; on les grave plus ordinairement sur des cornalines. Il y a tout lieu de croire que c'étoit la sardoine que les anciens ont voulu désigner sous le nom de sarda & de sardion. Voyez l'article CORNALINE.

SARDOINE, (Mat. méd.) cette pierre a été mise par quelques anciens pharmacologistes au rang des pierres précieuses qu'ils ont cru douées de vertus médicamenteuses. Voyez FRAGMENS PRECIEUX. (b)


SARDONIEN RIS(Maladies) est le même que ris involontaire & convulsif ; cette épithete vient au mot ris de l'herba sardonia ou sardoa, qui n'est autre chose que le ranunculus palustris, apii folio laevis, qu'on dit exciter une espece de manie dans laquelle les joues sont retirées, de maniere que l'on diroit que le malade rit ; c'est de-là que vient l'expression proverbiale de ris sardonien pour ris forcé ; c'est avec raison qu'on le regarde comme un symptôme très-dangereux ; car il est suivi d'une mort subite & inattendue, déguisé sous la forme d'un ris faux & contre nature.

On tentera la guérison de ceux qui auront pris de cette herbe, d'abord par le vomissement, ensuite par l'hydromel, le lait, les fomentations, les embrocations & l'application d'onguent chaud sur tout le corps ; on ordonnera aussi des bains dans de l'eau & de l'huile chaude ; on fera oindre & frotter le corps après le bain. En général on se conduira en pareil cas comme dans les convulsions. On fera prendre aussi du castoreum seul ou dans du passum avec d'autres remedes analogues. Aëtius, tetrab. IV. serm. I. cap. lxvj. Actuarius & Paul Eginete l'ont copié mot-à-mot. Voyez l'article RIS.


SARDONYXS. f. (Hist. nat. Litholog.) c'est le nom d'une agate ou pierre fine de couleur jaune ou rouge, mêlée de parties brunes semblables à l'onyx. Voyez ONYX.


SARES. m. (Chronol. & Astronom. chaldéenne) les Chaldéens divisoient le tems en sares, en neres & en soses. Le sare, suivant Syncelle, marquoit trois mille six cent ans, le nere six cent, & le sose soixante ; il est certain que cette évaluation donneroit à la durée des premiers regnes un nombre infini d'années, chaque roi ayant regné plusieurs sares, & par conséquent il faut rejetter le calcul de Syncelle ; mais on pourroit regarder les sares comme des années de jours. Voyez Scaliger, Petau, & surtout l'histoire universelle donnée par une société de savans anglois.

Le sare astronomique paroit être la période de 223 lunaisons, qui suivant les astronomes babyloniens, donnoient le retour des éclipses semblables, au même lieu du ciel : ce qui supposoit que la lune se retrouvoit exactement au même point de son écliptique, & dans la même situation avec l'écliptique du soleil. M. Halley ayant eu la curiosité d'examiner si la période du sare astronomique avoit effectivement cette propriété, trouva que dans le cours des 223 lunaisons, la lune épuisoit toutes les variétés & toutes les inégalités que les astronomes supposent dans son mouvement. (D.J.)

SARE LA, ou SAARE, (Géog. mod.) en latin Saravus, riviere de Lorraine, la plus grosse de celles qui tombent dans la Moselle. Elle a deux sources dans la Lorraine allemande, un peu au-dessus de Salm ; & après s'être grossie des eaux de plusieurs ruisseaux qu'elle reçoit dans un cours d'environ trente lieues en Lorraine seule, elle finit par se jetter dans la Moselle, un peu au-dessus de Treves. (D.J.)


SAREPTA(Géog. anc.) ville des Sidoniens, dans la Phénicie, entre Tyr & Sidon, sur le bord de la mer Méditerranée. Pline & Etienne le géographe l'appellent Sarapta, & les Arabes Tzarphand. Josephe & les Grecs disent Sarephta ou Saraphta, & les Juifs Zarphat.

Le géographe arabe Scherif-Ibn-Idris la met à vingt milles de Tyr, & à dix milles de Sidon. Cette derniere étoit au nord, & Tyr au midi.

Sarepta est fameuse par la demeure qu'y fit le prophete Elie, chez une pauvre femme veuve, pendant que la famine desoloit le royaume d'Israel. On y montroit au tems de S. Jérôme, & encore long-tems depuis, le lieu où ce prophete avoit demeuré. C'étoit une petite tour. On bâtit dans la suite une église au même endroit, au milieu de la ville.

Le vin de Sarepta est connu chez les anciens, sous le nom de vinum sareptanum :

Et dulcia Bachi

Munera, quae Sarepta ferax, quae Gaza crearat.

Fortunat, dans la vie de S. Martin, dit :

Sareptae

Lucida perspicuis certantia vina capillis.

Et on lit dans Sidonius Apollinaris, carm. 17.

Vina mihi non sunt gazetica, chia, falerna,

Quaeque sareptano palmite missa bibas.

Fulgent. l. II. Mytholog. dit que les vins de Sarepta sont si fumeux, que les plus hardis buveurs n'en sauroient boire un setier en un mois. Or le setier, sextuarius, n'étoit que la pinte de Paris, selon Budée.

Sarepta n'est plus aujourd'hui qu'un méchant village que les Turcs nomment Sarphen. Sa situation est sur la croupe d'une petite montagne. L'ancienne Sarepta étoit beaucoup plus près du rivage, où l'on voit encore quelques fondemens à fleur de terre. Mais on a placé la moderne sur la montagne, à cause des ravages des pirates. Du tems que les chrétiens étoient maîtres de cette ville, il y avoit un évêque & une église bâtie en mémoire de S. Elie. Elle a été détruite par les Sarrasins ou par les Turcs, qui ont fait bâtir une mosquée à la place. (D.J.)


SARGANS(Géog. mod.) ville de Suisse, capitale du comté auquel elle donne son nom, avec un château où réside le bailli ; c'est une petite ville bâtie sur la croupe d'un monticule qui est une branche de la grande montagne nommée Shalberg. Les sept anciens cantons acheterent cette ville, ainsi que le comté en 1423. Long. 27. 12. latit. 47. 10. (D.J.)


SARGARAUSENA(Géog. anc.) contrée de la Cappadoce, à qui Ptolémée, l. V. c. vj. donne le titre de préfecture, & en indique les villes. (D.J.)


SARGASSOMER DE (Géog. mod.) ou mer de Sargaso, plage de l'Océan atlantique, à laquelle on donne environ 50 lieues d'orient en occident, & tout au moins 80 du septentrion au midi. Elle est entre les îles du cap Verd, les Canaries & les côtes d'Afrique ; ainsi elle s'étend depuis le vingtieme degré de latitude septentrionale, jusqu'au trente-quatrieme de latitude méridionale.

Cette mer a ceci de particulier, qu'étant fort profonde & éloignée de la terre ferme & des îles de 60 lieues, elle ressemble à un grand pré par la quantité d'herbes dont elle est couverte. Cette herbe est semblable au cresson aquatique, ou persil à petites feuilles, que les Portugais nomment sargazo, d'où est venu le nom de cette mer. Si quelque vaisseau s'y embarrasse, il n'en peut sortir que par un vent mediocrement fort, tant cette herbe est serrée. (D.J.)


SARGAZO(Bot.) s. f. espece de lentille de mer, nommée lenticula marina, serratis foliis, Park. Théatr. 1281 ; fucus folliculaceus serrato folio, C. B. P. 365. Raii hist. I. lxxij. Tourn. I. R. H. 568. Le nom de sargazo est portugais. Ce peuple appelle l'étendue de la mer qui est entre les îles du cap Verd, les Canaries & la Terre-Ferme d'Afrique, mar do sargazo, parce qu'elle est couverte de cette plante. Elle pousse plusieurs rameaux menus, gris, entortillés les uns avec les autres. Ses feuilles sont longues, minces, étroites, dentelées à leurs bords, de couleur rougeâtre, & d'un goût approchant de celui de la percepierre. Son fruit est une baie ronde, légere, vuide, & grosse comme un grain de poivre. (D.J.)


SARGEL(Géog. mod.) ville d'Afrique dans la province de Tremecen, au royaume de Maroc, sur la côte, entre Ténès & Alger, à huit lieues de cette derniere ville. Elle a été autrefois florissante ; mais aujourd'hui c'est une ville ruinée, avec un port qui n'est bon que pour de petits bâtimens. Long. 16. 22. latit. 33. 32. (D.J.)


SARGETIA(Géog. anc.) fleuve de la Dace, selon Dion Cassius, in Trajano. Ce fleuve arrosoit la ville Sarmizogoethusa, depuis nommée Ulpia-Trajana, & se jettoit ensuite dans le Rhabon. Le roi Décébalus avoit caché ses trésors dans un creux de ce fleuve, dont le nom moderne, à ce que dit Tzetzès, est Argentia ou Sargentia ; mais, selon Sambucus, les Hongrois le connoissent sous le nom de Sirel, & les Allemands sous celui d'Istrig. Ce sentiment est appuyé par Lazius, dans sa république romaine. (D.J.)


SARGOS. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) sargus ; poisson de mer fort ressemblant à la Daurade, mais plus rond. Voyez DAURADE. Il a le corps applati & épais ; ses écailles sont petites & d'une couleur argentée ; il y a sur les côtés du corps des traits noirs qui s'étendent depuis le dos presque jusqu'au ventre, & dont les uns ont plus de longueur & de largeur que les autres ; ces traits sont disposés de façon qu'il y en a alternativement un long & un court. Les yeux sont très-ronds ; les nageoires placées près des ouies & le bout de la queue, ont une couleur rougeâtre ; celles du ventre sont noires ; la nageoire qui s'étend depuis l'anus jusqu'à la queue est plus grande que dans la daurade. Il y a sur la queue une tache noire semblable à celle du sparaillon ; la nageoire de la queue est divisée en deux parties. Le sargo reste sur les rivages ; il fraye au printems & en automne ; les poissons de cette espece que l'on pêche dans les eaux pures & nettes sont meilleurs que ceux qui restent dans les endroits fangeux. En général la chair du sargo est dure, un peu seche, & très-nourrissante, mais moins bonne que celle de la daurade. On a aussi donné le nom de sargo à une espece de scare. Voyez SCARE. Rondelet, hist. nat. des poissons, I. part. liv. V. ch. v. Voyez POISSON.


SARGUEMINE(Géog. mod.) en allemand Guemund ; petite ville de la Lorraine allemande, sur la gauche de la Saare, entre Saralbe & Sarbruck, environ à trois lieues de chacune. Longit. 24. 46. latit. 49. 5. (D.J.)


SARIGANL'ISLE DE, (Géog. mod.) autrement l'île de Saint-Charles ; petite île de l'Archipel de Saint-Lazare, & l'une des Marianes, à six lieues de l'île de Guguan ; on lui donne douze milles de circuit. Latit. septent. 17. 35. (D.J.)


SARIGOYou CARIGNE, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) animal quadrupede du Brésil ; son poil est grisâtre ; il répand une odeur très - desagréable, ce qui vient, dit-on, de la graisse qu'il a sur les rognons ; si on l'ôte, sa chair est très-bonne à manger. On croit que c'est une espece de putois.


SARIPHESMONTS (Géog. anc.) Sariphi, montagnes d'Asie. Strabon, épitom. l. XI. pag. 1275, & Ptolémée, l. VI. c. x. s'accordent à dire que le fleuve Oxus prenoit sa source dans ces montagnes, qui étoient dans la Margiane. (D.J.)


SARISSESS. f. (Art milit.) piques dont les Grecs se servoient, & qui avoient plus de longueur que les nôtres. Voyez PIQUE & PHALANGE. (q)


SARLAT(Géog. mod.) ville de France dans le Périgord, à une lieue & demie de la rive droite de la Dordogne, à 10 lieues au sud-est de Périgueux, à 15 au nord-est de Cahors, à 125 de Paris. Il y a présidial, sénéchaussée, bailliage, élection, & un évêché d'un modique revenu ; il a été démembré de celui de Périgueux, suffragant de Bourdeaux, & fut érigé par le pape Jean XXII.

Cette ville doit son origine à une abbaye d'hommes, ordre de saint Benoît, fondée du tems de Charlemagne. Ses habitans sont très-pauvres, & n'ont d'autre commerce que l'huile de noix. Long. 18. 50. latit. 46. 6.

Trois gentilshommes, hommes de lettres, & c'est une chose rare dans ce royaume, MM. Amelin, de la Boëtie & de la Calprenede, sont nés à Sarlat.

Amelin (Jean d') a composé une histoire de France, & a publié une traduction de quelques livres de Tite-Live sur les guerres puniques. Cette version n'est pas mauvaise, outre que l'auteur a eu soin d'y marquer à la marge le nom moderne des villes, des rivieres & des provinces. Il vivoit sous le regne d'Henri II.

Boëtie (Etienne de la) mort en 1563 à 33 ans, a laissé un traité curieux, intitulé de la servitude volontaire, ouvrage qu'il fit à l'âge de 18 ans ; tout le monde le connoît, car il est imprimé à la suite des oeuvres de Montagne son intime ami.

Calprenede (Gautier de Coste sieur de la) naquit à deux lieues de Sarlat. Il servit d'abord cadet, ensuite officier dans le régiment des gardes, & devint enfin gentilhomme ordinaire du roi. Il mourut en 1661 d'un coup de tête que lui avoit donné son cheval, qu'il avoit relevé trop vivement dans un faux pas.

Il avoit dès sa jeunesse beaucoup de talens pour narrer agréablement. Aussi montoit-il assez volontiers étant cadet au régiment des gardes, dans la salle de l'appartement de la reine, où il débitoit plusieurs petites histoires agréables, qui attiroient du monde de l'un & l'autre sexe autour de lui. La reine se plaignant un jour à ses femmes de chambre de ce qu'elles ne se rendoient pas exactement à leur devoir, elles répondirent qu'il y avoit dans la premiere salle de son appartement, un jeune militaire qui contoit des histoires si amusantes, qu'on ne pouvoit se lasser de l'écouter. La reine voulut le voir, & elle fut si satisfaite de son esprit & de ses manieres, qu'elle lui donna une pension.

Il est auteur des tragédies de la mort de Mithridate, du comte d'Essex, de la mort des enfans d'Hérode, & de plusieurs autres. Elles eurent peu de succès. Le cardinal de Richelieu s'en étant fait lire une, dit que la piece étoit bonne, mais que les vers en étoient lâches. " Comment lâches ! s'écria la Calprenede, quand on lui rapporta la décision du cardinal ; cadedis, il n'y a rien de lâche dans la maison de la Calprenede ".

C'est à ses romans qu'il dut toute sa réputation dans le dernier siecle ; mais le nôtre ne la lui a pas confirmée. Le premier ouvrage qu'il publia en ce genre, est Cassandre : le second est Cléopatre, qu'il acheva en 1645. Le premier est plus intéressant, & le second plus varié pour les événemens. M. Despréaux cependant trouvoit que les caracteres s'y ressembloient trop, car c'est le roman de Cléopatre qu'il censure, quand il dit dans l'art poétique,

Souvent, sans y penser, un écrivain qui s'aime,

Forme tous ses héros semblables à soi-même ;

Tout a l'humeur gascone, en un auteur gascon ;

Calprenede & Juba parlent du même ton.

Il est certain que ces deux ouvrages sont écrits avec noblesse, mais avec beaucoup de négligence. Son dernier roman est Pharamond, dont il n'a travaillé que les sept premiers tomes. Comme il en vouloit faire son chef-d'oeuvre, il le composoit à loisir. Il est en effet mieux écrit, & conduit avec plus d'art que les deux autres. Vaumoriere l'a fini, mais il s'en faut beaucoup que la fin vaille le commencement.

La tragédie de Mithridate de la Calprenede fut représentée pour la premiere fois, le jour des rois 1635. A la fin de la piece Mithridate prend une coupe empoisonnée, & après avoir délibéré quelque tems, il dit en avalant le poison : mais c'est trop différer.... un plaisant du parterre acheva le vers, en criant à haute voix : le roi boit, le roi boit. (D.J.)


SARLOUIS(Géog. mod.) ville de France démembrée de la Lorraine sur la Saare, à quatre lieues de Sarbruck & à dix de Metz. Elle fut bâtie par Louis XIV. en 1680, & fortifiée à la maniere du maréchal de Vauban. Long. 24. 26. latit. 49. 20. (D.J.)


SARMALIAou SARMALIUS, ou SARMALIUM, (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans la Galatie, sur la route d'Ancyze à Tavia, selon l'itinéraire d'Antonin. (D.J.)


SARMAN(Géog. mod.) ville d'Afrique, dans la province de Tripoli, auprès & de la dépendance de l'ancienne ville de ce nom. Elle est habitée par des Béréberes ; mais il ne vient dans ses environs ni orge, ni blé, parce que tout est sable. (D.J.)


SARMANEou SHAMMANES, s. m. pl. (Hist. anc. & mod.) c'est ainsi que l'on nommoit des prêtres ou philosophes indiens, qui vivoient dans les déserts & les forêts. Suivant S. Clément d'Aléxandrie, les sarmanes n'habitoient jamais dans les villes, ni dans des maisons ; ils ne se nourrissoient que de fruits, ne buvoient que de l'eau, ne se vétissoient que d'écorces d'arbres, & gardoient le célibat.

Les sarmanes sont les mêmes hommes que Strabon a désignés sous le nom de germanes, qui étoient une espece de gymnosophistes différens des brachmanes. Les sarmanes étoient, suivant les Indiens du Malabar, les prêtres de l'Inde, avant les bramines, qui les chasserent du pays, les détruisirent & s'emparerent de leurs fonctions, parce qu'ils ne vouloient point admettre la divinité des dieux Vistnou & Issuren, non-plus que les livres de la théologie des Bramines qui sont parvenus à faire oublier entierement les sarmanes ou shammanes. Ces derniers regardoient comme leur législateur & leur dieu Butta, Budda ou Pouta, que l'on croit être le même que le Sommona-kodom des Siamois, qui est appellé Pontisat ou le seigneur Ponti, dans quelques endroits de l'Indostan. C'est ce dieu qui est aujourd'hui révéré dans le royaume de Laos.


SARMATEou SAUROMATES, s. f. plur. (Hist. anc.) nation nombreuse & belliqueuse, qui étoit divisée en plusieurs tribus. Leur pays appellé Sarmatie, se divisoit en Européenne & en Asiatique ; la premiere s'étendoit depuis la Vistule, jusqu'au Pont-Euxin, au Bosphore cimmérien, le Palus Méotide, & étoit séparée par le Tanaïs de la Sarmatie Asiatique ou Scythie. Ce vaste pays renfermoit ceux qui sont connus aujourd'hui sous le nom de Pologne, de Russie, & une partie de la Tartarie.

Les Sarmates commencerent à menacer l'empire romain en 63 sous l'empire de Néron ; ils furent défaits en plusieurs occasions par Marc-Aurele, par Carus, par Constantin, sous l'empire duquel ils furent chassés par leurs esclaves nommés Limigantes ; mais ils furent remis en possession par l'empereur Constance. En 358, en 407, ils firent une irruption dans les Gaules avec plusieurs autres nations barbares. Leur pays fut ensuite subjugué par les Huns sous Attila.


SARMATIE(Géog. anc.) Sarmatie, grande contrée, qui prise en général, renferme divers grands pays de l'Europe & de l'Asie. Les anciens la partageoient en deux parties, l'une appellée la Sarmatie Asiatique ; & l'autre Sarmatie Européenne. Le Bosphore Cimmérien, les Palus-Méotides & le Tanaïs, en faisoient la séparation.

1°. La Sarmatie asiatique, étoit terminée du côté du nord, selon Ptolémée, l. V. c. ix. par des terres inconnues ; au couchant, par la Sarmatie Européenne ; autrement par le Tanaïs, depuis sa source jusqu'à son embouchure dans les Palus-Méotides, & par le rivage oriental des Palus-Méotides, jusqu'au Bosphore Cimmérien ; au midi, partie par le Pont-Euxin, depuis le Bosphore Cimmérien jusqu'au fleuve Chorax ; partie par la Colchide, l'Ibérie & l'Albanie, en tirant une ligne droite, depuis le Chorax jusqu'à la côte de la mer Caspienne ; & à l'orient, par la Scythie en-deçà de l'Imaüs. Ptolémée vous donnera la description de cette Sarmatie. Tout ce pays étoit habité par un grand nombre de peuples, connus sous des noms différens.

2°. La Sarmatie européenne, étoit bornée au nord, selon Ptolémée, l. III. c. v. par l'Océan sarmatique, par le golfe Vénédique & par des terres inconnues ; à l'occident, par la Vistule & par les monts Sarmatiques ; au midi, par les Jazyges Métanastes, par la Dace jusqu'à l'embouchure du Boristhène, & de-là par le rivage du Pont-Euxin jusqu'au fleuve Carcinite ; & à l'orient, par l'isthme du fleuve Carcinite, par le Palus ou marais Byce, par le rivage du Palus-Méotide jusqu'à l'embouchure du Tanaïs, par ce fleuve, & au-delà par une ligne tirée vers le nord, au travers des terres inconnues. (D.J.)


SARMENIUS LAPIS(Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs à une pierre qui servoit à polir l'or, & à qui on attribuoit la vertu de prévenir les avortemens.


SARMENTS. m. (Jardinage) se dit des brindilles que poussent quelques végétaux & qu'on ne peut qualifier de branches. La vigne, la coulevrée sont de ce nombre.


SARNUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Campanie. Strabon, l. V. p. 24. & Pline, l. III. c. v. disent que ce fleuve arrosoit la ville de Pompeii, & c'est ce qui a été cause que Stace Silv. l. I. Carm. ij. v. 265. lui a donné le surnom de Pompejanus.

Nec Pompejanus placeant magis otia Sarni.

Silius Italicus donne au Sarnus l'épithete de mitis.

Sarrastes etiam populos, totasque videres

Sarni mitis opes.

Il exhalte les richesses du Sarnus, sans-doute, parce que c'étoit une riviere navigable. Quant aux peuples Sarrastes dont il parle, cette expression est prise de Virgile, où on lit Aeneid. l. VII. v. 738.

Sarrastes populos, & quae rigat aequora, Sarnus.

Sur quoi Servius remarque, que ces peuples étoient ainsi appellés du nom du fleuve Sarnus, sur les bords duquel ils habitoient. Le nom moderne du Sarnus, c'est Sarno. (D.J.)


SAROou SARONA, (Géog. sacrée) les interpretes de l'Ecriture distinguent trois cantons dans la Palestine nommés Saron. Le premier étoit entre le mont Thabor & la mer de Tibériade. Le second, entre la ville de Césarée & Joppé. Le troisieme étoit au-delà du Jourdain, & appartenoit à la tribu de Gad. Les cantons de ce nom étoient célebres dans le pays, pour leur agrément & leur fertilité ; car Isaïe dit comme en proverbe, la beauté du Carmel & du Saron. (D.J.)

SARON, s. m. (Mythol.) dieu particulier des matelots ; les Grecs par cette raison lui avoient donné le nom du bras de mer qui est proche de Corinthe ou du golfe Saronique. Ce Saron, divinité, n'est autre vraisemblablement que le prince dont parle Pausanias, in Corinth. & qui étoit roi de Corinthe. " Althépus, dit-il, fut le successeur de Saron, qui bâtit un temple à Diane Saronique dans un lieu nommé le marais Phabéen. Ce prince chassant sur le bord de la mer un cerf qui se mit à la nage, il le poursuivit de même ; mais épuisé de forces, & lassé de luter contre les flots, il se noya. Son corps fut apporté dans le bois sacré de Diane, & inhumé dans le parvis du temple ; cette aventure a été cause que le marais a changé de nom, & s'appelle le marais Saronique. " (D.J.)

SARON, (Géog. anc.) lieu du Péloponnèse, dans la contrée de Troezène, selon Etienne le géographe. Eustathe parle aussi du fleuve Saron qui étoit dans la même contrée, & qui, selon lui, avoit donné le nom au golfe Saronique. (D.J.)

SARON, (Géog. mod.) ville de Perse dans la province de Ghilan ; les géographes du pays, selon Tavernier, la mettent à 76. 20. de longitude, & à 36. 15. de latitude. (D.J.)


SARONIDESS. m. plur. (Hist. des Gaulois) druides du second ordre, autrement nommés Bardes ; ils jouoient des instrumens & chantoient à la tête des armées avant & après les combats, pour exciter & louer la valeur des soldats, ou blâmer ceux qui avoient trahi leur devoir. Le premier, & originairement l'unique collége des Saronides, étoit entre Chartres & Dreux ; c'étoit aussi le chef-lieu des druides, & l'on en voit encore des vestiges. (D.J.)


SARONIES(Mythol.) , fêtes que l'on célébroit tous les ans à Troezène en l'honneur de Diane Saronide, ainsi nommée de Saron, le troisieme roi de Troezène, qui bâtit un temple à la déesse, & institua la fête en son honneur. Potter, Archaeolog. graec. t. I. p. 439. (D.J.)


SARONIQUE, GOLFESaronicus sinus, (Géog. anc.) golfe au midi de l'Attique : ce golfe, selon Strabon, l. VIII. étoit appellé pont par quelques-uns, & détroit par d'autres ; ce qui fait, ajoute-t-il, qu'on l'appelle aussi mer Saronique, . Sa longueur se prenoit depuis Cenchrées jusqu'au promontoire Sunium ; & sa largeur ou son entrée, depuis ce promontoire jusqu'à celui du Péloponnèse, appellé Scyllaeum ; car Euripide Hippolyto, v. 1200. en parlant de Troezène, dit qu'elle étoit située sur la mer Saronique :


SAROSS. m. (Astron.) ou période chaldaïque, est un cycle qui contient 223 lunaisons. Cette période est de 18 ans, & d'environ 11 jours, & elle ramene les éclipses à-peu-près dans les mêmes points du ciel. M. Halley, après avoir restitué un passage de Pline, où il est parlé du saros chaldaïque, ou retour périodique des éclipses après 223 lunaisons, avoit fait usage de cette période des l'an 1684, pour en déduire les irrégularités du mouvement de la lune. Voyez LUNE, RESARE. (O)


SAROS LAPIS(Hist. nat. Litholog.) nom que Mercati donne à une pierre qui ressemble à un amas de plantes pétrifiées.


SAROZ(Géog. mod.) comté de la haute Hongrie, aux confins de la Pologne, qui le borne à l'orient septentrional. Il a les monts Krapach à l'orient, & les comtés de Scépus au couchant. (D.J.)


SARPEDON(Géog. anc.) promontoire de la Cilicie ; Strabon, l. XIV. p. 670. le met au voisinage de l'embouchure du fleuve Calycadnus ; Ptolémée, l. V. c. viij. qui le nomme Sarpedorum extrema, le marque sur la côte de la Cétide, entre Aphrodysia, & l'embouchure du Calycadnus.

Ce promontoire devint célebre par le traité de paix des Romains avec Antiochus ; c'est de lui qu'Apollon avoit pris le nom de Sarpedonius : il y avoit à Séleucie, selon Zosime, l. I. c. lvij. un temple d'Apollon Sarpédonien, & dans le temple un oracle. Strabon dit la même chose de Diane, sans néanmoins marquer que ce temple fût à Séleucie. Il y a aussi dans la Cilicie, dit-il, l. XIV. p. 676. un temple de Diane Sarpédonienne avec un oracle. (D.J.)


SARRASINvoyez BLE NOIR.

SARRASINS, ou SARASINS, & SARRAZINS, (Hist. mod.) peuples de l'Arabie, qui descendoient des Saraceni. Ils faisoient la principale force de l'armée de Mahomet, & ses successeurs acheverent par leur bravoure, les conquêtes que ce fondateur de la religion musulmane avoit commencées, & qu'il se proposoit de poursuivre quand il mourut en 633.

Les califes unissant comme lui l'autorité souveraine à la puissance pontificale, joignirent à l'Arabie déja conquise, le reste de la Palestine, la Syrie, l'Egypte, & la Perse.

Cet empire se démembra, & s'étendit dans la suite sous la puissance de divers conquérans. Les Turcs, peuple venu du Turkestan en Asie, après avoir embrassé la religion musulmane des Sarrasins, leur enleverent avec le tems de vastes pays, qui joints aux débris de Trébisonde & de Constantinople, ont formé l'empire ottoman : l'Egypte eut pour gouverneurs ses soudans particuliers.

Les Sarrasins qui avoient soumis les côtes de l'Afrique le long de la Méditerranée, furent appellés en Espagne par le comte Julien. On les nomme également Sarrasins à cause de leur origine, & Maures, parce qu'ils étoient établis dans les trois Mauritanies.

Le comte Julien étoit chez eux en ambassade, lorsque sa fille fut deshonorée par Rodrigue roi d'Espagne. Le comte outragé s'adressa à eux pour le venger, & commandés par un émir, ils conquirent toute l'Espagne, après avoir gagné en 714 la célebre bataille où Rodrigue perdit la vie. L'archevêque Opas prêta serment de fidélité aux Sarrasins, & conserva sous eux beaucoup d'autorité sur les églises chrétiennes que les vainqueurs tolérerent.

L'Espagne, à la réserve des cavernes & des roches de l'Asturie, fut soumise en 14 mois à l'empire des califes. Ensuite, sous Abdérame, vers l'an 734, d'autres Sarrasins subjuguerent la moitié de la France ; & quoique dans la suite ils furent affoiblis par les victoires de Charles Martel, & par leurs divisions, ils ne laisserent pas de conserver des places dans la Provence.

" En 828, les mêmes Sarrasins qui avoient subjugué l'Espagne, firent des incursions en Sicile, & desolerent cette île, sans que les empereurs grecs, ni ceux d'occident, pussent alors les en chasser. Ces conquérans alloient se rendre maîtres de l'Italie, s'ils avoient été unis ; mais leurs fautes sauverent Rome, comme celles des Carthaginois la sauverent autrefois.

Ils partent de Sicile en 846 avec une flotte nombreuse : ils entrent par l'embouchure du Tibre ; & ne trouvant qu'un pays presque desert, ils vont assiéger Rome. Ils prirent les dehors, & ayant pillé la riche église de saint Pierre hors des murs, ils leverent le siége pour aller combattre une armée de François qui venoit secourir Rome, sous un général de l'empereur Lothaire. L'armée françoise fut battue ; mais la ville rafraîchie fut manquée ; & cette expédition qui devoit être une conquête, ne devint par leur mesintelligence, qu'une simple incursion ".

Cependant ils étoient alors redoutables à-la-fois à Rome & à Constantinople ; maîtres de la Perse, de la Syrie, de l'Arabie, de toutes les côtes d'Afrique jusqu'au mont Atlas, & des trois quarts de l'Espagne. Il faut lire l'histoire de ces peuples & de leurs conquêtes par M. Ockley ; elle a été imprimée à Paris, en 1748, 2. vol. in -4°.

Ce que je ne puis m'empêcher de remarquer, c'est que cette nation ne songea pas plus tôt à devenir la maîtresse du monde ; qu'à l'exemple des autres, qui avant elle en avoient fait la conquête, elle se déclara d'une maniere particuliere en faveur des Sciences ; elle donna retraite aux Lettres chassées de Rome & d'Athènes. On cultiva la Philosophie dans les académies du Caire, de Constantine, de Sigilsmèse, de Bassora, d'Hubbede, de Fez, de Maroc, de Tunis, de Tripoli, d'Alexandrie, & de Coufah.

Malheureusement les Sarrasins l'avoient reçue fort altérée des mains des derniers interpretes, & ils n'étoient point en état de la rétablir dans son véritable sens. Ils y trouvoient trop d'obstacles, & dans leur langue, qui leur rendoit le tour des langues étrangeres difficile à entendre, & dans le caractere de leur génie, plus propre à courir après le merveilleux, ou à approfondir des subtilités, qu'à s'arrêter à des vérités solides.

Leur théologie rouloit sur des idées abstraites ; ils se perdoient dans leurs recherches profondes sur les noms de Dieu & des anges : ils tournoient en astrologie judiciaire, la connoissance qu'ils avoient du ciel : enfin, attachant des mysteres & des secrets à de simples symboles, ils croyoient posséder l'art de venir à bout de leurs desseins, par un usage arbitraire de lettres ou de nombres.

Les juifs jouirent en orient de la plus grande tolérance, sous la domination des Sarrasins. Persécutés par-tout ailleurs, ils avoient une ressource dans la bonté des califes, soit que les Mahométans usassent de cette indulgence, en considération de ce que leur prophete s'étoit servi d'un juif pour rédiger l'alcoran ; soit que ce fût un effet de la douceur qu'inspire naturellement l'amour des Lettres. Les juifs eurent la permission d'établir leurs académies de Frora & de Piendébita, au voisinage de Coufah & de Bagdat, où les princes Sarrasins tenoient successivement le siége de leur empire.

Ils emprunterent de leurs nouveaux maîtres l'usage de la Grammaire, & employerent alors la masore à l'exemple des Sarrasins, qui avoient ajouté des points à l'alcoran du tems d'Omar : ils firent aussi des traductions de livres arabes.

Enfin, comme les Sarrasins aimoient sur-tout l'Astronomie & la Médecine, les juifs s'appliquerent avec succès à ces deux sciences, qui ont été souvent depuis une source de gloire & de richesses pour plusieurs particuliers de cette nation. (Le chevalier DE JAUCOURT ).

SARRASINS ou ARABES, philosophie des, (Hist. de la Philosophie) voyez ce que nous en avons déja dit à l'article ARABES, où nous avons conduit l'histoire philosophique de ces peuples depuis sa premiere origine, jusqu'au tems de l'islamisme. C'est à ce moment que nous allons la reprendre. Les sciences s'éteignoient par-tout ; une longue suite de conquérans divers avoient bouleversé les empires subsistans, & laissé après eux l'ignorance & la misere ; les Chrétiens même s'étoient abrutis, lorsque les Sarrasins feuilleterent les livres d'Aristote, & releverent la Philosophie défaillante.

Les Arabes n'ont connu l'écriture que peu de tems avant la fondation de l'égire. Antérieurement à cette époque on peut les regarder comme des idolâtres grossiers, sur lesquels un homme qui avoit quelque éloquence naturelle pouvoit tout. Tels furent Sahan, Wayel, & sur-tout Kossus : ceux qu'ils désignerent par le titre de chated, étoient pâtres, astrologues, musiciens, médecins, poëtes, législateurs & prêtres ; caracteres qu'on ne trouve jamais réunis dans une même personne, que chez les peuples barbares & sauvages. Ouvrez les fastes des nations ; & lorsqu'ils vous entretiendront d'un homme chargé d'interpreter la volonté des dieux, de les invoquer dans les tems de calamités générales, de chanter les faits mémorables, d'ordonner des entreprises, d'infliger des châtimens, de décerner des récompenses, de prescrire des loix ecclésiastiques, politiques & civiles, de marquer des jours de repos & de travail, de lier ou d'absoudre, d'assembler ou de disperser, d'armer ou de desarmer, d'imposer les mains pour guérir ou pour exterminer ; concluez que c'est le tems de la profonde ignorance. A mesure que la lumiere s'accroîtra, vous verrez ces fonctions importantes se séparer ; un homme commandera ; un autre sacrifiera ; un troisieme guérira ; un quatrieme plus sacré les immortalisera par ses chants.

Les Arabes avoient peut-être avant l'islamisme quelques teintures de poésie & d'astrologie, telles qu'on peut les supposer à un peuple qui parle une langue fixée, mais qui ignore l'art d'écrire.

Ce fut un habitant d'Ambare, appellé Moramere, qui inventa les caracteres arabes peu de tems avant la naissance de Mahomet, & cette découverte demeura si secrette entre les mains des coraishites, qu'à peine se trouvoit-il quelqu'un qui sût lire l'alcoran lorsque les exemplaires commencerent à s'en multiplier. Alors la nation étoit partagée en deux classes, l'une d'érudits, qui savoient lire, & l'autre d'idiots. Les premiers résidoient à Médine, les seconds à la Mecque. Le saint prophete ne savoit ni lire ni écrire : de-là la haine des premiers musulmans contre toute espece de connoissance ; le mépris qui s'en est perpétué chez leurs successeurs ; & la plus longue durée garantie aux mensonges religieux dont ils sont entêtés.

Voyez à l'article ARABES ce qui concerne les Nomades & les Zabiens.

Mahomet fut si convaincu de l'incompatibilité de la Philosophie & de la Religion, qu'il décerna peine de mort contre celui qui s'appliqueroit aux arts libéraux : c'est le même pressentiment dans tous les tems & chez tous les peuples, qui a fait hasarder de décrier la raison.

Il étoit environné d'idolâtres, de zabiens, de juifs & de chrétiens. Les idolâtres ne tenoient à rien ; les zabiens étoient divisés ; les juifs misérables & méprisés ; & les chrétiens partagés en monophysites ou jacobites & orthodoxes, se déchiroient. Mahomet sut profiter de ces circonstances pour les amener tous à un culte qui ne leur laissoit que l'alternative de choisir de belles femmes, ou d'être exterminés.

Le peu de lumiere qui restoit s'affoiblit au milieu du tumulte des armes, & s'éteignit au sein de la volupté ; l'alcoran fut le seul livre ; on brûla les autres, ou parce qu'ils étoient superflus s'ils ne contenoient que ce qui est dans l'alcoran, ou parce qu'ils étoient pernicieux, s'ils contenoient quelque chose qui n'y fût pas. Ce fut le raisonnement d'après lequel un des généraux sarrazins fit chauffer pendant six mois les bains publics avec les précieux manuscrits de la bibliotheque d'Alexandrie. On peut regarder Mahomet comme le plus grand ennemi que la raison humaine ait eu. Il y avoit un siecle que sa religion étoit établie, & que ce furieux imposteur n'étoit plus, lorsqu'on entendoit des hommes remplis de son esprit s'écrier que Dieu puniroit le calife Al-mamon, pour avoir appellé les sciences dans ses états, au détriment de la sainte ignorance des fideles croyans ; & que si quelqu'un l'imitoit, il falloit l'empaler, & le porter ainsi de tribu en tribu, précédé d'un héraut qui diroit, voilà quelle a été & quelle sera la récompense de l'impie qui préférera la Philosophie à la tradition & au divin alcoran.

Les Ommiades qui gouvernerent jusqu'au milieu du second siecle de l'hégire, furent des défenseurs rigoureux de la loi de l'ignorance, & de la politique du saint prophete. L'aversion pour les Sciences & pour les Arts se ralentit un peu sous les Abassides. Au commencement du jx. siecle, Abul-Abbas Al-Mamon & ses successeurs, instituerent les pélerinages, éleverent des temples, prescrivirent des prieres publiques, & se montrerent si religieux, qu'ils purent accueillir la science & les savans sans s'exposer.

Le calife Walid défendit aux chrétiens l'usage de la langue grecque ; & cet ordre singulier donna lieu à quelques traductions d'auteurs étrangers en arabe.

Abug-Jaafar Al-mansor, son successeur, osa attacher auprès de lui un astrologue & deux médecins chrétiens, & étudier les Mathématiques & la Philosophie : on vit paroître sans scandale deux livres d'Homere traduits en syriaque, & quelques autres ouvrages.

Abug-Jaafar Haron Raschid marcha sur les traces d'Al-mansor, aima la poésie, proposa des récompenses aux hommes de lettres, & leur accorda une protection ouverte.

Ces souverains sont des exemples frappans de ce qu'un prince aimé de ses peuples peut entreprendre & exécuter. Il faut qu'on sache qu'il n'y a point de religion que les mahométans haïssent autant que la chrétienne ; que les savans que ces califes abassides rassemblerent autour d'eux, étoient presque tous chrétiens ; & que le peuple heureux sous leur gouvernement, ne songea pas à s'en offenser.

Mais le regne d'Al-Mamon, ou Abug Jaafar Abdallah, fut celui des Sciences, des Arts, & de la Philosophie ; il donna l'exemple, il s'instruisit. Ceux qui prétendoient à sa faveur, cultiverent les sciences. Il encouragea les Sarrasins à étudier ; il appella à sa cour ceux qui passoient pour versés dans la littérature grecque, juifs, chrétiens, arabes ou autres, sans aucune distinction de religion.

On sera peut-être surpris de voir un prince musulman fouler aux piés si fierement un des points les plus importans de la religion dominante ; mais il faut considérer que la plûpart des habitans de l'Arabie étoient chrétiens ; qu'ils exerçoient la Médecine, connoissance également utile au prince & au prêtre, au sujet hérétique & au sujet orthodoxe ; que le commerce qu'ils faisoient les rendoit importans ; & que malgré qu'ils en eussent, par une supériorité nécessaire des lumieres sur l'ignorance, les Sarrasins leur accordoient de l'estime & de la vénération. Philopone, philosophe aristotélicien, se fit respecter d'Amram, général d'Omar, au milieu du sac d'Alexandrie.

Jean Mesué fut versé dans la Philosophie, les Lettres & la Médecine ; il eut une école publique à Bagdat ; il fut protégé des califes, depuis Al-Rashide Al-Mamom, jusqu'à Al-Motawaccille ; il forma des disciples, parmi lesquels on nomme Honam Ebn Isaac, qui étoit arabe d'origine, chrétien de religion, & médecin de profession.

Honam traduisit les Grecs en arabe, commenta Euclide, expliqua l'almageste de Ptolémée, publia les livres d'Eginete, & la somme philosophique aristotélique de Nicolas, en syriaque, & fit connoître par extraits Hippocrate & Galien.

Les souverains font de l'esprit des peuples tout ce qu'il leur plaît ; au tems de Mesué, ces superstitieux musulmans, ces féroces contempteurs de la raison, voyoient sans chagrin une école publique de philosophie s'ouvrir à côté d'une mosquée.

Cependant les imprudens chrétiens attaquoient l'alcoran, les juifs s'en mocquoient, les philosophes le négligeoient, & les fideles croyans sentoient la nécessité de jour en jour plus urgente de recourir à quelques hommes instruits & persuadés, qui défendissent leur culte, & qui repoussassent les attaques de l'impiété. Cette nécessité les reconcilia encore avec l'érudition ; mais bientôt on attacha une foule de sens divers aux passages obscurs de l'alcoran ; l'un y vit une chose, un autre y vit une autre chose ; on disputa, & l'on se divisa en sectes qui se damnerent réciproquement. Cependant l'Arabie, la Syrie, la Perse, l'Egypte, se peuplerent de philosophes, & la lumiere échappée de ces contrées commença à poindre en Europe.

Les contemporains & les successeurs d'Al-mamon se conformerent à son goût pour les sciences ; elles furent cultivées jusqu'au moment où effrayées, elles s'enfuirent dans la Perse, dans la Scythie & la Tartarie, devant Tamerlan. Un second fléau succéda à ce premier ; les Turcs renverserent l'empire des Sarrasins, & la barbarie se renouvella avec ses ténébres.

Ces événemens qui abrutissoient des peuples, en civilisoient d'autres, les transmigrations forcées conduisirent quelques savans en Afrique & dans l'Espagne, & ces contrées s'éclairerent.

Après avoir suivi d'un coup-d'oeil rapide les révolutions de la science chez les Sarrasins, nous allons nous arrêter sur quelques détails.

Le mahométisme est divisé en plus de soixante & dix sectes : la diversité des opinions tombe particulierement sur l'unité de Dieu & ses attributs, ses decrets & son jugement, ses promesses & ses châtimens, la prophétie & les fonctions du sacerdoce : de-là les Hanifites, les Melkites, les Schafites, les Henbalites, les Mutazalites, &c.... & toutes ces distinctions extravagantes qui sont nées, qui naissent & qui naîtront dans tous les tems & chez tous les peuples où l'on appliquera les notions de la Philosophie aux dogmes de la Théologie. La fureur de concilier Aristote avec Mahomet, produisit parmi les musulmans les mêmes folies que la même fureur de concilier le même philosophe avec Jesus-Christ avoit produites ou produisit parmi les chrétiens ; ils eurent leur al-calam ou théosophie.

Dans les commencemens les musulmans prouvoient la divinité de l'alcoran avec un glaive bien tranchant : dans la suite, ils crurent devoir employer aussi la raison ; & ils eurent une philosophie & une théologie scholastique, & des molinistes & des jansénistes, & des déistes & des pyrrhoniens, & des athées & des sceptiques.

Alkindi naquit à Basra de parens illustres ; il fut chéri de Al-Mamon, de Al-Mosateme & de Ahmede ; il s'appliqua particulierement aux Mathématiques & à la Philosophie : Aristote étoit destiné à étouffer ce que la nature produiroit de génie chez presque tous les peuples ; Alkindi fut une de ses victimes parmi les Sarrasins. Après avoir perdu son tems aux cathégories, aux prédicamens, à l'art sophistique, il se tourna du côté de la Médecine avec le plus grand succès ; il ne négligea pas la philosophie naturelle ; ses découvertes le firent soupçonner de magie. Il avoit appliqué les Mathématiques à la Philosophie ; il appliqua la Philosophie à la Médecine ; il ne vit pas que les Mathématiques détruisoient les systèmes en Philosophie, & que la Philosophie les introduisoit en Médecine. Il fut eclectique en religion ; il montra bien à un interprete de la loi qui le déchiroit publiquement, & qui avoit même attenté à sa vie, la différence de la Philosophie & de la superstition ; il auroit pu le châtier, ou employer la faveur dont il jouissoit à la cour, & le perdre ; il se contenta de le reprimander doucement, & de lui dire : " ta religion te commande de m'ôter la vie, la mienne de te rendre meilleur si je puis : viens que je t'instruise, & tu me tueras après si tu veux ". Que pense-t-on qu'il apprit à ce prêtre fanatique ? l'Arithmétique & la Géométrie. Il n'en fallut pas davantage pour l'adoucir & le réformer ; c'est peut-être ainsi qu'il en faudroit user avec les peuples féroces, superstitieux & barbares. Faites précéder le missionnaire par un géométre ; qu'ils sachent combiner des vérités, & puis vous leur ferez combiner ensuite des idées plus difficiles.

Thabit suivit la méthode d'Alkindi ; il fut géométre, philosophe, théologien & médecin sous le calife Mootade. Il naquit l'an de l'hégire 221, & mourut l'an de la même époque 288.

Al-Farabe méprisa les dignités & la richesse, s'enfuit de la maison paternelle, & s'en alla entendre Mesué à Bagdad ; il s'occupa de la Dialectique, de la Physique, de la Métaphysique, & de la Politique ; il joignit à ces études celles de la Géométrie, de la Médecine, & de l'Astronomie, sans lesquelles on ne se distinguoit pas dans l'école de Mesué. Sa réputation parvint jusqu'à l'oreille des califes ; on l'appella ; on lui proposa des récompenses, mais rien ne lui parut préférable aux douceurs de la solitude & de la méditation ; il abandonna la cour au crime, à la volupté, à la fausseté, à l'ambition, au mensonge & à l'intrigue : celui-ci ne sut pas seulement de la philosophie, il fut philosophe ; une seule chose l'affligeoit, c'est la briéveté de la vie, l'infirmité de l'homme, ses besoins naturels, la difficulté de la science, & l'étendue de la nature. Il disoit, du pain d'orge, de l'eau d'un puits, un habit de laine ; & loin de moi ces joies trompeuses, qui finissent par des larmes. Il s'étoit attaché à Aristote ; il embrassa les mêmes objets. Ses ouvrages furent estimés des Arabes & des Juifs : ceux-ci les traduisirent dans leur langue. Il mourut l'an 339 de l'hégire, à l'âge de 80 ans.

Eschiari ou al-Asshari appliqua les principes de la philosophie péripatéticienne aux dogmes relevés de l'islamisme, fit une théologie nouvelle, & devint chef de la secte appellée de son nom des Assharites ; c'est un syncretisme théosophique. Il avoit été d'abord motazalite, & il étoit dans le sentiment que Dieu est nécessité de faire ce qu'il y a de mieux pour chaque être ; mais il quitta cette opinion.

Asshari, suivant à toute outrance les abstractions, distinctions, précisions aristotéliques, en vint à soutenir que l'existence de Dieu différoit de ses attributs.

Il ne vouloit pas qu'on instituât de comparaison entre le créateur & la créature. Maimonide qui vivoit au milieu de tous ces hérésiarques musulmans, dit qu'Aristote attribuoit la diversité des individus à l'accident, Asaria à la volonté, Mutazali à la sagesse ; & il ajoute pour nous autres Juifs, c'est une suite du mérite de chacun & de la raison générale des choses.

La doctrine d'Asshari fit les progrès les plus rapides. Elle trouva des sectateurs en Asie, en Afrique, & en Espagne. Ce fut le docteur orthodoxe par excellence. Le nom d'hérésiarque demeura aux autres théologiens. Si quelqu'un osoit accuser de fausseté le dogme d'Asshari, il encouroit peine de mort. Cependant il ne se soutint pas avec le même crédit en Asie & en Egypte. Il s'éteignit dans la plûpart des contrées au tems de la grande révolution ; mais il ne tarda pas à se renouveller, & c'est aujourd'hui la religion dominante ; on l'explique dans les écoles ; on l'enseigne aux enfans ; on l'a mise en vers, & je me souviens bien, dit Léon, qu'on me faisoit apprendre ces vers par coeur quand j'étois jeune.

Abul Hussein Essophi succéda à al-Asshari. Il naquit à Bagdad ; il y fut élevé ; il y apprit la philosophie & les mathématiques, deux sciences qu'on faisoit marcher ensemble & qu'il ne faudroit jamais séparer. Il posséda l'astronomie au point qu'on dit de lui, que la terre ne fut pas aussi-bien connue de Ptolémée que le ciel d'Essophi. Il imagina le premier un planisphere, où le mouvement des planetes étoit rapporté aux étoiles fixes. Il mourut l'an 383 de l'hégire.

Qui est-ce qui a parcouru l'histoire de la Médecine & qui ignore le nom de Rasès, ou al-Rase, ou abu-becre ? Il naquit à Rac, ville de Perse, d'où son pere l'emmena à Bagdad pour l'initier au commerce ; mais l'autorité ne subjugue pas le génie. Rasès étoit appellé par la nature à autre chose qu'à vendre ou acheter. Il prit quelque teinture de Médecine, & s'établit dans un hôpital. Il crut que c'étoit là le grand livre du médecin, & il crut bien. Il ne négligea pas l'érudition de la philosophie, ni celle de son art ; ce fut le Galien des Arabes. Il voyagea : il parcourut différens climats. Il conversa avec des hommes de toutes sortes de professions ; il écouta sans distinction quiconque pouvoit l'instruire ou des médicamens, ou des plantes, ou des métaux, ou des animaux, ou de la philosophie, ou de la chirurgie, ou de l'histoire naturelle, ou de la physique, ou de la chymie. Arnauld de Villeneuve disoit de lui : cet homme fut profond dans l'expérience, sûr dans le jugement, hardi dans la pratique, clair dans la spéculation. Son mérite fut connu d'Almansor qui l'appella en Espagne, où Rasès acquit des richesses immenses. Il devint aveugle à quatre-vingt ans, & mourut à Cordoue âgé de quatre-vingt-dix, l'an de l'hégire 101. Il laissa une multitude incroyable d'opuscules ; il nous en reste plusieurs.

Avicenne naquit à Bochara l'an 370 de l'hégire, d'un pere qui connut de bonne heure l'esprit excellent de son fils & le cultiva. Avicenne, à l'âge où les enfans bégayent encore, parloit distinctement d'arithmétique, de géométrie, & d'astronomie. Il fut instruit de l'islamisme dans la maison ; il alla à Bagdad étudier la médecine & la philosophie rationelle & expérimentale. J'ai pitié de la maniere dont nous employons le tems, quand je parcours la vie d'Avicenne. Les jours & les nuits ne lui suffisoient pas, il en trouvoit la durée trop courte. Il faut convenir que la nature leur avoit été bien ingrate, à lui & à ses contemporains, ou qu'elle nous a bien favorisés, si nous devenons plus savans au milieu du tumulte & des distractions, qu'ils ne l'ont été après leurs veilles, leurs peines, & leur assiduité. Son mérite le conduisit à la cour ; il y jouit de la plus grande considération, mais il ignoroit le sort qui l'attendoit. Il tomba tout-à-coup du faîte des honneurs & de la richesse au fond d'un cachot. Le sultan Jasochbagh avoit conféré le gouvernement de la contrée natale d'Avicenne à son neveu. Celui-ci s'étoit attaché notre philosophe en qualité de médecin, lorsque le sultan allarmé sur la conduite de son neveu, résolut de s'en défaire par le poison, & par la main d'Avicenne. Avicenne ne voulut ni manquer au maître qui l'avoit élevé, ni à celui qu'il servoit. Il garda le silence & ne commit point le crime ; mais le neveu de Josochbagh instruit avec le tems du projet atroce de son oncle, punit son médecin du secret qu'il lui en avoit fait. Sa prison dura deux ans. Sa conscience ne lui reprochoit rien, mais le peuple qui juge, comme on sait, le regardoit comme un monstre d'ingratitude. Il ne voyoit pas qu'un mot indiscret auroit armé les deux princes, & fait répandre des fleuves de sang. Avicenne fut un homme voluptueux ; il écouta le penchant qu'il avoit au plaisir, & ses excès furent suivis d'une dyssenterie qui l'emporta, l'an 428 de l'hégire. Lorsqu'il étoit entre la mort & la vie, les inhumains qui l'environnoient lui disoient : eh bien, grand médecin, que ne te guéris-tu ? Avicenne indigné se fit apporter un verre d'eau, y jetta un peu d'une poudre qui la glaça sur-le-champ, dicta son testament, prit son verre de glace, & mourut. Il laissa à son fils unique, Hali, homme qui s'est fait un nom dans l'histoire de la Médecine, une succession immense. Freind a dit d'Avicenne, qu'il avoit été louche en médecine & aveugle en philosophie ; ce jugement est sévere. D'autres prétendent que son Canon medicinae, prouve avec tous ses défauts, que ce fut un homme divin ; c'est aux gens de l'art à l'apprécier.

Sortis de l'Asie, nous allons entrer en Afrique & dans l'Europe, & passer chez les Maures. EsserephEssachalli, le premier qui se présente, naquit en Sicile ; ce fut un homme instruit & éloquent. Il eut les connoissances communes aux savans de son tems, mais il les surpassa dans la cosmographie. Il fut connu & protégé du comte Roger, qui préféroit la lecture du spatiatorium locorum d'Essachalli à celle de l'almageste de Ptolémée, parce que Ptolémée n'avoit traité que d'une partie de l'univers, & qu'Essachalli avoit embrassé l'univers entier. Ce philosophe se défit des biens qu'il tenoit de son souverain, renonça aux espérances qu'il pouvoit encore fonder sur sa libéralité, quitta la cour & la Sicile, & se retira dans la Mauritanie.

Thograi naquit à Ispahan. Il fut poëte, historien, orateur, philosophe, médécin & chymiste. Cet homme né malheureusement pour son bonheur, accablé des bienfaits de son maître, élevé à la seconde dignité de l'empire, toujours plus riche, plus considéré, & plus mécontent, n'ouvroit la bouche, ne prenoit la plume que pour se plaindre de la perversité du sort & de l'injustice des hommes ; c'étoit le sujet d'un poëme qu'il composoit lorsque le sultan son maître entra dans sa tente. Celui-ci, après en avoir lû quelques vers, lui dit : " Thograi, je vois que tu es mal avec toi-même ; écoute, & ressouviens-toi de ma prédiction. Je commande à la moitié de l'Asie ; tu es le premier d'un grand empire après moi ; le ciel a versé sur nous sa faveur, il ne dépend que de nous d'en jouir. Craignons qu'il ne punisse un jour notre ambition par quelques revers ; nous sommes des hommes, ne veuillons pas être des dieux ". Peu de tems après, le sultan, plus sage dans la spéculation que dans la pratique, fut jetté dans un cachot avec son ministre. Thograi fut mis à la question & dépouillé de ses trésors peu de tems après, & fut condamné de périr attaché à un arbre & percé de flèches. Ce supplice ne l'abbattit point. Il montra plus de courage qu'on n'en devoit attendre d'une ame que l'avarice avoit avilie. Il chanta des vers qu'il avoit composés ; brava la mort ; il insulta à ses ennemis, & s'offrit sans pâlir à leurs coups. On exerça la férocité jusque sur son cadavre, qui fut abandonné aux flammes. Il a écrit des commentaires historiques sur les choses d'Asie & de Perse, & il nous a laissé un ouvrage d'alchymie intitulé defloratio naturae. Il paroit s'être soustrait au joug de l'aristotélisme, pour s'attacher à la doctrine de Platon. Il avoit médité sa république. D'un grand nombre de poëmes dans lesquels il avoit célébré les hommes illustres de son tems, il ne nous en reste qu'un dont l'argument est moral.

L'histoire de la philosophie & de la médecine des Sarrasins d'Espagne nous offre d'abord les noms d'Avenzoar & d'Avenpas.

Avenzoar naquit à Séville ; il professa la Philosophie, & exerça la médecine avec un désintéressement digne d'éloge. Il soulageoit les malades indigens du salaire qu'il recevoit des riches. Il eut pour disciples Avenpas, Averroës & Rasis. Il bannit les hypothèses de la Médecine, & la ramena à l'expérience & à la raison. Il mourut l'an de l'hégire 1064.

Le médecin Avenpas fut une espece de théosophe. Sa philosophie le rendit suspect ; il fut emprisonné à Cordoue comme impie ou comme hérétique. Il y avoit alors un assez grand nombre d'hommes qui s'imaginant perfectionner la religion par la Philosophie, corrompoient l'une & l'autre. Cette manie qui se décéloit dans l'islamisme, devoit un jour se manifester avec une force bien autre dans le Christianisme. Elle prend son origine dans une sorte de pusillanimité religieuse très-naturelle. Avenpas mourut l'an 1025 de l'hégire.

Algazel s'illustra par son apologie du mahométisme contre le judaïsme & le Christianisme. Il professa la philosophie, la théologie & le droit islamitique à Bagdad. Jamais école ne fut plus nombreuse que la sienne. Riches, pauvres, magistrats, nobles, artisans, tous accoururent pour l'entendre. Mais un jour qu'on s'y attendoit le moins, notre professeur disparut. Il prit l'habit de pélerin ; il alla à la Mecque ; il parcourut l'Arabie, la Syrie & l'Egypte : il s'arrêta quelque tems au Caire pour y entendre Etartose, célebre théologien islamite. Du Caire il revint à Bagdad, où il mourut agé de 55 ans, l'an 1005 de l'hégire. Il étoit de la secte de Al-Asshari. Il écrivit de l'unité de Dieu contre les Chrétiens. Sa foi ne fut pas si aveugle qu'il n'eut le courage & la témérité de reprendre quelque chose dans l'alcoran ; ni si pure, qu'elle n'ait excité la calomnie des zélés de son tems. On loue l'élégance & la facilité de ses poëmes ; ils sont tous moraux. Après avoir exposé les systèmes des philosophes dans un premier ouvrage, intitulé, de opinionibus philosophorum, il travailla à les réfuter dans un second qu'il intitula, de destructione philosophorum.

Thophail, né à Séville, chercha à sortir des ruines de sa famille par ses talens. Il étudia la Médecine & la Philosophie ; il s'attacha à l'aristotélisme : il eut un tour poëtique dans l'esprit. Averroes fait grand cas de l'ouvrage où il introduit un homme abandonné dans un fort & nourri par une biche, s'élevant par les seules forces de la raison à la connoissance des choses naturelles & surnaturelles, à l'existence de Dieu, à l'immortalité de l'ame, & à la béatitude intuitive de Dieu après la mort. Cette fable s'est conservée jusqu'à nos jours ; elle n'a point été comprise dans la perte des livres qui a suivi l'expulsion des Maures hors de l'Espagne. Leibnitz l'a connue & admirée. Thophail mourut dans sa patrie l'an 1071 de l'égire.

Averroës fut disciple de Thophail. Cordoue fut sa patrie. Il eut des parens connus par leurs talens, & respectés par leurs postes. On dit que son aïeul entendit particulierement le droit mahométan, selon l'opinion de Malichi.

Pour se faire une idée de ce que c'est que le droit mahométan, il faut savoir 1°. que les disputes de religion chez les Musulmans, ont pour objet, ou les mots, ou les choses, & que les choses se divisent en articles de foi fondamentaux, & en articles de foi non fondamentaux ; 2°. que leurs lieux théologiques, sont la divine Ecriture ou l'alcoran ; l'assonnah ou la tradition ; le consentement & la raison. S'éleve-t-il un doute sur le licite ou l'illicite, on ouvre d'abord l'alcoran ; s'il ne s'y trouve aucun passage formel sur la question, on a recours à la tradition ; la tradition est-elle muette, on assemble des savans, & l'on compte les voix ; les sentimens sont-ils partagés, on consulte la raison. Le témoignage de la raison est le dernier auquel on s'en rapporte. Il y a plus ; les uns rejettent absolument l'autorité de la raison, tels sont les asphahanites ; d'autres la préferent aux opinions des docteurs, tels sont les hanifites ; il y en a qui balancent les motifs ; il y en a au contraire au jugement desquels rien ne prévaut sur un passage précis. Au reste, quelque parti que l'on prenne, on n'est accusé ni d'erreur, ni d'incrédulité. Entre ces casuistes, Malichi fut un des plus célebres. Son souverain s'adressa quelquefois à lui, mais la crainte ne le porta jamais à interprêter la loi au gré de la passion de l'homme puissant qui le consultoit. Le calife Rashid l'ayant invité à venir dans son palais instruire ses enfans, il lui répondit : " La science ne vient point à nous, mais allons à elle " ; & le sultan ordonna que ses enfans fussent conduits au temple avec les autres. L'approche de la mort, & des jugemens de Dieu lui rappella la multitude de ses décisions : il sentit alors tout le danger de la profession de casuiste ; il versa des larmes ameres en disant : " Eh, que ne m'a-t-on donné autant de coups de verges, que j'ai décidé de cas de conscience ? Dieu va donc comparer mes jugemens avec sa justice : je suis perdu ". Cependant ce docteur s'étoit montré en toute circonstance d'une équité & d'une circonspection peu commune.

Averroës embrassa l'assharisme. Il étudia la théologie & la philosophie scholastique, les mathématiques & la médecine. Il succéda à son pere dans les fonctions de juge & de grand-prêtre à Cordoue. Il fut appellé à la cour du calife Jacque Al-Mansor, qui le chargea de réformer les loix & la jurisprudence. Il s'acquitta dignement de cette commission importante. Al-Mansor, à qui il avoit présenté ses enfans, les chérit ; il demanda le plus jeune au pere, qui le lui refusa. Ce jeune homme aimoit le cherif & la cour. La maison paternelle lui devint odieuse ; il se détermina à la quitter, contre le sentiment de son pere, qui le maudit, & lui souhaita la mort.

Averroës jouissoit de la faveur du prince, & de la plus grande considération, lorsque l'envie & la calomnie s'attacherent à lui. Ses ennemis n'ignoroient pas combien il étoit aristotélicien, & l'incompatibilité de l'aristotélisme & de l'islamisme. Ils envoyerent leurs domestiques, leurs parens, leurs amis dans l'école d'Averroës. Ils se servirent ensuite de leur témoignage pour l'accuser d'impiété. On dressa une liste de différens articles mal-sonans, & on l'envoya, souscrite d'une multitude de noms, au prince Al-Mansor, qui dépouilla Averroës de ses biens, & le relégua parmi les Juifs. La persécution fut si violente qu'elle compromit ses amis. Averroës, à qui elle devint insupportable à la longue, chercha à s'y soustraire par la fuite ; mais il fut arrêté & jetté dans une prison. On assembla un concile pour le juger, & il fut condamné à paroître les vendredis à la porte du temple, la tête nue, & à souffrir toutes les ignominies qu'il plairoit au peuple de lui faire. Ceux qui entroient lui crachoient au visage, & les prêtres lui demandoient doucement : ne vous repentez-vous pas de vos hérésies ?

Après cette petite correction charitable & théologique, il fut renvoyé dans sa maison, où il vécut long-tems dans la misere & dans le mépris. Cependant un cri général s'éleva contre son successeur dans les fonctions de juge & de prêtre, homme dur, ignorant, injuste & violent. On redemanda Averroës. Al-Mansor consulta là-dessus les théologiens, qui répondirent que le souverain qui reprimoit un sujet, quand il lui plaisoit, pouvoit aussi le relever à son gré ; & Averroës retourna à Maroc, où il vécut assez tranquille & assez heureux.

Ce fut un homme sobre, laborieux & juste. Il ne prononça jamais la peine de mort contre aucun criminel. Il abandonna à son subalterne le jugement des affaires capitales. Il montra de la modestie dans ses fonctions, de la patience & de la fermeté dans ses peines. Il exerça la bienfaisance même envers ses ennemis. Ses amis s'offenserent quelquefois de cette préférence, & il leur répondoit : " C'est avec ses ennemis & non avec ses amis qu'on est bienfaisant : avec ses amis c'est un devoir qu'on remplit ; avec ses ennemis c'est une vertu qu'on exerce. Je dépense ma fortune comme mes parens l'ont acquise : je rends à la vertu ce qu'ils ont obtenu d'elle. La préférence dont mes amis se plaignent ne m'ôtera pas ceux qui m'aiment vraiment ; elle peut me ramener ceux qui me haïssent ". La faveur de la cour ne le corrompit point : il se conserva libre & honnête au milieu des grandeurs. Il fut d'un commerce facile & doux. Il souffrit moins dans sa disgrace de la perte de sa fortune, que des calomnies de l'injustice. Il s'attacha à la philosophie d'Aristote, mais il ne négligea pas Platon. Il défendit la cause de la raison contre Al-Gazel. Il étoit pieux ; & on n'entend pas trop comment il concilioit avec la religion sa doctrine de l'éternité du monde. Il a écrit de la Logique, de la Physique, de la Métaphysique, de la Morale, de la Politique, de l'Astronomie, de la Théologie, de la Rhétorique & de la Musique. Il croyoit à la possibilité de l'union de l'ame avec la Divinité dans ce monde. Personne ne fut aussi violemment attaqué de l'aristotélomanie, fanatisme qu'on ne conçoit pas dans un homme qui ne savoit pas un mot de grec, & qui ne jugeoit de cet auteur que sur de mauvaises traductions. Il professa la Médecine. A l'exemple de tous les philosophes de sa nation, il s'étoit fait un systême particulier de religion. Il disoit que le Christianisme ne convenoit qu'à des fous, le judaïsme qu'à des enfans, & le mahométisme qu'à des pourceaux. Il admettoit, avec Aristote, une ame universelle, dont la nôtre étoit une particule. A cette particule éternelle, immortelle, divine, il associoit un esprit sensitif, périssable & passager. Il accordoit aux animaux une puissance estimatrice qui les guidoit aveuglément à l'utile, que l'homme connoît par la raison. Il eut quelqu'idée du sensorium commun. Il a pu dire, sans s'entendre, mais sans se contredire, que l'ame de l'homme étoit mortelle & qu'elle étoit immortelle. Averroës mourut l'an de l'égire 1103.

Le philosophe Noimoddin obtint des Romains quelques marques de distinction, après la conquête de la Grèce ; mais il sentit bientôt l'embarras & le dégout des affaires publiques : il se renferma seul dans une petite maison, où il attendit en philosophe que son ame délogeât de son corps pour passer dans un autre ; car il paroît avoir eu quelque foi à la métempsycose.

Ibrin Al-Chatil Raisi, l'orateur de son siecle, fut théologien, philosophe, jurisconsulte & médecin. Ceux qui professoient à Bagdad l'accuserent d'hérésie, & le conduisirent dans une prison qui dura. Il y a long-tems qu'un hérétique est un homme qu'on veut perdre. Le prince, mieux instruit, lui rendit justice ; mais Raisi qui connoissoit apparemment l'opiniâtreté de la haine théologique, se réfugia au Caire, d'où la réputation d'Averroës l'appella en Espagne. Il partit précisément au moment où l'on exerçoit contre Averroës la même persécution qu'il avoit soufferte. La frayeur le saisit, & il s'en revint à Bagdad. Il suivit Abu-Habdilla dans ses disgraces. Il prononça à Fez un poëme si touchant sur les malheurs d'Habdilla, que le souverain & le peuple se déterminerent à le secourir. On passa en Espagne. On ramena les villes à l'autorité de leur maître. Hasis ennemi d'Habdilla fut renfermé dans la Castille, & celui-ci regna sur le reste de la contrée. Habdilla, tranquille sur le trône de Grenade, ne l'oublia pas ; mais Rasis préféra l'obscurité du séjour de Fez à celui de la cour d'Espagne. Le plus léger mécontentement efface auprès des grands la mémoire des plus grands services. Habdilla, qui lui devoit sa couronne, devint son ennemi. La conduite de ce prince envers notre philosophe est un tissu de faussetés & de cruautés, auxquelles on ne conçoit pas qu'un roi, qu'un homme puisse s'abaisser. Il employa l'artifice & les promesses pour l'attirer ; il médita de le faire périr dans une prison. Rasis lui échappa : il le fit redemander mort ou vif au souverain de Fez ; celui-ci le livra, à condition qu'on ne disposeroit point de sa vie. On manqua à cette promesse. On accusa Rasis de vol & d'hérésie : il fut mis à la question ; la violence des tourmens en arracherent l'aveu de crimes qu'il n'avoit point commis. Après l'avoir brisé, disloqué, on l'étouffa. On le poursuivit au-delà du tombeau : il fut exhumé, & l'on exerça contre son cadavre toutes sortes d'indignités. Tel fut le sort de cet homme à qui la nature avoit accordé l'art de peindre & d'émouvoir, talens qui devoient un jour servir si puissamment ses ennemis, & lui être si inutiles auprès d'eux. Il mourut l'an 1278 de l'égire.

Etosi, ainsi nommé de Tos sa patrie, fut ruiné dans le sac de cette ville par le tartare Holac. Il ne lui resta qu'un bien qu'on ne pouvoit lui enlever, la science & la sagesse. Holac le protégea dans la suite, se l'attacha, & l'envoya même, en qualité d'ambassadeur, au souverain de Bagdad, qui paya chérement le mépris qu'il fit de notre philosophe. Etosi fut aristotélicien. Il commenta la Logique de Rasis, & la Métaphysique d'Avicenne. Il mourut à Samrahand, en Asie, l'an 1179 de l'égire. On exige d'un philosophe ce qu'on pardonneroit à un homme ordinaire. Les Mahométans lui reprochent encore aujourd'hui de n'avoir point arrêté la vengeance terrible qu'Holac tira du calife de Bagdad. Falloit-il pour une petite insulte qu'un souverain & ses amis fussent foulés aux piés des chevaux, & que la terre bût le sang de quatre-vingt mille hommes ? Il est d'autant plus difficile d'écarter cette tache de la mémoire d'Etosi, qu'Holac fut un homme doux, ami de la science & des savans, & qui ne dédaigna pas de s'instruire sous Etosi.

Nasiroddin de Tus naquit l'an de l'égire 1097. Il étudia la Philosophie, & se livra de préférence aux Mathématiques & aux arts qui en dépendent. Il présida sur toutes les écoles du Mogol : il commenta Euclide & Ptolémée. Il observa le ciel : il dressa des tables astronomiques. Il s'appliqua à la Morale. Il écrivit un abrégé de l'Ethique de Platon & d'Aristote. Ses ouvrages furent également estimés des Turcs, des Arabes & des Tartares. Il inspira à ces derniers le goût de la science, qu'ils reçurent & qu'ils conserverent même au milieu du tumulte des armes. Holac, Ilechan, Kublat, Kanm & Tamerlan aimerent à conférer avec les hommes instruits.

Mais nous ne finirions point si nous nous étendions sur l'histoire des philosophes qui, moins célébres que les précédens, n'ont pas été sans nom dans les siecles qui ont suivi la fondation du mahométisme : tels sont parmi les Arabes, Matthieu-ebn-Junis, Afrihi, Al-Bazrani, Bachillani, Abulsaric, AbulChars, Ebn-Malca, Ebno'l Hosan, Abu'l Helme, Mogrebin, Ibnu-el-Baitar, qui a écrit des animaux, des plantes, des venins & des métaux ; Abdessalame qui fut soupçonné d'hérésie, & dont les ouvrages furent brûlés ; Said-ebn Hebatolla, Muhammed Tusius, Masisii, Joseph, Hasnum, Dacxub, Phacroddin, Noimoddin, Ettphtheseni, qui fut premier ministre de Tamerlan, philosophe & factieux ; Abul Hasan, Abu-Bahar, parmi les Maures ; Abumasar, astronome célébre ; Albatigne, Alfragan, Alchabit, Geber, un des peres de la Chymie ; Isaac-ben-Erram, qui disoit à Zaid son maître, qui lui avoit associé un autre médecin avec lequel il ne s'accordoit pas, que la contradiction de deux médecins étoit pire que la fievre tierce ; Esseram de Tolede, Abraham-ibnuSahel de Séville, qui s'amusa à composer des vers licencieux ; Aaron-ben-Senton, qui mécontenta les habitans de Fez, auxquels il commandoit pour Abdalla, & excita par sa sévérité leur révolte, dans laquelle il fut égorgé lui & le reste des Juifs.

Il suit de ce qui précede, qu'à proprement parler, les Arabes ou Sarrasins n'ont point eu de philosophe avant l'établissement de l'islamisme.

Que le Zabianisme, mêlange confus de différentes opinions empruntées des Perses, des Grecs, des Epyptiens, ne fut point un sistême de Théologie.

Que Mahomet fut un fanatique ennemi de la raison, qui ajusta comme il put ses sublimes rêveries, à quelques lambeaux arrachés des livres des juifs & des chrétiens, & qui mit le coûteau sur la gorge de ceux qui balancerent à regarder ses chapitres comme des ouvrages inspirés. Ses idées ne s'éleverent point au-dessus de l'Antropomorphisme.

Que le tems de la Philosophie ne commença que sous les Ommiades.

Qu'elle fit quelques progrès sous les Abassides.

Qu'alors on s'en servit pour pallier le ridicule de l'islamisme.

Que l'application de la Philosophie à la révélation engendra parmi les Musulmans une espece de théosophisme le plus détestable de tous les systêmes.

Que les esprits aux yeux desquels la Théologie & la Philosophie s'étoient dégradées par une association ridicule, inclinerent à l'Athéisme : tels furent les Zendekéens & les Dararianéens.

Qu'on en vit éclorre une foule de fanatiques, de sectaires & d'imposteurs.

Que bientôt on ne sut ni ce qui étoit vrai, ni ce qui étoit faux, & qu'on se jetta dans le Scepticisme.

Les Motasalites disoient : Dieu est juste & sage ; il n'est point l'auteur du mal : l'homme se rend lui-même bon ou méchant.

Les Al-Iobariens disoient : l'homme n'est pas libre, Dieu produit en lui tout ce qu'il fait : il est le seul être qui agisse. Nous ne sommes pas moins nécessités que la pierre qui tombe & que l'eau qui coule.

Les Al-Naiarianens disoient que Dieu à la vérité saisoit le bien & le mal, l'honnête & le deshonnête ; mais que l'homme libre s'approprioit ce qui lui convenoit.

Les Al-Assharites rapportoient tout à l'idée de l'harmonie universelle.

Que l'attachement servile à la philosophie d'Aristote, étouffa tout ce qu'il y eut de bons esprits parmi les Sarrasins.

Qu'avec cela ils ne posséderent en aucun tems quelque traduction fidele de ce philosophe.

Et que la Philosophie qui passa des écoles arabes dans celles des chrétiens, ne pouvoit que retarder le progrès de la connoissance parmi ces derniers.

De la théologie naturelle des Sarrasins. Ces peuples suivirent la philosophie d'Aristote ; ils perdirent des siecles à disputer des catégories, du syllogisme, de l'analytique, des topiques, de l'art sophistique. Or nous n'avons que trop parlé des sentimens de ces anciens. Voyez les articles ARISTOTELISME & PERIPATETICIEN. Nous allons donc exposer les principaux axiomes de la théologie naturelle des Sarrasins.

Dieu a tout fait & réparé ; il est assis sur un trône de force & de gloire : rien ne résiste à sa volonté.

Dieu, quant à son essence, est un, il n'a point de collegue ; singulier, il n'a point de pareil ; uniforme, il n'a point de contraire ; séparé, il n'a point d'intime ; ancien, il n'a rien d'antérieur ; éternel, il n'a point eu de commencement ; perdurable, il n'aura point de fin ; constant, il ne cesse point d'être, il sera dans tous les siecles des siecles orné de ses glorieux attributs.

Dieu n'est soumis à aucun decret qui lui donne des limites, ou qui lui prescrive une fin ; il est le premier & le dernier terme ; il est au-dehors & en-dedans.

Dieu, élevé au-dessus de tout, n'est point un corps ; il n'a pas de forme, & n'est pas une substance circonscrite, une mesure déterminée ; les corps peuvent se mesurer & se diviser. Dieu ne ressemble point aux corps. Il semble, d'après ce principe, que les Musulmans ne sont ni antropomorphites, ni matérialistes : mais il y a des sectes qui s'attachant plus littéralement à l'alcoran, donnent à Dieu des yeux, des piés, des mains, des membres, une tête, un corps. Reste à savoir s'il n'en est pas d'elles, comme des juifs & de nous : celui qui voudroit juger de nos sentimens sur Dieu par les expressions de nos livres, & par les nôtres, se tromperoit grossierement. Il n'y a aucun de nos théologiens qui s'en tienne assez ouvertement à la lettre, pour rendre Dieu corporel ; & s'il reste encore parmi les fideles quelques personnes qui, accoutumées à s'en faire une image, voyent l'éternel sous la forme d'un vieillard vénérable avec une longue barbe, elles ont été mal instruites, elles n'ont point entendu leur catéchisme ; elles imaginent Dieu comme il est représenté dans les morceaux de peinture qui décorent nos temples, & qui peut-être sont le premier germe de cette espece de corruption.

Dieu n'est point une substance, & il n'y a point de substance en lui ; ce n'est point un accident, & il n'y a point en lui d'accident ; il ne ressemble à rien de ce qui existe, ni rien de ce qui existe ne lui ressemble.

Il n'y a en Dieu ni quantité, ni termes, ni limites, ni position différente ; les cieux ne l'environnent point ; s'il est dit qu'il est assis sur un trône, c'est d'une maniere & sous une acception qui ne marque ni contact, ni forme, ni situation, ni existence en un lieu déterminé, ni mouvement local. Son trône ne le soutient point ; mais il est soutenu avec tout ce qui l'environne par la bonté de sa puissance. Son trône est par-tout, parce qu'il regne par-tout. Sa main est par-tout, parce qu'il commande en tous lieux. Il n'est ni plus éloigné, ni plus voisin du ciel que de la terre.

Il est en tout ; il est plus proche de l'homme que ses veines jugulaires ; il est présent à tout ; il est témoin de tout ce qui se passe ; sa proximité des choses n'a rien de commun avec la proximité des choses entr'elles ; ce sont deux essences, deux existences, deux présences différentes.

Il n'existe en quoi que ce soit, ni quoi que ce soit en lui ; il n'est le sujet de rien.

Il est immense, & l'espace ne le comprend pas ; il est très-saint, & le tems ne le limite pas. Il étoit avant le tems & l'espace, & il est à présent comme il a été de toute éternité.

Dieu est distingué de la créature par ses attributs ; il n'y a dans son essence que lui ; il n'y a dans les autres choses que son essence.

Sa sainteté ou perfection exclut de sa nature toute idée de changement & de translation ; il n'y a point en lui d'accident ; il n'est point sujet à la contingence ; il est lui dans tous les siecles ; exempt de dissolution, quant aux attributs de sa gloire ; exempt d'accroissement, quant aux attributs de sa perfection.

Il est de foi que Dieu existe présent à l'entendement & aux yeux pour les saints & les bienheureux ; dont il fait ainsi le bonheur dans la demeure éternelle, où il leur accorde de contempler sa face glorieuse.

Dieu est vivant, fort, puissant, supérieur à tout ; il n'est sujet ni à excès, ni à impuissance, ni au sommeil, ni à la veille, ni à la vieillesse, ni à la mort.

C'est lui qui commande & qui regne, qui veut & qui peut ; c'est de lui qu'est la souveraineté & la victoire, l'ordre & la création.

Il tient les cieux dans sa droite ; les créatures sont dans la paume de sa main ; il a notifié son excellence & son unité par l'oeuvre de la création.

Les hommes & leurs oeuvres sont de lui ; il a marqué leurs limites.

Le possible est en sa main ; ce qu'il peut ne se compte pas ; ce qu'il sait ne se comprend pas.

Il sait tout ce qui peut être su ; il comprend, il voit tout ce qui se fait des extrêmités de la terre jusqu'au haut des cieux ; il suit la trace d'un atome dans le vuide ; il est présent au mouvement délié de la pensée ; le mouvement le plus secret du coeur ne lui est pas caché ; il sait d'une science antique qui fut son attribut de toute éternité, & non d'une science nouvelle qu'il ait acquise dans le tems. La charge de l'univers est moins par rapport à lui, que celle d'une fourmi par rapport à l'étendue & à la masse de l'univers.

Dieu veut ce qui est ; il a disposé à l'événement ce qui se fera ; il n'y a par rapport à sa puissance ni peu ni beaucoup, ni petitesse ni grandeur, ni bien ni mal, ni foi ni incrédulité, ni science ni ignorance, ni bonheur ni malheur, ni jouissance ni privation, ni accroissement ni diminution, ni obéissance ni révolte, si ce n'est par un jugement déterminé, un décret, une sentence, un acte de sa volonté.

Ce fatalisme est l'opinion dominante des Musulmans. Ils accordent tout à la puissance de Dieu, rien à la liberté de l'homme.

Ce que Dieu veut, est ; ce qu'il ne veut pas, n'est pas ; le clin de l'oeil, l'essor de la pensée sont par sa volonté.

C'est lui par qui les choses ont commencé, qui les a ordonnées, qui les réordonnera ; c'est lui qui fait ce qu'il lui plaît, dont la sentence est irrévocable, dont rien ne retarde ou n'avance le décret, à la puissance duquel rien ne se soustrait, qui ne souffre point de rebelles, qui n'en trouve point, qui les empêche par sa miséricorde, ou qui les permet par sa puissance ; c'est de son amour & de sa volonté que l'homme tient la faculté de lui obéir, de le servir. Que les hommes, les démons & les anges se rassemblent, qu'ils combinent toutes leurs forces ; s'ils ont mis un atome en mouvement, ou arrêté un atome mû, c'est qu'il l'aura voulu.

Entre les attributs qui constituent l'essence de Dieu, il faut sur-tout considérer la volonté ; il a voulu de toute éternité que ce qui est fût ; il en a vu le moment, & les existences n'ont ni précédé ce moment, ni suivi ; elles se sont conformé à sa science, à son décret, sans délai, sans précipitation, sans désordre.

Il voit, il entend : rien n'est loin de son oreille, quelque foible qu'il soit ; rien n'est loin de sa vûe, quelque petit qu'il soit. Il n'y a point de distance pour son ouïe, ni de ténebres pour ses yeux. Il est sans organes, cependant il a toutes sensations ; comme il connoît sans coeur, il exécute sans membres, il crée sans instrument ; il n'y a rien d'analogue à lui dans la créature.

Il parle, il ordonne, il défend, il promet, il menace d'une voix éternelle, antique, partie de son essence. Mais son idiome n'a rien de commun avec les langues humaines. Sa voix ne ressemble point à la nôtre : il n'y a ni ondulation d'air, ni collision de corps, ni mouvement de levres, ni lettres, ni caracteres ; c'est la loi, c'est l'alcoran, c'est l'Evangile, c'est le pseautier, c'est son esprit qui est descendu sur ses apôtres, qui ont été les interprêtes entre lui & nous.

Tout ce qui existe hors de Dieu est son oeuvre, émané de sa justice de la maniere la plus parfaite & la meilleure.

Il est sage dans ses oeuvres, juste dans ses décrets, comment pourroit-il être accusé d'injustice ? Ce ne pourroit être que par un autre être qui auroit quelque droit de juger de l'administration des choses, & cet être n'est pas.

D'où l'on voit que les Musulmans n'établissent aucune liaison entre le créateur & la créature ; que tout se rapporte à lui seul ; qu'il est juste, parce qu'il est tout-puissant ; que l'idée de son équité n'a peut-être rien de commun avec la nôtre ; & que nous ne savons précisément par quels principes nous serons jugés à son tribunal bons ou méchans. Qu'est-ce qu'un être passager d'un moment, d'un point, devant un être éternel, immense, infini, tout-puissant ? moins que la fourmi devant nous. Qu'on imagine ce que les hommes seroient pour un de leurs semblables, si l'existence éternelle étoit seulement assûrée à cet être ? Croit-on qu'il eût quelque scrupule d'immoler à sa félicité tout ce qui pourroit s'y opposer ? Croit-on qu'il balançât de dire à celui qui deviendroit sa victime : qu'êtes-vous par rapport à moi ? Dans un moment il ne s'agira plus de vous, vous ne souffrirez plus, vous ne serez plus : moi, je suis, & je serai toujours. Quel rapport de votre bien-être au mien ! Je ne vous dois qu'à proportion de votre durée comparée à la mienne. Il s'agit d'une éternité pour moi, d'un instant pour vous. Je me dois en raison de ce que vous êtes, & de ce que je suis : voilà la base de toute justice. Souffrez donc, mourez, périssez, sans vous plaindre. Or quelle distance encore plus grande d'un Dieu qui auroit accordé l'éternité à sa créature, à cette créature éternelle, que de cette créature éternelle à nous ? Combien ne lui resteroit-il pas d'infirmités qui rapprocheroient sa condition de la nôtre, tandis qu'il n'auroit qu'un seul attribut qui rendroit sa condition comparable à celle de Dieu. Un seul attribut divin, supposé dans un homme, suffit donc pour anéantir entre cet homme & ses pareils toute notion de justice. Rien par rapport à cet homme hypothétique, que sommes-nous donc par rapport à Dieu ? Il n'y a que le brachmane qui a craint d'écraser la fourmi qui puisse lui dire ; ô Dieu, pardonne-moi ; si j'ai fait descendre l'idée de ma justice jusqu'à la fourmi, j'ai pu la faire aussi remonter jusqu'à toi. Traite-moi comme j'ai traité le plus foible de mes inférieurs.

Les génies, les hommes, les démons, les anges, le ciel, la terre, les animaux, les plantes, la substance, l'accident, l'intelligible, le sensible, tout a commencé, excepté Dieu. Il a tiré tout du néant, ou de la pure privation : rien n'étoit ; lui seul a toujours été.

Il n'avoit besoin de rien. S'il a créé, ce n'est pas qu'il ne pût se passer des créatures. Il a voulu qu'elles fussent pour que sa volonté se fît, sa puissance se manifestât, la vérité de sa parole s'accomplît. Il ne remplit point un devoir ; il ne céda point à une nécessité ; il ne satisfit point à un sentiment de justice ; il n'étoit obligé à rien envers quelqu'être que ce fût. S'il a fait aux êtres la condition dont ils jouissent, c'est qu'il l'a voulu. Il pourroit accabler l'homme de souffrances, sans qu'il pût en être accusé. S'il en a usé autrement, c'est bienveillance, c'est bonté, c'est grace. O homme, remercie-le donc du bien qu'il t'a départi gratuitement, & soumets-toi sans murmurer à la peine.

S'il récompense un jour ceux qui l'auront aimé & imité, cette récompense ne sera point le prix du mérite, une indemnité, une compensation, une reconnoissance nécessaire. Ce sera l'accomplissement de sa parole, la suite de son pacte qui fut libre. Il pouvoit créer, ne se point obliger, disposer de nous à son gré, & cela sans cesser d'être juste. Qu'y a-t-il de commun entre nous & lui ?

Il faut avouer que les Musulmans ont de hautes idées de la nature de Dieu ; & que Leibnitz avoit raison de dire, que le Christianisme ne s'étoit élevé à rien de plus sublime.

De la doctrine des musulmans sur les anges & sur l'ame de l'homme. Ils disent :

Les anges sont les ministres de Dieu ; ils n'ont point péché ; ils sont proches de leur souverain ; il commande, & ils lui obéissent.

Ce sont des corps subtils, saints, formés de lumieres ; ils ne courent point ; ils ne mangent point ; ils ne dorment point ; ils n'ont point de sexe ; ils n'ont ni pere, ni mere, ni appétit charnel.

Ils ont différentes formes, selon les fonctions auxquelles ils sont destinés. Il y en a qui sont debout ; d'autres sont inclinés ; d'autres assis ; d'autres prosternés ; les uns prient, les autres chantent ; les uns célébrent Dieu par des louanges ; les autres implorent sa miséricorde pour les pécheurs ; tous l'adorent.

Il faut croire aux anges, quoiqu'on en ignore & les noms & les ordres. Il faut les aimer. La foi l'ordonne. Celui qui les néglige est un infidele.

Celui qui n'y croit pas, qui ne les aime pas, qui ne les revere pas, qui les suppose de différens sexes, est un infidele.

L'ame de l'homme est immortelle. La mort est la dissolution du corps & le sommeil de l'ame. Ce sommeil cessera.

Ce sentiment n'est pas général. Les Al-sharestans & les Al-assharites regardent l'ame comme un accident périssable.

Lorsque l'homme est déposé dans le tombeau, deux anges terribles le visitent ; ils s'appellent Moncar & Nacir. Ils l'interrogent sur sa croyance & sur ses oeuvres. S'il répond bien, ils lui permettent de reposer mollement ; s'il répond mal, ils le tourmentent en le frappant à grands coups de masses de fer.

Ce jugement du sépulcre n'est pas dans l'alcoran ; mais c'est un point de tradition pieuse.

La main de l'ange de mort, qui s'appelle Azariel, reçoit l'ame au sortir du corps ; & si elle a été fidele, il la confie à deux anges qui la conduisent au ciel, où son mérite désigne sa place, ou entre les prophêtes, ou entre les martyrs, ou parmi le commun des fideles.

Les ames au sortir du corps descendent dans l'albazach. C'est un lieu placé entre ce monde & le monde futur, où elles attendent la résurrection.

L'ame ne ressuscite pas seule. Le corps ressuscite aussi. L'alcoran dit, qui est-ce qui pourra ressusciter les os dissous ? qui est-ce qui rassemblera leurs particules éparses ? Celui qui les a formés, lorsqu'ils n'étoient rien.

Au jour du jugement, Dieu rassemblera & les hommes & les génies qui ont été. Il les examinera, il accordera le ciel aux bons. Les méchans seront envoyés à la gêne.

Entre les méchans ceux qui auront reconnu l'unité de Dieu, sortiront du feu, après avoir expié leurs fautes.

Il n'y a point de damnation éternelle pour celui qui a cru en un seul Dieu.

De la physique & de la métaphysique des Sarrasins. C'est l'aristotélisme ajouté aux préjugés religieux, une théosophie islamitique ; Thophail admet les quatre qualités des Péripatéticiens, l'humide & le sec, le froid & le chaud. C'est de leur combinaison qu'il déduit l'origine des choses ; l'ame a, selon lui, trois facultés ; la végétative, la sensitive & la naturelle ; il y a trois principes, la matiere, la forme & la privation ; les deux premiers sont de l'essence ; la puissance & la raison des existences ; le mouvement est l'acte de la puissance, en tant que puissance. Le progrès du mouvement n'est point infini ; il se résout à un premier moteur immobile, un, éternel, invisible, sans quantité & sans matiere. Il y a des corps simples ; il y en a de composés ; ils sont mus en ligne droite ou circulaire. Il n'y a que quatre élémens. Le ciel est un, il est simple, exempt de génération & de corruption. Il se meut circulairement. Il n'y a point de corps infini. Le monde est fini, cependant éternel. Les corps célestes ont un cinquieme élément particulier. Plus une sphere est voisine du premier moteur, plus elle est parfaite, plus son mouvement est rapide. Les élémens sont des corps simples, dans lesquels les composés se résolvent. Il y en a de légers qui tendent en haut, & de graves qui tendent en bas. C'est leur tendance opposée qui cause l'altération & le changement des corps. L'ame végétative préside à la végétation, la sensitive aux sens, la rationelle à la raison. L'entendement est ou actif ou passif. L'entendement actif est éternel, immortel, loin de tout commerce avec le corps ; le passif est ou théorétique ou pratique. La mort est l'extinction de la chaleur naturelle. La vie est l'équilibre de la chaleur naturelle & de l'humide vital. Tous les êtres sont par la matiere & par la forme. On ne peut définir que les composés ; la matiere & la forme ne s'engendrent point. Il y a des puissances douées de la raison ; il y en a qui en sont privées. Personne ne juge mal de ce qui ne change point. L'unité est l'opposé de la multitude. Il y a trois sortes de substances, les unes qui périssent, comme les plantes & les animaux ; d'autres qui ne périssent point, comme le ciel ; de troisiemes qui sont éternelles & immobiles. Il y a un mouvement éternel. Il y a donc des substances éternelles. Elles sont immatérielles. Elles se meuvent de toute éternité d'un mouvement actuel. Le premier moteur meut toutes les autres intelligences. Cette cause premiere du mouvement ne change point. Elle est par elle-même. C'est Dieu, être éternel, immobile, insensible, indivisible, infiniment puissant, infiniment heureux dans sa propre contemplation. Il y a sous Dieu des substances motrices des spheres. Ce sont des esprits. Elles ont leurs fonctions particulieres, &c....

De la physique & de la métaphysique de Thophail. Il peut y avoir dans quelque contrée saine & tempérée placée sous la ligne équinoxiale ou ailleurs des hommes vraiment autochtones, naissant de la terre, sans pere & sans mere, par la seule influence de la lumiere & du ciel.

Cette génération spontanée sera l'effet d'une fermentation du limon, continuée pendant des siecles, jusqu'au moment où il s'établit un équilibre fécond entre le froid & le chaud, l'humide & le sec.

Dans une masse considérable de ce limon ainsi fécondé, il y aura des parties où l'équilibre des qualités ou la température sera plus parfaite, où la disposition à la formation du mixte sera plus grande. Ces parties appartiendront à la nature animale ou humaine.

La matiere s'agitera ; il s'y formera des bulles ; elle deviendra visqueuse ; les bulles seront partagées au-dedans d'elles-mêmes en deux capacités séparées par un voile léger ; un air subtil y circulera ; une température égale s'y établira ; l'esprit envoyé par Dieu s'y insinuera & s'y unira, & le tout sera vivant.

L'union de l'esprit avec la matiere prédisposée à le recevoir sera si intime qu'on ne pourra le séparer.

L'esprit vivifiant émane incessamment de Dieu. La lumiere qui s'élance continuellement du soleil, sans l'épuiser, en est un image.

Il descend également sur toute la création ; mais il ne se manifeste pas également en tout lieu. Toutes les parties de l'univers ne sont pas également disposées à le faire valoir. De-là les êtres inanimés qui n'ont pas de vie ; les plantes où l'on apperçoit quelques symptomes de sa présence ; les animaux où il a un caractere plus évident.

Entre les animaux, il y en a qui ont avec lui une affinité particuliere ; une organisation plus analogue à sa forme ; dont le corps est, pour ainsi dire, une image de l'esprit qui doit l'animer. Tel est l'homme.

Si cette analogie de l'esprit & de la forme prédomine dans un homme, ce sera un prophête.

Aussitôt que l'esprit s'est uni à sa demeure, il se soumet toutes les facultés ; elles lui obéissent ; Dieu a voulu qu'il en disposât.

Alors il se forme une autre bulle divisée en trois capacités séparées chacune par des cloisons, des fibres, des canaux déliés. Un air subtil, assez semblable à celui qui remplissoit les capacités de la premiere bulle, remplit les capacités de celle-ci.

Chacune de ces capacités contient des qualités qui lui sont propres ; elles s'y exercent, & ce qu'elles produisent de grand ou de petit est transmis à l'esprit vivifiant qui a son ventricule particulier.

Aux environs de ce ventricule, il naît une troisieme bulle. Cette bulle est aussi remplie d'une substance aérienne, mais plus grossiere. Elle a ses capacités. Ce sont des réservoirs des facultés subalternes.

Ces réservoirs communiquent entr'eux & s'entretiennent. Mais ils sont tous subordonnés au premier, à celui de l'esprit, excepté dans les fonctions des membres qui se formeront, & auxquels ils présideront avec souveraineté.

Le premier des membres c'est le coeur. Sa figure est conique ; c'est l'effet de celle que l'esprit ou la flamme affecte. C'est par la même raison que la membrane forte qui l'environne suit la même configuration. Sa chair est solide. Il est conservé par une enveloppe épaisse.

La chaleur dissout les humeurs & les dissipe. Il falloit que quelques organes les réparassent. Il falloit que ces organes sentissent ce qui leur étoit propre, & l'attirassent ; ce qui leur étoit contraire, & le repoussassent.

Deux membres ont été formés à cette fin, avec les facultés convenables. L'un préside aux sensations, c'est le cerveau ; l'autre à la nutrition, c'est le foie.

Il étoit nécessaire qu'ils communiquassent entr'eux & avec le coeur. De-là les arteres, les veines & la multitude de canaux, les uns étroits, les autres larges, qui s'y rendent & qui s'en distribuent.

C'est ainsi que le germe se forme, que l'embryon s'accroît, & qu'il se perfectionne jusqu'au moment de la naissance.

Lorsque l'homme est parfait, les tégumens du limon se déchirent, comme dans les douleurs de l'enfantement ; la terre aride environnante s'entr'ouvre, & la génération spontanée s'acheve.

La nature a refusé à l'homme ce qu'elle a accordé aux bêtes ; elle lui a fait des besoins particuliers. De-là l'invention des vêtemens & d'autres arts.

Ses mains ont été les sources les plus fécondes de ses connoissances. C'est de-là que lui est venue la connoissance de sa force & de sa supériorité sur les animaux.

L'exercice des sens ne se fait pas sans obstacle. Il a fallu les lever.

Lorsque l'action des sens est suspendue, & que le mouvement cesse dans l'animal, sans qu'il y ait aucun obstacle extérieur, aucun vice interne, l'animal continue de vivre. Il faut donc chercher en lui quelque organe sans le secours duquel les autres ne puissent vaquer à leurs fonctions. Cet organe est le coeur.

Lorsque l'animal est mort, lorsque la vie n'y est plus, sans qu'on remarque dans sa configuration & dans ses organes aucun dérangement qui en anéantisse les opérations, il faut en conclure qu'il y a un principe particulier & antérieur dont toute l'économie dépendoit.

Lorsque ce principe s'est retiré, l'animal restant entier ; quelle apparence qu'il revienne, l'animal étant détruit ?

Il y a donc deux choses dans l'animal, le principe par lequel il vit, & le corps qui sert d'instrument au principe. La partie noble c'est le principe ; le corps est la partie vile.

Il faut le déposer dans le tems, lorsque le principe vivifiant s'en est retiré. Un être vraiment étonnant, précieux & digne d'admiration, c'est le feu.

Sa force est surprenante ; ses effets prodigieux ; la chaleur du coeur ne permet pas de douter que le feu n'anime cet organe, & ne soit le principe de son action.

La chaleur subsiste dans l'animal, tant qu'il vit ; elle n'est dans aucune partie aussi grande qu'au coeur. A la mort, elle cesse. L'animal est froid.

Cette vapeur humide & chaude du coeur qui fait le mouvement dans l'animal, est sa vie.

Malgré la multitude & la diversité des parties dont l'animal est composé ; il est un relativement à l'esprit. L'esprit y occupe un point central d'où il commande à toute l'organisation.

L'esprit est un. Il communique avec les membres par des fibres & des canaux. Coupez, anéantissez, embarrassez la communication de l'esprit à un membre & ce membre sera paralysé.

Le coeur envoie l'esprit au cerveau ; le cerveau le distribue dans les arteres. Le cerveau abonde en esprit. Il en est un réservoir.

Si par quelque cause que ce soit, un organe est privé d'esprit, son action cesse. C'est un instrument inutile & abject.

Si l'esprit s'échappe de tout le corps ; s'il se consume en entier, ou s'il se dissout, le corps reste sans mouvement ; il est dans l'état de mort.

De la comparaison de l'homme avec les autres êtres, il suit qu'ils ont des qualités communes & des qualités différentes. Qu'ils sont uns dans les convenances ; variés & plusieurs, dans les disconvenances.

Le premier coup d'oeil que nous jettons sur les propriétés des choses, nous instruit de toute la richesse de la nature.

Si l'esprit est un, le corps est un relativement à la continuité & à son économie. C'est un même organe qui a différentes fonctions sur sa longueur, selon le plus ou le moins d'énergie de l'esprit.

Il y a aussi une sorte d'unité sous laquelle on peut considérer tous les animaux ; même organisation, même sens, même mouvement, même fonction, même vie, même esprit.

L'esprit est un, les coeurs sont différens. La différence est dans les vaisseaux & non dans la liqueur.

L'espece est une. Les individus différens ; mais cette différence est semblable à celle des membres, qui n'empêche point la personne d'être une.

Il y a dans toute espece d'animaux la sensation, la nutrition & le mouvement spontané. Ces fonctions communes sont propres à l'esprit ; les autres fonctions diverses dans les différentes especes d'animaux lui appartiennent moins spécialement.

L'esprit est un dans tout le genre animal, quoiqu'il y ait quelque différence légere dans ses fonctions, d'une espece d'animaux à une autre. Le genre animal est un.

Quelque diversité que nous remarquions dans le port, la tige, les branches, les fleurs, les feuilles, les fruits, les semences des plantes, elles vivent, elles croissent, elles se nourrissent de même. Le genre en est un.

Le genre animal & le genre végétal ont des qualités communes, telles que l'accroissement & la nutrition. Les animaux sentent, conçoivent ; les plantes ne sont pas tout-à-fait privées de ces qualités. On peut donc renfermer par la pensée ces deux genres & n'en faire qu'un.

Les pierres, la terre, l'eau, l'air, le feu, en un mot tous les corps qui n'ont ni sentiment, ni accroissement, ni nutrition, ne different entr'eux que comme les colorés & les non-colorés, les chauds & les froids, les ronds & les quarrés. Mais ce qui est chaud peut se refroidir, ce qui est froid se rechauffer, ce qui est coloré s'obscurcir, ce qui est obscur se colorer ; les eaux se changent en vapeurs, les vapeurs se remettent en eau ; ainsi, malgré l'apparence de la diversité il y a unité.

Mais c'est la diversité des organes qui fait la diversité des actions ; les actions ne sont point essentielles ; appliquez le principe de l'action de la même maniere, & vous aurez les mêmes actions ; appliquez-le diversement vous aurez des actions différentes ; mais tous les êtres étant convertibles les uns dans les autres, il n'y a que le principe de l'action qui soit un. Il est commun à tous les êtres, animés ou inanimés, vivans ou brutes, mus ou en repos.

Toute cette variété répandue dans l'univers disparoit donc aux yeux de l'homme attentif. Tout se reduit à l'unité.

Entre les qualités des corps naturels, les premieres qu'on remarque ce sont la tendance en haut dans les uns, tels que l'air, le feu, la fumée, la flamme ; & la tendance en bas dans les autres, tels que l'eau, la terre, les pierres.

Il n'y en a point qui soit absolument privé de l'un & de l'autre de ses mouvemens, ou parfaitement en repos, à moins qu'un obstacle ne l'arrête.

La pesanteur & la légereté ne sont pas des qualités des corps comme tels ; sans quoi il n'y auroit point de grave qui n'eût quelque légereté, ni de léger qui n'eût quelque pesanteur. La pesanteur & la légereté sont donc de quelque chose surajoutée à la notion de corporéité.

L'essence des graves & des légers est donc composée de deux notions ; l'une commune, c'est la corporéité ; l'autre différente, c'est ce qui constitue grave le corps grave, & léger le corps léger.

Mais cela n'est pas vrai seulement des graves & des légers, mais de tout en général. L'essence est une notion composée de la corporéité & de quelque chose sur-ajoutée à cette qualité.

L'esprit animal qui réside dans le coeur, a nécessairement quelque chose de sur-ajouté à sa corporéité, qui le rend propre à ses fonctions admirables : c'est la notion de ce quelque chose qui constitue sa forme & sa différence : c'est par elle qu'il est ame animale ou sensitive.

Ce qui opere dans les plantes les effets de la chaleur radicale dans les animaux, s'appelle ame végétative.

Ces qualités sur-ajoutées ou formes se distinguent par leurs effets.

Elles ne tombent pas toujours sous les sens. La raison les soupçonne.

La nature d'un corps animé, c'est le principe particulier de ce qu'il est, & de ce qui s'y opere.

L'essence même de l'esprit consiste dans quelque chose de sur-ajouté à la notion de corporéité.

Il y a une forme générale & commune à tous les êtres dans laquelle ils conviennent, & d'où émanent une ou plusieurs actions ; outre cette forme commune & générale, un grand nombre ont une forme commune particuliere sur-ajoutée, d'où émanent une ou plusieurs actions particulieres à cette forme sur-ajoutée. Outre cette premiere forme sur-ajoutée, un grand nombre de ceux auxquels elle est commune, en ont une seconde sur-ajoutée particuliere d'où émanent une ou plusieurs actions particulieres à cette seconde forme sur-ajoutée. Outre cette seconde forme sur-ajoutée, un grand nombre de ceux à qui elle est commune, en ont une troisieme particuliere sur-ajoutée d'où émane une ou plusieurs actions particulieres à cette troisieme forme surajoutée, & ainsi de suite.

Ainsi les corps terrestres sont graves, & tombent. Entre les corps graves & qui tombent, il y en a qui se nourrissent & s'accroissent. Entre les corps graves & qui tombent, & qui se nourrissent & s'accroissent, il y en a qui sentent & se meuvent. Entre les corps graves & qui tombent, & qui se nourrissent & s'accroissent, & qui sentent & se meuvent, il y en a qui pensent.

Ainsi toute espece particuliere d'animaux a une propriété commune avec d'autres especes, & une propriété sur-ajoutée qui la distingue.

Les corps sensibles qui remplissent dans ce monde le lien de la génération & de la corruption, ont plus ou moins de qualités sur-ajoutées à celle de la corporéité, & la notion en est plus ou moins composée.

Plus les actions sont variées, plus la notion est composée, & plus il y a de qualités sur-ajoutées à la corporéité.

L'eau a peu d'actions propres à sa forme d'eau. Ainsi la notion ni la composition ne supposent pas beaucoup de qualités sur-ajoutées.

Il en est de même de la terre & du feu.

Il y a dans la terre des parties plus simples que d'autres.

L'air, l'eau, la terre, & le feu se convertissant les uns dans les autres, il faut qu'il y ait une qualité commune. C'est la corporéité.

Il faut que la corporéité n'ait par elle-même rien de ce qui caractérise chaque élément. Ainsi elle ne suppose ni pesanteur ni légéreté, ni chaleur ni froid, ni humidité ni sécheresse. Il n'y a aucune de ces qualités qui soit commune à tous les corps. Il n'y en a aucune qui soit du corps en tant que corps.

Si l'on cherche la forme sur-ajoutée à la corporéité qui soit commune à tous les êtres animés ou inanimés, on n'en trouvera point d'autre que l'étendue conçue sous les trois dimensions. Cette notion est donc du corps comme corps.

Il n'y a aucun corps dont l'existence se manifeste aux sens par la seule qualité d'étendue sur-ajoutée à celle de corporéité ; il y en a une troisieme surajoutée.

La notion de l'étendue suppose la notion d'un sujet de l'étendue : ainsi l'étendue & le corps different.

La notion du corps est composée de la notion de la corporéité & de la notion de l'étendue. La corporéité est de la matiere ; l'étendue est de la forme. La corporéité est constante ; l'étendue est variable à l'infini.

Lorsque l'eau est dans l'état que sa forme exige, on y remarque un froid sensible, un penchant à descendre d'elle-même ; deux qualités qu'on ne peut lui ôter sans détruire le principe de sa forme, sans en séparer la cause de sa maniere d'être aqueuse ; autrement, des propriétés essentielles à une forme pourroient émaner d'une autre.

Tout ce qui est produit, suppose un produisant ; ainsi d'un effet existant, il existe une cause efficiente.

Qu'est-ce que l'essence d'un corps ? C'est une disposition d'où procédent ses actions, ou une aptitude à y produire ses mouvemens.

Les actions des corps ne sont pas d'elles-mêmes, mais de la cause efficiente qui a produit dans les corps les attributs qu'ils ont, & d'où ces actions émanent.

Le ciel & toutes les étoiles sont des corps qui ont longueur, largeur & profondeur. Ces corps ne peuvent être infinis ; car la notion d'un corps infini est absurde.

Les corps célestes sont finis par le côté qu'ils nous présentent ; nous avons là-dessus le témoignage de nos sens. Il est impossible que par le côté opposé, ils s'étendent à l'infini. Car soient deux lignes paralleles tirées des extrêmités du corps, & s'enfonçant ou le suivant dans toute son extension à l'infini ; qu'on ôte à l'une de ces lignes une portion finie ; qu'on applique cette ligne moins cette portion coupée à la parallele qui est entiere, il arrivera de deux choses l'une ; ou qu'elles seront égales, ce qui est absurde, ou qu'elles seront inégales, ce qui est encore absurde ; à-moins qu'elles ne soient l'une & l'autre finies, & par conséquent le corps dont elles formoient deux côtés.

Les cieux se meuvent circulairement ; donc le ciel est sphérique.

La sphéricité du ciel est encore démontrée par l'égalité des dimensions des astres à leur lever, à leur midi & à leur coucher. Sans cette égalité, les astres seroient plus éloignés ou plus voisins dans un moment que dans un autre.

Les mouvemens célestes s'exécutent en plusieurs spheres contenues dans une sphere suprême qui les emporte toutes d'orient en occident dans l'intervalle d'un jour & d'une nuit.

Il faut considérer l'orbe céleste & tout ce qu'il contient, comme un systême composé de parties unies les unes aux autres, de maniere que la terre, l'eau, l'air, les plantes, les animaux & le reste des corps renfermé sous la limite de cet orbe, forment une espece d'animal dont les astres sont les organes de la sensation, dont les spheres particulieres sont les membres, dont les excrémens sont cause de la génération & de la corruption dans ce grand animal, comme on le remarque quelquefois, que les excrémens des petits produisent d'autres animaux.

Le monde est-il éternel, ou ne l'est-il pas ? C'est une question qui a ses preuves également fortes pour & contre.

Mais, quel que soit le sentiment qu'on suive, on dira : si le monde n'est pas éternel, il a une cause efficiente : cette cause efficiente ne peut tomber sous les sens, être matérielle ; autrement elle seroit partie du monde. Elle n'a donc ni l'étendue & les autres propriétés du corps ; elle ne peut donc agir sur le monde. Si le monde est éternel, le mouvement est éternel ; il n'y a jamais eu de repos. Mais tout mouvement suppose une cause motrice hors de lui : donc la cause motrice du monde seroit hors de lui ; il y auroit donc quelque chose d'abstrait, d'antérieur au monde, d'incomparable, & d'anomal à toutes les parties qui le composent.

L'essence de ce monde, relativement au moteur dont il reçoit son action, qui n'est point matériel, qui est un abstrait qui ne peut tomber sous le sens, qu'on ne peut s'imaginer, qui produit les mouvemens célestes sans différence, sans altération, sans relâche, est quelque chose d'analogue à ce moteur.

Toute substance corporelle a une forme, sans laquelle le corps ne peut ni être conçu ni être. Cette forme a une cause ; cette cause est Dieu : c'est par elle que les choses sont, subsistent, durent : sa puissance est infinie, quoique ce qui en dépend soit fini.

Il y a donc eu création. Il y a priorité d'origine, mais non de tems, entre le monde & la cause efficiente du monde. Au moment qu'on la conçoit, on peut la concevoir, disant que tout soit, & tout étant.

Sa puissance & sa sagesse, si évidentes dans son oeuvre, ne nous laissent aucun doute sur sa liberté, sa prévoyance & ses autres attributs : le poids de l'atome le plus petit lui est connu.

Les membres qu'il a donnés à l'animal, avec la faculté d'en user, annoncent sa munificence & sa miséricorde.

L'être le plus parfait de cet univers n'est rien en comparaison de son auteur. N'établissons point de rapports entre le créateur & la créature.

Le créateur est un être simple. Il n'y a en lui ni privation ni défaut. Son existence est nécessaire ; c'est la source de toutes les autres existences. Lui, lui ; tout périt excepté lui.

Le Dieu des choses est le seul digne objet de notre contemplation. Tout ce qui nous environne, nous ramene à cet être, & nous transporte du monde sensible dans le monde intelligible.

Les sens n'ont de rapport qu'au corps ; l'être qui est en nous, & par lequel nous atteignons à l'existence de la cause incorporelle, n'est donc pas corps.

Tout corps se dissout & se corrompt ; tout ce qui se corrompt & se dissout, est corps. L'ame incorporelle est donc indissoluble, incorruptible, immortelle.

Les facultés intelligentes le sont, ou en puissance ou en action.

Si une faculté intelligente conçoit un objet, elle en jouit à sa maniere ; & sa jouissance est d'autant plus exquise, que l'objet est plus parfait ; & lorsqu'elle en est privée, sa douleur est d'autant plus grande.

La somme des facultés intelligentes, l'essence de l'homme ou l'ame, c'est la même chose.

Si l'ame unie au corps n'a pas connu Dieu ; au sortir du corps, elle n'en peut jouir ; elle est étrangere au bonheur de posséder ou à la douleur d'être privée de la contemplation de l'être éternel ; que devient-elle donc ? Elle descend à l'état des brutes. Si l'ame unie au corps a connu Dieu, quand elle en sera séparée, devenue propre à la jouissance de cet astre par l'usage qu'elle auroit fait de ses sens & de ses facultés, lorsqu'elle les commandoit, elle sera ou tourmentée éternellement par la privation d'un bien infini qui lui est familier, ou éternellement heureuse par sa possession : c'est selon les oeuvres de l'homme en ce monde.

La vie de la brute se passe à satisfaire à ses besoins & à ses appétits. La brute ne connoît point Dieu ; après sa mort elle ne sera ni tourmentée par le desir d'en jouir, ni heureuse par sa jouissance.

L'incorruptibilité, la permanence, l'éclat, la durée, la constance du mouvement des astres, nous portent à croire qu'ils ont des ames, ou essences capables de s'élever à la connoissance de l'être nécessaire.

Entre les corps de ce monde corruptible, les uns ont la raison de leur essence dans certain nombre de qualités surajoutées à la corporéité, & ce nombre est plus ou moins grand ; les autres dans une seule qualité surajoutée à la corporéité, tels sont les élémens. Plus le nombre des qualités surajoutées à la corporéité est grand, plus le corps a d'action ; plus il a de vie. Le corps considéré sans aucune qualité surajoutée à la corporéité, c'est la matiere nue ; elle est morte. Ainsi voici donc l'ordre des vies, la matiere morte, les élémens, les plantes, les animaux. Les animaux ont plus d'actions, & conséquemment vivent plus qu'aucun autre être.

Entre les composés, il y en a où la coordination des élémens est si égale, que la force ou qualité d'aucun ne prédomine point sur la force ou qualité d'un autre. La vie de ces composés en est d'autant meilleure & plus parfaite.

L'esprit animal qui est dans le coeur est un composé de terre & d'eau très-subtile ; il est plus grossier que l'air & le feu ; sa température est très-égale ; sa forme est celle qui convient à l'animal. C'est un être moyen qui n'a rien de contraire à aucun élément : de tout ce qui existe dans ce monde corruptible, rien n'est mieux disposé à une vie parfaite. Sa nature est analogue à celle des corps célestes.

L'homme est donc un animal doué d'un esprit, d'une température égale & uniforme, semblable à celle des corps célestes, & supérieure à celle des autres animaux. Aussi est-il destiné à une autre fin. Son ame est sa portion la plus noble ; c'est par elle qu'il connoît l'être nécessaire. C'est quelque chose de divin, d'incorporel, d'inaltérable, d'incorruptible.

L'homme étant de la nature des corps célestes, il faut qu'il s'assimile à eux, qu'il prenne leurs qualités, & qu'il imite leurs actions.

L'homme est un de la nature de l'être nécessaire, il faut qu'il s'assimile à lui, qu'il prenne ses qualités, & qu'il imite ses actions.

Il représente toute l'espece animale par sa partie abjecte. Il subit dans ce monde corruptible le même sort que les animaux. Il faut qu'il boive, qu'il mange, qu'il s'accouple.

La nature ne lui a pas donné un corps sans dessein ; il faut qu'il le joigne & le conserve. Ce soin & cette conservation exigent de lui certaines actions correspondantes à celles des animaux.

Les actions de l'homme peuvent donc être considérées, ou comme imitatives de celles des brutes, ou comme imitatives de celles des corps célestes, ou comme imitatives de celles de l'être éternel. Elles sont toutes également nécessaires : les premieres, parce qu'il a un corps ; les secondes, parce qu'il a un esprit animal ; les troisiemes, parce qu'il a une ame ou essence propre.

La jouissance ou contemplation ininterrompue de l'être nécessaire, est la souveraine félicité de l'homme.

Les actions imitatives de la brute ou propres au corps, l'éloignent de ce bonheur ; cependant elles ne sont pas à négliger ; elles concourent à l'entretien & à la conservation de l'esprit animal.

Les actions imitatives des corps célestes ou propres à l'esprit animal, l'approchent de la vision béatifique.

Les actions imitatives de l'être nécessaire, ou propres à l'ame ou à l'essence de l'homme, lui acquierent vraiment ce bonheur.

D'où il s'ensuit qu'il ne faut vaquer aux premieres, qu'autant que le besoin ou la conservation de l'esprit animal l'exige. Il faut se nourrir, il faut se vêtir ; mais il y a des limites à ces soins.

Préférez entre ces alimens ceux qui vous distrairont le moins des actions imitatives de l'être nécessaire. Mangez la pulpe des fruits, & jettez-en les pepins dans un endroit où ils puissent germer. Ne reprenez des alimens qu'au moment où la défaillance des autres actions vous en avertira.

Vous n'imiterez bien les actions des corps célestes, qu'après les avoir étudiés & connus.

Les corps célestes sont lumineux, transparens, purs, mûs autour d'un centre ; ils ont de la chaleur ; ils obéissent à l'être nécessaire ; ils s'en occupent.

En vous conformant à leur bonté, vous ne blesserez ni les plantes, ni les animaux ; vous ne détruirez rien sans nécessité ; vous entretiendrez tout dans son état d'intégrité ; vous vous attacherez à écarter de vous toute souillure extérieure. Vous tournerez sur vous-même, d'un mouvement circulaire & rapide ; vous poursuivrez ce mouvement jusqu'à ce que le saint vertige vous saisisse : vous vous éleverez par la contemplation au-dessus des choses de la terre. Vous vous séparerez de vos sens ; vous fermerez vos yeux & vos oreilles aux objets extérieurs ; vous enchaînerez votre imagination ; vous tenterez tout pour vous aliéner & vous unir à l'être nécessaire. Le mouvement sur vous-même, en vous étourdissant, vous facilitera beaucoup cette pratique. Tournez donc sur vous-même, étourdissez-vous, procurez-vous le saint vertige.

Le saint vertige suspendra toutes les fonctions du corps & de l'esprit animal, vous réduira à votre essence, vous fera toucher à l'être éternel, vous assimilera à lui.

Dans l'assimilation à l'être divin, il faut considérer ses attributs. Il y en a de positifs ; il y en a de négatifs.

Les positifs constituent son essence ; les privatifs sa perfection.

Vos actions seront imitatives de celles de l'être nécessaire, si vous travaillez à acquérir les premiers, & à éloigner de vous toutes les qualités dont les seconds supposent la privation.

Occupez-vous à séparer de vous toutes les qualités surajoutées à la corporéité. Enfoncez-vous dans une caverne, demeurez-y en repos, la tête panchée, les yeux fixés en terre, perdez, s'il se peut, tout mouvement, tout sentiment ; ne pensez point, ne réfléchissez point, n'imaginez point ; jeunez, conduisez par degrés toute votre existence, jusqu'à l'état simple de votre essence ou de votre ame ; alors un, constant, pur, permanent, vous entendrez la voix de l'être nécessaire ; il s'intimera à vous ; vous le saisirez ; il vous parlera, & vous jouirez d'un bonheur que celui qui ne l'a point éprouvé n'a jamais conçu, & ne concevra jamais.

C'est alors que vous connoîtrez que votre essence differe peu de l'essence divine ; que vous subsistez ou qu'il y a quelque chose en vous qui subsiste par soi-même, puisque tout est détruit, & que ce quelque chose reste & agit ; qu'il n'y a qu'une essence, & que cette essence est comme la lumiere de notre monde, une & commune à tous les êtres éclairés.

Celui qui a la connoissance de cette essence, a aussi cette essence. C'est en lui la particule de contact avec l'essence universelle.

La multitude, le nombre, la divisibilité, la collection, sont des attributs de la corporéité.

Il n'y a rien de cela dans l'essence simple.

La sphere suprême, au-delà de laquelle il n'y a point de corps, a une essence propre. Cette essence est incorporelle. Ce n'est point la même que celle de Dieu. Ce n'est point non plus quelque chose qui en differe ; l'une est à l'autre comme le soleil est à son image représentée dans une glace.

Chaque sphere céleste a son essence immatérielle, qui n'est point ni la même que l'essence divine, ni la même que l'essence d'une autre sphere, & qui n'en est cependant pas différente.

Il y a différens ordres d'essences.

Il y a des essences pures ; il y en a de libres ; il y en a d'enchaînées à des corps ; il y en a de souillées ; il y en a d'heureuses ; il y en a de malheureuses.

Les essences divines & les ames héroïques sont libres. Si elles sont unies ou liées à quelque chose, c'est à l'essence éternelle & divine, leur principe, leur cause, leur perfection, leur incorruptibilité, leur éternité, toute leur perfection.

Elles n'ont point de corps & n'en ont pas besoin.

Le monde sensible est comme l'ombre du monde divin ; quoique celui-ci n'ait nulle dépendance, nul besoin du premier, il seroit absurde de supposer l'un existant, & l'autre non existant.

Il y a corruption, vicissitude, génération, changement dans le monde sensible ; mais rien ne s'y résout en privation absolue.

Plus on s'exercera à la vision intuitive de l'essence premiere, plus on l'acquerra facilement. Il en est du voyage du monde sensible dans le monde divin, comme de tout autre.

Cette vision ne sera parfaite qu'après la mort. L'ame ou l'essence de l'homme sera libre alors de tous les obstacles du corps.

Toute cette science mystique est contenue dans le livre du saint prophete ; je ne suis que l'interprete. Je n'invente aucune vérité nouvelle. La raison étoit avant moi ; la tradition étoit avant moi ; l'alcoran étoit avant moi. Je rapproche ces trois sources de lumiere.

Pourquoi le saint prophete ne l'a-t-il pas fait lui-même ? c'est un châtiment qu'il a tiré de l'opiniâtreté, de la désobéissance & de l'imbécillité de ceux qui l'écoutoient. Il a laissé à leurs descendans le soin de s'élever par eux-mêmes à la connoissance de l'unité vraie.

L'imitateur du saint prophete, qui travaillera comme lui à éclairer ses semblables, trouvera les mêmes hommes, les mêmes obstacles, les mêmes passions, les mêmes jalousies, les mêmes inimitiés, & il exercera la même vengeance. Il se taira ; il se contentera de leur prescrire les principes de cette vie, afin qu'ils s'abstiennent de l'offenser.

Peu sont destinés à la félicité de la vie ; les seuls vrais croyans l'obtiendront.

Quand on voit un derviche tourner sur lui-même jusqu'à tomber à terre, sans connoissance, sans sentiment ; yvre, abruti, étourdi, presque dans un état de mort, qui croiroit qu'il a été conduit à cette pratique extravagante par un enchaînement incroyable de conséquences déliées, & de vérites très-sublimes ?

Qui croiroit que celui qui est assis immobile au fond d'une caverne, les coudes appuyés sur ses genoux, la tête panchée sur ses mains, les yeux fixément attachés au bout de son nez ; où il attend des journées entieres l'apparition béatifique de la flamme bleue, est un aussi grand philosophe que celui qui le regarde comme un fou, & qui se promene tout fier d'avoir découvert qu'on voit tout en Dieu ?

Mais après avoir exposé les principaux axiomes de la philosophie naturelle des Arabes & des Sarrasins, nous allons passer à leur philosophie morale.

Après avoir remarqué que c'est vraisemblablement par une suite de ces idées que les musulmans réverent les idiots : ils les regardent sans-doute comme des hommes étourdis de naissance, qui sont naturellement dans l'état de vertige, & dont la stupidité innée suspendant toutes les fonctions animales & vitales ; l'essence de leur être est sans habitude, sans exercice ; mais par une faveur particuliere du ciel, intimement unie à l'essence éternelle.

Mahomet ramena les idolâtres à la connoissance de l'unité de Dieu, il assura les fondemens de la science morale, la distinction du juste & de l'injuste, l'immortalité de l'ame, les recompenses & les châtimens à venir ; il pressentit que la passion des femmes étoit trop naturelle, trop générale & trop violente, pour tenter avec quelque succès à la refrener ; il aima mieux y conformer sa législation, que d'en multiplier à l'infini les infractions, en opposant son autorité à l'impulsion si utile & si douce de la nature ; il défendit le vin, & il permit les femmes ; en encourageant les hommes à la vertu, par l'espérance future des voluptés corporelles, il les entretint d'une sorte de bonheur dont ils avoient un avant-goût.

Voici les cinq préceptes de l'islamisme ; vous direz : il n'y a qu'un Dieu, & Mahomet est l'apôtre de Dieu ; vous prierez ; vous ferez l'aumône ; vous irez en pélerinage ; & vous jeunerez le ramadan.

Ajoutez à cela des ablutions légales, quelques pratiques particulieres, un petit nombre de cérémonies extérieures, & de ces autres choses dont le peuple ne sauroit se passer, qui sont absolument arbitraires, & qui ne signifient rien pour les gens sensés, de quelque religion que ce soit, comme de tourner le dos au soleil pour pisser chez les mahométans.

Il prêcha le dogme de la fatalité, parce qu'il n'y a point de doctrine qui donne tant d'audace & de mépris de la mort, que la persuasion que le danger est égal pour celui qui combat, & pour celui qui dort ; que l'heure, l'instant, le lieu de notre sortie de ce monde est fixé, & que toute notre prudence est vaine devant celui qui a enchaîné les choses de toute éternité, d'un lien que sa volonté même ne peut relâcher.

Il proscrivit les jeux de hasard, dont les Arabes avoient la fureur.

Il fit un culte pour la multitude, parce que le culte qui seroit fait pour un petit nombre, marqueroit l'imbécillité du législateur.

La morale de l'islamisme s'étendit & se perfectionna dans les siecles qui suivirent sa fondation. Parmi ceux qui s'occuperent de ce travail, & dont nous avons fait mention, on peut compter encore Scheich Muslas, Eddin, Sadi, l'auteur du jardin des roses persiques.

Sadi parut vers le milieu du treizieme siecle ; il cultiva par l'étude le bon esprit que la nature lui avoit donné ; il fréquenta l'école de Bagdad, & voyagea en Syrie où il tomba entre les mains des chrétiens qui le jetterent dans les chaînes, & le condamnerent aux travaux publics. La douceur de ses moeurs & la beauté de son génie, lui firent un protecteur zélé, qui le racheta, & qui lui donna sa fille ; Après avoir beaucoup vu les hommes, il écrivit son rosarium, dont voici l'exorde.

Quadam nocte praeteriti temporis memoriam revocavi ;

Vitaeque male transactae dispendium cum indignatione devoravi,

Saxumque habitaculo cordis lacrymarum adamante perforavi,

Hosque versus conditioni meae convenientes effudi.

Quovis momento unus vitae abit spiritus,

Illud dum inspicio, non multum restitit.

O te cujus jam quinquaginta sunt elapsi somno etiamnum gravem !

Utinam istos quinque supremos vitae dies probe intelligens !

Pudor illi qui absit, opusque non perfecit.

Discussus tympanum percusserunt, sarcinam non composuit,

Suavis somnus in discessus aurora,

Retinet peditem ex itinere.

Quicumque venit novam fabricam struxit ;

Abit ille ; fabricamque alteri construxit ;

Alter illa similia huic vanitatis molimina agitavit ;

Illam vero fabricam ad finem perduxit nemo.

Sodalem instabilem, amicum ne adscisse.

Amicitiâ indignus est fallacissimus hic mundus.

Cum bonis malisque pariter sit moriendum,

Beatus ille qui bonitatis palmam reportavit.

Viaticum vitae in sepulcrum tuum praemitte ;

Mortuo enim te, nemo ferret, tute ipse praemitte.

Vita ut nix est, solque augusti.

Pauxillum reliquit, tibi tamen domino etiamnum socordia & inertia blanditur !

Heus tu qui manu vacuâ forum adiisti ?

Metuo ut plenum referas strophiolum.

Quicumque segetem suam comederit, dum adhuc in herbâ est,

Messis tempore, spicilegio contentus esse cogitur.

Consilium Saadi, attentis animi auribus percipe.

Vita ita se habet : tu te virum praesta, & vade.

Le poëte ajoute : j'ai murement pesé ces choses, j'ai vu que c'étoit la vérité, & je me suis retiré dans un lieu solitaire ; j'ai abandonné la société des hommes ; j'ai effacé de mon esprit tous les discours frivoles que j'avois entendus ; je me suis bien proposé de ne plus rien dire de mal, & ce dessein étoit formé au-dedans de moi, lorsqu'un de mes anciens amis, qui alloit à la Mecque à la suite d'une caravane, avec sa provision & son chameau, entra dans mon hermitage ; c'étoit un homme dont l'entretien étoit plein d'agrémens & de saillies ; il chercha à m'engager de conversation inutilement, je ne proférai pas un mot ; dans les momens qui suivirent, si j'ouvris la bouche, ce fut pour lui révéler mon dessein de passer ici, loin des hommes, obscur & ignoré, le reste de ma vie ; d'adorer Dieu dans le silence, & d'ordonner toutes mes actions à ce but ; mais l'ami séduisant me peignit avec tant de charmes la douceur & les avantages d'ouvrir son coeur à un homme de bien, lorsqu'on l'avoit rencontré, que je me laissai vaincre ; je descendis avec lui dans mon jardin, c'étoit au printems, il étoit couvert de roses écloses, l'air étoit embaumé de l'odeur délicieuse qu'elles exhalent sur le soir. Le jour suivant, nous passames une partie de la nuit à nous promener & à converser, dans un autre jardin aussi planté & embaumé de roses ; au point du jour, mon hôte & mon ami se mit à cueillir une grande quantité de ces roses, & il en remplissoit son sein ; l'amusement qu'il prenoit, me donnoit des pensées sérieuses ; je me disois : voilà le monde : voila ses plaisirs : voilà l'homme : voilà la vie ; & je méditois d'écrire un ouvrage que j'appellerois le jardin des roses, & je confiai ce dessein à mon ami, & mon dessein lui plut, & il m'encouragea, & je pris la plume, & je commençai mon ouvrage qui fut achevé avant que les roses dont il avoit rempli son sein, ne fussent fanées. La belle ame qu'on voit dans ce récit ! qu'il est simple, délicat, & élevé ! qu'il est touchant !

Le rosarium de Sadi n'est pas un traité complet de morale ; ce n'est pas non plus un amas informe & décousu de préceptes moraux ; il s'attache à certains points capitaux, sous lesquels il rassemble ses idées ; ces points capitaux sont les moeurs des rois, les moeurs des hommes religieux, les avantages de la continence, les avantages du silence, l'amour & la jeunesse, la vieillesse & l'imbécillité, l'étude des sciences, la douceur & l'utilité de la conversation.

Voici quelques maximes générales de la morale des Sarrasins, qui serviront de préliminaire à l'abrégé que nous donnerons du rosarium de Sadi, le monument le plus célebre de la sagesse de ses compatriotes.

L'impie est mort au milieu des vivans ; l'homme pieux vit dans le séjour même de la mort.

La religion, la piété, le culte religieux, sont autant de glaives de la concupiscence.

La crainte de Dieu est la vraie richesse du coeur.

Les prieres de la nuit font la sérénité du jour.

La piété est la sagesse la plus sage, & l'impiété est la folie la plus folle.

Si l'on gagne à servir Dieu, on perd à servir son ennemi.

Celui qui dissipe sa fortune en folies, a tort de se plaindre, lorsque Dieu l'abandonne à la pauvreté.

L'humilité est le havre de la foi ; la présomption est son écueil.

Humilie-toi dans ta jeunesse, afin que tu sois grand dans ta vieillesse.

L'humilité est le fard de la noblesse, c'est le complement de la grace, elle éleve devant le monde & devant Dieu.

L'insensé aux yeux des hommes & de Dieu, c'est celui qui se croit sage.

Plus tu seras éclatant, plus tu seras prudent si tu te caches ; les ténebres dérobent à l'envie, & ajoutent de la splendeur à la lumiere ; ne monte point au haut de la montagne d'où l'on t'appercevroit de loin ; enfonce-toi dans la caverne que la nature a creusée à ses piés, où l'on t'ira chercher ; si tu te montres, tu seras haï ou flatté, tu souffriras, ou tu deviendras vain ; marche, ne cours pas.

Trois choses tourmentent sur-tout, l'avarice, le faste & la concupiscence.

Moins l'homme vaut, plus il est amoureux de lui.

Plus il est amoureux de lui, plus il aime à contredire un autre.

Entre les vices difficiles à corriger, c'est l'amour de soi, c'est le penchant à contredire.

Lorsque les lumieres sont allumées, ferme les fenêtres.

Sois distrait, lorsqu'on tient un discours obscène.

S'il reste en toi une seule passion qui te domine, tu n'es pas encore sage.

Malheur au siecle de l'homme qui sera sage dans la passion.

On s'enrichit en appauvrissant ses desirs.

Si la passion enchaîne le jugement, il faut que l'homme périsse.

Une femme sans pudeur est un mets fade & sans sel.

Si l'homme voyoit sans distraction la nécessité de sa fin & la briéveté de son jour, il mépriseroit le travail & la fraude.

Le monde n'est éternel pour personne, laisse-le passer, & t'attache à celui qui l'a fait.

Le monde est doux à l'insensé, il est amer au sage.

Chacun a sa peine, celui qui n'en a point n'est pas à compter parmi les enfans des hommes.

Le monde est un mensonge, un séjour de larmes.

Le monde est la route qui te conduit dans ta patrie.

Donne celui-ci pour l'autre, & tu gagneras au change.

Reçois de lui selon ton besoin, & songes que la mort est le dernier de ses dons.

Quand as-tu résolu de le quitter ? quand as-tu résolu de le haïr ? quand, dis-moi, quand ? il passe, & il n'y a que la sagesse qui reste. C'est le rocher & l'amas de poussiere.

Songe à ton entrée dans le monde, songe à ta sortie, & tu te diras, j'ai été fait homme de rien, & je serai dans un instant comme quand je n'étois pas.

Le monde & sa richesse passent, ce sont les bonnes oeuvres qui durent.

Vois-tu ce cadavre infect, sur lequel ces chiens affamés sont acharnés ; c'est le monde, ce sont les hommes.

Que le nombre ne te séduise point, tu seras seul un jour, un jour tu répondras seul.

Suppléer à une folie par une folie, c'est vouloir éteindre un incendie avec du bois & de la paille.

L'homme religieux ne s'accoude point sur la terre.

Dis-toi souvent d'où suis-je venu ; qui suis-je ; où vais-je ; où m'arrêterai-je ?

Tu marches sans-cesse au tombeau.

C'est la victime grasse qu'on immole, c'est la maigre qu'on épargne.

Tu sommeilles à présent, mais tu t'éveilleras.

Entre la mort & la vie, tu n'es qu'une ombre qui passe.

Ce monde est aujourd'hui pour toi, demain c'en sera un autre.

C'est l'huile qui soutient la lampe qui luit, c'est la patience qui retient l'homme qui souffre.

Sois pieux en présence des dieux, prudent parmi les hommes, patient à côté des méchans.

La joie viendra si tu sais l'attendre, le répentir si tu te hâtes.

Le mal se multiplie pour le pusillanime, il n'y en a qu'un pour celui qui sait souffrir.

Laisse l'action dont tu ne pourras supporter le châtiment, fais celle dont la recompense t'est assurée.

Tout chemin qui écarte de Dieu, égare.

L'aumône dit en passant de la main de celui qui donne, dans la main de celui qui reçoit, je n'étois rien, & tu m'as fait quelque chose ; j'étois petite, & tu m'as fait grande ; j'étois haïe, & tu m'as fait aimer ; j'étois passagere, & tu m'as fait éternelle ; tu me gardois, & tu m'as fait ta gardienne.

La justice est la premiere vertu de celui qui commande.

N'écoute pas ta volonté qui peut être mauvaise, écoute la justice.

Le bienfaisant touche l'homme, il est à côté de Dieu, il est proche du ciel.

L'avare est un arbre stérile.

Si le pauvre est abject, le riche est envié.

Sans le contentement, qu'est-ce que la richesse ? qu'est-ce que la pauvreté sans l'abjection ?

Le juge n'écoutera point une partie, sans son adverse.

Ton ami est un rayon de miel qu'il ne faut pas dévorer.

Mon frere est celui qui m'avertit du péril ; mon frere est celui qui me secourt.

La sincérité est le sacrement de l'amitié.

Bannissez la concorde du monde, & dites-moi ce qu'il devient.

Le ciel est dans l'angle où les sages sont assemblés.

La présence d'un homme sage donne du poids à l'entretien.

Embarque-toi sur la mer, ou fais société avec les méchans.

Obéis à ton pere afin que tu vives.

Imite la fourmi.

Celui-là possede son ame, qui peut garder un secret avec son ami.

Le secret est ton esclave si tu le gardes, tu deviens le sien s'il t'échappe.

La taciturnité est soeur de la concorde.

L'indiscret fait en un moment des querelles d'un siecle.

On connoit l'homme savant à son discours, l'homme prudent à son action.

Celui qui ne sait pas obéir, ne sait pas commander.

Le souverain est l'ombre de Dieu.

L'homme capable qui ne fait rien, est une nuë qui passe & qui n'arrose point.

Le plus méchant des hommes, est l'homme inutile qui sait.

Le savant sans jugement, est un enfant.

L'ignorant est un orphelin.

Regarde derriere toi, & tu verras l'infirmité & la vieillesse qui te suivent, or tu concevras que la sagesse est meilleure que l'épée, la connoissance meilleure que le sceptre.

Il n'y a point d'indigence pour celui qui sait.

La vie de l'ignorant ne pese pas une heure de l'homme qui sait.

La douceur accomplit l'homme qui sait.

Fais le bien, si tu veux qu'il te soit fait.

Qu'as-tu, riche ? si la vie est nulle pour toi.

Celui qui t'entretient des défauts d'autrui, entretient les autres des tiens.

Les rois n'ont point de freres ; les envieux point de repos ; les menteurs point de crédit.

Le visage du mensonge est toujours hideux.

Dis la vérité, & que ton discours éclaire ta vie.

Que la haine même ne t'approche point du parjure.

L'avare qui a est plus indigent que le libéral qui manque.

La soif la plus ardente est celle de la richesse.

Il y a deux hommes qu'on ne rassasie point, celui qui court après la science, & celui qui court après la richesse.

La paresse & le sommeil éloignent de la vérité, & conduisent à l'indigence.

Le bienfait périt par le silence de l'ingrat.

Celui que tu vois marcher la tête penchée & les yeux baissés, est souvent un méchant.

Oublie l'envieux, il est assez puni par son vice.

C'est trop d'un crime.

Le malheureux, c'est l'homme coupable qui meurt avant le repentir.

Le repentir après la faute, ramene à l'état d'innocence.

La petitesse de la fante est ce qu'il y a de mieux dans le repentir.

Il est tems de se repentir tant que le soleil se leve.

Songe à toi, car il y a une recompense & un châtiment.

La recompense attend l'homme de bien dans l'éternité.

Outre cette sagesse dont l'expression est simple, ils en ont une parabolique. Les Sarrasins sont même plus riches en ce fond, que le reste des nations ; ils disent :

Ne nage point dans l'eau froide ; émousse l'épine avec l'épine ; ferme ta porte au voleur ; ne lâche point ton troupeau, sans parc ; chacun a son pié ; ne fais point de société avec le lion ; ne marche point nud dans les rues ; ne parle point où il y a des oiseaux de nuit ; ne te livre point aux singes ; mets le verrou à ta porte ; j'entens le bruit du moulin, mais je ne vois point de farine ; si tu crains de monter à l'échelle, tu n'arriveras point sur le toît ; celui qui a le poing serré, a le coeur étroit ; ne brise point la saliere de ton hôte ; ne crache point dans le puits d'où tu bois ; ne t'habille pas de blanc dans les ténebres ; ne bois point dans une coupe de chair ; si un ange passe, ferme ta fenêtre ; lave-toi avant le coucher ; allume ta lampe avant la nuit ; toute brebis sera suspendue par le pié.

Ils ont aussi des fables : en voici une. Au tems d'Isa, trois hommes voyageoient ensemble ; chemin faisant, ils trouverent un trésor, ils étoient bien contens ; ils continuerent de marcher, mais ils sentirent la fatigue & la faim, & l'un d'eux dit aux autres, il faudroit avoir à manger, qui est-ce qui ira en chercher ? Moi, répondit l'un d'entr'eux ; il part, il achete des mets ; mais après les avoir achetés, il pensa que s'il les empoisonnoit, ses compagnons de voyage en mourroient, & que le trésor lui resteroit, & il les empoisonna. Cependant les deux autres avoient résolu, pendant son absence, de le tuer, & de partager le trésor entr'eux. Il arriva, ils le tuerent ; ils mangerent des mets qu'il avoit apportés, ils moururent tous les trois, & le trésor n'appartint à personne.


SARRASINES. f. (Hist. nat. Bot.) sarracena ; genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond, & soutenus par un calice formé de plusieurs feuilles. Le pistil sort du milieu de cette fleur ; il est garni d'une espece de bouclier membraneux, & il devient dans la suite un fruit arrondi & divisé le plus souvent en cinq loges, qui renferment des semences oblongues. Tournefort, I. R. H. App. Voyez PLANTE.

SARRASINE, terme de Fortification, se dit d'une espece de porte, formée de plusieurs pieces de bois perpendiculaires les unes aux autres, ou qui font ensemble une sorte de treillage. Les pieces de bois dont la pointe est en-bas, sont armées de pointes de fer. La sarrasine se mettoit autrefois au-dessus des portes des villes, suspendue par une corde à un moulinet qui est au-dessus de la porte. Elles étoient destinées à boucher les portes dans le cas des surprises ; car lâchant le moulinet, la sarrasine s'abaissoit, & tomboit debout entre deux coulisses, pratiquées pour cet effet dans les deux côtés de la porte. Cette sorte de fermeture ne se pratique plus à-présent : on y a substitué les orgues. Voyez ORGUES.

L'inconvénient de la sarrasine, qu'on appelle aussi herse, étoit la facilité d'en arrêter l'effet, en fichant quelques clous dans les coulisses, ou en mettant dessous la porte quelque chose de propre à l'arrêter, ou à la soutenir de maniere qu'on puisse passer aisément dessous, ou à côté. Voyez HERSE. (Q)


SARRASINOISS. m. (Anc. nom des Tapissiers) ce nom se disoit autrefois, & s'entend encore dans les statuts de divers artisans, particulierement dans ceux des Tapissiers de la ville de Paris, de toutes sortes d'ouvrages de tapisserie qui se font en Orient, comme les tapis de Turquie & de Perse. C'est, à ce qu'on croit, sur ces ouvrage, ainsi nommés du nom des Sarrasins, contre lesquels les Chrétiens ont fait tant de croisades, que ces derniers ont pris le modele des hautes & basses lisses, qui ont continué depuis ce tems-là de se fabriquer en Europe. Les Tapissiers de Paris s'arrogent la qualité de maîtres tapissiers de haute-lisse sarrasinois, & de rentraiture, &c. (D.J.)


SARRÉAL(Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la Catalogne, sur le Francoli, remarquable par ses carrieres d'albâtre, qui est si transparent étant coupé par feuilles, qu'on en fait des glaces de fenêtres. (D.J.)


SARRIETTES. f. (Hist. nat. Bot.) satureia ; genre de plante qui differe du thym en ce que ses fleurs naissent éparses dans les aisselles des feuilles, & non pas réunies en maniere de tête ; du calament, en ce que les pédicules des fleurs ne sont pas branchus ; & du thymbre, en ce que ses fleurs ne sont pas disposées par anneau. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SARRIETTE, (Diete & Mat. méd.) cette plante qui est de la classe des labiées de Tournefort, est aromatique, & contient de l'huile essentielle. Elle à un goût vif, âcre, piquant, brûlant presque comme du poivre, lequel dépend d'un principe mobile qui irrite sensiblement les yeux & le nez, lorsqu'on l'en approche de très-près ; ce qui n'empêche pas qu'elle n'ait une odeur très-douce, lorsqu'on la flaire d'un peu loin. Je ne doute point que ce principe volatil ne soit un acide spontané, analogue à celui que j'ai observé dans le masum. Voyez MASUM.

La sarriette est employée à titre d'assaisonnement dans plusieurs mets, sur-tout chez les Allemans, qui la mêlent aussi parmi les choux dont ils préparent leur sauer kraut. Cet assaisonnement aromatique & piquant est très-utile pour les estomacs foibles & languissans ; & il corrige utilement certains alimens lourds, fades, visqueux, &c.

Quant à son usage pharmaceutique, on doit regarder la sarriette comme un remede échauffant, tonique, fortifiant, stomachique, aphrodisiaque, emménagogue, diurétique, dont on peut tirer un secours efficace contre les maladies de langueur, de foiblesse, de relâchement, telles que les menaces d'affection soporeuse, les pâles-couleurs, l'oedème, l'asthme humide, &c. On doit donner ses feuilles ou ses sommités, en infusion dans de l'eau ou dans du vin : une preuve de son efficacité, c'est qu'elle a procuré quelquefois des crachemens & des pissemens de sang.

Une forte infusion de cette plante dans le vin fournit un excellent remede extérieur contre les échimoses, les oedèmes, &c. un bon gargarisme contre le relachement de la luette, l'enflure des amygdales, certaines extinctions de voix dépendantes du gonflement oedémateux du fond de la gorge, &c. Il faut avoir soin cependant de faire l'infusion plus légere pour ce dernier usage.

L'huile essentielle de sarriette étant une des plus vives, des plus âcres, vraisemblablement par le mêlange de l'acide volatil, est très-propre à appaiser la douleur des dents cariées. (b)


SARRITORS. m. (Mytholog.) nom que les Romains donnoient à un de leurs dieux de l'Agriculture. C'étoit le premier que les Laboureurs invoquoient après que les blés étoient levés, parce qu'il présidoit, selon eux, au travail de sarcler les champs ; c'est-à-dire d'en arracher les mauvaises herbes qui naissent avec le blé. (D.J.)


SARSANou SARZANE, (Géog. mod.) ville d'Italie dans l'état de Gènes, sur les frontieres de Toscane, 18 lieues au sud-est de Gènes, & à 5 au nord-est de Massa. Son évêché, quoique sous la métropole de Pise, n'en subit pas la jurisdiction. Côme I. grand duc de Toscane, céda cette ville aux Génois pour Livourne, en quoi il fit un admirable échange. Long. 27. 36. lat. 44. 9. (D.J.)


SARSEPAREILLES. f. (Botan. exot.) on trouve sous ce nom dans les boutiques, des racines, ou plutôt des branches de racines qui ont plusieurs aunes, grosses comme des joncs, ou des plumes d'oye, pliantes, flexibles, cannelées dans leur longueur, revêtues d'une écorce mince ; extérieurement de couleur roussâtre ou cendrée. Sous cette écorce est une substance blanche, farineuse, un peu charnue, molle, se réduisant aisément en une petite poussiere quand on la frotte entre les doigts ; ressemblant à l'agaric ; d'un goût tant soit peu gluant, un peu amer, & qui cependant n'est pas désagréable. Le coeur de la racine est ligneux, uni, pliant & difficile à rompre. Il sort transversalement plusieurs de ces branches d'une même racine, qui est de la grosseur d'un pouce & écailleuse. On nous apporte la sarsepareille de la nouvelle-Espagne, du Pérou & du Brésil.

On estime celle qui est pleine, moëlleuse, solide, bien conservée, blanche en-dedans, de la grosseur d'une plume d'oye, & qui se fend aisément comme l'osier en parties égales dans toute sa longueur. On rejette celle qui est d'un gris noirâtre, qui est cariée, & qui répand beaucoup de poussiere farineuse quand on la fend ; on rebute aussi celle qui est trop grosse, & qui vient communément de Maranhaon province du Brésil.

On apporte d'Amérique, sous le nom de racine de sarsepareille, différentes plantes semblables, ou plutôt de même genre que le smilax aspera. Hernandès en nomme quatre especes qui croissent au Mexique, & dans la nouvelle-Espagne. Monard fait aussi mention d'une certaine sarsepareille qui croît à Quito, province de la dépendance du Pérou. Enfin Pison & Marcgrave décrivent la sarsepareille du Brésil, que les habitans de ce pays appellent juapecanga.

Elle jette au loin ses racines écailleuses & fibreuses ; ses tiges sont velues, sarmenteuses, ligneuses, souples, vertes, garnies d'aiguillons de part & d'autre. Il vient sur les tiges des feuilles disposées dans un ordre alternatif, longues de six ou huit pouces, pointues de deux côtés, comme le représente la figure de Pison, ou figurées en coeur selon Hernandez & Monard ; elles sont larges de trois ou quatre pouces, avec trois côtes remarquables étendues sur toute leur longueur ; d'un verd-clair en-dehors, & foncé endessous ; munies à leur queue de deux clavicules ou vrilles, qui nouent fortement la sarsepareille aux autres plantes. Les fleurs y sont en grappes ; il leur succede des baies d'abord vertes, rouges ensuite, enfin noires ; de la grosseur des médiocres cerises, ridées, contenant un ou deux noyaux, d'un blanc-jaunâtre, qui renferment une amande dure & blanchâtre.

Les Anciens Grecs & les Arabes ne connoissoient pas la sarsepareille. Les Espagnols ont les premiers fait passer du Pérou son usage en Europe. On sait qu'elle est puissamment sudorifique, & qu'elle divise ou atténue les humeurs visqueuses & ténaces. On s'en sert avec succès dans les maladies vénériennes ; celles de la peau en général, & les maladies chroniques qui viennent d'humeurs froides, épaisses & visqueuses. Comme les particules de cette plante sont plus subtiles que celles de la squine & du gayac, elles excitent une plus grande sueur.

On débite en Europe quelques autres racines sous le nom de sarsepareille, mais qu'on peut distinguer facilement de la véritable ; cependant celle dont nous allons parler approche de ses vertus. C'est la racine d'une plante nommée aralia caule nudo, par Linnaeus, Hort. cliff. Zarzaparilla Virginiensis nostratibus dicta, lobatis unbelliferae foliis Americana. Pluk. Alm. 396. Cette racine est longue de cinq à six piés, moëlleuse, épaisse, odorante & moins compacte que la vraie sarsepareille. Elle pousse une tige haute d'environ une coudée, d'un rouge-foncé, velue, laquelle se partage en trois rameaux longs de cinq ou six pouces ; chaque rameau porte cinq feuilles, oblongues, larges de deux pouces & longues de trois, dentelées sur le bord.

De l'endroit où se divise la tige, sort un pédicule nud, qui se sépare en trois brins, chargés chacun d'un bouquet de fleurs, entouré à sa base d'une fraise de petites feuilles. Chaque fleur est portée sur un filet long d'un demi-pouce, dont le calice placé sur la tête de l'embryon est très-petit, à cinq dentelures. Les pétales sont au nombre de cinq, disposés en rond. L'embryon qui porte la fleur devient une baie rouge, creusée à sa partie supérieure en maniere de nombril applati, a quatre ou cinq angles, & partagée en autant de loges, dont chacune renferme une graine applatie & cannelée. Cette plante croît dans la Virginie & le Canada, entre les 40, 45 & 47 degrés de latitude. Les habitans l'appellent sarsepareille, parce qu'elle a presque la figure & les vertus de la véritable. (D.J.)


SARSINA(Géogr. anc.) ou Sarcina, & dans quelques inscriptions Sassina, aujourd'hui Sarcine ; ville d'Italie, dans l'Ombrie & dans les terres, sur la rive gauche du fleuve Sapis.

C'étoit la patrie de Plaute, poëte comique, comme l'a remarqué S. Jérôme, chron. ad Olympiad. 145. Plautus ex Umbriâ Sarsinas, Romae moritur. Quoiqu'il fût plus jeune qu'Ennius, Pacuve & Actius, il mourut avant eux, l'an de Rome 570. Horace le loue de ne perdre jamais son sujet de vûe ; de ne laisser jamais languir le théâtre, & d'avancer toujours vers le dénouement. C'est un des principaux talens d'un poëte dramatique, & personne ne l'a possédé en un si haut degré que Plaute. Nous avons déjà parlé de lui dans plusieurs autres occasions. (D.J.)


SARSINE(Géog. mod.) ou Sarcine, en latin Sarsina, Sarcina & Sassina ; ville de l'état de l'Eglise, dans la Romagne, au pié de l'Apennin, à 8 milles au sud-ouest de Rimini, sur la rive gauche du Savio. Son évêché est suffragant de Ravenne. Elle étoit autrefois si puissante, qu'elle donna aux Romains un secours considérable, pour empêcher l'irruption que les Gaulois vouloient faire dans ce pays-là, en traversant les Alpes. Il paroît par des descriptions, que c'étoit un municipe. Long. 29. 45. latit. 43. 56. (D.J.)


SARSIOJUS-NO-KI, (Hist. nat. Bot.) arbre du Japon que l'on appelle aussi arbre de fer ; il est d'une grandeur extraordinaire ; ses feuilles alternativement opposées sont ovales, pointues, longues de deux pouces, inégales, dures, épaisses, & sans découpures. Son fruit qui croît sans pédicules au sommet des petites branches, est de figure conique. Il devient ligneux, en se desséchant, & se trouve intérieurement rongé, comme la noix de galle. Il est assez gros, dans sa fraîcheur, pour remplir la main. Les singes l'aiment beaucoup : ce que le nom de sarsio signifie. Les Japonois nomment aussi cet arbre, jus-no-ki.


SARTLE, (Géog. mod.) petite riviere de France, dans la haute-Normandie, au pays de Bray. Elle prend sa source à Foucarmont, & se jette dans la mer, entre Dieppe & la ville d'Eu. Il ne faut pas la confondre avec la Sarte, riviere du Maine. (D.J.)

SART, s. m. (Marine) nom qu'on donne à des herbes qui croissent au fond de la mer, & qu'elle rejette à la côte.


SARTA(Géog. anc.) riviere de la Gaule, chez les Cenomani. Son nom est ancien, & il étoit usité parmi les Gaulois : cependant on auroit de la peine à le trouver dans un auteur plus ancien que Théodulphe d'Orléans, qui nous en donne l'origine, & décrit ainsi le cours de cette riviere, l. IV. carm. vj.

Est fluvius : Sartam galli dixere priores ;

Perticus hunc gignit, & meduana bibit.

Fluctibus ille suis penetrans cenomanica rura

Maenia qui propter illius urbis abit.

Et au l. II. carm. iij. de urbe Andegavensi, en parlant de la ville d'Angers, il dit :

Quam meduana morans fovet, & liger aureus ornat,

Quam rate cum levi Sarta decora juvat.

Cette riviere conserve son ancien nom ; on l'appelle à présent la Sarte. (D.J.)


SARTELA, (Géog. mod.) en latin moderne Sarta, riviere de France, dans le Maine. Elle a sa source aux confins de la Normandie & du Perche, près de l'abbaye de la Trape, coule d'abord à l'occident, puis tourne vers le midi, entre ensuite dans l'Anjou, où elle reçoit le Loir ; & un peu au-dessus d'Angers, elle se jette dans la Mayenne, & y perd son nom, quoiqu'aussi grosse qu'elle. (D.J.)


SARTIES. m. (Marine) terme collectif, qui signifie sur la Méditerranée, toutes sortes d'apprêts & d'apparaux.


SARTONLE, (Géog. mod.) petite riviere de France ; elle a sa source au diocèse de Séez, & après un cours d'environ 10 lieues, elle se jette dans la Sarte, près du bourg de S. Célerin. (D.J.)


SARUS(Géog. anc.) riviere de la Cilicie propre : son embouchure est marquée par Ptolémée, l. V. c. viij. entre celle des fleuves Cydnus & Pyrame. Pline, l. VI. c. iij. met aussi un fleuve Sarus dans la Cilicie. Tite-Live, l. XXXIII. c. 41. parle des têtes du Sarus, Saris capita, par où il n'entend pas, selon l'expression ordinaire, les sources du Sarus, mais des élévations, ou des rochers près de la côte & vers l'embouchure de ce fleuve ; car c'étoit un lieu que les vaisseaux passoient. Il y a eu un fleuve de la Cappadoce, & un fleuve de la Caramanie qui ont porté le nom de Sarus. (D.J.)


SARVERDEN(Géog. mod.) petite ville de France, dans la Lorraine Allemande, à 4 lieues au-dessous de Sarbruck, & à 2 de Fenestrange. Elle a pris son nom de sa situation sur la Saare, & elle l'a donné au comté dont elle est le chef-lieu ; ce comté est un fief qui a relevé de Metz, dès le douzieme siecle. Long. 24. 46. lat. 48. 57. (D.J.)


SARVITZou SERVITIA, (Géog. mod.) ville de la Turquie Européenne, dans la Macédoine ou Coménolitari, vers la source d'un ruisseau qui se jette dans la Platamona. Cette ville est bâtie en partie sur une montagne, & en partie dans une plaine. Les Grecs habitent le haut, & les Turcs ont choisi le bas par préférence. (D.J.)


SARWARCOMTE DE, (Géog. mod.) comté de la basse Hongrie, entre le Danube & le Muer. Il est borné au nord, par le comté de Sopron ; à l'orient, par le comté de Vesprin ; au midi, par le comté de Salavar ; & au couchant, par les terres de Stirie ; son nom lui vient de sa capitale. On lui donne 20 lieues de longueur, du midi au nord, sur 16 de largeur. Le Rab le traverse du midi occidental, au nord oriental. (D.J.)


SARWITP(Géog. mod.) & en Hongrois Sarwizza, riviere de la basse-Hongrie. Elle a sa source près de Vesprin, & se jette dans le Danube ; c'est l'Urpanus des anciens. (D.J.)


SARY(Géog. mod.) ville de Perse, remarquable par les mines de cuivre de son territoire. Long. selon Tavernier, 78. 15. lat. 36. 40. (D.J.)


SASTAMIS, s. m. (Pharmacie) est un instrument qui sert à séparer les parties les plus fines des poudres, des liqueurs & autres choses semblables d'avec les parties les plus grossieres ; ou à nettoyer le grain & en séparer la poussiere, les grains légers, &c.

Il est composé d'une bordure de bois, dont le cercle ou espace est rempli par un tissu de soie, d'une gaze de crin, de toile, de fil d'archal, & même quelquefois de petites lames de bois.

Les tamis qui ont de larges trous sont appellés cribles ; comme les cribles à charbon, à chaux, crible de jardin, &c.

Quand on veut passer au tamis des drogues qui sont sujettes à s'évaporer, on a coutume de mettre un couvercle par-dessus.

SAS, (Hydraulique) est le passage ou bassin placé sur la longueur d'une riviere bordée de quais, & terminée par deux écluses, pour conduire les bateaux & les faire passer d'une écluse supérieure à une inférieure, & réciproquement de cette derniere à la premiere par le jeu alternatif des écluses. (K)


SAS-DE-GAND(Géog. mod.) ville des Pays-bas, dans la Flandre hollandoise, au quartier de Gand, au bailliage d'Assenede, à une lieue au sud-ouest de Philippine, & à trois lieues au nord de Gand. Cette petite ville qui est très-forte, a été ainsi nommée, à cause d'une écluse qu'on appelle Sas en flamand, & que les habitans de Gand, avec la permission de Philippe II. firent construire pour retenir les eaux de la Lièse, ou du nouveau canal qu'ils creuserent entre leur ville & ce lieu, pour communication avec la mer. Long. 21. 18. lat. 51. 14.

Au commencement des troubles des Pays-bas, les Gantois firent construire au Sas-de-Gand, un fort pour servir de boulevard à leur ville. Le duc de Parme prit cette place en 1583 ; mais Frédéric Henri, prince d'Orange, la lui enleva en 1644. Depuis ce tems-là, les Etats-généraux en ont toujours été les maîtres, & s'en sont assurés la possession par le traité de Munster. Il y a une bonne garnison sous les ordres d'un commandant & d'un major de la place : le conseil d'état y a établi un receveur pour la recette du verponding, & des droits de consomption. (D.J.)


SASENOou SALNO, (Géog. mod.) petite île de la mer Ionienne, à l'embouchure du golfe de Venise, près de la côte de l'Albanie ; elle est sous la domination du turc : Sophien croit que c'est l'île Saso, ou Sasus des anciens. (D.J.)


SASERON(Géog. mod.) ville des Indes, au royaume de Bengale, entre Agra & Patna, sur le pié d'une montagne, & près d'un grand étang, au milieu duquel est une petite île remarquable par une belle mosquée, où est la sépulture du Nahab SelimKan. Latit. 26. 10. (D.J.)


SASIMA(Géog. anc.) ville de la Cappadoce, sur la route d'Ancyre de Galatie à Faustinopolis, & selon les apparences, dans la préfecture de Garsaurie. Sasima est connue dans l'histoire ecclésiastique, par l'épiscopat de Saint Grégoire de Nazianze, qui en fut le premier évêque. Selon ce prélat, c'étoit une station sur la voie militaire, mais une station misérable, où l'on manquoit d'eau, où l'on étoit aveuglé de la poussiere, où l'on n'entendoit qu'un bruit continuel de chariots, & où les habitans étoient opprimés par les brigandages des gens en place. (D.J.)


SASINA(Géog. anc.) port d'Italie, dans la Calabre, selon Pline, l. III. c. xj. ce port devoit être sur la côte du golfe de Tarente, dans le pays des Salentins : car Pline remarque que la largeur de la péninsule, en allant par terre de Tarente à Brundusium, étoit de trente-trois mille pas ; mais que la route du port Sasina à Brundusium, étoit beaucoup plus courte.


SASJEBUS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un arbrisseau du Japon, ses fleurs sont monopétales, de figure conique, de la grosseur d'un grain d'orge, blanches, semées le long de petites branches, & entremêlées de très-petites feuilles. Ses baies sont de couleur purpurine, sans enveloppe, grosses comme un grain de poivre, d'un goût vineux, & renferment plusieurs semences.


SASOSason, génitif Sasonis, ou Sasson, (Géog. anc.) île de la mer Ionienne : les auteurs anciens qui en ont parlé, ne s'accordent pas entierement sur sa position. Strabon, l. VI. la met à moitié chemin, entre l'Epire & Brundusium ; & Lucain, l. II. v. 627. semble en faire une île de la Calabre.

Spumoso Calaber perfunditur aequore Sason.

D'un autre côté, Ptolémée, l. III. c. xiij. la marque sur la côte de la Macédoine, dans la mer Ionienne ; & la plûpart des géographes modernes, sont de sentiment que l'île Saseno, qu'on voit à l'entrée du golfe de Valone, est l'île Saso des anciens. Cela s'accorde assez avec ce que dit Polybe, l. V. c. cx. que l'île Saso est à l'entrée de la mer Ionienne. D'ailleurs, le périple de Scylax met l'île de Sason sur la côte de l'Illyrie, à la hauteur des monts Cérauniens, & en fixe la distance au chemin qu'on peut faire dans le tiers d'un jour : l'île de Saso est fort basse selon Lucain, l. V. c. dcl.

Non humilem Sasona vadis....

Et Silius Italicus, l. VII. v. 480. exhorte d'éviter les sables dangereux de cette île.

Adriatici fugite infaustas Sassonis arenas. (D.J.)


SASRANS. m. (Marine) c'est la planche qui est à l'extrêmité d'un bateau foncet, & sur laquelle les planches du remplage sont appuyées. C'est aussi une grosse piece de bois, qu'on ajoute au bas du gouvernail d'un yacht, & qui y fait une grande saillie en-dehors.

SASRAN DE GOUVERNAIL, (Marine) piece de bois plate & droite, qu'on applique sur la longueur du gouvernail, afin qu'en lui donnant plus de largeur, elle en facilite l'effet. Voyez MARINE, Planche IV. fig. 1. le sasran du gouvernail, coté 176. & Planche VI. fig. 73. & 74.


SASSAFRASS. m. (Hist. nat. Bot.) petit arbre qui se trouve dans les pays tempérés de l'Amérique septentrionale, où on prétend qu'il prend la hauteur d'un pin ordinaire, sur un pié de diametre ; mais parmi les sassafras que l'on a élevé en Europe, les plus hauts n'ont pas passé dix ou douze piés. Sa tige est dégagée de branchages jusqu'à la tête qui est touffue, & qui forme une espece de coupole. Son écorce est unie, un peu rougeâtre, & elle rend au goût une légere saveur de l'anis. Ses racines sont dures, pesantes, & s'étendent à fleur de terre ; il paroît que dans le pays natal elles poussent beaucoup de rejettons ; cependant en Angleterre où on a plus élevé de ces arbres qu'en nulle autre contrée de l'Europe, on ne s'est pas apperçu de cette fécondité. Ses feuilles sont échancrées assez profondément en trois parties, sans aucune dentelure sur ses bords ; elles sont d'un verd obscur & de bonne odeur, sur-tout quand on les a laissé sécher. Ses fleurs paroissent au printems dès le commencement du mois de Mars ; elles sont jaunes, petites, rassemblées en bouquets, & d'une odeur agréable. Les fruits qu'elles produisent sont des baies de la grosseur & de la forme de celles du laurier : elles ont comme le gland un calice, mais coloré de rouge, ainsi que les pédicules qui les soutiennent : ces baies deviennent bleues dans leur maturité. Le mêlange de ces deux couleurs dont l'apparence est assez vive, fait un agrément de plus dans cet arbre sur l'arriere-saison. Mais ce qu'il a de plus recommandable, c'est que toutes ses parties répandent une odeur aromatique, qui approche de celle de la canelle, & qui indique ses grandes propriétés.

Le sassafras veut une terre meuble & fort humide, telle qu'elle se trouve ordinairement dans le Canada, au pays des Iroquois, où il y a beaucoup de ces arbres. Mais la Floride & la Louisiane, sont les endroits où cet arbre est le plus commun. On a souvent essayé en Angleterre de le tenir en caisse, & de le faire passer l'hiver dans l'orangerie ; mais M. Miller auteur anglois, pense que ce n'est pas la bonne façon de le conduire, & que la meilleure est de le mettre en plein air à l'exposition la plus chaude, dans une terre légere & humide, où il faut le garantir des hivers rigoureux par les précautions d'usage en pareil cas, jusqu'à ce que l'arbre soit dans sa force. Je me suis bien assuré par des épreuves, que cet arbre ne peut se soutenir que dans des terreins secs & élevés, & qu'il craint sur-tout les grandes chaleurs du mois d'Août qui le font périr. On voit en Angleterre des sassafras qui ont très-bien réussi en pleine terre, & qui forment de petits arbres avec une jolie tête.

On ne peut guere multiplier le sassafras qu'en semant ses graines qu'il faut tirer d'Amérique ; car malheureusement elles ne viennent point à parfaite maturité en Europe. Encore arrive-t-il que les graines d'Amérique levent très-rarement, à-moins qu'on n'ait eu la précaution de les envoyer mêlées avec de la terre. Dans ce cas, il en levera quelques-unes dès la premiere année ; mais le reste ne viendra souvent qu'après la seconde ou la troisieme ; ce qui doit engager à ne se pas presser de reverser la terre où ces graines auront été semées. Il faudra sur-tout avoir grand soin de les arroser dans les tems de sécheresse, de les garantir du soleil vers le milieu du jour, & de les préserver du froid pendant les deux ou trois premiers hivers, & sur-tout des froides matinées d'automne, qui font plus de tort à ces arbres que les fortes gelées d'hiver : car quand la pointe des tendres rejettons est fannée par le froid, il se fait une corruption de seve qui porte l'altération dans toutes les parties du jeune arbre & le fait mourir. Il est très-difficile de multiplier le sassafras de branches couchées : elles ne font racine qu'au bout de deux ou trois ans ; & souvent il n'en réussit pas le tiers, si on n'a pas le plus grand soin de les arroser ; il souffre assez bien la transplantation.

Le bois de cet arbre est léger quoiqu'assez dur, d'une couleur un peu jaunâtre, d'une odeur qui approche de celle du fenouil, d'un goût piquant & aromatique. On l'employe en Médecine comme incisif, apéritif, & sudorifique. Article de M. D'AUBENTON, le subdélégué.


SASSARou SACER, (Géog. mod.) ville d'Italie, dans l'île de Sardaigne, au nord-ouest, sur la riviere de Torre, à 6 lieues au nord d'Algieri, & à 7 au sud-ouest de Villa Aragonèse. Elle est la résidence de l'archevêque de Torre, autrefois Turris Libissonis, qui est une place ruinée. Long. 26. 15. lat. 40. 45.


SASSEBEou MILLENBACH, (Géog. mod.) ville fortifiée de la Transylvanie, capitale du comté de même nom, au confluent de deux petites rivieres. Long. 42. 16. lat. 46. 14. (D.J.)


SASSENAGE(Géog. mod.) baronie de France, dans le Dauphiné, élection de Grenoble. Le nom de ce lieu est célebre par ses fromages, & par ses deux cuves qui sont dans une caverne, & dont on a fait autrefois une des merveilles du Dauphiné ; l'on a dit que les deux cuves ne se remplissoient que le seul jour des Rois, ce qui s'est trouvé faux à la vérification du fait, mais les fromages conservent encore leur renommée. (D.J.)

SASSENAGE, pierre de, (Hist. nat.) c'est le nom que l'on donne quelquefois à la pierre d'hirondelle. Voyez HIRONDELLE, pierre d ', en latin lapis chelidonius.


SASSERv. act. (Gram.) passer au sas. Voyez SAS.


SASSESS. f. (Marine) ce sont des pelles creuses dont on se sert sur les bâtimens, pour puiser l'eau.


SASSISASSI


SASSO - FERRATO(Géog. mod.) petite ville de la marche d'Ancone, ou pour mieux dire, bourgade d'Italie, dans l'état de l'Eglise, & dans la marche d'Ancone, près de la riviere Sentino, vers les confins du duché d'Urbin ; je parle de cette bourgade, parce qu'elle a produit d'illustres savans, entr'autres Barthole & Perroti.

Barthole, né l'an 1310, a été l'un des plus doctes jurisconsultes de son tems. Ses écrits se ressentent de la barbarie de son siecle ; cependant ils contiennent des choses assez singulieres pour le sujet. Il mourut en 1355, âgé de 46 ans.

Perroti (Nicolo), archevêque de Siponte, dans le royaume de Naples, parut avec honneur entre les savans personnages du quinzieme siecle. Il a mis au jour un ouvrage sur la versification latine, & des commentaires sur Stace & sur Martial. Il a le premier traduit en latin les cinq premiers livres de Polybe, qui est tout ce qu'on en avoit alors. Sa traduction n'est pas toujours fidele, & est pleine de libertés inexcusables ; mais sa latinité pourroit être avouée des siecles où l'on écrivoit le plus purement. Le cardinal Bessarion l'aima, & le choisit pour son conclaviste après la mort de Paul II. & Perroti lui fit innocemment manquer le pontificat, en refusant, par l'ignorance des usages, l'entrée de la chambre de son maître à trois cardinaux qui venoient le saluer pape. Bessarion en ayant été instruit, ne s'en émut pas davantage, & dit tranquillement à Perroti : " Par votre soin à contre-tems vous m'avez ôté la tiare, & à vous le chapeau " Perroti mourut en 1480. Son article est dans les mémoires du pere Nicéron, t. IX. & en effet il ne devoit pas oublier ce savant homme, un des habiles grammairiens de l'Italie. (D.J.)


SASSOIRES. f. (terme de Charron) c'est une piece du train du devant du carrosse, qui est au bout des armons, soutient la fleche, & sert à faire braquer le carrosse. (D.J.)


SASSUOLO(Géog. mod.) ville d'Italie, au duché de Modène, dans la principauté de Carpi, sur la Secchia, entre Reggio & Modène. Long. 28. 25. latit. 44. 30. (D.J.)


SASUAROS(Géog. mod.) petite ville de la Transylvanie, sur la riviere de Maros, à quatre lieues audessous de Weissembourg. Quelques-uns croyent que c'est l'ancienne Frateria. (D.J.)


SATS. m. (mesure étrangere) nom d'une mesure dont on se sert à Siam pour mesurer les grains, les graines, les légumes, & quelques fruits secs. C'est une espece de boisseau fait de bambouc entrelacé, à-peu-près comme cette petite mesure pour les avoines, qu'on appelle à Paris un picotin, & qui a la forme d'un panier d'osier. Le sat est d'environ trois livres, poids de marc. Dict. de Commerce.


SATALA(Géog. anc.) ville de la petite Arménie, selon Ptolémée, liv. V. c. vij. qui la place dans les terres. La ville de Satala, dit Procope, liv. III. des édifices, c. iv. craignoit sans-cesse, comme voisine des ennemis, & comme entourée de hauteurs qui la commandoient de tous côtés. Si son assiette étoit desavantageuse, ses murailles étoient encore plus mauvaises. L'empereur Justinien en fit de neuves, d'une hauteur qui surpassoit les éminences d'alentour, & d'une épaisseur suffisante pour porter une telle charge. Il fit élever en-dehors une seconde muraille, & fit bâtir assez proche une forteresse dans l'Osroëne. Tout cela ne servit de rien ; les ennemis pénétrerent partout. Il avoit en partage la fureur des forteresses & de la tyrannie. (D.J.)


SATALIE(Géog. mod.) par les Turcs Satiliach & Antali ; ville de la Turquie asiatique, dans l'Anatolie, sur la côte de la petite Caramanie, au fond d'un golfe de même nom. Elle occupe la place de l'ancienne Attalia, & est une des plus fortes villes de l'empire turc. Les chaleurs y sont excessives en été ; aussi les environs de Satalie produisent en abondance des citronniers & des orangers qui viennent sans culture ; mais le port ne peut recevoir que de petits bâtimens, & la rade n'est point assurée. Long. 48. 45. lat. 37. 10. (D.J.)


SATAN(Critique sacrée) mot hébreu, qui signifie adversaire, ennemi, persécuteur, accusateur ; d'où vient que vous devenez aujourd'hui mes adversaires satan mihi, II. Rois, xix. 22. Il n'y a plus d'ennemi qui s'oppose à moi : non est in me satan ullus, III. Rois, xv. 14. Le I. des Macchabées parlant d'un commandant de la forteresse bâtie vis-à-vis le temple de Jérusalem, dit qu'il étoit comme un méchant diable à Israël Israël, parce qu'il étoit l'accusateur des Israélites qui alloient au temple, Jesus-Christ dit à S. Pierre, retirez-vous de moi, satan, Matt. xvj. 23. c'est-à-dire, éloignez-vous de moi mon ennemi, vous seriez propre à me faire pécher, si la chose étoit possible. Ceux qui suivent les ténebres de l'idolâtrie sont dits être sous la puissance de satan, dans les actes des Apôtres, ch. xxvj. 18. Les profondeurs de satan, dans l'Apocalypse ij. 24. sont les opinions des Nicolaïtes, qu'ils enveloppoient sous une mystérieuse profondeur, Eusebe remarque dans son histoire ecclésiastique, liv. III. ch. ix. que leur hérésie subsista fort peu de tems. S. Paul livre l'incestueux de Corinthe à satan, I. Cor. v. 5. cela veut dire que les fideles doivent le regarder comme un pécheur criminel, avec lequel il ne faut point avoir de commerce. Enfin, les opérations de satan, II. Thessal. ij. 9. sont de faux prodiges employés par des imposteurs pour nous tromper, pour nous abuser, pour nous jetter dans le péché, dans l'idolâtrie.


SATÉS. m. (mesure des Hébreux) dans la vulgate ; satum, mesure creuse des Hébreux pour les choses seches. Voyez SEAH.


SATELLITES. m. en termes d'Astronomie, signifie des planetes secondaires qui se meuvent autour d'une planete premiere, comme la Lune fait par rapport à la Terre. On les appelle ainsi parce que ces planetes accompagnent toujours leur planete premiere, & font avec elle leur révolution autour du Soleil. Voyez PLANETE.

Les satellites se meuvent autour de leurs planetes premieres, comme centre, en observant les mêmes loix que les planetes premieres dans leur mouvement autour du Soleil. Sur la cause physique de ces mouvemens, voyez GRAVITE.

On se sert quelquefois indifféremment des mots lune & satellite : & l'on dit les lunes de Jupiter, ou les satellites de Jupiter. Cependant ordinairement on reserve le mot lune pour exprimer le satellite de la Terre, & on appelle satellites les petites lunes qui ont été découvertes autour de Jupiter & de Saturne. Voyez LUNE.

Les satellites ont été inconnus jusqu'à ces derniers siecles, parce que l'on avoit besoin du secours du télescope pour les appercevoir. On n'apperçoit en effet aucun de ces satellites à la vue simple. Ceux de Jupiter qui sont les plus gros, se distinguent par des lunettes de trois piés, qui les font paroître comme les étoiles de la sixieme ou septieme grandeur paroissent à la simple vue. Pour le quatrieme de Saturne, il faut des lunettes de huit à neuf piés. Le troisieme & le huitieme demandent des lunettes d'un plus grand foyer ; & on ne peut distinguer les premiers qu'avec des lunettes qui excedent au-moins trente ou quarante piés. Voyez TELESCOPE.

Nous ne connoissons point d'autres satellites que ceux de la Terre, de Jupiter & de Saturne ; & il n'y a pas grand sujet d'espérer qu'on en découvre d'autres dans la suite, attendu qu'on a examiné toutes les planetes avec les télescopes les plus longs & les meilleurs qu'il paroît possible de faire. Cependant il est douteux s'il n'y en a point un qui tourne autour de Vénus. Voyez VENUS.

Satellites de Jupiter, sont quatre petites planetes secondaires qui tournent autour de cette planete, comme elle tourne elle-même autour du Soleil.

Simon Marius, mathématicien de l'électeur de Brandebourg, découvrit vers la fin de Novembre 1609, trois petites étoiles proche de Jupiter, qui lui parurent accompagner cette planete, & tourner autour d'elle ; & au mois de Janvier 1610, il en vit une quatrieme. Dans le même mois Galilée fit la même découverte en Italie, & la même année il publia ses observations ; c'est depuis ce tems qu'on a commencé à observer les satellites de Jupiter.

Galilée, pour honorer son protecteur, appella ces planetes, astra Medicea, astres de Médicis ; & en Italie on est encore fort jaloux de leur conserver ce nom ; mais on ne les appelle plus ainsi par-tout ailleurs. Marius qui les avoit vus le premier, appella la plus proche de Jupiter, Mercurius jovialis, Mercure de Jupiter ; la seconde, Venus jovialis, Vénus de Jupiter ; la troisieme, Jupiter jovialis, & la quatrieme, Saturnus jovialis, Saturne de Jupiter.

Antonius-Maria Schyrlaeus de Reita, capucin de Cologne, s'imagina qu'outre ces quatre satellites, il en avoit vu cinq autres le 29 Décembre 1642, & les nomma sidera urbanoctavia, astres urbanoctaviens, en l'honneur du pape Urbain VIII. qui regnoit alors. Mais Naudé, ayant communiqué cette observation à Gassendi, qui avoit observé Jupiter le même jour, Gassendi reconnut bientôt que ce moine s'étoit trompé : & avoit pris pour des satellites de Jupiter cinq étoiles fixes dans l'eau du verseau, qui sont marquées 24, 25, 26, 27 & 28, dans le catalogue de Tycho. Voyez Epist. Gassendi ad Gabriel. Naudaeum, de novem stellis circa Jovem visis.

Phénomenes & nature des satellites de Jupiter. 1°. Lorsque Jupiter se trouve entre le Soleil & un de ses satellites, ce satellite disparoît, même quand le ciel est fort serein, c'est-à-dire que ce satellite est éclipsé par Jupiter.

Par conséquent les satellites de Jupiter sont privés de lumiere lorsque les rayons du Soleil qui les vont frapper en ligne droite sont interceptés par Jupiter ; d'où il s'ensuit que ces planetes sont des corps opaques comme la lune, qui n'ont de lumiere que celle qu'ils reçoivent du Soleil ; de-là on peut conclure encore, que puisque Jupiter n'éclaire point ses satellites quand ils sont derriere lui, cette planete doit aussi être privée de lumiere dans la partie opposée au Soleil ; & que par conséquent Jupiter n'est point lumineux par lui-même.

2°. Quand les satellites sont interposés entre Jupiter & le Soleil, on observe une petite tache sur le disque de Jupiter, & cette tache paroît quelquefois plus grosse que le satellite même.

Donc, puisque les satellites sont des corps opaques que le Soleil éclaire, & qui doivent jetter une ombre du côté opposé au Soleil ; il s'ensuit que la petite tache ronde qu'on observe sur Jupiter est l'ombre du satellite : de plus, comme cette tache est circulaire, il s'ensuit que l'ombre du satellite forme un cône ; & que par conséquent les satellites sont d'une figure sphérique, au moins sensiblement.

3°. Lorsque la Terre est entre Jupiter & le Soleil, & qu'un des satellites se trouve aussi entre Jupiter & le Soleil, sa lumiere disparoît & se perd dans celle de Jupiter : ainsi M. Maraldi nous apprend que le 26 Mars 1707, il observa avec un télescope de 34 piés le quatrieme satellite de Jupiter, qui passoit sur cette planete, & qu'il lui parut comme une tache noire ; mais que ce satellite ne fut pas plutôt hors du disque, qu'il reprit son premier éclat. Il observa le 4 Avril une tache semblable formée par une immersion du troisieme satellite ; mais le 11. d'Avril, examinant une immersion du même satellite, il trouva qu'il paroissoit dans tout son éclat, sans laisser aucune tache : le même phénomene a été aussi observé en d'autres occasions par M. Cassini.

MM. Cassini & Maraldi ont souvent remarqué des changemens fort surprenans dans la grandeur apparente des satellites, lorsqu'il ne paroissoit rien dans leur distance soit à la Terre, soit au Soleil, soit à Jupiter, qui pût être l'occasion de ses variations : par exemple, le quatrieme satellite, qui est presque toujours le plus petit des quatre, paroît quelquefois le plus gros, & le troisieme qui est ordinairement le plus gros, paroît quelquefois égal, quelquefois même plus petit qu'aucun des autres.

Puisque les satellites de Jupiter sont éclairés par le Soleil, même lorsqu'ils sont plongés dans la lumiere de Jupiter, & que cependant ils ne laissent pas de paroître quelquefois sans lumiere, & quelquefois de disparoître tout-à-fait, il faut nécessairement qu'il arrive dans leur athmosphere différens changemens qui empêchent que l'action des rayons du Soleil sur eux ne soit toujours le même ; c'est pour cette même raison que leur ombre est quelquefois plus grosse qu'eux.

Tems périodique des satellites de Jupiter. Les périodes ou révolutions des satellites de Jupiter se déterminent par leurs conjonctions avec Jupiter, comme celles des planetes premieres se déduisent de leurs oppositions avec le Soleil. Voyez PERIODE, &c.

M. Cassini a trouvé par cette méthode les périodes des différens satellites, telles qu'il suit :

Distance des satellites de Jupiter à Jupiter. Les quarrés des tems périodiques des satellites sont proportionnels aux cubes de leurs distances à Jupiter, comme il en est des planetes premieres par rapport au Soleil.

Pour déterminer ces distances par observation, on les mesure avec un micrometre en demi - diametres de Jupiter. Ces distances, suivant M. Cassini, sont telles qu'il suit :

Le premier satellite est distant du centre de Jupiter de 5 2/3 demi-diametres de Jupiter.

Le 2e de 9 demi-diam.

Le 3e de 14

Le 4e de 25 & un tiers.

Donc, puisque le demi - diametre de Jupiter est égal à 27 8/11 demi-diametres de la Terre, il s'ensuit que la distance du premier satellite à Jupiter est de 166 demi - diametres terrestres ; celle du deuxieme, de 249 & demi ; celle du troisieme, de 388 ; & celle du quatrieme de 884.

Satellites de Saturne, sont cinq petites planetes qui tournent autour de Saturne. Voyez SATURNE.

Une de ces planetes, savoir la quatrieme, en comptant depuis Saturne, a été découverte par M. Huyghens, le 25 Mars 1655, au moyen d'un télescope de 12 piés de longueur ; les quatre autres ont été découvertes à différentes fois par M. Cassini ; savoir, les deux qui sont le plus proche de Saturne, en Mars 1684, par le secours de deux verres de Campani, l'un de 100 piés de foyer, l'autre de 136 ; la troisieme en Décembre 1672, par le moyen d'un télescope de Campani de 36 piés de long ; & la cinquieme en Octobre 1671, avec un télescope de 17 piés. La plûpart des phénomenes des satellites de Jupiter, & peut-être tous, s'observent aussi dans ceux de Saturne ; ainsi ils paroissent tantôt plus gros, tantôt plus petits : le cinquieme paroît aussi quelquefois éclipsé, &c. par conséquent il n'est point douteux que ces satellites ne soient de la même nature que ceux de Jupiter ; mais à cause de leur grand éloignement, ils paroissent beaucoup plus petits que les satellites de Jupiter, & peut-être le sont-ils en effet. Ils ont beau passer devant Saturne & l'éclipser, on ne peut, à cause de la foiblesse de leur lumiere, distinguer ni leurs immersions, ni leurs émersions. Le premier & le second deviennent même invisibles dès qu'ils s'approchent un peu de Saturne. Le troisieme est un peu plus gros, & reste souvent visible tout le tems de sa révolution. Le quatrieme & le cinquieme se voyent aussi assez bien ; le quatrieme paroît toujours le plus gros. Le cinquieme varie de lumiere & de grandeur, sans-doute par quelque tache que la révolution rend tantôt plus, tantôt moins dominante sur la lumiere du disque exposé à nos yeux. Les inclinaisons de leurs orbes sont plus grandes que celles des satellites de Jupiter. Le premier acheve sa révolution en 1 jour 21 heures 18 minutes 27 secondes ; le second en 2 jours 17 heures 44 minutes 22 secondes ; le troisieme en 4 jours 12 heures 25 minutes 12 secondes ; le quatrieme en 15 jours 22 heures 34 minutes 38 secondes ; & le cinquieme en 79 jours 7 heures & 47 minutes. Supposant le demi-diametre de l'anneau 1, celui de l'orbe du premier est de près de deux, celui du second de 2 1/2, du troisieme de 3/2, du quatrieme de 8, du cinquieme 23. Le diametre de Saturne est d'environ 20 secondes, celui de l'anneau 45 ; ainsi le diametre de l'orbe du premier satellite est d'une minute 27 secondes ; le second d'une minute 52 secondes ; le troisieme de 2 minutes 36 secondes ; le quatrieme de 6 minutes ; le cinquieme 17 minutes 25 secondes. Les quatre premiers décrivent des ellipses apparentes, semblables à celles de l'anneau, & sont dans un même plan. Leur inclinaison à l'écliptique est de 30 à 31 degrés. Le cinquieme décrit un orbe incliné de 17 à 18 degrés à l'orbe de Saturne, son plan étant entre l'écliptique, & ceux des autres satellites, &c.

Les tems des révolutions des satellites de Saturne, suivant M. Cassini, sont tels qu'il suit :

Les distances de ces satellites au centre de Saturne, selon le même astronome, sont :

La grande distance qu'il y a entre le quatrieme & le cinquieme satellite, fait croire à M. Huyghens qu'il pourroit bien y en avoir quelqu'autre entre deux, ou qu'au moins le cinquieme satellite pourroit avoir lui-même un satellite qui tournât autour de lui comme centre.

M. Halley a donné dans les Transactions philosophiques, une correction de la théorie du mouvement du quatrieme satellite, qui est celui de M. Huyghens. La vraie période de ce satellite est, suivant M. Halley, de 15 jours 22 heures 41 minutes 6 secondes ; son mouvement diurne, de 22° 34'38''8'''; sa distance au centre de Saturne, de 4 diametres de l'anneau ; & son orbite, qui n'est que peu ou point distante du plan de l'anneau, coupe l'orbite de Saturne sous un angle de 23 degrés & demi. Les satellites tournent aussi, selon toutes les apparences, autour de leur axe. Voici les preuves qu'on peut en donner.

1°. Dans les conjonctions des satellites avec Jupiter, on y voit quelquefois des taches, & quelquefois on n'y en voit point, la révolution les faisant sans-doute reparoître & disparoître tour-à-tour. 2°. Le même satellite dans les mêmes circonstances, paroît quelquefois plus grand & quelquefois plus petit. Le quatrieme satellite paroît souvent plus petit que les trois autres, & quelquefois plus grand que les deux premiers, quoique son ombre paroisse toujours plus grande sur Jupiter, que celle de ces deux. Le troisieme satellite paroît le plus souvent plus grand que tous les autres, & quelquefois il paroît égal aux deux premiers ; sans-doute que les taches tantôt paroissant, & tantôt disparoissant, entraînées par la révolution, en diminuent, ou en augmentent alternativement les apparences. 3°. Le même satellite n'emploie pas toujours le même tems à entrer dans Jupiter, ou à en sortir, y mettant quelquefois 6 & tantôt jusqu'à 10 minutes ; ce qu'on juge venir des taches qui alterent la partie claire en divers endroits. Il est vrai que ces taches pourroient se former & se dissiper ; mais dans l'Astronomie on doit toujours préférer les hypotheses du mouvement local à celles des générations & des destructions.

Nous sommes redevables à M. Pound d'un grand nombre d'excellentes observations sur les satellites, tant de Jupiter que de Saturne. On peut voir dans les institutions astronomiques de M. le Monnier, p. 29. & suiv. le détail de ces observations.

Les éclipses des satellites, sur-tout celles des satellites de Jupiter, sont de la plus grande utilité dans l'Astronomie. En premier lieu, on peut se servir de ces éclipses pour déterminer assez exactement la distance de Jupiter à la Terre : cette méthode est expliquée dans le livre dont nous venons de parler, p. 294. Un second avantage encore plus considérable qu'on a tiré de ces éclipses, c'est la preuve du mouvement successif de la lumiere. Il est démontré par les éclipses des satellites de Jupiter que la lumiere ne vient pas à nous dans un moment (comme les sectateurs de Descartes l'ont si long-tems prétendu), quoiqu'à la vérité son mouvement soit fort rapide. En voici la preuve. Si la lumiere ne venoit pas à nous successivement, mais qu'elle fût instantanée, il est évident que la Terre étant dans la plus grande distance de Jupiter, on appercevroit l'éclipse du satellite au même instant que si la Terre étoit dans la plus petite distance de Jupiter ; au contraire si la propagation de la lumiere se fait successivement & d'une maniere qui puisse être sensible à de fort grandes distances ; il est évident qu'un observateur étant placé plus près de Jupiter, de tout le diametre de l'orbite terrestre, il appercevra plus tôt l'éclipse du satellite ; ensorte que, par le moyen de la différence entre le tems où on apperçoit l'éclipse & celui où on doit l'appercevoir suivant les tables, on connoîtra la vîtesse de la lumiere qui convient au diametre de la Terre. Or c'est précisément ce que les observations ont fait découvrir, puisque toutes les fois que la Terre s'approche de Jupiter, les éclipses des satellites arrivent tous les jours un peu plus tôt que quand elle s'en éloigne : car on s'apperçoit peu-à-peu d'une différence entre le calcul & les observations qui devient assez considérable. C'est M. Roëmer qui a le premier fait cette découverte, confirmée depuis par la théorie ingénieuse de l'observation. Voyez OBSERVATION.

Le troisieme & le plus grand avantage qu'on retire des observations des éclipses des satellites, c'est la connoissance des longitudes sur Terre. En effet, je suppose que deux observateurs, dont l'un est, par exemple, à Paris, l'autre à Constantinople, observent une éclipse du premier satellite de Jupiter, il est certain que cette éclipse arrivera dans le même moment pour chacun des observateurs ; mais comme ils sont placés sous différens méridiens, ils ne compteront pas la même heure : l'un par exemple, comptera neuf heures du soir, pendant que l'autre n'en comptera que huit : or de-là on déduit l'éloignement des deux méridiens, & par conséquent la longitude. Voyez LONGITUDE.

Les cercles que les satellites décrivent autour de leurs planetes principales ne sont pas fort excentriques ; M. le Monnier nous a donné dans les institutions astronomiques des tables de leurs mouvemens aussi exacts qu'on peut le desirer, dans une matiere dont la théorie est jusqu'à présent si peu connue & si imparfaite. En effet, il est certain par les observations, que les satellites agissent les uns sur les autres, & qu'ils alterent réciproquement leurs mouvemens ; ensorte que la loi de ces mouvemens est extrêmement difficile à découvrir ; on en peut juger par la difficulté de la théorie de la Lune qui est pourtant le seul satellite de la Terre, & dont le mouvement n'est dérangé sensiblement que par l'action du Soleil. Que seroit-ce si outre cette Lune nous en avions encore quatre ou cinq autres qui, par leur action mutuelle, altérassent leurs mouvemens ? C'est là le cas des satellites de Jupiter & de Saturne, sans compter que l'action de Jupiter sur les satellites de Saturne peut avoir encore un effet assez sensible, aussi-bien que l'action de Saturne sur les satellites de Jupiter. Le second satellite de Jupiter est celui où ces inégalités sont le plus remarquables. On ne sauroit trop exhorter les savans géometres de l'Europe à donner la théorie de ces inégalités.

Il n'est pas aisé de savoir quel peut être l'usage des satellites. On croit communément qu'ils sont destinés à suppléer, en quelque sorte, à la lumiere foible que reçoivent des planetes trop éloignées du Soleil, comme Jupiter & Saturne, & à les éclairer pendant leurs nuits. Mais 1°. on ne remarque point de satellite à Mars, on sait que la Terre en a un, & on croit même qu'il y en a un autour de Vénus : voilà donc une planete beaucoup plus proche du Soleil qui a un satellite, & une autre plus éloignée qui paroît n'en pas avoir. 2°. On ne peut gueres dire que la Lune soit destinée uniquement à nous éclairer durant nos nuits, puisque souvent elle nous est cachée pendant la plus grande partie de la nuit. 3°. La nuit d'une planete, toutes choses d'ailleurs égales, doit être censée d'autant plus profonde que le jour y a été plus brillant. Ainsi les planetes les plus proches du Soleil ont une nuit plus obscure à proportion que les autres : elles ont donc, à cet égard, encore plus besoin de satellites. Que faut-il donc croire sur l'usage des satellites ? Il faut savoir dire qu'on l'ignore. (O)

SATELLITE, satelles ou garde, (Hist. mod.) se dit d'une personne qui en accompagne une autre, soit pour veiller à sa conservation, soit pour exécuter sa volonté.

Chez les empereurs d'Orient, ce mot satellite signifioit la dignité ou l'office de capitaine des gardes du corps.

Ce terme fut ensuite appliqué aux vassaux des seigneurs, & enfin à tous ceux qui tenoient les fiefs, appellés sergenterie. Voyez SERGENTERIE.

Ce terme ne se prend plus aujourd'hui qu'en mauvaise part. On dit les gardes d'un roi, & les satellites d'un tyran.


SATICULA(Géogr. anc.) ville d'Italie dans le Samnium. Servius, in Aeneïd. l. VIII. vers. 729. la place dans la Campanie, mais elle étoit dans le Samnium : Festus le dit positivement, Saticula, oppidum in Samnio captum est. (D.J.)


SATIÉTÉS. f. (Gramm.) dégoût qui suit l'usage immodéré ; on a la satiété des alimens, après avoir trop mangé ; la satiété du plaisir, après s'y être trop livré ; la satiété de l'étude, de la gloire, des affaires ; nous usons tout.


SATINS. m. (Etoffe de soie) le tissu du satin est d'une espece différente des autres étoffes, parce que l'ouvrier ne leve que la huitieme ou la cinquieme partie de sa chaîne pour passer sa trame au-travers, ensorte qu'il reste toujours les 4/5 ou les 7/8 de la chaîne du côté de l'endroit de l'étoffe, ce qui y donne le brillant. Au surplus, il se fabrique comme toutes les étoffes de soie. Voyez ÉTOFFES DE SOIE.

Il se fabrique à Lyon des satins unis, des satins rayés, des satins en deux, trois & quatre lacs courans, de 11/24 de large, des satins brochés, soie & dorure, de la même largeur.

Tous les satins sans poil, soit unis, soit façonnés, doivent commencer à lever une lisse pour recevoir la trame qui passe entre la partie levée, soit la huitieme, soit la cinquieme, comme il a déja été dit, afin de faire le corps de l'étoffe.

Après la premiere lisse levée, celle qui doit suivre doit toujours être la quatrieme, de façon qu'une étant prise, il en reste toujours deux entre la premiere levée & celle qui doit lever ensuite pour recevoir le second coup de trame ; c'est l'armure du métier.

On va donner l'idée de l'armure d'un satin à huit lisses, & d'un satin à cinq lisses.

Armure d'un satin à huit lisses, dont une prise & deux laissées.


SATINADES. f. (Soierie) les satinades sont de petits satins très-foibles & très-légers, dont les dames font des robes longues de printems & d'automne, ou des robes à se peigner. Ils sont communément rayés. On nomme encore satinade une petite étoffe à-peu-près comme le satin de Bruges, mais plus foible, dont on fait des meubles, particulierement des tapisseries de cabinet. Dict. du Commerce.


SATINÉadj. (Jardinage) se dit de la couleur d'une anemone, d'une renoncule, ou d'une oreille d'ours.


SATINÉECOULEUR, terme de Joaillier ; la couleur satinée en fait de pierres précieuses, est une couleur claire & brillante. C'est l'opposé de velouté. (D.J.)


SATIO(Géog. anc.) ville de la Macédoine, selon Polybe, l. V. & Tite-Live, l. XVII. Le premier la place sur le bord du lac Lychnidus, & le second dit qu'elle devoit être rendue aux Athamanes ; ce qui a fait croire à quelques-uns que par Satio, Tite-Live & Polybe entendoient chacun une ville différente. (D.J.)


SATIRE MÉNIPPÉE(Hist. lit. de France) titre d'un ouvrage qui fit beaucoup de bruit du tems de la ligue sur la fin du seizieme siecle, & qui est toujours fort recherché par les curieux ; c'est ce qui m'engage d'en dire un mot à cause de la singularité.

L'ouvrage qui porte ce titre est composé de celui qu'on nomma plaisamment Catholicon d'Espagne, qui parut en 1593, & de l'abregé des états de la ligue, qui fut imprimé l'année suivante ; le tout fut appellé satire ménippée.

L'auteur de l'abregé chronol. de l'histoire de France nous apprend que M. le Roi, aumônier du jeune cardinal de Bourbon, & depuis chanoine de Rouen, fut seul l'auteur du catholicon. Pour l'abregé des états, plusieurs y travaillerent ; Passerat & Rapin, deux bons poëtes, en composerent les vers ; M. Gillot, conseiller au parlement de Paris, dont nous avons un éloge en latin de Calvin, fit la harangue du cardinal légat. Florent Chrétien, homme d'esprit, composa la harangue du cardinal Pellevé. On est redevable au savant Pierre Pithou de la harangue de M. Aubrai, qui est la meilleure de toutes ; & l'on doit encore à Rapin la harangue de l'archevêque de Lyon ; & celle du docteur Rose, grand-maître du college de Navarre, & évêque de Senlis. Peut-être que la satire ménippée ne fut guere moins utile à Henri IV. que la bataille d'Ivri, ou que l'Hudibras de Butler le fut à Charles II. roi d'Angleterre. Le ridicule a tant d'empire sur les hommes. Risus rerum saepe maximarum momenta vertit, dit Quintilien. (D.J.)


SATISDATIO(Jurispr. rom.) ce mot se prend dans la jurisprudence romaine pour une garantie, & quelquefois pour une simple promesse. Satisdare secundum mancipium, c'étoit rei mancipium, seu dominium praestare, répondre à l'acheteur qu'il ne seroit point troublé dans la possession de ce qu'il achetoit ; ce qui se faisoit communément nudâ repromissione, par une simple promesse, & cette promesse s'appelloit satisdatio dans le tems où l'on étoit obligé de donner caution ; cet usage changea dans la suite, & cependant, on ne laissa pas de se servir toujours du même terme de satisdatio pour désigner la simple garantie du vendeur. (D.J.)


SATISFACTIONCONTENTEMENT, (Gramm.) l'un de ces deux mots n'a point de pluriel, c'est celui de satisfaction ; & l'autre appliqué au monde désigne les plaisirs qui passent comme une ombre. L'auteur de la justesse de la langue, & M. l'abbé Girard, trouvent quelque différence entre ces deux mots ; selon eux la satisfaction est plus dans les passions, & le contentement dans le coeur : un homme inquiet, disent-ils, n'est jamais content ; un homme ambitieux n'est jamais satisfait. (D.J.)

SATISFACTION, (Théolog.) satisfactio ; l'action de satisfaire, c'est-à-dire de réparer une injure ou de payer une dette.

Le terme de satisfaction dans sa signification naturelle, emporte avec soi l'une ou l'autre de ces idées. Un homme a contracté une dette, il la paye ; on dit qu'il a satisfait à son créancier. Une personne en offense une autre, ou l'outrage, soit de paroles, soit d'action ; elle répare ensuite cet outrage, soit par des excuses qu'elle fait à la personne lésée, soit par d'autres voies ; on dit également qu'elle a satisfait à celui qu'elle a outragé.

On distingue deux sortes de satisfaction ; l'une rigoureuse & proprement dite, l'autre non rigoureuse & improprement dite. On définit la premiere une réparation proportionnée à l'injure qu'on a faite, ou le payement d'une somme égale à celle qu'on a empruntée : par satisfaction non rigoureuse & improprement dite, on entend une réparation disproportionnée à la grandeur de l'injure qu'on a faite, mais dont néanmoins se contente par pure bonté & par pure miséricorde, celui qui a été lésé ; ou le payement d'une somme non égale à celle qui a été empruntée, & dont le créancier se contente pour éteindre la dette de son débiteur.

La question de la satisfaction de Jesus-Christ pour le salut du genre humain, est une matiere des plus controversées entre les Catholiques & les Sociniens. Ces derniers conviennent que Jesus-Christ a satisfait à Dieu pour nous ; mais ils entendent qu'il n'a satisfait qu'improprement & métaphoriquement, en remplissant toutes les conditions qu'il s'étoit lui-même imposées pour opérer notre salut, & obtenant de Dieu pour nous une relaxation gratuite des dettes que nous avions contractées envers lui par le péché ; soit parce qu'il s'est imposé à lui-même des peines pour nous montrer ce que nous devons souffrir pour obtenir le pardon de nos crimes ; soit parce qu'il nous a indiqué par son exemple, par ses conseils, & par ses prédications, le chemin qu'il faut tenir pour arriver au ciel ; soit enfin parce qu'il nous a fait entendre par son sacrifice, qu'il falloit accepter la mort avec une résignation parfaite à la volonté de Dieu, en punition de nos péchés.

Les Sociniens avouent encore que Jesus-Christ est le sauveur du monde ; mais seulement par ses discours, ses conseils & ses exemples, & non par le mérite & l'efficace de sa mort ; & s'ils sont forcés de dire que Jesus-Christ est mort pour nous, ils entendent que c'est pour notre avantage & notre utilité, & nullement qu'il ait souffert la mort à la place des hommes coupables.

Pour détruire ces interprétations ou fausses ou insuffisantes, les Catholiques disent que Jesus-Christ a satisfait à Dieu proprement & rigoureusement en payant à son pere un prix non-seulement équivalent, mais encore surabondant pour les péchés des hommes, le prix infini de son sang : 2°. qu'il est leur sauveur non-seulement par ses discours, ses conseils & ses exemples, mais par le mérite & l'efficace de sa mort : 3°. qu'il est mort non pas simplement pour notre avantage, mais au lieu de nous, à notre place, & par une véritable substitution à la place d'hommes coupables.

Le péché étant tout à la fois une dette par laquelle nous sommes obligés envers la justice divine, une inimitié entre Dieu & l'homme, un crime qui nous rend coupables & dignes de la mort éternelle, il s'ensuit qu'à tous ces égards Dieu est par rapport à nous comme un créancier à qui nous devons, comme partie offensée qu'il faut appaiser, comme juge qui doit nous punir. La satisfaction rigoureuse exige donc pareillement trois choses, 1°. le payement de la dette, 2°. le moyen d'appaiser la justice divine, 3°. l'expiation du crime ; d'où il est aisé de conclure qu'étant par nous-mêmes incapables de remplir ces conditions, nous avions besoin auprès de Dieu d'un garant ou d'une caution qui se chargeât de notre dette, & qui l'acquittât pour nous : 2°. d'un médiateur qui nous reconciliât avec Dieu : 3°. d'un prêtre & d'une victime qui se substituât à notre place, & qui expiât nos péchés par les peines auxquelles elle s'est soumise. Or c'est ce qu'a pleinement accompli Jesus-Christ, comme le démontrent les théologiens catholiques, aux ouvrages desquels nous renvoyons le lecteur.

Car sans entrer ici dans un détail qui nous méneroit trop loin, & qui d'ailleurs n'est pas du ressort de cet Ouvrage ; qu'il nous suffise de remarquer pour faire sentir l'insuffisance des interprétations sociniennes que nous avons rapportées plus haut : 1°. que si Jesus-Christ n'étoit mort que pour confirmer sa doctrine, il n'auroit rien fait de plus que bien d'autres martyrs & saints personnages, dont on n'a jamais dit qu'ils soient morts ou qu'ils aient été crucifiés pour nous, ni qu'ils aient satisfait pour nos péchés : 2°. que s'il n'est mort que pour notre utilité, on ne doit pas plus attribuer notre rédemption à sa mort, qu'à ses miracles & à ses actions, qui avoient pour but l'utilité des chrétiens. Or on n'a jamais dit que les miracles & la vie de Jesus-Christ, fussent la cause efficiente & prochaine de notre rédemption : 3°. que dans les écritures l'expiation de nos péchés & notre reconciliation avec Dieu, sont constamment attribués à la mort de Jesus-Christ, comme cause efficiente, & jamais comme cause exemplaire de la mort que nous-mêmes devions souffrir en punition de ces péchés. Il est clairement marqué dans les livres saints que la mort est la peine & le salaire du péché, stipendium peccati mors ; mais il n'y est nulle part énoncé qu'elle en doive opérer la rémission, ni notre reconciliation avec Dieu.

Il y a sur cette matiere une difficulté assez considérable. C'est de savoir si la satisfaction de Jesus-Christ considérée par rapport à lui même, a été faite à un tiers, ou comme parlent les Théologiens, si elle a été ad alterum ; c'est-à-dire si Jesus-Christ s'est satisfait à lui-même. Quelques auteurs prétendent qu'il n'a satisfait qu'au Pere éternel & au Saint-Esprit, & que quant à ce qui le concernoit, il a remis gratuitement aux hommes ce qu'ils lui devoient. Mais comme l'Ecriture dit que Jesus-Christ a satisfait à Dieu, & par conséquent à toute la très-sainte Trinité, & que d'ailleurs elle ne dit rien de ce pardon accordé par Jesus-Christ seul, la plûpart des Théologiens soutiennent que Jesus-Christ s'est satisfait à lui-même de maniere que sa satisfaction a vraiment été ad alterum. Il suffit, disent-ils, pour cela de concevoir en Jesus-Christ différens rapports de la personne ; selon les uns de ces rapports il a satisfait à lui-même considéré sous d'autres rapports, à-peu-près comme si le premier magistrat d'une république tiroit du trésor public une somme d'argent, & la distribuoit à tous les particuliers en prenant lui-même une portion, à condition de la rendre dans un certain tems ; lorsqu'il la rendroit en effet, il satisferoit comme particulier à lui-même, considéré comme chef de la république. Or il y a en Jesus-Christ deux natures, deux volontés, deux sortes d'opérations ; ainsi l'on peut dire que selon les unes, il s'est satisfait à lui-même considéré sous d'autres rapports, non que ce soit en lui Dieu qui a satisfait à l'homme, mais l'homme-Dieu qui a satisfait à Dieu. Voyez Witasse, trait. de l'incarnat. part. II. quest. x. article 1. sect. 1. & article 11. sect. 111.

SATISFACTION, (Théolog.) considérée comme partie du sacrement de pénitence, est une réparation qu'on doit à Dieu ou au prochain pour l'injure qu'on leur a faite.

Les Théologiens la définissent un châtiment ou une punition volontaire qu'on exerce contre soi-même pour compenser l'injure qu'on a faite à Dieu, ou réparer le tort qu'on a causé au prochain, & racheter la peine temporelle qui reste à expier, soit en cette vie, soit en l'autre, bien que la coulpe & la peine éternelle aient été réunies par l'absolution.

Le pénitent s'impose à lui-même la satisfaction, ou elle lui est imposée par le confesseur, & elle précede ou elle suit l'absolution. Mais il n'est pas essentiel pour la validité du sacrement, qu'elle la précede ; il suffit que le pénitent ait une volonté sincere d'accomplir la satisfaction qui lui est enjointe par la confesseur ; telle est au moins la discipline présente de l'Eglise, & elle est fondée sur la pratique de l'antiquité, qui n'attendoit pas toujours que les pénitens eussent entierement subi toutes les peines canoniques qu'elle leur imposoit, avant que de leur donner l'absolution sacramentelle. Elle en usoit ainsi lorsque les pénitens étoient en danger de mort, ou lorsqu'on craignoit que le délai d'absolution ne les jettât dans le schisme ou dans l'hérésie ; lorsque la persécution approchoit, ou qu'on espéroit que l'indulgence de l'Eglise raméneroit dans son sein ceux qui s'en étoient écartés ; lorsque les martyrs donnoient aux pénitens des lettres de recommandation pour demander qu'on les admît à la reconciliation & à la communion ; ou enfin lorsque les pénitens témoignoient une douleur extrêmement vive de leurs péchés. Tous ces cas montrent que la conduite présente de l'Eglise est fondée, & qu'on ne peut excuser ni de témérité, ni d'erreur, ceux qui pensent que sans satisfaction accomplie, l'absolution est nulle. Cette doctrine a été condamnée par Sixte IV. dans Pierre d'Osma, par la faculté de Paris dans sa censure contre un ouvrage de Theophile Brachet de la Milletiere en 1644, & récemment dans le P. Quesnel par le pape Clément XI.

Il est pourtant vrai de dire que quand la pénitence publique étoit en usage, excepté quelques cas particuliers, on ne donnoit ordinairement l'absolution aux pénitens, qu'après qu'ils avoient accompli leur pénitence.

Les Luthériens & les Calvinistes prétendent que les satisfactions imposées aux pécheurs ne sont utiles que pour le bon exemple, la correction & l'amendement des autres fideles ; mais qu'elles ne servent de rien pour fléchir Dieu, ni pour obtenir la relaxation de la peine temporelle, prétendant que leur attribuer cette vertu, c'est déroger à l'efficace & à la satisfaction de Jesus-Christ. Il est visible qu'à ce dernier égard, ils ont imputé aux Catholiques une erreur dont ceux-ci sont bien éloignés ; car ils reconnoissent que toutes nos satisfactions tirent leur mérite & leur vertu de Jesus-Christ, en qui seul nous pouvons mériter & satisfaire.

Les oeuvres satisfactoires, sont la priere, le jeûne, l'aumône, la mortification des sens, & les autres actions pieuses que nous accomplissons par les mérites de Jesus-Christ, & en vue de fléchir la justice divine.


SATISFAIREv. act. (Gramm.) contenter quelqu'un, en lui accordant ce qui lui est légitimement dû. On dit satisfaire ses créanciers ; satisfaire à la loi ; satisfaire un homme offensé ; satisfaire à une espérance, à une attente, à une objection, à son devoir. Satisfaire ses passions ; satisfaire ses sens. Cette conduite, ce moyen, cette chose me satisfera. Satisfaire aux ordres que vous avez reçus, à la parole que vous avez donnée ; satisfaire son desir ; il a satisfait sa colere. Il faut que je me satisfasse une fois là-dessus.


SATMALESLES, (Géog. anc.) Satmali, peuples des pays septentrionaux : Pomponius Mela, liv. III. c. vij. rapporte qu'ils avoient les oreilles si grandes, qu'ils pouvoient s'en entourer le corps. Je m'étonne, dit plaisamment Isaac Vossius, qu'on ne se soit pas avisé de leur en faire des aîles pour voler. Comme le merveilleux se répand aisément, on a transplanté cette race aux grandes oreilles, de l'Inde dans le septentrion ; car ceux qui en ont parlé les premiers, les plaçoient dans l'Inde, & peut-être cette fable a-t-elle quelque espece de fondement ; dumoins les Malabares ont les oreilles fort longues, & croyent qu'il leur manque quelque chose, si elles ne leur descendent presque sur les épaules. Mais Ortelius conjecture, que les anciens faute d'examen, auront pû prendre pour des oreilles, quelque ornement de tête particulier à ces peuples, & dont ils usoient pour se garantir de la neige & des autres injures du tems. (D.J.)


SATNIQUES. m. (Hist. d'Hongrie) nom d'office & de dignité, autrefois d'usage en Croatie & en Hongrie. Un satnique étoit un gouverneur d'une petite contrée, qui pouvoit fournir cent hommes d'armes. Les knès ont succédé aux satniques. (D.J.)


SATRAPES. m. (Hist. anc.) terme qui signifioit autrefois chez les Perses, le gouverneur d'une province.

Le royaume de Perse étoit divisé, en satrapies ou jurisdictions de satrapes.

Ce mot est originairement persan ; il signifie à la lettre, amiral ou chef d'une armée navale : mais on l'a appliqué par la suite à tous les gouverneurs des provinces indifféremment. Ces satrapes avoient chacun dans leur département une autorité presque souveraine, & étoient à proprement parler des vicerois. On leur fournissoit un nombre de troupes suffisant pour la défense du pays. Ils en nommoient tous les officiers, donnoient le gouvernement des places, recevoient les tributs & les envoyoient au roi. Ils avoient pouvoir de faire de nouvelles levées, de traiter avec les états voisins, & même avec les généraux ennemis ; & quoiqu'ils servissent un même maître, ils étoient indépendans les uns des autres. Une autorité si peu limitée les portoit quelquefois à la révolte. Au reste, quand le roi les appelloit pour servir sous lui, ils commandoient les troupes qu'ils avoient amenées de leur gouvernement. Quelques auteurs comptent jusqu'à cent vingt-sept satrapes dans les provinces des anciens Perses. Cyrus les avoit obligés de rendre compte à trois grands satrapes qui étoient comme les secrétaires d'état. Si les Grecs emprunterent ce nom des Perses pour s'en servir dans le même sens, ce ne fut que depuis les conquêtes d'Alexandre.

On trouve aussi ce mot dans quelques anciennes chartres angloises du roi Ethelred, dans lesquelles les seigneurs ou lords, qui ont signé immédiatement aprés les ducs, prennent le titre de satrapes du roi. Ducange prétend que ce mot signifie en cet endroit, ministre du roi.


SATRAPIE(Critiq. sacrée) mot venu de la Perse, dont les provinces étoient gouvernées par des commandans qui portoient le nom de satrapes. Ptolémée, en parlant des régions de l'Europe, les nomme provinces ou satrapies. Pline se sert aussi du même mot, en parlant des Indes ; & ce mot qui ne signifie autre chose, qu'un pays gouverné par un seul officier, a quelque rapport à ce que nous appellons en France gouvernemens, & à ce que les Italiens nomment prefettura.

Le mot satrape signifie proprement un général d'une armée navale ; mais depuis il fut donné aux gouverneurs des provinces, & aux principaux ministres des rois de Perse. Nous les trouvons même dans les satrapies des Philistins, qui subsistoient dès le tems des juges. Il est vrai que les satrapes des Philistins sont appellés dans l'hébreu seranim, d'où vient le nom de surenes, qui étoit aussi un nom de dignité chez les Perses. Le général de l'armée des Parthes, qui tua Crassus, avoit la dignité de surena, & nos Historiens en ont fait un nom propre.

Ce terme satrape, selon son étymologie, signifie un grand qui voit la face du roi. On trouve dans Jérémie, c. lj. v. 27. & dans Nahum, le nom de Tapsar, que les interprêtes traduisent par satrapes.

Les satrapes des Philistins, étoient comme des rois, qui gouvernoient avec un pouvoir absolu les cinq Satrapies, c'est-à-dire les cinq villes principales des Philistins. Les satrapes des Perses étoient des gouverneurs de provinces, envoyés de la part du roi ; saint Jérôme traduit quelquefois par satrapae, l'hébreu pachat, qui signifie un chef de troupes, un gouverneur de province, d'où vient le mot bacha ou pacha, qui est encore en usage chez les Turcs. Mais le nom de satrape est caché sous le terme achasdrapne, qu'on lit dans Daniel, dans Esdras & dans Esther, qui sont des livres écrits depuis la captivité. (D.J.)


SATRESLES, (Géog. anc.) Satrae, peuples de la Thrace. Hérodote, l. VII. n°. 111. nous apprend que ces peuples passoient pour n'avoir jamais été subjugués, & qu'ils étoient les seuls d'entre les Thraces qui avoient conservé leur liberté. La raison qu'il en donne, c'est que ces peuples habitoient sur de hautes montagnes, couvertes d'arbres & de neige ; outre qu'ils étoient de bons hommes de guerre. Ils avoient chez eux une idole de Bacchus, qui rendoit des oracles comme à Delphes. (D.J.)


SATRICUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium, au voisinage de la ville Corioli. Les Latins, dit Tite-Live, liv. VI. ch. xxxiij. outrés de la perte d'une bataille, pousserent leur rage jusqu'à brûler la ville de Satricum, qui leur avoit pourtant servi de retraite dans leur déroute. Les Antiates rétablirent cette ville, & y fonderent une colonie. L'an 407 de la fondation de Rome, Satricum fut encore réduite en cendres par les Romains, qui y envoyerent quelques-uns de leurs citoyens. Ceux-ci ayant souffert que les Samnites missent garnison dans la ville, les Romains la prirent, & firent couper la tête aux auteurs de la révolte. Les habitans de Satricum sont appellés Satricani par Tite-Live, l. IX. c. xvj. (D.J.)


SATTEAUS. m. terme de relation ; espece de barque ou grosse chaloupe, dont on se sert au bastion de France, sur la côte de Barbarie, pour la pêche du corail. (D.J.)


SATURAS. f. (Gram. latine) il nous paroît important d'expliquer ce mot en faveur des jeunes littérateurs ; c'est l'adjectif de satur, qui se prenoit tout-à-la-fois ou séparément ; de plenus, plein ; & de micellus, mélangé. Satur color, exprime une laine qui a parfaitement pris sa couleur. Satura lanx, un bassin rempli d'un mêlange de toutes sortes de fruits. Les Romains offroient tous les ans à Cérès & à Bacchus un bassin de cette sorte, qui étoit garni des prémices de tout ce qu'ils venoient de cueillir. Satura, en sousentendant esca, est un mets composé de plusieurs choses. Satura lex, une loi qui contenoit plusieurs titres sur différentes matieres ; ou qui sous une proposition générale, décidoit de plusieurs points particuliers, comme les loix Julia, Pompeia, Papia, qu'on nomma aussi micella.

Ciceron parle d'une loi satura, composée apparemment de plusieurs autres loix, suivant l'explication qu'en donne Sextus Pompée ; ou qui permettoit de proposer un sujet d'une maniere générale, & d'opiner sans l'ordre accoutumé. Le même Ciceron dit, que cette loi fut abrogée par les loix Cécilia & Dédia ; on avoit coutume d'ajouter cette clause à toutes les loix. Neve per saturam abrogato, aut derogato : que l'on ne puisse l'abroger, ni y déroger ; per saturam sententias exquirere (phrase dont Lélius s'étoit servi avant Salluste) signifioit mettre une affaire sur le tapis, & faire opiner à la hâte & confusément sur plusieurs chefs ; c'est ce que nous disons, en termes vulgaires, faire un pot pourri d'une affaire, & en décider sans compter régulierement les voix. Il ne s'agit pas ici des ouvrages d'esprit, tels que les historiettes & les poëmes, que l'on a aussi nommés saturas ou satyras ; c'est assez de remarquer qu'on disoit Sulla, Purrhus, Phruges, Optumus, Maxumus, &c. pour Sylla, Pyrrhus, Phryges, Optimus, Maximus, en changeant l'y ou l'i simple en u. (D.J.)


SATURAE PALUS(Géog. anc.) marais d'Italie dans le Latium, au voisinage de la ville d'Antium, & de celle de Circoei, Virg. Aeneid. l. VII. v. 801.

Quae Saturae jacet atra palus.

Et Silius Italicus, l. VIII. v. 381. lui donne celle de nebulosa.

Quae Saturae nebulosa palus restagnat.

Cluvier croit que ce marais est le même que le marais Pomptine. Il s'étendoit dans l'espace d'une dixaine de lieues, le long du pays des Volsques. Les rivieres Ufens, aujourd'hui Ofanto ; & Amazène, aujourd'hui Toppia, formoient ce marais. (D.J.)


SATURANSse dit quelquefois pour absorbans. Voyez ABSORBANT.


SATURATIONS. f. (Chymie) Ce mot ne se dit guere que de l'état de parfaite neutralité de sels moyens ou neutres ; c'est-à-dire, de celui où chacun de leurs principes a été employé dans une juste proportion. Lorsqu'on forme un sel neutre dans une liqueur, en y versant successivement les deux principes qui doivent former ce sel par leur union, par exemple, de l'acide & de l'alkali ; on est parvenu au point de saturation, lorsqu'il n'y a dans cette liqueur aucune partie sensible de l'un des deux principes qui soit libre, nue, sur-abondante.

Les moyens ordinaires de s'assurer de ce point de saturation qui importe très-fort à la perfection du sel neutre, sont, 1°. d'observer la nullité ou privation, l'effervescence, la non-effervescence dans le cas très-ordinaire où les deux principes s'unissent avec effervescence, lorsqu'on verse successivement & en tâtonnant la plus petite quantité possible de chacun de ces principes. 2°. D'essayer une petite quantité de la liqueur sur le syrop ou la teinture de violette. Ce moyen est sur-tout très-commode, lorsque la base du sel neutre est une matiere alkaline, soluble par l'eau : car la plus petite portion d'acide nud ou surabondant rougit assez constamment cette couleur végétale qui est naturellement bleue, & les substances alkalines la verdissent. Ce signe est pourtant équivoque quelquefois. Voyez VIOLETTE. 3°. Enfin, on éprouve la liqueur par le mêlange de la teinture du tourne-sol, ou en y plongeant du papier bleu ordinaire. La plus légere portion d'acide rougit cette teinture & ce papier. L'excès de l'un des principes, découvert par ce moyen, se compense par une addition ménagée d'une quantité proportionnée du principe qui manque.

On dit encore d'une liqueur quelconque, considérée comme menstrue, qu'elle est saoule ou saturée d'un certain corps, lorsqu'elle en a dissous autant qu'elle en peut dissoudre : car il y a ici un terme qui peut s'appeller aussi point de saturation ; par exemple, une partie d'eau n'est saturée de sucre que lorsqu'elle en a dissous deux parties : une partie de tartre vitriolé saoule huit parties & demie d'eau ; vingt - huit parties d'eau sont saturées par moins d'une partie de crême de tartre, &c. (b)


SATURNALESS. f. pl. (Mithol. Littér. Médaill. Antiquit. rom.) saturnalia, célebres fêtes des Romains.

Cette fête n'étoit originairement qu'une solemnité populaire ; elle devint une fête légitime, lorsqu'elle eut été établie par Tullus Hostilius, dumoins en fit-il le voeu qui ne fut accompli que sous le consulat de Sempronius Atratinus & de Minutius, suivant Tite-Live. D'autres auteurs en attribuent l'institution à Tarquin-le-superbe, sous le consulat de T. Largius. Enfin, quelques écrivains font commencer les saturnales dès le tems de Janus roi des Aborigènes, qui reçut Saturne en Italie. Ensuite voulant représenter la paix, l'abondance & l'égalité dont on jouissoit sous son regne, il le mit au nombre des dieux ; & pour retracer la mémoire de ce siecle d'or, il institua la fête dont nous parlons. Quoi qu'il en soit, sa célébration fut discontinuée depuis le regne de Tarquin ; mais on l'a rétablie par autorité du sénat pendant la seconde guerre punique.

Ces fêtes se passoient en plaisirs, en réjouissances & en festins. Les Romains quittoient la toge, & paroissoient en public en habit de table. Ils s'envoyoient des présens, comme aux étrennes. Les jeux de hazard défendus en un autre tems, étoient alors permis ; le sénat vaquoit ; les affaires du barreau cessoient ; les écoles étoient fermées. Il sembloit de mauvais augure de commencer la guerre, & de punir les criminels pendant un tems consacré aux plaisirs.

Les enfans annonçoient la fête en courant dans les rues dès la veille, & criant : io saturnalia. On voit encore des médailles, sur lesquelles ces mots de l'acclamation ordinaire de cette fête se trouvent gravés. M. Spanheim en cite une qui devoit son origine à la raillerie piquante que Narcisse affranchi de Claude essuya, lorsque cet empereur l'envoya dans les Gaules, pour appaiser une sédition qui s'étoit élevée parmi les troupes. Narcisse s'avisa de monter sur la tribune pour haranguer l'armée à la place du général ; mais les soldats se mirent à crier : io saturnalia, voulant dire que c'étoit la fête des saturnales, où les esclaves faisoient les maîtres.

Les saturnales commencerent d'abord le 17 Décembre, suivant l'année de Numa, & ne duroient alors qu'un jour. Jules César, en réformant le calendrier, ajouta deux jours à ce mois, qui furent insérés avant les saturnales, & attribués à cette fête. Auguste approuva cette augmentation par un édit, & y joignit un quatrieme jour. Caligula y fit l'addition d'un cinquieme nommé juvenalia. Dans ces cinq jours, étoit compris celui qui étoit particulierement destiné au culte de Rhéa, appellé opalia. On célébroit ensuite pendant deux jours en l'honneur de Pluton, la fête sigillaries, à cause des petites figures qu'on offroit à ce dieu.

Toutes ces fêtes étoient autant de dépendances des saturnales qui duroient ainsi sept jours entiers, savoir du 15 au 21 Décembre. C'est pourquoi Martial, épigr. liv. XIV. dit :

Saturni septem venerat ante dies.

Telle est en peu de mots l'histoire des fêtes de Saturne, mais elles méritent bien que nous nous y arrêtions davantage.

Nous avons dit que les saturnales étoient consacrées aux plaisirs, aux ris & aux festins. En effet, la premiere loi de cette fête étoit d'abandonner toute affaire publique, de bannir tous les exercices du corps, excepté ceux de récréation, & de ne rien lire en public qui ne fût conforme à ce tems de joie.

Les railleries étoient encore permises, ou pour m'exprimer avec un auteur latin, lepida proferendi licebat. C'est pour cela qu'Aulugelle raconte qu'il passa les saturnales à Athènes dans des amusemens agréables & honnêtes : saturnalia Athenis agitabamus hilarè ac honestè ; car les gens de goût ne se permettoient qu'une raillerie fine, qui eût le sel & l'urbanité attique.

Il ne faut pas s'étonner que les festins regnassent dans cette fête, puisque Tite-Live, liv. I. c. j. en exposant l'institution des saturnales, parle en particulier de l'ordonnance d'un repas public : convivium publicum per urbem saturnalia, diem ac noctem clamatum. L'empereur Julien dit plaisamment à ce sujet dans sa satyre des césars qui l'ont précédé, que Tarquin voulant célébrer les saturnales, fit un grand festin, auquel il invita non-seulement les dieux, mais encore les césars ; & tous les lits y furent préparés, d'après l'usage que ces derniers suivoient pour leurs plaisirs.

La statue de Saturne qui étoit liée de bandelettes de laine pendant toute l'année, apparemment en mémoire de la captivité où il avoit été réduit par les Titans & par Jupiter, en étoit dégagée pendant sa fête, soit pour marquer sa délivrance, soit pour représenter la liberté qui régnoit pendant le siecle d'or, & celle dont on jouissoit pendant les saturnales. En effet, toute apparence de servitude en étoit bannie ; les esclaves portoient le chapeau, marque de liberté ; se vêtissoient de mêmes habits que les citoyens, & se choisissoient un roi de la fête.

Je sai que l'opinion commune est, que dans les saturnales, les valets changeoient, non-seulement d'état & d'habits avec leurs maîtres, mais même qu'ils en étoient servis à table. Je ne suis point de ce sentiment, & l'autorité de Lucien ne m'embarrasse guere. Comme cet auteur a coutume de broder tous ses tableaux, on juge bien qu'il ne faut pas prendre à la lettre sa peinture des saturnales. Quant au témoignage d'Athénée, je puis lui opposer ceux de Séneque, épit. LXVII ; de Tasse, in sylv. kal. Dec. & de Plutarque, dans sa vie de Numa. Tous se contentent de dire, que durant cette fête les valets mangeoient avec leurs maîtres, & des mêmes mets : or ce n'étoit encore là qu'un usage bourgeois, qui ne s'étendoit point dans les maisons des gens d'un certain ordre. Mais en général, cette fête admettoit chez les Romains un renversement d'état, qui selon moi étoit trop mal masqué pour instruire le maître ni l'esclave. Il n'y a que la douce égalité, dit très-bien M. Rousseau, qui puisse rétablir l'ordre de la nature, former une instruction pour les uns, une consolation pour les autres, & un lien d'amitié pour tous.

Ce que je n'ose décider, c'est si la fête des saturnales étoit purement romaine, ou si elle tiroit son origine des autres peuples. Quoi qu'en dise Denys d'Halicarnasse, je sai que les Athéniens avoient une fête fort ressemblante à celle des saturnales, & qu'ils nommoient ; il me semble que les salzea établies à Babylone, étoient dans le même goût. Enfin, on célébroit en Thessalie une fête fort ancienne, & qui avoit trop de rapport avec les saturnales, pour en passer sous silence l'origine & la description.

Les Pélasges, nouveaux habitans de l'Hémonie, faisant un sacrifice solemnel à Jupiter, un étranger, nommé Pelorus, leur annonça qu'un tremblement de terre venoit de faire entr'ouvrir les montagnes voisines ; que les eaux d'un marais nommé Tempé, s'étoient écoulées dans le fleuve Pénée, & avoient découvert une grande & belle plaine. Au récit d'une si agréable nouvelle, ils invitent l'étranger à manger avec eux, s'empressent à le servir, & permettent à leurs esclaves de prendre part à la réjouissance. Cette plaine, dont ils se mirent aussitôt en possession, étant devenue la délicieuse vallée de Tempé, ils continuerent tous les ans le même sacrifice à Jupiter surnommé pélorien, en renouvellant la cérémonie de donner à manger à des étrangers & à leurs esclaves, auxquels ils accordoient toute sorte de liberté. Dans la suite, les Pélasges ayant été chassés de l'Hémonie, vinrent s'établir en Italie par ordre de l'oracle de Dodone qui leur commanda de faire des sacrifices à Saturne & à Pluton. Les termes ambigus de l'oracle les engagerent d'immoler des victimes humaines à ces deux sombres divinités ; ils suivirent l'usage reçu parmi les Carthaginois, les Tyriens & d'autres nations qui pratiquoient de tels sacrifices.

On dit qu'Hercule abolit cette coutume barbare des Pélasges. Passant par l'Italie à son retour d'Espagne, il demanda la raison de ces sacrifices dont il étoit indigné ; & comme on lui cita l'oracle de Dodone, il leur dit que le mot désignoit des têtes en figures ; & que celui de , qu'ils avoient pris pour des hommes, signifioit des lumieres : il leur apprit donc qu'il falloit offrir à Pluton des représentations d'hommes, & des cierges à Saturne. Voilà du-moins l'origine qu'on apporte de la coutume qui s'observoit pendant les saturnales, d'allumer des cierges, & d'en faire des présens.

Ce qu'il y avoit encore de singulier dans les sacrifices de Saturne, c'est qu'ils se faisoient la tête découverte. Plutarque en donne pour raison, que le culte qu'on rendoit à ce dieu, étoit plus ancien que l'usage de se couvrir la tête en sacrifiant, qu'il attribue à énée. Mais ce qui paroît plus vraisemblable, c'est qu'on ne se couvroit la tête que pour les dieux célestes ; & que Saturne étoit mis au nombre des dieux infernaux.

Tertullien, dans son traité de Idol. cap. xjv, se plaint, qu'entr'autres fêtes payennes, les Chrétiens solemnisoient les saturnales ; & cette coutume leur fut effectivement défendue par le canon xxxix. du concile de Laodicée. Cependant ils eurent tant de peine à perdre leur habitude de célébrer les fêtes de plaisirs & de réjouissances, qu'ils s'aviserent d'en substituer de nouvelles à celles qui étoient abolies : & c'est peut-être là l'origine de la fête des fous, dont on peut consulter l'article. (D.J.)


SATURNES. m. en Astronomie, est le nom d'une des sept planetes premieres ; c'est celle qui est la plus éloignée de la terre & du soleil, & qui se meut le plus lentement. On la marque ainsi . Voyez PLANETE.

Saturne n'a qu'une foible lumiere, à cause de sa distance ; c'est ce qui fait que cette planete paroît assez petite, quoiqu'elle soit une des plus grosses.

La période de Saturne, ou le tems de sa révolution autour du soleil, est, selon Kepler, de 29 ans, 174 jours, 4 heures 58'. 25''. & 30'''. par conséquent son mouvement journalier est de 3'. 0''. 36'''. Cependant M. de la Hire fait ce dernier mouvement de 2'. 1''.

L'inclinaison de l'orbite de Saturne à l'écliptique, est, selon Kepler, de 2°. 32'. & selon M. de la Hire, de 2°. 33'.

Sa moyenne distance du soleil est de 326925 demi-diamêtres de la terre ; & sa distance moyenne de la terre est de 21000 demi-diamêtres terrestres. Voyez DISTANCE. Son plus petit diamêtre, selon M. Huyghens, est de 30''. Son diamêtre est à celui de la terre comme 20 à 10 ; sa surface est à celle de la terre comme 400 à 1 ; & sa solidité est à celle de la terre comme 8000 à 1.

M. Halley remarque, dans la préface de son catalogue des étoiles australes, qu'il a trouvé le mouvement de Saturne plus lent que celui qui est marqué dans les tables.

On doute si Saturne tourne autour de son axe comme les autres planetes, ou non : aucune observation astronomique ne prouve qu'il tourne ; il y a même une circonstance qui, selon plusieurs auteurs, paroîtroit prouver le contraire ; car la terre & toutes les autres planetes qui tournent sur elles-mêmes, ont le diamêtre de l'équateur plus grand que l'axe, & l'on n'observe rien de pareil dans Saturne ; mais cette preuve est bien foible.

La distance de Saturne au Soleil étant dix fois plus grande que celle de la terre au Soleil, il s'ensuit que le diamêtre apparent du Soleil vû de Saturne, ne doit être que de 3 minutes, ce qui fait un peu plus de deux fois le diamêtre apparent de Vénus, vû de la terre. Le disque du soleil doit donc paroître aux habitans de Saturne 100 fois plus petit qu'il ne nous paroît ; & la lumiere, aussi bien que la chaleur de cet astre, doit être moindre en même proportion. Voyez SOLEIL.

Les phases de Saturne sont fort variées & fort singulieres : elle en a comme Mars & Jupiter, & des bandes changeantes : elle paroît tantôt ronde, & tantôt elliptique ; mais ce qu'elle a de plus remarquable, ce sont deux especes d'anses qui paroissent & disparoissent de tems en tems ; ces anses sont comme deux arcs de cercle lumineux, & directement opposés, qui contiennent chacun un segment obscur ; & ces segmens obscurs sont renfermés entre les anses & le globe de la planete.

Ces phases ont long-tems embarrassé les Astronomes, qui ne trouvoient aucun moyen d'en expliquer toutes les irrégularités. Hevelius a observé que cette planete étoit quelquefois monosphérique, c'est-à-dire ne paroissoit qu'un seul globe, d'autres fois qu'elle paroissoit composée de trois spheres, ou d'une sphere & de deux anses, ou d'une ellipse & de deux anses, ou d'une sphere & de deux pointes lumineuses. Mais M. Huyghens, après avoir long-tems observé Saturne avec d'excellentes lunettes, a réduit toutes les phases de cette planete à quatre ; savoir la phase ronde, la phase elliptique, la phase à bras, & la phase à anses. Voyez PHASE, ANSES, &c.

Saturne a une chose qui lui est particuliere ; c'est un anneau qui l'entoure à-peu-près comme l'horison d'un globe, sans le toucher en aucun endroit ; le diamêtre de cet anneau est plus que double de celui de Saturne, car le diamêtre de cette planete est de 20 diamêtres de la terre, & celui de l'anneau est de 45 des mêmes diamêtres. Quand cet anneau est assez élevé au-dessus de l'ombre du corps de Saturne, il réfléchit très-fortement la lumiere du Soleil. Son épaisseur, selon l'observation de Keill, occupe près de la moitié de l'espace qu'il y a entre sa surface extérieure & convexe, & la surface de la planete.

On a trouvé que cet anneau étoit un corps solide & opaque, mais dont la surface est égale & unie.

Galilée est le premier qui ait découvert que Saturne n'étoit pas rond ; mais M. Huyghens est le premier qui ait fait voir que ces inégalités venoient de la forme de son anneau. Il publia cette découverte en 1695, dans son systema Saturnianum. On ne sait si l'anneau tourne autour de Saturne ou non : on ignore aussi l'usage auquel il est destiné. M. Huyghens fait le plan de l'anneau de Saturne fort large, & l'épaisseur fort mince. La circonférence extérieure de l'anneau paroît élevée de plus de 18000 lieues au-dessus de la surface de Saturne. Hist. de l'acad. 1715, p. 45, mem. p. 46. Cet anneau semble n'être qu'un amas & une suite de satellites, si proches les uns des autres, qu'ils ne sont que l'apparence d'un anneau continu. L'anneau se trouvant entre le soleil & Saturne, jette sur Saturne une ombre mobile, & c'est une espece de bande. La vûe de la phase ronde, de la phase elliptique, ou des autres, dépend de la position de l'anneau & par rapport au Soleil, & par rapport à notre oeil. Le plan de l'anneau passe-t-il par notre oeil ; nous ne le voyons point, parce que le tranchant de l'anneau est tout ce que l'on en pourroit voir, & il est trop mince pour être visible à une si grande distance ; c'est pourquoi Saturne, dont le globe est sphérique, paroît seul dans sa phase ronde, ce qui s'observe tous les quinze ans. Voyez le recueil d'observ. par MM. de l'acad. des Sciences. Mais si la position de l'anneau change, & que son plan s'inclinant au rayon visuel nous regarde obliquement au moment qu'il reçoit les rayons du Soleil, alors une partie du plan circulaire est cachée derriere le globe, une partie est située devant le globe, auquel elle paroît appliquée, sans laisser voir d'espace intermédiaire ; & confondant sa lumiere avec celle du globe de la planete, elle donne au disque apparent la figure d'une ellipse. Enfin, si l'anneau se trouve posé de maniere que son plan prolongé passe par le centre du soleil, il n'y a que le tranchant de l'anneau qui reçoive des rayons du centre ; & comme cette lame est mince, le tranchant échappe à notre vûe, & les anses disparoissent.

On trouve des conjectures & des réflexions ingénieuses sur la cause de l'anneau de Saturne, dans un ouvrage de M. de Maupertuis ; c'est son discours sur les figures des astres, ouvrage imprimé pour la premiere fois en 1732, à Paris de l'imprimerie royale ; & pour la seconde fois en 1742, à Paris chez Guérin & Coignard.

Saturne, dans sa révolution autour du soleil, est continuellement accompagné par les 5 satellites ou planetes secondaires : on en trouvera les périodes, les distances, &c. au mot SATELLITES.

M. Pound nous a donné des observations fort exactes sur le diamêtre de Saturne, & sur celui de son anneau ; ces observations sont rapportées dans les institutions astronomiques de M. le Monnier. On trouve aussi dans la préface de ce dernier ouvrage, un grand nombre de recherches sur Saturne, par lesquelles il paroît que le mouvement de cette planete est sujet à de grandes irrégularités. L'excentricité de son orbite n'est pas constante comme celle de l'orbite terrestre, mais elle varie continuellement : le moyen mouvement de cette planete paroît s'être ralenti à chaque siecle ; & à l'égard du mouvement de son noeud & de son aphélie, ils ne sont pas encore trop bien connus : les autres varient sur l'inclinaison de son orbite au plan de l'écliptique, ce qui prouve aussi que cette inclinaison est sujette à une infinité de variations.

Il paroît qu'on doit attribuer ces irrégularités à l'action de Jupiter sur Saturne : Jupiter est la plus grosse de toutes les planetes ; & lorsqu'il est en conjonction avec Saturne, son action sur Saturne est alors assez considérable pour produire des effets sensibles : aussi est-ce principalement dans la conjonction de Saturne avec Jupiter qu'on remarque les plus grandes irrégularités dans le mouvement de Saturne. Il ne paroît pas qu'on puisse employer d'autres moyens pour déterminer ces irrégularités, que de chercher par la théorie & par le calcul quel doit être l'effet de l'action de Jupiter sur Saturne ; mais le problème, un des plus importans de l'Astronomie, est d'une difficulté proportionnée à son importance. L'académie royale des Sciences de Paris en a proposé la solution pour le sujet du prix de 1748 ; on peut dire que c'est une des plus belles questions qu'elle ait encore proposées ; & M. Euler a donné sur ce sujet une piece très-savante qui a remporté le prix, & qui a été imprimée.

Il pourroit se faire au reste que dans la théorie des mouvemens de Saturne, on dût avoir égard non-seulement à l'action de Jupiter, mais encore à celle des satellites de Saturne, & peut-être de son anneau : la quantité de cette action dépend à la vérité de la masse des satellites qui n'est point connue, mais cela n'empêche pas que ces masses ne puissent y entrer pour quelque chose, & c'est de quoi les observations comparées au calcul peuvent nous instruire ; car si les observations s'accordent avec les loix qu'on aura trouvées du mouvement de Saturne dans la supposition que Jupiter seul agisse, c'est une marque que l'action des satellites n'a que peu d'effet. Au contraire, si ces observations ne s'accordent pas avec le calcul, c'est une marque qu'il faut tenir compte de l'action des satellites. Il est vrai qu'on ne connoîtra point cette action, puisqu'on ne connoît point leurs masses ; mais on pourra toujours calculer les irrégularités qui en résultent, en supposant les masses connues ; & peut-être pourra-t-on ensuite, au moyen des observations, déterminer ces masses par la différence qui se trouvera entre les observations & le calcul.

SATURNE, satellites de, (Astronomie) entre les choses curieuses que contiennent les lettres originales de M. Molineux à Flamsteed, & qui ont été recueillies par M. de Chaufepié, dans son dictionnaire, se trouve une table de M. Osborn, à la suite de la lettre dont voici la fin.

Il y a, dit M. Molineux, dans les principes mathématiques de Newton, une observation qui mérite l'admiration de tous les hommes ; c'est la raison sesquialtere entre les révolutions & les distances des planetes, & cela non-seulement parmi les planetes du premier, mais aussi parmi celles du second ordre. La chose est évidente, selon M. Newton, par rapport aux satellites de Jupiter ; & M. Osborn a pris la peine d'en faire l'essai par rapport à ceux de Saturne, sur les data des Transactions philosophiques du mois de Mai 1686, où l'on trouve le tems marqué.

Table de M. Osborn.

Voici à quoi sert la derniere colomne ; c'est qu'en supposant le demi-diamêtre de saturne de 10''30'''. & ses anses de 24''34''', les distances entre le centre de saturne & ses satellites, dans leurs plus grands éloignemens, nous paroissent sous les angles marqués dans la derniere colomne, ce qu'on peut vérifier par le micromêtre. C'est selon M. Molineux, une pensée qui absorbe, que de voir comment cette grande loi regne universellement dans toutes les parties de la nature, & convient à des corps qui sont à une si vaste distance les uns des autres, & qui semblent n'avoir aucune relation les uns avec les autres. C'est sans contredit le plus fort argument que la constitution de l'univers fournit de l'existence de Dieu, de voir régner une loi aussi fixe & aussi inviolable parmi ces vastes corps, qui sont à de si prodigieuses distances ; certainement leur situation & leurs mouvemens reglés ainsi, ne peuvent être un effet du hazard, mais il faut qu'un être tout puissant & sage, en soit l'auteur. (D.J.)

SATURNE, (Mythol.) fils d'Uranus & de Vesta, ou du Ciel & de la Terre. On sait assez tout ce qu'en dit la fable, & les charmes que la poésie a répandus sur le regne de ce dieu, qu'elle a nommé le regne d'or, parce qu'il gouverna ses sujets paisibles avec douceur, & qu'il rétablit l'égalité des conditions.

Diodore de Sicile rapportant la tradition des Crétois sur les Titans, fait de Saturne le même éloge que les poëtes. Saturne, l'ainé des Titans, dit-il, devint roi, & après avoir policé ses sujets, qui menoient auparavant une vie sauvage, il porta sa réputation & sa gloire en différens lieux de la terre ; il établit par-tout la justice & l'équité, & les hommes qui ont vêcu sous son empire, passent pour avoir été bienfaisans, & par conséquent très-heureux. Il a regné dans les pays occidentaux, où sa mémoire est encore en vénération. En effet, les Romains & les Carthaginois, lorsque leur ville subsistoit, & tous les peuples de ces cantons, ont institué des fêtes & des sacrifices en son honneur, & plusieurs lieux lui sont consacrés par leur nom même. La sagesse de son gouvernement avoit en quelque sorte banni les crimes, & faisoit goûter un empire d'innocence, de douceur, & de félicité. La montagne qu'on appella depuis le mont-Capitolin, étoit anciennement appellée le mont Saturnin, & si nous en croyons Denys d'Halicarnasse, l'Italie entiere avoit porté auparavant le nom de Saturnie : Virgile, parlant de ce prince, dit :

Aureus hanc vitam in terris Saturnus agebat.

Il est certain qu'il fut persécuté par son fils, & qu'il fut obligé de se réfugier en Italie, après avoir erré en plusieurs mers, comme le remarque Ovide.

Thuscum rate venit ad amnem

Ante pererrato falcifer orbe deus.

Mais, en quel tems vivoit-il ? L'historien Thalus le fait contemporain de Bélus, qui fleurissoit 322 ans avant le siege de Troïe, ce qui paroît assez probable, car nous voyons qu'Agamemnon, Achille, Ajax, & Ulysse, prenoient la qualité d'arriere-petits-fils de ce Saturne, qui du tems de Janus, apprit aux Italiens à cultiver la terre.

Sous la fable de Saturne, dit Ciceron, se cache un sens physique assez beau. On a entendu par Saturne, celui qui préside au tems, & qui en regle les dimensions ; ce nom lui vient de ce qu'il dévore les années, Saturnus quod saturetur annis, & c'est pour cela qu'on a feint qu'il mangeoit ses enfans ; car le tems consume toutes les années qui s'écoulent ; mais de peur qu'il n'allât trop vîte, Jupiter l'a enchaîné, c'est-à-dire, l'a soumis au cours des astres, qui sont comme ses liens.

Rome & plusieurs villes d'Italie dédierent des temples à Saturne, & lui rendirent un culte religieux. Ce fut Tullus Hostilius, selon Macrobe, qui établit les saturnales en son honneur. Le temple que ce dieu avoit sur le penchant du capitole, fut dépositaire du trésor public, par la raison que du tems de Saturne, c'est-à-dire, pendant le siecle d'or, il ne se commettoit aucun vol. On sacrifioit à ce dieu la tête découverte, au lieu qu'on se couvroit toujours en sacrifiant aux dieux célestes, dit Plutarque, c'est-à-dire que, selon lui, Saturne étoit un des dieux infernaux.

Saturne se trouvoit communément représenté en un vieillard courbé sous le poids des années, tenant une faulx à la main, pour marquer qu'il préside à l'agriculture. (D.J.)


SATURNIASATURNIA


SATURNIA TELLUS(Géog. anc.) c'est un des premiers noms qu'ait eu l'Italie, & quoiqu'elle en ait porté divers autres depuis, ce premier n'a pas laissé d'être employé par les poëtes. Virgile, géorg. l. II. v. 173. dit :

Salve magna parens frugum Saturnia tellus,

Magna virum....

Le même poëte parle ailleurs, Aeneid. l. VIII. v. 322. de ses divers changemens de nom :

Saepius & nomen posuit Saturnia tellus.

L'Italie fut originairement appellée, terre de saturne, parce que comme on sait, Saturne s'alla cacher dans cette contrée, lorsqu'il eut été chassé par son fils Jupiter. (D.J.)


SATURNIA URBS(Géog. anc.) les anciennes histoires portent, dit Varron, l. IV. de L. L. c. vij. qu'il y avoit une ville nommée Saturnia sur le mont Tarpéïen, & il ajoute qu'on en voyoit de son tems des vestiges en trois endroits. On lit dans Minucius Felix, c. xxij. que Saturne fugitif ayant été reçu par Janus, bâtit en même tems la ville Janiculum ; & on trouve la même chose dans deux vers de Virgile. Aeneid. l. VIII. v. 357.

Comme le mont Tarpéïen étoit le même que le mont de Saturne, & le mont Capitolin, il y a grande apparence que la ville Saturnia n'est autre chose que la forteresse qui étoit, selon Festus, au pié du mont de Saturne. (D.J.)


SATURNIEN, VERS(Poésie latine) saturnius numerus, dans Horace ; les vers saturniens étoient les mêmes que les vers fescenniens, & ces deux noms leur sont venus de deux des plus anciennes villes de Toscane. Saturnia étoit dans le quartier des Ruselans, vers la source de l'Albegna, & ses ruines portent encore aujourd'hui le nom de sitergna. L'étymologie que nous donnons à ces vers, avec le P. Sanadon, est bien différente de celle qu'ont imaginé les grammairiens, & que les commentateurs ont copié ; mais elle nous paroît plus raisonnable. Les curieux trouveront tous les détails qu'ils peuvent désirer sur les vers saturniens, dans le traité de la versification latine du même P. Sanadon. (D.J.)

SATURNIENS, adj. (Divinat.) nom que les astrologues donnent aux personnes d'un tempérament triste, chagrin, & mélancolique, en supposant qu'elles sont sous la domination de Saturne, ou qu'elles sont nées pendant que Saturne étoit ascendant.

SATURNIENS, s. m. (Hist. ecclés.) secte d'anciens gnostiques, ainsi nommés de leur chef Saturnin, qui avoit été disciple de Simon le magicien, de Basilide, & de Ménandre.

Ils parurent au commencement du second siecle ; ils condamnoient le mariage, comme une invention du diable, & nioient la résurrection de la chair ; ils disoient que le monde avoit été formé par sept anges, & qu'en même tems il y avoit eu deux hommes formés par deux de ces esprits, dont l'un étoit bon & l'autre mauvais ; que de-là procédoient deux genres d'hommes, qui tenoient les uns de la bonté, les autres de la malice de leurs chefs ; que pour délivrer les bons de l'oppression des méchans, assistés par le démon, le sauveur étoit venu sur la terre, sous la figure apparente d'un homme, mais qu'il n'en avoit pas pris la nature. Au reste, les saturniens affectoient de paroître fort austeres, & de s'abstenir de l'usage de toutes choses animées. Baronius, ad ann. Chr. 120.


SATURNIUS, MONS(Géog. anc.) on appelloit ainsi, selon Festus, de verbor. signif. l'une des montagnes sur lesquelles fut bâtie la ville de Rome, & qui fut depuis nommée le mont Capitolin. Le premier nom avoit été donné à cette montagne, parce qu'on la croyoit sous la protection de Saturne. On appelloit pareillement Saturnii, ceux qui habitoient la forteresse qui étoit au bas du mont Capitolin ; il y avoit dans cet endroit un autel qui paroissoit avoir été consacré à Saturne avant la guerre de Troie, parce qu'on y sacrifioit la tête découverte, au lieu que les prêtres d'Italie sacrifioient la tête couverte d'un voile, à l'imitation d'Enée, qui, dans le tems qu'il faisoit un sacrifice à sa mere Vénus, sur le rivage de Laurentum, se couvrit d'un voile, pour n'être pas connu d'Ulysse, & évita par ce moyen d'être vu de son ennemi. (D.J.)


SATURUM(Géog. anc.) ville de Tarente à l'orient ; cette ville étoit sur les frontieres de la Pouille & de la Calabre ; Servius dit sur le quatrieme livre des Géorgiques : Tarentino ab oppido Satureo juxta Tarentum, sunt Baphia ubi tingitur lana. Voyez SATYRIUM. (D.J.)


SATYRESS. m. (Mythol.) les satyres étoient selon la fable des divinités champêtres, qu'elle représente comme de petits hommes fort velus, avec des cornes & des oreilles de chevres ; la queue, les cuisses, & les jambes du même animal ; quelquefois ils n'ont que les piés de chevre. On fait naître les satyres de Mercure & de la nymphe Yphtimé, ou bien de Bacchus & de la nayade Nicée, qu'il avoit enivrée, en changeant en vin l'eau d'une fontaine où elle buvoit ordinairement. Le poëte Nonnus dit qu'originairement les satyres avoient la forme toute humaine ; ils gardoient Bacchus, mais comme Bacchus malgré toutes ses gardes, se changeoit tantôt en bouc, tantôt en fille, Junon irritée de ces changemens, donna aux satyres des cornes & des piés de chevres.

Pline le naturaliste prend les satyres des poëtes, pour une espece de singes, & il assure que dans une montagne des Indes, il se trouve des satyres à quatre piés, qu'on prendroit de loin pour des hommes ; ces sortes de singes ont souvent épouvanté les bergers, & poursuivi quelquefois les bergeres ; c'est peut-être ce qui a donné lieu à tant de fables touchant leur complexion amoureuse ; ajoutez qu'il est souvent arrivé que des bergers couverts de peaux de chevres, ou des prêtres, ayent contrefait les satyres, pour séduire d'innocentes bergeres. Dès-là l'opinion se répandit que les bois étoient remplis de ces divinités malfaisantes ; les bergeres tremblerent pour leur honneur, & les bergers pour leurs troupeaux ; ces frayeurs firent qu'on chercha à les appaiser par des sacrifices & par des offrandes.

Pausanias rapporte qu'un certain Euphémus ayant été jetté par la tempête, avec son vaisseau, sur les côtes d'une île déserte, vit venir à lui des especes d'hommes sauvages tout velus, avec des queues derriere le dos ; qu'ils voulurent enlever leurs femmes, & se jetterent sur elles avec tant de fureur, qu'on eut bien de la peine à se défendre de leur brutalité. Nos navigateurs revoyent souvent les satyres, ou hommes sauvages tout velus de Pausanias ; ce sont des singes à queue. (D.J.)

SATYRE, s. f. (Poésie) poëme dans lequel on attaque directement le vice, ou quelque ridicule blâmable.

Cependant la satyre n'a pas toujours eu le même fonds, ni la même forme dans tous les tems. Elle a même éprouvé chez les Grecs & les Romains, des vicissitudes & des variations si singulieres, que les savans ont bien de la peine à en trouver le fil. J'ai lu, pour le chercher & pour le suivre, les traités qu'en ont fait, avec plus ou moins d'étendue, Casaubon, Heinsius, MM. Spanheim, Dacier & le Batteux. Voici le précis des lumieres que j'ai puisées dans leurs ouvrages.

De l'origine des satyres parmi les Grecs. Les satyres dans leur premiere origine, n'avoient pour but que le plaisir & la joie ; c'étoient des farces de villages, un amusement, ou un spectacle de gens assemblés pour se délasser de leurs travaux, & pour se réjouir de leur récolte, ou de leurs vendanges. Des jeux champêtres, des railleries grossieres, des postures grotesques, des vers faits sur le champ, & recités en dansant, produisirent cette sorte de poésie, à laquelle Aristote donne le nom de satyrique & de danse. C'est d'elle que naquit la tragédie, qui n'eut pas seulement la même origine, mais qui en garda assez long-tems un caractere plus burlesque, pour ainsi dire, que sérieux. Quoique tirée du poëme satyrique, dit Aristote, elle ne devint grave que long-tems après. Ce fut quand ce changement lui arriva, que ce divertissement des compositions satyriques, passa de la campagne sur les théatres, & fut attaché à la tragédie même, pour en tempérer la gravité qu'on s'étoit enfin avisé de lui donner.

Comme ces spectacles étoient consacrés à l'honneur de Bacchus, le dieu de la joie, & qu'ils faisoient partie de sa fête, on crut qu'il étoit convenable d'y introduire des Satyres, ses compagnons de débauche, & de leur faire jouer un rôle également comique par leur équipage, par leurs actions & par leurs discours. On voulut par ce moyen égayer le théatre, & donner matiere de rire aux spectateurs, dans l'esprit desquels on venoit de répandre la terreur & la tristesse par des représentations tragiques. La différence qui se trouvoit entre la tragédie & les satyres des Grecs, consistoit uniquement dans le rire que la premiere n'admettoit pas, & qui étoit de l'essence de ces dernieres. C'est pourquoi Horace les appelle d'un côté, agrestes satyros, eu égard à leur origine, & risores satyros, par rapport à leur but principal.

Du tems auquel on jouoit ces pieces satyriques. Ainsi le nom de satyre ou satyri, demeura attaché parmi les Grecs, aux pieces de théatre dont nous venons de parler ; & qui d'abord furent entremêlées dans les actes des tragédies, non pas tant pour en marquer les intervalles, que comme des intermedes agréables, à quoi les danses & les postures bouffonnes de ces satyres ne contribuerent pas moins que leurs discours de plaisanterie. On joua ensuite séparément ces mêmes pieces, après les représentations des tragédies ; ainsi qu'on joua à Rome, & dans le même but, les especes de farces nommées exodes. Voyez EXODE.

Ces poëmes satyriques firent donc la derniere partie de ces célebres représentations des pieces dramatiques, à qui on donna le nom de tétralogie parmi les Grecs. Voyez TETRALOGIE.

Des personnages des satyres. Si dans les commencemens les pieces satyriques n'avoient pour acteurs que des satyres ou des silènes, les choses changerent ensuite. Le Cyclope d'Euripide, les titres des anciennes pieces satyriques & plusieurs auteurs, nous apprennent que les dieux, ou demi-dieux, & des héroïnes, comme Omphale, y trouvoient leurs places, & en faisoient même le sujet principal. Le sérieux se mêla quelquefois parmi le burlesque des acteurs qui faisoient le rôle des Silènes ou des Satyres. En un mot, la satyrique, car on la nommoit aussi de ce nom, tenoit alors le milieu entre la tragédie & l'ancienne comédie. Elle avoit de commun avec la premiere la dignité des personnages qu'on y faisoit entrer, comme nous venons de voir, & qui d'ordinaire étoient pris des tems héroïques ; & elle participoit de l'autre, par des railleries libres & piquantes, des expressions burlesques, & un dénouement de la fable, dénouement le plus souvent gai & heureux. C'est ce que nous apprend le grand commentateur grec d'Homere, Eustathius. C'est le propre du poëme satyrique, nous dit-il, de tenir le milieu entre le tragique & le comique. Voilà presque le comique larmoyant de nos jours, dont l'origine est toute grecque, sans que nous nous en fussions douté.

Différence entre les pieces satyriques & comiques. Quelque rapport qu'il y eût entre les pieces satyriques & celles de l'ancienne comédie, je ne crois pas qu'elles aient été confondues par des auteurs anciens. Il restoit des différences assez grandes qui les distinguoient, soit à l'égard des sujets qui dans les pieces satyriques étoient pris d'ordinaire des fables anciennes, & des demi-dieux ou des héros, soit en ce que les satyres y intervinrent avec leurs danses, & dans l'équipage qui leur est propre, soit de ce que leurs plaisanteries avoient plutôt pour but de divertir & de faire rire, que de mordre & de tourner en ridicule leurs concitoyens, leurs villes & leurs pays, comme Horace dit de Lucilius, l'imitateur d'Aristophane & de ses pareils. J'ajoute que la composition n'en étoit pas la même, & que l'ancienne comédie ne se lia point aux vers Iambiques, comme firent les pieces satyriques des Grecs. Concluons que ce fut aux poëmes dramatiques, dans lesquels intervenoient des Satyres avec leurs danses & leurs équipages, que demeura attaché parmi les Grecs le même nom de satyre, celui de satyrique ou de pieces satyriques, .

Des satyres romaines. Ce fut parmi les Romains que le mot de satyre, de quelque maniere qu'on l'écrive, satira, satyra, satura, ou quelque origine qu'on lui donne, fut appliqué à des compositions différentes, & d'autre nature que les poëmes satyriques des Grecs, c'est-à-dire qui n'étoient, comme ceux-ci, ni dramatiques, ni accompagnés de Satyres, de leurs équipages & de leurs danses, ni faites d'ailleurs dans le même but. On donna ce nom à Rome, en premier lieu à un poëme réglé & mêlé de plaisanteries, & qui eut cours avant même que les pieces dramatiques y fussent connues, mais qui cessa ou y changea de nom, & fit place à d'autres passetems, comme on l'apprend de Tite-Live.

On communiqua ensuite le nom de satyre à un poëme mêlé de diverses sortes de vers, & attaché à plus d'un sujet, comme firent les satyres d'Ennius, ou comme Ciceron l'appelle, poëma varium & elegans, en parlant de celles de Varron, qui étoient tout ensemble un mêlange de vers & de pieces de littérature & de philosophie, dont il nous apprend lui-même dans cet orateur, le but & la variété.

On donna enfin ce nom de satyre au poëme de Lucilius, qui au rapport d'un de ses imitateurs, avoit tout le caractere de l'ancienne comédie ; hinc omnis pendet Lucilius, c'est-à-dire par la même licence qu'il s'y donna, d'y reprendre non-seulement les vices en général, mais les vicieux de son tems d'entre ses citoyens, sans y épargner même les noms des magistrats & des grands de Rome.

Ce fut là, si on en croit Horace & bien d'autres, la premiere origine & le premier auteur de ce poëme inconnu aux Grecs, à qui le nom de satyre demeura comme propre & attaché parmi les Romains, & tel qu'il l'est encore aujourd'hui dans l'usage des langues vulgaires. C'est aussi sur ce modele que furent formés ensuite, comme on sait, les satyres du même Horace, de Perse & de Juvenal, sans toucher ici au caractere particulier que chacun d'eux y apporta, suivant son génie, ou celui de son siecle. Et c'est enfin sur ces grands exemples que les auteurs modernes françois, italiens, anglois & autres, ont formé les poëmes qu'ils ont publiés sous ce même nom de satyres.

Je laisse maintenant à juger de la contestation de deux savans critiques du siecle passé, dont l'un Casaubon, prétend que la satyre des Romains n'a rien de commun avec les pieces satyriques des Grecs, ni dans l'origine & la signification du mot, ni dans la chose, c'est à-dire dans la matiere & dans la forme ; & dont l'autre, Daniel Heinsius, au contraire, y croit trouver une même origine, une même matiere, une même forme & un même but. Il est certain qu'il y a des différences trop essentielles entre les unes & les autres pour les confondre ; & par conséquent. l'on doit plutôt s'en rapporter au sentiment de Casaubon, qui a le premier débrouillé cette matiere dans le traité qu'il en a mis au jour. Je vais exposer en peu de mots ces différences, parce que le traité de Casaubon est latin, & qu'on n'a rien publié sur cette matiere en françois, même dans les mémoires de l'académie des Inscriptions jusqu'à ce jour, pour la décision de cette dispute.

Différence entre les satyres des Grecs, & les satyres latines. La premiere différence, dont on ne peut disconvenir, c'est que les satyres, ou poëmes satyriques des Grecs, étoient des pieces dramatiques ou de théâtre, ce qu'on ne peut pas dire des satyres Romaines prises dans aucun genre. Les Latins eux-mêmes, quand ils font mention de la poésie satyrique des Grecs, lui donnent le nom de fabula, qui signifie le drame des Grecs, & n'attribuent jamais ce mot aux satyres latines.

La seconde différence vient de ce qu'il y a même quelque diversité dans le nom ; car les Grecs donnoient à leurs poëmes le nom de satyrus, ou satyri, de satyrique, de pieces satyriques, à cause des satyres, ces hôtes des bois, & ces compagnons de Bacchus qui y jouoient leur rôle, d'où vient qu'Horace appelle ceux qui en étoient les auteurs, du nom de satyrorum inscriptores ; au lieu que les Romains ont dit satira ou satura, en parlant des premiers poëmes. Ciceron appelle poema varium, les satyres de Varron, & Juvenal donne le nom de farrago à ces satyres.

La troisieme différence, est que l'introduction des Silènes & des Satyres qui composoient les choeurs des poemes satyriques des Grecs en constituent l'essence, tellement qu'Horace s'arrête à montrer de quelle maniere on doit y faire parler les satyres, & ce qu'on leur doit faire éviter ou conserver. On peut y ajouter l'action de ces mêmes Satyres, puisque les danses étoient si fort de l'essence de la piece, que non-seulement Aristote les y joint, mais qu'Athenée parle nommément des trois différentes sortes de danses attachées au théâtre, la tragique, la comique & la satyrique.

La quatrieme différence résulte des sujets assez divers des uns & des autres. Les satyres des Grecs prenoient d'ordinaire le leur de sujets fabuleux ; des héros, par exemple, ou des demi-dieux des siecles passés. Les satyres romaines s'attachoient à reprendre les vices, ou les erreurs de leur siecle & de leur patrie ; à y jouer des particuliers de Rome, un Mutius entr'autres, & un Lupus dans Lucilius ; un Milonius, un Nomentanus dans Horace ; un Crispinus & un Locutius dans Juvenal. Je ne parle point ici de ce que ce dernier n'y épargne pas Domitien, sous le nom de Néron ; & qu'après tout, il n'y avoit rien de feint dans ces personnages, & dans les actions qu'ils en étalent, ou dans les vers qu'ils en rapportent.

La cinquieme différence paroît encore de la maniere dont les uns & les autres traitent leurs sujets, & dans le but principal qu'ils s'y proposent. Celui de la poésie satyrique des Grecs, est de tourner en ridicule des actions sérieuses ; de travestir pour ce sujet leurs dieux ou leurs héros ; d'en changer le caractere selon le besoin ; en un mot, de rire & de plaisanter : desorte que de tels ouvrages s'appellent en grec des jeux & des jouets, joci, comme dit Horace ; & c'est à quoi contribuoient d'ailleurs leurs danses & leurs postures, au lieu que les satyres romaines, témoin celles qui nous restent, & auxquelles ce nom d'ailleurs est demeuré comme propre, avoient moins pour but de plaisanter, que d'exciter de la haine, de l'indignation, ou du mépris : en un mot elles s'attachent plus à reprendre & à mordre, qu'à faire rire ou à folâtrer. Les auteurs y prennent la qualité de censeurs, plutôt que celle de bouffons.

Je ne touche pas la différence qu'on pourroit encore alléguer de la composition diverse des unes & des autres, par rapport à la versification. Les satyres romaines, du moins celles qui nous ont été conservées jusqu'à ce jour, ayant été écrites le plus généralement en vers héroïques, & les poëmes satyriques des Grecs, en vers iambiques. Cette réflexion est cependant d'autant plus remarquable, qu'Horace ne trouve point d'autre différence entre l'inventeur des satyres romaines, & les auteurs de l'ancienne comédie, comme Cratinus & Eupolis, sinon que les satyres du premier étoient écrites dans un autre genre de vers.

Enfin il y a lieu, ce me semble, de s'en tenir au jugement d'Horace, de Quintilien, & d'autres auteurs anciens, qui assurent que l'invention de la satyre, à qui ce nom est demeuré particulierement appliqué chez les Romains, & depuis dans les langues vulgaires ; que cette invention, dis-je, est dûe toute entiere à Lucilius ; que c'est une sorte de poësie purement romaine, comme il y paroît, & totalement inconnue aux Grecs ; d'où je conclus hardiment, qu'on ne peut aujourd'hui être là-dessus d'aucune autre opinion.

Ce n'est pas après tout, que les satyres des Grecs, leurs danses & leurs railleries, n'aient été connues des Romains. On sait que dans leurs fêtes & dans leurs processions, il y avoit entr'autres des choeurs de Silènes & de Satyres, vêtus & parés à leur mode, & qui par leurs danses & leurs singeries, égayoient les spectateurs. La même chose se pratiquoit dans la pompe funebre des gens de qualité, & même dans les triomphes ; & ces vers licencieux & ces railleries piquantes, que les soldats qui accompagnoient la pompe chantoient contre les triomphateurs, montroient que ces sortes de jeux satyriques, si l'on me permet cette expression, furent bien connus des Romains.

Mais il est tems de venir à l'histoire particuliere de la satyre chez les Romains, & de peindre les différens caracteres de leurs poëtes célebres en ce genre.

Caracteres des poëtes satyriques romains. Ce furent les Toscans qui apporterent la satyre à Rome ; & elle n'étoit autre chose alors qu'une sorte de chanson en dialogue, dont tout le mérite consistoit dans la force & la vivacité des reparties. On les nomma satyres, parce que, dit-on, le mot latin satura, signifiant un bassin dans lequel on offroit aux dieux toutes sortes de fruits à la fois, & sans les distinguer ; il parut qu'il pourroit convenir, dans le sens figuré, à des ouvrages où tout étoit mêlé, entassé sans ordre, sans régularité, soit pour le fond, soit pour la forme.

Livius Andronicus, qui étoit grec d'origine, ayant donné à Rome des spectacles en regle, la satyre changea de forme & de nom. Elle prit quelque chose du dramatique, & paroissant sur le théâtre, soit avant, soit après la grande piece, quelquefois même au milieu, on l'appelloit isode, piece d'entrée, ; ou exode, piece de sortie, ; ou piece d'entr'acte, . Voilà quelles furent les deux premieres formes de la satyre chez les Romains.

Elle reprit son premier nom sous Ennius & Pacuvius, qui parurent quelque tems après Andronicus ; mais elle le reprit à cause du mêlange des formes, qui fut très-sensible dans Ennius ; puisqu'il employoit toutes sortes de vers, sans distinction, & sans s'embarrasser de les faire symmétriser entr'eux, comme on voit qu'ils symmétrisent dans les odes d'Horace.

Térentius Varron fut encore plus hardi qu'Ennius dans la satyre qu'il intitula Ménippe, à cause de sa ressemblance avec celle de Ménippée cynique grec. Il fit un mêlange de vers & de prose : & par conséquent il eut droit plus que personne de nommer son ouvrage satyre, en faisant tomber la signification du mot sur la forme.

Enfin arriva Lucilius qui fixa l'état de la satyre, & la présenta telle que nous l'ont donnée Horace, Perse, Juvenal, & telle que nous la connoissons aujourd'hui. Et alors la signification du mot satyre ne tomba que sur le mélange des choses, & non sur celui des formes. On les nomma satyres, parce qu'elles sont réellement un amas confus d'invectives contre les hommes, contre leurs desirs, leurs craintes, leurs emportemens, leurs folles joies, leurs intrigues.

Quidquid agunt homines, votum, timor, ira, voluptas

Gaudia, discursus, nostri est farrago libelli.

Juv. Sat. I.

On peut donc définir la satyre d'après son caractere fixé par les Romains, une espece de poëme dans lequel on attaque directement les vices ou les ridicules des hommes. Je dis une espece de poëme, parce que ce n'est pas un tableau, mais un portrait du vice des hommes, qu'elle nomme sans détour, appellant un chat un chat, & Néron un tyran.

C'est une des différences de la satyre avec la comédie. Celle-ci attaque les vices, mais obliquement & de côté. Elle montre aux hommes des portraits généraux, dont les traits sont empruntés de différens modeles ; c'est au spectateur à prendre la leçon lui-même, & à s'instruire s'il le juge à propos. La satyre au contraire va droit à l'homme. Elle dit : C'est vous, c'est Crispin, un monstre, dont les vices ne sont rachetés par aucune vertu.

La satyre en leçons, en nouveautés fertile,

Sait seule assaisonner le plaisant & l'utile ;

Et d'un vers qu'elle épure aux rayons du bon sens,

Détrompe les esprits des erreurs de leur tems.

Elle seule bravant l'orgueil & l'injustice,

Va jusques sous le dais faire pâlir le vice :

Et souvent sans rien craindre, à l'aide d'un bon mot,

Va venger la raison des attentats d'un sot.

Boileau.

Comme il y a deux sortes de vices, les uns plus graves, les autres moins ; il y a aussi deux sortes de satyres : l'une qui tient de la tragédie, grande Sophocleo carmen bacchatur hiatu ; c'est celle de Juvenal. L'autre est celle d'Horace, qui tient de la comédie, admissus circum praecordia ludit.

Il y a des satyres où le fiel est dominant, fel : dans d'autres, c'est l'aigreur, acetum : dans d'autres, il n'y a que le sel qui assaisonne, le sel qui pique, le sel qui cuit.

Le fiel vient de la haine, de la mauvaise humeur, de l'injustice : l'aigreur vient de la haine seulement & de l'humeur. Quelquefois l'humeur & la haine sont enveloppées ; & c'est l'aigre-doux.

Le sel qui assaisonne ne domine point, il ôte seulement la fadeur, & plaît à tout le monde ; il est d'un esprit délicat. Le sel piquant domine & perce, il marque la malignité. Le cuisant fait une douleur vive, il faut être méchant pour l'employer. Il y a encore le fer qui brûle, qui emporte la piece avec escare, & c'est fureur, cruauté, inhumanité. On ne manque pas d'exemples de toutes ces especes de traits satyriques.

Il n'est pas difficile, après cette analyse, de dire quel est l'esprit qui anime ordinairement le satyrique. Ce n'est point celui d'un philosophe qui, sans sortir de sa tranquillité, peint les charmes de la vertu & la difformité du vice. Ce n'est point celui d'un orateur qui, échauffé d'un beau zele, veut réformer les hommes, & les ramener au bien. Ce n'est pas celui d'un poëte qui ne songe qu'à se faire admirer en excitant la terreur & la pitié. Ce n'est pas encore celui d'un misantrope noir, qui haït le genre humain, & qui le haït trop pour vouloir le rendre meilleur. Ce n'est ni un Héraclite qui pleure sur nos maux, ni un Démocrite qui s'en moque : qu'est - ce donc ?

Il semble que, dans le coeur du satyrique, il y ait un certain germe de cruauté enveloppé, qui se couvre de l'intérêt de la vertu pour avoir le plaisir de déchirer au-moins le vice. Il entre dans ce sentiment de la vertu & de la méchanceté, de la haine pour le vice, & au-moins du mépris pour les hommes, du desir pour se venger, & une sorte de dépit de ne pouvoir le faire que par des paroles : & si par hasard les satyres rendoient meilleurs les hommes, il semble que tout ce que pourroit faire alors le satyrique, ce seroit de n'en être pas fâché. Nous ne considérons ici l'idée de la satyre qu'en général, & telle qu'elle paroît résulter des ouvrages qui ont le caractere satyrique de la façon la plus marquée.

C'est même cet esprit qui est une des principales différences qu'il y a entre la satyre & la critique. Celle-ci n'a pour objet que de conserver pures les idées du bon & du vrai dans les ouvrages d'esprit & de goût, sans aucun rapport à l'auteur, sans toucher ni à ses talens, ni à rien de ce qui lui est personnel. La satyre au contraire cherche à piquer l'homme même ; & si elle enveloppe le trait dans un tour ingénieux, c'est pour procurer au lecteur le plaisir de paroître n'approuver que l'esprit.

Quoique ces sortes d'ouvrages soient d'un caractere condamnable, on peut cependant les lire avec beaucoup de profit. Ils sont le contrepoison des ouvrages où regne la molesse. On y trouve des principes excellens pour les moeurs, des peintures frappantes qui réveillent. On y rencontre de ces avis durs, dont nous avons besoin quelquefois, & dont nous ne pouvons guere être redevables qu'à des gens fâchés contre nous : mais en les lisant, il faut être sur ses gardes, & se préserver de l'esprit contagieux du poëte qui nous rendroit méchans, & nous feroit perdre une vertu à laquelle tient notre bonheur, & celui des autres dans la société.

La forme de la satyre est assez indifférente par elle-même. Tantôt elle est épique, tantôt dramatique, le plus souvent elle est didactique ; quelquefois elle porte le nom de discours, quelquefois celui d'épître ; toutes ces formes ne font rien au fond ; c'est toujours satyre, dès que c'est l'esprit d'invectives qui l'a dictée. Lucilius s'est servi quelquefois du vers ïambique : mais Horace ayant toujours employé l'hexametre, on s'est fixé à cette espece de vers. Juvenal & Perse n'en ont point employé d'autres ; & nos satyriques françois ne se sont servis que de l'alexandrin.

Caius Lucilius, né à Aurunce, ville d'Italie, d'une famille illustre, tourna son talent poétique du côté de la satyre. Comme sa conduite étoit fort réguliere, & qu'il aimoit par tempérament la décence & l'ordre, il se déclara l'ennemi des vices. Il déchira impitoyablement entr'autres un certain Lupus, & un nommé Mutius, genuinum fregit in illis. Il avoit composé plus de trente livres de satyres, dont il ne nous reste que quelques fragmens. A en juger par ce qu'en dit Horace, c'est une perte que nous ne devons pas fort regretter : son style étoit diffus, lâche, les vers durs ; c'étoit une eau bourbeuse qui couloit, ou même qui ne couloit pas, comme dit Jules Scaliger. Il est vrai que Quintilien en a jugé plus favorablement : il lui trouvoit une érudition merveilleuse, de la hardiesse, de l'amertume, & même assez de sel. Mais Horace devoit être d'autant plus attentif à le bien juger, qu'il travailloit dans le même genre, que souvent on le comparoit lui-même avec ce poëte ; & qu'il y avoit un certain nombre de savans qui, soit par amour de l'antique, soit pour se distinguer, soit en haine de leurs contemporains, le mettoient au-dessus de tous les autres poëtes. Si Horace eût voulu être injuste, il étoit trop fin & trop prudent pour l'être en pareil cas ; & ce qu'il dit de Lucilius est d'autant plus vraisemblable, que ce poëte vivoit dans le tems même où les lettres ne faisoient que de naître en Italie. La facilité prodigieuse qu'il avoit n'étant point reglée, devoit nécessairement le jetter dans le défaut qu'Horace lui reproche. Ce n'étoit que du génie tout pur & un gros feu plein de fumée.

Horace profita de l'avantage qu'il avoit d'être né dans le plus beau siecle des lettres latines. Il montra la satyre avec toutes les graces qu'elle pouvoit recevoir, & ne l'assaisonna qu'autant qu'il le falloit pour plaire aux gens délicats, & rendre méprisables les méchans & les sots.

Sa satyre ne présente guere que les sentimens d'un philosophe poli, qui voit avec peine les travers des hommes, & qui quelquefois s'en divertit : elle n'offre le plus souvent que des portraits généraux de la vie humaine ; & si de tems en tems elle donne des détails particuliers, c'est moins pour offenser qui que ce soit, que pour égayer la matiere & mettre la morale en action. Les noms sont presque toujours feints : s'il y en a de vrais, ce ne sont jamais que des noms décriés & de gens qui n'avoient plus de droit à leur réputation. En un mot, le génie qui animoit Horace n'étoit ni méchant, ni misantrope, mais ami délicat du vrai, du bon, prenant les hommes tels qu'ils étoient, & les croyant plus souvent dignes de compassion ou de risée que de haine.

Le titre qu'il avoit donné à ses satyres & à ses épîtres marque assez ce caractere. Il les avoit nommés sermones, discours, entretiens, réflexions faites avec des amis sur la vie & les caracteres des hommes. Il y a même plusieurs savans qui ont rétabli ce titre comme plus conforme à l'esprit du poëte & à la maniere dont il présente les sujets qu'il traite. Son style est simple, léger, vif, toujours modéré & paisible ; & s'il corrige un sot, un faquin, un avare, à peine le trait peut-il déplaire à celui même qui en est frappé.

Je suis bien éloigné de mettre la poésie de son style & la versification de ses satyres au niveau de celles de Virgile, mais du-moins on y sent par-tout l'aisance & la délicatesse d'un homme de cour, qui est le maître de sa matiere, & qui la réduit au point qu'il juge à propos, sans lui ôter rien de sa dignité. Il dit les plus belles choses, comme les autres disent les plus communes, & n'a de négligence que ce qu'il en faut pour avoir plus de graces.

Perse (Aulus Persius Flaccus) vint après Horace, il naquit à Volaterre, ville d'Etrurie, d'une maison noble & alliée aux plus grands de Rome. Il étoit d'un caractere assez doux, & d'une tendresse pour ses parens qu'on citoit pour exemple. Il mourut âgé de 30 ans, la 8e année du regne de Néron. Il y a dans les satyres qu'il nous a laissées des sentimens nobles ; son style est chaud, mais obscurci par des allégories souvent recherchées, par des ellipses fréquentes, par des métaphores trop hardies.

Perse en ses vers obscurs, mais serrés & pressans,

Affecta d'enfermer moins de mots que de sens.

Quoiqu'il ait tâché d'être l'imitateur d'Horace, cependant il a une seve toute différente. Il est plus fort, plus vif, mais il a moins de graces. Il est même un peu triste : & soit la vigueur de son caractere, soit le zele qu'il a pour la vertu, il semble qu'il entre dans sa philosophie un peu d'aigreur & d'animosité contre ceux qu'il attaque.

Juvénal (Decimus Junius Juvenalis) natif d'Aquino, au royaume de Naples, vivoit à Rome sur la fin du regne de Domitien, & même sous Nerva & sous Trajan. Ce poëte

Elevé dans les cris de l'école,

Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole.

Ses ouvrages tous pleins d'affreuses vérités

Etincellent pourtant de sublimes beautés :

Soit que sur un écrit arrivé de Caprée,

Il brise de Séjan la statue adorée,

Soit qu'il fasse au conseil courir les sénateurs,

D'un tyran soupçonneux pâles adulateurs...

Ses écrits pleins de feu par-tout brillent aux y eux.

Perse a peut-être plus de vigueur qu'Horace ; mais en comparaison de Juvénal, il est presque froid. Celui-ci est brûlant : l'hyperbole est sa figure favorite. Il avoit une force de génie extraordinaire, & une bile qui seule auroit presque suffi pour le rendre poëte. Il passa la premiere partie de sa vie à écrire des déclamations. Flatté par le succès de quelques vers qu'il avoit faits contre un certain Paris, pantomime, il crut reconnoître qu'il étoit appellé au genre satyrique. Il s'y livra tout entier, & en remplit les fonctions avec tant de zele, qu'il obtint à la fin un emploi militaire, qui, sous apparence de grace, l'exila au fond de l'Egypte. Ce fut-là qu'il eut le tems de s'ennuyer & de déclamer contre les torts de la fortune, & contre l'abus que les grands faisoient de leur puissance. Selon Jules Scaliger, il est le prince des poëtes satyriques : ses vers valent beaucoup mieux que ceux d'Horace ; apparemment parce qu'ils sont plus forts : ardet, inflat, jugulat.

Ce qui a déterminé Juvénal à embrasser le genre satyrique, n'est pas seulement le nombre des mauvais poëtes ; raison pourtant qui pouvoit suffire. " Il a pris les armes à cause de l'excès où sont portés tous les vices. Le désordre est affreux dans toutes les conditions. On joue tout son bien ; on vole, on pille ; on se ruine en habits, en bâtimens, en repas ; on se tue de débauche ; on assassine, on empoisonne. Le crime est la seule chose qui soit récompensée ; il triomphe par-tout, & la vertu gémit ".

La quatrieme satyre de ce poëte présente les traits les plus mordans, & l'invective la plus animée. Il en veut à l'empereur Domitien ; & pour aller jusqu'à lui comme par degré, il présente d'abord ce favori nommé Crispin, qui d'esclave étoit devenu chevalier romain. Cette satyre a pour date :

Cum jam semianimum laceraret Flavius orbem

Ultimus, & calvo serviret Roma Neroni.

" Lorsque le dernier des Flavius achevoit de déchirer l'univers expirant, & que Rome gémissoit sous la tyrannie du chauve Néron " ; vous voyez qu'il ne dit pas sous l'empire de Domitien, comme un autre auroit pû dire. Il le surnomme Néron, pour peindre d'un seul mot sa cruauté ; il l'appelle chauve, qui étoit un reproche injurieux dans ce tems-là. Enfin on voit dans ce morceau soute la force, tout le fiel, toute l'aigreur de la satyre. Ce ton se soutient par-tout dans l'auteur ; ce n'est pas assez pour lui de peindre, il grave à traits profonds, il brûle avec le fer.

Sa satyre X. est encore très-belle, sur-tout l'endroit où il brise la statue de Séjan, après avoir raillé amérement l'ambition de ce ministre, & la sottise du peuple de Rome qui ne jugeoit que sur les apparences :

Turba Remi sequitur fortunam, ut semper & odit

Damnator.

C'en est assez sur les anciens satyriques romains ; parlons à-présent de ceux de notre nation qui ont marché sur leurs traces.

Caracteres des poëtes satyriques françois.

Regnier (Mathurin), natif de Chartres, & neveu de l'abbé Desportes, fut le premier en France qui donna des satyres. Il y a de la finesse & un tour aisé dans celles qu'il a travaillées avec soin ; son caractere est aisé, coulant, vigoureux. Despréaux dit en parlant de ce poëte :

Regnier seul parmi nous formé sur leurs modeles,

Dans son vieux style encore a des graces nouvelles.

Il est quelquefois long & dissus. Quand il trouve à imiter, il va trop loin, & son imitation est presque toujours une traduction inférieure à son modele ; mais ses vers sont pleins de sens & de naïveté : Heureux !

Si du son hardi de ses rimes cyniques

Il n'allarmoit souvent les oreilles pudiques.

Ce qu'on peut dire pour diminuer sa faute, c'est que ne travaillant que d'après les satyriques latins, il croyoit pouvoir les suivre en tout, & s'imaginoit que la licence des expressions étoit un assaisonnement dont leur genre ne pouvoit se passer.

Regnier est mort à Rouen en 1613, âgé de 40 ans. On connoît l'épitaphe pleine de naïveté qu'il a faite pour lui, & dans laquelle il s'est si bien peint :

J'ai vécu sans nul pensement

Me laissant aller doucement

A la bonne loi naturelle :

Et si m'étonne fort pourquoi

La mort daigna songer à moi

Qui ne songeai jamais à elle.

Jean de la Frenaye Vauquelin, publia quelques satyres peu de tems avant la mort de Regnier ; mais comme il n'avoit ni la force, ni le feu, ni le plaisant nécessaire à ce genre de poëme, il ne mérite pas de nous arrêter.

Despréaux (Nicolas Boileau sieur) fleurit environ 60 ans après Regnier, & fut plus retenu que lui. Il savoit que l'honnêteté est une vertu dans les écrits comme dans les moeurs. Son talent l'emporta sur son éducation : quoiqu'il fût fils, frere, oncle, cousin, beau-frere de greffier, & que ses parens le destinassent à suivre le palais, il lui fallut être poëte, & qui plus est poëte satyrique.

Ses vers sont forts, travaillés, harmonieux, pleins de choses ; tout y est fait avec un soin extrême. Il n'a point la naïveté de Regnier ; mais il s'est tenu en garde contre ses défauts. Il est serré, précis, décent, soigné par-tout, ne souffrant rien d'inutile, ni d'obscur. Son plan de satyre étoit d'attaquer les vices en général, & les mauvais auteurs en particulier. Il ne nomme guere un scélérat ; mais il ne fait point de difficulté de nommer un mauvais auteur qui lui déplaît, pour servir d'exemple aux autres, & maintenir le droit du bon sens & du bon goût.

Ses expressions sont justes, claires, souvent riches & hardies. Il n'y a ni vuide, ni superflu. On dit quelquefois malignement le laborieux Despréaux ; mais il travailloit plus pour cacher son travail, que d'autres pour montrer le leur. Ses ouvrages se font admirer par la justesse de la critique, par la pureté du style & par la richesse de l'expression. La plûpart de ses vers sont si beaux, qu'ils sont devenus proverbes. Il semble créer les pensées d'autrui, & paroît original lorsqu'il n'est qu'imitateur.

On lui reproche de manquer d'imagination ; mais où la voit-on plus brillante, plus riche & plus féconde que dans son poëme du Lutrin, ouvrage bâti sur la pointe d'une aiguille, comme le disoit M. de Lamoignon ; c'est un château en l'air, qui ne se soutient que par l'art & la force de l'architecte. On y trouve le génie qui crée, le jugement qui dispose, l'imagination qui enrichit, la vertu qui anime tout, & l'harmonie qui répand les graces.

Son art poétique est un chef-d'oeuvre de raison, de goût, de versification. Enfin Despréaux a une réputation au-dessus de toutes les apologies, & sa gloire sera toujours intimement liée avec celle des belles-lettres françoises.

Il naquit au village de Crône, auprès de Paris, en 1636. Il essaya du barreau, & ensuite de la sorbonne. Dégoûté de ces deux chicanes, dit M. de Voltaire, il ne se livra qu'à son talent, & devint l'honneur de la France. Il fut reçu à l'académie en 1684, & mourut en 1711. Tous ses ouvrages ont été traduits en anglois. Son Art poétique a été mis en vers portugais ; & plusieurs autres morceaux de ses poésies ont été traduits en vers latins & en vers italiens. La meilleure édition qu'on ait donné de ses oeuvres en françois, avec d'amples commentaires, a vu le jour à Paris en 1747, cinq vol. in-8 °.

Parallele des satyriques romains & françois. Si présentement on veut rapprocher les caracteres des poëtes satyriques dont nous venons de parler, pour voir en quoi ils se ressemblent, & en quoi ils different ; " il paroît, dit M. le Batteux, qu'Horace & Boileau ont entr'eux plus de ressemblance, qu'ils n'en ont ni l'un ni l'autre avec Juvenal. Ils vivoient tous deux dans un siecle poli, où le goût étoit pur, & l'idée du beau sans mêlange. Juvenal au contraire vivoit dans le tems même de la décadence des lettres latines, lorsqu'on jugeoit de la bonté d'un ouvrage par sa richesse, plutôt que par l'économie des ornemens. Horace & Boileau plaisantoient doucement, légerement ; ils n'ôtoient le masque qu'à demi & en riant ; Juvenal l'arrache avec colere : ses portraits ont des couleurs tranchantes, des traits hardis, mais gros ; il n'est pas nécessaire d'être délicat pour en sentir la beauté. Il étoit né excessif, & peut-être même que quand il seroit venu avant les Plines, les Séneques, les Lucains, il n'auroit pû se tenir dans les bornes légitimes du vrai & du beau.

Perse a un caractere unique qui ne sympatise avec personne. Il n'est pas assez aisé pour être mis avec Horace. Il est trop sage pour être comparé à Juvenal ; trop enveloppé & trop mystérieux pour être joint à Despréaux. Aussi poli que le premier, quelquefois aussi vif que le second, aussi vertueux que le troisieme, il semble être plus philosophe qu'aucun des trois. Peu de gens ont le courage de le lire ; cependant la premiere lecture une fois faite, on trouve de quoi se dédommager de sa peine dans la seconde. Il paroît alors ressembler à ces hommes rares dont le premier abord est froid ; mais qui charment par leur entretien quand ils ont tant fait que de se laisser connoître ". (D.J.)

SATYRE DRAMATIQUE, (Art dramat.) genre de drame particulier aux anciens. Les satyres dramatiques, ou si l'on veut, les drames satyriques, se nommoient en latin satyri, au-lieu que les satyres telles que celles d'Horace & de Juvenal, s'appelloient saturae. Il ne nous reste de drame satyrique qu'une seule piece de l'antiquité ; c'est le cyclope d'Euripide. Les personnages de cette piece sont Polyphème, Ulysse, un silène & un choeur de satyres. L'action est le danger que court Ulysse dans l'antre du cyclope, & la maniere dont il s'en tire. Le caractere du cyclope est l'insolence, & une cruauté digne des bêtes féroces. Le silène est badin à sa maniere, mauvais plaisant, quelquefois ordurier. Ulysse est grave & sérieux, de maniere cependant qu'il y a quelques endroits où il paroît se prêter un peu à l'humeur bouffonne des silènes. Le choeur des satyres a une gravité burlesque, quelquefois il devient aussi mauvais plaisant que le silène. Ce que le pere Brumoi en a traduit suffit pour convaincre ceux qui auront quelque doute.

Peu importe après cela, de remonter à l'origine de ce spectacle, qui fut, dit on, d'abord très-sérieux. Il est certain que du tems d'Euripide, c'étoit un mêlange du haut & du bas, du sérieux & du bouffon. Les Romains ayant connu le théâtre grec, introduisirent chez eux cette sorte de spectacle pour réjouir non-seulement le peuple & les acheteurs de noix, mais quelquefois même les philosophes, à qui le contraste quoiqu'outré, peut fournir matiere à réflexion.

Horace a prescrit dans son Art poétique, le goût qui doit régner dans ce genre de poëme ; & ce qu'il en dit revient à ceci. Si l'on veut composer des drames satyriques, il ne faut pas prendre dans la partie que font les satyres la couleur ni le ton de la tragédie, il ne faut pas prendre non-plus le ton de la comédie : Davus est trop rusé ; une courtisanne qui excroque un talent à un vieil avare, tout fin qu'il est, est trop subtile. Ce caractere de finesse ne peut convenir à un Silène qui sort des forêts, qui n'a jamais été que le serviteur & le gardien d'un dieu en nourrice. Il doit être naïf, simple, du familier le plus commun. Tout le monde croira pouvoir faire parler de même les satyres, parce que leur élocution semblera entierement négligée ; cependant il y aura un mérite secret, & que peu de gens pourront attraper, ce sera la suite & la liaison même des choses : il est aisé de dire quelques mots avec naïveté ; mais de soutenir long-tems ce ton sans être plat, sans laisser du vuide, sans faire d'écarts, sans liaisons forcées, c'est peut-être le chef-d'oeuvre du goût & du génie.

Je crois qu'on retrouve chez nous, à peu de chose près, les satyres dramatiques des anciens dans certaines pieces italiennes ; du-moins on retrouve dans arlequin les caracteres d'un satyre. Qu'on fasse attention à son masque, à sa ceinture, à son habit collant, qui le fait paroître presque comme s'il étoit nud, à ses genoux couverts, & qu'on peut supposer rentrans ; il ne lui manque qu'un soulier fourchu. Ajoutez à cela sa façon mievre & déliée, son style, ses pointes souvent mauvaises, son ton de voix ; tout cela forme assurément une maniere de satyre. Le satyre des anciens approchoit du bouc ; l'arlequin d'aujourd'hui approche du chat ; c'est toujours l'homme déguisé en bête. Comment les satyres jouoient-ils, selon Horace ? avec un dieu, un héros qui parloit du haut ton. Arlequin de même paroît vis-à-vis Samson ; il figure en grotesque vis-à-vis d'un héros : il fait le héros lui-même ; il représente Thésée, &c. Cours de Belles-lettres. (D.J.)


SATYRIASISS. m. (Médecine) maladie qui met les hommes qu'elle attaque dans cet état de salacité, qui, suivant la mythologie, caractérisoit les satyres, voyez ce mot. Ces malades n'ont quelquefois d'autre incommodité, qu'un appétit violent des plaisirs vénériens, qui dégénere presqu'en fureur : il est déterminé par une érection constante & voluptueuse de la verge ; cet état en faisant naître les désirs les plus vifs, est dans la plûpart la suite & le signe d'un besoin pressant, & la source & l'avant-coureur de la volupté, en quoi le satyriasis differe, comme nous l'avons observé du priapisme, voyez ce mot ; mais cet appetit est tel dans plusieurs, qu'il subsiste même après qu'on l'a satisfait, & qu'il exige qu'on réitere souvent l'acte qui en est le but & qui le fait ordinairement cesser.

Baldassar Timéus rapporte l'histoire d'un musicien, dont le satyriasis étoit porté au point que le coït répeté plusieurs fois dans l'espace de quelques heures, étoit encore insuffisant pour émousser l'aiguillon qui l'y excitoit. Casuum medicin. lib. III. consult. 52. il semble même qu'alors le satyriasis en est plus irrité ; il cesse pendant quelques instans, & reprend bien-tôt après avec une nouvelle vigueur ; il en est de ces cas particuliers, comme de la démangeaison des yeux qu'on calme en les frottant, mais qui peu de tems après en est augmentée, & dégénere en cuisson douloureuse.

Les causes du satyriasis consistent dans un vice de la semence & des parties génitales ; la semence péche par sa quantité, lorsqu'une continence exacte l'a laissé ramasser en trop grande abondance, ou que des médicamens actifs, aphrodisiaques, en ont fait augmenter la secrétion ; elle péche en qualité, lorsque par quelque vice du sang ou par l'usage des remedes âcres échauffans, elle devient plus âcre, plus active, plus propre à irriter les reservoirs où elle se ramasse. La disposition vicieuse des parties génitales consiste dans une tension plus grande, une sensibilité excessive qui les rend susceptibles des plus legeres impressions, obéissantes au moindre aiguillon ; cet effet peut être produit par les mêmes causes ; c'est de leur concours que dépend le satyriasis qui survient aux phthisiques, aux personnes qui ont fait usage des cantharides, du satyrion, ou autre remede semblable ; on peut ajouter à ces causes, la débauche, la crapule, la manustupration, les lectures deshonnêtes, les peintures obscènes, les conversations libertines, les attouchemens impudiques, &c. alors l'érection devient un état presque habituel de la verge, l'irritation constante de ces parties y attire une plus grande quantité d'humeurs qui forment une espece de semence, & en rendant la secrétion plus abondante, fournissent aux excès de son excrétion.

Les hommes sont les seuls sujets au satyriasis proprement dit, les femmes ne sont cependant pas exemptes des maladies qui ont pour caractere un desir insatiable des plaisirs vénériens ; le besoin est le même dans l'un & l'autre sexe, & les fautes sont générales ; les femmes en sont même plus punies que les hommes ; les maladies de cette espece font chez elles plus de progrès, & sont beaucoup plus violentes ; leur imagination plus échauffée s'altere par la contrainte où les loix de leur éducation les obligent de vivre ; le mal empire par la retenue, bien-tôt il est au point de déranger la raison de ces infortunées malades ; alors soustraites à son empire & n'écoutant plus que la voix de la nature, elles cherchent à lui obéir ; elles ne connoissent plus, ni décence, ni pudeur ; rien ne leur paroît deshonnête pourvû qu'il tende à satisfaire leurs desirs ; elles agacent tous les hommes indifféremment & se précipitent avec fureur entre leurs bras, ou tâchent par des moyens que la nature indique & que l'honnêteté proscrit, de suppléer à leur défaut ; cette maladie est connue sous les différens noms de fureur utérine, d'érotomanie, nymphomanie, &c. Voyez ces articles.

Le satyriasis qu'excite une trop grande quantité de semence retenue, se dissipe d'ordinaire par son excrétion légitime, & n'a point de suite fâcheuse : mais celui qui se prend du trop d'activité de la semence & d'une tension immoderée des parties de la génération, est plus lent & plus difficile à guérir ; s'il persiste trop long-tems, il donne naissance à des symptomes dangereux, tels que la mélancholie ; difficulté de respirer, dysurie, constipation, feu intérieur, soif, dégoût, fievre lente enfin, & phthisie dorsale qui préparent une mort affreuse. Tous ces accidens sont l'effet d'une excrétion immoderée de semence, Voyez ce mot & MANUSTUPRATION. Thémison, un des plus anciens auteurs qui ait écrit sur cette maladie, assure que plusieurs personnes moururent en Crete, attaquées du satyriasis.

On ne peut esperer de guerison plus promte & plus certaine dans le satyriasis qui est l'effet d'une rigoureuse continence, que par l'évacuation de l'humeur superflue qui l'excite ; il faut conseiller à ces malades de se marier ; c'est le seul moyen autorisé par la religion, les loix & les moeurs, de rendre l'excrétion de semence légitime, mais ce n'est pas le seul qui la rende avantageuse ; le médecin est cependant obligé de s'y tenir & d'y sacrifier souvent la santé de ses malades ; il est d'ailleurs destitué de remedes qui puissent procurer cette excrétion, de même que les purgatifs procurent celle des sucs intestinaux ; les diurétiques celle des urines, &c. L'usage immoderé de la biere occasionne bien un flux gonorrhoïque, mais ce n'est que de l'humeur des prostates. Je ne doute pas que s'il connoissoit de pareils secours, il ne pût en toute sureté de conscience les administrer dans le cas de nécessité. Si donc le malade ne peut pas absolument se marier ; il faudra chercher des remedes à ses maux dans les rafraîchissans, dans le travail, l'exercice outré, les veilles, & le gorger de boissons nitreuses, de tisanes de nymphea, d'émulsions préparées avec les graines de pavot, les semences de chanvre, d'agnuscastus & le syrop de nymphea, lui faire prendre des bains froids, le mettre à une diete un peu sévere, ne le nourrir que d'alimens legers & adoucissans ; lui interdire l'usage du vin & des liqueurs spiritueuses ; enfin l'exténuer de différentes façons ; & pour le délivrer d'une simple incommodité, si facile à dissiper par des moyens illégitimes, lui donner à leur défaut une maladie très-sérieuse ; encore par cette méthode risque-t-on souvent de manquer son but ; la maladie en s'invéterant s'opiniâtre, la semence par un long séjour devient âcre & plus active, les érections sont en conséquence plus fortes & plus fréquentes ; & le satyriasis entretenu par les vices de quantité & qualité de la semence, & par la disposition maladive des parties de la génération, devient plus difficile à guérir ; on n'a cependant lieu d'attendre du soulagement que dans l'usage continuel des secours proposés ; on peut y joindre les préparations du plomb, le sel de Saturne en très-petite quantité ; il seroit dangereux d'insister encore trop long-tems sur ce remede, personne n'ignore les terribles effets que son usage intérieur produit ; on peut aussi avoir recours aux applications locales sur la région des lombes qui passent pour amortir les feux de l'amour ; telles sont les fomentations avec l'oxicrat, la liqueur de Saturne, les ceintures de l'herbe de nymphea, l'application d'une plaque de plomb, les immersions fréquentes des parties affectées dans de l'eau bien froide, &c. Parmi tous ces remedes, l'expérience heureuse de Timeus paroît avoir particulierement consacré la vertu du nitre & du nymphea ; cet auteur rapporte qu'ayant épuisé tous les rafraîchissans que la matiere médicale fournit, sur le musicien attaqué du satyriasis, dont nous avons parlé au commencement de cet article, il lui conseilla de se marier, suivant l'axiome de saint Paul, qu'il vaut mieux se marier que brûler. Le malade suit le conseil, épouse une robuste villageoise, & laisse entre ses bras une partie de sa maladie ; quelque tems après le satyriasis reparoît avec plus de violence, il lasse son épouse & s'énerve de plus en plus ; il demande de nouveaux remedes : Timeus propose le jeûne & la priere, mais il n'en éprouve d'autre effet qu'un dérangement d'estomac, & sa maladie augmente au point, que fatigué & anéanti par les fréquentes excrétions auxquelles il ne pouvoit se refuser, & croyant tous les secours inutiles, il imaginât de mettre fin à ses maux par une opération, dont l'effet étoit immanquable, mais trop fort. Timeus la déconseille & l'en détourne, en lui représentant le danger pressant qu'elle entraînoit ; enfin, se rappellant qu'un néphrétique après un long usage du nitre étoit resté impuissant, il essaye ce remede & donne une prise de ce sel le matin & le soir dans de l'eau de nymphea ; ce dernier secours fut si efficace, qu'en moins d'un mois les feux de ce musicien furent amortis, de façon qu'à peine il pouvoit satisfaire aux devoirs que lui imposoit le mariage vis-à-vis son épouse, lui qui auparavant eût été un champion digne de la fameuse Messaline.

Quae resupina jacens multorum absorbuit ictus,

Et lassata viris nondum satiata recessit. (m)


SATYRIDES(Géog. anc.) îles de l'Océan, selon Pausanias, qui pouvoit entendre par ce mot les îles Gorgosses. Voici le passage de cet ancien : " Comme je leur faisois (aux Athéniens) beaucoup de questions sur les satyres, pour tâcher d'apprendre quelque chose de plus que ce qui s'en dit communément, un carien nommé Euphemus, me conta que s'étant embarqué pour aller en Italie, il avoit été jetté par la tempête vers les extrêmités de l'Océan : là il y a, me disoit-il, des îles incultes, qui ne sont habitées que par des sauvages ; nos matelots n'y vouloient pas aborder, parce qu'elles leur étoient déja connues ; mais poussés par les vents, ils furent obligés de prendre terre à celle qui étoit la plus proche : ils appelloient ces îles les Satyrides.

Les habitans sont roux, & ont par-derriere une queue presque aussi grande que celle des chevaux. Dès que ces sauvages nous sentirent dans leur île, ils accoururent au vaisseau, & y étant entrés, sans proférer une seule parole, ils se jetterent sur les premieres femmes qu'ils rencontrerent. Nos matelots pour sauver l'honneur de ces femmes, leur abandonnerent une barbare qui étoit dans l'équipage ; & aussi-tôt ces satyres assouvirent leur brutalité, non-seulement en la maniere dont les hommes usent des femmes, mais par toutes sortes de lascivetés. Voilà, ajoute Pausanias, ce qui me fut conté par ce carien " ; mais ce carien ne lui conta qu'une fable. (D.J.)


SATYRION(Hist. nat. Bot.) genre de plante décrit sous le nom d'orchis. Voyez ORCHIS.

SATYRION, (Mat. méd. & Diete) orchis, testicules de chien, &c. Les diverses especes de satyrion, & sur-tout celles des satyrions à racine bulbeuse, ont été singulierement vantées par les anciens pharmacologistes, & par ceux d'entre les modernes qui ont suivi la doctrine de Paracelse, comme l'aphrodisiaque par excellence. Cette haute réputation n'a eu cependant d'autre fondement que la forme de ses bulbes qui ont quelque ressemblance avec un testicule ; & le principe qui a établi les vertus médicinales des remedes sur leur signature ou ressemblance quelconque avec certaines parties du corps humain. (Voyez SIGNATURE.) La philosophie moderne ne s'accommode point d'un pareil principe, & l'expérience qui est son vrai guide, a démontré que les bulbes de satyrion, malgré leur grande ressemblance avec un des principaux organes de la génération, n'avoient aucune influence sur ces organes ; qu'elles n'excitoient point leur jeu, ne produisoient point la magnanimité. Voyez MAGNANIMITE. Médecine. Les racines de satyrion n'en entrent pas moins cependant dans ces compositions aphrodisiaques, tant magistrales qu'officinales les plus usitées.

On garde ces racines dans les boutiques sous la forme de conserve, & sous celle de candit ou confiture.

Au reste ce n'est que le bulbe plein, dur, & bien nourri qu'on choisit, & auquel est attribuée la vertu propre du satyrion ; car quant à un autre bulbe desséché & flétri, qui se trouve toujours avec le précédent, non-seulement il est regardé comme privé de ces vertus, mais même comme doué des propriétés contraires.

M. Géoffroi le cadet a préparé de la maniere suivante le bulbe des satyrions de notre pays pour imiter le salep des Turcs. (Voyez SALEP.) Après avoir choisi les racines d'orchis les mieux nourries, il en ôte la peau, les jette dans l'eau froide ; & après qu'elles y ont séjourné quelques heures, il les fait cuire dans une suffisante quantité d'eau ; il les fait égoutter, puis il les enfile pour les faire sécher à l'air, choisissant pour cette préparation un tems sec & chaud. Elles deviennent transparentes ; elles ressemblent à des morceaux de gomme adragant, & demeurent très-dures. On les peut conserver saines, tant qu'on voudra, pourvu qu'on les tienne dans un lieu sec ; au lieu que les racines qu'on a fait sécher sans cette préparation, s'humectent & moisissent pour peu que le tems soit pluvieux pendant plusieurs jours. Mémoires de l'acad. des Scien. année 1740.

C'est à cause de cette pente que les racines de satyrion desséchées à la maniere ordinaire ont à se corrompre, qu'est venu l'usage de les garder dans les boutiques sous forme de conserve ou de candit. (Voyez CANDIT.) Mais la méthode de M. Geoffroi pourvoit à leur conservation d'une maniere plus avantageuse.

Le même auteur assure que les racines de satyrion de notre pays ainsi préparées, ont les mêmes propriétés médicinales que le salep des Turcs, tout comme elles ressemblent à cette drogue par leurs qualités extérieures. Voyez SALEP.

Quant à la maniere de les employer, voici comme il s'en explique : on peut les réduire en poudre aussi fine qu'on veut, on en prend le poids de vingt-quatre grains, qu'on humecte peu-à-peu d'eau bouillante ; la poudre s'y fond entierement, & forme un mucilage qu'on peut étendre par ébullition dans une chopine ou demi septier d'eau, & l'on est le maître de rendre cette boisson plus agréable, en y ajoutant le sucre & quelques légers parfums. Cette poudre peut aussi s'allier au lait qu'on a conseillé aux malades affectés des maladies de poitrine.

Ce dernier usage qui est le principal & le plus utile tant du salep imité, que du vrai salep (voyez SALEP), prouve bien démonstrativement combien la prétendue vertu aphrodisiaque des satyrions est chimérique : car assurément les phthisiques n'ont que faire de magnanimité, & un remede capable de la produire, ne leur est rien moins que convenable. (b)


SATYRIQUEadj. (Gramm. & Littérat.) ce qui appartient ou a rapport à la satyre, ou qui tient de la nature de la satyre.

Ainsi l'on dit génie satyrique, style satyrique, vers satyriques, &c. Tous les auteurs satyriques ne sont pas poëtes ; on peut compter parmi eux des prédicateurs, comme South ; des historiens comme Burnet, Mezerai, le Vassor, &c. des philosophes, comme Apulée & Montagne. Dans la théologie payenne il y a eu jusqu'à un dieu satyrique appellé Momus. Homere donne à Thersite le caractere d'un satyrique de cour. On a accusé les Hollandois d'avoir composé des écrits ou fait frapper des médailles satyriques qui leur ont couté quelquefois bien cher.

Cependant on entend principalement par satyriques, les poëtes qui ont composé des satyres ; tels qu'Horace, Boileau, le comte de Rochester, &c. L'auteur du cours des Belles-Lettres distribuées par exercices, caractérise ainsi les trois principaux satyriques latins, & le satyrique françois.

" Horace & Boileau, dit-il, avoient un esprit plus doux, plus souple : ils aimoient la simplicité ; ils choisissoient les traits & les présentoient sans fard & sans affectation. Juvenal avoit un génie fort, une imagination fougueuse ; il chargeoit ses tableaux, & détruisoit souvent le vrai en le poussant trop loin. Horace & Boileau ménageoient leur fonds ; ils plaisantoient doucement, légerement ; ils n'ôtoient le masque qu'à demi & en riant, Juvenal l'arrache avec colere. Quelquefois les deux premiers font exhaler l'encens le plus pur du milieu même des vapeurs satyriques. Le dernier n'a jamais loué qu'un seul homme, & cette louange se tournoit même en satyre contre le reste du genre humain. En un mot, les portraits que font Horace, Boileau, quoique dans le genre odieux, ont toujours quelque chose d'agréable qui paroît venir de la touche du peintre. Ceux que fait Juvenal ont des couleurs tranchantes, des traits hardis, mais gros. Il n'est pas nécessaire d'être délicat pour en sentir la beauté.

Horace & Boileau ont des traits propres & qui les séparent : Horace nous paroît quelquefois plus riche, & Boileau plus clair. Horace est plus réservé que Juvenal ; mais il l'est beaucoup moins encore que Boileau. Il y avoit plus de nature & de génie dans Horace, plus de travail & peut-être plus d'art dans Boileau.

Perse a un caractere unique qui ne sympatise avec personne ; il n'est pas assez aisé pour être mis avec Horace. Il est trop sage pour être comparé à Juvenal, trop enveloppé & trop mystérieux pour être joint à Despreaux. Aussi poli que le premier, quelquefois aussi vif que le second, aussi vertueux que le troisieme ; il semble être plus philosophe qu'aucun des trois. Peu de gens ont le courage de le lire ; la premiere lecture une fois faite, on trouve de quoi se dédommager de sa peine dans la seconde ". Cours de Belles-Lettres, tome II. page 162. & suivantes.

SATYRIQUES JEUX, (Théâtre) espece de farces qu'on jouoit à Rome le matin avant la grande piece pour les plaisirs du peuple. Elles ne venoient ni des Umbriens, ni des Liguriens, ni des autres peuples de l'Italie ; mais on les avoit empruntées des Grecs. (D.J.)


SATYRIUM(Géog. anc.) canton d'Italie dans la Messapie, aux environs de la ville de Tarente, selon Etienne le géographe. Elle donna son nom à la ville de Tarente, qui est appellée Saturum Tarentum dans ces vers de Virgile, Géorg. l. II. v. 195.

Sin armenta magis studium vitulosque tueri,

Aut foetus ovium, aut urentes culta capellas,

Saltus & Saturi petito longinqua Tarenti,

Et qualem infelix amisit Mantua campum,

Pascentem niveos herboso flumine cygnos.

" Si vous vous plaisez à élever des troupeaux de boeufs, de brebis ou de chevres, transportez-vous dans le pays de Tarente, à l'extrémité de l'Italie, ou dans les herbages du Mantouan, pays helas ! enlevé à ses malheureux habitans ; délicieuses campagnes, où tant de cygnes paissent sur les bords du Mincio ".

Rien n'empêche qu'on ne dise que Satyrium, ville de ce canton, ne soit aujourd'hui la Bourgade Satuzo. (D.J.)


SATou ZIATECK, (Géog. mod.) ville de Bohème, capitale d'un cercle de même nom, sur la rive méridionale de l'Egra, à 15 lieues au nord-ouest de Prague. Elle a été souvent le séjour des ducs de Bohème.

SATZ, cercle de, (Géog. mod.) en allemand SatzeerKreiss, cercle de Bohème, dans sa partie occidentale. Il est borné au nord par la Misnie, au midi par le cercle de Pilsen, au levant par celui de Rakonick, & au couchant par celui d'Elnbogen. Il occupe les deux bords de l'Egra. (D.J.)


SATZUMA(Géog. mod.) une des neuf provinces du Saïkokf, ou de la contrée de l'empire du Japon, qui est dans le pays de l'Ouest. Cette province n'a que deux journées de longueur, & est cependant divisée en quatorze districts ; elle est médiocrement fertile, mais elle a de bonnes manufactures de draps, produit quantité de meuriers ; & peut presque fournir les autres provinces de camphre. Kaempfer ajoute qu'elle surpasse toutes les provinces de l'île de Saikokf en richesses & en pouvoir ; & qu'elle renferme dans son sein des mines d'or & d'argent si considérables, que l'empereur s'en est réservé la disposition à lui seul. (D.J.)


SAUBATHA(Géog. anc.) selon Ptolémée, l. VI. c. vij. & Sabattha, selon Arrien, II. Peripl. p. 15. ville de l'Arabie heureuse, où elle avoit le titre de métropole. Cette ville étoit dans les terres, & Arrien dit que le roi y faisoit sa résidence. Cela demande une explication, que Saumaise, in exercit. Plin. p. 354. a donnée. Comme le pays de l'Arabie qui produisoit l'encens étoit différent du pays des Sabéens, & que ces deux pays étoient soumis à deux différens rois : il s'ensuit que Saba, capitale des Sabéens, & Sabattha ou Saubatha, capitale du pays qui produisoit l'encens, étoient aussi deux villes différentes. Celle-ci se trouvoit à l'orient de l'Arabie heureuse, & celle-là à l'occident ; desorte que Sabota, ville des Sabéens, que Pline met sur la côte du golfe Arabique, ou sur le rivage rouge, est la même que Saba ; & la ville de Sabota, que le même auteur place chez les Adramites, est la ville Saubatha de Ptolémée, & la Sabattha d'Arrien. (D.J.)


SAUCou SAUSSE, s. f. (Cuisine) composition liquide dans laquelle les cuisiniers font cuire diverses sortes de mets, ou qu'ils font à-part pour manger les viandes quand elles sont cuites. On connoît assez nos sauces modernes, mais on sera peut-être bien-aise de trouver ici quelques-unes des sauces de la cuisine de nos ayeux, & que M. Sauval a rapportées dans ses antiquités de Paris. Ces sauces sont la sauce jaune, la sauce chaude, la sauce à compote, la sauce moutarde ou la galantine, la sauce rapée, la sauce verte, enfin la camelaine.

La sauce jaune se faisoit avec du poivre blanc, que nos peres nommoient jaunet ; elle étoit du nombre des sauces chaudes. Dans la sauce à compote, c'étoit le poivre noir qui y entroit.

La sauce moutarde ou galantine, étoit faite de la racine de cette plante, que nos botanistes ne connoissent plus, & qui peut-être n'est autre chose que le cran que nous mettons présentement dans nos sauces, & qui n'est ni moins chaud, ni moins piquant que la galantine.

La sauce rapée se faisoit avec du verjus de grain, ou des groseilles vertes.

La sauce verte, que nous connoissons encore, avoit entr'autres ingrédiens, du gingembre & du verjus, qu'on verdissoit avec du jus de persil, ou de blé verd ; on y ajoutoit ensuite de la mie de pain blanc.

A l'égard de la camelaine, qui prenoit son nom d'une simple que nous ne connoissons plus, elle étoit faite de cinamome, de gingembre, & de cloux de gérofle, de graine de moutarde, de vin, de verjus, de pain & de vinaigre ; desorte que c'étoit la plus composée de toutes les sauces de ce tems - là.

Le droit de faire & de vendre des sauces appartenoit autrefois aux marchands épiciers, qui de-là se nommoient épiciers-apoticaires- sauciers ; mais depuis, & le nom & la marchandise sont passées aux maîtres vinaigriers, qui encore à présent mettent au nombre de leurs qualités, celle de maîtres sauciers. (D.J.)

Sauce robert, en terme de Cuisinier ; ce sont des oignons assaisonnés avec de la moutarde, & cuits dans la graisse d'une longe de porc, ou d'une autre piece, qu'on a mêlé avec la sauce dont on l'a arrosé.

Les cuisiniers appellent aussi sauce verte une sauce faite avec du blé verd, une rotie de pain, du poivre, du sel, le tout pilé ensemble, & passé dans un linge.


SAUCERv. act. c'est tremper dans une sauce. Saucer une médaille, c'est quand elle est de cuivre, l'argenter.


SAUCIERS. m. terme de corporation ; les maîtres vinaigriers prennent dans leurs statuts, tant anciens que nouveaux, la qualité de maîtres sauciers, à cause de diverses sauces qu'ils ont droit de composer & de debiter ; & que le vinaigre même qu'ils font, & qu'ils vendent, passe pour une des meilleures sauces pour beaucoup de mets & de viandes ; ce nom appartenoit aussi autrefois au corps des marchands épiciers, à cause d'une petite communauté de sauciers, ou faiseurs de sauces, qui leur étoit alors unie ; c'étoit apparemment en vertu des épiceries qui entroient dans leurs sauces. En 1394 les sauciers firent bande à-part, & eurent leurs jurés, restant pourtant sujets à la visite des gardes de l'épicerie ; c'est de-là que sont venus nos vinaigriers- sauciers.

Les sauces des vinaigriers dont il est parlé dans le quinzieme article de leurs statuts de 1658, sont la sauce jaune, la cameline & la sauce moutarde, toutes présentement ignorées, ou du moins hors d'usage sur les tables délicates, où nos nouveaux cuisiniers en ont introduit beaucoup d'autres moins simples & plus piquantes, & de-là plus préjudiciables à la santé. Savary. (D.J.)


SAUCISSES. f. (Cuisine) ce mot dans sa propre signification veut dire une sorte de mets que l'on fait avec du sang & de la chair de porc assaisonnée ; c'est une espece de boudin.

Ce mot vient de l'italien salsiccia, & selon Saumaise, du latin sulsicium, qu'on écrit au lieu de salsum, salé.

Les saucisses de Bologne sont les plus estimées, & on en fait une consommation considérable en Italie, surtout à Bologne & à Venise, d'où on en porte dans beaucoup d'autres endroits.

On fait les saucisses avec de la chair de porc crue, que l'on hache avec de l'ail.

On l'assaisonne de poivre & de plusieurs sortes d'épices ; les Anglois fournissent les Italiens de peaux & de boyaux de porc, & le commerce de cette sorte de marchandises est plus grand qu'on ne s'imagine.

SAUCISSE, (Génie) c'est une longue charge de poudre mise en rouleau dans de la toile goudronnée, arrondie, & cousue en longueur, desorte que cette espece de trainée regne depuis le fourneau ou chambre de la mine, jusqu'à l'endroit où se tient l'ingénieur pour y mettre le feu, & faire jouer le fourneau. La saucisse peut avoir environ deux pouces de diamêtre. On met ordinairement deux saucisses à chaque fourneau, afin que si l'une vient à manquer, l'autre y supplée. (D.J.)


SAUCISSONdans l'Artillerie & la Fortification, est une espece de fascine depuis 9 ou 10 piés de longueur jusqu'à 18, relié de 9 pouces en 9 pouces avec de bonnes harres. On s'en sert dans la construction de l'épaulement des batteries à un siege, & pour reparer les breches ou les bouches, en attendant qu'on veuille reconstruire le revêtement, ou mettre le rempart dans l'état où il étoit avant le siege de la place. (Q)

SAUCISSON, s. m. dans l'Artillerie, est un long sac de cuir ou de toile, d'environ un pouce & demi de diamêtre, dont on se sert pour porter le feu dans la chambre ou le fourneau d'une mine ; il est pour cet effet rempli de poudre fine.

Le saucisson se renferme dans un petit canal de bois appellé auget. Ce canal sert à empêcher que les matériaux qui remplissent la galerie de la mine ne pressent trop le saucisson, qui pourroit sans cela s'étouffer avant qu'il eût porté le feu à la mine. Le saucisson est attaché fixément au milieu du fourneau ou de la chambre de la mine, de-sorte qu'on ne puisse point l'en arracher. Il se conduit dans tous les retours de la galerie, on le continue même un peu au-delà pour pouvoir y mettre le feu plus surement. Voyez MINE & TEMOIN.

Dans l'attaque d'un ouvrage qu'on craint qui ne soit miné, on cherche à découvrir le saucisson pour empêcher que l'ennemi n'y mette le feu & ne fasse jouer les mines.

Couper le saucisson, c'est rompre la liaison ou la continuité de la poudre depuis le dehors de la galerie jusqu'à la chambre de la mine, ce qui ne permet plus de la faire sauter.

SAUCISSON, (Artificier) les Artificiers appellent ainsi une espèce de fusée que l'on attache ordinairement à la queue d'une plus grande, pour en rendre l'effet plus agréable. J'ai dit ordinairement, parce qu'on en fait quelquefois qui volent en l'air comme les fusées ordinaires, & alors on les appelle saucissons volans, pour les distinguer des premiers qu'on nomme saucissons fixes.

Le cartouche du saucisson se fait avec une baguette. Ce cartouche doit être de quatre pouces de long ; il se fait de carton roulé deux fois & bien collé partout ; on l'étrangle par un bout à un demi-pouce de son extrêmité ; on le lie avec de la ficelle ; on prend un tampon de papier que l'on fait entrer dans ce cartouche ; on le pousse dans le cul du saucisson avec la baguette ; on frappe celle-ci avec un maillet, après quoi l'on met de la poudre ordinaire dans ce cartouche ; & quand il est plein à-peu-près, l'on couvre cette charge d'un tampon que l'on frappe encore avec la baguette, & ensuite on l'étrangle & on le lie en cet endroit. Après cela l'on serre ce saucisson depuis les deux endroits étranglés avec beaucoup de ficelle, ensorte qu'il en soit tout couvert ; en cet état on le jette dans la colle forte & on le laisse sécher, afin que le feu y étant mis, il trouve plus de résistance, & fasse un plus grand bruit en faisant crever le cartouche.

Il faut pour cela que le saucisson soit percé à celui de ses bouts qu'on appliquera à la queue de la fusée, où il doit avoir un peu de poudre grenée, & cette poudre servira à allumer le saucisson que l'on fera tenir contre la fusée avec du papier ou du parchemin, ou bien avec une corde ou autrement, afin que la fusée venant à finir, le saucisson prenne feu & produise son effet.

Pour construire des saucissons volans, on fera leurs cartouches comme ceux des précédens, excepté qu'ils doivent être un peu plus longs. Après avoir étranglé un de leurs bouts comme à l'ordinaire, on les charge aussi de poudre grenée ; puis à un doigt d'épaisseur, on ajoute de la poudre pilée & passée, comme pour les fusées par terre, en pressant le tout à coup de maillet, comme pour les fusées volantes ; enfin on couvre le cartouche avec une corde, après avoir étranglé l'autre bout, ensorte qu'il n'y reste qu'une lumiere grosse comme un petit tuyau de plume d'oye ; on l'amorce avec un peu de poudre mouillée.

SAUCISSON, c'est aussi, dans les feux d'artifice, une sorte de pétard fait avec un cartouche cylindrique court, étranglé, & fermé par les deux bouts, ce qui le fait ressembler à un saucisson à manger. Pour augmenter la détonation de la poudre qu'il renferme par la résistance du cartouche, on l'enveloppe de ficelle collée.

SAUCISSON VOLANT, c'est le même artifice allongé, pour continuer un peu de composition qui le fait pirouetter en le jettant en l'air par le moyen d'un pot, d'où il sort comme d'un mortier, & finit par tirer un coup. Frezier, traité des feux d'artifice. (Q)

SAUCISSON, (Marine) c'est un boyau de toile, rempli de poudre à canon, dont on se sert dans un brûlot, pour conduire le feu depuis les dalles jusques aux artificiers.

SAUCISSON, (Chaircuiterie) les saucissons sont de grosses saucisses qui se font en plusieurs endroits, particulierement en Italie, avec de la chair de porc crue, bien battue & bien broyée dans un mortier, où l'on mêle quantité d'ail, de poivre en grain, & autres épices ; les meilleurs saucissons sont ceux de Bologne. (D.J.)


SAUCLou SAUCLÈS. Voyez MELET.


SAUDAGUERS. m. (Commerce) mot persan qui signifie un marchand, un homme qui fait son profit à acheter, vendre ou échanger des marchandises. Voy. MARCHAND, COMMERCE, NEGOCE, Dictionnaire de Commerce.


SAUDRELA, (Géog. mod.) en latin du moyen âge Saldria, riviere de France. Elle prend sa source dans le Berry, sépare cette province de la Sologne, & va se rendre dans le Cher entre Celles & Châtillon. (D.J.)


SAUER - KRAUTS. m. (Cuisine) que les François nomment par corruption sourcrout ; c'est un mets usité dans toute l'Allemagne ; c'est du choux aigri qui en fait la base : de-là vient son nom allemand. Sauer signifie aigre, acide, & kraut signifie chou. Lorsqu'on veut faire le sauer-kraut, on commence par couper des choux blancs en tranches extrêmement minces ; les Allemands ont pour cet usage une planche faite comme un rabot, & garnie d'un fer tranchant : en passant le chou sur cette espece de rabot, il se coupe en tranches minces, qui sont reçues dans un baquet qui est au-dessous du rabot. Lorsqu'on en a amassé une quantité suffisante, on met ce chou ainsi coupé dans des barrils, on en fait des couches que l'on saupoudre avec du sel & quelques grains de genievre ; & quand le barril est plein on le couvre d'une planche, & l'on met un poids par-dessus, afin que le chou coupé soit pressé fortement. On met le tout dans une cave, & on le laisse fermenter pendant quelques semaines. Lorsqu'on veut en manger, on lave ces choux, & on les fait cuire avec du petit-salé, des saucisses, des perdrix, & telle autre viande que l'on veut. Ce ragoût est fort estimé des Allemands ; il se sert sur la table des plus riches, comme sur celle des plus pauvres. Les étrangers ont de la peine à y prendre du goût ; cependant ce ragoût paroît fort utile pour les gens de mer, dans les voyages de long cours.


SAUFSAUVE, adj. (Gram.) qui est en sûreté, à qui il n'est point arrivé de dommage ou d'accident, à qui il n'en sauroit arriver. Il est sorti de cette action sain & sauf. Il a obtenu son bagage & sa vie sauve ; sauf mon honneur, j'abandonne le reste ; sauf à recommencer ; sauf à se rebattre.

SAUF, (Gram. Jurisprud.) terme de pratique qui sert à exprimer la réserve & exception que l'on fait de quelque chose, comme quand on dit sauf à se pourvoir, c'est-à-dire qu'on se réserve à se pourvoir. (A)

SAUF-CONDUIT, (Droit politiq.) les sauf-conduits sont des conventions faites entre ennemis & qui méritent qu'on en dise quelque chose. On entend par sauf-conduit un privilege accordé à quelqu'un des ennemis sans qu'il y ait cessation d'armes, & par lequel on lui accorde la liberté d'aller & de venir en sûreté.

Toutes les questions que l'on propose sur les sauf-conduits peuvent se décider, ou par la nature même des sauf-conduits accordés, ou par les regles générales de la bonne interprétation.

1°. Un sauf-conduit donné pour des gens de guerre regarde non - seulement des officiers subalternes, mais encore ceux qui commandent en chef, c'est l'usage naturel & ordinaire des termes qui le veut ainsi.

2°. Si l'on permet à quelqu'un d'aller dans un certain endroit, on est aussi censé lui avoir permis de s'en retourner, autrement la premiere permission se trouveroit souvent inutile ; il pourroit cependant y avoir des cas où l'un n'emporteroit pas l'autre.

3°. Si l'on a accordé à quelqu'un la liberté de venir, il ne peut pas pour l'ordinaire envoyer quelqu'autre à sa place ; & au contraire celui qui a permission d'envoyer quelqu'un ne peut pas venir lui-même ; car ce sont deux choses différentes, & la permission doit naturellement être restrainte à la personne même à qui elle est accordée, car peut-être ne l'auroit-on pas accordée à une autre.

4°. Un pere à qui l'on a accordé un sauf-conduit, ne peut pas mener avec lui son fils, & un mari sa femme.

5°. Pour les valets, quoi qu'il n'en soit fait aucune mention, on présume qu'il est permis d'en mener un ou deux, ou même davantage, selon la qualité de la personne.

6°. Dans le doute & pour l'ordinaire, le privilege d'un sauf-conduit ne s'éteint pas par la mort de celui qui l'a accordé ; rien n'empêche cependant qu'il ne puisse, pour de bonnes raisons, être révoqué par le successeur ; mais alors il faut que celui à qui le sauf-conduit avoit été donné soit averti de se retirer, & qu'on lui accorde le tems nécessaire pour parvenir en lieu de sûreté.

7°. Un sauf-conduit accordé pour aussi long-tems qu'on voudra, emporte par lui-même une continuation du sauf-conduit, jusqu'à ce qu'on le révoque bien clairement ; car sans cela, la volonté est censée subsister toujours la même quelque tems qui se soit écoulé ; mais un tel sauf-conduit expire, si celui qui l'avoit donné vient à n'être plus revêtu de l'emploi en vertu duquel il l'avoit donné. Voilà les principes du droit politique les plus communs sur cette matiere ; cet Ouvrage ne permet pas de plus grands détails. (D.J.)


SAUGES. f. salvia, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale & labiée ; la levre supérieure est convexe dans quelques especes, & dans d'autres elle ressemble à une faucille. La levre inférieure est divisée en trois parties, relevée en bosse & non pas concave, comme dans l'ormin & la toute-bonne. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies & renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les étamines ressemblent en quelque sorte à un hyoïde. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SAUGE, (Botan.) selon Linnaeus, la fleur de ce genre de plante est d'une seule feuille formée en tuyau large, applati par-dessus, & découpé par le haut en deux levres ; la levre supérieure est concave, recourbée, déchiquetée dans les bords ; la levre inférieure se partage en trois ; les étamines sont deux filets déliés, dont l'un est caché sous la levre supérieure de la fleur, & l'autre se termine par un corps obtus qui est probablement le nectarium ; le pistil a un germe fendu en quatre & un stile très-long ; il n'y a proprement aucun fruit dans ce genre de plante, & le calice de la fleur contient dans le fond quatre semences rondelettes.

Tournefort compte dix-huit especes de sauges ; nous décrirons ici la sauge ordinaire & la sauge pommifere de Candie.

La sauge ordinaire, salvia major, I. R. H. 180. a la racine dure, vivace, ligneuse, fibreuse. Elle pousse des tiges rameuses, d'un verd blanchâtre, ordinairement quarrées, revêtues de feuilles opposées, larges, obtuses, ridées, blanchâtres, ou purpurines, ou de différentes couleurs, épaisses, cotonneuses, crenelées sur les bords, spongieuses, attachées à des queues un peu longues, d'une odeur forte, pénétrante, agréable, d'un goût aromatique, amer, avec une âcreté qui échauffe la bouche.

Les fleurs naissent comme un épi aux sommets des rameaux, verticillées, formées en gueule ou en tuyau découpé par le haut en deux levres, avec deux étamines, dont la bifurcation représente assez l'os hyoïde ; ces fleurs sont peu odorantes, de couleur bleue, tirant sur le purpurin, rarement blanches, soutenues sur un calice ample, formé en cornet, découpé en cinq parties ; & d'une odeur extraordinaire de térébenthine. Lorsque les fleurs sont passées, il leur succéde quatre semences arrondies, noirâtres, renfermées dans une capsule qui vient du calice.

Cette plante se cultive dans les jardins où elle fleurit communément en Juin & Juillet ; ses sommités sont humectées d'une humeur glutineuse & aromatique ; toutes les especes de sauge aiment les terres argilleuses, & sont beaucoup employées dans les cuisines.

On tire aussi des fleurs de sauge dans les boutiques une huile distillée, qui, mêlée avec l'esprit-de-vin, est bonne pour frotter des parties, où la circulation du sang est trop foible. On employe utilement toute la plante dans les fomentations aromatiques.

Une des plus belles especes de sauge est celle de l'île de Candie, salvia cretica, frutescens, pomifera, foliis longioribus incanis & crispis, I. R. H.

C'est un arbrisseau fort touffu, haut d'environ deux ou trois piés ; le tronc en est tortu, dur, cassant, épais de deux pouces, roussâtre, couvert d'une écorce grise, gersée, divisée en rameaux, dont les jets sont quarrés, opposés deux à deux, blanchâtres, cotonneux, garnis de feuilles, opposées aussi par paires, longues de plus de deux pouces sur un pouce de largeur, chagrinées, blanchâtres, frisées, veinées, roides, dures, pointillées par-dessous, soutenues par un pédicule long de sept ou huit lignes, cotonneux & sillonné.

Les fleurs naissent en maniere d'épi long d'un pié, rangées par étages, assez serrées ; chaque fleur est longue d'un pouce ou de quinze lignes : c'est un tuyau blanchâtre, gros de quatre ou cinq lignes, évasé en deux levres, dont la supérieure est creusée en cueilleron velu, bleuâtre, plus ou moins foncé, long de huit ou de dix lignes ; l'inférieure est un peu plus longue, découpée en trois parties, dont les deux latérales bordent l'ouverture de la gorge qui est entre les deux levres ; la partie moyenne s'arrondit & se rabat en maniere de collet, échancrée, bleu-lavé, frisée, marbrée, panachée de blanc vers le milieu.

Les étamines sont blanchâtres, divisées à - peu-près comme l'os hyoïde ; le pistil qui se courbe & se fourche est garni de quatre embryons dans sa partie inférieure, lesquels deviennent autant de graines ovales, noirâtres, longues d'une ligne. Le calice est un tuyau long de demi-pouce, verd-pâle, mêlé de purpurin, découpé irrégulierement en cinq pointes, évasé en maniere de cloche. Cette espece de sauge a une odeur qui participe de la sauge ordinaire & de la lavande.

Les jets de cette plante piqués par des insectes s'élevent en tumeurs de neuf à dix lignes de diamêtre, dures, charnues, gris-cendrées, cotonneuses, d'un goût agréable. Leur chair est dure, comme de la gelée ; on les appelle pommes de sauge. On en porte des paniers dans les marchés. Cependant, quoique cette espece de sauge vienne fort bien dans les jardins des curieux, on n'y voit jamais de ces sortes de pommes, parce qu'apparemment il n'y a point d'insectes dans nos climats qui se soucient de les piquer. Il se peut faire que la seve du pays contribue à la bonté de ces sortes de productions.

Nous n'avons que de très-mauvaises noix-de-galle sur nos chênes, & sur nos plantes pas le moindre tubercule qui soit bon à manger. Ceux qui se forment sur l'églantier & sur le chardon hémorrhoïdal ne servent qu'en médecine, encore leurs vertus paroissent bien suspectes. (D.J.)

SAUGE, (Mat. médic.) grande sauge, sauge franche ou ordinaire, & petite sauge, sauge de Catalogne ou de Provence.

On prétend que cette plante a été nommée salvia, du mot latin salvare, comme si elle étoit éminemment salutaire. Aussi est-ce une de celles à laquelle les Pharmacologistes ont prodigué les éloges les plus outrés. Il est dit, dans l'école de Salerne, que si l'usage de la sauge ne rend pas l'homme immortel, c'est qu'il n'y a point de remede contre la mort.

Cur moriatur homo cui salvia crescit in horto ?

Contra vim mortis non est medicamen in hortis.

On dit que les Chinois font tant de cas de la sauge, qu'ils ne peuvent comprendre comment les Européens sont si curieux de leur thé, tandis qu'ils possédent chez eux une plante qui lui est aussi supérieure que la sauge.

Les feuilles & les fleurs, ou plutôt les calices de la sauge, & sur-tout de la petite sauge possédent en un degré distingué toutes les propriétés des substances végétales ameres, aromatiques, balsamiques.

M. Cartheuser dit que la sauge qu'il trouve avec raison fort analogue au romarin, voyez ROMARIN, contient plus abondamment que cette derniere plante des principes spiritueux-camphré, mais beaucoup moins d'huile essentielle. Cet auteur n'a retiré qu'un demi-gros, ou tout-au-plus deux scrupules d'huile essentielle d'une livre de feuilles de sauge. Je crois que les calices des fleurs en donneroient davantage. Cette huile nouvellement retirée par la distillation est d'un très-beau verd ; mais elle perd bientôt cette couleur, & devient brune ou jaunâtre. Au reste, ce principe distinct de l'huile essentielle, que M. Cartheuser appelle spiritueux-camphré, est un être pour le moins indéfini.

Les fleurs & les feuilles de petite sauge se prennent principalement en infusion théïforme. Cette infusion a un goût légerement amer, aromatique, qui n'est point désagréable, & elle est très-chargée de l'odeur propre de la plante.

Selon une ancienne opinion qui a passé des livres de quelques naturalistes dans ceux des médecins, & ensuite chez le peuple, les crapauds & les serpens qui sont regardés comme des animaux très-venimeux, & qui cependant ne sont qu'horribles ; ces animaux, dis-je, aiment beaucoup à habiter sous la sauge, & ils l'infectent de leur souffle & de leur salive. On prétend, d'après ce préjugé, qu'il faut laver la sauge avant que de l'employer à des usages médicinaux. Les observations pour & contre cette prétention, & l'usage qui en résulte étant mûrement pesés, il paroît à-peu-près démontré que le danger est purement imaginaire.

L'infusion de sauge est mise au rang des remedes les plus éprouvés contre les foiblesses d'estomac, les douleurs & les digestions languissantes qui en sont la suite ; l'expérience & la considération chymique de sa nature lui paroissent également favorables ; mais il s'en faut bien que ces moyens de connoissance soient également avantageux aux autres propriétés qu'on lui attribue en foule, comme d'être très-bonne contre l'apoplexie, l'épilepsie, la paralysie, les vapeurs hystériques, la suppression des regles, la bouffissure, les fleurs blanches, les fievres intermittentes, l'asthme, les affections vermineuses, &c. en général une infusion théïforme quelconque paroît un remede trop léger contre toutes ces maladies ; & l'infusion théïforme de sauge en particulier n'étant chargée que d'un peu de principe odorant, & d'une très-petite quantité de matiere extractive qui n'est douée que d'une foible vertu, selon la remarque de M. Cartheuser ; une pareille infusion, dis-je, ne peut fournir qu'une boisson à-peu-près indifférente, fort innocente, du-moins pour la plûpart des sujets ; car il faut avouer qu'il y en a de si sensibles, que le tonique le plus léger les affecte singulierement, voyez TONIQUE ; & que la sauge est un des remedes de cette classe qui anime le plus sensiblement ces constitutions éminemment mobiles. Si l'on peut se promettre des effets sensibles dans tous ces cas de l'usage de la sauge, il faudroit les chercher ou dans les feuilles & dans les calices séchés, réduits en poudre & pris dans du vin ou autre liqueur appropriée, ou dans une forte infusion de ces mêmes substances dans le vin ou dans une dose considérable de suc de sauge : mais en ce cas, c'est la grande sauge cultivée qu'il faut prendre ; car la petite sauge sauvage qui croît en Provence ou en Languedoc, est assûrément fort peu succulente. Ce dernier remede, mêlé avec le miel, est recommandé par Aëtius contre le crachement de sang. L'eau distillée de sauge est encore un remede bien plus puissant que son infusion théïforme : & enfin l'oleo-saccharum préparé avec son huile doit être regardé comme un remede très-actif, mais non pas comme possédant évidemment d'autres vertus que celles qui sont communes aux huiles essentielles. Voyez HUILE ESSENTIELLE. Tous ces remedes vraiment efficaces sont presque absolument inusités ; il n'y a que la légere infusion qui soit d'un usage très-commun.

Les feuilles & les fleurs de sauge sont aussi employées pour l'usage extérieur ; elles entrent dans les fomentations, les lotions, les embrocations, &c. toniques, fortifiantes, antiputrides, & principalement dans cette composition magistrale si connue sous le nom de vin aromatique. Voyez VIN AROMATIQUE.

La sauge a aussi quelques usages diététiques. Il est très-commun, par exemple, en Languedoc de piquer avec de petits bouquets de sauge le porc-frais qu'on veut faire cuire à la broche, & il paroît que la sauge qui retient, malgré la longue cuite que demande cette viande, une grande partie de son parfum, & toute son amertume, corrige très-efficacement la fadeur & la qualité laxative du cochon.

Les feuilles, les sommités fleuries ou les fleurs de sauge entrent dans l'orviétan, la poudre contre la rage, l'emplâtre de bétoine, l'eau thériacale, l'élixir de vitriol, le syrop de stoechas, &c. son huile essentielle dans le baume nervin. On prépare avec la sauge une huile par infusion & coction qui doit être rangée avec celles de ces huiles qui empruntent une vertu réelle de la substance dont on prétend les imprégner. Celle-ci est vraiment résolutive, propre à dissiper les douleurs, les contractions des membres, &c. (b)


SAUGUES. m. (Marine) bateau pêcheur de Provence.


SAUGUES(Géog. mod.) petite ville de France dans le Bas - Languedoc, recette de Mende ; c'est encore le nom d'un gros bourg de l'Auvergne, élection de Brioude. (D.J.)


SAULES. m. (Hist. nat. Bot.) salix ; genre de plante à fleur en chaton, composée de plusieurs étamines disposées en épi. Cette fleur est stérile ; les embryons naissent sur des especes de saules qui n'ont pas de fleurs en épi, & deviennent dans la suite un fruit ou une capsule conique, qui s'ouvre en deux parties, & qui renferme des semences garnies d'une aigrette. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SAULE, salix ; arbre qui se trouve dans toute l'Europe, même dans la partie la plus septentrionale de la Lapponie. Le saule, le bouleau & le pin, sont les derniers arbres que l'on rencontre en pénétrant dans les climats glacés du nord. Aucun arbre n'a dans ses especes, qui sont fort nombreuses, autant de variations que le saule, en ce qui concerne la stature. On connoît des saules de toutes grandeurs, depuis un pouce de hauteur jusqu'à plus de soixante piés. Il y a des saules blancs, noirs, jaunes, verds & rouges. Il se trouve d'ailleurs tant de différences dans la forme & la couleur des feuilles, que toute la description que l'on peut faire en général de ces arbres, se réduit à ce qu'ils portent des fleurs femelles sur différens individus. Les chatons qui sont blancs, rouges, jaunes ou bleuâtres, selon les especes de saules, s'épanouissent au mois d'Avril dans les climats tempérés, & les graines qui ont été fécondes, mûrissent & se dispersent dans le mois de Juin.

Il seroit immense, & la nature de cet Ouvrage ne permet pas d'entrer dans des détails sur chaque espece de saule, dont on connoît plus de soixante sortes. J'en traiterai donc sous trois différences qui les distinguent assez essentiellement. Les saules, les marceaux & les osiers.

Les saules sont les especes de ce genre qui prennent le plus de hauteur. Ils se plaisent dans les lieux bas, & sur le bord des eaux ; mais il ne faut pas que leurs racines soient tout-à-fait dans l'eau. Ces arbres se multiplient de plançons de la grosseur du poignet & de la hauteur de huit ou dix piés : on les place dans des trous de la profondeur d'environ deux piés, & à cinq ou six de distance, après qu'on a formé ces trous à coups de maillet avec un pieu armé de fer. Comme le plançon ne remplit pas le trou exactement, on acheve de le remplir avec de la terre meuble qui facilite la reprise. Cette plantation se fait au printems, immédiatement après les gelées. Nul autre soin ensuite que de l'élaguer les deux premieres années. Comme l'objet d'une telle plantation est de se procurer des perches & des échalas, on étête les saules tous les trois ou quatre ans à la sortie de l'hiver. Il faut avoir soin de couper les perches le plus près de la tête de l'arbre qu'il est possible, afin d'empêcher qu'il ne s'y forme des abreuvoirs qui accourcissent beaucoup la durée de l'arbre. Le saule croît très-promtement, mais pas encore aussi vîte que le marceau. Il s'éleve à 60 ou 70 piés, mais il ne profite guere que pendant 25 ans.

Quelque méprisable que soit le saule par la petite qualité de son bois, les anciens lui faisoient l'estime de le mettre au troisieme rang des arbres utiles, relativement au profit qu'on retire des biens de campagne. Le bois de saule est blanc, gras, rebours & fort tendre. Les troncs gros & sains de cet arbre peuvent servir à faire des planches, que l'on employe comme celles du tilleul & du peuplier ; mais quand les saules sont creux & pourris dans le coeur, on les coupe par tronçons qui font un bois de chauffage passable, après les avoir laissé sécher pendant six mois. Les arbres qui sont têtards donnent des branches que l'on coupe tous les trois ou quatre ans, & qui servent à faire des perches & des échalas. On les pêle dans le tems de la seve, & on les laisse secher pendant un an à l'abri pour leur donner un peu plus de durée. Les Sculpteurs font quelque usage du bois de saule ; les Peintres & les Graveurs en tirent quelque service pour tracer leurs esquisses ; les Orfévres pour polir l'or & l'argent, & les Salpétriers pour la poudre à canon. On peut s'en servir aussi pour aiguiser les outils tranchans. Ce bois pourri est excellent pour la culture de quelques plantes & arbrisseaux qui ne peuvent végéter que dans une terre fraiche dénuée de force & de substance ; & les feuilles de l'arbre trempées dans l'eau & répandues dans la chambre d'un malade, en rafraîchissent l'air d'une façon singuliere.

Le marceau ne s'éleve qu'à 25 ou 30 piés. Il differe des saules & des osiers par sa feuille, qui est beaucoup plus large. Cet arbre est de la nature des amphibies ; il se plait dans les lieux bas & humides, & il ne réussit pas moins bien dans les terreins élevés, où il ne craint que le sable vif & la craie pure. De toutes les especes de saules, c'est celle qui peut le mieux se passer d'humidité ; & c'est peut-être de tous les arbres celui qui vient le plus vîte, qui se multiplie le plus aisément, qui fournit le plus de bois, & qu'on peut couper le plus souvent. On dit communément en Angleterre, qu'on achete le cheval avec le marceau avant qu'on puisse acheter la selle avec le chêne. On peut multiplier le marceau de semence, & même c'est un excellent moyen pour favoriser les semis de chêne, & d'autres arbres du premier ordre, parce qu'il abrite les jeunes plants pendant l'hiver, & qu'il entretient la fraîcheur du terrein pendant l'été. Il faut faire cueillir les graines du marceau au mois de Juin, qui est à-peu-près le tems de leur maturité, & les faire répandre tout simplement sur le terrein qu'on veut mettre en bois sans aucune culture préalable, ni même sans rien ôter des herbes ni des buissons qui peuvent s'y trouver. Il est vrai que pour semer de cette façon avec quelque succès, il ne faut pas ménager la graine. Une autre maniere de le multiplier, c'est de prendre des boutures de cet arbre, d'environ un pié & demi de longueur, que l'on pique diagonalement en terre, & si profondément, que le dessus de la bouture se trouve s'il est possible, au niveau du sol. Le bois de trois ou quatre ans est le meilleur pour remplir cet objet ; le bois de deux ans est encore passable ; mais celui d'un an est de la moindre qualité. Cette opération se peut faire pendant tout l'hiver, quand il ne gele pas & que la terre est meuble. On peut couper le marceau tous les quatre ou cinq ans, & sa couche dure ordinairement cinquante ans, pourvû qu'on ait soin de le couper rès-terre, en talus, & fort uniment. Cet arbre est excellent pour garnir un tailli, & il croît à merveille parmi les chênes, les chataigners, les charmes, &c.

Le bois du marceau sert à faire des cercles, des perches & des échalas ; il est aussi très-propre à faire du charbon, qui s'enflamme aisément, & que l'on emploie dans la composition de la poudre à canon.

L'osier. On doit entendre sous ce nom toutes les especes de petits saule qui croissent le long des rivieres, & qui peuvent servir aux ouvrages de Vannerie. On en connoît de plus de douze sortes, mais il n'y en a que quatre dont on fasse cas, qui sont le rouge, le noir, le verd, que quelques gens appellent le blanc, & le jaune, ou doré. Le grand profit qu'on peut retirer de ces arbrisseaux doit engager à les cultiver. On trouve dans le journal économique, mois de Mai 1758, un mémoire intéressant à ce sujet. Il m'a paru que l'auteur a écrit d'après son expérience, & qu'il a vû avec intelligence. Voici en substance ce qu'il dit des différens osiers. Cet arbrisseau se plaît dans presque toutes sortes de terreins, pourvû qu'ils soient un peu argilleux, & que le fond en soit bon. Il se plaît sur-tout le long des rivieres dont les bords sont peu élevés. On peut le multiplier ou de bouture, qui est la façon la plus usitée, ou de semence, qui est la meilleure méthode, parce que les osiers venus de graine, s'enracinent plus profondément, & sont de plus longue durée que ceux élevés de bouture. Voici la maniere de les semer : après avoir mis le terrein en bonne culture, on y fait des sillons à quatre piés de distance les uns des autres, & on y seme au mois de Mars la graine d'osier, que l'on recouvre de deux pouces de terre fort menue, & qui leve bientôt après. Cette premiere année exige des soins qui sont de sarcler souvent, de faire deux labours & de ne laisser qu'un plant, ou deux tout au plus, à la distance d'un pié ; mais rien à leur retrancher pour lors, ce ne sera qu'après la seconde année qu'on pourra les couper rès-terre. Cette premiere recolte sera de très-petite valeur : il en sera de même à-peu-près des deux autres ; ce n'est qu'à la quatrieme que l'oseraie commence à donner un bon produit ; mais elle ne sera dans toute sa force qu'à huit ou neuf ans. Comme il est difficile de ramasser à-propos la graine d'osier, & qu'il vient plus lentement de graine que de bouture, c'est ce qui fait préférer ce dernier moyen, dont voici le procédé. On coupe les boutures de deux piés de longueur, on les enfonce à moitié dans la terre à la distance d'un pié par rangées, qui en ont trois ou quatre d'intervalle ; & il est même indifférent de planter les boutures par le gros ou par le petit bout, elles poussent & font racines également bien. Le mois de Janvier est la saison favorable pour couper les osiers ; & la bonne maniere de le faire est de laisser de la longueur du doigt les bouts tenans à la souche, pour les recouper ensuite après les gelées ; avec cette attention pourtant de ne pas les recouper trop courts, par le tort que cela pourroit faire à la souche ; mais il faut sur-tout que cette souche soit toujours en terre, & non pas élevée, comme on le pratique souvent avec désavantage. Lorsqu'on taille l'osier à-fait, on ne doit laisser qu'un demi pouce de hauteur à chaque brin ; & comme il aura fallu détourner la terre pour opérer, il faudra en recouvrir sa souche de l'épaisseur d'un pouce seulement, pour empêcher le desséchement du bois. Un autre soin de culture sera d'élaguer au mois de Juin les menues branches qui viennent au-dessus des rejettons, & qui les rendroient défectueux ; mais l'une des principales attentions sera de garantir les oseraies des approches du bétail qui en est fort friand, & qui y causeroit en peu de tems de très-grands dommages.

L'osier verd ou blanc, & l'osier jaune ou doré, ne sont proprement qu'une même espece, car le verd devient quelquefois jaune, cela dépend de la nature du terrein où il croît ; si la terre est grasse & humide, il devient verdâtre, en poussant de fortes baguettes qui ne sont propres qu'à de gros ouvrages ; au - lieu que si on le met dans une terre légere, qui soit humide au printems & seche en automne, il y prendra cette couleur jaune qui le fait préférer aux autres osiers ; les terres blanches & argilleuses, & les terres maigres propres à la vigne, peuvent encore lui convenir ; il y devient très-souple & bien doré, mais il y jette peu de bois ; il faut une attention de culture particuliere à cet osier, c'est de ne le labourer qu'à la profondeur de deux ou trois pouces seulement, pour ôter les mauvaises herbes.

Après l'osier jaune, l'osier rouge est le plus estimé, il exige moins de soins, on peut lui donner des labours plus profonds sans qu'il y ait à craindre pour sa couleur ni pour sa qualité ; on peut l'élever sur le bord des fossés, & dans tous les terreins propres à la vigne. Les osiers rouges, les verds & les jaunes sont préférés par les tonneliers à l'osier noir qui est trop fin & qui a moins de corps, & ils font encore plus de cas de l'osier rouge que du jaune, parce qu'il est plus souple & de plus longue durée ; mais comme cet osier rouge est inégal dans sa grosseur, & qu'il ne donne pas tant de relief à l'ouvrage que le jaune, c'est ce qui fait qu'on employe ce dernier de préférence, pour les futailles qui sont à vendre, & surtout celles qu'on envoye à l'étranger.

Pour mettre en état de vente les osiers qui sont propres aux ouvrages des tonneliers, on les fend durant l'hiver, pendant qu'ils sont verds & souples ; car s'ils étoient secs, ils fendroient mal, & s'ils étoient en séve, l'écorce se détacheroit, ce qui feroit un inconvénient, attendu que l'écorce fortifie & fait durer la ligature ; la fente de l'osier se fait avec un petit coin de bois qui a trois ou quatre carnes, & qui sert à partager le brin d'osier en autant de parties ; mais il vaut mieux le fendre en trois, que de le partager en deux, ni en quatre, parce que l'ouvrage se fait plus aisément, & qu'il a plus de propreté ; on a soin ensuite de faire plusieurs classes des osiers, selon leur longueur, leur grosseur, & leurs especes différentes ; enfin, on les met par paquets ou poignées de vingt-cinq brins chacune, ou soixante & quinze parcelles, & on les vend au millier qui forme une botte composée de quarante poignées. Outre le grand service que les tonneliers tirent de l'osier, on en fait grand usage pour les vignes & dans les jardins ; mais quand on emploie l'osier pour lier les cerceaux, il faut le faire tremper dans de l'eau bouillante : les vers ne s'y mettent pas, il pourrit moins vîte, il est plus souple, moins cassant, & il vaut mieux du double que quand on le fait tremper dans l'eau froide.

L'osier noir est le moins convenable pour les ouvrages du tonnelier, parce qu'il est trop menu & qu'il n'a pas assez de corps ; mais d'autre côté, c'est ce qui le fait préférer par les vanniers, pour leurs ouvrages de propreté, parce que les brins de l'osier noir sont déliés & fort égaux ; ils se servent aussi de l'osier rouge, pour les ouvrages destinés à la fatigue, parce qu'il est gros, souple, fort & égal ; à d'autres égards les vanniers employent toutes les autres especes d'osiers & de saules, quoique le bois en soit cassant ; mais pour cette destination on ne les coupe que quand la seve est en mouvement, pour avoir plus de facilité d'en lever l'écorce, après quoi on les fait sécher & on fait de grosses bottes, afin de les entretenir droits.

La culture des osiers peut être très-avantageuse ; il s'en fait une grande consommation par les jardiniers, les vignerons, les tonneliers & les vanniers ; le commerce en est fort étendu, & on assure que dans les pays de grands vignobles, comme en Bourgogne & en Guienne, on peut retirer mille écus de revenus d'un arpent d'oseraie. Jusqu'ici les faits concernans les osiers ont été extraits du mémoire que j'ai cité ; mais voici ce qu'on peut y ajouter. Le voisinage des grands arbres nuit aux osiers, & l'ombrage de ceux-ci, qui est pernicieuse aux grains, est très-profitable aux prairies ; il ne faut de labour aux osiers qu'à proportion qu'on juge qu'ils en ont besoin, car quand le fonds est bon, il arrive souvent qu'il ne faut les cultiver que tous les deux ou trois ans, parce que si on les labouroit plus souvent, ils prendroient trop de force & de grosseur. Quand une oseraie se dégarnit, le peuplement s'en fait en recouchant peu-à-peu les branches voisines les plus fortes ; on peut greffer l'osier sur le saule, il devient par-là d'un plus grand rapport, & il n'est point exposé aux atteintes du bétail ; la greffe en flute est la plus convenable pour cet objet, & on doit la faire à la fin de Mars, ou au commencement d'Avril ; on peut couper les osiers dès l'automne, il faut pour cela que la feuille soit tombée, ce qui arrive ordinairement vers les premiers jours de Novembre ; car s'ils étoient encore chargés de feuilles, ils seroient sujets à noircir & à se rider, ce qui les mettroit beaucoup en non - valeur.

Toutes les especes de saules, de marceaux & d'osiers, font une défense très-avantageuse pour garantir le bord des héritages qui sont voisins des rivieres ; mais les osiers sur-tout dont les racines tracent & pullulent considérablement.

Les feuilles de saule peuvent servir à la nourriture du menu bétail pendant l'hiver ; elles sont sur-tout profitables aux agneaux & aux chevreaux ; toutes les parties de cet arbre ont quelques propriétés pour la médecine, mais très-particulierement celle d'être rafraîchîssantes jusqu'au point d'éteindre les feux naturels & même d'infliger la stérilité. M. d'AUBENTON le subdélégué.

SAULE, (Mat. méd.) l'écorce, les feuilles, & les chatons de cet arbre, sont mis au rang des remedes rafraîchissans & astringens ; on fait entrer quelquefois ces matieres dans les bains & les demi-bains médicamenteux, mais certes assez inutilement. Les remedes tirés du saule sont fort peu en usage, & vraisemblablement doivent être peu regrettés ; la vertu principale & spéciale que les auteurs leur attribuent, c'est de réprimer le penchant à l'amour, & la faculté de le satisfaire. Supposé que cette vertu fût réelle, ce ne seroit pas encore là de quoi mettre le saule en crédit. (b)


SAULGE SAINT(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt méchant bourg de France, en Nivernois, situé dans un vallon couvert de montagnes boisées. Il y a dans ce bourg un prieuré de l'ordre de S. Benoît.

Tixier, (Jean) en latin Ravisius Textor, bon humaniste du xvj. siecle, étoit natif de ce bourg. Il devint recteur de l'université de Paris, où il mourut en 1522. On a de lui des lettres, des dialogues, des épigrammes, & quelques autres opuscules en latin, qui ne sont pas encore tombés dans le discrédit.


SAULGENou SULGEN, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Souabe, chef-lieu du comté de même nom, au midi du Danube. (D.J.)


SAULIEU(Géog. mod.) Sidoleucum, ou Sedelaucum, en latin moderne ; ville de France dans la Bourgogne, chef-lieu d'un bailliage de même nom, dans l'Auxois, à 5 lieues au sud-ouest de Sémur, à 15 au couchant de Dijon, sur la route de Lyon à Paris. Il y a une collégiale, un petit collége, & quelques communautés religieuses. Cette ville est la seizieme qui députe aux états de la province ; l'évêque d'Autun en est comte & seigneur. Longit. 21. 54. latit. 47. 17.

Savot, (Louis) savant médecin & célebre antiquaire, naquit à Saulieu, vers 1579. Il se destina d'abord à la chirurgie, & vint à Paris à l'âge de 20 ans, pour s'y rendre habile ; mais il poussa bientôt ses vues plus loin, & prit des degrés en médecine ; enfin il laissa la médecine pour l'architecture, & s'y distingua ; il mourut vers 1640. Ses principaux ouvrages sont, 1°. un discours sur les médailles antiques, vol. in-4 °. très-estimé. 2 °. L'architecture françoise des bâtimens particuliers, dont les meilleures éditions sont celles de Paris, avec les notes de François Blondel, en 1673 & 1685. 3°. Le livre de Galien, de l'art de guérir par la saignée, traduit du grec, avec un discours préliminaire sur la saignée. (D.J.)


SAULT LA(Géog. mod.) riviere de France, en Champagne ; elle vient des frontieres de Lorraine, passe par Vitri-le-brulé, dans le Pertois, & se jette peu après dans la Marne. (D.J.)

SAULT pays de, (Géog. mod.) petit pays de France dans le Languedoc, au diocèse d'Alet ; ce pays a un bailliage royal, qui ressortit à la sénéchaussée de Limoux ; son chef-lieu est Escouloubre, qui étoit un poste important pour couvrir les frontieres, avant la conquête du Roussillon. (D.J.)

SAULT, la vallée de, (Géog. mod.) en latin Saltus, petite vallée en Provence, dans le bailliage d'Apt, auquel elle est jointe, mais soumise pour le spirituel au diocèse de Carpentras. Cette vallée est située au pié d'une haute montagne, appellée le mont-Venteux, & est composée d'un bourg & de trois villages.

Cette seigneurie est une des plus grandes terres de la Provence, & dont l'ancienne indépendance est la moins douteuse ; on ne voit point que ses anciens seigneurs, qui étoient de la maison d'Entravennes d'Agoult, ayent reconnu les comtes de Provence ou de Forcalquier ; ils prétendoient n'avoir aucun supérieur au temporel ; le premier qui se soumit au comte de Provence, fut Isuar d'Entravennes, qui fit volontairement hommage à Charles II. roi de Sicile, comte de Provence, pour s'attirer sa protection. C'est pour cela que la vallée de Sault est encore comptée de nos jours entre les terres adjacentes qui font un corps séparé du comté de Provence.

Sault a porté le titre de seigneurie ou baronie, jusqu'à Charles IX. qui en 1562, l'érigea en comté, en faveur de François d'Agoult de Montauban ; cette seigneurie a passé par cascade dans la maison du maréchal de Villeroi, fils de Magdelaine de Créqui, au droit de laquelle cette maison possede à présent le comté de Sault. (D.J.)


SAUMACHESAUMALT, qui est un peu salé ; on dit, une eau saumache, une fontaine saumache.


SAUMONSAULMON, Salmo, s. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer que Rondelet a mis parmi les poissons de riviere, parce que l'on pêche plus de saumons dans les rivieres qui aboutissent à la mer, que dans la mer même. On donne le nom de taçons aux jeunes saumons, & celui de beccards aux femelles. Le saumon en général, est couvert de petites écailles rondes, il a le dos d'un bleu obscur, & le ventre d'une couleur blanche argentée ; la mâchoire inférieure est un peu courbée en haut, les yeux sont grands, il y a sur la tête de petites taches rondes, comme sur le reste du corps, & celles de la femelle sont plus grandes que celles du mâle ; les mâchoires & la langue sont garnies de dents longues & aiguës ; le saumon a deux nageoires près des ouies, deux sur le ventre, une au-dessous de l'anus, une grande sur le dos, vis-à-vis les deux du ventre, & une petite près de la queue ; celle-ci & celle de l'anus sont grasses & un peu charnues ; la nageoire qui termine la queue, est fort large ; la chair de ce poisson est très-nourrissante & blanchâtre, elle devient rouge en cuisant, ou lorsqu'elle est salée. Les taçons ressemblent beaucoup aux truites ; il est même difficile de les distinguer les uns des autres quand ils sont de la même grosseur. Rondelet, hist. des poissons de riviere, chap. j. Voyez POISSON.

SAUMON, (Pêche du saumon) les rets à saumons sont composés de fort gros fil ; les mailles en ont trois pouces en quarré ; le rets est long de 25 à 30 brasses, & a quatre piés de chûte seulement ; il est amarré sur des piés ou pieux de bois, hauts de six piés & enfoncés du tiers dans le sable, & distans de trois piés l'un de l'autre, ensorte que le filet sédentaire croise la marée, en traversant une gorge ou lit de riviere.

Les pêcheurs qui s'en servent, ne pêchent que d'ebe, le poisson se maille quelquefois ; on ne tend ces sortes de filets que de morte eau, parce que les grandes marées auroient bientôt dessablé les pieux.

On ne pêche le saumon que quand il a monté dans la riviere ; & lorsque les pêcheurs s'apperçoivent au mouvement du filet, que le poisson a touché, ils le prennent avec le havenel ; cette pêche qui est sédentaire & arrêtée, ne peut faire aucun tort, comme font les pêches traînantes de la dreige, &c.

La pêcherie de saumon située sur la riviere de Blanel, dans le ressort de l'amirauté de Vannes, est composée de neuf tonnes & demie, en pieux & maçonnerie, formée de même que les avant-becs de ponts, pour rompre & couper le courant de l'eau ; ces cinq tonnes, qui sont à la rive du o. n. o. appartiennent au prince de Guimené, & les quatre & demie qui sont à la rive de l'e. s. e. & joignant ledit moulin, appartiennent à la dame abbesse ; au milieu de ces tonnes, il y a un trou commun, qui sépare celles de ces deux propriétaires ; ce trou est de la largeur de dix piés, & ne doit être clos de quoi que ce soit, mais toujours ouvert afin de tenir libre le milieu de la riviere.

Entre chaque tonne sont placés des pieux avec des coulisses, pour y mettre des rateliers ou claies de bois, formées comme les échelles, de deux piés environ de largeur ; les bâtons n'y laissent qu'un intervalle d'un pouce & demi ; il y a six ou sept de ces rateliers entre chaque tonne, les rateliers sont garnis entierement d'échelons, excepté les deux qui joignent chaque tonne, qui ont au bas un petit sac, poche, verveux, ou guideau de rets, d'une brasse de long, de dix-huit pouces de hauteur, qui se tient naturellement ouvert par le courant de l'eau par où entre le poisson ; ces raux & les rateliers sont doubles & éloignés les uns des autres d'environ trois piés, avec de semblables poches au bas des rateliers qui joignent les tonnes, pour pouvoir pêcher également de marée montante & descendante, ensorte que le poisson qui est une fois entré dans cet intervalle, n'en sauroit plus absolument sortir, & y reste enfermé comme dans un réservoir.

On pêche des saumons & des truites depuis Noël, jusqu'à la Pentecôte ; la saison où elles se prennent en plus grand nombre ou en plus grande abondance, est depuis le commencement du carême jusqu'à Pâque ; quand les eaux du blanc couvrent la chaussée du trou commun, ces pêcheries ne peuvent plus rien prendre, parce que le poisson s'échappe aisément pour monter plus haut, suivant son instinct naturel.

Les sacs des guideaux qui y servent, les mailles qui les composent, ont à l'entrée qui est amarrée au-bas des rateliers, vingt-sept lignes en quarré, ensuite vingt-quatre, vingt-deux en diminuant ; ensorte que celles qui sont à l'extrêmité du sac, n'ont au plus que dix lignes en quarré : ce qui est d'autant plus abusif, que ces mailles étant composées de gros fils, se resserrent de telle maniere, quand elles sont mouillées, qu'il n'est pas possible que quoi que ce soit en puisse échapper. Voyez les figures dans nos Planc. de pêche.

Il y a encore une autre sorte de pêcherie qu'on peut considérer comme un grand gor ou bouchot, qu'on établit dans les rivieres ; elle est composée de deux ailes ou murailles construites de pieux & de clayonnage, comme sont celles des bouchots ; au milieu il y a un intervalle assez large pour que les bâtimens qui remontent, puissent passer librement durant le tems de la pêche, qui est celui de la saison des aloses & des saumons : cet intervalle est clos d'un rets semblable aux filets ou seines dérivantes, dont ils se servent pour cette pêche, comme font tous les autres pêcheurs dans les embouchures des rivieres, où ces deux sortes de poissons abondent ; on leve le rets pour faire passer les bateaux qui remontent.

Cette pêcherie n'arrête d'elle-même aucun poisson, mais seulement les empêche de monter plus haut ; & ceux qui ont le droit de la pêcherie, font la pêche dans l'espace que le droit de pêcherie prohibitive leur a accordée.

Les mailles du filet qui clôt la pêcherie dans le tems que s'en fait la pêche, qui dure du mois de Février jusqu'en Juin, & de ceux qui servent aux pêcheurs, sont de trois échantillons ; les plus larges ont vingt-sept lignes en quarré, les autres vingt-cinq, & les plus serrées vingt-deux lignes au plus. Voyez les Planches de pêche.

Voici encore la description d'une pêcherie de saumons établie à Châteaulin, dans le ressort de l'amirauté de Quimper en Bretagne. La marée monte jusqu'au pié de la pêcherie, & se fait même encore sentir au-delà ; il y a trois ouvertures fermées de barrots éloignés de 10 à 20 lignes les uns des autres.

La pêcherie est composée d'une écluse ou chaussée de pierre, qui barre toute la riviere, à l'exception d'un petit passage qui est du côté de la côte à l'o. Au milieu il y a encore une ouverture pour les bateaux-pêcheurs, & par laquelle les saumons entrent aussi dans la pêcherie.

On fait à Châteaulin la pêche du saumon de deux différentes manieres : la premiere se fait sans aucun soin dans le gorre ou le coffre de pêcherie : & l'autre, entre la chaussée de la pêcherie, avec bateau, tant au-dessus qu'au-dessous du pont de la ville, jusqu'à l'écluse qui est éloignée du pont de cent toises environ.

La digue de bois & pierres ou estocades de la pêcherie traverse la riviere d'une rive à l'autre ; elle est formée de pieux qui se nomment poulains ; ils exhaussent la chaussée assez haute, pour qu'elle puisse s'élever, ensorte qu'il reste sept à huit piés de hauteur au-dessus du niveau des plus basses marées.

Sur la tête des poulains sont placées en talut en forme d'arcboutant, de grosses solives ou poutrelles que l'on nomme jumens ; elles ont quinze à vingt piés de longueur ; elles sont appuyées encore sur un talut de pierre, arrêtées par le haut par des soles longuerines ou longs bordages de trois pouces d'épaisseur, de différentes largeurs ; il y en a trois semblables par le bas ; les pieux des poulains & les jumens sont éloignés de 18 à 24 pouces l'un de l'autre. La tête des jumens avance au-delà de celle des poulains d'environ trois piés, pour empêcher par cet avance les saumons qui viennent au bas de la pêcherie, de se pouvoir élancer au-dessus.

Le talut de la digue qui est exposé au courant de la riviere, est garni du pié jusqu'au-dessus, de clayonnage ou de claies de six piés de long, de trois de large ; on en met trois ou quatre l'une sur l'autre ; le pié de ce clayonnage qui tombe au-bas de la digue, y est arrêté par les pierres qui sont au-bas du talut : ces claies ne durent ordinairement que deux années, à moins qu'elles ne soient plus tôt emportées par les lavasses, comme il arrive quelquefois. Il faut jusqu'à cent douzaines de ces claies pour garnir le talut de cette digue : ce clayonnage en est la conservation.

Il y a au milieu de cette digue une ouverture fermée seulement de claies ou d'échelles à claires voies, comme on l'a observé ci-devant dans les autres pêcheries, pour donner lieu à l'écoulement des eaux & au passage du frai du saumon qui cherche à se jetter à la mer, & à ceux qui y veulent retourner après avoir frayé : cette largeur reste ouverte dans le même tems que celle des chaussées & tonnes de pierres.

Le saumon qui veut monter, & qui ne trouve aucun passage le long de cette digue, la cottoie ; comme son instinct le porte alors à remonter, il cherche toujours jusqu'à ce qu'il ait trouvé une issue ; il y a au bout de la digue du côté de l'est, un coffre, boutique ou goret ; il peut avoir environ un pié de largeur & 10 de long ; il est enfoncé d'environ les 2/3 dans l'eau ; il n'y a à la boutique qu'un seul trou de 18 pouces d'ouverture en quarré placé au plus bas du coffre ; il est armé de fer, & les bouts qui en sont formés en pointe, se resserrent, ensorte qu'il ne reste au plus que le passage d'un gros saumon, qui n'y peut même encore entrer qu'en forçant un peu les pointes du guide, qui prête & se remet ensuite. Les pêcheurs nomment cette garniture le guide ou guideau, parce qu'il conduit le poisson, qui entre aussitôt qu'il l'a trouvé, & qui ne peut plus sortir de la boutique, quand il y est une fois entré, parce qu'il est arrêté par les pointes du guideau ; on le retire de ce réservoir d'abord que l'on s'apperçoit qu'il y est entré ; les pêcheurs, pour les y pêcher, ont un haveneau emmanché, dont le sac est formé de mailles, qui ont dix-huit, dix-neuf & vingt lignes en quarré ; on y pêche quelquefois vingt, trente & quarante saumons d'une seule marée ; on porte ces saumons à Rennes, Saint Malo, Brest & autres villes de la province, & même jusqu'à Paris, quand la saison le permet ; les frais du transport ne sont pas un obstacle à ce commerce, par la vente avantageuse qu'on en fait ; il y a eu quelques années où l'on en a pris une quantité telle que tous frais faits, le propriétaire de la pêcherie en a eu plus de dix mille livres net de profit, ainsi qu'il l'a lui même assuré. Voyez les figures dans nos Planc. de pêche.

La deuxieme espece de pêche se fait entre la chaussée & la digue, avec deux bateaux, dans chacun desquels sont deux hommes, dont l'un nage, & l'autre tient une perche de deux à trois brasses de long ferrée par le bas ; à cette perche est amarré un filet en forme de sac, de chalut ou rêt traversier, sans flottes par la tête, ni pierres, ni plomb par le pié ; son ouverture par le haut de la gueule a environ cinq brasses ; le bas de la même ouverture en a quatre ; les côtés ont six brasses de longueur, & le fond du sac en a autant ; les mailles du ret dont il est composé, sont de la grandeur de celle du haveneau, dont on se sert pour faire la pêche dans le coffre : ce sont les mêmes mailles que celles des seines dérivantes pour la pêche de l'alose & du saumon dans les rivieres où l'on en fait la pêche ; au coin du fond du sac est amarrée une petite cordelette que l'on nomme guide, que l'un des pêcheurs qui tient la poche presse dans l'index de la main droite, & que l'autre tient dans celui de sa gauche ; les deux bateaux ne sont éloignés l'un de l'autre que de trois brasses au plus, ils vont de conserve : & quand l'un d'eux s'apperçoit par sa cordette ou guide, qu'il y a dans le filet du poisson de pris, ce qu'il sent dans l'instant par le mouvement extraordinaire que le saumon fait faire au filet en s'agitant quand il est arrêté, il avertit aussitôt le pêcheur de l'autre bateau ; ils relevent alors chacun leur pêche en même tems ; ils se rapprochent, & retirent le poisson de leur pêche par l'ouverture du sac qu'ils mettent auparavant dans leurs bateaux ; ils tuent le saumon en le retirant, & recommencent ensuite la pêche.

Cette pêche ne se peut faire que de jour seulement, les pêcheurs traînant ainsi leur filet par fond, parce que le saumon qui monte, ne paroît guere audessus de l'eau, qu'il refoule aisément, étant alors dans sa force ; au contraire quand il retourne à la mer, & qu'il est alors énervé de l'opération du frai, il s'en retourne en troupe ; & comme il n'a point de force, il se laisse emporter par le courant de l'eau, & nage à sa surface.

Le tems de la pêche du saumon à Châteaulin, est depuis le mois d'Octobre ou au commencement de Novembre jusqu'à Pâques qu'on prend ce grand poisson ; depuis Pâques jusqu'à la S. Jean, qu'on la continue encore, on ne pêche guere alors que le saumon que les pêcheurs bretons nomment guenie, qui est gris, ou jeune saumon de l'année ; au commencement de Juillet on tient les vannes des écluses ouvertes, pour laisser au saumon la liberté de monter.

Les rivieres où les saumons & les truites abondent, ne sont ordinairement point poissonneuses, parce que les saumons mangent les autres poissons, & s'en nourrissent ; ils sont même si voraces qu'ils s'entre-mangent.

Rien ne fait plus de tort à la pêche de ce poisson que la saison où les riverains mettent rouir leurs chanvres ; les eaux empoisonnées en chassent tous les poissons, qui n'y reviennent qu'après que ces eaux corrompues se sont écoulées.

Description de la pêche des saumons & des truites avec grands verveux. La pêche des saumons & des truites se fait encore dans le ressort de l'amirauté d'Abbeville ; les pêcheurs qui la pratiquent font cette pêche avec de grands verveux, que les Picards nomment vergneuls ou vergneux, dont l'ouverture est d'une brasse environ ; ils en placent quatre à cinq côte-à-côte, ensorte que ces instrumens barrent toute la riviere, & l'ouverture est exposée au courant ; ainsi ils ne pêchent ces poissons que lorsqu'ils descendent pour aller à la mer, à-moins qu'ils ne les retournent pour pêcher de marée montante.

Les verveux sont tenus ouverts, au moyen de plusieurs cercles, à chacun desquels il y a un goulet par lequel le poisson entre dans le corps du verveux, & d'où il ne peut plus sortir lorsqu'il y est une fois entré ; ils nomment ces goulets moille.

SAUMON, (Epicier) est un vase oblong, terminé aux deux bouts par deux especes d'ouïes de saumon, ce qui lui a donné le nom de saumon ; les Epiciers s'en servent pour fondre la cire de leurs bougies. Voyez les Pl.

SAUMON, terme de Plombier, est une espece de bloc ou masse de plomb, qui n'a encore reçu d'autre façon que celle qu'on lui a donnée par la fonte en sortant de la mine ; on l'appelle aussi navettes.


SAUMONÉadj. (Gram.) perche qui a la chair rouge en-dedans comme le saumon ; on dit une truite saumonée.


SAUMUR(Géog. mod.) ville de France en Anjou, dans le Saumurois, sur le bord méridional de la Loire, qu'on y traverse sur un pont de bois, & qui est un passage important, à 10 lieues au sud-est d'Angers, à 16 au sud-ouest de Tours, & à 66 de Paris. Long. suivant Cassini, 17d. 25'. lat. 47d. 15'. 12''.

Saumur étoit autrefois située sur la riviere de Vienne, qui se jettoit dans la Loire, un peu au-dessus de Saint-Maur. M. de Valois ne donne à cette ville que cinq ou six cent ans d'antiquité ; mais Ménage a prétendu prouver par plusieurs témoignages, qu'elle existoit déjà dès l'an 400, & que pour-lors elle ne consistoit à la vérité que dans le château & dans la rue qui est au-dessus.

L'an 775, Pepin, pere de Charlemagne, fonda à Saumur une église sous l'invocation de saint Jean-Baptiste, laquelle fut ensuite achevée par Pepin, roi d'Aquitaine, son petit-fils, qui y mit des prétendues reliques de saint Jean ; & c'est de cette ancienne église de Saumur, que Saumur est appellée dans quelques chartes Joannisvilla. L'ancien château de Saumur étoit nommé Truncus, le Tronc ; mais il n'étoit pas dans le lieu où est le château d'aujourd'hui.

Foulques de Nere, comte d'Anjou, se rendit maître de cette place en 1026, & l'unit au domaine d'Anjou dont elle fait encore une partie. Elle fut engagée en 1549, à François de Lorraine, duc de Guise, des mains duquel Charles IX. la retira en 1570, moyennant la somme de 64991 livres.

Il y a aujourd'hui à Saumur sénéchaussée, élection, prevôté, grenier à sel, maréchaussée, trois paroisses, quelques couvens, un college dirigé par les peres de l'Oratoire, un gouverneur de la ville, & un lieutenant de roi du château, avec une garnison de cinquante hommes.

L'église de Notre-Dame des Ardillers, & celle de Notre-Dame de Nantillé, sont en grande réputation dans le pays. On voit dans la nef de cette derniere église un tombeau de pierre, sur lequel est couchée la figure d'une femme qui tient deux enfans entre ses bras ; c'est le tombeau de Thiephaine la Magine, nourrice de Marie d'Anjou, née en 1404, & de René, duc d'Anjou, roi de Sicile, qui naquit en 1408. Thiephaine mourut en 1458, & son épitaphe qui est fort plaisante, a éte gravée sur son tombeau.

Le château étoit déjà fort dans le dixieme siecle, lorsque Gibaud, comte de Blois, y établit les moines de S. Florent, chassés de leur monastere. Du tems des guerres civiles, Henri IV. étant roi de Navarre, & venant au secours d'Henri III. opprimé par les ligueurs, voulut qu'on lui donnât pour sa sureté Saumur & son château, où il établit pour gouverneur en chef Duplessis-Mornay ; cet homme célebre fit fleurir le calvinisme à Saumur, & y forma une académie de toutes les sciences.

Cette ville n'est plus que l'ombre de ce qu'elle étoit alors ; il y reste à peine cinq mille ames ; cette grande diminution vient de la suppression des temples, du college & de l'académie, qui y attiroit beaucoup de religionnaires étrangers, la population & le commerce. Toutes les fabriques qu'ils y avoient fondées, n'existent plus ; les raffineries de salpêtre y sont tombées ; & le débit des vins, qui étoit autrefois fort grand, a cessé. Le marché de la ville est mediocre, à cause du droit que l'abbesse de Fontevrault y prend du vingtieme boisseau de blé ; enfin les foires qu'on y tient sont misérables, parce qu'elles ne sont pas franches.

Si Saumur est aujourd'hui dans la décadence, c'est une raison de plus que j'ai de ne pas oublier les noms des personnes illustres dans les lettres, dont elle est la patrie.

Cappel (Louis), qui y est né, a fait paroître dans tous ses ouvrages beaucoup de jugement, de littérature, de critique, & d'érudition. Il est un des premiers qui a démontré invinciblement la nouveauté du point voyelle du texte hébreu ; & il a eu raison d'intituler son ouvrage, arcanum punctuationis revelatum. Sa critica sacra, imprimée à Paris en 1650, fit aussi beaucoup de bruit. Sa chronologie sacrée, & sa description du temple de Salomon, ont été publiées dans les prolégomènes de la Polyglotte d'Angleterre. On a imprimé à Amsterdam en 1689, ses commentaires latins sur le vieux Testament : ce savant homme mourut dans sa patrie en 1658, âgé de 63 ans.

La célebre Anne le Fevre, fille de Tannegui le Fevre, qui épousa M. Dacier, naquit à Saumur en 1651. Après avoir perdu son pere, elle vint à Paris, & donna pour son premier ouvrage les oeuvres de Callimaque, qui furent suivis d'une belle édition de Florus. Sa renommée s'étendit par toute l'Europe, & Christine, reine de Suede, lui en fit faire des complimens par le comte de Konigsmark.

Au commencement de l'année 1683, elle épousa M. Dacier, avec lequel elle avoit été élevée dès sa premiere jeunesse, & tous deux se firent catholiques ; ce changement de religion valut à M. Dacier une pension de quinze cent livres, & à son épouse une de cinq cent. Se trouvant plus à leur aise, ils reprirent leurs travaux littéraires, & M. le duc de Montausier qui les protégeoit de tout son crédit, engagea madame Dacier à travailler aux livres qu'on nomme Dauphins.

Elle mit au jour, 1°. Dictys cretensis & Dares phrygius, ad usum delphini, Paris 1684, in -4°. 2°. Sexti Aurelii Victoris, historia romana ad usum delphini ; 3°. Eutropii historia romana, ad usum delphini.

Cette savante dame, fort supérieure à son mari pour l'esprit, pour le goût, & par la maniere d'écrire, a encore donné ; 1°. les poésies d'Anacréon & de Sapho, traduites du grec ; 2°. le Plutus & les Nuées d'Aristophane ; 3°. trois comédies de Plaute ; 4°. celles de Térence ; 5°. l'Iliade & l'Odyssée d'Homère. Ces deux derniers ouvrages lui font un honneur infini ; on ne pouvoit lui reprocher que trop d'admiration pour les auteurs qu'elle avoit traduits du grec. M. de la Motte ne l'attaqua qu'avec de l'esprit, & elle ne combattit qu'avec de l'érudition ; elle oublia même les égards qu'elle devoit à un adversaire estimable, & la politesse qui sied si bien à toutes sortes de personnes, & principalement à une dame.

Elle fut plus honnête vis-à-vis des étrangers, qui admiroient comme elle les anciens, & qui venant à Paris, ne manquoient pas de lui rendre visite ; un d'eux suivant la coutume d'Allemagne, lui présenta son livre (album), en la priant d'y mettre son nom & une sentence. Elle vit dans ce livre les noms des plus savans hommes de l'Europe, & elle le rendit aussi-tôt en lui disant, qu'elle rougiroit de mettre son nom parmi tant de noms célebres ; enfin vaincue par les sollicitations de l'étranger, elle prit la plume & écrivit ces vers de Sophocle.


SAUMURES. f. (Médecine) c'est la liqueur qui reste dans les vaisseaux où l'on a salé le poisson ou la viande, & qui après la salaison parfaite de ces substances, est impregnée du sel des parties volatiles & huileuses des chairs qui y ont été comme macérées.

Cette saumure est détersive & produit les mêmes effets que le sel ; on la donne avec succès en forme de lavement à ceux qui ont la dyssenterie, & qui ont les intestins corrodés ; elle est bonne dans les douleurs sciatiques & dans les rhumatismes invétérés ; elle tient lieu d'eau de mer dans les fomentations.

L'acrimonie muriatique que contractent les viandes dans la saumure se communique à nos humeurs lorsque nous mangeons de ces viandes, & de-là vient l'acrimonie muriatique qui produit le scorbut dans les gens de mer, & dans tous ceux qui mangent des viandes salées.


SAUMUROISLE, (Géog. mod.) petit canton de France, dans l'Anjou, & qui forme un gouvernement militaire particulier de petite étendue. Ce gouvernement a été établi par Henri IV. Il comprend Saumur, Richelieu, Mirebeau, Montreuil, Bellai.


SAUNAGES. m. (Gabelle) marchandise de sel. Il n'appartient en France qu'à l'adjudicataire des gabelles de faire le commerce du sel gabellé ; & les particuliers dans les provinces & élections où sont établis les greniers à sel, soit d'imposition, soit de vente volontaire, ne peuvent s'en pourvoir ailleurs, sous des peines très-séveres, qui révoltent l'humanité. Savary. (D.J.)

SAUNAGE FAUX, (terme de Gabelle) l'on appelle faux-saunage, le trafic de sel qui n'est pas gabellé.


SAUNERIES. f. (terme de Gabelle) endroit où sont les maisons, bâtimens, sources, puits, fontaines salées, cours, bernes, fonds, très-fonds, muries, magasins, & tous les instrumens pour fabriquer le sel.


SAUNIERS. m. (terme de Gabelle) ouvrier qui fait le sel. On appelle en France faux-saunier, celui qui trafique du faux-sel, c'est-à-dire du sel défendu par les ordonnances des gabelles.


SAUNIERES. f. (terme de Saline) vaisseau où se conserve le sel : il y en a de deux sortes ; l'un est une petite boîte avec une ouverture pour y passer la main, qu'on pend à la cheminée : on y met le sel journalier ; l'autre est un barril rond, ou une caisse quarrée plus large par le pié, fermant à clé, où se reserve la provision de sel pour toute l'année. Savary. (D.J.)


SAUPES. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) salpa ; poisson de mer qui est couvert d'écailles, & qui ressemble au bogue ; il a un pié de longueur. La tête est petite, & le museau a quelque ressemblance avec celui des muges. Il a sur les côtés du corps des traits de couleur d'or, placés à égale distance les uns des autres ; ils s'étendent depuis les ouies jusqu'à la queue. Les nageoires, les aiguillons & les ouies, ressemblent à ces mêmes parties de la daurade ; & la nageoire de la queue est divisée en deux portions comme celle du sargo. Les yeux ont une couleur d'or ; la bouche est petite. La saupe va ordinairement seule ; elle reste sur les rivages ; elle se nourrit d'algue & de toute sorte d'ordure : elle fraye en automne. Sa chair est de mauvais goût & malsaine. Rondelet, Hist. nat. des poissons, I. part. lib. V. ch. xxiij. Voyez DAURADE, poisson.


SAUPOUDRERv. act. c'est répandre légérement de la poudre ; on saupoudre de sucre, de sel, de farine, de terre, de fumier, &c.


SAUQUENES. f. on donne ce nom à la daurade, tant qu'elle n'a pas un empan de longueur. Voyez DAURADE.


SAURAGEterme de Fauconnerie, il se dit de la premiere année d'un oiseau quel qu'il soit, & qui n'a pas encore mué. (D.J.)


SAURES. m. (Marine) nom qu'on donne sur les galeres, au lest qu'on y met. Voyez LEST.


SAURELSIEUREL, MAQUEREAU BATARD, cicharou, égau, suvereau, trachurus : poisson de mer qui ressemble aux petits maquereaux par la couleur, & dont le corps est moins épais & plus applati ; il n'a point d'écailles ; le museau est moins pointu que celui du maquereau. Les mâchoires sont rudes & inégales, & l'ouverture de la bouche est de moyenne grandeur ; il y a sur les côtés du corps un trait tortueux formé par de petits os durs & pointus comme les dents d'une scie. Le saurel a deux grandes nageoires près des ouies, deux plus petites au-dessous, deux sur le dos, & une qui s'étend depuis l'anus jusqu'à la queue, & qui a deux aiguillons à son origine : les deux nageoires du dos ont aussi des aiguillons ; ceux de la derniere sont les plus longs & les plus minces. La chair de ce poisson est seche & plus dure que celle du maquereau, voyez MAQUEREAU. Rondelet, hist. nat. des Poissons, I. part. liv. VIII. ch. vj. Voyez POISSON.


SAURI-FONS(Géog. anc.) fontaine de l'île de Crete, à 12 stades de la caverne du mont Ida. Plutarque dit qu'au voisinage de cette fontaine, il y avoit quantité de peupliers noirs qui portoient du fruit. (D.J.)


SAURI-JUGUM(Géog. anc.) montagne du Péloponnèse, dans l'Elide. Pausanias dit, l. VI. ch. xxj. " Au-delà du mont Erymanthe, vers le mont Saurus, on voit un vieux temple d'Hercule qui tombe en ruine, & la sépulture de Saurus, fameux bandit, qui infestoit tout ce canton, & qui fut tué par Hercule. Une riviere qui a sa source au midi, passe au pié du mont Saurus, & va tomber dans l'Alphée, vis-à-vis du mont Erymanthe. " (D.J.)


SAURITES(Hist. nat.) pierre qui, suivant Pline, se trouve dans le ventre d'un lézard.


SAURLAND(Géog. mod.) nom qu'on donne en Allemagne au duché de Westphalie ; ce pays dépend de l'archevêché de Cologne, & fait partie du domaine séparé. Il confine avec les évêchés de Munster & de Paderborn, le comté de la Mark, le landgraviat de Hesse & le comté de Waldeck ; Arasberg est la capitale de ce pays, qui renferme plusieurs bailliages ; mais le Saurland n'est pas aussi fertile que le pays du diocèse de Cologne. Son commerce consiste en chair salée, & c'est de-là qu'on tire ces jambons qu'on nomme encore mal-à-propos jambons de Mayence, parce que le plus grand débit s'en faisoit autrefois aux foires de Mayence & de Francfort. (D.J.)


SAUROMATESSauromatae, (Géog. anc.) nom que les Grecs donnent aux peuples que les Latins appellent ordinairement Sarmates, & c'est un nom commun & général, pour désigner principalement la partie de la Scythie, voisine du Tanaïs ou des palus Méotides. Les Sauromates, dit Pomponius Mela, liv. I. c. xix. possedent les bords du Tanaïs & les terres voisines. Dans un autre endroit, l. II. c. j. il ajoute que les Agathyrses & les Sauromates entourent les Palus Méotides. Pline, liv. X. Ep. 14. fait mention du roi des Sauromates ou de Sarmatie, & sur une médaille frappée sous Sévere, & décrite par M. Spanheim ; on lit ces mots . (D.J.)


SAURURUS(Botan.) genre de plante nommée par le vulgaire queue de lésard ; selon Linnaeus, le calice de la fleur est monopétale, oblong, permanent, & coloré, ce qui la fait prendre pour être la fleur. Les étamines sont six filets longs, chevelus, placés par trois de chaque côté ; les bossettes des étamines sont droites & oblongues ; le germe du pistil est ovale, & divisé en trois lobes, il n'y a point de stile, mais trois stigma obtus, & qui subsistent ; le fruit est une baie ovale, ayant une seule loge qui renferme une graine de même figure.

Selon le système de Ray, la fleur du saururus ressemble à celle de l'arum ; elle est à petale, garnie de deux étamines, & hermaphrodite. Son ovaire est ovale, mol, ne contient qu'une semence, & a un tube divisé en trois. Ses fleurs & ses fruits forment des épis longs & foibles ; Plumier compte quatre especes de ce genre de plante. (D.J.)


SAUSSAYES. f. (Jardinage) est un lieu planté de saules. Voyez SAULE.


SAUSSEvoyez SAUCE.


SAUSTIA(Géog. mod.) bourgade d'Asie, dans l'Anatolie, & dans l'Aladoulie ; cette bourgade délabrée, étoit autrefois la métropole de la premiere Arménie, dans l'exarchat du Pont. (D.J.)


SAUTS. m. (Gymnas.) un des cinq exercices qui composoient le pentatle. Le saut consistoit ou à franchir un fossé, quelque élévation ou quelque espace marqué. Ainsi, les anciens distinguoient plusieurs sortes de sauts, comme on peut le voir dans Mercurialis, liv. II. ch. xj. il suffit de dire ici, pour ne point ennuyer le lecteur d'une compilation de termes scientifiques, que celui qui sautoit le mieux & le plus loin, obtenoit le prix. (D.J.)

SAUT DE L'OUTRE, (Antiq. Rom.) le saut de l'outre, étoit un jeu d'exercice des gens de la campagne, dont Virgile & Athénée font mention. L'adresse de ce jeu consistoit à demeurer debout sur l'outre après avoir sauté. (D.J.)

SAUT DE NIAGARA, (Hist. nat. Géog.) c'est ainsi que l'on nomme une cascade formée par la chûte des eaux du fleuve de saint Laurent, qui produit un des spectacles les plus étonnans qu'il y ait au monde. Suivant les descriptions que les voyageurs du Canada nous en ont données, cette cascade forme la figure d'un fer à cheval, coupé en deux par une île fort étroite, & qui peut avoir un demi-quart de lieue de longueur ; ce qui fait deux nappes d'eau d'une largeur considérable, & que l'on juge avoir à-peu-près cent-vingt piés de hauteur perpendiculaire. Cette prodigieuse cascade est reçue sur un rocher qu'elle a creusé, comme on en juge par le bruit qu'on entend, qui ressemble à celui d'un tonnerre souterrain ou éloigné. La riviere se ressent très-long-tems de la secousse qu'elle éprouve par cette chûte précipitée, dont le fracas se fait entendre à une distance très-grande ; d'ailleurs l'eau divisée & atténuée par la violence de sa chûte, forme un brouillard épais que l'on apperçoit de fort loin, & qui sert encore à relever un spectacle si merveilleux.

SAUT DE BRETON, voyez l'article EMBRASSADE.

SAUT, en Musique, est tout passage d'un son à un autre par dégrés disjoints. Voyez DEGRE & DISJOINT. Il y a saut régulier qui se fait toujours sur un intervalle consonnant, (voyez CONSONNANCE & INTERVALLE) ; & saut irrégulier, qui se fait sur un intervalle dissonnant. Cette distinction vient de ce que toutes le dissonnances, excepté la seconde qui n'est pas un saut, sont plus difficiles à entonner que les consonnances ; observation nécessaire dans la mélodie, pour composer des chants faciles & agréables. (S)

SAUT, (Danse) se dit d'un pas de ballet, des danses par-haut, où l'on éleve en même tems son corps & ses deux piés en l'air pour friser la cabriole ; ce qu'on fait ordinairement à la fin d'un couplet, & pour marquer les doubles cadences.

Le saut simple ou pas sauvé, c'est lorsque les jambes étant en l'air ne font aucun mouvement, soit qu'on le fasse en-avant, en-arriere, ou de côté.

Le saut battu, c'est lorsque les jambes étant en l'air, les talons battent une ou plusieurs fois l'un contre l'autre : & quand on les passe l'une par-dessus l'autre par trois fois, cela s'appelle entrechat.

Le saut de basque, est un coupé sauté en tournant ; on appelle aussi le saut majeur, cabriole, lorsqu'on remue les piés en l'air ; quelques-uns l'appellent cadence. Voyez COUPE, CABRIOLE, &c.

SAUT, un pas & un saut, (Manége) est un des sept airs ou mouvemens artificiels d'un cheval. Il est composé, pour ainsi dire, de trois airs, savoir le pas, qui est d'aller terre à terre ; le lever, qui est une courbette, & le tout finit par un saut. Voyez AIR & SAUTS.

Le pas, à proprement parler, met le cheval en train, & lui donne la facilité de se dresser pour sauter ; de même qu'une personne qui court avant de sauter, afin de le faire plus haut & plus loin.

Dans toutes sortes de sauts, le cavalier ne doit donner aucune aide avec les jambes ; mais seulement le bien soutenir de la bride, quand il s'éleve du devant, afin qu'il puisse se lever plus haut en-arriere : quand il commence à lever du derriere, il faut le soutenir un peu du devant, & l'arrêter sur le tems, comme s'il étoit suspendu en l'air, marquant le mouvement avec la main de la bride, de sorte qu'on le prenne comme une balle au bond ; c'est-là le grand art de sauter.

On appelle le saut de l'étalon, le moment où il couvre la jument.

SAUT DE LOUP, terme de Terrassier, fossé que l'on fait au bout d'une allée ou ailleurs, pour en défendre l'entrée sans ôter la vue. (D.J.)


SAUTAGES. m. (Pêche de hareng) terme d'usage dans le commerce du hareng blanc, pour signifier l'action de ceux qui foulent le poisson, à mesure qu'on l'a pacqué dans les barrils : ce mot est principalement en usage en Normandie & en Picardie. (D.J.)


SAUTE(Marine) c'est un commandement qui est synonyme à va : on dit, saute sur ce pont, saute sur le beaupré, saute sur la vergue, &c. pour dire va à ce pont, au beaupré, &c.


SAUTELLES. f. (Agriculture) c'est un sarment qu'on transplante avec sa racine. La maniere d'élever la vigne par sautelles est assez heureuse, & fort facile à pratiquer, puisqu'on a la commodité de coucher quelque branche si on veut autour de chaque sep. On dit quelle branche on veut coucher ; car ordinairement sur chaque sep on n'en marcotte qu'une ; encore faut-il qu'elle soit venue entre la branche qui doit être taillée, & le courson qu'on doit laisser. Cette opération est préférable à la marcotte, d'autant que souhaitant du fruit, & en ayant de tout près à venir en apparence, il est hors de raison d'en aller chercher ailleurs, qui n'est pas si assuré, à-moins qu'il n'y ait quelque place vuide qu'il faille absolument remplir.

Ces sautelles se font donc en couchant la branche en terre ; mais de telle maniere qu'étant couchée ainsi, elle fasse un dos de chat à trois yeux éloignés de l'origine de cette branche, & cela par une espece de ménage qu'on fait du bois, en l'obligeant en cet état de faire deux piés de vignes ; au lieu qu'il n'en produiroit qu'un, si la marcotte étoit couchée tout de son long ; on observe aussi pour réussir dans cette opération, que directement sur ce dos de chat il y ait un bourgeon ; que l'élévation de ce dos soit des deux côtés recouverte de terre, & que l'extrêmité de la branche qui passe au-delà de ce dos, sorte de terre des deux yeux seulement. Ce n'est pas qu'il soit permis à un vigneron de faire des sautelles dans la vigne de son maître, à dessein de regarnir quelques places vuides ; car c'est une porte ouverte à la friponnerie, en ce que lorsque ces sautelles ont pris racine, il est aisé de les lever en guise de marcottes ; ce que la plûpart des vignerons, dont la foi est fort suspecte, ne manqueroient pas de faire ; c'est pour cela qu'il y a bien des coutumes dans les pays de vignobles, où les sautelles sont défendues, & où il n'y a que les provins dont on puisse se servir pour garnir une vigne. Liger. (D.J.)


SAUTERv. n. l'action de, (Physiol.) dans le saut, les muscles sont obligés d'agir non-seulement pour résister au poids du corps, mais même pour le relever avec force, lui faire perdre terre, & l'élancer en l'air comme font les sauteurs, lorsqu'ils sautent à pié joint sur une table. Pour sauter ainsi, ils plient & panchent la tête & le corps sur les cuisses, les cuisses sur les jambes, & les jambes sur les piés. Leurs muscles étant ainsi pliés & allongés comme pour prendre leur secousse, ils les remettent dans cette contraction subite qui fait ressort contre terre, d'où ils s'élancent en l'air, & se redressent en arrivant sur le bord d'une table ou autre corps sur lequel ils sautent.

Cet effort est suffisant pour rompre le tendon d'Achille, & plusieurs sauteurs se sont blessés en s'élançant ainsi, & en manquant le lieu sur lequel ils se proposoient de sauter. Le nommé Cauchois, l'un des plus habiles sauteurs qu'on ait vu en France, dans un saut qu'il fit à piés joints sur une table élevée de trois piés & demi, se rompit les deux tendons d'Achille, & fut guéri de cette blessure par Mr. Petit. La table sur laquelle sautoit le sieur Cauchois se trouva plus haute qu'à l'ordinaire ; son élan ne l'éleva pas assez ; il n'y eût que les bouts de ses piés qui toucherent sur le bord de la table ; ils n'y appuyerent qu'en glissant, & qu'autant qu'il falloit pour se redresser & rompre sa détermination en-avant ; la ligne de gravité ne tombant point sur la table, le sauteur tomba à terre, droit sur la pointe de ses piés étendus de maniere que les tendons d'Achille furent, pour ainsi dire, surpris dans leur plus forte tension ; & que la chûte de plus de trois piés ajouta au poids ordinaire du corps une force plus que suffisante pour les rompre ; puisque cette force étoit celle qu'avoit acquis le poids du corps multiplié par la derniere vîtesse de la chûte.

Pour comprendre les tristes accidens qui arrivent dans les sauts, il faut remarquer que dans l'état naturel, quand nous sommes exactement droits sur nos piés, la ligne de gravité du corps passe par le milieu des os de la cuisse, de la jambe & du pié : ces os pour lors se soutiennent mutuellement comme font les pierres d'une colonne, & nos muscles n'agissent presque point. Au contraire, pour soutenir notre corps lorsque nos jointures sont pliées, nos muscles agissent beaucoup, & leurs contractions sont d'autant plus fortes, que la flexion des jointures est plus grande ; elles peuvent même être pliées au point, que le poids du corps & les muscles qui le tiennent en équilibre, feront effort sur les os avec toute la puissance qu'ils peuvent avoir ; alors les apophyses où les muscles s'attachent, pourront se casser, si les muscles résistent ; mais si les apophyses des os sont plus fortes, la rupture se fera dans les muscles ou dans leurs tendons.

Maintenant pour calculer la force de tous les muscles qui agissent, lorsqu'un homme se tenant sur ses piés, s'éleve en sautant à la hauteur de deux piés ou environ ; il faut savoir que si cet homme pese cent cinquante livres, les muscles qui servent dans cette action, agissent avec deux mille fois plus de force, c'est-à-dire, avec une force équivalente à trois cent mille livres de poids ou environ : Borelli même dans ses ouvrages, fait encore monter cette force plus haut. (D.J.)

SAUTER, (Marine) c'est changer, en parlant du vent. Ainsi on dit que le vent a sauté par tel rumb, pour dire que le vent a changé, & qu'il souffle à cet air de vent.

SAUTER, en terme de manege, c'est faire des sauts. Aller par bonds & par sauts, c'est aller à courbettes & à caprioles. Sauter entre les piliers, se dit du cheval qu'on a accoutumé à faire des sauts, étant attaché aux deux piliers du manege, sans avancer ni reculer. Sauter une jument, se dit de l'étalon, lorsqu'il la couvre. Sauter de ferme à ferme, se dit quand on fait sauter un cheval, sans qu'il bouge de sa place.


SAUTEREAUS. m. (Lutherie) partie des instrumens à clavier & à cordes, comme le clavecin & l'épinette. Il y a à ces instrumens autant de sautereaux que de cordes.

Un sautereau ainsi nommé à saltando, parce qu'ils sautent, lorsqu'ils exercent leurs fonctions, est une petite regle de bois de poirier ou autre facile à couper, large d'un demi-pouce, épaisse seulement d'une ligne, & longue autant qu'il convient : cette petite regle a à son extrêmité supérieure une entaille A C large d'une ligne & demie, & longue environ d'un pouce : cette entaille dont la partie inférieure est coupée en biseau, reçoit une petite piece de bois blanc K L, que l'on appelle languette ; cette piece est taillée en biseau à la partie inférieure : ce biseau porte sur celui de l'entaille A C.

Lorsque la languette est placée dans cette entaille, on l'arrête par le moyen d'une cheville D, qui est une petite épingle, laquelle traverse le sautereau & la languette qui doit se mouvoir facilement autour de cette cheville. A la partie supérieure de la languette est un petit trou o dans lequel passe une plume de corbeau o k taillée en pointe, & amincie autant qu'il convient, pour qu'elle ne soit point trop roide : ce qui feroit rendre aux cordes un son desagréable. A la partie postérieure des mêmes languettes est une entaille ou rainure, suivant leur longueur. Voyez la fig. t. Cette entaille reçoit un ressort e d, qui est une soie de porc ou de sanglier, qui renvoye toujours la languette entre les deux côtés de l'entaille du sautereau jusqu'à-ce que le biseau de celle-ci porte sur le biseau de celui-là. Voyez les fig. E H I.

Les sautereaux traversent deux planches ou regles de bois fort minces, percées chacune d'autant de trous qu'il y a de sautereaux : ces trous sont en quarré, & répondent perpendiculairement, savoir, ceux des registres sur ceux du guide. Voyez REGISTRE DE CLAVECIN & GUIDE DE CLAVECIN. Les sautereaux, après avoir traversé le registre & le guide, descendent perpendiculairement sur les queues des touches qui font chacune une petite bascule. Voyez CLAVIER DE CLAVECIN.

Il suit de cette construction, que si on abaisse avec le doigt une touche du clavier, elle haussera (à cause qu'elles sont en bascules) du côté de sa queue, laquelle élevera le sautereau qui porte dessus. Le sautereau, en s'élevant, rencontrera par la plume de sa languette, la corde qui est tendue vis-à-vis de lui ; il l'écartera de son état de repos jusqu'à-ce que la résistance de la corde excede la roideur de la plume ; alors la corde surmontera cette roideur, & fera fléchir la plume qui la laissera échapper : cette corde ainsi rendue à elle-même, fera plusieurs oscillations : ce qui produit le son. Voyez l'explication de la formation du son par les cordes à l'article CLAVECIN. Si ensuite on lache la touche, elle retombera par son propre poids, le sautereau n'étant plus soutenu, retombera aussi jusqu'à-ce que la plume touche la corde en-dessus ; alors, si le poids du sautereau excede la résistance que le ressort ou soie de sanglier dont on a parlé est capable de faire, ainsi que cela doit toujours être, le sautereau continuera de descendre, parce que le ressort, en fléchissant, laissera assez éloigner la languette de la corde, pour que sa plume puisse passer.


SAUTERELLES. f. (Hist. nat. Insectolog.) locusta, insecte que M. Linnaeus a mis dans la classe des coléopteres, dans le genre des grillons ; cet auteur ne parle que de quatre especes de sauterelles, faun. suec. Swammerdam en a observé vingt-une especes ; il y en a de très-petites & d'autres qui sont très-grandes.

La grande sauterelle verte qui se trouve très-communément dans les prés, est d'un verd clair, à l'exception d'une ligne brune qui se trouve sur le dos, sur la poitrine & sur le sommet de la tête ; & de deux autres lignes d'un brun plus pâle qui sont sur le ventre. La tête est oblongue, & elle a quelque ressemblance avec celle d'un cheval ; les antennes sont longues & placées au sommet de la tête ; elles diminuent de grosseur jusqu'à leur extrêmité ; le corcelet est élevé & étroit ; il a une épine en-dessus & une autre en-dessous ; la premiere paire des jambes est plus courte que les autres ; celles de la troisieme paire sont les plus longues & les plus grosses : elles ont toutes deux crochets à l'extrêmité. Les aîles sont au nombre de quatre, & presque transparentes, surtout les deux postérieures ; le ventre est très-grand, composé de huit anneaux & terminé par deux petites queues couvertes de poils. La femelle differe en ce qu'elle a une double pointe dure & fort longue à l'extrêmité de la queue.

Les oeufs des grosses sauterelles vertes commencent à éclorre à la fin d'Avril ou un peu plus tard ; les vers qui en sortent, ne sont pas plus gros qu'une puce ; ils ont d'abord une couleur blanchâtre ; ils deviennent noirâtres au bout de deux ou trois jours, & ensuite roux ; bientôt après ces vers prennent la forme des sauterelles, & en effet ils commencent à sauter, quoiqu'ils soient très-petits dans l'état de nymphe. Une sauterelle en nymphe ne differe d'une sauterelle entierement formée, qu'en ce qu'elle n'a point d'aîles apparentes. Elles s'accouplent peu de tems après que leurs aîles sont développées, & elles restent unies l'une à l'autre assez long-tems ; alors on les sépare difficilement. Le chant ou plutôt le bruit de la sauterelle vient du frottement des aîles les unes contre les autres, dans la plûpart des especes, ou du frottement des aîles avec les pattes dans d'autres ; il n'y a que le mâle qui fasse entendre ces bruits. Suite de la mat. méd. par MM. Salerne & Nobleville, & collection acad. tom. V. de la partie étrangere. Voyez INSECTE.

Il faut lire sur les sauterelles, Giuseppe Zinanni, dissertazione sopra varie specie di cavallette 1737 in-4 °. Le dessus & le dessous du corcelet des sauterelles sont armés d'une peau si dure, qu'elle leur sert de cuirasse : c'est ce qui a fait dire à Claudien, épigr. 6.

Cognatur dorso, durescit amictus,

Armavit natura cutem.

C'est aussi ce que dit l'auteur de l'apocalypse, ch. ix. v. 9. Ces animaux voraces quittent souvent des pays éloignés, traversent les mers, fondent par milliers sur des champs ensemencés, & enlevent en peu d'heures jusqu'à la moindre verdure. En voici un exemple assez remarquable que l'on trouve dans l'histoire militaire de Charles XII. Roi de Suede, tom. IV. p. 160. Son historien rapportant que cet infortuné prince fut très-incommodé dans la Bessarabie par les sauterelles, s'exprime en ces termes :

Une horrible quantité de sauterelles s'élevoit ordinairement tous les jours avant midi du côté de la mer, premierement à petits flots, ensuite comme des nuages qui obscurcissoient l'air, & le rendoient si sombre & si épais, que dans cette vaste plaine le soleil paroissoit s'être éclipsé. Ces insectes ne voloient point proche de terre, mais à-peu-près à la même hauteur que l'on voit voler les hirondelles, jusqu'à ce qu'ils eussent trouvé un champ sur lequel ils pussent se jetter. Nous en rencontrions souvent sur le chemin, d'où ils se jettoient sur la même plaine où nous étions, & sans craindre d'être foulées aux piés des chevaux, ils s'élevoient de terre, & couvroient le corps & le visage à ne pas voir devant nous, jusqu'à-ce que nous eussions passé l'endroit où ils s'arrêtoient. Partout où ces sauterelles se reposoient, elles y faisoient un dégât affreux, en broutant l'herbe jusqu'à la racine ; ensorte qu'au lieu de cette belle verdure dont la campagne étoit auparavant tapissée, on n'y voyoit qu'une terre aride & sablonneuse.

On ne sauroit jamais croire que cet animal pût passer la mer, si l'expérience n'en avoit si souvent convaincu les pauvres peuples ; car après avoir passé un petit bras du Pont-Euxin, en venant des îles ou terres voisines, ces insectes traversent encore de grandes provinces, où ils ravagent tout ce qu'ils rencontrent. On peut lire sur leurs dégats en Afrique, Léon l'africain. Leurs noms en hébreu qui signifient dévorer, consumer, ne sont pris que des ravages qu'elles exercent.

Les histoires anciennes & modernes parlent d'une espece de sauterelles communes dans les pays orientaux, dont la chair est blanche & d'un goût excellent. Les peuples de ces contrées les préparent différemment : les uns les font bouillir, & les autres les font sécher au soleil, avant que de les manger. Dampierre rapporte dans ses voyages, que cela se pratiquoit encore de son tems. Il ajoute que dans quelques îles de la mer des Indes, il y a des sauterelles de la longueur d'un pouce & demi, de la grosseur d'un petit doigt, ayant des aîles larges & minces & des jambes longues & déliées ; les habitans les rôtissent dans une terrine, où les aîles & les jambes se détachent ; mais la tête & le corps deviennent rouges comme les écrévisses cuites.

Au royaume de Tunquin les habitans en amassent autant qu'ils peuvent, les grillent sur des charbons, ou bien les salent, afin de les conserver. Lorsqu'en 1693 il se répandit en Allemagne une armée de sauterelles, quelques personnes essayerent d'en manger. Le célebre Ludolph qui avoit tant voyagé en Orient, ayant trouvé qu'elles étoient de l'espece dont les Orientaux font cas, en fit préparer à leur maniere, & en régala le magistrat de Francfort. (D.J.)

SAUTERELLE-PUCE, (Hist. nat. des insectes) petit insecte qui saute. On voit naître au printems plus tôt ou plus tard, selon que la saison est plus ou moins avancée, certaines écumes blanches, qui s'attachent indifféremment à toutes sortes de plantes. Nos Naturalistes jusqu'à Swammerdam & Poupart n'ont point connu la cause de ces écumes. Isidore de Séville, ainsi nommé, parce qu'il étoit archevêque de cette ville en 601, prélat estimable, mais mauvais physicien, s'est imaginé que c'étoit des crachats de coucou. Quelques-uns ont pensé que c'étoit la seve, le suc des plantes qui s'extravasoit. D'autres, comme Mouffet, que c'étoit une rosée écumeuse. D'autres enfin ont prétendu que ce sont des vapeurs qui s'élevent de quelques terres par la chaleur de l'athmosphere, & qui s'attachent aux plantes ; mais toutes ces opinions ne sont que des erreurs.

M. Poupart a le premier découvert la véritable origine de cette écume printaniere dans les Mémoires de l'académie des Sciences, année 1705, ou du - moins il a le premier développé ce que Swammerdam n'avoit fait que conjecturer. Cet homme, né pour l'étude des insectes, patient pour les observer, adroit pour en faire la délicate anatomie quand la chose étoit possible, a prouvé que cette écume étoit l'ouvrage des sauterelles qu'il avoit décrites dans le Journal des savans, en 1693.

Elles sont fort petites & sautent comme des puces, d'où leur vient le nom qu'elles portent. Leurs piés de derriere n'excedent pas la hauteur de leur dos, ainsi que font ceux des autres sauterelles : ils sont toujours pliés sous le ventre comme dans les puces, ce qui fait que les sauterelles-puces sautent extrêmement vîte, & sans perdre le moindre tems. Elles ont un aiguillon roide & fort pointu, avec lequel elles tirent le suc des plantes. Ce sont peut-être les seules especes de sauterelles qui ayent un aiguillon. Toutes les autres qui sont connues ont une bouche, des levres & des dents, avec lesquelles elles mangent les herbes & même la vigne.

Vos locustae....

Ne meas laedatis vites : sunt enim tenerae.

Nos sauterelles-puces font des oeufs, d'où naissent d'autres petites sauterelles qui sont enveloppées pendant quelque tems d'une fine membrane. Cette membrane est un fourreau qui a des yeux, des piés, des aîles, & d'autres organes qui sont les étuis de semblables parties du petit animal qu'elles renferment. Quand il sort de son oeuf, il paroît comme un petit ver blanchâtre. Quelques jours après, il devient couleur de verd de pré, couleur que le suc des plantes, dont il se nourrit, pourroit bien lui communiquer. Alors il ressemble presque à un petit crapeau ou à une grenouille verte qui monte sur les arbres, & qu'on appelle pour cette raison rana arborea, grenouille d'arbre. Quoique cet insecte soit enveloppé d'une membrane, il ne laisse pas de marcher fort vîte & hardiment, mais il ne saute & ne vole point qu'il n'ait quitté sa pellicule.

Aussi-tôt qu'il est sorti de son oeuf, il monte sur une plante qu'il touche avec son anus, pour y attacher une gouttelette de liqueur blanche & toute pleine d'air. Il en met une seconde auprès de la premiere, puis une troisieme, & il continue de la sorte jusqu'à-ce qu'il soit tout enveloppé d'une grosse écume, dont il ne sort point qu'il ne soit devenu un animal parfait, c'est-à-dire qu'il ne soit délivré de la membrane qui l'environne.

Pour jetter cette écume, il fait une espece d'arc de la moitié de son corps, dont le ventre devient la convexité ; il recommence à l'instant un autre arc opposé au premier, c'est-à-dire que son ventre devient concave de convexe qu'il étoit. A chaque fois qu'il fait cette double compression, il sort une petite écume de son anus, à laquelle il donne de l'étendue en la poussant de côté & d'autre avec ses piés.

M. Poupart a mis sur une jeune menthe plusieurs de ces petites sauterelles : les feuilles sur lesquelles elles firent leurs écumes ne grandirent point, & celles qui leur étoient opposées devinrent de leur grandeur naturelle ; cela prouve que ces insectes vivent du suc des plantes, tandis qu'ils sont dans leurs écumes. Quand la jeune sauterelle est parvenue à une certaine grandeur, elle quitte son enveloppe qu'elle laisse dans l'écume, & elle saute dans la campagne : cette écume la garantit des ardeurs du soleil qui la pourroient dessécher. Elle la préserve encore des araignées qui la suceroient. Les laboureurs disent que ces écumes sont un présage de beau tems ; mais c'est qu'elles ne paroissent que quand le tems est beau, car le mauvais tems les détruit. (D.J.)

SAUTERELLE, (Coupe des pierres) instrument de bois composé de deux regles B A, C A, assemblées par un bout A, comme la tête d'un compas pour être mobiles, & propres à prendre l'ouverture de toutes sortes d'angles, rectilignes, droits, aigus ou obtus.

Ce récipiangle sert pour transporter sur la pierre ou sur le bois l'angle d'une encoignure ou d'un trait de l'équerre, il est plus usité dans la coupe des bois que dans celle des pierres, où l'on se sert pour la même fin du compas d'appareilleur, qui est une espece de sauterelle, à laquelle on a ajouté des pointes pour servir de fausse-équerre ou de compas, suivant les occurrences.


SAUTEURS. m. (Littérature) les Grecs qui avoient placé la danse au rang des marches militaires en abusant de l'établissement de leur gymnase, la prostituerent aux baladins & à des gens méprisables, sans même lui faire changer de nom ; alors l'art de faire des sauts & des tours de force fut un des quatre genres de la danse ; mais il faut ajouter qu'on faisoit peu de cas de ce talent & de ceux qui l'exerçoient. Clistene refusa sa fille à Hippoclide pour avoir fini sa danse par l'imitation des postures baladines. On a trouvé à Nîmes une petite figure de bronze, qui représente un de ces sauteurs ; la conformité qui s'y rencontre avec la pratique que nos voltigeurs suivent aujourd'hui, a une singularité qui frappe. Le tonnelet même que ces sortes de gens portent, ressemble à peu de chose près à celui que l'on voit à cette figure. Le comte de Caylus, antiq. grecq. rom. &c. tom. III. (D.J.)

SAUTEUR, (Manege) un sauteur est de deux especes, ou entre les piliers, ou en liberté. Le sauteur entre les piliers est un cheval auquel on apprend à faire des sauts entre les deux piliers. Voyez SAUT. Le sauteur en liberté est celui à qui on apprend à faire le pas & le saut en appuyant le poinçon, ou en croisant la gaule par-derriere.

On met des trousse-queues aux sauteurs, pour leur tenir la queue en état, & l'empêcher de jouer & de faire paroître le sauteur large de croupe.


SAUTOIRterme d'Horlogerie, c'est le nom d'une piece de la cadrature d'une montre ou d'une pendule à répétition ; il est synonyme à valet. Voyez VALET.

SAUTOIR, terme de Blason, piece honorable de l'écu fait en forme de croix de saint André, qu'on appelle autrement croix de Bourgogne. Sa largeur ordinaire est le tiers de l'écu, quand elle est seule. Il y a des sautoirs alaisés, & des sautoirs en nombre qu'on pose en différens endroits de l'écu. Il s'en voit de chargés, d'accompagnés, d'engrelés, d'endenchés, d'échiquetés, & de panne comme vair & hermine. Ménestrier. (D.J.)


SAUTRIAUXS. m. plur. (Basse-lisserie) ce sont des especes de petits bâtons dont les basse-lissiers se servent pour attacher les lames où tiennent leurs lisses ; ils sont dans la forme de ce qu'on appelle le fléau dans une balance ; c'est la camperche qui les soutient. (D.J.)


SAUVAGAGIS. m. (Coton des Indes) toile de coton blanche qui vient des Indes orientales, particulierement de Surate. Les pieces de ces toiles ont treize à treize aunes & demie de long, sur cinq-huit de large. Savary. (D.J.)


SAUVAGEce mot sert en matiere médicale à distinguer les végétaux qui croissent naturellement dans les champs d'avec ceux que l'on cultive. Sur quoi il faut remarquer que cette distinction est essentielle, d'autant que les plantes sauvages ont pour l'ordinaire plus d'efficacité que celles qui sont cultivées.

Sauvage est encore une épithete dont l'on se sert en matiere médicale, pour désigner les animaux sauvages, & les distinguer de ceux qui sont privés.

Les animaux sauvages fournissent une meilleure nourriture que les domestiques, car les animaux privés ou domestiques sont d'un tempérament humide, nourris dans la mollesse & l'inaction, tandis que les sauvages ont la chair ferme & même grasse.

D'ailleurs si l'exercice contribue à conserver la santé aux hommes, il fait le même effet parmi les animaux : les sels & les huiles sont plus exaltés dans la viande des animaux qui ont été laissés en liberté ; ils sont plus sains & plus robustes, ils fournissent une nourriture meilleure aux personnes qui ont la force de le digérer, car le même exercice qui exalte leur sel & leur huile rend aussi leur chair plus ferme & plus dense.

Les médicamens tirés du regne animal sont comme les alimens plus efficaces & meilleurs lorsqu'ils sont tirés des animaux sauvages, que s'ils sont pris parmi les animaux domestiques. Tel est le bézoard animal, tel est la graisse d'ours ; tels sont d'autres remedes tirés du regne animal, qui sont d'autant plus efficaces, qu'ils sont tirés des animaux les plus féroces & les moins apprivoisés.

SAUVAGE ou SAUVEMENT, (Marine) on sousentend faire le : c'est s'employer à recouvrer les marchandises perdues par le naufrage ou jettées à la mer. Le tiers de ces marchandises appartient à ceux qui les sauvent.

On appelle frais du sauvage le payement qu'on donne à ceux qui sauvent quelque chose, ou la part qu'ils ont à ce qu'ils sauvent.

SAUVAGES, s. m. plur. (Hist. mod.) peuples barbares qui vivent sans loix, sans police, sans religion, & qui n'ont point d'habitation fixe.

Ce mot vient de l'Italien salvagio, dérivé de salvaticus, selvaticus & silvaticus, qui signifie la même chose que silvestris, agreste, ou qui concerne les bois & les forêts, parce que les sauvages habitent ordinairement dans les forêts.

Une grande partie de l'Amérique est peuplée de sauvages, la plûpart encore féroces, & qui se nourrissent de chair humaine. Voyez ANTROPOPHAGES.

Le P. de Charlevoix a traité fort - au - long des moeurs & coutumes des sauvages du Canada dans son journal d'un voyage d'Amérique, dont nous avons fait usage dans plusieurs articles de ce Dictionnaire.

SAUVAGES, (Géog. mod.) on appelle sauvages tous les peuples indiens qui ne sont point soumis au joug du pays, & qui vivent à-part.

Il y a cette différence entre les peuples sauvages & les peuples barbares, que les premiers sont de petites nations dispersées qui ne veulent point se réunir, au-lieu que les barbares s'unissent souvent, & cela se fait lorsqu'un chef en a soumis d'autres.

La liberté naturelle est le seul objet de la police des sauvages ; avec cette liberté la nature & le climat dominent presque seuls chez eux. Occupés de la chasse ou de la vie pastorale, ils ne se chargent point de pratiques religieuses, & n'adoptent point de religion qui les ordonne.

Il se trouve plusieurs nations sauvages en Amérique, à cause des mauvais traitemens qu'elles ont éprouvés, & qu'elles craignent encore des Espagnols. Retirés dans les forêts & dans les montagnes, elles maintiennent leur liberté, & y trouvent des fruits en abondance. Si elles cultivent autour de leurs cabanes un morceau de terre, le mays y vient d'abord ; enfin la chasse & la pêche achevent de les mettre en état de subsister.

Comme les peuples sauvages ne donnent point de cours aux eaux dans les lieux qu'ils habitent, ces lieux sont remplis de marécages où chaque troupe sauvage se cantonne, vit, multiplie & forme une petite nation. (D.J.)


SAUVAGEAS. f. (Botanique) genre de plante, dont voici les caracteres. Le calice subsistant de la fleur est de cinq feuilles faites en lancettes pointues ; la fleur est à cinq pétales plats, droits, obtus, échancrés, & plus longs que les feuilles du calice. Les étamines sont des filets nombreux, chevelus, qui ont la moitié de la longueur de la fleur ; leurs bossettes sont simples ; le germe du pistil est enseveli dans le calice ; le stile est court ; les stigma sont au nombre de six, oblongs, & de la longueur du stile : le fruit est une capsule ovale, couverte, à une seule loge ; l'enveloppe de la fleur & la capsule s'ouvrent horisontalement au milieu ; les graines sont petites & nombreuses. Linn. gen. plant. p. 240. (D.J.)


SAUVAGEONS. m. (Jardinage) est le même que sujet, que franc. Voyez SUJET.


SAUVAGINES. f. (Pelleterie) nom que l'on donne aux peaux non apprêtées de certains animaux sauvages qui se trouvent communément en France, tels que peuvent être les renards, les lievres, les blaireaux, les putois, les fouines, les belettes ; & la sauvagine n'est regardée que comme une pelleterie commune qui ne s'employe que pour les fourrures de peu d'importance. Savary. (D.J.)


SAUVAGUZÉESS. m. pl. (coton des Indes) ce sont des toiles blanches de coton qui viennent des Indes orientales. Il y en a, qu'on appelle balazées, qui se fabriquent à Surate, & d'autres que l'on nomme sauvaguzées - doutis. Elles ont treize aunes & demie sur deux tiers de large. Dict. de Comm.


SAUVE-GARDES. m. (Hist. nat.) c'est le nom que les Hollandois établis à Surinam, donnent à une espece de serpent, qui differe des serpens ordinaires, des lézards & de l'ignane ; il vient d'un oeuf, comme les lézards ; ses écailles sont menues & lisses ; il se nourrit des oeufs d'oiseau qu'il va manger dans leurs nids : lorsqu'il veut pondre les siens, il forme un creux sur le bord des rivieres, & il les laisse éclorre à la chaleur du soleil ; ses oeufs sont de la grosseur de ceux d'une oie, mais plus allongés ; les Indiens ne font aucune difficulté d'en manger. Mademoiselle Mérian, qui nous donne la description de cet animal, n'a pas pu éclaircir davantage sa nature ; elle nous laisse dans l'incertitude si elle parle d'un crocodile ou cayman, d'un serpent ou d'un lézard.

SAUVE-GARDE, s. f. (Jurisprud.) sont des lettres données à quelqu'un, par lesquelles on le met sous sa protection, avec défenses à toutes personnes de le troubler ni empêcher, sous certaines peines, & d'être déclaré infracteur de la sauve-garde. Il y a des sauve-gardes pour la personne en quelque lieu qu'elle aille ; il y en a qui sont specialement pour les maisons & biens, pour empêcher qu'il n'y soit fait aucun dommage, & pour empêcher le propriétaire du logement des gens de guerre.

Il est parlé de ces sauve-gardes dans plusieurs coutumes ; & dans le recueil des ordonnances de la troisieme race, on trouve nombre de lettres de sauvegarde données à des abbayes & autres églises.

La sauve-garde peut être accordée par le roi, ou par les juges, soit royaux, ou des seigneurs.

On entend quelquefois par sauve-garde, une plaque de fer apposée sur la porte d'une maison, sur laquelle sont les armes du roi ou de quelqu'autre seigneur, avec ce mot sauve-garde ; ces panonceaux ne sont pas la sauve-garde même, ils ne sont qu'un signe extérieur qui annonce que le propriétaire de la maison est sous la sauve-garde du roi ou de quelqu'autre seigneur. Voyez le glossaire de M. de Lauriere & le mot SAUF-CONDUIT. (A)

SAUVE-GARDE, (Art milit.) c'est, à la guerre, la protection que le général accorde à des particuliers pour conserver leurs châteaux, maisons ou terres, & les mettre à l'abri du pillage. Le garde ou le soldat qui va résider dans ces lieux, se nomme aussi sauve-garde. Il a un ordre par écrit contenant l'intention du général. Il est défendu, sous peine de la vie, d'entrer dans les lieux où sont envoyés les sauve-gardes, & de leur faire aucune violence. Le profit des sauve-gardes appartient au général, & il peut les étendre autant qu'il le juge à propos. Cependant le trop grand nombre de sauve-gardes est au détriment de l'armée, qui se trouve privée de tout ce que les lieux conservés pourroient lui fournir. Lorsqu'un lieu où il y a des sauve-gardes se trouve surpris par l'ennemi, les sauve-gardes ne sont pas prisonniers de guerre. (q)

SAUVE-GARDE, ou TIRE-VEILLE, (Marine) c'est une corde amarrée au bas du beaupré, & qui montant à la hune de misaine, en descend pour s'amarrer aux barres de la hune de beaupré. Elle sert aux matelots qui font quelques manoeuvres de la civadiere & du tourmentin, pour marcher en sûreté sur le mât de beaupré.

Sauve - garde du gouvernail, est un bout de corde qui traverse la meche du gouvernail, & qui est arrêtée à l'arcasse du vaisseau.

Les Sauve-gardes sont aussi deux cordes posées depuis l'extrêmité de l'éperon jusqu'aux sous-barres des bossoirs, & qui servent à empêcher que les matelots, qui sont dans l'éperon pendant les tempêtes, ne tombent à la mer.


SAUVE-VIES. f. (Hist. nat. Botan.) ruta muraria ; genre de plante dont les feuilles ressemblent en quelque sorte à celles de la rue des jardins. Voyez RUE, Tournefort, I. R. H. Voyez PLANTE.


SAUVELLE, (Géog. mod.) riviere de France, dans l'Alsace. Elle a sa source au mont de Vosge, & se jette dans le Rhin, entre Strasbourg & Offendorf.


SAUVEMENTS. m. terme de Commerce de mer ; on dit qu'un vaisseau marchand est arrivé en bon sauvement, pour dire qu'il est arrivé à bon port sans aucun accident. Dict. de Comm. & de Trévoux.

SAUVEMENT, DROIT DE, (Droit féodal) c'étoit autrefois un droit qui consistoit en la vingtieme partie du blé & du vin que les habitans étoient tenus de donner à leur seigneur, à la charge de construire & entretenir à ses dépens les murailles du bourg pour leur sûreté & la conservation de leurs biens. (D.J.)


SAUVERv. act. (Gramm.) c'est préserver, garantir de quelque cause de ruine, de perte & de destruction. Ce médecin m'a sauvé d'une grande maladie ; je lui ai sauvé la vie dans cette occasion ; on l'a sauvé des mains de la justice. Sauvez du-moins les apparences ; sauvez la vole. Je vous sauverai les cinq blouses. Je ne sai comment il se sauvera de ce marché ; cela me sauvera un travail infini. Il s'est sauvé à la nage. Il est venu pour sauver tous les hommes. Sauvez moi de la mort éternelle. Sauve qui peut.

SAUVER LE, (Géog. mod.) ou le Sur ; riviere de France, en Alsace. Elle prend sa source dans les montagnes, aux confins des pays réunis de la Lorraine. Elle traverse par deux bras la forêt de Haguenau, & se joignant ensuite en un seul canal, elle se perd dans le Rhin, entre le Fort-Louis & Seltz. (D.J.)

SAUVER, en Musique, sauver une dissonance, c'est la résoudre, selon les regles, sur une consonnance de l'accord suivant. Il y a pour cela une marche prescrite, & à la basse fondamentale de l'accord dissonant, & à la partie qui forme la dissonance. On ne peut trouver aucune maniere de sauver qui ne soit dérivée d'un acte de cadence ; c'est donc par l'espece de la cadence qu'est déterminé le mouvement de la basse fondamentale. Voyez CADENCE.

A l'égard de la partie qui forme la dissonance, elle ne doit ni rester en place, ni marcher par degré disjoint, mais elle doit monter ou descendre diatoniquement, selon la nature de la dissonance. Les maîtres disent que les dissonances majeures doivent monter, & les mineures descendre, ce qui n'est pas général, puisqu'une septieme, quoique majeure, ne doit point monter, mais descendre, si ce n'est dans l'accord appellé fort incorrectement accord de septieme superflue ; il vaut donc mieux dire que toute dissonance dérivée de la septieme, doit descendre, & dérivée de la sixte ajoutée, monter. C'est-là une regle vraiment générale, & qui ne souffre aucune exception. Il en est de même de la loi de sauver la dissonance. Il y a des dissonances qu'on peut ne pas préparer, mais il n'y en a aucune qui ne doive se sauver.

Dans les accords par supposition, un même accord fournit souvent deux dissonances, comme la septieme & la neuvieme, la neuvieme & la quarte ; alors elles ont dû se préparer, & doivent se sauver toutes deux. C'est qu'il faut avoir égard à tout ce qui dissonne, non-seulement sur la basse fondamentale, mais encore sur la basse continue. (S)

SAUVER, voyez SAUVAGE.


SAUVERABANou TORDES, s. m. (Marine) anneaux de corde qu'on met près de chaque bout des grandes vergues, afin d'empêcher que les rabans ne soient coupés par les écoutes des hunes.


SAUVES(Géog. mod.) petite ville, ou, pour mieux dire, bourg de France, dans le bas Languedoc, sur la Vidourle, à 3 lieues au nord d'Anduze, au diocèse d'Alais, avec une abbaye de bénédictins, fondée l'an 1029, & un viguier perpétuel que saint Louis y établit en 1236. Long. 23. 9. lat. 43. 41.


SAUVETATLA, (Géog. mod.) petite ville ou bourg de France. Voyez SALVETAT, la.


SAUVETERRE(Géog. mod.) nom de deux petites villes de France, l'une dans le Béarn, à 7 lieues de Pau, & l'autre dans le pays de Comminges, à peu de distance de Lombez. (D.J.)


SAUVEURSAUVEUR

SAUVEUR, (Critique sacrée) en grec, en latin salvator ; celui qui sauve la vie, ou qui délivre de quelques grands maux ; c'est en ce sens que Joseph est appellé le sauveur du monde, pour avoir garanti l'Egypte de la famine en faisant à propos de grands amas de grains dans les greniers du roi. Gen. lxj. 45. L'Ecriture donne aussi ce nom à ceux qui ont tiré les Israëlites d'entre les mains de leurs ennemis. II. Esd. iv. 27. Ainsi Josué, David, les Juges, Salomon, Josias, Mathatias ont reçu des Juifs le nom de sauveur. C'est à Jesus-Christ seul que ce beau titre appartient par excellence. (D.J.)

SAUVEUR, (Art numismat.) ou ; on voit les dieux sauveurs dans les médailles. Il est fait mention dans Sophocle des sacrifices qu'on célébroit tous les mois à Argos aux dieux sauveurs ; mais l'épithete de soter & de sotera est donnée pareillement à des déesses, Cybele, Vénus, Diane, Cérès, Proserpine, Thémis, la Fortune & autres qui portent chacune le nom de déesse salutaire.

Le même titre est accordé, à leur exemple, à des reines, comme à Bérénice, Cléopatre ; & à des impératrices, comme à Faustine. Il y a d'elle un beau médaillon du cabinet du roi de France, représentant Cybele dans un temple de lions ; aux deux côtés de son siege est Atis debout devant un pin, & pour inscription on lit, Matri deûm salutari.

Pareillement le nom de dieu sauveur ne se donnoit pas seulement au grand dieu Jupiter, Jovis soteri, & à d'autres divinités de l'un & l'autre sexe, mais à des rois & à des reines de Syrie, d'Egypte, &c. ainsi que d'anciens monumens, & particulierement des médailles le justifient. De plus la flatterie des peuples communiqua le même titre de soter ou de sauveur, à des empereurs vivans, même à ceux d'entr'eux les plus indignes d'un tel honneur. Il y a une médaille portant d'un côté la tête de Néron, & de l'autre une inscription grecque au milieu d'une couronne de laurier. Cette inscription dit, au sauveur du monde ; au-dessous est une demi-lune : mais consultez sur ce sujet M. Spanheim, vous y trouverez beaucoup de particularités curieuses.

Le même titre de fut donné par les Grecs à l'empereur Hadrien, comme il paroît par les inscriptions ; cependant ce titre tout fastueux qu'il étoit, cessa presque d'être une distinction par le fréquent usage qu'on en avoit fait. On sait que Ptolomée I. roi d'Egypte, Antiochus I. Démétrius I. & Démétrius III. rois de Syrie, l'avoient pris sur leurs médailles, & qu'on l'avoit accordé à plusieurs autres rois grecs qui ne firent aucun effort pour le mériter. Enfin dans ce genre de flatterie, les Grecs & les Romains n'avoient rien à se reprocher. (D.J.)

SAUVEUR, ordre de saint, (Théologie) est le nom d'un ordre de religieuses, fondé par sainte Brigite, environ l'an 1344, & ainsi appellé parce que la commune opinion étoit que dans des révélations faites à cette sainte, Jesus-Christ lui-même lui en avoit donné la regle & les institutions ; on les appelle aussi brigitines ou bridgetines, du nom de leur fondatrice. Voici ce qu'on raconte de leur origine. Guelphe, prince de Baviere, mari de sainte Brigite, étant mort à Arras à son retour de Galice, sa veuve touchée d'un mouvement de dévotion résolut d'entrer dans un monastere, & pour cela fonda celui de saint Sauveur à Western, dans le diocèse de Linkoping en Suede, où elle a son tombeau.

Par les constitutions de cet ordre, les religieuses sont particulierement consacrées au service de la Vierge, & les religieux chargés d'assister spirituellement les malades, & d'administrer les sacremens, en cas de nécessité.

Le nombre des religieuses dans chaque couvent est fixé à soixante, & celui des moines à treize comme les apôtres, en supposant que saint Paul est le treizieme. Un d'entr'eux étoit prêtre, quatre diacres, pour représenter les quatre docteurs de l'Eglise, & les huit autres convers ; mais ils ne devoient être en tout que soixante & douze, pour figurer les soixante & douze disciples de Jesus-Christ. Si l'on en excepte ces circonstances & la forme de leur habit, ils suivent dans tout le reste la regle de saint Augustin. Cet ordre fut approuvé par Urbain V. & par ses successeurs ; & en 1603 Clément VIII. y fit quelques changemens en faveur de deux monasteres qui commençoient alors à s'établir en Flandre.

SAUVEUR, saint, congrégation de chanoines en Italie, qui portent le nom de scopetini, & qui furent fondés en 1408 par le bienheureux Etienne, religieux de l'ordre de saint Augustin. Leur premier établissement se fit dans l'église de saint Sauveur près de Sienne, & c'est de-là qu'ils ont tiré le nom qu'on leur donne ; celui de scopetini vient de l'église de saint Donat de Scopete qu'ils obtinrent à Florence, sous le pontificat de Martin V. Moreri, Dict. t. V. lettre S, pag. 458.

SAUVEUR DE MONTEZAT, saint, (Ordre milit.) Mariana, liv. XV. ch. xvj. dit que cet ordre militaire a été institué par Alphonse, roi d'Aragon dans le royaume de Valence l'an 1317, que les biens des templiers furent donnés aux chevaliers, lesquels furent unis à l'ordre de Calatrava ; mais ensorte néanmoins qu'ils auroient leur grand-maître particulier, & qu'ils porteroient une croix rouge sur un manteau blanc. Dom Joseph Michieli, l'abbé Justiniani, & le pere Helyot, ont parlé les uns & les autres diversement & fort peu exactement de cet ordre. (D.J.)

SAUVEURS, en termes de Commerce de mer, signifie ceux qui ont sauvé ou pêché des marchandises perdues en mer, soit par le naufrage, soit par le jet arrivé pendant la tempête, & auxquels les ordonnances de la marine de France attribuent le tiers des effets sauvés. Diction. de comm.


SAVA(Géog. mod.) petite ville de Perse, à deux ou trois journées au nord-ouest de Kom. Il y a dans cette ville deux célebres mosquées, où les Persans viennent par dévotion pour de grands personnages qui y ont leurs tombeaux. Lat. 34. 56.


SAVANES. f. (Econom. rustiq.) dans les îles françoises de l'Amérique on appelle savanes de grandes pelouses dont l'herbe est courte, assez rase & de différentes especes inconnues en Europe : ces savanes servent de pâturages aux bestiaux ; on est obligé de les entretenir avec soin, & de les clorre de lisieres ou fortes haies de citronniers taillés à la hauteur de six à sept piés : ces haies sont fort épaisses, bien garnies de branches, & remplies d'épines, qui les rendent impénétrables.

SAVANES, terme des îles françoises ; on appelle ainsi, dans les îles françoises des Antilles, les prairies où l'on met paître les chevaux & les bestiaux. Dans les savanes un peu séches, on trouve de petits insectes rouges, qui ne sont que de la grosseur de la pointe d'une épingle : ces petites bêtes s'attachent à la jambe, & lorsqu'elles sont passées au-travers des bas, elles causent des démangeaisons épouvantables, qui obligent de s'écorcher les jambes. Quand on en est incommodé, il n'y a pas de meilleur remede que de faire bouillir dans l'eau des bourgeons de vigne & de monbain, des feuilles d'oranger, & des herbes odoriférantes ; & on s'en lave bien les jambes plusieurs jours de suite. Le mot de savane a été emprunté des Espagnols, qui donnent le nom de savanas aux prairies.

Les François du Canada donnent le nom de savane aux forêts composées d'arbres résineux, c'est-à-dire, aux forêts de pins, sapins, de méleses, & dont le fond est humide & couvert de mousse. Il y a des savanes qui sont fort épaisses, & d'autres qui sont claires. Le caribou habite dans les savanes, & quand elles sont épaisses, il s'y fraie des routes. (D.J.)


SAVANTDOCTE, HABILE, (Synon.) les connoissances qui se réduisent en pratique rendent habile. Celles qui ne demandent que de la spéculation font le savant. Celles qui remplissent la mémoire font l'homme docte.

On dit du prédicateur & de l'avocat qu'ils sont habiles ; du philosophe & du mathématicien, qu'ils sont savans ; de l'historien & du jurisconsulte, qu'ils sont doctes.

L'habile semble plus entendu ; le savant plus profond, & le docte plus universel.

Nous devenons habiles par l'expérience ; savans par la méditation ; doctes par la lecture.

On peut être fort savant ou fort docte sans être habile, mais on ne peut guere être très- habile, sans être savant. Synon. de Girard. (D.J.)


SAVARIA(Géog. anc.) ville de la haute-Pannonie. Ptolémée, l. II. c. xv. la met au nombre des villes éloignées du Danube. Lazius conjecture que c'est aujourd'hui le lieu nommé Leybnitz, & Villeneuve prétend que c'est Graitz.


SAVARTS. m. (Gram. & Jurisprud.) terme que l'on trouve dans les coutumes de Rheims & de Clermont, héritage en savart, c'est-à-dire, en friche. Voyez le glossaire de M. de Lauriere. (A)


SAVATAPOLI(Géog. mod.) ville d'Asie, dans la Mingrélie, sur la mer Noire, à l'endroit où la côte orientale se joint à la septentrionale. Cette ville est la Sébastopolis, ou la Dioscuria des anciens. (D.J.)


SAVATRA(Géog. anc.) ville de la Galatie, dans l'Isaurie, selon Ptolémée, l. V. c. iv. son nom moderne selon Niger, est Souraceri. (D.J.)


SAVELA, (Géog. mod.) nom de deux rivieres, l'une en Allemagne, l'autre en France.

1°. La Save, riviere d'Allemagne, prend sa source dans la haute Carniole ; & après avoir reçu dans son sein plusieurs rivieres dans un cours d'environ cent lieues, elle se jette dans le Danube, près de Belgrade. Ptolémée l'appelle Saus, Strabon Savus, Justin Sabus, & les Allemands Die Saw. Elle forme dans son cours quelques îles, comme celle de Metubaris, à l'occident de l'ancienne Sirmium, & celle de Sigestica, proche de Zagabria, dans laquelle il y avoit anciennement une ville. C'étoit-là que les Romains apportoient toutes leurs marchandises d'Aquilée, pour les envoyer ensuite à Nauportus (Laubach), d'où elles étoient transportées à Sigestica, pour l'entretien des garnisons.

2°. La Save de France est une riviere dans l'Armagnac ; elle sort du Nébouzan, prend sa source dans les Pyrénées, auprès de Bayonne, arrose Sammathan & Lombez avant que de tomber dans la Garonne, près de Grenade. (D.J.)


SAVELS. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) nom donné par les Portugais à une espece de poisson qui abonde sur les côtes de la Chine, & qu'on pêche dans la riviere de Kiang, près Nanking. Les premiers eunuques de la cour en remplissent plusieurs bateaux, & enterrent tout de suite ce poisson dans de la glace pilée, pour la provision d'été de l'empereur. Les bâtimens dans lesquels ils les transportent, sont de la plus grande propreté, & tous les autres vaisseaux sont obligés de se ranger sur leur passage. (D.J.)


SAVENNEAUou SAVENEL, & SAVONNEAUX, voyez BOUT DE QUIEVRE.


SAVERDUN(Géog. mod.) ville de France dans le pays de Foix, sur l'Ariege. Elle appartenoit autrefois aux comtes de Toulouse, & étoit alors une place importante. Elle soutint pendant la guerre des Albigeois un siege contre Simon de Montfort, & l'obligea de se retirer avec perte. Long. 19. 16. lat. 43. 12.

Benoît XII. né à Saverdun, où son pere étoit meunier, se fit religieux de Cîteaux, devint cardinal, fut élu pape à Avignon en 1334, & mourut dans cette ville en 1342. Il suivit l'exemple de Jean XXII. en déposant par de nouvelles bulles l'empereur Louis de Baviere, & le privant de tous ses biens, meubles & immeubles. Il crut aussi devoir donner une constitution sur l'état des ames après la mort, fait sur lequel il étoit à-propos de ne rien statuer, puisque son prédécesseur lui-même étant assis sur la chaire pontificale, voulut établir une opinion toute différente sur la vision béatifique ; & cette opinion auroit été reçue dans l'Eglise sans l'université de Paris, qui s'y opposa formellement. (D.J.)


SAVERNE(Géog. mod.) ou Zabern, comme l'écrivent les Allemands, en latin Taberna ; ville fort ancienne de France, dans la basse Alsace, sur la riviere de Soer, à 6 lieues au sud-ouest de Strasbourg, au pié du mont de Vosge. Il y a à Saverne une collégiale, un hôpital, un couvent de récollets, un monastere de religieuses, & un magnifique château bâti par le cardinal Egon de Furstenberg, & qui fait le lieu de la résidence ordinaire des évêques de Strasbourg, qui sont seigneurs de Saverne. Long. 25. 3. lat. 48. 45. (D.J.)

SAVERNE, la, ou Severne (Géog. mod.) en latin Sabriana & Sabrina, riviere d'Angleterre, au pays de Galles. Elle a sa source dans le comté de Montgommery, arrose les provinces de Shrop, de Worcester & de Glocester, recevant dans son lit plusieurs rivieres assez considérables, en particulier l'Avon, le Wye & l'Usk. Enfin elle se jette à la mer, au-dessous de la ville de Glocester, où elle s'élargit si fort, qu'on appelle son embouchure la mer de Saverne.

Les Anglois ont aussi donné le nom de Saverne à une riviere de l'Amérique septentrionale qui arrose le nouveau pays de Galles dans sa partie méridionale, & qui se jette dans la baye du nord ou de Hudson. (D.J.)


SAVETIERS. m. (Jurande d'artisans) artisan qui raccommode les vieilles chaussures, souliers, bottes, pantoufles, &c. Dans les anciens statuts de la communauté des Savetiers de la ville, fauxbourgs, banlieue, prévôté & vicomté de Paris, ils sont appellés maîtres Savetiers, Bobelineurs, Carreleurs de souliers. Leurs premiers statuts sont du mois de Janvier 1443, dressés, accordés, autorisés par lettres-patentes de Charles VII. depuis réformés & de nouveau confirmés par Louis XI. au mois de Juin 1467 ; par François I. au mois d'Octobre 1516 ; par Charles IX. en Janvier 1566, & par Henri IV. en Juillet 1598. Leurs dernieres lettres-patentes de réformation & confirmation sont du mois de Mars 1659, sous le regne de Louis XIV. enregistrées en parlement les même mois & an. Savary. (D.J.)


SAVEUR(Physiolog.) Les sucs ou liqueurs des corps qui font impression sur l'organe du goût, est ce qu'on appelle saveur, & quelquefois l'on donne ce nom même à leur impression.

Les principes actifs des saveurs ou des corps savoureux, sont les sels tant fixes que volatils : les terres, la lymphe, & les soufres n'entrent dans les saveurs que pour en établir la variété & les especes ; de la même façon que les ombres mêlées avec la lumiere forment les images ; mais ce ne sont pas ces ombres qui font impression sur l'organe, c'est la lumiere seule ; de même les sels sont les seuls principes capables d'affecter l'organe du goût ; l'eau, l'huile & la terre n'ont aucun goût.

Le goût de l'huile ne vient point d'elle-même. Elle est douce en soi & très-insipide lorsqu'elle est pure. Elle contient un esprit recteur, comme parlent les Chymistes ; c'est si bien lui qui fait le goût de l'huile, qu'elle n'en a plus quand il s'est évaporé. Cet esprit recteur n'est autre chose qu'une huile infiniment atténuée, le plus souvent d'une odeur agréable, & dont les plus petites & simples particules ont beaucoup de vertu. Les eaux minérales, dont le goût & la vertu de teindre se dissipent si vîte, font voir qu'il y a un pareil esprit recteur dans les minéraux. Il se trouve dans le vin & dans la biere même, & s'évapore quand les bouteilles restent débouchées.

Les sels seuls affectent l'organe du goût, suivant leurs genres & leurs différentes figures. Le nitre forme des prismes hexagones, & on sait, par les expériences de Bellini, que les sels végétaux, presque de même nature, forment ces prismes. Les crystaux de vitriol forment des parallelepipedes rhomboïdes ; ceux d'alun sont octahedres. En suite quand les goûts sont changés, on apperçoit aussi que les figures le sont. Les prismes nitreux qu'on ne trouve plus dans l'esprit de nitre, se régénerent dans le nitre régénéré. Boyle a un traité curieux sur la production méchanique des formes. La lymphe ou l'eau, n'est que le véhicule des sels, leur dissolvant, leur mobile, & le mêlange de l'huile & de la terre varient seulement leur impression en mille façons différentes ; si nous ajoutons à ces variétés celles qui sont prises de la nature des différens sels simples & composés, on aura des sources inépuisables de la diversité des saveurs. Quelle variété d'images la lumiere ne produit-elle pas avec l'ombre seule ! Quelle autre variété la combinaison du petit nombre des couleurs primitives & de l'ombre, ne produit-elle pas encore ? En doit-on moins attendre de la combinaison des sels primitifs entr'eux ? Telle est la nature des saveurs en général : détaillons-en les différences principales, autant du-moins qu'on a pu trouver de mots pour les exprimer.

Il est certain que c'est de la différence, grosseur, figure & mouvement des corps sapides que naît la variété des saveurs ; par exemple :

1°. Le salé, que produit la diverse figure des sels.

2°. L'acide ; tel est le goût de plusieurs fruits d'été, du vin, du vinaigre, de l'esprit de soufre, de nitre, de vitriol ; car toutes ces choses sont acides, quoique d'une acidité fort différente.

3°. L'alkalin, comme sont les sels urineux qui sentent l'urine putréfiée.

4°. Le doux ; tel est le goût de la plûpart des végétaux quand ils sont bien mûrs ; celui du sucre, du miel, de la manne, &c. tout ce qui est doux appartient à la classe des acides.

5°. Le vineux, qui est celui de tous les vins, de toutes les bieres, &c.

6°. L'amer, comme des deux biles, de l'absynthe, de l'aloës, de la coloquinte, des huiles rances, &c. tel est encore le goût de la dissolution du cuivre, de la solution de l'argent dans l'esprit de nitre.

7°. L'aromatique ; ce nom appartient à tous les végétaux qui ont en mâchant un goût & une odeur forte.

8°. L'âcre ; comme l'euphorbe, l'ail, l'oignon & les autres âcres d'une odeur désagréable, différens en cela des aromates.

9°. L'austere ; tel qu'on remarque dans la noix de galle dont on fait l'encre, dans l'encre même, dans le chêne, dans les oranges vertes, &c. L'austere est une espece d'âcre ou d'aigre qui resserre les fibres.

10°. Enfin toutes les autres saveurs composées des précédentes, qui sont des nuances de goût à l'infini, & pour l'impression desquelles nous n'avons point de noms.

Mais quelles que soient les différentes sensations qui s'excitent à la langue par les corps savoureux, elles dépendent toujours de la différente figure de ces corps ; les matieres qui auront des parties fort pointues & fort tranchantes, feront une impression fort vive ; celles dont les parties n'auront que des pointes peu aiguës, ne feront que chatouiller la langue ; enfin les parties qui auront une surface lisse & polie, n'y pourront faire aucune impression : par exemple, l'acide du vinaigre se fait sentir vivement à la langue & sur les nerfs ; mais si on l'unit avec le plomb, il forme avec lui un composé d'un goût doux comme celui du sucre. L'esprit de nitre qu'on peut appeller un véritable feu, & qui est si caustique, n'est plus corrosif lorsqu'il est mêlé avec l'esprit-de-vin ; il donne alors une liqueur douce & aromatique : ce sont les parties huileuses de l'esprit-de-vin qui enveloppent l'acide & l'empêchent d'agir si fortement. Les matieres terrestres mêlées avec un acide donnent un goût austere ; & si elles dominent, le goût sera acerbe : le sel alkali, plus il est pur, plus il devient âcre ; l'acide vitriolique joint à la base du sel marin, du tartre, du salpêtre, compose un sel amer. Pour les matieres terrestres & aqueuses, elles sont insipides, de même que les huiles dépouillées de leurs sels.

On peut produire des corps de différentes saveurs par une infinité d'autres mêlanges ; l'art peut faire des amers avec une matiere huileuse & avec un acide : par exemple, le baume de Pérou & l'acide nitreux, forment un composé très-amer. Cependant on ne sauroit établir des regles générales là-dessus ; on ne connoît pas assez bien pour cela les mêlanges des corps. D'ailleurs il ne faut pas douter que la matiere du feu qui est répandue par-tout ne contribue beaucoup à varier les saveurs ; témoins les sels alkalis, qui deviennent toujours plus caustiques, à proportion qu'on les expose au feu.

Quand les sels qui sont introduits dans les pores de l'organe du goût sont entiers, presque seuls & non mitigés par quelque alliage, alors ces sels sont des especes d'épées qui font dans l'organe des impressions violentes, & on les appelle désagréables, si cette violence révolte la substance sensitive. Quand les sels sont enveloppés par les parties huileuses ou sulfureuses, de maniere que leur tranchant est entierement caché, que leurs pointes mêmes embarrassées ne peuvent qu'ébranler légerement les houpes nerveuses, alors cet ébranlement léger fait une saveur douce ; & elle est agréable quand elle excite dans le fluide sensitif cette émotion voluptueuse qui fait l'essence du plaisir. Voilà les deux saveurs opposées, la saveur agréable, & la saveur désagréable. Il y a entre ces deux extrêmes, & de plus dans chacun de ces extrêmes, des variétés sans nombre.

Les saveurs violentes sont pour l'ordinaire désagréables ; & les saveurs qui ne font que chatouiller pour ainsi dire l'organe, sont ordinairement agréables ; mais il faut ajouter de plus, que ces sensations exigent certaines dispositions de l'imagination qui reçoit les impressions.

Toutes saveurs douces ou légeres ne sont pas agréables, ni les âcres désagréables ; il est des douceurs qu'on appelle insipidité, & des âcres qu'on recherche.

En supposant même une saveur reconnue par plusieurs pour âcre, désagréable, on trouvera tel goût auquel cet âcre plaira beaucoup, & un autre auquel le sucre le plus friand donnera des envies de vomir. L'imagination entre donc encore pour sa part dans la sensation du goût aussi - bien que dans toutes les autres. Pourquoi haïssois-je jadis l'amertume du café, & qu'elle fait aujourd'hui mes délices ? Pourquoi la premiere huître que j'ai avalée m'a-t-elle fait autant d'horreur qu'une médecine, & qu'insensiblement ce mets est devenu un des plus friands ragoûts ? Cependant l'action du café & des huîtres sur mes organes n'a point changé, la disposition méchanique de ces organes est aussi toujours à-peu-près la même. Tout le changement est donc du côté de l'ame, qui ne se forme plus les mêmes idées à l'occasion des mêmes impressions. Il n'y a donc pas d'idée attachée essentiellement à telles ou telles impressions, au moins il n'y en a point que l'ame ne puisse changer ; de - là viennent ces goûts de mode, ces mets chéris dans un pays, détestés dans d'autres ; de-là vient enfin qu'on s'accoutume au désagréable, qu'on le métamorphose quelquefois en un objet de plaisir, & qu'il tombe ensuite en un objet de dégoût. (D.J.)


SAVIGNANO(Géog. mod.) petite ville d'Italie dans la Romagne, au bord de la Plussa, sur l'ancienne voie émilienne, entre Caesena & Rimini, à-peu-près à égale distance de chacune de ces villes. Long. 29. 43. latit. 44. 10. (D.J.)


SAVILLANou SAVILLANS, (Géogr. mod.) ville d'Italie dans le Piémont, capitale de la province de même nom, sur la riviere de Maira, entre Saluces & Fossano, à 5 milles de chacune de ces places, & à pareille distance de Coni ; c'est une petite ville, mais jolie & fortifiée. Long. 24. 20. latit. 44. 30. (D.J.)


SAVILLANO(Géog. mod.) province d'Italie dans le Piémont ; elle est bornée au nord par la Carmagnole, au midi par la province de Coni, à l'orient par celle de Chérasco, & au couchant par le marquisat de Saluces. Elle est traversée par plusieurs rivieres, entr'autres par le Pô même. Savillan est la capitale de cette province. (D.J.)


SAVIOLE (Géog. mod.) riviere d'Italie. Elle prend sa source dans le Florentin, entre ensuite dans la Romagne, & vient se perdre dans le golfe de Venise, environ à quatre milles au couchant septentrional de Cervia. (D.J.)


SAVO(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Campanie, auprès de Sinuessa. Il faisoit la borne du nouveau Latium. Pline, liv. III. ch. v. a parlé de ce fleuve, & Stace lui donne l'épithete de lent :

Et Literna palus pigerque Savo.

La table de Peutinger le marque entre Sinuessa & Vulturnum, dans cet ordre :

Sinuessa VII. Safo, Fl. XII. Vulturno.

Le nom moderne de ce fleuve est Saona. (D.J.)


SAVOCA(Géog. mod.) petite ville de Sicile, dans le val Démona, sur la côte orientale de l'île, à l'embouchure d'une petite riviere de même nom, au nord de San Alexio. Long. 33. 10. lat. 38.


SAVOIELA, ou SAVOYE, (Géog. mod.) duché souverain d'Europe, entre la France & l'Italie. Il est borné au nord par le lac de Genève, qui le sépare de la Suisse ; au midi par le Dauphiné ; au levant par le Piémont & le Vallais ; au couchant par le Bugey & la Bresse. Il a environ 30 lieues du midi au nord, & 25 de l'orient à l'occident ; mais toute cette étendue n'offre aux yeux qu'un pays stérile & pauvre, dont ses souverains ne retirent guere plus de deux millions, cependant l'histoire de ce pays nous intéresse.

Le mot Savoie vient du latin Sapaudia, qu'on ne trouve point en usage avant le iv. siecle. Ammien Marcellin est le premier qui ait fait mention du pays de Sapaudia. On appelloit ainsi la partie septentrionale du territoire des Allobroges. La Sapaudia s'étendoit au-delà du lac de Genève, & comprenoit le pays de Vaud, dont la plus grande partie appartenoit à la Belgique & à la province nommée maxima Sequanorum.

La Savoie fut anciennement habitée d'une partie des Allobroges, des Centrons, des Nantuates, des Garocelles, des Véragres & des Salasses : les Allobroges occupoient le pays qui est entre le Rhône, au sortir du lac Léman, les Nantuates, les Centrons & l'Isère ; c'est cette île dont parle Tite-Live, où Annibal s'arrêta avant que de passer les Alpes ; elle renfermoit une partie du Dauphiné, le duché de Savoie, le Faussigny & le Génevois ; les Centrons demeuroient dans les vallées des Alpes grecques, qui forment à-présent la Tarentaise ; les Garocelles habitoient aux environs du mont - Cenis ; les Véragres étoient entre les Nantuates & les Salasses, dans cette partie du Vallais où est Martigny ; & les Salasses occupoient les vallées des Alpes qu'on nomme aujourd'hui la val d'Aoste.

Tous ces peuples furent vaincus par Auguste, à la reserve des Salasses, que Terentius Varro subjugua. Ils furent compris dans la Gaule narbonnoise, & partagés de façon que les Allobroges furent placés dans la troisieme Narbonnoise, & les Véragres & les Salasses dans la cinquieme, qu'on nommoit autrement la province des Alpes grecques.

Leur pays étant devenu la proie des barbares après la dissipation de l'empire, fut occupé tantôt par les uns & tantôt par les autres ; les Bourguignons en demeurerent les maîtres, & l'incorporerent au royaume qu'ils formerent d'une partie de la Gaule celtique & de la Gaule narbonnoise. Boson, comte d'Ardenne, qui avoit épousé Ermengarde, fille de Louis II. empereur d'Italie, se fit élire roi de Provence par les états assemblés à Mentale, au mois d'Octobre de l'année 879. Louis son fils fut aussi roi d'Italie, & on l'a surnommé l'aveugle, parce que Berenger lui fit crever les yeux, comme il alloit prendre possession de ce royaume. Il laissa d'Adélaïs, Charles Constantin, prince de Vienne, qui eut de Theberge, Amé, pere de Humbert aux blanches mains, chef de la maison de Savoie, dont l'origine a été recherchée par plusieurs écrivains avec peu de succès, & avec beaucoup de prévention pour leurs sentimens.

Sans entrer dans cette discussion généalogique, je dirai seulement que l'empereur Conrard le salique, donna la propriété d'une partie de la Savoie, avec le titre de comte, à Humbert aux blanches mains. Ses descendans s'aggrandirent peu-à-peu par leur mérite, par leur habileté & par leurs alliances. Le comte de Romont reçut de l'empereur Richard son neveu, le titre de Vicaire de l'empire, avec l'investiture des duchés de Chablais & d'Aoste. En 1218 il acquit toute la seigneurie de Vaud, & la ville de Berne se mit sous sa protection l'an 1266.

Amé de Savoie qu'on surnomma le grand à cause de sa valeur, fut créé en 1310, lui & ses successeurs, princes de l'empire par Henri VII. il fut arbitre des différens des rois de France & d'Angleterre, & mourut en 1323.

Amé VI. si connu sous le nom de comte verd, acquit la baronie de Vaud, & une partie du Bugey & du Valromey. L'empereur Charles IV. lui céda tous les droits de l'empire sur le marquisat de Saluces. La ville de Coni se donna à lui l'an 1382, & Clément VII. lui fit présent du château de Dian. Il institua l'ordre du collier, qui a depuis été nommé l'ordre de l'Annonciade, & il établit par son testament de l'an 1383 le droit de primogéniture dans sa maison.

Amé VII. son fils, fut un des plus sages & des plus vaillans princes de son siecle. Les habitans des comtés de Nice, de Vintimiglia, de Barcelonnete, & des vallées voisines, se soumirent à lui. Il se tua d'une chûte de cheval en 1391 en poursuivant un sanglier aux environs de Ripaille.

Amé VIII. obtint du comte de Genève, moyennant quarante-cinq mille francs d'or, tous les droits que les comtes de Genève avoient dans le Dauphiné, le Viennois & le Graisivaudan. L'empereur Sigismond érigea pour lui en 1416 le comté de Savoie en duché. Dans la suite ayant renoncé à ses états sans qu'on en ait pû découvrir la raison, il se retira à Ripaille, fut élu pape par le concile de Bâle, prit le nom de Félix V. consentit ensuite à sa déposition, & mourut à Genève en 1451.

Louis de Savoie son fils déclara le domaine de Savoie inaliénable, & fut reconnu par les Fribourgeois pour leur souverain.

Amé IX. eut une longue maladie qui le rendit incapable du gouvernement. Le regne de son successeur Philibert I. fut déchiré par des guerres civiles qui faillirent à ruiner la Savoie. Il mourut en 1482, âgé seulement de 17 ans. Charles I. son frere, qui lui succéda, finit sa carriere en 1489, dans la 21 année de son âge, après avoir remporté de grands avantages sur ses ennemis. Charles II. son fils mourut en 1496.

Charles III. eut un regne long, pénible & malheureux, outre que son duché devint le théâtre de la guerre entre François I. & Charles-quint. Les Bernois s'emparerent en 1536 du pays de Vaud, du pays de Gex, du Génevois & du Chablais ; mais Emmanuel Philibert, fils de Charles III. ayant remporté sur le connétable de Montmorency la célebre victoire de S. Quentin, fut rétabli dans ses états par le traité de Cateau-Cambrésis, & il épousa Marguerite de France, soeur du roi Henri II.

Charles-Emmanuel né de ce mariage, lui succéda l'an 1580. Ce fut un des plus grands princes de son tems, habile dans le cabinet, savant dans le métier de la guerre, & profond en politique. Il mourut à Savillan en 1630.

Victor-Amédée hérita des vertus de son pere, & suivit les mêmes vues pour ses intérêts. Il entra dans la ligue du cardinal de Richelieu, & mourut à Verceil en 1637 dans la 7. année de son regne.

Charles-Emmanuel II. du nom, se maintint dans une grande harmonie avec la France, & mourut l'an 1675, laissant pour successeur Victor-Amédée II. né en 1666. Ce prince épousa en 1684, Anne, fille de Philippe de France, duc d'Orléans, dont il a eu un fils Charles-Emmanuel III. aujourd'hui roi de Sardaigne, né en 1701 ; il tient le sceptre avec gloire.

Ce souverain, outre la Sardaigne & la Savoie, possede encore le Piémont, le Mont-Ferrat, la partie occidentale du Milanois, & d'autres états. La Sardaigne ne lui vaut pas grand chose ; mais le Piémont lui rapporte seul plus de quinze millions. Charles-Emmanuel disoit à ce sujet qu'il tiroit de la Savoie ce qu'il pouvoit, & du Piémont ce qu'il vouloit.

Le roi de Sardaigne, c'est aujourd'hui son nom, gouverne ses états avec une autorité absolue, & entretient en tems de paix vingt mille hommes sur pié, outre dix mille hommes de milice, dont cinq mille sont habillés, & ont un sou par jour, & cinq mille autres qui sont désignés & à qui il ne donne rien.

La justice est administrée dans trois sénats, auxquels on appelle des tribunaux inférieurs. Le premier pour la Savoie est établi à Chamberi, capitale ; le second pour le Piémont, & le troisieme pour le comté de Nice & ses dépendances. Turin a encore un conseil qui connoît en dernier ressort des affaires des pays de-là les monts.

La religion catholique étoit autrefois la seule dont l'exercice fût permis dans les états de Savoie ; mais le roi de Sardaigne qui regne aujourd'hui connoît mieux ses avantages & ses intérêts. Le pays de Savoie est rempli de montagnes presque toujours couvertes de neige & de gibier. On recueille dans quelques endroits de ce duché du blé & du vin. Il est arrosé par l'Isere, l'Arve & l'Arche.

On divise tout ce pays en six petites provinces, qui sont la Savoie, le Génevois, le Chablais, le Faussigny, la Tarentaise, & la Maurienne.

La Savoie particuliere est entre le Génevois, la Tarentaise, la Maurienne, le Dauphiné & le Bugey : elle est partagée en neuf mandemens, qui sont ceux de Chamberi, Montmélian, Rumilly, Aiguebelle, Conflans, Aix, Beauges, Pont-Beauvoisin & les Echelles. (D.J.)


SAVOIR VIVRELE, (Morale) le savoir vivre, dans notre nation, consiste à saisir les usages reçus, à avoir pour les autres toutes les manieres convenables établies par la mode, être honnête & poli dans la societé ; enfin faire avec aisance, avec grace mille petits riens qui n'ont point de nom. Selon la pure morale & les idées de la droite raison, le savoir vivre ne consiste que dans les grandes & bonnes choses ; car ce mot signifie remplir les devoirs de son état, en écarter toutes les futilités, & mener dignement la vie pour laquelle on est né. (D.J.)


SAVOLAX(Géog. mod.) province méditerranée de Suéde, dans la Finlande. Elle est bornée au nord par la Bothnie orientale, à l'orient par la Carélie de Kexholm, au midi par la Carélie finoise, & à l'occident par la Tavastie. C'est un pays inhabité & qui n'est rempli que de lacs & de forêts. (D.J.)


SAVONS. m. (Chymie) On sait que le savon dans ce pays-ci n'est autre chose que de l'huile d'olives unie par la cuisson au sel de la soude ; & dans les pays froids où le sel de la soude & l'huile d'olives sont fort chers, l'on substitue à la place de l'un le sel lixiviel du bois de chêne, & à la place de l'autre le suif des animaux, qui produisent un savon aussi blanc, aussi dur & aussi bon pour le blanchissage que celui qui est fait avec l'huile d'olives. Dans la composition de notre savon, il paroît qu'une livre de savon peut contenir dix onces un gros cinquante-six grains d'huile, quatre onces trois gros quarante grains de sel alkali, & une once deux gros quarante - huit grains d'eau.

Le savon est donc composé d'huile & de sel alkali, unis de façon que ces deux substances peuvent se dissoudre en même tems dans l'eau, & former un mêlange homogéne, où il ne paroît aucune marque de l'une ni de l'autre. Or le savon a cette propriété, c'est que mêlé intimement avec des huiles, des corps huileux, des résines, des matieres résineuses, des gommes, des substances gommeuses, des gommes-résines, & d'autres corps ténaces, dans la composition desquels ces diverses substances entrent, il fait qu'ils se mêlent & se délayent dans l'eau, & qu'ainsi ils peuvent être détachés des autres corps auxquels ils sont adhérens. Par conséquent l'eau ne dissout pas seulement les véritables savons, mais mêlée avec eux, elle acquiert le pouvoir de dissoudre certains corps, qu'elle n'auroit pas pu dissoudre autrement. Le savon augmente donc considérablement la force dissolvante de l'eau.

Il y a une autre méthode moins connue & plus pénible, pour faire que les huiles se mêlent avec l'eau. Aussi les artistes la regardent-ils comme un secret : elle consiste à faire digérer dans l'alcohol assez long-tems, & suivant les regles de l'art, quelqu'une de ces huiles qu'on appelle essentielles, & à mêler ensuite intimement le tout par plusieurs distillations réitérées. Par-là la principale partie de l'huile est si fort atténuée & si bien confondue avec l'alcohol, que ces deux liqueurs peuvent se mêler avec l'eau, & former un remede subtil, pénétrant & propre à remettre les esprits dans leur assiette naturelle. On ne sauroit que très-difficilement imiter sa vertu par d'autres moyens. (D.J.)

SAVON, Manufacture de savon. Pour fabriquer une charge d'huile, mesure de Salon, c'est-à-dire, environ trois cent douze, quinze ou même vingt livres, il faut prendre deux cent pesant de soude d'Alicante, la piler sous des marteaux de fer, & la réduire en poudre qui ne soit pas plus grosse qu'une noisette ; prendre la même quantité de chaux vive, non en poids mais en volume ; étendre cette chaux pilée par terre ; l'arroser peu-à-peu en jettant dessus de l'eau avec la main, jusqu'à ce qu'il ne s'enleve plus de poussiere ou de fumée, ou qu'elle soit éteinte. Prendre cette chaux ainsi mouillée, la mêler avec la barille ou soude d'Alicante ; mettre ces deux matieres bien mêlées ensemble dans une cuve qui ait un trou par-dessous ; verser sur le mêlange de l'eau ; cette eau s'échappera par le trou de dessous, & on la recevra dans un bacquet. Cette eau qui sortira de la cuve fera trois lessives différentes, qu'on appelle forte, médiocre & foible.

Quand l'eau commencera à couler dans le baquet, on y mettra un oeuf ; tant que l'oeuf flotte sur la lessive par côté & qu'il est bien au-dessus de l'eau, la lessive s'appelle forte. Quand l'oeuf tombe sur la pointe, la lessive est médiocre, & l'on doit la recevoir dans un second baquet ; & lorsque l'oeuf commence à enfoncer & à se tenir entre deux eaux, on change encore le baquet, pour recevoir la lessive foible. Lorsque l'oeuf enfonce entierement, on retire le baquet ; & ni l'eau ni la terre qui restent dans la cuve ne valent plus rien. Cependant on peut la garder pour en arroser un mêlange de soude & de chaux une autre fois, car elle doit valoir mieux que l'eau pure.

On tient les trois lessives séparées ; on doit verser de l'eau dans la cuve jusqu'à ce que les trois lessives soient faites.

Après, on commence par jetter dans une grande chaudiere, proportionnée à la quantité de savon qu'on veut faire, un ou deux seaux de lessive foible ; puis on ajoute la quantité d'huile qu'on a préparée pour la cuite (quand l'huile est bonne, c'est-à-dire, qu'elle est commune & marchande.) Mais quand on a acheté dans les villages, les fonds des vaisseaux, des jarres & ce qui est crasseux ; pour lors on met toute cette huile dans un lieu chaud, où la bonne s'éleve à la surface, & on la sépare. Quand on veut faire du savon commun, on n'y fait pas tant de façon. On allume ensuite le feu sous la chaudiere, & on attend que le mêlange bouille. Quand il commence à former des bouillons ou ondes, on verse dessus de la même lessive à-peu-près la même quantité que la premiere fois, & on continue d'ajouter de la lessive jusqu'à ce qu'on s'apperçoive que les matieres se coagulent. Quand les matieres se coagulent, on commence à user de la lessive médiocre, & on en continue l'addition jusqu'à ce que les matieres soient bien prises ensemble & forment un mêlange bien consistant. Alors, on change encore de lessive, & on verse de la premiere lessive, dite forte, seau à seau, comme les précédentes.

Quand on a versé de cette lessive à deux ou trois reprises, si l'on veut que la lessive vienne au-dessus, ou monte avec la pâte, il faut alors retirer le feu de dessous la chaudiere ; mais jusqu'à ce moment on a dû l'entretenir très-violent.

Après cette opération, il faut laisser réfroidir les matieres. Quand elles sont froides, on tire la pâte qui est au-dessus, & on la met dans une autre chaudiere, si on en a une ; sinon, on la recueille dans une cuve, & on jette la lessive qui se trouve au fond de la premiere chaudiere, & l'on remet la pâte dans cette chaudiere ; on jette dessus un ou deux seaux de lessive forte ; on allume un feu très-violent & on verse à plusieurs reprises de la même lessive, jusqu'à ce que la pâte soit bien durcie. Alors on prend une perche au bout de laquelle il y a un morceau de bois fort applati comme une planche & fortement attaché. Un ouvrier prend cet instrument, l'enfonce par le bout applati dans la pâte, tandis qu'un autre prend un seau de la lessive médiocre qu'il fait couler petit-à petit le long de la perche enfoncée profondément dans la pâte ; & quand le seau est vuide, on retire la perche, & on la renfonce tout-autour de la chaudiere trois ou quatre fois, & toujours en versant de la lessive médiocre le long de la perche comme la premiere fois.

Après cette opération, on laisse bouillir la chaudiere environ deux heures, & la matiere devient à-peu-près comme du miel ; alors on retire le feu de dessous la chaudiere, & on laisse réfroidir le savon un jour. On le retire ensuite, & on le transporte dans des especes de caisses ou grands bassins de bois, longs d'environ neuf à dix piés sur cinq à six de large, dont les côtés sont formés d'ais de treize à quatorze pouces de hauteur. Ceux dans lesquels on met le savon blanc sont moins profonds, n'ayant guere que six pouces de creux ; on a soin de frotter le fond & les côtés de ceux-ci avec de la chaux éteinte bien tamisée : mais cela ne se pratique pas pour le savon marbré.

Le fond de chaque bassin de bois est disposé en pente insensible du derriere au devant, afin de faciliter l'écoulement de l'eau qui en réfroidissant se sépare du savon, & s'échappe hors des bassins par de petits trous faits exprès ; cette eau est conduite par une rigole dans un cîterneau, d'où on la retire pour l'employer dans la préparation des nouvelles lessives, préférablement à l'eau commune, étant déja impregnée des principes propres à former le savon.

Lorsque la matiere contenue dans les bassins est bien réfroidie, & qu'elle a acquis une consistance un peu ferme, on la coupe par gros blocs ou parallélepipedes égaux & un peu longs. Cela se fait au moyen d'un grand couteau dont le manche est traversé d'un bâton servant de poignée à deux hommes pour tirer le couteau vers eux, tandis qu'un troisieme l'enfonce par la pointe, & le conduit le long des divisions qui ont été marquées auparavant. Lorsqu'on veut partager un de ces blocs en plus petits morceaux, on le marque sur les côtés avec une machine garnie de dents de fer en forme de peigne, chaque dent formant une division. Les marques étant faites, on met le bloc dans une boîte de bois, dont les côtés sont divisés par des fentes horisontales dans lesquelles on passe un fil-de-fer qu'un homme tire à lui par les deux bouts, ce qu'il continue de faire à chaque division, pour avoir des tranches d'égale épaisseur, lesquelles étant retournées & posées verticalement dans la boîte, sont encore coupées dans un autre sens par le fil de fer ; ce qui forme des briques de savon telles qu'on en voit chez les Epiciers.

Pour perfectionner une cuve de savon & mettre la marchandise en état d'être livrée aux acheteurs, il faut environ un mois d'été ; mais en hiver il ne faut que quinze ou dix - huit jours, parce que la matiere se réfroidit & se condense beaucoup plus tôt. On compte que trois des bassins décrits ci-dessus, doivent contenir environ pour la somme de cinq mille livres de marchandise.

L'endroit destiné à la fabrication du savon doit être plus ou moins grand, suivant le nombre des chaudieres, mais les mêmes outils & les mêmes appartemens y sont toujours nécessaires.

Les chaudieres sont au rez de-chaussée, bâties en rond avec de la brique & du ciment ; le fond est de cuivre, fait de la forme d'un plat à soupe rond ; il doit être bâti avec la chaudiere, qu'on appelle cloche ; on en fait de toute espece pour la grandeur ; les plus ordinaires ont 12 piés de diametre, & viennent en rétrécissant jusqu'au fond ; la hauteur est de 8 à 9 piés. On en a fait en bois cerclées avec 4 ou 5 gros cercles de fer ; mais on les a abandonnées par le peu d'usage qu'elles faisoient.

Il y a une cave voutée qui répond au-dessous des chaudieres, où il y a un grand fourneau à chacune avec un grillage de barreaux de fer pour donner du jour au feu ; ces fourneaux ont leurs tuyaux pour le passage de la fumée.

Le bas des chaudieres est percé à un pié du fond avec une ouverture ronde d'un pié en circonférence ; cette ouverture est garnie d'un fer tout-autour, pour la fermer ; il y a une barre de fer longue de 8 piés, assez grosse par le bout, pour qu'étant garnie d'étoupes, elle bouche solidement l'ouverture ; son usage en la poussant en-dedans, est de donner assez d'ouverture pour le passage de la lessive, lorsqu'elle a perdu totalement sa force, & en tirant à soi, elle bouche l'ouverture ; on appelle cette barre de fer matras.

Il y a au fond de la cave un réservoir pour recevoir les lessives qui sortent du matras ; la pâte du savon qui peut se mêler avec la lessive en sortant, vient surnager dans le réservoir ; étant refroidie, après qu'on l'a ôtée, on ouvre le réservoir, & la lessive se précipite dans un aqueduc qui en est le dégorgement.

Autour des murailles du rez-de-chaussée, il y a des petits réservoirs appellés barquieux, de trois piés & demi à quatre piés de large, cinq de profondeur, & de la même hauteur ; c'est où l'on met les matieres préparées & concassées pour faire la lessive qui sert à cuire le savon ; ces barquieux sont contournés par des petits canaux où l'eau passe & entre dessus par des petites communications qu'on ouvre & qu'on ferme au besoin ; l'eau filtre sur cette matiere, & après en avoir pris la substance, elle sort par le fond & entre dans deux réservoirs pratiqués au-devant & audessous dans les souterrains ; la premiere liqueur est la plus forte, & on la sépare des autres.

A l'endroit le plus près des chaudieres, à rez-de-chaussée, il y a un ou deux appartemens en forme de galerie, qu'on appelle mises ; on forme dans ces galeries des enceintes avec des planches de neuf à dix piés en longueur, & d'un pié & demi d'hauteur ; la planche du devant est mobile, & se met par le moyen de deux piliers en bois faits à coulisses ; le sol est en pente douce, pour faciliter l'égout de la trop grande quantité de lessive qui est mêlée avec la pâte de savon lorsqu'il sort de la chaudiere ; cette lessive a ses conduits & son réservoir.

Il faut quantité de jarres pour mettre l'huile. A Marseille on a des réservoirs en terre bâtis au ciment très-solides ; on les appelle piles ; il y en a de toutes grandeurs, jusqu'à deux & trois mille quintaux.

Il faut encore plusieurs autres appartemens pour mettre la chaux, le bois, & de grands magasins pour les matieres.

Il y a aussi des endroits pour concasser les matieres ; on les appelle piquadoux.

Au plus haut de la maison, on a un ou deux grands appartemens ouverts à plusieurs vents, appellés cysugants ; c'est-là où le savon acheve de se sécher, où l'on le coupe, où l'on le met dans des ronds en forme de tours, & où on l'emballe.

La composition du savon se fait, comme nous avons dit, avec l'huile d'olive ; toute graisse ou autre matiere rend la qualité imparfaite & très-mauvaise ; toute huile d'olive est bonne ; les meilleures sont celles du royaume de Candie & du Levant ; elles ont plus de consistance, & on en tire une plus grande quantité de savon.

Pour rendre l'huile capable de s'épaissir, ce qu'on appelle empâter, on se sert de la lessive qu'on tire des cendres du levant, de la barille, bourde & solicots, qui viennent d'Espagne ; on mêle ces matieres quand elles sont concassées avec un tiers de la chaux, & après avoir été bien mêlées, on en remplit les barquieux, d'où distille la lessive.

La cuite du savon est faite ordinairement dans six ou sept jours ; il doit sentir la violette quand il est bien cuit, & pour être de parfaite qualité, il faut qu'il ne pique pas trop lorsqu'on lui appuie le bout de la langue dessus.

Pour faire le savon marbré, dans l'art appellé madré, on se sert encore de la couperose, qui donne le bleu, & de la terre de cinnabre qui donne le rouge, ce qu'on appelle le manteau.

La fabrication du savon blanc se fait avec la lessive de la cendre du levant ; quelquefois avec la barille, & on ne change pas la lessive comme au savon marbré ; on le met tout de même dans des mises, & on lui donne plusieurs épaisseurs différentes.

Les outils & ustensiles pour la fabrication n'ont rien de décidé, pourvu qu'on fabrique, n'importe avec quels outils : l'usage, l'expérience & la commodité en ont pourtant adopté quelques-uns, mais tout aboutit à des grands couteaux, des truelles pour racler la croute du savon, des sceaux attachés à des perches, des cornues, des cabas, &c.

SAVON, consideré comme médicament, est d'un grand usage en chirurgie & médecine. La premiere l'emploie pour résoudre les tumeurs scrophuleuses & goutteuses, & dans l'emplâtre de savon, qui est fondante, résolutive, & en même tems adoucissante & amollissante.

Le savon est employé par les médecins pour l'usage intérieur de différentes manieres, & en différentes occasions. On a reconnu son utilité dans les obstructions du foie, de la rate, de la matrice & du poumon. Mais comme ce remede est fort actif, on doit le donner avec prudence & discrétion, & l'adoucir avec des émulsions, & autres boissons que l'on prescrira pendant son usage.

La façon d'agir du savon sur nos humeurs dépend de sa nature & de sa composition. Les huiles qui le composent se trouvant divisées par un alkali en font un médicament détersif, apéritif & mondificatif ; il peut dissoudre les gommes, les mucilages, les resines, les soufres, les huiles, les graisses grossieres : il les rend tous solubles dans l'eau à l'aide de la chaleur, du mouvement & de la transpiration. Ainsi, le savon & la lessive sont excellens pour ouvrir, délayer, résoudre & atténuer, rendre les humeurs fluides, lever les obstructions, & rendre aux parties le mouvement qu'elles avoient perdu.

Le savon produit des effets surprenans sur les concrétions formées par une huile & une terre grossiere ; il empêche les acides de coaguler le chyle & le lait ; & supposé qu'ils le soient, il les résout.

Le savon fait ce que l'huile seule & l'alkali séparé de l'huile n'auroient pu opérer.

On peut, pour remplir différentes indications, suivre d'autres procédés dans la fabrique du savon. Ainsi on fait un savon avec l'huile de térébenthine, dont l'usage est très-étendu ; on y joint de l'opium, des racines d'héllebore & réglisse pour faire le savon de Starkei.

Le savon de baume de soufre est aussi excellent pour les maladies de la poitrine & du poumon, pour corriger l'epaississement de la limphe bronchiale.

Le savon ordinaire se donne en bols, en pilules, en opiates, à la dose de quinze grains pour des maladies chroniques & invétérées. Mais d'ordinaire la dose ne doit pas passer huit grains, lorsqu'on le donne long-tems de suite.

Le savon liquide fait avec les huiles distillées, de même que celui de baume de soufre & de Starkei, ne doivent se donner qu'à la dose de quelques grains ou gouttes, leur usage est fort douteux s'il n'est bien raisonné & indiqué.

SAVON, tables de (Savonnerie) les tables de savon sont de grands morceaux de savon blanc d'environ 3 pouces d'épaisseur sur un pié & demi en quarré, du poids de 20 à 25 livres. (D.J.)

SAVON, terme de Cartier ; c'est une bille de savon blanc appliquée sur une planche. Ce savon sert pour en frotter les feuilles de cartes qu'on veut lisser, afin que la pierre à lisser glisse plus aisément sur les cartes & ne les déchire point.


SAVONIERES(Géog. mod.) lieu autrefois célebre, à cinq ou six milles de Toul, où l'on croit que les rois de la seconde race avoient un palais. Ce qu'il y a de plus sûr, c'est qu'il s'est tenu à Savonieres, en 859, un concile, auquel assisterent trois rois avec les évêques de douze provinces des Gaules & de Germanie.

Ce lieu est différent du bourg de Savonieres, qui est du même diocese de Toul, dans le duché de Bar, & dont l'église dite sainte Calixte, est à la présentation de l'abbé de S. Michel.

Il y a encore un bourg de même nom dans la Touraine, à deux lieues de Tours, auprès duquel on voit des cavernes fameuses par leurs congelations, & qui sont semblables en ce point aux grottes d'Arcy en Bourgogne. (D.J.)


SAVONNAGES. m. (Gram.) blanchissage à l'eau & au savon. Il faut mettre ce linge au savonnage.


SAVONNE(Géog. mod.) ville d'Italie dans l'état de Gènes, sur le rivage de la mer, à 16 milles au sud-ouest de Gènes, & à 10 au nord-est de Noli. Cette ville, après la capitale, est la plus considérable de l'état de Gènes. Elle est bien bâtie, & a un grand nombre d'églises, qui sont la plûpart belles & propres. Plusieurs ordres religieux y ont aussi des couvens. Ses rues sont assez larges, la plûpart droites & bordées de maisons de bon goût en-dedans & en-dehors. L'évêché est suffragant de Milan. Son port étoit autrefois bon, & y attiroit le commerce ; mais la république l'a laissé détruire entierement, pour que Gènes jouît seule du négoce, & que le roi de Sardaigne, qui a de grandes prétentions sur Savonne, ne songeât plus à s'emparer d'une place qui ne lui seroit d'aucune utilité. Il ne reste à Savonne que quelques manufactures de soie qui la font subsister ; tous les environs de cette ville y sont extrêmement fertiles ; les fruits de toute espece, en particulier les limons & bergamottes, y viennent en perfection & en quantité. Long. 26. 4. lat. 44. 18.

C'est la patrie du pape Jules II. de la maison de Rovere. Il entra pape au conclave en 1503, car avant que d'y entrer, son élection étoit conclue entre les cardinaux ; & l'on peut dire qu'ils n'avoient pas encore choisi une plus ferme colonne du saint siége. Il ne travailla qu'à faire de l'Italie un corps puissant, dont le souverain pontife seroit le chef.

Après avoir rempli son premier projet d'aggrandir Rome sur les ruines de Venise par la fameuse ligue de Cambray, il eut l'art d'exécuter le second, qui étoit de chasser les François, & autres barbares de l'Italie, se proposant de détruire tous les étrangers les uns par les autres, & d'exterminer le reste, alors languissant, de la domination allemande. Il fit lui-même la guerre, il alla à la tranchée, il affronta la mort. Il tourna contre la France cette fameuse ligue qu'il avoit d'abord tramée contre Venise, & c'est à Louis XII. qu'elle devint funeste.

On commença par se battre vers Bologne & vers le Ferrarois. Jules II. assiégea la Mirandole. On vit ce pontife, âgé de 70 ans, aller, le casque en tête, à la tranchée visiter les travaux, presser les ouvrages, & entrer en vainqueur par la breche. Tandis que le pape, cassé de vieillesse, étoit sous les armes, le roi de France, encore dans la vigueur de l'âge, assembloit un concile. Il remuoit la chrétienté ecclésiastique, & le pape la chrétienté guerriere. Le concile fut indiqué à Pise, où quelques cardinaux ennemis du pape, se rendirent. Mais le concile du roi ne fut qu'une entreprise vaine, & la guerre du pape fut heureuse.

Nos historiens blâment son ambition & son opiniâtreté ; mais il falloit aussi rendre justice à son courage & à ses grandes vues. Il donna au pontificat une force temporelle qu'il n'avoit point eu jusqu'alors. Enfin il consomma sa vie en 1513, à 70 ans, après avoir joint Parme & Plaisance au domaine de Rome, du consentement de l'empereur même. Léon X. lui succéda. Essai sur l'histoire générale, tome II. in -8°.

Chiabrera (Gabriel) poëte italien du xvj. siecle, naquit à Savonne, en 1552, & mourut en 1638, âgé de 86 ans. Il a fait plusieurs poëmes héroïques, un grand nombre de lyriques, des tragédies, des opéra, des pastorales, en un mot des poésies de tout genre. On dit que Chiabrera étoit un des plus beaux esprits & des plus laids visages d'Italie ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il a été un des plus féconds poëtes de son siecle. (D.J.)


SAVONNERv. act. (Gram.) blanchir avec le savon & l'eau. Il faut savonner ce linge.

SAVONNER, en terme d'épinglier - aiguilletier, est l'action de blanchir les aiguilles, & d'ôter dans plusieurs eaux de savon bouillantes l'espece de camboui qui s'y est attaché dans le polissage. On les vanne pour cet effet dans une bassine, en changeant d'eau jusqu'à quatre fois. Voyez BASSINE.

SAVONNER, en terme de plumassier, c'est dégraisser les plumes en les mettant dans de l'eau après les avoir frottées avec du savon, à-peu-près comme on fait au linge.


SAVONNERIES. f. (Archit.) grand bâtiment en forme de galerie où l'on fait le savon. Il contient des réservoirs à huile & soude, cave, & fourneaux au rez-de-chaussée ; aux étages de dessus, sont les mises pour le figer, & les séchoirs pour le sécher. Une des plus belles savonneries de France, est celle de la Napoule, qui est un port de mer près de Cannes en Provence. La savonnerie de Calais, pour les savons verds & liquides, est aussi une des plus considérables & des mieux construites qui soient dans le royaume.

SAVONNERIE, LA, (Hist. des manufact. de France) c'est ainsi qu'on appelle la manufacture royale d'ouvrages à la Turque & façon de Perse, qui est je crois, la seule qu'il y ait en Europe pour ces sortes d'ouvrages. Elle fut établie en 1604, en faveur de Pierre du Pont, tapissier ordinaire de Louis XIII. & de Simon Lourdet, son éleve. Henri IV. les avoit logés au Louvre ; mais Louis XIII. leur donna la maison de la savonnerie. Le tapis de pié qui devoit couvrir tout le parquet de la grande galerie du Louvre, & qui consiste en quatrevingt - douze pieces, est un des plus grands & un des premiers ouvrages de la savonnerie.

La chaîne du cannevas des ouvrages de cette fabrique, est posée perpendiculairement comme aux ouvrages de haute-lisse ; mais au lieu qu'à ces derniers l'ouvrier travaille derriere le beau côté, à la savonnerie au contraire, le beau côté est en face de l'ouvrier, comme dans les ouvrages de basse-lisse. (D.J.)


SAVONNETTES. f. (Comm. de Parfumeur) boule de savon très-épuré & parfumé de différentes odeurs, qui sert principalement à faire la barbe. Les savonnettes sont de différens prix suivant leurs grosseurs, leurs qualités & leurs parfums.

Elles se font ordinairement avec du savon de Marseille ou de Toulon, de la meilleure sorte, & de la poudre à cheveux très-fine ; la proportion de ces matieres est de trois livres de poudre, sur cinq livres de savon. Le savon se hache en morceaux bien menus, & après qu'on l'a fait fondre seul dans un chauderon sur le feu, en y ajoutant un demi-septier d'eau pour empêcher qu'il ne brûle ; on y met d'abord les deux tiers de la poudre, prenant soin de bien mêler le tout, & de le remuer souvent pour qu'il ne s'attache point au chauderon.

Après que ce mêlange est achevé, & que la matiere a été réduite en consistance de pâte, on la renverse sur une planche, où après y avoir mis l'autre tiers de la poudre, on la pêtrit long-tems & exactement de la maniere que les Boulangers ont coutume de pêtrir leur pâte. En cet état, on la tourne dans les mains, & l'on donne une forme ronde aux savonnettes, en les applatissant néanmoins un peu d'un côté pour y mettre la marque du marchand, qui s'imprime ordinairement avec une espece de poinçon de buis gravé en creux.

Il faut observer que pour bien tourner les savonnettes, il faut avoir près de soi de la poudre à cheveux la plus fine, pour y tremper de tems en tems les mains, crainte que cette pâte qui est très-tenace, ne s'y attache.

Ceux qui y veulent mêler des parfums, répandent quelques gouttes d'essences sur la pâte quand on est près de lui donner sa derniere façon. (D.J.)


SAVONNEUSEpierre, (Hist. nat.) lapis saponaceus ; nom donné par quelques auteurs à la pierre de lard, parce qu'elle est douce au toucher comme du savon.

On appelle aussi terre savonneuse, une terre argilleuse très-fine, & douce au toucher comme la terre cimolée, ou comme celle que les Chinois appellent hoatché. Voyez ces articles.

On appelle encore terre savonneuse, une terre qui se trouve dans le voisinage de Smirne, & qui étant très-chargée de sel alkali naturel, sert à faire du savon. Voyez SMIRNE, terre de.


SAVONNIERS. m. (Hist. nat. Bot.) sapindus ; genre de plante à fleur en rose, composée le plus souvent de quatre pétales ; le pistil sort du calice qui est aussi composé de quatre feuilles, & il devient dans la suite un fruit sphérique, qui renferme un noyau de la même forme que le fruit, & dans lequel on trouve une amande sphérique aussi. Tournefort, I. R. H. App. Voyez PLANTE.

Les Botanistes le nomment sapindus, comme qui diroit sapo-Indus. On a déjà caractérisé, & trop-tôt, cet arbre étranger des îles Antilles, & de la terre-ferme d'Amérique, sous le nom d'arbre à savonnettes ; il vaut la peine qu'on le décrive ici.

Son fruit qui est de la grosseur d'une noix verte, étant écrasé & passé sur le linge, y produit le même effet que le savon ; il fait une mousse blanche & épaisse, qui décrasse à merveille ; mais en nettoyant le linge, il l'use beaucoup & le brûle ; il est vrai que c'est sur-tout à décrasser les hardes des negres qu'on l'employe.

Les feuilles du savonnier sont pour l'ordinaire longues de trois pouces, larges d'un pouce, vertes, brunes & luisantes ; elles sont placées deux à deux, dures & recourbées, de maniere à laisser un petit creux dans le milieu. Comme elles sont en grande quantité & pressées le long des branches, elles procurent un ombrage frais.

Les fleurs naissent par bouquets, longs de plus d'un pié, s'élevant en pointe comme une pyramide. On remarque d'abord de petits boutons blanchâtres, qui venant à éclorre, forment une fleur composée de quatre pétales, & soutenue par un calice fendu en quatre quartiers. A ces fleurs succedent des fruits ronds, de la grosseur des noix de gale, verds, revêtus de leur coque. La peau de l'enveloppe est assez lisse & forte ; elle est verte au commencement, jaunit ensuite, & brunit enfin quand le fruit est tout-à-fait mûr. Elle renferme une masse épaisse, mollasse, visqueuse, fort amere ; c'est une matiere qui décrasse les hardes & le linge, ce qui a valu le nom de savonnier à l'arbre qui la porte.

Le milieu de cette noix est occupé par un noyau presque rond, noir, rempli d'une substance blanche, ferme, & d'un goût approchant de celui des noisettes. On en tire de l'huile qui éclaire parfaitement bien.

Cet arbre est un des meilleurs qui croissent aux îles. Il est droit, rond, ayant près d'un pié de diamêtre ; & quinze piés de tige ; son écorce est grise, mince, seche, & très-peu adhérente ; l'aubier est rougeâtre, pesant, compacte & fort dur. Il faut de bonnes haches pour l'abattre ; car par sa dureté il rompt aisément le fil du taillant ; & pour peu qu'on donne un coup à faux, on met la hache en deux pieces. On s'en sert à faire des rouleaux de moulins & des moyeux de roues. Il est difficile de trouver un meilleur bois pour cet usage, & quand les mortaises sont bien faites, un moyeu peut user deux ou trois rechanges de raies & de jantes. (D.J.)


SAVONNOIRS. m. instrument de Cartier, c'est un outil composé de plusieurs feuilles de feutre, couchées les unes sur les autres, & cousues ensemble bien serré ; ces feutres sont coupés bien également en dessous, & ont en-dessus une manivelle ou courroie dans laquelle les ouvriers passent la main pour s'en servir. Voici comment on se sert du savonnoir. L'ouvrier passe le savonnoir par son plat sur la bille de savon, & le frotte dessus ; après quoi il frotte avec ce savonnoir la feuille de cartes qu'on veut lisser.


SAVOURERv. act. (Gramm.) c'est goûter avec grand plaisir dans les organes de cette sensation. Je savoure la douceur de ce mets. Il se dit au figuré ; cet homme est heureusement né, la peine l'affecte peu, il savoure le plaisir.


SAVOUREUXadj. (Gramm.) il se dit de tout corps qui a beaucoup de saveur.


SAVOYE(Géog. mod.) Voyez SAVOIE.


SAVRES. m. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Coutances, espece de bouteux ayant de même un manche ou perche que le pêcheur tient, & une traverse de bois sur laquelle le haut ou le devant du ret est amarré ; le manche qui a 6 à 7 piés de hauteur croise aux deux tiers de la traverse qui a la même longueur que le manche ; le ret est formé de fil aussi fin que le moyen fil à coudre ; le dessous du filet est arrêté sur les bouts de la traverse & sur une petite corde qui va joindre le bout du manche, dont l'extrêmité se releve en bec de corbin ; ensorte que dans la manoeuvre de la pêche, quand celui qui s'en sert avance, le filet tombe sur ses piés.

La partie du filet attachée à la traverse est formée de larges mailles d'un fil plus gros, ces mailles peuvent avoir environ 3 pouces en quarré, les petites mailles ont au plus 3 à 4 lignes, & sont du même échantillon des plus petites mailles à sardines.

Cette pêche se pratique avec succès aux embouchures des rivieres qui ont un fonds de sable ; le pêcheur s'y met à l'eau souvent jusqu'au col, il tient son savre bien plus droit que ceux qui poussent devant lui le bouteux qui émeut le sable de l'épaisseur de plus d'un pouce ; ainsi le manche du savre coule seulement sur la superficie du sable, en quoi il est aidé par le bout du manche en bec de corbin, qui l'empêche de piquer & de s'enfoncer.

Ceux qui pêchent vont aval de l'eau de marée montante, & ils se retirent avec le flux en marchant & foulant des piés le fond ; ils émouvent & font saillir le lançon hors des sables où il se tient pour fuir, & alors le poisson trouve le ret où il se maille & reste pris.

Cette pêche que font également les hommes, femmes & filles, commence à cette côte ordinairement vers la S. Jean, & finit avec le mois de Septembre, parce que les lançons quittent la côte à l'approche des premiers froids.

Le tems le plus avantageux pour faire cette pêche avec cette sorte d'instrument, est la nuit, quand il y a du poisson à la côte : en quelque nombre que soient les lançons, il s'en prend ordinairement très-peu durant le jour, parce que le soleil & l'éclat de la lumiere les font ensabler.

Ainsi par le détail que nous venons de faire, cette sorte de pêche ne peut causer aucun tort, elle est aussi toute différente de celle que pratiquent pour prendre le même poisson les pêcheurs de Cabours avec leurs havenets, & ceux d'Oystrehan & de Gray avec la seinette, & ceux de Barfleur avec leurs savres qui sont de véritables seines ; l'usage du savre des pêcheurs de Coutances est bien plus innocent, parce qu'avec ce filet le pêcheur ne peut prendre uniquement que des lançons, & qu'on n'émouve point l'eau & les fonds en les battant de perches, comme font les autres pêcheurs. Les lançons pris dans le savre y sont arrêtés de la même maniere que les sardines se maillent dans les rets dérivans.


SAVUS(Géog. anc.) Savus dans Strabon & Dion Cassius ; Sabus dans Justin ; Saüs dans Pline & Ptolémée, fleuve de la Pannonie qui tombe dans le Danube ; il est aujourd'hui connu sous le nom de Save.

Les anciens parlent aussi d'un autre Savus, fleuve de la Mauritanie césariense. Ptolémée, liv. IV. ch. ij. met son embouchure sur la côte septentrionale, entre Icosium & Rustionum ; le nom moderne selon Marmol, est Saffaya. (D.J.)


SAVUTOLE, (Géogr. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure ; elle prend sa source au sud-est de Cosenza, & se rend dans la mer au-dessus de Martorano ; c'est l'Ocinarus de Lycophron. (D.J.)


SAWA(Hist. anc.) divinité des anciens arabes idolâtres, qu'ils adoroient sous la figure d'une femme.


SAWBON(Géog. mod.) ville des Indes, dans le royaume de Brampour, à 7 lieues de la ville de Caddor. Les caravanes qui vont de Brampour, de Bengale, & de Cambaye à Agra, passent par cette ville.


SAWou SOWE, (Géog. mod.) riviere d'Angleterre, dans Staffordshire. Elle prend sa source près d'Eccles-hall, & après avoir arrosé Stafford, elle se jette dans le Trent, près de Ticke's-hall. (D.J.)


SAou SACHS, s. m. (Hist. anc.) c'est ainsi que quelques anciens peuples de Germanie nommoient un poignard ou un sabre fort court, dont ils se servoient à la guerre ; on croit que c'est du nom de cette arme que vient le nom des Saxons.


SAXATILEadj. (Gramm. Pêche) qui habite les rochers, les pierres & les cailloux ; on dit, un poisson saxatile.


SAXAVA(Géog. mod.) ville de Perse, dans une plaine sablonneuse, à deux ou trois journées de caravane de Sultanie. Paul Lucas est le seul qui en parle ; & comme c'est un voyageur romancier, il nous donne Saxava pour une grande ville, autrefois superbe, qui a près de 2 milles de tour. (D.J.)


SAXE(Géogr. mod.) grand pays d'Allemagne, dans sa partie septentrionale, & qui étoit autrefois beaucoup plus étendu qu'il n'est à-présent. On le divise aujourd'hui en Saxe proprement dite, en duché de Saxe, qui comprend tous les états de l'électorat de ce nom ; & en Saxe dans toute son étendue, qui comprend le cercle de la haute Saxe, & le cercle de la basse Saxe. Voyez ces trois mots.

L'ancienne Saxe renfermoit, vers le tems de la décadence de l'empire, cette vaste étendue de pays qui est entre l'Oder, la Sala, l'Issel, & la mer Germanique. Les peuples qui l'habitoient se sont rendus fameux par leurs conquêtes. Ils étoient partagés en trois nations principales, qui étoient les Saxons ostphaliens, les Saxons westphaliens, & les Saxons angrivariens ; & ces trois nations se divisoient en plusieurs autres qui avoient chacune leurs princes, mais on observoit par-tout les mêmes loix & les mêmes coutumes.

Comme les Saxons naissoient pour ainsi-dire guerriers ; ils avoient presque toujours les armes à la main ; & comme ils étoient jaloux de leur liberté, ils ne pouvoient souffrir de domination étrangere. C'est pour cela qu'ils firent si long-tems la guerre, & qu'ils furent si opiniâtres à se défendre contre les rois de France, particulierement contre Charlemagne. Hatteric est le plus ancien roi de Saxe dont il soit parlé dans l'histoire. Il défit Borbista, roi des Goths, qui avoit fait une irruption dans ses états. Il eut pour successeur Anseric II. son fils, qui regna vers le tems de la naissance de Jesus-Christ.

Il est impossible de connoître l'histoire des rois saxons de ce tems-là, & tous les auteurs qui s'y sont attachés, comme Spangenberg, Fabricius, Kransius, & autres, n'ont pû y réussir. On sait seulement que les princes de ce pays firent des conquêtes éloignées. Les uns porterent leurs armes en Espagne, & les autres dans les Gaules ; mais Hengiste passa dans la grande Bretagne au secours des insulaires, l'an 448 ; & après avoir vaincu les Pictes & les Scots qui leur faisoient la guerre, il s'empara de la plus grande partie de cette île. De lui descendirent les rois de Kent, de Sussex, d'East-Angles, d'Essex, de Mercie, de Northumberland, & de Wessex, dont la postérité finit à Edouard III. l'an 1066, après y avoir regné près de six cent ans.

Thierry I. fils aîné de Clovis, Theodebert I. Clotaire I. Clotaire II. eurent de longues guerres, sans beaucoup de succès, contre les Saxons qui étoient descendus dans la Gaule belgique. Charles Martelles combattit durant vingt ans. Pepin leur fit la guerre trois fois en dix ans ; enfin Charlemagne, après une guerre de trente-deux ans, les subjugua, leur fit embrasser le christianisme de force, & fonda dans leur pays les archevêchés de Magdebourg & de Breme, & les évêchés de Paderborn, de Munster, d'Osnabrug, de Hildesheim, de Ferden, de Minden, & d'Halberstad.

La Saxe ne renfermoit pas seulement autrefois les archevêchés & évêchés que nous venons de nommer, mais elle en contenoit encore d'autres ; outre les marggraviats de Brandebourg, de Lusace, & de Misnie, la principauté d'Anhalt, les duchés de Brunswick, de Lunebourg, plusieurs comtés, la principauté d'Oost-frise, & les pays de Frise, de Groningue, & d'Over-Issel ; tous ces états faisoient originairement partie de la Saxe.

La plûpart furent long-tems possédés par des princes saxons, & à mesure qu'ils changerent de maître ils changerent aussi de nom ; enfin l'empereur Maximilien I. ayant divisé l'Allemagne en dix cercles, pour en rendre le gouvernement moins confus, comprit presque tous les états qui dépendoient autrefois de la Saxe, avec divers autres, dans deux cercles qu'il fit nommer cercle de la haute, & cercle de la basse Saxe. (D.J.)

SAXE, le cercle de la haute, (Géog. mod.) le cercle de la haute Saxe contient les électorats de Saxe & de Brandebourg, les duchés de Poméranie, de Saxe Altenbourg, de Saxe -Weimar, de Saxe -Gotha, de Saxe -Cobourg, de Saxe -Eysenach, la principauté d'Anhalt, les évêchés de Meissen, de Mersbourg, de Naumbourg, de Camin, & un grand nombre d'autres souverainetés. L'électeur de Saxe en est le directeur ; sont contingent est de 277 cavaliers, & de 1169 fantassins, ou de 7992 florins par mois. (D.J.)

SAXE, le cercle de la basse, (Géog. mod.) le cercle de la basse Saxe est composé de l'évêché de Hildesheim, des duchés de Brunswick, de Mecklenbourg, de Holstein, de Magdebourg, de la principauté de Halberstat, de l'évêché de Lubec, des duchés de Brunswick-Zell, de Wolffenbuttel, de Holstein Gottorp, de Saxe Lawenbourg, & des villes de Lubec, de Breme, de Goslar, de Mulhausen, de Northausen, &c. Le roi de Prusse, comme duc de Magdebourg, & l'électeur d'Hanovre, comme duc de Breme, sont directeurs de ce cercle. Son contingent est de 330 cavaliers, & 1277 fantassins, ou 8992 florins par mois. (D.J.)

SAXE, le duché de, (Géog. mod.) on comprend ordinairement sous le nom de duché de Saxe, tous les états qui composent l'électorat de ce nom ; ils sont situés au milieu de l'Allemagne, & très-peuplés ; ils renferment beaucoup de noblesse, & un grand nombre de bonnes villes ; la justice s'y administre principalement selon le droit saxon, qu'on y suit depuis plusieurs siecles. Voyez DROIT SAXON.

Le duché de Saxe est borné au nord, par le marggraviat de Brandebourg, au midi par la Misnie, au levant par la basse-Lusace, & au couchant par la principauté d'Anhalt ; on lui donne environ 13 lieues d'Allemagne de largeur, & 15 de longueur ; il est arrosé de grosses rivieres, qui y entretiennent un grand commerce, dont le principal est celui des mines ; l'Elbe le coupe en deux parties inégales, car celle qui est à l'orient, est beaucoup plus grande que l'autre ; le pays consiste en campagnes, qui fournissent presque toutes les choses nécessaires à la vie, & du blé en abondance ; mais le bois y manque, ce qui oblige les habitans d'en tirer de la Lusace, & des frontieres de Brandebourg.

C'est dans ce duché que le luthéranisme a pris naissance ; Wittemberg en est la capitale ; cependant l'électeur de Saxe fait sa résidence à Dresde, capitale de la Misnie. (D.J.)


SAXETANUMou SEXETANUM, (Géog. anc.) ville d'Espagne, dans la Bétique. L'itinéraire d'Antonin la marque entre Murgis & Caviculum, à 38 milles du premier de ces lieux, & à 16 milles du second. Sexetanum est selon les apparences, la Sexitania de Ptolémée. (D.J.)


SAXIFRAGEsaxifraga, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le calice de cette fleur est profondément découpé ; le pistil sort du calice ; il a ordinairement deux cornes, & il devient dans la suite, avec le calice, un fruit arrondi, qui a comme le pistil deux cornes & deux capsules ; ce fruit renferme des semences ordinairement fort menues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SAXIFRAGE DOREE, chrysoplenium ; genre de plante à fleur monopétale, découpée en rayons ; cette fleur n'a point de calice ; le pistil sort du centre & devient dans la suite une capsule membraneuse & divisée en deux cornes ; cette capsule s'ouvre en deux parties, & renferme des semences ordinairement assez menues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SAXIFRAGE, (Mat. méd.) on connoit sous ce nom, dans les boutiques, outre la grande saxifrage, la grande pimprenelle- saxifrage ou boucage, & la petite pimprenelle- saxifrage ou petite boucage, dont il est parlé à l'article BOUCAGE, voyez cet article. Plusieurs autres plantes, savoir la saxifrage blanche, saxifragia rotundifolia alba ; la saxifrage des Anglois, ou des prés, & la saxifrage ordinaire, ou la cassepierre. Lignis minor saxifraga. Pluk. & inst. rei herb.

Ce ne sont que les racines de ces trois plantes qui sont d'usage ; on les a regardées comme propres à briser la pierre dans la vessie ; & c'est de cette prétendue propriété qu'elles ont vraisemblablement tiré leur nom ; leur vertu diurétique, & leur vertu emmenagogue sont plus réelles ; on les fait entrer quelquefois à ce titre dans les bouillons & les aposèmes apéritifs & diurétiques, & dans ceux qu'on fait avaler quelquefois par dessus des bols, ou des poudres emménagogues ; ces racines peuvent se donner aussi en infusion ou en substance dans du vin blanc. En général, ces remedes ne sont pas fort usités.

La semence de la saxifrage ordinaire, ou de la casse-pierre, entre dans la bénédicte laxative de la pharmacopée de Paris. (b)

Les riverains pêcheurs du ressort de l'amirauté de Fécamp, cueillent cette herbe, qui croît en abondance sur les falaises dont leurs côtes sont bordées ; ils font de cette herbe, qu'on estime des meilleures, des salaisons qui se transportent dans les grandes villes ; mais comme les falaises sont extrêmement hautes, ils y descendent au moyen d'une corde établie au haut de la falaise, & tenue par des hommes qui la conduisent à la voix de celui qui cueille la percepierre ; ces cordes qui sont grosses comme un petit cablot, ne sont ni tannées ni goudronnées, pour être plus souples & plus maniables ; elles sont formées de coeur de chanvre, pour la sureté des personnes qui s'exposent à ce travail, qui n'est pas sans danger.


SAXONICUMSAXONICUM


SAXONNE LANGUE(Hist. des lang. de l'Eur.) la langue saxonne est très-peu connue, & les monumens qui en restent, sont en petit nombre. Lorsque les Saxons eurent soumis les Bretons, & les eurent rendus comme étrangers dans leur propre pays, les conquérans mépriserent bientôt eux-mêmes la langue qu'ils y avoient apportée. Dès l'année 652, dit un de leurs historiens, bien des gens de notre île furent envoyés dans les monasteres de France, pour y être élevés, & pour apprendre la langue de ce pays là ; sous le regne d'Edouard le confesseur, il passa un grand nombre de Normands à sa cour, qui y introduisirent leur langue & leurs manieres ; enfin après la conquête de Guillaume I. toutes les loix furent rendues en françois, & tous les enfans apprirent le normand ; le caractere saxon dont on s'étoit servi dans tous les écrits, fut négligé, & dans le regne suivant, il devint si fort hors d'usage, qu'il n'y avoit plus que de vieilles gens qui fussent en état de le lire.

Il est vrai qu'Henri I. donna en caracteres saxons, à Guillaume, archevêque de Cantorbery, une charte, par laquelle il le confirmoit dans la jouissance de son siege ; mais on ne connoit guere que ce seul exemple de l'emploi de la langue saxonne, & peut-être est-il dû au dessein que le roi eut d'obliger la reine qui étoit d'origine saxonne, & de se concilier l'affection de ses sujets anglois, qui pouvoient se flatter que son mariage leur procureroit quelques droits de plus auprès de lui.

Le P. Mabillon & d'autres auteurs se sont donc trompés en assurant que l'écriture saxonne s'étoit totalement perdue dès le tems de la conquête ; il en fut des caracteres saxons comme des croix dans les actes publics, qui pour la plus grande partie furent supprimées, & auxquelles on substitua les sceaux, & les souscriptions à la normande ; cependant on ne laissa pas de conserver çà & là l'ancienne maniere des croix ; il n'y a pas de doute que le dialecte saxon ne continuât à être en usage dans les villages & à la campagne, avec un mêlange du françois & du langage de la cour.

Quand les barons commencerent à perdre de leur autorité, la langue du pays commença à être plus en vogue, jusqu'à ce que les communes obtinrent du roi Edouard III. que toutes les procédures juridiques se feroient en langue angloise. Cette loi ne rétablit pas néanmoins la langue saxonne dans son premier état, elle fit seulement honneur au langage qu'on parloit alors, & qui étoit une langue mêlée de quantité de mots étrangers.

Il ne restoit des traces du véritable saxon que dans les monasteres, & encore n'étoit-ce que dans ceux qui avoient été fondés avant la conquête normande, parce que leur intérêt les obligeoit d'entendre la langue dans laquelle leurs chartes originales étoient écrites ; c'étoit par cette raison que dans l'abbaye de Croyland il y avoit un maître pour enseigner le saxon à quelques-uns des plus jeunes freres, pour que dans un âge plus avancé, ils fussent mieux en état de faire valoir les anciens actes de leurs monasteres contre leurs adversaires ; c'étoit sans-doute pour la même raison que dans l'abbaye de Tavistoke, qui avoit été fondée par les Saxons vers l'an 691, on faisoit des leçons publiques en langue saxonne, leçons qui ont été continuées jusqu'au tems de nos peres, dit Cambden, pour que la connoissance de cette langue ne se perdît point, comme elle a fait depuis.

Enfin Guillaume Summer, célebre antiquaire anglois du dernier siecle, a tâché de rétablir la langue saxonne, par son glossaire de cette langue, & par d'autres ouvrages qu'il a publiés à la tête des anciens historiens d'Angleterre, imprimés à Londres en 1652. in-fol. Son dictionnaire saxon a paru à Oxford en 1659. au moyen de ce dictionnaire, on peut entendre les évangiles en langue saxonne, mis au jour par le docteur Thomas Mareshall ; ce dictionnaire de Summer n'est pas néanmoins encore assez complet, pour qu'il ne fût susceptible d'additions & d'une plus grande perfection, si l'on vouloit recueillir les anciens manuscrits qui subsistent encore dans cette langue. (D.J.)


SAXONNES(Géog. anc.) peuples de la Germanie. Ptolémée, l. II. c. xj. les place au midi de la Chersonese Cimbrique ; ils étoient séparés des Pharodini par le fleuve Chalusus, des Cauchi par l'Elbe, & habitoient le Holstein.

Lassés de vivre entre des bois & des marais, dans des terres stériles, & jaloux des expéditions que leurs voisins avoient faites dans les provinces de l'empire romain, ils se liguerent avec les Chérusques, & firent ensemble plusieurs courses jusqu'au Rhin, d'où ils revinrent toujours chargés de butin. Ces succès les animerent à de nouvelles entreprises ; ils ravagerent le pays des Chamaves, & comme ils vouloient se joindre aux Francs, pour passer avec eux dans la Gaule belgique, l'empereur Valentinien les prévint & les défit.

Cette déroute les obligea de retourner dans leurs anciennes demeures, où s'étant multipliés de nouveau, ils se partagerent en deux corps ; les uns passerent sous la conduite d'Hengis, dans la grande Bretagne, où ils furent appellés par les insulaires, pour les défendre contre les Pictes & les Scots ; ils y accoururent, & avec le tems, ils s'y établirent par la force des armes. Les autres s'emparerent des pays aux environs de l'Elbe, & profitant des troubles & des guerres civiles qui déchiroient l'empire, ils y fonderent une monarchie qui eut durant long-tems des rois particuliers. En un mot, ils se rendirent redoutables à leurs voisins, dont ils soumirent la plus grande partie ; on entreprit souvent, sans succès, de les subjuguer ; enfin Charlemagne en vint à-bout, après une guerre de trente ans, pendant laquelle ils lui donnerent beaucoup d'exercice. Voyez SAXE & SAXONS. (D.J.)


SAXONSS. m. pl. (Hist. anc. & mod.) nation belliqueuse fort adonnée à la piraterie, qui étoit une colonie des Cimbres, c'est-à-dire des habitans de la Chersonese cimbrique, connue aujourd'hui sous le nom de Jutland. En sortant de ce pays leur premier établissement fut dans le district qui forme aujourd'hui les duchés de Sleswick & de Holstein, d'où ils s'étendirent au loin & occuperent d'abord le pays situé entre le Rhin & l'Elbe, ensuite ils s'emparerent de la Westphalie, de la Frise, de la Hollande & de la Zélande. Les Saxons ont, dit-on, une origine commune avec les Francs & les Suéves. Ils subjuguerent les Angles, peuple du Holstein, avec qui ils furent confondus sous le nom d'Anglo-Saxons. Ce furent ces derniers qui sous la conduite de Hengist & de Horsa, firent vers l'an 450 la conquête d'une grande partie de l'île de la grande Bretagne, où ils avoient été appellés par les Bretons abandonnés des Romains, & qui à leur défaut, leur demandoient du secours contre les Pictes. Ils posséderent ce pays jusqu'à la conquête des Danois. Quant aux autres Saxons, Charlemagne leur fit longtems la guerre, & parvint enfin à les soumettre, & les força d'embrasser la religion chrétienne.

SAXONS, (Hist. & Géogr. mod.) on appelle aujourd'hui proprement Saxons, les peuples du duché de Saxe qui occupent les états de l'électorat de ce nom ; mais dans le septieme & le huitieme siecle, on appelloit Saxons tous les Germains septentrionaux qui habitoient les bords du Wéser & ceux de l'Elbe, de Hambourg à la Moravie, & de Mayence à la mer Baltique. Ils étoient payens ainsi que tout le septentrion. Leurs moeurs & leurs usages étoient encore les mêmes que du tems de Germanicus. Chaque canton se gouvernoit en république, & avoit un chef pour la guerre. Leurs loix étoient simples, & leur religion toute idolâtre. Leur principal temple étoit dédié au dieu Irminsul, soit que ce dieu fut celui de la guerre, le Mars des Romains, ou le fameux Arminius, vainqueur de Varus.

Comme ces peuples mettoient leur gloire & leur bonheur dans la liberté, Charlemagne le plus ambitieux, le plus politique & le plus grand guerrier de son siecle, entreprit de les assujettir, & en vint à-bout après trente ans d'une guerre injuste & cruelle, qu'il n'avoit formée que par esprit de domination. En effet, le pays des Saxons n'avoit point encore ce qui tente aujourd'hui la cupidité des conquérans. Les riches mines de Goslar & de Friedberg, dont on a tiré tant d'argent, n'étoient point encore découvertes. Elles ne le furent que sous Henri l'Oiseleur, qui succéda à Conrard, roi de Germanie, en 919. Point de richesses accumulées par une longue industrie ; nulle ville digne de la convoitise d'un usurpateur. Il ne s'agissoit que d'avoir pour esclaves un million d'hommes qui cultivoient la terre sous un climat triste, qui nourrissoient leurs troupeaux dans de gras pâturages, & qui ne vouloient point de maître.

Charlemagne au contraire, vouloit le devenir : en profitant de la supériorité de ses armes, de la discipline de ses troupes, & de l'avantage des cuirasses dont les Saxons étoient dépourvus, il vint à-bout d'en triompher. Il vainquit leur général, le fameux Witikind, dont on fait aujourd'hui descendre les principales maisons de l'empire, & sous prétexte que les Saxons refuserent de lui livrer cet illustre chef, il fit massacrer quatre mille cinq cent prisonniers. Enfin le sang qu'il fit couler cimenta leur servitude, & le christianisme par lequel il vouloit les lier à son joug.

Ce prince pour mieux s'assurer du pays, transporta des colonies saxonnes en Transylvanie & jusqu'en Italie, & établit des colonies de Francs dans les terres des vaincus ; mais il joignit à cette sage politique, la cruauté de faire poignarder par des espions les saxons qui songeoient à retourner à leur culte. Il propagea l'Evangile comme Mahomet avoit fait le Mahométisme. Pour comble de maux, il leur donna des loix de sang, qui tenoient de l'inhumanité de ses conquêtes. Extrait de l'essai sur l'histoire générale, t. I. (D.J.)


SAXONUM INSULAE(Géogr. anc.) îles de l'Océan germanique. Ptolémée, l. II. c. xj. les marque près de l'embouchure de l'Elbe. Crantzius veut que ce soit l'île nommée Heiligeland, qui est située à six milles de l'Elbe, & qui a été la cause de plusieurs guerres entre les rois de Danemarck & les villes Anséatiques ; cette île appartient aujourd'hui au duc de Holstein. (D.J.)


SAYACUS. m. (Ornitholog.) oiseau du Brésil de la grosseur de notre pinson ; il est d'un verd grisâtre, brillant & lustré sur le dos & sur les aîles. Il n'a que le bec & les yeux noirs. Marggr. hist. Brasil. (D.J.)


SAYD(Géogr. mod.) ville, ou plutôt port des états du Turc, en Asie, dans la Sourie, sur la côte de la mer. Voyez SEIDE. (D.J.)


SAYES. f. sagum, (Littérat.) espece de surtout militaire ; le mot est grec. Les Phocéens de Marseille apporterent apparemment la mode de cet habit dans les Gaules, d'où vient que les Latins l'ont cru gaulois. Les Romains en adopterent l'usage ; c'étoit leur habit de guerre, & la toge leur habit de ville ; mais ils portoient des sayes d'une seule couleur, au lieu que les sayes des Gaulois étoient rayées ou bariolées, variègatis lucent sagulis, dit Virgile. La saye des Germains différoit de celle des Gaulois & des Romains. Cluvier prétend avec assez de vraisemblance, que c'étoit un petit manteau quarré qui s'attachoit sur la poitrine ou sur l'épaule, & qu'on tournoit du côté de la pluie ou du vent, comme un mantelet hongrois ; elle étoit ordinairement de peau, & se portoit le poil en-dedans. La vulgate donne une saye aux Hébreux, & en fait un vêtement dont ils usoient en tems de guerre. Juges iij. 16. (D.J.)

SAYE, s. f. (Draperie) sorte de serge ou étoffe croisée très-légere, toute de laine, qui a quelque rapport aux serges de Caen, & dont quelques religieux se servent à faire des especes de chemises, & les gens du monde des doublures d'habits & de meubles. Les pieces de saye sont plus ou moins longues. On prétend avec vraisemblance que cette espece d'étoffe est appellée saye, parce qu'elle est fabriquée d'une espece de laine filée, que les Flamands & les Artoisiens nomment communément fil de sayette. Dict. du Comm. (D.J.)


SAYETTES. f. (Draperie) petite étoffe de laine quelquefois mêlée d'un peu de soie, qui se fabrique à Amiens. Trévoux. (D.J.)

SAYETTE, fil de (Lainerie) le fil de sayette est une laine peignée & filée, dont on se sert dans la fabrique de diverses étoffes, dans plusieurs ouvrages de bonneterie, & à faire des cordonnets, des boutonnieres & des boutons. Cette laine se file en Flandres. Savary. (D.J.)


SAYETTERIES. f. (Lainerie) on nomme ainsi la manufacture des étoffes de laine ou de laine mêlée avec de la soie ou du poil, établie à Amiens, soit parce qu'elle s'y fabrique avec cette sorte de fil qu'on appelle fil de sayette, soit plus vraisemblablement à cause que les premieres étoffes qui ont été faites se nommoient des sayes & des sayettes, étoffes dont la fabrique est encore assez commune en Picardie, & dans les villes de Flandres qui en sont voisines. (D.J.)


SAYETTEURS. m. (Sayetterie) ce mot se dit des maîtres de la sayetterie d'Amiens, qui ne travaillent qu'en étoffes de sayetterie, c'est-à-dire où il n'entre que de la laine, ou tout au plus un fil de soie & un fil de sayette mêlés dans la chaîne, par où ils sont distingués des haute-lisseurs, qui ne travaillent qu'en étoffes de haute-lisse, ce qui s'entend de celles dont la chaîne n'est point de fil de sayette, & qui sont mêlées de fil, de soie, de poil, de lin, de chanvre, ou d'autres matieres. Savary. (D.J.)

SAYETTEUR-DRAPANT, (Sayetterie) on nomme ainsi dans la sayetterie d'Amiens, ceux d'entre les sayetteurs qui ne font que des serges à chaîne double ou simple, dont les tremes sont de laines cardées & filées au grand rouet ; & des boies ou revèches, dont la treme & la chaîne sont toute de cette derniere laine. Savary. (D.J.)


SAYN(Géog. mod.) comté d'Allemagne, entre les comtés de Wied & du bas Isenbourg. Il renferme deux prévôtés & cinq ou six bourgs, dont le principal a donné son nom au comté. (D.J.)

SAYN, île de, (Géog. mod.) ou SAIN, Voyez ce mot ; île sur les côtes de la Bretagne, située vis-à-vis la baie de Douarnenez, dont elle n'est séparée que par le passage du Ras. Elle est redoutée des mariniers à cause de ses roches & basses, qui courent avant à l'ouest. On croit que c'est la Sena de Pomponius Mela, & selon Cambden, la Siambis de Pline, lib. IV. c. xvj. Il y avoit dans cette île des druidesses qui s'y étoient fait un grand crédit. (D.J.)


SAYSS. m. pl. (Hist. mod.) espece de prêtres ou de bonzes du royaume de Tonquin, qui passent pour de très-grands fripons, & pour mener une vie oisive & licencieuse aux dépens du peuple, qui ne croiroit point que ses prieres pussent être agréables à la divinité, si elles n'étoient présentées par ces fainéans qu'ils paient & qu'ils font subsister pour cela. Ces prêtres sont très-nombreux ; le roi est souvent obligé de les envoyer à la guerre pour en diminuer le nombre, lorsqu'ils deviennent trop à charge à ses sujets. Les gens de qualité les méprisent, & offrent eux-mêmes leurs prieres & leurs sacrifices.


SAZ(Géog. mod.) les Turcs appellent ainsi les Saxons qui habitent dans les sept villes de la Transylvanie, où Charlemagne les transféra de leur pays. Ce sont ces villes saxonnes qui ont donné à la Transylvanie le nom allemand de Sieben-Burghen, & dans le x. siecle, le nom latin de septem Castrensis Regio. Ces saxons se mêlerent avec les Sécules (que quelques auteurs appellent Sicules), nation originaire du pays, & ont formé le peuple qu'on nomme aujourd'hui les Transylvains. (D.J.)


SBIRRES. m. (Gramm.) nom qu'on donne aux archers en Italie, & sur-tout à Rome où ils font un corps considérable.


SCABARAN(Géog. mod.) petite ville d'Asie, dans la Perse ; elle est assez voisine de la montagne de Barmach qui n'est pas éloignée de la mer. Cette montagne produit du naphthe qui coule au-travers des rochers, & qui tombe dans des fosses. (D.J.)


SCABELLou SCABILLA ou SCABILLUM, (Littérat. music.) c'étoit une espece de soufflet en maniere de pédale, qui tient sa place dans les instrumens de la musique ancienne, & qui servoit à appuyer ainsi qu'à frapper la mesure, par un son fixe & dominant. On en faisoit usage chez les Romains pour animer les danseurs, & particulierement les pantomimes. On en trouve la figure sur quelques anciens bas-reliefs ; & les curieux peuvent en voir un modele dans un bas-relief de marbre de la salle des antiques, qui fait partie des bâtimens du vieux-Louvre. (D.J.)


SCABELLONS. m. (Architect. Sculpt.) piédestal quarré ou à pans, haut & menu, le plus souvent en gaine de terme, ou profilé en maniere de balustre, pour porter un buste, une pendule.

Gaine de scabellon ; c'est la partie ralongée qui est entre la base & le chapiteau du scabellon, qui va en diminuant du haut en bas, & qui a la forme d'une gaine. Les statues n'ont souvent qu'une gaine pour tout piédestal. Daviler. (D.J.)


SCABIEUSES. f. scabiosa, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur, composée de plusieurs fleurons inégaux, contenus dans un calice commun. Les fleurons qui occupent le milieu de la fleur sont partagés en quatre ou cinq parties, & ceux de la circonférence ont deux levres. Chaque fleuron est placé sur la partie supérieure de la couronne d'un embryon qui se soutient, & il a son calice particulier, qui devient dans la suite une capsule ou simple ou en forme d'entonnoir ; cette capsule renferme une semence qui est surmontée d'une aigrette, & qui a été auparavant l'embryon. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Selon Linnaeus, ce genre de plante a un double calice ; le calice commun est à plusieurs feuilles, & contient plusieurs fleurs ; le calice propre est fixé sur le germe du pistil ; les fleurs sont monopétales, & forment un tuyau qui s'élargit à l'extrêmité, & qui se partage en quatre ou cinq quartiers ; les étamines sont quatre petits filets très-foibles ; leurs bossettes sont oblongues, le germe du pistil est placé dessous le réceptacle propre de la fleur, & est enfermé comme dans un étui ; le stile est délié, & de la longueur de la fleur ; le stigma est obtus ; les grains sont uniques dans chaque fleur, & contenus dans leur enveloppe commune.

Quoique ce genre de plante renferme dans le système de Tournefort, cinquante-quatre especes, il faut nous borner à décrire celle du plus grand usage en médecine, & qui est nommé scabiosa major, hirsuta, pratensis, par C. B. 6. 369. I. R. H. 464. Raii, hist. 374. en anglois, the common hairy fieldes'-cabious.

Sa racine est droite, longue, vivace ; elle pousse des tiges à la hauteur de deux ou trois piés, rondes, velues, creuses, revêtues par intervalles de deux feuilles opposées, semblables à celles d'en bas, mais plus petites. Les feuilles qui partent de la racine sont oblongues, lanugineuses, approchantes de celles de la grande valériane, découpées profondément, d'un goût un peu âcre. Les sommités des tiges contiennent des fleurs divisées en bouquets, ronds, composés de fleurons inégaux, de couleur bleue, ou purpurine, ou d'un bleu mourant. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des manieres de têtes verdâtres, écailleuses, garnies à la base de feuilles en forme de rayons, & composées de capsules qui contiennent chacune une semence oblongue, surmontée d'une couronne.

Cette plante croît presque partout dans les blés, dans les champs & les prairies ; elle fleurit en Juin & Juillet.

La plante nommée psorice par Dioscoride & Théophraste, & psora par Actius, paroît être notre scabieuse ; mais dans les derniers tems, les noms ayant été oubliés, les Grecs modernes ont appellé cette plante scampiusa, d'où s'est formé le nom latin scabiosa. (D.J.)

SCABIEUSE, (Mat. médicale) scabieuse ordinaire, scabieuse des prés, ou scabieuse de bois ou mors du diable.

On emploie indifféremment l'une ou l'autre de ces plantes.

Les feuilles & les fleurs de cette plante sont seules en usage. Leur suc, leur infusion ou leur décoction & leur eau distillée passent pour des remedes sudorifiques, alexiteres, incisifs & vulnéraires. C'est surtout l'eau distillée qu'on emploie dans les juleps & les potions cordiales, diaphorétiques & contre-venin, que plusieurs médecins ordonnent encore dans la petite vérole, la rougeole, les fievres malignes, &c. Cette eau distillée est une des quatre eaux cordiales, & de cinq cent eaux inutiles. Voyez EAUX CORDIALES (les quatre) & la fin de l'article EAUX DISTILLEES.

Les feuilles de scabieuse entrent dans l'eau de lait alexitere. (b)


SCABREUXadj. (Gram.) inégal, dur, raboteux, où on est exposé à une chûte. Il ne se dit qu'au figuré. Vous vous êtes chargé là d'une commission bien scabreuse.


SCACCHIAE LUDUS(Hist. anc.) il y en a qui prétendent que c'est notre jeu d'échecs ; d'autres que c'est le jeu que les anciens appelloient latrunculorum ; mais ils ne nous disent point en quoi ils consistoient l'un & l'autre.


SCAFFORD(Géog. mod.) golfe d'Ecosse, sur la côte occidentale de l'île de Mul, l'une des Vesternes. Ce golphe qui coupe Mul par le milieu, est parsemé de quelques autres petites îles, dont la plus grande, nommée Ulwa, est longue de cinq milles, & abonde en pâturage. (D.J.)


SCALA(Géog. mod.) autrefois petite ville épiscopale d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure, à deux milles au nord d'Amalfi. Son évêché fut réuni, en 1603, à Ravello ; présentement Scala n'est qu'un misérable village qui n'a pas cinquante maisons. Longitude 32. 8. latitude 40. 36. (D.J.)


SCALABIS(Géog. anc.) ville de la Lusitanie, selon Pline, qui, l. IV. c. xxij. lui donne le titre de colonie. Cette ville est appellée Scalabiscus par Ptolémée, l. II. c. v. son nom moderne est vraisemblablement Santaren, dont on peut voir l'article.


SCALAE GEMONIAE(Antiq. rom.) ou simplement gemoniae, & par Pline gemonii gradus ; les littérateurs n'ont pas les mêmes idées de ce mot. Les uns en parlent comme d'especes de fourches patibulaires, & d'autres les représentent comme un puits, où l'on jettoit le corps des criminels exécutés à mort. Voyez GEMONIES. (D.J.)


SCALANOVA(Géog. mod.) ville de l'empire Turc en Asie, dans l'Anatolie, à trois lieues de la ville d'Ephese. Il ne loge dans cette ville que des turcs & des juifs ; les grecs & les arméniens en occupoient les fauxbourgs ; elle a un port & un château où les Turcs tiennent une garnison d'une vingtaine de soldats. Scalanova est la Néapolis des Milésiens. Elle est située à une journée de Guzetlissar, ou Beau-Château, qui est la fameuse Magnésie sur le Méandre. Long. 45. 8. lat. 37. 52. (D.J.)


SCALDESS. m. pl. (Hist. anc.) c'est ainsi que les anciens peuples du nord nommoient leurs poëtes. Les vers étoient le seul genre de littérature qui fût cultivé chez eux ; c'étoit la seule façon de transmettre à la postérité les hauts faits des rois, les victoires des peuples, & la mythologie des dieux. On rendoit les plus grands honneurs aux scaldes ou poëtes, ils étoient souvent de la naissance la plus illustre, & plusieurs souverains se glorifioient de ce titre. Les rois avoient toujours quelques scaldes à leur cour ; & ces derniers en étoient chéris & honorés ; ils leur donnoient place dans les festins parmi les premiers officiers de la couronne, & les chargeoient souvent des commissions les plus importantes. Lorsque ces rois marchoient à quelque expédition, ils se faisoient accompagner des scaldes, qui étoient témoins oculaires de leurs exploits, les chantoient sur le champ de bataille, & excitoient les guerriers aux combats. Ces poëtes ignoroient la flatterie, & ils ne louoient les rois que sur des faits bien constatés. Un roi de Norwege nommé Olaüs Triggueson, dans un jour de bataille, plaça plusieurs scaldes autour de sa personne, en leur disant avec fierté, vous ne raconterez pas ce que vous aurez entendu, mais ce que vous aurez vu. Les poésies des scaldes étoient les seuls monumens historiques des nations du nord ; & c'est chez elles que l'on a puisé tout ce qui nous reste de l'histoire ancienne de ces peuples. Voyez l'introduction à l'histoire de Danemarck par M. Mallet.


SCALDIS(Géog. anc.) fleuve de la Gaule belgique, selon César, Pline, l'itinéraire d'Antonin, & Fortunat ; Ptolémée est le seul qui nomme ce fleuve Tabuda.

Il prenoit sa source dans le pays de Véromandut, & couloit chez les Nerviens, & chez divers autres peuples. Lorsqu'il s'approchoit de l'Océan, il se partageoit en divers bras, & celui qui passoit à Bergues, alloit se jetter dans la Meuse ; ce qui a fait dire à César : ad flumen Scaldin quod influit in Mosam, ire constituit. Les autres bras se rendoient à la mer ; mais il ne seroit pas possible de décrire leur cours, parce que les inondations de l'Océan, & les débordemens de ce fleuve, ont plus d'une fois changé l'état des lieux dans ces quartiers, comme dans les embouchures de la Meuse & du Rhin. Ce fleuve s'appelle aujourd'hui l'Escaut.

Pline, l. IV. c. xvij. dit que la gaule Belgique s'étendoit entre l'Escaut & la Seine, à Scalde ad Sequanam Belgica ; les Toxandri, selon le même auteur, habitoient au-delà de ce fleuve : à Scaldi incolunt extera Toxandri ; & dans un autre endroit, il ajoute que les peuples qui s'étoient établis le long de l'Océan septentrional, au-delà de l'Escaut, étoient originaires de la Germanie : Toto hoc mari ad Scaldim usque fluvium Germanicae accolunt gentes. Ce dernier passage fait voir pourquoi il a donné l'Escaut pour borne à la gaule Belgique ; car les autres auteurs, & Pline lui-même en plus d'un endroit, mais dans un autre sens, s'accordent à dire que la Belgique s'étend jusqu'au Rhin. (D.J.)


SCALEAGOLPHE DE LA, (Géog. mod.) c'est une partie de la mer de Naples, sur la côte de la principauté citérieure. Il s'étend depuis le cap de Palémido, jusqu'à l'embouchure du Laino.


SCALENEadj. (Géom.) un triangle scalene se dit en géométrie, d'un triangle dont tous les côtés & les angles sont inégaux.

Ce mot vient du grec , qui signifie oblique, inégal.

Un cylindre ou un cone, dont l'axe est incliné sur la base, est aussi appellé scalene. Voyez CONE & CYLINDRE. (E)

SCALENE, en Anatomie, est le nom qu'on donne à trois paires de muscles à cause de leur forme, &c. Voyez nos Pl. anat.

Le premier scalene sort charnu des apophyses transverses de la seconde, de la troisieme & de la quatrieme vertebres du cou, où descendant latéralement, il s'insere dans la premiere côte.

Le second scalene naît des mêmes apophyses, & encore de ceux de la cinquieme vertebre du cou ; & s'insere dans la seconde côte & quelquefois dans la troisieme.

Le troisieme scalene naît du même processus que le premier, & de ceux de la sixieme vertebre du cou, & s'insere dans la cinquieme côte.


SCALHOLT(Géog. mod.) petite ville, capitale de l'île d'Islande, dans sa partie méridionale, au pié des montagnes. Elle a été épiscopale sous Breme dans le x. siecle. Elle est sans murailles, comme toutes celles du pays. (D.J.)


SCALINGICAS(Géog. mod.) ville de la Mingrélie, à 5 lieues de Ruse, vers l'orient. C'est un siége épiscopal, sous le patriarche de cette nation.


SCALITZ(Géog. mod.) ville de la haute-Hongrie, au comté de Poson, sur la Marck, vers les confins de la Moravie, à 18 lieues au nord de Presbourg, & à 22 au nord-ouest de Léopolstad. Long. 34. 58. latit. 48. 55. (D.J.)


SCALLOWAY(Géog. mod.) une des deux petites villes de l'île de Mainland, au couchant, avec un château. L'autre petite ville de cette île se nomme Lerwich, & est à l'orient. Lerwich est un peu plus considérable, & Scalloway est plus ancienne.


SCALMES. m. (Charpent. nav. des anc.) en grec ; ce mot signifie le bout d'une piece de bois qui forme la côte d'un bâtiment, & sur laquelle piece s'appuient les rames pour se mouvoir. (D.J.)


SCALPELS. m. terme de Chirurgie, est un instrument tranchant, qui sert principalement dans les dissections, mais dont on peut aussi se servir au besoin dans plusieurs autres opérations, comme les amputations, pour couper les chairs & les membranes, qui sont entre les deux os d'un bras ou d'une jambe, avant de scier l'os.

Il y a trois sortes de scalpels : le premier est tranchant des deux côtés, & a un manche d'ébene ou d'ivoire, qui étant plat & mince à son extrêmité, sert à séparer les parties membraneuses & fibreuses dans les préparations anatomiques.

La lame de cette espece de scalpel ressemble à celle d'une lancette ; sa longueur est de deux pouces y compris la queue qui est aussi large que la base, plate dans toute son étendue, & percée par deux trous ; les ouvriers l'appellent plate-semelle. Le manche est fendu dans sa base suivant sa largeur ; & la queue plate de la lame occupe cette fente, & y est fixée par deux clous qui traversent le manche & la lame dans le milieu. La base de la lame a 5 lignes de large, & va en diminuant se terminer en pointe. Voyez la fig. 8. Pl. I.

La seconde espece de scalpel se divise en lame & en manche. La lame a deux parties, l'une est la base ou le talon, & l'autre est la partie tranchante. Le talon est une surface plate & irrégulierement quarrée, dont les bords postérieurs posent sur le manche ; du milieu de cette surface que les ouvriers appellent la mitre, s'éleve une queue d'un pouce & quelques lignes de long, de figure pyramidale & irrégulierement arrondie qu'on nomme la soie ; elle est cimentée dans le manche avec du mastic. La partie tranchante est composée de quatre émoutures ou biseaux ; ces émoutures forment deux tranchans séparés par une vive arrête ou ligne saillante, qui se continue depuis la pointe jusqu'au talon sur le plat de la lame. Le manche de cette seconde espece est à pans. Voyez la fig. 6. Pl. I.

L'autre espece a un dos & ne tranche que d'un côté. Sa partie tranchante est semblable à celle du bistouri droit, & se monte comme le précédent sur un manche. Il est commode pour décharner un corps lorsqu'on veut l'embaumer ou en faire un squelete, &c. fig. 7. Pl. I.

Scultet dans son armamentarium décrit plusieurs autres sortes de scalpels, comme entr'autres le scalpel trompeur qu'il appelle ainsi, parce que sa lame étant cachée le malade y est trompé. Les anciens en faisoient grand usage pour ouvrir & dilater les sinus : mais comme il peut tromper le chirurgien lui-même, il n'est plus en usage. Un scalpel tranchant des deux côtés pour des setons. Un petit scalpel crochu pour détacher les paupieres, quand elles tiennent l'une à l'autre. Un scalpel pointu, tranchant des deux côtés, avec un manche d'os pour l'opération de l'égylops. Des scalpels semblables au scolopomachaerion, &c. le scolopomachaerion lui-même est aussi une sorte de scalpel. Voyez SCOLOPOMACHAERION. (Y)


SCAMACHIE(Géog. mod.) on écrit aussi Samachi, Samakki, Schamakhiah, Schoumakhi, Schumachie, &c. ce sont des orthographes différentes du même lieu, ville de Perse, capitale du Schirvan, dans un vallon, entre deux montagnes. Ses rues sont vilaines, ses maisons basses & mal bâties ; mais il y a des caravanserais & des bains publics. Les habitans font commerce de safran, d'étoffes de soie & de coton. Cette ville a été ravagée par Thamas-kouli-kan ; elle l'est souvent par des tremblemens de terre. Long. 75. lat. 40. 50. & suivant Nassir-Edden. Longit. 85. 30. lat. 39. 30. (D.J.)


SCAMANDRES. m. (Mythol.) quelques-uns prétendent que cette riviere de Phrygie prit ce nom de Scamandre, fils de Corybas, après qu'il s'y fut jetté, ayant perdu le jugement dans la célébration des mysteres de la mere des dieux. Le Scamandre avoit un temple & des sacrificateurs : Homere parle du sage Dolopion qui en étoit le chef. (D.J.)

SCAMANDRE, (Géog. anc.) Scamander, fleuve de l'Asie mineure, dans la Troade ; il prend sa source dans le mont Ida. Pline, liv. V. c. xxx. dit que c'est une riviere navigable, place son embouchure près du promontoire Sigée, & fait entendre qu'il se rend droit à la mer, sans se joindre à aucune autre riviere ; mais Strabon, liv. XIII. prétend que le Simoïs & le Scamandre se réunissent un peu au-dessus du nouvel Ilium, & vont se perdre dans la mer, après avoir formé des marais chargés de roseaux. Quelques-uns soutiennent que le Scamandre prit ensuite le nom de Xanthus ; selon Homere, le nom de Scamandre appartenoit au langage humain, & Xanthus à celui des dieux. Quem Xanthum vocant Dii, homines Scamandrum dicunt. Iliad. liv. XX. v. 73. Quoi qu'il en soit, ce fleuve est fameux dans l'histoire du siége de Troie, & c'est encore à Homere qu'il doit sa célébrité.

Les illustres voyageurs anglois qui nous ont donné les ruines de Palmyre, passerent quinze jours en 1752 à faire sur les lieux une carte de la plaine du Scamandre en tenant Homere à la main ; c'est sur les bords du Scamandre, nous disent-ils, qu'on trouve de nouvelles beautés dans l'Iliade ; & c'est dans le pays où Ulysse a voyagé, & où Homere a chanté, que l'Odyssée a des charmes ravissans.

Julie, fille d'Auguste, traversant le Scamandre, pensa être submergée par les eaux de cette riviere, que le concours de plusieurs torrens avoit grossie tout-à-coup. Elle fit un crime aux habitans d'Ilium de ne lui avoir point envoyé de guides ; & elle ne les avoit pas seulement avertis de son passage. Agrippa, mari de Julie, parut fort sensible à ce péril, & condamna les pauvres habitans à une amende de cent mille drachmes, qu'il eut bien de la peine à leur remettre. Je ne crois point que son amitié pour Julie fût la vraie cause de sa colere, car il n'avoit pas une grande estime pour elle, mais la politique fut le vrai ressort de sa conduite. Il se fâcha, soit pour faire croire à Auguste, qu'il prenoit vivement à coeur les intérêts de Julie, soit pour maintenir son crédit.

Il n'est point libre à un sujet marié avec la fille de son souverain, de négliger la punition de ceux qui manquent à son épouse ; quelque gré qu'il leur en sache dans le fond du coeur, il faut qu'il fasse paroître son mécontentement. Voilà la raison qui l'engagea à se retracter avec peine de l'injustice de son amende ; il fut ravi qu'Auguste fût instruit de son zele.

On prétend que les eaux du Scamandre avoient la propriété de rendre blonds les cheveux des femmes qui s'y baignoient ; & que les femmes Troyennes se prévaloient de cette prérogative qui valut à ce fleuve le nom de Xanthus, au rapport de Pline, liv. II. ch. ciij. On ajoute même que les trois déesses, avant que de se présenter à Pâris pour être jugées sur leur beauté, vinrent se laver dans ce fleuve, qui rendit leurs cheveux blonds.

Mais ce qu'il y a de certain, c'est que les filles de Phrygie dès qu'elles étoient fiancées, alloient offrir leur virginité au Scamandre. Eschines nous en a fait le récit, en nous racontant l'avanture qui l'obligea de quitter la Phrygie avec Cimon, son compagnon de voyage. Il faut l'entendre lui-même.

C'est, dit-il, une coutume dans la Troade, qu'à certains jours de l'année, les jeunes filles prêtes à se marier, aillent se baigner dans le Scamandre, & qu'elles y prononcent ces paroles qui sont comme consacrées à la fête : " Scamandre, je t'offre ma virginité ".

Parmi les jeunes personnes qui s'acquiterent de ce devoir, lorsque nous vîmes cette cérémonie singuliere, il y en avoit une nommée Callirhoë, bien faite, & d'une famille illustre. Nous étions, Cimon & moi, avec les parens de ces jeunes filles, & nous les regardions de loin se baigner, autant qu'il nous étoit permis à nous autres étrangers.

L'adroit Cimon désespérément amoureux de Callirhoë, déja promise à un autre, nous quitte furtivement, se cache dans les broussailles sur les bords du fleuve, & se couronne de roseaux pour exécuter le stratagème secret qu'il avoit projetté. Dès que Callirhoë fut descendue dans le fleuve, & eut prononcé la formule accoutumée, le faux Scamandre sort du fond des broussailles, & s'écrie : " Scamandre reçoit ton présent, & te donne la préférence sur toutes tes compagnes " ; alors faisant un pas pour la mieux voir :

Je suis, dit-il, le dieu qui commande à cette onde ;

Soyez-en la déesse, & régnez avec moi.

Peu de fleuves pourroient dans leur grotte profonde

Partager avec vous un aussi digne emploi.

Mon crystal est très-pur, mon coeur l'est davantage,

Je couvrirai pour vous de fleurs tout ce rivage,

Trop heureux si vos pas le daignent honorer,

Et qu'au fonds de mes eaux vous daigniez vous mirer.

A ces mots il s'avance, emmene la jeune fille ravie, & se retire avec elle dans les roseaux. La tromperie, continue Eschine, ne demeura pas long-tems cachée ; car quelques jours après, comme on célébroit la fête de Vénus, où les nouvelles mariées assistoient, & où la curiosité nous avoit aussi menés ; Callirhoë apperçut Cimon qui étoit avec nous ; elle ne se doutoit de rien, & persuadée que le dieu étoit venu là tout exprès pour lui faire honneur, elle dit à sa nourrice : " Appercevez-vous le Scamandre, à qui j'ai consacré ma virginité " ? La nourrice qui comprend ce qui étoit arrivé, crie, se lamente, & toute la fourberie se découvre. Il fallut au plus vîte, ajoute Eschine, nous sauver & nous embarquer.

La Fontaine a fait de cette histoire un de ses plus jolis contes ; je dis de cette histoire, car elle se trouve dans les lettres d'Eschine ; c'est la dixieme. L'avanture se passa sous ses yeux ; il censura vivement son compagnon de voyage de cette action criminelle, & Cimon lui répondit en libertin, que bien d'autres avant lui avoient joué le même tour.

On a d'abord de la peine à comprendre la simplicité de Callirhoë. Elle étoit d'une illustre famille ; elle avoit eu sans-doute une éducation convenable à sa naissance. Jamais l'esprit & la science n'avoient paru avec tant d'éclat que dans le siecle de cette aimable fille, cependant les fictions des poëtes canonisées par les prêtres, lui avoient tellement gâté l'esprit, qu'elle croyoit bonnement que les rivieres étoient des divinités, qui se couronnoient de roseaux, & auxquelles on ne pouvoit refuser la fleur de la virginité.

Sous l'empire de Tibere, une illustre dame ne fut pas moins simple ; elle se persuada qu'elle avoit couché avec Anubis, & s'en vanta comme d'une insigne faveur. Mais comment Callirhoë auroit-elle pû se désabuser de la divinité du fleuve Scamandre, puisque ce fleuve avoit un prêtre, que les Troyens honoroient comme un dieu ? C'est Homere qui nous l'apprend. Iliad. liv. V. vers. 76.

Hypsenora nobilem

Filium magnanimi Dolopionis qui Scamandri

Sacerdos factus fuerat, & dei instar honorabatur à populo.

Quelques modernes ont dit que le Scamandre ne méritoit guere la réputation que les poëtes lui ont acquise ; mais les voyageurs anglois n'en parlent pas avec autant de dédain que Belon. Le Scamandre pouvoit être autrefois plus considérable qu'aujourd'hui ; ses eaux peuvent avoir pris un autre cours, ou par des conduits souterreins ou autrement.

On ne peut guere penser que Pline se trompe, quand il parle du Scamandre comme d'une riviere navigable ; & quand Strabon nous dit que le Scamandre ayant reçu le Simoïs, charrioit tant de limon & tant de sable, qu'ils avoient presque comblé leur embouchure, & formé des lacs & des marais ; ce discours ne convient assurément qu'à des rivieres un peu considérables. (D.J.)


SCAMANDRIA(Géog. anc.) petite ville de la Troade, sur le Scamandre, à quinze cent pas du port Ilium. Leunclavius dit que les Turcs la nomment aujourd'hui Scamandria. (D.J.)


SCAMBONIDOE(Géog. anc.) municipe de l'Attique, dans la tribu Léontide, selon Pausanias, l. I. c. xxxviij. (D.J.)


SCAMILLESS. f. terme d'Architecture, dans Vitruve, sur la signification duquel les critiques sont très-peu d'accord ; quoiqu'assurément il signifie des saillies en manieres d'escabaux, qui servent à élever les autres pieces d'un ordre, telles que les colonnes, les statues ou autres semblables ; afin que tout en soit vû, & que les ornemens qui sont en saillies n'en cachent pas une partie aux spectateurs qui regardent d'en-bas.

Les scamilles font le même effet aux ordres d'architecture, que les piédestaux aux statues. Voyez PIEDESTAL.


SCAMINO(Géog. mod.) village de la Grece dans la Livadie, sur la riviere d'Asopo, au pié d'une éminence du côté du nord-est. Il n'est que d'environ deux cent maisons ; mais les vieilles ruines qu'on y voit font connoître que c'étoit autrefois une grande ville.

M. Spon qui a passé par ce lieu-là, prétend que c'est l'ancienne Sycaminon. Les Grecs y ont encore quelques églises, entr'autres Hagioi - Seranda, ou l'église des quarante Saints, Panagia & Hagios Elias, qui sont bâties de vieux débris, où l'on remarque quelques inscriptions.

Nous aurions jugé, dit M. Wheler, sur une de ces inscriptions que ce lieu étoit Oropus, si Oropo n'avoit pas conservé son ancien nom. Je crois, ajoute-t-il, que la montagne voisine est l'ancien mont Cericius, & que cette ville étoit Tanagara, dont les anciens ont tant parlé, & qu'ils mettent sur la riviere Asopus. Elle s'appelloit d'abord Poemandria, ensuite Groea, puis Tanagroea, qui est le nom que Pausanias lui donne, & présentement on la nomme Scamino. Wheler, voyage d'Athènes. (D.J.)


SCAMMAS. m. (Hist. anc.) profondeur ou enceinte creusée dans les lieux des combats ; il n'étoit pas permis aux combattans d'en sortir.


SCAMMONÉES. f. (Hist. nat. des drog. exot.) substance résineuse, gommeuse & cathartique.

On en trouve de deux sortes chez les droguistes, savoir la scammonée d'Alep, & celle de Smyrne.

La scammonée d'Alep est un suc concret, léger, fongueux, friable. Lorsqu'on la brise, elle est d'un gris noirâtre & brillante. Lorsqu'on la manie dans les doigts, elle se change en une poudre blanchâtre ou grise ; elle a un goût amer, avec une certaine acrimonie, & son odeur est puante. On l'apporte d'Alep, qui est l'endroit où on la recueille.

La scammonée de Smyrne est noire, plus compacte, & plus pesante que celle d'Alep. On l'apporte à Smyrne d'une ville de Galatie, appellée présentement Cuté, & de la ville de Cogni dans la province de Licaonie ou de Cappadoce, près du mont Tauris, où l'on en fait une récolte abondante, comme l'a raconté à M. Geoffroi l'illustre Sherard, qui a résidé à Smyrne pendant treize ans en qualité de consul pour la nation angloise. On préfere la scammonée d'Alep.

On doit la choisir brillante, facile à rompre & très-aisée à réduire en poudre, qui ne brûle pas fortement la langue ; qui étant brisée & mêlée avec la salive ou avec quelqu'autre liqueur, devient blanche & laiteuse. On rejette celle qui est brûlée, noire, pesante, remplie de grains de sable, de petites pierres ou d'autres corps hétérogenes.

La plante qui produit ce suc est le convolvulus Syriacus de Morisson, hist. oxon. part. II. xij. Sa racine est épaisse, de la forme de celle de la bryone, charnue, blanchâtre en-dedans, brune en-dehors, garnie de quelques fibres, & remplie d'un suc laiteux : elle pousse des tiges grêles de trois coudées de long, qui montent & se roulent autour des plantes voisines. Les feuilles sont disposées alternativement le long de ses tiges ; elles ressemblent à celles du petit lizeron ; elles sont triangulaires, lisses, ayant une base taillée en façon de fleche. De leurs aisselles naissent des fleurs en cloche, d'une couleur blanche, tirant sur le pourpre ou le jaune. Leur pistil se change en une petite tête ou capsule pointue, remplie de graines noirâtres & anguleuses. Cette plante croît en Syrie autour d'Alep, & elle se plaît dans un terroir gras.

Selon Dioscoride, la plante scammonée pousse d'une même racine beaucoup de tiges de trois coudées de longueur, moëlleuses & un peu épaisses, dont les feuilles sont semblables à celle du blé-noir sauvage ou de lierre, plus molles cependant, velues & triangulaires. Sa fleur est blanche, ronde, creusée en maniere d'entonnoir, d'une odeur forte : sa racine est forte, longue, de la grosseur d'une coudée, blanche, d'une odeur desagréable & pleine de suc.

Le même Dioscoride approuve la scammonée que l'on apporte de Mysie, province d'Asie ; & il rejette celle de Syrie & de Judée, qui de son tems étoit pesante, épaisse, falsifiée avec la farine d'orobe & le lait du tithymale. L'illustre Tournefort a observé cette espece de convolvulus, hérissé de poils, dans les campagnes de Mysie, entre le mont Olympe & le Sipyle, & même auprès de Smyrne, & dans les îles de Lesbos & de Samos, où l'on recueille encore aujourd'hui un suc concret qui est bien au-dessous de la scammonée de Syrie.

Ainsi M. Tournefort panche à croire que la scammonée des boutiques vient des plantes au-moins de différentes especes, si elles ne sont pas différentes pour le genre ; il juge que celle de Syrie & d'Alep vient de la plante appellée scammonia folio glabro, scammonée à feuilles lisses ; & celle de Smyrne ou de Dioscoride de la plante appellée scammonia folio hirsuto, scammonée à feuilles velues.

M. Sherard avoit aussi observé le même convolvulus hérissé auprès de Smyrne, dont on ne retiroit aucun suc, tandis que le convolvulus folio glabro croissoit en si grande abondance en Syrie, qu'il suffiroit seul pour préparer toute la scammonée dont on se sert, & qu'on n'employe pas même pour tirer ce suc de toutes sortes de scammonée ; mais on choisit sur-tout celle qui croît sur le penchant de la montagne qui est au-dessous de la forteresse de Smyrne. On découvre la racine en écartant un peu la terre ; on la coupe & on met sous la plaie, des coquilles de moule, pour recevoir le suc laiteux que l'on fait sécher & que l'on garde. Cette scammonée ainsi renfermée dans des coquilles est réservée pour les habitans du pays, & il est très-rare qu'on en porte aux étrangers.

Les Grecs & les Arabes indiquent les différentes manieres de recueillir le suc.

1°. On coupe la tête de la racine ; on se sert d'un couteau pour y faire un creux hémisphérique, afin que le suc s'y rende, & on le recueille ensuite avec des coquilles.

2°. D'autres font des creux dans la terre : ils y mettent des feuilles de noyer, sur lesquelles le suc tombe, & on le retire lorsqu'il est sec. Mésué rapporte quatre manieres de tirer ce suc, qui le rendent tout différent. 1°. Aussi-tôt que la racine s'éleve audessus de la terre, on coupe ce qui en déborde, & elle donne tous les jours un suc gommeux que l'on garde lorsqu'il est séché. 2°. On arrache ensuite toute la racine ; &, après l'avoir coupée par tranches, il en sort un lait que l'on fait sécher à un feu doux ou au soleil : on en fait des pastilles, sur lesquelles on imprime un cachet ; leur couleur est blanchâtre ou variée. 3°. On pile les morceaux des racines, on les exprime, on fait sécher le suc qui en sort, & on le marque d'un cachet : celui-ci est grossier, noir & pesant. 4°. Il y a aussi des personnes qui tirent du suc des feuilles & des tiges après les avoir pilées : on le seche ensuite, & on en fait de petites masses ; mais ce suc est d'un noir verdâtre & d'une mauvaise odeur.

On ne nous apporte plus de scammonée marquée d'un cachet, ni celle qui découle d'elle-même en larmes de la racine que l'on a coupée, & que l'on recueille dans des coquilles près de Smyrne. Elle est la meilleure, mais elle est très-rare en ce pays. Sa couleur est transparente, blanchâtre ou jaunâtre, & elle ressemble à de la résine ou de la colle-forte : Lobet & Pena en font mention dans leurs observations. La scammonée qu'on nous apporte à présent est en gros morceaux opaques & gris. Nous ne savons point du tout quelle est la maniere de la recueillir ; mais il est vraisemblable que les masses sont formées de sucs tirés, soit par l'incision, soit par l'expression ; c'est ce qui fait que l'on voit tant de variété de couleurs dans le même morceau.

Dans l'analyse chymique, on retire, par le moyen de l'esprit-de-vin, cinq onces de résine de six onces de scammonée. Ainsi sa plus grande partie se dissout dans l'esprit-de-vin, & il reste quelques parties mucilagineuses, salines & terreuses ; mais toute sa substance se dissout dans des menstrues aqueux, qui prennent la couleur de lait après la dissolution, à cause des parties résineuses mêlées avec les parties salines & aqueuses.

Les Grecs & les Arabes ont employé la scammonée. Les modernes la regardent comme un très-violent purgatif ; j'ajoute que c'est un remede infidele, & dont l'opération est très-incertaine ; sa grande acrimonie irrite l'estomac, cause des nausées, enflamme, ratisse les intestins, les ulcere, ouvre les veines, & produit des superpurgations. On a imaginé plusieurs préparations de ce remede, pour en corriger la violence ; & à cet effet on se sert du suc de coing, de réglisse ou du soufre ; de-là viennent les noms de diagrede de coing, diagrede de réglisse & diagrede de soufre, qui sont d'usage en médecine. Voyez, si vous voulez, DIAGREDE. (D.J.)


SCAMPOE(Géog. anc.) ville de la Macédoine : l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Dyrrhachium à Bysance, entre Claudiana & Tres-Tabernae, à 20 milles du premier de ces lieux, & à 28 milles du second ; le même itinéraire met cependant dans une autre route 22 milles de Claudiana à Scampoe, & 30 milles de Scampoe à Tres-Tabernae. (D.J.)


SCANDALES. m. (Gram. & Théol.) selon le langage de l'Ecriture & des casuistes, signifie une parole, une action ou une omission qui porte au péché ceux qui en sont témoins, ou qui en ont la connoissance.

Ce mot vient du grec , ou du latin scandalum, qui, selon Papias, signifie une querelle qui s'éleve tout-à-coup, rixa quae subitò inter aliquos scandit vel oritur.

Le scandale est actif ou donné, & passif ou reçu. Le scandale actif ou donné est l'induction au mal de la part de celui qui scandalise. Le scandale passif ou reçu est l'impression désavantageuse que fait le scandale sur ceux qu'il entraîne ou qu'il excite au mal.

Dans l'Ecriture & dans les auteurs ecclésiastiques, scandale se met pour tout ce qui se rencontre dans le chemin d'un homme, & qui peut le faire tomber. Ainsi Moïse défend de mettre un scandale devant l'aveugle, c'est-à-dire, ni pierre, ni bois, ni aucune chose capable de le faire trébucher, Lévit. xix. 14. De-là dans le moral on a pris le mot scandale pour une occasion de chûte ou de péché. Jesus-Christ a été, à l'égard des juifs, une pierre d'achoppement & de scandale, contre laquelle ils se sont brisés par leur faute, n'ayant pas voulu le reconnoître pour le Messie, malgré les caracteres qui le leur démontroient.

Scandale dans le langage familier est une action contraire aux bonnes moeurs, ou à l'opinion générale des hommes. Il signifie aussi une rumeur desavantageuse, qui deshonore quelqu'un parmi le monde. En ce sens, on appelle la médisance la chronique scandaleuse.

Pierre de scandale, en latin lapis scandali ou vituperii, étoit une pierre élevée dans le grand portail du capitole de l'ancienne Rome, sur laquelle étoit gravée la figure d'un lion, & où alloient s'asseoir à nud ceux qui faisoient banqueroute & qui abandonnoient leurs biens à leurs créanciers. Ils étoient obligés de crier à haute voix, cedo bona, j'abandonne mes biens, & de frapper ensuite avec leur derriere trois fois sur la pierre. Alors il n'étoit plus permis de les inquiéter pour leurs dettes. Cette cérémonie ressembloit assez à celle du bonnet verd, qu'on pratiquoit autrefois en France dans le même cas. On appelloit cette pierre pierre de scandale, parce que ceux qui s'y asseyoient pour cause de banqueroute, étoient diffamés, déclarés intestables, & incapables de témoigner en justice.

On raconte que Jules César imagina cette forme de cession après avoir aboli l'article de la loi des douze tables, qui autorisoit les créanciers à tuer ou à faire esclaves leurs débiteurs, ou du-moins à les punir corporellement : mais cette opinion n'est appuyée d'aucune preuve solide.

Scandale des grands, scandalum magnatum, est un terme de droit, par lequel on entend une injure ou offense faite à un personnage considérable, comme un prince, un prélat, un magistrat, ou d'autres grands officiers, en semant contr'eux des médisances ou calomnies, d'où naissent la discorde & les débats entr'eux & ceux qui leur sont subordonnés, au mépris, & souvent au détriment de leur autorité.

On appelle aussi scandalum magnatum un ordre qu'on obtient en ce cas pour avoir des dommages ou intérêts contre le calomniateur, ou tel autre auteur du scandale.

SCANDALE, montagne du, (Critique sacrée) dans la vulgate mons offensionis, la montagne du scandale est la montagne des oliviers, sur laquelle Salomon érigea des autels aux faux-dieux par complaisance pour les femmes étrangeres qu'il avoit prises, excelsae ad dexteram partem montis offensionis, aedificaverat Salomon rex Israël.... polluit rex. (D.J.)


SCANDALEUXadj. (Gramm.) qui cause du scandale ; il se dit des choses & des personnes. Avancer comme quelques écrivains de la société de Jesus l'ont fait, qu'il n'est pas permis à tout le monde de disposer de la vie des tyrans ; c'est une proposition scandaleuse, parce qu'elle laisse entendre qu'il y a apparemment des personnes à qui le tyrannicide est permis. La doctrine du probabilisme est une doctrine scandaleuse. L'invitation que le P. Pichon fait au pécheur d'approcher tous les jours des sacremens sans amour de Dieu, sans changer de conduite, est une invitation scandaleuse. L'éloge de l'ouvrage de Busembaum qu'on lit dans les mém. de Trév. est scandaleux. Des religieux traînés devant les tribunaux civils pour une affaire de banque & de commerce, & condamnés par des juges-consuls à payer des sommes illicitement dûes & plus illicitement encore refusées, sont des hommes scandaleux. Des prêtres qui font jouer des farces sur un théatre, & danser dans l'enceinte de leurs maisons les enfans confiés à leurs soins, confondus avec des histrions, donnent un spectacle scandaleux. On trouveroit toutes sortes d'exemples de scandale, sans s'éloigner de-là ; mais il y en a dont il seroit difficile de parler sans scandaliser étrangement les femmes, les hommes & les petits enfans.


SCANDARON(Géog. anc.) lieu renommé dans la Phénicie, avec un château qu'on dit qu'Alexandre le grand avoit élevé pour lui servir de retraite pendant qu'il assiégoit la ville de Tyr, dont ce château n'étoit éloigné que de 5 milles. Il fut détruit dans la suite par Pompée, quand il se rendit maître de la Phénicie. L'endroit où étoit cette citadelle est agréable & fertile. (D.J.)


SCANDEA(Géog. anc.) ville de l'île de Cythere. Elle étoit sur le bord de la mer, selon Thucydide, l. IV. 287. & Pausanias, Lacon. c. xxiij. qui lui donne un port, dit qu'elle étoit presque à dix stades de la ville de Cythere. Au-lieu de Scandea, Etienne le géographe, Suidas & Lycophron écrivent Scandia. (D.J.)


SCANDERv. act. (Gram. & Littérat.) terme de Poésie, qui signifie mesurer un vers, ou compter combien il y a de piés ou de syllabes, faire sentir les longues & les breves. Voyez QUANTITE & MESURE.

Ce mot vient du latin scandere, monter, parce qu'en scandant les vers, il se fait une espece de progression depuis le premier pié jusqu'au dernier.

On ne scande que les vers grecs & latins, la quantité n'étant plus d'usage dans les langues modernes.

On scande différemment chaque espece de vers, l'hexametre d'une façon, l'iambique d'une autre, le sapphique d'une autre, &c. selon le nombre & la nature des piés dont ils sont composés. Voyez HEXAMETRE, IAMBIQUE, &c.


SCANDERBADE(Géog. mod.) ville de l'Indostan au royaume d'Agra, sous la domination du grand-mogol. Cette ville a été autrefois considérable, car c'étoit la capitale du roi des Patans ; mais elle a perdu sa splendeur depuis qu'elle a été ruinée par Ecbar, qui s'en rendit maître sur le Raja Sélim. (D.J.)


SCANDERBORG(Géog. mod.) petite ville de Danemarck, dans le diocèse d'Arhus, avec un château fortifié. Elle est environnée de lacs poissonneux. (D.J.)


SCANDIA(Géog. anc.) île de l'Océan septentrional, selon Pline, l. IV. c. xvj. qui semble la distinguer de la Scandinavie. Il n'en parle pas trop affirmativement : sunt, dit-il, qui & alias prodant Scandiam Dumnam, Bergos. Aussi cette région n'étoit - elle guere connue de son tems. Comme la Scandinavie étoit donnée alors pour île, il ne seroit pas impossible qu'on en eût pareillement fait d'autres, de quelques parties du continent des pays septentrionaux, à-moins qu'on ne dise que par Scandia Pline entend les îles qui sont appellées Scandiae par Ptolémée, & Hemodes par Pomponius Méla. (D.J.)


SCANDILLEou SCANDILE, (Géog. mod.) île basse & petite de la mer Egée près de la côte de Thrace, selon Pomponius Méla, l. II. c. vij. Isaac Vossius remarque que cette île conserve son ancien nom, & qu'on l'appelle présentement Scandole ; les Mariniers disent Schazola. (D.J.)


SCANDINAVIA(Géog. anc.) SCANDIA ou SCANZIA. Les anciens croyoient qu'au-delà de la mer Baltique, qu'ils connoissoient sous le nom de sinus Codanus, il n'y avoit que des îles, à la plus grande desquelles ils donnoient le nom de Scandinavie ou Scandie.

Pline, l. IV. c. xiij. dit que la grandeur de cette île n'étoit point connue, & que la partie qu'on en connoissoit, étoit habitée par les Hillévions, qui y avoient 500 bourgades. Depuis on connut que la Scandinavie n'étoit pas une île, mais une grande péninsule, qui comprend ce qu'on appelle aujourd'hui la Suede, la Norwege & la Finlande.

Cette prétendue île de Scandinavie est nommée Baltia par Xénophon de Lampsaque qui la met à trois journées de navigation du rivage des Scythes ; & la même île est appellée Basilia par Pithéas.

Ces noms de Baltia & de Basilia pourroient bien être corrompus l'un de l'autre. Jornandès, de reb. Get. c. iij & jv. appelle Scanzia le pays d'où étoient sortis les Goths ; & il dit que ce pays-là étoit, quasi officinam gentium, aut certè velut vaginam nationum, la fabrique du genre humain ; mais dit M. Montesquieu, " je l'appellerois plutôt la fabrique des instrumens qui ont brisé les fers forgés au midi. C'est-là que se sont formées ces nations vaillantes, qui sont sorties de leur pays pour détruire les tyrans & les esclaves, & apprendre aux hommes que la nature les ayant fait égaux, la raison n'a pu les rendre dépendans que pour leur bonheur. " (D.J.)


SCANDINAVIE(Géog. mod.) grande péninsule d'Europe, que les anciens croyoient une île, & qui comprend aujourd'hui le Danemarck, la Suede, la Norwege, la Laponie & la Finlande. C'est-là le pays qui peut se vanter d'avoir été la ressource de la liberté de l'Europe, c'est-à-dire, de presque toute celle qui est aujourd'hui parmi les hommes. Rudbeck a bien eu raison de chanter sa Scandinavie. Voyez SCANDINAVIE. (D.J.)


SCANDIXS. m. (Botan.) Tournefort en compte trois especes. Nous décrirons la commune, qu'il appelle scandix vulgaris, semine rostrato. inst. rei herb. 326. en françois peigne de Vénus.

Sa racine est simple, blanche, fibreuse, annuelle, d'un goût tirant sur l'âcre. Elle pousse plusieurs tiges à la hauteur d'environ un pié, grêles, rameuses, velues, vertes en haut, rougeâtres en bas, un peu cannelées. Ses feuilles sont découpées menu, à-peu-près comme celles de la coriandre, attachées à des queues assez longues, d'un goût douçâtre, un peu âcre.

Les sommités des tiges & des rameaux soutiennent des ombelles ou parasols de petites fleurs, à cinq pétales blanches, formées en coeur, & disposées en fleur de lis, avec autant d'étamines capillaires, à sommets arrondis. Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits composés de deux graines très-longues, semblables à des aiguilles, convexes, sillonnées d'un côté, & applaties de l'autre. Cette plante croît abondamment, & presque par-tout, parmi les blés, dans les champs, & les vignobles ; elle fleurit en Mai & Juin. (D.J.)


SCANIE(Géog. mod.) province de Suede. Voyez SCHONEN. (D.J.)


SCANTIASYLVA, (Géog. anc.) forêt d'Italie ou de la Campanie. On lit dans Ciceron, orat. xv. sur la loi agraire, veneat, inquit, sylva scantia : & Pline, l. II. cap. cvij. Exit (flamma) & ad aquas scantias. Cette forêt & ces eaux étoient en Italie, selon les critiques. Ne les devroit-on point placer aussi dans la Campanie ? car Pline, l. XIV. c. iv. dit que la vigne nommée aminea, est appellée scantia par Varron. Macrobe, III. saturn. c. xix. fait mention d'un mal qu'il appelle scantianum malum, sans nous faire connoître quel mal c'étoit. (D.J.)


SCANTINIALOI, (Droit rom.) La loi scantinia avoit été faite contre une certaine débauche que les loix n'ont jamais pu bannir de l'Italie. Il en est parlé dans la lettre de Ciceron. Coelius lui mande : " Venez au plus tôt, vous trouverez bien ici dequoi rire ; vous y verrez Drusus juger les affaires qui ont rapport à la loi scantinia. " Ce Drusus étoit un débauché, qui fut préteur en 703, & qui avoit exercé toutes sortes de violences dans le tems qu'il étoit tribun avec Vatinius. (D.J.)


SCAPHÉ(Astronom.) un des premiers instrumens dont les anciens se soient servis pour les observations solaires. C'étoit proprement un petit gnomon, dont le sommet atteignoit au centre d'un segment sphérique. Un arc de cercle passant par le pié du stile étoit divisé en parties, & l'on avoit tout-d'un-coup l'angle que formoit le rayon solaire avec la verticale ; du reste il étoit sujet aux mêmes inconvéniens, & il exigeoit les mêmes corrections : il étoit enfin moins propre que le gnomon à des observations délicates, parce qu'il étoit plus difficile de s'en procurer un d'une hauteur considérable. Cela n'empêcha cependant pas Eratostene de s'en servir pour mesurer la grandeur de la terre, & l'inclinaison de l'écliptique à l'équateur ; c'est pourquoi ces observations sont légitimement suspectes, & l'on ne sauroit regarder leurs résultats que comme des approximations encore assez éloignées de la vérité. Montucla, hist. des Mathématiques, tom. I. (D.J.)


SCAPHÉPHORES. m. (Antiq. d'Athènes) . Les Athéniens nommoient scaphéphores tous les étrangers mâles qui résidoient à Athènes, parce qu'ils étoient obligés, à la fête des Panathenées, de porter en procession de petits bateaux nommés scaphae, . Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 56. (D.J.)


SCAPHISMES. m. (Hist. anc.) supplice en usage chez les anciens Perses. C'est le même que M. Rollin dans son Histoire ancienne, appelle le supplice des auges. Le mot scaphisme venant de ou , un esquif, petit vaisseau creux, & par similitude une auge, ou de , je creuse.

Ce supplice consistoit à mettre le criminel à la renverse dans une auge assez grande pour contenir son corps, & à laquelle on avoit pratiqué cinq échancrures pour laisser passer ses piés, ses mains & sa tête ; on le couvroit ensuite d'une autre auge également échancrée, qu'on clouoit ou qu'on lioit fortement sur l'auge inférieure. Dans cette posture incommode, on lui présentoit la nourriture nécessaire, qu'on le forçoit de prendre malgré lui. Pour boisson, on lui donnoit du miel détrempé dans du lait ; & on lui en frottoit ensuite tout le visage, ce qui attiroit sur lui une quantité incroyable de mouches, d'autant plus qu'il étoit toujours exposé aux rayons ardens du soleil. Les vers engendrés de ses excrémens, lui rongeoient les entrailles au-dedans. Ce supplice duroit ordinairement quinze ou vingt jours pendant lesquels le patient souffroit des tourmens indicibles.

Ceux qui attribuent l'origine de ce supplice à Parysatis mere d'Artaxerxès Mnemon & du jeune Cyrus se trompent, puisqu'Artaxerxès Longue-main, selon Plutarque, fit subir ce genre de mort à l'eunuque Mithridate pour crime de trahison.


SCAPHIUMS. n. (Littérat.) Ce mot est assez équivoque dans les auteurs ; quelquefois, comme dans Plaute, il désigne une coupe à boire qui étoit faite en forme d'une petite gondole. Dans Vitruve, il signifie un bassin de métal, soit de cuivre, ou de plomb ; dans Martial, un bassin de chaise percée ; & dans d'autres auteurs, il signifie une espece de cadran, lequel outre les heures, montroit les solstices & les équinoxes. (D.J.)


SCAPHOIDEterme d'Anatomie, est un os du pié, qu'on appelle autrement naviculaire. Voyez NAVICULAIRE.

Ce mot est formé du mot , barque, esquif, lequel vient de , creuser, parce qu'originairement les barques étoient faites de troncs d'arbres creusés, comme le sont encore les canots chez bien des peuples sauvages.


SCAPRIou SCABRIS, (Géog. anc.) port d'Italie, sur la côte de la Toscane. L'itinéraire d'Antonin le marque sur la route par eau de Rome à Arles, entre le fleuve Alma, dont il étoit éloigné de 6 milles, & le port Flesia, qui en étoit à 18 milles. Ortélius dit que ce port s'appelloit, de son tems, Scatino. (D.J.)


SCAPTÉSYLE(Géog. anc.) c'est-à-dire la forêt coupée, petite ville de Thrace en tirant du côté de Thasus, selon Etienne le géographe, & Plutarque in Cimone, qui dit que ce fut l'endroit où Thucydide écrivit l'histoire de la guerre des Athéniens contre les habitans du Péloponnèse.

Ortelius soupçonne que Scaptésyle pourroit être le même que Scaptensula, où selon Festus il y avoit une mine d'argent : il met pourtant Scaptensula dans la Macédoine ; mais la Macédoine étoit voisine de la Thrace. Le mot Scaptensula, ajoute Festus, vient du grec , qui veut dire creuser, fouiller dans la terre. Lucrece, l. VI. parlant des dangereuses exhalaisons auxquelles sont exposés ceux qui travaillent aux mines d'or & d'argent, cite pour exemple la mine de Scaptensula.

Quales expiret Scaptensula subter odores.

(D.J.)


SCAPTIA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium. Pline, liv. III. ch. v. la met au nombre des villes qui avoient été célebres, & qui se trouvoient détruites de son tems. Festus dit que les habitans de Pedo s'étoient établis dans la ville de Scaptia. Il ajoute que cette derniere ville donna le nom à la tribu Scaptia, d'où les peuples de cette ville furent appellés tribules scaptienses, comme on le voit dans Suetone in Aug. c. xl. l'origine de cette tribu est rapportée par Tite-Live, liv. VIII. ch. xvij. (D.J.)


SCAPULAIRES. m. (Hist. ecclés.) est une partie de l'habillement de différens ordres religieux. Il consiste en deux bandes d'étoffe larges d'environ un pié, dont l'une passe sur l'estomac & l'autre sur le dos ou sur les épaules, d'où lui est venu ce nom, car scapula signifie l'omoplate. Les religieux profès laissent pendre le scapulaire jusqu'à terre, & les freres lais jusqu'aux genoux seulement. Saint Benoît dans sa regle donne un scapulaire à ses moines pour le travail. Il étoit beaucoup plus large & plus court qu'il n'est aujourd'hui, & il servoit, comme le porte le nom, à garnir les épaules pour les fardeaux, & à conserver la tunique. On ne portoit alors le scapulaire que pendant le travail ; mais depuis les moines l'ont regardé comme la partie la plus essentielle de leur habit, & en ont changé l'ancienne figure. Fleury, moeurs des Chrét. n°. 54.

SCAPULAIRE, est aussi une dévotion introduite dans l'église romaine par Simon Stock, qui fut général des carmes vers le milieu du treizieme siecle. Elle consiste pour les religieux à porter le scapulaire, & pour les laïcs, à porter aussi sur eux une espece de brasselet ou de morceau d'étoffe sur laquelle est brodé le nom de la Vierge & à en réciter l'office à certains jours, avec quelques autres pratiques de dévotion.

Simon Stock, instituteur de ces pratiques, assura que dans une vision la sainte Vierge lui avoit donné le scapulaire, comme une marque de sa protection spéciale envers tous ceux qui porteroient ce petit habit, qui garderoient la virginité, la continence ou la chasteté conjugale selon leur état, & qui réciteroient le petit office de Notre-Dame. Le docteur de Launoy traite cette apparition d'imposture, & les bulles des papes qu'on cite en sa faveur de pieces supposées ; il remarque que les carmes ne commencerent à porter le scapulaire que long-tems après l'époque qu'on fixe pour cette apparition. Le pape Paul V. en retranchant plusieurs abus qui s'étoient glissés dans cette dévotion, la permet cependant en substance, ce qui auroit dû engager M. de Launoy à parler avec plus de réserve d'une pratique pieuse autorisée par le saint siége.

SCAPULAIRE, adj. en Anatomie, ce qui a relation avec l'omoplate appellée en latin scapula. Voyez OMOPLATE.

L'artere scapulaire externe vient de l'axilloïde, & passe sur la charniere de la côte supérieure de l'omoplate pour se distribuer aux muscles qui sont aux environs.

L'artere scapulaire interne vient de l'axilloïde, & se distribue principalement au muscle sous- scapulaire, en donnant quelques rameaux aux parties circonvoisines.

SCAPULAIRE, s. m. terme de Chirurgie, espece de bandage dont on se sert pour soutenir la serviette qui entoure la poitrine ou le bas-ventre. C'est une bande large d'environ demi-aune, longue de quatre doigts, fendue dans le milieu pour y passer la tête, & dont les deux bouts pendent, l'un par-devant, & l'autre parderriere, & s'attachent à la serviette par des épingles, pour l'empêcher de descendre. Voyez fig. 1. Pl. XXX. (Y).


SCARABÉES. m. (Hist. nat.) petit insecte, espece d'escarbot, dans laquelle on place le cerf-volant & les autres semblables.


SCARAMOUCHES. m. (Gramm.) bouffon, habillé de noir depuis la tête aux piés, en toque noire, en manteau noir, & dont le masque est rayé de noir au front, aux deux joues & au menton.


SCARARAGAMS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre des Indes orientales, qui porte des fruits de la grosseur des noix, d'une couleur verdâtre, & dont le goût est très-agréable ; les Indiens nomment ce fruit undis.


SCARBA(Géogr. mod.) petite île de la mer d'Ecosse, & l'une des westernes ; elle est séparée de l'île de Jura par un détroit où la marée est très-violente ; aussi la Scarba est-elle dépeuplée ; on ne lui donne que quatre milles de longueur sur un mille de largeur. (D.J.)


SCARBOROUGH(Géog. mod.) anciennement Scarbourg, ville d'Angleterre, dans Yorck - shire, vers le nord de la province. Elle est bâtie sur un rocher fort élevé, avec un château que le roi Henri II. fit construire pour sa défense, & où l'on tient toujours garnison. Il y a un bon port, où les vaisseaux sont en sureté, & des eaux minérales qui y attirent beaucoup de monde.

Friddes (Richard), savant théologien, & écrivain poli du xviij. siecle, naquit près de Scarborough, en 1671. Il se fit beaucoup d'amis à Oxford par son esprit, par l'agrément de sa conversation, & par ses manieres engageantes. Le docteur Sharp, archevêque d'Yorck, lui donna un bénéfice, dans lequel il se distingua par son affabilité & son application à remplir les devoirs de son ministere ; mais il eut le malheur, par une grande maladie, de perdre les agrémens & les charmes de sa voix, qui avoient fait auparavant l'admiration de tout le monde. Comme il s'étoit marié fort jeune, & qu'il avoit une nombreuse famille, il résolut pour la soutenir de venir à Londres, & de s'y livrer tout entier à la composition.

Le premier ouvrage qu'il publia, est un systême de théologie, d'après les principes de la religion naturelle, & de la religion révélée. Londres 1718 & 1720, in-folio. Cet ouvrage fut très-favorablement reçu du public, & l'on en lit de bons extraits dans la Bibliotheque angloise, & dans les Mémoires de littérature de M. de la Roche ; l'auteur réfute toujours les calvinistes, les catholiques romains, les sociniens, & les déistes, avec une douceur qui peint la bonté de son caractere.

Le second ouvrage qu'il mit au jour, comprend ses sermons & discours moraux sur divers sujets, au nombre de cinquante-deux, qui forment un volume in-folio, imprimé à Londres en 1722. Le but de cet ouvrage est de dévoiler quelques-unes des erreurs générales, & des vices les plus dominans de notre siecle, comme aussi de persuader aux hommes la nécessité d'être solidement vertueux.

Il fit paroître en 1724 la vie du cardinal Wolsey à Londres, in-fol. avec figures. Il eut des souscriptions considérables pour l'impression de cet ouvrage ; l'accueil qu'on lui fit l'engagea d'entreprendre les vies du chevalier Thomas Morus, & de Jean de Fischer, évêque de Rochester ; mais on lui vola son manuscrit qu'on n'a jamais retrouvé.

Il a encore donné un traité de morale sur les principes de la raison. Londres 1724, in-8 °. une excellente brochure sur l'Iliade d'Homere ; un livre sur l'Eucharistie ; enfin une défense de la fameuse épitaphe latine que Jean Sheffield, duc de Buckingham avoit faite pour lui-même.

Pro rege saepè, pro republicâ semper.

Dubius, sed non improbus vixi.

Incertus morior, sed inturbatus.

Humanum est errare, & nescire.

Much for the prerogative ; ever for my country ;

I lived irregular not profligate.

Tho'going to a state unknown, i dye resign'd.

Frailty and ignorance attend on human life.

Voici la traduction littérale de l'anglois : " Zélé souvent pour les droits du roi, toujours pour ceux de mon pays : j'ai vécu d'une maniere irréguliere mais non débauchée ; quoique j'aille entrer dans un état inconnu, je meurs résigné : la fragilité & l'ignorance sont l'apanage de la condition humaine ".

M. Friddes conclut la défense du duc de Buckingham d'une façon qui ne peut que lui faire honneur. " Si, dit-il, je me suis trompé dans cette apologie occasionnelle d'un illustre seigneur, distingué par quantité de talens remarquables ou supérieurs, mon erreur part d'un principe de charité. Je soumets humblement tout ce que j'ai dit à la censure, surtout à celle qui part d'un zele de religion, aussi fervent que je sais qu'il l'est dans les personnes à qui cette épitaphe a déplu. Je ne voudrois pas, par quelque raison que ce pût être, qu'on pût m'accuser du dessein de préjudicier le moins du monde, & de faire le moindre tort à la cause de la vraie piété ; mais toutes les regles de l'équité commune nous obligent à interpreter les paroles aussi-bien que les actions des hommes, de la maniere la plus favorable qu'elles peuvent l'être ; & l'obligation de nous conformer à ces regles est plus forte, lorsqu'il s'agit d'expliquer les paroles de ceux qui ne peuvent s'expliquer eux-mêmes ".

Cet aimable & savant homme vécut toujours avec le plus grand desintéressement, négligeant trop le bien-être qu'il pouvoit se procurer par quelques démarches auprès des ministres : les gens vraiment passionnés pour les sciences, songent très-peu à acquérir les biens de la fortune ; le plaisir qu'ils trouvent avec leurs livres, leur tient lieu de tout. L'application du docteur Friddes à l'étude étoit si grande, qu'il y donnoit des nuits entieres ; son travail abrégea ses jours. Il mourut en 1725, âgé de 54 ans. C'est une situation bien triste que celle d'un homme de lettres qui desire de se distinguer par ses écrits, & de pourvoir en même tems, par ce seul moyen, à la subsistance d'une famille ; d'un côté le besoin le presse, & de l'autre la renommée lui crie de limer ses ouvrages, & de les rendre dignes de l'immortalité.

Un artiste ingénieux a représenté un beau génie qui se trouve dans cette situation, sous l'emblème d'une belle femme, mal vêtue, regardant le ciel, & élevant en l'air son bras droit que deux aîles soutiennent, tandis que son corps & son bras gauche sont attachés à une grosse pierre qui est en terre, image parlante du malheur de plusieurs hommes de lettres. (D.J.)


SCARDALE(Géogr. mod.) c'est-à-dire vallée de rochers ; pays d'Angleterre dans le Derbishire. On lui a donné le nom de Scardale, parce qu'il est parsemé de rochers, que les anciens appellent scares. On y voit le bourg de Chesterfield sur le Rother, bourg qui paroît ancien, & qu'on appelle à cause de cela Chester-in-Scardale. (D.J.)


SCARDINGEN(Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne dans la basse Baviere, au confluent du Roer & de l'Inn, au midi de Passaw. Long. 30. 51. latit. 48. 29. (D.J.)


SCARDONA(Géogr. anc.) Scardon, dans Strabon, l. VII. les derniers lieux que Ptolémée, l. II. c. xvij. marque sur la côte de la Liburnie, sous l'embouchure du Titius & la ville Scardona, qu'il met à la gauche de l'embouchure de ce fleuve, & qu'il comprend cependant dans la Liburnie.

Il ne seroit pas sans exemple qu'un fleuve fût réputé faire la borne d'une province, & qu'une ville située au-delà de ce fleuve, mais pourtant sur son rivage, eût appartenu à la même province. Aussi n'est-ce pas là la difficulté : elle consiste plutôt en ce que les descriptions modernes de la Dalmatie, marquent les ruines de Scardona près de la Scardonius, à la droite de l'embouchure du fleuve Titius, au lieu que Ptolémée place cette ville à la gauche de ce fleuve, nommé aujourd'hui Kerca.

Casimir Freschot, dans ses mémoires géographiques, dit en parlant de Scardona, pag. 289 : le ruine delle sue antiche fortificazioni, e citadella si vedono poco longhi del luogo, chiamato da Latini Scardonio ; in volgare Proclian, e a destra del fiume Kerca, ch'é l'anticho Titio, quale col suo corso mette li confini all'antica Liburnia e Dalmazia. Il faut donc dire, ou que la ville Scardona n'a pas toujours été à la gauche du Titius, ou qu'il y a une transposition dans Ptolémée, qui devoit placer Scardona avant l'embouchure du Titius.

On voit que la ville Scardona étoit considérable, puisqu'on l'avoit choisie pour le lieu de l'assemblée générale de la province, & qu'elle se trouvoit le siége de la justice pour les Japydes & pour quatorze villes de la Liburnie ; ce qu'on appelloit conventus Scardonitanus. Cette ville, selon Pline, l. III. c. xxij. étoit à douze mille pas de la mer, sur le bord du Titius, in amne eo (Titio.)

Aujourd'hui Scardona n'est remarquable que par son siége épiscopal, sous la métropole de Spalatro. Cet évêché y fut transféré de Belgrade sur la mer en 1120 ; elle a été cependant ci-devant une place de force, & très-considérable. En 1322, durant les troubles de Hongrie, les habitans de Scardona s'étant ligués avec ceux d'Almissa, pour exercer la piraterie, diverses autres villes qui souffroient de ces pirateries, s'unirent avec les Vénitiens pour les arrêter ; & comme la partie ne se trouva pas égale, la ville de Scardona fut saccagée dans cette occasion.

En 1411 les Vénitiens acquirent Scardona du roi de Bosnie, qui la leur remit avec Ostrovizza pour cinq mille écus d'or, & ils la garderent jusqu'à l'arrivée des Turcs, qui la prirent en 1522. Mais bientôt après les Vénitiens la reprirent d'assaut, & la démantelerent en 1539. Les Turcs s'y étant établis depuis, en furent encore chassés par les Vénitiens, qui la réunirent à leur domaine en 1684. (D.J.)

SCARDONA, (Géogr. mod.) même nom des anciens ; ville ruinée de la Dalmatie vénitienne, à sept milles au nord-ouest de Sebenico, dans une presqu'île formée par une petite riviere. Les Vénitiens acquirent cette ville en 1411, du roi de Bosnie. Les Turcs la leur enleverent en 1522 ; mais elle est restée toute démantelée depuis l'an 1684, à la république de Venise, qui y entretient une garnison. Son évêché est suffragant de Spalatro. Long. 33. 50. lat. 44. 20. (D.J.)


SCARDUS- MONS(Géogr. anc.) Strabon, Excerpt. ex l. VII. c. xvij. & Ptolémée, l. II. c. xvij. donnent le nom de Scardus à la derniere des montagnes qui séparoient l'Illyrie de la Dalmatie & de la Moesie ; mais Tite-Live, l. XLIII. c. xx. écrit Scordus au lieu de Scardus. (D.J.)


SCARES. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) scarus ; Rondelet a décrit deux especes de scare ; ce sont des poissons de mer qui vivent sur les rochers. On a donné le nom de cantheno à la premiere espece dans certains pays, & dans d'autres celui de sargo ; mais mal-à-propos, parce qu'il y a deux autres poissons connus sous ces noms. La seconde espece a été décrite dans cet ouvrage sous le nom d'aiol. Voyez AIOL.

Le scare a de grandes écailles minces, & d'un bleu noirâtre ; il ressemble au sargo par la forme du corps, par les aiguillons, par le nombre & la position des nageoires. Voyez SARGO. Mais il en differe en ce qu'il n'a point de tache noire sur la queue, ni de traits de cette même couleur qui s'étendent sur les côtés du corps depuis le dos jusqu'au ventre. Le scare a les dents larges & plusieurs protubérances aux machoires, qui sont dures comme des os ; la nageoire de la queue est large, & se divise en deux parties ; les yeux sont noirs, & l'espace qui est au-dessus est bleu ; le ventre a une couleur blanche. Ce poisson se nourrit d'herbes, & principalement d'algue ; sa chair est légere, & très-bonne à manger ; ses boyaux ont une odeur de violette. Rondelet, hist. nat. des poissons, I. part. liv. VI. c. xj. Voyez POISSON.


SCARIFICATEURS. m. instrument de Chirurgie qui sert à scarifier. Voyez SCARIFICATION.

Le scarificateur est une espece de boîte dans laquelle sont douze, quinze, ou dix-huit lancettes, qu'on bande avec un ressort, & qui se débandent avec un autre, & font toutes à la fois leur incision dans la peau. Jusqu'à l'invention de cette espece de scarificateur, qui est moderne, on se servoit au lieu de lancettes, de petites roues tranchantes.

L'usage du scarificateur est d'évacuer le sang & les autres humeurs qui séjournent sous la peau, en y faisant un grand nombre d'ouvertures, lesquelles étant faites toutes à la fois, causent une douleur bien plus supportable que s'il falloit les souffrir l'une après l'autre.

Cet instrument n'est en usage qu'après l'application des ventouses. Voyez VENTOUSE. On peut se servir d'une lancette ordinaire avec autant d'avantage, parce que la stupeur qu'occasionne à la peau l'application des ventouses, permet qu'on fasse les scarifications sans presque causer de douleur. La fig. 13. Pl. XXVI. représente l'extérieur de cette machine ; l'intérieur est trop composé pour être représenté sans y employer beaucoup de figures & une longue description, ce qui est assez hors d'oeuvre pour un instrument aussi peu utile que celui-là. Il suffit de dire que la queue des lancettes est mousse, qu'elles tiennent à trois traverses paralleles, & qu'elles sont garnies chacune à son extrêmité d'un pignon dont les dents s'engagent dans une roue dentée. Chaque traverse est mobile, & tourne en pivot sur son axe par le moyen de cette roue, qui se bande comme la noix d'une platine à fusil, & se débande par un autre. Cette roue en se débandant fait agir les traverses & les lancettes, & les fait mouvoir très-rapidement de droite à gauche sur la peau. Cette machine a un surtout avec des fentes par lesquelles passent les lancettes ; ce surtout s'éloigne ou s'approche à volonté, de l'axe de l'instrument par une vis ; par ce moyen les lancettes incisent plus ou moins profondément, selon qu'on le désire. Cet instrument vient d'Allemagne. Il differe peu du scarificateur représenté dans Ambroise Paré, l. XII. c. v. Cet auteur en recommande l'usage pour prévenir la gangrene, qui peut suivre les contusions ; au lieu de lancettes il a trois rangs de roues tranchantes ; ce qui revient au même quant à l'effet. Heister loue beaucoup le scarificateur allemand ; seroit-ce parce que M. de Garangeot l'a desapprouvé ? (Y)


SCARIFICATIONS. f. opération de Chirurgie par laquelle on fait plusieurs incisions à la peau avec une lancette, ou avec un instrument propre à cet usage. Voyez SCARIFICATEUR.

Saumaise voudroit qu'on écrivît scarifation, & non pas scarification, parce que ce mot est dérivé du grec . Voyez ses notes sur Solinus, pag. 519, où il corrige Pline à ce sujet. Lib. XVII. Le P. Hardouin tient pour scarification, quoiqu'il convienne que les manuscrits portent scariphatio. Mais il ajoute que Théodore Priscien écrit scarification.

La scarification est d'usage principalement dans l'opération des ventouses ; son effet est d'évacuer le sang. Voyez VENTOUSE.

La méthode de scarifier dans ce cas est de faire trois rangs d'incisions ; celui du milieu en aura six, & les deux autres chacun cinq. On doit commencer par le rang d'en bas, pour n'être point incommodé par le sang, lorsqu'on scarifiera supérieurement. Les incisions doivent être entrelacées, c'est-à-dire que l'angle supérieur des scarifications du premier rang répond à l'intervalle que celles du second rang laissent entr'elles. Voyez fig. 15. Pl. XXIII.

On fait aussi des scarifications sur les parties contuses, ou violemment enflammées, & qui menacent de gangrene. Ces incisions sont des saignées locales qui débarrassent la partie suffoquée par la plénitude des vaisseaux, ou par l'épanchement du sang qui croupit dans la partie, dans le cas de contusion. Voyez CONTUSION & GANGRENE.

On fait des scarifications aux jambes, aux cuisses, au scrotum, & autres parties, lorsque les cellules graisseuses sont infiltrées de lymphe. Voyez OEDEME. Mais ces scarifications sont souvent suivies de gangrene ; on leur préfere de légeres mouchetures sur les endroits les plus luisans de l'oedeme ; elles se font avec la pointe de la lancette, comme une égratignure ; on les multiplie tant qu'on veut, parce qu'elles ne causent aucune douleur, & elles ne laissent pas de procurer le dégorgement des matieres : on couvre ordinairement les parties scarifiées de compresses trempées dans l'eau-de-vie camphrée, ou autres remedes, suivant l'indication. (Y)


SCARLINO(Géogr. mod.) petite ville, ou plutôt bourg d'Italie, dans la province de Piombino, sur la côte de la mer de Toscane, à 10 milles au midi de Massa, & à 12 de Piombino à l'orient. Le B. Briet croit que c'est la Manliana de Ptolémée, l. III. c. j. mais c'est une conjecture fort hasardée. Longit. 28. 30. latit. 42. 56. (D.J.)


SCARO(Géogr. mod.) bourg de l'île de Santorin, environnée de rochers & de précipices. C'est la résidence d'un évêque latin. L'évêque grec fait son séjour à Pyrgo. Long. 43. 30. latit. 36. 12. (D.J.)


SCARPANTO(Géogr. anc. & mod.) île de la mer Carpathienne, ou comme nous disons aujourd'hui de l'Archipel, & l'une des Sporades, entre les îles de Rhodes & de Candie.

Scarpanto a eu divers noms de l'antiquité. Elle fut d'abord appellée Carpathos, ensuite Tetrapolis, c'est-à-dire l'île à quatre villes, à cause des quatre principales places qu'on y voyoit anciennement, & dont Strabon vous indiquera les noms. Elle donna elle-même le sien à la mer Carpathienne. Elle fut encore appellée Pallénie : ou de Pallas, qu'on tient y avoir été nourrie ; ou d'un fils de Titan, qui régna dans cette île.

Quoi qu'il en soit, Scarpanto est située à 50 milles d'Italie du cap oriental de l'île de Candie, & à sept lieues d'Allemagne, au midi de Nizaria. On lui donne 60 milles de circuit, & elle a dans son enceinte de hautes montagnes, où on nourrit beaucoup de bétail, & où l'on trouve des mines de fer & des carrieres de marbre.

Cette île ne manque pas de ports vastes & commodes ; celui qu'on nomme porto Tristano, a été connu des anciens, sous le nom de Tritomus. Le grand-seigneur fait gouverner cette île par un cadi, qui réside ordinairement à Rhodes, & qui envoie un receveur pour en tirer les impôts que les insulaires grecs doivent payer à la Porte ; je dis grecs, parce qu'il n'y a point d'autres habitans dans l'île. Longit. 44. 45. latit. 35. 46. (D.J.)


SCARPELA, (Géog. mod.) riviere des Pays-bas. Elle prend sa source dans l'Artois, au-dessus d'Aubigni, arrose Arras, Douai, S. Amand, & se rend dans l'Escaut au-dessous de Mortagne. (D.J.)


SCARPERIA(Géog. mod.) petite ville aujourd'hui bourg d'Italie, dans la Toscane, près de Pistoye, à 16 milles de Florence.

Angelo ou Angioli (Giacomo), naquit à Scarperia dans le xiv. siecle, & étudia la langue grecque à Constantinople, où il passa neuf ans entiers. Il fit dans cette ville la traduction de la géographie de Ptolémée. Cette traduction a vu le jour à Vicence, en 1475, in folio, sans cartes ; & puis à Rome, en 1490, in-folio, avec des cartes : Fabricius & le P. Niceron, qui prétendent qu'elle n'a point été imprimée, se trompent l'un & l'autre. Au reste, c'est une mauvaise traduction, qui prouve que son auteur n'entendoit ni le grec, ni la géographie, ni les mathématiques. Aussi n'a-t-on pas tardé à substituer de meilleures versions à celles du Florentin ; telle est la version de Donis, celle de Pirckermer, & celle de Servet ; mais il faut encore leur préférer incontestablement la révision & les additions de Mercator & de Bertius, imprimées à Amsterdam chez Elzevir & Hondius, en 1619, in-folio, & qui sont toujours la meilleure édition de Ptolémée.


SCARPHIA(Géog. anc.) Scarphe ou Scarphea, ville de la Grece, chez les Locres épicnémidiens. Strabon, l. I. & IX. use des deux premieres manieres d'écrire ; & Ptolémée, Etienne le géographe, & Appien, employent la derniere. Les Latins varient aussi sur l'orthographe de ce nom ; car Pline a écrit Scarphia, & Tite-Live Scarphea. Ce dernier dit, liv. XXXI. c. iij. que Quintius étant parti d'Elathée, passa par Thronium & par Scarphée, pour se rendre aux Thermopyles. Etienne le géographe dit aussi, que Scarphea étoit voisine des Thermopyles ; & si la ville Scarphe de Strabon est la même que celle qu'il nomme ailleurs Scarphea, elle étoit à dix stades de la mer, & sur une élevation. Casaubon aimeroit mieux néanmoins en faire deux villes différentes, & dans ce cas, il voudroit lire , au lieu de .


SCARPONNou SCARPONA, (Géog. anc.) lieu fortifié dans la Gaule belgique, selon Diodore. L'itinéraire d'Antonin le marque sur la route de Durocortorum à Divodurum, entre Tullum & Divodurum, à dix milles de la premiere de ces places, & à 12 milles de la seconde. Ce lieu, qui étoit à 12 milles de la ville de Metz, conserve aujourd'hui son ancien nom, quoiqu'un peu corrompu ; car on le nomme Scarpaigne ou Charpaigne, & l'on y trouve des monumens d'antiquité, c'est un bourg situé sur le bord de la Moselle. (D.J.)


SCARTHON(Géog. anc.) fleuve de la Troade, selon Ortélius, qui cite Strabon, liv. XIII. p. 587. Mais quoique Strabon parle de ce fleuve dans sa description de la Troade, il ne le place pas pour cela dans cette contrée, il le met seulement au nombre des fleuves qu'on étoit obligé de traverser plusieurs fois en faisant la même route, & il dit qu'on passoit celui-ci 25 fois. La question est de savoir en quel pays étoit ce fleuve. Strabon semble dire qu'il étoit dans le Péloponnèse ; car il ajoute qu'il tomboit de la montagne Pholoa, & qu'il couloit dans l'Elée. Mais on ne connoît point dans le Péloponnèse de fleuve nommé Scarthon ; aussi Casaubon soupçonne-t-il que ce nom pourroit être corrompu. (D.J.)


SCASONS. m. (Poésie) espece de vers qui a au cinquieme pié un ïambe, & au sixieme un spondée. La préface des satyres de Perse est faite de ces sortes de vers. (D.J.)


SCATEBRA(Géog. anc.) fleuve d'Italie, au pays des Volsques, dans le Latium adjectum, ajouté. Pline, l. II. c. iij. met ce fleuve dans le territoire de Casinum, & ajoute que ses eaux étoient froides, & plus abondantes en été qu'en hiver. Ces deux qualités portent Cluvier à dire, que c'est aujourd'hui une petite riviere, formée de diverses sources abondantes, qui sortent de terre dans la ville de San-Germano, & dans son voisinage. Le cours de cette petite riviere n'est pas de plus de deux milles : au bout de cet espace, elle tombe dans une plus grande riviere, qui se perd dans le Liris. (D.J.)


SCEAFELou SUAWFELL, (Géog. mod.) montagne d'Angleterre, dans l'île de Man. Les deux tiers de cette île sont couverts de montagnes, qui occupent toute sa largeur d'un bout à l'autre, & la plus haute de toutes est celle de Sceafell, d'où l'on peut dans un beau tems découvrir tout-à-la-fois l'Angleterre, l'Ecosse & l'Irlande. (D.J.)


SCEAou SCEL, s. m. (Gram. & Jurisprud.) est une empreinte de quelque figure que l'on appose à un acte pour le rendre plus authentique, & pour lui donner l'exécution parée.

On disoit autrefois scel au lieu de sceau, présentement on ne se sert plus du terme de scel que quand il est joint à quelqu'autre terme qui en caractérise l'espece particuliere, comme scel du châtelet, &c. & autres exemples que l'on verra ci-après au mot SCEL.

Anciennement les sceaux ou cachets tenoient lieu de signature, présentement le sceau ne peut tenir lieu de signature ni dans les actes privés, ni dans les actes publics.

Les sceaux dont on use parmi nous sont de plusieurs sortes ; savoir, le scel royal, le scel seigneurial, le scel ecclésiastique, le sceau municipal, & le scel privé.

Chacun de ces sceaux se subdivise en plusieurs especes.

Par exemple, pour le scel royal, il y a le grand & le petit sceau, pour les grande & petite chancelleries ; le scel présidial, le scel de justice, pour les jugemens ; le scel aux contrats ou scel des notaires, pour les contrats & obligations ; chacune de ces différentes especes de sceaux sera expliquée ci-après au mot SCEL.

Quelquefois par le terme de sceau on entend la séance où les lettres sont scellées. Cette séance est réputée une audience publique où l'on tient registre de ce qui se passe ; & il y a plusieurs édits & déclarations qui y ont été publiés & registrés le sceau tenant en la grande chancellerie.

Ce qui concerne le grand & le petit sceau, la fonction de garde des sceaux, & discipline des grandes & petites chancelleries, a été expliqué ci-devant aux mots CHANCELIER, CHANCELLERIE & GARDE DES SCEAUX.

Nous ajouterons seulement ici, que depuis la démission de M. de Machaut, dernier garde des sceaux, en 1757, le roi a tenu les sceaux en personne.

Le jour est indiqué à la fin de chaque sceau.

Par le réglement que le roi a fait le 6 Février 1757 pour la tenue du sceau, il a commis six conseillers d'état pour l'examen des lettres & expéditions qui doivent être présentées au sceau & pour y assister ; ces conseillers sont M. M. Feydeau de Brou, doyen du conseil, Daguesseau, de Bernage, d'Aguesseau de Fresnes, Trudaine & Poulletier.

Ils sont aussi commis par lettres-patentes du 16 Juin 1757, pour présenter à S. M. ceux qui demandent d'être pourvus des offices dont le garde des sceaux avoit la nomination, & pour donner les lettres de nomination, subdélégation & commission. M. de Brou, doyen du conseil, ou le plus ancien en son absence, met le soit montré sur le repli des provisions, & reçoit le serment, & toutes les lettres dont l'adresse se faisoit au garde des sceaux, leur sont adressées.

Suivant le réglement du 26 Février 1757, le roi choisit au commencement de chaque quartier six maîtres des requêtes pour assister avec les conseillers d'état à l'assemblée, où l'on examine les lettres & expéditions, y rapporter les lettres conjointement avec les conseillers au grand-conseil, grand rapporteur qui est de service au sceau.

Les six conseillers d'état ont séance & voix délibérative au sceau ; ils sont assis selon leur rang ; les maîtres des requêtes & le grand rapporteur sont debout autour du fauteuil de S. M.

Les secrétaires du roi sont tenus de porter aux maîtres des requêtes & conseillers au grand'conseil, grand rapporteur de service, la surveille du sceau, les lettres de justice dans lesquelles il doit être fait mention du nom de celui qui en a fait le rapport, & elles sont par lui signées en queue.

Le sceau commence par la présentation des lettres dont le grand audiencier est chargé ; les maîtres des requêtes & conseillers au grand - conseil, grand-rapporteur, font ensuite le rapport des lettres qui les concernent, après quoi le garde des rolles présente les provisions des officiers, & le conservateur des hypothèques les lettres de ratification des rentes sur les revenus du roi. Les secrétaires du roi font ensuite lecture des lettres de grace qu'ils ont dressées, lesquelles sont communiquées aux conseillers d'état & maîtres des requêtes avant la tenue du sceau, & sont lesdites lettres déliberées par les conseillers d'état & maîtres des requêtes présens au sceau, & résolues par S. M.

Les conseillers d'état & maîtres des requêtes nommés par S. M. pour assister au sceau, s'assemblent la surveille du jour que le roi a indiqué pour la tenue du sceau chez le doyen du conseil, ou, en son absence, chez l'ancien des conseillers d'état, pour faire l'examen des lettres de grace, rémission, abolition & pardon, & de toutes autres lettres de nature à être rapportées par les maîtres des requêtes & grand-rapporteur, qui doivent être présentées au sceau.

Le grand audiencier de quartier, le garde des rolles, & le conservateur des hypotheques y font les fonctions de leur charge à l'ordinaire, & sont placés debout après le dernier conseiller d'état de chaque rang ; le scelleur ensuite proche le coffre des sceaux, & le controleur au bout de la table en la maniere accoutumée.

Les procureurs-syndics & secrétaires du roi ont entrée chaque jour de sceau, ainsi que ceux qui sont députés pour y assister, & ils sont placés de même que les autres officiers de la chancellerie, derriere le siege des conseillers d'état.

Enfin le procureur-général des requêtes de l'hôtel & général des grande & petite chancelleries a aussi entrée au sceau, & prend place derriere les maîtres des requêtes.

Telle est la forme observée quand le roi tient les sceaux en personne.

Pour ce qui est du sceau des petites chancelleries établies près les cours, la maniere dont il se tient est expliquée ci-devant au mot CHANCELLERIE près les cours, & au mot GARDE DES SCEAUX des chancelleries près les cours.

Ce qui concerne la tenue du sceau dans les présidiaux est expliqué au mot GARDE DES SCEAUX des chancelleries présidiales.

Les fonctions des gardes des sceaux dans les jurisdictions royales, & des gardes des sceaux aux contrats, sont aussi expliquées aux mots GARDE DES SCEAUX des jurisdictions royales & GARDE DES SCEAUX aux contrats.

Les autres usages qui ont rapport soit au scel ecclésiastique, ou au scel seigneurial, & autres scels particuliers, sont expliqués ci - après au mot SCEL. (A)

SCEAU, (Comm. d'Amsterdam) on appelle à Amsterdam un sceau, un papier scellé du sceau de l'état, sur lequel s'écrivent les obligations, & autres actes qui se passent entre marchands pour le fait de leur commerce. C'est une espece de papier timbré, comme celui dont on se sert en France pour les actes des notaires. Ricard. (D.J.)

SCEAU, le grand, (Hist. mod. d'Angleterre) instrument public, gravé & marqué des armes du prince & de l'état, dont l'empreinte faite sur la cire sert à rendre un acte authentique & exécutoire.

On n'a imaginé en Angleterre de mettre des sceaux aux chartres qu'au commencement du xj. siecle. Il y a un seigneur & pair du royaume qui est lord garde des sceaux. En 1643, le garde des sceaux s'étant retiré de la chambre pour aller trouver le roi, & ayant emporté le grand-sceau, la chambre des communes fit voir à celle des pairs les inconvéniens qui naissoient de la privation du grand-sceau, dont on ne pouvoit se passer selon les loix, parce que le grand-sceau étant la clef du royaume, il devoit toujours être tenu là où étoit le parlement, qui représentoit le royaume pendant qu'il siégeoit. En conséquence de ces représentations, les deux chambres firent un nouveau grand-sceau, & le remirent entre les mains des commissaires qu'ils nommerent, pour avoir à cet égard le même pouvoir que le chancelier ou le garde du grand-sceau.

Le roi & ses partisans traiterent d'attentat l'action du parlement, & firent valoir les statuts d'Edouard III. qui déclare coupables de trahison, ceux qui contrefont le grand - sceau ; mais il s'en faut beaucoup que le parlement fût dans le cas du statut, comme seroient de simples particuliers ; car le grand-sceau n'est pas le sceau du roi en particulier, mais le sceau du royaume ; & le royaume est un corps composé d'un chef, qui en est la tête, & du peuple, qui en est les membres. Si le roi a la disposition du grand-sceau, ce n'est qu'en qualité du plus noble des membres de ce corps, considéré comme étant uni avec les autres membres, & non comme en étant séparé, tout le pouvoir d'exécuter résidant entre ses mains.

Le grand-sceau donne aux actes auxquels il est appliqué la vertu d'être inviolables. Si donc, dans le cas d'une guerre ouverte entre le roi & le parlement, le roi pouvoit, par le moyen du grand-sceau, communiquer cette vertu à ses actes particuliers, où seroient les bornes de son pouvoir, qui, par la constitution du gouvernement d'Angleterre, est limité par les loix ? Il n'auroit qu'à déclarer par un acte scellé du grand-sceau, comme Charles l'avoit déjà fait effectivement, que selon les loix, les membres du parlement sont des traitres & des rébelles ; & alors la question seroit décidée, par la seule possession du grand-sceau, & le roi pourroit s'attribuer un pouvoir sans bornes, par cette même autorité. Mais que seroit-ce si le parlement se trouvoit en possession du grand-sceau, & que par un acte semblable, il déclarât le roi traitre & rébelle ? L'application du grand-sceau, donneroit-elle à cet acte une autorité inviolable ?

Il semble donc que le parlement n'avoit pas moins de droit de faire un grand-sceau que le roi en auroit eu d'en faire un, si le sceau commun s'étoit trouvé entre les mains du parlement, puisque ce n'étoit pas le sceau d'aucun des deux en particulier, mais de tous les deux considérés comme étant inséparablement unis ensemble. En un mot, ni le roi, ni le parlement séparément, ne peuvent s'attribuer la disposition du grand-sceau, parce que le grand-sceau est l'empreinte, la marque de leur autorité unie, & non séparée. (D.J.)

SCEAU-DAUPHIN, (Hist. de la chanceller.) c'est un grand sceau qui est particulier pour sceller les expéditions qui concernent la province du Dauphiné. Dans ce sceau est représentée l'image du roi à cheval & armé, ayant un écu pendu au cou, dans lequel sont empreintes les armes écartelées de la France & du Dauphiné, le tout dans un champ semé de fleurs-de-lis & de dauphins. (D.J.)

SCEAU DES GRANDS JOURS, (Hist. de France) c'étoit celui que le roi envoyoit autrefois dans les provinces pour sceller les actes & expéditions qui y étoient arrêtées aux grands jours qui s'y tenoient.

SCEAU, (Critiq. sacrée) ce mot au propre signifie, dans l'Ecriture, un cachet qu'on applique pour sceller quelque chose. Les Hébreux le portoient au doigt en bague, & les Juives en bracelets sur le bras, Cant. viij. 6. Il désigne aussi la marque ou le caractere que le sceau imprime, Daniel, xiv. 16. Il veut dire au figuré, protection. Je mettrai Zorobabel sous ma protection, ponam quasi signaculum, Aggée, ij. 24. Dans le nouveau Testament, sceau est employé par S. Paul pour preuve & confirmation, I. Cor. ix. 2. Délier les sceaux d'un livre, dans l'Apocalypse, c'est proprement en délier les attaches ; mais c'est une expression métaphorique, qui signifie expliquer les choses obscures & difficiles qu'il contient. (D.J.)

SCEAU, (Hist. des usages) la matiere des sceaux a été fort différente & toujours arbitraire ; on en voit d'or, d'argent, de plomb, de cire, qui est à-présent la plus ordinaire matiere des sceaux des rois, des souverains & des magistrats. Le pape est le seul qui se serve de plomb. Les Romains n'avoient pas, comme nous, des sceaux publics ; les empereurs signoient seulement les rescrits par une encre particuliere appellée sacrum encaustum, dont leurs sujets ne pouvoient se servir sans encourir la peine du crime de lèse-majesté au second chef. (D.J.)

SCEAU DE NOTRE-DAME, (Botan.) nom vulgaire de la bryone noire, voyez BRYONE, (Botan.)

SCEAU DE SALOMON, (Botan.) nom vulgaire du genre de plante nommé par Tournefort polygonatum. Voyez POLYGONATUM.

SCEAU DE SALOMON, (Mat. médic.) la racine de cette plante a un goût fade, & très-légerement acerbe. Elle contient un suc gluant. Elle est généralement regardée comme vulnéraire astringente, & elle est d'un usage assez commun à ce titre ; elle a beaucoup d'analogie avec la racine de grande consoude, avec laquelle on l'emploie ordinairement, & à laquelle elle peut être substituée. Voyez CONSOUDE grande, Mat. médic. (b)

SCEDULE, s. f. (Gramm. & Jurisprud.) signifie parmi nous, toute promesse, billet ou autre écrit fait de main privée.

Cependant ce terme se prend aussi en quelques occasions pour l'exploit ou rapport de l'huissier. Voyez ci-après SCEDULE EVOCATOIRE.

Ce terme vient du latin scheda, lequel, chez les Romains, s'entendoit de la premiere note ou mémoire que le notaire prenoit d'un acte qu'on vouloit passer. Cette premiere note ne faisoit aucune foi en justice, elle ne tenoit point lieu de minute ; c'est pourquoi, parmi nous, l'on a donné le nom de scédule aux promesses & billets sous seing privé.

" Cédules & obligations, dit la coutume de Paris, art. 89. faites pour sommes de deniers, marchandises ou autres choses mobiliaires, sont censées & réputées meubles.

Cédule privée, dit l'art. 107. qui porte promesse de payer, emporte hypotheque du jour de la confession, ou reconnoissance d'icelle faite en jugement ou par-devant notaires, ou que par jugement elle soit tenue pour confessée, ou du jour de la dénégation en cas que par après elle soit vérifiée ". Voyez Danty, de la preuve par témoins, additions sur la préface, &c.

SCEDULE, est aussi un acte que les procureurs donnent au greffier pour constater leur présentation, ou pour faire expédier les défauts & congés qui se prennent au Greffe. Voyez CONGE, DEFAUT, PRESENTATION.

SCEDULE EVOCATOIRE, est un exploit tendant à faire évoquer une affaire pour cause de parenté ou alliance. Voyez ci-devant ÉVOCATION. (A)


SCEL(Jurisprud.) est la même chose que sceau. L'ancien terme de scel s'est encore conservé pour désigner avec un surnom particulier les différentes especes de sceaux. Voyez les articles suivans.

SCEL DES APANAGES, est le scel particulier des princes de la maison royale qui ont un apanage, & dont leur chancelier ou garde des sceaux scelle toutes les lettres qui s'expédient pour les personnes & lieux de l'apanage. Voyez ci-devant au mot GARDE DES SCEAUX, l'art. GARDE DES SCEAUX DES APANAGES.

SCEL ATTRIBUTIF DE JURISDICTION, est celui qui a le privilege d'attirer devant le juge auquel il appartient, toutes les contestations qui naissent pour l'exécution des actes & jugemens passés sous le scel ; tel est le scel du châtelet de Paris, qui attire à sa jurisdiction de tous les endroits du royaume ; tels sont aussi ceux d'Orléans & de Montpellier, ceux des chancelleries de Bourgogne, & quelques autres dont le privilege est plus ou moins étendu.

SCEL AUTHENTIQUE, peut s'entendre en général de tout sceau public qui est apposé à quelque acte ou jugement ; mais on entend plus ordinairement par scel authentique le scel public d'une justice seigneuriale dont on scelle les jugemens & contrats passés dans cette justice. On l'appelle authentique, pour le distinguer du scel royal & des sceaux privés, ou des particuliers, lesquels ne sont pas exécutoires. Quelquefois, pour éviter toute équivoque, on l'appelle scel authentique & non royal. La distinction de ces deux sceaux est établie dans les anciennes ordonnances, notamment dans celle de Charles VIII. de l'an 1493, art. 54. & dans celle de François I. de l'an 1539, art. 65 & 96. la coutume de Paris, art. 165. porte que les obligations passées sous scel authentique & non royal, sont exécutoires sur les biens meubles & immeubles de l'obligé, pourvu qu'au jour de l'obligation passée les parties obligées fussent demeurantes au lieu où l'obligation est passée. Voyez Brodeau, & les autres commentateurs sur cet article.

SCEL AUX CAUSES, est celui dont on se sert pour les jugemens, & qui est différent du scel aux contrats. On apposoit aussi ce scel aux causes, à des vidimus de lettres-patentes pour leur donner plus d'authenticité : on en trouve un exemple dans un vidimus de l'an 1345, rapporté dans le troisieme tome des ordonnances du Louvre, pag. 167. " en témoin des choses dessusdites, nous avons mis à ce vidimus notre scel aux causes ". Voyez ci-après SCEL AUX CONTRATS & SCEL AUX JUGEMENS.

SCEL DE LA CHANCELLERIE, est le scel dont on use dans les différentes chancelleries. Il y a en France deux sortes de scels ou sceaux de chancellerie, qu'on appelle le grand & le petit sceau ; le grand sceau est celui qu'on appose aux lettres qui se délivrent en la grande chancellerie ; le petit sceau est celui qu'on appose aux lettres qui se délivrent dans les chancelleries établies près les différentes cours du royaume, & près des présidiaux. Il y a aussi le contre - scel de la chancellerie. Voyez ci-après CONTRE-SCEL.

SCEL DES CHANCELLERIES DE BOURGOGNE, voyez ci - devant au mot CHANCELLERIE, l'article CHANCELIERS DE BOURGOGNE.

SCEL DU CHATELET, on sous-entend de Paris ; est un sceau royal dont on use au châtelet pour sceller les jugemens émanés de ce tribunal, & les actes reçus par les notaires au châtelet, afin de rendre ces jugemens ou actes exécutoires, ou du-moins de rendre plus authentiques ceux qui ne sont pas de nature à emporter exécution parée, tels que des légalisations, & autres actes qui ne renferment aucune condamnation ni obligation liquide.

Du tems que la prevôté de Paris étoit donnée à ferme, le prevôt avoit son sceau particulier, comme les autres magistrats, dont il scelloit tous les actes émanés de la jurisdiction contentieuse ou volontaire, & cela seul les rendoit authentiques sans autre signature.

Mais lorsque le roi eut séparé la prevôté de Paris des fermes de son domaine, & qu'il l'eut donnée en garde à Etienne Boileau, alors cette jurisdiction ayant le roi même pour prevôt, ses actes commencerent d'être scellés du sceau royal.

C'est de-là que cet ancien scel du châtelet avoit conservé la figure des sceaux de S. Louis, & de quelques-uns des rois ses successeurs ; ce sceau n'étoit chargé que d'une seule fleur-de-lis fleuronnée de deux petits treffles, telle qu'on en voit au bas des chartes ou lettres de ces princes ; c'étoit le contre - scel de leur chancellerie, c'est-à-dire, celui qui étoit apposé au revers du grand sceau ; ils s'en servoient aussi pour leur sceau privé.

Ces deux sceaux furent donc d'abord parfaitement conformes ; mais sous le regne du roi Jean, les treffles qui étoient dans le scel du châtelet, furent changées en deux petites fleurs-de-lis sortant du coeur de la fleur principale ; on mit autour pour légende ces mots : sigillum praepositurae parisiensis, & l'on ajouta un grenetis autour de la légende.

Cet usage souffrit quelque changement en conséquence de l'édit de Charles IX. du mois de Juin 1568, appellé communément l'édit des petits sceaux. Jusques-là les sceaux des justices royales étoient compris dans les fermes du domaine du roi ; les fermiers commettoient à l'exercice ; le châtelet de Paris avoit seul son scelleur en titre d'office : Charles IX. par son édit créa un semblable officier dans les autres justices royales, & ordonna que ces officiers scelleroient d'un sceau aux armes de France, tous les contrats, sentences & autres actes portant contraintes ou exécutions.

Le scelleur du châtelet quoique établi long-tems avant cet édit, y fut soumis comme les autres scelleurs, l'édit étant généralement pour tout le royaume ; en sorte que tous contrats, sentences & autres actes qui devoient produire quelque contrainte ou exécution, furent dès ce moment scellés au châtelet comme dans les autres jurisdictions royales, d'un sceau à trois fleurs-de-lis.

Néanmoins on conserva encore l'usage de l'ancien sceau empreint d'une seule fleur-de-lis fleuronnée de deux petites, comme un monument précieux de l'antiquité & des prérogatives du châtelet ; mais l'usage en fut limité aux adjudications par decret & aux légalisations, parce que l'édit des petits sceaux ne faisoit point mention de ces actes.

Il faut pourtant observer par rapport à cet ancien sceau, que dans les actes qui en portent l'empreinte depuis l'édit de 1568 jusqu'en 1696, la fleur-de-lis se trouve accompagnée de deux autres figures, l'une qui représente des tours, & l'autre d'un écusson chargé d'un chevron accompagné en chef de trois têtes d'oiseau arrachées & en pointe d'un rameau d'arbre. On n'a pu découvrir l'origine de ces armes. M. de la Mare conjecture que c'étoient celles de quelqu'un des scelleurs, & que les tours ne furent mises de l'autre côté que pour les accompagner.

Quoi qu'il en soit, cet ancien sceau n'est plus d'usage depuis l'édit de 1696, qui a établi le sceau chargé de trois fleurs-de-lis.

Le scel du châtelet étoit autrefois unique, c'est-à-dire, qu'il n'y avoit d'autre scel royal dans tout le royaume que ce scel avec celui de la chancellerie ; c'est pourquoi il étoit aussi universel, & l'on s'en servoit en l'absence du grand sceau pour sceller les lettres de la grande chancellerie.

Firmin de Coquerel, evêque de Noyon, étant sur le point de faire un voyage de long cours, Philippe de Valois fit expédier des lettres-patentes le 4 Janvier 1348, pour régler la maniere dont on en useroit pendant l'absence du grand sceau. Elles portent commission à Pierre de Hangets & Fouques Bardoul pour sceller du scel du châtelet toutes lettres qui leur seroient présentées & qu'ils jugeroient devoir être scellées pendant l'absence du chancelier, comme cela s'étoit déja pratiqué en d'autres occasions.

Le roi Jean se servit du même scel au commencement de son regne pour la conservation des privileges du clergé : datum, est-il dit à la fin, Parisiis in parlamento nostro, die 23 Novembris anno domini 1350, sub sigillo casteleti nostri parisiensis, in absentiâ majoris. Le traité fait par le même roi & par le dauphin son fils avec Amédée comte de Savoye, le 5 Janvier 1354, fut aussi scellé du même scel pour l'absence du grand.

Charles, dauphin de Viennois, duc de Normandie, & régent du royaume, en usa aussi pendant l'absence du roi Jean son pere, pour les ordonnances qu'il fit au mois de Mars 1356, & pour des lettres qu'il accorda à divers particuliers.

Le roi, de retour d'Angleterre, scella encore de ce même scel, en l'absence du grand, des lettres qu'il accorda aux marchands de marée, aux mois d'Avril 1361 ; un reglement pour le guet, du 6 Mars 1363 ; les statuts des Teinturiers, du mois d'Octobre 1369, & plusieurs autres lettres.

Le scel du châtelet par un droit royal qui lui est particulier, est attributif de jurisdiction, & attire de tout le royaume au châtelet, à l'exclusion de tous autres juges, toutes les actions qui naissent des actes scellés de ce scel.

Lorsque Philippe le long, par son édit du mois de Janvier 1319, unit à son domaine tous les sceaux des jurisdictions qui s'exerçoient en son nom, tous les juges des jurisdictions royales furent en droit de se servir de sceaux aux armes du roi ; ils prirent de-là occasion de méconnoître le privilege du scel du châtelet, & de refuser de renvoyer à ce tribunal les affaires qui s'élevoient pour l'exécution des actes passés sous ce scel ; mais la question fut décidée en faveur du châtelet par quatre arrêts solemnels des 31 Décembre 1319, 13 Mars, & de la S. Martin 1331 & 1350.

Ce même privilege fut confirmé par des lettres de Charles V. du 8 Février 1367, & par d'autres lettres de Charles VII. & de Louis XI. des 6 Octobre 1447. & 25 Juin 1473. & encore depuis, contre le parlement de Normandie, par trois arrêts du conseil, des 1 Juin 1672, 3 Juillet 1673, & 12 Mai 1684. Voyez le style du châtelet où les preuves de ce privilege sont rapportées.

SCEL COMMUN, c'est le scel de la communauté, ou des villes.

SCEL AUX CONTRATS, est celui que les notaires garde- scels apposent aux grosses, ou expéditions des contrats, pour les rendre exécutoires. Voyez ci-devant GARDES DES SCEAUX AUX CONTRATS.

SCEL DES CONSULS, est celui dont on use dans les jurisdictions consulaires ; il est empreint de trois fleurs de lis, avec ces mots autour, sceau de la jurisdiction des juges & consuls de Paris ; il y en a de semblables dans les autres jurisdictions consulaires. Voyez le recueil concernant la jurisdiction des consuls.

On entend aussi quelquefois par scel des consuls, celui dont usent les consuls de France, résidens dans les échelles du Levant & autres. Voyez CHANCELIER DES CONSULS & CONSULS.

CONTRE-SCEL. Voyez ci-devant à la lettre C. le mot CONTRE-SCEL.

SCEL DELPHINAL, étoit celui dont usoient les dauphins de Viennois ; on entend aussi par-là celui dont le roi use pour les expéditions qui concernent cette province, lequel est écartelé de France & de Dauphiné. On scelle pour cette province en cire rouge.

SCEL ECCLESIATIQUE, est celui dont usent les juges ecclésiastiques, pour les jugemens & ordonnances qu'ils rendent, & les notaires apostoliques pour les actes qu'ils reçoivent. Ce scel est authentique, mais il n'emporte ni exécution parée ni hypotheque, parce que les juges d'église n'ont point de territoire réel, & que leur jurisdiction ne s'étend que sur les personnes qui sont leurs justiciables, & non sur les biens.

SCEL DES FOIRES, étoit celui qui étoit donné au juge conservateur des privileges des foires, pour sceller ses jugemens, & pour sceller les actes qui se passoient en tems de foire, & sous l'autorité & le privilege des foires ; tel étoit le scel des foires de Brie & de Champagne ; tel est encore le scel des foires de Lyon, dont la conservation de la même ville est dépositaire. Voyez CONSERVATION & FOIRES.

SCEL GRAND, est l'empreinte du grand sceau, c'est-à-dire du scel de la grande chancellerie. Voy. SCEAU.

SCEL AUX JUGEMENS, est celui qui est donné aux jurisdictions royales pour sceller leurs jugemens ; on l'appelle ainsi pour le distinguer du scel aux contrats. Voyez SCEL AUX CONTRATS.

SCEL DES JUIFS, étoit celui dont ils usoient autrefois en France, pour les obligations faites à leur profit ; la raison pour laquelle ils avoient un sceau particulier, est que suivant leur loi ils ne pouvoient se servir des figures d'hommes empreintes, gravées ou peintes ; mais Louis VIII. en 1227, ordonna qu'à l'avenir ils n'auroient plus de scel particulier.

SCEL DE MONTPELLIER, ou petit scel de Montpellier, est un scel particulier donné à cette ville par S. Louis, pour faciliter le commerce de la province de Languedoc ; il est attributif de jurisdiction, comme celui du châtelet ; la cour du petit scel de Montpellier, connoit des contrats passés sous ce scel ; ses privileges sont de pouvoir saisir en même tems la personne & les biens du débiteur, de ne recevoir ses défenses qu'après qu'il a consigné la somme demandée, de ne souffrir aucune exception dilatoire, mais seulement celle du payement de la dette, ou la convention de ne la point demander, ou la fausseté de l'acte ; il fut dressé à cet effet un style particulier, qui s'observe encore exactement ; la cour du petit scel fut d'abord établie à Montpellier, puis transferée à Aiguemorte, & enfin remise à Montpellier, où elle est restée ; elle est composée d'un juge, d'un lieutenant & d'un greffier ; il y avoit d'autres lieutenans répandus par tout le royaume, qui en 1490 furent réduits aux lieux de leur premier établissement, savoir Pezenas, Carcassonne, Clermont, Toulouse, Alby, Villefranche, Mendes, Villeneuve-les-Auvergnes, le Pont S. Esprit, le Puy, Lyon, Saint-Flour, Paris, Usez, Gignac & Tulles ; ils n'avoient d'autre pouvoir que de faire arrêter les débiteurs, & en cas de contestation, ils renvoyoient devant le juge, desorte que la contrainte par corps ayant été abrogée par l'ordonnance de 1667, ces lieutenans sont demeurés sans jurisdiction ni fonction. Voyez l'état de la France, de Boulainvillers, tom. VIII.

SCEL DES NOTAIRES, ou scel aux contrats, est celui qui est destiné à sceller les actes des notaires ; à Paris, ils sont garde- scel & scellent eux mêmes leurs actes.

SCEL DES OBLIGATIONS, est la même chose que scel aux contrats.

SCEL D'ORLEANS, est celui dont on se sert au châtelet d'Orléans ; ce scel est attributif de jurisdiction, ce privilege y est fondé sur une possession immémoriale, confirmée par un grand nombre d'arrêts qu'on peut voir dans Bornier, en ses notes sur la coutume d'Orléans, art. 463.

SCEL PENDANT, est celui qui est attaché aux lettres avec des lacs de soie ou de parchemin, à la différence de certains sceaux ou cachets qui sont appliqués sur les lettres mêmes.

PETIT SCEL, ou PETIT SCEAU, est celui dont on use dans les chancelleries près les cours.

SCEL PRESIDIAL, est celui dont on se sert dans les présidiaux pour sceller les jugemens, & dans les chancelleries présidiales pour sceller les lettres qui s'y expédient. Voyez CHANCELLERIE PRESIDIALE, ESIDIALDIAL.

SCEL PRIVE, est celui qui n'est point public ni authentique ; c'est le sceau ou cachet d'un particulier qui n'a point de caractere pour avoir un scel.

SCEL PROPRE, est le sceau ou cachet dont chacun a coutume d'user pour ses expéditions particulieres.

SCEL PROVENÇAL, est celui dont usoient les comtes de Provence, & dont le roi use encore dans les lettres qu'il donne pour cette province, elles sont scellées en cire rouge.

SCEL PUBLIC, est opposé à scel privé ; tout scel royal & authentique, soit ecclésiastique ou seigneurial, est un scel authentique.

SCEL A QUEUE PENDANT, est celui qui est attaché aux lettres par le moyen d'une queue de parchemin qui est prise dans le sceau.

SCEL DE LA REGENCE, est celui dont les régens du royaume usoient autrefois, pendant le tems de leur administration ; ils ne se servoient point du scel du roi, mais de leur scel propre, que l'on appelloit alors scel de la régence ; présentement quand il arrive une régence, on continue toujours à se servir du scel du roi.

SCEL DE LA RIGUEUR de Nismes, ou de quelqu'autre jurisdiction semblable, est celui qui donne droit de contraindre ceux qui ont contracté sous ce scel, suivant les rigueurs ou forces des conventions de cette cour. Voyez ci-après SCEL RIGOUREUX.

SCEL RIGOUREUX, est celui qui donne droit d'exécution parée & de contrainte, contre celui qui s'est obligé sous la rigueur de ce scel, non seulement sur ses biens, mais aussi sur sa personne ; à Nismes il y a un juge des conventions qui a scel royal authentique & rigoureux ; il connoit des conventions faites & passées aux forces & rigueurs de sa cour, aux fins de contraindre les débiteurs à payer par saisie & vente de leurs biens, & détention de leurs personnes, pourvu qu'ils s'y soient soumis, & que la somme soit au moins de dix livres. Voyez le style de Nismes de l'an 1659. & le gloss. de M. de Lauriere, au mot rigueur.

SCEL DU SECRET, ou SCEL SECRET, étoit proprement le petit sceau ou cachet du roi ; il étoit porté par un des chambellans ; toutes les lettres qui dévoient être scellées du grand sceau, devoient d'abord être examinées par deux maîtres des requêtes, puis scellées du scel du secret, après quoi le chancelier y apposoit le grand sceau. M. de Lauriere croit que le scel secret étoit la même chose que le scel privé ou particulier, & que le scel privé du prince, qui étoit beaucoup plus petit que le grand sceau, est le même qu'on a appellé depuis contre-scel.

Il est aussi parlé en quelques endroits du scel secret des juges, c'est-à-dire de leur scel privé. Voyez le recueil des ordonnances de la premiere race, tom. I. & II.

SCEL SEIGNEURIAL, est celui du seigneur haut justicier, dont on scelle les jugemens emanés des jurisdictions, & les actes reçus par ses notaires ; ce scel est public & authentique, & a le même effet que le scel royal, pourvu qu'il ne soit appliqué qu'à des actes passés dans la jurisdiction ; on l'appelle quelquefois scel authentique, pour le distinguer du scel royal.

SCEL VACANT, c'est lorsqu'il n'y a point de garde des sceaux, & que le roi tient lui-même le sceau.

SCEL DES VILLES, ou SCEL COMMUN, est celui dont les officiers municipaux font apposer à leurs expéditions qu'ils veulent rendre publiques & authentiques. Voyez Loiseau, en son traité des seigneuries. (A)


SCÉLÉRATadj. qui se prend aussi substantivement (Gram.) celui qui est né malfaisant, & qui s'est rendu coupable de quelques grands crimes. On dit le scélérat ! c'est le plus scélérat des hommes. Qui croiroit que dans une societé bien policée, il pût y avoir des scélérats impunis ; cela est pourtant. On ôte la vie à celui qui pressé par la misere, brise votre coffre fort, & en emporte un écu pour acheter du pain, & on laisse vivre l'homme noir qui prend l'innocence par les cheveux, & qui la traîne ; on est attaqué dans les choses qui touchent à l'honneur & à la considération publique, dans des biens infiniment plus précieux que la fortune & la vie ; & cette scélératesse, la plus vile de toutes, puisqu'elle se commet impunement, reste sans châtiment. Cet homme qui affiche tant de probité, je le connois ; ses amis qu'il a perdus le connoissent comme moi ; croyez-moi, ce n'est au-dedans qu'un scélérat ; combien il a de semblables ! On a dit que Tacite apprenoit à être scélérat, ce n'est pas là l'effet que la lecture de cet historien produira sur les ames bien faites.


SCELERATA PORTA(Topogr. de Rome) c'est-à-dire la porte scélérate, ou exécrable ; c'étoit une des portes de l'ancienne Rome, ainsi nommée de la mort des trois cent six Fabiens qui sortirent par cette porte pour aller attaquer les Véïens, & qui périrent tous, à ce que prétendoit la tradition fabuleuse, dans le même jour, au combat de Crémer, l'an 277. de la fondation de Rome. Ovide a adopté le conte de la perte des Fabiens, dans ses fastes, pour le narrer en deux vers simples & naïfs.

Una dies Fabios ad bellum miserat omnes,

Ad bellum missos perdidit una dies.

(D.J.)


SCÉLÉRATESSES. f. (Gram.) action noire, énorme & perfide. Voyez l'article SCELERAT. Scélérat & scélératesse se disent aussi quelquefois par plaisanterie, de choses d'assez peu d'importance. On vous a donné un rendez-vous auquel on ne se trouvera point ; méfiez-vous de cette coquine-là, c'est une scélérate.


SCÉLITES. f. (Gram.) pierre figurée graveleuse, tirant sur le blanc, & représentant la jambe de l'homme, à ceux sur-tout qui voyent dans les nuées tout ce qu'il leur plait d'y voir.


SCELLA(Géog. mod.) province d'Afrique, dans l'Abyssinie ; elle est bornée au levant par les provinces de Bamba & de Tamba, & au couchant par celle de Rhimba ; cette province est remplie de montagnes, & est arrosée de tant de sources, qu'on trouve par-tout des prairies qui nourrissent des troupeaux nombreux de toutes sortes d'animaux domestiques. (D.J.)


SCELLÉS. m. (Jurisprudence) est l'apposition du sceau du roi sur les effets de quelqu'un pour la conservation de ces mêmes effets, & pour l'intérêt d'un tiers.

Dans les justices seigneuriales le scellé est aux armes du seigneur ; mais les officiers ne peuvent pas l'apposer sur les effets du seigneur ; cela n'appartient qu'aux officiers royaux.

Le scellé se met sur les coffres, cabinets, & portes des chambres où sont les effets, par le moyen d'une bande de papier qui est attachée aux deux bouts par des sceaux ou cachets en cire rouge, de maniere que cette bande de papier couvre les serrures & empêche d'ouvrir les portes & autres lieux fermés sur lesquels le scellé est apposé.

Quelquefois pour empêcher que le scellé apposé à une porte extérieure ne soit endommagé par inadvertance ou autrement, on le couvre d'une plaque de taule attachée avec des clous.

L'usage des scellés nous vient des Romains ; il en est parlé dans le code Théodosien, l. ult. de administrat. fut. & dans le code de Justinien, en la loi scimus, au code de jure deliberandi.

Plusieurs de nos coutumes ont aussi quelques dispositions sur le fait des scellés, telles que celles de Clermont, Sens, Sedan, Blois, Bretagne, Auvergne, Bourbonnois, Anjou & Maine.

Mais la plûpart des regles que l'on suit en cette matiere, ne sont fondées que sur les ordonnances, arrêts, & reglemens.

C'est au juge du lieu à apposer le scellé, à-moins qu'il n'y ait des commissaires en titre, comme au châtelet de Paris, où cette fonction est réservée aux commissaires au châtelet.

Il y a néanmoins des cas où le scellé est apposé par d'autres officiers, par une suite de la jurisdiction qu'ils ont sur certaines personnes. Par exemple, c'est le parlement qui appose le scellé chez les princes du lang ; la chambre des comptes est en droit de l'apposer chez les comptables, dont les comptes ne sont pas appurés ; & si le scellé étoit déja apposé par les officiers ordinaires, ceux de la chambre des comptes sont en droit de le croiser.

Croiser le scellé, c'est en apposer un second pardessus le premier, de maniere qu'on ne peut lever le premier sans lever auparavant le second ; & dans le cas où le premier scellé est ainsi croisé, on assigne ceux qui l'ont apposé pour être présens à la levée des deux scellés, & venir reconnoître le leur.

Le scellé peut être apposé en différens cas, savoir :

1°. Après le décès du débiteur, à la requête d'un créancier, pourvu que celui-ci soit fondé en titre, & pour une somme certaine, ou bien pour réclamer des choses prêtées ou données au défunt en nantissement.

L'usage du châtelet de Paris est que quand le corps du défunt n'est plus présent, on ne peut faire apposer le scellé qu'en vertu de requête & ordonnance du juge.

On doit demander l'apposition du scellé aussi-tôt après le décès du défunt, ou du-moins dans les premiers jours qui suivent ; car si l'on attendoit plus long-tems, le scellé deviendroit inutile, puisqu'il ne pourroit plus constater l'état où les choses étoient au tems du décès.

2°. La veuve pour sûreté de ses reprises & conventions, ou les héritiers, pour empêcher qu'il ne soit rien détourné, peuvent faire mettre le scellé ; l'exécuteur testamentaire peut aussi le requérir.

3°. Les créanciers peuvent le faire mettre du vivant même de leur débiteur en cas d'absence, faillite, ou banqueroute, ou emprisonnement pour dettes.

4°. Le procureur du roi ou le procureur fiscal, si c'est dans une justice seigneuriale, peuvent le faire apposer sur les biens d'un défunt, au cas qu'il y ait des héritiers mineurs n'ayant plus ni pere ni mere, & dépourvus de tuteur & de curateur.

Enfin, le scellé peut être apposé en matiere criminelle sur les effets volés ou recelés.

Les officiers du châtelet peuvent par droit de suite apposer le scellé par tout le royaume, pourvu que le défunt eût son principal domicile à Paris.

On peut s'opposer à la levée d'un scellé, soit en faisant insérer son opposition dans le procès-verbal du commissaire, ou en lui faisant signifier son opposition par un acte séparé.

Le scellé ne peut être levé que trois jours francs après les funérailles du defunt.

Pour lever les scellés, il faut que toutes les parties intéressées soient appellées en vertu d'ordonnance du juge.

Au jour indiqué par l'ordonnance, le juge se transporte en la maison où sont les scellés ; & après les avoir reconnu sains & entiers il les leve, & du tout il dresse son procès-verbal ; ensuite on procede à l'inventaire.

S'il arrive un bris de scellé, le juge en doit dresser son procès-verbal, & ensuite faire informer & decreter. Voyez le Traité des scellés & inventaires, par Meslé, & le mot INVENTAIRE. (A)


SCELLERv. act. (Gram.) c'est apposer un sceau, le scellé. Voyez l'article SCELLE. Il se dit aussi au figuré : il a scellé par cette derniere action l'arrêt de sa réprobation éternelle ; ils ont scellé cette vérité ou cette fausseté de leur sang ; les mauvais prêtres rendent la résurrection de Jesus-Christ inutile, autant qu'il est en leur puissance ; on peut dire d'eux qu'ils scellent le tombeau, & signaverunt lapidem.

SCELLER, (Archit.) c'est arrêter avec le plâtre ou le mortier des pieces de bois ou de fer. Sceller en plomb, c'est arrêter dans des trous avec du plomb fondu des crampons ou des barreaux de fer ou de bronze : on dit faire un scellement, pour sceller. (D.J.)


SCELLEURS. m. (Jurisprud.) est un officier qui appose le sceau aux lettres de chancellerie.

Il y a aussi dans plusieurs tribunaux un scelleur en titre qui appose le sceau de la jurisdiction aux jugemens que l'on veut rendre exécutoires. Voyez SCEAU. (A)


SCELOTYRBES. f. (Médecine) foiblesse & douleurs dans les jambes, qui sont ordinairement un symptome de scorbut.

Ce mot est composé de , jambe, & , tumulte, desordre.

Ce terme se prend quelquefois pour le scorbut même, & quelquefois aussi pour les remedes qu'on employe dans cette maladie. Voyez SCORBUT.

Les soldats de Germanicus furent attaqués de scelotyrbe pour avoir bu de l'eau d'une certaine fontaine sur les côtes de Frise.


SCENES. f. (Littérature) théatre, lieu où les pieces dramatiques étoient représentées. Voyez THEATRE. Ce mot vient du grec , tente, pavillon, ou cabane, dans laquelle on représentoit d'abord les poëmes dramatiques.

Selon Rollin, la scene étoit proprement une suite d'arbres rangés les uns contre les autres sur deux lignes paralleles qui formoient une allée & un portique champêtre pour donner de l'ombre, , & pour garantir des injures de l'air ceux qui étoient placés dessous. C'étoit-là, dit cet auteur, qu'on représentoit les pieces avant qu'on eût construit les théatres. Cassiodore tire aussi le mot scene de la couverture & de l'ombre du bocage sous lequel les bergers représentoient anciennement les jeux dans la belle saison.

Scene se prend dans un sens plus particulier pour les décorations du théatre : de-là cette expression, la scene change, pour exprimer un changement de décoration. Vitruve nous apprend que les anciens avoient trois sortes de décorations ou de scenes sur leurs théatres.

L'usage ordinaire étoit de représenter des bâtimens ornés de colonnes & de statues sur les côtés ; & dans le fond du théatre d'autres édifices, dont le principal étoit un temple ou un palais pour la tragédie, une maison ou une rue pour la comédie, une forêt ou un paysage pour la pastorale, c'est-à-dire, pour les pieces satyriques, les atellanes, &c. Ces décorations étoient ou versatiles, lorsqu'elles tournoient sur un pivot, ou ductiles, lorsqu'on les faisoit glisser dans des coulisses, comme cela se pratique encore aujourd'hui. Selon les différentes pieces, on changeoit la décoration ; & la partie qui étoit tournée vers le spectateur, s'appelloit scene tragique, comique, ou pastorale, selon la nature du spectacle auquel elle étoit assortie. Voyez les notes de M. Perrault, sur Vitruve, liv. V. ch. vj. Voyez aussi le mot DECORATION. On appelle aussi scene, le lieu où le poëte suppose que l'action s'est passée. Ainsi dans Iphigénie, la scene est en Aulide dans la tente d'Agamemnon. Dans Athalie, la scene est dans le temple de Jérusalem, dans un vestibule de l'appartement du grand-prêtre. Une des principales loix du poëme dramatique, est d'observer l'unité de la scene, qu'on nomme autrement unité de lieu.

En effet, il n'est pas naturel que la scene change de place, & qu'un spectacle commencé dans un endroit finisse dans un autre tout différent & souvent très-éloigné. Les anciens ont gardé soigneusement cette regle, & particulierement Térence : dans ses comédies, la scene ne change presque jamais ; tout se passe devant la porte d'une maison où il fait rencontrer naturellement ses acteurs.

Les François ont suivi la même regle ; mais les Anglois en ont secoué le joug, sous prétexte qu'elle empêche la variété & l'agrément des avantures & des intrigues nécessaires pour amuser les spectateurs. Cependant les auteurs les plus judicieux tâchent de ne pas négliger totalement la vraisemblance, & ne changent la scene que dans les entr'actes, afin que pendant cet intervalle, les acteurs soient censés avoir fait le chemin nécessaire ; & par la même raison, ils changent rarement la scene d'une ville à une autre ; mais ceux qui méprisent ou violent toutes les regles, se donnent cette liberté. Ces auteurs ne se font pas même de scrupule de transporter tout-à-coup la scene de Londres au Pérou. Shakespear n'a pas beaucoup respecté la regle de l'unité de scene ; il ne faut que parcourir ses ouvrages pour s'en convaincre.

Scene est aussi une division du poëme dramatique, déterminée par l'entrée d'un nouvel acteur : on divise une piece en actes, & les actes en scenes.

Dans plusieurs pieces imprimées des Anglois, la différence des scenes n'est marquée que quand le lieu de la scene & les décorations changent ; cependant la scene est proprement composée des acteurs qui sont présens ou intéressés à l'action. Ainsi quand un nouvel acteur paroît, ou qu'il se retire, l'action change & une nouvelle scene commence.

La contexture ou la liaison & l'enchaînement des scenes entr'elles, est encore une regle du théatre ; elles doivent se succéder les unes aux autres, de maniere que le théatre ne reste jamais vuide jusqu'à la fin de l'acte.

Les anciens ne mettoient jamais plus de trois personnes ensemble sur la scene, excepté les choeurs, dont le nombre n'étoit pas limité : les modernes ne se sont point astreints à cette regle.

Corneille, dans l'examen de sa tragédie d'Horace, pour justifier le coup d'épée que ce romain donne à sa soeur Camille, examine cette question, s'il est permis d'ensanglanter la scene ; & il décide pour l'affirmative, fondé, 1°. sur ce qu'Aristote a dit, que pour émouvoir puissamment, il falloit faire voir de grands déplaisirs, des blessures, & même des morts ; 2°. sur ce qu'Horace n'exclut de la vue des spectateurs, que les événemens trop dénaturés, tels que le festin d'Atrée, le massacre que Medée fait de ses propres enfans ; encore oppose-t-il un exemple de Séneque au précepte d'Horace ; & il prouve celui d'Aristote par Sophocle, dans une tragédie duquel Ajax se tue devant les spectateurs. Cependant le précepte d'Horace n'en paroît pas moins fondé dans la nature & dans les moeurs. 1°. Dans la nature ; car enfin, quoique la tragédie se propose d'exciter la terreur ou la pitié, elle ne tend point à ce but par des spectacles barbares, & qui choquent l'humanité. Or les morts violentes, les meurtres, les assassinats, le carnage, inspirent trop d'horreur, & ce n'est pas l'horreur, mais la terreur qu'il faut exciter. 2°. Les moeurs n'y sont pas moins choquées. En effet, quoi de plus propre à endurcir le coeur, que l'image trop vive des cruautés ; quoi de plus contraire aux bienséances, que des actions dont l'idée seule est effrayante ? les maîtres de l'art ont dit :

Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose :

Les yeux en la voyant saisiroient mieux la chose ;

Mais il est des objets que l'art judicieux

Doit offrir à l'oreille & reculer des yeux.

Art poét. chant iij.

Les Grecs & les Romains, quelque polis qu'on veuille les supposer, avoient encore quelque férocité : chez eux le suicide passoit pour grandeur d'ame ; chez nous il n'est qu'une frénésie, une fureur : les yeux qui se repaissoient au cirque des combats de gladiateurs, & ceux mêmes des femmes qui prenoient plaisir à voir couler le sang humain, pouvoient bien en soutenir l'image au théatre. Les nôtres en seroient blessés : ainsi ce qui pouvoit plaire relativement à leurs moeurs étant tout-à-fait hors des nôtres, c'est une témérité que d'ensanglanter la scene. L'usage en est encore fréquent chez les Anglois, & Shakespear sur tout est plein de ces situations. En vain M. Gresset a voulu les imiter dans sa tragédie d'Edouard ; le goût de Paris ne s'est pas trouvé conforme au goût de Londres. Il est vrai que toutes sortes de morts, même violentes, ne doivent point être bannies du théatre ; Phedre & Inez empoisonnées y viennent expirer ; Jason dans la Médée de Longe-Pierre, & Orosmane dans Zaïre, s'arrachent la vie de leur propre main ; mais outre que ce mouvement est extrêmement vif & rapide, on emporte ces personnages, on les dérobe promtement aux yeux des spectateurs, qui n'en sont point blessés, comme ils le seroient, s'il leur falloit soutenir quelque tems la vue d'un homme qu'on suppose massacré & nageant dans son sang. L'exemple de nos voisins, quand il n'est fondé que sur leur façon de penser, qui dépend du tempérament & du climat, ne devient point une loi pour nous qui vivons sous un autre horison, & dont les moeurs sont plus conformes à l'humanité. Principes pour la lecture des Poëtes, tome II. page 58. & suivantes.


SCÉNIQUECOLLEGE, (Antiq. théatr.) on donnoit ce nom à une société de gens qui servoient aux représentations théatrales, ou aux combats gymniques, & qui étoient établis en différentes villes, tant de la Grece que de l'empire romain. Tous ces colleges avoient des sacrifices & des prêtres particuliers, & celui qui étoit à la tête de ces prêtres prenoit le titre de grand-prêtre du college, . Cela devint si commun, même dans les villes latines où il y avoit de ces colleges de comédiens, de musiciens ou d'athletes, que les Latins emprunterent des Grecs le nom d'archiereus synodi, sans y rien changer. On en trouve des exemples dans diverses inscriptions. Ces colleges élisoient ordinairement pour grand-prêtre quelqu'un du corps, comme on peut le voir dans des inscriptions rapportées par Gruter.

Outre cela, ces colleges scéniques ou gymniques, se nommoient eux-mêmes des especes de magistrats qui prenoient le titre d'archontes. Dans les assemblées de ces colleges on faisoit différens decrets, soit pour témoigner de la reconnoissance envers leurs protecteurs, soit pour faire honneur à ceux d'entre les associés qui se distinguoient par leurs talens. Il y a quelque apparence que les fragmens d'inscriptions grecques trouvées à Nismes, sont des restes de quelques-uns de ces decrets, du moins nous sommes portés à le croire ainsi, par le mot , decretum, qui se trouve à la tête d'un de ces fragmens ; & parce que la ligne suivante commence de même que tous les decrets de cette espece, par les mots , quando quidem L. Sammius, &c.

Il est certain que les comédiens, chanteurs, joueurs d'instrumens, & autres personnes qui paroissoient sur la scene, artifices scenici, , s'étoient répandus dans l'Asie sous les successeurs d'Alexandre, comme on peut en juger par un passage du XIV. livre de Strabon.

Les différentes troupes qui représentoient des comédies, des tragédies, &c. dans les villes Asiatiques, se distinguoient entr'elles par les noms qu'elles empruntoient, les unes des rois qui les honoroient de leur protection, les autres du chef de la troupe.

Ces troupes de comédiens non-seulement se soutinrent dans l'Asie, après que ce pays eut passé sous la domination des Romains ; mais de plus elles envoyerent des especes de colonies dans l'occident, où les principales villes des provinces se piquerent d'avoir des comédiens grecs, à-peu-près comme de nos jours nous voyons différentes cours de l'Europe empressées d'attirer des troupes de comédiens italiens. On trouve la preuve de ce fait dans une inscription découverte depuis environ 40 ans, à un quart de lieue de Vienne sur le chemin de Lyon, par laquelle on voit qu'il y avoit des comédiens asiatiques établis à Vienne, lesquels y formerent un corps, & un corps assez permanent pour qu'ils songeassent à faire préparer un lieu propre à leur servir de sépulture, lorsque quelqu'un d'entr'eux viendroit à mourir. Scaenici Asiaticiani, & qui in eodem corpore sunt vivi, sibi fecerunt.

Les comédiens & les musiciens distingués dans leur art, aussi - bien que les athletes qui s'étoient rendus célebres par les victoires qu'ils avoient remportées dans les jeux gymniques, obtenoient le droit de bourgeoisie en différentes villes. L'amour du plaisir a toujours récompensé ceux qui se distinguent à en procurer. (D.J.)

SCENIQUES JEUX, (Théat. des Grecs & des Rom.) ludi scenici ; les jeux scéniques comprennent toutes les représentations, & tous les jeux qui se sont faits sur la scene ; mais il ne doit être ici question que de généralité sur les jeux scéniques des Grecs & des Romains.

Les plaisirs des premiers hommes furent purement champêtres : ils s'assemblerent d'abord dans les carrefours, ou dans les places publiques pour célébrer leurs jeux ; mais étant souvent incommodés par l'ardeur du soleil, ou par la pluie, ils firent des enceintes de feuillages, que les Grecs appellerent , & les Latins scena. Ainsi Virgile a dit dans son Enéïde :

Tum sylvis scena coruscis

Desuper horrentique atrum nemus imminet umbrâ.

Servius ajoute sur ce vers, scena apud antiquos, parietem non habuit. Telle fut la scene de ce fameux théatre que Romulus fit préparer pour attirer les Sabins dans le piege qu'il leur tendoit. Ovide nous en a fait une peinture bien différente de celle des théatres qui suivirent.

Primus sollicitos fecisti, Romule, ludos

Cum juvit viduos rapta Sabina viros.

Tunc neque marmoreo pendebant vela theatro,

Nec fuerant liquido pulpita rubra croco.

Illîc quas tulerant nemorosa palatia frondes

Simpliciter positae scena sine arte fuit.

Il est impossible de découvrir quand on commença de transporter les spectacles de dessus le terrain sur un théatre ; & de qui pourrions-nous l'apprendre, puisque pendant long-tems, les hommes savoient à-peine former des caracteres pour exprimer leurs pensées ? Les premieres représentations qu'on vit sur le théatre d'Athènes, consistoient en quelques choeurs d'hommes, de femmes & d'enfans, divisés en différentes bandes, lesquels barbouillés de lie, chantoient des vers composés sur le champ & sans art. C'étoit particulierement après les vendanges, que les gens de la campagne s'unissoient pour faire des sacrifices, & marquer aux dieux leur reconnoissance. Pausanias nous assure que l'on immoloit une chevre, comme étant ennemie de la vigne ; que l'on chantoit des hymnes en l'honneur de Bacchus, & que l'on donnoit une simple couronne au vainqueur.

Les Romains imiterent les Grecs ; ils chantoient dans leurs fêtes de vendanges, ces vers naïfs & sans art, connus sous le nom de vers fescennins, de Fescennia ville d'Etrurie. Mais l'an 390 ou 391, sous le consulat de C. Sulpicius Paeticus & de C. Licinius Stolon, Rome étant ravagée par la peste, on eut recours aux dieux. Il n'y a rien que les hommes, dans le Paganisme, n'ayent jugé digne d'irriter ou d'appaiser la divinité. On imagina de faire venir d'Etrurie des farceurs, dont les jeux furent regardés comme un moyen propre à détourner la colere des dieux. Ces joueurs, dit Tite-Live, sans réciter aucun vers, & sans aucune imitation faite par des discours, dansoient au son de la flûte, & faisoient des gestes & des mouvemens qui n'avoient rien d'indécent. La jeunesse romaine imita ces danses, & y joignit quelques plaisanteries en vers ; ces vers n'avoient ni mesure, ni cadences reglées. Cependant cette nouveauté parut agréable ; à force de s'y exercer, l'usage s'en introduisit. Ceux d'entre les esclaves qu'on employoit à ce métier, furent appellés histrions, parce qu'un joueur de flûte s'appelloit hister, en langue étrusque.

Dans la suite, à ces vers sans mesure, on substitua les satyres ; & ce poëme devint exact, par rapport à la mesure des vers, mais il y regnoit toujours une plaisanterie licencieuse. Le chant étoit accompagné de la flûte, & le chanteur joignoit à sa voix des gestes & des mouvemens convenables. Il n'y avoit dans ces jeux aucune idée de poëme dramatique ; les Romains en ignoroient alors jusqu'au nom. Ils n'avoient encore rien emprunté des Grecs à cet égard ; ils ne commencerent à les imiter que lorsqu'ils entreprirent de former un art de ce que la nature ou le hasard leur avoit présenté. Livius Andronicus, grec de naissance, esclave de Marcus Livius Salinator, & depuis affranchi par son maître dont il avoit élevé les enfans, porta à Rome la connoissance du poëme dramatique. Il osa le premier donner des pieces dans lesquelles il introduisit la fable, ou la composition des choses qui doivent former le poëme dramatique, c'est-à-dire une action. Ce fut l'an 514 de la fondation de Rome, 160 ans après la mort de Sophocle & d'Euripide, & 52 ans après celle de Ménandre.

L'exemple de Livius Andronicus fit naître plusieurs poëtes, qui s'attacherent à perfectionner ce nouveau genre. On imita les Grecs, on traduisit leurs pieces, & l'on en fit sur de bons modeles, & d'après les regles de l'art. Leurs jeux scéniques comprenoient la tragédie & la comédie. Ils avoient deux especes de tragédies ; l'une dont les moeurs, les personnages & les habits étoient grecs, se nommoit palliata ; l'autre dont les personnages étoient romains, s'appelloit praetextata, du nom de l'habit que portoient à Rome les personnes de condition. Voyez TRAGEDIE.

La comédie romaine se divisoit en quatre especes ; la togata proprement dite, la tabernaria, les attellanes & les mimes. La togata étoit du genre sérieux ; les pieces du second caractere l'étoient beaucoup moins ; dans les attellanes le dialogue n'étoit point écrit ; les mimes n'étoient que des farces où les acteurs jouoient sans chaussure. Si la tragédie ne fit pas de grands progrès à Rome, la bonne comédie ne fut guere plus heureuse ; nous ne connoissons que les titres de quelques-unes de leurs pieces tragiques, qui ne sont pas parvenues jusqu'à nous ; & nous n'avons de leurs comédies que celles de Plaute & de Térence, qui furent ensuite négligées par le goût de la multitude pour les attellanes, & les farces des mimes. Enfin ce qui s'opposa le plus chez les Romains aux progrès du vrai genre dramatique, fut l'art des pantomimes, qui sans rien prononcer se faisoient entendre par le seul moyen du geste & des mouvemens du corps. Mém. des inscrip. tome XVII. in-4 °. (D.J.)


SCÉNITESarabes, (Géog. mod.) Scenitae arabes ; peuples dont plusieurs auteurs anciens ont fait mention, & qu'ils ont placés en divers pays. Pline met des Scénites arabes dans l'Arabie qui est au-delà de Péluse, & qui s'étend jusqu'à l'Arabie heureuse.

D'un autre côté Strabon, en décrivant les pays qui sont entre la Mésopotamie & la Coelésyrie, y place les Scénites arabes, ce qui sembleroit dire que ces peuples n'étoient pas voisins de l'Egypte. Cependant Pline lui-même, lib. VI. c. xxviij. met des Scénites arabes dans l'Arabie heureuse ; & Ammien Marcellin, lib. XXIII. dit que les peuples que les anciens appellerent Scénites arabes, furent dans la suite nommés Sarrasins. Il est néanmoins certain que tous les Sarrasins n'avoient pas été originairement Scénites arabes ; il y en avoit de nomades, & il y en avoit de scénites ; quelques-uns étoient éthiopiens, & d'autres arabes.

Les Scénites arabes étoient dans la Mésopotamie en-deçà de l'Euphrate, & depuis la Mésopotamie jusqu'aux deserts Palmyrènes de Syrie, on trouvoit des nomades arabes ; depuis la Syrie jusqu'au golfe arabique, en tirant du côté de l'Arabie heureuse, on trouvoit des Scénites arabes, & ce sont ceux qu'on devroit appeller proprement Sarrasins.

Il y avoit encore des Scénites arabes le long de la côte, depuis le golfe Elanite jusqu'au promontoire Héroopolitique ; & quelques-uns près de la ville des Héros, en tirant vers le midi. Les Troglodytes éthiopiens, quoique nomades, furent aussi appellés Scénites ; & ensuite Sarrasins.

Enfin Ptolémée marque des Scénites dans l'Ethiopie, près des cataractes du Nil ; c'est ce qui a porté Ammien Marcellin à étendre les Sarrasins depuis l'Assyrie & la Mésopotamie, jusqu'aux cataractes du Nil ; parce que la postérité donna le nom de Sarrasins, à tous les arabes scénites & nomades. (D.J.)

SCENITE, adj. (Gramm.) qui vit sous des tentes ; il se dit de quelques peuples errans.


SCENOE(Géog. anc.) ville située aux confins de la Babylonie, & dans la Mésopotamie deserte. Elle appartient aux Arabes scénites, à ce que nous apprend Strabon, liv. XVI. page 748. (D.J.)


SCENOGRAPHIES. f. en terme de perspective, est la représentation d'un corps en perspective sur un plan ; c'est-à-dire la représentation de ce corps dans toutes ses dimensions, tel qu'il paroît à l'oeil. Voyez PERSPECTIVE.

Ce mot est formé des mots grecs, , scene, & , description.

Pour bien faire entendre ce que c'est que la scenographie, & sa différence d'avec l'ichnographie, & l'ortographie, supposons qu'on veuille représenter un bâtiment ; l'ichnographie de ce bâtiment est le plan du bâtiment, ou sa coupe par en-bas. Voyez ICHNOGRAPHIE.

L'orthographie est la représentation de la façade du bâtiment, ou d'une de ses faces ; voyez ORTHOGRAPHIE. Enfin, la scenographie est la représentation du bâtiment en son entier, c'est-à-dire de ses faces, de sa hauteur, & de toutes ses dimensions.

Pour représenter scenographiquement un corps ; 1°. cherchez l'ichnographie perspective ou le plan de la base du corps, en suivant la méthode qui a été donnée pour cela dans l'article PERSPECTIVE. 2.° Sur les différens points du plan, élevez les hauteurs correspondantes en perspective ; vous aurez par ce moyen la scenographie complete du corps, à l'exception de l'ombre qu'il y faut ajouter. Voici la méthode pour élever les hauteurs en perspective.

Sur un point donné, comme C, Pl. perspect. fig. 1. n°. 2. on propose d'élever la hauteur perspective, répondante à la hauteur objective P Q. Sur la ligne de terre, élevez une perpendiculaire P H, égale à la hauteur objective donnée. Des points P & Q, tirez à un point quelconque T les lignes P T & Q T ; du point donné C, tirez une ligne droite C K, parallele à la ligne de terre D E, & qui rencontre la ligne droite Q T en K. Du point K, élevez la perpendiculaire I K sur la ligne K C. La ligne I K ou son égale C B est la hauteur scenographique cherchée.

L'application de cette méthode générale pour trouver la scenographie d'un corps, n'est pas si facile dans tous les cas, qu'elle n'ait besoin d'être un peu éclaircie & applanie par quelques exemples.

Pour représenter scenographiquement un cube, vû par un de ses angles ; 1°. comme la base d'un cube vû par un angle, & placé sur un plan géometral, est un quarré vû par un angle ; tracez d'abord en perspective un quarré vû par un angle, voyez PERSPECTIVE ; 2°. ensuite élevez le côté H I du quarré fig. 2. n°. 2. perpendiculairement sur un point quelconque de la ligne de terre D E, & à un point quelconque comme V de la ligne horisontale H R, tirez les lignes droites V I & V H ; 3°. des angles d, b & c, tirez c 1, d 2, paralleles à la ligne de terre D E : 4°. des points 1 & 2, élevez L 1 & M 2 perpendiculaires à la même ligne D E ; 5°. puisque H I est la hauteur qui doit être élevée en A, L I en c & en b, & M 2 en d ; élevez au point a la ligne f a perpendiculaire à a E ; en b & en c, élevez b g & c e perpendiculairement à b c 1 : enfin élevez d h perpendiculaire à d 2, & faites a f = H I., b g = e c = L i, & h d = M 2 ; joignez ensuite les points g, h, e, f, par des lignes droites, & vous aurez la scenographie que vous cherchez.

Pour représenter scenographiquement un prisme quinquangulaire creux ; 1°. puisque la base d'un prisme quinquangulaire creux, élevé sur un plan géométral, est un pentagone, terminé par un bord ou limbe d'une certaine dimension ; cherchez d'abord la représentation perspective de ce pentagone sur un plan, voyez PERSPECTIVE ; 2°. d'un point quelconque H de la ligne de terre D E fig. 3. élevez une perpendiculaire H I égale à la hauteur objective, & tirez à un point quelconque V de la ligne horisontale H R, les lignes H V & I V ; 3°. des différens angles a, b, d, e, c, de l'ichnographie perspective, tant internes qu'externes, tirez les lignes droites b 2, d 3, &c. paralleles à la ligne de terre : & des points 1, 2, 3, &c. élevez perpendiculairement sur cette même ligne les lignes L 1, M 2, m 2, N 3, n 3 ; ensuite élevez toutes ces lignes aux points correspondans de l'ichnographie, comme dans l'exemple précédent ; & vous aurez la scenographie que vous cherchez.

Pour représenter scenographiquement un cylindre ; 1°. comme la base d'un cylindre élevé sur un plan géometral est un cercle ; tracez d'abord le cercle en perspective, ensuite aux points a, b, d, f, h, g, e, c, fig. 8. élevez les hauteurs correspondantes comme dans les articles précédens. Joignez enfin la partie supérieure de ces lignes par des lignes courbes, semblables & égales aux parties correspondantes de la base a, b, d, f, g, h, g, e, c, &c. & vous aurez la scenographie du cylindre. Il est évident qu'on doit omettre, tant dans le plan que dans l'élévation, les lignes qui ne sont point exposées à l'oeil ; cependant il faut d'abord y avoir égard, parce qu'elles sont nécessaires pour trouver les autres lignes : par exemple, dans la scenographie d'un cube vû par un de ses angles, les lignes b d & d c de la base, fig. 2. n°. 2. & la ligne d h de l'élévation sont entierement cachées à l'oeil, & doivent être par conséquent omises dans la représentation scenographique du cube ; mais comme on ne peut trouver le point h de la surface supérieure, sans avoir le point d qui lui répond, & qu'on ne peut tirer les lignes g h & h e, sans avoir la hauteur d h ; il s'ensuit qu'il est nécessaire de déterminer dans l'opération au moins par des lignes occultes, l'apparence du point d & la hauteur d h.

Pour représenter scenographiquement une pyramide élevée sur la base ; supposons, par exemple, qu'on veuille représenter une pyramide quadrangulaire, vûe par un de ses angles. 1°. Puisque la base d'une telle pyramide est un quarré vû par un angle, tracez d'abord ce quarré en perspective ; 2°. pour trouver le sommet de la pyramide, c'est-à-dire la perpendiculaire qui tombe du sommet sur la base, tirez les diagonales qui se coupent en e, fig. 5. n°. 2. 3°. sur un point quelconque B de la ligne de terre D E, élevez la hauteur B I de la pyramide ; & après avoir tiré les lignes droites H V & I V à l'horisontale H R, prolongez la diagonale d b, jusqu'à ce qu'elle rencontre la ligne V B en b. Enfin du point b, tirez b i parallele à B I ; cette ligne b i étant élevée sur le point e, donnera le sommet K de la pyramide ; conséquemment on aura les lignes d k, k a & k b.

On peut se servir de la même méthode pour trouver la scenographie d'un cône. Par cet article & par l'article PERSPECTIVE, on voit assez quelles regles on doit observer pour mettre en perspective toutes sortes de figures & de corps. La fig. 7. n°. 2. représente la scenographie d'un bâtiment, dans laquelle V est supposé le point de vûe. Chambers. (O)


SCENOPEGIES. f. (Hist. judaïq.) étoit chez les juifs le nom d'une fête qu'on appelloit plus communément la fête des tabernacles ou des tentes. Le peuple d'Israël, après qu'il eut pris possession de la terre de Chanaan, institua cette fête en mémoire de ce qu'il avoit habité sous des tentes dans le désert.

Ce mot est grec, & est formé des mots , scene, tabernacle, tente, & , figo, je fixe.

La fête des tabernacles commençoit le 15 Septembre, & duroit huit jours de suite. Le dernier de ces jours étoit beaucoup plus solemnel que les autres, tant par l'affluence extrême du peuple, que par les marques extraordinaires de joie qu'il donnoit. C'est de ce huitieme jour que parle S. Jérôme, quand il dit que J. C. vint à la fête des tabernacles, le dernier & le plus grand jour.

Quand l'Ecriture-sainte, dit simplement la fête, c'est ordinairement de la fête des tabernacles qu'elle veut parler.


SCEPSIS(Géog. anc.) ville d'Asie, dans la petite Mysie, & dans les terres, suivant Ptolémée, liv. V. ch. ij.

Métrodore, homme recommandable par son éloquence & par son savoir, étoit né dans cette ville. Strabon, liv. XI. Pline, liv. II. ch. xvj. & xxxj. liv. XXXIV. ch. vj. Athénée, liv. XIII. parle de lui comme d'un homme célebre. Il écrivit divers traités que le tems nous a enviés. Mithridate qui le chérissoit l'envoya en ambassade vers Tigrane, avec ordre de l'engager à joindre ses forces aux siennes contre les Romains. Métrodore ayant exécuté sa commission, Tigrane lui dit dans la conversation : " Mais vous, Métrodore, que me conseillez-vous ? Seigneur, lui repliqua-t-il, comme ambassadeur je vous le conseille, mais si vous consultez Métrodore, il ne vous le conseillera jamais ". Mithridate apprit cette particularité de Tigrane, dans les entretiens secrets que ces deux princes se firent de leurs confidences réciproques, & sur-le-champ il se vengea injustement de Métrodore, en le faisant mourir ; c'est ainsi que cet homme estimable par sa franchise, finit ses jours sous la 177e olympiade, l'an 72 de Jesus-Christ.

Au reste, pour le dire en passant, l'histoire ancienne fait mention de dix hommes illustres nommés Métrodore, & qu'il ne faut pas confondre ensemble.

Le premier étoit de Chio, & maître d'Hippocrate. Il vivoit sous la 84e. olympiade, vers l'an 444 avant Jesus-Christ. Il écrivit quelques ouvrages de médecine, & une histoire du royaume de Troie, cités par Pline, Athénée, Isaac Tzetzès, &c.

Le second de Lampsaque, vivoit sous la 86e olympiade, vers l'an 536 avant Jesus-Christ, & fut lié d'amitié avec le philosophe Anaxagoras.

Le troisieme d'Athènes, ou si l'on veut de Lampsaque, ami particulier & disciple d'Epicure, fleurissoit sous la 126e. olympiade, vers l'an 274 avant Jesus-Christ ; Diogene Laerce, Ciceron, Strabon, & Clément d'Alexandrie, en ont beaucoup parlé, mais Gassendi a publié sa vie.

Le quatrieme, né à Stratonice, est le seul qui quitta la secte d'Epicure pour s'attacher à Carnéade, académicien. Il fleurissoit sous la 161e. olympiade, vers l'an 136 avant Jesus-Christ.

Le cinquieme est le nôtre, né à Scepsis.

Le sixieme est ce Métrodore, qui excelloit tout ensemble dans la philosophie & dans la peinture, & que les Athéniens envoyerent à Paul Emile, qui fut enchanté de ce choix ; il le nomma pour précepteur de ses enfans.

Le septieme est un mathématicien dont parle Pline.

Le huitieme, grammairien, dont fait mention Agathias, liv. V. hist.

Le neuvieme de ce nom avoit fait un cycle pour la célébration de la fête de Pâques. Voyez M. Dupin.

Le dixieme, architecte sous l'empire de Constantin, vers l'an 327 de Jesus-Christ, étoit natif de Perse, & fit dans les Indes plusieurs édifices qui l'illustrerent. (D.J.)


SCEPTICISMES. m. & SCEPTIQUES, s. m. pl. (Hist. de la Philosophie) Sceptici, secte d'anciens philosophes, qui avoient Pyrrhon pour chef, & dont le principal dogme consistoit à soutenir que tout étoit incertain & incompréhensible ; que les contraires étoient également vrais ; que l'esprit ne devoit jamais donner son consentement à rien, mais qu'il dévoit rester dans une indifférence entiere sur toute chose. Voyez PYRRHONIENS.

Le mot sceptique, qui est grec dans son origine, signifie proprement contemplatif, c'est-à-dire un homme qui balance les raisons de part & d'autre, sans décider pour aucun côté ; c'est un mot formé du verbe , je considere, j'examine, je délibere.

Diogene Laërce remarque, que les sectateurs de Pyrrhon avoient différens noms : on les appelloit Pyrrhoniens, du nom de leur chef ; on les appelloit aussi Aporetici, gens qui doutent, parce que leur maxime principale consistoit à douter de tout ; enfin on les nommoit Zetétiques, gens qui cherchent, parce qu'ils n'alloient jamais au-delà de la recherche de la vérité.

Les Sceptiques ne retenoient leur doute que dans la spéculation. Pour ce qui concerne les actions civiles & les choses de pratique, ils convenoient qu'il falloit suivre la nature pour guide, se conformer à ses impressions, & se plier aux loix établies dans chaque nation. C'étoit un principe constant chez eux, que toutes choses étoient également vraisemblables, & qu'il n'y avoit aucune raison qui ne pût être combattue par une raison contraire aussi forte. La fin qu'ils se proposoient, étoit l'ataraxie, ou l'exemption de trouble à l'égard des opinions, & la métriopatie ou la modération des passions & des douleurs. Ils prétendoient qu'en ne déterminant rien sur la nature des biens & des maux, on ne poursuit rien avec trop de vivacité, & que par-là on arrive à une tranquillité parfaite, telle que peut la procurer l'esprit philosophique : au-lieu que ceux qui établissent qu'il y a de vrais biens & de vrais maux, se tourmentent pour obtenir ce qu'ils regardent comme un vrai bien. Il arrive de-là qu'ils sont déchirés par mille secrettes inquiétudes, soit que n'agissant plus conformément à la raison, ils s'élevent sans mesure, soit qu'ils soient emportés loin de leur devoir par la fougue de leurs passions, soit enfin que craignant toujours quelque changement, ils se consument en efforts inutiles pour retenir des biens qui leur échappent. Ils ne s'imaginoient pourtant pas, comme les Stoïciens, être exempts de toutes les incommodités qui viennent du choc & de l'action des objets extérieurs ; mais ils prétendoient qu'à la faveur de leur doute sur ce qui est bien ou mal, ils souffroient beaucoup moins que le reste des hommes, qui sont doublement tourmentés, & par les maux qu'ils souffrent, & par la persuasion où ils sont que ce sont de vrais maux.

C'est une ancienne question, comme nous l'apprenons d'Aulugelle, & fort débattue par plusieurs auteurs grecs, savoir en quoi different les Sceptiques & les académiciens de la nouvelle académie. Plutarque avoit fait un livre sur cette matiere ; mais puisque le tems nous a privé de ces secours de l'antiquité, suivons Sextus Empiricus, qui a rapporté si exactement tous les points en quoi consiste cette différence, qu'il ne s'y peut rien ajouter.

Il met le premier point de différence, qui se trouve entre la nouvelle académie & la doctrine sceptique, en ce que l'une & l'autre disant que l'entendement humain ne peut rien comprendre, les académiciens le disent affirmativement, & les Sceptiques le disent en doutant.

Le second point de différence proposé par Sextus, consiste en ce que les uns & les autres étant conduits par une apparence de bonté, dont l'idée leur est imprimée dans l'esprit, les académiciens la suivent, & les Sceptiques s'y laissent conduire ; & en ce que les académiciens appellent cela opinion ou persuasion, & non les Sceptiques : bien que ni les uns ni les autres n'affirment que la chose d'où part cette image ou apparence de bonté soit bonne, mais les uns & les autres avouent que la chose qu'ils ont choisie leur semble bonne, & qu'ils ont cette idée imprimée dans l'esprit, à laquelle ils se laissent conduire.

Le troisieme point de différence revient au même. Les académiciens soutiennent que quelques-unes de leurs idées sont vraisemblables, les autres non ; & qu'entre celles qui sont vraisemblables il y a du plus & du moins. Les Sceptiques prétendent qu'elles sont égales, par rapport à la créance que nous leur donnons ; mais Sextus qui propose cette différence, fournit lui-même le moyen de la lever, car il dit que les Sceptiques veulent que la foi des idées soit égale par rapport à la raison, c'est-à-dire autant qu'elle se rapporte à la connoissance de la vérité & à l'acquisition de la science par la raison, car l'idée la plus claire n'a pas plus de pouvoir pour me faire connoître la vérité : mais en ce qui regarde l'usage de la vie, ils veulent que l'on préfere cette idée claire à celle qui est obscure.

La quatrieme différence consiste moins dans la chose que dans la maniere de s'exprimer ; car les uns & les autres avouent qu'ils sont attirés par quelques objets ; mais les académiciens disent que cette attraction se fait en eux avec une véhémente propension, ce que les Sceptiques ne disent pas, comme si les uns étoient portés vers les choses vraisemblables & que les autres s'y laissassent seulement conduire, quoique ni les uns ni les autres n'y donnent pas leur consentement.

Sextus Empiricus met encore entr'eux une autre différence, sur les choses qui concernent la fin, disant que les académiciens suivent la probabilité dans l'usage de la vie, & que les Sceptiques obéissent aux loix, à la coutume, & aux affections naturelles. En cela comme en plusieurs choses, leur langage est différent, quoique leurs sentimens soient pareils. Quand l'académicien obéit aux loix, il dit qu'il le fait parce qu'il a opinion que cela est bon à faire, & que cela est probable ; & quand le sceptique fait la même chose, il ne se sert point de ces termes d'opinion & de probabilité, qui lui paroissent trop décisifs.

Ces différences qui sont légeres & imperceptibles, ont été cause qu'on les a tous confondus sous le nom de Sceptiques. Si les philosophes qui ont embrassé cette secte, ont mieux aimé être appellés académiciens que pyrrhoniens, deux raisons assez vraisemblables y ont contribué ; l'une est que fort peu de philosophes illustres sont sortis de l'école de Pyrrhon, au-lieu que l'académie a donné beaucoup d'excellens hommes, auxquels il est glorieux de se voir associé ; l'autre est qu'on a ridiculisé Pyrrhon & les Pyrrhoniens, comme s'ils avoient réduit la vie des hommes à une entiere inaction, & que ceux qui se diront pyrrhoniens tomberont nécessairement dans le même ridicule.


SCEPTRA(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure ; c'étoit une des sept villes dont Cyrus fit présent à son favori Pytharcus, au rapport d'Athénée. (D.J.)


SCEPTRES. m. (Gram. & Hist. anc. & mod.) dans l'origine, le sceptre n'étoit qu'une canne ou bâton que les rois & les généraux portoient à la main pour s'appuyer ; & c'est ce qu'on appelle en terme de médaille hasta pura, une pique ou halebarde sans fer qu'on voit à la main des divinités ou des rois : c'est le sentiment de Nicod, qui paroît d'autant plus fondé que Justin raconte que le sceptre des premiers roix étoit une lance. Cet historien ajoute que dans l'antiquité la plus reculée les hommes adoroient la haste ou le sceptre comme des dieux immortels, & que de son tems encore on mettoit par cette raison un sceptre à la main des dieux. Celui de Neptune étoit son trident.

Dans la suite, le sceptre devint un ornement royal, & la marque du souverain pouvoir. Dans Homere, les princes grecs ligués contre Troye, portent des sceptres d'or. Celui d'Agamemnon, dit-il, ouvrage incomparable de Vulcain qui l'avoit donné au fils de Saturne, passa de Jupiter à Mercure, puis à Pélops, à Atrée, à Thyeste & à Agamemnon : on le conservoit encore du tems de ce poëte, on l'adoroit même ; & on lui faisoit tous les jours des sacrifices à Chéronée, où l'on n'en montroit pourtant que le bois, les Phocéens ayant enlevé les lames d'or qui le couvroient.

Le sceptre des rois fut donc revêtu d'ornemens de cuivre, d'ivoire, d'argent ou d'or, & de figures symboliques. Tarquin l'ancien le porta le premier à Rome, & les consuls le porterent aussi sous le nom de scipio, bâton de commandement. Les empereurs l'ont conservé jusques dans les derniers tems, & les rois le portent dans les grandes cérémonies. Il est surmonté ou distingué par quelques pieces de leur blason. Ainsi celui du roi de France est surmonté d'une fleur de lys double, celui de l'empereur d'un aigle à deux têtes, celui du grand-seigneur d'un croissant, &c. Phocas est le premier qui ait fait ajouter une croix à son sceptre : ses successeurs quitterent même le sceptre pour ne plus tenir à la main que des croix de différentes formes & de différentes grandeurs. M. le Gendre dit, le sceptre de nos roix de la premiere race étoit un bâton d'or recourbé par le bout en forme de crosse, & aussi haut que le prince qui le portoit.

SCEPTRE, (Critique sacrée) mot grec qui veut dire appui, parce que le sceptre qui a été la marque de la dignité royale, étoit un bâton sur lequel on pouvoit s'appuyer. Il signifie donc le bâton que les rois portoient dans leur main droite comme un signe de leur puissance, Exod. viij. 4. Quand quelqu'un entroit dans le cabinet du palais du roi de Perse sans y être appellé, il étoit digne de mort, si le roi n'avoit la bonté de lui tendre son sceptre d'or ; & c'est ce que fit Artaxerxès, que l'Ecriture nomme Assuérus, à l'égard d'Esther. Ce mot sceptre au figuré désigne la domination, la souveraineté. Il se prend aussi pour famille, race, tribu ; emmenez avec vous la famille de votre pere, sceptrum patris tui sume tecum. Nomb. xviij. 2. (D.J.)

SCEPTRE, (Art numismatique) il faut dire un mot de cet ornement qu'on trouve sur les bustes dans les médailles antiques des rois.

Le sceptre qu'ils tiennent à la main lorsqu'ils sont en habit consulaire, & c'est ainsi que sont presque toujours les empereurs de Constantinople, est surmonté d'un globe chargé d'une aigle, pour faire connoître par ces marques de la souveraine puissance que le prince gouverne par lui-même. Dès le tems d'Auguste, l'on voit sur les médailles le sceptre consulaire dont nous parlons.

Phocas est le premier qui a fait ajouter une croix à son sceptre ; ses successeurs quitterent même le sceptre, pour ne plus tenir à la main que des croix de différentes formes & de différentes grandeurs.

Lorsqu'ils sont représentés en armes, outre le casque & le bouclier, ils ont ordinairement un javelot à la main ou sur l'épaule.

Quand ils sont en robe dans le bas Empire, le sceptre est une férule, nommé , qui consiste en une tige assez longue, dont le haut est carré & plat. L'usage en est fort ancien parmi les Grecs, qui appelloient leurs princes narticophores, porte-férules. Voyez Ducange, dissert. de infer. aevi numism. n°. 11.

On a trouvé une grande diversité de sceptres sur les anciens monumens, comme il paroît par Montfaucon, tome I. Pl. XXI. & XXVIII. Mafféi, Racc. di statue, Pl. XXVII. Admir. rom. antiq. tab. 28. & les Planches d'Herculanum. (D.J.)


SCEPUS(Géog. mod.) comté de la haute Hongrie, sur les frontieres de la Pologne, qui la borne au nord. Il est coupé par diverses rivieres, & n'a point de villes. (D.J.)


SCÉVOPHILACTES. m. (Hist. ecclésiast.) nom de dignité dans l'église grecque, dont fait mention Théodore le lecteur. Le scevophilacte étoit comme le trésorier de l'église ou le gardien des vases sacrés, ainsi que le porte ce nom formé du grec , vase, & , gardien.

Cet office étoit chez les Grecs ce qu'est dans l'église latine celui des sacristains. Mais cette dignité étoit fort considérable, car on voit plusieurs scevophilactes tirés de la sacristie pour être élevés sur le siege patriarchal de Constantinople. Thomassin, discipline de l'Eglise, part. II. l. I. c. xlviij. & part. III. l. I. c. lij.

Le scevophilacte est aussi quelquefois appellé par les anciens ciméliarque, c'est-à-dire garde du trésor, parce que ce trésor servoit souvent d'archives à l'Eglise, & qu'on y renfermoit les titres, chartes & autres papiers concernant ses biens, revenus, &c. Suicer observe, d'après Photius, que le scevophilacte étoit souvent le même officier que les Grecs nommoient chartophylax. Voyez CHARTOPHYLAX. Mais les Grecs modernes ont séparé ces deux dignités, & le chartophylax, qui est comme le grand-vicaire du patriarche ou comme son official, est un personnage tout autrement distingué par ses fonctions & par ses droits, que le scevophilacte qui n'est plus, à proprement parler, qu'un sacristain. Bingham, orig. ecclés. t. II. l. III. c. xiij. §. 3.


SCHABANS. m. (Hist. mod.) huitieme mois des Arabes hagareniens & des Turcs ; il répond à notre mois d'Avril.


SCHABATH(Cal. syr.) nom d'un mois du calendrier des Syro-Macédoniens, qui correspond à notre mois de Février. Fabricius l'appelle Aschabath, en ajoutant l'article al, & c'est, dit-il, un mois des Syriens qui avoient pris les mois grecs des Macédoniens. (D.J.)


SCHABIAH(Géog. mod.) ville d'Afrique au pays des negres, mais bien avant dans les terres & au-de-là du fleuve Niger. (D.J.)


SCHACou SCHAH, s. m. (Hist. mod.) en langue persane signifie roi ou seigneur. Ainsi dans l'histoire schah abbas, & non pas comme l'ont écrit un grand nombre d'auteurs cha abbas, & schah hussein signifient le roi abbas, le roi hussein. Thamas Koulikan, après s'être emparé du trône de Perse, avoit pris le titre de schah nadir. Padischah dans la même langue, aussi-bien qu'en turc, signifie aussi empereur ou roi. On croit que le titre de schach ou schah est une corruption du nom de schich, qui veut dire prophete.


SCHADA-SCHIVAOUNS. m. (Idolât. indienne) nom que les Indiens donnent à des génies qu'ils croyent chargés de régir le monde. Ils donnent à ces génies des femmes, mais ces femmes ne sont que des attributs personnifiés. La femme de Schada-Schivaoun se nomme Houmani : c'est elle qui gouverne le ciel & la région des astres. (D.J.)


SCHADUKIAM(Géog. mod.) c'est-à-dire le plaisir & le désir. Ce mot persien est le nom d'une province fabuleuse du pays de Ginnistan, que les romans orientaux disent être peuplé de dives & de péris : ces mêmes romans ont donné à ce royaume des fées, une capitale imaginaire, qu'ils appellent Ghevher-Abad, mot persien, qui signifie la ville des joyaux. (D.J.)


SCHAFFS. m. (Commerce) c'est le nom d'une mesure dont on se sert en Souabe pour mesurer les grains ; on l'appelle plus communément schoeffel ou scheffel ; c'est un boisseau.


SCHAFFHOUSou SCHAFFOUSE, (Géog. mod.) capitale du canton du même nom, au bord septentrional du Rhin qu'on y passoit sur un pont de pierre, qui a été ruiné par une inondation arrivée le 4 Mai 1754. Cette ville est à 10 lieues au nord de Zurich, & à 15 au levant de Bâle. Elle est grande, bien bâtie, fermée de murailles de toutes parts, avec une espece de forteresse à l'antique ; ses rues sont larges, & fort propres. Il y a à Schaffhouse deux beaux temples, un hôtel-de-ville, un arsenal, une académie théologique, & deux bibliotheques publiques. Long. 26. 15. latit. 47. 46.

Cette ville, comme tant d'autres, doit son origine à un monastere qui y fut fondé l'an 1060. Dans ce siecle-là elle s'appelloit Schiffhausen, c'est-à-dire Maison des bateaux, & dans des actes latins Navium domus : ce n'étoit cependant qu'un village où l'on déchargeoit les bateaux qui descendoient le Rhin, à cause de la cataracte que ce fleuve fait à Lauffen. Burckhard ayant donné ce village à un couvent de moines, qu'il y établit pour vivre saintement, ce lieu fut appellé Schaffhausen, c'est-à-dire Maison de brebis ; & c'est pourquoi la ville de Schaffhouse porte un bélier pour piece honorable dans ses armes.

Le village devint bientôt un bourg, ensuite ville, & ville Impériale. Après les guerres de Bourgogne, elle s'allia avec les cantons de la Suisse pour 25 ans ; & en 1501, elle fut reçue au corps helvétique pour un douzieme canton. Enfin ses habitans ayant embrassé la doctrine de Zuingle, d'Oecolampade, & de leurs disciples, la religion romaine fut abolie dans toute la ville en 1529, & elle se joignit étroitement d'intérêt, comme de créance, avec Bâle, Zurich & Berne.

Son gouvernement civil est tel que celui de Zurich. La ville est partagée en douze tribus, qu'on appelle zunfften, une de nobles & onze de bourgeois. On prend sept personnes de chacune de ces tribus, pour composer le conseil souverain de la république, ce qui, avec les deux chefs qu'on appelle bourguemestres, fait un corps de quatre-vingt-six conseillers. De ce grand conseil, on en tire un petit de deux personnes de chaque tribu, avec les deux chefs, c'est-à-dire de vingt-six conseillers, qui examinent les affaires les moins importantes, & décident les différends des particuliers. Il y a aussi quelques autres chambres pour l'administration de la justice & de la police.

Quand on veut faire quelque élection pour le grand ou le petit conseil, les bourgeois de la tribu où il y a une place vacante, s'assemblent dans la maison publique qui est affectée à leur tribu, & là ils donnent leur suffrage à voix basse en nommant à l'oreille d'un secrétaire celui qu'ils élisent. Pour ce qui est du consistoire qui regle l'administration de la discipline ecclésiastique, il y a ceci de particulier, qu'aucun ministre n'y assiste, comme à Zurich & à Berne ; mais on choisit, pour le remplir, les plus savans du conseil, auxquels on donne pour adjoint quelque docteur en droit. (D.J.)

SCHAFFHOUSE, le canton de, (Géog. mod.) canton de la Suisse, au-delà du Rhin, sur les frontieres de l'Allemagne, & le douzieme en nombre entre les cantons. Il n'est pas grand, mais important au repos de la Suisse, à laquelle il sert comme de boulevard contre l'Allemagne. Il est borné au nord & à l'occident par la Souabe, à l'orient par le canton de Zurich, & au midi en partie par ce même canton, & en partie par le Thurgaw, dont il est séparé par le Rhin. C'est un bon pays, qui produit du blé, des fruits, du vin, & qui abonde en pâturages. Il est divisé en plusieurs petits bailliages, où le Rhin fait fleurir le commerce. Schaffhouse est la capitale de ce canton. Voyez-en l'article. (D.J.)


SCHAGEou SCAGEN, (Géog. mod.) gros & ancien bourg des Pays-Bas, dans la Hollande, au bord de la mer, à 3 lieues d'Alcmar, & à autant de Médomblick. Il donne son nom à une des plus anciennes familles d'entre les nobles de la Hollande. D'ailleurs il a de grands privileges, & son terrein est extrêmement cher à cause de sa bonté. Long. 22. 13. latit. 52. 23. (D.J.)


SCHAGIAR(Géog. mod.) province de l'Iémen ou Arabie-heureuse. Elle s'étend sur les bords de la mer, entre les villes d'Aden & d'Oman. On y recueille de l'encens & de l'aloës, mais inférieur à l'aloës de l'île de Socotorah, & que les droguistes nomment par corruption aloës succotrin. (D.J.)


SCHAGRI-COTTAMS. m. (Botan.) espece de cornouillier qui croît dans le Malabar. La décoction de son fruit est employée en gargarisme pour resserrer la luette. (D.J.)


SCHAHS. m. (Hist. mod.) ce mot signifie roi en arabe & en persan. Les rois de Perse prennent toujours ce titre qui est au-dessus de celui de kan, en effet kan ne signifie qu'un prince ou un gouverneur de province, comme un pacha chez les Turcs. Le sultan des Turcs prend le nom de padischah, qui signifie empereur : le roi de France est le seul prince chrétien à qui ils accordent ce titre. Le grand-seigneur s'appelle aussi schahi alem penah, empereur, refuge de l'univers. Voyez Cantemir, hist. ottomane.


SCHAIDWYN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, aux confins de la haute Stirie & de l'Autriche. Cette place que quelques-uns appellent Claustra Austriae, est forte par sa situation, car elle est entre des rochers & environnée de montagnes, avec un petit ruisseau, qui, descendant de ces montagnes, se rend dans la ville par-dessous la muraille. (D.J.)


SCHALAVONIou SCLAVONIE, (Géog. mod.) en latin Sclavonia, contrée du royaume de Prusse, au cercle de Samland. Elle est bornée au nord & à l'orient par la Samogitie, au midi par la Nadravie, & au couchant par le Curith-Haff. Le Niémen arrose cette province qui est fort dépeuplée. Memmel & Raugnitz en sont les principaux lieux. (D.J.)


SCHALECHMARCHLE, (Géog. mod.) en latin Tyberis, riviere d'Asie, dans l'Anatolie & la Caramanie. Elle coule à Adena, & se rend dans le golfe de Sourie, à l'orient de l'embouchure du Malmistra.


SCHALG(Géog. mod.) ville forte du Turquestan, à quatre parasanges de Tharas. Ses habitans sont musulmans. Long. selon le Canaoun d'Albirouni, 89. 55. latit. septentrionale, 43. 20. (D.J.)


SCHAMANSS. m. pl. (Hist. mod.) c'est le nom que les habitans de Sibérie donnent à des imposteurs, qui chez eux font les fonctions de prêtres, de jongleurs, de sorciers & de médecins. Ces schamans prétendent avoir du crédit sur le diable, qu'ils consultent pour savoir l'avenir, pour la guérison des maladies, & pour faire des tours qui paroissent surnaturels à un peuple ignorant & superstitieux : ils se servent pour cela de tambours qu'ils frappent avec force, en dansant & tournant avec une rapidité surprenante ; lorsqu'ils se sont aliénés à force de contorsions & de fatigue, ils prétendent que le diable se manifeste à eux quand il est de bonne humeur. Quelquefois la cérémonie finit par feindre de se percer d'un coup de couteau, ce qui redouble l'étonnement & le respect des spectateurs imbécilles. Ces contorsions sont ordinairement précédées du sacrifice d'un chien ou d'un cheval, que l'on mange en buvant force eau-de-vie, & la comédie finit par donner de l'argent au schaman, qui ne se pique pas plus de désintéressement que les autres imposteurs de la même espece.


SCHAMCAZAN(Géog. mod.) ville d'Asie, bâtie près de Tauris par Cazan-Kan, empereur des Mogols, qui y fit élever une superbe mosquée, dans laquelle il fut enterré l'an 730 de l'hégyre. (D.J.)


SCHAMS(Géog. mod.) en latin Sexamnium, bourg des Grisons, dans la haute-Ligue. Il donne son nom à la vallée, & à la communauté de Schams, qui est au-dessus de Thusis, aux deux côtés du Rhin. On trouve dans cette vallée de bonnes mines d'antimoine, & plusieurs villages. (D.J.)


SCHANS. m. (Comm.) que les Chinois appellent cati, est un poids dont on se sert dans le royaume de Siam. Le cati chinois vaut deux schans siamois, ensorte que celui de la Chine vaut seize taels, & celui de Siam seulement huit. Quelques-uns mettent le cati chinois à vingt taels, & le siamois à la moitié.

Le tael pese quatre baats ou titals, chacun d'environ demi-once, le baat quatre selings ou mayons, le mayon deux fouangs, le fouang quatre payes, la paye deux clams, la sompaye un demi-fouang. Le clam pese 12 grains de ris, ainsi le tical ou baat pese 768 de ces grains.

Il faut remarquer que la plûpart de ces poids passent aussi pour monnoies ou de compte, ou réelles, l'argent y étant une marchandise, & se vendant au poids. Voyez CATI, TAEL, TICAL, &c. Diction. de Com. & de Trév.


SCHANFICK(Géog. mod.) nom d'une vallée & communauté de Grisons, dans la Ligue des dix jurisdictions, où elle a le rang de septieme & derniere grande communauté. La vallée est arrosée par le Plessur, qui se jette dans le Rhin, au-dessous de Coire.


SCHARAFIS. m. (Monnoie d'Egypte) monnoie d'or d'Egypte. Ce fut Melek Aschraf qui fit battre le premier cette monnoie, & qui lui donna son nom. Elle vaut un sultanin, qui est du poids de notre écu d'or.

Les Persans appellent scherefi ou scharafi, une monnoie d'or qui vaut huit larins, & chaque larin vaut deux réaux d'Espagne, desorte que le scherefi des Persans vaut deux pieces de huit réaux. Nos voyageurs appellent ordinairement cette monnoie des séraphins d'or. (D.J.)


SCHARMAH(Géog. mod.) ville de l'Iémen ou Arabie heureuse, située sur les bords de la mer d'Oman, & dans le quartier de Hadharmouth. (D.J.)


SCHAROKHIAH(Géog. mod.) ville bâtie par Tamerlan, sur les bords du fleuve Sihon ou Jascartes, du côté des peuples Al-Geta, qui sont les Getes & les Kathaïens qui habitent au-delà du mont Imaüs. Cette ville a un port pour le commerce, & un grand pont sur le Sihon. Long. selon Ulug-Beg, 100. 35. latit. septentr. 55. (D.J.)


SCHARTZFELDGROTTE DE, (Hist. nat.) grotte fameuse située dans le Hartz, dans le duché de Brunswick-Lunebourg ; elle est remplie d'un grand nombre de stalactites, comme toutes les cavernes : on y rencontre aussi des dents, des vertebres & des ossemens des animaux.


SCHASCH(Géog. mod.) ville considérable d'Asie, dans la Transoxane, ou selon Albergendi, dans le Turquestan, sur la riviere de Schach, à cinq journées de Turganah. Elle a plusieurs bourgs dans sa dépendance, entr'autres Schauket. Long. suivant les géographes persans, 89. 10. latit. septentrionale 42. 30. (D.J.)


SCHAT-ZADELER-AGASIS. m. (Hist. mod.) en Turquie c'est l'eunuque noir à qui les enfans du grand-seigneur sont donnés en garde. Schat signifie maître ou gardien. Ricaut, de l'empire ottoman.


SCHAUKET(Géog. mod.) ville de la Transoxane, dépendante de Schasch, mais qui a produit plusieurs savans. Elle est située dans le cinquieme climat, selon la géographie d'Albufeda & d'Albergendi, à 90. 30. de longit. & à 43. de latit. septentrionale. (D.J.)


SCHAUMBOURG(Géog. mod.) comté d'Allemagne, dans la Hesse, entre le duché de Brunswick, la principauté de Minden, & le comté de Lingow. Le comté de Schaumbourg renferme quatre bailliages, dont trois appartiennent au landgrave de Hesse-Cassel, & le quatrieme est possédé par le comte de la Lippe. (D.J.)


SCHEATSCHEAT


SCHEBAB(Géog. mod.) montagne fertile de l'Iémen, au pié de laquelle est une ville de même nom. On trouve dans cette montagne des mines d'agathe & d'onyx. Le géographe persien place la ville & la montagne Schebab, entre l'équateur & le premier climat, selon la façon de parler des Orientaux.


SCHEBAou SHEBAT, s. m. (Calend. des Hébr.) onzieme mois de l'année des Hébreux, qui répond à notre mois de Janvier. (D.J.)


SCHEDIAS. f. (Littérat. grecque) ; barque faite à la hâte avec plusieurs pieces liées ensemble ; les Romains l'appelloient cymba sutilis. Théocrite nomme schedia la barque dans laquelle Caron passoit les morts.


SCHÉEN(Géog. mod.) en latin moderne Scheena, petite ville de Norwege, au gouvernement d'Aggerhus. On a trouvé dans son territoire des mines de cuivre, de fer & d'argent, sous le regne de Christian IV. (D.J.)


SCHÉHERS. m. (calendrier des Arabes) schéher, chez les Arabes veut dire un mois ou lune ; schéher alsahr signifie le mois ou la lune de la patience ; c'est ainsi que les Musulmans appellent le mois ou la lune de ramadhan, pendant laquelle ils observent un jeûne solemnel. (D.J.)


SCHEHER-HORMOUZ(Géog. mod.) ville de Perse dans la province de Khouzistan, qui est la Suziane des anciens. Elle a tiré son nom de Hormouz, fils de Sapor, troisieme roi de Perse de la dynastie des Sassanides, qui en est le fondateur. Long. suivant les tables arabiques, 85. 45. latitude septentrionale, 31. (D.J.)


SCHEHERESTAN(Géog. mod.) ou Scheheristan ; le mot turc & persien scheher ou scheheristan, signifie en général une ville ; cependant scheheristan est le nom particulier de trois villes de Perse. La prémiere appartient à la province de Fars, qui est la Perse proprement dite ; la seconde, peu éloignée d'Ispahan, est de l'Irak-Agémi ; la troisieme est dans le Khorassan, entre la ville de Nischabour & celle de Khouarenn. (D.J.)


SCHEIKS. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les Turcs donnent à leurs prélats dans la religion mahométane. Les scheiks se distinguent des autres musulmans par un turban verd. Le mufti est qualifié de scheik-ulismani, ce qui signifie prélat des élus. Il y a des scheiks à qui on donne le titre de scherif, c'est-à-dire de saint ; ce titre se donne sur-tout aux prélats des jamis ou grandes mosquées.

Les scheiks sont très-respectés du sultan-même ; ils prétendent être les successeurs légitimes de Mahomet. Les Turcs en reconnoissent sept races. Le chef réside à la Mecque ; sa dignité est héréditaire ; cependant il doit être confirmé par le sultan. Quand le scheik de la Mecque lui écrit, il lui donne le nom de vekilimuz, c'est-à-dire vicaire du prophete, & le sien dans l'empire du monde. Voyez Cantemir, Hist. ottomane.

SCHEIK-HALESMAN, s. m. (terme de relation) c'est-à-dire le chef de la loi ; c'est le titre qu'on donne au grand iman ou mufti, qui est le pontife de la loi & de la religion musulmane. Toutes les métropoles avoient autrefois des imans qui portoient ce titre ; mais on ne l'accorde aujourd'hui qu'à celui de Constantinople. (D.J.)


SCHEIKISTUMS. m. (terme de relation) doyen du clergé mahométan en Perse. Le scheikistum est celui que l'on consulte pour l'explication de l'alcoran.


SCHEKINAS. m. (Critiq. sacrée) mot hébreu qui veut dire la présence divine qui se manifestoit sur le propitiatoire. Voyez PROPITIATOIRE. (D.J.)


SCHELDALS. m. (Monnoie danoise) c'est une monnoie d'argent qui se fabrique & qui a cours en Danemarck, & dans quelques lieux d'Allemagne. (D.J.)


SCHÉLESTAT(Géog. mod.) on écrit aussi Selestat, Nestat & Schlestat, mais je suis l'orthographe la plus commune, en remarquant qu'on écrivoit autrefois Soladistat, comme on le voit par les anciennes annales de Charlemagne. Ville de France dans la haute Alsace, sur l'Ill, à 4 milles de Brissac, & à 3 au midi de Strasbourg. Long. 25. 12. lat. 48. 16.

Schélestat a succédé à l'ancienne ville d'Ell, appellée dans les itinéraires Elcebum, & dans la table de Peutinger Helellum ; ensorte que l'ancienne Elle n'est plus qu'un petit village des environs. Schélestat étoit déja considérable du tems de Charlemagne qui y célébra la fête de Noël, & le premier jour de l'an 776. L'empereur Charles le gros y avoit un palais où il faisoit quelquefois sa résidence, comme le prouvent plusieurs de ses chartes données en ce lieu.

Cette ville tomba néanmoins dans la décadence jusqu'au xiij. siecle, que Wolfelin préfet d'Alsace, la fit fermer de murailles en 1216, la rendit franche, & la peupla d'habitans. L'empereur Sigismond lui donna le pouvoir de choisir ses magistrats. Louis XIV. la prit l'an 1673 ; & la fit fortifier l'an 1679, après la paix de Nimégue ; c'est aujourd'hui un gouvernement de place avec état major.

Bucer (Martin) né à Schélestat l'an 1491, mort à Cambridge l'an 1551, se montra l'un des plus habiles théologiens protestans de son siecle. Non-seulement il savoit prêcher & faire des livres, mais il étoit encore très-propre à manier les affaires ecclésiastiques. S'il n'eut pas le bonheur de pacifier les différens des Luthériens & des Zuingliens, ce ne fut ni manque de zele, ni de beaucoup de dextérité. Il ne s'amusa point en Angleterre à condamner la hiérarchie ; il témoigna tout au contraire qu'il n'approuvoit pas sur cet article les idées de Calvin.

Beatus Rhenanus, né à Schélestat en 1485, & mort à Strasbourg en 1547, àgé de 62 ans, s'acquit aussi beaucoup de gloire par sa modération dans les disputes théologiques, & dans les belles-lettres par ses commentaires sur Pline, Tite-Live, Velleius Paterculus, Tacite & autres historiens de l'ancienne Rome. Ses ouvrages furent imprimés à Bâle en 1551, & à Strasbourg en 1610.

Wimphelinge (Jacques), son compatriote, avoit déja rompu la glace dans l'étude de la littérature, & s'étoit même distingué dans la poésie. Les Augustins le firent citer à Rome, pour avoir écrit que S. Augustin n'avoit jamais été moine ; mais le pape Jules II. assoupit la mauvaise querelle qu'on faisoit à ce savant. Il a laissé quelques ouvrages sur divers sujets, & entr'autres un traité assez curieux sur les hymnes. Il mourut dans sa patrie en 1528, à 79 ans. (D.J.)


SCHELLING(Géog. mod.) île de la mer d'Allemagne, sur les côtes de Nort-hollande, entre les îles de Vliéland & d'Ameland. On donne à l'île de Schelling environ 12 milles de largeur.


SCHEMAS. m. vieux mot qui signifie la même chose que figure ou plan ; c'est la représentation que l'on fait de quelque chose dans l'Astronomie ou dans la Géométrie par des lignes sensibles à l'oeil : en Astronomie c'est la représentation des planetes chacune en son lieu, pour un instant donné.

Le mot schema est plus d'usage en latin qu'en françois. On a formé de ce mot son diminutif, schematismus ou schematisme. Voyez SCHEMATISME.


SCHEMATISMES. m. (Géom.) est le nom que quelques anciens auteurs donnent aux planches de figures mathématiques : c'est ainsi qu'elles sont appellées, par exemple, dans les oeuvres du pere Tacquet, imprimées à Anvers, in-fol. 1635. Aujourd'hui on ne se sert plus que du mot figure, voyez FIGURE. (O)


SCHEMBERG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Souabe, au comté d'Hohenberg.


SCHEME(Musique anc.) , terme employé dans la musique des Grecs pour désigner les variétés qui naissent des différentes positions des tons & des demi-tons dans l'harmonie. (D.J.)


SCHEMKALS. m. (terme de Relation) autrement chamkal ou kamkal ; nom que les Tartares circasses donnent à leur prince ou kan : cette dignité n'est point héréditaire, mais élective ; & l'élection se fait par le moyen d'une pomme que le chef de la loi jette au milieu d'un cercle composé de tous les murses de la nation. Il sait si bien jetter cette pomme, qu'il la fait tomber le plus près de celui qu'il veut favoriser de cette dignité ; aussi les autres murses ses concurrens n'obéissent à ce schemkal qu'autant qu'il leur plaît. (D.J.)


SCHEMNITZ(Géog. mod.) ville de la haute Hongrie, & l'une des sept villes des montagnes, située partie sur un mont, & partie dans la plaine, au comté de Zoll, au nord-est de Bukans. Elle a des mines d'or, & d'argent très-abondantes, & des bains chauds très-renommés. L'empereur possede les plus riches mines, mais les particuliers en ont aussi en propre qui leur procurent de gros revenus. Les principales de ces mines sont celles de Windschacht & de la Trinité. Le détail de leur exploitation mérite de faire un article particulier dans cet ouvrage. Voyez donc SCHEMNITZ, Mines de, (Métall.) (D.J.)

SCHEMNITZ, Mines de, (Métall.) les mines de cette ville de la haute Hongrie, sont extrêmement renommées, quoiqu'elles ne soient pas toutes également abondantes, ni les veines également riches. On estime les veines à-demi-noires les meilleures, parce qu'elles sont ordinairement mêlées de matiere marcassite ; on trouve assez souvent dans ces mines un minéral rouge qui s'attache aux métaux, & que l'on appelle cinnabre d'argent : en le mêlant artistement avec de l'huile, on en fait un vermillon qu'on estime aussi bon que le cinabre sublimé.

Lorsque quelque mineur a découvert une nouvelle veine, on en porte de la montre à un officier appellé probierer, qui l'éprouve en cette maniere : il prend une même quantité de toute sorte de métaux, il les fait sécher, brûler & peser ; il y mêle du plomb, & les purifie. Ensuite il indique à ceux qui fondent dans les grands fourneaux, la quantité de métaux qu'ils employeront pour la fonte. D'ordinaire sur dix livres pesant de matiere nouvellement tirée de la mine, qui rend environ deux onces & demie de bon argent, on mêle par cent livres pesant, quatre mille livres de plomb, & vingt mille livres de pierre de fer ; on y mêle aussi, selon la quantité de marcassite, un peu de kis, qui est une sorte de pyrites ; on y joint encore du slaken à volonté. Cette derniere matiere est l'écume qu'on ôte de dessus la poële, dans laquelle on fait couler les métaux, & elle se forme de ceux qui viennent d'être nommés.

Tout ce qu'on fait fondre dans la fournaise s'écoule par un trou dans une poële qu'on met dessous. Il s'y fait aussi-tôt une écume fort dure, que l'on enleve, & qui emporte l'impureté du métal. On y ajoute ensuite du plomb, qui entraîne avec soi tout l'argent au fond de la poële. Au bout de quelque tems, on prend ce métal, & on le fait fondre une seconde fois : après quoi on en tire le plomb, ainsi que tout ce qui étoit mêlé avec l'argent en forme de litharge ; ce qui est au-dessus est toujours blanc, & ce qui vient le dernier & qui demeure plus long-tems dans le feu, est rouge.

Il y a souvent dans les veines d'argent de Schemnitz un peu d'or, qu'on purifie de cette maniere : on fait fondre l'argent, & on le met presqu'en poudre ; ensuite on le fait dissoudre par le secret d'une eau-forte que l'on compose à Schemnitz, d'une sorte de vitriol particulier, par le moyen duquel l'or demeure au fond, d'où on le tire quelque tems après pour le faire fondre. Cette eau-forte se distille de l'argent, & on peut s'en servir plusieurs fois.

Les principales mines de Schemnitz sont celles de Windschacht & de la Trinité. La mine de la Trinité a dix brasses de profondeur ; elle est solidement bâtie, toujours ouverte ; & quoiqu'elle soit dans une méchante terre qui oblige à de gros frais, elle dédommage par sa richesse. La matiere que l'on en tire est ordinairement de couleur noire, & enduite d'une terre ou boue qui rend l'eau des ruisseaux dans laquelle on la fait tremper, blanche comme du lait ; il y a apparence que c'est ce qu'on appelle lac lunae.

La mine de Windschacht est fort profonde, on y descend à trois fois par une échelle qui peut avoir trois cent degrés. On y voit une grande roue de neuf aunes de diamêtre, que les eaux souterreines font tourner en tombant. Cette roue fait mouvoir plusieurs machines, qui élevent l'eau du fond de la mine jusqu'à l'endroit où la roue est placée. L'eau va ensuite par un conduit souterrein, creusé pour cet usage, se rendre au pié d'une montagne voisine.

Outre cette roue, il y en a encore une autre audessus de la terre, que douze chevaux font tourner ; elle sert aussi à élever l'eau. Il y a environ deux mille ouvriers occupés à exploiter cette mine ; ils se relevent jour & nuit après huit heures de travail, de façon que chaque ouvrier travaille huit heures dans les vingt-quatre. On leur donne pour salaire de chaque jour quatre gros & demi, dont trente sont l'écu d'Allemagne. Communément la mise de chaque semaine monte à cinq ou six mille florins, & le produit à mille ou douze cent marcs d'argent.

Il fait grand froid dans quelques endroits de la mine, & dans d'autres il y fait extrêmement chaud, sur-tout dans le lieu où l'on travaille. On a toujours néanmoins la précaution de mettre au-dessus de toutes les portes, aussi-bien que dessus tous les chemins où l'on creuse, des barrils en maniere de soupiraux, qui servent à faire entrer & sortir l'air, à le renouveller sans-cesse, à en remplir les lieux souterreins, & à rafraîchir les travailleurs. Voyez Tollii epistolae itinerariae, & les voyages de Brown. (D.J.)


SCHENAW(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Silésie, sur le Katzbach, dans la principauté de Jawer, au-dessus de Goldberg. (D.J.)


SCHENCKLE FORT DE, ou Schenckenschans, (Géog. mod.) fort des Pays-bas, à une lieue de Cléves, à quatre de Nimegue, & à cinq d'Arnheim. Il est situé à la pointe du Betuwe, dans l'endroit où le Rhin se partage en deux bras, dont celui qui coule à gauche se rend à Nimegue, & s'appelle le Wahal ; l'autre se porte à Arnheim, & conserve le nom de Rhin. Le fort de Schenck a été bâti en 1586 par Martin Schenck, hollandois, d'après la résolution des Provinces-Unies ; il a été pris par les Espagnols en 1636, & par Louis XIV. en 1672. Il appartient à présent au roi de Prusse. Long. 23. 44. latit. 51. 48. (D.J.)


SCHÉNING& SKENNINGE, (Géog. mod.) ville, ou pour mieux dire, bourgade de Suede, dans la Gothie orientale, ou Ostrogothie, à deux lieues vers l'orient de Wastena ; elle est assez ancienne, & devoit être autrefois considérable ; sa situation est belle, l'air bon, & le terroir fertile ; il s'y tint vers l'an 1248. un concile fameux, dans lequel il fut défendu pour la premiere fois aux ecclésiastiques de se marier, ce qu'ils avoient pratiqué jusqu'alors, à l'exemple des Grecs. Long. 33. latit. 58. 10. (D.J.)


SCHENKEBERG(Géog. mod.) bailliage de Suisse, au canton de Berne, à la gauche de l'Aare. Ce bailliage est grand, & comprend neuf à dix paroisses ; le château qui lui donne son nom est situé sur une hauteur, au pié de laquelle est un village nommé Thalen. (D.J.)


SCHEPPELS. m. (Commerce) mesure des grains dont on se sert à Hambourg ; le scheppel est moindre que le minot de Paris ; il faut quatre-vingt dix scheppels pour dix-neuf septiers de Paris ; on se sert aussi des scheppels à Amsterdam ; quatre scheppels font la mude, & vingt-sept mudes le last. Voyez MUDE & LAST. Diction. de com.


SCHERou SCHEER, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la Souabe, à la droite du Danube, qu'on passe sur un pont, au-dessous de Sigmaringen. Long. 26. 46. latit. 48. 6. (D.J.)

SCHER, LA, (Géog. mod.) riviere de France, dans l'Alsace ; elle a sa source un peu au-dessus de Dambach, & son embouchure dans l'Ill, entre Hipsheim & Ichtersheim. (D.J.)


SCHERARDIou SHERARDIA, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante, ainsi nommé par Linnaeus, en l'honneur du fameux botaniste Sherard ; le calice particulier de la fleur est très-petit, divisé en quatre segmens subsistans, & placé sur le germe, la fleur est monopétale, formant un long tuyau cylindrique, découpé à l'extrêmité en quatre quartiers pointus ; les étamines sont quatre filets placés sur la partie supérieure du calice ; les bossettes des étamines sont simples, le germe du pistil est double, oblong, & placé audessous du placenta ; le style est délié & partagé en deux à l'extrêmité ; les stigma font gros au sommet ; le fruit est un corps oblong, contenant deux graines longues, convexes d'un côté, applaties de l'autre, & marquées de trois points au sommet. Linn. gen. plant. p. 25. (D.J.)


SCHERBORN(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, en Yorck Shire, à dix milles de la ville d'Yorck, sur une petite riviere de même nom. Il se distingue par son école publique. (D.J.)


SCHERBRO(Géog. mod.) île de l'Afrique, dans la haute Guinée, sur la côte de Malaguette, à l'embouchure du Scherbro, entre le cap S. Anne, & celui de Monte ; elle a dix lieues de long est-sud-est. On y recueille du ris, du maïs, des bananes, des patates, des figues, des citrons, des oranges, & des melons d'eau. Les habitans ont l'usage de la circoncision. Latit. 6. 40. (D.J.)


SCHÉRÉFIS. m. (Monnoie de Perse) monnoie d'or qui a cours dans les états du roi de Perse. Il vaut huit larins, à raison de deux pieces de huit réaux d'Espagne le larin. On fait aussi des schéréfis en Egypte, dont l'or est apporté par de pauvres Abyssins, qui font souvent des cent lieues à-travers des déserts, pour venir échanger déux, trois, quatre livres de poudre d'or, contre les marchandises dont ils ont besoin. Les européens nomment les schéréfis des sultanins, ou des séraphins d'or. (D.J.)


SCHÉRIFS. m. (Hist. mod.) titre que les mahométans donnent à un prince arabe, qui est souverain de la Mecque, & sous la dépendance du sultan qui lui laisse une ombre d'autorité. Ce titre en arabe, signifie noble, élevé par sa naissance & sa dignité ; on le donne sur-tout aux descendans de Mahomet, par sa fille Fatime & son gendre Ali. Les schérifs s'appellent aussi émir & seid, c'est-à-dire prince & seigneur, ils portent un turban verd pour se distinguer ; il y a eu plusieurs dynasties de schérifs en Afrique ; la race des princes qui occupe le trône de Maroc & de Fez, porte le titre de schérif. Voyez d'Herbelot, bibliot. orient.


SCHETLANDISLE DE (Géog. mod.) île de la mer d'Ecosse. Ces îles nommées autrement îles de Hesland, ou Hithland, sont encore plus avancées vers le pole que les Orcades, savoir depuis le 60 jusqu'au de-là du 61 degré de latitude.

Les îles de Schetland sont nombreuses & se partagent en trois ordres, comme les Orcades ; les unes sont assez grandes & assez fertiles pour être peuplées, on en compte vingt-six. Les secondes ne produisent que quelques herbages, & sont au nombre de quarante. Les troisiemes, au nombre de trente, ne sont que des rochers.

La plus grande des îles de Schetland, est appellée par les habitans Mainland, c'est-à-dire la Terre-ferme. Elle est plus grande que la principale des Orcades, ayant soixante milles de long au sud, & en quelques endroits seize de large ; ci-devant elle n'étoit habitée que le long des côtes, à cause des hautes montagnes qui la couvrent ; mais depuis l'an 1620, ou environ, les habitans plus industrieux que leurs peres, ont trouvé le moyen de s'étendre plus avant dans le pays ; on y voit deux bourgs, l'un à l'orient, & l'autre à l'occident, & ces bourgs qui sont les seuls qu'il y ait dans toutes les îles de Schetland, contiennent environ six cent familles.

A l'occident de cette grande île, paroît à quelque distance une île nommée Thulé ou Fulé, que plusieurs savans croyent être la Thulé tant chantée par les anciens ; si ce ne l'est pas, dit Cellarius, la Thulé des anciens doit être la grande île de Schetland, d'autant mieux que le récit de Solin, y quadre parfaitement.

Quoiqu'il en soit, le terroir des îles de Schetland est à-peu-près le même que celui des Orcades ; on y recueille de l'orge & de l'avoine, on y a de gras pâturages où l'on nourrit des troupeaux, mais c'est tout ; les vaches sont blanches pour la plûpart, & les brebis fécondes ; la mer fournit toutes sortes de poissons grands & petits, depuis les esturgeons jusqu'aux baleines ; on y prend de la morue, du hareng, toutes sortes de poissons à coquille, des chiens & veaux de mer ; aussi les Hollandois, les Hambourgeois & autres, y viennent pêcher au mois de Juin.

Les habitans sont d'origine danoise ou norwégienne, & leur langue est une dialecte gothique, ressemblante à la danoise, mêlée de divers mots anglois ; leurs moeurs, leurs manieres de vivre, leurs mesures, & leurs façons de compter, sont à-peu-près les mêmes que celles qu'on a dans la Norwege ; leurs maisons sont basses & petites, n'ayant pour toute ouverture que la porte, & un autre trou pour recevoir le jour & faire écouler la fumée ; leur feu est fait avec de la tourbe qu'ils ont en assez grande abondance.

Leur commerce consiste principalement à vendre aux Danois & aux Norwégiens qui les viennent visiter, des poissons salés, ou durcis au vent, des gants & des bas de laine, qu'ils savent assez bien faire à l'aiguille, des draps d'une lesse épaisse, qu'ils nomment woadmeils, de l'huile, de la graisse de poisson, des cuirs, & quelqu'autres petites choses de cette nature. Les Norwégiens leur apportent en échange du bois à bâtir des maisons & des bateaux, & leur amenent même des bateaux tout faits ; leur nourriture ordinaire est du pain d'orge ou d'avoine, avec du beurre, du fromage, des poissons, & de la chair ; leur boisson est du petit lait mis dans des tonneaux, & gardé long-tems dans de bonnes caves fraîches, où il prend un degré de force surprenante, jusqu'à donner dans la tête ; les plus riches brassent de bonne biere ; généralement la maniere de vivre des habitans est la même que celle des Orcades ; de cette façon ils se nourrissent sobrement, vivent long-tems, sans maladie, sans apoticaires & sans médecins ; ils professent la religion presbitérienne, vivent ensemble en bonne amitié, & se régalent fréquemment pour cultiver l'union & la concorde.

Dans ces îles, le jour y est de deux mois entiers vers le solstice d'été ; & vers le solstice d'hiver, il regne une nuit de deux mois, pendant lesquels l'air est fort orageux. Les marées y sont alors si violentes, & la mer si impétueuse, que pendant ce tems-là, depuis le mois d'Octobre jusqu'au mois d'Avril, ces bons insulaires n'ont aucune correspondance avec l'Ecosse, l'Irlande, l'Angleterre, & les pays étrangers. (D.J.)


SCHETTIS. m. (Hist. nat. Bot.) nom d'un arbrisseau de Malabar, qui porte des baies, & dont la racine pilée est prise dans du lait, & estimée pour appaiser les douleurs de reins. (D.J.)


SCHEUCHZERIAS. f. (Bot.) genre de plante, ainsi nommé par Linnaeus en l'honneur de Scheuchzer ; le calice particulier de la fleur est divisé en six feuilles oblongues, déployées, aiguës, recourbées, & qui subsistent avec le fruit, la fleur est sans pétales ; les étamines sont six filets chevelus, très-courts, les bossettes des étamines sont droites, obtuses, longues & applaties ; les germes du pistil sont au nombre de trois, de la grosseur du calice, de forme ovale applatie, sans aucun stile. Les stigma sont oblongs & obtus à la pointe ; ils croissent sur la partie extérieure des germes, le fruit est composé d'autant de capsules que le pistil a eu de germes ; ces capsules sont arrondies, applaties, & à deux loges ; les graines sont uniques & oblongues ; il y a ordinairement trois germes & trois capsules, mais quelquefois il y en a six. Linn. gen. plant. p. 152. (D.J.)


SCHEVE(Géog. mod.) petite ville de Danemarck au diocese de Vibourg, dans le Nortjutland, à l'embouchure d'une riviere qui se jette dans le golfe de Virksund. On en tire de bons chevaux. (D.J.)


SCHEVELING(Géog. mod.) village charmant de la Hollande, sur le bord de la mer dans les Dunes, au voisinage de la Haye ; ce village étoit autrefois plus grand qu'il n'est aujourd'hui, la mer en ayant englouti en 1574 plus de six vingt maisons. Le chemin est tout pavé, avec une allée d'arbres taillés de chaque côté, depuis la Haye jusqu'à Scheveling. C'est une beauté commune à tout le pays. On y voit les chariots à vent que Maurice, prince d'Orange, fit faire. Ils sont garnis d'un mât & de voiles comme un navire ; & étant poussés par le vent, ils courent sur le rivage sablonneux avec une vîtesse incroyable. Long. 21. 44. latit. 52. 3. (D.J.)


SCHIAISSCHIAITE, ou SCHIITE, s. m. (Hist. mod.) nom de la secte des mahométans de Perse, ennemis de celle des Sunnis, ou mahométans turcs. Les Schiais ont en exécration les premiers successeurs de Mahomet, savoir Abubeker, Omar & Osman, & tiennent qu'ils ont usurpé la succession du prophete, qui étoit dûe à Ali son neveu & son gendre, & en conséquence ils prétendent que la véritable succession de Mahomet comprend douze prophetes, dont Ali est le premier, & ils nomment le dernier Mouhemmet-el-Mohadi Sahetzaman. Ils croyent que ce dernier iman ou pontife n'est pas mort, & qu'il reviendra au monde. C'est pourquoi ils laissent par testament des maisons bien garnies & des écuries pleines de chevaux pour son service, quand il paroîtra pour soutenir sa religion. Il y a des rentes pour l'entretien de ces maisons & de ces chevaux. Les Schiais se contentent de pratiquer la lettre de la loi, c'est-à-dire les commandemens contenus dans l'alcoran, au lieu que les Sunnis y ajoutent beaucoup de pratiques de surérogation, & qui ne sont que de simples conseils. D'Herbelot, Bibliotheq. orient.


SCHIBBOLETH(Critiq. sacrée) nom hébreu qui signifie épi. On lit dans les Juges, ch. xij. 6. que les Galaïtes, après avoir vaincu dans une bataille rangée les Ephraïmites, s'emparerent des passages du Jourdain, & à mesure que quelqu'un d'Ephraïm se présentoit sur le bord de l'eau, ils lui demandoient d'où il étoit, & l'obligeoient de dire le mot schibboleth. Mais comme l'éphraïmite ne pouvoit prononcer la premiere lettre de ce mot, qui demande un certain sifflement assez semblable à celui de nos trois lettres sch, il se trahissoit en prononçant sibboleth, & pour lors les Galaïtes le reconnoissant à cette marque, le tuoient aussi tôt. Ils firent de cette maniere un indigne & prodigieux massacre des Ephraïmites. (D.J.)


SCHIEDAM(Géog. mod.) ville des Pays-bas dans la Hollande, qui lui donne son nom, près de la Meuse, avec laquelle elle communique par un grand canal. Cette ville est à une lieue au-dessous de Roterdam, & à deux de Delft. C'est la neuvieme en rang des dix-huit villes qui envoyent leurs députés aux états de la province de Hollande. Longit. 22. 1. lat. 51. 54. (D.J.)


SCHIELAND(Géog. mod.) petite contrée des Pays-bas dans la Hollande méridionale. Elle confine au Delfland, au Rhynland, à la Meuse & à l'Issel, qui tombe dans la Meuse à Krimpe. On comprend dans le Schieland les villes de Tergaw ou Gouda, de Rotterdam & de Schiedam. (D.J.)


SCHIERMONDou SCHIERMONCKOGE, (Géog. mod.) île des Pays-bas, sur la côte septentrionale de la Frise, environ à cinq milles du continent, & autrefois beaucoup plus près. Elle n'a qu'un village avec une église. (D.J.)


SCHIERS(Géog. mod.) communauté des Grisons dans la ligue des dix jurisdictions, où elle a le rang de quatrieme communauté. Sa principale paroisse lui donne son nom. (D.J.)


SCHILLA(Géog. mod.) petite ville de la Grece sur la côte de la Livadie, dans le golfe d'Egina, entre le cap des Colomnes à l'orient, & l'île d'Egina à l'occident. (D.J.)


SCHILLICAP, (Géog. mod.) cap de la Morée dans la Zacanie, en latin Scyllaeum promontorium. Ce cap est près de l'île de Sydra, à l'entrée du golfe d'Egina. La petite île de Schilla est sur la côte de ce cap du côté du nord. (D.J.)


SCHILLINGS. m. (Monnoie d'Angleterre) le schilling est une monnoie d'argent d'Angleterre qui vaut environ 24 sols de France sur le pié actuel ; vingt schillings font la livre sterling ; ainsi le schilling est le sol sterling composé de douze deniers sterling. Il y a aussi des schillings en Hollande, en Flandres & en Allemagne ; mais qui n'étant ni du poids ni au titre de ceux d'Angleterre, n'ont pas cours sur le même pié. Ceux de Hollande & d'Allemagne valent à-peu-près quatorze sols de France, & ceux de Flandres douze ; les uns & les autres s'appellent escalings par le peuple. Les schillings de Hollande s'appellent dans le commerce sols de gros, parce qu'ils valent douze gros.

Schus dit dans sa chronique de Prusse, pag. 67 " En Prusse, sous le sixieme maître de l'ordre teutonique, Bernard Schilling, bourgeois de Thorn, tira d'une mine de la ville de Nicolas-Dorff, la matiere de plusieurs saumons d'argent ; & sur ce qu'il y avoit alors de grands abus dans la monnoie qui avoit cours en Bohème & en Pologne, on permit à Schilling de battre de petites pieces, qu'il appella de son nom. " (D.J.)


SCHILTBERG(Géog. mod.) en latin mons Clipeorum, Verthusius mons, Batonici montes ; montagnes de la basse Hongrie. Elles s'étendent au sud, au nord, depuis le lac de Balaton jusqu'au Danube, dans les comtés de Vesprin, de Javarin & de Gran. (D.J.)


SCHINTA(Géog. mod.) ville fortifiée de la haute Hongrie, dans le comté de Neitra, sur le Vaag. (D.J.)


SCHINUS(Hist. nat. Bot.) genre de plante décrit par Tournefort sous le nom de molle ; en voici les caracteres selon Linnaeus. Le calice est très-petit, & légérement dentelé en cinq endroits ; la fleur est composée de cinq pétales déployés ; les étamines sont un grand nombre de filets oblongs & menus. Le germe du pistil est arrondi ; le fruit est une baie sphérique qui contient une grosse graine de la même figure ronde. (D.J.)


SCHIPPENPEIL(Géogr. mod.) petite ville de Prusse dans le cercle de Natangen à la droite de l'Alba, qu'on passe sur un pont au levant de Bartestein, & au midi de Fridland. Long. 39. 23. latit. 54. 15. (D.J.)


SCHIPPONDTS. m. (Commerce) sorte de poids dont on se sert en plusieurs villes de l'Europe, & qui varie suivant les lieux où il est en usage.

A Anvers le schippondt est de 300 livres, qui font 264 livres cinq onces de Paris, Amsterdam, Strasbourg & Besançon, où les poids sont égaux.

A Hambourg, le schippondt qui est de 300 livres, rend à Paris, Amsterdam, &c. 294 livres ou environ.

A Lubeck, le schippondt est de 320 livres, qui font environ 305 livres de Paris.

A Stockholm on se sert de deux sortes de schippondts ; l'un pour les cuivres & l'autres pour les marchandises de provision. Le premier est de 320 livres, qui font 273 1/2 livres de Paris, & le second est de 400 livres, qui rendent à Paris 342 livres.

A Konigsberg le schippondt est de 400 livres, qui rendent ordinairement à Paris 306 à 307 livres.

A Riga, le schippondt est de 400 livres, qui en font environ 330 de Paris.

A Copenhague, le schippondt est composé de 320 livres, qui équivalent à 316 de Paris, &c.

A Revel le schippondt est de 400 livres, qui font 356 livres de Paris.

A Dantzik, le schippondt est de 340 livres, qui reviennent à 302 livres 9 onces 4 gros un peu plus de Paris.

A Bergh en Norvege, le schippondt est de 300 liv. qui font à Paris 315 livres.

A Amsterdam, le schippondt est de 300 livres, & contient 20 lyspondts, qui pesent chacun 15 livres. Voyez LIVRE & LYSPONDT. Dictionn. de Commerce & de Trévoux.


SCHIRAou SCAIRAZ, (Géog. mod.) ville de Perse, capitale du Farsistan, près des ruines de l'ancienne Persépolis, dans une vaste & agréable plaine, sur le Bendemir. Long. suivant la plûpart des géographes, 73. 75. latit. septentrion. 29. 36. cependant les tables de Nassir-Endin & d'Ulug-beg lui donnent 88d. de longit. ce qui vient sans-doute de la position du premier méridien que ces deux auteurs reculent plus avant vers l'orient.

Les sultans Bouïdes ont fait en divers tems de Schiras & d'Ispahan la capitale de leurs états. Les mogols ou tartares de Ginghiz-Kan s'en rendirent les maîtres, & l'ont possédée jusqu'au tems de Tamerlan ; ensuite les sultans Turcomans devinrent possesseurs de cette ville, qui passe aujourd'hui pour la seconde de l'empire de Perse. Son circuit peut être d'environ 9 milles, dont il n'y a cependant qu'une partie qui soit habitée ; la plûpart des maisons sont de torchis ; les plus belles sont de brique cuite au soleil. Celle du kan qui y commande a plusieurs galeries, cours, vergers & jardins ; ce palais est bâti comme une tour, & a trois étages, avec plusieurs balcons & fenêtres. Son sérail joint ce bâtiment.

Les mosquées de Schiras sont belles, & les fontaines ne manquent pas dans cette ville. Les vivres y sont en abondance. Les environs produisent le meilleur vin de tout l'Orient, des raisins admirables qu'on confit à demi-mûrs au vinaigre pour en faire un rafraîchissement dans les chaleurs de l'été. Le terroir de cette ville produit aussi beaucoup de capres, de l'opium, & des roses en telle quantité, qu'on fournit diverses provinces voisines de l'eau qu'on tire de ces roses, & qui est singulierement estimée.

Moslach eddin, qu'on connoît aussi sous le nom de Sadi, homme célebre dans tout l'Orient, étoit natif de Schiras, & florissoit dans le xiij. siecle. Abubeker le fit instruire en toutes sortes de sciences, & Sadi ne trouva point dans la suite de termes assez forts pour célebrer les louanges de ce prince. On a de lui, en langue persane, son gulistan, ou son jardin des roses, ouvrage plein de traits de morale sur les moeurs des princes, l'éducation des enfans, la jeunesse, la vieillesse, &c. Nous n'avons que des foibles traductions françoises & latines de cet ouvrage. L'autre livre de Sadi, intitulé le bustiah, ou le berger, est un poëme en dix livres, dans lequel l'auteur traite de la justice, de l'amour, de la folie, des bonnes moeurs, de la constance, de la tempérance, &c. Il n'a point encore été traduit dans aucune langue européenne, mais il n'est pas moins estimé que le gulistan dans tout l'Orient. Sadi passe pour un des grands poëtes de la Perse.


SCHIRE-WYTES. m. (Hist. mod. & Jurisprud.) c'étoit une taxe ou imposition annuelle payée au sherif d'une comté ou province, pour tenir les assises ou les cours des comtes.


SCHIRGIAN(Géog. mod.) ville de Perse, dans la province de Kerman, qui est la Caramanie persique. (D.J.)


SCHIRLS. m. (Hist. nat.) nom donné par les minéralogistes allemands à une substance ferrugineuse & arsenicale qui accompagne souvent les mines d'étain. Le schirl est en petits crystaux prismatiques luisans, qui sont communément noirs comme du jais, & quelquefois bleuâtres. Cette substance est à-peu-près de la même nature que la substance appellée wolfram ou spuma lupi. Voyez cet article.


SCHIRVAN(Géog. mod.) province de Perse ; elle s'étend sur la rive occidentale de la mer Caspienne, & est séparée de l'Adherbigian & du Daghestan par les fleuves Aras & Kur, qui sont l'Araxes & le Cyrus des anciens. Cette province, & celle d'Aran, d'Alan, de Mogan, de Kars, de Daghestan & d'Adherbigian, sont proprement ce que les anciens ont appellé l'Albanie & la Médie. Le calife Vatheck l'Abasside ajouta le Schirvan aux autres conquêtes des Musulmans ; mais Tamerlan s'en rendit le maître. Ses principales villes sont 1°. Berdaah sur le Kur, sous le 83d. de longitude, & sous le 40. 30 de latit. septentrionale. 2°. Baconiah, port de la mer Caspienne, située sous le 84. 10. de longitude & sous le 39. 30. de latitude septentrionale ; 3°. Schamakhiah, capitale du Schirvan, sous les 85. 30. de longitude, & sous le 39. 30. de latit. septentrionale.

Le Schirvan est terminé au septentrion par le Caucase, à l'orient par la mer Caspienne, & au midi par la riviere de Kur. Il a environ trente lieues de longueur du septentrion au midi, & à-peu-près autant de largeur de l'orient à l'occident. Cette province est proprement l'ancienne Albanie ; car Strabon, Pline & Ptolémée, conviennent de la situation de l'Albanie, entre le mont Caucase, la mer Caspienne, & le Cyrus.

Le Schirvan répond aussi à l'éloge que Strabon fait de l'Albanie. L'air y est sain & tempéré, le voisinage des hautes montagnes couvertes de neiges, & le vent de mer en modere la chaleur : les hivers y sont communément plus humides que froids, & toute la campagne est couverte d'herbes odoriférantes. (D.J.)


SCHISMAS. m. en Musique, est un petit intervalle qui vaut la moitié d'un comma, & dont par conséquent la raison est sourde, puisque pour l'exprimer en nombre il faudroit trouver une moyenne proportionnelle entre 80 & 81. Voyez COMMA. (S)


SCHISMATIQUEadj. (Théolog.) qui appartient au schisme, celui qui commence le schisme ou qui y persiste. Voyez SCHISME.

Les schismatiques n'appartiennent point à l'Eglise, & par conséquent ne peuvent être sauvés tant qu'ils ne se réunissent point avec elle.

On appelle en théologie proposition schismatique celle qui tend à rompre l'unité, à introduire la division entre les membres de l'Eglise, entre les églises particulieres & l'église de Rome, qui est le centre d'unité catholique.


SCHISMES. m. (Théologie) en général signifie division ou séparation. Mais il se dit plus particulierement de la séparation qui arrive en conséquence de la diversité d'opinions entre gens d'une même créance & d'une même religion. Le parti qui le premier se sépare de l'autre ouvre & commence le schisme.

Ce mot vient du grec , qui signifie scission, déchirure.

C'est en ce sens qu'on dit le schisme des dix tribus d'Israël d'avec les deux tribus de Juda & de Benjamin. Le schisme des Grecs avec l'Eglise romaine, le schisme réciproque que se reprochent parmi les mahométans les sectateurs d'Omar & d'Aly.

Les trois schismes les plus fameux dans la religion chrétienne sont 1°. le schisme des Grecs, commencé dans le ix. siecle par Photius, & consommé dans le xj. par Michel Cerularius, tous deux patriarches de Constantinople. Il subsiste encore malgré les différentes tentatives qu'on a faites en plusieurs conciles généraux pour y mettre fin, & les facilités que l'Eglise romaine a toujours apportées à la réunion. Voy. l'article suivant.

2°. Le grand schisme d'Occident, commencé en 1378, entre Urbain VI. & Clément VII. & continué par les antipapes, successeurs de celui-ci ; contre les papes légitimes, successeurs du premier, jusqu'à l'an 1429, que Martin V. fut reconnu seul pape & vrai chef de l'Eglise. On compte divers autres schismes particuliers arrivés dans l'église de Rome à l'occasion de l'élection des papes, mais qui n'intéressent pas si vivement, ou ne partagerent pas les églises nationales d'Occident, comme dans le xiv. & le xv. siecles.

3°. Le schisme d'Angleterre par lequel, sous Henri VIII. l'Eglise de cette île commença à se séparer de la communion du siege de Rome, auquel elle avoit été unie depuis la conversion de l'Angleterre à la foi. Ce schisme prit de nouvelles forces sous Edouard VI. & fut consommé sous Elisabeth.

La séparation des protestans d'avec l'Eglise romaine est aussi un vrai schisme ; on peut voir sur cette matiere l'ouvrage de M. Nicole, intitulé les prétendus reformés convaincus de schisme.

Quelques auteurs distinguent un schisme passif & un schisme actif. Ils entendent par schisme actif celui d'une portion de la chrétienté, qui d'elle-même s'est séparée du corps de l'Eglise. Tel est le schisme des Grecs & des Anglois, qui se sont eux-mêmes soustraits volontairement à l'obéissance dûe au saint siége.

Par schisme passif, ils entendent la séparation d'une portion de la chrétienté exclue de la communion avec le reste des fideles pour cause d'hérésie. Cette idée peut avoir lieu par rapport à quelques sectes que l'Eglise déclare séparées d'elle, à cause de leur opiniâtreté ; mais les protestans ne sauroient abuser de cette notion pour rejetter la faute de leur séparation sur les catholiques romains ; car il est prouvé par tous les monumens historiques du tems, & par tous les écrits des calvinistes & des luthériens, qu'avant le concile de Trente, qui a anathématisé leurs erreurs, ils crioient que l'Eglise romaine étoit la Babylone corrompue, que le pape étoit l'antechrist, qu'il falloit s'en séparer, & ils s'en sont séparés en effet. Aussi le schisme est actif de leur part.

Les Anglicans regardent parmi eux comme un schisme la séparation des non-conformistes, des presbytériens, des indépendans, des anabaptistes & autres qui ont prétendu réformer la réforme.

SCHISME DES GRECS, (Hist. ecclésiastique) on appelle schisme des Grecs, la séparation de Photius d'avec la communion de Rome, vers l'an 868.

Comme cette séparation des Grecs & des Latins n'étoit pas seulement la plus grande affaire que l'Eglise chrétienne eût alors sur les bras, mais qu'elle est encore aujourd'hui regardée comme une chose très-importante ; il en faut tracer l'origine, & c'est le peintre moderne de l'histoire universelle qui m'en fournira le tableau.

Le siege patriarchal de Constantinople étant, dit-il, ainsi que le trône, l'objet de l'ambition, étoit sujet aux mêmes révolutions. L'empereur Michel III. mécontent du patriarche Ignace, l'obligea à signer lui-même sa déposition, & mit à sa place Photius, eunuque du palais, homme d'une grande qualité, d'un vaste génie, & d'une science universelle. Il étoit grand-écuyer & ministre d'état. Les évêques pour l'ordonner patriarche, le firent passer en six jours par tous les degrés. Le premier jour on le fit moine, parce que les moines étoient alors regardés comme faisant partie de la hiérarchie. Le second jour il fut lecteur, le troisieme soudiacre, puis diacre, prêtre, & enfin patriarche, le jour de Noël en 858.

Le pape Nicolas prit le parti d'Ignace, & excommunia Photius. Il lui reprochoit sur-tout d'avoir passé de l'état de laïc à celui d'évêque avec tant de rapidité ; mais Photius répondoit avec raison, que S. Ambroise, gouverneur de Milan, & à peine chrétien, avoit joint la dignité d'évêque à celle de gouverneur plus rapidement encore. Photius excommunia donc le pape à son tour, & le déclara déposé. Il prit le titre de patriarche oecuménique, & accusa hautement d'hérésie les évêques d'Occident de la communion du pape. Le plus grand reproche qu'il leur faisoit, rouloit sur la procession du pere & du fils. Des hommes, dit-il dans une de ses lettres, sortis des ténebres de l'Occident, ont tout corrompu par leur ignorance. Le comble de leur impiété est d'ajouter des nouvelles paroles au sacré symbole autorisé par tous les conciles, en disant que le S. Esprit ne procede pas du pere seulement, mais encore du fils, ce qui est renoncer au christianisme.

On voit par ce passage & par beaucoup d'autres, quelle supériorité les Grecs affectoient en tout sur les Latins. Ils prétendoient que l'Eglise romaine devoit tout à la grecque, jusqu'aux noms des usages, des cérémonies, des mysteres, des dignités. Baptême, eucharistie, liturgie, diocèse, paroisse, évêque, prêtre, diacre, moine, église, tout est grec. Ils regardoient les Latins comme des disciples ignorans, révoltés contre leurs maîtres.

Les autres sujets d'anathème étoient, que les Latins se servoient de pain non levé pour l'Eucharistie, mangeoient des oeufs & du fromage en carême, & que leurs prêtres ne se faisoient point raser la barbe. Etranges raisons pour brouiller l'Occident avec l'Orient.

Mais quiconque est juste, avouera que Photius étoit non-seulement le plus savant homme de l'Eglise, mais un grand évêque. Il se conduisoit comme S. Ambroise ; quand Basile, assassin de l'empereur Michel, se présenta dans l'église de Ste Sophie : vous êtes indigne d'approcher des saints mysteres, lui dit-il à haute voix, vous qui avez encore les mains souillées du sang de votre bienfaiteur. Photius ne trouva pas un Théodose dans Basile. Ce tyran fit une chose juste par vengeance. Il rétablit Ignace dans le siége patriarchal, & chassa Photius. Rome profita de cette conjoncture pour faire assembler à Constantinople le huitieme concile oecuménique, composé de trois cent évêques. Les légats du pape présiderent, mais ils ne savoient pas le grec ; & parmi les autres évêques, très-peu savoient le latin. Photius y fut universellement condamné comme intrus, & soumis à la pénitence publique. On signa pour les cinq patriarches avant que de signer pour le pape ; ce qui est fort extraordinaire : car puisque les légats eurent la premiere place, ils devoient signer les premiers. Mais en tout cela les questions qui partageoient l'Orient & l'Occident ne furent point agitées : on ne vouloit que déposer Photius.

Quelque tems après, le vrai patriarche, Ignace, étant mort, Photius eut l'adresse de se faire rétablir par l'empereur Basile. Le pape Jean VIII. le reçut à sa communion, le reconnut, lui écrivit ; & malgré ce huitieme concile oecuménique, qui avoit anathématisé ce patriarche, le pape envoya ses légats à un autre concile à Constantinople, dans lequel Photius fut reconnu innocent par quatre cent évêques, dont trois cent l'avoient auparavant condamné. Les légats de ce même siége de Rome, qui l'avoient anathématisé, servirent eux-mêmes à casser le huitieme concile oecuménique.

Combien tout change chez les hommes ! combien ce qui étoit faux, devient vrai selon les tems ! les légats de Jean VIII. s'écrient en plein concile : si quelqu'un ne reconnoît pas Photius, que son partage soit avec Judas. Le concile s'écrie ; longues années au patriarche Photius, & au patriarche Jean.

Enfin à la suite des actes du concile, on voit une lettre du pape à ce savant patriarche, dans laquelle il lui dit ; nous pensons comme vous ; nous tenons pour transgresseurs de la parole de Dieu, nous rangeons avec Judas ceux qui ont ajouté au symbole, que le S. Esprit procede du pere & du fils ; mais nous croyons qu'il faut user de douceur avec eux, & les exhorter à renoncer à ce blasphème.

Il est donc clair que l'Eglise romaine & la grecque pensoient alors différemment de ce qu'on pense aujourd'hui. Il arriva depuis que Rome adopta la procession du pere & du fils ; & il arriva même qu'en 1274 l'empereur des grecs Michel Paléologue, implorant contre les turcs une nouvelle croisade, envoya au second concile de Lyon son patriarche & son chancelier, qui chanterent avec le concile en latin, qui ex patre filioque procedit. Mais l'Eglise grecque retourna encore à son opinion, & sembla la quitter encore dans la réunion passagere qui se fit avec Eugene IV. Que les hommes apprennent de-là à se tolerer les uns les autres. Voilà des variations & des disputes sur un point fondamental, qui n'ont ni excité de troubles, ni rempli les prisons, ni allumé les buchers.

On a blâmé les déférences du pape Jean VIII. pour le patriarche Photius ; on n'a pas assez songé que ce pontife avoit alors besoin de l'empereur Basile. Un roi de Bulgarie, nommé Bogoris, gagné par l'habileté de sa femme, qui étoit chrétienne, s'étoit converti, à l'exemple de Clovis & du roi Egbert. Il s'agissoit de savoir de quel patriarchat cette nouvelle province chrétienne dependroit. Constantinople & Rome se la disputoient. La décision dépendoit de l'empereur Basile. Voilà en partie le sujet des complaisances qu'eut l'évêque de Rome pour celui de Constantinople.

Il ne faut pas oublier que dans ce concile, ainsi que dans le précédent, il y eut des cardinaux. On nommoit ainsi des prêtres & des diacres qui servoient de conseils aux métropolitains. Il y en avoit à Rome comme dans d'autres églises. Ils étoient déjà distingués ; mais ils signoient après les évêques & les abbés.

Le pape donna par ses lettres & par ses légats le titre de votre sainteté au patriarche Photius. Les autres patriarches sont aussi appellés papes dans ce concile. C'est un nom grec commun à tous les prêtres, & qui peu-à-peu est devenu le titre distinctif du métropolitain de Rome.

Il paroît que Jean VIII. se conduisoit avec prudence ; car ses successeurs s'étant brouillés avec l'empire grec, & ayant adopté le huitieme concile oecuménique de 869, & rejetté l'autre qui absolvoit Photius, la paix établie par Jean VIII. fut alors rompue. Photius éclata contre l'Eglise romaine, la traita d'hérétique au sujet de cet article du filioque procedit, des oeufs en carême, de l'Eucharistie faite avec du pain sans levain, & de plusieurs autres usages. Mais le grand point de la division étoit la primatie. Photius & ses successeurs vouloient être les premiers évêques du christianisme, & ne pouvoient souffrir que l'évêque de Rome, d'une ville qu'ils regardoient alors comme barbare, separée de l'empire par sa rébellion, & en proie à qui voudroit s'en emparer, jouït de la préséance sur l'évêque de la ville impériale.

Le patriarche de Constantinople avoit alors dans son district toutes les églises de la Sicile & de la Pouille ; & le saint siége en passant sous une domination étrangere, avoit perdu à-la-fois dans ces provinces son patrimoine & ses droits de métropolitain. L'Eglise grecque méprisoit l'Eglise romaine. Les sciences fleurissoient à Constantinople, mais à Rome tout tomboit jusqu'à la langue latine ; & quoiqu'on fût plus instruit que dans tout le reste de l'Occident, ce peu de science se ressentoit de ces tems malheureux.

Les Grecs se vengeoient bien de la supériorité que les Romains avoient eu sur eux depuis le tems de Lucrece & de Cicéron jusqu'à Corneille Tacite. Ils ne parloient des Romains qu'avec ironie. L'évêque Luitprand, envoyé depuis en ambassade à Constantinople par les Othons, rapporte que les Grecs n'appelloient S. Grégoire le grand, que Grégoire dialogue, parce qu'en effet ses dialogues sont d'un homme trop simple. Le tems a tout changé. Les papes sont devenus de grands souverains ; Rome, le centre de la politesse & des arts, l'Eglise latine savante, & le patriarche de Constantinople n'est plus qu'un esclave, évêque d'un peuple esclave.

Photius, qui eut dans sa vie plus de revers que de gloire, fut déposé par des intrigues de cour, & mourut malheureusement ; mais ses successeurs, attachés à ses prétentions, les soutinrent avec vigueur.

Le pape Jean VIII. mourut encore plus malheureusement. Les annales de Fulde disent qu'il fut assassiné à coups de marteau. Les tems suivans nous font voir aussi le siége pontifical souvent ensanglanté, & Rome un grand objet pour les nations, mais toujours à plaindre.

Le dogme ne troubla point encore l'Eglise d'Occident ; à peine a-t-on conservé la mémoire d'une petite dispute excitée en 814, par un nommé Jean Godescalc sur la prédestination & sur la grace ; & je ne ferois nulle mention d'une folie épidémique, qui saisit le peuple de Dijon en 844 à l'occasion de S. Benigne, qui donnoit, disoit-on, des convulsions à ceux qui prioient sur son tombeau : je ne parlerois pas, disje, de cette superstition populaire, si elle ne s'étoit renouvellée de nos jours avec fureur dans des circonstances pareilles. Les mêmes folies semblent destinées à reparoître de tems en tems sur la scene du monde, mais aussi le bon sens en est le même dans tous les tems ; & on n'a rien dit de si sage sur les miracles modernes opérés sur le tombeau de je ne sais quel diacre de Paris, que ce que dit, en 844, un évêque de Lyon sur ceux de Dijon. " Voilà un étrange saint qui estropie ceux qui ont recours à lui : il me semble que les miracles devroient être faits pour guérir les maladies, & non pour en donner. "

Ces minuties ne troubloient point la paix en Occident, & les querelles théologiques y étoient alors comptées pour rien, parce qu'on ne pensoit qu'à s'aggrandir. Elles avoient plus de poids en Orient, parce que les prélats n'y ayant jamais eu de puissance temporelle, cherchoient à se faire valoir par les guerres de plume. Il y a encore une autre source de la paix théologique en Occident ; c'est l'ignorance qui au-moins produisit ce bien parmi les maux infinis dont elle étoit cause.

Je reviens à Photius ; sa mort ne fit que suspendre le schisme, & ne l'éteignit pas : il fut renouvellé plusieurs fois, jusqu'à-ce que la couronne de Constantinople eût passé aux Latins : alors l'empereur Baudouin ayant fait élire un patriarche latin, réunit l'Eglise d'Orient avec celle d'Occident ; mais cette réunion n'eut que la durée de l'empire latin, & finit au bout de 55 ans, que l'empereur Paléologue ayant repris Constantinople en 1261, se sépara de nouveau de la communion de Rome. Ce renouvellement de schisme fut long, & ne fut terminé qu'en 1439 au concile de Florence ; encore cette réunion, qui n'étoit fondée que sur le besoin que l'empereur grec avoit du pape, fut-elle désavouée par tout l'empire, & n'eut gueres de lieu ; mais enfin, ce fut le dernier état de la religion chrétienne en Orient, qui en fut totalement bannie, lorsque Mahomet II. s'empara de Constantinople en 1453. Depuis ce tems-là la religion de Mahomet devint la religion de l'Asie : celle des chrétiens n'a plus été que tolerée, & ses patriarches ont tous été schismatiques. (D.J.)


SCHISTES. m. ou PIERRE FEUILLETEE, (Hist. nat. Minéralog.) schistus, saxum sissile, lapis sissilis, ardoise. Nom générique donné par les naturalistes à des pierres qui se distinguent par la propriété qu'elles ont de se partager en lames ou en feuillets opaques. Les schistes sont de différentes couleurs ; on en trouve de noirs, de blancs, de gris, de verdâtres, de rouges, de jaunes, de bleuâtres. Ces pierres varient aussi pour leur nature ; il y en a qui font effervescence avec les acides, & qui par conséquent doivent être mises au rang des pierres calcaires ; d'autres ne font point effervescence, & sont formées par une terre argilleuse devenue compacte ; tel est le schiste bleu connu sous le nom d'ardoise, dont on couvre les maisons, & qui se nomme ardesia tegularis.

Les couleurs des pierres schisteuses varient en raison de la nature des substances auxquelles elles sont mêlées ; elles different aussi par la finesse de leur grain, par la consistance & la dureté ; il y en a qui sont assez dures pour prendre le poli, & pour en former des tables, tandis que d'autres sont tendres & friables au point de pouvoir servir de crayon. Il y a des schistes qui sont composés de particules très-déliées ; telles sont les pierres dont on se sert pour repasser, & qu'on appelle cos ou coticula. Il y en a qui ne se partagent que difficilement en lames ou en feuillets ; d'autres se divisent avec beaucoup de facilité. C'est donc sans raison que quelques auteurs placent tous les schistes au rang des pierres vitrifiables, tandis que d'autres les mettent au rang des pierres calcaires ; l'erreur vient de ce qu'on ne s'est arrêté qu'au coup d'oeil extérieur & à la propriété de se diviser en feuillets, qui sont communes à plusieurs pierres, qui au fond peuvent être d'une nature très-différente. Ainsi quelques schistes doivent leur origine à l'argille ; d'autres en sont redevables à la marne ou à la craie ; d'autres sont encore plus mêlangées, &c.

Plusieurs naturalistes attribuent la formation du schiste ou des ardoises, à un dépôt qui s'est fait des terres détrempées par les eaux du déluge, ou par les eaux de la mer, lorsqu'elles ont couvert notre continent. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces pierres se trouvent toujours par couches, quelquefois horisontales & d'autrefois inclinées, & même presque perpendiculaires à l'horison. Voyez TERRE, (couches de la). Ces lits se trouvent tantôt près de la surface de la terre, tantôt à une très-grande profondeur. Voyez REVOLUTIONS DE LA TERRE.

C'est ordinairement dans des lits de pierre feuilletée ou de schiste, que l'on rencontre les empreintes de plantes & de poissons, comme on peut le remarquer dans le schiste ou dans l'ardoise cuivreuse du comté de Mansfeld, qui est une pierre remplie d'empreintes de poissons, & si chargée de cuivre, qu'on l'exploite avec succès pour en tirer ce métal.

Les mines de charbon de terre sont ordinairement accompagnées & couvertes de schiste, & sa couleur noire paroît venir du bitume dont cette pierre est pénétrée.

Souvent le schiste est entremêlé de pyrites & d'alun ; celui qui est dans ce cas est sujet à se décomposer & à perdre sa liaison lorsqu'il est exposé à l'air. (-)


SCHLANGENBADS. m. (Géogr. Hist. nat.) endroit d'Allemagne situé dans le comté de Catzenelbogen, à une lieue de Schwalbach. Il est fameux par ses eaux minérales, dont on fait un très-grand usage.


SCHLANIou SLANI, (Géog. mod.) cercle de Bohème. Il est borné au nord oriental par l'Elbe, à l'orient par le Muldaw, au midi par les cercles de Baconiek & de Pod-berdesk, au couchant par les cercles de Satz & de Létoméritz. Le cercle Schlani prend son nom de sa capitale située à 6 lieues de Prague.


SCHLEUSINGEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne en Franconie, sur la riviere de Schleus, dans la principauté de Henneberg.

Reyher, (Samuel) né à Schleusingen en 1635, & mort en 1714, a mis au jour plusieurs ouvrages de Droit, qui sont assez médiocres ; mais sa Mathesis biblica a fait sa réputation. (D.J.)


SCHLICHou CHLIQUE, s. m. (Métallurgie & Minéralogie) ce mot est emprunté de l'allemand ; on s'en sert pour désigner le minerai, qui après qu'on l'a tiré des mines, a été trié, pulvérisé ou écrasé sous le bocard & lavé ; en un mot c'est le minerai préparé de maniere qu'on n'a plus qu'à le faire griller, s'il en a besoin, ou le porter au fourneau à manche pour le faire fondre ; alors on lui joint les fondans nécessaires, & on le mêle avec du charbon. La plûpart des Métallurgistes recommandent de ne point réduire le minerai en une poudre trop fine, parce qu'alors l'action du feu & le vent des soufflets pourroient le dissiper & causer une perte de la partie métallique ; il vaut mieux que le minerai soit concassé grossierement, & en morceaux de la grosseur d'une noix. (-)


SCHLOTS. m. (Fontaines salantes) matiere qui se forme dans les chaudieres ou évaporatoires, où l'on fait crystalliser les eaux des fontaines. V. SALINES.


SCHLOTERverb. neut. on dit que les eaux schlotent, lorsque le schlot se forme.


SCHLUCHTLA (Géog. mod.) riviere d'Allemagne. Elle prend sa source au val Saint-Pierre en Brisgau, sort des montagnes de Schwartzwald, arrose la principauté de Furstemberg, passe par Loffingen, & se jette dans le Rhin à Waldshut, & à environ onze lieues de sa source. (D.J.)


SCHMIDEBERG(Géog. mod.) c'est-à-dire montagne des Maréchaux ; ville de Silésie, dans le duché de Jawer, près de la source du Bober, & au pié de la montagne de Risemberg, dont on tire beaucoup de fer. (D.J.)


SCHOES. m. (Mesure de longueur) sorte de mesure de compte dont on se sert à Breslaw dans le commerce des plus belles toiles de Silésie. Le schoe fait 60 aunes de Breslaw ; qui reviennent à 27 aunes & demie de Paris. (D.J.)


SCHOENANTHES. f. (Botan.) schoenanthus, ou schoenanthum par Gerard 39. I. B. 2. 515. & Ray, hist. ij. 1510. Juncus odoratus, sive aromaticus, C. B. P. 11. Gramen dactylon aromaticum, multiplici panniculâ, spicis brevibus, tomento candicantibus, ex eodem pediculo binis, Pluk. Phytog. Tab. 190. fig. 1.

En effet cette plante, à qui l'on donne communément le nom de jonc odorant, n'est qu'une espece de gramen aromatique ; sa racine est fibreuse ; ses feuilles sont posées près à près, enfermées les unes dans les autres, longues, étroites, & d'une odeur agréable. Ses tiges croissent à la hauteur d'environ un pié, & portent à leurs sommités de petites fleurs veloutées & rangées à double rang. Ces fleurs sont fort odorantes, d'un goût piquant, pénétrant & aromatique.

Cette plante croît dans l'Arabie heureuse, au pié du mont Liban, & dans d'autres contrées de l'orient. Son nom de schoenanthe a été formé des deux mots grecs , jonc, & , fleur, comme qui diroit fleur de jonc. Voyez JONC ODORANT. (D.J.)


SCHOENBERGou SCHONEBERG, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la seigneurie de Ratzbourg. Les évêques de ce nom y avoient autrefois un château & un bailliage.

Jean Albert Mandelslo, connu par ses voyages, naquit dans cette petite ville en 1616. Il fut élevé à la cour de Frédéric, duc de Holstein-Gottorp, en qualité de page de ce prince, & témoigna tant de passion pour courir le monde, qu'en 1633 il accompagna les ambassadeurs du duc en Moscovie & en Perse. En 1638 il passa aux Indes à la cour du grand-mogol, & de-là se rendit à Surate, d'où il repassa en Europe sur un vaisseau anglois. Il vint en France, & mourut à Paris de la petite vérole âgé de 28 ans. La relation de ses voyages a été rédigée par Oléarius son ami, & publiée à Sleswick en 1658, in-folio. Ils ont été traduits en françois, en anglois & en hollandois par les mêmes traducteurs qui ont donné ceux d'Oléarius, auxquels ils se trouvent joints dans les dernieres éditions. (D.J.)


SCHOENESCHOENE

Les écrivains de l'antiquité en traitant de l'Egypte, font mention de cette mesure géodésique ; qu'ils désignent par le terme grec , dont la signification est la même qu'en latin funis, autrement juncus, c'est-à-dire un cordeau, une canne, ou un roseau. S. Jerôme, dans son commentaire sur Joël, nous fait connoître d'où venoit l'usage de désigner ainsi la mesure dont il s'agit. Il dit que les bateaux sont tirés sur les rives du Nil par des hommes, ce que nous appellons haller à la cordelle, & que la longueur de chaque espace, au terme duquel les bateliers se relaient dans ce travail, est nommé funiculus.

Peu de savans ont été curieux de rechercher l'évaluation qu'on doit donner au schoene d'Egypte. Cette évaluation est néanmoins très-importante, en ce que diverses distances qui sont indiquées par schoenes, si elles ne sont pas connues par une analyse, peuvent paroître peu convenables dans leur application au local actuel, & contradictoires même à d'autres indications qui se trouvent également dans l'antiquité.

Hérodote dit dans son second livre, que chez les Egyptiens on mesure les grands espaces de terre par schoenes, à la différence des espaces moins étendus, qui se mesurent par orgyes, par stades & par parasanges, en suivant la gradation qui fait enchérir ces mesures l'une sur l'autre. Il ajoute ensuite une définition formelle du schoene à 60 stades, définition qui est confirmée par la comparaison du nombre des schoenes à celui des stades en plusieurs distances ; comme lorsqu'il compare 3600 stades à 60 schoenes, qui se comptoient dans ce que l'Egypte avoit d'étendue sur la mer Méditerranée. Diodore de Sicile a connu de même la mesure du schoene sur le pié de 60 stades, puisque les dix schoenes qu'il compte entre Memphis & le lac Myris ou Moeris, sont par lui évalués à 600 stades.

Enfin M. Danville a trouvé par des recherches dans l'antiquité, plusieurs moyens de reconnoître la mesure du schoene & de l'évaluer. Nous n'en citerons qu'un pour exemple. L'itinéraire d'Antonin indique une mansion sous le nom de Penta-schoenon, dans l'intervalle du mont Casius à Peluse ; & la distance est marquée également à l'égard de l'un & de l'autre de ces lieux, sur le pié de 20 milles. De cette maniere il y a tout lieu d'inférer que la position intermédiaire tirant sa dénomination de la distance respective à l'égard de deux points différens, distance valant cinq schoenes d'un côté comme de l'autre, le schoene est compensé par quatre milles romains.

Cette compensation convient à ce que dit Pline, que le schoene est composé de 32 stades ; aliqui xxxij stadia singulis schoenis dedere ; car, selon l'emploi le plus général du stade, sur le pié de huit pour le mille romain, les 32 stades sont l'équivalent de 4 milles. Or la mesure du mille romain, selon la scrupuleuse analyse, s'évaluant à 756 toises, le schoene comparé à quatre milles, revient à 30 milles 24 toises ; & le stade qui sert à la composition du schoene, étant fort inférieur en mesure au stade grec olympique, se borne à 50 toises 2 piés 5 pouces moins quelques lignes. Mém. des Inscript. tom. XXVI. in -4°. (D.J.)


SCHOENICULES. f. (Hist. anc.) espece de courtisannes du dernier ordre ; elles étoient pauvres. Au défaut de pommades odorantes & d'eaux de senteur, elles se servoient de l'huile du schoenus.


SCHOENIONS. m. (Musiq. grecq.) air de flûte en usage dans l'ancienne Grece ; Pollux en parle ainsi qu'Hésychius. Il devoit ce nom au caractere de poésie & de musique dans lequel il étoit composé ; caractere qui, selon la remarque de Casaubon sur Athenée, avoit quelque chose de lâche & de flexible (à la maniere du jonc, ). C'est dans ce sens qu'on trouve dans Hésychius, , pour dire une voix molle, rompue & efféminée. (D.J.)


SCHOENITAS(Géog. anc.) port du Péloponnèse, selon Pomponius Mela, lib. II. c. iij. c'est le même que Pline nomme Coenites, lib. IV. c. v. & qui étoit sur la côte orientale de l'Argolide. Il ne faut pas le confondre avec le port Schoenus, qui étoit au fond du golfe Saronique. (D.J.)


SCHOENOBATES. m. (Jeu scéniq. des Grecs & des Romains) c'est ainsi qu'on nommoit chez les Grecs un danseur de corde, de , une corde, & , je marche. Voyez DANSEUR DE CORDE.

Les schoenobates après avoir amusé les théatres de la Grece, trouverent chez les Romains un nouvel accueil pour leur art. Ils commencerent à paroître à Rome l'an 390 de sa fondation, sous le consulat de Sulpitius Poetus & de Licinius Stolon, qui les introduisirent aux jeux scéniques, qu'on fit d'abord dans l'île du Tibre, & que Messala conjointement avec Cassius, porterent ensuite sur le théatre ; mais quand Rome fut parvenue à la recherche de tous les plaisirs propres à charmer l'oisiveté, celui des schoenobates, qu'on nomma funambules, l'emporta sur tout autre goût. Ce spectacle devint une si forte passion pour le peuple, qu'il ne prêtoit plus l'oreille aux meilleures pieces qu'on lui donnoit ; Térence même l'éprouva ; quand on joua son Hécyre, un nouveau funambule qui parut sur le théatre, attira tellement les yeux du peuple entier, qu'il cessa d'écouter la piece admirable du rival de Ménandre : ita populus studio spectaculi cupidus in funambule animam occupaverat.

Parmi ces schoenobates ou funambules, les uns dansoient sur la corde lâche ; & les autres couroient sur une corde tendue horisontalement ; il y en avoit qui tournoient autour d'une corde, comme une roue autour de son aissieu ; d'autres descendoient sur cette même corde, de haut en bas appuyés sur l'estomac. Tous les auteurs en parlent, & l'élégante description qu'en a donné Manilius, mérite ici sa place.

Aut tenues ausus sine limite gressus,

Certa per extensos ponit vestigia funes,

Et coeli meditatus iter vestigia perdit,

Per vacuum, & pendens populum suspendit ab ipso.

On cite comme un trait d'humanité de Marc Aurele, d'avoir ordonné qu'on mit des matelas dessous les funambules, parce que cet empereur s'étant trouvé un jour à leur spectacle, un funambule pensa périr en se laissant tomber. Depuis lors on tendit un filet sous les schoenobates, pour empêcher que ceux qui éprouveroient le même accident, se fissent aucun mal.

Enfin les hommes funambules ne suffisant plus pour amuser le peuple, on dressa les bêtes à cet exercice. L'histoire dit qu'on vit à Rome du tems de Galba, des éléphans marcher sur des cordes tendues. Néron en fit paroître dans les jeux qu'il institua en l'honneur d'Agrippine ; Vopiscus raconte la même chose du tems de Carin & de Numérin.

Rome d'elle-même idolâtre,

Goûtant le fruit de ses exploits,

N'aima, ne voulut autrefois

Que du pain avec son theâtre.

Les choses n'ont pas trop changé, avec cette différence qu'elle a des théâtres & peu de pain. (D.J.)


SCHOENUS(Géog. anc.) c'est le nom, 1°. d'une petite contrée du Péloponnèse ; 2°. d'une ville de l'Arcadie. Au bas de la montagne de Phalante, dit Pausanias, Arcad. c. xxxv. est une plaine, & après cette plaine la ville de Schoenus, ainsi appellée du nom de Schoeneüs Béotien de nation. Mais, ajoute Pausanias, s'il est vrai qu Scheoeneüs soit venu s'établir en Arcadie, je croirois aussi que le stade d'Atalante qui est auprès de la ville, a été ainsi appellé du nom d'une des filles de ce béotien ; & que dans la suite les Arcadiens ont confondu cette Atalante avec l'autre. 3°. Nom d'une riviere de la Béotie dans le territoire de Thébes ; elle arrosoit un lieu de ce nom selon Strabon. 4°. D'un lieu de la Béotie dans le territoire de Thèbes, & qui est sans-doute le même dont on vient de parler ; Strabon le place à environ 50 stades de Thèbes, sur la route de cette ville à Anthédon. 5°. D'un port de la Grece, au fond du golfe Saronique, dans l'endroit où l'isthme de Corinthe est le plus étroit, selon Strabon, lib. VIII. p. 369 & 380, qui dit que c'étoit de-là qu'on transportoit par terre, les vaisseaux d'une mer à l'autre. 6°. D'un golfe de l'Asie mineure dans la Carie, sur lequel étoit bâtie la ville Hyla, selon Pomponius Mela, lib. I. c. xvj. (D.J.)

SCHOENUS, s. m. (Hist. anc.) sorte de jonc marin ; c'étoit une mesure. Le schoenus major avoit 60 bades ; le minor, la moitié.


SCHOERLou SCHORL, s. m. Hist. nat. Minéralog.) c'est ainsi que les minéralogistes suédois & allemands nomment une pierre très-dure, qui est ou noire, ou grise, ou brune, ou rougeâtre, ou verdâtre ; elle se trouve en crystaux prismatiques d'une grandeur extraordinaire, & qui varient pour le nombre de leurs côtés. Wallerius dans sa minéralogie, appelle cette pierre corneus crystallisatus : elle est la même que le basaltes, ou pierre de touche des anciens. La pierre de stolpen dont M. Pott parle dans sa lithogéognosie, & qu'il regarde comme une pierre dont l'argille fait la base, est une espece de schoerl. Voyez STOLPEN, pierre de.

L'étonnant amas de crystaux qui se trouve en Irlande, & que l'on nomme pavé des géans, est aussi de la même nature. Voyez PAVE DES GEANS.

Il ne faut point confondre cette pierre avec la substance minérale que les Allemands nomment schirl, qui est une mine de fer arsénicale. Voyez SCHIRL. (-)


SCHOINECK(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans l'électorat de Trèves, sur le bord de la riviere de Nyms, à 8 lieues au nord de Trèves, avec un bailliage. Quelques géographes la prennent pour l'Ausana de l'itinéraire d'Antonin. Long. 24. 17. lat. 49. 44. (D.J.)


SCHOLARITÉS. f. (Jurisprud.) est l'état de celui qui étudie dans une université. Quelquefois par le terme scholarité on entend les privileges attachés à cet état.

Ces privileges sont de plusieurs sortes, tels que celui d'être dispensés de la résidence pour les bénéfices ; l'exemption du droit d'aubaine, accordée aux écoliers étrangers par Louis Hutin, en 1315, & autres privileges semblables, qui sont en si grand nombre que Rebuffe en compte jusqu'à 180.

Ces privileges tirent leur origine de ceux que les empereurs avoient accordé aux étudians, & qu'ils avoient coutume de confirmer dès qu'ils étoient élevés à l'empire.

Mais quand on parle du droit ou privilege de scholarité simplement, on entend communément le droit que les écoliers jurés, étudiant actuellement depuis six mois dans une université, ont de ne pouvoir être distraits, tant en demandant qu'en défendant, de la jurisdiction des juges de leurs privileges, si ce n'est en vertu d'actes passés avec des personnes domiciliées hors la distance de 60 lieues de la ville où l'université est établie.

Ils ne peuvent néanmoins en user à l'égard des cessions & transports qui auroient été par eux acceptés, ni à l'égard des saisies & arrêts faits à leur requête, si ce n'est en la forme qui est ordonnée pour les committimus.

Ceux qui ont regenté pendant 20 ans dans les universités, jouissent aussi du même privilege tant qu'ils continuent de faire leur résidence actuelle dans l'université.

Ce privilege de scholarité tire son origine des lettres de Philippe de Valois, du 31 Mars 1340, & a été confirmé spécialement par Louis XII. au mois d'Août 1498, par François I. au mois d'Avril 1515, Louis XIII. au mois de Janvier 1629, & par Louis XIV. au mois d'Août 1669, titre 4. des committimus.

Les clercs des procureurs ne jouissent pas du privilege de scholarité. Voyez Papon, voyez aussi les mots ECOLIER, ETUDES, GRADUES, PROFESSEUR, REGENT, SEPTENAIRE, UNIVERSITE. (A)


SCHOLASTICIS. m. (Jurisp. rom.) c'étoient comme des assesseurs, des avocats consultans, dont se servoient les gouverneurs & intendans des provinces dans l'exercice de leur charge. Ils dressoient leur avis sur les requêtes, & les infirmoient ou les appuyoient par les principes de droit. (D.J.)


SCHOLASTICUS(Littérat.) ce terme signifie un avocat, comme nous l'apprend Macaire, dans sa quinzieme homélie, où il s'exprime en ces termes : " Celui qui veut acquérir la connoissance des affaires du barreau, va d'abord apprendre les notes, (caractere d'abréviation) & quand il est parvenu à être le premier dans cette science, il passe dans l'école des Romains ; dès qu'il est devenu le premier dans cette école, il passe dans celle des praticiens, où il a le dernier rang, celui d'arcarius ou novice. Quand il a été reçu scholastique, il est l'arcarius, & le dernier des avocats ; mais s'il parvient à être le premier, il est fait président, ou gouverneur de province, & pour lors il prend un assistant, conseiller ou assesseur ; , &c. " M. de Valois a corrigé dans ce passage la leçon ordinaire, , en substituant le mot de ; & c'est une fort bonne correction. (D.J.)


SCHOLASTIQUESphilosophie des scholastiques, (Hist. de la philos.) la philosophie qu'on appelle scholastique, a regné depuis le commencement du onzieme au douzieme siecle, jusqu'à la renaissance des lettres.

Ce mot n'est pas aussi barbare que la chose ; on le trouve dans Pétrone ; non notavi mihi ascylti fugam, & dum in hoc doctorum aestu totus incedo, ingens scholasticorum turba in porticum venit, ut apparebat, ab extemporali declamatione, nescio cujus, qui Agamemnonis suasoriam exceperat. Il signifie un écolier de rhétorique.

Voici un autre passage où il se prend pour rhéteur, ou sophiste : deduci in scenas scholasticorum, qui rhetores vocantur, quos paulo ante Ciceronis tempora exstitisse, nec majoribus placuisse probat ex eo quod Marco Crasso & Domitio censoribus claudere, ut ait Cicero, ludum impudentiae jussi sunt. Quint. dialog. de caus. corrupt. eloquent.

De la comparaison de ces deux passages, l'on voit que l'éloquence dégénerée peu-à-peu, étoit chez les Romains, au tems de Pétrone & de Quintilien, ce qu'elle avoit été jusqu'à Ciceron.

Dans la suite, le nom de scholastique passa des déclamateurs de l'école, à ceux du barreau. Consultez là-dessus le code de Théodose & de Justinien.

Enfin il désigna ces maîtres-ès-arts & de philosophie qui enseignoient dans les écoles publiques des églises cathédrales & des monasteres que Charlemagne & Louis le pieux avoient fondées.

Ces premiers scholastiques ou écolâtres, ne furent point des hommes tout-à-fait inutiles ; mais la richesse engendra bientôt parmi eux l'oisiveté, l'ignorance & la corruption ; ils cesserent d'enseigner, & ils ne retinrent que le nom de leurs fonctions, qu'ils faisoient exercer par des gens de rien, & gagés à vil prix, tandis qu'ils retiroient de l'état de larges pensions, qu'ils dissipoient dans une vie de crapule & de scandale.

L'esprit de l'institution se soutint un peu mieux dans quelques maisons religieuses, où les nobles continuerent d'envoyer leurs enfans pour y prendre les leçons qu'on donnoit aux novices ; ce fut dans ces reduits obscurs, que se conserva l'étincelle du feu sacré, depuis le huitieme siecle jusqu'au douzieme ou onzieme, que le titre d'écolâtres ou de scholastiques qui avoit été particulier à de méchans professeurs de philosophie & de belles-lettres, devint propre à de plus méchans professeurs de théologie.

La premiere origine de la théologie scholastique est très-incertaine ; les uns la font remonter à Augustin dans l'occident, & à Jean Damascène dans l'orient ; d'autres, au tems où la philosophie d'Aristote s'introduisit dans les écoles, sous la forme seche & décharnée que lui avoient donnée les Arabes, & que les théologiens adopterent ; quelques-uns, au siecle de Roscelin & d'Anselme, auxquels succéderent dans la même carriere Abélard & Gilbert en France, & Otton de Frisingue en Allemagne ; quoiqu'il en soit, il est démontré que la scholastique étoit antérieure aux livres des sentences, & que Pierre Lombard trouva la doctrine chrétienne défigurée par l'application de l'art sophistique de la dialectique, aux dogmes de l'église ; c'est un reproche qu'il ne seroit pas moins injuste de faire à Thomas d'Aquin ; on apperçoit des vestiges de la scholastique, avant qu'on connût l'Arabico-pathétisme ; ce n'est donc point de ce côté que cette espece de peste est venue ; mais il paroît que plusieurs causes éloignées & prochaines concoururent, dans l'intervalle du onzieme au douzieme siecle, à l'accroître, à l'étendre, & à la rendre générale. Voyez ce que nous en avons dit à l'article ARISTOTELISME.

On peut distribuer le regne de la scholastique sous trois périodes ; l'une qui commence à Lanfranc ou Abélard & Pierre le Lombard son disciple, & qui comprend la moitié du douzieme siecle, tems où parut Albert le grand ; ce fut son enfance.

Une seconde qui commence en 1220, & qui finit à Durand de S. Porcien ; ce fut son âge de maturité & de vigueur.

Une troisieme qui commence où la seconde finit, & qui se proroge jusqu'à Gabriel Biel, qui touche au moment de la réforme ; ce fut le tems de son déclin & de sa décrépitude.

Guillaume des Champeaux, Pierre Abélard, Pierre le Lombard, Robert Pulleyn, Gilbert de la Porrée, Pierre Comestor, Jean de Sarisberi, & Alexandre de Halles, se distinguerent dans la premiere période.

Albert le grand, Thomas d'Aquin, Bonaventure, Pierre d'Espagne, Roger Bacon,Gille de Colomna, & Jean Scot, se distinguerent dans la seconde.

Durand de S. Porcien, Guillaume Occam, Richard Suisset, Jean Buridan, Marsile d'Inghen, Gautier Burlée, Pierre d'Alliac, Jean Wessel Gansfort, & Gabriel Biel, se distinguerent dans la troisieme.

Premiere période de la philosophie scholastique. Guillaume des Champeaux, né en Brie de parens obscurs, s'éleva par la réputation qu'il se fit, de grade en grade jusqu'à l'épiscopat ; telle étoit la barbarie de son tems, qu'il n'y avoit aucun poste dans l'église auquel ne pût aspirer un homme qui entendoit les cathégories d'Aristote, & qui savoit disputer sur les universaux. Celui-ci prétendoit qu'il n'y avoit dans tous les individus qu'une seule chose essentiellement une, & que s'ils différoient entr'eux, ce n'étoit que par la multitude des accidens. Abélard, son disciple, l'attaqua vivement sur cette opinion ; des Champeaux frappé des objections d'Abélard, changea d'avis, & perdit toute la considération dont il jouissoit ; il ne s'agissoit pas alors d'enseigner la vérité, mais de bien défendre son sentiment vrai ou faux ; le comble de la honte étoit d'en être réduit au silence ; de-là cette foule de distinctions ridicules qui s'appliquent à d'autant plus de cas, qu'elles sont vuides de sens ; avec ce secours, il n'y avoit point de questions qu'on n'embrouillât, point de theses qu'on ne pût défendre, pour ou contre, point d'objections auxquelles on n'échappât, point de disputes qu'on ne prorogeât sans fin.

Des Champeaux vaincu par Abélard, alla s'en fermer dans l'abbaye de S. Victor ; mais celui-ci ne se fut pas plutôt retiré à sainte Géneviéve, que des Champeaux reparut dans l'école.

Qui est-ce qui ne connoit pas l'histoire & les malheurs d'Abélard ? qui est-ce qui n'a pas lu les lettres d'Héloïse ? qui est-ce qui ne déteste pas la fureur avec laquelle le doux & pieux S. Bernard le persécuta ? il naquit en 1079, il renonça à tous les avantages qu'il pouvoit se promettre dans l'état militaire, pour se livrer à l'étude ; il sentit combien la maniere subtile dont on philosophoit de son tems, supposoit de dialectique, & il s'exerça particulierement à manier cette arme à deux tranchans, sous Roscelin, le ferrailleur le plus redouté de son tems ; celui-ci avoit conçu que les universaux n'existoient point hors de l'entendement, & qu'il n'y avoit dans la nature que des individus dont nous exprimions la similitude par une dénomination générale, & il avoit fondé la secte des nominaux, parmi lesquels Abélard s'enrôla ; il alla faire assaut avec tous ceux qui avoient quelque réputation ; il vint à Paris, il prit les leçons de Guillaume des Champeaux ; il fut successivement l'honneur & la honte de son maître ; il ouvrit une école à l'âge de vingt-deux ans, à Melun, d'où il vint à Corbeil ; il eut un grand nombre de disciples, d'amis & d'ennemis ; ses travaux affoiblirent sa santé, il fut obligé de suspendre ses exercices pendant deux ans qu'il passa dans sa patrie ; son absence ne fit qu'ajouter au desir qu'on avoit de l'entendre ; de retour, il trouva des Champeaux sous l'habit de moine, continuant dans le fond d'un cloître à professer la rhétorique & la logique, deux arts qui ne devroient point être séparés ; il alla l'écouter, moins pour s'instruire, que pour le harceler de nouveau. Ce projet indigne lui réussit, il acheva de triompher de son maître, qui vit en un moment son école déserte, & ses disciples attachés à la suite d'Abélard ; celui à qui des Champeaux avoit cédé sa chaire cathédrale, au sortir du monde, l'offrit à Abélard, qui en fut écarté par la faction de des Champeaux & la protection de l'archevêque de Paris. Notre jeune philosophe fut moins encore irrité de ce refus, que de la promotion de des Champeaux à l'épiscopat ; l'élévation d'un homme auquel il s'étoit montré si supérieur, l'indigna secrettement, il crut que des Champeaux ne devoit les honneurs qu'on lui conféroit, qu'à la réputation qu'il s'étoit faite en qualité de théologien, & il se rendit sous Anselme qui avoit formé des Champeaux ; les leçons d'Anselme ne lui parurent pas répondre à la célébrité de cet homme ; bientôt il eut dépouillé celui-ci de son auditoire & de sa réputation ; il enseigna la théologie, malgré ses ennemis qui répandoient de tous côtés, qu'il étoit dangereux de permettre à un homme de son âge & de son caractere, de se mêler d'une science si sublime. Ce fut alors qu'il connut le chanoine Fulbert & sa niece Héloïse ; cette fille savoit à l'âge de dix-huit ans, l'hébreu, le grec, le latin, les mathématiques, la philosophie, la théologie, c'est-à-dire plus que tous les hommes de son tems réunis ; outre l'esprit que la nature lui avoit donné, la sensibilité de coeur, les talens qu'elle devoit à une éducation très-recherchée, elle étoit encore belle ; comment résiste-t-on à tant de charmes ? Abélard la vit, l'aima, & jamais homme ne fut peut-être autant aimé d'une femme, qu'Abélard d'Héloise ; non, disoit-elle, le maître de l'univers entier, s'il y en avoit un, m'offriroit son trône & sa main, qu'il me seroit moins doux d'être sa femme, que la maîtresse d'Abélard. Nous n'entrerons point dans le détail de leurs amours ; Fulbert prit Abélard dans sa maison ; celui-ci négligea son école pour s'abandonner tout entier à sa passion ; il employa son tems, non plus à méditer les questions abstraites & tristes de la philosophie, mais à composer des vers tendres & des chansons galantes ; sa réputation s'obscurcit, & ses malheurs commencerent & ceux d'Héloïse.

Abélard privé du bonheur qu'il s'étoit promis dans la possession d'Héloïse, désespéré, confus, se retira dans l'abbaye de S. Denis ; cependant Héloïse renfermée dans une autre solitude, périssoit de douleur & d'amour. Cet homme qui devoit avoir appris par ses propres foiblesses, à pardonner aux foiblesses des autres, se rendit odieux aux moines avec lesquels il vivoit, par la dureté de ses réprimandes, & toute la célébrité qu'il devoit au nombreux concours de ses auditeurs, ne lui procurerent point un repos qu'il s'efforçoit à éloigner de lui ; les ennemis qu'il s'étoit faits autrefois, & ceux qu'il se faisoit tous les jours, avoient sans-cesse les yeux ouverts sur sa conduite, ils attendoient l'occasion de le perdre, & ils crurent l'avoir trouvée dans l'ouvrage qu'il publia sous le titre de la foi à la sainte Trinité, pour servir d'introduction à la théologie ; Abélard y appliquoit à la distinction des personnes divines, la doctrine des nominaux ; il comparoit l'unité d'un Dieu dans la trinité des personnes, au syllogisme où trois choses réellement distinctes, la proposition, l'assomption & la conclusion, ne forment qu'un seul raisonnement ; c'étoit un tissu d'idées très-subtiles, à travers lesquelles il n'étoit pas difficile d'en rencontrer de contraires à l'orthodoxie. Abélard fut accusé d'hérésie ; on répandit qu'il admettoit trois dieux, tandis que d'après ses principes, il étoit si strictement austere, que peut-être réduisoit-il les trois personnes divines à trois mots ; il risqua d'être lapidé par le peuple : cependant ses juges l'écouterent, & il s'en seroit retourné absous, s'il n'eût pas donné le tems à ses ennemis de ramasser leurs forces & d'aliéner l'esprit du concile qu'on avoit assemblé ; il fut obligé de brûler lui-même son livre, de reciter le symbole d'Athanase, & d'aller subir dans l'abbaye de S. Médard de Soissons, la pénitence qu'on lui imposa ; cette condamnation fut affligeante pour lui, mais plus deshonorante encore pour ses ennemis ; on revint sur sa cause ; & l'on détesta la haine & l'ignorance de ceux qui l'avoient accusé & jugé.

Il revint de Soissons à Saint-Denis ; là il eut l'imprudence de dire, & qui pis est, de démontrer aux moines que leur saint Denis n'avoit rien de commun avec l'aréopagite ; & dès ce moment ce fut un athée, un brigand, un scélérat digne des derniers supplices. On le jetta dans une prison ; on le traduisit auprès du prince comme un sujet dangereux, & peut-être eût-il perdu la vie entre les mains de ces ignorans & cruels cénobites, s'il n'eût eu le bonheur de leur échapper. Il se justifia auprès de la cour, & se réfugia dans les terres du comte Thibault. Cependant l'abbé de saint Denis ne jouit pas long-tems de l'avantage d'avoir éloigné un censeur aussi sévere qu'Abélard. Il mourut, & l'abbé Suger lui succéda. On essaya de concilier à Abélard la bienveuillance de celui-ci ; mais on ne put s'accorder sur les conditions, & Abélard obtint du roi la permission de vivre où il lui plairoit. Il se retira dans une campagne déserte, entre Troye & Nogent. Là il se bâtit un petit oratoire de chaume & de boue, sous lequel il eût trouvé le bonheur, si la célébrité qui le suivoit par-tout n'eût rassemblé autour de lui une foule d'auditeurs, qui se bâtirent des cabanes à côté de la sienne, & qui s'assujettirent à l'austérité de sa vie, pour jouir de sa société & de ses leçons. Il se vit dès la premiere année jusqu'à six cent disciples. La théologie qu'il professoit étoit un mêlange d'aristotélisme, de subtilités, de distinctions ; il étoit facile de ne le pas entendre & de lui faire dire tout ce qu'on vouloit. Saint Bernard qui, sans peut-être s'en appercevoir, étoit secrettement jaloux d'un homme qui attachoit sur lui trop de regards, embrassa la haine des autres théologiens, sortit de la douceur naturelle de son caractere, & suscita tant de troubles à notre philosophe, qu'il fut tenté plusieurs fois de sortir de l'Europe & d'aller chercher la paix au milieu des ennemis du nom chrétien. L'invocation du Paraclet sous laquelle il avoit fondé une petite maison qui subsiste encore aujourd'hui, fut le motif réel ou simulé de la persécution la plus violente qu'on ait jamais exercée. Abélard vécut long-tems au milieu des anxiétés. Il ne voyoit pas des ecclésiastiques s'assembler sans trembler pour sa liberté. On attenta plusieurs fois à sa vie. La rage de ses ennemis le suivoit jusqu'aux autels, & chercha à lui faire boire la mort avec le sang de Jesus-Christ. On empoisonna les vases sacrés dont il se servoit dans la célébration des saints mysteres. Héloïse ne jouissoit pas d'un sort plus doux ; elle étoit poursuivie, tourmentée, chassée d'un lieu dans un autre. On ne lui pardonnoit pas son attachement à Abélard. Ces deux êtres qui sembloient destinés à faire leur bonheur mutuel, vivoient séparés & de la vie la plus malheureuse, lorsqu'Abélard appella Héloïse au Paraclet, lui confia la conduite de ce monastere & se retira dans un autre, d'où il sortit peu de tems après, pour reprendre à Paris une école de théologie & de philosophie ; mais les accusations d'impiété ne tarderent pas à se renouveller. S. Bernard ne garda plus de mesure ; on dressa des catalogues d'hérésie qu'on attribuoit à Abélard. Sa personne étoit moins en sureté que jamais, lorsqu'il se détermina de porter sa cause à Rome. S. Bernard l'accusoit de regarder l'Esprit-saint comme l'ame du monde, d'enseigner que l'univers est un animal d'autant plus parfait que l'intelligence qui l'animoit étoit plus parfaite ; de christianiser Platon, &c. Peut-être notre philosophe n'étoit-il pas fort éloigné de-là ; mais ses erreurs ne justifient ni les imputations ni les violences de saint Bernard.

Abélard fit le voyage de Rome. On l'y avoit déjà condamné quand il arriva. Il fut saisi, mis en prison, ses livres brûlés, & réduit à ramper sous Bernard & accepter l'obscurité d'une abbaye de Clugni, où il cessa de vivre & de souffrir. Il mourut en 1142.

Abélard forma plusieurs hommes de nom, entre lesquels on compte Pierre le Lombard. Celui-ci est plus célebre parmi les théologiens que parmi les philosophes. Il fit ses premieres études à Paris. Il professa la scholastique dans l'abbaye de sainte Génevieve. Il fut chargé de l'éducation des enfans de France. Il écrivit le livre intitulé le maître des sentences. On pourroit regarder cet ouvrage comme le premier pas à une maniere d'enseigner beaucoup meilleure que celle de son tems ; cependant on y trouve encore des questions très-ridicules, telle par exemple que celle-ci : le Christ en tant qu'homme est-il une personne ou quelque chose ? Il mourut en 1164.

Robert Pulleyn parut dans le cours du douzieme siecle ; les troubles de l'Angleterre sa patrie le chasserent en France, où il se lia d'amitié avec saint Bernard. Après un assez long séjour à Paris, il retourna à Oxford où il professa la théologie. Sa réputation se répandit au loin. Le pape Innocent II. l'appella à Rome, & Célestin II. lui conféra le chapeau de cardinal. Il a publié huit livres de sentences. On remarque dans ces ouvrages un homme ennemi des subtilités de la métaphysique ; le goût des connoissances solides, un bon usage de l'Ecriture-sainte, & le courage de préférer les décisions du bon sens & de la raison, à l'autorité des philosophes & des peres.

Gilbert de la Porée acheva d'infecter la théologie de futilités. La nouveauté de ses expressions rendit sa foi suspecte. On l'accusa d'enseigner que l'essence divine & Dieu étoient deux choses distinguées ; que les attributs des personnes divines n'étoient point les personnes mêmes ; que les personnes ne pouvoient entrer dans aucune proposition comme prédicats ; que la nature divine ne s'étoit point incarnée ; qu'il n'y avoit point d'autre mérite que celui de Jesus-Christ, & qu'il n'y avoit de baptisé que celui qui devoit être sauvé. Tout ce que ces propositions offrirent d'effrayant au premier coup d'oeil, tenoit à des distinctions subtiles, & disparoissoit lorsqu'on se donnoit le tems de s'expliquer ; mais cette patience est rare parmi les théologiens, qui semblent trouver une satisfaction particuliere à condamner. Gilbert mourut en 1154, après avoir aussi éprouvé la haine du doux saint Bernard.

Pierre Comestor écrivit un abrégé de quelques livres de l'ancien & du nouveau Testament, avec un commentaire à l'usage de l'école ; cet ouvrage ne fut pas sans réputation.

Jean de Sarisberi vint en France en 1137. Personne ne posséda la méthode scholastique comme lui. Il s'en étoit fait un jeu, & il étoit tout vain de la supériorité que cette espece de méchanisme lui donnoit sur les hommes célebres de son tems. Mais il ne tarda pas à connoître la frivolité de sa science, & à chercher à son esprit un aliment plus solide. Il étudia la grammaire, la rhétorique, la philosophie, & les mathématiques sous différens maîtres. La pauvreté le contraignit à prendre l'éducation de quelques enfans de famille. En leur transmettant ce qu'il avoit appris, il se le rendoit plus familier à lui-même. Il sut le grec & l'hébreu, exemple rare de son tems. Il ne négligea ni la physique ni la morale. Il disoit de la dialectique, que ce n'est par elle-même qu'un vain bruit, incapable de féconder l'esprit, mais capable de développer les germes conçus d'ailleurs. On rencontre dans ses ouvrages des morceaux d'un sens très-juste, pleins de force & de gravité. Les reproches qu'il fait aux philosophes de son tems sur la maniere dont ils professent, sur leur ignorance & leur vanité, montrent que cet homme avoit les vraies idées de la méthode, & que sa supériorité ne lui avoit pas ôté la modestie. Il fut connu, estimé, & chéri des papes Eugene III. Adrien IV. Il vécut dans la familiarité la plus grande avec eux. Il défendit avec force les droits prétendus de la papauté contre son souverain. Cette témérité fut punie par l'exil. Il y accompagna Becket. Il mourut en France, où son mérite fut récompensé par la plus grande considération & la promotion à des places. Il a laissé des écrits qui font regretter que cet homme ne soit pas né dans des tems plus heureux ; c'est un grand mérite que de balbutier parmi les muets.

Alexandre de Halles donna des leçons publiques de théologie à Paris en 1230. Il eut pour disciples Thomas d'Aquin & Bonaventure ; s'il faut s'en rapporter à son épitaphe, il s'appella le docteur irréfragable. Il commenta le maître des sentences. Il compila une somme de théologie universelle. Il écrivit un livre des vertus, & il mourut en 1245, sous l'habit de franciscain. Tous ces hommes vénérables, séraphiques, angéliques, subtils, irréfragables, si estimés de leur tems, sont bien méprisés aujourd'hui.

On comprend encore sous la même période de la philosophie scholastique, Alain d'Isle ou le docteur universel. Il fut philosophe, théologien, & poëte. Parmi ses ouvrages on en trouve un sous le titre de Encyclopedia versibus hexametris distincta in libros 9. c'est une apologie de la Providence contre Claudien. Il paroit s'être aussi occupé de morale. Pierre de Riga, Hugon, Jean Belith, Etienne de Langhton, Raimond de Pennaforti, Vincent de Beauvais ; ce dernier fut un homme assez instruit pour former le projet d'un ouvrage qui lioit toutes les connoissances qu'on possédoit de son tems sur les sciences & les arts. Il compila beaucoup d'ouvrages, dans lesquels on retrouve des fragmens d'auteurs que nous n'avons plus. Il ne s'attacha point si scrupuleusement aux questions de la dialectique & de la métaphysique, qui occupoient & perdoient les meilleurs esprits de son siecle, qu'il ne tournât aussi ses yeux sur la philosophie morale, civile, & naturelle. Il faut regarder la masse énorme de ses écrits comme un grand fumier où l'on rencontre quelques paillettes d'or. Guillaume d'Averne, connu dans l'histoire de la philosophie, de la théologie, & des mathématiques de cet âge. Il méprisa les futilités de l'école & son ton pédantesque & barbare. Il eut le style naturel & facile. Il s'attacha à des questions relatives aux moeurs & à la vie. Il osa s'éloigner quelquefois des opinions d'Aristote & lui préférer Platon. Il connut la corruption de l'église & il s'en expliqua fortement. Alexandre de Villedieu, astronome & calculateur. Alexandre Neckam de Hartford. Ce fut un philosophe éloquent. Il écrivit de la nature des choses un ouvrage mêlé de prose & de vers. Alfred qui sut les langues, expliqua la philosophie naturelle d'Aristote, commenta ses météores, chercha à débrouiller le livre des plantes, & publia un livre du mouvement du coeur. Robert Capiton, ou Grosse-tête, qui fut profond dans l'hébreu, le grec, & le latin, & qui sut tant de philosophie & de mathématiques, ou qui vécut avec des hommes à qui ces sciences étoient si étrangeres, qu'il en passa pour sorcier. Roger Bacon,qui étoit un homme & qui s'y connoissoit, compare Grosse-tête à Salomon & à Aristote. On voit par son commentaire sur Denis l'aréopagite, que les idées de la philosophie platonico-alexandrine lui étoient connues ; d'où l'on voit que la France, l'Italie, l'Angleterre ont eu des scholastiques dans tous les états. L'Allemagne n'en a pas manqué ; consultez là-dessus son histoire littéraire.

Seconde période de la philosophie scholastique. Albert le grand qui la commence naquit en 1193. Cet homme étonnant pour son tems sut presque tout ce qu'on pouvoit savoir ; il prit l'habit de S. Dominique en 1221. Il professa dans son ordre la philosophie d'Aristote, proscrite par le souverain pontife ; ce qui ne l'empêcha pas de parvenir aux premieres dignités monacales & ecclésiastiques. Il abdiqua ces dernieres pour se livrer à l'étude. Personne n'entendit mieux la dialectique & la métaphysique péripatéticienne. Mais il en porta les subtilités dans la théologie, dont il avança la corruption. Il s'appliqua aussi à la connoissance de la philosophie naturelle : il étudia la nature ; il sut des mathématiques & de la méchanique : il ne dédaigna ni la métallurgie, ni la lithologie. On dit qu'il avoit fait une tête automate qui parloit, & que Thomas d'Aquin brisa d'un coup de bâton : il ne pouvoit guere échapper au soupçon de magie ; aussi en fut-il accusé. La plûpart des ouvrages qui ont paru sous son nom, sont supposés. Il paroît avoir connu le moyen d'obtenir des fruits dans toutes les saisons. Il a écrit de la physique, de la logique, de la morale, de la métaphysique, de l'astronomie & de la théologie vingt & un gros volumes qu'on ne lit plus.

Thomas d'Aquin fut disciple d'Albert le grand ; il n'est pas moins célebre par la sainteté de ses moeurs, que par l'étendue de ses connoissances théologiques. Il naquit en 1224 : sa somme est le corps le plus complet, & peut-être le plus estimé que nous ayons encore aujourd'hui. Il entra chez les Dominicains en 1243 : il paroissoit avoir l'esprit lourd ; ses condisciples l'appelloient le boeuf ; & Albert ajoutoit : Oui, mais si ce boeuf se met à mugir, on entendra son mugissement dans toute la terre. Il ne trompa point les espérances que son maître en avoit conçues. La philosophie d'Aristote étoit suspecte de son tems ; cependant il s'y livra tout entier, & la professa en France & en Italie. Son autorité ne fut pas moins grande dans l'église que dans l'école ; il mourut en 1274. Il est le fondateur d'un systême particulier sur la grace & la prédestination, qu'on appelle le Thomisme. Voyez les articles GRACE, PREDESTINATION, &c.

Bonaventure le Franciscain fut contemporain, condisciple & rival de Thomas d'Aquin. Il naquit en 1221, & fit profession en 1243 ; la pureté de ses moeurs, l'étendue de ses connoissances philosophiques & théologiques, la bonté de son caractere, lui mériterent les premieres dignités dans son ordre & dans l'église. Il n'en jouit pas long-tems : il mourut en 1274, âgé de 53 ans. Sa philosophie fut moins futile & moins épineuse que dans ses prédécesseurs. Voici quelques-uns de ses principes.

Tout ce qu'il y a de bon & de parfait, c'est un don d'en-haut, qui descend sur l'homme du sein du pere des lumieres.

Il y a plusieurs distinctions à faire entre les émanations gratuites de cette source libérale & lumineuse.

Quoique toute illumination se fasse intérieurement par la connoissance ; on peut l'appeller intérieure ou extérieure, sensitive ou méchanique, philosophique ou surnaturelle, de la raison ou de la grace.

La méchanique inventée pour suppléer à la foiblesse des organes est servile ; elle est au-dessous du philosophe ; elle comprend l'art d'ourdir des étoffes, l'agriculture, la chasse, la navigation, la médecine, l'art scénique, &c.

La sensitive qui nous conduit à la connoissance des formes naturelles par les organes corporels. Il y a un esprit dans les nerfs qui se multiplie & se diversifie en autant de sens que l'homme en a reçus.

La philosophique s'éleve aux vérités intelligibles, aux causes des choses, à l'aide de la raison & des principes.

La vérité peut se considérer ou dans les discours, ou dans les choses, ou dans les actions, & la Philosophie se diviser en rationnelle, naturelle & morale.

La rationnelle s'occupe de l'un de ces trois objets, exprimer, enseigner ou mouvoir. La grammaire exprime, la logique enseigne, la rhétorique meut ; c'est la raison qui comprend, ou indique, ou persuade.

Les raisons qui dirigent notre entendement dans ses fonctions sont ou relatives à la matiere, ou à l'esprit, ou à Dieu. Dans le premier cas, elles retiennent le nom de formelles ; dans le second, on les appelle intellectuelles ; au troisieme, idéales. De-là trois branches de philosophie naturelle, physique, mathématique & métaphysique.

La Physique s'occupe de la génération & de la corruption, selon les forces de la nature & les élémens des choses.

Les Mathématiques des abstractions, selon les raisons intelligibles.

La Métaphysique de tous les êtres, entant que réductibles à un seul principe dont ils sont émanés, selon des raisons idéales, à Dieu qui en fut l'exemplaire & la source, & qui en est la fin.

La vertu a trois points de vûe différens, la vie, la famille & la multitude ; & la morale est ou monastique, ou économique, ou politique.

La lumiere de l'Ecriture nous éclaire sur les vérités salutaires ; elle a pour objet les connoissances qui sont au - dessus de la raison.

Quoiqu'elle soit une, cependant il y a le sens mystique & spirituel, selon lequel elle est allégorique, morale ou anagogique.

On peut rappeller toute la doctrine de l'Ecriture à la génération éternelle de Jesus-Christ, à l'incarnation, aux moeurs, à l'union ou commerce de l'ame avec Dieu ; de-là les fonctions du docteur, du prédicateur & du contemplant.

Ces six illuminations ont une vespérie ou soirée : il suit un septieme jour de repos, qui n'a plus de vespérie ou de soirée ; c'est l'illumination glorieuse.

Toutes ces connoissances tirent leur origine de la même lumiere ; elles se rappellent à la connoissance des Ecritures, elles s'y résolvent, y sont contenues & consommées ; & c'est par ce moyen qu'elles conduisent à l'illumination éternelle.

La connoissance sensible se rappelle à l'Ecriture, si nous passons de la maniere dont elle atteint son objet, à la génération divine du verbe ; de l'exercice des sens, à la régularité des moeurs ; & des plaisirs dont ils sont la source, au commerce de l'ame & de Dieu.

Il en est de même de la connoissance méchanique & de la connoissance philosophique.

Les écritures sont les empreintes de la sagesse de Dieu : la sagesse de Dieu s'étend à tout. Il n'y a donc aucune connoissance humaine qui ne puisse se rapporter aux Ecritures & à la Théologie. Et j'ajouterai aucun homme, quelque sensé qu'il soit, qui ne rapporte tous les points de l'espace immense qui l'environne, au petit clocher de son village.

Pierre d'Espagne, mieux connu dans l'histoire ecclésiastique sous le nom de Jean XXI. avoit été philosophe avant que d'être pape & théologien. Tritheme dit de lui qu'il entendoit la médecine, & qu'il eût été mieux à côté du lit d'un malade que sur la chaire de S. Pierre. Calomnie de moine offensé : il montra dans les huit mois de son pontificat qu'il n'étoit point au-dessous de sa dignité : il aima les sciences & les savans ; & tout homme lettré, riche ou pauvre, noble ou roturier, trouva un accès facile auprès de lui. Il finit sa vie sous les ruines d'un bâtiment qu'il faisoit élever à Viterbe. Il a laissé plusieurs ouvrages où l'on voit qu'il étoit très-versé dans la mauvaise philosophie de son tems.

Roger Bacon fut un des génies les plus surprenans que la nature ait produit, & un des hommes les plus malheureux. Lorsqu'un être naît à l'illustration, il semble qu'il naisse aussi aux supplices. Ceux que la nature signe, sont également signés par elle pour les grandes choses & pour la peine. Bacon s'appliqua d'abord à la grammaire, à l'art oratoire & à la dialectique. Il ne voulut rien ignorer de ce qu'on pouvoit savoir en mathématique. Il sortit de l'Angleterre sa patrie, & il vint en France entendre ceux qui s'y distinguoient dans les sciences. Il étudia l'histoire, les langues de l'Orient & de l'Occident, la Jurisprudence & la Médecine. Ceux qui parcourront ses ouvrages le trouveront versé dans toute la littérature ancienne & moderne, & familier avec les auteurs grecs, latins, hébreux, italiens, françois, allemands, arabes. Il ne négligea pas la Théologie. De retour dans sa patrie, il prit l'habit de franciscain ; il ne perdit pas son tems à disputer ou à végéter ; il étudia la nature ; il rechercha ses secrets ; il se livra tout entier à l'Astronomie, à la Chymie, à l'Optique, à la Statique ; il fit dans la Physique expérimentale de si grands progrès, qu'on apperçoit chez lui les vestiges de plusieurs découvertes qui ne se sont faites que dans des siecles très-postérieurs au sien ; mais rien ne montre mieux la force de son esprit que celle de ses conjectures. L'art, dit-il, peut fournir aux hommes des moyens de naviger plus promtement & sans le secours de leurs bras, que s'ils y en employoient des milliers. Il y a telle construction de chars, à l'aide de laquelle on peut se passer d'animaux. On peut traverser les airs en volant à la maniere des oiseaux. Il n'y a point de poids, quelqu'énormes qu'ils soient, qu'on n'éleve ou n'abaisse. Il y a des verres qui approcheront les objets, les éloigneront, les agrandiront, diminueront ou multiplieront à volonté. Il y en a qui réduiront en cendres les corps les plus durs. Nous pouvons composer avec le salpêtre & d'autres substances un feu particulier. Les éclairs, le tonnerre, & tous ses effets, il les imitera : on détruira, si l'on veut, une ville entiere, avec une très-petite quantité de matiere. Ce qu'il propose sur la correction du calendrier & sur la quadrature du cercle, marque son savoir dans les deux sciences auxquelles ces objets appartiennent. Il falloit qu'il possédât quelque méthode particuliere d'étudier les langues grecque & hébraïque, à en juger par le peu de tems qu'il demandoit d'un homme médiocrement intelligent pour le mettre en état d'entendre tout ce que les auteurs grecs & hébreux ont écrit de théologie & de philosophie. Un homme aussi au-dessus de ses contemporains ne pouvoit manquer d'exciter leur jalousie. L'envie tourmente les hommes de génie dans les siecles éclairés ; la superstition & l'ignorance font cause commune avec elle dans les siecles barbares. Bacon fut accusé de magie : cette calomnie compromettoit son repos & sa liberté. Pour obvier aux suites fâcheuses qu'elle pouvoit avoir, il fut obligé d'envoyer à Rome ses machines, avec un ouvrage apologétique. La faveur du pape ne réduisit pas ses ennemis à l'inaction : ils s'adresserent à son général qui condamna sa doctrine, supprima ses ouvrages, & le jetta au fond d'un cachot. On ne sait s'il y mourut ou s'il en fut tiré : quoiqu'il en soit, il laissa après lui des ouvrages dont on ne devoit connoître tout le prix que dans des tems bien postérieurs au sien. Roger ou frere Bacon cessa d'être persécuté & de vivre en 1294, à l'âge de 78 ans.

Gilles Colonne, hermite de S. Augustin, fut théologien & philosophe scholastique. Il étudia sous Thomas d'Aquin : il eut pour condisciple & pour ami Bonaventure : il se fit une si promte & si grande réputation, que Philippe le Hardi lui confia l'éducation de son fils ; & Colonne montra par son traité de regimine principum, qu'il n'étoit point d'un mérite inférieur à cette fonction importante. Il professa dans l'université de Paris. On lui donna le titre de docteur très-fondé, & il fut résolu dans un chapitre général de son ordre qu'on s'y conformeroit à sa méthode & à ses principes. Il fut créé général en 1292. Trois ans après sa nomination, il abdiqua une dignité incompatible avec son goût pour l'étude ; son savoir lui concilia les protecteurs les plus illustres. Il fut nommé successivement archevêque & désigné cardinal par Boniface VIII. qu'il avoit défendu contre ceux qui attaquoient son élection, qui suivit la résignation de Célestin. Il mourut à Avignon en 1314.

Nous reviendrons encore ici sur Jean-Duns Scot, dont nous avons déjà dit un mot à l'article ARISTOTELISME. S'il falloit juger du mérite d'un professeur par le nombre de ses disciples, personne ne lui pourroit être comparé. Il prit le bonnet de docteur à Paris en 1204 : il fut chef d'une secte qu'on connoît encore aujourd'hui sous le nom de Scotistes : il se fit sur la grace, sur le concours de l'action de Dieu & de l'action de la créature, & sur les questions relatives à celles-ci un sentiment opposé à celui de S. Thomas ; il laissa de côté S. Augustin, pour s'attacher à Aristote, & les théologiens se diviserent en deux classes, qu'on nomma du nom de leurs fondateurs. Il passe pour avoir introduit dans l'Eglise l'opinion de l'immaculée conception de la Vierge. La Théologie & la Philosophie de son tems, déja surchargées de questions ridicules, acheverent de se corrompre sous Scot, dont la malheureuse subtilité s'exerça à inventer de nouveaux mots, de nouvelles distinctions & de nouveaux sujets de disputes qui se sont perpétuées en Angleterre au-delà des siecles de Bacon & de Hobbes.

Nous ajouterons à ces noms de la seconde période de la scholastique ceux de Simon de Tournai, de Robert Sorbon, de Pierre d'Abano, de Guillaume Durantis, de Jacques de Ravenne, d'Alexandre d'Alexandrie, de Jean le Parisien, de Jean de Naples, de François Mayro, de Robert le Scrutateur, d'Arnauld de Villeneuve, de Jean Bassoles, & de quelques autres qui se sont distingués dans les différentes contrées de l'Allemagne.

Simon de Tournai réussit par ses subtilités à s'attirer la haine de tous les philosophes de son tems, & à rendre sa religion suspecte. Il brouilla l'Aristotélisme avec le Christianisme, & s'amusa à renverser toujours ce qu'il avoit établi la veille sur les matieres les plus graves. Cet homme étoit violent : il aimoit le plaisir ; il fut frappé d'apoplexie, & l'on ne manqua pas de regarder cet accident comme un châtiment miraculeux de son impiété.

Pierre d'Apono ou d'Abano, philosophe & médecin, fut accusé de magie. On ne sait trop pourquoi on lui fit cet honneur. Ce ne seroit aujourd'hui qu'un misérable astrologue, & un ridicule charlatan.

Robert Sorbon s'est immortalisé par la maison qu'il a fondée, & qui porte son nom.

Pierre de Tarantaise, ou Innocent V. entra en 1225 chez les Dominicains à l'âge de dix ans. Il savoit de la théologie & de la philosophie. Il professa ces deux sciences avec succès. Il fut élevé en 1263 au généralat de son ordre. Il obtint en 1277 le chapeau, en 1284 il fut élu pape. Il a écrit de l'unité, de la forme, de la nature des cieux, de l'éternité du monde, de l'entendement & de la volonté, & de la jurisprudence canonique.

Guillaume Durand ou Durantis, de l'ordre des Dominicains joignit aussi l'étude du droit canonique à celle de la scholastique.

La scholastique est moins une philosophie particuliere qu'une méthode d'argumentation syllogistique, seche & serrée, sous laquelle on a réduit l'Aristotélisme fourré de cent questions puériles.

La théologie scholastique n'est que la même méthode appliquée aux objets de la Théologie, mais embarrassée de Péripatétisme.

Rien ne put garantir de cette peste la Jurisprudence. A-peine fut-elle assujettie à la rigueur de la dialectique de l'école, qu'on la vit infectée de questions ridicules & distinctions frivoles.

D'ailleurs on vouloit tout ramener aux principes vrais ou supposés d'Aristote.

Rizard Malumbra s'opposa inutilement à l'entrée de la scholastique dans l'étude du droit civil & canonique : elle se fit.

Je n'ai rien à dire d'Alexandre d'Alexandrie, ni de Dinus de Garbo, sinon que ce furent parmi les ergoteurs de leur tems deux hommes merveilleux.

Jean de Paris ou Quidort, imagina une maniere d'expliquer la présence réelle du corps de Jesus-Christ au sacrement de l'autel. Il mourut en 1304 à Rome où il avoit été appellé pour rendre compte de ses sentimens.

Jean de Naples, François de Mayronis, Jean Bassolis furent sublimes sur l'univocité de l'être, la forme, la quiddité, la qualité, & autres questions de la même importance.

Il falloit qu'un homme fût doué d'un esprit naturel bien excellent pour résister au torrent de la scholastique qui s'enfloit tous les jours, & se porter à de meilleures connoissances. C'est un éloge qu'on ne peut refuser à Robert, surnommé le scrutateur ; il se livra à l'étude des phénomenes de la nature ; mais ce ne fut pas impunément : on intenta contre lui l'accusation commune de magie. La condition d'un homme de sens étoit alors bien misérable ; il falloit qu'il se condamnât lui-même à n'être qu'un sot, ou à passer pour sorcier.

Arnauld de Ville-neuve naquit avant l'an 1300. Il laissa la scholastique ; il étudia la philosophie naturelle, la Médecine & la Chymie. Il voyagea dans la France sa patrie, en Italie, en Espagne, en Allemagne, en Asie & en Afrique. Il apprit l'arabe, l'hébreu, le grec ; l'ignorance stupide & jalouse ne l'épargna pas. C'est une chose bien singuliere que la fureur avec laquelle des hommes qui ne savoient rien, s'entêtoient à croire que quiconque n'étoit pas aussi bête qu'eux, avoit fait pacte avec le diable. Les moines intéressés à perpétuer l'ignorance, accréditoient sur-tout ces soupçons odieux. Arnauld de Ville-neuve les méprisa d'abord ; mais lorsqu'il vit Pierre d'Apono entre les mains des inquisiteurs, il se méfia de la considération dont il jouissoit, & se retira dans la Sicile. Ce fut-là qu'il se livra à ses longues opérations que les chymistes les plus ardens n'ont pas le courage de répéter. On dit qu'il eut le secret de la pierre philosophale. Le tems qu'un homme instruit donnera à la lecture de ses ouvrages ne sera pas tout-à-fait perdu.

On nomme parmi les scholastiques de l'Allemagne, Conrad d'Halberstad. Il faut le louer de s'être occupé de la morale, si méprisée, si négligée de ses contemporains, mais bien davantage d'en avoir moins cherché les vrais préceptes dans Aristote que dans la nature de l'homme. Le goût de l'utile ne se porte pas sur un objet seulement ; Conrad joignit à l'étude de la Morale celle de la Physique. Il étoit de l'ordre de S. Dominique. Il satisfit à la curiosité des religieux en écrivant des corps célestes, des élémens, ou simples, de quelques mixtes, ou des minéraux ou des végétaux, des animaux & de leurs organes, & de l'homme.

Bibrach remarqua la corruption de l'église dans son ouvrage de cavendo malo.

Eccard confondant les opinions d'Aristote avec les dogmes de Jesus-Christ, ajoutant de nouveaux mots à ceux qu'on avoit déja inventés, tomba dans des sentimens hétérodoxes que Jean XXII. proscrivit.

Nous terminerons la seconde époque par Pierre de Dacia, & par Alphonse X. roi de Castille.

Pierre de Dace fut astronome & calculateur ; il eut quelque teinture d'hébreu & de grec.

Personne n'ignore combien l'Astronomie doit à Alphonse : qui est-ce qui n'a pas entendu nommer du-moins les tables alphonsines ? C'est lui qui considérant les embarras de la sphere de Ptolémée, disoit que " si Dieu l'avoit appellé à son conseil, il auroit arrangé le ciel un peu mieux ".

Troisieme période de la philosophie scholastique. Lorsque l'absurdité soit dans les sciences, soit dans les arts, soit dans la religion, soit dans le gouvernement, a été poussée jusqu'à un certain point, les hommes en sont frappés, & le mal commence à se réparer quand il est extrême. La philosophie & la théologie scholastique étoient devenues un si abominable fatras, que les bons esprits ou s'en dégoûterent, ou s'occuperent à les débrouiller.

Guillaume Durand commença cette tâche. Il en fut appellé le docteur très-résolu. Il eut des opinions particulieres sur l'état des ames après leur séparation d'avec le corps, & le concours de Dieu & de la créature. Il n'en admettoit qu'un général ; selon lui, un esprit est dans le lieu ; mais ce lieu n'est point déterminé. Il convient à son essence d'être par-tout. Sa présence à un corps n'est pas nécessaire, soit pour l'animer, soit pour le mouvoir. Sa hardiesse philosophique fit douter de son orthodoxie & de son salut.

Occam disciple de Scot, renouvella la secte des nominaux. On l'appella le docteur singulier & invincible ; il professa la théologie à Paris au commencement du quatorzieme siecle. Il eut des idées très-saines sur les deux puissances ecclésiastiques & civiles, & il servit avec zèle Philippe-le-Bel dans sa querelle avec Boniface. Il en eut un autre sur la propriété des biens religieux avec le pape Jean XXII. qui l'anathématisa. Il vint en France y chercher un asyle, d'où il eut bientôt occasion de se venger de la cour de Rome, en achevant de fixer les limites de l'autorité du souverain pontife. Celui-ci eut beau renouveller ses excommunications, l'aggraver, briser des cierges, & le réaggraver, Occam persista à soutenir que le souverain n'étoit soumis qu'à Dieu dans les choses temporelles. Il se montra en 1330 à la cour de l'empereur Louis, qui l'accueillit, & à qui Occam dit : Défendez-moi de votre épée, & moi je vous défendrai de ma plume. Il a écrit de la Logique, de la Métaphysique & de la Théologie. On lui reproche d'avoir fait fleche de tout, mêlant les peres & les philosophes, les auteurs sacrés & les auteurs profanes, les choses divines & les choses naturelles, les dogmes révélés & les opinions des hommes, le profane & le sacré, l'exotique & le domestique, l'orthodoxie & l'hérésie, le vrai & le faux, le clair & l'obscur, plus scrupuleux sur son but que sur les moyens.

Richard Suisset parut vers le milieu du quatorzieme siecle. Il s'appliqua aux mathématiques, & tenta de les appliquer à la philosophie naturelle ; il ne négligea ni la philosophie, ni la théologie de son tems. Il entra dans l'ordre de Cîteaux en 1350. Rien ne s'allarme plus vîte que le mensonge. C'est l'erreur & non la vérité qui est ombrageuse. On s'apperçut aisément que Suisset suivoit une méthode particuliere d'étudier & d'enseigner, & l'on se hâta de le rendre suspect d'hétérodoxie. Le moyen qu'un homme sût l'algebre, & qu'il remplît sa physique de caracteres inintelligibles, sans être un magicien ou un athée ? Cette vile & basse calomnie est aujourd'hui, comme alors, la ressource de l'ignorance & de l'envie. Si nos hypocrites, nos faux dévots l'osoient, ils condamneroient au feu quiconque entend les principes mathématiques de la philosophie de Newton, & posséde un fossile. Suisset suivit la philosophie d'Aristote. Il commenta sa physique & sa morale ; il introduisit le calcul mathématique dans la recherche des propriétés des corps, & publia des astronomiques. Il écrivit un ouvrage intitulé le calculateur. Il méritoit d'être nommé parmi les inventeurs de l'algebre, & il l'eût été, si son livre du calculateur eût été plus commun. On étoit alors si perdu dans des questions futiles, qu'on ne pouvoit revenir à de meilleures connoissances. S'il paroissoit par hazard un ouvrage sensé, il n'étoit pas lu. Comme il n'y a rien qui ne soit susceptible de plus ou de moins, Suisset étendit le calcul de la quantité physique à la quantité morale. Il compara les intensités & les remissions des vices & des vertus entr'elles. Les uns l'en louerent, d'autres l'en blâmerent. Il traite dans son calculateur de l'intensité & de la remission ; des difformes ; de l'intensité de l'élément doué de deux qualités inégales ; de l'intensité du mixte ; de la rareté & de la densité ; de l'augmentation ; de la réaction ; de la puissance ; des obstacles de l'action ; du mouvement & du minimum ; du lieu de l'élément ; des corps lumineux ; de l'action du corps lumineux ; du mouvement local ; d'un milieu non-résistant ; de l'induction d'un degré suprême. Il ne s'agit plus ici, comme on voit, d'ecceité, de quiddiré, d'entité, ni d'autres sottises pareilles. De quelque maniere que Suisset ait traité son sujet, du-moins il est important. Il marque une tête singuliere ; & je ne doute point qu'on ne retrouvât dans cet auteur le germe d'un grand nombre d'idées dont on s'est fait honneur long-tems après lui.

Buridan professa la philosophie au tems où Jeanne, épouse de Philippe-le-Bel, se deshonoroit par ses débauches & sa cruauté. On dit qu'elle appelloit à elle les jeunes disciples de notre philosophe, & qu'après les avoir épuisés entre ses bras, elle les faisoit précipiter dans la Seine. On croit que Buridan, qui voyoit avec chagrin son école se dépeupler de tous ceux qui y entroient avec une figure agréable, osa leur proposer cet exemple d'un sophisme de position : Reginam interficere nolite, timere, bonum est ; où le verbe timere renfermé entre deux virgules, peut également se rapporter à ce qui précéde ou à ce qui suit, & présenter deux sens en même tems très-opposés. Quoi qu'il en soit, il se sauva de France en Allemagne. Tout le monde connoît son sophisme de l'âne placé entre deux bottes égales de foin.

Marsile d'Inghen fut condisciple de Buridan, & défenseur comme lui de l'opinion des nominaux.

Gautier Buley fut appellé le docteur perspicu. Il écrivit de la vie & des moeurs des philosophes, depuis Thalès jusqu'à Séneque ; ouvrage médiocre. Il fut successivement réaliste & nominal.

Pierre de Assiac fut encore plus connu parmi les théologiens que parmi les philosophes. Il naquit en 1350. Il fut boursier au college de Navarre, docteur en 1380 ; successivement principal, professeur, maître de Gerson & de Clémangis, défenseur de l'immaculée conception, chancelier de l'université, aumônier de Charles VI. trésorier de la Sainte-Chapelle, évêque, protégé de Boniface IX. & de Benoît XIII. pere du concile de Pise & de Constance, & cardinal. Il fut entêté d'astrologie. Tout tourne à mal dans les esprits gauches ; il fut conduit à cette folie par les livres qu'Aristote a écrits de la nature de l'ame, & par quelque connoissance qu'il avoit des mathématiques. Il lisoit tous les grands événemens dans les astres.

Jean Wessel Gansfort naquit à Groningue. Il eut des lettres ; il sut les langues anciennes & modernes, le grec, le latin, l'hébreu, l'arabe, le syriaque, le chaldéen : il parcourut l'ouvrage de Platon. Il fut d'abord scotiste, puis occamiste. On ne conçoit pas comment cet homme ne prit pas dans Platon le mépris de la barbarie scholastique. Il eut au-moins le courage de préférer l'autorité de la raison à celle de Thomas, de Bonaventure, & des autres docteurs qu'on lui opposoit quelquefois. On pourroit presque dater de son tems la réforme de la scholastique. Cet homme avoit plus de mérite qu'il n'en falloit, pour être persécuté, & il le fut.

Gabriel Biel naquit à Spire. Il forma la troisieme période de la Philosophie scholastique.

Nous n'avons rien de particulier à en dire, non-plus que de Jean Botrell, de Pierre de Verberia, de Jean Conthorp, de Gregoire d'Arimini, d'Alphonse Vargas, de Jean Capréolus, de Jerôme de Ferraris, de Martinus Magister, de Jean Raulin, de Jacques Almain, de Robert Holcolh, de Nicolas d'Orbilli, de Dominique de Flandres, de Maurice l'hibernois, & d'une infinité d'autres, sinon qu'il n'y eut jamais tant de pénétration mal employée, & tant d'esprits gâtés & perdus, que sous la durée de la philosophie scholastique.

Il suit de ce qui précéde, que cette méthode détestable d'enseigner & d'étudier infecta toutes les sciences & toutes les contrées.

Qu'elle donna naissance à une infinité d'opinions ou puériles, ou dangereuses.

Qu'elle dégrada la Philosophie.

Qu'elle introduisit le scepticisme par la facilité qu'on avoit de défendre le mensonge, d'obscurcir la vérité, & de disputer sur une même question pour & contre.

Qu'elle introduisit l'athéïsme spéculatif & pratique.

Qu'elle ébranla les principes de la morale.

Qu'elle ruina la véritable éloquence.

Qu'elle éloigna les meilleurs esprits des bonnes études.

Qu'elle entraîna le mépris des auteurs anciens & modernes.

Qu'elle donna lieu à l'aristotélisme qui dura si long-tems, & qu'on eut tant de peine à détruire.

Qu'elle exposa ceux qui avoient quelque teinture de bonne doctrine, aux accusations les plus graves, & aux persécutions les plus opiniâtres.

Qu'elle encouragea à l'astrologie judiciaire.

Qu'elle éloigna de la véritable intelligence des ouvrages & des sentimens d'Aristote.

Qu'elle réduisit toutes les connoissances sous un aspect barbare & dégoûtant.

Que la protection des grands, les dignités ecclésiastiques & séculieres, les titres honorifiques, les places les plus importantes, la considération, les dignités, la fortune, accordées à de misérables disputeurs, acheverent de dégoûter les bons esprits des connoissances plus solides.

Que leur logique n'est qu'une sophisticaillerie puérile.

Leur physique un tissu d'impertinences.

Leur métaphysique un galimathias inintelligible.

Leur théologie naturelle ou révélée ; leur morale, leur jurisprudence, leur politique, un fatras d'idées bonnes & mauvaises.

En un mot, que cette philosophie a été une des plus grandes plaies de l'esprit humain.

Qui croiroit qu'aujourd'hui même on n'en est pas encore bien guéri ? Qu'est-ce que la théologie qu'on dicte sur les bancs ? Qu'est-ce que la philosophie qu'on apprend dans les colleges ? La morale, cette partie à laquelle tous les philosophes anciens se sont principalement adonnés, y est absolument oubliée. Demandez à un jeune homme qui a fait son cours, qu'est-ce que la matiere subtile ? Il vous répondra ; mais ne lui demandez pas qu'est-ce que la vertu ? il n'en sait rien.

SCHOLASTIQUE, s. m. (Hist. anc. & mod.) titre de dignité qui a été en usage dans divers tems pour diverses personnes, & dans un sens différent.

Dès le siecle d'Auguste on donnoit ce nom aux rhéteurs qui s'exerçoient dans leurs écoles à faire des déclamations sur toutes sortes de sujets, afin d'enseigner à leurs disciples l'art de parler ; & sous Néron on l'appliqua à ceux qui étudioient le droit, & se disposoient à la plaidoyerie. De-là il passa aux avocats qui plaidoient dans le barreau. Socrate & Eusebe, qui étoient avocats à Constantinople, ont eu ce titre, aussi-bien que le jurisconsulte Harmenopule & plusieurs autres ; ce qui montre qu'il étoit alors affecté aux personnes qui se distinguoient dans la science des loix.

Depuis, quand Charlemagne eut conçu le dessein de faire refleurir les études ecclésiastiques, on nomma scholastiques les premiers maîtres des écoles où l'on enseignoit les lettres aux clercs. Quelques-uns cependant ont prétendu que par ce terme on n'entendoit que celui qui étoit chargé de leur montrer les langues, les humanités & tout ce qu'on comprend sous le nom de Belles-lettres ; mais cette occupation n'étoit pas la seule du scholastique. Il devoit encore former les sujets aux hautes sciences, telles que la Philosophie & la Théologie, ou du-moins ces deux fonctions auparavant séparées, furent réunies dans la même personne. Celui qu'on appelloit scholastique, se nomma depuis en certains lieux écolâtre & théologal, titres qui subsistent encore aujourd'hui dans la plûpart des cathédrales & autres chapitres de chanoines, quoiqu'il y ait long-tems qu'ils ne remplissent plus les fonctions des anciens scholastiques, surtout depuis que les universités se sont formées, & qu'on y a fait des leçons réglées en tout genre. On peut dire que depuis le neuvieme siecle jusqu'au quatorzieme, les auteurs qui ont pris le titre de scholastiques, ne l'ont porté que comme une marque de la fonction d'enseigner qu'ils avoient dans les diverses églises auxquelles ils étoient attachés.

L'auteur du supplément de Moreri a fait une remarque fort juste. C'est que le scholastique étoit le chef de l'école, appellé en quelques lieux où il y a université, le chancelier de l'université ; mais cette remarque ne détruit point ce que nous avons avancé ci-dessus, qu'on a donné le nom d'écolâtre ou de théologal en certains lieux à ceux qu'on appelloit auparavant scholastiques ; car il est certain qu'il n'y avoit pas des universités partout où il y avoit des églises cathédrales, & que dans presque toutes les églises cathédrales il y avoit des écoles & un chef d'études qu'on nommoit scholastique, auquel a succédé le théologal ou l'écolâtre. De ce que le théologal n'est plus aujourd'hui ce qu'étoit le scholastique, il ne s'ensuit pas que le scholastique n'ait pas eu autrefois les mêmes fonctions dans les églises cathédrales ; & sous le nom de clercs que le scholastique devoit instruire, sont compris les chanoines auxquels le théologal est obligé de faire des leçons de Théologie.

Genebrard assure que ce nom de scholastique étoit chez les Grecs un titre d'office ou de dignité ecclésiastique, semblable à la théologale des Latins, ou au notariat apostolique ; & il en apporte pour exemple Zacharie le scholastique, qui sous Justinien avoit rempli de pareils emplois. Quelquefois on le donnoit par honneur à des personnages extrêmement distingués par leur sçavoir ; & c'est en ce sens que Walafrid Strabon a appellé le poëte Prudence le scholastique, c'est-à-dire le docteur de l'Espagne. On a même enchéri, en le mettant au superlatif, pour des hommes qu'on regardoit alors comme de sublimes génies : ainsi l'on a décoré Fortunat & Sedulius de l'épithete de scholastissimi. Si l'on croit Casaubon, Théophraste, disciple d'Aristote, est le premier qui par le terme de scholastique ait désigné des personnages excellens en éloquence ou en érudition. Ducange, Glossar. latinit. Baillet, Jugem. des sçav.


SCHOLIASTES. m. (Belles-Lettres) écrivain qui commente ou qui explique l'ouvrage d'un autre.

Ce mot est dérivé du grec , ouvrage, explication.

Nous avons plusieurs scholiastes grecs anonymes des poëtes grecs, dont on ne connoît pas les tems, tels que l'interprête anonyme de l'expédition des Argonautes d'Apollonius de Rhodes ; le scholiaste d'Aristophane, ceux d'Euripide, de Sophocle, & d'Eschyle, ceux d'Hésiode, de Théocrite, & de Pindare.

Thucydide, Platon, & Aristote, ont aussi eu leurs scholiastes.

On a également des scholiastes sur quelques anciens poëtes latins, comme Horace, Juvenal, Perse ; mais au jugement des savans, tout ce que nous avons sous le nom de ces anciens interprêtes, est fort incertain, & qui plus est fort défectueux. Voyez Baillet, jugement des Savans, tome II. pages 189. 190. & 191.


SCHOLIES. m. (Mathém.) note ou remarque faite sur quelque passage, proposition, ou autre chose semblable.

Ce mot est fort en usage dans la Géométrie & les autres parties des Mathématiques ; souvent après avoir démontré une proposition, on enseigne dans un scholie une autre maniere de la démontrer : ou bien on donne quelque avis nécessaire pour tenir le lecteur en garde contre les méprises ; ou enfin on fait voir quelque usage ou application de la proposition qu'on vient de démontrer. M. Wolf a donné par forme de scholie, dans ses élémens de mathématiques, beaucoup de méthodes utiles, des discussions historiques, des descriptions d'instrumens, &c. Chambers. (E)


SCHONAW(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en basse Silésie, dans la principauté de Jawer, sur la rive gauche du Katzbach, au midi de Newkirck.

Bucholier (Abraham) naquit dans cette ville en 1529, & mourut à Freistad en 1584. Il a publié un index chronologicus, dont il s'est fait plusieurs éditions avec la continuation, jusqu'au milieu du dernier siecle. (D.J.)


SCHONENou SCANIE, (Géog. mod.) province de Suede ; elle est bornée au nord partie par le Halland, & partie par la Gothie méridionale ; au midi par la mer Baltique ; au levant par la Blekingie, & la mer Baltique ; au couchant par l'île de Sélande, dont elle est séparée par le détroit du Sund. Elle peut avoir vingt-quatre lieues de long, sur seize de large ; elle dépend aujourd'hui de la Suede. On sait que Charles X. chassé de Pologne par le secours des Danois, projetta de s'en venger ; il marcha sur la mer glacée d'île en île jusqu'à Copenhague. Cet événement prodigieux fit conclure une paix en 1658, qui rendit à la Suede la Scanie, une de ses plus belles provinces perdue depuis trois siecles, qu'elle avoit été cédée au Danemarck. Lunden en est la capitale. (D.J.)


SCHONGAWou SCHONGA, (Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la haute Baviere, sur le Lech, à 12 lieues au-dessus d'Augsbourg. Long. 28. 32. latit. 47. 50. (D.J.)


SCHONINGEN(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade de l'Allemagne, au cercle de la basse-Saxe, dans la principauté de Wolffembuttel, vers les confins du duché de Magdebourg, & de la principauté d'Halberstat. (D.J.)


SCHONREIN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Franconie, sur les confins de l'évêché de Wurtzbourg, à la gauche du Mein, au-dessous de Gemund. Elle est chef-lieu d'un bailliage, & appartient à l'évêque de Wurtzbourg. Long. 27. 22. latit. 50. 6. (D.J.)


SCHOONHOVE(Géog. mod.) ville des Pays-Bas, dans la Hollande, sur la droite du Leck, à trois lieues de Gonda, & à égale distance de Gorcum : elle a un port commode, qui lui a fait donner son nom ; on y pêche beaucoup de saumons, dont il se fait un grand commerce. Long. 22. 18. latit. 51. 55.

Cette ville est la patrie de Reinier de Graaf, savant anatomiste, qui mourut en 1673 à 32 ans. Tous les gens du métier connoissent son excellent traité latin sur les organes des deux sexes qui servent à la génération. Les meilleures éditions sont celles de Leyde & de Rotterdam, 1668, 1670, 1672, 1677, in-8 °. (D.J.)


SCHOOUBIAKS. m. (Hist. mod.) secte qui s'est élevée parmi les Musulmans ; ceux qui la professent disent qu'il ne faut faire aucune acception des orthodoxes aux hétérodoxes ; qu'il faut en user également bien avec tous, & qu'il n'appartient qu'à Dieu de scruter les reins & les esprits. Ainsi l'on voit que si la folie est de tout pays, la raison est aussi de tout pays. Voilà des hommes autant & plus entêtés de leur religion qu'aucun peuple de la terre, prêchant la tolérance à leurs semblables ; on les accuse, comme de raison, d'incrédulité, d'indifférence, & d'athéisme ; ils sont obligés de cacher de leur doctrine ; on les persécute ; & cela parce que les prêtres étant les mêmes par-tout, il faut que la tolérance soit détestée par - tout.


SCHORNDORFF(Géog. mod.) ville d'Allemagne, en Souabe, au duché de Wirtemberg, sur la rive gauche du Rhin, à six lieues au nord-est de Stutgard : elle est défendue par un château que les François prirent en 1647, & 1707. Long. 28. 4. latit. 48. 45.

Scherdin (Sébastien) l'un des plus grands généraux du xvj. siecle, naquit à Schorndorff en 1495, de simples bourgeois. Après avoir servi l'empereur, le sénat d'Augsbourg, & les troupes du cercle de Souabe, Charles-Quint le nomma capitaine général de ses troupes contre François I. Il accompagna Henri II. dans ses expéditions du Rhin & des Pays-bas. Enfin, il servit avec gloire l'empereur Ferdinand I. & mourut comblé d'honneurs & de pensions, en 1577, à 82 ans. (D.J.)


SCHOUMAN(Géog. mod.) ville de Perse, située dans le sogd ou plaine de Saganian. Long. selon Abulféda, 91. 30. latit. septentrionale, 37. 20. (D.J.)


SCHOUSCHSCHOUSCHSTER, & SOUSTER, (Géog. mod.) c'est le nom de l'ancienne ville de Suze, capitale du Khourestan, qui est l'ancienne Suziane.

Les Persans qui l'appellent aussi Toster, tiennent par tradition, qu'elle a été bâtie par Houschenk, troisieme roi de Perse, de la premiere race, nommée des Piscdadiens. Les tables arabiques donnent à cette ville 84 d. 30'. de longitude, & 31. 30. de latitude septentrionale, & la placent dans le troisieme climat. Voyez SUSE. (D.J.)


SCHOUSTACKS. m. (Commerce) petite monnoie de Pologne, qui vaut environ cinq sols argent de France.


SCHOUTS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme en Hollande un magistrat ou officier public, dont l'emploi est de veiller à l'observation de la police, & de punir soit par la prison, soit par une amende pécuniaire, ceux qui troublent le bon ordre & la tranquillité publique.


SCHOUTENLES ILES DE, (Géog. mod.) îles de la mer du sud au nombre de quinze, découvertes en 1616, par Guillaume Schouten, hollandois, qui leur donna son nom. Elles sont à environ 5 degrés de latitude méridionale, vers les 174 degrés de longitude, à l'orient de la nouvelle Bretagne, & à une petite distance des côtes de la nouvelle Guinée, autrement dite la terre des Papous. (D.J.)


SCHOWEN(Géog. mod.) île des Pays-Bas, dans la Zélande, séparée au nord de celles de Goërée & d'Overflacke, & au midi de celles de Walcheren & de Noort-Beveland, par l'Escaut oriental. Elle a 7 lieues de tour, & étoit autrefois beaucoup plus grande, mais la mer en a submergé une partie. Elle produit beaucoup de garence. Ziriczée en est la capitale. (D.J.)


SCHREVEqu'on appelle autrement FERTEL, s. m. (Comm.) mesure des liquides, dont on se sert presque généralement par toute l'Allemagne. Voyez FERTEL. Diction. de Commerce & de Trév.


SCHROBENHAUSEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Baviere, au département de Munich, sur la rive gauche du Par, au-dessous d'ai-cha, au nord-est ; & au midi de Neubourg. Long. 28. 55. lat. 49. 34. (D.J.)


SCHUDAPANNAS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de palmier, dont les fleurs sont composées de trois pétales ; elles ont des étamines & des sommets, mais elles sont stériles. Les fruits naissent séparément sur les mêmes branches que les fleurs, ils ont une trompe, ils sont mous, charnus, pleins de suc, & ils renferment de petits noyaux qui contiennent chacun une amande. Pontederae anthologia. Voyez PLANTE.


SCHUENIX(Géog. mod.) Voyez SCHWEIDNITZ. (D.J.)


SCHULLIS. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau des Indes orientales : il y en a deux especes ; le pemaschulli n'a aucunes propriétés connues. Le nir-schulli a des feuilles, qui, pulvérisées & mêlées avec de l'huile, dissipent les tumeurs des parties génitales.


SCHUSSLA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, dans la Souabe. Elle prend sa source près de la ville de Buchau, baigne celle de Ravensburg, & se perd dans le lac de Constance. (D.J.)


SCHUou SCHIT, (Géog. mod.) île de la haute Hongrie, formée par deux branches du Danube, un peu au-dessous de Presbourg. On distingue le grand & le petit Schut ; ce dernier est peu de chose en étendue, & à-peu-près désert. Le grand s'étend à la gauche du Danube, & renferme l'espace qui est entre Presbourg & Comore. Cette derniere ville y est comprise avec quelques bourgs ; on donne au grand schut dix milles de long, sur trois de large.


SCHWALBACH(Géog. mod.) 1°. bourg d'Allemagne, au Westerwald, & dans les états de Nassau, sur la riviere d'Aar, à 3 lieues au-dessus de Dietz.

2°. Bourg de même nom, sur la même riviere, à environ 3 lieues au-dessus du précédent, dans le bas comté de Catzenellebogen ; on le nomme Langenschwalbach, pour le distinguer de l'autre ; mais il est encore plus connu par ses eaux minérales aigrelettes, & fort estimées.

3°. Bourg du marquisat d'Anspach, à 4 lieues au midi de Nuremberg, où se sont retirés plusieurs réfugiés françois qui y ont établi des manufactures. (D.J.)


SCHWALBEAS. f. (Botan.) genre de plante dont le calice est d'une seule feuille qui a une figure très-particuliere, car elle est tubulaire, sillonnée sur la surface, & terminée par une levre oblique, légerement découpée en quatre segmens de différentes longueurs ; la fleur est monopétale & du genre des labiées ; la levre inférieure est divisée en trois segmens obtus & égaux. Les étamines sont quatre filets chevelus de la longueur de la fleur ; le germe du pistil est arrondi, le stile est de la longueur & figure des étamines ; le stigma est épais & crochu ; la graine est petite, unique, & arrondie. Linnaei, gen. plant. p. 291. flor. virgin. p. 71. (D.J.)


SCHWAN(Géog. mod.) petite ville ou bourgade d'Allemagne, dans le cercle de la basse-Saxe, au duché de Mecklenbourg, sur la Warne. (D.J.)


SCHWANDEN(Géog. mod.) grand & beau bourg de Suisse, au canton de Glaris, vers l'endroit où deux petites rivieres la Lint & la Sernst mêlent leurs eaux. Schwanden est la plus grande paroisse du pays après celle de Glaris, & elle est toute entiere de la religion protestante ; c'est aussi dans ce bourg que se tiennent ordinairement les assemblées générales des protestans du canton. (D.J.)


SCHWARTou SCHWATZ, (Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans le Tirol, sur l'Inn, à trois milles d'Inspruck, entre Halle & Rotenburg. Il y a des mines de divers métaux. Longit. 29. 32. latit. 47. 15. (D.J.)


SCHWARTZACH(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Franconie, dans l'évêché de Wurtzbourg, au comté de Castel, sur la rive gauche du Meyn. (D.J.)


SCHWARTZBOURG(Géog. mod.) comté d'Allemagne dans la Thuringe, entre le duché de Weimar, le bailliage de Salfeld & le comté de Henneberg. Il renferme plusieurs bailliages, & a pris le nom de son château qui en est le chef-lieu, situé à 15 milles au sud-est d'Erford, sur la petite riviere de Schwartza. Ce château est à un prince de la maison de Saxe. Long. 29. 4. latit. 50. 42. (D.J.)


SCHWARTZEMBERG(Géog. mod.) principauté d'Allemagne dans la Franconie, entre l'évêché de Bamberg & le marquisat d'Anspach. Cette seigneurie fut érigée en baronie par Sigismond, en comté par Maximilien I. & en principauté par Ferdinand II. en 1646 ; mais cette principauté n'a que deux bourgs. (D.J.)


SCHWEIDNITZ(Géog. mod.) ou Schwenitz, petite ville d'Allemagne dans la Silésie, capitale d'une principauté de même nom, sur la riviere de Weistritz, à 10 lieues au sud-ouest de Breslaw, sur une hauteur, avec un château. Long. 34. 25. lat. 50. 43.

Cunitz (Marie), née à Schweidnitz, fut une dame illustre en Allemagne par la connoissance qu'elle acquit des beaux arts, de plusieurs sciences, & particulierement de l'Astronomie qui fit sa principale occupation ; c'est ce qui paroit par les tables astronomiques qu'elle mit au jour en 1643 & 1645, sous le titre d'Urania propitia. Cet ouvrage a été réimprimé depuis à Francfort. (D.J.)

SCHWEIDNITZ, (Géog. mod.) principauté d'Allemagne dans la Silésie, entre les principautés de Lignitz & de Breslaw au nord, celle de Brieg à l'orient, la Bohème au midi, & la principauté de Jawer au couchant. Elle tire son nom de sa capitale. (D.J.)


SCHWEINFURT(Géog. mod.) ville impériale d'Allemagne dans la Franconie, sur le Mein à droite, dans un terroir fertile en vin & en blé, à 10 lieues au nord-est de Wurtzbourg ; elle est libre & impériale. C'est une des places d'Allemagne des mieux fortifiées. Long. 33. lat. 50. 48.

Cuspinien (Jean), écrivain du xvj. siecle, naquit à Schweinfurt, & mourut à Vienne en Autriche. Il a publié, 1°. un commentaire des consuls, des césars & des empereurs romains ; 2°. une histoire d'Autriche ; 3°. une histoire de l'origine des Turcs, & d'autres ouvrages. Nicolas Gerbel a écrit sa vie. (D.J.)


SCHWEINITZ(Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade dans le cercle de la haute Saxe sur l'Elster, au midi oriental de Wittemberg.


SCHWETZA(Géog. mod.) petite ville entierement délabrée de Pologne, dans le palatinat de Culm, sur la gauche de la Vistule, entre Culm au midi, & Graudentz au nord. Le grand-maître de l'ordre teutonique s'en saisit l'an 1310.


SCHWINBORG(Géogr. mod.) ou Swinborg, ou Suimeburg, ville de Danemarck sur la côte orientale de l'île de Funen. Ce fut de-là que partit Charles Gustave roi de Suede, lorsqu'il passa au mois de Février 1638, sur la glace avec son armée, pour se rendre de l'île de Funen dans celles de Langeland, de Falster & de Sélande. Long. 23. 32. lat. 55. 10.


SCHWITZ(Géog. mod.) ou Switz, canton de la Suisse, le cinquieme entre les treize qui composent le corps helvétique, & le second des laender ou des petits cantons.

Ce canton a eu l'honneur de donner son nom à toute la nation, que les François par corruption du mot appellent Suisse. On dit que comme le pays de Schwitz, qui est à l'orient du lac de Lucerne, étoit le plus exposé aux courses des Autrichiens, ceux-ci voyant les gens de Schwitz toujours les premiers à combattre contr'eux, donnerent à ces montagnards ligués le nom de Schwitzer ; ensuite ce nom étant demeuré à tous ceux qui sont entrés dans la ligue de la liberté, il s'est insensiblement communiqué à tout le corps helvétique ; mais voici quelque chose de plus vraisemblable. La victoire des Suisses contre les troupes de Léopold duc d'Autriche, fut gagnée en 1315, dans le canton de Schwitz. Les deux autres cantons d'Uri & d'Underwald donnerent ce nom à leur alliance, laquelle devenant plus générale, fait encore souvenir par ce seul nom, de la victoire qui leur acquit la liberté.

Les habitans du canton de Schwitz pourroient bien avoir été dans leur origine une peuplade des Goths. Une chose certaine, c'est que Théodoric roi des Goths en Italie, étoit maître de toutes les Alpes rhétiques, qui comprennent non-seulement le pays des Grisons, mais encore ceux d'Uri & de quelques cantons voisins ; & il est fort possible que pour y affermir son autorité, & pour s'assurer de ces passages importans d'Italie en Allemagne, il ait envoyé des colonies en quelques endroits de ces montagnes auparavant inhabitées.

Quoi qu'il en soit, le canton de Schwitz est borné au nord par les cantons de Zurich & de Zoug, au midi par celui d'Uri, au levant par celui de Glaris, & au couchant par le lac des quatre cantons. La richesse de ses habitans ne consiste guere qu'en troupeaux. Le chef-lieu de ce canton est le bourg de Schwitz, situé près de la rive orientale du lac des quatre cantons, dans une campagne assez agréable, entre de hautes montagnes, près d'une riviere nommée Mutta, à 6 lieues sud-est de Lucerne. Ce bourg a une église paroissiale, deux couvens de capucins, un monastere de religieuses, & une maison de ville.

C'est dans ce bourg que se tiennent les assemblées générales du pays ; c'est aussi dans ce lieu que réside la regence, qui est composée de 60 personnes. Long. 26. 15. lat. 47. 5. (D.J.)


SCIACCA(Géogr. mod.) petite ville de Sicile dans le val de Mazara, sur la côte méridionale au pié d'une montagne, avec un château & un port. C'est un des grands magasins de blé de tout le pays. Quelques-uns croyent que c'est l'ancien lieu nommé ad aquas Labodas. Long. 30. 35. lat. 39. 32.


SCIADEPHORES. m. (Antiq. d'Athènes) . Les Athéniens appelloient sciadephores, les femmes étrangeres qui demeuroient à Athènes, parce qu'elles étoient obligées à la fête des Panathénées, de porter des parasols pour garantir les Athéniennes du soleil ou de la pluie ; ce mot vient de , parasol, ombelle, & , je porte. Potter, archaeol. graec. lib. c. x. tom. I. p. 56. (D.J.)


SCIADES(Littérat.) c'est le nom qu'on donnoit au bonnet des empereurs grecs.


SCIAESSA(Géog. anc.) lieu du Péloponnèse dans l'Achaïe propre. Ce lieu, dit Pline, lib. IV. c. v. est célebre par les sept collines qui l'entourent, & qui le rendent si sombre que les rayons du soleil ont de la peine à y pénétrer. (D.J.)


SCIAGES. m. (Méchan.) action de scier. Il se dit aussi de l'effet qui s'en produit. Il y a des moulins à vent & à eau pour le sciage des bois ; ces moulins ont plusieurs scies paralleles qui se levent & s'abaissent perpendiculairement ; ils n'ont besoin que de peu d'ouvriers, pour pousser les pieces de bois qui sont sur des rouleaux ou suspendus avec des cables, à mesure que le sciage s'avance. M. Félibien, dans ses principes d'Architecture, parle aussi des longues scies de fer sans dents, inventées par un nommé Misson, marbrier, pour le sciage des marbres dans le roc même d'où on les tire ; mais cette invention n'a pas fait fortune. (D.J.)

SCIAGE, bois de, (Commerce de bois) On appelle bois de sciage celui qui est débité avec la scie, pour le distinguer du bois de brin, qui n'est qu'équarri avec la coignée ; & du bois de mairrain, qui n'est que fendu avec un instrument de fer tranchant en forme d'équerre. Les planches, les solives, les poteaux, les chevrons, sont des bois de sciage. Il s'en faut bien que le bois de sciage soit aussi bon que le bois de brin. Ce sont les scieurs de long qui le débitent. (D.J.)


SCIAGRAPHIES. f. en Astronomie, est un terme dont quelques auteurs ont fait usage pour exprimer l'art de trouver l'heure du jour ou de la nuit par l'ombre du soleil, de la lune, des étoiles. Voyez CADRAN & GNOMONIQUE. Ce mot vient de , ombre, & de , je décris. (O)


SCIAMACHIEou SCAMACHIE, s. f. (Gymn. médicin.) , de , combattre ; espece d'exercice en usage chez les anciens, qui consistoit dans des agitations des bras pareilles à celles d'une personne qui se battoit contre son ombre.

On mettoit ces sortes d'exercices au rang des gymnastiques médicinaux, parce que le combattant luttoit de la tête & des talons, ou avec des gantelets contre une ombre. Il doit, dit Oribase, se servir nonseulement de ses mains, mais encore de ses jambes, en luttant avec une ombre, se mettre quelquefois dans l'attitude d'un homme qui saute & qui se jette sur son adversaire, & faire usage de ses talons comme un lutteur ; tantôt il doit s'élancer en devant, & tantôt se retirer comme forcé par un adversaire plus fort que lui.

Le combattant dans cette sorte d'exercice ne luttoit pas toujours contre une simple ombre, mais quelquefois contre un poteau. Il est fait mention de cette umbratilis pugna dans Platon, qui dit de ceux qui combattoient sans adversaires, qu'ils ne faisoient que , combattre contre une ombre. S. Paul dans sa I. Cor. jx. 26. y fait allusion par ces mots .

La sciamachie est propre à dissiper une sensation de lassitude, à fortifier les jambes, & à renforcer tout le corps ; mais nous ne pratiquons plus ces sortes d'exercices. (D.J.)


SCIAMANCIou SCIOMANCIE, s. f. espece de divination qui consistoit à évoquer les ames des morts, pour apprendre d'eux l'avenir. Ce fut par la sciamancie que la pythonisse d'Endor évoqua l'ombre de Samuel lorsque Saül vint la consulter sur l'événement de la bataille qu'il alloit livrer aux Philistins. Liv. I. des Rois, chap. xxviij.

Ce mot est formé du grec , divination, & , ombre, qui dans un sens métaphorique signifioit ame ; car les anciens prétendoient que dans la sciamancie ce n'étoit pas l'ame des morts qui apparoissoit, mais un spectre ou simulachre qui n'étoit ni l'ame ni le corps, mais seulement la représentation de celui-ci, & que les Grecs nommoient , & les Latins imago ou umbra.


SCIARRI(Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme en Sicile les ruisseaux de matiere liquide & vitrifiée qui sortent des flancs & de la bouche du mont Etna, dans le tems de ses éruptions. Voyez l'article LAVE.


SCIAS(Géog. anc.) petite contrée de l'Arcadie. Pausanias, Arcad. l. VIII. c. xxxv. la met sur la route de Mégalopolis à Methydrium. On y voit encore, dit-il, quelques restes d'un temple de Diane sciatide, bâti, à ce qu'on croit, par Aristodème pendant sa domination. A dix stades de-là on voyoit Clarisium, ou plutôt l'emplacement de cette ville. (D.J.)


SCIATERES. m. sciater, (Gnomoniq.) nom que vitruve donne à une aiguille qui marque par son ombre une certaine ligne, telle, par exemple, que la méridienne. C'est de-là qu'on a donné le nom de sciatérique à la science de disposer un stile, une aiguille, ensorte qu'elle montre les heures du jour par son ombre. (D.J.)


SCIATERIQUES. f. est le nom qu'on donne quelquefois à la gnomonique, parce qu'elle enseigne à déterminer les heures par le moyen de l'ombre, . Voyez GNOMONIQUE & CADRAN. (O)


SCIATHUS(Géog. anc.) île de la mer Egée, selon Pomponius Méla, l. II. c. vij. & Ptolémée, l. III. c. xiij. Ce dernier y met une ville de même nom ; elle étoit située à l'orient de la Magnésie, contrée de la Thessalie, & au nord de l'Eubée. Cette île conserve son ancien nom, car on l'appelle aujourd'hui Sciatti, & dans les cartes marines Sciatta, voyez SCIATTA. (D.J.)


SCIATIQUEadj. (Anat.) Le nerf sciatique est formé par l'union de la derniere paire lombaire, & les quatre premieres sacrées, & quelquefois par l'union des deux dernieres paires lombaires, & des trois premieres sacrées ; il se glisse obliquement sous la grande échancrure de l'os des iles ; il donne des filets aux muscles piriformes, aux jumeaux, & au carré de la cuisse ; il s'étend entre la tubérosité de l'ischium & le grand trochanter, tout le long de la partie interne du fémur ; il jette dans ce trajet, plusieurs filets aux muscles fessiers, & aux autres parties voisines, & lorsqu'il est parvenu au creux du jarret, on lui donne le nom de nerf poplité ; il se divise là en deux branches qui s'accompagnent & s'écartent ensuite peu-à peu, en se glissant derriere les condyles du fémur ; la grosse est interne, la petite est externe, elles vont se distribuer à toute la jambe & peuvent s'appeller dans ce trajet nerfs sciatiques cruraux.

La grosse branche sciatique, qu'on peut aussi appeller sciatique tibiale, après avoir formé plusieurs rameaux, passe derriere la malleole interne, par un ligament annulaire particulier, & va gagner en-dessous la plante du pié, où après avoir fourni plusieurs rameaux, elle se divise en deux branches nommées nerfs plantaires. Voyez PLANTAIRE.

La petite branche sciatique, ou sciatique interne, qu'on nomme aussi sciatique péroniere, outre les rameaux qu'elle jette aux parties externes de la jambe & du pié, s'unit par différens filets avec la grosse branche & les nerfs plantaires.

SCIATIQUE, s. f. (Médecine) espece de goutte, ainsi appellée parce qu'elle a son siege à la hanche. Voyez GOUTTE. Ce nom, de même que le latin ischia, est dérivé du grec , formé de , hanche.

Les premieres atteintes de sciatique se font ressentir pour l'ordinaire dans l'os sacrum ; la douleur vive qui en est le symptome caractéristique, se répand delà avec plus ou moins de rapidité sur la hanche, d'où elle s'étend quelquefois tout le long de la cuisse jusqu'au genou, & même dans quelques malades jusqu'aux piés. La vivacité de la douleur, de même que sa durée, varient extrêmement ; il y a des cas où la partie affectée est si douloureuse & si sensible, qu'elle ne peut supporter l'application d'aucun corps étranger, & qu'elle ne permet au malade aucune espece de mouvement ; l'immobilité de la cuisse est la suite ordinaire des douleurs, même moderées ; la jambe & le pié partagent quelquefois cette incommodité, & dans les violentes douleurs, les muscles qui meuvent le tronc du côté de la partie affectée, sont dans une tension violente, & ne peuvent qu'avec peine & en redoublant les douleurs, exécuter leurs divers mouvemens ; le malade est obligé de garder toujours la même situation, souffrant quand il veut se baisser, souffrant aussi quand il fait effort pour se redresser. Dans d'autres cas, & sur-tout chez les gens vieux, dans qui la douleur devenue comme habituelle est moins aiguë, les mouvemens sont plus libres sans cesser d'être tout-à-fait douloureux ; la tumeur de la partie affectée n'est point constante, non plus que la rougeur ; ces symptomes accidentels ne s'observent pas le plus souvent, il est aussi très-rare que la fievre survienne, le pouls conserve son rithme ordinaire, on peut seulement l'appercevoir un peu agité & convulsif dans le fort de la douleur. Il n'y a point de tems déterminé pour la durée de la sciatique, on sait seulement qu'elle est d'autant plus courte que les symptomes sont plus violens ; la longueur des intervalles entre chaque paroxysme, n'est point non plus décidée, elle varie non-seulement dans les différens malades, mais encore dans le même sujet ; en général ce tems de rémission est plus court dans les vieillards & dans les sciatiques invéterées ; communément les paroxysmes reviennent tous les ans, lorsque les froids commencent à se faire sentir. Hippocrate range la sciatique parmi les maladies d'automne, aph. 22. lib. III. mais il y a des malades qui en éprouvent deux ou trois attaques par an, & quelques-uns ont continuellement une douleur plus ou moins forte, qui gêne un peu leurs mouvemens, que les tems pluvieux, variables, inconstans, rendent beaucoup plus sensibles, & qui est en conséquence pour eux un excellent baromêtre.

Les causes éloignées de la sciatique sont absolument les mêmes que celles de la goutte, & par conséquent très-obscures & totalement inconnues, comme on l'a judicieusement remarqué à l'article GOUTTE, où l'on a très-bien prouvé que toutes celles qu'on a successivement accusées, n'y avoient pas constamment part, & ne produisoient ces effets que comme jettant du trouble dans l'économie animale, & pervertissant en général l'exercice des fonctions, comme toutes sortes d'excès ; on sait seulement que les causes évidentes dont l'action tombe sous les sens, comme les coups, les blessures, les chûtes, les contusions, n'occasionnent jamais la sciatique, quoiqu'elles puissent donner naissance à des douleurs dans les mêmes parties ; celles qui contribuent à produire la sciatique, n'agissent que lentement, d'une maniere cachée, insensible, & par-là même plus sûre & plus durable ; la plus ordinaire de ces causes est l'habitation trop long-tems continuée dans des endroits humides, marécageux, &c. mais toutes ces causes ne font le plus souvent que mettre en jeu ou déterminer une disposition héréditaire, communiquée par des parens sujets à ces maladies ; ce germe, héritage funeste, reste caché, sans force & sans effet, pendant les premieres années de la vie, il se développe avec l'âge, & par les excès ou les erreurs dans l'usage de ce qu'on appelle en terme de l'école, les six choses non-naturelles, il manifeste enfin sa présence par les symptomes que nous avons décrits ; mais en quoi consiste cette disposition, quel est le vice qui produit immédiatement la sciatique & les maladies arthritiques ? où réside-t-il ? est-ce dans les parties solides, dans les nerfs ou dans les humeurs ? c'est sur quoi les médecins sont partagés, chacun alléguant de son côté des preuves, si-non démonstratives pour l'opinion qu'il soutient, du moins assez fortes pour détruire le sentiment de son adversaire ; il en résulte que ces questions n'ont point été résolues encore d'une maniere satisfaisante, & l'inutilité des efforts qu'on a faits de part & d'autre pour en venir à bout, prouve évidemment & la difficulté de l'entreprise, & le courage de ceux qu'elle n'a pas rebutés. Les anciens ont avancé très-gratuitement, que c'étoit des vents enfermés profondément dans les chairs, qui donnoient naissance à la sciatique, les modernes n'ont pas été plus fondés à l'attribuer à un dépôt de matieres âcres, épaisses, tartareuses, & à imaginer ces qualités dans la masse générale des humeurs ; d'autres ont avancé trop généralement, que les nerfs seuls avoient part à la production de la sciatique, & qu'elle étoit en conséquence une maladie purement spasmodique ou nerveuse ; ceux qui auroient pris un milieu, & qui en auroient fait une maladie mixte humorale & nerveuse, n'auroient-ils pas approché plus de la vérité, ou du moins de la vraisemblance ? Stahl & ses disciples, Nenter, Juncker, &c. ont fait encore jouer ici fort inutilement, pour ne rien dire de plus, un grand rôle à leur ame ouvriere ; mais comme ils n'ont vu résulter aucun avantage de ces douleurs vives, opiniâtres & périodiques, ils ont cherché ailleurs un motif qui ait pu déterminer l'ame qui n'agit jamais sans raison, à exciter cette affection ; ils ont en conséquence imaginé que la sciatique devoit sa naissance aux mouvemens plus considérables & aux efforts de l'ame qui, pour le plus grand bien du corps, méditant l'excrétion hémorrhoïdale, n'avoit pu l'obtenir : ainsi les humeurs poussées en plus grande abondance vers ces parties, se répandoient aux environs & se jettoient préférablement sur la hanche ; de façon que suivant eux, la sciatique n'est produite que par l'erreur ou l'impuissance de l'ame, qui est mise en dépense de forces, qui a troublé toute la machine sans avoir des forces suffisantes & sans savoir si ce trouble auroit une issue favorable. Un peu plus de connoissance dans cet être intelligent, l'auroit fait rester dans l'inaction jusqu'à-ce qu'il eût été bien instruit que tous les vaisseaux étoient disposés convenablement, & les humeurs préparées à seconder ses efforts ; & si ce principe du mouvement eût eu plus d'empire sur la machine, il auroit forcé les obstacles qui s'opposoient à ses desseins, & au lieu d'une maladie facheuse, auroit excité une évacuation salutaire ; par ce moyen, la sciatique eût été à jamais inconnue, au grand avantage de l'humanité, tant la puissance & les lumieres sont nécessaires au chef d'un état, & tant il importe, quand on imagine, de faire accorder ses idées, sinon avec la vérité, du moins avec la vraisemblance.

Nous ne tirons de l'observation presque aucun éclaircissement sur ce qui regarde cette maladie, soit qu'on l'ait trop négligée, rebuté par le travail pénible & sec qu'elle exige, pour courir la carriere plus facile & fleurie du raisonnement, soit qu'en effet elle soit peu lumineuse par elle-même dans ce cas ; la plupart des observations qu'on a faites sur le cadavre, n'ont découvert dans les parties affectées, aucun dérangement sensible. Cependant Riviere rapporte que la veuve de Pierre Aubert ayant à la hanche des douleurs très-vives qui s'étendoient jusqu'au pié, accompagnées d'une tumeur dont la pression faisoit redoubler la douleur, qui devenoit quelquefois lancinante ; on soupçonna un abscès profond, on porta en conséquence le fer & le feu sur cette partie, l'ouverture faite ne donna issue à aucune matiere purulente, quinze jours après la malade devint hydropique & meurt peu de tems après ; on ouvre le cadavre, on disseque la cuisse, & on trouve dans la partie où l'on avoit jugé l'abscès, de petites glandes tombées en suppuration, mais dont le pus ne pouvoit s'échapper. Observ. 43. centur. II. Fabrice Hildan donne une observation à-peu-près semblable, d'un ouvrier en bois nommé Amedée, qui après avoir été pendant deux ans tourmenté de diverses maladies, essuya de vives attaques de sciatique auxquelles il succomba ; en disséquant la partie affectée, on trouva près du grand rotateur du fémur droit, un amas de liqueur purulente, dont le poids auroit excédé une livre, & qui en rongeant & relâchant les ligamens de l'articulation avoit sans-doute donné lieu à la luxation qu'on avoit observée dans le malade, & on rencontra sous le muscle près du côté gauche, un athérome qui contenoit plus de deux livres de pus très-épais. Obs. 71. centur. I. Il paroît que ces deux maladies qu'on a jugé être des sciatiques, à cause du siege de la douleur, n'en étoient point en effet, sur-tout la derniere, où la douleur étoit la suite du dépot qui se formoit, & qui étoit vraisemblablement critique, ayant lieu dans un homme cacochime, & le délivrant d'un état valétudinaire où il avoit langui l'espace de deux ans ; en général, on ne trouve rien qui ne soit naturel dans la hanche, la cuisse des personnes qui ont gardé la sciatique pendant très-long-tems ; & ce n'est que sur des conjectures qu'on a établi que le siege de cette maladie devoit être dans le muscle aponévrotique, placé à la partie supérieure interne de la cuisse, d'où il se prolonge le long de cette partie & de la jambe, occupant plus ou moins d'étendue, jusqu'au pié, & qu'on connoit même en françois, sous le nom latin de fascia lata ; ces conjectures sont fondées sur la sensibilité extrême des parties tendineuses (quoique paroissent prouver de contraire les expériences fautives de M. de Haller), & sur la place qu'occupe la douleur exactement correspondante à celle du fascia lata, lors même qu'elle s'étend jusqu'aux piés.

Le peu que nous tenons de l'observation & qui ne répand presque aucun jour sur la nature de cette maladie ; c'est que les personnes les plus sujettes à la sciatique sont celles qui naissent de parens qui en ont été attaqués, ou qui ont eu la goutte dans quelque autre partie ; elle est plus familiere aux hommes qu'aux femmes, & n'attaque guere que celles qui sont robustes, & qui par le tempérament & la façon de vivre sont plus semblables aux hommes ; les jeunes gens & les adultes y sont moins exposés qu'aux autres especes de gouttes, il semble que ce soit une maladie plus particulierement reservée aux vieillards ; elle succede quelquefois à la cessation des regles, des hémorrhoïdes, à la suppression des évacuations naturelles ou accoutumées, aux rhumatismes, & rarement à la goutte ; elle y dégénere plus souvent, & même assez promtement quand elle est très-vive, c'est-à-dire la goutte se porte plus ordinairement de la hanche, aux piés & aux mains, que de ces parties à la hanche.

La sciatique est d'ailleurs une maladie plus incommode que dangereuse ; rarement elle contribue à accélérer la mort du malade, quelques auteurs croyent plutôt qu'elle sert à la retarder ; du moins est-il certain que les personnes attaquées de cette maladie vivent assez long-tems ; seroit-ce simplement parce qu'elle ne commence que dans un âge très-avancé, & qu'elle n'a lieu que dans certains tempéramens robustes qui n'auront pas été assez affoiblis par les excès, ou pas assez fortifiés faute d'exercice ? Il est extrêmement difficile, & peut-être imprudent de la guérir, & d'autant plus qu'elle est plus invétérée ; Stahl prétend que la sciatique, les hémorrhoïdes, la néphrétique & le calcul se rencontrent très-souvent ensemble, se succedent & se produisent réciproquement ; cette prétention est justifiée à certains égards par l'observation ; on a remarqué en général & assez vaguement, que les maladies arthritiques avoient beaucoup de rapport du côté des causes avec le calcul ; ce qui regarde les hémorrhoïdes n'est point aussi constaté ; & l'âge où la sciatique paroît le plus fréquemment est très-peu approprié pour cette évacuation. S'il est arrivé quelquefois, ce que j'ignore, que les hémorrhoïdes ayent terminé la sciatique, elles ont cela de commun avec toutes les autres excrétions & avec tous les remedes qui font dans la machine une grande révolution ; le seul danger que courent ces malades, c'est que la tête du fémur sorte de l'articulation, & les rende boiteux ; il se ramasse alors dans ces parties, suivant l'observation d'Hippocrate, beaucoup de mucosité & quelquefois la jambe maigrit & se desseche, tout le corps même tombe dans l'atrophie & dans cette espece de phthisie, tabes, qu'il appelle ischiadique, , 60. lib. vj. le feu seul porté dans cette partie peut prévenir ces accidens. Aphor. 59. & 60. lib. VI.

De toutes les especes de gouttes, la sciatique est unanimement regardée comme la plus opiniâtre & la plus rébelle aux différens secours que la Médecine a fournis ; on a épuisé pour venir à-bout de la guérir surement & constamment, avec aussi peu de succès, les altérans que les évacuans ; on a passé des purgatifs aux sudorifiques, de ceux-ci aux diurétiques ; les apéritifs, les astringens, les spiritueux, les délayans, les relâchans, les adoucissans ont été successivement employés ; en un mot, on a changé chaque fois de méthode, preuve certaine qu'il n'y en avoit aucune de bonne, & peut-être qu'on n'en doit point chercher de générale, ou même d'aucune espece. L'usage à-peu-près inutile de tous ces divers médicamens, a donné naissance à cette multiplicité de secrets que l'on a débités à l'ordinaire comme des remedes infaillibles ; les charlatans se sont emparés de cette maladie & l'on y a ajouté d'autant plus de confiance qu'ils promettoient davantage ; loin d'être rebutés par les efforts inutiles des Médecins éclairés ; ils n'en étoient que plus encouragés, & effectivement ils avoient raison, ils ne risquoient par le mauvais succès que d'être mis à leur niveau, & s'ils réussissoient ils étoient regardés comme bien supérieurs ; l'intérêt du malade n'étoit compté pour rien ; ils donnoient avec cette aveugle présomption & cette témérité souvent funeste que laisse l'ignorance, les remedes les plus actifs qui jettoient un trouble considérable dans toute l'économie animale ; d'où il est résulté que les malades assez robustes pour supporter ce trouble, & dans qui il tournoit heureusement, étoient guéris ou beaucoup soulagés, & ceux qui étoient moins bien constitués sans être délivrés de leur maladie, tomboient dans d'autres plus sérieuses, ou même mouroient assez promtement. On a répandu un grand nombre de recettes presque uniquement composées de poudres tempérantes, d'absorbans, de terreux, & de médicamens de cette espece ; au moins ces remedes absolument inefficaces ne pouvoient produire aucun mauvais effet, & n'avoient d'autre inconvénient que celui d'amuser le malade & d'épuiser sa bourse ; il n'en est pas de même d'une autre espece de remedes qui séduisoient d'abord par leur efficacité, mais dont le danger étoit d'autant plus grand que leur succès apparent avoit été plus marqué ; je parle des amers nerveux, anti-spasmodiques, & du quinquina sur-tout ; il n'est pas douteux que par leur moyen on ne puisse venir à-bout d'éloigner, de suspendre pendant un tems considérable les paroxysmes, ou même d'empêcher tout-à-fait leur retour ; mais quelques observations bien constatées font voir que les malades qui en avoient éprouvé les effets les plus heureux, devenoient après quelque tems languissans, valétudinaires, sujets à beaucoup d'incommodités, & que plusieurs étoient emportés par des morts subites. Ainsi les conseils les plus salutaires qu'on puisse donner aux personnes attaquées de la sciatique, est de ne faire aucun remede interne, parce qu'ils sont tous dangereux ou inefficaces ; de vivre sobrement, d'éviter tout excès dans le boire, le manger & les plaisirs vénériens ; d'être plus réservés sur la quantité des alimens & des boissons, que sur leur qualité, de se garantir soigneusement du froid, d'être toujours habillés chaudement, & de façon à entretenir la liberté de la transpiration, de porter en conséquence sur la peau des corsets d'étoffe de laine, & sur-tout de flanelle, & au moins d'en envelopper la partie affectée, d'avoir quelquefois recours aux frictions seches avec des brosses de crin ou des étoffes de laine ; on peut les faire générales ; on doit les faire particulieres & locales, & enfin d'user d'un exercice modéré.

Quant aux remedes topiques qu'on employe principalement dans le tems du paroxysme, on en a varié les formules à l'infini ; les uns ont conseillé des remedes chauds, d'autres ont préféré des adoucissans, des relâchans ; ceux-ci ont employé les narcotiques, & ceux-là les spiritueux fortifians ; il y en a qui ont eu recours à l'application des sangsues & à des saignées locales ou à des scarifications, quelques autres ont beaucoup vanté les vertus des ventouses, & du feu même appliqué à nud ; ils se sont fondés sur la pratique assez heureuse des Japonois & des Chinois qui brûlent la moxe sur la partie affectée. Hippocrate avant eux s'étoit déclaré partisan de cette méthode, il tient beaucoup pour l'usage du feu dans les maladies qui ne cedent pas à l'efficacité des autres remedes ; le fer, dit-il, emporte les maladies rébelles aux médicamens, & le feu vient à-bout de celles qui résistent au fer. Aphor. 6. lib. VIII. il paroît même avoir connu l'usage de la moxe, du moins la combustion qu'il propose avec le lin crud dans les cas de sciatique & de douleur fixe lui est assez analogue. Lib. de affection. sect. v. ce remede souvent efficace n'est point assez goûté dans nos climats ; les machines délicates qui l'habitent, trop effrayées par le feu, trouveroient le remede pire que le mal ; pour ce qui regarde les autres topiques, ils sont tous déplacés dans le tems du paroxysme, excepté peut-être les vapeurs spiritueuses des plantes ou des résines aromatiques brûlées. Si les douleurs sont modérées, il faut les souffrir patiemment. Si elles sont trop vives & absolument insupportables, qu'on ait recours aux narcotiques pris intérieurement ou appliqués sur la partie ; je me suis servi quelquefois pour soulager avec assez de succès d'un liniment fait avec l'huile de vers & quelques gouttes d'esprit volatil de corne de cerf & de laudanum liquide de Sydenham. En général, il faut suivre le conseil que donne la goutte dans le discours sensé que Lucien lui fait tenir dans son , après avoir détaillé une partie des remedes dont on s'est servi en différens tems pour la combattre, après avoir passé en revûe les trois différens regnes, & avoir remarqué qu'il n'y a point de méthode constante, que chacun en emploie de différente, que souvent

Alius incantamentis impostorum deluditur.

elle finit par cette observation importante qui devroit être gravée profondément dans la tête des malades, que la sciatique ou toute autre espece de goutte tourmente :

A facientibus haec atque irritantibus me

Soleo occurrere multo iracundior ;

Iis vero qui cogitant adversum me nihil,

Benignam adhibeo mentem facilisque ero.

Les personnes d'un âge fort avancé doivent plus que tous autres suivre un conseil si judicieux, 1° parce que leurs douleurs sont beaucoup plus supportables, & en second lieu, parce qu'ils ont beaucoup moins d'espérance de guérison ; il ne faudroit pas moins pour eux que les vertus miraculeuses de la pierre philosophale ou le bain enchanté de Médée, dans lequel l'heureux Aeson laissa sa vieillesse & toutes les incommodités qui en sont le funeste apanage.

Ayant eu malheureusement l'occasion d'observer des vives attaques de sciatique sur la personne dont la santé m'est la plus précieuse, sur le meilleur & le plus tendrement chéri des peres, j'eusse ardemment souhaité trouver un remede assûré, & exempt de danger & d'inconvéniens ; & j'ai été convaincu par la suite qu'il n'y en avoit point de supérieur à la patience & à la sobriété : par leur moyen, les paroxysmes ont été moins fréquens & les douleurs plus supportables ; puissent-elles s'affoiblir ainsi de plus en plus pendant le cours d'un grand nombre d'années ! (m)


SCIATTA(Géog. mod.) île de l'Archipel, près de la côte de la Janna ; c'est l'île que les anciens Grecs & Latins ont nommée Schiatos ou Sciathus, & qui est encore appellée Sciotho ou Schiati par les Italiens, & Sciatta dans les cartes marines.

Elle est à deux lieues à l'occident de l'île de Scopélo, dont elle est séparée par un trajet d'une pareille largeur à une même distance à l'orient de la Magnésie (contrée de la Thessalie) & du golfe de Volo, & environ à quatre lieues au septentrion de l'île Négrepont. C'est à cause de la proximité où elle se trouve avec cette derniere, qu'Etienne le géographe la nomme une île de l'Eubée.

On lui donne 22 milles de circuit ; & anciennement elle avoit deux villes, dont une portoit aussi le nom de Schiatos ; mais elle fut ruinée par Philippe, pere d'Alexandre. Brutius Sura, envoyé de Lentius gouverneur de la Macédoine de la part des Romains, se rendit maître de cette île qui servoit alors de retraite aux Corsaires. (D.J.)


SCIES. f. (Hist. nat. Ichthyolog.) pristis, serra, Pl. XIII. fig. 1. très-grand poisson de mer auquel on a donné le nom de scie, parce qu'il a la partie antérieure de la tête terminée par un os long, dur, mince & large, qui a de longues dents de chaque côté, ce qui lui donne beaucoup de ressemblance avec une scie dentée des deux côtés. La face supérieure de cet os est rude, & il a une couleur cendrée. Ce poisson est mis au rang des cétacés, on le trouve dans la mer des Indes. Rondelet, hist. nat. des poissons, part. I. liv. XVI. Voyez POISSON.

SCIE, la, (Géog. mod.) en latin moderne Seja, petite riviere de France en Normandie, au pays de Caux, où elle a sa source. Elle arrose plusieurs villages, & se rend dans la mer près de Dieppe, à sept lieues de son origine. (D.J.)

SCIE, s. f. (Outil de méchanique) instrument pour fendre & diviser en plusieurs pieces diverses matieres solides, comme le marbre, la pierre, le bois & l'ivoire, &c. La scie est un des outils des plus utiles qui ayent été inventés pour la méchanique. La fable en attribue l'invention à Icare, qui, non moins ingénieux que son pere Dédale, enrichit comme lui les arts encore naissans de plusieurs découvertes qui ont servi à les perfectionner. On dit qu'il l'inventa sur le modele de l'arête d'un poisson plat, tel, par exemple, qu'est la sole. La scie est de fer avec des dents, mais différemment limées & tournées, suivant l'usage auquel elle est destinée. Il y a aussi des scies sans dents, qui servent au sciage des marbres & des pierres.

Les ouvriers qui se servent le plus communément de la scie sont pour les bois les Bucherons, les Scieurs de long, les Charpentiers, les Menuisiers, les Ebenistes, les Tourneurs & les Tabletiers ; & pour les pierres les Marbriers, les Sculpteurs, les Scieurs de pierre, &c. Les Lapidaires ont pareillement leur scie, aussi-bien que les ouvriers qui travaillent en pieces de rapport, mais elle ne ressemble presque en rien aux autres. Les dents de toutes ces sortes de scies s'affutent & se liment avec une lime triangulaire, en engageant la feuille de la scie dans une entaille d'une planche, & l'y affermissant avec une espece de coin de bois.

Toutes les feuilles de scie se vendent par les Quincailliers, qui les tirent de Forez & de Picardie : on en trouve aussi chez eux de toutes montées, particulierement de celles pour la marqueterie, & pour les Tabletiers & Peigniers, dont la monture est toute de fer. (D.J.)

SCIE, (Critique sacrée) le supplice de la scie étoit en usage chez les Hébreux, si l'on en croit la plûpart des commentateurs ; c'est, selon eux, par ce supplice que David fit punir les Ammonites de Rebbath qui avoient maltraité ses ambassadeurs, seravit eos, dit la vulgate II. Rois, xij. 31. mais cette excessive cruauté entre avec peine dans mon esprit. Le mot hébreu signifie-t-il uniquement il les fit scier ? Je sai qu'on traduit aussi, ils ont été sciés, le mot , dont se sert S. Paul aux Hébreux, chap. xj. vers. 37. Cependant il est clair par l'histoire de Susanne, que le terme désigne un supplice qui s'exécutoit par le sabre, & non par une scie. Il te coupera par le milieu, vers. 55. ce qui est exprimé plus bas par ces mots, l'ange de Dieu ayant un sabre, te coupera par le milieu, , vers. 60. Or ce passage prouve que chez les Hébreux l'on coupoit un homme avec un sabre, & non avec une scie. Nonobstant cette remarque, je ne prétens pas dire que le supplice de la scie soit sans exemple dans le monde. Hyde, de relig. veter. Pers. cap. xiv. p. 128. rapporte que le roi de Perse Giemsched étant devenu un tyran cruel, Dubak, prince arabe, le poursuivit, le vainquit, le fit mettre entre deux planches & le fit scier. Abulfeda confirme le même fait. (D.J.)

SCIE, instrument de Chirurgie, pour scier les os dans l'amputation des membres. Voyez AMPUTATION.

Pour examiner cet instrument dans toutes ses parties, il faut le diviser en trois pieces. Voyez Pl. XXI. fig. 1. La premiere est l'arbre de la scie, la seconde est le manche, & la troisieme est le feuillet. L'arbre de la scie est ordinairement de fer, il est fort artistement limé & orné de plusieurs façons qui donnent de l'agrément à l'instrument ; mais l'essentiel est de la considérer sous trois différentes pieces. La principale suit la longueur du feuillet, & doit avoir (pour une scie d'une bonne grandeur) onze pouces quelques lignes de long.

Les extrêmités de cette piece sont coudées, pour donner naissance à deux branches de différente structure ; la branche antérieure a environ 4 pouces 8 lignes de long ; elle s'avance plus en avant, & son extrêmité s'éloigne d'un pouce 8 lignes de la perpendiculaire qu'on tireroit du coude sur le feuillet. Elle représente deux segmens de cercle, lesquels s'unissent ensemble, forment en-dehors un angle aigu, & leur convexité regarde le dedans de la scie.

Le commencement du premier cercle forme avec la piece principale un angle qui est plus droit qu'obtus ; la fin du second cercle est fendue de la longueur d'un pouce 5 lignes pour loger le feuillet qui y est placé de biais, & qui forme avec ce cercle un angle aigu.

L'extrêmité de ce second segment de cercle est encore percée par un écrou, comme nous allons le dire.

La branche postérieure a un pouce de moins que l'antérieure ; les deux segmens de cercle qu'elle forme sont moins allongés & plus circulaires. Le premier fait un angle droit avec la piece principale, & le second en fait de même avec le feuillet : ce second cercle se termine à une figure plate des deux côtés, arrondie à sa circonférence, & percée par un trou quarré. L'union de ces deux segmens de cercles ne forme pas en-dehors un angle aigu, comme à la branche antérieure, mais ils semblent se perdre dans une pomme assez grosse, terminée par une mitre taillée à pans, lesquelles pieces paroissent être la base de toute la machine.

Il sort du milieu de la mitre une soie de près de quatre pouces de long, qui passe dans toute la longueur du manche.

La seconde partie de la scie est le manche, il est fait de même que celui que nous avons fait remarquer au couteau d'amputation ; mais sa situation n'est pas la même, car au-lieu de suivre la ligne qui couperoit la scie en deux parties égales suivant sa longueur, il s'en éloigne d'un demi-pouce, & s'incline vers la ligne qui seroit prolongée de l'axe du feuillet ; méchanisme qui rend la scie fort adroite, & fait tout autant que si le manche étoit contigu au feuillet, sans pour cela la rendre plus pesante.

L'avance recourbée, ou le bec du manche de la scie est encore tourné du côté des dents du feuillet, afin de servir de borne à la main du chirurgien. Ce manche est percé dans le milieu de son corps suivant sa longueur, ce qui sert à passer la soie de l'arbre qui doit être rivée à son extrêmité postérieure.

Le feuillet & les pieces qui en dépendent font la troisieme partie de la scie.

Ce feuillet est un morceau d'acier battu à froid, quand il est presque entierement construit, afin qu'en resserrant par cette méchanique les pores de l'acier, il devienne plus élastique ; sa longueur est d'un bon pié sur treize ou quatorze lignes de large ; son épaisseur est au-moins d'une bonne ligne du côté des dents, mais le dos ne doit pas avoir plus d'un quart de ligne.

On pratique sur la côte la plus épaisse de ce feuillet de petites dents faites à la lime, & tournées de maniere qu'elles paroissent se jetter alternativement en-dehors, & former deux lignes paralleles ; ce qui donne beaucoup de voie à l'instrument, & fait qu'il passe avec beaucoup de facilité & sans s'arrêter.

La trempe des feuillets de scie doit être par paquets & même recuite, afin qu'elle soit plus douce, que la lime puisse mordre dessus, & qu'elle ne s'engrene point, comme nous l'avons démontré en parlant des couronnes du trépan.

Les extrêmités du feuillet sont percées, afin de l'assujettir sur l'arbre par des méchaniques différentes ; car son extrêmité antérieure est placée dans la fente que nous avons fait observer à la fin du second segment de cercle de la branche antérieure, & elle y est assujettie par une vis qui la traverse en entrant dans le petit écrou que nous avons fait pratiquer à l'extrêmité de cette branche.

L'autre extrêmité du feuillet est plus artistement arrêtée sur la branche postérieure, elle y est tenue, pour ainsi dire, comme par une main, qui n'est autre chose qu'une avance plate, légerement convexe en-dehors, & fendue pour loger le feuillet qui y est fixé par une petite vis qui traverse les deux lames de cette main & le feuillet. Cette main qui couvre environ huit lignes du feuillet, paroît s'élever de la ligne diamétrale d'une base ronde, qui est comme la mitre du feuillet : cette mitre est adoucie, très-polie & légerement convexe du côté de la main, mais plane & moins artistement limée à sa surface postérieure, afin de s'appuyer juste sur le trou quarré de la branche postérieure.

On voit sortir du milieu de cette surface postérieure de la mitre une espece de cheville différemment composée, car sa base est une tige quarrée de quatre lignes de hauteur, & proportionnée au trou quarré de la branche postérieure : le reste de cette cheville a un pouce de longueur, il est rond & tourné en vis ; on peut le regarder comme la soie du feuillet.

Enfin la troisieme piece dépendante du feuillet est un écrou : son corps est un bouton, qui a près de cinq lignes de hauteur, & six ou sept d'épaisseur : sa figure intérieure est une rainure en spirale qui forme l'écorce, & l'extérieur ressemble à deux poulies jointes l'une auprès de l'autre.

Il part de la surface postérieure de cet écrou deux aîles, qui ont environ neuf lignes de longueur, & qui laissent entr'elles un espace assez considérable pour laisser passer la soie du feuillet ou de sa mitre.

L'usage de cet écrou est de contenir la vis, afin qu'en tournant autour il puisse bander & détendre le feuillet de la scie.

La maniere de se servir de la scie dont nous venons de faire la description, est de la prendre par son manche, de façon que les quatre doigts de la main droite l'empoignent, pour ainsi dire, & que le pouce soit allongé sur son pan intérieur.

On porte ensuite l'extrêmité inférieure du pouce de la main gauche ou le bout de l'ongle sur l'os qu'on veut scier & dans l'endroit où on veut le couper ; puis on approche la scie de cet endroit de l'os, & par conséquent auprès de l'ongle qui sert comme de guide à la scie, & l'empêche de glisser à droite ou à gauche, ce qui arriveroit immanquablement sans cette précaution, & pourroit causer des dilacérations aux chairs qui auroient des suites, dont le détail nous meneroit trop loin.

On pousse ensuite la scie légerement & doucement en avant, puis on la tire à soi avec la même légereté & la même douceur ; ce qu'on continue doucement & à petits coups, jusqu'à ce que sa voie & sa trace soit bien marquée.

Quand une fois la scie a bien marqué sa voie ou sa trace sur l'os, pour-lors on ôte le pouce de la main gauche de l'endroit où nous l'avions posé, & l'on empoigne, pour ainsi dire, le membre qu'on veut couper avec la main gauche ; ce qui sert comme de point d'appui au chirurgien. Il ne faut plus alors scier à petits coups, mais à grands coups de scie, observant toujours de scier légerement & de ne pas trop appuyer la scie ; car en appuyant, ses petites dents entrent dans l'os & l'arrêtent ; ce qui fait que les chirurgiens ne scient qu'avec peine & par secousses. Garengeot, traité d'instr. de Chirurgie.

Il y a de petites scies sans arbre, dont les lames très-solides sont convexes & montées sur un manche, pour scier dans l'opération du trépan les ponts ou intervalles qui restent entre l'application de deux couronnes, & avec lesquelles on peut scier des pointes d'os, & ceux du tarse & du métatarse. (Y)

SCIE A REPERCER, en terme de Bijoutier, est un instrument de fer formant un quarré allongé en le considérant monté de sa feuille, sans avoir égard au manche. Cette feuille se prend entre deux mâchoires, dont l'une immobile a un trou tarrodé ; & l'autre qui s'écarte & s'approche pour serrer ou lâcher la feuille ne l'est point ; le manche est fait de trois pieces, d'un morceau de fer qui répond à la cage de la scie, est tarrodé presque dans toute sa longueur, d'un écrou de bois dans lequel il entre, & d'une autre enveloppe de bois qui couvre cet écrou. Voyez petite SCIE de marqueterie, Pl. de Marqueterie.

SCIE GRANDE & PETITE, outil de Charron ; c'est un outil qui est de la longueur de cinq ou six piés, dont les charrons se servent pour rogner le bois qu'ils travaillent pour le partager & mettre à la longueur qui leur est nécessaire ; cet outil n'a rien de particulier, & est fait comme les scies des charpentiers, &c. excepté qu'il faut être deux pour s'en servir, c'est-à-dire, que quand un ouvrier la pousse, l'autre la tire.

SCIE A MAIN, outil de Charron ; c'est une lame de fer dentelée comme les scies ordinaires, qui est de la longueur d'un pié, emmanchée dans une poignée de bois de la longueur de trois à quatre pouces ; les charrons s'en servent pour rogner des petits morceaux de bois qui sont en place.

SCIE A REFENDRE, outil de Charron ; cet outil est exactement fait comme la scie des scieurs de long, & sert aux charrons pour refendre les ormes entiers & autres bois de charronnage.

SCIE de Charpentier, est une feuille d'acier ou de fer dentée, montée sur deux montans de bois, une traverse au milieu, paralelle à la feuille de scie ; au bout des montans est une corde en quatre paralelles à la traverse & une languette au milieu, qui sert à faire bander la scie. Voyez les Planches.

La scie est un instrument ou outil très-nécessaire à la méchanique, & même le plus utile qu'on ait pu inventer ; car par son usage on ménage beaucoup toutes les matieres que l'on débite, que ce soit du bois, du marbre, des pierres précieuses, des métaux, &c. & dont les morceaux ne seroient d'aucune utilité, si l'on étoit obligé de les jetter bas à coups de ciseau.

SCIE, est un instrument qui sert aux charpentiers à scier leurs bois de longueur ; elle a ordinairement quatre piés & demi ; ils en ont de plus petites pour les petits ouvrages. Voyez les fig. Planches du Charpentier.

SCIE à main, couteau en scie ou sciotte ; les charpentiers s'en servent quand la scie ne peut leur servir.

SCIE des coupeurs de bois, (Eaux & Forêts) les scies dont on se sert dans les forêts pour débiter les plus gros arbres, s'appellent des passe-partout ; ils n'ont qu'un manche à chaque bout de la feuille : cette feuille a les dents fort détournées, c'est-à-dire, ouvertes à droite & à gauche. (D.J.)

SCIE des Ebénistes, (Ebénisterie) les ébénistes qui sont du corps des menuisiers, outre toutes les scies qui servent à la menuiserie, en ont encore une particuliere, qui s'appelle scie à contourner. Cette scie est montée sur un archet d'acier fort élevé, afin que les feuilles des divers bois qu'ils contournent, puissent passer entre cet archet, & la feuille dentelée de la scie. (D.J.)

SCIE, en terme de Graveur en pierres fines ; c'est une espece de boule qui a la lame très-mince, dont on se sert pour refendre, ou même pour séparer tout-à-fait les pierres. Voyez les figures, Planches de la Gravure.

SCIE, petite scie, voyez les fig. & les Pl. d'Horlogerie ; les Horlogers s'en servent pour scier des pieces fort délicates ; ces sortes de scies sont montées comme les grandes, & n'en different que par leur grandeur.

SCIE des Lapidaires, (Joaillerie) les scies des Lapidaires, qui ont le nom de scie, non pas qu'elles aient quelque rapport par la figure à aucune des scies dont on vient de parler, mais parce qu'elles servent à user, & pour ainsi dire, à scier les pierres précieuses sur le touret ; ces scies, dis-je, sont de petites plaques de fer, en forme de ce qu'on appelle une pirouette avec quoi jouent les enfans, attachées au bout d'une broche aussi de fer. Les lapidaires ont encore une espece de scie pour scier le diamant, qui ne consiste qu'en un fil de fer ou de léton, aussi délié qu'un cheveu, bandé sur un petit arc d'acier ou de bois. On s'en sert avec de la poudre de diamant bien broyée avec de l'eau ou du vinaigre. Les ouvriers en pieces de rapport usent aussi de cette sorte de scie pour les pierres les plus précieuses : pour les plus grosses pieces ils ont une petite scie, dont la feuille n'a point de dents. (D.J.)

SCIE des Jardiniers, (Outil de jardinier) ils s'en servent pour retrancher le bois qui est sec & vieux, & par conséquent fort dur, & capable de gâter la serpette, avec laquelle on ne peut aisément couper de grosses branches. Il ne faut jamais, dit la Quintinie, employer la scie à retrancher des branches, qu'un coup de serpette peut couper adroitement. Il faut que la scie soit droite, qu'elle soit d'un acier dur & bien trempé. Il faut qu'elle ait de la voie, c'est-à-dire, qu'elle ait les dents écartées & bien ouvertes, l'une allant d'un côté, & l'autre de l'autre, & qu'avec cela le dos soit fort mince ; tout-au-moins doit-il être moins gros & moins matériel que les dents, autrement la scie ne passera pas aisément, parce que les dents en seront aussitôt engorgées, si bien qu'à s'en servir, on se lasse en un moment, & on n'avance guere.

Il n'est point nécessaire que les scies pour l'usage ordinaire de tailler soient larges. Un bon demi-pouce de largeur leur suffit ; il ne les faut guere longues, c'est assez qu'elles aient environ quinze pouces de longueur. Le manche peut être rond, attendu que pour pousser une droite ligne devant soi, on ne doit pas craindre qu'il tourne dans la main, comme fait une serpette à manche rond ; il sera assez gros, pourvu qu'à l'endroit de la plus grande grosseur, qui est à l'extrêmité où se vient ranger la pointe de l'alumelle quand on la ferme, il ait environ deux pouces & sept à huit lignes de tour, & que par l'autre extrêmité il ait un peu moins de deux pouces ; ces sortes de scies se plient, ne font aucun embarras, & sont portatives comme des serpettes, le tranchant se serrant dans le manche. (D.J.)

SCIE A MAIN, (Lutherie) dont les facteurs de clavecins se servent, est une lame d'acier d e dentée, que l'on emmanche dans un manche courbé a B C, dont la poignée B C va en relevant, pour que les doigts de l'ouvrier ne frottent point contre l'ouvrage. Cette scie est propre à scier les entailles des sautereaux où sont placées les languettes. Voyez SAUTEREAU & la fig. 13. Pl. de Lutherie.

SCIE A MAIN de Maçon, (Maçonnerie) on appelle autrement les scies à main dont se servent les maçons & poseurs de pierre de tailles, des couteaux à scier ; les unes ont des dents, & les autres n'en ont point. (D.J.)

SCIE de marqueterie, servant à découper & chantourner les plaques, est un parallélogramme de fer, dont la lame est un des petits côtés ; elle est montée sur les chassis par le moyen de deux chevilles qui ont la tête fendue, & l'autre extrêmité en vis. Une de ces vis a un écrou à oreilles, & dont on se sert pour tendre la lame. L'autre vis a son écrou caché dans l'intérieur du manche. Voyez les fig. Pl. de Marqueterie.

SCIE A REFENDRE, outil de Marqueterie, est composée d'un grand chassis de bois entre & parallélement aux grands côtés duquel est la lame, large de quatre pouces ou environ, & attachée à deux boîtes au-travers desquelles passent les petits côtés du chassis : une des boîtes a encore un autre trou pour mettre la clé qui sert à donner de la bande à la lame. Voyez les fig. Pl. de la Marqueterie.

SCIE des Menuisiers, (Menuiserie) de tous les divers ouvriers qui se servent de la scie, ce sont les ménuisiers qui en ont la plus grande quantité, & de plus de différentes especes. Les principales sont la scie à refendre, qui leur est commune avec tous les autres ouvriers en bois ; la scie à débiter, la scie à tenons, la scie à tourner, la scie à enraser, la scie à main, & la scie à cheville. Voyez l'article MENUISERIE & les articles suivans. (D.J.)

SCIE A REFENDRE, elle sert au menuisier à fendre les bois de long ; elle est composée de deux montans & deux traverses, dans les bouts desquelles les montans sont assemblés à tenons & mortaises ; à la traverse du haut est une boîte, & à celle du bas un étrier de fer auquel la scie est attachée ; elle est posée au milieu des deux traverses, & est parallele aux deux montans ; à la boîte il y a une mortaise dans laquelle on met une clé pour faire tendre la feuille de scie. Voyez les fig. Pl. de Menuiserie.

SCIE A TENONS ; elle est comme la scie à débiter, & n'en differe qu'en ce qu'elle est plus petite, & a les dents plus serrées ; elle sert pour couper les tenons.

SCIE, (Menuiserie) pour les fosses ou creux, pour les corps des arbres lorsqu'ils sont trop gros, & que les scies montées n'y peuvent passer, pour les pieux à rase terre, &c. c'est une grande feuille de scie avec une main à chaque bout. On nomme cette scie passe-par-tout ; elle est beaucoup d'usage parmi les Bucherons.

SCIE EN ARCHET, est comme celle à chantourner, si ce n'est qu'elle est plus petite, qu'elle a une main pour la tenir qui porte son tourillon ; elle sert aussi à chantourner de petits ouvrages.

SCIE A CHANTOURNER, la feuille en est fort étroite, & elle est montée sur deux tourillons qui passent dans les bras. Son usage est pour couper les bois suivant les ceintres. Voyez les fig. Pl. de Menuiserie.

SCIE A CHEVILLES, est un couteau à scie, qui a un manche coudé ; elle sert à couper les chevilles. Voyez les fig. Pl. de Menuiserie.

SCIE A DEBITER, c'est celle qui sert aux Menuisiers à couper tous leurs bois suivant les mesures, & c'est ce qu'ils appellent débiter les bois. La monture consiste en deux bras ou montans, une traverse au milieu. Au bout des bras d'un côté est la feuille de scie parallele à la traverse ; à l'autre extrêmité des bras est une corde qui va d'un bout à l'autre, & qui est en plusieurs doubles ; au milieu est un gareau qui sert à faire tendre la scie, & qui l'arrête sur la traverse. Voyez les fig. Pl. de Menuiserie.

SCIE A MAIN, ou A COUTEAU, est plus large du côté de la main, n'a point de monture que la main avec laquelle on la tient pour s'en servir ; l'on s'en sert lorsque la scie montée ne peut passer. Voyez les fig. Pl. de Menuiserie.

SCIE A ENRASER, c'est une feuille de scie attachée sur un bout de planche d'un pié ou quinze pouces de long, laquelle sert à enraser les bas des portes, contrevents, &c. pour faire les tenons qui doivent entrer dans les emboîtures. Voyez les fig. Pl. de Menuiserie.

SCIE A REVUIDER, en terme de metteur en oeuvre, est la même que la scie à repercer des Bijoutiers. Elle est comme elle garnie d'une feuille fort étroite, qui peut aisément se contourner au gré de l'artiste sur l'ouvrage qu'il revuide. Voyez REVUIDER & les Pl. du metteur en oeuvre.

SCIE A COUTEAU, (Orfévrerie) ce n'est autre chose qu'une lame de couteau taillé en scie.

SCIE A GUICHET, (Serrurerie) ce que les Serruriers appellent scie à guichet, est une petite scie à main, en forme de couteau dentelé, dont ils se servent pour faire dans les portes, tiroirs ou guichets de bois, les entrées des serrures qu'ils y veulent placer & attacher. (D.J.)

SCIE des Tabletiers, (Tabletterie) les Tabletiers, Peigniers & autres ouvriers, ont des especes de scies à main, qui ont une monture de fer à-peu-près comme les scies communes, mais sans corde. La feuille en est ferme & un peu large, & les dents sans être renversées ; elles servent à débiter le buis & les autres bois durs. (D.J.)

SCIE des Tailleurs de pierre, (sciage de pierres) les Tailleurs & Scieurs de pierre ont de deux sortes de scies, les unes à dents & les autres sans dents. Celles avec des dents sont tout-à-fait semblables aux passe-partout, hors qu'elles n'ont pas les dents détournées ; elles servent à scier la pierre tendre. Les scies sans dents dont on scie les pierres dures, & dont les Marbriers & Sculpteurs se servent aussi pour débiter leurs marbres, ont une monture semblable à celle des scies à débiter des Menuisiers, mais proportionnée à la force de l'ouvrage & de la scie, y en ayant de telles, que deux hommes ont assez de peine à les élever pour les mettre en place. La feuille de ces scies est fort large & assez ferme pour scier le marbre & la pierre, en les usant peu-à-peu par le moyen du sable & de l'eau que le scieur y met avec une longue cuilliere. (D.J.)

SCIE du Tonnelier ; les Tonneliers se servent de deux sortes de scies dans les ouvrages de leur métier, savoir la scie ordinaire & la scie à main.

La scie ordinaire est composée de deux parties, qui sont la feuille & la monture. La feuille est une bande de fer ou d'acier bien mince de deux ou trois doigts de largeur, & qui d'un côté est garnie de dents depuis un bout jusqu'à l'autre. Il y a deux trous aux deux extrêmités. La monture est composée de trois pieces de bois, dont la plus longue est enmortoisée par ses deux bouts dans le milieu des deux autres qui sont placées en travers. Les deux traverses sont fendues à une de leurs extrêmités pour y insérer la feuille de la scie, qu'on y assujettit par deux chevilles de fer ; à l'autre extrêmité elles ont une entaille pour recevoir une corde qui va de l'une à l'autre. Cette corde a dans son milieu une petite barre de bois, au moyen de laquelle on peut tortiller la corde & la raccourcir, ce qui force les deux extrêmités des traverses à s'approcher l'une de l'autre. Cela ne peut pas se faire sans que les deux autres bouts des traverses ne s'éloignent, & par conséquent sans bander la feuille de la scie ; ce qui l'assujettit, la rend ferme & l'empêche de plier quand on s'en sert.

La scie à main est une feuille de fer ou d'acier d'une ligne d'épaisseur, garnie de dents d'un côté, & qui par un bout se termine par une queue droite enfoncée dans un manche de bois.


SCIENCES. f. (Logiq. & Métaphys.) science, en terme de philosophie, signifie la connoissance claire & certaine de quelque chose, fondée ou sur des principes évidens par eux-mêmes, ou sur des démonstrations.

Le mot science pris dans le sens qu'on vient de dire est opposé à doute ; & l'opinion tient le milieu entre les deux.

Les sceptiques nient qu'il soit possible d'avoir la science sur rien, c'est-à-dire qu'il y ait rien sur quoi on puisse arriver à un degré de connoissance capable de produire une conviction entiere.

La science se partage en quatre branches, qui sont l'intelligence, la sagesse, la prudence & l'art.

L'intelligence consiste dans la perception intuitive du rapport de convenance ou de disconvenance qui se trouve entre deux idées ; telle est la science de Dieu, telle est la connoissance que nous avons des premiers principes.

La sagesse s'éleve toujours aux vues générales, & ne considere dans les êtres que les rapports qu'ils ont les uns avec les autres, pour en tirer des conclusions universelles. Les êtres spirituels sont aussi de son ressort.

La prudence s'applique à former les moeurs à l'honnêteté, conformément à des regles éternelles & immuables. On l'appelle dans les écoles, habitus verâ cum ratione activus.

L'art donne des regles sûres & immanquables pour bien raisonner. On le définit dans les écoles, habitus verâ cum ratione effectivus.

SCIENCES, (Connoissances humaines) je dirai peu de choses des sciences, non pas qu'elles ne fassent la partie la plus importante de l'Encyclopédie, mais parce qu'on a exposé profondement leur origine, leur nature, leurs progrès, leur enchaînement dans la belle préface de cet ouvrage.

Il est certain que les sciences sont l'ouvrage des plus grands génies. C'est par elles que l'immensité de la nature nous est dévoilée ; ce sont elles qui nous ont appris les devoirs de l'humanité, & qui ont arraché notre ame des ténebres pour leur faire voir, comme dit Montaigne, toutes choses hautes & basses, premieres, dernieres & moyennes ; ce sont elles enfin qui nous font passer un âge malheureux sans déplaisir & sans ennui. " Illustre Memmius, celui-là fut un dieu qui trouva l'art de vivre auquel on donne le nom de sagesse ".

Telle est aujourd'hui la variété & l'étendue des sciences, qu'il est nécessaire pour en profiter agréablement, d'être en même tems homme de lettres. D'ailleurs les principes des sciences seroient rebutans, si les belles lettres ne leur prêtoient des charmes. Les vérités deviennent plus sensibles par la netteté du style, par les images riantes, & par les tours ingénieux sous lesquels on les présente à l'esprit.

Mais si les belles-lettres prêtent de l'agrément aux sciences, les sciences de leur côté sont nécessaires pour la perfection des belles-lettres. Quelque soin qu'on prît de polir l'esprit d'une nation, si les connoissances sublimes n'y avoient accès, les lettres condamnées à une éternelle enfance, ne feroient que bégayer. Pour les rendre florissantes, il est nécessaire que l'esprit philosophique, & par conséquent les sciences qui le produisent, se trouvent, sinon dans l'homme de lettres lui-même, du-moins dans le corps de la nation, & qu'elles y donnent le ton aux ouvrages de littérature.

Socrate qui mérita le titre de pere de la philosophie, cultivoit aussi l'éloquence & la poésie. Xénophon son disciple sut allier dans sa personne l'orateur, l'historien & le savant, avec l'homme d'état, l'homme de guerre, & l'homme du monde. Au seul nom de Platon toute l'élévation des sciences, & toute l'aménité des lettres se présentent à l'esprit. Aristote, ce génie universel, porta la lumiere dans tous les genres de littérature, & dans toutes les parties des sciences. Alexandre lui écrivoit, qu'il aimeroit beaucoup mieux être comme lui au-dessus des autres hommes par l'étendue de ses lumieres, que par celle du pouvoir dont Dieu l'avoit comblé. Eratosthène traita dans des volumes immenses, presque tout ce qui est du ressort de l'esprit humain, la grammaire, la poésie, la critique, la chronologie, l'histoire, la mythologie, les antiquités, la philosophie, la géométrie, l'astronomie, la géographie, l'agriculture, l'architecture, & la musique.

Lucrece employa les muses latines à chanter des matieres philosophiques. Varron, le plus savant des Romains, partageoit son loisir entre la philosophie, l'histoire, l'étude des antiquités, les recherches de la grammaire & les délassemens de la poésie. Brutus étoit philosophe, orateur, & possédoit à fond la jurisprudence. Cicéron qui porta jusqu'au prodige l'union de l'éloquence & de la philosophie, déclaroit que s'il avoit un rang parmi les orateurs de son tems, il en étoit plus redevable aux promenades du portique, qu'aux écoles des rhéteurs. Combien d'autres exemples ne pourrois-je pas tirer des siecles reculés ? On ne pensoit point alors que les sciences fussent incompatibles dans une même personne, avec une érudition fleurie, avec l'étude de la politique, avec le génie de la guerre ou du barreau. On jugeoit plutôt que la multitude des talens étoit nécessaire pour la perfection de chaque talent particulier, & cette opinion étoit vérifiée par le succès.

Le même tems qui vit périr Rome, vit périr les sciences. Elles furent presque oubliées pendant douze siecles, & durant ce long intervalle, l'Europe demeura plongée dans l'esclavage & la stupidité. La superstition, née de l'ignorance, la reproduisit nécessairement, tout tendit à éloigner le retour de la raison & du goût. Aussi fallut-il au genre humain pour sortir de la barbarie, une de ces révolutions qui font prendre à la terre une face nouvelle. L'empire grec étant détruit, sa ruine fit refleurir en Europe le peu de connoissances qui restoient encore au monde. Enfin par l'invention de l'Imprimerie, la protection des Médicis, de Jules II. & de Léon X. les Muses revinrent de leur long évanouissement, & recommencerent à cultiver leurs lauriers flétris. De dessous les ruines de Rome, se releva son ancien génie, qui secouant la poussiere, montra de nouveau sa tête respectable. La sculpture & les beaux-arts ses aimables soeurs ressusciterent, & les blocs de marbre reprirent une nouvelle vie. Les temples réédifiés, Raphaël peignit, & Vida, sur le front duquel croît le laurier du poëte & le lierre du critique, écrivit avec gloire. Nous devons tout à l'Italie ; c'est d'elle que nous avons reçu les sciences & les beaux-arts, qui depuis ont fructifié presque dans l'Europe entiere.

L'étude des langues & de l'histoire abandonnée par nécessité dans les siecles de ténebres, fut la premiere à laquelle on se livra. L'impression ayant rendu communs les ouvrages des Grecs & des Romains, on dévora tout ce qu'ils nous avoient laissé dans chaque genre ; on les traduisit, on les commenta, & par une espece de reconnoissance, on se mit à les adorer, sans connoître assez leur véritable mérite ; mais bien-tôt l'admiration se montra plus éclairée, & l'on sentit qu'on pouvoit transporter dans les langues vulgaires les beautés des anciens auteurs ; enfin on tâcha de les imiter, & de penser d'après soi. Alors on vit éclorre, presque en même tems, tous les chefs-d'oeuvres du dernier siecle, en éloquence, en histoire, en poésie, & dans les différens genres de littérature.

Mais tandis que les arts & les belles-lettres étoient en honneur, il s'en falloit beaucoup que la philosophie triomphât, tant la scholastique nuisoit à l'avancement de ses progrès. De plus, quelques théologiens puissans craignirent, ou parurent craindre les coups qu'une aveugle philosophie pouvoit porter au christianisme, comme si une religion divine avoit à redouter une attaque aussi foible. Ajoutons qu'un tribunal odieux, établi dans le midi de l'Europe, y forçoit les Muses au silence. Heureusement que la raison bannie du Latium par des armes impies, franchit ses anciennes bornes, & se réfugia dans des climats plus tempérés : " c'est-là qu'elle éclaira de beaux génies qui préparerent de loin, dans l'ombre du silence, la lumiere dont le monde devoit être éclairé par degrés insensibles.

L'immortel Bacon examina les divers objets de toutes les sciences naturelles, & justifia la nécessité de la physique expérimentale, à laquelle on ne pensoit point encore. Ennemi des systèmes, il sut borner la philosophie à la science des choses utiles, & recommanda par-tout l'étude de la nature. Au célebre chancelier d'Angleterre, succeda l'illustre Descartes, qui s'égara sans-doute en théorie, mais qui acquit une grande gloire par l'application qu'il fit de l'algebre à la géométrie. Newton parut enfin, bannit de la physique les hypothèses vagues, découvrit la force qui retient les planetes dans leurs orbites, calcula la cause de leurs mouvemens, dévoila la vraie théorie du monde ; & créateur d'une optique toute nouvelle, il fit connoître la lumiere aux hommes en la décomposant. Locke créa la métaphysique à-peu-près comme Newton avoit créé la physique. Il réduisit cette science à ce qu'elle doit être en effet, la physique expérimentale de l'ame. Ses principes aussi simples que des axiomes, sont les mêmes pour les philosophes & pour le peuple ". Disc. prélim. de l'Encyclopédie.

Plusieurs autres savans ont infiniment contribué par leurs travaux, au progrès des sciences, & ont pour ainsi-dire levé un coin du voile qui nous cachoit la vérité. De ce nombre sont Leibnitz, qui suivant l'opinion de l'Allemagne, partage avec Newton l'invention du calcul différenciel ; " Galilée à qui la géographie doit tant de choses utiles ; Harvey que la découverte de la circulation du sang rend immortel ; Huyghens, qui par des ouvrages pleins de force & de génie, a bien mérité de la physique ; Pascal, auteur d'un morceau sur la cycloïde, qu'on doit regarder comme un prodige de sagacité, d'un traité de l'équilibre des liqueurs & de la pesanteur de l'air, qui nous a ouvert une science nouvelle ; Boyle, le pere de la physique expérimentale ; plusieurs autres enfin, parmi lesquels je ne dois pas oublier Boerhaave, le reformateur de la médecine ". On sait aussi tout ce que le droit naturel, la morale & la politique doivent à Grotius, Puffendorf, Thomasius, & autres écrivains célebres.

Voilà quel étoit l'état des sciences au commencement de ce siecle. Portées rapidement du premier essor à leur faîte, elles ont dégénéré avec la même promtitude, comme si elles étoient des plantes étrangeres à la nature, qui doivent sécher sur pié, & disparoître dans le sein de l'oubli, tandis que les arts méchaniques, enracinés pour ainsi-dire dans les besoins de l'homme, ont un esprit de vie qui les soutient contre les ravages du tems.

Les sciences offrent aux yeux une belle avenue, mais fort courte, & qui finit par un désert aride. Comme parmi nous leur midi s'est trouvé fort près de leur levant, leur couchant n'est pas éloigné de leur midi. On vit à Rome la même révolution ; soixante ans après le regne d'Auguste, Quintilien écrivoit déjà sur la chûte de l'éloquence, & Longin qui fleurissoit sous Galien, fit un chapitre sur les causes de la décadence de l'esprit. Cependant les récompenses des beaux-arts n'étoient point tombées chez les Romains. Semblablement nos académies subsistent toujours, mais elles ont dans leur institution des vices qui les ruinent. Ici l'inégalité des rangs est fixée par des statuts du prince ; lorsqu'on n'y devroit connoître d'autre supériorité que celle du génie. Là se rend un tribut perpétuel d'éloges fastidieux, honteux langage de la servitude ! Souvent dans ces mêmes académies, la récompense du mérite est enlevée par les menées de l'intrigue ou de l'hypocrisie. La cupidité, la vanité, la jalousie, la cabale, se sont encore emparés de nos sociétés littéraires, plus que la noble ambition de s'y distinguer par ses talens ; la sagacité a dégénéré en suffisance, l'amour du beau, en amour du faux bel esprit : in deteriùs quotidie data res est.

D'ailleurs ce n'est point au centre du luxe que les sciences établissent toujours leur domicile, s'il en étoit ainsi, les connoîtroit-on glorieusement aux bords des lieux où le Rhin vient se perdre, dans le voisinage des îles Orcades, & de celui du mont Adule ? Il ne faut pas pour être savant, arroser l'ame comme nous faisons, de quelques idées superficielles ; il la faut teindre de connoissances qui ne s'acquierent que par les veilles & les travaux.

Ajoutons que la noblesse du royaume, plongée dans la mollesse & l'oisiveté, a trouvé que l'ignorance étoit un état paisible, & elle n'a pas manqué d'en accréditer merveilleusement le parti. Aristote, Platon, Solon, Périclès, Démocrite, Hippocrate, Scipion, Cicéron, Hortensius, Lucullus, César, Pline, & tant d'autres grecs & romains, ne se croyoient pas en droit, parce qu'ils étoient de grands seigneurs, de négliger les sciences, & de vivre dans une glorieuse stupidité. Tout au contraire, ils firent cet honneur à leur rang & à leur fortune, de ne les employer qu'à acquérir des lumieres ; ils savoient bien que les gens éclairés conduisent par-tout les aveugles. Mais une nation qui dominée par l'exemple, fait gloire de préférer la légereté & les agrémens frivoles, au mérite que l'étude & les occupations sérieuses peuvent donner à l'esprit ; une telle nation, dis-je, doit tomber dans la barbarie. Aussi faut-il croire que dans cette nation, l'amour des sciences n'étoit sous Louis XIV. qu'une nouvelle mode ; dumoins leur culture a passé comme une mode. Quelqu'autre Louis, dans la révolution des tems, pourra la faire naître, & la changer en un goût durable ; car c'est au génie éclairé des monarques, & à leurs mains bienfaisantes, qu'il appartient de fonder aux sciences des temples, qui attirent sans-cesse la vénération de l'univers. Heureux les princes qui sauront ainsi mériter de l'humanité ! (D.J.)

SCIENCE EN DIEU, (Théolog.) c'est l'attribut par lequel il connoît toutes choses, de quelque nature qu'elles soyent. Dieu a une science parfaite & infinie ; il connoit tout ce qu'il y a de possible, tout ce qu'il y a de réel, tout ce qu'il y a de futur, soit absolu, soit conditionnel.

Quoique la science de Dieu considérée en elle-même soit un acte très simple, & comme un coup-d'oeil net & juste par lequel tout est présent devant lui, cependant les divers objets qu'elle embrasse, ont fait distinguer aux Théologiens trois sortes de sciences en Dieu ; savoir, la science de simple intelligence, la science de vision, & une troisieme que quelques-uns appellent science moyenne.

La science de simple intelligence est celle par laquelle Dieu voit les choses purement possibles qui n'existent, ni n'existeront jamais. C'est l'attribut par lequel Dieu a la représentation simultanée & adéquate de tous les possibles. Pour le concevoir, autant que nous en sommes capables, il faut faire attention 1°. au nombre immense des possibles, 2°. à ce qu'emporte leur représentation distincte.

1°. Quant au nombre immense des possibles, l'univers étant l'enchaînure de toutes les choses tant simultanées que successives, pour arriver par la contemplation de la nature à une sorte de détermination du nombre des possibles, il faut faire attention tant aux choses qui coexistent ensemble dans cet univers, qu'à celles qui s'y succedent les unes aux autres. Il faut de plus remarquer que l'univers est composé de grands corps qu'on peut appeller totaux, & de moindres que nous nommerons partiaux. Le nombre des grands corps de l'univers assez limité tant qu'on n'a pu les observer qu'à la simple vûe, s'est prodigieusement augmenté depuis l'invention des télescopes. M. Wolf a fait là-dessus un calcul fort propre à donner l'idée de l'immensité des corps célestes. Voici sur quoi il le fonde. Le P. Riccioli donne à la constellation d'Orion près de cinq cent degrés en quarré d'espace dans le ciel. Or Galilée a observé cinq cent étoiles dans un espace de quatre degrés ; ainsi sur le même pié on pourra supposer dans Orion entier 62500 étoiles. La circonférence du cercle est de 360 degrés, & son diametre de 115 : ce qui donne, suivant les théoremes d'Archimede, pour la surface entiere de la sphere, 41400 degrés en quarré. En prenant donc pour hypothese que la surface de la sphere du monde est également remplie d'étoiles, le nombre des fixes iroit à 5175000 ; & quoique l'arrangement des systèmes planétaires autour des fixes ne soit pas le même, on peut pourtant supposer que chaque étoile fixe placée comme soleil au centre, peut éclairer & échauffer quinze planetes : ce qui fera monter le nombre des corps totaux du monde à 77625000. Il n'y arien dans les suppositions précédentes qui ne soit admissible. Si au télescope divers espaces paroissent moins remplis que les quatre degrés d'Orion sur lesquels on a calculé, il y en a d'autres où ces étoiles fourmillent en beaucoup plus grande abondance, comme la voie lactée & les étoiles nébuleuses. Si du nombre des grands corps du monde nous passons aux dimensions de l'espace qu'ils doivent occuper, la somme en sera bien plus prodigieuse encore. Suivant les observations de M. Cassini, la distance moyenne de la terre au soleil est de 22000 demi-diametres terrestres, ou de 18920000 milles d'Allemagne. Cette distance étant à celle de Saturne comme 2 à 19, cela donne 179740000 milles de plus à cause de la proportion du diametre de la terre qui est de 1720 milles d'Allemagne au diametre de l'anneau de Saturne, laquelle proportion est comme 1 à 45. Le diametre de cet anneau est de 77400 milles d'Allemagne : ce qui donne, suivant les calculs de Cassini, pour distance du dernier satellite au centre de Saturne, 812700 milles d'Allemagne. En ajoutant cette distance à celle de Saturne au soleil, vous avez le demi-diametre du système planétaire auquel la terre appartient, lequel étant doublé, il en résulte le diametre entier de 36115400 milles. Cela iroit encore beaucoup plus loin, si l'on reçoit la détermination de la parallaxe du soleil, telle qu'elle a été donnée par M. de la Hire. Il est incontestable que Saturne est séparé par un fort grand espace des étoiles fixes de la premiere grandeur ; & quoique les systèmes planétaires puissent différer entr'eux par rapport à l'étendue, il n'y a pourtant point d'inconvéniens à les supposer égaux. En multipliant donc le cube du diametre du système planétaire, par le nombre des étoiles fixes ci-dessus indiqué, le nombre qui en provient, exprime le cube du diametre de la sphere qui comprend tous les systèmes que nous pouvons découvrir probablement par la voie des télescopes ordinaires. Mais pour diminuer les difficultés de cette multiplication, en resserrant les nombres, prenons le diametre du système planétaire en diametres terrestres qui, suivant les hypotheses précédentes, seront 209904, leur cube qui fait 92483305005195264 multiplié par 5175000, donne pour cube du diametre qui égale toute l'étendue de la sphere observable, 478601103401885491200000 diametres terrestres, dont chacun est de 5088448000 milles cubiques. Quelle ne doit donc pas être l'étendue de l'intelligence divine, qui comprend l'univers formé de l'assemblage immense de tous ces systèmes ? Mais que sera-ce, si nous y joignons l'idée de tous les mondes possibles, de toutes les combinaisons qui peuvent résulter des choses qui entrent dans la composition de l'univers & de tant d'autres choses que la puissance divine pourroit effectuer ? Ici se présentent des abymes impénétrables pour nous : ici cessent tous les calculs. Que si de l'ordre physique on passe à l'ordre moral, & qu'on veuille examiner toutes les choses possibles que Dieu voit clairement, le philosophe, ainsi que le chrétien, n'est-il pas obligé de s'écrier plein d'admiration & de respect : domine, quis similis tibi ?

On est encore plus effrayé si l'on passe à la considération de ce qu'emporte la représentation distincte de tous les possibles dans l'entendement divin. Reprenons encore pour un moment la voie du calcul. On peut comparer l'étendue des entendemens aux grandeurs des espaces, & suivant cette idée, un entendement qui saisiroit distinctement toute notre terre, seroit à celui qui comprendroit avec la même distinction le système planétaire entier, comme 1 à 92483305005195264. Mais quelle sera la proportion de l'entendement humain à celui qui comprendroit distinctement le globe terrestre ? Pour en juger, prenons l'oeil, le plus propre de nos organes aux perceptions distinctes. Un bon oeil qui n'est ni miope, ni presbyte, voit distinctement ce qui est compris dans l'espace de huit pouces. L'optique enseigne que ce que l'oeil saisit d'un seul coup, est compris dans la circonférence d'un angle droit, & que le diametre d'un objet vu sous cet angle droit, est double de la distance. En égalant donc la force visuelle à la force perceptive, on aura pour mesure de l'étendue de l'entendement humain, le cube d'un diametre de seize pouces, c'est-à-dire, 4096 pouces cubiques. Le diametre de la terre mesuré par Mr. Cassini, a été trouvé de 39391077 piés ou 472692924 pouces. Ainsi le diametre de la sphere qui mesure la capacité de l'entendement humain, sera comme 1 à 29543308, & par conséquent l'entendement humain est à celui qui saisit distinctement la terre entiere d'un coup d'oeil, comme 1 à 257856074311206674112. L'entendement de ce dernier à celui qui comprend tout le système, est en raison sous millionieme : donc & pour derniere conclusion, l'entendement humain est par rapport à celui qui comprend tout le systéme planétaire 40/100000000000000000000000000000000000000000 Nous ne pousserons pas plus loin ces observations. Ce ne sont là que les bords de l'intelligence divine ; qui pourroit en sonder la profondeur ? Cet article est tiré des papiers de M. Formey, historiographe & secrétaire de l'académie royale de Prusse.

La science de vision est celle par laquelle Dieu voit tout ce qui a existé, existe ou existera dans le tems : ce qui emporte la connoissance de toutes les pensées & de toutes les actions des hommes, présentes, passées & à venir, aussi bien que du cours de la nature, & des mouvemens qui sont arrivés, qui arrivent ou qui arriveront dans l'univers : tout cela connu dans la derniere précision, & toujours présent aux yeux de Dieu. On peut juger par ce qu'on vient de lire sur la science de simple intelligence, de ce que c'est que l'entendement humain le plus éclairé sur le présent & le passé ; car pour l'avenir il est impénétrable à ses yeux, & Dieu seul s'en est réservé la connoissance qu'il communique aux hommes, quand il lui plait.

On demande dans les écoles si cette science de division est la cause des choses qui arrivent, & quelques théologiens tiennent pour l'affirmative ; mais ils confondent la science de Dieu avec sa volonté. Le plus grand nombre reconnoit que la science divine est seulement cause directive, mais non pas efficiente, des choses qui arrivent ou qui doivent arriver, parce que selon l'axiome reçu, les choses ne sont pas futures, parce que Dieu les prévoit, mais Dieu les prévoit, parce qu'elles sont futures.

Mais comme les choses futures sont ou futures absolument, ou futures conditionnellement, & qu'entre ces dernieres il en est qui arriveront certainement, parce que la condition dont elles dépendent, sera posée, & d'autres qui n'arriveront pas, parce que la condition dont elles dépendent, ne sera pas posée : quelques théologiens ont distingué en Dieu une troisieme espece de science qu'ils nomment la science des conditionnels, scientia conditionatorum.

Ils définissent cette science des conditionnels, la connoissance que Dieu a des choses considérées du côté de leur essence, de leur nature ou de leur existence réelle, mais sous une certaine supposition, laquelle entraîne une condition, qui cependant ne sera jamais accomplie.

Ainsi, disent-ils, lorsque David fuyant la persécution de Saül, demanda à Dieu si les habitans de Ceïla, ville où il s'étoit retiré, le livreroient à ses ennemis, Dieu qui savoit ce qui arriveroit à David, au cas qu'il continuât de rester à Ceïla, lui répondit : ils vous livreront, tradent. Ce que Dieu savoit, ajoutent-ils, par la science des conditionnels.

Le P. Daniel remarque que les vérités qui font l'objet de la science des conditionnels, sont fort différentes de celles que la science de simple intelligence ou celle de vision, ont pour objet ; que c'est une troisieme classe d'idées mitoyenne entre les choses purement possibles, & les choses qui existent ou existeront absolument. Mais les Thomistes & les Augustiniens leur répondent que de deux choses l'une : ou les conditionnels sont futurs sous une condition qui doit être remplie, & qui le sera effectivement, & en ce cas ils rentrent dans la classe des futurs absolus : ou ils sont futurs sous une condition qui ne sera jamais remplie, & alors il faut les ranger dans le nombre des choses purement possibles.

Au reste ces derniers ne refusent pas d'admettre cette science des conditionnels, comme une opinion philosophique, mais ils la combattent fortement considérée comme opinion théologique, c'est-à-dire, comme nécessaire pour éclaircir les questions de la prédestination, de la réprobation & de la grace.

La science des conditionnels considérée sous ce rapport, est appellée dans les écoles science moyenne, scientia media. Les Molinistes qui l'ont imaginée, la définissent : la connoissance des conditionnels par laquelle Dieu voit ce que la créature libre fera, ou ne fera pas de bien ou de mal conditionnellement, c'est-à-dire, si dans telles ou telles circonstances Dieu lui accorde telle ou telle grace. Ils la supposent antérieure à tout decret absolu & efficace en Dieu, & qu'elle dirige Dieu dans la formation de ses decrets. Cette opinion a ses défenseurs & ses adversaires, dont on peut voir les raisons pour & contre dans tous les théologiens modernes ; & il est libre de la soutenir dans les écoles, quelques efforts qu'on ait fait pour la noircir & pour la décrier. Voyez AUGUSTINIENS, THOMISTES, MOLINISTES, &c.

SCIENCE SECRETTE, (Hist. de l'Egl.) c'est selon Clément d'Alexandrie, la doctrine particuliere qui ne devoit être communiquée qu'aux parfaits, trop sublime & trop excellente pour le vulgaire, parce qu'elle est au-dessus de lui. Il paroît que ce pere de l'Eglise est un des premiers qui ait tâché d'introduire la discipline de la science secrette chez les chrétiens ; car avant lui, personne ne l'imagina ; mais Clément s'écarta de l'usage reçu, & se fit des principes à part, semblables à ceux des payens, qui cachoient leurs mysteres, & qui enveloppoient la science d'énigmes. Leur exemple l'entraîna, & on le voit aisément par ce mot de Pindare qu'il rapporte lui-même pour étayer son opinion : n'exposez point les anciennes doctrines en présence de tout le monde ; la voie du silence est la plus sûre.

D'ailleurs, c'étoit une ancienne coutume des sages, de voiler la sagesse, & de ne la communiquer que par des emblèmes, par des figures énigmatiques, & par des sentences obscures. Les Egyptiens le faisoient ; Pythagore l'avoit fait à leur exemple. Hipparque ayant osé décrier les dogmes de Pythagore, & les expliquer dans un livre exprès, on le chassa de l'école, & on lui éleva un tombeau, comme s'il eût été mort. Il y avoit des ouvrages d'Epicure qu'on tenoit secrets ; il y en avoit de Zenon, & d'autres philosophes. Ainsi Clément d'Alexandrie se persuada sans peine, qu'il y avoit aussi des doctrines secrettes qu'il ne falloit communiquer que de vive voix de chrétien à chrétien, digne de les recevoir.

Cependant il ne faut pas s'imaginer, que ces doctrines secrettes, que S. Clément ne permet de communiquer qu'aux parfaits, soient des vérités de la foi, ou des vérités essentielles, puisqu'on les prêchoit à tout le monde ; mais ce qu'il nomme doctrines secrettes, sont les explications mystiques des loix, des cerémonies, en général de celles qui avoient été instituées dans le vieux Testament, ou ce qui avoit été dit mystiquement par les prophetes. C'étoit là la science secrette, dont il ne falloit parler qu'aux initiés. C'étoit là la tradition que J. C. avoit enseignée à ses disciples, la sagesse mystérieuse. Ce que S. Clément avoit permis de divulguer & d'enseigner à tous ; c'est ce que S. Paul appelle le lait, c'est-à-dire la doctrine des catéchumenes, la foi, l'espérance, la charité ; mais ce qui, selon lui, ne devoit point être divulgué ; c'est ce que l'apôtre appelle viande solide, c'est-à-dire la connoissance des secrets, ou la compréhension de l'essence divine. Voilà, continue-t-il, cette science secrette dont J. C. fit part à ses disciples depuis sa résurrection.

Quoi qu'il en soit de toutes les idées de Clément d'Alexandrie sur la science secrette, il est constant que les chrétiens n'ont jamais caché leurs mysteres aux infideles. S. Paul n'avoit point cette pratique ; elle ne fut point d'usage du tems de Tertullien, de Minucius Felix, & de Justin martyr ; ce dernier déclare qu'il seroit bien fâché qu'on l'accusât de rien dissimuler par malice, ou par affectation ; mais Clément d'Alexandrie se fraya une nouvelle route, & l'applanit si bien par son crédit & par son érudition, qu'il trouva des sectateurs, & S. Chrysostome lui-même tout homme sensé qu'il étoit. On peut voir la dissertation de Casaubon sur le silence mystérieux, exercit. XII. n °. 43. (D.J.)

SCIENCES, jeux instructifs pour apprendre les, (Litter.) C'est ainsi qu'on a nommé divers jeux de cartes, & même de dez, imaginés pour apprendre aux enfans & aux jeunes gens, non-seulement les sciences qui ne demandent que des yeux & de la mémoire, telles que l'histoire, la géographie, la chronologie, le blason, la fable ; mais ce qu'il y a de plus singulier, les sciences mêmes qui demandent le plus de raisonnement & d'application, telles que la logique & le droit.

Le premier qui ait cherché la méthode d'apprendre les sciences par des figures, & à rendre utile pour l'esprit le jeu de cartes, est un cordelier allemand, nommé Thomas Mürner, né à Strasbourg. Ce religieux enseignant au commencement du xvj. siecle la philosophie en Suisse, s'apperçut que les jeunes gens étoient rebutés des écrits d'un Espagnol, qu'on leur donnoit pour apprendre les termes de la dialectique. Il en fit une nouvelle par images & par figures, en forme de jeu de cartes, afin que le plaisir engageant les jeunes gens à cette espece de jeu, leur facilitât la peine d'une étude épineuse. Il réussit si bien, qu'on le soupçonna de magie, par les progrès extraordinaires que faisoient ses écoliers ; & pour justifier sa conduite, il produisit son invention aux docteurs de l'université, qui non-seulement l'approuverent mais l'administrerent comme quelque chose de divin.

Ce jeu de cartes de Mürner, dit le P. Menestrier, contient cinquante deux cartes, dont les signes qui les distinguent, sont des grelots, des écrevisses, des poissons, des scorpions, des chats, des serpens, des pigeons, des coeurs, des bonnets fourrés, des soleils, des étoiles, des croissans de lune, des couronnes, des écussons, &c.

Un pareil assemblage de figures si bisarres & si diverses, tenoit en quelque façon du grimoire, & devoit dans un tems d'ignorance, contribuer autant à faire accuser leur compilateur de magie, que les prétendus progrès de ses disciples ; je dis prétendus, car s'ils ont eû quelque chose de réel, on ne peut guere mieux les expliquer que, par ce que Charles II, roi d'Angleterre, disoit d'un de ses aumoniers, bonhomme, mais grosse bête, qui n'avoit pas laissé que de convertir en peu de tems une partie de son troupeau, " c'est que la bêtise du curé étoit faite pour ses paroissiens ".

Quoi qu'il en soit, c'est à l'imitation du P. Mürner que l'on a inventé depuis tous les autres livres & jeux qui ont été faits en Europe, pour apprendre les sciences aux jeunes gens. Le lecteur sera peut-être bien aise de trouver ici les titres de quelques-uns de ces livres, qui ne sont pas aujourd'hui communs, & qui ont été fort recherchés par les curieux.

Jeux de cartes pour la grammaire & les belles-lettres. 1°. Le jeu des lettres, ou de l'alphabet, inventé il y a près de deux mille ans, & renouvellé en faveur de la naissance de Mgr. le duc de Bretagne, par Alexandre Fleuriau, prêtre ; c'est une grande feuille ouverte, sur laquelle est empreinte une gravure représentant un cercle presque entier, où sont écrites de suite les 24 lettres de l'alphabet, & sur laquelle on jette 4 dés, sur les 24 faces desquelles sont aussi gravées les mêmes 23 lettres, ce qui, dit l'auteur, accoutume les enfans à se les imprimer dans la mémoire, tant par la figure, que pour le nom.

2°. Le jeu royal de la langue latine, avec la facilité & l'élégance des langues latine & françoise, par Gabriel de Froigny. Lyon, chez la veuve Coral 1676, in -8°. Ce Gabriel de Froigny, étoit un cordelier défroqué, établi à Geneve, où il embrassa le calvinisme, sans mener cependant une vie fort réguliere. Il se donna pour être l'auteur du voyage de la terre australe, imprimé sous le nom de Jacques Sadeur ; mais il mentoit selon toute apparence, car il y a dans cette relation certaines choses ménagées trop finement, pour que ce cordelier ait été capable de la délicatesse qui s'y trouve.

3°. Chartae lusoriae, cum quatuor illustrium poëtarum, nempè Plauti, Horatii, Ovidii, & Senecae, sententiis. Parisiis, apud Wechel.

Pour la logique. 4°. Ars ratiocinandi lepida, multarum imaginum festivitate contexta, totius logices fundamenta complectens, in chartiludium redacta, à patre Guischet, ordinis minorum. Salmurii, Harnault 1650, in -4°. Ce pourroit bien être ici le livre de Mürner, imprimé d'abord à Strasbourg en 1509 in -4°. & reproduit ici sous un nouveau titre.

Pour les mathématiques & la médecine. 5°. Ludus mathematicus, per E. W. ubi scachi, tabulae cuidam mathematicae aptati, quasvis propositiones arithmeticas & geometricas resolvunt. Anglicè. Londini 1654, in -12.

6°. Claudii Buxerii Rythmomachia, seu pythagoricus numerorum ludus, qui & philosophorum ludus dicitur. Parisiis, apud Guill. Cavallat 1556, in -8°.

7°. Le très - excellent & ancien jeu pythagorique, dit Rythmomachie, fort propre & très-utile à récréation des esprits vertueux, pour obtenir vraie & prompte habitude en tout nombre & proportion, par Claude de Boissiere. Paris 1556, in -8°. Ce dernier livre n'est vraisemblablement que la traduction du précédent.

8°. Guidonis Falconis melpomaxia, sive ludus geometricus. Lugduni, in -4°.

9°. Liber Ouranomachia, seu astrologorum ludus, in abaco rotundo, cùm calculis, ubi duo ordines planetarum pro mundi imperio certant, in -4°.

10°. Francisci Monantholii ludus jatro-mathematicus, musis factus, ad averruncandos tres hostes, & . Parisiis 1597, in -8°.

Pour la Géographie, l'Histoire & le Blason. 11. Matth. Kirchofferi orbis lusus, id est, lusus geographicus, pars I. Grascii 1659, in -4°.

12. Joannis Praetorii, J. H. Sinfriden, und Franc. Nigrini, Europaeisch geographische spiel-carte, Nuremberg 1678, in-12.

13. Le jeu du monde, ou l'intelligence de ce qu'il y a de plus curieux dans le monde, par le sieur Jeaugeon, Paris, Amable-Auroy, in -12.

" On joue ce jeu sur une table de 18 piés de long, où est représentée une mappemonde avec les lieux les plus remarquables, tant par leur situation, que par les faits notables qui s'y sont passés ; ce qui peut être de quelque utilité pour se donner une légere teinture de la géographie & de l'histoire ".

14. Jeu de cartes du blason, contenant les armes des princes des principales parties de l'Europe, par le P. Claude-François Menestrier. Lyon, Amaulry 1592, in -8°.

Pour la Politique & la Morale. 15. Jacobi de Cessolis, seu Cessulis, ordinis praedicatorum, liber de moribus hominum, officiisque principum, ac populorum, argumento sumpto ex ludo schaccorum. Mediolani 1479, in-fol. Il y a des traductions de cet ouvrage dans presque toutes les langues. La premiere qu'on vit en françois, fut imprimée à Paris en 1504, in -4°. L'angloise parut à Londres en 1480, in-fol. La version hollandoise à Gouda, en 1479, in-fol.

Pour la Théologie. 16. Le livre du roi Modus, qui, sous les termes de la chasse des bêtes de toute espece, moralise sur lesdites bêtes, les dix commandemens de la loi, les sept péchés mortels, &c. & parle de Dieu le pere, qui envoya à son fils la cause de ratio & de sathan ; & de Dieu le fils, qui jugea contre sathan ; du S. Esprit, qui détermina les ames au monde, & la chair à satan ; de la bataille des vices & des vertus ; du roi d'orgueil, qui fit défier le roi Modus ; du songe de pestilence, &c. C'est un manuscrit qui se trouve dans quelques bibliotheques, car l'ouvrage imprimé ne concerne que la chasse.

17. Une espece de jeu d'oie, imaginé par un jésuite, pour apprendre aux enfans les élémens du Christianisme, & dont on peut voir la description dans le voyage d'un missionnaire de la compagnie de Jésus en Turquie, &c. pag. 204. & dans le journal littéraire, tom. XV. pag. 463. Les Apôtres ne se sont jamais avisés d'un si merveilleux expédient ; mais les Jansénistes ont fait un pareil livre sur la constitution Unigenitus, intitulé, Essai d'un nouveau conte de ma mere l'oie, avec les enluminures. Paris 1722, in -8°.

18. Le combat de Maladvise avec sa dame, par Amours, sur les jeux de paume, cartes, dez & tablier ; montrant comme tels jeux, joint celui des femmes, font aller l'homme à l'hôpital, avec plusieurs rondeaux & dixains, présentés au puits de risée. Lyon 1547, in -16.

Autres jeux d'amusement. 1°. Le plaisant jeu du dodécaëdron de fortune, non moins recréatif que subtil & ingénieux, composé par maître Jean de Mehun, du tems du roi Charles-le-Quint, imprimé à Paris par Jean Longis, en 1560 in -4°. & à Lyon par Fr. Didier, en 1577 in -8°. On y jouoit avec un dé à douze faces, d'où lui venoit le nom de dodécaëdron ; & sur chacune de ces faces, étoit un nombre qui renvoyoit à une réponse en vers, sur quelque question agréable, plaisante ou badine.

2°. Le passe-tems de la fortune des dés, inventé par Laurens l'Esprit, italien, translaté en françois, & imprimé à Paris chez Guil. le Noir, 1559 ; & à Lyon chez Ben. Rigaud, en 1583, in -4°.

3°. Le passe-tems de la fortune des dés, d'une autre bien plus gaillarde invention, que n'est celle de Laurens l'Esprit ; car pour trouver sa fortune, il ne met qu'un seul renvoi à l'empereur, au roi d'Aragon, &c. Ici chacun répond à un distique françois, sur la demande de la chose qu'on veut savoir. A Paris chez Nic. Buffet, in -16.

4°. Jeu de l'adventure & devis facétieux des hommes & des femmes, auquel par élection de feuillets, se rencontre un propos pour faire rire la compagnie, le tout par quatrains ; imprimé à Paris & à Lyon, in -32.

5°. La pratique curieuse, ou les oracles des Sibylles, avec le sort des humains, tirée des mystères du S. de Combiers ; imprimée à Paris chez Michel Brunet, en 1693, in -12. " Ce sont cinq imitations du livre de Jean de Mehun ; mais la derniere est la plus ingénieuse & la plus agréable ; chacune de ses réponses formant un quatrain accommodé au goût & aux maximes du tems présent. On y joue avec deux dés, ou simplement en proposant un nombre, depuis 1 jusqu'à 12 ".

6°. Giardino di Pensieri, overo le ingeniose sorti, composte da Francesco Marcolini da Forli, imprimé à Venise en 1550, in-fol. avec quantité de figures gravées en bois. Ce dernier jeu se joue avec des cartes.

En 1660, M. de Brianville fit un pareil jeu de cartes pour le blason ; mais comme il avoit composé ce jeu des armoiries des princes du Nord, de l'Italie, de l'Espagne & de la France, la rencontre des armoiries de quelques princes, sous les titres de valets & as, lui fit des affaires ; les planches furent saisies par le magistrat, & l'auteur fut obligé de changer ces titres en ceux de princes & de chevaliers. C'étoit-là sans-doute une étrange petitesse ; car outre que le mot de valet signifioit autrefois un haut officier chez les souverains, les habillemens & les armes des valets de cartes, n'indiquent point de la canaille ; aussi vont-ils immédiatement après les rois & les reines. Leurs noms même Hector, Ogier le Danois & la Hire, sont de beaux noms. Quant aux as, comme ils sont les plus hauts points, & même supérieurs aux rois, dames & valets, dans la plûpart des jeux de cartes, il n'y avoit pas plus de sujet de s'en scandaliser.

Enfin M. Desmarets de l'académie françoise, fit pour l'instruction de la jeunesse, le jeu des rois de France, des dames renommées, des métamorphoses & de la géographie.

Au reste, tous les titres de livres qu'on vient de transcrire, sont tirés de l'ouvrage de Thomas Hyde, de ludis orientalibus ; de la bibliotheca scriptorum de ludis, par Beyer ; & du dictionnaire historique de Prosper Marchand.

La nouveauté donna d'abord du cours à tous les livres de jeux, accommodés aux sciences ; mais depuis qu'on a trouvé de bonnes méthodes pour étudier l'histoire, la chronologie, la géographie, la fable & le blason, on les a préférées à ces frivoles inventions, dont les jeunes gens tirent peu d'utilité, & dont ils se servent d'ordinaire pour perdre leur tems. On a remarqué que lorsqu'on veut ensuite les instruire sérieusement, ils croyent toujours jouer, & sont incapables de donner de l'attention à tout ce qui n'est pas jeu.

D'ailleurs on ne sauroit apprendre que peu de choses par la méthode des jeux, d'autant qu'une carte ne porte qu'un nom, & que le jeu entier n'admet qu'une courte nomenclature. Erasme a porté un jugement fort judicieux de tous ces prétendus jeux instructifs, pour l'étude des sciences, & qu'on nommoit ars notoria de son tems : Ego, dit-il, aliam artem notoriam scientiarum non novi, quam curam, amorem & assiduitatem. (D.J.)


SCIENDUMSCIENDUM


SCIENTIFIQUEadj. (Gramm.) relatif à la science ; on dit un traité scientifique, par opposition à un ouvrage de pratique ; des connoissances raisonnées & scientifiques, par opposition à des connoissances d'habitude & de routine. Il ne se dit guere des personnes.


SCIERv. act. (Méchaniq.) c'est couper du bois, du marbre, de la pierre, ou autres matieres avec la scie, soit à dents, soit sans dents ; on le dit aussi des diamans & autres pierres précieuses. Voyez l'article SCIE. (D.J.)

SCIER A CALER, (Marine) c'est nager en arriere, en ramant à rebours, afin d'éviter le revirement & de présenter toujours la proue. On dit mettre à scier, ou mettre à caler, lorsqu'on met le vent sur les voiles, de maniere que le vaisseau recule.

SCIER SUR LE FER, terme de Galere, (Marine) c'est ramer à rebours, lorsqu'une galere est chargée d'un vent traversier dans une rade où elle est à l'ancre.


SCIERECK(Géog. mod.) Sierque, ou plutôt Sirck ; petite ville de Lorraine, au pays Messin. Voyez SIRCK.


SCIERIESS. f. (Hist. anc.) fêtes qu'on célébroit dans l'Arcadie en l'honneur de Bacchus, dont on portoit la statue sous un dais ou pavillon, . En cette solemnité les femmes se soumettoient à la flagellation devant l'autel du dieu pour obéir à un oracle de Delphes. On nommoit aussi scieries ou scires, une solemnité d'Athènes, dans laquelle on portoit en pompe par la ville des tentes ou pavillons suspendus sur les statues des dieux, principalement de Minerve, du Soleil, & de Neptune, & l'on donna au mois de Mai, dans lequel on la célébroit, le nom de scirrophorion. On prétend qu'elle avoit quelque ressemblance avec la fête des tabernacles chez les juifs.


SCIEURS. m. (Artisan) celui qui scie : les scieurs de long sont des charpentiers qui refendent & coupent des pieces de bois dans toute leur longueur, pour les débiter en planches ou en chevrons, ou en solives. Les scieurs de pierre & de marbre, sont ceux qui les débitent en morceaux avec la scie sans dents. Leur ouvrage consiste proprement à user le marbre ou la pierre par un continuel frottement du fer acéré qui sert de feuille à la scie ; ce qu'ils facilitent en mettant du grès & de l'eau dans l'ouverture que fait la scie à mesure que le sciage s'avance. Il y a aussi des scieurs de pierre tendre, qui la coupent avec un passe-partout ou grande scie à dents ; mais ce sont moins des scieurs que des manoeuvres qu'on emploie à cet ouvrage. (D.J.)


SCIGLIO(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, sur la côte occidentale, à dix milles au nord de Reggio, & à pareille distance de Messine. Elle est sur un rocher presque environné de la mer, en maniere de péninsule ; ce qui forme le cap de Sciglio, nommé par les anciens Scyllaeum promontorium. Long. 33. 29. latit. 38. 8. (D.J.)


SCILLA(Géog. mod.) promontoire, écueil, ou rocher d'Italie, sur le bord de la mer, vis-à-vis du phare de Messine, & assez proche de la ville de Sciglio. Comme l'endroit est dangereux dans le milieu, entre le port & la mer d'Italie, les Messinois tiennent des pilotes experts aux gages de leur ville, pour secourir les vaisseaux passagers : cet écueil est fort connu par les poëtes latins. Voyez SCYLLA. (D.J.)


SCILLES. f. (Hist. nat. Botan.) nous prononçons squille. Linnaeus en fait un genre distinct de plante, ayant les caracteres suivans : il n'y a point de calice ; la fleur est à six pétales, ovoïdes, ouverts, & qui tombent ; les étamines forment six filets à pointe aiguë, & qui n'ont que la moitié de la longueur de la fleur ; leurs bossettes sont oblongues ; le germe du pistil est arrondi ; le stile est simple, de la longueur des étamines, & ne subsiste pas ; le stigma est simple ; le fruit est une capsule lisse, de forme presque ovale, sillonnée de trois raies, formée de trois valvules, & contenant trois loges ; les graines sont nombreuses & rondelettes.

Cette plante est rangée par Tournefort sous le genre étendu des ornithogales. Il y a deux especes de scilles connues dans les boutiques par leurs grosses racines bulbeuses, on les nomme scille rouge & scille blanche.

La scille rouge est ornithogalum maritimum, seu scilla radice rubrâ, I. R. H. 381.

Sa racine est un oignon ou une bulbe, grosse comme la tête d'un enfant, composé de tuniques épaisses, rougeâtres, succulentes, visqueuses, rangées les unes sur les autres, garnies en-dessous de plusieurs grosses fibres. Elle pousse des feuilles longues de plus d'un pié, larges presque comme la main, charnues, vertes, pleines de suc visqueux & amer. Il s'éleve de leur milieu une tige à la hauteur d'environ un pié & demi, approchante de celle de l'asphodele, droite, laquelle soutient en sa sommité des fleurs à six feuilles, blanches, sans calice, disposées en rond, qui s'ouvrent successivement, avec autant d'étamines à sommets oblongs. Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits presque ronds, relevés de trois coins, & divisés intérieurement en trois loges, qui renferment plusieurs semences arrondies & noires. Sa racine est seule d'usage ; elle est estimée détersive, incisive, & apéritive.

La scille blanche, ornithogalum maritimum, seu scilla, radice albâ, I. R. H. 381, ne differe de la rouge que par la couleur de la racine, & pour être moins grosse que la précédente. (D.J.)

SCILLE, (Mat. méd.) grande scille ou squille, blanche & rouge, oignon marin ; on se sert indifféremment en médecine de la scille rouge & de la blanche.

C'est la bulbe ou racine de cette plante, qui est proprement connue dans les boutiques sous le nom de scille : & c'est aussi cette partie qu'on y employe uniquement.

La scille est un remede ancien : Dioscoride, Pline, & Galien, la recommandent comme propre à faire couler les urines & les menstrues, & à dissiper les embarras du foie & des visceres du bas-ventre. Leur usage est presque borné aujourd'hui aux maladies catharreuses de la poitrine, telles que ce crachement abondant & incommode qui est connu dans le langage ordinaire sous le nom de pituite, les toux humorales, l'asthme humide, &c. à l'hydropisie commençante, & aux bouffissures des membres. On ne prescrit point ordinairement de préparation magistrale de ce remede ; mais on en garde chez les Apoticaires plusieurs préparations officinales : savoir le vin scillitique, le vinaigre scillitique, le miel scillitique, l'oximel scillitique, & les trochisques scillitiques.

Le vin scillitique se prépare en faisant infuser au bain-marie pendant douze heures une once de scilles seches & hachées menu dans une livre de vin d'Espagne, qu'on passe ensuite au papier gris : il est beaucoup moins usité que le vinaigre ; on peut l'employer aux mêmes usages & à la même dose.

Le vinaigre scillitique se fait en faisant infuser pendant quarante jours au soleil d'été dans un matras bien bouché, huit onces de scilles seches dans six livres de fort vinaigre. Il faut ensuite passer la liqueur & exprimer le marc, puis laisser dépurer le vinaigre par la résidence, le décanter, & le garder pour l'usage. La dose en est depuis une once jusqu'à trois ; on s'en sert principalement dans les gargarismes contre l'esquinancie oedémateuse, & la fausse inflammation des amygdales.

L'oximel scillitique n'est autre chose que du vinaigre scillitique, dans lequel on a fait fondre par le secours d'une légere chaleur, du miel blanc jusqu'à saturation, c'est-à-dire, autant qu'il en peut dissoudre. On le donne depuis demi-once jusqu'à une once.

Le miel scillitique se prépare avec la décoction de deux onces de scille seche dans trois livres d'eau commune, dans laquelle on fait fondre une livre & demie de miel blanc qu'on clarifie & qu'on cuit en consistance de syrop dans un vaisseau de fayence ou de porcelaine. Ce remede qui est beaucoup moins usité que l'oximel, peut se donner jusqu'à la dose d'une once.

Les trochisques de scille se préparent ainsi : prenez du coeur, moëlle ou milieu de scille cuite, douze onces ; de farine d'ers blanc tamisée, huit onces : battez-les ensemble dans un mortier de marbre avec un pilon de bois, & formez-en des trochisques du poids d'un gros, que vous sécherez à une chaleur légere : la dose en est depuis un scrupule jusqu'à deux.

La dessication & la cuite de la scille dont nous venons de faire mention, s'exécutent de la maniere suivante : savoir la dessication, en prenant les feuilles ou écailles qui se trouvent entre la peau & le coeur, les enfilant avec une petite ficelle, de maniere qu'elles soyent bien séparées les unes des autres, & les exposant au soleil le plus ardent, ou dans une étuve très-chaude.

Pour faire la cuite des scilles, on les prend fraîches ; on les dépouille de leur peau & écaille extérieure ; on les recouvre chacune séparément d'une bonne couche de pâte ; on les fait cuire ensuite dans un four de boulanger jusqu'à ce qu'une paille les pénetre facilement. Alors on les dépouille de la croute qui s'est formée dessus ; on les monde des petites peaux ; on les pile, & on les passe au tamis.

Les trochisques de scille entrent dans la thériaque, & le vinaigre scillitique dans l'emplâtre de ciguë. (b)


SCILLONÉORTES. f. (Antiq. sicil.) , fête des oignons de mer. On la célébroit en Sicile, & elle tiroit son nom d'une joute qu'y faisoit la jeunesse avec des oignons de mer ; le prix étoit un taureau que le gymnasiarque donnoit au vainqueur. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 431. (D.J.)


SCILLUNTE(Géog. anc.) ville du Péloponnèse, dans la Triphylie. Pausanias écrit Scillus.

Quand, dit-il, l. V. c. vj. on a côtoyé quelque-tems l'Anigrus, & qu'on a passé des sables, où l'on ne trouve que quelques pins sauvages, on voit sur la gauche les ruines de Scillunte. C'étoit une ville de la Triphylie, que les Eléens détruisirent, parce que durant les guerres qu'ils eurent contre les Piséens, elle s'étoit déclarée ouvertement pour ceux-ci, & les avoit aidés de toutes ses forces. Ensuite les Lacédemoniens la prirent sur les Eléens, & la donnerent à Xénophon, fils de Gryllus, qui alors étoit banni d'Athenes pour avoir servi sous Cyrus, ennemi juré des Athéniens, contre le roi de Perse, qui étoit leur allié : car Cyrus étant à Sardes avoit donné de l'argent à Lysander, fils d'Aristocrite, pour équiper une flotte contre les Athéniens. Par cette raison, ceux-ci exilerent Xénophon, qui durant son séjour à Scillunte consacra un temple & une portion de terre à Diane l'éphésienne.

Les environs de Scillunte, continue Pausanias, sont fort propres pour la chasse. On y trouve des cerfs en quantité. Le pays est arrosé par le fleuve Sélinus. Les Eléens les plus versés dans leur histoire, assuroient que Scillunte avoit été reprise, & que l'on avoit fait un crime à Xénophon de l'avoir acceptée des Lacédémoniens ; mais qu'ayant été absous par le sénat d'Olympie, il eut la permission de se tenir à Scillunte tant qu'il voudroit. En effet, près du temple de Diane on voyoit un tombeau, & sur ce tombeau, une statue de très - beau marbre, & les gens du pays disoient que c'étoit la sépulture de Xénophon.

Plutarque de exilio, remarque que ce fut à Scillunte que Xénophon écrivit son histoire. En allant de Scillunte à Olympie, avant que d'arriver au fleuve Alphée, on trouvoit un rocher fort escarpé & fort haut, qu'on appelloit le mont Typée. (D.J.)


SCILO(Critique sacrée) les interpretes entendent par Scilo le Messie ; selon eux la prophétie de Jacob qui dit, le sceptre ne se départira point de Juda, jusqu'à ce que le Scilo vienne, Genes. xlix. 10. cette prophétie, dis-je, commença de s'accomplir à l'avénement de notre Sauveur, lorsque la Judée fut réduite par Cyrénius en province romaine ; & son entier accomplissement eut lieu 62 ans après dans la destruction de Jérusalem, parce que pour lors la Judée perdit entierement son sceptre & sa législation, sans avoir jamais pu les recouvrer depuis. Cependant on objecte contre cette explication du passage de la Genese, 1°. qu'après la captivité de Babylone, de tous ceux qui ont gouverné la nation des Juifs, il n'y en a pas eu un seul de la tribu de Juda que Zorobabel. 2°. Que ce fut presque toujours le souverain sacrificateur, & par conséquent un lévite qui gouverna cette tribu ; 3°. enfin, qu'après les princes Asmonéens, Hérode & Archélaüs son fils, qui ont regné dans la Judée, étoient descendus des Iduméens, & non pas des tribus d'Israël. (D.J.)


SCIMPODIUMS. m. (Antiq. rom.) ; espece de petit lit de repos qui ne tenoit qu'une place, & sur lequel les Romains se couchoient quand ils étoient las ou indisposés ; quelquefois ce mot désigne dans les auteurs l'espece de litiere dans laquelle on portoit les hommes & les femmes, non - seulement en ville, mais même dans leurs voyages en provinces. (D.J.)


SCINCSCINQUE, SQUINQUE, SINCE, STINE MARIN, stincus, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) espece de lézard amphibie, qui a un peu plus d'un empan de longueur & de deux pouces de grosseur vers le milieu de l'abdomen : on le trouve en Egypte. Sa tête est oblongue, convexe sur le sommet, & applatie par les côtés, sur lesquels il y a une large sinuosité, qui s'étend depuis la partie antérieure de la tête jusqu'à sa base ; la mâchoire supérieure est plus longue que l'inférieure, & elle forme en entier le bec, c'est-à-dire, l'extrêmité antérieure de la tête ; la mâchoire inférieure est triangulaire ; la langue a la forme d'un coeur, elle est pointue à l'extrêmité, & échancrée à sa base. Les dents sont courtes & toutes d'égale longueur, & l'ouverture de la bouche est de médiocre grandeur. Les yeux sont situés vers la base de la tête près du sommet ; le cou n'est pas distinct du reste du corps, ayant à-peu-près la même grosseur : le corps est convexe & élevé, il a sur le dos un angle longitudinal ; la queue est cylindrique & diminue insensiblement de grosseur jusqu'à son extrêmité, qui est pointue & applatie. Les piés de devant & ceux de derriere sont d'égale longueur, & ils ont tous chacun cinq doigts, dont les postérieurs sont plus longs que les antérieurs. Cet animal est couvert en entier d'écailles ; celles du corps sont rhomboïdales, & anticipent les unes sur les autres comme les tuiles d'un toit ; le sommet de la tête est d'un verd de mer tirant sur le jaune ; le dos a vers le milieu des côtés de l'abdomen des anneaux noirâtres, & d'autres jaunâtres, placés alternativement ; le reste des côtés, la gorge, l'abdomen & les piés sont blanchâtres. Hist. nat. des animaux, par MM. de Nobleville & Salerne, t. II. part. ij. Voyez AMPHIBIE.

SCINC MARIN, (Pharmac. Mat. méd.) cette espece de lézard passe pour diurétique, contrevenin, aphrodisiaque, spécifique contre la lepre, &c. Toutes ces vertus sont pour le moins peu éprouvées, & ce remede est dès long-tems absolument inusité dans les prescriptions magistrales.

Le scinc marin est seulement employé dans la composition de la thériaque, du mithridat, & de l'électuaire de satirion. Ce sont les lombes seulement qui sont demandées dans les dispensaires, mais il paroît que ce n'est que moutonnierement d'après une ancienne étiquette. (b)


SCINGOMACUS(Géog. anc.) ville des Alpes, dans la Gaule narbonnoise, selon Strabon, liv. IV. Quelques géographes veulent que ce soit Sezanne, mais le P. Hardouin & M. Bouche pensent que c'est Suze en Piémont, capitale de la province du même nom. (D.J.)


SCINTILLATIONSCINTILLATION


SCIO(Géog. anc. & mod.) île de l'Archipel, assez près des côtes de l'Anatolie, entre les îles de Samos & de Mételin, & entre les golfes de Smyrne & d'Ephese. Cette île, qui est la Chios ou Chio des anciens, est nommée par les Turcs Saquez ou Sakes, & en ajoutant le mot d'adasi ou d'adas, qui signifie une île, Saquez-adas ou Sakes-adasi, c'est-à-dire, l'île du mastic, à cause de la grande quantité de cette gomme-résine qu'on recueille dans cette seule île de l'Archipel. C'est dans ce sens que les Persans l'appellent seghex, c'est-à-dire mastic. C'est une des plus belles & des plus agréables îles de l'Archipel. Elle étoit autrefois la plus renommée des Ioniennes, & elle est encore à présent fort célebre. Elle s'étend en longueur du septentrion au midi, & s'éleve beaucoup au-dessus de l'eau.

Les anciens habitans de cette île étoient tous grecs avant la naissance de J. C. & proprement Ioniens. Ils avouoient même que les Pélasgiens qui étoient sortis de la Thessalie, étoient les premiers qui avoient conduits des colonies dans leur île, & s'y étoient établis. Ils furent les seuls de tous les Ioniens qui donnerent du secours aux habitans de Milet, dans la guerre que cette ville eut à soutenir contre Alyattes roi de Lydie, environ six cent vingt-six ans avant l'ere chrétienne. Strabon nous apprend qu'ils s'étoient rendus puissans sur la mer, & qu'ils avoient par ce moyen acquis leur liberté. De-là vient que Pline nomme cette île la libre Chios.

Environ cinq cent ans avant la naissance de J. C. ils envoyerent cent vaisseaux contre la flotte de Darius, roi des Perses, au lieu que les habitans de Lesbos ne mirent que soixante & dix vaisseaux en mer, & les habitans de Samos soixante. Avant que le combat se donnât devant la ville de Milet, Histiaeus, tyran de cette ville, & beau-pere d'Aristagoras, s'enfuit secrettement de Perse, où il étoit détenu prisonnier par Darius, & se rendit dans l'île de Chios. Il n'y fut pas plutôt arrivé qu'il fut pris & arrêté par les habitans, qui ayant conçu quelque soupçon qu'il étoit envoyé par Darius, pour entreprendre quelque chose contre leur liberté, le mirent dans les fers. Ils le relâcherent au bout de quelque tems, & le conduisirent sur un vaisseau jusqu'à la ville de Milet, où les Milésiens, qui avoient déja goûté les douceurs de la liberté, ne voulurent pas le recevoir, desorte qu'il fut contraint de repasser à Chios.

Après qu'il y eut fait quelque séjour, & qu'il eut tenté inutilement de porter ses hôtes à lui fournir quelques vaisseaux, il s'embarqua pour l'île de Lesbos, où les habitans de Mytilene équiperent en sa faveur huit galeres à trois rangs, avec lesquelles il cingla du côté de Bysance. Il surprit sur la route les vaisseaux marchands des Ioniens, qui venoient de la mer Noire, & il s'en empara, à la réserve de ceux qui voulurent se ranger de son parti. Cependant ayant eu connoissance du succès qu'avoit eu le combat qui s'étoit donné devant la ville de Milet, il commit la conduite des affaires de l'Hellespont à Bisalte d'Abydene, fils d'Allophanes, & fit voile vers l'île de Chios, dont il ravagea toute la campagne, tuant tout ce qui se présentoit devant lui, parce que la garnison qui étoit dans la ville, ne vouloit pas le recevoir. Mais quand il eut ainsi saccagé la campagne, il ne lui fut pas difficile de soumettre le reste, qui étoit déja assez abattu du mauvais succès du combat naval.

Hérodote rapporte que les habitans de Chios avoient été comme avertis de ces malheurs par deux signes considérables, qui avoient précédé leur ruine, & en avoient été comme les avant-coureurs. L'un de ces signes étoit, que d'une troupe de cent jeunes hommes qu'ils avoient envoyés à Delphes, il n'en étoit revenu que deux : les autres étant tous morts de la peste dans le voyage. L'autre signe étoit, que dans la ville de Chios, le toît de la maison où les enfans apprennent à lire, tomba sur eux, & de cent vingt qu'ils étoient, il n'en réchappa qu'un seul. Cet accident arriva dans le même tems que les autres étoient péris dans leur voyage. Histiaeus ne jouit pas long-tems de sa conquête ; car en se retirant de l'île de Chios, il fut surpris par les Perses, qui se saisirent de lui, & le crucifierent sur le continent de l'Asie mineure.

L'île de Chios tomba ensuite sous la puissance du tyran Strattes, ce qui arriva environ quatre cent soixante & dix-neuf ans avant la naissance de J. C. Sept ioniens, entre lesquels étoit Hérodote, fils de Basiléïdes, conspirerent contre lui ; mais lorsque leur dessein étoit sur le point d'être mis à exécution, un des conjurés révela le complot ; les six autres, qui en furent avertis à tems, s'enfuirent à Lacédémone, & de-là dans l'île d'Aegine, où se trouvoit alors la flotte des Grecs, forte de cent dix voiles, sous la conduite de Léotychidas, roi des Lacédémoniens, & de Xantippe, capitaine des Athéniens. Ces six habitans de Chios solliciterent fortement les Grecs de faire voile vers les côtes de l'Ionie, pour mettre les Perses à la raison, mais ils ne purent l'obtenir ; les Grecs craignoient la flotte des Perses, & ceux-ci redoutoient celle des Grecs. Cette mutuelle crainte, combattit favorablement pour les uns & pour les autres, & les porta à jurer un traité de paix.

Dans la suite, les habitans de Chios, à la sollicitation des Lacédémoniens, sécouerent à diverses reprises le joug des Athéniens, avec des succès divers, jusqu'à ce que Memnon le rhodien, amiral de la flotte de Darius, roi de Perse, s'empara par trahison, avec une flotte de trois cent vaisseaux, de l'île de Chios, environ trois cent trente trois-ans avant l'ere chrétienne, & soumit à son obéissance toutes les villes de Lesbos, à la réserve de Mytilene, devant laquelle il fut tué. Cependant Darius ayant été vaincu trois ans après par Alexandre le grand, les habitans de Chios, & les autres insulaires leurs voisins, furent délivrés de la domination des Perses, & passerent sous celle d'Alexandre, ou plutôt ils demeurerent en leur pleine & entiere liberté.

Quatre-vingt-six ans avant la venue du Messie, Mithridate, roi du Pont, ayant été battu par les Romains dans un combat naval, fut tellement irrité contre les habitans de Chios, de ce qu'un de leurs vaisseaux étoit allé imprudemment choquer son vaisseau amiral dans le fort du combat, & avoit manqué de le couler à fond, qu'il fit vendre au plus offrant les biens des citoyens de Chios, qui s'étoient retirés vers le dictateur Sylla, & bannit ensuite ceux de ces insulaires qu'il crut les plus portés pour les Romains.

Enfin Zénobius, général de ce prince, vint avec une armée prendre terre à Chios, feignant de vouloir continuer sa route du côté de la Grece, mais en effet, pour s'emparer de cette île, ce qu'il exécuta à la faveur de la nuit. Dès qu'il en fut maître, il contraignit les habitans de lui porter toutes leurs armes, & de lui donner en ôtage les enfans des principaux, qu'il fit conduire à la ville d'Erythrée, dans le royaume du Pont. Il reçut ensuite des lettres de Mithridate, qui demandoit aux habitans de Chios la somme de deux mille talens ; ce qui les réduisit à une telle extrêmité, qu'ils furent contraints, pour y satisfaire, de vendre les ornemens de leurs temples, & les joyaux de leurs femmes. Ils n'en furent pas quittes pour cela ; Zénobius prétextant qu'il manquoit quelque chose à la somme, embarqua les hommes à part dans des vaisseaux, & les femmes avec les enfans dans d'autres, & les fit conduire vers le roi Mithridate, divisant leurs terres & leur pays entre les habitans du Pont.

Mais les habitans de la ville d'Héraclée, qui avoient toujours entretenu une étroite amitié avec ceux de Chios, ayant appris cette nouvelle, mirent à la voile, & attaquerent au passage & à la vue du port d'Héraclée, les vaisseaux qui menoient ces insulaires prisonniers, & les ayant trouvés mal pourvus de troupes pour les défendre, ils les amenerent sans résistance dans leur ville. Le dictateur Sylla ayant fait la paix avec Mithridate environ quatre-vingt ans avant la naissance de J. C. remit en liberté les habitans de Chios, & divers autres peuples, en reconnoissance du secours qu'ils avoient donné aux Romains.

Ces insulaires devenus alliés du peuple romain, demeurerent en paix sous sa protection, & sous celle des empereurs grecs, jusqu'au tems de l'empereur Manuel Comnene, qui, ayant maltraité les Européens qui alloient en pélerinage à la Terre-sainte, perdit l'île de Chios, que lui enleverent les Vénitiens. Elle revint au bout de quelque tems sous la domination des empereurs de Constantinople, qui, quelques années après, l'engagerent à un seigneur européen fort riche, & qui n'étoit point grec. Michel Paléologue, empereur de Grece, fit depuis présent de cette île aux Génois, en reconnoissance du secours qu'ils lui avoient donné en plusieurs occasions. Il ne les en mit pourtant pas en possession, parce qu'un seigneur, nommé Martin, qui la possédoit comme héritier de ceux à qui les prédécesseurs de Michel Paléologue l'avoient engagée, y demeuroit alors.

Andronic Paléologue le jeune ne laissa pas néanmoins d'en chasser ce seigneur Martin, & se mit lui-même en possession de l'île, ou plutôt les Génois s'en emparerent, du consentement de ce prince, avec une flotte considérable, & moyennant une grosse somme qu'ils lui avoient donnée. D'autres disent qu'Andronic Paléologue la donna aux Génois en récompense du secours qu'il en avoit reçu contre les Vénitiens en 1216. Quoi qu'il en soit, elle passa sous la puissance des Génois à titre de seigneurie. Son gouvernement tomba aux Maunèses, premiers nobles de la maison Justiniani, qui acheterent cette île de la république de Genes. Cette maison en jouit l'espace de deux cent ans ; mais le sultan Selim s'empara de Scio, en 1566, & les Vénitiens firent de vains efforts en 1694 pour en déposséder le grand-seigneur.

Cette île a produit anciennement des hommes illustres, dans le nombre desquels sont Théopompe l'historien, & Théocrite le sophiste, qui ont écrit l'un & l'autre sur la politique. Elle fut aussi dans le dernier siecle la patrie d'Allazi, en latin Allatius (Léon), homme d'une grande érudition. Il vint en Italie dès son enfance, & mourut à Rome en 1669, à 83 ans. Il est connu par plusieurs ouvrages, sur les temples, les livres ecclésiastiques des Grecs, & par celui qu'il a fait pour prouver qu'Homere étoit son ancien compatriote.

L'île de Scio peut avoir cent vingt milles de tour, & c'est à-peu-près la circonférence que lui donne Strabon. La ville de Scio est vers le milieu de l'île à l'est, sur le bord de la mer. Cette ville est grande, riante, mieux bâtie que les autres du Levant, mais mal percée, & pavée de cailloux comme les villes de Provence. Le port de Scio n'est presentement qu'un méchant mole, ouvrage des Génois, formé par une jettée à fleur d'eau.

A l'égard de la campagne, le pays ne manque que de grain, mais c'est manquer de la principale denrée ; & c'est pourquoi les princes chrétiens ne pourroient conserver longtems cette île, s'ils étoient en guerre avec les Turcs. Les denrées de cette île sont la soie, la laine, les figues, le mastic, & du vin très-estimé comme autrefois. Voyez VIN de Chios.

Le cadi gouverne tout le pays en tems de paix : pendant la guerre on y envoie un bacha pour commander les troupes. Le cadi de Scio est du premier rang, & c'est le mufti de Constantinople qui le nomme. La Porte envoie encore dans l'île un janissaire aga, commandant environ cent cinquante janissaires en tems de paix, & le double pendant la guerre. On compte dans Scio six mille turcs, cinquante mille grecs, & seulement trois mille latins. Le séjour de Scio est fort agréable ; on y fait bonne chere, & toutes sortes de gibier y abondent. Les femmes y ont plus de politesse & de propreté que dans les autres villes du Levant. L'évêque grec est fort riche ; les monasteres grecs jouissent aussi dans cette île de gros revenus ; mais les prêtres latins, au nombre d'une vingtaine, sont fort pauvres. Les religieuses ne sont point cloitrées dans cette île, non plus que dans le reste du Levant. Long. 43. 44. lat. 38. 39. (D.J.)


SCIOESSA(Géog. anc.) lieu du Péloponnèse, dans l'Achaïe propre. Pline, l. IV. c. v. dit que ce lieu étoit fort connu à cause de ses neuf montagnes. (D.J.)


SCIOLIou SICLI, (Géog. mod.) petite ville de Sicile, dans le val de Noto, sur le torrent de Sicli, au voisinage de Modica, à 10 milles ouest de la ville de Noto. Long. 32. 41. latit. 37. 3. (D.J.)


SCIOMANTIE(Divination) espece de divination, qu'on appelloit autrefois psycomantie. C'étoit l'art d'évoquer les ombres ou les manes des morts, pour apprendre les choses futures. Ce mot est formé de , ombre, & métaphoriquement l'ombre, les manes, & , divination. (D.J.)


SCIONS. m. (Jardinage) menu brin de bois que poussent les arbres. On dit aussi les scions d'une veine, de ses petites ramifications ; & les scions de la verge, de ses traces marquées à la peau de celui qu'on en a frappé.


SCIONEou SCION, (Géog. anc.) ville de Thrace, selon Thucydide, l. IV. & V. Hérodote, l. VII. Pomponius Méla, l. II. c. ij. & Etienne le géographe, qui la placent près du promontoire Canastricum. Arrien & Pline mettent une ville insulaire de ce même nom, sur la mer Egée ; & Strabon en connoit une en Macédoine, dans la Chersonese de Pallene ; Etienne le géographe dit que Scione fut bâtie par des grecs qui revenoient du siege de Troye, ce qui est confirmé par Pomponius Méla. On voyoit à Athènes, dit Pausanias, l. I. c. XV. dans le Poecile, des boucliers attachés à la muraille, avec une inscription qui portoit que c'étoient les boucliers des Scionéens, & de quelques troupes auxiliaires qu'ils avoient avec eux. (D.J.)


SCIOPTIQUEadj. se dit d'une sphere ou d'un globe de bois, dans lequel il y a un trou circulaire où est placée une lentille. Cet instrument est tel qu'il peut être tourné & placé dans tous les sens, comme l'oeil d'un animal : on s'en sert dans les expériences de la chambre obscure. Voyez CHAMBRE OBSCURE, IL ARTIFICIELCIEL. Ce mot est formé des deux mots grecs , ombre, & , je vois. Chambers. (O)


SCIOTEou petite scie, s. f. (Marqueterie) morceau de feuillet de scie à scier le marbre, sur le dos duquel est un morceau de bois qui a nom rainure, pour servir de manche : ou un ourlet de la même matiere que la lame. On s'en sert pour scier de petits traits. Voyez les Planches de Marqueterie.


SCIOTERIQUEadj. (Gnom.) Telescope scioterique, est un cadran horisontal, garni d'un télescope pour observer le tems vrai, tant pendant le jour que pendant la nuit, & pour régler les horloges à pendules, les montres, &c. Cet instrument a été inventé par M. Molineux ; il a publié un livre portant ce même titre, qui contient une description exacte de cet instrument, & la maniere de s'en servir. (O)


SCIOULE LA(Géog. mod.) petite riviere de France, dans le Bourbonnois ; elle vient d'Auvergne, arrose le pays de Combrailles, l'élection de Gannat, & se jette dans l'Allier, vers les Echerolles. (D.J.)


SCIPIOS. m. (Hist. anc.) nom que donnoient les Romains à un bâton ou sceptre d'ivoire, que portoient les consuls pour marque de leur dignité. Dans les tems de la république, il paroît que ce bâton n'étoit qu'une verge unie & sans ornement ; sous les empereurs, & principalement sous ceux de Constantinople, le scipio étoit surmonté d'une aigle, & terminé par un buste qui représentoit l'empereur régnant.


SCIRADIUM(Géog. anc.) promontoire dont parle Plutarque, dans sa vie de Solon ; il paroît le placer sur la côte de l'Attique, dans le golfe Saronique, près de la ville de Mégare. (D.J.)


SCIRESS. m. (Mythol.) , nom que l'on donne à Arsalus, Dryus, & Trosobius, trois princes qui régnoient sur le mont Taurus, & dont les habitans firent trois dieux, selon Eusebe. On les appelle , parce que leurs statues étoient de marbre, ou selon d'autres de plâtre, dit en grec . (D.J.)

SCIRES, (Antiq. grecque) C'étoit une solemnité d'Athènes, où l'on portoit religieusement par la ville sous des dais ou pavillons, , les statues des dieux, principalement de Minerve, du Soleil, & de Neptune. On prétend que cette fête avoit quelque rapport à celle des tabernacles chez les juifs. Quoi qu'il en soit, comme elle se célébroit au mois de Mai, on donna à ce mois le nom de Scirrophorion. (D.J.)


SCIRIDITE(Géog. anc.) Sciritis, contrée du Péloponnèse, dans la Laconie. Hérodote, Xénophon, Thucydide, Etienne le géographe, parlent de cette contrée, & nomment ses habitans Sciritae. (D.J.)


SCIRO(Géograph. modern.) île de l'Archipel, une des Cyclades, au nord-est de celle de Négrepont ; son ancien nom étoit Scyros, ou Syros. Voyez SCYROS. Géog. anc. & mod. (D.J.)


SCIRONS. m. (Littérat.) le sciron étoit un vent particulier de l'Attique, soufflant du côté des rochers scironiens ; il est entre le Maestral & la Tramontane. (D.J.)


SCIRONIDESSCIRONIDES


SCIRONIS VIA(Géog. anc.) chemin de la Grèce, qui prenoit depuis l'isthme de Corinthe, jusqu'à Mégare, & qui conduisoit dans l'Attique. Hadrien le fit élargir de son tems.

A l'endroit où ce chemin forme une espece de gorge, dit Pausanias, il est bordé de grosses roches, dont l'une nommée moluris, est sur-tout fameuse, parce qu'on prétend que ce fut sur cette roche qu'Ino monta pour se précipiter dans la mer, avec Mélicerte, le plus jeune de ses fils. Cette roche de moluris, étoit consacrée à Léucothoé & à Palémon ; les roches des environs n'étoient pas moins odieuses : on les nommoit scironides petrae.

Pausanias ajoute : au sommet de cette montagne qui commande le chemin, il y a un temple de Jupiter surnommé Aphesius. Au même endroit on voyoit une statue de Vénus, une d'Apollon, & une de Pan ; plus loin on trouvoit le tombeau d'Euristhée ; car on prétendoit que cet implacable ennemi d'Hercule, vaincu enfin par les enfans de ce héros, & obligé de sortir de l'Attique, avoit été tué par Iolas, dans le lieu même où est sa sépulture ; en descendant de la montagne, on voyoit le temple d'Apollon, surnommé Latoüs. (D.J.)


SCIROS(Géog. anc.) Scirus ou Sciron, bourg de l'Attique, entre Athènes & Eleusis, selon Pausanias, l. I. c. xxxvj. qui donne l'origine du nom de ce bourg : pendant que les Eléusiniens, dit-il, avoient la guerre avec Erechtée, il leur vint de Dodone un prophete qui avoit nom Sciros : ce fut lui qui consacra ce vieux temple de Minerve Scirade, qu'on voit à Phalère ; ensuite ayant été tué dans le combat, il fut inhumé sur le bord d'un ruisseau, & depuis ce tems là le ruisseau & le bourg ont porté le nom du héros. On ne sait de quelle tribu étoit le bourg de Sciros, mais il s'y faisoit une fête en l'honneur de Minerve, le 12 du mois Scirrophorion. (D.J.)


SCIRPHAE(Géog. anc.) ville de la Phocide, selon Etienne le géographe ; elle est aussi connue par une médaille de l'empereur Claude, où on lit ce mot, . (D.J.)


SCIRPUSS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante, dont les fleurs n'ont point de pétales ; elles sont composées de plusieurs étamines, & réunies en une sorte de tête écailleuse ; le pistil sort des aîles des écailles, & il devient dans la suite une semence triangulaire ; les semences sont aussi réunies en une sorte de tête : ajoutez aux caracteres de ce genre, que les tiges ne sont pas triangulaires. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

C'est en françois le jonc de marais, & Tournefort la met sous le genre des joncs. Il compte deux ou trois especes de jonc de marais ; la principale que nous allons décrire, est celle qu'il appelle scirpus palustris, altissimus, Instit. rei herbar. 528. le grand jonc de marais, auquel Pline compare la portion supérieure de la tige du papyrus.

Cette espece de jonc a en effet beaucoup de rapport avec le papyrus, & elle la représente assez bien avec ses tiges droites, nues, lisses, sans aucuns noeuds, & dont le sommet est aussi garni d'un panache par le corps qui en compose l'intérieur, & qui est d'une substance blanche, fibreuse, moëlleuse & spongieuse, couverte d'une écorce mince & de couleur verte. Cette plante d'ailleurs est pareillement aquatique, & croît plus volontiers dans les lacs, les étangs, les lieux marécageux, & sur les bords des rivieres : elle imite encore le papyrus par la longueur de ses tiges, qui dans les plus hautes, est de six à sept piés, & par l'épaisseur qui vers le bas, à l'endroit où elles sont plus grosses, est d'environ un pouce, & quelquefois plus.

Mais pour que les tiges parviennent en cet état d'embonpoint, il faut que la plante naisse au milieu des eaux, & qu'elle en soit continuellement baignée, sans cependant en être trop surchargée ; car alors, bien loin de produire des tiges, elle ne pousse que des feuilles très-longues & fort étroites : changement bien singulier dont ne s'étoit pas apperçu Tournefort ; puisque dans l'ouvrage déjà cité il indique cette variété comme une plante particuliere, sous le genre des algues, & à laquelle il donne le nom d'alga fluviatilis, graminea, longissimo folio.

Si au contraire le scirpus vient hors de l'eau dans des terreins simplement humides, ses tiges ne sont jamais aussi élevées ni aussi grosses ; & les feuilles, qui par leur pédicule en forme de gaîne, couvrent la base de ces mêmes tiges, sont très-courtes & fort peu apparentes. On peut les comparer à un petit bec qui termineroit d'un seul côté le bout supérieur d'un tuyau membraneux. Quant à la figure des tiges, elles sont rondes comme un bâton ; mais elles diminuent de grosseur d'une maniere insensible, & vont aboutir en pointe à l'extrêmité supérieure. Le panache qu'elles portent, n'est pas considérable ; il est composé de quelques pédicules courts, épais, simples ou rameux, auxquels sont attachés de petits épis écailleux, ou paquets de fleurs, arrondis en forme d'oeuf, & de couleur brune-foncée ou roussâtre : ces pédicules ne sont point à leur naissance entourés de feuilles, telles qu'on en trouve à la base du panache du papyrus.

La partie inférieure des tiges du scirpus est blanche, tendre, succulente, douce au goût, & d'une saveur approchante de celle de la châtaigne : les enfans la mangent avec plaisir. Les racines de cette plante, cachées sous l'eau plus ou moins profondément, rampent & s'étendent fort au loin sur le fond des lacs & des rivieres, d'où elles poussent un grand nombre de tiges ; de façon que par rapport à leur prodigieuse multitude, on peut très-bien en comparer le coup-d'oeil à une forêt de mâts ou de plantes sans branches & sans feuilles, comparaison dont Cassiodore s'est servi pour exprimer celui qu'offrent les tiges du papyrus.

Après tous ces détails, nous allons examiner quels étoient les usages du scirpus, sur-tout en Italie & chez les Romains. Pline nous apprend qu'on en fabriquoit des bonnets ou des especes de chapeaux, des nattes, des couvertures pour les maisons, des voiles pour les vaisseaux ; & qu'après avoir détaché & enlevé l'écorce de la tige de cette plante, on employoit la partie intérieure, moëlleuse & spongieuse, comme une meche propre pour les flambeaux qu'on portoit dans les funérailles. Voici les paroles de Pline : Nec in fruticum, nec in veprium, cauliumve, neque in herbarum aut alio ullo quàm suo genere numerentur jure : scirpi fragiles palustresque ad tegulum (tegillum espece de bonnet selon un des meilleurs manuscrits) tegetesque, è quo detracto cortice candelae luminibus, & funeribus serviunt : firmior quibusdam in locis eorum rigor ; namque iis velificant non in pado tantùm nautici, verùm & in mari piscator africus, praepostero more vela intra malos suspendens & mapalia sua Mauri tegunt.

L'interprete de Théocrite a fait observer qu'on tenoit de semblables flambeaux allumés autour du cadavre, tant qu'il restoit exposé ; & Antipater nous apprend que la meche de scirpus & de papyrus étoit enduite de cire : Facem ceream tunicam habentem, saturni ardentem lychnum junco & tenui constrictum papyro.

Daléchamp, dans son histoire des Plantes, indique deux especes de scirpus dont on tiroit une moëlle d'une substance spongieuse, assez compacte, très-fléxible, un peu seche, & de couleur blanche, laquelle étoit employée à des meches pour les lampes. Nous avons vu à Paris, depuis quelques années, reparoître cette sorte de meche que l'on présentoit aux passans, & que l'on annonçoit pour des meches éternelles. Lorsqu'on veut tirer la moëlle des tiges du scirpus, on se sert de deux épingles que l'on passe à-travers le bout inférieur d'une tige, de maniere qu'elles se croisent ; on les tient ensuite assujetties dans cette position, & après on prend le petit bout qui se trouve au-dessus des épingles ; on le tire, en agissant comme si l'on vouloit partager la tige en quatre parties égales ; mais à mesure qu'elle se partage, l'écorce abandonne la moëlle, qui à la fin de l'opération reste entiere, pendant que l'écorce est séparée en quatre lanieres.

A la suite du même passage de Pline, conformément à l'édition qu'en a publiée Daléchamp, on lit : Proximèque aestimanti hoc videantur esse quo inferiore Nili parte papyri sunt usu. Ce que le traducteur de l'histoire des plantes, du même auteur, explique ainsi : Desorte que " considérant de-près la nature de ce jonc, il semble qu'on puisse s'en servir comme l'on fait du papyrus dans la basse Egypte ". Mais cette leçon varie ; car un ancien manuscrit la donne ainsi : Proximè aestimanti hoc videatur esse quod interior mundâ parte pari sunt papyri usui ; & dans un autre plus ancien & plus estimé que possédoit le célebre de Thou, & qui maintenant est conservé à la bibliotheque du Roi, elle est autrement écrite : Proximèque aestimanti hoc videatur esse quod in interiore parte mundum papyrum usui det.

Il s'explique après, en disant, que si l'on examine avec attention les usages du scirpus, on trouvera de plus que sa substance intérieure peut servir à faire un beau papier. Ce qui en quelque maniere pourroit être vrai ; car ayant séparé la tige du scirpus en différentes lames par le moyen d'une aiguille, on a des lames fort blanches, & même plus fines que celles qu'on séparoit anciennement de la tige du papyrus d'Egypte ; & étant desséchées, elles sont également fléxibles. En écrivant sur l'une de leurs faces, on ne s'est pas apperçu que l'encre passât à travers, ni qu'elle s'étendît, ou fît des bavures. Aussi Hermolaüs remarque fort-à-propos, que plusieurs auteurs ont confondu le scirpus avec la plante que les Grecs ont appellée biblos ou papyrus, confusion de nom qui paroît avoir été chez les Romains & chez les Grecs. On a tout lieu de le conjecturer par ce vers de Martial, ad titulum farctus papyro dùm tibi thorus crescit ; & par un passage de Strabon, où en parlant de certains lacs de la Toscane, il dit : . Et typhe & papyrus & anthela multa, affertur Romam per flumina quae demittunt lacus usque Tiberim.

On voit par ce passage, que dans les lacs de la Toscane il croissoit une plante, à laquelle on donnoit le nom de papyrus, & dont on faisoit à Rome des consommations bien considérables, puisqu'on l'apportoit en grande quantité, copiosè. Mais on pourra demander à quoi les Romains employoient cette plante & les deux autres conjointement citées ; savoir le typha, ou masse d'eau, & l'anthela, que l'on pense n'être autre chose que le panache des fleurs d'une espece de roseau aquatique, auquel les Grecs ont donné le nom de , par rapport à ses fleurs qui sont chargées ou environnées d'un duvet fin & soyeux.

Quoiqu'il ne soit pas aisé de répondre à cette question, les anciens ne s'étant pas assez expliqué sur ce sujet, on peut cependant y satisfaire en quelque sorte, mais sur-tout par rapport à cette espece de papyrus, si l'on fait réflexion sur de certaines pratiques que les Romains observoient dans leurs funérailles. Nous apprenons par le vers de Martial, que les lits des morts qu'on portoit sur le bucher, étoient remplis de papyrus, farctus papyro dùm tibi thorus crescit. Voilà sans-doute le papyrus dont parle Strabon, & un des usages qu'on en faisoit à Rome ; mais il ne faut pas croire, comme Guillandin semble l'avancer, que ces lits fussent composés des racines du papyrus apportées d'Egypte : cette matiere étoit trop utile, trop nécessaire, & si l'on peut dire, trop précieuse dans le pays, à cause de la rareté des autres bois, pour qu'il eût été possible d'en transporter ailleurs une certaine quantité. C'est donc un papyrus commun & assez abondant dont on a pu faire usage à Rome ; tel est celui dont parle Strabon, qui venoit des lacs de la Toscane, & par les rivieres qui se dégorgent dans le Tibre.

On se persuadera peut-être que ce papyrus doit être l'espece qui se trouve communément dans les marais de Sicile, de la Calabre & de la Pouille : cette opinion paroît d'abord fort vraisemblable, & elle a eu ses partisans : néanmoins nous ne croyons pas qu'on puisse l'adopter ; car il faudroit, pour en prouver la vérité, que l'on eût découvert la plante de Sicile dans les lacs de la Toscane, & nous ne voyons pas qu'aucun botaniste l'ait observée autre part qu'en Sicile, dans la Calabre, & dans la Pouille ; ce qui semble nous assurer que le papyrus de Strabon est une plante toute différente. Voyez PAPYRUS.

Le savant Micheli, qui vivoit à Florence, étoit le botaniste le plus à portée de faire cette recherche ; cependant il avoue qu'il n'avoit pas encore pu visiter les lacs dont parle Strabon. Il faut espérer que les botanistes qui vivent actuellement en Italie, s'empresseront d'éclaircir un point d'histoire aussi curieux, qu'il est intéressant. Mémoires des Inscriptions, tome XXVI. (D.J.)


SCIRROPHORIONS. m. (Calend. d'Athènes) mois attique ; on le nommoit ainsi, parce que pendant ce mois on célébroit chez les Athéniens les fêtes de Minerve appellées Scirrophoria, à cause que dans la procession en l'honneur de la déesse, on portoit un dais, car signifie un dais, un poële ; & le droit de le porter appartenoit aux théobutades, famille sacerdotale. Le mois Scirrophorion étoit le douzieme & le dernier de l'année des Athéniens ; il avoit vingt-neuf jours, & répondoit au commencement de notre mois de Juin. Voyez MOIS ATHENIENS. (D.J.)


SCIRTIANA(Géog. anc.) ville de la Macédoine. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route d'Aulona à Constantinople, en passant par la Macédoine. Elle se trouvoit entre Lychnidum, & Castra, à vingt-sept milles du premier de ces lieux, & à 15 milles du second. On ignore si elle tiroit son nom des peuples Scirtari de Pline, ou des Scirtones de Ptolémée. (D.J.)


SCIRTONIUM(Géog. anc.) ville qu'Etienne le géographe met dans l'Arcadie. Pausanias, l. VII. c. xxvij. qui écrit Scyrtonium, en fait une place des Egyptiens, & dit qu'elle fut une des villes qui envoyerent la meilleure partie de leurs citoyens pour peupler Mégalopolis. (D.J.)


SCISSILEadj. (Gram.) qui se peut couper, fendre, diviser, comme le bois, la pierre. L'ardoise est scissile, quoique ce soit une espece de pierre.


SCISSIONS. f. (Gramm.) c'est la même chose que division, séparation. Il se dit au simple & au figuré ; la scission d'un corps ; la scission d'une église d'avec une autre. Les Protestans ont fait scission d'avec les Catholiques.


SCISSURES. f. (Ostéologie) Les Anatomistes nomment scissure une espece de cavité dans l'os. Elle ne differe de la sinuosité qu'en ce qu'elle a moins de largeur, que sa surface n'est couverte que du périoste, & qu'elle ne loge que des vaisseaux ; telle est celle des côtes : au lieu que la sinuosité a sa surface couverte d'un cartilage, & ne loge pour l'ordinaire que des tendons. (D.J.)


SCITIESATIE ou SETIE, s. f. (Marine) sorte de barque d'Italie, ou de petit vaisseau à un pont qui a des voiles latines. Les Grecs & les Turcs donnent aussi ce nom à leurs barques.


SCIURES. f. (Gramm. Econom. rustique) action de ceux qui scient. On dit la sciure des blés, la sciure des planches. Sciure se prend plus ordinairement pour la poudre d'un corps qui tombe sous l'action de la scie. On dit de la sciure de bois.


SCLARÉES. f. (Botan.) Tournefort établit 25 sortes de sclarée, dont la plus commune est nommée gallitrichum sylvestre, seu sclarea pratensis, flore caeruleo, I. R. H. 179. On l'appelle en françois orvale, voyez ORVALE. (D.J.)


SCLAVEvoyez MENDOLE.


SCLÉROMESCLÉROME


SCLEROPHTHALMIES. f. terme de Chirurgie, espece d'ophthalmie dans laquelle les bords des paupieres & les yeux deviennent secs, durs, rouges, & douloureux. Les paupieres dures & seches ne s'ouvrent qu'avec peine après le sommeil, à cause de leur dureté & de la sécheresse de la chassie qui les colle. Voyez OPHTHALMIE.


SCLÉROSARCOMES. m. (Lexic. médic.) , de , dur, & , sarcome ; c'est une tumeur dure & charnue qui affecte les gencives, & qui ressemble quelquefois à une crête de coq. Cette tumeur est souvent produite par une humeur scorbutique dont le sang est attaqué. (D.J.)


SCLÉROTIQUES. f. (Anatom.) La portion opaque de la cornée se nomme sclérotique, mot tiré du grec, qui signifie dur ; en effet cette tunique est compacte comme du parchemin, dure, épaisse, blanche, & peu vasculeuse, & composée de plusieurs pellicules appliquées les unes sur les autres ; elle reçoit des arteres & des nerfs, représentés par Eustachius, Ruysch, & autres ; elle sert principalement à affermir la figure de l'oeil, à appuyer les vaisseaux, & à soutenir les muscles & les tendons. C'est aussi dans cette forte tunique que consiste presque tout le ressort des parties du globe de l'oeil. Sa portion antérieure renferme plusieurs pieces courtes & plates, & qui par leur arrangement en font le contour. Toutes ces pieces appliquées les unes aux autres en maniere de tuiles, se tiennent ensemble par de petites membranes assez lâches, ensorte que les diametres de l'oeil doivent s'allonger dans le tems que son axe se raccourcit, contre ce que pensoit M. Perrault.

Un anatomiste moderne a voulu regarder la sclérotique & la cornée comme deux membranes distinctes, & seulement unies ensemble par un tissu fibreux très-fin & très-serré ; mais ce système n'est pas appuyé sur des raisons assez fortes pour détruire l'opinion reçue.

Quoique la sclérotique dans l'homme soit compacte & ferme, elle a en core plus de fermeté dans un grand nombre de bêtes, & dans quelques-unes elle est antérieurement cartilagineuse ou osseuse. Dans les oiseaux, par exemple, la sclérotique est formée par l'assemblage de plusieurs lames osseuses, longues, étroites, disposées selon la direction de l'axe du globe, & artistement ajustées les unes à côté des autres. Elle est cartilagineuse dans la plûpart des gros poissons, & dans la baleine elle est prodigieusement épaisse à sa partie postérieure. (D.J.)

SCLEROTIQUE, (Médecine) médicament propre à affermir & consolider la chair des parties auxquelles on l'applique ; tels sont le pourpier, la morelle, la joubarbe, le psyllium, &c.


SCou SANSJO, NARU - FATSI - KAMI, ou KAWA-FASI-KAMI, s. m. (Hist. nat. Bot.) c'est le poivrier du Japon. Ce célebre arbrisseau s'éleve d'environ deux toises ; son écorce est grasse, de couleur tannée, garni de tubercules & de quelques pointes d'un demi pouce de long ; son bois est leger, foible & moëlleux ; ses feuilles, dont le pédicule est très-court, sont en forme d'aîles l'une vis-à-vis de l'autre, longues de quatre à cinq travers de doigt, semblables en partie à celles de frêne ; ovales, d'un verd très-agréable, avec un bord un peu crénelé, & une côte tendre qui les traverse dans leur longueur d'un bout à l'autre. Ses fleurs qui naissent aux aisselles des feuilles, & au bout des petits rameaux, ont sept à huit pétales, & autant d'étamines, dont le sommet est rond & jaune. Ses fleurs sont d'une figure à-peu-près ronde, & de la grosseur d'un grain de coriandre ; après la chûte de la fleur il paroît une ou deux capsules seminales de la grosseur d'un grain de poivre, membraneuses, couvertes d'un grand nombre de petits tubercules roussâtres dans leur maturité, dures, & qui s'ouvrent pour laisser sortir une seule semence ovale, un peu dure, de la grosseur d'un grain de cardamome, couverte d'une peau noire & brillante, sans saveur, mais seulement un peu chaude. Cet arbrisseau a dans toutes ses parties, mais principalement dans son écorce, ses feuilles & son fruit, un goût de poivre ou de pyrethre brûlant & aromatique. Son écorce séchée, & sur-tout les capsules séminales, s'employent dans les alimens au lieu de poivre & de gingembre. Les médecins pilent les feuilles, dont ils font, avec de la farine de riz, un cataplasme résolutif pour les parties attaquées de fluxions douloureuses. Il y a un sjo ou sansjo sauvage qui a une partie des mêmes vertus. Voyez Kaempfer, hist. du Japon.


SCO-ASSOUS. m. (Hist. nat.) espece de cerf du Brésil, que quelques voyageurs ont nommé l'ânevache. Il est moins grand que nos cerfs d'Europe, son bois est plus court, son poil est aussi long que celui d'une chevre.


SCODA(Géog. anc.) ville de l'Illyrie ; Pline & Vibius Sequester, l. III. c. xxij. la placent sur le Drilo, aujourd'hui le Drino ; & Pline, de Fluminib. lui donne le titre d'Oppidum civium romanorum. Gentius, selon Tite-Live, l. XLIV. c. xxxj. s'étoit emparé de cette ville, & elle étoit comme le boulevard de son royaume. C'étoit la place la mieux fortifiée qu'eussent les Labéates, & on ne pouvoit en approcher que très-difficilement. Deux rivieres l'environnent ; celle de Clausula coule à l'orient de la ville, & celle de Barbana au couchant. Cette derniere a sa source dans le marais Labéatide. Ces deux rivieres, continue l'historien, se joignent ensemble, & tombent dans le fleuve Oriundus, qui prend sa source au mont Scodrus, & qui, après s'être accrû des eaux de diverses rivieres, va se perdre dans la mer Adriatique.

On a une médaille de l'empereur Claude, où on lit ces mots : Col. Claudia Augusta Scodra. Ce qui fait voir que cette ville devint colonie romaine. Dans le moyen âge, Scodra fut mise dans la province Prévalitane. Elle conserve encore présentement son ancien nom, mais assez corrompu, car elle est appellée Scutari par les Italiens, & Scadar par les habitans du pays. Elle appartient aux Turcs, qui la regardent comme une place de quelque importance. Voyez SCUTARI. (D.J.)


SCOLECIAS. f. (Mat. méd. anc.) nom donné par les anciens à une espece de verd-de-gris, scolecia aerugo. Ils en distinguoient deux sortes, l'une fossile, & l'autre factice ; la derniere se préparoit en battant une certaine quantité de fort vinaigre dans un mortier de cuivre de Chypre avec un pilon de même métal. On frottoit rudement le pilon contre le mortier jusqu'à ce que le vinaigre fût devenu épais & visqueux ; alors on y jettoit une petite quantité d'alun ou de sel gemme, ou de sel marin ou de nitre ; on remuoit le tout au soleil pendant les chaleurs de la canicule, jusqu'à ce qu'il eût acquis la couleur de verd-de-gris, avec une consistance gluante ; enfin on retiroit cette composition, à laquelle on donnoit la forme de longs fils, qui étant séchés, ressembloient à de petits vers, d'où elle prit le nom de scolecia. (D.J.)


SCOLIES. f. (Littérat.) nom que les Grecs donnoient à leurs chansons à boire.

On les nomma ainsi du mot , oblique & tortueux, pour marquer ou la difficulté de la chanson, au rapport de Plutarque, ou la situation irréguliere de ceux qui chantoient, comme le veut Artimon, cité par Athénée. Sur quoi il est bon de remarquer que dans les festins des Grecs ceux qui chantoient tenoient à la main une branche de myrte qu'ils faisoient passer aux autres convives ; mais comme cette branche ne passoit pas toujours de main-en-main au plus proche voisin, & que souvent la premiere personne du premier lit, après avoir chanté, renvoyoit le myrte & le droit de chanter à la premiere du second lit ; celle-ci à la premiere du troisieme, & ainsi du reste, jusqu'à ce que tout le monde eût dit sa chanson ; quelques-uns croyent que les scolies avoient tiré leur nom de l'irrégularité du chemin qu'on faisoit faire à la branche de myrte.

On attribue à Terpandre l'invention des scolies, & à son imitation Alcée, Anacréon & la savante Praxilla en firent. Ces scolies regardoient ou la morale, ou la mythologie, ou l'histoire, quelques-unes étoient satyriques, d'autres rouloient sur l'amour, d'autres sur le vin, & dans celles-ci il étoit souvent fait mention du cottabe. Voyez COTTABE & CHANSON.


SCOLLIS(Géog. anc.) Scolis, dans Xénophon & dans Etienne le géographe, montagne du Péloponnèse dans l'Achaïe propre. Strabon, liv. VIII. p. 387. dit que le sleuve Larissus y prenoit sa source, & qu'elle étoit nommée , Petra Olenia, par Homere. Il dit ailleurs que la montagne Scollis étoit commune aux Dyméens, aux Tritéens & aux Eléens, & qu'elle ne faisoit qu'une même chaîne avec la montagne Lampéia dans l'Arcadie. (D.J.)


SCOLOPENDREvoyez MILLEPIES.

SCOLOPENDRE vulgaire, (Botan.) voyez LANGUE de cerf, Botan.

SCOLOPENDRE DE MER, physalus, insecte auquel on donne en Normandie le nom de taupe de mer ; il a une conformation très-particuliere, & une forme ovale ; son corps est plus large au milieu qu'aux extrêmités ; la partie postérieure se termine en pointe. L'abdomen est sillonné par des rugosités, & couvert de poils fins & soyeux. Il y a sur chaque côté du corps vingt-huit appendices terminées chacune par une aigrette de poils roides ; on croit que ces appendices servent au mouvement progressif de cet animal en faisant les fonctions de nageoires ; quand les aigrettes de la scolopendre sont hérissées, elle a quelque ressemblance avec un porc-épic ; la couleur de ces aigrettes n'est pas la même dans tous les individus ; dans les uns elles sont d'un noir luisant ou d'une belle couleur d'or, & dans d'autres elles ont une belle couleur verte. La bouche se trouve dans la partie antérieure du corps qui est terminé par un appendice ressemblant aux barbes de certains poissons. Le dos est plus convexe que le ventre, & couvert de tubercules plus petits que les appendices des côtés, & hérissés de poils, dont les uns sont roides & les autres lanugineux. La peau du dos est fort ample, & n'a aucune adhérence avec les parties qu'elle recouvre ; il y a de chaque côté du corps un grand nombre de petits trous qui s'ouvrent au dehors entre les appendices latérales, & qui donnent à l'eau un libre passage en tout sens, par le moyen de la contraction & de la dilatation alternative de cette peau. Cet insecte se grossit beaucoup hors de l'eau en dilatant la peau du dos, alors il remplit d'air la cavité que forme cette dilatation, & il surnage très-aisément ; s'il contracte ensuite cette peau, l'air sort, la peau s'affaisse, & l'animal s'enfonce dans l'eau. Collection académique, tome V. de la partie étrangere. Voyez INSECTE.


SCOLOPOMACHOERIONS. m. (Chirur. anc.) c'est un bistouri que les Grecs appelloient de ce nom, qui veut dire bec de bécasse. Il sert à dilater les plaies trop étroites de la poitrine, & à ouvrir les grands abscès. Aquapendente le recommande pour l'ouverture du ventre des hydropiques au-dessous du nombril, afin d'en épuiser les eaux ; mais on ne se sert point aujourd'hui de cette méthode. Le bistouri en question doit avoir un petit bouton de fer à sa pointe pour la dilatation des plaies de la poitrine, crainte de blesser le poulmon. Scultet en a donné la figure dans son arsenal de chirurgie. Ce mot est dérivé de , bécasse, & , couteau. (D.J.)


SCOLUS(Géog. anc.) ville ou village de la Béotie dans la Parasopie : ce village situé, selon Strabon, l. IX. p. 408. au pié du mont Cythéron, étoit dans un quartier rude, & où il n'étoit pas aisé de marcher, ce qui avoit donné lieu au proverbe,


SCOLYMUSS. m. (Botanique) ou épine jaune, genre de plante, dont voici les caracteres. Son calice est écailleux ; ses fleurons sont séparés les uns des autres par une petite feuille mince qui les couvre ; sa semence, quand elle est mûre, reste attachée à la feuille. Cette plante a toute l'apparence d'un chardon : on en compte deux especes, mais qui n'ont pas besoin d'une description particuliere. (D.J.)


SCOMBRARIA(Géogr. anc.) promontoire de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. viij. le marque sur la côte des Contestains, entre la nouvelle Carthage & l'embouchure du Tuder. Peut-être que c'est le promontoire de Saturne de Pline, & que le nom moderne est Cabo-di-Palos. (D.J.)


SCOMBROARIA(Géog. anc.) île sur la côte d'Espagne. Strabon, l. III. c. clix. qui dit qu'on la nommoit aussi l'île d'Hercule, la met à 24 stades de la ville de Carthage. Il ajoûte que les maquereaux, scombri, qu'on y pêchoit lui avoient donné son nom. (D.J.)


SCOMIUS(Géog. anc.) montagne de la Thrace : c'est une partie du mont Hémus, voisin de Rhodope, du côté du septentrion. Le fleuve Strymon, selon Thucydide, l. II. p. 106. ed. 1614, prenoit sa source dans cette montagne. (D.J.)


SCOOou SCONA, (Géog. mod.) bourg d'Ecosse dans la province de Perth, un peu au - dessous de Ruthwen, sur la rive gauche du Tai. Ce bourg étoit autrefois célebre par une riche abbaye d'Augustins, dans laquelle étoit la chaire de marbre qui servoit au couronnement des rois d'Ecosse. Cette chaire fut enlevée par Edouard I. roi d'Angleterre, & elle se voit aujourd'hui dans l'église de Westminster. (D.J.)


SCOPÉLISMES. m. (Magie) espece de charme qui se pratiquoit principalement en Arabie ; on croyoit qu'en jettant des pierres enchantées par sortilege dans un champ, on l'empêchoit de rapporter. On sait comment le paysan Furius Ctésinius, accusé du crime de scopélisme, se justifia devant le peuple romain. (D.J.)


SCOPELOS(Géogr. anc.) nom donné par les anciens à quatre îles différentes ; l'une sur la côte d'Ionie ; la seconde, au-devant de la Troade ; la troisieme est l'une des îles de la Propontide ; & la quatrieme, placée par Ptolémée, l. III. c. xiv. près de la côte de la Macédoine, est à présent connue sous le nom de Scopoli. Voyez SCOPOLI. (D.J.)


SCOPELUS(Géog. anc.) nom de deux villes : l'une de la Sarmatie asiatique sur le fleuve Varadanus ; l'autre de Thrace. Leunclavius dit que les Turcs appellent cette derniere Ischeboli. (D.J.)


SCOPETINS. m. (Hist. de la mil. franc.) cavalier armé d'une scopette ou escopette ; car on trouve l'un & l'autre mot dans Monet. L'escopette, dit Furetiere, est une arme à feu faite en forme de petite arquebuse. Les gens d'armes s'en servoient sous Henri IV. & Louis XIII. Elle portoit quatre à cinq cent pas. (D.J.)


SCOPIA(Géog. mod.) vulgairement Uschup, ville autrefois capitale de la Dardanie, & nommée par les anciens géographes Scupi. Voyez SCUPI.

Scopia est à présent une ville de la Turquie européenne dans la Servie, frontiere de la Macédoine, près du Vardari, qu'on y passe sur un pont de douze arches, à 72 lieues au sud-est de Belgrade. Il y a un archevêque latin qui l'est aussi d'Ochrida. Latit. 42. 15. (D.J.)


SCOPIUS(Géog. anc.) nom d'une montagne, selon Pline, l. IV. c. x. & d'un fleuve de la Bithynie, selon le même auteur, l. V. c. xxxij. (D.J.)


SCOPOLI, ISLES D(Géog. mod.) Scopelo, Scopello & Scogli, par les anciens Scopelos, île de l'Archipel, entre celles de Sciatta & de Dromi, au-devant du golphe de Salonique. Elle a douze milles de circuit, & environ six mille habitans.

Il y a un bourg dans cette île, devant lequel les vaisseaux peuvent donner fond sur dix à douze brasses d'eau ; on y charge du blé & du vin qui est fort du goût des Vénitiens. Les François y ont un consul, & les habitans ne payent à la Porte que cinq mille écus de tribut, qu'ils font tenir eux-mêmes à Constantinople. Long. 42. 10. latit. 39. 32. (D.J.)


SCORBUT(Maladies) le nom de scorbut a aujourd'hui une signification bien plus étendue qu'il ne l'avoit du tems des anciens. Rien n'est plus ordinaire, par exemple, que de mettre la cachexie, la goutte, la dyspnée, la paralysie, le rhumatisme & autres affections semblables au rang des affections scorbutiques.

Le scorbut proprement dit est une maladie à laquelle les habitans des côtes du nord sont fort sujets, & qui est la source de plusieurs autres maladies.

Comme ce mal trompe souvent par la grande variété de ses symptomes, il faut en décrire l'histoire pour en faire connoître la nature.

Les Anglois, les Hollandois, les Suédois, les Danois, les Norvégiens, ceux qui habitent la basse-Allemagne, les peuples du Nord, ceux qui vivent dans un climat très-froid, surtout ceux qui sont voisins de la mer, des lieux qu'elle arrose, des lacs, des marais ; ceux qui habitent des lieux bas, spongieux, gras, situés entre des lieux élevés & sur les bords des rivieres & des fleuves ; les gens oisifs qui habitent des lieux pierreux pendant l'hiver ; les marins qui se nourrissent de chair salée enfumée, de biscuit, d'eau puante & croupie ; ceux qui mangent trop d'oiseaux aquatiques, de poisson salé endurci au vent & à la fumée, de boeuf, ou de cochon salé & enfumé, de matieres farineuses qui n'ont point fermenté, de pois, de feves, de fromage salé, âcre, vieux ; ceux qui sont sujets à la mélancolie, à la manie, à l'affection hypocondriaque & hystérique, & à des maladies chroniques, & principalement qui ont fait un trop grand usage de quinquina ; tous ceux-là, dis-je, sont sujets au scorbut.

Les phénomenes de ce mal dans son commencement, dans son progrès & dans sa fin, sont les suivans.

On est extrêmement paresseux, engourdi ; on aime à être assis & couché : on sent une lassitude spontanée, & une pesanteur par tout le corps, une douleur dans tous les muscles, comme si on étoit trop fatigué, & surtout aux cuisses & aux lombes ; on a beaucoup de peine à marcher, surtout en montant & en descendant ; le matin en s'éveillant on se sent comme rompu.

2°. On respire avec peine, & on est hors d'haleine, presque suffoqué au moindre mouvement ; les cuisses s'enflent & se desenflent, il paroît des taches rouges, brunes, chaudes, livides, violettes ; la couleur du visage est d'un brun pâle. Les gencives sont gonflées, avec douleur, démangeaison, chaleur, & saignent pour peu qu'on les presse ; les dents se dechaussent & s'ébranlent ; on sent des douleurs vagues par toutes les parties internes & externes du corps, d'où naissent des tourmens cruels à la plevre, à l'estomac, à l'ileum, au colon, aux reins, à la vésicule du fiel, au foie, à la rate, &c. Il y a des hémorrhagies fréquentes.

3°. Les gencives sont d'une puanteur cadavéreuse ; elles s'enflamment : il en sort du sang goutte-à-goutte ; les dents vacillent, deviennent noires, jaunes, cariées, il se forme des anneaux variqueux aux veines ranines ; il arrive des hémorrhagies souvent mortelles par la peau, sans qu'il paroisse aucune blessure, par les levres, la bouche, les gencives, l'oesophage, l'estomac, &c. il se forme sur tout le corps, & principalement sur les cuisses, des ulceres puans opiniâtres, qui ne cedent à l'application d'aucun remede.

Le sang tiré des veines a sa partie fibreuse, noire, grumelée, épaisse, & cependant il est dissous quant à sa partie sereuse qui est salée, âcre & couverte d'une mucosité, dont la couleur est d'un jaune tirant sur le verd. On est tourmenté de douleurs rongeantes, lancinantes, qui passent promtement d'un endroit à un autre, qui augmentent durant la nuit dans tous les membres, dans les jointures, les os, les visceres ; il paroît sur la peau des taches livides.

4°. On est sujet à différentes fievres chaudes, malignes, intermittentes de toute espece, vagues, périodiques, continues, qui produisent l'atrophie, des vomissemens, des diarrhées, des dyssenteries ; à des stranguries succedent la lipothymie, des anxiétés mortelles, l'hydropisie, la phthisie, les convulsions, les tremblemens, la paralysie, les crampes, les vomissemens & des selles de sang ; le foie, la rate, le pancreas & le mésentere se pourrissent ; alors le mal est très-contagieux.

La nature & les effets du scorbut nous démontrent sa cause : c'est un sang épaissi dans une de ses parties, & dissous dans l'autre, d'une âcreté & d'une salure alkaline ou acide, circonstances qu'il faut surtout soigneusement rechercher & distinguer.

Traitement. La cure thérapeutique consiste 1°. à dissoudre ce qui est épais, à rendre mobile ce qui croupit, à donner de la fluidité à ce qui est trop lié.

2°. Il faut épaissir ce qui est trop tenu, adoucir l'âcreté reconnue.

3°. En corrigeant l'un, il faut toujours avoir égard à la nature de l'autre.

Les forts évacuans ne font que rendre le mal rebelle.

Dans le premier degré on a recours à la saignée, à la purgation avec un minoratif, & répetée plus d'une fois. On peut se servir de la potion suivante.

Prenez d'une infusion de chicorée, huit onces ; de manne, deux onces ; de tamarins, une once ; de sel polycreste, deux gros ; de syrop de roses solutif avec le sené, six gros. Faites - en une potion que l'on prendra le matin à jeun.

Quelques jours après on peut prendre la potion suivante :

Prenez d'eau ou d'infusion de fumeterre, quatre onces : d'élixir de propriété, deux gros : de syrop de raifort, une once. On employera ensuite différens remedes digestifs & atténuans, tels que la teinture de sel de tartre ou de mars, le tartre vitriolé, différens élixirs, différens sels volatils huileux, &c. les savons de toute espece, les oxymels, les conserves d'oseille, d'alleluia, les oranges, les citrons, les limons & les grenades, & enfin les antiscorbutiques de la premiere classe, tels que les plantes aromatiques, ombelliferes & labiées, les cruciferes, les menthes, les patiences, les eupatoires, les orobes, les absynthes & autres, les cressons, le beccabunga, le botrys, &c.

Enfin on doit régler le régime, de façon qu'il soit tout opposé aux causes de la maladie.

Dans le second degré, on usera de scorbutiques un peu âcres, tels que l'ail, l'alliaire, le pié de veau, le grand raifort, l'absynthe, les oignons, le cochlearia, l'aunée, la gentiane, le pastel, le passerage, & le raifort sauvage, le treffle d'eau, la moutarde, & la petite espece de joubarbe.

On peut en faire des infusions, des apozemes, des bouillons, des syrops, des juleps, & autres préparations.

Suc antiscorbutique. Prenez de raifort sauvage ratissé, quatre onces : de feuilles récentes de cochlearia, de nummulaire & d'ortie, de patience des jardins, de beccabunga & d'oseille sauvage ou des jardins, de chaque une poignée ; exprimez-en le suc, & le mêlez avec du sucre ; on en prendra six fois par jour, une demi-once par fois.

L'esprit antiscorbutique suivant est aussi indiqué.

Semences. Prenez de moutarde, de raifort des jardins, de roquette, de velar, de cresson de jardin, de feuilles de cochlearia, de chaque une once ; de passerage & de raifort sauvage, de chaque deux poignées ; après les avoir hachées menu & broyées, vous y ajouterez du sel marin, deux onces ; d'écume de biere, une once ; d'esprit de vin quantité suffisante, distillez trois fois, & cohobez à chaque fois.

On peut aussi des mêmes herbes faire un vin médicinal, ou une biere antiscorbutique, en prenant les feuilles, les racines des plus énergiques, & les faisant macérer dans un tonneau de biere en fermentation, ou dans une quantité de vin du Rhin suffisante.

Dans le troisieme degré, les remedes décrits ci-dessus sont excellens ; on doit user copieusement de liquides doux, de diurétiques, antiseptiques, d'antiscorbutiques, provoquer long-tems & légerement les sueurs, les urines & les selles.

On peut, par exemple, ordonner les antiscorbutiques dans le petit-lait, dans l'eau de nymphea ou de guimauve, dans le lait, le gruau, & d'autre façon plus appropriée.

On peut adoucir les sucs, les infusions, avec les syrops de citron, de violette ou de nymphea.

Dans le quatrieme degré, la maladie est desespérée ; rarement arrive-t-il que l'on réussisse, & que même l'on tente la guérison.

Le scorbut est une maladie terrible, lorsqu'il est confirmé ; elle est vraiment contagieuse ; & le cadavre d'un scorbutique, lorsqu'il vient à pourrir, est une semence terriblement efficace pour en étendre au loin l'infection ; on le confond aujourd'hui avec la maladie hypocondriaque, il est vrai que cette maladie a beaucoup d'affinité dans ses suites avec le scorbut.

Le changement d'air & de climat est un moyen assuré pour se garantir du scorbut dans ceux qui en sont menacés ; l'exercice modéré, le calme des passions, l'usage d'alimens doux, nourrissans, légeremens aromatisés, sont des moyens sûrs de prévenir un mal si terrible.

Le lait & les autres alimens ou médicamens de cette nature, quoique contre-indiqués dans le scorbut en général, à cause de l'épaississement, du grumellement & de la dépravation du sang, peuvent cependant faire bien, & procurer du soulagement dans les cas d'acrimonie, de dissolution.

Comme les symptomes du scorbut sont infinis, & que leur multitude avec leur différence infinie contribue beaucoup à déguiser cette maladie & à la masquer, il faut reconnoitre leur cause, & ne point s'exposer à prendre le change ; toutes les maladies peuvent se couvrir de l'apparence du scorbut, & celui-ci peut prendre la tournure de toutes les maladies imaginables. C'est ce qui fait la difficulté du diagnostic & du prognostic.

On peut déterger les gencives & leurs ulceres avec l'essence d'ambre, la teinture de myrrhe, le storax, l'esprit-de-vin camphré, l'esprit de sel dulcifié qu'on mêlera avec le miel rosat ; & sur les tumeurs sanguinolentes on appliquera de l'onguent aegyptiac mêlé avec du miel rosat & de l'esprit de cochlearia ; on fera boire au malade une décoction de raifort dans du lait, ou de sommités de pin dans de la biere.

Le scorbut qui étoit jadis inconnu dans nos contrées, y devient commun comme en Angleterre ; le spleen qui nous vient de cette île, nous amene aussi le premier. Les maux de rate ordinaires à nos vaporeux, à nos gens de lettres, & à mille gens qu'une éducation impérieuse & trop remplie de sentimens de présomption met fort au-dessus de leur rang & de leur état, ont fait naître dans notre climat les maladies de l'esprit & le scorbut. La même cause qui a multiplié les vapeurs, ou cette maladie des gens d'esprit qui régne à la cour, comme à la ville, chez le marchand, comme chez l'homme de robe, a semé en même tems le scorbut sur nos côtes, & dans le centre même de la capitale ; & Paris, par le déréglement des moeurs, & la folie qui conduit l'esprit de ses habitans, est aussi incommodé du scorbut que les peuples du Nord.

L'affection hypocondriaque peut d'autant mieux disposer à cette maladie, qu'elle rend les tendons, les nerfs & les autres parties sensibles du corps d'une sécheresse extrême : cette aridité cause une effervescence avec un épaississement du sang qui vient à prendre une consistance résineuse, & qui formant des obstructions dans les visceres, empêche les sécrétions, les excrétions, & détruit l'ordre des fonctions naturelles, qui dépend de l'égalité de ces mêmes sécrétions ; les impuretés de la lymphe & de la sérosité retenue dans la masse des humeurs, y produisent cette dissolution, ce sel muriatique & ces dispositions cachectiques, érésipélateuses de l'habitude du corps, ces hémorrhagies, ces ulceres, ces croutes, ces taches violettes qui sont suivies le plus souvent de la gangrene.

On peut donc regarder le chagrin ou la folie de l'esprit jointe au mauvais régime, comme la premiere cause & l'époque de la naissance du scorbut dans le coeur du royaume, où il ne peut être produit par les mêmes causes que celui des gens de mer.

Le scorbut dont on vient de parler, produit par les vapeurs, est celui des riches, que la saignée, le régime exact, les évacuans peuvent guérir, d'autant qu'il provient d'un sang trop étoffé, & trop garni de parties volatiles & sulphureuses, par l'abondance de toutes les choses nécessaires à la vie, par le défaut d'exercice, la vie oisive, & l'intempérance ordinaire aux personnes aisées.

Le scorbut des pauvres est bien différent ; la misere, la disette & les calamités publiques le font naître ; la famine, le mauvais air, l'usage d'alimens corrompus, de blés gâtés, d'eau croupie & puante, de vin & de biere aigres entretiennent cette disposition vicieuse du sang ; les pauvres dans les hôpitaux, les soldats dans les hôpitaux militaires, dans les camps nombreux où les eaux & les vivres sont rares, sont très-sujets à cette maladie.

Le scorbut des pauvres demande à être traité d'une façon toute différente de celui des riches, la saignée & les évacuans y deviennent nuisibles ; les remedes violens y sont dangereux ; il faut ici soutenir les forces vitales languissantes, réparer les parties sulphureuses du sang qui sont ou détruites ou en petite quantité ; il faut réveiller les esprits, enrichir de parties volatiles & nourricieres le sang qui manque de substance solide ; la nourriture tempérante & eupeptique, modérée, donnée à de fréquens intervalles, les cordiaux doux sont les meilleurs remedes pour cette espece de scorbut.

On peut voir par tout ce qui vient d'être dit, que le scorbut est une maladie fort compliquée, difficile à connoitre, & encore plus pénible à guérir. C'est ici que l'on peut dire : ars longa, vita brevis, judicium difficile.


SCORDISCIENSS. m. pl. (Hist. anc.) peuple de l'ancienne Thrace, mais originaire de la Gaule, qui vainquit les Romains. L'usage de l'or & de l'argent étoit défendu dans leur pays, ce qui ne les empêcha point d'aller, sous la conduite de Brennus, piller le temple de Delphes. Voyez l'article suiv.


SCORDISQUES(Géog. anc.) Scordici ou Scordicae, peuples de la basse Pannonie. Ptolémée, l. II. c. xvj. dit qu'ils habitoient dans la partie orientale de cette province, en tirant vers le midi. Strabon, liv. VII. les met à l'orient de la Pannonie, , & ils habitoient, selon Tite-Live, liv. XL. chap. lvij. entre les Dardaniens & les Dalmates.

Les Scordisques n'eurent pas toujours une demeure fixe ; on les voit tantôt à l'orient de la Pannonie, tantôt au milieu de cette province, quelquefois sur le bord du Danube, quelquefois des deux côtés de ce fleuve, & en divers autres endroits.

C'étoit un peuple errant & d'une origine gauloise, car Strabon, liv. VII. pag. 313. les appelle Scordicigalli. Ils furent puissans quand ils commencerent à paroître dans ces quartiers ; mais du tems de Strabon ils étoient si peu considérables qu'à peine connoissoit-on leur nom. Appien, in Illyric. nous apprend que ce fut Scipion qui les réduisit à ce triste état ; voici leur histoire en peu de mots.

Les Scordisques étoient un ancien peuple, gaulois d'origine, mais transplanté sur les bords du Danube. Leurs peres avoient autrefois accompagné Brennus au pillage du temple de Delphes. Après l'horrible désastre qui dissipa cette armée, les débris s'en séparerent en diverses contrées. Une partie s'alla établir vers le confluent du Danube & de la Save, c'est-à-dire dans le pays où est aujourd'hui Belgrade, & prit le nom de Scordisques, dont l'étymologie n'est pas connue. Leur férocité naturelle jointe à l'âpreté du climat, & leur commerce avec les nations barbares, dont ils étoient environnés, les porta à faire la guerre aux Romains, qu'ils vainquirent sous le consulat de Caton, l'an de Rome 638. Fiers de ce succès, ils ravagerent les provinces de l'empire, jusqu'à la mer Adriatique ; mais les généraux romains qui succederent à Caton, & Scipion en particulier, remporterent diverses victoires sur ce peuple, dont il n'est plus parlé dans la suite des tems. (D.J.)


SCORDIUMS. m. (Hist. nat. Botan.) le scordium des Botanistes, des Apothicaires, est l'espece de germandrée aquatique, que Tournefort appelle chamoedris palustris, canescens ; sa racine est fibrée, rampante, vivace ; elle pousse plusieurs tiges longues comme la main, quelquefois d'un pié, quarrées, velues, creuses, rameuses, inclinées vers la terre, & serpentantes. Ses feuilles sont opposées, oblongues, plus grandes que celles de la germandrée ordinaire, ridées, dentelées en leurs bords, molles, velues, blanchâtres, d'une odeur d'ail qui n'est pas désagréable, & d'un goût amer. Ses fleurs naissent dans les aisselles des feuilles, le long des tiges & des rameaux, petites, en gueule ; chacune d'elles est un tuyau évasé par le haut, & prolongé en livre, découpée en cinq parties, de couleur rougeâtre. Après que ces fleurs sont passées, il leur succede quatre semences, menues, arrondies, renfermées dans une capsule, qui a servi de calice à la fleur.

Cette plante croît aux lieux humides & marécageux ; elle fleurit en Juillet, & varie en grandeur ; lorsqu'on la transplante dans les jardins, elle y périt aisément. On dit qu'on redoit la découverte des vertus du scordium, presque perdue, à Guillaume Pelissier, évêque de Montpellier ; il est vrai du-moins que c'est une plante utile, qui est atténuante, incisive, & apéritive. (D.J.)


SCORIESS. f. pl. (Chymie & Métallurgie) c'est ainsi qu'on nomme dans la fonte des mines métalliques les parties étrangeres aux métaux, qui comme plus légeres nagent à leur surface pendant qu'ils sont en fusion, & y forment une espece d'écume ou de matiere vitrifiée, qui varie pour la forme & pour le tissu, étant tantôt plus ou moins compacte, & plus ou moins de la nature du verre. Les scories varient en raison des différentes mines ou des différens métaux que l'on fait passer par la fonte ; elles sont produites par les pierres, les terres, l'arsenic, le fer, le soufre, &c. qui se trouvoient combinés dans la mine ; comme les métaux varient pour la pesanteur, les plus pesans tombent au fond du fourneau, & les plus légers nagent à leur surface ; de-là vient que souvent les scories contiennent une portion des métaux. Il y a des métaux que l'action du feu convertit promtement en chaux, ce qui arrive sur-tout au plomb, à l'étain, au fer, &c. alors ces métaux calcinés se mêlent avec les scories ; de plus ces scories retiennent souvent une portion du métal que l'on veut obtenir par la fonte, & alors on est obligé de les refondre de nouveau afin d'en tirer la partie métallique qui peut y être restée. Lorsque les scories sont bien vitrifiées, elles fournissent un excellent fondant pour le traitement des mines, elles font la fonction d'un verre, & contribuent à la fusibilité de ces mines.

On appelle scories pures, celles qui ne contiennent que très-peu ou point du métal que l'on a intérêt de tirer de la mine, & scories impures, celles qui en ont retenu une portion. Les scories tendres sont celles qui se fondent aisément, telles que celles qui contiennent du plomb. Les scories dures sont difficiles à fondre ; de cette nature sont celles qui contiennent du fer & du soufre. (-)


SCORIFICATOIRES. m. (Docimast.) test, écuelle à vitrifier, en allemand treibscherben, & dans les auteurs qui ont écrit en latin, patella vitrificatoria ou scorificatoria.

Les scorificatoires sont des vaisseaux très-compacts, capables de supporter le feu le plus violent, & de retenir quelque tems, non-seulement les métaux fondus, mais encore le verre même de saturne. Ils ont environ deux pouces de diametre, & sont presque semblables aux coupelles ; mais le scorificatoire differe des coupelles en ce qu'il demande pour sa composition, que nous donnerons ici, une matiere plus compacte & plus tenace que celle de la coupelle.

La meilleure matiere qu'on puisse employer pour la composition des scorificatoires, est l'argille ordinaire, & qui se trouve par-tout ; mais comme elle est sujette à quelques variations qui lui viennent d'un mêlange d'autres terres, il n'est pas hors de propos d'examiner préalablement celle dont on veut se servir. On en fait d'abord un petit nombre de vaisseaux que l'on charge de verre de saturne, avec un peu de plomb, & que l'on expose à un feu violent pendant une heure ou plus, afin de s'assurer s'ils sont capables de le soutenir l'un & l'autre.

On trouve quelquefois dans certains endroits de l'argille très-propre aux scorificatoires, sans être obligé de la préparer ou de lui joindre quelqu'autre matiere : mais comme ces sortes de cas ne sont pas les plus ordinaires, il arrive qu'elle exige diverses préparations, selon la différence de sa nature.

Il est absolument nécessaire de laver l'argille, à-moins qu'elle ne soit tout-à-fait exempte de petites pierres, de menus brins de bois, &c. pour cet effet on en fait des petites pelotes qu'on seche à l'air, ou à une légere chaleur ; on les réduit dans un mortier en poudre grossiere ; on verse par-dessus une grande quantité d'eau chaude, & on remue le tout avec un crochet de fer, afin de détremper entierement l'argille. Après avoir laissé reposer ce mêlange pendant quelques minutes, on reçoit dans un vaisseau net l'eau encore trouble, qu'on passe à-travers un tamis de crin ; ensorte que les petites pierres restent au fond du premier vaisseau, & ce qui est plus léger, dans le tamis. On laisse déposer cette eau pendant vingt-quatre heures, afin que toute l'argille ait le tems de s'amasser au fond du vaisseau sous la forme d'une pâte ténace, ensuite de quoi on jette l'eau qui est par-dessus ; ce lavage sert aussi à emporter les sels qui peuvent se trouver dans l'argille.

Après que l'humidité de l'argille s'est dissipée pour la plus grande partie, & qu'elle est conséquemment devenue plus épaisse, réduisez-la en petites pelotes, afin qu'elle acquiere plus promtement la consistance nécessaire pour qu'on en puisse former des scorificatoires. Quand elle en sera à ce point, formez-en quelques vaisseaux, afin de vous assurer si cette préparation est suffisante ; ce qui se rencontre assez rarement.

S'il arrive que le vaisseau que vous en aurez fait, ayant d'abord été seché à une légere chaleur, échauffé, & ensuite exposé subitement à un feu violent, pétille ou se fêle ; ajoutez-y du sable bien pur ou des cailloux calcinés, ou des creusets de Hesse mal conditionnés ou cassés, mais cependant de bon aloi ; mettez-les en poudre fine, & les passez au-travers d'un tamis serré ; mêlez-en avec votre argille, une quantité suffisante pour la réduire en une pâte ferme, qui ne s'attache point aux mains, & qui soit à peine flexible, bien qu'elle ait été réduite en une lame assez mince, vos vaisseaux n'en soutiendront que mieux le feu.

Le verre ordinaire réduit en poudre est un bon correctif pour les argilles qui, quoiqu'elles soient assez réfractaires, & qu'elles soutiennent assez constamment le feu, ne s'y endurcissent pourtant pas suffisamment, y restent trop molles, boivent la litharge, & laissent échapper les fondans.

Les moyens que nous venons d'indiquer sont suffisans pour donner à l'argille les qualités nécessaires aux fins qu'on se propose, ensorte qu'en tâtonnant, on peut trouver la juste combinaison propre aux tests scorificatoires.

On doit toutefois se bien garder d'employer en trop grande quantité, les pierres ou les terres crétacées ou calcaires ; car lorsqu'elles sont mêlées seules avec l'argille, les scorificatoires devenant trop poreux, sont pénétrés par la litharge, quoiqu'ils ne laissent pas que de résister au feu, & ils deviennent après cela si mous, qu'ils s'affaissent d'eux-mêmes, ou qu'il n'est pas possible de les prendre avec les pinces, sans qu'ils ne s'écrasent totalement ; si ni l'un ni l'autre de ces inconvéniens n'a lieu, ils ne manquent jamais d'être rongés par la litharge ; ensorte qu'on a des scories ténaces en grande quantité, très-difficiles à réduire en poudre, & qui retiennent beaucoup de molécules du métal quand on le verse.

Pour faire les scorificatoires on se sert de moules, & on se conduit de la maniere qui suit. On frotte médiocrement d'huile ou de lard la none & le moine, & on les essuie légerement avec un linge, pour emporter ce qu'il pourroit y avoir de trop ; on remplit environ jusqu'aux deux tiers la partie inférieure du moule d'argille préparée, puis on y fait un creux au milieu avec le pouce ; on met ensuite par-dessus la partie supérieure qu'on frappe de quelques coups de maillet fortement appliqués ; on le retire & on retranche avec un couteau la matiere excédente de la base & du bord supérieur ; après cela l'on presse le fond du moule contre du sable fin, qu'on a étendu sur une table, pour en détacher le vase ; ou bien on se contente de renverser le moule sur la table, & de lui donner quelques petits coups pour lui faire quitter le scorificatoire.

La matiere argilleuse qu'on doit employer pour ces sortes de vaisseaux, doit être si dure & si seche qu'ils puissent se briser pour peu qu'on les plie ; car si elle étoit molle, il ne seroit presque pas possible de tirer du moule un seul test dans son entier, sans qu'il fût défiguré, à-moins qu'on n'eût assez de tems à perdre pour l'exposer dans le moule à une assez forte chaleur pendant quelques minutes ; auquel cas il faudroit encore bien prendre garde de le sécher trop fortement, sans quoi l'on risqueroit également de le déformer.

On peut cuire dans un four à potier, ou à quelque autre feu médiocre de reverbere, les scorificatoires faits ainsi que nous l'avons dit, après les avoir préalablement sechés pendant quelques jours dans un lieu médiocrement chaud ; on peut même s'en servir sans toutes ces précautions, pourvu qu'on ait celle de ne leur donner le feu que lentement, & qu'on ne soit pas obligé d'y mettre des flux pénétrans, & principalement salins ; mais quand on veut les exposer subitement au feu, on y place des fondans actifs, & particulierement les salins : il est absolument nécessaire de les faire cuire auparavant ; car il arrive que quand on n'a pas pris ce soin, ils se fendent, sont rongés par ces sortes de flux, & fondent quelquefois tout-à-fait eux-mêmes. Cramer, Docimastique. (D.J.)


SCORODO-THLASPIS. m. (Hist. nat. Botan.) espece de thlaspi, nommé par Tournefort thlaspi allium redolens ; c'est une petite plante qui pousse de sa racine beaucoup de feuilles ressemblantes en quelque maniere à celles du bellis : quelques-unes d'elles sont légerement laciniées, d'autres sont dentées dans les bords, d'autres sont sans découpures : il s'éleve d'entr'elles de petites tiges revêtues de feuilles, qui portent en leurs sommités des fleurs composées de quatre petits pétales blancs, & d'un pistil qui devient ensuite un fruit applati en bourse ovale, renfermant des graines presque rondes & applaties. Voyez TLASPI. (D.J.)


SCORODONIAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Cordus, Gérard, & autres anciens botanistes, à l'espece de germandrée sauvage, que Tournefort appelle chamaedris fruticosa, sylvestris melissae folio.

Les feuilles de cette espece de germandrée approchent de celles de la mélisse, sont velues & d'un goût amer ; ses fleurs sont en gueule, de couleur herbeuse, ou d'un blanc pâle ; ses semences sont rondes, noirâtres, enfermées au nombre de quatre dans une capsule qui a servi de calice à la fleur ; cette plante a une odeur tirant sur celle de l'ail : elle croît aux lieux incultes. (D.J.)


SCORODOPRASUMS. m. (Botan.) Ce mot est composé de , ail, & porreau, comme qui diroit ail-porreau. C'est l'espece d'ail nommé par C. B. allium sphoerico capite, folio latiore ; cette plante tient de l'ail & du porreau ; sa tige croît à la hauteur de deux ou trois piés. Le sommet porte une tête sphérique, couverte d'une enveloppe membraneuse comme l'oignon, enfermant un amas de fleurs pressées les unes contre les autres en peloton : ses fleurs en s'épanouissant laissent paroître chacune six petits pétales blancs qui les composent. Il leur succede de petits fruits relevés de trois coins, remplis de semences noirâtres semblables à celles de l'oignon ; sa racine est une bulbe grosse comme un oignon, enveloppée dans plusieurs tuniques blanches, se séparant par côtes comme l'ail, d'une odeur forte, & d'un goût piquant. Cette plante croît aux pays chauds où le peuple l'emploie dans les alimens. (D.J.)


SCORPENOSCORPENA. Voyez RASCASSE.


SCORPIOIDES. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont voici les caracteres. Une de ses parties est pleine de noeuds, & roulée comme une chenille, ce qui fait qu'on lui a attribué ce nom ; il sort de chaque noeud une semence de figure ovale. Boerhaave en compte quatre especes. (D.J.)


SCORPIONS. m. (Hist. nat. des Insect.) insecte terrestre des pays chauds, cruel, venimeux, & qui pique par un aiguillon dont il est armé au bout de la queue.

Qu'on ne nous propose plus l'exemple des bêtes pour modele de notre conduite, ainsi que l'ont fait imprudemment, je ne dis pas les poëtes, mais quelques-uns de nos moralistes. L'école des animaux ne seroit propre qu'à nous pervertir encore davantage. Les scorpions seuls instruiroient l'homme à distiller le venin dans les blessures ; ils lui enseigneroient l'antropophagie la plus dénaturée, car ces cruels insectes mis ensemble en quelque nombre que ce soit se massacrent, & s'entre-mangent jusqu'au dernier vivant, sans égard ni pour l'âge ni pour le sexe. Enfin ils nous montrent l'exemple d'une férocité même plus atroce, qui les porte à dévorer leurs petits, à mesure qu'ils viennent au monde.

A ces traits qui caractérisent les moeurs & le génie du scorpion, on ajoute d'autres faits qui ne sont pas aussi certains, mais qu'il est important de vérifier ; je veux dire ceux qu'on raconte de la force du venin de cet animal, de son effet sur l'homme, du remede en usage tiré de l'application du scorpion écrasé sur la piquûre, ou de l'huile qui porte son nom. Nous discuterons toutes ces choses d'après les observations de M. de Maupertuis, imprimées dans les mémoires de l'académie des Sciences année 1731. Commençons par la description de l'insecte.

Description du scorpion. Le scorpion ordinaire de la campagne en Languedoc, est au moins de la grosseur d'une grosse chenille, & ressemble à une petite écrevisse : il y en a de diverses couleurs, de blancs, de noirs, de roux, de jaunâtres & de noirâtres. Son corps tout cuirassé est de figure ovale. Sa cuirasse du dos est pointillée de petits tubercules ; la longueur de cet insecte est environ de deux pouces, plus ou moins. On peut le diviser avec Swammerdam en trois parties, la tête, la poitrine & la queue.

La tête paroît jointe & continue avec la poitrine, sur le dessus de laquelle il a deux petits yeux au milieu, & deux vers l'extrêmité de la tête. De chaque côté sortent comme deux bras semblables aux pinces d'une écrevisse, qui se divisent chacune en deux articulations, dont la derniere est armée d'un ongle au bout.

Il a huit jambes qui naissent de sa poitrine ; chaque jambe se divise en diverses articulations couvertes de poils, & les extrêmités sont armées de petits ongles.

Le ventre se partage en six ou sept anneaux, du dernier desquels sort la queue ; elle est longue, nouée, faite en maniere de patenôtres, c'est-à-dire qu'elle est composée de six ou sept petits boutons, oblongs, attachés bout-à-bout, & armée en son extrêmité d'un aiguillon.

Les scorpions paroissent n'avoir pas d'autres dents que les petites serres avec lesquelles ils mâchent leurs alimens ; leur bouche est garnie de petits poils, & quoique leur peau soit d'une véritable écaille, ils ne laissent pas d'être velus en plusieurs endroits, aux serres, aux jambes, & au dernier noeud de la queue.

Description particuliere de son aiguillon. Ce dernier noeud, comme nous venons de le dire, est armé d'un aiguillon qui est creux, long, crochu, fort pointu, avec lequel l'animal pique ; & comme il produit quelquefois par sa piquûre des effets mortels, il faut nécessairement que cet insecte verse quelque liqueur dans la plaie que fait son aiguillon ; c'est pourquoi l'on a conjecturé que cet aiguillon devoit être percé d'un petit trou à son extrêmité, pour donner issue à la liqueur empoisonnée, dont le réservoir est dans le dernier bouton de la queue. Cependant Rédi, après avoir cherché ce trou avec les meilleurs microscopes, avoue qu'il ne l'a jamais pû découvrir, il vit seulement un jour à l'extrêmité de l'aiguillon de la queue d'un scorpion irrité, une petite goutte de liqueur, qui lui donna lieu d'assurer qu'il y avoit quelqu'ouverture.

Mais Leuwenhoeck, plus heureux que Rédi, au lieu d'un trou unique que les autres auteurs supposoient, en a vu deux, dont M. de Maupertuis a confirmé l'existence, & en a donné la figure & la description qui ne different qu'en peu de choses de celle de Leuwenhoeck ; cette différence même peut venir de la différente espece de scorpions que les deux observateurs ont examiné, savoir l'un en Hollande, & l'autre à Montpellier. Voici la description de l'académicien de Paris, qui avant sa mort étoit directeur de l'académie de Berlin.

Le dernier noeud de la queue du scorpion est une petite fiole d'une espece de corne, qui se termine par un col noir fort dur, fort pointu, & ce col est l'aiguillon ; il présente au microscope deux petits trous beaucoup plus longs que larges, qui au-lieu d'être placés à l'extrêmité de l'aiguillon, le sont des deux côtés à quelque distance de la pointe. Dans plusieurs aiguillons, quelquefois la situation de ces trous varie un peu, quoiqu'ordinairement ils commencent à la même distance de la pointe.

Il n'est pas nécessaire que le microscope grossisse beaucoup les objets, pour appercevoir ces trous ; on les découvre fort bien avec une loupe de deux ou trois lignes de foyer : & lorsque Rédi n'a pu les voir, c'est apparemment qu'il s'est attaché à chercher à l'extrêmité de l'aiguillon, un trou qui n'y est point, & que présentant toujours à son microscope l'aiguillon par la pointe, il ne pouvoit pas appercevoir ces trous placés comme ils sont ; on peut même s'assurer de leur situation sans microscope ; si l'on presse fortement la fiole qu'on vient de décrire, on voit la liqueur qu'elle contient, s'échapper à droite & à gauche par ces deux trous.

Le scorpion est fort commun dans les pays chauds, comme en Afrique, en Asie, en Italie, en Espagne, en Languedoc, en Provence ; il habite les trous de murailles & de la terre ; il se nourrit de vers, de cloportes, d'araignées, d'herbes, &c. Il chemine de biais, & il s'attache si bien avec ses piés & ses serres à ce qu'il veut empoigner, qu'on ne l'en arrache que difficilement.

Ses especes. Il y en a de plusieurs especes, dont nos naturalistes n'ont point encore fait d'exacte division ; mais on n'a guere que deux sortes de scorpions en Languedoc, dont l'une se trouve assez communément dans les maisons, & l'autre habite la campagne. Les premiers sont beaucoup plus petits que les derniers ; ils ressemblent pour la couleur au café brûlé, & passent pour être moins dangereux que les rustiques, lesquels sont en si grande quantité vers un village appellé Souvignargues, à cinq lieues de Montpellier, que les paysans en font une sorte de petit commerce ; ils les cherchent sous les pierres, & les vendent aux apothicaires des villes voisines, qui les employent dans leur remede en usage contre la piquûre du scorpion. Mathiole raconte qu'en Italie il n'y a ni maisons, ni caves, ni celliers, qui n'en soient infectés ; l'exagération est un peu forte ; ils passent pour être fort venimeux en Toscane & dans la Scythie.

Nos voyageurs disent qu'on trouve en Amérique des scorpions dix fois plus grands que les nôtres, & qui cependant ne sont pas venimeux ; ils assurent qu'on en voit d'aîlés, & que ces derniers tuent les lézards & les serpens ; mais de semblables récits n'ont point trouvé créance.

Effets attribués à sa piquure. Il n'en est pas de même des descriptions effrayantes que quelques médecins anciens & modernes nous ont faites, des symptomes produits par la piquure des scorpions.

Elle cause, disent-ils, une douleur violente dans la partie, avec tension, engourdissement, & sueur froide par tout le corps ; ceux qui en sont piqués sont quelquefois affectés d'enflure aux aînes, ou d'une tumeur sous les aisselles ; si la piquure est considérable, la partie est d'abord affectée d'une chaleur pareille à celle que causent les brûlures, suivie d'une fievre aiguë, de vomissemens, & de pissement de sang. Il paroît quelquefois des meurtrissures accompagnées de démangeaisons autour des levres de la plaie, de même que sur tout le corps, de maniere qu'il semble que le malade ait été frappé de la grêle ; il s'amasse des matieres gluantes autour des yeux, les larmes sont visqueuses, & les jointures perdent leur mouvement ; enfin le malade écume, vomit, est attaqué de hoquets, tombe dans des convulsions qui tiennent de l'opisthotonos, & meurt dans cet état. Tous ces symptomes, ajoute-t-on, varient suivant le tempérament du malade, la saison, le pays, l'espece, & l'irritation du scorpion.

Il seroit à souhaiter que nous tinssions ces détails de la main d'observateurs fideles, qui les eussent vûs de leurs propres yeux sur différens malades, & les eussent soigneusement transcrits ; mais c'est ce qui n'est point encore arrivé. Au défaut de pareilles observations qui nous manquent, on a tâché de juger par analogie, des effets de la piquure du scorpion sur les hommes, & en faisant des expériences sur les animaux. Nous pouvons sur-tout compter sur celles de M. de Maupertuis qui dans un voyage a Montpellier, crut ne devoir pas négliger ce genre de recherches, qui intéresse la vie des hommes, ou qui du moins peut servir à tranquilliser leur imagination.

Expériences de M. de Maupertuis à ce sujet. Le premier chien qu'il fit piquer à la partie du ventre qui est sans poil, & qui reçut trois ou quatre coups de l'aiguillon d'un scorpion irrité, devint au bout d'une heure très-enflé & chancelant ; il rendit tout ce qu'il avoit dans l'estomac & dans les intestins, & continua pendant trois heures de vomir de tems-en-tems une espece de bave visqueuse ; son ventre, qui étoit fort tendu, diminuoit après chaque vomissement ; cependant il recommençoit bientôt de s'enfler, & quand il l'étoit à un certain point, il revomissoit encore ; ces alternatives d'enflures & de vomissemens, durerent environ trois heures, ensuite les convulsions le prirent, il mordit la terre, se traîna sur les pattes de devant, enfin mourut cinq heures après avoir été piqué. Il n'avoit aucune enflure à la partie piquée, comme ont les animaux piqués par les abeilles ou les guêpes ; l'enflure étoit générale, & l'on voyoit seulement à l'endroit de chaque piquure, un petit point rouge, qui n'étoit que le trou qu'avoit fait l'aiguillon, rempli de sang extravasé.

Au bout de quelques jours M. de Maupertuis fit piquer un autre chien cinq à six fois au même endroit que le premier ; celui-ci n'en fut point malade ; les piquures furent réiterées dix ou douze fois quelques heures après, par plusieurs scorpions irrités ; le chien jetta seulement quelques cris, mais il ne se ressentit en aucune maniere du venin.

Cette expérience fut renouvellée sur sept autres chiens, par de nouveaux scorpions, & malgré toute la fureur & tous les coups des scorpions, aucun chien ne souffrit le moindre accident.

La même expérience fut répétée sur trois poulets, qui furent piqués sous l'aîle & sur la poitrine, mais aucun ne donna le moindre signe de maladie.

De toutes ces expériences il est aisé de conclure que quoique la piquure du scorpion soit quelquefois mortelle, elle ne l'est cependant que rarement ; elle aura besoin pour cela du concours de certaines circonstances, qu'il seroit difficile de déterminer ; la qualité des vaisseaux que rencontre l'aiguillon, les alimens qu'aura mangé le scorpion, une trop grande diete qu'il aura souffert, peuvent contribuer, ou s'opposer aux effets de la piquure. Peut-être que la liqueur empoisonnée ne coule pas toutes les fois que le scorpion pique, &c.

Rédi remarque que les viperes n'ont qu'une certaine quantité de venin, laquelle étant une fois épuisée par l'emploi que ces animaux en ont fait, a besoin d'un certain tems pour être réparée ; qu'ainsi après avoir fait mordre & piquer plusieurs animaux par des viperes, dont la blessure est extrêmement dangereuse, les derniers ne mouroient plus, & les viperes ne redevenoient venimeuses que quelques jours après ; mais ici l'on ne pourroit attribuer à cette cause, le peu d'effet du venin des scorpions ; les derniers étoient nouvellement pris, & n'avoient fait aucune dissipation de leurs forces ; on avoit employé des mâles & des femelles ; ainsi la difference de sexe ne serviroit encore de rien pour expliquer la variété des effets qui suivirent la piquure.

Remedes prétendus contre la piquure du scorpion. Entre tant de remedes imaginés contre la piquure du scorpion, il y en a deux qui ont fait fortune, & qui continuent d'être extrêmement accrédités ; l'huile de scorpion, & l'application de cet animal écrasé dans le moment sur la plaie ; ces deux antidotes passent pour souverains, & l'on appuye la recommandation du dernier, par l'exemple d'animaux qui, dit-on, nous ont fait connoître eux-mêmes l'excellence de cette découverte.

On conte à ce sujet qu'une souris étant enfermée dans une bouteille avec un scorpion, le scorpion la pique, & la piquure est suivie de la mort ; mais si l'on remet une autre souris dans la bouteille, qui soit piquée comme la premiere, elle dévore son ennemi, & se guérit par ce moyen.

M. de Maupertuis impatient de constater ce prétendu fait, mit dans une bouteille une souris avec trois scorpions ; la souris reçut bientôt plusieurs piquures qui la firent crier, elle prit le parti de se défendre, & à coups de dents tua les trois scorpions, mais n'en mangea d'aucuns, ne les mordit que comme elle eût fait tout autre animal qui l'eût blessée, & du reste ne fut point incommodée de ses piquures.

Il suit de cette expérience, que dans l'histoire qu'on rapporte, si elle est vraie, la premiere souris avoit reçu une piquure mortelle ; que la seconde ne reçut plus que des piquures inefficaces, soit parce que le scorpion s'étoit épuisé sur la premiere, soit par quelqu'autre circonstance qui empêcha que la piquure fût dangereuse ; qu'enfin si cette souris mordit, ou mangea ce scorpion, c'étoit ou pour se défendre, ou pour se nourrir, sans qu'il soit besoin de supposer ici ni instinct, ni antidote.

Après tout, au cas que le premier fait soit véritable, il indiqueroit plutôt l'utilité du scorpion, pris intérieurement pour se guérir de sa blessure, que celle de son application extérieure sur la plaie : or ce n'est point le remede interne qu'on vante ici ; au reste on ne conçoit guere mieux l'efficace de son application externe sur la piquure, pour attirer le venin, que le seroit celle d'une chenille, d'un limaçon, d'une écrevisse, ou autre animal semblable, & dont on ne loue point dans ce cas les merveilles.

L'huile de scorpion est autorisée par un grand nombre de suffrages ; cette huile si célebre n'est autre chose que de l'huile commune, dans laquelle on a fait périr des scorpions, & qu'on garde précieusement comme un topique infaillible étant appliqué sur la partie.

On la prépare en noyant trente-cinq scorpions vivans dans deux livres d'huile d'amandes douces ou ameres, en les exposant au soleil pendant quarante jours, & coulant ensuite l'huile ; c'est-là l'huile simple de scorpion.

Toutefois comme si l'on avoit sujet de se défier de ses vertus, on lui préfere aujourd'hui l'huile de scorpion composée, inventée par Mathiole : il entre dans cette derniere, non - seulement des scorpions noyés dans de la vieille huile d'olive, mais encore plusieurs graines, feuilles & racines de plantes échauffantes & aromatiques, outre du storax en larmes, du benjoin, du santal blanc, de la rhubarbe, de la thériaque, du mithridate, & du vin. Si cette huile est aussi bonne que mal aisée à bien faire, on ne peut trop la louer ; car c'est une des plus difficiles compositions qu'il y ait dans la pharmacie, & elle contient un assortiment si bizarre, qu'on ne voit pas trop quels en peuvent être les effets.

D'ailleurs à raisonner sensément, toute huile grasse paroît un remede mal imaginé contre la piquure de toutes sortes d'animaux venimeux, puisqu'elle bouche les pores de la peau ; empêche la transpiration insensible, l'issue du venin, & par conséquent est plus nuisible qu'avantageuse.

Concluons que les deux grands antidotes dont nous venons de parler, l'huile de scorpion, & l'application de cet animal sur la blessure, ne doivent leur vertu qu'aux préjugés reçus de tems immémorial, & au peu d'effet ordinaire du poison de l'insecte. Quelqu'un aura été piqué d'un scorpion, il aura peut-être même senti des maux de coeur, des défaillances, il aura eu recours à l'huile & au scorpion écrasé ; sa confiance aura guéri les maux qu'aura faits sa crainte, & il aura cru ne devoir sa conservation qu'aux prétendus contre-poisons.

Mais puisque de plusieurs animaux piqués sur lesquels on n'a fait aucun de ces remedes, il n'en est mort qu'un dans l'expérience de M. de Maupertuis, il y a grande apparence que les hommes qui, après avoir été piqués, se sont servis de ces antidotes, n'ont été guéris que parce que leurs blessures n'étoient pas empoisonnées. Disons mieux, ces deux antidotes si fameux sont plutôt contraires qu'ils ne sont utiles.

Indication de remedes plus utiles. En pareille occasion, les vrais remedes à indiquer seroient de sucer la partie blessée, la scarifier, la brûler légerement, la bassiner avec de l'esprit-de-vin camphré, & autres liqueurs spiritueuses de ce genre, ou employer des émolliens & des fomentations. Au cas que le virus se soit communiqué à la masse du sang, il faut en énerver la force par des délayans, des acides, des antiseptiques, ou par les sueurs, suivant les tempéramens & la nature des symptomes. Il faut en même tems & sur toutes choses tranquilliser l'imagination du malade par tout ce qui est propre à calmer ses craintes.

Contes sur les scorpions. Entre mille histoires qu'on fait du scorpion, je ne parlerai que de celle qu'on croit la plus certaine. On prétend que si on le renferme dans un cercle de charbon, il se pique lui-même & se tue. Ce seroit chez les bêtes un exemple de suicide bien étrange. M. de Maupertuis fut encore curieux d'éprouver un fait si singulier, & qui à tout événement ne pouvoit être que funeste à un méchant insecte.

Il fit une enceinte de charbons allumés, & y mit un scorpion, lequel sentant une chaleur incommode, chercha passage de tous côtés ; n'en trouvant point, il prit le parti de traverser les charbons qui le brûlerent à-demi. On le remit dans l'enceinte, & n'ayant plus eu la force de tenter le passage, il mourut bientôt, mais sans avoir la moindre volonté d'attenter à sa vie. La même épreuve fut répétée sur plusieurs scorpions qui agirent tous de la même maniere.

Voici peut-être, ajoute M. de Maupertuis, ce qui a pu donner lieu à cette histoire. Dès que le scorpion se sent inquiété, son état de défense est de retrousser sa queue sur son dos prette à piquer. Il cherche même de tous côtés à enfoncer son aiguillon. Lorsqu'il sent la chaleur du charbon, il prend cette posture ; & ceux qui n'y regardent pas d'assez près, croyent qu'il se pique ; mais quand même il le voudroit, il auroit beaucoup de peine à l'exécuter, & vraisemblablement n'en pourroit pas venir à bout, tout son corps étant cuirassé comme celui des écrevisses.

Je ne dois pas m'arrêter aux autres contes extravagans que quelques anciens naturalistes rapportent des scorpions. Ils disent, par exemple, qu'ils ne piquent que les parties couvertes de poil ; qu'ils font plutôt du mal aux femmes qu'aux hommes, & aux filles qu'aux femmes ; qu'étant morts ils reprennent vie, si on les frotte d'ellébore ; que la salive d'un homme à jeun les tue ; qu'on ne pourroit guérir de leur morsure, si on avoit mangé du basilic quelques heures auparavant, & que c'est cette plante qui les produit, &c. mais les gens les plus crédules n'ajoutent pas même de créance à de pareilles sornettes.

Il faut encore mettre au rang des contes de bonne femme, les vertus médicinales du scorpion séché & pulvérisé, pris intérieurement pour exciter l'urine, pour chasser le sable des reins & de la vessie, pour résister aux maladies contagieuses.

De la fécondité du scorpion, & de sa haine pour l'araignée. Cet insecte multiplie prodigieusement. Aristote, Pline, Elien assurent que la femelle du scorpion porte onze petits ; & ce n'est pas assez dire, car Redi en marque 26 & 40 pour les limites de leur fécondité : mais les scorpions de Redi le cédoient encore de beaucoup en fécondité à ceux de Souvignargues examinés par M. de Maupertuis, qui a trouvé dans plusieurs femelles qu'il a ouvertes, depuis 27 petits jusqu'à 65. Il faudroit en quelques pays n'être occupé qu'à détruire ces animaux, s'ils ne périssoient par divers accidens qui nous sont inconnus, ou s'ils ne s'entremangeoient pas eux-mêmes.

J'ai parlé de la férocité du scorpion, au commencement de cet article, je le termine par un autre trait, celui de sa haine pour l'araignée, insecte qui est au reste aussi barbare que lui. Quand les scorpions, même au milieu de leurs guerres civiles, rencontrent une araignée, ils suspendent leurs combats mutuels, & se jettent tous sur elle pour la dévorer. Il y a plus, aucun scorpion n'hésite à combattre une araignée plus grosse que lui ; il commence d'abord par la saisir par l'une ou l'autre de ses grandes serres, quelquefois avec les deux en même tems. Si l'araignée est trop forte, il la blesse de son aiguillon par-tout où il peut l'attraper, & la tue ; après quoi ses grandes serres la transmettent aux deux autres plus petites qu'il a au-devant de la tête, avec lesquelles il la mâche, & ne la quitte plus qu'il ne l'ait toute mangée. Fuyons cet insecte odieux & le spectacle de sa cruauté. La plume tombe assez des mains quand on voit comment les hommes en usent avec les hommes. (D.J.)

SCORPION AQUATIQUE, PUNAISE D'EAU, PUNAISE A AVIRON, hepa, insecte aîlé, dont M. Linnaeus, faun. suec. ne donne que deux especes ; la plus petite est la plus commune.

Le scorpion aquatique de la petite espece a les yeux placés au-dessus de la bouche ; ils sont hexagones & réticulaires ; la bouche a la figure d'un bec recourbé ; la tête est d'une substance dure & d'un noir rougeâtre. Cet insecte a dans la bouche un aiguillon creux & d'une couleur brune ; les aîles tiennent au corcelet dont la substance est la même que celle de la tête ; les pattes sont au nombre de six attachées aussi au corcelet ; elles ont chacune à l'extrêmité deux crochets. On a donné aux premieres pattes le nom de bras. Les aîles supérieures ont la même couleur que le corcelet, & couvrent si exactement les aîles inférieures, que celles-ci ne sont jamais mouillées, quoique cet insecte nage presque continuellement. La partie supérieure de l'abdomen est d'un rouge foncé, & couverte d'un poil touffu ; la partie inférieure a une couleur grise-pâle, elle est terminée par une queue fourchue ; le corcelet & le ventre sont très-applatis.

La grande espece de scorpion aquatique differe principalement de la petite, en ce que le corps est plus long & plus pointu, & que la couleur est plus pâle, & d'un gris tirant sur le roux : les piés sont aussi beaucoup plus longs, & ressemblent à des soies roides. Collection academique, tome V. de la partie étrangere. Voyez INSECTE.

SCORPION DE MER, voyez RASCASSE.

SCORPION, (Critique sacrée) dans l'Ecriture ; cet insecte cruel & venimeux désigne au figuré les méchans, les choses pernicieuses. Vous habitez avec des scorpions, dit Ezech. ij. 6. c'est-à-dire avec des gens aussi méchans que des scorpions ; s'il demande un oeuf, lui présentera-t-il un scorpion ? Luc. xj. 12. c'est-à-dire, lui donnera-t-il un mets pernicieux à la place d'un mets salutaire ? C'étoit une espece de proverbe ; un scorpion pour un poisson, dit Suidas, est un proverbe qui regarde ceux qui préferent les mauvaises choses aux bonnes.

Ce mot dans le vieux Testament signifie encore une sorte de fouet armé de fer, de la figure d'un scorpion, II. Paral. x. 14. c'est aussi le nom d'une machine de guerre pour jetter des traits, I. Macc. vj. 51. enfin la montée du scorpion étoit le nom d'une montagne qui servoit de borne à la terre de Chanaan du côté de l'Idumée, Nomb. vj. 34. (D.J.)

SCORPION, (Mythol.) ce huitieme signe du zodiaque, composé de 19 étoiles, selon Hygin, & de 20 selon Ptolomée, est dans la mythologie un scorpion admirable. Les poëtes ont feint que ce scorpion étoit celui que la terre fit sortir de son sein pour se battre avec Orion. Celui-ci s'étoit vanté à Diane & à Latone, de vaincre tout ce qui sortiroit de la terre. Il en sortit un scorpion, & Jupiter, après avoir admiré sa bravoure & son adresse dans le combat, le mit au ciel, pour apprendre aux mortels qu'ils ne doivent jamais présumer de leurs forces, car Orion ne croyoit pas trouver son vainqueur sur la terre. (D.J.)

SCORPION, s. m. en terme d'Astronomie, est le nom du huitieme signe du zodiaque. Voyez SIGNE.

Les étoiles de cette constellation sont au nombre de 20 dans le catalogue de Ptolomée ; au nombre de 10 dans celui de Tycho ; au nombre de 49 dans celui de Flamsteed. Chambers. (O)

SCORPION, (Fortification) scorpio, c'est le nom d'une machine des anciens dont ils faisoient usage dans l'attaque & la défense des places.

Bien des auteurs prétendent que cette machine est la catapulte, mais M. de Folard soutient que c'est la baliste. Voyez BALISTE.

Vegece dit qu'on nommoit autrefois scorpion ce que de son tems on appelloit manubaliste. C'est l'arbalête dont on commença à se servir du tems de nos peres, & que nous avons abandonnée depuis l'invention de nos fusils ou de nos mousquets. On voit dans plusieurs endroits des commentaires de César, qu'il emploie indifféremment les termes de scorpion & de baliste, pour signifier la même machine ; mais il distingue toujours la catapulte : Caesar in castris, dit Hirtius, scorpionum catapultorum magnam vim habebat. Voyez CATAPULTE. (q)


SCORPIUSS. m. (Hist. nat. Botan.) espece de genista-spartium, appellé par Tournefort genista-spartium majus, brevioribus & longioribus aculeis, & connu vulgairement en françois sous le nom de genêt piquant. C'est un arbrisseau qui s'éleve à différentes hauteurs suivant les lieux. Il pousse des verges garnies de toutes parts d'un grand nombre d'épines de différentes grandeurs, mais toutes dures & piquantes. Ses fleurs sont légumineuses, petites, jaunes ou pâles ; elles sont suivies par des capsules fort courtes dans lesquelles se trouvent quelquefois des semences qui ont la figure d'un petit rein. Cette plante croît partout aux lieux incultes. (D.J.)

SCORPIUS, nom latin de la constellation du scorpion. Voyez SCORPION.


SCORSONEREscorzonera, s. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en demi fleurons, soutenus par un embryon, & réunis dans un calice oblong & écailleux. L'embryon devient dans la suite une semence ordinairement revêtue d'une enveloppe & garnie d'une aigrette. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Entre les seize especes de scorsonere établies par Tournefort, nous décrirons la commune, celle qui est à larges feuilles sinueuses, scorzonera latifolia, sinuata, C. B. P. 275. I. R. H. 476.

Sa racine est longue d'un pié, simple, vivace, grosse comme le pouce, noirâtre en-dehors, blanche en-dedans, tendre, facile à rompre, charnue, pleine d'un suc laiteux très doux au goût ; elle pousse une tige à la hauteur de deux piés, ronde, cannelée, creusée, divisée en plusieurs rameaux revêtus d'un peu de duvet. Ses feuilles sont longues, assez larges, semblables à celles de la barbe de bouc, lisses, embrassant la tige par leur base, un peu sinueuses, & crêpées sur leurs bords, fermes, nerveuses, terminées par une pointe longue, étroite, d'un verd obscur.

Ses fleurs naissent aux sommités de la tige & des rameaux, amples & jaunes ; chacune d'elles est formée en bout à demi-fleurons, soutenu par un calice grêle, composé de feuilles en écailles. Aux fleurs succedent des semences longues, déliées, blanches, garnies chacune d'une aigrette au sommet. On cultive cette plante dans presque tous les potagers où elle fleurit en Juin, & même jusqu'à l'automne ; elle croît en Espagne sans culture aux lieux humides, & dans les bois montagneux. (D.J.)

SCORSONERE, (Mat. med. & diete) la racine fraîche de cette plante a une saveur douçâtre qui n'est point desagréable, est absolument inodore, & elle est pleine d'un suc laiteux. Ce suc se détruit, se décompose peu-à-peu, à mesure que la racine se desseche, & la saveur douçâtre dégenere aussi par la même altération en un goût leger d'amertume. Elle conserve dans la cuite avec l'eau un goût particulier assez relevé & comme aromatique.

On mange fort communément, comme tout le monde sait, la racine de scorsonere, soit dans les potages, soit avec diverses viandes, soit seules, en ragoût au jus ou au beurre, en friture, &c. cet aliment passe pour fort salutaire. Il est au moins assez généralement reconnu qu'il est innocent, c'est-à-dire fort indifférent pour la plûpart des sujets.

Le suc de cette racine, sa décoction & son eau distillée, sont des remedes généralement employés dans la petite vérole, & vantés contre les fievres malignes, la peste & les morsures des bêtes venimeuses. Il est cependant plus que vraisemblable que ces vertus sont absolument imaginaires ou du moins très-legeres, & c'est-là le sentiment de M. Cartheuser. Cet auteur ne reconnut dans la scorsonere qu'une qualité analeptique, adoucissante & tempérante qu'il a déduit du principe muqueux, ou selon lui, gommeux. Or la qualité adoucissante & du principe muqueux n'étant rien moins que démontrée, il pourroit bien être que la vertu accordée à la scorsonere par M. Cartheuser, fût aussi imaginaire que celle qu'il lui accorde. Voyez MUQUEUX. La racine de scorsonere a été d'ailleurs comptée parmi les remedes propres contre les obstructions des visceres du bas-ventre, les maladies hypochondriaques, les hydropisies naissantes, &c. Nicolas Monard médecin espagnol, a composé un traité sur la scorsonere. (b)


SCOTESS. m. pl. (Hist. anc.) peuples qui du tems des Romains habitoient la partie septentrionale de l'île de la Grande-Bretagne, d'où ils faisoient de fréquentes incursions dans les provinces méridionales occupées par les Bretons, & les Romains leurs vainqueurs. C'est d'eux que descendent les Ecossois dont le pays se nomme encore en latin scotia. Les Scotes ne furent subjugués que sous l'empereur Julien.


SCOTI(Géog. anc.) peuples de la Grande-Bretagne, dans sa partie septentrionale. Aucun auteur ancien n'a connu ces peuples ; ce qui fait conclure qu'ils n'ont pas été de toute ancienneté dans cette île, ou que du-moins ils ne portoient pas ce nom-là. Claudien est le premier qui en ait parlé : il dit, Scotorum cumulos flevit glacialis Jernae.

Les Bretons furent, à ce qu'on croit, les premiers habitans de l'Ecosse. Après eux les Pictes y occuperent les contrées orientales ; & enfin les Scots furent le troisieme peuple qui passa dans ce pays, où ils s'établirent du côté de l'occident. Ils venoient, à ce qu'on croit, de l'Irlande : mais on ne convient pas du tems qu'ils y sont venus, les uns mettant cette époque plus tôt, les autres plus tard. Les anciennes chroniques du pays que Buchanan a suivies dans son histoire, disent que les Scots passerent d'Irlande en Ecosse, sous la conduite d'un roi, nommé Fergus, environ trois cent quarante ans avant J. C. D'autres prétendent qu'ils y sont passés deux ou trois cent ans après la naissance du Sauveur, & apportent entr'autres preuves, ce passage de Claudien qui vivoit dans le troisieme & quatrieme siecle.

Totam cum Scotus Hybernen

Maris, & infesto spumavit remige Tethis.

Il fait là manifestement allusion à une descente des Scots Irlandois dans la Bretagne : mais il s'agit de savoir si c'est la premiere fois qu'ils y passerent, ou si ce ne fut pas plutôt un renfort de monde, que les Scots envoyoient à leurs compatriotes ; ou si vous voulez, une nouvelle tentative qu'ils firent sous le commandement de Renda ou Rutaris, pour rentrer dans cette partie de la Bretagne, après en avoir été chassés.

On ignore l'origine du nom de Scots ; le sentiment ordinaire est que ce mot vient du vieux teutonique, scutten ou scuthen, qui signifie archers, & par conséquent qu'il a la même origine que le nom des Scythes : on ajoute sur cela, que les ancêtres des Ecossois ont été très-habiles au maniment de l'arc & de la fleche, & que c'étoit leur principale arme.

Mais ce n'est pas tout, comme les Scots avoient passé de l'Irlande dans l'Ecosse, on demande de quel pays ils étoient venus dans l'Irlande ? Les uns croyent qu'ils étoient une colonie de Scythes, c'est-à-dire d'Allemands venus du Nord de la Germanie ; d'autres pensent que les Scots étoient venus d'Espagne, savoir des côtes de la Galice & de la Biscaye ; & que c'est peut-être à cause de cela que les Ecossois sauvages, qui sont la vraie race des Scots anciens, s'appellent en leur langage Gajothel ou Gaithel, & leur langue Gaithlac. On remarque aussi sur le témoignage de Tacite, que les peuples qui habitoient les côtes occidentales de la Bretagne (ou comme on parle de l'Angleterre), paroissent être venus d'Espagne, & avoient beaucoup de rapport avec les Espagnols. Il en pouvoit être de même des côtes occidentales de l'Ecosse.

Au reste, les moeurs de ces peuples, n'étoient pas fort différentes de celles des Bretons d'Angleterre : c'étoit de part & d'autre une barbarie égale, un grand amour pour les armes & pour tous les exercices violens, une éducation dure, une grande habitude à supporter les fatigues les plus rudes, toutes les incommodités de la guerre, toutes les injures de l'air, une grande sobriété, une grande simplicité, & beaucoup de bravoure & de courage, même dans les femmes qui alloient à la guerre avec leurs maris. Chacun y servoit à ses dépens, & y alloit de son bon gré, sans qu'il fût nécessaire de faire des enrôlemens. Ils avoient de certains caracteres hiéroglyphiques & sacrés, dont ils se servoient particulierement dans les monumens funéraires, comme tombeaux, épitaphes, cénotaphes, & semblables. On en voit encore aujourd'hui un de ce genre dans la province d'Angus, ou le cimetiere du village du Meigil.

Quand ils vouloient se divertir, & faire débauche, comme on parle, ils se servoient d'une espece d'eau-de-vie, ou de liqueur forte, qu'ils tiroient de diverses herbes odoriférantes, comme thym, marjolaine, anis, menthe, & d'autres qu'ils distilloient à leur maniere.

Ils ne pouvoient pas souffrir de gens infectés de maux contagieux, comme de lepre, de mal-caduc, des lunatiques, ou semblables : ils leur coupoient les parties destinées à la génération, afin qu'ils ne pussent point mettre au monde de misérables enfans, qui eussent un jour de si terribles maladies. S'il se trouvoit quelque femme qui en fût atteinte, ils l'empêchoient de se marier, & la contraignoient de vivre en sequestre.

Dans la suite des tems, les Saxons s'emparerent de la partie de l'Ecosse, dont les Romains avoient fait une province, & en chasserent les Scots & les Pictes, qui furent forcés de se retirer dans le nord de leur pays. Mais vers le milieu du neuvieme siecle, les Scots se rendirent maîtres du pays des Pictes ; & environ quarante ans après, sous le regne de Kenneth, ils se remirent en possession de la partie méridionale de l'Ecosse, qui avoit été occupée par les Saxons Northumbriens, dont ils ruinerent le royaume. Ce fut alors que toute l'Ecosse réunie sous un seul maître, ne fut plus connue que sous le nom d'Ecosse ou Scotland, d'où les François ont fait par corruption le nom d'Ecosse, & ont appellé Ecossois, les peuples, qui dans leur langue propre, s'appellent Scots. (D.J.)


SCOTIES. f. (Archit.) moulure ronde & creuse entre les tores de la base d'une colonne, & quelquefois aussi sous le larmier de la corniche dorique ; on donne à sa saillie inférieure 2/3, & à sa supérieure un tiers de sa hauteur. La scotie est encore appellée nacelle, membre creux & trochile, du grec , qui signifie une poulie. Le mot scotie est dérivé du grec , qui signifie obscurité, à cause de l'ombre qu'elle reçoit dans son creux.

Scotie inférieure & scotie supérieure, la premiere scotie est la plus grande scotie des deux d'une base corinthienne ; & l'autre qui est au-dessus est la plus petite. (D.J.)


SCOTISTESS. m. pl. (Théolog. & Philosoph.) secte de philosophes & de théologiens scholastiques, ainsi nommés de leur chef Jean Duns, surnommé Scot, Scotus, parce qu'il étoit natif d'Ecosse selon quelques-uns, ou selon d'autres d'Irlande, que l'on comprenoit alors sous le nom de Scotia. Scot étoit religieux de l'ordre de S. François, sur la fin du xiij. siecle, & au commencement du xiiij. Il se distingua extrêmement dans l'université de Paris, par sa pénétration & sa facilité à traiter les questions de philosophie & de théologie ; ce qui lui fit donner le nom de docteur subtil. D'autres l'ont nommé le docteur très-résolutif, parce qu'il avança quantité de sentimens nouveaux, & qu'il ne s'assujettit point à suivre les principes des théologiens qui l'avoient précédé. Il se piqua sur-tout de soutenir des opinions opposées à celles de S. Thomas, & c'est ce qui a produit dans l'école les deux sectes des Thomistes & des Scotistes. Voyez THOMISTES.

Au reste les uns & les autres, quant à la philosophie, étoient Péripatéticiens ; ils différoient seulement en ce que les Scotistes distinguoient en chaque être, autant de formalités qu'il y avoit de qualités différentes, & croyoient toutes ces formalités absolument distinguées du corps, faisant pour ainsi dire autant de différentes entités, excepté celles qui étoient métaphysiques & comme sur - ajoutées à l'être. Voyez FORMALITE.

Quant à la théologie, la question de l'immaculée conception, & celle de la maniere dont les sacremens operent, sont les principaux points sur lesquels les Scotistes étoient, & sont encore opposés aux Thomistes. Voyez CONCEPTION & SACREMENT.


SCOTITAS(Mythol.) Jupiter avoit un temple près de Sparte, où il étoit honoré sous le nom de Jupiter Scotitas, c'est-à-dire Jupiter le ténébreux, apparemment pour signifier que l'homme ne sauroit pénétrer les profondeurs de l'être suprême. (D.J.)

SCOTITAS, (Géog. anc.) ou Scotita ; bois du Péloponnèse dans la Laconie. On lit dans Pausanias, l. III. c. x. que lorsqu'on étoit descendu du lieu nommé les Hermes, on trouvoit un bois planté de chênes, qu'on appelloit le Scotitas, non à cause de son obscurité, comme on le pourroit croire, car , signifie des ténebres ; mais parce que dans ce petit canton, Jupiter étoit honoré sous le nom de Jupiter Scotitas, & qu'il avoit son temple sur la gauche, à dix stades du grand chemin. M. l'abbé Gédoin remarque à cette occasion, qu'on avoit donné à Jupiter le nom de Scotitas, ou le Ténébreux, apparemment pour signifier que l'homme ne sauroit pénétrer dans les profondeurs de l'être suprême. (D.J.)


SCOTIUM(Géog. anc.) montagne de l'Asie mineure, aux environs de l'Arménie.


SCOTOMIES. f. (Médecine) tournoiement de tête, dans lequel les esprits animaux se meuvent tellement en rond, que les objets extérieurs semblent se mouvoir de même. Voyez VERTIGE.


SCOTUSSE(Géog. anc.) Scotusa, Scotyssa ou Scotussa ; 1°. ville de la Thessalie. Ptolémée, l. III. c. xiij. qui la donne aux Pélasgiotes, suit la premiere ou la seconde orthographe, ainsi que le périple de Scylax ; Plutarque, in Aemilio Probo ; Polybe, Tite-Live & Pausanias, l. VI. c. v. sont pour la derniere. La ville de Scotusse, qui ne subsistoit plus du tems de Pausanias, avoit donné la naissance au fameux Polydamas, qui se distingua au combat du pancrace, & qui ajouta une infinité de belles actions à l'éclat de ses victoires. Pausanias remarque que ce Polydamas étoit de la plus haute stature que l'on eût vue depuis les tems héroïques.

2°. Scotusa, ville de la Macédoine sur le Strymon ; ses habitans sont appellés Scotussaei par Pline, qui dit, l. IV. c. x. qu'ils étoient libres sous les Romains. (D.J.)


SCOUES. f. (Marine) c'est l'extrêmité de la varangue qui est courbée pour s'enter avec le genou.


SCRIBAS. m. (Gouvernement rom.) officier subalterne de justice chez les Romains.

Les premiers scribes exerçoient chez les Romains à-peu-près le même office que les greffiers dans nos bureaux ; ils tenoient le registre des arrêts, des loix, des ordonnances, des sentences, des actes, & en délivroient copie aux intéressés ; ils formoient un corps subdivisé en différentes classes & différens degrés, suivant qu'ils étoient employés sous les magistrats supérieurs ou subalternes.

Mais cet office, même dans la premiere classe, étoit beaucoup plus honorable chez les Grecs que chez les Romains. Nous regardons, dit Emilius Probus, les scribes comme des mercenaires, parce qu'ils le sont effectivement ; au-lieu que chez les Grecs on n'en reçoit point qui ne soit d'une naissance, d'une intégrité & d'un mérite distingué, parce qu'on ne peut se dispenser de les faire entrer dans les secrets de l'état.

Cependant on a vu quelques scribes chez les Romains parvenir aux grandes dignités. Ciceron parle d'un citoyen, qui ayant été scribe sous Sylla, devint préteur de la ville sous la dictature de César ; mais voici un exemple mémorable de la modestie d'un de ces officiers de justice, je veux parler de Cicéreius qui avoit été scribe sous le premier Scipion. Il concouroit pour la préture avec le fils de ce grand homme ; mais dans le seul dessein de le doubler, & de lui rendre hommage. Aussi-tôt qu'il vit que les centuries lui donnoient la préférence, il descendit du temple, quitta la robe blanche, déclara ses pures intentions à tous les électeurs, & les conjura de donner leurs voix au mérite de son rival, & à la mémoire de son illustre pere.

Les scribes toutefois ne pouvoient monter aux charges de la république, à moins qu'ils ne renonçassent à leur profession. On en voit la preuve dans la personne de Cneius Flavius qui étoit scribe d'un édile curule. Ayant obtenu lui-même l'édilité, il ne fut reçu dans cet emploi, au rapport de Tite-Live, qu'après s'être obligé par serment, à ne plus exercer son ancienne profession.

Comme il arrivoit souvent que la noblesse qui entroit dans la magistrature, surtout les jeunes gens, ignoroient le droit & les loix, ils se virent forcés de les apprendre des scribes que l'usage & l'expérience en avoient instruits ; desorte qu'ils devenoient par ce moyen les docteurs de cette jeune noblesse, & qu'ils n'abusoient que trop de leur place ; c'étoit d'ailleurs pour eux une occasion favorable d'augmenter leur crédit, & de s'ouvrir une entrée dans les plus illustres familles de Rome.

Enfin leur arrogance ayant été portée à l'excès sur la fin de la république, Caton se vit obligé de la réprimer par de nouvelles loix. Ils furent partagés en décuries, & rangés sous différens ordres subalternes ; ensorte que les scribes d'un questeur, d'un édile ou d'un préteur, furent appellés scribae quaestorii, aedilitii, praetorii, &c.

Les pontifes avoient aussi leurs scribes. Onuphrius nous a conservé une ancienne inscription qui le prouve invinciblement : Agriae Triphosae vestificae, Livius Threna ab epistolis graec. scriba à libris pontificalibus, conjugi sanctissimae B. D. S. M. c'est-à-dire Livius Threna versé dans les lettres grecques, & scribe des livres des pontifes, a dressé ce monument à sa très-sainte femme Agria Triphosa.

Les scribes sous les empereurs changerent de nom, ils furent appellés notarii, parce qu'ils se servoient de notes abrégées, au moyen desquelles ils écrivoient aussi vîte qu'on parloit. Martial le dit, lib. XIV. épigr. ccviij.

Currant verba licet, manus est velocior illis,

Nondum lingua, suum dextera pergit opus.

(D.J.)


SCRIBES. m. (Gramm. & Théolog.) en hébreu sopher, en grec, , est un nom fort commun dans l'Ecriture, & qui a plusieurs significations.

1°. Il se prend pour un écrivain, un secrétaire ; cet emploi étoit très-considérable dans la cour des rois de Juda. Saraïa sous David, Elioreph & Ahia sous Salomon, Sobna sous Ezéchias, & Saphan sous Josias, étoient revêtus de cet office. II. Reg. viij. 17, xx. 25, IV. Reg. xix. 2, xxxij. 8 & 9.

2°. Il signifie un commissaire d'armée qui fait la revue des troupes, qui en tient registre, qui en fait le dénombrement. Jérémie parle d'un scribe qui étoit chef ou prince des soldats, & qui leur faisoit faire l'exercice, c. lij. 25. On en trouve aussi le nom employé en ce sens dans les Macchabées, l. I.

3°. Scribe se prend principalement pour un homme habile, un docteur de la loi, dont le ministere consistoit à écrire & à interpréter l'Ecriture. Quelques-uns mettent l'origine de ces scribes sous Moïse ; mais leur nom ne paroît pour la premiere fois que sous les juges. D'autres croyent que David les institua ; & d'autres enfin, que comme il est rarement parlé des scribes avant Esdras, & beaucoup depuis lui, cette dignité étoit venue de la Chaldée ou de l'Assyrie, & qu'elle fut premierement établie par les Juifs après leur retour de la captivité.

Quoi qu'il en soit, ces scribes ou docteurs de la loi, étoient fort en crédit & très-estimés chez les Juifs, où ils avoient le même rang que les prêtres & les sacrificateurs, quoique leurs fonctions fussent différentes ; celles des scribes étant uniquement d'étudier la loi, de l'enseigner & de l'expliquer.

Les Juifs en distinguoient de trois sortes ; 1°. ceux dont nous venons de parler, que l'on appelloit proprement les scribes de la loi, & qui étoient les plus considérables ; leurs décisions étoient reçues avec un respect égal à celui qu'on portoit à la loi de Dieu même. 2°. Ceux qu'on appelloit proprement scribes du peuple, étoient une sorte de magistrats, tels qu'il y en avoit aussi chez les Grecs. 3°. La derniere espece de scribes étoient des notaires publics, ou des secrétaires du sanhedrin.

S. Epiphane & l'auteur des récognitions attribuées à S. Clément, comptent les scribes parmi les sectes des Juifs ; mais il est certain que les scribes ne formoient point de secte particuliere, & qu'il y avoit des scribes de toutes les sectes. Il paroît seulement vraisemblable que du tems de J. C. où toute la science des Juifs consistoit principalement dans les traditions pharisiennes, & dans l'usage qu'on en faisoit pour expliquer l'Ecriture, que le plus grand nombre des scribes étoient pharisiens ; & on les voit presque toujours joints ensemble dans l'Evangile. Calmet, Dict. de la Bibl. t. III. lett. v. p. 503.

SCRIBE, (Commerce) celui qui écrit. Il ne se dit guère à Paris que de ces écrivains qui écrivent chez eux pour le public, ou qui ont de petits bureaux en divers endroits de la ville, où ils fournissent tout ce qui est nécessaire pour écrire, comme plumes, papier, encre, cire à cacheter, &c. à ceux qui dans quelques occasions pressantes & subites sont obligés de dresser des mémoires ou d'écrire des lettres. Voyez ECRIVAIN.

Scribe. On nomme ainsi à Bordeaux deux des commis du bureau du convoi, qui font la plûpart des écritures qui y sont nécessaires, & où ils demeurent tous les jours depuis huit heures du matin jusqu'à onze, & depuis deux heures de relevée jusqu'à cinq, pour enregistrer les déclarations des marchandises, charges des vaisseaux, tenir registres des bateaux ou vaisseaux qui entrent ou sortent, les droits qui sont dûs, & expédier tous les actes nécessaires à ces diverses opérations. Voyez CONVOI.

Scribe est aussi le nom qu'on donne dans les bureaux de la comptablie de la même ville, à trois commis dont les fonctions sont de faire toutes les billettes sujettes au droit de sortie au menu, aussi-bien que toutes celles des sénéchaussées qui ne doivent rien ; ils reçoivent pareillement toutes les déclarations d'entrée de terre, c'est-à-dire tout ce qui arrive à Bordeaux par la Dordogne & par la Garonne. Voyez COMPTABLIE, MENU, BILLETTE, &c. Dictionn. de Commerce.


SCRINIUMS. m. (Littérat.) Ce mot signifie un portefeuille, un coffre, une cassette, une armoire à mettre des papiers ; nous dirions un bureau. Voici l'explication des divers bureaux établis par les empereurs romains, pour la gestion des affaires de l'état.

Scrinium dispositionum, bureau de la chambre où s'expédioient les jussions ou mandemens de l'empereur ; & celui qui présidoit à ce bureau se nommoit comes dispositionum.

Scrinium epistolarum, bureau de ceux qui écrivoient les lettres du prince. Auguste écrivoit les siennes lui-même, & les donnoit ensuite à Mécénas & à Agrippa à corriger, comme nous l'apprenons de Dion, lib. XXV. Mais les autres empereurs se servoient ordinairement de secrétaires, à qui ils les dictoient, ou à qui ils se contentoient de dire la substance des choses qui devoient être écrites, mettant seulement au bas vale de leur main.

Scrinium libellorum, bureau des requêtes qu'on présentoit au prince pour lui demander quelque grace. Nous avons dans la notice de l'empire par Pancirole, ch. xcvj. l'exemple d'une requête qui fut présentée à l'empereur Antonin le pieux, par un nommé Arius Alphius, affranchi d'Arria Fadilla, mere de l'empereur. Cette requête tendoit à ce qu'il lui fût permis de ramasser les os de sa femme & de son fils dans un cercueil de marbre, parce qu'il ne les avoit mis que dans un de terre, en attendant que la place qu'il avoit achetée pour y faire un monument fût accommodée. On sera bien aise d'en trouverici les propres paroles. Cùm ante hos dies conjugem & filium amiserim, & pressus necessitate, corpora eorum sarcophago fictili commendaverim, donec quietis locus quem emeram, aedificaretur ; viâ flaminiâ inter milliare secundum & tertium acutibus ab urbe parte laevâ, custodia monumenti Flam. Tymeles Ameloae M. Signii Orgili ; rogo, domine, permittas mihi in eodem loco, in marmoreo sarcophago, quem mihi modò comparavi, eadem corpora colligere, ut quando & ego esse desiero, pariter cùm iis ponar. Et il est répondu au bas du placet, fieri placet. Jubentius Celsus promagister, sabscripsi.

Scrinium memoriae, bureau où l'on serroit tous les extraits des affaires décidées par le prince, & en conséquence ses ordonnances à ce sujet, pour en expédier ensuite des lettres patentes plus au long. On l'appelloit scrinium memoriae, pour se ressouvenir des expéditions qu'il falloit faire le plus tôt possible. Ce bureau étoit composé de 62 secrétaires nommés scriniarii memoriae & mamuriales, dont il y en avoit douze qui servoient à la chancellerie, & sept autres nommés antiquarii, qui avoient le soin de transcrire les vieux livres pour les conserver à la postérité. Le premier ministre du bureau s'appelloit magister scrinii memoriae, & recevoit la ceinture dorée de la main du prince lors de sa création.

Enfin on donna le nom de scrinium vestimentorum à la garderobe où l'on serroit les habits de l'empereur. (D.J.)


SCRIPTEURS. m. scriba, (Jurisp.) en la chancellerie romaine est un officier du premier banc qui écrit les bulles qui s'expédient en original gothique. Ce sont aussi ces officiers qui taxent les graces ; ils sont du nombre des officiers du registre ; il en est parlé dans l'hist. ecclésiast. de M. de Fleury, liv. L. (A)


SCRIPTUMSCRIPTUM


SCRIPTURA(Littérat.) nom du tribut qu'on payoit chez les Romains pour les bois & les pâturages, & qu'on affermoit au plus offrant & dernier enchérisseur. (D.J.)


SCRITIFINNI(Géog. anc.) Scrithifinni, Scritofinni, & Scretofennae, peuples de la Scanie, ou comme nous dirions aujourd'hui du pays situé sur la côte de l'Océan septentrional, dans la Laponie moscovite, depuis les confins de la Finmarchie, jusqu'à l'entrée de la mer Blanche. (D.J.)


SCRIVIA(Géog. mod.) riviere d'Italie, au duché de Milan. Elle a sa source dans l'Apennin, sur les confins de l'état de Gènes, qu'elle sépare du Tortonèse ; & après avoir arrosé Tortone, elle se rend dans le Pô à 5 milles au-dessous de Bassignana, & du confluent du Tanaro. Quelques-uns croyent que c'est l'Iria des anciens. (D.J.)


SCROBILUM(Géog. anc.) promontoire d'Espagne. Pomponius Méla, l. III. c. viij. le place sur le golfe Arabique. C'est le promontoire que Ptolémée appelle Pharan ; il séparoit les golfes Héroopolitique & Aelanitique. (D.J.)


SCROFANO(Géog. mod.) village d'Italie dans le voisinage de celui de Formello ; il est remarquable par une soufriere assez abondante qui est dans une montagne exposée au midi. Elle est d'un revenu considérable, & appartient à la princesse des Ursins. Le soufre se trouve dans une espece de pierre comme le tuf, de laquelle on le détache à coups de marteau. Après l'avoir écrasé, on le met en des pots de terre, que l'on dispose dans une fournaise de telle sorte que trois de ces pots versent le soufre fondu par la force du feu dans un quatrieme pot, qui est sur le bord de la fournaise. Ce quatrieme pot est percé par le haut, pour laisser évaporer la fumée, & il y a aussi un trou en bas qui ne s'ouvre que pour le vuider quand il est plein. La séparation du soufre est une chose très-simple ; elle se fait en ce que le soufre se fondant, il se détache de la terre, qui se précipite au bas du pot dans le même tems que le soufre, qui est le plus leger, s'éleve au haut du pot, d'où il coule par un canal de communication dans celui qui est sur le bord du fourneau. (D.J.)


SCROPHULAIRES. f. scrophularia, (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale, anomale, ouverte des deux côtés, ordinairement en forme de grelot, & divisée en deux levres : il y a sous la levre supérieure deux petites feuilles. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit ou une coque arrondie & terminée en pointe, qui s'ouvre en deux parties, & qui est divisée en deux loges par une cloison intermédiaire : cette coque renferme des semences qui sont ordinairement petites, & attachées au placenta. Inst. reiherb. Voyez PLANTE.

Entre les dix-huit especes de ce genre de plantes, il y en a deux dont je parlerai, de la scrophulaire des bois, & de la grande scrophulaire aquatique.

La premiere est nommée scrophularia nodosa, foetida, I. R. H. 167 ; en anglois the knobby rooted-figwort.

Sa racine est grosse, longue, serpentante, blanche, noueuse, inégale, vivace ; elle pousse plusieurs tiges à la hauteur de plus de deux piés, droites, fermes, quarrées, creuses en-dedans, de couleur purpurine noirâtre, divisées en rameaux aîlés. Ses feuilles sont oblongues, larges, pointues, crénelées en leurs bords, semblables à celles de la grande ortie, mais plus amples, plus brunes, & non piquantes, opposées l'une à l'autre à chaque noeud des tiges.

Ses fleurs naissent aux sommités de tiges & des rameaux, formées chacune en petit godet de couleur purpurine obscure, soutenue par un calice d'une seule piece, fendu en cinq quartiers, avec quatre étamines à sommets jaunes. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits arrondis terminés en pointe, & partagés en deux loges qui contiennent plusieurs petites semences brunes.

Toute la plante a une odeur de sureau fort désagréable, & un goût amer ; elle croît aux lieux ombrageux, dans les haies, dans les brossailles & les bois taillis ; elle fleurit en Juin, Juillet & Août. Sa racine est d'usage en Médecine.

La seconde espece de scrophulaire est aquatique ; elle est nommée dans Bauhin & Tournefort scrophularia aquatica major. Ses feuilles & ses fleurs sont semblables à celles de la scrophulaire des bois.

SCROPHULAIRE, (Mat. méd. & diete) grande scrophulaire, scrophulaire aquatique ou herbe du siége, & petite scrophulaire.

La grande scrophulaire commune ou scrophulaire des bois, & la scrophulaire aquatique ou herbe du siége, sont regardées assez unanimement comme possédant les mêmes vertus.

Toutes les parties de ces plantes sont d'usage tant intérieurement qu'extérieurement. La principale vertu qu'on leur attribue c'est d'être spécifiques contre les hémorroïdes étant prises intérieurement. On donne donc dans les accès des hémorroïdes internes douloureuses, ou la racine en poudre à la dose d'un gros le matin à jeun, ou bien un verre de vin dans lequel cette racine a infusé pendant la nuit ; la semence de scrophulaire est comptée aussi parmi les vermifuges.

Quant à l'usage extérieur de ces plantes, l'application de leurs feuilles récentes, pilées & réduites en consistance de cataplasme, aux tumeurs scrophuleuses, est regardée par plusieurs auteurs comme un remede assûré pour résoudre ces tumeurs, & c'est de cette vertu que ces plantes tirent leur nom.

Le suc de ces plantes est un puissant mondificatif. On trouve dans les Botanistes la description de plusieurs onguens préparés, la plûpart par des manoeuvres fort inexactes & avec des circonstances très-inutiles, qu'on célebre comme des remedes très-efficaces contre les tumeurs scrophuleuses, les hémorroïdes, les dartres vives, la gale, &c.

La racine de grande scrophulaire entre dans l'onguent mondificatif d'ache, & la racine & les feuilles dans l'eau vulnéraire & dans l'emplâtre diabotanum, &c.

SCROPHULAIRE, (Mat. méd.) La petite scrophulaire qui est aussi appellée petite chélidoine, petite éclaire, ranunculus vernus, rotundi-folius, &c. porte aux petites fibres blanchâtres dont sa racine est composée, des tubercules arrondis ou oblongs, semblables pour la grosseur à des grains de froment, & qui paroissent être véritablement nourrissans, par l'observation qui est rapportée dans l'article précédent, & qui est rappellée à l'article FARINE, FARINEUX, Chymie, &c. Les observations sur l'usage diététique de cette substance manquent cependant encore.

Au reste cette qualité des tubercules dont nous venons de parler, n'empêche point que les autres parties de cette plante ne soient âcres & dangereuses, comme toutes les especes de renoncules, quoique peut-être à un degré inférieur. Voyez RENONCULES, Mat. med. d'où l'on doit conclure que son usage intérieur n'est pas trop sûr. Quant à son usage extérieur, on lui attribue presqu'absolument les mêmes vertus, & on les employe de la même maniere que la grande scrophulaire & que l'herbe du siége.

Le suc des racines de cette plante a une vertu errhine, c'est-à-dire qu'étant tiré dans le nez il en fait couler abondamment de la sérosité ; ce qui est un indice de l'âcreté que nous lui avons attribuée.

La racine & les feuilles de petite scrophulaire entrent dans l'emplâtre diabotanum. (b)


SCROPHULESS. m. maladie. Voyez ECROUELLES.


SCROTUMS. m. (Anatom.) On donne ce nom à l'enveloppe cutanée, qui renferme les testicules. Au dehors, c'est une bourse commune à tous les deux, fermée par la continuation de la peau qui couvre les parties voisines, & pour l'ordinaire très-inégale par la quantité de rides ou rugosités qui paroissent dans toute sa surface. Au-dedans elle est charnue, & forme à chaque testicule une bourse musculeuse, appellée dartos.

La portion externe ou cutanée du scrotum, est à-peu-près de la même structure que la peau en général, dont elle est la continuation. Elle est plus fine cependant, & elle est parsemée d'espace en espace de plusieurs petits grains appellés glandes sébacées, & de quantité d'oignons de poils.

Quoiqu'elle ne soit qu'une enveloppe commune aux testicules, elle est néanmoins distinguée en deux parties latérales par une espece de ligne superficiellement saillante & inégale, qui paroît comme une espece de suture ou couture, & pour cela est appellée en terme grec raphé.

Cette ligne est la continuation de celle qui partage pareillement l'enveloppe cutanée du pénis, & elle continue tout de suite jusqu'à l'anus, en divisant de la même façon le périnée, c'est-à-dire l'espace qui est entre l'anus & le scrotum, en deux parties latérales. Elle n'est que superficielle, & elle ne paroît pas au dedans de la peau.

La surface interne de la bourse cutanée, est tapissée d'une membrane celluleuse fort mince, au-travers de laquelle les grains glanduleux, & les oignons de poils, paroissent assez distinctement quand on l'examine au dedans ; la rugosité du scrotum est pour l'ordinaire une marque de l'état naturel en santé, & pour lors il ne forme qu'un volume médiocre. Ce volume augmente principalement en longueur, & les rides s'effacent plus ou moins, selon les degrés contre nature & d'indisposition.

On lut à l'académie des Sciences en 1711, une relation écrite de Pondichery sur un homme de Malabar, dont le scrotum étoit si prodigieusement enflé, qu'il pesoit soixante livres ; mais il faut mettre cette relation même au rang des exagérations monstrueuses ; il est vrai cependant que les negres de Guinée sont sujets à des enflures du scrotum assez considérables pour les priver du commerce des femmes, & les empêcher de marcher librement. Dans nos pays cette partie est exposée à l'hydropisie, qui demande l'opération de la paracenthèse.

Au reste, Nicolaus Massa nous a laissé le premier une description très-exacte de la cloison du scrotum, dont quelques modernes ont eu tort de vouloir se faire honneur. " Cette poche, dit l'anatomiste vénitien, est partagée en deux parties par une membrane intermédiaire qui sépare le testicule droit du testicule gauche, ensorte que le scrotum a deux cavités, d'où il arrive quelquefois qu'un des côtés est tendu & gonflé par une affluence d'humeurs, ou par une descente d'intestins, tandis que l'autre côté reste dans son état naturel ". Charles Etienne a décrit depuis assez exactement la cloison du scrotum découverte par Massa, & il lui a donné les noms de scroti septum, seu diaphragma.

SCROTUM, maladies du, (Médec.) 1°. La bourse lâche formée par les tégumens communs, suspendue au périnée, aux aînes & à la verge, séparée en deux par une cloison, & recouvrant les testicules, s'appelle scrotum. Il est attaqué de différentes maladies, qui ont leurs noms particuliers.

2°. La blessure du scrotum, l'érésipele, l'inflammation, l'ulcere, l'excoriation, la démangeaison, sont aisées à connoître, & demandent le même traitement que ces maladies en général. Le relâchement des bourses indique un suspensoire.

3°. L'humeur aqueuse qui occupe les tégumens, ou qui s'est amassée dans l'une ou l'autre des cavités du scrotum, ou dans les deux, ou même dans le sac qui est une prolongation du péritoine, se nomme hydrocele. Il faut traiter cette hydropisie en soutenant toute l'étendue du scrotum, sans comprimer le cordon des vaisseaux spermatiques, & en y appliquant les discussifs, ou bien après avoir fait une ouverture à la partie, il convient de tirer l'humeur, pourvu qu'en même tems on en prévienne le retour par les mêmes secours.

4°. Si les autres especes d'hernies du scrotum contiennent de l'air, ou qu'elles soient dans le sac formé par le péritoine, ou dans l'intestin qui est tombé ; on les nomme pneumatocele : il faut faire rentrer ces parties dans le ventre, & les tenir en respect à la faveur d'un bandage.

5°. Les tumeurs du testicule ou du corps pyramidal, variqueuses & charnues, qu'on nomme varicocele, circocele & sarcocele, doivent être traitées selon la méthode générale qui convient à ces sortes de maladies. (D.J.)


SCRUPULES. m. (Gram.) jugement incertain d'une action, en conséquence duquel nous craignons qu'elle ne soit mauvaise, & nous hésitons à la faire. Les gens à scrupule sont insupportables à eux-mêmes & aux autres ; ils se tourmentent sans-cesse, & s'offensent de tout. Ce vice est la suite du peu de lumieres, du peu de sens, de la pusillanimité, de l'ignorance, & d'une fausse opinion de la religion & de Dieu.

Si l'on étoit plus éclairé, on verroit distinctement le parti qu'il y auroit à prendre ; si l'on avoit plus de courage, on ne balanceroit pas à agir ; si l'on avoit de Dieu l'idée d'un être miséricordieux & bienfaisant, on se reposeroit tranquillement sur le témoignage de sa conscience, fortement persuadé que cette voix de Dieu qui parle au-dedans de nous, ne peut jamais être en contradiction avec la même voix de Dieu, soit qu'elle se fasse entendre dans les livres saints, soit qu'elle s'adresse à nous par la bouche des prophêtes, des saints, des anges mêmes.

Il y a des scrupules de toute espece ; on n'en est pas seulement tourmenté en morale, il y en a dans les sciences & dans les arts. Un géometre scrupuleux s'impose la nécessité de démontrer des propositions dont l'évidence frappe tout homme qui entend les termes ; je ne sais à quoi servent ces démonstrations, dont chaque proposition prise séparément, n'est ni plus ni moins claire que l'énoncé du théorème ou du problême, & dont l'ensemble l'est moins, par la seule raison que pour être saisi, il suppose quelque contention d'esprit, que l'énoncé ne demande pas ?

Un écrivain scrupuleux, modifie presque toutes ses propositions, il craint toujours de nier ou d'affirmer trop généralement, & il écrit froidement ; il n'est jamais content, s'il n'a rencontré l'expression & le tour de phrase le plus propre à la chose qu'il énonce ; il ne se permet aucune inversion forte, aucune expression hardie ; il nivelle tout, & tout devient sous son niveau égal & plat.

SCRUPULE, s. m. (Hist. & Comm.) étoit le plus petit des poids dont se servoient les anciens. C'étoit chez les Romains la vingt-quatrieme partie d'une once, ou la troisieme partie d'une dragme. Voyez ONCE, &c.

Scrupule est encore un poids qui contient la troisieme partie d'une dragme, ou qui pese 20 grains. Voyez GRAIN.

Chez les Orfevres le scrupule est de 24 grains. Voyez POIDS.

SCRUPULE, en Chronologie. Le scrupule chaldéen est la 1/1080 partie d'une heure : les Hébreux l'appellent hélakim. Les Juifs, les Arabes, & plusieurs autres peuples de l'orient en font un grand usage dans la supputation du tems.

SCRUPULES en Astronomie, Scrupules éclipsés, c'est la partie du diamêtre de la lune qui entre dans l'ombre ; pour exprimer cette partie, on se sert de la même mesure que l'on employe à déterminer le diamêtre apparent de la lune. Voyez DOIGT.

Scrupules de la demi-durée, c'est un arc de l'orbite de la lune, que le centre de cette planete décrit depuis le commencement de l'éclipse jusqu'à son milieu. Voyez ECLIPSE.

Scrupules d'immersion ou d'incidence, c'est un arc de l'orbite de la lune que son centre décrit depuis le commencement de l'éclipse jusqu'au tems où son centre tombe dans l'ombre. Voyez IMMERSION.

Scrupules d'émersion, est un arc de l'orbite de la lune, que son centre décrit depuis le premier instant de l'émersion du limbe de la lune jusqu'à la fin de l'éclipse. Voyez EMERSION. Wolf & Chambers. (O)

SCRUPULE CHALDAIQUE, (Calend.) c'est la 1080e. partie d'une heure, dont les Juifs, les Arabes & autres peuples orientaux se servent dans le calcul de leur calendrier, & qu'ils appellent hélakim. Dix-huit de ces scrupules font une minute ordinaire. Ainsi il est aisé de changer les minutes en scrupules chaldaiques, & ceux-ci en minutes. On compte 240 de ces scrupules dans un quart d'heure. (D.J.)


SCRUPULEUXadj. (Gram.) qui est sujet au scrupule ; on dit le scrupule de la conscience, le scrupule de l'oreille, un scrupule de langue.


SCRUPULIS. m. (Jeux des Rom.) jeu de jettons auquel s'amusoient les soldats, & que plusieurs savans ont pris mal-à-propos pour le jeu des échecs. (D.J.)


SCRUTATEURS. m. (Gram.) qui recherche intimement, qui fouille au fond des ames, & qui y lit nos plus secrettes pensées. Cet attribut ne convient guere qu'à Dieu.


SCRUTATORES(Antiq. rom.) on nomme ainsi certains officiers chargés de fouiller ceux qui venoient saluer l'empereur, pour voir s'ils n'avoient point d'armes cachées sur leurs personnes ; ces sortes d'officiers furent établis par l'empereur Claudius. (D.J.)


SCRUTINS. m. (Gram. & Jurisprud.) du latin scrutinium, qui signifie recherche, est une maniere de recueillir les suffrages, sans que l'on sache de quel avis chacun a été.

Il se fait par le moyen de billets cachetés ou pliés que chacun met dans un vase ou boëte, ou par des boules diversement colorées, qui sont des signes d'approbation ou d'exclusion.

Les meilleures élections sont celles qui se font par la voie du scrutin, parce que les suffrages sont plus libres que quand on opine de vive voix. Voyez ELECTION. (A)

SCRUTIN, (Hist. rom.) dans tous les comices, les suffrages se donnerent toujours à haute voix jusqu'à l'an de Rome 614, qu'on introduisit l'usage des scrutins ; parce qu'on s'étoit apperçu que dans les élections des charges, le peuple de peur de déplaire aux grands, qui étoient à la tête des factions qu'ils avoient formées pour se rendre maîtres de l'état, ne donnoit plus sa voix avec hardiesse ; on employa sans succès le scrutin pour remédier au mal ; le peuple corrompu n'étant plus retenu par la honte de donner sa voix à de mauvais sujets, se laissa gagner par les présens ; c'est ainsi que s'introduisit la vénalité des suffrages qui fut si funeste à la république. Une démocratie où le luxe fait la loi, ne peut se rétablir que par de violentes secousses qui ramenent les choses aux principes de la constitution de cet état. (D.J.)

SCRUTIN, s. m. (Hist. ecclés.) nom de l'assemblée ecclésiastique dans laquelle on examinoit les dispositions des catéchumenes ; les évêques se chargeoient d'instruire eux-mêmes les compétens ou élûs quelques jours avant leur baptême, & ces instructions se faisoient dans des assemblées qu'on appelloit scrutin. On leur donnoit alors par écrit le symbole & l'oraison dominicale, afin qu'ils apprissent l'un & l'autre par coeur. On les leur faisoit réciter dans le scrutin suivant, & quand ils les savoient parfaitement, on retiroit l'écrit de leurs mains, de peur qu'il ne tombât au pouvoir des infideles. On voit encore quelques traces de ces scrutins à Vienne en Dauphiné, & à Liége. (D.J.)


SCRUTUM(Littérat.) & scruta au pluriel, est un mot grec , qui signifie proprement toutes sortes de vieilles ferrailles & autres ustensiles de ménage, telles que l'on en vend à Paris sur les quais & ailleurs. Lucilius dit :

Quidni ? Et scruta quidem ut vendat scrutarius laudat.

" Pourquoi non ? puisque les marchands de vieille ferraille louent bien cette marchandise pour la débiter ".

Cependant le mot scrutum ou scruta, avoit une signification plus étendue, & signifioit toutes sortes de marchandises que vendent les Merciers & les Quinquailliers ; car le scholiaste d'Aristophane nous apprend que les anciens au lieu de , scrutarius, disoient , seplasiarius, mercier, quinquaillier ; c'est dans ce sens-là que Sidonius Apollinaris a employé scruta, lorsqu'il a écrit dans le VII. liv. de ses Epîtres, nunc quaedam frivola, nunc ludo apta virgineo scruta donabat. (D.J.)


SCULPTEURS. m. (Artiste) artiste, qui par le moyen du ciseau forme des statues, taille le bois, la pierre, le marbre, & autres matieres propres à faire des représentations & des imitations des divers objets de la nature. Comme on distingue en général les Sculpteurs en anciens, & en modernes, Voyez les articles suivans. SCULPTEURS anciens & SCULPTEURS modernes. (D.J.)

SCULPTEURS ANCIENS, (Sculpt. antiq.) comme les noms des Sculpteurs égyptiens n'ont pas passé jusqu'à nous, & que les Grecs ont effacé tous ceux de Rome, ce sont eux qui rempliront mon titre, & cependant je ne m'attacherai qu'aux plus célebres. L'indication de leurs ouvrages est inséparable de l'histoire de la sculpture, & nous avons tâché de connoître cette histoire.

Agéladès, d'Argos, contemporain d'Onatas. On voyoit de lui à Egyum, ville d'Achaïe, plusieurs statues de bronze, comme un Jupiter enfant, & un jeune Hercule qui n'a point de barbe. Tous les ans on nommoit à ces divinités des prêtres qui gardoient leurs statues chez eux : c'étoit le plus bel enfant du pays qui étoit prêtre de Jupiter, & quand il avoit atteint l'âge de puberté, on lui donnoit un successeur.

Agésandre, de Rhodes, travailla au fameux grouppe de Laocoon, de ses deux enfans, & des serpens, conjointement avec Posidore, & Athénodore le rhodien. Ce superbe morceau de sculpture fait d'une seule piece, étoit dans le palais Farnese, & fut trouvé à Rome, sous les ruines du palais Vespasien, sur la fin du seizieme siecle. Mais Virgile, Eneid. liv. II. v. 40. & suiv. a peut-être égalé en poésie l'ouvrage des sculpteurs dont nous venons de parler, par sa description de l'histoire de Laocoon. Voyez donc LAOCOON, grouppe de sculpture antique.

Agoracrite, éleve de Phidias, il avoit fait deux admirables statues, une Minerve, & un Jupiter de bronze, qui ornoient à Coronée le temple de Minerve Itonia, ainsi appellée du nom d'Itonus, fils d'Amphixion ; il concourut avec Alcamène pour la statue de Vénus. Alcamène l'emporta, non par le mérite de son ouvrage, dit Pline, mais par le suffrage des citoyens qui ne voulurent pas lui préférer un étranger. Agoracrite irrité de cette injustice, ne consentit à leur vendre sa statue, qu'à condition qu'elle ne seroit point placée dans Athénes ; & il lui donna le nom de Némésis, la statue vengeresse. Tel est le récit de Pline, auquel il faut ajouter la réflexion judicieuse de M. de Caylus.

C'étoit, dit-il, une foible vengeance de l'injustice que les Athéniens lui avoient faite, & selon la nature de ce sentiment, elle retournoit contre celui qui s'y livroit ; car cette statue fut placée dans un bourg de l'Attique, nommé Rhamnunte, où certainement elle n'eut pas le nombre d'admirateurs qu'elle méritoit. Mais l'auteur étoit vengé, car le peuple Athénien, grand amateur des beaux ouvrages de l'art, ne pouvoit en jouir, & certainement il y fut plus d'une fois sensible. M. Varron préfere ce morceau à tous ceux qu'il a vûs.

Alcamène, athénien, disciple de Phidias, & l'objet de ses amours, florissoit en la 83e olympiade, selon Pline, il avoit fait une statue de Junon, qu'on mit dans son temple à Athenes. La statue de la Vénus aux jardins étoit encore un ouvrage de ce maître, & des plus beaux qu'il y eût à Athènes. Lucien dans le dialogue qui a pour titre les portraits, & où il fait la peinture d'une beauté accomplie, emprunta de la Vénus d'Alcamène, la gorge, les bras & les mains : celle d'Agoracrite, autre disciple de Phidias, auroit peut-être pû lui plaire également, car quoique les Athéniens eussent décidé le prix en l'honneur d'Alcamène, tout le monde ne fut pas de cet avis.

Anthermus étoit natif de l'île de Scio, fils de Micciade, petit-fils de Malas, aussi sculpteur, & pere de Bupalus d'Athènes, qui vivoient vers la 60. olympiade, environ 540 ans avant J. C. & dont nous parlerons dans la suite.

Apollonius & Tauriscus, tous deux rhodiens, firent conjointement cette antique si célebre de Zéthes & d'Amphion, attachant Dircé à un taureau ; tout est du même bloc de marbre jusqu'aux cordes. Ce bel ouvrage subsiste encore, & est célebre sous le nom du taureau Farnese. Voyez- en l'article.

On ne connoît point le pere d'Apollonius & de Tauriscus ; quelques-uns ont cru qu'ils étoient fils de Ménécrate ; mais, dit Pline, il est plus vraisemblable qu'éleves de celui-ci, & fils d'Artémidore, ils donnoient au premier par reconnoissance le nom de pere ; c'étoit du moins un usage fort ordinaire chez les anciens.

Arcésilaüs devoit être un grand maître, puisque ses modeles se vendoient plus cher aux artistes même que les ouvrages terminés des autres. Nos connoisseurs donneroient aussi, & même de certaines statues antiques de marbre grandes comme nature, pour un petit modele de la main de quelque grand artiste moderne, comme d'un Michel-Ange, d'un Bouchardon, &c.

Arcésilaüs exécuta en terre la statue de Vénus genitrix ; mais César impatient de la voir placée dans son forum, ne lui donna pas le tems de la terminer. L'empressement de ce dictateur est rapporté par Dion, l. XLIII, & par conséquent l'on ne doit pas révoquer en doute, qu'il se soit contenté d'un ouvrage de terre cuite pour une figure qui flattoit tant sa vanité.

Lucullus à qui Arcésilaüs étoit fort attaché, familiaris, le chargea de faire une statue de la Félicité, & convint de lui en donner soixante mille sesterces, c'est-à-dire, près de douze mille livres de notre monnoie ; mais la mort de l'artiste, & de celui qui l'employoit, leur envia l'honneur d'un tel ouvrage, cui mors utriusque inviderit, dit Pline : le modele en plâtre d'une coupe qu'Octavius, chevalier romain, fit faire à ce même Arcésilaüs, lui couta un talent, quatre mille sept cent livres. Ces prix que nous rapportons exprès peuvent servir à fixer l'idée que les Romains avoient alors de la sculpture, & des ouvrages des grands sculpteurs.

Aristoclès. Pausanias compte trois sculpteurs de ce nom. Le premier & le plus ancien étoit Aristoclès de Cydon ; on ne sait point précisément dans quel siecle il fleurissoit. On voyoit à Olympie un grouppe de sa main composé de deux figures représentant le combat d'Hercule contr'une amazone à cheval. Ce grouppe avoit été dédié par un Evagoras de la ville de Zanclé en Sicile, avant que cette ville eût le nom de Messene.

Le second Aristoclès étoit fils de Claeotas. Il acquit beaucoup de gloire par deux statues, l'une de Ganymede enlevé par les dieux, & l'autre de Jupiter, qui donne deux magnifiques chevaux à Tros, pere du jeune prince. Ces deux statues furent placées vis-à-vis le temple de Pélops.

Le troisieme Aristoclès étoit frere de Canachus, dont je parlerai, & ne lui cédoit gueres en mérite. Il fleurissoit pendant la guerre du Peloponnèse.

Bathyclès étoit de Magnésie. Son âge est si peu connu, que Junius, dans son histoire des sculpteurs, a pris le parti de n'en point parler ; il ne sera pourtant pas impossible de le découvrir. Pausanias, qui marque ordinairement le tems des sculpteurs anciens dont il décrit les ouvrages, ne parle point de celui de Bathyclès, & dit au contraire, qu'il ne s'arrêtera pas à nommer le maître sous lequel il avoit appris son art, ni le prince sous lequel il fleurissoit ; ce qui suppose que de son tems, l'un & l'autre fait n'étoient ignorés de personne. Nous ne sommes plus aujourd'hui dans le même cas.

Diogene de Laërce, & 4 autres anciens écrivains, placent le sculpteur Bathyclès vers le tems de Crésus, de Solon, de Thalès, & des autres sages ou philosophes de la Grece. Crésus monta sur le trône de Lydie vers la 54. olympiade, l'an 559 avant J. C. & ce fut quelques années après, que les Lacédémoniens penserent à réparer le temple d'Amyclée, & à y faire ajouter les ornemens décrits par Pausanias. On voit donc par-là bien clairement le tems où fleurissoit le sculpteur Bathyclès.

C'est un artiste bien célebre dans l'antiquité ; on vantoit extrêmement certaines coupes dont il étoit l'inventeur, & selon plusieurs anciens écrivains, ce n'étoit pas un trépié, mais une coupe de la main de ce sculpteur, que les sept sages de la Grece consacrerent à Apollon, après se l'être renvoyé les uns aux autres. Quoi qu'il en soit, le trône de ce dieu à Amyclée immortalisa Bathyclès. Voici la description qu'en fait Pausanias. Elle est d'autant plus curieuse, que l'ouvrage représentoit presque la fable entiere.

Non-seulement, dit-il, le trône d'Amyclée est de la main de Bathyclès, mais tout l'ouvrage, & les accompagnemens ainsi que la statue de Diane Leucophryné. Les graces & les heures, au nombre de deux, les unes & les autres soutiennent ce trône par-devant & par-derriere. Sur la gauche Bathyclès a représenté Echidne avec Typhon, & sur la droite des Tritons.

Dans un endroit, Jupiter & Neptune enlevent Taïgete, fille d'Atlas, & Alcyone sa soeur ; Atlas y tient aussi sa place. Dans un autre vous voyez le combat d'Hercule avec Cycnus, & le combat des Centaures chez Pholus, ici c'est Thésée qui combat le Minotaure, mais pourquoi traîne-t-il le Minotaure enchaîné & encore vivant ? c'est ce que je ne sais pas, ajoute Pausanias. Là, continue-t-il, c'est une danse de Phéaciens & de Démodocus qui chante.

Ces bas-reliefs vous présentent une infinité d'objets tout-à-la-fois. Persée coupe la tête à Méduse ; Hercule terrasse le géant Thurius, Tyndare combat contre Eurytus ; Castor & Pollux enlevent les filles de Leucippe ; Bacchus tout jeune est porté au ciel par Mercure ; Minerve introduit Hercule dans l'assemblée des dieux, il y est reçu, & prend possession du séjour des bienheureux.

Pélée met son fils Achille entre les mains de Chiron, qui en effet l'éleva & fut, dit-on, son précepteur ; Céphale est enlevé par l'Aurore à cause de sa beauté ; les dieux honorent de leur présence & de leurs bienfaits les noces d'Harmonie. Achille combat contre Memnon ; Hercule châtie Diodeme, roi de Thrace, & tue de sa main Nessus auprès du fleuve Enénus ; Mercure amene les trois déesses pour être jugées par le fils de Priam ; Adraste & Tydée terminent la querelle d'Amphiaraüs avec Lycurgue, fils de Pronax ; Junon arrête ses regards sur Io, fille d'Inachus, déja métamorphosée en vache ; Minerve échappe à Vulcain qui la poursuit ; Hercule combat l'hydre de la maniere dont on le raconte, & dans un autre endroit il traîne après lui le chien du dieu des enfers.

Anaxias & Mnasinoüs paroissent montés sur de superbes coursiers, Mégapenthe & Nicostrate, tous deux fils de Ménélas, sont sur le même cheval ; Bellérophon abat à ses piés le monstre de Lycie ; Hercule chasse devant lui les boeufs de Géryon. Sur le rebord d'en-haut, on voit les fils de Tyndare à cheval, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; au-dessous ce sont des sphinx, & au-dessus des bêtes féroces ; un léopard vient attaquer Castor, & une lionne veut se jetter sur Pollux. Tout au haut, Bathyclès a représenté une troupe de magnésiens qui dansent & se réjouissent ; ce sont ceux qui lui avoient aidé à faire ce superbe trône.

Le dedans n'est pas moins travaillé ni diversifié ; du côté droit où sont les Tritons, le sanglier de Calydon est poursuivi par des chasseurs ; Hercule tue les fils d'Actor ; Calaïs & Zétès défendent Phinée contre les Harpies ; Apollon & Diane percent Tityus de leurs fleches ; Thésée & Pirithoüs enlevent Helene ; Hercule étrangle un lion ; le même Hercule mesure ses forces contre le centaure Oréüs ; Thésée combat le Minotaure. Au côté gauche, c'est encore Hercule qui lutte avec l'Achéloüs ; là vous voyez aussi ce que la fable nous apprend de Junon, qu'elle fut enchaînée par Vulcain ; plus loin c'est Acaste qui célebre des jeux funebres en l'honneur de son pere ; ensuite vous trouverez tout ce qu'Homere dans l'Odyssée raconte de Ménélas & de Protée l'égyptien. Dans un autre endroit Admette attele à son char un sanglier & un lion ; dans un autre enfin, ce sont les Troyens qui font des funerailles à Hector, &c.

Voilà sans-doute le sujet le plus vaste que la sculpture ait jamais traité. L'imagination ne se prête point à un si prodigieux travail, & comprend encore moins comment tant d'objets différens représentés en petit, étoient si distincts & si nets, qu'à lire la description qu'en fait Pausanias, on croiroit qu'il parcourt des yeux une galerie de tableaux grands comme nature.

Bupalus & Athénis, natifs de l'île de Chio, tous deux freres & fameux sculpteurs, ayant un jour apperçu le poëte Hipponax, furent frappés de sa figure ; elle leur parut toute propre à servir de modele d'un grotesque divertissant. Ils en firent des statues où ils aiderent la nature de leur mieux, c'est-à-dire, lui donnerent un air le plus ridicule qu'il leur fut possible. Hypponax florissoit vers la 60 olympiade, & sa laideur fut par accident la principale cause de son immortalité. Mais il n'est pas vrai, selon Pline, que ce poëte indigné composa contre les deux freres sculpteurs des vers si piquans, qu'il les réduisit à se pendre de désespoir. Ce fait, dit l'historien, est avancé faussement, puisque depuis ce tems-là, ils firent quantité de statues avec cette inscription, que l'île de Chio étoit également recommandable par ses vignobles & par les ouvrages des fils d'Anthernus. Il ajoute qu'ils firent une Diane si singulierement taillée, que son aspect paroissoit mélancholique à ceux qui entroient dans le temple, & fort gai à ceux qui en sortoient. Pline ajoute : on conserve dans Rome plusieurs ouvrages de ces mêmes artistes : on en voit dans le temple d'Apollon, sur le mont Palatin, & dans les bâtimens publics qu'Auguste a élevés.

Bysès de Naxie, est célebre pour avoir trouvé l'art de tailler le marbre en forme de tuile ; la couverture du temple de Cérès à Eleusis étoit d'un beau marbre du mont Pentelique, taillé de la main de ce maître en forme de tuile. On disoit du tems de Pausanias, qu'il y avoit à Naxie plusieurs statues qui portoient que cette invention, étoit dûe à Bysès. On prétend qu'il florissoit dans le tems qu'Halyate étoit roi de Lydie, & qu'Astyage, fils de Cyaxare regnoit sur les Mèdes, c'est-à-dire, six cent trente ans avant l'ere chrétienne.

Calamis étoit graveur & statuaire. Il avoit fait pour un temple d'Athènes une belle statue d'Apollon libérateur. Ses ouvrages ont été fort estimés, cependant ils étoient au-dessous de ceux de Myron, dont nous parlerons.

Calliclès, statuaire de Mégare. Il fit la statue de Diagoras, qui avoit remporté la palme au combat du Ceste ; ouvrage qui lui attira l'admiration publique. Voyez Pausanias, l. VI.

Callicrate. On ne sait pas dans quel tems il a vécu. On dit qu'il gravoit un vers d'Homere sur un grain de millet, qu'il fit un chariot d'ivoire qu'on pouvoit cacher sous l'aîle d'une mouche, & des fourmis d'ivoire dont on pouvoit distinguer les membres. Ce sculpteur ingénieux mettoit du poil ou des soies noires auprès de ses ouvrages, pour faire voir d'un côté la blancheur de l'ivoire, & de l'autre la délicatesse de son travail. Pline, Elien, Plutarque, & autres anciens ont beaucoup parlé de ce célebre artiste.

Callimaque est fameux par sa lampe d'or, qu'on voyoit dans le temple de Minerve Poliade à Athènes. On emplissoit d'huile cette lampe au commencement de chaque année, sans qu'il fût besoin d'y toucher davantage, quoiqu'elle fut allumée jour & nuit. Cela vient, dit Pausanias, de ce que la meche de cette lampe est de lin de Carpasie, c'est-à-dire, qu'elle étoit d'amiante. Callimaque, auteur de cet ouvrage, n'étoit pas cependant de la force des grands artistes, mais il les surpassoit dans une certaine dextérité de l'art. Il est le premier qui ait trouvé le secret de percer les marbres, & il étoit d'un goût si difficile pour ses propres ouvrages, qu'on l'appelloit communément , l'ennemi juré, ou le calomniateur de l'art ; soit que ce nom lui fût donné par les autres, ou qu'il l'eût pris lui-même. C'est ainsi qu'en parlent Pausanias, l. I. & Pline, l. XXXIV. c. xix.

Callon. Pausanias nomme deux statuaires de ce nom, celui de l'île d'Egine, & un autre qui étoit éléen ; le premier étoit le plus ancien, & le plus renommé ; il avoit été disciple de Tecteus & d'Angelion, qui apprirent leur art sous Dipaene & sous Scyllis. Le Callon d'Egine, fit une Minerve Sthéniade en bois, qu'on avoit placée dans la citadelle de Corinthe. Sa Proserpine étoit à Amiclée ; Callon Eléen travailla en bronze.

Canachus de Sicyone,, éleve de Polyclète d'Argos, florissoit, selon Pline, l. XXXVI. c. v. dans la 95 olympiade. Ses ouvrages étoient estimés. Il avoit fait pour le temple de Vénus, dans sa patrie, la statue de la déesse assise. Cette statue étoit d'or & d'ivoire, portant sur la tête une espece de couronne terminée en pointe, qui représentoit le pole : elle tenoit d'une main un pavot, & de l'autre une pomme. On estimoit encore beaucoup l'Apollon dydiméen qu'il fit pour la ville de Milet, & son Apollon isménien pour celle de Thèbes. Il fit aussi des badinages de l'art en petit & d'une méchanique très-ingénieuse. Nous en citerons un exemple à l'article de Théodore ; c'est assez de dire ici, que Canachus étoit frere d'Aristoclès, qui ne lui cédoit guere en habileté.

Cantharus de Sicyone est loué par Pausanias. Pline dit qu'il travailloit également tous ses ouvrages, mais qu'il n'en a porté aucun à une grande perfection. Son maître Eutychide s'étoit rendu plus célebre ; aussi avoit-il été disciple de Lysippe.

Céphissodore athénien, fils de Praxitele, hérita de son bien & de son talent. Il tailla trois statues des Muses, dont on décora le mont Hélicon. Dans sa statue de la paix pour les Athéniens, il la représentoit avec esprit tenant le petit Plutus dans son sein. On admiroit à Pergame un grouppe de lutteurs de la façon de ce maître ; & ce n'est pas sans raison, ajoute Pline ; car leurs mains paroissent entrer dans la chair, & non dans le marbre.

Chalcosthène, dont l'attelier donna le nom au céramique à Athènes, fit des ouvrages en terre qui n'étoit pas cuite, cruda opera, c'est-à-dire, qui n'étoit vraisemblablement que desséchée au soleil. Nous avons, dit M. de Caylus, plusieurs exemples anciens & modernes de cette pratique, quoiqu'elle ne soit pas des meilleures : la terre trop sujette aux accidens qui la peuvent détruire, a besoin d'un tems considérable pour sécher avant que de pouvoir être mise en place ; il faut estimer sa diminution, qui n'est pas toujours égale ni dans sa totalité, ni dans ses parties, sur-tout lorsque les morceaux sont d'une certaine étendue. Il eût été plus simple de cuire ces morceaux, ainsi que Dibutades en avoit donné l'exemple ; mais Chalcosthène vouloit peut-être affecter une nouveauté dont l'usage ne pouvoit être continué, sur-tout dans un pays tel que la Grece, où l'idée de la postérité étoit en grande recommandation ; cependant nous devons savoir gré à Pline de nous avoir indiqué toutes les différentes façons de travailler la terre.

Charès de Linde, s'est immortalisé par le colosse de Rhodes, auquel il s'occupa pendant douze ans, & n'eut pas le bonheur de le finir. Ce colosse couta trois cent talens, un million quatre cent dix mille livres. Suivant Sextus Empiricus, Charès s'étoit trompé ; il n'avoit exigé que la moitié de la somme nécessaire, & quand l'argent qu'il avoit demandé se trouva dépensé au milieu de l'ouvrage, il se donna la mort de chagrin.

Le consul P. Lentulus consacra dans le capitole deux têtes apparemment de bronze, & qui, selon Pline, attiroient toute l'admiration. L'une étoit de la main de Charès, & l'autre de celle de Décius statuaire romain, dont l'ouvrage affoibli seulement par la comparaison, ne sembla être que celui d'un écolier. C'est, dit M. de Caylus, Pline lui-même qui donne ici son jugement en connoisseur & en homme de l'art, que le préjugé public ne séduit point.

Ctésilas représenta en bronze un homme blessé à mort, & dans un état qu'on pouvoit juger, dit Pline, l. XXXIV. c. viij. le peu de tems qu'il avoit encore à vivre : vulneratum deficientem, in quo possit intelligi quantùm restet animae ; termes qui peignent bien l'enthousiasme que produit une belle opération de l'art. Nous jugeons encore aujourd'hui que le mirmillon ou le gladiateur mourant, n'a pas longtems à vivre, & que sa blessure est mortelle. Plus on considére ce beau monument du savoir & de l'élégance des Grecs, plus en l'admirant on est affecté d'un sentiment de compassion. Voyez GLADIATEUR expirant.

Critias : il y a eu deux statuaires de ce nom ; l'un athénien qui eut Amphion pour éleve, l'autre surnommé Nesiotés, contemporain de Phidias, dont parle Pausanias in Attic.

Damophilus & Gorgasus, non-seulement travaillerent très-bien la terre, dit Pline, mais ils furent peintres ; ils décorerent dans ces deux genres le temple de Cérès situé à Rome auprès du grand cirque. Une inscription en vers grecs apprenoit que les ouvrages de Damophilus étoient à la droite, & ceux de Gorgasus à la gauche.

Damophon, Pausanias n'entre dans aucun détail sur cet ancien statuaire ; il nous apprend seulement, livre IV. que les Eléens lui avoient accordé de très-grandes distinctions, pour avoir réparé la statue de Jupiter Olympien.

Dédale, sculpteur & architecte athénien, étoit certainement petit-fils ou arriere-petit-fils d'Erecthée, sixieme roi d'Athènes. Voilà sans-doute un artiste de bonne maison ; il ne faut pas s'en étonner. Dédale vivoit dans ces tems héroïques où les grands hommes n'avoient d'autre ambition, que de se rendre utiles à leurs compatriotes : purger la Grèce des monstres qui l'infestoient, exterminer les bandits & les scélérats, procurer le repos & la sûreté publique, ce fut la gloire d'Hercule & de Thésée ; inventer les Arts, les perfectionner, & les cultiver, ce fut celle de Dédale.

Depuis le déluge de Deucalion jusqu'au tems de cet artiste, on ne compte guere que cent-cinquante ou soixante ans. Les Arts ensevelis avec les hommes dans cette calamité, n'avoient pas encore eu le tems de renaître en Grèce ; il falloit de nouveaux inventeurs. La nature qui n'est jamais avare, fournissoit des matériaux abondamment ; mais on ne pouvoit les mettre en oeuvre faute d'outils & d'instrumens nécessaires. Dédale inventa la hache, le vilebrequin, ce que les Latins ont appellé perpendiculum, & que nous appellons le niveau ; la colle - forte, l'usage de la colle de poisson, peut-être aussi la scie ; je dis peut-être, car les uns en donnent l'honneur à son neveu, & les autres à lui-même. Avec ces secours, doué d'un heureux génie & d'une adresse merveilleuse, il fit des ouvrages de sculpture & de serrurerie, qui parurent des prodiges aux Grecs d'alors :

Daedalus ingenio fabrae celeberrimus artis.

aux Grecs d'alors, je veux dire aux Grecs encore ignorans & grossiers. Avant lui les statues grecques avoient les yeux fermés, les bras pendans, & comme collés le long du corps, les piés joints, rien d'animé, nulle attitude, nul geste ; c'étoient pour la plûpart des figures quarrées & informes qui se terminoient en gaîne. Dédale donna aux siennes des yeux, des piés, & des mains ; il y mit en quelque façon de l'ame & de la vie ; les unes sembloient marcher, les autres s'élancer, les autres courir. Aussi-tôt la renommée publia que Dédale faisoit des statues étonnantes qui étoient animées, qui marchoient, & dix siecles après lui, on parloit encore de ses ouvrages, comme d'effets les plus surprenans de l'industrie humaine. C'est aussi l'idée que nous en donnent Platon & Aristote ; au rapport de l'un, dans ses politiques, livre premier, les statues de Dédale alloient & venoient ; & au rapport de l'autre dans son Ménon, il y en avoit de deux sortes ; les unes qui s'enfuyoient, si elles n'étoient attachées, les autres qui demeuroient en place. Les fuyardes, ajoute-t-il, semblables à de mauvais esclaves, coutoient moins ; les autres étoient & plus estimées & plus cheres. Tout cela veut dire, je pense, que soit par des ressorts cachés, soit par le moyen d'un peu de vif-argent coulé dans la tête & dans les piés de ses statues, Dédale les rendoit susceptibles de quelque mouvement ; mais après tout, c'étoient-là des jeux d'enfans, que les statuaires qui vinrent ensuite mépriserent avec raison.

Nous ne voyons point que ni Phidias, ni Praxitèle, ni Lysippe, pour faire admirer leurs ouvrages, ayent eu recours à ce badinage, qui peut en imposer aux simples, mais qui est incompatible avec le beau & le noble, auquel tout grand artiste doit aspirer. Je suis donc persuadé que Dédale dut une bonne partie de sa réputation à la grossiereté de son siecle, & que ses statues dont les Grecs se montrerent si jaloux dans la suite, étoient moins recommandables par leur beauté, que par leur antiquité. D'ailleurs, ces premiers monumens d'un art admirable, étoient en effet très-curieux ; & il y avoit du plaisir à voir par quels degrés la Sculpture avoit passé de si foibles commencemens, à une si haute perfection. Au reste, Platon lui-même a porté le même jugement de Dédale ; nos statuaires, disoit-il, se rendroient ridicules, s'ils faisoient aujourd'hui des statues comme celles de Dédale ; & Pausanias qui en avoit vu plusieurs dans ses voyages, avoue qu'elles étoient choquantes, quoiqu'elles eussent quelque chose qui frappoit & qui sentoit l'homme inspiré.

Cependant, on ne peut disconvenir que Dédale n'ait été l'auteur & le fondateur de l'école d'Athènes ; école qui dans la suite devint si savante, si célebre, & qui fut pour la Grèce comme une pépiniere d'excellens artistes : car Dipenus & Scyllis, les premiers disciples de Dédale, & peut-être ses fils, eurent des éleves qui surpasserent de beaucoup leurs maîtres, & qui furent surpassés à leur tour par leurs propres disciples : ainsi les Phidias, les Alcamenes, les Scopas, les Praxitèles, les Lysippes, tant d'autres grands statuaires, qui remplirent la Grèce de statues admirables, descendoient, pour parler ainsi, de Dédale, par une espece de filiation ; c'est-à-dire, que de maître en maître, ils faisoient remonter leur art jusqu'à lui. Dipoenus & Scillis laisserent après eux un grand nombre d'ouvrages, dont il faut porter à-peu-près le même jugement que de ceux de Dédale. Pour lui, il ne put pas enrichir sa patrie de beaucoup de monumens, parce qu'ayant commis un crime capital, il fut obligé de se sauver, & d'aller chercher sa sûreté dans une terre étrangere. Voici quel fut son crime.

Il avoit parmi ses éleves son propre neveu, fils de Perdix sa soeur ; on le nommoit Calus, & ce jeune homme marquoit autant d'esprit que d'industrie ; Dédale craignit ses talens ; & pour se défaire d'un rival qui obscurcissoit déja sa gloire, il le précipita du haut de la citadelle d'Athènes en-bas, & voulut faire accroire qu'il étoit tombé, mais personne n'y fut trompé. Ovide dans le huitieme livre de ses métamorphoses, a décrit la malheureuse avanture de Calus, qu'il a mieux aimé nommer Perdix, apparemment parce que ce nom lui fournissoit l'idée de la métamorphose de ce jeune homme en perdrix, oiseau, dit-il, qui sous son plumage conserve encore le même nom qu'il a eu autrefois sous une forme humaine ; avec cette différence que la force & la vivacité de son esprit, ont passé dans ses aîles & dans ses piés.

Sed vigor ingenii quondam velocis, in alas

Inque pedes abiit ; nomen quod & ante remansit.

L'action atroce de Dédale ne pouvoit pas demeurer impunie dans un état, où pour donner plus d'horreur de l'homicide, on faisoit le procès aux choses même inanimées, quand elles avoient occasionné la mort d'un homme.

Dédale atteint & convaincu d'un crime si énorme, fut condamné par arrêt de l'Aréopage, à perdre la vie.

Il se déroba à la justice, & se tenoit caché dans une bourgade de l'Attique, de la tribu de Cécrops, qui du nom de cet illustre fugitif, fut appellée Dédalide ; mais ne s'y croyant pas en sûreté, il passa en Crete. La renommée avoit préparé les esprits en sa faveur ; on fut charmé de voir un homme d'un si rare mérite, & Minos qui régnoit dans cette île, compta bien mettre à profit les talens de cet habile artiste, qui de son côté répondit à l'attente qu'on avoit de lui. Minos avoit deux filles, Phedre & Ariadne ; Dédale fit leurs statues en bois ; il fit aussi celle d'une divinité qui étoit chere aux Crétois ; on la nommoit dans la langue du pays Britomartis, comme qui diroit la douce vierge. Ce fut encore en ce tems-là qu'il fit pour Ariadne un bas-relief de marbre blanc, qui représentoit ces danses légeres, & cette espece de branle dont parle Homere dans le dix-huitieme livre de l'Iliade. Jusques-là il n'avoit guere été que statuaire, dans la suite il se montra grand architecte ; il fit le labyrinthe du roi Mendès, ouvrage que Pline appelle le plus étonnant qu'ait produit l'esprit humain. Diodore parle des ouvrages que Dédale fit en Sicile : il laissa un fils que l'on appelloit Japyx, & qui donna son nom à une contrée d'Italie.

Aucun écrivain ne nous apprend en quel tems naquit ou mourut Dédale ; on peut cependant imaginer qu'il finit ses jours en Egypte. Ce sentiment paroît appuyé sur ce que rapporte Diodore de Sicile, que Dédale bâtit le vestibule de ce magnifique temple que Vulcain avoit à Memphis ; que l'on y plaça la statue de cet artiste faite de sa main propre, & que dans une île proche de cette grande ville, les Epyptiens lui consacrerent un temple, où l'on lui rendoit les honneurs divins. En un mot, l'Histoire & la Fable ont concouru à illustrer également son nom, qu'il avoit tiré du mot grec , terme qui avant lui signifioit un morceau de bois poli & artistement travaillé.

Au reste, il est nécessaire d'observer qu'il y a eu trois Dédales, tous trois statuaires ; le premier athénien, dont il s'agit ici ; le second sicyonien, qui a enrichi la Grèce de bon nombre de statues ; & le troisieme de Bithynie, dont parle Arien, & qui étoit connu par une statue de Jupiter Stratius, ou dieu des armées. Les Grecs ont souvent confondu l'un avec l'autre ; & Pausanias lui-même est quelquefois tombé dans cette méprise. Pour n'y être pas trompé, on se souviendra que l'ancien Dédale vivoit du tems d'Hercule, de Thésée, & d'Oedipe, trente ou quarante ans avant la guerre de Troie.

Démocrite de Sicyone étoit éleve de Critias athénien. Pline, l. XXXIV. c. viij. le nomme parmi les statuaires qui excelloient à représenter les philosophes. Il nous apprend encore qu'il y avoit à Rome quantité de sculpteurs qui se livroient à la seule occupation de faire pour le public de ces sortes de portraits. Les différentes sectes académiques formoient des suites nombreuses, & tel particulier vouloit les avoir toutes. D'ailleurs comme les bibliotheques se multiplioient & se décoroient de plus en plus, ces bustes en devinrent un ornement nécessaire ; ainsi la besogne ne manquoit pas aux ouvriers. Il est vraisemblable que la plûpart de ces têtes étoient moulées, & se trouvoient exécutées en bronze.

Dibutades, corinthien, passe pour être le premier qui inventa la plastique, c'est-à-dire qui trouva l'art de former des figures de bas-reliefs ou de ronde-bosse avec de l'argile ; il étoit potier-de-terre à Corinthe. Tout le monde sait que sa fille, éprise pour un jeune homme qui partoit pour un voyage, traça sur le mur l'ombre que son visage formoit par l'opposition d'une lampe. Le pere frappé de ce dessein, suivit les contours & remplit avec de la terre les intervalles qu'ils occupoient ; ensuite il porta ce prétendu bas-relief dans son four avec ses autres ouvrages. Cette statue fut mise & conservée dans le temple des nymphes à Corinthe, jusqu'au tems où Mummius détruisit cette ville. Voila l'histoire que Pline, lib. XXXV. cap. xij. rapporte sur l'origine de la plastique, & il faut avouer qu'elle est mêlée de vraisemblance dans le détail, & d'agrément dans l'invention.

Diogene, athénien, décora le panthéon d'Agrippa, & fit les caryatides qui servoient de colonnes au temple, & qu'on mettoit au rang des plus belles choses.

Dipoene & Scyllis, Pline assûre qu'ils ont fleuri vers la 50e. olympiade, & qu'ils se rendirent extrêmement célebres par l'invention de sculpter le marbre & de lui donner le poli, primi omnium marmore scalpendo inclaruere. On sait que la même dureté du marbre qui conserve le poli qu'il a une fois reçu, augmente la difficulté de le tailler & de lui donner ce poli. Les marbres inscrits des anciens monumens du Péloponnèse & de l'Attique étant taillés au marteau, sont absolument brutes ; & l'époque de cette importante découverte de l'art de tailler le marbre au ciseau, scalpendo, sert à fixer le tems de ceux à qui elle est dûe.

Dipoene & Scyllis avoient formé, selon Pausanias, l. III. c. xxv. un grand nombre d'éleves dont les ouvrages étoient extrêmement estimés. Tels étoient Léarchus de Rhege, Théoclès de Laconie, Doryclidas, son frere Médon, & un grand nombre d'autres, sur-tout Tectius & Argelion, sculpteurs célebres par la statue de l'Apollon de Délos. Cette durée de sculpteurs qui donne plus de cinquante ans à chacune des trois successions de Callon, de Tectius & de Dipoene, prouve que Pline a peut-être fait ce dernier trop ancien, & qu'il doit être postérieur à la 50e. olympiade. Quoi qu'il en soit, Dipoene & Scyllis étoient originaires de Crete, & sortis de l'école de Sculpture fondée dans cette île par l'athénien Dédale.

Endoëus, athénien, contemporain de Dédale, & qui le suivit en Crete ; sa Minerve assise se voyoit dans la citadelle d'Athènes ; elle étoit de bois, tenoit une quenouille des deux mains, & avoit sur la tête une couronne surmontée de l'étoile polaire. On voyoit à Rome dans le forum d'Auguste une autre statue de Minerve d'ivoire de la main du même Endoëus.

Euphranor, de l'isthme de Corinthe, contemporain de Praxitèle, fleurissoit dans la civ. olympiade, environ 390 de Rome. Pline parle de cet artiste avec de grands éloges, & décrit ses ouvrages. Il fit une statue du bon Succès, qui d'une main tenoit une patere pour marque de sa divinité, & de l'autre un épi de blé avec un pavot : hujus est simulacrum (boni Eventus) dextrâ pateram, sinistrâ spicam, ac papaver tenens. Cette statue d'Euphranor a servi de modele aux images qui en ont été représentées sur les médailles impériales, grecques & latines. En effet, sur celles du haut empire jusqu'à Galien, desquelles on a connoissance, ce dieu sous le titre de bonus Eventus, bono Eventui, Eventus Augusti, y est figuré de la même maniere & avec les mêmes attributs que la statue faite de la main d'Euphranor, c'est-à-dire nue, proche d'un autel, tenant d'une main une patere, & de l'autre des épis & des pavots. Quelquefois avec très-peu de différence, comme une corbeille de fruits, au lieu de la patere, ou une branche d'arbre garnie de fruits, de la maniere qu'on le voit sur les médailles d'argent de Pescennius Niger & de Julia Domna, rapportées par M. Patin.

Mais le chef-d'oeuvre d'Euphranor étoit sa statue de Pâris. Il indiqua, dit Pline, par son ouvrage, le juge des déesses, l'amant d'Hélene & le vainqueur d'Achille. Que de beautés dans cet éloge ! Et que l'idée seule de caractériser ces trois choses étoit agréable de la part de l'artiste ! je dis l'idée, car tant de différentes expressions étoient impossibles à exécuter à la lettre, mais c'est beaucoup que de les faire penser.

Au reste, Euphranor n'excelloit pas moins en Peinture qu'en Sculpture, & nous n'avons pas oublié son nom dans la liste des peintres célebres de l'antiquité.

Euthychide, sicyonien, de l'école de Lysippe, fit pour Denis, tyran de Syracuse, la statue de Timosthène athlete, qui remporta le prix du stade aux jeux olympiques. C'est ce même Euthychide, dit Pausanias, qui a fait pour les Syriens d'Antioche cette statue de la Fortune, qui est en si grande vénération parmi les peuples. Mais le chef-d'oeuvre de cet artiste est la statue du fleuve Eurotas, qu'il exécuta en bronze d'une maniere si parfaite, que le travail, dit Pline, étoit encore plus coulant que les eaux de ce fleuve ; c'est un bel éloge du dessein, de la composition & de l'exécution, sur-tout quand il s'agit de représenter un fleuve ; c'est d'ailleurs tout ce qu'on peut demander à l'art que de trouver dans la nature des choses qui répondent à celles que l'imagination a créées. On dit aujourd'hui un dessein coulant, & on le dit encore avec plus de grace, quand il est placé dans les figures auxquelles il convient par leur essence.

Euthycrate, natif de Sicyone, fils & disciple de Lysippe, imita son pere dans l'exacte observation des regles de la Sculpture, & aima mieux, selon Pline, s'attacher scrupuleusement à la correction, qu'aux agrémens & à l'élégance. Il tailla pour la ville de Delphes deux superbes statues, l'une d'Hercule & l'autre d'Alexandre. On vantoit encore singulierement sa grande chasse des Thespis & des Thespiades. Il fit plusieurs figures de Médée dans son char à quatre chevaux ; plusieurs représentations de meutes de chiens, & un grouppe d'un combat à cheval qu'on mit à l'entrée de l'antre où se rendoient les oracles de Trophonius.

Léocharès, contemporain & rival de Scopas, vivoit dans la c. olympiade ; il fut un des quatre excellens sculpteurs qui travaillerent à ce superbe tombeau de Mausole, roi de Carie, que l'on a regardé comme une des sept merveilles du monde. On admiroit encore au Pirée deux de ses statues, une de Jupiter, & une autre qui représentoit le peuple d'Athènes.

Mais admirez comme Pline parle d'un autre ouvrage de Léocharès : cet artiste, dit-il, exécuta un aigle enlevant Ganymede, sentant le mérite du poids dont il est chargé, & la grandeur de celui auquel il le porte, craignant de blesser avec ses ongles les habits même du jeune phrygien.

Cette composition ne paroît pas seulement possible & simple, mais charmante à M. le comte de Caylus, qui de plus ne doute point que l'exécution n'ait répondu parfaitement à la beauté de l'idée, & je trouve encore, continue-t-il, que dans la description du fleuve Eurotas représentée par Eutychides, dans celle de Ganymede, Pline a peint les délicatesses de l'art & celles de l'esprit.

Léontius fit un ouvrage à Syracuse qui représentoit un homme boitant par les souffrances que lui causoit un ulcere ; sur quoi Pline, l. XXXIV. c. viij. dit : Syracusis autem claudicantem, cujus ulceris dolorem sentire etiam spectantes videntur ; ce récit prouve au-moins que l'ouvrage de Léontius ne laissoit rien à désirer pour l'expression. Quelqu'un trouvera peut-être la métaphore de Pline un peu forte : mais les amateurs des arts ont des façons de parler vives, enthousiastes, & qui ne servent que mieux à peindre le sentiment.

Lysias fit un char à quatre chevaux, dans lequel Apollon & Diane étoient placés, & ce bel ouvrage étoit d'un seul bloc. Auguste le mit sur l'arc qu'il consacra à la mémoire de son pere, & le renferma dans un petit temple environné de colonnes. C'est Pline qui fait ce récit. L'arc dont il parle comme d'une nouvelle invention pour porter des statues, étoit apparemment d'une médiocre grandeur, & se réduisoit à un grand socle ou piédestal chargé de la figure du monument. Ce corps solide devoit cependant avoir une certaine hauteur, pour indiquer une plus grande idée de magnificence que des colonnes & des piédestaux ordinaires, d'autant même que ces corps étoient encore plus susceptibles de tous les bas-reliefs dont on vouloit les enrichir.

Lysippe natif de Sicyone & contemporain d'Alexandre ; c'étoit à lui & à Apelle seulement qu'il étoit permis de représenter ce conquérant. Lysippe fit plusieurs statues de ce prince, suivant ses différens âges. L'empereur Néron posséda la plus précieuse ; mais comme elle n'étoit que de bronze, il crut que l'or en l'enrichissant la rendroit plus belle ; il arriva tout au contraire, que la nouvelle parure gâta la statue, & qu'on fut forcé d'enlever l'or, ce qui dégrada beaucoup cette antique par les taches & les cicatrices qui y resterent.

Lysippe travailloit avec autant de génie que de facilité. Une imitation trop servile de la nature étant un défaut plutôt qu'une beauté, il savoit lui donner plus de graces & d'agrémens qu'elle n'a coutume d'en avoir. Ce célebre artiste avoit représenté un homme sortant du bain, morceau précieux qui faisoit un des plus grands ornemens des thermes d'Agrippa. Tibere fit enlever cette piece admirable pour en embellir son palais ; mais le peuple ne put s'accoutumer à ne plus voir ce chef-d'oeuvre de l'art, & força l'empereur de le restituer.

Duris rapporte que Lysippe, ce sont les paroles de Pline, n'a point eu de maître ; Tullius apparemment Ciceron, soutient qu'il en a eu un, mais que dans les commencemens qu'il étudioit son art, la réponse du peintre Eupompus lui donna un excellent précepte ; car lui ayant demandé quel étoit celui des anciens dont il lui conseilloit de suivre la maniere, il lui montra une multitude d'hommes, & lui indiqua par-là qu'il ne falloit suivre que la nature. Toutes les parties de l'esprit ont autant besoin que les arts de cette grande vérité, & tous ceux qui n'ont pas eu la nature en vûe n'ont présenté que de faux brillans, & leurs succès n'ont jamais été que passagers.

Après la liste d'une partie des grands & des beaux ouvrages de Lysippe, Pline finit par dire : il a beaucoup embelli l'art statuaire par la façon légere dont il a traité les cheveux, par la diminution des têtes que les anciens tenoient fortes, & par les corps traités plus légers & plus sveltes pour faire paroître ses statues plus grandes.

Mais ce qui semble fort étonnant est la quantité d'ouvrages que Lysippe exécuta. Il fit six cent dix morceaux de sculpture, qui tous auroient rendu célebre l'artiste qui n'en auroit fait qu'un seul, ajoute Pline, l. XXXIV. c. vij. tantae omnia artis, ut claritatem possent dare vel singula.

Il fut aisé de savoir leur nombre, car il avoit coutume de mettre à part un denier d'or, quand il avoit produit un nouvel ouvrage, & son héritier en fit le calcul après sa mort ; cependant ce fait mérite d'être expliqué ; voici donc ce qu'en pense M. de Caylus.

S'il étoit question, dit-il, dans ce calcul des ouvrages de Lysippe, de statues de marbre, & même de figures de bronze de grandeur naturelle, ou faites chacune sur différens modeles, quoiqu'il en ait produit plusieurs de ce genre, le nombre de six cent dix morceaux de la main d'un seul artiste ne seroit ni possible, ni vraisemblable ; la connoissance des arts & leur marche dans l'exécution vont heureusement servir à lever tous nos doutes.

Quand la pratique de la fonte est familiere à un artiste & qu'il a sous ses ordres des gens capables de l'aider, les ouvrages se multiplient en peu de tems ; l'artiste n'a proprement besoin que de faire des modeles en terre ou en cire, manoeuvre que l'on sait être aussi promte que facile. Le moule, la fonte & le soin de réparer sont des opérations qui ne demandent point la main du maître, & cependant la figure n'est pas moins regardée comme son ouvrage.

Ajoutons à ces facilités que l'on peut jetter un très-grand nombre de figures dans le même moule, & sans doute que toutes les fois qu'il en sortoit une de son fourneau, Lysippe s'étoit imposé la loi de mettre à-part un denier d'or, dont le nombre accumulé servit après sa mort à supputer la quantité de figures fondues dans son attelier. Il n'eût pas été difficile à Jean de Boulogne d'en faire autant dans le dernier siecle, & peut-être que si l'on comptoit le nombre de petites figures qu'il a produites de cette façon, on n'en trouveroit guere moins de six cent dix, indépendamment des grandes figures équestres & des autres statues ou bas-reliefs dont il a fait les modeles, & à la fonte desquels il a présidé.

Lysistrate de Sicyone, frere de Lysippe fut selon Pline, " le premier qui fit des portraits gypse, en appliquant le plâtre sur le visage de ceux dont il vouloit avoir la ressemblance, & qui jetta de la cire dans le creux que cette premiere opération avoit produit ; c'est ce que nous appellons moule. Avant le tems de cet artiste, on ne songeoit qu'à rendre les têtes les plus belles qu'il étoit possible : mais celui-ci s'attacha le premier à la ressemblance ". Pline dit tout-de-suite : " Enfin la chose alla si loin, que l'on ne fit aucun ouvrage de sculpture sans employer la terre : Crevitque res in tantum, ut nulla signa statuaeve sine argillâ fierent ". Il n'est pourtant pas étonnant que l'on ne fît plus aucun ouvrage de sculpture sans employer la terre ; parce qu'il n'y a dans le monde que la terre, la cire, ou le plâtre qui puissent obéir à l'ébauchoir, ou à la main du sculpteur, pour former son ouvrage & le mettre en état d'être moulé. Or, comme le plâtre & la cire sont encore plus difficiles à trouver que la terre, il est tout simple que les sculpteurs lui ayent donné généralement la préférence.

Lyson est mis par Pline, liv. XXXIV, ch. viij. au nombre des statuaires qui réussissoient particulierement à représenter des athletes, des gens armés, & des sacrificateurs. Pausanias dit qu'il avoit fait un morceau placé dans la salle du sénat qui représentoit le peuple d'Athènes.

Malas de Chio, s'acquit dans sa patrie avec son fils Micciades, une haute réputation : ils vivoient avant Dypoene & Scyllis.

Menestrate. Pline, parlant de cet artiste, dit, livre XXXIV, ch. viij : On admire beaucoup l'Hercule de Menestratus & l'Hécate du même artiste. On voit cette derniere figure à Ephèse, derriere le temple. Le marbre en est si brillant, que les gardiens de ce temple avertissent les étrangers de la regarder avec précaution pour ménager leurs yeux.

Myron, athénien, disciple de Polyclete, vivoit dans la 84e olympiade, vers l'an du monde 3560. Il s'est rendu recommandable par une exacte imitation de la belle nature. La matiere sembloit s'animer sous son ciseau ; plusieurs jolies épigrammes du IV. liv. de l'Anthologie font mention d'une vache qu'il avoit représentée en bronze avec un tel art, que cet ouvrage séduisoit & les pâtres & les animaux. Enfin, cette vache fameuse, à ce que prétendent plusieurs auteurs, pouvoit servir de modele, tant pour l'excellence de l'imitation que pour la perfection de la nature même. Cependant nous avons lieu de penser que nos statuaires seroient en état de représenter aujourd'hui des animaux du genre imité par Myron & par ses confreres beaucoup plus parfaits que ceux qui leur étoient connus. L'idée de la belle nature que les anciens se sont formée sur la plûpart des quadrupedes, en prenant pour exemples ceux de la Grèce & d'Italie ; cette idée, dis-je, n'approche pas des modeles que nous offrent à cet égard divers pays de l'Europe.

Nous voyons certainement, selon la remarque de l'auteur des réflexions sur la Poésie & la Peinture, que les taureaux, les vaches, & les porcs des bas-reliefs antiques ne sont point comparables aux animaux de la même espece, que la Flandre, la Hollande & l'Angleterre élévent. On trouve dans ces dernieres une beauté, où l'imagination des artistes qui ne les avoient point vus, étoit incapable d'atteindre. Les chevaux antiques, même celui sur lequel Marc-Aurèle est monté, & à qui Pierre de Cortone adressoit la parole toutes les fois qu'il passoit dans la cour du capitole, en lui disant par enthousiasme pittoresque : " Avance donc, ne sais-tu pas que tu es vivant " ? ces chevaux, dis-je, n'ont point les proportions aussi élégantes, ni le corsage & l'air aussi nobles que les chevaux que les sculpteurs ont représentés, depuis qu'ils ont connu ceux d'Andalousie, ceux du nord de l'Angleterre, & depuis que l'espece de ces animaux s'est embellie dans différens pays par le mêlange que les nations industrieuses ont su faire des races. En un mot, les hommes les plus habiles ne sauroient jamais, en prêtant à la nature toutes les beautés qu'ils imagineront, l'ennoblir dans leurs inventions, autant qu'elle sait s'ennoblir elle-même à la faveur de certaines conjonctures.

Je reviens au sculpteur d'Athènes. Il y avoit dans le temple de Samos une cour destinée pour les statues, parmi lesquelles on en voyoit trois colossales de sa main portées sur la même base. Marc-Antoine les avoit fait enlever ; mais Auguste y fit remettre celles de Minerve & d'Hercule, & se contenta d'envoyer celle de Jupiter au capitole.

Le mont Hélicon étoit embelli d'un Bacchus debout que Myron avoit fait, & qu'on estimoit être la plus belle de ses statues après l'Erechtée qui étoit à Athènes. Ce Bacchus, dit Pausanias, étoit un présent de Sylla, non qu'il l'ait fait faire à ses dépens, mais il l'enleva aux Orchoméniens de Mynies pour la donner aux Théopiens, ce que les Grecs appellent honorer les dieux avec l'encens d'autrui.

Myron étoit jaloux de l'immortalité ; & pour y participer par quelqu'un de ses ouvrages, il mit son nom presqu'en caracteres imperceptibles sur une des cuisses de sa statue d'Apollon, que possédoient les Athéniens.

Pline fait un bel éloge de cet artiste : Primus hic, dit-il, multiplicasse varietatem videtur, numerosior in arte quàm Polycletus, & in symmetriâ diligentior : cependant ce mot primus ne veut marquer qu'une plus grande variété dans la composition, & un plus grand soin dans l'exécution. En cela Myron l'emporta sur ses prédécesseurs. Pline ajoute qu'en fait de badinage, il fit un tombeau pour une cigale & pour une sauterelle. Et comme tout se répete dans le monde, un de nos artistes fit dans le dernier siecle le tombeau de la chatte de Madame de Lesdiguieres ; & cet ouvrage qui ne méritoit pas d'être relevé, produisit je ne sai combien de pieces de vers.

Naucydes, d'Argos, fils de Mathon, & frere de Péryclète florissoit, selon Pline, dans la 95e. olympiade, avec Canachus, Aristoclès, Diomede & Patrocle. Son chef-d'oeuvre étoit la statue d'une jeune Hébé d'or & d'ivoire, qu'on avoit mise près de la statue de Junon.

Onatas, de l'île d'égine, sorti de l'école athénienne fondée par l'ancien Dédale, vivoit en même tems qu'Agélades d'Argos. On voyoit de lui à Pergame un Apollon en bronze qui étoit admirable, tant pour sa grandeur que pour la beauté de l'ouvrage. Mais rien ne lui acquit plus d'honneur que la Cérès que les Phigaliens lui demanderent, en lui promettant telle récompense qu'il voudroit. " Je viens exprès à Phigale, dit Pausanias, pour voir sa Cérès ; je n'immolai aucune victime à la déesse, je lui présentai seulement quelques fruits, à la maniere des gens du pays, sur-tout du raisin avec des rayons de miel, & des laines sans apprêt, telles que la toison les donne. On met ces offrandes sur un autel qui est devant la grotte, & on verse de l'huile dessus. Cette espece de sacrifice se fait tous les jours par les particuliers, & une fois l'an par la ville en corps : c'est une prêtresse qui y préside, accompagnée du ministre le plus jeune de la déesse. La grotte est environnée d'un bois sacré, où coule une source d'eau très-froide ". Voilà un joli sujet de Gravure ou de Peinture que fournit Pausanias : la statue de Cérès, les sacrifices non - sanglans qu'on offre en procession sur son autel, une belle prêtresse, avec un jeune ministre qui les reçoit, la grotte, le bois sacré, la source d'eau vive, &c.

Le même Onatas avoit fait plusieurs statues équestres pour les Tarentins, & ces statues furent mises dans le temple de Delphes. Il avoit encore été employé par Dynoménès, fils de Hiéron, tyran de Syracuse, pour le monument dont il gratifia la ville d'Olympie, en mémoire des victoires remportées par son pere aux jeux olympiques. Enfin, ce qui augmente la gloire de cet artiste, est d'avoir été le maître de Polyclète.

Pasitèle est un artiste dont Varron donne une grande idée, ainsi que Pline. Pasitèle, dit ce dernier, cùm esset in omnibus summus, a écrit cinq volumes sur les plus excellens ouvrages de Sculpture qui ayent paru dans le monde. Il étoit de cette partie de l'Italie qu'on nomme la grande Grèce, & acquit conjointement avec elle le droit de citoyen romain. Il fit un Jupiter d'ivoire, & cette statue est placée dans la maison de Métellus, située sur le chemin du champ de Mars. Cet artiste, très-exact imitateur de la nature, diligentissimus artifex, travailloit un jour dans cet endroit de Rome où l'on gardoit les animaux d'Afrique : pendant qu'il étudioit un lion à-travers les barreaux, une panthere s'échappa d'une cage voisine, non sans lui faire courir un très-grand danger. On dit qu'il a fait beaucoup d'ouvrages, mais on ne les connoît pas précisément. Pline, liv. XXXIV.

Peutias, de Chio, étoit fils de Sostrate ; l'art & l'habileté d'Aristocle de Sicyone avoit passé à lui, comme de main en main, car il étoit le septieme maître sorti de cette école. Il se signala par de belles statues d'athletes proclamés vainqueurs dans les jeux de la Grèce.

Peryllus est bien connu de tout le monde par l'histoire du taureau de bronze qu'il avoit exécuté, & dont il éprouva lui-même toute l'horreur : in hoc à simulachris deûm hominumque, devoraverat humanissimam artem, dit Pline, liv. XXXIV. ch. viij. Cette peinture des arts, comme M. de Caylus le remarque, est très-belle & très-convenable. Ils ne sont faits que pour le culte des dieux, pour conserver le souvenir des héros, pour corriger les passions, & pour inspirer la vertu. Peryllus fut plus cruel que Phalaris ; c'est pourquoi Pline poursuit en disant : Itaque de unâ causâ servantur opera ejus, ut quisquis illa videat, oderit manus (Perylli).

Phidias, le sculpteur des dieux, étoit natif d'Athenes ; il fleurissoit vers l'an du monde 3556, dans la 83e. olympiade, tems heureux où après les victoires remportées contre les Perses, l'abondance fille de la paix, & mere des beaux arts, faisoit éclorre les talens par la protection de Périclès, l'un des plus grands hommes qui ait paru dans l'ancienne Grèce, & peut-être dans le monde.

Phidias avoit fait une étude singuliere de tout ce qui avoit rapport à son talent, & en particulier l'étude de l'optique. On sait combien cette connoissance lui fut utile dans la statue de Minerve, qu'il fut chargé de faire, concurremment avec Alcamène : la statue par Alcamène vue de près, avoit un beau fini qui gagna tous les suffrages, tandis que celle de Phidias ne paroissoit en quelque sorte qu'ébauchée ; mais le travail recherché d'Alcamène disparut, lorsque sa statue fut élevée au lieu de sa destination ; celle de Phidias, au contraire, frappa les spectateurs par un air de grandeur & de majesté, qu'on ne pouvoit se lasser d'admirer.

Ce fut lui qui après la bataille de Marathon, travailla sur un bloc de marbre, que les Perses dans l'espérance de la victoire avoient apporté, pour en ériger un trophée ; il en fit une Némésis, déesse qui avoit pour fonction d'humilier les hommes superbes. La haine d'un grec contre les Perses, jointe au plaisir de vanger sa patrie, anima son génie d'un nouveau feu, & prêta à son ciseau & à ses mains une nouvelle adresse.

Périclès chargea encore Phidias de faire une Minerve différente de celle dont j'ai parlé, & qu'on plaça dans le temple de cette déesse, appellé le Parthénon. Cette statue de Phidias avoit la hauteur de vingt-six coudées (39 piés,) & elle étoit d'or & d'ivoire. Il y entra 44 talens d'or, c'est-à-dire, 132 mille livres sterlings, sur le pié de 3000 livres sterlings pour chaque talent d'or ; & comme un nommé Ménon accusa Phidias d'avoir détourné une partie de cette somme, l'or fut détaché de la statue, exactement pesé, & à la honte de l'accusateur, on y retrouva les 44 talens ; mais quelque riche que fût cette statue, l'art y surpassoit infiniment la matiere ; Ciceron, Pline, Plutarque, & autres grands écrivains de l'antiquité, tous connoisseurs, tous témoins oculaires, en ont parlé comme d'un des plus beaux ouvrages de main d'homme.

L'on auroit peut-être douté qu'il fût possible de rien faire de plus parfait en ce genre, si ce Phidias lui-même n'en eût donné la preuve dans son Jupiter olympien, qu'on peut appeller le chef-d'oeuvre du plus célebre maître, le plus grand effort de l'art, un prodige, & si bien un prodige, que pour l'estimer à sa juste valeur, on crut le devoir mettre au nombre des sept merveilles du monde. Phidias fut inspiré dans la construction de son Jupiter par un esprit de vengeance contre les Athéniens, desquels il avoit lieu de se plaindre, & par le desir d'ôter à son ingrate patrie, la gloire d'avoir son plus bel ouvrage, dont les Eléens furent possesseurs avec reconnoissance. Pour honorer la mémoire de l'artiste, ils créerent en faveur de ses descendans une nouvelle charge, dont toute la fonction consistoit à avoir soin de cette statue.

Cette statue d'or & d'ivoire haute de 60 piés, & d'une grosseur proportionnée, fit le désespoir de tous les grands statuaires qui vinrent après. Aucun d'eux n'eut la présomption de penser seulement à l'imiter. Selon Quintilien, la majesté de l'ouvrage égaloit celle de Jupiter, & ajoutoit encore à la religion des peuples. On demandoit si le dieu étoit descendu du ciel en terre pour se faire voir à Phidias, ou si Phidias avoit été transporté au ciel, pour contempler le dieu. Pausanias qui avoit vu cette statue, nous en a laissé une longue & belle description, que M. l'Abbé Gédoyn a insérée dans sa dissertation sur ce sculpteur immortel. Au bas de la statue, on lisoit cette inscription : PHIDIAS ATHENIEN, FILS DE CHARMIDE, M'A FAIT. Il termina ses travaux par ce chef-d'oeuvre qui mit le comble à sa gloire, & lui assura une réputation que plus de deux mille ans n'ont pu lui ravir.

Ce maître sublime fut le premier parmi les Grecs qui étudia la belle nature, pour l'imiter, & son imagination vaste & hardie, représentoit encore mieux les dieux que les hommes. Il paroissoit alors être guidé dans son travail par la divinité elle-même. Si Phidias forme l'image de Jupiter, dit Seneque, il semble que ce Dieu va lancer la foudre : s'il représente Minerve, on diroit qu'elle va parler pour instruire ceux qui la considerent, & que cette sage déesse ne garde le silence que par modestie. Aimable soeur de la peinture, art merveilleux, c'est donc ainsi que vous faites illusion aux sens, pour enchanter l'ame, pour attendrir le coeur, & pour élever l'esprit !

Pausanias rapporte que les Eléens conserverent pendant très-longtems l'attelier de Phidias, & que c'étoit une curiosité que les voyageurs ne manquoient pas d'aller voir.

Mais il ne faut pas obmettre le jugement de Pline sur Phidias. Je ne parlerai point, dit cet historien, de la beauté de Jupiter olympien, ni de la grandeur de la Minerve d'Athènes, qui a vingt-six coudées de hauteur (39 piés,) & qui est d'or & d'ivoire ; mais je parlerai, continue-t-il, du bouclier de cette même figure, sur le bord duquel il a représenté en bas-relief le combat des Amazones, & dans le dedans celui des dieux & des géans ; il a employé toute la délicatesse de l'art pour représenter le combat des Centaures & des Lapithes sur la chaussure de la déesse, tant il a sû profiter de tout ; & il a décoré la base de la statue par un bas-relief qui représente la naissance de Pandore. On voit dans cette composition la naissance de vingt autres dieux, du nombre desquels, est une Victoire qui se distingue par sa beauté. Les connoisseurs admirent sur-tout le serpent & le sphinx de bronze sur lequel la déesse appuie sa haste. Voilà ce que je voulois dire en passant, ajoute Pline, d'un artiste que l'on ne peut jamais assez louer, & dont la grande maniere, magnificentia, s'est toujours soutenue jusque dans les plus petites choses.

Les beautés de détail qu'on vient de lire n'ont été décrites que par Pline, & elles amusent l'imagination. Je conviendrai sans peine que leur travail étoit en pure perte pour les spectateurs, parce qu'en donnant même au bouclier de Minerve dix piés de diamêtre, on ne pouvoit distinguer ses ornemens d'assez près pour en juger sur une figure d'environ quarante piés de proportion, & qui d'ailleurs étoit placée sur un piédestal qui l'élevoit encore. Aussi n'est-ce pas dans ces petits objets que consistoit le principal mérite de la statue de Minerve ; ils n'étoient représentés que sur le bouclier de la déesse, & Pline ne les donne que comme de légeres preuves des talens & du génie de l'artiste, argumenta parva & ingenii tantum. Mais Phidias se vit obligé de se prêter au goût des Grecs qui aimoient passionnément ces sortes de petits morceaux, le trône d'Apollon par Bathyclès taisoit leurs délices. Or qui peut douter du mérite éminent & de la perfection des ouvrages de Phidias en ce genre ? Tout le monde avoit vu de près le bouclier de Minerve, & l'avoit admiré avant qu'il fût en place.

Polyclete, naquit à Sicyone, ville du Péloponnèse, & fleurissoit en la 87e. olympiade. Ce célebre artiste passe pour avoir porté dans le gracieux & le correct, la sculpture à sa derniere perfection. Ses ouvrages étoient sans prix ; mais celui qui lui acquit le plus de réputation, fut la statue d'un doryphore, c'est-à-dire, d'un garde des rois de Perse. Dans cette statue merveilleuse, toutes les proportions du corps humain étoient si heureusement observées, qu'on venoit la consulter de tous côtés comme un parfait modele, ce qui la fit appeller par les connoisseurs, la regle ; j'en parlerai plus bas.

On rapporte que ce sculpteur voulant prouver au peuple combien ses jugemens sont faux pour l'ordinaire, il réforma une statue suivant les avis qu'on lui donnoit ; puis il en composa une semblable suivant son génie & son goût. Lorsque ces deux morceaux furent mis en parallele ; le premier parut effroyable en comparaison de l'autre : " ce que vous condamnez, dit alors Polyclete au peuple, est votre ouvrage ; ce que vous admirez est le mien. " Un habile artiste, on l'a dit avant moi, doit écouter la critique comme un avertissement qui peut lui être utile, mais non pas comme une loi qui doive le gêner.

Le goût de Polyclete, le portoit sur-tout à la régularité, & à l'agrément ; l'on trouvoit en conséquence que ses statues auroient eû besoin d'un peu plus de force ; en effet il représentoit les hommes avec des graces infinies, & beaucoup mieux qu'ils ne sont, mais il n'atteignit pas comme Phidias à la majesté des dieux. On dit même que l'âge robuste étonnoit ses mains délicates ; & c'est par cette raison qu'il n'a guere exprimé que la tendre jeunesse. Sa statue d'un jeune homme couronné, étoit si belle pour l'expression délicate des chairs, qu'elle fut vendue cent talens, quatre cent soixante & dix mille livres. Diadumenum fecit molliter, centum talentis nobilitatum, dit Pline. Son enfant tenant une lance à la main, ne fut pas moins célebre ; & ses trois statues de trois enfans nuds jouant ensemble, que Titus avoit dans son palais, furent regardées comme trois chefs-d'oeuvres de l'art. Il seroit trop long de citer tous les ouvrages de sa main, que le monde admiroit ; mais j'ai promis de parler de la fameuse statue qu'on nomme la regle.

Cet artiste, selon Pline, l. XXXIV, c. viij, voulant laisser à la postérité les regles de son art, se contenta de faire une statue qui les comprenoit toutes, & que par cette raison il appella la regle, fecit & quem canona artifices vocant, lineamenta artis ex eo petentes, velut à lege quâdam. " Ce fait, dit M. de Caylus, est un de ceux qui demande d'autant plus à être expliqué qu'il paroît n'en avoir aucun besoin. Tout homme de lettres qui lira ce passage, ne doutera pas que l'ouvrage de Polyclete n'ait été une regle fondamentale pour les sculpteurs, & conséquemment il croira que si l'on avoit cette statue, on pourroit faire d'aussi belles choses que les Grecs. Cela n'est cependant vrai que dans un sens, c'est-à-dire, pour un seul âge ; encore dans ce même âge, on peut s'écarter du point donné pour de certaines parties, & bien faire : car l'artiste qui prendra les proportions de l'antique, précaution que tous nos modernes prennent avec grand soin, a le même privilege que le grand architecte qui suit les proportions d'un ordre, mais qui s'en écarte pour les raisons d'aspect, de convenance, &c. "

Pline parlant encore de Polyclete, dit qu'il est le premier qui ait imaginé de poser des figures sur une seule jambe, ut uno crure insisterent signa excogitasse ; mais ce passage ne peut être entendu que pour les bronzes, ou pour les grandes figures de cette matiere, que l'armature met en état de poser avec solidité sur un seul point.

En effet, dit M. de Caylus, cette position est si fort impossible dans les ouvrages de marbre, que les statuaires n'ont jamais assez de deux jambes pour soutenir une figure ; ils sont obligés de recourir à un tronc d'arbre, à des draperies, en un mot à quelque corps qui leur donne un moyen de solidité. Plus ce moyen conserve de vraisemblance, & plus il mérite d'éloges. Il ne faut pas se rejetter sur le talent & le mérite des artistes grecs pour accuser les modernes ; ils étoient soumis comme nous aux raisons physiques ; d'ailleurs leurs propres ouvrages certifient cette vérité. Il n'y a jamais eu de figure plus faite que l'Atalante, pour être traitée dans cette position ; cependant celle de marbre que le tems a épargnée ne pose, il est vrai, que sur un pié, mais elle a un tronc d'arbre pour appui. Il faut donc regarder les ouvrages de Polyclète, cités à cette occasion, comme étant de bronze, & pour lors ils n'ont rien de merveilleux. Nous voyons même que les anciens ont souvent traité dans cette position des femmes sortant du bain, des Vénus, &c. mais toujours en bronze. Mém. des insc. t. xxv.

Pausanias parle d'un autre Polyclete qui fit la statue d'Agenor de Thèbes, lequel surpassa tous les jeunes gens de son âge à la lutte. Ce dernier Polyclete postérieur au sicyonien, fut éleve de Naucydes. Junius l'a oublié dans son catalogue.

Posis étoit connu à Rome de M. Varron, qui dit que ce sculpteur ingénieux exécutoit en terre des fruits, des raisins & des poissons, dont l'imitation étoit parfaite.

Praxias d'Athènes, disciple de Calamis, fit Latone, Diane, Apollon, les muses, le soleil qui se couche, Bacchus & des thyades, qu'on mit sur le fronton du temple de Delphes.

Praxitele fleurissoit l'an du monde 3640, vers la 104e. olympiade. Il sembloit animer le marbre par son art. Tous ses ouvrages étoient d'une si grande beauté, qu'on ne savoit auxquels donner la préférence ; il falloit être lui-même pour juger les différens degrés de perfection. La fameuse Phryné, aussi industrieuse que belle, ayant obtenu de Praxitele la permission de choisir son plus bel ouvrage, se servit d'un stratagême pour le connoître : elle fit annoncer à ce célebre artiste que le feu étoit à son attelier ; alors tout hors de lui-même, il s'écria : je suis perdu si les flammes n'ont point épargné mon satyre, & plus encore mon cupidon. Phryné sachant le secret de Praxitele, le rassura de cette fausse allarme, & l'engagea dans la suite à lui donner le cupidon. Pouvoit-il lui rien refuser ? Elle plaça ce cupidon à Thespis sa patrie, où long-tems après on alloit encore le voir par curiosité. Quand Mummius enleva de Thespis plusieurs statues pour les envoyer à Rome, il respecta celle-ci parce qu'elle étoit consacrée à un dieu. Le cupidon de Verrès, dont parle Ciceron, étoit aussi de Praxitele, mais il étoit différent de celui-ci.

Isabelle d'Est ; grand-mere des ducs de Mantoue, possédoit entr'autres raretés la premiere & si fameuse statue de l'amour de Praxitele. Cette princesse avoit aussi dans son cabinet un admirable cupidon endormi fait d'un riche marbre de Spezzia. On fit voir à M. de Foix que la cour de France avoit envoyé en Italie, & au président de Thou qui l'accompagnoit, comme nous le lisons dans ses mémoires, cette statue de l'amour endormi, chef-d'oeuvre de Michel-Ange, qu'on ne pouvoit considérer qu'avec des transports d'admiration, & qui leur parut encore fort audessus de sa renommée ; mais lorsqu'on leur eut montré l'amour de Praxitele, ils eurent honte en quelque sorte d'avoir tant vanté le premier cupidon, & ils manquerent d'expressions pour louer le second. Ce monument antique, tel que nous le représentent tant d'ingénieuses épigrammes de l'Anthologie que la Grèce à l'envi fit autrefois à sa louange, étoit encore souillé de la terre d'où il avoit été tiré.

On dit que Michel-Ange, par une sincérité digne d'un grand homme qu'il étoit, avoit prié la comtesse Isabelle, après qu'il lui eut fait présent de son cupidon, de ne montrer aux curieux l'antique que le dernier, afin que les connoisseurs pussent juger en les voyant, de combien en ces sortes d'ouvrages les anciens l'emportent sur les modernes.

On conçoit bien que Praxitele enchanté comme il étoit de Phryné, ne manqua pas d'employer le travail de ses mains pour celle qui s'étoit rendue maîtresse de son coeur. C'est aussi ce qui arriva, selon le rapport d'Athénée, liv. III. une des statues de cette fameuse courtisanne de la main de Praxitele, fut placée depuis à Delphes même, entre celles d'Archidamus roi de Sparte, & de Philippe roi de Macédoine. Si les richesses & le desir de s'immortaliser par des faits éclatans sont des titres pour trouver place entre les rois, Phryné le méritoit ; car elle s'engageoit à rebâtir Thebes à ses dépens, pourvu que l'on y mît seulement cette inscription : ALEXANDRE A DETRUIT THEBES, ET PHRYNE L'A RETABLIE.

Les habitans de l'île de Cos avoient demandé une statue de Vénus à Praxitele : il en fit deux, dont il leur donna le choix pour le même prix. L'une étoit nue, l'autre voilée ; mais la premiere surpassoit infiniment l'autre en beauté. Cependant ceux de Cos préférerent la derniere, afin de ne point porter dans leurs temples une image si capable d'allumer des passions : Severum id ac pudicum arbitrantes.

Les Gnidiens furent moins attentifs aux scrupules des bonnes moeurs. Ils acheterent avec joie la Vénus nue, qui fit depuis la gloire de leur ville, où l'on alloit exprès de fort loin pour voir cette statue, qu'on estimoit l'ouvrage le plus achevé de Praxitele. Nicomede roi de Bithynie, en faisoit un tel cas, qu'il offrit aux habitans de Gnide d'acquiter toutes leurs dettes qui étoient fort grandes, s'ils vouloient la lui céder ; mais ils crurent que ce seroit se deshonorer, & même s'appauvrir, que de vendre à quelque prix que ce fût, une statue qu'ils regardoient comme un trésor unique. Pausanias a décrit plusieurs autres statues de ce grand maître. Quintilien & Ciceron, en peignant le caractere distinctif des divers statuaires de la Grèce, disent que celui de Praxitele qui le rendoit singulierement recommandable, étoit le beau choix qu'il savoit faire de la nature. Les graces, ajoutent-ils, conduisoient son ciseau, & son génie donnoit la vie à la matiere.

Les Thespiens acheterent 800 mines d'or une statue de Praxitele, qui fut apportée à Rome par Jules-César ; mais le plus considérable de ses ouvrages étoit la statue de Vénus, qui ouvroit à demi les levres, comme une personne qui sourit. La dureté du marbre ne faisoit rien perdre aux traits délicats d'un si beau corps. Il y avoit une marque à la cuisse de la déesse, dont Lucien a donné l'origine dans son dialogue des amours. Un jeune homme de grande naissance devint amoureux de la Vénus de Praxitele : il lui adressoit toutes ses offrandes ; enfin transporté du feu de sa passion, il se cacha la nuit dans le temple ; & le lendemain, dit Lucien, on découvrit cette marque, & l'on n'entendit plus parler du jeune homme.

Il sortit encore un autre amour du ciseau de Praxitele pour la ville de Parium, colonie de la Propontide. Cette figure, dit Pline, est égale en beauté à sa Vénus, & produisit les mêmes effets sur les soeurs d'Alchidas de Rhodes. Varron rapporte qu'on voyoit à Rome, auprès du temple de la félicité, les neuf muses, une desquelles rendit amoureux un chevalier romain, nommé Junius Pisciculus.

Les récits de cette nature se trouvent aussi quelquefois rapportés dans l'histoire de nos artistes modernes, mais ce n'est vraisemblablement que par vanité. On a donc écrit qu'un espagnol s'est laissé enfermer la nuit dans l'église de S. Pierre de Rome pour jouir d'une figure qui est au tombeau du pape Paul III. elle est de la main de Guillaume della Porta, éleve de Michel-Ange, mais sculpteur assez sec, & sa statue n'est pas trop belle ; cependant comme elle étoit trop nue, on la couvrit d'une draperie de bronze.

Rhoecus de Samos, eut pour fils Théodore & Telecles ; voilà les premiers des Grecs qui ayent eu l'art de fondre une statue. Avant eux on faisoit, dit Pausanias, une statue comme un habit, successivement & par pieces, non d'un seul jet. Il résulte de-là qu'avant la guerre de Troie, les hommes ne connoissoient pas encore le secret de fondre le métal, & de le jetter en moule. Rhoecus, Telecles, & Théodore florissoient du tems de Polycrate. Or Polycrate, contemporain de Cambyse, vivoit en la 64 olympiade, 500 ans avant l'ere chrétienne.

Salpion, athénien ; c'est à lui qu'on attribue ce beau vase antique qu'on voit à Gaïette, ville maritime du royaume de Naples, où il sert pour les fonts de baptême dans la grande église. Ce superbe morceau de sculpture avoit été construit, à ce qu'on pense, pour contenir l'eau lustrale dans quelque ancien temple des payens.

Saurus & Batrachus, architectes & sculpteurs célebres de Lacédémone, entreprirent de bâtir & d'orner à leurs dépens les temples de Rome qui étoient entre les portiques d'Octavie, & se flatterent d'y pouvoir mettre leur nom ; cependant quelque dépense qu'ils eussent faite, & quelle que fût leur habileté, on leur refusa impitoyablement ce qu'ils demandoient, & toute leur adresse se borna à semer en maniere d'ornement, des lézards & des grenouilles sur les bases & les chapiteaux de toutes les colonnes. Le nom de Saurus étoit désigné par le lézard, que les Grecs nomment , & celui de Batrachus par la grenouille, qu'ils appellent .

Scopas naquit à Paros, & fleurissoit à Ephèse vers la centieme olympiade. Il travailla avec d'illustres concurrens au fameux mausolée qu'Artémise fit ériger à Mausole son mari, mort la 106 olympiade dans la ville d'Halycarnasse. Sa colonne pour le temple de Diane d'Ephèse passoit pour la plus belle de toutes ; mais sa Vénus qui fut dans la suite transportée à Rome, étoit son chef-d'oeuvre. On a même prétendu qu'elle égaloit en beauté celle de Praxitèle. Outre Vénus, Scopas avoit fait un Phaëton, un Apollon, une Vesta avec deux filles assises à terre à ses côtés, un Neptune, une Thétis, un Achille, un Mars, & la plûpart de ces statues étoient à Rome. L'Amour, Pothos (le Desir) & Phaëton étoient encore trois statues de ses mains, qu'on voyoit avec admiration dans le temple de Vénus Praxis à Mégare. Cet excellent artiste les avoit représentées aussi diversement que ces trois choses sont différentes ; mais il faut représenter le détail entier que Pline nous a donné des ouvrages de ce grand maître.

Il fit, dit-il, Vénus, Pothos & Phaëton, qui sont adorés en Samothrace avec les cérémonies les plus saintes : l'Apollon palatin, la Vesta assise, ayant auprès d'elle deux vestales assises à terre : ce dernier morceau est très-célebre. Scopas a répété les deux vestales ; elles sont dans les bâtimens d'Asinius Pollio, où l'on voit de plus une canéphore ; mais ce que l'on trouve supérieur, & que l'on voit dans le temple de C. N. Domitius, au cirque de Flaminius, ce sont les figures de Neptune, de Thétis, d'Achille, des Néréïdes assises sur des dauphins & des chevaux marins, des tritons avec une trompe à la suite de Phorcus ; enfin plusieurs autres choses convenables aux divinités de la mer. Pline dit de ce morceau, qui selon toute apparence avoit été traité en bas-relief, magnum & praeclarum opus, etiamsi totius vitae fuisset. Ouvrage qui seroit admirable, quand il auroit occupé toute la vie d'un homme.

Nous ne connoissons pas, continue-t-il, tous les morceaux qui sont sortis de la main de cet artiste ; cependant il a exécuté Mars assis & de proportion colossale. Cette statue est placée dans le temple de Brutus Gallaïcus, dans le même cirque où l'on voit de plus une Vénus nue capable de rendre célebre tous les autres lieux qui pourroient la posséder ; mais l'air de grandeur & de magnificence qui regne partout dans la ville de Rome, peut seul étouffer la réputation de ces grands morceaux : il n'est pas possible de les admirer & de les contempler ; le mouvement des affaires détourne sans-cesse, & l'admiration des chefs-d'oeuvres a besoin du silence & de la tranquillité de l'esprit.

Cette peinture du mouvement de la ville de Rome est peut-être plus frappante que toutes celles qui se trouvent dans aucun autre auteur.

On ne sait, continue Pline, si c'est à Scopas ou à Praxitèle que l'on doit attribuer la Niobé mourante avec ses enfans ; ce grouppe est placé dans le temple d'Apollon Sosien. Le sujet de Niobé se voit encore partie dans la vigne de Médicis à Rome ; mais il est douteux si ces restes appartiennent à celui dont parle Pline.

On ignore aussi, continue toujours cet auteur, lequel de ces deux artistes, Scopas ou Praxitèle, a fait le Janus que l'on voit au temple d'Auguste, & que ce prince avoit fait apporter d'Egypte : on le sait d'autant moins que l'on a fait dorer la figure.

Voilà, dit M. de Caylus, une raison tirée de l'art ; car il est constant que toute couleur, dorure ou vernis appliqué sur une statue, ôte des finesses, empêche de distinguer la touche, émousse les vives arêtes, dénature l'expression de la chair, & par conséquent empêche souvent les connoisseurs de l'attribuer à un maître plutôt qu'à un autre. Les anciens allioient encore quelque fois, dans les ouvrages de sculpture en ronde-bosse, les marbres de couleur, l'or, l'ivoire & le bronze. Les modernes ont heureusement banni cette fausse magnificence, qui diminue, interrompt l'effet, & ne produit aux yeux qu'un papillotage sans goût.

Je reviens à Scopas, pour dire, en finissant son article, que son nom acquit de plus en plus de la célébrité, non-seulement par ses ouvrages qui subsisterent, mais parce qu'il avoit eu des émules & des rivaux d'un grand mérite. Horace, ode viij. liv. IV. en fait lui-même un bel éloge. " Si j'avois, dit-il, un cabinet enrichi des chefs-d'oeuvres de Parrhasius ou de Scopas... "

Divite me scilicet artium,

Quas aut Parrhasius, aut Scopas.

Silanion, né à Athènes, vivoit du tems d'Alexandre le grand, & se rendit très-habile dans son art, sans avoir eu de maître. Les historiens parlent de la statue d'un certain Satyrus qui avoit souvent remporté le prix aux jeux de la Grèce, de celle de l'athlete Démarate, de celle d'Achille, & de celle d'un Epistates exerçant les lutteurs. Ciceron vante extrêmement la Sapho de bronze de ce célebre statuaire. Verrès l'avoit enlevée du prytanée de Syracuse. Pline raconte que le même Silanion avoit jetté en bronze la statue d'Apollodore son confrere, homme emporté contre lui-même, & à qui il arrivoit souvent de briser ses propres ouvrages, parce qu'il ne pouvoit les porter à la souveraine perfection dont il avoit l'idée dans l'esprit ; Silanion représenta d'une maniere si vive cet emportement, que l'on croyoit voir, non Apollodore, mais la colere en personne : hoc in eo expressit, nec hominem ex aere fecit, sed iracundiam, dit Pline. Silanion écrivit un traité des proportions, suivant le témoignage de Vitruve.

Socrate. Je me garderai bien d'envier à la sculpture l'honneur qu'elle a eu de compter ce grand homme parmi ses éleves. Il étoit fils d'un statuaire, & il le fut lui-même avant que de s'attacher à la physique & à la morale. Il disoit que la sculpture lui avoit enseigné les premiers préceptes de la philosophie. On lui attribuoit communément les trois graces qu'on conservoit dans la citadelle d'Athénes ; elles n'étoient point nues, mais couvertes. Le plus sage des Grecs n'est pas le seul de son nom qui ait cultivé la sculpture ; il y avoit près de Thèbes une chapelle bâtie par Pindare, en l'honneur de Cybèle, la statue de la déesse étoit l'ouvrage de deux thébaïtes, nommés Socrate & Aristomède ; elle étoit de marbre du mont Centélique, & on ne pouvoit la voir qu'une fois l'année.

Strongilion est de tous les statuaires celui qui réussissoit le mieux à représenter des chevaux & des boeufs.

Téleclès & Théodore ; les Egyptiens, selon Diodore de Sicile, liv. I. assurent que les plus fameux des anciens sculpteurs de la Grece, ont pris des leçons chez eux. Tels furent entr'autres Téleclès & Théodore de Samos, fils de Rhoecus, qui ont fait la statue d'Apollon Pythien, qu'on voit à Samos. Téleclès, si nous les en croyons, fit à Samos une moitié de cette statue, pendant que son frere Théodore travailloit l'autre à Ephèse ; & le rapport de ces deux moitiés se trouva si parfait, que toute la figure paroissoit être d'une seule main. Ils ajoutent que cette pratique singuliere, peu connue des sculpteurs grecs, est très en vogue parmi les artistes égyptiens ; ceux-ci ne jugent pas comme les Grecs, d'une figure, par le simple coup d'oeil, mais rapportant les proportions du petit au grand, ils taillent séparément, & dans la derniere justesse, toutes les pierres qui doivent former une statue. C'est pour cela qu'ils ont divisé le corps humain en vingt-une parties & un quart, en donnant à chacune d'elles, une grandeur relative à celle des autres, & du tout ensemble ; ainsi quand les ouvriers sont une fois convenus entr'eux de la hauteur de la figure, ils vont exécuter chacun chez soi les parties dont ils sont chargés, & elles s'ajustent ensemble d'une maniere étonnante pour ceux qui ne sont pas au fait de cette pratique ; or les deux moitiés de l'Apollon de Samos, travaillées à part dans le goût égyptien, se joignent, dit-on, suivant toute la hauteur du corps, & quoiqu'il ait les deux bras étendus, & qu'il soit dans l'attitude d'un homme qui marche, sa figure entiere est dans la plus exacte proportion ; enfin cet ouvrage cede peu aux chefs-d'oeuvres de l'Egypte même, qui lui ont servi de modele.

On a de la peine à comprendre ce que Diodore rapporte ici des sculpteurs égyptiens, dit M. de Caylus, dans ses réflexions sur ce passage ; comment, ajoute-t-il, des artistes travaillans séparément, en des lieux distans l'un de l'autre, & sans se communiquer leurs opérations, pouvoient-ils chacun faire une moitié de statue, dont la réunion composoit un tout parfait ?

Si l'on croit la chose probable, il faut du moins supposer un fait que Diodore a passé sous silence ; c'est qu'il y avoit en premier lieu un modele arrêté, & sur lequel chacun s'étoit reglé. N'est-ce pas en effet ce que cet historien a prétendu faire entendre, lorsqu'il dit que les sculpteurs égyptiens, en prenant leurs mesures, rapportent les proportions du petit au grand, comme le font encore aujourd'hui nos sculpteurs. Les Grecs au-contraire, dit Diodore, jugent d'une figure par le simple coup d'oeil ; ce qui veut dire qu'ils travaillent sans modele, chose difficile, mais possible.

Au reste, le travail dont il s'agit devenoit d'autant plus facile à exécuter, que la statue de l'Apollon pythien, qu'ils avoient ainsi travaillée, étoit, à ce que rapporte le même auteur, dans le goût des statues égyptiennes, c'est-à-dire qu'elle étoit les bras étendus & collés le long du corps, les jambes, l'une en avant, l'autre en arriere, dans l'attitude de quelqu'un qui se prépare à marcher ; & c'est ainsi en effet que sont la plûpart des statues égyptiennes ; elles ne varient presque point d'attitude ; les ouvriers étant une fois convenus des mesures & des proportions générales, pouvoient travailler en quelque façon à coup sûr, & même disposer les différentes pierres qui devoient composer une statue colossale ; car il seroit ridicule de penser que les statues dont il s'agit ici, fussent des statues de grandeur naturelle. Un seul bloc, & un seul ouvrier devoient suffire pour chacune ; au lieu que pour une statue hors de proportion, il étoit naturel de distribuer les différentes parties dont elle étoit composée, à différens ouvriers.

Voilà l'utilité que les sculpteurs égyptiens tiroient de ces regles de proportion dont ils étoient convenus entr'eux ; regles qui ne peuvent pas s'entendre des justes proportions du corps humain, parce que les Grecs les connoissoient aussi-bien qu'eux, & les suivoient avec encore plus d'exactitude. Tout ce qu'il y avoit donc de différent entre les uns & les autres, c'étoit la maniere d'opérer : les Grecs travailloient sans s'assujettir à prendre des mesures sur un modele ; les Egyptiens au-contraire, faisoient de petits modeles, qui leur servoient à faire les statues en grand ; de-là vient, dit Diodore, que les sculpteurs qui devoient travailler sur un même ouvrage, étant convenus de la grandeur que doit avoir cet ouvrage, se séparent, & sans-doute, comme je crois le pouvoir ajouter, emportent chacun une copie du modele convenu ; enfin après avoir travaillé séparément, ils rapportent chacun les pieces qu'ils ont faites, & lorsqu'elles sont rejointes, elles forment un tout exact : pratique bien capable de causer de la surprise & de l'admiration à ceux qui ne sont pas au fait de cette opération.

Il n'y a donc rien que de très - faisable & de très-vraisemblable dans ce récit : on observe cependant que les statues qui nous restent des Egyptiens, ne sont toutes que d'un seul bloc ; mais ce sont celles qui sont d'une grandeur naturelle, & qui n'ont dû être l'ouvrage que d'un seul artiste ; par conséquent la pratique des sculpteurs égyptiens, dont parle Diodore, n'étoit pas générale, elle n'étoit d'usage que pour les statues colossales. Il en reste quelques-unes de cette derniere espece dans la haute Egypte, qui sont en effet composées de plusieurs blocs de marbre, du moins autant qu'on en peut juger sur les desseins. Or ces colonnes peuvent avoir été travaillées dans différens atteliers, partie par partie, & de la façon dont le dit Diodore. Ainsi en restraignant à ces sortes de statues la pratique dont il est question, il ne sera pas difficile de comprendre ce que rapporte l'historien ; & le merveilleux qui y paroît attaché, disparoîtra sans peine. Mém. de l'acad. des Inscr. tom. XIX.

Téléphanes, phocéen, n'a point fait parler de lui, & la raison du silence qu'on a gardé sur le vrai mérite de cet artiste, dit Pline, l. XXXIV. c. viij. c'est qu'il avoit travaillé pour les rois Xerxès & Darius. Bien des gens pourroient regarder cette punition comme une espece d'humeur mal entendue ; mais cette convention générale, parfaitement exécutée par tous les peuples de la Grèce, peint bien les Grecs. Elle leur fait d'autant plus d'honneur, que leur goût pour les arts & pour les bons artistes n'étoit pas douteux.

Théodore, dont j'ai déja parlé, frere de Téleclès, & qui executa le labyrinthe de Samos, réunissoit les talens de l'architecture à celui de l'art de fondre. Pline, l. XXXIV. c. viij. dit qu'il fondit en bronze en petit son portrait, & qu'il tenoit dans sa main gauche un char à quatre chevaux que couvroit une aîle de mouche. Ces sortes de badinages de l'art montrent beaucoup de délicatesse, mais ils paroissent encore plus recommandables dans le marbre, qu'en bronze, parce que sur le marbre le moule n'y peut être d'aucun secours, & que le plus petit coup donné à faux ou trop appuyé, suffit pour détruire en un moment, le travail de plusieurs mois. Voyez l'article de Callicrate, qui excelloit encore dans ces sortes d'ouvrages délicats.

Enfin on peut placer le morceau suivant de Canachus, avec celui de Théodore, c'est aussi Pline qui en fait mention, l. XXXIV. c. viij. Cervumque una ita vestigiis suspendit, ut linum subter pedes trahatur, alterno morsu digitis calceque retinentibus solum, ita vertebrato dente utrisque in partibus, ut à repulsu per vices resiliat. Ce double mouvement, dans les piés de ce cerf, qui n'étoient point arrêtés sur la plinte, chose nécessaire pour laisser passer le fil, prouve que cet ouvrage étoit d'une médiocre étendue. Cet autre mouvement des dents, d'accord ou ressemblant à celui des vertebres, annonce encore une machine qui affectoit quelques-uns des mouvemens de la nature. C'en est assez, ajoute M. de Caylus, pour prouver que les anciens ont connu d'une maniere glorieuse, toutes les opérations des arts, & même celles que l'on auroit pensé pouvoir leur disputer avec le plus d'apparence de raison.

Timothée fut chargé conjointement avec Scopas, Briaxis, & Léochares, des ornemens du mausolée qu'Artémise fit faire à Mausole son mari, roi de Carie, qui mourut la 106e Olympiade. On voit à Rome, continue Pline, dans le temple d'Apollon, une Diane de la main de Timothée, à laquelle Aulanius Evander a remis une tête. On étoit déja dans la triste obligation de restaurer les statues.

Tisagoras, artiste célebre par ses statues de fer. Il en avoit fait une qui représentoit le combat d'Hercule contre l'hydre ; on plaça cette statue dans le temple de Delphes. On ne peut, dit Pausanias in Phor. assez admirer cet ouvrage, ainsi que les têtes de lion & de sanglier du même artiste, qui sont aussi de fer & que l'on a consacrées à Bacchus dans la ville de Pergame.

Tisandre, avoit fait une grande partie des statues qui représentoient les braves officiers qui seconderent Lysander à Agios-Potamos, soit spartiates, soit alliés de Sparte. Pausanias vous en dira les noms.

Tisicrate, athénien, fleurissoit dans la 66e. olympiade, & se rendit célebre par sa belle statue de la courtisanne Leaena. Tout le monde sait l'histoire de cette fameuse courtisanne, qui ressembloit à celles de nos jours, comme nos consuls ressemblent aux consuls de Rome. Leaena ayant su le secret de la conspiration d'Harmodias & d'Aristogiton contre Hipparque, fils de Pisistrate, fut mise à la question par l'ordre du frere d'Hipparque ; mais de peur de succomber aux tourmens, elle aima mieux se couper la langue, que de risquer de découvrir les conjurés. Les Athéniens touchés de cette grandeur d'ame, éleverent en son honneur une statue qui représentoit une lionne sans langue, & Tisicrate chargé de cet ouvrage, s'en acquitta d'une façon glorieuse ; j'ai pour garans Pline, liv. XXXIV. chap. viij. Hérodote & Thucydide.

Turianus, étoit d'Etrurie ; Tarquin l'ancien le fit venir de Fregella, ville du Latium, pour faire la statue de Jupiter qu'il vouloit placer dans le capitole ; & l'on étoit encore dans l'usage, long-tems après, de peindre cette statue avec du minium. Le même Turianus fit aussi des chars à quatre chevaux ; ils furent mis sur le faîte du temple, & cet artiste joignit à tous ces ouvrages une statue d'Hercule, qui, dit Pline, hodieque materiae nomen in urbe retinet, & que l'on nomme l'Hercule de terre. Pline, livre XXXV. chap. xij.

Xénophon, statuaire d'Athènes, fit une statue de la Fortune, dont l'antiquité a beaucoup parlé. Dans cette statue, la déesse tient Plutus entre ses bras sous la forme d'un enfant ; & c'est, dit Pausanias, une idée assez ingénieuse de mettre le dieu des richesses entre les mains de la Fortune, comme si elle étoit sa nourrice ou sa mere.

Xénophon étoit contemporain & compatriote de Cephissodore. Ils firent ensemble un Jupiter assis sur son trône, ayant la ville de Mégalopolis à sa droite, & Diane conservatrice à sa gauche ; ces deux statues furent mises dans le temple de Jupiter sauveur en Arcadie.

Zénodore, fleurissoit du tems de l'empereur Néron. Il se distingua par une prodigieuse statue de Mercure, & ensuite par le colosse de Néron, d'environ cent dix ou cent vingt piés de hauteur, qui fut consacré au soleil. Vespasien fit ôter la tête de Néron, & exposer à sa place celle d'Apollon ornée de sept rayons, dont chacun avoit vingt-deux piés & demi. Mais il est bon d'entrer dans les détails que Pline, l. XXXIV. c. viij. nous a conservé de Zénodore, & qui sont intéressans ; j'y joindrai, suivant ma coutume, quelques réflexions de M. de Caylus.

Les ouvrages de Zénodore l'ont emporté sur toutes les statues de ce genre (que l'on voit en Italie) par le Mercure qu'il a exécuté en Gaule, dans la ville des Avernes ; il y travailla l'espace de dix ans, & il couta quatre cent mille sesterces. Quand il eut fait voir son habileté par les ouvrages qu'il avoit faits dans cette ville, Néron le fit venir à Rome, & l'employa à faire son portrait dans une figure colossale de cent dix piés de haut ; elle a depuis été consacrée au soleil, pour témoigner l'horreur que l'on avoit de tous les crimes de ce prince (c'est-à-dire qu'on ôta la tête de ce prince pour y mettre celle du soleil.)

Nous avons vû, continue Pline, dans l'attelier de Zénodore, non-seulement le modele de terre de ce colosse, similitudinem insignem ex argillâ, mais aussi les petites figures qui servirent au commencement de l'ouvrage, ex parvis surculis.

Ce modele, dit M. de Caylus, étoit de terre & n'étoit pas un creux, car la terre n'a pas assez de consistance pour être employée à faire des creux ; elle se cuit trop inégalement dans ses parties, ou plutôt en sechant elle se resserre & se raccourcit de façon que sa diminution est trop inégale ; donc il est question d'un modele de terre, & le mot de surculis doit être regardé comme les premieres idées, les pensées, les esquisses, les maquettes, comme on dit dans l'art, qui servent à fixer & à déterminer le choix du sculpteur dans la composition de sa figure.

Pline poursuit : cette statue fit voir que l'art de fondre étoit perdu ; Néron n'épargnant ni or ni argent pour la réussite de cette entreprise, & Zénodore étant estimé autant qu'aucun des anciens artistes, pour le talent de modéler & de réparer son ouvrage.

Ces paroles que l'art de fondre étoit perdu, veulent dire peut-être, que l'art de jetter en fonte de grands morceaux tels que les colosses étoit perdu. En ce cas celui de Néron, & le Mercure des Avernes (du pays d'Auvergne), exécutés par Zénodore, loin d'être travaillés comme tous ceux dont Pline a parlé jusques-ici, n'auroient été faits que de plaques ou de platines de cuivre soudées ou clouées.

Pendant que Zénodore travailloit à la statue des Avernes, il copia, dit Pline, deux vases dont les bas-reliefs étoient de la main de Calamis : ils appartenoient à Vibius Avitus qui commandoit dans cette province ; ils avoient été possédés par Germanicus César, qui les avoit donnés, parce qu'il les estimoit beaucoup, à Cassius son gouverneur, oncle de Vibius ; Zénodore les avoit copiés, sans qu'il y eût presque aucune différence.

Cependant, observe ici M. de Caylus, le talent de Zénodore est plus prouvé par les deux grands modeles qu'il a faits, que pour la copie de ces deux vases : un artiste médiocre peut en venir à bout, & satisfaire, étonner même des gens peu délicats ; mais il faut toujours de grandes parties dans l'esprit & des connoissances fort étendues dans l'art, pour exécuter heureusement des machines pareilles à ces colosses ; le détail de la fonte ne change rien à la grandeur du génie nécessaire pour la production d'une figure de plus de cent piés de proportion. (Tous les articles des sculpteurs anciens sont de M(D.J.) )

SCULPTEURS MODERNES, (Artistes en Sculpture) nous n'entendons pas sous ce nom les sculpteurs goths, mais les célebres maîtres qui se sont illustrés dans cette carriere depuis la renaissance des beaux-arts en Italie, c'est-à-dire depuis le commencement du xvj. siecle : voici les principaux qui nous sont connus.

Algarde, italien, fleurissoit vers le milieu du xvij. siecle. Entr'autres ouvrages de cet artiste supérieur, on admire son bas-relief qui représente saint Pierre & saint Paul en l'air, menaçant Attila qui venoit à Rome pour la saccager. Ce bas-relief sert de tableau à un des petits autels de la basilique de saint Pierre.

Il ne faut pas moins de génie pour tirer du marbre une composition pareille à celle de l'Attila, que pour la peindre sur une toile. En effet, la poesie & les expressions en sont aussi touchantes que celle du tableau où Raphaël a traité le même sujet, & l'exécution du sculpteur qui semble avoir trouvé le clair obscur avec son ciseau, paroît d'un plus grand mérite que celle du maître de la peinture. Les figures qu'on voit sur le devant de ce superbe morceau, sont presque de ronde-bosse ; elles sont de véritables statues. Celles qu'il a placées derriere ont moins de relief, & leurs traits sont plus ou moins marqués, selon qu'elles s'enfoncent dans le lointain. Enfin la composition finit par plusieurs figures dessinées sur la superficie du marbre par de simples traits. Il est vrai que l'Algarde n'a pas tiré de son génie la premiere idée de son exécution ; mais il a du-moins perfectionné, par l'ouvrage dont il s'agit, le grand art des bas-reliefs ; & quand le pape Innocent X. donna trente mille écus à l'Algarde pour un ouvrage de cette espece, cette récompense étoit plus noble qu'excessive.

On sait sans-doute que l'Algarde fut aussi chargé par le même pape de restaurer la figure d'un Hercule qui combat l'hydre, & que l'on conserve à Rome dans le palais Verospi ; il s'en acquitta si bien que les parties rétablies ayant été retrouvées dans la suite, on a laissé l'ouvrage de l'Algarde, & l'on s'est contenté de placer auprès de la statue les parties antiques, pour mettre les curieux à portée d'en faire la comparaison, & rendre justice à l'artiste moderne.

Auguier (François), natif du comté d'Eu, mort à Paris en 1669. Son cizeau donnoit du sentiment au marbre. Ses figures sont encore remarquables par la beauté & la vérité de l'expression. Il a fait l'autel du Val-de-grace & la Crêche ; le beau crucifix de marbre de la Sorbonne ; la sculpture du cardinal de Bérulle dans l'église de l'Oratoire ; la sépulture des Montmorenci à Moulins, & quelques statues d'après les antiques.

Auguier (Michel), mort en 1680, âgé de 74 ans, frere de François Auguier ; il se distingua dans le même art que lui. Il est bien connu par l'Amphitrite de marbre qu'on voit dans le parc de Versailles, par les ouvrages de la porte saint Denis, par les figures du portail du Val-de-grace, & par d'autres.

Bachelier (Nicolas) natif de Toulouse ou de Luques, fut éleve de Michel-Ange. Etant à Toulouse sous le regne de François I. il y établit le bon goût ; & en bannit la maniere gothique qui avoit été en usage jusqu'alors ; ses ouvrages de sculpture qui subsistent dans quelques églises de cette ville, se distinguent toujours avec estime, malgré la dorure qu'on y a mise, & qui leur a ôté cette grace & cette délicatesse que cet habile homme leur avoit données. Il fleurissoit encore en 1550.

Bandinelli (Baccio) né à Florence en 1487, mort dans la même ville en 1559. Les morceaux qu'il a faits en sculpture à Rome & à Florence sont extrêmement estimés ; on l'a repris seulement avec raison, d'avoir mis à côté de la statue d'Adam qu'il fit pour l'église cathédrale de Florence, une statue d'Eve de sa main, plus haute que celle de son mari. D'ailleurs les deux statues sont également belles ; c'est lui qui a restauré le bras droit du grouppe de Laocoon, j'entends le bras qui est élevé & qui concourt si bien à l'action de la figure principale. Ce grand artiste imitateur & contemporain de Michel-Ange, ne voulut point rétablir cette partie en marbre, dans l'espérance que l'on trouveroit un jour le morceau de l'original ; il est donc encore aujourd'hui en terre cuite. Baccio est si bien entré dans l'esprit de l'antique, que si par hasard on retrouvoit le bras perdu, la comparaison ne seroit pas des honorable au sculpteur florentin.

Bernini (Jean-Laurent) vulgairement appellé le cavalier Bernin, né à Naples en 1598, mort à Rome en 1680, est un de ces grands artistes que la nature présente rarement sur la terre. Louis XIV. signala sa magnificence à son égard, lorsqu'il le fit venir à Paris en 1665, pour travailler au dessein du Louvre ; on voit en France de ce maître célebre, le buste du roi dans la salle de Vénus, & la statue équestre de Marcus-Curtius, au-delà de la piece des Suisses à Versailles ; mais il a sur-tout embelli Rome de plusieurs monumens qui font l'admiration des connoisseurs ; telle est l'extase de sainte Thérèse de ce grand maître. On compte dans la seule église de S. Pierre quinze morceaux de son invention, le maître autel, le tabernacle, la chaire de saint Pierre, les tombeaux d'Urbain VIII. & d'Alexandre VII. la statue équestre de Constantin, la colonnade, la fontaine de la place Navonne, &c. Tous ces ouvrages, pour le dire en un mot, ont une élégance & une expression dignes de l'antique ; ses figures sont remplies de vie, de tendresse & de vérité.

Bologne (Jean de) né à Douay, mort à Florence vers le commencement du dix-septieme siecle. Il se rendit un des bons sculpteurs d'Italie, & orna la place publique de Florence de ce grouppe de marbre que l'on y voit encore, & qui représente l'enlevement d'une sabine. Le cheval sur lequel on a mis depuis la statue d'Henri IV, placée au milieu du Pont-Neuf à Paris, est de ce grand maître ; il a fait plusieurs autres statues équestres, il a dirigé la fonte d'un très-grand nombre d'autres statues ou bas - reliefs qui lui ont acquis beaucoup d'honneur.

Bousseau (Jacques) né en Poitou en 1681, mort à Madrid en 1740, éleve de M. Coustoux, l'aîné ; il devint professeur de l'académie de Sculpture, & finalement sculpteur en chef du roi d'Espagne.

Buister (Philippe) natif de Bruxelles, vint en France vers le milieu du dix-septieme siecle. Son éloge sera l'énumération de ses principaux ouvrages : tels sont le tombeau du cardinal de la Rochefoucault, placé dans une chapelle de sainte Génevieve ; deux satyres grouppés, un joueur de tambour de basque, & la déesse Flore ; tous morceaux estimés qui ornent le parc de Versailles.

Cellini (Bénvenuto) artiste célebre, & homme de guerre, né à Florence l'an 1500, mort dans la même ville en 1570, nous a donné un traité sur la sculpture, & la maniere de travailler l'or.

Comte (Louis le) mort à Paris en 1691, âgé de cinquante-un ans, a fait dans cette ville quelques ouvrages estimés. On voit de sa main à Versailles deux grouppes, dont un représente Vénus & Adonis, & l'autre Zéphire & Flore ; le cocher du cirque qui sert d'ornement à la porte des écuries, est encore de cet artiste.

Coustou (Nicolas) né à Lyon en 1658, mort à Paris en 1733, de l'académie de Sculpture. Son pere Nicolas Coustou, sculpteur en bois, lui apprit les élémens de son art. Il se mit ensuite sous la discipline du célebre Coysevox, son oncle. Enfin, il remporta le prix de sculpture, & partit pour l'Italie en qualité de pensionnaire du roi. C'est dans ce séjour qu'il fit la belle statue de l'empereur Commode, representé en Hercule, & qui est dans les jardins de Versailles. Le ciseau de cet excellent homme, conduit par la belle nature, ne fut pas oisif. Il travailla toujours pour sa gloire & celle de la France ; ce fut lui qu'on chargea de la plûpart des riches morceaux de sculpture qui ornent l'église des Invalides.

Sans entrer dans le détail de ses ouvrages, il suffit de citer la statue pédestre de Jules-César, le grouppe des fleuves, représentant la Seine & la Marne qu'on voit aux Tuileries ; & le superbe grouppe placé derriere le maître autel de l'église de Notre-Dame à Paris, qu'on appelle communément le Voeu de Louis XIII.

On remarque dans les productions de ce maître, un génie élevé, un goût sage & délicat, un beau choix, un dessein pur, des attitudes vraies & pleines de noblesse, des draperies élégantes & moëlleuses ; il mourut en 1746, âgé de soixante-neuf ans. Son mérite l'avoit élevé à la dignité de recteur & à celle de directeur de l'académie de Sculpture. Son nom célebre dans les Arts est encore soutenu avec distinction par MM. Coustou de la même académie.

Coysevox (Antoine) né à Lyon en 1640, mort en 1720, montra dans son enfance, par les progrès qu'il fit dans son art, ce qu'il devoit être un jour. On ne pourroit sans trop s'étendre, marquer tous les ouvrages qui sont sortis de ses mains. Il a travaillé plusieurs fois à différens bustes de Louis XIV ; le grand escalier, les jardins, la galerie de Versailles sont ornés de ses morceaux de sculpture. Il a fait encore des mausolées qui décorent plusieurs églises de Paris ; ce maître joignit à une grande correction de dessein, beaucoup de génie & d'art dans ses compositions : il rendoit aussi heureusement la naïveté que la noblesse, & la force que la grace, suivant les caracteres qu'il vouloit donner à ses figures. On connoît les deux grouppes prodigieux de Mercure & de la Renommée assis sur des chevaux aîlés, qui ont été posés dans les jardins de Marly en 1702, chaque grouppe soutenu d'un trophée, a été taillé d'un seul bloc de marbre ; & tous deux quoique travaillés avec un feu surprenant, & une correction peu commune, n'ont pas couté deux ans de travail à notre célebre artiste ; cependant cet ouvrage souffriroit peut-être la comparaison avec le Marcus-Curtius du cavalier Bernin qui est à Versailles.

Dante (Vincent) mort à Pérouse l'an 1576, âgé de quarante-six ans, entendoit la sculpture & l'architecture. La statue de Jules III. qu'il fit à Pérouse, a passé pendant quelque tems pour un chef-d'oeuvre.

Desjardins (François) natif de Breda, mort en 1694, a exécuté le monument de la place des Victoires à Paris.

Donato né à Florence vivoit dans le xv. siecle. Le sénat de Venise le choisit pour la statue équestre de bronze que la république fit élever à Gattamelata, ce grand capitaine, qui de la plus basse extraction étoit parvenu jusqu'au grade de général des armées des Vénitiens, & leur avoit fait remporter plusieurs victoires remarquables ; mais le chef-d'oeuvre de Donato, étoit une Judith coupant la tête d'Holopherne.

Le Flamand (François Quesnoy, surnommé le Flamand, de Bruxelles), artiste admirable, & qui tient un des premiers rangs dans la sculpture par le goût, la correction du dessein, & la belle imitation de l'antique. Quand on examine à Rome les ouvrages de ce maître, son S. André par exemple, qui est dans l'église de S. Pierre, peut-on douter que l'artiste n'ait beaucoup étudié le gladiateur, l'Apollon, l'Antinoüs, Castor & Pollux, la Vénus de Médicis & l'Hermaphrodite ? Il est mort à Livourne en 1644, à 52 ans.

Gendre (Nicolas le), né à Estampes, mort à Paris en 1670, âgé de 52 ans, a montré dans ses ouvrages de sculpture, une sagesse & un repos qui se font remarquer avec distinction.

Girardon (François), né à Troyes en Champagne en 1627, marié à mademoiselle du Chemin, renommée pour son talent à peindre les fleurs, & mort en 1698. Ses ouvrages sont précieux pour la correction du dessein, & par la beauté de l'ordonnance. Il a presque égalé l'antiquité par les bains d'Apollon ; par le tombeau du cardinal de Richelieu, qui est dans l'église de la Sorbonne, & par la statue équestre de Louis XIV. qui est à la place Vendôme. Les connoisseurs qui se sont attachés à comparer les statues de Girardon & du Puget, ont trouvé plus de grace dans celles de Girardon, & plus d'expression dans celles du Puget. Ce grand maître avoit au Louvre une galerie précieuse par les morceaux choisis qu'elle renfermoit.

Grace au Phidias de notre âge,

Me voilà sûr de vivre autant que l'univers ;

Et ne connût - on plus ni mon nom, ni mes vers,

Dans ce marbre fameux, taillé sur mon visage,

De Girardon toujours on vantera l'ouvrage.

Ce sont les vers de Despréaux sur le buste de marbre que fit de lui le célebre Girardon, & dont on a tiré tant de copies.

Cet habile maître est presque le seul d'entre les modernes, qui par les bains d'Apollon, ait osé imiter les sujets fort composés que traitoient les anciens, & qu'ils rendoient par de beaux grouppes de grandes figures.

Gonnelli (Jean), surnommé l'aveugle de Cambassi, du nom de sa patrie en Toscane, mort à Rome sous le pontificat d'Urbain VIII. Les progrès qu'il fit dans son art sous la discipline de Pierre Tacca, annonçoient du génie ; mais on eut lieu de craindre que ses talens ne devinssent stériles, lorsqu'il perdit la vûe à l'âge de 20. ans Cependant ce malheur ne l'empêcha pas d'exercer la sculpture ; il faisoit des figures de terre cuite qu'il conduisoit à leur perfection, se laissant guider par le seul sentiment du tact. C'est ainsi qu'il représenta Côme I. grand duc de Toscane. Il entreprit quelque chose de plus, il essaya de faire de la même maniere des portraits ressemblans ; mais c'étoit porter trop loin de flatteuses espérances.

Goujon (Jean), parisien, fleurissoit sous les regnes de François I. & de Henri II. il travailla pour la gloire de la nation. Ses ouvrages nous retracent les beautés simples & sublimes de l'antique. Un auteur moderne le nomme le Correge de la Sculpture, parce qu'il a toujours consulté les Graces. Personne n'a mieux entendu que lui les figures de demi-relief. Rien n'est plus beau en ce genre, que sa fontaine des Innocens, rue S. Denis à Paris. Un ouvrage de sa main, qui n'est pas moins curieux, est une espece de tribune soutenue par des caryatides gigantesques, & qui est au Louvre dans la salle des cent Suisses. Sarrasin a cru devoir imiter ces figures, d'un goût exquis & d'un dessein admirable. M. Perrault les a fait graver par Sebastien le Clerc, dans sa traduction de Vitruve. On voit encore des ouvrages du Goujon à la porte S. Antoine & ailleurs. Il fut l'architecte & le sculpteur de l'hôtel de Carnavalet ; & Mansard chargé de le finir, suivit scrupuleusement les plans tracés par Goujon.

Gros (Pierre le), né à Paris en 1666, mort à Rome en 1719. Il a eu part aux plus superbes morceaux de sculpture qui aient été faits dans cette capitale des beaux arts. Tel est son grand relief de Louis Gonzague, qui fut posé sur l'autel du college Romain, & qui a été gravé. Tel est son bas-relief du mont de Piété, son tombeau du cardinal Cassanata, la statue mourante de Stanislas Koska, au noviciat des jésuites, dont M. Crozat le jeune possédoit le modele. Tel est encore le grouppe du triomphe de la religion sur l'hérésie, qui orne l'église de Giésu. On connoit à Paris, le bas - relief fait par ce célebre artiste, pour l'église de S. Jacques des Incurables. Enfin on admire tous les ouvrages de le Gros.

Guillain (Simon), né à Paris, mort en 1658 âgé de 77 ans. On lui doit les figures qui sont posées dans les niches du portail de la Sorbonne, & quelques autres ouvrages qui lui font honneur.

Hongre (Etienne le), natif de Paris, reçu à l'académie de sculpture en 1668, mort en 1690, âgé de 62 ans. Ce maître a embelli les jardins de Versailles de plusieurs ouvrages. Tels sont une figure représentant l'air, Vertumne & Pomone en therme, &c.

Keller (Jean Baltazar), artiste incomparable dans l'art de fondre en bronze. Né à Zurich, il s'établit en France où il réussit le dernier Décembre 1692, dans la fonte de la statue équestre de Louis XIV. qui est haute de 20 piés & toute d'une piece, comme on la voit dans la place de Vendôme. Il y a d'autres ouvrages admirables de sa main dans le jardin de Versailles & ailleurs. Louis XIV. lui donna l'intendance de la fonderie de l'Arsénal. Il mourut en 1702. Son frere, Jean-Jacques, fut aussi très-habile dans la même profession.

Lérambert (Louis), né & mort à Paris en 1670, âgé de 56 ans. Il y a plusieurs de ses ouvrages dans le parc de Versailles.

Lorrain (Robert le), né à Paris en 1666, mort dans la même ville en 1743. Il fut éleve de Girardon. Ce grand maître le regardoit comme un des plus habiles dessinateurs de son siecle. Il le chargeoit à l'âge de 18 ans, d'instruire ses enfans & de corriger ses éleves. Ce fut lui & le Nourrisson qu'il choisit pour travailler au mausolée du cardinal de Richelieu.

Le Lorrain auroit eu un nom plus célebre dans les arts, s'il eût possédé le talent de se faire valoir, comme il avoit celui de l'exécution. On remarqua dans ses compositions un dessein pur & savant, une expression élégante, un bon choix & des têtes précieuses. On connoit sa Galathée. Il fit aussi un Bacchus pour les jardins de Versailles, un Faune pour ceux de Marly, &c. Mais ses principaux ouvrages sont dans le palais episcopal de Saverne.

Magniere (Laurent), parisien, reçu à l'académie royale de Peinture & de Sculpture en 1667, mort en 1700 âgé de 82. ans. Ses talens l'ont placé au rang des artistes du siecle de Louis XIV. Il a fait pour les jardins de Versailles, plusieurs thermes représentant Ulysse, le printems & Circé.

Marcy (Baltazar), né à Cambrai en 1620, mort à Paris en 1674, frere de Gaspard Marcy, aussi sculpteur, mort en 1681. Ces deux artistes ont travaillé ensemble au bassin de Latone du jardin de Versailles, où cette déesse & ses enfans sont représentés en marbre. Balthazar Marcy s'est montré digne de mêler ses travaux avec le célebre Girardon, en faisant les chevaux des bains d'Apollon, qui sont effectivement d'une grande beauté.

Margaritone, né en Toscane dans le xiij. siecle. Il n'est connu que par la sculpture du tombeau de Grégoire X.

Mazeline (Pierre), natif de Rouen, reçu à l'académie de Sculpture en 1668, mort en 1708 âgé de 76 ans. Il a fait quelques morceaux estimés, comme l'Europe & Apollon pythien d'après l'antique, qui sont dans les jardins de Versailles.

Michel - Ange Buonarota, également célebre en sculpture comme en peinture. Il fut mis jeune dans un village, dont la plûpart des habitans étoient sculpteurs, & en particulier le mari de sa nourrice ; ce qui lui fit dire qu'il avoit sucé la sculpture avec le lait. A seize ans il avoit déja fait dans cet art des progrès singuliers. Pendant que le pape Jules II. demeuroit à Boulogne, il lui ordonna de faire sa statue de la hauteur de cinq brasses, & de la jetter en bronze. Cette statue haussoit un bras dans une attitude si fiere, que sa Sainteté demanda à Michel-Ange, si elle donnoit la bénédiction ou la malédiction. Elle avertit le peuple de Boulogne d'être plus sage à l'avenir, répondit Michel-Ange. Ayant demandé à son tour au pape, s'il ne devoit pas mettre un livre dans l'autre main ; mettez-y plutôt une épée, répliqua Jules, je ne suis pas homme de lettres. Cette statue de Jules fit beaucoup d'honneur à Michel-Ange ; mais il a immortalisé sa gloire par sa statue de Bacchus, & par celle de Cupidon en grandeur naturelle, qu'il donna à la princesse Isabelle d'Est. Ce sont des chefs-d'oeuvres qu'on ne se lasse point de voir & de louer.

On sait encore qu'ayant fait la figure d'un autre Cupidon différent de celui dont je viens de parler, il porta cette figure à Rome, lui cassa un bras qu'il retint, & enterra le reste dans un endroit qu'il savoit qu'on devoit nécessairement fouiller. En effet, cette figure ayant été trouvée quelque-tems après, dans le lieu où il l'avoit ensévelie, fut exposée à la vue des connoisseurs qui l'admirerent. On la vendit pour une antique précieuse au cardinal de S. Grégoire ; alors Michel-Ange détrompa tout le monde, en produisant le bras qu'il s'étoit réservé. Il est beau d'être assez habile pour imiter les anciens, jusqu'à tromper les yeux des plus savans ; il n'est pas moins beau d'être assez modeste, pour avouer qu'on leur est de beaucoup inférieur, comme le reconnut Michel-Ange. Enfin, je le retrouve toujours du premier rang des modernes en sculpture, en peinture & en architecture.

Pautre (Pierre le) né à Paris en 1659, mort dans la même ville, en 1744. Son pere Antoine le Pautre, bon architecte, développa ses talens pour le dessein. L'étude de la nature & des grands maîtres le perfectionnerent. Cet habile artiste fut directeur de l'académie de S. Luc. On voit de ses ouvrages à Marly. Il fut chargé de finir le grouppe d'Arrie & de Paetus, commencé à Rome par Théodon. Le grouppe d'Enée est entierement de lui. Ces deux morceaux ornent le jardin des Tuileries.

Pilon (Germain) sculpteur & architecte, natif de Paris, vivoit dans le xvj. siecle. Il fut un de ces hommes nés pour cultiver les arts, & porter dans leur patrie le vrai goût du beau. On voit plusieurs de ses ouvrages dans les églises de notre capitale, qui plaisent aux curieux.

Pisani (André), mort à Florence, en 1389, âgé de 60 ans. Il fit connoître ses talens pour la sculpture par les figures de marbre dont il orna l'église de Santa-Maria del Fiore, à Florence.

Ponce (Paul) florentin, se distinguoit en France sous les regnes de François II. & de Charles IX. Il y a plusieurs de ses ouvrages aux célestins. Il a taillé la colomne semée de flammes, & accompagnée de trois génies portant des flambeaux, avec une urne qui renferme le coeur de François II. On voit aussi de cet artiste, dans la même église, le tombeau en pierre, avec la figure de Charlemagne, vétue militairement.

Puget (Pierre), le Michel-Ange de la France, admirable sculpteur, bon peintre, excellent architecte, naquit à Marseille en 1623, de parens qui manquoient du bien nécessaire pour soutenir leur nom.

Les talens qu'avoit le jeune Puget pour le dessein parurent dès qu'il put manier le crayon. On le mit à l'âge de 14 ans chez un habile sculpteur de Marseille, & qui passoit pour le meilleur constructeur de galeres du pays. Il fut si satisfait de son éleve, après deux ans d'apprentissage, qu'il lui confia le soin de la sculpture & de la construction d'un de ses bâtimens ; mais Puget curieux de se perfectionner, se rendit à Florence chez le grand-duc, & passa de-là à Rome, où il s'appliqua tout entier à la peinture.

Il resta près de 15 ans dans cette capitale des beaux arts. De retour dans sa patrie, il inventa ces belles galeres du royaume, que les étrangers ont tâché d'imiter. Il embellit Toulon, Marseille & Aix de plusieurs tableaux qui font encore l'honneur des églises des capucins & des jésuites. Tels sont une annonciation, le baptême de Constantin, le tableau qu'on appelle le Sauveur du monde, &c. L'éducation d'Achille est le dernier ouvrage qu'il ait fait en ce genre.

La sculpture devint, après une maladie dangereuse qu'il eut en 1657, sa passion favorite, soit qu'elle lui coutât moins, soit que les modeles qu'il fit dans sa convalescence l'amusassent plus agréablement, il ne peignit plus depuis ce tems-là ; mais il embellit Toulon d'excellens ouvrages en sculpture. On y admire toujours les ornemens qu'il fit pour la porte de l'hôtel-de-ville de cette place. Les armes de France en bas-relief de marbre qui ornent l'hôtel-de-ville de Marseille, sont aussi de sa main.

M. Fouquet instruit par la renommée des talens du Puget, le chargea d'aller choisir en Italie les plus beaux blocs de marbre qu'il destinoit à la sculpture du royaume, & tandis qu'on en chargeoit quelques bâtimens à Gènes, notre artiste s'occupa à faire ce bel Hercule, qu'on mit à Sceaux, & qui est couché sur un bouclier aux fleurs-de-lis de France. Dans ces conjectures M. Fouquet fut disgracié, ce qui devint un obstacle au retour du Puget, dont l'étranger profita pour avoir de ses chefs-d'oeuvres. Le duc de Mantoue obtint de lui un bas-relief de l'assomption, auquel le cavalier Bernin prodigua ses éloges.

Enfin M. de Colbert, qui veilloit aux progrès des arts, rappella ce célebre artiste dans le royaume, & l'honora d'une pension de douze cent écus, en qualité de sculpteur & directeur des ouvrages qui regardoient les vaisseaux & les galeres. Alors le Puget avide de travailler à des monumens qui passassent à la postérité, entreprit son bas-relief d'Alexandre & de Diogene ; ce monument qu'il n'a pu achever que sur la fin de ses jours, est le plus grand morceau de sculpture qu'il ait exécuté.

Mais Milon Crotoniate est la premiere & la plus belle statue qui ait paru à Versailles de la main du Puget. On croit voir le sang circuler dans les veines de Milon ; la douleur & la rage sont exprimés sur son visage ; tous les muscles de son corps marquent les efforts que fait cet athlete pour dégager sa main, laquelle étoit prise dans le tronc d'un arbre qu'il avoit voulu fendre, tandis que de l'autre, il arrache la langue de la gueule d'un lion qui le mordoit par derriere.

Après la mort de Colbert, M. de Louvois, sur-intendant des bâtimens, engagea le Puget à travailler à un grouppe, pour accompagner celui de Milon ; le Puget exécuta son Andromède & Persée. On est tenté de toucher les chairs de l'Andromède ; & quoique la figure en paroisse un peu trop raccourcie, on y trouve cependant les mêmes proportions que dans la Vénus de Médicis.

Le dernier ouvrage du Puget, est le bas-relief de S. Charles, où la peste de Milan est représentée d'une maniere si touchante. Le Puget avoit modelé en cire la figure équestre de Louis XIV. que l'on devoit ériger dans la place royale de Marseille, dont il avoit aussi donné le dessein. Girardon conservoit précieusement quelques marines à la plume de la main de ce grand maître.

Les morceaux de sculpture de cet artiste inimitable, ainsi que Louis XIV. le nommoit, pourroient être comparés à l'antique, pour le grand goût & la correction du dessein, pour la noblesse de ses caracteres, pour la beauté de ses idées, le feu de ses expressions, & l'heureuse fécondité de son génie. Le marbre s'amollissoit sous son ciseau, prenoit entre ses mains du sentiment, & cette flexibilité qui caractérise si bien les chairs, & les fait sentir même au-travers des draperies. Cet admirable artiste est mort dans la ville qui lui donna la naissance, en 1695, âgé de 72 ans.

Quellins (Artus), né à Anvers, a fait pour sa patrie des morceaux de sculpture, qui le mettent au rang des bons artistes flamans. Il est neveu d'Erasme Quellins, qu'on regarde comme le dernier peintre de l'école de Rubens.

Regnauldin (Thomas), natif de Moulins, mort à Paris en 1706, âgé de 79 ans, a fait quelques morceaux assez estimés. On voit de lui dans les jardins de Versailles l'Antonine & Faustine, & aux Tuileries le grouppe qui représente l'enlevement de Cybele par Saturne sous la figure du Tems.

Rossi (Propertia), cette demoiselle fleurissoit à Boulogne sous le pontificat de Clément VII. La musique qu'elle possédoit faisoit son amusement, & la sculpture son occupation. D'abord elle modela des figures de terre qu'elle dessinoit, ensuite elle travailla sur le bois ; enfin elle s'exerça sur la pierre, & fit pour décorer la façade de l'église de sainte Pétrone, plusieurs statues de marbre, qui lui mériterent l'éloge des connoisseurs ; mais une passion malheureuse pour un jeune homme qui n'y répondit point, la jetta dans une langueur qui précipita la fin de ses jours. Dans cet état, se rappellant l'histoire de la femme de Putiphar & de Joseph, elle représenta en bas-relief cette histoire, qui avoit quelque rapport à sa situation, & rendit naturellement la figure de Joseph d'après celle de son amant. Ce morceau de sculpture fut le dernier ouvrage, & le chef-d'oeuvre de Propertia. Mais Angelo Rossi en a fait d'autres d'un goût presque égal à l'antique, & qui passeront à la postérité.

Rustici (Jean-François) florentin, jetta la plûpart de ses statues en bronze. On a loué une Léda de sa main, une Europe, un Neptune, un Vulcain ; un homme à cheval d'une hauteur extraordinaire, & une femme d'une forme colossale. Il vint en France en 1528, & y fut employé le reste de ses jours par François I. à plusieurs ouvrages.

Sarasin (Jacques), né à Noyon en 1598, mort en 1660. Il vint dès sa plus tendre enfance à Paris, où il apprit à dessiner & à modeler ; mais comme la France sortoit encore d'une espece de barbarie pour les beaux arts, & que la sculpture y manquoit de maîtres pour en montrer les charmes & le génie, il alla s'en instruire à Rome, & y demeura pendant l'espace de 18 ans. Là il fit pour le cardinal Aldobrandin un Atlas & un Polyphème qui soutenoient presque la comparaison avec les beaux ouvrages d'Italie. En revenant de Rome, il exerça son ciseau à un S. Jean-Baptiste & un S. Bruno, qui passent pour un des plus singuliers ornemens de la chartreuse de Lyon. De retour à Paris, il fut employé pour les églises, & fit en particulier pour le roi les caryatides qui embellissent un des dômes du Louvre du côté de la cour ; car ces figures, quoique colossales, sont néanmoins très-dégagées, & semblent très-légeres ; il fit deux morceaux considérables dans l'église des jésuites de Paris : le premier est deux grands anges d'argent en l'air, tenant chacun d'une main un coeur d'argent. Je dis que ces anges sont en l'air, parce qu'ils ne sont attachés à l'arcade sous laquelle ils semblent voler effectivement, que par quelques barres de fer qu'on ne voit point. Le second morceau de sa main, est le mausolée de Henri de Bourbon prince de Condé, mausolée taillé dans le beau, & qu'on admireroit à tous égards, si le sacré & le profane, la Piété avec Minerve, ne s'y trouvoient mélangées. On voit de ce célebre artiste dans l'église des carmélites du fauxbourg S. Jacques, le tombeau du cardinal de Bérulle ; dans l'église du noviciat des jésuites, & dans celle de S. Jacques de la Boucherie, deux crucifix de sa main. Ces productions de son génie sont d'une grande beauté. Parmi les ouvrages de son ciseau pour Versailles, on ne doit pas oublier de citer le grouppe de Rémus & de Romulus alaités par une chevre ; & on voit à Marly un autre grouppe également estimé, représentant deux enfans qui se jouent avec un bouc. Mais pendant que Sarrasin avançoit sa carriere dans l'art de la sculpture, le Puget s'y élevoit pour le surpasser un jour.

Tadda (Francisco), sculpteur d'Italie, fleurissoit au milieu du xvj. siecle. Ayant trouvé quelques morceaux de porphyre parmi des pieces de vieux marbre, il essaya de les joindre, & d'en composer un bassin de fontaine pour Côme de Médicis, grand-duc de Toscane, & il réussit dans son entreprise. On dit qu'il fit distiller certaines herbes dont il retira une eau qui avoit la vertu de coller ensemble toutes sortes de morceaux de porphyre brisé. Si ce n'est point un conte que ce secret, il fut enterré avec lui.

Théodon, né en France dans le xvij. siecle, perfectionna ses talens en Italie, & devint sculpteur de la fabrique de S. Pierre. Un des deux grouppes de l'église de Jésus à Rome est de sa main, & l'autre de celle de le Gros. Les plus habiles sculpteurs qui fussent alors en Italie, présenterent chacun leur modele ; & ces modeles ayant été exposés, il fut décidé sur la voix publique, que celui de Théodon & celui de le Gros étoient les meilleurs. Théodon fit encore un autre grouppe, qu'on cite aujourd'hui parmi les chefs-d'oeuvres de la Rome moderne.

Tuby dit le Romain (Jean-Baptiste) de l'académie de sculpture, mort à Paris en 1700, âgé de 70 ans. Il tient un rang distingué parmi les artistes qui ont paru sous le regne de Louis XIV. On voit de lui dans les jardins de Versailles, une figure représentant le poëme lyrique. Il a encore embelli les jardins de Trianon, par une copie du fameux grouppe de Laocoon. Le mausolée du vicomte de Turenne enterré à S. Denys, est sans contredit le plus beau de particuliers honorés d'une sépulture à côté de nos rois. Le Brun en a tracé le plan, & Tuby l'a exécuté. On y voit l'Immortalité qui tient d'une main une couronne de laurier, & qui soutient de l'autre ce grand homme. La Sagesse & la Vertu sont à ses côtés. La premiere est étonnée du coup funeste qui enleve ce héros à la France, & l'autre est plongée dans la consternation.

Van-Clève (Corneille) originaire de Flandres, né à Paris, a été un des bons sculpteurs de France. On voit dans plusieurs églises de Paris, dans les maisons royales, & dans les provinces, quantité de beaux ouvrages sortis de ses mains. Il est mort en 1733, âgé de 89. ans.

Van-Obstal (Gérard), natif d'Anvers, mort à Paris en 1668, âgé de 73 ans. Il avoit beaucoup de talens pour les bas-reliefs, & travailloit admirablement bien l'ivoire ; la figure du roi que l'on voit posée sur la porte Saint-Antoine, est de cet habile maître.

Verrochio, (André) nâquit à Florence en 1432, & mourut en 1488. Il tailla dans sa patrie les tombeaux des Médicis ; mais son chef-d'oeuvre est un enfant de bronze pêchant à la ligne. Les deux têtes de métal en demi-relief, l'une d'Alexandre le grand, & l'autre de Darius, qu'il fit pour Laurent de Médicis, furent encore admirées. Il jetta en bronze à Venise la statue équestre de Barthelemi de Bergame ; & l'application qu'il y donna fut la cause de sa mort. J'ai parlé de cet artiste comme peintre, au mot ECOLE FLORENTINE.

Volterre (Daniel de) il a quelquefois quitté le pinceau pour le ciseau. Le cheval qui porte la statue de Louis XIII. dans la place royale à Paris, a été fondu d'un seul jet par Volterre. Voyez son article parmi les peintres, au mot ECOLE.

Zumbo, (Gaetano Giulio) né à Syracuse en 1656, mort à Paris en 1701. Il devint sculpteur sans autre maître que son génie. Il ne se servit dans tous ses ouvrages que d'une cire coloriée, qu'il préparoit pourtant d'une maniere particuliere. Ce secret à la vérité ne lui fut pas particulier, Warin & le Bel l'avoient eu avant lui ; mais les morceaux que notre artiste fit avec cette matiere excellerent sur tous les autres en ce genre par leur perfection. Le grand duc de Toscane lui donna des marques d'une bienveillance distinguée. Pendant le tems qu'il fut à ce prince, il exécuta ce sujet renommé sous le nom de la Corruzione, ouvrage curieux pour la vérité, l'intelligence, & les connoissances qui s'y font remarquer. Ce sont cinq figures coloriées au naturel, dont la premiere représente un homme mourant, la seconde un corps mort, la troisieme un corps qui commence à se corrompre, la quatrieme un corps qui est corrompu, & la cinquieme un cadavre plein de pourriture, que l'on ne sauroit regarder sans être saisi d'une espece d'horreur, tant l'ingénieux sculpteur a su y mettre de force & de vérité. Le grand-duc plaça cet ouvrage dans son cabinet.

Zumbo étant à Gènes, y employa quatre ou cinq ans à travailler une nativité du Sauveur & une descente de croix, qu'on peut regarder comme ses chefs-d'oeuvres. Il s'associa dans cette ville à un chirurgien françois nommé Desnoues, afin de représenter avec sa cire coloriée toutes les parties du corps ; le chirurgien disséquoit ; & le sculpteur représentoit. Son plus beau morceau dans ce genre a été un corps de femme avec son enfant. La France fut le terme des voyages de Zumbo ; il y travailla à plusieurs pieces d'anatomie ; & composa entr'autres la tête préparée pour une démonstration anatomique. L'académie des Sciences en a fait l'éloge dans son hist. année 1701. Tous les curieux voulurent la voir, & M. le duc d'Orléans, qui avoit un goût très - éclairé, ne dédaigna pas d'aller chez Zumbo l'examiner à loisir.

Voilà les principaux sculpteurs de l'Europe, depuis environ deux siecles & demi. Il est bon de remarquer que le souverain qui ne sauroit trouver une certaine quantité de jeunes gens qui puissent à l'aide des moyens qu'il leur donne, devenir un jour des Raphaëls & des Carraches, en trouve un grand nombre qui peuvent par son secours devenir de bons sculpteurs. L'école qui n'a pas été formée en des tems où les causes physiques voulussent bien concourir avec les causes morales, enfante ainsi des hommes excellens dans la Sculpture, au lieu de produire des peintres du premier ordre. C'est precisément ce que nous savons être arrivé dans ce royaume : depuis le renouvellement des Arts, on n'a guere rassemblé en un seul lieu le grand nombre de bons sculpteurs en tout genre & en toute espece qu'on a vu en France sous le regne de Louis XIV. ils ont même laissé des éleves qui marchent sur leurs traces ; tels sont MM. Adam, Bouchardon, Falconet, le Moine, Pigal, Sloots, Vassé, &c. Leurs ouvrages feront leur éloge, & seront peut-être les derniers soupirs de notre sculpture.

Tous les articles des sculpteurs modernes sont de M(D.J.)


SCULPTURES. f. (Beaux arts) On définit la Sculpture un art qui par le moyen du dessein & de la matiere solide, imite avec le ciseau les objets palpables de la nature. Pour traiter ce sujet avec un peu de méthode, nous considérerons séparément la sculpture antique & la sculpture moderne ; mais avant que de parler de l'une & de l'autre, nous croyons devoir transcrire ici une partie des réflexions de M. Etienne Falconet sur la Sculpture en général : il les a mises au jour tout récemment, & comme il a déclaré qu'elles étoient destinées pour l'Encyclopédie, nous allons remplir l'intention de cet habile artiste, & le laisser parler lui-même.

La Sculpture, dit-il, ainsi que l'Histoire, est le dépôt le plus durable des vertus des hommes & de leurs foiblesses. Si nous avons dans la statue de Vénus l'objet d'un culte dissolu, nous avons dans celle de Marc-Aurele un monument célebre des hommages rendus à un bien-faiteur de l'humanité.

Cet art, en nous montrant les vices déifiés, rend encore plus frappantes les horreurs que nous transmet l'Histoire ; pendant que d'un autre côté les traits précieux qui nous restent de ces hommes rares, qui auroient dû vivre autant que leurs statues, raniment en nous ce sentiment d'une noble émulation, qui porte l'ame aux vertus qui les ont préservés de l'oubli. César voit la statue d'Alexandre, il tombe dans une profonde réverie, laisse échapper des larmes & s'écrie : " Quel fut ton bonheur ! A l'âge que j'ai, tu avois déja soumis une partie de la terre, & moi je n'ai encore rien fait pour ma propre gloire ". Il n'en fit que trop pour l'ensevelir sous les ruines de sa patrie.

Le but le plus digne de la Sculpture, en l'envisageant du côté moral, est donc de perpétuer la mémoire des hommes illustres, & de donner des modeles de vertu d'autant plus efficaces, que ceux qui les pratiquoient ne peuvent plus être les objets de l'envie. Nous avons le portrait de Socrate, & nous le vénérons. Qui sait si nous aurions le courage d'aimer Socrate vivant parmi nous ?

La Sculpture a un autre objet, moins utile en apparence, c'est lorsqu'elle traite des sujets de simple décoration ou d'agrément ; mais alors elle n'en est pas moins propre à porter l'ame au bien ou au mal. Quelquefois elle n'excitera que des sensations indifférentes. Un sculpteur, ainsi qu'un écrivain, est donc louable ou repréhensible, selon que les sujets qu'il traite sont honnêtes ou licencieux.

En se proposant l'imitation des surfaces du corps humain, la Sculpture ne doit pas s'en tenir à une ressemblance froide ; cette sorte de vérité, quoique bien rendue, ne pourroit exciter par son exactitude qu'une louange aussi froide que la ressemblance ; & l'ame du spectateur ne seroit point émue. C'est la nature vivante, animée, passionnée, que le sculpteur doit exprimer sur le marbre, le bronze, la pierre, &c.

Tout ce qui est pour le sculpteur un objet d'imitation, doit lui être un sujet continuel d'étude ; cette étude éclairée par le génie, conduite par le goût & la raison, exécutée avec précision, encouragée par l'attention bienfaisante des souverains, & par les conseils & les éloges des grands artistes, produira des chefs-d'oeuvres semblables à ces monumens précieux qui ont triomphé de la barbarie des siecles. Ainsi les sculpteurs qui ne s'en tiendront pas à un tribut de louanges, d'ailleurs si légitimement dûes à ces ouvrages sublimes, mais qui les étudieront profondément, qui les prendront pour regle de leurs productions, acquerront cette supériorité que nous admirons dans les statues grecques.

Non-seulement les belles statues de l'antiquité seront notre aliment, mais encore toutes les productions du génie, quelles qu'elles soient. La lecture d'Homere, ce peintre sublime, élevera l'ame de l'artiste, & lui fournira des images de grandeur & de majesté.

Ce que le génie du sculpteur peut créer de plus noble & de plus sublime, ne doit être que l'expression des rapports possibles de la nature, de ses effets, de ses jeux, de ses hazards : c'est-à-dire que le beau, même idéal, en Sculpture comme en Peinture, doit être un résumé du beau réel de la nature. Il existe un beau essentiel, mais épars dans les différentes parties de l'univers. Sentir, assembler, rapprocher, choisir, supposer même diverses parties de ce beau, soit dans le caractere d'une figure, comme l'Apollon, soit dans l'ordonnance d'une composition, comme ces hardiesses de Lanfranc, du Correge, & de Rubens ; c'est montrer dans l'art ce beau idéal qui a son principe dans la nature.

La Sculpture est sur-tout ennemie de ces attitudes forcées que la nature désavoue, & que quelques artistes ont employées sans nécessité, & seulement pour montrer qu'ils savoient se jouer du dessein. Elle l'est également de ces draperies dont toute la richesse est dans les ornemens superflus d'un bizarre arrangement de plis. Enfin, elle est ennemie des contrastes trop recherchés dans la composition, ainsi que dans la distribution affectée des ombres & des lumieres. En vain prétendroit-on que c'est la machine ; au fond ce n'est que du désordre, & une cause certaine de l'embarras du spectateur, & du peu d'action de l'ouvrage sur son ame : plus les efforts que l'on fait pour nous émouvoir sont à découvert, moins nous sommes émus ; d'où il faut conclure que moins l'artiste emploie de moyens à produire un effet, plus il a de mérite à le produire, & plus le spectateur se livre volontiers à l'impression qu'on a cherché à faire sur lui. C'est par la simplicité de ces moyens que les chefs-d'oeuvres de la Grece ont été créés, comme pour servir éternellement de modeles aux artistes.

La Sculpture embrasse moins d'objets que la Peinture ; mais ceux qu'elle se propose, & qui sont communs aux deux arts, sont des plus difficiles à représenter : savoir l'expression, la science des contours, l'art pénible de draper & de distinguer les différentes especes des étoffes.

La Sculpture a des difficultés qui lui sont particulieres. 1°. Un sculpteur n'est dispensé d'aucune partie de son étude à la faveur des ombres, des fuyans, des tournans, & des raccourcis. 2°. S'il a bien composé & bien rendu une vûe de son ouvrage, il n'a satisfait qu'à une partie de son opération, puisque cet ouvrage peut avoir autant de points de vûe qu'il y a de points dans l'espace qui l'environne. 3°. Un sculpteur doit avoir l'imagination aussi forte qu'un peintre, je ne dis pas aussi abondante ; il lui faut de plus une ténacité dans le génie, qui le mette au-dessus du dégoût causé par le méchanisme, la fatigue, & la lenteur de ses opérations. Le génie ne s'acquiert point, il se développe, s'étend & se fortifie par l'exercice. Un sculpteur exerce le sien moins souvent qu'un peintre ; difficulté de plus, puisque dans un ouvrage de sculpture il doit y avoir du génie comme dans un ouvrage de peinture. 4°. Le sculpteur étant privé du charme séduisant de la couleur, quelle intelligence ne doit-il pas y avoir dans ses moyens pour attirer l'attention ? Pour la fixer, quelle précision, quelle vérité, quel choix d'expression ne doit-il pas mettre dans ses ouvrages ?

On doit donc exiger d'un sculpteur non-seulement l'intérêt qui résulte du tout ensemble, mais encore celui de chacune des parties de cet ensemble ; l'ouvrage du sculpteur n'étant le plus souvent composé que d'une seule figure, dans laquelle il ne lui est pas possible de réunir les différentes causes qui produisent l'intérêt dans un tableau. La Peinture, indépendamment de la variété des couleurs, intéresse par les différens grouppes, les attributs, les ornemens, les expressions de plusieurs personnages qui concourent au sujet. Elle intéresse par les fonds, par le lieu de la scene, par l'effet général : en un mot elle impose par la totalité. Mais le sculpteur n'a le plus souvent qu'un mot à dire ; il faut que ce mot soit sublime. C'est parlà qu'il fera mouvoir les ressorts de l'ame, à-proportion qu'elle sera sensible, & que le sculpteur aura approché du but.

Ce n'est pas que de très-habiles sculpteurs n'aient emprunté les secours dont la Peinture tire avantage par le coloris : Rome & Paris en fournissent des exemples. Sans-doute que des matériaux de diverses couleurs employés avec intelligence, produiroient quelques effets pittoresques ; mais distribués sans harmonie, cet assemblage rend la Sculpture désagréable, & même choquante. Le brillant de la dorure, la rencontre brusque des couleurs discordantes de différens marbres, éblouira l'oeil d'une populace toujours subjuguée par le clinquant ; & l'homme de goût sera révolté. Le plus certain seroit de n'employer l'or, le bronze, & les différens marbres, qu'à titre de décoration, & ne pas ôter à la sculpture proprement dite son vrai caractere, pour ne lui en donner qu'un faux, ou pour le moins toujours équivoque. Ainsi, en demeurant dans les bornes qui lui sont prescrites, la sculpture ne perdra aucun de ses avantages, ce qui lui arriveroit certainement si elle vouloit employer tous ceux de la peinture. Chacun de ces arts a ses moyens d'imitation ; la couleur n'en est point un pour la sculpture.

Mais si ce moyen qui appartient proprement à la peinture, est pour elle un avantage, combien de difficultés n'a-t-elle pas qui sont entierement étrangeres à la sculpture ? Cette facilité de produire l'illusion par le coloris, est elle-même une très-grande difficulté ; la rareté de ce talent ne le prouve que trop. Autant d'objets que le peintre a de plus que le sculpteur à représenter, autant d'études particulieres. L'imitation vraie des ciels, des eaux, des paysages, des différens instans du jour, des effets variés de la lumiere, & la loi de n'éclairer un tableau que par le seul soleil, exigent des connoissances & des travaux nécessaires au peintre, dont le sculpteur est entierement dispensé. Ce ne seroit pas connoître ces deux arts, si on ôtoit leurs rapports. Ce seroit une erreur, si on donnoit quelque préférence à l'un aux dépens de l'autre, à cause de leurs difficultés particulieres.

La peinture est encore agréable, même lorsqu'elle est dépourvue de l'enthousiasme & du génie qui la caractérise ; mais sans l'appui de ces deux bases, les productions de la sculpture sont insipides. Que le génie les inspire également, rien n'empêchera qu'elles ne soient dans la plus intime union, malgré les différences qu'il y a dans quelques-unes de leurs marches ; si ces arts ne sont pas semblables en tout, il y a toujours la ressemblance de famille.

Facies non omnibus una,

Nec diversa tamen, qualem decet esse sororum.

Ovid. Met. l. II.

Appuyons donc là-dessus : c'est l'intérêt des arts. Appuyons-y encore, pour éclairer ceux qui en jugent, sans en connoître les principes : ce qui arrive assez souvent même à des esprits du premier ordre.

Si par une erreur, dont on voit heureusement peu d'exemples, un sculpteur alloit prendre pour de l'enthousiasme & du génie, cette fougue déraisonnée qui emportoit le Boromini, qu'il soit persuadé que de pareils écarts, bien loin d'embellir les objets, les éloignent du vrai, & ne servent qu'à représenter les désordres de l'imagination. Quoique cet artiste ne fût pas sculpteur, il peut être cité comme un exemple dangereux, parce que le même esprit qui conduit l'architecte, conduit aussi le peintre & le sculpteur. L'artiste dont les moyens sont simples, est à découvert ; il s'expose à être jugé d'autant plus aisément, qu'il n'employe aucun vain prestige pour échapper à l'examen, & souvent masquer ainsi sa non-valeur. N'appellons donc point beautés dans quelque ouvrage que ce soit, ce qui ne feroit qu'éblouir les yeux, & tendroit à corrompre le goût. Ce goût si vanté avec raison dans les productions de l'esprit humain, n'est que le résultat de ce qu'opere le bon sens sur nos idées : trop vives, il sait les réduire, leur donner un frein : trop languissantes, il sait les animer. C'est à cet heureux tempérament que la sculpture, ainsi que tous les arts inventés pour plaire, doit ses vraies beautés, les seules durables.

Comme la sculpture comporte la plus rigide exactitude, un dessein négligé y seroit moins supportable que dans la peinture. Ce n'est pas à dire que Raphael & le Dominiquain n'aient été de très-corrects & savans dessinateurs, & que tous les grands peintres ne regardent cette partie comme essentielle à l'art ; mais à la rigueur, un tableau où elle ne domineroit pas, pourroit intéresser par d'autres beautés. La preuve en est dans quelques femmes peintes par Rubens, qui malgré le caractere flamand & incorrect, séduiront toujours par le charme du coloris. exécutez-les en sculpture sur le même caractere du dessein, le charme sera considérablement diminué, s'il n'est entierement détruit. L'essai seroit bien pire sur quelques figures de Rimbrand.

Pourquoi est-il encore moins permis au sculpteur qu'au peintre de négliger quelques-unes des parties de son art ? Cela tient peut-être à trois considérations : au tems que l'artiste donne à son ouvrage ; nous ne pouvons supporter qu'un homme ait employé de longues années à faire une chose commune : au prix de la matiere employée : quelle comparaison d'un morceau de toile à un bloc de marbre ! à la durée de l'ouvrage, tout ce qui est autour du marbre s'anéantit ; mais le marbre reste. Brisées même, ses pieces portent encore aux siecles à venir de quoi louer ou blâmer.

Après avoir indiqué l'objet & le caractere général de la sculpture, on doit la considérer encore comme soumise à des loix particulieres qui doivent être connues de l'artiste, pour ne pas les enfreindre, ni les étendre au-delà de leurs limites.

Ce seroit trop étendre ces loix, si on disoit que la sculpture ne peut se livrer à l'essor dans ses compositions, par la contrainte où elle est de se soumettre aux dimensions d'un bloc de marbre. Il ne faut que voir le Gladiateur & l'Atalante : ces figures grecques prouvent assez que le marbre obéit, quand le sculpteur sait lui commander.

Mais cette liberté que le sculpteur a, pour ainsi dire, de faire croître le marbre, ne doit pas aller jusqu'à embarrasser les formes extérieures de ses figures par des détails excédens & contraires à l'action & au mouvement représenté. Il faut que l'ouvrage se détachant sur un fond d'air, ou d'arbre, ou d'architecture, s'annonce sans équivoque, du plus loin qu'il pourra se distinguer. Les lumieres & les ombres largement distribuées concourront aussi à déterminer les principales formes & l'effet général. A quelque distance que s'apperçoivent le Gladiateur & l'Apollon, leur action n'est point douteuse.

Parmi les difficultés de la sculpture, il en est une fort connue, & qui mérite les plus grandes attentions de l'artiste : c'est l'impossibilité de revenir sur lui-même, lorsque son marbre est dégrossi, & d'y faire quelque changement essentiel dans la composition, ou dans quelqu'une de ses parties. Raison bien forte pour l'obliger à réfléchir son modele, & à l'arrêter, de maniere qu'il puisse conduire sûrement les opérations du marbre. C'est pourquoi dans de grands ouvrages, la plûpart des sculpteurs font leurs modeles, au moins ils les ébauchent sur la place où doit être l'objet. Par-là, ils s'assurent invariablement des lumieres, des ombres & du juste ensemble de l'ouvrage, qui étant composé au jour de l'attelier, pourroit y faire un bon effet, & sur la place un fort mauvais.

Mais cette difficulté va plus loin encore. Le modele bien réfléchi & bien arrêté, je suppose au sculpteur un instant d'assoupissement ou de délire. S'il travaille alors, je lui vois estropier quelque partie importante de sa figure, en croyant suivre & même perfectionner son modele. Le lendemain, la tête en meilleur état, il reconnoit le désordre de la veille, sans pouvoir y remédier.

Heureux avantage de la peinture ! Elle n'est point assujettie à cette loi rigoureuse. Le peintre change, corrige, refait à son gré sur la toile ; au pis aller, il la réimprime, ou il en prend une autre. Le sculpteur peut-il ainsi disposer du marbre ? S'il falloit qu'il recommençât son ouvrage, la perte du tems, les fatigues & les dépenses pourroient-elles se comparer ?

De plus, si le peintre a tracé des lignes justes, établi des ombres & des lumieres à-propos, un aspect ou un jour différent ne lui ravira pas entierement le fruit de son intelligence & de ses soins ; mais dans un ouvrage de sculpture composé pour produire des lumieres & des ombres harmonieuses, faites venir de la droite le jour qui venoit de la gauche, ou d'en-bas celui qui venoit d'en-haut, vous ne trouverez plus d'effet ; ou il n'y en aura que de desagréables, si l'artiste n'a pas su en ménager pour les différens jours. Souvent aussi, en voulant accorder toutes les vues de son ouvrage, le sculpteur risque de vraies beautés, pour ne trouver qu'un accord médiocre. Heureux, si les soins pénibles ne le réfroidissent pas, & parviennent à la perfection dans cette partie !

Pour donner plus de jour à cette réflexion, j'en rapporterai une de M. le comte de Caylus.

" La peinture, dit-il, choisit celui des trois jours qui peuvent éclairer une surface. La sculpture est à l'abri du choix, elle les a tous ; & cette abondance n'est pour elle qu'une multiplicité d'étude & d'embarras ; car elle est obligée de considérer, de penser toutes les parties de sa figure, & de les travailler en conséquence ; c'est elle-même, en quelque façon, qui s'éclaire ; c'est sa composition qui lui donne ses jours, & qui distribue ses lumieres. A cet égard, le sculpteur est plus créateur que le peintre ; mais cette vanité n'est satisfaite qu'aux dépens de beaucoup de réflexions & de fatigues. "

Quand un sculpteur a surmonté ces difficultés, les artistes & les vrais connoisseurs lui en savent gré sans-doute ; mais combien de personnes, même de ceux à qui nos arts plaisent, qui ne connoissant pas la difficulté, ne connoitront pas le prix de l'avoir surmontée ?

Le nud est le principal objet de l'étude du sculpteur. Les fondemens de cette étude sont la connoissance des os, de l'anatomie extérieure, & l'imitation assidue de toutes les parties & de tous les mouvemens du corps humain. L'école de Paris & celle de Rome exigent cet exercice, & facilitent aux éleves cette connoissance nécessaire. Mais comme le naturel peut avoir ses défauts, que le jeune éleve, à force de les voir & de les copier, doit naturellement transmettre dans ses ouvrages ; il lui faut un guide sûr, pour lui faire connoître les justes proportions & les belles formes.

Les statues grecques sont le guide le plus sûr ; elles sont & seront toujours la regle de la précision, de la grace & de la noblesse, comme étant la plus parfaite représentation du corps humain. Si l'on s'en tient à un examen superficiel, ces statues ne paroîtront pas extraordinaires, ni même difficiles à imiter ; mais l'artiste intelligent & attentif découvrira dans quelques-unes les plus profondes connoissances du dessein, & s'il est permis d'employer ici ce mot, toute l'énergie du naturel. Aussi les sculpteurs qui ont le plus étudié & avec choix, les figures antiques, ont-ils été les plus distingués. Je dis avec choix, & je crois cette remarque fondée.

Quelque belles que soient les statues antiques, elles sont des productions humaines, par conséquent susceptibles des foiblesses de l'humanité : il seroit donc dangereux pour l'artiste d'accorder indistinctement son admiration à tout ce qui s'appelle antiquité. Il arriveroit qu'après avoir admiré dans certains antiques, de prétendues merveilles qui n'y sont pas, il feroit des efforts pour se les approprier, & il ne seroit point admiré. Il faut qu'un discernement éclairé, judicieux & sans préjugés, lui fasse connoître les beautés & les défauts des anciens, & que les ayant appréciés, il marche sur leurs traces avec d'autant plus de confiance, qu'alors elles le conduiront toujours au grand. C'est dans ce discernement judicieux que paroît la justesse de l'esprit ; & les talens du sculpteur sont toujours en proportion de cette justesse. Une connoissance médiocre de nos arts chez les Grecs suffit pour voir qu'ils avoient aussi leurs instans de sommeil. Le même goût régnoit ; mais le savoir n'étoit pas le même chez tous les artistes. L'éleve d'un sculpteur excellent pouvoit avoir la maniere de son maître, sans en avoir la tête.

De toutes les figures antiques qui ont passé jusqu'à nous, les plus propres à donner le grand principe du nud, sont le Gladiateur, l'Apollon, le Laocoon, l'Hercule Farnèse, le Torse, l'Antinoüs, le grouppe de Castor & Pollux, l'Hermaphrodite & la Vénus de Médicis ; ce sont aussi les chefs - d'oeuvres que les sculpteurs modernes doivent sans-cesse étudier, pour en faire passer les beautés dans leurs ouvrages ; cependant l'étude la plus profonde des figures antiques, la connoissance la plus parfaite des muscles, la précision du trait, l'art même de rendre les passages harmonieux de la peau, & d'exprimer les ressorts du corps humain ; ce savoir, dis-je, n'est que pour les yeux des artistes, & pour ceux d'un très-petit nombre de connoisseurs.

Mais comme la sculpture ne se fait pas seulement pour ceux qui l'exercent, ou ceux qui y ont acquis des lumieres, il faut encore que le sculpteur, pour mériter tous les suffrages, joigne aux études qui lui sont nécessaires, un talent supérieur. Ce talent si essentiel & si rare, quoiqu'il puisse être à la portée de tous les artistes, c'est le sentiment. Il doit être inséparable de toutes leurs productions. C'est lui qui les vivifie ; si les autres études en sont la base, le sentiment en est l'ame. Les connoissances acquises ne sont que particulieres ; mais le sentiment est à tous les hommes ; il est universel à cet égard ; tous les hommes sont juges des ouvrages où il régne.

Exprimer les formes des corps, & n'y pas joindre le sentiment, c'est ne remplir son objet qu'à demi : vouloir le répandre par-tout, sans égard pour la précision, c'est ne faire que des esquisses, & ne produire que des rêves dont l'impression se dissipe en ne voyant plus l'ouvrage, même en le regardant plus long-tems. Joindre ces deux parties (mais quelle difficulté !) c'est le sublime de la sculpture.

Nous avons étalé les merveilles qu'elle a produites, en parlant des Sculpteurs ; nous allons continuer de la considérer comme antique & moderne. Enfin le lecteur trouvera la maniere dont elle opere en marbre, en pierre, en bois, en plâtre, en carton, en bronze. Pour ce qui regarde ses deux parties les plus intéressantes, qui sont les bas-reliefs, & l'art de draper, on les a traité aux mots RELIEF bas, & DRAPERIES. Article de M. FALCONET le sculpteur.

SCULPTURE ANTIQUE, (Art d'imitation) c'est principalement de celle des beaux jours de la Grece & de Rome, dont il s'agit d'entretenir ici le lecteur. Je ne m'arrêterai point à rechercher l'époque de ce bel art : elle se perd dans l'obscurité des siecles les plus reculés, & ressemble à cet égard aux autres arts d'une imitation sensible, tels que sont l'Architecture, la Peinture & la Musique. D'habiles gens donnent même à la Sculpture le droit d'aînesse sur l'Architecture, quoiqu'il paroisse naturel de regarder l'Architecture comme l'enfant de la nécessité, comme le fruit des premiers besoins des hommes qu'ils ont été obligés d'inventer, & dont ils ont fait leur occupation long-tems avant que d'imaginer la Sculpture, qui n'est que l'effet du loisir & du luxe : comment donc peut-il arriver que l'Architecture ait été devancée par un art qu'on n'a dû n'imaginer que long-tems après ?

On répond que le sculpteur ayant pour objet, par exemple, une figure humaine, le sculpteur a eu dans ses premieres & ses plus grossieres ébauches l'avantage de trouver un modele dans la nature ; car c'est dans l'imitation parfaite de la nature que consiste la perfection de son art ; mais il a fallu pour l'architecte que son imitation cherchât des proportions qui ne tombent pas de la même maniere sous les sens, & qui néanmoins une fois établies se conservent & se copient plus aisément.

Quoi qu'il en puisse être, la Sculpture a commencé par s'exercer sur de l'argille, soit pour former des statues, soit pour former des moules & des modeles. Les premieres statues qu'on s'avisa d'ériger aux dieux ne furent d'abord que de terre, auxquelles pour tout ornement on donnoit une couleur rouge. Des hommes qui honoroient sincerement de telles divinités ne doivent pas, dit Pline, nous faire honte. Ils ne faisoient cas de l'or & de l'argent ni pour eux-mêmes ni pour leurs dieux. Juvenal appelle une statue, comme celle que Tarquin l'ancien fit mettre dans le temple du pere des dieux, le Jupiter de terre, que l'or n'avoit point gâté ni souillé.

Fictilis, & nullo violatus Jupiter auro.

Ensuite on fit des statues du bois des arbres qui ne sont pas sujets à se corrompre, ni à être endommagés des vers, comme le citronnier, l'ébene, le cyprès, le palmier, l'olivier.

Jamais le ciel ne fut aux humains si facile,

Que quand Jupiter même étoit de simple bois :

Depuis qu'on le fit d'or, il fut sourd à leurs voix.

Après le bois, les métaux, les pierres les plus dures, & sur-tout le marbre, devinrent la matiere la plus ordinaire & la plus recherchée des ouvrages de sculpture. On en tiroit des carrieres de Paros & de Chio, & bientôt presque tous les pays en fournirent. L'usage de l'ivoire dans les ouvrages de sculpture étoit connu dès les premiers tems de la Grece.

Quoique les Egyptiens passent pour être les inventeurs de la Sculpture, ils n'ont point la même part que les Grecs & que les Romains, à la gloire de cet art. Les sculptures qui sont constamment des égyptiens, c'est-à-dire celles qui sont attachées aux bâtimens antiques de l'Egypte, celles qui sont sur leurs obélisques & sur leurs mumies n'approchent pas des sculptures faites en Grece & en Italie. S'il se rencontre quelque sphinx d'une beauté merveilleuse, on peut croire qu'il est l'ouvrage de quelque sculpteur grec, qui se sera diverti à faire des figures égyptiennes, comme nos peintres s'amusent quelquefois à imiter dans leurs ouvrages, les figures des tableaux des Indes & de la Chine. Nous mêmes n'avons-nous pas eu des artistes qui se sont divertis à faire des sphinx ? On en compte plusieurs dans les jardins de Versailles qui sont des originaux de nos sculpteurs modernes. Pline ne nous vante dans son livre aucun chef d'oeuvre de sculpture fait par un égyptien, lui qui nous fait de si longues & de si belles énumérations des ouvrages des artistes célebres. Nous voyons même que les sculpteurs grecs alloient travailler en Egypte.

Comme ils avoient forgé des dieux & des déesses, il falloit bien par honneur qu'ils leur élevassent des temples ornés de colonnes, d'architraves, de frontons & de diverses statues, dont le travail étoit encore bien plus estimable que le marbre dont on les formoit. Ce marbre sortoit si beau des mains des Myrons, des Phidias, des Scopas, des Praxiteles, qu'il fut l'objet de l'adoration des peuples, tellement éblouis par la majesté de leurs dieux de marbre ou de bronze, qu'ils n'en pouvoient plus soutenir l'éclat. On a vu des villes entieres chez ce peuple facile à émouvoir, s'imaginer voir changer le visage de leurs dieux. C'est ainsi que parle Pline des superbes statues de Diane & d'Hecate, dont l'une étoit à Scio & l'autre à Ephese.

C'est donc à la Grece que la sculpture est redevable de la souveraine perfection où elle a été portée. La grandeur de Rome qui devoit s'élever sur les débris de celle des successeurs d'Alexandre, demeura longtems dans la simplicité rustique de ses premiers dictateurs & de ses consuls, qui n'estimoient & n'exerçoient d'autres arts que ceux qui servent à la guerre & aux besoins de la vie. On ne commença à avoir du goût pour les statues & les autres ouvrages de sculpture qu'après que Marcellus, Scipion, Flaminius, Paul Emile & Mummius eurent exposé aux yeux des Romains ce que Syracuse, l'Asie, la Macédoine, Corinthe, l'Achaïe & la Béotie avoient de plus beaux ouvrages de l'art. Rome vit avec admiration les tableaux, les marbres, & tout ce qui sert de décoration aux temples & aux places publiques. On se piqua d'en étudier les beautés, d'en discerner toute la délicatesse, d'en connoître le prix, & cette intelligence devint un nouveau mérite, mais en même tems l'occasion d'un abus funeste à l'état. Mummius, après la prise de Corinthe, chargeant des entrepreneurs de faire transporter à Rome quantité de statues & de tableaux de la main des premiers maîtres, les menaça s'il s'en perdoit ou s'en gâtoit en chemin, de les obliger d'en fournir d'autres à leurs dépens. Cette grossiere ignorance n'est-elle pas, dit un historien, infiniment préférable à la prétendue science qui en prit bientôt la place ? Foiblesse étrange de l'humanité ! L'innocence est-elle donc attachée à l'ignorance ? Et faut-il que des connoissances & un goût estimables en soi ne puissent s'acquérir sans que les moeurs en souffrent, par un abus dont la honte retombe quelquefois, quoiqu'injustement, sur les arts mêmes ?

Ce nouveau goût pour les pieces rares fut bientôt porté à l'excès. Ce fut à qui orneroit le plus superbement ses maisons, à la ville & à la campagne. Le gouvernement des pays conquis leur en offroit les occasions. Tant que les moeurs ne furent pas corrompues, il n'étoit pas permis aux gouverneurs de rien acheter des peuples que le sénat leur soumettoit, parce que, dit Ciceron, quand le vendeur n'a pas la liberté de vendre les choses au prix qu'elles valent, ce n'est plus une vente de sa part, c'est une violence qu'on lui fait. On sait que ces merveilles de l'art qui portent le nom des grands-maîtres, étoient souvent sans prix. En effet, elles n'en ont point d'autre que celui qu'y mettent l'imagination, la passion, &, pour me servir de l'expression de Séneque, la fureur de quelques particuliers. Les gouverneurs de provinces achetoient pour rien ce qui étoit fort estimé ; encore étoient-ce les plus modérés ; la plûpart usoient de force & de violence.

L'histoire nous en a fourni des preuves dans la personne de Verrès, préteur de Sicile ; & il n'étoit pas le seul qui en usât de la sorte. Il est vrai que sur cet article il porta l'impudence à un excès qui ne se conçoit point. Ciceron ne sait pas comment l'appeller ; passion, maladie, folie, brigandage : il ne trouve point de nom qui l'exprime assez fortement ; ni bienséance, ni sentiment d'honneur, ni crainte des loix, rien n'arrêtoit Verrès. Il comptoit être dans la Sicile, comme dans un pays de conquête : nulle statue, soit petite, soit grande, pour peu qu'elle fût estimée & précieuse, n'échappoit à ses mains rapaces. Pour dire tout en un mot, Ciceron prétend que la curiosité de Verrès avoit plus couté de dieux à Syracuse, que la victoire de Marcellus ne lui avoit couté d'hommes.

Dès que Rome eut commencé à dépouiller la Grece de ses précieux ouvrages de sculpture, dont elle enrichit ses temples & ses places publiques, il se forma dans son sein des artistes qui tâcherent de les imiter ; un esclave qui réussissoit en ce genre, devenoit un trésor pour son maître, soit qu'il voulût vendre la personne, ou les ouvrages de cet esclave. On peut donc imaginer avec quel soin ils recevoient une éducation propre à perfectionner leurs talens. Enfin les superbes monumens de la sculpture romaine parurent sous le siecle d'Auguste ; nous n'avons rien de plus beau que les morceaux qui furent faits sous le regne de ce prince ; tels sont le buste d'Agrippa son gendre, qu'on a vu dans la galerie du grand-duc de Florence, le Ciceron de la vigne Mathéi, les chapiteaux des colonnes du temple de Jules César, qui sont encore debout au milieu du Campo-Vaccino, & que tous les Sculpteurs de l'Europe sont convenus de prendre pour modele quand ils traitent l'ordre corinthien. Cependant les Romains eux-mêmes dans le siecle de leur splendeur ne disputérent aux illustres de la Grece que la science du gouvernement ; ils les reconnurent pour leurs maîtres dans les beaux-arts, & nommément dans celui de la Sculpture. Pline est ici du même sentiment que Virgile.

Les figures romaines ont une sorte de fierté majestueuse, qui peint bien le caractere de cette nation maîtresse du monde ; elles sont aisées à distinguer des figures grecques qui ont des graces négligées. A Rome, on voiloit les figures par des draperies convenables aux différens états, mais on ne rendoit pas la nature avec autant de souplesse & d'esprit qu'on la rendoit à Athènes. Quoique les Romains missent en oeuvre dans leurs représentations, ainsi que les Grecs, le marbre, le bronze, l'or, l'argent & les pierres précieuses, ces richesses de la matiere ne sont point celles de l'art. Ce qu'on y aime davantage, c'est la perfection de l'imitation & l'élégance de l'exécution, dont les Grecs firent leur principale étude. Les mouvemens du corps qu'ils voyoient tous les jours dans leurs spectacles publics n'auroient point été applaudis par ce peuple délicat, s'ils n'eussent été faits avec grace & avec vérité ; & c'est de cette école de la belle nature que sortirent les ouvrages admirables de leur ciseau.

Les signes visibles des passions sont non-seulement dans les gestes du corps & dans l'air du visage, mais ils doivent encore se trouver dans les situations que prennent les plus petits muscles. C'est en quoi les Grecs qui copioient une nature habituée à l'émotion, surent donner à leurs ouvrages une vérité, une force, une finesse d'expression, qu'aucun autre peuple n'a su rendre.

Avant qu'ils eussent porté la Sculpture à ce degré d'excellence, plusieurs nations s'étoient occupées à la pratique du même art. S'il est vrai que l'amour inspira les premiers traits de cette imitation, il ne voulut pas lui accorder des progrès rapides. On fut très-long-tems à donner aux figures la situation d'une personne qui marche. Celles des Egyptiens avoient les piés joints & enveloppés, mais Dédale représenta le premier avec aisance les extrêmités des figures.

Parmi les nations, il n'y a guere eu que les anciens Perses qui n'ayent pas élevé des statues à leurs dieux. Quoiqu'il fût défendu aux Israëlites par la loi des douze tables de se tailler aucune image à la ressemblance des fausses divinités, la sculpture ne passoit pas chez les Hébreux pour une idolâtrie ; deux chérubins couvroient l'arche de leurs aîles. La mer d'airain qui étoit dans le temple de Salomon avoit pour base quatre boeufs énormes. Nemrod, pour se consoler de la mort de son fils, fit faire la représentation de ce fils ; tout cela fut permis selon la loi. Mais combien ces statues, ces vases, ces boeufs grossiers étoient-ils inférieurs aux productions des Grecs ? Leurs figures ont un tendre, un moëlleux, une souplesse qu'on ne vit jamais ailleurs. Eux seuls rendirent sans voile la belle nature dans toute sa pureté. Si les statues de Lucine étoient couvertes jusqu'aux piés, ses habillemens n'étoient que des draperies légeres & mouillées, qui laissoient entrevoir toutes les graces du nud. Comme les héros devoient être représentés avec les attributs de leur gloire, & que les dieux devoient porter les marques de leur puissance, on les représentoit souvent assis, pour exprimer le repos dont ils jouissoient. En un mot, on vit déja du tems de Périclès & après lui fleurir la sculpture des Grecs par des chefs-d'oeuvres, qui ont fait & feront l'admiration de tous les siecles. Nous avons déja parlé des artistes célebres qui les produisirent, & leurs noms nous intéressent toujours. Voyez donc SCULPTEURS anciens.

Pausanias ne fait mention que de quinze peintres dans la Grece, & parle de cent soixante & neuf sculpteurs. La quantité d'ouvrages que cet historien, ainsi que Pline, attribuent à la plûpart des artistes qu'ils nomment, paroît inconcevable, & plus encore aux gens du metier qui connoissent la pratique, le tems & le nombre d'opérations que la sculpture exige pour mettre au jour une de ses productions.

Mais une autre réflexion plus singuliere de M. de Caylus, tombe sur ce qu'on ne trouve sur les statues grecques qui nous sont demeurées, aucun des noms que Pline nous a rapportés ; & pour le prouver, voici la liste des noms qui sont véritablement du tems des ouvrages, & qui est tirée de la préface sur les pierres gravées de M. le baron Stock, savant également exact & bon connoisseur.

La Vénus de Médicis porte le nom de Cléomènes, fils d'Apollodore, athénien.

L'Hercule Farnèse, celui de Glycon, athénien.

La Pallas du jardin Ludovisi, d'Antiochus, fils d'Illus.

Sur deux têtes de philosophes grecs, dans le jardin du palais Aldobrandin, Linace, fils d'Alexandre.

Sur le grouppe d'une mere & d'un fils, Ménélaüs, éleve de Stéphanus.

Sur le gladiateur, au palais Borghèse, Agasias, fils de Dosithée, éphésien.

Sur l'Esculape, au palais Vérospi, on lit Assalectus-M.

Sur l'Hermès des jardins Montalte, Eubule, fils de Praxiteles.

Sur deux bustes du cardinal Albani, on lit sur l'un Zénas, & sur l'autre Zénas, fils d'Alexandre.

Le Torse du Belveder, est d'Apollonius, fils de Nestor, athénien.

Chez le même cardinal Albani, on lit sur un bas-relief représentant des bacchantes & un faune, le tout tenant de la maniere égyptienne quoique grecque, Callimaque.

L'apothéose d'Homere porte sur un vase, dans le palais Colonne, Archélaüs, fils d'Apollonius, de Priene.

Sur un vase servant de fonts de baptême à Gaëtte, & qui est orné d'un bas-relief, représentant la naissance de Bacchus, Salpion, athénien.

Nous passons sous filence plusieurs noms grecs, qui ont été ajoutés en différens tems, & nommément à la plinthe des deux chevaux que l'on voit sur le mont Quirinal, vulgairement appellé il monte cavallo, & qui portent les beaux noms de Phidias & de Praxiteles.

L'étonnement s'étend encore sur ce que Pline ne désigne aucun des ouvrages qu'on vient de citer ; le Laocoon & la Dircé sont les seuls dont il parle, & qui nous soient demeurés, à moins qu'on ne veuille croire que le grouppe des lutteurs, ouvrage de Céphisodore, fils de Praxiteles, soit celui que l'on conserve à Florence, dans la galerie du grand duc.

D'un autre côté, il ne faut pas être surpris du silence de Pausanias, sur toutes les belles statues de Rome. Quand il a fait le voyage de la Grece, il se pouvoit qu'elles fussent déja transportées en Italie, car depuis environ trois cent ans, les Romains travailloient à dépouiller la Grece de ses tableaux & de ses statues. Instruits par la réputation des plus beaux morceaux, ils avoient eu soin de s'en emparer à l'envi les uns des autres. Quelle devoit en être l'abondance ! Pausanias écrivant quarante ans après, nous décrit cette même Grece encore remplie des plus grands trésors.

Si les anciens n'ont point parlé des figures que nous admirons, parce qu'ils en connoissoient de plus belles ; si leur silence sur le nom des artistes qui nous sont demeurés, est fondé sur ce qu'ils en savoient de supérieurs ; quelles idées devons-nous avoir des Grecs & de la perfection de leurs talens ? Mais l'imagination ne peut se prêter, & s'oppose à concevoir des ouvrages supérieurs à ceux qui faisant aujourd'hui le plus grand ornement de Rome, font aussi la base & la regle des études de nos plus habiles modernes.

Comme toutes choses humaines ont leur période, la sculpture, après avoir été portée au plus haut degré de perfection chez les Grecs ; dégénera chez cette nation spirituelle, quand elle eut perdu la liberté ; mais la sculpture des Romains, sans avoir été portée si haut, eut un regne beaucoup plus court ; elle languissoit déja sous Tibere, Caius, Claude, & Néron ; & bientôt elle s'éteignit tout-à-fait. On regarde le buste de Caracalla comme le dernier soupir de la sculpture romaine. Les bas-reliefs des deux arcs de triomphe, élevés en l'honneur de l'empereur Sévere, sont de mauvaise main ; les monumens qui nous restent de ses successeurs, font encore moins d'honneur à la sculpture ; nous voyons par l'arc de triomphe élevé à la gloire de Constantin, & qui subsiste encore à Rome aujourd'hui, que sous son regne, & même cent ans auparavant, la sculpture y étoit devenue un art aussi grossier qu'elle pouvoit l'être au commencement de la premiere guerre contre les Carthaginois. Enfin elle étoit morte lors de la premiere prise de Rome par Alaric, & ne ressuscita que sous le pontificat de Jules II. & de Léon X. C'est-là ce qu'on nomme la sculpture moderne, dont nous allons donner l'article. (D.J.)

SCULPTURE MODERNE, (Beaux arts) la sculpture moderne est comme je viens de le dire dans l'article précédent, celle qu'on vit renaître avec la peinture, en Italie, sous les pontificats de Jules II. & de Léon X. En effet, on peut considérer la sculpture & la peinture comme deux soeurs, dont les avantages doivent être communs, je dirois presque comme un même art, dont le dessein est l'ame & la regle, mais qui travaille diversement sur différentes matieres. Si la poésie ne paroît pas aussi nécessaire au sculpteur qu'au peintre, il ne laisse pas d'en faire un tel usage, qu'entre les mains d'un homme de génie, elle est capable des plus nobles opérations de la peinture : j'en appelle à témoins les ouvrages de Michel-Ange, & du Goujon ; le tombeau du cardinal de Richelieu, & l'enlevement de Proserpine, par Girardon ; la fontaine de la place Navonne, & l'extase de sainte Thérese, par le cavalier Bernin ; le grand bas-relief de l'Algarde qui représente S. Pierre & S. Paul en l'air, menaçant Attila qui venoit à Rome pour la saccager.

La beauté de ces morceaux & de quelques autres, ont engagé des curieux à mettre en problême, si la sculpture moderne n'égaloit point celle des Grecs, c'est-à-dire, ce qui s'est fait de plus excellent dans l'antiquité. Comme nous sommes certains d'avoir encore des chefs-d'oeuvres de la sculpture antique, il est naturel de nous prêter à l'examen de cette question.

Pline parle avec distinction de la statue d'Hercule, qui présentement est dans la cour du palais Farnèse ; & Pline écrivoit quand Rome avoit déja dépouillé l'orient de l'un des plus beaux morceaux de sculpture qui fussent à Rome. Ce même auteur nous apprend encore que le Laocoon qu'on a vu dans une cour du palais du Belveder, étoit le morceau de sculpture le plus précieux qui fût à Rome de son tems ; le caractere que cet historien donne aux statues qui composent le grouppe du Laocoon, le lieu où il nous dit qu'elles étoient dans le tems qu'il écrivoit, & qui sont les mêmes que les lieux où elles ont été déterrées depuis plus de deux siecles, rendent constant, malgré les scrupules de quelques antiquaires, que les statues que nous avons sont les mêmes dont Pline a parlé ; ainsi nous sommes en état de juger si les anciens nous ont surpassé dans l'art de la sculpture : pour me servir d'une phrase du palais, les parties ont produit leurs titres.

Il est peu de gens qui n'aient oui parler de l'histoire de Niobé, représentée par un sculpteur grec, avec quatorze ou quinze statues liées entr'elles par une même action. On voit encore à Rome dans la vigne de Médicis, les savantes reliques de cette belle composition. Le Pasquin & le Torse du Belvéder, sont des figures subsistantes du grouppe d'Alexandre, blessé, & soutenu par des soldats. Il n'y a point d'amateurs des beaux arts, qui n'aient vu des copies du gladiateur expirant, qu'on a transporté au palais Chigi ; ils ne vantent pas moins le grouppe de Papirus & la figure nommée le Rotateur ; s'il est quelqu'un à qui ces morceaux admirables soient inconnus, il en trouvera la description dans ce Dictionnaire ; or je n'entendis jamais dire à un juge impartial, qu'ils ne surpassent infiniment les plus exquises productions de la sculpture moderne. Jamais personne n'a comparé, avec égalité de mérite, le Moïse de Michel-Ange, au Laocoon du Belvéder ; la préférence que le même Michel-Ange donna si hautement au Cupidon de Praxitele sur le sien, prouve assez que Rome la moderne ne le disputoit pas plus aux Grecs pour la sculpture, que ne le faisoit l'ancienne Rome ; Et comment les modernes pourroient-ils entrer en concurrence ? Les honneurs, les distinctions, les encouragemens, les récompenses, tout manque à leur zèle, & à leurs travaux ; la nature qu'ils copient est sans sentiment & sans action ; ils ne peuvent s'exercer que sur des hommes qui n'ayant fait que des exercices de force, n'ont jamais connu les situations délicates ou nobles qui dans leur état eussent paru ridicules. Inutilement voudroit-on donner à de simples artisans, dans le tems qu'on les dessine, la position d'un héros ; on n'en fera jamais que des personnages maussades, & dont l'air sera décontenancé ; un pâtre revêtu des habits d'un courtisan, ne peut déguiser l'éducation de son village ; mais les Grecs qui copioient la belle nature, habitués à l'émotion & à la noblesse, purent donner à leurs ouvrages une vérité, une force d'expression, que les modernes ne sauroient attraper ; ces derniers ont rarement répandu de la physionomie dans toutes les parties de leurs figures, souvent même ils ne paroissent avoir cherché l'expression que dans les traits du visage ; alors afin que cette expression fût plus frappante, ils n'ont pas craint quelquefois de passer la nature, & de la rendre horrible ; les anciens savoient bien mieux se retenir dans la vérité de l'imitation. Le Laocoon, le Gladiateur, le Rotateur dont nous avons parlé, nous intéressent ; mais ils n'ont rien d'outré ni de forcé.

Cependant la sculpture moderne a été poussée fort loin, elle a découvert l'art de jetter en fonte les statues de bronze, elle ne cede en rien à la sculpture antique pour les bas reliefs, & elle l'a surpassé dans l'imitation de quelques animaux, s'il est permis d'appuyer ce jugement sur des exemples particuliers. A considérer les chevaux de Marc-Aurèle, ceux de Monte-Cavallo, les prétendus chevaux de Lysippe qui se trouvent sur le portail de l'église de S. Marc à Venise, le boeuf de Farnèse, & les autres animaux du même grouppe, il paroîtroit que les anciens n'ont point connu comme nous, les animaux des autres climats, qui étoient d'une plus belle espece que les leurs. Quelqu'un pourroit encore imaginer qu'il semble par les chevaux qui sont à Venise, & par d'anciennes médailles, que les artistes de l'antiquité n'ont pas observé dans les chevaux, le mouvement diamétral des jambes ; mais il faut bien se garder de décider sur de si légeres apparences.

Encore moins faut-il se persuader que les Grecs ayent négligé de représenter les plis & les mouvemens de la peau dans les endroits où elle s'étend, & se replie selon le mouvement des membres ; il est vrai que le sentiment des plis de la peau, de la mollesse des chairs, & de la fluidité du sang, est supérieurement rendue dans les ouvrages du Puget ; mais ces vérités se trouvent-elles moins éminemment exprimées dans le Gladiateur, le Laocoon, la Vénus de Médicis ? &c. Je suis aussi touché que personne de l'Andromède, mais combien l'étoit-on dans l'antiquité des ouvrages de Polyclete ? Ne sait-on pas que sa statue du jeune homme couronné, étoit si belle pour l'expression des chairs, qu'elle fut achetée environ vingt mille louis ? ce seroit donc une espece de délire, de contester aux Grecs la préeminence qui leur est encore due à cet égard ; il n'y a que la médiocrité qui s'avise de calculer à l'insçu du génie.

L'Europe est trop heureuse que la ruine de l'empire grec y ait fait refluer le peu de connoissances dans les arts, qui restoient encore au monde. La magnificence des Médicis, & le goût de Léon X, les fit renaître.

La richesse des attitudes, la délicatesse des contours, l'élégance des ondulations, avoient été totalement oubliées pendant plusieurs siecles. Les Goths n'avoient sçu donner à leurs figures ni grace ni mouvement ; ils imaginoient que des lignes droites & des angles aigus, formoient l'art de la sculpture ; & c'est ainsi qu'ils rendoient les traits du visage, les corps & les bras ; leurs statues portoient des écriteaux qui leur sortoient de la bouche, & où on pouvoit lire les noms & les attributs des représentations qui n'avoient rien de ressemblant. Les modernes reconnurent ces ridicules extravagances, & se rapprocherent sagement de l'antique.

Michel Ange r'ouvrit en Italie les merveilles de la sculpture, & le Goujon imita ses traces ; il a été suivi par Sarrasin, le Puget, Girardon, Coysevox, Coustou, le Gros, &c. qui ont élevé cet art dans la France, à une supériorité glorieuse pour la nation ; vous trouverez leurs articles au mot SCULPTEURS MODERNES.

Je ne veux point prévoir la chûte prochaine de cet art parmi nous ; mais selon toute apparence, il n'y regnera pas aussi long-tems que chez les Grecs, à la religion desquels il tenoit essentiellement.

Ne voyons-nous pas dèja la dégénération bien marquée de notre peinture ? Or comme je l'ai dit, la peinture & la sculpture sont deux soeurs à peu près du même âge, extrêmement liées ensemble, & qui subsistent des mêmes alimens, honneurs, recompenses, distinctions, dont la mode ne doit pas être l'origine.

La sculpture tombera nécessairement chez tous les peuples qui ne tourneront pas ses productions à la perpétuité de leur gloire, & qui n'associeront ni leurs noms, ni leurs actions, aux travaux des habiles artistes.

Enfin plusieurs raisons, qu'il n'est pas nécessaire de détailler, nous annoncent que la sculpture seroit déja fannée dans ce royaume, sans les soins continuels du prince qui la soutient par de grands ouvrages auxquels il l'occupe continuellement. (D.J.)

SCULPTURE EN BRONZE, (Hist. des beaux Arts antiq.) Nous ne traiterons ici que l'historique ; les opérations de l'art ont été savamment exposées au mot BRONZE.

Les ouvrages des Grecs, en bronze, étoient également recommandables par l'élégance de leur travail & la magnificence de leur volume. Il ne faut pas s'en étonner, ce genre de monument avoit pour objet la religion, la récompense du mérite, une gloire noble & bien placée.

La pratique de leurs opérations nous est inconnue. Pline n'en a pas parlé. Il n'a décrit ni les fourneaux des sculpteurs, ni leur maniere de fondre, ni l'alliage des matieres qu'ils fondoient. Nos artistes doivent regarder le silence de cet historien en ce genre, comme une perte dans les Arts, parce qu'on auroit pu tirer un grand profit des différences de leur pratique, & des lumieres qu'ils avoient acquises par une manoeuvre juste, & qu'ils ont si constamment répétée. On doit moins regretter de n'être pas instruit du mêlange de leur matiere ; ce mêlange a toujours été assez arbitraire, c'est-à-dire, dépendant de la volonté & de l'habitude des fondeurs. De plus, ce qui est assez rare dans la nature, on peut faire des expériences de ce mêlange en petit, & elles sont toujours certaines & utiles dans le grand.

Le nombre des statues de toute grandeur, que les anciens ont faites en bronze, est presque incroyable. Les temples, les places publiques, les maisons des particuliers en étoient chargées : mais l'on ne peut s'empêcher de se récrier sur les entreprises grandes & hardies qu'ils ont exécutées dans cette opération de l'art. Nous voyons, dit Pline, des masses de statues, auxquelles on donne le nom de colosses, & qui ressemblent à des tours. Tel étoit l'Apollon placé dans le capitole, & que Lucullus avoit apporté d'Apollonie de Thrace. Ce colosse dont la hauteur étoit de trente coudées (45 piés) avoit couté cinq cent talens, (environ deux millions trois cent cinquante mille livres de notre monnoie.) Telle étoit la statue colossale de Jupiter que l'empereur Claude avoit consacrée dans le champ de Mars ; & tel le Jupiter que Lysippe fit à Tarente, qui avoit quarante coudées de haut.

Mais un nombre presque infini d'artistes s'illustrerent par la prodigieuse quantité de petites statues de fonte & de bronze qu'ils produisirent, les unes grandes comme nature, & d'autres seulement d'un ou deux piés. On en est convaincu par la quantité de petits bronzes, qui subsistent encore. Il est vrai que les bronzes grecs sont rares, & que nous n'en connoissons guere que de romains ; mais nous ne pouvons douter que Rome n'ait toujours été le singe de la Grece. La seule flotte de Mummius transporta de Corinthe à Rome trois mille statues de marbre ou de bronze, dont vraisemblablement la plus grande partie étoit ce que nous appellons des bronzes audessus & au-dessous d'un pié.

Les Grecs étoient dans l'usage de couvrir leurs bronzes avec du bitume ou de la poix. Ils ne pouvoient prendre cette précaution que pour les conserver, & leur donner l'éclat & le brillant qu'ils aimoient. Pline est étonné que les Romains ayent préféré la dorure à cet usage ; & en cela il parle non-seulement en philosophe ennemi du luxe, mais en homme de goût, & au fait des Arts. La dorure a plusieurs inconvéniens, dont le principal sur-tout quand on dore une statue qui n'a point été faite pour être dorée, est de l'empêcher de s'éclairer selon la pensée & l'intention de l'auteur. Quant à la poix dont les anciens couvroient leurs bronzes, nous n'avons rien à desirer ; les fumées & les préparations de nos artistes sont d'autant préférables, qu'elles ont moins d'épaisseur.

Il paroît par Pline, que la premiere statue de bronze que l'on ait fondue à Rome, fut une Cérès consacrée par Spurius Cassius, qui fut tué par son propre pere pour avoir aspiré à la royauté. Les statues de Romulus, que l'on voyoit dans le capitole, & des rois prédécesseurs de Tarquin, avoient été fondues ailleurs, & transportées ensuite à Rome. Cependant, quoique l'usage de la fonte fût très-ancien en Italie, elle continua de former ses dieux de terre ou de bois jusqu'à la conquête de l'Asie. Toutes ces observations sont de M. de Caylus : je les ai puisées dans ses Dissertations sur Pline, dont il a enrichi les mémoires de Littérature. (D.J.)

SCULPTURE EN MARBRE ; c'est l'art de tirer & de faire sortir d'un bloc de marbre une statue, un grouppe de figures, un portrait, en coupant, taillant & ôtant le marbre.

Lorsqu'un sculpteur statuaire veut exécuter une statue, un grouppe de figures, ou autre sujet en marbre, il commence par modeler, soit en terre, soit en cire, une ou plusieurs esquisses (voyez MODELE & ESQUISSES) de son sujet, pour tâcher de déterminer, dès ces foibles commencemens ses attitudes, & s'assurer de sa composition. Lorsqu'il est satisfait, & qu'il veut s'arrêter à une de ses esquisses, il en examine toutes les proportions. Mais comme dans ces premiers projets il se trouve beaucoup plus d'esprit & de feu que de correction ; il est indispensablement obligé de faire un modele plus grand & plus fini, dont il fait les études (Voyez ETUDES) d'après le naturel. Ce deuxieme modele achevé, il le fait monter & tirer en plâtre, pour le conduire à faire un troisieme modele, qu'il fait à l'aide de l'échelle de proportion ou pié réduit, de la même grandeur & proportion qu'il veut exécuter son sujet en marbre. C'est alors qu'il redouble ses attentions, qu'il examine & qu'il recherche avec soin toute la correction, la finesse, la pureté & l'élégance des contours. Il fait encore mouler en plâtre ce troisieme modele afin de le conserver dans sa grandeur & dans sa proportion. Car s'il se contentoit de son modele en terre, il ne retrouveroit plus ses mesures, parce que la terre en se séchant se concentre & se retire, ce qui le jetteroit dans un extrême embarras. Pour déterminer la base du bloc de marbre, il fait faire un lit sous la plinte du bloc, voyez LIT SOUS LA PLINTE, & ce lit lui sert de base générale pour diriger toutes ses mesures & tirer toutes ses lignes. Alors il donne sur le bloc de marbre les premiers coups de crayon, puis il le fait épanneler, Voyez EPANNELER. Ensuite il fait élever à même hauteur le modele & le bloc de marbre, chacun sur une selle semblable & proche l'une de l'autre à sa discrétion, voyez SELLE. Quand le modele & le bloc de marbre sont placés à propos, l'on pose horisontalement sur la tête de l'un & de l'autre des chassis de menuiserie, quarrés & égaux, & qui reviennent juste en mesure avec ceux qui portent les bases ou les plintes des figures, voyez les Planches & les fig. de la Sculpture. L'on a de grandes regles de bois qui portent avec elles plusieurs morceaux de bois armés d'une pointe de fer qui parcourent à volonté tout le long de la regle, & que l'on fixe néanmoins où l'on veut avec des vis : c'est l'effet du trusquin, voyez TRUSQUIN. Ces regles se posent perpendiculairement contre les chassis qui sont au-dessus & au-dessous du modele pour y prendre des mesures & les rapporter sur le bloc de marbre, en les posant sur les chassis dans la même direction où elles ont été posées sur ceux du modele. C'est avec ces regles qu'on pourroit mieux appeller compas, à cause de leur effet, que l'artiste marque & établit tous les points de direction de son ouvrage, ce qu'il ne pourroit pas faire avec les compas ordinaires, dont on ne sauroit introduire les pointes dans les fonds & cavités dont il faut rapporter les mesures. Il est manifeste que cette opération se réitere sur les quatre faces du bloc de marbre & du modele autant de fois que le besoin le requiert : car la figure étant isolée, demande à être travaillée avec le même soin dans toutes ses faces.

L'artiste ayant trouvé & établi des points de direction, qu'il a posés à son gré sur les parties les plus saillantes de son ouvrage, comme sont les bras, les jambes, les draperies & autres attributs ; il retrace de nouveau les masses ou sommes de la figure du sujet, & fait jetter à-bas les superfluités du marbre jusqu'au gros de la superficie, par des ouvriers ou éleves, se reposant sur eux de ce pénible travail, mais ayant toujours les yeux sur l'ouvrage, de crainte que ces foibles ouvriers n'atteignent les véritables nuds & points du sujet. Il doit aussi leur faire faire attention à ne travailler que sur le fort du marbre, cela s'entend, en ce que les outils & les coups de masse soient toujours dirigés vers le centre du bloc. Autrement ils couroient risque d'étonner & d'éliter quelques parties du marbre qui n'est presque jamais également sain, étant souvent composé de parties poufes & de parties fieres. Voyez POUF & FIER.

Les outils dont on se sert pour cette ébauche, sont la masse, les pointes, les doubles pointes, la marteline & la gradive, avec lesquels, en ôtant le superflu petit-à-petit, on voit sortir le sujet. Alors l'artiste suit de près l'approche de la figure, avec le ciseau & tous les autres outils qui lui sont nécessaires ; & il ne la quitte plus qu'il ne l'ait terminée au plus haut point de perfection qu'il est capable de lui donner.

De quelque outil qu'il se serve, soit marteline, cizeau, trépan, &c. il doit toujours avoir grand soin de ménager la matiere, car les fautes sont irréparables ; il ne doit donc ôter qu'avec beaucoup de discrétion pour arriver au but qu'il se propose, car il n'y a pas moyen d'y ajouter, & s'il se casse malheureusement une partie ou qu'il y ait quelque endroit altéré, il n'y a ni secret, ni mastic suffisant pour y remédier & la rétablir avec stabilité, sans qu'il y paroisse. Lorsque le sujet est totalement fini, & que le sculpteur se détermine à faire polir quelques draperies, ou autres ornemens, il se sert de gens destinés à ce travail que l'on nomme des polisseurs ; voyez POLISSEUR DE MARBRE ; & il doit avoir attention à la conduite de ces sortes d'ouvriers, qui n'étant que des gens de métier & de peine, sont peu susceptibles des conséquences d'user & ôter les touches & les finesses que le sculpteur a ingénieusement semées dans tout son ouvrage. Ce poli est arbitraire & au choix de l'artiste, n'y ayant pour cela aucune regle établie qui puisse le diriger ou le contraindre. Le sculpteur en taillant son ouvrage prévient d'avance une partie des accidens qui pourroient arriver en le transportant. Il laisse des tenons de marbre aux parties saillantes, comme supports de bras, entre-deux de doigts, & autant qu'il est nécessaire, se reservant d'ôter ces tenons sur la place, lorsque la figure est posée sur son piédestal, où elle doit rester. C'est à cet instant que l'artiste intimidé ne voit son ouvrage qu'avec crainte, & que comme un nouveau spectacle qui lui fournit de nouvelles observations, & qui trop souvent lui reprochent des négligences auxquelles il ne peut refuser de nouveaux soins, puisqu'enfin c'est le fatal ou heureux moment où il abandonne à la postérité toute l'étendue de son savoir & de ses talens.

Pour transporter l'ouvrage le sculpteur a recours au charpentier, qui l'ôte de dessus la selle, & le guinde sur un chassis de charpente appellé poulin, où il met des tasseaux de soutien avec chevilles, clous, & autres suretés, afin que rien ne se casse, soit en roulant ou en traînant dans les voies publiques jusqu'au lieu de sa destination.

On peut voir les outils en grand nombre dont se servent les sculpteurs, chacun à son article, où l'on a décrit son méchanisme & ses usages.

SCULPTURE EN PIERRE ET EN BOIS ; outre ce qui a été dit à l'article SCULPTURE EN MARBRE, par rapport aux statues & autres ouvrages qui s'exécutent sur cette matiere, la sculpture s'étend encore sur tout ce qui est pratiquable à l'outil, & qui peut être taillé, rogné, coupé, & réparé, comme pierre dure, pierre tendre, plâtre, ivoire, bois de diverses qualités, &c. Quant à la pierre dure, elle se travaille à-peu-près comme le marbre, c'est-à-dire avec la masse, les pointes, doubles pointes, cizeaux, & autres outils à précautions qu'on peut voir à leur article.

La pierre tendre, & les bois de chêne, buis, tilleul, noyer, & autres de ces qualités, se travaillent avec le maillet de bois, les fermoirs, les trépans, les gouges creuses & plates, à bretter & à nez rond ; ces outils sont de toutes sortes de pas ou largeur. Il y en a qui n'ont pas deux lignes de face, & par degrés il y en a d'autres qui en ont jusqu'à deux pouces & plus ; on ne les distingue que par le pas. Les ouvriers nomment cet assortiment d'outils un affutage. Ces outils sont de fer, & par la tranche ils sont acerés de l'acier le plus fin. Il leur faut une trempe très-fine. Ils sont faits de maniere qu'ils ont chacun une pointe forgée en quarré qui entre dans le manche, pour l'assurer & l'empêcher de tourner. Le manche de bois qui est de quatre à cinq pouces de longueur, est coupé à pans pour être tenu plus ferme, & ne point varier dans la main de l'ouvrier. L'on affute ces outils sur un grais de bonne qualité, pour leur donner le tranchant, & l'on se sert ensuite d'une affiloire pour leur couper le morfil, & les rendre propres à couper le bois, &c. avec netteté & propreté. Voyez AFFILOIRE. L'on se sert pour finir ces ouvrages de rapes de différentes forces, tailles & courbures, comme aussi de peau de chien de mer dont on prend les plus convenables, qui sont certaines parties du ventre, les nageoires, & les oreilles.

La sculpture en pierre & en bois comprend plusieurs sortes d'ouvrages, comme figures, vases, ornemens, chapiteaux, fleurs, fleurons, &c. tant pour les décorations intérieures qu'extérieures des temples, des palais, & autres bâtimens, pour les vaisseaux de roi, de guerre, & marchands ; les voitures des ambassadeurs, & toutes sortes de monumens, comme cirques, carrousels, arcs de triomphe, obélisques, pyramides, &c.

Les anciens se sont servis de presque toutes sortes de bois pour faire des statues. Il y avoit à Sicyone une statue d'Apollon qui étoit de buis ; à Ephèse celle de Diane étoit de cedre.

Dans le temple bâti à l'honneur de Mercure sur le mont Cillene, il y avoit une image de ce dieu faite de citronnier, de huit piés de haut ; ce bois étoit fort estimé.

On faisoit encore des statues avec le bois de palmier, d'olivier, & d'ébene, dont il y avoit une figure à Ephèse, & ainsi de plusieurs autres sortes de bois, comme celui de vigne, dont il y avoit des images de Jupiter, de Junon, & de Diane.

On appelle bien couper le bois, quand une figure ou un ornement est bien travaillé, & la beauté d'un ouvrage consiste en ce qu'il soit coupé tendrement, & qu'il n'y paroisse ni sécheresse ni dureté.

Quand on veut faire de grands ouvrages, comme seroit même une seule figure, il vaut mieux qu'elle soit de plusieurs pieces que d'un seul morceau de bois, qui dans des figures de même que dans des ornemens, se peut tourmenter & gerser ; car une piece entiere de gros bois peut n'être pas seche dans le coeur, quoiqu'elle paroisse seche par-dehors, il faut que le bois ait été coupé plus de dix ans avant que d'être propre à être employé dans ces sortes d'ouvrages.

SCULPTURE EN PLATRE, tant en relief qu'en bas-relief. La sculpture en relief se fait d'une façon qu'on appelle travailler le plâtre à la main. On se sert de la truelle & du plâtre délayé ; on forme un ensemble ou masse de plâtre du volume de ce qu'on veut faire, & l'on travaille sur cette masse avec le maillet & les mêmes outils dont on se sert avec les pierres tendres. L'on se sert aussi de ripes & de rondelles ; ces ripes qui ont forme de spatule sont de différente grandeur, & ont des dents plus ou moins fortes. Elles font sur la pierre & le plâtre ce que la double pointe & la gradine font sur le marbre.

Ces sortes de travaux en plâtre ne se font guere que dans les cas où l'on veut faire des modeles sur place, pour mieux juger des formes & des proportions du tout ensemble, & rendre les parties relatives les unes aux autres ; souvent on les finit entierement sur place, & l'on en fait des moules qui servent à jetter en plomb, ce que l'on voit quelquefois exécuter dans les parcs & jardins pour faire des fontaines, cascades, &c. Si au contraire on veut les exécuter en marbre, on les moule de façon à en pouvoir tirer des moules en plâtre que l'on apporte à l'attelier du sculpteur, pour lui servir à la conduite de son ouvrage en marbre.

La sculpture en bas-relief n'est pour ainsi dire autre chose que l'art de mouler. Elle s'employe le plus communément dans l'intérieur des appartemens pour former des bas-reliefs, cariatides, corniches, frises, metopes, consoles, agraphes, vases, & ornemens ; on commence par faire des modeles en terre sur des formes & fausses formes, suivant les lieux où l'on veut placer les ouvrages ; on en fait faire des moules en plâtre par quatre mouleurs. Ces moules sont composés de plusieurs pieces qui se rapportent & se renferment avec repers, dans une ou plusieurs chapes, suivant le volume & le relief de l'objet moulé. Voyez CHAPE. Quand ces moules sont bien secs, on les abreuve en leur donnant avec le pinceau plusieurs couches d'huile, ce qui les durcit & empêche que le plâtre ne s'y attache. Cela fait l'on coule dans le moule du plâtre bien tamisé & très-fin, que l'on tire quelquefois d'épaisseur ou en plein, suivant la force que l'on veut donner à l'ouvrage. Pour retirer le plâtre moulé on commence à dépouiller toutes les parties du moule les unes après les autres, dans le même arrangement qu'elles ont été posées, & alors on découvre le sujet en plâtre, qui rapporte avec fidélité jusqu'aux parties les plus déliées du modele, n'y ayant plus qu'à réparer, & souvent qu'à ôter les coutures occasionnées par les jointures des pieces du moule. Quand ces morceaux de sculpture en plâtre sont destinés à servir d'ornement à quelque edifice, on hache avec une hachette, ou avec quelqu'autre outil, les places où ils doivent être posés ; on les ajuste & on les scelle avec le plâtre. Il ne reste plus qu'a les ragréér avec les outils en bois, & même avec les ripes, comme nous avons déjà dit.

SCULPTURE EN CARTON : il y a deux manieres de travailler ces sortes d'ouvrages. Comme ils n'ont point d'autre inconvénient à craindre que l'humidité, on ne les emploie d'ordinaire que dans les lieux couverts, comme intérieurs de bâtimens, d'églises, accessoires à des autels, pompes funebres, fêtes publiques, salles, spectacles, &c. Pour parvenir à l'exécution de ce travail, il faut prendre les mêmes précautions que pour les autres façons de sculpture que l'on a déja expliquées ; c'est-à-dire qu'il faut commencer par faire, soit de ronde-bosse, soit de bas-relief, les modeles des choses qu'on veut représenter. Il faut aussi faire tirer des moules sur des modeles, comme il a été dit à l'article de SCULPTURE EN PLATRE. On endurcit le moule en l'imbibant d'huile bouillante ; & quand il est sec & en état, on y met pour premiere couche, des feuilles de papier imbibées d'eau, sans colle, que l'on arrange artistement dans toutes les parties du moule. Toutes les autres couches qu'on y donne se font aussi avec du papier ; mais il est imbibé de colle de farine, & l'on continue couche sur couche avec le papier collé jusqu'à ce qu'on ait donné à l'ouvrage l'épaisseur de deux ou trois lignes, ce qui forme un corps suffisamment solide. Mais il faut bien faire attention en posant toutes ces couches de papier, de le faire obéir avec les doigts ou les ébauchoirs, pour le faire atteindre jusqu'au fond des plus profondes cavités du moule, pour en prendre exactement les traits, & les rendre sur le carton avec toute la finesse que le sculpteur a donnée à son modele. On laisse sécher ces cartons en les exposant au soleil, ou à un feu doux, de crainte que l'excessive chaleur ne change les formes en occasionnant des vents, & faisant boursouffler le papier. Quand les cartons sont secs, on les retire du moule, soit par coquilles ou par volume. On les rassemble & ajuste avec des fils de fer. Le papier le plus en usage pour ces sortes d'ouvrages, est pour la premiere couche, le papier gris-blanc, dit fluant ; & après, tout papier spongieux, blanc ou gris, est propre à faire corps avec la colle. La seconde façon de former des ouvrages de sculpture en carton, est de les faire en papier, c'est-à-dire en papier battu dans un mortier. Cette pâte se fait ordinairement des rognures que les papetiers font de leurs papiers de compte ou à lettres ; les plus fins sont les meilleurs. L'on prend ces rognures, que l'on met dans un vase ou vaisseau rempli d'eau, que l'on change souvent, & que l'on laisse amortir jusqu'au point de devenir en pâte ou en bouillie. Quand cette pâte est ainsi réduite, l'on s'en sert, comme il va être expliqué. L'on a eu soin, comme ci-devant, d'imbiber d'huile, & d'endurcir le moule ; on y met le plus également qu'il est possible, l'épaisseur d'environ deux ou trois lignes de cette pâte ; on appuie dessus & avec force, & on se sert d'une éponge pour en retirer l'humidité autant qu'il est possible : on fait secher cette pâte au feu ou au soleil, puis avec une brosse, & de la colle de farine, on imbibe ce carton sur lequel on pose plusieurs couches de papier gris-blanc & gris, afin de donner un corps à ce carton, qui jusqu'alors étoit sans corps & sans colle. Cette seconde opération faite, on laisse sécher, puis on recommence avec de la colle forte de Flandres ou d'Angleterre à réimbiber ces couches de papier, & l'on y applique de la toile ; & souvent on y insinue des armatures de fil de fer & des fantons que l'on met entre le papier gris & la toile, ce qui empêche que les cartons ne se tourmentent, & fait qu'ils restent dans la véritable forme que le sculpteur a donnée au modele. Cette façon de faire le carton est la meilleure, tant pour la solidité que pour rapporter avec exactitude toutes les parties de détail du modele. Ces ouvrages, comme nous l'avons dit, ne craignent d'inconvenient que l'humidité. Ils ne se cassent point, les vers n'y font point de piquure, & ils peuvent être dorés aussi-bien que les ouvrages en bois, & avec les mêmes apprêts.

SCULPTURE, (Architect.) l'architecture fait usage de la sculpture par des figures & autres sujets de relief, ou d'ornemens de bas-relief, pour décorer un édifice ; on appelle en architecture sculpture isolée, celle qui est en ronde-bosse ; & sculpture en bas-relief, une sculpture qui n'a aucune partie détachée. (D.J.)


SCULTENNA(Géog. anc.) par Strabon, liv. V. Scutana ; fleuve d'Italie, dans la Flaminie, & l'un de ceux qui se jettoient dans le Pô. Tite-Live, liv. XLI. ch. xviij. Dion Cassius, liv. XLVI. Appien, liv. III. & Pline, liv. III. ch. xvj. en parlent. Ce dernier met le Gabellus & le Scultenna, entre le Nicias & le Rhenus ; or comme le Gabellus est, à ce qu'on prétend, le Secchia, il s'ensuit que le Scultenna seroit le Panaro. (D.J.)


SCUOLES. f. (Archit. vénit.) les Vénitiens appellent scuole, école, certains édifices publics distribués en chapelles, salles, chambres & autres pieces qui appartiennent à des confrairies, ou à des communautés de la ville. Les six principales qu'on appelle scuole grandi, ne le cedent guere aux plus belles églises pour la décoration & pour les richesses.

Ces six grandes scuole sont celle de saint Marc, celle de saint Roch, celle de la Miséricorde, celle de saint Jean l'évangeliste, celle de la Charité & celle de saint Théodore. Descrip. de Venise. (D.J.)


SCUPI(Geogr. anc.) ville de la haute Mésie, dans la Dardanie, selon Ptolémée, liv. III. c. jx. Le nom moderne est Scopia, selon Tetzetès, Grégoras & Sophien, & on l'appelle vulgairement Uschup. Voyez SCOPIA. (D.J.)


SCURGUM(Géog. anc.) ville de la Germanie septentrionale, selon Ptolémée, liv. II. ch. xj. Villeneuve & Molet croyent que le nom moderne est le lieu de Schmeben.


SCURRA(Littérat.) ce mot signifie un parasite, un bouffon & un flatteur. Il est souvent employé chez les poëtes dans ce dernier sens, & alors il comprend ce que les Grecs appelloient , un flatteur outré, , un courtisan qui contrefait l'ami. Les parasites étoient aussi communément nommés scurrae, & l'on en distinguoit deux sortes à Rome ; les uns qui s'attachoient à un seul maître, les autres qui s'adonnoient à plusieurs, mais qui alloient toujours à ceux dont la cuisine étoit la meilleure :

Hos major rapuit canes culina. (D.J.)


SCURVOGELS. m. (Ornithol.) nom donné par les Hollandois à un oiseau d'Amérique, nommé par les habitans du Brésil jabiruguacu. C'est une espece de grue, ou du-moins fort approchante de ce genre d'oiseau. Son bec est large, long de sept ou huit pouces, arrondi & un peu crochu au haut vers la pointe. Il porte sur le sommet de la tête une espece de crête cendrée grise. Son cou est extrêmement long, sans aucune plume ainsi que la tête ; & ces deux parties sont seulement couvertes d'une peau écailleuse. Sa queue est courte & noire ; le reste de son plumage est blanc, excepté sur les grandes plumes des aîles, qui sont noires avec une espece de teinte purpurine. Cet oiseau dépouillé de sa peau est d'un goût délicat ; sa grosseur approche de celle de la cicogne. (D.J.)


SCUTAGES. m. (Hist. d'Angl.) le scutage étoit un service militaire auquel les possesseurs des fiefs étoient obligés envers le roi. Ce mot désigne aussi la redevance que les feudataires payoient au prince pour être dispensés de ce service ; enfin ce mot signifie la taxe qu'on avoit mise sur chaque vassal pour quelque service public. Depuis Guillaume I. les rois d'Angleterre avoient souvent imposé de pareilles taxes sans le consentement des états, c'est pourquoi le scutage fut aboli par la grande charte. (D.J.)


SCUTARI(Géog. mod.) ville d'Asie, dans l'Anatolie, vis-à-vis le port de Constantinople, dont elle est regardée comme un des fauxbourgs ; c'est d'ailleurs un des principaux rendez-vous des caravanes d'Arménie qui vont trafiquer en Europe.

Le port de Scutari servoit autrefois de retraite aux galeres de Chalcédoine ; & ce fut à cause de sa situation, que les Perses, qui méditoient la conquête de la Grece, la choisirent, non-seulement pour en faire une place d'armes, mais pour y déposer l'or & l'argent qu'ils tiroient par tribut des villes d'Asie. Tant de richesses lui firent donner le nom de Chrysopolis, ou ville d'or, selon Denys de Bysance, au rapport d'Etienne le géographe, qui ajoute pourtant que l'opinion la plus commune étoit que le nom de Chrysopolis venoit de Chrysès, fils de Chryséïs & d'Agamemnon.

Il semble que cette ville soit destinée à servir de retraite à des maltotiers ; car les Athéniens, par le conseil d'Alcibiade, y établirent les premiers une espece de douanne, pour faire payer les droits à ceux qui navigeoient sur la mer Noire. Xénophon assure qu'ils firent murer Chrysopolis ; cependant c'étoit bien peu de chose du tems d'Auguste, puisque Strabon ne la traite que de village. Aujourd'hui c'est une grande ville, & même la seule qui soit sur le bosphore du côté d'Asie. Cédrene nous apprend qu'en la dixneuvieme année de l'empire de Constantin, Licinius son beau-frere, après avoir été battu plusieurs fois sur mer & sur terre, fut fait prisonnier dans la ville de Chrysopolis, & de-là conduit à Thessalonique, où il eut la tête tranchée.

Scutari est embellie d'une mosquée royale & d'une maison de plaisance, ou serrail du grand-seigneur. Long. 46. 31. lat. 41. 7. (D.J.)


SCUTARIUSS. m. (Littérat.) outre la signification ordinaire de ce terme, qui signifie dans Pline, l'ouvrier qui faisoit le bouclier long nommé scutum, le même mot désigne un garde du corps de l'empereur, parce que tout ce corps portoit un bouclier long, scutum.


SCUTES. f. (Marine) petit esquif ou canot, que l'on emploie au service du vaisseau. Ses dimensions ordinaires sont de 21 piés de long, de 5 piés 3 pouces de large, & de deux & demi de creux.


SCUTELLATISCUTELLATI


SCUTICAS. f. (Belles-lett.) c'étoit une petite courroie de cuir, dont les maîtres d'école se servoient pour châtier leurs disciples quand ils avoient manqué à leur devoir. De-là vient que scutica est pris ordinairement pour une légere punition ; au lieu que flagellum étoit une punition atroce & accompagnée d'ignominie, parce qu'on s'en servoit pour punir les esclaves, & ceux qui avoient été condamnés par sentence des triumvirs, comme Horace le dit dans l'ode jv. du liv. V.

Sectus flagellis hic triumviralibus

Praeconis ad fastidium.

" Quoi donc, cet homme qui a été fustigé par arrêt des triumvirs, jusqu'à lasser le crieur public, &c. " Dacier. (D.J.)


SCUTIFORMEOS, terme d'Anatomie, est le principal os du genou, qu'on appelle aussi la rotule. Voyez ROTULE.

SCUTIFORME, cartilage, terme d'Anatomie, est un des cartilages du larynx, qui est le plus large & le plus gros ; ainsi appellé parce qu'il a la forme d'un écu ou d'un bouclier, que les Latins expriment l'un & l'autre par scutum : aussi les Grecs qui expriment écu par , l'ont nommé , thyroïde. Voyez THYROÏDE.

On le nomme aussi cartilage antérieur, parce qu'il est situé seulement en la partie de devant. Voyez CARTILAGE.


SCUTUMS. m. (Hist. anc.) écu, bouclier, arme défensive des anciens, nommée par les Grecs & , & par nos vieux auteurs targe ou pavois. Ce bouclier étoit si long, & quelquefois d'une grandeur si demesurée, qu'il couvroit un homme presque tout entier. Tels étoient ceux des Egyptiens, dont parle Xénophon dans la Cyropédie : il falloit qu'il fût bien grand chez les Lacédémoniens, puisqu'on rapportoit un homme dessus. De-là venoit cet ordre célebre que donna une mere spartiate à son fils, , c'est-à-dire, ou rapportez ce bouclier, ou qu'on vous rapporte dessus. L'écu étoit long & quarré, & à l'usage de l'infanterie seule.


SCYBELUS(Géog. anc.) lieu de la Pamphylie ; il donnoit le nom de son territoire au vin scybellite, dont parle Arétée, l. II. Morb. acutor. & diurnor. (D.J.)


SCYDRA(Géog. anc.) ville de la Macédoine, dans l'Emathie, selon Ptolémée, l. III. c. xiij. Pline, l. IV. c. x. & Etienne le géographe, parlent aussi de cette ville. (D.J.)


SCYLACE(Géog. anc.) étoit une petite ville, colonie des Pélasgiens, selon Hérodote, l. I. c. lvij. Pomponius Mela, l. I. c. xix. la met à l'est ou vers l'est, ou est-nord de Cyzique, entre Cyzique & le mont Olympe, près & à l'est de Placia. Pline en parle aussi, l. V. c. xxxij. Passé Spiga, dit-il, on trouve Piacia, Ariacos, Scylace, &c. On laisse derriere soi le mont Olympe, surnommé Mysien, & la ville d'Olympéna. (D.J.)


SCYLACEUM(Géog. anc.) ville d'Italie chez les Brutiens, dans le golfe de Memnon, selon Pomponius Méla, l. II. c. iv. & Ptolémée, l. III. b. j. Cette ville fondée par les Athéniens, avoit un promontoire ou écueil, que Virgile, Enéide, liv. III. v. 551. appelle navifragum scyllaceum : le nom moderne de cette ville est Squillacci. (D.J.)


SCYLAX(Géog. anc.) fleuve de l'Asie mineure, dans le Pont : il se perdoit dans l'Iris, avant que ce dernier eût baigné la ville d'Amasie. (D.J.)


SCYLLAS. f. (Mythol.) Homere & Virgile ont exercé leur esprit à faire d'un rocher d'Italie vis-à-vis du phare de Messine, un monstre terrible, dont l'aspect, dit le poëte grec, feroit frémir un dieu même. Ses cris affreux ressemblent aux rugissemens du lion ; il a douze piés épouvantables, six longs cols, six têtes énormes, & dans chaque tête trois rangs de dents, qui recèlent la mort. Virgile n'a pas cru devoir en tracer un portrait aussi hideux : selon lui, Scylla habite le creux d'un rocher ; & lorsqu'elle voit passer des vaisseaux dans le détroit de Sicile, elle avance la tête hors de son antre, & les attire à elle pour les faire périr. Depuis la tête jusqu'à la ceinture, c'est une fille d'une beauté séduisante, poisson énorme dans le reste du corps, avec une queue de dauphin, & un ventre de loup ; elle est toujours environnée de chiens, dont les affreux hurlemens font retentir les rochers d'alentour, Et caeruleis canibus resonantia saxa. Aenéid. lib. III. v. 432. (D.J.)

SCYLLA, (Géog. anc.) 1°. écueil que Pline, l. III. c. viij. met dans le détroit qui sépare l'Italie de la Sicile. Pomponius Méla, qui en parle aussi-bien que Pline, ne marque pas plus que lui, si ce rocher, cet écueil, est tout environné de la mer, ou attaché à la côte. Mais Strabon, lib. VI. p. 256. qui au lieu de Scylla, écrit Scyllaeum saxum, dit que c'est un rocher élevé, presque tout entouré de la mer, & qui tenoit seulement au continent d'Italie, par un isthme assez bas, lequel de côté & d'autre, offroit une retraite aux vaisseaux ; cependant si l'on étoit à l'abri quand on étoit dans ces ports, il n'y avoit pas la même sûreté à en approcher ; ce qui a fait dire à Virgile, Aeneid. l. III. v. 432. en parlant de ce rocher :

Ora exertantem, & naves in saxa trahentem.

& un peu plus bas :

Scyllam, & caerulaeis canibus resonantia saxa.

Ces chiens qui aboyoient sans-cesse, sont de l'imagination des Poëtes ; les Historiens plus sages, parloient autrement : mais le tems qui contribue à autoriser les fables, se sert de l'art des Poëtes pour les consacrer. Ainsi, parce que les habitans de Corfou appellerent autrefois tête de chien, le promontoire de cette île qui est du côté de l'orient, on a dit qu'il y avoit dans cet endroit des hommes qui avoient la tête semblable à celle des chiens.

Le nom moderne de Scylla, est Sciglio ; c'est un courant sur les côtes de la Calabre méridionale en Italie, qui entraîne les vaisseaux contre un rocher du cap Sciglio, où ils risquent de se fracasser. Charybde, aujourd'hui Galofaro, mais que la Poésie joint communément à Scylla, est un gouffre dans le détroit de Sicile, à l'entrée du port de Messine. La fable a métamorphosé ces deux écueils en deux nymphes cruelles, dont Homere & Virgile se sont amusés à faire la peinture. La morale prend à son tour les deux écueils de Scylla & Charybde dans un sens métaphorique pour un pas fâcheux dont il est difficile de se sauver. Horace lui-même, Ode xxvij. liv. I. s'en sert dans ce dernier sens, en disant au frere de Mégille, quanta laboras in Charybdi ! pour lui donner à entendre qu'il risque de se perdre par l'engagement indigne où il s'est imprudemment livré. Voyez SCILLA.

2°. Scylla, ville des Brutiens, selon Pomponius Méla, l. II. c. iv. Cette ville est appellée Scyllaeum par Pline, l. III. c. v. elle étoit apparemment près du rocher de Scylla, dans l'endroit où est aujourd'hui la petite ville de Sciglio.

3°. Scylla, nom d'une île deserte, voisine de la Chersonese de Thrace, selon Pline, liv. IV. c. xij. (D.J.)


SCYLLAEUM(Géog. anc.) promontoire du Péloponnèse, dans l'Argie, selon Pline, liv. IV. c. v. & Pausanias, liv. II. c. xxxiv. traduction de M. l'abbé Gédoyn ; ce dernier nous en donne la position précise. C'est aujourd'hui le cap Schille, cabo Scilli des Italiens, cap de la Morée dans la Sacanie, près de l'île de Sidra, à l'entrée du golphe d'Egina. (D.J.)


SCYPHUSS. m. (Littérature) ; c'étoit le grand bocal ou verre à boire, qu'on nommoit autrement la coupe d'Hercule ; & celle de Bacchus, liberi patris, s'appelloit cantharus. On aura peut-être occasion de parler ailleurs des verres à boire en usage chez les Romains. (D.J.)


SCYPPIUM(Géog. anc.) ville de l'Asie mineure, dans l'Ionie, aux confins des Colophoniens ; elle fut fondée, selon Pausanias, l. VII. c. iij. par les Claroméniens, qui s'en étant dégoutés & en étant sortis, se fixerent dans le pays où ils bâtirent la ville de Claromene en terre ferme. Cette ville Scyppium, pourroit bien être celle qu'Etienne le géographe appelle Scyphia. (D.J.)


SCYRAS(Géog. anc.) fleuve du Péloponnèse, dans la Laconie. Pausanias dit, l. III. c. xxiv. qu'un peu plus loin que le bourg d'Araine, où l'on voyoit la sépulture de Laïs, étoit une riviere qui se déchargeoit dans la mer : cette riviere fut appellée Scyras, depuis que Pyrrhus fils d'Achille, y aborda avec ses vaisseaux, après s'être embarqué à Scyros, pour venir épouser Hermione. Au-delà de cette riviere étoit un vieux temple, & à quelque distance de ce temple, un autel de Jupiter ; en remontant vers la terre-ferme, à quarante stades de Scyras, on trouvoit la ville Pyrrhique. (D.J.)


SCYRI(Géog. anc.) peuples du septentrion, qui conjointement avec les Huns, les Goths, & les Alains, passerent le Danube, & retournerent sur leurs pas, après avoir été battus par l'empereur Théodose. (D.J.)


SCYROou SKIROS, en grec , en latin Scyrus, (Géog. anc.) île de la mer Egée, à l'orient de celle d'Eubée. Nous en parlerons avec plaisir en faveur de Thésée, qui y fut exilé & enterré, d'Achille qui y fit l'amour, de Lycomede qui en étoit roi, & du philosophe Phrérécy de qui y prit naissance.

Cette île conserve encore son ancien nom ; car elle est connue des Italiens suivant l'inflexion de leur langue & de leur prononciation, sous les noms de Sciro, d'isola di Sciro, & de san Giorgio di Sciro. C'est une des Cyclades, & que Pline compte la derniere, tant entre les Cyclades qu'entre les Sporades. On découvre facilement pourquoi l'île de Scyros reçut anciennement ce nom ; c'est à cause qu'elle est toute hérissée de montagnes, de pierres & de roches. Scyrodes, dans la langue grecque, signifie pierreux : ainsi il n'est pas surprenant que du tems de Strabon on en estimât plus les chevres que celles des autres îles : car ces animaux se plaisent dans les pays escarpés, & vont brouter jusque sur les plus hautes pointes de rocher. L'île de Scyros, d'ailleurs abondante en taillis, étoit fort propre à nourrir les chevres & à rendre leur lait excellent ; mais elles avoient le défaut de le renverser souvent d'un coup de pié, quand le vase où l'on venoit de le traire étoit plein. Delà vient que les anciens appellerent chevres de Scyros ceux qui se démentant dans leur conduite, gâtoient l'éclat de leurs bonnes actions & de leurs bienfaits, par le mêlange honteux d'autres actions basses & injustes. On nourrit encore des chevres dans l'île de Scyros, & l'on y fait d'excellens fromages de leur lait mêlé avec celui de brebis.

Les Pélasgiens & les Cariens furent les premiers habitans de Scyros ; mais cette île n'est connue dans l'histoire que depuis le regne de Lycomede, qui en étoit le maître, lorsque Thésée, roi d'Athènes, s'y retira, pour y jouir des biens de son pere. Thésée non-seulement en demanda la restitution, mais il sollicita du secours auprès du roi, contre les Athéniens : cependant Lycomede, soit qu'il appréhendât le génie de ce grand homme, ou qu'il ne voulût pas se brouiller avec Mnesthée qui l'avoit obligé de quitter Athènes, conduisit Thésée sur un rocher, sous prétexte de lui faire voir la succession de son pere, & l'histoire dit qu'il l'en fit précipiter ; quelques-uns assûrent que Thésée tomba de ce rocher, en se promenant après avoir soupé : quoi qu'il en soit, ses enfans, qu'il avoit fait passer en l'île Eubée, allerent à la guerre de Troie, & régnerent à Athènes après la mort de Mnesthée.

L'île de Scyros ne devint pas moins célebre par les amourettes d'Achille. Thétis ayant appris que les destinées menaçoient son fils de périr à la guerre de Troie, s'avisa, pour en rompre le cours, & empêcher ce jeune héros de prendre les armes, de le travestir en fille, & de le faire élever sous cet habit auprès de Déidamie, fille de Lycomede roi de Scyros : mais nous ne savons pas sous quel nom Achille y déguisa son sexe, puisque Suétone rapporte que Tibere, entre les frivoles amusemens qui l'occupoient dans sa solitude, chercha de le savoir avec autant de curiosité que de peu de succès.

Il est vrai que cette recherche ne doit pas nous embarrasser ; il nous suffit de savoir qu'Achille plut à Déidamie, qu'il l'épousa, qu'il en eut un fils nommé Néoptoleme, & que l'on appella Pyrrhus, à cause du blond doré de ses cheveux. Il fut élevé dans l'île, & en tira les meilleurs soldats qu'il mena à la guerre de Troie, pour venger la mort de son pere ; il ne porta que trop loin sa vengeance, en massacrant le roi Priam ; mais Oreste poussé par Hermione, l'assassina lui-même dans le temple de Delphes.

Il avoit eu raison, en partant pour Troie, de tirer des soldats de Scyros ; car les peuples de cette île étoient fort braves. Pallas étoit la protectrice du pays. Elle avoit un temple magnifique sur le bord de la mer dans la ville capitale, qui portoit le même nom que l'ile. On voit encore, dit Tournefort, les restes de ce temple, qui consistent en quelques bouts de colonnes & de corniches de marbre blanc, qu'on trouve auprès d'une chapelle abandonnée, à gauche en entrant dans le port S. George. Il est vrai qu'on n'y découvre aucune inscription, mais plusieurs vieux fondemens, lesquels joints à la beauté du port, ne permettent pas de douter que la ville de Scyros ne fût dans cet endroit-là.

Il ne faut pas croire que les colonnes dont on vient de parler soient là depuis la guerre de Troie ; mais comme les anciens temples n'ont été démolis que par ordre de Constantin, il est certain qu'on les avoit rétablis plusieurs fois sous le nom des mêmes divinités, jusqu'à l'établissement du Christianisme. Si ces vieux marbres ne sont pas des restes du temple de Pallas, ils doivent être au-moins des débris de celui de Neptune, qui étoit adoré dans cette île. Goltzius a donné le type d'une médaille, qui d'un côté représente Neptune avec son trident, & de l'autre la proue d'un vaisseau.

Marcian d'Héraclée assûre que les habitans de Chalcis, ville capitale d'Eubée, s'établirent anciennement à Scyros, attirés peut-être par la bonté & par la commodité du port. Ce fait se trouve confirmé par une médaille d'argent que Tournefort acheta sur les lieux, & qui avoit été trouvée quelques années auparavant, en labourant un champ dans les ruines de la ville. Cette médaille est frappée au coin des Chalcidiens, qui bien qu'habitans de Scyros, ne laissent pas de retenir le nom de leur pays, pour se distinguer des Pélasgiens, des Dolopes, & des autres peuples qui étoient venus s'établir à Scyros. Cette médaille est chargée d'une belle tête, dont le nom qui est à l'exergue, paroît tout-à-fait effacé : au revers c'est une lyre. Comme cette piece porte le nom des Chalcidiens, , on ne croiroit pas qu'elle eût été frappée à Scyros, si on ne l'y avoit déterrée.

Les Dolopes dont il s'agit ici étoient, selon Plutarque, d'insignes pirates accoutumés à dépouiller ceux qui alloient négocier chez eux. Quelques-uns de ces brigands ayant été condamnés à restituer ce qu'ils avoient pris à des marchands de Thessalie, pour s'en dispenser, ils firent savoir à Cimon fils de Miltiade, qu'ils lui livreroient la ville de Scyros, s'il se présentoit avec sa flotte : c'est ainsi qu'il s'en rendit le maitre ; car il s'étoit contenté quelque tems auparavant de ravager cette île. Diodore de Sicile ajoûte que dans cette expédition l'île fut partagée au sort, & que les Pélasgiens l'occupoient auparavant, conjointement avec les Dolopes.

Après la guerre de Troie, les Athéniens rendirent de grands honneurs à la mémoire de Thésée, & le reconnurent pour un héros ; il leur fut même ordonné par l'oracle d'en rechercher les os, de les rassembler, & de les conserver avec respect. Cimon chargé de cette commission, n'oublia rien pour découvrir le cercueil où l'on avoit enfermé les os de Thésée : la chose étoit difficile, dit Plutarque, à cause que les gens du pays ne se payoient pas trop de raison. Enfin on s'apperçut d'un aigle, à ce qu'on dit, qui avec son bec & ses ongles grattoit la terre sur une petite colline. On y fit creuser, & l'on découvrit le cercueil d'un homme de belle taille, avec une épée & une pique : c'en fut assez. Plutarque ne rapporte pas si c'étoient les armes d'un athénien, d'un carien, d'un pélasgien ou d'un dolope. On ne fit pas d'autre perquisition : on cherchoit le corps de Thésée, & Cimon fit transporter ce cercueil à Athènes, 400 ans après la mort de ce héros. Les restes d'un si grand homme furent reçus avec de grandes démonstrations de joie ; on n'oublia pas les sacrifices ; le cercueil fut mis au milieu de la ville, & servit d'asyle aux criminels.

Scyros fut enlevée aux Athéniens pendant les guerres qu'ils eurent avec leurs voisins ; mais elle leur fut rendue par cette fameuse paix qu'Artaxerxes, roi de Perse, donna à toute la Grece, à la sollicitation des Lacédémoniens. Après la mort d'Alexandre le Grand, Démétrius I. du nom, surnommé , le preneur de villes, résolut de donner la liberté aux villes de Grece, prit la ville de Scyros, & en chassa la garnison.

Il n'est pas nécessaire de dire que cette île a été soumise à l'empire romain, & ensuite à celui des Grecs. André & Jérôme Gizi se rendirent les maîtres de Scyros après la prise de Constantinople par les François & par les Vénitiens. Elle passa sous la domination des ducs de Naxie, & finalement sous celle des Turcs, avec le reste de l'Archipel. Voyez l'état présent de cette île au mot SCYROS. (Géog. mod.)

Mais il faut se ressouvenir, à la gloire de l'ancienne Scyros, que Phérécyde y vit le jour. C'est l'un des plus anciens philosophes de la Grece, le maître de Pythagore, & le disciple de Pittacus. On garda longtems à Scyros son cadran solaire, comme un monument de sa capacité : quelques-uns prétendoient qu'il avoit tiré la maniere de le fabriquer des écrits des Phéniciens ; mais le plus grand nombre lui en attribuoit l'invention. On croit aussi qu'il a trouvé la cause des éclipses.

Pline dit de Phérécyde qu'il fit en prose le premier ouvrage philosophique que l'on eût vu parmi les Grecs, prosam orationem primus condere instituit : ces paroles signifient seulement qu'il fut le premier qui sut donner à la prose une espece de cadence & d'harmonie. Cicéron loue ce grand homme par un autre endroit bien remarquable, d'avoir enseigné le premier l'immortalité de l'ame ; mais c'est peut-être la transmigration des ames, comme Suidas le pensoit, que Phérécyde enseigna le premier.

Quelques savans ont aussi confondu notre Phérécyde de Scyros avec Phérécyde l'athénien, qui composa dix livres sur les antiquités de l'attique. Phérécyde l'athénien est postérieur au philosophe Phérécyde de Scyros, & a vécu selon les apparences au tems de Cambises & de Darius. (D.J.)

SCYROS, (Géog. anc.) île de l'Archipel, à l'orient de Metelin, & au nord-est de Negrepont. Elle est à sept lieues de cette derniere île, à seize de Metelin, & à sept de Scopelo. Elle s'étend en longueur du septentrion au midi, & a environ 60 milles de circuit. On lui donne à-peu-près la figure d'un triangle, & quoiqu'escarpée, elle est agréable, & assez cultivée pour le peu de monde qu'elle renferme, car on n'y compte pas plus de 300 familles de chrétiens Grecs, lesquelles s'appliquent à la culture des vignes qui leur produisent de fort bons vins. Long. 42d. 40-54. lat. 39. 4-20.

Le port de Scyros, est un des meilleurs de toutes les îles de Grece, capable de contenir une grande armée, & où l'on peut mouiller presque par-tout. Il regarde le sud-ouest, & quand l'on est à sa vue, on découvre dans les terres une profonde vallée, qui fait paroître l'île comme s'il y en avoit deux. La premiere montagne qui borne ce vallon, & qui s'offre aux yeux du côté du levant, est toujours fameuse par la mort de Thésée.

Il n'y a qu'un seul village dans l'île de Scyros ; encore est-il bâti sur un rocher en forme de pain de sucre, à dix milles du port dont nous venons de parler. Le cadi est aussi le seul Turc qui soit dans l'île, mais les habitans répondent de lui ; comme ils sont obligés de payer sa rançon, en cas qu'il fût enlevé par les corsaires, ils se mettroient en devoir de le sauver, si quelqu'un vouloit le faire prisonnier.

L'évêque de Scyros ne subsiste presque que de charités, & loge dans une maison bâtie comme un cachot. Les insulaires parlent encore d'Achille ; son nom même est commun dans l'île, & beaucoup de Grecs le portent, quoiqu'un peu déguisé. Ils ont une église dédié à S. Achillée, & une dévotion particuliere pour ce saint. Voilà ce qu'est actuellement l'état monarchique du roi Lycomede : quoiqu'il ne fût pas brillant autrefois, il est pourtant vrai que c'est surtout de nos jours, qu'on peut lui appliquer le proverbe des anciens, qui désignoient par la principauté de Scyros, un chétif & misérable royaume.

Le nom même de Scyros étoit déja dans l'oubli, quand un poëte Italien le comte Gui Ubaldo Bonarelli le fit revivre sur la fin du seizieme siecle, par sa Phylis de Scyros, Filli de Scyro. Il remplit cette pastorale de fleurs poétiques, de graces, & de traits délicats. L'Italie en fut enchantée, mais on trouva par l'examen que l'auteur pensoit toujours moins à peindre les choses naturellement, qu'à les dire avec esprit. On le blâma surtout d'avoir introduit dans sa piece, une nymphe nommée Célie, qui aime également deux bergers à la fois, & qui les aime avec tant de fureur, qu'elle ne trouve que la mort qui puisse terminer son état. Bonarelli fit pour la défense de ce double amour, une dissertation pleine d'esprit & de savoir, mais qui ne convainquit personne qu'il avoit raison. (D.J.)


SCYRTONIUM(Géog. anc.) ville des Egyptiens, selon Pausanias, qui, l. VII. c. xxvij, dit que ce fut une des villes qui envoyerent la meilleure partie de leurs citoyens pour peupler Megalopolis. (D.J.)


SCYSSA(Géog. anc.) ville d'Espagne. Polybe, l. XXI. c. xx. écrit Scyssa, & Tite-Live, l. III. c. lxxvj, dit Scyssum. C'est auprès de cette ville que les Carthaginois furent battus pour la premiere fois par Scipion. On croit que c'est aujourd'hui Guissona. (D.J.)


SCYTALES. f. (Hist. de Sparte) rouleau de bois autour duquel il falloit entortiller une bande de parchemin écrite, pour entendre le sens de cette écriture.

Il faut donc savoir que les Lacédémoniens, pour empêcher qu'on ne pût déchiffrer les ordres qu'ils envoyoient par écrit à leur général d'armée, imaginerent de faire deux rouleaux de bois, d'une longueur & d'une épaisseur égale, & que le travail du tour avoit parfaitement arrondie ; les Ephores en conservoient un, & donnoient l'autre au général d'armée, qui marchoit contre l'ennemi. Chaque fois que ces souverains magistrats lui vouloient envoyer des ordres secrets, qui ne pussent être déchiffrés en cas qu'on les interceptât, ils prenoient une bande de parchemin étroite & longue, qu'ils rouloient avec justesse autour de la scytale ou rouleau de bois. En cet état ils écrivoient sur la bande de parchemin leurs intentions, qui paroissoient dans un sens parfait tant que la bande de parchemin étoit appliquée sur le rouleau ; mais dès qu'on la developpoit, l'écriture étoit tronquée, & les mots sans liaison ; il n'y avoit que le général seul qui pût y trouver de la suite & du sens, en ajustant la bande sur le rouleau semblable, & la remettant dans la même assiette où les éphores l'avoient mise. C'est ainsi que l'art mystérieux d'écrire en chiffres a été jadis ébauché à Lacédémone. Les Athéniens, malgré leur esprit, n'ont point eu l'honneur de cette invention. (D.J.)


SCYTHARIONS. m. (Botan. anc.) nom donné par les anciens auteurs grecs à un arbre dont le bois étoit d'un beau jaune, & s'employoit dans ces anciens tems pour peindre dans cette couleur. On l'appelloit aussi chrysoxylon, bois d'or, à cause de son beau jaune ; & on le nommoit encore scythicum lignum, bois de Scythie, du lieu d'où on le tiroit. (D.J.)


SCYTHES(Géog. anc.) Scythae ; on donna anciennement le nom de Scythes à tous les peuples du septentrion, principalement à ceux du septentrion de l'Asie ; car quoique plusieurs auteurs marquent des Scythes en Europe, & que Pline les donne pour des peuples limitrophes du Pont, conjointement avec les Dardaniens, les Triballiens, les Moesiens & les Thraces ; ces Scythes sont plus souvent appellés Getes ou Sarmates, quand on veut les prendre dans un sens plus étendu. Presque toujours par le nom de Scythes, on entend des peuples Asiatiques. Aussi Pomponius Mela, lib. III. c. iv. après avoir dit que la Sarmatie étoit limitrophe de la Germanie, dont elle étoit séparée par la Vistule, ajoute, chap. v. que les confins de l'Asie se prennent à la Sarmatie, si ce n'est dans les pays perpétuellement couverts de neige, & où il faisoit un froid insupportable ; pays qui étoient habités par les Scythes.

Le nom des Scythes passa dans quelques parties de la Sarmatie & de la Germanie ; & de même le nom de Sarmates passa dans l'Asie, mais seulement dans les parties citérieures de cette région. Le périple de Scylax, dit qu'après le fleuve Tanaïs, c'est le commencement de l'Asie, & que cette premiere partie, qui est le Pont, est habitée par les Sauromates ou Sarmates.

Les moeurs des anciens scythes ont été décrites par plusieurs auteurs ; nous n'en recueillerons ici que quelques particularités les plus curieuses.

Ils estimoient l'amitié au-dessus de toutes choses, & faisoient gloire d'assister leurs amis dans les plus fâcheuses extrêmités. Ils ne s'occupoient point au labourage (Justin, lib. II.), mais seulement à faire paître leurs troupeaux ; & même ils faisoient crever les yeux à quelques esclaves (Plutarque), afin que n'étant plus capables d'aucune autre fonction, ils pussent bien battre le lait. Ils n'avoient point de maisons (Hérodote, lib. IV.), & menoient leurs femmes & leurs enfans sur des charrettes couvertes de cuir, pour les défendre du froid & des pluies, changeant de place à mesure que l'herbe manquoit. Ils alloient rarement à pié, voyageant presque toujours ou à cheval, ou dans leurs chars (Hippocr. de aere & aquis, lib. II.) Quelques-uns en avoient qui étoient couverts de feuillages d'arbres (Ammian. Marcel. lib. XXII.), & dans lesquels ils portoient quelques meubles de peu de valeur. Ils mangeoient principalement du fromage de leurs jumens (Justin, lib. II. ix. Nicephor. lib. VIII.), dont le lait étoit aussi leur breuvage.

Plutarque dit dans son banquet des sept sages, que les Scythes n'avoient ni jeux, ni joueurs d'instrumens.

Ils étoient vétus des peaux de leurs bêtes ; portoient les mêmes habits l'hiver que l'été (Hippocr. de aere, & Justin, lib. II.) Ils tenoient que c'étoit un ornement d'avoir un arc bandé à la main ; & c'est ainsi que le philosophe Anacharsis, scythe de nation, étoit représenté par ceux d'Athènes, qui de plus lui mettoient un livre à la main droite.

Les Scythes ne faisoient aucun état ni de l'or, ni des perles, ni des pierreries ; mais ceux qui se distinguoient par leur valeur étoient extrêmement estimés, & on tâchoit à l'envi d'acquérir leur amitié.

Lorsque le choix d'un ami avoit été fait, les deux amis protestoient de vivre & de mourir l'un pour l'autre. Pour rendre cette alliance assurée, ils se faisoient des incisions aux doigts, afin que leur sang distillât dans une tasse, où après avoir trempé la pointe de leurs épées, ils buvoient l'un & l'autre de ce sang. Jamais on ne recevoit plus de trois personnes à cette alliance, parce qu'ils étoient persuadés que l'amitié étoit foible, si on consentoit à la partager entre un plus grand nombre de personnes.

Ils traversoient les rivieres sur des peaux chargées de liége en-dessous. Celui qui vouloit passer de l'autre côté, se mettoit sur la peau, & prenoit son cheval par la queue, ensorte que le cheval tiroit après lui cette maniere de barque. Ils rendoient la justice suivant la raison naturelle, & non suivant quelque loi écrite ; mais ils punissoient sévèrement le larcin. Ils adoroient Vesta, Jupiter & la Terre, qu'ils croyoient sa femme, Mars & Hercule (Hérodote, lib. IV.) Ils juroient par le vent & par l'épée ; l'un comme auteur de la vie & de la respiration ; & l'autre comme procurant la mort (Clém. Alex. adhort. ad gentil.) Ils sacrifioient des chevaux à Mars, représenté par l'épée dont nous venons de parler ; & quelquefois ils lui immoloient un homme de chaque centaine de leurs prisonniers de guerre.

Les mariages étoient heureux chez les anciens scythes, & quatre choses en assuroient le bonheur : l'éducation vertueuse que les enfans recevoient de leurs parens ; l'attachement des femmes pour leurs époux ; l'horreur de l'infidélité conjugale ; & la rigueur des loix contre ce crime. Chez eux, la plus grande dot d'une fille, étoit la vertu de ses parens ; c'étoit son inviolable attachement pour son époux, & l'éloignement qu'elle avoit pour un autre ; c'étoit enfin sa persuasion que l'infidélité étoit un crime.

On fera bien de lire dans les Mémoires de l'académie de Petersbourg les dissertations de M. Bayer sur l'origine & les anciennes demeures des Scythes, sur leur histoire, ainsi que sur la situation de la Scythie du tems d'Hérodote, pays auquel des auteurs modernes fort respectables ont donné une étendue beaucoup trop grande. Mais quoiqu'ils ayent suivi en cela Ephore, ancien historien, dont Cosmas nous a conservé les termes, notre savant ne peut se ranger à leur sentiment. Il entend par l'Araxe, au-delà duquel Hérodote témoigne que les Scythes avoient autrefois leurs tentes, non la riviere d'Arménie connue sous ce nom, ni aucun des autres fleuves auxquels les savans veulent que l'antiquité ait donné le nom d'Araxe, mais le Volga, que les anciens appellent aussi Rha ; ce qui rapproche considérablement les bornes orientales de la Scythie. M. Bayer pense aussi que l'Araxe que Cyrus passa pour attaquer les Massagetes est ce même Volga, & non pas l'Oxus, comme l'a cru Cellarius d'après Isaac Vossius. Il a joint à ses dissertations une carte de la Scythie construite sur l'histoire d'Hérodote ; & c'est conformément à sa description bien entendue & corrigée où elle doit l'être, que M. Bayer place la Scythie entre les degrés 45 & 57 de longitude, & entre les degrés 47 & 55 de latitude.

M. Bayer a donné dans les mêmes mémoires une table chronologique des événemens qui intéressent les Scythes, depuis l'an 644 avant Jesus-Christ jusqu'à l'année 421. Cette table est suivie d'une piece intitulée, Mémoires des Scythes, jusqu'à Alexandre le Grand ; c'est un extrait de tout ce qu'Hérodote & autres historiens ont rapporté de cette puissante & nombreuse nation. (D.J.)

SCYTHES, THRACES ET GETES, philosophie des, (Hist. de la Philosop.) on appelloit autrefois du nom général de Scythie, toutes les contrées septentrionales. Lorsqu'on eut distingué le pays des Celtes de celui des Scythes, on ne comprit plus sous la dénomination de Scythie, que les régions hyperboréennes situées aux extrêmités de l'Europe. Voyez à l'article CELTES, ce qui concerne la philosophie de ces peuples. Il ne faut entendre ce que nous allons dire ici sur le même sujet, que des habitans les plus voisins du pole, que nous avons connus anciennement dans l'Asie & l'Europe.

On a dit d'eux qu'ils ne connoissoient pas de crime plus grand que le vol ; qu'ils vivoient sous des tentes ; que laissant paître au hasard leurs troupeaux, la seule richesse qu'ils eussent, ils n'étoient sûrs de rien s'il étoit permis de voler ; qu'ils ne faisoient nul cas de l'or ni de l'argent ; qu'ils vivoient de miel & de lait ; qu'ils ignoroient l'usage de la laine & des vêtemens ; qu'ils se couvroient de la peau des animaux dans les grands froids ; qu'ils étoient innocens & justes ; & que réduits aux seuls besoins de la nature, ils ne desiroient rien au-delà.

Nous nous occuperons donc moins dans cet endroit, de l'histoire de la Philosophie, que de l'éloge de la nature humaine, lorsqu'elle est abandonnée à elle-même, sans loi, sans prêtres & sans roi.

Les scythes grossiers ont joui d'un bonheur que les peuples de la Grece n'ont point connu. Quoi donc ! l'ignorance des vices seroit-elle préférable à la connoissance de la vertu ; & les hommes deviennent-ils méchans & malheureux, à mesure que leur esprit se perfectionne & que les simulacres de la divinité se dégrossissent parmi eux ? Il y avoit sans-doute des ames bien perfides & bien noires autour du Jupiter de Phidias ; mais la pierre brute & informe du scythe fut quelquefois arrosée du sang humain. Cependant, à parler vrai, j'aime mieux un crime atroce & momentané, qu'une corruption policée & permanente ; un violent accès de fievre, que des taches de gangrene.

Les Scythes ont eu quelqu'idée de Dieu. Ils ont admis une autre vie ; ils en concluoient qu'il valoit mieux mourir que de vivre : cette opinion ajoutoit à leur courage naturel. Ils se réjouissoient à la vûe d'un tombeau.

Le nom d'Abaris, scythe hyperboréen, prêtre d'Apollon, & fils de Scute, fut célebre dans la Grece. Qui est-ce qui n'a pas entendu parler de la fleche merveilleuse à l'aide de laquelle il traversoit sans peine les contrées les plus éloignées ; de ses vertus contre la peste ; du voyage d'Abaris en Grece & en Italie ; de son entretien avec Pythagore ; du don qu'il lui fit de sa fleche ; des conseils qu'il reçut du philosophe en échange ? Pythagore reçoit le présent d'Abaris avec dédain, & lui montre sa cuisse d'or. Il apprend au barbare la Physique & la Théologie ; il lui persuade de substituer à ses exstispices, la divination par les nombres. On les transporte tous les deux à la cour de Phalaris ; ils y disputent ; & il se trouve presque de nos jours, de graves personnages qui, partant de ces fables comme de faits historiques bien constatés, cherchent à fixer l'époque de la fameuse peste de la Grece, le regne de Phalaris & l'olympiade de Pythagore.

S'il y eut jamais un véritable Abaris ; si cet homme n'est pas un de ces imposteurs qui couroient alors les contrées, & qui en imposoient aux peuples grossiers, il vécut dans la iij. olympiade.

Au reste, dans les tems postérieurs, lorsque la religion chrétienne s'établit, & que toutes les sectes des philosophes s'éleverent contr'elle, on ne manqua pas de reveiller, d'orner tous ces prétendus miracles, & de les opposer à ceux de J. C. Voyez dans Origène avec quel succès.

Anacharsis est mieux connu. Il étoit scythe, fils de Caduste & d'une grecque, frere du roi des Perses, & de cette tribu de la nation qu'on appelloit nomades, de leur vie errante & vagabonde ; il préféra l'étude de la Philosophie à l'empire. Il vint à Athènes la premiere année de la xlvij. olympiade ; il y trouva Toxaris un de ses compatriotes, qui le présenta à Solon qui gouvernoit alors, & qui eut occasion de s'appercevoir qu'un scythe ne manquoit ni de lumieres, ni de sagesse. Solon se plut à instruire Anacharsis, à l'introduire dans les plus grandes maisons d'Athènes ; & il réussit à lui procurer de l'estime & de la considération au point qu'il fut le seul barbare à qui les Athéniens accorderent le droit de bourgeoisie. De son côté Anacharsis reconnut ces services par l'attachement le plus vrai, & par l'imitation rigoureuse des vertus de son bienfaiteur ; ce fut un homme ferme & sentencieux. Les Grecs en ont raconté bien des fables. Anacharsis ne se fixa point dans Athènes, il voyagea ; il étudia les moeurs des peuples, & reprit le chemin de son pays par Cizique, où il promit des sacrifices à la mere des dieux dont on célébroit la fête dans cette ville, si elle lui accordoit un heureux retour. Arrivé en Scythie, il satisfit à son voeu ; mais ses compatriotes qui abhorroient les moeurs étrangeres, en furent indignés ; & Saulnis son frere, le perça d'une fleche. Il disoit en mourant : " La sagesse qui a fait ma sécurité dans la Grece, a fait ma perte dans la Scythie ". Parmi les sciences auxquelles il s'étoit appliqué, il n'avoit pas négligé la Médecine. Ce ne fut point à proprement parler, un philosophe systématique ; mais un homme de bien. Comme il étoit destiné par sa naissance aux premiers postes, il avoit tourné ses réflexions particulierement vers la politique & la religion. Il écrivit en vers, car c'étoit l'usage de son tems, des loix, de la sobriété & de la guerre. On lui fait l'honneur de quelques inventions méchaniques. Les épîtres qu'on lui attribue, sentent l'école des sophistes.

La réputation des Grecs avoit attiré Toxaris dans Athènes. Il quitta ses parens, sa femme & ses enfans, pour venir considerer de près des hommes dont il avoit entendu tant de merveilles. Il s'attacha à Solon, qui ne lui refusa point ses conseils. Ce législateur trouva même dans cet homme tant de droiture & de candeur, qu'il ne put lui refuser une amitié forte & tendre. Toxaris ne retourna point en Scythie ; il eut en Grece la réputation de grand médecin. Dans le tems de la peste, il apparut en songe à une femme à qui il révéla que le fleau cesseroit, si on répandoit du vin dans les carrefours ; on le fit, & la peste cessa. On sacrifioit tous les ans, en mémoire de cet événement, un cheval blanc sur son tombeau, où quelques malades de la fievre obtinrent leur guérison.

Mais personne n'eut autant de célébrité & d'autorité chez les Scythes, que le gete Zamolxis. Il fut le fondateur de la philosophie parmi eux. Il y accrédita la transmigration des ames, système qu'il avoit appris de Pythagore, ou Pythagore de lui ; il s'en servit pour accroitre leur valeur, par le sentiment de l'immortalité. Les Thraces & tous les barbares l'inspiroient à leurs enfans dès la premiere jeunesse. Les Getes à qui il avoit donné des loix, le placerent au rang des dieux. On lui institua des sacrifices bien étranges. A certains jours solemnels on prenoit des hommes, on les précipitoit, & d'autres les recevoient en tombant sur la pointe de leurs javelots : voilà ce qu'ils appelloient envoyer à Zamolxis.

Il suit de ce que nous savons d'Anacharsis, de Toxaris & de Zamolxis, que ces hommes furent moins des philosophes que des législateurs.

Il ne faut pas porter le même jugement de Dicéneus ; celui-ci joignit à l'art de gouverner, la connoissance de l'Astronomie, de la Morale & de la Physique. Il fut contemporain du roi Bérébeste qui vivoit en même tems que Sylla & Jules-César.

Les Scythes, les Getes & les Thraces furent instruits autant que peuvent l'être des peuples qui vivent toujours en armes.


SCYTHIACA REGIO(Géogr. anc.) contrée de l'Egypte. Ptolémée, lib. IV. c. v. lui donne une seule ville qu'il nomme Schiatis. (D.J.)


SCYTHICUS SINUS(Géogr. anc.) golfe de la mer Caspienne, dont Pline, lib. VI. c. xiij. & Pomponius Mela, lib. III. c. v. sont mention. (D.J.)


SCYTHIE(Géog. anc.) Scythia ; on entend communément par ce mot un grand pays de l'Asie, commençant au Bosphore cimmérien, aux Palus Méotides & au fleuve Tanaïs, & qui s'étendoit entre l'Océan septentrional, le Pont-Euxin, la mer Caspienne, le fleuve Jaxartes & les montagnes des Indes, jusqu'à l'extrêmité de l'Orient, & jusqu'au pays des Seres qui s'y trouvent même quelquefois renfermés.

De cette façon, les bornes de la Scythie n'étoient pas toutes bien déterminées, ni bien connues ; car du côté du nord, on l'étendoit jusqu'à l'Océan septentrional, ou jusqu'aux terres qui pouvoient être de ce côté-là, & qu'on ne connoissoit pas ; & du côté de l'orient, si on prenoit les Seres pour un peuple scythe, il n'y avoit point d'autres bornes, selon Ptolémée, que des terres inconnues.

Ce pays, qui étoit d'une longueur immense, est partagé par Ptolémée en trois parties, dont l'une qui s'étendoit depuis les Palus Méotides & l'embouchure du Tanaïs, jusqu'à une partie de la mer Caspienne, & jusqu'au fleuve Rha, aujourd'hui le Volga, est appellée Sarmatie Asiatique. Une autre partie qui prenoit depuis la Sarmatie Asiatique jusqu'aux sommets du mont Imaüs, se nommoit Scythie en-deçà de l'Imaüs ; & la troisieme à laquelle on joignoit la Sérique, avoit le nom de Scythie au-delà de l'Imaüs. Nous parlerons de ces deux dernieres.

Ptolémée, lib. VI. c. xiv. termine la Scythie en-deçà de l'Imaüs du côté du couchant, par la Sarmatie Asiatique, à l'orient par le mont Imaüs ; au nord par des terres inconnues ; au midi & en partie à l'orient, par le pays des Saces, par la Sogdiane & par la Margiane. Les montagnes les plus considérables de cette contrée, selon le même géographe, sont les monts Alains, les monts Rhymmiques, le mont Norossus, les monts Aspisiens, les monts Tapurins, les monts Syébes & les monts Anaréens. Il nomme ensuite ses peuples.

La Scythie au-delà de l'Imaüs, est bornée par Ptolémée, liv. VI. c. xv. du côté de l'occident par la Scythie intérieure, & par le pays des Saces, au nord par des terres inconnues, à l'orient par la Sérique, & au midi par l'Inde au-delà du Gange. Il met dans cette contrée une partie des monts Auxaciens, une partie des monts Cassiens, une partie des monts Emodores. Enfin il nomme les peuples de cette région.

Les Poëtes ont confondu dans leurs écrits, la Scythie Européenne & la Scythie Asiatique, & en général, sans entrer dans aucune distinction, ils nous ont peint la Scythie comme un pays affreux. Virgile dit en en parlant dans ses Géorgiques, liv. III. v. 352.

Neque ullae

Aut herbae campo apparent, aut arbore frondes :

Sed jacet aggeribus niveis informis, & alto

Terra gelu latè, septemque assurgit in ulnas :

Semper hyems, semper spirantes frigora cauri, &c.

Avant que les Romains eussent pénétré dans la Germanie, ils croyoient que le froid étoit même insupportable dans cette contrée. Il n'est donc pas étonnant que dans la Scythie, selon Virgile, sur les bords du Palus Méotide, & même à l'embouchure du Danube, & dans la Thrace où est le mont Rhodope, l'herbe ne croisse pas dans les prairies ; que les arbres y soient sans feuilles ; que la terre tristement couverte de neige, gémisse sous sept coudées de glace ; enfin qu'il y regne un hiver éternel, &c.

D'ailleurs les suppositions hyperboliques sont favorables à la Poésie ; c'est au géographe à les détruire, quand il s'agit de la connoissance des pays ; c'est au philosophe à combattre les erreurs populaires qui regardent la Physique ; mais c'est au poëte à les adopter, quand elles lui fournissent des images.

Abaris dont Hérodote, Diodore, Suidas, Eusebe & d'autres auteurs ont tant parlé, étoit de Scythie ; mais on ignore de quelle partie de la Scythie. Rien n'est plus fabuleux que la vie de ce prêtre d'Apollon l'hyperboréen, dont il avoit reçu, dit-on, l'esprit de divination. Il fit de longs voyages à Athènes, à Lacédémone ; parloit très-bien grec, & fut un de ces barbares dont la Grece admira le génie. Il se mêloit de divination, & parcouroit les pays en rendant des oracles, & faisant accroire aux simples qu'il savoit prédire l'avenir. L'on peut dire qu'il a servi d'exemple à ceux qui depuis ont trompé le monde sous le nom de prophetes. Il avoit composé quelques ouvrages dont on nous a conservé les noms ; savoir, l'arrivée d'Apollon chez les Hyperboréens, en vers ; les noces du fleuve Hébrus ; un livre de la génération des dieux ; un recueil d'oracles, & un autre d'expiations. On ignore cependant le tems où a vécu cet homme singulier. La plus commune opinion est qu'il fut contemporain de Croesus & de Phalaris ; c'est-à-dire qu'il auroit vécu vers la cinquante-quatrieme olympiade, environ 560 ans avant J. C. Jamblique a écrit qu'il fut disciple de Pythagore ; mais il ne faut pas faire beaucoup de foi sur son récit. (D.J.)


SCYTHOPOLIS(Géog. anc.) ville de la Palestine, autrement nommée Nysa & Bethsan ; car elle a porté ces trois noms. Elle étoit située sur le penchant d'une montagne au bord d'une petite riviere qui tombe dans le Jourdain, à quinze milles (cinq lieues) de Tibériade, à quatre lieues du lac de Tibériade, & à dix-huit lieues de Jérusalem.

La ville placée avantageusement à une demi-lieue du Jourdain, avoit une partie de ses terres au-delà du fleuve dans la Pérée : elle étoit à l'un des côtés de cette grande plaine, de la vallée , qui s'étend des deux côtés du Jourdain, depuis le lac de Tibériade jusqu'à la mer Morte, dans une longueur de plus de vingt lieues, & sur la largeur de cinq lieues (cent vingt stades). Cette plaine, selon Josephe, étoit mal-saine pendant l'été, & brûlée par l'ardeur du soleil.

Scythopolis, appellée Beïsan aujourd'hui par les Arabes, est depuis long-tems sous la domination des mahométans. Le géographe turc décrivoit ainsi dans le siecle dernier l'état de Beïsan ; c'est un bourg sans murailles, situé dans le pays d'Erden (du Jourdain), dont la capitale est aujourd'hui Nabolus (Néapolis). Ce bourg est proche de Dginim, à une demi-journée de Ledgioun, & au midi de Tabariah. Son territoire est arrosé de rivieres & de fontaines, il a des jardins, & abonde en dattes, en ris, & en cannes de sucre.

Il est fait mention de Scythopolis dans le II. liv. des Macchabées, ch. xij. v. 29. 30. 31. & dans Josephe, en une infinité d'endroits. Les Scythes y consacrerent un temple à Diane scythique, comme dit Hégésippe, liv. III. c. ix. Cette ville, située dans la Galilée, avoit fait partie du royaume de Samarie ; mais il y avoit déja 106 ans que ce royaume ne subsistoit plus, & qu'il avoit été détruit par Salmanasar, l'un des prédécesseurs de Cilinadan. Ainsi les Scythes s'étoient emparés de cette ville sur Cilinadan, & l'appellerent de leur nom.


SCZEBRECZIN(Géog. mod.) les François trop habitués à estropier les mots géographiques, écrivent Chebrechin ; c'est ainsi que fait M. de Beaujeu dans ses mémoires : ville de Pologne, dans le Palatinat de Russie, & de la dépendance de Zamosch, à 3 lieues de Tourobin, sur une pente de colline ; elle est arrosée par la petite riviere de Wiepers, qui va se jetter à travers le Palatinat de Lublin, dans le Bog. Son commerce consiste en miel & en cire. Long. 41. 26. lat. 50. 35. (D.J.)


SDILES(Géog. mod.) en latin Sdili ; on appelle ainsi deux petites îles de Grèce, dans l'Archipel. La moindre est nommée la petite Sdile, & n'a que six milles de tour ; la grande est fort célebre pour être l'ancienne Délos. Elle n'a cependant que dix milles de circuit, avec un port ; mais on y voit encore des vestiges du temple d'Apollon, d'un amphithéâtre, & des restes de colomnes de marbre. Les deux Sdiles sont désertes depuis deux siecles. Elles sont situées à 40 milles à l'est de la côte de Negrepont, à 12 au sud de Tine, & à 6 à l'ouest de Mycone. Long. 43. 21. lat. 37. 19. (D.J.)


SE-TSEou TSE-TSE, (Hist. nat. Botan.) espece de figues, qui ne croissent qu'à la Chine, & sur-tout dans les provinces de Chan-tong & de Yun-nan. Ces figues ont un parfum délicieux ; l'arbre qui les produit est de la grandeur d'un noyer, dont les feuilles sont d'un très-beau verd d'abord, mais ensuite elles deviennent d'un rouge très-vif. Le fruit est de la grosseur d'une pomme médiocre ; il jaunit à mesure qu'il mûrit. Lorsqu'on fait sécher ces figues, elles se couvrent à l'extérieur d'un enduit semblable à du sucre.


SEAou SATUM, s. m. mesure hébraïque, qui étoit le tiers du bath, & par conséquent de la capacité de 478 pouces cubes 158386/794969 ou de neuf pintes, chopine, demiseptier, un poisson, quatre pouces ; & cette fraction de pouce 158386/724969 mesure de Paris, suivant l'évaluation qu'en donne dom Calmet à la tête de son Diction. de la bible.


SÉANCES. f. (Gram.) action de celui qui s'assied ; place où l'on permet de s'asseoir ; droit d'occuper une place & d'assister à quelqu'assemblée ; lieu & tems de l'assemblée des compagnies ; vacations de juges, de commissaires, d'huissiers, d'experts, &c. On dit donc, nous lui avons accordé séance parmi nous ; les ducs & pairs ont droit de séance à la grand'chambre, & ils entendent mal leur intérêt & celui de la nation de n'en pas user plus souvent ; des séances qui ont duré six mois ont épuisé la succession, ruiné les créanciers & les mineurs, absorbé tout ce qu'il y avoit & au-delà, & n'ont pas fini les affaires ; on leur accorde tant par séance ; nous avons fait une longue séance ; je n'aime pas ces corvées-là ni de table, ni de jeu, je suis excédé à la fin de ces séances, &c.

SEANCE, (Hist. du parlement de Paris) ce terme se dit des veilles des quatre grandes fêtes de l'année, èsquels jours le parlement va à la conciergerie, & aux autres prisons, pour vuider les demandes en liberté. Trévoux. (D.J.)


SÉANTadj. (Gram.) c'est la même chose que tenant séance ou assistance. Le roi séant à son lit de justice ; les grands jours sont séans à Poitiers ; les états de Bourgogne séans ; dans un tems où le pape étoit séant à Avignon.

Séant se prend très-diversement ; il est synonyme à décent, convenable. Il n'est pas séant d'accepter quelque chose pour un service rendu, à moins de plusieurs circonstances : premierement, il ne faut pas demander une injustice, parce qu'il ne faut jamais être injuste ; secondement, il faut avoir assez de crédit auprès de celui qu'on sollicite, pour n'être pas un imposteur, parce qu'il ne faut point ajouter l'effronterie à l'impertinence ; il ne faut pas extorquer de celui qu'on protege le prix de sa protection, & une marque de reconnoissance qui l'écraseroit, parce qu'il faut avoir de l'humanité ; il ne faut pas soi-même être opulent, car alors ce seroit une rapacité insupportable. Sans ces conditions, la chose devient ou mauvaise ou peu séante.


SÉATON(Géog. mod.) lieu d'Angleterre en Devon-Shire, sur la côte orientale de cette province. M. Gale croit que Séaton est le Moridunum de l'itinéraire d'Antonin ; & tout semble confirmer cette conjecture. (D.J.)


SEAUS. m. en terme de Boisselier ; ustensile de ménage ; c'est un vaisseau fait de bois appellé merin, relié de cercles de fer ordinairement, & servant à puiser de l'eau, & à la conserver quelquefois dans les maisons.

SEAU DE NOTRE DAME, s. m. (Hist. nat. Bot.) tamnus, genre de plante à fleurs monopétales campaniformes, ouvertes & profondément découpées. Les unes sont stériles & n'ont point d'embryons ; les autres sont soutenues par un embryon & deviennent dans la suite une baie ordinairement ovoïde & couverte d'une sorte de coëffe membraneuse. Cette baie renferme des semences arrondies ; ajoutez aux caracteres de ce genre que ses especes n'ont point de mains. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SEAU DE SALOMON, s. m. (Hist. nat. Bot.) polygonatum ; genre de plante à fleur monopétale campaniforme, tubulée, qui n'a point de calice, & qui est profondément découpée. Le pistil sort du fond de cette fleur, & devient dans la suite un fruit mou & ordinairement rond, qui renferme des semences le plus souvent arrondies. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


SEAUX(Géog. mod.) bourg de l'île de France, à deux lieues de Paris, sur le chemin d'Orléans, renommé par son château, qui a servi de lieu de plaisance à M. Colbert, qui l'avoit fait bâtir. Ensuite cette belle maison a appartenu à M. le Duc & à Madame la duchesse du Maine. Nos poëtes en ont chanté les agrémens. L'autel de la chapelle a deux statues de marbre sculptées par Girardon, & qui représentent le baptême de J. C. On voit dans la galerie quelques tableaux de Vander - Meulen. L'on remarque aussi dans le jardin deux statues de bronze estimées ; l'une est le gladiateur & l'autre Diane. Cette derniere avoit été donnée à M. Servien par Christine, reine de Suede. Mais c'est sur-tout l'Hercule gaulois du Puget qu'il faut y voir. (D.J.)


SEAVEN'S-HALL(Géog. mod.) lieu d'Angleterre, près de la muraille de Severe & de la Tyne, à l'orient de Chester in the Wall, mais de l'autre côté de la muraille. On croit que le nom de seavens-Hall, vient de celui d'une aîle de cavalerie romaine, qui étoit là en quartier, dans une place nommée Hunnum. On y a trouvé du moins quelques inscriptions où il est fait mention de cette aîle. (D.J.)


SÉBACÉESen Anatomie, sont des glandes situées sous la peau.

La cire des oreilles, la chassie & le suif sou-cutané est séparé par des glandes de divers genres. On voit à l'oeil nud sur la peau l'orifice de plusieurs glandes sébacées, & ces orifices ne répondent pas à des conduits fort longs ; tels sont ceux des oreilles, des nymphes, de la fosse naviculaire, du prépuce, de la verge, du clitoris, de l'aréole des mamelles. Ces glandes différent à peine des cryptes, si ce n'est par le fluide qu'elles en séparent. Voyez OREILLE, NYMPHE, VERGE, &c.

D'autres glandes sébacées ont un conduit excréteur de quelque longueur ; telles sont presque toutes les glandes cutanées, & celles qui étant dans le tissu cellulaire ont nécessairement un conduit qui perce la peau. On les remarque sur-tout dans la face ; en effet, l'espece de petit ver qu'on en exprime assez souvent, détermine d'un côté la longueur du conduit, & fait voir d'ailleurs par sa grandeur qu'il y a un follicule au-dessous de ce conduit.

Enfin d'autres glandes sébacées sont de ce genre de glandes dans lesquelles plusieurs cryptes répondent par leurs petits conduits excrétoires. C'est ainsi qu'on observe çà & là dans la face des grands pores qui sont communs à plusieurs cryptes. Ceci a lieu dans les glandes sébacées des paupieres. Haller, Physiol. Voyez CRYPTE.

SEBACEE, humeur, (Physiolog.) l'humeur sébacée est une matiere onctueuse qui se filtre par les glandes sébacées, & qui est déposée dans de petites follicules, où elle acquiert une certaine consistance. L'usage est de défendre la peau de l'action des sels qui se trouvent dans la matiere de la sueur, & dans celle de la transpiration, de rendre la peau du visage lisse, polie, & d'empêcher l'excoriation des parties qui sont obligées de se frotter ; c'est pourquoi il se trouve beaucoup de glandes sébacées dans les endroits sujets au frottement, tels que les jointures, le scrotum, les aînes, &c.

L'humeur sébacée en se desséchant forme les petites écailles que font la crasse de la tête & de tout le corps. Lorsque cette humeur est retenue dans la follicule, ou dans la glande, elle forme les tubercules ou petites tumeurs qui naissent sur la peau, & qu'on appelle taupes à la tête, & tannes au visage. Voyez TANNE.

Celle qui sort du conduit auditif externe de l'oreille s'appelle cerumen, ou cire. Elle est jaune & amere ; elle décrépite, & s'enflamme sur le feu ; si elle s'amasse & s'endurcit dans le conduit, elle peut causer la surdité.

Les glandes méibomiennes filtrent une matiere sébacée, dont l'usage est de s'opposer à la chûte des larmes sur les joues, de les déterminer vers le nez, & de les faire passer par les points lacrimaux. Lorsque cette humeur devient épaisse, elle forme ce qu'on appelle la chassie des yeux. La Faye. (D.J.)


SÉBANICOUS. m. terme de relation ; espece de vin préparé en Ethiopie avec un fruit appellé sébanicou ; le vin & le fruit portent le même nom.


SÉBASTE(Géographie ancienne) ville de la Palestine, dans la Samaritide. Hérodote augmenta & embellit la ville de Samarie, & lui donna le nom de Sébaste ou d'Augusta, en l'honneur de l'empereur Auguste, le nom de Sébaste voulant dire Auguste en grec.

2°. Sébaste, ville & île de la Sicile propre, selon Ptolémée, l. V. c. viij. qui la marque après le promontoire de Coryens. Cette ville n'est autre chose que celle d'Eleusa, dont Archélaüs, comme nous l'apprend Strabon, l. XIV. p. 671. fit sa résidence, lorsqu'Auguste lui eut donné la Cilicie.

3°. Sébaste, ville de l'Asie mineure, dans la Galatie. On voit dans une ancienne inscription rapportée par Gruter, p. 427. n°. 8. que cette ville de Sébaste, étoit le pays des Tectosages.

4° Sébaste est aussi le nom d'une ville du Pont, sur le penchant du mont Paryadrès. C'étoit originairement un lieu bien peuplé, où Mithridate avoit bâti un palais. Pompée en fit une ville qu'il nomma Diopolis, & la reine Pythodoris qui l'augmenta, l'appella Sébaste, & y établit sa résidence. C'est de cette ville dont il est parlé dans les martyrologes.

5°. Sébaste est enfin un siege épiscopal de l'Asie mineure où naquit, au commencement du v. siecle, Atticus, patriarche de Constantinople. Les anciens parlent fort diversement de son savoir, & le grand nombre s'accorde à lui donner plus de naturel que d'étude ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il n'étoit pas superstitieux, & qu'il prit soin d'étouffer en particulier la superstition, qui consiste dans l'adoration des morts.

Sa charité s'étendoit également aux hérétiques comme aux catholiques. Il écrivit à Calliopius : " J'ai appris qu'il y a dans votre ville un grand nombre de personnes qui ont besoin du secours des gens de bien : recevez ces trois cent pieces d'or, pour les distribuer selon votre prudence, à ceux qui sont dans la nécessité. Je ne doute point que vous ne choisissiez les honnêtes gens que la honte empêche de demander, plutôt que ceux qui ne demandent que pour se nourrir dans l'oisiveté. La seule chose que je vous recommande, c'est que vous n'ayez point d'égard à la différence de réligion, je veux dire, que vous nourrissiez ceux qui ont besoin, sans considérer s'ils sont de notre sentiment ou non " Socrate, hist. ecclés. l. VII. c. xxv.

Il m'importe peu de savoir à présent, si le patriarche Atticus étoit savant : dès que je vois en lui des sentimens si nobles, si judicieux, & si dignes d'un chrétien, je m'embarrasse peu de sa science. Il mourut en 425, dans la dix-neuvieme année de son patriarchat. (D.J.)


SEBASTIA(Géog. anc.) ville du Pont polémoniaque : Ptolémée, l. V. c. vj. la marque dans les terres. Elle est mise dans la Colopene par Pline, l. VI. c. iij. (D.J.)


SEBASTIENSAINT, (Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la province de Guipuscoa, au pié d'une montagne qui lui sert de digue. Elle a un port sur l'Océan, à l'embouchure de la petite riviere Guruméa, appellée par les anciens Menanum.

Cette ville est à 18 lieues au levant de Bilbao, & à 84 de Madrid ; sa grandeur est médiocre, mais les rues en sont larges, longues, droites, & bien pavées ; les dehors en sont agréables : on y a d'un côté la vûe de la mer, & de l'autre on voit en éloignement les Pyrénées au bout d'une campagne sablonneuse.

Sur le haut de la montagne est une citadelle qui commande la ville, avec une garnison qu'on y tient. Le port est un bassin formé par l'Océan, & aggrandi par l'art : les bâtimens y sont généralement en sûreté au pié de la montagne, qui les couvre ; cependant les vaisseaux de guerre du roi d'Espagne sont à un autre port situé à un quart de lieue de la ville, tirant vers Fontarabie.

Saint-Sébastien est peuplé, & fait un grand commerce de fer, d'excellent acier, & des laines de la Castille vieille. D'ailleurs le séjour de cette ville est gracieux ; c'est un pays de bonne chere. Le poisson & les fruits y sont admirables. La ville est sous la dépendance de l'archevêque de Burgos. Long. 15. 35. latit. 43. 24. (D.J.)

SEBASTIEN, saint, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Brésil, dans la capitainerie de Rio-Janéiro, sur la côte occidentale du golfe formé par cette riviere, dans une plaine entourée de montagnes. Corréa, célebre capitaine du xv. siecle, fonda cette ville, que son petit-fils augmenta & embellit dans le siecle suivant. Les Jésuites & les Bénédictins y ont des palais : c'est le siege d'un évêque suffragant de Saint-Salvador, & la résidence du gouverneur de la province. Le commerce consiste principalement en coton, & bois du Brésil. Latit. méridion. 23. 46. (D.J.)


SÉBASTIONIQUES. m. (Art numismat.) Ce mot se trouve dans une inscription que rapportent Fabret, inscr. c. j. p. 112. & Spon, dans ses recherches. Gadius avoit tiré cette inscription de dessus une urne de marbre. C'est l'épitaphe d'une chanteuse monodiaire nommée Heria Thisbé, fille ou femme de Claudius Glaphyrus, choraulae, actionicae & sebastionicae, c'est-à-dire, joueur de flûte actionique & sébastionique. Ces deux mots signifient un vainqueur aux jeux actiaques, & aux jeux augustaux. Cela nous marque donc que T. Claudius Glaphyrus avoit remporté le prix à ces deux jeux. (D.J.)


SÉBASTOCRATORS. m. (Emp. de Constantin) M. Fleury emploie ce mot dans son hist. ecclésiastique, tome XVIII. C'étoit le nom d'une dignité à la cour des empereurs de Constantinople. Le sébastocrator étoit inférieur au despote, mais c'étoit une charge de faveur que l'empereur ne donnoit qu'à des favoris ; ils portoient des ornemens & des vêtemens particuliers, pour marque de leur dignité. (D.J.)


SÉBASTOPOLIS(Géog. anc.) nom de trois différentes villes d'Asie. 1°. ville de l'Asie mineure dans l'Aeolide, dont le véritable nom étoit Myrna, comme le dit Pline, l. V. c. xxx. 2°. ville de l'Asie mineure, dans le Pont cappadocien, selon Ptolémée, l. V. c. vj. ou dans la Colopène capadocienne, suivant Pline, l. VI. c. iij. 3°. ville d'Asie, dans la Colchide ; cette ville auparavant nommée Dioscuriade, étoit le port le plus célebre de la Colchide, & celui d'un des plus grands commerces qui se fissent du tems des Romains. Là se rendoient des marchands de presque toutes les nations. Pline assure que l'on y voyoit des négocians de trois cent langues différentes, qui trafiquoient ensemble sans s'entendre les uns les autres. (D.J.)


SÉBATS. m. (Calend. des Hébreux) cinquieme mois de l'année civile des Hébreux, & le onzieme de l'année ecclésiastique, qui répond à une partie de notre mois de Janvier, & à une partie de Février. Les Juifs commençoient par ce mois à compter les années des arbres qu'ils plantoient. Le dix de ce mois étoit un jour de deuil, pour la mort des anciens qui avoient succédé à Josué ; le vingt-troisieme ils célébroient la mémoire de la résolution qu'ils prirent de venger l'outrage fait à la femme du lévite ; & le trentieme ils pleuroient la mort de Simon Macchabée, tué par Ptolomée son gendre. (D.J.)


SEBAUDUNUM(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Elle est donnée aux Castellani par Ptolémée, l. II. c. vj. (D.J.)


SÉBENICO(Géog. mod.) ville de l'état de Venise, dans la Dalmatie, capitale du comté de même nom, près de l'embouchure de la Cherca, dans le golfe de Venise, à seize lieues au nord-ouest de Spalatro, dont son évêché érigé par Boniface VIII. est suffragant. Les Vénitiens, à qui elle appartient, l'ont fortifiée. Le port formé par l'embouchure de la riviere Cherca, est fort grand. Longit. 34. 16. latit. 44. 10.

Le Schiavone (André) né dans cette ville en 1522, mort à Venise en 1582, apprit la Peinture pour subsister, ce qui ne lui permit pas d'étudier toutes les parties de son art. Son dessein est incorrect, mais son coloris est charmant. Sa touche est facile, agréable, & spirituelle. L'Aretin étoit son ami, & lui fournit des idées ingénieuses pour ses tableaux : de-là vient qu'on en a gravé plusieurs. (D.J.)

SEBENICO, San Nicolo di, (Géog. mod.) île du golfe de Venise, sur la côte de la Dalmatie, au comté de même nom ; c'est la plus considérable de ce comté : on l'a joint à la terre ferme par le moyen de l'art, & elle a tiré son nom du fort Saint-Nicolas. (D.J.)


SÉBENNYTENOME, (Géog. anc.) Sebennytesnomus ; nome d'Egypte entre les bras du Nil, appellé Phermuthiaque & Atrhibitique, près de leurs embouchures. Hérodote, l. II. c. clxvj. & Pline, l. V. c. jx. ne connoissent qu'un nome-Sébennyte ; mais Ptolémée, l. IV. c. v. le divise en inférieur & en supérieur, dont le premier avoit la ville Pachnamunis pour capitale, & le second la ville de Sebennytus, qui donnoit le nom aux deux nomes, à une des embouchures du Nil, Sebennyticum ostium, à un des bras de ce fleuve, & à un lac. (D.J.)


SEBENNYTUS(Géogr. anc.) ville d'Egypte dans le Delta, métropole du nome Sébennyte supérieur. Cette ville étoit dans le v. siecle un évêché de la seconde Egypte ; c'est à-présent un bourg sur les bouches du Nil, où se paye la douanne de ce qui va au grand Caire. (D.J.)


SEBEROLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Labour. Elle prend sa source à six milles du mont Vésuve, au lieu appellé Cancellaro, & entre en partie dans les aqueducs de Naples. Ces aqueducs, pour le dire en passant, sont un ouvrage digne de la magnificence des anciens Romains ; ils ont en-dedans des galeries, & d'espace en espace des regards par lesquels on peut ôter les immondices : de plus, ils vont en serpentant, afin que l'eau étant agitée, en soit meilleure. C'est par ces aqueducs que le roi Alphonse I. se rendit maître de Naples en 1442. (D.J.)


SEBES-KEREZ(Géog. mod.) riviere de la basse Hongrie : elle a sa source dans la Transylvanie, au comté de Clausembourg, près du château de Sebès, qui a sans-doute occasionné son nom. Cette riviere se partage en trois bras ; & le troisieme après avoir arrosé le grand Varadin, se joint aux deux autres. (D.J.)


SEBÉSIONS. f. (Inscript. antiq.) Ce terme d'inscription seul ou joint à un autre, est un des plus difficiles à entendre. On n'a pas été plus heureux à expliquer ces deux mots, nama sebesio, qu'on a trouvé dans le dernier siecle sur un marbre antique : tous les gens de l'art paroissent y avoir échoué.

Il faut savoir que parmi les figures de Mithra, ancien dieu des Perses, dont le culte fut porté à Rome du tems de la guerre des pirates, il y en a une sur laquelle outre l'inscription ordinaire deo soli invicto Mithrae, on lit ces mots barbares, nama sebesio, qui ont mis à la torture les antiquaires. Leurs conjectures ayant paru peu satisfaisantes, M. le marquis Mafféi en a proposé une nouvelle à l'académie des Inscriptions en l'année 1736. L'action de ce bas-relief fait voir le sacrifice d'un taureau.

Il observe que l'on a placé ces mots sous le sang qui coule en abondance & avec impétuosité de la blessure faite au col du taureau. , en bon grec, signifie, dit M. le marquis Mafféi, source auguste, liqueur vénérable, fluide sacré. Or on ne pouvoit rien mettre ici de plus propre ni de plus convenable.

On pourroit objecter au sujet de cette explication, que la derniere lettre manque dans le mot sebésion ; mais on répond que c'est parce qu'il n'y avoit plus de place entre l'extrêmité du col & le couteau.

L'on pourroit opposer encore qu'à la vérité est usité pour signifier une liqueur qui coule ; mais qu'il n'en est pas de même de , qu'on ne trouve point dans les lexiques. A cela M. Mafféi répond que nul dictionnaire, de quelque langue que ce soit, ne comprend toutes les inflexions qu'on peut former & tirer des verbes. Sur les marbres antiques on trouve des verbaux qui ne paroissent point dans les livres ; & on feroit une longue liste de mots grecs & latins qui se lisent dans les inscriptions, & qui manquent dans les auteurs. Sans-doute, mais ce n'est point par des possibles, c'est par des faits qu'on appuie les explications qu'on donne des marbres antiques. M. Mafféi n'en cite aucun pour appuyer la sienne ; & quand une lettre lui manque, il s'en tire par une gentillesse d'esprit. (D.J.)


SÉBESTEou SEBEN, ou CEBEN, (Géog. mod.) & plus communément Hermanstad, ville de Transylvanie, au comté du même nom, dont elle est le chef-lieu, mais un misérable chef-lieu sans défense & sans murailles. Long. 41. 14. latit. 46. 24. (D.J.)

SEBESTES, s. m. pl. (Hist. des drog. exot.) fruits étrangers nommés makeita, par les Arabes ; , par Eginete ; par Aëtius, nos Médecins leur ont conservé ces deux noms grecs dans leurs ordonnances.

Ce sont des fruits semblables à de petites prunes noirâtres, faits en forme de poire, pointus à leur sommet, ridés, à demi desséchés ; ils sont appuyés sur un calice, lequel cede facilement ; il est comme un vase concave, presque de couleur cendrée, enveloppé d'une peau mince, membraneuse, & noirâtre.

Les sébestes sont composés d'une pulpe brune, visqueuse, douce au goût, fort adhérente à un petit noyau.

Dioscoride & Galien n'ont rien dit des sébestes ; on ne sait si ce sont les mêmes fruits qu'Athénée appelle ; mais l'on sait du moins certainement que les nouveaux Grecs en ont souvent fait mention.

L'arbre qui porte les sébestes est nommé sebestena domestica, par C. B. P. 446. Mixa, sive sebesten par J. B. 1. 197. sebesten domestica, par P. Alp. 30. Vidimaram, Hort. malab. v. iv. 77. Prunus malabarica, fructu racemoso, calice excepto. Raii, hist. 1563.

Cet arbre a un gros tronc, médiocrement haut ; son écorce est raboteuse & blanchâtre ; ses branches sont touffues & recourbées vers la terre. Ses feuilles naissent alternativement sur les petits rameaux ; elles sont arrondies, fermes, larges d'environ trois pouces, inégalement dentelées à leur bord supérieur, quelquefois échancrées, d'un verd-gai, lisses & luisantes en-dessus, parsemées de petites nervures endessous, portées sur une queue d'un pouce de longueur, laquelle s'unit aux petits rameaux par une espece de noeud si foible, qu'on en sépare aisément la feuille.

Les fleurs, selon le témoignage d'Augustin Lippi, dans ses lettres, sont nombreuses, ramassées comme en grappes, placées à l'extrêmité des rameaux, blanches, d'une douce odeur, monopétales, partagées en cinq quartiers, formées inférieurement en tuyau, & comme en maniere d'entonnoir, semblables pour la grandeur & pour la figure à celle du styrax, excepté que les découpures se recourbent beaucoup en-dehors.

Le calice est d'une seule feuille légerement découpée, il en sort un pistil attaché à la partie postérieure de la fleur en maniere de clou, lequel se change en un fruit ovoïde ou pyriforme, pointu à son sommet, & de la grosseur d'une olive. Sa partie inférieure est recouverte par le calice qui est de couleur grise. Ce fruit est lisse, charnu, mol à demi, transparent, d'abord verd, ensuite noirâtre, plein d'un suc visqueux, doux, fortement attaché à un noyau oblong, tantôt applati comme un noyau de prune, tantôt relevé par trois côtés ; quelquefois il contient une unique amande, d'autres fois il en renferme deux dans une seule ou dans deux loges séparées ; ces amandes sont triangulaires, oblongues, blanches & douces. L'arbre des sébestes croît en Egypte & en Orient.

On parle encore d'une autre espece de sébestier nommé sebestena sylvestris dans C. B. P. ses feuilles sont plus petites que celles du précédent ; ses fruits sont aussi plus petits & moins agréables.

Les sébestes sont composées de parties huileuses, salines, acides & terrestres, si intimement unies entr'elles, qu'il en résulte un mixte doux & glutineux, plus tenace que dans les jujubes, & plus empreint de sel alkali, soit volatil, soit fixe ; c'est de ce sel que dépend la vertu d'atténuer & de résoudre qui se trouve dans les sébestes. On les employe fréquemment contre la toux, qui vient de l'acrimonie d'une pituite tenue & salée, dans l'enrouement & autres maladies qui procédent de la même cause ; on les joint utilement avec les jujubes, dans les tisanes & décoctions pectorales. Leur pulpe pilée & broyée dans de l'eau, sert dans le pays à faire une excellente glu ; cette eau en acquiert une qualité extrêmement visqueuse. (D.J.)


SEBETUou SEBETHIS, (Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans la Campanie ; qui arrosoit la ville de Naples & l'ancienne Parthenope. Vibius Sequester parle de ce fleuve en ces termes : Sebethos Neapolis in Campaniâ. Columelle dit, liv. X. v. 134.

Doctaque Parthenope Sebethide roscida lympha.

& Stace, l. I. sil. carm. 2. v. 263.

Pulchra tumeat Sebethos alumnae.

Virgile, Aeneid. 7. v. 734. a feint qu'une nymphe de même nom présidoit à ce fleuve.

Fertur

Quem generasse telon Sebethide nympha.

(D.J.)


SEBILLES. f. (Ustens. d'artisans) vaisseau de bois fait en rond & en forme de jatte, tourné au tour, & tout d'une piece. Outre les usages qu'ont les sébilles parmi les Boulangers qui y tournent leur pain, avant que de les mettre au four, & les vendangeurs qui s'en servent pour entonner le vin qui coule du pressoir, on s'en sert dans quelques manufactures, & parmi plusieurs ouvriers des arts & métiers. (D.J.)

SEBILLE, (Docimast.) longue gondole dans laquelle on nettoie au moyen de l'eau qu'on y agite, les mines de tout ce qu'elles contiennent d'inutile. La surface concave de ce vaisseau doit être très-polie. Il peut être fait indifféremment de bois ou de terre. On peut lui substituer tout autre vaisseau de médiocre capacité, pourvû toutefois que sa concavité se termine presqu'insensiblement vers l'un de ses bords. (D.J.)

SEBILLE, (Manufact. de glaces) les ouvriers qui mettent les glaces au teint, se servent de diverses sortes de sébilles ; les unes très-grandes, & au moins d'un pié ou dix-huit pouces de diamêtre ; les autres petites & légeres, qui n'ont que quatre ou cinq pouces, ce sont proprement des sébilles à main ; c'est dans les grandes que l'on conserve le vif-argent, ou qu'on le reçoit, lorsqu'il s'écoule de dessous la glace qu'on a mise au teint. Les sébilles à main servent à puiser le vif-argent dans les grandes sébilles, pour en charger la feuille d'étain quand elle est avivée. (D.J.)


SEBINUS LACUS(Géog. anc.) lac d'Italie, aux confins de la Gaule-transpadane. Les Cenomani habitoient depuis ce lac jusqu'au Pô. Pline, liv. III. c. xix. dit que l'Ollius sortoit de ce lac : il auroit pû dire qu'il n'en sortoit qu'après y être entré ; car il n'y prenoit pas sa source. Dans un autre endroit, l. II. ch. ciij. le même auteur nomme ce lac Sevinus. Ces deux orthographes peuvent se soutenir ; car il avoit pris son nom de la ville Sebum ou Sevum, située sur ses bords. Le nom moderne est Lago-di-Seo, que le peuple a corrompu en Lago d'Iseo. (D.J.)


SEBOIM(Géog. anc. & sacrée) une des quatre villes de la Pentapole, qui furent consumées par le feu du ciel ; mais seboim fut rétablie, car elle subsistoit du tems d'Eusebe & de S. Jerôme, sur le bord occidental de la mer Morte. (D.J.)


SEBRIUS VICUS(Géog. anc.) Pausanias, l. III. c. xv. nomme ainsi une rue hors de la ville de Sparte, & dans le voisinage du Plataniste. Scébrus, l'un des fils d'Hippocoon, avoit donné le nom à cette rue. Le monument de ce héros étoit dans cet endroit, un peu au-dessus de celui de son frere Dorcée ; & à la droite du monument de Scébrus, on remarquoit le tombeau d'Alcman, poëte lyrique. (D.J.)


SEBTAH(Géog. mod.) nom donné par les Maures à la ville de la Mauritanie tingitane, aujourd'hui nommée Ceuta. Les géographes arabes mettent les villes de Sebtah & de Tangiah, qui sont Ceuta & Tanger, dans l'extrêmité de l'Afrique. Joseph BenTassetin se rendit maître de cette ville, avant que de passer en Espagne, pour y établir la dynastie des AlMoravides. (D.J.)


SÉBUÉENS. m. (Secte juive) Les Sébuéens, dans S. Epiphane, & en latin Sebuaei, étoient d'anciens sectaires parmi les Samaritains, qui célébroient la fête de pâques le septieme mois, selon la conjecture de Serarius. Seba en hébreu signifie sept. Scaliger tire le nom de Sébuéens du mot hébreu sebua, qui veut dire semaine, parce qu'ils célébroient, selon lui, tous les seconds jours des sept semaines, qui sont depuis pâques jusqu'à la pente côte. Voyez SEBUSEENS. (D.J.)


SEBURÉENSS. m. (Hist. juive) nom que les Juifs donnerent à ceux de leurs docteurs ou rabbins qui enseignerent quelque tems après la composition du talmud.

Ce mot est dérivé de l'hébreu sebar, je pense, d'où l'on a fait sebura, opinion, & seburi ou seburai, qui signifie un homme attaché à ses sentimens.

Les rabbins disent qu'on donna ce nom aux docteurs juifs, parce qu'après la confection du talmud, ceux-ci n'eurent plus rien à faire qu'à opiner, c'est-à-dire, à disputer pour & contre les décisions contenues dans cet ouvrage, lorsqu'il eut été une fois reçu & publié dans toutes les synagogues. D'autres disent que ce fut parce que leurs sentimens ne furent reçus que comme des opinions probables, & non pas comme ayant force de loi ou d'une décision parfaite, tels que la mischna & la gemare. Quelques-uns, tel que l'auteur du livre intitulé schalscheleth hakkabala, ou la chaîne de la tradition, prétendent que la persécution qu'essuyerent les Juifs en ce tems-là, ne leur permettant pas d'enseigner tranquillement dans leurs académies, ils s'attacherent seulement à proposer leurs opinions pour & contre la mischna. Voyez MISCHNA.

R. Josi fut, selon eux, le chef de la secte des Séburéens, & commença à enseigner l'an 787 de l'ere des contrats, qui revient à l'année du monde 4236, suivant R. David Gantz ; & si l'on en croit R. Abraham, Josi fut trente-huit ans président de l'académie des Juifs. Or l'ere des contrats est la même que celle des séleucides, dont la 787e. année tombe à l'année de Jesus-Christ 476, qui est par conséquent l'ere de l'origine des Séburéens. Leur regne ne fut pas long. Buxtorf assure qu'il ne dura pas plus de soixante ans. Rabbi Abraham & d'autres en réduisent la durée à 30 ans. On croit que R. Simona fut le dernier docteur des Séburéens, & que les Gaons ou Guesnins leur succéderent. Voyez GAONS.


SÉBUSÉENSS. m. (Hist. jud.) secte particuliere parmi les anciens samaritains, que S. Epiphane accuse d'avoir changé le tems prescrit par la loi pour la célébration des grandes fêtes annuelles chez les Juifs, telles que pâques, pentecôte, la fête des tabernacles. On ajoute qu'ils célébroient la premiere au commencement de l'automne, la seconde sur la fin de la même saison, & la derniere au mois de Mars. Voyez FETE & SAMARITAINS.

Serarius pense qu'ils ont été ainsi appellés, parce qu'ils célébroient la fête de pâques le septieme mois appellé par les Hébreux seba, septieme. Drusius aime mieux croire qu'ils ont emprunté ce nom de Sébaïa, chef d'une secte parmi les Samaritains, de même que les sectateurs de Dosithée furent appellés Dosithéens ; & quelques docteurs juifs prétendent que ces deux sectes ont été contemporaines. Scaliger tire ce nom du mot hébreu sebua, semaine, comme qui diroit hebdomadistes, parce que, selon lui, les Sébuséens célébroient le second jour de chacune des sept semaines qui se rencontroient entre pâques & la pentecôte. Et dans sa réponse à Serarius il en donne encore une autre explication. Mais tout ce qu'on a avancé jusqu'à présent sur ce sujet, ne paroît que conjecture, & les savans pensent même que S. Epiphane est le seul qui ait parlé de cette secte dont l'existence n'est pas d'ailleurs trop démontrée.


SEBY(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la haute Stirie, sur la riviere de Gayl, à trois lieues au nord-est de Judenbourg, avec un évêché suffragant de Saltzbourg. Long. 32. 50. latit. 47. 25. (D.J.)


SEBZVAou SEBZUAR, (Géogr. mod.) ville de Perse, dans la province de Khorassan. Elle avoit été le siege des princes de la dynastie des Serbéduriens, avant que Tamerlan s'en rendit maître. Long. suivant M. Petit de la Croix, 91. latit. 31. (D.J.)


SECadj. (Gram.) qui a peu d'humidité ou qui n'en a plus. Un tems sec, un linge sec, un vent sec, un pays sec, des viandes seches, un vin sec, un corps, un homme, un tempérament sec, un pouls sec, du pain sec, des pierres seches, une toux seche, le ventre sec, la gorge seche ; on a trempé cet instrument trop sec, une consultation seche, de l'argent sec, jouer coup sec, un esprit sec, un style sec, une conversation seche, une maniere de peindre seche, un mot sec, &c.

Echange sec, cambium siccum, c'est un nom adouci dont on se servoit autrefois pour déguiser une usure ; on vouloit faire entendre que quelque chose passoit des deux côtés, au lieu qu'en effet tout passoit d'un seul côté ; c'est pour cela que cet échange peut être appellé sec. Voyez INTERET & USURE. Cambium siccum, dit Lud. Lopes, de contract. & negot. est cambium non habens existentiam cambii, sed apparentiam, ad instar arboris exsiccatae, &c.

SEC, on sous-entend vaisseau à, (Marine) c'est un vaisseau qui a échoué, & qu'on a mis hors de l'eau pour le radouber. On met à sec les vaisseaux légers & étroits, par la proue : & les vaisseaux qui sont larges, gros & forts d'échantillon, on les y met par le côté.

On dit encore qu'un vaisseau est à sec, quand il a toutes ses voiles serrées à cause d'un gros vent.

SEC, (Peint. & Sculpt.) terme général & métaphorique qui est usité pour signifier ce qui est dessiné durement & de mauvais goût ; ce mot se dit, en termes de peinture, d'un tableau dont les clairs sont trop près des bruns, & dont les contours ne sont pas assez mêlés ; c'est l'opposé du moëlleux. Un ouvrage sec est celui qui n'a point de tendresse, soit dans les carnations, soit dans les draperies, & qui a quelque chose qui tranche dans le dessein ou dans les couleurs.

Ce mot désigne en sculpture, tout ouvrage, tout morceau qui n'a point cette tendresse qui doit se faire sentir dans le marbre, même lorsqu'il est bien travaillé. (D.J.)


SECACHULS. m. (Botan. exot.) nom d'une plante que les Arabes appellent encore locachium. Sa tige est basse & noueuse, portant des feuilles semblables à celles du chervi. Ses fleurs ressemblent à la violette ; mais elles sont plus grandes. Il leur succéde des grains noirs comme des pois appellés cachul ou kilkil, & qui sont empreints d'un suc fort doux. Sa racine est noueuse ; cette plante croît en Egypte & en Syrie : c'est le tordylium orientale de Rauwolf. Il est parlé du sécachul dans Avicenne & Sérapion, comme d'une racine qui excitoit puissamment à l'amour ; leurs interprêtes ont rendu ce terme par siringo : ce qui a fait croire à la plûpart de nos auteurs que c'étoit une espece d'éryngium ou de panicaut. (D.J.)


SÉCANTES. f. en Geométrie, c'est une ligne qui en coupe une autre, ou qui la divise en deux parties. Voyez LIGNE, &c.

Ainsi la ligne A M, Pl. géom. fig. 12. est une sécante du cercle A E D, &c. à cause qu'elle coupe le cercle en B.

Les Géometres démontrent 1°. que si l'on tire du même point M plusieurs sécantes M A, M N, M E, &c. celle qui passe par le centre M A est la plus grande, & que les autres sont d'autant plus petites qu'elles sont plus éloignées du centre. Au contraire les portions M D, M O, M B, de ces lignes qui sont hors le cercle sont d'autant plus grandes qu'elles sont plus éloignées de celle qui passeroit par le centre, si elle étoit prolongée. La plus petite est la partie M B de la sécante M A, qui passe par le centre.

2°. Que si deux sécantes M A & M E sont tirées du même point M, la sécante M A sera à M E, comme M D à M B.

SECANTE, en Trigonométrie, signifie une ligne droite tirée du centre d'un cercle, laquelle coupant la circonférence, est prolongée jusqu'à ce qu'elle se rencontre avec une tangente au même cercle. Voyez CERCLE & TANGENTE.

Ainsi la ligne F C, Pl. Trigonom. fig. 1, tirée du centre C, jusqu'à ce qu'elle rencontre la tangente E F est appellée une sécante, & particulierement la sécante de l'arc A E dont E F est une tangente.

La sécante de l'arc A K, qui est le complément du premier arc ou quart-de-cercle, est nommée la cosécante ou la sécante du complément.

Le sinus d'un arc A D étant donné ; pour trouver sa sécante F C, on doit faire cette proposition, le cosinus est D C au sinus total C E, comme le sinus total E C est à la sécante C F.

Pour trouver le logarithme de la sécante d'un arc quelconque, le sinus du complément de l'arc étant donné ; vous n'avez qu'à multiplier par deux le logarithme du sinus total, & du produit en soustraire le logarithme du sinus du complément ; le reste est le logarithme de la sécante. Voyez LOGARITHME.

Ligne de sécante.... Voyez l'article SECTEUR ou COMPAS DE PROPORTION. (E)


SECCHIALA, (Géog. mod.) riviere d'Italie au duché de Modene. Elle prend sa source dans l'Apennin, vers la Carfagnana, coule aux confins des duchés de Modene & de Reggio, baigne Sassuolo & Carpi, & se jette dans le Pô, vis-à-vis de l'embouchure du Menzo. (D.J.)


SECERROE(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise : l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route des Pyrénées à Castulo ; c'est aujourd'hui, à ce qu'on croit, San-Coeloni ou Celloni. (D.J.)


SECESPITA(Littérature) couteau à égorger les victimes dans les sacrifices. Ce couteau avoit un manche d'ivoire arrondi, & étoit enrichi d'or & d'argent ; toute partie de la victime que les flamines ou autres prêtres coupoient avec cette espece de couteau se nommoit secium. (D.J.)


SECHARIS. f. femme employée dans les atteliers des fontaines salantes, à faire sécher les pains de sel. Voyez l'article SALINE.


SECHAUSEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la vieille marche de Brandebourg, sur la riviere allant à la gauche, entre Osterburg & Scharemburg. (D.J.)


SECHE(Géog. mod.) on donne ce nom à des sables que la mer couvre quand elle est haute, & qu'elle laisse à sec quand elle est basse ; c'est ce que les Hollandois nomment droogte. On donne aussi quelquefois le nom de seches à des bancs de roches ou d'écueils près des côtes, & que la mer découvre en tout ou en partie. (D.J.)

SECHE, voie, (Chymie) voyez VOIE, Chymie.

SECHE, os de, (Commerce) on appelle os de seche l'os qui se trouve sur le dos de ce poisson, qui est dur & lisse du côté qu'il est convexe, & mol de l'autre, en maniere de moëlle ou de substance spongieuse. C'est de ces os que les Orfévres & quelques autres ouvriers se servent pour mouler & fondre quelques petits ouvrages. Les Chymistes en font aussi quelque usage ; cet os se réduit en poudre impalpable, elle entre dans la composition de la lacque de Venise. (D.J.)

SECHE, rente, (Jurisprud.) voyez au mot RENTE l'article RENTE SECHE.

SECHES de Barbarie, (Géog. mod.) ou les basses de Barbarie : ce sont des écueils formidables, qui se trouvent sur la côte de Barbarie dans le golfe de Sidra, entre les royaumes de Tunis & de Tripoli. (D.J.)


SÉCHÉESS. f. terme de Pêche, usité dans le ressort de l'amirauté d'Isigni, sorte de filet qui se tend pierré & flotté ; il a les mailles de 16 à 17 lignes en quarré ; il sert à la pêche du poisson passager ; on le nomme séchées, parce qu'il se tend sédentaire & à pié sec, & se releve de même lorsque la marée s'est retirée. Comme c'est elle qui éleve le filet au moyen des flottes de liege dont le haut est garni, le filet tombe aussi à mesure qu'elle baisse ; le poisson rond ne peut y être pris qu'en se maillant ; le poisson plat reste au pié, qui est enfoui dans le sable ou arrêté avec des pierres : la vague qui roule au-dessus du rets abattu & affaissé emporte avec elle la plûpart du petit poisson ; & s'il en restoit, il s'en faudroit de beaucoup que ce pût être en même quantité que dans les filets montés sur perches ou piquets, parce qu'ils restent toujours tendus de leur hauteur, le filet flotté tombe à bas, & ne laisse qu'un cordon haut au plus de deux à trois pouces.

Avant la défense de l'usage des seines ou sines, les pêcheurs de Morlaix avoient des filets traînans, dont ils faisoient usage à l'embouchure de la riviere. Depuis qu'ils ont été prohibés, ils se sont servis des mêmes filets en seines seches ou séchées, & font la pêche comme ceux du village de Loc-Quenolé. Pour cet effet, ils se transportent de haute mer sur les bancs de sable, qui sont à l'embouchure de la riviere, ils attendent dans leurs bateaux la marée-basse ; pour-lors ils tendent de pié leurs rets en forme de demi-cercle, & les placent à l'écorre des bancs dont la marée se retire avec précipitation ; ils enfouissent le bas de leurs filets garnis de pierres ; la tête en est chargée de flottes de liege, ils les tiennent assujettis du côté de terre avec de petits cordages ou rubans frappés sur la ligne de la tête de leurs bateaux, & ils roidissent la corde de la tête de leurs séchées que les flottes soutiennent debout jusqu'à la basse-mer. Les pêcheurs prennent ainsi à la main le poisson que la marée a conduit dans le filet & sur le banc. Ils ne peuvent faire qu'un trait de pêche par chaque marée, ayant besoin d'un flot & d'un reflux pour tendre & relever leurs rets.


SÉCHERv. act. (Gram.) rendre sec, ôter de l'humidité. Voyez l'article SEC.

SECHER, en terme de Batteur d'or, c'est ôter l'humidité que les moules ont pu contracter en battant l'or dedans. On se sert pour cela de la presse avec laquelle on fait transpirer, pour ainsi dire, cette humidité sur l'extérieur des feuillets, d'où on l'évapore en le remuant à l'air.

SECHER, en terme d'Epinglier-Aiguilletier, est l'action d'imbiber l'humidité que les aiguilles ont contractée dans les savonnages, avec de la mie de pain & du son. On se sert pour cela d'un moulin, dans lequel on met le son, la mie de pain & les aiguilles, pour les tourner jusqu'à ce qu'on ne voye plus d'humidité. Voyez MOULIN.

SECHER, en terme d'Epinglier, n'est autre chose que d'ôter l'humidité qui est restée sur les épingles après qu'on les a lavées. On les met dans un sac de cuir avec du son, dont on a séparé la farine aussi exactement qu'il a été possible. Deux ouvriers les frottent vigoureusement dans ce sac pendant un tems suffisant. Il y a une autre maniere de sécher les épingles. On les entonne avec un auget dans un coffret de bois soutenu sur deux montans, où l'on le tourne avec deux manivelles à chaque bout. On y met du son passé avec le même soin. Mais cette derniere maniere de sécher les épingles est moins d'usage que l'autre, quoiqu'elle soit aussi bonne, mais apparemment parce qu'elle est plus embarrassante. Voyez les fig. & les Pl. qui représentent la premiere maniere, & la seconde. Pl. II. de l'Epinglier.

SECHER, en terme de Potier, est l'action de laisser évaporer l'eau que la terre renferme. Il faut, pour cette opération, éviter le soleil & le grand air qui feroient crevasser l'ouvrage, ainsi que le feu si on l'y mettoit encore humide.


SÉCHERESSES. f. (Jardinage) est pour exprimer le besoin que la terre & les plants ont d'eau. Voyez l'article SEC.


SÉCHERONS. m. (Gram. Agric.) pré situé dans un lieu sec, & qui ne peut être abreuvé que par les pluies. Les sécherons ont donné cette année parce qu'elle a été pluvieuse. Le foin qui naît dans les sécherons est toujours bon.


SECHIEou CHEQUIS, s. m. (Commerce) poids dont on se sert à Smyrne. Le sechie contient deux oques, à raison de 400 dragmes l'oque. Voy. OQUE, ou OCQUE. Dict. de Comm. & de Trévoux.


SÉCHOIRS. m. terme de Parfumeur, c'est un quarré de bois de sapin, ou d'autre bois léger, avec des rebords tout-autour, dans lequel on fait sécher des pastilles, des savonettes & autres marchandises de cette nature.


SÉCHYSS. m. (Comm.) mesure pour les liqueurs, qui est en usage dans quelques villes d'Italie. Huit séchis font le mastilly de Ferrare, & six séchis l'urna d'Istrie. Voyez MASTILLY & URNA. Dict. de Comm.


SECKAW(Géog. mod.) ou Seckow, bourg d'Allemagne, dans la haute Stirie, sur une petite riviere nommée Gayl, à 3 lieues au nord de Iudenburg. Cette place a été érigée en évêché en 1219 par le pape Honoré III. C'est l'archevêque de Saltzbourg qui en a le droit de présentation & d'investiture ; delà vient que l'évêque de Seckaw n'a point d'entrée dans les dietes. Long. 32. 52. lat. 47. 17. (D.J.)


SECKINGEN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, en Souabe, dans une île formée par le Rhin, à trois milles au sud-est de Basle, & à six au couchant de Schaffhouse. C'est une des quatre villes forestieres. Elle essuya un terrible incendie en 1678, & fut prise en 1683 par le duc de Saxe-Weimar ; elle est aujourd'hui réduite à une simple place, entourée de quelques maisons. Beatus Rhenanus croit que c'est la Sanctio dont parle Ammien Marcellin, liv. XXII. Long. 25. 38. lat. 47. 43.

Keller (Jacques), en latin Cellarius, jésuite, naquit à Seckingen en 1568, & mourut à Munich en 1631, à 63 ans. Il publia quelques livres de controverse en allemand, & divers ouvrages de politique en latin sur les affaires du tems. Il s'y déguise souvent sous les noms de Fabius Hercinianus, d'Aurimontius, de Didacus Tamias, &c. Son livre intitulé Mysteria politica fit grand bruit, & étoit fort injurieux à la cour de France. Les Jésuites qui ont compilé la bibliotheque des écrivains de leur ordre n'ont point reconnu leur confrere dans les faux noms sous lesquels il se déguisoit. (D.J.)


SECLIN(Géog. mod.) en latin moderne Sacilium ; bourg de France, dans la Flandre valone, au diocèse de Tournai. Ce bourg est le lieu principal du Mélantois, & c'est un lieu ancien. Il y a un chapitre dédié à S. Piat, un bailli & sept échevins.


SECONDadj. (Gramm.) c'est dans un ordre de choses disposées ou considérées selon la suite naturelle des nombres, la place qui succéde immédiatement à la premiere. Le second jour de la semaine ; le second du mois. La seconde intention ; la seconde messe. Le second service. La seconde table. Mon second, &c.

SECOND TERME, en Algebre, c'est celui où la quantité inconnue monte à un degré ou une puissance plus petite d'une unité, que celle du terme où elle est élevée au plus haut degré.

L'art de chasser les seconds termes d'une équation, c'est-à-dire de former une nouvelle équation, où les seconds termes n'ayent pas lieu, est une des inventions les plus ingénieuses & les plus en usage dans toute l'Algebre.

Soit l'équation xm + a x(m - 1) + b x(m - 2) + &c.... + e = 0, dont on veut faire évanouir le second terme, ou qu'on veut transformer en une autre qui n'ait point de second terme, on supposera x = z - a/m, & substituant z - a/m & ses puissances à la place de x dans l'équation proposée, on la changera en une autre de cette forme, zm + B z(m - 2) + &... = 0 ; où l'on voit que le terme qui devroit contenir z(m - 1), c'est-à-dire le second terme, ne se trouve pas. Voyez ÉQUATION & TRANSFORMATION. (O)

SECOND, (Art milit.) ce mot avec la particule en, est commun dans l'art militaire. On dit compagnie en second, capitaine en second, lieutenant en second. Compagnie en second est une compagnie composée de la moitié des hommes d'une autre compagnie ; ce qui s'est pratiqué seulement dans la cavalerie. Capitaine en second, ou capitaine réformé en pié, & lieutenant en second, sont des officiers réformés, dont les compagnies ont été licenciées, mais qui servent dans une autre. Dictionn. milit. (D.J.)

SECOND CAPITAINE, (Art milit.) c'est un capitaine réformé, qui commande comme un lieutenant dans les compagnies où il est incorporé. Voyez REFORME. Chambers.

SECOND, terme de jeu de paume, c'est la partie de la galerie ou du jeu de paume qui regne depuis la porte jusqu'au dernier.

Second signifie aussi en terme de joueurs de paume, le joueur qui ne prime point, & ne fait que seconder. Le second est toujours placé du côté opposé à la galerie.

Quand on pelote à la paume, les balles qui entrent dans le second, sont perdues pour le joueur qui les y jette ; mais en partie la balle fait chasse, que l'on compte au poteau qui commence le second.


SECONDAIREadj. (Gramm.) qui ne vient qu'en second, qui n'est que du second ordre. Raisons secondaires ; planetes secondaires.

SECONDAIRE, adj. (Astronomie) les cercles secondaires de l'écliptique sont les cercles de la longitude des étoiles, ou des cercles qui passant par les poles de l'écliptique, coupent l'écliptique en angles droits, & servent à marquer la distance des étoiles ou des planetes à l'écliptique.

Par le moyen de ces cercles on rapporte à l'écliptique tous les points des cieux ; c'est-à-dire que chaque étoile, chaque planete, ou tout autre phénomene est conçu être dans ce point de l'écliptique, qui est coupé par le cercle secondaire qui passe par l'étoile ou par la planete proposée. Voyez ÉCLIPTIQUE, LONGITUDE, &c.

Si deux étoiles se rapportent au même point de l'écliptique, c'est-à-dire si ces deux étoiles se trouvent dans le même cercle secondaire, & du même côté, par rapport à un des poles de l'écliptique, on dit qu'elles sont en conjonction ; quand on les rapporte à des points opposés, c'est-à-dire quand elles se trouvent dans le même cercle secondaire, & de différens côtés, par rapport à un des poles, elles sont dites être en opposition ; si elles sont rapportées à deux points distans d'un quart de cercle, c'est-à-dire si les plans des cercles secondaires par lesquels elles passent, font entr'eux un angle droit, on dit qu'elles sont en aspect quadral ou en quadrature ; si les points différent d'une sixieme partie de l'écliptique, on dit qu'elles sont en aspect sextile. Voyez ASPECT, &c.

En général on peut appeller cercles secondaires tous les cercles qui coupent à angles droits un des six grands cercles ; tels sont les cercles azimuthaux ou verticaux, par rapport à l'horison, &c. les méridiens, par rapport à l'équateur, &c. Voyez AZIMUTH, VERTICAL, &c.

Les planetes secondaires sont des planetes qui tournent autour d'autres planetes, comme centres de leur mouvement, & avec lesquelles elles sont emportées autour du Soleil. Voyez PLANETE.

Saturne, Jupiter & la Terre sont chacune accompagnées de planetes secondaires : Jupiter en a quatre, Saturne cinq, que l'on appelle les satellites de ces deux planetes. Voyez SATELLITE.

La Terre est accompagnée d'une planete secondaire que l'on appelle Lune, voyez LUNE.

Le mouvement des planetes principales est très-simple, étant composé seulement d'un mouvement de projection en ligne droite, qui est une tangente à l'orbite de la planete, & d'une tendance vers le Soleil. Ces planetes étant à de très-grandes distances les unes des autres, les effets de leur gravitation mutuelle l'une vers l'autre sont peu sensibles. Mais il en est tout autrement par rapport aux planetes secondaires ; car outre que chacune d'elles gravite particulierement vers sa planete principale respective comme vers son centre, elle est encore attirée vers le Soleil, de même que sa planete principale ; de maniere que quand la planete secondaire est plus éloignée du Soleil que sa planete principale, elle est moins attirée vers le Soleil, & quand elle est plus proche, elle est plus attirée, & presque toujours dans une direction différente de la force avec laquelle elle tend vers sa planete principale. Or par cette double tendance vers le Soleil & vers leur planete principale, le mouvement des satellites ou des planetes secondaires se compose extrêmement, & s'affecte d'un grand nombre d'irrégularités.

La plûpart de ces singularités s'observent dans le mouvement de la Lune, & c'est au célebre M. Newton que nous en devons l'explication & le calcul. On en remarque aussi de semblables & même de plus considérables dans les autres planetes secondaires, principalement dans le second satellite de Jupiter. Voyez SATELLITE.

Points collatéraux secondaires. Voyez COLLATERAL.

Cadrans secondaires ou cadrans de la seconde espece, sont les cadrans qui ne sont ni horisontaux, ni équinoctiaux, ni polaires, ni méridionaux, ni septentrionaux, ni orientaux, ni occidentaux. V. CADRAN. (O)


SECONDou TIERCE-BASSE, ESTOCADE DE, (Escrime) est un coup d'épée qu'on allonge à l'ennemi dehors & sous les armes. Voy. TIRER DEHORS LES ARMES & SOUS LES ARMES.

On exécute cette estocade comme la tierce, (voyez ESTOCADE DE TIERCE), avec cette différence que la lame de votre épée passe sous le bras de l'ennemi.

SECONDE ou TIERCE-BASSE, parer en, c'est détourner du vrai tranchant de son épée celle de l'ennemi sur un coup qu'il porte dehors & sous les armes. V. TIRER DEHORS LES ARMES & SOUS LES ARMES.

On exécute cette parade comme celle de tierce, excepté qu'on doit avoir la pointe de l'épée plus basse que le poignet, & la lame de l'ennemi doit passer sous le bras.

SECONDE, s. f. en Géométrie & en Astronomie, c'est la soixantieme partie d'une prime ou d'une minute, soit en la division des cercles, soit en la mesure du tems. Voyez PRIME & MINUTE.

Un degré ou une heure sont divisés chacun en 60 minutes, qui sont désignés par cette marque'; une minute est divisée en 60 secondes marquées ainsi''; une seconde est divisée en 60 tierces, que l'on marque de cette maniere''', &c. Voyez DEGRE.

Une seconde de tems dans le mouvement diurne de la terre équivaut à 15 secondes de degré, c'est-à-dire que la terre par son mouvement diurne parcourt 15 secondes de degré dans une seconde de tems : d'où l'on voit qu'une erreur d'une seconde de tems dans l'observation de quelque phénomene céleste, par exemple d'une éclipse, doit en produire une de 15 secondes de degré dans l'estimation de la position du lieu de la terre où l'on est.

On dit quelquefois une minute-seconde, une minute-tierce, &c. mais plus communément & plus simplement une seconde, une tierce, &c. Voyez MINUTE.

Les mots de minute-seconde, minute-tierce, ne s'employent guere qu'en latin, minutum secundum, minutum tertium, &c.

Un pendule long de trois piés huit lignes & demie fait ses vibrations en une seconde de tems à Paris ; c'est ce que plusieurs observateurs ont déterminé avec beaucoup de soin. Un corps qui tombe de haut en bas par sa propre pesanteur, doit parcourir dans le vuide environ 15 piés dans la premiere seconde, c'est ce que M. Huyghens a déterminé en observant avec soin la longueur du pendule à secondes, & déterminant ensuite l'espace que parcouroit un corps pesant dans une seconde de tems, suivant ce théoreme, trouvé par le même M. Huyghens, l'espace que parcouroit un corps pesant dans une seconde est à la longueur du pendule à secondes, savoir 3 piés 8 lignes 1/2, comme deux fois le quarré de la circonférence d'un cercle est au quarré du diamêtre de ce même cercle.

SECONDE, le plus petit intervalle de la Musique, qui puisse se marquer sur différens degrés. La marche diatonique par degrés conjoints ne se fait que sur des intervalles de secondes.

Il y a quatre sortes de secondes ; la premiere qu'on appelle seconde diminuée, se fait sur un ton majeur dont la note inférieure est rapprochée par un dièse & la supérieure par un bémol. Tel est, par exemple, l'intervalle du re bémol à l'ut dièse. Le rapport de cette seconde est de 375 à 384, mais elle n'est d'aucun usage si ce n'est dans le genre enharmonique, encore l'intervalle s'en trouve-t-il nul sur l'orgue & le clavecin. A l'égard de l'intervalle d'une note à son dièse, que Brossard appelle seconde diminuée, ce n'est pas une seconde.

La deuxieme, qu'on appelle seconde mineure, est constituée par le semi-ton majeur comme du si à l'ut, ou du mi au fa ; son rapport est de 15 à 16.

La troisieme, est la seconde majeure qui forme l'intervalle d'un ton ; comme ce ton peut être majeur ou mineur, le rapport de cette seconde est de 8 à 9 dans le premier cas, & de 9 à 10 dans le second ; mais cette différence s'évanouit dans notre musique. Voyez TON.

Enfin la quatrieme est la seconde superflue composée d'un ton & d'un semi-ton mineur, comme du fa au sol dièse, & dont le rapport est de 64 à 75.

Il y a dans l'harmonie deux accords qui portent le nom de seconde. Le premier s'appelle simplement accord de seconde, c'est un accord de septieme renversé, dont la dissonance est à la basse ; d'où il s'ensuit bien clairement qu'il faut que la basse syncope pour la préparer. Voyez PREPARER. Quand l'accord de septieme est dominant, c'est-à-dire quand la tierce est majeure & la septieme mineure, l'accord de seconde s'appelle accord de triton, & la syncope n'est pas nécessaire. Voyez SYNCOPE.

L'autre s'appelle accord de seconde superflue, & c'est un accord renversé de celui de septieme diminuée, dont la septieme même est portée à la basse. Voyez ACCORD.

SECONDES NOCES, (Jurisprudence) sont le second, troisieme, ou autre subséquent mariage que contracte une personne qui a déjà été mariée, & qui est depuis devenue en état de viduité.

Les secondes noces ont toujours été regardées peu favorablement, soit par rapport à la religion, soit par rapport à l'intérêt des familles.

Par rapport à la religion on les regarde comme une espece d'incontinence contraire au premier état du mariage, suivant lequel Dieu ne donna à l'homme qu'une seule femme.

On les regarde aussi comme contraires à l'intérêt des familles, en ce qu'elles y apportent souvent du trouble, soit en diminuant la fortune des enfans du premier lit, soit parce qu'ordinairement celui qui se remarie tourne toute son affection du côté de son nouveau conjoint & des enfans qui proviennent de ce nouveau mariage.

Tertullien s'est même efforcé d'établir comme un dogme que les secondes noces étoient reprouvées, & divers auteurs qui ont écrit sur cette matiere ont rempli leurs ouvrages de déclamations contre les secondes noces.

Il est néanmoins constant que l'église romaine les autorise comme un remede contre l'incontinence, melius est nubere quam uri ; c'est la doctrine du canon aperiant, du canon Deus masculum, & du canon quod si dormierit, xxxj. quest. j. & autres textes sacrés.

Si l'Eglise ne donne pas la bénédiction aux seconds mariages, ce n'est pas qu'elle les regarde comme impies, c'est que la premiere bénédiction est censée se perpétuer.

En Russie les seconds mariages sont tolérés, mais à peine les regarde-t-on comme légitimes ; les troisiemes ne sont jamais permis sans une cause grave, & l'on ne permet jamais un quatrieme, en quoi les Russes ont adopté la doctrine de l'église d'Orient.

L'église romaine en permettant les secondes noces, & autres subséquentes, n'a cependant pû s'empêcher d'y attacher quelque peine, en ce que celui qui a été marié deux fois, ou qui a épousé une veuve, ne peut être promû aux ordres sacrés.

Les loix civiles ont aussi autorisé les secondes noces, mais elles y ont imposé des peines & conditions, non pas pour empêcher absolument ces seconds mariages, mais pour tâcher d'en détourner, ou du-moins d'en prévenir les plus grands inconvéniens ; aussi chez les Romains n'accordoit-on la couronne de chasteté qu'aux veuves qui étoient demeurées en viduité après leur premier mariage.

Entre les loix romaines qui ont établi des peines ou conditions pour ceux qui se remarient, les plus fameuses sont les loix foemina generaliter, & hâc edictali au code de secundis nuptiis.

La premiere de ces loix veut qu'une veuve, qui ayant des enfans de son premier mariage se remarie après l'an du deuil, reserve à ses enfans du premier lit tout ce qu'elle a eu de la libéralité de son premier mari, à quelque titre que ce soit.

La loi generaliter étend aux hommes qui se remarient ce que la premiere avoit ordonné pour les femmes.

Enfin la loi hâc edictali défend aux femmes qui contractent de seconds ou autres subséquens mariages, de donner de leurs biens à leurs nouveaux maris, à quelque titre que ce soit, plus que la part de l'enfant le moins prenant dans leur succession.

En France il n'y avoit aucune ordonnance contre les seconds mariages avant celle de François II. en 1560, appellée communément l'édit des secondes noces ; ce fut l'ouvrage du chancelier de l'Hopital, qui la fit, à ce que l'on prétend, à l'occasion du second mariage d'Anne d'Alegre avec Georges de Clermont.

Les motifs exprimés dans le préambule de cette ordonnance sont, que les femmes veuves ayant enfans sont souvent sollicitées de passer à de nouvelles noces ; que ne connoissant pas qu'on les recherche plus pour leurs biens que pour leurs personnes, elles abandonnent leurs biens à leurs nouveaux maris, & que sous prétexte & faveur de mariage elles leur font des donations immenses, mettant en oubli le devoir de nature envers leurs enfans ; desquelles donations outre les querelles & divisions d'entre les meres & les enfans, s'ensuit la désolation des bonnes familles, & conséquemment diminution de la force de l'état public ; que les anciens empereurs y avoient pourvû par plusieurs bonnes loix, sur quoi le roi pour la même considération & entendant l'infirmité du sexe, loue & approuve icelles loix. Il fait ensuite deux dispositions, appellées communément le premier & le second chef de l'édit des secondes noces.

Il ordonne par le premier chef, que si les femmes veuves ayant enfans ou petits-enfans passent à de nouvelles noces, elles ne pourront, en quelque façon que ce soit, donner de leurs biens meubles, acquets ou acquis par elles d'ailleurs que par leur premier mari, ni moins leurs propres à leurs nouveaux maris, pere, mere ou enfans desdits maris ou autres personnes qu'on puisse présumer être par dol ou fraude interposées, plus qu'à un de leurs enfans, ou enfans de leurs enfans ; & que s'il se trouve division inégale de leurs biens faite entre leurs enfans ou petits-enfans, les donations par elles faites à leurs nouveaux maris, seront réduites & mesurées à la raison de celui des enfans qui en aura le moins.

Le second chef de cet édit porte, qu'au regard des biens à icelles veuves acquis par dons & libéralités de leurs défunts maris, elles n'en pourront faire aucune part à leurs nouveaux maris, mais seront tenues de les reserver aux enfans communs d'entr'elles & leurs maris, de la libéralité desquels ces biens leur seront advenus.

La même chose est ordonnée pour les biens qui sont venus aux maris par dons & libéralités de leurs défuntes femmes, tellement qu'ils n'en pourront faire don à leurs secondes femmes, mais seront tenus les reserver aux enfans qu'ils ont eu de leurs premieres.

Enfin par ce même article le roi déclare qu'il n'entend point donner aux femmes plus de pouvoir & de liberté de donner & disposer de leurs biens, qu'il ne leur est loisible par les coutumes des pays, auxquelles par cet édit il n'est dérogé entant qu'elles restraignent plus ou autant la libéralité desdites femmes.

L'article 182. de l'ordonnance de Blois contient des dispositions particulieres contre les veuves qui se remarient à des personnes indignes de leur qualité.

Nous n'avons point d'autres ordonnances qui aient prescrit des regles pour les seconds mariages.

A l'égard des coutumes, il y en a plusieurs qui ont des dispositions assez conformes aux loix foemina & hac edictali ; telles sont celles de Paris, Valois, Amiens, Bretagne, Calais, Châlons, Laon, Rheims, Saint - Sever, Sedan, Acqs, la Rochelle, Orléans, Normandie.

Comme le détail des dispositions particulieres de chacune de ces coutumes seroit trop long ; pour donner seulement une idée de l'esprit du Droit coutumier sur cette matiere, nous rapporterons ici la disposition de l'article 279. de la coutume de Paris.

Femme, dit cet article, convolant en secondes ou autres noces, ayant enfans, ne peut avantager son second mari ou autre subséquent mari de ses propres & acquêts plus que l'un de ses enfans ; & quant aux conquêts faits avec ses précédens maris, n'en peut disposer aucunement au préjudice des portions dont les enfans desdits premiers mariages pourroient amender de leur mere, & néanmoins succedent les enfans des subséquens mariages auxdits conquêts, avec les enfans des mariages précédens, également venans à la succession de leur mere, comme aussi les enfans des précédens lits succedent pour leurs parts & portions aux conquêts faits pendant & constant les subséquens mariages. Toutefois, ajoute cet article, si ledit mariage est dissolu, ou que les enfans du précédent mariage décedent, elle en peut disposer comme de sa chose propre.

Pour bien entendre quel est notre usage, par rapport aux peines des secondes nôces, il faut distinguer celles qui sont contractées dans l'an de deuil, de celles qui sont contractées après cette année.

Dans l'ancien droit, la veuve qui se rentarioit avant l'année du deuil, étoit reputée infame.

La peine d'infamie n'étoit prononcée que contre les femmes, propter turbationem sanguinis & incertitudinem prolis ; desorte que la veuve qui accouchoit peu de jours après la mort de son mari, pouvoit se remarier avant la fin de l'année du deuil.

On étendit la peine d'infamie contre celui qui épousoit la femme, avec connoissance que l'an du deuil n'étoit pas expiré, contre le pere du mari, & contre celui de la veuve ; cette infamie pouvoit être levée par des lettres du prince.

On sait que la durée de l'année ne fut pas toujours la même ; que sous Romulus elle n'étoit que de dix mois ; que sous Numa elle fut mise à douze, faisant 355 jours, avec quelques jours de plus, que l'on intercaloit de tems-en-tems ; enfin que sous Jules César elle fut fixée à 365 jours, & à 366 pour les années bissextiles.

L'année de deuil n'étoit d'abord que de dix mois, comme l'ancienne année civile, mais sous les empereurs elle fut fixée à douze.

On augmenta aussi alors les peines des secondes nôces contractées dans l'an du deuil.

Outre la peine d'infamie, il fut ordonné, 1°. que la veuve qui se remarieroit dans cette année, seroit privée de tous les avantages à elle faits par son premier mari.

2°. Qu'elle seroit aussi privée de la succession de ses enfans & de ses parens au delà du troisieme degré.

3°. Elle fut déclarée incapable de profiter d'aucunes dispositions à cause de mort.

Enfin il fut ordonné qu'elle ne pourroit donner à son second mari, plus du tiers de ses biens, quoiqu'elle n'eût point d'enfans de son premier mariage, & que si elle en avoit, elle ne pourroit donner à son mari qu'une part égale à celle de l'enfant le moins prenant.

Quelques auteurs prétendent que toutes les peines de l'an du deuil sont abolies en France, ce qui est de certain est que le droit canonique a remis la peine de l'infamie.

A l'égard des autres peines, elles ne sont pas non plus reçues aux parlemens de Paris, de Bordeaux, de Rennes, & de Normandie ; mais elles ont lieu aux parlemens de Toulouse, Grenoble, & Aix ; celui de Dijon paroît aussi les avoir reçues, du moins en partie.

Les auteurs pensent aussi que les peines de l'an du deuil ont lieu lorsque la veuve mene une vie impudique pendant l'an du deuil ; il y a en effet plusieurs arrêts qui, dans ce cas, ont privé la femme de son douaire & autres avantages procédant de son mari ; mais on ne voit pas que dans ce même cas la femme ait été assujettie à toutes les autres peines des secondes nôces contractées dans l'an du deuil.

Pour ce qui est des peines des secondes nôces contractées après l'an du deuil, elles étoient inconnues dans l'ancien droit romain ; une veuve, après l'année du deuil, pouvoit se remarier librement, elle étoit même obligée de le faire si elle étoit encore jeune, car il y avoit des peines établies contre les femmes célibataires au-dessous de cinquante ans, & contre les hommes au-dessous de soixante, ce qui fut ainsi ordonné après les guerres civiles, pour repeupler la ville de Rome, & fut observé pendant plus de quatre cent ans.

Ce ne fut que sous les derniers empereurs que furent faites les loix foemina generaliter & hâc edictali, dont on a parlé ci-devant ; on établit des peines contre les secondes nôces contractées après l'an du deuil, d'abord contre les femmes, ensuite contre les hommes.

La premiere peine établie par la loi foemina, est la prohibition de disposer par la veuve, d'aucun des avantages à elle faits par son premier mari ; ce qui fut depuis étendu aux hommes par la loi generaliter.

La seconde peine est la prohibition faite par la loi hâc edictali, aux hommes & aux femmes qui se remarient, d'avantager le second conjoint plus qu'un des enfans du premier lit.

La premiere peine concerne la succession des enfans du premier lit, la loi foemina en privoit totalement la mere, ce qui fut abrogé par la Novelle II. mais la Novelle XXII. ch. xlvj. &c. ordonna que pour les biens venus aux enfans du chef du pere, la mere n'en auroit que l'usufruit.

Ces différentes peines ont lieu dans les pays de droit écrit ; dans les pays coutumiers on a été longtems sans les pratiquer, si ce n'est dans les coutumes qui en contenoient quelque disposition expresse, lesquelles étoient alors en fort petit nombre.

Ces peines n'ont été reçues que par l'édit de 1560, & par les coutumes qui ont été reformées depuis cet édit.

On a déja vu quelles sont les dispositions de l'édit de 1560. & de la coutume de Paris ; les autres coutumes doivent être suivies chacune dans leur ressort, en ce qui n'est pas contraire aux dispositions de l'édit.

Le retranchement de l'édit, c'est-à-dire ce que l'on retranche sur les avantages faits au second conjoint, lorsqu'ils excedent ce que la loi permet de donner, dans les pays de droit écrit, n'appartient qu'aux enfans du premier lit, en pays coutumier, ils le partagent avec ceux du second lit.

Au reste, suivant toutes les loix, les peines des secondes nôces, après l'an du deuil, cessent par le défaut d'enfans, ou par leur décès, ou lorsqu'ils se sont rendus coupables d'ingratitude envers leur pere ou mere remarié ; il en est de même des enfans morts civilement : mais les filles qui ont renoncé aux successions futures, ne laissent pas d'être considerées en cette matiere, parce qu'elles sont admises au défaut d'autres enfans.

Cette matiere est traitée au code, tit. de secundis nuptiis, les Novelles II. ch. j. & iij. & Novel. XXII. ch. xxiij, xxv, xxvj, xl. la Nov. XXXIX. ch. ij. & dans Fontanon, Corbin, Neron, Carondas, Bacquet, Rebuffe, Bouchet, Ricard, le Brun, & le traité des secondes nôces de Bechet & de Dupin, sur les peines des secondes nôces. Voyez aussi les mots EDIT DES SECONDES NOCES, MARIAGE, NOCE, PART D'ENFANT, RETRANCHEMENT DE L'EDIT DES SECONDES NOCES. (A)

SECONDES, se dit dans la gravure en cuivre, des tailles qui croisent les premieres tailles ; elles s'appellent aussi contrehachures & contretailles ; ce dernier mot est affecté particulierement à la gravure en bois.


SECONDERv. act. (Gram.) servir de second, favoriser, aider ; j'ai été bien secondé dans cette attaque ; le ciel a secondé nos souhaits ; parlez le premier, & soyez sûr que je vous seconderai bien.


SECONDINESS. f. pl. terme de Médecine, qui signifie les différentes membranes, & les diverses tuniques dans lesquelles le foetus est enveloppé dans la matrice ; comme le chorion, l'amnios, & le placenta. Voyez nos Planc. anat. & leur explic. Voyez aussi FOETUS, CHORION, AMNIOS, &c. On les appelle ainsi, parce qu'elles sortent en second, c'est-à-dire après l'enfant dans l'accouchement ; les matrones & les sages-femmes les appellent arriere-faix, comme les considerant de même qu'un second fardeau dont la mere est délivrée ; d'autres les appellent le délivre, parce que quand elles sortent, la mere est estimée parfaitement délivrée, il faut prendre garde de laisser les secondines dans la matrice, c'est un corps étranger qui feroit mourir la personne : il est même dangereux d'en laisser la moindre partie. Hippocrate remarque que des jumeaux ont toujours les mêmes secondines. Voyez JUMEAU.

Le docteur Grew, dans son anatomie des plantes, applique le terme secondine à la quatrieme & derniere tunique des graines, parce qu'elles font à-peu-près le même office dans les plantes, que les membranes du foetus dans les animaux ; & c'est certainement dans ce sens que Pline, Columelle, Apulée, &c. se sont servis du mot secondine.


SECOUERv. act. (Gram.) émouvoir à plusieurs reprises ; secouer la poussiere de ses souliers ; secouer la bride à un cheval ; secouer un arbre pour en faire tomber les insectes, les fruits. Il se prend aussi au figuré ; il a secoué le joug de ses maîtres ; les habitans du Paraguai, mal conseillés, ont secoué le joug de leur souverain, &c.


SECOURIRv. act. (Gram.) c'est donner du secours. Voyez l'article SECOURS.

SECOURIR, (Maréchal.) en parlant des chevaux, c'est leur donner les aides à tems & à propos, lorsqu'ils travaillent & qu'ils veulent demeurer, qu'ils se ralentissent, qu'ils ne continuent pas de la même cadence qu'ils ont commencé. On dit secourir un cheval des deux talons, pour dire lui donner les aides des talons, & ainsi de toutes les autres aides usitées dans le manege. Voyez AIDES.


SECOURSS. m. (Gram.) aide, assistance ; il faut implorer le secours du ciel ; nous devons du secours aux pauvres ; il ne faut pour donner du secours, que voir dans le malheur d'un autre, celui auquel nous sommes exposés.

SECOURS, (Hist. ecclés. mod.) c'est le nom que les fanatiques modernes de France, appellés convulsionnaires, donnent à divers tourmens que l'on fait endurer aux personnes qui sont sujettes aux convulsions, & qui dans les instans où elles prétendent en être saisies, assurent que ces tourmens leur procurent un vrai soulagement. Ces prétendus secours consistent tantôt à recevoir plusieurs centaines de coups de buche contre l'estomac ; tantôt à recevoir des coups d'épée dans les bras, dans le ventre, & dans d'autres parties du corps ; tantôt à se faire piquer les bras avec des aiguilles ou des épingles ; tantôt à se laisser fouler rudement aux piés ; tantôt à se faire serrer fortement avec une corde, &c. Dans ces dernieres années on a vu des convulsionnaires se faire attacher sur des croix avec des cloux, qui, de l'aveu des spectateurs les moins prévenus, leur perçoient très-réellement les piés & les mains, & leur causoient des douleurs que ces malheureuses victimes de la fourberie avoient bien de la peine à masquer à des yeux attentifs ; cependant elles prétendoient que tout cela ne leur faisoit aucun mal, & qu'au contraire elles y trouvoient un très-grand soulagement. Ces convulsionnaires, après avoir été ainsi attachées en croix pendant quelques heures qu'elles employoient en priéres éjaculatoires, & en exhortations mystiques & prophétiques, sur les maux de l'église, finissoient quelquefois par se faire percer le côté, à l'imitation du Sauveur du monde ; après quoi on les détachoit de la croix, & elles affectoient d'avoir oublié tout ce qui s'étoit passé, & d'être satisfaites des supplices qu'elles venoient d'éprouver. Tous ces faits incroyables sont attestés par un grand nombre de témoins non suspects, & très peu disposés à s'en laisser imposer ; les gens éclairés n'ont vu dans tout cela que des femmes séduites par des imposteurs intéressés, ou par des fanatiques aveugles ; ils ont pensé que le desir du gain déterminoit des pauvres femmes à se laisser tourmenter, & à jouer une farce indécente & lugubre, dont le but étoit de persuader que le Tout-puissant prenoit visiblement en main la cause des appellans de la constitution Unigenitus, & qu'il opéroit en leur faveur des oeuvres surnaturelles. Le gouvernement avoit pris le parti de dissimuler pendant quelque tems la connoissance qu'il avoit de ces extravagances ; mais les mysteres de la religion chrétienne indignement joués par les prétendus convulsionnaires, ne lui ont pas permis de tolérer plus long-tems de pareils abus. Voyez CONVULSIONNAIRES.

SECOURS, se dit ordinairement dans l'Art militaire, d'une armée qui vient secourir une place assiégée, pour tâcher d'en faire lever le siege à l'ennemi.

Quoiqu'on ne doive entreprendre un siege qu'après avoir pris toutes les précautions convenables pour ne point manquer cette entreprise, & résister à tous les efforts de l'ennemi qui voudroit en empêcher, il arrive cependant quelquefois qu'il assemble son armée plus promtement qu'on ne le croyoit, ou que le siege étant plus long qu'on n'avoit cru, on se trouve obligé de le combattre pour ne point interrompre l'opération du siege.

Il y a dans ce cas deux partis à prendre : le premier d'attendre l'ennemi dans les lignes, & le second d'y laisser une partie de l'armée pour leur garde & pour continuer les travaux des approches, & d'aller avec le reste au-devant de l'armée ennemie pour la combattre hors de la portée des lignes & de la place.

Ce dernier parti paroît avoir moins d'approbateurs que le premier ; mais, si nous osons dire notre sentiment sur ce sujet, nous croyons qu'on ne peut rien prescrire de général à cet égard ; parce que ce sont les circonstances particulieres dans lesquelles on se trouve, qui doivent décider de la conduite qu'il faut tenir en cette occasion.

Si l'armée assiégeante n'a rien à craindre pour la sûreté de ses convois ; si elle est assez nombreuse pour bien garnir tous ses postes & mettre ses lignes partout en état de faire une bonne défense, elle doit dans ce cas se borner à les défendre, pour ne point faire dépendre le succès du siege, de l'évenement toujours incertain d'une bataille. Mais si elle se trouve gênée pour ses fourrages ; si l'ennemi peut couper & intercepter ses convois, elle doit, si elle est assez forte pour aller au-devant de l'ennemi & pour laisser un nombre de troupes suffisant pour continuer le siege, & résister à tous les efforts de la garnison ; elle doit, dis-je, dans ce cas, prendre le parti d'aller le combattre pour se délivrer de toutes les inquiétudes qu'il peut lui donner.

L'armée assiégeante doit encore prendre le même parti, si la circonvallation de la place est trop étendue pour qu'elle puisse bien défendre toutes ses différentes parties. Quand elle seroit même alors inférieure à celle de l'ennemi, elle ne peut guere se dispenser de sortir des lignes pour aller le combattre. Il n'est point rare dans les fastes militaires de voir une armée inférieure arrêter & même vaincre une armée plus nombreuse ; le tout dépend de l'habileté du général pour choisir des postes avantageux. En allant ainsi au devant de l'ennemi, on peut lui en imposer par cette démarche hardie, le surprendre même quelquefois, & le battre comme le fit M. le maréchal de Tallard au siege de Landau, en 1703.

Il y a encore plusieurs autres considérations qui peuvent servir à déterminer le parti qu'il convient de prendre contre une armée qui vient au secours d'une place. Si, par exemple, l'ennemi est supérieur en cavalerie, il est plus avantageux de l'attendre dans les lignes, que d'aller au-devant, parce que cette cavalerie lui sera peu utile dans l'attaque de la ligne, & qu'elle lui donneroit beaucoup d'avantage en combattant en plaine.

Si l'on a des troupes de nouvelles levées, ou étonnées par quelques défaites, il est certain qu'on pourra les contenir & leur faire faire leur devoir plus aisément derriere le parapet des lignes, qu'en rase campagne.

Si l'on est superieur en artillerie, on peut encore se borner à la défense des lignes ; l'artillerie étant mieux située derriere des retranchemens qu'en plaine, peut causer une très-grande perte à l'ennemi ; dans une bataille on peut aisément en arrêter l'effet ; le secret n'en est pas grand, dit quelque part M. le chevalier Folard ; il ne s'agit que d'en venir promtement à l'arme blanche.

Il seroit aisé d'appuyer les préceptes précédens par des exemples ; mais comme les circonstances ne sont jamais exactement les mêmes, on ne peut en tirer des regles sûres pour la conduite qu'on doit tenir dans les cas semblables. On a vu d'ailleurs plusieurs fois le hasard & la témérité réussir dans des entreprises que le succès même ne pouvoit justifier aux yeux des maîtres de l'art. C'est pourquoi ce sont moins les exemples qui doivent décider du parti que l'on doit prendre dans les différentes situations où l'on se trouve à la guerre, que la connoissance des moyens que l'ennemi peut employer pour l'exécution de ses desseins, & l'examen des expédiens que la nature du terrein, le tems, & les circonstances particulieres peuvent fournir pour s'y opposer. Après avoir mûrement réfléchi sur ces différens objets, si le plus grand nombre de raisons militent plutôt pour un parti que pour l'autre, c'est celui-là qu'il faut adopter.

Ainsi lorsqu'on trouve qu'il y a plus d'inconvénient à attendre l'ennemi dans les lignes que d'en sortir pour le combattre, on doit aller au-devant de lui, & choisir les postes les plus avantageux pour cet effet. Mais si les lignes sont en bon état, & que nulle raison particuliere n'oblige de commettre l'évenement du siege au hasard d'un combat, on doit dans ce cas se contenter d'empêcher l'ennemi de forcer les lignes, continuer les opérations du siege, même à sa vue, comme on le fit à Philisbourg en 1734, à la vue du prince Eugene, dont l'armée étoit campée à la portée du canon de la circonvallation de cette place.

Tel étoit l'usage des anciens ; on remarque que leurs plus grands généraux ne sortoient de leurs lignes pour combattre dans les siéges, que lorsqu'ils se trouvoient avoir de grands avantages sur l'ennemi, ou lorsqu'il étoit absolument nécessaire de le faire pour se procurer des subsistances ; autrement ils se bornoient à défendre leur camp ou leurs lignes. Virgile qui fait parler son héros relativement aux préceptes des plus grands généraux, lui fait recommander à ses troupes en quittant son armée, de ne point sortir de leurs retranchemens, quoi qu'il pût arriver, pour combattre ; mais de se borner à défendre leur camp.

... Ita discedens praeceperat optimus armis

Aeneas : si qua interea fortuna fuisset,

Neu struere auderent aciem, neu credere campo :

Castra modo & tutos servarent agere muros.

Aeneid. lib. IX.


SECOUSSES. f. (Gramm.) mouvement oscillatoire & promt qui ébranle un corps en toutes ses parties ; les secousses d'un tremblement de terre.


SECQUESS. f. (Marine) terres basses, plates, de peu de cale, où il y a des bancs & des syrtes.


SECRETS. m. (Morale) c'est toute chose que nous avons confiée à quelqu'un, ou qu'on nous a confiée dans l'intention de n'être pas révélée, soit directement, soit indirectement.

Les Romains firent une divinité du secret, sous le nom de Tacita ; les Pythagoriciens une vertu, & nous en faisons un devoir, dont l'observation constitue une branche importante de la probité. D'ailleurs, l'acquisition de cette qualité essentielle à un honnête homme, est le fondement d'une bonne conduite, & sans laquelle tous les talens sont inutiles. Si l'on ne doit pas dire imprudemment son secret, moins encore doit-on révéler celui d'autrui ; parce que c'est une perfidie, ou du-moins une faute inexcusable. Il convient même d'étendre cette fidélité, jusque vis-à-vis de celui qui y manque à notre égard.

Ce n'est pas tout ; il faut se méfier de soi-même dans la vie : on peut surprendre nos secrets dans des momens de foiblesse, ou dans la chaleur de la haine, ou dans l'emportement du plaisir. On confie son secret dans l'amitié, mais il s'échappe dans l'amour ; les hommes sont curieux & adroits ; ils vous feront mille questions épineuses dont vous aurez de la peine à échapper autrement que par un détour, ou par un silence obstiné ; & ce silence même leur suffit quelquefois pour deviner votre secret. (D.J.)

SECRET, adj. (Phys.) chambre de secrets, voyez CABINETS SECRETS.

SECRET, (Médec.) en latin arcanum, en grec , remede dont on tient la préparation secrette pour en relever l'efficacité & le prix.

On croiroit que la plûpart des hommes, très-sensés d'ailleurs pour leurs affaires, doivent avoir peu de confiance pour les prétendus secrets dans ces maladies reconnues incurables par tous les Médecins ; mais telle est la force de l'amour de la vie, qu'on s'abuse à cet égard ; ou peut-être telle est l'impudence de ces gens à secret, que leur trafic va toujours. Cette pratique est aussi ancienne que le monde, & ne finira qu'avec lui. Quoique ces prétendus secrets ne se trouvent communément par l'examen qu'une drogue fort connue, mal préparée, & quelquefois un poison lent, néanmoins on donne la confiance à ceux qui les possedent, & qui n'exigent de vous autre chose, que de n'être pas plus inquiets qu'ils le sont de votre guérison.

Si néanmoins l'on y faisoit quelque attention, on verroit que dans tous les pays, dans tous les siecles, & sans remonter si haut, dans celui où l'on vit, on a oui parler successivement des gens qui prétendoient avoir le même secret infaillible que cet homme auquel on est prêt de donner sa confiance. On se rappelleroit qu'on a toujours oui parler de gens qui faisoient les mêmes promesses, qu'on n'avoit pas de leur habileté des témoignages moins décisifs ; & que par l'évenement ces gens-là sont morts dans la misere, ou se sont trouvés n'être que des fourbes accrédités.

Je n'ignore pas que ceux qui les écoutent, & surtout les grands, plus communément dupes que les autres hommes, prétendent que de telles personnes qui se vantent de secrets, ne s'enrichissent pas par la jalousie des gens de l'art qui s'opposent à leur établissement, les dégoutent, les décréditent, & les empêchent d'exercer leurs talens ; mais ces moyens seroient bien foibles contre des succès véritables ; & il n'est pas possible que ceux qui les auroient en partage, ne triomphassent bien-tôt de tous les obstacles que l'envie pourroit leur opposer.

Nous ne présumons pas, malgré la force invincible de toutes ces raisons, de voir jamais passer le regne des secrets en Médecine. Il est doux de tout espérer d'une maladie mortelle ; la mort surprend sans s'être fait craindre ; on la sent plus tôt qu'on n'a songé à s'y résoudre : notre ignorance, notre foiblesse, notre goût pour le merveilleux, l'amour de la vie qu'on nous promet, dont l'opération est active, dont le bien touche par le sentiment ; la séduction facile de l'imagination occupée de ce seul objet ; le penchant naturel pour ce qui flatte nos desirs ; l'esperance dont on nous berce ; l'abandon même des gens de l'art, qui cedent sans regret aux instances du malade ; tout cela, dis-je, doit triompher des principes les plus évidens, des raisonnemens les plus solides ; & il faudroit être bien peu philosophe, pour s'en étonner.

Nous ne prétendons pas par toutes ces réflexions contre les faux possesseurs de prétendus secrets, nier la possibilité d'en trouver de vrais & d'excellens. Il n'est pas douteux que la Médecine peut faire des progrès à cet égard ; & c'est par cette raison, que l'Angleterre a promis de si belles récompenses à la découverte d'un remede contre la pierre. Mais ceux qui trouveront ce remede ou autre semblable, loin d'avoir à redouter l'envie ou la jalousie de personne, doivent être assurés de leur fortune, de leur gloire, & de leur immortalité. (D.J.)

SECRET, (Marine) c'est l'endroit du brûlot où le capitaine met le feu pour le faire sauter.

SECRET, s. m. terme d'Organiste ; ce mot signifie la caisse, la layette où l'on réserve le vent pour le distribuer selon les besoins. (D.J.)


SECRÉTAIRE(Gram. & Jurisprud.) signifie en général celui qui aide à quelqu'un à faire ses expéditions, comme lettres, extraits, & autres opérations.

Il y a plusieurs sortes de secrétaires, dont l'état & les fonctions sont fort différens les uns des autres. Voyez les articles suivans. (A)

SECRETAIRE d'ambassade, est une personne que l'on met auprès d'un ambassadeur pour écrire les dépêches qui regardent sa négociation.

Il y a une très-grande différence entre un secrétaire d'ambassade & un secrétaire d'ambassadeur ; ce dernier est un domestique ou un homme de la maison de l'ambassadeur, au-lieu qu'un secrétaire d'ambassade est un ministre du prince même. Voyez AMBASSADEUR.

SECRETAIRE DE CONSEILLER est celui qui fait pour un conseiller l'extrait général des procès dont il est rapporteur.

Il n'y a pas plus de cinquante ans qu'on les appelloit simplement clercs de conseillers ; ils travailloient à leurs extraits chez le conseiller même, & le lieu où ils travailloient s'appelloit l'étude.

Dans les procès-verbaux qui se font en l'hôtel d'un conseiller, son secrétaire fait fonction de greffier. (A)

SECRETAIRE DU CONSEIL est celui qui tient la plume au conseil du roi. Ces secrétaires sont de deux sortes ; les uns qu'on appelle secrétaires des finances, qui tiennent la plume au conseil royal des finances ; les autres, qu'on appelle secrétaires & greffiers du conseil privé, qui tiennent la plume au conseil privé ou des parties : les uns & les autres sont au nombre de quatre, & servent par quartier. Voyez CONSEIL DU ROI.

SECRETAIRES DE LA COUR DE ROME, (Histoire moderne) nous comprenons sous ce titre général différentes especes d'officiers de cette cour, qui portent tous le titre de secrétaire, qualifié par les objets de leurs emplois, & dont nous allons détailler les fonctions.

Secrétaire du sacré college est un officier nommé par les cardinaux, qui a droit d'entrer au conclave, & qui écrit les lettres du college des cardinaux pendant la vacance du saint siege. Il assiste encore à toutes les assemblées générales qui se tiennent tous les matins pendant la durée du conclave, & à celles des chefs d'ordre. Il tient un registre exact de tous les ordres & decrets qui s'y donnent, aussi-bien que des délibérations qui se font dans les consistoires secrets, & qui lui sont communiquées par le cardinal vice-chancelier. Il assiste même à ces consistoires ; mais quand on crie extra omnes, il doit en sortir comme tous ceux qui ne sont pas cardinaux. Il a un substitut ou sous- secrétaire, qu'on nomme clerc national.

Secrétaire du pape ou secrétaire d'état. On nomme ainsi, pour se conformer à l'usage des autres cours, le cardinal à qui le pape confie l'administration des plus grandes affaires. C'est ce secrétaire qui écrit & qui signe par ordre de sa sainteté les lettres qu'on écrit aux princes, aux légats, nonces, & autres ministres de la cour de Rome dans les pays étrangers. Il signe les patentes de certains gouverneurs, des podestats, barigels ou prevôts, & autres officiers de l'état ecclésiastique. Lorsque les ambassadeurs des princes sortent de l'audience du pape, ils vont rendre compte au secrétaire d'état de ce qu'ils ont traité avec sa sainteté. C'est encore à lui que tous les ministres de Rome s'adressent pour lui rendre compte de ce qui regarde leurs charges, & recevoir ses ordres. Il a pour l'ordinaire la qualité de surintendant général de l'état ecclésiastique, qui lui est donné par un bref, aussi-bien que celle de secrétaire d'état. Le pape a quelquefois deux secrétaires d'état.

Les autres secrétaires sont le secrétaire des chiffres, celui de la consulte, celui des mémoriaux ou du bon gouvernement, dont on connoît peu les fonctions, celui des brefs qui portent taxe, & le secrétaire des brefs secrets.

Il y avoit autrefois vingt-quatre secrétaires des brefs taxés, & leurs charges étoient vénales ; mais Innocent XI. les a supprimés, & n'en a conservé qu'un seul, dont la fonction est d'expédier les brefs qui doivent rétribution à la chambre apostolique, & de les taxer. Le secrétaire des brefs secrets est un officier qui fait les minutes des brefs, selon les ordres qu'il en reçoit du secrétaire d'état. Ces minutes ne sont ni visées, ni signées du cardinal prefet des brefs, parce qu'il n'a aucune autorité ni sur ces brefs, ni sur le secrétaire qui les expédie. Relation de la cour de Rome, de Jérôme Limadoro.

SECRETAIRE D'ETAT est un des officiers de la couronne, qui fait au roi le rapport des affaires d'état de son département, & qui reçoit directement du roi ses ordres & commandemens, en conséquence desquels il expédie les arrêts, lettres-patentes, & autres lettres closes, les arrêts, mandemens, brevets, & autres dépêches nécessaires.

L'office de secrétaire d'état a quelque rapport avec l'office de ceux que les Romains appelloient magistri sacrorum scriniorum : ce terme scrinium pris à la lettre signifie escrin, coffret ou cassette destinée à garder les choses précieuses & secrettes ; mais en cette occasion, il signifie portefeuille ou registre.

Il y avoit chez les Romains quatre offices différens, appellés scrinia palatina, savoir scrinia memoriae, epistolarum, libellorum & dispositionum. Ceux qui exerçoient ces quatre différens emplois étoient appellés magistri scriniorum ; ce qui pourroit se rapporter aux différens départemens des secrétaires d'état, qui sont aussi présentement au nombre de quatre. Mais il paroît que l'on peut plutôt comparer les secrétaires d'état à ces officiers appellés tribuni notarii seu tribuni notariorum, qui formoient le premier college des notaires, & dont l'emploi étoit d'expédier les édits du prince & les dépêches de ses finances. Voyez le gloss. de Ducange.

Au commencement de la troisieme race, le chancelier réunissoit en sa personne les fonctions des secrétaires d'état, & même en général de tous les notaires & secrétaires du roi ; il rédigeoit lui-même les lettres qu'il scelloit.

Frere Guerin, évêque de Senlis, étant devenu chancelier en 1223, & ayant infiniment relevé la dignité de cette charge, il abandonna aux clercs ou notaires du roi, qu'on a depuis appellés secrétaires du roi, l'expédition des lettres.

Ceux-ci ayant l'honneur d'approcher du roi, devinrent à leur tour plus considérables. Il y en eut trois que le roi distingua des autres, & qui furent nommés clercs du secret, comme qui diroit secrétaires du cabinet ; car anciennement, suivant la remarque de Pasquier, le cabinet du roi s'appelloit secretum ou secretarium, pour exprimer que c'étoit le lieu où on parloit des affaires les plus secrettes. Les clercs du secré ou secret furent donc ainsi appellés, parce qu'ils furent employés à l'expédition des affaires les plus secrettes ; c'est de-là que les secrétaires d'état tinrent leur origine.

Philippe le Bel déclara en 1309, qu'il y auroit près de sa personne trois clercs du secré, & vingt-sept clercs ou notaires sous eux.

Dechales, en son dictionnaire de justice au mot secrétaire, cite une ordonnance de Philippe le Long de l'an 1316, où il y a, dit-il, un article des notaires suivant le roi, qui en marque trois, & qui nous apprend que la qualité de secrétaire n'étoit qu'une adjonction à celle de notaire, pour marquer la différence de leurs fonctions, & que le notaire- secrétaire étoit celui qui travailloit aux dépêches secrettes & particulieres du roi ; que le notaire du conseil étoit celui qui en tenoit les registres, & le notaire du sang celui qui étoit employé aux affaires criminelles pour les graces & les remissions, enfin que l'on appelloit simplement notaires ceux dont l'emploi étoit de faire les expéditions ordinaires du sceau.

Ce que dit Dechales de la qualité de secrétaire, jointe à celle de notaire du roi, est exacte ; mais on ne sait du reste où il a pris cette prétendue ordonnance de 1316, elle ne se trouve point dans le recueil des ordonnances imprimées au Louvre.

Cet auteur a peut-être voulu parler d'une ordonnance de Philippe le Long du mois de Décembre 1320 ; il y en a deux de cette même date qui concernent les notaires ; la premiere parle des notaires non-poursuivans, ce qui suppose qu'il y en avoit d'autres qui étoient à la suite du conseil pour en faire les expéditions ; c'est ce que confirme encore la seconde ordonnance, dans laquelle, article 7. Philippe V. dit : " Pourceque les notaires qui seront aucunes fois loin avecques nous hors de Paris, avec notre chancelier, ou avec aucun de nos gens qui ont pouvoir de commander.... ne pourront pas bailler chaque mois leur cedule des lettres qu'ils auront faites par les semaines aux personnes, si, comme dessus est dit, ils seront tenus par leur serment à les bailler au plus tôt qu'ils pourront trouver les personnes dessusdites ".

Depuis ce tems les clercs du roi furent distingués de ceux qui étoient simplement notaires du roi, quoique ces clercs fussent toujours tirés du corps des notaires ; c'est ainsi que dans une déclaration de Philippe de Valois du premier Juin 1334, ce prince dit, nos clercs, notaires & plusieurs autres nos officiaux.

Philippe de Valois avoit en 1343 sept secrétaires & soixante-quatorze notaires, ainsi qu'il paroît par les registres de la chambre des comptes ; on y trouve aussi la preuve que les clercs du secret avoient dèslors changé de nom, & qu'ils avoient pris le titre de secrétaires des finances.

Néanmoins dans plusieurs ordonnances postérieures, nos rois les nomment simplement nos secrétaires.

Philippe de Valois en eut sept ; le roi Jean, par son ordonnance de l'an 1361, réduisit le nombre de ses secrétaires & notaires à cinquante-neuf, sans specifier combien il y avoit de secrétaires ; il paroît néanmoins qu'il en avoit douze, suivant une ordonnance dont il sera parlé ci-après.

Le nombre en fut même porté jusqu'à dix-huit par Charles V. étant régent du royaume, lequel en cette qualité ordonna le 27 Janvier 1359, qu'en l'office des notaires il y auroit dorénavant cinquante notaires seulement, y compris les secrétaires, desquels, dit-il, pour certaines causes nous avons retenus en leursdits offices de secrétaires jusqu'au nombre de dix-huit, dont les douze ont été faits par monsieur (le roi Jean), & les six par nous ; il déclare ensuite qu'il ne nommera plus de secrétaire jusqu'à ce qu'ils soyent réduits au nombre de six.

Ainsi, suivant cette ordonnance, les secrétaires du roi ou de ses commandemens appellés auparavant clercs du secret, avoient en même tems la qualité de notaires du roi, au-lieu que ceux qui étoient simplement notaires du roi n'étoient pas alors qualifiés de secrétaires du roi, comme ils l'ont été depuis & le sont encore présentement.

C'est ce que confirme encore une ordonnance de Charles V. du 9 Mars 1365, portant confirmation de la confrairie des clercs, secrétaires & notaires du roi, & différens réglemens pour ce college ; on pourroit croire d'abord que ces trois qualités, clercs, secrétaires & notaires du roi étoient toutes communes à chacun des membres de ce college.

Mais en lisant avec attention cette ordonnance, on voit que la confrairie étoit composée de deux sortes d'officiers, savoir des clercs ou secrétaires du roi, & des autres notaires, qu'ainsi les secrétaires n'étoient pas alors les mêmes que les notaires, qu'il n'y a au plus que le titre de clerc qui leur fut commun ; encore est-il probable que ce titre étoit joint spécialement à celui de secrétaire des commandemens, d'autant que ceux-ci étoient d'abord appellés les clercs du secret, & que de cette dénomination on fit insensiblement celle de clercs-secrétaires, & par abréviation celle de secrétaire simplement.

La dénomination de secrétaire du roi étoit tellement affectée alors au secrétaire des commandemens, que dans le registre D. de la chambre des comptes, fol. 75. v °. il est fait mention d'une ordonnance donnée en 1361, qui réduisoit le nombre des secrétaires du roi pour ladite année à onze seulement ; ce qui ne peut convenir qu'aux secrétaires des commandemens qui étoient retenus pour le conseil, & non pas aux autres notaires qui étoient alors au nombre de cinquante-neuf. De ces onze secrétaires, il y en avoit huit ordinaires qui avoient entrée dans le conseil, & trois extraordinaires.

Dans un réglement que Charles V. fit pour les finances le 13 Novembre 1372, il est dit entr'autres choses, art. 7. qu'il plaît au roi que toutes lettres de don soient signées par MM. Pierre Blanchet, Yves Daven, Jean Tabary ses secrétaires, & non par autres, & que si on apportoit lettres de don signées par autre secrétaire, que M. le chancelier ne les scelle point.

Cet article paroît supposer que le roi avoit encore plus de quatre secrétaires, mais qu'il n'y en avoit que quatre pour les finances.

Il y en avoit cinq l'année suivante, suivant un autre réglement que Charles V. fit le 6 Décembre 1373. Deux de ces cinq secrétaires étoient du nombre de ceux qui sont nommés dans le réglement de 1372 : du reste l'article 8 de celui de 1373 est conforme à l'article 7 du précédent réglement.

L'article 9 du réglement de 1373 porte que le chancelier commandera de par le roi, & fera jurer à ses secrétaires qu'ils entendent diligemment aux lettres que le roi leur commandera touchant les finances ; qu'ils ne les fassent point plus fortes que le roi ne leur commandera, & n'y mettent aucun nonobstant, &c. si le roi ne le leur commande exprès. Ce terme de commandement, qui est encore répété un peu plus loin, est peut-être ce qui a fait donner aux secrétaires des finances le titre de secrétaires des commandemens.

Charles VI. dans des lettres du 13 Juillet 1381, art. 6, ordonne pour ses secrétaires ses amés & feaux maîtres, Pierre Blanchet, Yves Darian, Jean Tabari, Jean Blanchet, Thiebault Hocié, Jehan de St. Loys, & Hugues Blanchet, Jacques Duval, Macé Freron, Jehan de Crepy, Pierre Couchon & Pierre Manhac, il est bien visible qu'il ne s'agit encore là que des secrétaires des finances ; en effet il ajoute qu'aucun de ses autres secrétaires ne pourra faire ou signer des lettres touchant don ou finance.

Ces termes aucun de nos autres secrétaires font connoitre que le titre de secrétaire étoit alors commun aux autres notaires du roi que l'on appelloit ordinairement notaires-secrétaires du roi ; au lieu que les secrétaires des finances portoient simplement le titre de secrétaire du roi ou des finances.

Dans d'autres lettres du 12 Février 1387, Charles VI. fixe de même à 12 le nombre de ses secrétaires à gages servans par mois, & il dit que ces 12 secrétaires signeront seuls les lettres sur le fait des finances. Il déclara que la signature des lettres royaux n'appartiendroit qu'à ces 12 secrétaires, & ceux du parlement & de la chambre des comptes, à un autre qu'il nomme, lequel devoit servir en la compagnie du chancelier.

Charles VI. fit une ordonnance le 7 Janvier 1400, par laquelle il régla entr'autres choses, qu'à ses conseils il y auroit dix de ses secretaires qui auroient les gages de secrétaires & non autres ; il nomme ces dix secrétaires, & en désigne six en particulier pour signer. Sur le fait de signer, il leur défend à tous très-étroitement de signer aucunes lettres, si elles ne leur sont par lui commandées, & à ceux qui signeront sur le fait des finances, qu'ils n'en signent aucune de cette espece, si elles ne sont passées & à eux commandées par le roi étant assis en son conseil & à l'oüie de ses conseillers qui y seront. Il ordonne enfin qu'à chacun de ses conseils il ne demeure que deux de ces dix secrétaires, savoir un civil & un criminel.

Il fit encore une autre ordonnance le 7 Janvier 1407, par laquelle, au lieu de dix secrétaires qu'il avoit nommés par la précédente pour être à ses conseils, il ordonna qu'il y en auroit 13, lesquels y sont nommés chacun par leur nom & surnom ; il leur réitere les défenses de signer aucunes lettres touchant les finances, si elles ne sont passées & à eux commandées par le roi séant en son conseil & à l'oüie de ses conseillers ; il réitere pareillement qu'à chaque conseil il n'y aura que deux de ses secrétaires, un civil & l'autre criminel. Cette distinction fait connoître que l'on jugeoit autrefois des affaires criminelles dans le conseil du roi.

Au mois de Mai 1413, Charles VI. fit une ordonnance portant qu'à l'avenir, pour servir dans ses conseils, il n'y auroit que huit secrétaires qui serviroient quatre ensemble de mois en mois : que des quatre qui serviroient chaque mois, il n'y en auroit qu'un qui signeroit sur le fait des finances ; il est dit que ces huit secrétaires seront élus bons, diligens & suffisans en latin & en françois par le chancelier, en appellant avec lui des gens du conseil en nombre compétant. Charles VI. renouvelle aussi la défense qu'il avoit déjà faite à ses secrétaires de signer aucunes lettres de finance, à moins que ce ne fût du commandement du roi.

Il déclare encore par cette même ordonnance, qu'en se conformant à celle de ses prédécesseurs, il ne recevra doresnavant aucun pour son secrétaire, si premierement il n'est notaire du nombre & ordonnance ancienne.

On a vu que dans le nombre des secrétaires du roi retenus pour le conseil, il n'y en avoit plus que deux qui eussent le pouvoir de signer les lettres en fait de dons & de finances.

Le nombre de ces secrétaires des finances fut fixé à 5 par le même prince, ainsi qu'on l'apprend du mémorial H de la chambre des comptes du 15 Août 1418, conformément à un édit de la même année, par lequel il créa le college des 159 clercs notaires de la chancellerie, & réduisit les secrétaires des finances aux 5 personnes y dénommées, lesquelles signeront, est-il dit, lettres en finance, & portant adresse aux gens tenant le parlement & gens des comptes.

Charles VI. établit de nouveaux secrétaires pour signer en finance ; & par une ordonnance du 25 Octobre 1443, il leur enjoignit de faire apparoir à la chambre des comptes de leur pouvoir ; c'est de-là qu'ils y faisoient enregistrer leurs lettres de provision, & qu'ils inscrivoient deux signatures au registre du greffe de ladite chambre, l'une avec grille, l'autre sans grille ; il s'en trouve nombre depuis 1567, jusqu'au mois de Juin 1672 ; les autres ont négligé de le faire.

On ne trouve que trois secrétaires qui ayent servi le roi Louis XI. pendant tout son regne. Comme il étoit méfiant, il employoit souvent le premier notaire qu'il rencontroit. Ce fut de son tems en 1481, que les secrétaires des finances commencerent à contresigner les lettres signées par le roi, comme cela s'est toujours pratiqué depuis.

Charles VIII. confirma les secrétaires des finances. Ce fut sous son regne que Florimond Robertet I. du nom acquit tant de crédit dans sa charge de secrétaire ; quelques-uns l'appellent le pere des secrétaires d'état, parce qu'il commença à donner à cet emploi le degré d'élévation où il est maintenant ; il continua les mêmes fonctions sous Louis XII. & François I. & fut toujours maître des plus grandes affaires.

Enfin Henri II. fixa le nombre des secrétaires d'état, & les réduisit à quatre, par ses lettres patentes du 14 Septembre 1547, sous le titre de conseillers & secrétaires de ses commandemens & finances : ces quatre secrétaires furent Guillaume Dochetel, Côme Clausse, Claude de l'Aubespine & Jean du Thier. Il leur attribua par les mêmes lettres le droit d'expédier seuls, & à l'exclusion des secrétaires du roi, toutes les dépêches d'état, suivant le département qu'il assigna à chacun, afin qu'ils fissent leurs fonctions avec plus d'ordre & d'exactitude.

Ce ne fut que sous Charles IX. en 1560, qu'ils commencerent à signer pour le roi. Ce jeune prince étoit fort vif dans ses passions ; & Villeroi lui ayant présenté plusieurs fois des dépêches à signer dans le tems qu'il vouloit aller jouer à la paume : signez, mon pere, lui dit-il, signez pour moi : eh bien, mon maître, reprit Villeroi, puisque vous me le commandez, je signerai. Henaut.

Du tems d'Henri III. en 1559, lorsqu'on fit à Cateau-Cambresis un traité de paix avec l'Espagne, les François ayant remarqué que les ministres du roi d'Espagne affectoient de se qualifier ministres d'état, M. de Laubespine, secrétaire des commandemens & finances du roi, qui signa pour lui ce traité, fut aussi qualifié secrétaire d'état ; c'est depuis ce tems que les secrétaires des commandemens & finances ont pris le titre de secrétaire d'état, & qu'ils ont laissé le titre de secrétaires des finances aux autres secrétaires du roi qui portent ce nom.

Jusqu'en 1588, les secrétaires d'état avoient prêté serment entre les mains du chancelier ou du garde des sceaux ; mais Henri III. voulut qu'un nouveau pourvu de cette charge prêtat le serment immédiatement entre ses mains : ce qui s'est depuis toujours pratiqué de même.

Du tems de la régence de M. le duc d'Orléans, il y eut un édit du mois de Janvier 1716, qui supprima l'un des offices de secrétaire d'état dont étoit encore pourvu M. de Voisin, quoiqu'il fût chancelier de France dès 1714. Cet édit fut registré le 8 Février suivant. A la fin de Septembre 1718, les offices de secrétaire d'état furent mis au nombre de 5, dont les deux derniers n'étoient que par commission.

Ces charges sont devenues si considérables, que les conseillers d'état se tiennent honorés d'y parvenir. Sous Henri II. le connétable de Montmorenci, le duc de Nevers, le duc de Guise & quelques autres grands remplirent ces fonctions. Guillard. Hist. du conseil, p. 126.

Les autres maisons qui ont fourni le plus de secrétaires d'état, sont celles de Brulart, le Tellier, Lomenie, Colbert, & surtout celle de Phelipeaux qui en a fourni jusqu'à 10, & ce qui est encore remarquable par rapport à la quatrieme charge, c'est que depuis 1621 elle a toujours été possédée par des personnes du nom de Phelipeaux. M. le comte de Saint-Florentin, ministre & secrétaire d'état, qui possede cette charge depuis 1723, est le septieme de son nom qui l'ait ainsi possédé de suite & sans aucune interruption.

On a deja observé que les secrétaires d'état étoient obligés d'être pourvus d'un office de secrétaire du roi ; le college des secrétaires du roi obtint en conséquence en 1633 un arrêt contre M. de Savigny, secrétaire d'état, qui lui ordonna de se faire pourvoir dans six mois d'une de leurs charges ; cet usage n'a été changé qu'en 1727, à l'occasion de M. Chauvelin, garde des sceaux & secrétaire d'état ayant le département des affaires étrangeres, lequel fut le premier dispensé d'être secrétaire du roi : ce qui fut étendu en même tems à tous les autres secrétaires d'état.

Les secrétaires d'état ont présentement par leur brevet le titre de secrétaires d'état des commandemens & finances de Sa Majesté ; néanmoins, en parlant d'eux, on ne les désigne communément que par le titre de secrétaires d'état. Le roi les qualifie de ses amés & féaux.

Leurs places n'étoient autrefois que de simples commissions ; mais depuis 1547, elles ont été érigées en titre d'office.

Ces offices donnent la noblesse transmissible au premier degré, & même la qualité de chevalier à ceux qui n'auroient pas d'ailleurs ces prérogatives.

Les secrétaires d'état sont officiers de plume & d'épée ; ils entrent chez le roi & dans ses conseils, dans leurs habits ordinaires & l'épée au côté.

Leurs fonctions sont aussi honorables qu'elles sont importantes, puisqu'ils sont admis dans la confiance du prince pour les affaires les plus secrettes : ce sont eux qui dressent les différens traités de paix & de guerre, d'alliance, de commerce & autres négociations ; ils les signent au nom du roi, les conservent dans leur dépôt, & en délivrent des expéditions authentiques.

Ce sont eux pareillement qui dressent & qui expédient les lettres des dons & brevets, les lettres de cachet & autres dépêches du roi.

Les secrétaires d'état ont chacun leur département. Louis XI. les avoit fixés par un réglement du 11 Mars 1526 ; mais il a été fait depuis bien des changemens, & les départemens des secrétaires d'état ne sont point attachés fixément à leur office, ils sont distribués selon qu'il plait au roi.

Le secrétaire d'état qui a le département des affaires étrangeres, a aussi ordinairement celui des pensions & expéditions qui en dépendent, les dons, brevets & pensions autres que des officiers de guerre ou des étrangers pour les provinces de son département.

Celui qui a le département de la marine a aussi de même ordinairement tout ce qui y a rapport, comme les fortifications de mer, le commerce maritime, les colonies françoises, avec toutes les pensions & expéditions qui en dépendent.

Celui qui a le département de la guerre, a en même tems le taillon, les maréchaussées, l'artillerie, les fortifications de terre, les pensions, dons & brevets des gens de guerre, tous les états-majors, à l'exception des gouverneurs généraux, des lieutenans généraux & des lieutenans de roi des provinces qui ne sont pas de son département, les haras du royaume & les postes.

Enfin le quatrieme secrétaire d'état a ordinairement pour son département la maison du roi, le clergé, les affaires générales de la religion prétendue réformée, l'expédition de la feuille des bénéfices, les économats, les dons & brevets autres que des officiers de guerre ou des étrangers pour les provinces de son département.

Pour ce qui est des provinces & généralités du royaume, elles sont distribuées à-peu-près également aux quatre secrétaires d'état.

Les dépêches que le roi envoie dans chacune de ces provinces, sont expédiées par le secrétaire d'état qui a cette province dans son état. Toutes les lettres & mémoires que ces provinces ou les villes qui en dépendent, adressent au roi, doivent passer par les mains du secrétaire d'état qui les a dans son département, & les députés des parlemens & autres cours souveraines, des états généraux, des provinces ou des villes, sont conduits à l'audience du roi par le secrétaire d'état qui a dans son département la province ou ville d'où vient la députation.

Anciennement les secrétaires d'état avoient chacun pendant trois mois de l'année l'expédition de toutes les lettres, dons & bénéfices que le roi accordoit pendant ce tems ; présentement chacun expédie les dépêches qui sont pour les affaires & provinces de son département.

Le secrétaire d'état des affaires étrangeres est ministre notaire, & en cette qualité il a entrée & séance dans tous les conseils du roi : c'est lui qui rapporte au conseil d'état ou des affaires étrangeres toutes les affaires de cette nature qui se présentent à examiner.

Le roi accorde aussi ordinairement au bout d'un certain tems aux autres secrétaires d'état le titre de ministre, en les faisant appeller au conseil d'état.

Les secrétaires d'état ont tous entrée au conseil des dépêches, quand même ils n'auroient pas la qualité de ministre. Anciennement les dépêches s'expédioient ordinairement dans la forme d'un simple travail particulier dans le cabinet du roi, auquel chaque secrétaire d'état rendoit compte debout des affaires de son département. Ils ne prenoient séance devant le roi que lorsque Sa Majesté assembloit un conseil pour les dépêches ; mais depuis long-tems les dépêches s'expédient dans la séance du conseil appellée conseil des dépêches. Voyez ci-devant CONSEIL DU ROI.

Le secrétaire d'état qui a le département du commerce, assiste au conseil royal du commerce.

Dans tous les conseils où les secrétaires d'état ont entrée, ils ont l'honneur d'être assis en présence du roi, de même que les autres personnes du conseil.

Le rang des secrétaires d'état dans les conseils du roi, où ils ont entrée & séance, se regle suivant l'ordre de leur réception, ou selon les autres dignités dont ils sont revêtus, lorsqu'ils y prennent séance.

Les résolutions prises dans les conseils du roi sont recueillies par chaque secrétaire d'état pour les affaires de son département ; chacun d'eux fait aussi dans son département, expédition des lettres & autres actes émanés du roi pour tout ce qui est signé en commandement.

Les secrétaires d'état sont en possession immémoriale de recevoir les contrats de mariage des princes & princesses du sang, qui sont passés en présence du roi ; ces contrats sont aussi authentiques que s'ils étoient reçus par un notaire, & produisent les mêmes effets, notamment pour l'hypotheque, ce qui a été confirmé par une déclaration du 21 Avril 1692, registrée le 30 du même mois, qui veut que ces contrats soient exécutés ; qu'ils portent hypotheque du jour de leur date, & qu'ils aient en toutes choses la même force & vertu que s'ils avoient été reçus par des notaires, que la minute en demeure entre les mains de celui des secrétaires d'état qui les aura reçus, lequel en pourra délivrer des expéditions ; & néanmoins, pour la commodité des parties, il est dit qu'il en sera déposé une copie par lui signée par collation chez un notaire, qui en pourra délivrer des expéditions, comme s'il en avoit reçu la minute.

Les dépôts des secrétaires d'état ne sont conservés de suite, que depuis le tems de M. Colbert ; ils sont placés dans le vieux Louvre.

Par l'édit du mois de Décembre 1694, il fut créé quatre offices de commis des secrétaires d'état ; mais ces offices furent supprimés.

On peut encore voir sur les secrétaires d'état l'histoire de du Toc, & celles qu'indique le pere le Long, p. 715, l'histoire du conseil par Guillard, & les réglemens des 31 Mai 1582, 8 Janvier 1585, Mai 1588, 28 Avril 1619 & 11 Mars 1629.

SECRETAIRE DU ROI, (Jurisprud.) est un officier établi pour signer les lettres qui s'expédient dans les grandes & petites chancelleries, & pour signer les arrêts & mandemens émanés des cours souveraines.

Au commencement de la monarchie, celui qui scelloit les lettres s'appelloit référendaire du roi ou référendaire du palais.

Comme il ne pouvoit suffire à expédier seul toutes les lettres, on lui donna des aides qui reçurent différens noms ; on les appella amanuenses, notarii, palatini, scriptores, aulici scribae, clerici regii, cancellarii, & en françois clercs, notaires & secrétaires du roi.

Valentinien est le premier que l'on connoisse pour avoir fait la fonction de notaire & secrétaire du roi, c'étoit sous Childebert roi de Paris ; il collationna la chartre de donation faite à l'abbaye de S. Vincentlès-Paris, à présent S. Germain des prés, rapportée par Aimoin, l. II. à la fin de laquelle il y a ego Valentinianus, notarius & amanuensis recognovi.

Baudin & Charisigile sont nommés par Grégoire de Tours, référendaires du roi Clotaire ; Flave & Licere du roi Gontran ; Signon & Theutere, du roi Sigebert ; Charimere, Gallomagne & Othon, du roi Childebert ; & le pere Mabillon rapporte un arrêt du tems de Clovis III. auquel il est dit qu'assisterent les référendaires, qui sont nommés au nombre de quatre.

Ce fut apparemment pour se distinguer de ces simples référendaires, que celui qui portoit l'anneau royal, & qui étoit préposé au - dessus d'eux, prit le titre de summus palatii referendarius ; c'est ainsi qu'est qualifié Robert en l'année 670, en la vie de S. Lambert, évêque de Lyon.

Ces mêmes référendaires étoient aussi appellés cancellarii regales, titre qu'on leur avoit donné à l'instar des chanceliers qui étoient près des empereurs romains, ainsi appellés, parce qu'ils travailloient intra cancellos, c'est-à-dire dans une enceinte fermée de barreaux ; usage qui s'est encore conservé dans la chancellerie du palais, où les officiers travaillent dans une enceinte fermée de grilles de fer.

C'est aussi de-là que sous la seconde race, quand le grand référendaire changea ce titre en celui de chancelier, il prit le surnom d'archichancelier ou grand chancelier, summus cancellarius, pour se distinguer des simples chanceliers, représentés aujourd'hui par les secrétaires du roi ; & ce titre de grand - chancelier fut en usage jusqu'à ce que les notaires du roi quitterent le titre de chancelier, lequel depuis Baudouin, qui fut chancelier de France, sous Henri I. demeura affecté par excellence à celui qui étoit préposé au-dessus des notaires du roi.

Grégoire de Tours, c. xxviij. fait mention d'un nommé Claude, qui étoit un des chanceliers, Claudius quidam ex cancellariis regalibus.

Ces chanceliers écrivoient de leur main les lettres, & étoient indifféremment qualifiés notaires ou notaires du roi ; c'est ainsi que la chartre de dotation du monastere de Flavigny, diocèse d'Autun, porte, scriptum per manum Haldofredi notarii, &c. & le moine Jonas, en la vie de S. Eustase, abbé de Luxeuil, dit qu'Agresitinus quidam Theodorici regis notarius fuerat.

Sous Chilperic I. il n'est fait mention que d'un seul référendaire & d'un secrétaire ; il est parlé de celui-ci dans une charte de ce prince, pour S. Lucien de Beauvais, ego Ultritus palatinus scriptor recognovi.

Ansbert, qui fut archevêque de Rouen, & grand référendaire sous Clotaire II. avoit d'abord été notaire du roi, suivant ce qui est dit par Andrade en la vie de ce prélat, caepit esse aulicus scriba.

Sous Dagobert I. on trouve différentes chartes signées par Godefroy, Landry, Ursin, Gerard & Henry, qui n'étoient que de simples notaires du roi, qui signoient en l'absence du grand référendaire, ego notarius ad vicem obtuli, recognovi, subscripsi.

Dans un titre de Charles Martel, maire du palais, l'an du roi Thierry. Le notaire du roi est qualifié clericus Aldo clericus jussus à domino meo Carolo scripsi & subscripsi.

Sous la seconde race de nos rois le titre de chancelier & celui de notaire furent donnés indifféremment aux secrétaires du roi, c'est pourquoi le grand chancelier, qui étoit leur chef, prit aussi le titre d'archinotaire.

Les notaires de ce tems sont qualifiés regiae dignitatis notarius.

Hincmar, archevêque de Rheims, qui écrivoit vers le milieu du xv. siecle, dit que le grand chancelier avoit sous lui des personnes prudentes, intelligentes & fideles, qui écrivoient les mandemens du roi avec beaucoup de désintéressement, & gardoient fidelement les secrets qui y étoient confiés : cui (apocrisiario) sociabatur summus cancellarius qui a secretis olim appellabatur, erantque illis subjecti & intelligentes prudentes ac fideles viri qui praecepta regia absque immoderatâ cupiditate venalitate scriberent, & secreta illis fideliter custodirent. Telle est l'idée qu'il nous donne de ceux qui faisoient la fonction de notaires & secrétaires du roi.

Dans un titre de l'église de Cambray, du tems de Charles le Simple, un de ses secrétaires, nommé Gozlinus, est qualifié adnotator ad vicem... summi cancellarii recognovit. Miraeus rapporte une charte de l'an 919, où ce même Gozlin est appellé notarius ad vicem.

On trouve du tems de Philippe I. un nommé Gislebert, secrétaire du roi, qualifié dans quelques chartes regius notarius, & dans d'autres clericus.

Une charte de l'an 1128 pour S. Martin des Champs, fait mention d'Algrin, notaire du roi, Algrinus notarius relegendo subscripsi : dans une autre charte de l'an 1137, qui est au registre croisé, il est qualifié Algrinus à secretis nostris : cet Algrin fut depuis élevé à la dignité de chancelier.

La chancellerie ayant vaqué pendant les années 1172 & suivantes, jusques & compris 1177, c'étoit un des notaires du roi qui signoit les chartes en ces termes, Petrus notarius vacante cancellariâ suscripsit.

On tient communément que ce fut frere Guerin, évêque de Senlis, nommé chancelier en 1223, qui abandonna totalement les fonctions du secrétariat aux clercs notaires du roi, se réservant seulement l'inspection sur eux.

Dans Matthieu Paris, à l'an 1250, ils sont qualifiés clerici regii, & dans d'autres endroits clerici Franciae.

Une ordonnance de S. Louis, du mois de Février 1254, les appelle clerici simplement, le roi défendant aux clercs ou à leurs écrivains de prendre pour les lettres-patentes plus de six deniers, & pour les lettres clauses plus de quatre.

Depuis ce tems les secrétaires du roi se trouvent qualifiés tantôt de clercs du roi simplement, tantôt clercs notaires, tantôt notaires de France, ou notaires du roi, & ensuite notaires secrétaires du roi, & enfin le titre de secrétaire du roi a depuis long-tems prévalu, & est le seul qui leur est demeuré.

Il paroît néanmoins qu'il y avoit anciennement quelque différence entre les notaires du roi & les secrétaires, tous les secrétaires du roi étoient notaires ; mais tous les notaires du roi n'avoient pas le titre de secrétaires, & n'en faisoient pas les fonctions. On entendoit alors par clercs notaires du roi en général, tous ceux qui écrivoient, collationnoient & signoient les lettres de chancelleries & les arrêts des cours, au lieu que par secrétaires du roi, on n'entendoit que ceux qui étoient à secretis, c'est-à-dire, ceux qui étoient employés pour l'expédition des lettres les plus secrettes ; ceux-ci, qui approchoient le plus de la personne du roi, & qui étoient honorés de sa confiance, ayant acquis par-là un plus haut degré de considération, furent distingués des autres clercs & notaires, & surnommés clercs du secré, du secret ; c'est la premiere origine des secrétaires d'état, & c'est delà que ces officiers devoient toujours être pourvus d'un office de secrétaire du roi ; le premier qui en fut dispensé fut M. Chauvelin, secrétaire d'état, en 1728, lequel fut depuis garde des sceaux.

Les secrétaires du conseil & des finances ont aussi été tirés du corps des notaires & secrétaires du roi, entre lesquels il n'y en avoit qu'un petit nombre, qui étoit retenu pour servir au conseil, comme six, dix, douze, treize, plus ou moins, selon que ce nombre fut fixé en divers tems.

Quant au nombre des secrétaires du roi, on a déja vû que dans l'origine les chanceliers qui sont représentés par les secrétaires du roi n'étoient qu'au nombre de quatre, & les anciennes ordonnances disent qu'ils avoient été établis à l'instar des quatre évangelistes, en l'honneur desquels leur confrairie est établie en l'église des célestins de Paris.

Mais ce nombre s'accrut peu-à-peu ; on en trouve cinq différens sous Philippe I, treize dans un état de la maison de Philippe le Bel de l'an 1285 ; ce même prince fit un reglement en 1309, portant qu'il y auroit trois clercs du secré, & vingt-sept clercs & notaires.

Le sciendum de la chancellerie que quelques-uns croyent avoir été rédigé en 1319, d'autres en 1394, d'autres en 1413 ou 1415, porte que le nombre des notaires & secretaires du roi étoit alors de 67.

Sous le roi Jean, ils étoient au nombre de cent quatre ; la délibération qu'ils firent en 1359 pour l'établissement de leur confrairie aux Célestins, est signée de cent quatre notaires & secrétaires.

Ce prince ne supprima aucun de leurs offices, mais par un reglement qu'il fit le 7 Décembre 1361, il déclara que pour la charge de sa rançon, il ne pouvoit donner des gages à tous, & fit une liste composée seulement de cinquante-neuf de ses secrétaires & notaires, pour servir continuellement & prendre gages & bourses, déclarant qu'il manderoit les autres quand il lui plairoit ; mais Charles V. réduisit absolument le nombre de ses notaires secrétaires à cinquante-neuf, ordonnant que les Célestins par lui fondés feroient le soixantieme, & qu'ils auroient une bourse comme les secrétaires du roi.

Cependant plusieurs personnes par importunité ou autrement, obtinrent les uns les bourses de clerc notaire seulement, & les autres les gages & manteaux, divisant ainsi l'office en deux parties, de maniere que le nombre de ces officiers étoit augmenté de près du tiers, ce qui faisoit environ 80.

Charles VI. son fils, par une ordonnance du 19 Octobre 1406, les réduisit au nombre ancien de 60 y compris les Célestins ; il les réduisit encore au même nombre par son ordonnance du 2 Août 1418.

Au commencement de son avénement à la couronne, Louis XI. avoit créé plusieurs offices de secrétaires du roi, mais il les supprima par son édit du mois de Juillet 1465, & les réduisit au nombre ancien de 60 y compris les Célestins ; & par un autre édit du mois de Novembre 1482, il confirma le même nombre, avec cette différence seulement, qu'il déclara que lui & ses successeurs rois seroient à perpétuité chefs dudit college, & que la premiere bourse seroit pour Sa Majesté.

Les secrétaires du roi, maison couronne de France & de ses Finances, qu'on appelle aussi secrétaires du roi en la grande chancellerie ou secrétaires du roi du grand college, obtinrent du roi Jean au mois de Mars 1350, la permission d'établir entr'eux une confrairie en l'honneur des quatre évangelistes, & de bâtir une église en tel lieu qu'ils jugeroient à-propos ; dans ces lettres, ils sont qualifiés de college des notaires de France ; Charles V. les qualifie de vénérable college ; ils furent érigés en college par le roi Jean au mois de Mars 1350, laquelle érection a depuis été confirmée par nombre d'autres édits, déclarations & lettres patentes.

Ce college en comprend présentement six autres, c'est-à-dire que l'on a réuni en un seul corps ou college, des secrétaires du roi de six créations & classes différentes ; savoir, le college ancien des 120, le college des 54, le college des 56, le college des 120 des finances, le college des 20 de Navarre, & le college des 80.

On entend par college ancien, les cent vingt qui sont de plus ancienne création, desquels il y en a 60 qu'on appelloit boursiers, & 60 autres que l'on appelloit gagers.

Des 60 boursiers, 20 sont surnommés grands qui sont les plus anciens, vingt moyens qui suivent, & qui sont les derniers des 60 boursiers.

Les 60 gagers furent créés à la priere des 60 boursiers ; ils furent appellés gagers, parce qu'ils n'avoient que des gages & ne prenoient point de bourses, mais présentement tous les secrétaires du roi ont chacun une bourse & des gages.

Henri II. par édit de Novembre 1554, augmenta cet ancien college de 80 secrétaires du roi pour faire le nombre de 200, mais ces nouveaux offices furent supprimés par édit du mois de Décembre 1556.

Le second college appellé des 54, parce qu'il étoit composé de ce nombre, fut créé par édit de Charles IX. du mois de Septembre 1570, portant création de 40 nouveaux offices, & par des lettres du 22 Septembre suivant portant rétablissement de 14 autres secrétaires du roi, qui avoient été privés de leurs offices pour cause de religion.

Le troisieme college appellé des 66, fut composé d'officiers créés à diverses fois ; savoir, 26 par édit de Septembre 1587, & de quelques autres qui avoient été créés, tant par le roi Henri III, que par le duc de Mayenne ; ils furent tous unis en un même college par Henri le Grand en 1608 ; on y a joint les 46 créés par édit de Louis XIII. au mois d'Octobre 1641, ce qui fait en tout 112.

Le quatrieme college appellé des six vingt des finances fut créé à trois fois ; savoir, 26 par Henri IV. 10 par Louis XIII en 1605, & 84 encore par Louis XIII en 1635.

Le cinquieme college appellé des 20 de Navarre, fut créé & établi au mois de Décembre 1602 par le roi Henri IV. qui les amena en France avec la couronne de Navarre ; c'étoient ses secrétaires, lorsqu'il n'étoit encore roi que de Navarre.

Le nombre des cinq secrétaires du roi fut réduit à 240 qui furent choisis dans les cinq colleges, & unis en un seul & même college sans distinction, par édit du mois d'Avril 1672.

Il en fut créé 60 par édit du mois de Mars 1691, & 50 par édit du mois de Février 1694 ; mais par édit du mois de Décembre 1697, il en fut supprimé 50 & le nombre total réduit à 300.

Au mois de Mars 1704 le roi augmenta le nombre de 40.

Habits. Anciennement le roi leur fournissoit des manteaux qui leur ont été depuis payés en argent.

Louis XI. ordonna en 1482, que quand ils feroient leur service, ils seroient vétus honnêtement selon leur état, sans porter habits dissolus, & qu'ils porteroient leurs écritoires honnêtement, comme eux & leurs prédécesseurs. Il leur défendit aussi de jouer à des jeux défendus, de mener une vie deshonnête, & de se trouver en compagnie & lieux dissolus, sur peine d'en être grièvement punis & repris.

Charles IX. par ses lettres du 15 Février 1583, portant réglement pour les habits, ordonna que les notaires & secrétaires de la maison & couronne de France pourroient porter soie, ainsi que les autres gentilshommes, tant d'épée que de robe longue.

Réception. Philippe de Valois, par des lettres du 8 Avril 1342, ordonna que les notaires qui étoient alors, ne prendroient aucuns gages jusqu'à ce qu'ils eussent été examinés par le parlement, pour voir s'ils étoient suffisans pour faire lettres tant en latin qu'en françois, & que le parlement eût fait rapport au roi de leur suffisance, & que dorénavant ils ne feroient aucuns notaires, qu'ils n'eussent été examinés par le chancelier, pour voir de même s'ils étoient capables de faire lettres tant en latin qu'en françois.

Ils sont reçus après information de leurs vie & moeurs.

La déclaration du 7 Juillet 1586 défend de recevoir en ces offices aucune personne faisant trafic & marchandise, banque, ferme ou autre négociation méchanique.

Fonctions. L'édit du mois de Novembre 1482 dit qu'ils ont été établis pour loyaument rédiger par écrit, & approuver par signature & attestation en forme dûe, toutes les choses solemnelles & authentiques, qui par le tems advenir seroient faites, commandées & ordonnées par les rois, soit livres, registres, conclusions, délibérations, loix, constitutions, pragmatiques, sanctions, édits, ordonnances, consultations, chartes, dons, concessions, octrois, privileges, mandemens, commandemens, provisions de justice ou de grace, & aussi pour faire signer & approuver par attestation de signature tous les mandemens, chartes, expéditions quelconques faites en leurs chancelleries, tant devers les chanceliers de France qu'ailleurs, quelque part que lesdites chancelleries soient tenues, comme aussi pour enregistrer les délibérations, conclusions, arrêts, jugemens, sentences & prononciations des rois ou de leur conseil, des cours de parlement, & autres usans sous les rois d'autorité & jurisdiction souveraine, & généralement toutes lettres closes & patentes & autres choses quelconques touchant les faits & affaires des rois de France & de leur royaume, pays & seigneuries.

Ce même édit porte qu'ils ont été institués pour être présens & perpétuellement appellés ou aucuns d'eux, pour écrire & enregistrer les plus grandes & spéciales & secrettes affaires du roi, pour servir autour de lui & dans ses conseils, pour accompagner les chanceliers de France, être & assister ès chancelleries, quelque part qu'elles soient tenues, assister aux grand-conseils, ès cours de parlement, en l'échiquier de Normandie, dans les chambres des comptes, justice souveraine des aides, requêtes de l'hôtel & du palais, en la chambre du trésor & aux grands jours, pour y écrire & enregistrer tous les arrêts, jugemens & expéditions qui s'y font ; tellement que nul ne pourra être greffier du grand-conseil ni d'aucunes des cours de parlement & autres cours souveraines, chambres des comptes, requêtes de l'hôtel ni du trésor, qu'ils ne soient du nombre des clercs-notaires & secrétaires du roi.

L'édit du mois de Janvier 1566 porte qu'ils seront envoyés avec les gouverneurs des provinces, chefs d'armées, ambassadeurs, & généraux des finances, pour donner avis au roi de tout ce qui se passera, & faire à-l'entour d'eux toutes les expéditions nécessaires.

Il est aussi ordonné par ce même édit qu'on leur donnera les mémoires nécessaires & les gages pour écrire l'histoire du royaume, selon leur institution.

Ils ne pouvoient anciennement vaquer à aucune autre fonction, & ceux qui servoient quelqu'autre prince sans permission du roi, perdoient leurs bourses.

Ils ont la faculté de rapporter toutes sortes de lettres dans les chancelleries.

Eux seuls peuvent signer ce qui est commandé par le roi, & arrêté dans les conseils & cours souveraines.

Bourses. De tous tems les secrétaires du roi ont eu des bourses, c'est-à-dire, une part de l'émolument du sceau. Il y en avoit anciennement quelques-uns qui étoient seulement à gages & à manteaux : présentement, outre les gages & manteaux, ils ont chacun une bourse.

Ces bourses sont de trois sortes ; savoir, les grandes pour les vingt premiers, y compris le roi, les moyennes pour les vingt suivans, & les petites pour les vingt autres.

L'édit du mois de Novembre 1482 dit que nos rois les ont retenus pour être de leur hôtel & famille, & pour leurs officiers ordinaires, domestiques & commensaux ; qu'ils leur ont donné plusieurs beaux, grands & notables privileges, franchises & libertés ; & spécialement que pour les honorer davantage, ils ont ordonné qu'eux & leurs successeurs, chacun en son tems, fût du nombre & chef du college des secrétaires du roi, faisant le soixantieme, & en conséquence ils ont l'honneur d'avoir le roi inscrit le premier sur leur liste.

Honneurs & privileges. Ils sont des plus anciens commensaux de la maison du roi : des lettres du mois d'Avril 1320 prouvent qu'ils avoient dès-lors des gages, droit de manteaux, & qu'on leur payoit la nourriture de leurs chevaux.

En qualité de commensaux, ils ont leurs causes personnelles, possessoires & hypothéquaires commises aux requêtes de l'hôtel ou aux requêtes du palais, à leur choix.

En matiere criminelle, ils ne peuvent être jugés que par le chancelier de France qui est le conservateur de leurs privileges, ou par le parlement. Néanmoins, par arrêt du conseil du 27 Octobre 1574 & lettres patentes du 13 Avril 1576 & 18 Septembre 1578, arrêt & déclaration du 27 Novembre 1598, lettres du 4 Mars 1646, Sa Majesté attribue au grand-conseil la connoissance de toutes les infractions à leurs privileges.

Ils assistent à l'entour de la personne des rois avec le chancelier dans les conseils du roi, aux chancelleries, & dans les cours de parlement & autres cours souveraines.

Aux états tenus à Tours en 1467, ils étoient assis au-dessous des princes du sang, du connétable, du chancelier & des archevêques & évêques. Ils étoient assis aux états de Blois en 1588, au nombre de dixhuit représentans les autres, sur un banc placé en face de celui de la noblesse, & à ceux de Paris en 1614.

Leurs offices sont perpétuels pour la vie de chacun d'eux, & ne sont impétrables que par mort, résignation ou forfaiture déclarée telle par le chancelier, les maîtres des requêtes appellés ou joints, ou par le parlement.

Ceux qui résignent à leurs fils ou gendres, continuent de jouir des privileges.

Les veuves jouissent des mêmes privileges que leurs maris, tant qu'elles restent en viduité.

Le roi Charles VIII. par des lettres du mois de Février 1484, déclare que les secrétaires du roi étoient tous réputés nobles & égaux aux barons ; il les annoblit en tant que besoin seroit, eux, leurs enfans, & postérité ; il les déclare capables de recevoir tous ordres de chevalerie, & d'être élevés à toutes sortes d'honneurs, comme si leur noblesse étoit d'ancienneté & au-delà de la quatrieme génération.

Les lettres de Charles IX. du mois de Janvier 1566, leur accordent du sel pour la provision de leur maison.

Elles leur accordent le titre de conseiller du roi, entrée dans les cours, & séance à l'audience au banc des autres officiers & au-dessus de tous.

Il est dit dans ces mêmes lettres, que quand les cours marcheront en corps, les secrétaires y pourront être après les greffiers, selon l'ordre de leur réception, comme étant du corps de ces cours, en tant que greffiers-nés.

Les lettres du mois de Mai 1572 permettent à ceux qui ont servi vingt ans, de résigner leurs offices sans payer finance, ni être sujets à la regle des quarante jours. Au bout de ce tems on leur donne des lettres d'honneur. Et par déclaration du 27 Mars 1598 ils furent exceptés de la révocation générale des survivances. Leurs offices ont été déclarés exempts de toutes saisies, criées, subhastations & adjudications, (déclaration du 9 Janvier 1600.) Ils se vendent pardevant M. le chancelier.

Ils assisterent au nombre de vingt-six, & accompagnerent le chancelier en l'ordre accoutumé, à l'entrée du roi de Pologne en la ville de Paris en 1573.

Ils sont dispensés de résidence.

Exemptions. Ils ne peuvent être contraints de vuider leurs mains des fiefs qu'ils possedent, & sont exempts de tous droits de francs-fiefs & nouveaux acquêts, & de toutes les taxes qui ont été en certains tems imposées pour supplément de finance des engagemens du douaire & droits domaniaux, confirmation de l'allodialité, franc-bourgage & franche-bourgeoisie. Ils ont pareillement été déclarés exemts des taxes mises sur les aisés. Ils sont exemts de tous droits de lods & ventes, & autres droits seigneuriaux, pour ce qu'ils vendent ou acquierent dans la mouvance du roi, pour toutes leurs terres nobles ou roturieres tenues du domaine du roi engagé ou aliéné, soit qu'ils les retirent par retrait lignager sur un premier acquéreur ou autrement, tant en vendant qu'en achetant, nonobstant toutes coutumes contraires, service du ban & arriere-ban, ost & chevauchée, milice bourgeoise, ni d'y envoyer aucun autre pour eux, ni de contribuer à la solde des gens de guerre.

Ils sont exemts, leurs fermiers, métayers & jardiniers, du logement & ustensiles des gens de guerre, même des mousquetaires & de tous autres, & défenses sont faites aux maréchaux & fourriers des logis du roi, d'y marquer ni faire marquer leur logis, soit dans leurs maisons de ville ou des champs ; & de contribuer à aucuns frais ni impositions mises & à mettre concernant les armée, artillerie & gens de guerre, fortifications ou démolitions de forteresses.

Ils sont exemts de tous droits d'acquits & de coutume :

Exemts de tems immémorial, des droits de péage, passage, fonlieu, travers, chaussée, coutumes, & autres, pour leurs blés & autres grains, vins, animaux, bois & autres provisions qu'ils font, & pour ce qu'ils pourroient faire entrer par eau ou par terre à Paris, pour la provision de leurs maisons : ils sont même exemts des droits de péage appartenans à des seigneurs particuliers :

De tous droits de quatrieme, huitieme, & autres droits d'aides pour le vin de leur crû.

Ils sont exemts pour leurs personnes & biens, de toutes tailles réelles ou personnelles, dons, aides de ville, entrées, issues, barrages, pié-fourché, octrois, emprunts, & autres subsides mis & à mettre, même de ceux qui seroient imposés sur les exemts :

De tous droits de gabelles :

Des droits du scel du châtelet de Paris, & de tous droits de sceau de leurs obligations héréditaires & mobiliaires, du droit de greffe, des insinuations & notification des contrats.

Ils ne payent aussi aucun émolument pour les arrêts, sentences & expéditions faites pour eux ou en leurs noms dans toutes les cours & jurisdictions du royaume ; & sont exemts des droits des receveurs des épices & parties d'icelles, des droits de consignation, des droits d'immatricule & greffes de l'hôtel de ville de Paris ; du payement des droits de contrôleurs, des productions & garde-sacs, tiers-référendaires, contrôleurs des dépens, droit de boues.

Exemts des offices de quartenier, dixenier, cinquantenier, ni de faire le service, ou d'envoyer quelqu'un à leur mandement, ni d'aucuns d'eux pour faire le guet & garde.

Ceux qui sont pourvus de bénefices, excepté les évêchés ou abbayes, sont exemts du payement des décimes.

Ils sont exemts des frais faits aux entrées des rois dans les villes :

Des tuteles & curatelles, (déclaration du 23 Décembre 1594.)

Privileges, confirmation. Leurs privileges ont été confirmés par édits, déclarations, & lettres patentes des mois de Juillet 1465, Novembre 1482, Décembre 1518, Septembre 1549, Mars & Janvier 1565, Janvier 1566, 24 Décembre 1573, Avril 1576, 29 Mars 1577, Janvier 1583, Juin 1594, 27 Mai 1607, Avril 1619, 21 Juin 1659, Avril 1672, 13 Décembre 1701, Mars 1704, & plusieurs autres. Voyez le recueil des Ordonnances, Miraumont, & l'Hist. de la Chancellerie, par Tessereau. (A)


SECRÉTAIRERIES. f. (Hist. de la chancell. franc.) c'est le lieu où sont déposés tous les actes expédiés par les secrétaires d'état, comme brevets, dépêches, lettres de cachet, traités d'alliance, de paix & de commerce ; traités de mariage des rois & des princes, arrêts du conseil d'en-haut, & généralement toutes les minutes des affaires importantes de l'état. (D.J.)


SECRÉTARIATS. m. (Gramm. & Jurisprud.) se prend quelquefois pour la place ou fonction de secrétaire ; quelquefois aussi l'on entend par-là le dépôt des actes qui sont conservés par le secrétaire de quelque officier public, tels que les dépôts des quatre secrétaires d'état, le secrétariat du gouvernement, celui de l'intendance, celui d'un évêché ou archevêché. On leve des expéditions & extraits des actes qui sont dans ces secrétariats. Voyez DEPOT & SECRETAIRE. (A)


SECRETARIUM(Littérat.) cabinet séparé où les juges se retiroient pour référer ensemble sur l'affaire qui venoit d'être plaidée devant eux, & pour décider la sentence qu'ils prononceroient d'un commun aveu. Ce cabinet n'étoit séparé du tribunal que par un voile. (D.J.)


SECRÉTIONSECRÉTIONS, (Médecine) se dit proprement de l'action par laquelle un fluide est séparé d'un autre fluide, & plus particulierement de la séparation des différentes liqueurs répandues dans le corps animal, de la masse commune de ces liqueurs, c'est-à-dire du sang. C'est cette importante fonction de l'économie animale que les anciens faisoient dépendre de la troisieme coction, & que les scholastiques rapportent aux actions naturelles.

Cette fonction s'opere en général par les glandes ou par des réseaux de capillaires artériels ; & on appelle pour cette raison ces organes organes sécrétoires, couloirs, filtres. Voyez ces mots.

La secrétion differe, suivant l'opinion vulgaire, de l'excrétion, en ce que la premiere ne fait que dépouiller, pour ainsi dire, la masse du sang de différentes humeurs qui y sont contenues, & que l'excrétion est l'évacuation plus ou moins prochaine de ces humeurs, ou l'action qui les porte au - dehors. Il est pourtant des auteurs qui ont confondu ces deux fonctions l'une avec l'autre, en quoi ils paroissent d'accord avec les anciens, qui n'avoient qu'un nom pour les deux ; car le verbe se trouve employé indifféremment dans Hippocrate & Galien pour excerno & secerno en même tems, & pour segregatio, secretio, separatio, excretio, pour l'excrétion & la secrétion tout ensemble : nous verrons même à la fin de cet article qu'il est des circonstances où l'action de l'une est si liée à celle de l'autre, où toutes les deux sont si rapprochées, qu'on ne sauroit saisir l'instant qui fait le point de leur division.

La secrétion est commune aux végétaux & aux animaux ; mais c'est dans ceux-ci principalement que cette fonction offre le plus de phénomenes, en proportion d'une plus grande variété dans les merveilles & les résultats de l'organisation.

La nécessité des secrétions se déduit de l'exercice même de la vie ; cette succession continuelle de pertes & de réparations de substance qu'éprouvent tous les êtres vivans, en est la preuve la plus sensible. Le chyle étant un fluide hétérogene, relativement aux besoins de la nature, il est étonnant combien d'opérations plus ou moins combinées elle doit encore employer à la disposition des différens sucs utiles ou nuisibles à l'animal, après l'adoption de la lymphe nutritive, de cet extrait précieux qui est l'ouvrage de la digestion (Voyez DIGESTION) ; telle est, 1°. la distribution des humeurs aux secrétoires : 2°. leur élaboration ou préparation dans les organes ; préparation qui imprime à quelques-unes des qualités qu'elles n'auroient pas autrement, comme on le peut voir par la semence, qui est bien différente assurément dans les eunuques & dans ceux qui ne le sont pas : 3°. la filtration des humeurs aqueuses : 4°. la séparation des particules inutiles & nuisibles, dans laquelle il faut comprendre la répudiation, le secessus non-seulement des particules vieilles & usées des humeurs que les anciens appelloient de la deuxieme coction, mais encore de quelques autres qui ont souffert dans le corps une altération qui équivaut à une séparation spontanée. Ce qu'Hippocrate paroît avoir indiqué par ce passage du premier livre sur la diete : corrumpi ac minui, idem est quod secerni. C'est donc la somme de ces opérations distinctes plus ou moins entr'elles, qui constitue l'ouvrage des secrétions.

Mais cet ouvrage est-il restraint uniquement aux humeurs ? c'est sur quoi les auteurs ne se sont pas positivement expliqués ; c'est néanmoins une observation de tous les tems, que la plûpart de nos excrétions sont chargées de particules terreuses ; pourquoi ces particules ne seroient-elles pas les excrémens d'une terre plus pure, qui forme la base des parties solides, sécernée tout comme les humeurs, & ayant ses usages comme elles ? Voilà qui va paroître un paradoxe bien étrange ; mais est-il en effet si dénué de vraisemblance pour ne pas mériter qu'on s'y arrête ? L'analyse chymique nous démontre d'abord l'existence de ces parties terreuses dans nos humeurs, indépendamment de la petite portion qu'il peut en entrer dans la composition des molécules ou aggrégés du fluide. Cette même terre qui fournit à la coque des oeufs dans les volatils, fournira peut-être encore à l'accroissement & à la régénération des os dans les animaux, au transport des matieres plâtreuses sur les articulations des goutteux, à celles qu'un auteur moderne a observées dans les alvéoles des enfans, pour y servir à la matiere des dents. Vid. l'éducat. médic. des enfans, par M. Brouzet.

En résumant ce que nous venons de dire, on trouve, 1°. que la nutrition est encore une branche de la secrétion ; 2°. que la spontanéité dans la séparation de quelques particules anciennement utiles, peut faire penser qu'un certain mouvement de fermentation fort indéfini, entre pour quelque chose dans l'ouvrage des secrétions ; 3°. que les parties solides même paroissent être soumises à la loi générale de la secrétion.

Toute secrétion supposant un appareil, un travail de la part des organes secrétoires, & quelques humeurs, telles que la plûpart des aqueuses, la graisse, & peut-être une portion des urines, étant le résultat d'une opération moins compliquée, il s'ensuit encore que le mot spécial de secrétion ne sauroit convenir à la séparation proprement dite des fluides, & que les Physiologistes n'ont point assez distingué les modes variés de cette dépuration de la masse commune des liqueurs animales.

La secrétion pourroit donc être regardée plus particulierement comme une action qui spécifie les différentes humeurs du corps, en les portant du sang aux différens secrétoires, & modifiant leur préparation à-travers ces organes.

La physiologie des anciens n'a pas été si bornée en fait de secrétions, qu'elle n'ait produit quelques opinions sur cette matiere ; mais leurs connoissances sur la variété des humeurs, se réduisent dans leurs écrits à l'énumération des fluides qui sont le plus à la portée des sens. Les découvertes qu'on a faites depuis en Anatomie & en Physique, ont considérablement enflé ce dénombrement, qui n'en est peut-être pas plus utile pour être plus fastueux.

Les principales de ces humeurs sont donc la bile, la salive, l'humeur pancréatique, la prétendue liqueur des esprits animaux, celle qui humecte l'oesophage, l'estomac, les intestins ; la synovie, la graisse, l'humeur du péricarde, l'humeur aqueuse de l'oeil, la vapeur ou la rosée qui humecte les ventricules du cerveau, la surface de la plevre & du péritoine, les mucosités des différens sinus & cavités ; la liqueur prolifique dans le mâle, le lait, l'humeur des ovaires dans les femmes, &c. (toutes ces humeurs sont appellées récrémenticielles) l'humeur sébacée des glandes de Morgagni, celle des odoriferes de Tison, des lacunes de Graaf, l'humeur onctueuse des poils, celle des différens plis ou replis de la peau, le cerumen des oreilles, & quelques autres qui ne sont peut être que des suintemens des humeurs contenues dans les cellules du tissu adipeux, dont l'odeur, la couleur & la consistance varient à raison de la chaleur & de la conformation des parties, de leur situation & de leurs usages ; enfin l'urine, la transpiration, les sueurs, &c. (Ces dernieres sont les excrémenticielles). On pourroit encore former une classe d'humeurs mixtes, composée de celles qui étant recrémenticielles par leur essence, deviennent excrémenticielles par accident, telles que la salive, les larmes, quelques mucosités, &c. sur quoi il est à remarquer que l'exactitude physiologiste est encore en défaut ; mais du reste le caractere distinctif des excrémenticielles est de ne pouvoir refluer dans la masse du sang, sans nuire sensiblement au corps.

Il n'est pas douteux que la secrétion n'ait lieu dans le foetus comme dans l'adulte : l'humeur glaireuse qu'on trouve dans l'estomac, le meconium qu'on peut regarder avec Stahl comme l'amas de tous les fluides qui se filtrent dans le tube intestinal, depuis la bouche jusqu'au coecum, l'humeur de la vessie, & peut-être même une partie des eaux dans lesquelles nage le foetus, en sont des preuves authentiques. Les auteurs qui ont discuté avec beaucoup d'érudition les rapports de la secrétion dans l'adulte, avec celle qui a lieu dans le foetus, ne nous ont rien appris de particulier, si ce n'est que les humeurs sont plus douces dans celui-ci que dans l'adulte, & qu'il faut déduire cette différence de saveur du plus ou du moins de densité dans le système des vaisseaux. Il est encore bon d'observer que les différens degrés d'accroissement dans le foetus, les fonctions du thymus, & de quelques autres corps glanduleux, méritent une considération particuliere dans cette partie de l'histoire des secrétions.

Nous disons plus haut que les glandes sont les principaux organes secrétoires ; ce seroit donc dans la cavité des glandes, des conglomerées principalement, qu'il semble que devroit être le siege des secrétions.

Les conglobées, celles plus simples encore, qu'on appelle follicules, criptes, ne seront que comme des atteliers secrétoires subalternes, en comparaison des premieres. Voyez GLANDES. Il en sera vraisemblablement de même des reseaux ou anastomoses capillaires artérielles.

Les travaux de Malpighi & de Ruysch, qui devoient d'abord fixer le sort des secrétions sur cet article, ont eu celui de la plûpart des découvertes en ce genre, qui font époque en faveur de l'artiste & du siecle, sans rien produire à l'art, que quelques dissertations polémiques, qui sont malheureusement autant de titres revendiqués par les sectes ; ainsi il y a toujours des auteurs, comme les partisans de Malpighi, qui veulent qu'entre l'artere & la veine, il y ait des cavités dans lesquelles se filtrent les humeurs ; d'autres, tels que les sectateurs de Ruysch, qui soutiennent la continuité de l'artere avec la veine, sans interruption, desorte que c'est dans les aires ou pelotons formés de capillaires artériels, qu'il faut chercher, suivant eux, les véritables organes des secrétions. Entre ces deux hommes célebres, il s'en trouve d'autres, comme Bellini, qui placent les secrétions dans les rameaux collatéraux des derniers capillaires artériels, qui sont autant de petits troncs de ces rameaux, & l'on donne la relation du canal intestinal avec les vaisseaux lactés, pour le symbole de ce système ; Bergerus qui veut que ce soit dans les extrêmités pulpeuses des arteres ; enfin il est encore des modernes d'une grande réputation, qui d'après des observations réiterées, ont crû pouvoir établir les secrétions, les uns, dans un tissu cotonneux qu'ils ont apperçu dans les conduits secrétoires, les autres, à l'extrêmité de ces conduits, c'est-à-dire au point de leur passage de l'état artériel sanguin, à celui de lymphatique artériel, &c.

Les différentes opinions que nous venons de rapporter, supposent qu'on a déja prononcé sur une question très-importante, savoir si les matériaux de nos humeurs secrétoires, doivent être regardés comme autant d'élemens de principes isolés, épars dans l'océan des humeurs ; ou s'ils y sont contenus sous la forme qui spécifie chaque fluide ; en un mot comme autant d'aggregés immédiats de fluides divers, qui n'ont besoin que du travail de la secrétion, pour former un tout spécial. Avant d'entrer en discussion sur cet article, il est bon de prévenir, & c'est ce que les physiologistes auroient dû faire, que la question ne porte que sur quelques humeurs recrémenticielles, comme la bile, la semence, &c. car il est hors de doute que les sels & les débris, ramenta, tant de nos solides que de nos fluides, qui sont les produits des mouvemens de la vie, préexistoient réellement dans la masse des humeurs ; il s'agit donc uniquement de savoir si les matériaux de ces humeurs que nous avons nommées, sont contenus matériellement ou formellement, comme on dit, dans le sang. La question est, dit-on, jugée en faveur du dernier sentiment, en conséquence de quelques expériences, dont tout le monde connoît celle de la ligature des arteres rénales, voyez REIN, & de ce qui est observé dans quelques états de maladie, par exemple dans l'ictere ; mais dans cette expérience sur le rein, peut-on compter que les vaisseaux lymphatiques n'ont pas reporté quelques portions d'urine dans le sang ? l'humeur qui fait l'ictere, est-elle bien de la bile ? & si par des embarras dans le foie, toutes les humeurs deviennent bilieuses, ou se changent en bile, n'en peut-on pas conclure qu'elles étoient propres à prendre toutes sortes de modifications ? Bianchi, histor. hepatis, rapporte que son ami, Jacques Cicognini, avoit connu à Boulogne un homme qui avoit le secret de faire de la bile, avec beaucoup d'huile, un acide, & une certaine espece de cendre ; les mêmes matériaux ne se trouvent-ils pas dans presque toutes nos humeurs ? Nous ne déguiserons pas qu'il est fait mention dans Needham, de formato foetu, d'une lettre de Schneider à Deusingius, dans laquelle il est parlé d'un homme de la connoissance de Schneider, qui, en repandant d'une certaine poudre sur le sang, en tiroit du lait, lequel avoit toutes les apparences du lait ordinaire ; mais en admettant le fait comme vrai, il y auroit peut-être encore bien des argumens à faire sur la composition de cette poudre, ou sur la nature de ce lait ; & d'ailleurs, qui est-ce qui ignore que le lait est du vrai chyle, qui est porté avec le sang dans les mamelles & dans l'uterus, & qu'il est à peine altéré par la secrétion imparfaite qu'il éprouve dans ces organes ? Il faut convenir qu'on n'a pas assez insisté sur tous les faits contradictoires, pour qu'on ait pû porter sur cette matiere aucun jugement décisif.

Comment se font les secrétions, & d'où vient qu'un fluide est constamment affecté, du moins dans l'état sain, à un organe plutôt qu'à un autre ; par exemple, la bile au foie, & non pas aux reins, &c ? voilà ce qui a exercé les physiologistes de tous les âges, & qui est encore un problême dont, selon toutes les apparences, la solution manquera long-tems à l'art.

Les premiers dogmatiques dont la théorie naissante étoit religieusement circonscrite par l'observation, n'ont pû nous rien transmettre de bien recherché sur une matiere aussi obscure.

Empédocle, plus philosophe que médecin, croyoit que les sueurs & les larmes provenoient d'un sang atténué & fondu. Hippocrate reconnoit un principe qui attire les humeurs vers chaque organe & les y prépare ; il regardoit les glandes comme des éponges qui s'imbibent de ces humeurs ; suivant Platon, c'est un appétit dans chaque partie, qui lui donne la faculté d'attirer à soi ce qu'elle appette ; Aristote pense de même, en rectifiant néanmoins les idées grandes & inexactes de Platon. Voyez la physiologie de Fernel. Galien enfin est pour ses facultés : il paroît que c'est à ce petit précis qu'on peut réduire les systèmes de la sage & sublime antiquité, & ce n'est peut-être pas un petit éloge pour la philosophie, que sa stérilité en ce genre ; mais certes, la physiologie des modernes nous en dédommage bien, par une fécondité qui n'a rien laissé à discuter de tous les points d'une matiere aussi vaste ; on diroit qu'elle a mis à contribution toutes les branches des sciences, chacune d'elles lui ayant fourni à l'envi son tribut de système. La chymie lui a donné les fermens, les coagulans, les fondans, les assimilans, l'archée de van Helmont, système, pour le dire en passant, digne de l'enthousiasme d'un grand homme, dont la critique n'appartient pas à des génies froids, que le figuré d'une expression, ou la singularité d'un nom suffit le plus souvent pour indisposer ; la méchanique, les cribles de Descartes, renouvellés des pores d'Asclépiade, les attritions, la disposition particuliere dans la figure de chaque couloir, &c La physique, l'électricité, l'attraction & l'adhésion newtonienne ; la géométrie, ses calculs, l'hydraulique, ses loix, ses expériences, &c.

Heureusement que la plûpart de ces hypothèses, autrefois si bruyantes, ne sont guere plus admises par les esprits sages ; à la vérité il s'est trouvé de nos jours, des auteurs à qui on ne peut refuser cette qualité, qui ont tâché d'en évoquer quelques-unes, pour en bâtir de nouveaux systèmes, tel est celui de l'humeur analogue ; mais la préexistence supposée de cette humeur, qu'il faut admettre nécessairement dans cette nouvelle hypothèse, & les inconvéniens qui en résultent pour une pareille analogie, en ont démontré le peu de solidité. M. Winslow a eu beau vouloir l'appuyer de ses observations, sur le tissu cotonneux des conduits secrétoires qu'il dit avoir trouvé imbus de bile dans le foye, & d'urine dans les reins, chez des foetus les plus près du tems de la conception ; tout cela prouve seulement que les secrétions ont lieu dans les foetus, & c'est de quoi personne ne doute.

Les productions en ce genre, de quelques autres modernes, n'ont pas eu un meilleur succès ; les noms fameux d'Hoffman & de Boerhaave, n'ont pû sauver leurs systèmes, plus de goût, plus de justesse dans notre philosophie, nous ont enfin appris à les apprécier.

Stahl, le Platon de la médecine moderne, à qui nous devons en grande partie cette reforme, nous a donné d'autres idées sur les secrétions ; suivant lui, c'est l'ame, cet agent universel du corps, qui en est chargée, qui les dirige, qui a soin d'envoyer la salive à la bouche quand il le faut. Ces idées qu'on dit empruntées de van Helmont, prennent dans le génie de Stahl, une force, une profondeur dont on n'auroit pas cru avant lui, la théorie susceptible.

L'académie de Bordeaux ayant proposé, il y a quelques années, un prix sur le méchanisme des secrétions, trois illustres émules, (MM. Hamberger, Delamure, & de Haller,) fournirent chacun une belle dissertation sur cette matiere. Celle de M. Hamberger, qui fut couronnée, explique ce méchanisme par les loix de l'adhésion, supposées établies entre les particules des fluides, & celles des solides qui composent le tissu des vaisseaux secrétoires ; l'auteur estime cette action par les rapports de la gravité spécifique des unes avec celle des autres, ensorte que le plus haut degré de l'adhérence est entre les parties du solide & du fluide, dont les gravités spécifiques se correspondent davantage ; il observe qu'il s'est convaincu par des expériences dont il donne les résultats, des différences ou rapports de ces gravités spécifiques ; mais nous observerons à notre tour, qu'il n'est peut-être point de systèmes, parmi ceux qu'on s'efforce d'appuyer de tout l'appareil des sciences, dans lequel on trouve un abus plus marqué, une plus mauvaise application de principes bons en soi ; pour s'en convaincre, il suffit d'un coup d'oeil sur les phénomènes de physique les plus simples. On peut voir les objections qui ont été faites au système de l'auteur, dans plusieurs ouvrages de M. Haller, & pour s'éviter la peine des recherches, dans le second volume de sa nouvelle physiologie.

A l'égard des expériences de M. Hamberger, sur les viscères & les fluides des animaux, M. Delamure, célebre professeur de la faculté de Montpellier, en a fait de son côté, qu'on ne sauroit concilier avec celles de M. Hamberger ; on peut consulter la table des produits que ce professeur en a donnée à la suite d'une thèse sur les secrétions, qu'il fit soutenir en 1749.

Toutes les autres théories qu'on pourroit encore citer, n'étant que des modifications ou des copies les unes des autres, & se trouvant d'ailleurs répandues dans des livres qui sont entre les mains de tout le monde, nous croyons pouvoir nous dispenser d'en parler, pour nous arrêter plus long-tems à un excellent ouvrage, qui a paru depuis peu d'années, sous le titre de Recherches anatomiques sur les glandes ; cet ouvrage est de M. de Bordeu, médecin de Paris & de Montpellier, qui jouit dans la capitale, comme praticien, d'une réputation très-étendue & très-méritée. La grandeur des vues que présente l'auteur, la beauté de ses principes, tracés d'après une philosophie peu commune, toujours éclairés de la connoissance pratique de l'anatomie, & des autres parties de l'art les plus essentielles, nous engagent à rappeller ici, sous la forme d'un extrait, ce qui nous a paru de plus frappant dans ce système, & de plus propre à complete r ce que nous avons à dire sur la matiere des secrétions.

M. de Bordeu fait dépendre les secrétions & les excrétions des nerfs, du-moins dans le plus grand nombre des circonstances. Les nerfs ont été de tout tems un objet d'étonnement & de méditation pour un physiologiste ; ils sont la partie constituante, essentielle de l'animal proprement dit, au moyen du sentiment & du mouvement dont ils sont doués privativement aux autres parties : le sentiment ou la sensibilité est la faculté éminente & primitive, la vie par excellence du système nerveux. Le mouvement & quelques autres phénomenes, comme l'irritation à laquelle quelques modernes ont voulu substituer l'irritabilité, n'en sont que des effets secondaires. C'est ici l'ame sensitive des anciens & de Willis ; c'est elle qui en se répandant avec les nerfs dans les parties, les fait vivre de leur vie particuliere, & c'est l'assemblage, le concours de ces petites vies qui produit la vie générale. Cette sensibilité est modifiée dans tous les organes dans des proportions graduées à l'infini ; dans certains, comme dans la plûpart des glandes, elle répond très-peu aux irritations méchaniques, & dans certains autres elle s'y trouve concentrée dans un point qui peut passer pour mathématique, ou elle y est dans un degré de décroissement auquel l'industrie humaine ne sauroit jamais proportionner la tenuité ou la finesse des agens. Ainsi il ne faudroit pas, de ce qu'une partie piquée, déchirée ou brûlée dans un animal vivant ne produit aux sens que quelques mouvemens sans douleur, en conclure que cette partie n'est point sensible ; voyez la these de M. François de Bordeu, de sensibilitate & contractilitate &c. Le grand Harvée qui avoit fait sur les animaux un grand nombre d'expériences, avoit reconnu cette vérité. Il dit expressément : quidquid enim contra irritamenta & molestia motibus suis diversis nititur, id sensu praeditum sit necesse est ; & peu après : quidquid enim sensûs planè expers est, non videtur ullo modo irritari, aut ad motum actionesque aliquas edendas, excitari posse videtur. Exercitatio 57. pag. 259. & 260. Il est sûr néanmoins que certaines parties paroissent n'avoir presque point de sentiment en comparaison des grands mouvemens qu'elles exercent naturellement, ou qu'elles sont capables d'exercer : mais qu'en conclure, sinon que les effets sont dans ces cas plus grands que les causes ? Vous pourriez avec la pointe d'une épingle jetter un animal dans les convulsions. C'est aussi sur la considération très-réfléchie de ces variétés, que M. de Bordeu a donné dans une thèse, cette belle division des fonctions de l'individu, en celles qui se font avec un mouvement manifeste & un sentiment obscur, occulto, comme la circulation & la respiration, & en celles qui se font avec un mouvement obscur & un sentiment manifeste, telles que celles des sens, soit externes, soit internes.

Après cette digression que nous avons cru nécessaire pour l'intelligence du système de M. de Bordeu, nous allons passer tout de suite au méchanisme des secrétions & des excrétions.

Nous commencerons, en suivant le plan de l'auteur, par l'excrétion, comme paroissant plus du ressort de l'Anatomie, & dont les auteurs n'ont parlé que très - succinctement. Tous les Physiologistes avoient cru & enseigné jusqu'ici que les organes secrétoires se vuidoient à proportion qu'ils étoient comprimés, c'est-à-dire que l'excrétion étoit l'effet de la compression. Il est vrai que quelques auteurs avoient parlé de l'irritation, mais d'une maniere vague ; ils ne la regardoient même que comme une cause subsidiaire. Enfin M. de Bordeu démontre par des expériences & des dissections très-curieuses, que la plûpart des glandes sont situées de maniere à ne pouvoir être comprimées dans aucun cas par les parties environnantes ; on sent en effet quels inconvéniens résulteroient de cette compression, dont l'endurcissement & le rappetissement des glandes seroient le moindre. La glande parotide, qu'on allegue comme l'exemple & la preuve la plus sensible de cette compression, est à l'abri de tous les agens à l'action desquels on veut qu'elle soit exposée. Une légere inspection anatomique des parties en dit plus que tous les raisonnemens ; nous remarquerons seulement que l'espace entre l'angle de la mâchoire & l'éminence mastoïde dans lequel est logée une grande partie de la glande, augmente par l'abaissement de la mâchoire, ainsi qu'un célebre anatomiste l'a démontré dans les mémoires de l'académie des Sciences, & qu'on peut l'éprouver sur soi-même ; à l'égard des muscles, il n'y a que le masseter qui mérite quelque attention, non point par rapport à la glande qui ne porte pas sur ce muscle autant qu'on pourroit le croire, mais par rapport au conduit de Stenon qui rampe dessus. Enfin la peau qu'on renforcera, si l'on veut, de quelques fibres du muscle peaucier, est toujours au même point de laxité dans les divers mouvemens de la mâchoire. Les expériences qu'on a faites sur les cadavres pouvant ne pas paroître suffisantes, en voici sur le vivant.

" Un homme avoit sur la peau qui recouvre la parotide, une tumeur qui la tendoit extrêmement, & qui comprimoit certainement la glande ; cependant il avoit la bouche seche du côté de la tumeur : pourquoi, si la compression favorisoit l'excrétion ?

On pria un malade qui salivoit d'appuyer sa tête sur sa main, après avoir placé son coude sur une table ; la main portoit sur le corps de la parotide, & nous l'avions placé de façon que le conduit ne fût pas comprimé ; la salive, loin de sortir avec plus de force, étoit retenue ".

Parcourez les autres organes secrétoires l'un après l'autre, par-tout vous reconnoîtrez l'impossibilité de cette action méchanique sur eux, il n'y a guere que les amygdales & quelqu'autres glandes simples qui soient dans le cas d'exception, c'est-à-dire qui demandent à être plus ou moins comprimées, toutes ces différences sont renfermées dans une division des excrétions en actives, en passives & en mixtes, imitée de Stahl.

Quelle est donc la cause de l'excrétion ? C'est la vie de l'organe, dont nous parlions plus haut, sa sensibilité par la présence des nerfs, son action propre que certaines circonstances augmentent, comme les irritations, les secousses & les dispositions des vaisseaux : " ces circonstances ou ces changemens paroissent les uns mieux que les autres dans certains organes, mais ils sont nécessaires pour l'excrétion qui dépend principalement d'une espece de convulsion, d'état spasmodique, que nous appellerons érection ". Par ce dernier terme métaphorique il faut entendre la disposition d'un organe qui s'apprête à faire l'érection, une sorte de boursoufflement singulier, ou un surcroit de force qui arrive à l'organe ; tel est le spasme des parties qui concourent à l'excrétion de la semence. Cette expression après tout ne doit pas paroître si étrange ; n'a-t-on pas dit que les trompes de Fallope se roidissoient, s'érigeoient pour empoigner l'oeuf au sortir des ovaires ? Kusner a vu les papilles nerveuses de la langue s'ériger dans la gustation ; l'érection est donc la disposition préparatoire à l'excrétion d'une glande, c'est l'instant de son reveil ; les nerfs étant comme engourdis dans un organe relâché, ont besoin d'une nouvelle force qui les excite ; l'organe vit toujours sans-doute, mais il lui faut cette augmentation de vie pour le disposer à une fonction. " Ainsi un homme qui sort d'un profond sommeil a les yeux ouverts pendant un certain tems, & ne voit pas les objets distinctement, à-moins que les rayons de lumiere n'ayent excité, pour ainsi dire, & reveillé sa rétine. On peut aisément appliquer à l'oreille ce que nous disons de l'oeil.

On sent même que dans ce qui regarde le tact, l'organe est d'abord excité par la solidité en général, avant qu'il puisse distinguer tel ou tel objet.

Il y a dans chaque sensation particuliere une espece de sensation générale, qui est, pour ainsi parler, une base sur laquelle les autres sensations s'établissent ".

Les changemens qui arrivent à la glande se communiquent encore au conduit secrétoire, il s'érige à son tour, de tortueux ou de flasque qu'il étoit, il devient un canal droit ou roide, il se redresse sur lui-même en s'épanouissant ou élargissant ses parois pour faciliter la sortie des humeurs ; il en est de même que des conduits lactiferes qui se redressent quelquefois d'eux-mêmes en lançant de petits jets de lait au moindre spasme procuré aux mamelles par quelques légers chatouillemens, ou par un sentiment voluptueux.

Il faut donc croire que l'irritation, les secousses, contribuent à augmenter dans l'organe cette vie qui les rend propres à l'excrétion. Un corps solide appliqué sur la langue, mâché ou roulé dans la bouche, produira sans-doute par les mêmes moyens l'écoulement de la salive ; dans la luxation de la mâchoire il en coulera beaucoup encore ; mais dans tout cela on ne voit pas la moindre trace de compression ; c'est toujours à l'activité de l'organe, à sa sensibilité qu'il faut s'en tenir comme à la cause premiere ou dominante ; & on ne voit pas comment le célebre M. de Haller a pu reconnoître dans quelques-uns de ces moyens subsidiaires de quoi infirmer des principes aussi solidement établis.

Ce que nous venons de rapporter de l'excrétion a dû prévenir sur ce que nous avons à dire touchant le méchanisme de la secrétion. Cette fonction est encore l'ouvrage des nerfs, ou, pour mieux dire, de la sensibilité ; on a même sur cette opinion l'assertion de quelques auteurs d'un grand nom. La quantité des nerfs qui se distribuent à tout le corps glanduleux a surpris les Physiologistes & les Anatomistes. L'exclusion qu'on veut donner à la thyroïde & au thymus, formeroit-elle une si forte présomption contre ce système ? On avoue, & c'est toujours beaucoup, que quelques nerfs se répandent sur la thyroïde ; on peut donc croire, jusqu'à ce qu'on ait démontré le contraire, qu'il s'en échappe quelques filets imperceptibles dans la substance de la glande, qui suffisent pour la vie & l'action de l'organe ; car après tout, cette glande vit comme les autres. Au surplus, a-t-on bien examiné s'il ne rampe pas encore quelques fibrilles nerveuses dans le tissu même des vaisseaux ? Cette derniere raison, nous pourrions l'alléguer à l'égard du thymus ; cette masse glanduleuse, independamment de son artere, reçoit des rameaux de la mammaire interne & de l'intercostale supérieure, elle est appuyée sur les gros vaisseaux de la poitrine ; voilà qui pourroit suffire dans le foetus ; mais d'ailleurs c'est un organe de la classe des passifs, il se flétrit & s'exténue tous les jours, & la nature semble se refuser à sa nourriture dans l'adulte.

Cette mobilité, cette action de la part de chaque organe se manifestent aisément par l'histoire des maladies qui servent à merveille à découvrir ce que l'état de santé ne fait point appercevoir par l'habitude des différentes façons d'être que les parties prennent entr'elles dans l'état de santé ; les modifications qu'elles impriment au pouls dans tous les tems d'irritation ou de crise les rendent enfin de la derniere évidence. Voyez POULS.

C'est donc toujours une érection, un apprêt de la part de la glande dans la secrétion comme dans l'excrétion ; les nerfs reveillés, irrités la redressent, & par l'orgasme qu'ils occasionnent à ses vaisseaux, en font comme un centre particulier qui attire à lui une plus grande quantité d'humeurs. Tel est l'effet d'une ventouse. Si cet état d'irritation ou de spasme étoit poussé trop loin, il diminueroit les secrétions en rétrecissant les vaisseaux, comme cela arrive dans plusieurs cas. En argumentant de ce raptus des humeurs vers un organe actuellement en fonction, on voit qu'on ne sauroit concevoir le séjour des humeurs dans la plûpart des glandes, tel que se le représentent les Physiologistes ; & l'on est porté à croire que la secrétion & l'excrétion doivent, dans beaucoup de circonstances, n'être qu'une seule & même fonction. Il n'y a qu'à jetter les yeux sur la parotide qui ne fournit jamais plus de salive que lorsqu'elle est plus agacée ou irritée. On a vu mouiller de cette salive jusqu'à trois serviettes dans un repas. On ne sauroit supposer que ces excrétions excessives ne soient que les résultats de plusieurs secrétions accumulées. Il est tout simple, par ce que nous avons dit, que tout organe irrité fait corps à part, qu'il se satisfait, pour ainsi parler, aux dépens des autres ; il y aborde une plus grande quantité de sang qu'à l'ordinaire, donc la secrétion en doit être augmentée ; ce sont comme plusieurs secrétions & excrétions ajoutées coup-sur-coup les unes aux autres dans le même organe. C'est encore ici le cas de se servir de la division en actives & en passives ; dans la secrétion active l'organe rejette autant d'humeur qu'il en reçoit ; dans la passive cette humeur s'accumule dans le follicule, & attend pour en sortir des circonstances qui mettent l'organe en jeu.

Nous voici enfin arrivés à la principale difficulté, qui consiste à savoir pourquoi la même glande sépare constamment la même humeur. Cette explication se déduit du même principe, c'est-à-dire de la sensibilité, mais de la sensibilité spécifique dans chaque organe ; cette sensibilité spécifique opere une espece de choix. " Les parties propres à exciter telle sensation passeront, & les autres seront rejettées ; chaque glande, chaque orifice aura, pour ainsi dire, son goût particulier ; tout ce qu'il y aura d'étranger sera rejetté pour l'ordinaire.

La tension que les chatouillemens & les petites irritations proportionnées au ton du nerf procureront sera la secrétion ; le sphincter de chaque orifice dirigé par des nerfs, pour ainsi parler, attentifs & insensibles à tout ce qui ne les regarde point, ne laissera passer que ce qui aura donné de bonnes preuves ; tout sera arrêté, le bon sera pris, & le mauvais sera renvoyé ailleurs ".

Ce goût, cet appétit des organes étoit connu des anciens, comme nous l'avons déja observé ; cette théorie est également adoptée par un illustre écrivain dans son essai physique sur l'économie animale. En effet, chaque partie a son sentiment, son goût qui lui est propre, de même que ses aversions : l'émétique, qui ne se fait presque pas sentir sur les yeux, cause des sensations très-desagréables, des irritations extraordinaires à l'estomac, qui s'efforce sans perte de tems à le rejetter, tandis qu'il retient, il attire, il souhaite, pour ainsi dire, des alimens & même des médicamens analogues à sa sensibilité : l'huile, que les yeux ne peuvent supporter, ne fait rien sur l'estomac ; le chyle est comme sucé par les vaisseaux lactés, desorte que son passage dans ces vaisseaux est une véritable image de la secrétion, & peut-être est-ce réellement là une secrétion. Qu'on n'exige pas autrement de nous une analyse de cette sensibilité, de ce goût dans les organes, nous croyons que c'est une chose inexplicable, & nous nous défions avec un ancien (Dioclès), de ceux qui prétendent tout expliquer ; les phénomenes sont vrais, & cela nous suffit.

Les glandes, avons-nous dit, agissent pour faire leur excrétion, mais il est des tems où elles n'agissent point, leur action est comme périodique. Quelques organes attendent encore pour devenir secrétoires, c'est-à-dire pour travailler à la secrétion, des tems marqués par la nature.

Les secrétions & les excrétions peuvent être plus ou moins augmentées ou diminuées par l'effet des passions ; il n'y a qu'à voir ce qui se passe chez les mélancoliqués. Elles sont suspendues par le sommeil, par l'action de l'opium, &c. On en suspend certaines en agissant sur les nerfs des parties éloignées de celles dont on veut diminuer l'action ; mais c'est sur-tout par la fievre que ces fonctions sont arrêtées : il est même des maladies terribles produites par ce dérangement : desorte que rétablir ou renouveller ces fonctions, c'est-là proprement que consiste l'art de guérir. Il arrive encore des anomalies, des bizarreries même dans les secrétions, comme par exemple, le passage de l'urine dans les glandes de l'estomac & de la bouche ; il est vraisemblable que ces états contre nature sont causés par le goût perverti des organes, par une indisposition singuliere de leurs nerfs.

Les excrétions ne sont pas un objet moins intéressant pour le praticien, toute maladie pouvant être regardée comme consistant dans un effort des organes qui travaillent à une excrétion. Les excrétions peuvent être critiques ou non critiques, abondantes ou en très-petite quantité ; mais c'est principalement la qualité des matieres qui mérite le plus d'attention par rapport aux pronostics.

L'effet des médicamens est encore du ressort de la secrétion & de l'excrétion, il est toujours subordonné au sentiment & à la mobilité des organes dont ces médicamens augmentent ou diminuent le ton & le jeu ; c'est d'après ces circonstances qu'un même remede peut devenir évacuant ou astringent, &c. la salivation par le mercure dépend des mêmes causes ; les glandes salivaires sont par leur état, leur disposition, plus irritées, plus agitées que les autres, c'est pourquoi le mercure qui est si divisible, se porte plus vers elles ; mais elles le cedent à un organe dont l'activité, l'irritation l'emportent ; ainsi en purgeant beaucoup un malade, les médecins suppriment la salivation. Par-là on pourroit encore rendre raison de la vertu des spécifiques, pourvu toutefois que sans recourir à des insinuations de particules, à des affinités, & à mille autres fictions de cette espece, on considere qu'il est des organes qui ont un plus grand département les uns que les autres, un influx plus général, une action plus étendue & qui en intéresse un grand nombre d'autres. Tel est, par exemple, l'estomac, avec le mouvement duquel la marche, le tems, l'ordre des secrétions ont un rapport manifeste ; & certes il est plus clair que le jour, que les forces épigastriques sont fort employées dans les différentes secrétions. Cet article est de M. FOUQUET, docteur en l'université de Médecine de Montpellier, & médecin dans la même ville.


SECRETTES. f. (Gram.) oraison que le prêtre dit à la messe, après l'offerte ; elle est appellée secrette ou de ce que le prêtre la dit tout bas, ou de ce qu'anciennement les catéchumenes & les pénitens se retiroient alors ; dans ce second cas, la dénomination de secrette viendroit de secretus, participe du verbe secernere.


SECSIVA(Géog. mod.) montagne d'Afrique au royaume de Maroc. C'est une montagne très-haute, très-froide, dont le sommet est toujours couvert de neige, & qui présente partout des rochers escarpés. Ceux qui l'habitent avec leurs troupeaux n'ont ni loix, ni juges, ni culte. Ils vivent sainement & longtems. (D.J.)


SECTAIRES. m. (Gram.) celui qui est attaché à quelque secte. Il se prend presque toujours en mauvaise part : on dit sectateur d'une école de philosophie ; un sectaire de dogme religieux.


SECTES. f. (Gram. & Théol.) terme collectif qui se dit de ceux qui suivent les opinions ou les maximes de quelque docteur ou maître particulier, soit théologien, soit philosophe.

C'est en ce sens qu'on a distingué dans l'ancienne Grece plusieurs sectes de philosophes, comme les Pyrrhoniens, les Epicuriens, les Platoniciens, les Stoïciens, &c. & qu'on distingue encore aujourd'hui les Péripatéticiens, les Gassendistes, les Cartésiens & les Newtoniens.

Il y a aussi en Théologie différens partis opposés, connus sous le nom de Thomistes, Augustiniens, Molinistes & Congruistes. Voyez chacun de ces noms sous leur article particulier.

Le nom latin secta a la même signification que le nom grec haeresis, quoiqu'il ne soit pas aussi odieux. Cependant on désigne ordinairement les hérétiques sous le nom de sectaires ; & les hérésies, sous le nom de sectes. Ainsi l'on dit, la secte des Marcionites, des Manichéens, des Montanistes ; la secte de Luther, de Calvin, &c. & l'on employe plus fréquemment le mot école, en parlant des Théologiens de l'Eglise romaine, qui sont divisés de sentiment ; ainsi l'on dit mieux l'école des Thomistes, que la secte des Thomistes.

L'on connoissoit parmi les Juifs quatre sectes particulieres, qui se distinguoient par la singularité de leurs pratiques ou de leurs sentimens, & qui demeuroient unis de communion entr'elles & avec le corps de la nation. Ces sectes sont celles des Pharisiens, des Saducéens, des Esséniens & des Hérodiens ; nous avons traité de chacune en particulier. Au commencement du Christianisme on vouloit faire passer la Religion de J. C. pour une secte du Judaïsme. On croit que les sectes des Philosophes chez les Grecs ont donné naissance à celles qu'on vit paroître chez les Juifs vers le tems des Macchabées ; & c'est à la même imitation que dès les premiers tems du Christianisme, quelques juifs ou payens convertis, voulant raffiner sur les dogmes reçus dans l'Eglise, formerent toutes ces sectes de Gnostiques & autres si fréquentes dans l'histoire des premiers siecles.

Nous avons donné dans ce Dictionnaire une idée de chaque secte, des opinions ou des hérésies qui la caractérisent sous le nom de chacune ; le lecteur peut y avoir recours pour s'en instruire, s'il a besoin.

SECTE, (Hist. Philos. & Polit.) tant de sectes & d'opinions fausses, qui se sont perpétuellement succédées en matiere de religion, loin de nous aigrir, doivent nous apprendre à reconnoître l'imperfection de notre jugement, & sa foiblesse naturelle ; ce qui n'est pas un leger apprentissage.

Rien ne fit plus de tort à l'état politique du gouvernement de Justinien, que le projet qu'il conçut de réduire tous les hommes à une même façon de penser sur les matieres de religion, sur-tout dans des circonstances qui rendoient son zèle entierement indiscret.

Comme les anciens Romains fortifierent leur empire, en y laissant toutes sortes de culte ; dans la suite on le réduisit à rien, en coupant successivement les sectes qui ne dominoient pas.

Ces sectes étoient des nations entieres ; les unes, après avoir été conquises par les Romains, conservoient leur ancienne religion, comme les samaritains & les juifs ; les autres s'étoient répandues dans un pays, comme les sectateurs de Montan, dans la Phrygie ; les manichéens, les sabatéens, les ariens, dans d'autres provinces ; outre qu'une grande partie des gens de la campagne étoient encore idolâtres, & entêtés d'une religion grossiere comme eux-mêmes.

Justinien qui détruisit ces sectes par l'épée ou par ses loix, & qui les obligeant à se révolter, s'obligea à les exterminer, rendit incultes plusieurs provinces ; il crut avoir augmenté le nombre des fideles, il n'avoit fait que diminuer celui des hommes.

Procope nous apprend que par la destruction des samaritains, la Palestine devint deserte ; & ce qui rend ce fait singulier, c'est qu'on affoiblit l'empire par zèle pour la religion du côté par où quelques regnes après, les Arabes pénétrerent pour la détruire.

Ce qu'il y a de desespérant, c'est que pendant que l'empereur portoit si loin l'intolérance, il ne convenoit pas lui-même avec l'impératrice sur les points les plus essentiels ; il suivoit le concile de Chalcédoine, & l'impératrice favorisoit ceux qui y étoient opposés, soit qu'ils fussent de bonne foi, dit Evagre, soit qu'ils le fissent à dessein.

L'exemple destructeur de Justinien, ne fut que trop imité dans la suite, les hommes étant toujours portés par eux-mêmes à l'esprit de domination & d'intolérance. Ce n'étoit pas cependant celui de Pilpay, qui a long-tems regné dans l'Inde ; on en jugera par ce passage tout singulier de ses écrits, que Pachimère traduisit au xiij. siecle.

" J'ai vu toutes les sectes s'accuser réciproquement d'impostures ; j'ai vu tous les mages disputer avec fureur du premier principe & de la derniere fin ; je les ai tous interrogés, & je n'ai vu dans tous ces chefs de faction, qu'une opiniâtreté inflexible, un mépris superbe pour les autres, une haine implacable. J'ai donc résolu de n'en croire aucun. Ces docteurs en cherchant la vérité, sont comme une femme qui veut faire entrer son amant par une porte dérobée, & qui ne peut trouver la clé de la porte. Les hommes par leurs vaines recherches, ressemblent à celui qui monte sur un arbre, où il y a un peu de miel ; & à peine en a-t-il mangé, que les dragons qui sont autour de l'arbre le dévorent ". Essai sur l'hist. univers. (D.J.)

SECTE DE CENT, (Hist. moderne) Voyez l'article CENT.


SECTEURS. m. en Géométrie ; c'est la partie d'un cercle, comprise entre deux rayons & l'arc renfermé entre ces rayons. Voyez CERCLE & ARC.

Ainsi le triangle mixte A C D, (Pl. de Géom. fig. 13.) compris entre les rayons A C, C D, & l'arc A D est un secteur de cercle.

Les géomêtres démontrent que le secteur d'un cercle, comme A C D, est égal à un triangle, dont la base est l'arc A D, & la hauteur le rayon A C.

Si du centre commun de deux cercles concentriques on tire deux rayons à la circonférence du cercle extérieur, les deux arcs renfermés entre les rayons auront le même rapport que leurs circonférences, & les deux secteurs seront entr'eux comme les aires ou les surfaces de leurs cercles.

Pour trouver en nombre l'aire d'un secteur D C E, le rayon C D du cercle & l'arc D E étant donnés, il faut d'abord trouver un nombre quatrieme proportionnel à 100314, & au rayon A C : ce quatrieme proportionnel exprimera la demi-circonférence à très-peu près. Voyez CERCLE & QUADRATURE. Que l'on cherche alors un autre quatrieme proportionnel au nombre 180, à l'arc D E & à la demi-circonférence que l'on vient de trouver ; cet autre quatrieme proportionnel donnera l'arc D E dans la même mesure que le rayon A C est donné : enfin, multipliez l'arc D E par le demi-rayon, ce produit est l'aire du secteur.

Les Anglois donnent aussi le nom de secteur à ce que l'on appelle en France, compas de proportion. Voyez COMPAS DE PROPORTION. Chambers. (E)

SECTEUR astronomique, est un instrument inventé par M. George Graham de la société royale de Londres, qui sert à prendre avec beaucoup de facilité les différences d'ascension droite & de déclinaison de deux astres, qui seroient trop grandes pour être observées avec un télescope immobile.

Le micromêtre est généralement reconnu pour l'instrument le plus exact, & le plus propre à déterminer le lieu d'une planete ou d'une comete ; quand elles sont assez près d'une étoile connue ; ce qui se fait en prenant les différences de leur ascension droite, & de leur déclinaison à celles de l'étoile. Mais ceci étant souvent impraticable à cause du grand nombre d'espaces du ciel, qui sont entierement vuides d'étoiles, dont les lieux soient connus ; on est obligé d'avoir recours à des sectans ou des quarts de cercles mobiles armés de télescopes, pour prendre des distances plus grandes que celles qu'on peut prendre avec un micromêtre. Or sans parler de ce qu'il en coûte, ni de la difficulté d'avoir des instrumens de cette espece, il est évident qu'il est peu sûr, & fort difficile de s'en servir, surtout par l'embarras où sont les observateurs, pour faire correspondre au même instant leurs observations à chaque télescope, tandis que cet instrument suit le mouvement diurne des cieux.

Le secteur astronomique remédie à tous ces inconvéniens, & c'est une obligation de plus que les astronomes ont à M. Graham, qui leur a rendu de si grands services par les excellens instrumens qu'il a inventés. Avant d'entrer dans le détail de ses parties, nous en donnerons une idée générale, afin qu'on en conçoive mieux l'usage & l'application.

Cet instrument (fig. Pl. d'Astronom.) est composé 1°. d'un axe H F I, mobile sur ses pivots H & I, & situé parallelement à l'axe de la terre ; 2°. d'un arc de cercle A B contenant 10 ou 12 degrés, ayant pour rayon la plaque C D tellement fixée au milieu de l'axe H I, que le plan du secteur est toujours parallele à cet axe, qui étant lui-même parallele à l'axe de la terre, détermine le plan du secteur à être toujours parallele à celui de quelque cercle horaire ; & 3°. d'un télescope C E, dont la ligne de vue est parallele au plan du rayon C D, & qui, en tournant la vis G, se meut autour du centre c de l'arc A B, d'un bout à l'autre de cet arc.

Pour observer avec cet instrument, on le tournera tout entier autour de l'axe H I, jusqu'à ce que son plan soit dirigé successivement à l'une & à l'autre des étoiles que l'on veut observer. Ensuite on fera mouvoir le secteur autour du point F, de façon que l'arc A B étant fixe, puisse prendre les deux étoiles dans leur passage par son plan ; pourvû, comme il est évident, que la différence de leurs déclinaisons ne surpasse pas l'arc A B. Alors ayant fixé le plan du secteur un peu à l'ouest des deux étoiles, on tournera le télescope c E, au moyen de la vis G, & on observera avec une pendule le tems du passage de chacune des étoiles par les fils transverses, & les degrés & les minutes marqués par l'index sur l'arc A B, à chaque passage. La différence des arcs sera la différence des déclinaisons des deux étoiles, & celle des tems donnera la différence de leur ascension droite.

Description des principales parties de l'instrument. Sur une des faces d'un axe de fer quarré H I F, fig. & près de son extrêmité supérieure, est attachée une large plaque de laiton a b c, circulaire & fort épaisse. Sur cette plaque est adaptée une croix de laiton K L M N, qui tourne au moyen d'une charniere, ou plutôt d'un ajustement dont nous parlerons plus bas, autour du centre F. Aux deux bouts de la branche M N, s'élevent deux barres perpendiculaires O & P, dont les extrêmités s'attachent par le moyen des vis d c, au dos du rayon C D, qui est renforcé d'un bout à l'autre par une longue plaque de laiton, posée sur le champ comme on le voit dans la figure. Les barres O & P n'ont d'autre longueur que celle qu'il leur faut pour que le secteur A B C tourne autour d'F, sans toucher à la plaque circulaire Q R, fixée à la base supérieure du cylindre de cuivre I. L'axe de fer H I F passe par un trou quarré percé au milieu du cylindre & de la plaque, & y est attaché fermement. S T, figure représente une longue bande de laiton très-forte, & ayant deux petites plaques V X & Y T, élevées perpendiculairement. La plaque S T étant située selon sa longueur parallelement à l'axe de la terre, & étant fixement arrêtée dans cette position sur un piédestal, ou de quelque autre maniere, transportez-y l'axe H I, & placez le trou conique en H, sur la pointe d'une vis en Y, & le cylindre I dans l'entaille V Z X, dont les côtés paralleles V X l'embrassent, tandis qu'il s'appuie sur les extrêmités d'une cavité angulaire, située au fond de l'entaille Z. Par ce moyen tout l'instrument tournera avec beaucoup de précision autour d'une même ligne imaginaire. La figure représente une section de tout l'instrument, faite par un plan passant à angles droits par le rayon C D, par la bande qui le fortifie, & par l'axe H I & son support S T. On suppose dans cette section le secteur tourné autour d'F, jusqu'à ce que le rayon C D devienne parallele à l'axe H I. On a conservé aux différentes parties de l'instrument, les mêmes lettres que dans les autres figures, afin qu'on les distingue mieux.

Les branches O & P ont deux fentes au milieu de leurs extrêmités, pour recevoir le bord de la bande C D. La plaque circulaire a c est fixée à l'axe par les vis h i sur la verge de laiton g k vissée ; sur l'axe H I glisse une balle de cuivre l m, que l'on fixe par une vis m, à une distance convenable pour contrebalancer le poids du secteur & du télescope, placés sur le côté opposé de l'axe. Au haut du support S T, il y a un tenon n o p q r s t u, dont la cavité n o p q reçoit la plaque circulaire Q R. L'extrêmité q d'une plaque qui fait ressort p q, est fixée par une vis r à l'intérieur de la plaque supérieure r s, pendant que son autre extrêmité p, en tournant la tête de la vis t, presse sur le cercle Q. Pour empêcher cette pression de changer le plan du cercle Q R, & conséquemment la position de l'axe H I, le tenon n o p q a la liberté de céder, ou de tourner sur les extrêmités de deux vis qui entrent dans des trous coniques, situés dans les bords opposés de la plaque inférieure n o. On voit une de ces vis en n, & la piece fixe dans laquelle elles se vissent est représentée séparement & en plein en n x y z ; n z étant les points sur lesquels le tenon tourne, par ce moyen la même vis en f fait que la plaque supérieure & inférieure du tenon n o p q, compriment le cercle Q uniformément. Un tenon semblable est attaché à la branche O, afin de presser le cercle a c & la plaque transverse M N, l'un contre l'autre, de façon que le secteur reste fixe dans une position quelconque. La charniere ou l'ajustement en F, dont il a été fait mention plus haut, ne consiste qu'en une goupille cylindrique qui passe par les plaques M N, a c. La tête plate de la goupille est fixée par trois petites vis à la plaque M N, & à l'autre extrêmité de cette goupille est attachée, au moyen d'une vis qui se visse dans la goupille, une plaque circulaire qui fait ressort. L'ajustement du point C est fait de la même façon.

La figure représente la disposition & la construction des pieces qui servent à faire mouvoir le télescope, en tournant la tête de la vis g. Les pieces principales sont la vis g a b, une piece m n, au-travers de laquelle elle passe, & la piece h e i, où est l'écrou dans lequel entre la vis. La piece m n est une espece d'aissieu fort court, percé d'un trou pour laisser passer la vis. Cet axe ou aissieu, posé perpendiculairement au limbe, est retenu dans cette position par un coq n o. Il est mobile autour de ses pivots m n, afin que la vis obéisse au petit mouvement angulaire qu'elle est obligée d'avoir nécessairement, l'écrou c se mouvant dans un arc de cercle. Cet écrou c a une partie qui traversant l'entaille circulaire d e, est reçue dans un trou fait à la plaque du vernerus, de façon qu'elle fait corps avec lui, quoiqu'elle puisse tourner dans ce trou. Or cette plaque étant fixée par une de ses extrêmités au télescope, il s'ensuit qu'en tournant l'écrou d'un sens ou de l'autre, on fera mouvoir le télescope en avant ou en arriere ; h & i sont les têtes de deux vis dont les tiges passent tout à la fois au-travers d'une plaque qui fait ressort (pour rendre le mouvement uniforme) d, au-travers de l'entaille d e, pour aller se visser dans la plaque du vernerus.

La longue vis g a b porte de chaque côté de l'axe m n, deux especes de viroles qui lui servent comme de parties ou d'épaulemens pour l'empêcher d'avancer ou de reculer. La petite piece b p est fendue pour recevoir l'extrêmité de cette vis qu'elle ne sert qu'à guider.

Voici les dimensions de cet instrument en piés & pouces anglois ; on en trouvera le rapport avec nos mesures à l'article PIE. La longueur du télescope, ou le rayon du secteur, est de 2 piés 1/2 ; la largeur du rayon vers C, est d'1 pouce 1/2 ; & vers D, de 2 pouces. La largeur du limbe A B, est d'1 pouce 1/2 ; & sa longueur de 6 pouces, contenant 10 degrés, divisés chacun de 15 en 15 minutes. Le télescope porte un vernerus, ou plaque à subdiviser, voyez VERNERUS, dont la longueur étant égale à 16 quarts de degré, est divisée en 15 parties égales, ce qui divise le limbe en minutes ; & par l'estimation en plus petites parties, l'axe quarré H I F, a 18 pouces de longueur, & la partie H I en a 12 pouces. Son épaisseur est aux environs d'1/4 pouce. Le diamêtre des cercles Q R & a b c, sont chacun de 5 pouces, pour l'épaisseur des plaques ; & les autres dimensions, on peut les laisser à la disposition de l'ouvrier.

Maniere de rectifier cet instrument. On placera l'intersection des fils transverses à la même distance du plan du secteur, que l'axe du verre objectif.

Par ce moyen le plan décrit par la ligne de vûe, en faisant mouvoir le télescope autour du point C, sera assez juste & exemt d'aucune courbure conique. Pour s'en assurer, on suspendra un long fil à plomb, à une distance convenable de l'instrument ; on fixera le plan du secteur dans une position verticale, & on observera alors si pendant que le télescope se meut au moyen de la vis, le long du limbe, les fils transverses paroissent toujours se mouvoir le long de la ligne à plomb.

L'axe h f o pourra être placé presque parallélement à l'axe de la terre, par le moyen d'un petit cadran ordinaire. Ensuite pour le situer parfaitement parallele à cet axe, on observera quelques-unes des étoiles des environs du pole, & le télescope étant fixé sur le limbe, on fera suivre à la ligne de vûe le mouvement circulaire de cette étoile autour du pole, en tournant tout l'instrument sur son axe h f o. Que l'on suppose pour cet effet le télescope k l, dirigé vers l'étoile a, quand elle passe au plus haut point de son cercle diurne, & qu'on remarque la division coupée par le vernerus sur le limbe, cette étoile arrivera 12 heures après au point le plus bas du même cercle. Alors ayant fait faire à l'instrument une demi-révolution sur son axe, pour amener le télescope dans la position m n, si les fils transverses couvrent la même étoile supposée en b, l'élévation de l'axe h f o sera parfaitement juste ; que si au contraire ils ne la couvroient pas, & qu'il fallût mouvoir le télescope dans la position , afin de pointer à cette étoile ; on connoîtra l'arc m qui mesure l'angle m f ou b f c, & alors on abaissera l'axe h f o de la moitié de l'angle connu, si l'étoile passe au-dessous, ou on l'élevera d'autant, si c'est au-dessus ; ensuite on repétera la même observation jusqu'à ce qu'on ait trouvé la véritable position de l'axe. On corrigera par des observations semblables, faites sur la même étoile dans le cercle de six heures, les erreurs de position de l'axe, soit à l'est, soit à l'ouest, jusqu'à ce que les fils transverses suivent l'étoile tout autour du pole. Cette maniere d'opérer est claire ; car supposant a o p b c un arc du méridien (ou dans la seconde opération, un arc du cercle de six heures), & faisant l'angle a f p égal à la moitié de l'angle a f c, la ligne f p pointera au pole, & l'angle o f p, qui est l'erreur de position de l'axe, sera égal à la moitié de l'angle b f c ou m f , trouvé par l'observation, puisque la différence des deux angles a f b, a f c, est double de la différence de leurs moitiés a f o & a f p. Il est presque inutile d'ajouter qu'à moins que l'étoile ne soit fort près du pole, il faudra faire attention aux réfractions. (T)

Secteur de M. Graham, est encore un instrument d'Astronomie, qui sert à observer les distances des étoiles au zénith lorsqu'elles en passent fort près. La premiere idée en est dûe au docteur Hook, qui l'avoit imaginé pour déterminer la parallaxe des étoiles fixes ; mais par les changemens & les additions que M. Graham y a faits, il l'a rendu comme un nouvel instrument dont on peut le regarder comme l'inventeur. C'est avec un secteur que M. Bradley a fait la fameuse découverte de l'aberration des étoiles fixes, & c'est aussi avec un secteur exécuté sous les yeux & par les soins de M. Graham, que MM. les académiciens du Nord ont déterminé l'amplitude de l'arc du méridien qui devoit établir la grandeur du degré sous le cercle polaire. Nous rapporterons ici la description qu'ils en ont donnée, parce qu'il seroit impossible d'en donner une meilleure.

Ce qu'on appelle proprement secteur dans l'instrument dont il s'agit, est une lunette D N, garnie d'un limbe ou proportion de cercle T V, qui a pour rayon la distance D G qu'il y a de l'objectif à son foyer.

Ce secteur est porté par un autre secteur immobile qui lui est concentrique, & dans le plan duquel il se peut mouvoir en tournant sur l'axe qui passe par les centres des deux secteurs.

Ce second secteur qui porte le vrai secteur, est porté lui-même par un pié qui a la figure d'une pyramide tronquée.

La premiere figure fait voir l'instrument entier avec ses pieces assemblées ; mais outre que cette figure n'est pas assez grande pour en faire voir le détail, il y a plusieurs choses essentielles à l'instrument qui se trouvent cachées, & d'autres qu'on a omises, parce qu'elles auroient été trop petites pour être apperçues. Toute la suspension du vrai secteur se trouve cachée par le prisme creux exagonal, qui termine le haut du pié ; & le micromêtre que l'on place sur le limbe du second secteur, & qui sert à conduire le vrai secteur & à régler son mouvement, a été omis, parce qu'il seroit devenu trop petit, & que le limbe du vrai secteur en auroit caché la plus grande partie. Il faut donc avoir recours aux figures suivantes pour connoître toutes les pieces de l'instrument ; on va les détailler toutes en commençant par le vrai secteur.

La seconde figure représente le vrai secteur en perspective dans ses proportions, & la troisieme figure en fait voir les principales parties plus en grand dans une élévation géométrale tronquée : les lettres sont relatives à la seconde & troisieme figures, mais il a été impossible de mettre sur la seconde toutes celles qui sont sur la troisieme.

D N est un tube cylindrique de lunette, long de 8 piés 11 pouces, fait de laiton bien écroui, ce tube a trois parties dans sa longueur ; les deux premieres parties D E, F G ont trois pouces de diamêtre, & chacune est garnie à ses extrêmités de frettes cylindriques de cuivre ; la troisieme partie, dans laquelle entre l'oculaire, n'a qu'un pouce de diamêtre.

La frette D, qui fortifie la lunette à son extrêmité supérieure, contient l'objectif ; il y a au-dedans de cette frette une feuillure faite sur le tour, dans laquelle l'objectif est exactement enchâssé & tient de lui-même avec assez de force : l'objectif est encore poussé vers le fond de sa feuillure par un tuyau à vis, de façon qu'il est arrêté de la maniere la plus fixe. La frette D porte deux tourillons A, B, de cuivre diamétralement opposés, dont l'axe est bien perpendiculaire à celui de la lunette. Ces deux tourillons servent à suspendre la lunette qui, quand elle est libre, peut osciller comme un pendule. Le tourillon A porte un cylindre C d'acier trempé de trois quarts de ligne de diamêtre ; & ce petit cylindre, qui a même axe que les tourillons A, B, est diminué autant qu'il est possible vers son extrêmité, de maniere qu'à l'endroit de l'entaille il ressemble à deux cônes opposés par la pointe : cette entaille est faite pour recevoir la boucle d'un fil à-plomb, dont on verra l'usage.

La frette E qui est au bout inférieur de la premiere partie, & la frette F qui est au bout supérieur de la seconde, sont soudées à des brides circulaires, aussi de cuivre ; ces deux brides qui sont liées ensemble par des vis, servent à assembler solidement les deux premieres parties du tube D G. Si ce tube D G avoit été d'une seule piece, on n'auroit pas eu besoin des deux frettes E F, mais alors il n'auroit pas été possible de l'écrouir aussi parfaitement qu'en le faisant de deux pieces ; au reste, ces deux parties de tube ne se desassemblent jamais.

La frette G qui est à l'extrêmité inférieure de la seconde partie du tube, porte un miroir plan K d'acier bien poli, qu'on recouvre d'une piece de cuivre L, quand on ne fait point usage de la lunette : c'est par ce miroir que la vis du micromêtre, que nous expliquerons, pousse la lunette pour lui donner l'inclinaison nécessaire dans les observations. Sur le couvercle L du miroir est un trait léger qui est horisontal quand le miroir est couvert ; ce trait sert à marquer la hauteur où doit être la vis du micromêtre. Ainsi avant que de découvrir le miroir, il faut hausser ou baisser le micromêtre jusqu'à ce que la pointe de sa vis soit précisément sur le trait du couvercle.

Le dedans de la frette G est tourné en forme de feuillure circulaire ; cette feuillure reçoit un chassis rond, précisément de même diamêtre : la position du chassis dans la feuillure est déterminée par deux piés diamétralement opposés, qui tiennent à la feuillure & entrent dans deux petits trous faits au chassis. Enfin le chassis est arrêté dans la feuillure par quatre vis qui l'y retiennent solidement. Ce chassis est exactement placé au foyer de l'objectif, il est percé d'une large ouverture d'environ deux pouces de diamêtre, & porte deux fils d'argent extrêmement fins, croisés à angles droits & perpendiculaires à l'axe de la lunette dans lequel ils se croisent. L'un de ces fils est parallele à l'axe des tourillons A, B. La position des fils sur le chassis est invariable ; car le chassis est percé de quatre trous qui ne sont guere plus gros que les fils qui y passent ; une extrêmité de chaque fil est arrêtée dans son trou par une goupille, & les deux autres extrêmités sont tirées par des ressorts qui tiennent toujours les fils bien tendus, malgré leur racourcissement dans le froid & leur allongement dans le chaud.

La même frette G est fixée perpendiculairement sur une platine quarrée de cuivre, à laquelle sont attachées plusieurs pieces qu'on va expliquer.

1°. Une piece de cuivre M parallele au miroir S, au-dessous duquel elle est placée. C'est par cette piece M qu'on commence à pousser la lunette par le moyen d'une seconde vis qui est au micromêtre : cette piece M & la vis qui la pousse, servent à empêcher la principale vis du micromêtre de s'émousser en heurtant contre le miroir d'acier K.

2°. Un limbe T V plan, perpendiculaire à l'axe des tourillons A, B, & dont la face antérieure est aussi éloignée de l'axe de la lunette, que l'entaille C du cylindre d'acier est distante du même axe. Sur ce limbe sont tracés deux arcs, qui ont tous deux l'entaille C pour centre ; ces deux arcs sont chacun de cinq degrés & demi, & sont divisés de sept minutes & demie en sept minutes & demie par des points très-fins qu'on peut à peine appercevoir : les points du cercle inférieur sont plus fins que ceux du supérieur ; ces deux arcs peuvent servir à se vérifier mutuellement.

3°. Le petit tube cylindrique N qui reçoit l'oculaire est encore attaché sur la même platine ; ainsi cette platine est percée d'un trou pour laisser passer la lumiere de l'objectif à l'oculaire.

4°. Enfin cette platine porte encore deux roulettes, savoir une roulette I ou plutôt sa chape solidement arrêtée par des vis, & une roulette H dans une chape ajustée à un ressort : on va voir l'usage de ces deux roulettes dans le détail du second secteur, qui porte celui qu'on vient d'expliquer.

La quatrieme figure représente le second secteur, qui doit porter le vrai secteur représenté dans la seconde figure. Voici les pieces qui le composent.

f g h o p q est un gros arbre de bois des Indes très-dur ; sa hauteur est de 8 piés 4 pouces & demi, sa largeur g h est de 9 pouces, & son épaisseur f g de 8 pouces 9 lignes.

Au haut de cet arbre est attachée une forte platine de laiton, perpendiculaire à la longueur de l'arbre ; la platine saille au-delà de l'arbre d'environ 5 pouces 2 lignes, & sa partie saillante qui est échancrée pour laisser passer la lunette, porte deux coussinets a, b, dans lesquels doivent tourner les deux tourillons A, B, de la lunette. Le premier coussinet a est immobile ; le second coussinet b est contenu entre deux pieces attachées à la platine : ces pieces l'empêchent de se déranger à droite ou à gauche, mais elles lui permettent de s'élever & de s'abaisser suivant le besoin. Ce coussinet b a une queue b e, dont l'extrêmité e est une charniere sur laquelle on le peut mouvoir par le moyen de deux vis c, d, par la vis c pour le hausser, & par la vis d pour l'abaisser. Lorsque ces deux vis serrent en même tems le coussinet, elles le rendent aussi immobile que s'il étoit attaché à demeure sur la platine. On voit dans la figure que la partie de la platine qui déborde l'arbre est soutenue par une équerre ou gousset qui l'empêche de plier.

Le bas de l'arbre est entouré d'une frette de cuivre o p q très-forte, à laquelle tient un limbe t u perpendiculaire à l'axe des coussinets a, b. La distance de ce limbe aux coussinets a, b, est telle, que quand la lunette ou le vrai secteur a ses tourillons A, B, dans les coussinets a, b, la roulette I de la lunette est appliquée sur le devant du limbe t u, & roule sur le bord inférieur de ce limbe, & la roulette H, dont la chape est portée par un ressort P Q R, est appliquée derriere le même limbe t u, & roule sur le bord supérieur de ce limbe lorsqu'on meut la lunette. Le ressort qui porte la roulette H & qui la presse contre le derriere du limbe, oblige l'autre roulette I de s'approcher sur le devant du limbe, & l'y tient mollement appliquée, de maniere que la lunette ne peut point faire d'oscillations perpendiculaires au limbe t u.

i, k, sont deux consoles, sur lesquelles on place un niveau pour connoître la situation de l'arbre ; lorsque ces deux consoles sont mises de niveau, l'arbre est vertical.

l, m, n, sont trois tenons qui tiennent à l'arbre ; on attache à ces tenons trois traverses qui sont liées avec les trois montans du pié, & qui empêchent l'arbre de vaciller dans son pié.

r est un chassis léger de bois de chêne attaché à l'arbre pour porter une lanterne, qui doit éclairer le limbe T V du vrai secteur : au-dessous de cette lanterne est un microscope S, qui fait voir distinctement les points de la division du limbe T V. Par le moyen d'une vis x, on hausse ou baisse la lanterne jusqu'à ce que le microscope S soit à la hauteur de la division. Par la vis y & une autre qui lui est opposée, on détourne la lanterne à droite ou à gauche, afin que le point de la division qu'on observe soit vu au milieu du champ du microscope. Enfin, par la vis z, on peut approcher ou reculer la lanterne du limbe jusqu'à ce qu'on voye distinctement les points de la division.

Le microscope peut encore couler dans des anneaux qui l'attachent à la lanterne, & être rapproché ou éloigné du limbe sans faire mouvoir la lanterne.

Le pié de figure pyramidale tronquée qui porte le second secteur est de bois, & toutes ses pieces se démontent & se remontent aisément par le moyen de la vis ; sa hauteur est de 11 piés 6 pouces. Ce pié est composé de trois montans assemblés par le haut, avec un exagone creux dans lequel entre l'arbre du second secteur, & auquel il est attaché par une forte vis. Les montans sont garnis de regles de champ qui les fortifient, & sont liés tous trois ensemble par des traverses horisontales. Outre que l'arbre est soutenu par le haut dans l'exagone, il est encore lié avec les montans par trois traverses horisontales que l'on attache d'un bout sur les tenons de l'arbre, & de l'autre bout sur les regles de champ des montans.

Une de ces trois dernieres traverses porte une poulie, sur laquelle passe une corde qui part de la lunette, & qui porte un poids ; ce poids qui n'est ordinairement que d'un quart, ou tout-au-plus d'une demi - livre, est plus que suffisant pour tirer la lunette vers le micromêtre qu'on va expliquer.

Le micromêtre est représenté dans les fig. 5 & 6. La fig. 5. le fait voir en perspective ; la 6. en montre la face géométrale avec le bas de la lunette du vrai secteur. Ce qu'on appelle proprement micromêtre est une vis A B, qui passe au-travers d'un écrou S, & la pointe B de cette vis s'appuie contre le miroir de la lunette. La vis qui nous a servi au cercle polaire avoit un pas, tel qu'un de ses tours faisoit parcourir à la lunette un arc de 44 secondes. Cette vis nous a été volée au mois de Juillet 1738, & celle qu'on a refaite est d'un pas un peu plus haut, un de ses tours fait décrire à la lunette un arc de 47 secondes.

La vis porte un cadran C divisé en autant de parties qu'un tour de vis vaut de secondes ; ainsi le cadran ancien étoit divisé en 44 parties, celui d'à-présent est divisé en 47. Par le moyen de ce cadran, on voit de combien de secondes la vis a fait avancer la lunette.

La tige de la vis porte encore un pignon denté qui engrene dans une roue ; cette roue porte aussi un pignon qui engrene dans une autre roue, & cette seconde roue fait un tour pendant que la vis en fait vingt-cinq. Cette seconde roue est elle-même un second cadran D divisé en vingt-cinq parties, ensorte qu'une partie de ce cadran marque une révolution entiere de la vis ou 47 secondes.

Par le moyen de ces deux cadrans, on voit tout-d'un-coup combien la vis fait de tours & de parties de tours, & par conséquent de combien la lunette avance ou recule.

Les roues & le cadran qui marque les tours de la vis sont enfermés dans une boîte H I, laquelle est attachée sur une équerre M N. L'équerre est attachée sur un coulant T V R Z, qui saisit le limbe t u du secteur de l'arbre par deux griffes T V, R Z ; & par le moyen de deux vis O, P, on peut fixer ce coulant à quel endroit on veut du limbe t u.

L'équerre qui porte la boîte du micromêtre a trois rainures, celle du milieu est couverte par une platine sur laquelle repose la tête de la vis G qui attache l'équerre au coulant, les deux autres embrassent des boutons m, n ; l'équerre peut couler sur sa vis G & sur les boutons m, n, de maniere qu'on peut élever & baisser le micromêtre, afin de mettre sa vis à une hauteur convenable, pour qu'un de ses tours fasse parcourir à la lunette un arc de 47 secondes. On a dit que cette hauteur étoit marquée par un trait sur le couvercle du miroir.

Il y a au micromêtre une seconde vis K L de laiton qui s'appuie, quand on veut, contr'une platine de cuivre placée au-dessous du miroir. Voici l'usage de cette vis.

Lorsqu'on éleve ou qu'on abaisse le micromêtre à la hauteur du trait marqué sur le couvercle, le miroir est couvert. Si, après cette opération, on découvre le miroir, le poids qui tire la lunette vers le micromêtre fera choquer le miroir contre la pointe B de la vis qui sera endommagée. Pour éviter cet accident avant de découvrir le miroir, on pousse la lunette par la seconde vis K L, ce qui l'éloigne de la principale vis A B du micromêtre, ensuite on découvre le miroir sans craindre le choc dont nous venons de parler ; enfin on détourne la vis K L, & la lunette, qui est obligée de la suivre à cause du poids qui la tire, vient doucement au micromêtre, desorte que le miroir arrive à la pointe B, sans qu'il se fasse de choc.

Le banc que l'on voit sous le pié pyramidal est l'endroit où se place celui qui doit regarder par la lunette, ce banc peut être elevé & abaissé comme un pupitre, pour mettre l'oeil de l'observateur à portée de la lunette.

On voit sur le banc un gobelet plein d'eau, dans lequel est une balle suspendue par un fil qui pend de l'entaille du centre de la lunette. (T)


SECTIONS. f. (Gram.) portion d'une chose divisée. On dit une section de cet ouvrage, la section de ce bâtiment, la section d'un solide.

SECTION, en Géométrie, c'est l'endroit où des lignes, des plans, &c. s'entrecoupent. Voyez BISSECTION, TRISSECTION, &c.

La commune section de deux plans est toujours une ligne droite. Voyez PLAN. On appelle aussi section la ligne ou la surface formée par la rencontre de deux lignes, ou de deux surfaces, ou d'une ligne & d'une surface, ou d'une surface & d'un solide, &c.

Si l'on coupe une sphere d'une maniere quelconque, le plan de la section sera un cercle, dont le centre est dans le diamêtre de la sphere. Voyez SPHERE.

Il y a cinq sections du cone, le triangle, le cercle, la parabole, l'hyperbole & l'ellipse. Voyez chacune de ces sections à l'article qui leur est particulier. Voyez aussi CONE. (E)

SECTIONS CONIQUES, voyez l'article CONIQUE.

Sections contiguës ou sections fréquentes, est un terme dont Apollonius se sert dans son traité des sections coniques. Pour faire entendre ce que signifie ce terme, imaginons deux lignes droites, telles que A B, C D, (Pl. coniq. fig. 5) qui s'entrecoupent mutuellement en E. On suppose que ce point E est le centre commun des sections hyperboliques opposées F, G ; H, I, qui ont aussi pour asymptotes communes les mêmes lignes A B, C D ; dans ce cas, les sections F, H, G, I sont appellées sections contiguës, parce qu'elles sont disposées de maniere qu'elles se suivent l'une l'autre dans les angles contigus des deux lignes droites qui s'entrecoupent. Voyez CONJUGUE. Chambers. (E)

Sections opposées, voyez OPPOSEES.

SECTION AUTOMNALE, (Sphere) c'est le point de l'écliptique où il est coupé par l'équateur, & où le soleil se trouve au commencement de l'automne ; on l'appelle encore point automnal. (D.J.)

SECTION, (Archit.) c'est la superficie qui paroît d'un corps coupé ; c'est aussi l'endroit où les lignes & les plans se coupent. (D.J.)

SECTION dans le Blason, il se dit lorsque l'écu est divisé en deux parties égales de droite à gauche, parallelement à l'horison, & en maniere de fasce. Voyez COUPEE.

Ce mot se dit aussi des pieces honorables, & même des animaux & des meubles, quand ils sont également divisés de la même façon, de maniere pourtant qu'une moitié soit de couleur, & l'autre de métal. On dit que les pieces sont coupées, quand elles ne viennent pas pleines aux extrêmités de l'écu.

SECTION, terme de chasse, secter le cerf, c'est le dépecer ; la premiere chose qu'on doit lever, sont les daintiers, autrement couillons ; après il faut commencer à le fendre à la gorge jusqu'au lieu des daintiers, puis le faut prendre par le pié d'entre le devant, & enciser la peau tout-autour de la jambe, au-dessous de la jointure, & la fendre depuis l'encisure jusqu'au lieu de la poitrine, & autant aux autres jambes ; après on commence par les jambes ou par les pointes des encisures, & on le dépouille.


SECULAIREadj. (Gram.) qui s'exécute à la fin du siecle.

SECULAIRE, POEME, (Poésie lyrique des Rom.) carmen saeculare, piece de vers qui se chantoit aux jeux séculaires des Romains dans le temple de quelque dieu. Voyez SECULAIRES JEUX.

Le plus beau poëme séculaire que nous ayons, est celui d'Horace. Il fut glorieux à ce poëte d'avoir été choisi par Auguste pour chanter les jeux séculaires qu'il donna l'an 737 de Rome. Le poëme d'Horace fut chanté dans le temple d'Apollon palatin, que l'empereur avoit fait bâtir onze ans auparavant. De plus la piece du poëte est un monument curieux & unique des cérémonies qui s'observoient dans cette fête. Enfin c'est le premier exemple que nous ayons d'une composition lyrique aussi ancienne qu'elle est peu connue.

L'occasion pour laquelle Horace composa ce poëme, étoit surtout remarquable par la solemnité de trois grandes fêtes, qui après avoir été distinguées dans leur institution, se réunirent peu-à-peu pour n'en former plus qu'une, qui duroit trois jours & trois nuits de suite. On les appelloit jeux tarentins, ludi tarentini ; jeux apollinaires, ludi apollinares, & jeux séculaires, ludi saeculares. Voyez -en les articles.

Je viens de dire que la piece d'Horace est la plus ancienne qui nous reste sur les jeux séculaires, du moins c'est la plus complete . Celle que nous avons de Catulle, qui commence par ces mots : Dianae summus in fide, fut faite apparemment pour quelque fête particuliere d'Apollon & de Diane : ou si c'est une piece séculaire, ce n'est qu'un des trois chants qui entroient dans la composition du poëme. Peut-être Catulle l'avoit-il faite pour être chantée en 705 ; mais ce poëte mourut un an ou deux devant, & l'on manqua de représenter ces jeux, soit par la négligence des pontifes sibyllins, soit à cause de la guerre civile qui éclata cette année-là entre César & Pompée. On avoit déja manqué une fois ces jeux en 405 pour quelque raison semblable.

Les poëmes séculaires étoient chantés par cinquante-quatre jeunes gens que l'on partageoit en deux choeurs, dont l'un étoit formé par vingt-sept garçons, & l'autre par autant de filles ; voilà pourquoi Horace dit :

Carmina non priùs

Audita, musarum sacerdos,

Virginibus puerisque canto.

" Prêtre des muses, je prononce aux deux choeurs de jeunes garçons & de jeunes filles des vers qui n'ont jamais été entendus. " Ter novem illustres pueri, dit Zosime, cum totidem virginibus, hymnos & poeanas canunt. Tel étoit l'ordre prescrit par l'oracle. Cantantesque latini poeanas cum pueris puellisque in aede versentur immortalium, seorsùm autem puellae ipsae chorum habeant, & seorsùm puerorum masculus ordo. Tout cela se trouve dans le poëme séculaire d'Horace. Tantôt les deux choeurs chantent ensemble, tantôt ils se partagent, & tantôt ils se réunissent. La premiere & la derniere strophe sont des hymnes, la seconde & la troisieme sont des péans. Enfin l'érudition, l'abondance, la délicatesse, la variété, en un mot, tout ce qui peut faire le prix d'une piece de poésie, se rencontre dans celle-ci. Il nomme les jeunes filles virgines lectas, & les jeunes garçons pueros castos ; ce n'est pas que les deux épithetes ne fussent communes aux deux choeurs, mais le poëte s'est contenté de joindre castus avec puer, parce que la signification en est renfermée dans virgo.

Au reste les enfans qui chantoient le poëme séculaire, devoient être non-seulement choisis, c'est-à-dire, d'une qualité distinguée, mais il falloit encore qu'ils fussent patrimi & matrimi, c'est-à-dire, qu'ils eussent tous leurs pere & mere en vie, & de plus qu'ils fussent nés d'un mariage contracté avec cette cérémonie que les latins appelloient confarreatio, lequel mariage étoit indissoluble. Sanadon. (D.J.)

SECULAIRES JEUX, (Ant. rom.) fête solemnelle que les Romains célébroient avec une grande pompe vers les approches de la moisson, pendant trois jours & trois nuits consécutives ; en voici l'origine.

Dans les premiers tems de Rome, c'est-à-dire, sous les rois, un certain Valesus Valesius, qui vivoit à la campagne dans une terre du pays des Sabins, proche du village d'Erête, eut deux fils & une fille qui furent frappés de la peste. Il reçut, dit-on, ordre de ses dieux domestiques de descendre le Tibre avec ses enfans, jusqu'à un lieu nommé Terentium, qui étoit au bout du champ de Mars, & de leur y faire boire de l'eau qu'il feroit chauffer sur l'autel de Pluton & de Proserpine. Les enfans en ayant bu, se trouverent parfaitement guéris. Le pere en actions de graces offrit au même endroit des sacrifices, célébra des jeux, & dressa aux dieux des lits de parade, lectisternia, pendant trois nuits, & pour porter dans son nom même le souvenir d'un événement si singulier, il s'appella dans la suite Manius Valerius Terentinus ; Manius, à cause des divinités infernales à qui il avoit sacrifié ; Valerius, du verbe valere, parce que ses enfans avoient été rétablis en santé ; & Terentinus, du lieu où cela s'étoit passé.

En 245, c'est-à-dire, l'année d'après que les rois furent chassés de Rome, une peste violente accompagnée de plusieurs prodiges ayant jetté la consternation dans la ville, Publius Valerius Poplicola fit sur le même autel des sacrifices à Pluton & à Proserpine, & la contagion cessa. Soixante ans après, c'est-à-dire, en 305, on réitéra les mêmes sacrifices par ordre des prêtres des sibylles, en y ajoutant les cérémonies prescrites par les livres sibyllins ; & alors il fut réglé que ces fêtes se feroient toujours dans la suite à la fin de chaque siecle : ce qui leur fit donner le nom de jeux séculaires. Ce ne fut que long-tems après, c'est-à-dire pendant la seconde guerre de Carthage, qu'on institua les jeux apollinaires à l'honneur d'Apollon & de Latone. On les célébroit tous les ans ; mais ils n'étoient point distingués des jeux séculaires, l'année qu'on représentoit ceux-ci.

L'appareil de ces jeux étoit fort considérable ; on envoyoit par les provinces des hérauts, pour inviter tout le monde à la célébration d'une fête qu'ils n'avoient jamais vue, & qu'ils ne reverroient jamais.

On distribuoit au peuple certaines graines & certaines choses lustrales ou expiatoires. On sacrifioit la nuit à Pluton, à Proserpine, aux parques, aux pithies, à la Terre ; & le jour à Jupiter, à Junon, à Apollon, à Latone, à Diane & aux génies. On faisoit des veilles & des supplications ; on plaçoit les statues des dieux sur des coussins, où l'on leur servoit les mets les plus exquis. Enfin pendant les trois jours que duroit la fête, on chantoit trois cantiques différens, comme l'assure Zosime, & l'on donnoit au peuple divers spectacles. La scene de la fête changeoit chaque jour ; le premier jour on s'assembloit dans le champ de Mars ; le second au capitole, & le troisieme sur le mont Palatin.

Si vous voulez que l'on entre dans de plus grands détails de la célébration des jeux séculaires, vous sçaurez que peu de jours avant qu'on les commençât, les quinze prêtres sibyllins assis sur leurs sieges devant le temple d'Apollon palatin & de Jupiter capitolin, distribuoient à tout le peuple des flambeaux, du bitume, du soufre & autres choses lustrales ; c'est ce qui est exprimé dans les anciennes médailles, par ces mots : frug. ac fruges acceptae ; & ils passoient là, & dans le temple de Diane sur le Mont-Aventin, des nuits entieres à l'honneur des parques avec beaucoup de dévotion.

Quand le tems de la fête étoit arrivé, le peuple s'assembloit dans le champ de Mars ; on immoloit des victimes à Jupiter, à Junon, à Apollon, à Latone, à Diane, aux Parques, à Cérès, à Pluton & à Proserpine.

La premiere nuit de la fête l'empereur à la tête des quinze pontifes, faisoit dresser sur le bord du Tibre trois autels qu'on arrosoit du sang de trois agneaux, & sur ces autels on brûloit les offrandes & les victimes. Il paroît que c'est à cette circonstance qu'il faut rapporter la médaille où l'on voit la tête d'Auguste avec ces mots : Augustus tr. pot. VII. & de l'autre côté, une colomne avec cette inscription : imp. caes. Aug. lud. saec. A droite & à gauche de la colomne XV. S. F. c'est-à-dire, quindecim viri sacris faciendis, & autour, L. Mescinius Rufus III. vir, qui est le nom du trévir qui avoit fait frapper la médaille pour consacrer la mémoire d'un événement aussi remarquable que celui de la célébration des jeux.

Après cela on marquoit un certain espace dont on faisoit une espece de scene illuminée. On chantoit plusieurs hymnes faits exprès pour cette occasion ; on célébroit plusieurs sortes de jeux ; on jouoit plusieurs pieces de théatre. La fraîcheur de la nuit donnoit un nouvel agrément à ces spectacles, sans parler des illuminations qui non-seulement éclairoient la scene, mais qui se faisoient aussi dans les temples, dans les places publiques, & dans les jardins : lumina cum rogis accenduntur, dit Zosime. On peut même croire que la description des feux d'artifices dont parle Claudien dans le panégyrique du sixieme consulat d'Honorius, ne convenoit pas moins aux fêtes séculaires qu'aux jeux du cirque ; mais continuons.

Le lendemain, après qu'on étoit monté au Capitole pour y offrir des victimes, on s'en retournoit dans le champ de Mars, & l'on célébroit des jeux particuliers à l'honneur d'Apollon & de Diane. Ces cérémonies duroient jusqu'au matin que toutes les dames alloient au capitole à l'heure marquée par l'oracle, pour chanter des hymnes à Jupiter.

Le troisieme jour qui finissoit la fête, vingt-sept jeunes garçons, & autant de jeunes filles de qualité chantoient dans le temple d'Apollon Palatin, des cantiques en grec & en latin, pour attirer sur Rome la protection de tous ces dieux que l'on venoit d'honorer par des sacrifices. Enfin les prêtres sibyllins qui avoient ouvert la fête par des prieres aux dieux, la terminoient de la même maniere.

Auguste voulant donner un exemple de son attention au réglement des moeurs, ordonna que les trois veillées se fissent avec retenue, que le mêlange de la joie ne souillât point la dévotion, & défendit que les jeunes gens de l'un & de l'autre sexe parussent aux cérémonies nocturnes, sans être accompagnés de quelqu'un de leurs parens qui fut d'un âge à veiller sur eux & à répondre de leur conduite.

Les premiers jeux séculaires furent représentés l'an de Rome 245, les seconds en 305, les troisiemes en 505, les quatriemes en 603. Auguste fit célébrer les cinquiemes en 737.

Ce prince, persuadé qu'il étoit de conséquence pour l'état de ne pas obmettre la célébration de cette fête, à laquelle on ne pensoit plus, donna ordre aux prêtres sibyllins de consulter en quel tems du siecle courant on devoit les représenter. Ceux-ci s'étant apperçus qu'on les avoit manqués en 705 sous Jules-César, songerent aux moyens de couvrir leur faute, de peur qu'on ne les rendit responsables de toutes les calamités qui avoient affligé l'empire pendant les guerres civiles.

Trois choses leur applanissoient la route de l'imposture. Ils étoient seuls dépositaires des livres sibyllins ; l'on ne convenoit pas généralement de l'année qui devoit servir de point fixe pour régler celle des jeux séculaires ; & l'on étoit partagé sur la date de ceux que l'on avoit représentés depuis la fondation de Rome. Il leur fut donc aisé de flatter la vanité d'Auguste, en déclarant que l'année séculaire tomboit à l'année 737.

Pour en persuader le public, ils mirent au jour des commentaires sur les livres sibyllins, afin de prouver par les paroles même de la sibylle, que le siecle devoit être de cent dix ans, & non de cent ans. Dans ce projet ils altérerent le texte du vers sibyllin qui portoit cent, hecatontada cuclon, & substituerent à hecatontada, le mot hecatondecas, qui signifie cent dix ans.

L'autorité de ces prêtres infiniment respectée, mit tout-à-coup le mensonge à la place de la vérité, sans que personne pût les démentir, puisqu'il étoit défendu sous peine de la vie de communiquer les livres des sibylles à quiconque ne seroit pas du college des quinze pontifes. Si maintenant quelqu'un de nos lecteurs n'étoit pas au fait de l'histoire de ces pontifes, de celle de la sibylle, & des vers sibyllins, il en trouvera de grands détails aux articles, SIBYLLE & SIBYLLINS Livres, (Hist. rom.)

Auguste charmé de voir que suivant ses désirs, cette fourbe pieuse lui réservoit la gloire de célébrer une si grande fête, appuya la découverte des pontifes du poids de ses édits, & chargea Horace de composer l'hymne séculaire, qui devoit se chanter en présence de l'empereur, du peuple, du sénat & des prêtres, au nom de tout l'empire.

Le poëte en homme de cour, n'oublia pas le siecle de cent dix ans. " Qu'après dix fois onze années, dit-il, le siecle ramene ces chants & ces jeux solemnels pendant trois jours & trois nuits, comme nous faisons aujourd'hui ".

Certus undenos decies par annos

Orbis ut cantus, referatque ludos

Ter die claro, totiesque gratiâ

Nocte frequentes.

Cependant les successeurs d'Auguste n'observerent point l'espace de tems qu'il avoit fixé pour la célébration de ces jeux, Claude les solemnisa 64 ans après l'an de Rome 800. Domitien 40 ans après Claude, en fit représenter de nouveaux, auxquels Tacite eut part en qualité de quindecimvir ou de prêtre sibyllin, ainsi qu'il le témoigne lui-même dans ses annales, l. XI, c. xj. L'empereur Severe accorda le spectacle de ces jeux pour la huitieme fois, 110 ans après Domitien, & par conséquent l'an 950 de Rome. L'an 1000 de la fondation de cette ville, Philippe le pere donna au peuple les plus magnifiques jeux séculaires qu'on eut encore vus. Constantin ne les fit point célébrer l'année qu'il fut consul avec Licinius pour la troisieme fois, l'an de J. C. 313. Mais l'empereur Honorius ayant reçu la nouvelle de la victoire de Stilicon sur Alaric, permit à tous les payens de célébrer encore les jeux séculaires, qui furent les derniers dont parle l'histoire. Zosime qui nous a donné la plus ample description qu'on ait des jeux séculaires, n'attribue la décadence de l'empire qu'à la négligence qu'eurent les Romains de les célébrer exactement.

Je connois deux traités des modernes sur les jeux dont nous parlons ; l'un par le P. Tafin, & l'autre infiniment meilleur par Onuphrius Panvinius. On peut y recourir. (D.J.)


SÉCULARISATIONS. f. (Gram. & Jurispr.) est l'action de rendre séculier un religieux, un bénéfice ou lieu qui étoit régulier.

Pour parvenir à la sécularisation d'un religieux, il faut obtenir un bref du pape, qu'on appelle bref de sécularisation.

On ne doit point séculariser les monasteres ni les religieux sans des raisons importantes, & sans avoir obtenu à cet effet un brevet du roi, qui permet de demander au pape la sécularisation.

Les bulles de sécularisation doivent être communiquées à l'évêque du lieu, avant d'être fulminées ; il faut ensuite qu'elles soient revêtues de lettres-patentes, & registrées au parlement. Voyez les mémoires du clergé, tome IV. (A)

SECULARISATION, (Hist. mod. polit.) dans le tems que les dogmes de Luther & des réformateurs eurent été adoptés par un grand nombre de princes d'Allemagne, un de leurs premiers soins fut de s'emparer des biens des évêques, des abbés & des moines, qui étoient situés dans leurs états. L'empereur Charles-Quint n'ayant pu venir à bout de réduire les Protestans, ni de faire restituer à l'Eglise les biens qui en avoient été démembrés, lassé d'avoir fait une guerre longue & sans succès, il convint que chacun des princes protestans demeureroit en possession des terres ecclésiastiques dont il s'étoit emparé, & que ces biens seroient sécularisés, c'est-à-dire ôtés aux gens d'église. L'Allemagne ayant été déchirée par une guerre de 30 ans sous les regnes de Ferdinand II. & de ses successeurs, on fut encore obligé de recourir à des sécularisations, pour satisfaire les parties belligérantes ; en conséquence par le traité de Westphalie qui rendit la paix à l'Allemagne, on sécularisa un grand nombre d'évêchés & d'abbayes en faveur de plusieurs princes protestans, qui ont continué à jouir de ces biens jusqu'à ce jour, malgré les protestations des papes qui ne vouloient point donner les mains à de pareils arrangemens.

Les immenses revenus que possedent un grand nombre d'évêchés & d'abbayes d'Allemagne, fourniroient une maniere facile de terminer les disputes sanglantes qui déchirent souvent les princes & les états séculiers dont le corps germanique est composé. Il seroit à desirer que l'on eût recours à la sécularisation pour tirer des mains des ecclésiastiques, des biens que l'ignorance & la superstition ont fait autrefois prodiguer à des hommes, que la puissance & la grandeur temporelles détournent des fonctions du ministere sacré, auxquels ils se doivent tout entiers.


SÉCULARISÉS. f. (Gram. & Jurisprud.) se dit de ce qui est rendu au siecle : un moine sécularisé, est celui qui est restitué contre ses voeux, & remis dans son premier état. Une église ou maison sécularisée, est celle à laquelle on a ôté le caractere d'église ou maison réguliere, en transférant ailleurs les réguliers qui y étoient attachés, ou en les sécularisant. Voyez SECULARISATION. (A)


SÉCULIERS. m. (Gram. & Jurisprud.) se dit de tout ce qui appartient au siecle, c'est-à-dire à l'état civil & politique.

Un séculier est toute personne qui n'est point engagée dans l'état de régulier ; on entend quelquefois par-là un laïc : un prêtre séculier, est celui qui n'est ni religieux ni chanoine régulier.

Un bénéfice séculier, est celui qui n'est point affecté à des réguliers. Voyez BENEFICE.

Le bras séculier, c'est la puissance de la justice temporelle.

De même la jurisdiction séculiere, est la justice temporelle ; on la nomme ainsi par opposition à la jurisdiction ecclésiastique. (A)


SECULUM(Littérat.) ce mot qui signifie siecle, est fort commun dans les auteurs. Il comprend l'espace de cent ans entiers, selon Festus. Servius remarque que le siecle est aussi pris pour l'espace de trente ans, quelquefois pour cent dix ans, & quelquefois pour mille. Les anciens ont divisé les tems en quatre âges, qu'ils ont appellé le siecle d'or, qu'ils ont attribué au regne de Saturne ; le siecle d'argent, à celui de Jupiter ; les siecles d'airain & de fer, sous lesquels on comprend le présent siecle. Voyez à chaque article, la peinture de ces quatre siecles. (D.J.)


SECUNDANI(Géog. anc.) peuple de la Gaule. Pline, l. III, c. iv, les met dans les terres, & leur donne la ville d'Arausio ; ce sont donc les habitans de la ville d'Orange. (D.J.)


SECUNDARIUSADJUTOR, MONITOR, (Littérat.) ces trois mots sont empruntés du théatre des Romains, & désignoient trois sortes d'acteurs différens. Secundarius étoit un sous-acteur qui secundas ferebat partes. Adjutor étoit comme un suppléant qui aidoit tout acteur, ou de la voix dans la déclamation, ou du geste dans les mimes. Le monitor, ou comme nous disons le souffleur, étoit chargé de souffler aux acteurs en cas que la mémoire vînt à leur manquer. Térence parle du monitor dans l'Héautontimorumenos.

Quoique l'acteur nommé secundarius jouât seulement les seconds ou les troisiemes rôles ; il étoit souvent meilleur acteur que celui qui faisoit les premiers rôles ; mais il avoit soin de cacher son habileté, & de jouer de maniere qu'il faisoit toujours briller l'acteur chargé du premier rôle. C'est ce que Cicéron nous apprend dans son traité de la divination, sect. XV. " Allienus, dit-il, rabaissera son éloquence pour vous faire paroître, comme nous voyons parmi les acteurs des pieces grecques, que ceux qui ont les seconds ou les troisiemes rôles, quoiqu'ils puissent mieux jouer que celui qui a le premier, jouent pourtant moins bien, afin que le principal acteur ait la prééminence ".

L'adjutor ne jouoit proprement ni les premiers ni les seconds rôles ; mais il aidoit de la voix ou du geste ceux qui les jouoient. Phèdre dit dans la fable V, du liv. V.

In scenâ vero postquam solus constitit

Sine apparatu, nullis adjutoribus.

L'acteur nommé adjutor, s'appelloit aussi quelquefois hypocrites. (D.J.)


SECUNDIENSadj. (Gram. hist. ecclésiast.) anciens hérétiques gnostiques, qui ont été ainsi appellés de Secundus leur chef.


SECURI-DII(Mythol.) on trouve dans une inscription securis-diis, ce qui doit s'entendre activement pour les dieux qui procurent la sécurité, plutôt que pour ceux qui sont en sureté. (D.J.)


SECURICULA(Archit. rom.) queue d'aronde, d'hironde ou d'hirondelle ; c'est une maniere de tailler le bois ou de limer le fer, en l'élargissant par le bout pour l'emboiter, le joindre, & en faire des assemblages ; les clefs de bois ou tenons qui avoient cette figure, se nommoient aussi securiculae. (D.J.)


SÉCURIDACAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique droite applatie, divisée par anneaux, & articulée ; chaque article renferme une semence rhomboïdale & échancrée sur le côté intérieur. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


SECURITÉS. f. (Gram.) confiance bien ou mal fondée, qu'on est à l'abri de tout péril. Je vis dans une entiere sécurité. Il n'y a point de sécurité pour les méchans. Les efforts qu'on fait pour conserver la sécurité dans le crime, sont inutiles ; il faudroit pouvoir devenir enragé ou fou.

SECURITE DE PAIX, terme de jurisprudence angloise, est une commission adressée au schérif, en faveur de ceux qui sont menacés de mort ou de quelque accident, contre les personnes qui leur font ces menaces ; elle émane de la chancellerie. Voyez SCHERIF.


SECUS(Astron. & Jurispr.) ce mot est latin ; il signifie au contraire ou à contre-sens. On s'en sert en françois dans les calculs astronomiques. Si l'on veut savoir quelle heure il est, dans quelque ville du monde que ce soit, lorsqu'il est midi à Paris ; prenez une table de la différence des méridiens, & si la ville en question est plus orientale que Paris, ôtez la différence de midi, c'est-à-dire de douze heures, le restant sera l'heure qu'il est dans cette ville. Secus, si la ville en question est plus occidentale, c'est-à-dire, qu'il faut ajouter la différence à midi. Ce terme est aussi fort usité dans les auteurs de droit. (D.J.)


SECUSSE(Géog. mod.) peuples des Alpes. Pline, l. III. c. xx. dit qu'ils habitoient depuis la ville de Pola, jusqu'à la contrée de Tergeste, c'est-à-dire en Istrie, depuis Pola jusqu'à Trieste. (D.J.)


SECUTEURSS. m. pl. (Hist. anc.) c'étoit anciennement une espece de gladiateurs parmi les Romains, qui combattoient contre les rétiaires, voyez GLADIATEUR. Ce mot est formé du verbe sequi, suivre, à cause que les sécuteurs avoient coutume de poursuivre les rétiaires.

Les sécuteurs portoient une épée & un bouclier pour se garantir des filets & des noeuds coulans, dont leurs antagonistes étoient armés ; ils avoient aussi le casque en tête. Quelques-uns confondent les sécuteurs avec les mirmillons, parce que les uns & les autres avoient à-peu-près les mêmes armes.

Le nom de sécuteurs étoit aussi donné à ces gladiateurs qui prenoient la place de ceux qui étoient tués dans le combat, ou qui combattoient le vainqueur, ce dangereux honneur étoit tiré au sort.

Dans les anciennes inscriptions on trouve aussi secutor tribuni, secutor ducis, secutor Caesaris, &c. c'étoient des officiers qui accompagnoient les tribuns & les généraux, semblables peut-être à nos aides de camp.


SEDAN(Géog. mod.) ville de France, en Champagne, frontiere du Luxembourg, sur la droite de la Meuse, à 12 lieues au sud-est de Charlemont, à 18 de Luxembourg, & à 56 de Paris.

Comme cette ville est une place très-importante, & une des clés du royaume, ses anciennes fortifications ont été augmentées par d'autres plus considérables, & en particulier par un château à 4 grands bastions, avec un arsenal. La ville a un présidial dont l'étendue est médiocre, une élection, un séminaire établi en 1681, & un college de jésuites, fondé en 1673 ; les draps qu'on fabrique dans cette ville, sous le nom de Pagnon & de Rousseau, sont très-estimés, & contribuent beaucoup à la subsistance des habitans. Le roi a établi à Sedan, un gouverneur, un lieutenant de la ville, un du château, & un maire. Long. 22. 36. lat. 49. 43.

Sedan a eu autrefois des seigneurs particuliers, entre lesquels ceux qui possédoient cette principauté avant l'an 1642, étoient princes souverains, ne relevant ni de l'empereur, ni du roi de France. Mais depuis que Fréderic-Maurice, duc de Bouillon, pere de M. de Turenne, l'eut cedée à Louis XIII, contre d'autres terres dépendantes de la couronne, la dignité de prince de Sedan qu'il se réserva dans le traité, ne devint plus qu'un vain titre, qui donnoit seulement au duc un certain rang parmi les illustres maisons de France, avec quelques autres foibles marques d'honneur ; ensorte que la maison de Bouillon a perdu dans ce traité son plus beau fleuron, sans espoir de retour.

Drelincourt (Charles) fameux ministre de l'église calviniste, est né à Sedan en 1585, & mourut à Paris en 1669. Il s'acquit une grande réputation par son savoir, & laissa des ouvrages de piété, qu'on débite également dans l'une & dans l'autre religion. Tel est par exemple, son livre contre les frayeurs de la mort. Son fils Charles se distingua dans la Médecine, fut appellé professeur dans cette science à Leyde, & y finit ses jours en 1697.

C'est dans le château de Sedan que M. de Turenne vint au monde en 1611, & c'est un boulet de canon qui trancha ses jours en 1675. Cette même année vit finir la carriere des trois plus grands généraux de l'Europe. M. de Turenne fut tué, M. le Prince se retira, & M. de Montecuculli suivit son exemple, disant qu'un homme qui avoit eu l'honneur de combattre contre Mahomet Coprogli, contre M. le Prince, & contre M. de Turenne, ne devoit pas compromettre sa gloire contre des gens qui commençoient à commander les armées. Louis XIV. fit promtement huit nouveaux maréchaux de France, MM. d'Estrades, le duc de Noailles, le comte de Schomberg, le duc de Duras, le duc de Vivonne, le duc de la Feuillade, le duc de Luxembourg & le marquis de Rochefort. Madame Cormuel disoit de cette promotion, que c'étoit la monnoie de M. de Turenne. Henault. (D.J.)


SÉDANOISES. f. (Fonder. de caract.) la sédanoise est la plus petite lettre que l'on emploie dans l'impression des livres. Quelques-uns l'appellent la parisienne, & c'est ainsi qu'elle est nommée dans les essais des caracteres fondus pour l'imprimerie royale : On croit communément qu'on l'appelle sédanoise, parce qu'on a commencé à s'en servir dans les éditions de Sedan ; mais le nom de parisienne qu'on lui donne, semble faire douter de cette premiere origine. Voyez CARACTERE D'IMPRIMERIE. (D.J.)


SEDATIFSadj. (Medecine) remedes qui arrêtent & calment les mouvemens excessifs & déreglés des solides & des fluides. Les facultés de ces remedes sont fort étendues, on les réduit pour cette raison à différentes especes qui sont : 1°. les parégoriques, qui relâchent doucement & ramollissent les fibres trop roides, & en même tems émoussent l'acrimonie ; 2°. les anodins, qui adoucissent la violence des douleurs ; 3°. les antispasmodiques, qui diminuent & relâchent les contractions spasmodiques ; 4°. les hypnotiques, qui procurent le sommeil ; 5°. les narcotiques, qui causent une stupeur & un engourdissement sensible, qui ôtent pour quelque tems le mouvement & même suspendent les sensations.

La vertu calmante, générale & spéciale se trouve dans différens remedes tirés du regne végétal & minéral, tant simples que composés. Les principaux sont les racines de guimauve, de nimphaea, de valériane, de pivoine, la morelle, la joubarbe, les semences de graine de lin, d'herbe aux puces, de coings. Les fleurs de tilleul, de camomille, d'armoise, de mélilot, de fénugrec ; tous ces remedes sont sedatifs en général.

Mais parmi les remedes tirés des végétaux, le principal est l'opium & toutes ses préparations galéniques & chymiques. Voyez OPIUM.

Parmi les minéraux sont le sel sedatif d'Homberg, préparé avec le borax & l'huile de vitriol, les teintures antiphtisiques, la liqueur anodine minérale d'Hoffman ; mais les sedatifs sont rarement employés dans toutes sortes de douleurs. Voyez CALMANS, ANTISPASMODIQUES, NARCOTIQUES.


SEDEHS. m. terme de relation ; fête célebre des anciens Persans. A cette fête ils allumoient des grands feux pendant la nuit, & faisoient en même tems des festins & des danses. Les Arabes appellent cette fête la nuit des feux. (D.J.)


SEDENETTEVoyez MULAR.


SÉDENTAIREadj. (Gram.) qui est ordinairement assis, renfermé, & en repos. On dit que la vie sédentaire des gens de lettres, les expose à des maladies particulieres à leur état. Ce fut Philippe de Valois qui rendit le parlement sédentaire à Paris ; il y a des rits qu'on appelle sédentaires.


SEDER-OLAM(Belles-lettres) en philologie, c'est un terme hébreu, qui signifie littéralement ordre du monde : c'est le titre de deux chroniques dans cette langue.

Elles sont toutes deux très-courtes, quoique l'une le soit beaucoup plus que l'autre ; c'est pourquoi l'une est appellée seder-olam rabba, c'est-à-dire la grande chronique ; & l'autre, seder-olam zuta, ce qui veut dire la petite chronique.

Le seder-olam-rabba commence à la création du monde, & s'étend jusqu'à la guerre du faux messie Barchochebas, sous Adrien, cinquante-deux ans après la destruction du temple de Jérusalem, & par conséquent, la cent vingt-deuxieme année de Jesus-Christ. Tout cela est presque entierement tiré de l'Ecriture, excepté la fin ; c'est l'ouvrage de R. Josa, fils de Chilpheta de Tsippota, qui vivoit dans le second siecle, environ l'an 130, & qui fut maître du fameux R. Juda Hakkadosch, qui a compilé la Mischna.

Le seder-olam-zuta, est un abregé du premier, il descend jusqu'à Mar Sutra, qui vivoit 450 ans après la destruction du temple, ou 522 ans après Jesus-Christ. Morin, toujours porté à diminuer l'antiquité des principaux livres des juifs, tâche de prouver qu'il a été écrit vers l'an 1124 de Jesus-Christ, comme il est exprimé en effet au commencement de ce livre ; mais R. Dav. Gants a renversé cette opinion dans son Tsemahh David ; il a fait voir que la date qui est au commencement, est une vraie falsification.

Ces deux chronologies furent imprimées d'abord à Mantoue en 1514, in -4°. à Basle, par Frobenius, en 1580, in -8°. à Venise, en 1545, in -4°. à Paris, avec une traduction latine de Genebrard, in -12. Elles ont été réimprimées depuis à Amsterdam en 1711.


SEDIMENTS. m. (Méd. Chym. Pharm.) partie terrestre qui se dépose dans les urines ; il est composé de différentes parties élémentaires, qui sont la terre, la mucosité, & la partie huileuse la plus crasse, qui n'étant point susceptible de division, & ayant d'ailleurs trop de pesanteur, se précipite avec les autres parties au fond du liquide ; mais ce sédiment ne paroît que lorsque l'urine est reposée ; car tant qu'elle est dans son état de chaleur & de mouvement, tous ses principes restent divisés, étendus, & suspendus dans la liqueur. C'est pour cela que le sédiment ne paroît point dans l'urine tant qu'elle est chaude.

Ce sédiment sert à prognostiquer l'état des reins & des premieres voies ; cependant il ne sert pas beaucoup, tant que l'on considere l'urine seule, il suffit de savoir ici que la meilleure façon d'examiner l'urine & son sédiment, est de la mettre dans le même degré de chaleur que celle où elle est dans la vessie & dans les couloirs qui lui sont propres.


SÉDITIEUXS. m. SÉDITION, s. f. (Gram. Gouv.) la sédition est un trouble, une division, une émotion, une révolte, bien ou mal fondée dans un gouvernement.

On donne en général le nom de sédition, à toutes les grandes assemblées qui se font sans la permission des magistrats, ou contre l'autorité des magistrats, ou de ceux qui s'attribuent cette autorité. Athalie & Jézabel étoient bien plus près de crier à la trahison que David ; & nous n'en citerons point d'autres exemples.

Il seroit inutile de chercher un gouvernement dont la constitution soit telle, qu'on puisse s'assurer qu'il ne sera point exposé à des séditions, des troubles & des guerres civiles. Quelque grands que soient ces malheurs, la félicité opposée nous est refusée dans cette vie, & nous n'en jouirons que dans l'autre.

Les séditions, les troubles, les guerres civiles, proviennent d'erreur, de malice, de causes justes ou injustes ; elles proviennent d'erreur lorsqu'un peuple croit qu'on lui a fait du mal, ou qu'on a eu dessein de lui en faire, quoiqu'on n'y ait pas seulement pensé, ou lorsqu'il regarde comme un mal ce qu'on lui a fait, quoi qu'effectivement ce ne soit pas un mal. Les états les mieux reglés peuvent quelquefois tomber dans ces sortes d'erreurs.

Les Romains jaloux d'une liberté nouvellement recouvrée, s'imaginerent que Valérius Publicola aspiroit à la royauté, lorsqu'ils virent qu'il faisoit bâtir une maison dans une place qui sembloit trop éminente pour un particulier.

Les Lacédémoniens ne soupçonnerent pas moins la conduite de Lycurgue, & un jeune libertin, dans une sédition, fut assez téméraire pour lui crever un oeil ; mais jamais peuple n'a témoigné tant d'amour ni de respect à de bons citoyens, que les Romains & les Lacédémoniens en témoignerent à ces grands hommes, lorsqu'ils connurent que leurs soupçons étoient mal fondés.

Quelquefois les faits sont véritables, mais le peuple les explique d'une maniere opposée à l'intention qu'on a eue. Lorsqu'on eut chassé les Tarquins, les patriciens retinrent pour eux-mêmes les principales charges de la magistrature ; mais ce ne fut jamais leur dessein de rétablir les rois sur le trône, ni une oligarchie entr'eux, comme les familles populaires se l'imaginoient ; aussi elles ne se furent pas plutôt apperçues de leur erreur, que toute leur colere s'évanouit : & ces mêmes personnes, qui sembloient ne méditer pas moins que la ruine entiere de toutes les familles patriciennes, se calmerent tout-d'un-coup.

Ménénius Agrippa appaisa une des plus violentes séditions qui se soit élevée dans la république romaine, en proposant au peuple la fable des différens membres du corps humain, qui faisoient des plaintes contre le ventre ; & la plus dangereuse de toutes fut étouffée, aussi-tôt qu'on eut accordé à ce peuple des tribuns pour le protéger.

Quelques jeunes patriciens avoient favorisé les décemvirs, & il y en avoit d'autres du même corps, qui ne vouloient pas se déclarer ouvertement contr'eux ; il n'en fallut pas davantage pour faire croire au peuple qu'ils avoient tous conspiré avec ces nouveaux tyrans ; mais Valerius & Horatius s'étant mis à la tête de ceux qui cherchoient à détruire cette nouvelle tyrannie, il reconnut bientôt son erreur, & regarda les patriciens comme les plus zélés défenseurs de sa liberté ; & inde, dit Tite-Live, auram libertatis captare, undè servitutem timuissent.

Les gouvernemens démocratiques sont sujets à ces sortes d'erreurs ; elles sont rares dans les aristocraties, & nous n'en avons point d'exemples parmi les Lacédémoniens, depuis l'établissement des loix de Lycurgue ; mais il semble que les monarchies absolues en soient tout-à-fait exemptes. On dissimule, & on nie souvent le mal qu'on a dessein de faire, jusqu'à ce qu'il ne soit plus tems d'y remédier autrement que par la force ; ceux que la nécessité oblige à se servir de ce remede, n'ignorent pas qu'il faut infailliblement qu'ils périssent, s'ils ne viennent à bout de ce qu'ils ont entrepris. Celui qui tire l'épée contre son prince, disent les François, en doit jetter le fourreau ; car quelque juste raison qu'il ait de prendre ce parti, il peut s'assurer que sa ruine est inévitable, s'il ne réussit pas. Il arrive rarement qu'un prince fasse la paix avec ceux qu'il regarde comme des rebelles, ou s'il la fait, il ne l'observe jamais, à moins que les sujets ne se réservent assez de forces pour l'obliger à tenir sa parole ; & tôt ou tard, on trouve bien moyen de leur ôter ce qu'on leur avoit accordé.

Les séditions qui proviennent de malice, sont rares dans les gouvernemens populaires ; car elles sont préjudiciables au peuple, & personne ne s'est jamais fait du mal de dessein prémédité. Il y a sans-doute souvent de la méchanceté dans ceux qui excitent ces séditions ; mais le peuple n'y est jamais entraîné que par erreur ; dès qu'il s'apperçoit qu'il a été trompé, il ne manque pas de se venger des fourbes qui l'ont surpris ; c'est ce qui arriva à Manlius Capitolinus, à Spurius Mélius, & à Spurius Cassius. Si le peuple reconnoit trop tard son erreur, elle lui coûte ordinairement la perte de sa liberté. C'est ainsi qu'Agathocles, Denis, Pisistrate, & César, s'érigerent en tyrans de leur patrie, par l'art qu'ils eurent de cacher au peuple leurs projets & leurs artifices.

Dans les monarchies absolues, presque tous les troubles qui y arrivent, proviennent de malice ou d'accablement. Quand ils proviennent de la méchanceté de ceux qui gouvernent, il est assez difficile d'y remédier, parce que ceux qui les ont fait naître, se proposent, en les nourrissant, d'en retirer quelque grand avantage ; ainsi voyons-nous que dans les guerres civiles de l'Orient, entre Artaxerxes & Cyrus, entre Phraartes & Bardane, le peuple fut également ravagé par les deux partis, & la guerre ne fut pas plutôt terminée, qu'il fut obligé de se soumettre à la domination d'un maître orgueilleux.

Après la mort de Brutus & de Cassius, on n'entreprit point de guerre dans l'empire romain, qui n'eût pour principe quelque intérêt particulier ; & les provinces après avoir assisté un général à chasser du trône un tyran, éprouvoient souvent que celui-ci étoit aussi cruel que son prédécesseur.

Il ne faut point trouver étrange qu'en parlant des séditions, j'aie avancé qu'il y en a de justes ; l'intention de Dieu étant que les hommes vivent équitablement les uns avec les autres, il est certain que son intention est aussi qu'on ne fasse point de tort à celui ou à ceux qui ne cherchent point à en faire aux autres. Si donc l'injustice est un mal, & qu'il soit défendu d'en faire, on doit punir ceux qui en font ; les moyens dont on se sert pour punir les injustices, sont juridiques ou non-juridiques ; les procédures juridiques suffisent quand on peut contraindre les gouverneurs à les subir ; mais elles ne sont d'aucun effet à l'égard de ceux qu'il n'est pas possible de soumettre aux loix.

Pour me recueillir en deux mots, je remarquerai qu'en général la tyrannie, les innovations en matiere de religion, la pesanteur des impôts, le changement des loix ou des coutumes, le mépris des privileges de la nation, le mauvais choix des ministres, la cherté des vivres, &c. sont autant de causes de tristes séditions.

Les remedes sont de rétablir les principes du gouvernement, de rendre justice au peuple, d'écarter la disette par la facilité du commerce, & l'oisiveté par l'établissement des manufactures, de reprimer le luxe, de faire valoir les terres en donnant du crédit à l'agriculture, de ne point laisser une autorité arbitraire aux chefs, de maintenir les loix, & de modérer les subsides. (D.J.)


SEDLITZ(Géog. Hist. nat.) village fameux par ses eaux minérales, qui ont été découvertes en 1724. Il est situé en Bohême, à deux milles de Toeplitz ; les eaux de Sedlitz sont très-ameres, elles sont chargées d'un sel qu'on en retire par l'évaporation, & qui les rendent très-purgatives ; on les transporte fort loin, sans qu'elles perdent rien de leur vertu ; à un quart de lieue de Sedlitz, est un village appellée Seydschutz, où l'on trouve une source d'eau minérale, que l'on regarde comme plus efficace que la premiere.


SEDOCHÈSORI(Géog. anc.) peuple du Pont, au voisinage du fleuve Cohibus. Tacite, hist. l. III. fait mention d'un roi de Sédochésores.


SÉDRES. m. (Hist. mod.) le grand-prêtre de la secte d'Haly, chez les Persans. Voyez MAHOMETISME.

Le sédre est nommé par le sophi de Perse, qui confere ordinairement cette dignité à son plus proche Parent.

La jurisdiction du sédre s'étend à tout ce qui a rapport aux établissemens pieux, aux mosquées, aux hôpitaux, aux colleges, aux tombeaux & aux monasteres ; il dispose de tous les emplois ecclésiastiques, & nomme tous les supérieurs des maisons religieuses ; ses décisions en matiere de religion, sont reçues comme autant d'oracles infaillibles, il juge de toutes les matieres criminelles, dans sa propre maison, sans appel, & il est sans contradiction, la seconde personne de l'empire.

Néanmoins le caractere du sédre n'est pas indélébile, il quitte souvent sa dignité, pour occuper un poste purement séculier ; son autorité est balancée par celle du mudsitchid, ou du premier théologien de l'empire.


SEDUCTEURS. m. (Morale) c'est celui qui dans la seule vue de la volupté, tâche avec art de corrompre la vertu, d'abuser de la foiblesse, ou de l'ignorance d'une jeune personne. Si j'avois à tracer le progrès que fait un séducteur, je pourrois dire qu'à la familiarité de ses discours libres, succède la licence de ses actions ; la pudeur encore farouche demande des ménagemens, l'on n'ose se permettre que des petites libertés, l'on ne surprend d'abord que de légeres faveurs, & forcées même en apparence, mais qui enhardissent bientôt à en demander, qui disposent à en laisser prendre, qui conduisent à en accorder de volontaires & de plus grandes ; c'est ainsi que le coeur se corrompt, au milieu des privautés, qui radoucissent, qui humanisent insensiblement la fierté, qui assoupissent la raison, qui enflâment le sang ; c'est ainsi que l'honneur s'endort, qu'il s'ensevelit dans des langueurs dangereuses, où enfin il fait un malheureux naufrage.

" La Prudence, dit le Bramine, va parler & t'instruire ; prête l'oreille, ô fille de la beauté, & grave ces maximes au fond de ton coeur ! ainsi ton esprit embellira tes traits, ainsi tu conserveras, comme la rose à qui tu ressembles, un doux parfum après ta fraîcheur.

Au matin de tes jours, aux approches de ta jeunesse, quand les hommes commenceront à prendre plaisir à lancer sur toi des regards, dont la nature te développe sourdement le mystere, le danger t'environne ; ferme l'oreille à l'enchantement de leurs cajoleries ; n'écoute point les douceurs de la séduction.

Rappelle-toi les vues du Créateur sur ton être ; il te fit pour être la compagne de l'homme, & non l'esclave de sa passion ". (D.J.)

Le nom de séducteur ne se donne pas seulement à celui qui attente à la pudeur, à l'innocence d'une femme ou d'une fille, mais à quiconque en entraîne un autre par des voyes illicites à une mauvaise action.


SÉDUCTIONS. f. (Jurisp. Gram.) est une tromperie artificieuse, que l'on emploie pour abuser quelqu'un, & le faire consentir à quelque acte ou démarche contraire à son honneur ou à ses intérêts.

La séduction d'une fille, ou d'un fils de famille, est regardée comme un rapt. Voyez ci-devant RAPT.

La séduction des témoins est appellée plus communément subornation. Voyez ci-après au mot SUBORNATION. (A)


SEDUMS. m. (Jardinage) est une plante vivace, très-basse, qui croît sur les murailles & sur les toîts des maisons. On l'appelloit autrefois barba jovis, & maintenant grande joubarbe. Ses feuilles charnues sont attachées à leur racine, il s'éleve de leur milieu une tige haute d'un pié, divisée en plusieurs rameaux qui portent des fleurs de couleur purpurine, & disposées en rose ; elles sont suivies d'un fruit ramassé en maniere de têtes remplies de semence.

Pour la petite joubarbe, appellée trique-madame, Voyez TRIQUE-MADAME.


SEDUNI(Géog. anc.) peuples de la Gaule narbonnoise ; ils étoient voisins des Nantuates & des Veragri, avec lesquels ils occupoient le pays, depuis les confins des Allobroges, le lac Léman, & le Rhône, jusqu'aux hautes Alpes. Dans le moyen âge, ces peuples avoient une ville, oppidum, à laquelle on joignoit le nom national, & dans la suite on dit simplement Sedunum. C'est aujourd'hui la ville de Sion. (D.J.)


SÉDUSIENS LESSedusii, (Géog. anc.) peuples de la Germanie. César, de bel. gal. l. I. les met au nombre des peuples qui combattoient sous Arioviste ; ce qui engage Spener, not. germ. ant. l. IV. c. ij. à fixer leur demeure entre le Mein & le Necker. Il ajoute qu'ils étoient originairement compris sous le nom général d'Istevons, & qu'après leur retour des Gaules, ils se confondirent avec les Marcomans.


SÉE LA(Géog. anc.) riviere de France, en Normandie, au diocèse d'Avranches. Elle a sa source près de Sourdeval, & se rend dans la mer, entre le mont saint Michel & le mont Tombelaine, après un cours de dix lieues. (D.J.)

SEE cap de, (Géog. mod.) cap d'Afrique dans la haute Guinée, sur la côte de Grain, à sept lieues au-delà de Rio-Sestos. Les Portugais l'appellent CaboBaixos, à cause des bancs de sable qui sont autour de ce coteau. (D.J.)


SÉEZSEES, SEZ, SAÏS, (Géog. mod.) en latin du moyen âge, Saïum, Saïorum civitas, Sagiorum civitas, Sagium, &c. ville de France en Normandie, dans une agréable campagne, sur l'Orne ; elle est à cinq lieues d'Alençon au nord, à huit au sud-ouest de l'Aigle, & à quarante au couchant de Paris. Elle ressortit du parlement de Rouen, de l'intendance & de l'élection d'Alençon, & ne contient pas trois mille habitans ; elle a cinq paroisses, un seminaire, un college, & une riche abbaye de bénédictins. On croit que son évêché, qui est suffragant de Rouen, a été érigé dans le cinquieme siecle ; il peut valoir environ quinze mille livres ; son diocèse comprend 497 paroisses, partagées en seize doyennés. Long. suivant Cassini, 17. 41. 15. lat. 48. 36. 25. (D.J.)


SEFSISou TEFSIS, (Géog. mod.) riviere d'Afrique, dans la Barbarie, au royaume d'Alger. Elle a sa source dans les montagnes d'Atlas, traverse le Téleusin du sud au nord, & se décharge dans la mer Méditerranée. (D.J.)


SEGARELIENS. m. (Hist. ecclésiast.) disciple de Segarel, hérésiarque du xiij. siecle. Segarel étoit de Parme ; il nommoit sa secte la congrégation spirituelle choisie de Dieu, & envoyée dans ces derniers tems ; il donnoit à ses disciples le nom d'apôtres ; il prétendoit qu'ils formoient la véritable église ; que toute l'autorité que Jesus-Christ avoit donnée à saint Pierre & à ses successeurs avoit pris fin, & qu'elle étoit transférée en sa personne ; que le pape n'avoit ni commandement à lui faire, ni condamnation à fulminer contre lui ; que les femmes pouvoient quitter leurs maris, les maris leurs femmes, pour entrer dans sa congrégation ; que le vrai moyen d'être sauvé étoit d'en être ; qu'il étoit plus parfait de vivre sans voeux que d'en faire ; qu'il falloit mépriser les lieux destinés particulierement au service divin ; que le temple de Dieu étoit par-tout, au fond d'une étable comme dans le sanctuaire d'un édifice somptueux ; & que l'attachement à sa doctrine consacroit les actions les plus criminelles. Il fut brûlé à Parme, & sa secte s'éteignit.


SEGEBERG(Géog. mod.) ville de Danemarck, au duché de Holstein, dans la Wagrie, capitale de la petite préfecture de même nom, avec un château sur une montagne, à douze milles au nord-est de Hambourg ; elle appartient au roi de Danemarck. Long. 27. 15. latit. 54. 13. (D.J.)


SEGEDA(Géog. anc.) nom de deux villes de l'Espagne Bétique ; Pline, l. III. c. j. surnomme la premiere Augurina, & dit qu'elle étoit très-célebre. Il donne à la seconde le surnom de Restituta-Julia ; Appien parle d'une autre Segeda dans la Celtibérie ; c'est la même que Strabon nomme Segida ; & quelques-uns croyent que c'est aujourd'hui Carceres. (D.J.)


SEGEDINou SEGEDI, (Géog. mod.) ville de la basse ou de la haute-Hongrie, comme on voudra, au confluent de la Teisse & de la Marisch, à deux lieues au sud - est de Colocza, dans le comté de Czougrad : les Impériaux prirent cette ville sur les Turcs en 1686. Long. 38. latit. 46. 16.

Kis, (Etienne) surnommé Segedinus, de Segedin, lieu de sa naissance, souffrit beaucoup de persécutions pour avoir embrassé le Luthéranisme, indépendamment de la dure captivité qu'il éprouva pendant trois ans chez les Turcs. Il a publié des tables analytiques sur plusieurs livres du vieux & du nouveau Testament. Elles ont été imprimées à Schaffhouze en 1562, à Basle en 1588 & 1610 in-fol. il mourut en 1572, âgé de 67 ans. (D.J.)


SEGEDUNUM(Geogr. anc.) ville de la grande-Bretagne, selon la notice des dignités de l'empire. Cambden veut que ce soit aujourd'hui Séthon, dans le Northumberland, à côté du chemin de New-Castle à Berwick, & à la droite sur la côte. D'autres savans conjecturent que c'est Stighil, village voisin du bourg de Séthon. (D.J.)


SEGELMESSEou SEGELMESSALS, (Géogr. mod.) comme disent les Arabes, ville du Biledulgérid, aux confins du Zaara. Cette ville aujourd'hui détruite, étoit la capitale de la province de son nom, & séparoit le pays des Arabes d'Afrique, d'avec celui des Negres : elle a été le premier siege de l'empire des Moravides, qu'ils étendirent depuis ce lieu-là, jusques sur les bords de la mer Atlantique, & ensuite du côté de la Méditerranée bien avant dans l'Espagne. La puissance des Fatimites qui fondérent le kalifat d'Egypte, prit ses commencemens dans le même endroit ; car ce fut dans Ségelmesse qu'Obeïdallah fut reconnu par le méhedi, c'est-à-dire, le directeur général des Musulmans. Cette ville, selon les géographes arabes, étoit située dans le second climat, sous les 37 degrés de longitude, & les 31. 30. de latitude septentrionale. (D.J.)


SEGELOCUM(Géog. anc.) ville de la grande-Bretagne : l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Londres à Luguvallium, près du retranchement, entre Lindum & Danum, à 14 milles du premier de ces lieux, & à 21 milles du second. Le même itinéraire (mais dans une autre route) écrit Angelocum, au lieu de Segelocum, & quelques manuscrits lisent Segilocum. La distance de ces lieux fait croire que ce doit être aujourd'hui Littleboroug, où M. Thomas Gale dit qu'il a trouvé une urne de terre rouge, & une médaille sur laquelle étoit la tête de Domitien. (D.J.)


SEGEME(Géog. mod.) montagne d'Afrique, dans la province de Tedla ; cette montagne est peuplée de Béréberes de la tribu de Zenega, & soumis aux chérifs, depuis qu'ils ont conquis les provinces de Dara & de Tafilet. (D.J.)


SEGESTASEGESTE, (Géog. anc.) ville de Sicile ; Ptolémée, l. III. c. iv. la marque dans les terres, & lui donne un port appellé Segestanorum emporium. La ville de Ségeste étoit bâtie sur une riviere, qui un peu au-dessous en recevoit une autre, & toutes deux avoient des noms troyens ; car l'une s'appelloit Simoïs, & l'autre Scamander. (D.J.)

SEGESTA, (Mytholog.) déesse des anciens Romains qu'on croyoit avoir soin des blés, tant qu'ils étoient en herbe ; c'est Numa Pompilius qui imagina cette déesse : Pline en parle, l. X. c. ij. on voit bien qu'elle étoit ainsi nommée du mot latin seges, qui signifie blé. (D.J.)


SEGESTANSEDGESTAN, SEGISTAN, SIGESTAN, SAGESTAN, SITZISTAN, SOSTAN, SISTAN, (Géog. mod.) car ce nom d'un pays de Perse, s'écrit de toutes ces manieres différentes ; & c'est une homonymie dont il faut se ressouvenir, pour n'en pas faire autant d'articles différens.

Le Ségestan est une province de Perse, qui a le Khorassan à l'occident, le Makeran à l'orient, le desert de Fars au midi, & le Sind au septentrion : c'étoit autrefois la demeure des peuples appellés Drongae : ses villes principales sont Ségestan capitale, Schaluk, & Ketz. Houssain Schah fut dépouillé de cette province par Tamerlan, qui en fit la conquête l'an de l'hégire 785. Le Schah fut envoyé à Samarcande, ainsi que les généraux d'armée & les gouverneurs des provinces. La capitale du pays est située sur la riviere Senarond, à 97 degrés de longitude, & à 32 20. de latitude.

C'est dans cette capitale qu'est né le grand Rostan, si célebre dans l'histoire de Perse, & le principal héros des romans persans. C'est encore dans la même ville, que naquit Aboulfarah, célebre poëte persan, qui composa plusieurs traités de l'art poétique ; il s'étoit attaché au service des princes de la famille de Samgiour, & avoit mis au jour de beaux ouvrages à leur gloire, dans lesquels il laissa échapper quelques traits piquans contre le sultan Mahmoud, qui l'ayant fait prisonnier, vouloit le punir de son insolence ; mais Onseri, le prince des poëtes persans, éleve d'Aboulfarah, obtint sa grace, & partagea sur le champ avec lui un présent considérable qu'il venoit de recevoir de la libéralité du sultan. (D.J.)


SEGESTANAESEGESTANAE


SÉGESTE(Géog. anc.) ville de l'Istrie ; Pline, l. III. c. xix. la donne aux Carni : mais il la met au nombre des villes qui étoient détruites de son tems. Strabon, l. VII. p. 313. qui écrit Segestica, dit que c'est une ville de la Pannonie, située au confluent de diverses rivieres navigables, qui servoient à y transporter les marchandises de l'Italie, & celles de divers autres pays ; ce qui avoit engagé les Romains à y établir leurs magasins durant la guerre contre les Daces. Le lieu où elle étoit s'appelle à présent Ségese, selon Bonfinius, qui ajoute qu'on y voit à peine les traces d'une ville. (D.J.)


SEGESTERORUMSEGESTERORUM


SEGESTICA(Géogr. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, selon Tite-Live, l. XXXIV. c. xvij. On croit que c'est la même ville qui est nommée Tutia dans Florus & dans Plutarque, & Segeda dans Appien. (D.J.)


SEGESWAR(Géog. mod.) ville de la Transylvanie, dans le comté de même nom ; elle est bâtie en forme d'amphithéâtre, sur le penchant d'un côteau, près de Kokel, à dix-huit lieues au nord d'Hermanstad. Quelques auteurs la prennent pour la Somdava de Ptolémée, l. III. c. viij. Long. 41. 28. latit. 46. 54. (D.J.)


SEGEWOLDou SEWOLD, (Géog. mod.) petite ville de l'empire Russien, dans la Livonie, sur la riviere, & vis-à-vis la ville de Treiden, dans la Lettie, à 12 lieues au nord-est de Riga. Long. 42. 45. latit. 57. 15. (D.J.)


SEGIADAHterme de relation ; c'est en arabe le petit tapis ou natte de jonc dont les Musulmans se servent en forme d'agenouilloir, quand ils font les cinq prieres de chaque jour prescrites par la loi. (D.J.)


SEGISAMA(Géogr. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise ; il en est parlé dans Florus, l. IV. c. xij. Cette ville du tems de Ptolémée, l. II. c. vj. dépendoit des Vaccéens. (D.J.)


SEGMENTSEGMENT d’un cercle, en Géométrie, c’est la partie du cercle comprise entre un arc & sa corde, ou bien, c’est une partie d’un cercle comprise entre une ligne droite plus petite que le diametre, & une partie de la circonférence. Voyez CERCLE, ARC, CORDE, &c.

Ainsi, la portion A F B A (Pl. géométriq. fig. 22.) comprise entre l'arc A F B & la corde A B, est un segment du cercle A F B D, &c. il en est de même de A D B A.

Comme il est évident que tout segment de cercle peut être ou plus grand ou plus petit qu'un demi-cercle, la plus grande partie d'un cercle coupé par une corde, c'est-à-dire, la partie plus grande que le demi-cercle est appellée le grand segment, comme A F B D, & la plus petite partie, ou la partie plus petite que le demi-cercle est appellée le petit segment, comme A D B, &c.

L'angle que la corde A B fait avec une tangente L B, est appellée l'angle du segment. Voyez ANGLE.

Quelques-uns appellent aussi les deux angles mixtes compris entre les deux extrêmités de la corde & de l'arc, angles du segment.

Au fond, ces angles sont les mêmes que celui de la corde & de la tangente.

Angle dans le segment, est celui qui a son sommet D dans un point quelconque de la circonférence du segment, comme A D B. Voyez l'article ANGLE.

La hauteur d'un segment D E (fig. 22.) & la moitié de sa base ou de la corde A E étant donnés, trouver l'aire du segment. Trouvez le diametre du cercle. Voyez DIAMETRE. Sur ce diametre décrivez un cercle, & tirez la base du segment A B ; tirez encore les rayons A C, B C, & trouvez le nombre des degrés de l'arc A D B par le diametre connu ; & par son rapport à la circonférence, déterminez la circonférence elle-même ; & par le rapport de la circonférence à l'arc A D B, & la circonférence en elle-même trouvez la longueur de l'arc A D B. Après cela, trouvez l'aire du secteur A D B C A, voyez SECTEUR, & la surface du triangle A C B, voyez TRIANGLE.

Enfin retranchez le triangle du secteur, le reste est l'aire du segment.

Si l'on demande l'aire du plus grand segment B F A, il faut ajouter le triangle A C B au secteur A D E B C. (E)

SEGMENT d'une sphere, est une partie d'une sphere terminée par une portion de sa surface, & un plan qui la coupe par un endroit quelconque hors du centre. Voyez SPHERE.

On l'appelle aussi une section de sphere. Voyez SECTION.

Il est évident que la base d'un segment de sphere est toujours un cercle, dont le centre est dans l'axe de la sphere.

Pour trouver la solidité d'un segment de sphere, retranchez la hauteur du segment du rayon de la sphere, & par cette différence, multipliez l'aire de la base du segment ; ôtez ce produit de celui qui viendra en multipliant le demi-axe de la sphere par la surface convexe du segment ; divisez alors le reste par trois & le quotient sera la solidité cherchée.

Cette derniere méthode suppose que l'axe de la sphere est donné : s'il ne l'est pas, on pourra le trouver ainsi. Appellons a la hauteur du segment, & son demi-diametre s, alors on aura a. s : : s ; (s s)/a. Ajoutons (s s)/a à la hauteur a, & l'on aura l'axe cherché. Chambers.

Le mot segment s'étend aussi quelquefois aux parties de l'ellipse, & dans d'autres figures curvilignes. Voyez ELLIPSE, &c. (E)

SEGMENT de feuilles, c'est le nom que les botanistes donnent aux feuilles qui sont taillées & divisées en petites branches, ou en petites tiges, comme celles du fenouil. Voyez FEUILLE.


SEGMENTUM(Littérat.) espece de ruban que les femmes portoient sur l'épaule, & qui ressembloit à quelques égards à nos noeuds d'épaule ; mais ce mot désigne aussi dans Valere Maxime, un bijou qui pendoit au col pour ornement. Segmenta au pluriel, signifie dans Vitruve, des especes de pavés en mosaïque, de différentes formes, & de diverses couleurs, arrangés ensemble symmétriquement. (D.J.)


SEGMOIDALESVALVULES, (Anatomie) nom des valvules de l'artere pulmonaire, qu'on appelle autrement valvules sémilunaires, parce qu'elles ressemblent à une demi-lune, ou au segment d'un cercle. La substance des valvules segmoïdales ou sémilunaires est membraneuse. Quand elles s'ouvrent, elles donnent passage au sang du ventricule du coeur dans l'artere pulmonaire ; mais si le sang fait effort pour retourner, il les fait joindre, & elles lui ferment le passage : ce mot segmoïdal est formé du latin segmentum, segment, & du grec , ressemblance. (D.J.)


SEGNASENG ou SEGNI, (Géog. mod.) ville de la Croatie, dans la Morlingue, vers la côte du golphe de Venise, sur une hauteur, à 46 lieues au nord-ouest de Spalatro, dont son évêque est suffragant, avec une forteresse & un port. Elle dépend de la maison d'Autriche. Longitude 32. 36. latitude 45. 7.


SEGNI(Géog. anc.) peuples de la Germanie. Du tems de César, de bell. gall. ils habitoient en-deçà du Rhin, entre les Eburones & les Treviri. Segni, dit-il, Condrusique ex gente & numero Germanorum qui sunt inter Eburones Trevirosque, legatos ad Cesarem miserunt. Spener, notit. germ. ant. l. IV. c. j. juge que les Segni étoient originairement compris sous le nom des Istévons. (D.J.)

SEGNI, (Géog. mod.) en latin Signia, ville d'Italie, dans l'état de l'Eglise, & dans la campagne de Rome, à 12 lieues au sud-est de Rome, & à 6 au sud-est de Palestrina, avec un évêché qui ne releve que du pape. Longitude 30. 42. latitude 51. 40. (D.J.)


SEGOBRIGA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Strabon l. III. p. 162. la place dans la Celtibérie, & lit Segobrida. Ptolémée qui écrit Segobriga, donne cette ville de même aux Celtibériens. Il y en a qui veulent que Segobriga soit aujourd'hui la ville de Ségorbe, mais ils n'ont consulté ni la carte de Ptolémée, ni l'itinéraire d'Antonin, ni même Strabon, qui met Segobriga au voisinage de Numance & de Biblis. Il ne seroit pas impossible que Siguenza fût l'ancienne Segobriga, ou Segontia, s'il est vrai que par ces deux derniers noms, on doit entendre la même ville, comme on seroit tenté de le croire. (D.J.)


SEGODUNUM(Géog. anc.) ville de la Germanie, selon Ptolémée, l. III. c. xj. Cluvier, germ. ant. l. III. c. viij. croit qu'elle étoit sur le Ségus, dans le lieu où est aujourd'hui la ville de Sigen. Il se fonde sur ce que cette ville est située sur le bord d'une riviere nommée encore aujourd'hui Sige, & sur une éminence qui étoit indiquée par le mot dun, desorte que l'ancien nom pouvoit être Sigedun, dont les Romains avoient fait Segodunum.

Il y avoit encore une ville dans la Gaule celtique qui portoit le nom de Segodunum. Ptolémée, liv. II. c. vij. la donne aux Reteni, qui sont les Rutheni de César. C'est aujourd'hui la ville de Rodez. (D.J.)


SEGONCIUM(Géog. anc.) ville de la Grande-Bretagne. Il y a dans l'itinéraire d'Antonin une route qui conduit de Segoncium à Deva, & où la premiere de ces villes est marquée à 24 milles de Conovium. Il sembloit d'abord que ce pouvoit être une ville des Segontiaci ; mais ces peuples étoient voisins des Tribonantes, & par conséquent trop éloignés de l'endroit où étoit Segoncium, qui est aujourd'hui Caernaven sur le Ségont, & vis-à-vis de l'île de Mone. (D.J.)


SEGONTIA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, suivant l'itinéraire d'Antonin, qui la marque sur la route d'Emerita à Saragoce. Son nom moderne est Siguença.


SEGONTIACI(Géog. mod.) peuples de la Grande-Bretagne. Ils furent du nombre de ceux qui se soumirent à César. Ils habitoient au voisinage des Trinobantes ; c'est tout ce qu'on sait de leur pays. (D.J.)


SÉGORBE(Géog. mod.) ville d'Espagne, au royaume de Valence, sur le Morviedro, à 12 lieues au nord-ouest de Valence, & à 56 au levant de Madrid. Cette ville est ancienne, agréable, située sur le penchant d'une colline, dans une vallée, entre des montagnes. Son terroir est fertile en blé, en vin, & en fruits. On y trouve aussi des carrieres d'un fort beau marbre. Elle fut honorée d'un évêché dès le vj. siecle, & si cette dignité épiscopale se perdit sous les Maures, elle lui revint en 1245. Elle a aussi le titre de duché. Longitude 17. latitude 39. 55. (D.J.)


SEGOVELLAUNI(Géog. anc.) peuple de la Gaule narbonnoise, & dans les terres : intus, dit Pline, l. III. c. iv. regio Trecollorum, Vocontiorum & Segovellaunorum, mox Allobrogum. Ce sont les Segalauni de Ptolémée, l. II. c. v. qui leur donne la ville de Valentia : ainsi ces peuples habitoient le Valentinois.


SEGOVIA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise, aujourd'hui Ségovie, entre Madrid & Valladolid. Ptolémée, l. II. c. vj. & Pline, l. III. c. iij. la donnent aux Arevaci : le premier écrit néanmoins , Segubia, au lieu de Segovia. L'itinéraire d'Antonin, dont quelques manuscrits portent Segovia, & d'autres Secovia, ou Segobia, place cette ville sur la route d'Emerita à Saragosse, entre Cauca & Miacum, à 28 milles du premier de ces lieux, & à 24 milles du second.

Il y avoit une autre Segovia dans l'Espagne bétique, selon Hirtius, de bell. Alex. & Florus, l. III. c. xxij. dont le premier dit qu'elle étoit ad flumen Silicense. Elle conserve encore son ancien nom ; car Moralès assure qu'on l'appelle Segovia la menor. Ortelius qui cite Arias Montanus, dit que Segovia la menor est située au voisinage d'Ecija près du fleuve Xénil, à moitié chemin entre Seville & Cordouë.

Segovia est encore le nom d'une ville de la Germanie, selon Ortelius qui cite Ptolémée, l. II. c. xj. On croit que c'est à présent Seckow, siege épiscopal dans la Stirie, sous l'archevêché de Saltzbourg. (D.J.)


SÉGOVIE(Géog. mod.) ville d'Espagne dans la vieille Castille, sur une montagne, entre deux grandes collines. Elle est près de la riviere d'Atayada, qui prend sa source au-dessus, à 15 lieues au nord-ouest de Madrid, & à 25 au levant de Salamanque.

Cette ville est fort ancienne, peuplée, & l'une des plus considérables d'Espagne. Son évêché est suffragant de Tolede, & vaut 25 mille ducats de revenu.

Parmi les bâtimens publics, se distingue le château royal appellé Alcaçar ; il est sur un rocher, & ses escaliers sont taillés dans le roc. La casa de la moneda, c'est-à-dire la maison de la monnoie, a ceci de particulier, que la monnoie qui s'y fabrique se fond, se rogne, se bat, & se marque très-promtement, par le moyen de divers moulins que l'eau fait tourner : on ne bat monnoie dans toute l'Espagne qu'à Séville & à Ségovie ; mais la commode machine de Ségovie, en la fabriquant promtement, ne la rend pas plus belle.

L'aqueduc au contraire nommé puente-Segoviana, ouvrage des Romains, est un édifice d'un travail merveilleux ; il joint ensemble deux montagnes séparées par un intervalle d'environ trois mille pas ; il est composé de 177 arcades à deux rangs posés l'un sur l'autre ; le rang inférieur porte l'eau dans les faubourgs, & le supérieur la conduit dans la ville. La construction de cet édifice est si solide, qu'elle s'est conservée jusqu'à ce jour presque dans son entier. On attribue ce bel ouvrage au regne de Trajan. Colmenarès vous en donnera la description détaillée dans son historia de la ciudad de Segovia, 1637, in -fol. Mais il faut ajouter une grande incommodité de cet aqueduc, c'est que l'eau de la riviere qui coule autour de la ville est si mal-saine, qu'elle ne peut servir qu'à rafraîchir la bonne eau.

Le terroir de Ségovie est bien célébre pour nourrir des troupeaux de brebis qui portent ces fines laines qui sont uniques dans le monde, & dont l'Europe entiere ne peut se passer dans la manufacture des draps superfins. Long. 13. 55. latit. 40. 54.

Deux théologiens scholastiques fort accrédités en Espagne, Ribera (François de) jésuite, & Soto (Dominique), de l'ordre des Dominicains, naquirent tous deux à Ségovie dans le xvj. siecle.

Le jésuite Ribera a publié des commentaires latins qui ne sont pas dépourvus d'érudition, sur les douze petits prophêtes. Il mourut à Salamanque l'an 1591, âgé de 54 ans.

Le dominicain Soto étoit fils d'un jardinier, & se fit connoître par son mérite. Il donna des commentaires sur l'épître aux Romains, un traité de justitiâ & jure, & deux livres de naturâ & gratiâ. Il mourut à Salamanque l'an 1560, âgé de 66 ans. (D.J.)

SEGOVIE, la nouvelle, (Géog. mod.) Il y a trois villes de ce nom à distinguer. La premiere est une ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, audience de Guatimala, sur les frontieres de la province de Honduras, sur la droite de la riviere d'Yare. Latit. 13. 24.

La seconde est une ville de l'Amérique, dans la terre ferme, province de Venezuela, sur le bord de la riviere de Bariquicemete, bâtie par les Espagnols en 1552. Elle a des mines d'or dans son voisinage. Latit. 6. 7.

La troisieme est une ville d'Asie dans l'île de Luçon, une des Philippines, dans la province & sur la riviere de Cagayan. Elle a un évêché fondé en 1598. (D.J.)

SEGOVIE, (Commerce de laine) c'est la laine d'Espagne qui vient de Ségovie, ville du royaume de Castille, ou des environs. Quand on dit simplement & absolument laine de Ségovie, cela s'entend des trois sortes de laines qu'on en tire, dont ensuite les especes se distinguent en ajoutant les mots de prime, de seconde ou de tierce : ainsi l'on dit prime Ségovie, seconde Ségovie, & enfin tierce Ségovie. Il y a aussi de la petite Ségovie. (D.J.)


SEGRAIRIES. f. (Gramm. & Jurispr.) du latin segregare, signifie la portion d'un bois commun que l'on met à part pour un seigneur, lors de l'exploitation ou vente que l'on en fait ; ou le droit qu'il prend dans le prix à-proportion de ce droit. Dans un compte de l'an 1337, on trouve seggregia seu tertia de expletis forestarum. On voit par-là que ce droit de segrairie étoit du tiers de l'exploitation ; ainsi c'étoit la même chose que ce que l'on appelle encore en Normandie & ailleurs, droit de tiers.

Quelques-uns confondent le droit de grairie avec celui de segrairie ; & en effet, l'ordonnance des eaux & forêts, tit. X. parle dans l'intitulé de ce titre des bois tenus en grairie, segrairie ; & néanmoins dans le corps du titre il n'est point parlé des bois tenus en segrairie, ni même en aucun autre endroit de l'ordonnance.

Cependant le droit de grairie est pris en plusieurs occasions pour un droit que le roi perçoit sur les bois d'autrui, à cause de la justice qu'il a sur ces bois, en quoi il differe du droit de segrairie.

On pourroit aussi regarder comme un droit de segrairie, quasi segregata agri pars, le triage ou tiers-lot, que l'article 4. du titre xxv. de l'ordonnance de 1669 donne au seigneur dans les bois communaux ; cet article portant que si les bois sont de la concession gratuite des seigneurs, sans charge d'aucun cens, redevance, prestation ou servitude, le tiers en pourra être séparé & distrait à leur profit, en cas qu'ils le demandent, & que les deux autres suffisent pour l'usage de la paroisse. Voyez le glossaire de Ducange, au mot secretarius, & le gloss. de Lauriere, au mot segrayer ; & les articles BOIS, DANGER, FORET, EAUX & FORETS, GRAIRIE, GRURIE, GRUAGE, & ci-après SEGRAYER. (A)


SEGRAISS. m. (Eaux & forêts) ce sont des bois séparés des grands bois, qu'on coupe & qu'on exploite à part. (D.J.)


SEGRAYERS. m. (Jurisprud.) est le seigneur qui a droit pour une portion dans un bois commun, soit dans l'exploitation ou dans le prix de la vente.

On entend aussi quelquefois par segrayer, celui qui fait la recette de ce droit pour le roi, ou pour quelqu'autre seigneur. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot segrayer, & ci-devant SEGRAIRIE. (A)


SEGRELA, (Géog. mod.) en latin Sicoris, & par les Catalans Agua-Naval ; riviere d'Espagne dans la Catalogne, & la plus grande de toutes les rivieres de cette province. Elle prend sa source dans la Cerdagne, & finit par se jetter dans l'Ebre, près de Méquinencia, sur les frontieres de l'Aragon. (D.J.)


SEGRÉ(Géog. mod.) bourg que nos géographes qualifient de petite ville de France dans l'Anjou, élection d'Angers, sur l'Odon, avec titre de baronie ; mais il faut dire aussi que Ségré étoit autrefois une bonne ville, qui fut donnée par Jean Sans-terre, roi d'Angleterre, à la reine Béranger de Navarre, veuve de son frere Richard Coeur-de-lion, pour partie de son douaire, par traité fait à Chinon en 1201. Le château a été plusieurs fois ruiné & rétabli. (D.J.)


SÉGRÉAGES. m. (Droit féodal) droit sur les forêts ainsi nommé, parce que c'est une chose mise à part pour le seigneur. Ce droit de ségréage consiste en la cinquieme partie des bois qui se vendent par les vassaux, laquelle est dûe au seigneur avant la coupe des bois. Le receveur de ce droit s'appelle ségrayer. (D.J.)


SEGURA(Géog. mod.) c'est le nom de plusieurs villes & lieux, comme on va le voir.

1°. Segura, ville d'Espagne dans l'Andalousie, aux confins du royaume de Murcie, vers la source de la riviere de ce nom.

2°. Segura, petite ville d'Espagne dans le Guipuscoa, sur la riviere d'Oria, au-dessus de Villa-franca.

3°. Segura, ville de Portugal, dans la province de Beyra, sur une montagne, aux confins de l'Estramadure, près de la riviere d'Elxa, avec un château, à trois lieues au sud-est de Castel-Branco. Long. 10. 25. latit. 39. 40.

4°. Segura de la frontera, c'est-à-dire la sureté de la frontiere, ville de l'Amérique septentrionale, dans la nouvelle Espagne, bâtie par Fernand Cortez sur des rochers en 1520. Elle a un grand inconvénient, c'est de n'être arrosée d'aucune riviere, source ou fontaine, desorte que les habitans, au nombre d'environ six cent, tant indiens qu'espagnols, sont toujours obligés d'user d'eau de puits.

5°. Segura de la sierra, lieu d'Espagne dans la Castille nouvelle, dans une plaine abondante en troupeaux, avec une des riches commanderies de l'ordre de S. Jacques.

6°. Segura, port sur la côte de la mer de la Californie, selon Woode Rogers, qui dit qu'il y a dans cet endroit de fort bonne eau, & quantité de fenouil marin. (D.J.)

SEGURA, la, (Géog. mod.) Ses anciens noms latins sont Terebus, Staberus & Sorabis ; riviere d'Espagne, au royaume de Murcie ; elle a sa source dans la Castille nouvelle, traverse le royaume de Murcie, entre dans celui de Valence, proche de Riguela, arrose cette ville, & se perd dans la mer, près de Guardamar. (D.J.)

SEGURA, montagnes de, (Géog. mod.) montagnes d'Espagne qui s'étendent aux confins de l'Andalousie, de la Castille nouvelle, des royaumes de Murcie & de Grenade. Elles prennent leur nom de la ville de Segura, & sont une partie de celles qu'on appelloit autrefois Orospeda. C'est proprement l'Argenteusmons, & le Tugiensis saltus des anciens. Le Guadalquivir & la riviere Segura prennent leur source dans ces montagnes. (D.J.)


SÉGUSIESLES, (Géog. anc.) 1°. Segusiani ou Secusiani, peuples de la Gaule celtique ou lyonnoise. Pline, l. II. c. xviij. dit qu'ils étoient libres, & que la ville de Lyon étoit dans leur pays. Ils avoient été rendus indépendans des Aedui sous l'empire d'Auguste ; car du tems de César, qui fait mention de ces peuples dans ses commentaires, ils étoient dans la dépendance des Aedui, c'est-à-dire de ceux d'Autun, in clientelâ Aeduorum. Il ajoute qu'ils étoient les premiers au-delà du Rhône, & les plus proches de la province romaine. Ils avoient les Aedui & les Sequani au nord, les Allobroges à l'orient, au midi encore les Allobroges & les Velauni, & les Averni au couchant. Leur pays comprenoit ainsi le Forez, le Lyonnois, le Beaujolois & la Bresse.

2°. Segusiani, peuples des Alpes graïennes. Ptolémée, l. III. c. j. leur donne deux villes, savoir Segusinum & Brigantium. Pline & Ammien Marcellin appellent la capitale de ces peuples Segusio. L'itinéraire de Jérusalem écrit Secusio ; & dans une inscription rapportée par M. Spon, p. 198, on lit : Ordo splendiss. civitatis Secusiae, quoique dans une autre inscription ce mot soit écrit avec deux gg. civit. segg. Une troisieme inscription qui se voit dans Gruter, p. 111. donne à cette ville le titre de municipe : Genio municipi Seguisini. C'est aujourd'hui la ville de Suze en Piémont. L'itinéraire d'Antonin marque cette ville sur la route de Milan à Vienne, en prenant par les Alpes cottiennes, où elle se trouve, entre ad Fines & ad Martis, à 24 milles du premier de ces lieux, & à 16 milles du second. (D.J.)


SEGUSTANO(Géog. mod.) bourgade de Sicile dans le val de Mazara, à l'embouchure du fleuve san Bartolomo. Ce bourg est l'emporium Segestanorum des anciens. (D.J.)


SEICHEou SECHE, (Hist. nat. Ichthyolog.) sepia, animal de mer qui ressemble beaucoup au calmar & au polype marin. Voyez CALMAR & POLYPE. Il a huit piés placés autour de la bouche & deux longs bras : les yeux sont gros ; la tête est courte & terminée par une espece de bec semblable à celui d'un perroquet ; le corps est oblong, large & épais. Il y a sur le dos des taches & des stries blanchâtres distribuées avec une sorte de symmétrie ; les deux piés antérieurs sont beaucoup plus larges & plus épais que les six autres ; ils ont tous un grand nombre de suçoirs, qui sont des especes de globules applatis, concaves & portés chacun sur un pédicule ; les bras ont des suçoirs plus gros, ils sont placés entre la premiere & la seconde paire des piés ; leur forme est cylindrique, ils ont une couleur blanche & parsemée de quelques points noirs. La seiche se sert de ces suçoirs pour s'attacher aux corps qu'elle rencontre, & pour porter à la bouche ceux qu'elle saisit. Le bec est composé de deux mâchoires mobiles qui s'emboîtent l'une dans l'autre par une espece de charniere ; les yeux sont fort apparens ; le cou est très-court ; il a de même que la tête, une couleur pourprée parsemée de points noirs ; le sommet du dos s'éleve audessus du cou, desorte que cet animal peut retirer & cacher sa tête sous ce prolongement. Les chairs du dos recouvrent un os très-considérable, connu sous le nom d'os de seiche ; il est si léger, qu'il surnage même à l'instant où il vient d'être tiré du corps de l'animal.

Lorsqu'on met la seiche hors de l'eau, elle répand une liqueur noire par un petit canal qui aboutit à l'anus ; cette liqueur est renfermée dans un sac dont les parois extérieurs sont blancs ; la plus grande partie de ce sac est placée dans le côté gauche de l'abdomen ; il contient assez de liqueur pour teindre en noir plusieurs seaux d'eau ; cette liqueur colorante est plus abondante dans les seiches que l'on trouve mortes sur les bords de la mer, que dans celles que l'on prend vivantes. Si on reçoit cette liqueur dans un vase au sortir du sac, elle se coagule & se durcit en peu de jours ; ensuite elle se gerse & se divise par morceaux ; qui étant broyés donnent une belle couleur noire : Swammerdam prétend, que les Indiens composent l'encre de la Chine avec la liqueur noire de la seiche. Cet animal se nourrit de squilles & de petits poissons. Collection académique, tom. V. de la partie étrangere.

SEICHE, OS DE, (Mat. méd.) substance terreuse, absorbante, d'un tissu assez rare qu'on prépare par la porphyrisation, qui pourroit avoir les mêmes usages intérieurs que les yeux d'écrevisses, le corail, la craie, la mere de perles, &c. Voyez ces articles particuliers & l'article général ABSORBANS, mais qu'on n'employe presque que pour les dentrifices. Voyez DENTRIFICE & SECHE. (b)


SEIDE(Géog. mod.) nos voyageurs écrivent aussi Seyde, Seyd, Said, Saide, Zaide, Zeide. Il faut bien s'en ressouvenir, pour ne pas croire que ce sont des villes différentes, & pour ne pas confondre une ville de la Turquie, avec la haute Egypte que les Arabes nomment Sahid, & qu'on écrit aussi Saïd, Zaïd.

Seide est une ville de la Turquie asiatique, dans la Sourie, sur la côte de la Méditerranée, près d'une île, où est un vieux château qui communique avec la ville par un pont si étroit, que trois personnes y peuvent à peine passer de front. Cette ville autrefois célebre sous le nom de Sidon, est aujourd'hui médiocre & misérable, quoique placée dans une campagne grasse & couverte de mûriers. Les chrétiens Grecs & Maronites, possedent encore chacun une petite église à Seide ; mais son port est comblé, & il n'y a que des bateaux qui y mouillent. Les françois y faisoient autrefois quelque commerce, qui n'existe plus aujourd'hui. Long. 43. 28. lat. 33. 12. (D.J.)


SEIGLEsecale, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont la fleur n'a point de pétales, & qui est disposée en épi par petits bouquets. Chaque fleur est composée de plusieurs étamines qui sortent du calice ; le pistil devient dans la suite une semence oblongue, grêle, farineuse, & enveloppée de sa balle qui a servi de calice à la fleur, & qui s'en détache très-aisément. Les petits bouquets sont attachés à un axe denté, & composent un épi plus applati que celui du froment. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

En anglois rye, genre de plante qui dans le systême de Linnaeus, a un calice formé de deux battans concaves, contenant deux fleurs ; ces deux battans sont droits, aigus, opposés l'un à l'autre, & plus petits que les feuilles de la fleur ; cette fleur consiste en deux feuilles, dont l'extérieure se termine par une longue barbe, & l'intérieure est plate & pointue ; les étamines sont trois filets capillaires qui pendent hors de la fleur ; les bossettes sont oblongues, & fendues au bout ; le germe du pistil est de forme turbinée ; les stiles au nombre de deux, sont chevelus ; les stigma sont simples ; la fleur enveloppe étroitement la graine, s'ouvre quand elle est mûre, & la laisse tomber ; la graine est unique, oblongue, un peu cylindrique, nue & pointue. Linnaei, gen. plant. p. 17.

Dans le systême des autres Botanistes, le seigle a les mêmes caracteres que ceux du blé, excepté que son épi est plus plat, toujours barbu, & son grain plus foible & plus nud.

Cette plante tient le premier rang après le froment entre les grains frumentacés ; elle porte au commencement ses feuilles rougeâtres, qui deviennent ensuite vertes comme celles des autres blés, plus longues & plus étroites que celles du froment. Elle pousse six, sept tuyaux, & quelquefois davantage à la hauteur de cinq, six & sept piés, droits, semblables à ceux du froment ; mais plus grêles, plus longs, & montans en épis plus tôt que le froment.

Les fleurs naissent aux sommités des tiges par paquets, composées de plusieurs étamines jaunes, & rangées en épi. Quand ces fleurs sont passées, il succede des grains oblongs, grêles, de couleur brune en dehors, blancs & farineux en dedans, plus petits, & plus obscurs que ceux du froment.

Ses racines sont des fibres déliées ; on cultive le seigle par-tout, principalement dans les terres maigres, légeres & sablonneuses ; on le seme au printems ou en automne, d'où vient que les Botanistes appellent le premier secale vernum vel minus, & le second, secale hybernum vel majus.

Le pain qu'on fait de seigle est noir, pesant, & ne convient qu'aux gens forts & qui travaillent ; sa farine est d'usage dans quelques cataplasmes émolliens & résolutifs.

Quelquefois le seigle dégénere de sa nature, sort considérablement de son enveloppe, grossit, se recourbe, prend la figure d'une corne, se noircit à l'extérieur, & contient au-dedans une substance farineuse, très-nuisible à la santé ; c'est ce qu'on nomme blé cornu, ergot, seigle ergoté. Voyez ERGOT & SEIGLE ERGOTE.

Ménage de qui la reine Christine disoit plaisamment, qu'il savoit non-seulement d'où les mots venoient, mais encore où ils alloient, n'a jamais sû d'où le mot seigle venoit, quoiqu'il en ait tiré l'origine de l'italien segala. (D.J.)

SEIGLE, on a observé en Suede, que le seigle diminuoit chaque année de qualité, & à la fin n'étoit plus bon à rien. M. Cederhielm a proposé en 1740, dans les mémoires de l'académie de Stockholm, un moyen qu'il dit assuré & fondé sur l'expérience pour prévenir cet inconvénient ; il consiste simplement à ne point semer du seigle dans le même champ pendant deux années de suite, de cette maniere ce grain ne s'abâtardira jamais.

SEIGLE, (Diete & Mat. méd.) semence farineuse & ceréale. Voyez l'article FARINE & FARINEUX, & SEMENCES CEREALES.

Tout le monde connoît l'usage diétetique du seigle ; on en fait du pain qui tient le premier rang après celui de froment ; qui lorsqu'on n'y employe que la fleur de la farine, & qu'on le fait avec soin, est très-blanc, assez bien levé, d'un goût assez agréable, bien meilleur que le petit pain de seigle à deux liards, qu'on vend dans les rues de Paris.

Les gens aisés de la campagne, & même les bons bourgeois des petites villes, mangent un pareil pain dans quelques provinces du royaume, comme en Champagne, en Anjou, dans la Sologne, le Rouergue, &c. les paysans en font dans ces mêmes pays & dans beaucoup d'autres, un pain grossier, c'est-à-dire dans lequel ils employent une partie du son, & qui est ordinairement mal levé, dont la croûte est brûlée & la mie mal cuite & gluante. Il n'y a que les hommes très-vigoureux, que les organes robustes des paysans, dura messorum ilia, qui puissent s'accommoder d'un pareil aliment ; il est lourd & indigeste pour tout estomac, accoutumé à une nourriture plus légere.

Le bon pain de seigle passe pour rafraîchissant & légerement laxatif ; cet aliment entre très-communément dans la diete que se prescrivent à eux-mêmes plusieurs personnes qui se prétendent échauffées, ou qui ont assez appris de théorie médicinale courante pour se croire les humeurs âcres, la bile exaltée, &c. on mêle aussi quelquefois dans la même vûe, de la farine de seigle avec celle de froment pour en préparer le pain, dont on fait son usage ordinaire.

La farine de seigle s'employe assez communément avec les quatre farines résolutives ou en leur place.

Le seigle ergoté se trouvant mêlé en une certaine quantité parmi le bon grain dont on fait du pain, produit chez les personnes qui mangent ce pain, une maladie gangreneuse des plus funestes, qui a cela de particulier qu'elle attaque principalement les extrêmités inférieures ; que la gangrêne se borne ou se fixe d'une maniere assez constante, & que la terminaison par la séparation spontanée du membre affecté, est fort commune.

Cette terrible maladie est endémique dans la Sologne, où le paysan qui est très-pauvre, est réduit à cette nourriture empoisonnée.

Outre les ouvrages sur les maladies causées par l'ergot, qui sont indiqués à l'article ERGOT ; on trouve dans le second volume des mémoires, présentés à l'académie royale des Sciences, par des savans étrangers, un mémoire de M. Salerne, médecin d'Orleans, sur les maladies que cause le seigle ergoté. Le traitement employé contre cette espece de gangrêne, n'a rien de particulier. On n'a tenté jusqu'à présent que les secours généraux, les remedes communs de la gangrêne, Voyez GANGRENE.

SEIGLE ergoté (Botan.) c'est un seigle dégénéré de sa nature, & qui est très-nuisible à la santé : on en a parlé fort au long au mot ERGOT, d'après le système de M. du Tillet. Voyez donc le mot ERGOT.

Suivant M. Aimen, l'ergot du seigle est la même maladie que le charbon du froment. Si ces deux maladies different l'une de l'autre, ce n'est qu'à cause de la différence qui se trouve dans l'organisation de ces deux grains. Voici l'idée que M. Aimen donne de l'ergot du seigle.

1°. Les grains ergotés, plus gros & plus longs que les autres grains sains, sortent ordinairement de la balle, se montrant quelquefois droits, & quelquefois plus ou moins courbés.

2°. A l'extérieur ils sont bruns ou noirs ; leur surface est raboteuse, & souvent on y apperçoit trois sillons qui se prolongent d'un bout à l'autre ; enfin, l'extrêmité extérieure des grains est constamment plus grosse que celle qui tient à la paille ; ce bout plus renflé est quelquefois fendu en deux ou trois parties : il n'est point rare d'appercevoir à leur surface des cavités qui paroissent creusées par des insectes.

3°. Quand on rompt l'ergot, on apperçoit dans l'axe une farine assez blanche, qui est recouverte d'une autre farine rousse ou brune ; cette farine viciée s'écrase entre les doigts. M. Aimen l'a quelquefois trouvée presqu'aussi noire que la poussiere du blé charbonné.

4°. Ces grains étant mis dans l'eau, surnagent d'abord, & ils tombent ensuite au fond ; si on les mâche, ils laissent sur la langue l'impression de quelque chose de piquant.

5°. Les balles paroissent saines, quoique celles qui sont extérieures soient un peu plus brunes quand les épis sont sains.

6°. Tous les grains d'un épi ne se trouvent jamais attaqués de l'ergot.

7°. L'ergot tient moins à la paille que les bons grains.

8°. M. Aimen attribue cet état du seigle à un défaut de fécondation ; il assure qu'on ne trouve jamais de germe dans les grains ergotés.

Mais quelle que soit la cause de cette dégénération du seigle, on peut se convaincre par ce qu'en ont écrit Dodart, Langius, Fagon, de la Hire, & autres modernes, que ces grains ergotés causent d'étranges maladies dans certaines années à ceux qui se sont nourris du pain fait de la farine où il est entré beaucoup de seigle ergoté.

Il est aisé de séparer la plus grande partie des grains ergotés, par le secours du crible, parce que la plûpart de ces grains malades sont beaucoup plus gros que les grains sains. Les paysans de Sologne font cette séparation dans les années où le grain n'est pas cher ; mais dans les années de disette, ils ne veulent pas perdre les grains ergotés ; & c'est alors qu'ils sont attaqués d'une gangrêne seche qui leur fait tomber les extrêmités du corps, sans presque sentir de douleur & sans hémorrhagie ; ensorte qu'on a vû de ces pauvres misérables à l'hôtel-dieu d'Orléans, à qui il ne restoit que le tronc, & qui ont encore vécu en cet état pendant plusieurs jours.

Comme l'ergot ne produit pas tous les ans ces fâcheux accidens, Langius a pensé qu'il pouvoit y avoir de deux sortes d'ergots ; l'un qui n'est point pernicieux, & l'autre qui occasionne la gangrêne dont nous venons de parler. Il est cependant probable qu'il n'y a qu'une espece d'ergot, & que ce grain ne fait point de mal, 1°. quand les paysans ont soin de cribler attentivement leur grain ; 2°. quand il y a naturellement peu d'ergot mêlé avec le bon grain.

On prétend encore que l'ergot perd sa mauvaise qualité quand on l'a gardé un certain tems ; mais aussi c'est pour cette raison que les paysans doivent être attaqués de cette gangrêne dans les années de disette, parce qu'alors ils consomment leur récolte presque aussi-tôt qu'ils ont fini la moisson. Du Hamel, traité de la culture des terres, tome IV. (D.J.)

SEIGLE, (Commerce) Le seigle se vend par last, contenant 27 sacs & demi d'Amsterdam, 19 septiers de Paris, trois quarts de septiers de Rouen, & 17 razieres de Flandres. Quand le seigle est sec, le last pese ordinairement 3300 livres ; s'il n'est pas sec, 4200 livres. Dictionn. du Comm. (D.J.)


SEIGNELAY(Géogr. mod.) en latin des chartres Siliniacum, bourg de France en Bourgogne, au diocèse d'Auxerre, à un quart de lieue des rivieres d'Yonne & de Serain. Ce bourg a été érigé en marquisat en faveur de M. Colbert, & c'étoit le moindre de ses titres. (D.J.)


SEIGNEUR(Gram. & Jurispr.) signifie en général celui qui a quelque puissance ou supériorité politique sur d'autres personnes.

Ce terme de seigneur vient du latin senior, parce qu'anciennement chez presque toutes les nations, les vieillards étoient ceux qui gouvernoient les autres.

C'est ainsi que chez les Hébreux & les Juifs senes populi ac magnates ou judices, étoient synonymes, & signifioient les magistrats & juges qui gouvernoient le peuple.

De même, chez les Romains le sénat fut ainsi appellé à senio.

C'est de-là que le titre de seigneurs est demeuré aux princes, aux prélats & aux autres grands de l'état, grands du royaume, aux officiers des cours souveraines & autres personnes, qui ne tirent ce titre que de leur office ou fonction.

On entend aussi par le terme de seigneur celui qui tient en fief la justice d'un lieu, ou qui possede quelqu'héritage, soit en fief ou en franc-aleu.

Les seigneurs sont de plusieurs sortes ; les grands & les moindres.

Les grands seigneurs étoient anciennement appellés leudes & fideles regni, les féaux, vavassores, vassalli dominici.

Présentement les grands seigneurs sont les princes souverains ou ceux qui ont le titre de prince, sans néanmoins être souverains, les ducs, les comtes, les marquis, les barons.

Les moindres seigneurs sont tous les autres seigneurs, soit titrés, tels que les vicomtes, vidames, châtelains ; ou non titrés, comme les simples seigneurs justiciers ou de fief. Voyez ci-après le mot SEIGNEURIE. (A)

SEIGNEUR BAS - JUSTICIER, est celui qui ne tient en fief que la basse-justice. Voyez JUSTICE.

SEIGNEUR CENSIER, ou CENSUEL, est celui qui a donné un héritage, à la charge d'un cens, & auquel le payement de ce cens est dû.

SEIGNEUR - FONCIER, ou CHEF - SEIGNEUR, ou TRES-FONCIER, est le premier seigneur ou propriétaire de l'héritage, celui qui a la plus ancienne redevance fonciere imposée sur cet héritage. Voyez l'auteur du grand Coutumier, liv. IV. tit. de justicefonciere, Dumoulin, Loyseau.

SEIGNEUR DIRECT, ou FEODAL, est celui duquel un héritage releve, soit en fief ou en censive. Voyez SEIGNEUR FEODAL, FONCIER, DIRECT & SEIGNEURIE.

SEIGNEUR DOMINANT, est celui dont un fief releve directement & immédiatement. On l'appelle ainsi par opposition au vassal qui est appellé seigneur du fief servant. Coutume de Paris, art. lj. & lviij.

SEIGNEUR ECCLESIASTIQUE, est un bénéficier qui possede quelque seigneurie attachée à son bénéfice.

SEIGNEUR ENGAGISTE, est celui qui tient du roi quelque terre ou seigneurie, à titre d'engagement, c'est-à-dire, sous faculté perpétuelle de rachat. Voyez DOMAINE, ENGAGEMENT & ENGAGISTE.

SEIGNEUR FEODAL, ou FEUDAL, ou SEIGNEUR DE FIEF, est celui qui tient un héritage en fief.

On entend souvent par ce terme le seigneur dominant, relativement au vassal.

SEIGNEUR DE FIEF, est celui qui est propriétaire d'un fief, c'est-à-dire, qui tient d'un autre seigneur un bien, à la charge de la foi & hommage. Voyez FIEF, FOI, HOMMAGE.

SEIGNEURS DES FLEURS-LYS ; on appelloit ainsi anciennement ceux qui tenoient le parlement, à cause qu'ils siégeoient sur les fleurs de lys. Voyez les Ordonnances de la troisieme race, tome III. p. 48 de la préface.

SEIGNEUR FONCIER, ou TRES-FONCIER, est celui qui a la plus ancienne redevance fonciere sur un héritage. Voyez la coutume d'Orléans, art. ccxiv. cccxxvij. la Marche, art. cxxxiv. Loyseau, du déguerpissem. liv. I. ch. v. n. 11.

SEIGNEUR GAGIER ; c'est ainsi qu'en quelques pays l'on appelle le seigneur engagiste. Voyez STOKMAN. décis. 90.

SEIGNEUR HAUT & PUISSANT, est le titre que prennent les grands du royaume & ceux qui possedent des seigneuries titrées.

Ce titre paroît imité de ces braves qui étoient auprès du roi, & que Grégoire de Tours appelle fortes. Voyez Morery, tom. I. pag. 72.

Personne ne doit régulierement prendre ce titre, qu'il n'y soit fondé. Et dans les foi & hommages, aveux & dénombremens qui se rendent aux chambres des comptes, quand on trouve ce titre pris par quelqu'un qui ne paroît pas y être fondé, on ordonne qu'il en justifiera.

SEIGNEUR HAUT JUSTICIER, est celui qui tient en fief une haute-justice. Voyez JUSTICE & JURISDICTION.

SEIGNEUR JURISDICTIONNEL, est celui qui a la justice. Ce terme paroît usité au parlement de Grenoble, pour dire seigneur justicier, ainsi qu'on peut le voir dans Chorier, en sa jurisprudence de Guypape, pag. 94.

SEIGNEUR LIBRE, ou plutôt LIBRE SEIGNEUR, titre que prend le seigneur de Saint-Maurice dans le Mâconnois, terre possédée depuis plus de six cent ans par la maison de Chevriers, avec une partie du péage de Mâcon en fief-lige. François Léonard, marquis de Chevriers, & Claude-Joseph, son pere, sont qualifiés l'un & l'autre libre seigneur de saint-Maurice. Voyez le Mercure de Juin 1749, tome I. page 212. Ce titre de libre seigneur peut signifier que cette terre est un franc-aleu, ou qu'elle n'est tenue qu'à simple hommage & non en fief-lige, comme la portion du péage de Mâcon que le même seigneur tient en fief-lige.

SEIGNEUR-LIGE, se prend quelquefois pour celui auquel est dû l'hommage-lige ; mais en Bretagne il signifie le seigneur le plus prochain, c'est-à-dire, le seigneur immédiat. Voyez la Coutume de Bretagne, articles ccclxxij. ccclxxv. ccclxxviij. ccclxxxiv, & les mots LIGE, HOMMAGE-LIGE, & SEIGNEUR PROCHAIN.

SEIGNEUR DE LOIX, ou EN LOIX. On entendoit anciennement par-là une personne versée dans l'étude du droit, un jurisconsulte. On créoit des chevaliers en loix. Voyez Beaumanoir, ch. xxxviij. p. 203. lign. 28, & le recueil des Ordonnances de la troisieme race, tom. III. pag. 48 de la préface, & pag. 346 de l'ouvrage, lign. 22.

SEIGNEUR MOYEN - JUSTICIER, est celui qui ne tient en fief que la moyenne - justice. Voyez JUSTICE.

SEIGNEUR DE PAROISSE, est celui dans la haute-justice duquel une église paroissiale se trouve bâtie. Néanmoins dans le comté de Chaumont, ceux qui ont la moyenne justice sur le terrain où est bâtie l'église, se qualifient seigneurs de la paroisse. Voyez Guyot en ses Observations sur les droits honorifiques, pag. 128.

SEIGNEUR EN PARTIE, est celui qui n'a pas à lui seul la totalité de la seigneurie d'un lieu, mais seulement une portion de cette seigneurie.

SEIGNEUR PATRON, est celui qui jouit d'un droit de patronage attaché à sa seigneurie. Voyez PATRON, PATRONAGE, SEIGNEUR, SEIGNEURIE, DROITS HONORIFIQUES.

SEIGNEUR PLUS PRES DU FOND, c'est le seigneur immédiat. Voyez la coutume du Poitou, art. 22 ; Angoumois, tit. 1, art. 12.

SEIGNEUR PROCHAIN ou PROCHE, en Bretagne signifie le seigneur immédiat dont on tient en plein fief, à la différence du seigneur supérieur ou suzerain dont on releve en arriere-fief. Bretagne, art. 372, 375, 378, 384.

SEIGNEUR PROFITABLE, en la coutume de Clermont, art. 108 & 109, est celui qui jouit du fond même de l'héritage, à la différence du seigneur direct, qui n'a droit de réclamer sur cet héritage que la foi ou le cens. C'est ce que l'on appelle ailleurs seigneur utile, & pour parler plus clairement, le propriétaire.

SEIGNEUR REDOUTE ou TRES - REDOUTE, titre donné anciennement à quelques-uns de nos seigneurs. Philippe le bel fut le premier qui souffrit qu'on lui donnât ce titre. Voyez les ordonnances de la troisieme race, tome I. p. 793, & les lettres histor. sur les parlemens, tome II. p. 254.

SEIGNEUR SPIRITUEL, on entend par ce terme un prélat qui a la puissance publique ecclésiastique dans un certain district, comme un évêque, un abbé ou autre bénéficier. Voyez ABBE, ÉVEQUE, JURISDICTION ECCLESIASTIQUE, PRELAT.

SEIGNEUR SUBALTERNE, est le seigneur justicier autre que le roi, duquel il est inférieur & vassal ou arriere-vassal, & ressortit en la jurisdiction royale. Voyez la coutume de Berry, tit. 2, art. 14, 21, 35 ; tit. 5. art. 28, 55 ; tit. 6, art. 6, tit. 9, art. 10, tit. 10, art. 3.

SEIGNEUR SUZERAIN, s'entend quelquefois de tout seigneur autre que le souverain ; mais dans l'usage ordinaire on entend par ce terme le seigneur qui est au-dessus du seigneur dominant, & duquel un héritage releve en arriere-fief. Voyez SUZERAIN & SUZERAINETE.

SEIGNEUR TEMPOREL, est celui qui a la seigneurie publique profane d'un lieu, à la différence du seigneur spirituel qui n'en a la jurisdiction que pour le spirituel.

SEIGNEUR TRES-FONCIER, voyez CHEF, SEIGNEUR & SEIGNEUR FONCIER.

SEIGNEUR VICOMTIER, quasi vice-comitis, est celui qui a la moyenne justice ; c'est ainsi qu'il est appellé dans les coutumes de Ponthieu, Artois, Amiens, Montreuil, Beauquesne, Vimeu, Saint-Omer, Lille, Hesdin, &c.

SEIGNEUR UTILE, c'est le propriétaire, celui qui retire les profits du fond, à la différence du seigneur direct qui n'en retire que des droits honorifiques. Voyez la coutume d'Orléans, art. 135, Anjou, 103, Bourbonnois, 473, Auvergne, ch. ij. art. 1 & 3, Berry, tit. 6, art. 17, & autres.

SEIGNEUR, (Critiq. sacrée) en hebreu adonai, jehovah, en grec, , en latin dominus. Le nom de seigneur convient à Dieu par excellence, & à J. C. mais nous trouvons aussi dans l'Ecriture que cette épithete est donnée aux anges, aux rois, aux princes, aux grands, au souverain sacrificateur, aux maîtres par leurs serviteurs, & en général à tous ceux qui méritent du respect. (D.J.)

SEIGNEUR, (Littérat. & Médaill.) Domitien s'arrogea en même tems le titre de dieu, deus, & de seigneur, dominus, comme le dit Suétone : ces deux titres lui sont donnés conjointement par Martial, l. V. epit. 8, edictum Domini, Deique nostri. Les médailles donnent ces mêmes titres à Aurélien. M. Spon rapporte une inscription de Caracalla avec le titre de seigneur de la terre & de la mer. (D.J.)

SEIGNEUR grand, HOMME grand, (Langue franç.) ces deux expressions, grand seigneur, & grand homme n'indiquent point une même chose ; il s'en faut de beaucoup ; les grands seigneurs sont communs dans le monde, & les grands hommes très-rares ; l'un est quelquefois le fardeau de l'état, l'autre en est toujours la ressource & l'appui. La naissance, les titres, & les charges font un grand seigneur ; le rare mérite, le génie & les talens éminens font un grand homme. Un grand seigneur voit le prince, a des ancêtres, des dettes & des pensions ; un grand homme sert sa patrie d'une maniere signalée, sans en chercher de récompense, sans même avoir aucun égard à la gloire qui peut lui en revenir. Le duc d'Epernon & le maréchal de Retz étoient de grands seigneurs ; l'amiral de Coligny & la Noue étoient de grands hommes.

Quand les Romains furent corrompus par les richesses des provinces conquises, on commença à voir naître de leur avilissement, l'époque du nom de grand seigneur, & le philosophe réserva le titre de grand homme à ces rares mortels qui aiment, qui servent & qui éclairent leur pays. Celui qui obtient une noble fin par de nobles moyens, qui disgracié rit dans l'exil & dans les fers, soit qu'il regne comme Antonin, ou qu'il meure comme Socrate, celui-là est un grand homme aux yeux des sages ; mais les simplement grands seigneurs n'ont par-dessus les hommes ordinaires qu'un peu de vernis qui les couvre. J'ajouterai qu'un de nos poëtes voulant peindre les grands seigneurs, au lieu de dire qu'ils ne sont tels que par les caprices de la fortune & du hazard, nous les représente sous la figure d'un léger ballon que le sort

Pousse en l'air plus ou moins fort,

Dont il se joue à sa maniere ;

D'un globe de savon & d'eau

Que forme avec un chalumeau

D'un enfant l'haleine légere.

Ce n'est pas ici le lieu d'en dire davantage. Voyez GRANDS & GRANDEUR. (D.J.)


SEIGNEURIAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) est en général un droit qui appartient au seigneur à cause de sa seigneurie ; mais ce terme n'est guere usité que pour exprimer le droit qui appartient au roi pour la fonte & fabrication des monnoies. Voyez l'article suivant. (A)

SEIGNEURIAGE & BRASSAGE droit de, (Monnoies) c'est ainsi qu'on nomme le profit que le prince prend sur les matieres, tant comme seigneur, que pour les fabriquer en monnoie ; ces droits montent peut-être en France à trois pour cent de la valeur ; selon cette supputation celui qui porte des matieres à l'hôtel de la monnoie pesant cent onces, & du même titre que les especes, reçoit quatre-vingt dix-sept onces fabriquées. L'Angleterre ne prend aucun profit du seigneuriage ni du brassage sur la monnoie ; la fabrique est défrayée par l'état ; & c'est une excellente vûe politique.

Le droit de seigneuriage étoit non-seulement inconnu aux anciens, mais, même sous les Romains, on ne prenoit pas sur les monnoies les frais de fabrication, comme la plûpart des princes font aujourd'hui ; l'état les payoit au particulier qui portoit une livre d'or fin à la monnoie ; on lui rendoit 72 sols d'or fin, qui pesoient une livre. Ainsi l'or & l'argent en masse, ou converti en monnoie, étoit de même valeur.

Il est difficile d'indiquer quand nos rois ont commencé à lever le droit de seigneuriage sur leurs monnoies, ou pour mieux dire, sur leurs sujets. Nous n'avons rien sur cela de plus ancien qu'une ordonnance de Pepin. Du moins il y a apparence que les rois de la premiere race en avoient joui, parce qu'il n'est pas vraisemblable que Pepin eût osé dans le commencement de son regne, imposer un nouveau tribut sur les François qui venoient de lui donner la couronne.

Dans tout ce qui nous reste d'ordonnances des rois de la seconde race pour les monnoies, il n'y est fait aucune mention de ce droit ; cependant la donation que Louis le débonnaire fit à S. Médard de Soissons du pouvoir de battre monnoie, montre que l'on en tiroit quelque profit, puisqu'il dit qu'il leur accorde ce droit pour être employé au service qui se faisoit chez eux en l'honneur de S. Sébastien. Mais ce droit qui est quelquefois appellé monetagium, est très-bien prouvé dans un bail que Philippe Auguste fit l'an 1202, de la monnoie de Tournai. Nos habebimus tertiam partem monetagii quod inde exiet. Tâchons à-présent de découvrir en quoi consistoit ce droit, du moins sous quelques regnes.

Depuis Pepin qui prenoit la vingt-deuxieme partie de douze onces, nous ne savons point ce que ses successeurs jusqu'à S. Louis, prirent sur les monnoies pour le droit de seigneuriage, & pour les frais de la fabrication. Il est difficile de dire à quoi se montoit l'un & l'autre ; car cela a fort varié dans tous les regnes, même sous ceux où les monnoies n'ont point été affoiblies, & où elles ont été bien réglées. Cependant ce que S. Louis leva sur ses monnoies, nous peut servir en quelque façon de regle, puisque toutes les fois qu'elles tombérent dans le désordre sous ses successeurs, ce qui arriva souvent, les peuples demandérent toujours qu'on les remît au même état qu'elles étoient du tems de S. Louis.

Ce sage prince avoit fixé le prix du marc d'argent à 54 sols 7 deniers tournois ; & il le faisoit valoir 58 sols étant converti en monnoie ; desorte qu'il prenoit sur chaque marc d'argent, tant pour son droit de seigneuriage que de brassage, ou frais de la fabrication, 3 s. 5 d. c'est-à-dire, quatre gros d'argent, ou la seizieme partie du marc. On prenoit aussi à proportion un droit de seigneuriage sur les monnoies d'or. M. le Blanc a donné des tables à la fin de chaque regne, qui constatent ce que les successeurs de S. Louis ont levé, tant sur les monnoies d'argent que sur celles d'or.

Nos rois se sont quelquefois départis de ce droit de seigneuriage, retenant seulement quelque chose pour la fabrication ; c'est ainsi que se conduisit Philippe de Valois au commencement de son regne. Toutes sortes de personnes, dit-il, porteront le tiers de leur vaisselle d'argent à la monnoie... & seront payées, sans que nous y prenions nul profit, mais seulement ce que la monnoie coutera à fabriquer. Il paroît par une autre ordonnance du roi Jean, qu'il fit la même chose sur la fin de son regne. Il y est dit, en parlant des monnoies qu'il venoit de faire fabriquer, qu'elles avoient été mises à si convenable & juste prix, que lui roi n'y prenoit aucun profit, lequel il pouvoit prendre, s'il lui plaisoit, mais vouloit qu'il demeurât au peuple. Louis XIII. & Louis XIV. ont suivi une ou deux fois cette méthode.

Il convient de remarquer que ce que nos anciens rois prenoient sur la fabrication de leurs monnoies, étoit un des principaux revenus de leur domaine : ce qui a duré jusqu'à Charles VII. aussi lorsque le besoin de l'état le demandoit, le roi non-seulement augmentoit ce droit, & levoit de plus grosses sommes sur la fabrication des monnoies, mais par une politique bien mal-entendue, il les affoiblissoit, c'est-à-dire, en diminuoit la bonté : c'est ce que nous apprend un plaidoyé fait en l'an 1304 par le procureur de Philippe le Bel, contre le comte de Nevers, qui avoit affoibli sa monnoie. " Abaissier & amenuisier la monnoie, dit le procureur général, est privilege espécial au roi, de son droit royal, si que à lui appartient, & non à un autre ; & encore en un seul cas, c'est à savoir en nécessité, & lors non pour le convertir en son profit espécial, mais en la défense d'un commun ".

Sous la troisieme race, dès que les rois manquoient d'argent, ils affoiblissoient leurs monnoies, pour subvenir à leurs besoins ou à ceux de l'état, n'y ayant encore ni aides, ni tailles. Charles VI. dans une de ses ordonnances, déclare qu'il est obligé d'affoiblir ses monnoies, pour résister à son adversaire d'Angleterre, & obvier à sa damnable entreprise, attendu, ajoute-t-il, que de présent nous n'avons aucun autre revenu de notre domaine, dont nous nous puissions aider.

Les grandes guerres que les successeurs de S. Louis eurent à soutenir contre les Anglois, les obligerent souvent de pratiquer ce dangereux moyen pour avoir de l'argent. Charles VII. dans la pressante nécessité de ses affaires, poussa l'affoiblissement si loin, & leva un si gros droit sur les monnoies, qu'il retenoit les trois quarts d'un marc d'argent pour son droit de seigneuriage & de brassage. Il prenoit encore une plus grosse traite sur le marc d'or.

M. le Blanc dit avoir lu dans un manuscrit de ce tems-là, que le peuple se ressouvenant de l'incommodité & des dommages infinis qu'il avoit reçus de l'affoiblissement des monnoies & du fréquent changement du prix du marc d'or & d'argent, pria le roi de quitter ce droit, consentant qu'il imposât les tailles & les aides : ce qui leur fut accordé ; le roi se réserva seulement un droit de seigneuriage fort petit, qui fut destiné au payement des officiers de la monnoie, & aux frais de la fabrication. Un ancien regître des monnoies qui paroit avoir été fait sous le regne de Charles VIII. dit que " onques puis, que le roi meit les tailles des possessions, l'abondance des monnoies ne lui chalut plus. " On voit par-là que l'imposition fixe des tailles & des aides fut substituée à la place d'un tribut infiniment plus incommode que n'étoient alors ces deux nouvelles impositions. (D.J.)


SEIGNEURIALadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui appartient au seigneur ou à la seigneurie, comme un manoir seigneurial, un droit seigneurial, le retrait seigneurial. Voyez SEIGNEUR, SEIGNEURIE. (A)


SEIGNEURIES. f. (Gram. & Jurisp.) est le titre que l'on donne à différentes sortes de supériorités & de puissance que l'on peut avoir, soit sur les personnes d'un lieu, soit sur les héritages de ce lieu.

Ce terme seigneurie, tire son étymologie de seigneur, qui vient du latin senior ; parce qu'anciennement la supériorité & puissance politique étoit attribuée aux vieillards. Voyez ci-devant SEIGNEUR.

Chez les Hébreux, les Juifs, les Grecs, les Romains & autres peuples de l'antiquité, il n'y avoit point d'autre seigneurie, puissance ou supériorité, que celle qui étoit attachée à la souveraineté, ou aux offices dont l'exercice consistoit en quelque partie de la puissance publique ; on ne connoissoit point encore ces propriétés particulieres tenues noblement, ni cette supériorité sur les héritages d'autrui, que l'on a depuis appellé seigneuries.

Ceux que dans l'ancienne Gaule on appelloit principes regionum atque pagorum, n'étoient pas des possesseurs de seigneuries telles que nos duchés, comtés, châtellenies ; c'étoient des gouverneurs de provinces & villes, ou des magistrats & juges qui rendoient la justice dans un lieu. Leur puissance étoit attachée à leur office, & non à la possession d'un certain territoire.

La propriété qu'on appelloit autrefois sieurie, du pronom sien, ne participoit alors jamais de la seigneurie ou puissance publique.

Cependant par succession de tems, les seigneuries qui, si l'on en excepte la souveraineté, n'étoient que de simples offices, furent converties en propriété. La sieurie fut confondue avec la seigneurie, desorte que présentement le terme de seigneurie a deux significations différentes ; l'une en ce qu'il sert à désigner tout droit de propriété ou de puissance propriétaire, que l'on a dans un bien ; l'autre est qu'il sert à désigner une terre seigneuriale, c'est-à-dire possédée noblement, & avec titre de seigneurie.

Ainsi le terme de seigneurie signifie en général une certaine puissance possédée propriétairement, à la différence de la puissance attachée à l'office dont l'officier n'a simplement que l'exercice.

La seigneurie est publique ou privée ; on peut voir la définition de l'une & de l'autre dans les subdivisions qui suivent cet article.

Les Romains ont reconnu la seigneurie ou puissance publique, & l'ont exercée sur les personnes & sur les biens.

Il est vrai que du tems de la république, les citoyens romains n'étoient pas soumis à cette puissance, elle résidoit au contraire en eux ; ils possédoient aussi librement leurs héritages d'Italie. Mais les autres personnes & les biens situés ailleurs, étoient soumis à la puissance publique, jusqu'à ce que toutes ces différences furent supprimées par les empereurs. Les terres payoient à l'empereur un tribut appellé censum, lequel cens étoit la marque de la seigneurie publique.

Tel étoit aussi l'état des Gaules sous la domination des Romains, lorsque les Francs en firent la conquête. Les vainqueurs se firent seigneurs des personnes & des biens des vaincus, sur lesquels ils s'attribuerent non seulement la seigneurie publique, mais aussi la seigneurie privée ou propriété.

Ils firent tous les naturels du pays serfs, tels que ceux qu'on appelloit chez les Romains censitos, seu adscriptitios, gens de main-morte, ou gens de pote, quasi alienae potestatis ; d'autres semblables à ceux que les Romains appelloient colonos, seu glebae addictos, gens de suite, ou serfs de suite, lesquels ne pouvoient quitter sans le congé du seigneur.

Le peuple vainqueur demeura franc de ces deux especes de servitudes, & exempt de toute seigneurie privée.

Les terres de la Gaule furent toutes confisquées ; une partie fut retenue pour le domaine du prince, le surplus fut distribué par provinces & territoires aux principaux chefs & capitaines des Francs, à l'exemple de ce qui avoit été pratiqué chez les Romains, lesquels pour assurer leurs frontieres, en donnérent les terres par forme de bénéfice ou récompense à leurs capitaines, pour les tenir seulement pendant qu'ils serviroient l'état.

La seule différence fut que les Francs ne donnérent pas seulement les frontieres, ils distribuerent de même toutes les terres de l'état.

Les provinces furent données avec titre de duché ; les marches ou frontieres, avec le titre de marquisat ; les villes avec leur territoire, sous le titre de comté ; les châteaux & villages, avec quelque territoire à-l'entour, sous le titre de baronie ou de châtellenie, ou de simple seigneurie.

Mais ceux auxquels on donna ces terres n'en eurent pas la seigneurie pleine & entiere ; la seigneurie publique en demeura par devers l'état, ils n'en eurent que l'exercice ; le prince se réserva même la seigneurie privée de ces terres, dont la propriété lui est reversible, & même pendant qu'elles étoient possédées par chaque officier ou capitaine, il y conservoit toujours une autre sorte de seigneurie privée, qui est ce que l'on a appellé seigneurie directe ; ces terres n'étant données qu'à la charge de certains devoirs & de certaines prestations.

Telle fut la premiere origine des fiefs & seigneuries, lesquels n'étoient d'abord qu'à tems, & ensuite à vie, & devinrent dans la suite héréditaires.

Les capitaines auxquels on avoit donné des terres, tant pour eux que pour leurs soldats, en distribuerent à leur tour différentes portions à leurs soldats, aussi à titre de fief, d'où se formerent les arrieres-fiefs.

Ils en rendirent aussi quelques portions aux naturels du pays, non pas à titre de fief, mais à la charge d'un cens, tel qu'ils en payoient aux Romains ; de-là vient l'origine de nos censives.

Au commencement les seigneuries étoient tout à la fois offices & fiefs. Les seigneurs rendoient eux-mêmes la justice en personne ; mais dans la suite ils commirent ce soin à d'autres personnes, & on leur a enfin défendu de juger eux-mêmes, au moyen de quoi les offices des seigneurs ont été convertis en seigneuries, auxquelles néanmoins est demeurée attachée une partie de la puissance publique.

C'est de-là qu'on distingue deux différens degrés de seigneurie publique ; le premier qui est la souveraineté ; le second qu'on appelle suzeraineté, comme étant un diminutif de la souveraineté, & une simple supériorité sans aucun pouvoir souverain.

On distingue aussi deux sortes de seigneurie privée ; savoir la directe, qui est celle des seigneurs féodaux ou censuels ; & la seigneurie utile, qui est celle des vassaux & sujets censiers. C'est pourquoi par le terme de seigneurie privée l'on entend aussi quelquefois la propriété simplement, abstraction faite de toute seigneurie prise en tant que puissance & supériorité.

La seigneurie privée ou directe, n'a plus guere lieu présentement que sur les biens & non sur les personnes, si ce n'est dans quelques lieux où il y a encore des serfs de main-morte & gens de poursuite, & à l'égard des vassaux & censitaires pour les devoirs & prestations dont ils sont tenus à cause de leurs héritages.

Les premieres seigneuries publiques, dans l'ordre de dignité, sont les seigneuries souveraines, lesquelles ont des droits & prérogatives qui leur sont propres. Voyez ETAT, MONARCHIE, ROI, ROYAUME, SOUVERAIN, SOUVERAINETE.

Les seigneuries publiques qui sont seulement suzeraines ou subalternes, sont des seigneuries non souveraines, ayant fief ou franc-aleu noble, avec justice annexée à quelque titre d'honneur, tels que duché, comté, marquisat, &c. Voyez FRANC-ALEU.

Ces sortes de seigneuries avoient autrefois la puissance des armes & le pouvoir législatif ; les seigneurs qui avoient assez de vassaux pour former une compagnie, levoient banniere & avoient leur bande à-part : ils donnoient aussi à leurs sujets des statuts, coutumes & privileges.

Présentement toutes seigneuries particulieres, autres que les souveraines, n'ont plus de la puissance publique que la justice qui y est annéxée en tout droit de propriété. Voyez JUSTICE.

Les seigneuries suzeraines sont de trois sortes ; savoir les grandes, les médiocres & les petites, ou simples seigneuries.

Ces grandes seigneuries, que l'on appelloit toutes anciennement d'un nom commun, baronies, sont celles qui ont titre de haute dignité, comme les duchés & comtés pairies, les autres duchés & comtés, marquisats, principautés.

Ces grandes seigneuries jouissoient autrefois de presque tous les droits régaliens, comme de faire des loix, d'établir des officiers, de rendre la justice en dernier ressort, de faire la paix & la guerre, de battre monnoie, lever deniers sur le peuple. Les possesseurs de ces seigneuries portoient sur la tête une couronne, selon leur dignité. Voyez COURONNE, DUC, COMTE, MARQUIS.

Mais depuis que les choses ont été remises dans leur état naturel, les grandes seigneuries ne different des autres que par le titre de dignité qui y est attaché, & par l'étendue de leur justice, mouvances, possessions & droits.

Les médiocres ou moindres, sont celles qui ont un titre de dignité, mais inférieur aux autres, tels que les baronies, vicomtés, vidamés, châtellenies.

Les petites ou simples seigneuries, sont celles qui n'ont que le droit de justice, haute, moyenne ou basse, ou même toutes les trois ensemble, sans aucun titre de dignité.

Les grandes seigneuries suzeraines relevent ordinairement nuement de la seigneurie souveraine ; les médiocres ou moindres, de quelque grande seigneurie ; & les petites ou simples, relevent aussi communément d'une seigneurie du second ordre.

Cependant quoique le souverain puisse seul créer des justices, & ériger des seigneuries proprement dites, une grande seigneurie peut relever d'une autre, & non du roi directement, & ainsi des autres seigneuries.

Ces seigneurs de fiefs peuvent seulement créer des arriere-fiefs ; mais ne peuvent pas créer de seigneurie qui participe à la puissance publique, parce qu'ils ne peuvent pas créer de nouvelles justices, ni d'une justice en faire deux.

Les fiefs & seigneuries étoient autrefois tous indivisibles, ce qui n'est demeuré qu'aux souverainetés & aux grandes seigneuries, telles que les principautés, les duchés & comtés pairies.

A l'égard des autres seigneuries, la glebe peut bien se diviser ; mais le titre de dignité & la justice ne se divisent point.

Anciennement toutes les grandes seigneuries ne tomboient point en quenouille, parce que c'étoient des offices masculins ; présentement les femmes y succedent suivant les regles des fiefs, sauf l'exception pour les duchés-pairies non femelles.

Les médiocres & petites seigneuries étoient inconnues dans l'origine des fiefs ; les vicomtes, prevôts, viguiers, châtelains, vidames, n'étoient que des officiers inférieurs, préposés par les ducs & comtes, lesquels, à l'exemple de ceux-ci, se firent propriétaires de leur office & seigneuries.

Les seigneuries en général peuvent jouir de divers droits, les uns relatifs au fief, les autres à la justice.

Relativement au fief, elles jouissent des droits & devoirs seigneuriaux, tels que la foi & hommage, & l'aveu & dénombrement pour les fiefs qui en relevent, les déclarations & reconnoissances pour les terres qui en relevent en roture, les droits de quint, relief, lods & ventes, & autres dûs aux mutations.

Relativement à la justice, les seigneuries ont droit de police & de voirie, droit de pêche dans les petites rivieres, droit d'amende & de confiscation, bâtardise, deshérence & autres semblables.

La puissance spirituelle n'est point une seigneurie proprement dite ; mais une seigneurie temporelle peut être jointe à une dignité spirituelle.

Les prélats peuvent avoir deux sortes de justice ; l'une purement ecclésiastique, qui n'est point possédée par droit de seigneurie ; l'autre purement temporelle, qui est tenue en fief.

Les justices appartenantes aux villes ne sont point une marque de seigneurie ; elles ne sont ni royales, ni seigneuriales, mais municipales, c'est-à-dire justices de privileges.

Sur ce qui concerne les seigneuries, voyez les auteurs qui ont traité des fiefs, franc-aleus, justices, principautés, souverainetés ; Loiseau des seigneuries, & les mots FIEF, FRANC-ALEU, SEIGNEUR, &c. (A)

SEIGNEURIE CENSIVE ou CENSUELLE. Voyez ci-devant SEIGNEUR CENSIER.

SEIGNEURIE IN CONCRETO, est celle qui est formée du concours de la seigneurie publique & de la seigneurie privée, telle qu'une terre seigneuriale, qui consiste tout-à-la-fois en la possession d'héritages tenus noblement & en droit de supériorité sur des héritages que le seigneur ne posséde pas. Voyez Loyseau, des seign. ch. ij. n. 1. & suiv.

SEIGNEURIE DIRECTE, est celle qui n'a pas la propriété de la chose, mais seulement la supériorité & la mouvance, soit en fief ou en censive ; elle est opposée à la seigneurie utile.

SEIGNEURIE FONCIERE ou TRES-FONCIERE. Voy. ci-devant SEIGNEUR FONCIER.

SEIGNEURIE HONORAIRE, est celle qui est érigée par le roi en titre de comté, marquisat ou principauté, quoiqu'elle ne releve pas directement du roi, mais d'un autre seigneur : on appelle ces sortes de seigneuries honoraires, parce que régulierement les grandes seigneuries ne doivent relever que du roi, & que quand elles ne relevent pas, leur titre qui leur est attribué n'est réputé qu'un titre honoraire. Voyez Loiseau, des seigneuries, ch. vj. n. 9.

SEIGNEURIE PRIVEE, que quelques-uns appellent simplement sieurie, pour la distinguer de la seigneurie publique, qui est la seule seigneurie proprement dite, est le droit que chaque particulier a dans sa chose, comme le propriétaire sur son héritage, le maître sur son esclave. Voyez Loiseau des seigneuries, ch. j. & les mots DIRECTE, DOMAINE, PROPRIETE, SEIGNEURIE FEODALE.

SEIGNEURIE PUBLIQUE, consiste en la supériorité & autorité que quelqu'un a sur les personnes & choses qui lui sont soumises. Elle est appellée publique, parce qu'elle emporte le commandement ou puissance publique. Il n'y a de vraie seigneurie publique que la puissance que donne le droit de justice lorsqu'on le posséde en propriété ; car l'officier qui exerce la justice n'a pas la seigneurie, & la seigneurie féodale ou directe n'est proprement qu'une seigneurie privée. Voyez ci-devant SEIGNEURIE DIRECTE, SEIGNEURIE FEODALE, SEIGNEURIE PRIVEE. Voyez Loiseau, des seigneuries, ch. j. n. xxvj.

SEIGNEURIE SOUVERAINE, est celle à laquelle est attaché le droit de souveraineté, telle que l'empire, un royaume, ou autre moindre seigneurie établie en souveraineté. Il y a aussi des états aristocratiques & démocratiques qui forment des seigneuries souveraines.

SEIGNEURIE SUBALTERNE en général, est toute seigneurie non souveraine ; on entend néanmoins quelquefois par-là plus particulierement les moindres seigneuries, qui sont inférieures aux plus grandes.

SEIGNEURIE SUZERAINE. Voyez SEIGNEUR SUZERAIN.

SEIGNEURIE TEMPORELLE. Voyez SEIGNEUR TEMPOREL.

SEIGNEURIE TRES-FONCIERE. Voyez SEIGNEUR FONCIER.

SEIGNEURIE VICOMTE. Voyez SEIGNEUR VICOMTIER.

SEIGNEURIE UTILE, c'est la propriété à la différence de la seigneurie directe, qui ne consiste que dans une supériorité retenue sur l'héritage. Voyez SEIGNEUR DIRECT & SEIGNEUR UTILE. (A)


SEILLANS(Géog. mod.) petite ville, ou pour mieux dire, bourg de France, en Provence, dans la viguerie de Barjols, avec un college que tiennent les doctrinaires. (D.J.)


SEILLELA, (Géog. mod.) nom de deux rivieres de France ; l'une en Lorraine, tire son origine du lac de Linder, & se perd dans la Moselle, à Metz. L'autre prend sa source aux frontieres de la Picardie, passe au Cateau Cambrésis, & se jette dans l'Escaut, au-dessus de Valenciennes. (D.J.)

SEILLE, s. f. (Tonnelier) vaisseau de bois sans fond par le haut, & qui a la grosseur d'une feuillette. Il est garni de cerceaux, & d'une anse de fer posée sur un gros bâton, dont deux hommes se chargent chacun sur une épaule, pour transporter le vin du pressoir dans les caves. Ce bâton, appellé tinet, sert aussi à broyer les raisins dans la cuve. (D.J.)


SEILLEAUS. m. (Marine) c'est un seau.


SEILLURES. f. (Marine) Voyez SILLAGE.


SEIMES. f. terme de Maréchal ; c'est une fente dans la corne des quartiers du cheval, qui s'étend depuis la corne jusqu'au fer, qui est douloureuse, & fait boiter le cheval. (D.J.)


SEINS. m. (Gram.) partie du corps où sont les mamelles, & qui forme l'extérieur de la poitrine. Il se prend pour la gorge, les tétons. On dit cette fille n'a point de gorge, n'a point de sein. Elle est sans modestie, elle découvre son sein. Je porte cet enfant dans mon sein. Combien de bonnes & de mauvaises actions renfermées à jamais dans le sein de la terre. Cette nouvelle m'a plongé la mort dans le sein. Il est rentré dans le sein de sa famille.

SEIN, (Critique sacrée) en grec , en latin sinus ; ce mot sein a plusieurs significations dans l'Ecriture. Il se prend pour la partie du corps renfermée dans l'enceinte des bras : Exod. iv. 6. & de cette signification sont venues ces façons de parler ; garder la main dans son sein, pour dire ne point agir ; métaphore tirée des gens oisifs qui tiennent leurs mains dans leur sein, sans rien faire. Porter dans son sein, c'est chérir tendrement, comme font les meres & les nourrices. Le Lazare fut porté dans le sein d'Abraham, Luc, xvj. 22. Tel est un enfant bien-aimé, qui est reçu entre les bras de son pere. L'épouse du sein, désigne l'épouse légitime. L'apôtre bien-aimé reposoit sur le sein de Jesus. Jean xiij. 23. Alors on étoit couché sur des lits la tête tournée vers la table & les piés en-dehors ; ainsi Jean, qui étoit au-dessous de Jesus, avoit la tête près de lui, & comme dans son sein ; ainsi dormir dans le sein de quelqu'un, c'est dormir auprès de lui ; couver une femme dans son sein, fovere in sinu suo, Prov. l. 20. c'est desirer de la corrompre.

Ce mot en latin désigne aussi le repli, le pan d'une robe, dont on se servoit à tirer les sorts. Prov. xvj. 33. Pour entendre cette métaphore, il faut savoir que les anciens qui portoient de longues robes, mettoient les billets dans un pan, & que c'étoit la maniere de tirer au sort ; de-là ces façons de parler proverbiales, excutere sinum suum, secouer le pan de sa robe, pour marquer l'horreur qu'on a de quelqu'un ou de quelque chose ; abscondere ignem in sinu, cacher du feu dans les replis de sa robe, pour dire nourrir secrétement dans son coeur des desirs de vengeance.

Enfin le mot grec , & le latin sinus, signifient un golfe, parce que dans un golfe on est enfermé entre deux rivages, comme entre deux bras, act. xxij. 39. (D.J.)

SEIN D'ABRAHAM, (Critique sacrée) les juifs ont ainsi nommé le séjour des bienheureux ; & cette expression est employée dans S. Luc, ch. xvj. 22. cependant plusieurs peres de l'Eglise ont été fort incertains sur cette matiere. Tertullien embrassant l'opinion de S. Irenée, dit que Lazare étant aux enfers dans le sein d'Abraham, y jouissoit du rafraîchissement. Lazarus apud inferos in sinu Abrahae refrigerium consecutus. Le même Tertullien enseigne ailleurs, que l'ame du Seigneur, pendant que son corps étoit au sépulcre, descendit aux enfers, & apparut sous une forme humaine aux patriarches. C'étoit-là, selon lui, qu'étoit le sein d'Abraham, où le mauvais riche vit Lazare. Cette opinion venoit ou des préjugés du paganisme, ou plutôt du manque d'intelligence du style de l'Ecriture ; voilà pourquoi les mêmes peres s'imaginerent que le sein d'Abraham étoit un lieu particulier, que le paradis terrestre subsistoit encore quelque part, & en conséquence, ils prenoient à la lettre les expressions de l'auteur de l'Apocalypse, comme si les ames des martyrs avoient été réellement enfermées sous je ne sai quel autel. Beausob. (D.J.)

SEIN, (Marine) petite mer environnée de terre, qui n'a de communication à aucune autre que par un parage.


SEINELA, (Géog. mod.) en latin Sequana ; riviere ou fleuve de France. Il prend sa source en Bourgogne près de Chanceaux, à 6 lieues de Dijon, traverse la Champagne, arrose Troyes, & commence à porter bateau à Méry. Ensuite la Seine après avoir reçu l'Yonne & le Loing, traverse l'île de France, où elle arrose Melun, Corbeil & Paris. A deux petites lieues au-dessus de cette derniere ville, elle reçoit la Marne qui la grossit considérablement, & à 5 lieues au-dessous elle reçoit l'Oise. Enfin, après avoir séparé le Vexin de la Beauce, & avoir arrosé Vernon, Pont-de-l'Arche, Rouen, Caudebec, Quilleboeuf & Honfleur, elle va se jetter dans l'Océan par une grande embouchure au Havre - de - Grace. La Seine fait dans son cours mille méandres, & forme sur son passage quelques îles agréables. Ses bords sont assez bien proportionnés pour causer rarement du désordre. Ses eaux sont bonnes, saines & pures. (D.J.)

SEINE, terme de Pêche, sorte de filet qui sert à faire la pêche du hareng, ainsi que nous allons le dire.

Les pêches du hareng & du maquereau sont flottantes, c'est-à-dire que la tête des filets, garnie de liege, reste à la surface de l'eau, ou seulement un peu plongé, à la volonté du maître pêcheur. Ces filets ne peuvent prendre que des poissons passagers ; ainsi ils ne nuisent point au bien général de la pêche.

Lorsque le bateau est arrivé au lieu où l'on se propose de faire la pêche avant de jetter à la mer la tessure, qui est toute la longueur des seines jointes ensemble, pour ne faire, pour ainsi dire, qu'un seul filet ; l'équipage amene le grand mât, & ne donne à la voile de misaine que ce qu'il lui en faut pour le soutenir à la marée pendant qu'ils tendent le filet. Les pêcheurs même des grandes gondoles font cette manoeuvre en un instant, & s'ils n'ont point besoin de leur misaine, qu'ils nomment borset, ils amenent la marterelle, qui reste dans la même place ou tombe-arriere.

Ensuite on leve presque tout le pont par feuilles d'écoutilles, pour tirer des rumbs, les filets qui y sont levés ; on jette à la mer un hallin, dont le bout est soutenu d'un barril de bout ; on frappe les seines sur le hallin, de trois en trois pieces de seines, qui ont chacune quatre brasses ; on y frappe pour soutenir les seines & le hallin un quart de petite futaille ; l'autre bout du hallin est amarré au bateau, que les filets font dériver avec eux à la marée ; les seines plongent dans l'eau de quelques brasses au moyen d'un petit cordage avec lequel elles sont frappées sur le hallin, qu'on peut allonger ou raccourcir suivant que l'on juge que le hareng prend le fond, ou approche de la surface de l'eau ; les filets qui sont fort lourds tombent perpendiculairement ; mais la tête est soutenue de flottes de liege amarrées sur le bauchet, ou la tête du filet à un pié de distance les uns des autres. Les harengs qui se trouvent dans le passage de la tissure sont arrêtés ; & comme il est du naturel des poissons de pousser toujours avec leur tête pour se faire passage, ils se maillent dans le filet où ils sont pris par les ouïes ; au bout de quelques heures on halle à bord les seines pour en retirer le poisson ; on ne prend de cette maniere avec les seines uniquement que des harengs, quelquefois, mais rarement, des jeunes maqueraux, quelques scelans, de fausses aloses, qui sont comprises avec les harengs sous un même genre, & qui se trouvent confondus avec eux ; les seines jointes ensemble font plus de 6 à 700 brasses pour la tissure d'un seul bateau. Toute cette manoeuvre est représentée dans nos Planches.

Cette pêche doit se faire la nuit, & plus elle est obscure, plus on la peut espérer bonne. Voyez les Pl. & les fig. des pêches.

SEINE ou TRAINE, terme de Pêche, sorte de filet dont le coleret est une espece ; la seine est construite comme le coleret, mais elle est tirée par deux bateaux, au-lieu que le coleret l'est par des hommes ou des chevaux. Voyez COLERET. Cette pêche se fait de basse-mer, & cesse aussi-tôt que le flot commence à venir ; on ne prend ordinairement avec cet engin que des flets, lesquels restent volontiers dans les bassures après que la mer s'est retirée.

On se sert de seines pour faire la pêche du hareng. Voyez l'article précédent.

Les seines dont on fait usage à l'embouchure des rivieres, se distinguent en seines claires & seines épaisses ; les seines claires servent à pêcher des aloses, des feintes, des saumons, & quelquefois, mais rarement, des éturgeons, & autres especes de poissons de riviere ; les mailles des seines claires sont de 11 ou 12 lignes.

Les seines épaisses n'ont au plus que cinq lignes en quarré, qui est la maille des bouts-de-quievres. Ces rets, au-lieu de plombs, sont pierrés par le bas & garnis de flottes de liege par le haut. Les Pêcheurs les allongent & les haussent ou baissent autant qu'il leur plaît ; ils les font de 60, 70, 80, 90, 100 à 200 brasses de long plus ou moins, quelquefois ils ne leur donnent qu'une brasse & demie de chûte, & quelquefois le double, suivant la largeur de la riviere & la profondeur des eaux ; les extrêmités du filet sont toujours moins hautes que le milieu, pour pouvoir former une follée ou sac où le poisson se trouve arrêté, quand on vient à haler le filet à terre.

Pour faire cette pêche, il faut un bateau qui porte au large, & souvent par le travers de la riviere qu'il barre ; un bout du filet suit le bateau, & l'autre est tenu à terre par un homme ou deux. Quand le bateau a fait une grande enceinte, ceux qui sont dedans le ramenent de même bord, & on hale les deux bouts de la seine en les rejoignant ; on enveloppe de cette maniere tout ce qui s'est trouvé dans l'enceinte du filet qui dérive au courant de l'eau quelquefois l'espace d'un quart de lieue, les Pêcheurs s'entr'aident pour haler la seine sur les bancs, d'autant que le travail est fort rude, à cause de la pesanteur du filet & de sa grandeur. La seine épaisse sert à prendre des éperlans, & généralement tout ce qui se trouve dans l'enceinte du filet, & il y a des tems différens que l'ordonnance a fixés pour faire la pêche avec ces deux différens filets.

Dans quelques endroits où l'on se sert de grandes seines dont le poids est considérable, les Pêcheurs les halent à terre avec des virevaux ou treuils qu'ils transportent où ils jugent à propos ; cette manoeuvre qui est la même que quand on vire au cabestan, leur est d'autant plus commode qu'ils sont ainsi dispensés de se mettre en grande troupe pour faire cette pêche.

Il y a encore des seines qu'on appelle seines dérivantes ; cette pêche est libre dans la riviere de la Villaine, dans le ressort de l'amirauté de Nantes en Bretagne, pourvu que le pêcheur qui la veut faire, la fasse seul.

Comme le lit de la riviere est peu large, il frappe à terre un piquet où il amarre un des cordages ou bras du filet, ensuite il s'éloigne l'espace qu'il juge àpropos, & le tend de la même maniere que font les autres pêcheurs qui se servent de seines ; son filet est aussi tendu en demi-cercle, & revient de même au piquet en halant à lui l'autre cordage ou bras qui est resté amarré à son bateau ; comme les seines sont fort petites, il peut aisément faire seul cette manoeuvre ; quand ils sont deux dans le bateau, un desquels est souvent un jeune garçon, ce dernier reste à terre, & l'autre tend le filet qu'ils relevent ensuite ensemble, comme on fait par-tout ailleurs.

Il y a d'autres seines, entre lesquelles sont les petites seines dormantes, ainsi appellées, parce qu'elles sont sédentaires ; cette pêche qui est particuliere, ne se fait qu'à la basse-eau.

Le filet dont se servent les Pêcheurs est une petite seine ou filet long au plus de trois à quatre brasses de long, ayant environ une brasse & demie à deux brasses de fond ; chaque bout est amarré sur une perche, haute de deux à deux brasses & demie ; deux hommes tenant chacun la perche du filet, entrent à la basse-eau dans la mer le plus avant qu'il leur est possible sur des fonds de sable, ayant souvent de l'eau jusqu'au col ; l'ouverture du ret est exposée à la marée & au courant ; & comme la lame dans cette partie des côtes d'O. N. O. de l'amirauté de Quimper est toujours fort élevée quelque calme qu'il puisse faire, à cause des courans formés par la proximité des îles voisines ; lorsque ceux qui pêchent de cette maniere voyent venir la houle qui ne manqueroit pas de les couvrir, ils s'élancent au-dessus en s'appuyant sur la perche dont le pié est un peu enfoncé dans le sable, ce qu'ils font avec d'autant plus de facilité que le volume de l'eau les aide à s'élever, ainsi ils évitent la vague qui amene à la côte des mulets & d'autres especes ; quand les Pêcheurs présument qu'il y a du poisson dans le filet, dont les mailles sont de vingt & dix-huit lignes en quarré, ils se rapprochent l'un de l'autre, & enveloppent ce qui est dedans ; & après l'avoir retiré, ils continuent la même manoeuvre tant que la marée la leur permet, en reculant toujours du côté de la côte à mesure qu'elle monte, & ils ne finissent la pêche que quand la hauteur de l'eau les oblige de la cesser.

Le tems le plus commode pour faire cette petite pêche est depuis le mois de Mai jusqu'au commencement de Septembre : comme ce filet ne traîne point, & qu'il reste sédentaire sur le fond, cette maniere de pêcher ne peut causer aucun préjudice, d'ailleurs on n'y peut prendre que des gros poissons avec des mailles aussi ouvertes ; nous l'avons nommée seine dormante, à cause de son opération, les Pêcheurs ne la peuvent traîner ; ils ne font qu'exposer leurs rets à la mer. Voyez les Planches & les fig. de la Pêche.

Une autre sorte de seine s'appelle seine traversante. En voici la manoeuvre.

Quand les Pêcheurs veulent se servir de ce filet pour faire la pêche, ils se mettent ordinairement quatre bateaux ensemble pour en faire la manoeuvre, la chaloupe qui pêche, c'est-à-dire celle qui porte le filet, a cinq hommes d'équipage pour tendre ; quatre hommes nagent, de maniere que le cinquieme tend la seine, la place en demi-cercle ; un des bouts est amarré à l'arriere du bateau, & pour le relever, deux des pêcheurs se mettent à l'avant ; le bateau tournant suivant l'établissement du filet, & pour empêcher le poisson qui se trouve dans l'enceinte d'en sortir ou de sauter au-dessus des flottes de liége qui la tiennent à fleur d'eau, deux des trois autres bateaux entrent dans l'enceinte & battent l'eau avec leurs avirons ; ils s'en servent aussi pour lever le filet par les flottes, le troisieme bateau se met en-dehors & fait aussi la même manoeuvre.

Ces filets ont leurs pieces chacun de trente brasses de long & de trois de chûte ; les Pêcheurs s'en servent également à la mer, comme aux embouchures des rivieres ; ils se mettent ordinairement cinq pêcheurs ensemble, fournissent chacun une piece de filet, ce qui fait environ cent cinquante brasses de longueur, lesquelles montées & jointes ensemble ne donnent au plus que soixante-dix à quatre - vingt brasses d'étendue, à cause du sac & du ventre qu'il faut que forme ce filet pour y arrêter le poisson plat & le poisson rond.

Cette pêche se fait en tout tems, & hors la saison de la sardine le tems le plus favorable est celui des chaleurs de l'été, parce qu'elles font lever le poisson de dessus les fonds ; quelques-uns, comme les vieillards & les jeunes gens qui ne font point la pêche de la sardine, font celle-ci en tout tems.

Ces mêmes filets placés sédentaires sur les fonds servent aussi à faire la pêche des mulets & du poisson blanc, pour-lors ils doivent être regardés comme des especes d'haussieres de basse-Normandie, & des cibaudieres & petits rieux des pêcheurs normands & picards.

SEINE ou SENNE CAPLANIERE, terme de Pêche, usité par les Pêcheurs du ressort de l'amirauté de S. Malo, & qui désigne une sorte de filet, avec lequel ils font la pêche des petits poissons propres à servir d'appât pour la pêche de la morue sédentaire aux côtes de Terre-Neuve.

On reproche encore aux Pêcheurs terre-neuviers de se servir au retour de leur voyage des seines caplanieres, qui leur sont nécessaires pour prendre les caplans, harengs, sardines, maquereaux, & autres sortes de poissons qui servent à faire la boîte de la pêche le long des côtes de Terre-Neuve, où il y a toujours, suivant la force des équipages, quelques chaloupes qui sont destinées à pêcher l'appât, & que l'on nomme à cet effet caplaniere ; elles ont coutume de seiner ces sortes de poissons, & de revenir le soir vers leur échafaud, afin d'en fournir les Pêcheurs lorsque ces chaloupes partent du matin pour la pêche ; quelquefois même on tient dans l'enceinte de la seine ou senne, les poissons qui s'y trouvent pris, pour ne les en retirer qu'à mesure qu'on en a besoin, pour avoir une boîte plus fraîche & plus nouvelle.

Les Pêcheurs de S. Malo n'ont pour la pêche en mer que trois petits bateaux seulement du port de deux à trois tonneaux, montés de trois, quatre à cinq hommes d'équipage, qui font en mer la pêche le long de la côte avec les rets, nommés trésures, étales ou étalieres, qui sont les séchées des pêcheurs des côtes de l'amirauté de Morlaix, & quelquefois lorsqu'ils n'ont rien autre chose à faire, celle de la pêche de la ligne au libouret pendant seulement les mois de Juin, Juillet, Août & Septembre ; durant cette saison des chaleurs, ils font aussi la pêche du lançon ou esquille, à la senne ou seine, mais d'une maniere différente de cette même pêche pratiquée par les Pêcheurs de pié d'Oystrehan & de Gray, sur les côtes du Benin ; ceux de S. Malo ne pouvant aller qu'avec bateaux sur les lieux de la pêche.

Cette pêche se fait sur les bancs de gros sables de l'île Herbours placée à l'O. de S. Malo par le travers de la Caplaniere, paroisse des Lunacco de Pontval, on la fait aussi sur les sables à Cézambre, où il n'y a jamais de gué ou passage à pié & sur la paille, placé par le travers de Dinars, paroisse de S. Enogats, où on ne peut aussi se rendre qu'avec bateaux.

SEINES FLOTTANTES A FLEUR D'EAU, terme de pêche, usité dans le ressort de l'amirauté de Brest ; ce sont des filets que les pêcheurs nomment improprement seines, & que l'on doit regarder plutôt comme une espece de picots flottans, à la différence de ces mêmes filets dont se servent aux embouchures des rivieres & des bayes les pêcheurs du pays d'Auge & de la basse-Normandie, qui les tendent sédentaires par fond ; les filets des pêcheurs de Léon se tiennent à fleur d'eau, où ils sont soutenus par des flottes de liege, & n'ont des pierres fort éloignées les unes des autres que pour faire caler le filet de sa hauteur, ils ne le laissent pas long-tems à la mer, & ne le tendent que lorsqu'ils apperçoivent des poissons en troupe ; aussi-tôt que le ret a fait son enceinte, & qu'ils en ont rejoint les deux bouts, ils le relevent en prenant le filet, un homme par la tête, & un autre par le pié ; ce ret tendu de cette maniere, & relevé de même au large de la côte, ne peut être abusif, ni regardé comme la seine traînante dont la manoeuvre est toute différente, ainsi la pêche en doit être permise sans aucune difficulté.

SEINE ou SEUNE, terme de pêche, en usage dans le ressort de l'amirauté de S. Malo.

Les petits pêcheurs de S. Malo qui font la pêche du lançon autour de l'île Herbours & de la Paille, commencent à tendre leurs filets, lorsque les bancs qui les entourent se découvrent de marée baissante des vives eaux ; mais autour de Cezambre, la pêche du lançon ne se fait que de morte eau seulement.

Les bateaux sont mâtés en quarré, pincés avant & arriere, n'ayant qu'un seul mât, une voile & un foc dont ils ne se servent qu'autant qu'ils en ont besoin, ils sont ordinairement dans ces bateaux cinq hommes d'équipage.

Leurs seines ont environ 30 à 35 brasses de longueur, & 15 à 16 piés de chûte ou de hauteur ; elles sont agréées de même que les seines ordinaires, avec un canon ou échallon de bois de chaque côté ; les jets, brasses ou halles sont d'une longueur proportionnée à l'endroit où ils veulent tendre leurs filets, dont les mailles ont 4, 5 à 6 lignes en quarré formées d'assez gros fils ; la tête garnie de flottes de liége, & la corde du pié de pierres éloignées du filet de quelques pouces par les avançons ou petites lignes où elles sont frappées, pour empêcher que le bas du filet ne traîne sur le fond : au milieu du filet, est une chausse ou sac de serpilliere d'environ deux brasses de longueur, au bout duquel est amarré de même avec un avançon, une pierre pour faire caler le sac & le tenir en état d'y recevoir les lançons qui se trouvent dans l'enceinte du filet.

La manoeuvre de le tendre & de le relever, est semblable à celle des seines ordinaires ; comme cette pêche se fait sur un fond de gros gravois, de rocailles & de coquilles brisées, les pêcheurs sont forcés d'éloigner ainsi les pierres du bas de leurs filets ; sans cette précaution nécessaire, il seroit bien-tôt coupé & mis en pieces, & quand la mer est émûe & fort agitée, ils sont encore obligés d'ôter ces pierres pour soulager le sac, qui autrement seroit aussi-tôt rempli. Cette même raison empêche encore ces pêcheurs de pouvoir garnir leurs seines d'aucun plomb par le pié, ou par la ligne du bas du filet qu'ils perdroient aussi s'il étoit chargé.

Cette pêche du lançon commence ordinairement à la fin de Mai, & dure jusqu'au dernier jour d'Août. Par l'expérience qui en a été faite, & par le détail qu'on peut voir, ce filet ne peut prendre aucun poisson plat, il n'arrête jamais que des lançons, des orbleus & des orphies ; ces deux dernieres sortes de poissons suivent les lançons pour en faire curée ; les pêcheurs n'y prennent aucun autre poisson, parce que le filet ne touche jamais le fond, que lorsqu'on le ramene à terre pour tirer du sac ce qui y est entré ; on le releve sur les bords des écorres, des bancs, autour desquels se fait cette pêche qui n'a lieu que de marée basse, & qui ne donne que le tems de pouvoir faire deux à trois traits au plus pendant chaque marée.

Ce filet est une espece de seine, mais eu égard à la maniere dont il est monté, la nature du terrein où se fait cette pêche qui est de gros gravier où le frai ne se forme point, & à la situation de la côte où le poisson ne se plaît & ne séjourne point, cette pêche se peut tolérer, supposé que ce filet ne pût servir à d'autre usage, dans l'intervalle qu'il ne serviroit pas à la pêche du lançon.

Quoique la pêche du lançon se fasse dans le même tems que les riverains de S. Malo le désablent à la bêche ou faucille autour des roches qui y restent découvertes de basse mer ; la plûpart de ceux qui font cette petite pêche à la main, n'en vendent que peu ou point. Les uns les pêchent pour leur propre consommation, ou en prennent en si petite quantité, que la vente qu'ils en pourroient faire ne seroit point un objet, au lieu que les pêcheurs avec bateaux, sont ceux qui en fournissent les habitans de la ville, où ce poisson est fort recherché.


SEINGS. m. (Gram. & Jurisprud.) du latin signum, signifie en général marque.

Anciennement le terme de seing, signum, se prenoit pour le sceau ou cachet particulier, dont chacun usoit pour sceller & adopter les actes qu'il passoit ; ce seing ou sceau tenoit alors lieu de signature.

Depuis que l'usage de l'écriture est devenu plus commun, & que les signatures manuelles ont été substituées à l'apposition des sceaux ou cachets ; on a souvent entendu par seing la souscription que quelqu'un fait d'un acte, & pour distinguer ce seing de l'apposition du sceau, on l'a appellé seing manuel.

Les seings ou signatures n'ont pas toujours été formés du nom entier de la personne & en toutes lettres suivies ; au lieu de signature, l'on usoit de monogrammes, espece de hiéroglyphes, qui rassembloient toutes les lettres du nom. Voyez le gloss. de Ducange, au mot monogramma.

Les personnes qui ne savent pas écrire, au lieu de seing, font encore une croix ou autre marque, ce qui ne forme qu'une preuve fort imparfaite.

J'ai vu un acte souscrit par l'impression d'une signature gravée en bois ; cette marque étoit plus facile à reconnoître qu'une croix ou autre marque aussi simple.

On distingue deux sortes de seing, le seing public & le seing privé ; le premier est authentique, l'autre ne l'est point, & n'a point de date certaine. Voyez AUTHENTIQUE, SIGNATURE, SOUSCRIPTION. (A)

SEING dans quelques anciennes ordonnances, signifie marque, poinçon ou cachet. Par exemple, dans l'ordonnance de Philippe le Bel du mois de Janvier 1313, article 10 ; il est dit que dans chaque ville où il y aura orfevre, il y doit avoir un seing propre pour seigner les ouvrages qui y seront faits, qui sera gardé par deux prud'hommes établis à cet effet, & qu'un seing ne doit point ressembler à l'autre. (A)

SEING, (Comm.) c'étoit proprement parmi les anciens un signe, une marque, que l'on faisoit au-bas d'un acte, tels qu'étoient les monogrammes qui servoient tout ensemble de signature & de sceau, & que l'on mettoit aux chartres & autres actes publics ou particuliers, pour les confirmer & les autoriser.

Seing s'entend présentement de deux manieres, 1°. de la signature que les contractans ou l'un d'eux font de leur propre main au-bas de quelqu'écrit.

2°. Du paraphe ou entrelacement de plusieurs lignes ou traits que chacun imagine pour son usage, & qu'on met immédiatement après sa signature.

Acte sous seing privé, est celui qui n'est ni attesté ni passé par des personnes publiques.

Blanc-seing, c'est une feuille de papier blanc, au bas de laquelle on met son nom, pour être remplie à la volonté de celui à qui on le confie. Dictionn. de Commerce & de Trév.


SEINNETTEou PETITES SEINES, terme de pêche, sorte de filet, dont la manoeuvre est en tout semblable à celle de la seine, dont elle ne differe que parce qu'elle est plus petite ; on s'en sert particulierement pour faire la pêche des ables, dont l'écaille sert aux fabricateurs de fausses perles ; cette pêche se fait le long des îles, & pendant que l'eau est trouble, sans quoi les pêcheurs ne prendroient rien ; le ret est plombé par le bas, & flotté par le haut ; la maille de ce filet n'a guere que 4 lignes. Voyez SEINE.

Il y a aussi une autre espece de seinnette, qui sert particulierement à prendre les équilles, qui est un poisson passager à l'embouchure de la riviere d'Orne. Ce poisson commence à paroître vers la mi-Mai, & reste jusqu'à la S. Michel.

Il faut quatre hommes pour faire cette pêche ; le filet est de la forme du coleret, mais le service en est différent, en ce que les pêcheurs ne dérivent ni ne traînent point ; mais deux hommes chacun par un bout tiennent le filet tendu, au moyen d'un bâton qui est à chaque extrêmité, & dont ils enfoncent une des extrêmités dans le sable, & l'écorre contre l'autre afin de le rendre plus ferme ; alors deux autres pêcheurs qui sont à l'eau jusqu'au col, s'éloignent 30 à 40 brasses du filet, & reviennent en battant l'eau jusqu'à ce qu'ils soient proches. L'équille épouvantée du bruit, ou par l'agitation de l'eau, se jette dans le filet ; & les deux pêcheurs qui ont battu l'eau, levent promtement le bas ou la plommée du filet de la seinnette ; & ceux qui tiennent les canons, qui sont les deux bouts, roidissent de toute leur force, en tenant le filet horisontalement, pour lors ils ramassent toutes les équilles dans le milieu du filet, & les renversent dans des paniers que portent les pêcheurs qui tiennent les bouts de la seinnette, & aussi-tôt ils recommencent un autre trait, tant que la basse mer le leur permet.

Ces seinnettes ont dix à douze brasses de long, & une brasse & demie de chûte ; la maille n'a au plus que 2 lignes en quarré, ce qui est une contravention manifeste à l'ordonnance. On peut juger du tort considérable que fait un échantillon si petit au général de la pêche.


SEIPODS. m. (Poids) poids de Moscovie dont on se sert particulierement à Archangel. Il contient dix poudes, à raison de quarante livres le poude, poids du pays, qui reviennent à trente-deux livres, poids de marc. (D.J.)


SEIRAM(Géog. mod.) ville de Perse, sur les frontieres de Gété, au nord de Sihon, à 99. 25. de longit. & à 44. 45. de latit. (D.J.)


SEIREFou SIREF, (Géog. mod.) ville la plus méridionale de la Perse, près de la mer, & abandonnée depuis que le commerce s'est établi à Kis, île du golfe Persique. Longit. suivant les tables arabiques, 88. latit. septent. 29. (D.J.)


SEIRJAN(Géog. mod.) ville de Perse dans le royaume de Fars. Long. selon M. Petit de la Croix, 90. 25. latit. 29. 30. (D.J.)


SEISACHTHEIESS. f. plur. (Antiq. d'Athènes) , mot qui signifie décharge d'un fardeau, étoit un sacrifice public d'Athènes, en mémoire d'une loi de Solon. Cette loi portoit, que toutes les dettes du pauvre peuple seroient remises au bout d'un certain tems, ou du-moins que l'intérêt en seroit considérablement diminué, & que les créanciers ne pourroient dans la suite saisir leurs débiteurs, comme ils faisoient avant cette ordonnance. Voyez Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 430. (D.J.)


SEIVIA(Hist. mod.) nom d'une secte de bramines ou de prêtres des idolâtres de l'Indostan, qui different des autres en ce qu'ils regardent Ruddiren ou Issuren comme le premier des trois grands dieux de l'Inde ; ils le mettent au-dessus de Ram ou Brama & de Vistnou. Voyez RAM, VISTNOU & RUDDIREN. Ceux qui font profession de cette secte, se marquent le front avec de la cendre de fiente de vache, brûlée ; & quelques-uns portent le lingam au col, & le font porter à leurs enfans, en l'honneur de leur dieu favori qui est le Priape des Indiens. Voyez RUDDIREN.


SEIZAINES. f. (terme d'Emballeurs) autrement FILAGOR, espece de petite corde ou grosse ficelle, dont les Emballeurs se servent pour leurs emballages. Il y en a de la grosse & de la menue. La plus commune est composée de trois fils de chanvre bien cablés ou tortillés ensemble ; elle a la grosseur d'une menue plume à écrire, & sert ordinairement à corder des ballots & paquets, soit de marchandises, de hardes, ou de meubles. (D.J.)


SEIZAINSS. m. plur. (Draperie) draps de laine dont la chaîne est composée de seize fois cent fils, c'est-à-dire seize cent fils en tout. (D.J.)


SEIZE(Arithmétiq.) nombre pair composé d'ude dixaine & de six unités, ou de deux fois huit, ou de quatre fois quatre ; ainsi que deux fois multipliées par huit, ou que huit le soit par deux, ou que quatre le soit par soi-même, cela ne produira jamais que seize. En chiffre commun ou arabe, seize s'écrit ainsi 16 ; en chiffre romain, de cette maniere XVI, & en chiffre françois, de compte, ou de finance, de la sorte xvj. Legendre. (D.J.)

SEIZE, (les) s. m. plur. (Hist. mod.) nom d'une faction fameuse dans l'histoire de France. Elle se forma à Paris en 1579 pendant la ligue. On les nomma ainsi à cause des seize quartiers de Paris, qu'ils gouvernoient par leurs intelligences, & à la tête desquels ils avoient mis d'abord seize des plus factieux de leur corps. Les principaux étoient Bussi-le-Clerc, gouverneur de la Bastille, qui avoit été auparavant maître en fait d'armes : la Bruyere, lieutenant particulier : le commissaire Louchard : Emmonot & Monot, procureurs : Oudinet, Passart : & Senaut, commis au greffe du parlement, homme de beaucoup d'esprit, qui développa le premier cette question obscure & dangereuse du pouvoir qu'une nation peut avoir sur son roi. Un bourgeois de Paris, nommé la Rocheblond, commença cette ligue particuliere pour s'opposer aux desseins d'Henri III. qui favorisoit, disoit-on, les Huguenots. Cette faction accrûe & fomentée par ceux que nous avons nommés, & beaucoup d'autres, se joignit à la grande ligue commencée à Péronne. Après la mort des Guises à Blois, elle souffla le feu de la révolte dans Paris contre Henri III. & eut, à ce qu'on croit, bonne part au parricide de ce prince. également opposée à Henri IV. elle se porta aux plus étranges extrêmités contre ceux qu'elle soupçonnoit être ses partisans ; elle affecta même d'être indépendante du duc de Mayenne, & n'oublia rien pour faire transporter la couronne à l'infante Claire Eugénie, fille de Philippe II. roi d'Espagne, ou à ce prince lui-même. Mais quand Paris se fut soumis à son légitime souverain en 1594, cette faction fut entierement dissipée, soit par la retraite des principaux d'entre les seize, soit par la clémence que ce prince témoigna envers les autres.

SEIZE, (LIVRE in -) terme d'Imprimerie. Les Libraires & Imprimeurs nomment un livre in-seize, celui dont chaque feuille d'impression étant pliée, compose seize feuillets, ou trente-deux pages. (D.J.)


SEIZIEME(Arithmétiq.) partie d'un tout divisé en seize parties égales. Lorsqu'il s'agit de fractions ou nombres rompus de quelque tout que ce soit, un seizieme s'écrit de cette maniere, 1/16. On dit aussi trois seiziemes, cinq seiziemes, sept seiziemes ; ce qui se marque ainsi, 3/16, 5/16, 7/16. Le 1/16 de 20 sols est 1 s. 3 den. qui est une des parties aliquotes de la liv. tournois. Legendre. (D.J.)


SEJONTLE (Géog. mod.) riviere d'Angleterre, au pays de Galles, dans le comté de Caernarvan. Le Séjont s'appelloit anciennement Sejontius, & il avoit donné son nom au peuple séjontien, dont la capitale nommée Sejontium, étoit voisine de Caernarvan qui s'est élevé sur ses ruines. (D.J.)


SÉJOURS. m. (Gram.) lieu où l'on habite, & quelquefois le tems qu'on y demeure. Mon séjour n'a pas été long. Marli est un séjour enchanteur au printems. J'ai fini mon séjour dans la capitale.

SEJOUR, (Marine) c'est le tems qu'un vaisseau demeure dans un port ou dans une rade étrangere. On dit jours de séjour pour les vaisseaux de guerre, & jours de planches pour les vaisseaux marchands.


SEKIKA(Hist. nat. Botan.) c'est une espece de sanicle étrangere, du Japon, qui ressemble au cotyledon, ou nombril de Vénus. Sa feuille, qu'on prendroit pour celle du cyclamen ou pain de pourceaux, offre une agréable variété de couleurs. Sa tige, haute d'un pié est demi, & garnie de plusieurs fleurs à cinq pétales qui forment l'apparence d'une guêpe volante. Elles sont couleur de vermillon.


SEKISJU(Géog. mod.) une des huit provinces de l'empire du Japon, dans la contrée montagneuse froide ou du nord. Elle a deux journées de long du nord au sud, & se divise en cinq districts. Le pays de cette province produit abondamment du cannib, & quelque peu de sel. Ses habitans donnent tous les ans à leur daünio ou prince héréditaire, le double de ce qu'on donne dans les autres provinces de cette contrée du nord. (D.J.)


SEKKI-KAN(Hist. nat. Botan.) c'est un arbrisseau du Japon, d'une brasse de hauteur, dont les feuilles qui enveloppent les rameaux de distance en distance, sont étroites, longues, épaisses, argentées par-dessous, pendantes & sans découpures. Ses fleurs sont incarnates, & ramassées à l'extrêmité des rameaux par bouquets, de dix jusqu'à quinze, qui sortent d'une enveloppe commune. Elles sont monopétales, & découpées en sept grandes levres. On en distingue deux autres especes, l'une à fleurs blanches, & l'autre à fleurs rouges.


SEL & SELS(Chymie & Médecine) on comprend sous le nom de sel trois especes de substances ; les acides, les alkalis, & les sels neutres ; en réunissant les propriétés communes à ces trois classes, on trouve que les sels sont des corps solubles dans l'eau, incombustibles par eux-mêmes, & savoureux ; il faut bien se défendre d'appeller sel tout se qui se crystallise, sans quoi nous confondrions plusieurs corps très-différens entr'eux.

Les sels sont répandus dans les trois regnes de la nature, l'opinion commune des chymistes est même que l'air porte avec lui l'acide vitriolique ; il est au-moins bien sûr qu'il peut se charger d'un très-grand nombre de sels ; ceux qu'il peut dissoudre sont appellés volatils, ceux au-contraire qu'il ne peut enlever, sont nommés fixes ; tous les acides, les alkalis volatils, & quelques sels neutres, spécialement ceux qui sont formés par l'union du sel ammoniac avec les différens métaux, sont volatils ; mais le plus grand nombre est fixe.

Indépendamment des sels que la nature fournit, il en est une foule que l'art seul peut produire, & il imite la nature dans la formation de presque tous les sels neutres.

Les sels sont, comme nous l'avons vu, acides, alkalins, ou neutres ; leur nature & leurs propriétés different par-là essentiellement ; chaque espece fournira une classe particuliere. Après avoir examiné les propriétés communes à tous les sels, nous parcourons successivement celles qui le sont aux classes, aux ordres, & aux genres.

Classe I. Les acides. Les acides étant vraisemblablement la base de tous les autres sels, méritoient d'être traités les premiers ; l'opinion la plus reçue est que les alkalis ne sont que des acides combinés avec d'autres principes ; ce sentiment a pour lui la raison & l'expérience. La raison dit que la nature choisit toujours les voies les plus simples, & que l'affinité des acides & des alkalis, l'avidité avec laquelle ils s'unissent, est l'effet de l'analogie ; l'expérience fait voir dans le regne végétal, quand il passe par tous les degrés de la maturité & de la fermentation, les acides se perdre, se changer en alkalis, & redevenir ensuite acides.

Leurs propriétés communes sont d'être les menstrues d'un grand nombre de corps, & en s'unissant avec la plûpart, de former des sels neutres ; leur saveur est si forte, que pour peu qu'ils soient concentrés, ils sont corrosifs ; ils sont tous solubles dans l'air, c'est-à-dire volatils, plus ou moins suivant la quantité de phlogistique qui entre dans leur combinaison ; ainsi l'acide vitriolique que nous soupçonnons en contenir le moins, est le plus difficile à s'élever dans la distillation ; il faut que le feu soit poussé au dernier degré, pour que l'huile glaciale s'éleve ; ils sont solubles dans l'eau, plus ou moins dans la proportion opposée à la précédente : ainsi l'acide vitriolique que nous avons dit contenir le moins de phlogistique, s'unit avec une facilité étonnante à l'eau ; & tandis que les autres, exposés à l'air, perdent une partie de leur poids, il augmente le sien aux dépens de sa force, en se mêlant avec l'eau ; la rapidité avec laquelle il s'unit, s'il est concentré, cause un sifflement, un bouillonnement, excite la chaleur, en un mot produit une espece d'effervescence ; les acides s'unissent avec les huiles grasses & essentielles, ils forment avec elles des savons peu connus. S'ils sont concentrés en les mêlant, par une certaine manipulation avec ces huiles, sur-tout si elles sont essentielles pesantes, l'effervescence est si vive que la flamme naît du milieu. Unis aux esprits vineux, ils forment des nouveaux mixtes, connus depuis peu, qui n'existent nulle part dans la nature, qui ont des propriétés singulieres qu'on nomme aether ; ils produisent une effervescence, étant mêlés avec les alkalis, ils dissolvent tous les métaux : mais quoiqu'il n'y ait aucun métal qui ne puisse être dissous par un acide, aucun d'eux n'a la propriété de les dissoudre tous. Ils dissolvent aussi les terres, les calculs des animaux ; avec les alkalis, les métaux & les terres, ils forment des sels neutres. On observera à ce sujet, que différens degrés de concentration sont nécessaires pour les différentes dissolutions ; il en est des acides, considerés comme menstrues, de même que de l'esprit de vin, qui dissout, étant foible, quelques gommes-résines, qu'il n'eût point pu dissoudre s'il eût été rectifié. Il seroit à souhaiter que ce fait certain fût embelli par un grand nombre d'expériences, qui pourroient donner lieu à une regle générale ; ils rougissent le syrop violat & le papier bleu, il n'est aucun bleu végétal à l'abri de leur impression ; ils décomposent le lait des animaux, & celui qu'on tire des semences huileuses végétales, pour en faire des émulsions.

L'affinité des acides est plus grande avec le phlogistique, qu'avec tout autre corps ; avec les alkalis fixes, qu'avec les volatils ; avec ceux-ci, qu'avec les terres absorbantes ; & enfin avec ces dernieres, plus qu'avec les substances métalliques. Ces affinités établies par M. Geoffroi, sont sujettes à quelques exceptions à la regle générale ; quelques terres absorbantes, & des métaux mêmes, pouvant décomposer le sel ammoniac, & le fer ayant la vertu de décomposer l'alun.

Les trois acides minéraux font des soufres ; voyez les art. part. l'acide microcosmique en fait un, le phosphore de Kunkel. Voyez MICROCOSMIQUE, ACIDE & PHOSPHORE.

Non - seulement les acides ne peuvent point se crystalliser, mais encore on ne peut les réduire en une masse solide, comme on le fait des alkalis fixes ; le seul acide vitriolique, moins volatil que les autres, peut, & encore ce n'est qu'avec beaucoup de travail, prendre une forme épaisse, ce qui est l'effet de leur grande affinité avec l'eau ; ils se saisissent de toutes les vapeurs aqueuses, & se mêlant avec elles, ils conservent leur fluidité ; nous défendons ce sentiment contre M. Marcgraf, qui prétend que l'acide animal se crystallise, parce que nous ne regardons point cet acide, comme un acide pur, mais comme un sel neutre microcosmique ; le tems & les expériences dévoileront ce problême.

Ces acides qui s'unissent avec tant d'ardeur & si étroitement à l'eau, qu'on ne peut jamais les en priver qu'à un certain degré, pendant la plus grande partie de cette affinité, lorsqu'ils sont unis aux alkalis fixes, quoique ceux-ci tombent en défaillance à l'air, c'est-à-dire se chargent de son humidité au point de devenir fluides ; il arrive ainsi que ces deux corps perdent l'un par l'autre une propriété qui leur étoit commune.

On les retire de l'eau, de l'air, des trois regnes de la nature, & des sels neutres factices ; le regne minéral, l'eau & l'air, fournissent en grande quantité l'acide vitriolique, le marin & le nitreux ; l'opinion reçue est que ce dernier vient des végétaux qui reçoivent en croissant l'acide vitriolique de la terre, & le dénaturent pour former le nitreux, qu'ils rendent à la terre en se pourrissant ; le regne végétal fournit les quatre genres d'acides ; le vitriolique se trouve dans les citrons, & semblables fruits ; le nitreux dans un grand nombre de plantes, sur-tout dans les chicoracées & les borraginées, ou asperifoliae de Raj. l'acide marin est évident dans les plantes maritimes ; & l'acide végétal dans toutes les parties des plantes qui ont subi une fermentation acide, peut-être même dans un grand nombre avant leur maturité ; ce qui nous conduit à une reflexion importante, c'est qu'on ne connoit point précisément la nature de l'acide des raisins avant leur maturité, du verjus, on ne sait point si c'est comme nous le soupçonnons un acide vitriolique, qui par la maturité du fruit, forme le sel essentiel, pour devenir ensuite successivement par la fermentation acide du vinaigre ; ou s'il est avant, comme après la maturité & la fermentation, la même espece d'acide, la découverte de sa nature seroit de la plus grande importance pour conduire à une théorie lumineuse de la fermentation inconnue jusqu'à présent, & pour démontrer la transmutation des acides ; ce ne seroit point un travail long, fatigant, ni compliqué. Former avec le verjus & les alkalis des sels neutres, les faire crystalliser, les reduire à leur ordre, feroit la plus grande partie de l'ouvrage : enfin le regne animal fournit dans les fourmis, suivant Juncker, dans tous les insectes à aiguillon, & suivant Pott, dans presque toutes les parties des animaux, un acide peu connu.

Les acides ont des propriétés médicinales qui leur sont communes ; étant concentrés, ils gangrénent & cautérisent les chairs & les os sur lesquels on les applique, ils procurent l'exfoliation de ces derniers, ce qui les rend des poisons pris intérieurement ; mais fondus dans une grande quantité d'eau, ils sont rafraîchissans, répercussifs, ils ont la vertu de ralentir le mouvement du sang, d'éteindre la soif, humecter les fluides, relâcher même tous les solides ; ils conviennent donc dans les cas où il faut modérer la fievre, & les efforts trop grands de la nature : aussi les médecins les employent dans l'altération, lorsque la langue est seche, le pouls fort, lorsque quelque partie du corps, sans être affoiblie, est enflammée, ou bien entraînée dans des mouvemens convulsifs ; on les mêle dans les fievres malignes avec les cordiaux ; ils augmentent la transpiration, donnés dans les cas précédens, quand elle est supprimée par le défaut de secrétion que causent la contraction des solides, & le mouvement trop rapide du sang ; ils l'étendroient au-contraire, & même avec la vie, s'ils étoient donnés dans les cas de foiblesse ; ils sont des diurétiques relâchans, indiqués dans les cas d'inflammation des reins, ou de la vessie, telle que la procurent souvent les mouches cantharides prises intérieurement, ou même appliquées extérieurement en trop grande quantité ; ils doivent être mis en usage comme legers astringens, & comme tempérans, dans les différentes hémorragies, si on excepte l'hémoptysie, parce que excitant la toux, arrêtant la transpiration des bronches, la secrétion des crachats, ils pourroient augmenter l'engorgement ; c'est par ces raisons qu'ils sont contre-indiqués dans les inflammations de poitrine, & si on s'en sert, ce ne doit être que par les raisons les plus fortes, pour courir au mal le plus pressant : leur vertu d'arrêter la transpiration, & de ralentir le mouvement du sang, se manifeste à tout le monde, par l'usage qu'on en fait dans les grandes chaleurs ; ils arrêtent outre cela la digestion, & pris en trop grande quantité ou sans besoin, ils causent des rhumes, ou les aggravent ; dans les fievres bilieuses, caractérisées par la couleur des urines, des selles, de la langue, & par l'altération, ils sont du plus grand secours, eux seuls peuvent guérir, mêlés avec quelques évacuans, & nous les préférons de beaucoup dans ces cas à la saignée, parce qu'ils n'affoiblissent pas comme elle, que leur usage est plus long & moins accablant pour le moment ; tous les bilieux s'en servent utilement ; ils sont encore d'un usage fréquent contre les vers, on les mêle dans ce dessein avec les remedes doux, pour en rendre la boisson plus agréable, & la vertu anthelmintique plus sûre.

Leur usage économique, & celui qu'ils ont dans les arts, reviennent à tout moment ; mais si nous voulions entrer dans ces détails, ce seroit un ouvrage trop immense que nous entreprendrions.

Nous divisons les acides en deux ordres, le premier comprend les quatre acides simples, le second ne renferme jusqu'à présent, que l'eau régale, acide composé.

Ordre I. Les acides simples. Les acides, que nous appellons simples, ne sont le produit d'aucun mêlange apparent ; il en est quatre genres, le vitriolique, le nitreux, le marin, & le végétal, dans le détail desquels nous allons entrer.

Genre I. L'acide vitriolique. Voyez sous l'article VITRIOL, acide vitriolique.

Genre II. L'acide nitreux. Voyez ACIDE NITREUX, sous le mot NITRE.

Genre III. L'acide marin. Voyez ACIDE MARIN, sous le mot SEL MARIN.

Genre IV. L'acide végétal. Voyez VEGETAL, acide.

Ordre II. Les acides composés. Nous nommons ainsi les acides qui ne sont point composés de parties tout-à-fait semblables, mais qui sont le résultat du mêlange de plusieurs acides. Il est possible d'en former plusieurs especes, quoique nous doutions que tous les acides pussent assez bien se mêler, pour devenir des menstrues nouveaux, nous n'en trouvons qu'un connu, c'est l'eau régale. L'acide sulphureux ne nous a point paru différer assez de l'acide vitriolique, pour qu'il en fût fait mention séparément. Voy. REGALE (eau).

Classe II. Les alkalis. Les alkalis ont des propriétés bien différentes des substances que nous venons de quitter, quoique leur nature approche fort l'une de l'autre ; au sentiment des chymistes modernes, qui pensent que les acides entrent pour beaucoup dans la composition des alkalis.

On divise ceux-ci en fixes & en volatils ; les fixes sont ceux qui exposés au feu le plus violent, se fondent sans se dissoudre dans l'air, tandis que les volatils s'évaporent, quelque foible qu'en soit la température. Il ne paroît cependant pas qu'ils different beaucoup entr'eux ; un peu de phlogistique nous paroît en faire toute la différence. Trouver le moyen de le donner à l'alkali fixe, c'est trouver celui de le rendre volatil. Il est hors de doute que par la fermentation putride, la nature opere ce changement évident dans la putréfaction de l'urine. L'art en composant le foie de soufre, volatilise également les alkalis fixes ; puisque ces deux substances chacune séparément sans odeur, étant unies, en donnent une fort désagréable & tout-à-fait volatile, qu'il seroit possible & avantageux de rassembler dans un chapiteau.

Les principales propriétés des alkalis sont de faire une vive effervescence en se mêlant avec les acides, de composer avec eux des sels neutres, de décomposer les autres sels, de verdir le syrop violat & toutes les couleurs bleues des végétaux ; ils ont une saveur âcre & piquante ; les anciens chymistes prenoient pour un combat & une antipathie l'effervescence qui résulte du mêlange des acides & des alkalis. Actuellement l'opinion contraire a prévalu, & cette effervescence est reconnue pour un effet de la ressemblance, de l'accord qui semble être entre deux substances qui s'unissent avec vivacité : c'est ce qu'on nomme affinité ou rapport. Voyez RAPPORT, Chymie.

Nous rappellerons que les alkalis ont plus d'affinité avec l'acide vitriolique qu'avec le nitreux, le marin, & le végétal ; avec ceux-ci qu'avec le soufre & les huiles : mêlés à cette derniere espece de substance, ils forment les savons les plus aisés à faire, les plus connus, & les seuls en usage.

Les alkalis sont, comme nous l'avons dit, fixes, ou volatils ; on ne connoît pas plusieurs genres de volatils, mais il y en a trois de fixes, dont les propriétés sont comme nous le verrons différentes. Le premier est l'alkali terreux, le natrum ; le second est l'alkali marin, la soude ; le troisieme est l'alkali du tartre : ensorte que chaque regne de la nature a son alkali propre. Le regne animal adopte le volatil ; le natrum appartient au minéral ; la soude à l'aqueux, & l'alkali du tartre est le végétal ; nous les examinerons séparément.

Quant à leurs propriétés médicinales, nous dirons en peu de mots qu'ils sont apéritifs, diurétiques ; que les uns & les autres, mais sur-tout les volatils, accelerent le mouvement du sang ; qu'ils sont, suivant les expériences de M. Pringle, de puissans antiseptiques, étant appliqués sur les chairs mortes ; & cependant des escharotiques sur les chairs vivantes.

Ordre I. Les alkalis fixes. Les trois especes d'alkalis fixes ne different entr'elles que par le plus ou moins de principe terreux qui entre dans leur composition.

Outre les qualités communes à tous les alkalis, les fixes en ont de particulieres. Nous avons déja fait mention de plusieurs ; nous ajouterons que ces alkalis unis à une terre, ou une pierre quelconque, vitrifiable, argilleuse, calcaire ou gypseuse, forment des verres. La seule différence est dans la proportion : si celle de l'alkali est trop grande, le verre est plus transparent, mais bien plus facile à être altéré par les injures de l'air, les acides, &c. au point même que la proportion étant encore augmentée, il tombera à l'air humide en défaillance. Les cailloux fondus avec trois parties d'alkali fixe ou davantage, forment le liquor silicum, véritable dissolution des pierres les plus dures de la nature.

Ils ont plus d'affinité avec les acides que n'en ont les alkalis volatils ; aussi décomposent-ils tous les sels qui sont formés de ces deux corps ; leur grande affinité avec l'eau, & leur presque indissolubilité dans les esprits, font qu'ils peuvent aisément séparer de l'eau-de-vie & de l'esprit-de-vin, le phlegme qui n'est pas absolument nécessaire à leur combinaison ; & c'est un des moyens les plus simples de purifier l'esprit-de-vin. Cependant si on jette l'alkali fixe, tartareux, brûlant dans cet esprit, il le teindra d'abord ; c'est ce qu'on appelle esprit-de-vin tartarisé. En répétant plusieurs fois cette opération, Boerhaave prétend que peu-à-peu on parviendroit à décomposer tout l'esprit-de-vin.

Les alkalis fixes poussés au feu s'y fondent, & restent fixes ; ils acquierent par-là un degré de causticité de plus ; ils deviennent plus durs & legerement transparens. Fondus avec le soufre ils composent le foie de soufre, espece de savon très-remarquable par la dissolution qu'il fait de tous les métaux, & spécialement de l'or, de toutes les pierres & terres ; dissolution qui s'unit très-bien avec l'eau, & dont l'odeur putride prouve la volatilisation des alkalis fixes. Ces sels appliqués à nud, & seuls sur l'or, l'argent, & le mercure, ne les touchent point ; mais s'ils sont traités pendant long-tems avec les autres métaux, si on n'y mêle pas du phlogistique en assez grande quantité, ils les changent en chaux : cette observation est d'un très-grand usage dans la Docimasie, où les alkalis fixes entrent dans les flux pour faciliter la fusion.

Quant à leurs vertus médicinales, ils sont extérieurement de bons répercussifs fondus dans l'eau ; autrement des caustiques qui ont la plus grande part aux effets de la pierre à cautere. Intérieurement ils sont diurétiques, anti-acides, anti-émétiques ; ils corrigent les purgatifs : on voit par-là dans quels cas ils conviennent.

Genre I. L'alkali fixe minéral, ou naturel. Ce sel est le natrum ou nitrum des anciens, spécialement de Pline. On le trouve suivant son rapport & celui de plusieurs voyageurs, mêlé avec de la terre dans tout le levant ; il est aisé de le séparer de cette terre par une lessive évaporée jusques à siccité. On le trouve dans tous les pays du monde fondu dans certaines eaux minérales, auxquelles on a donné absurdement le nom d'acidules, à cause de leur goût piquant : telles sont les eaux de Vals, Spa, Aix-la-Chapelle, & tant d'autres. Ce sel se desseche quelquefois sur les rochers où les eaux minérales ont passé, & se sont évaporées. Il est alors aisé à ramasser ; mais ce ne seroit jamais qu'en petite quantité : nous en avons vu à Vals former un coup d'oeil agréable ; son goût fait la base de celui de ces eaux. Ce sel differe de l'alkali tartareux par un plus grand degré de fixité, & moins d'affinité avec l'eau, puisqu'il ne tombe pas en défaillance comme lui ; il contient donc plus de terre. C'est par cette quantité de terre qu'il differe encore, quoique très-peu, de l'alkali marin, avec lequel plusieurs chymistes le confondent. Sa différence nous paroît bien établie par celle qui est entre le sel d'epson, & celui de Glauber, quoique nous convenions sans peine, qu'il y a dans tout cela une obscurité qui seroit aisément dissipée, si on composoit des sels neutres avec cet alkali & les acides.

Nous pensons, quoique nous ne sachions pas que l'expérience ait été faite, que cet alkali, moins alkali (s'il est permis de le dire) que le marin & le tartareux, a moins d'affinité qu'eux avec les acides, & qu'ils pourroient par conséquent décomposer les sels neutres qu'il formeroit.

Ses vertus médicinales sont les mêmes que celles des alkalis en général, avec la différence qu'elles sont plus douces.

Genre II. L'alkali fixe marin. Le second alkali fixe, celui qui tient un milieu entre les deux autres, est l'alkali fixe qui sert de base au sel marin & au sel gemme ; c'est lui qu'on retire par l'incinération de plusieurs plantes maritimes, mais sur-tout du kali ou soude : c'est lui que tous les chymistes modernes confondent avec le précédent, le natrum. On voit aisément que ce sel a donné son nom aux autres alkalis, al n'étant qu'un article arabe qui confirme dans cette étymologie. Il a donc été le premier découvert, si on excepte le natrum ; il contient plus de terre que le tartareux, & moins que le minéral. On le reconnoît aisément, parce qu'il ne tombe point en défaillance à l'air ; qu'il s'y seche même, & en ce qu'il se crystallise comme les sels neutres, qualité qui lui est propre.

On tire ce sel de la soude, en en amassant des grands monceaux qu'on fait sécher & brûler : on peut le retirer aisément des sels neutres qu'il forme, en le précipitant par l'alkali tartareux, qui a plus d'affinité que lui avec les acides.

C'est de ce sel qu'on prépare avec la chaux & l'huile d'olive le savon ordinaire ; c'est avec lui & le sable qu'on fait le verre le plus durable ; on feroit même le plus beau, si les Verriers se donnoient la peine de séparer par une lessive les parties hétérogenes qui sont mêlées avec lui dans les cendres.

Il est peu d'usage en médecine ; ses vertus sont celles des alkalis fixes en général.

Genre III. L'alkali fixe tartareux. Le plus fort de tous les alkalis fixes, celui qui contient le moins de terre, celui qui se dissout le plus aisément dans l'eau, le seul qui tombe en défaillance à l'air, pour peu qu'il soit humide ; celui qui précipite tous les autres, s'ils sont unis avec des acides, qu'on est bien éloigné de pouvoir crystalliser, c'est l'alkali que fournissent les cendres des plantes qui ne sont pas maritimes, le tartre & le nitre. C'est lui que nous trouvons dans les cendres dont on se sert communément pour faire des lessives, pourvu qu'on brûle des végétaux qui n'ont point trempé long-tems dans l'eau ; comme le bois flotté, dont les cendres semblables à celles qui ont été lessivées, ne sont bonnes à aucun usage dans les arts. Cet alkali forme dans les lessives avec les huiles & les graisses du linge sale, une liqueur savonneuse qui aide le blanchissage. J'observerai en passant que les végétaux qui fournissent l'acide le plus foible, donnent l'alkali le plus fort.

Je ne vois pas que ce sel existe nulle part dans la nature à nud, non plus que l'alkali précédent. C'est l'art qui le tire des corps où il existoit combiné de façon que ses effets étoient tous différens. La maniere de le tirer, le végétal dont on le tire, sa pureté, l'état sec ou liquide dans lequel il est lui ont fait prendre des noms différens. On l'appelle potasse lorsqu'il coule dans un creux fait en terre, des monceaux de bois qu'on brûle au-dessus ; on le nomme sel préparé, à la maniere de Tachenius, lorsqu'on fait brûler la plante dans une marmite de fer rougie au feu & couverte ; il est le sel lixiviel d'absynthe, des cendres de genêt, &c. lorsque c'est de ces plantes qu'on le tire ; sel alkali de tartre, lorsque c'est la terre ou la lie de vin qui le fournissent ; cendres clavellées, quand ce dernier sel est mêlé avec beaucoup de terre inutile, dont on ne l'a point lessivé ; c'est du nitre fixé, lorsqu'il est le résultat de la détonation du nitre par le charbon ; & flux noir, quand c'est par le tartre crud qu'il détonne ; tombé en déliquium, c'est l'huile de tartre en défaillance, si la terre a fourni l'alkali ; c'est le prétendu alkaest de Glauber, s'il vient du nitre.

Nous entrerions dans des détails immenses si nous suivions toutes ces différentes préparations ; il nous suffira de les avoir indiquées, & de dire, quelles qu'elles soient, c'est toujours le même alkali, la même substance qui donne la vertu aux uns & aux autres sels ; qu'ils ne different entr'eux que par le plus ou le moins de pureté ; que le plus pur se fait par la détonation du nitre, que cependant il a encore besoin d'être lessivé ; que les sels lixiviels des différentes plantes, en conservant une partie de leur huile & de leur sel essentiel, participent de leur vertu, si l'incinération n'est pas complete , & il est rare qu'elle le soit ; que la méthode de Tachenius leur conserve encore plus la vertu de la plante ; que la potasse & la soude sont communément fort impures, de même que les cendres clavellées, & qu'enfin on ne doit tenter les expériences qu'avec ces sels bien préparés & très-purs.

Ce que nous avons dit des alkalis fixes en général doit spécialement s'entendre de celui-ci, comme du plus fort que nous ayons ; ainsi il forme les meilleurs savons, étant traité avec les huiles ; il se combine très-bien avec les essentielles ; avec celle de térébenthine il compose le savon de Starkey ; il purifie, comme nous l'avons vu, l'esprit de vin, & même peut le décomposer. Poussé à un feu violent avec les métaux imparfaits, les demi-métaux, les terres, les pierres & toutes les chaux, il les dissout pour former avec eux les verres les plus transparens, mais les moins durables, sur-tout si la proportion d'alkali est trop grande ; versé sur une dissolution de métaux dans les acides, il les précipite ; & si on en met surabondamment, il en tient plusieurs en dissolution, ce qui nous confirme dans l'idée de la possibilité des sels neutres formés par l'union des alkalis fixes avec les métaux ; il se fait jour à-travers les creusets & les pots, ce qui indique sa combinaison avec les terres dont ils ont été fabriqués.

Pour un grand nombre d'expériences, il vaut mieux l'avoir en défaillance que sec ; étant déja dissous dans la moindre quantité d'eau possible, il agit plus promtement lorsqu'on veut précipiter, dissoudre. Au reste, M. Gellert assure qu'il acquiert une gravité spécifique quatre fois plus grande en tombant en déliquium.

Ce sel est d'un usage économique très-étendu, puisqu'il entre dans toutes les lessives ; il est à tout moment nécessaire dans les teintures pour précipiter sur les laines, fils ou soies mordues déja par un acide, la partie colorante : il y en a pour cet usage deux manufactures considérables à Lyon ; il ranime les couleurs violettes des végétaux que l'air a ternies ; il est un excellent fumier, pourvu qu'il ne soit mêlé avec la terre qu'en très-petite quantité.

Les Médécins l'employent dans un grand nombre de maladies ; tiré de différentes plantes par diverses méthodes, il a les vertus des autres alkalis fixes, mais plus fortes ; & il y joint, suivant la préparation, la vertu des végétaux dont on l'a tiré.

Ordre II. L'alkali volatil. Le second ordre des alkalis ne comprend qu'un genre d'alkali volatil, qui a paru jusqu'à présent être le même de quelque part qu'il vienne.

Nous avons dit plus haut, que peut-être les alkalis volatils n'étoient autre chose que les fixes séparés d'une portion de leur terre, avec lesquels le phlogistique s'est combiné. Nous avons été conduits dans cette idée par la transmutation des alkalis fixes en volatils, lorsqu'on y ajoute du phlogistique, ou lorsque par un mouvement intestin la combinaison des principes en fermentation devient différente.

On trouve cet alkali en très-grande abondance dans les animaux, dont toutes les parties soumises à la distillation le fournissent, sans que la putréfaction ait précédé. Il n'est que quelques insectes qui doivent être exceptés de cette regle. Mais quoique nous l'ayons appellé l'alkali animal, on le trouve encore dans plusieurs plantes à nud. Telles sont celles de la tétradynamie de Linnaeus, la plûpart des cruciformes de Tournefort, les arum, & plusieurs autres de la Gynandrie, le chenopodium foetidum, & quelques autres éparses dans les différentes classes ; on le trouve encore dans certaines eaux minérales, on le reconnoît à une odeur d'oeufs pourris ; telles sont celles de Lauchtadt & Gieshubel en Allemagne. L'art produit l'alkali volatil en faisant putréfier les plantes & les animaux, en faisant du foie de soufre ; il l'extrait par la distillation de tous les corps précédens, de même que de la suie & de tous les sels ammoniacaux ; s'il le tire sous une forme solide, il se nomme sel alkali volatil ; si c'est sous un liquide, on l'appelle esprit volatil ; pour le tirer des substances qui le contiennent à nud, la seule distillation suffit ; mais lorsqu'il est combiné avec quelque acide, il est nécessaire que la décomposition précéde. C'est communément du sel ammoniac d'Egypte qu'on le retire pour les expériences chymiques & les usages médicinaux. On obtient la décomposition de trois manieres, avec l'alkali fixe du tartre, la chaux commune & les chaux de plomb. Par la premiere méthode l'alkali volatil est concret ; par les deux autres il est liquide, & on a besoin d'ajouter un peu d'eau pour aider la distillation.

L'alkali volatil a moins d'affinité avec les acides que n'en ont les alkalis fixes, la chaux & le plomb ; ce qui fait que ces trois substances le décomposent ; il en a moins avec l'acide végétal qu'avec le marin, le nitreux & le vitriolique. C'est la raison pour laquelle ce dernier acide décompose tous les sels ammoniacaux formés par les autres acides. L'alkali volatil dissout tous les métaux & les terres calcaires par différens procédés.

Il forme des savons avec les huiles grasses & essentielles, & même avec l'esprit de vin, si l'un & l'autre sont aussi déphlegmés qu'il est possible, deux liqueurs très - déliées, très-transparentes forment en se mêlant un coagulum, une masse pâteuse, blanchâtre, connue sous le nom de soupe de van-Helmont. Si en distillant par l'alkali fixe le volatil, on ajoute un huitieme ou un seizieme d'huile essentielle quelconque, on aura un sel volatil aromatique qui prendra son nom de la plante qui aura fourni l'huile essentielle. Si c'est par la chaux qu'on le distille, après avoir mêlé de l'huile de succin, on aura l'eau de luce. On donne le nom d'esprits volatils huileux aromatiques aux autres produits liquides de semblable distillation.

La Médecine fait un très-grand usage des alkalis volatils sur-tout aromatisés ; ils sont cordiaux, céphaliques, antihystériques, calmans, anodins, narcotiques. On les prend intérieurement, ou on en respire l'odeur. Au rapport de Boerhaave, ils peuvent causer la gangrêne appliqués extérieurement. Un sûr moyen, selon lui, d'en former un point, consiste à prendre un grain de sel alkali volatil, l'appliquer sur la peau, & le couvrir d'un emplâtre, dans peu l'escharre gangrêneuse sera formée tout-au-tour de ce grain de sel.

Dans les teintures il sert à préparer les couleurs bleues & violettes ; l'orseil & le bleu ordinaire, lui doivent toute leur préparation.

Classe III. Les sels neutres. Les sels neutres, salés, moyens, androgynes, hermaphrodites ou enixes (car les Chymistes leur ont donné tous ces noms), sont des corps solubles dans l'eau, la plûpart savoureux, formant des crystaux, ou une masse épaisse, voyez les articles NEUTRE, sel, & MOYEN, sel ; ils sont formés par l'union des acides ou des alkalis entr'eux, ou avec des pierres, des terres & des métaux. La partie la plus fixe au feu s'appelle la base.

Ils different entr'eux, 1°. par les substances dont on les tire qui sont minérales, végétales ou animales ; 2°. ils sont naturels ou factices ; 3°. les naturels existent purs dans la nature, ou bien ils sont mêlés avec d'autres substances dont il faut les extraire par des calcinations, l'exposition à l'air, des décoctions, des lessives & des précipitations ; 4°. les factices different par la maniere de les préparer ; les uns veulent être sublimés, les autres crystallisés à la faveur de l'évaporation & du refroidissement de la liqueur qui les tient en dissolution, d'autres précipités par le moyen de l'esprit-de-vin, quelques-uns arrachés à leurs menstrues propres pour être dissous par un autre ; d'autres enfin demandent une préparation, une précipitation antérieure de la base dissoute dans un autre menstrue, ce que M. Henckel nomme appropriation dans le traité qui porte ce titre ; 5°. les sels neutres different encore par leur crystallisation ; la plus grande partie forme des crystaux d'une figure qui leur est propre, qui sert à en établir la différence, & qui varie suivant que l'évaporation est rapide, moyenne, ou insensible ; voyez sur cet art. le mém. de M. Rouelle parmi ceux de l'académie des Sciences ; une bonne partie aussi ne donne point de crystaux connus jusqu'à présent, & n'en constitue pas moins un sel neutre ; 6°. il est des sels moyens entierement neutres, d'autres le sont avec surabondance d'acide ou d'alkali ; 7°. les uns sont volatils, les autres fixes au feu ; 8°. les uns se dissolvent aisément dans l'eau froide, d'autres exigent de sa part un très-grand degré de chaleur ; il en est qui sont si solubles dans l'eau, qu'ils tombent en défaillance à l'air humide, d'autres y perdent au contraire leur humidité, & tombent en efflorescence ; 9°. plus l'eau est chaude, plus la quantité de sel qu'elle peut tenir en dissolution est grande ; mais les proportions varient suivant les sels ; 10°. l'eau entre dans la composition de tous les sels neutres, mais dans des proportions bien différentes ; on peut en général avancer que leur facilité de se dissoudre dans l'eau est proportionnée à la quantité qu'ils contiennent ; 11°. ils different par leur gravité spécifique ; 12°. par leur dureté ; 13°. lorsqu'ils font partie des végétaux, & qu'ils y existent tels qu'on les extrait, ce sont des sels essentiels ; 14°. ils sont simples, c'est-à-dire formés par l'union de deux substances seulement, ou composés de trois ; 15°. ils different essentiellement entr'eux par la nature de leur base & par celle de l'acide, ou de l'alkali qui les constitue proprement sels neutres. C'est par ces deux dernieres différences que nous établirons les ordres, les genres & les especes.

Ordre I. Sels neutres simples. Nous appellons sels neutres simples, ceux qui, comme nous l'avons dit, n'exigent que l'union de deux substances pour leur composition ; ces substances sont acides, alkalines, terreuses ou métalliques. La nature de l'acide formera les premiers genres, celle de l'alkali les suivans.

Genre I. Vitriols. Nous donnons le nom de vitriol à tous les sels dont l'acide vitriolique est le principe. Les especes, comme il paroît par la table, sont tirées des quatre alkalis, des quatre terres, des sept métaux & de six demi-métaux. A côté des terres calcaires j'ai mis leurs chaux, qui donnent souvent des sels d'une nature différente. Parmi les métaux, j'ai placé la platine, quoique les sels qu'elle peut produire ne soient pas encore connus.

L'or & la terre vitrescible sont les seules substances indissolubles dans l'acide vitriolique par les procédés ordinaires ; cependant comme la plus grande partie des chymistes suppose que le sel sédatif du borax est l'acide vitriolique uni à une terre vitrescible, nous lui avons donné cette place. Pour essayer de dissoudre la terre vitrescible, ne pourroit-on pas en faire d'abord un verre avec surabondance d'alkali, ou un liquor silicum ? on y verseroit alors une assez grande quantité d'acide vitriolique, nitreux, marin ou végétal, pour espérer de tenir l'alkali & la pierre en dissolution ? c'est à l'expérience à résoudre ce problême.

Genre II. Nitres. L'or & la terre vitrescible sont encore les seules substances indissolubles dans l'acide nitreux ; mais on voit par la table le grand nombre de sels qui n'ont point été nommés, & qui ne sont pas connus.

Nous ferons sur ce genre les observations suivantes : 1°. Tous les sels formés par l'union de l'acide nitreux détonnent : 2°. cet acide dissout les terres calcaires, & forme avec elles un magma deliquescent qui a besoin d'une forte évaporation pour se crystalliser ; uni à la chaux, le magma qu'il forme est au contraire très-volatil : il dissout le cuivre, & éleve dans l'opération beaucoup de vapeurs rouges qui ne sont dûes qu'au fer que l'acide entraîne avec lui, comme l'a prouvé M. Hellot : il faut encore une évaporation forte pour faire crystalliser le sel qui en résulte. Le fer est précisément dans le même cas ; mais on remarque avec soin que l'acide foible en dissout une plus grande quantité. L'étain n'est dissous qu'en partie par l'acide nitreux, la dissolution n'en est point claire ; il est converti en une chaux d'un jaune bleu, qui devient entierement blanche étant lavée dans de l'eau, qui n'est ensuite soluble que dans l'eau régale. La dissolution de l'étain, dans ce dernier acide, est d'un grand usage dans les teintures dont elle releve beaucoup l'éclat, sur-tout de l'écarlate. Le mercure se dissout mieux dans l'acide concentré, en grande quantité & échauffé. Ce sont-là les preuves les plus grandes de leur peu d'affinité. L'acide nitreux dissout lentement l'arsenic, l'antimoine, le bismuth & le cobalt ; il dissout au contraire avec vivacité le zinc. La dissolution de l'antimoine n'est jamais claire ; il s'en précipite un antimoine diaphorétique. Tous les sels que les démi-métaux & l'alkali minéral peuvent produire sont inconnus. Voyez ACIDE NITREUX, sous le mot NITRE.

Genre III. Sels marins. L'acide marin uni à l'alkali minéral forme un sel qui ne differe pas du sel marin. La terre crétacée s'y dissout, mais ce sel ne peut se crystalliser. Sa saveur est astringente, son odeur bitumineuse : mis au feu, il se boursouffle sans décrépiter ; l'acide se dissipe, & une chaux reste. En mêlant dans sa dissolution des alkalis, il ne fait point d'effervescence ; mais il s'en précipite une terre blanche. Cet acide traité avec la chaux, forme le sel appellé huile de chaux, qui tombe aisément en défaillance, se fond au feu comme de la cire, & facilite la fusion des substances refractaires. Ce sel est un peu astringent, septique & diurétique. On le mêle avec le suc de solanum pour les dartres vives. La terre gypseuse n'est dissoute qu'en petite partie & sans effervescence ; la plus grande se précipite, la dissolution n'est qu'imparfaite. La terre vitrescible & l'or sont indissolubles dans l'esprit de sel.

L'argent & le plomb, ces deux métaux analogues, ne sont dissous qu'imparfaitement au-bout d'un certain tems, & en bien petite quantité, si on applique l'acide marin à nud ; il tombe même du dernier une poudre blanche au fond de la dissolution. Mais l'art fertile en ressource présente la cémentation & la précipitation, voies différentes, qu'on pourroit tenter pour d'autres substances. Ces métaux dissous dans l'acide nitreux sont précipités par le marin en une matiere molle, quoique consistante, qui s'appelle lune ou plomb corné. Le plomb dissous dans l'acide végétal est précipité de la même maniere. Ce plomb corné se dissout en grande partie dans l'eau bouillante. Par l'évaporation on obtient des petits crystaux doux, astringens & volatils. Un autre moyen d'avoir le sel qui résulte de l'union de l'acide marin & du plomb, consiste à décomposer le sel ammoniac par ce métal. Alors l'acide s'y unit, & forme avec lui des crystaux figurés comme des plumes. Cette singuliere façon de dissoudre persuade que tel menstrue qui ne passe pas pour être le dissolvant d'un tel corps, le deviendroit si on s'y prenoit différemment, & que peut-être tous les acides peuvent dissoudre tous les métaux & toutes les terres.

Voici encore un autre exemple de la singularité qui s'observe dans les dissolutions. L'acide marin ne dissout point, ou que très-peu de mercure si on l'applique à nud. En préparant ce demi-minéral, ou en le faisant sublimer en même tems que l'acide marin se distille, ils s'uniront en vapeurs, & formeront un sel, qui sera avec surabondance d'acide. Ensorte que pour le débarrasser de cette surabondance, il faudra le faire sublimer plusieurs fois avec du nouveau mercure pour former la panacée mercurielle, que nous regardons comme le véritable sel neutre du mercure & de l'acide marin. C'est-là le seul moyen de l'avoir entierement neutre & très-pur ; par la précipitation qu'on en fait de l'acide nitreux, il ne l'est jamais.

Les acides en ne dissolvant qu'une partie de certains métaux sur lesquels on les applique à nud, prouvent qu'ils ne les dissolvent qu'à raison de leur phlogistique, qu'ils les décomposent ; & en effet, s'ils n'en contiennent pas une assez grande quantité pour aider la dissolution de tout le principe terreux qui entre dans leur composition ; cette terre se précipite dépourvue de phlogistique sous forme de chaux.

M. Pott se trompe, lorsqu'il dit que le magma déliquescent formé par cet acide & le cuivre, dont la couleur est verd de pré, n'est point crystallisable. Il en dit autant de celui qui est formé par le fer, dont la couleur est jaune verdâtre.

L'acide marin & l'étain forment un sel parfaitement neutre, très-crystallisable. Aussi ce dernier est aisément dissous : & lorsque l'acide est concentré, le mêlange devient volatil par la surabondance d'acide. Cette dissolution mêlée avec le mercure est la liqueur fumante de Libavius, qui peut servir à volatiliser les autres métaux.

Cet acide compose avec l'antimoine un magma déliquescent volatil, connu sous le nom de beurre d'antimoine. Il faut au-moins deux parties d'acide très-concentré, sur une de régule ; ce qui prouve leur peu d'affinité. Elle est en effet si foible, que l'eau précipite le régule en chaux, sous la forme d'une poudre blanche, qui est l'algaroth ou mercure de vie, à laquelle il reste cependant, quelque soin qu'on prenne, une petite portion d'acide.

L'arsenic est à-peu-près dans le même cas ; le beurre qui résulte d'une dissolution lente, malgré l'ébullition, est un magma déliquescent, volatil, peu connu.

Le zinc en est dissous, la dissolution est claire, mais le sel est inconnu. En distillant cette dissolution, on retire l'acide sans addition. Il dissout aussi le bismuth, & cependant si on le verse sur une dissolution de bismuth dans l'acide nitreux, il le précipite. Le cobalt est également dissous, mais en petite quantité. La dissolution est à peine colorée : cependant en s'évaporant elle noircit. Quant au sel qui en résulte, il est encore inconnu. Voyez ACIDE MARIN sous le mot SEL MARIN.

Genre IV. sels végétaux. L'acide végétal, le plus volatil de tous, ne passe pas pour dissoudre un grand nombre de terres, ni de métaux. On doit cependant observer qu'on seroit aisément induit en erreur, si on oublioit qu'on a fait très-peu d'expériences avec le vinaigre radical, quelque attention qu'il méritât ; & qu'il n'est pas rare de voir un acide qui a besoin d'être très-concentré pour opérer certaines dissolutions. Nous ajouterons que celui-ci dissout presque tous les métaux, lorsqu'ils ont été précipités de leurs dissolvans propres.

La crême de tartre est un sel neutre formé par l'alkali & l'acide végetaux, mais avec surabondance de ce dernier, & une portion d'huile & de terre, qui la rendent difficile à fondre dans l'eau. Ce sel est un menstrue qui réussit souvent lorsque l'acide végétal pur est arrêté. Nous renvoyons aux sels neutres composés ceux qu'elle peut former.

Cet acide uni à l'alkali volatil compose le sel ammoniac liquide, le plus volatil, & le moins crystallisable de tous les sels neutres. En dissolvant le fer, il en résulte un magma déliquescent, dont la saveur est douçâtre astringente. Par le peu que nous disons de ce genre, on doit connoître combien peu de découvertes y ont été faites.

Genre V. sels royaux. Nous donnons ce nom à tous les sels que forme l'eau régale avec les alkalis, les terres ou les métaux. Le plomb & l'étain sont plus aisément dissous par cet acide composé, que par l'esprit de sel. Malgré cela la dissolution est trouble. Pour pouvoir y dissoudre le mercure, il faut, suivant M. Pott, le précipiter de l'acide nitreux, & verser dessus ce précipité l'eau régale ; les tenir ensuite en digestion. Le cobalt est dissous promtement avec effervescence, la dissolution est orangée ; en se séchant elle verdit.

Genres VI. VII. VIII. sels neutres formés par l'union des alkalis fixes avec les terres & les métaux. En formant ainsi trois genres de sels, que peuvent, selon nous, former les alkalis fixes, nous ne nous donnons point une idée sans fondement. Lorsqu'on précipite l'or dissous dans l'eau régale pour en faire l'or fulminant, si on verse trop d'alkali fixe, ce dernier après avoir saturé l'acide, se charge de l'or qu'il retient en dissolution sans le précipiter. Ne pourroit-on point séparer cet or uni à l'alkali fixe pour en obtenir un sel ? Si on y réussissoit, on auroit le même succès avec plusieurs métaux ; quoique nous avouons l'avoir essayé inutilement sur le mercure. Quelque soin que nous eussions pris de verser une grande quantité d'huile de tartre par défaillance sur une dissolution de mercure dans l'esprit de nitre, il resta un précipité à-demi-flottant, qu'on eût pu ramasser avec le filtre de papier, ce qui peut-être seroit un moyen plus doux que tous les connus, de faire prendre le mercure intérieurement.

Le cuivre se dissout dans trois fois son poids d'huile de tartre par défaillance, & forme une liqueur verte, dont il nous paroît très-possible de crystalliser le sel. Les alkalis fixes en s'unissant avec l'arsenic forment des sels neutres, qui se crystallisent en prismes quadrangulaires, dont les extrêmités se terminent par des pyramides à quatre faces.

On nous objecteroit vainement que l'alkali fixe vitrifie, décompose les métaux ; l'objection tomberoit par cette seule raison, que le feu enleve le phlogistique du métal.

Genre IX. sels neutres formés par l'union de l'alkali volatil avec les terres & les métaux. Nous avons formé un sel d'un très-beau verd avec l'alkali volatil & le cuivre ; ce sel s'éleva en lames ou feuillets contre les parois du gobelet de verre, dans lequel il se crystallisoit à l'air libre par une évaporation insensible ; il descendit ensuite en-dehors & se répandit, ensorte que l'intérieur & l'extérieur du verre en étoient incrustés. Ce sel est absolument ignoré. Cependant on connoissoit la dissolution de cuivre dans l'alkali volatil. Boerhaave lui attribue des vertus diurétiques extraordinaires, prises depuis trois jusqu'à vingtquatre gouttes dans un verre d'hydromel. Cette teinture présente un phénomene singulier, c'est que sans le contact de l'air, le cuivre est dissous sans donner de couleur. Si on débouche le flacon, bientôt la liqueur deviendra d'un bleu violet admirable. Le fer & l'alkali volatil fournissent un sel semblable en plusieurs points, à celui qui est formé par le cuivre.

L'alkali volatil en précipitant l'or de l'eau régale, fait comme le fixe, il le dissout de nouveau, s'il est surabondant. Il se conduit de même avec le mercure.

Ordre II. sels neutres composés. Trois substances, une acide, l'autre alkaline, & la troisieme métallique ou terreuse, réunies en un tout chymiquement homogene, forment les sels que nous appellons composés. Leur nombre peut, sans contredit, être très-grand, quoiqu'à la suite on tomberoit dans des détails qui ne seroient que des variétés, toujours cependant intéressantes. Nous en avons réduit le nombre à neuf, pour qu'on ne nous accuse pas de donner des chimeres pour des possibilités.

Genre I. sels tartareux. Nous avons vu que la crême de tartre étoit un sel neutre formé par l'alkali & l'acide végetaux, avec surabondance de ce dernier ; qu'elle étoit un menstrue qui avoit quelquefois la préférence sur de plus simples : c'est ici que les sels qu'elle forme doivent trouver leur place. Elle dissout en effet le fer & le crystallise avec lui, pour former le tartre martial soluble. Elle compose avec l'étain & le plomb les tartres que nous nommerons jovial & saturnien ; avec l'antimoine elle fait un médicament de plus grand usage, le tartre stibié. Le tartre uni au cuivre, aux alkalis fixes & volatils, & aux terres absorbantes, forme également des sels neutres crystallisables.

Genre II. sels ammoniacaux. Le sel ammoniac ordinaire composé de l'alkali, & d'un des acides les plus volatils, ne pouvoit manquer de l'être beaucoup lui-même ; & comme par son acide ou son alkali, il a de l'affinité avec les différentes terres ou métaux, nous croyons qu'il n'en est aucun que ce sel ammoniac ou les quatre autres ne puissent sublimer ou dissoudre. Il y a une partie de l'alkali volatil qui se dégage dans le tems de l'union & de la sublimation. Cet alkali se manifeste par l'odeur qui lui est propre, & qu'on ne manque jamais d'appercevoir dans le commencement de la sublimation.

On ne connoît que deux sels formés par le sel ammoniac ordinaire ; & un métal ou une terre, parmi le grand nombre de possibles. Le premier est l'ens veneris, produit de la sublimation du cuivre par le sel ammoniac, qu'on peut aussi obtenir par le procédé de Boerhaave, en faisant dissoudre le cuivre dans une lessive de sel ammoniac. Le second est les fleurs martiales, fruit de la sublimation de fer par le même sel. Le premier est un médicament très-dangereux, vanté cependant contre l'épilepsie par Boyle son inventeur : mais le second est un des meilleurs apéritifs qu'on ait en médecine.

Genres III. IV. V. VI. autres sels ammoniacaux. On pourroit essayer une multitude de sels composés avec le sel secret de Glauber, & les terres ou les métaux : ils sont tous inconnus si on excepte le sel de Weissman, qui se prépare en faisant précipiter & rédissoudre le vitriol bleu dissous dans l'eau, par l'alkali volatil versé en surabondance, & le faisant crystalliser par le moyen de l'esprit-de-vin. Il faut aussi excepter l'or volatilisé par le sel secret de Glauber. Les sels ammoniacaux nitreux, que nous nommons sels brûlans, sont encore plus ignorés ; cependant ayant versé l'alkali volatil avec surabondance sur une dissolution de mercure dans l'acide nitreux, nous avons vu une pellicule se former sur la surface de la liqueur, & par l'évaporation insensible des crystaux en aiguilles rester au fond du vase ; qui étoient surement le produit de la combinaison de l'acide nitreux, de l'alkali volatil, & du mercure. C'est encore à notre avis un nouveau moyen innocent de faire prendre intérieurement ce demi-métal. Tous les sels ammoniacaux acéteux sont à découvrir. Quant à ceux que nous appellons royaux, on pourroit nous reprocher de fonder une possibilité sur une autre, mais celle qui sert de base étant de la plus grande évidence, nous nous y sommes crus autorisés. Le sel ammoniac qui doit résulter inévitablement de l'union de l'alkali volatil & de l'eau régale nous paroît devoir sublimer l'or. Ce sont là des choses qu'on croit voir arriver lorsqu'on les propose.

Genres VII. VIII. IX. sels fixes. Le borax est composé du sel sédatif & de l'alkali marin. Le sel sédatif l'est, suivant l'opinion la plus reçue, de l'acide vitriolique & d'une terre vitrescible. Ces trois substances forment un sel neutre composé, sur lequel on a beaucoup travaillé, qui est d'un grand usage dans la docimastique & l'orfévrerie, qui facilite la fusion des métaux. Il fait la premiere espece du premier genre, les autres especes sont inconnues & peut-être impossibles. Les deux genres suivans sont encore remplis par des êtres inconnus. Si on mêle l'alkali minéral au sel sédatif, on aura un nouveau borax, si c'est l'alkali tartareux ; la même chose arrivera inévitablement suivant nous. Cependant nous ne voyons pas qu'on ait essayé de les faire, non plus qu'une multitude d'autres que nous croyons voir dans le lointain d'une perspective agréable.

Nous finirons cet article en donnant une table des sels, d'après le systême naturel déjà exposé.

TABLE DES SELS.

CLASSE I. Acides.

Ordre I. Acides simples.

Ordre II. Acides composés.

Classe II. Alkalis.

ORDRE I. Alkalis fixes.

Ordre II.

Alkali volatil. Voyez ci-dessus SEL.

Classe III.

Sels neutres, salés, moyens, androgynes, hermaphrodites, énixes.

Ordre I. Sels neutres simples.

Genre 1. Vitriols sels neutres formés par l'union de l'acide vitriolique, avec

Genre 2. Nitres, sels neutres formés par l'union de l'acide nitreux avec

Genre 3. Sels marins, sels neutres formés par l'union de l'acide marin avec

Genre 4. Sels végétaux, sels neutres formés par l'union de l'acide végétal avec

Genre 5. Sels royaux, sels neutres formés par l'union de l'eau régale avec

Genre 6. Sels neutres formés par l'union de l'alkali fixe minéral, avec les différentes terres & métaux, tous absolument inconnus.

Genre 7. Sels neutres formés par l'union de l'alkali fixe minéral avec

Genre 8. Sels neutres formés par l'union de l'alkali fixe tartareux avec

Genre 9. Sels neutres formés par l'union de l'alkali volatil avec

Ordre II. Sels neutres composés.

Genre 1. Sels tartareux ; sels neutres formés par l'union de la crême de tartre avec

Genre 2. Sels ammoniacaux. Sels neutres formés par l'union du sel ammoniac ordinaire avec

Genre 3. Sels secrets. Sels neutres formés par l'union du sel secret de Glauber avec

Genre 4. Sels brûlans. Sels neutres formés par l'union du nitre brûlant avec

Genre 5. Sels ammoniacaux acéteux. Sels neutres formés par l'union du sel ammoniac liquide avec les différentes terres & métaux, tous inconnus.

Genre 6. Sels ammoniacaux royaux. Sels neutres formés par l'union du sel ammoniac royal avec les différentes terres & métaux, tous inconnus, peut-être impossibles.

Genre 7. Sels fixes neutres marins. Sels neutres formés par l'union de l'alkali marin avec

Genre 8. Sels fixes neutres terreux. Sels neutres formés par l'union de l'alkali minéral avec

Genre 9. Sels fixes neutres tartareux. Sels neutres formés par l'union de l'alkali tartareux avec

SEL AMMONIAC, (Chymie & Arts) sal ammoniacum, hammoniacum, armoniacum, armeniacum, sal acetosum, sal cyrenaïcum, &c. c'est un sel neutre d'une odeur pénétrante & urineuse, d'un goût froid & amer, qui se volatilise au feu ; il est formé par la combinaison de l'acide du sel marin & de l'alkali volatil.

Le nom de sel ammoniac vient, suivant quelques auteurs, du mot grec , sable, parce qu'on dit que ce sel se trouve dans les sables de la Lybie & de la Cyrénaïque, dans le voisinage du fameux temple de Jupiter Ammon.

Rien de plus obscur que ce que les anciens naturalistes ont dit sur ce sel ; Pline, Dioscoride, & depuis eux Agricola, en ont donné des descriptions très-peu exactes ; ils semblent l'avoir confondu, soit avec le natron, soit avec le sel fossile. La plûpart des modernes ne nous ont pas donné plus de lumieres sur cette matiere ; ils n'ont fait que nous transmettre des erreurs qu'ils avoient copiées les uns des autres. Quelques-uns ont prétendu que le sel ammoniac se formoit dans les sables de la Lybie, de l'urine des chameaux cuite & digérée par l'ardeur du soleil. M. Rouelle ne regarde point cette origine comme aussi chimérique que quelques auteurs le pensent, vû que, selon lui, l'alkali volatil qui se forme de la putréfaction de l'urine, peut se combiner avec le sel marin, qui est très-abondant dans ces contrées. Quelques voyageurs ont encore accrédité des erreurs au sujet du sel ammoniac ; c'est ainsi que le pere Sicard, jésuite, qui a fait un voyage en Egypte en 1716, nous dit que ce sel se fait avec de la suie provenue de bouze de vache brûlée, du sel marin & l'urine des bestiaux. Voyez les nouveaux mémoires des missions de la compagnie de Jesus. M. Gellert, dans sa chymie métallurgique, dit que le sel ammoniac se fait avec du sel marin, de l'urine & de la suie luisante. Actuellement on est parfaitement instruit de la maniere dont ce sel se prépare. En 1719, M. le Maire, consul de France au Caire, adressa à l'académie des Sciences de Paris, une lettre qui est imprimée dans les mémoires de cette académie, année 1720, où il nous apprend que le sel ammoniac se prépare avec la suie seule. Cette relation de M. le Maire a été confirmée par une seconde lettre du P. Sicard publiée en 1723, enfin par M. Granger, qui a présenté à ce sujet à l'académie des Sciences de Paris, un mémoire dont M. Duhamel a donné l'extrait dans le volume de 1735 ; enfin M. Hasselquist, savant suédois, a envoyé en 1751, à l'académie de Stockholm tous les détails que l'on pouvoit desirer sur cette matiere, qu'il avoit vu travailler de ses propres yeux en Egypte ; suivant sa relation (que nous rapporterons par préférence, parce que les mémoires de l'académie de Stockholm sont très-peu connus en France ; au lieu que ceux de l'académie de Paris sont entre les mains de tout le monde), le sel ammoniac se tire simplement de la suie provenue de la fiente de toute sorte de quadrupedes, tels que les chameaux, les boeufs, les ânes, les chevaux, les brebis, les chevres, &c. Les plantes les plus ordinaires dont ces animaux se nourrissent en Egypte, sont la criste marine, salicornia ; l'arroche ou patte d'oie, chenopodium ; le kali de Naples, mesembryanthemum ; la luzerne, medicago, toutes plantes qui sont très-chargées de sel marin. On employe aussi avec succès les excrémens humains, qui passent pour fournir une grande quantité de sel ammoniac. La rareté du bois fait que les habitans de l'Egypte se servent de la fiente d'animaux pour chauffage ; pour cet effet ils ramassent cette fiente avec le plus grand soin ; lorsqu'elle est trop liquide, ils lui donnent de la consistance, en y mêlant de la paille hachée ; ils l'appliquent ensuite contre des murailles exposées au soleil, & la laissent sécher assez pour pouvoir brûler. C'est avec la suie qui résulte de ce chauffage que l'on fait le sel ammoniac. Les atteliers où ce sel se prépare, se trouvent sur-tout dans la partie de l'Egypte appellée le Delta, & l'on rencontre dans tout le pays un grand nombre d'ânes qui sont chargés de sacs remplis de cette suie que les habitans vont vendre aux manufactures ; on y reçoit indistinctement la suie provenue de la fiente de toute sorte d'animaux ; cependant on donne la préférence à celle qui a été produite par les excrémens humains que l'on regarde comme la meilleure.

Le travail par lequel on obtient le sel ammoniac, est très-simple. On construit pour cela des fourneaux de briques ; ils sont d'une forme oblongue ; leur partie supérieure est couverte par une voûte sur laquelle on peut placer cinq rangées de grosses bouteilles ou de matras ronds ; chaque rangée est de dix matras, ainsi chaque fourneau en a cinquante. Chacun de ces matras se place dans un trou rond qui est à la partie supérieure de la voûte du fourneau. Ces matras sont de verre ; ils ont par en-haut un col d'un pouce de long & de deux pouces de diamêtre ; on les enduit avec du limon que dépose le Nil, & avec de la paille ; on y met de la suie, en observant de laisser un espace de quelques pouces vuide ; après quoi on place chaque matras dans son trou. Alors on allume du feu dans le fourneau ; on se sert pour cela de la fiente séchée des animaux ; on donne d'abord un feu très-doux, & on commence par ne chauffer le fourneau qu'avec quelques bouchons de paille, de peur de briser les matras ; on augmente ensuite le feu par degrés, & on le rend très-fort pendant trois fois vingt-quatre heures. Quand la chaleur est dans sa plus grande force, on voit sortir une fumée blanche & une flamme d'un bleu violet par le col des matras, & l'on sent une odeur aigrelette qui n'a rien de desagréable. Au commencement de l'opération on passe de tems en tems une verge de fer par le col du matras, afin qu'il ne se bouche point : ce qui feroit briser les vaisseaux. Vingt-six livres de bonne suie donnent environ six livres de sel ammoniac. Ce sel s'attache peu-à-peu, & forme une masse en forme de gâteau à la partie supérieure du matras, que l'on brise pour en détacher cette masse, qui est convexe par-dessus & plate par-dessous. Elle est noirâtre à l'extérieur, & blanchâtre à l'intérieur ; c'est dans cet état que l'on envoie d'Egypte le sel ammoniac dans toutes les parties de l'Europe & de l'Asie. On le transporte à Smyrne, à Venise, à Marseille. On en exporte tous les ans environ 600 canthari gerovini, qui contiennent chacun 110 rotoli, dont chacun fait 114 dragmes : ce qui répond à environ 850 quintaux. Voyez les mémoires de l'académie royale de Suede, année 1751.

On a dit au commencement de cet article que le sel ammoniac étoit formé par la combinaison de l'acide du sel marin & de l'alkali volatil. Ces deux substances sont contenues dans la suie dont on se sert dans cette opération ; en effet cette suie est produite par la combustion du fumier d'animaux qui se sont nourris de plantes très-chargées de sel marin ; cela n'est point surprenant ; car M. Hasselquist remarque qu'il n'est guere de pays au monde dont le terrein renferme une plus grande quantité de sel marin ; il arrive de-là que la plûpart des plantes que les animaux mangent, sont chargées de ce sel, dont une grande portion passe dans leurs déjections. Quant à l'alkali volatil, on sait que ce sel est propre aux animaux. Lors donc qu'on expose la fiente à l'action du feu, l'acide du sel marin s'éleve aussi bien que l'alkali volatil : ces deux sels se combinent & forment une masse solide que l'on nomme sel ammoniac. On voit de-là qu'on peut tirer ce sel de toutes les substances qui contiennent du sel marin & de l'alkali volatil ; telles sont sur-tout l'urine humaine putréfiée. M. Model, savant chymiste de Saint-Pétersbourg, a fait insérer en 1739, dans le commercium litterarium norimbergense, un mémoire dans lequel il nous apprend qu'un homme malade de la fievre chaude eut dans le tems de la crise une sueur très- ammoniacale. L'auteur de ce mémoire eut occasion de réitérer une semblable observation sur lui-même ; à la suite d'une fievre violente il eut des sueurs très-fortes, & s'étant lavé les mains dans de l'eau chaude où l'on avoit mis de la potasse, il fut frappé d'une odeur si vive, qu'il tomba à la renverse dans son lit ; il réitéra depuis la même expérience pendant plusieurs jours que durerent encore les sueurs ou émanations ammoniacales. Ces faits sont tirés d'une dissertation allemande de M. Model sur le sel ammoniac naturel.

Un grand nombre de plantes sont chargées de sel marin, & contiennent aussi de l'alkali volatil, telles sont la moutarde, le chou, &c. On peut encore obtenir du sel ammoniac de presque toutes les terres argilleuses & de substances minérales qui sont chargées de sel marin. En un mot toutes les fois que l'on combinera de l'alkali volatil avec l'acide du sel marin, on obtiendra ce sel.

Le sel ammoniac qui vient d'être décrit, est un produit de l'art ; mais on en trouve outre cela qui a été formé par la nature seule, & sans le concours des hommes. Les environs des volcans & des endroits qui sont sujets aux embrasemens souterreins, contiennent presque toujours une grande quantité de sel ammoniac que la chaleur du terrein pousse & sublime à la surface. Nous avons des preuves convaincantes de cette vérité à Pouzzole, au royaume de Naples, aux environs de l'Etna & du Vésuve, &c. & partout où l'on trouve ce sel, il y a lieu de soupçonner qu'il y a, ou du moins qu'il y a eu autrefois des embrasemens de la terre. Ces feux ont dégagé l'acide du sel marin de sa base, & il s'est combiné avec l'alkali volatil des bitumes & des substances animales & végétales qui se trouvent souvent dans l'intérieur de la terre. Ce sel ammoniac n'est point toujours fort pur ; il est mêlé de terres, de pierres, de soufre & d'autres matieres vomies par les volcans. On en trouve une très-grande quantité en Tartarie dans le pays des Calmoucks, d'où les caravanes le transportent en Sibérie ; on dit que ce sel se trouve attaché à des rochers, qu'il est mêlé de terres, & que quelquefois on en rencontre des masses qui sont jointes avec du soufre natif. On trouve aussi une très-grande quantité de ce sel ammoniac naturel près d'Orenbourg dans la Sibérie.

Le sel ammoniac, tant celui qui est formé par la nature, que celui qui se fait artificiellement en Egypte, n'est point parfaitement pur ; le dernier est souvent mêlé de matieres grasses dont il faut le dégager ; cette purification se fait en le sublimant de nouveau dans des vaisseaux à qui l'on donne assez de chaleur pour les faire rougir ; alors il s'éleve en petites particules semblables à de la farine : c'est ce que l'on nomme fleurs de sel ammoniac. Mais on parviendra à le purifier encore plus aisément & plus sûrement, en le faisant dissoudre dans de l'eau, & en le faisant crystalliser ; par ce moyen l'on aura le sel ammoniac sous la forme de crystaux grouppés, comme les épines autour d'un bâton, & qui ressembleront à des barbes de plumes ou à des feuilles de fougere & de persil. Une propriété singuliere de ces crystaux, lorsqu'ils ont été formés par une évaporation lente & à grande eau, c'est qu'ils sont flexibles comme du plomb ; c'est le seul sel à qui on connoisse cette propriété.

On décompose le sel ammoniac de la maniere suivante : on mêle une partie de sel ammoniac en poudre avec deux parties de sel alkali fixe ; on joint un peu d'eau à ce mêlange que l'on met dans un vaisseau de terre peu élevé, sur lequel on adapte un chapiteau de verre ; on lute exactement les jointures ; on y adapte un récipient à long col. On commence par donner un feu doux pour faire passer le flegme à la distillation ; après quoi on augmentera le feu. Il s'attachera au chapiteau un sel alkali volatil sous une forme concrete, & l'on aura dans le récipient, de l'esprit de sel ammoniac chargé d'eau qui sera d'une odeur très-pénétrante ; & il restera dans la cucurbite un sel neutre formé par l'acide du sel marin qui a quitté l'alkali volatil avec qui il étoit uni pour se combiner avec l'alkali fixe. Ce sel s'appelle sel fébrifuge de Sylvius.

On peut encore décomposer le sel ammoniac en le mêlant avec de la chaux éteinte à l'air & bien pulvérisée ; on les met promtement dans une cucurbite de terre. Si la chaux n'est point parfaitement éteinte, on y joint un peu d'eau. On adapte un chapiteau de verre & un matras à long col pour récipient. On donne un feu très-doux. On obtient par ce moyen une liqueur beaucoup plus pénétrante que l'esprit du sel ammoniac de l'opération précédente, & il reste dans la cucurbite un sel neutre que l'on nomme sel ammoniac fixe. Si l'on joint de l'huile essentielle de succin à la liqueur alkaline & volatile tirée du sel ammoniac par l'intermede de la chaux, on obtient ce qu'on appelle eau de luce. Voyez LUCE eau de.

Ce qu'on appelle le sel d'Angleterre, se fait en mêlant quatre parties de craie avec une partie de sel ammoniac ; on expose ce mêlange à grand feu, & l'on obtient un sel blanc concret, d'une odeur pénétrante, mais qui perd bientôt sa force, si l'on ouvre fréquemment le flacon qui le contient.

Le sel ammoniac secret de Glauber n'est autre chose qu'un sel neutre formé par l'union de l'acide vitriolique & de l'alkali volatil.

Le sel ammoniac est d'un grand usage dans la chymie ; il est propre à sublimer les métaux ; & les alchymistes lui ont attribué un grand nombre de vertus qui paroîtront équivoques à ceux qui n'ont point foi à leurs travaux. Ils lui ont donné une infinité de noms différens & bizarres, comme sel admirable, sel solaire, sel mercuriel : aigle céleste, clé des métaux, dragon volant, pilon des sages, sel hermétique, roi des sels, lapis aquilinus, aqua duorum fratrum cum sorore, &c.

On se sert de ce sel pour faire de l'eau régale. On l'employe pour étamer les vaisseaux de fer, de cuivre & de laiton. Il est d'un grand usage dans plusieurs arts & métiers.

En mêlant une très-petite quantité de sel ammoniac avec le tabac, il lui donne du montant & de la force, & le rend beaucoup plus pénétrant. (-)

SEL ESSENTIEL, (Chymie) le sel essentiel, est celui qui étant contenu dans un végétal, forme avec lui une partie de son aggrégation.

Les sels essentiels different entr'eux par la plante dont on les extrait, par la maniere dont on les retire, par leur nature & leurs propriétés. Il en est de volatils dont l'odeur est dûe à un alkali, tels sont ceux de quelques plantes à fleur cruciforme, & des foetides. Le principe volatil de quelques autres est acide ; mais pour l'ordinaire le sel acide retenu par les huiles & les mucilages, ne se volatilise pas à la température ordinaire de l'air, au point de se faire sentir à l'odorat ; il a presque toujours besoin de la distillation. On confond sans raison quelquefois tous ces sels volatils, avec l'esprit recteur, & l'huile essentielle.

Le plus grand nombre de ces sels est fixe au feu, & vraiment neutre, quoique de différente nature. Les plantes maritimes, les légumineuses de Tournefort, les graminées, les fucus, les algues contiennent du sel marin ; toutes les plantes aromatiques, astringentes & ameres, du tartre vitriolé ; les aspérifoliées de Rajus ou borraginées, la pariétaire, le pourpier, le chardon bénit, le cerfeuil, le concombre sauvage, un nitre abondant ; la canne à sucre & quelques autres plantes fournissent un sel peu défini, qui est fort analogue à celui du moût & du miel. Dans tous les végétaux ces sels neutres sont communément avec surabondance d'acide apparent comme dans l'oseille, ou caché comme dans la plûpart ; il ne se montre que lorsqu'il est dépouillé de toutes les matieres étrangeres ; la crême de tartre séparée du vin est dans ce cas. M. Boulduc a prouvé dans les mémoires de l'acad. des Scienc. ann. 1734, que la bourache contient du nitre, du sel marin, & du tartre vitriolé, ce qui rassemble les trois acides minéraux dans une même plante. L'évaporation lente d'une décoction d'abord simple, ensuite dépurée par la chaux & les cendres de bois neuf, est le moyen à la faveur duquel il a obtenu les crystaux distincts de ces différens sels.

La présence ou la formation des sels dans les plantes, sont dûes 1°. A ceux que la terre contient ; semblables en cela aux animaux, les plantes en tirant leurs sucs de la terre, lui enlevent ces sels, dont plusieurs en sont un excellent fumier, ce qui nous persuade qu'une même plante crue dans des terreins chargés de sels différens, ne doit pas contenir les mêmes. 2°. A la structure des organes de la plante qui admet dans sa seve, certains sels & en rejette d'autres. 3°. A la maturité qui fait passer l'acide du verjus & des fruits en un sel doux, neutre, sucré, huileux. 4°. A la fermentation qui change ce sucre en crême de tartre, en acide pur comme vinaigre, ou en alkali volatil produit de la putréfaction. Ces deux derniers en se dissipant dans l'air, s'y combinent de différentes manieres, & reviennent fumer de nouveau la terre, entraînés par les pluies, la rosée, ou précipités par un froid vif.

Tel nous paroît être le cercle qu'observe la nature, qui la rend sans-cesse féconde, telle nous paroît être la transmutation des acides & des alkalis, que les chymistes recherchent avec tant d'empressement & de raison : transmutation qu'ils trouveront mieux par une digestion lente, par la fermentation, que par toute autre voie.

Ces principes posés, voyons comment on obtient le plus aisément les sels qui se sont acquis exclusivement dans la chymie médicinale, l'épithete d'essentiels, qui conviendroit pour le moins autant à plusieurs sels tirés des minéraux & des animaux.

Cueillez dans le printems ou au commencement de l'été, la plante aqueuse & succulente dont vous voulez extraire le sel ; tirez-en le suc en la pilant dans un mortier de marbre, & l'exprimant sous le pressoir ; coulez ce suc par la chausse, évaporez-le doucement jusqu'à consistance d'extrait, sans le laisser brûler ; dissolvez cet extrait, & étendez-le dans suffisante quantité d'eau, de maniere que le total soit bien fluide. Dans cet état garnissez un filtre d'une couche épaisse de chaux délayée, ou de toute terre absorbante ; filtrez ensuite votre dissolution plusieurs fois, jusqu'à ce qu'elle devienne limpide, ayant soin de changer de tems en tems la terre du filtre ; par ce moyen on obtient assez promtement un suc végétal, séparé de tout le mucilage qui nuit & s'oppose à la crystallisation. Ce suc traité comme les dissolutions des sels neutres, donne ses crystaux comme eux, plus tôt ou plus tard, suivant la nature du sel. Ces sels ne sont plus acides, comme doivent être presque tous les sels essentiels, parce qu'ils ont trouvé dans ces terres absorbantes, ce qui leur manquoit pour les neutraliser parfaitement. Si on veut éviter cet inconvénient, on filtrera la dissolution de l'extrait sur des terres indissolubles par les acides, comme les argilles, les sables, &c. C'est par cette méthode que l'on purifie & blanchit le tartre sans lui ôter son acidité.

Ce premier procédé convient aux plantes aqueuses & succulentes, aux fruits, & aux semences abondantes en liqueurs & en sucs : mais lorsqu'elles sont seches & peu succulentes, comme sont les plantes aromatiques, les légumes, &c. il faut les chauffer à une chaleur douce & humide par la vapeur de l'eau bouillante que ces plantes pilées reçoivent sur un tamis de crin, les piler en les humectant d'eau commune, ou même en faire une décoction, que l'on traite ensuite à la maniere énoncée ci-dessus. Quelques auteurs proposent la fermentation, comme un moyen de décomposer l'huile & le mucilage ; mais ils n'observent pas que le sel essentiel est lui-même décomposé par cette opération, comme nous croyons l'avoir démontré en comparant le sel essentiel du moût, qui est un sucre, avec celui du vin, qui est du tartre.

Nous choisissons les plantes dans le printems, parce que dans cette saison, elles sont plus aqueuses, & moins huileuses. La chaleur, la sécheresse & la maturité n'ont point encore alteré ce sel, elles n'ont point enlevé cette portion d'eau qui facilite l'évaporation, qui étend le mucilage.

Les prétendus sels essentiels de M. le comte de la Garaye, ne sont autre chose que des extraits préparés avec aussi peu de feu ou de chaleur qu'il est possible, par l'infusion à froid & la trituration faites au moyen d'un moussoir tourné rapidement. Ces infusions sont évaporées sur des assietes à un feu très-doux ; les extraits qui en résultent, contiennent comme tous les autres le sel essentiel de la plante qui n'est pas volatil, ils sont chargés d'une plus grande quantité d'huile non alterée ; mais l'avantage qui résulte de cette opération, ne compense pas la dépense & le travail qu'elle exige. D'ailleurs comme nous venons de le dire, ces prétendus sels, doivent être renvoyés aux extraits.

SEL FIXE. Voyez ALKALI FIXE, dans l'article général SEL, Chymie & Médecine.

SEL GEMME ou SEL FOSSILE, (Hist. nat. Minéralogie) c'est un sel qui est de la même nature que le sel marin, mais qui se trouve dans le sein de la terre. On le nomme en latin sal gemmae, ou gemmeum, parce qu'il a quelquefois la transparence & la blancheur d'un crystal ou d'une pierre précieuse ; sal rupeum, parce qu'il se trouve par masses semblables à des roches ; sal petrosum, parce qu'il y a des pierres qui en sont quelquefois imprégnées : on l'appelle aussi sal fossile, sal montanum, parce qu'il se tire du sein de la terre, & pour le distinguer de celui qui s'obtient par l'évaporation de l'eau de la mer, & des lacs salés. Le sel gemme ne differe du sel marin ordinaire, que parce qu'il a plus de peine à se dissoudre dans l'eau que ce dernier, ce qui vient des parties terrestres & des pierres avec qui il est combiné.

Le sel gemme se trouve en beaucoup d'endroits du monde. On en rencontre en Catalogne, en Calabre, en Hongrie, en Transylvanie, en Tyrol, en Moscovie, & même dans la Chine, &c. Mais les mines les plus fameuses & les plus abondantes que nous connoissions, sont celles qui se trouvent en Pologne, dans le voisinage de Cracovie, près de deux endroits, nommés Wieliczka & Bochnia ; nous allons en donner la description d'après M. Schober, qui a longtems eu la direction de ces mines, & qui a inséré dans le magasin de Hambourg deux mémoires fort curieux à leur sujet.

Wieliczka, est une petite ville de Pologne, située au pié des monts Crapacks, à environ deux lieues de Cracovie ; elle est bâtie dans une plaine, bornée au nord & au midi par des montagnes d'une hauteur médiocre ; le terrein où elle se trouve peut être environ de 159 à 200 piés plus élevé que le niveau des eaux de la Vistule, qui n'en est pas fort éloignée ; la ville de Bochnia est environnée de montagnes & de collines, & placée dans un lieu plus élevé que le précédent. Le terrein est glaiseux dans les environs de ces deux villes ; à la distance d'une demi-lieue, on ne trouve que très-peu de pierres, sinon près de Bochnia, où l'on voit quelques couches d'albâtre qui se montrent à la surface de la terre ; plus loin cette pierre devient moins rare, & au midi de Wieliczka on en trouve une assez grande quantité, qui ne paroît point former de banc suivi, mais qui semble avoir été dérangée de sa place. Vers le nord, on trouve des amas de pierres arrondis, & de galets ou cailloux, qui paroissent n'avoir pu y être transportés que de fort loin ; on y voit aussi du grais, qui est la pierre la plus commune des environs ; on a remarqué quelquefois dans ce grais, des masses assez grosses de charbon de terre : au couchant on rencontre différentes couches. Le terrein y est sablonneux ; au-dessous du sable, dont l'épaisseur varie, on trouve une pierre composée d'un amas de petits cailloux & de coquilles, liés ensemble par du quartz, qui en fait des couches très-solides ; cette pierre composée forme un lit, qui a depuis un jusqu'à trois piés d'épaisseur : au-dessous, est une nouvelle couche de sable qui n'est point par-tout également épaisse, mais qui contient aussi des coquilles de mer, dont plusieurs sont dans un état de destruction, tandis que d'autres n'ont éprouvé aucune altération. On donne ensuite sur un banc d'un grais quartzeux & bleuâtre, qui a de 6 à 8 pouces d'épaisseur, & qui est d'une dureté extraordinaire. Ce banc est suivi d'une nouvelle couche de sable, dont on n'a point encore pu sonder la profondeur. A environ une lieue de Wieliczka, on rencontre une grande quantité de soufre natif ; près de-là est aussi une source d'eau minérale d'une odeur très-fétide. Le soufre est répandu en petites masses, de la grosseur d'un pois, dans une pierre d'un gris cendré, semblable à de la pierre ponce, & remplie de trous comme elle. Toutes ces circonstances prouvent que le terrein qui renferme ces fameuses mines de sel, a éprouvé des révolutions très-considérables, tant de la part des eaux, que de celle des feux souterreins.

Les mines de Wieliczka sont très-étendues ; tout le terrein sur lequel cette ville est bâtie, est creusé par-dessous, & même les galeries souterreines vont beaucoup au-delà des bornes de la ville ; 450 ouvriers sont employés à l'exploitation de ces mines. D'orient en occident, elles ont environ 600 lachters ou verges, c'est-à-dire 6000 piés de longueur ; du nord au midi, elles ont 200 verges, ou 2000 piés ; leur plus grande profondeur est de 80 lachters, ou 800 piés. On y trouve encore à cette profondeur des couches immenses de sel gemme, qui vont d'orient en occident, & dont on ignore l'étendue. Voici les différentes couches dont la terre est composée en cet endroit. 1°. La terre franche. 2°. De la glaise. 3°. Un sable très-fin mêlé d'eau, que l'on nomme zyc. 4°. Une argille noire très-compacte ; enfin on trouve la couche qui renferme le sel gemme. Ces mines ont dix puits ou ouvertures quarrées, tant pour y descendre, que pour épuiser les eaux, & pour faire monter le sel gemme que l'on a détaché sous terre. On descend dans l'un de ces puits par un escalier qui a 470 marches ; tous sont revêtus de charpente, pour empêcher l'éboulement des terres. Quand on est parvenu à cette profondeur, on rencontre une infinité de chemins ou de galeries qui se croisent, & qui forment un labyrinthe, où les personnes les plus habituées courent risque de s'égarer. Ces galeries sont étayées par des charpentes ; en de certains endroits on laisse des masses de roches pour soutenir les terres qui sont en dessus. L'on a pratiqué dans quelques souterreins des niches, des chapelles & des statues, taillées dans le sel même. Quand on est arrivé dans ces galeries, on n'est encore qu'au premier étage, on descend plus bas par de nouveaux puits ; dans un de ces puits, nommé janina, on a fait un escalier qui a dix piés de large, & dont la pente est si douce, que les chevaux y peuvent monter & descendre sans peine.

Au premier étage de ces mines, le sel gemme se trouve par blocs d'une grandeur prodigieuse ; mais au second étage, il se trouve par couches suivies, & dans une quantité inépuisable. On se sert de pioches, de ciseaux & de maillets pour détacher le sel ; on détache souvent des masses de sel en prismes quarrés, de 7 à 8 piés de longueur, & de deux piés & demi d'épaisseur ; on nomme ces parallélepipedes battawanes ; on est quelquefois parvenu à en détacher qui avoient 32, & même 48 piés de longueur. Les ouvriers s'acquitent de leur travail avec assez de facilité ; par le son que rendent les masses, ils connoissent le moment où elles vont se détacher ; & alors ils pourvoyent à leur sureté. Ces blocs se roulent sur des cylindres de bois, jusqu'aux puits qui descendent dans les galeries, d'où ils sont élevés par des machines à moulettes très-fortes, & tournées par douze chevaux. Quant aux petits morceaux, on les met dans des tonneaux.

On a fait des excavations si prodigieuses dans le fond de ces mines, pour en retirer le sel gemme, qu'on y voit des cavités assez amples pour contenir une très-grande église, & pour y ranger plusieurs milliers d'hommes ; ces sortes d'endroits servent de magasins pour les tonneaux, & d'écuries pour les chevaux, qui restent toujours dans ces mines, & qui y sont au nombre de quatre-vingt.

On trouve quelquefois des creux qui sont remplis d'eaux si chargées de sel, que lorsqu'on vient à les faire sortir, les roches environnantes restent comme tapissées de crystaux, qui présentent le coup d'oeil le plus agréable.

Un phenomene très - remarquable pour les naturalistes, c'est que les masses salines qui se trouvent dans ces mines, renferment souvent des galets ou des cailloux arrondis, semblables à ceux que roulent la mer & les rivieres ; on y rencontre des coquilles & d'autres corps marins ; & souvent on trouve au milieu des couches de sel gemme, des masses énormes, d'une roche composée de couches ou de bandes de différentes especes de pierres. De plus, on voit souvent dans ce sel, aussi bien que dans la substance qui l'environne, des morceaux de bois, semblables à de fortes branches d'arbres, brisées & morcelées ; ce bois est noir comme du charbon ; ses fractures sont remplies de sel, qui sert pour ainsi dire à recoller les différens morceaux ; ce bois est d'une odeur très-désagréable & très-incommode pour les ouvriers, sur-tout, lorsque le renouvellement de l'air ne se fait point convenablement. Ce bois s'appelle dans ces mines wagti - solni, c'est - à - dire charbon de sel.

Un autre inconvénient de ces mines, c'est qu'elles sont sujettes à des exhalaisons minérales ou moufettes très - dangereuses ; elles sortent avec sifflement par les fentes des rochers, s'allument subitement aux lampes des ouvriers, font des explosions semblables à celles du tonnerre, & produisent des effets aussi funestes. Ces vapeurs inflammables, s'amassent sur-tout dans les souterreins, lorsque les jours de fêtes ont empêché qu'on n'y travaillât, alors il est très-dangereux de descendre dans les puits avec de la lumiere, parce que la vapeur venant à s'enflammer tout d'un coup, fait un ravage épouvantable. Même sans s'allumer, ces vapeurs sont capables d'étouffer les ouvriers qui s'y exposent imprudemment ; elles sont plus fréquentes dans les mines de sel de Bochnia, que dans celles de Wieliczka.

On retire de ces mines du sel gemme de différentes qualités, & à qui on donne des noms différens. La premiere espece se nomme zielona, ce qui signifie sel verd ; ce sel n'est qu'un amas de crystaux cubiques, forme qui est propre au sel marin ; les côtés de ces crystaux ont quelquefois deux à trois pouces, ils sont fort impurs & entremêlés de parties terrestres & de glaise. Le prix du quintal du sel, appellé zielona, est de 3 2/3 florins de Pologne, (environ 45 sols) en blocs, & de 22 florins (treize livres quinze sols) le tonneau. Le sel que l'on nomme szybikowa, est plus pur que le premier, il n'en differe, que parce qu'il n'est point en crystaux ; le tonneau se vend 24 florins, & le quintal en bloc pour 4 florins de Pologne.

La seconde espece se nomme makowka ; elle n'est point en crystaux, & ressemble assez à du grais ; c'est un amas confus de petits grains de sel, dont on ne peut point distinguer les figures.

La troisieme espece se nomme jarka ; elle se trouve mêlée avec les deux especes précédentes, qu'elle traverse comme des veines ; ce sont des petits grains de sel blanc, peu liés les uns aux autres ; & qui sont causes que les blocs de sel se brisent dans les endroits où ils sont traversés par cette sorte de sel. Le jarka fait aussi des couches suivies.

On donne pareillement différens noms aux substances, qui servent de gangue ou d'enveloppe au sel. La premiere se nomme halda ; c'est une argille d'un gris foncé, fort humide, entremêlé de grains de sel, dont quelques-uns sont en crystaux. La seconde s'appelle midlarka, c'est une argille noirâtre, grasse au toucher comme du savon ; on y trouve fréquemment des coquilles dans leur état naturel, dont la cavité s'est remplie de sel. La troisieme espece de substance se nomme zuber ; c'est un mêlange de sable, de terre, d'albâtre & de sel ; c'est dans cette substance que l'on trouve le vrai sel gemme, en grands crystaux blancs & transparens comme du verre ; lorsqu'on le casse, il se divise toujours par cubes à angles droits, les Polonois le nomment oczkowatae. C'est aussi dans ce sel que l'on voit des cailloux arrondis, des masses de roches composées de différentes couches, & des morceaux de bois ; on y trouve aussi des fragmens d'une roche de la nature du marbre.

Les mines de sel de Bochnia ne sont point à beaucoup près si étendues que celles de Wieliczka. Elles ont été découvertes vers l'an 1251, sous le regne de Boleslas le chaste ; les galeries vont de l'orient au couchant, & ont 1000 lachters ou verges de dix piés de longueur, la largeur de la mine est de 75 lachters du nord au midi. Il y a ordinairement 250 ouvriers qui y travaillent. Les couches de terre qui s'y trouvent, sont à peu-près les mêmes qu'à Wieliczka. Au-dessous de la terre franche, on rencontre de la glaise, ensuite un sable très-fin mêlé d'eau, & enfin une argille noirâtre & compacte, qui couvre le lit de sel, qui n'est point par blocs ou masses, mais par couches suivies, dont l'épaisseur n'est point partout la même. Tout le sel, qu'on en retire se met en tonneaux.

Ces deux mines de sel gemme, sont si abondantes, que l'on croit qu'elles suffiroient pour en fournir à l'Europe entiere. On compte que tous les ans on en retire à peu-près 600000 quintaux, & il n'y a point apparence qu'elles s'épuisent de plusieurs siecles.

Quelques physiciens croyent que la mer est redevable de la salure de ses eaux à des grandes masses ou roches de sel gemme qui se trouvent à leur fond, & qu'elles mettent en dissolution ; c'est entr'autres le sentiment du comte de Marsigli ; il ne paroît guere probable, vu que la mer auroit du dissoudre depuis long-tems toutes ces masses salines, s'il en eût existé. M. Schober est d'un sentiment contraire, il regarde les mines de sel de Pologne, comme des monumens qui prouvent d'une maniere indubitable, que la mer a autrefois occupé le terrein, où ces mines se trouvent actuellement ; elle en a été chassée par quelque révolution arrivée à notre globe, on peut le présumer par les coquilles & les corps marins que l'on trouve ensevelis dans ces mines ; le bouleversement a du être très-considérable, puisque des masses énormes de roches, des cailloux arrondis, des arbres, &c. ont été enfouis en même tems sous terre ; d'ailleurs le soufre que l'on rencontre aux environs de ces mines, prouve qu'il a du y avoir autrefois des volcans & des feux souterreins dans cet endroit. Les eaux salées se sont évaporées peu-à-peu, elles ont déposé leur sel, & ont formé des couches immenses.

Quelques personnes ont cru que le sel gemme se reproduisoit dans les endroits d'où il a été tiré, c'est une erreur ; il est vrai que les eaux souterreines qui se sont chargées de sel, vont quelquefois le porter en d'autres endroits où elles le déposent à l'aide de l'évaporation ; ce qui ne peut point être appellé une reproduction, mais une transposition.

On trouve encore des mines de sel gemme en plusieurs endroits de l'Europe. Il y en a de fort abondantes dans la Transylvanie & dans la haute Hongrie, près d'Epéries ; elles produisent un revenu très-considérable à la maison d'Autriche. Ces mines ont 180 lachters ou verges, c'est-à-dire, 1800 piés de profondeur. Le sel gemme s'y trouve par couches suivies ; ce n'est point une roche, mais de la terre qui les accompagne. On dit qu'il s'y est trouvé des masses ou des blocs de sel qui pesoient jusqu'à cent milliers ; on les divise en morceaux quarrés comme des pierres de taille, pour pouvoir commodément les sortir de la mine, après quoi on les écrase sous des meules ; ce sel est gris de sa nature, mais il paroît tout blanc, lorsqu'il a été pulvérisé. Il s'y trouve des morceaux de sel blancs & transparens comme du crystal ; d'autres sont colorés en jaune & en bleu, au point qu'on en fait des bijoux & des ornemens, qui imitent ceux qu'on fait avec les pierres précieuses. On assure que ces mines de Hongrie ne le cedent en rien à celle de Pologne.

Il y a en Tyrol, à deux lieues d'une ville nommée Hall, des mines de sel très-abondantes, qui sont exploitées depuis plusieurs siecles. Ce sel est de différentes couleurs, il y en a de blanc, de jaune, de rouge & de bleu ; on le fait dissoudre dans des auges ou dans des réservoirs pratiqués en terre, d'où l'eau chargée de sel, est conduite par des canaux de bois jusqu'à la ville ; là on la fait bouillir pour purifier le sel, qui se vend au profit de la maison d'Autriche ; on prétend que tous frais faits, il donne un produit de plus de deux cent mille florins, c'est-à-dire, cinq cent mille livres par an. Le sel qui se trouve à Hallein, dans l'archevêché de Saltzbourg, est de la même nature que celui du Tyrol, & doit être raffiné de la même maniere.

On trouve aussi du sel gemme de différentes couleurs en Catalogne, dans le voisinage de Cardone ; il y en a de blanc, de gris de fer, de rouge, de bleu, de verd, d'orangé ; quelques morceaux ainsi colorés sont transparens, d'autres sont entierement opaques. Ces sels font des couches les unes au-dessus des autres. On en détache des masses de la même maniere que les pierres dans les carrieres. Il y a lieu de présumer que ces différentes couleurs de sel gemme, viennent de parties métalliques & minérales, qui en rendroient l'usage très-suspect, si l'on n'avoit soin de le purifier avant que de s'en servir. (-)

SELS LIXIVIELS, (Chymie & Médecine) les sels lixiviels sont ceux qu'on retire par la lessive des cendres des plantes.

Pour avoir ces sels, nous connoissons deux méthodes. La premiere & la plus suivie consiste à prendre la plante dont on veut tirer le sel, récente, mais séchée (le meilleur tems pour la cueillir est un peu avant sa maturité), à la brûler en la remuant sur un foyer propre, à en lessiver les cendres avec de l'eau pure qu'on filtrera & qu'on fera évaporer dans un vaisseau de pierre, de verre, de terre vernissée, ou mieux encore de métal parfait, jusqu'à siccité par une ébullition moyenne, poussant le feu sur la fin, calcinant le sel dans un creuset en le remuant sans le laisser fondre, on ne laissera ce sel exposé à l'air que le moins qu'il sera possible, & on le conservera dans des flacons bouchés exactement pour l'empêcher de tomber en défaillance, & même de se combiner avec l'acide universel ; mais les sels lixiviels qui sont reconnus sels neutres, & non alkalis, n'ont pas besoin de cette derniere précaution.

Les cendres qui n'ont souffert qu'une lessive contiennent encore une grande quantité de sel qu'on enleve entierement par une lotion réïtérée. Pour rendre ce même sel plus blanc, on doit le dissoudre dans l'eau, le filtrer, le faire évaporer & calciner une seconde fois. On le formera en tablettes, si on le fait fondre dans un creuset, & qu'on le verse sur une table de marbre. Les plantes qui fournissent ce sel le plus abondamment sont ameres, âpres, telles que le chêne, le houblon, l'absynthe ; ou âcres, comme les laiteuses ; ou nourrissantes, comme les légumineuses ; ou sauvages, comme les épineuses. On doit toujours préférer ces dernieres à celles qui sont cultivées, ainsi que les feuilles & les branches au tronc. Ce procedé rendra environ un vingtieme du poids de la plante séchée, si elle réunit les qualités précédentes. Cette proportion seroit beaucoup moindre si la plante avoit séché sur pié, si elle étoit trop vieille, altérée, si elle avoit été, comme le veulent quelques chymistes, infusée avant la combustion dans l'esprit-de-vin ou l'eau. Neumann a éprouvé qu'il ne restoit alors qu'un centieme du sel qu'il attendoit. On rejettera la pratique de ceux qui, pour l'empêcher de tomber aussi aisément en défaillance, le calcinent avec un peu de soufre, & font par-là de l'alkali fixe une espece de tartre vitriolé.

La seconde méthode est dûe à Tachenius ; elle consiste à prendre telle quantité de plante fraîche que l'on veut, à la mettre dans une marmite de fer couverte de la même matiere avec soin, & en l'exposant à un feu vif, la convertir en charbon. Alors on pousse le feu avec plus de vivacité, on ôte le couvercle, le charbon s'embrase, se convertit en cendres pendant qu'on a soin de la remuer souvent & d'empêcher la flamme d'y pénétrer. On soutient le feu sous les cendres pendant une heure ou deux, enfin on lessive & on évapore, comme dans le procédé précédent.

Quelle est la nature de ces sels ? existoient-ils dans le végétal, ou sont-ils le produit du feu ? sont-ils tous semblables ? comment le feu les a-t-il dépouillés des autres principes ? quelles sont leurs vertus médicinales ? la méthode de Tachenius est-elle préférable ? Telles sont les questions qui ont partagé les Chymistes ; tâchons de les résoudre.

On ne peut regarder en général les sels lixiviels comme des alkalis fixes parfaits : les seules plantes nitreuses sont capables d'en fournir, leur acide se détruisant dans la combustion par la déflagration. Ils sont quelquefois absolument neutres, tel est le sel du tamarisc que M. Montel a démontré être un parfait sel admirable de Glauber. Le plus souvent ils sont mêlés d'alkalis fixes & de sels neutres. C'est ainsi que la potasse contient un tartre vitriolé, voyez Cardiluccius, Grosse & Boulduc, le dernier dans les Mémoires de l'académie des Sciences 1734, que la soude renferme un sel marin, du sel de Glauber, & du tartre vitriolé. On sent aisément que l'alkali fixe des sels lixiviels est de deux sortes, marin ou tartareux. Il est toujours le même que la base du sel essentiel du végétal d'où on l'a tiré. Lorsque l'incinération a été lente, comme dans le procédé de Tachenius, le sel essentiel en est d'autant moins décomposé, & se trouve uni à une portion du phlogistique de la plante, qu'on a de la peine à dépouiller entierement par des calcinations & des lessives répétées.

C'est à ce sel neutre essentiel, produit de l'union d'un alkali fixe & d'un acide, qu'on doit le sel lixiviel. Voyez SEL ESSENTIEL. Ce qu'il est facile de démontrer par ces deux seules expériences. Les plantes qui contiennent une plus grande quantité du premier sel, en fournissent une proportionnée de second ; celles qui ont trempé quelque tems dans l'eau étant privées du suc de la terre, comme le bois flotté, ou qui ont été exposées à la pluie, perdent en même tems l'un & l'autre sel. L'alkali fixe existoit donc dans le végétal brûlé, le feu n'a fait que le dégager de l'acide, du phlegme, & de l'huile avec lesquels il étoit combiné. Il l'a laissé uni à une terre, dont on le sépare par la lessive : mais comment l'acide uni plus intimément aux alkalis fixes qu'aux huiles & à l'eau, a-t-il pu les abandonner pour se volatiliser avec les derniers ? L'action du feu peut seule décider ce problème ; elle vient à l'appui de deux unions qui se balancent, & elle entraîne l'acide volatil par sa nature : cet effet sera d'autant plus promt & plus décidé que la flamme sera plus vive & le feu plus ardent ; car si le feu est lent, si on commence par réduire en charbon la plante avant de la brûler lentement, suivant la méthode de Tachenius, le sel neutre essentiel ne sera point entierement décomposé, comme nous l'avons vu, il sera plus gras, plus onctueux, moins blanc, moins déliquescent, & ce sel lixiviel en sera d'autant moins alkalin : il deviendra plus doux, & participera davantage des vertus de la plante dont on l'aura tiré ; ce qui nous feroit pancher pour donner la préférence à ces derniers dans l'usage médicinal, ce que nous soumettons cependant à l'expérience des médecins jusqu'ici mal faite & peu décisive.

Les vertus médicinales des sels lixiviels en général sont d'être anti-émétiques, anti-acides, fébrifuges, stomachiques, apéritifs, diurétiques & emmenagogues, pris intérieurement ; d'être résolutifs, fondans, employés comme topiques : ils sont même caustiques, lorsqu'on n'a pas le soin de les étendre dans des opiates, des eaux, des cataplasmes, &c. ce qui fait qu'on ne doit jamais les employer seuls intérieurement, ni extérieurement, à-moins qu'on ne veuille cautériser. Leur dose doit être très-petite, ils se donnent par grains.

SEL MARIN, (Chymie) le sel marin ou sel commun, que quelques auteurs désignent encore par le nom de sel des cuisines, sal culinare, est un sel naturel neutre, formé par l'union d'un acide spécial (voyez à la suite de cet article ACIDE MARIN), & d'un sel alkali fixe d'une espece particuliere & parfaitement analogue, ou plutôt exactement identique avec le natron ou alkali fixe minéral, avec le sel fixe de soude, avec la base du borax, avec celle du vrai sel de Glauber naturel, &c. Voyez NATRON & SOUDE.

J'ai défini le sel marin qui est regardé comme le plus parfait, celui qui est le plus abondant dans la nature, le plus connu : car il y a un sel naturel connu des chymistes, entr'autres noms sous celui de sel marin à base terreuse, & qui differe du précédent, comme cette dénomination l'annonce déja, en ce qu'il a une terre pour base. Les différentes especes de terre qui peuvent constituer cette base, donneroient aussi plusieurs autres especes de sels marins ; mais ce n'est que du premier que nous allons nous occuper d'abord.

Les sources ou magasins naturels du sel marin sont 1°. la mer, les étangs, les fontaines, les puits salans ; on doit rapporter à cette origine celui qui couvre des terreins bas, ou qui a pénétré la terre dans plusieurs pays ; car c'est là manifestement un produit de l'évaporation de quelques eaux salées. 2°. Les mines ou carrieres de sel gemme ou concret, voyez SEL GEMME, Hist. nat. 3°. Les terres & matieres analogues, d'où on retire aussi le salpêtre par une simple lixiviation. 4°. Un très-grand nombre de plantes. M. Pott observe avec raison que ce ne sont pas seulement les plantes qui naissent au bord de la mer, comme les kalis, mais plusieurs autres dont les extraits & les sels essentiels donnent des indices manifestes de sel marin ; mais cette assertion n'est ni assez positive, ni assez générale ; il est sûr, d'après nos propres expériences, qu'un très-grand nombre de plantes contiennent du sel marin parfait, & qu'elles en contiennent abondamment : on en trouve une très-grande quantité dans plusieurs potasses. Voyez POTASSE. 5°. Les animaux, car les humeurs, & surtout l'urine de ceux même qui ne mangent point de sel, en contiennent manifestement & assez copieusement. 6°. Enfin l'eau de neige & de pluie.

Il est très-vraisemblable qu'il n'y a dans la nature qu'une source vraie & primitive, qu'une fabrique de ce sel, s'il est permis de s'exprimer ainsi ; que le sel marin passe des végétaux aux animaux qui s'en nourrissent ; des végétaux, des animaux & de leurs excrémens décomposés par la putréfaction aux terres ; des mines de sel gemme à la mer, ou au contraire de la mer aux entrailles de la terre ; de la surface de la terre & des mers dans l'athmosphere, &c. mais nous ne toucherons point à cette question, qui est jusqu'à présent peu décidée quant au principal chef, savoir la détermination de la source vraie & primordiale du sel marin, & quant à plusieurs des objets secondaires dont nous venons de faire mention.

Mais ce qui est très-décidé, (& qui est une forte induction en faveur de l'opinion que nous venons de proposer, puisqu'elle porte sur un argument pris de la nature même interne ou chymique de l'objet examiné), c'est que le sel marin retiré des diverses sources que nous venons d'indiquer, n'est qu'un seul & même être chymique. Ainsi une certaine division vulgaire que la routine a consacré dans les petits traités de physique & d'histoire naturelle, du sel dont il s'agit en sel marin, sel de fontaine, & sel gemme ou fossile, marinum, fossile & fontanum ; cette division, dis-je, est absolument nulle & superflue. Aussi, comme le lecteur peut s'en être déja apperçu, les Chymistes ne gardent-ils pas chacun de ces noms pour ces prétendues especes particulieres, mais ils donnent indifféremment le nom de sel marin, qui est devenu générique dans le langage chymique, & à celui qui provient de la mer & à celui que fournissent les plantes, &c.

La vraie nature du sel marin a été long-tems méconnue des chymistes. Ils ont ignoré la nature de sa base jusqu'en 1736. M. du Hamel démontra alors dans un mémoire imprimé dans le volume de l'académie royale des Sciences pour cette année, que cette base étoit un sel alkali fixe, semblable au natron & au sel alkali fixe de soude. M. Pott qui avoit déja défendu l'ancienne opinion, savoir que la base du sel marin étoit une terre, l'a soutenue encore dans une dissertation sur la base du sel marin, uniquement destinée à combattre la découverte de M. du Hamel dans sa Lithogéognosie, voyez p. 190. de la traduction françoise, & enfin dans les corrections & éclaircissemens donnés par l'auteur pour la premiere partie de cette traduction, & imprimés à la fin de cette premiere partie. Voyez Lithogéognosie, vol. I. p. 427. Mais ce n'est plus à présent un problème chymique, que la nature vraiment saline de la base du sel marin ; c'est au contraire une des connoissances chymiques la plus rigoureusement démontrée. On trouvera le précis de cette démonstration discutée contradictoirement aux objections de M. Pott, dans une note ajoutée au passage de la Lithogéognosie déja cité. Voyez Lithogéognosie, vol. I. p. 190. M. Pott n'a appuyé sa persévérance dans le sentiment opposé que sur un mal entendu & sur une erreur de fait : le mal entendu a consisté en ce qu'en réfutant le sentiment de M. du Hamel, M. Pott a toujours combattu l'alkali de tartre, tandis que M. du Hamel admettoit un corps très-différent, savoir l'alkali de soude ; & l'erreur en ce que M. Pott a soutenu jusqu'à la fin, que la terre qui sert de base à l'eau-mere du sel marin, étant combinée avec les acides minéraux, produisoit les mêmes sels neutres que lorsqu'on combinoit avec les mêmes acides, la base du vrai sel marin, du sel marin proprement dit. Or cette prétention est directement détruite par les faits. M. Pott avance, par exemple, dans ses corrections & éclaircissemens pour la Lithogéognosie, que la terre de l'eau-mere du sel marin, unie à l'acide vitriolique, donne un sel admirable parfaitement semblable à celui qu'on prépare avec le sel marin. La proposition contraire est exactement vraie : ces deux sels different aussi directement & essentiellement qu'ils puissent différer quant au fait dont il s'agit, c'est-à-dire que celui qui a la terre pour base, est précipité par l'alkali fixe de tartre, & même par la base du sel marin, & que celui qui a la base du sel marin pour base, n'est point précipité par ces alkalis ; & il est exactement dans le cas du sel végétal à base terreuse, dont l'exemple avoit été opposé à M. Pott, & dont il exige qu'on lui démontre la parité ; car de même que, selon les propres paroles de M. Pott, la terre qui a servi de base à ce sel végétal peut en être derechef séparée sous la même forme de terre, de même la terre de l'eau-mere du sel marin qui a servi de base au faux- sel de Glauber, peut en être derechef precipitée sous la même forme de terre.... Mais il y a encore une raison plus directe ; cette derniere terre, que j'appellerai pourtant volontiers marine, parce que je la crois de la même nature que celle qui est un des principes de l'alkali fixe marin, ce qui ne suffit pas en bonne doctrine chymique, voyez PRINCIPES & VEGETALE, analyse, pour la regarder comme la base du sel marin, cette derniere terre, dis-je, combinée avec l'acide marin ne fait point du sel marin. Toutes les subtilités du système de Stahl sur l'essence des alkalis fixes, sur la quasi-salinité des terres alkalines, sur leur aptitude à s'associer l'acide nécessaire pour se revêtir de la nature du vrai sel, ressource que M. Pott a très-doctement employée : toutes ces subtilités, dis-je, ne sauroient tenir contre des faits si positifs ; car il s'agit ici d'une précision logique : la base d'un sel est le corps qui le constitue immédiatement par son union à un acide, ou le corps que l'on sépare immédiatement de cet acide, & non pas l'un des principes de ce corps.

L'autre principe du sel marin, savoir son acide est un être chymique plus anciennement connu. Voyez la partie historique de l'article CHYMIE. Nous exposerons les propriétés de cette substance dans un article particulier placé à la suite de celui-ci. Nous avons déja renvoyé aux articles NATRON & SOUDE, sel de, pour y chercher la connoissance ultérieure de la base du sel marin. Nous allons dans cet article ne plus le considérer que in concreto, exposer les propriétés du sel marin entier.

Sa saveur est assez connue ; c'est celle qu'on appelle salée par excellence.

Une partie de sel marin se dissout parfaitement dans un peu plus de deux parties & demie d'eau. Ce sel est du petit nombre de ceux qui ne se dissolvent pas en plus grande quantité dans l'eau bouillante, que dans l'eau froide voisine de la congelation ; c'est-à-dire qu'une lessive de sel marin bien saturée & froide, n'en dissout point une plus grande quantité, si on la fait bouillir sur du nouveau sel ; & que réciproquement une lessive de sel marin saturée & bouillante, n'en laisse point échapper par le refroidissement. C'est une suite de cette propriété que le sel marin crystallise dans l'eau qu'on fait évaporer en bouillant, pendant l'ébullition même ; & c'est sur cette propriété qu'est fondée la manoeuvre par laquelle on le sépare dans les fabriques de salpêtre. Voyez NITRE.

La forme des crystaux primitifs du sel marin est cubique ; ces cubes primitifs se disposent quelquefois de maniere à former des cubes plus considérables, tantôt parfaits, tantôt tronqués ; quelquefois exactement pleins, d'autres fois vuides ou creux dans quelqu'un de leurs côtés. Ce sont encore dans les évaporations bien menagées des pyramides creuses & renversées, & plus ou moins aiguës, plus ou moins évasées. Voyez CRYSTALLISATION, & le mém. de M. Rouelle, acad. royale des Scienc. ann. 1744.

Le sel marin s'humecte sensiblement à l'air ; mais c'est principalement, si même ce n'est point absolument, à raison d'un peu d'eau mere qui leur reste presque toujours mêlée, & qui je crois infecte son eau de crystallisation.

Le sel marin verdit un peu le syrop de violettes. Il est encore vraisemblable que c'est à raison de cette eau mere. Voyez VIOLETTES, Teinture de.

Le sel marin décrepite au feu. Voyez DECREPITATION.

Le sel marin jetté sur des charbons presque éteints, les ranime, en renouvelle l'embrasement, & produit même de la flamme, selon une observation de Stahl, qui en tire un merveilleux parti pour prouver l'influence de l'eau dans l'affaire de l'inflammation, dans la production de la flamme. Voyez FLAMME. M. Pott, qui a rapporté fort au long dans sa Dissertation sur le sel commun, les essais de divers chymistes, & les siens sur le sel marin, traité avec les charbons, tant dans les vaisseaux fermés qu'à l'air libre, & qui a obtenu quelques légeres émanations & apparences d'une matiere phosphorique, semble insinuer que la production d'une pareille matiere peut bien contribuer au phénomène dont nous venons de parler. Cela peut être absolument, mais cela ne paroît point nécessaire ; l'eau dégagée & mise en vapeur par la décrépitation, en paroît une cause très-suffisante.

Au reste, il faut se rappeller encore ici que le phosphore par excellence, le phosphore de Kunkel ou de Boyle, n'est point dû, au moins évidemment, à la combinaison de l'acide marin & du phlogistique, mais à celle du phlogistique & de l'acide microcosmique, dont l'analogie & la différence avec l'acide marin ne sont point encore constatées.

Le sel marin entre en fusion à un assez foible degré de chaleur ; il ne paroît pourtant pas qu'on puisse rapporter à la liquidité aqueuse celle qu'il contracte par l'action du feu. Voyez LIQUIDITE, Chymie. Car 1°. Le degré de chaleur requis pour cette fluidification, est bien supérieur, quoique foible, à celui qui fait couler les sels très-aqueux, comme le sel de Glauber, le nitre, &c. 2°. La décrépitation qui précede la fusion, a dissipé l'eau nécessaire pour faire subir à un sel la liquidité aqueuse.

Il existe dans l'art une ancienne opinion sur la convertibilité du sel marin en nitre. Cette opinion a pris un nouveau crédit dans ces derniers tems ; on a même, dit-on, tenté cette transmutation par l'autorité du ministere, & sous la direction des plus habiles chymistes. Le succès de ces tentatives, si elles ont été réellement exécutées, n'a pas été publié ; & il a couru d'ailleurs quelques descriptions de procédés qui ne promettent rien aux vrais connoisseurs. V. SALPETRE.

On connoît assez la qualité antiseptique du sel marin, & l'usage qu'on en fait en conséquence pour assaisonner les viandes, & les préserver de la putréfaction. Il est à remarquer cependant qu'il doit être employé à haute dose ; car si on applique aux matieres animales putrescibles, une petite quantité de sel marin, non seulement il ne les préserve pas de la corruption, mais au contraire il en accélere la corruption. Becker avoit déjà fait mention de ce fait singulier, que les expériences de M. Pringle confirment ; & qu'on auroit dû déduire il y a long-tems des observations domestiques les plus connues, si les savans savoient assez observer autour de soi. En effet, rien n'est si connu que cette observation, savoir qu'un bouillon non salé se conserve mieux & plus longtems, que celui auquel on a ajouté la dose ordinaire de sel ; qu'on peut garder pendant assez long-tems un ragoût à-demi fait, pourvû qu'on n'y ait pas mis le sel avant d'en interrompre la cuite.

C'est comme assaisonnant qu'on l'emploie aussi en Pharmacie, pour conserver certaines substances végétales, comme roses, &c. selon un usage établi dans les boutiques d'Allemagne. Voyez CONSERVATION, Pharmacie. D'ailleurs plusieurs chymistes, depuis Paracelse jusqu'à Fr. Hoffman, ont recommandé de digérer dans une eau chargée de sel plusieurs substances végétales, dont on se proposoit de retirer par la distillation, des huiles essentielles. Il est assez généralement convenu qu'on obtient par cette méthode, des huiles essentielles plus limpides ; mais 1°. le fait même quoique avoué, mais sans examen contradictoire, n'est pas incontestable ; 2°. le sel marin a-t-il opéré matériellement, dans cette espece de dépuration ou rectification, ou n'a-t-il que suspendu, ou au contraire favorisé un certain mouvement de fermentation, auquel elle peut être dûe uniquement ? c'est ce qui n'est point décidé.

Le sel marin est une des matieres salines qui opere le plus efficacement le refroidissement des liqueurs dans lesquelles on le dissout. Voyez REFROIDISSEMENT ARTIFICIEL.

Le sel marin est employé comme fondant dans le traitement de plusieurs substances minérales ; il entre dans la composition de plusieurs flux. Voyez FLUX.

Il est employé aussi dans les cemens. Voyez CEMENTATION & CEMENT.

Il entre dans la composition de certaines préparations d'antimoine assez inutiles, & qui sont connues sous le nom de régules médicamenteux. Voyez sous le mot ANTIMOINE.

M. Pott recommande de le faire entrer dans les mêlanges de terres, dont on veut faire les vaisseaux qui acquierent, dans la cuite, une espece de vitrification, & qui deviennent propres par-là, à la distillation des acides minéraux. Cette addition peut être très-bonne ; & l'on doit en croire d'autant plus volontiers ce célebre chymiste, qu'il a plus qu'aucun autre, travaillé sur ce sujet, sur lequel il a publié des découvertes très-précieuses. Cependant nous avons en France d'excellens vaisseaux, des vaisseaux éminemment propres à contenir & à distiller les esprits les plus corrosifs, & dans la composition desquels n'entre point le sel marin. N'importe, le mêlange indiqué par M. Pott fournit une richesse de plus.

On a sur le degré d'adhésion de l'acide marin à sa base, les observations suivantes.

Premierement, ceux qui ont travaillé avec plus de soin à rendre l'eau de mer potable par la distillation, tels que Boyle & M. Halles, ont observé qu'il s'élevoit avec l'eau, un peu d'acide dans un certain tems de cette distillation. Voyez MER, eau de.

De l'eau commune cohobée plusieurs fois sur du sel marin, contracte une légere acidité.

Plusieurs eaux thermales salées, rougissent foiblement la teinture de tournesol ; leur chaleur naturelle équivaut à la digestion qui opere le dégagement d'un peu d'acide dans les expériences précédentes.

Le sel marin concret, étant exposé à un feu violent & à l'air libre, c'est-à-dire à la calcination, se volatilise, ou du moins se dissipe, soit sous sa forme immuée de sel marin, soit sous celle de produits inobservés jusqu'à présent ; mais il s'alkalise aussi en partie, c'est-à-dire qu'il laisse échapper une partie de son acide. Neumann réduisit, par une calcination réitérée treize fois, une livre de sel marin à trois gros de terre & un gros de sel. Cette expérience prouve plus, il est vrai, la volatilisation que l'alkalisation ; mais le dégagement d'un peu d'acide marin par la calcination, est d'ailleurs prouvée par des expériences constantes.

Le sel marin distillé sans intermede à un feu très-violent, donne un peu de son acide ; mais si peu que M. Pott lui-même, qui a défendu sur ce point les prétentions de Beguin, de Schroder, de Henckel, rejettées par tous les autres chymistes, M. Pott, dis-je, avoue qu'il n'en fournit que ce qu'il faut pour maintenir l'assertion absolue, que le sel marin donne de l'acide par la distillation sans intermede.

Mais pour obtenir abondamment l'acide du sel marin, on distille ce sel avec divers intermedes. On emploie à cette distillation des intermedes faux, & des intermedes vrais. Voyez INTERMEDE, Chymie.

Je range sous la premiere classe les différentes especes de terres & sables ; car comme je l'ai discuté assez au long à l'article NITRE, qu'il faut consulter sur ceci, c'est une opinion insoutenable que celle qui fait dépendre la propriété qu'ont ces terres dans cette distillation, de prétendues matieres vitrioliques dont on les croit mêlées. D'ailleurs les sables plus purs, les cailloux, les talcs, les briques pilées, toutes substances dans lesquelles on ne sauroit supposer des matieres vitrioliques, fournissent des intermedes efficaces pour cette distillation. L'intermede le plus usité est celui des terres argilleuses, de l'argille commune ou du bol. M. Pott dit que les moins colorées de ces terres sont les plus foibles. Il est hors de doute qu'il faut d'ailleurs choisir celles qui sont le moins mêlées de terre calcaire ; car les terres de cette nature sont, par leur propriété d'absorber les acides, incapables de servir d'intermede pour leur dégagement ; & quoique des auteurs proposent de distiller le sel marin par l'intermede des coraux, de la craie, de la chaux, &c. on peut avancer hardiment avec M. Pott, qu'on n'obtient point d'acide par un pareil procédé.

On emploie communément sept ou huit parties de bol ou d'argille, pour une de sel marin ; cette quantité est insuffisante. Lemery qui en emploie six, & qui distille à un feu très-long & très - violent, observe qu'il reste dans son résidu du sel marin entier. Stahl demande dix parties d'ochre, de bol ou d'argille, pour une de sel ; je crois qu'il vaut encore mieux en employer douze & même davantage.

L'on fait décrépiter, ou seulement bien sécher le sel, lorsqu'on se propose d'obtenir un acide concentré. Cela est indifférent pour la sureté de l'opération ; mais il peut être essentiel de le faire décrépiter, lorsqu'on se propose d'obtenir un acide aussi concentré qu'il est possible.

La méthode de Lemery de réduire le sel & l'argille, au moyen d'une certaine quantité d'eau, en une pâte dont on forme de petites boules, qu'on seche ensuite avec soin, est bonne ; la multiplication des surfaces qui en résulte, doit favoriser l'action du feu.

Comme l'acide marin est très-expansible, & d'autant plus qu'il est plus concentré, il est commode de disposer les matieres à distiller de maniere qu'elles ne donnent qu'un acide concentré au point qu'on le desire. Ainsi quand on a besoin d'un esprit de sel ordinaire & phlegmatique, tel qu'il suffit pour les usages les plus ordinaires, on ne doit dessécher ni l'argille, ni le sel ; on peut même employer les boules de Lemery très-imparfaitement sechées ; ou bien, ce qui revient à-peu-près au même (car cette humidité étrangere passe presque toute dans le récipient avant l'acide), on met un peu d'eau pure dans le ballon.

La très-grande expansibilité de cet acide exige encore qu'on emploie un récipient très-vaste. On a coutume de se servir des plus gros ballons, ou du ballon double. Voyez DISTILLATION & RECIPIENT. Je crois très-utile, & même éminemment utile dans le cas dont il s'agit, de laisser continuellement le petit trou du ballon ouvert.

Les intermedes vrais qui peuvent opérer le dégagement de l'acide marin dans la distillation, sont les divers acides qui ont plus de rapport avec la base du sel marin que son acide propre. Or l'acide vitriolique, l'acide nitreux & l'acide microcosmique, sont dans ce cas. On peut employer ces acides, soit purs, soit unis à des bases avec lesquelles ils aient moins d'affinité qu'avec celle du sel marin. L'alun & les vitriols sont les sels neutres vitrioliques qui sont les plus propres à cette décomposition. Mais leur emploi est accompagné d'un très grand inconvénient, c'est que leurs bases sont solubles par l'acide marin, qui s'y unit en effet à mesure qu'il abandonne sa propre base ; & qu'il faut par conséquent opérer cette nouvelle désunion pour obtenir l'acide marin. Aussi cette méthode qui exige un feu violent & très-long, est-elle presque absolument hors d'usage, excepté pour quelques prétentions particulieres, & jusqu'à présent mal constatées.

Le meilleur de ces intermedes vrais, est sans contredit, l'acide vitriolique nud. Pour exécuter par cet intermede cette distillation connue dans l'art sous le nom de maniere de Glauber, du nom de son inventeur, on place dans une cornue de grais ou de verre deux parties de sel marin, qui ne doivent remplir ce vaisseau qu'environ au tiers, sur lesquelles on verse peu-à-peu une partie d'huile de vitriol : il s'éleve dès la premiere effusion de l'acide vitriolique, de l'acide marin réduit en vapeurs, que l'on perd nécessairement ; & cette perte dure pendant tout le tems du mêlange. Dès que ce mêlange est fait, on place lestement la cornue dans un fourneau de reverbere, ou sur un bain de sable, & on y adapte sur le champ un récipient : on lutte les jointures, & on laisse le petit trou ouvert ; on attend que l'éruption spontanée des vapeurs soit cessée ; & alors seulement on fait sous la cornue un petit feu, qu'on augmente peu-à-peu, & qu'il ne faut pousser qu'à un degré assez léger pendant tout le cours de l'opération, qui est finie en six ou sept heures au plus. On peut pour éviter la perte des premieres vapeurs, employer une cornue tubulée. Voyez CORNUE.

Le produit de cette opération est une liqueur d'un jaune verdâtre, très-fumante, & un acide marin très-concentré. Si on veut avoir par le même procedé un acide plus phlegmatique, on n'a qu'à ajouter de l'eau au mêlange, le faire par-là. Selon la proportion de Glauber, prendre pour deux parties de sel, une partie d'huile de vitriol & trois parties d'eau.

L'acide nitreux est un intermede très-peu commode pour la distillation du sel marin ; car comme cet acide est trop volatil, il s'éleve avec celui du sel marin, & forme une eau regale.

L'acide marin retiré, soit par l'intermede des terres bolaires colorées, soit par celui de l'huile de vitriol, a besoin d'être rectifié pour être pur. Celui qui est retiré par l'intermede du bol, étant rectifié sans addition, jusqu'à siccité, laisse une quantité assez considérable de terre martiale qui s'étoit volatilisée avec lui, & dont il est absolument nécessaire de le séparer quand on le destine aux travaux exacts. Celui qu'on obtient par les intermedes vrais, & même en général tout acide marin qu'on veut avoir aussi pur qu'il est possible, doit être rectifié, c'est-à-dire redistillé sur du nouveau sel marin. On conçoit aisement que dans cette opération, ces acides étrangers exerçant la propriété qu'ils ont de chasser le sel marin de sa base & d'y adhérer à sa place, sont remplacées dans la liqueur acide qu'ils rendoient impure & qu'ils abandonnoient, par du nouvel acide marin qui passe, au lieu d'eux, dans cette liqueur, qui devient par-là pure, homogene, & même sans rien perdre de sa quantité.

Le produit fixe ou résidu de la distillation du sel marin par les terres a été assez peu examiné : si les deux principes du sel marin étoient séparés dans cette opération, par une diacrise pure, ce produit fixe devroit être la base saline du sel marin : or il paroît jusqu'à présent que ce n'est pas cela. Le produit fixe de la distillation du sel marin par les sels vitrioliques, est du sel de Glauber, voyez SEL DE GLAUBER. Le produit fixe de cette distillation par les sels nitreux est du nitre quadrangulaire, voyez NITRE ; & enfin le produit de sa distillation par l'acide microcosmique n'est pas encore bien connu.

Acide marin. Van-Helmont soupçonne assez gratuitement que cet acide est l'acide primitif, & la vraie base de tous les autres. Beccher & ses sectateurs prétendent avec plus de vraisemblance, que cet acide est spécifié par la terre mercurielle, voyez MERCURIEL, PRINCIPE ; au moins cette assertion est-elle très - naturellement liée au dogme fondamental de Beccher, qui regarde ce principe comme la vraie cause matérielle de la volatilité. En effet, une des propriétés des plus remarquables de l'acide marin, propriété qu'il possede à l'exclusion des autres acides, c'est que la plûpart des composés à la formation desquels il concourt, comme principe, sont volatils, ce qui est sur-tout très-remarquable & très-spécial sur les substances métalliques qu'il volatilise toutes, sans en excepter l'or, comme il est démontré par les expériences de M. Brandt, dont nous allons faire mention, après avoir rapporté les propriétés les plus extérieures de l'acide marin.

Cet acide est d'une couleur jaune, plus ou moins délayée, selon qu'il est plus ou moins concentré ; celui qui est très-phlegmatique, mais qui est pourtant propre encore aux usages ordinaires, à la dissolution des matieres terreuses, alkalines, à la préparation d'une eau regale, capable de bien dissoudre l'or, &c. celui-là, dis-je, est limpide & sans couleur, de même que l'acide nitreux foible.

L'acide marin, pour peu qu'il soit concentré est très-fumant, & les vapeurs qu'il envoie sont blanches ; ces vapeurs sont d'autant plus épaisses, & d'autant plus expansibles, que cet acide est plus concentré.

Il paroît le moins pesant des trois acides mineraux ; du-moins n'est-on point parvenu jusqu'à présent à concentrer de l'acide marin en masse, jusqu'au point de le rendre aussi pesant que l'acide vitriolique, ou l'acide nitreux très-concentré ; on n'a pas tenté non plus de déterminer son poids dans son état de plus grande concentration, c'est-à-dire dans diverses combinaisons, où il entre vraisemblablement en un état de très-grande pureté ou concentration.

Il est ce que la plûpart des Chymistes, même les plus célebres appellent, &c. par un usage très-vicieux, le plus foible des acides minéraux ; ce qui signifie seulement que les deux autres acides le chassent, lorsqu'on les applique à des sels neutres formés par l'union de celui-ci & des substances alkalines, soit salines, soit terreuses. Et cette expression qui seroit toujours impropre, vague, peu scientifique, quand même elle pourroit avoir un sens au moins figuré, selon lequel elle convînt à une assertion généralement vraie ; cette expression, dis-je, est à plus forte raison inadmissible, puisque cet acide le plus foible des trois acides minéraux relativement aux alkalis, est dans le même sens le plus fort des trois relativement aux métaux blancs, & plus fort que l'acide nitreux relativement à toutes les substances métalliques

L'acide marin est celui des acides minéraux qui a le plus de rapport avec les métaux blancs : savoir, l'argent, l'étain & le plomb, & il a plus de rapport avec toutes les substances métalliques que l'acide nitreux. Son ordre de rapport avec l'acide vitriolique & les substances métalliques colorées, & même le mercure n'est pas encore définitivement établi.

L'acide marin a la propriété singuliere, ou du-moins possede éminemment la propriété d'enlever à un autre acide une substance qu'il est incapable de dissoudre, lorsqu'on l'applique en masse à cette substance en masse. Ainsi cet acide appliqué en masse, c'est-à-dire, sous sa forme ordinaire de liquide, à de la limaille ou de la grenaille d'or ou d'argent & à du mercure coulant, ne dissout point ces substances métalliques, même par le secours d'une longue ébullition : appliqué au cuivre, à l'étain & au bismuth, non calcinés, il ne dissout ces substances métalliques qu'avec beaucoup de peine & en petite quantité ; le plomb, dans les mêmes circonstances, est encore plus difficilement soluble par ce menstrue. Il est vrai que la chaux de cuivre & celle de bismuth s'y dissolvent assez facilement, & les chaux & verres d'étain & de plomb un peu plus aisément que ces métaux non calcinés, mais toujours fort mal.

L'acide marin bouillant ne dissout que très-peu de régule d'antimoine, soit sous sa forme métallique, soit calciné.

Enfin, il est pourtant quelques substances métalliques, savoir, le fer, le zinc, le régule d'arsenic, & celui de cobalt qui sont parfaitement dissoutes par l'acide marin en masse. Mais toutes ces substances métalliques, excepté l'or, étant précédemment dissoutes, ont la plus grande disposition, la plus grande pente à s'unir à l'acide marin pour lequel elles quittent l'acide auquel elles étoient jointes auparavant. C'est ainsi que si on applique de l'acide marin à une dissolution d'argent, ou le mercure dans l'acide nitreux, le premier acide enleve l'argent ou le mercure au second, & forme avec l'argent le corps chymique connu sous le nom de lune cornée, & avec le mercure le corps chymique connu sous le nom de précipité blanc. Voyez ARGENT, MERCURE & CORNE, Chymie. Il y a encore deux autres moyens dont l'acide marin dissout les substances, qu'il ne sauroit dissoudre, lorsqu'on l'applique en masse ou en état d'aggrégation liquide, à ces substances, soit concretes, soit liquides. Le premier consiste à réduire les deux corps à s'unir en vapeurs : c'est ainsi que l'acide marin & le mercure étant réduits chacun en vapeurs, & portés dans un récipient commun, se combinent chymiquement, & forment par leur union le sel métallique connu dans l'art sous le nom de sublimé corrosif. La deuxieme consiste à appliquer à un sel neutre marin, par exemple, un sublimé corrosif, une substance métallique : par exemple, la chaux de cuivre capable de précipiter ce sel & d'attirer à soi l'acide, en le détachant de son ancienne base, qui est le mercure dans l'exemple cité.

Au reste, tous ces phénomènes se déduisent d'un même principe ; savoir, de ce que l'union aggrégative des particules de l'acide marin est supérieure dans le plus grand nombre de cas à la pente qui le porte à l'union mixtive, & sur-tout quand l'exercice de cette derniere force est empêché d'ailleurs par l'adhésion aggrégative des particules du corps à dissoudre. Voyez MENSTRUE.

La plûpart des matieres salines qui résultent de l'union de l'acide marin aux diverses substances métalliques que nous venons de nommer, sont connues dans l'art sous le nom de métaux cornés ou de beurres, noms tirés de quelque ressemblance que ces matieres ont, soit par la couleur, soit par la consistance, avec la corne ou avec le beurre. Celles qui ont la consistance cornée, sont celles qui ont pour base l'argent & le plomb, & sont appellées communément lune cornée & plomb corné. L'étain, le bismuth, l'arsenic, l'antimoine & le cobalt donnent chacun un beurre. Le sel produit de la combinaison de l'acide marin & du cuivre, est une espece de gomme qui doit être par conséquent rangée avec les beurres. Cette gomme est très-inflammable ; elle brûle en donnant une belle flamme bleue (propriété qu'elle communique à l'esprit-de-vin dans lequel on la dissout, & à du suif ou de la cire à quoi on la mêle, & dont on fait ensuite des chandelles :) & les Chymistes en ont conté beaucoup de merveilles, voyez la dissertat. de M. Pott sur le sel marin, déjà citée.

Le zinc combiné avec l'acide marin donne une matiere moyenne entre l'état corné & l'état butireux. Cette matiere coule au feu, mais se fige, & se durcit considérablement dès que ce feu n'est plus très-vif. Le sel formé par l'union de l'acide marin & du fer est capable de prendre une forme concrete, éprouver une espece de crystallisation, mais peu durable. Le sublimé corrosif & le précipité blanc, produits de la combinaison de l'acide marin & du mercure, ont cela de spécial, qu'ils ont une forme concrete, durable ; qu'ils sont, & sur-tout le sublimé corrosif, très-capables d'une crystallisation réguliere. Enfin, l'or qui, selon les expériences de M. Brandt, que nous avons annoncées plus haut, est attaqué par l'acide marin, pur, nud en masse, lors qu'on l'a précédemment mêlé en diverses proportions à de l'étain, ou du bismuth ou du régule de cobalt, & qu'on a réduit l'alliage en une chaux dans laquelle on n'apperçoit aucune partie d'or : l'or, dis-je, extrait de cette chaux par l'acide marin, ou pour mieux dire, le produit résultant de cette extraction, se volatilise sous la forme d'une liqueur épaisse, jaune ou rouge.

Toutes ces substances salines métallico-marines sont plus ou moins volatiles & déliquescentes.

Il est encore essentiel d'observer que la vapeur qui s'éleve pendant la dissolution de la chaux de cuivre dans l'acide marin, est très-inflammable ; & que pendant celle du zinc dans le même acide, il se forme de petits flocons inflammables, & qui sont une espece de soufre ; mais que ces phénomènes n'insinuent point du-tout que l'acide marin contienne du phlogistique, de même que l'inflammation des huiles, & les autres phénomènes analogues que présente l'acide nitreux ne démontrent point ce principe dans ce dernier acide. Voyez NITRE.

L'acide marin combiné avec l'alkali fixe de tartre donne le sel marin regénéré connu dans l'art sous le nom de sel digestif ou fébrifuge de Sylvius.

Avec la chaux il donne le sel appellé très-arbitrairement sel fixe ammoniac, & huile de chaux quand il est tombé en deliquium, événement auquel il est très-sujet. Il est traité de quelques propriétés chymiques de ce sel à l'article CHAUX, Chymie.

L'acide marin combiné avec l'alkali volatil forme le sel ammoniac proprement dit. Voyez SEL AMMONIAC, acide marin dulcifié, éther marin.

L'acide marin digéré, distillé, cohobé de diverses manieres avec l'esprit-de-vin, fournit la liqueur connue dans l'art sous le nom d'esprit de sel dulcifié, d'esprit de sel vineux & d'eau tempérée de Basile Valentin. Lorsque les travaux que les Chymistes avoient tentés sur la dulcification de l'acide vitriolique, & sur celle de l'acide nitreux, leur eurent donné l'éther vitriolique & l'éther nitreux, voyez ces articles ; ces liqueurs furent le produit le plus précieux de ces travaux, & le principal objet de leurs recherches dans les opérations analogues sur le mélange de l'acide marin & de l'esprit-de-vin qui a long-tems refusé une liqueur huileuse, un éther. Enfin M. Rouelle le cadet, que je ne crains point de placer parmi les plus grands chymistes, à qui même je ne m'abstiens de marquer la premiere place, que parce que ma propre conviction, quoiqu'intime & profonde, ne me donne pas le droit de lui déferer l'empire ; M. Rouelle le cadet, dis-je, a fait en 1759 de l'éther marin, en employant au lieu d'acide marin, nud & en aggrégation, de l'acide marin, disgregé & concentré par son union avec l'étain, c'est-à-dire, le beurre d'étain, ou liqueur fumante de Libavius. Cette découverte est fondée sur une heureuse application du principe que nous avons posé plus haut, d'après l'observation de l'impuissance de l'acide marin en masse, & de la grande activité du même acide dont l'aggrégation est rompue. Le procédé de M. Rouelle n'a encore été qu'indiqué par une lettre de M. le marquis de Courtenvaux à M. de Mairan, insérée dans le journal des Savans, Août 1759. (b)

SEL MICROCOSMIQUE ; ce sel porte aussi les noms de sel fusible, & de sel essentiel d'urine. On l'obtient par l'évaporation de l'urine fraîche à un feu modéré ; mais la maniere la plus facile de préparer ce sel, est de le retirer d'une grande quantité d'urine putréfiée & cuite jusqu'à la consistance d'un syrop liquide, & d'en dépurer les crystaux par des solutions, des filtrations, & des crystallisations répétées. Dans ces opérations, le sel fusible qui contient l'acide du phosphore, se crystallise toujours le premier, & il est fort aisé à distinguer de celui qui paroît ensuite sous la forme de crystaux longs & cubiques.

On a proposé aussi de préparer les crystaux de sel d'urine, en la réduisant à la consistance d'un miel épais, en la dissolvant dans de l'eau bouillante, en la filtrant & la faisant crystalliser deux ou trois fois. On peut encore, en exposant l'urine à une forte gelée, en concentrer la matiere saline huileuse jusqu'à une consistance convenable, jusqu'à la crystallisation : enfin on peut obtenir le sel d'urine, quoique dans un espace de tems beaucoup plus long, par une lente & très-douce évaporation à l'air, alors il s'en sépare une terre selénitique en forme de crystaux.

Il paroît, par les observations de divers chymistes, qu'une longue putréfaction est capable de produire dans l'urine des générations & combinaisons de différens sels. M. Schlosser a trouvé que si on distille le précipité qui se fait pendant l'évaporation de l'urine récente, & qu'on en lessive le caput mortuum après l'avoir calciné, l'eau qui a servi à édulcorer ce caput mortuum, ne donne qu'un véritable sel marin ; mais M. Pott ayant distillé le résidu de l'urine réduit à la consistance de miel, dont on avoit séparé les premiers crystaux, & qu'on avoit gardé dans un vase pendant quelques années, a retiré un véritable sel fusible de la terre du caput mortuum, & du caput mortuum que fournirent après la rectification & les produits de cette distillation, qui demeurerent encore mêlés ensemble pendant quelques années. Comme la distillation avoit donné un esprit ammoniacal huileux, M. Pott en conclut que la terre de l'urine qui avoit été rendue volatile, s'est avec le tems, & par un effet du mouvement intérieur, détachée de sa combinaison précédente, & en a contracté une autre en vertu de laquelle elle est devenue fixe & fusible. M. Marggraf a observé que la putréfaction change le sel commun, qui existe dans l'urine, en un sel fusible.

Cependant il y a dans l'urine du sel fusible qui y est essentiellement contenu, mais déguisé, comme M. Henckel le prouve : parce que, 1°. il s'obtient par une séparation qui s'opere doucement, & conforme à la façon d'agir de la nature, savoir par une évaporation lente, pour laquelle on n'a point employé la violence du feu ; cette évaporation n'agit que sur la partie phlegmatique, & elle n'a pas pu détruire ni décomposer le tout : 2°. ce sel n'est point, comme le sel marin, une substance étrangere portée du dehors en-dedans du corps humain, mais il y a été élaboré par la coction & par d'autres mouvemens des organes, & formé de substances dans lesquelles il n'étoit pas.

M. Marggraf remarque qu'on ne peut séparer entierement le sel essentiel de l'urine, & il croit que les causes en sont probablement, 1°. la quantité de l'extrait onctueux, qui empêche la crystallisation ; 2°. & principalement la dissipation du sel volatil urineux qui arrive à ce sel, tant dans l'inspissation de l'urine, que dans sa dépuration : car ce sel privé de son sel volatil, refuse de prendre une forme saline seche. Si on le dissout fréquemment dans l'eau bouillante, il perd toujours une partie de son esprit urineux (comme l'odeur le prouve suffisamment), & ainsi il ne se met point en crystallisation ; ce que l'on peut pourtant corriger en quelque sorte, en y ajoutant un peu d'esprit volatil de sel ammoniac : cet esprit sature avec effervescence l'acide découvert.

Quand le sel fusible a été suffisamment dépuré, il est tout-à-fait blanc & sans odeur. M. Pott nous apprend que la figure de ce sel varie beaucoup, suivant les effets de la chaleur, de l'évaporation, & des différentes crystallisations : car il prend la figure de la plûpart des autres, comme du salpêtre, du vitriol, du sel ammoniac, de l'alun, du sel admirable, &c. mais pour l'ordinaire il est en crystaux brillans, octogones & prismatiques. Ce sel excite sur la langue une saveur un peu fraîche ; il a à-peu-près le goût du borax, avec lequel il présente des ressemblances singulieres : mis dans un creuset sur le charbon ardent, il y écume, se boursouffle, se fond, & pousse des végétations : soufflé sur le charbon avec un chalumeau, il coule en une perle ronde quand il est convenablement purifié. Les crystaux de la seconde crystallisation se fondent aussi en perle sur le charbon, quand ils ont été dépurés ; mais après le réfroidissement, ils prennent une couleur de lait : mêlés avec le phlogistique, ils ne donnent point le phosphore comme les premiers crystaux ; après avoir été fondus, ils se remettent facilement en crystallisation, tandis qu'on ne peut plus faire crystalliser les premiers quand une fois ils ont été liquéfiés.

On voit par cette différence que les crystaux de la seconde crystallisation ont les mêmes propriétés que le sel que M. Haupt a nommé sal mirabile perlatum : ce que M. Marggraf ne paroît pas avoir vû lorsqu'il a dit que ce dernier sel n'a que très-peu de rapport avec le sel microcosmique.

La premiere crystallisation ne tombe pas aisément en effervescence à l'air, mais bien la seconde, que l'air chaud commence à reduire en une poudre blanche comme la neige, & qui au lieu de rafraîchir la langue, l'échauffe comme un charbon ardent, sans lui causer pourtant aucune douleur ni aucun dommage. Cette sensation de chaleur ne s'y conserve que quand il est bien dépouillé de toute humidité, & il recouvre toujours cette chaleur, lorsqu'il l'a perdue par des calcinations répétées.

Le sel microcosmique est un sel moyen ammoniacal, dont l'acide est d'une nature toute particuliere & si peu liée avec le sel urineux, qu'il n'est point d'autre exemple de sel ammoniacal sec, dont l'urineux se separe aussi aisément par la seule distillation, ou par une simple digestion, & même par la seule attraction de l'air.

Si on met les crystaux de sel fusible dans une retorte de verre, & qu'après y avoir adapté un récipient bien luté, on distille insensiblement & par degrés au feu de sable, le sel écume & devient fluide, en même tems il s'éleve dans le récipient un fort esprit urineux volatil, dont le poids est la moitié du total, qui ressemble beaucoup à l'esprit de sel ammoniac préparé avec de la chaux vive, qui étant mêlé en assez grande quantité avec l'esprit de sel, n'entre point en effervescence, mais échauffe considérablement les vaisseaux, au lieu que les urineux ordinaires produisent plutôt du froid : après cet esprit urineux montre quelques grains de sublimé ammoniacal, l'autre moitié de crystaux forme dans la retorte une masse blanchâtre & crevassée.

C'est dans cette matiere saline, qui demeure après la distillation des crystaux, que l'acide se trouve enveloppé par une terre tenue & glutineuse, & il ne se découvre entierement qu'après que ce résidu a été fondu à un feu violent, en un corps clair & transparent que l'on fait couler sur une lame de fer chauffé, bien poli ; mais la plus grande violence du feu ne peut chasser de ce résidu, qu'un peu d'humidité, & n'en peut séparer aucun acide ni aucun sublimé.

Cette matiere, semblable au verre, se dissout entierement dans deux ou trois parties d'eau distillée bien pure, & se change en une liqueur claire, un peu épaisse, qui a les propriétés de tous les acides, desorte que 1°. elle se met en effervescence avec l'alkali volatil, & 2°. avec l'alkali fixe, & même qu'elle forme avec l'un & l'autre des especes de sel moyen tout-à-fait particulieres. 3°. elle précipite les corps dissous dans les alkalis, & même 4°. elle dissout les terres alkalines.

Cependant MM. Pott & Schlosser nient que ce verre salin dissout dans de l'eau, fasse aucune effervescence sensible avec l'alkali, quoique cette effervescence ait lieu lorsqu'on sature avec un alkali la liqueur acide du phosphore brûlé. M. Pott a découvert qu'on augmente beaucoup la fusibilité du sel fixe de l'urine, lorsqu'on dissout ce sel purifié dans un bon esprit de sel, qu'on fait digérer la solution, qu'on la filtre, & qu'on abstrait doucement l'esprit, jusqu'à-ce que le sel se coagule de nouveau. Il a trouvé aussi que le sel ammoniac fixe, connu pour un sel si fusible, étant mêlé avec autant de sel microcosmique, loin d'en conserver la fusibilité, ou d'en acquérir davantage, devient fragile au feu comme une écume friable & verdâtre.

Les expériences remarquables de MM. Marggraf & Pott, nous apprennent que le sel fusible précipite les solutions du sel ammoniac fixe, ou la solution de chaux vive, faite dans l'acide du sel, la solution épaisse de craye, la solution de cailloux faite depuis long-tems dans l'alkali fixe, & qu'il s'en précipite une matiere visqueuse qui demeure cohérente comme la glu, & qui s'endurcit sans pouvoir être dissoute de nouveau : ces expériences me paroissent fortifier le sentiment de ceux qui croyent que le sel de l'urine contribue à en lier la terre, pour former le calcul de la vessie.

M. Pott cite & adopte le sentiment d'Henckel, qui dit que la seconde crystallisation du sel d'urine en forme de salpetre, aussi-bien que le premier sel qui se crystallise du caput mortuum, contiennent l'un & l'autre quelque portion d'acide vitriolique, puisque avec le charbon, ils forment un soufre commun.

M. Pott dit ailleurs que le sel de l'urine contient en soi & réunit la terre colorée de l'acide nitreux, la terre fusible de l'acide du sel, & la terre fixe de l'acide du vitriol, lesquelles étant employées à propos, peuvent servir à produire divers changemens dans d'autres corps : ces idées semblent avoir peu de fondement, néanmoins les varietés de la crystallisation du sel fusible, dont nous avons parlé plus haut, mériteroient d'être étudiées plus soigneusement qu'on n'a fait jusqu'ici.

On peut voir dans MM. Marggraf & Pott de quelle maniere le sel microcosmique agit sur les métaux avec lesquels on le met en fusion, ou dans une forte digestion, & les rapports de ce même sel avec différentes chaux & solutions métalliques. La proprieté la plus remarquable de ce sel, qui a été découverte par M. Marggraf, c'est qu'étant mêlé avec un inflammable subtil & distillé dans un vaisseau fermé, il produit le phosphore. M. Marggraf pense que l'acide du sel microcosmique est essentiel à la production du phosphore, & il faut, suivant lui, que cet acide soit mêlé dans plusieurs végétaux, parce que la semence de roquette, de cresson, de moutarde, & même le blé, lorsqu'on les distille à un feu violent, donnent à la fin le phosphore, quand le feu est poussé au plus haut degré. Voyez PHOSPHORE. Il est dans l'opinion que le sel microcosmique, & sur-tout son acide, se trouve mêlé à quelques - uns des végétaux qui composent les alimens & les boissons des hommes, & qu'il passe de-là dans le corps humain : car il a remarqué que l'urine d'été, saison où les hommes mangent beaucoup plus de végétaux, fournit toujours une plus grande quantité de ce sel, que l'urine d'hiver ; mais une semblable preuve paroît extrêmement foible, quoiqu'elle n'ait laissé aucun doute à M. Marggraf.

On a attribué différentes vertus médicinales au sel microcosmique, mais elles ne sont pas assez constatées, quoique ceux qui l'ont employé, semblent se réunir à dire que ce sel est un puissant apéritif.

SEL PRINCIPE, (Chymie & Physique) les anciens chymistes crurent reconnoître que la décomposition des corps étoit arrêtée, lorsqu'ils étoient parvenus à les réduire en esprit, huile, sel, terre, & eau ; ils nommerent ces substances principes ou élemens ; ils appellerent les trois premiers actifs, les deux autres passifs ; ils ont été successivement contredits par leurs successeurs. Paracelse les reduisit à trois, le mercure ou l'esprit, le soufre ou l'ame, & le sel ou le corps ; Van-Helmont n'admit que l'eau pour tout principe ; Beccher joignit la terre, dont il fit trois especes, à l'eau ; Stahl adopta ces maximes ; les chymistes, plus modernes que ces deux grands hommes, trouvant des défauts dans cette partie de leur doctrine, ont varié dans la division qu'ils ont faite de ces mêmes principes. Il seroit trop long de rendre compte de tous les sentimens qui se sont élevés à ce sujet, nous nous bornerons à examiner ce qu'on doit penser de ce prétendu élément.

Il est évident que le titre de principe ne peut convenir à aucun sel neutre ; il ne l'est guere moins que les alkalis en doivent être exclus ; quant aux acides, une suite d'analogies, de vraisemblances, leur transmutation, sont des preuves qu'ils dérivent tous d'un seul, du vitriolique, sulphureux ou universel : c'est donc lui seul qu'on pourroit nommer principe, mais n'est-il pas encore susceptible de décomposition ? doit-on penser avec Beccher, Stahl & Juncker, qu'il est formé par l'union de l'eau & de la terre vitrescible ? c'est ce qui ne sauroit être mis en évidence que par des expériences nouvelles & répétées ; heureusement l'incertitude qui regne sur cet objet, n'est d'aucune conséquence pour la pratique de la chymie, elle ne peut en arrêter les découvertes, elle doit au-contraire exciter à tenter la décomposition des corps qui paroissent les plus simples, ceux qui veulent avoir des points fixes sur cette matiere. On peut renvoyer aux écoles toutes les disputes semblables, & se borner à soutenir que l'opinion la plus vraisemblable est celle d'Aristote, qui admet pour élément, l'eau, l'air, la terre, & le feu, en attendant qu'un jour plus grand soit répandu par l'expérience sur la théorie d'un art que nous regardons comme la clé de la vraye physique. Voyez ELEMENS, PRINCIPES.

SEL SEDATIF, (Chymie) le borax (Voyez BORAX) est un sel composé, qui reconnoît pour ses principes constituans, un alkali de l'espece de celui qui sert de base au sel muriatique, appellé alkali minéral, parce que c'est le seul alkali fixe qui existe tout formé dans la nature, & que l'art ne crée pas ; ce sel alkali est neutralisé par une autre espece de sel, qui fait fonction d'acide, connu sous le nom de sel sédatif, par rapport aux effets qu'a cru lui remarquer Homberg, un de ses inventeurs.

Ce sel se retire du borax de deux manieres, par sublimation & par crystallisation ; dans l'un & l'autre cas il faut toujours employer une addition d'acide, au borax, lequel s'unit à l'alkali minéral, pour former un sel neutre différent, suivant le genre d'acide. Ils sont tous indistinctement propres à opérer cette décomposition, selon les observations de M. Baron ; (Voyez Mémoires des savans étrangers) alors le sel sédatif, qui est encore affoibli par l'eau que l'on ajoute au mêlange, a moins d'affinité avec l'alkali, que n'en ont les acides employés, il se trouve libre & en état d'être séparé du nouveau sel qu'a formé l'addition de l'acide, ce qui pourra s'exécuter par la voie qui se trouvera la plus convenable.

Non-seulement, selon les expériences de M. Lémeri, les acides purs & concentrés operent la décomposition du borax, mais encore ces mêmes acides engagés dans des bases terreuses & métalliques, ce qui a été la source de plusieurs erreurs ; par exemple, M. Homberg obtint le sel sédatif, par l'intermede du colcotar, & pensant que c'étoit la matrice de ce sel, il le nomma sel volatil de colcotar, ou de vitriol, &c.

La méthode qui nous a paru la meilleure pour retirer le sel sédatif, est la suivante.

L'on arrose quatre onces de borax réduit en poudre, avec une once & deux gros d'huile de vitriol très-concentrée, l'on ajoute peu de tems après au mêlange, deux onces d'eau commune, & l'on distille le tout dans une cornue luttée, dont le col soit large, en poussant le feu jusqu'à faire rougir la partie inférieure de la cornue.

Il est à remarquer que l'acide vitriolique très-concentré, ne décomposeroit pas sans addition d'eau le borax ; il est même connu que le sel sédatif très-pur & très-sec, décompose en partie, par une propriété très-singuliere, tous les sels neutres à bases alkalines, s'unissant à ces mêmes bases lorsqu'il en a précipité l'acide, pour reproduire avec elles du borax ; mais lorsque dans la décomposition du borax, on ajoute une certaine quantité d'eau, le sel sédatif ne peut plus agir avec la même activité, & la réaction de l'acide sur l'alkali n'en est pas diminuée ; le sel sédatif devenu libre, & étant naturellement fort divisé, présente à l'eau un grand nombre de surfaces, ce qui lui facilite la propriété d'être enlevé avec elle : aussi arrive-t-il que dans les procédés où l'on emploie une moindre quantité d'eau, il faut en ajouter de nouvelle pour enlever tout le sel sédatif qu'une quantité donnée de borax peut fournir ; lorsque l'on diminue la quantité d'huile de vitriol, on tombe encore dans l'inconvénient de ne pas décomposer tout le borax, non qu'il n'y ait assez d'acide pour saturer tout l'alkali minéral, mais c'est que la décomposition ne s'en fait jamais si rapidement, que l'on n'enleve une certaine quantité même nécessaire de cet acide, de la même maniere qu'il enleve & tient en dissolution une petite partie du sel sédatif, de-là l'acidité de l'eau du récipient : quant au sel sédatif qui n'a pas la même affinité avec l'eau que l'acide, & qui d'ailleurs n'en est pas dissous, mais seulement humecté, il est enlevé à la faveur de cette eau, & de la chaleur qui le tient dans un état de fusion, jusqu'au col de la cornue, qui est la partie qui sort du reverbere, & que le contact de l'air a refroidi ; mais l'eau qui n'est pas susceptible d'un si grand degré de chaleur, ne se condense pas également à un froid si peu sensible ; elle s'étend & se raréfie jusque dans le ballon où elle s'accumule, avec une légere portion de sel sédatif, qui avoit été exactement dissous, & qui se crystallise dans cette eau lorsqu'elle est refroidie : le sel sédatif qui a resté déposé au col de la cornue, y est attaché en forme de petites lames ou aiguilles d'une ténuité ou légéreté singuliere, qui bouchent toute la capacité de ce col. Autant ce sel paroît volatil & leger, lorsqu'il est uni à l'eau, autant est-il fixé lorsqu'il en est dépourvu : ce qui fait que ces fleurs ou sels qui sont placés sur la partie du col de la cornue, la plus voisine de son corps & la plus échauffée, se fondent, perdent l'eau de leur crystallisation, & affectent sans se sublimer, la figure & ressemblance d'un verre. De même le sel sédatif exposé subitement à une chaleur violente, se fond, perd la moitié de son poids, & se change en verre, lequel peut reprendre sa forme premiere si on le fait dissoudre & recrystalliser dans l'eau.

La méthode de retirer le sel sédatif par crystallisation, que l'on doit à M. Géoffroi (voyez son mémoire dans ceux de l'académie, 1732) est plus facile, mais n'est pas préférable à celle que nous avons décrite, en ce que, lors de l'évaporation du fluide superflu, il se fait une perte assez considérable du sel sédatif qui s'éleve avec lui, & qu'il est bien difficile d'avoir dans une grande pureté & sans mélange d'acide & de sel de Glauber, les derniers sels que l'on retire à la suite des évaporations & crystallisations ménagées : en voici le procédé.

A une dissolution de quatre onces de borax, dans suffisante quantité d'eau, l'on ajoute une once deux gros d'huile de vitriol, il se fait une effervescence assez considérable, lors de la réaction de l'acide vitriolique sur l'alkali du borax ; les liqueurs se troublent, mais il ne paroît point encore de sel sédatif. On fait évaporer la liqueur à une douce chaleur, jusqu'à-ce que le sel sédatif se fasse appercevoir à la surface de l'eau, sous la forme de petites lames fines & brillantes ; une évaporation plus continuée fait accumuler & groupper ensemble ces petits crystaux, qui devenus plus pesans, gagnent le fond de la liqueur & souvent affectent des formes différentes ; on laisse refroidir l'eau sans l'agiter, puis l'on retire par décantation les sels qui font formés, on les lave rapidement avec de l'eau froide, pour leur enlever, le plus qu'il est possible, l'eau de la crystallisation qui lui communiqueroit une portion du sel de Glauber, qu'elle tient en dissolution ; on fait encore évaporer peu-à-peu la liqueur saline restante, pour en séparer tout le sel sédatif, & lorsque les liqueurs n'en donnent plus, on peut faire une évaporation plus considérable, laquelle produit des crystaux de sel de Glauber ; l'étiologie de cette opération est fondée sur ce que le sel de Glauber est plus soluble dans l'eau, que le sel sédatif ; ce dernier l'est même beaucoup moins que le borax, ce qui fait que l'eau qui tenoit le borax en dissolution transparente, avant l'addition de l'acide vitriolique, n'est plus capable de le faire, lorsque le sel sédatif commence à se débarasser de l'alkali minéral qui lui communiquoit sa dissolubilité, mais ce n'est encore qu'une poussiere fine & subtile, qui altere la transparence du fluide dans lequel elle nage, une évaporation ménagée lui donne l'arrangement nécessaire, & le sel sédatif paroît tout formé, il ne differe de celui qui est fait par sublimation, qu'en ce qu'il est moins leger que ce dernier, & que ses crystaux sont plus épais & moins bien figurés ; on connoit que le sel sédatif, fait par crystallisation, est pur, lorsqu'exposé au soleil, il ne tombe pas en efflorescence comme le sel de Glauber, & qu'il n'a point le goût de borax.

Le sel sédatif n'est pas un acide, comme on auroit quelques raisons de le soupçonner, il ne change pas les couleurs bleues des végétaux en rouge, & ne fermente pas avec les alkalis, quoiqu'il s'unisse avec eux ; il n'est pas non plus de la nature des alkalis volatils ; nous avons fait voir que sa volatilité n'étoit qu'accidentelle ; il précipite à la longue quelques solutions métalliques, comme le mercure dissous dans l'acide nitreux & dans le muriatique ; cette propriété peut être due à une légere portion d'acide vitriolique qui lui reste uni dans l'eau de la crystallisation ; il a beaucoup de rapport avec le sel microcosmique. Voyez SEL MICROCOSMIQUE. Outre ces précipitations qui leur sont communes, il décompose comme lui, les sels neutres à bases alkalines, il se vitrifie facilement, vitrifie aussi avec lui un grand nombre de substances, il forme avec le talc & les spats un verre opaque & inaltérable à l'air, facilite la fusion des substances les plus refractaires, & ces sels ont plusieurs autres ressemblances qui vraisemblablement tiennent à la nature des principes de leur composition qui nous est encore inconnue.

Le sel sédatif est leger, talqueux, doux, & gras au toucher ; il a une saveur fraîche, acidule & amere ; il fait du bruit comme le tartre vitriolé, lorsqu'on le mâche ; nous suspectons avec raison les vertus qu'on lui attribue dans la médecine ; on le croit emménagogue, antispasmodique, antihystérique, apéritif, diurétique, détersif, stimulant sans corrosion, ni inflammation, & propre à atténuer la viscosité des humeurs.

Il est un des sels qui se dissolvent le plus difficilement dans l'eau, trois livres d'eau suffisant à peine pour en dissoudre deux onces ; mais il n'en est pas de même de l'esprit-de-vin, dans lequel il se dissout facilement & abondamment.

La flamme d'un esprit de vin qui n'aura dissous même qu'une légere portion de ce sel, sera d'un très-beau verd : aucune de toutes les substances connues n'a donné cette couleur à la flamme de l'esprit de vin, à l'exception des préparations cuivreuses. Le sel sédatif contiendroit-il de ce métal à tel point divisé, qu'aucune expérience ne l'y a pu faire appercevoir ? l'alkali volatil, qui est la pierre de touche qui le découvre par-tout, n'attire point la couleur de la dissolution de ce sel. L'on peut voir sur cette matiere beaucoup de choses curieuses, dans le second mémoire de M. Bourdelin, inseré dans ceux de l'académie des sciences, pour l'année 1755, comme aussi l'union que le sel sédatif est susceptible de contracter avec l'alkali volatil auquel il communique la vertu très-singuliere de ne se pouvoir plus sublimer.

Le sel sédatif s'unit à la crême de tartre, & forme un tartre très-soluble, qui conserve son acidité comme le borax tartarisé de M. le Fevre d'Usès ; M. de la Sone, dans son mémoire académique pour l'année 1755, nous fait observer la singularité de ces deux sels, qui deviennent très-dissolubles dans l'eau, lorsqu'ils ne forment qu'un composé, quoiqu'ils soient séparément & l'un & l'autre du nombre de ceux dont la dissolution est très-difficile dans ce fluide.

Le sel sédatif a plusieurs autres propriétés moins essentielles, néanmoins intéressantes ; & ceux qui voudront être plus instruits des connoissances que l'on a acquis sur cette matiere, pourront consulter le traité de M. Pott sur le borax, & les ouvrages des auteurs cités dans cet article.

SEL DE RIVIERE, (Mat. méd.) voyez VITRIOL.

SEL VOLATIL, (Chymie) voyez ce qu'on entend en Chymie par la qualification de volatil, à l'article VOLATIL, & VOLATILITE, Chymie.

Il y a des sels volatils de plusieurs especes ; l'acide marin, l'acide nitreux, l'acide végétal fermenté, l'acide végétal spontané nud du marum, & peut-être de quelques autres plantes, l'acide spontané des insectes, l'alkali appellé volatil, & même des sels neutres, savoir tous les sels ammoniacaux, sont volatils.

On donne cependant par préférence ou par excellence le nom de sel volatil aux alkalis volatils. Voyez ALKALI VOLATIL, dans l'art. général SEL, Chym. & Méd. (b)

SELS, (Science microscop.) les sels des fluides évaporés des végétaux brûlés, des fossiles, des métaux, des minéraux, méritent d'être examinés au microscope. Nous parlerons des sels du vinaigre au mot VINAIGRE, & des sels fossiles dans l'article suivant.

Pour extraire les sels des végétaux, il faut brûler le bois, la tige ou les feuilles d'une plante, jetter les cendres dans l'eau, ensuite filtrer, & laisser la liqueur se crystalliser dans un lieu froid.

Les sels des minéraux ou des métaux se trouvent en les éteignant dans l'eau, lorsqu'ils sont rougis par le feu, ensuite on les filtre, on les évapore & on les crystallise.

De jolis sels pour l'observation, sont les cendres dont on fait le savon en Angleterre & en Russie, les sels du cosson, qui dévore le bois ; le sel de camphre, le sel de tartre, le sel ammoniac, le sel d'ambre, de corne de cerf, &c. il faut les examiner premierement lorsqu'ils sont secs & crystallisés, & ensuite lorsqu'ils sont dissous dans une très-petite quantité de quelque fluide transparent.

Les sels que l'on trouve dans tous les corps lorsqu'ils sont séparés par le feu, paroissent comme autant de petites chevilles ou clous qui pénetrent leurs pores, & qui lient leurs parties ensemble ; mais comme les chevilles ou les clous lorsqu'ils sont trop grands ou trop nombreux, ne servent qu'à faire des fentes, & à mettre les corps en pieces, ainsi les sels brisent de tems en tems, séparent & détruisent les corps au-lieu d'unir & de lier leurs parties ; ils ne sont à la vérité que de purs instrumens, & ils ne peuvent pas plus agir sur les corps, ou les forcer par eux-mêmes, que les clous le peuvent sans les coups de marteaux ; mais ils y sont poussés par la pression des autres corps, ou par le ressort de l'air qui agit sur eux.

Comme les sels entrent dans les pores de tous les corps, l'eau s'insinue entre les particules du sel, elle les sépare ou les dissout dans ses interstices, jusqu'à-ce qu'étant dans un tems de repos, ils se précipitent & forment eux - mêmes des masses de sel. L'eau par cette puissance qu'elle a de dissoudre, devient le véhicule des sels. (D.J.)

SELS FOSSILES, (Science microscopique) les quatre especes de sels fossiles les mieux connus sont, selon le docteur Lister, le vitriol, l'alun, le salpêtre & le sel marin ; à ces quatre sels il ajoute un cinquieme moins connu, quoique plus commun qu'aucun autre, c'est le nitre des murailles.

Le vitriol verd se tire des pyrites du fer ; lorsqu'il est mûr & parfait, ses crystaux sont toujours pointus des deux côtés, & composés de dix plans & de côtés inégaux ; c'est-à-dire que les quatre plans du milieu sont pentagones, & ceux des extrêmités pointues sont composés de trois plans triangulaires.

L'alun brûlé, dissous dans l'eau & coulé, donne des crystaux dont le haut & le bas sont deux plans hexagones ; les côtés paroissent composés de trois plans, qui sont aussi hexagones, & de trois autres quadrilateres, placés alternativement ; ensorte que chaque crystal parfait est composé de onze plans, cinq hexagones, & six quadrilateres.

L'eau de nos fontaines d'eau salée éloignées de la mer, donne des crystaux d'une figure cubique exacte, dont un côté ou plan paroît avoir une clarté particuliere au milieu, comme s'il manquoit quelque chose ; mais les cinq autres côtés sont blancs & solides. Le sel gemme dissous se réduit en crystaux cubiques semblables.

Si l'on fait bouillir l'eau de mer jusqu'à sécheresse, & si l'on fait dissoudre ses sels dans un peu d'eau de source, elle donne aussi des crystaux cubiques, mais notablement différens de ceux que l'on vient de décrire ; car dans les crystaux du sel marin tous les angles du cube paroissent coupés, & les coins restent triangulaires ; au lieu que les sels de nos fontaines d'eau salée éloignées de la mer, ont tous leurs coins bien affilés & parfaits.

Le nitre ou salpêtre se réduit de lui-même en crystaux hexagones, longs & déliés, dont les côtés sont des parallélogrammes ; l'un des bouts se termine constamment en pyramide, ou même par un tranchant, affilé selon la position des côtés des deux plans inégaux ; l'autre bout est toujours raboteux, & paroît comme s'il étoit rompu.

Le plus commun, quoique le moins observé de tous les sels fossiles, est une espece de nitre de muraille, ou sel de chaux, que l'on tire du mortier des anciennes murailles ; c'est de ce sel qu'une grande partie de la terre & des montagnes sont composées, selon le docteur Lister ; ses crystaux sont déliés & longs ; leurs côtés sont quatre parallélogrammes inégaux ; leur pointe à l'un des bouts, est formée de deux plans, & de côtés triangulaires, l'autre bout se termine par deux plans quadrangulaires, quoiqu'il soit rare de trouver les deux bouts entiers. Quelques-uns de ces sels ont cinq côtés.

La pratique commune de ceux qui ont en France la surintendance des salpêtres pour le roi, est d'amasser de grandes quantités de mortier des anciens bâtimens ; & par un art particulier ils en tirent une grande abondance de ce nitre de murailles ; ensuite lorsqu'ils ont tiré tout ce qu'ils ont pu, ils le laissent reposer pendant quelques années, après quoi ce mortier se trouve de nouveau empreint de ce sel, & en donne presqu'autant que la premiere fois.

Les particules de chacun de ces sels en tombant les unes sur les autres, ou en s'unissant sur une base commune, forment d'elles-mêmes des masses qui sont invariables, & toujours de la même figure réguliere. Voilà ce que le microscope nous découvre de la figure des sels fossiles ; mais pour la bien examiner, il faut les observer en très-petites masses. (D.J.)

SEL, impôt sur le, (Econom. politiq.) imposition en France, qu'on appelle autrement les gabelles, article qu'on peut consulter ; mais, dit l'auteur moderne des considérations sur les finances, un bon citoyen ne sauroit taire les tristes réflexions que cet impôt jette dans son ame. M. de Sully, ministre zélé pour le bien de son maître, qui ne le sépara jamais de celui de ses sujets ; M. de Sully, dis-je, ne pouvoit pas approuver cet impôt, il regardoit comme une dureté extrême de vendre cher à des pauvres une denrée si commune. Il est vraisemblable que si la France eût assez bien mérité du ciel pour posséder plus longtems le ministre & le monarque, il eût apporté des remedes au fléau de cette imposition.

La douleur s'empare de notre coeur à la lecture de l'ordonnance des gabelles. Une denrée que les faveurs de la providence entretiennent à vil prix pour une partie des citoyens, est vendue chérement à tous les autres. Des hommes pauvres sont forcés d'acheter au poids de l'or une quantité marquée de cette denrée, & il leur est défendu, sous peine de la ruine totale de leur famille, d'en recevoir d'autre, même en pur don. Celui qui recueille cette denrée n'a point la permission de la vendre hors de certaines limites ; car les mêmes peines le menacent. Des supplices effrayans sont décernés contre des hommes criminels à la vérité envers le corps politique, mais qui n'ont point violé cependant la loi naturelle. Les bestiaux languissent & meurent, parce que les secours dont ils ont besoin passent les facultés du cultivateur, déja surchargé de la quantité de sel qu'il doit en consommer pour lui. Dans quelques endroits on empêche les animaux d'approcher des bords de la mer, où l'instinct de leur conservation les conduit.

L'humanité frémiroit en voyant la liste de tous les supplices ordonnés à l'occasion de cet impôt depuis son établissement : l'autorité du législateur sans-cesse compromise avec l'avidité du gain que conduit souvent la nécessité même, lui seroit moins sensible que la dureté de la perception. L'abandon de la culture, le découragement du contribuable, la diminution du commerce, celle du travail, les frais énormes de la régie lui feroient appercevoir que chaque million en entrant dans ses coffres, en a presque coûté un autre à son peuple, soit en payemens effectifs, soit en non-valeurs. Ce n'est pas tout encore ; cet impôt avoit au-moins dans son principe l'avantage de porter sur le riche & sur le pauvre ; une partie considérable de ces riches a su s'y soustraire ; des secours légers & passagers lui ont valu des franchises dont il faut rejetter le vuide sur les pauvres.

Enfin si la taille arbitraire n'existoit pas, l'impôt du sel seroit peut-être le plus funeste qu'il fût possible d'imaginer. Aussi tous les auteurs oeconomiques & les ministres les plus intelligens dans les finances, ont regardé le remplacement de ces deux impositions, comme l'opération la plus utile au soulagement des peuples & à l'accroissement des revenus publics. Divers expédiens ont été proposés, & aucun jusqu'à - présent n'a paru assez sûr. (D.J.)

SEL, (Mat. méd. arab.) nom donné par les Arabes au fruit d'une plante des Indes, qui ressembloit au concombre dans la végétation, mais qui portoit un fruit semblable à la pistache. Il y a trois fruits nommés par les Arabes, bel, fel & sel ; ils disent que ce sont le fruit d'une plante rampante ; mais il est probable que le sel dont parle Avicenne dans son chapitre du nénuphar, est la racine du nénuphar indien, auquel il attribue les mêmes qualités qu'à la mandragore. (D.J.)

SEL PHARYNGIEN, (Pharmac.) sel artificiel qui a été fort en usage dans l'esquinancie causée par un amas de sérosités, avec inflammation sur le pharynx. Il étoit préparé de crême de tartre & de nitre, de chacun une once, avec demi-once d'alun brûlé, dissous dans du vinaigre distillé. On coaguloit ensuite cette solution, selon l'art. Ce sel mêlé avec deux gros de miel, & dissous dans cinq onces d'eau de plantain, compose réellement un excellent gargarisme pour cette maladie. (D.J.)

SEL, (Critiq. sacrée) comme la Judée abondoit en sel, il n'est pas étonnant que cette espece de minéral servît si souvent d'allusion, de symbole & de comparaison dans l'Ecriture. Ezéchiel, ch. xvj. 14. voulant faire souvenir les Juifs qu'ils avoient été abandonnés dans leur naissance, leur dit qu'ils n'avoient été ni lavés ni frottés de sel, parce qu'ils avoient coutume de frotter de sel les enfans nouveaux nés pour fortifier leurs corps délicats. La femme de Loth ayant regardé derriere elle, fut changée (comme) en statue de sel, c'est-à-dire, devint roide & froide. Jesus-Christ emploie aussi ce mot au figuré, quand il déclare à ses apôtres qu'ils sont le sel de la terre, Matt. v. 13. c'est-à-dire que comme le sel empêche les viandes de se corrompre, ils devoient semblablement préserver les ames de la corruption du siecle. De même S. Paul prescrit aux Colossiens, jv. 6. d'assaisonner leurs discours de sel avec grace ; cela signifie que leurs discours soient agréables, & cependant qu'ils n'y mêlent rien qui sente la corruption ; c'est pourquoi le sel est dans l'Ecriture le symbole de la durée. Un pacte, une alliance de sel, Nomb. xviij. 9. se prend pour une alliance perpétuelle. Le sel désigne encore au figuré la reconnoissance. Les gouverneurs juifs des lieux situés au-delà de l'Euphrate écrivoient à Artaxerxès, qu'ils se souvenoient du sel qu'ils avoient mangé dans le palais, I. Esdras, jv. 14. Enfin le sel désigne la stérilité, parce que quand les anciens vouloient rendre un lieu stérile, ils y semoient du sel, comme fit Abimélech après avoir détruit la ville de Sichem, Juges, jx. 45. (D.J.)

SEL BLANC, (Salines) c'est celui qui a été fait d'eau de mer ou d'eau tirée des fontaines & puits salés, en la faisant bouillir & évaporer sur le feu. On fait aussi du sel blanc en raffinant les sels gris. (D.J.)

SEL-BOUILLON, (Salines) c'est le sel blanc qui se fait dans quelques élections de Normandie.

SEL DE FAUX-SAUNAGE, (Gabelles) c'est le sel qu'on fait entrer & qu'on débite en fraude dans les provinces de France qui ne sont pas privilégiées, & qui sont obligées de prendre leurs sels dans les greniers du roi. On appelle aussi faux-sel celui que l'on fait entrer en France des pays étrangers ; l'adjudicataire des gabelles n'en a pas même le droit ; il ne lui est permis d'en faire venir que dans le tems de disette des sels du royaume, & seulement après en avoir obtenu du roi permission par écrit. Mais ce n'est - là qu'une formalité. (D.J.)

SEL GABELLE, (Gabelles) c'est celui qui se prend au grenier à sel, & qui se distribue par les officiers & commis, aux heures, aux jours, & de la maniere marquée par l'ordonnance. (D.J.)

SEL GRENE, (Salines) c'est celui qui est en gros grains, soit que ce soit l'ardeur du soleil, ou celle du feu qui l'ait réduit en grains.

SEL GRIS, (Salines) c'est du sel qui se ramasse sur les marais salans.

SEL D'IMPOT, (Gabelles) c'est la quantité de sel que chaque chef de famille est obligé de prendre au grenier tous les ans pour l'usage du pot & saliere seulement, à laquelle il est imposé suivant le rolle dressé par les asséeurs ; cette quantité est évaluée à un minot pour quatorze personnes. Le sel d'impôt ne peut être employé aux grosses salaisons. (D.J.)

SEL, GRENIER A, (Jurisprudence) Voyez au mot GABELLES & au mot GRENIER A SEL, CHAMBRE A SEL.


SELA(Géog. anc.) nom d'une ville de la Palestine, dans la tribu de Benjamin, & d'un fleuve du Péloponnèse, dont l'embouchure est marquée par Ptolémée, l. III. c. xvj. sur la côte de la Messénie, entre le promontoire Cyparissium, & la ville Pylus. (D.J.)


SÉLAGES. f. (Hist. des Druides) nous apprenons de Pline, l. XXIV. c. xj. que les Druides enseignoient que pour cueillir la plante nommée selage, qu'on croit être la pulsatille, il falloit l'arracher sans couteau & de la main droite, qui devoit être couverte d'une partie de la robe, puis la faire passer secrettement à la main gauche, comme si on l'avoit volée ; il falloit encore être vêtu de blanc, être nuds piés, & avoir préalablement offert un sacrifice de pain & de vin. Ces sortes de pratiques ridicules nous peignent bien toute la superstition des principaux ministres de la religion des Gaulois. (D.J.)


SELAGOS. f. (Botan.) genre de mousse dont voici les caracteres suivant Linnaeus ; le calice subsiste après que la fleur est tombée, il est composé d'une seule feuille découpée en quatre segmens ; la fleur est monopétale formée en un tuyau qui paroît à-peine percé ; les étamines sont quatre filets chevelus de la longueur de la fleur plus ou moins ; le germe du pistil est arrondi ; le stile est délié, & a la grandeur des étamines ; le stigma est simple & pointu ; la fleur renferme la graine qui est unique & arrondie. Dillenius dans son hist. muse, p. 436. compte cinq especes étrangeres de ce genre de mousse, le lecteur peut les consulter.


SELAMS. m. terme de relation ; on appelle ainsi dans l'Amérique septentrionale certains postes disposés le long des côtes où les Espagnols mettent les Indiens en sentinelle. Ce sont comme des especes de guérites qui sont bâties tantôt à terre avec du bois de charpente, tantôt sur des troncs d'arbres, comme des cages, mais assez grandes pour recevoir deux hommes, avec une échelle pour y monter & en descendre. (D.J.)


SELAMBINA(Géog. anc.) ville de l'Espagne bétique ; Ptolémée, l. II. c. iv. la place sur la mer d'Ibérie, entre Sex & Extensio. Le nom moderne est Salobrenna.


SELAMPRIALA, (Géogr. mod.) riviere de la Turquie européenne, dans le Comenolitari. Elle a sa source dans les montagnes aux confins de l'Albanie, traverse toute la province de Janna, & va se rendre dans le golfe de Salonique, près du mont Cassovo. La Sélampria est, à ce qu'on croit le Sperchius des Latins. (D.J.)


SÉLANDou SÉELANDE, (Géogr. mod.) île de la mer Baltique, & la plus grande entre celles de Danemarck. Elle est bornée au septentrion par la Norwege, au sud par les îles de Mone & de Falster, à l'orient par le Sund, & à l'occident par l'île de Fuhnen.

Sa longueur du nord au midi, est de 18 milles germaniques, & sa largeur de 12 milles d'orient en occident. Dans cette étendue de terrein, on compte treize villes, & plusieurs châteaux & trois cent quarante-sept paroisses. Le tout est divisé en vingt-six bailliages, qu'on appelle hertis, & à chacun desquels on joint un nom propre, pour les distinguer des autres. Copenhague est la capitale.

L'île de Sélande a peu de montagnes, mais beaucoup de bois & de forêts, de gras pâturages & des champs très-fertiles.

Ses côtes sont coupées de divers golfes & baies, & dont quelques-uns avancent assez dans les terres. Les uns & les autres, ainsi que les mers voisines, abondent en poissons. Ils ont aussi divers ports surs & commodes, où l'on peut établir le plus grand commerce, par leur situation avantageuse entre l'Océan & la mer Baltique.

On croît que cette belle île est la Codanonia de Pomponius Méla, l. III. c. vj. c'est le sentiment de Cluvier, & des plus habiles géographes. Ainsi le Sinus Codanus des anciens, est la mer de Danemarck. (D.J.)


SÉLASTIQUESJEUX, (Inscript.) sur une ancienne inscription faite par les habitans de Puzzolo, à l'honneur d'Antonin Pie, cet empereur est appellé constitutori sacri selastici, pour iselastici. Saumaise dans ses notes sur la vie d'Hadrien par Spartien, cite plusieurs exemples de mots grecs & latins, dont on retranchoit alors la premiere lettre, ou la premiere syllabe. Sacrum selasticum, est donc la même chose que sacrum iselasticum, jeux isélastiques, espece de jeux & de combats qu'on donnoit dans les villes d'Italie, de Grece & d'Asie, soumises à l'empire romain. Voyez ISELASTIQUE. (D.J.)


SELBURG(Géog. mod.) petite ville du duché de Sémigalle, annexe de la Courlande, sur la Dwina. C'est le chef-lieu d'une des deux capitaineries qui composent ce duché.


SÉLELERRE(Géog. mod.) petite ville, selon nos lexicographes, & selon la vérité, petit bourg de France, en Sologne, sur le Beuvron, à 4 lieues sud-est de Blois ; ce bourg a une seule paroisse, & un couvent de filles. Longitude 18. 58. latitude 47. 34. (D.J.)


SELEMNUou SELIMNUS, (Géog. anc.) fleuve du Péloponnèse, dans l'Achaïe propre. Quand on a passé le Charadrus, dit Pausanias, l. VII. c. xxiij. on apperçoit quelques ruines de l'ancienne ville d'Agyre, & à main droite, on trouve une fontaine qui porte encore ce nom.

Le fleuve Selemnus ou Selimnus, continue l'historien, a son embouchure auprès, ce qui a donné lieu à un conte que font les gens du pays. Selon eux, Selimnus fut autrefois un beau jeune berger, qui plut tant à la nymphe Argyre, que tous les jours elle sortoit de la mer pour le venir trouver. Cette passion ne dura pas long-tems ; il sembloit à la nymphe que le berger devenoit moins beau, elle se degoûta de lui, & Sélimnus en fut si touché, qu'il mourut de déplaisir. Venus le métamorphosa en fleuve ; mais tout fleuve qu'il étoit, il aimoit encore Argyre, comme on dit qu'Alphée pour être devenu fleuve, ne cessa pas d'aimer Aréthuse : la déesse ayant donc pitié de lui une seconde fois, lui fit perdre entierement le souvenir de la nymphe. Aussi croit-on dans le pays que les hommes & les femmes pour oublier leurs amours, n'ont qu'à se baigner dans le Selimnus : ce qui en rendroit l'eau d'un prix inestimable, si on pouvoit s'y fier ; c'est la réflexion de Pausanias. (D.J.)


SÉLENE(Géog. anc.) c'est-à-dire, la fontaine de la Lune ; fontaine du Péloponnèse, dans la Laconie. On la nommoit de la sorte, dit Pausanias, l. III. c. xxvj. parce qu'elle étoit consacrée à la Lune. D'Oetyle à Thalama il y avoit quatre - vingt stades, & sur le chemin on voyoit un temple d'Ino, célebre par les oracles qui s'y rendoient. La fontaine Sélene fournissoit ce temple de très - bonne eau, & en abondance.


SÉLENESS. m. pl. (Antiq. grecq.) sorte de gâteaux qui étoient larges & cornus en forme de demi-lune . Dans les sacrifices offerts à la Lune, après six ordinaires sélenes, on présentoit un autre gâteau, appellé , parce qu'il représentoit les cornes d'un boeuf, & qu'il étoit le septieme. Voy. Potter, Archaeol. graec. t. I. p. 214. (D.J.)


SÉLÉNITES. m. (Hist. nat. Chymie & Minéralog.) selenites, sal seleniticum. Par sélénite ou sel séléniteux l'on désigne des substances fort différentes. Les minéralogistes allemands appliquent ce nom à une espece de gypse ou de pierre à plâtre, composée de lames ou de feuillets transparens, telle que celle qui est connue sous le nom de pierre spéculaire ou de miroir des ânes, dont il se trouve une grande quantité à Montmartre. Quelques auteurs donnent le nom de sélénite au spath rhomboïdal, & composé de lames. D'autres ont donné ce même nom au crystal d'Islande, qui est rhomboïdal. Enfin, il y a des naturalistes qui se sont servis du mot sélénite pour désigner le talc.

Les chymistes & les naturalistes françois par selenite entendent communément un sel neutre formé par la combinaison de l'acide vitriolique & d'une terre calcaire, telle que la craie, la marne, &c. En effet, si l'on verse de l'huile de vitriol sur de la craie en poudre, il se fait une effervescence considérable, la dissolution devient trouble, & il se précipite une poudre blanche ; cette poudre examinée avec attention, ne montre qu'un amas de petits crystaux, qui ont la forme de petits feuillets ou d'écailles de poisson. Suivant M. Rouelle, la raison pourquoi ce sel se précipite aussi-tôt qu'il est formé, c'est qu'il est presque insoluble dans l'eau ; en effet, le savant chymiste a trouvé qu'il exigeoit 360 parties d'eau pour le mettre en dissolution. La meilleure maniere d'obtenir ce sel seleniteux, c'est de verser de l'acide vitriolique dans de l'eau de chaux ; mais il faut pour cela attraper le point de la saturation, ce que l'on reconnoîtra en trempant un papier bleu dans la dissolution ; quand ce papier ne rougira plus, ce sera une preuve que l'on aura réussi.

La nature en se servant des mêmes matieres produit un séleniteux ou une selenite tout-à-fait semblable ; on la trouve dans la terre qui tombe au fond de certaines eaux. Beaucoup de pierres & sur tout celles qui sont brillantes en sont chargées. Cela n'est point surprenant, puisque l'acide vitriolique est répandu dans notre athmosphere & dans le sein de la terre, qui contient d'ailleurs un grand nombre de substances calcaires auxquelles cet acide peut s'unir. On pourroit conjecturer que c'est à une combinaison semblable, aidée de quelques circonstances qui nous sont encore inconnues, que le gypse ou la pierre à plâtre doit son origine.


SÉLENOGRAPHIES. f. (Astron.) est la description de la lune.

Ce mot vient des mots grecs , lune, & , je décris.

La description de la lune consiste dans la représentation de son disque, avec les taches, & les autres endroits obscurs ou lumineux qu'on y apperçoit, soit à la vue simple, soit avec le télescope.

On joint à cette description les noms qui ont été donnés à ces différens endroits, & qui sont pour la plûpart des noms de philosophes, soit anciens, soit modernes. Ces noms sont fort utiles dans la description des éclipses pour marquer les endroits éclipsés de la lune ; ainsi on dit, tycho est entré dans l'ombre à telle heure ; c'est-à-dire, que l'endroit appellé tycho a commencé à s'obscurcir ; & ainsi des autres. Voyez LUNE. (O)

Depuis l'invention du télescope, la sélenographie a été considérablement perfectionnée. Hevelius, célebre astronome & bourguemestre de Dantzick, qui a publié la premiere sélenographie, avoit donné aux différens endroits de la lune des noms pris des lieux de la terre : c'est Riccioli qui leur a donné les noms des philosophes & des astronomes célebres ; ainsi, ce que l'un appelle mont Porphyrites, l'autre l'appelle Aristarque ; & ce qui est appellé par l'un Aetna, Sinai, Athos, Apenninus, &c. est appellé par l'autre Copernic, Possidonius, Tycho, Gassendi, &c. Les noms donnés par Riccioli ont prévalu. Voy. LUNE.


SELENUSIA(Géogr. anc.) c'est-à-dire le lac de la lune ; lac de l'Asie mineure, dans l'Ionie, près de l'embouchure du Caystre. Ce lac, selon Strabon, l. XIV. p. 642, étoit formé par les eaux de la mer. (D.J.)


SÉLEUCIDELA, (Géog. anc.) Seleucis, contrée de la Syrie. Elle prit son nom de la ville de Séleucie de Syrie. Strabon, l. XVI. remarque que cette contrée étoit la plus belle & la plus considérable de ces quartiers, & qu'on l'appelloit Tétrapole, à cause des quatre villes célebres qu'elle renfermoit, savoir Antioche ad Daphnen, Séleucie in Pieriâ, Apamée & Laodicée. Il met bien d'autres villes dans la Séleucide ; mais il distingue ces quatre qu'il appelle soeurs, parce qu'elles avoient été fondées par Seleucus Nicator. Cette contrée s'étendoit du côté du midi jusqu'à la Phénicie ; desorte qu'elle avoit des bornes plus vastes que celles que lui donne Ptolémée, qui en sépare la Cassiotide. (D.J.)


SÉLEUCIDESS. m. (Hist. anc. Chronologie) on dit l'ere des Séleucides, ou l'ere des Syro-Macédoniens ; c'est une époque ou un calcul de tems, qui commence depuis l'établissement des Séleucides ainsi nommés de Seleucus Nicator ou le victorieux, un des successeurs d'Alexandre, qui regna en Syrie, comme ont fait les Ptolomées en Egypte. Voyez EPOQUE.

On trouve cette ere exprimée dans le livre des Macchabées, & dans un grand nombre de médailles grecques que les villes de Syrie ont fait frapper ; les rabbins & les juifs l'appellent l'ere des contrats, parce qu'étant alors soumis aux rois de Syrie, ils furent obligés de suivre cette méthode de compter dans leurs contrats. Les Arabes l'appellent therik diskarnein, l'ere des deux cornes : ce qui signifie, selon quelques-uns, l'ere d'Alexandre le grand, parce que ce prince est représenté avec deux cornes de belier sur des médailles, à l'imitation de Jupiter Ammon dont il vouloit qu'on le crût fils. Mais d'autres l'entendent beaucoup mieux des deux royaumes de Syrie & d'Egypte qui furent alors séparés ou divisés, & d'un seul empire partagé en deux monarchies.

Le point important est de connoître l'année où la séparation s'est faite ; ou, ce qui est la même chose, de savoir en quel tems Seleucus Nicator, un des capitaines d'Alexandre, & le premier des Séleucides, fonda son empire en Syrie. Sans entrer dans le détail des différentes opinions des auteurs qui ont écrit sur cette matiere, il suffit d'observer, que suivant les meilleures histoires, la premiere année de cette ere tombe l'an 312 avant Jesus-Christ, 12 ans après la mort d'Alexandre, 3692 du monde, 442 de Rome, 4402 de la période julienne, la premiere année de la cxvij. olympiade, environ 872 ans après la prise de Troie. Voyez EPOQUE.


SÉLEUCIE(Géog. anc.) Seleucia ; il y a plusieurs villes qui ont porté le nom de Seleucie ; on en comptoit jusqu'à neuf, ainsi nommées par Seleucus Nicator.

La plus considérable est 1°. la Séleucie sur le Tigre, Seleucia ad Tigrim. Seleucus la bâtit dans la Mésopotamie, l'an 293 avant J. C. à quarante milles de Babylone, sur la rive occidentale du Tigre, vis-à-vis de l'endroit où est aujourd'hui Bagdad. Elle devint bientôt une très-grande ville ; car Pline, l. VI. c. xxvj. dit qu'elle avoit six cent mille habitans. Elle attira dans son sein tous ceux de Babylone ; sa situation étoit des plus heureuses ; Seleucus en fit la capitale de toutes les provinces de son empire au-delà de l'Euphrate, & le lieu de sa résidence, quand il venoit de ce côté-là de ses états, comme Antioche l'étoit en-deçà de l'Euphrate. Ainsi les Babyloniens se jetterent en foule à Séleucie, d'autant plus que les digues de l'Euphrate s'étant alors rompues, avoient rendu le séjour de Babylone très-incommode.

D'ailleurs Seleucus ayant donné son nom à cette nouvelle capitale, & voulant qu'elle servît à la postérité de monument à sa mémoire, lui accorda des privileges fort au - dessus de ceux de toutes les villes de l'Orient, afin de la rendre d'autant plus florissante. Il y réussit si bien, que peu de tems après la fondation de Séleucie, Babylone se trouva déserte & sans habitans, disent Pline, Strabon & Pausanias ; c'est pour cela qu'elle est nommée par quelques auteurs Seleucia Babylonis. Ammian Marcellin, l. XXIII. c. xx. la peint en deux mots, ambitiosum opus Nicatoris Seleuci.

Elle fut prise par Lucius Verus, ou plutôt par Cassius son général, & ruinée contre la foi du traité. Elle ne fut rétablie qu'après le tems de Julien ; elle devint un archevêché dans le quatrieme siecle, & fut de nouveau ruinée dans le huitieme. Ses prélats eurent les premiers la qualité de catholiques ou archevêques autocéphales ; mais ayant embrassé le nestorianisme, ils transférerent leur siege à Bagdad, & sont aujourd'hui ceux qu'on nomme patriarches nestoriens.

Diogene surnommé le babylonien naquit à Séleucie sur le Tigre. Josephe, l. I. c. ij. nous apprend qu'il fut précepteur de cet Antipater, qui fit relever les murs de Jérusalem.

2°. Séleucie, ville de la Perside dans l'Aymaïde. C'étoit, selon Strabon, l. XI. une grande ville située sur le fleuve Hédyphonte qui est l'Hedypnus de Pline.

3°. Séleucie, lieu fortifié dans la Mésopotamie, près du pont Zeugma, sur l'Euphrate. Il en est parlé dans Polybe, l. V. c. xliij. & dans Strabon, qui dit, l. XVI. que Pompée donna ce lieu à Antiochus, roi de Commagène.

4°. Séleucie-Trachée, en latin Seleucia-Aspera, ville de la Cilicie-Trachée, sur le fleuve Calycadnus. On la nommoit Holmia, avant que Seleucus Nicator lui eût imposé son propre nom.

Cette ville fut libre sous les Romains, & elle conserva cette liberté sous les derniers empereurs de Rome. Nous le voyons dans une médaille de Philippe l'arabe, , & dans une de Gordien, , Seleuciensium, qui ad Calycadnum sunt, liberae (civitatis).

Etienne le géographe, & la plûpart des écrivains ecclésiastiques mettent la Séleucie-Trachée dans l'Isaurie, & l'appellent Séleucie d'Isaurie, parce que de leur tems l'Isaurie comprenoit une grande partie de la Cilicie. Cette ville fut en effet métropole de l'Isaurie, dans le patriarchat d'Antioche. Elle est aujourd'hui dans la Caramanie, & entierement délabrée. On l'appelle Séleschie.

5°. Séleucie de Pisidie, Seleucia Pisidiae, ville de l'Asie mineure dans la Pisidie ; & comme la Pisidie s'étendoit jusqu'au mont Taurus, cette ville fut encore nommée Seleucia ad Taurum. Elle est aujourd'hui ruinée.

6°. Séleucie-Piérie, Seleucia Pieria, ville de Syrie sur la mer Méditerranée, vers l'embouchure de l'Oronte. Appien l'appelle par cette raison Séleucie sur la mer. S. Paul & S. Barnabé étant arrivés dans cette ville, s'y embarquerent pour aller en Chypre, actes, c. xviij. Nous avons un grand nombre de médailles de cette ville. M. Vaillant les a recueilles. Séleucie-Piérie étoit de la premiere Syrie, dans le patriarchat d'Antioche. C'est aujourd'hui un village nommé Séleucie-Jelberg, à l'embouchure de l'Oronte dans la mer.

7°. Séleucie sur le Belus, Seleucia ad Bellum, ou Seleuco-Belus, ville de la haute Syrie. Voyez SELEUCO-BELUS.

8°. Séleucie, ville de Célésyrie ; c'est la ville de Gadara située au-delà & à l'orient de la mer de Tibériade. Seleucus Nicator la fit appeller de son nom.

9°. Séleucie de Pamphylie, ville de la Pamphylie, à laquelle le même Seleucus donna son nom pour l'avoir bâtie.

Josephe, antiquit. l. XIII. c. xxiij. & ailleurs, parle aussi d'une Séleucie, ville de la Gaulanite située sur le lac Semechon.

Enfin Pline, l. V. c. xxix. dit qu'on donna le nom de Séleucie à la ville de Tralles ou de Trallis en Lydie. (D.J.)


SÉLEUCIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques qui parurent dans le quatrieme siecle, & eurent pour chefs Seleucus & Hermias : ce qui leur fit aussi donner le nom d'Hermianiens ou Hermiens, Hermiani. Voyez HERMIENS.

Ces deux hérésiarques & leurs sectateurs enseignoient, comme Hermogenes, que la matiere étoit éternelle, que Dieu étoit corporel, que les ames avoient été tirées de la matiere, ou au moins qu'étant composées de feu & d'esprit, elles ne devoient point être baptisées par l'eau. C'est pourquoi pour administrer leur baptême, ils usoient d'un fer chaud dont ils imprimoient la marque sur le front de leurs prosélytes. Ils ajoutoient que le mal vient de Dieu ou de la matiere, qu'il n'y a point de résurrection, ou qu'elle n'est autre chose que la génération continuelle des hommes, que le paradis est visible, & enfin que J. C. ressuscité n'est point assis à la droite de son pere, mais qu'il avoit abandonné cette prérogative pour fixer son trone dans le soleil. Dupin, bibliot. des aut. ecclés. des trois premiers siecles.


SELEUCO-BELUS(Géog. anc.) ville de la haute-Syrie. Théodoret dit que S. Basile avoit mené la vie monastique dans cette ville. C'est la Seleucia, ou Seleucus ad Bellum de Ptolémée, l. V. c. xv. & de Pline, l. V. c. xxiij. C'est le siege épiscopal que les notices appellent Séleucobelos, & dont l'évêque est appellé seleucobelitanus episcopus dans le premier concile de Constantinople ; mais on ne sait pas au juste ce que c'est que ce surnom de Belus, & l'on ignore ce qu'on doit entendre par ce mot ; est-ce une riviere, ou une montagne de ce nom ? (D.J.)


SELGA(Géog. anc.) ou Selge, ville de l'Asie mineure dans la Pisidie. Elle étoit considérable du tems de Dénis le périégete, vers 860, qui lui donna l'épithete de , magni nominis. Il en fait une colonie des Amycléens, ainsi nommés d'Amiclae, lieu du Péloponnèse dans le territoire de Lacédémone : ce qui fait que Strabon & Etienne le géographe disent que Selga étoit une colonie de Lacédémoniens. Le même Strabon ajoute que c'étoit une ville forte, bien peuplée, & où l'on avoit vu quelquefois jusqu'à 20 mille hommes. Il dit encore que les habitans de cette ville étoient les plus considérables d'entre les Pisides, & Polybe, l. V. les représente comme un peuple guerrier.

On trouve diverses médailles avec ce mot : , & l'on en a entr'autres une de Decius, où on lit ces mots : , Lacedaemoniorum Selgensiumque concordia.

Zozime, l. V. c. xv. qui nous apprend que Selga étoit située sur une colline, en fait une petite ville de la Pamphylie : oppidulum Pamphiliae est in colle situm. Il l'appelle petite ville, parce que de son tems elle étoit fort déchue de ce qu'elle avoit été, & il la met dans la Pamphylie, parce que, comme nous le voyons par les notices, la partie inférieure de la Pisidie se trouvoit alors renfermée dans la Pamphylie. (D.J.)


SELGIUCIDES(Hist. orient.) nom d'une dynastie puissante qui a régné dans l'Orient, & dont le chef se nommoit Selgiuk. Cette dynastie a été divisée en trois branches ; la premiere des Selgiucides de Perse, dans laquelle on compte quinze empereurs ; la seconde des Selgiucides du Kerman, qui a eu onze princes ; la troisieme des Selgiucides de Roum, qui a duré 220 ans sous quinze sultans. (D.J.)


SELIMNUSS. m. (Mythol.) fleuve de l'Achaïe, qui a son embouchure près d'une fontaine appellée Argyres. Sélimnus, disoit-on, fut autrefois un beau jeune berger qui plut tant à la nymphe Argyre, que tous les jours elle sortoit de la mer pour le venir trouver. Cette passion ne dura pas long-tems ; il sembloit à la nymphe que le berger devenoit moins beau ; elle se dégoûta de lui, & Sélimnus en fut si touché qu'il mourut de déplaisir. Vénus le métamorphosa en fleuve ; mais tout fleuve qu'il étoit, il aimoit toujours Argyre ; la déesse ayant donc pitié de lui encore une fois, lui fit perdre entierement le souvenir de la nymphe. " Aussi croit-on dans le pays, ajoute Pausanias, que les hommes & les femmes, pour oublier leurs amours, n'ont qu'à se baigner dans le Sélimnus : ce qui rendroit l'eau d'un prix inestimable, si l'on pouvoit s'y fier ". (D.J.)


SELINGS. m. (Comm.) poids & monnoie dont on se sert, & qui a cours dans le royaume de Siam ; il se nomme mayon en chinois. Voyez MAYON. Dictionn. de Commerce & de Trév.


SELINGA(Géog. mod.) ville de l'empire russien, dans la grande Tartarie, sur la riviere qui lui donne son nom. Voyez SELINGINSKOY.

Quant à la riviere même, elle sort de diverses sources vers les 46d. de latitude & les 115d. de longitude. Elle va se décharger dans le lac Baïkal, à 55 degrés de latitude. Ses deux bords, depuis son origine jusqu'à une journée de Selinginskoy, sont aux Monugales ; mais depuis Selinginskoy jusqu'à son embouchure, tout son rivage appartient aux Russes. (D.J.)


SELINGINSKOY(Géog. mod.) ou Selinga ; ville de l'empire russien, dans la grande Tartarie, sur la rive orientale de la Selinga, près du lac Baikal. C'est la forteresse la plus avancée que les Russes possedent sur les frontieres de la Chine. Long. 120. 10. latit. 52. (D.J.)


SELINGSTAD(Géog. mod.) on écrit aussi Selgenstad, Seligenstad, Selingunstad, ville d'Allemagne, en Franconie, dans l'électorat de Mayence. Elle dépend de l'électeur de Mayence. Long. 26. 5. latit. 50. (D.J.)


SELINUNTESELINUNTE

C'est là qu'est mort Trajan le 10 Août de l'an 117 de J. C. à 64 ans. Il n'y eut point de regne si heureux, ni si glorieux pour le peuple romain. Grand homme d'état, grand capitaine, ayant un coeur bon qui le portoit au bien, un esprit éclairé qui lui montroit le meilleur, une ame noble, grande, belle, avec toutes les vertus, n'étant extrême sur aucune, enfin l'homme le plus propre à honorer la nature humaine, & à représenter la divinité. Grandeur des Rom. ch. xv.

Pline écrivit à ce prince, quand il parvint à l'empire : Je vous souhaite, seigneur, & au genre humain pour vous, toutes sortes de prospérités, c'est-à-dire, tout ce qui est le plus digne de votre regne. (D.J.)


SELINUS(Géog. anc.) 1°. ville de Sicile, selon Pline, l. III. c. viij. Ptolémée, l. III. c. iv. & Diodore de Sicile, l. XIII. c. xliv. placent cette ville sur la côte méridionale de l'île, entre le promontoire Lilybaeum, & l'embouchure du fleuve Mazara.

Elle avoit été bâtie par les Syracusiens, selon Thucydide, l. VI. p. 412. ses habitans, à ce que dit Pausanias, l. VI. c. xix. en avoient été chassés par les Carthaginois ; & avant leur destruction, ils avoient consacré à Jupiter olympien un trésor, où l'on voyoit une statue de Bacchus, dont le visage, les mains, & les piés, étoient d'ivoire. Les vestiges qui restent de Selinus, ont été décrits par Thomas Farel, Dec. 1. l. VI. c. iv. & ils nous font voir que cette ville étoit grande. Virgile, Aenéid. l. III. v. 705. la surnomme Palmosa, à cause de l'abondance de ses palmiers.

Teque datis linquo ventis, palmosa Selinus.

Silius Italicus, l. XIV. v. 200. a dit dans le même sens :

... Nectareis vocat, ad certamen Hymetton

Audax Hybla favis, palmaeque arbusta Selinus.

2°. Selinus ville de la Cilicie-Trachée, Sélinunte en Cilicie, où l'empereur Trajan mourut ; & la mort de ce prince a immortalisé cette ville ; ce qui fit qu'on la nomma Trajanopolis ; mais ce seroit plutôt Trajanotaphos qu'il eût fallu l'appeller. Quoi qu'il en soit, elle reprit dans la suite son premier nom. Voyez SELINUNTE en Cilicie, AJANOPOLISOLIS.

Le nom de Selinus a été commun au fleuve de la Cilicie-Trachée, à l'embouchure duquel étoit bâtie Sélinunte, dont nous venons de parler ; à un fleuve du Péloponnèse, dans l'Elide ; à un fleuve du Péloponnèse dans l'Achaïe propre ; à un fleuve de l'Asie mineure dans l'Ionie ; à un fleuve de l'île de Sicile, aujourd'hui la Favara ; & à un port d'Egypte, sur la côte du nome de Lybie. (D.J.)


SÉLIVRÉE(Géog. mod.) anciennement Selimbria, ou Selybria, petite ville, presque ruinée de la Turquie européenne, dans la Romanie, sur le bord de la mer de Marmora, à quinze lieues au couchant de Constantinople ; elle est habitée par quelques grecs. Longitude 45. 40. latit. 41. 40. (D.J.)


SELKIRCK(Géog. mod.) gros bourg d'Ecosse, dans la province de Twedale, chef-lieu du vicomté d'Etterick, à vingt milles au sud-est d'Edimbourg, sur la Twede. Long. 14. 55. latit. 55. 34. (D.J.)


SELLA(Géog. mod.) petite riviere d'Espagne, dans l'Asturie de Santillane ; elle prend sa source vers le milieu de la province, & se jette dans l'Océan, à Riba de Sella. (D.J.)

SELLA, (Littérat.) ce mot signifie une chaise ; sella solida, est une chaise ou une selle d'un bloc de bois, sur quoi s'asseyoient les augures en prenant l'augure.

Sella curulis, chaise curule garnie d'ivoire, sur laquelle les grands magistrats à Rome avoient droit de s'asseoir & de se faire porter.

Sella gestatoria, chaise ordinaire à porteurs, permise à tout le monde.

Sella familiarica, bassin, chaise percée pour les nécessités ; mais cella familiarica par un c, paroît designer dans Vitruve une grande-robe ; parce que dans l'endroit où il en parle, il s'agit des pieces dont les appartemens sont composés ; & non pas des choses dont ils sont meublés. On peut donc croire que le mot familiarica sert à désigner l'usage de cette piece, qui étoit destinée pour la seule commodité des nécessités ordinaires. La garde-robe des Romains, cella familiarica, n'étoit qu'un lieu pour serrer la chaise percée ; car ils n'avoient point de fosses à privé comme nous en avons dans nos maisons. Voyez LATRINES, Littérature. (D.J.)


SELLASIAou SELASIA, ville du Péloponnèse, dans la Laconie, sur le fleuve Oenus, selon Polybe, l. II. c. lxv. Pausanias, l. II. c. ix. ajoute que les Achéens, assistés d'Antigonus, défirent Cléomene, & saccagerent Sélasie. (D.J.)


SELLES. f. (Gramm.) petit siége de bois pour une personne, à trois ou quatre piés, sans dos.

SELLE LA, (Géog. mod.) riviere des Pays-bas ; elle commence dans la Thierache en Picardie, & se perd dans l'Escaut. (D.J.)

SELLE, (Métallurgie) c'est ainsi qu'on nomme dans les fonderies où l'on traite le cuivre, une piece de fer fondu encastrée dans une bâtisse de bois, qui est entrouverte dans le milieu pour recevoir un pilon armé d'un coin ; ce qui fait que cette piece de fer ressemble à une selle renversée. L'usage de cette selle est de diviser les pains ou gâteaux de cuivre pour les faire passer par de nouveaux travaux.

On donne aussi dans les fourneaux de fonderies le nom de selle, à une masse de scories qui couvre la matiere fondue ; elle forme une espece de bosse en dos d'âne, qui laisse un vuide entr'elle, & la matiere fondue qui est au-dessous.

SELLE, (Marine) espece de petit coffre, fait de planches, dans lequel le calfat met ses instrumens, & qui lui sert de siége lorsqu'il calfate le pont d'un vaisseau.

SELLE d'artisans, (Ustensiles de métiers) les cordonniers, savetiers, bourreliers, & autres tels ouvriers en cuir, ont de petites selles rondes à trois piés sur lesquelles ils sont assis, quand ils cousent leurs ouvrages avec l'alesne. (D.J.)

SELLE, (Outil de charron) c'est un tronc de bois plat épais de dix à douze pouces, d'environ deux piés de circonférence, au milieu duquel en-dessus est une petite cheville de fer de la longueur de quatre à cinq pouces ; ce billot est soutenu sur trois piés de bois posés en triangle & un peu de côté, de la hauteur de trois piés & demi ; cela sert aux charrons pour poser les petites roues, pour les égaliser, monter, &c. Voyez la fig. Pl. du charron.

SELLE, terme de mégissier, est une espece de banc à quatre piés, sur lequel les ouvriers mettent les peaux à mesure qu'ils les ont pelées ; il a environ trois piés de longueur afin de servir à deux ouvriers en même tems en cas de besoin. Voyez les Planches du Mégissier.

SELLE à poncer, (Parcheminerie) ce mot se dit chez les Parcheminiers, d'une maniere de forme ou banquette couverte d'une toile rembourrée, sur laquelle ils poncent le parchemin après qu'il a été raturé sur le sommier. Savary. (D.J.)

SELLE, (Maréchal.) espece de siége rembourré qu'on met sur le dos du cheval pour la commodité du cavalier.

L'origine de la selle n'est pas bien connue. G. Decan en attribue l'invention aux Saliens, anciens peuples de la Franconie ; c'est de-là, dit-il, qu'est venu le mot latin sella, selle.

Il est certain que les anciens Romains n'avoient, ni l'usage de la selle, ni celui des étriers ; ce qui est cause que Galien fait remarquer dans différens endroits de ses ouvrages, que la cavalerie romaine étoit sujette à plusieurs maladies des hanches & des jambes, faute d'avoir les piés soutenus à cheval. Hippocrate avoit remarqué avant lui, que les Scythes qui étoient beaucoup à cheval, étoient incommodés de fluxions aux jambes pour la même cause.

Le premier tems où nous voyons qu'il ait été question de selles chez les Romains ; c'est l'an 340, lorsque Constance qui combattoit contre son frere Constantin pour lui ôter l'empire, pénétra jusqu'à l'escadron où il étoit en personne, & le renversa de dessus sa selle, comme le rapporte Zonaras. Avant ce tems-là les Romains faisoient usage de panneaux quarrés, tels que ceux qu'on voit à la statue d'Antonin au capitole.

Il y a différentes especes de selles ; savoir, à la royale, à troussequin, à piquet, rase ou demi angloise, angloise, à basque, de course, de femme, de poste, de postillon, de couriers, de mâles, de fourgonniers, &c.

SELLE A JETTER, outil de Potier d'étain ; c'est une grosse selle de bois à quatre piés, ouverte ou creuse à l'endroit où on dresse le moule de vaisselle pour jetter dedans. Voyez les fig. du métier de Potier d'étain.

Selle à apprêter ou d'établi, ou apprêtoir ; elle a quatre piés, & une planche en-travers sur le milieu qui fait une espece de croix, mais qui ne déborde guere la selle que de quatre à cinq pouces de chaque côté ; sur ce milieu on roidit une perche ou chevron de bois contre le plancher. La selle doit être de la hauteur du genou, longue & large à proportion, suivant le goût de celui qui s'en sert. Voyez APPRETER L'ETAIN.

SELLE A MODELES, ou chevalet à l'usage des sculpteurs. Il y en a de petites & de grandes ; les petites servent simplement pour modeles ; les grandes servent à faire les grands modeles, les grands ouvrages, en marbre, en pierre, &c.

Ces grandes selles sont faites de fortes pieces de bois de charpente, & ont un second chassis aussi de charpente mouvant, élevé sur le corps de la selle, & qui est pratiqué par la voie d'une boule de buis, placée au point central, entre les deux chassis ; & pour faciliter le mouvement de ce second chassis, on fourre dans des trous qu'on a faits dans l'épaisseur de ses quatre faces, des pinces de fer avec lesquelles on fait tourner toute la machine à volonté. Voyez Pl. du Sculp. les figures posées sur une grande selle ; & une petite selle ou chevalet.

SELLES, (Antiq. grecq.) , on nommoit selles ceux qui dans les commencemens rendoient les oracles ; ce nom, selon Strabon, venoit de la ville de Selles, sellae, en Epire ; & selon Eustathius, de la riviere appellée par Homere, Selleis. Potter, Archaeol. graec. l. II. c. viij. tom. I. p. 267. (D.J.)

SELLE TURCIQUE, voyez FOSSE PITUITAIRE, SELLE A CHEVAL.

SELLE, (Maladie) on dit qu'une chose s'évacue par les selles, lorsqu'elle se vuide par l'anus ou le fondement. Voyez ANUS.

Nous avons dans les Transactions philosophiques, des exemples de gens qui expulsoient par les selles des pierres artificielles, des bales, &c. Voyez EXCREMENT. Voyez DEJECTION.


SELLEIS(Géog. anc.) nom de divers fleuves ; 1°. d'un fleuve du Péloponnèse dans l'Elide, sur les bords duquel fut bâtie la ville Ephira, selon Homere, Iliad. B. v. 659. 2°. fleuve de la Troade, qui selon le même Homere, Iliade B. v. 838. arrosoit Arisba ; 3°. fleuve du Péloponnèse, dans la Sicyonie ; 4°. fleuve de l'Etolie dans l'Agrée. (D.J.)


SELLERv. act. mettre la selle.

SELLER UN CHEVAL, (Maréchal.) c'est lui attacher la selle sur le corps.


SELLERIES. f. (Maréchal.) chambre où l'on met les selles, les brides, & autres appartenances d'une écurie pour les conserver.


SELLEou CELLES, (Géog. mod.) petite ville de France, en Berry, au diocèse de Bourges, sur le Cher avec un pont, à neuf lieues au sud-est d'Amboise, à pareille distance de Blois, à quatre au levant de Romorantin, & à 18 de Bourges. Selles doit son origine à une ancienne abbaye, fondée vers l'an 572, par Childebert, & occupée par les Feuillans depuis 1672. Il y a dans cette ville un hôpital, un couvent d'Ursulines, & un marché par semaine. Long. 19. 16. lat. 47. 14. (D.J.)


SELLETICASELLETICA


SELLETTES. f. (Gramm. & Jurisprud.) est un petit siege de bois, sur lequel l'accusé doit être assis lorsqu'il subit le dernier interrogatoire, lorsque les conclusions du ministere public tendent à peine afflictive ; cela se pratique ainsi, tant en premiere instance que sur l'appel : au-lieu que dans les premiers interrogatoires l'accusé doit être seulement debout, tête nue, en présence du juge qui l'interroge. Quand les conclusions ne tendent pas à peine afflictive, l'accusé subit le dernier interrogatoire debout derriere le barreau, & non sur la sellette. Voyez l'ordonnance de 1670, tit. XIV. art. 21. & 23. & la déclaration du 13 Avril 1703. (A)

SELLETTE, terme de Laboureur, la sellette est un morceau de bois quarré long d'un pié, & large de quatre doigts en tous sens, percé de deux trous presqu'aux deux extrêmités, dans lesquels il y a deux chevilles de bois qui le tiennent attaché directement au-dessus de l'essieu de la charrue, & cette sellette est la machine sur laquelle le timon de la charrue est appuyé. (D.J.)

SELLETTE, s. f. (Charpent.) piece de bois en maniere de moise, arrondie par les bouts, qui accollant l'arbre d'un engin, sert avec deux liens à en porter le fauconneau. (D.J.)

SELLETTE, terme de Charron, c'est une piece de bois d'environ trois piés & demi de long, sur un pié d'épaisseur & autant de hauteur. A la face dessous, il y a une encassure, dans laquelle on met l'aissieu des petites roues, & on l'y assujettit avec des échantigneuls. Voyez les fig. Pl. du Charron.

SELLETTE de Vannier, (établi de Vannier) les Vanniers donnent ce nom à une espece d'instrument ou d'établi dont ils se servent pour tourner les paniers. Il est fait d'une forte planche de bois de chêne, longue de deux piés & d'un pié de large, soutenue dans sa longueur, mais d'un seul côté, de deux petits piés aussi de bois, de deux ou trois pouces de haut seulement, ensorte que la sellette va en penchant sur le devant. L'ouvrier qui travaille se tient derriere assis ou à genoux sur le grand établi de l'attelier. Savary. (D.J.)


SELLIERS. m. (Maréchal.) ouvrier qui fait & vend des selles. Il y a deux corps de maîtres Selliers à Paris ; les Selliers-Bourreliers & les Selliers-Lormiers-Carrossiers, dont les uns font des harnois & des selles, & les autres, outre les selles, font des carrosses.

Les anciens statuts des Selliers -Lormiers-Carrossiers de la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris sont les mêmes que ceux des Eperonniers, dont les Selliers se sont séparés vers le milieu du dix-septieme siecle. Voyez EPERONNIER.

Ils furent réformés & confirmés par lettres-patentes d'Henri III. données au mois de Février 1577, & encore depuis par celles d'Henri IV. du mois de Novembre 1595. Les grands changemens arrivés dans le métier de carrossier, à cause des nouveaux ouvrages inventés depuis près d'un siecle pour la commodité publique, firent penser aux maîtres de cette communauté, sous le regne de Louis XIV. de dresser des statuts plus conformes à l'usage moderne, ce qu'ils firent en cinquante-cinq articles, sur lesquels ils obtinrent des lettres en date du mois de Juin 1650 : mais ne les ayant point encore trouvés dans leur perfection, & les ayant de nouveau réformés & réduits en quarante-huit articles, ils furent vûs & approuvés par le lieutenant de police & procureur du roi du châtelet le 6 Juin 1678, autorisés par lettres-patentes du mois de Septembre de la même année, & enregistrés au parlement le 20 Janvier 1679.

Les nouveaux statuts contiennent non-seulement ce qui est de la discipline de cette communauté, mais ils entrent aussi dans un grand détail de tous les ouvrages & marchandises, qu'il est loisible aux maîtres Selliers de fabriquer & de vendre.

Pour ce qui est de la discipline, elle est confiée à quatre jurés qui ont aussi le nom de gardes, de deux desquels l'élection se fait tous les ans le lendemain de la translation de S. Eloi, patron de la communauté.

Aucun ne peut être élu juré qu'il n'ait pour le moins dix ans de maîtrise & d'établissement en boutique. Les visites des jurés se font de deux en deux mois ; mais les anciens bacheliers qui ont passé par la jurande, & leurs veuves, si elles tiennent boutique, ne payent point le droit dû pour la visite.

Les apprentis, dont chaque maître ne peut avoir qu'un à la fois, doivent être engagés pour six ans, permis pourtant d'engager un second après les quatre premieres années de l'apprentissage du premier.

Nul apprenti ne peut être maître qu'après avoir encore servi quatre autres années de compagnon, & avoir fait chef-d'oeuvre. Pour les fils des maîtres, ils ne sont obligés qu'à une expérience. Le chef-d'oeuvre des uns est de charpenter de leurs mains & en présence des jurés un arçon à corps, & de le garnir d'armures devant & derriere. L'expérience des autres est seulement de garnir une selle rase.

Les ouvrages & marchandises que les maîtres de cette communauté peuvent fabriquer & vendre, & qui sont interdits aux autres, sont les coches, chars, chariots & caleches garnies & couvertes, tant en-dedans qu'en-dehors, de telles étoffes qu'il leur est ordonné ou qu'ils jugent à propos, montées ou non sur leur train, dont ils peuvent couvrir les harnois, supervues, chaînettes, courroies, &c. des litieres ordinaires, litieres à bras & bricoles, avec les selles & les harnois qui leur servent ; enfin toute autre voiture portante & roulante ; toutes sortes de coussinets de bosse, garnis de leur valisson, coussinets de trousse, malles, porte-manteaux, tant de cuir que de drap, poches grandes & petites à porter hardes, argent ou vaisselle ; toutes sortes de couvertures de drap, de cuir, toile cirée, treillis, &c. tant pour chevaux de carrosses que de selle, chariots, fourgons, &c. fourreaux de pistolets, chaperons, bourses, faux-fourreaux, housses de toutes façons, caparassons brodés ou non-brodés, bats françois & autres pour mulets & chevaux ; selles de toutes sortes à piquer à la hollandoise, selles rases à l'angloise & selles à femmes. Il leur appartient aussi de faire toutes sortes de couvertures de chevaux, de mulets, d'impériales de carrosse & de neges de cocher, de telle richesse & avec tels ornemens & broderies qu'il est nécessaire pour les entrées & autres cérémonies, & pareillement toutes banderoles de tymbales, guidons & étendarts, même de fournir les chariots des pompes funebres, avec les couvertures de velours croisés de drap d'argent ou autres étoffes, tant pour le chariot & le cercueil que pour les chevaux. Enfin il leur est permis de faire & vendre tous les ouvrages de lormerie, ferrerie & non autres, comme filets, mastigadours, cavessons, cavessines, lunettes, mords, étriers, &c. éperons ou simples ou garnis d'or & d'argent, &c.

Le métier des Selliers -Lormiers ayant beaucoup de connexité avec celui des Coffretiers-Malletiers, l'article 32. des statuts des premiers veut que les jurés Coffretiers n'ordonnent aucun chef-d'oeuvre ou expérience, même n'aillent en visite, & ne fassent aucune saisie s'ils ne sont accompagnés des jurés Selliers Lormiers ; & par l'article 33. il est permis à ceux-ci de travailler & tenir boutique ouverte à Paris de coffretier-malletier, en faisant seulement une expérience ordonnée par leurs propres jurés, mais en présence des jurés coffretiers mandés en la chambre de la communauté des Selliers.


SELMAZ(Géog. mod.) ville de Perse dans l'Azerbijane. Long. selon M. Petit de la Croix, 82. lat. 3. 20. (D.J.)


SELNELA, ou SELUNE, (Géog. mod.) petite riviere de France en Normandie, au diocèse d'Avranches ; elle se rend dans la mer proche le mont S. Michel, après dix lieues de cours. (D.J.)


SÉLORICou CÉLORICO, (Géog. mod.) petite ville de Portugal, dans la province de Beyra, près du Mondégo, au sud-est de Viseu, avec une forteresse. Ses environs sont fertiles en vins & en fruits, Long. 10. 18. latit. 40. 26. (D.J.)


SELSEY(Géog. mod.) presqu'île d'Angleterre au comté de Sussex. Il n'y a aujourd'hui que des villages dans cette presqu'île, mais il y avoit autrefois une ville florissante de même nom qui a été submergée, & son évêché transféré à Chichester. (D.J.)


SELTZ(Géog. mod.) dans les chartes Saletiae, petite ville de France dans l'Alsace, au diocèse de Spire, sur les bords du Rhin, près du Fort-Louis, & à trois lieues au levant d'Haguenau. Elle a beaucoup souffert dans les différentes guerres. Longit. 25. 26. latit. 48. 46. (D.J.)


SELTZBACH(Géog. mod.) riviere de France dans l'Alsace ; elle prend sa source au mont de Vosge & se jette dans le Rhin, près de la ville de Seltz. (D.J.)


SELVEPOINTE DE LA, (Géog. mod.) pointe qui est avancée dans la mer Méditerranée, environ à 7 milles à l'ouest-nord-ouest du cap de Créaux. La rade de la Selve est assez grande pour que les galeres y puissent mouiller au besoin, c'est-à-dire lorsqu'on ne peut doubler le cap de Créaux ; ainsi ce lieu n'est propre que dans une extrême nécessité. (D.J.)


SELWOOD(Géog. mod.) forêt d'Angleterre dans Sommersetshire & dans les montagnes de Mendip. Cette forêt est d'une grande étendue le long des frontieres orientales de la province. Dans l'endroit où elle se termine au nord, on voit un bourg qui empruntant son nom de la forêt & de la riviere de Frome, qui le côtoye & qui le mouille, s'appelle Frome-Selwood. On y fait un assez grand commerce de laine. Au-delà de ce bourg, la Frome ne voit rien de considérable. (D.J.)


SELYMBRIA(Géog. anc.) ville de Thrace, selon Pomponius Mela, l. II. c. ij. Pline, l. IV. c. xj. & le périple de Scylax ; mais Strabon, Hérodote & Ptolémée écrivent Selybria. Anciennement on l'appelloit simplement Selyn ; dans la suite, on y ajouta le mot bria, qui, dans la langue des Thraces, signifie ville ; c'est aujourd'hui Sélivrée. (D.J.)


SEMACHIDOE(Géog. anc.) municipe de l'Attique dans la tribu Antiochide, selon Etienne le géographe & Hesychius. M. Spon, liste de l'Attique, remarque que ce municipe prenoit son nom de Sémachus, dont les filles avoient reçu Bacchus dans leur logis, d'où leur fut accordé le privilege que les prêtres de ce dieu fussent choisis dans leurs descendans.

On trouve à Eléusine, dans l'église d'Agios Georgios, une inscription grecque, dont voici la traduction. " Le sénat de l'Aréopage & le peuple ont consacré Nicostrate, fille de.... initiée aux mysteres du foyer sacré des déesses Cérès & Proserpine, son tuteur Caïus Casius de Semachidoe, ayant eu soin de cette consécration ". (D.J.)


SEMAILLES. f. (Econ. rustiq.) voyez SEMENCE & SEMER.


SEMAINES. f. (Chronolog.) c'est un tems composé de sept jours. Dion Cassius, dans son Hist. rom. liv. XXXVII. prétend que les Egyptiens ont été les premiers qui ont divisé le tems en semaines ; que les sept planetes leur avoient fourni cette idée, & qu'ils en avoient tiré les sept noms de la semaine. En cela du-moins les anciens n'ont pas suivi dans leur ordre la disposition des orbes de planetes : car cet ordre est Saturne, Jupiter, Mars, le Soleil, Vénus, Mercure & la Lune. Ils auroient donc dû ranger les jours de la semaine par samedi, jeudi, mardi, dimanche, vendredi, mercredi & lundi. Il n'est pas aisé de découvrir la raison qui a donné lieu à ce dérangement ; voici celle qu'on apporte d'ordinaire.

On dit que les anciens ayant soumis les jours, & les heures même de chaque jour à quelques planetes dominantes, il est croyable que le jour prenoit le nom de la planete qui commandoit à la premiere heure. Ainsi on a pu appeller le jour de Saturne qui est notre samedi, celui dont la premiere heure étoit sous le commandement de Saturne. La seconde heure étoit pour Jupiter qui suit immédiatement Saturne ; la troisieme pour Mars ; la quatrieme pour le Soleil ; la cinquieme pour Vénus ; la sixieme pour Mercure ; & la septiéme pour la Lune. Après quoi la huitieme retournoit sous l'autorité de Saturne ; & suivant le même ordre, il avoit encore la quinzieme & la vingt-deuxieme ; la vingt-troisieme étoit par conséquent sous Jupiter ; & la vingt-quatrieme, c'est-à-dire, la derniere de ce jour sous la dénomination de Mars : de cette maniere que la premiere heure du jour suivant tomboit sous celle du Soleil, qui donnoit par conséquent son nom à ce second jour. En suivant le même ordre, la huitieme, la quinzieme & la vingt-deuxieme appartenoient toutes au Soleil ; la vingt-troisieme à Vénus, & la derniere à Mercure : par conséquent la premiere du troisieme jour appartenoit à la Lune ; & on appelloit ce jour à cause de cela, jour de la Lune. On trouve par cet arrangement la naissance & la suite nécessaire de ces noms des jours de la semaine ; c'est-à-dire, pourquoi le jour du Soleil qui est le dimanche, vient après celui de Saturne qui est le samedi, le jour de la Lune, après celui du Soleil, ou le lundi après le dimanche ; celui de Mars après celui de la Lune, ou le mardi après le lundi, &c. jusqu'au samedi. On trouvera de plus grands détails dans l'hist. du calendr. rom. par M. Blondel.

Les ecclésiastiques romains donnent le nom de féries, feriae, à tous les jours de la semaine, en comptant depuis le dimanche qu'ils appellent feria prima. Les Maures, les Arabes, les Syriens, & les Perses chrétiens appellent sabbat tous les jours de la semaine ; mais ce nom de sabbat n'est consacré qu'au samedi par les Juifs. (D.J.)

SEMAINE, (Critiq. sacr.) espace de sept jours qui recommencent successivement. Cette maniere de compter le tems est venue des Juifs qui le septieme jour observoient le sabbat, c'est-à-dire, le jour du repos, conformément à la loi de Moïse. Ils avoient trois sortes de semaines : des semaines de jours, qui se comptoient d'un sabbat à l'autre ; des semaines d'années, qui se comptoient d'une année sabbatique à l'autre ; & enfin des semaines de sept fois sept années, ou de quarante-neuf ans, qui se comptoient d'un jubilé à l'autre. (D.J.)

SEMAINES DE DANIEL, (Crit. sacr.) les soixante & dix semaines de Daniel, sont cette fameuse prophétie concernant la venue du Messie, qu'on lit au chap. ix. de ses révélations, vers. 24. 25. 26. 27.

Les commentateurs les plus habiles ont travaillé à justifier le rapport qu'a cet oracle à notre Sauveur. On peut les consulter les uns & les autres sur cette matiere : car il n'est pas possible d'entrer dans le détail de leurs explications ; c'est assez d'observer qu'ils s'accordent ensemble à reconnoître, 1°. que cette prophétie regarde particulierement les Juifs ; 2°. que les 70 semaines sont des semaines d'année, c'est-à-dire que chaque semaine de cette prophétie contient sept ans, & que les 70 semaines font ensemble quatre cent quatre-vingt-dix ans, au bout desquelles les Juifs ne devoient plus être le peuple de Dieu dans un sens particulier, ni Jérusalem la ville sainte.

Mais les mêmes commentateurs de l'Ecriture different sur la fixation du commencement & de la fin de ces 70 semaines du prophete. Les uns en prennent la date à la commission d'Esdras de réformer l'église & l'état, commission qui tombe à la septieme année du regne d'Artaxerxès-longue-main. D'autres font commencer les semaines de Daniel à la vingtieme année du regne de ce même prince qui permet à Néhémie de rétablir les murs de Jérusalem. D'autres portent cette date à l'édit accordé aux Juifs par Darius-Hystaspes, l'an iv. de son regne, de rebâtir le temple. Ces trois hypothèses sont les plus suivies, & renferment néanmoins chacune de grandes difficultés pour l'application des détails qui d'ailleurs sont contenus dans la prophétie en termes assez obscurs.

Aussi les peres de l'Eglise ont échoué dans leur explication des semaines de Daniel, témoin Tertullien lui-même. Il prend pour époque des 70 semaines la premiere année de Darius ; & en calculant les regnes suivans, il trouve que Jesus-Christ est né soixante-deux semaines & demie accomplies l'an 41 d'Auguste. Il pose ensuite qu'Auguste ayant régné cinquante-six ans, quinze ans depuis la naissance du Sauveur, Jesus-Christ mourut l'an 15 de Tibere, & par conséquent à l'âge de 30 ans, le viij. des calendes d'Avril ou le 25 de Mars, sous le consulat des deux Geminus. Il place enfin la ruine de Jérusalem où finit la prophétie de Daniel, & la 70.e semaine à la premiere année de Vespasien. Il y a dans cette explication fautes sur fautes ; car, sans parler de l'époque d'où il tire le commencement des 70 semaines, qui est évidemment fausse, les sept semaines & demie depuis la naissance de J. C. en l'an 41 d'Auguste, font 32 semaines & demie. Or il y a certainement davantage depuis la naissance du Seigneur jusqu'à la ruine de Jérusalem. Aussi dans le calcul des années depuis l'an 41 d'Auguste jusqu'à la premiere année de Vespasien, Tertullien a obmis le regne entier de l'empereur Claude, & a fait succéder Néron à Caïus ; ce qui est absurde & dérange tout son calcul.

Je finis par une observation sur l'hypothèse des modernes qui est la plus généralement approuvée, je veux dire celle qui date l'époque du commencement des 70 semaines de Daniel à la vingtieme année d'Artaxerxès-Longue-main. Dans cette hypothèse, il faut compter les 490 ans de la prophétie en années solaires ou lunaires. Or comme les années solaires se trouvent trop courtes pour atteindre le terme, on a fixé la prophétie en années lunaires. Africanus qui fleurissoit au commencement du iij. siecle, l'a ainsi décidé, & a été suivi par Théodoret, Bèze, Zonaras, Rupertus, & une foule de modernes, à cause de la conformité qu'ils ont trouvé dans cette hypothèse avec le texte de la vulgate ; mais ils n'ont pas considéré que les années lunaires n'atteignoient pas le terme d'un an & 246 jours. D'ailleurs, dans le tems que la prophétie fut révelée par un ange à Daniel, il n'y avoit point d'année purement lunaire en usage dans aucun endroit du monde. Je sai bien que les mois des Juifs étoient lunaires ; mais quoiqu'ils dépendissent de la Lune, leur année se régloit toujours au bout du compte par le cours du Soleil ; & ce qui manquoit aux années communes, étoit suppléé dans les années intercalées. (D.J.)

SEMAINE DE LA PASSION, dans l'église romaine, est la pénultieme semaine de carême, ou celle qui commence le dimanche qui tombe quinze jours avant Pâques, & se termine au dimanche des Rameaux. On la nomme ainsi, parce que les hymnes, les leçons & tout l'office de cette semaine est relatif à la Passion de Jesus-Christ.

SEMAINE SAINTE, ou GRANDE SEMAINE, major hebdomada, est la semaine qui commence au dimanche des Rameaux, & précede immédiatement la fête de Pâques. On l'appelle grande semaine à cause des grands mysteres qu'on y célébre.

Les Protestans en rapportent l'institution au tems des apôtres, aussi bien que les Catholiques chez qui elle est spécialement consacrée à honorer les mysteres de la mort & passion de Jesus-Christ, & à les retracer à l'esprit & aux yeux des fideles par les offices qu'on y chante & par les cérémonies dont on les accompagne.

Dans la primitive église, outre les jeûnes rigoureux qu'on pratiquoit dans cette semaine ; on s'y interdisoit les plaisirs les plus licites & les plus innocens ; les fideles ne s'y donnoient point le baiser de paix à l'église ; tout travail étoit défendu ; les tribunaux étoient fermés ; on délivroit les prisonniers ; enfin, on pratiquoit diverses mortifications, dont les princes même & les empereurs n'étoient pas exempts.

SEMAINES, Statuts des chirurgiens. C'est sous ce nom que l'on désigne dans les statuts des maîtres chirurgiens de Paris, le tems que ceux des aspirans qui sont admis au grand chef-d'oeuvre, doivent employer à faire preuve de leur capacité. Chaque semaine est composée de six jours & demi, & l'aspirant doit quatre semaines : la premiere, de l'ostéologie : la seconde, de l'anatomie : la troisieme, des saignées : & la quatrieme, des médicamens. (D.J.)


SEMAINIERS. m. (Gram.) celui qui est en fonction pendant la semaine. Il y a des semainiers au théatre pour les comédiens. Il y a un semainier dans quelques communautés religieuses. Le chanoine qui préside aux offices de la semaine, s'appelle semainier.


SEMALES. m. (Marine) bâtiment hollandois, fort étroit, qui n'a qu'un mât, & qui sert à venir à bord des grands vaisseaux, & à y porter des marchandises. Ses dimensions ordinaires sont de cinquante-huit piés de long, de quinze piés de large, & de quatre piés de creux. V. Marine, Pl. XIV. fig. 2.


SEMANTRUMS. m. (Histoire) morceau de fer ou de bois ou de bronze à l'usage des cloîtres ; avant l'invention des cloches, on frappoit sur le semantrum avec un marteau pour appeller les moines.


SEMAQUES. f. (Marine) Voyez SEMALE.


SEMBIENSS. m. plur. (Hist. ecclés.) secte d'anciens hérétiques, ainsi appellée du nom de son chef Sembius ou Sembianus, qui condamnoit tout usage du vin, comme mauvais par lui-même ; prétendant que le vin étoit une production du démon ou du mauvais principe. Il nioit aussi la résurrection des morts, & rejettoit la plûpart des livres de l'ancien Testament. Jovet qui parle de cette secte, ne dit point en quel tems précisément elle a paru.


SEMBLABLESadj. (Gram.) il se dit de toutes choses entre lesquelles il y a similitude. Voyez l'article SIMILITUDE.

Les angles semblables sont des angles égaux. Dans les angles solides, lorsque les plans sous lesquels ils sont contenus sont égaux en nombre & en grandeur, & sont arrangés dans le même ordre, les angles solides sont semblables & par conséquent égaux. Voyez ANGLE.

Les rectangles semblables sont ceux dont les côtés, qui forment des angles égaux, sont proportionnels. Voyez RECTANGLE.

Ainsi, 1°. tous les quarrés doivent être des rectangles semblables. Voyez QUARRES.

2°. Tous les rectangles semblables sont entr'eux comme les quarrés de leurs côtés homologues.

Les triangles semblables sont ceux qui ont leurs trois angles respectivement égaux chacun à chacun. Voyez TRIANGLE.

1°. Tous les triangles semblables ont leurs côtés autour d'angles égaux proportionnés. 2°. Tous les triangles semblables sont entr'eux comme les quarrés de leurs côtés homologues.

Dans les triangles & dans les parallélogrammes semblables, les hauteurs sont proportionnelles aux côtés homologues. Voyez TRIANGLE, &c.

Les polygones semblables, sont ceux dont les angles sont égaux chacun à chacun, & dont les côtés autour des angles égaux sont proportionnels.

Il en est de même des autres figures rectilignes semblables. Voyez POLYGONE.

Ainsi les polygones semblables sont les uns aux autres, comme les quarrés de leurs côtés homologues.

Dans toutes figures semblables, les angles correspondans sont égaux, & les côtés homologues sont proportionnels. Toutes figures régulieres, & toutes figures irrégulieres semblables, sont en raison doublée de leurs côtés homologues ; les cercles & les figures semblables qui y sont inscrites, sont les unes aux autres comme les quarrés des diamêtres.

Les arcs semblables sont ceux qui contiennent des parties semblables ou égales de leurs circonférences respectives. Voyez ARC.

Les segmens semblables de cercles sont ceux qui contiennent des angles égaux. Voyez SEGMENT.

Les sections coniques semblables sont celles dont les ordonnées à un diamêtre, dans l'une, sont proportionnelles aux ordonnées correspondantes à un diamêtre semblable dans l'autre, & dont les parties de diamêtres semblables qui sont entre le sommet & les ordonnées dans chaque section sont semblables. Voyez CONIQUE.

La même définition convient aussi aux segmens semblables des sections coniques. Voyez SEGMENT.

Les nombres plans semblables, sont ceux qu'on peut disposer en rectangles semblables, c'est-à-dire, en rectangles, dont les côtés sont proportionnels : comme 6 multiplié par 2, & 12 par 4 : le produit de l'un qui est 12, & celui de l'autre qui est 48, sont des nombres semblables. Chambers. (E)

Les quantités semblables, en algebre, sont celles qui contiennent les mêmes lettres, & précisément le même nombre de lettres. Voyez QUANTITE.

Ainsi 2 b & 3 b, 9 ff & 3 ff sont des quantités semblables ; mais 2 b & 3 bb, 9 fff & 3 fff sont des quantités dissemblables ; parce qu'elles n'ont pas les mêmes dimensions des deux parts, & que les lettres n'y sont point également répétées.

On dit encore, en algebre, que des quantités ont des signes semblables, quand elles sont toutes deux affirmatives, ou toutes deux négatives. Voyez CARACTERE.

Si l'une est affirmative & l'autre négative, on dit alors qu'elles sont de différens signes ; ainsi + 64 d & + 5 d ont le même signe, ou sont de même signe ; mais + 9 f & - 7 f sont de différens signes. (E)

Les figures solides semblables, (en Géométrie) sont celles qui sont renfermées sous un même nombre de plans semblables, & semblablement posés. Voyez SEMBLABLE.


SEMES. m. (Com.) c'est une mesure angloise qui contient huit boisseaux.

Seme est aussi, en Angleterre, une mesure de bois ; la charge d'un cheval.

On appelle, dans le même royaume, seme de verre, la quantité de cette marchandise pesant cent vingt livres, ou de vingt-quatre poids pesant chacun cinq livres. Dictionn. de Chambers.

SEME, participe passif, du verbe semer. Voyez l'article SEMER.

SEME, bien semé, (Vénerie) se dit de la tête d'un cerf, d'un daim & d'un chevreuil lorsque le nombre des andouillers se trouve pair ; on dit mal semé, quand le nombre est impair.

SEME, (Blason) ce terme se dit en blason, des meubles dont un écu est chargé, tant plein que vuide, en un nombre incertain, & dont quelques parties sortent de ses extrêmités. Un écu fleurdelisé, se dit de celui qui est semé de fleurs de lis sans nombre. Ce fut au sacre de Philippe-Auguste, qu'on commença de semer des fleurs de lis tous les ornemens d'église qui devoient servir en cette cérémonie. Ménestrier.


SEMECHONLAC DE, (Géog. anc.) lac de la Palestine. Josephe donne à ce lac soixante stades de long & trente de large. Il doit être assez près de Dané & des sources du Jourdain, & à cent stades du lac de Tibériade. Il est étrange que ce lac ne soit nommé dans aucun endroit de l'Ecriture. (D.J.)


SEMEDEou SEMMEDE, (Géog. mod.) montagne d'Afrique, au royaume de Maroc. Elle s'étend environ sept milles d'occident en orient. Ses habitans n'ont d'autres lits que la terre. Ils vivent d'orge bouilli dans de l'eau. (D.J.)


SEMEIOTIQUEou SEMEIOLOGIE, (Médecin. semeiotiq.) science des signes. Ce nom est grec, dérivé de , signe, & , discours. La plûpart des institutaires distinguant la semeiotique de la physiologie & de la pathologie, avec qui elle devroit être confondue, en font la troisieme partie des instituts ou principes de médecine. Son objet est l'exposition des signes propres à l'état de santé & aux différentes maladies. Voyez SIGNE. De-là naît la division de cette partie en semeiotique de la santé & semeiotique de la maladie. Elles ne sont l'une & l'autre que des corollaires, qui devroient être déduits à la suite des traités de pathologie & de physiologie. Ce n'est en effet que par la connoissance exacte de l'homme dans l'état sain qu'on peut connoître sa santé présente, & déterminer si elle sera constante ; c'est dans les divers phénomenes que présente l'exposition de la santé, qu'on peut puiser les signes qui la font reconnoître & qui servent à juger de sa durée. J'en dis de même par rapport à la pathologie : après avoir détaillé les causes générales de maladie & les symptômes qu'elles excitent, il n'y avoit qu'à remonter des effets aux causes, qu'à fixer leur correspondance réciproque, leur enchaînement mutuel, & cette gradation naturelle auroit établi les signes de maladie.

Il n'y a point de partie dans le corps humain qui ne puisse fournir à l'observateur éclairé quelque signe ; toutes les actions, tous les mouvemens de cette merveilleuse machine sont à ses yeux comme autant de miroirs, dans lesquels viennent se réfléchir & se peindre les dispositions intérieures, soit naturelles ou contre nature ; il peut seul porter une vue pénétrante dans les replis les plus cachés du corps, y distinguer l'état & les dérangemens des différentes parties, connoître par des signes extérieurs les maladies qui attaquent les organes internes, & en déterminer le caractere propre & le siége particulier. Il semble, à la facilité avec laquelle il est instruit de ce qui se passe dans l'intérieur du corps, que ce soit une machine transparente ; mais s'élevant plus haut & presque au-dessus de l'homme, le semeioticien instruit porte plus loin ses regards : le voile mystérieux qui cache aux foibles mortels la connoissance de l'avenir se déchire devant lui ; il voit d'un oeil assuré les changemens divers qui doivent arriver dans la santé ou les maladies ; il tient la chaîne qui lie tous les événemens, & les premiers chaînons qui sont sous sa main lui font connoître la nature de ceux qui viennent après, parce que la nature n'a que les dehors variés, & qu'elle est dans le fond toujours uniforme, toujours attachée à la même marche. D'autres fois le médecin, à l'occasion des phénomenes présens, rappelle le souvenir des événemens qui ont précédé ; telle est la base de la division générale de la semeiotique, ou des signes en diagnostics, prognostics & anamnestiques. Les uns sont uniquement destinés à répandre de la lumiere sur des objets dérobés au témoignage des sens intérieurs, ou cachés ; les seconds servent à peindre les événemens futurs comme présens, à en former une espece de perspective diversement éclairée ; les derniers enfin retracent la mémoire des changemens passés. Voyez tous ces articles & SIGNE.

Les auteurs classiques ont distingué trois principales sortes de signes, ce qui forme une autre division de la semeiotique. Parmi les signes, disent-ils, les uns sont tirés de l'examen des fonctions, tels que le pouls, la respiration, &c. les autres de ce qui s'observe dans les excrétions, tels sont les signes que fournissent les selles, les sueurs, les urines, &c. & les derniers enfin des phénomenes dans les qualités changées in qualitatibus mutatis. De ce nombre sont les signes qu'on puise dans l'observation des changemens qui arrivent dans la couleur, la chaleur, & les autres qualités des différentes parties ; cette division, assez mal entendue, tout-à-fait arbitraire, qui semble indiquer que les secrétions ne sont pas des fonctions, peut cependant servir, au défaut d'autres meilleures, à fixer l'esprit des jeunes gens qui étudient cette scien ce, & qui sont toujours attachés aux méthodes bonnes ou mauvaises.

Uniquement bornés aux généralités de la sémeiotique, nous laissons à part tout détail sur ces différens signes. On peut consulter là-dessus les articles particuliers de sémeiotique. Voyez POULS, RESPIRATION, SUEUR, URINE, &c. Nous ne suivrons pas non plus la sémeiotique propre de chaque maladie ; il n'est personne qui ne voye que cette exposition déplacée ici, nous meneroit trop loin, & nous mettroit dans le cas de répéter inutilement ce qui est dit à ce sujet dans les différens articles de maladie, vice essentiel, & qu'on ne sauroit trop soigneusement éviter dans un ouvrage de cette espece.

Pour ce qui regarde la sémeiotique de la santé, elle paroît au premier coup d'oeil assez bornée, parce qu'on se représente la santé comme un point, dont les signes doivent par conséquent être en petit nombre bien constatés & invariables. Mais cette idée métaphysique de la santé est bien éloignée de ce que l'observation nous découvre, en la consultant plutôt que le raisonnement ; en sortant de son cabinet, en promenant ses regards sur l'ensemble des hommes, le médecin verra qu'il y a presque autant de santés différentes, qu'il y a de sujets différens ; qu'elle varie d'une maniere plus sensible dans les divers tempéramens ; que par conséquent les signes de la santé ne sont pas les mêmes dans un homme mélancolique & dans un pituiteux, dans un sanguin & un bilieux ; on les trouveroit même différens dans Pierre, Jean, Joseph, &c. en un mot, dans chaque individu ; car chacun a sa santé particuliere, qu'on a exprimée sous le nom usité dans les écoles d'idiosyncrasie. On pourra bien en général décider que la santé est bonne, si toutes les fonctions s'exercent, ou peuvent s'exercer avec facilité, alacrité & constance. J'ajoute, peuvent s'exercer, parce que comme il est facile de s'appercevoir, l'exercice continuel de toutes les fonctions, non seulement n'est pas nécessaire pour la santé, mais même est impossible, il suffit qu'il y ait de l'aptitude : les exemples n'ont pas besoin d'être indiqués. Il y a d'autres fonctions qui sont succédanées, qui ne peuvent être exercées que les unes après les autres ; telles sont la veille & le sommeil, la digestion, la sanguification & certaines excrétions, &c. Voyez SANTE. Il est certain que toutes les personnes dans qui on observera ces qualités, dans l'exercice des fonctions, jouiront d'une santé parfaite. Mais il n'y a point de mesure générale pour s'assurer de leur présence dans tous les tempéramens, & tous les sujets ; c'est pourquoi il faut que le séméiologiste descende dans des détails particuliers les uns aux autres, détails trop longs pour nous occuper ici. Voyez SANTE, TEMPERAMENT, &c. Mais un autre point d'une plus grande étendue, & plus difficile encore à discuter se présente ici. Il ne suffit pas de décider si la santé présente est bonne, il faut déterminer si elle sera constante, si le sujet peut, à l'abri des accidens, se promettre de longues années. Pour résoudre ce problême intéressant, il faut non seulement examiner la maniere dont les fonctions s'exercent dans l'état actuel ; mais sur-tout tirer des signes ultérieurs de la maniere dont la personne a vécu, soit dans sa jeunesse, soit dans son enfance ; si elle a été sujette à différentes maladies qui en font craindre pour la suite ; si elle en a éprouvé d'autres auxquelles on échappe rarement. Il faut porter plus loin les recherches, faire attention au tems du sevrage, à l'allaitement, à la naissance & au tems qui l'a précédé ; examiner en conséquence, si le sevrage a été trop précipité, ou trop retardé ; si la nourrice étoit bonne ; si on n'avoit aucun vice capital à lui reprocher ; si le nourrisson n'a point eu d'incommodités extraordinaires ; si l'accouchement a été naturel ; si l'enfant n'a point souffert en naissant ; s'il est venu à terme ; si sa mere a eu une grossesse heureuse ; si enfin, aussi-bien que le pere, elle jouissoit d'une bonne santé ; s'ils ne portoient, ni l'un ni l'autre, le germe de quelque maladie héréditaire ; s'ils n'étoient ni trop jeunes ni trop vieux ; s'ils ne s'adonnoient pas avec excès aux plaisirs de l'amour, &c. On peut aussi tirer quelques lumieres de la saison où il a été formé ; on a observé que le printems de l'année, de même que celui de la vie, étoient les saisons les plus favorables à la formation de l'enfant. On pourroit présager une longue vie, si l'on ne trouvoit rien à redire sur tous ces articles ; si en même tems toutes les fonctions s'exerçoient comme il faut, & que le corps fût bien constitué ; savoir la tête grosse, la poitrine large, les membres toreux, & le corps d'une grande taille, suivant l'observation d'Hippocrate, aphor. 54. lib. II., &c.

De tous les auteurs qui ont écrit sur la sémeiotique, Hippocrate est presque le seul dont les ouvrages méritent d'être consultés, & sur-tout sur celle qui regarde les maladies ; tous les autres n'ont fait que le transcrire ou le défigurer. Le lecteur ne pourra lire sans admiration les écrits de ce grand observateur, la plûpart des autres ne lui inspireroient que du dégoût. Nous ajouterons seulement quelques traités nouveaux sur le pouls signe, qu'Hippocrate a négligé, & qui mérite d'être approfondi. Voyez POULS, & les ouvrages de Solano, Nihell, Bordeu, Michel, &c.


SÉMÉLÉ(Mythol.) Le lecteur sait la fable de Sémélé mere de Bacchus ; quelque galanterie de cette princesse, dont l'issue ne fut pas heureuse, en est peut-être l'origine. Pausanias dit que Cadmus s'étant apperçu de la grossesse de Sémélé, la fit enfermer dans un coffre ; qu'ensuite ce coffre abandonné à la merci des flots, fut porté chez les Brasiates en Laconie, & que ces peuples ayant trouvé Sémélé morte, lui firent de magnifiques funérailles. Le faux Orphée appelle Sémélé déesse & reine de tout le monde. Il ne paroît pourtant pas que son culte ait été fort en vogue. On trouve dans une pierre gravée, rapportée par Béger, ces mots : les génies tremblent au nom de Sémélé, d'où on peut inférer que Sémélé avoit reçu du maître des dieux, quelque autorité sur les génies ou divinités inférieures. Philostrate dit que quand Sémélé fut brûlée à l'arrivée de Jupiter, son image monta jusqu'au ciel ; mais qu'elle étoit toute noircie par la fumée de la foudre. (D.J.)


SEMELLES. f. (Architect.) espece de tirant fait d'une plate-forme. On assemble les piés de la ferme d'un comble, pour empêcher qu'ils ne s'écartent. C'est aussi des tirans moins épais que de coutume, lorsqu'il n'est pas besoin qu'ils supportent des planchers & des solives. C'est encore une piece de bois couchée à-plat sous le pié d'une étaye. Enfin ce terme se dit aussi des pieces de bois qui font le pourtour du fond d'un bateau, & qui servent à en contourner le bord. Diction. de Charpent. (D.J.)

SEMELLE, dans l'Artillerie est une planche de bois fort épaisse qui se met sur les trois premieres entretoises de l'affut, & sur laquelle pose le canon. Voyez AFFUT. (Q)

SEMELLE, (Marine) c'est un assemblage de trois planches mises l'une sur l'autre, qui a la forme de la semelle d'un soulier, & dont on fait usage pour aller à la bouline. A cette fin, on a deux semelles, une sous le vent qu'on laisse tomber à l'eau, & l'autre qu'on laisse suspendue au bordage jusqu'au premier revirement. Elles servent à soutenir le bâtiment à l'eau, & à le faire tourner d'autant plus aisément, qu'il y a peu d'eau sous la quille ; parce qu'alors il n'y a pas tant de résistance, & par conséquent moins de dérive. Aussi les semelles ne sont presqu'utiles que dans les eaux internes ; on n'en voit plus guere en mer qu'à quelques boyers quarrés, à quelques galiotes légeres & à de petites buches. Ses dimensions ordinaires sont pour la longueur, deux fois le creux du bâtiment ; pour la largeur, la moitié de leur longueur ; & pour l'épaisseur par le haut, deux fois celle du bordage. Voyez Marine, Pl. XII. fig. 1. une semelle cotée g, & Pl. XIV. fig. 1. une semelle cotée f.

SEMELLES, (Marine) ce sont des pieces de bois qui entourent le fond d'un bateau, & qui servent à en couturer le rebord.

SEMELLE, terme de Cordonnier, cuir sur lequel repose la plante du pié ; & c'est ce qu'on appelle la premiere semelle. Le cuir qui fait le dessous du soulier, & autour duquel est la gravure dudit soulier, est ce qu'on nomme la derniere semelle. Il y a aussi une premiere & une derniere semelle de talon. (D.J.)

SEMELLE d'un tour, (Charpent.) on appelle les semelles d'un tour, des pieces de bois d'équarrissage sur lesquelles sont posés d'à-plomb chacun des deux jambages ; ce sont elles aussi qui soutiennent les quatre liens à contre - fiches qui servent à les affermir. Les Tourneurs & les Potiers d'étain donnent pareillement ce nom aux deux pieces qui servent au même usage dans les roues, avec lesquelles ils tournent leurs grands ouvrages. (D.J.)


SEMENCES. f. dans l'économie animale, humeur épaisse, blanche & visqueuse, dont la secrétion se fait dans les testicules, & qui est destinée au grand oeuvre de la génération. Voyez GENERATION.

La semence qui a séjourné long-tems dans les testicules & dans les vésicules séminales, est plus épaisse que toutes les humeurs du corps. Il n'en est donc point dont la préparation se fasse avec tant de lenteur, dont le cours soit retardé par tant de détours, ou qui soit tenue si long-tems en repos. A moins de violer les loix de la nature & de s'épuiser, il n'est point d'humeur dont elle semble si avare. Toutes les liqueurs une fois séparées vont droit aux parties qui en font l'excrétion ; mais par quel long détour la semence y parvient-elle, & quel chemin n'a-t-elle pas à parcourir dans le testicule & son réseau, dans l'épididyme, dans le canal déférent, dans les vésicules, &c. Nous ne savons pas encore pourquoi la nature s'est servie d'un sang urineux, & qui sort presque des reins même, pour faire la semence, & pourquoi elle a placé les vésicules si proches de la vessie.

La plûpart des physiciens admettent les animaux spermatiques ; & la dispute tant agitée entre Hartsoëker & Leuwenhoeck, pour savoir lequel des deux étoit l'inventeur de cette découverte, a confirmé cette expérience. Boerhaave pria le véritable inventeur Leuwenhoeck de dire en quel lieu il découvroit d'abord, à la faveur de ses excellens microscopes, les animalcules dont il s'agit, & dans quel autre lieu on cessoit de les appercevoir. La somme de ces observations a été que le sang, le serum, l'urine, la liqueur des ventricules du cerveau, les liquides de la matrice & de la vessie, ne contenoient aucun de ces petits insectes ; mais qu'il y en avoit dans le liquide des interstices celluleux du testicule, dans le conduit Highmore, dans tout le testicule, dans tout l'épididyme, dans tout le canal déférent, dans les vésicules séminales, & dans la semence expulsée dans le coït de l'homme & des animaux. Nous ne savons pas ce qui a fait naître ces animalcules, ni pourquoi les alimens en fourniroient là plûtot qu'ailleurs.

Prenez un peu de semence délayée dans de l'eau tiede, mettez-la sur un petit morceau de tuile, & sous le plus petit microscope qui ait le plus proche foyer, alors vous verrez ces animaux vivans, se mouvoir comme des anguilles, oblongs, ayant la tête un peu grosse, & nageant dans une liqueur qui n'en contient point ; desorte que la semence est composée de deux parties ; 1°. d'animaux qui survivent assez long-tems à leur sujet ; 2°. d'une humeur douce, visqueuse, qui se meut à peine. La liqueur des prostates ne contient point d'animalcules, ni le sperme des femmes, ni le liquide des ovaires ; la principale utilité du testicule consiste donc dans la génération.

La semence entre dans les trompes mêmes, & delà n'a pas loin pour aller se rendre à l'ovaire. Voyez TROMPE & OVAIRE.

La glande prostate a douze petites follicules, distinctes, qui s'ouvrent par autant d'émonctoires sensibles, dans la cavité de l'urethre, & entourent de toutes parts cette issue des vésicules ; ce qui fait que la semence & l'humeur des prostates se mêlent exactement en cet endroit, les vésicules & les prostates étant environnées de la même membrane musculeuse. Voyez PROSTATE.

La semence ne coule donc jamais qu'elle ne soit précédée, suivie, enveloppée du suc des prostates, dont l'usage est de débarquer en sureté l'homme futur. M. Littre a donné une fort bonne description de cette glande.

Les hommes sains préparent toujours à la fleur de l'âge une semence, qui retenue, est épaisse & immobile comme du blanc d'oeuf, ou de l'amidon détrempé dans un peu d'eau. La liqueur des prostates est plus claire, & semblable à l'huile d'amandes douces ; ensuite il faut bien que l'animalcule qui doit former l'homme, soit long-tems caché, & à l'abri des injures de l'air, jusqu'à ce qu'il vienne germer dans la matrice. Voyez MATRICE.

C'est à la semence que la barbe & les poils du pubis doivent leur naissance. La voix & le tempérament changent lorsque la secrétion de cette humeur commence à s'opérer. L'enfant possede toutes les parties de la génération, il n'en peut faire aucun usage ; il faut quinze ou seize ans communément pour lui : alors paroissent la barbe, une voix forte, & autres signes de virilité qui restent jusqu'au plus grand âge. Du regne de Charles II. roi d'Angleterre, un homme de 120 ans fut convaincu d'adultere.

La barbe est la premiere marque de puberté ; c'est un indice que la semence commence à se faire ; elle continue si le sang produit la même humeur prolifique ; elle cesse de pousser, ou tombe, si cette secrétion importante est empêchée. On connoît par - là pourquoi la barbe & les cheveux tombent souvent dans la vieillesse ; la voix d'un garçon ressemble à celle d'une fille avant la secrétion de la semence, après quoi elle devient grave & rauque, & ce symptome paroît avant la barbe.

Les Arabes ont expliqué de cette maniere pourquoi quelques gouttes de semence affoiblissent plus qu'une grande perte de sang, & il y a eu des modernes qui ont voulu calculer combien peu il falloit perdre de semence pour en être affoibli ; mais cet affoiblissement ne viendroit-il point de cette espece d'épilepsie qui accompagne la perte de la semence, plus que de cette perte même ? car le corps reprend constamment ses forces avant que la semence soit réparée. La viscosité du sang, & tout l'appareil que la nature emploie à la formation de la semence fait voir qu'elle ressemble moins aux esprits, que le blanc d'oeuf ne ressemble à l'esprit-de-vin. Cela paroît en comparant la substance corticale du cerveau avec la structure des testicules, & l'extrême finesse des esprits avec l'épaisseur du sperme.

Il y a des auteurs qui ont prétendu que les sels volatils huileux étoient de même nature que la semence, & par conséquent étoient excellens pour la génération, ce qui a mis pendant long-tems ces sels fort en vogue. Mais tout l'effet de ces sels vient du mouvement plus violent que le sel volatil excite, & non de la semence qu'il ne peut produire ; car ils sont d'une nature la plus opposée qu'il soit possible à celle de la semence.

Hippocrate dit que la semence de la femme est plus foible que celle de l'homme ; mais qu'elle est nécessaire. Aristote admet à-peine quelque semence dans les femmes : il pense que l'humeur libidineuse qu'elles rendent pendant le coït n'en est point, & ne sert point à la conception. Galien accorde de la semence aux femmes, mais moins qu'aux hommes ; elle est, selon lui, plus imparfaite, & vient par les cornes (les trompes) dans la matrice : il parle d'une certaine veuve qui, à la suite d'une irritation au clitoris, rendit une semence fort épaisse avec une très-grande volupté ; il ajoute que cette matiere qui s'échappe quelquefois en dormant, contribue beaucoup à ce qu'on nomme paillardise. Avicenne cite une veuve aussi lubrique que celle de Galien. Colombus dit qu'il a vu de la vraie semence dans les testicules des femmes. Venete répete la même chose, ainsi que Mauriceau, qui auroit pris pour de la semence la liqueur contenue dans les oeufs, ou la sérosité claire de quelque vésicule gonflée. Marchettis ajoute que la semence vient des ovaires par quelques vaisseaux blancs dans les trompes. Henrice prend aussi pour de la semence la liqueur des glandes de Naboth : c'est elle, dit-il, qui mêlée avec celle de l'homme, forme le foetus. Voglius enseigne que la semence de la femme est produite dans ces ovaires. Sbaragli & Paitoni croyent qu'il s'y fait une liqueur spiritueuse qui se repompe dans le sang, & qui produit chez les femmes les mêmes effets que la semence chez les hommes, comme Galien l'avoit ainsi imaginé autrefois ; il pensoit que la semence de la femme se mêloit avec celle de l'homme, & lui servoit en quelque sorte d'aliment : toute l'antiquité a cru que sans l'éjaculation de la semence des deux sexes faite en même tems, on ne pourroit engendrer. Haller, comment.

SEMENCE, maladies de la, (Médec.) 1°. la semence, cette liqueur précieuse, élaborée dans le testicule, perfectionnée dans les épididymes & les vaisseaux déférens, enfin portée aux vésicules séminales pour passer dans l'uretre, se trouve exposée à quelques maladies.

2°. Elle est produite abondamment dans la fleur de l'âge, & par des alimens succulens. De-là naît la lubricité & le priapisme, qu'il faut traiter par la diete, les rafraîchissans, les nitreux & les acides.

3°. Lorsque cette liqueur vient à manquer dans la vieillesse, il n'y a point de remede, non plus que dans les eunuques, ou dans ceux à qui on a coupé l'organe séminal par l'opération de la lithotomie ou d'une hernie ; mais si le défaut de semence vient de l'obstruction des testicules, ou des autres organes de la génération, il faut y remédier en dissipant ces maladies. Si le défaut de cette liqueur est la suite d'une trop petite quantité d'alimens, de travaux, de la foiblesse du corps, ou de la débauche, il se réparera de lui-même, en évitant les causes qui y ont donné lieu. Si la semence vient à manquer par l'affoiblissement de l'organe, on tâchera d'y porter remede par l'usage tant intérieur qu'extérieur des aphrodisiaques.

4°. La semence retenue trop long-tems dans ses vaisseaux acquiert peut-être un trop grand degré d'épaississement ; mais il est certain qu'elle n'a point sa perfection quand on abuse des plaisirs de l'amour. Elle se corrompt, devient virulente, ichoreuse dans la gonorrhée & dans la vérole.

5°. La trop fréquente évacuation de la liqueur séminale produit des cardialgies, des anxiétés, la lassitude des lombes, le tremblement, le vertige, la froideur de tout le corps, la foiblesse, l'orgasme, la phthisie dorsale, & finalement l'impuissance.

6°. L'évacuation trop ménagée de la semence produit rarement aucune maladie ; elle cause seulement quelquefois du trouble dans l'économie de la machine. (D.J.)

SEMENCE, s. f. (Botanique) voyez GRAINE ; je n'ajoute qu'un mot en passant pour complete r l'article.

Le fruit renferme la semence avec ce qui y est contenu. La semence est l'embryon de la plante avec ses diverses enveloppes ; celles-ci ont à-peu-près le même usage dans les plantes, que les membranes qui environnent les foetus des animaux ; quelquefois il n'y a qu'une de ces enveloppes, quelquefois il y en a deux ou un plus grand nombre ; l'embryon leur est adhérent par un filet ombilical. Elles sont ordinairement remplies d'un baume renfermé dans des petites cellules destinées à cet usage. Ce baume semble être une huile portée à sa plus grande perfection, que la plante dépose ici toute préparée dans des petits reservoirs. Par le moyen de ce qu'il a d'huileux & de tenace, il écarte de l'embryon toute humidité étrangere ; par sa viscosité il retient cet esprit subtil, pur & volatil, qui est la plus parfaite production de la plante, & que les Alchymistes appellent esprit recteur, habitant du soufre archée, serviteur de la nature. (D.J.)

SEMENCES des végétaux, (Science microscopique) Malpighi, Leuwenhoeck, Hooke, Grew & plusieurs autres, sont d'illustres témoins que le microscope a découvert de petites plantes, non seulement dans les grandes semences, comme dans le noyer, le chataignier, le chêne, le hêtre, la semence du limon, du coton, des pois, &c. mais encore dans les plus petites, celles de chanvre, de cerfeuil, de cueillerée, de moutarde.

Si l'on veut découvrir les petites plantes qui sont contenues dans les semences, il faut les préparer pour la plûpart en les faisant tremper dans l'eau chaude jusqu'à ce que leur écorce puisse se séparer, & leurs feuilles séminales s'ouvrir sans lacération. Il y en a cependant quelques-unes que l'on peut mieux disséquer étant seches ; mais les semences même sans aucune préparation, montrent une variété infinie de figures, de couleurs & de décorations.

Les semences des fraises sortent de la pulpe du fruit ; & lorsqu'on les observe, elles paroissent elles-mêmes comme des fraises.

Les semences du pavot ressemblent par leur figure à des petits rognons avec des sillons à leur surface, qui forment des côtés & des angles réguliers. On peut tirer de ces semences une poussiere qui, mise devant le microscope, a presque la même apparence que la surface des semences, avec l'avantage d'être transparentes. Cette poussiere n'est aussi que la fine membrane qui est entre les semences, laquelle par la pression des semences contre elle, a reçu des marques correspondantes aux sillons qui sont sur les semences mêmes.

Les semences du tabac, de la laitue, du thym, du cerfeuil, du persil & cent autres, peuvent amuser agréablement un observateur.

Les anciens s'imaginoient que les plantes capillaires & plusieurs autres especes n'avoient point de semences, & la vue simple n'auroit jamais pû corriger leur erreur ; mais le microscope a découvert que toutes les différentes especes de fougeres, de langues de cerf ou scolopendres, de capillaires, &c. abondent en graines. Leurs vaisseaux séminaux sont au dos des feuilles, & la poussiere qui en sort lorsqu'on les touche, n'est autre chose que les petites semences ; ces vaisseaux séminaux paroissent à la vue simple comme une galle noire ou brune sur le dos de la feuille, mais par le microscope, ils ressemblent à des petits tubes circulaires, divisés en plusieurs cellules, qui contiennent les graines en-dehors de tous les côtés en forme de poussiere ; quelques-uns de ces petits vaisseaux contiennent au - moins cent semences qui sont invisibles à la vue simple. (D.J.)

SEMENCE, voyez FRUIT.

SEMENCE DES PERLES, voyez PERLES.

SEMENCES, (Médecine) les semences sont de plusieurs especes, & fort employées en médecine. Les semences médicinales, particulierement celles que l'on apporte des Indes, du Levant, &c. sont décrites chacune en particulier, à leurs articles respectifs. Voyez - les.

Parmi celles que l'on cultive en ce pays, les principales sont les quatre semences les plus chaudes, & les quatre semences les plus froides : les premieres sont les semences d'anis, de fenouil, de cumin, de carvi : les dernieres sont les semences de courge, de citrouille, de melon & de concombre.

Les quatre semences froides servent principalement à faire des émulsions, des boissons rafraîchissantes, des pâtes pour les mains, & des huiles dont les dames se servent pour leur teint.

En général les semences froides majeures ne doivent point être ordonnées à l'intérieur que dans les cas de chaleur, & encore après avoir désempli les vaisseaux, encore avec beaucoup de modération.

Les semences froides mineures sont les suivantes, celles de chicorée, de laitue, d'endive & de pourpier, ces semences ont peu d'efficacité, on les ordonne rarement. Voyez l'article suivant.

Les semences chaudes majeures ne conviennent que dans l'humidité & le relâchement ; elles sont bonnes dans la résolution de l'estomac & des nerfs, elles sont de peu d'usage. Voyez l'article suivant.

Les semences chaudes mineures qui sont la poivrette, l'amomum, le persil & le daucus, sont employées dans les mêmes indications ; mais elles sont aussi de peu d'usage.

SEMENCES CHAUDES, les quatre grandes, (Médec.) sont celles d'anis, de fenouil, de cumin & de carvi. Ces semences entrent dans plusieurs compositions, & sur-tout dans les ratafiats, on en fait des infusions dans l'esprit-de-vin, dont on fait un grand usage. Mais ces remedes ne sont bons que dans le cas où les carminatifs sont indiqués ; hors cette indication ces remedes sont fort dangereux, lorsqu'on en prend habituellement, ils sont irritans, stimulans & échauffans. Cependant lorsqu'ils sont pris à petite dose, & par intervalle ils deviennent salutaires, d'autant qu'ils redonnent du ressort aux parties qu'ils fortifient & raniment. Voyez ANIS, FENOUIL, &c.

Les quatre semences chaudes mineures sont celles d'ache, de persil, d'ammi & de daucus. Elles sont moins actives que les précédentes ; on en fait peu d'usage. Elles entrent dans quelques électuaires, comme l'orvietan, & quelques autres. Voyez ACHE, &c.

SEMENCES FROIDES, les quatre grandes, (Médec.) sont celles de courge, de citrouille, de melon & de concombre. Elles servent dans les émulsions pour tempérer, calmer, rafraîchir dans l'ardeur, la sécheresse & l'ardeur des humeurs. On les ordonne toutes ensemble à la dose d'une once, de demi-once, ou de deux gros dans une pinte d'émulsion. On les fait entrer dans les bouillons de veau ou de poulet que l'on emulsionne avec elles, ou on en farcit un poulet que l'on fait bouillir ensuite : on nous les envoie des provinces méridionales du royaume. Voyez chacun des articles COURGE, &c.

Les quatre semences froides mineures sont celles de laitue, de pourpier, d'endive & de chicorée. Voyez ces articles.

Ces semences sont moins froides que les précédentes. On s'en sert assez rarement, les premieres sont plus en usage.

SEMENCE, SEMER, (Jardinage) avant de semer dans la pépiniere, la terre doit être bien labourée & bien fumée, on fait ensuite ouvrir, suivant un cordeau, des rigoles d'un fer de bêche de deux piés en deux piés ; on y seme les graines en Novembre, Février & Mars, excepté la graine d'orme, qui se recueille en Mai, & se seme en même tems, ensuite on recouvre de terre les rigoles avec le gros rateau ; sans vous arrêter aux pleines lunes, choisissez pour semer un tems doux, peu venteux & qui promet dans peu de la pluie.

Les graines doivent être fraîches & de la même année que l'on seme les fruits, tels que le gland, le marron d'inde, la châtaigne, la faîne, la noisette, la noix : les noyaux de pêche, de prune, d'abricot, d'amande douce n'auront point été mis dans la bouche, & seront sans rides ni piquure de vers.

Le gland peut se semer tout-d'un-coup dans le bois, ainsi que la plûpart des fruits que l'on vient d'indiquer.

Les pepins se sement au mois de Mars sur des planches bien préparées ; ils poussent des jets assez forts pour être transplantés au printems suivant ; les pepins d'orangers se sement, ainsi que plusieurs noyaux de fruits, dans des pots remplis de terre bien préparée, & on les serre pendant l'hiver.

Dans des années rudes on répand de grandes litieres sur ce qui est semé ; on peut même faire tremper les grosses graines pour les faire gonfler quelques jours avant de les semer, & on aura soin de bien labourer & sarcler les pépinieres.

Les graines de potagers se sement en différentes saisons, & se cultivent comme les autres.

Les graines des fleurs se sement à claire voie dans de grands pots plats, ou de longues caisses que l'on saupoudre de terreau en ne les couvrant qu'à-demi ; on recommence à semer, & on saupoudre cette semence jusqu'à ce qu'elle soit couverte d'un pouce d'épaisseur ; on arrose & on couvre le tout de grande paille, sous laquelle, quinze jours après, la graine doit être levée, & ces plantes, deux ans après, se replanteront sur une planche neuve, & au bout de trois ans formeront de véritables oignons portant fleurs.

Comme les graines des arbres verds ne levent pas si aisément dans ces climats que dans les pays chauds, il n'y auroit que l'excellente terre qui les feroit réussir ; c'est par cette raison qu'on préfere à les marcotter au pié des grands arbres, ce qui réussit parfaitement sur-tout au sujet des ifs & des picéa. On observera seulement que les graines délicates, après avoir été six semaines sous les cloches, demandent à être éclaircies ou levées en plantes pour être mises en rigoles sous d'autres couches chaudes, & seulement plantées au plantoir, ce qui les avance & les empêche de monter si haut ; enfin lorsqu'elles sont assez fortes, on les leve en motte avec la houlette, & on les transporte dans des brouettes, pour les placer dans les parterres, dans les pots & dans les potagers.


SEMENDRIAH(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, capitale de la Rascie ou Servie, sur le Danube, au - dessous de Belgrade. Elle appartient aux Turcs depuis qu'Amurat II. s'en empara en 1472. Long. 39. lat. 45. 6. (D.J.)


SEMENTINESadj. (Antiq. rom.) les sementines étoient des fêtes que les Romains faisoient tous les ans pour obtenir de bonnes semailles : elles se célebroient dans le temple de la terre, le 24 de Janvier pour l'ordinaire ; car le jour n'étoit pas toujours le même. On prioit la Terre de donner croissance aux grains & aux autres fruits qu'on a jetté dans son sein. (D.J.)


SEMENUT(Hist. mod.) ville d'Egypte, entre le Caire & Damiette, à l'occident du Nil, sur le bord duquel elle est bâtie. Tous les vaisseaux qui vont au Caire, sont obligés de payer ici quelques droits. (D.J.)


SEMERENSEMENCER, (Synonymes) Semer a rapport au grain ; c'est le blé qu'on seme dans le champ. Ensemencer a rapport à la terre ; c'est le champ qu'on ensemence de blé. Le premier de ces mots a une signification plus étendue & plus vaste ; on s'en sert à l'égard de toutes sortes de grains ou de graines ; & dans toutes sortes de terreins. Le second a un sens plus particulier & plus restraint ; on ne s'en sert qu'à l'égard des grandes pieces de terre préparées par le labourage ; ainsi l'on seme dans ses terres & dans ses jardins, mais l'on n'ensemence que ses terres & non ses jardins.

Ensemencer n'est jamais employé que dans le sens propre & literal ; mais semer au figuré est très - beau.

L'âge viril ne produit point des fruits de science & de sagesse, si les principes n'en ont été semés dans le tems de la jeunesse. On se fait un art de se retirer du monde, quand l'âge commence à refroidir les passions, & à semer des rides sur le visage.

La poésie se sert aussi de ce terme avec noblesse ; témoin ces deux vers énergiques & sentencieux de Corneille :

Et comme il n'a semé qu'épouvante & qu'horreur,

Il n'en recueille aussi que trouble & que terreur.

(D.J.)

SEMER, v. act. (Econom. rustiq.) c'est mettre la semence en terre, afin qu'elle y germe & s'y multiplie. Pour bien faire cette opération, il y a trois conditions à remplir : jetter sur la terre la quantité de semence qui convient, la distribuer également, & la recouvrir à une certaine profondeur.

Les différentes graines doivent être semées en plus ou moins grande quantité, en proportion de ce qu'elles tallent naturellement plus ou moins ; en raison de la qualité de la terre, & des préparations qui ont précedé la semaille. Quatre boisseaux d'orge, mesure de Paris, suffisent pour ensemencer un arpent, à 20 piés pour perche, lorsque la terre est bonne & bien préparée. Il en faut jusqu'à huit dans une terre maigre, ou qui n'a pas été cultivée avec le même soin. On peut dire qu'en général les laboureurs surchargent la terre d'une grande quantité de semence. Mais aussi les reproches qu'on leur fait à cet égard sont souvent outrés ; les expériences faites en petit, sur lesquelles on les appuie, ne concluent rien pour les semailles faites en grand & presque tous les moyens qu'on a conseillés pour épargner la semence sont puériles. On sait depuis longtems que quelques grains semés & soignés dans un jardin se multiplient à un point qui paroît prodigieux. Il est sûr que, même en grand, les grains semés un peu clairs, acquierent plus de vigueur, parce qu'ils ont plus d'air & de nourriture. Lorsqu'ils ont été semés trop dru, la paille en est foible, sujette à verser ; les épis sont courts & mal nourris. Mais si la crainte de ces inconveniens porte à trop épargner la semence, les grains sont bien-tôt surmontés par une quantité si excessive des mauvaises herbes qui croissent dans les vuides, qu'on ne peut pas espérer de les détruire entierement. On rend ainsi la récolte nulle pour lui sauver quelques accidens. Voilà donc deux excès à éviter ; & l'agriculture, aussi bien que la morale, ramene au juste milieu. Il est d'usage en plusieurs endroits de semer un septier de blé, mesure de Paris, dans un arpent à 20 piés pour perche. Il est certain que dans la plûpart des terres à blé, lorsqu'elles ont été bien labourées & bien engraissées, huit boisseaux de semence suffisent. On a même essayé avec succès d'en semer encore un peu moins. Mais ces vues d'épargne sur la semence, doivent être soumises à l'expérience des laboureurs intelligens, avant d'être appliquées aux différens lieux. Il y a des terres qui, selon leur expression, mangent leur semence, & qui en demandent plus que les autres.

La seconde condition à laquelle il faut faire attention en semant, c'est à l'égale distribution de la semence. Il est aisé d'appercevoir combien cette égalité de distribution est indispensable. La nécessité dont elle est a fait imaginer dans ces derniers tems sous le nom de semoir, différens instrumens auxquels leurs inventeurs, ou ceux qui les ont adoptés ont attaché une grande idée d'utilité. Mais rien n'est moins propre à semer toujours également que la plûpart des semoirs qu'on a imaginés. Car l'égalité de la distribution dépendant de l'uniformité du mouvement ; il faut presque toujours supposer que l'animal qui fait mouvoir l'instrument n'aura rien d'inégal dans sa marche, & que la terre qu'on veut semer n'aura rien de raboteux. Or une pierre suffit pour anéantir ces suppositions, & troubler l'opération de la plûpart des semoirs. Ces instrumens sont d'ailleurs assez sujets à se détraquer ; & par cette raison il faut éviter tout ce qui est machine, lorsqu'on peut s'en passer. La main d'un homme bien exercé est le meilleur semoir qu'on puisse employer. Il n'est sujet à aucun accident ; & l'opération en est sûre, facile & promte. C'est ce que l'expérience confirme tous les jours.

La troisieme condition nécessaire pour que la semaille soit bien faite, c'est que la semence soit enterrée jusqu'à un certain point. Ce degré doit être fixé en raison de la nature de la terre, & de l'espece de la semence. Les différentes graines ne germent pas toutes au même degré de profondeur. Le blé, par exemple, peut être enterré jusqu'à quatre pouces ; & la graine de luserne ne doit être que légerement recouverte. Il faut que le blé soit enfoncé à une plus grande profondeur dans les terres légeres, & celles qui sont aisément battues de la pluie. Ces terres venant à s'affaisser laisseroient à découvert les racines de la plante. C'est donc d'après la nature bien connue de la terre qu'il faut décider si l'on doit enterrer la semence avec la charrue, ou la recouvrir avec la herse. Voyez HERSER.

Il y a deux tems marqués pour les semailles. On seme à la fin de l'été, & au commencement de l'automne, les grains qui peuvent soutenir le froid de l'hiver, comme sont les seigles, les blés, &c. On appelle mars ou menus grains ceux qu'on seme à la fin de l'hiver & au commencement du printems. Tels sont les avoines, les orges, &c. Il y a presque toujours de l'avantage à faire de bonne-heure l'une & l'autre de ces deux semailles. Mais on est souvent forcé de sacrifier cet avantage à la nécessité d'attendre que la terre soit en état de recevoir la semence. Il faut, autant que l'on peut, ne point semer dans la poussiere, parce que le grain étant trop long-tems à germer, une grande partie court risque d'être enlevée par les oiseaux. Il ne faut jamais semer dans la boue, parce que lorsqu'elle vient à se durcir, les racines ne pouvant plus s'étendre, la plante ne fait que languir. Mais les moindres laboureurs sont instruits de ces détails. Si quelquefois ils paroissent les négliger, c'est qu'ils sont souvent forcés par la saison qui les gagne, & qu'ils ont à choisir entre semer mal & ne point semer du tout.

On multiplie par la semence, non-seulement les grains, mais les plantes, les fleurs, les arbres fruitiers, les bois. Chacun de ces objets exige un art particulier, & des détails dans lesquels nous n'entrerons point. Voyez JARDINS, POTAGER, FLEURISTE, PEPINIERE, &c.


SEMESTRES. m. (Gram. & Jurispr.) en terme de palais, est le service que les officiers de certains tribunaux font seulement pendant six mois : les officiers du grand-conseil, ceux de la chambre des comptes de Paris, & de la cour des monnoies servent par semestre. Il y a aussi quelques parlemens qui sont semestres, c'est-à-dire où les officiers servent de même par semestre. Quand il s'agit d'enregistrement, d'ordonnances, édits ou déclarations, ou de quelque affaire qui intéresse toute la compagnie, on assemble les deux semestres, c'est-à-dire toute la compagnie. (A)

SEMESTRE, dans l'Art militaire, est en France une permission qui s'accorde alternativement aux officiers, de s'absenter de leurs compagnies pendant le quartier d'hiver.

Les semestres ont été différens, selon les différentes conjonctures. Après la paix de Nimegue, il fut fait une ordonnance le 20 Août 1679, qui permettoit à la moitié des officiers de l'infanterie de s'absenter pendant les mois de Septembre, Octobre & Novembre ; & à l'autre moitié pendant les mois de Décembre, Janvier & Février suivans, à condition de servir tous ensemble pendant les six autres mois.

En 1681, il fut permis aux deux tiers des officiers de cavalerie, infanterie & dragons, de s'absenter pendant Novembre, Décembre, Janvier & Février ; pour l'autre tiers s'absenter l'année suivante pendant les quatre mêmes mois, avec l'un des deux tiers qui avoit eu congé l'année précédente.

En 1682, il fut permis au tiers seulement desdits officiers, de s'absenter pendant ces quatre mois, de maniere qu'en trois années consécutives, tous les officiers pussent successivement profiter de ce congé. Cette derniere disposition a subsisté depuis. Code militaire de Briquet. (Q)


SEMEURS. m. (Agricult.) celui qui seme. Voyez SEMAILLE, SEMENCER, SEMER & SEMOIR.


SEMI(Gram.) mot emprunté du latin, qui signifie moitié, & dont on se sert en musique au lieu du hemi des Grecs, pour composer très - barbarement plusieurs mots, moitié grecs & moitié latins.

Ce mot, au-devant du nom grec de quelque intervalle, signifie toujours une diminution, non pas de la moitié de cet intervalle, mais seulement d'un semi -ton mineur. Ainsi semi-diton, c'est la tierce mineure, semi-diapente la fausse quinte, & semi-diatessaron la quarte diminuée, &c. (S)


SEMI - ARIENou DEMI - ARIENS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) secte d'hérétiques qui étoient une branche des Ariens, composée selon S. Epiphane, de ceux qui condamnoient en apparence les erreurs d'Arius, mais qui admettoient pourtant quelques-uns de ses principes qu'ils ne faisoient que déguiser, en les enveloppant sous des termes plus doux & plus moderés. Voyez ARIEN.

Pour entendre le vrai sens de ce nom, il faut savoir que les sectateurs d'Arius se diviserent en deux partis principaux. Les uns suivant l'hypothèse de leur maître, soutinrent que le fils étoit dissemblable au pere, , d'où on les nomma Anoméens ou Eunomiens du nom d'Eunomius leur chef, ou purs Ariens, voyez ANOMEENS, EUNOMIENS, ARIENS. Les autres qui refusoient de recevoir le mot , consubstantiel, comme marquant une parfaite égalité entre le pere & le fils, feignoient d'approcher du sentiment des peres de Nicée, en disant que le fils étoit , c'est-à-dire semblable en essence ou semblable en toutes choses au pere. On leur donna le nom de semi - Ariens, comme n'étant qu'à demi dans les sentimens des Ariens.

Quoique quant à l'expression, ils ne différassent des orthodoxes que par une seule lettre ; ils étoient néanmoins dans l'erreur des Ariens, qui mettoient le fils au rang des créatures. Il ne leur servoit de rien d'enseigner qu'il n'y avoit point d'autre créature de même rang que lui, puisqu'en niant qu'il fût consubstantiel à Dieu le pere, ils nioient au fond qu'il fût véritablement Dieu.

Les semi-Ariens eurent beaucoup de part aux conciles de Seleucie & de Rimini, où ils tromperent les Catholiques par des confessions de foi captieuses ; quoiqu'ils convinssent que le Fils étoit en toutes choses semblable au Pere, ils étoient divisés entr'eux lorsqu'il falloit expliquer ce point, les uns faisant consister la ressemblance du Fils au Pere dans la seule volonté, & les autres dans la substance ; parmi ces derniers il y en avoit plusieurs qui étoient orthodoxes & qui se réunirent dans la suite à l'Eglise catholique.

Le second concile général a encore donné le nom de semi-Ariens à d'autres hérétiques qui nioient la divinité du S. Esprit, & qui eurent pour chef Macédonius. Comme les Ariens s'étoient principalement élevés contre la seconde personne de la sainte Trinité, le concile appella semi-Ariens, ceux qui voulurent contester à la troisieme sa divinité ; les premiers avoient été quelquefois designés par , ennemis de Jesus - Christ. On appella les autres , ennemis du S. Esprit ; mais ils sont plus connus dans l'histoire ecclésiastique sous le nom de Macédoniens. Voyez MACEDONIENS.

SEMI-BREVE, s. f. est dans nos anciennes musiques, une valeur de note ou une mesure de tems, qui comprend l'espace de deux minimes ou blanches, c'est-à-dire la moitié d'une breve. La semi - breve s'appelle autrement ronde. Voyez RONDE, VALEUR DES NOTES. (S)


SEMI - PREBENDÉS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui n'a qu'une demi-prébende. Il y a dans certaines églises des chanoines semi-prebendés ; ce qui vient ou de ce que certaines prébendes ont été divisées en deux pour multiplier le nombre de titres dans une église, ou de ce que la fondation de ces semi-prébendes a été seulement de la moitié des autres prébendes. Il y a aussi dans quelques églises des bénéficiers prébendés, & d'autres semi - prébendés, qui n'ont pas le titre de chanoines. Voyez CANONICAT, CHANOINE, PREBENDE, PREBENDE. (A)


SÉMI-PÉLAGIANISME(Hist. ecclés.) on croit que le Sémi-pélagianisme a tiré sa principale origine des écrits de Jean Cassien, appuyés de son autorité.

Ce fameux solitaire, après avoir demeuré longtems en orient, & s'y être nourri de la doctrine des Grecs, vint s'établir à Marseille peu après l'an 404 ; il y fonda deux monasteres, & s'y distingua par son savoir, & par sa piété. Il écrivit malheureusement dans des circonstances fâcheuses, & où les disputes sur la grace étoient encore fort animées. En effet, les Pélagiens venoient d'être condamnés en Afrique, à Rome, & en orient ; lorsque vers l'an 426, tout au plus tard, Cassien publia sa treizieme conférence, où il enseigne nettement que l'homme peut avoir de soi-même le desir de se convertir, que le bien que nous faisons ne dépend pas moins de notre libre arbitre, que de la grace de Jesus-Christ ; que cette grace est gratuite ; que Dieu cependant la donne, non selon sa puissance souveraine, mais selon la mesure de la foi qu'il trouve dans chacun, ou qu'il y a mise lui-même ; qu'il y a réellement dans l'homme une foi que Dieu n'y a pas mise, comme il paroît, dit-il, par celle que Jesus-Christ loue dans le centenier de l'Evangile.

Cette doctrine se repandit promtement dans les Gaules, & trouva quantité de sectateurs, au nombre desquels on compta plusieurs évêques & autres illustres personnages. (D.J.)


SÉMI-PÉLAGIENSou DEMI - PÉLAGIENS, s. m. pl. (Hist. eccl.) Pélagiens mitigés, hérétiques qui rejettant les erreurs les plus grossieres des Pélagiens, retenoient quelques-uns de leurs principes. Voyez PELAGIENS.

Saint Prosper dans une lettre à saint Augustin, les appelle reliquias Pelagii, les restes de Pélage.

Plusieurs savans hommes dans les Gaules, faute de bien prendre le sens de saint Augustin sur la grace, tomberent dans le sémi-pélagianisme. On les appella Massiliens, ou prêtres de Marseille, parce que ce fut en cette ville que leurs opinions prirent naissance. Cassien qui avoit été diacre de Constantinople, & qui fut ensuite prêtre à Marseille, étoit le chef des Sémi-Pélagiens. Saint Prosper qui étoit son contemporain, & qui écrivit avec force contre lui, dit que Cassien voulant garder je ne sais quel milieu entre les Pélagiens & les orthodoxes, ne s'accordoit ni avec les uns ni avec les autres. On en va juger par l'exposition du Sémi-Pélagianisme.

Ces hérétiques reconnoissoient premierement la chûte d'Adam, le péché originel, & en conséquence l'affoiblissement de la liberté ; mais ils prétendoient que le péché ne lui avoit pas tellement donné atteinte, que l'homme ne pût faire de lui-même & par ses propres forces, quelque chose qui engageât Dieu à lui donner sa grace plutôt qu'à un autre homme. Ils pensoient donc que la grace n'étoit pas nécessaire pour le commencement du salut ; & par le commencement du salut, ils entendoient la foi soit commencée, soit parfaite, le desir du salut, & la priere qui obtient la grace. Credere quae de medico praedicantur, desiderare sanitatem & ejus auxilium implorare. Cassien dans sa treizieme conférence, attribuoit ces trois choses aux seules forces de l'homme.

2°. Ils admettoient la nécessité de la grace pour les bonnes oeuvres & pour la persévérance dans ces bonnes oeuvres. Les uns n'en exceptoient que le commencement du salut ; & ce qu'ils appelloient le pieux mouvement qui les portoit à croire, pium credulitatis affectum. Les autres prétendoient que nonseulement la volonté de croire ou le commencement de la foi, mais même la volonté spéciale de faire telle ou telle bonne oeuvre en particulier, ou ce qu'ils appelloient le commencement des bonnes oeuvres, venoit de nous sans la grace.

3°. Ils enseignoient que la grace du salut n'étoit pas donnée par la pure volonté de Dieu, mais en conséquence de son éternelle prescience des mérites purement humains dans leur principe ; prescience qui déterminoit Dieu à accorder la grace à ceux qu'il prévoyoit devoir ainsi bien user de leur libre arbitre, & qu'ils étendoient jusqu'aux enfans, dont Dieu sauvoit les uns plutôt que les autres ; parce qu'il prévoyoit, disoient-ils, que les uns, s'ils étoient parvenus jusqu'à l'âge de raison, auroient mieux usé de leur libre arbitre que les autres.

4°. Ils admettoient en Dieu une volonté générale & égale de sauver tous les hommes sans discernement, & que Jesus-Christ n'avoit pas répandu son sang sur la croix plus spécialement pour les élus que pour les autres hommes.

5°. Ils erroient sur la prédestination, en prétendant qu'elle dépendoit de notre persévérance, fondée sur la prévision de nos mérites commencés par les seules forces de la nature, & que Dieu n'avoit point fait de decret pour sauver quelques-unes de ses créatures préférablement à d'autres ; mais qu'il vouloit toutes également les sauver, pourvu qu'elles-mêmes le voulussent.

Jansénius a mis au nombre des erreurs des Pélagiens d'avoir admis une grace à laquelle la volonté peut accorder ou refuser son consentement ; & dans cette imputation, il est lui-même tombé dans l'erreur, & l'Eglise a condamné sa cinquieme proposition qui la renferme. Voyez JANSENISME.


SEMI-PREUVES. f. (Gramm. & Jurisprud.) est une preuve qui n'est pas pleine & entiere ; une preuve imparfaite ; telle est celle qui résulte de la déposition d'un seul témoin ; celle qui résulte de la comparaison d'écriture ; celle qui résulte d'une écriture sous seing-privé, d'un indice, ou d'une présomption. Le testament de mort d'un criminel ne fait aussi qu'une semi - preuve ; dans les crimes énormes, une semi-preuve suffit souvent pour faire ordonner la question préparatoire. Voyez au code le titre de probationibus, & le traité de Mascardus, de probationibus, celui de Menochius, de praesumptionibus, l'ordonnance de 1667, titre 20. & les mots INDICES, PRESOMPTIONS, PREUVES. (A)


SEMI-QUARTILEou SEMI-QUADRAT, adj. (Astron.) c'est un aspect des planetes, lorsqu'elles sont distantes l'une de l'autre de la moitié de la quatrieme partie, ou de la huitieme partie du zodiaque, c'est-à-dire de 45 degrés ou d'un signe & demi. Voyez ASPECT. (O)


SEMI-QUINTILEadj. (Astron.) c'est un aspect des planetes, lorsqu'elles sont distantes l'une de l'autre de la moitié de la cinquieme partie, ou de la dixieme partie du zodiaque, c'est-à-dire 36 degrés. Voyez ASPECT. (O)


SEMI-SEXTILEou S. S. adj. (Astron.) c'est un aspect de deux planetes, qui sont distantes l'une de l'autre de la douzieme partie du zodiaque, ou de 30 degrés. Voyez ASPECT.

C'est Kepler qui a ajouté le semi-sextile aux anciens aspects ; ce qu'il a fait, ainsi qu'il nous l'apprend, par des observations météorologiques. Ce grand astronome qui vivoit dans un siecle où l'on n'étoit pas encore revenu de l'Astrologie judiciaire, avoit cru remarquer que les différens aspects des planetes produisoient des changemens dans la température de l'air ; cela pourroit être vrai de la lune. Voyez LUNE & VENT. Mais nous n'avons point d'observations suffisantes pour rien statuer là-dessus. (O)


SEMI-TONS. m. en Musique, est le moindre de tous les intervalles admis dans le système moderne, & vaut à-peu-près la moitié d'un ton.

Il y a plusieurs especes de semi-tons ; on en peut distinguer deux dans la pratique, le semi-ton majeur & le semi-ton mineur. Trois autres sont connus dans les calculs harmoniques, savoir, le semi - ton minime, le maxime, & le moindre.

Le semi-ton majeur est la différence de la tierce majeure à la quarte, comme mi, fa ; son rapport est de 15 à 16, & il forme le plus petit de tous les intervalles diatoniques d'un degré à l'autre.

Le semi-ton mineur est la différence du majeur au mineur qui se trouve en musique dans un même intervalle : aussi se marque-t-il sur le même degré par un dièse ou par un bémol ; son rapport est de 24 à 25.

Quoiqu'on mette de la différence entre ces deux semi-tons par la maniere de les noter, il n'y en a pourtant aucune dans l'exécution sur l'orgue & le clavecin.

Quant aux trois autres, le semi-ton minime est la différence du semi-ton maxime au semi-ton moyen, & son rapport est de 625 à 648. Le semi-ton moyen est la différence du semi-ton majeur au ton majeur, & son rapport est de 128 à 135. Enfin, le semi-ton maxime est la différence du ton majeur au semi-ton mineur, & son rapport est de 25 à 27.

De tous ces intervalles, il n'y a que le semi-ton majeur qui, en qualité de seconde, soit quelquefois admis dans l'harmonie. (S)


SEMICONS. m. (Musiq. inst. anc.) instrument de musique des Grecs qui avoit trente-cinq cordes, & cependant ce n'étoit pas encore l'instrument des anciens qui en eût le plus ; car l'épigonion en avoit quarante. On juge bien que cet instrument à trente-cinq cordes ne rendoit pas trente cinq sons différens, mais seize ou dix-sept ; de même l'épigonion ne rendoit pas quarante sons différens, auquel cas il eût eu plus d'étendue que nos plus grands clavessins, ou nos clavessins à ravalement, ce qui n'est pas vraisemblable, mais les cordes y étoient mises deux à deux, & accordées à l'unisson ou à l'octave, comme elles le sont au luth, à la guittare, à la harpe double, & au clavessin à deux & trois jeux, ce qui ne faisoit en tout que vingt sons différens. (D.J.)

SEMI-CUBIQUE, adj. en Géométrie, une parabole semi-cubique est une courbe du second genre, dans laquelle les cubes des ordonnées sont comme les quarrés des abscisses. Voyez PARABOLE. On l'appelle autrement seconde parabole cubique. (E)

SEMI-DOUBLE, terme de Breviaire, qui se dit de l'office ou des fêtes qu'on célebre à certains jours avec moins de solemnité que les doubles, mais plus grandes que les simples. Voyez DOUBLE & SIMPLE.

L'office semi-double a premieres & secondes vespres, quelques leçons propres à matines, à la fin desquelles on dit le Te Deum & le Gloria in excelsis à la messe. Il se fait aux fêtes marquées semi-doubles dans le calendrier.


SEMIGALLE(Géog. mod.) contrée annexe de la Courlande, dont elle fait la partie orientale, & dont elle est séparée par la riviere de Mutza. Le Semigalle confine avec la Livonie, au nord & à l'orient, & elle a la Samogitie au midi. On compte dans cette contrée deux capitaineries, qui sont Mittau & Selburg. (D.J.)


SEMILUNAIRou SIGMOIDES VALVULES ; les Anatomistes appellent ainsi trois petites valvules ou membranes de figure semilunaire, qui sont placées à l'orifice de l'artere pulmonaire de l'aorte pour empêcher le retour du sang dans le coeur, dans le tems de leur contraction. Voyez nos Pl. d'Anat. & leur explic. voyez aussi VALVULE.


SÉMINAIRES. m. (Gram. & Jurisprud.) on entend ordinairement par ce terme une maison destinée à élever les jeunes clercs, pour les former aux connoissances & aux fonctions qui conviennent à l'état écclésiastique.

Il y a cependant aussi des séminaires où les clercs ne sont pas élevés, mais où ils doivent seulement demeurer quelque tems pour se préparer à recevoir les ordres ; d'autres encore qui sont des maisons de retraite pour des ecclésiastiques âgés ou infirmes ; d'autres enfin où l'on forme des sujets pour les missions étrangeres.

Ces différentes sortes de séminaires jouissent tous des mêmes privileges.

Les plus anciens sont sans contredit ceux qui furent institués pour élever les jeunes clercs, & qu'on appelle communément les petits séminaires ; leur origine en France remonte très-haut, puisque le concile de Bazas tenu en 529 parle de leur utilité ; mais il est à croire que les séminaires, dont parle ce concile, n'étoient autres que les écoles qu'il y avoit de tout tems dans toutes les églises cathédrales & dans les principaux monasteres, lesquelles pouvoient en effet être regardées comme des séminaires, n'y ayant guere alors que ceux qui se destinoient à l'état ecclésiastique qui fréquentassent ces écoles, & qui s'adonnassent à l'étude des lettres.

A ces écoles, qui furent ruinées par les desordres du x. siecle, succéderent les universités & les colleges particuliers ; la plûpart des évêques se reposerent de l'instruction de leurs clercs sur les régens des colleges pour les premieres études, & sur les docteurs des universités pour la Théologie & le Droit canon.

Mais on trouva que c'étoit une occasion de dissipation pour les jeunes clercs d'aller étudier dans les colleges avec les écoliers laïcs, & que pendant ce tems ils ne faisoient aucune fonction ecclésiastique, on crut qu'il étoit plus convenable de les élever en particulier, & ce fut ce qui donna lieu à l'établissement des petits séminaires.

Le concile de Trente, sess. 23. c. xviij. de reform. ordonne que dans chaque diocèse ou province il soit établi un ou plusieurs séminaires, où l'on reçoive de jeunes gens nés en légitime mariage, âgés de douze ans au-moins & qui se disposent à l'état ecclésiastique, pauvres & riches indifféremment ; si ce n'est que les riches payeront leur pension, & que les pauvres seront nourris gratuitement.

Pour la dotation & entretien de ces séminaires, le concile permet de lever une contribution sur les bénéfices du diocèse, sans qu'aucun ordre s'en puisse exempter, à l'exception des mendians & des chevaliers de Malthe, laquelle contribution sera réglée par l'évêque assisté de deux chanoines de son église ; il permet aussi l'union des bénéfices.

Enfin il oblige les écolâtres des chapitres à enseigner les jeunes clercs dans ces séminaires, ou à nommer, de l'agrément de l'évêque, quelqu'un à leur place, pour s'acquiter de cette fonction.

L'assemblée de Melun en 1579 s'est conformée au réglement du concile de Trente, auquel elle a ajouté plusieurs articles touchant le gouvernement des séminaires.

Les conciles provinciaux de Rouen, de Rheims, de Bordeaux, de Tours, de Bourges, d'Aix & de Toulouse, ont aussi reçu ce réglement, & y ont ajouté différentes explications.

Cependant la discipline de l'église de France n'est pas conforme en plusieurs chefs au réglement du concile de Trente.

Il est d'abord constant que l'on ne peut établir aucun séminaire en France sans lettres - patentes du roi ; c'est un point décidé par l'édit du mois d'Août 1749.

On devoit, suivant le concile, élever les enfans dans le séminaire depuis l'âge de douze ans jusqu'à ce qu'ils eussent reçu les ordres sacrés ; au-lieu que dans la plûpart des diocèses de France on n'oblige ceux qui se présentent aux ordres que de passer une année dans le séminaire ; & même en quelques diocèses, on se contente d'un tems plus court, & que les clercs fassent une retraite au séminaire avant que de recevoir les ordres mineurs, le soudiaconat, le diaconat & la prêtrise.

Le gouvernement des séminaires en France dépend de la prudence de l'évêque, qui leur donne des statuts tels qu'il les croit convenables. On ne l'oblige point de prendre l'avis de deux chanoines de sa cathédrale.

Pour ce qui est de la dotation des séminaires, elle peut se faire, soit par la fondation ou par des donations postérieures, soit par des unions de bénéfices, soit par imposition sur les biens ecclésiastiques du diocèse.

L'évêque procede à cette imposition avec les syndics & députés aux bureaux des décimes de leur diocèse.

L'ordonnance de Blois enjoint aux évêques d'établir des séminaires dans leur diocèse, d'aviser à la forme qui sera la plus propre selon les circonstances, & de pourvoir à la dotation d'iceux par union de bénéfices, assignations de pension ou autrement ; c'est aussi la disposition de l'édit de Melun, de l'ordonnance de 1629, & de la déclaration du 15 Décembre 1698 ; celle-ci ordonne l'établissement des séminaires dans les diocèses où il n'y en a point, & des maisons particulieres pour l'éducation des jeunes clercs pauvres, depuis l'âge de douze ans.

Les bénéfices dont le revenu n'excede pas 600 liv. sont exceptés de la contribution pour les séminaires par l'ordonnance de 1629 ; les cures sont aussi exemptes, de même que les dixmes inféodées.

Les évêques, leurs grands vicaires & archidiacres peuvent enjoindre aux curés & autres ecclésiastiques de se retirer pour quelque tems dans un séminaire, pour y reprendre l'esprit de leur état ; & ces ordonnances sont exécutoires, nonobstant oppositions ou appellations. Voyez le concile de Trente & autres que l'on a cités, les ordonnances de Blois de 1629, & d'Héricourt, Fuet, la Combe, instit. au dr. ecclés. de Fleury, les mémoires du clergé, & les mots COLLEGE, ÉCOLES, UNIVERSITE. (A)

SEMINAIRE, pierre, (Hist. nat. Litholog.) seminarius lapis, nom d'une pierre qui paroît composée d'un amas de graines. Voyez OOLITE.


SÉMINALEadj. (Jardinage) est la premiere racine d'une plante lorsqu'elle est graine.

Il se dit aussi en Anatomie, de ce qui appartient à la semence des animaux, la matiere séminale, les réticules séminales.


SÉMINARA(Géogr. mod.) bourg d'Italie au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, au couchant d'Oppido. Il étoit fort peuplé avant le tremblement de terre qu'il essuya en 1638. Long. 33. 55. latit. 38. 22. (D.J.)


SÉMINARISTES. m. (Gram.) jeune ecclésiastique qui fait son séminaire. Voyez l'article SEMINAIRE.


SÉMINATIONS. f. terme d'Histoire naturelle, il est vrai qu'il ne se trouve pas dans les dictionnaires françois ; mais il faut bien s'en servir ici, n'y ayant aucun autre mot dans la langue qui puisse rendre ce que signifie celui-ci, savoir l'action de semer ou de répandre de la semence, & singulierement celle des végétaux. Voyez SEMENCE ou GRAINE.

Dès que la graine est mûre, dit le docteur Grew, la nature prend différens moyens pour qu'elle soit semée convenablement, non-seulement en ouvrant la cosse qui la contient, mais en conditionnant la graine même comme elle doit l'être.

Ainsi les graines de certaines plantes auxquelles il faut un certain sol particulier pour qu'elles viennent, telles que l'arum, le pavot & autres, sont aussi lourdes proportionnément à leur volume pour tomber directement à terre. D'autres qui en conséquence de leur légereté & de leur volume pourroient être emportées par le vent, sont retenues par un ou plusieurs crochets qui empêchent qu'elles ne s'écartent du lieu qui leur convient. Telles sont les graines d'avoine, qui ont un crochet ; celles d'aigremoine, qui en ont plusieurs ; mais celles-là aiment les lieux élevés & exposés au soleil, & celles-ci les haies.

On voit au contraire des graines qui ont des aîles ou plumes, soit afin que le vent puisse les emporter lorsqu'elles sont mûres, comme celle du frêne, soit afin qu'elles puissent s'envoler plus ou moins loin, ce qui empêche qu'elles ne tombent toutes dans un même endroit & ne soient semées trop drues ; & encore afin que si quelqu'une n'est pas tombée dans un endroit qui lui soit propre, une autre au-moins y tombe. Ainsi les pignons, par exemple, ont des aîles courtes à la vérité, & qui ne peuvent pas les soutenir dans l'air, mais qui les font du moins voltiger à terre. Mais les graines de la dent-de-lion, & plusieurs autres ont quantité de plumes fort longues, par le moyen desquelles elles sont emportées en mille endroits différens.

D'autres sont semées où elles doivent l'être par le ressort de leurs capsules élastiques, qui en crevant & éclatant lancent leur graine à une distance convenable. Ainsi l'oseille sauvage ayant des racines qui serpentent fort loin en terre, il falloit que sa graine fût semée à quelque distance, & la nature y a pourvu par des cosses blanches, fortes & tendineuses, qui, lorsqu'elles commencent à sécher, s'ouvrent tout-à-coup par un côté, & roulent à l'instant leurs levres en-dessous avec force. La graine de scolopendre, celle de la persicaire à cosses sont aussi jettées & lancées par le moyen d'un ressort, si quelque chose heurte ou pince la capsule qui les contient. Et quand le ressort est sec & suffisamment tendu, il rompt de lui-même la capsule en deux moitiés semblables à deux petits godets, & en chasse la semence.

D'autres auteurs ont encore remarqué bien des manieres différentes dont la graine est semée. Qu'on mette, dit M. Ray, sur du papier une poignée de graine de fougere en un tas, on entend craqueter & crever les petites vésicules séminales ; & avec un bon microscope on en voit qui s'élancent à une distance considérable les unes des autres. Le docteur Sloane observe que la petite gentiane, gentianella flore caeruleo, voulant être semée par un tems humide, dès que la moindre goutte touche l'extrêmité de ses vaisseaux séminaux, ils s'ouvrent avec un bruit perçant, & chassent en s'ouvrant par leur ressort la graine qu'ils contenoient.

Toutes les especes de cardamine, pour peu qu'on y touche avec la main, ouvrent leurs capsules & lancent leur graine. M. Ray dit plus, il ajoute qu'il suffit même d'en approcher la main de très-près sans y toucher effectivement.

D'autres plantes, pour parvenir à la sémination de leur graine, invitent les oiseaux par l'odeur & par le goût à en manger ; ils l'avalent & s'en vont, & le séjour qu'elle fait dans leur corps sert à la fertiliser : c'est ainsi que se propagent la muscade & le guy. Voyez MUSCADE & GUY.


SEMINou CHEMINI, s. m. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne dans le royaume de Pégu aux nobles qui sont chargés du commandement des troupes, & qui remplissent les premiers emplois de l'état. Ils sont au - dessous des bajas, qui tiennent chez les Péguans le même rang que les ducs & pairs.


SEMINISTESS. m. (Anat.) secte de physiciens qui prétendent que le foetus est formé dans la matrice par le mêlange des semences de la femelle & du mâle. Voyez FOETUS.

C'est le sentiment d'Aristote, de tous les anciens, & celui de leur ennemi juré, le plus célebre des modernes, Descartes.

Suivant les Seministes, les femelles ne peuvent concevoir sans répandre de semence : d'ailleurs cette liqueur ne peut, ainsi que dans le mâle, couler sans produire le plaisir, d'où il suivroit que le plaisir seroit inséparable de la conception. Cependant combien de meres se plaignent du contraire ! Voyez toutes les raisons que l'auteur de l'art de faire des garçons rapporte contre ce sentiment.


SÉMINOVISTESS. m. (Anat.) branche des ovistes, à la tête de laquelle s'est mis l'ingénieux auteur de l'art de faire des garçons. Ce physicien pense que l'embryon est produit par le mêlange des deux semences, fait non pas dans la matrice, mais dans l'oeuf.


SEMITALESadj. (Littérat.) nom donné aux dieux protecteurs des chemins ; semita signifie un sentier, un chemin étroit. Les anciens avoient plusieurs dieux qui présidoient aux chemins. Voyez VIALES DII. (D.J.)


SEMITES. f. (Commerce) sorte de toile de coton qui se fabrique à Sepsanto dans l'Archipel.


SEMNANE(Géog. mod.) ville de Perse, dans la province de Koumes, frontiere du Khorassan & de Mazandaran. Longit. selon M. Petit de la Croix, 88. latit. 36. (D.J.)


SEMNONES(Géog. anc.) peuples de la Germanie, entre l'Elbe & l'Oder : Tacite, moeurs des Germ. c. xxxix. dit qu'ils se vantoient d'être les plus nobles d'entre les Sueves. Ces peuples étoient nombreux, & ils avoient jusqu'à cent bourgades ; l'Elbe & l'Oder ne leur servirent pas toujours de bornes ; ils s'étendirent dans la Misnie & dans la Pologne ; Velléius Paterculus, l. II. c. cvj. avoit parlé de ces peuples avant Tacite. Strabon & Ptolémée les ont aussi connus. (D.J.)

SEMNONES ou SENNONES, (Hist. anc.) peuple de l'ancienne Germanie, qui vint s'établir dans les Gaules, & qui habitoit le Lyonnois.


SEMNOTHÉES(Littérat.) nom que les Grecs donnerent aux druides, car c'est un mot grec plus que gaulois ; & quoi qu'en dise Varron, les Gaulois n'ont pas été puiser dans une langue étrangere, les noms de leurs prêtres & de leurs offices. Diogène Laërce, ainsi que Suidas, nous apprennent que l'épithete semnothées, donnée aux druides, désignoit la profession qu'ils faisoient d'honorer les dieux, & d'être consacrés à leur service, comme le nom de saronides faisoit allusion aux chênes auprès desquels ils passoient leur vie. Voyez l'hist. de la relig. des Gaul. tom. I. p. 175. (D.J.)


SEMOI LA(Géog. mod.) riviere des Pays-bas, dans le Luxembourg, où elle prend sa source près d'Arlon, & se rend dans la Meuse à l'abbaye de Valdieu, en Champagne. (D.J.)


SEMOIRS. m. (Economie rustique, Agricult.) machine avec laquelle on ensemence les terres. On en a inventé de différentes sortes ; celui que nous donnons réunit à une construction facile, la sureté de ses effets, & les différens avantages de tous ceux qui ont paru jusqu'à present ; l'objet que l'on se propose en se servant de ces machines, est d'économiser & de distribuer également les grains dont on ensemence les terres, & d'obtenir des recoltes plus abondantes.

La machine dont il s'agit, representée dans les Planches d'Agriculture, est composée d'un cylindre dont la surface est entaillée de plusieurs cellules dans lesquelles le grain se place, & dans lesquelles il est enlevé à mesure que ce cylindre tourne, pour être versé dans les sillons que les socs, dont cet instrument est armé, ont tracés dans la terre précédemment ameublie par les labours ordinaires, où il est aussitôt recouvert par des herses, ensorte qu'il ne devient point la proie des oiseaux.

La fig. 1. Pl. représente le semoir tout monté & en perspective, & la fig. 2. en est l'élévation latérale. A B D C, les deux brancards A D B C, les deux traverses qui les assemblent. Bg, Ch, les mancherons assemblés dans les extrêmités des brancards & reliés ensemble par un entretoisé CB, fig. 5. Les deux brancards sont aussi traversés par l'aissieu des roues, qui a la liberté de tourner avec une d'elles à laquelle il est fixé par la cheville de fer y. Sur les bouts antérieurs A & D des brancards, sont fixés plusieurs crochets de fer, aux uns ou aux autres desquels on attache les traits du cheval qui tire cette machine, selon que l'on veut qu'elle charge plus ou moins en arriere sur les brancards ; entre les mancherons & les roues est fixé solidement un coffre de bois, dans lequel est renfermé le cylindre dont on voit un des tourillons en k dans les faces latérales du coffre, qui sont fortifiées en cet endroit par une piece de bois circulaire, dont le tourillon occupe le centre.

Au dessous des brancards & du coffre est fixée solidement une forte planche, à laquelle sont fixés les six socs GH, dont on ne peut voir que deux dans la fig. 2. les trois socs G, que nous nommerons antérieurs, & les trois socs H, que nous nommerons postérieurs, étant cachés par les premiers de leurs rangées, ils sont disposés tous les six en échiquier, & espacés de maniere que les sillons qu'ils tracent parallelement sur le terrein, sont tous éloignés les uns des autres de six pouces ; les trois socs antérieurs tracent les sillons marqués par les trois lignes 1, 3, 5 ; & les socs postérieurs, ceux marqués par les lignes 2, 4, 6, fig. 5. & les trois dents de herse K L K, tracent d'autres sillons t u x, qui servent à combler les premiers, après que la semence y est tombée par les entonnoirs ou couloirs qui sont placés derriere les socs ; une seule dent de herse remplit à la fois deux sillons ; la dent L qui trace la ligne u rejette la terre dans les deux sillons 3, 4, & chacune des deux dents K K, qui décrivent les lignes t & x, la rejette dans les sillons 1, 2, 5, 6, ensorte que tout le grain que cette machine a repandu, est entierement couvert.

Le coffre qui contient le cylindre, est divisé par dix cloisons paralleles entr'elles & aux faces latérales du coffre ; l'espace, coté 1, fig. 5. & qui répond au-dessus du premier soc antérieur, à main droite, est occupé par la premiere partie du cylindre cellulaire K K ; ainsi de ceux cotés 2, 3, 4, 5, 6 ; les espaces intermédiaires sont seulement occupés par l'axe ou corps du cylindre, d'un moindre diametre que la surface cellulaire ; les cloisons dont on en voit une représentée séparément, fig. 10, s'appliquent exactement par leur plan, contre les bases des différentes tranches cylindriques 1, 2, 3, 4, 5, 6, aussi-bien que les deux faces intérieures des côtés du coffre, elles s'appliquent aussi par leur partie ceintrée, sur le corps du cylindre ; chacune des cloisons peut se placer ou se déplacer à volonté, étant mobiles, entre deux petites tringles de bois qui leur servent de coulisses, lesquelles sont placées contre les longs côtés du coffre.

Au milieu du cylindre, dans l'espace qui sépare les deux divisions 3, 4, est fixée une poulie polygone, dont on voit le profil en B, fig. 8, aussi-bien que d'une semblable poulie C, appartenant à l'aissieu des roues ; les nombres des côtés de ces poligones, doivent être pairs, & occupés alternativement par des chevilles de fer, de forme pyramidale quadrangulaire tronquée, comme on voit en a b c d, fig. 8. & 13 ; ces éminences servent à retenir la chaîne sans fin, qui embrasse les deux poulies C & B, par le moyen de laquelle le mouvement communiqué à l'axe des roues, est transmis au cylindre que le coffre renferme ; la face antérieure du coffre est percée de deux ouvertures inférieures, pour laisser entrer la chaîne, & la supérieure pour la laisser sortir ; on voit, fig. 6. le cylindre cellulaire, l'axe des roues, & la chaîne plate V N qui les embrasse, & dont la construction est détaillée plus en grand dans la fig. 13, même Planche.

La fig. 7. représente l'axe des roues ; M est une portée qui s'applique contre la face intérieure d'un des brancards ; M P est une partie de l'axe qui est quarrée, & sur laquelle glisse le verrouil représenté en A & B fig. 9. & en fig. 5. P. Q. partie arrondie de l'axe sur laquelle tourne la noix ; la grosseur de cette partie est telle qu'elle peut laisser passer le verrouil, c'est-à-dire égale au cercle inscrit dans la partie quarrée ; Qy, My, sont les parties de l'aissieu qui entrent dans les moyeux des roues ; la noix C & D, fig. 9. qui porte la petite poulie polygone C, fig. 8, peut tourner ou ne pas tourner avec l'axe, sur la partie P Q selon que les points 1, 2, 3, du verrouil, sont ou ne sont pas engagés dans les trous 4. 4. de la poulie, auprès de laquelle le verrouil s'approche en glissant sur la partie quarrée M P de l'axe. Dans la fig. 5. le verrouil est en prise dans la poulie de la noix P, ce qui fait qu'elle doit tourner avec l'axe des roues, & faire par conséquent, au moyen de la chaîne, tourner le cylindre cellulaire ; au-lieu que dans la fig. 6. les dents 1, 3, du verrouil n'étant point engagées dans les entailles de la poulie de la noix, il peut tourner sans que celle C tourne, & sans le cylindre cellulaire.

Pour pousser ou éloigner le verrouil de la poulie de la noix, on se sert du gouvernail F E T R, fig. 1, 2, 3, 4, 5, & 11. F l levier assemblé à charniere avec la piece E ; cette piece est percée d'un trou quarré qui reçoit l'axe de l'arbre vertical E T dont le collet supérieur est embrassé par une bride adhérente au couvercle du coffre ; le tourillon inférieur T roule dans un trou pratiqué à la face supérieure de la planche à laquelle les socs sont attachés ; T R, fig. 11. est une fourchette entre les branches de laquelle la gorge 6, 6, 7, fig. 6. & 9, est saisie, sans que cela l'empêche de tourner librement : lors donc que l'on pousse le pommeau F du gouvernail, à droite, l'extrêmité R de la fourchette pousse le verrouil contre la noix, & les pêles 1, 2, 3, étant entrés dans les gaches ou mortaises 4, 4, destinées à les recevoir, ces deux pieces sont alors fixées sur l'arbre, & obligées de tourner avec lui ; pour au contraire éloigner le verrouil, il suffit de pousser le pommeau F du gouvernail dans le sens opposé, c'est-à-dire de droite à gauche, & les pêles 1, 2, 3, étant sortis des gaches de la noix, celui-ci pourra continuer de tourner, sans que la noix ni la chaîne aient aucun mouvement, & la machine cessera de répandre la semence. Pour fixer le gouvernail dans l'un ou l'autre de ces deux états, il y a sur le couvercle du coffre, fig. 1. une piece de bois m n d'une longueur convenable, contre laquelle on appuie le gouvernail, ce qui assujettit le verrouil dans l'une ou l'autre situation ; c'est pour faciliter ce mouvement que l'on a fait la charniere l, qui permet de lever le gouvernail, pour le faire passer sur la piece m n ; cette charniere permet aussi d'élever le gouvernail assez haut pour pouvoir ouvrir le couvercle du coffre & verser du grain dans les trémies.

Tout ceci bien entendu, il reste à expliquer où on place la semence, & de quelle maniere elle sort de son réceptacle pour se répandre uniformément dans les sillons que les socs tracent à mesure que la machine avance ; c'est ce que les fig. 3. & 4. font voir ; la fig. 3. est une coupe longitudinale du semoir, par un plan qui passeroit par le milieu d'un des trois socs antérieurs ; & la fig. 4, une coupe semblable, mais par le milieu d'un des trois socs postérieurs ; dans l'une & l'autre figure, le cylindre cellulaire tourne du même sens, c'est-à-dire selon l'ordre des lettres d b e f p. d b e r s. a b est une petite planche qui fait le fond de la trémie ; elle est assemblée dans des rainures pratiquées dans les faces des cloisons qui regardent les cellules ; b d autre petite planche ceintrée, ou feuille de fer blanc, logée dans les entailles circulaires concentriques au cylindre, pratiquées dans les cloisons, fig. 10, ensorte que ces planches courbes puissent être mues concentriquement au cylindre, pour approcher ou éloigner leur extrêmité inférieure d à discrétion, du morceau de bois n qui est le fond de la trémie. On fixe ainsi cette piece par le moyen de la vis b qui la traverse, aussi-bien que la planche supérieure a b ; on remplit du grain que l'on veut semer, tout l'espace a b d, & le semoir est chargé ; le grain dont les trémies sont remplies, s'écoule par dessous l'extrêmité inférieure de la lame courbe b d, & remplit successivement les cellules du cylindre, à mesure qu'elles passent devant l'ouverture qui est entre la lame courbe & la piece n qui doit toucher le cylindre ; les cellules remplies de grain, montent par-dessous la lame courbe d b, & le versent du côté de e, dans l'entonnoir ou couloir e f p, fig. 3. e r s, fig. 4. attaché à la partie postérieure de chacun des socs par où il tombe dans le sillon que le soc a tracé, où il est aussi-tôt recouvert par la terre que les herses y repandent, comme il a été dit ci-dessus ; on voit par la fig. 3. que les socs antérieurs G sont fixés à la planche qui est au-dessous des brancards par un tenon & une clé x, & par la fig. 4. on voit que les socs postérieurs H y sont affermis par un tenon & un étrier de fer x, & que le couloir r s traverse leur masse : la partie antérieure des uns & des autres qui est arrondie, est garnie d'un sabot de forte taule, attaché avec plusieurs clous pour les conserver, ainsi que l'on peut voir dans toutes les figures.

La fig. 12. représente plus en grand, une des tranches cylindriques du cylindre cellulaire, où l'on voit la disposition des cellules dont la partie inférieure est plane, & la supérieure arrondie ; cette disposition étoit nécessaire pour que d'un côté elles ramassassent mieux le grain, & de l'autre, après qu'elles l'ont monté à la partie supérieure, elles le répandissent avec plus de facilité dans les couloirs destinés à le porter au fond des sillons.

La fig. 13. représente en grand la construction de la chaîne plate N V fig. 6. composée alternativement de maillons quarrés & vuides, & de maillons pleins ; les premiers sont des anneaux de fer, & les seconds des plaques de fortes taules, dont les extrêmités sont ployées en rond pour embrasser les parties transversales des maillons ou boucles quarrées qui sont arrondies ; la longueur des uns & des autres doit être égale aux côtés des polygones sur lesquels ils doivent s'appliquer ; on voit au-dessous le profil de trois des chevilles ou pyramides tronquées dont chacun des polygones est hérissé, & qui entrent successivement dans les maillons évuidés de la chaîne sans fin, ensorte que la noix fixée à l'aissieu des roues, par le verrouil, ne sauroit tourner sans entraîner nécessairement avec elle, le cylindre cellulaire distributeur de la semence, & dont le rapport de la vîtesse à la vîtesse des roues, est le même que celui du nombre des côtés du polygone fixé sur leur aissieu au nombre des côtés du polygone fixé sur le cylindre ; c'est-à-dire dans la figure comme 12 à 20. ainsi il faut que les roues fassent vingt tours, pour en faire faire douze au cylindre.


SEMONS. m. (Mythol.) Voyez SEMONES.


SEMONCES. f. (Gram.) invitation qu'on fait à des parens d'assister à une noce, à un enterrement, &c.

Il se disoit autrefois de toutes convocations de personnes ou d'assemblées à cri public, comme pour le ban, l'arriere-ban, les états, &c. De-là, le verbe semondre, & le substantif semoneur.


SEMONES(Mythol.) dii semones ; c'est ainsi qu'on appelloit chez les Romains des dieux fort inférieurs aux dieux célestes ; c'étoient des dieux qui tenoient comme le milieu entre les dieux du ciel & les dieux de la terre. Ils faisoient leur séjour dans l'air, parce que n'ayant pas le mérite nécessaire pour être élus dieux du ciel, ils en avoient un peu trop aussi pour n'être que de simples dieux de la terre. On mettoit au nombre des dieux semones, les Satyres, les Faunes, Pan, Janus, Priape, Vertumne, & beaucoup d'autres, & même Mercure.

On a souvent donné l'épithete de semo au dieu Sancus. On ordonna, dit Tite Live, l. VIII, que la maison de Vitruvius, située sur le mont Palatin, seroit demolie, & que ses biens seroient consacrés au dieu Semo-Sancus. Voyez SANCUS.

J'ajoute seulement que la ressemblance qui se trouve entre semo & simo, fit tomber Justin martyr dans une méprise ridicule. Ce pere grec n'étant pas assez instruit de la religion & de la langue des Romains, s'imagina sur quelques inscriptions de Semo-Sancus, qu'elles regardoient Simon le magicien ; alors s'abandonnant à son zele, il reprocha violemment aux Romains, d'admettre parmi leurs dieux un imposteur avéré, qu'ils ne connoissoient pas même de nom. Plusieurs autres peres entraînés par l'autorité de Justin martyr, adopterent la même erreur. (D.J.)


SEMOTTES. f. (Jardinage) se dit en parlant des nouvelles productions des choux pommés à qui on a coupé la tête, sans en arracher le pié. Ces rejettons sont bons à manger, & donnent la semence de cette plante, d'où elle a pris le nom de semotte, à semine. Il ne faut pas confondre ces semottes de choux avec le brocoli. Voyez BROCOLI.


SEMOULES. f. (Gram. & Cuis.) pâte faite de la plus fine farine, pétrie avec le lait ou l'eau, & réduite en petits grains, de la grosseur de celui de la moutarde.


SEMPACH(Géog. mod.) ville de Suisse, au canton de Lucerne, sur le bord oriental du lac de Sursée. C'est sous ses murs que se donna le 9 Juillet 1386, la bataille entre les cantons Suisses & l'archiduc Léopold qui y fut vaincu & tué. Aussi Sempach jouit encore aujourd'hui de grands privileges, car elle a son avoyer, sa police, & son conseil ; le bailli n'étend sa jurisdiction que sur le lac. Long. 25, 48. latit. 47. 10. (D.J.)


SEMPARENTAONS. m. (Hist. nat. Bot.) racine des Indes orientales, qui est d'une amertume extrême ; quoique très-commune, elle a de puissans effets contre un grand nombre de maladies.


SEMPECTES. m. (Ordr. Monastiq.) nom de dignité chez les religieux. Ingulphe dans son histoire de l'abbaye de Croyland, dit qu'il a tiré les choses qu'il rapporte de cinq religieux sempectes, &c. M. Bernard parlant après Ingulphe, observe que ces sempectes étoient des gens qui ayant vécu l'espace de cinquante ans dans la profession monastique, étoient distingués des autres moines par ce titre honorable, & par de fort grands privileges. Trévoux. (D.J.)


SEMPITERNES. f. (Draperie) espece d'étoffe de laine croisée, dont la qualité a du rapport à celle d'une serge de Sommieres, de laquelle le poil n'a point encore été tiré ; elle se fabrique ordinairement en Angleterre, particulierement à Colchester, à Excester, & aux environs ; elle a trois quarts de large, & à-peu-près vingt aunes de long. Dict. du Comm. (D.J.)


SEMPITERNELadj. (Gram.) qui a l'éternité antérieure & postérieure.


SEMPITERNELLES. f. (Fabrique de lainage) c'est une espece de sempiterne, mais moins fine ; il ne s'en fait guere qu'en Angleterre. Les Anglois en envoyent en Espagne année commune pour quatre cent mille livres, qui passent presque toutes aux Indes occidentales. (D.J.)


SEMPLES. m. instrumens du métier d'étoffe de soie. Le semple est composé d'un nombre de ficelles, proportionné au genre & à la réduction de l'étoffe que l'on veut fabriquer ; ces ficelles tiennent chacune par un bout à un oeil de perdrix (Voyez OEIL DE PERDRIX), au-travers duquel passe une corde de rame, (Voyez RAME) & sont attachées par le bas à un bâton, qu'on appelle bâton de semple.


SÉMUR(Géog. mod.) en latin vulgaire Semurium, & Senemurium ; ville de France en Bourgogne, sur la riviere d'Armançon, à sept lieues d'Avalon, à 13 de Dijon, & à 8 d'Autun. Elle est capitale de l'Auxois, & a dans son enceinte trois différentes clôtures de murailles, qui font voir qu'elle a été bâtie à trois différentes reprises. La premiere enceinte porte le nom de bourg, & est proprement la ville. La seconde est le donjon, & la troisieme est le château.

Louis XI s'empara de Sémur après la mort du dernier duc de Bourgogne, & depuis ce tems-là elle a été réunie à la couronne de France. Elle est gouvernée par un majeur, six échevins, & un procureur ; mais il y a prevôté royale, présidial, grenier à sel, maréchaussée, & plusieurs couvens. Son commerce consiste en blé & en bestiaux. C'est la seule ville de Bourgogne qui demeura fidele au roi pendant la ligue. Henri IV par reconnoissance, y convoqua les états généraux de la province en 1590, & y transféra en 1590 le parlement de Dijon, qui y tint ses séances jusqu'à la paix. Long. 21, 43. latit. 47, 25.

Cette ville a donné la naissance à deux hommes célebres, chacun dans leur genre, Fevret, & Saumaise.

Fevret (Charles), naquit à Sémur en 1583, & mourut à Dijon en 1661. Son savant traité de l'abus, parut en 1653, & lui fit une grande réputation. On a réimprimé depuis plusieurs fois cet ouvrage, dont la meilleure édition avec des commentaires, est celle de Lyon en 1756, 2 vol. in-fol.

Saumaise (Claude de), né à Sémur en 1588, & mort à Spa en 1653, étoit un homme d'une érudition si prodigieuse, que je n'ai pas besoin de parler des savans commentaires qu'il a mis au jour sur les écrivains de l'histoire d'Auguste, sur Solin, sur Tertullien de Pallio, &c. Je dirai seulement, que sa religion l'empêcha de parvenir en France aux charges qu'il devoit remplir, & qu'il se retira à Leyde, où il vécut libre & admiré, ayant été décoré du titre de professeur honoraire de cette académie. Il avoit eu en France un brevet de conseiller d'état qu'on lui avoit donné pour son mérite, & comme fils d'un homme illustre, Benigne Saumaise, qui mourut doyen du parlement de Dijon en 1540. Il fit un voyage à Stockholm, où il avoit été appellé par la reine Christine, & il demeura un an à sa cour. Sa vie est au-devant de ses épîtres, & elle est plus vraie que les petites anecdotes du Ménagiana. (D.J.)

SEMUR en Briennois, (Géog. mod.) petite ville de France en Bourgogne dans l'Autunois, à un mille de la Loire, & à 4 lieues de Rouane. Il y a un bailliage, un grenier à sel, mairie & grurie ; c'est la vingtieme ville qui députe aux états ; son territoire est assez fertile en blé, en vin. Long. 21. 47. latit. 46. 1. (D.J.)


SEMYDAS. m. (Botan. anc.) nom d'un arbre mentionné par Théophraste, & que Gaza a traduit par le mot latin betula, en françois bouleau. C'est certainement une erreur ; car ni la description de Théophraste, ni l'usage qu'il lui assigne ne peuvent convenir à notre bouleau ; ce qui est encore certain, c'est que le semyda de Théophraste nous est inconnu. (D.J.)


SENS. m. (Mesure de longueur) mesure de distance dont on se sert dans le royaume de Siam. Quatre sen fond le jod, & vingt-cinq jods la roe-neug, c'est-à-dire la lieue siamoise, qui contient un peu moins que deux mille de nos toises. (D.J.)


SEN-KIS. m. (Médecine) maladie particuliere au Japon, & si commune dans ce pays, qu'il n'y a presque personne qui n'en ait ressenti les atteintes. Le siege de cette maladie est dans les muscles & dans les intestins du bas-ventre ; elle y cause des tiraillemens & des douleurs insupportables, surtout dans les aines & dans les parties voisines, où souvent il se forme des tumeurs & des abscès. Ce mal cruel est causé par l'usage immodéré du sacki qui est une biere très-forte faite avec le ris.


SENA(Géog. anc.) 1°. île de la mer Britannique près de la côte des Osismiens. Pomponius Méla, liv. III. ch. vj. dit que les Gaulois avoient dans cette île un oracle célebre. On n'y voit aujourd'hui rien de remarquable. Elle est à l'opposite de la ville de Brest.

2°. Fleuve d'Italie dans l'Umbrie, entre le Metaurus & le Misus. Silius Italicus, lib. VIII. v. 455. après avoir nommé quelques fleuves, dit :

Et Clanis, & Rubico, & Senonum de nomine Sena.

C'est ainsi qu'il faut lire ; car il est question dans cet endroit de fleuves & non de villes ; encore moins cela regarde-t-il la ville de Sena en Toscane. Lucain, lib. II. v. 406. écrit Sena :

Et junctus Sapis Isauro

Sena que, & Hadriacas qui verberat aufidus undas.

Cluvier dit que c'est aujourd'hui le Césano, qui coule quatre milles au-dessus de Sinigaglia ; car le fleuve qui arrose Sena, Gallica ou Senogallia est appellé Misus dans la table de Peutinger, & à-présent Misa par quelques-uns, quoiqu'on le nomme assez communément Nigola.

3°. Sena-Gallica, ville d'Italie dans l'Umbrie. Ptolémée, liv. III. c. j. la donne aux peuples Senones, de qui elle tiroit son nom.

4°. Sena - Julia, ville d'Italie dans l'Etrurie, à l'orient d'été de Volaterrae ; c'est aujourd'hui la ville de Sienne. (D.J.)


SENABRIALAC, (Géog. mod.) ou lac Sanabria ; lac d'Espagne au royaume de Léon, au midi d'Astorga. Sa longueur est d'une lieue, & sa largeur de demi-lieue. Il est formé par la riviere de Tera, & appartient à des moines. (D.J.)


SÉNACULES. m. (Antiq. rom.) senaculum ; lieu où se tenoit le sénat de Rome. Il y avoit trois sénacules, ou trois endroits où ce corps illustre s'assembloit ; l'un entre le capitole & le forum, un autre à la porte Capène, & le troisieme près du temple de Bellone dans le cirque Flaminien. L'empereur Héliogabale fit bâtir un lieu pour l'assemblée des dames, & ce lieu fut appellé senaculum matronarum. (D.J.)


SÉNAGES. m. (impôt de France) droit qui se paye en quelques lieux de Bretagne, particulierement à Nantes sur le poisson de mer frais venant de la mer, entrant & passant le trepas de S. Nazaire, à commencer depuis le premier jour de carême jusqu'à la vigile de Pâques. (D.J.)


SÉNAT ROMAIN(Gouvern. de Rome) temple de sainteté, de majesté, de sagesse, la tête de la république, l'autel des nations alliées de Rome, l'espoir & le réfuge de tous les autres peuples ; c'est Cicéron qui donne cette belle définition du sénat dans son oraison pour Milon. Voici ses propres paroles : templum sanctitatis, amplitudinis, mentis, consiliique publici Romani, caput orbis, ara sociorum, portusque omnium gentium.

Tel étoit en effet ce corps respectable dans son institution, & sous les beaux jours de la république. Nous allons indiquer quelle fut son origine, sa constitution, sa jurisdiction, sa puissance, les lieux où il s'assembloit, le tems de la durée de ses assemblées.

Les citoyens qui composoient le sénat se nommoient sénateurs ; nous détaillerons, sous ce mot, leur nombre, leurs devoirs, leur état, leur rang, leurs honneurs & leur dignité.

Les délibérations, ou les decrets qu'ils rendoient, s'appelloient sénatus-consultes. Voyez SENATUS-CONSULTE.

Le sénat comprenoit la noblesse & le sacerdoce ; il comprenoit la noblesse, & Tacite l'appelle seminarium omnium dignitatum, quoique la plûpart des questeurs & des tribuns qui y étoient admis, à raison de la magistrature qu'ils avoient exercée, étoient souvent tirés des familles plébéïennes. Le sénat comprenoit aussi le sacerdoce ; c'est-à-dire que quoique les ministres de la religion ne fussent pas membres de ce corps, à l'exception du flamine Dial, ils pouvoient être sénateurs & devenir pontifes, augures & flamines. Ils ajoutoient dans ce cas à leurs titres le caractere de sénateurs.

L'opinion commune est que sous les rois de Rome, l'élection & le choix de tous les sénateurs, dépendoit uniquement de la volonté du prince, sans que le peuple eût droit d'y prendre part directement ou indirectement ; que les consuls qui succéderent au pouvoir des rois, eurent la même prérogative jusqu'à la création des censeurs qui depuis jouirent du droit particulier de nommer les membres du sénat, ou de les priver de ce rang. M. Middleton pense au contraire que les rois, les consuls, les censeurs agissoient dans cette affaire en qualité de ministres, & subordonnément à la volonté suprême du peuple, en qui le pouvoir absolu de créer les sénateurs a toujours résidé. Nous croyons aussi cette opinion la plus vraisemblable, parce qu'elle est fondée sur l'autorité de Denys d'Halicarnasse, qui s'est donné la peine d'écrire pour l'instruction des étrangers, & d'expliquer en antiquaire exact, ainsi qu'en historien fidele, le gouvernement civil de Rome & l'origine de ses loix.

Ce célebre auteur nous assure que quand Romulus eut formé le projet de composer un sénat qui devoit être de cent sénateurs, il se reserva seulement l'élection du premier ou du président de l'assemblée, & qu'il laissa l'élection des autres au peuple, puisqu'elle se fit par les suffrages, & de l'avis des tribus & des curies.

Le même Denys nous apprend que depuis l'alliance faite entre Romulus & Tatius roi des Sabins, le nombre des sénateurs fut doublé par l'addition de cent nouveaux membres que l'on prit des familles des Sabins, & que le peuple les choisit dans l'ancienne & même forme.

Lorsque sous le regne de Tullus Hostilius la ville d'Albe fut démolie, quelques-unes des familles de cette cité furent également inscrites dans le sénat ; Tite-Live en compte six ; mais ce qu'il y a de plus probable, & que l'on doit supposer, c'est qu'il n'entra dans le sénat que le nombre d'albains nécessaire pour remplir les places vacantes, afin que ce corps fût complet, & qu'il se trouvât fixé à 200 personnes, ce qui ne fut point fait sans le consentement du sénat & du peuple.

La derniere augmentation du sénat, sous le regne des rois, fut faite par Tarquin l'ancien. Il ajouta cent nouveaux membres à ce corps, & il les tira des familles plébéïennes. Il porta le nombre des sénateurs jusqu'à 300, au rapport de Tite-Live : ce prince en agit ainsi dans les vues d'un intérêt particulier, & pour s'assurer une faction puissante dans la personne des nouveaux sénateurs ses créatures.

Depuis l'expulsion des rois jusqu'à l'établissement de la censure, c'est-à-dire pendant un intervalle de plus de 60 ans, nous ignorons de quelle maniere on remplissoit les places vacantes des sénateurs ; mais s'il est vrai que le sénat commença dès-lors à être renouvellé par les magistrats annuels, qui vers ce même tems furent choisis par le peuple, c'est qu'il y avoit deux questeurs pris dans les familles patriciennes, cinq tribuns du peuple, & deux édiles plébéïens, qui en vertu de leurs charges, eurent l'entrée du sénat, & compléterent les places qui vaquoient ordinairement dans ce corps.

Dans le cas des vuides extraordinaires occasionnés par les malheurs de la guerre du dehors, les dissentions domestiques ou autres accidens, le sénat avoit besoin d'une augmentation plus considérable que celle qu'il pouvoit tirer des magistratures publiques. Or pour remplir les places vacantes dans de tels cas, il est vraisemblable que les consuls choisissoient dans l'ordre équestre un certain nombre de citoyens d'une probité reconnue qu'ils proposoient au peuple dans les assemblées générales, pour en faire l'élection, ou pour l'approuver ; & le peuple de son côté, pour autoriser la liste qu'on lui présentoit, donnoit à ceux qui y étoient nommés, le rang & le titre de sénateurs à vie.

Lorsque la censure fut établie, l'an de Rome 311, pour soulager les consuls du poids de leur administration, & pour examiner les moeurs de tous les citoyens, plusieurs sénateurs furent chassés du sénat par les censeurs, presque toujours pour des raisons justes ; quelquefois cependant par un esprit d'envie, ou par un motif de vengeance : mais dans des circonstances de cette espece, on avoit toujours la liberté d'appeller de ce jugement à celui du peuple ; de sorte que le pouvoir des censeurs, à proprement parler, n'étoit pas celui de faire des sénateurs, ou de les priver de leur rang, mais seulement d'inscrire ceux que le peuple avoit choisis, de veiller sur leur conduite, & de censurer leurs défauts, objets sur lesquels ils avoient reçu du peuple une jurisdiction expresse. Cet usage de censurer les moeurs paroît fondé sur une ancienne maxime de la politique romaine, qui exigeoit que le sénat fût exempt de toute tache, & que les membres de ce corps donnassent un exemple de bonnes moeurs à tous les autres ordres de l'état.

Après avoir parlé de la création du sénat & de la maniere d'en remplir les places vacantes, il faut faire connoître le pouvoir & la jurisdiction de cet illustre corps. Les anciens auteurs qui ont traité des actions publiques, s'accordent tous à dire que le sénat donnoit son attache ou decrétoit, & que le peuple ordonnoit ou commandoit tel ou tel acte. Ainsi puisque rien de ce qui regardoit le gouvernement ne pouvoit être porté devant le peuple avant qu'il n'eût été examiné par le sénat : dans plusieurs autres occasions où la célérité & le secret étoient requis, & lorsque les décisions de ce corps étoient si justes & si prudentes, que le consentement du peuple pouvoit le présumer ; dans ces occasions, dis-je, le sénat ne prenoit pas le soin de convoquer le peuple, de peur de le déranger de ses affaires particulieres en le rassemblant inutilement ; & ce qui dans les premiers tems n'avoit eu lieu que pour des affaires de peu de conséquence, fut observé dans les suites lors des affaires les plus sérieuses & les plus importantes. Le sénat acquit donc ainsi une jurisdiction particuliere, & la connoissance de quelques matieres à l'exclusion du peuple, dont le pouvoir absolu s'étendoit sur tout, suivant les loix & la constitution du gouvernement ; par exemple :

1°. Le sénat prit pour lui l'inspection & la surintendance de la religion, desorte qu'on ne pouvoit admettre quelque nouvelle divinité ; ni leur ériger d'autel, ni consulter les livres sibyllins sans l'ordre exprès du sénat.

2°. L'une des prérogatives de ce corps fut de fixer le nombre & la condition des provinces étrangeres, qui tous les ans étoient assignées aux magistrats ; c'étoit à lui de déclarer quelles de ces provinces étoient les consulaires, & quelles étoient les prétoriennes.

3°. Le sénat avoit entre ses mains la distribution du trésor public. Il ordonnoit toutes les dépenses du gouvernement ; il assignoit les appointemens des généraux, déterminoit le nombre de leurs lieutenans, de leurs troupes, des fournitures, des munitions & des vêtemens de l'armée. Il pouvoit, à sa volonté, confirmer ou casser les ordonnances des généraux, & prendre au trésor l'argent nécessaire pour les triomphes qu'il avoit accordés ; en un mot, le sénat avoit l'autorité dans toutes les affaires militaires.

4°. Il nommoit les ambassadeurs que Rome envoyoit, & fournissoit les secours nécessaires aux peuples indigens. Il ordonnoit la maniere dont on devoit recevoir & renvoyer les ministres étrangers, & rédigeoit ce qu'on devoit leur dire ou leur répondre, desorte que pendant l'absence des consuls la république parut toujours gouvernée par le sénat. Il pouvoit, au bout de l'an, prolonger le commandement aux consuls, & le donner à d'autres. Tiberius Gracchus voulant diminuer l'autorité du sénat, fit passer la loi que dans la suite le sénat ne pourroit pas permettre que personne gouvernât plus d'un an une province consulaire. Mais il semble que les Gracches augmenterent par ce moyen plutôt qu'ils ne diminuerent l'autorité du sénat, puisque par la loi sempronia, dont parle Cicéron, Caïus Gracchus statua que le gouvernement des provinces seroit toujours donné annuellement par le sénat.

5°. Il avoit le droit d'ordonner des prieres publiques, des actions de graces aux dieux pour les victoires obtenues, ainsi que le droit de conférer l'honneur de l'ovation ou du triomphe, avec le titre d'empereur aux généraux victorieux.

6°. Une de ses affaires & de ses soins étoit d'examiner les délits publics, de rechercher les félonies ou les trahisons, tant à Rome que dans les autres parties de l'Italie, de juger les contestations entre les alliés & les villes dépendantes. Cependant quand il s'agissoit de juger des crimes capitaux, le sénat ne se croyoit pas le seul juge. En effet, lors du sacrilege de Clodius, quand les mysteres de la bonne déesse furent profanés, les consuls demanderent la jonction du peuple pour décider de cette affaire ; & il fut déterminé par un senatus-consulte que Clodius ne pouvoit être jugé que par les tribus assemblées.

7°. Il exerçoit non-seulement le pouvoir d'interpréter les loix, mais encore de les abroger, & de dispenser les citoyens de les suivre.

8°. Dans le cas des dissentions civiles, des tumultes dangereux de l'intérieur de Rome, & dans toutes les affaires très-importantes, le sénat pouvoit accorder aux consuls un pouvoir illimité pour le gouvernement de la république, par cette formule que César appelle la derniere ressource de l'état, que les consuls eussent soin qu'il n'arrivât aucun dommage à la république. Ces paroles donnoient une telle autorité aux consuls, qu'ils étoient en droit de lever des troupes comme bon leur sembleroit, faire la guerre, & forcer les sénateurs & le peuple ; ce qu'ils ne pouvoient pas exécuter, au rapport de Salluste, sans la formule expresse dont nous venons de parler.

9°. Le sénat étoit le maître de proroger ou de renvoyer les assemblées du peuple, d'accorder le titre de roi à quelque prince, ou à ceux qu'il lui plaisoit de favoriser. C'étoit à ce corps de déférer les actions de graces ou les éloges à ceux qui les avoient mérités ; le pardon & la récompense aux ennemis, ou à ceux qui avoient découvert quelque trahison ; il avoit le droit de déclarer quelqu'un ennemi de la patrie, & de prescrire un changement général d'habits dans le cas de quelque danger, ou de quelque malheur pressant.

10°. Tels étoient les principaux chefs dans lesquels le sénat avoit constamment exercé une jurisdiction particuliere à l'exception du peuple. Ce n'étoit pas en conséquence de quelque loi expresse ; mais en se conformant aux coutumes & aux anciens usages qui avoient eu lieu dès les premiers tems ; & comme on éprouvoit, par une longue expérience, que c'étoit la maniere la plus utile de régler les affaires publiques, & la plus convenable pour maintenir la tranquillité & le bonheur des citoyens, cette jurisdiction fut, du consentement tacite du peuple, laissée entre les mains du sénat, bien plus comme une chose de convenance que de droit. Ainsi, dans l'objet du bien public, cet usage fut plutôt approuvé & toléré qu'il ne fut accordé.

Mais toutes les fois qu'un tribun entreprenant, ou que quelque magistrat factieux mécontent d'obtenir selon l'usage les dignités de la république, que le sénat étoit disposé à lui accorder, se déterminoit à recourir à l'autorité du peuple, pour obtenir quelque distinction particuliere ; dans ce cas, le peuple excité par les intrigues & l'artifice de ces hommes factieux qui se déclaroient leurs chefs, cherchoit à reprendre les différentes parties de cette jurisdiction dont j'ai parlé, & qui avoit toujours été administrée par le sénat. Depuis que cette méthode avoit été employée avec succès dans quelques cas, elle devint insensiblement le recours de tous ceux qui, pour satisfaire leur ambition, affectoient un caractere de popularité. Elle fut portée si loin à la fin, que le sénat fut dépouillé de tout son pouvoir & de toute l'influence qu'il avoit dans les affaires publiques.

Passons à la convocation & aux lieux d'assemblées du sénat.

Le sénat étoit toujours convoqué par le dictateur lorsqu'on le créoit dans quelque conjoncture critique ; mais dans tous les autres cas, le droit de convoquer le sénat appartenoit aux consuls, suprêmes magistrats de la république. Dans leur absence, ce droit étoit dévolu, selon les loix, aux magistrats subordonnés, tels que les préteurs & les tribuns. Il est vrai que ces derniers se croyoient fondés à convoquer le sénat dans quelque tems que ce fût, & lorsque les intérêts du peuple le requéroient ; mais malgré cette prétention, par respect pour l'autorité consulaire, on ne convoqua jamais de cette maniere le sénat, que lorsque les consuls étoient absens ; à moins que ce ne fût dans des affaires d'importance & dans des cas imprévus, où il falloit prendre une promte détermination. Enfin, lorsque les décemvirs, les entre-rois ou les triumvirs furent établis pour gouverner la république, ce n'étoit qu'à eux qu'il appartenoit de convoquer le sénat, comme Aulugelle le rapporte après Varron.

Dans les premiers tems de Rome, lorsque l'enceinte de la ville étoit peu considérable, les sénateurs étoient appellés personnellement par un appariteur, ou par un courier, quelquefois par un crieur public, quand les affaires exigeoient une expédition immédiate. Mais dans les tems postérieurs, on les convoquoit d'ordinaire par le moyen d'un édit qui assignoit le tems & le lieu de l'assemblée, & que l'on publioit quelques jours auparavant, afin que la connoissance & la notoriété en fussent publiques. Ces édits n'avoient communément lieu que pour ceux qui résidoient à Rome, ou qui en étoient peu éloignés. Cependant quand il s'agissoit de traiter quelque affaire extraordinaire, il paroît qu'ils étoient aussi publiés dans les autres villes d'Italie. Si quelque sénateur refusoit ou négligeoit d'obéir à l'appel, le consul l'obligeoit de donner des sûretés pour le payement d'une certaine somme, au cas que les raisons de son absence ne fussent point reçues. Mais dès que les sénateurs étoient parvenus à l'âge de soixante ans, ils n'étoient plus assujettis à cette peine, & ils n'étoient plus obligés de se rendre dans les assemblées, que lorsqu'ils le vouloient bien.

Dans les anciens tems, au rapport de Valérius, les sénateurs étoient si occupés du bien public, que sans attendre un édit, ils étoient dans l'habitude de se rassembler d'eux-mêmes sous un certain portique près le palais du sénat, d'où ils pouvoient s'y rendre promtement, dès que le consul étoit arrivé. Ils croyoient à peine digne d'éloge leur attention à s'acquiter des devoirs de leur état & de leurs obligations envers la patrie, si ce n'étoit volontairement & de leur propre gré, & s'ils attendoient le commandement d'autrui, ou l'intimation qui leur en seroit faite. Mais où s'assembloient-ils ?

Les anciens Romains, pleins de religion & de vertu, avoient coutume d'assembler le sénat dans un lieu sacré dédié aux auspices, afin que la présence de la divinité servît à faire rentrer en eux-mêmes ceux qui songeroient à s'écarter des regles de la probité. Romulus le convoquoit hors de la ville dans le temple de Vulcain, & Hostilius dans la curie Hostilienne. Nous lisons, dans les anciens auteurs, qu'après l'expulsion des rois, le sénat s'assembloit tantôt dans les temples de Jupiter, d'Apollon, de Mars, de Bellone, de Castor, de la Concorde, de la Vertu, de la Fidélité, & tantôt dans les curies Hostilienne & Pompéïenne, dans lesquelles les augures avoient fait bâtir des temples pour cet effet. Tous ces temples formoient les lieux d'assemblée du sénat. Voyez TEMPLES des assemblées du sénat.

Il y avoit des tems marqués pour assembler le sénat, savoir les calendes, les nones & les ides, excepté les jours des comices, pendant lesquels on traitoit avec le peuple. Dans ces jours-là, la loi Papia défendoit d'assembler le sénat, afin que les sénateurs ne fussent point distraits dans leurs suffrages ; mais suivant la loi Gabinia, les sénateurs devoient s'assembler pendant tout le mois de Février pour répondre aux gouverneurs de provinces & recevoir les ambassadeurs. Lorsque le sénat s'assembloit dans les jours fixes marqués ci - dessus, on l'appelloit le vrai sénat ; lorsqu'il s'assembloit hors de ce tems - là, & extraordinairement pour traiter de quelque affaire de conséquence & inopinée, on le nommoit sénat convoqué ; & il l'étoit alors par le premier magistrat. De-là cette distinction de sénat ordinaire & de sénat convoqué, que nous lisons dans Capitolin, cité par Gordianus.

Le sénat, selon l'usage, s'assembloit toujours le premier de Janvier, pour l'inauguration des nouveaux consuls, qui prenoient alors possession de leurs charges. Il s'assembloit aussi quelques autres jours du même mois, selon les anciens auteurs, & il n'y avoit d'exceptés, qu'un ou deux jours de ce mois jusqu'au quinzieme. La derniere partie de Janvier étoit probablement destinée pour les assemblées du peuple ; le mois de Février étoit reservé tout entier par l'ancien usage au sénat, pour donner audience aux ambassadeurs étrangers ; mais dans tous ces mois généralement, il y avoit trois jours qui paroissent avoir été destinés d'une façon plus particuliere aux assemblées du sénat. Ces trois jours étoient les calendes, les nones & les ides ; c'est ce qu'on préjuge des fréquentes assemblées tenues dans ces jours, & qui sont rapportées dans l'histoire ; mais dans la suite des tems Auguste ordonna, par une loi, que le sénat ne pût régulierement s'assembler que deux jours du mois, les calendes & les ides.

On n'assembloit que très - rarement le sénat pendant les fêtes publiques, destinées à des jeux, & consacrées aux pompes de la religion, telles que les saturnales, que l'on célébroit dans le mois de Décembre, & qui duroient plusieurs jours consécutifs. Cicéron, lorsqu'il rapporte les disputes élevées dans le sénat en présence de deux cent sénateurs, appelle l'assemblée tenue dans cette occasion, une assemblée plus nombreuse qu'il n'auroit cru qu'elle dût l'être, lorsque les jours saints étoient déja commencés.

Le sénat, dans ses jours d'assemblée, ne mettoit sur le tapis aucune affaire avant le jour, & ne la terminoit point après le coucher du soleil. Toute affaire proposée & conclue avant ou après ce tems, étoit nulle & sujette à cassation, & celui qui l'avoit proposée étoit soumis à la censure ; desorte que ce fut une regle stable, qu'on ne proposât aucune affaire dans le sénat après la quatrieme heure de l'après-dînée ; ce qui fait que Cicéron censure certains décrets prononcés par Antoine dans son consulat, comme rendus trop avant dans la nuit, & qui par cette raison n'avoient aucune autorité.

On voit cependant un exemple d'une assemblée du sénat tenue à minuit, l'an de Rome 290, à cause de l'arrivée d'un exprès envoyé par l'un des consuls, pour informer le sénat qu'il se trouvoit assiégé par les Eques & les Volsques, dont les forces étoient supérieures, & qu'il risquoit de périr avec toute son armée, si on ne lui envoyoit un promt secours ; ce qui lui fut accordé tout de suite par un decret. C'est Denys d'Halicarnasse, l. IX. c. lxiij. qui le dit.

Le sénat étant assemblé, le lecteur sera sans-doute bien aise de savoir la méthode que cette compagnie célebre observoit dans ses délibérations.

Il faut d'abord se représenter qu'à la tête du sénat étoient placés le dictateur & les consuls dans des siéges distingués, élevés, ainsi que nous le croyons, de quelques degrés au-dessus des autres bancs. Par égard pour la dignité de ces premiers magistrats, lorsqu'ils entroient dans la curie, tous les sénateurs étoient dans l'usage de se lever de leurs siéges. Le préteur Décius ayant manqué à ce devoir, un jour que le consul Scaurus passoit près de lui, ce consul le punit d'avoir méprisé sa dignité, & ordonna qu'on ne plaideroit plus à son tribunal.

Manuce croit que les magistrats inférieurs étoient placés à côté les uns des autres, au-dessous des siéges des consuls, chacun suivant son rang ; les préteurs, les censeurs, les édiles, les tribuns & les questeurs.

Il est toujours vrai que les sénateurs sur leurs siéges, gardoient entr'eux un ordre de préséance, pris de la dignité de la magistrature qu'ils avoient auparavant remplie. Lorsque Cicéron en parle, il indique cet ordre. C'étoit aussi celui que gardoient les magistrats en se plaçant, & lorsqu'il s'agissoit de proposer leur opinion, chacun dans son rang & à son tour.

Quelques savans conjecturent que les édiles, les tribuns & les questeurs, étoient assis sur des bancs séparés ; avec cette différence, que ceux des magistrats curules étoient un peu plus élevés que les autres. Il semble que Juvenal indique cette différence dans sa satire jx. 52. contre celui qui veut faire voir qu'il a une dignité curule. Ces bancs étoient en quelque sorte semblables à nos petites chaises sans dossier. Suétone, dans sa vie de Claude, c. xxiij. dit que quand cet empereur avoit quelque grande affaire à proposer au sénat, il s'asseyoit sur un banc des tribuns, placé entre les chaires curules des deux consuls. Mais il falloit aussi qu'il y eût d'autres bancs longs, de maniere que plusieurs sénateurs pouvoient s'y placer ; car Cicéron rapporte, dans ses épit. famil. iij. 9. que Pompée appelloit les décisions du sénat, le jugement des longs bancs, pour le distinguer des tribunaux particuliers de justice.

Indépendamment de la diversité des bancs, & des places assignées à chaque ordre de sénateurs, l'un des membres de ce corps auguste étoit toujours distingué des autres par le titre de prince du sénat. Cette distinction, qui avoit commencé sous les rois, eut lieu dans tous les tems de la république. On voulut conserver cette premiere forme établie par le fondateur de Rome, qui s'étoit reservé en propre le choix & la nomination du principal sénateur, qui, dans son absence & dans celle des rois, devoit présider dans cette assemblée ; le titre de prince du sénat étoit dans les regles, & par voix de conséquence donné à celui dont le nom étoit placé le premier dans la liste de ce corps, toutes les fois que les censeurs la renouvelloient. On eut attention de le donner toujours à un sénateur consulaire, qui avoit été revêtu de la dignité de censeur. On choisissoit l'un de ceux que sa probité & sa sagesse rendoient recommandable ; & ce titre étoit tellement respecté, que celui qui l'avoit porté étoit appellé de ce nom par préférence à celui de quelque autre dignité que ce fût, dont il se seroit trouvé revêtu. Il n'y avoit cependant aucun droit lucratif attaché à ce titre, & il ne donnoit d'autre avantage, qu'une autorité qui sembloit naturellement annoncer un mérite supérieur dans la personne de ceux qui en étoient honorés. Mais voyez PRINCE DU SENAT.

Le sénat étant assemblé, les consuls ou les magistrats qui en avoient fait la convocation par leur autorité, prenoient avant tout les auspices, & après avoir rempli les devoirs ordinaires de la religion par des sacrifices & des prieres, ils étoient dans l'usage de déclarer le motif de la convocation de cette assemblée, & de proposer les matieres des délibérations de ce jour. Par préférence à tout, on expédioit d'abord & sans délai les affaires de la religion & qui concernoient le culte des dieux. Lorsque le consul avoit soumis à l'examen quelque point, on le discutoit ; s'il étoit question de rendre un decret, il disoit son opinion à cet égard, & parloit aussi long - tems qu'il le vouloit ; il demandoit ensuite les opinions des autres sénateurs, en les appellant par leurs noms, & suivant l'ordre dans lequel ils étoient placés ; il commençoit par les sénateurs consulaires, & continuoit par les prétoriens.

Originairement on étoit dans l'usage d'interroger le prince du sénat le premier ; mais bientôt on ne se conduisit plus ainsi, & cette politesse fut accordée à quelque vieux sénateur consulaire, distingué par ses vertus, jusqu'aux derniers tems de la république, que s'introduisit la coutume fixe de donner cette marque de respect à ses parens, à ses amis particuliers, ou à ceux que l'on croyoit vraisemblablement d'un avis conforme à ses propres vues & à ses sentimens sur la question proposée.

Quelque ordre que les consuls observassent, en demandant les opinions le premier de Janvier, ils le gardoient pendant tout le reste de l'année. C. César, à la vérité, se mit au - dessus de cette regle & en changea l'usage ; car quoiqu'il eût au commencement de son consulat interrogé Crassus le premier, cependant ayant marié sa fille à Pompée, dans le cours de cette magistrature, il donna cette marque de prééminence à son gendre ; politesse dont il fit ensuite excuse au sénat.

Cet honneur d'être interrogé d'une maniere extraordinaire, & par préférence à tous les autres sénateurs du même rang, quoique d'âge & de noblesse plus ancienne, paroît ne s'être étendu qu'à quatre ou cinq personnages consulaires. Tous les autres sénateurs étoient interrogés suivant l'ancienneté de leur âge ; cette méthode étoit généralement observée pendant l'année, jusqu'à l'élection des consuls suivans, qui se faisoit d'ordinaire vers le mois d'Août. De ce moment jusqu'au premier Janvier, en consequence d'un usage constamment suivi, on demandoit aux consuls désignés leurs avis, avant de le demander aux autres sénateurs.

Comme ils étoient sollicités de parler suivant leur rang, il n'étoit aussi permis à personne de le faire avant son tour, à l'exception des magistrats, qui semblent avoir eu le droit de parler dans toutes les occasions, & toutes les fois qu'ils le croyoient nécessaire ; c'est par cette raison sans-doute qu'ils n'étoient pas interrogés en particulier par le consul. Cicéron dit, à la vérité, que dans certaines occasions il fut interrogé le premier de tous les sénateurs privés ; ce qui veut dire que quelqu'un des magistrats avoit été interrogé avant lui ; mais alors ils l'étoient par le tribun du peuple qui avoit convoqué l'assemblée, & qui donnoit naturellement cette préférence aux magistrats supérieurs qui s'y trouvoient présens. Mais on ne trouve point qu'un consul interrogeât d'abord quelqu'autre qu'un sénateur consulaire, ou les consuls désignés.

Quoique chaque sénateur fût obligé de dire son avis, lorsque le consul le lui demandoit, il n'étoit cependant pas restreint à la seule question qui se discutoit alors ; il pouvoit passer à quelqu'autre matiere, la traiter aussi longuement qu'il vouloit ; & quoiqu'il pût dire librement son avis, lorsque c'étoit son tour, le sénat ne s'occupoit point à le réfuter, & ne traitoit pas cette question épisodique, à moins que quelqu'un des magistrats ne la proposât dans la même assemblée. Ils avoient seuls le privilege de demander qu'on opinât sur quelque question, ainsi que le droit de renvoyer celle qui se traitoit. Toutes les fois qu'un sénateur donnoit son avis, il se levoit de son siége, & demeuroit debout jusqu'à ce qu'il eût achevé de parler ; mais quand il ne faisoit que se ranger à l'avis des autres, il demeuroit à sa place.

Les magistrats, dans la même séance, avoient la liberté de proposer des avis différens, & de traiter différentes questions dans le sénat. Si par hasard on vouloit remettre sur le tapis quelque affaire d'importance, & que les consuls eussent négligé de la proposer, ou qu'ils fussent éloignés de le faire, l'usage étoit que le sénat, par certaine acclamation, & qui devenoit générale, excitoit à la proposer ; & lorsqu'ils refusoient de le faire, les autres magistrats avoient ce droit, même malgré eux.

Si quelque opinion proposée à l'assemblée du sénat renfermoit différens chefs, dont les uns pouvoient être approuvés & les autres rejettés, c'étoit encore l'usage de demander qu'elle fût divisée ; quelquefois d'un accord unanime, & par un cri général de l'assemblée exprimé par ces mots, divide, divide ; ou si dans la discussion des affaires il y avoit eu différens avis, si chacun de ces avis avoit été appuyé par un nombre considérable de sénateurs, le consul, sur la fin, étoit dans l'usage de les rappeller tous, pour que le sénat traitât séparément chacune de ces opinions ; mais en même tems ce magistrat préféroit, selon qu'il lui paroissoit convenable, l'opinion la plus favorable à la sienne ; il supprimoit alors, ou ne parloit pas de celle qu'il desapprouvoit. Dans le cas toutefois où il ne paroissoit ni difficulté ni opposition, on rendoit le decret sans demander & sans donner les avis à cet égard.

Quand une question avoit été décidée par le scrutin, on séparoit les parties opposées dans les différens côtés de la curie ou lieu d'assemblée ; ce que le consul ou magistrat qui présidoit en son absence, faisoit de cette maniere : " Que ceux qui sont de tel avis, passent de ce côté ; & que ceux qui pensent différemment, passent de celui-ci ". L'avis que le plus grand nombre de sénateurs approuvoit s'exprimoit dans un decret qui d'ordinaire étoit conçu dans les termes dictés par le premier de ceux qui avoient traité la question, ou par le principal orateur en faveur de cette opinion ; lequel, après avoir dit tout ce qu'il croyoit propre à la rendre agréable au sénat, terminoit son discours dans la forme du decret qu'il vouloit obtenir. Ce decret qu'on nommoit senatus-consulte, étoit toujours souscrit par un nombre considérable de sénateurs, en témoignage de leur approbation particuliere. Voyez SENATUS-CONSULTE.

La république ayant été opprimée par Jules-César, il formoit tout seul les sénatus-consultes, & les souscrivoit du nom des premiers sénateurs qui lui venoient dans l'esprit. Le sénat se vit sans fonctions, sans crédit & sans gloire. Ensuite sous le regne des empereurs, ce même sénat, jadis si respectable, tomba dans la servitude la plus basse. Il porta l'adulation jusqu'à encenser les folies de Caligula, & jusqu'à décerner des honneurs excessifs à Pallas affranchi de Claude. Pline le jeune parlant de l'état de ce corps immédiatement avant le regne de Trajan, avoue qu'il étoit toujours muet ; parce qu'on ne pouvoit y dire sans péril ce qu'on pensoit & sans infamie ce qu'on ne pensoit pas. Mais j'ai cru devoir me borner à crayonner l'histoire du sénat dans le tems de ses beaux jours ; le lecteur peut consulter les savans qui ont le mieux approfondi cette matiere, Manuce, Sigonius, Hotman, Zamoléus, & récemment MM. Middleton & Chapman, dans de petits ouvrages pleins de goût, de recherches & de précision. (D.J.)

SENAT DES CINQ CENT, (Hist. d'Athénes) sénat d'Athènes, lorsque cette ville eut été divisée en dix tribus. On élisoit tous les ans dans chaque tribu cinquante hommes qui tous ensemble composoient le sénat des cinq cent. Ce fut Solon qui l'institua, & qui établit que chaque tribu auroit tour-à-tour la préséance dans l'assemblée, & la céderoit successivement à la suivante. Ce sénat étoit composé de prytanes, de proëdres & d'un épistate. Voyez ÉPISTATE, PROEDRE & PRYTANE. (D.J.)

SENAT DES QUATRE CENT, (Hist. d'Athènes) ancien sénat d'Athènes, lorsque cette ville n'étoit divisée qu'en quatre tribus. On élisoit dans chaque tribu cent hommes qui tous ensemble composoient le sénat des quatre cent. Ce sénat dura jusqu'à Solon qui institua le sénat des cinq cent dont nous avons parlé. (D.J.)

SENAT DE VENISE, (Hist. de Venise). Voyez PREGADI. (D.J.)


SÉNATEUR ROMAIN(Gouvernem. de Rome) membre du sénat de Rome, c'est-à-dire, de ce corps auguste qui étoit l'appui, le défenseur & le conservateur perpétuel de la république. On est avide de savoir quel étoit le nombre des membres d'un corps qui tenoit dans ses mains les rênes d'un si puissant empire, qui régloit toutes les affaires avec les étrangers, & qui dans son lustre présidoit à toute la terre. On demande à quel âge on pouvoit devenir sénateur, quelle qualité de biens ils devoient avoir aux termes de la loi, quels étoient leurs devoirs, les honneurs de leur charge, & leurs privileges ; tâchons de satisfaire à toutes ces questions curieuses.

Quant au nombre des sénateurs, l'opinion générale est qu'il fut borné à 300, depuis le tems des rois jusqu'à celui des Gracques ; mais on ne doit pas prendre cette fixation à la rigueur, parce que quelquefois ce nombre peut avoir été moindre ; & dans le cas d'une grande diminution imprévue, on complettoit de nouveau les places vacantes par une promotion extraordinaire. Ainsi, comme le nombre des magistrats augmentoit dans les nouvelles conquêtes de la république, & dans les accroissemens qu'elle faisoit à son domaine, de même le nombre des sénateurs a dû varier ; & par plusieurs accidens, exposée à des vuides. Le dictateur Sylla, lorsque ce corps se trouva comme épuisé par les proscriptions & les guerres civiles, créa 300 membres en une seule fois. Il les prit de l'ordre équestre. Cette augmentation fit probablement monter le nombre entier des sénateurs à environ 500. Il paroît que le sénat s'est maintenu dans cet état jusqu'à la ruine de la liberté par Caïus César ; puisque Cicéron dans un récit qu'il fait d'une affaire particuliere, dit à Atticus, que 415 sénateurs y avoient assisté, ce qu'il appelle le plein sénat.

Les anciens auteurs nous indiquent clairement qu'il étoit nécessaire d'avoir un certain âge pour être sénateur, quoiqu'aucun d'eux ne nous ait précisément marqué quel devoit être cet âge. Il fut fixé par les loix sous le regne de Servius Tullius, à 17 ans pour entrer dans le service militaire ; & chaque citoyen, au rapport de Polybe, étoit obligé de servir dix ans dans les guerres, avant que de pouvoir prétendre à aucune magistrature civile. Ce qui sert à déterminer l'âge auquel on pouvoit demander la questure ou le premier grade des honneurs, c'est-à-dire l'âge de 28 ans ; or comme cette magistrature donnoit entrée dans le sénat, la plus grande partie des savans paroît avoir fixé l'obtention du rang de sénateur à l'âge de 28 ans.

A la vérité quelques écrivains, d'après l'autorité de Dion Cassius, ont pensé que l'âge d'admission dans ce corps étoit de 25 ans ; ne faisant pas attention que Dion ne rapporte ce fait que comme une regle proposée à Auguste par son favori Mécène ; mais à en juger par l'usage de la république en ces derniers tems, l'âge pour être questeur, ainsi que pour être senateur, étoit de 30 ans accomplis, parce que Cicéron qui déclare dans quelques - unes de ses oraisons, qu'il avoit obtenu les honneurs de la république, sans avoir essuyé aucun refus, chacun de ces honneurs dans l'âge requis par la loi, n'obtint en effet la questure qu'à 30 ans passés ; & lorsque Pompée fut créé consul d'une maniere extraordinaire à l'âge de 36 ans, sans avoir passé par les grades inférieurs, Cicéron observe à cet égard qu'il fut élevé à la plus haute magistrature, avant que les loix lui permissent d'obtenir les moins considérables ; ce qui regarde l'édilité qui étoit le premier emploi, appellé proprement magistrature, & qui ne pouvoit être obtenu qu'après un intervalle de cinq ans entre cette charge & la questure.

Mais l'opinion que nous adoptons, semble confirmée par la disposition de certaines loix, que donnerent en divers tems les gouverneurs de Rome aux nations étrangeres, sur les reglemens de leurs petits sénats. Par exemple, lorsque les Halesins, peuples de la Sicile, eurent de grandes contestations entr'eux sur l'élection des sénateurs, ils requirent le sénat de Rome de les diriger à cet égard ; & le préteur Caïus Claudius leur envoya des loix & des réglemens convenables. L'un de ces réglemens étoit, que l'on ne pût devenir sénateur avant l'âge de 30 ans, & qu'on ne reçût personne qui exerçât quelque métier, ou qui n'eût une certaine quantité de biens. Scipion prescrivit les mêmes loix au peuple d'Agrigente.

Enfin, Pline fait mention d'une loi donnée en pareille occasion aux Bithyniens par Pompée le grand. Cette loi défendoit la réception dans le sénat avant l'âge de 30 ans : elle ordonnoit de plus, que tous ceux qui avoient exercé une magistrature, fussent conséquemment admis dans ce corps. Ces divers réglemens indiquent d'une maniere assez claire la source dont ils étoient émanés, & prouvent que le magistrat romain avoit naturellement donné aux autres peuples les usages établis dans la république.

Cicéron prétend que les loix pour régler l'âge des magistrats, n'étoient pas bien anciennes ; qu'on les fit pour mettre un frein à l'ambition demesurée des nobles, & rendre tous les citoyens égaux dans la recherche des honneurs ; & Tite-Live nous apprend que L. Villius, tribun du peuple, fut le premier qui les introduisit, l'an de Rome 573, ce qui lui fit donner le surnom d'annaire. Mais bien du tems avant cette époque, on trouve que ces loix & ces usages avoient lieu à Rome, dans l'enfance même de la république. Par exemple, lorsque les tribuns furent institués, les consuls déclarerent dans le sénat, que dans peu de tems ils corrigeroient la pétulance des jeunes nobles, au moyen d'une loi qu'ils avoient préparée pour régler l'âge des sénateurs.

Il y avoit une autre qualité requise, & regardée comme nécessaire à un sénateur. On exigeoit un fonds de biens considérable pour le maintien de cette dignité, & cette quantité de biens étoit établie par les loix. Mais on ne trouve en aucun endroit le tems de cet établissement, ni à quelle somme ces biens devoient monter. Suétone est le premier des auteurs qui en ait parlé, & qui nous apprend que la quotité des biens étoit fixée à 800 sesterces avant le regne d'Auguste ; ce qui suivant le calcul de la monnoie angloise, monte de six à sept mille liv. Cette somme, ainsi que quelques auteurs l'ont prétendu, ne devoit pas être regardée comme une rente annuelle, mais comme le fonds des biens d'un sénateur, fonds réel, appartenant à lui en propre & estimé ou évalué par les censeurs. Cette quantité de biens paroîtra peut - être trop peu considérable, & on ne la trouvera pas proportionnée au rang & à la dignité d'un sénateur romain. Mais on doit faire attention que c'étoit la moindre quantité de biens qu'on pût avoir pour parvenir à ce grade. En effet, lorsqu'il arrivoit que les sénateurs possédoient moins que cette somme, ils perdoient leur place dans le sénat.

D'ailleurs, quelque peu considérable que paroisse aujourd'hui cette proportion de biens, il est certain qu'elle suffisoit pour maintenir un sénateur convenablement à son rang, sans qu'il fût forcé de s'occuper de quelque profession vile & lucrative, qui lui étoit interdite par la loi. Mais la constitution en elle-même ne paroît pas avoir été bien ancienne, ce qu'on peut aisément se persuader, puisque dans les premiers tems, les principaux magistrats étoient tirés de la charrue. Corn. Rufinus, qui avoit été dictateur & deux fois consul, fut chassé du sénat l'an de Rome 433, par le censeur C. Fabricius, parce qu'on trouva dans sa maison des vases d'argent du poids de dix livres. On ne donnoit donc pas alors dans l'élection d'un sénateur, la préférence à la quantité des biens. Nous voyons en effet Pline se plaindre de la vicissitude des tems, & déplorer le changement qui s'étoit introduit dans le choix des sénateurs, des juges & des magistrats qu'on élisoit, selon le calcul de leurs biens, époque à laquelle on commença de n'avoir plus d'égard au vrai mérite.

Cicéron dans une de ses lettres écrites lors de l'administration de C. César, rend un témoignage assuré de la quotité des biens que devoit avoir un sénateur ; il prie un de ses amis, qui avoit alors du crédit, d'empêcher que certaines terres ne soient enlevées par les soldats à Curtius, qui sans ses biens ne pourroit conserver le rang de sénateur, auquel César l'avoit lui-même élevé.

Ce n'étoit pas assez aux sénateurs d'avoir une certaine quotité de biens ; il falloit encore qu'ils donnassent un exemple de bonnes moeurs à tous les ordres de l'état ; mais indépendamment de cette régularité de moeurs qu'on exigeoit d'eux, Cicéron nous parle encore des devoirs auxquels ils étoient assujettis ; l'un de ces devoirs, étoit l'obligation d'être assidu. La liberté qu'ils avoient d'aller à la campagne, dans les intervalles d'une assemblée à l'autre, ayant dégéneré en abus, les consuls leur défendirent dans plusieurs circonstances de s'absenter de Rome plus de trois à la fois, & de s'éloigner de maniere qu'ils ne pussent revenir dans le jour. Le second devoir consistoit à ne parler qu'à son tour. La troisieme regle de discipline étoit de ne pas étendre son avis au-delà des bornes ; mais cette regle eut souvent ses exceptions. Au reste, un sénateur perdoit son état lorsqu'il se dégradoit lui-même, en montant sur le théâtre, ou en descendant dans l'arene.

Il arrivoit aussi que les illustres membres d'un conseil suprême, qui tenoit dans ses mains les renes d'un aussi puissant empire, qui regloit toutes les affaires avec les étrangers, & qui dans son lustre présidoit à toute la terre, étoit regardé partout, avec la plus grande distinction. Nous voyons en effet, que plusieurs d'entr'eux avoient sous leur protection particuliere, des rois, des villes & des nations.

Cicéron rendant compte des avantages d'un sénateur sur les membres des autres ordres de la république, dit qu'il avoit l'autorité & l'état dans Rome, le nom & la faveur chez l'étranger. Il jouissoit du privilege de prendre place dans les assemblées des sénats des provinces alliées à la république. Quelle est la ville, ajoute Cicéron, dans les parties les plus éloignées de la terre, quelque puissante & quelque libre qu'elle soit, quelque rudesse & quelque barbarie qu'elle puisse avoir ; quel est le roi qui ne se fasse un plaisir d'accueillir & de bien traiter chez lui un sénateur du peuple romain ?

Parmi les membres de cet ordre seulement, on choisissoit tous les ambassadeurs, & ceux qu'on employoit dans les états étrangers ; & lorsqu'ils avoient quelque motif particulier de voyager au dehors, même pour leurs propres intérêts, ils obtenoient du sénat le privilege d'une légation libre. Ce privilege leur donnoit le droit d'être traités partout avec les honneur dûs à un ambassadeur, & d'être fournis pendant leur route d'une certaine quantité de vivres, & de choses qui pouvoient leur être nécessaires, ainsi qu'à leurs gens. De plus, pendant tout le tems qu'ils résidoient dans les provinces de la république, les gouverneurs de ces provinces étoient dans l'usage de leur donner les licteurs qui les précédoient. S'ils avoient quelque procès, ou quelque discussion d'intérêt dans ces provinces, il paroît qu'ils jouissoient du droit de demander leur renvoi à Rome.

Ils n'étoient pas moins distingués des autres citoyens dans cette capitale, par des privileges & des honneurs particuliers ; puisque dans les fêtes & les jeux publics ils avoient des places qui leur étoient assignées dans le lieu le plus commode & le plus honorable. Lorsqu'on offroit des sacrifices à Jupiter, ils jouissoient seuls du droit de donner des fêtes publiques dans le capitole, revêtus de leurs habits de cérémonie, ou des habits propres aux charges qu'ils avoient exercées.

Ils étoient d'ailleurs distingués des autres citoyens par les ornemens de leurs habits ordinaires, ainsi que par leur tunique, par la matiere, & la forme de leurs souliers, dont les anciens auteurs rendent compte. L'ornement de leur tunique étoit le laticlave. Voyez LATICLAVE.

La forme de leurs souliers étoit particuliere, & différente de celle des autres citoyens. Ciceron parlant d'un certain Asinius, qui, dans le desordre général causé par la mort de César, s'étoit introduit dans le sénat, dit que voyant la cour ouverte, il changea de chaussure, & devint tout d'un trait sénateur ; cette différence consistoit dans la couleur, dans la forme, & dans l'ornement de ces souliers. Leur couleur étoit noire, tandis que ceux des autres citoyens n'avoient pas une couleur particuliere, & qu'elle dépendoit de leur fantaisie. La forme en étoit en quelque sorte semblable à nos brodequins. Ils remontoient jusqu'au milieu de la jambe, ainsi qu'on le voit dans quelques statues antiques, & dans des bas reliefs, & ils étoient ornés de la figure d'une demi-lune, cousue & attachée sur la partie de devant, près la cheville du pié.

Plutarque dans ses questions romaines, donne diverses raisons de cette figure emblématique. Mais d'autres auteurs disent que cela n'avoit aucun rapport avec la lune, quoiqu'il parût que la figure le dénotât, mais qu'elle servoit seulement à exprimer la lettre C, comme un signe numératif, & comme la lettre initiale du mot centum, nombre fixe des sénateurs dans leur premiere institution par Romulus.

La toge & la robe d'un sénateur ordinaire, ne différoient point de celle des autres citoyens ; mais les consuls, les préteurs, les édiles, les tribuns, &c. portoient toujours dans l'année de leur magistrature, la prétexte, qui étoit une robe bordée d'une bande de pourpre ; & c'est aussi l'habit que tout le reste du sénat qui avoit déja rempli les grandes charges, portoit aux fêtes & aux solemnités.

Dans les commencemens de la république, les sénateurs n'osoient quitter en aucun lieu les marques distinctives de leur rang ; mais dans la suite on se négligea sur ces bienséances respectables. C'est à cette époque qu'il faut rapporter le trait satyrique de Juvenal contre les sénateurs de son tems : il dit qu'ils aiment à paroître tous nuds en plein sénat, parce que la folie est moins honteuse que la mollesse. Le luxe vint encore au secours de l'indécence, & l'aimable simplicité des premiers romains fut entierement bannie ; nous laisserons-là le tableau de ces sénateurs efféminés, plus immodestes que les courtisannes : nous nous sommes proposé de ne présenter aux yeux des lecteurs que l'histoire d'un corps auguste, digne de nous être transmise, lorsque ce corps au comble de sa gloire & de son pouvoir, étoit également vertueux & libre dans ses délibérations. (D.J.)

SENATEUR PEDAIRE, (Hist. rom.) ce nom fut donné aux chevaliers qui entrerent dans le sénat, pour les distinguer des sénateurs d'un rang supérieur, qui suivant les commentaires de Gabius Bazius, avoient le privilege de venir au sénat en voiture. Pline, hist. nat. l. VII. c. xliij. nous apprend que cet honneur singulier fut accordé à Métellus, qui avoit perdu la vue pour sauver d'une incendie le palladium déposé au temple de Vesta. Les sénateurs pédaires furent ainsi nommés, parce qu'ils ne parloient point, & qu'ils exprimoeint leurs suffrages, s'il y avoit une division dans l'assemblée, en passant du côté de ceux dont ils approuvoient l'avis. Ainsi pour faire allusion à cet usage, qui semble toutefois avoir entierement cessé dans les derniers tems de la république, cette partie du sénat qui ne disoit pas son avis, fut toujours qualifiée du nom de pédaire. Il est aisé de le voir dans le rapport que fait Ciceron à Atticus, de certaines disputes, & d'un decret du sénat à cet égard ; il dit que cela fut fait par le concours général des pédaires, quoique contre l'autorité des consulaires. (D.J.)

SENATEURS DE POLOGNE, (Hist. moderne) c'est ainsi que l'on nomme en Pologne les grands du royaume qui forment un corps de 128 personnes, destiné à mettre des bornes à l'autorité royale & empêcher le monarque d'empiéter sur les droits de ses sujets. On distingue les sénateurs en grands & en petits. Les grands senateurs sont, 1°. vingt-trois palatins ou waywodes, c'est-à-dire, gouverneurs de provinces ; 2°. les trois castellans de Cracovie, de Vilna, & de Troki ; 3°. le staroste de Samogitie. Les 29 autres sénateurs s'appellent petits sénateurs, quoique l'on compte parmi eux des archevêques, des évêques & d'autres personnes éminentes par leurs dignités & leur naissance.

Ce sont les sénateurs qui forment en Pologne l'assemblée, que l'on nomme senatus-consilium.

SENATEUR DE SUEDE, (Hist. de Suede) les sénateurs de Suede sont des personnes de qualité & de mérite, qui aident sa majesté suédoise à gouverner le royaume, & de qui le roi prend l'agrément, pour toutes les grandes affaires qu'il souhaite d'entreprendre. Entre les sénateurs, il y en a cinq qui sont tuteur du prince pendant sa minorité, & à qui dans les résolutions des dietes, on a donné le titre de gouverneurs du royaume. Mais en général les sénateurs sont appellés les sénateurs du roi & du royaume. Leur nombre fut autrefois fixé à 12, ensuite à 24, & maintenant il s'étend à 40. Leurs charges ne sont ni vénales, ni héréditaires ; quand on leur parle, ou qu'on leur écrit, on les traite d'excellence. (D.J.)


SENATUS-CONSILIUM(Hist. mod.) on désigne sous ce nom en Pologne l'assemblée des sénateurs du royaume, dans laquelle, au défaut de la diete, on délibere sur les affaires de l'état.


SÉNATUS-CONSULTESÉNATUS-CONSULTE

Un decret du sénat étoit toujours souscrit & attesté par un nombre considérable de sénateurs, qui avoient voulu intervenir à tout ce qui avoit été fait pour y ajouter leurs noms, comme un témoignage de l'approbation particuliere qu'ils donnoient à cette affaire, ainsi que du respect pour la personne, par l'autorité, ou en faveur de qui ce decret avoit été rendu.

Ces souscriptions ou signatures étoient appellées les autorités des sénatus-consultes, & telle étoit leur forme, in sénatu fuerunt CCCLXXXIII. on mettoit les noms des sénateurs, celui de la tribu dont ils étoient. Voyez le decret du sénat rapporté dans sa véritable forme dans une lettre de Caelius à Cicéron, proconsul de Cilicie.

Lorsque l'on découvroit que le sénat étoit disposé à rendre un decret, il dépendoit de quelqu'un des tribuns du peuple d'interposer son autorité, & de renverser d'un seul mot tout ce qui avoit été résolu par la simple opposition, sans en rendre aucune raison. La loi générale de ces interventions, étoit que chaque magistrat eût le pouvoir de s'opposer aux actes de son collegue, ou des magistrats qui lui étoient subordonnés. Les tribuns avoient encore la prérogative de s'opposer aux actes des autres magistrats, quoique personne ne fût en droit de contredire les leurs.

Mais dans tous les cas où les déterminations du sénat étoient renversées par la simple opposition d'un tribun, ce dont on trouve des exemples sans nombre, si le sénat étoit unanime dans ses suffrages, & qu'il fût disposé à rendre le decret, on se servoit d'une formule ordinaire, & le decret changeoit de nom, il étoit appellé l'autorité du sénat.

On le mettoit alors dans les registres de ce corps, quoiqu'il ne servît qu'à rendre témoignage de la façon de penser du sénat sur cette question particuliere, & à faire retomber sur le tribun qui l'avoit empêché la haine de l'opposition faite à un acte avantageux. Ainsi pour tenir chaque magistrat éloigné d'une conduite factieuse dans des affaires d'importance, ceux qui étoient d'avis de rendre le decret, y ajoutoient que si quelqu'un songeoit à s'y opposer, on le regarderoit comme ayant travaillé contre les intérêts de la république.

Cette clause néanmoins servoit rarement à mettre un frein à l'entreprise des tribuns, accoutumés à faire leur opposition avec la même liberté que dans les occasions les plus indifférentes. Les sénateurs les moins considérables, les factieux & les chefs de parti, avoient encore différens moyens d'empêcher ou de renvoyer un decret sous plusieurs prétextes & par les obstacles qu'ils y mettoient. Tantôt par des scrupules en matiere de religion, ils supposoient que les augures n'étoient pas favorables, & qu'ils n'avoient pas été pris légitimement, ce qui étant confirmé par les augures, retardoit l'affaire pour quelques jours, tantôt ils insistoient sur quelque prétendu passage des livres sibyllins, qu'il falloit alors consulter, & qu'ils interprétoient selon leurs vues.

Ainsi, dans une contestation qui s'éleva sur la proposition faite de remettre le roi Ptolomée sur le trône d'Egypte, le tribun Caton qui s'y opposoit, rapporta quelques vers des livres sibyllins, qui avertissoient de ne rétablir sur son trône aucun roi d'Egypte avec une armée, ce qui fit qu'on décida dans cette occasion qu'il étoit dangereux de donner à ce roi une armée pour rentrer dans son royaume.

Mais la méthode la plus ordinaire d'empêcher la décision d'une affaire, étoit celle d'employer le jour entier à parler deux ou trois heures de suite, de façon qu'il ne restât pas assez de tems ce jour-là. On trouve dans les anciens auteurs des exemples de cette conduite ; & lorsque quelqu'un des magistrats les plus séditieux abusoit trop ouvertement de ce droit contre le penchant général de l'assemblée, les sénateurs étoient alors si impatiens, qu'ils lui imposoient silence, pour ainsi dire, par la force ; & ils le troubloient de telle maniere par leurs clameurs, leurs huées, & leurs sifflemens, qu'ils l'obligeoient à se désister.

Il est probable que les loix exigeoient la présence d'un certain nombre de sénateurs pour rendre un acte légitime, & donner de la force à un decret, puisqu'on s'oppose quelquefois aux consuls pour avoir poursuivis des decrets subreptices secrétement dans une assemblée qui n'étoit pas assez nombreuse ; & nous y voyons que le sénat avoit renvoyé quelques affaires, lorsqu'il ne s'étoit pas trouvé un nombre suffisant de sénateurs pour la décider. Ainsi, lorsque dans une assemblée qui étoit imparfaite, un des sénateurs avoit dessein d'empêcher le jugement de quelque affaire, il intimoit le consul de compter le sénat, en lui adressant ces mots, numera senatum, comptez les sénateurs.

On ne voit à la vérité dans aucun des anciens auteurs qu'il fallût un nombre déterminé de sénateurs, si ce n'est dans un ou deux cas particuliers. Par exemple, lorsque les bacchanales furent défendues à Rome, on ordonna que personne n'osât les célébrer sans une permission particuliere accordée à cet effet par le sénat, composé au-moins de cent sénateurs ; & peut - être dans ce tems, étoit-ce le nombre juste & requis dans tous les cas, & lorsque le sénat n'étoit composé que de trois cent personnes ? Le senatus-consulte dont nous parlons fut fait dans le temple de Bellone, l'an 568 de Rome, sous le consultat de Posthumius, & de Q. Marcius Philippus. Ce sénatus-consulte est en ancienne langue osque. On le trouvera rapporté en entier dans l'histoire de la jurisprudence romaine, par M. Terrasson.

Environ un siecle après, lorsque le nombre des sénateurs augmenta, & fut porté jusqu'à 500, Caïus Cornélius, tribun du peuple, donna lieu à l'établissement d'une loi, qui ôtoit au sénat le pouvoir d'absoudre qui que ce fût de l'obligation des loix, si 200 sénateurs au-moins n'avoient été présens au decret d'exemption. Ce Cornélius voulut rétablir la jurisprudence des premiers tems de la république, suivant laquelle le sénat n'accordoit point de dispense, où la clause de la faire agréer au peuple ne fût insérée. Cette clause, qui n'étoit plus que de style, négligée même depuis quelque tems dans les dispenses, dont un très-petit nombre de sénateurs s'étoient rendus les maîtres, déplaisoit au sénat. Il fut cependant forcé après une pénible résistance, l'an 688, sous le consulat de L. C. Calpurnius Piso, d'accueillir cette loi dans les comices. On fit en même tems défenses à celui qui auroit obtenu la dispense, de s'opposer à ce qui en seroit ordonné par le peuple, lorsque le decret d'exemption lui seroit rapporté.

Après tout, il est assez difficile de décider quel nombre de sénateurs étoit requis pour porter un senatus-consulte. Les anciens auteurs ne nous en apprennent rien exactement, & par conséquent nous ne faisons que deviner. Denys d'Halicarnasse a écrit qu'Auguste voyant que les sénateurs étoient en petit nombre, régla qu'on pouvoit porter des senatus-consultes, quoiqu'il n'y eût pas 400 sénateurs présens. Anciennement, dit Prudence, il n'étoit pas permis de porter de senatus-consultes qu'il n'y eût 300 peres conscrits du même sentiment ; mais ce passage paroît plutôt se rapporter au nombre des avis qu'au nombre des sénateurs. Il est cependant certain qu'il y avoit un nombre fixe de sénateurs nécessaires pour les senatus-consultes ; car, comme je l'ai remarqué, tout sénateur qui vouloit empêcher de porter des senatus-consulte, pouvoit dire au consul, comptez les sénateurs.

Les decrets du sénat étoient d'ordinaire lus & publiés dès qu'ils avoient été rendus, & l'on en déposoit toujours une copie authentique dans le trésor public, qui étoit au capitole, au lieu où l'on voit à-présent le palais du conservateur.

Sans ce préalable, on ne les regardoit pas comme des decrets valides, & rendus selon la forme des loix : lorsque l'affaire dont on traitoit dans le jour étoit finie, le consul ou quelqu'autre magistrat, qui avoit convoqué l'assemblée, étoit dans l'usage de la séparer, & de la rompre par ces paroles, peres conscrits, il n'est plus besoin de vous retenir ici, ou bien il n'y a plus rien ici qui vous retienne.

Il est encore bien difficile de dire précisément quelle étoit la force des decrets du sénat. Il est certain qu'ils n'étoient pas regardés comme des loix ; mais il paroît qu'originairement, ils avoient été rendus dans l'objet de préparer la loi dont ils étoient comme le fonds & la base principale. Ils avoient une espece de force & d'autorité provisionnelle, jusqu'à ce que le peuple eût fait une loi selon les formes prescrites & ordinaires ; car dans tous les siecles de la république on ne fit jamais aucune loi sans le consentement général du peuple.

Les decrets du sénat regardoient principalement la partie exécutrice du gouvernement, la destination des provinces à leurs magistrats, la quotité des appointemens des généraux. Ils portoient aussi sur le nombre des soldats qu'on leur donnoit à commander ; sur toutes les affaires imprévues, & de hasard, sur lesquelles on n'avoit fait aucun réglement, & qui en requéroient un ; desorte que l'autorité de la plûpart de ces decrets, n'étoit que passagere & momentanée ; qu'ils n'avoient ni force ni vigueur, si ce n'est dans les occasions particulieres, & pour lesquelles ils avoient été faits. Mais quoiqu'en rigueur ils n'eussent point force de loi, ils étoient cependant regardés comme obligatoires, & l'on y obéissoit.

Tous les ordres des citoyens s'y soumettoient, jusqu'à ce qu'ils eussent été annullés par quelqu'autre decret, ou renversé par l'établissement de quelque loi. Il est vrai que le respect qu'on avoit pour eux, étoit plutôt la suite d'un usage reçu, & venoit plus de l'estime générale des citoyens pour l'autorité de ce conseil suprême, que de quelque obligation prise de la forme du gouvernement, puisque dans les tems les plus reculés, lorsqu'il naissoit quelque difficulté sur un decret particulier, nous trouvons que les consuls auxquels l'exécution en étoit confiée, & qui ne vouloient pas leur donner force de loi, se fondoient sur ce qu'ils étoient faits par leurs prédécesseurs, & donnoient pour raison que les decrets du sénat ne devoient avoir lieu qu'une année seulement, & pendant la durée de la magistrature de ceux qui les avoient rendus.

Cicéron dans un cas pareil, lorsqu'il plaidoit la cause d'un de ses cliens qu'il défendoit sur le mépris qu'il avoit marqué pour un decret du sénat, déclara que ce decret ne devoit avoir aucun effet, parce qu'il n'avoit jamais été porté au peuple pour lui donner l'autorité d'une loi. Dans ces deux cas, quoique le consul & Cicéron ne dissent rien qui ne fût afférant, & qui ne convînt à la nature de la cause, ils le disoient cependant, peut-être plus par nécessité, & à raison de l'intérêt particulier qu'ils y avoient, qu'ils ne l'auroient fait dans d'autres circonstances ; les consuls le faisoient pour éviter l'exécution d'un acte qui ne leur plaisoit pas ; & Cicéron pour la défense d'un client qui se trouvoit dans le plus grand danger.

Mais véritablement dans toutes les occasions, les magistrats principaux, soit de Rome, soit du dehors, paroissoient avoir eu plus ou moins de respect pour les decrets du sénat, selon qu'ils étoient plus ou moins avantageux à leur intérêt particulier ; à leur penchant ou au parti qu'ils avoient embrassé dans la république. Dans les derniers tems, lorsque le pouvoir suprême usurpé par quelqu'un de ces chefs, eut surmonté tous les obstacles, & eut mis à l'écart toutes sortes de coutumes & de loix, dont le maintien & la conservation pouvoit nuire à leurs vues ambitieuses, nous trouvons que les decrets du sénat étoient traités avec beaucoup de mépris par eux & par leurs créatures, tandis qu'ils avoient à leurs ordres une populace subordonnée, aussi corrompue que promte à leur accorder tout ce qu'ils demandoient, jusqu'à la ruine entiere de la liberté publique. (D.J.)

SENATUS-CONSULTE secret, (Hist. rom.) senatusconsultum tacitum. C'étoit une délibération secrette, à laquelle les anciens sénateurs seulement étoient d'ordinaire appellés dans les premiers tems de la république.

C. Capitolinus nous apprend que cet usage émanoit de la nécessité publique, lorsque dans quelques dangers pressans de la part des ennemis, le sénat se trouvoit forcé de prendre de promts expédiens, qu'il falloit employer avant que de les divulguer, & qu'on vouloit tenir cachés à ses meilleurs amis. Dans ces sortes d'occasions, le sénat formoit un decret tacite. Pour y parvenir, l'on excluoit alors de l'assemblée les greffiers ; & les sénateurs se chargeoient eux-mêmes de leur emploi, afin que rien ne transpirât au-dehors. On voit dans les tems les plus reculés de la république divers exemples de ces assemblées secrettes, où n'assistoient, & ne pouvoient être admis que les vieux sénateurs. Ces assemblées convoquées par les consuls, se tenoient dans leurs propres maisons, ce dont les tribuns faisoient de grandes plaintes. Voyez Denys d'Halicarnasse, l. X. c. xxxx, l. IX. c. lv. &c. (D.J.)

SENATUS - CONSULTE MACEDONIEN, (Histoire rom.) c'étoit un sénatus-consulte, par lequel il étoit ordonné que toute action fût déniée à celui qui prêteroit de l'argent à un fils en puissance de pere. Ce sénatus-consulte n'est point reçu en pays coutumier, & les enfans de famille se peuvent valablement obliger pour prêt d'argent, s'ils sont majeurs ; & s'ils sont mineurs, ils peuvent recourir au bénéfice de restitutions. (D.J.)

SENATUS-CONSULTE VELLEIEN, (Droit coutum.) c'est par ce sénatus-consulte que les femmes ne peuvent pas s'obliger valablement pour d'autres ; ensorte que si elles se sont chargées de quelque obligation contractée par une autre personne, comme servant de caution ou autrement, elles ne peuvent être valablement poursuivies, pour raison de telles obligations. Ce sénatus-consulte a été long-tems observé dans toute la France ; mais sous Henri IV. par un édit du mois d'Août 1606, sa disposition fut abrogée ; cependant on l'a conservée en Normandie, où le cautionnement des femmes est nul de droit. (D.J.)


SENAUS. m. (Marine) barque longue, dont les Flamands se servent pour la course, & qui ne porte que vingt-cinq hommes.


SEND(Géogr. mod.) ce terme des géographes orientaux, désigne le pays qui est au-deçà de l'occident, & au-delà à l'orient du fleuve Indus. Ils disent que le pays de Send a à l'orient celui de Hend, qui est la partie des Indes de deçà & de delà le Gange. Ils le bornent à l'occident par les provinces de Kerman, Makeran, & de Segestan. Ses limites du côté du septentrion sont le Touran ou Turquestan, que nos géographes nomment Indo-scythia. Enfin la mer de Perse le borne en forme de golphe au midi.


SENDOS. m. (Physique & Hist. nat.) ce mot signifie serpent dans la langue des Abyssins ; ils s'en servent pour désigner un vent impétueux qui souffle en de certains tems avec une telle violence, qu'il arrache les arbres, renverse les édifices, & quelquefois même souleve & fait tourner en l'air les quartiers de roches qu'il rencontre. On prétend que l'on distingue à l'oeil ce vent qui rase la terre, & forme des ondulations semblables à celles d'un grand serpent.


SENDOMIou SANDOMIR, PALATINAT DE, (Géogr. mod.) palatinat de la petite Pologne. Il est borné au nord par ceux de Rava, de Mazovie, & de Lencizca, au midi & au couchant par celui de Cracovie, à l'orient par ceux de Lublin & de Russie. Il y a des mines d'or, d'argent, de cuivre, de plomb, & de fer. Les fruits qu'on y recueille, sont excellens. Ce palatinat prend le nom de sa capitale, & est divisé en huit territoires. (D.J.)

SENDOMIR ou SANDOMIR, (Géogr. mod.) ville de Pologne, capitale du palatinat du même nom, à l'embouchure du San dans la Vistule, & à vingt-huit lieues au levant de Cracovie. C'est une ville fortifiée, & le siege du tribunal de la province ; les jésuites y ont un college. Les Suedois prirent cette ville en 1655, & la réduisirent presque en cendres. Long. 49, 50. latit. 50, 24. (D.J.)


SÉNÉsena, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante, dont la fleur est composée ordinairement de cinq pétales disposés en rond. Le pistil de cette fleur devient dans la suite une silique presque plate, courbe & composée de deux membranes, entre lesquelles on trouve des semences qui ressemblent à des pepins de raisins, & qui sont séparées les unes des autres par de petites cloisons. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SENE, (Mat. méd.) On trouve sous ce nom dans les boutiques de petites feuilles seches assez épaisses, fermes, pointues en forme de lance, d'un verd jaunâtre, qui ont une odeur legere & qui n'est point désagréable, d'un goût un peu âcre, amer & nauseabond.

On nous apporte deux sortes de séné ; savoir celui d'Alexandrie, ou séné de Seyde ou de la palte, ainsi appellé du nom d'un impôt que le grand-seigneur a mis sur cette feuille ; & celui qui s'appelle séné de Tripoly. Outre ces deux sortes de séné, on trouve encore le séné de Mocha, & le séné d'Italie. Ces deux dernieres especes se trouvent beaucoup plus rarement dans les boutiques, & elles sont bien moins efficaces que les deux précédentes.

Le séné d'Alexandrie est celui qu'on doit préférer, & qu'on doit choisir récent, odorant, doux au toucher, dont les feuilles sont entieres & ne sont point tachées.

Les fruits du séné sont aussi en usage en Médecine ; ce sont des gousses oblongues, recourbées, lisses, applaties, d'un verd roussâtre ou noirâtre, qui contiennent des semences presque semblables aux pepins de raisin, & qui sont applaties, pâles ou noirâtres : c'est ce qu'on appelle dans les boutiques follicules de séné.

Les anciens médecins grecs & latins n'ont point connu le séné ; l'usage de cette plante est dû aux Arabes. Serapion est le premier qui l'ait fait connoître, & après lui Mesué. Parmi les nouveaux grecs, Actuarius est le premier qui en ait fait mention, & qui en ait exposé les vertus. Extrait de Geoffroi, Mat. méd.

Les feuilles de séné contiennent, selon M. Cartheuser, une huile essentielle, mais en très - petite quantité, & une huile qu'il appelle crassius unguinosum, & qui est de l'espece des huiles végétales que nous avons appellées beurre ou huile séparable par la décoction. Voyez à l'article HUILE.

Cet auteur a retiré environ sept grains de cette matiere d'une once de feuilles de séné. Ces feuilles contiennent aussi une partie odorante proprement dite ; car, selon le même chymiste, elles donnent une eau distillée d'une saveur & d'une odeur nauséeuse.

Il paroît que la vertu principale du séné dépend de cette partie volatile ; car non-seulement son goût & son odeur annoncent des propriétés médicinales, mais il est encore observé que le séné est dépouillé en très-grande partie de sa vertu, lorsqu'il a été soumis à une longue ébullition. Ceci est assez conforme à l'opinion la plus répandue ; car on a coutume de ne donner le séné qu'en infusion, ou d'en employer une plus grande dose lorsqu'on veut le faire bouillir, & cela précisément dans la vûe de ménager cette partie mobile, ou de la compenser. M. Cartheuser dit que la partie du séné qu'il appelle gommeuse, c'est-à-dire la partie fixe qu'on en retire par le menstrue aqueux, est plutôt diurétique que purgative, & que la partie résineuse qu'on en sépare par l'esprit-de-vin, cause de vives tranchées, mais ne purge point ; ce qui confirme le sentiment commun que nous avons embrassé. Au reste M. Cartheuser compte encore parmi les principes médicamenteux d'une infusion de séné, son huile essentielle & son huile onguineuse ou butyreuse ; mais que ces principes possedent ou non une vertu semblable à celle de l'infusion du séné ; il est sûr qu'ils ne contribuent en rien à l'efficacité de cette infusion, puisque cette infusion ne les contient pas. Tout ce que nous venons de dire des feuilles de séné, convient aussi très-vraisemblablement aux follicules.

Les feuilles & les follicules du séné fournissent un purgatif très-efficace, quoique son action ne soit point violente : l'une ou l'autre de ces matieres fait la base des potions purgatives le plus communément usitées. On les ordonne dans ces potions depuis un gros jusqu'à demi once. On employe aussi quelquefois le séné en substance & en poudre, mais seulement ou dumoins presque uniquement dans les électuaires officinaux ; car on l'employe bien quelquefois sous cette forme dans des remedes solides magistraux, mais très-rarement.

Le séné cause souvent des tranchées : on croit que cet accident est moins à craindre si on a soin de le monder exactement des queues ou pédicules des feuilles ; on a taché d'ailleurs de corriger ce mauvais effet en mêlant avec le séné diverses substances aromatiques, fortifiantes ou carminatives, comme le gingembre, le nard, l'anis, le fenouil, la coriandre, &c. On la fait infuser encore dans la décoction des fruits secs & sucrés, tels que les raisins secs, les figues, les jujubes, les dattes, &c. ou de quelques racines sucrées ou mucilagineuses, comme celles du polypode, de réglisse, de guimauve : tant pour châtrer sa trop grande activité, que pour masquer son mauvais goût. Voyez CORRECTIF.

Certains sels, soit alkalis, soit neutres, tels que le sel de tartre, le nitre, le sel végétal, le sel de seignette, le tartre vitriolé, &c. dissous d'avance dans la liqueur destinée à tirer l'infusion du séné, sont regardés comme favorisant l'action menstruelle de cette liqueur, & comme corrigeant le principe du séné dont elle se charge. Ces deux effets de ces sels sont également peu constatés.

Dans un mémoire de l'académie royale des Sciences, année 1701, par M. Marchand, il est rapporté que les feuilles de la scrophulaire aquatique étant mêlées en partie égale avec le séné, & infusées ensemble, en corrigeoient le mauvais goût d'une maniere singuliere ; cette espece de correction est cependant absolument hors d'usage.

C'est au contraire une pratique très-commune de mêler aux infusions de séné du jus de citron : cette infusion, destinée à être prise en plusieurs verres, & qui porte alors le nom de tisane royale, est ordinairement chargée d'une bonne quantité de jus de citrons.

Il est observé que le séné est dangereux dans les maladies inflammatoires exquises, & sur-tout dans les hémorrhagies. Il est donc prudent de ne pas employer ce purgatif dans ces cas. On pense communément que les follicules de séné sont beaucoup plus foibles que les feuilles ; & comme la plûpart des malades, & sur-tout dans les grandes villes, se font une espece de gloire d'être foibles & délicats, tout le monde veut être purgé avec des follicules ; il seroit même malhonnête d'ordonner des feuilles de séné aux personnes d'un certain rang. Il y a peu d'inconvénient à se prêter à leur fantaisie sur ce point : les follicules sont réellement un peu moins actives que les feuilles, mais la différence n'est pas très-grande. Au reste les Médecins ont été divisés sur ce problème, savoir s'il salloit toujours préférer les feuilles de séné, ou bien les follicules.

Les follicules ont eu des partisans d'un grand nom, tels que Sérapion, Mesué, Actuarius, Fernel, &c. Geoffroi dit que tous les médecins de son tems étoient décidés pour les feuilles : le tour des follicules est revenu.

Le séné entre dans le syrop de pommes composé, dans celui de roses pâles composé ; l'extrait panchymagogue, le lénitif, le catholicum, la confection hamech, les pilules sine quibus, la poudre purgative contre la goutte, &c. (b)


SÉNÉCHALS. m. (Gram. & Jurisprud.) seniscaleus, senescaleus, senescallus dapifer, est un officier dont les fonctions ont été différentes selon les tems.

Il paroît que dans l'origine c'étoit le plus ancien officier d'une maison, lequel en avoit le gouvernement.

Il y en avoit non-seulement chez les rois & les grands, mais même chez les particuliers.

Mais on distinguoit deux sortes de sénéchaux, les petits ou communs, & les grands.

Les premiers étoient ceux qui avoient l'intendance de la maison de quelque particulier.

Les grands sénéchaux étoient ceux qui étoient chez les princes, ils avoient l'intendance de leur maison en général, & singulierement de leur table ; ce qui leur fit donner le titre de dapifer : ils étoient à cet égard ce qu'on appelle aujourd'hui grand maître de la maison chez les princes, ou maître d'hôtel chez les autres seigneurs : mais les grands sénéchaux ne portoient les plats que dans les grandes cérémonies, comme au couronnement du roi, ou aux cours plénieres ; & hors ces cas, cette fonction étoit laissée aux sénéchaux ordinaires.

Le grand sénéchal ne portoit même que le premier plat ; & l'on voit en plusieurs occasions qu'il servoit à cheval : l'intendance qu'ils avoient de la maison du prince comprenoit l'administration des finances, ce qui les rendoit comptables.

Ils avoient en outre le commandement des armées, & c'étoient eux qui portoient à l'armée & dans les combats la banniere du roi, ce qui rendoit cette place fort considérable.

Sous la premiere race de nos rois, les sénéchaux étoient du nombre des grands du royaume ; ils assistoient aux plaids du roi, & souscrivoient les chartes qu'il donnoit. On trouve des exemples qu'il y en avoit quelquefois deux en même tems.

Il y en avoit aussi sous la seconde & la troisieme race de nos rois. Ils sont nommés dans les actes après le comte ou maire du palais, & avant tous les autres grands officiers.

La dignité de maire du palais ayant été éteinte, celle de grand- sénéchal de France prit la place. Ce grand- sénéchal avoit sous lui un autre sénéchal, qu'on appelloit simplement sénéchal de France. Le dernier qui remplit la place de grand-sénéchal fut Thibaut dit le Bon, comte de Blois & de Chartres sous Louis VII. il mourut en 1191.

Toutes les chartes données par nos rois jusqu'en 1262 font mention qu'il n'y avoit point de grand sénéchal, dapifero nullo, comme si cette charge n'eût pas encore été éteinte, mais seulement vacante ; quoi qu'il en soit, celle de grand-maître de la maison du roi paroît lui avoir succédé.

Enfin l'une des principales fonctions du grand- sénéchal étoit celle de rendre la justice aux sujets du prince, & en cette qualité il étoit préposé au-dessus de tous les autres juges.

Les souverains qui possédoient les provinces de droit écrit avoient chacun leur sénéchal ; celui d'Aquitaine avoit sous lui trois sous - sénéchaux, qui étoient ceux de Saintonge, de Quercy & du Limosin.

Lorsque ces provinces ont été réunies à la couronne, leur premier officier de justice a conservé le titre de sénéchal ; au-lieu que dans les pays de coutume nos rois ont établi des baillis, dont la fonction répond à celle de sénéchal.

Quelques - uns prétendent que les sénéchaux de province & les baillis n'étoient au commencement que de simples commissaires que le roi envoyoit dans les provinces, pour voir si la justice étoit bien rendue par les prevôts, vicomtes & viguiers. Quoi qu'il en soit, sous la troisieme race ils étoient érigés en titre d'office ; & depuis Louis XI. n'étant plus révocables, ils travaillerent à se rendre héréditaires.

Ils ont toujours été officiers d'épée, & ont, comme les baillis d'épée, le commandement des armes ; mais on ne leur a laissé que la conduite du ban & de l'arriere-ban, on leur a aussi ôté le maniement des finances, on leur a aussi donné des lieutenans de robe longue, pour rendre la justice en leur nom. Ils choisissoient eux-mêmes ces lieutenans jusqu'en 1491 ; présentement il ne leur reste plus de même qu'aux baillis, que la séance à l'audience & l'honneur que les sentences & contrats passés sous le scel de la sénéchaussée sont intitulés de leur nom.

Les comtes d'Anjou, les ducs de Normandie & d'Aquitaine, & autres grands seigneurs, ont aussi eu leurs sénéchaux ; cette place étoit même héréditaire dans certaines familles nobles. Voyez le recueil des ordonnances de la troisieme race, l'édit de Cremieu, celui de Crepy, Joly, Loyseau, le glossaire de Ducange, & les mots BAILLIFS, BAILLIAGE. (A)

SENECHAL AU DUC, (Hist. mod.) c'étoit un grand officier créé par les ducs de Normandie, qui jugeoit les affaires pendant la cessation de l'échiquier. Il revoyoit les jugemens rendus par les baillifs, & pouvoit les réformer. Il avoit soin de maintenir l'exercice de la justice & des loix par toute la province de Normandie. Par les lettres qui rendirent l'échiquier fixe & perpétuel sous Louis XII. en 1499, il est porté qu'arrivant le décès du grand- sénéchal de Brezé, cette charge demeureroit éteinte, & que sa jurisdiction seroit abolie. Supp. de Moréri, tome II.

SENECHAL D'ANGLETERRE, (Hist. d'Angleterre) le grand- sénéchal d'Angleterre étoit autrefois le premier officier de la couronne ; mais cette charge fut supprimée par Henri IV. parce qu'il en trouva l'autorité trop dangereuse. Aujourd'hui l'on en crée un nouveau ou quand il faut couronner le roi, ou quand il s'agit de juger un pair du royaume accusé de crime capital. (D.J.)


SÉNÉCHAUSSÉES. m. (Jurisprud.) est la jurisdiction du sénéchal, l'étendue de cette jurisdiction.

Il y a des sénéchaussées royales & des sénéchaussées seigneuriales : ces deux sortes de sénéchaussées sont réglées comme les bailliages. Voyez BAILLIAGE. (A)


SÉNÉCHAUX(Hist. mod.) en France officiers qui avoient autrefois une très-grande autorité, puisqu'elle s'étendoit sur les loix, les armes & les finances. Les ducs s'étant emparés du pouvoir d'administrer la justice, & ne voulant pas exercer en personne, établirent des officiers pour la rendre en leur nom & sous leur autorité : ils les appelloient baillifs en certains lieux, & en d'autres sénéchaux. Mais lorsque les rois de la troisieme race commencerent à réunir à la couronne les villes qui en avoient été démembrées, particulierement du tems de Hugues Capet, ils attribuerent aux juges ordinaires, c'est-à-dire aux baillifs & aux sénéchaux la connoissance des cas royaux & des causes d'appel du territoire des comtes. Sous la seconde race, c'étoient des commissaires ou missi dominici, que les vieux historiens appellent messagers, qui jugeoient ces causes d'appel dévolues au roi. Ainsi ces baillifs & sénéchaux, sous la troisieme race, furent revêtus non-seulement du pouvoir des commissaires royaux ou missi dominici, mais ils succéderent en quelque sorte à toute l'autorité des ducs & des comtes, ensorte qu'ils avoient l'administration de la justice, des armes & des finances. Ils jugeoient en dernier ressort, ce qui a duré jusqu'au tems où le parlement fut rendu sédentaire sous Philippe le Bel. Avant cela, on ne remarque aucun arrêt rendu sur des appellations des jugemens prononcés par les baillifs ou sénéchaux : mais toutes les charges étant devenues perpétuelles par l'ordonnance de Louis XI. les baillifs & sénéchaux non-contens de n'être plus révocables, tâcherent encore de devenir héréditaires. C'est pourquoi les rois appréhendant qu'ils n'usurpassent l'autorité souveraine, comme avoient fait les ducs & les comtes, leur ôterent d'abord le maniement des finances, & ensuite le commandement des armes en établissant des gouverneurs. On leur laissa seulement la conduite de l'arriere-ban, pour marque de leur ancien pouvoir. Il ne leur reste que la simple séance à l'audience, & l'honneur que les sentences & contrats sont intitulés en leur nom. Lorsque le sénéchal est présent, son lieutenant prononce, monsieur dit, & lorsqu'il est absent, nous disons. La plûpart des sénéchaussées ont été réunies successivement à la couronne. Les premiers rois de la troisieme race n'avoient même conservé sous ce titre que Paris, la Beauce, la Sologne, la Picardie, & une partie de la Bourgogne. Le sénéchal de Bourdeaux est grand-sénéchal de Guyenne. La Provence est divisée en neuf sénéchaussées sous un grand-sénéchal. Il y a un sénéchal particulier dans chaque sénéchaussée. François de Roye, in tract. de missi dominici ; Piganiol de la Force, nouv. descrip. de la France ; supplém. de Moréri, tome II.


SENEÇONS. m. senecio, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleurs en fleurons profondément découpés, portés sur un embryon, & soutenus par un calice d'une seule feuille, qui est d'abord cylindrique & découpé en plusieurs parties, & qui prend ensuite une forme conique. L'embryon devient dans la suite une semence garnie d'une aigrette ; alors le calice est communément replié en-dessous. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Entre les quatre especes de ce genre de plante, la petite est connue de tout le monde ; c'est le senecio minor vulgaris C. B. P. 131. I. R. H. 456. en anglois, the common small groundsel.

Cette plante a une petite racine fibrée, blanchâtre ; elle pousse même une ou plusieurs tiges à la hauteur d'environ un pié, rondes, cannelées, creuses en-dedans, quelquefois rougeâtres, rameuses, velues dans de certains endroits exposés au soleil, chargées de feuilles oblongues d'un verd obscur, découpées, dentelées, rangées alternativement, attachées par une base assez large sans queues, & terminées par une pointe obtuse. Les sommités de la tige & des rameaux portent des fleurs en bouquets, composées chacune de plusieurs fleurons jaunes, disposés en étoile, & soutenues par un calice d'une seule piece, avec cinq petites étamines à sommets cylindriques dans leur milieu. Après que leurs fleurs sont tombées, il leur succede plusieurs graines ovales, couronnées d'aigrettes longues, qui forment toutes ensemble une tête blanche.

Cette plante croît par-tout dans les champs, le long des chemins, dans les vignes, dans les jardins, aux endroits sablonneux & exposés au soleil ; elle se reproduit continuellement, & reste verte toute l'année : elle fleurit dans toutes les saisons, même en hiver ; & est déja vieille au printems. (D.J.)

SENEÇON, (Mat. méd.) cette plante est fort peu usitée intérieurement ; plusieurs auteurs assûrent pourtant que sa décoction purge légerement, & même qu'elle fait vomir. Mais encore un coup, le seneçon est absolument inusité pour l'intérieur.

Son usage le plus ordinaire est d'entrer, & même assez mal-à-propos, dans la décoction pour les clisteres appellés émolliens ; car le seneçon ne peut pas être proprement appellé émollient. Voyez EMOLLIENT.

On le fait entrer aussi quelquefois dans les cataplasmes résolutifs & maturatifs ; mais il possede la vertu résolutive dans un degré assez foible. (b)


SENÉEadj. (Gram. & Littér.) rime senée, terme de l'ancienne poésie françoise ; c'est une sorte d'acrostiche, où tous les mots commencent par une même lettre, ardeur, amour, adorable, angelique. Diction. de Trévoux.


SENEou SENEFFE, (Géog. mod.) village des Pays-bas dans le Brabant, à deux petites lieues de Nivelle vers le midi. Ce village est célebre par la bataille qui s'y donna le 11 Août 1674, entre M. le prince de Condé & le prince d'Orange, depuis roi d'Angleterre. Cette bataille fut affreuse, ou plutôt ce fut l'assemblage de plusieurs grands combats. On rapporte qu'il y eut environ 27000 corps d'enterrés dans un espace de deux lieues. Les François se vanterent de la victoire, parce que le champ de bataille leur resta ; mais les alliés prirent dans cette campagne depuis le jour de la bataille, Dinant, Grave & Huy. (D.J.)


SÉNÉGALLE ROYAUME DE (Géog. mod.) ou royaume de Sénéga ; royaume d'Afrique dans la haute Guinée, le long du fleuve Sénégal, où il s'étend l'espace d'environ 40 lieues. Son roi tributaire d'un autre, s'appelle brac, mot qui veut dire, roi des rois ; mais ce souverain n'est qu'un misérable, qui le plus souvent n'a pas de mil à manger, & qui pille les villages de son domaine, escorté par une centaine de coquins qui sont ses gardes. Ses sujets ne valent pas mieux ; ils se volent réciproquement, & tâchent de se vendre les uns les autres aux Européens qui font commerce d'esclaves sur leurs côtes. Leurs maisons, comme celle de leur roi, sont de paille & d'entrelacemens de palmier, sans portes, ni fenêtres, & n'ayant qu'un trou pour ouverture. Le bas de ces chaumieres est un plancher de sable, où l'on enfonce à mi-jambe. Leurs lits sont faits de quantité de petits bâtons joints ensemble par deux cordes, à-peu-près comme une claie. Quant aux productions de ce pays & aux autres détails qui le regardent, je renvoie le lecteur à l'histoire naturelle du Sénégal, par M. Adamson ; elle est imprimée à Paris, in -4°. 2 vol. avec fig. (D.J.)

SENEGAL, île (Géog. mod.) autrement île de Saint-Louis par les François ; petite île d'Afrique, à l'embouchure de la riviere de Sénégal, à deux lieues au-dessous de la grande île de Bifeche, & environ à trois quarts de lieue au-dessus de l'Islet aux Anglois. Les François y bâtirent un fort dans le dernier siecle, & c'étoit-là le principal comptoir de la compagnie dite du Sénégal. Cette petite île qui n'a pas une lieue de circuit, est à 15d. 57. de latitude septentrionale, au milieu de la riviere de Sénégal. (D.J.)

SENEGAL, riviere de, (Géog. mod.) riviere d'Afrique. Elle prend sa source dans le milieu de la Nigritie, coule vers le couchant, forme à son embouchure la petite île de Sénégal, & vient se rendre dans l'Océan, après un cours de trois à quatre cent lieues. Cette grande riviere sépare les Maures ou bazanés d'avec les Negres ; de façon que d'un côté du fleuve ce sont des maures jaunâtres, & de l'autre, des hommes parfaitement noirs ; les premiers sont errans & libres ; les Negres sont sédentaires, & ont des rois qui les font esclaves. Les Maures sont petits, maigres, d'un esprit fin & délié : les Negres sont grands, gras, sans génie. (D.J.)

SENEGAL, gomme du, (Hist. des drogues exot.) gomme entierement semblable à la gomme arabique. On l'appelle gomme du Sénégal, parce qu'on l'apporte de la province des Negres, située sur le bord du fleuve Sénégal. On en trouve présentement une grande quantité dans les boutiques, & en plus grands morceaux que la gomme arabique ; mais on ne sait pas de quel arbre elle découle, à moins que ce ne soit de quelque espece d'acacia. On en vend souvent des morceaux blancs & transparens, pour la véritable gomme arabique ; on ne peut les en distinguer en aucune maniere ; & ces gommes ne paroissent point différentes pour les vertus & les qualités. Les Negres se nourrissent souvent de cette gomme dissoute & bouillie avec du lait. Geoffroy. (D.J.)


SENÉKALE, (Botan. exot.) on l'appelle en anglois the rattle-snake-root, racine de serpent à sonnettes ; c'est la racine de polygala de Virginie, dont on doit la connoissance à M. Tennent, médecin écossois.

Au commencement de 1738, l'académie des Sciences de Paris reçut une lettre de ce médecin, par laquelle il lui faisoit part de ses observations à la côte de Virginie sur l'usage de la racine d'une plante nommée sénéka, ou seroka dans le pays, & qu'il avoit, disoit-il, employée avec beaucoup de succès pour la guérison des maladies inflammatoires de la poitrine. M. Tennent joignit à sa lettre le dessein de la plante, & environ une demi-once de cette racine qu'il avoit si heureusement mis en usage, tantôt en substance à la dose de trente-cinq grains (ce qu'il répétoit plusieurs jours de suite), tantôt en infusion à la dose de trois onces bouillies dans deux pintes d'eau, dont il donnoit au malade trois cueillerées par jour.

Gronovius & Miller nomment la plante, polygala virginiana, foliis alternis, integerrimis, racemo terminatrice erecto, Gron. flor. virg. polygala virginiana, foliis oblongis, floribus in thyrso candidis, radice alexipharmacâ, Miller. Sa racine est vivace, longue d'un demi-empan ou d'un empan, de la grosseur environ du petit doigt, plus ou moins, selon que la plante est plus ou moins avancée, tortueuse, partagée en plusieurs branches garnies de fibres latérales, & d'un côté saillantes, qui s'étendent dans toute sa longueur ; elle est jaunâtre en-dehors, blanche en-dedans, d'un goût âcre, un peu amer, & le germe est aromatique.

Les tiges qui en partent, sont nombreuses ; les unes droites, & les autres couchées sur terre, menues, jaunâtres, simples, sans branches, cylindriques, lisses, foibles, & d'environ un pié de longueur. Ces tiges sont chargées de feuilles ovales, pointues, alternes, longues d'environ un pouce, lisses, entieres ; elles deviennent plus grandes à mesure qu'elles approchent du sommet, & paroissent n'avoir point de queue. Les mêmes tiges sont terminées par un petit épi de fleurs, clair-semées, semblables à celles du polygala ordinaire, mais plus petites, alternes, & sans pédicules. On distingue la racine du sénéka par une côte membraneuse, saillante, qui regne d'un seul côté dans toute sa longueur.

M. Tennent dans son essai on the pleuresy, attribue à cette racine non-seulement les qualités diaphorétiques, mais encore la vertu de résoudre le sang visqueux, ténace & inflammatoire, celle de purger, & d'exciter quelquefois le vomissement ; il ajoute que les Indiens la regardent comme un puissant remede contre le venin du serpent à sonnettes.

M. Orry, contrôleur général, ayant fait venir en France une quantité considérable de cette racine, la fit distribuer à quelques médecins de Paris, qui enchantés de la nouveauté, en rendirent un compte si favorable, que l'historien de l'académie des Sciences appuyé de leur témoignage, mit le sénéka au rang des spécifiques du nouveau monde ; mais cette gloire qu'on lui attribuoit d'opérer des merveilles dans l'hydropisie & les maladies inflammatoires de la poitrine, s'est évanouie. Tous les exemples rapportés par M. Bouvard, un des grands partisans de ce remede, annoncent d'autant moins ses vertus dans les maladies chroniques, qu'il avoue lui-même que de cinq hydropiques auxquels il a donné le polygala de Virginie, il n'y en a pas un seul qui ait été guéri radicalement. Elle n'a pas été plus efficace dans les maladies inflammatoires de la poitrine. Le médecin écossois parle du polygala de Virginie comme purgeant légerement ; & le médecin françois prétend qu'il purge très-abondamment.

Dans cette contrariété d'avis, il faut que les expériences de l'un ou de l'autre médecin mal faites nous aient également été données pour des vérités. Enfin ce nouveau remede a de grands inconvéniens ; il ne peut être employé à cause de son activité, qu'avec beaucoup de circonspection, sans quoi, il ne manqueroit pas de causer plusieurs désordres dans la machine, de l'aveu de ses protecteurs ; la chaleur brûlante qu'il fait sentir à la région de l'estomac, lorsqu'on s'en sert en bol, prouve qu'il possede une âcreté corrosive, & par conséquent dangereuse, même dans les premieres voies ; c'en est assez pour sentir la fausseté des louanges prématurées prodiguées en 1744 à cette racine de l'Amérique. (D.J.)


SENEMBIS. m. (Hist. nat.) nom d'un lézard de l'Amérique, long d'environ quatre piés, & large d'un demi-pié ; il est écaillé, d'un beau verd, marqueté de taches blanches & noirâtres ; il a la tête longue d'environ deux doigts, les yeux grands, vifs, noirs, le museau & la langue gros ; les dents petites & noires ; on trouve dans sa tête de petites pierres, & surtout une grosse dans son estomac ; il a le cou gros & long ; il a tant de vie qu'il remue après qu'on l'a dépouillé de sa peau, & qu'on lui a coupé la tête ; on use des pierres qu'on trouve dans sa tête, contre la gravelle & le calcul de la vessie & des reins.


SÉNESTRÉadj. (terme de Blason) il se dit d'une piece de l'écu qui est accompagnée à gauche ou à senestre de quelqu'autre. La ville de Narbonne porte de gueules à la croix patriarchale d'or, senestrée d'une clé d'argent. (D.J.)


SENESTROCHERE(terme de Blason) il se dit de la figure d'un bras gauche qu'on représente sur l'écu, & qui est opposé à dextrochere, qui se dit du bras droit. (D.J.)


SENEVÉS. m. (Jardinage) plante qui produit une graine appellée assez communément la graine de moutarde, parce qu'elle entre effectivement dans la composition de la moutarde.

Il y a trois sortes de senevé, savoir le senevé sauvage, celui des jardins, & une troisieme sorte qui tient des deux autres. Le senevé des deux dernieres especes se seme ; celui qui vient dans les jardins, porte une graine noire qui entre dans la composition de la moutarde.

Il n'est pas permis aux marchands grenetiers de faire venir, ni d'exposer en vente du senevé, à moins qu'il n'ait été visité par les jurés vinaigriers, & ne peuvent même en acheter que quand les Vinaigriers en sont fournis. Voyez MOUTARDE & VINAIGRIER.


SÉNEou SÉNES, (Géog. mod.) en latin moderne, Sanitium, Sanitiensium urbs, &c. petite ville, ou plutôt méchante bourgade de France, en Provence, située dans un terrein froid & stérile, entre des montagnes, avec un évêché à quatre lieues de Digne, à égale distance de Castellane, & à quatorze d'Embrun. L'évêché de Sénez n'est connu que depuis le vj. siecle ; il est suffragant d'Embrun, & vaut environ douze mille livres de rente. La modicité de son revenu a fait qu'on a parlé quelquefois de l'unir à celui de Vence ; mais est-il nécessaire que tous les évêchés soient riches & considérables. Long. de Sénez 24. 18. latit. 43. 54. (D.J.)


SENGLONSS. m. terme de galere, pieces de bois qu'on met à l'intrade de proue & l'aissade de poupe, d'un côté & d'autre, & à même distance.


SENIA(Géogr. anc.) ville de la Liburnie, dans l'Illyrie. Ptolémée, l. II. c. xvj. la marque sur la côte, entre Velcena & Lopcica. C'est aujourd'hui la ville de Ségna. (D.J.)


SENLIS(Géog. mod.) par les Romains Augustomagus, Augustomagum, Atrebatum civitas ; ville de l'île de France, sur la petite riviere de Nonnette, à deux lieues de Chantilly, & à dix de Paris. Il y a dans cette ville six paroisses, bailliage, prevôté royale, présidial, élection, grenier à sel, maréchaussée & capitainerie de chasse. Cette ville est reglée en partie par la coutume de son nom, qui fut redigée en l'an 1530, & en partie par la coutume du Vexin françois. Le château où le présidial tient ses séances, a été bâti par S. Louis, & quelques enfans de France y ont été élevés.

L'évêché de Senlis est suffragant de Rheims, & a été établi, à ce qu'on dit, vers le milieu du iij. siecle. Le chapitre de la cathédrale est composé de trois dignités & de vingt-quatre canonicats ; ce chapitre a le privilege de committimus, par lettres patentes du mois de Janvier 1550, registrées au parlement le 20 Mai 1560.

Senlis est aujourd'hui un gouvernement particulier de l'île de France. Elle étoit autrefois de la seconde Belgique, & les Romains qui l'ont bâtie, lui attribuerent un territoire. Hugues Capet étoit déjà propriétaire de cette ville, lorsqu'il fut élu roi. Longit. suivant Cassini, 19. 36. 30. lat. 49. 12. 26.

Goulart (Simon), un des plus infatigables écrivains d'entre les Protestans, étoit natif de Senlis, & fut ministre à Genève. Peu de gens ont exercé cet emploi aussi long-tems que lui, car il succéda à Calvin l'an 1564, mourut l'an 1628, âgé de 86 ans, & il avoit prêché sept jours avant sa mort. Il étoit tellement au fait de tout ce qui se passoit en matiere de librairie, qu'Henri III. desirant connoître l'auteur qui se déguisa sous le nom de Stephanus Junius Brutus, pour débiter sa doctrine républicaine, envoya un homme exprès à Simon Goulart, afin de s'en informer ; mais Goulart qui savoit en effet tout le mystère, n'eut garde de le découvrir.

La Croix du Maine vous indiquera plusieurs traductions françoises composées par notre senlisien. Ajoutez-y la version de toutes les oeuvres de Séneque, & les méditations historiques de Camérarius.

Scaliger estimoit beaucoup les ouvrages de M. Goulart. Son Cyprien est si bien & si joliment travaillé, dit-il, que je l'ai lu tout d'une haleine. Quand il ne mettoit pas son nom à un livre, il le désignoit par ces trois lettres initiales S. G. S. qui vouloient dire, Simon Goulart senlisien. C'est à cette marque que le P. Labbe croit, avec raison, l'avoir reconnu pour l'auteur des notes marginales, & des sommaires qui accompagnent les annales de Nicetas Choniates, dans l'édition de Genève 1593.

Pajot (François), plus connu sous le nom du poëte Liniere, étoit surnommé de son tems l'athée de Senlis. Il étoit bien fait de sa personne, & né avec d'agréables qualités. Il avoit de l'esprit, de la vivacité & du talent pour la poésie aisée ; mais satyrique, libertin, débauché. Il acheva de se gâter par sa crapule. Il ne réussissoit pas mal à des couplets satyriques, & sur-tout à des chansons impies, ce qui fit que Despréaux lui dit un jour, qu'il n'avoit de l'esprit que contre Dieu.

Madame Deshoulieres, qui prend quelquefois le parti des mauvais poëtes, s'est efforcée autant qu'elle l'a pu, de justifier Liniere du reproche d'irréligion & de libertinage, quoiqu'il eût entrepris une critique abominable du nouveau Testament. Voici les propres vers de cette dame.

On le croit indévot, mais, quoique l'on en die,

Je crois que dans le fond Tirsis n'est pas impie.

Quoiqu'il raille souvent des articles de foi,

Je crois qu'il est autant catholique que moi....

Ce dernier vers ne donneroit pas une haute idée de la catholicité de la belle muse françoise ; mais Liniere lui-même n'en avoue pas tant dans son propre portrait, où il s'explique ainsi sur les sentimens qu'il avoit de la religion.

La lecture a rendu mon esprit assez fort

Contre toutes les peurs que l'on a de la mort ;

Et ma religion n'a rien qui m'embarrasse ;

Je me ris du scrupule, & je hais la grimace, &c.

Il mourut en 1704, âgé de 76 ans. On voit de lui diverses pieces dans les volumes de poésies choisies, imprimées chez Serci. Il en court aussi beaucoup de manuscrites. (D.J.)


SENNARROYAUME DE, (Géog. mod.) royaume d'Afrique, dans la Nubie au midi, borné à l'ouest par celui de Sudan. Ce royaume, autrefois tributaire de l'empereur des Abyssins, est aujourd'hui dépendant du roi de Fungi. Les peuples de cet état ont le visage noir, les levres épaisses & le nez écrasé. Les femmes riches sont couvertes d'une toile de coton. Leurs cheveux sont tressés, & chargés comme leurs bras, leurs jambes & leurs oreilles, d'anneaux d'argent, de cuivre, de laiton, ou de verre de diverses couleurs ; mais les pauvres filles n'ont rien de tout cela, & n'ont pour vêtement qu'une petite piece de toile, depuis la ceinture jusqu'aux genoux. Les enfans vont tout nuds. La chaussure des hommes & des femmes consiste en une simple semelle attachée aux piés avec des courroies ou des cordons. Les chaleurs du pays sont insupportables depuis le mois de Janvier jusqu'à la fin d'Avril ; elles sont suivies de pluies abondantes qui durent trois mois, & qui infectent l'air. Les habitans vivent de pain fait d'une graine appellée dora. Leurs maisons sont de terre, basses & couvertes de feuillages. Le palais de leur roi est entouré de murs de briques cuites au soleil. Ce prince est vétu d'une robe de soie, & ceint d'une espece d'écharpe de toile de coton. Il a sur la tête un turban blanc, & paroît toujours en public ayant le visage couvert d'une gaze de soie. On tire du royaume de Sennar des dents d'éléphant, du tamarin, de la poudre d'or & des esclaves. Sa capitale, ou plutôt la seule ville de ce pays s'appelle Sennar. Voyez-en l'article. (D.J.)

SENNAR, (Géog. mod.) ville d'Afrique, capitale du royaume de même nom, sur une hauteur, au couchant & près du Nil. Ses maisons n'ont qu'un étage & sont mal bâties ; celles des fauxbourgs ne sont que de méchantes cabanes faites de cannes : mais la situation de la ville est très-favorable, & tous les vivres y sont à grand marché. Long. 50. 24. latit. septentrionale, suivant les observations du P. Brevedent, 13. 4. (D.J.)


SENNE(Pêche) Voyez SEINE & SEINETTE.

SENNE, LA, (Géog. mod.) riviere des Pays-bas. Elle prend sa source dans le hainaut, entre le Roeulx & Soigues, coule à Soigueis, à Halle, à Bruxelles, à Vilvorden, à Hessein, & de-là elle va se perdre dans la Dyle, à une grande lieue au-dessus de Malines. (D.J.)


SENONES(Géog. anc.) 1°. Peuples de la Gaule Celtique ou Lyonnoise, vers l'embouchure de l'Yonne. Ptolémée, lib. II. c. viij. nomme leur capitale Agedicum ou Agendicum, aujourd'hui Provins.

2°. Peuples d'Italie dans la Gaule Cispadane, sur le bord de la mer Adriatique. Ces peuples gaulois d'origine, ne s'étoient point avisés de passer les Alpes, aux quatre premieres migrations de Gaulois sous Bellovèse. Ils n'y penserent qu'environ 200 ans après, à la sollicitation d'Aruns qui vouloit se venger de Lucumon. Celui-ci parmi tous les peuples de la Gaule Celtique, choisit les Sénonois, peut-être parce que leur pays étoit moins épuisé d'hommes ; puisque les Sénonois n'avoient point suivi Bellovèse. Il leur vanta l'abondance dont ils jouiroient en Italie, & leur fit goûter du vin qu'il en avoit apporté. Les Sénonois se déterminerent à le suivre, & leur armée fut très-nombreuse.

Après avoir passé les Alpes, ils n'attaquerent point les Celtes, mais allerent se jetter sur l'Umbrie, qui n'avoit encore été que peu entamée. Ils s'y établirent, selon Polybe & Tite-Live, depuis l'Uteus jusqu'à l'Aesis, & depuis la mer Adriatique jusque vers l'Apennin. Ils mirent environ six ans à cet établissement. Au bout de ce tems, & de l'année de Rome 362, Aruns les conduisit devant Clusium, pour assiéger cette place, où sa femme & son ravisseur s'étoient enfermés. Les Romains inquiets du voisinage de ces peuples, offrirent de terminer le différend à l'amiable par leur médiation ; cette médiation fut rejettée.

Les ambassadeurs romains, de pacificateurs étant alors devenus ennemis, les Sénonois qui s'en apperçurent, en envoyerent demander justice à la république ; & comme elle refusa de leur donner la satisfaction qu'ils exigeoient, ils marcherent droit à Rome. Ils défirent, chemin faisant, l'armée romaine & entrerent quelques jours après dans Rome, qu'ils pillerent & reduisirent en cendres, à l'exception du capitole qu'ils tenterent inutilement d'emporter ; & dont la résistance facilita aux Romains le moyen de chasser à la fin leurs ennemis.

Environ 100 ans après cette grande expédition, les Sénonois furent, selon Strabon, lib. V. exterminés par les Romains ; mais Polybe, lib. II. plus exact dans cet endroit que Strabon, dit qu'ils furent chassés du pays qu'ils occupoient, par M. Curius Dentatus, consul avec P. Cornelius Rufinus, l'an de Rome 463.

Ce ne fut que 7 ans après, à ce que nous apprennent Polybe, Denys d'Halicarnasse & Florus, que les Sénonois furent exterminés par le consul Dolabella. Ils furent alors tellement anéantis, qu'à peine resta-t-il dans l'Italie quelques vestiges de cette nation que la prise de Rome avoit si fort distinguée. Dès le consulat de M. Curius Dentatus, ils avoient perdu la plus grande partie de leur pays, depuis l'Aesis jusqu'au Rubicon, & les Romains avoient envoyé une colonie à Sena gallica, aujourd'hui Sinigaglia. Ils occupoient le reste du pays depuis le Rubicon jusqu'à l'Uteus, lorsque P. Cornelius Dolabella les défit sur les bords du lac de Vadimon en Etrurie. (D.J.)


SENONOIS LE(Géogr. mod.) pays de France le long de la riviere d'Yonne, faisant partie du grand gouvernement de Champagne. Il est très-difficile d'en déterminer les bornes ; ceux qui sont les plus éclairés sur cette matiere, par la connoissance qu'ils ont du pays dans lequel ils demeurent, ne donnant rien sur quoi on puisse satisfaire la curiosité du lecteur. Ce fut en partie la demeure des anciens Sénones, peuples puissans de la Gaule Celtique, dont César dans ses commentaires, fait un grand éloge en disant : civitas imprimis firma, & magnae inter Gallos autoritatis. Il faut remarquer que civitas, dans César, se prend très-souvent pour le peuple dépendant d'un pays. Ainsi les Sénones au jugement de César, avoient une valeur qui les accréditoit beaucoup parmi les Gaulois.

Les Sénonois étoient néanmoins in fide Aeduorum, ce qu'il faut entendre d'une espece de ligue offensive & défensive qui étoit entre ces peuples. Mais l'ancienne étendue est impénétrable ; il faut se contenter de celle de nos jours, qui ne va pas d'un côté jusqu'à Joigny, & de l'autre va beaucoup au-delà.

Pour éviter le fabuleux, il est bon de ne pas pousser plus loin les bornes de ce pays. Les Séquaniens & les Sénonois étoient deux peuples distingués ; & pour peu qu'on lise Florus avec attention, on verra qu'il ne confond point ces deux peuples. Cet historien dit d'une maniere fort claire, que les Sénonois étoient des peuples de la Gaule, qui étoient venus s'établir entre les Alpes & le Pô. Ainsi une colonie des Sénonois, ou les Sénonois domiciliés, doivent encore être distingués. Voici comme s'explique Florus, l. I. c. xiij. Hi, id est Senones galli, quondam ab ultimis terrarum oris, & cingente omnia Oceano, ingenti agmine profecti, quum jam media vestassent, positis inter Alpes & Padum sedibus, ne his quidem contenti, per Italiam vagabantur. Florus dans un autre endroit assure que cette colonie fut entierement détruite par la valeur des Romains. (D.J.)


SENSS. m. (Gramm.) ce mot est souvent synonyme de signification & d'acception ; & quand on n'a qu'à indiquer d'une maniere vague & indéfinie la représentation dont les mots sont chargés, on peut se servir indifféremment de l'un ou de l'autre de ces trois termes. Mais il y a bien des circonstances où le choix n'en est pas indifférent, parce qu'ils sont distingués l'un de l'autre par des idées accessoires qu'il ne faut pas confondre, si l'on veut donner au langage grammatical le mérite de la justesse, dont on ne sauroit faire assez de cas. Il est donc important d'examiner les différences de ces synonymes ; je commencerai par les deux mots signification & acception, & je passerai ensuite au détail des différens sens que le grammairien peut envisager dans les mots ou dans les phrases.

Chaque mot a d'abord une signification primitive & fondamentale, qui lui vient de la décision constante de l'usage, & qui doit être le principal objet à déterminer dans un dictionnaire, ainsi que dans la traduction littérale d'une langue en une autre ; mais quelquefois le mot est pris avec abstraction de l'objet qu'il représente, pour n'être considéré que dans les élémens matériels dont il peut être composé, ou pour être rapporté à la classe des mots à laquelle il appartient : si l'on dit, par exemple, qu'un rudiment est un livre qui contient les élémens de la langue latine, choisis avec sagesse, disposés avec intelligence, énoncés avec clarté, c'est faire connoître la signification primitive & fondamentale du mot ; mais si l'on dit que rudiment est un mot de trois syllabes, ou un nom du genre masculin, c'est prendre alors le mot avec abstraction de toute signification déterminée, quoiqu'on ne puisse le considérer comme mot sans lui en supposer une. Ces deux diverses manieres d'envisager la signification primitive d'un mot, en sont des acceptions différentes, parce que le mot est pris, accipitur, ou pour lui-même ou pour ce dont il est le signe. Si la signification primitive du mot y est directement & déterminément envisagée, le mot est pris dans une acception formelle ; telle est l'acception du mot rudiment dans le premier exemple : si la signification primitive du mot n'y est point envisagée déterminément, qu'elle n'y soit que supposée, que l'on en fasse abstraction, & que l'attention ne soit fixée immédiatement que sur le matériel du mot, il est pris alors dans une ACCEPTION matérielle ; telle est l'acception du mot rudiment dans le second exemple.

En m'expliquant, article MOT, sur ce qui concerne la signification primitive des mots, j'y ai distingué la signification objective, & la signification formelle ; ce que je rappelle, afin de faire observer la différence qu'il y a entre la signification & l'acception formelle. La signification objective, c'est l'idée fondamentale qui est l'objet individuel de la signification du mot, & qui peut être représentée par des mots de différentes especes ; la signification formelle, c'est la maniere particuliere dont le mot présente à l'esprit l'objet dont il est le signe, laquelle est commune à tous les mots de la même espece, & ne peut convenir à ceux des autres especes : la signification objective & la signification formelle, constituent la signification primitive & totale du mot. Or, il s'agit toujours de cette signification totale dans l'acception, soit formelle, soit matérielle du mot, selon que cette signification totale y est envisagée déterminément, ou que l'on en fait abstraction pour ne s'occuper déterminément que du matériel du mot.

Mais la signification objective est elle-même sujette à différentes acceptions, parce que le même mot matériel peut être destiné par l'usage à être, selon la diversité des occurrences, le signe primitif de diverses idées fondamentales. Par exemple, le mot françois coin exprime quelquefois une sorte de fruit, malum cydonium ; d'autres fois un angle, angulus ; tantôt un instrument méchanique pour fendre, cuneus ; & tantôt un autre instrument destiné à marquer les médailles & la monnoie, typus : ce sont autant d'acceptions différentes du mot coin, parce qu'il est fondamentalement le signe primitif de chacun de ces objets, que l'on ne désigne dans notre langue par aucun autre nom. Chacune de ces acceptions est formelle, puisqu'on y envisage directement la signification primitive du mot ; mais on peut les nommer distinctives, puisqu'on y distingue l'une des significations primitives que l'usage a attachées au mot, de toutes les autres dont il est susceptible. Il ne laisse pas d'y avoir dans notre langue, & apparemment dans toutes les autres, bien des mots susceptibles de plusieurs acceptions distinctives : mais il n'en résulte aucune équivoque, parce que les circonstances fixent assez l'acception précise qui y convient, & que l'usage n'a mis dans ce cas aucun des mots qui sont fréquemment nécessaires dans le discours. Voici, par exemple, quatre phrases différentes : l'ESPRIT est essentiellement indivisible ; la lettre tue & l'ESPRIT vivifie ; reprenez vos ESPRITS ; ce foetus a été conservé dans l'ESPRIT-de-vin : le mot esprit y a quatre acceptions distinctives qui se présentent sans équivoque à quiconque sait la langue françoise, & que, par cette raison même, je me dispenserai d'indiquer plus amplement. Voyez ESPRIT.

Outre toutes les acceptions dont on vient de parler, les mots qui ont une signification générale, comme les noms appellatifs, les adjectifs & les verbes, sont encore susceptibles d'une autre espece d'acceptions que l'on peut nommer déterminatives.

Les acceptions déterminatives des noms appellatifs dépendent de la maniere dont ils sont employés, & qui fait qu'ils présentent à l'esprit ou l'idée abstraite de la nature commune qui constitue leur signification primitive, ou la totalité des individus en qui se trouve cette nature, ou seulement une partie indéfinie de ces individus ; ou enfin un ou plusieurs de ces individus précisément déterminés : selon ces différens aspects, l'acception est ou spécifique ou universelle, ou particuliere ou singuliere. Ainsi quand on dit, agir en HOMME, on prend le nom homme dans une acception spécifique, puisqu'on n'envisage que l'idée de la nature humaine ; si l'on dit, tous les HOMMES sont avides de bonheur, le même nom homme a une acception universelle, parce qu'il désigne tous les individus de l'espece humaine ; quelques HOMMES ont l'ame élevée, ici le nom homme est pris dans une acception particuliere, parce qu'on n'indique qu'une partie indéfinie de la totalité des individus de l'espece ; cet HOMME (en parlant de César) avoit un génie supérieur ; ces douze HOMMES (en parlant des Apôtres) n'avoient par eux-mêmes rien de ce qui peut assurer le succès d'un projet aussi vaste que l'établissement du Christianisme : le nom homme dans ces deux exemples a une acception singuliere, parce qu'il sert à déterminer précisément, dans l'une des phrases, un individu, & dans l'autre douze individus de l'espece humaine. On peut voir au mot NOM, art. 1. §. 1. n. 3. les différens moyens de modifier ainsi l'étendue des noms appellatifs.

Plusieurs adjectifs, des verbes & des adverbes sont également susceptibles de différentes acceptions déterminatives, qui sont toujours indiquées par les complémens qui les accompagnent, & dont l'effet est de restraindre la signification primitive & fondamentale de ces mots : un homme SAVANT, un homme SAVANT en grammaire, un homme très- SAVANT, un homme plus SAVANT qu'un autre ; voilà l'adjectif savant pris sous quatre acceptions différentes, en conservant toujours la même signification. Il en seroit de même des adverbes & des verbes, selon qu'ils auroient tel ou tel complément, ou qu'ils n'en auroient point. Voyez REGIME.

Il paroît évidemment par tout ce qui vient d'être dit, que toutes les especes d'acceptions, dont les mots en général & les différentes sortes de mots en particulier peuvent être susceptibles, ne sont que différens aspects de la signification primitive & fondamentale : qu'elle est supposée, mais qu'on en fait abstraction dans l'acception matérielle : qu'elle est choisie entre plusieurs dans les acceptions distinctives : qu'elle est déterminée à la simple désignation de la nature commune dans l'acception spécifique ; à celle de tous les individus de l'espece dans l'acception universelle ; à l'indication d'une partie indéfinie des individus de l'espece dans l'acception particuliere ; & à celle d'un ou de plusieurs de ces individus précisément déterminés dans l'acception singuliere : en un mot, la signification primitive est toujours l'objet immédiat des diverses acceptions.

1. SENS propre, SENS figuré. Il n'en est pas ainsi à l'égard des différens sens dont un mot est susceptible, la signification primitive en est plutôt le fondement que l'objet, si ce n'est lorsque le mot est employé pour signifier ce pourquoi il a été d'abord établi par l'usage, sous quelqu'une des acceptions qui viennent d'être détaillées ; on dit alors que le mot est employé dans le SENS propre, comme quand on dit, le feu brûle, la lumiere nous éclaire, la clarté du jour ; car tous ces mots conservent dans ces phrases leur signification primitive sans aucune altération, c'est pourquoi ils sont dans le sens propre.

" Mais, dit M. du Marsais, Trop. Part. I. art. vj. quand un mot est pris dans un autre sens, il paroît alors, pour ainsi dire, sous une forme empruntée, sous une figure qui n'est pas sa figure naturelle, c'est-à-dire celle qu'il a eue d'abord ; alors on dit que ce mot est dans un SENS figuré, quel que puisse être le nom que l'on donne ensuite à cette figure particuliere : par exemple, le FEU de vos yeux, le FEU de l'imagination, la LUMIERE de l'esprit, la CLARTE d'un discours.... La liaison, continue ce grammairien, ibid. art. vij. §. 1. qu'il y a entre les idées accessoires, je veux dire, entre les idées qui ont rapport les unes aux autres, est la source & le principe de divers sens figurés que l'on donne aux mots. Les objets qui font sur nous des impressions, sont toujours accompagnés de différentes circonstances qui nous frappent, & par lesquelles nous désignons souvent, ou les objets mêmes qu'elles n'ont fait qu'accompagner, ou ceux dont elles nous rappellent le souvenir... Souvent les idées accessoires, désignant les objets avec plus de circonstances que ne feroient les noms propres de ces objets, les peignent ou avec plus d'énergie où avec plus d'agrément. De-là le signe pour la chose signifiée, la cause pour l'effet, la partie pour le tout, l'antécédent pour le conséquent & les autres tropes, voyez TROPE. Comme l'une de ces idées ne sauroit être réveillée sans exciter l'autre, il arrive que l'expression figurée est aussi facilement entendue que si l'on se servoit du mot propre ; elle est même ordinairement plus vive & plus agréable quand elle est employée à-propos, parce qu'elle réveille plus d'une image ; elle attache ou amuse l'imagination, & donne aisément à deviner à l'esprit.

Il n'y a peut-être point de mot, dit-il ailleurs, §. 4. qui ne se prenne en quelque sens figuré, c'est-à-dire, éloigné de sa signification propre & primitive. Les mots les plus communs, & qui reviennent souvent dans le discours, sont ceux qui sont pris le plus fréquemment dans un sens figuré, & qui ont un plus grand nombre de ces sortes de sens : tels sont corps, ame, tête, couleur, avoir, faire, &c.

Un mot ne conserve pas dans la traduction tous les sens figurés qu'il a dans la langue originale : chaque langue a des expressions figurées qui lui sont particulieres, soit parce que ces expressions sont tirées de certains usages établis dans un pays, & inconnus dans un autre ; soit par quelqu'autre raison purement arbitraire.... Nous disons porter envie, ce qui ne seroit pas entendu en latin par ferre invidiam ; au contraire, morem gerere alicui, est une façon de parler latine, qui ne seroit pas entendue en françois ; si on se contentoit de la rendre mot-à-mot, & que l'on traduisît, porter la coutume à quelqu'un, au-lieu de dire, faire voir à quelqu'un qu'on se conforme à son goût, à sa maniere de vivre, être complaisant, lui obéir.... ainsi quand il s'agit de traduire en une autre langue quelque expression figurée, le traducteur trouve souvent que sa langue n'adopte point la figure de la langue originale ; alors il doit avoir recours à quelqu'autre expression figurée de sa propre langue, qui réponde, s'il est possible, à celle de son auteur. Le but de ces sortes de traductions n'est que de faire entendre la pensée d'un auteur ; ainsi on doit alors s'attacher à la pensée & non à la lettre, & parler comme l'auteur lui-même auroit parlé, si la langue dans laquelle on le traduit, avoit été sa langue naturelle ; mais quand il s'agit de faire entendre une langue étrangere, on doit alors traduire littéralement, afin de faire comprendre le tour original de cette langue.

Nos dictionnaires, §. 5. n'ont point assez remarqué ces différences, je veux dire, les divers sens que l'on donne par figure à un même mot dans une même langue, & les différentes significations que celui qui traduit est obligé de donner à un même mot ou à une même expression, pour faire entendre la pensée de son auteur. Ce sont deux idées fort différentes que nos dictionnaires confondent ; ce qui les rend moins utiles & souvent nuisibles aux commençans. Je vais faire entendre ma pensée par cet exemple.

Porter se rend en latin dans le sens propre par ferre : mais quand nous disons porter envie, porter la parole, se porter bien ou mal, &c. on ne se sert plus de ferre pour rendre ces façons de parler en latin ; la langue latine a ses expressions particulieres pour les exprimer ; porter ou ferre ne sont plus alors dans l'imagination de celui qui parle latin : ainsi quand on considere porter, tout seul & séparé des autres mots qui lui donnent un sens figuré, on manqueroit d'exactitude dans les dictionnaires françois-latins, si l'on disoit d'abord simplement, que porter se rend en latin par ferre, invidere, alloqui, valere, &c.

Pourquoi donc tombe-t-on dans la même faute dans les dictionnaires latin-françois, quand il s'agit de traduire un mot latin ? Pourquoi joint-on à la signification propre d'un mot, quelqu'autre signification figurée, qu'il n'a jamais tout seul en latin ? La figure n'est que dans notre françois, parce que nous nous servons d'une autre image, & par conséquent de mots tout différens. (Voyez le dictionnaire latin-françois, imprimé sous le nom de R. P. Tachart, en 1727, & quelqu'autres dictionnaires nouveaux.) Mittere, par exemple, signifie, y dit-on, envoyer, retenir, arrêter, écrire ; n'est-ce pas comme si l'on disoit dans le dictionnaire françois-latin, que porter se rend en latin par ferre, invidere, alloqui, valere ? jamais mittere n'a eu la signification de retenir, d'arrêter, d'écrire, dans l'imagination d'un homme qui parloit latin. Quand Térence a dit, (Adelph. III. ij. 37.) lacrymas mitte, & (Hec. V. ij. 14.) missam iram faciet ; mittere avoit toujours dans son esprit la signification d'envoyer : envoyez loin de vous vos larmes, votre colere, comme on renvoye tout ce dont on veut se défaire : que si en ces occasions nous disons plutôt, retenez vos larmes, retenez votre colere, c'est que pour exprimer ce sens, nous avons recours à une métaphore prise de l'action que l'on fait quand on retient un cheval avec le frein, ou quand on empêche qu'une chose ne tombe ou ne s'échappe : ainsi il faut toujours distinguer deux sortes de traductions. (voyez TRADUCTION, VERSION, syn.) Quand on ne traduit que pour faire entendre la pensée d'un auteur, on doit rendre, s'il est possible, figure par figure, sans s'attacher à traduire littéralement ; mais quand il s'agit de donner l'intelligence d'une langue, ce qui est le but des dictionnaires, on doit traduire littéralement, afin de faire entendre le sens figuré qui est en usage dans cette langue à l'égard d'un certain mot ; autrement c'est tout confondre.

Je voudrois donc que nos dictionnaires donnassent d'abord à un mot latin la signification propre que ce mot avoit dans l'imagination des auteurs latins : qu'ensuite ils ajoutassent les divers sens figurés que les latins donnoient à ce mot ; mais quand il arrive qu'un mot joint à un autre, forme une expression figurée, un sens, une pensée que nous rendons en notre langue par une image différente de celle qui étoit en usage en latin ; alors je voudrois distinguer : 1°. si l'explication littérale qu'on a déja donnée du mot latin, suffit pour faire entendre à la lettre l'expression figurée, ou la pensée littérale du latin ; en ce cas, je me contenterois de rendre la pensée à notre maniere ; par-exemple, mittere, envoyer ; mitte iram, retenez votre colere ; mittere epistolam alicui, écrire une lettre à quelqu'un. 2°. Mais lorsque la façon de parler latine, est trop éloignée de la françoise, & que la lettre n'en peut pas être aisément entendue, les dictionnaires devroient l'expliquer d'abord littéralement, & ensuite ajouter la phrase françoise qui répond à la latine ; par exemple, laterem crudum lavare, laver une brique crue, c'est à-dire, perdre son tems & sa peine, perdre son latin ; qui laveroit une brique avant qu'elle fût cuite, ne feroit que de la boue, & perdroit la brique ; on ne doit pas conclure de cet exemple, que jamais lavare ait signifié en latin, perdre ; ni later, tems ou peine. "

II. SENS déterminé, SENS indéterminé. Quoique chaque mot ait nécessairement dans le discours une signification fixe, & une acception déterminée, il peut néanmoins avoir un sens indéterminé, en ce qu'il peut encore laisser dans l'esprit quelque incertitude sur la détermination précise & individuelle des sujets dont on parle, des objets que l'on désigne.

Que l'on dise, par exemple, des HOMMES ont cru que les animaux sont de pures machines ; un HOMME d'une naissance incertaine, jetta les premiers fondemens de la capitale du monde : le nom homme, qui a dans ces deux exemples une signification fixe, qui y est pris sous une acception formelle & déterminative, y conserve encore un sens indéterminé, parce que la détermination individuelle des sujets qu'il y désigne, n'y est pas assez complete ; il peut y avoir encore de l'incertitude sur cette détermination totale, pour ceux du moins qui ignoreroient l'histoire du cartésianisme & celle de Rome ; ce qui prouve que la lumiere de ceux qui ne resteroient point indécis à cet égard, après avoir entendu ces deux propositions, ne leur viendroit d'ailleurs que du sens même du mot homme.

Mais si l'on dit, les CARTESIENS ont cru que les animaux sont de pures machines ; ROMULUS jetta les premiers fondemens de la capitale du monde : ces deux propositions ne laissent plus aucune incertitude sur la détermination individuelle des hommes dont il y est question ; le sens en est totalement déterminé.

III. SENS actif, SENS passif. Un mot est employé dans un sens actif, quand le sujet auquel il se rapporte, est envisagé comme le principe de l'action énoncée par ce mot ; il est employé dans le sens passif, quand le sujet auquel il a rapport, est consideré comme le terme de l'impression produite par l'action que ce mot énonce : par exemple les mots aide & secours sont pris dans un sens actif, quand on dit, mon AIDE, ou mon SECOURS vous est utile ; car c'est comme si l'on disoit, l'AIDE, ou le SECOURS que je vous donnerois, vous est inutile : mais ces mêmes mots sont dans un sens passif, si l'on dit, accourez à mon AIDE, venez à mon SECOURS ; car ces mots marquent alors l'aide ou le secours que l'on me donnera, dont je suis le terme & non pas le principe. (Voyez Vaugelas, Rem. 541.) Cet enfant SE GATE, pour dire qu'il tache ses hardes, est une phrase où les deux mots se gâte, ont le sens actif, parce que l'enfant auquel ils se rapportent, est envisagé comme principe de l'action de gâter : cette robe SE GATE, est une autre phrase où les deux mêmes mots ont le sens passif, parce que la robe à laquelle ils ont rapport, est considerée comme le terme de l'impression produite par l'action de gâter. Voyez PASSIF.

" Simon, dans l'Andrienne, (I. ij. 17.) rappelle à Sosie les bienfaits dont il l'a comblé : me remettre ainsi vos bienfaits devant les yeux, lui dit Sosie, c'est me reprocher que je les ai oubliés ; (isthaec commemoratio quasi exprobratio est IMMEMORIS beneficii.) Les interprêtes, d'accord entr'eux pour le fond de la pensée, ne le sont pas pour le sens d'immemoris : se doit-il prendre dans un sens actif, ou dans un sens passif ? Made. Dacier dit que ce mot peut être expliqué des deux manieres : exprobratio mei IMMEMORIS, & alors immemoris est actif ; ou bien, exprobratio beneficii IMMEMORIS, le reproche d'un bienfait oublié, & alors immemoris est passif. Selon cette explication, quand immemor veut dire celui qui oublie, il est pris dans un sens actif ; aulieu que quand il signifie ce qui est oublié, il est dans un sens passif, du moins par rapport à notre maniere de traduire littéralement. " (Voyez M. du Marsais, Trop. part. III. art iij.) Ciceron a dit, dans le sens actif, adeonè IMMEMOR rerum à me gestarum esse videor ; & Tacite a dit bien décidément dans le sens passif, immemor beneficium. C'est la même chose du mot opposé memor. Plaute l'emploie dans le sens actif, quand il dit fac sis promissi MEMOR ; (Pseud.) & MEMOREM mones, (Capt.) au contraire, Horace l'emploie dans le sens passif, lorsqu'il dit :

Impressit MEMOREM dente labris notam.

I. Od. 13.

M. du Marsais, (Loc. cit.) tire de ce double sens de ces mots, une conséquence que je ne crois point juste ; c'est qu'en latin ils seroient dans un sens neutre. Il me semble que cet habile grammairien oublie ici la signification du mot de neutre, c'est-à-dire, selon lui-même, ni actif ni passif : or on ne peut pas dire qu'un mot qui peut se prendre alternativement dans un sens actif & dans un sens passif, ait un sens neutre, de même qu'on ne peut pas dire qu'un nom comme finis, tantôt masculin & tantôt féminin, soit du genre neutre. Il faut dire que dans telle phrase, le mot a un sens actif ; dans telle autre, un sens passif, & qu'en lui-même il est susceptible des deux sens, (utriusque & non pas neutrius.) C'est peut être alors qu'il faut dire que le sens en est par lui-même indéterminé, & qu'il devient déterminé par l'usage que l'on en fait.

D'après les notions que j'ai données du sens actif & du sens passif, si l'on vouloit reconnoître un sens neutre, il faudroit l'attribuer à un mot essentiellement actif, dont le sujet ne seroit envisagé ni comme principe, ni comme terme de l'action énoncée par ce mot : or cela est absolument impossible, parce que tout sujet auquel se rapporte une action, en est nécessairement le principe ou le terme.

Une des causes qui a jetté M. du Marsais dans cette méprise, c'est qu'il a confondu sens & signification ; ce qui est pourtant fort différent ; tout mot pris dans une acception formelle, a une signification active, ou passive, ou neutre, selon qu'il exprime une action, une passion, ou quelque chose qui n'est ni action, ni passion ; mais il a cette signification par lui-même, & indépendamment des circonstances des phrases : au lieu que les mots susceptibles du sens actif, ou du sens passif, ne le sont qu'en vertu des circonstances de la phrase, hors de-là, ils sont indéterminés à cet égard.

IV. SENS absolu, SENS relatif. J'en ai parlé ailleurs, & je n'ai rien à en dire de plus. V. RELATIF, art. II.

V. SENS collectif, SENS distributif. Ceci ne peut regarder que les mots pris dans une acception universelle : or il faut distinguer deux sortes d'universalité, l'une métaphysique, & l'autre morale. L'universalité est métaphysique quand elle est sans acception, comme tout HOMME est mortel. L'universalité est morale, quand elle est susceptible de quelques exceptions, comme tout VIEILLARD loue le tems passé. C'est donc à l'égard des mots pris dans une acception universelle, qu'il y a sens collectif, on sens distributif. Ils sont dans un sens collectif, quand ils énoncent la totalité des individus, simplement comme totalité : ils sont dans un sens distributif, quand on y envisage chacun des individus séparément. Par exemple, quand on dit en France que les EVEQUES jugent infailliblement en matiere de foi, le nom évêques y est pris seulement dans le sens collectif, parce que la proposition n'est vraie que du corps épiscopal, & non pas de chaque évêque en particulier, ce qui est le sens distributif. Lorsque l'universalité est morale, il n'y a de même que le sens collectif qui puisse être regardé comme vrai ; le sens distributif y est nécessairement faux à cause des exceptions : ainsi dans cette proposition, tout VIEILLARD loue le tems passé, il n'y a de vrai que le sens collectif, parce que cela est assez généralement vrai, ut plurimùm ; le sens distributif en est faux, parce qu'il se trouve des vieillards équitables qui ne louent que ce qui mérite d'être loué. Lorsque l'universalité est métaphysique, & qu'elle n'indique pas individuellement la totalité, il y a vérité dans le sens collectif & dans le sens distributif, parce que l'énoncé est vrai de tous & de chacun des individus ; comme tout HOMME est mortel.

VI. SENS composé, SENS divisé. Je vais transcrire ici ce qu'en a dit M. du Marsais, Trop. part. III. art. viij.

" Quand l'évangile dit, Mat. xj. 5. les AVEUGLES voyent, les BOITEUX marchent, ces termes, les aveugles, les boiteux, se prennent en cette occasion dans le sens divisé ; c'est-à-dire, que ce mot aveugles se dit là de ceux qui étoient aveugles & qui ne le sont plus ; ils sont divisés, pour ainsi dire, de leur aveuglement ; car les aveugles, en tant qu'aveugles (ce qui seroit le sens composé), ne voyent pas.

L'évangile, Mat. xxvj. 6. parle d'un certain Simon appellé le lépreux, parce qu'il l'avoit été ; c'est le sens divisé.

Ainsi quand S. Paul a dit, I. Cor. vj. 9. que les IDOLATRES n'entreront point dans le royaume des cieux, il a parlé des idolâtres dans le sens composé, c'est-à-dire, de ceux qui demeureront dans l'idolâtrie. Les idolâtres, en tant qu'idolâtres, n'entreront pas dans le royaume des cieux ; c'est le sens composé : mais les idolâtres qui auront quitté l'idolâtrie, & qui auront fait pénitence, entreront dans le royaume des cieux ; c'est le sens divisé.

Apelle ayant exposé, selon sa coutume, un tableau à la critique du public, un cordonnier censura la chaussure d'une figure de ce tableau : Apelle réforma ce que le cordonnier avoit blâmé. Mais le lendemain le cordonnier ayant trouvé à redire à une jambe, Apelle lui dit qu'un cordonnier ne devoit juger que de la chaussure ; d'où est venu le proverbe, ne sutor ultrà crepidam, suppléez judicet. La récusation qu'Apelle fit de ce cordonnier, étoit plus piquante que raisonnable : un cordonnier, en tant que cordonnier, ne doit juger que de ce qui est de son métier ; mais si ce cordonnier a d'autres lumieres, il ne doit point être récusé, par cela seul qu'il est cordonnier : en tant que cordonnier, (ce qui est le sens composé), il juge si un soulier est bien fait & bien peint ; & en tant qu'il a des connoissances supérieures à son métier, il est juge compétent sur d'autres points ; il juge alors dans le sens divisé, par rapport à son métier de cordonnier.

Ovide parlant du sacrifice d'Iphigénie, Met. xij. 29. dit que l'intérêt public triompha de la tendresse paternelle, [& que] le roi vainquit le pere : postquam pietatem publica causa, rexque patrem vicit. Ces dernieres paroles sont dans un sens divisé. Agamemnon se regardant comme roi, étouffe les sentimens qu'il ressent comme pere.

Dans le sens composé, un mot conserve sa signification à tous égards, & cette signification entre dans la composition du sens de toute la phrase : au lieu que dans le sens divisé, ce n'est qu'en un certain sens, & avec restriction, qu'un mot conserve son ancienne signification ".

VII. SENS littéral, SENS spirituel. C'est encore M. du Marsais qui va parler. Ibid. art. ix.

" Le sens littéral est celui que les mots excitent d'abord dans l'esprit de ceux qui entendent une langue ; c'est le sens qui se présente naturellement à l'esprit. Entendre une expression littéralement, c'est la prendre au pié de la lettre. Quae dicta sunt secundùm litteram accipere, id est, non aliter intelligere quàm littera sonat ; Aug. Gen. ad. litt. lib. VIII. c. ij. tom. III. C'est le sens que les paroles signifient immédiatement, is quem verba immediatè significant.

Le sens spirituel est celui que le sens littéral renferme ; il est enté, pour ainsi dire, sur le sens littéral ; c'est celui que les choses signifiées par le sens littéral font naître dans l'esprit. Ainsi dans les paraboles, dans les fables, dans les allégories, il y a d'abord un sens littéral : on dit, par exemple, qu'un loup & un agneau vinrent boire à un même ruisseau ; que le loup ayant cherché querelle à l'agneau, il le dévora. Si vous vous attachez simplement à la lettre, vous ne verrez dans ces paroles qu'une simple avanture arrivée à deux animaux : mais cette narration a un autre objet, on a dessein de vous faire voir que les foibles sont quelquefois opprimés par ceux qui sont plus puissans : & voilà le sens spirituel, qui est toujours fondé sur le sens littéral ".

§. 1. Division du SENS littéral. " Le sens littéral est donc de deux sortes.

1. Il y a un sens littéral rigoureux ; c'est le sens propre d'un mot, c'est la lettre prise à la rigueur, strictè.

2. La seconde espece de sens littéral, c'est celui que les expressions figurées dont nous avons parlé, présentent naturellement à l'esprit de ceux qui entendent bien une langue ; c'est un sens littéral figuré : par exemple, quand on dit d'un politique, qu'il seme à propos la division entre ses propres ennemis, semer ne se doit pas entendre à la rigueur selon le sens propre, & de la même maniere qu'on dit semer du blé : mais ce mot ne laisse pas d'avoir un sens littéral, qui est un sens figuré qui se présente naturellement à l'esprit. La lettre ne doit pas toujours être prise à la rigueur ; elle tue, dit saint Paul, II. Cor. iij. 6. On ne doit point exclure toute signification métaphorique & figurée. Il faut bien se garder, dit S. Augustin, de doctr. christ. l. III. c. v. tom. III. Paris, 1685, de prendre à la lettre une façon de parler figurée ; & c'est à cela qu'il faut appliquer ce passage de S. Paul, la lettre tue, & l'esprit donne la vie. In principio cavendum est ne figuratam locutionem ad litteram accipias ; & ad hoc enim pertinet quod aït apostolus, littera occidit, spiritus autem vivificat.

Il faut s'attacher au sens que les mots excitent naturellement dans notre esprit, quand nous ne sommes point prévenus & que nous sommes dans l'état tranquille de la raison : voilà le véritable sens littéral figuré ; c'est celui-là qu'il faut donner aux loix, aux canons, aux textes des coutumes, & même à l'Ecriture-sainte.

Quand J. C. a dit, Luc ix. 62. celui qui met la main à la charrue & qui regarde derriere lui, n'est point propre pour le royaume de Dieu, on voit bien qu'il n'a pas voulu dire qu'un laboureur qui en travaillant tourne quelquefois la tête, n'est pas propre pour le ciel ; le vrai sens que ces paroles présentent naturellement à l'esprit, c'est que ceux qui ont commencé à mener une vie chrétienne & à être les disciples de Jesus-Christ, ne doivent pas changer de conduite ni de doctrine, s'ils veulent être sauvés : c'est donc là un sens littéral figuré. Il en est de même des autres passages de l'évangile, où Jesus-Christ dit, Mat. v. 39, de présenter la joue gauche à celui qui nous a frappé sur la droite, &, ib. 29. 30. de s'arracher la main ou l'oeil qui est un sujet de scandale : il faut entendre ces paroles de la même maniere qu'on entend toutes les expressions métaphoriques & figurées ; ce ne seroit pas leur donner leur vrai sens, que de les entendre selon le sens littéral pris à la rigueur ; elles doivent être entendues selon la seconde sorte de sens littéral, qui réduit toutes ces façons de parler figurées à leur juste valeur, c'est-à-dire, au sens qu'elles avoient dans l'esprit de celui qui a parlé, & qu'elles excitent dans l'esprit de ceux qui entendent la langue où l'expression figurée est autorisée par l'usage. Lorsque nous donnons au blé le nom de Cérès, dit Cicéron, de nat. deor. lib. III. n °. 41. à lin. xvj. & au vin le nom de Bacchus, nous nous servons d'une façon de parler usitée en notre langue, & personne n'est assez dépourvu de sens pour prendre ces paroles à la rigueur de la lettre....

Il y a souvent dans le langage des hommes un sens littéral qui est caché, & que les circonstances des choses découvrent : ainsi il arrive souvent que la même proposition a un tel sens dans la bouche ou dans les écrits d'un certain homme, & qu'elle en a un autre dans les discours & dans les ouvrages d'un autre homme ; mais il ne faut pas légerement donner des sens désavantageux aux paroles de ceux qui ne pensent pas en tout comme nous ; il faut que ces sens cachés soient si facilement développés par les circonstances, qu'un homme de bon sens qui n'est pas prévenu ne puisse pas s'y méprendre. Nos préventions nous rendent toujours injustes, & nous font souvent prêter aux autres des sentimens qu'ils détestent aussi sincerement que nous les détestons.

Au reste, je viens d'observer que le sens littéral figuré est celui que les paroles excitent naturellement dans l'esprit de ceux qui entendent la langue où l'expression figurée est autorisée par l'usage : ainsi pour bien entendre le véritable sens littéral d'un auteur, il ne suffit pas d'entendre les mots particuliers dont il s'est servi, il faut encore bien entendre les façons de parler usitées dans le langage de cet auteur ; sans quoi, ou l'on n'entendra point le passage, ou l'on tombera dans des contre-sens. En françois, donner parole, veut dire promettre ; en latin, verba dare, signifie tromper : poenas dare alicui, ne veut pas dire donner de la peine à quelqu'un, lui faire de la peine, il veut dire au contraire, être puni par quelqu'un, lui donner la satisfaction qu'il exige de nous, lui donner notre supplice en payement, comme on paye une amende. Quand Properce dit à Cinthie, dabis mihi perfida poenas, II. eleg. v. 3. il ne veut pas dire, perfide, vous m'allez causer bien des tourmens, il lui dit au contraire, qu'il la fera repentir de sa perfidie. Perfide, vous me le payerez : voilà peut-être ce qui répond le plus exactement au dabis mihi poenas de Properce.

Il n'est pas possible d'entendre le sens littéral de l'Ecriture sainte, si l'on n'a aucune connoissance des hébraïsmes & des hellénismes, c'est-à-dire des façons de parler de la langue hébraïque & de la langue grecque. Lorsque les interpretes traduisent à la rigueur de la lettre, ils rendent les mots & non le véritable sens. De-là vient qu'il y a, par exemple, dans les pseaumes, plusieurs versets qui ne sont pas intelligibles en latin. Montes Dei, ps. 35, ne veut pas dire des montagnes consacrées à Dieu, mais de hautes montagnes ". Voyez IDIOTISME & SUPERLATIF.

" Dans le nouveau Testament même il y a plusieurs passages qui ne sauroient être entendus, sans la connoissance des idiotismes, c'est-à-dire, des façons de parler des auteurs originaux. Le mot hébreu qui répond au mot latin verbum, se prend ordinairement en hébreu pour chose signifiée par la parole ; c'est le mot générique qui répond à negotium ou res des Latins. Transeamus usque Bethleem, & videamus hoc VERBUM quod factum est. Luc ij. 15. Passons jusqu'à Bethléem, & voyons ce qui y est arrivé. Ainsi lorsqu'au troisieme verset, du chapitre 8 du Deutéronome, il est dit (Deus) dedit tibi cibum manna quod ignorabas tu & patres tui, ut ostenderet tibi quod non in solo panne vivat homo, sed in omni verbo quod egreditur de ore Dei. Vous voyez que in omni verbo signifie in omni re, c'est-à-dire, de tout ce que Dieu dit, ou veut qui serve de nourriture. C'est dans ce même sens que Jesus-Christ a cité ce passage : le démon lui proposoit de changer les pierres en pain ; il n'est pas nécessaire de faire ce changement, répond Jesus-Christ, car l'homme ne vit pas seulement de pain, il se nourrit encore de tout ce qui plaît à Dieu de lui donner pour nourriture, de tout ce que Dieu dit qui servira de nourriture. Mat. iv. 4. Voilà le sens littéral ; celui qu'on donne communément à ces paroles, n'est qu'un sens moral. "

§. 2. Division du SENS spirituel. " Le sens spirituel est aussi de plusieurs sortes. 1. Le SENS moral. 2. Le SENS allégorique. 3. Le SENS anagogique..

1. SENS moral. " Le sens moral est une interprétation selon laquelle on tire quelque instruction pour les moeurs. On tire un sens moral des histoires, des fables, &c. Il n'y a rien de si profane dont on ne puisse tirer des moralités, ni rien de si sérieux qu'on ne puisse tourner en burlesque. Telle est la liaison que les idées ont les unes avec les autres : le moindre rapport réveille une idée de moralité dans un homme dont le goût est tourné du côté de la morale ; & au contraire celui dont l'imagination aime le burlesque, trouve du burlesque par-tout.

Thomas Walleis, jacobin anglois, fit imprimer vers la fin du xv. siecle, à l'usage des prédicateurs, une explication morale des métamorphoses d'Ovide. Nous avons le Virgile travesti de Scarron. Ovide n'avoit point pensé à la morale que Walleis lui prête, & Virgile n'a jamais eu les idées burlesques que Scarron a trouvées dans son Enéide. Il n'en est pas de même des fables morales ; leurs auteurs mêmes nous en découvrent les moralités ; elles sont tirées du texte comme une conséquence est tirée de son principe. "

2. SENS allégorique. " Le sens allégorique se tire d'un discours, qui, à le prendre dans son sens propre, signifie toute autre chose : c'est une histoire qui est l'image d'une autre histoire, ou de quelqu'autre pensée. Voyez ALLEGORIE.

L'esprit humain a bien de la peine à demeurer indéterminé sur les causes dont il voit ou dont il ressent les effets ; ainsi lorsqu'il ne connoît pas les causes, il en imagine & le voilà satisfait. Les payens imaginerent d'abord des causes frivoles de la plûpart des effets naturels : l'amour fut l'effet d'une divinité particuliere : Prométhée vola le feu du ciel : Cérès inventa le blé, Bacchus le vin, &c. Les recherches exactes sont trop pénibles, & ne sont pas à la portée de tout le monde. Quoi qu'il en soit, le vulgaire superstitieux, dit le P. Sanadon, poésies d'Hor. t. I. pag. 504, fut la dupe des visionnaires qui inventerent toutes ces fables.

Dans la suite, quand les payens commencerent à se policer & à faire des réflexions sur ces histoires fabuleuses, il se trouva parmi eux des mystiques, qui en envelopperent les absurdités sous le voile des allégories & des sens figurés, auxquels les premiers auteurs de ces fables n'avoient jamais pensé.

Il y a des pieces allégoriques en prose & en vers : les auteurs de ces ouvrages ont prétendu qu'on leur donnât un sens allégorique ; mais dans les histoires, & dans les autres ouvrages dans lesquels il ne paroît pas que l'auteur ait songé à l'allégorie, il est inutile d'y en chercher. Il faut que les histoires dont on tire ensuite les allégories, ayent été composées dans la vue de l'allégorie ; autrement les explications allégoriques qu'on leur donne ne prouvent rien, & ne sont que des explications arbitraires dont il est libre à chacun de s'amuser comme il lui plaît, pourvu qu'on n'en tire pas des conséquences dangereuses.

Quelques auteurs, Indiculus historico-chronologicus, in Fabri thesauro, ont trouvé une image des révolutions arrivées à la langue latine, dans la statue que Nabuchodonosor vit en songe ; Dan. ij. 31. ils trouvent dans ce songe une allégorie de ce qui devoit arriver à la langue latine.

Cette statue étoit extraordinairement grande ; la langue latine n'étoit-elle pas répandue presque par tout ?

La tête de cette statue étoit d'or, c'est le siecle d'or de la langue latine ; c'est le tems de Térence, de César, de Cicéron, de Virgile ; en un mot, c'est le siecle d'Auguste.

La poitrine & les bras de la statue étoient d'argent ; c'est le siecle d'argent de la langue latine ; c'est depuis la mort d'Auguste jusqu'à la mort de l'empereur Trajan, c'est-à-dire jusqu'environ cent ans après Auguste.

Le ventre & les cuisses de la statue étoient d'airain ; c'est le siecle d'airain de la langue latine, qui comprend depuis la mort de Trajan jusqu'à la prise de Rome par les Goths, en 410.

Les jambes de la statue étoient de fer, & les piés partie de fer & partie de terre ; c'est le siecle de fer de la langue latine, pendant lequel les différentes incursions des barbares plongerent les hommes dans une extrême ignorance ; à-peine la langue latine se conserva-t-elle dans le langage de l'Eglise.

Enfin une pierre abattit la statue ; c'est la langue latine qui cessa d'être une langue vivante.

C'est ainsi qu'on rapporte tout aux idées dont on est préoccupé.

Les sens allégoriques ont été autrefois fort à la mode, & ils le sont encore en orient ; on en trouvoit partout jusque dans les nombres. Métrodore de Lampsaque, au rapport de Tatien, avoit tourné Homere tout entier en allégories. On aime mieux aujourd'hui la réalité du sens littéral. Les explications mystiques de l'Ecriture-sainte qui ne sont point fixées par les apôtres, ni établies clairement par la revélation, sont sujettes à des illusions qui menent au fanatisme. Voyez Huet, Origenianor. lib. II. quaest. 13. pag. 171. & le livre intitulé, Traité du sens littéral & du sens mystique, selon la doctrine des peres. "

3. SENS anagogique. " Le sens anagogique n'est guere en usage que lorsqu'il s'agit de différens sens de l'Ecriture-sainte. Ce mot anagogique vient du grec qui veut dire élévation : , dans la composition des mots, signifie souvent au-dessus, en-haut, veut dire conduite, de , je conduis : ainsi le sens anagogique de l'Ecriture-sainte est un sens mystique qui éleve l'esprit aux objets célestes & divins de la vie éternelle dont les saints jouissent dans le ciel.

Le sens littéral est le fondement des autres sens de l'Ecriture-sainte. Si les explications qu'on en donne ont rapport aux moeurs, c'est le sens moral.

Si les explications des passages de l'ancien Testament regardent l'Eglise & les mysteres de notre religion par analogie ou ressemblance, c'est le sens allégorique ; ainsi le sacrifice de l'agneau pascal, le serpent d'airain élevé dans le desert, étoient autant de figures du sacrifice de la croix.

Enfin lorsque ces explications regardent l'Eglise triomphante & la vie des bienheureux dans le ciel, c'est le sens anagogique ; c'est ainsi que le sabbat des Juifs est regardé comme l'image du repos éternel des bienheureux. Ces différens sens qui ne sont point le sens littéral, ni le sens moral, s'appellent aussi en général SENS tropologique, c'est-à-dire sens figuré. Mais, comme je l'ai déja remarqué, il faut suivre dans le sens allégorique & dens le sens anagogique ce que la révélation nous en apprend, & s'appliquer sur-tout à l'intelligence du sens littéral, qui est la regle infaillible de ce que nous devons croire & pratiquer pour être sauvés ".

VIII. SENS adapté. C'est encore M. du Marsais qui va nous instruire, Ib. art. x.

" Quelquefois on se sert des paroles de l'Ecriture-sainte ou de quelque auteur profane, pour en faire une application particuliere qui convient au sujet dont on veut parler, mais qui n'est pas le sens naturel & littéral de l'auteur dont on les emprunte ; c'est ce qu'on appelle sensus accommodatitius, sens adapté.

Dans les panégyriques des saints & dans les oraisons funebres, le texte du discours est pris ordinairement dans le sens dont nous parlons. M. Fléchier, dans son oraison funebre de M. de Turenne, applique à son héros ce qui est dit dans l'Ecriture à l'occasion de Judas Macchabée qui fut tué dans une bataille.

Le pere le Jeune de l'oratoire, fameux missionnaire, s'appelloit Jean ; il étoit devenu aveugle : il fut nommé pour prêcher le carême à Marseille aux Acoules ; voici le texte de son premier sermon : Fuit homo missus à Deo, cui nomen erat Joannes ; non erat ille lux, sed ut testimonium perhiberet de lumine, Joan j. 6. On voit qu'il faisoit allusion à son nom & à son aveuglement.

Il y a quelques passages des auteurs profanes qui sont comme passés en proverbes, & auxquels on donne communément un sens détourné, qui n'est pas précisément le même sens que celui qu'ils ont dans l'auteur d'où ils sont tirés ; en voici des exemples :

1. Quand on veut animer un jeune homme à faire parade de ce qu'il sait, ou blâmer un savant de ce qu'il se tient dans l'obscurité, on lui dit ce vers de Perse, sat. j. 27. Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter. Toute votre science n'est rien, si les autres ne savent pas combien vous êtes savant. La pensée de Perse est pourtant de blâmer ceux qui n'étudient que pour faire ensuite parade de ce qu'ils savent :

En pallor, seniumque : o mores ! usque adeone

Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter ?

Il y a une interrogation & une surprise dans le texte, & l'on cite le vers dans un sens absolu.

2. On dit d'un homme qui parle avec emphase, d'un style ampoulé & recherché, que

Projicit ampullas & sesquipedalia verba :

il jette, il fait sortir de sa bouche des paroles enflées & des mots d'un pié & demi. Cependant ce vers a un sens tout contraire dans Horace, Art poët. 97. La tragédie, dit ce poëte, ne s'exprime pas toujours d'un style pompeux & élevé : Télephe & Pélée, tous deux pauvres, tous deux chassés de leurs pays, ne doivent pas recourir à des termes enflés, ni se servir de grands mots : il faut qu'ils fassent parler leur douleur d'un style simple & naturel, s'ils veulent nous toucher, & que nous nous intéressions à leur mauvaise fortune ; ainsi projicit, dans Horace, veut dire il rejette.

Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri

Telephus & Peleus, cum pauper & exul uterque

Projicit ampullas & sesquipedalia verba,

Si curat cor spectantis tetigisse querelâ.

M. Boileau, Art poétiq. ch. III. nous donne le même précepte :

Que devant Troie en flamme, Hécube desolée

Ne vienne pas pousser une plainte ampoulée

Cette remarque, qui se trouve dans la plûpart des commentateurs d'Horace, ne devoit point échapper aux auteurs des dictionnaires sur le mot projicere.

3. Souvent pour excuser les fautes d'un habile homme, on cite ce mot d'Horace, Art poét. 359. Quandoque bonus dormitat Homerus ; comme si Horace avoit voulu dire que le bon Homere s'endort quelquefois. Mais quandoque est là pour quandocumque, (toutes les fois que) ; & bonus est pris en bonne part. Je suis fâché, dit Horace, toutes les fois que je m'apperçois qu'Homere, cet excellent poëte, s'endort, se néglige, ne se soutient pas.

Indignor quandoque bonus dormitat Homerus.

M. Danet s'est trompé dans l'explication qu'il donne de ce passage dans son dictionnaire latin-françois sur ce mot quandoque.

4. Enfin pour s'excuser quand on est tombé dans quelque faute, on cite ce vers de Térence, Heaut I. j. 25.

Homo sum, humani nihil à me alienum puto,

comme si Térence avoit voulu dire, je suis homme, je ne suis point exempt des foiblesses de l'humanité ; ce n'est pas là le sens de Térence. Chrémès, touché de l'affliction où il voit Ménédème son voisin, vient lui demander quelle peut être la cause de son chagrin, & des peines qu'il se donne : Ménédème lui dit brusquement, qu'il faut qu'il ait bien du loisir pour venir se mêler des affaires d'autrui. Je suis homme, répondit tranquillement Chrémès ; rien de tout ce qui regarde les autres hommes n'est étranger pour moi, je m'intéresse à tout ce qui regarde mon prochain.

On doit s'étonner, dit madame Dacier, que ce vers ait été si mal entendu, après ce que Cicéron en a dit dans le premier livre des Offices.

Voici les paroles de Cicéron, I. Offic. n. 29. à lin. IX. Est enim difficilis cura rerum alienarum, quanquam Terentianus ille Chremes humani nihil à se alienum putat. J'ajouterai un passage de Séneque, qui est un commentaire encore plus clair de ces paroles de Térence. Séneque ce philosophe payen, explique dans une de ses lettres comment les hommes doivent honorer la majesté des dieux ; il dit que ce n'est qu'en croyant à eux, en pratiquant de bonnes oeuvres, & en tâchant de les imiter dans leurs perfections, qu'on peut leur rendre un culte agréable : il parle ensuite de ce que les hommes se doivent les uns aux autres. Nous devons tous nous regarder, dit-il, comme étant les membres d'un grand corps ; la nature nous a tirés de la même source, & par-là nous a tous faits parens les uns des autres ; c'est elle qui a établi l'équité & la justice. Selon l'institution de la nature, on est plus à plaindre quand on nuit aux autres, que quand on en reçoit du dommage. La nature nous a donné des mains pour nous aider les uns les autres ; ainsi ayons toujours dans la bouche & dans le coeur ce vers de Térence ; je suis homme, rien de tout ce qui regarde les hommes n'est étranger pour moi ".

Membra summus corporis magni, natura nos cognatos edidit, cùm ex iisdem & in idem gigneret. Haec nobis amorem indidit mutuum & sociabiles fecit ; illa aequum justumque composuit : ex illius constitutione miserius est nocere quam laedi ; & illius imperio paratae sunt ad juvandum manus. Iste versus & in pectore & in ore sit, Homo sum, humani nihil à me alienum puto. Habeamus in commune, quod nati summus, Sénec. ep. xcv.

" Il est vrai en général que les citations & les applications doivent être justes autant qu'il est possible, puisqu'autrement elles ne prouvent rien, & ne servent qu'à montrer une fausse érudition : mais il y auroit du rigorisme à condamner tout sens adapté.

Il y a bien de la différence entre rapporter un passage comme une autorité qui prouve, ou simplement comme des paroles connues, auxquelles on donne un sens nouveau qui convient au sujet dont on veut parler : dans le premier cas, il faut conserver le sens de l'auteur ; mais dans le second cas, les passages auxquels on donne un sens différent de celui qu'ils ont dans leur auteur, sont regardés comme autant de parodies, & comme une sorte de jeu dont il est souvent permis de faire usage ".

IX SENS louche, SENS équivoque. Le sens louche naît plutôt de la disposition particuliere des mots qui entrent dans une phrase, que de ce que les termes en sont équivoques en soi. Ainsi ce seroit plutôt la phrase qui devroit être appellée louche, si l'on vouloit s'en tenir au sens littéral de la métaphore : " car, dit M. du Marsais, Trop. part. III. art. vj. comme les personnes louches paroissent regarder d'un côté pendant qu'elles regardent d'un autre, de même dans les constructions louches, les mots semblent avoir un certain rapport pendant qu'ils en ont un autre " : par conséquent c'est la phrase même qui a le vice d'être louche ; & comme les objets vus par les personnes louches ne sont point louches pour cela, mais seulement incertaines à l'égard des autres, de même le sens louche ne peut pas être regardé proprement comme louche, il n'est qu'incertain pour ceux qui entendent ou qui lisent la phrase. Si donc on donne le nom de sens louche à celui qui résulte d'une disposition louche de la phrase, c'est par métonymie que l'on transporte à la chose signifiée le nom métaphorique donné d'abord au signe. Voici un exemple de construction & de sens louche, pris par M. du Marsais, dans cette chanson si connue d'un de nos meilleurs opéra :

Tu sais charmer,

Tu sais désarmer

Le dieu de la guerre :

Le dieu du tonnerre

Se laisse enflammer.

" Le dieu du tonnerre, dit notre grammairien, paroît d'abord être le terme de l'action de charmer & de désarmer, aussi bien que le dieu de la guerre : cependant quand on continue à lire, on voit aisément que le dieu du tonnerre est le nominatif ou le sujet de se laisse enflammer ".

Voici un autre exemple cité par Vaugelas, Rem. 119. " Germanicus, (en parlant d'Alexandre) a égalé sa vertu, & son bonheur n'a jamais eu de pareil.... On appelle cela, dit-il, une construction louche, parce qu'elle semble regarder d'un côté, & elle regarde de l'autre ". On voit que ce puriste célebre fait tomber en effet la qualification de louche sur la construction plutôt que sur le sens de la phrase, conformément à ce que j'ai remarqué. " Je sais bien, ajoute-t-il en parlant de ce vice d'élocution, & j'adopte volontiers sa remarque : je sais bien qu'il y aura assez de gens qui nommeront ceci un scrupule & non pas une faute, parce que la lecture de toute la période fait entendre le sens, & ne permet d'en douter ; mais toujours ils ne peuvent pas nier que le lecteur & l'auditeur n'y soient trompés d'abord, & quoiqu'ils ne le soient pas long tems, il est certain qu'ils ne sont pas bien-aises de l'avoir été, & que naturellement on n'aime pas à se méprendre : enfin c'est une imperfection qu'il faut éviter, pour petite qu'elle soit, s'il est vrai qu'il faille toujours faire les choses de la façon la plus parfaite qu'il se peut, sur-tout lorsqu'en matiere de langage il s'agit de la clarté de l'expression ".

Le sens louche naît donc de l'incertitude de la relation grammaticale de quelqu'un des mots qui composent la phrase. Mais que faut-il entendre par un sens équivoque, & quelle en est l'origine ? Car ces deux expressions ne sont pas identiques, quoique M. du Marsais semble les avoir confondues (loc. cit.) Le sens équivoque me paroît venir sur-tout de l'indétermination essentielle à certains mots, lorsqu'ils sont employés de maniere que l'application actuelle n'en est pas fixée avec assez de précision. Tels sont les adjectifs conjonctifs qui & que, & l'adverbe conjonctif donc ; parce que n'ayant par eux-mêmes ni nombre ni genre déterminé, la relation en devient nécessairement douteuse, pour peu qu'ils ne tiennent pas immédiatement à leur antécédent. Tels sont nos pronoms de la troisieme personne ; il, lui, elle, la, le, les, ils, eux, elles, leur ; parce que tous les objets dont on parle étant de la troisieme personne, il doit y avoir incertitude sur la relation de ces mots, dès qu'il y a dans le même discours plusieurs noms du même genre & du même nombre, si l'on n'a soin de rendre cette relation bien sensible par quelques-uns de ces moyens qui ne manquent guere à ceux qui savent écrire. Tels sont enfin les articles possessifs de la troisieme personne, son, sa, ses, leur, leurs ; & les purs adjectifs possessifs de la même personne, sien, sienne, siens, siennes ; parce que la troisieme personne déterminée à laquelle ils doivent se rapporter, peut être incertaine à leur égard comme à l'égard des pronoms personnels, & pour la même raison.

Je ne citerai point ici une longue suite d'exemples, je renverrai ceux qui en desirent, à la remarque 547 de Vaugelas, où ils en trouveront de toutes les especes avec les correctifs qui y conviennent ; mais je finirai par deux observations.

La premiere, c'est que phrase louche & phrase équivoque, sont des expressions, comme je l'ai déja remarqué, synonymes si l'on veut, mais non pas identiques ; elles énoncent le même défaut de netteté, mais elles en indiquent des sources différentes. Phrase amphibologique, est une expression plus générale, qui comprend sous soi les deux premieres ; comme le genre comprend les especes ; elle indique encore le même défaut de netteté, mais sans en assigner la cause. Ainsi, les impressions qu'il prit depuis, qu'il tâcha de communiquer aux siens, &c. c'est une phrase louche, parce qu'il semble d'abord qu'on veuille dire, depuis le tems qu'il tâcha, au lieu que depuis, est employé absolument, & qu'on a voulu dire, lesquelles il tâcha ; incertitude que l'on auroit levée par un & avant qu'il tâchât. Lisias promit à son pere de n'abandonner jamais ses amis, c'est une phrase équivoque, parce qu'on ne sait s'il s'agit des amis de Lysias, ou de ceux de son pere : toutes deux sont amphibologiques.

La seconde remarque, c'est que M. du Marsais n'a pas dû citer comme une phrase amphibologique, ce vers de la premiere édition du Cid. (III. 6.)

L'amour n'est qu'un plaisir, & l'honneur un devoir.

La construction de cette phrase met nécessairement de niveau l'amour & l'honneur, & présente l'un & l'autre comme également méprisables : en un mot, elle a le même sens que celle-ci.

L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur n'est qu'un devoir.

Il est certain que ce n'étoit pas l'intention de Corneille, & M. du Marsais en convient ; mais la seule chose qui s'ensuive de-là, c'est que ce grand poëte a fait un contre-sens, & non pas une amphibologie ; & l'académie a exprimé le vrai sens de l'auteur, quand elle a dit :

L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.

Il faut donc prendre garde encore de confondre amphibologie & contre-sens : l'amphibologie est dans une phrase qui peut également servir à énoncer plusieurs sens différens, & que rien de ce qui la constitue, ne détermine à l'un plutôt qu'à l'autre : le contre-sens est dans une phrase qui ne peut avoir qu'un sens, mais qui auroit dû être construite de maniere à en avoir un autre. Voyez CONTRE-SENS.

Résumons. La signification est l'idée totale dont un mot est le signe primitif par la décision unanime de l'usage.

L'acception est un aspect particulier sous lequel la signification primitive est envisagée dans une phrase.

Le sens est une autre signification différente de la primitive, qui est entée, pour ainsi dire, sur cette premiere ; qui lui est ou analogue ou accessoire, & qui est moins indiquée par le mot même que par sa combinaison avec les autres qui constituent la phrase. C'est pourquoi l'on dit également le sens d'un mot, & le sens d'une phrase ; au lieu qu'on ne dit pas de même la signification ou l'acception d'une phrase. (B. E. R. M.)

SENS, (Métaphysique) sens est une faculté de l'ame, par laquelle elle apperçoit les objets extérieurs, moyennant quelque action ou impression faite en certaines parties du corps, que l'on appelle les organes des sens, qui communiquent cette impression au cerveau.

Quelques-uns prennent le mot sens dans une plus grande étendue ; ils le définissent une faculté par laquelle l'ame apperçoit les idées ou les images des objets, soit qu'elles lui viennent de dehors, par l'impression des objets mêmes, soit qu'elles soient occasionnées par quelque action de l'ame sur elle-même.

En considérant sous ce point de vue le mot sens, on en doit distinguer de deux especes, d'extérieurs & d'intérieurs ; qui correspondent aux deux différentes manieres dont les images des objets que nous appercevons, sont occasionnées & présentées à l'esprit, soit immédiatement du dehors, c'est-à-dire, par les cinq sens extérieurs, l'ouie, la vûe, le goût, le tact, & l'odorat ; soit immédiatement du dedans, c'est-à-dire, par les sens internes, tels que l'imagination, la mémoire, l'attention, &c. auxquelles on peut joindre la faim, la soif, la douleur, &c.

Les sens extérieurs sont des moyens par lesquels l'ame a la perception ou prend connoissance des objets extérieurs. Ces moyens peuvent être considérés tant du côté de l'esprit, que du côté du corps. Les moyens du côté de l'esprit sont toujours les mêmes : c'est toujours la même faculté par laquelle on voit, on entend. Les moyens du côté du corps sont aussi différens, que les différens objets qu'il nous importe d'appercevoir. De-là ces différens organes du sentiment ; chacun desquels est constitué de maniere à donner à l'ame quelque représentation & quelque avertissement de l'état des choses extérieures, de leur proximité, de leur convenance, de leur disconvenance, & de leurs autres qualités : & de plus à donner des avis différens, suivant le degré, l'éloignement, ou la proximité du danger ou de l'avantage ; & c'est de-là que viennent les différentes fonctions de ces organes, comme d'entendre, de voir, de sentir ou flairer, de goûter, de toucher.

Un excellent auteur moderne nous donne une notion du sens très-ingénieuse ; selon ses principes, on doit définir le sens une puissance d'appercevoir, ou une puissance de recevoir des idées. En quelques occasions, au lieu de puissance, il aime mieux l'appeller une détermination de l'esprit à recevoir des idées ; il appelle sensations, les idées qui sont ainsi apperçues, ou qui s'élevent dans l'esprit.

Les sens extérieurs sont par conséquent des puissances de recevoir des idées, à la présence des objets extérieurs En ces occasions on trouve que l'ame est purement passive, & qu'elle n'a point directement la puissance de prévenir la perception ou l'idée, & de la changer ou de la varier à sa réception, pendant tout le tems que le corps continue d'être en état de recevoir les impressions des objets extérieurs.

Quand deux perceptions sont entierement différentes l'une de l'autre, ou qu'elles ne se conviennent que sous l'idée générale de sensation, on désigne par différens sens la puissance qu'a l'ame de recevoir ces différentes perceptions. Ainsi la vue & l'ouie dénotent différentes puissances de recevoir les idées de couleurs & de sons ; & quoique les couleurs comme les sons, ayent entr'elles de très-grandes différences ; néanmoins il y a beaucoup plus de rapport entre les couleurs les plus opposées, qu'entre une couleur & un son ; & c'est pourquoi l'on regarde les couleurs comme des perceptions qui appartiennent à un même sens ; tous les sens semblent avoir des organes distinguées, excepté celui du toucher, qui est répandu plus ou moins par tout le corps.

Les sens intérieurs sont des puissances ou des déterminations de l'esprit, qui se repose sur certaines idées qui se présentent à nous, lorsque nous appercevons les objets par les sens extérieurs. Il y en a de deux especes différentes, qui sont distinguées par les différens objets de plaisir, c'est-à-dire, par les formes agréables ou belles des objets naturels, & par des actions belles.

En réfléchissant sur nos sens extérieurs, nous voyons évidemment que nos perceptions de plaisir & de douleur, ne dépendent pas directement de notre volonté. Les objets ne nous plaisent pas comme nous le souhaiterions : il y a des objets, dont la présence nous est nécessairement agréable ; & d'autres qui nous déplaisent malgré nous : & nous ne pouvons, par notre propre volonté, recevoir du plaisir & éloigner le mal, qu'en nous procurant la premiere espece d'objets, & qu'en nous mettant à couvert de la derniere. Par la constitution même de notre nature, l'un est occasion du plaisir, & l'autre du mal-être. En effet, nos perceptions sensitives nous affectent bien ou mal, immédiatement, & sans que nous ayons aucune connoissance du sujet de ce bien ou de ce mal, de la maniere dont cela se fait sentir, & des occasions qui le font naître, sans voir l'utilité ou les inconvéniens, dont l'usage de ces objets peut être la cause dans la suite. La connoissance la plus parfaite de ces choses ne changeroit pas le plaisir ou la douleur de la sensation ; quoique cela pût donner un plaisir qui se fait sentir à la raison, très-distinct du plaisir sensible, ou que cela pût causer une joie distincte, par la considération d'un avantage que l'on pourroit attendre de l'objet, ou exciter un sentiment d'aversion, par l'appréhension du mal.

Il n'y a presque point d'objet, dont notre ame s'occupe, qui ne soit une occasion de bien ou de mal-être : ainsi nous nous trouverons agréablement affectés d'une forme réguliere, d'une piece d'architecture ou de peinture, d'un morceau de musique ; & nous sentons intérieurement que ce plaisir nous vient naturellement de la contemplation de l'idée qui est alors présente à notre esprit, avec toutes ses circonstances ; quoique quelques-unes de ces idées ne renferment rien en elles de ce que nous appellons perception sensible ; & dans celles qui le renferment, le plaisir vient de quelque uniformité, ordre, arrangement ou imitation, & non pas des simples idées de couleur, de son.

Il paroît qu'il s'ensuit de-là, que, quand l'instruction, l'éducation, ou quelque préjugé, nous fait naître des desirs ou des répugnances par rapport à un objet ; ce desir ou cette aversion sont fondés sur l'opinion de quelque perfection ou de quelque défaut, que nous imaginons dans ces qualités. Par conséquent, si quelqu'un privé du sens de la vue, est affecté du desir de beauté, ce desir doit naître de ce qu'il sent quelque régularité dans la figure, quelque grace dans la voix, quelque douceur, quelque mollesse, ou quelques autres qualités, qui ne sont perceptibles que par les sens différens de la vue, sans aucun rapport aux idées de couleur.

Le seul plaisir de sentiment, que nos philosophes semblent considérer, est celui qui accompagne les simples idées de sensation. Mais il y a un très-grand nombre de sentimens agréables, dans ces idées complexes des objets, auxquels nous donnons les noms de beaux & d'harmonieux ; que l'on appelle ces idées de beauté & d'harmonie, des perceptions des sens extérieurs de la vue & de l'ouie, ou non, cela n'y fait rien : on devroit plutôt les appeller un sens interne, ou un sentiment intérieur, ne fût-ce seulement que pour les distinguer des autres sensations de la vue & de l'ouie, que l'on peut avoir sans aucune perception de beauté & d'harmonie.

Ici se présente une question, savoir, si les sens sont pour nous une regle de vérité. Cela dépend de la maniere dont nous les envisageons. Quand nous voulons donner aux autres la plus grande preuve qu'ils attendent de nous touchant la vérité d'une chose, nous disons que nous l'avons vue de nos yeux ; & si l'on suppose que nous l'avons vue en effet, on ne peut manquer d'y ajouter foi ; le témoignage des sens est donc par cet endroit une premiere vérité, puisqu'alors il tient lieu de premier principe, sans qu'on remonte, ou qu'on pense vouloir remonter plus haut : c'est de quoi tous conviennent unanimement. D'un autre côté, tous conviennent aussi que les sens sont trompeurs ; & l'expérience ne permet pas d'en douter. Cependant si nous sommes certains d'une chose dès-là que nous l'avons vue, comment le sens de la vue peut-il nous tromper ; & s'il peut nous tromper, comment sommes-nous certains d'une chose pour l'avoir vue ?

La réponse ordinaire à cette difficulté, c'est que notre vue & nos sens nous peuvent tromper, quand ils ne sont pas exercés avec les conditions requises ; savoir que l'organe soit bien disposé, & que l'objet soit dans une juste distance. Mais ce n'est rien dire là. En effet, à quoi sert de marquer pour des regles qui justifient le témoignage de nos sens, des conditions que nous ne saurions nous-mêmes justifier, pour savoir quand elles se rencontrent ? Quelle regle infaillible me donne-t-on pour juger que l'organe de ma vue, de mon ouie, de mon odorat, est actuellement bien disposé ? Nos organes ne nous donnent une certitude parfaite que quand ils sont parfaitement formés ; mais ils ne le sont que pour des tempéramens parfaits ; & comme ceux-ci sont très-rares, il s'ensuit qu'il n'est presque aucun de nos organes qui ne soit défectueux par quelque endroit.

Cependant quelque évidente que cette conclusion paroisse, elle ne détruit point une autre vérité, savoir que l'on est certain de ce que l'on voit. Cette contrariété montre qu'on a laissé ici quelque chose à démêler, puisqu'une maxime sensée ne sauroit être contraire à une maxime sensée. Pour développer la chose, examinons en quoi nos sens ne sont point regle de vérité, & en quoi ils le sont.

1°. Nos sens ne nous apprennent point en quoi consiste cette disposition des corps appellée qualité, qui fait telle impression sur moi. J'apperçois évidemment qu'il se trouve dans un tel corps une disposition qui cause en moi le sentiment de chaleur & de pesanteur ; mais cette disposition, dans ce qu'elle est en elle-même, échappe ordinairement à mes sens, & souvent même à ma raison. J'entrevois qu'avec certain arrangement & certain mouvement dans les plus petites parties de ce corps, il se trouve de la convenance entre ce corps & l'impression qu'il fait sur moi. Ainsi je conjecture que la faculté qu'a le soleil d'exciter en moi un sentiment de lumiere, consiste dans certain mouvement ou impulsion de petits corps au-travers des pores de l'air vers la rétine de mon oeil ; mais c'est cette faculté même, où mes yeux ne voyent goutte, & où ma raison ne voit guere davantage.

2°. Les sens ne nous rendent aucun témoignage d'un nombre infini de dispositions même antérieures qui se trouvent dans les objets, & qui surpassent la sagacité de notre vue, de notre ouïe, de notre odorat. La chose se vérifie manifestement par les microscopes ; ils nous ont fait découvrir dans l'objet de la vue une infinité de dispositions extérieures, qui marquent une égale différence dans les parties intérieures, & qui forment autant de différentes qualités. Des microscopes plus parfaits nous feroient découvrir d'autres dispositions, dont nous n'avons ni la perception ni l'idée.

3°. Les sens ne nous apprennent point l'impression précise qui se fait par leur canal en d'autres hommes que nous. Ces effets dépendent de la disposition de nos organes, laquelle est à-peu-près aussi différente dans les hommes que leurs tempéramens ou leurs visages ; une même qualité extérieure doit faire aussi différentes impressions de sensation en différens hommes : c'est ce que l'on voit tous les jours. La même liqueur cause dans moi une sensation désagréable, & dans un autre une sensation agréable ; je ne puis donc m'assurer que tel corps fasse précisément sur tout autre que moi, l'impression qu'il fait sur moi-même. Je ne puis savoir aussi si ce qui est couleur blanche pour moi, n'est point du rouge pour un autre que pour moi.

4°. La raison & l'expérience nous apprenant que les corps sont dans un mouvement ou changement continuel, quoique souvent imperceptible dans leurs plus petites parties, nous ne pouvons juger sûrement qu'un corps d'un jour à l'autre ait précisément la même qualité, ou la même disposition à faire l'impression qu'il faisoit auparavant sur nous ; de son côté il lui arrive de l'altération, & il m'en arrive du mien. Je pourrois bien m'appercevoir du changement d'impression, mais de savoir à quoi il faut l'attribuer, si c'est à l'objet ou à moi, c'est ce que je ne puis faire par le seul témoignage de l'organe de mes sens.

5°. Nous ne pouvons juger par les sens ni de la grandeur absolue des corps, ni de leur mouvement absolu. La raison en est bien claire. Comme nos yeux ne sont point disposés de la même façon, nous ne devons pas avoir la même idée sensible de l'étendue d'un corps. Nous devons considérer que nos yeux ne sont que des lunettes naturelles, que leurs humeurs font le même effet que les verres dans les lunettes, & que selon la situation qu'ils gardent entr'eux, & selon la figure du crystallin & de son éloignement de la rétine, nous voyons les objets différemment ; desorte qu'on ne peut pas assurer qu'il y ait au monde deux hommes qui les voyent précisément de la même grandeur, ou composés de semblables parties, puisqu'on ne peut pas assurer que leurs yeux soient tout-à-fait semblables. Une conséquence aussi naturelle, c'est que nous ne pouvons connoître la grandeur véritable ou absolue des mouvemens du corps, mais seulement le rapport que ces mouvemens ont les uns avec les autres. Il est constant que nous ne saurions juger de la grandeur d'un mouvement d'un corps que par la longueur de l'espace que ce même corps a parcouru. Ainsi puisque nos yeux ne nous font point voir la véritable longueur de l'espace parcouru, il s'ensuit qu'ils ne peuvent pas nous faire connoître la véritable grandeur du mouvement.

Voyons maintenant ce qui peut nous tenir lieu de premieres vérités dans le témoignage de nos sens. On peut réduire principalement à trois chefs les premieres vérités dont nos sens nous instruisent. 1°. Ils rapportent toujours très-fidelement ce qui leur paroît. 2°. Ce qui leur paroît est presque toujours conforme à la vérité dans les choses qu'il importe aux hommes en général de savoir, à moins qu'il ne s'offre quelque sujet raisonnable d'en douter. 3°. On peut discerner aisément quand le témoignage des sens est douteux, par les réflexions que nous marquerons.

1°. Les sens rapportent toujours fidelement ce qui leur paroît ; la chose est manifeste, puisque ce sont des facultés naturelles qui agissent par l'impression nécessaire des objets, à laquelle le rapport des sens est toujours conforme. L'oeil placé sur un vaisseau qui avance avec rapidité, rapporte qu'il lui paroît que le rivage avance du côté opposé ; c'est ce qui lui doit paroître : car dans les circonstances l'oeil reçoit les mêmes impressions que si le rivage & le vaisseau avançoient chacun d'un côté opposé, comme l'enseignent & les observations de la Physique, & les regles de l'Optique. A prendre la chose de ce biais, jamais les sens ne nous trompent ; c'est nous qui nous trompons par notre imprudence, sur leur rapport fidele. Leur fidélité ne consiste pas à avertir l'ame de ce qui est, mais de ce qui leur paroît ; c'est à elle de démêler ce qui en est.

2°. Ce qui paroît à nos sens est presque toujours conforme à la vérité, dans les conjonctures où il s'agit de la conduite & des besoins ordinaires de la vie. Ainsi, par rapport à la nourriture, les sens nous font suffisamment discerner les besoins qui y sont d'usage : ensorte que plus une chose nous est salutaire, plus aussi est grand ordinairement le nombre des sensations différentes qui nous aident à la discerner ; & ce que nous ne discernons pas avec leur secours, c'est ce qui n'appartient plus à nos besoins, mais à notre curiosité.

3°. Le témoignage des sens est infaillible, quand il n'est contredit dans nous ni par notre propre raison, ni par un témoignage précédent des mêmes sens, ni par un témoignage actuel d'un autre de nos sens, ni par le témoignage des sens des autres hommes.

1°. Quand notre raison, instruite d'ailleurs par certains faits & certaines réflexions, nous fait juger manifestement le contraire de ce qui paroît à nos sens, leur témoignage n'est nullement en ce point regle de vérité. Ainsi, bien que le soleil ne paroisse large que de deux piés, & les étoiles d'un pouce de diametre, la raison instruite d'ailleurs par des faits incontestables, & par des connoissances évidentes, nous apprend que ces astres sont infiniment plus grands qu'ils ne nous paroissent.

2°. Quand ce qui paroît actuellement à nos sens est contraire à ce qui leur a autrefois paru ; car on a sujet alors de juger ou que l'objet n'est pas à portée, ou qu'il s'est fait quelque changement soit dans l'objet même, soit dans notre organe : en ces occasions on doit prendre le parti de ne point juger, plutôt que de juger rien de faux.

L'usage & l'expérience servent à discerner le témoignage des sens. Un enfant qui apperçoit son image sur le bord de l'eau ou dans un miroir, la prend pour un autre enfant qui est dans l'eau ou au-dedans du miroir ; mais l'expérience lui ayant fait porter la main dans l'eau ou sur le miroir, il réforme bientôt le sens de la vûe par celui du toucher, & il se convainc avec le tems qu'il n'y a point d'enfant à l'endroit où il croyoit le voir. Il arrive encore à un indien dans le pays duquel il ne gele point, de prendre d'abord en ces pays-ci un morceau de glace pour une pierre ; mais l'expérience lui ayant fait voir le morceau de glace qui se fond en eau, il réforme aussi-tôt le sens du toucher par la vûe.

La troisieme regle est quand ce qui paroît à nos sens est contraire à ce qui paroît aux sens des autres hommes, que nous avons sujet de croire aussi-bien organisés que nous. Si mes yeux me font un rapport contraire à celui des yeux de tous les autres, je dois croire que c'est moi plutôt qui suis en particulier trompé, que non pas eux tous en général : autrement ce seroit la nature qui meneroit au faux le plus grand nombre des hommes ; ce qu'on ne peut juger raisonnablement. Voyez logique du P. Buffier, à l'article des premieres vérités.

Quelques philosophes, continue le même auteur que nous venons de citer, se sont occupés à montrer que nos yeux nous portent continuellement à l'erreur, parce que leur rapport est ordinairement faux sur la véritable grandeur ; mais je demanderois volontiers à ces philosophes si les yeux nous ont été donnés pour nous faire absolument juger de la grandeur des objets ? Qui ne sait que son objet propre & particulier sont les couleurs ? Il est vrai que par accident, selon les angles différens que font sur la rétine les rayons de la lumiere, l'esprit prend occasion de former un jugement de conjectures touchant la distance & la grandeur des objets ; mais ce jugement n'est pas plus du sens de la vûe, que du sens de l'ouie. Ce dernier, par son organe, ne laisse pas aussi de rendre témoignage, comme par accident, à la grandeur & à la distance des corps sonores, puisqu'ils causent dans l'air de plus fortes ou de plus foibles ondulations, dont l'oreille est plus ou moins frappée. Seroit-on bien fondé pour cela à démontrer les erreurs des sens, parce que l'oreille ne nous fait pas juger fort juste de la grandeur & de la distance des objets ? il me semble que non ; parce qu'en ces occasions l'oreille ne fait point la fonction particuliere de l'organe & du sens de l'ouie, mais supplée comme par accident à la fonction du toucher, auquel il appartient proprement d'appercevoir la grandeur & la distance des objets.

C'est de quoi l'usage universel peut nous convaincre. On a établi pour les vraies mesures de la grandeur, les pouces, les piés, les palmes, les coudées, qui sont les parties du corps humain. Bien que l'organe du toucher soit répandu dans toutes les parties du corps, il réside néanmoins plus sensiblement dans la main ; c'est à elle qu'il appartient proprement de mesurer au juste la grandeur, en mesurant par son étendue propre la grandeur de l'objet auquel elle est appliquée. A moins donc que le rapport des yeux sur la grandeur ne soit vérifié par la main, le rapport des yeux sur la grandeur doit passer pour suspect : cependant le sens de la vûe n'en est pas plus trompeur, ni sa fonction plus imparfaite ; parce que d'elle-même & par l'institution directe de la nature, elle ne s'étend qu'au discernement des couleurs, & seulement par accident au discernement de la distance & de la grandeur des objets.

Mais à quoi bon citer ici l'exemple de la mouche, dont les petits yeux verroient les objets d'une grandeur toute autre que ne feroient les yeux d'un éléphant ! Qu'en peut-on conclure ? Si la mouche & l'éléphant avoient de l'intelligence, ils n'auroient pour cela ni l'un ni l'autre une idée fausse de la grandeur ; car toute grandeur étant relative, ils jugeroient chacun de la grandeur des objets sur leur propre étendue, dont ils auroient le sentiment : ils pourroient se dire, cet objet est tant de fois plus ou moins étendu que mon corps, ou que telle partie de mon corps ; & en cela, malgré la différence de leurs yeux, leur jugement sur la grandeur seroit toujours également vrai de côté & d'autre.

C'est aussi ce qui arrive à l'égard des hommes ; quelque différente impression que l'étendue des objets fasse sur leurs yeux, les uns & les autres ont une idée également juste de la grandeur des objets ; parce qu'ils la mesurent chacun de leur côté, au sentiment qu'ils ont de leur propre étendue.

On peut dire de nos sens ce que l'on dit de la raison. Car de même qu'elle ne peut nous tromper, lorsqu'elle est bien dirigée, c'est-à-dire, qu'elle suit la lumiere naturelle que Dieu lui a donnée, qu'elle ne marche qu'à la lueur de l'évidence, & qu'elle s'arrête là où les idées viennent à lui manquer : ainsi les sens ne peuvent nous tromper, lorsqu'ils agissent de concert, qu'ils se prêtent des secours mutuels, & qu'ils s'aident sur-tout de l'expérience. C'est elle sur-tout qui nous prémunit contre bien des erreurs, que les sens seuls occasionneroient. Ce n'est que par un long usage, que nous apprenons à juger des distances par la vue ; & cela en examinant par le tact les corps que nous voyons, & en observant ces corps placés à différentes distances & de différentes manieres, pendant que nous savons que ces corps n'éprouvent aucun changement.

Tous les hommes ont appris cet art, dès leur premiere enfance ; ils sont continuellement obligés de faire attention à la distance des objets ; & ils apprennent insensiblement à en juger, & dans la suite, ils se persuadent, que ce qui est l'effet d'un long exercice, est un don de la nature. La maniere dont se fait la vision, prouve bien que la faculté de juger des objets que nous voyons, est un art, qu'on apprend par l'usage & par l'expérience. S'il reste quelque doute sur ce point, il sera bientôt détruit par l'exemple d'un jeune homme d'environ quatorze ans, qui né aveugle, vit la lumiere pour la premiere fois. Voici l'histoire telle qu'elle est rapportée par M. de Voltaire.

" En 1729, M. Cheselden, un de ces fameux chirurgiens qui joignent l'adresse de la main aux plus grandes lumieres de l'esprit, ayant imaginé qu'on pouvoit donner la vue à un aveugle né, en lui abaissant ce qu'on appelle des cataractes, qu'il soupçonnoit formées dans ses yeux presqu'au moment de sa naissance, il proposa l'opération. L'aveugle eut de la peine à y consentir. Il ne concevoit pas trop que le sens de la vue pût beaucoup augmenter ses plaisirs. Sans l'envie qu'on lui inspira d'apprendre à lire & à écrire, il n'eût point desiré de voir. Quoi qu'il en soit, l'opération en fut faite & réussit. Le jeune homme d'environ 14 ans, vit la lumiere pour la premiere fois. Son expérience confirma tout ce que Locke & Barclai avoient si bien prévu. Il ne distingua de long-tems ni grandeurs, ni distances, ni situations, ni même figures. Un objet d'un pouce mis devant son oeil, & qui lui cachoit une maison, lui paroissoit aussi grand que la maison. Tout ce qu'il voyoit, lui sembloit d'abord être sur ses yeux, & les toucher comme les objets du tact touchent la peau. Il ne pouvoit distinguer ce qu'il avoit jugé rond à l'aide de ses mains, d'avec ce qu'il avoit jugé angulaire, ni discerner avec ses yeux, si ce que ses mains avoient senti être en haut ou en bas, étoit en effet en haut ou en bas. Il étoit si loin de connoître les grandeurs, qu'après avoir enfin conçu par la vue que sa maison étoit plus grande que sa chambre, il ne concevoit pas comment la vue pouvoit donner cette idée. Ce ne fut qu'au bout de deux mois d'expérience, qu'il put appercevoir que les tableaux représentoient des corps solides ; & lorsqu'après ce long tatonnement d'un sens nouveau en lui, il eut senti que des corps & non des surfaces seules, étoient peints dans les tableaux ; il y porta la main, & fut étonné de ne point trouver avec ses mains ces corps solides, dont il commençoit à appercevoir les représentations. Il demandoit quel étoit le trompeur, du sens du toucher, ou du sens de la vue. "

Si au témoignage des sens, nous ajoutons l'analogie, nous y trouverons une nouvelle preuve de la vérité des choses. L'analogie a pour fondement ce principe extrêmement simple, que l'univers est gouverné par des loix générales & constantes. C'est en vertu de ce raisonnement que nous admettons la regle suivante, que des effets semblables ont les mêmes causes.

L'utilité de l'analogie consiste en ce qu'elle nous épargne mille discussions inutiles, que nous serions obligés de répéter sur chaque corps en particulier. Il suffit que nous sachions que tout est gouverné par des loix générales & constantes, pour être bien fondés à croire, que les corps qui nous paroissent semblables ont les mêmes propriétés, que les fruits d'un même arbre ont le même goût, &c. La certitude qui accompagne l'analogie retombe sur les sens mêmes, qui lui prêtent tous les raisonnemens qu'elle déduit.

En parlant de la connoissance, nous avons dit, que sans le secours des sens, les hommes ne pourroient acquérir aucune connoissance des choses corporelles ; mais nous avons en même tems observé, que les seuls sens ne leur suffisoient pas, n'y ayant point d'homme au monde qui puisse examiner par lui-même toutes les choses qui lui sont nécessaires à la vie ; que, par conséquent, dans un nombre infini d'occasions, ils avoient besoin de s'instruire les uns les autres, & de s'en rapporter à leurs observations mutuelles ; qu'autrement ils ne pourroient tirer aucune utilité de la plûpart des choses que Dieu leur a accordées. D'où nous avons conclu, que Dieu a voulu que le témoignage, quand il seroit revêtu de certaines conditions, fut aussi une marque de la vérité. Or, si le témoignage dans certaines circonstances est infaillible, les sens doivent l'être aussi, puisque le témoignage est fondé sur les sens. Ainsi prouver que le témoignage des hommes en certaines circonstances, est une regle sûre de vérité, c'est prouver la même chose par rapport aux sens, sur lesquels il est nécessairement appuyé.

SENS COMMUN ; par le sens commun on entend la disposition que la nature a mise dans tous les hommes, ou manifestement dans la plûpart d'entr'eux, pour leur faire porter, quand ils ont atteint l'usage de la raison, un jugement commun & uniforme, sur des objets différens du sentiment intime de leur propre perception ; jugement qui n'est point la conséquence d'aucun principe antérieur. Si l'on veut des exemples de jugemens qui se vérifient principalement par la regle & par la force du sens commun, on peut, ce semble, citer les suivans.

1°. Il y a d'autres êtres, & d'autres hommes que moi au monde.

2°. Il y a quelque chose qui s'appelle vérité, sagesse, prudence ; & c'est quelque chose qui n'est pas purement arbitraire.

3°. Il se trouve dans moi quelque chose que j'appelle intelligence, & quelque chose qui n'est point intelligence & qu'on appelle corps.

4°. Tous les hommes ne sont point d'accord à me tromper, & à m'en faire accroire.

5°. Ce qui n'est point intelligence ne sauroit produire tous les effets de l'intelligence, ni des parcelles de matiere remuées au hasard former un ouvrage d'un ordre & d'un mouvement régulier, tel qu'un horloge.

Tous ces jugemens, qui nous sont dictés par le sens commun, sont des regles de vérité aussi réelles & aussi sûres que la regle tirée du sentiment intime de notre propre perception ; non pas qu'elle emporte notre esprit avec la même vivacité de clarté, mais avec la même nécessité de consentement. Comme il m'est impossible de juger que je ne pense pas, lorsque je pense actuellement ; il m'est également impossible de juger sérieusement que je sois le seul être au monde ; que tous les hommes ont conspiré à me tromper dans tout ce qu'ils disent ; qu'un ouvrage de l'industrie humaine, tel qu'un horloge qui montre régulierement les heures, est le pur effet du hasard.

Cependant il faut avouer qu'entre le genre des premieres vérités tirées du sentiment intime, & tout autre genre de premieres vérités, s'il se trouve une différence ; c'est qu'à l'égard du premier on ne peut imaginer qu'il soit susceptible d'aucune ombre de doute ; & qu'à l'égard des autres, on peut alléguer qu'ils n'ont pas une évidence du genre suprême d'évidence. Mais il faut se souvenir que ces premieres vérités qui ne sont pas du premier genre, ne tombant que sur des objets hors de nous, elles ne peuvent faire une impression aussi vive sur nous, que celles dont l'objet est en nous-mêmes : desorte que pour nier les premieres, il faudroit être hors de soi ; & pour nier les autres, il ne faut qu'être hors de la raison.

C'est une maxime parmi les sages, direz-vous, & comme une premiere vérité dans la morale, que la vérité n'est point pour la multitude. Ainsi il ne paroît pas judicieux d'établir une regle de vérité sur ce qui est jugé vrai par le plus grand nombre. Donc le sens commun n'est point une regle infaillible de la vérité.

Je réponds qu'une vérité précise & métaphysique ne se mesure pas à des maximes communes, dont la vérité est toujours sujette à différentes exceptions : témoin la maxime qui avance, que la voix du peuple est la voix de Dieu. Il s'en faut bien qu'elle soit universellement vraie ; bien qu'elle se vérifie à-peu-près aussi souvent que celle qu'on voudroit objecter, que la vérité n'est point pour la multitude. Dans le sujet même dont il s'agit, touchant les premiers principes, cette derniere maxime doit passer absolument pour être fausse. En effet, si les premieres vérités n'étoient répandues dans l'esprit de tous les hommes, il seroit impossible de les faire convenir de rien, puisqu'ils auroient des principes différens sur toutes sortes de sujets. Lors donc qu'il est vrai de dire que la vérité n'est point pour la multitude, on entend une sorte de vérité, qui, pour être apperçue, suppose une attention, une capacité & une expérience particulieres, prérogatives qui ne sont pas pour la multitude. Mais est-il question de la premiere vérité, tous sont philosophes à cet égard. Le philosophe contemplatif avec tous ses raisonnemens n'est pas plus parfaitement convaincu qu'il existe & qu'il pense, que l'esprit le plus médiocre & le plus simple. Dans les choses où il faut des connoissances acquises par le raisonnement, & des réflexions particulieres, qui supposent certaines expériences que tous ne sont pas capables de faire, un philosophe est plus croyable qu'un autre homme : mais dans une chose d'une expérience manifeste, & d'un sentiment commun à tous les hommes, tous à cet égard deviennent philosophes : desorte que dans les premiers principes de la nature & du sens commun, un philosophe opposé au reste du genre humain, est un philosophe opposé à cent mille autres philosophes ; parce qu'ils sont aussi bien que lui instruits des premiers principes de nos sentimens communs. Je dis plus ; l'ordinaire des hommes est plus croyable en certaines choses que plusieurs philosophes ; parce que ceux-là n'ont point cherché à forcer ou à défigurer les sentimens & les jugemens, que la nature inspire universellement à tous les hommes.

Le sentiment commun des hommes en général, dit-on, est que le soleil n'a pas plus de deux piés de diametre. On répond qu'il n'est pas vrai que le sentiment commun de ceux qui sont à portée de juger de la grandeur du soleil, soit qu'il n'a que deux ou trois piés de diametre. Le peuple le plus grossier s'en rapporte sur ce point au commun, ou à la totalité des philosophes ou des astronomes, plutôt qu'au témoignage de ses propres yeux. Aussi n'a-t-on jamais vu de gens, même parmi le peuple, soutenir sérieusement qu'on avoit tort de croire le soleil plus grand qu'un globe de quatre piés. En effet, s'il s'étoit jamais trouvé quelqu'un assez peu éclairé pour contester là-dessus, la contestation auroit pu cesser au moment même, avec le secours de l'expérience ; faisant regarder au contredisant un objet ordinaire, qui, à proportion de son éloignement, paroît aux yeux incomparablement moins grand, que quand on s'en approche. Ainsi les hommes les plus stupides sont persuadés que leurs propres yeux les trompent sur la vraie étendue des objets. Ce jugement n'est donc pas un sentiment de la nature, puisqu'au contraire il est universellement démenti par le sentiment le plus pur de la nature raisonnable, qui est celui de la réflexion.

SENS MORAL, (Moral.) nom donné par le savant Hutcheson à cette faculté de notre ame, qui discerne promtement en certains cas le bien & le mal moral par une sorte de sensation & par goût, indépendamment du raisonnement & de la réflexion.

C'est-là ce que les autres moralistes appellent instinct moral, sentiment, espece de penchant ou d'inclination naturelle qui nous porte à approuver certaines choses comme bonnes ou louables, & à en condamner d'autres comme mauvaises & blâmables, indépendamment de toute réflexion.

C'est ainsi, qu'à la vue d'un homme qui souffre, nous avons d'abord un sentiment de compassion, qui nous fait trouver beau & agréable de le secourir. Le premier mouvement, en recevant un bienfait, est d'en savoir gré, & d'en remercier notre bienfaiteur. Le premier & le plus pur mouvement d'un homme envers un autre, en faisant abstraction de toute raison particuliere de haine ou de crainte qu'il pourroit avoir, est un sentiment de bienveillance, comme envers son semblable, avec qui la conformité de nature & de besoins lient. On voit de même que, sans aucun raisonnement, un homme grossier se récrie sur une perfidie comme sur une action noire & injuste qui le blesse. Au contraire, tenir sa parole, reconnoître un bienfait, rendre à chacun ce qui lui est dû, soulager ceux qui souffrent, ce sont-là autant d'actions qu'on ne peut s'empêcher d'approuver & d'estimer, comme étant justes, bonnes, honnêtes & utiles au genre humain. De-là vient que l'esprit se plaît à voir & à entendre de pareils traits d'équité, de bonne-foi, d'humanité & de bénéficence ; le coeur en est touché, attendri. En les lisant dans l'histoire on les admire, & on loue le bonheur d'un siecle, d'une nation, d'une famille où de si beaux exemples se rencontrent. Mais pour les exemples du crime, on ne peut ni les voir, ni en entendre parler sans mépris & sans indignation.

Si l'on demande d'où vient ce mouvement du coeur, qui le porte à aimer certaines actions, & à en détester d'autres sans raisonnement & sans examen, je ne puis dire autre chose, sinon que ce mouvement vient de l'auteur de notre être, qui nous a faits de cette maniere, & qui a voulu que notre nature fût telle, que la différence du bien ou du mal moral nous affectât en certains cas, ainsi que le fait celle du mal physique. C'est donc là une sorte d'instinct, comme la nature nous en a donné plusieurs autres, afin de nous déterminer plus vîte & plus fortement là où la réflexion seroit trop lente. C'est ainsi que nous sommes avertis par une sensation intérieure de nos besoins corporels, pour nous porter à faire promtement & machinalement tout ce que demande notre conservation. Tel est aussi cet instinct qui nous attache à la vie, & ce desir d'être heureux, qui est le grand mobile de nos actions. Telle est encore la tendresse presqu'aveugle, mais très nécessaires, des peres & des meres pour leurs enfans. Les besoins pressans & indispensables demandoient que l'homme fût conduit par la voie du sentiment, toujours plus vif & plus promt que n'est le raisonnement.

Dieu donc a jugé à propos d'employer aussi cette voie à l'égard de la conduite morale de l'homme, & cela en imprimant en nous un sentiment ou un goût de vertu & de justice, qui décide de nos premiers mouvemens, & qui supplée heureusement chez la plûpart des hommes au défaut de réflexion ; car combien de gens incapables de réfléchir, & qui sont remplis de ce sentiment de justice ! Il étoit bien utile que le Créateur nous donnât un discernement du bien & du mal, avec l'amour de l'un & l'aversion de l'autre par une sorte de faculté promte & vive, qui n'eût pas besoin d'attendre les spéculations de l'esprit ; & c'est-là ce que le docteur Hutcheson a nommé judicieusement sens moral. Princip. du droit naturel. (D.J.)

SENS DE L'ÉCRITURE, (Théolog.) est la signification que présentent ou que renferment les paroles de l'écriture sainte.

On peut distinguer cinq sens dans l'Ecriture ; 1°. le sens grammatical ; 2°. le sens littéral ou historique ; 3°. le sens allégorique ou figuré ; 4°. le sens anagogique ; 5°. le sens tropologique ou moral.

I. Le sens grammatical est celui que les termes du texte présentent à l'esprit, suivant la propre signification des termes. Ainsi quand on dit que Dieu se repent, qu'il se met en colere, qu'il monte, qu'il descend, qu'il a les yeux ouverts & les oreilles attentives, &c. Le sens grammatical conduiroit à croire que Dieu seroit corporel & sujet aux mêmes infirmités que nous, mais comme la foi nous apprend qu'il n'a aucune de nos foiblesses & de nos imperfections, & que la raison même le dicte, on n'en demeure jamais au sens grammatical, & l'on pense avec fondement que les auteurs sacrés n'ont employé ces expressions que pour se proportionner à la foiblesse de notre intelligence.

II. Le sens littéral & historique est celui qui s'attache à l'histoire, au fait, au sens que le récit & les termes de l'Ecriture présentent d'abord à l'esprit. Ainsi, quand on dit qu'Abraham épousa Agar, qu'il la renvoya ensuite, qu'Isaac naquit de Sara, qu'il reçut la circoncision, &c. tous ces faits pris dans le sens historique & littéral ne disent autre chose sinon ce qui est exprimé dans l'histoire, le mariage d'Abraham avec Agar, la répudiation de celle-ci, la naissance d'Isaac & sa circoncision.

III. Le sens allégorique & figuré est celui qui recherche ce qui est caché sous les termes ou sous l'événement dont il est parlé dans l'histoire. Ainsi le mariage d'Abraham avec Agar, qui fut ensuite répudiée & chassée à cause de son insolence & de celle de son fils, est une figure de la synagogue qui n'a été qu'une esclave, & qui a été reprouvée à cause de son ingratitude & de son infidélité. Sara est la figure de l'Eglise, & Isaac la figure du peuple choisi.

IV. Le sens anagogique ou de convenance, est celui qui rapporte quelques expressions de l'Ecriture à la vie éternelle, à la béatitude, à cause de la conformité ou proportion entre les termes dont on se sert pour exprimer ce qui se passe en ce monde, & ce qui arrivera dans le ciel. Par exemple, à l'occasion du sabbat ou du repos qui étoit recommandé au peuple de Dieu, on parle du repos dont les saints jouissent dans le ciel. A l'occasion de l'entrée des Israélites dans la terre promise, on traite de l'entrée des élus dans la terre des vivans, &c.

V. Le sens moral ou tropologique est celui qui tire des moralités ou des réflexions pour la conduite de la vie & pour la réforme des moeurs, de ce qui est dit & raconté historiquement ou littéralement dans l'Ecriture. Par exemple, à l'occasion de ces paroles du Deutéronome, ch. xxv. vers. 4. Vous ne lierez point la bouche du boeuf qui foule le grain, S. Paul dit dans sa premiere épitre aux Corinthiens, ch. ix. vers. 10. qu'il faut fournir aux prédicateurs & à ceux qui nous instruisent de quoi se nourrir & s'entretenir.

Le sens littéral a pour objet les faits de l'histoire ; l'allégorique, ce que nous croyons, ou les mysteres de notre foi ; l'anagogique, la béatitude & ce qui y a rapport ; le tropologique, le réglement de nos moeurs : ce qu'on a compris dans ces deux vers :

Littera gesta docet : quid credas allegoria ;

Moralis quid agas, quo tendas anagogia.

On peut remarquer les cinq sens dont nous venons de parler dans le seul mot Jérusalem ; selon le sens grammatical il signifie union de paix ; selon le littéral, une ville capitale de Judée ; selon l'allégorique, l'église militante ; selon l'anagogique, l'église triomphante ; selon le moral, l'ame fidele, dont Jérusalem est une espece de figure. Voyez ALLEGORIE, ANAGOGIQUE, LITTERAL, FIGURE, MYSTIQUE, &c.

Tous les théologiens conviennent qu'on ne peut tirer d'argumens directs & concluans en matiere de religion que du seul sens littéral. Jamais, dit S. Jerome, les paraboles & le sens douteux des énigmes, c'est-à-dire, des allégories que chacun imagine à son gré, ne peuvent servir pour établir les dogmes : & S. Augustin dans son épitre à Vincent le donatiste, reconnoît qu'on ne peut se fonder sur une simple allégorie, à moins qu'on n'ait des témoignages clairs pour expliquer ceux qui sont obscurs. D'ailleurs, comme chacun peut imaginer des sens mystiques, selon sa pénétration ou sa piété, chacun par la même raison a droit de les rejetter ou d'en imaginer de contraires. Il faut cependant observer que dès qu'un sens mystique est autorisé par l'église ou par le concert unanime des peres, ou qu'il suit naturellement du texte, & que l'Ecriture même le favorise, on en peut tirer des preuves & des raisonnemens solides. Mais le plus sûr en matiere de controverse est de s'attacher au sens littéral, parce qu'il est fort aisé d'abuser du sens allégorique.

SENS EXTERNES, (Physiol.) organes corporels, sur lesquels les objets extérieurs causent les différentes especes de sensations, que nous appellons le toucher, le goût, l'odorat, l'ouïe ; la vûe, &c. L'auteur de l'histoire naturelle de l'homme vous expliquera mieux que moi comment ces différentes especes de sensations parviennent à l'ame. Elles lui sont transmises, nous dit-il, par les nerfs qui forment le jeu de toutes les parties & l'action de tous les membres. Ce sont eux qui sont l'organe immédiat du sentiment qui se diversifie & change, pour ainsi dire, de nature, suivant leur différente disposition ; ensorte que, selon leur nombre, leur finesse, leur arrangement, leur qualité, ils portent à l'ame des especes différentes de manieres de sentir qu'on a distinguées par le nom de sensations, qui semblent n'avoir rien de semblable entr'elles.

Cependant si l'on fait attention que tous ces sens externes ont un sujet commun, & qu'ils ne sont que des membranes nerveuses, différemment étendues, disposées & placées ; que les nerfs sont l'organe général du sentiment ; que, dans le corps animal, nul autre corps que les nerfs n'a cette propriété de produire le sentiment, on sera porté à croire que les sens ayant tous un principe commun, & n'étant que des formes variées de la même substance, n'étant en un mot que des nerfs différemment ordonnés & disposés, les sensations qui en résultent ne sont pas aussi essentiellement différentes entr'elles qu'elle le paroissent.

L'oeil doit être regardé comme une expansion du nerf optique, ou plutôt l'oeil lui-même n'est que l'épanouissement d'un faisceau de nerfs, qui étant exposé à l'extérieur plus qu'aucun autre nerf, est aussi celui qui a le sentiment le plus vif & le plus délicat ; il sera donc ébranlé par les plus petites parties de la matiere telles que sont celles de la lumiere, & il nous donnera par conséquent une sensation de toutes les substances les plus éloignées, pourvu qu'elles soient capables de produire ou de réfléchir ces petites particules de matiere.

L'oreille qui n'est pas un organe aussi extérieur que l'oeil, & dans lequel il n'y a pas un aussi grand épanouissement de nerf, n'aura pas le même degré de sensibilité, & ne pourra pas être affectée par des parties de matieres aussi petites que celles de la lumiere ; mais elle le sera par des parties plus grosses qui sont celles qui forment le son, & nous donnera encore une sensation des choses eloignées, qui pourront mettre en mouvement ces parties de matieres. Comme elles sont beaucoup plus grosses que celles de la lumiere & qu'elles ont moins de vîtesse, elles ne pourront s'étendre qu'à de petites distances, & par conséquent l'oreille ne nous donnera la sensation que de choses beaucoup moins éloignées que celles dont l'oeil nous donne la sensation.

La membrane qui est le siege de l'odorat étant encore moins fournie de nerfs que celle qui fait le siege de l'ouïe, elle ne nous donnera la sensation que des parties de matiere qui sont plus grosses & moins éloignées, telles que sont les particules odorantes des corps qui sont probablement celle de l'huile essentielle, qui s'en exhale & surnage, pour ainsi dire, dans l'air.

Comme les nerfs sont encore en moindre quantité & plus grossiers sur le palais & sur la langue, les particules odorantes ne sont pas assez fortes pour ébranler cet organe ; il faut que les parties huileuses & salines se détachent des autres corps, & s'arrêtent sur la langue pour produire la sensation qu'on appelle le goût, & qui differe principalement de l'odorat, parce que ce dernier sens nous donne la sensation des choses à une certaine distance, & que le goût ne peut la donner que par une espece de contact, qui s'opere au moyen de la fonte de certaines parties de matieres, telles que les sels, les huiles, &c.

Enfin, comme les nerfs sont le plus divisés qu'il est possible & qu'ils sont très-légerement parsemés dans la peau, aucune partie aussi petite que celles qui forment la lumiere, les sons, les odeurs, les saveurs, ne pourra les ébranler, ni les affecter d'une maniere sensible, & il faudra de très-grosses parties de matiere, c'est-à-dire des corps solides, pour qu'ils puissent en être affectés. Aussi le sens du toucher ne nous donne aucune sensation des choses éloignées, mais seulement de celles dont le contact est immédiat.

Il paroît donc que la différence qui est entre nos sens vient de la position plus ou moins extérieure des nerfs, de leur vêtement, de leur exilité, de leur quantité plus ou moins grande, de leur épanouissement dans les différentes parties qui constituent les organes. C'est par cette raison qu'un nerf ébranlé par un coup, ou découvert par une blessure, nous donne souvent la sensation de la lumiere, sans que l'oeil y ait part ; comme on a souvent aussi par la même cause des tintemens & des sensations des sons, quoique l'oreille ne soit affectée par rien d'extérieur.

Lorsque les petites particules de la matiere lumineuse & sonore se trouvent réunies en très-grande quantité, elles forment une espece de corps solide qui produit différentes especes de sensations, lesquelles ne paroissent avoir aucun rapport avec les premieres ; car toutes les fois que les parties qui composent la lumiere sont en très-grande quantité, elles affectent non-seulement les yeux, mais aussi toutes les parties nerveuses de la peau ; & elles produisent dans l'oeil la sensation de la lumiere ; & dans le reste du corps, la sensation de la chaleur qui est une autre espece de sentiment différent du premier, quoiqu'il soit produit par la même cause.

La chaleur n'est donc que le toucher de la lumiere qui agit comme corps solide, ou comme une masse de matiere en mouvement ; on reconnoît évidemment l'action de cette masse en mouvement, lorsqu'on expose les matieres légeres au foyer d'un bon miroir ardent ; l'action de la lumiere réunie leur communique, avant même que de les échauffer, un mouvement qui les pousse & les déplace ; la chaleur agit donc comme agissent les corps solides sur les autres corps, puisqu'elle est capable de les déplacer en communiquant un mouvement d'impulsion.

De même lorsque les parties sonores se trouvent réunies en très-grande quantité, elles produisent une secousse & un ébranlement très-simple ; & cet ébranlement est fort différent de l'action du son sur l'oreille. Une violente explosion, un grand coup de tonnerre ébranle les maisons, nous frappe & communique une espece de tremblement à tous les corps voisins ; c'est par cette action des parties sonores qu'une corde en vibration en fait remuer une autre, & c'est par ce toucher du son que nous sentons nous-mêmes, lorsque le bruit est violent, une espece de trémoussement fort différent de la sensation du son par l'oreille, quoiqu'il dépende de la même cause.

Toute la différence qui se trouve dans nos sensations ne vient donc que du nombre plus ou moins grand, & de la position plus ou moins extérieure des nerfs. C'est pourquoi nous ne jugeons des choses que d'après l'impression que les objets font sur eux ; & comme cette impression varie avec nos dispositions, les sens nous en imposent nécessairement : les plus importans ne font souvent que de légeres impressions ; & pour notre malheur, le méchanisme de tout le mouvement de la machine dépend de ces ressorts délicats qui nous échappent.

Cependant les sens nous étoient absolument nécessaires, & pour notre être & pour notre bien-être : ce sont, dit M. le Cat, autant de sentinelles qui nous avertissent de nos besoins & qui veillent à notre conservation. Au milieu des corps utiles & nuisibles qui nous environnent, ce sont autant de portes qui nous sont ouvertes pour communiquer avec les autres êtres, & pour jouir du monde où nous sommes placés. Ils ont enfanté des arts sans nombre pour satisfaire leurs délices, & se garantir des impressions fâcheuses. On a tâché dans cet ouvrage de développer avec bréveté le méchanisme & des arts & des sens ; peut-être même trouvera-t-on qu'on s'y est trop étendu ; mais quand cela seroit vrai, comment résister au torrent des choses curieuses qui s'offrent en foule sur leur compte ; & combien n'en a-t-on pas supprimé avec quelque regret ? Car enfin les arts sont précieux, & les sens offrent le sujet le plus intéressant de la physique, puisque ce sont nos moyens de commerce avec le reste de l'univers.

Ce commerce entre l'univers & nous se fait toujours par une matiere qui affecte quelque organe. Depuis le toucher jusqu'à la vûe, cette matiere est de plus en plus subtile, de plus en plus répandue loin de nous, & par-là de plus en plus capable d'étendre les bornes de notre commerce. Des corps, des liqueurs, des vapeurs, de l'air, de la lumiere, voilà la gradation de ces correspondances ; & les sens par lesquels elles se font nos interpretes & nos gazettiers. Plus leurs nouvelles viennent de loin, plus il faut s'en défier. Le toucher qui est le plus borné des sens est aussi le plus sûr de tous ; le goût & l'odorat le sont encore assez, mais l'ouïe commence à nous tromper très-souvent ; pour la vûe, elle est sujette à tant d'erreurs, que l'industrie des hommes, qui sait tirer avantage de tout, en a composé un art d'en imposer aux yeux ; art admirable, & poussé si loin par les peintres, que nous y aurions peut-être perdu à avoir des sens moins trompeurs. Mais que dire des conjectures dans lesquelles ils nous entraînent ? Par exemple, la lumiere, fluide particulier qui rend les corps visibles, nous fait conjecturer un autre fluide qui les rend pesans, un autre qui les rend électriques, ou qui fait tourner la boussole au nord, &c. Tant de suppositions prouvent assez que ce que les sens nous montrent, est encore tout ce que nous savons de mieux.

Qu'on juge par-là des bornes étroites & du peu de certitude de nos connoissances, qui consistent à voir une partie des choses par des organes infideles & à deviner le reste. D'où vient, direz-vous, cette nature si bonne, si libérale, ne nous a-t-elle pas donné des sens pour toutes ces choses que nous sommes contraints de deviner, par exemple, pour ce fluide qui remue la boussole, pour celui qui donne la vie aux plantes & aux animaux ? C'étoit le plus court moyen de nous rendre savans sur tous ces phénomenes qui deviennent sans cela des énigmes : car enfin les cinq especes de matieres qui sont comme députées vers nous, des états du monde matériel, ne peuvent nous en donner qu'une vaine ébauche ; imaginons un souverain qui n'auroit d'autre idée de tous les peuples que celles que lui donneroient un françois, un persan, un égyptien, un créole, un chinois, qui tous cinq seroient sourds & muets ; c'est ainsi tout au-moins que sont toutes ces especes de matieres. En vain la physique moderne fait ses derniers efforts pour interroger ces députés ; quand on supposeroit qu'ils diront un jour tout ce qu'ils sont eux-mêmes, il n'y a pas d'apparence qu'ils disent jamais ce que sont les autres peuples de matiere dont ils ne sont pas.

Le créateur n'a pas voulu nous donner un plus grand nombre de sens ou des sens plus parfaits, pour nous faire connoître ces autres peuples de matiere, ni d'autres modifications dans ceux-mêmes que nous connoissons. Il nous a refusé des aîles, il a fixé la médiocrité de la vûe qui n'apperçoit que les seules surfaces des corps. Mais de plus grandes facultés eussent été inutiles pour notre bonheur & pour tout le système du monde. Accuserons-nous le ciel d'être cruel envers nous & envers nous seuls ?

Le bonheur de l'homme, dit Pope, (qui emprunte pour le peindre, le langage des dieux) le bonheur de l'homme, si l'orgueil ne nous empêchoit point de l'avouer, n'est pas de penser ou d'agir au-delà de l'homme même, d'avoir des puissances de corps & d'esprit, au-delà de ce qui convient à sa nature & à son état. Pourquoi l'homme n'a-t-il point un oeil microscopique ? C'est par cette raison bien simple, que l'homme n'est point une mouche. Et quel en seroit l'usage, si l'homme pouvoit considérer un ciron, & que sa vue ne pût s'étendre jusqu'aux cieux ? Quel seroit celui d'un toucher plus délicat, si trop sensible, & toujours tremblant, les douleurs & les agonies s'introduisoient par chaque pore ? D'un odorat plus vif, si les parties volatiles d'une rose, par leurs vibrations dans le cerveau, nous faisoient mourir de peines aromatiques ? D'une oreille plus fine, si la nature se faisoit toujours entendre avec un bruit de tonnerre, & qu'on se trouvât étourdi par la musique de ses spheres roulantes ? O combien nous regretterions alors que le ciel nous eût privé du doux bruit des zéphirs & du murmure des ruisseaux ! Qui peut ne pas reconnoître la bonté & la sagesse de la Providence, également & dans ce qu'elle donne, & dans ce qu'elle refuse ?

Regardons pareillement les sensations qui affligent ou qui enchantent l'ame comme de vrais présens du ciel. Les sensations tristes avertissent l'homme de se mettre en garde contre l'ennemi qui menace le corps de sa perte. Les sensations agréables l'invitent à la conservation de son individu & de son espece.

Peut-être que les sens plus multipliés que les nôtres, se fussent embarrassés, ou que l'avide curiosité qu'ils nous eussent inspiré, nous eût procuré plus d'inquiétude que de plaisir. En un mot, le bon usage de ceux que nous avons, suffit à notre félicité. Jouissons donc, comme il convient, des sens dont la nature a bien voulu nous gratifier : ceux de l'ouïe & de la vue me semblent être les plus délicats & les plus chastes de tous. Les plaisirs qui les remuent, sont les plus innocens ; & les arts à qui nous devons ces plaisirs, méritent une place distinguée parmi les arts libéraux, comme étant des plus ingénieux, puisqu'on y emploie toute la subtilité des combinaisons mathématiques. La peinture reveille l'imagination & fixe la mémoire ; la musique agite le coeur, & souleve les passions. Elles font passer les plaisirs dans l'ame : l'une par les yeux, l'autre par l'oreille. On diroit même que les pierreries ont un charme singulier, dont la mode se sert pour fixer la curiosité. Il le faut bien ; car sans cet éclat impérieux, notre folie auroit des bornes, du moins celles que l'inconstance a soin de mettre à tous nos goûts. Est-ce que ces étincelles pures qui petillent au sein du diamant, seroient une espece de collyre pour la vue ? Les lustres & les glaces seroient à ce prix une merveilleuse invention, & peut-être ces choses ont-elles avec nous une douce sympathie, dont nous sentons l'effet sans le deviner ? Les plaisirs des autres sens peuvent être plus vifs, mais je les crois moins dignes de l'homme. Ils s'émoussent, ils se blasent, quand on les irrite ; & quand on en abuse, ils laissent dans la vieillesse un triste repentir ou de fâcheuses infirmités. (D.J.)

SENS INTERNES, (Physiol.) actions de l'ame ou de l'intellect, auxquelles il est excité par la perception des idées.

Les seules voies par où les connoissances arrivent dans l'entendement humain, les seuls passages, comme dit Locke, par lesquels la lumiere entre dans cette chambre obscure, sont les sens externes & internes.

Les sens internes sont les passions, l'attention, l'imagination & la mémoire. Telle est l'énumération ordinaire, & à mon avis, peu exacte, qu'on fait des sens internes ; mais ce n'est pas ici le lieu de la rectifier ; nous ne traitons qu'en physiologiste, & seulement ce qu'il convient au médecin de connoître, pour entendre, expliquer, & guérir, s'il est possible, les fâcheuses affections du cerveau.

Il semble que les perceptions de notre intellect naissent de la différence des nerfs affectés, de la différente structure de l'organe du sentiment, des différentes parties de la moëlle du cerveau d'où les nerfs prennent leur origine, & du cours différent des esprits animaux. Nous sommes tellement formés, qu'à l'occasion des divers états de l'ame il se fait dans le corps des mouvemens musculaires, une circulation ou une stagnation d'humeurs, de sang & des esprits.

Les mouvemens musculaires dépendent de l'influx du suc nerveux que le cerveau porte dans les muscles ; la partie du cerveau du sensorium commune, où les esprits animaux se trouvent rassemblés, est peut-être la moëlle du cerveau dans la tête. Cette partie a différens territoires, dont chacun a son nerf & sa loge pour les idées ; le nerf optique donne l'idée des couleurs ; l'olfactif, des odeurs ; les nerfs moteurs, ceux des mouvemens. Une goutte de liquide, sang ou autre, épanchée sur l'organe des nerfs, produit l'apoplexie. Dès-lors plus d'idées simples ni accessoires, plus de mémoire, plus de passion, plus de sens internes, plus de mouvemens musculaires, si ce n'est dans le coeur où ils sont passés. Qu'on ne craigne point qu'il soit trop humiliant pour l'amour propre, de savoir que l'esprit est d'une nature si corporelle ? Comme les femmes sont vaines de leur beauté, les beaux esprits seront toujours vains du bel esprit, & les philosophes ne se montreront jamais assez philosophes, pour éviter cet écueil universel.

Les passions sont des affections fortes qui impriment des traces si profondes dans le cerveau, que toute l'économie en est bouleversée, & ne connoit plus les loix de la raison. C'est un état violent qui nous entraîne vers son objet. Les passions supposent 1°. la représentation de la chose qui est hors de nous : 2°. l'idée qui en résulte & qui l'accompagne, fait naître l'affection de l'ame : 3°. le mouvement des esprits ou leur suspension en marque les effets. Le siege des affections de l'ame est dans le sensorium commune. Un sommeil profond sans rêves doit donc assoupir, comme il arrive, toute passion. Un homme en apoplexie ou en léthargie n'a ni joie ni tristesse, ni amour ni haine. Après avoir passé deux jours dans cet état, il ressuscite, & n'a pas senti la peine de mourir. Les médecins entendent un peu l'effet des passions sur les liquides & les solides du corps humain. Ils expliquent assez bien leur méchanisme sur la machine par l'accélération ou le retardement dans le mouvement du suc nerveux qui agit ensuite sur le sang, ensorte que le cours du sang réglé par celui des esprits s'augmente & se retarde avec lui. Que n'ont-ils le secret du remede !

Chaque passion a son langage. Dans la colere, cette courte fureur, suivant la définition d'Horace, tous les mouvemens augmentent, celui de la circulation du sang, du pouls, de la respiration ; le corps devient chaud, rouge, tremblant, tenté tout-à-coup de déposer quelque sécrétion qui l'irrite. De-là ces inflammations, ces hémorrhagies, ces plaies r'ouvertes, ces diarrhées, ces ictères, dont parlent les observations.

Dans la terreur, cette passion, qui en ébranlant toute la machine, la met quelquefois en garde pour sa propre défense, & quelquefois hors d'état d'y pourvoir, naissent la palpitation, la pâleur, le froid subit, le tremblement, la paralysie, l'épilepsie, le changement de couleur des cheveux, la mort subite. Dans la peur, diminutif de la terreur, la transpiration diminuée dispose le corps à recevoir les miasmes contagieux, produit la pâleur, le relâchement des sphincters & les excrétions.

Dans le chagrin, tous les mouvemens vitaux & animaux sont retardés, les humeurs croupissent, & produisent des obstructions, la mélancolie, la jaunisse, & autres semblables maladies. De grands chagrins n'ont que trop souvent causé la mort.

En rapportant tous ces effets à leurs causes, on trouvera que dans les passions dont on vient de parler, & dans toutes les autres, dont le détail nous meneroit trop loin, les nerfs doivent nécessairement agir sur le sang, & produire du dérangement dans l'économie animale. Les nerfs qui tiennent les arteres comme dans des filets, excitent dans la colere & la joie, la circulation du sang artériel, en animant le ressort des arteres ; le fluide nerveux coule aussi plus promtement ; toutes les fibres ont plus de tension ; la vîtesse du pouls & de la respiration croissent ; la rougeur, l'augmentation de chaleur & de force en résultent. Les parties extérieures se resserrent dans la terreur ; desorte que les vaisseaux comprimés font refluer le sang vers l'intérieur, & dans les grands vaisseaux du coeur & du poumon ; d'où naissent la palpitation, la pâleur, le froid des extrêmités, &c. La tristesse suspend le cours des esprits, resserre & comprime les filets nerveux. Or où ne trouve-t-on pas de ces filets ? Fideles compagnons de la carotide interne, de l'artere temporale, de la grande méningienne, de la vertébrale, de la souclaviere, des brachiales, de la céliaque, de la mésentérique, des arteres qui sortent du bassin, ils sont par-tout capables d'être lésés, & suivant leur lésion, de produire différens maux.

La pudeur, cette honte honnête, qui répand sur le visage le rouge qu'on a nommé le vermillon de la vertu, est une espece de petite crainte qui resserre la veine temporale, là où elle est environnée des rameaux de la portion dure ; & par leur action, elle retient, fixe & arrête le sang au visage. Il est donc vrai que les médecins éclairés de la connoissance du corps humain peuvent se former une théorie des passions par leurs effets.

L'attention est l'impression des objets qui frappent le sensorium commune, au moyen des esprits animaux qui s'y portent en abondance. L'attention s'explique par le même méchanisme que les passions ; son effet est de produire une idée distincte, vive & durable.

Quand les fibres du cerveau extrêmement tendues (comme on s'imaginoit les voir au-travers de la physionomie du p. Malebranche, lorsqu'il écoutoit), ont mis une barriere qui ôte tout commerce entre l'objet choisi & les idées indiscrettes qui s'empressent à le troubler ; il en résulte la plus claire, la plus lumineuse perception qui soit possible : c'est en ce sens que l'attention est la mere des sciences, & le meilleur moyen pour les acquérir.

Nous ne pensons qu'à une seule chose à la fois dans le même tems ; ensuite une autre idée succede à la premiere avec une vîtesse prodigieuse, quoique différente, en diverses personnes & sujets. La nouvelle idée qui se présente à l'ame, en est apperçue, si elle succede, lorsque la premiere a disparu. D'où vient donc la promtitude de ceux qui résolvent si vîte les problèmes les plus composés ? De la facilité avec laquelle leur mémoire retient comme vrai la proposition la plus proche de celle qui expose le problème ; ainsi tandis qu'ils pensent à la onzieme proposition, par exemple, ils ne s'inquietent plus de la vérité de la dixieme ; & ils regardent comme un axiome les choses précédentes démontrées auparavant, & dont ils ont un recueil clair dans la tête.

C'est ainsi qu'un habile médecin voit d'un coup d'oeil, les symptomes, les causes de la maladie, les remedes & le pronostic. C'est par cette vigueur des organes du cerveau, qu'Archimede ayant découvert tout-à-coup dans le bain que la couronne d'or du roi Hiéron n'étoit pas entierement composée de ce métal, s'écria de joie : je l'ai trouvé. Heureux ceux qui ont reçu de la nature cette promte facilité de combiner une foule d'idées & de propositions, qu'un cerveau borné ne pourroit concevoir qu'avec le tems, avec beaucoup de peine, & seulement l'une après l'autre ! Faut-il qu'entre deux êtres semblables, Newton & son secrétaire, l'un ne soit qu'un homme du commun, & l'autre paroisse d'une organisation presque angélique ? L'éducation seule fait-elle les fraix d'une diversité si frappante ? Non sans-doute !

L'attention profonde & trop suivie détruit la force des fibres, cause des maux de tête par le resserrement des membranes du cerveau, un desséchement dans le sang & les esprits, & finalement une imagination dépravée. Voyons donc ce que c'est que l'imagination.

L'imagination est la représentation d'un objet absent par des images tracées dans le cerveau. C'est une perception née d'une idée que des causes internes ont produites, semblables à quelques-unes de celles que les causes externes ont coutume de faire naître. Haller raconte qu'ayant la fievre, il voyoit, les yeux fermés, de terribles incendies, & le monde tomber en ruine ; il dit qu'il n'étoit pas la dupe de ces sortes d'illusions, qu'il dissipoit d'ailleurs en ouvrant les yeux, & que ses sens externes lui découvroient l'erreur se ses sens internes. Son imagination étoit alors échauffée par des phantômes, c'est-à-dire, que les nerfs agités dans leur origine augmentoient la force de la circulation du sang dans le cerveau. Pascal épuisé d'étude & de méditation, voyoit toujours, étant au lit, un précipice de feu dont il falloit le garantir par quelque rempart. C'étoit-là une sorte de vertige de l'espece de celui de Haller ayant la fievre. Le sang agité, épanché, ou prêt à l'être, donne lieu à de tels spectres. Galien, jeune encore, se fit un grand honneur à Rome, pour avoir prédit dans une pareille circonstance, une hémorrhagie salutaire.

Quand l'ame ne peut se détromper par les sens externes, de la non-existence des phantômes que les sens internes lui présentent, comme étoit celui qui croyoit avoir un nez de verre ; ceux qui se persuadent être obligés de suivre tel régiment, dans l'idée qu'ils y ont été engagés, & autres chimeres : c'est dans ce cas une espece de manie, mal qui demande des remedes, & qui y cede quelquefois. Quiconque jettera les yeux sur les tristes effets du dérangement de l'imagination, comprendra combien elle est corporelle, & combien est étroite la liaison qu'il y a entre les mouvemens vitaux & les mouvemens animaux.

La mémoire, qui est le souvenir des choses qui ont fait des traces dans le cerveau, est un quatrieme sens interne, si dépendant des organes du corps, qu'elle se fortifie, & s'affoiblit, selon les changemens qui arrivent à la machine. Ni la conversation, ni la connoissance des choses, ni le sentiment interne de notre propre existence ne peuvent résider en nous sans la mémoire. Wepfer parle d'un malade qui avoit perdu les idées des choses ; il prenoit le manche pour le creux de la cueillere ; il en a vu un autre qui ne pouvoit jamais finir sa phrase, parce qu'il perdoit d'abord la mémoire du commencement de son idée. Il donne l'histoire d'un troisieme, qui voyant les lettres, ne pouvoit plus les épeler.

Un homme qui perdroit toute mémoire, ne seroit pas même un être pensant ; car peut-on penser sans elle ? Cela ne répugne point aux phénomenes des maladies dans lesquelles nous voyons les malades faire plusieurs actions, dont ils n'ont aucune réminiscence, lorsqu'ils sont rétablis ; or ces actions que l'ame fait sans connoissance, sans jugement, doivent être rangées parmi les mouvemens automatiques qui se trouvent partout pour conserver la machine. M. Jean le Clerc si connu dans la république des lettres, & frere de M. Daniel le Clerc non moins célebre par son histoire de la Médecine, a écrit que la fievre suffisoit pour bouleverser toutes les traces des images dans le cerveau, & causer un oubli universel ; il a été lui-même un triste exemple de cette vérité ; après une petite fievre de deux ou trois jours, il tomba dans l'oubli total de tout ce qu'il avoit jamais fait & su ; l'enfance & l'imbécillité succéderent ; le savant ne fut plus qu'un objet de pitié !

Thucydide raconte que dans la peste d'Afrique, plusieurs personnes perdirent entierement la mémoire. Mais tous les jours la perte de cette faculté n'est-elle pas dépendante du sommeil, du vin, de l'apoplexie, de la chaleur excessive ? Et puis, elle se rétablit avec le tems par des remedes convenables. Enfin l'hydrocéphale, la mollesse aqueuse du cerveau, toutes dégénérations de cette partie, une chûte, un ulcere trop tôt fermé, ces causes & plusieurs autres, font perdre la mémoire, suivant l'observation de tous les auteurs. Cependant puisqu'elle revient aussi méchaniquement qu'elle se dissipe, elle appartient donc au corps, elle est donc presque corporelle. Mais alors quelle place infiniment petite, tient la mémoire dans le sensorium commune ? Cette exilité infinie effrayera l'imagination de ceux qui calculeront les millions de mots, de faits, de dates, de choses différentes, existantes dans le cerveau de ces hommes dont parle Baillet, si fameux par leur mémoire, & qui sembloient ne rien oublier. Tant de choses résidoient donc dans la moëlle du cerveau de ces gens-là, & ne l'occupoient pas même toute entiere ? Que cette faculté est immense, & que son domicile est réellement borné !

On fait bien des questions insolubles sur les sens internes ; en voici quelques-unes qu'il semble qu'on peut résoudre.

Pourquoi les signes corporels qui n'ont rien que d'arbitraire, affectent-ils, changent-ils si fort les idées ? Il falloit à l'homme un grand nombre de termes pour exprimer la foule de ses idées ; ces termes qui sont arbitraires, deviennent tellement familiers par l'habitude où l'on est de les prononcer, qu'on ne se souvient pas davantage le plus souvent des idées mêmes des choses, que des termes qui sont des caracteres expressifs de ces idées ; & les mots & ces idées sont si intimement liés ensemble, que l'idée ne revient point sans son expression, ni le mot sans l'idée. D'ailleurs, en pensant nous sommes moins occupés des mots que des choses, parce qu'il en coûte à l'imagination pour trouver des idées complexes, au lieu que les mots simples & faciles, se présentent d'eux-mêmes.

D'où vient que l'attention, l'imagination suspendent l'action des sens externes & les mouvemens du corps ? Parce qu'alors rien ne distrayant les sens externes, l'imagination en est plus vive & la mémoire plus heureuse. Ceux qui sont devenus aveugles, sont fort propres à combiner à la fois un grand nombre d'idées.

Pourquoi est-on si foible lorsqu'on a trop longtems, ou fortement exercé les sens internes ? Parce qu'il s'est fait une très-grande consommation des esprits du cerveau ; & par la même raison, toutes les parties du corps humain trop longtems tendues, se fatiguent.

Pourquoi les alimens, les boissons, les médicamens, les poisons, les passions, le repos, le mouvement, l'air, le chaud, le froid, l'habitude, pourquoi, dis-je, toutes ces choses ont-elles tant de pouvoir sur tous les sens ? Parce qu'ils dépendent du bon état, ou du mauvais état des organes du corps. Tout le justifie, l'éducation, les moeurs, les loix, les climats, les breuvages, les maladies, les aveux de foiblesses & de passions qu'on fait aux médecins & aux confesseurs, les remedes, les poisons, &c. Tout indique l'empire de ce corps terrestre ; tout confirme l'esclavage, l'obscurcissement de cette ame qui devroit lui commander.

Est-ce là ce rayon de l'essence suprême

Que l'on nous peint si lumineux ?

Est-ce là cet esprit survivant à lui-même ?

Hélas ! on ne reconnoit plus sa spiritualité au milieu du tumulte des appétits corporels, du feu des passions, du dérangement de l'économie animale. Quel flambeau pour nous conduire, que celui qui s'éteint à chaque pas ! (D.J.)

SENS (LE BON), GOUT (LE BON), (Belles-Lettres) le bon sens & le bon goût, ne sont qu'une même chose, à les considérer du côté de la faculté. Le bon sens est une certaine droiture d'ame qui voit le vrai, le juste & s'y attache ; le bon goût est cette même droiture, par laquelle l'ame voit le bon & l'approuve. La différence de ces deux choses ne se tient que du côté des objets. On restraint ordinairement le bon sens aux choses plus sensibles, & le bon goût à des objets plus fins & plus relevés. Ainsi le bon goût, pris dans cette idée, n'est autre chose que le bon sens, raffiné & exercé sur des objets délicats & relevés ; & le bon sens n'est que le bon goût, restraint aux objets plus sensibles & plus matériels. Le vrai est l'objet du goût, aussi-bien que le bon ; & l'esprit a son goût, aussi-bien que le coeur. (D.J.)


SENSALadj. (Comm.) qu'on écrit plus ordinairement censal.

C'est ainsi qu'on appelle en Provence, en quelques endroits d'Italie, & dans les Echelles du Levant, ce qu'on nomme ailleurs un courtier. Voyez CENSAL & COURTIER.

Tout le commerce de Livourne se fait par la voie des sensaux, dont les journaux font foi en justice. Ils sont tous italiens ou juifs, & paient au grand duc une taxe, plus ou moins forte, à proportion des affaires qu'ils ont faites pendant le cours de l'année. Dict. de Comm.


SENSATIONSS. f. (Métaphysiq.) les sensations sont des impressions qui s'excitent en nous à l'occasion des objets extérieurs. Les philosophes modernes sont bien revenus de l'erreur grossiere qui revêtoit autrefois les objets qui sont hors de nous des diverses sensations que nous éprouvons à leur présence. Toute sensation est une perception qui ne sauroit se trouver ailleurs que dans un esprit, c'est-à-dire, dans une substance qui se sent elle-même, & qui ne peut agir ou pâtir sans s'en appercevoir immédiatement. Nos philosophes vont plus loin ; ils vous font très-bien remarquer que cette espece de perception que l'on nomme sensation, est très-différente d'un côté de celle qu'on nomme idée, d'autre côté des actes de la volonté & des passions. Les passions sont bien des perceptions confuses qui ne représentent aucun objet ; mais ces perceptions se terminant à l'ame même qui les produit, l'ame ne les rapporte qu'à elle-même, elle ne s'apperçoit alors que d'elle-même, comme étant affectée de différentes manieres, telles que sont la joie, la tristesse, le desir, la haine & l'amour. Les sensations au contraire que l'ame éprouve en soi, elle les rapporte à l'action de quelque cause extérieure, & d'ordinaire elles amenent avec elles l'idée de quelque objet. Les sensations sont aussi très-distinguées des idées.

1°. Nos idées sont claires ; elles nous représentent distinctement quelque objet qui n'est pas nous : au contraire, nos sensations sont obscures ; elles ne nous montrent distinctement aucun objet, quoiqu'elles attirent notre ame comme hors d'elle-même ; car toutes les fois que nous avons quelque sensation, il nous paroît que quelque cause extérieure agit sur notre ame.

2°. Nous sommes maîtres de l'attention que nous donnons à nos idées ; nous appellons celle-ci, nous renvoyons celle-là ; nous la rappellons, & nous la faisons demeurer tant qu'il nous plaît ; nous lui donnons tel degré d'attention que bon nous semble : nous disposons de toutes avec une empire aussi souverain, qu'un curieux dispose des tableaux de son cabinet. Il n'en va pas ainsi de nos sensations ; l'attention que nous leur donnons est involontaire, nous sommes forcés de la leur donner : notre ame s'y applique, tantôt plus, tantôt moins, selon que la sensation elle-même est ou foible ou vive.

3°. Les pures idées n'emportent aucune sensation, pas même celles qui nous représentent les corps ; mais les sensations ont toujours un certain rapport à l'idée du corps ; elles sont inséparables des objets corporels, & l'on convient généralement qu'elles naissent à l'occasion de quelque mouvement des corps, & en particulier de celui que les corps extérieurs communiquent au nôtre.

4°. Nos idées sont simples, ou se peuvent réduire à des perceptions simples ; car comme ce sont des perceptions claires qui nous offrent distinctement quelqu'objet qui n'est pas nous, nous pouvons les décomposer jusqu'à ce que nous venions à la perception d'un objet simple & unique, qui est comme un point que nous appercevons tout entier d'une seule vue. Nos sensations au contraire sont confuses ; & c'est ce qui fait conjecturer, que ce ne sont pas des perceptions simples, quoi qu'en dise le célebre Locke. Ce qui aide à la conjecture, c'est que nous éprouvons tous les jours des sensations qui nous paroissent simples dans le moment même, mais que nous découvrons ensuite ne l'être nullement. On sait, par les ingénieuses expériences que le fameux chevalier Newton a faites avec le prisme, qu'il n'y a que cinq couleurs primitives. Cependant, du différent mêlange de ces cinq couleurs, il se forme cette diversité infinie de couleurs que l'on admire dans les ouvrages de la nature, & dans ceux des Peintres, ses imitateurs & ses rivaux, quoique leur pinceau le plus ingénieux ne puisse jamais l'égaler. A cette variété de couleurs, de teintes, de nuances, répondent autant de sensations distinctes, que nous prendrions pour sensations simples, aussi bien que celles du rouge & du verd, si les expériences de Newton ne démontroient que ce sont des perceptions composées de celles des cinq couleurs originales. Il en est de même des tons dans la musique. Deux ou plusieurs tons de certaine espece venant à frapper en même tems l'oreille, produisent un accord : une oreille fine apperçoit à la fois ces tons différens, sans les bien distinguer ; ils s'y unissent & s'y fondent l'un dans l'autre ; ce n'est proprement aucun de ces deux tons qu'elle entend ; c'est un mêlange agréable qui se fait des deux, d'où résulte une troisieme sensation, qui s'appelle accord, symphonie : un homme qui n'auroit jamais ouï ces tons séparément, prendroit la sensation que fait naître leur accord pour une simple perception. Elle ne le seroit pourtant pas plus que la couleur violette, qui résulte du rouge & du bleu mélangés sur une surface par petites portions égales. Toute sensation, celle du ton, par exemple, ou de la lumiere en général, quelque simple, quelque indivisible qu'elle nous paroisse, est un composé d'idées, est un assemblage ou amas de petites perceptions qui suivent dans notre ame si rapidement, & dont chacune s'y arrête si peu, ou qui s'y présentent à la fois en si grand nombre, que l'ame ne pouvant les distinguer l'une de l'autre, n'a de ce composé qu'une seule perception très confuse, par égard aux petites parties ou perceptions qui forment ce composé ; mais d'autre côté, très-claire en ce que l'ame la distingue nettement de toute autre suite ou assemblage de perceptions ; d'où vient que chaque sensation confuse, à la regarder en elle-même, devient très-claire, si vous l'opposez à une sensation différente. Si ces perceptions ne se succédoient pas si rapidement l'un à l'autre, si elle ne s'offroient pas à la fois en si grand nombre, si l'ordre dans lequel elles s'offrent & se succedent ne dépendoit pas de celui des mouvemens extérieurs, s'il étoit au pouvoir de l'ame de le changer ; si tout cela étoit, les sensations ne seroient plus que de pures idées, qui représenteroient divers ordres de mouvement. L'ame se les représente bien, mais en petit, mais dans une rapidité & une abondance qui le confond, qui l'empêche de démêler une idée d'avec l'autre, quoiqu'elle soit vivement frappée du tout ensemble, & qu'elle distingue très-nettement telle suite de mouvemens d'avec telle autre suite, tel ordre, tel amas de perceptions d'avec tel autre ordre & tel autre amas.

Outre cette premiere question, où l'on agite si les sensations sont des idées, on en peut former plusieurs autres, tant cette matiere devient féconde, quand on la creuse de plus en plus.

1°. Les impressions que notre ame reçoit à l'occasion des objets sensibles, sont-elles arbitraires ? Il paroît clairement que non, dès qu'il y a une analogie entre nos sensations & les mouvemens qui les causent, & dès que ces mouvemens sont, non la simple occasion, mais l'objet même de ces perceptions confuses. Elle paroîtra cette analogie, si d'un côté nous comparons ces sensations entr'elles, & si d'autre côté nous comparons entr'eux les organes de ces sensations, & l'impression qui se fait sur ces différens organes. La vue est quelque chose de plus délicat & de plus habile que l'ouïe ; l'ouïe a visiblement un pareil avantage sur l'odorat & sur le goût ; & ces deux derniers genres de sensation l'emportent par le même endroit sur celui du toucher. On observe les mêmes différences entre les organes de nos sens, pour la composition de ces organes, pour la délicatesse des nerfs, pour la subtilité & la vîtesse des mouvemens, pour la grosseur des corps extérieurs qui affectent immédiatement ces organes. L'impression corporelle sur les organes des sens, n'est qu'un tact plus ou moins subtil & délicat, à proportion de la nature des organes qui en doivent être affectés. Celui qui fait la vision est le plus léger de tous : le bruit & le son nous touchent moins délicatement que la lumiere & les couleurs ; l'odeur & la saveur encore moins délicatement que le son ; le froid & le chaud, & les autres qualités tactiles, sont l'impression la plus forte & la plus rude. Dans tous, il ne faut que différens degrés de la même sorte de mouvement, pour faire passer l'ame du plaisir à la douleur ; preuve que le plaisir & la douleur, ce qu'il y a d'agréable & de désagréable dans nos sensations, est parfaitement analogue aux mouvemens qui les produisent, ou, pour mieux dire, que nos sensations ne sont que la perception confuse de ces divers mouvemens. D'ailleurs, à comparer nos sensations entre elles, on y découvre des rapports & des différences qui marquent une analogie parfaite avec les mouvemens qui les produisent, & avec les organes qui reçoivent ces mouvemens. Par exemple, l'odorat & le goût s'avoisinent beaucoup, & tiennent assez de l'un & de l'autre. L'analogie qui se remarque entre les sens & les couleurs est beaucoup plus sensible. Il faut à présent venir aux autres questions, & entrer de plus en plus dans la nature des sensations.

Pourquoi dit-on, l'ame rapporte-t-elle ses sensations à quelque cause extérieure ? Pourquoi ces sensations sont-elles inséparables de l'idée de certains objets ? Pourquoi nous impriment-elles si fortement ces idées, & nous font-elles regarder ces objets, comme existans hors de nous ? Bien plus, pourquoi regardons-nous ces objets non-seulement comme la cause, mais comme le sujet de ces sensations ? D'où vient enfin que la sensation est si mêlée avec l'idée de l'objet même, quoique l'objet soit distingué de notre ame, & que la sensation n'en soit point distinguée, il est extrêmement difficile, ou même impossible à notre ame, de détacher la sensation d'avec l'idée de cet objet ; ce qui a principalement lieu dans la vision. On ne sauroit presque pas plus s'empêcher, quand on voit un cercle rouge, d'attribuer au cercle la rougeur qui est notre propre sensation, que de lui attribuer la rondeur, qui est la propriété du cercle même. Tant de questions à éclaircir touchant les sensations, prouvent assez combien cette matiere est épineuse. Voici à-peu-près ce qu'on y peut répondre de plus raisonnable.

Les sensations font sortir l'ame hors d'elle-même ; en lui donnant l'idée confuse d'une cause extérieure qui agit sur elle, parce que les sensations sont des perceptions involontaires ; l'ame en tant qu'elle sent est passive, elle est le sujet d'une action ; il y a donc hors d'elle un agent. Quel sera cet agent ? Il est raisonnable de le concevoir proportionné à son action, & de croire qu'à différens effets répondent de différentes causes ; que les sensations sont produites par des causes aussi diverses entr'elles, que le sont les sensations même. Sur ce principe, la cause de la lumiere doit être autre que la cause du feu ; celle qui excite en moi la sensation du jaune ; doit n'être pas la même que celle qui me donne la sensation du violet,

Nos sensations étant des perceptions représentatives d'une infinité de petits mouvemens indiscernables, il est naturel qu'elles amenent avec elles l'idée claire ou confuse du corps dont celle du mouvement est inséparable, & que nous regardions la matiere en tant qu'agitée par ces divins mouvemens, comme la cause universelle de nos sensations, en même tems qu'elle en est l'objet.

Une autre conséquence qui n'est pas moins naturelle, c'est qu'il arrive de-là que nos sensations font la preuve la plus convaincante que nous ayons de l'existence de la matiere. C'est par elles que Dieu nous avertit de notre existence ; car quoique Dieu soit la cause universelle & immédiate qui agit sur notre ame, sur laquelle, quand on y pense, on voit bien que la matiere ne peut agir réellement & physiquement ; quoiqu'il suffise des seules sensations que nous recevons à chaque moment, pour démontrer qu'il y a hors de nous un esprit dont le pouvoir est infini ; cependant la raison pour laquelle cet esprit tout-puissant assujettit notre ame à cette suite si variée, mais si réglée, de perceptions confuses, qui n'ont que des mouvemens pour objet, cette raison ne peut être prise d'ailleurs, que de ces mouvemens mêmes, qui arrivent en effet dans la matiere actuellement existante ; & le but de l'esprit infini, qui n'agit jamais au hasard, ne peut être autre, que de nous manifester l'existence de cette matiere avec ces divers mouvemens. Il n'y a point de voie plus propre pour nous instruire de ce fait. L'idée seule de la matiere, nous découvriroit bien sa nature, mais ne nous apprendroit jamais son existence, puisqu'il ne lui est point essentiel d'exister. Mais l'application involontaire de notre ame à cette idée, revêtue de celle d'une infinité de modifications & de mouvemens successifs, qui sont arbitraires & accidentels à cette idée, nous conduit infailliblement à croire qu'elle existe avec toutes ses diverses modifications. L'ame conduite par le créateur dans cette suite réglée de perceptions, est convaincue qu'il doit y avoir un monde matériel hors d'elle, qui soit le fondement, la cause exemplaire de cet ordre, & avec lequel ces perceptions ayent un rapport de vérité. Ainsi, quoique dans l'immense variété d'objets que les sens présentent à notre esprit, Dieu seul agisse sur notre esprit, chaque objet sensible avec toutes ses propriétés, peut passer pour la cause de la sensation que nous en avons, parce qu'il est la raison suffisante de cette perception, & le fondement de sa vérité.

Si vous m'en demandez la raison, je vous répondrai que c'est,

1°. Parce que nous éprouvons dans mille occasions qu'il y a des sensations qui entrent par force dans notre ame, tandis qu'il y en a d'autres dont nous disposons librement, soit en les rappellant, soit en les écartant, selon qu'il nous en prend envie. Si à midi je tourne les yeux vers le soleil, je ne saurois éviter de recevoir les idées que la lumiere du soleil produit alors en moi : au lieu que si je ferme les yeux, ou que je sois dans une chambre obscure, je peux rappeller dans mon esprit quand je veux les idées de la lumiere ou du soleil, que des sensations précédentes avoient placées dans ma mémoire ; & que je peux quitter ces idées, quand je veux, pour me fixer à l'odeur d'une rose, ou au goût du sucre. Il est évident que cette diversité de voies par lesquelles nos sensations s'introduisent dans l'ame, suppose que les unes sont produites en nous par la vive impression des objets extérieurs, impression qui nous maîtrise, qui nous prévient, & qui nous guide de gré ou de force ; & les autres par le simple souvenir des impressions qu'on a déja ressenties. Outre cela il n'y a personne, qui ne sente en elle-même la différence qui se trouve entre contempler le soleil, selon qu'il en a l'idée dans sa mémoire, & le regarder actuellement : deux choses, dont la perception est si distincte dans l'esprit, que peu de ses idées sont plus distinctes les unes des autres. Il reconnoît donc certainement qu'elle ne sont pas toutes deux un effet de sa mémoire, ou des productions de son esprit, ou de pures fantaisies formées en lui-même ; mais que la vue du soleil est produite par une cause.

2°. Parce qu'il est évident que ceux qui sont destitués des organes d'un certain sens, ne peuvent jamais faire que les idées qui appartiennent à ce sens, soient actuellement produites dans leur esprit. C'est une vérité si manifeste, qu'on ne peut la révoquer en doute ; & par conséquent, nous ne pouvons douter que ces perceptions ne nous viennent dans l'esprit par les organes de ce sens, & non par aucune autre voie : il est visible que les organes ne les produisent pas ; car si cela étoit les yeux d'un homme produiroient des couleurs dans les ténébres, & son nez sentiroit des roses en hiver. Mais nous ne voyons pas que personne acquiere le goût des ananas, avant qu'il aille aux Indes où se trouve cet excellent fruit, & qu'il en goûte actuellement.

3°. Parce que le sentiment du plaisir & de la douleur nous affecte bien autrement, que le simple souvenir de l'un & de l'autre. Nos sensations nous donnent une certitude évidente de quelque chose de plus, que d'une simple perception intime : & ce plus est une modification, laquelle, outre une particuliere vivacité de sentiment, nous exprime l'idée d'un être qui existe actuellement hors de nous, & que nous appellons corps. Si le plaisir ou la douleur n'étoient pas occasionnés par des objets extérieurs, le retour des mêmes idées devroit toujours être accompagné des mêmes sensations. Or cependant cela n'arrive point ; nous nous ressouvenons de la douleur que causent la faim, la soif, & le mal de tête sans en ressentir aucune incommodité ; nous pensons aux plaisirs que nous avons goûtés, sans être pénétrés ni remplis par des sentimens délicieux.

4°. Parce que nos sens, en plusieurs cas, se rendent témoignage l'un à l'autre de la vérité de leurs rapports touchant l'existence des choses sensibles qui sont hors de nous. Celui qui voit le feu, peut le sentir ; & s'il doute que ce ne soit autre chose qu'une simple imagination, il peut s'en convaincre en mettant dans le feu sa propre main, qui certainement ne pourroit jamais ressentir une douleur si violente à l'occasion d'une pure idée ou d'un simple fantôme ; à-moins que cette douleur ne soit elle-même une imagination, qu'il ne pourroit pourtant pas rappeller dans son esprit, en se représentant l'idée de la brûlure après qu'elle a été guérie.

Ainsi, en écrivant ceci, je vois que je puis changer les apparences du papier, & en traçant des lettres, dire d'avance quelle nouvelle idée il présentera à l'esprit dans le moment suivant, par le moyen de quelques traits que j'y ferai avec la plume ; mais j'aurai beau imaginer ces traits, ils ne paroîtront point si ma main demeure en repos, ou si je ferme les yeux, en remuant ma main : & ces caracteres une fois tracés sur le papier, je ne puis plus éviter de les voir tels qu'ils sont, c'est-à-dire, d'avoir des idées de telles & telles lettres que j'ai formées. D'où il s'ensuit visiblement que ce n'est pas un jeu de mon imagination, puisque je trouve que les caracteres qui ont été tracés selon la fantaisie de mon esprit, ne dépendent plus de cette fantaisie, & ne cessent pas d'être, dès que je viens à me figurer qu'ils ne sont plus ; mais qu'au contraire ils continuent d'affecter mes sens constamment & réguliérement, selon la figure que je leur ai donnée. Si vous ajoutez à cela, que la vûe de ces caracteres fera prononcer à un autre homme les mêmes sons que je m'étois proposé de leur faire signifier, on ne pourra douter que ces mots que j'écris, n'existent réellement hors de moi, puisqu'ils produisent cette longue suite de sons réguliers dont mes oreilles sont actuellement frappées, lesquels ne sauroient être un effet de mon imagination, & que ma mémoire ne pourroit jamais retenir dans cet ordre.

5°. Parce que s'il n'y a point de corps, je ne conçois pas pourquoi ayant songé dans le tems que j'appelle veille, que quelqu'un est mort, jamais il ne m'arrivera plus de songer qu'il est vivant, que je m'entretiens & que je mange avec lui, pendant tout le tems que je veillerai, & que je serai en mon bon sens. Je ne comprends pas aussi, pourquoi ayant commencé à songer que je voyage, mon égarement enfantera de nouveaux chemins, de nouvelles villes, de nouveaux hôtes, de nouvelles maisons ; pourquoi je ne croirai jamais me trouver dans le lieu d'où il semble que je sois parti. Je ne sai pas mieux comment il se peut faire qu'en croyant lire un poëme épiques, des tragédies & des comédies, je fasse des vers excellens, & que je produise une infinité de belles pensées, moi dont l'esprit est si stérile & si grossier dans tous les autres tems. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'il dépend de moi de renouveller toutes ces merveilles, quand il me plaira. Que mon esprit soit bien disposé ou non, il n'en pensera pas moins bien, pourvu qu'il s'imagine lire dans un livre. Cette imagination est toute sa ressource, tout son talent. A la faveur de cette illusion, je lirai tour-à-tour Paschal, Bossuet, Fénelon, Corneille, Racine, Moliere, &c. en un mot, tous les plus beaux génies, soit anciens, soit modernes, qui ne doivent être pour moi que des hommes chimériques, supposé que je sois le seul être au monde, & qu'il n'y ait point de corps. Les traités de paix, les guerres qu'ils terminent, le feu, les remparts, les armes, les blessures ; chimeres que tout cela. Tous les soins qu'on se donne pour s'avancer dans la connoissance des métaux, des plantes & du corps humain ; tout cela ne nous fera faire des progrès que dans le pays des idées. Il n'y a ni fibres, ni sucs, ni fermentations, ni graines, ni animaux, ni couteaux pour les disséquer, ni microscope pour les voir ; mais moyennant l'idée d'un microscope, il naîtra en moi des idées d'arrangemens merveilleux dans de petites parties idéales.

Je ne nie pourtant pas qu'il ne puisse y avoir des hommes, qui dans leurs sombres méditations, se sont tellement affoiblis l'esprit par des abstractions continuelles, &, si je l'ose dire, tellement alambiqué le cerveau par des possibilités métaphysiques, qu'ils doutent effectivement s'il y a des corps. Tout ce que l'on peut dire de ces contemplatifs, c'est qu'à force de réflexions ils ont perdu le sens commun, méconnoissant une premiere vérité dictée par le sentiment de la nature, & qui se trouve justifiée par le concert unanime de tous les hommes.

Il est vrai qu'on peut former des difficultés sur l'existence de la matiere ; mais ces difficultés montrent seulement les bornes de l'esprit humain avec la foiblesse de notre imagination. Combien nous propose-t-on de raisonnemens qui confondent les nôtres, & qui cependant ne font & ne doivent faire aucune impression sur le sens commun ? parce que ce sont des illusions, dont nous pouvons bien appercevoir la fausseté par un sentiment irréprochable de la nature ; mais non pas toujours la démontrer par une exacte analyse de nos pensées. Rien n'est plus ridicule que la vaine confiance de certains esprits qui se prévalent de ce que nous ne pouvons rien répondre à des objections, où nous devons être persuadés, si nous sommes sensés, que nous ne pouvons rien comprendre.

N'est-il pas bien surprenant que notre esprit se perde dans l'idée de l'infini ? Un homme tel que Bayle, auroit prouvé à qui l'eût voulu écouter, que la vue des objets terrestres étoit impossible. Mais ses difficultés n'auroient pas éteint le jour ; & l'on n'en eût pas moins fait usage du spectacle de la nature, parce que les raisonnemens doivent céder à la lumiere. Les deux ou trois tours que fit dans l'auditoire Diogène le cynique, réfutent mieux les vaines subtilités qu'on peut opposer au mouvement que toutes sortes de raisonnemens.

Il est assez plaisant de voir des philosophes faire tous leurs efforts pour nier l'action qui leur communique, ou qui imprime reguliérement en eux la vue de la nature, & douter de l'existence des lignes & des angles sur lesquels ils operent tous les jours.

En admettant une fois l'existence des corps comme une suite naturelle de nos différentes sensations, on conçoit pourquoi, bien loin qu'aucune sensation soit seule & séparée de toute idée, nous avons tant de peine à distinguer l'idée d'avec la sensation d'un objet ; jusques-là, que par une espece de contradiction, nous revêtons l'objet même, de la perception dont il est la cause, en appellant le soleil lumineux, & regardant l'émail d'un parterre, comme une chose qui appartient au parterre plutôt qu'à notre ame ; quoique nous ne supposions point dans les fleurs de ce parterre une perception semblable à celle que nous en avons. Voici le mystere. La couleur n'est qu'une maniere d'appercevoir les fleurs ; c'est une modification de l'idée que nous en avons, en tant que cette idée appartient à notre ame. L'idée de l'objet n'est pas l'objet même. L'idée que j'ai d'un cercle n'est pas ce cercle, puisque ce cercle n'est point une maniere d'être de mon ame. Si donc la couleur sous laquelle je vois ce cercle, est aussi une perception ou maniere d'être de mon ame, la couleur appartient à mon ame, entant qu'elle apperçoit ce cercle, & non au cercle apperçu. D'où vient donc que j'attribue la rougeur au cercle aussi bien que la rondeur, n'y auroit-il pas dans un cercle quelque chose, en vertu de quoi je ne le vois qu'avec une sensation de couleur, & de couleur rouge, plutôt que de la couleur violette ? Oui sans doute, & c'est une certaine modification de mouvement imprimé sur mon oeil, sur laquelle ce cercle a la vertu de produire, parce que sa superficie ne renvoye à mon oeil que les rayons propres à y produire des secousses, dont la perception confuse est ce qu'on appelle rouge. J'ai donc à la-fois idée & sensation du cercle.

Par l'idée claire & distincte, je vois le cercle étendu & rond, je lui attribue ce que j'y vois clairement, l'étendue & la rondeur. Par la sensation j'apperçois confusément une multitude & une suite de petits mouvemens que je ne puis discerner, qui me réveillent l'idée claire du cercle, mais qui me le montrent agissant sur moi d'une certaine maniere. Tout cela est vrai ; mais voici l'erreur : dans l'idée claire du cercle je distingue le cercle de la perception que j'en ai ; mais dans la perception confuse des petits mouvemens du nerf optique, causés par les rayons lumineux que le cercle réfléchis, comme je ne vois point d'objet distinct, je ne puis aisément distinguer cet objet, c'est-à-dire cette suite rapide de petites secousses, d'avec la perception que j'en ai : je confonds aussitôt ma perception avec son objet ; & comme cet objet confus, c'est-à-dire cette suite de petits mouvemens tient à l'objet principal, que j'ai raison de supposer hors de moi comme cause de ces petits mouvemens, j'attache aussi la perception confuse que j'en ai à cet objet principal, & je le revêts, pour ainsi dire, du sentiment de couleur qui est dans mon ame, en regardant ce sentiment de couleur comme une propriété non de mon ame, mais de cet objet. Ainsi, au lieu que je devrois dire le rouge est en moi une maniere d'appercevoir le cercle, je dis, le rouge est une maniere d'être du cercle apperçu. Les couleurs sont un enduit dont nous couvrons les objets corporels ; & comme les corps sont le soutient de ces petits mouvemens qui nous manifestent leur existence, nous regardons ces mêmes corps comme le soutien de la perception confuse que nous avons de ces mouvemens, ne pouvant, comme cela arrive toujours dans les perceptions confuses, séparer l'objet d'avec la perception.

La remarque que nous venons de faire sur l'erreur de notre jugement, par rapport aux perceptions confuses, nous aide à comprendre pourquoi l'ame ayant une telle sensation de son propre corps, se confond avec lui, & lui attribue ses propres sensations. C'est que d'un côté elle a l'idée claire de son corps, & le distingue aisément d'elle-même ; d'autre côté elle a un amas de perceptions indistinctes qui ont pour objet l'économie générale des mouvemens qui se passent dans toutes les parties de ce corps, de-là vient qu'elle attribue au corps dont elle a en gros l'idée distincte, ces mêmes perceptions confuses, & croît que le corps se sent lui-même, tandis que c'est elle qui sent le corps. Delà vient qu'elle s'imagine que l'oreille entend, que l'oeil voit, que le doigt souffre la douleur d'une piquûre, tandis que c'est l'ame elle-même, entant qu'attentive aux mouvemens du corps, qui fait tout cela.

Pour les objets extérieurs, l'ame n'a avec eux qu'une union médiate, qui la garantit plus ou moins de l'erreur, mais qui ne l'en sauve pas tout-à-fait. Elle les discerne d'avec elle-même, parce qu'elle les regarde comme les causes des divers changemens qui lui arrivent ; cependant elle se confond encore avec eux à quelques égards, en leur attribuant ses sensations de couleur, de son, de chaleur, comme leurs propriétés inhérentes, par la même raison qui la faisoit se confondre elle-même avec son corps, en disant bonnement, c'est mon oeil qui voit les couleurs, c'est mon oreille qui entend les sons, &c.

Mais d'où vient qu'il arrive que parmi nos sensations diverses, nous attribuons les unes aux objets extérieurs, d'autres à nous-mêmes, & que par rapport à quelques-unes nous sommes indécis, ne sachant trop qu'en croire, lorsque nous n'en jugeons que par les sens ? Le P. Malebranche distingue trois sortes de sensations ; les unes fortes & vives, les autres foibles & languissantes, & enfin de moyennes entre les unes & les autres. Les sensations fortes & vives sont celles qui étonnent l'esprit & qui le réveillent avec quelque force, parce qu'elles lui sont fort agréables ou fort incommodes ; or l'ame ne peut s'empêcher de reconnoître que de telles sensations lui appartiennent en quelque façon. Ainsi elle juge que le froid & le chaud ne sont pas seulement dans la glace & dans le feu, mais qu'ils sont aussi dans ses propres mains. Pour les sensations foibles, qui touchent fort peu l'ame, nous ne croyons pas qu'elles nous appartiennent, ni qu'elles soient dans notre propre corps, mais seulement dans les objets que nous en revêtons. La raison pour laquelle nous ne voyons point d'abord que les couleurs, les odeurs, les saveurs, & toutes les autres sensations, sont des modifications de notre ame, c'est que nous n'en avons point d'idée claire de cette ame. Cette ignorance fait que nous ne savons point par une simple vûe, mais par le seul raisonnement, si la lumiere, les couleurs, les sons, les odeurs, sont ou ne sont pas des modifications de notre ame. Mais pour les sensations vives, nous jugeons facilement qu'elles sont en nous, à cause que nous sentons bien qu'elles nous touchent, & que nous n'avons pas besoin de les connoître par leurs idées pour savoir qu'elles nous appartiennent. Pour les sensations mitoyennes, qui touchent l'ame médiocrement, comme une grande lumiere, un son violent, l'ame s'y trouve fort embarrassée.

Si vous demandez à ce pere pourquoi cette institution du créateur, il vous répondra que les fortes sensations étant capables de nuire à nos membres, il est à-propos que nous soyons avertis quand ils en sont attaqués, afin d'empêcher qu'ils n'en soient offensés : mais il n'en est pas de même des couleurs, qui ne peuvent d'ordinaire blesser le fond de l'oeil où elles se rassemblent, & par conséquent il nous est inutile de savoir qu'elles y sont peintes. Ces couleurs ne nous sont nécessaires que pour connoître plus distinctement les objets, & c'est pour cela que nos sens nous portent à les attribuer seulement aux objets. Ainsi les jugemens, conclut-il, auxquels les impressions de nos sens nous portent, sont très-justes, si on les considere par rapport à la conservation du corps ; mais tout-à-fait bisarres & très-éloignés de la vérité, si on les considere par rapport à ce que les corps sont en eux-mêmes.


SENSÉadj. (Gram.) qui a l'esprit droit & juste, de l'expérience, du jugement, & qui est peu sujet à se tromper, soit qu'il parle, soit qu'il agisse. Si ce mot s'applique à une chose, cette chose supposera toutes les qualités que nous venons d'attribuer à la personne. On dit un homme sensé. L'autorité d'un homme sensé est en certains cas de fait de plus grand poids que celle de vingt hommes d'esprit. On dit une réponse sensée.


SENSETLE, ou LA SANSSE, (Géog. mod.) petite riviere des Pays-bas ; elle prend sa source en Artois, auprès du village de Boilioux, & se perd à Bouchain dans l'Escaut. (D.J.)


SENSIBILITÉ(Morale) disposition tendre & délicate de l'ame, qui la rend facile à être émue, à être touchée.

La sensibilité d'ame, dit très-bien l'auteur des moeurs, donne une sorte de sagacité sur les choses honnêtes, & va plus loin que la pénétration de l'esprit seul. Les ames sensibles peuvent par vivacité tomber dans des fautes que les hommes à procédés ne commettroient pas ; mais elles l'emportent de beaucoup par la quantité des biens qu'elles produisent. Les ames sensibles ont plus d'existence que les autres : les biens & les maux se multiplient à leur égard. La réflexion peut faire l'homme de probité ; mais la sensibilité fait l'homme vertueux. La sensibilité est la mere de l'humanité, de la générosité ; elle sert le mérite, secourt l'esprit, & entraîne la persuasion à sa suite. (D.J.)


SENSIBILITÉSENTIMENT, (Médecine) la faculté de sentir, le principe sensitif, ou le sentiment même des parties, la base & l'agent conservateur de la vie, l'animalité par excellence, le plus beau, le plus singulier phénomène de la nature, &c.

La sensibilité est dans le corps vivant, une propriété qu'ont certaines parties de percevoir les impressions des objets externes, & de produire en conséquence des mouvemens proportionnés au degré d'intensité de cette perception.

La premiere de ces actions est ce qu'on appelle le sentiment, sensatio, sensus, à l'égard duquel la sensibilité n'est qu'une faculté, une puissance reduite en acte, potentia in actum redacta, comme on parle dans les écoles : or le sentiment se définit une fonction de l'animal, qui le constitue tel, & distinct, par-là, des êtres inanimés ; il consiste essentiellement dans une intelligence purement animale, qui discerne l'utile ou le nuisible, des objets physiques.

La seconde action ou la mobilité, n'est que l'expression muette de ce même sentiment, c'est-à-dire, l'impulsion qui nous porte vers ces objets, ou nous en éloigne ; ainsi l'araignée se contracte toute en elle-même ; les limaçons retirent soudainement leurs cornes, lorsqu'ils se sentent piqués ou blessés ; au contraire ces mêmes animaux se dilatent, s'épanouissent, pour ainsi dire, se dressent, eriguntur, à l'approche des objets qu'ils reconnoissent leur être utiles, ou qui flattent agréablement leur sensibilité. C'est dans ce double rapport d'actions si étroitement liées entr'elles, que l'imagination peut seule les suivre ou les distinguer, que la sensibilité doit être considerée, & ses phénomènes estimés.

Les anciens philosophes & médecins ont parlé de la sensibilité comme d'un objet qui leur étoit familier, & qui sembloit fait pour leur génie, c'est toujours à un principe sentant & se mouvant en soi, aux facultés de l'ame animale ou corporelle, que sont livrées dans la plûpart de leurs écrits, toutes les fonctions du corps animal. Les différentes sectes ont employé à désigner ce principe, des expressions conformes à leur enthousiasme, ou à leur maniere de philosopher ; tels sont les mots , impetus, appetitio, de l'ancienne académie ; , impetum faciens, d'Hippocrate ; , incitatio libidinis d'Aristote ; anima sensitiva, vis abdita, natura, &c. de quelques autres ; à quoi reviennent le strictum & laxum des méthodiques, le mouvement tonique, le mouvement fibrillaire, le spasme, la contractilité, l'irritabilité des modernes, &c. qu'on retrouve à chaque instant dans les ouvrages de Wepfer, Baglivi, Stahl, & autres solidistes.

La premiere notion dans l'animal, la seule qui vraisemblablement soit commune aux especes de tous les genres, l'unique peut-être dans un très-grand nombre, porte sur la sensation intime & radicale de son existence, sur l'impression de cette activité, de ce principe impulsif inséparable de la vie, & qui dans chaque individu est la source de tous les mouvemens qui conspirent à la durée de l'être & à sa conservation. C'est sur des vues aussi précieuses à l'animal, qu'est fondée la sensibilité, ainsi que Zénon l'a reconnu, & que ses disciples le repetent dans plusieurs endroits de leur doctrine.

Les animaux, les moins animaux qu'il est possible, s'il est permis de qualifier ainsi les polypes, & quelques autres qu'on a laissé sur la ligne de séparation des deux regnes animal & végétal, donnent, comme l'ont remarqué plusieurs observateurs, les plus grands signes de sensibilité ; on a même trouvé que cette propriété étoit poussée dans le polype, jusqu'à le faire paroître sensible aux impressions de la lumiere ; ces circonstances suffiroient sans-doute pour ranger décidément les zoophites du côté des animaux, s'il n'y avoit eu de tout tems des philosophes, qui, frappés de la maniere d'être d'une plante, par exemple la sensitive, & celle d'exister d'un animal, auroient prétendu reculer les bornes de la sensibilité, en y renfermant les végétaux eux-mêmes ; ensorte que l'animal le plus parfait, & la plante la plus vile, donneroient dans ce cas, les deux extrêmes de la sensibilité ; la sensibilité ou le sentiment seroit donc encore une faculté commune à tous les corps organisés.

Après l'idée que nous venons de tracer de la sensibilité & de l'étendue de son domaine, il paroît à propos d'examiner quelle est son essence ou sa nature. La nature ou l'essence de la sensibilité, a toujours été un des points curieux & des plus agités de son histoire ; les anciens ne concevant pas que deux contraires comme l'ame & le corps, pussent être joints autrement que par un milieu, imaginerent ce milieu de plusieurs façons ; ainsi les Platoniciens voulurent que ce fût un je ne sais quoi, qu'ils appelloient esprit ; les Péripatéticiens, une forme ; Dicéarque, Pythagore, & quelques autres, établissoient des harmonies, des tempéramens, qui rendoient le corps susceptible de sentiment & d'activité, &c. à toutes ces hypothèses on peut joindre celle des esprits animaux, naturels, vitaux, &c. si accrédités dans les écoles, les démons qu'un auteur moderne (le P. Bougeant) transforme en ame des bêtes, &c. hypothèses qui, comme on voit, ne présentent à l'esprit que des notions abstraites, & auxquelles nous ne croyons pas, par cette raison, qu'on doive du-tout s'arrêter.

Le systême de l'ame du monde, en donnant plus de surface, & plus de liberté aux idées spéculatives, nous a fourni sur le principe sensitif, des choses bien plus positives & plus satisfaisantes, qu'on ne peut que regretter de trouver à côté des dogmes les plus dangereux. Les Stoïciens assuroient donc que ce principe étoit de feu ; Démocrite, Héraclite, Epicure, Diogène Laërce, Lucrece, & tout le reste des atomistes, parmi lesquels on peut ranger les partisans des semences, n'ont pas une opinion différente. Hippocrate & Galien pensent tout de même. Voyez sur-tout Hippocrate, de carnibus & de ratione victus, lib. I. le spiritus intus alit, &c. de Virgile. Le témoignage des livres sacrés & d'un pere de l'église (S. Augustin), sont encore autant d'autorités qui militent pour la matérialité ou substance ignée de l'ame sensitive. Enfin Némésius, & quelques autres plus modernes, tels que Fernel, Heurnius, Honoré Fabri, le fameux chancelier Bacon,van Helmont, Gassendi, Willis, &c. ont adopté la même idée ; mais les trois derniers méritent des distinctions sur tous les autres, en ce qu'ils ont fixé les principes vagues des stoïciens & des atomistes, par des méthodes très-ingénieuses, dont ils ont fondé, chacun en particulier, un corps de doctrine. Van Helmont sur-tout, & Willis, ont traité cette matiere d'une façon très-intéressante pour nous, en la considérant dans toutes ses relations avec la médecine & la philosophie.

L'ame sensitive est donc, suivant ces deux auteurs, une lumiere ou une flamme vitale : quoique Willis désigne plus particulierement sous ce dernier nom la portion de l'ame sensitive qui réside dans le sang, elle n'est pas proprement la vie, mais elle en est l'attribut, comme la lumiere ou l'éclat est l'attribut de la flamme ; ils s'accordent d'ailleurs à dire que cette ame réside dans la substance la plus intime de nos parties, & qu'elle y est comme l'écorce, la silique de l'ame raisonnable ; ils déduisent de leurs théories des conséquences très-avantageuses à l'explication des phénomènes de l'économie animale, sur lesquelles les bornes d'un article de dictionnaire, ne nous permettent pas de nous étendre. Tout cela mérite d'être lu dans les auteurs mêmes. Voyez van Helmont, passim, & principalement de lithiasi ; & Willis, de animâ brutorum.

Il faut néanmoins convenir que van Helmont a répandu par intervalle dans son systême, des idées bien singulieres ; & pour nous en tenir à celles qu'il a sur l'origine de cette ame sensitive, il prétend qu'avant le peché d'Adam, l'homme n'avoit point d'ame sensitive, ante lapsum Adae autem, non erat anima sensitiva in homine, de sede animae, pag. 178. L'ame sensitive est entrée avec la mort dans le corps de l'homme ; auparavant l'ame raisonnable & immortelle étoit seule chargée des fonctions de la vie, & elle avoit à ses gages l'archée, qui depuis est passé au service de l'ame sensitive ; c'est pourquoi nous étions immortels, & les ténebres de l'instinct ou de l'ame des brutes, n'avoient point encore obscurci nos facultés intellectuelles, neque intellectum belluinae tenebrae adhuc occuparant, (ibidem). Ensuite pour représenter de quelle maniere l'homme, après le péché, fut doué de l'ame sensitive, il dit que cette ame fut produite dans l'homme, comme le feu est tiré du caillou, tanquam à silice ignis, (pag. 189. de duumviratu). Voilà sans-doute une philosophie qui ne sauroit plaire à bien du monde ; mais tel est ce contraste frappant dans l'enthousiasme de ce grand homme, que tantôt il offre à son lecteur le spectacle lumineux de mille créations nouvelles, tantôt il disparoît dans l'obscurité des hypothèses les plus hasardées & les plus puériles.

S'il faut se décider sur ces matieres par le nombre & le poids des autorités, on sera porté à croire que la sensibilité ou l'ame sensitive est substantielle & non simplement formelle à l'animal ; cela posé, & en n'adoptant ces opinions qu'à titre de théories lumineuses, & à quelques égards même sublimes, il est à présumer que cette substance est un composé d'atomes subtils & légers comme ceux du feu, ou même qui seront tout de feu, non de ce feu grossier & destructeur, appellé feu élémentaire, mais une émanation d'un principe plus sublime, ou le feu intelligent, intelligens, des stoïciens.

Ces atomes ainsi animés, comme ceux de Démocrite, s'insinueront dans la texture de certaines parties du corps disposées à les admettre, ensorte qu'on pourroit se représenter l'assemblage distributif de ces atomes, comme un tout figuré ou modelé sur l'ensemble de ces mêmes parties : " Par-là, dit Bayle, on est à l'abri de l'objection foudroyante de Galien, lorsqu'il interprete ces paroles d'Hippocrate, si unum esset homo, non doleret, quia non foret undè doleret. " Voyez diction. de Bayle, vol. II. art. Epicure.

Du reste, on se recriera peut-être sur l'idée de cette figure que nous affectons, d'après Willis, à l'ame sensitive ; mais ce ne sera, si l'on veut, qu'une métaphore qui paroît en quelque façon justifiée par ce qui se manifeste du principe sensitif dans les passions. C'est en effet le relief de cette ame qui semble varier celui du corps sous des caracteres relatifs aux affections qu'elle éprouve ; souvent même ces caracteres restent représentés sur certaines parties, quelques momens après la mort ; ce qui rend presque applicables à des êtres réels, les expressions figurées des historiens & des poëtes, comme par exemple, le relictae in vultibus minae de Florus, lib. I. & le e morto anco minaccia, du Tasse, &c.

De tout ce que nous venons de dire il suit, qu'on peut regarder le sentiment dans les animaux, comme une passion physique ou de la matiere, sans qu'il soit besoin, pour rendre raison des spasmes affreux que peut causer un stimulus même leger, de recourir à l'ame spirituelle qui juge, ou qui estime les sensations, comme le prétend Stahl. Vid. Theor. ver. tom. II. capit. de sensibilitate. On connoit cette histoire de Galien ; ce grand homme raconte qu'étant tombé dangereusement malade, & entendant que deux assistans de ses amis s'entretenoient de quelque mauvais signe qu'ils venoient de reconnoître en lui, il s'écria qu'on y prît bien garde, qu'il étoit menacé du délire, & demanda qu'on lui fît des remedes en conséquence ; cet exemple est remarquable, il n'en est point qui établisse mieux la distinction des deux ames dans l'homme, savoir la raisonnable, & la sensitive, & les différentes fonctions de chacune ; l'ame sensitive de Galien malade, est occupée du mal qu'elle ressent dans ses organes, & de tout le danger qui menace le corps, elle en est troublée, ce trouble, cette affection se manifeste au dehors par des palpations involontaires ; l'ame raisonnable paroît au contraire indifférente à cet état de passion du corps, ou de l'ame sensitive, elle attend qu'on l'en avertisse, &c. Galien remarque même que tel étoit dans ces momens, l'état assuré de son ame, que sa raison n'avoit rien perdu de son assiette ordinaire, ut rationalis facultas non vacillaret. Vid. de locis affectis, lib. IV. cap. ij. Charter. tom. II. On sent les conséquences qui résultent de ce que nous venons de rapporter, contre les prétentions trop absolues des stahliens.

Ainsi le plaisir & la douleur seront, en fait de sensation, comme les données ou les deux sensations élémentaires dont le mode, le ton, s'il est permis de le dire, est originairement conçû dans l'ame sensitive ; ce sera la base ou la gamme de toutes les autres sensations qu'on pourroit appeller secondaires, & dont l'ordre, la série existe nécessairement dans des relations infinies, tirées de l'habitude des individus ou de la variété des especes.

C'est donc une condition inséparable de l'état d'animal, que celle de percevoir ou de sentir matériellement, comme on dit, ou dans sa substance. L'ame raisonnable peut sans-doute ajouter à ces sensations par des circonstances morales ; mais encore une fois ces circonstances n'appartiennent point à l'animal considéré comme tel, & il est même probable qu'elles n'ont point lieu chez plusieurs.

Restera toujours cette différence notable entre l'homme & la brute, que dans le premier la sensibilité ou l'animalité est dirigée ou modérée par un principe spirituel & immortel qui est l'ame de l'homme, & que dans la brute elle tient à un être moins parfait & périssable appellé instinct ou ame des bêtes. Voyez AME. Les payens eux-mêmes ont reconnu cette distinction bienfaisante, qu'il a plû au Créateur d'établir en faveur de l'homme ; bestiis autem sensum & motum dedit, & cum quoddam appetitu accessum ad res salutares, à pestiferis recessum, homini hoc ampliùs quod addidit rationem qua regerentur animi appetitus qui tùm remitterentur, tum continerentur. C'est dans ces termes que Cicéron en parle d'après les Stoïciens. Voyez de natura deorum, lib. II. §. 34.

Jusqu'ici, nous ne nous sommes occupés de la sensibilité, que comme d'un objet purement métaphysique, ou en ne la prenant que du côté spéculatif. Voyons maintenant ce que l'observation nous apprend de son influx sur l'économie animale, & parcourons-en pour cet effet, les principaux phénomenes.

Sensibilité dans l'embryon. Il paroît en résumant un grand nombre d'expériences, que l'embryon saisi dans ce point de petitesse où l'imagination est obligée de suppléer à la foiblesse des sens ; il paroît, dis-je, que l'embryon ne représente dans cet état, qu'un cylindre nerveux d'une tenuité presqu'infinie, nageant ou se mouvant dans un fluide muqueux. Or ce cylindre est déja sensible, puisqu'il se meut & se contracte par l'effet des stimulans. Voyez Harvée, exercitat. 57.

S'il est permis de se livrer aux conjectures dans des matieres d'une si grande obscurité, apparemment que la premiere étincelle de l'ame sensitive aura pénétré les premiers atomes de ce cylindre dans l'instant précis de son animation, ou même aura porté dans cette matiere le caractere d'animalité requis pour que l'ame raisonnable puisse s'y unir ; ce qui revient au sentiment de Willis, qui croit que cette particule ignée préexiste dans le cylindre.

Ce cylindre qu'on pourroit dès-lors appeller indifféremment fibre animale ou atome animal, doué de l'ame spirituelle dans l'homme, s'accroît de plus en plus, en s'appropriant les molécules du fluide qui l'environne ; il se couvre d'asperités & jette de toutes parts de petits rameaux dont il trace les délinéamens des parties, conformément au type imprimé par le Créateur. Enfin tous les organes se développent sous l'activité des rejettons de ce premier & unique nerf, qui travaillent de différentes façons le mucus de sa nature très-ductile pour s'en construire, comme autant de domiciles.

Cependant la masse du principe sensitif ou de l'ame sensitive identifiée avec l'atome animal, augmente en proportion de la masse de ce dernier qu'elle anime ; il en émane de tous côtés comme autant de filets sensitifs, d'irradiations qui suivent les rameaux nerveux dans le développement des parties : d'où il est clair que la combinaison de toutes ces émanations de l'ame sensitive répandues avec les rameaux nerveux dans les organes, doit y établir autant de centres de sensibilité dont l'influx sera plus ou moins étendu relativement au département de l'organe, plus ou moins vif, suivant la disposition des parties nerveuses de cet organe, laquelle peut varier par beaucoup de circonstances.

Le coeur sera vraisemblablement un de ces premiers centres ou foyers, qui une fois mis en jeu, continuera d'attirer ou de rejetter par son activité, l'humeur qui y aborde ; de-là mille petits ruisseaux qui, comme autant de colonnes liquides dirigées par quelques filamens nerveux, & suivant les résistances, se répandront par tout le corps pour former le systême vasculaire, & se mouleront en allant & venant sans-cesse par les mêmes endroits, des canaux dans le tissu muqueux.

Mais tout ce qui ne vient pas originairement du cylindre nerveux ou n'est pas de sa nature, ne pouvant être disposé pour admettre la sensibilité, se convertit en un organe général & passif appellé tissu cellulaire ou corps muqueux, dont le principal usage est de contenir les sucs aqueux du corps, de renforcer les productions de la fibre animale, ou d'en modifier la sensibilité, &c.

Voilà à-peu-près tout ce qu'on peut présumer de la sensibilité dans l'état de simple ébauche où se trouve l'embryon ; ce tableau, tout imparfait qu'il est, ne laisse pourtant pas que de renfermer des vérités très-importantes qu'on peut se représenter par autant de corollaires.

1°. On voit que la sensibilité ou l'ame sensitive est une avec la vie de l'animal, qu'elle naît avec elle, & est inhérente à la substance du nerf ou des parties nerveuses, à l'exclusion de toutes les autres substances du corps.

2°. Que le nerf doit composer essentiellement l'animal en tant qu'être sensible ou vivant : car ce que nous avons appellé tissu cellulaire n'appartient pas plus à l'animal proprement dit, que la terre n'appartient à la plante qui y vegete ; ce n'est-là que l'écorce, l'enveloppe de l'animal, la terre dans laquelle la plante nerveuse se plaît à vivre ; ensorte que l'homme physique n'est à cet égard que le squelete nerveux, s'il est permis de s'exprimer ainsi, animé de la sensibilité & plongé ou niché dans différens tas de matiere muqueuse, plus ou moins compacte, suivant la nature des organes ; ce qui revient à-peu-près à la comparaison qu'Isaac fait de l'homme à un arbre renversé dont le cerveau est la racine, ex libris Galeno adscriptis, pag. 45.

3°. Les nerfs formant & la base & l'essence de tous les organes, il est clair que toute partie du corps doit être douée plus ou moins de sentiment, ou de sensibilité, de mouvement ou de mobilité. Les seules parties purement muqueuses sont insensibles & immobiles, ou du moins n'ont-elles qu'un sentiment & un mouvement empruntés du nerf ; car leur disposition au desséchement & à l'adhérence propre à tous les corps muqueux, ne doit pas être confondue avec la faculté animale ou vitale propre au nerf, &c.

Cette sensibilité générale des parties est d'une vérité constante en Médecine. Hippocrate avoit déja remarqué que toutes les parties de l'animal étoient animées, animantur animalium omnes partes. Elles ont, dit Montagne, des passions propres qui les éveillent & les endorment. Voyez Essais, liv. I. c. xx. Lucrece s'en explique plus positivement encore dans son poëme.

Sensus jungitur omnis

Visceribus, nervis, venis quaecumque videmus,

Mollia mortali consistere corpore creta,

Lib. I. de rerum nat.

4°. L'activité de l'ame sensitive étant une propriété inséparable de cette ame, & comme son archée, & la sensibilité se mesurant elle-même sur la disposition des parties nerveuses, combien n'en doit-il pas résulter de modifications ou de nuances de sensibilité & de mobilité, conséquemment au plus ou au moins de corps muqueux qu'il peut y avoir dans une partie, & aux autres variétés de l'organisation ? De-là peuvent se déduire les différens goûts & appétits des nerfs, ainsi que leurs différens usages ; pourquoi, par exemple, le son qui frappe les nerfs de l'oreille y cause un sentiment qu'il ne sauroit produire sur l'oeil, & que la lumiere fait sur celui-ci une sensation qu'elle ne sauroit faire sur l'autre ? Pourquoi de même l'estomac ne peut supporter le tartre émétique qui ne fait rien sur l'oeil, tandis que l'huile qui est insupportable aux parties sensibles de ce dernier organe, ne fait aucune impression sur l'estomac ? Enfin, pourquoi tel organe est plus mobile que sensible, tel autre au contraire plus sensible que mobile, &c. toutes ces différences dérivant naturellement de cette spécification d'organisation, il est donc bien inutile de créer des nerfs de plusieurs sortes, comme le font ceux qui d'après Erasistrate, en veulent pour le sentiment, & d'autres pour le mouvement, sans penser que le même nerf réunit nécessairement les deux propriétés, & qu'elles sont encore une fois absolument dépendantes & inséparables l'une de l'autre.

Sensibilité dans le foetus. L'embryon ayant acquis toutes ses formes au point de donner l'ensemble ou la figure entiere de l'animal, le foetus en un mot, renferme dans ses parties l'appareil économique de la vie ou de la sensibilité ; il vit par conséquent, néanmoins cette vie du foetus ne peut guere être qu'empruntée dès qu'il lui manque plusieurs circonstances qu'il ne sauroit trouver que hors du ventre de la mere, pour exercer toutes les branches de la sensibilité. Il n'y aura donc que quelques centres, comme le coeur & certains autres organes préposés à la nutrition & à l'accroissement du foetus, qui, aidés de l'impression de la vie de la mere, exerceront actuellement le sentiment. Tout le reste de la sensibilité attendra que l'animal jouisse de la lumiere pour se developper sous l'impression des agens externes, & établir le concours des fonctions d'où dépend la vie générale, ou la vie proprement dite. Voyez ce qu'en dit l'illustre auteur de l'idée de l'homme physique & moral.

Sensibilité dans l'état naturel de l'homme, ou par rapport à la Physiologie. Dans le tems marqué par la nature, le foetus éprouve l'effet puissant d'une sensibilité étrangere qui le met au jour. Il est d'abord frappé du nouvel air qui l'environne, & on sent quelles révolutions doit éprouver la sensibilité pour que la convenance ou le rapport des températures s'établisse entr'elle & ce fluide.

Cette premiere impression de l'air excite sur-tout la flamme vitale dans les poumons, comme par une espece de ventilation ; cette action se communique à plusieurs autres centres dont les forces & l'activité se déployant, tout s'anime, tout se meut dans ce nouvel homme, & la sensibilité jouissant de presque tous ses droits, ouvre le cercle des phénomenes de la vie.

1°. La disposition & la situation favorables des organes influant sur leur insensibilité, il arrive qu'il y en a qui doivent paroître avoir différens mouvemens & sentimens, & plus ou moins de mouvement & de sentiment, suivant qu'ils sont plus ou moins à portée des impressions externes. Voilà le fondement & l'origine des cinq sens qui radicalement se réduisent à un, c'est-à-dire le tact.

2°. Mais comme, ainsi que nous l'avons remarqué plus haut en parlant de la formation, il se trouve dans le corps différens centres ou foyers de sensibilité qu'on pourroit évaluer par une plus grande ou une moindre combinaison de filamens nerveux ou de substance nerveuse, & peut-être encore par la circonstance d'avoir été les premiers jouissans de la sensibilité, il suit que les principaux de ces centres doivent absorber à eux seuls presque toute l'activité de l'ame sensitive. Tels sont, suivant des observations aisées à faire, la tête, le coeur ou la région précordiale, l'estomac ou la région épigastique, où reviennent très-bien les divisions que les anciens avoient faites des fonctions en animales, vitales & naturelles, lesquelles se soutiennent réciproquement les unes les autres, en se volant ou se prêtant mutuellement de leur activité ; ce qui paroît visiblement dans le sommeil. Ces trois fameux centres seront donc comme le triumvirat ou le trépié de la vie, & cette circulation d'activité établira la marche des fonctions qui, suivant Hippocrate même, abeunt in circulum.

Ainsi, pour nous en tenir aux principales de ces fonctions, qu'on peut regarder comme les modeles de toutes les autres, la digestion, ou ce qu'elle a d'animal ou de propre au corps vivant, dépend de la sensibilité singuliere de l'estomac, de son appétit particulier au moyen duquel il desire & retient les alimens qui lui plaisent, & cette sensibilité qui veille sans-cesse s'oppose en même tems ou du-moins se refuse à ce que l'estomac se remplisse au-delà de ce qu'il faut, &c.

Nous verrons également les secrétions & les excrétions dépendre de cette sensibilité qui augmente le ressort de chaque organe sécrétoire, y occasionne une sorte de spasme ou d'érection qui constitue l'essence de ces deux fonctions, de même que le goût ou l'appétit particulier des nerfs de l'organe constitue le choix qu'il fait des humeurs secrétoires. Voyez ce que nous en disons au mot SECRETIONS.

Les effets de la sensibilité se manifestent encore mieux par l'histoire du flux menstruel chez les femmes ; ces évacuations, on a beau dire, ne sauroient s'expliquer méchaniquement, & il faut toujours avoir recours à la prodigieuse sensibilité de l'utérus, à ce centre qui se reveille & s'assoupit périodiquement, & dont tout le monde connoît le grand influx sur l'économie animale.

La fonction du coeur & du systême vasculaire est également dûe à l'activité de ce principe sensitif, qui en se portant tantôt plus vers les parties qui font comme l'écorce du corps, & tantôt plus vers celles qui en font le centre, établit entr'elles un antagonisme qui explique tout le jeu de la circulation. Vous trouverez qu'il en est de même de la respiration, c'est-à-dire, que son méchanisme consiste dans l'action alternative des parties sensibles de ces organes, principalement dans celle du diaphragme, qu'Hippocrate & de bonnes observations mettent avec le coeur au nombre des parties éminemment sensibles : cor imprimis & diaphragma sentiunt, dit ce pere de la Médecine, de morbo sacro, sect. iij. pag. 309. Voyez encore l'idée de l'homme physique & moral.

Les opérations de l'ame ne tiennent pas moins à la sensibilité. Le plaisir, le chagrin, toutes les passions semblent se peindre dans le centre remarquable formé dans la région épigastrique par quantité de plexus nerveux ; & certes il n'est point de combinaison difficile, d'attention bien forte, point d'effort de mémoire, qu'au préalable l'estomac & tout le centre épigastrique ne soient comme pressés d'un sentiment de mal-aise qui dénote l'action de ces organes. C'est une affaire de sentiment pour qui veut l'observer.

Ainsi dans le plaisir, l'ame sensitive agréablement émue dans le principal de ses centres, semble vouloir s'élargir, s'amplifier pour présenter plus de surface à la perception. Cette intumescence, s'il est permis de le dire, de l'ame sensible, répand dans toutes les parties le sentiment agréable d'un surcroit d'existence ; tous les organes montés au ton de cette sensation, s'embellissent, & l'animal, entraîné par la douce violence faite aux bornes ordinaires de son être, ne veut plus, ne sait plus que sentir, &c.

Dans le chagrin au contraire, ou dans la tristesse, l'ame sensitive se retire de plus en plus vers le noyau du corps dont elle laisse languir les fonctions ; mais si la passion va jusqu'à la terreur, c'est alors une irruption soudaine de l'ame vers ce noyau où vous diriez qu'elle se comprime tant qu'elle peut pour se garantir des perceptions : bientôt cependant revenue à elle-même, elle se débande en portant à la circonférence du corps les humeurs qu'elle y avoit concentrées avec elle, & si quelque partie qui, durant sa retraite, n'avoit point l'exercice du sentiment, a été offensée, elle ne manque pas de reconnoître le dommage, & de se jetter avec une plus ou moins grande quantité d'humeurs & de force dans cette partie pour le réparer, &c. Or cette collection d'humeurs, de forces & de sensibilité, ne peut se faire sans douleur ; & il y a même tout lieu de penser qu'elle en est la cause matérielle.

La théorie des centres de l'ame sensitive & des transports de son activité, facilite encore l'explication de beaucoup d'autres phénomenes, comme par exemple, celle des tempéramens qui, suivant nos principes, peuvent être regardés comme le résultat des modifications imprimées à certains organes par un surcroit de sensibilité & d'action habitué à ces organes ; enfin celle des différentes habitudes des individus, dont nous aurons occasion de parler dans la suite de cet article, & qui ne sont pas assurément un objet à négliger dans l'étude de l'économie animale, &c.

Il faut donc considérer la sensibilité dans l'état naturel de l'homme comme un être qui ne cherche, qui ne respire que sentiment & mouvement, dont la nature est la même dans tous les sujets ; mais dont les effets varient conséquemment à la disposition ou à l'indisposition des organes, à qui seule on doit imputer les ataxies apparentes de l'exercice de cette ame sensible ; c'est en même tems, comme nous l'avons vu, par les transports de son activité d'un organe à l'autre, qu'elle se procure les différentes sensations, & détermine les différens appétits qui constituent & aiguillonnent notre existence ; en quoi se trouve confirmée cette vérité de tous les siecles, savoir, que vivre, c'est proprement sentir.

Sensibilité dans l'état contre nature, ou par rapport à la Pathologie. La sensibilité, suivant tout ce que nous venons d'exposer, étant distribuée par doses à toutes les parties organiques du corps, chaque organe sent ou vit à sa maniere, & le concours ou la somme de ces vies particulieres fait la vie en général, de même que l'harmonie, la symmétrie & l'arrangement de ces petites vies fait la santé.

Mais lorsque cette distribution & cette action économique de la sensibilité se trouvent dérangées à un certain point par l'indisposition des nerfs ou des parties organiques, ce dérangement est l'état qu'on appelle de maladie, ou la maladie même, laquelle se borne pour l'ordinaire à ce dérangement, sans y supposer la destruction du principe sensitif.

Néanmoins cette destruction arrive quelquefois lorsque l'intensité des causes nuisibles venant à éloigner ou à suspendre trop long-tems la présence ou l'exercice de la sensibilité dans une partie, cette partie vient à se corrompre physiquement, comme dans la gangrene ; ainsi par le progrès de cette corruption, la maladie amene la mort, qui consiste dans un changement du corps animal en corps physique. Voilà donc pourquoi l'animal meurt, c'est qu'il cesse d'avoir dans la contexture de ses parties la disposition qui y fixoit ou entretenoit la flamme sensitive qui en faisoit un être vivant ; voilà pourquoi les parties des animaux morts de mort violente possedent pendant quelque tems un reste de vie ou de sensibilité, parce que les filamens nerveux de ces parties n'ont pas encore reçu le coup mortel que leur porte seulement le commencement de corruption physique ou de putréfaction qui est directement opposée à la vie.

Ce phénomene de la palpitation des chairs & des visceres observé de tous les tems, apperçu même par les bouchers, est également attribué à un reste du feu sensitif par de très-grands & très-anciens philosophes. Voyez Cicéron, de natura deorum. C'est-là cette prétendue divinité que cherchoient dans les entrailles des animaux les aruspices des anciens, & dont les volontés étoient annoncées par une variété singuliere dans les mouvemens des fibres.

Maintenant ce fond de vie ou de sensibilité donné à chaque individu, ce foyer général qui cherche toujours à s'étendre & à durer jusqu'à la mort naturelle, c'est la nature, mot sacré en Médecine, & qu'on comprend mieux qu'on ne peut l'expliquer.

La nature donc prise comme nous la prenons, tend toujours à la santé, ou bien la dose ou la quantité de sensibilité une fois donnée au nerf, tend toujours à se répandre dans les différentes parties de ce nerf ; c'est ce qu'on remarque évidemment dans les phénomenes du sommeil ; on voit donc que le sommeil qui suspend la plûpart des fonctions par le transport de toute l'activité de l'ame sensitive dans quelques centres, se détruit insensiblement de lui-même en restituant aux parties le surcroît de sensibilité qu'avoient reçu ces autres : mais ce qui est remarquable, c'est qu'il met un certain tems à se disposer, à durer, & à se détruire. Il en est de même dans toutes les maladies qui ont leurs tems, leur marche & leurs périodes qu'il faut respecter, comme autant de pas sacrés que fait la nature vers le mieux être, ou le rétablissement de l'individu, &c.

Des maladies, ou des anomalies dans l'exercice de la sensibilité. Les unes dépendent des impressions vicieuses des concepts morbifiques, pour employer l'expression de van Helmont, reçus originairement par les substances animées du principe sensitif, & qu'on doit soupçonner dans les individus mal constitués ; ce sont les maladies nécessaires, & qu'on ne peut pas plus ôter, qu'on ne peut remettre un bras lorsqu'il a été emporté.

D'autres maladies sont les suites presque nécessaires de la marche de la vie, les phénomenes des différens âges qu'Hippocrate avoit déja observés, qu'il faut laisser s'user à mesure que l'individu se renforce, & qu'on ne peut pas plus guérir qu'on ne peut d'un vieillard faire un enfant, ou d'un enfant faire un vieillard. Ce sont les efforts de l'ame sensitive qui travaille à développer ou à établir quelque centre ; van Helmont eût dû allumer quelque foyer nécessaire pour équilibrer les différens départemens actifs de l'ame sensitive, & complete r l'ensemble des vies qui forme la vie générale de l'animal. Tel est, par exemple, ce fameux centre dont le développement constitue la puberté, développement qui est quelquefois annoncé par des révolutions effrayantes dans la machine.

Enfin il y a des maladies accidentelles, passageres, fondées sur la présence ou l'action de quelque cause qui indispose le nerf ou l'organe, & interrompt l'activité de l'ame sensitive dans sa marche. Ce sont les maladies qui sont du domaine de l'art, à condition que leurs causes soient amovibles, ou puissent être emportées par des remedes appropriés.

Les parties sensibles du corps pouvant, au moyen de la propriété du sentiment, discerner plus ou moins les différentes qualités de la cause des maladies, ce discernement en varie les phénomenes ; mais il est des maladies d'autant plus funestes, que leur type particulier est de ne pas en avoir, dumoins de régulier, de marcher à la faveur d'un calme trompeur ; la raison en est qu'elles sont d'ordinaire occasionnées par des especes de miasmes ou êtres morbifiques, entia morbosa, qui frappent d'engourdissement & de stupeur les parties sensibles, & enchaînent l'exercice de la sensibilité dans quelques-uns de ses principaux districts. L'effet de l'opium nous donne un exemple de ces maladies. Communément cependant, telle est la qualité de la cause morbifique qu'elle sollicite la sensibilité de la fibre animale dont les secousses, les efforts, l'accélération des mouvemens font ce qu'on appelle la fievre.

Qu'est-ce donc que la fievre ? un élan, un sursaut général de l'ame sensitive qui agite violemment les nerfs & les parties nerveuses, & s'irrite toute entiere par une sensation fausse ou contraire aux sensations ordinaires ; c'est-là cette disconvenance, ce dérangement dans la disposition des principes dont parle Lucrece, & qui fait que les humeurs n'ont plus un goût qui se rapporte au sentiment naturel des parties, ni les parties un ton convenable à l'élaboration ordinaire des humeurs :

Quippe ubi cui febris, bili superante, coorta est,

Aut aliâ ratione aliqua est vis excita morbi,

Perturbatur ibi totum jam corpus, & omnes

Commutantur ibi positurae principiorum :

Fit priùs ad sensum ut quae corpora conveniebant

Nunc non conveniant ; & caetera sint magis apta

Quae penetrata queunt sensum progignere acerbum.

lib. IV. de rer. natur.

Ainsi dans la fievre humorale, la fibre animale se fronce sous l'action de cette cause irritante, ses productions se hérissent, s'il est permis de le dire, ainsi que les pattes d'un insecte qu'on inquiete ; cependant toute la sensibilité semble se jetter avec ses forces sur les fonctions vitales, c'est-à-dire sur le coeur & le systême vasculaire, & négliger entierement les autres fonctions ; les humeurs sont entraînées de la circonférence au centre, à-peu-près comme nous l'avons vu arriver dans la terreur ; le corps pâlit & frissonne, & cet état violent dure jusqu'à ce que par l'abord d'un fluide sain qui est le produit de cette commotion générale, le fluide de l'aether soit invisqué au point de ne plus causer la même sensation aux parties nerveuses ; d'où vient que pour lors ces parties se relâchent, &c. & comme le plus souvent cette cause réside dans les premieres voies ou aux environs, on sent jusqu'où peuvent aller quelquefois les spasmes, les constrictions des productions nerveuses de ce fameux centre, dont les suites trop ordinaires sont le reflux du sang dans certaines parties, des engorgemens de visceres, des stases d'humeurs, &c. sources funestes de tant de maladies.

Il en est de même de la fievre qu'on appelle nerveuse. C'est toujours l'irritation de l'ame sensitive, un spasme des organes qui en resserre toutes les voies excrétoires, & qui peut être occasionné, ou par une cause matérielle qui a pénétré fort avant dans la substance de ces organes, & qui y adhere opiniâtrement, ou par une indisposition vicieuse que l'habitude, & les passions même, sont capables de donner aux nerfs, &c.

On voit dans cette légere image de toutes les fievres & de toutes les maladies, que la sensibilité est toujours le même principe qui agit dans ce cas, comme il agit dans la santé, c'est-à-dire, relativement aux dispositions des parties organiques ; mais ce qui mérite une considération particuliere, on a dû s'appercevoir que ce principe s'irritant plus ou moins, & augmentant ses forces suivant les résistances & les variations qu'éprouve dans ses qualités la cause morbifique, il n'est pas possible de vouloir adapter les loix méchaniques à de pareils phénomenes.

En continuant d'après cette considération, & se rappellant ce que nous avons dit des trois tems marqués dans le sommeil, on trouvera qu'il arrive dans le cours de la maladie aux parties sensibles autant d'époques remarquables qui sont les phases des maladies, savoir l'irritation, dont nous avons déja parlé, la coction & l'excrétion.

La coction est donc encore l'ouvrage de la sensibilité, du moins en partie. C'est elle qui dispose les nerfs de maniere à les faire contribuer à ce travail des humeurs qu'on pourroit assez bien comparer à la maturation des fruits.

Les crises ou l'excrétion ne sont aussi qu'un appareil extraordinaire de toute l'ame sensitive prête à livrer combat, comme le disent les anciens, ou bien les efforts brusques & redoublés de toutes les parties sensibles, pour le rétablissement de l'exercice oeconomique de la sensibilité, & l'expulsion des matieres qui l'embarrassent ou qui lui sont nuisibles. Ces trois phases, ces trois états, vous les trouverez dans toutes les maladies, & le médecin sage n'a rien de mieux à faire qu'à observer ces trois tems, & à détourner les accidens qui les empêchent de s'écouler. Pour cet effet on ne sauroit trop étudier la sémeïotique des anciens, & les connoissances non moins utiles que peut fournir la doctrine des modernes sur le pouls. Voyez POULS.

Nous ne pouvons ici que donner des généralités ; l'inflammation qu'est-elle autre chose qu'un nouveau centre de sensibilité qui s'établit autour de quelque obstacle contre lequel il semble que l'ame sensitive dresse ou érige les vaisseaux de la partie, qui admettent alors plus de sang, en même tems que la vibration des fibrilles nerveuses rayonne l'obstacle ? Or cet obstacle c'est le noyau inflammatoire qu'accompagnent la douleur, la tension, la tumeur, la rougeur, &c. Telle est l'épine de van Helmont, image simple qui rend la nature, & qui par-là mérite d'être le modele de toutes les théories de ce genre. Voyez INFLAMMATION.

L'irritation des parties sensibles explique également les causes des bonnes & des mauvaises suppurations. Il est tout naturel de penser qu'une partie irritée jusqu'à un certain point ne sauroit bien préparer les sucs qui y abordent, puisqu'elle n'est plus au ton naturel de la vie, & que ces sucs de plus en plus viciés par l'état des solides, ajoutent encore à cette irritation ; mais une fois ce ton restitué à la partie, son action sur les humeurs est telle qu'elles en deviennent de plus en plus douces & assimilables à sa substance : ce qui produit insensiblement la cicatrice, &c.

Enfin, quant à ce qui regarde les médicamens, on est prévenu sans-doute que le goût, la disposition particuliere, & l'irritation des organes en conséquence de leur sensibilité, doit en spécifier les vertus & diriger les effets : ce qui renferme l'explication de ce qu'on appelle la vertu élective des remedes, c'est-à-dire, pourquoi, par exemple, les cantharides affectent constamment les voies urinaires, l'émétique affecte l'estomac, &c.

La théorie des centres, de leurs départemens & de la circulation des forces de l'ame sensitive, donne en même tems la raison qui fait qu'un médicament à peine avalé emporte sur le champ un mal de tête, &c. Elle explique encore les admirables effets des vésicatoires, des ustions, des sinapismes, des ventouses & autres semblables remedes si vantés par les vrais maîtres de l'art, dont toute l'action consiste à établir des centres artificiels dans la partie sur laquelle on les applique, & d'y attirer une dérivation salutaire de sensibilité, de forces & d'humeurs.

Consultez sur tout ceci les différens ouvrages de M. Bordeu, médecin des facultés de Montpellier & de Paris.

Il résulte de l'idée que nous venons de donner de l'oeconomie animale, que tout étant borné dans le corps à l'activité de cette ame sensible, tant dans l'état de santé que dans l'état de maladie, & la marche de toutes les fonctions, soit dans l'état naturel, soit dans l'état de maladie, étant marquée par des tems & des périodes qui doivent nécessairement avoir leurs cours, & qu'on ne peut changer, il en résulte, dis-je, que les secours qu'on a à espérer des remedes, se réduisent à bien peu de chose. Il n'est que trop vrai en effet que la plûpart des remedes ne tiennent pas ce que des enthousiastes leur font promettre, quoiqu'en fait de médicamens, il faut avouer qu'il s'en trouve qui maniés par un médecin habile, & combinés avec une diete convenable, font quelquefois des merveilles ; mais ces remedes sont en très-petit nombre ; & quant à la saignée, on peut ajouter, 1°. que dans beaucoup de maladies aiguës la matiere morbifique résidant dans le tissu spongieux ou cellulaire des parties, les saignées dont l'indication est le plus ordinairement fondée chez les modernes sur la théorie de la circulation, ne sauroit entrer dans le traitement de ces maladies ; 2°. le corps animal étant un composé de solides & de fluides, qui sont les uns à l'égard des autres dans une réciprocité absolue de besoins & d'utilité, on peut en inférer que des saignées multipliées dans une maladie doivent être aux fluides ce que la mutilation est aux solides. En vain prétendroit-on justifier l'abus de ce remede par des théories & des exemples, en imaginant même d'avoir à combattre dans les humeurs une dépravation qui équivaudroit à l'état de gangrene dans les parties solides d'un membre ; l'on ne voit pas à quoi serviroient quelques poëlettes de sang, le vice gangreneux étant supposé infecter toute la masse des fluides. Ce n'est pas cependant que la saignée ne produise d'admirables effets, lorsqu'elle est placée à-propos, par exemple, au commencement des maladies aiguës ou dans le tems d'irritation, suivant la pratique des anciens, dans la suppression des regles & d'autres hémorrhagies habituelles, dans certaines douleurs vives, dans une chaleur, une lourdeur excessive du corps, &c. Mais dans tous ces cas même il n'est permis d'user de ce remede que très-modérément, parcâ manu, à titre d'adjuvant, adjuvans, & jamais à titre de curatif, comme lorsqu'on applique des émolliens sur un abscès pour en aider la maturation, qu'on fait des scarifications à une partie, qu'on employe les vésicatoires, &c. Car le corps est le même à l'intérieur qu'à l'extérieur. Voyez là-dessus un excellent ouvrage intitulé, les abus de la saignée démontrés, &c.

Effets particuliers de la sensibilité. Nous croyons avoir suffisamment établi l'influx admirable du principe sensitif dans les trois états de la vie, de la santé & de la maladie. Il est pourtant encore des dispositions ou affections nerveuses singulieres qui, comme autant de bisarreries dans la sensibilité, augmentent son histoire de quelques autres phénomenes.

Ces dispositions ou affections nerveuses tenant, suivant nos principes, à des concepts dans l'ame sensitive, nous en reconnoissons, comme dans l'histoire des maladies, d'originaires & d'accidentels, qui peuvent se rapporter plus ou moins aux trois états dont nous venons de parler. On doit placer parmi les premiers quelques antipathies, sympathies, & autres incommodités dont il n'est pas toujours prudent d'entreprendre la curation, étant identifiées avec la vie, & comme autant de constitutions irrégulieres. Ainsi Pline rapporte d'après Valere Maxime, que le poëte Antipater sidonien avoit la fievre chaque année, le jour de sa naissance. Voyez hist. natur. lib. VII. pag. 407. Schenckius fournit de pareils exemples dans le livre VI. de ses observat. médic. On a vu des personnes qui ont eu habituellement la fievre durant toute leur vie, & qui n'ont pas laissé que de parvenir à une vieillesse très-avancée ; tel a été l'illustre Mecène.

Quant aux concepts accidentels, il y en a qu'on peut regarder comme de fortes habitudes nerveuses dégénérées en tempéramens, & qu'il faut traiter avec la même circonspection que les premiers. D'autres sont dûs aux impressions fâcheuses de quelque maladie grave qui a été mal jugée, ou interrompue dans sa marche, ou reconnoissent pour cause quelqu'autre accident : ceux-ci admettent le plus souvent les secours de l'art. Kaaw Boërhaave raconte " qu'un vieillard nommé Monroo, par une sympathie contractée depuis l'enfance, ne pouvoit regarder personne dont il ne fût obligé d'imiter tous les mouvemens corporels ; ce pantomime singulier portoit l'imitation jusqu'à rendre scrupuleusement les plus légers mouvemens des yeux, des levres, des mains, des piés, &c. Il se couvroit & se découvroit la tête, suivant qu'il le voyoit faire aux autres, avec une liberté & une facilité surprenantes ; lorsqu'on essayoit de lui ôter l'usage d'une main, tandis qu'il gesticuloit de l'autre, il se débattoit avec des efforts extraordinaires, & la raison qu'il en donnoit, c'est qu'il y étoit forcé par la douleur qu'il ressentoit au cerveau & au coeur. Enfin ce pauvre homme, en conséquence de son incommodité, n'alloit jamais dans les rues que les yeux bandés ; & lorsqu'il lui arrivoit de s'entretenir avec ses amis, c'étoit en observant la précaution de leur tourner le dos. " Voyez Kaaw Boërhaave de impetum faciente, seu enormon Hippocrat. pag. 345. On peut consulter sur les autres affections accidentelles tous les livres de pratique. Voyez encore le synop. medic. de Allen, tom. I. pag. 12, où il est parlé d'un théologien nommé Bulgin, au territoire de Sommerset, lequel fut attaqué à l'âge de 34 ans, d'une fievre intermittente quotidienne qui lui dura tout le reste de sa vie, c'est-à-dire, 60 ans encore, n'étant mort qu'à l'âge de 94. Locke fait encore mention dans son ouvrage admirable sur l'entendement humain, d'un homme qui ayant été parfaitement guéri de la rage par une opération extrêmement sensible, se reconnut obligé toute sa vie à celui qui lui avoit rendu ce service, qu'il regardoit comme le plus grand qu'il pût jamais recevoir ; mais malgré tout ce que la reconnoissance & la raison pouvoient lui suggérer, il ne put jamais souffrir la vue de l'opérateur ; son image lui rappelloit toujours l'idée de l'extrême douleur qu'il avoit endurée par ses mains, idée qu'il ne lui étoit pas possible de supporter, tant elle faisoit de violentes impressions sur son esprit ; nous dirons, nous, sur son ame sensitive. Voyez Locke, pag.

Qui ne sait combien les charmes de la musique sont puissans sur certains sujets ? Qui ne connoit pas l'effet de la beauté sur l'ame sensitive ? Enfin qui ne s'est pas quelquefois senti épris de prédilection ou d'intérêt, à la simple vue, pour une personne plutôt que pour une autre qui avoit plus de droits, suivant la raison, à nos sentimens ? Tout cela est une disposition dans les organes, une affaire de goût dans l'ame sensitive qui s'affecte de telle ou telle maniere, sans qu'on s'en doute : ce sont-là les noeuds secrets qui nous lient, qui nous entraînent vers les objets, & que les Péripatéticiens n'avoient pas tant de tort de mettre au rang de leurs qualités occultes.

Les habitudes particulieres à certains organes ou districts de la sensibilité offrent encore des variétés remarquables ; telle personne, par exemple, ne sauroit passer l'heure accoutumée des repas, sans ressentir tous les tourmens de la faim ; tel autre s'endort & se réveille constamment à la même heure tous les jours ; les sécrétions & excrétions se font dans certains tempéramens régulierement dans le même ordre, &c. & certes il y auroit beaucoup de danger pour ces personnes ainsi coutumieres, à s'écarter de ces habitudes qui sont devenues chez elle une seconde nature, suivant l'axiome vulgaire. Les tems des paroxysmes dans certaines maladies sont également subordonnés aux mêmes loix d'habitude de la part de la sensibilité ; nous croyons inutile d'en rapporter des exemples.

Mais si ces habitudes constantes sont communément des déterminations invincibles pour l'exercice de la sensibilité dans les organes ; il est aussi des cas où par la raison des contraires ces habitudes anéantissent absolument cet exercice dans ces mêmes organes. Un chevalier romain (Julius Viator) datoit l'abstinence dans laquelle il vivoit, de toute boisson, d'une maladie chronique dans le traitement de laquelle les médecins lui avoient interdit entierement le boire.

Cette habitude des organes va plus loin encore, puisqu'elle se proroge au-delà de la vie ; on a vu des viperes à qui on avoit coupé la tête & enlevé les entrailles, on a vu, dis-je, ces troncs de viperes aller se cacher sous un amas de pierres où l'animal avoit coutume de se réfugier. Voyez Perrault, essai phys. Boyle rapporte que les mouches s'accouplent & font des oeufs, après qu'on leur a coupé la tête. Rien de si commun que des exemples de cette nature.

De-là peut être encore ce mouvement animal toujours fondé sur l'habitude de notre sensibilité, renouvellée par son instinct en présence d'un objet qui nous est cher, & qu'un changement dans les traits déguise à nos habitudes intellectuelles ; telle est la situation d'une mere tendre en présence d'un fils qu'elle ne reconnoit pas encore, & vers lequel cependant son ame sensitive semble vouloir s'envoler : situation qu'on attribue d'ordinaire à ce qu'on appelle la force du sang. Ainsi Mérope, après avoir interrogé le jeune inconnu qu'on lui a amené, s'écrie :

.... Hélas ! tandis qu'il m'a parlé,

Sa voix m'attendrissoit, tout mon coeur s'est troublé.

Cresfonte... ô ciel !... j'ai cru... que j'en rougis de honte !

Qui j'ai cru démêler quelques traits de Cresfonte.

Act. II. scen. II.

La théorie des convulsions, des spasmes, &c. ne présente pas moins de singularités dont l'explication découle naturellement de la même source, c'est-à-dire, des affections des parties nerveuses, en conséquence de leur sensibilité, sans qu'il soit besoin de recourir à des desséchemens & aridités des nerfs, ou à des stimulus causés par des acrimonies. Car enfin, si le premier cas avoit lieu, un vieillard, ainsi que l'observe van Helmont, devroit être tout raccourci par un spasme continuel. Voyez de lithiasi. Et dans le second, c'est-à-dire, dans le systême des acrimonies, tous les visceres devroient s'en ressentir ; les plus délicats sur-tout, ou les plus mols, comme le cerveau, seroient anéantis de spasmes ou de contractures ; mais au contraire on voit bien souvent que ces spasmes n'affectent qu'un seul organe, ou partie même de cet organe : ainsi dans quelques angines on remarque qu'il n'y a qu'un côté de la gorge de pris ; dans les hydropisies, ou les icteres commençans, avant même qu'il y ait le moindre signe d'épanchement dans le bas-ventre, il arrive quelquefois de ces contractures dans un seul côté du ventre, & en conséquence des duretés de ce même côté, souvent encore il s'est vu oedemes de tout le côté droit du corps, occasionnés par une affection au foie. Les paralysies, quelles singularités n'offrent-elles pas en ce genre ? Il semble que le corps soit divisé naturellement en deux parties qui se rencontrent ou se joignent dans le milieu ou dans l'axe. Voyez Bordeu, recherches sur le pouls. Il arrive encore que la sensibilité plus ou moins agacée dans certains endroits des productions nerveuses que dans d'autres, peut faire çà & là, dans le même organe, de petits points de constriction qui laisseront entr'eux des espaces, si vous voulez, comme des mailles ; ces particularités se rencontrent plus ordinairement dans l'estomac ; on a également vu sur des pleurétiques la plevre détachée en certains endroits de la surface des côtes ; sans-doute que ces décolemens de la plevre se trouvoient dans les points qui répondent aux fibrilles nerveuses distribuées dans cette toile celluleuse. Stahl parle encore de quelques spasmes qui se bornent à la cage de la poitrine, &c. Mais, ce qui n'est pas moins digne de notre attention, il se trouve de ces spasmes particuliers qui sont périodiques. Hoffman remarque avec étonnement, que dans quelques coliques néphretiques, la cause de la douleur, c'est-à-dire le calcul, étant continuellement présente dans les reins, ces coliques ne reprennent dans la plûpart des calculeux que par intervalles, comme si la sensibilité abandonnoit & reprenoit alternativement certaines parties. Nous disions donc bien que chaque organe a sa vie, ses goûts & ses passions qui lui sont propres, indépendamment de tout ce qui peut lui revenir de son consensus avec les autres organes, propria vivit quadra ; il peut donc se faire une contracture particuliere & spontanée dans une partie, par les seules facultés de cette partie, qui s'irritera sous une cause que nous ne spécifions point, mais qui sera vraisemblablement de la nature de celles qui produisent des sensations désagréables, ou tout simplement l'habitude.

Néanmoins il n'est pas toujours besoin d'un sentiment contre nature, ou de douleur dans une partie, pour la faire contracter ; il lui suffit d'un léger malaise, ou d'un instant de disposition singuliere dans ses nerfs : par exemple, le scrotum ne se contracte-t-il pas sans douleur ? & n'en est-il pas de même des intestins, qui, semblables à un animal logé dans un autre animal, se jettent d'un côté & d'autre du bas-ventre avec de grands mouvemens, & même avec une espece de rugissement ?

Les passions peuvent encore être les causes occasionnelles de ces spasmes particuliers ; & si l'on considere les différens organes qui concourent à former le centre épigastrique, les gros vaisseaux qui s'y trouvent, & dont les tuniques sont presque toutes nerveuses, il sera aisé de se représenter les accidens qui peuvent résulter des fréquentes secousses portées à ce centre ; car vraisemblablement il est de ces organes, qui à raison de leur plus grande sensibilité, doivent retenir les impressions spastiques plus long-tems que les autres, ou chez lesquels ces impressions doivent comme se résoudre & s'incorporer, s'il est permis d'ainsi parler, avec la substance nerveuse d'où l'on est conduit naturellement à reconnoître la cause de beaucoup de maladies chroniques, des tumeurs, & entr'autres du flux hémorrhoïdal ; sur lequel Stahl nous a laissé de si belles choses en théorie & en pratique. Voyez Stahl, théor. pathol. sect. II. pag. 161 & seq. Voyez encore le mot HEMORRHOÏDES.

Ici revient ce que nous avons dit de la circulation ou des transports des forces du principe sensitif, qui se cantonnent quelquefois dans un centre, en absorbant la somme d'activité des autres centres qui correspondent à celui-ci ; ce qui peut même se faire par un acte de volonté, comme on le raconte du colonel Townshend, chez qui le mouvement du coeur étoit presqu'arbitraire, comme il l'est dans quelques animaux. Vid. Lister. de cochleis & limacibus, pag. 38.

C'est ainsi qu'un homme absorbé dans une profonde méditation, ne vit, pour ainsi dire, que de la tête ; tel étoit le cas d'Archimede, lorsque le soldat de Marcellus lui donna le coup de la mort ; celui de François Viete dans les deux jours qu'il passa, sans s'appercevoir, à l'explication d'une lettre écrite en chiffres ; & vraisemblablement encore celui de beaucoup de personnes qui se trouvent dans des états contre nature, tels que les mélancholiques, les maniaques, certains fous, &c. qui paroissent plus ou moins insensibles. C'est ce que van Helmont a très-bien observé, contigit namque, dit-il, si forsitan spiritus iste (c'est-à-dire, anima sensitiva), ob profundas speculationes vel insaniam occupetur, quod corpus dolorem non sentiat, famem, frigora, sitim. de lithiasi, cap. ix. pag. 52. Il rapporte à ce sujet, dans le même chapitre, l'exemple d'un malfaiteur, qui éluda plusieurs fois les tourmens de la question, en avalant, quelques instans avant de la subir, un morceau d'ail, & buvant par-dessus un coup d'eau-de-vie ; mais enfin sa petite provision étant consumée, le malheureux fut obligé d'avouer ses crimes par le sentiment des tortures.

Tous ces phénomenes rentrent, comme on voit, dans la théorie que nous avons d'abord établie sur les centres & leur influx ; théorie qui, outre les exemples extraordinaires déja rapportés, est confirmée journellement sous nos yeux par ce qui arrive aux épileptiques, aux goutteux, &c. dont les paroxysmes paroissent constamment déterminés par une émotion préalable dans quelque centre.

De la même théorie peuvent se déduire les sensations que rapportent les personnes mutilées au membre qu'elles n'ont plus ; car un centre quelconque portant vraisemblablement en lui comme l'empreinte ou l'archetipe en raccourci de tout son département, il est à présumer que l'irradiation sensitive destinée au membre amputé, se renouvelle quelquefois par l'habitude ou autres accidens, & produit la sensation affectée à l'existence du membre. On expliquera également, par ces principes, les causes de la régénération des os ; on trouvera toujours que c'est dans un de ces centres qu'il faut chercher l'agent plastique, qui est le même & dans la formation des os, & dans leur régénération.

Nous avons vu que la terreur étoit capable d'éclipser, pour quelque tems, la sensibilité ; il faut en dire autant d'une douleur extraordinaire, qui en cela ne differe point des extases procurées par la joie & par le plaisir ; les excès étant les points par où se touchent tous les contraires, ces grandes joies & ces grandes douleurs peuvent également aller jusqu'à la destruction de la sensibilité, c'est-à-dire, jusqu'à la mort : cela s'est vu plus d'une fois.

La sensibilité peut se trouver bien souvent si fort exaltée dans certains sujets chatouilleux, qu'on ne sauroit même les menacer de les approcher sans les jetter dans des convulsions. Mais rien qui manifeste tant ces variétés & excès négatifs & positifs de l'ame sensible, que la plûpart des maladies, telles que la rage, le chorea sancti viti, certaines manies, les suites de la morsure ou de la piquûre de certains animaux, comme la vipere, la tarentule, les effets de quelques remedes ou poisons, &c. la lepre, les différentes especes d'apoplexie, de paralysie, &c. les affections vaporeuses, le pica, le malacia, &c. En voilà déja trop sur cette matiere.

Sensibilité dans les différens âges, les différens sexes, &c. L'homme est sans contredit l'animal qui doit posséder la sensibilité au plus haut degré. Il peut en effet passer pour le chef-d'oeuvre des ames sensitives ou animales, par l'arrangement merveilleux de ses parties & la prodigieuse quantité de nerfs qui entrent dans leur construction. Disposé par la nature à la connoissance des choses dont le concours fait ce qu'on appelle éducation, il est étonnant avec quelle facilité ses organes se plient sous les habitudes de l'instruction & des exemples ; au contraire il faut des soins infinis, des peines extrêmes pour faire sur les organes d'une brute une impression assez profonde pour lui inculquer les documens les plus faciles ; cependant on a des exemples d'une sagacité merveilleuse dans quelques animaux, comme le chien, le singe, &c. & même quelques poissons, comme les murenes si cheres, à ce qu'on prétend, aux Romains, par la circonstance de reconnoître la voix de leurs maîtres, &c.

Parmi les hommes, les enfans, & après eux les personnes du sexe, sont ceux qui sont le plus éminemment sensibles, ce qui est une suite de la souplesse, la fraîcheur & la ténuité des lames du tissu muqueux, toujours plus compacte dans les adultes, & parmi ces derniers plus dans les hommes que dans les femmes. Cet excès de sensibilité des enfans sur les adultes, explique les causes des fréquentes convulsions & spasmes qui les agitent à la moindre maladie, à la moindre passion. De célebres praticiens ont très-bien observé que cet excès même chez les enfans, en les rendant plus souvent malades, les garantissoit de beaucoup d'autres plus graves maladies qui affectent les adultes, parce que chez ces derniers les voies qui menent à la sensibilité étant moins faciles ou plus longues, la cause du mal avoit plus de tems pour s'établir ou se fortifier.

Quant aux femmes, leur constitution approche beaucoup, comme on sait, de celle des enfans ; les passions sont chez elles extrêmement plus vives en général que chez les hommes. Leur grande sensibilité, dont un des principaux centres est l'utérus, les jette aussi dans des maladies que la nature sembloit avoir affecté uniquement aux femmes, mais dont le luxe & la mollesse ont fait présent aux hommes : je veux parler des vapeurs.

Enfin, comme l'enfance est le premier terme de la sensibilité dans l'homme, de même l'âge adulte en peut passer pour le moyen ; d'où les effets de la flamme sensitive vont en diminuant sous la quantité de mucus qui empâte les nerfs, & qui devient de jour en jour plus compacte, jusqu'à la vieillesse qui est la derniere époque de cette flamme sensitive qui luit à peine dans les organes les plus essentiels à la vie. Ainsi, par la raison des contraires, le vieillard se rapproche de plus en plus de l'état imparfait par où a commencé son être ; rien n'est en même tems si vrai, comme le dit Macrobe, savoir que dans les animaux, l'usage de l'ame s'affoiblit à mesure que le corps devient plus dense. In animalibus hebescit usus animae densitate corporis. Macrob. in somn. Cicer. lib. I. cap. xjv. Voilà encore pourquoi le tissu muqueux étant en moindre quantité & densité dans quelques personnes maigres, elles sont si sensibles, & qu'au-contraire celles qui ont les lames de ce tissu bien serrées & bien battues, sont ce qu'on appelle dures, robustes, &c. Les lames du tissu cellulaire du lion, par exemple, sont presque tendineuses, suivant l'observation de M. d'Aubenton.

Sensibilité par rapport aux qualités de l'air & à l'impression de quelques autres corps externes. L'air est à l'égard de la sensibilité comme un médicament dont elle distingue & évalue les bonnes & les mauvaises qualités à l'avantage ou au préjudice du corps. V. AIR.

Il semble que les méthodiques soient partis de ce principe dans l'attention extrême qu'ils avoient à ménager les impressions de l'air, &c. à leurs malades conformément à la nature des maladies. Le docteur Arbuthnot a fort bien remarqué que cette considération doit nécessairement entrer dans le traitement des fievres aiguës : en effet on sent combien les parties sensibles occupées entre les effets de la maladie, & l'action continuelle de l'air peuvent être utilement ou défavorablement émues par l'impression de ce fluide. L'air chaud ou froid, par exemple, de quelle influence n'est-il pas sur l'opération des remedes, en évaporant, ou en concentrant l'activité de l'ame sensible ?

L'observation apprend que l'air natal est quelquefois un très-grand remede ; mais il peut se faire aussi qu'il produise des révolutions funestes, lorsqu'on vient à le respirer après une longue absence. Ces réconciliations de l'air natal avec la sensibilité individuelle, sont pour elle une épreuve pareille à celle de la naissance, & dont les parties nerveuses d'une personne âgée ne s'accommodent pas aisément.

C'est une tradition fort ancienne & fort répandue dans nos provinces méridionales, que l'air vif est aussi funeste aux personnes attaquées de la poitrine, que l'air gras leur est salutaire ; la raison physique qu'on en donne n'est rien moins que satisfaisante : car il paroît que les phthisiques sont pour le moins en aussi grand nombre à Paris, où l'air passe pour être fort gras, que dans les contrées du royaume où l'air est très-vif. Il faut croire que le moral, dans les grandes villes où la tyrannie des passions est portée à l'excès, influe encore plus que l'air sur cette indisposition des parties sensibles qui produit in recessu un vice spécial dans les poumons.

On dit encore assez communément que les plaies de la tête sont plus dangereuses à Paris qu'à Montpellier, & que les plaies des jambes sont réciproquement plus dangereuses dans cette derniere ville que dans la capitale. Nous doutons fort que les personnes de l'art qui sont pour l'affirmative, ayent là-dessus devers elles une raison suffisante d'expérience. Cette question qui, en 1749, lors de la dispute d'une chaire vacante à Montpellier, fut donnée à traiter par MM. les professeurs de cette faculté à un des contendans, n'a pas même été décidée dans les theses de celui-ci. Quoi qu'il en soit, on pourroit concevoir que l'action de la sensibilité produisît des effets également mauvais & sur les plaies des organes continuellement enveloppés d'un air épais, froid & humide, qui concentre la transpiration de la tête, occasionne de fréquentes céphalalgies, &c. & sur des plaies d'un autre organe exposé aux influences d'un air vif & en quelques endroits salé, aux exhalaisons d'un terroir sec, aride & brûlant une partie de l'année, qui doivent causer un relâchement, une raréfaction singuliere à la substance des parties les plus à portée des impressions du sol, sur-tout chez les paysans ou le bas peuple qui va dans ces provinces les jambes nues la moitié de l'année. On pourroit donc présumer que ces différentes impressions de l'air sont autant de préparations funestes pour ces organes, indépendamment des raisons tirées de la différence des climats, du régime de vivre, &c. qui influent tant, comme on sait, sur le bon état de quelques principaux centres de la sensibilité, dont l'action influe tant, à son tour, sur les plaies.

Il est des auteurs qui prétendent que les émanations que peuvent fournir les corps des personnes fraîches & vigoureuses, des jeunes nourrices, par exemple, qu'on fait coucher avec d'autres personnes exténuées de maladies, ou absolument épuisées d'excès ou de vieillesse ; que ces émanations, dis-je, produisent sur ces derniers sujets des effets admirables : les médecins de David se servirent de ce moyen pour réchauffer la vieillesse du prophete roi, & Forestus, auteur respectable, rapporte qu'un jeune homme qui étoit dans le dernier degré du marasme, fut parfaitement guéri par le même remede. Si ces faits sont vrais, c'est une nouvelle acquisition au domaine de la sensibilité. La modification que peut imprimer à l'athmosphere animale du vieillard ou du malade, la chaleur exhalée du corps sain, est perçue par l'ame sensitive. Or il faut se rappeller que cette perception suppose une augmentation, une direction plus expresse, suivant Stahl, du ton ou des forces des nerfs, laquelle aidée vraisemblablement encore, dans le cas présent, de tout ce que l'imagination peut prêter aux sens, comme cela est observé à l'article lait, voyez LAIT, occasionnera un changement favorable dans l'économie animale.

Du reste, cette théorie nous paroît préférable à celle de l'insinuation des corpuscules déliés tenuissima exhalantia à-travers le corps du malade. En effet, de quelle utilité pourroient être des corpuscules qui ne sont que les débris, ramenta, ou les parties usées de nos humeurs, & qui par conséquent ne sont plus propres à notre substance ? D'ailleurs ne voit-on pas que sans admettre de ces insinuations, la température de l'air produit seule des effets pareils à ceux de certains poisons sur les animaux ! On en a une preuve convainquante dans les symptomes observés sur le chien, que le docteur Boërhaave exposa à la chaleur d'une raffinerie de sucre, & dans ce qui arrive aux animaux qu'on soumet aux expériences de la machine du vuide.

Dans les endroits où il y a des mines, des volcans, &c. dans le voisinage des marais, des camps, des hôpitaux, des grottes, comme celle du chien au royaume de Naples, qui exhalent des moufétes, &c. l'air ne peut que faire des impressions funestes sur le corps, ou plutôt sur les organes de la sensibilité. L'événement des prisons de Newgate à Londres, est encore tout récent. L'explication de ces phénomenes & de tant d'autres sur lesquels il ne nous est pas possible de nous étendre, va d'elle-même, pour peu qu'on veuille suivre la chaîne de nos principes.

Toutes les parties du corps qui vivent d'une dose de sensibilité, doivent participer en proportion du goût ou de l'instinct que nous reconnoissons dans l'ame sensitive, c'est une vérité déja établie ; mais cette propriété se manifestera toujours mieux dans les parties où la sensibilité se trouve sans-cesse irritée par l'indisposition ou la maladie de ces mêmes parties. Voilà pourquoi le poumon des asthmatiques, l'oeil d'un opthalmique, &c. discernent si bien les bonnes ou les mauvaises qualités de l'air, sur-tout s'il est chargé de vapeurs âcres ou humides.

La peau, cette toile nerveuse qui forme un organe général, & dont l'action contrebalance celle des organes intérieurs, la peau est encore éminemment douée de cet instinct ; Harvée appuyé de quelques expériences qu'il hasarda sur lui-même, s'explique positivement sur ce point. Quin caro etiam ipsa, dit-il, venenatum à non venenato facilè distinguit, ideoque constringit sese & densatur, unde tumores phlegmonodes excitantur ut videre est in ictibus apum, culicis, aranei, &c. exercitatio 57. pag. 259. Van Helmont avoit déja parlé de ce discernement de l'ame sensitive, qu'il appelle en quelques endroits internam thymosim facultatis sensitivae. Voyez le chap. ix. de lithiasi, qu'Harvée semble avoir copié en quelques endroits.

En combinant toutes ces propriétés de la peau ou de sa sensibilité si étroitement liée à celle des autres organes, on voit d'un coup d'oeil en quoi consiste l'action des topiques, par ex. de l'opium & de quelques poisons appliqués extérieurement ; celle des parties volatiles de quelques purgatifs, par lesquelles il s'est vu des personnes réellement purgées, celle sur-tout du mercure employé en frictions que nous croyons bien moins estimée par l'introduction de ce minéral dans le torrent des humeurs, que par son passage à-travers le tissu cellulaire dont il désobstrue & élargit les cellules de l'une à l'autre, en étendant ses feuillets, & par les petits étranglemens ou stimulus qu'il cause aux vaisseaux capillaires, ou à leurs fibrilles nerveuses, d'où naît une petite fievre dépuratoire. Voyez là-dessus une dissertation sur l'usage des eaux de Bareges, & du mercure pour les écrouelles, &c. qui a remporté un prix à l'académie royale de Chirurgie en 1752, par M. de Bordeu. On verra sur quoi sont fondés les succès merveilleux des bains, sur-tout des froids dans les fievres ardentes, que quelques malades entraînés par le seul instinct de la sensibilité, se sont procuré si avantageusement ; enfin les bons effets de toutes les ressources de la gymnastique qui consistent à renouveller, à varier agréablement, ou à multiplier l'énergie de la sensibilité, & dont les anciens tiroient un si grand parti. Mais, nous le répétons, il ne faut jamais perdre de vue les dispositions particulieres où peuvent se trouver les parties sensibles en conséquence de l'habitude, ou de quelqu'autre circonstance, & qui font autant d'exceptions à la regle générale. Telle est l'observation de M. Spon, médecin de Lyon, rapportée dans le journal des savans du mois de Janvier 1684, au sujet d'une fille qui ne pouvoit vivre que dans l'hôtel-dieu, & qui ne manquoit jamais d'être attaquée de la fievre, lorsqu'elle se retiroit à la ville, & qu'elle respiroit un air plus pur. Il croît en Pensilvanie un arbre empoisonné, que les Anglois nomment poisontree, dont le maniment, ou la vapeur apportée par le vent, cause des accidens étranges à certaines personnes, & ne fait rien sur d'autres. On voit bien souvent des maladies contagieuses attaquer les personnes qui s'observent le plus, tandis que celles qui approchent sans ménagement des malades, n'en reçoivent aucune incommodité. Il est quelquefois arrivé, au rapport de Kircker de peste, sect. II. cap. iij. pag. 139, que la peste n'a gagné que les riches ou les nobles, & a épargné le bas peuple ou les pauvres. On ne finiroit pas de rapporter de pareils exemples.

Sensibilité par rapport aux influences des astres. Les plus célebres médecins, tant anciens que modernes, se sont occupés de l'influence des astres sur le corps humain. On sait tout ce qu'Hippocrate en a dit dans ses ouvrages, notamment dans celui de aëre, locis & aquis qui n'est pas supposé. Voyez encore ce que Galien a écrit sur cette matiere, lib. III. Prorrheticor. Il est tout simple en effet, en consultant l'action des différentes planetes sur la nôtre, par ex. le flux & le reflux des eaux de la mer, l'altération que reçoivent certaines plantes du lever & du coucher des astres, &c. d'imaginer les changemens que de pareilles causes peuvent apporter à notre frêle machine, qu'on sait d'ailleurs être si sensible.

Les différens poids de l'athmosphere qui varient sous les différens aspects des astres, donnent la raison de plusieurs phénomenes extraordinaires qu'on remarque dans le corps humain. La surface du corps d'un adulte supporte ordinairement, suivant des calculs très-bien faits, un poids d'environ 35 mille livres. La totalité de ce poids correspond, à-peu-près, au degré 28 de l'ascension du mercure dans le barometre ; ce rapport ainsi établi, on observe que la variation d'une ligne au barometre, à compter de cette gradation fixe du mercure, en est une de cent livres & au-delà, dans le plus ou dans le moins, pour le corps humain. Ces variations sont ordinairement plus sensibles vers le tems des équinoxes & des solstices, & par conséquent leurs effets sur l'ame sensitive plus remarquables. On n'a, pour se convaincre de cette vérité, qu'à jetter les yeux sur l'histoire ancienne & moderne des épidémies. L'écoulement des menstrues dans les femmes, beaucoup d'autres évacuations encore, soit périodiques, soit critiques, tout cela est plus ou moins soumis à l'influence des astres sur les corps sublunaires. Les livres sont pleins de faits singuliers, dans lesquels cette cause céleste intervient toujours pour quelque chose ; c'est ainsi qu'on prétend avoir vu des personnes être privées de la parole durant le jour, & ne la recouvrer que le soir. L'observation de Baillou au sujet de la dame de Varades, est connue de tout le monde ; de même que celle que rapporte le docteur Rich. Mead, d'un enfant qui habitoit sur les bords de la Tamise, & qui étoit attaqué de convulsions, dont les paroxysmes étoient reglés sur le flux & le reflux de la mer. Charles Pison avoit déja vu un cas à peu-près semblable, hist. nat. lib. I. pag. 24. Maurice Hoffman parle d'une jeune fille épileptique âgée de 14 ans, dont le ventre croissoit & décroissoit conformément aux différentes phases de la lune. Voyez observ. 161. miscell. cur. dec. II. ann. 6. Ceux qui se plaisent au merveilleux de ce genre, pourront consulter les auteurs que nous avons cités, en outre la dissertation de Fred. Hoffman de siderum influxu in corpora humana, & celle de M. Sauvages, célebre professeur en médecine de la faculté de Montpellier, qui a pour titre : de astrorum influxu in hominem, Monspelii 1757. Ils trouveront dans tous ces ouvrages de quoi se satisfaire. Voyez INFLUENCE DES ASTRES.

L'action des corps célestes sur l'ame sensitive, se manifeste sur-tout dans les maladies aiguës, ainsi que nous l'apprenons de tous les bons observateurs ; ils nous recommandent encore de faire la plus grande attention aux changemens des tems, des saisons, &c. l'effet de beaucoup de remedes étant subordonné à ces influences, qui décident ordinairement de la plus grande ou de la moindre sensibilité des organes. Praecipuè verò maximae anni, temporum mutationes observandae sunt, ut nequè medicamentum purgans lubenter exhibeamus, nequè partes circà ventrem uramus aut secemus antè dies decem, aut etiam plures. Hippocrate, foës. de aere, locis & aquis, pag. 288. §. 10. Il seroit bien à desirer que la plûpart des médecins voulussent méditer sur ce passage du pere de la médecine ; ils verroient qu'il n'est pas indifférent de savoir placer un médicament dans un tems plutôt que dans un autre, de le suspendre ou de le supprimer, même tout-à-fait, dans quelques circonstances ; mais cette science est le fruit de l'observation, & l'observation est dure, rebutante. Des connoissances purement traditionnelles, une routine qui formule toujours, qui court toujours, qui n'exige qu'un peu d'habitude ou de mémoire, tout cela doit naturellement paroître préférable, parce qu'il est plus commode ; d'où il arrive que les larges avenues de cette médecine suffisent à peine à la foule qui s'y jette, que toutes sortes de gens viennent s'y confondre, tandis au contraire qu'on distingue à peine quelques génies choisis dans les sentiers pénibles qui menent au sanctuaire de l'art.

Les variations des vents tiennent de trop près à l'action des astres, pour ne pas mériter les mêmes considérations, quant à la sensibilité. Hippocrate prétend que dans les changemens des vents les enfans sont très-sujets à l'épilepsie. Voyez lib. VI. & lib. II. epidem. Les impressions des vents du nord & du sud sur l'ame sensitive, ont cela de commun avec les influences des saisons, qu'elles sont spécifiées par les maladies que chacun de ces vents occasionne en particulier. L'instinct sensitif va même jusqu'à s'appercevoir du changement prochain d'un vent en un autre vent ; desorte qu'il y a beaucoup de malades ou de personnes à incommodités, qui à cet égard pourroient passer pour d'excellens barometres. Enfin, l'ame sensitive de certains animaux n'est pas exemte non plus que celle des hommes, des effets de ces variations : Virgile nous apprend que les corbeaux, par exemple, en sont notablement affectés. Voyez le livre I. des Georgiques.

Verùm ubi tempestas & coeli mobilis humor

Mutavere vices & Jupiter humidus austris

Densat, erant quae rara modò & quae densa relaxat,

Vertuntur species animorum, & pectora motus,

Nunc alios, alios, dùm nubila ventus agebat.

Tels sont en général les effets de l'influx des astres sur l'ame sensible, & dont l'observation avoit porté les anciens à soumettre divers organes à différentes planetes. Leurs prétentions à cet égard étoient assûrément outrées : mais nous leur opposons le même excès dans notre indifférence sur des matieres les plus faites pour exciter notre zele par la gloire & l'avantage qui en reviendroient à l'art.

Sensibilité par rapport aux climats. Cette matiere est tellement liée aux précédentes, que nous aurions dû les confondre ensemble, sans la crainte de déroger à l'ordre que nous avons suivi dès le commencement ; il n'est pas douteux que les climats n'influent pour beaucoup sur la sensibilité. Les différentes températures dans un même climat variant la disposition & le tissu de nos parties, quelle prodigieuse différence ne doit-il pas y avoir dans les effets de la sensibilité par rapport aux individus d'un climat, comparés à ceux d'un autre climat ? Voyez CLIMAT, Médecine. C'est en ce sens qu'on pourroit compter des nuances de sensibilité, comme on en compte de la couleur des peuples depuis le nord jusqu'à la ligne ; ensorte qu'un habitant de ces dernieres contrées, comparé avec un lapon, donnera presque une idée des contrastes en sensibilité : mais en évaluant ainsi les tempéramens de sensibilité par les différentes latitudes, on n'en doit jamais séparer l'idée physique d'avec l'idée morale ; car nous croyons pouvoir nous dispenser d'observer ici, vu la publicité du livre immortel de l'Esprit des loix, combien les usages, les coutumes des pays, &c. méritent de considérations dans l'estimation des facultés sensitives. Il est encore plus important de ne pas perdre de vue cette activité originale de l'ame sensible, qui est la même dans tous les individus d'une même espece, & qui ne sauroit éprouver des variétés que dans ses organes ; un observateur exact aura tôt ou tard occasion de s'en convaincre. C'est ainsi qu'Hippocrate a observé que les crises avoient lieu dans l'île de Thase, qui est voisine de la Thrace, aussi-bien que dans l'île de Cos ; deux îles dont les climats sont tout différens ; & des observations modernes ont enfin constaté que les crises étoient à-peu-près les mêmes dans tous les climats. Il en est, dit Hippocrate (car les vues supérieures de ce grand homme se sont portées sur tout) ; il en est des constitutions des individus, comme de la nature du sol qu'ils habitent ; les animaux, les plantes, & quelques autres productions de la terre, ont donc à cet égard une entiere conformité de sort entr'eux ; cela n'a pas besoin de preuves.

On peut encore juger de cette influence des climats sur les effets de la sensibilité, par les affections corporelles qu'on éprouve dans des pays d'une température différente de la natale. Il se trouve, par exemple, des montagnards qui ne sauroient habiter des villes situées dans des plaines ; dans quelques-uns même un pareil séjour développe le germe de beaucoup de maladies, comme les écrouelles, que l'air de la montagne retenoit dans un état d'inertie. Il faut ajouter que les moeurs & la qualité des alimens, qui sont autant de créatures des climats, peuvent contribuer encore à ce développement. Ceci analysé & suivi, donnera la raison des maladies endémiques, de la différence des vertus dans les mêmes remedes ; & de plusieurs autres objets de cette nature, sur lesquels on ne doit pas s'attendre à trouver ici un plus long détail.

Nous nous sommes trop étendus sur cette matiere, pour passer sous silence un systême qu'on peut regarder comme une branche égarée de l'ame sensitive, qui cherche à se rejoindre à son tronc, dont réellement elle ne peut pas plus être séparée, que l'effet ne peut l'être de la cause. Nous voulons parler du nouveau systême de l'irritabilité, sur lequel la réputation méritée de son auteur (M. le baron de Haller), ses talens continuellement employés à des travaux utiles pour l'art, demandent que nous entrions dans quelques discussions qui mettent le lecteur à portée d'asseoir un jugement sur ce systême.

Pour cet effet, nous allons voir ce que cette irritabilité, qu'il seroit peut-être mieux d'appeller de son ancien nom d'irritation, ainsi que nous l'avons observé à l'article SECRETION (Voyez ce mot) ; nous allons voir, dis-je, ce qu'elle a d'essentiel en soi, pour en autoriser les réflexions qu'elle nous donnera lieu de faire, en la considérant dans le nouveau systême.

L'irritabilité n'est autre chose que la mobilité ou contractilité dont il a été question au commencement de cet article, & que nous avons dit être une des deux actions comprises dans l'exercice de la sensibilité ; c'est toujours l'expression du sentiment ; mais une expression violente, attendu qu'elle est le produit de la sensibilité violemment irritée par des stimulus ; aussi est-elle quelquefois désignée sous le nom même de stimulus chez les Physiologistes, ou sous celui de fibre motrice, &c. On ne sauroit douter qu'elle n'ait été connue de tous les tems : les plus anciens poëtes, à commencer par Homere (Voyez le VIII. livre de l'Odyssée), parlent en plusieurs endroits de leurs ouvrages, de chairs palpitantes, de membres à-demi animés, semi-animis artus.... Elisi trepident sub dentibus artus, fait dire Ovide au géant Polyphème. Voyez les Métamorphoses. Or qui pourroit méconnoître la contractilité ou l'irritabilité moderne à cette palpitation, à ce tremblotement de chairs, sous des dents qui les déchirent ? Nous avons vu que de très-grands philosophes avoient même été jusqu'à expliquer la cause de cette palpitation par un reste de flâme sensitive ou de feu vital. Cicéron, d'après Cléanthes le stoïcien, l'avance positivement du coeur fraîchement arraché de la poitrine d'un animal. Voyez de natur. deor. lib. II. Pline dit encore à l'occasion des insectes, nihil intùs, nisi admodum paucis intestinum implicatum ; itaque divulsis praecipua vivacitas & partium palpitatio, quia quaecunque est ratio vitalis, illa non certis inest membris, sed toto in corpore. Natur. histor. lib. XI. Il est à présumer que l'usage des sacrifices avoit appris aux anciens tout ce qu'on peut raisonnablement savoir sur cette matiere. Le couteau égaré du victimaire en blessant quelque organe considérable, devoit souvent y produire des mouvemens extraordinaires qui n'échappoient sans-doute point à des personnes si intéressées à les observer. Les philosophes & médecins de ces premiers tems avoient conçu, d'après ces phénomenes, les grandes idées qu'ils nous ont transmises sur le principe qui anime les corps : mais ils ne croyoient pas (leur philosophie étoit en ce point au niveau de leur ame, dont on ne cessera d'admirer l'élévation), ils ne croyoient pas qu'on dût employer le manuel des expériences à creuser plus avant dans les mysteres les plus profonds de la nature. Les Chinois chez qui les découvertes les plus nouvelles pour nous ont des dates si anciennes, observent dans l'acupuncture des regles & des précautions qui ne permettent pas de douter qu'ils n'ayent acquis depuis long-tems beaucoup de lumieres sur les effets de la sensibilité des parties ; il paroît même que les plus grandes vues de leur pratique s'y rapportent directement : " A la Chine on pique au ventre dans les suffocations de la matrice, dans les coliques, dans la dyssenterie, &c. On y pique une femme enceinte, lorsque le foetus se mouvant avec trop de violence, avant que le tems de l'accouchement soit venu, cause à la mere des douleurs si excessives, qu'elle est en danger de sa vie : en ce cas, on y pique même le foetus, afin qu'étant effrayé par cette ponction, il cesse de se remuer, &c. ". Willelmi ten Rhine M. d' trans-isalano da ventriensis mantissa schematica de acupunctura. Enfin, dans le dernier siecle, quelques modernes déterminés ou par une simple curiosité d'érudition, ou par des vues plus particulieres, se sont exercés à appliquer divers stimulans à différentes parties du corps, & ont approprié les phénomenes de cette irritation factice à des théories. Tel a été un van Helmont, dont les paroles à ce sujet méritent d'être rapportées : animadverti, dit-il, nimirùm sedulò contracturam in uno quoque propè modum dolore ; adeò ut oblato laedente occasionali, statim pars laeva velut per crampum contracta, corrugataque dolorem manifestet suum. Voyez de lithiasi, cap. ix. p. 66. Tels ont été Harvée, voyez à l'article SECRETION, Swammerdam, Glisson, Peyer ; voyez Bohnius, Baglivi, & autres, dont il est fait mention dans les observations du docteur Robert Whitt, sur l'irritabilité, page 263.

Après tout ce que nous venons d'exposer, il est évident 1°. que l'irritabilité en ce qu'elle a de réel & d'essentiel, étoit connue des anciens ; 2°. qu'il faut dater de plus d'un siecle les premiers travaux qui ont concouru à la fondation de la méthode systématique qu'on nous présente aujourd'hui. Tout lecteur impartial en jugera sans-doute de même, & il est bien étonnant que M. Tissot, d'ailleurs si louable par l'attachement qu'il témoigne pour le célebre M. de Haller, veuille nous persuader que c'est véritablement M. de Haller qui a découvert & mis dans tout son jour l'irritabilité, p. 11. du discours préliminaire à la traduction des mémoires sur l'irritabilité & la sensibilité.

Il paroît donc qu'on ne peut trouver à M. de Haller des droits sur l'irritabilité, que dans la partie systématique dont, à la vérité, il a excessivement étendu & défriché en beaucoup d'endroits, le terrein déja manié avec économie par Glisson & quelques autres. Si c'est-là une propriété que M. Tissot reclame en faveur de son illustre maître, nous convenons qu'on ne sauroit la lui refuser. Les limites respectives ainsi reglées, parcourons cette nouvelle édition, s'il est permis de le dire, du territoire systématique de l'irritabilité, que nous venons reconnoître appartenir à M. de Haller.

M. de Haller établit d'abord sa théorie sur un appareil effrayant de ses propres expériences & de celles de quelques-uns de ses disciples. Conduit, comme il l'annonce lui-même, par l'envie de contribuer à l'utilité du genre humain, il n'est point d'instrument de douleur, point de stimulus qu'il n'ait employé à varier les tourmens d'un nombre infini d'animaux qui ont été soumis à ses recherches, pour en arracher des preuves en faveur de la vérité. Il résulte des travaux de cet homme célebre une division des parties du corps en parties sensibles, insensibles, irritables, aïrritables, & en parties qu'on pourroit appeller mixtes, c'est-à-dire, qui sont tout-à-la-fois sensibles & irritables. Son traducteur, M. Tissot, a même porté ses soins pour la commodité du lecteur, jusqu'à dresser une table dans laquelle chaque partie du corps humain est rangée d'après l'une des propriétés énoncées dont on a fait autant de classes ; ainsi, par exemple, le cerveau, les nerfs, les muscles, &c. sont dans la classe des sensibles ; les membranes tant celles qui enveloppent les visceres, que celles des articulations, la dure-mere, les ligamens, le périoste, &c. dans la classe des insensibles, le diaphragme, l'estomac, les intestins, &c. dans celle des irritables ; les nerfs, l'épiderme, les arteres, les veines, le tissu cellulaire dans les aïrritables ; enfin dans la classe des mixtes, on trouve un peu de tout, c'est-à-dire, les parties qui ont des nerfs, des fibres musculeuses, le coeur, le canal alimentaire, &c. Ce petit précis doit nous suffire pour découvrir manifestement les usurpations faites sur l'ame sensitive par l'irritabilité dont M. de Haller prétend faire un être absolument distinct & indépendant.

Nous ne pensons pas devoir employer de nouvelles raisons à réfuter le paradoxe de M. de Haller : après celle que nous avons donné de l'indivisibilité de ces deux effets de l'ame sensible, il est assurément tout naturel de penser que les agens employés à irriter une partie, n'étant, par leur action, que cause occasionnelle de sa mobilité, il faut nécessairement que cette action soit perçue ou sentie par la partie, & qui plus est, appropriée au sentiment de cette même partie ; & quelle autre puissance animale que la sensibilité pourra être le juge des corps sensibles appliqués à un corps vivant ? Le tact qu'est-il, sinon le satellite universel de l'ame sensitive ? Il semble que cela n'a pas besoin d'une plus grande démonstration. Voyez encore l'exercitation 57 d'Harvée.

Quant au plus ou au moins de sensibilité que M. de Haller a reconnu dans les différens organes, c'est, avons-nous dit, une suite nécessaire de leur organisation qui est comme spécifiée dans chacune d'eux par une quantité de tissu cellulaire, & la maniere dont ce tissu y est employé, par leur consensus avec les organes voisins, par leur situation, & une multitude infinie d'autres circonstances qu'on peut se représenter. Du reste, on doit se rappeller que tous ces organes sont essentiellement formés par les nerfs ; & à l'égard des membranes, elles sont pour la plûpart ou d'une substance toute nerveuse, ou animée en quelques endroits par des rameaux nerveux plus ou moins clairsemés, qui s'étendent dans le tissu même de la membrane, ou qui rampent sur ses vaisseaux ; nous en avons pour preuve l'inflammation qui y survient quelquefois. Les membranes du foetus que M. de Haller donne pour irritables sur la simple autorité de Lups, reçoivent vraisemblablement des nerfs du cordon ombilical, ainsi que le soupçonne M. Whitt.

Une erreur non moins considérable encore, & contre laquelle nous croyons qu'on ne sauroit être assez prévenu, c'est la faculté aïrritable que M. de Haller accorde au tissu cellulaire, ensorte que ce qu'il y a de vraiment actif dans le corps humain, est confondu avec ce qu'il y a de passif. Nous avons assez clairement exposé, en parlant de la formation, ce qui est purement physique d'avec ce qui est animal dans le corps, pour faire sentir l'inconvénient qu'il y auroit à ne pas distinguer ces deux choses, lorsqu'on expose les parties des animaux à l'action des acides, ou de tel autre agent. Encore une fois, tout ce qui est susceptible d'irritation est dépendant du principe vital ou sensitif. Or on ne sauroit reconnoître dans le tissu cellulaire qu'une disposition au desséchement, & à l'adhérence qui lui est commune avec tous les corps muqueux, & un mouvement emprunté de l'action des parties sensibles, &c. ainsi, placer dans une classe de propriétés le nerf au même rang que le tissu cellulaire, c'est y placer l'être à côté du néant. Toutes ces raisons s'opposent encore d'elles-mêmes à ce que le signe de l'irritabilité soit dans le gluten de nos parties, ainsi que le prétend M. de Haller : il y a plus ; ce savant auteur semble se contredire lui-même dans cette prétention ; car toutes nos parties étant liées par ce gluten, toutes devroient être susceptibles d'irritabilité, comme le remarque M. Whitt ; cependant dans le systême de M. de Haller, la plûpart sont privées de cette faculté.

C'est en vain qu'on voudroit argumenter des expériences de M. de Haller pour défendre son systême. Cet appareil imposant de faits, quelqu'exacts, quelque vrais qu'ils puissent être, ne sauroit subsister, pour peu qu'on fasse d'attention à la variété des dispositions dont l'ame sensitive est si fort susceptible, & qui doit nécessairement entraîner celle des produits dans les mêmes procédés & les mêmes circonstances appliquées aux individus d'une même espece. Voilà la source de cette contradiction qui se trouve entre les expériences de M. de Haller, & les mêmes expériences répétées par MM. Bianchi, Lorri, Lecat, Regis, Robert Whitt, Tandon, habile anatomiste de Montpellier, & quelques autres. Aussi ces considérations n'ont-elles point échappé à M. Whitt ; il en a tiré autant d'argumens victorieux contre M. de Haller. Voyez les observations sur la sensibilité & l'irritabilité, &c. à l'occasion du mémoire de M. de Haller ; & ce qu'il y a de plus heureux, lorsqu'on a des adversaires de la plus grande réputation à combattre, Hippocrate lui a fourni les premieres & les plus fortes armes dans cet aphorisme ; savoir, que de deux douleurs dans différens endroits du corps la plus forte l'emporte sur la moindre : duobus doloribus simul obortis, non in eodem loco, vehementior obscurat alterum. Aphoris. lib. II. n °. 46. Cette maxime est confirmée par l'expérience journaliere. Une piquure qui cause une douleur vive fait cesser le hoquet, &c. on ne doit donc pas s'étonner, dit M. Whitt, " qu'après la section des parties plus sensibles, les animaux qu'ouvroit M. de Haller ne donnassent aucun signe de douleur, quand il blessoit des parties qui l'étoient moins. "

Lorsqu'on blessera le coeur à un chien après avoir ouvert la poitrine, l'irritation de ce viscere sera toujours moindre, par la plus grande douleur qu'aura d'abord excitée cette ouverture. D'ailleurs, ne seroit-il pas nécessaire, comme on l'a déja dit, pour bien constater l'irritation du coeur, d'appliquer les stimulus dans l'intérieur même des ventricules ? Et en ce cas, pourroit-on compter sur le résultat d'une expérience qui paroît susceptible de tant d'inconvéniens ? La théorie des centres & des transports de l'activité de l'ame sensible, nous a fourni plusieurs autres exemples du risque qu'il y a de s'en imposer à soi-même dans les épreuves sur les animaux ; tel est celui du malfaiteur dont nous avons parlé d'après van Helmont ; l'observation d'Hoffman sur le retour périodique des coliques néphrétiques, &c. Bianchi a remarqué dans ses vivi-sections l'absence & le retour de la sensibilité, dans l'intervalle de quelques momens, sur une même partie, &c. La crainte dont les animaux sont susceptibles aussi-bien que les hommes, influe singulierement sur l'exercice de la sensibilité, comme nous l'avons vu. Mais jusqu'où n'iront pas les effets de cette passion sous les couteaux d'un dissecteur ? Voyez de contractilitate & sensibilit. theses aliquot. D. D. Francisco de Bordeu, Monspelii, &c.

On doit faire encore la plus grande attention au consensus de la peau avec les parties internes, & à celui de tous les organes entr'eux ; par exemple, si après avoir irrité les parties de la région épigastrique, vous portez le stimulus sur une extrêmité, ou sur une partie quelconque qui peut être du département de ce centre, la sensibilité que la premiere irritation aura, pour ainsi dire, toute transportée dans ce foyer général, ne sauroit se trouver en assez grande activité dans la partie que vous irritez en second lieu, pour répondre aux agens que vous y employez. Autre exemple du consensus ; dans l'ouverture d'un chien vivant, après avoir fait plusieurs incisions au diaphragme, on a vu le mesentere suivre les mouvemens des lambeaux de ce muscle, & s'élever en forme de gerbe, en entraînant le reste des intestins qui n'étoient pas sortis par l'ouverture. Voyez l'idée de l'homme physique & moral, p. 205. Combien d'observateurs ont vainement tenté d'irriter le mesentere faute de cette attention au consensus de la partie avec le diaphragme ? &c. L'antagonisme des périostes interne & externe entr'eux & avec la peau, les prolongemens, les connexions de la dure-mere avec les tégumens de la tête & de certains endroits de la face, &c. ne sont-ils pas d'une considération essentielle dans les expériences qui se font dans la vue de reconnoître la sensibilité de ces parties ? Ajoutez à ces raisons l'impression de l'air externe sur une partie mise entierement à nud, suivant la méthode que prescrit M. de Haller, page 108 de son mémoire, l'altération graduelle qu'elle éprouve dans la dissection par le progrès de la solution de continuité, &c. la différence qu'il doit y avoit entre la sensibilité des animaux & celle de l'homme, il se trouvera qu'il n'y a pas moyen de poser aucun principe sur de pareilles expériences.

L'ulcere fait plus encore sur une partie que les blessures ou les déchirures récentes, il est certain que les humeurs viciées d'une vieille plaie ou d'une vieille tumeur, considérées dans les diverses especes de dépravation qu'elles peuvent avoir, altéreront considérablement l'organisation d'un tendon ou de tel autre organe, & des parties adjacentes comme la peau, le périoste, &c. dont le bon état de chacun contribue, ainsi qu'il est bien aisé de le penser, à l'exercice de l'ame sensitive. C'est comme un poison qui détruit sourdement le tissu organique qui constituoit dans ces parties leur aptitude à la sensibilité ; cette altération peut encore moins se révoquer en doute lorsqu'il y a eu précédemment des escharres. Il n'est donc pas étonnant que le tendon ne se soit pas trouvé sensible dans quelques observations qu'on a communiquées à M. de Haller, ou dans celles qu'il peut avoir fait lui-même ; & que MM. Zimm & Mekel ayent trouvé la dure-mere insensible dans un homme à qui la carie avoit ouvert le crâne.

Nous ne saurions suivre plus loin M. de Haller dans le détail de son systême ; M. Whitt l'a fait pour nous dans l'ouvrage dont nous avons parlé, & dont nous ne pouvons ici que recommander la lecture. En attendant, ce petit nombre de réflexions pourra faire connoître combien les expériences les mieux faites sont insuffisantes pour avancer dans la connoissance d'une matiere, dont les objets délicats se dénaturent ou disparoissent sous la main qui cherche à les travailler ; c'est-là un caractere de réprobation attaché à toutes les tentatives humaines de ce genre ; parvenu après de grands efforts aux objets qui paroissent toucher le plus immédiatement la nature, l'observateur le plus heureux se trouve n'avoir que quelques pouces de terrein au-dessus des autres, avantage qui ne peut lui servir qu'à découvrir une plus grande distance du point où il est à celui où il se flatoit d'être, & qu'il doit désespérer de pouvoir jamais atteindre. " Combien de choses, disoit Séneque, se meuvent dans les ombres d'un secret impénétrable, & dont la connoissance nous sera éternellement dérobée " ? L. annaei Senecae, natur. quaest. lib. VII. Il faut donc nous contenter de quelques formes fugitives que la nature, comme un Prothée qu'on ne sauroit forcer, veut bien de tems en tems se laisser surprendre ; & celui-là aura vraiment attrapé le but qui réussira à le mieux saisir. Article de M. FOUQUET, docteur en médecine de la faculté de Montpellier.


SENSIBLEadj. Voyez les articles SENS, SENSATION, & SENSIBILITE.

SENSIBLE, en Musique, voyez ACCORD, NOTE SENSIBLE. (S)

SENSIBLE A L'EPERON, (Maréchall.) se dit d'un cheval qui y obéit pour peu qu'il le sente.

SENSIBLE, l'arbre, (Hist. nat. Botan.) arbre des Indes orientales, dont le nom vient de ce que son fruit commence à sauter pour peu qu'on y touche. Il est surprenant que Gautier Schouten soit le seul voyageur qui ait parlé d'un phénomene si singulier, ce qui tenteroit de croire que cet arbre est fabuleux.


SENSILESS. f. pl. (Marine) nom que l'on donne en France aux galeres ordinaires, à la différence des plus grosses appellées galeres extraordinaires. (D.J.)


SENSITIVE(Botan.) plante fort connue par la propriété qu'elle a de donner des signes de sensibilité, & pour ainsi dire de vie quand on la touche. On rapporte qu'un philosophe de Malabar est devenu fou à examiner les singularités de cette plante, & à en rechercher la cause. Je ne sache pas que cet accident soit arrivé à aucun de nos physiciens de l'Europe ; ils sont si accoutumés à ces sortes de phénomenes, difficiles à expliquer, qu'après tout celui-ci ne sera jamais pour eux qu'un feuillet de plus à ajouter à un grand livre. Tandis que nos dames ont la curiosité d'aller voir cette merveille végétale dans les jardins où elle se trouve, les botanistes qui la cultivent la caractérisent de la maniere suivante.

Ses caracteres. Ses fleurs, ramassées en têtes, sont monopétales, faites en forme d'entonnoir, ordinairement munies d'un grand nombre d'étamines dans le centre. Sa silique est ou simple, à deux panneaux, & remplie de semences oblongues ; ou composée de plusieurs parties unies par des noeuds transverses, dont chacun contient une semence arrondie. Ses feuilles ont un mouvement de systole & de diastole. Elle s'appelle en latin mimosa frutex, sensibilis herba viva. On en compte cinq especes, qu'on cultive communément. Les anciens les nommoient plantae aeschynomenae. Décrivons ici l'espece ordinaire.

Description de la sensitive ordinaire. Elle pousse plusieurs tiges ou rameaux, la plûpart rampans & inclinés vers terre, chargés de feuilles longuettes, polies, étroites à-peu-près comme celles des lentilles, rangées de côté & d'autre en ordre ou par paires sur une côte, se rapprochant l'une de l'autre quand on les touche, comme si elles avoient de la sensation. Il sort des aisselles des feuilles, des pédicules qui soutiennent chacun un bouquet de fleurs fait en forme d'entonnoir, incarnates, agréables à la vûe, poussant de leurs fonds une touffe d'étamines, & une silique à deux panneaux, qui renferme ordinairement des semences oblongues & plates. Sa racine est petite.

Cette plante merveilleuse méritoit un traité à part par la singularité de ses phénomenes. Hook en Angleterre les a le premier examinés avec beaucoup d'attention ; mais son examen au lieu d'empêcher MM. du Fay & du Hamel d'en faire en France une étude particuliere, les y a invités. Voyez les mém. de l'acad. des Scienc. ann. 1736.

Plusieurs plantes, telles que les acacias, les casses, les cassies, ont la même disposition de feuilles par paires sur une côte, comme à la sensitive ; elles ferment aussi leurs feuilles le soir, & les r'ouvrent le matin, comme la sensitive fait les siennes. Ce n'est pas ce mouvement périodique qui fait le merveilleux de la sensitive, il lui est commun avec d'autres plantes ; c'est ce même mouvement entant qu'il n'est point périodique & naturel, mais accidentel en quelque sorte, parce qu'on n'a qu'à toucher la sensitive pour lui faire fermer ses feuilles, qu'elle r'ouvre ensuite naturellement. C'est-là ce qui lui est particulier, & qui a fait donner le nom de mimosa, imitatrice, d'un animal qu'on auroit incommodé ou effrayé en le touchant. Mais ce mouvement est beaucoup plus considérable que nous ne disons encore ; & il a un grand nombre de circonstances dignes d'attention. Voici donc les principaux faits qui attachent nos regards sur cette plante.

Observations détaillées qui la concernent. 1. Il est difficile de toucher une feuille d'une sensitive vigoureuse & bien saine, si légerement & si délicatement, qu'elle ne le sente pas & ne se ferme : sa plus grosse nervure étant prise pour son milieu, c'est sur ce milieu, comme sur une charniere, que les deux moitiés se meuvent en s'approchant l'une de l'autre, jusqu'à ce qu'elles se soient appliquées l'une contre l'autre exactement. Si l'attouchement a été un peu fort, la feuille opposée & de la même paire, en fait autant par une espece de sympathie.

2. Quand une feuille se ferme, non-seulement ses deux moitiés vont l'une vers l'autre, mais en même tems le pédicule de la feuille va vers la côte feuillée d'où il sort, fait avec elle un moindre angle qu'il ne faisoit auparavant, & s'en rapproche plus ou moins. Le mouvement total de la feuille est donc composé de celui-là & du sien propre.

3. Si l'attouchement a été plus fort, toutes les feuilles de la même côte s'en ressentent & se ferment. A un plus grand degré de force, la côte elle-même s'en ressent, & se ferme à sa maniere, c'est-à-dire se rapproche du rameau d'où elle sort. Et enfin la force de l'attouchement peut être telle, qu'aux mouvemens précédens s'ajoutera encore celui par lequel les rameaux se rapprochent de la grosse branche d'où ils sortent, & toute la plante paroîtra se vouloir réduire en un faisceau long & étroit, & s'y réduira jusqu'à un certain point.

4. Le mouvement qui fait le plus grand effet, est une espece de secousse.

5. Trois des mouvemens de la plante se font sur autant d'articulations sensibles ; le premier sur l'articulation du pédicule de la feuille avec la côte feuillée ; le second sur l'articulation de cette côte avec son rameau ; le troisiéme sur celle du rameau avec sa grosse branche ; un quatriéme mouvement, le premier de tous, celui par lequel la feuille se plie & se ferme, doit se faire aussi sur une espece d'articulation qui sera au milieu de la feuille, mais sans être aussi sensible que les autres.

6. Ces mouvemens sont indépendans les uns des autres, & si indépendans, que quoiqu'il semble que quand un rameau se plie ou se ferme, à plus forte raison ses feuilles se plieront & se fermeront ; il est cependant possible de toucher le rameau si délicatement, que lui seul recevra une impression de mouvement ; mais il faut de plus que le rameau en se pliant n'aille pas porter ses feuilles contre quelqu'autre partie de la plante, car dès qu'elles en seroient touchées elles s'en ressentiroient.

7. Des feuilles entierement fanées & jaunes, ou plutôt blanches & prêtes à mourir, conservent encore leur sensibilité, ce qui confirme qu'elle réside principalement dans les articulations.

8. Le vent & la pluie font fermer la sensitive, par l'agitation qu'ils lui causent ; une pluie douce & fine n'y fait rien.

9. Les parties de la plante qui ont reçu du mouvement, & qui se sont fermées chacune à sa maniere, se r'ouvrent ensuite d'elles-mêmes, & se rétablissent dans leur premier état. Le tems nécessaire pour ce rétablissement est inégal, suivant différentes circonstances, la vigueur de la plante, la saison, l'heure du jour : quelquefois il faut 30 minutes, quelquefois moins de 10. L'ordre dans lequel se fait le rétablissement, varie aussi ; quelquefois il commence par les feuilles ou les côtes feuillées, quelquefois par les rameaux, bien entendu qu'alors toute la plante a été en mouvement.

10. Si l'on veut se faire une idée, quoique fort vague & fort superficielle, de la cause des mouvemens que nous avons décrits, il paroîtra qu'ils s'exécutent sur des especes de charnieres très-déliées, qui communiquent ensemble par des petites cordes extrêmement fines, qui les tirent & les font jouer dès qu'elles sont suffisamment ébranlées ; & ce qui le confirme assez, c'est que des feuilles fanées & prêtes à mourir, sont encore sensibles ; elles n'ont plus de suc nourricier, plus de parenchime, plus de chair, mais elles ont conservé leur charpente solide, ce petit appareil, & cette disposition particuliere des cordages qui fait tout le jeu.

11. Ces mouvemens que nous avons appellés accidentels, parce qu'ils peuvent être imprimés à la plante par une cause étrangere visible, ne laissent pas d'être naturels aussi, comme nous l'avons dit d'abord ; ils accompagnent celui par lequel elle se ferme naturellement le soir, & se r'ouvre le matin, mais ils sont ordinairement plus foibles que quand ils sont accidentels. La cause étrangere peut être dès qu'elle le veut, & est presque toujours plus forte que la cause naturelle.

Nous allons rapporter maintenant les principales circonstances du mouvement total naturel de la sensitive.

12. Il a été dit dans l'histoire de l'académie des Sciences, année 1729, que dans un lieu obscur & d'une température assez uniforme, la sensitive ne laisse pas d'avoir le mouvement périodique de se fermer le soir, & de se r'ouvrir le matin. Cela n'est pas conforme aux observations de MM. du Fay & du Hamel. Un pot de sensitive étant porté au mois d'Août dans une cave plus obscure, & d'une température plus égale que le lieu des observations de 1739, la plante se ferma à la vérité, mais ce fut, selon toutes apparences, par le mouvement du transport, elle se r'ouvrit le lendemain au bout de 24 heures à-peu-près, & demeura près de trois jours continuellement ouverte, quoiqu'un peu moins que dans son état naturel. Elle fut rapportée à l'air libre, où elle se tint encore ouverte pendant la premiere nuit qu'elle y passa, après quoi elle se remit dans sa regle ordinaire, sans avoir été aucunement affoiblie par le tems de ce déréglement forcé, sans avoir été pendant tout ce tems-là que très-peu moins sensible.

13. De cette expérience, qui n'a pas été la seule, il suit que ce n'est pas la clarté du jour qui ouvre la sensitive, ni l'obscurité de la nuit qui la ferme : ce ne sont pas non plus le chaud & le froid alternatifs du jour & de la nuit ; elle se ferme pendant des nuits plus chaudes que les jours où elle avoit été ouverte. Dans un lieu qu'on aura fort échauffé, & où le thermometre apporté de dehors hausse très-promtement & d'un grand nombre de degrés, elle ne s'en ferme pas plus tard qu'elle n'eût fait à l'air libre, peut-être même plus tôt : d'où l'on pourroit soupçonner que c'est le grand & soudain changement de température d'air qui agit sur elle ; & ce qui aideroit à le croire, c'est que si on leve une cloche de verre, où elle étoit bien exposée au soleil & bien échauffée, elle se ferme presque dans le moment à un air moins chaud.

14. Cependant il faut que le chaud & le froid contribuent de quelque chose par eux-mêmes à son mouvement alternatif ; elle est certainement moins sensible, plus paresseuse en hiver qu'en été ; elle se ressent de l'hiver même dans de bonnes serres, où elle fait ses fonctions avec moins de vivacité.

15. Le grand chaud, celui de midi des jours bien ardens, lui fait presque le même effet que le froid ; elle se ferme ordinairement un peu. Le bon tems pour l'observer est sur les neuf heures du matin d'un jour bien chaud, & le soleil étant un peu couvert.

16. Un rameau coupé & détaché de la plante, continue encore à se fermer, soit quand on le touche, soit à l'approche de la nuit ; il se r'ouvre ensuite. Il a quelque analogie avec ces parties d'animaux retranchées qui se meuvent encore. Il conservera plus longtems sa vie, s'il trempe dans l'eau par un bout.

17. La nuit lorsque la sensitive est fermée, & qu'il n'y a que ses feuilles qui le soient, si on les touche, les côtes feuillées & les rameaux se ferment, se plient comme ils eussent fait pendant le jour, & quelquefois avec plus de force.

18. Il n'importe avec quel corps on touche la plante, il y a dans les articulations des feuilles un petit endroit, reconnoissable à sa couleur blanchâtre, où il paroît que réside sa plus grande sensibilité.

19. La sensitive plongée dans l'eau, ferme ses feuilles & par l'attouchement, & par le froid de l'eau. Ensuite elle les rouvre, & si en cet état on les touche, elles se referment, comme elles eussent fait à l'air ; mais non pas avec tant de vivacité. Il en va de même des rameaux. Du jour au lendemain la plante se rétablit dans le même état que si elle n'avoit pas été tirée de son élément naturel.

20. Si on brûle ou avec une bougie, ou avec un miroir ardent, ou avec une pince chaude, l'extrêmité d'une feuille, elle se ferme aussitôt, & dans le même moment son opposée ; après quoi toute la côte feuillée, & les autres côtes, même le rameau, & même les autres rameaux de la branche en font autant, si l'impression de la brûlure a été assez forte, & selon qu'elle l'a été plus ou moins : cela marque une communication, une correspondance bien fine & bien étroite entre les parties de la plante. On pourroit croire que la chaleur les a toutes frappées ; mais on peut faire ensorte qu'elle ne frappe que l'extrêmité de la feuille brûlée : on fera passer l'action du feu par un petit trou étroit d'une plaque solide, qui en garantira tout le reste de la plante, & l'effet sera presque entierement le même.

21. Une goutte d'eau-forte étant mise sur une feuille, assez adroitement pour ne la pas ébranler, la sensitive ne s'en apperçoit point, jusqu'à ce que l'eau-forte ait commencé à ronger la feuille ; alors toutes celles du rameau se ferment. La vapeur du soufre brûlant fait dans le moment cet effet sur un grand nombre de feuilles, selon qu'elles y sont plus ou moins exposées. La plante ne paroît pas avoir souffert de cette expérience. Une bouteille d'esprit de vitriol très-sulphureux & très-volatil, placée sous une branche, n'a causé aucun mouvement. Il n'y en a eu non plus aucune altération à la plante, quand les feuilles ont été frottées d'esprit de vin ; ni même quand elles l'ont été d'huile d'amande douce, quoique cette huile agisse si fortement sur plusieurs plantes, qu'elle les fait périr.

22. Un rameau dont on avoit coupé, mais avec la dextérité requise, les trois quarts du diametre, ne laissa pas de faire sur le champ son jeu ordinaire ; il se plia, ses feuilles se fermerent & puis se rouvrirent, & il conserva dans la suite toute sa sensibilité. Il est pourtant difficile de concevoir qu'une si grande blessure ne lui ait point fait de mal.

23. Lorsqu'on coupe une grosse branche de sensitive, avec un canif tranchant & bien poli, la lame reste teinte d'une tache rouge qui s'en va facilement à l'eau, & qui est âcre sur la langue. Cette liqueur blanchit en séchant, & s'épaissit en forme de mucilage. M. Hook rapporte que si l'on arrache une branche de sensitive lorsque les feuilles sont fermées, il ne sort point de liqueur par la partie arrachée ; mais que si on l'arrache adroitement sans faire fermer les feuilles, il en sort une goutte. MM. du Fay & du Hamel ont fait cette expérience avec soin ; mais il leur a paru que la goutte de liqueur sortoit toujours, soit que les feuilles fussent ouvertes ou fermées lorsque l'on coupe ou que l'on arrache la branche ; cependant ce qui est arrivé dans le cas rapporté par M. Hook, dépend peut-être de quelque autre circonstance, comme de la grosseur de la branche, ou du plus ou moins de vigueur de la plante ; d'ailleurs cette expérience n'est pas facile à exécuter, parce qu'il faut user de beaucoup de précautions, pour couper ou arracher une branche sans faire fermer les feuilles.

24. La vapeur de l'eau bouillante dirigée sous les bouts des feuilles, fait le même effet que si on les brûloit, ou si on les coupoit ; mais son effet s'étend sur toutes les feuilles voisines, & elles sont engourdies pendant plusieurs heures, & même ne se rouvrent pas entierement du reste de la journée.

25. La transpiration de la plante empêchée ou diminuée par une cloche de verre, dont elle sera couverte, ne nuit point à son mouvement périodique.

26. Il est troublé, déréglé par le vuide de la machine pneumatique, mais non pas anéanti ; la plante tombe en langueur, comme toute autre y tomberoit.

Explications imaginées de ses phénomènes. Tels sont les faits résultans des observations faites en France sur la sensitive : on a tenté de les expliquer sans les connoître, & cela n'est ni rare ni nouveau.

M. Parent dit que ce sont des mouvemens convulsifs ; il imagine qu'il y a dans cette plante un fluide très-subtil comme des esprits, que l'impression reçue de dehors agite plus qu'à l'ordinaire, & détermine à couler plus abondamment dans certains canaux. Mais cette idée n'approfondit rien, & n'est qu'un jeu d'esprit.

Miller a recours à la structure des fibres, des nerfs, des valvules & des pores de la plante. Son explication plaît, parce qu'elle paroît méchanique ; cependant dans l'exposition, elle est si confuse & si chargée d'autres suppositions, que je n'ai pas le courage de les détailler. D'ailleurs il est certain que toutes les explications ne peuvent être qu'imparfaites & fausses, si elles ne sont auparavant appuyées sur la connoissance des faits & des expériences multipliées. MM. Hook, du Fay & du Hamel, ont montré l'exemple ; ils se sont attachés à l'observation des phénomènes de la sensitive ; mais il y en a peut-être d'autres aussi importans qui leur ont échappé, & qui nous sont encore inconnus. Enfin quand on les connoîtra tous, les expliquera-t-on ?

De la culture de cette plante. En attendant l'événement, cette plante par sa singularité mérite, plus qu'aucune autre, d'être cultivée dans les jardins des curieux ; & voici la méthode de s'y prendre, avec des remarques particulieres sur la plûpart de ses especes.

Les sensitives se multiplient toutes de graines, qui doivent être semées sur couche de bonne heure au printems ; & quand elles ont poussé, être transplantées dans de petits pots remplis de bonne terre légere. On plongera ces pots dans un lit chaud préparé, & l'on aura soin d'arroser & d'abrier les plantes, jusqu'à ce qu'elles aient pris racine. Alors on les arrosera plus souvent, & l'on leur donnera de l'air à proportion de la chaleur de la saison. On observera toujours de leur conserver une bonne chaleur, & de couvrir les verres tous les soirs avec des nattes, ce qui contribuera fort à l'accroissement de ces plantes.

De cette maniere dans l'espace d'un mois, leurs racines rempliront les pots ; c'est pourquoi il faudra les transplanter dans de plus grands, en faisant sortir les plantes par secousses des petits pots où elles étoient, avec la terre qui se trouvera attachée à leurs racines. On continuera de les tenir dans un lit chaud, de les arroser, & de leur donner de l'air à proportion que la saison deviendra plus chaude ; mais il ne faut pas les exposer trop longtems à l'air, parce qu'il détruiroit leur qualité sensitive.

La premiere des especes dont nous avons parlé, étant ainsi soignée, croîtra dans le terme d'une saison, à 8 ou 9 piés de haut, & produira abondance de fleurs ; mais sa graine vient rarement en maturité, excepté que l'automne ne soit chaude ; & comme cette espece est plus délicate que les autres, on a de la peine à la conserver pendant l'hiver.

La seconde espece, mimosa humilis, spinosa, frutescens, est beaucoup plus petite, s'élevant rarement au-dessus de deux piés de haut ; mais elle est épineuse, & pousse plusieurs rameaux. Elle subsiste 2 ou 3 ans, si on la tient dans une bonne serre, & produit coutumierement des graines chaque année : c'est la plus commune dans les jardins de France & d'Angleterre, la plus facile à conserver, & la plus abondante en graines.

La troisieme espece, mimosa spinis horridiuscula ; a des feuilles larges & est armée d'épines pointues ; elle s'éleve à la hauteur de 5 ou 6 piés, pousse des tiges très-déliées. Elle graine rarement dans nos pays.

La quatrieme espece, mimosa latifolia, paroît être de toutes la plus sensible. Elle ressemble à la troisieme, excepté qu'elle est plus droite, qu'elle a moins d'épines & qu'elle produit des fleurs d'une couleur différente. On apporte souvent de sa graine en Angleterre de l'île des Barbades, d'où l'on juge que c'est l'espece la plus commune de tout ce pays-là.

La cinquieme espece, mimosa spuria, italica dicta ; n'est cultivée dans les jardins que pour l'amour de la variété, car elle est moins estimée que les autres, parce qu'elle n'a aucun mouvement de contraction quand on la touche.

On croyoit autrefois que ces plantes étoient annuelles, parce qu'elles périssoient à l'approche de l'hiver ; mais depuis l'invention des lits de tan & des serres, la plûpart de ces especes se conservent fort bien deux ou trois ans, & produisent des semences.

La serre dans laquelle on mettra ces plantes en hiver, doit être graduée à la chaleur des ananas ; on les arrosera fréquemment, mais en petite quantité d'une eau un peu tiede. On aura encore soin d'émonder toutes les feuilles flétries, qui ne feroient que servir de nid aux insectes, & porter préjudice.

Si l'on manque de serres pour conserver ces plantes pendant l'hiver, il faut en élever chaque année de graine, & les tenir dans un lit chaud, où elles subsisteront jusqu'au froid de l'automne ; ainsi que divers particuliers le pratiquent.

Des sensitives étrangeres. Ce sont là les sensitives les plus communes qu'on cultive en Europe. Il y en a beaucoup d'autres especes dans les Indes orientales & en Amérique, que nous ne connoissons point. Les voyageurs disent qu'à Toqué près de Panama, on en trouve des champs couverts.

Christophle de la Coste (Christophorus à Costa), décrit dans son Traité des drogues d'Amérique, une espece de sensitive rampante, qui s'appuie sur les arbrisseaux & sur les murailles voisines ; sa tige est menue, presque ronde, d'une belle couleur verte, parsemée par intervalles de petites épines piquantes ; ses feuilles d'en-haut ressemblent à celles de la fougere femelle, & ont l'odeur & le goût de la réglisse ; sa racine est longue. Cette sensitive croît dans les jardins, aux lieux humides & pierreux.

On parle d'une autre espece de sensitive des Indes orientales beaucoup plus curieuse, & que les Malabares appellent todda-vaddi. Elle est aussi sensible au toucher que les mimoses qui le sont le plus ; mais aulieu que toutes les autres ferment leurs feuilles en-dessus, c'est-à-dire en élevant les deux moitiés de chaque feuille pour les appliquer l'une contre l'autre, celle-ci les ferme en-dessous. Si lorsqu'elles sont dans leur position orbiculaire, on les releve un peu avec les doigts pour les regarder de ce côté-là, elles se ferment aussi-tôt malgré qu'on en ait, & cachent ce qu'on vouloit voir. Elles en font autant au coucher du soleil ; & il semble que la plante se prépare à dormir : aussi est-elle appellée tantôt dormeuse, tantôt chaste. Mais outre ces noms qui lui conviennent assez, on lui a donné quantité de vertus imaginaires ; & il n'étoit guere possible que des peuples ignorans s'en dispensassent.

Les vertus médicinales de la sensitive sont imaginaires. Quelques-uns même de nos médecins, par l'admiration qu'ils portoient à notre sensitive, lui ont attribué les qualités de calmer la toux, d'éclaircir la voix, de mitiger les douleurs des reins ; que ne lui donnoient-ils plutôt la vertu de consolider les plaies, d'arrêter les hémorrhagies, de guérir les convulsions ? Chimeres pour chimeres, ces dernieres étoient plus attrayantes, & plus analogues aux phénomènes de la mimose. (D.J.)


SENSORIUMS. m. le siége du sens commun. C'est cet endroit ou cette partie où l'on suppose que l'ame sensible réside le plus immédiatement. Voyez AME & SENS.

On suppose que le siége du sens commun doit être cette partie du cerveau où les nerfs de tous les organes du sentiment viennent aboutir. On tombe d'accord généralement que c'est vers le commencement de la moëlle allongée. Descartes prétend que ce siége est dans le conarion ou glande pinéale. Voyez CONARION.

M. Newton représente le sensorium des animaux comme une place à laquelle viennent se rendre les especes sensibles des choses, apportées par les nerfs & le cerveau, afin que l'ame les puisse appercevoir par leur présence immédiate. Les organes du sentiment ne sont pas capables de faire appercevoir à l'ame les especes des choses dans son sensorium ; ils ne peuvent servir qu'à les y apporter. Voyez SENS & ORGANE.

Ce grand homme regarde l'univers comme le sensorium de la divinité. Voyez DIEU, UNIVERS, NATURE, &c.


SENSOULTES. m. (Hist. nat.) oiseau du Méxique & de la nouvelle Espagne. Il est à-peu-près de la grosseur d'une grive. Son plumage est fort éclatant ; il est d'un gris-cendré très-luisant ; orné de taches blanches, fort régulieres sur les aîles & sur la queue ; son chant est très-agréable, comme l'annonce son nom indien qui signifie cinq cent voix.


SENSUALITÉS. f. (Morale) La plûpart des objets qui flattent si fort nos sens, nous enchantent moins par eux-mêmes, que par la bizarrerie des couleurs que leur prête l'imagination ; mais le dégoût est si près de la jouissance ! c'est une fleur dont le parfum s'évapore, & dont l'éclat s'éteint sous la main qui la cueille. (D.J.)


SENTENCE(Art orat.) le mot de sententia chez les anciens latins, signifioit tout ce que l'on a dans l'ame, tout ce que l'on pense : outre qu'il est pris le plus souvent en ce sens dans les orateurs, nous voyons encore des restes de cette premiere signification dans l'usage ordinaire ; car si nous affirmons quelque chose avec serment, ou si nous félicitons quelqu'un d'un heureux succès, nous employons ce terme en latin ex animi sententiâ, pour marquer que nous parlons sincèrement & selon notre pensée. Cependant le mot de sensa étoit aussi employé assez communément dans le même sens. Pour celui de sensus, je crois qu'il étoit uniquement affecté au corps ; mais l'usage a changé. Les conceptions de l'esprit sont présentement appellées sensus ; & nous avons donné le nom de sententiae à ces pensées ingénieuses & brillantes que l'on affecte particulierement de placer à la fin d'une période par un goût particulier à notre siecle. Autrefois on en étoit moins curieux ; aujourd'hui on s'y livre avec excès & sans bornes. C'est pourquoi je crois devoir en distinguer les différentes especes, & dire quelque chose de l'usage qu'on en peut faire.

Les pensées brillantes ou solides les plus connues de l'antiquité, sont celles que les Grecs & les Latins appellent proprement des sentences. Encore que le mot de sententia soit un nom générique, il convient néanmoins plus particulierement à celles-ci ; parce qu'elles sont regardées comme autant de conseils, ou pour mieux dire, comme autant d'arrêts en fait de moeurs. Je définis donc une sentence, une pensée morale qui est universellement vraie & louable, même hors du sujet auquel on l'applique. Tantôt elle se rapporte seulement à une chose, comme celle-ci : " Rien ne gagne tant les coeurs que la bonté ". Et tantôt à une personne, comme cette autre de Domitius Afer : " Un prince qui veut tout connoître, est dans la nécessité de pardonner bien des choses ".

Quelques-uns ont dit que la sentence étoit une partie de l'enthymème ; d'autres que c'étoit le commencement ou le couronnement & la fin de l'épicherème, ce qui est vrai quelquefois, mais non pas toujours. Sans m'arrêter à ces minuties, je distingue trois sortes de sentences ; les unes simples, comme celle que j'ai rapporté la premiere ; les autres qui contiennent la raison de ce qu'elles disent, comme celle-ci, " Dans toutes les querelles, le plus fort, encore qu'il soit l'offensé, paroît toujours l'offenseur, par cette raison même qu'il est le plus fort ". Les autres doubles ou composées, comme : " la complaisance nous fait des amis, & la franchise des ennemis. "

Il y a des auteurs qui en comptent jusqu'à dix sortes, sur ce principe qu'on peut les énoncer par interrogation, par comparaison, par admiration, par similitude, &c. Mais en suivant ce principe, il en faudroit admettre un nombre encore plus considérable, puisque toutes les figures peuvent servir à les exprimer. Un genre des plus remarquables, est celui qui naît de la diversité de deux choses, par exemple : " la mort n'est point un mal, mais les approches de la mort sont fâcheuses ". Quelquefois on énonce une sentence d'une maniere simple & directe, comme : " l'avare manque autant de ce qu'il a que de ce qu'il n'a pas " ; & quelquefois par une figure, ce qui lui donne encore plus de force. Par exemple, quand je dis : " Est-ce donc un si grand mal que de mourir ? On sent bien que cette pensée est plus forte, que si je disois tout simplement : " la mort n'est point un mal. "

Il en est de même quand une pensée vague & générale devient propre & particuliere par l'application que l'on en fait. Ainsi, au lieu de dire en général : " Il est plus aisé de perdre un homme que de le sauver ". Médée s'exprime plus vivement dans Ovide, en disant :

Moi qui l'ai pu sauver, je ne le pourrai perdre ?

Cicéron applique ces sortes de pensées à la personne, par un tour encore plus régulier, quand il dit : " Pouvoir sauver des malheureux, comme vous le pouvez, c'est ce qu'il y a, César, & de plus grand dans le haut degré d'élevation où vous êtes, & de meilleur parmi les excellentes qualités que nous admirons en vous " ; car il attribue à la personne de César ce qui semble appartenir aux choses.

Quant à l'usage de ces especes de sentences, ce qu'il y faut observer, c'est qu'elles ne soient ni trop fréquentes, ni visiblement fausses, comme il arrive quand on s'imagine pouvoir les employer indifféremment par-tout ; ou quand on regarde comme indubitable tout ce qui paroît favoriser notre cause. C'est enfin, de prendre garde si elles ont bonne grace dans notre bouche ; car il ne convient pas à tout le monde de parler par sentences. Il faut que l'importance des choses soit soutenue de l'autorité de la personne. Toutes ces judicieuses réflexions sont de Quintilien.

Cicéron dans son dialogue des orateurs, a aussi donné plusieurs regles sur les sentences. Il seroit trop long de les répéter ; outre qu'en géneral, il est établi que les plus courtes sentences plaisent le plus ; cependant celle-ci, quoique longue, a paru à des critiques digne d'être proposée pour exemple. Lucain s'arrête dans la rapidité de sa narration sur l'erreur des Gaulois qui croyoient que les ames ne sortoient d'un corps, que pour rentrer dans un autre, & dit, selon la traduction de M. de Brebeuf :

Officieux mensonge, agréable imposture !

La frayeur de la mort, des frayeurs la plus dure,

N'a jamais fait pâlir ces fieres nations

Qui trouvent leur repos dans leurs illusions ;

De-là naît dans leur coeur cette bouillante envie,

D'affronter une mort qui donne une autre vie,

De braver les périls, de chercher les combats,

Où l'on se voit renaître au milieu des trépas.

(D.J.)

SENTENCE, (Poésie épiq.) Voici quelques regles à observer sur les sentences dans l'épopée. Il faut les placer dans la bouche des acteurs pour faire plus d'impression. Elles doivent être clair-semées, & telles qu'elles paroissent naître indispensablement de la situation. Il faut qu'elles soient courtes, générales & intéressantes pour les moeurs. Elles doivent être courtes, sans quoi elles dégénerent en traité de morale, & sont languissantes. Elles doivent être générales, parce que sans cela, elles ne sont pas instructives, & n'ont de vérité & d'application que dans des cas particuliers. Elles doivent intéresser les moeurs ; ce qui exclud toutes les regles, toutes les maximes qui concernent les sciences & les arts. Enfin, il faut que la sentence convienne dans la bouche de celui qui la débite, & soit conforme à son caractere. L'Arioste a sur-tout péché dans ses sentences morales, qu'il fait débiter à-tort & à-travers par son héros. (D.J.)

SENTENCE, (Littérat.) les Grecs avoient grand soin de faire apprendre à leurs enfans les sentences des poëtes, & cette coutume étoit fort ancienne dans la Grece. César assure que la même chose se pratiquoit dans les Gaules. Les jeunes gens tiroient de cette sorte d'étude, trois avantages considérables, elle exerçoit la mémoire, ornoit l'esprit, & formoit le coeur ; ce dernier avantage étoit celui qu'on avoit principalement en vue ; on vouloit inspirer de bonne heure à la jeunesse, la haine du vice, & l'amour de la vertu ; rien n'étoit plus propre à produire cet effet, que les sentences répandues dans les ouvrages des poëtes Grecs. C'est une vérité dont on conviendra, pour peu que l'on connoisse les écrits de Sophocle, d'Euripide, de Ménandre, d'Aristophane, de Pindare, d'Hésiode, & d'Homere. Je ne crains point de dire que dans les sentences dont ces beaux génies ont embelli leurs poëmes, les souverains & les sujets, les peres & les enfans, les maîtres & les serviteurs, les riches & les pauvres, & généralement tous les états de la vie, peuvent trouver de quoi s'instruire de leurs devoirs.

Quelques poëtes avoient fait aussi des ouvrages purement gnomiques, c'est-à-dire entierement tissus de sentences. Tels étoient le poëme moral de Théognis, les instructions de Phocylide, les vers d'or qu'on attribue communément à Pythagore, &c.

On sait que les anciens rhéteurs entendoient par sentence, une maxime qui renferme quelque vérité morale, & qu'ils en distinguoient de plusieurs sortes. Aphtone remarque qu'il y a des sentences qui exhortent, d'autres qui détournent, & d'autres qui ne font simplement qu'exposer une vérité ; il y en a, continue-t-il, de simples, de composées, de vraisemblables, de vraies, d'hyperboliques ; en voici quelques exemples uniquement tirés des poëtes, car il ne s'agit pas ici de rhéteurs.

Sentence qui exhorte. " Il est bon d'engager un hôte à demeurer avec nous, par la bonne réception, & lui laisser pourtant sa liberté sur son départ. " Odiss. O.

Sentence qui détourne. " Il ne faut pas qu'un homme d'état passe les nuits entieres à dormir. " Iliad. B.

Sentence & exposition d'une vérité. " Il faut des fonds pour la guerre, sans quoi tous les projets, les mesures, sures, & les précautions, deviennent inutiles. " Olynt. 3.

Sentence simple. " Le meilleur de tous les présages c'est de combattre pour la patrie ". Iliad. .

Sentence composée. " Le pouvoir souverain ne peut être partagé : qu'il n'y ait qu'un maître & qu'un roi ". Iliad. B.

Sentence vraisemblable. " On est tel que ceux qu'on fréquente ". Euripide.

Sentence vraie. " Nul homme ne peut être parfaitement heureux dans cette vie ". Hésiode.

Sentence hyperbolique. " La terre ne produit rien de plus foible que l'homme ". Odyss. H.

Cette division qu'on a fait des sentences, n'est point exacte ; mais on a eu raison de faire lire les poëtes de mérite à la jeunesse. Nous avons soin, dit Solon à Anacharsis, d'éveiller d'abord l'esprit des jeunes gens, par l'étude de la géométrie, après leur avoir appris à lire & à écrire, & nous l'adoucissons par la musique ; ensuite nous les portons à l'amour de la vertu par la lecture des poëtes, où voyant les paroles & les actions des grands personnages, le desir de leur ressembler échauffe leur ame : car la poésie a des charmes particuliers qui attachent l'esprit, & qui impriment les belles choses dans la mémoire & dans le coeur. (D.J.)

SENTENCE, (Jurisprud.) est le jugement que rend un juge non-souverain, sur une cause, instance, ou procès.

Le juge prononce la sentence, le greffier la rédige par écrit, & en délivre des expéditions aux parties.

Une sentence d'audience n'a que deux parties, savoir les qualités & le dispositif ; celle de rapport a de plus le vû de pieces qui est entre les qualités & le dispositif. Voyez DISPOSITIF & QUALITE.

L'appel d'une sentence en suspend l'exécution, à moins qu'elle ne soit exécutoire par provision, auquel cas le juge supérieur peut, s'il y a lieu, accorder des défenses d'exécuter la sentence. Voyez APPEL, DEFENSE, EXECUTION PROVISOIRE.

Sentence arbitrale, est celle qui est rendue par un ou plusieurs arbitres. Voyez ARBITRE.

Sentence d'audience, est celle que le juge rend sur une cause, & qu'il prononce à l'audience.

Sentence contradictoire, est celle qui est rendue sur la plaidoirie respective des parties, ou de leurs défenseurs.

Sentence par défaut, est celle qui est donnée contre une partie qui ne comparoit point, ou qui refuse de défendre, ou qui ne se présente pas pour plaider.

Sentence définitive, est celle qui décide le fond des contestations.

Sentence sur déliberé, est celle qui est rendue sur une affaire d'audience, après que le juge en a déliberé.

Sentence par forclusion. Voyez FORCLUSION.

Sentence interlocutoire, est celle qui avant faire droit sur le fond, ordonne quelque chose de préalable.

Sentence au premier ou au second chef de l'édit, est celle qui est rendue dans un présidial, & qui juge une cause dont l'objet n'excede pas le premier ou le second chef de l'édit des présidiaux. Voyez PRESIDIAL, EDIT DES PRESIDIAUX.

Sentence préparatoire, est celle qui ordonne quelques instructions, avant d'en venir au fond, comme de satisfaire à des exceptions, de fournir des défenses, &c.

Sentence présidiale, est celle qui est rendue par un présidial, & singulierement celle qui y est rendue au second chef de l'édit des présidiaux ; on l'appelle ainsi pour la distinguer de celle qui est rendue au premier chef, où le présidial prononce par jugement dernier.

Sentence provisoire, est celle qui ordonne quelque chose qui doit s'exécuter par provision.

Sentence de rapport, est celle qui est rendue sur une instruction par écrit, & sur le rapport qu'un des juges en fait en présence des autres. Voyez APPOINTEMENT, PROCES, RAPPORTEUR. (A)


SENTENCIEUXadj. (Gram.) qui est plein de sentences. Il se dit des personnes & des choses ; c'est un homme sentencieux ; le trait est sentencieux ; le ton sentencieux est la cognée de la conversation.


SENTENES. f. (Commerce de fils) c'est l'endroit par où l'on commence à dévider un écheveau ; ce qui fait la sentene, sont les deux bouts de fil liés ensemble & tortillés sur l'écheveau. (D.J.)


SENTEURS. f. (Gram.) synonyme à odeur ; mais odeur se peut prendre en bonne & en mauvaise part, au lieu qu'il me semble que senteur se prend toujours en bonne ; quand on dit des senteurs, on sousentend bonnes ; de même lorsqu'on dit des eaux de senteur.


SENTICE(Géog. anc.) contrée de la Macédoine : Tite-Live, qui en parle, l. IV. c. ult. donne à la ville d'Héraclée, qui y étoit située, le surnom de Sentice. César, civ. l. III. & Pline, l. IV. c. x. écrivent Sintica : les habitans de cette contrée sont les Sinti, , de Thucydide, l. II. p. 169. (D.J.)


SENTIERSS. m. pl. (Jardin.) Ce sont, dans les parterres, de petits chemins paralleles, qui en divisent les compartimens, & qui ont ordinairement la largeur de la moitié des plates-bandes.

On appelle aussi sentiers, des petits chemins droits ou obliques, qui séparent des héritages à la campagne. (D.J.)


SENTII(Géog. anc.) peuple de la Gaule narbonnoise ; Ptolémée, l. II. c. x. leur donne la ville de Dinia, qu'il marque dans les terres. Ce sont les habitans du diocèse de Die. (D.J.)


SENTIMENTAVIS, OPINION, (Synonym.) il y a un sens général, qui rend ces mots synonymes, lorsqu'il est question de conseiller ou de juger ; mais le premier à plus de rapport à la délibération, on dit son sentiment ; le second en a davantage à la décision, on donne son avis ; le troisieme en a un particulier à la formalité de judicature, on va aux opinions.

Le sentiment emporte toujours dans son idée celle de sincérité, c'est-à-dire une conformité avec ce qu'on croit intérieurement. L'avis ne suppose pas rigoureusement cette sincérité, il n'est précisément qu'un témoignage en faveur d'un parti. L'opinion renferme l'idée d'un suffrage donné en concours de pluralité de voix.

Il peut y avoir des occasions où un juge soit obligé de donner son avis contre son sentiment, & de se conformer aux opinions de sa compagnie. Girard. (D.J.)

SENTIMENT INTIME, (Métaphysiq.) Le sentiment intime que chacun de nous a de sa propre existence, & de ce qu'il éprouve en lui-même, c'est la premiere source & le premier principe de toute vérité dont nous soyons susceptibles. Il n'en est point de plus immédiat, pour nous convaincre que l'objet de notre pensée existe aussi réellement que notre pensée même, puisque cet objet & notre pensée, & le sentiment intime que nous en avons, ne sont réellement que nous mêmes qui pensons, qui existons, & qui en avons le sentiment. Tout ce qu'on voudroit dire, afin de prouver ce point ou de l'éclaircir davantage, ne feroit que l'obscurcir : de même que si l'on vouloit trouver quelque chose de plus clair que la lumiere, & aller au-delà, on ne trouveroit plus que ténebres.

Il faut nécessairement demeurer à cette premiere regle qui se discerne par elle-même dans le plus grand jour, & qui pour cette raison s'appelle évidence au suprême degré. Les sceptiques auroient beau objecter qu'ils doutent s'ils existent : ce seroit perdre le tems que de s'amuser à leur faire sentir leur folie, & de leur dire que s'ils doutent de tout, il est donc vrai qu'ils existent, puisqu'on ne peut douter sans exister. Il sera toujours en leur pouvoir de se retrancher dans un verbiage ridicule, & où il seroit également ridicule d'entreprendre de les forcer.

Quoiqu'on ne donne pas de nos jours dans un pyrrhonisme si universel, & de là si extravagant, puisqu'il va jusqu'à éteindre toutes les lumieres de la raison, & à nier l'existence du sentiment intime qui nous pénetre, on peut dire néanmoins qu'on ne s'est jamais plus approché de leur opinion. Certains philosophes de notre tems n'ont excepté du doute universel, dans lequel ils ont fait périr toutes leurs connoissances, que cette premiere regle ou source de vérité qui se tire de notre sentiment intime ; ils n'ont pas daigné reconnoître ni admettre d'autres genres de vérité & d'évidence. Ainsi quand on leur demande s'il est évidemment certain qu'il y ait des corps, & que nous en recevions les impressions, ils répondent nettement que non, & que nous n'avons là-dessus aucune certitude évidente, puisque nous n'avons point ces connoissances par le sentiment intime de notre propre expérience, ni par aucune conséquence nécessaire qui en soit tirée. C'est ce qu'un philosophe anglois n'a point fait difficulté de publier.

D'ailleurs on ne peut soupçonner quelle autre certitude évidente admettroient ces philosophes. Seroit-ce le témoignage des sens, la révélation divine, l'autorité humaine ? Seroit-ce enfin l'impression immédiate de Dieu sur nous ? Le témoignage des sens étant corporel, il ne sauroit être admis parmi ceux qui par avance n'admettent pas l'existence des corps. La révélation divine & l'autorité humaine ne font encore impression sur nous que par le témoignage des sens ; c'est-à-dire, ou de nos yeux qui ont vu les miracles du Tout-puissant, ou de nos oreilles qui ont entendu les discours des hommes qui nous parlent de la part de Dieu. Enfin l'impression immédiate de Dieu suppose un Dieu, & un être différent de moi. Mais si le sentiment intime de ce qui se passe en moi est la seule chose évidente, tout ce qui ne sera pas formellement ce sentiment intime, ne sera point évident pour moi.

De ce principe, que le sentiment intime est la seule regle de verité, il s'ensuit 1°. que nous n'avons nulle certitude évidente de l'existence des corps, pas même du nôtre propre ; car enfin un esprit, une ame telle que la nôtre, ressent bien l'impression que le corps, & le sien en particulier, font sur elle ; mais comme au fond son corps est très-distingué de cette impression, & que d'ailleurs cette impression pourroit absolument se faire éprouver dans notre ame sans l'existence des corps, il s'ensuit aussi que notre sentiment intime ne nous donne aucune conviction de l'existence d'aucun corps.

2°. Une autre conséquence tout aussi naturelle, est que nous n'avons nulle certitude évidente de ce qu'hier il nous arriva ou ne nous arriva pas, ni même si nous existions ou nous n'existions pas. Car selon cet absurde systême, je ne puis avoir d'évidence que par une perception intime qui est toujours actuelle. Or actuellement j'ai bien la perception du souvenir de ce qui m'arriva hier ; mais ce souvenir n'est qu'une perception intime de ce que je pense présentement, c'est-à-dire, d'une pensée actuelle, laquelle n'est pas la même chose que ce qui se passa hier, & qui n'est plus aujourd'hui. Par la même raison, je serai encore moins certain si je ne suis pas en ce monde depuis deux ou trois mille ans. Qui m'empêchera de pousser cette réflexion jusqu'à l'éternité même, puisque nous pourrions avoir toujours existé, sans que nous nous en ressouvenions ? Que si on nous représente que nous avons été produits, nous pourrons répondre que nous n'en avons point de certitude évidente. Car avoir été produit est une chose passée, & n'est pas la perception ni le sentiment intime de ce qui se passe actuellement en nous. Je n'ai que la perception actuelle de la pensée, par laquelle je crois avoir existé avant le moment où je me trouve présentement.

3°. Enfin, une autre conséquence aussi légitime que les précédentes, est que nous n'avons nulle certitude qu'il existe au monde d'autres êtres que chacun de nous. Nous avons bien une perception intime des impressions reçues en nous, dont nous attribuons l'occasion à des esprits & à des intelligences qu'on suppose exister hors de nous ; mais cette perception intime ne portant conviction que d'elle-même, & étant toute intérieure, elle ne nous donne aucune certitude évidente d'un être qui soit hors de nous. En effet, selon cette belle philosophie, l'ame n'est point évidemment certaine, si elle n'est pas de telle nature, qu'elle éprouve par elle-même & par sa seule constitution, les impressions dont elle attribue la cause à des êtres qui existent hors d'elle. Elle n'a donc pas de certitude évidente qu'il y ait hors d'elle aucun esprit, ni aucun être quel qu'il soit ; elle n'a donc point d'évidence qu'elle n'existe pas de toute éternité, ou même qu'elle ne soit pas l'unique être qui existe au monde. Après une conséquence aussi singuliere, ce n'est pas la peine d'indiquer toutes les autres qui se présenteroient en foule, pour montrer que je n'ai nulle évidence, si je veille actuellement, ou si je dors ; si j'ai la liberté d'agir ou de ne pas agir, de vouloir ou de ne pas vouloir, &c. Toutes ces conséquences sautent aux yeux d'elles-mêmes, sans qu'il soit besoin de les marquer plus au long.

Puisque les conséquences qui s'ensuivent nécessairement de ce principe, savoir que le sentiment intime de notre propre perception est l'unique regle de vérité, sont si bisarres, si ridicules & si absurdes, il faut nécessairement qu'il soit lui-même bizarre, ridicule & absurde, puisqu'il est démontré que les conséquences ne sont qu'une même chose avec le principe. Voyez EVIDENCE & SENS COMMUN.

SENTIMENS, en Poésie, & particulierement dans le poëme dramatique, sont les pensées qu'expriment les différens personnages, soit que ces pensées ayent rapport à des matieres d'opinion, de passion, d'affaires ou de quelque chose semblable. Voyez PENSEE.

Les moeurs forment l'action tragique, & les sentimens l'exposent, en découvrant ses causes, ses motifs, &c. Les sentimens sont aux moeurs ce que les moeurs sont à la fable. Voyez MOEURS.

Dans les sentimens, il faut avoir égard à la nature & à la probabilité. Un furieux, par exemple, doit parler comme un furieux, un amant comme un amant, & un héros comme un héros. Les sentimens servent beaucoup à soutenir les caracteres. Voyez CARACTERE, DICTION, HEROS, &c.

SENTIMENT D'EPEE, SENTIR L'EPEE, (Escrime) on dit d'un escrimeur qu'il a le sentiment délicat ; lorsqu'en touchant l'épée de l'ennemi avec la sienne, il connoît son attaque & la position des épées.

Le sentiment d'épée doit être tel qu'il ne fatigue pas le bras de l'ennemi, & qu'il ne le contraigne pas de dégager. Mais il doit être assez sensible pour s'appercevoir si l'ennemi quitte l'épée, s'il fait un coulement d'épée, ou s'il force l'épée. Voyez ENGAGEMENT.

SENTIMENT, (Vénerie) lorsqu'un chien reçoit le vent de la voie, on dit qu'il a du sentiment.


SENTINS. m. (Gram. & Mytholog.) dieu qui présidoit à tout ce qui avoit le sentiment. On l'invoquoit aux couches des femmes, afin qu'il donnât des sens bien disposés à l'enfant.


SENTINES. f. (Marine) terme du levant qui signifie ou l'anguillere ou l'eau puante & croupie qui s'y corrompt. Voyez ANGUILLERE.

SENTINE, s. f. (Charpenter. navale) sorte de grand bateau ou chaland, dont on se sert en Bretagne pour la voiture des sels sur la riviere de Loire. (D.J.)


SENTINELLES. f. terme de Guerre, c'est un soldat tiré d'un corps-de-garde d'infanterie, qu'on place en quelque poste pour découvrir les ennemis, pour prévenir les surprises, & pour arrêter ceux qui veulent passer sans ordre, & sans se faire connoître.

Ce mot est moderne ; il n'y a pas long-tems que l'on disoit être aux écoutes, pour signifier ce que l'on dit à-présent, être en sentinelle. Menage dérive ce mot à sentiendo, du verbe appercevoir.

Sentinelle perdue, soldat qu'on place dans un poste dangereux & presque desespéré. On appelle aussi enfans perdus, des soldats qu'on expose dans une bataille à la premiere fureur de l'ennemi. Voyez ENFANS PERDUS.

La sentinelle appelle, crie ou arrête par un qui vive ? qui va-là ? demeure-là. Chambers.

On appelle consigne les ordres qu'on donne à la sentinelle. La sentinelle doit rester à son poste, quoi qu'il puisse arriver, à-moins qu'elle n'en soit relevée par son officier. Pendant la durée de son service ou de sa faction, sa personne est en quelque façon regardée comme sacrée ; elle peut arrêter & empêcher de passer quelque officier que ce soit, sans pouvoir être maltraitée ou punie qu'après avoir été relevée, c'est-à-dire, qu'il ait été mis un autre soldat à sa place. (Q)

SENTINELLE, (Marine) voyez HUNE.


SENTINO LE(Géog. mod.) riviere d'Italie, dans l'état de l'Eglise. Elle sort de l'Apennin, au duché d'Urbin, & se joint ensuite au Jano ; alors toutes deux perdent leur nom, & ne coulent plus que dans un seul lit appellé Fiumesino. (D.J.)


SENTINUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans l'Umbrie, selon Strabon, l. V. p. 227, & Ptolémée, l. III. c. j. C'est aujourd'hui Sentina. (D.J.)


SENTIRv. act. & neut. voyez les articles SENS, SENSATION, SENSIBILITE, SENTIMENT.

SENTIR, (Maréchal.) faire sentir les éperons à son cheval, c'est en appuyer un coup. Faire sentir les gras des jambes, c'est les approcher du cheval pour qu'il obéisse. Sentir son cheval dans la main, c'est le tenir de la main & des jarrets, de façon qu'on en soit le maître pour tout ce qu'on veut entreprendre sur lui.


SENUS(Géog. anc.) fleuve de l'Irlande : son embouchure est marquée par Ptolémée, l. II. c. ij. sur la côte occidentale de l'île, entre les embouchures de l'Ausoba & du Dur : ce fleuve qui est appellé Scena, par Orose, l. I. c. ij. est le plus grand fleuve de l'île, & se nomme à-présent le Schannon. (D.J.)


SEPS. m. terme de Vigneron ; c'est le tronc de la vigne, qui porte & jette le sarment qu'on taille tous les ans. On voit des seps bien plus gros les uns que les autres, ce qui provient souvent de l'espece de raisin qu'il apporte ; car, par exemple, un sep de bourdelais, de muscat, de raisin de damas, devient plus gros qu'un sep de mélier ou pineau, noir & blanc, & ainsi de plusieurs autres, dont on fait des plants de vigne. Il y a toujours à espérer du profit d'un jeune sep, au lieu qu'un vieux n'est propre qu'à brûler & à donner de bonnes cendres pour la lessive. (D.J.)

SEP DE DRISSE, ou BLOC D'ISSUS, (Marine) grosse piece de bois quarrée, qui est entaillée avec un barrot du premier pont, & un barrot du second pont, qu'elle excede d'environ quatre piés, posée derriere un mât, & au bout de laquelle il y a quatre poulies sur un même essieu, sur quoi passent les grandes drisses. On distingue deux grands seps de drisse : celui du grand mât qui sert à la grande vergue & celui de misaine qui sert à la vergue de misaine. Les autres seps de drisse sont attachés aux grands, & on en fait usage pour mettre les mâts de hune hauts, par le moyen des guinderesses, & pour manoeuvrer les drisses des huniers. Voyez MARINE, Pl. IV. fig. 1. le grand sep de drisse, coté 96. & celui de misaine, coté 97.

Dans les flûtes, on ne met point de seps de drisse, mais des poulies ou des rouets contre le bord, & des taquets contre le mât ; & dans les autres bâtimens, comme les tialques, les damelopres, les semales, &c. on fait usage du bloc appellé petit sep de drisse, qu'on met en plusieurs endroits sur les bordages, & sur-tout à l'avant & sur la couverte, dans la tête duquel passe une cheville de bois fort longue, qui déborde de chaque côté & où l'on amarre les manoeuvres.


SÉPARATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsque l'on met une personne ou une chose à part d'avec une autre.

Il y a trois sortes de séparations, deux qui regardent les personnes mariées, l'une que l'on appelle séparation de biens, l'autre séparation de corps ; la troisieme est la séparation des biens de l'héritier d'avec ceux du défunt.

Séparation de biens, est lorsque deux conjoints ont chacun leurs biens à part & divis.

Quelquefois les conjoints sont séparés de biens par contrat de mariage, ce qui arrive lorsqu'ils stipulent que la femme jouira à part & divis de ses biens ; dans ce cas on autorise la femme à toucher ses revenus, & ordinairement elle paye pension à son mari.

On ne doit pas confondre une femme non commune en biens avec une femme séparée de biens par contrat de mariage ; la premiere est seulement excluse de demander communauté dans les biens acquis par son mari, du reste elle n'a pas l'administration de ses biens à moins qu'elle ne soit séparée.

Les séparations volontaires, soit des biens seulement consenties depuis le mariage, & les séparations de corps & de biens, quoiqu'autorisées par quelques coutumes, ne sont point permises dans nos moeurs. De telles séparations par rapport aux biens sont ordinairement frauduleuses ; les séparations volontaires de corps sont de plus contre les bonnes moeurs. Toute séparation de corps & de biens, ou même de biens seulement depuis le mariage, doit être ordonnée par justice & en connoissance de cause.

La séparation de biens ne peut être demandée que par la femme, en cas de dissipation de son mari. Elle n'est pourtant pas obligée d'attendre que le mari ait dissipé tout son bien, & encore moins la dot de la femme, la séparation seroit alors un remede inutile ; il suffit que le mari soit dissipateur, atque vergat ad inopiam, que la dot soit en péril : l. XXIV. ff. solut. matrim. lib. XXIX. cod. de jure dotium. l. I. cod. de curat. furios.

Si la femme qui demande sa séparation est commune en biens avec son mari, il faut qu'elle renonce à la communauté, autrement l'acceptation qu'elle en feroit, feroit présumer qu'il n'y a pas eu de dissipation de la part du mari.

Le défaut de renonciation à la communauté ne seroit pourtant pas un moyen de nullité dans une sentence de séparation, mais faute d'avoir renoncé, la femme demeureroit commune.

La femme qui demande sa séparation doit d'abord se faire autoriser par justice, à l'effet de poursuivre sa séparation.

La demande en séparation doit être formée devant le juge laïc ; le juge d'église ne peut en connoître, s'agissant d'un intérêt purement temporel.

Quand il y a des créanciers, il est à-propos de les mettre en cause pour voir déclarer commune avec eux la sentence qui ordonnera la séparation, afin qu'ils ne puissent pas la débattre comme collusoire.

L'effet de la séparation ordonnée par justice, est que la femme peut seule sans l'autorisation de son mari, faire tous actes d'administration & même ester en jugement ; mais elle ne peut sans une autorisation spéciale de son mari, ou par justice à son refus, faire aucun acte qui emporte aliénation.

La séparation pour être valable doit être exécutée, c'est-à-dire qu'il faut qu'il soit fait inventaire & un procès-verbal de vente des meubles du mari.

Cependant, si les meubles étoient saisis par des créanciers, la séparation seroit censée exécutée à l'égard de la femme, par la restitution de ses propres ou autres actes qui prouvent qu'il n'y a pas eu de fraudes telles qu'une saisie-réelle, &c.

La séparation de biens peut être ordonnée en cas de démence du mari, quoiqu'il n'y ait point de dissipation de sa part.

Séparation de corps & d'habitation ou séparation à thoro, est un jugement qui ordonne que deux conjoints par mariage auront à l'avenir chacun leur habitation séparée.

Chez les Grecs & les Romains, lorsqu'il y avoit quelque cause pour laquelle les conjoints ne pouvoient plus demeurer ensemble, il y avoit la voie du divorce qui dans certains tems & dans certains cas étoit ouverte à la femme comme au mari, dans d'autres au mari seulement.

L'effet du divorce étoit d'opérer absolument la dissolution du mariage, tellement qu'il étoit libre à chacun des conjoints de se remarier.

Le divorce étoit encore autorisé en certains cas du tems de Justinien ; mais parmi nous l'on tient, suivant le droit canon, que le mariage est un lien indissoluble, lequel étant une fois valablement contracté ne peut plus être dissous, quoad foedus & vinculum ; & quoique les auteurs latins qui parlent des séparations de corps & d'habitation se servent souvent du terme divortium en parlant de ces sortes de séparations, cela ne doit pas s'entendre du divorce proprement dit, lequel n'est point admis parmi nous, quoad foedus & vinculum, mais seulement quoad thorum & habitationem.

Il y a en effet une différence essentielle entre le divorce & la séparation de corps, en ce que celle-ci ne dissout pas le mariage.

Cette espece de séparation ne s'ordonne que pour cause de sévices & de mauvais traitemens de la part du mari envers sa femme.

Il n'y a guere que la femme qui demande d'être séparée de corps & de biens, parce qu'étant sous la puissance de son mari, elle ne peut régulierement le quitter sans y être autorisée par justice.

Il y a cependant quelques exemples que des maris ont demandé d'être séparés de leurs femmes à cause de leur violence ou autres déportemens, mais ces exemples sont rares & ne sont pas dans les vrais principes ; la femme qui se conduit mal envers son mari ne doit pas pour cela être délivrée de sa puissance, le mari peut faire ordonner que sa femme sera renfermée dans un couvent.

La séparation de corps ne doit être ordonnée que pour des causes graves ; ainsi la diversité d'humeur, & même les petites altercations qui peuvent survenir entre mari & femme ne sont pas des causes suffisantes de séparation.

Les causes pour lesquelles la femme peut demander sa séparation sont :

1°. Les sévices & mauvais traitemens, mais il faut qu'ils soient considérables ; cap. xiij. extr. de restitut. spoliat. Des injures ni des menaces ne sont pas ordinairement une cause suffisante ; cependant entre personnes d'une condition relevée, les juges pourroient y avoir plus d'égard, parce que pour ces sortes de personnes, des injures sont aussi sensibles que des mauvais traitemens pour des gens ordinaires.

2°. Si le mari est convaincu d'avoir attenté à la vie de sa femme.

3°. S'il vit dans la débauche, & qu'il y ait du danger pour sa femme.

4°. S'il accuse sa femme d'adultere, ou autres faits graves contre l'honneur, & qu'il y succombe.

5°. La folie & la fureur du mari, lorsqu'elles donnent lieu d'appréhender pour la vie de la femme.

6°. S'il a conçu contre sa femme une haine capitale.

L'honneur du mariage exige que la demande en séparation ne se poursuive que par la voie civile, & non par la voie extraordinaire, à moins que ce ne fût pour une cause capitale, comme si le mari avoit voulu faire assassiner sa femme.

Tous les auteurs conviennent que le juge d'église est compétent pour connoître de la demande en séparation de corps, pourvu qu'il n'y ait aucun intérêt temporel mêlé dans la contestation ; mais comme on ne manque point de demander en même tems la séparation de biens, comme une suite nécessaire de séparation de corps, on porte ordinairement ces sortes de demandes devant le juge laïc.

La séparation ne doit être ordonnée que sur des preuves suffisantes, soit par écrit, s'il y en a, ou résultant d'une enquête ou information.

Lorsque la femme a obtenu sa séparation, le mari ne peut l'obliger de retourner avec lui, quelques offres qu'il fasse de la traiter maritalement.

Lorsqu'au contraire la femme est déboutée de sa demande, on la condamne à retourner avec son mari, auquel on enjoint de la traiter maritalement ; mais en ce cas on permet, quand les juges n'adoptent pas la demande en séparation, à la femme de se retirer pendant un certain tems dans un couvent où son mari a la liberté de la voir, afin que les esprits irrités ayent le tems de se calmer.

La séparation de corps & de biens exclud les conjoints de pouvoir se succéder en vertu du titre unde vir & uxor ; ce droit de succession réciproque n'ayant été accordé que pour honorer en la personne du survivant la mémoire d'un mariage bien concordant.

Si les mari & femme qui ont été séparés de corps & de bien se remettent ensemble, l'effet de la séparation cesse même pour les biens, & toutes choses sont rétablies au même état qu'elles étoient auparavant la séparation. Voyez les loix ecclésiastiques de d'Héricourt. Le traité de la jurisdict. ecclésiast. de Ducasse, & les mots CONJOINTS, DIVORCE, DISSOLUTION, MARIAGE.

Séparation de biens d'une succession, est un jugement qui ordonne que les biens de l'héritier seront séparés de ceux du défunt.

Cette séparation a lieu lorsque l'on craint que les biens du défunt ou de l'héritier ne soient pas suffisans pour payer les créanciers de l'un & de l'autre.

Suivant le droit romain, il n'étoit permis qu'aux créanciers du défunt de la demander, afin d'être payés sur ses biens par préférence aux créanciers de l'héritier, soit qu'ils fussent antérieurs ou postérieurs en date.

Mais en France les créanciers de l'héritier peuvent aussi demander la séparation des biens de leur débiteur d'avec ceux du défunt, pourvu que l'héritier n'ait pas encore reconnu la dette, ou que le titre n'ait pas été déclaré exécutoire contre lui.

Cette séparation chez les Romains devoit être demandée dans les cinq ans ; mais parmi nous l'action dure trente ans. Voyez au ff. le tit. de séparat. & Cujac. ibid. & leg. penult. cod. de heredit. act. Bouvot, le Prêtre, Boniface, Loysel, Bacquet, Henrys. (A)

SEPARATION, (Chymie) Il est dit à l'article CHYMIE, p. 417, col. premiere, que la chymie s'occupe des séparations & des unions des principes constituans des corps ; que les deux grands changemens effectués par les opérations chymiques, sont la séparation & l'union des principes ; que la séparation chymique est encore connue dans l'art sous les noms d'analyse, de composition, corruption, solution, destruction, diacrese, ou plutôt diacrise ; que de ces noms les plus usités parmi les chymistes, les françois sont ceux d'analyse & de décomposition.

Quoique les affections des corps aggrégés n'appartiennent pas proprement à la chymie ; & qu'ainsi strictement parlant elle ne s'occupe que de celle des corps unis chymiquement ; cependant, comme plusieurs de ses opérations ont pour objet au-moins secondaire, préparatoire, intermédiaire, &c. la disgrégation ou séparation des corps aggrégés, la division méthodique des opérations chymiques qui appartiennent à la séparation, doit se faire en celles qui décomposent des corps unis chymiquement, & celles qui ne séparent que les parties des corps aggrégés. Aussi avons-nous admis cette division. Voyez l'article OPERATIONS CHYMIQUES.

Les deux instrumens généraux de la séparation chymique proprement dite sont le feu & la précipitation. Voyez FEU, Chymie, ECIPITATIONTION, Chymie ; c'est pourquoi il est dit dans ce dernier article que toutes les opérations de l'analyse menstruelle (or, analyse est synonyme à séparation) sont des précipitations.

Les séparations disgrégatives s'operent, & par les instrumens chymiques proprement dits, savoir, le feu & les menstrues, & par divers instrumens méchaniques, des limes, des rapes, des mortiers, &c. Voyez l'article OPERATIONS CHYMIQUES. (b)

SEPARATION ou départ par la voie seche, (Métallurgie, Chymie & Arts) c'est une opération par laquelle on cherche à séparer une petite quantité d'or mêlée dans un grand volume d'argent, de maniere que l'or se précipite au fond du creuset & se dégage par son propre poids de l'argent que l'on réduit en scories par l'action du feu.

On a vu dans l'article DEPART la maniere dont l'or, qui est uni avec de l'argent, s'en séparoit à l'aide des dissolvans humides. V. DEPART, INQUART, QUARTATION, &c. Nous allons faire voir dans cet article comment cette séparation s'opere par la voie seche, c'est-à-dire, à l'aide du feu.

Un grand nombre de livres sont remplis de méthodes & de recettes pour faire la séparation par la voie seche ; mais lorsqu'on vient à vérifier ces procédés, on trouve que la plûpart sont fautifs ou inintelligibles. Parmi ceux que l'on a eu occasion de connoître, on n'en a point trouvé de mieux décrits que celui que M. de Justi, célebre chymiste allemand, a inséré dans ses oeuvres chymiques, publiées en allemand en 1760 : on a donc cru devoir le rapporter ici en entier, il servira à faire connoître les progrès que cette opération pénible a fait jusqu'à-présent.

La matiere qui contribue le plus à la séparation de l'argent d'avec l'or est le soufre ; cette substance s'unit avec l'argent qu'elle attaque, sans avoir la moindre action sur l'or, qui par-là se dégage de l'argent, & forme un régule à part au fond du creuset. Lorsque cette séparation se fait en grand, on n'obtient jamais un régule ou culot d'or pur, & l'on est très-content lorsque la masse réguline est composée de trois parties d'argent contre une partie d'or. Cela vient, suivant M. de Justi, de ce que pour ménager les creusets, on en tire le métal fondu avec des cuilleres, ou bien on le vuide dans des cônes ou des creusets pointus, ce qui ne peut guere se faire assez promtement pour qu'une portion du métal ne se refroidisse pas, alors la matiere n'est point assez fluide, & l'or en coulant entraîne avec lui une portion considérable de l'argent. Voici un procédé par lequel M. de Justi assure avoir obtenu l'or en une masse réguline assez pure ; il prit un demi-marc d'argent qui contenoit de l'or, il le mit en grenaille, & après en avoir fait l'essai avec exactitude par la coupelle & par l'eau-forte, il trouva que la masse d'or tenoit quatre grains d'or. Il mit cet argent en grenaille en cémentation avec du soufre dans un creuset couvert & bien lutté ; & lorsque l'argent eut été bien pénétré par le soufre, il en fit la précipitation, en y mettant du flux noir, du fiel de verre, de la limaille de fer & de la litharge. Après que le tout fut entré parfaitement en fusion, il laissa refroidir le creuset. Alors il cassa le creuset, & il trouva au fond de la masse d'argent, un petit bouton ou culot d'or, qui avoit la couleur de l'or qui est allié avec de l'argent ; sa petitesse empêchoit qu'on ne pût le séparer parfaitement de l'argent, néanmoins M. de Justi, en se donnant beaucoup de peine, en détacha 3 1/4 grains, il en étoit resté environ un demi-grain uni avec l'argent. A l'essai, il trouva que cet or étoit à 20 karats. Ayant réitéré cette expérience, il eut le même succès. Ce savant chymiste ne doute pas que cette expérience ne réussît encore mieux en grand, & il croit que ceux qui s'occupent du travail de la séparation ou du départ par la voie seche dans les monnoies, feroient mieux de ne point tant regarder à la dépense du creuset qu'il faudroit briser, qu'à ce qu'il en coute pour multiplier les séparations afin de faire ensorte que les régules contiennent trois parties d'argent contre une partie d'or, pour en faire ensuite le départ avec l'eau-forte. En effet, il paroît que l'on épargneroit beaucoup de charbon & les fraix de l'eau-forte en suivant le procédé qui a été rapporté, ce qui seroit profitable, surtout si l'on peut se procurer des creusets à un prix raisonnable. D'ailleurs, on n'auroit qu'à purifier l'or ; qu'on a dit être à 20 karats, en le faisant fondre avec l'antimoine.

On suit deux routes principales pour opérer la précipitation dans la séparation par la voie seche. Les uns se servent du flux noir, & d'autres sels ou substances alkalines, telles que le fiel de verre, pour servir de précipitant ; d'autres rejettent cette méthode, & se servent du fer pour cette précipitation. Il y a à Leipsick deux familles qui depuis plusieurs années sont en possession du secret de faire la séparation ou le départ par la voie seche, elles se servent de deux méthodes différentes. La premiere de ces familles, qui est celle de Pfanenschmidt, se sert principalement du fer pour la précipitation, sans employer de fondans alkalins. La seconde famille, qui est celle de Stole, se sert de fondans alkalins pour la même opération. Ces deux méthodes sont connues en Allemagne sous le nom des deux familles qui les exercent.

M. de Justi examine laquelle de ces deux méthodes mérite d'être préférée. Pour cet effet, il faut faire attention à deux choses ; 1°. à ce qui rend l'opération plus facile ; 2°. à ce qui la rend moins couteuse. Il n'est pas douteux que les alkalis fixes, tels que le flux noir, la potasse & le fiel de verre sont les substances les plus propres à se combiner avec le soufre ; elles surpassent même le fer dans cette propriété, qui pourtant est de toutes les substances métalliques celle qui a le plus de disposition à s'unir avec le soufre. Ainsi, en joignant le fer avec ces substances alkalines, il n'est pas douteux que la précipitation se fera plus promtement & plus parfaitement, & les matieres salines en nageant à la surface des métaux en fusion doivent empêcher que le soufre poussé par l'action du feu, n'entraîne & ne volatilise avec lui un grand nombre de molécules d'argent. D'où l'on voit que les fondans alkalins ont leur avantage ; mais d'un autre côté, on ne peut se dissimuler qu'ils n'aient aussi leurs inconvéniens. D'abord ils endommagent considérablement les creusets, & les mettent hors d'état de servir davantage, ce qui augmente les fraix dans une opération où l'économie fait tout le profit. De plus, tout le monde sait que les sels alkalis combinés avec le soufre forment ce qu'on appelle l'hepar ou le foie de soufre, qui, à la vérité, facilite la fusion des métaux, mais qui dissout en même tems l'or & l'argent de maniere qu'il est impossible de leur rendre leur forme métallique, du moins sans des peines & des dépenses considérables ; d'ailleurs ce foie de soufre rend ces métaux aigres & cassans, desorte qu'il faut recourir à des fusions réitérées avec le sel ammoniac, le nitre, le borax, &c. pour dégager ces métaux de la mauvaise qualité qu'ils ont contractée ; toutes ces choses augmentent la dépense, & font qu'une portion de l'argent se perd, vu que l'on ne retrouve point exactement celui qui s'est converti en scories. M. de Justi a trouvé par des expériences que le flux noir & le fiel de verre, sur-tout quand ces deux fondans sont combinés, produisoient dans le feu une plus grande quantité de foie de soufre que l'on ne pourroit l'imaginer. Outre cela le flux noir, à cause du nitre qui y entre, ne laisse pas d'augmenter la dépense, sur-tout si l'on travaille en grand ; d'ailleurs il attire très-rapidement l'humidité de l'air, ce qui peut causer beaucoup d'inconvéniens dans l'opération.

D'après toutes ces considérations, M. de Justi donne la préférence à l'opération dans laquelle on employe le fer au lieu de substances alkalines, vu que ce métal est à très-bon marché, qu'il a une très-grande disposition à absorber le soufre, & que par son moyen on n'est point exposé à perdre une portion de l'argent. Cependant il est à-propos d'y joindre un peu de fiel de verre, qui est une substance peu couteuse ; elle facilitera la fusion, empêchera le soufre de dissiper ou d'entraîner avec lui une portion de l'argent, favorisera la formation des scories, & s'il se forme du foie de soufre, ce ne sera qu'en très-petite quantité.

Si l'on a une certaine quantité d'argent contenant de l'or, dont on veuille faire la séparation par la voie séche, il sera à-propos d'en faire l'essai avec beaucoup d'exactitude par la coupelle ou par l'eau-forte pour savoir combien le marc d'argent contient d'or. Voyez l'article ESSAI. Pour cet effet il faudra commencer par mettre cet argent en grenaille très-fine, ce qui se fait en le faisant fondre, & en le versant doucement dans un vaisseau rempli d'eau, que l'on agitera sans interruption avec des petites branches de bouleau, alors on en fera l'essai. Il est important que l'argent soit réduit en une grenaille très-fine comme de la dragée, ou tout au plus comme des lentilles, parce que l'on n'aura pas besoin d'y joindre une aussi grande quantité de soufre pour l'opération subséquente, c'est-à-dire pour la séparation ou le départ par la voie séche. En effet, pour qu'elle se fasse exactement, il faut que tout l'argent soit parfaitement pénétré par le soufre ; sans cela, ce métal tombe au fond du creuset, & l'on obtient des masses métalliques trop grandes pour pouvoir en bien faire le départ par l'eau-forte, & l'on sera dans le cas de recommencer la séparation.

Pour mêler l'argent en grenaille avec le soufre, on mouillera cette grenaille avec de l'eau, on y joindra du soufre en poudre fine, on roulera le tout avec la main, de maniere que chaque grain d'argent ait une petite croute de soufre ; si l'argent est parfaitement pur, il sera à-propos avant que de le mêler avec le soufre, d'en mettre à part autant de demi-onces, que l'on a de marcs dont on veut faire le départ ou la séparation.

Lorsque l'argent en grenaille a été mêlé avec du soufre, on le met dans un creuset que l'on remplira presqu'entierement ; on le couvrira d'un couvercle, & l'on aura soin de bien luter les jointures, de peur que l'action du feu ne fasse partir une grande quantité de soufre qui n'aura pas produit son effet, & qui n'aura point intimement pénétré l'argent. On donnera d'abord un feu très-doux, on placera le creuset sur un support, & on fera un feu circulaire, qui approche peu-à-peu du creuset, & on le laissera échauffer jusqu'à ce qu'on voye une flamme légere de soufre sortir par les jointures, alors la dissolution de l'argent par le soufre sera faite.

Pendant cette opération on préparera le fourneau à vent. On fera bien de pratiquer dans le cendrier un creux ou une fosse de terre glaise que l'on tiendra bien nette, afin que si le creuset venoit à se fendre, le métal fondu ne vînt point à se perdre.

Alors on ôtera le couvercle du creuset, qui contient l'argent combiné avec le soufre ; & si l'argent ne contient point de cuivre, ce qui est assez rare, on y mettra la demi-once d'argent qui, comme on l'a dit, aura été retenue sur chaque marc. On couvrira le creuset d'un couvercle, dans lequel on aura fait un trou ; par lequel on passera un fil de fer assez fort ; on placera le creuset au fourneau à vent ; on l'entourera de charbons aussi également qu'il sera possible, après quoi on remplira entierement le fourneau, & l'on mettra des charbons ardens par le haut, afin que le feu s'allume de haut en bas. Lorsque le mêlange sera entré parfaitement en fusion, ce qui arrivera très-promtement, & ce dont on pourra s'assurer au moyen du fil de fer qui traverse le couvercle du creuset, on ôtera ce couvercle, afin d'achever l'opération à l'aide du précipitant qui suit, que l'on tiendra tout prêt pour s'en servir au besoin.

C'est un mêlange composé de deux parties de limaille de fer non rouillé, d'une partie de litharge, d'une partie de fiel de verre, & d'une partie de sel marin fondu. Ce mêlange est celui dont on peut se servir avec plus de succès dans la premiere & la seconde fusion de l'argent combiné avec le soufre ; mais dans la troisieme & quatrieme fusion & dans les suivantes, il sera à-propos d'y ajouter encore deux parties de plomb en grenaille.

Dans la premiere fonte on employera autant de demi-onces du mêlange que l'on aura de marcs d'argent, dont on voudra faire la séparation ou le départ. On ne mettra pourtant le mêlange que peu-à-peu, en le répandant sur le métal fondu, de maniere qu'il en couvre la surface, & à chaque fois on remuera le tout avec le fil de fer qui traverse le couvercle.

Durant cette opération, on donnera toujours un feu violent, afin que le mêlange entre parfaitement en fusion ; pour cet effet on fera bien de recouvrir le creuset, & de fortifier le feu à chaque fois que l'on aura mis de la composition précipitante ; il faudra aussi avoir soin que les charbons chauffent également le creuset qui pourroit se fendre, si l'on mettoit auprès de lui un trop grand nombre de charbons non allumés, ce qui arrive, sur-tout lorsque les creusets sont grands.

Si l'on vouloit faire en une seule fois la séparation de l'or, & le mettre en un bouton ou culot, il faudra doubler la quantité du mêlange qui sert à précipiter, & peut-être qu'alors on ne pourroit se dispenser d'employer le flux noir dans ce mêlange. Mais si l'on veut faire cette opération à l'ordinaire, on mettra autant de demi-onces de la matiere précipitante que l'on aura de marcs à séparer. On laissera le mêlange en fusion pendant dix minutes, après quoi on le vuidera dans un cone bien échauffé ; ou si le creuset étoit trop grand, on y puiseroit une portion de la matiere fondue, jusqu'à ce qu'on puisse le remuer avec facilité.

M. de Justi assure que le mêlange qui a été indiqué pour servir à la précipitation, procure un avantage considérable, qui est la facilité de séparer la partie réguline ou le culot qui est tombé au fond du creuset, d'avec l'argent qui est encore combiné avec le soufre, au lieu qu'il n'en est pas de même, lorsqu'on emploie le flux noir & le plomb en grenaille dès le commencement de l'opération ; car alors il n'y a d'autre moyen pour séparer le culot, que de faire refondre le tout de nouveau, & alors on retire le culot avec une pincette, parce qu'il n'entre point en fusion si promtement que l'argent uni avec le soufre.

On est obligé de réitérer la précipitation quatre à cinq fois, & même plus, si l'on veut séparer parfaitement l'or, & récouvrer l'argent qui est uni avec le soufre ; pour cet effet, on remet le creuset dans le fourneau ; à chaque fois qu'on a vuidé la partie métallique dans le cône, on en détache les scories, c'est-à-dire, l'argent pénétré de soufre, que l'on remet de nouveau à fondre dans le creuset, & l'on en fait la précipitation de la maniere qui a été indiquée, excepté que pour la troisieme & la quatrieme fois qu'on précipitera, on joindra deux parties de plomb au précipitant, comme on l'a déja dit. Car si l'opération a été faite avec soin, il faudra que tout l'or se trouve dans le premier & le second, ou tout au moins dans le troisieme culot. Les précipitations subséquentes ne se font que pour recouvrer l'argent qui est uni au soufre, & qui est en scories.

Cependant on ne peut guere retirer tout l'argent qui étoit passé dans ces scories, qui contiendront toujours un marc d'argent par quintal, quelque habile que soit celui qui opere ; le seul moyen d'en tirer parti, c'est de porter ces scories aux fonderies où l'on tire l'argent de ses mines. Ceux qui s'occupent du départ ou de la séparation, rassemblent ces scories ou crasses ; ils les portent aux fonderies, les joignent avec du plomb & des fondans convenables, les font passer au fourneau de fonte, & passent le tout à la coupelle : ce qui leur procure souvent un profit assez honnête.

Quant aux différens culots que l'on a obtenus par la séparation, on les met en grenaille chacun séparément, & l'on en fait l'essai par la coupelle & par l'eau-forte, pour savoir la quantité d'or que chacun contient. L'on trouvera communément qu'en suivant le procédé qui a été indiqué, la plus grande partie de l'or sera dans le premier ou le second culot, on n'en trouvera dans le troisieme & les suivans, que lorsque l'opération aura été mal faite. On passera à la grande coupelle ou sur le têt les culots qui contiennent un quart d'or, & alors on en fera le départ ou la quartation avec de bonne eau-forte, & l'on fera fondre la poudre d'or qui sera tombée au fond de ce dissolvant. A l'égard des culots qui tiennent beaucoup moins qu'un quart de leur poids d'or, on les joindra à de nouvel argent tenant or pour un nouveau travail. On raffine sur le têt les autres culots qui ne contiennent point une portion sensible d'or, & on en fait des lingots ou des bannes avec l'argent en poudre que donne l'eau-forte précipitée. Si le départ ou la séparation a été faite avec soin, le marc de cet argent ne doit point contenir au delà d'un dixieme de grain d'or, car jamais par la voie séche on ne parvient à séparer totalement l'or d'avec l'argent. Voyez les oeuvres chymiques de M. de Justi, tome I. (-)

SEPARATION, s. f. dans l'économie animale, action par laquelle différentes liqueurs se séparent de la masse du sang.

La séparation des liqueurs dans des arteres plus petites differe de la sécrétion en ce qu'elle ne s'opere que dans un rameau d'artere qui devient une seconde fois conique convergente, & se continue dans sa propre veine ; au lieu que dans la sécrétion c'est un conduit semblable à une veine, & qui ne reporte point la liqueur à la masse. Voyez SECRETION.

SEPARATION en Architecture, est ce qui divise ou sépare une chambre ou un appartement d'avec un autre.


SÉPARATISTES. m. (Hist. ecclés.) secte de religion en Angleterre, ou plutôt nom commun à toutes les sectes qui ont établi des églises séparées par opposition à la religion anglicane qui est la seule autorisée par la loi. Voyez DISSENTANS, NON CONFORMISTES.

Aujourd'hui le mot séparatistes, parmi les Anglois, signifie plutôt une collection de sectes, telles que les Presbytériens, les Puritains, les Quakres, &c. qu'une secte particuliere. Mais vers leur commencement ils convinrent entr'eux qu'ils seroient tous désignés par un même nom. Leur division en Presbytériens, Indépendans, Anabaptistes, &c. est tout-à-fait moderne. Voyez PRESBYTERIENS, INDEPENDANS, &c.

Hornius, dans son histoire ecclésiastique d'Angleterre, dit que les Séparatistes sont ceux qui sous Edouard VI. Elisabeth, & Jacques I. refuserent de se conformer à l'église anglicane, & qui furent premierement appellés Puritains, ensuite Séparatifs & enfin non-conformistes. Voyez PURITAINS.

Bolton fut le premier chef des Séparatistes ; mais il quitta ensuite le parti qu'il avoit lui-même formé. Robert Brown lui succéda, & de-là les Séparatistes prirent le nom de Brownistes qu'ils ont retenu longtems, quoique Brown eût abandonné lui-même la secte, & eût, à l'imitation de Bolton, abjuré ses erreurs. Voyez BROWNISTES.

A Brown succéda Barrow qui fut pendu à l'instigation des évêques. Les Séparatistes eurent ensuite pour chef Johnson, qui éleva une église à Amsterdam ; mais celle-ci se divisa en plusieurs sectes dont l'une eut pour chef le frere même de Johnson : celui-ci l'excommunia, & en fut excommunié à son tour. Aussi-tôt après, un cinquieme nommé Smiks érigea une semblable église à Leyde ; mais elle se réduisit presque à rien après sa mort, & le séparatisme sembloit éteint, lorsque Robinson parut & le releva. Il adoucit les dogmes de Brown, il remit entre les Séparatistes la bonne intelligence ; mais il ne put jamais réunir toutes les sectes. Une partie tient encore aujourd'hui pour les opinions rigides de leur ancien maître Brown, & une autre suit Robinson.

Les premiers ont retenu le nom de Séparatistes, & les derniers ont pris celui de semi-Séparatistes ; mais enfin ils ont dégénéré en Indépendans ; & c'est le nom ordinaire qu'on leur donne tant en Angleterre que dans les colonies angloises.

Hornius fait mention d'une autre classe de Séparatistes qu'il appelle sesqui-Séparatistes, c'est-à-dire, Séparatistes & demi. Quelques-uns prétendent que c'est une secte particuliere ; mais d'autres soutiennent qu'elle n'est pas différente des semi-Séparatistes ; car ils disent que ces derniers, sous prétexte de tenir un milieu entre les Brownistes & les Anglicans, allerent beaucoup plus loin que les Brownistes même, & sous le nom de demi-Séparatistes ; dégénérerent en Séparatistes & demi.


SEPARERv. act. (Gram.) diviser, disjoindre, écarter, éloigner, distinguer ; on a séparé la terre en autant de portions qu'il y avoit d'enfans ; il faut séparer les choses de ce mêlange, le bon grain du mauvais ; on sépare la tête du corps, d'un coup de sabre ; l'homme se sépare de la femme adultere ; ils se sont séparés avec beaucoup de douleur ; la Seine se sépare en deux en cet endroit ; les Alpes séparent la France de l'Italie ; les protestans sont séparés de notre communion.

SEPARER les guêtes, (terme de Vénerie,) c'est distribuer par billets aux veneurs, & aux valets de limiers, une forêt, ou plusieurs buissons, par cantons, pour aller au bois détourner les bêtes. (D.J.)


SEPAYESSIPAYES, ou SEPOYS, (Hist. mod.) on désigne sous ce nom, dans l'Indostan, des soldats indiens, qui sont entretenus & disciplinés à la maniere des troupes européennes. Les sépayes font usage des armes à feu, & sont d'assez bons soldats, lorsqu'ils sont commandés par des européens.


SEPEAUS. m. (Outil de monnoie) c'est un tronc ou souche de bois, sur lequel les ouvriers, quand ils fabriquent les monnoies, posent leur tas ou leur pile, pour les frapper & marquer. (D.J.)


SEPÉES. f. (terme de Laboureur) c'est une touffe de plusieurs arbres qui ont poussé d'un même tronc ou racine. Il faut avoir soin d'arracher d'un pré les aulnes qui viennent au sépée, car en peu de tems ils occuperoient une partie du pré. (D.J.)


SÉPHARITESS. m. pl. (Hist. mod.) secte de mahométans, dont le nom vient de séphar, qui signifie, qualité, attribut, forme. Ils admettent en Dieu des attributs de bonté, de puissance, d'éternité, &c. Ils croient même que Dieu a une figure visible comme l'homme, & disent que cette figure est composée de parties corporelles & spirituelles, & que les organes de son corps ne sont point sujets à la corruption, ni à aucune altération. Ce systême paroît copié d'après celui des anciens antropomorphites ; ceux d'entre les mahométans qui leur sont le plus opposés, se nomment moatazalites. Voyez MOATAZALITES. Ricaut, de l'emp. ottom.


SÉPHIROTHSS. f. pl. (Théolog.) terme hébreu qui signifie les splendeurs, & qui est fort en usage dans la cabale. Voyez CABALE.

Les cabalistes donnent le nom de séphiroths à la partie la plus secrette de leur science : c'est le plus haut degré de la théologie contemplative des juifs modernes ; ils comptent dix séphiroths que l'on représente quelquefois dans dix cercles différens, enfermés l'un dans l'autre, & quelquefois sous la figure d'un arbre, à-peu-près comme on représente dans les écoles l'arbre de Porphyre, pour faire connoître les différentes catégories de l'être. Voyez CATEGORIE.

Les dix séphiroths sont 1. la couronne : 2. la sagesse : 3. l'intelligence : 4. la force ou la sévérité : 5. la miséricorde ou la magnificence : 6. la beauté : 7. la victoire ou l'éternité : 8. la gloire : 9. le fondement : 10. le royaume. Ce sont les perfections & les attributs de l'essence divine, lesquels sont liés inséparablement entr'eux, & de l'assemblage desquels, selon les cabalistes, dépend la création, la conservation, & la conduite de l'univers.

Ils ont imaginé des canaux par où les influences d'une splendeur se communiquent à l'autre. Le monde, disoit Siméon Jochaïd, le premier de tous les cabalistes, ne pouvoit pas être conduit par la miséricorde seule, & par la colomne de la grace ; c'est pourquoi Dieu a été obligé d'y ajouter la colomne de la force ou de la sévérité, qui fait le jugement. Il étoit encore nécessaire de concilier ces deux colomnes, & de mettre toutes choses dans une proportion & dans un ordre naturel, c'est pourquoi l'on met au milieu, la colomne de la beauté, qui accorde la justice avec la miséricorde, & met l'ordre dans lequel il est impossible que l'univers subsiste ; de la miséricorde qui pardonne les péchés, sort un canal qui va à la victoire ou à l'éternité ; enfin les canaux qui sortent de la miséricorde & de la force, & qui vont aboutir à la beauté, sont chargés d'un grand nombre d'anges ; il y en a trente-cinq sur le canal de la miséricorde, qui recompensent les saints, & un pareil nombre sur celui de la force, qui châtient les pécheurs.

Le rabbin Schabté compare les séphiroths ou splendeurs, à un arbre dans lequel on distingue la racine, le germe, & les branches : ces trois choses forment l'arbre, & la seule différence qu'on y remarque, est que la racine est cachée, pendant que le tronc & les branches se produisent au-dehors ; le germe porte sa vertu dans les branches qui fructifient ; mais au fond le germe & les branches tiennent à la racine ; & forment ensemble un seul & même arbre. Il en est de même des splendeurs ou séphiroths, selon ce cabaliste ; la couronne est la racine cachée impénétrable ; les trois esprits, ou séphiroths, sont le germe de l'arbre ; les sept autres sont les branches unies au germe, sans pouvoir en être séparées : car celui qui les sépare, fait comme un homme qui arracheroit les branches de l'arbre, qui couperoit le tronc, & lui ôteroit la nourriture après l'avoir séparé de sa racine. La couronne est la racine qui unit toutes les splendeurs, qui verse ses influences sur elles, elles sont comprises dans son sein & dans sa vertu.

Il faut aussi remarquer la liaison qu'ils mettent entre ces splendeurs, & celles qu'ils leur attribuent, avec les créatures qui composent l'univers ; à chaque séphiroth on attache un nom de Dieu, un des principaux anges, une des planetes, un membre du corps humain, un des commandemens de la loi ; & de-là dépend l'harmonie de l'univers. D'ailleurs une de ces choses fait penser à l'autre, & sert de degré pour parvenir à la connoissance la plus sublime ; enfin on apprend par-là l'influence que les splendeurs ou séphiroths ont sur les anges, sur les planetes, les astres, & les parties du corps humain. Voici ces relations.

Relations des sephiroths, avec les noms de Dieu, les anges, les planetes, &c.

Un savant qui a beaucoup étudié les mysteres de la cabale, croit que les séphiroths ne sont que des nombres qui ont relation aux dix doigts de la main ; d'autres, comme le P. Kircher, croyent y trouver le mystere de la Trinité ; mais il est superflu d'y chercher d'autres mysteres que ceux que les cabalistes y trouvent ; il faut leur abandonner leurs mystérieux secrets, & ne pas perdre le tems à vouloir les approfondir. Mori epist. in cabal. tom. II. pag. 53. Kircher, aedip. aegyptiac. Gymnas ; hieroglyph. class. 4. c. ix. tom. II. Basnage, hist. des juifs, tom. IV. liv. VI. c. v. n °. 7 & 8. & tom. VI. liv. IX. c. xj. Calmet, dictionn. de la bibl. tom. III. pag. 525. & suiv.


SEPHORIS(Géog. anc.) ville de la tribu de Zabulon, capitale de la Galilée, à dix ou douze milles de Tibériade. Elle porta dans la suite le nom de Diocésarée. Il est singulier que les auteurs sacrés n'en disent mot, & que Josephe en parle très-souvent. Aujourd'hui cette ville est comblée de ruines, & dans le territoire des environs, qui est fertile en pâturage, on n'y voit qu'une vingtaine de pauvres chaumieres. (D.J.)


SEPIA(Géog. anc.) montagne du Péloponnèse, dans l'Arcadie, à la gauche du mont Géronte, près du lieu nommé Tricrène. On tient, dit Pausanias, liv. VIII. c. xvj. qu'Epythus, fils d'Elatus, mourut sur cette montagne, de la piquure d'un serpent, & qu'il y fut enterré, parce qu'on ne put transporter son corps plus loin. Les Arcadiens disoient que cette montagne engendroit des serpens fort venimeux, mais qu'ils y étoient rares, parce que la montagne étant couverte de neige une bonne partie de l'année, s'ils sortoient de leurs trous, ils périssoient dans la neige, & s'ils se cachoient, la rigueur du froid & le manque de nourriture les faisoient mourir sous terre. Pausanias ajoute : comme je savois qu'Homere, en parlant des Arcadiens, a fait mention du tombeau d'Epythus, je le considérai avec soin ; c'est un petit tertre, environné d'une balustrade de pierre, qui tourne tout-à-l'entour ; & je crois qu'Homere ne l'a tant vanté, que parce qu'il n'en avoit point vû de plus beau. (D.J.)


SEPIAS(Géog. anc.) promontoire de la Thessalie, dans la Magnésie, à l'entrée du golfe Pélasgique. Diodore de Sicile, liv. VII. & Ptolémée, l. III. c. xiij. parlent de ce promontoire. (D.J.)


SEPSS. m. (Hist. nat.) espece de lézard, ou plutôt animal qui tient le milieu entre le serpent & le lézard, parce qu'il ressemble par la forme du corps à un serpent, & qu'il a quatre petites pattes très-peu apparentes. On trouve le seps dans la Toscane ; il est petit, rond, & couvert d'écailles ; il a sur le dos des lignes noires longitudinales & paralleles entre elles ; les oreilles & les yeux sont petits, & la queue est terminée en pointe ; les pattes de devant sont situées fort près de la tête, & celles de derriere contre l'anus ; les écailles ont une figure rhomboïde ; le ventre est d'un blanc mêlé d'un peu de bleu. Cet animal est vivipare ; Columna rapporte qu'il a tiré du corps d'un seps femelle, quinze petits, tout vivans & enveloppés dans une membrane comme les petits de la vipère. Ald. de lacertis, pag. 628.


SEPT(Arithmétiq.) nombre impair composé de six & un, qui en chiffre arabe s'écrit ainsi, 7 ; en chiffre romain, de cette maniere, VII ; & en chiffre françois de compte, de cette sorte, vij. Le Gendre. (D.J.)

SEPT, (Critiq. sacrée) ce nombre étoit très-cher aux Juifs, qui le regardoient superstitieusement comme un nombre mystérieux, à cause du sabbat qui revenoit le septieme jour, de la septieme année consacrée au repos de la terre, & des sept semaines de sept années qui formoient leur jubilé ; de-là vient que pour s'accommoder à leurs préjugés, le nombre sept se rencontre si souvent dans l'Ecriture ; sept églises, sept chandeliers, sept branches au chandelier d'or, sept lampes, sept étoiles, sept sceaux, sept anges, sept trompettes, sept phioles, sept têtes de dragon, sept diadêmes qu'elles portent. Ainsi le nombre sept est choisi par préférence pour tout autre nombre indéterminé. En voici de nouveaux exemples. Cela vous est plus avantageux que d'avoir sept fils, Ruth, iv. 15. c'est-à-dire, plusieurs fils. Le paresseux croit être plus habile que sept hommes qui parleroient par sentences, prov. xxvj. 16. c'est-à-dire que plusieurs personnes éclairées.

En conséquence, ce nombre étoit consacré aux cérémonies de la religion : les amis de Job offrirent un sacrifice de sept veaux & de sept béliers ; David, dans la solemnité de la translation de l'arche, crut qu'un pareil sacrifice seroit le plus agréable qu'il pût offrir au seigneur ; Abraham lui en avoit donné l'exemple, en faisant présent à Abimélec de sept brebis pour être immolées en holocauste sur l'autel à la face duquel il avoit contracté alliance avec ce prince.

Remarquez aussi que ce nombre sept étoit affecté chez les payens, tant à l'égard des autels que des victimes qui devoient être immolées ; c'étoit une espece de rit, tiré de l'art magique, suivant lequel le nombre sept étoit un nombre mystérieux, consacré aux sept planetes, & qui avoit la vertu, à ce que prétendoient les magiciens, d'en tirer les génies, pour les faire descendre sur la terre. (D.J.)


SEPT ISLESLES (Géog. mod.) petites îles de France, à deux lieues de la côte septentrionale de la Bretagne, & à cinq de la ville de Tréguier. Ces îles sont au nombre de sept ; ce sont celles que les anciens appelloient Siadae & Byadetae. Long. 14. 28. latit. 48. 43. (D.J.)


SEPT-DORou MAILLE DE SEPT DOIGTS, terme de pêche, sorte de filet dont on se sert à l'embouchure de la Loire pour faire la pêche des saumons & des aloses. Cette pêche commence ordinairement en Février, & dure jusqu'à la fin de Juin. Quelquefois celle du saumon commence à la fin de Décembre. Ce filet est un de ceux qui sont tramaillés, voyez TRAMAIL, & est le même que l'on nomme alosiere dans la riviere de Seine. La nappe du flue ou rets de ces trameaux est de trois sortes ; la premiere sorte 2 pouces 5 lignes, la seconde 2 pouces 4 lignes, & la troisieme 2 pouces 3 lignes. Les hamaux ou hamails, que les pêcheurs nomment gardes, sont aussi de deux sortes ; les plus grands ont 11 pouces en quarré, & les moindres seulement 10 pouces 9 lignes.


SEPTA(Hist. anc.) c'étoit anciennement un enclos, ou un endroit fermé de barrieres ou de balustrades faites de planches, par où l'on passoit pour donner sa voix dans les assemblées des Romains, qui se tenoient dans le champ de Mars, comme l'atteste Servius, cité par Rosin, liv. VI. des antiq. rom. On nommoit encore ces enclos, ovilia. Voyez OVILIA.


SEPTAINES. f. (Jurisprud.) c'est la banlieue, le finage, ou territoire dépendant d'une ville ; ce terme vient a septis, comme qui diroit une enceinte ; il est trouvé dans quelques anciennes chartes, & singulierement dans le procès verbal de la coutume de Berri, où la banlieue de Bourges est ainsi nommée. Voyez la coutume de Berri, le glossar. de M. de Lauriere, & les mots BANLIEUE, BANNIE, QUINTE, DETROIT, DISTRICT, TERRITOIRE. (A)


SEPTANTE(Arithmétiq.) nombre pair, composé de soixante & dix, ou de sept dixaines, ou de cinq fois quatorze, ou de quatorze fois cinq, ou de dix fois sept ; ainsi que sept soit multiplié par dix, ou que dix le soit par sept, ou quatorze par cinq, ou cinq par quatorze, le produit sera toujours septante. On dit plus ordinairement soixante-&-dix ; septante, ou soixante-&-dix, en chiffre commun ou arabe, s'écrit de cette maniere, 70 ; en chiffre romain de cette sorte, LXX ; & en chiffre françois, Ixx. Le Gendre. (D.J.)

SEPTANTE, version des (Critiq. sacrée) traduction grecque des livres de Moïse, dont les Juifs n'entendoient plus la langue originale ; comme cette version fut faite à l'usage des Synagogues d'Egypte, qu'elle est la premiere & la plus célebre de toutes, il importe d'en discourir avec l'étendue qu'elle mérite.

Le livre le plus ancien qui en parle, porte le nom d'Aristée, & est parvenu jusqu'à nous. Le dessein de cet ouvrage est uniquement d'en donner l'histoire, & dans cet événement, l'auteur Aristée y est qualifié d'officier aux gardes de Ptolémée Philadelphe. Voici un court extrait de sa relation.

Ptolémée Philadelphe, roi d'Egypte, ayant fort à coeur la belle bibliotheque qu'il formoit à Alexandrie, & qu'il remplissoit de toutes sortes de livres, donna la direction de cette affaire à un illustre athénien, qu'il avoit à sa cour, Démétrius de Phalere, qu'il chargea de lui tirer de tous les endroits du monde, tout ce qu'il pouvoit y avoir de curieux en fait de livres. Démétrius, en s'acquitant de cette commission, apprit que les Juifs avoient un livre qui contenoit les loix de Moïse ; il en avertit le roi : ce prince ayant consenti d'en faire venir une copie de Jérusalem, avec des gens qui le traduisissent en grec, ordonna à Démétrius de lui dresser un mémoire sur cette assaire, & d'en écrire au souverain sacrificateur.

Aristée, l'auteur prétendu de cette histoire des septante interprètes, Sosibius de Tarente, & André, tous trois gens de qualité de la cour de Ptolémée, & amis de la nation juive, prirent cette occasion de demander au roi la grace de ceux de cette nation qui avoient été mis en esclavage par Ptolémée, emmenés en Egypte ; le roi accorda leur demande. Ensuite Démétrius lui remit un mémoire, pour obtenir des juifs le livre de la loi de Moïse, qu'il souhaitoit. Selon le plan de ce mémoire, le roi demandoit à Eléazar, souverain sacrificateur à Jérusalem, le livre de Moïse, & six personnes de chaque tribut pour le traduire en grec.

Aristée & André furent les porteurs de cette lettre, avec des présens immenses qui leur obtinrent toutes sortes d'honneurs à leur arrivée à Jérusalem. Ils revinrent à Alexandrie munis d'une bonne copie de la loi de Moïse écrite en lettres d'or, & accompagnés de six anciens de chaque tribu, c'est-à-dire 72 interprètes, pour la traduire en grec.

Le roi ayant vu ces 72 députés, en fut très-satisfait, leur fit présent de 3 talents à chacun, & les envoya à l'île de Pharos, près d'Alexandrie, pour exécuter commodément leur entreprise. Démétrius les y conduisit par l'Heptastadium qui joignoit cette île au continent, & les logea dans une maison qu'on leur avoit préparée. Ils se mirent aussi-tôt à travailler à leur version ; & quand une période étoit faite, après qu'elle avoit passé dans une conférence générale, Démétrius l'écrivoit. L'ouvrage fut achevé en 72 jours. Il fut lu & approuvé en présence du roi, qui fit encore présent à chaque traducteur de trois habits magnifiques, de deux talens en or, d'une coupe d'or d'un talent, & puis les envoya dans leur pays. Voilà le précis de la relation d'Aristée.

Aristobule, juif d'Alexandrie, & philosophe péripatéticien, est le second qui parle de cette version des septante. Il vivoit vers la CLXXXVIII. année de l'ere des contracts, c'est-à-dire CXXV. ans avant Jesus-Christ ; car on trouve une lettre que lui écrivirent dans ce tems-là les Juifs de Jérusalem & de Judée, comme cela paroît par le II. liv. des Macchabées. On dit que cet Aristobule avoit composé un commentaire sur les cinq livres de Moyse, & qu'il l'avoit dédié au roi Ptolémée Philométor, dont il avoit été précepteur, & c'est-là qu'on prétend qu'il parloit de cette version faite sous la direction de Démétrius de Phalère, par ordre exprès de Ptolémée Philadelphe roi d'Egypte. Ce livre est perdu ; tout ce qui nous en reste sont quelques fragmens qu'en citent Eusèbe & Clément Alexandrin.

Après Aristobule vient Philon, autre juif d'Alexandrie, qui vivoit du tems de Notre-Seigneur ; car peu après sa crucifixion, il fut député par les juifs d'Alexandrie à Caïus César empereur romain. Dans la relation qu'il donne de la version des septante, on trouve les mêmes choses que dans celle d'Aristée : il y brode seulement quelques nouveaux traits, pour en pouvoir conclure que les traducteurs étoient des hommes inspirés par l'esprit de Dieu.

Josephe qui a écrit ses antiquités judaïques vers la fin du premier siecle, s'accorde pareillement avec Aristée ; & ce qu'il en dit, antiq. jud. xij. 2. n'est qu'un abrégé de cet auteur. Seulement dans Josephe le prix de la rédemption des juifs est différent de celui d'Aristée ; car au-lieu qu'Aristée dit vingt drachmes par tête, & la somme totale six cent soixante talens, Josephe met cent vingt drachmes par tête, & fait monter la somme totale à quatre cent soixante talens ; dans tout le reste ils s'accordent ensemble.

Après Josephe, le premier qui parle de la version des septante, & de la maniere dont elle se fit, est Justin martyr, qui vivoit vers le milieu du second siecle, environ cent ans après Philon. Il avoit été à Alexandrie, & s'étoit informé de ce fait aux juifs du pays. Il nous dit ce qu'il avoit appris d'eux, & ce qui étoit reçu constamment parmi eux pour véritable ; & ce qu'il en dit prouve qu'on avoit encore enchéri sur ce que Philon avoit écrit de la conformité miraculeuse des traductions ; on y avoit ajouté des cellules différentes, dont chaque traducteur en avoit une où il étoit renfermé, & où il avoit fait à part sa traduction particuliere de tout l'ouvrage ; & que quand on vint à comparer ces traductions les unes avec les autres, il ne s'y trouva pas un seul mot de différence. Ce bon pere prend tout cela pour argent comptant.

Irénée, Clément Alexandrin, S. Hilaire, S. Augustin, Cyrille de Jérusalem, Philastre de Bresse, & le gros des peres qui ont vécu depuis Justin, ont tous ces cellules, & l'accord merveilleux de toutes les versions. Quelques modernes défendent avec la même chaleur cette histoire, & ne peuvent consentir à laisser tomber un miracle qui confirmeroit si bien la divinité de la sainte-Ecriture contre tous les contredisans. C'est dommage qu'on y oppose des objections sans réplique.

Du tems d'Epiphane, qui fut évêque de Salamine en Chypre l'an 368, des fausses traditions avoient encore corrompu davantage cette histoire ; en effet, la maniere dont il la conte est différente de celle de Justin, aussi-bien que de celle d'Aristée ; & cependant il appelle Aristée à témoin des faits même qu'il rapporte autrement que lui : ce qui prouve que de son tems il y avoit un autre Aristée, & que celui que nous avons aujourd'hui est le même qu'avoient Josephe & Eusèbe.

Après cette relation historique de la version des septante, il faut dire ce que nous pensons sur cette matiere.

I. On ne peut pas douter qu'il ne se soit fait une traduction grecque des livres sacrés hébreux du tems des Ptolémées en Egypte ; nous avons encore cette traduction ; & c'est la même qu'on avoit du tems de Notre-Seigneur, puisque presque tous les passages que les écrivains sacrés du nouveau Testament citent du vieux dans l'original grec, se trouvent mot-à-mot dans cette version. L'on ne peut pas douter non plus, vu la passion qu'ont eu les princes de la race des Ptolémées de remplir leur bibliotheque d'Alexandrie de toutes sortes de livres, passion dont tous les historiens de ce tems-là parlent, on ne peut douter, dis-je, que cette traduction n'y ait été mise dès qu'elle fut faite.

II. Le livre qui porte le nom d'Aristée, qui est le fondement de tout ce qu'on a débité sur la maniere dont se fit cette traduction par les 72 anciens, envoyés exprès de Jérusalem & Alexandrie, du tems de Ptolémée Philadelphe, est une fiction manifeste inventée pour accréditer cette version. Les Juifs, depuis leur retour de la captivité de Babylone jusqu'au tems de Notre-Seigneur, donnoient extrêmement dans les romans de religion, comme cela paroît par leurs livres apocryphes qui se sont conservés jusqu'à nous. Le livre que nous avons encore sous le nom d'Aristée, est un de ces romans écrit par un juif helléniste ; & c'est une chose évidente par plusieurs raisons.

1°. Quoique l'auteur de ce livre se dise payen grec, il parle partout en juif ; & dès qu'il s'agit de Dieu ou de la religion des Juifs, il en parle dans des termes qui ne conviennent qu'à un juif, & fait parler de la même maniere Ptolémée, Démétrius, André, Sozibius, & les autres personnages qu'il introduit sur la scene.

2°. Il fait faire une dépense prodigieuse à Ptolémée pour avoir cette version. Il lui en coute pour racheter les captifs, 660 talens : en vases d'argent envoyés au temple, 70 talens : en vases d'or, 50 : & en pierreries pour ces vases, cinq fois la valeur de l'or ; c'est-à-dire 250 talens : en sacrifices & autres articles pour l'usage du temple, 100 talens. Il fait présent outre cela à chacun des 72 députés, de 3 talens d'argent à leur arrivée, c'est-à-dire en tout, de 216 talens ; & quand il les congédie, de 2 talens d'or à chacun, & d'une coupe d'or du poids d'un talent. Tout cela mis ensemble, donne la somme de 1046 talens d'argent, & 1600 talens d'or, qui réduite en monnoie d'Angleterre, fait 1918537 liv. sterlings 10 schellings, en comptant le talent sur le pié de celui d'Athènes, comme le docteur Bernard en a réglé la valeur. Si on prenoit les talens pour des talens d'Alexandrie, où étoit la scene, ce seroit bien pis encore, car ce seroit le double.

Si l'on ajoute à cette largesse plusieurs autres menus présens qu'Aristée fait faire par ce prince aux députés, outre les fraix de leur voyage & de leur dépense pendant leur séjour en égypte, il se trouvera que Ptolémée, pour avoir le livre de Moïse en grec, aura dépensé plus de deux millions-sterlings, c'est-à-dire à-peu-près vingt fois autant que la bibliotheque alexandrine pouvoit valoir. Comment imaginer que Ptolémée ait fait cette prodigieuse dépense pour un ouvrage, dont ni lui, ni sa cour ne devoient pas certainement être fort curieux.

3°. Les questions qu'on propose aux 72 députés, & leurs réponses, n'ont pas moins l'air d'un roman. L'envoi des anciens de Jérusalem à Alexandrie pour cette traduction, & qu'on tira six à six de chaque tribu, sont l'invention d'un juif, qui a en vue le sanhédrin, & le nombre des douze tribus d'Israël ; mais il n'y a pas même apparence qu'il y eut alors dans toute la Judée six hommes qui eussent les qualités qu'on leur donne pour cet ouvrage, & qui entendissent assez de grec pour le faire. Ce n'est pas tout ; il falloit également entendre l'hébreu qui étoit la langue de l'original : or l'hébreu alors n'étoit plus leur langue, car depuis le retour de la Chaldée, c'étoit le chaldéen.

4°. Il y a dans le récit d'Aristée plusieurs autres faits qu'on ne sauroit ajuster avec l'histoire de ce tems-là. En particulier, ce Démétrius de Phalere qu'Aristée représente comme le favori de Philadelphe, loin d'être en faveur à la cour de ce prince, avoit encouru sa disgrace, pour avoir voulu détourner son pere de lui mettre la couronne sur la tête ; & d'abord après la mort du pere qui l'avoit protégé, on mit Démétrius en prison où il mourut peu de tems après, comme le dit Diogène de Laërce. Mais ceux qui seront curieux d'approfondir davantage la fable d'Aristée, peuvent lire ce qu'en ont écrit MM. Dupin, Simon, & sur-tout le docteur Hody dans son savant ouvrage de Bibliorum versionibus graec.

III. Aristobule ne mérite pas de nous arrêter longtems, parce que son récit est tiré d'Aristée dont le roman avoit déja la vogue parmi les juifs d'Alexandrie. Ce que le II. liv. des Macchab. j. x. rapporte de cet Aristobule qui étoit précepteur de Ptolémée, l'an 188 de l'ere des contrats, est contre toute apparence. C'étoit Ptolémée Physeon qui régnoit alors ; & l'an 188 de l'ere des contrats est la 21 de son regne, & la 56 après la mort de son pere. Il falloit donc qu'il eût près de soixante ans pour le moins ; & l'on n'a pas de précepteur à cet âge.

On dit encore que cet Aristobule avoit écrit un commentaire sur les cinq livres de Moïse, & qu'il l'avoit dédié à Ptolémée Philometor ; mais tout fait soupçonner que ce commentaire étoit l'ouvrage de quelque juif helléniste, composé long-tems après la date qu'il porte ; & ce qui fortifie ce soupçon, c'est que Clément Alexandrin est le premier qui en parle, & Eusebe le dernier. Cette observation prouve toujours que ce commentaire, quel qu'il fût, n'a pas duré longtems.

IV. Quant à Philon, ses additions à l'histoire d'Aristée sont tirées des traditions reçues de son tems parmi les juifs d'Alexandrie. Le principal & l'accessoire viennent de la même source, c'est-à-dire que l'un & l'autre étoit inventé pour faire valoir la religion judaïque, pour la faire respecter aux étrangers, & attirer à cette version une vénération & une autorité particuliere du commun de leurs propres gens. Quand cela eut une fois passé, il ne fut pas difficile d'introduire la solemnité d'un anniversaire pour en faire la commémoration, telle que Philon l'a vue pratiquer de son tems.

V. Il paroît que la différence du prix de la rançon des Juifs qui se trouve entre Josephe & Aristée, est visiblement une faute, ou de l'auteur ou des copistes ; car la somme totale ne s'accorde pas avec ce qui résulte des sommes particulieres. Le nombre des juifs rachetés, dit Josephe, fut 120 mille, à 20 drachmes par tête, comme Aristée le raconte, c'est justement 400 talens qui est la même somme d'Aristée ; mais Josephe dit que la rançon étoit de 120 drachmes par tête, c'est-à-dire six fois autant, & cependant sa somme totale ne va qu'à 460 talens. Il y a donc erreur dans les nombres ; ou il faut que la rançon soit plus petite, ou il faut que la somme soit plus grosse.

VI. Pour ce qui est de Justin martyr, & des autres peres qui l'ont suivi, ils se sont persuadé trop aisément ce qu'ils souhaitoient qui fût vrai ; car, que soixante & douze personnes renfermées dans des cellules différentes pour faire une traduction de l'écriture, se rencontrent sans aucune communication à traduire tous mot pour mot de la même maniere, ce seroit un miracle qui prouveroit incontestablement, non-seulement l'autorité de la version, mais la vérité de l'écriture du vieux Testament ; & les chrétiens d'alors s'intéressoient également à ces deux choses, aussi bien que les Juifs.

Justin martyr donc trouvant à Alexandrie cette tradition reçue, y donna toute sa croyance, & s'en servit même contre les Payens pour défendre la religion qu'il professoit. Ensuite Irénée & les autres peres de l'Eglise goûterent à leur tour la même idée si flatteuse. Mais pour se convaincre du peu de fonds que mérite l'autorité de Justin martyr dans cette affaire, il n'y a qu'à jetter les yeux sur les erreurs de sa narration. Selon lui, Ptolémée envoye demander à Hérode le livre de la loi. Justin ne songeoit pas que non-seulement Ptolémée Philadelphe dont il vouloit parler, mais tous les autres Ptolémées ses successeurs, étoient morts avant qu'Hérode parvînt à la couronne en Judée. Cette bévue n'accrédite pas le reste de son récit.

Ajoutons que ce pere de l'église étoit fort crédule ; & que quand il eut embrassé le christianisme, il se laissa trop emporter à son zele pour la religion, il donna trop aisément dans tout ce qui lui paroissoit la favoriser. En voici un exemple bien sensible. Etant à Rome, il y rencontre une statue consacrée à Sémon Sancus, un ancien demi-dieu des Sabins. Il s'imagine aussitôt qu'elle est dédiée à Simon Magus ou le magicien ; & sans autre fondement que cette vision, il reproche au peuple romain de s'être fait un dieu d'un imposteur. La même facilité lui fit ajouter foi aux discours des juifs d'Alexandrie, qui en lui montrant les ruines de quelques vieilles maisons de l'île de Pharos, l'assurerent que c'étoient les masures des cellules des septante.

VII. La relation qu'épiphane donne de cette version, est si différente de toutes les autres, qu'elle semble tirée d'une autre histoire que de celle où avoient puisé Josephe & Eusebe. Apparemment que quelque chrétien, depuis Justin martyr, avoit ramassé tout ce qu'il avoit pu rencontrer sur cette matiere, & en avoit composé le nouvel Aristée d'Epiphane, d'où il a tiré ce qu'il en dit. Il est du-moins bien sûr que l'Aristée d'Epiphane a paru après le tems de l'auteur prétendu de cette piece ; car la seconde lettre qu'Epiphane en cite, comme écrite par Ptolémée Philadelphe à Eléazar, commence par cette maxime : " Un trésor caché, & une source bouchée, de quel usage peuvent-ils être " ? Cette sentence est visiblement tirée du livre de l'Ecclésiastique, ch. xx. 30. & ch. xlj. 14. qui ne fut publié par le fils de Sirach que vers l'an 132 avant Jésus-Christ, & 115 ans après la mort de Ptolémée Philadelphe, par l'ordre duquel, selon cet auteur, la version des septante s'est faite.

Enfin, le détail qu'on vient de lire, prouve, je crois, suffisamment que tout ce qu'Aristée, Philon, Justin martyr, Epiphane, & ceux qui les ont suivis, ont débité sur la version des septante, est une pure fable, qui n'a d'autre fondement, sinon que sous le regne de Ptolémée Philadelphe, il se fit une version de la loi de Moïse en grec, par les juifs d'Alexandrie.

VIII. Pour le mieux comprendre, il faut observer, que quand Alexandre bâtit Alexandrie, il y attira quantité de juifs. Ptolémée Soter ayant fait aussi sa capitale de cette ville, apporta tous ses soins à l'augmenter ; en conséquence il y attira encore un grand nombre d'autres Juifs, en leur accordant les mêmes privileges qu'aux Macédoniens & aux Grecs ; desorte qu'ils faisoient une partie très-considérable des habitans de cette grande ville. Le commerce continuel qu'ils avoient avec les citoyens du lieu, les obligea bientôt à apprendre la langue dominante qui étoit le grec, & à la parler communément. Il leur arriva dans cette occasion, ce qui leur étoit déja arrivé dans une autre pareille à Babylone ; je veux dire, d'oublier leur langue, & de prendre insensiblement celle du pays. N'entendant donc plus l'hébreu, où on avoit accoutumé de lire encore premierement le texte ; ni le chaldéen, où l'on en donnoit l'explication dans les synagogues, ils en firent une version grecque pour eux-mêmes. Voilà la véritable raison qui produisit cette version grecque, à qui le roman d'Aristée a fait donner le surnom des septante.

D'abord on ne traduisit en grec que la loi, c'est-à-dire les cinq livres de Moïse. Ensuite du tems d'Antiochus Epiphane, ceux d'Alexandrie, qui pour lors se conformoient à tous les usages de la Judée & de Jérusalem pour le spirituel, traduisirent en grec les prophètes. Enfin, des particuliers traduisirent le reste pour leur usage domestique, ensorte que la version à qui l'on donne le nom des septante, se trouva complete ; & cette version fut celle dont se servirent les juifs hellénistes dans tous les endroits de leur dispersion où l'on parloit grec.

1°. Qu'il n'y eut que la loi de traduite en grec du tems de Ptolémée Philadelphe, c'est un fait clairement marqué dans tous les auteurs qui ont commencé à parler de cette version : dans Aristée, Aristobule, Philon & Josephe, cela est dit expressément. 2°. Que ce fut à Alexandrie que se fit cette version ; la dialecte d'Alexandrie qui y regne par-tout, en est une preuve suffisante. 3°. Qu'elle fut faite à plusieurs reprises, & par des personnes différentes. La différence du style des différens livres, la différente maniere dont on y trouve les mots hébreux & les mêmes phrases traduites, enfin le soin qu'il paroît que l'on a apporté à la traduction de certains livres, & la négligence qui se voit dans quelques-autres, ou plutôt l'exactitude de quelques-unes de ces traductions, & le manque d'exactitude des autres, en sont une démonstration sans réplique.

IX. La passion qu'avoit Ptolémée Philadelphe, de remplir sa belle bibliotheque de toutes sortes de livres, ne permet pas de douter que, dès que cette version fut faite à Alexandrie, on n'y en mît un exemplaire qui y demeura jusqu'à ce que ce riche magasin des sciences fut consumé par un incendie que Jules César occasionna. Mais il falloit que cet exemplaire fût bien négligé ; puisque pas un des auteurs grecs qui sont parvenus jusqu'à nous, ni les anciens auteurs latins, n'en a jamais dit le moindre mot.

La curiosité pour cette version grecque de l'Ecriture, se borna à la seule nation juive ; ils s'en servoient en public dans les synagogues, pour y lire les leçons réglées par leurs canons ; & sans doute qu'ils en avoient aussi des copies en particulier dans leurs familles : mais jusqu'au tems du nouveau Testament, il ne paroît point qu'ils les montrassent aux étrangers. Quand l'évangile se fut étendu à toutes les nations, alors cette version s'étendit avec lui partout où l'on entendoit la langue grecque ; elle ne fut plus renfermée entre les juifs hellénistes, elle fut entre les mains de tous ceux qui en eurent envie, & les copies se multiplierent. Aussi voit-on, quelque tems après Notre-Seigneur, que les payens commencent à connoître le vieux Testament ; au lieu qu'avant le christianisme, très-peu, ou plutôt pas un d'eux, ne l'avoit connu.

X. A mesure que la religion chrétienne se répandit, cette version grecque des septante fut aussi plus recherchée & plus estimée. Les évangélistes & les apôtres qui ont écrit les livres du nouveau Testament, la citent ; les peres de la primitive Eglise la citent aussi. Toutes les églises grecques s'en servoient ; & jusqu'à S. Jérôme, les latines n'avoient qu'une traduction faite sur cette version. Tous les commentaires prenoient cette version pour le texte, & y ajustoient leurs explications. Et quand d'autres nations se convertissoient & embrassoient la religion chrétienne, pour avoir l'Ecriture en leur langue, les versions se faisoient sur celle des septante ; comme l'illyrienne, la gothique, l'arabique, l'éthiopique, l'arménienne & la syriaque.

XI. Cependant à mesure que la version des septante gagnoit du crédit parmi les Chrétiens, elle en perdoit parmi les Juifs. Comme ils se trouvoient pressés par divers passages de cette traduction que les Chrétiens faisoient valoir contr'eux, ils songerent à s'en procurer une nouvelle qui leur fût plus favorable. Aquila, juif prosélite, exécuta le premier cette besogne. Peu de tems après Aquila, il se fit deux autres versions grecques du vieux Testament, l'une par Théodotion, & l'autre par Symmachus, comme nous le dirons plus au long au mot VERSIONS GRECQUES.

C'est assez de remarquer ici qu'Origene rassembla dans ses héxaples les trois dernieres versions dont nous venons de parler, conjointement avec celle des septante. Pamphile & Eusebe ayant découvert vers la fin du iij. siecle l'héxaple d'Origene dans la bibliotheque de Césarée, tirerent de cet ouvrage quelques copies de la version des septante, & les communiquerent aux églises de ces quartiers-là, qui la reçurent généralement depuis Antioche jusqu'en égypte.

Il se fit à-peu-près dans le même tems deux autres éditions des septante ; la premiere par Lucien, prêtre de l'église d'Antioche, qui fut trouvée après sa mort à Nicomédie en Bithynie. Ce fut cette édition que reçurent dans la suite toutes les églises, depuis Constantinople jusqu'à Antioche. L'autre fut faite par Hésychius, évêque d'Egypte, & fut reçue d'abord à Alexandrie, & ensuite dans toutes les églises d'Egypte. Ces deux correcteurs entendoient l'hébreu, & avoient fait par-là plusieurs corrections à la version.

Les auteurs de ces trois éditions des septante souffrirent tous trois le martyre dans la dixieme persécution ; cet événement donna une si grande réputation à leurs éditions, que toute l'église grecque s'en servit, de l'une dans un endroit, & de l'autre dans un autre. Les églises d'Antioche & de Constantinople, & toutes celles d'entre deux, prirent celle de Lucien. Celles d'entre Antioche & l'Egypte, celle de Pamphile, & en Egypte celle d'Hésychius. C'est ce qui fait dire à S. Jérôme qu'elles partageoient le monde en trois ; parce que de son tems aucune église grecque ne se servoit d'aucune autre que d'une de ces trois, qu'elle regardoit comme une copie authentique du vieux Testament. Ces trois éditions, à en juger par les copies manuscrites qui en restent encore, ne différoient en rien de considérable, pourvu qu'on ne mette pas en ligne de compte les fautes des copistes.

De la même maniere que les anciens avoient trois éditions principales des septante, il est arrivé que les modernes en ont aussi trois principales depuis l'impression, dont toutes les autres ne sont que des copies. La premiere est celle du cardinal Ximenès, imprimée à Complute, ou Alcala de Henarès en Espagne ; la seconde celle d'Aldus à Venise, & la troisieme celle du pape Sixte V. à Rome.

Celle du cardinal Ximenès est imprimée l'an 1615 dans sa polyglotte, connue sous le nom de bible de Complute, qui contient 1°. le texte hébreu ; 2°. la paraphrase chaldaïque d'Onkélos sur le Pentateuque ; 3°. la version des septante du vieux Testament, & l'original grec du nouveau, & 4°. la version de l'un & de l'autre. Ce furent les théologiens de l'université d'Alcala, & quelques autres qui préparerent les matériaux pour l'impression ; mais comme c'étoit le cardinal Ximenès qui en avoit fait le plan, qui les dirigeoit, & qui en faisoit toute la dépense, cette polyglotte a retenu son nom. Le dessein qu'on s'est proposé dans cette édition des septante ayant été de choisir dans tous les exemplaires qu'on avoit la leçon qui approchoit le plus de l'hébreu, il se trouve que ce qu'ils ont donné est plutôt une nouvelle version grecque, que les anciens septante, ou la version qui sous ce nom a été d'un si grand usage aux peres de la primitive Eglise. C'est sur cette édition des septante que sont faites celles des polyglottes d'Anvers & de Paris, dont la premiere parut l'an 1672, & l'autre l'an 1645. Celle de Commelin, imprimée à Heidelberg avec le commentaire de Vatable, l'an 1599, est aussi faite sur cette édition.

II. L'édition d'Aldus à Venise est de 1578. Ce fut André Asulanus, beau-pere de l'imprimeur, qui en prépara la copie par la collection de plusieurs anciens manuscrits. C'est de celle-ci que sont venues toutes les éditions d'Allemagne, à la reserve de celle d'Heidelberg dont nous venons de parler.

III. Mais l'édition de Rome est préférée aux deux autres par tous les savans, quoique Vossius l'ait condamnée comme la plus mauvaise. Le cardinal de Montalte, qui parvint ensuite au pontificat, l'avoit commencée. Comme il portoit le nom de Sixte V. quand elle parut l'an 1587, cette édition est aussi connue sous ce même nom. Il commença par recommander cet ouvrage à Grégoire XIII. en lui représentant que c'étoit ce qu'ordonnoit un decret du concile de Trente ; & son avis ayant été suivi, on en chargea Antoine Caraffe, savant homme, d'une famille illustre d'Italie, qui fut fait ensuite cardinal bibliothécaire du pape. Avec l'assistance de quelques savans qui travailloient sous lui, il acheva cette édition.

On suivit presque en tout un ancien manuscrit de la bibliotheque du Vatican, qui étoit tout en lettres capitales sans accens, sans points & sans distinction des chapitres ni de versets. On le croit du tems de S. Jérôme. Seulement là où il manquoit quelques feuilles, on fut obligé d'avoir recours à d'autres manuscrits, dont les principaux furent, un de Venise de la bibliotheque du cardinal Bessarion, & un autre qu'ils firent venir de la Calabre, qui étoit si conforme à celui du Vatican, qu'on croit que l'un est une copie de l'autre, ou que tous deux ont été faits sur le même original.

L'année suivante on publia à Rome une version latine de cette édition, avec les notes de Flaminius Nobilius. Morin les imprima tous deux ensemble à Paris l'an 1628. C'est sur cette édition qu'ont été faites toutes celles des septante qu'on a imprimées en Angleterre. Celle de Londres in-8°. de 1653, celle de la polyglotte de Walton de 1657, & celle de Cambridge de 1665, où est la savante préface de l'évêque Péarson, & qui nous donne bien plus fidelement l'édition de Rome, que celle de 1653, quoique toutes deux s'en écartent en quelque chose.

Mais le plus ancien & le meilleur manuscrit des septante, au jugement de ceux qui l'ont examiné avec beaucoup de soin, c'est l'alexandrin qui est dans la bibliotheque du roi d'Angleterre à S. James. Il est tout en lettres capitales, sans distinction de chapitres, de versets, ni de mots. Ce fut un présent fait à Charles I. par Cyrille Luçar, alors patriarche de Constantinople ; il l'avoit été auparavant d'Alexandrie : quand il quitta ce patriarchat pour celui de Constantinople, il y emporta ce manuscrit, & l'envoya ensuite à Londres par le chevalier Thomas Roe, ambassadeur d'Angleterre à la Porte, & y mit cette apostille qui nous apprend l'histoire de ce manuscrit.

Liber iste Scripturae sacrae n. & v. Testamenti, prout ex traditione habemus, est scriptus manu Theclae nobilis foeminae aegyptiae, ante mille & trecentos annos circiter, paulo post concilium Nicaenum. Nomen Theclae in fine libri erat exaratum ; sed extincto Christianismo in Aegypto à Mahometanis, & libri un à Christianorum in similem sunt redacti conditionem ; extinctum enim est Theclae nomen & laceratum ; sed memoria & traditio recens observat.

Cyrillus, patriarcha constantinopolitanus.

C'est-à-dire : " Ce livre qui contient l'Ecriture sainte du vieux & du nouveau Testament, selon que nous l'apprend la tradition, est écrit de la propre main de Thécla, femme de qualité d'Egypte, qui vivoit il y a près de treize cent ans, un peu après le concile de Nicée. Le nom de Thécla étoit écrit à la fin ; mais la religion chrétienne ayant été abolie par les Mahométans en Egypte, les livres des Chrétiens eurent le même sort. Le nom de Thécla a donc été déchiré, mais la mémoire ne s'en est pas perdue, & la tradition s'en est très-bien conservée ".

Cyrille, patriarche de Constantinople.

Le docteur Grave, savant prussien, qui a demeuré plusieurs années en Angleterre, avoit entrepris de donner une édition de cette copie, & la reine Anne lui faisoit même une pension pour cette besogne ; il en avoit déja publié deux tomes quand la mort l'empêcha de mettre au jour les deux autres qui devoient achever l'ouvrage. Si quelque habile homme vouloit bien donner ce reste au public, & y prendre autant de soin que ce docteur, nous aurions une quatrieme édition des septante, qui seroit assurément approuvée, & regardée désormais comme la meilleure de toutes ; celle de Lambert Bos n'est cependant pas méprisable.

Voilà ce que l'histoire nous met en droit de dire de cette ancienne version du vieux Testament, & des éditions anciennes & modernes qui s'en sont faites. Si quelqu'un est curieux de voir les disputes & les remarques de critique que cette matiere a causées, & ce qu'en ont écrit les savans, il peut consulter Usserii syntagma de graecâ LXX. interpretum versione. Morini exercitationes biblicae I. pars, & la préface qu'il a mise au-devant de son édition des LXX. Wower, de graeca & latina Bibliorum interpretatione ; les Prolégomenes de la polyglotte de Walton, ch. jx. Vossius, de LXX. int. l'histoire critique du vieux Testament de Simon ; l'histoire du canon du vieux Testament de Dupin ; les Prolégomenes de Grave, mis au-devant des deux parties des LXX. qu'il a données : & surtout le savant livre du docteur Hody, de Biblior. version. graec. car c'est lui qui a le plus approfondi cette matiere, & qui l'a le mieux traitée de tous ceux qui en ont écrit. (D.J.)


SEPTEM-COLLES(Littér.) c'est ainsi que les auteurs latins nomment par excellence les sept monticules ou collines que Rome renfermoit dans son enceinte. Virgile dit :

Septem quae una sibi muro circumdedit arces.

Ces sept anciennes collines de Rome, sont le mont Quirinal, le mont Viminal, le mont Capitolin, le mont Esquilin, le mont Palatin, le mont Caelius & le mont Aventin ; on en ajouta ensuite cinq autres ; savoir, collis Hertulorum, mons Citorius, mons testaceus, le Vatican & le Janicule. De ces douze collines, les deux dernieres sont séparées des autres par le Tibre. Voyez SEPTICOLLIS. (D.J.)


SEPTEM-FRATRES(Géog. anc.) montagne de l'Afrique, dans la Mauritanie tingitane. Ptolémée, l. IV. c. j. la nomme Heptadelphus mons, & la place sur la côte septentrionale, entre Exilissa & Abyla. On lui donna le nom de Sept-Freres, Septem-fratres, à cause qu'elle s'éleve en sept sommets qui paroissent de même figure. Cette montagne domine sur le détroit de Gibraltar. (D.J.)


SEPTEMBR(calendrier des Romains) ce mois, le septieme de l'année romaine, & le neuvieme de la nôtre, étoit sous la protection de Vulcain. On le trouve personnifié sous la figure d'un homme presque nud, ayant seulement sur l'épaule une espece de manteau qui flotte au gré des vents. Il tient de la main gauche un lézard attaché par une jambe à une ficelle. Ce lézard suspendu en l'air, se débat autant qu'il peut. Aux piés de l'homme sont deux cuves ou vases préparés pour la vendange, comme le marquent les quatre vers d'Ausone, dont voici le sens : " Septembre cueille les grappes, c'est en ce mois que les fruits tombent. Il se divertit à tenir en l'air un lézard attaché par le pié, qui se démene d'une maniere agréable ". Les fêtes de ce mois étoient le 3 les dionysiaques ou les vendanges, le 4 les jeux romains pendant 8 jours, le 15 les grands jeux circenses voués pendant cinq jours, le 20 la naissance de Romulus, le 30 les méditrinales. (D.J.)


SEPTEMPEDA(Géog. anc.) ville d'Italie dans le Picenum, selon Strabon, l. V. p. 241. Frontin, qui en fait une colonie romaine, ne lui donne que le titre d'Oppidum. On voit par une ancienne inscription recueillie par Gruter, p. 308. n °. 3. que Septempeda étoit un municipe : Flam. Peron. Municip. J. Septemp. & dans une inscription rapportée à la page 284, n °. 4. on lit : Ordo Septempedanorum. On veut que ce soit aujourd'hui San-Severino. (D.J.)


SEPTEMVIRIepulonum, (Littérat.) c'est-à-dire les sept maîtres des festins ; c'étoit sept prêtres nommés ainsi, ou simplement epulones, & qui étoient établis à Rome pour régler & arranger les lectisternes, ou festins publics que l'on donnoit aux dieux dans des occasions importantes. Voyez EPULONS. (D.J.)


SEPTENAIREadj. (Gramm.) qui est au nombre de sept. On dit le nombre septenaire des planetes.

SEPTENAIRE, ou REGENT SEPTENAIRE, (Jurispr.) est celui qui a professé pendant sept ans dans l'université de Paris.

Les régens septenaires ont pour les bénéfices un privilege qui consiste en ce qu'ils sont préférés dans les mois de rigueur à tous les gradués nommés, excepté aux docteurs en Théologie, lesquels concourent avec eux.

Pour jouir de ce privilege, les régens septenaires doivent avoir leur quinquennium.

En cas de concurrence entre plusieurs professeurs septenaires de différentes facultés, le plus ancien gradué est préféré.

Ceux qui ont été principaux d'un college célebre & de plein exercice pendant sept années entieres, & sans interruption, ont le même privilege.

Le privilege des septenaires a lieu contre tous les gradués, même des autres universités, & pour des bénéfices même situés hors du diocèse de Paris.

Du reste, comme ce privilége est contre le droit commun, il ne reçoit point d'extension ; il a cependant lieu dans les universités de Caën & de Reims. Voyez les statuts de l'université de Paris, la pratique de Rebuffe, le traité des bénéfices de Drapier, la déclaration du 26 Janvier 1680. (A)


SEPTENTRIONS. m. en Astronomie, c'est proprement une constellation du nord, que l'on appelle plus ordinairement ursa minor, ou la petite ourse. Voyez OURSE.

Septentrion, en Cosmographie, signifie la même chose que nord, ainsi appellé de l'ancienne constellation septentrion. L'étoile polaire est une étoile de cette constellation. Voyez NORD, POLAIRE, &c.

Delà est venu le mot septentrional, septentrionalis, pour désigner tout ce qui a rapport au nord. Comme les signes septentrionaux, les paralleles septentrionaux, &c. sont les signes & les paralleles qui sont du côté de l'équateur vers le nord, cette dénomination vient de ce que l'on divise la terre en deux hémispheres, terminés par l'équateur ; celui qui est du côté du septentrion s'appelle hémisphere septentrional, & l'autre hémisphere méridional : or tout ce qui se trouve dans l'un de ces deux hémispheres, conserve la dénomination. Ainsi on dit que la latitude septentrionale d'un lieu est à 48°. pour dire que ce lieu se trouve dans l'hémisphere septentrional, & est éloigné de 48 degrés de l'équateur, & ainsi du reste, &c. (O)

SEPTENTRION, (Antiq. rom.) en latin septentrio ; c'étoit le nom ou le sobriquet que l'on donnoit à une certaine espece de mimes ou danseurs. M. de Caylus a fait graver d'après un bronze antique, la représentation de ces sortes de gens, dont les gestes & l'attitude paroissent très-comiques. Les especes de castagnettes qu'il tient aux mains, ne ressemblent point du tout aux nôtres ; elles servoient apparemment à marquer la mesure, & appuyoient les mouvemens d'une danse qui de sa nature devoit être ridicule. Ce mime est nud, il n'a qu'une écharpe autour des hanches, & elle est renouée sur le côté. La chaussure n'est qu'un simple chausson qui paroît n'avoir point de couture : la pointe au-dessus du talon remonte assez haut, & le devant se rabat sur les cordons qui le tiennent en état. La dénomination de septentrion donnée par les Romains aux mines ou danseurs ainsi vêtus, est employée dans plusieurs inscriptions, nommément à Antibes, où M. de Caylus a copié la suivante, D. M. Pueri septentrionis Annor. XII. Qui Antipollin Theatro Biduo saltavit & placuit. Antiq. de M. de Caylus, tom. II. (D.J.)

SEPTENTRION, le, (Géog. mod.) l'un des quatre points cardinaux. C'est celui qui répond sur l'horison au pole boréal, & par lequel passe le méridien. Ce mot désigne en Géographie la partie du ciel & celle du globe de la terre qui est opposée au midi, & qui se trouve entre l'équateur & le pole. On a donné à cette partie le nom de septentrion, & celui de septentrional à tout ce qui est tourné de ce côté-là, parce que les anciens y remarquerent sept étoiles qu'ils nommoient septem triones. C'est la même constellation que les Astronomes appellent la petite ourse, & le peuple le chariot de saint Jaques. Comme les mots nord & septentrion sont synonymes, voyez NORD. (D.J.)


SEPTENTRIONALadj. qui est du septentrion. Ainsi l'on dit le pole, un signe, un parallele, un vent, un quadran, &c. septentrional ; l'Amérique septentrionale, les nations septentrionales.


SEPTERÉES. f. (Gramm.) qui contient un espace de terre d'environ un arpent, ou un septier de semence.


SEPTÉRIE(Antiq. grec.) ; fête que les habitans de Delphes célébroient tous les neuf ans en mémoire du combat & de la victoire d'Apollon contre le serpent Python. La tradition disoit que le combat d'Apollon contre Python s'étoit passé à Delphes ; que le monstre ayant été blessé, s'enfuit par le chemin qu'on appelloit sacré, jusques dans la vallée de Tempé ; qu'Apollon l'y poursuivit, & qu'il le trouva mort & même enterré. Aïx, fils du monstre, lui avoit rendu ce dernier devoir. Mais voici quelle étoit la cérémonie de la fête.

On dressoit une cabane de feuillages dans la nef du temple d'Apollon, qui représentoit la sombre demeure de Python. On venoit en silence y donner assaut par la porte qu'on appelloit dolonie : on y amenoit après cela un jeune garçon ayant pere & mere, qui mettoit le feu dans la cabane avec une torche ardente : on renversoit la table par terre, & puis chacun s'enfuyoit par les portes du temple. Le jeune garçon sortoit de la contrée ; & après avoir erré en divers lieux où il étoit réduit en servitude, il arrivoit enfin à la vallée de Tempé, où il étoit purifié avec beaucoup de cérémonies. (D.J.)


SEPTICOLLIS(Géog. anc.) nom que l'on donna anciennement à la ville de Rome. Romulus qui d'abord n'avoit environné de murs & de fossés que le mont Palatin, y ajouta le mont Tarpeïen lorsque Titus-Tatius & les sabins de sa suite, eurent pris le parti de se faire citoyens de Rome. Numa étendit encore la ville, & y joignit le mont Quirinal, où l'on avoit dressé un temple à Romulus, sous le nom de Quirinus. Tullus Hostilius, quand il eut transporté à Rome les Albains, après avoir détruit Albe, enferma le mont Coelius dans l'enceinte de Rome. Sous Ancus Marcius le mont Janicule, situé au-de-là du Tibre, fut joint à la ville par un pont de bois. A la vérité le premier Tarquin s'étoit contenté de construire de belles pierres, au moins en partie, les murs de Rome, sans faire augmentation à son enceinte. Pour Servius Tullius, non content d'achever l'ouvrage que son prédécesseur avoit commencé, il fit enclorre le mont Esquilin & le mont Viminal dans les nouveaux murs qu'il érigea. Ainsi Rome commença pour lors à porter le nom fameux de Septicollis, qui veut dire une ville composée de sept collines. (D.J.)


SEPTIEME(Arithmét.) partie d'un tout divisé en sept parties égales. En matiere de fractions, un septieme se marque ainsi 1/7, & deux, trois ou quatre septiemes, &c. 2/7, 3/7, 4/7. (D.J.)

SEPTIEME, en Musique, est un intervalle dissonant, que les Grecs appellent heptacordon, parce qu'il est formé de sept sons, c'est-à-dire, de six degrés diatoniques : il y en a de quatre sortes.

La premiere, est la septieme diminuée ; elle est composée de trois tons & de trois semi-tons majeurs, comme de l'ut dièse au si bémol ; son rapport est de 75 à 128.

La seconde, est la septieme mineure ; elle est composée de quatre tons, & de deux semi-tons majeurs, comme de mi à ré, & chromatiquement de dix semi-tons : son rapport est de 5 à 9.

La troisieme, est la septieme majeure, composée de cinq tons & un semi-ton majeur ; desorte qu'il ne faut plus qu'un semi-ton majeur pour achever l'octave : comme d'ut à si ; & chromatiquement d'onze semi-tons ; son rapport est de 8 à 15.

La quatrieme, est la septieme superflue ; elle est composée de cinq tons, un semi-ton majeur & un semi-ton mineur, comme du si bémol au la dièse ; desorte qu'il ne lui manque qu'un comma pour faire un octave ; son rapport est de 81 à 160 ; mais cette derniere espece n'est point usitée en Musique, si ce n'est dans quelque transition enharmonique.

Il y a trois accords de septieme.

Le premier est fondamental, & porte simplement le nom de septieme : mais quand la tierce est majeure & la septieme mineure, il s'appelle accord sensible ou dominant ; il se compose de la tierce, de la quinte, de la septieme, & de l'octave.

Le second est encore fondamental, & s'appelle accord de septieme diminuée ; il est composé de la tierce mineure, de la fausse quinte, & de la septieme diminuée dont il prend le nom, c'est-à-dire, de trois tierces mineures consécutives ; & c'est le seul accord qui soit ainsi formé d'intervalles égaux ; il ne se fait que sur la note sensible. Voyez ENHARMONIQUE. (S)

M. Rameau dérive cet accord de l'accord de dominante tonique, & de celui de sous-dominante dans le mode mineur, en cette sorte ; soient les accords mi sol si ré, & ré fa la si de dominante tonique & de sous-dominante dans le mode mineur de la ; M. Rameau joint ces deux accords, en retranchant 1°. mi dont le sol est censé tenir la place ; 2°. la qui est censé continu dans ré. Voyez ACCORD & FONDAMENTAL. Voyez aussi mes élémens de Musique. (O)

Le troisieme s'appelle accord de septieme superflue ; c'est un accord par supposition, formé par l'accord dominant, au-dessous duquel la basse fait entendre la tonique.

Il y a encore un accord de septieme & sixte, qui n'est qu'un renversement de l'accord de neuvieme ; il ne se pratique guere que dans les points d'orgue, à cause de sa dureté. Voyez ACCORDS, CADENCE, DISSONANCE. (S)


SEPTIERS. m. (Mesure de liquides) cette mesure est différente suivant les lieux, ou l'espece des choses mesurées ; elle fait en plusieurs lieux de la France la chopine, & la moitié d'une pinte en fait de vin, d'eau-de-vie, &c. (D.J.)

SEPTIER, (Jauge) ce mot en fait de jauge, s'entend d'une certaine quantité ou mesure de liqueur, qui est la valeur de huit pintes de Paris. Le muid de vin doit contenir trente-six septiers ; le demi-muid ou feuillette, dix-huit septiers ; le quart de muid, neuf septiers ; & le demi-quart ou huitieme de muid, quatre septiers & demi. Savary. (D.J.)

SEPTIER, (Mesure de sel) le septier pris pour mesure de sel, est composé de plusieurs autres mesures ; il contient quatre minots ou seize boisseaux, & les douze septiers font le muid : le sel ainsi que les grains, se mesurent ras. Savary. (D.J.)

SEPTIER, (Mesure seche) certaine mesure de grains, comme froment, seigle, orge, &c. de légumes, comme pois, lentilles, feves, &c. de graines, comme millet, navette, chenevi, &c. de farine, de châtaignes, de noix, & d'autres semblables marchandises. Cette mesure qui est différente suivant les lieux, n'est pas un vaisseau qui serve à mesurer toutes ces sortes de choses, mais une estimation de plusieurs autres mesures, telles que peuvent être le minot, le boisseau, &c.

A Paris le septier se divise en deux mines ; la mine en deux minots, le minot en trois boisseaux, le boisseau en quatre quarts ou seize litrons, & le litron contient suivant quelques-uns, trente-six pouces cubiques ; les douze septiers font un muid ; le septier d'avoine est double de celui de froment ; ensorte qu'il est composé de vingt-quatre boisseaux, ou deux mines ; chaque mine de douze boisseaux, quoique le muid ne soit que de douze septiers. Les grains, les graines, les légumes, & la farine, se doivent mesurer ras, sans rien laisser sur le bord de la mesure ; c'est-à-dire, que la mesure étant suffisamment pleine, elle doit être rasée ou radée avec une radoire, instrument de bois destiné pour cela. Les châtaignes, les noix, & autres semblables fruits secs, doivent être aussi mesurés ras ; mais la mesure ne doit être rasée simplement qu'avec la main. Dictionnaire du Commerce. (D.J.)


SEPTIMANCA(Géog. anc.) ville d'Espagne : l'itinéraire d'Antonin la place sur la route d'Emerita à Sarragosse, entre Amallobrica & Nivaria, à vingtquatre milles du premier de ces lieux, & à vingt-deux milles du second ; Merula & d'autres, croyent que c'est présentement Semanca. (D.J.)


SEPTIMANIE(Géog. mod.) Sidoine donne le nom de Septimanie à sept cités, dont Euric roi des Visigoths s'empara. Ce prince aussi célebre par les cruautés qu'il exerça contre les Catholiques, que par ses intrigues & par ses conquêtes, soumit d'abord, sans coup férir, une partie de l'Aquitaine, & forma un gouvernement particulier de sept cités, qu'il occupa dans cette province.

La Septimanie, ainsi nommée des sept villes qui étoient sous la métropole de Narbonne, comprenoit alors, outre le siége du métropolitain, les diocèses de Beziers, de Maguelone, aujourd'hui Montpellier, de Nîmes, d'Agde, de Lodeve, de Carcassonne, & d'Elne, aujourd'hui Perpignan ; car, afin de remplir le nombre de sept diocèses, d'où la province tiroit son nom, les Goths érigerent ces deux dernieres villes en évêchés, & les substituerent à la place de Toulouse & d'Usès, qu'ils avoient perdues en 507. après la bataille de Vouillé, environ à trois lieues de Poitiers.

Ce changement est attesté par les souscriptions du concile tenu à Narbonne en 589, sous le regne de Rocarede, & par celles de plusieurs conciles d'Espagne, auxquels assisterent, comme sujets des Goths, le métropolitain, & les sept suffragans qu'on vient de nommer. Les souscriptions du concile assemblé à Orléans en 511, prouvent qu'au tems de la mort de Clovis, la monarchie françoise n'étoit plus bornée que par la Septimanie & par le royaume de Bourgogne.

La Septimanie fut soumise aux Goths tant que leur domination subsista au-delà des Pyrénées ; mais la révolution qui dépouilla leur roi Roderic de toute l'Espagne, leur fit perdre en même tems ce qu'ils possédoient dans les Gaules. Les Sarasins, ministres du ressentiment d'un seul particulier, détruisirent tout-à-la-fois en 714, & l'empire des Goths, & la nation même presque entiere.

L'entrée de la France leur étant ainsi devenue libre, ils l'inonderent souvent d'armées formidables, & pénétrerent par l'Aquitaine jusqu'au centre du royaume. Charles Martel gouvernoit alors les François en qualité de maire du palais ; il réprima les incursions des Sarrasins, & arrêta leurs progrès, par la victoire qu'il remporta sur eux en 732 entre Tours & Poitiers. Cependant cette défaite, qui avoit couté la vie à leur chef Abdérame, & qui auroit épuisé un peuple moins nombreux, ne les ayant pas empêchés de passer le Rhône, Charles les força après un long siége de sortir d'Avignon, que le duc Maurontus leur avoit livré. Il les poursuivit encore en Septimanie, & reprit enfin sur eux en 737, toutes les villes qui avoient autrefois appartenu aux Goths, à la réserve de Narbonne qui leur resta. Cette place ne fut réduite qu'en 752, depuis la proclamation de Pepin. (D.J.)


SEPTIMIANEPORTE, Septimiana porta, (Topogr. de l'anc. Rome) porte de Rome entre le Tibre & le Janicule ; elle fut ainsi nommée de Septimus Severus, selon Spartian ; cet empereur l'annoblit encore en y faisant construire des bains pour le public. (D.J.)


SEPTIMINTCIA(Géogr. anc.) ville de l'Afrique propre : elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route d'Assurae à Thenae, entre Madassuma & Tablata, à vingt-cinq milles du premier de ces lieux, & à vingt milles du second ; c'étoit un siége épiscopal. (D.J.)


SEPTIMONTIUM(Antiq. rom.) fête des sept montagnes de Rome, qu'on célébra au mois de Décembre, après que la septieme montagne fut enfermée dans la ville ; on offroit aux dieux ce jour-là sept sacrifices en sept différens endroits, mais non pas constamment sur ces montagnes ; ce même jour les empereurs faisoient des libéralités au peuple. (D.J.)


SEPTIQUES. m. & adj. terme de Chirurgie, concernant la matiére médicale externe, remede topique qui corrode les chairs. C'est un escharotique putréfiant, tel que la pierre à cautere, le beurre d'antimoine. Le mot septique est grec ; il signifie putréfiant, qui a la vertu de dissoudre & de faire corrompre ; du verbe , putrefacio, je fais pourrir. Voyez CAUSTIQUE, ESCHAROTIQUE.

M. Pringle, de la société royale de Londres, & médecin des armées britanniques, a donné à la suite de ses observations sur les maladies des armées dans les camps & dans les garnisons, des mémoires excellens, lus à la société royale, sur les substances septiques & anti-septiques. Ses expériences prouvent qu'il y a beaucoup plus de substances qui résistent à la putréfaction, qu'il n'y en a qui la favorisent : l'eau de chaux & le quinquina sont d'excellens anti-septiques, au point que des morceaux de chair à demi-pourrie, mais en macération dans une infusion de quinquina, ont rendu à cette chair son premier état. Voyez QUINQUINA, GANGRENE. (Y)


SEPTIZONES. m. (Architect.) nom du mausolée de la famille des Antonins, qui selon Aurélius Victor, fut élevé dans la dixieme région de la ville de Rome. C'étoit un grand bâtiment isolé, avec sept étages de colonnes, dont le plan étoit quarré : audessus étoient d'autres étages qui faisoient une large retraite ; ce qui donnoit une figure pyramidale à ce bâtiment terminé par la statue de Septime Severe, qui l'avoit fait construire. Ce mausolée fut appellé septizone, du latin septem, & zonae, c'est-à-dire à sept ceintures ou rangs de colonnes.

Les historiens font encore mention d'un autre septizone plus ancien que celui de Septime Sévere, & près des thermes d'Antonin. (D.J.)


SEPTUAGENAIREadj. & s. m. qui a atteint l'âge de soixante & dix ans : on ne peut ni faire mettre, ni retenir en prison un septuagénaire pour dette civile.


SEPTUAGÉSIME(Théolog.) terme de calendrier qui signifie le troisieme dimanche avant le carême. Ce dimanche & les deux suivans qu'on nomme sexagésime & quinquagésime, l'Eglise exhorte ses enfans à la pénitence, pour les préparer à la mortification du carême qu'elle va bientôt commencer.

Quelques-uns croyent que la septuagésime a pris son nom de ce qu'elle est environ 70 jours avant Pâques, & que le pape Télesphore fixa à ce jour le commencement du carême. Voyez CAREME.

En Angleterre, les loix du roi Canut ordonnoient que les tribunaux seroient fermés, & l'exercice de la justice seroit suspendu depuis la septuagésime jusqu'à quindena Paschae, c'est-à-dire la quinzaine de Pâques.

Le droit canon défend la célébration des mariages, depuis la septuagésime jusqu'après les octaves de Pâques ; mais aujourd'hui cette défense ne commence qu'au mercredi des Cendres.


SEPTUM LUCIDUM(Anat.) ou cloison transparente ; elle sépare les deux ventricules supérieurs du cerveau ; elle est ainsi appellée à cause de sa transparence. Voyez CERVEAU.


SEPTUMANI(Géogr. anc.) peuple de la Gaule narbonnoise, selon Pline, lib. III. ch. iv. Comme il leur donne la ville Bliterae ou Bilterae, on voit que ce sont les habitans du diocèse de Béziers. Pomponius Mela, lib. II. ch. v. écrit aussi Septumani. Le pays de ces peuples est appellé Septimania, par Sidonius Apollinaris, par Eginhart & par Aimoin ; & ce nom lui avoit été donné à cause que la septieme légion y avoit eu ses quartiers. (D.J.)


SÉPULCHRALECOLONNE, (Archit.) c'étoit anciennement une colonne élevée sur un sépulchre ou tombeau, avec une épitaphe gravée sur son fust. Il y en avoit de grandes qui servoient aux tombeaux des personnes de distinction, & de petites pour ceux du commun ; celles-ci étoient appellées par les Latins stetae & cippi. On donne aujourd'hui le nom de colonne sépulchrale à toutes les colonnes qui portent des croix dans les cimetiéres, ou qui servent d'ornement aux mausolées. (D.J.)


SÉPULCHRAUXS. m. (Hist. ecclés.) hérétiques qui nioient la descente de J. C. aux enfers quant à l'ame, & disoient qu'il n'y étoit descendu que quant au corps, donnant au mot enfer, le nom de sépulchre.


SÉPULCHRES. m. (Gramm. & Hist.) sepulchrum ; tombeau ordinaire destiné à enfermer les morts, ou les os & les cendres des corps morts, lorsque l'usage étoit de les brûler. Voyez SEPULCHRUM.

Les sépulchres magnifiques, ou pour mieux dire les tombeaux des princes, des grands, des riches de la terre, se nommoient pyramides, mausolées, monumens, cénotaphes, voûtes sépulchrales, &c. mais les pauvres citoyens n'avoient que des sépulchres de peu de montre ; on les appelloit en latin suivant leur forme ou leur usage, columellae, mensae, labella, labra, arcae, columbaria.

Les columellae étoient de petites colonnes semblables à des bouquets ou troncs de pierre que les Latins appellent cippi, avec cette différence que les colonnes étoient arrondies, & leurs troncs quarrés ou de quelque figure irréguliere. Properce en parle ainsi :

I puer, & citus haec aliquâ praepone columnâ,

Et dominum exquiliis dic habitare tuum.

On sait que les exquilies étoient certains lieux hors de la ville, où l'on exécutoit à la mort les criminels, & où les pauvres étoient enterrés :

Hoc miserae plebi stabat commune sepulchrum.

Horat. lib. I. sat. viij.

Les tables, mensae, étoient des pierres quadrangulaires plus longues que larges, assises sur une petite tombe, soit à fleur de terre, soit sur quatre bouquets de pierre élevés d'environ 2 ou 3 piés ; & comme le verbe ponere étoit de commun usage pour signifier mettre, poser, les Latins disoient ponere mensam, pour désigner la structure, la position ou l'assiette des tombes des morts. L'inscription suivante qui se trouve à Milan, & que Gruter a recueillie, 850, 6, pourra servir d'exemple.

M. M.

Miniciae Rufinae

Innocentissimae foeminae

Quae. Vixit. Annis. xxij.

Mense. Uno. Dieb. xxxiiij

Minicia. Domitia. Sorori

Posuit. Mensam contrà

Votum.

Labellum ou labrum, étoit une pierre creusée en forme de bassin de fontaine ; ces bassins étoient les uns ronds, les autres ovales & les autres quarrés ; mais ces derniers s'appelloient proprement arcae ou arculae, parce qu'ils ressembloient aux coffres, excepté que leurs quatre côtés ne tomboient pas à-plomb, & qu'ils étoient ordinairement portés sur quatre piés de lion, ou de quelqu'autre bête.

Les mots cupae, dolia, massae, ollae, urnae, ampullae, phialae, thecae, laminae, & quelques autres semblables, ne signifient point des sépulchres entiers, mais des vaisseaux de différente forme ou matiere, dans lesquels on mettoit les os ou les cendres des corps brûlés.

Columbaria, étoient des niches où on pouvoit placer deux ou trois urnes pleines de cendres, sur lesquelles urnes on gravoit une petite épitaphe.

Agène Urbique parle de quelques endroits des fauxbourgs de Rome, où l'on voyoit quantité de sépulchres de petites gens & d'esclaves ; tel étoit le lieu nommé culinae ; tel étoit encore le lieu nommé sestertium, où étoient enterrés les corps des personnes que les empereurs faisoient mourir.

Quand on lisoit sur les inscriptions d'un sépulchre, tacito nomine, ces mots vouloient dire que les personnes à qui ce sépulcre étoit destiné, avoient été déclarées infâmes, & enterrées à l'écart par la permission du magistrat. (D.J.)

SEPULCHRE de la sainte Vierge, (Hist. ecclés.) on ignore le lieu de ce sacré monument ; & l'on ne sait pas même où la Ste. Vierge a fini ses jours. Les apôtres seuls qui pouvoient en être instruits, ont eu grand soin de ne pas divulguer ce secret. Ainsi toutes les traditions qui ont couru dans le monde sur ce monument, & sur le lieu de la mort de la Ste. Vierge, sont également incertaines. Ainsi quand l'on soutint dans le concile d'Ephèse, tenu en 431, que la Ste. Vierge y étoit morte & qu'elle y avoit son tombeau, ce sentiment ne put prévaloir contre l'opinion de ceux qui montroient le tombeau de la mere de notre Sauveur à Jérusalem. On a soutenu depuis qu'il étoit dans la vallée même de Josaphat ; d'autres ont prétendu le voir au pié de la montagne des Oliviers ; & dans chacun de ces deux endroits on en a donné des descriptions si différentes, qu'elles ne peuvent convenir au même tombeau. (D.J.)

SEPULCHRE des Juifs, (Critiq. sacrée) en grec ; les Hébreux creusoient ordinairement leurs tombeaux dans les rocs, comme il paroît par Is. xxij. 16. C'est pour cette raison qu'Abraham acheta une double caverne, pour en faire son sépulchre. Genèse, xlix. 30. Lorsque leurs tombeaux étoient en plein champ, ils mettoient une pierre taillée par-dessus, pour avertir qu'il y avoit dessous un sépulchre, afin que les passans ne se souillassent point en y touchant. Le Sauveur fait allusion à cette coutume, quand il compare les Pharisiens à des sépulchres cachés, sur lesquels en passant sans le savoir, on contracte une souillure involontaire. Luc, xj. 44. Les Juifs enduisoient aussi de chaux leurs sépulchres, pour qu'on les apperçût mieux ; & tous les ans le 15 d'Adar, on les reblanchissoit. C'est pourquoi J. C. compare encore les Pharisiens hypocrites, qui couvroient leurs vices d'un bel extérieur, à des sépulchres blanchis.

Habiter dans les sépulchres, c'est dormir auprès des tombeaux, pour consulter les devins, à la maniere de ceux d'entre les Gentils qui couchoient près des sépulchres sur des peaux de bêtes, afin d'apprendre en songe ce qui devoit leur arriver. Isaïe, xxxv. 4. reproche aux Juifs cette pratique superstitieuse.

Sépulchre se prend au figuré dans l'Ecriture ; 1°. pour la mort. Il ne reste que le sépulchre, dit Job, xvij. 1. c'est-à-dire je n'attends plus que la mort dans mon affliction. 2°. pour l'excès de la misere. Ezéchiel, ch. xxxvij. 12. promet aux Juifs que Dieu les retirera de leurs sépulchres, c'est-à-dire de leur dure captivité. 3°. pour une chose pernicieuse ; c'est dans ce sens que S. Paul dit aux Romains, iij. 13. le gosier des méchans est comme un sépulchre ouvert, dont sortent des paroles nuisibles au salut. Enfin laisser une ame dans le sépulchre, dans la mort ou dans l'enfer, est une expression hébraïque qui désigne une seule & même chose. (D.J.)

SEPULCHRE, SAINT, (Ordre milit.) nom d'un ordre militaire établi dans la Palestine. La plupart des écrivains en attribuent la fondation à Godefroi de Bouillon ; mais c'est une idée chimérique. Les chevaliers du saint sépulchre ne s'éleverent que sur les ruines de chanoines réguliers ainsi nommés ; ce fut Alexandre VI. qui institua l'ordre militaire de ce nom, dont il prit la qualité de grand-maître. Clément VII. en 1525, accorda de vive voix au gardien des religieux de S. François en Terre-Sainte, le pouvoir de faire de ces chevaliers. Paul V. sous Louis XIII. confirma la réunion de l'ordre du saint sépulchre, à celui de S. Jean de Jérusalem. (D.J.)


SEPULTURASEPULCHRUM, MONUMENTUM, (Antiq. rom.) il y a de la différence entre ces trois mots, considérés dans leur signification propre. Sépulchre marque en général tout lieu de sépulture, selon le jurisconsulte dans la loi 3. de sepulchro violato. Toutefois à prendre ce terme à la rigueur, tel a sépulture qui n'a point de sépulchre ; car le mot sépulture désigne non-seulement tout lieu où les corps sont ensevelis, mais même les cérémonies de l'ensevelissement. Les Payens ne s'inquiétoient pas du sépulchre, mais beaucoup de la sépulture ; parce qu'ils croyoient que l'ame de celui dont le corps étoit privé de sépulture, restoit errante, & ne pouvoit être admise au rang des autres dans les champs élisées.

Nec ripas datur horrendas, nec rauca fluenta

Transportare prius, quàm sedibus ossa quierunt.

Aenéid. I. 6.

Voilà d'où vient l'instante priere que le pauvre Palinure fait à Enée, de vouloir à son tour, enterrer son corps, qui étoit encore porté sur les flots près du port de Vélies, depuis l'heure de son nauffrage.

Mais quant au sépulchre, il n'étoit réputé ni nécessaire, ni utile ; achetoit un sépulchre qui vouloit, car il ne consistoit qu'en une masse de maçonnerie faite au-dessus, ou au-devant de la sépulture. Et même de ce genre d'ouvrage les Germains avoient cette opinion, que cela ne servoit que de fardeau inutile aux corps des défunts. Mais ils pensoient que la sépulture étoit louable en elle-même, agréable aux défunts, & pleine de consolation aux vivans. Ce que nous avons appris de Tacite, qui dit que sepulchrum Cespes erigit : monumentorum arduum & operosum honorem, uti gravem defunctis, aspernantur Germani.

A considérer ensuite les mots sépulchre & monument, il y a cette différence, que le monument indique toute sorte d'édifice pour transmettre à la postérité la mémoire de quelque chose ; monumentum est quod memoriae servandae gratiâ existit. Que si dans ce monument on met le corps d'un homme mort, de simple monument qu'il étoit, il dévient vrai sépulchre, tombeau, & se revêt de la nature des lieux saints & religieux. Que si l'édifice est fait à la gloire d'un défunt, & que son corps n'y soit pas mis en sépulture, on le nomme un sépulchre vuide, que les Grecs appellent . Telle est l'idée qu'en donne la loi 42, de religiosis & sumptibus funerum. De-là vient que plusieurs hommes illustres de l'antiquité avoient plusieurs monumens, dont un seul portoit le nom de tombeau. C'est ce que Denis d'Halicarnasse rapporte au sujet d'Enée. (D.J.)


SEPULTURE(Droit naturel) on entend en général par sépulture dans le droit naturel, les derniers devoirs rendus aux morts, soit qu'on enterre leurs corps, soit qu'on les brûle ; car tout dépend ici de la coutume qui détermine la maniere d'honorer la mémoire du défunt.

Le droit de sépulture est fondé sur la loi de l'humanité, & en quelque façon même sur la justice. Il est de l'humanité de ne pas laisser des cadavres humains pourrir, ou livrés en proie aux bêtes. C'est un spectacle affreux aux vivans ; & il leur en proviendroit un dommage réel par l'infection de l'air. Ainsi les personnes les plus indifférentes sont obligées par cette seule raison de donner elles-mêmes la sépulture aux morts, lorsqu'il n'y a point de gens, de parens ou d'amis à portée de leur rendre ce dernier devoir. Que si l'on empêche les parens ou les amis de s'en acquiter, on leur fait une injure. On augmente la douleur qu'ils ressentent de la perte d'une personne qui leur étoit chere, on leur ôte la consolation de lui rendre ce qu'ils regardent comme un devoir. C'est sur ce pié-là que la chose a été envisagée de tout tems parmi les nations qui n'ont pas été plongées dans la barbarie. C'est aussi en partie là-dessus que sont fondées les loix qui privent de la sépulture ceux qui ont commis de très-grands crimes ; car elles se proposent autant de rendre chacun soigneux de détourner de tels crimes ses enfans, ses parens, ses amis, que d'intimider le criminel.

Mais en refusant la sépulture à quelqu'un, ne violet-on point en quelque maniere envers lui l'humanité & la justice ? M. Thomasius & quelques autres ne le croyent pas, parce que le mort ne sent point l'outrage qu'on fait à son cadavre ; cependant ce n'est pas toujours assez pour être lésé, de sentir l'offense que l'on nous fait ; on fait du tort à un insensé, quoiqu'il ne comprenne pas le préjudice qu'on lui cause. Après tout les raisons qui se tirent de l'injure faite aux vivans, suffisent pour en inférer, que la sépulture refusée malicieusement, fournit un juste sujet de vengeance aux parens ou amis du défunt, & que les loix même de la guerre ne s'étendent pas jusqu'à refuser la sépulture aux morts de l'armée ennemie ; c'étoit là du moins l'idée de Platon, & à son autorité on peut ajouter celles que Grotius cite en assez grand nombre, l. II. c. xix. (D.J.)

SEPULTURE, (Antiq. grecque & rom.) le soin de la sépulture est du droit naturel & du droit des gens. Tous les peuples se sont accordés à penser ainsi, & l'antiquité a regardé la sépulture des morts comme un devoir inviolable, dont on ne pouvoit se dispenser sans encourir la vengeance des dieux.

Dans l'Iliade d'Homere, Priam obtient une suspension d'armes pour enterrer les morts de part & d'autre. Jupiter envoye Apollon pour procurer la sépulture à Sarpedon. Iris est dépêchée des dieux pour engager Achille à rendre ce devoir à Patrocle, & Thétis lui promet d'empêcher que ce corps ne se corrompe, au cas qu'on le laisse une année entiere sans sépulture. Homere se fonde ici sur la coutume des Egyptiens qui refusoient la sépulture au défunt, s'il avoit mal vécu. Ce refus faisoit qu'on ne permettoit pas de transporter le corps des impies au-delà du fleuve près duquel étoient les sépultures des justes. De-là venoit l'idée que la privation de la sépulture fermoit à une ame les champs élisiens, & la couvroit d'infamie.

Je me sers ici du mot de sépulture pour les tems même d'Homere, où l'on brûloit les corps, d'autant qu'il restoit toujours des os ou des cendres du cadavre qu'on mettoit en terre enfermés dans des urnes.

L'usage de brûler les corps eut de la peine à s'établir chez les Romains, parce que Numa Pompilius défendit qu'on brûlât le sien ; cette coutume devint cependant générale sur la fin de la république ; mais elle se perdit au commencement du regne des empereurs chrétiens, & s'abolit entierement sous Gratien.

Personne, & même les criminels ne pouvoient être privés de la sépulture parmi les juifs. Josephe, antiq. judaïq. l. IV. c. vj. dit que Moïse avoit commandé qu'on donnât la sépulture à tous ceux qu'on condamneroit à mort pour leurs crimes. Nous voyons que les Romains étoient assez dans le même usage, car Pilate permit qu'on détachât le corps de J. C. & qu'on le mît dans le sépulchre, quoiqu'il l'eût fait mourir comme criminel de lése-majesté. Les empereurs Dioclétien & Maximien marquerent par un de leurs rescripts, qu'ils n'empêcheroient pas qu'on donnât la sépulture à ceux qu'on avoit suppliciés.

Au commencement de la république, tous les Romains avoient leur sépulture dans la ville, mais la loi des douze tables le défendit pour éviter l'infection que les corps enterrés pouvoient causer dans un climat aussi chaud que l'Italie. La république n'accorda le droit de sépulture dans Rome qu'aux vestales, & à un petit nombre de particuliers qui avoient rendu des services considérables à l'état. Les Claudiens eurent le privilege de conserver leur sépulture sous le capitole. Le peuple romain accorda de même par une ordonnance expresse à Valérius Publicola & à ses descendans, l'honneur de la sépulture dans la ville. Plutarqueécrit néanmoins que de son tems, ceux de cette race se contentoient, lorsque quelqu'un d'eux mouroit, de mettre une torche ardente sur le tombeau de famille, qu'ils retiroient aussi-tôt, pour montrer qu'ils avoient ce privilege, mais qu'ils s'en déportoient en faisant enterrer leurs parens dans la contrée de Vélie.

Adrien mit une amende de quatre pieces d'or contre les contrevenans, & étendit cette peine aux magistrats qui l'auroient permis. Il voulut encore, pour me servir des termes du jurisconsulte Ulpien, que le lieu de la sépulture fût confisqué & profané, & qu'on exhumât le corps ou les cendres de celui qu'on y auroit enseveli. Cette ordonnance fut renouvellée par Dioclétien & Maximien, l'an 290 de l'ere chrétienne.

Des loix si formelles obligerent les Romains d'établir leurs tombeaux hors de l'enceinte de Rome, & les élever sur les grands chemins les plus fréquentés, comme sur la voie appienne, la voie flaminienne, la voie latine, où l'on voyoit les sépulchres des Collatins, des Scipions, des Serviliens, des Marcellus, &c. objets propres à porter les passans à l'imitation des grands hommes qui étoient couchés dans ces tombeaux, & dont les noms étoient gravés sur chacun. (D.J.)

SEPULTURE des Chinois, (Hist. de la Chine) les sépultures de ce peuple sont hors des villes, & autant qu'on le peut sur des hauteurs ; souvent on y plante des pins & des cyprès. Jusqu'à environ deux lieues de chaque ville, on trouve des villages, des hameaux, des maisons dispersées çà & là, & diversifiées de bosquets & de petites collines couvertes d'arbres, & fermées de murailles. Ce sont autant de sépultures différentes, lesquelles forment un point de vue qui n'est point désagréable.

La plûpart des sépulchres chinois sont bien blanchis, & faits en forme de fer à cheval. On écrit le nom de la famille sur la principale pierre. Les pauvres se contentent de couvrir le cercueil de chaume, ou de terre élevée de cinq à six piés, en forme de pyramide ; plusieurs enferment le cercueil dans une petite loge de brique, représentant un tombeau.

Pour ce qui est des grands & des mandarins, leurs sépultures sont d'une assez belle structure. Ils construisent une voute dans laquelle ils renferment le cercueil : ils forment au-dessus une élevation de terre battue, haute d'environ douze piés & de huit ou dix pouces de diametre, qui a à-peu-près la figure d'un chapeau ; ils couvrent cette terre de chaux & de sable, dont ils font un mastic, afin que l'eau ne puisse pas y pénétrer ; ils plantent tout autour avec symmétrie des arbres de différentes especes. Vis-à-vis est une longue & grande table de marbre blanc & poli, sur laquelle est une cassolette, deux vases & deux candelabres aussi de marbre. De part & d'autre, on range en plusieurs files des figures d'officiers, d'eunuques, de soldats, de lions, de chevaux sellés, de chameaux, de tortues, & d'autres animaux en différentes attitudes, qui marquent du respect & de la douleur, autant que leurs artistes sont capables d'exprimer les passions ; vous trouverez les détails de leurs funérailles au mot FUNERAILLES des chinois. (D.J.)

SEPULTURE, (Critiq. sacrée) les Juifs avoient grand soin d'ensevelir les morts, & tenoient à deshonneur d'être privés de la sépulture ; aussi étoit-ce chez eux un office de charité que ce dernier soin, comme on le voit par Tobie, qui s'en faisoit un devoir, malgré les défenses de Sennachérib, & quoiqu'il courût risque de la vie en osant enterrer les corps des israélites qu'on exposoit aux bêtes.

Jérémie, ch. viij. 1. menace les grands, les prêtres, & les faux prophetes qui ont adoré les idoles, de faire jetter leurs os hors de leurs sépultures, comme le fumier qu'on jette sur la terre. Le même prophete, ch. xxij. 19. prédit que Johakim, roi de Juda, qui se plongeoit dans toutes sortes de crimes, seroit jetté à la voirie.

Les Juifs cependant n'avoient point de lieu déterminé pour la sépulture des morts ; plusieurs de leurs tombeaux étoient faits dans le roc ; d'autres étoient dans les villes, à la campagne, sur les chemins, dans les jardins. Les tombeaux des rois de Juda étoient creusés sous la montagne du temple, comme l'insinue Ezéchiel, quand il dit, ch. xliij. 7. qu'à l'avenir la montagne sainte ne sera point souillée par les cadavres des rois. Le tombeau que Joseph d'Arimathée avoit préparé pour lui-même, & qu'il destina pour le corps du Sauveur, étoit dans son jardin. Saül fut enterré sous un arbre, & Moïse, Aaron, Eléazar, Josué, le furent dans des montagnes.

Maimonides, il est vrai, fait mention du cercueil où les Juifs mettoient les morts, avant que de les déposer en terre ; mais il parle plutôt de la maniere dont les juifs dispersés ensevelissoient leurs morts, que de celle qui étoit en usage parmi eux, lorsqu'ils habitoient leur propre pays. On croit donc que du tems de J. C. après avoir préparé les corps, avant que de les mettre dans le sépulchre, ils les posoient liés de bandes & enveloppés d'un linceul, sur de petits lits, & les plaçoient ainsi dans les grottes qui étoient leurs sépulchres. Les raisons qu'on a d'en juger ainsi, sont 1°. que dans l'histoire de la sépulture & de la résurrection de J. C. il n'est fait aucune mention de cercueil. Il n'y est parlé que du linceul & des bandes de toile, dont le corps du Sauveur fut enveloppé. 2°. La même chose paroît dans l'histoire de la résurrection de Lazare. S'il avoit été enfermé dans un cercueil, J. C. ne pouvoit lui dire, Lazare, sors dehors. Il auroit fallu ouvrir le cercueil auparavant, comme il fallut ôter la pierre qui fermoit l'entrée du sépulchre, afin que Lazare en pût sortir ; ou il faudroit supposer un miracle que J. C. n'a point voulu faire, parce qu'il n'en fait point de superflu ; c'est pour cela qu'il fait ôter la pierre, avant de commander à Lazare de sortir. 3°. Dans l'histoire de la résurrection du fils de la veuve de Naïn, Jesus s'approche du mort, & lui dit : jeune homme, levez-vous : comment auroit-il pu se lever, s'il eût été enfermé dans un cercueil ?

Quoi qu'il en soit, aussi-tôt que quelqu'un chez les Juifs étoit mort, ses parens & ses amis, pour marquer leur douleur de sa perte, déchiroient leurs habits, se frappoient la poitrine, & mettoient de la cendre sur leurs têtes. La pompe funebre étoit accompagnée de joueurs de flutes, d'hommes & de femmes gagées pour pleurer. Voyez PLEUREURS & PLEUREUSES.

SEPULTURE, s. f. (Archit.) c'est le lieu où sont les tombeaux d'une famille, comme étoit la chapelle des Valois à S. Denis en France.

Les mahometans sont curieux de sépultures qu'ils bâtissent en forme de petites chapelles d'une architecture fort délicate. Ils appellent tarbes, celles des fondateurs des mosquées qui en sont proches. Daviler. (D.J.)


SEPULVÉDA(Géog. mod.) petite ville d'Espagne, dans la vieille Castille, au sud-ouest & près de Ségovie, sur la petite riviere de Duraton. On l'appelloit anciennement Sepulvega, dont on a fait Sepulveda. Villeneuve prétend que c'est la Segortia lata de Ptolémée, l. II. c. vj. (D.J.)


SEQUANA(Géogr. anc.) nom latin de la riviere de Seine. César & Ptolémée disent Sequana, Strabon Sequanus, & Etienne le géographe Secoanus. Cette riviere, selon César, de Bel. Gal. l. I. faisoit avec la Marne, la séparation entre les Gaulois & les Belges. (D.J.)


SÉQUANIENSS. m. pl. (Hist. ancienne) peuple de la Gaule, qui, du tems des Romains, habitoit le pays connu aujourd'hui sous le nom de la Franche-Comté.


SÉQUANOISLES, (Géog. anc.) Sequani, peuples de l'ancienne Gaule ; du tems de César, ils faisoient partie de la Celtique : mais Auguste les mit sous la Belgique, ce qui paroît par les descriptions de Ptolémée & de Pline. César dit encore, que le mont Jura les séparoit des Helvétiens : d'un autre côté, les bornes de leur pays s'étendoient jusqu'au Rhin, à ce que prétend Strabon, l. IV.

On peut dire que le Rhin bornoit originairement le pays des Séquanois, avant que les Germains les eussent éloignés des bords de ce fleuve ; car on voit qu'Arioviste leur enleva la troisieme & la meilleure portion de leur pays, & sans-doute celle qui étoit la plus voisine du Rhin.

Ammien Marcellin, liv. XV. c. xxvij. étend aussi les Séquaniens jusqu'à ce fleuve ; mais il suivoit l'usage de son tems : il y avoit une province appellée Maxima Sequanorum, & dans laquelle on comprenoit non-seulement les Sequani, mais encore les Helvetii & les Rauraci.

Enfin, le pays des Sequaniens, selon Tacite, étoit d'un autre côté limitrophe de celui des Aedui, voyez M. Dunod dans son Histoire des Sequanois & de la province Sequanoise. Cet ouvrage est imprimé à Dijon en 1735. 2. vol. in-4°. (D.J.)


SEQUELLEDIXME DE, (Droit d'église) on appelle dixme de sequelle une certaine dixme qui se perçoit en Bourgogne, parce que le curé qui la leve suit le laboureur qui va cultiver des terres hors de sa dixmerie. Les dixmes personnelles ne sont point reçues en France, cependant les dixmes de sequelle approchent fort de leur nature, dit Fevret. (D.J.)


SÉQUENCES. f. terme de jeu de l'Ambigu ; la séquence est une suite de trois cartes de la même couleur, comme cinq, six & sept. La séquence emporte le point & ses primes, & fait gagner trois jettons de chaque joueur, outre ce qui est au jeu ; la plus haute en points va devant la plus basse.

SEQUENCE, au jeu de ma Commere accommodez-moi, se dit de trois cartes qui sont dans leur ordre naturel, ne laissant aucun intervalle à remplir entre une carte & celle qui lui est inférieure en valeur, comme roi, dame & valet, dame, valet & dix, &c. La séquence de ce jeu ne differe de la tierce du piquet, qu'en ce qu'il faut que celle-ci soit en même couleur, & en même espece, & que la séquence peut être de trois couleurs & de trois especes différentes, pourvû qu'elle aille de suite.

SEQUENCE, au jeu du Hoc, ce sont trois cartes d'une même couleur qui se suivent. La séquence de quatre vaut mieux que celle de trois, celle de cinq, que celle de quatre & ainsi des autres. Et quand les cartes sont égales en nombre, la plus haute gagne ; dame, valet & dix, & la plus forte séquence simple ; as, deux & trois la moindre de toutes. Voyez SEQUENCE SIMPLE.

SEQUENCE SIMPLE, au jeu du Hoc, c'est une séquence qui n'est composée que de trois cartes seulement.

SEQUENCE, au jeu de Commerce, se dit de l'assemblage suivi de trois cartes de même couleur, que l'on appelle tierce au jeu de piquet ; comme as, roi, dame ; roi, dame, valet ; dame, valet & dix, &c. La plus haute ayant toujours la préférence.


SEQUESTRATIONS. f. (Gramm. & Jurispr.) est l'action de mettre des revenus ou autres choses en sequestre.

On entend aussi quelquefois par ce terme l'action de détourner des deniers, des papiers ou autres choses, pour en ôter la connoissance & se les approprier. Voyez ci-après SEQUESTRE.


SEQUESTRES. m. (Jurisprud.) est une personne préposée pour recevoir & garder comme en dépôt des deniers, revenus & autres choses qui sont en litige, jusqu'à ce que la justice ait décidé à qui les choses séquestrées doivent appartenir.

Le sequestre differe du gardien ou commissaire, en ce que celui-ci est établi à une saisie, au lieu que le sequestre est établi à des biens & revenus, quoique non saisis.

Les nominations de sequestre se font ordinairement en justice, sur la demande des parties ou d'office par le juge lorsqu'il y a lieu.

Les parties peuvent néanmoins convenir entr'elles d'un sequestre à l'amiable.

Le juge ne peut nommer pour sequestre aucun de ses parens & alliés, jusqu'au degré de cousins-germains inclusivement, à peine de nullité & d'amende, même de répondre en son nom des dommages & intérêts en cas d'insolvabilité du sequestre.

Le sequestre doit prêter serment devant le juge.

Quand les choses sequestrées consistent en quelque jouissance, le sequestre doit faire procéder au bail judiciaire, au cas qu'il n'y en eût pas de conventionnel ou qu'il eût été fait en fraude & à vil prix.

Le devoir du sequestre en général, est d'administrer les biens & revenus dont il est chargé, comme un bon pere de famille, & de rendre compte de sa commission à qui par justice sera ordonné. Voyez COMMISSAIRE, DEPOT, GARDIEN, & l'ord. de 1661. tit. 19. (A)


SEQUINS. m. (Monnoie) monnoie d'or qui se bat à Venise, au titre de vingt-trois karats, trois quarts. Il s'en fabrique aussi dans les états du grand-seigneur, particulierement au Caire, que de-là on appelle sequins de Turquie ou shérifs ou sultanins. On appelle à Constantinople sequins hongres, des ducats d'or qui se fabriquent en Allemagne à divers coins. La valeur de ces sequins n'est pas tout-à-fait semblable, ceux de Turquie & d'Allemagne valent un quinzieme moins que le vénitien. Aux indes orientales, le sequin vénitien s'y prend pour quatre roupies six pessas, c'est-à-dire pour 10 liv. 4 s. de France ; & le sequin de Turquie seulement pour quatre roupies justes, ce qui est 4 sols moins que l'autre. (D.J.)


SERS. m. (Poids étranger) poids dont on use aux Indes orientales, particuliérement dans les états du grand-mogol, ainsi que l'on fait en France & ailleurs de la livre. Il y a de deux sortes de ser, l'un qui est employé à peser les denrées & choses propres à la vie, & l'autre dont on se sert pour peser les marchandises qui entrent dans le négoce. Le premier est de seize onces, poids de marc, qui est égal à une livre de Paris, & le deuxieme n'est que de douze onces, aussi poids de marc, qui font les trois quarts de la livre de Paris ; ensorte que ce dernier ser differe d'un quart du premier. (D.J.)


SERA(Géog. anc.) ville métropole de la Sérique, selon Ptolémée, l. VI. c. xvj. Le nom moderne est Cambalech, selon Niger, & Sindiufu, selon Mercator. (D.J.)


SERACHS. m. terme de relation ; c'est ainsi qu'on appelle l'officier qui tient l'étrier du caia des janissaires en charge, l'accompagne par-tout à cheval, & lui sert comme d'aide de camp. Au bout d'un certain tems, il obtient le titre de chous, & enfin devient lui-même caia des janissaires, sous le commandement de l'aga du corps. Pocock. Histoire d'Egypte. (D.J.)


SERAou SERAY, terme de relation ; ce mot signifie une maison, mais une maison grande & ample, un palais. C'est le nom du palais du grand-seigneur, qu'on appelle mal-à-propos serrail, car il s'écrit seraï en turc ; mais l'usage l'a emporté. Les palais des bachas & des autres grands de la Porte prennent aussi ce nom ; c'est encore celui qu'on donne à ces hôtelleries publiques, où vont loger les caravanes ; car on les appelle caravanserai ou carvan-seraï. Quelques-uns écrivent ce nom par un k ; d'autres, comme Thevenot, dans son voyage des Indes, écrivent quervan-seraï ; un usage vicieux a prévalu, & décidé pour serrail, lorsqu'il s'agit d'un palais des souverains orientaux, & sur-tout de ceux où leurs femmes sont enfermées. Voyez SERRAIL. (D.J.)

SERAI, ou SARAI, ou SULTAN-SARAI, ou BACHA-SERAI, (Géogr. mod.) ville du Capchac, sur le Volga, où le kan faisoit sa résidence ; mais les Russes ont ruiné en 1736 cette ville, ou plutôt ce palais. Long. 81. lat. 52. (D.J.)


SERANS. m. (Tisserand.) outil à préparer les chanvres, les lins, les orties, & autres plantes dont les tiges sont pleines de filamens, pour les mettre en état d'être filées.

Les serans sont des ais en forme de grandes cardes, armés de dents de gros fils-de-fer, à-travers desquels on fait passer ces plantes, après qu'elles ont été auparavant grossierement concassées avec un instrument de bois. Ces deux apprêts qui les réduisent en filasses & en état d'être filées au rouet ou au fuseau, ne se donnent que lorsqu'au sortir de l'eau où elles ont été rouies, on les a bien fait sécher au soleil. (D.J.)

SERAN, LE, (Géog. mod.) petite riviere de France. Elle prend sa source dans les montagnes de Michaille ; vers le grand abergement, court dans le Valromey, & se perd dans le Rhône, au-dessous de Rochefort, à sept ou huit lieues de son origine. (D.J.)


SERANCERv. act. (Tisseranderie) c'est faire passer les chanvres, lins, orties & autres matieres propres à être filées par les serans. Les chanvres serancés, ce sont les chanvres qui ont reçu cet apprêt, & qui sont réduits en filasse. Les dents du seran doivent être plus ou moins serrées, selon la finesse dont on veut que soit le chanvre.

On a ordinairement plusieurs serans de différente grandeur. Quand on veut serancer, on les attache au bout d'une table, sur un escabeau, ou autre ustensile de ménage ; le principal est qu'ils soient fermes ; on passe le chanvre plusieurs fois à-travers de ces pointes de fer ; & quand il est bien peigné, bien propre & bien clair, on le met en botte pour le vendre à mesure qu'on en serance ; ou bien on le file, soit à grand rouet, à la quenouille, ou au fuseau, suivant les différens usages auxquels on le destine. (D.J.)


SERANCOLINMARBRE, (Litholog.) le marbre serancolin est un marbre isabelle & rouge, ou couleur d'agathe des Pyrénées. La carriere d'où on le tire est dans la vallée d'Or, proche de Serancolin, dans l'évêché de S. Bertrand. L'on a été long-tems que l'on ne pouvoit avoir de ce marbre que par morceaux ; mais depuis que le sieur Misson a trouvé le secret de scier le marbre dans le roc avec des scies qui tournent à volonté, on peut avoir toutes sortes de marbres par grandes pieces. (D.J.)


SERANDIB(Géogr. mod.) nom arabe de la plus fameuse île de l'Océan oriental. Le schérif Al-edrissi lui donne 80 parasanges de longueur, & autant de largeur ; & le géographe persien la met fort proche de la côte des Indes, entre l'équateur & le premier climat. Tout cela nous indique que cette île est la même que celle de Ceylan. (D.J.)


SÉRAPÉONS. m. (antiq. d'Egypte) temple fameux d'Alexandrie, ainsi nommé parce qu'on y avoit déposé la statue du dieu Sérapis.

Rufin qui étoit à Alexandrie lorsqu'il subsistoit encore, nous en a fait la description. C'est un lieu élevé, dit-il, non par la nature, mais de main d'homme. Il est, pour ainsi dire, suspendu en l'air. Ce vaste bâtiment est quarré, & soutenu sur des voûtes depuis le rez-de-chaussée jusqu'à ce qu'on soit arrivé au plain-pié du temple, auquel on monte par plus de cent degrés. Ces voûtes sont partagées en plusieurs appartemens séparés les uns des autres, qui servent à différens ministeres secrets. Sur ces voûtes en-dehors sont de grandes sales pour conférer, des refectoires, & la maison où demeurent ceux qui ont la garde du temple. En-dedans régnoient des portiques qui composoient une espece de cloître au-tour de ce bâtiment quarré. C'étoit au milieu de ce cloître que s'élevoit le temple de Sérapis orné de colonnes, & dont les murs étoient de marbre.

Ptolémée, fils de Lagus, l'avoit fait bâtir, selon Tacite, dans un lieu où il y avoit eu long-tems auparavant une chapelle consacrée à Sérapis & à Isis, sur une petite éminence dans le quartier nommé Rhacotis, dont il faisoit le plus bel ornement.

Théophile, patriarche d'Alexandrie, ayant pris la résolution de ruiner absolument le paganisme dans la capitale de l'Egypte, fit tout ce qu'il put pour obtenir des ordres afin de mettre en exécution son dessein. Il obtint en effet de l'empereur Théodose en 390, un édit qui lui permettoit de démolir tous les temples.

L'expédition de Théophile se fit avec tout le zele destructeur dont il étoit capable, & il n'étoit pas petit. Les choses ne se passerent pas sans tumulte ; les payens, au rapport des auteurs ecclésiastiques, outrés de ce qu'on vouloit abolir leur ancienne religion, se retirerent dans le Sérapéon, comme dans une citadelle ; de-là ils se défendirent & soutinrent les attaques des chrétiens. Quelques philosophes s'étoient mêlés dans cette émeute en faveur de leurs compatriotes ; mais Théophile appuyé du préfet d'Alexandrie & du commandant des troupes, ayant eu l'avantage, un grand nombre de savans du paganisme cruellement persécutés, furent obligés de prendre la fuite, & de se disperser dans plusieurs villes de l'empire. On nomme entr'autres le philosophe Olympus & les grammairiens Ammonius & Helladius. Ce magnifique temple de Sérapis fut détruit de fond en comble, & quelque tems après on bâtit à sa place une église à laquelle on donna le nom de l'empereur Arcadius.

Ce temple avoit une bibliotheque qui devint très-célebre, & qui n'étoit cependant qu'un supplément de la bibliotheque d'Alexandrie, aussi l'appelloit-on sa fille ; mais avec le tems cette fille devint belle & grande ; elle échappa aux flammes qui consumerent celle d'Alexandrie. On croit que ce fut dans le Sérapéon que Cléopatre mit les deux cent mille volumes de celle de Pergame, dont Marc-Antoine lui fit présent. Cette addition & d'autres que les conjonctures amenerent, rendirent la bibliotheque de Sérapéon plus nombreuse que celle dont elle tiroit sa naissance. Pillée plus d'une fois pendant les révolutions de l'empire romain, elle se rétablit toujours de ses pertes. En un mot, elle a subsisté ouvrant ses trésors aux curieux jusqu'au vij. siecle, qu'elle eut enfin le même sort que sa mere, & qu'elle fut brûlée par les Sarrasins quand ils prirent Alexandrie l'an de J. C. 642. (D.J.)


SÉRAPHINSS. m. pl. (Théolog.) anges du premier ordre de la premiere hiérarchie. Voyez ANGES & HIERARCHIE.

Ce mot vient de l'hébreu zaraph, brûler ou enflammer ; & l'on croit que ces esprits célestes ont été ainsi nommés de l'amour divin qui les consume, parce que de tous les anges ils sont les plus près du trône de l'Eternel. Isaie, ch. vj. les dépeint comme des anges qui étoient au-dessus du trône du Seigneur, & qui avoient six aîles ; deux dont ils voiloient leur face, deux dont ils couvroient leurs piés, & deux avec lesquelles ils voloient. C'est le seul endroit de l'Ecriture où il soit fait mention des séraphins pris en ce sens ; car ailleurs séraphins, dans l'hébreu, se prend pour les fondeurs & les orfévres ; & dans les Nombres, l. XXI. le nom de séraphin ou saraphin est donné aux serpens aîlés qui firent mourir les Israélites dans le desert.


SÉRAPHIQUEadj. ce qui appartient aux séraphins, ou ce qui les imite. Boyle a composé un traité de l'amour séraphique, c'est-à-dire de l'amour de Dieu. On donne dans les écoles le titre de docteur séraphique à S. Bonaventure, à cause de sa ferveur & de son extrême piété.

S. François d'Assise est appellé le pere séraphique, en mémoire ou en honneur d'une vision qu'il eut sur le mont Alverne, où, après un jeûne de quarante jours & d'autres grandes austérités, étant en extase, il vit un séraphin qui descendit rapidement du ciel sur lui, & lui imprima aux mains, aux piés & au côté des stigmates qui représentoient les plaies que les cloux & la lance firent au corps de Jesus-Christ lorsqu'on le crucifia. Voyez STIGMATES.


SERAPIDISSERAPIDIS


SÉRAPISou SARAPIS (Mythol. Médaill. Inscript. Monum. Pierres gravées & Littérat.) c'étoit un grand dieu des Egyptiens, connu, selon toute apparence, par ce peuple, longtems avant les Ptolémées, selon l'opinion de M. Cuper, qui nous paroît la plus vraisemblable. Tacite, hist. liv. IV. ch. lxxxiij. le prétend aussi. Les Egyptiens, dit-il, nation superstitieuse, révéroient Sérapis plus qu'aucune autre divinité : Serapin dedita gens superstitionibus super alios colit.

Ce n'étoit pas seulement le dieu tutélaire de toute l'Egypte en général, plusieurs des principales villes de ce royaume l'avoient choisi pour leur patron particulier, & le firent graver sur leurs monnoies en cette qualité ; mais entre toutes ces villes, aucune ne lui rendit des honneurs plus solemnels & plus surprenans que celle d'Alexandrie. Alexandria civitas quae conditorem Alexandrum macedonem gloriatur, Serapin atque Isin cultu penè attonitae venerationis observat, dit Macrobe, liv. I. Saturn.

On l'y adoroit, selon Tacite, comme une espece de divinité universelle qui représentoit Esculape, Osiris, Jupiter, Pluton : deum ipsum multi Aesculapium quod medeatur aegris corporibus, quidam Osirin antiquissimum illis gentibus numen, plerique Jovem, ut rerum omnium potentem, plurimi ditem patrem insignibus quae in ipso manifesta aut per ambages conjectant. On le prenoit aussi pour Jupiter Ammon, pour le Soleil, selon Macrobe, & pour Neptune. Le buste de Sérapis, au revers d'Antonin Pie, nous le montre, dans Seguin, sous presque tous ces différens rapports ; le boisseau sur la tête, la couronne rayonnée, les cornes de bélier, la corne d'abondance devant lui, & derriere lui un sceptre à trois pointes entortillé d'un serpent, même avec la cuirasse, comme le dieu Mars.

On s'étoit aussi formé de Sérapis une idée comme d'un dieu unique, qui comprenoit les attributs de toutes les autres divinités ; ce qui donna lieu aux payens de publier que les Chrétiens & les Juifs, qui ne reconnoissoient qu'un seul Dieu, adoroient Sérapis ; c'est ce qu'assure l'empereur Hadrien dans une lettre à Severianus, rapportée dans Vopiscus d'après Phlegon : illi, dit-il, qui Serapin colunt christiani sunt, & qui se Christi episcopos dicunt, unus illis Deus est ; hunc Christiani, hunc Judaei, hunc omnes venerantur, & gentes.

C'est à cette divinité qu'étoit consacré le superbe temple d'Alexandrie, dans lequel on transféra la statue de ce dieu, que les habitans de Sinope possédoient, & qu'ils adoroient sous le nom de Jupiter Sérapis, Plutus ou Pluton.

Il est très-singulier que les Alexandrins qui avoient cette divinité chez eux pour ainsi dire, puisqu'elle étoit la premiere divinité de toute l'Egypte, se soient avisés de l'aller chercher au-delà des mers, & dans une ville aussi éloignée d'Alexandrie que l'étoit Sinope, & d'adorer Jupiter-Sérapis, divinité égyptienne, sous le titre d'un dieu étranger, savoir sous celui de , Jupiter de Sinope. Tacite, Plutarque & Eustathe nous en disent la raison, dont le détail seroit trop long à raconter autrement que par l'extrait suivant.

Entre plusieurs temples des plus magnifiques dont Ptolemée Soter, fils de Lagus, avoit orné la nouvelle ville d'Alexandrie, qu'il avoit choisie pour la capitale de son royaume, il en avoit fait bâtir un beaucoup plus superbe qu'aucun autre, & tout éclatant d'or. Comme il étoit en suspens à quel dieu il devoit le dédier, un génie d'une beauté charmante, & d'une taille au-dessus de l'humaine, lui étant apparu en songe, lui conseilla de faire venir sa statue du Pont, après quoi il disparut en s'élevant dans les airs environné de flammes.

Ce prince ayant raconté sa vision à Timothée, savant athénien, de la race des Eumolpides, il apprit de lui que près de Sinope, ville de Pont, étoit un vieux temple consacré à Jupiter-Plutus ; dont la statue étoit singulierement respectée par les habitans de cette contrée. Sur cet avis, Ptolemée envoya Timothée en ambassade à Scydrothemis roi de Sinope, pour le prier, en lui offrant en même tems de riches présens, de vouloir bien lui accorder ce dieu.

Scydrothemis fit d'abord de grandes difficultés, & cependant retint Timothée à sa cour le plus longtems qu'il put, en l'amusant toujours de belles promesses. Mais enfin au bout de trois ans, le dieu se déclara de lui-même, & se rendit de son temple sur le vaisseau de l'ambassadeur, qui aussi-tôt ayant mis à la voile, arriva, par un miracle encore plus inoui, en trois jours dans Alexandrie.

Cette divinité y fut reçue avec toutes les marques possibles de vénération ; & à l'instant Ptolemée la fit mettre dans le temple qu'il lui avoit destiné, avec d'autant plus de pompe, qu'il reconnut que c'étoit le portrait même qui lui étoit apparu, & que c'étoit aussi l'image de Jupiter-Sérapis, qui étoit adoré en Egypte pour le dieu Pluton. C'est ce même dieu qu'Athénée nomme le Jupiter égyptien, & Martial le Jupiter pharius, comme étant la divinité du Nil.

Scis quoties Phario madeat Jove fusca syene.

Tacite rapporte que Jupiter-Sérapis étoit encore en vénération de son tems dans Alexandrie ; qu'on s'adressoit à lui comme à un oracle, & que Vespasien étant venu dans cette ville, se renferma dans le temple de ce dieu pour le consulter sur les affaires de l'empire. On publia même que ce prince avoit opéré quelques miracles par la puissance de Sérapis ; & l'on eut grand soin de semer ces faux bruits parmi le peuple, tant pour y accréditer davantage le culte de cette divinité, que pour rendre la majesté impériale toujours plus respectable aux Egyptiens.

Les Athéniens qui avoient reçu la connoissance de l'Egypte par Cécrops & Erecthée, deux de leurs rois qui étoient de ce pays-là, reçurent en même tems le culte d'Isis & de Sérapis, qu'ils établirent dans la Thrace & sur les côtes du Pont-Euxin, où ils furent puissans pendant un assez long espace de tems, & où ils fonderent tant de célebres colonies.

Quand même les historiens se tairoient sur ce point, quantité de médailles nous apprennent que Jupiter-Plutus ou Sérapis, fut la divinité tutélaire de plusieurs villes considérables des environs de cette mer, sur-tout de la Thrace & de la Moesie inférieure ; les médailles de Marcianopole, d'Odesse & de Dionysiopole en rendent témoignage.

Les médailles nous disent encore que ce dieu ne fut pas moins révéré dans l'Arabie, la Phénicie & la Syrie, qu'en Asie, en Thrace & dans la basse Moesie ; c'est ce dont nous assurent les médailles de Bostra, de Ptolémaïs, de Césarée, de Palestine, d'Aelia capitolina, d'Antioche de Syrie, où il eut même un temple fameux.

La ville de Sinope en particulier avoit pu recevoir le culte de Sérapis, si ce n'est immédiatement des habitans des provinces voisines, qui le tenoient des Syriens & des Phéniciens, chez qui il étoit passé de l'Egypte, au-moins des Colches, colonie égyptienne, avec qui Sinope étoit en relation de commerce, ou bien même des Milésiens dont cette ville étoit colonie.

Ce ne fut point sans de grandes raisons que les Sinopiens prirent Jupiter-Plutus, c'est-à-dire Sérapis, pour leur divinité tutélaire ; car outre que plusieurs auteurs prétendent que ce fut Jupiter-même, & non pas Apollon qui transporta de Grece en Asie Sinope, fondatrice de la ville de ce nom, les Sinopiens étoient aussi persuadés que c'étoit à Jupiter-Plutus, dieu des mines, qu'ils étoient redevables de l'opulence où les mettoit le grand trafic qu'ils faisoient sur toutes les côtes de la mer Noire, d'une quantité prodigieuse de fer qu'ils tiroient des mines de leur contrée & des pays voisins ; raison pour laquelle vraisemblablement Pomponius Méla nomme les Sinopiens chalibes, c'est-à-dire forgerons ou marchands de fer.

Le culte de Sérapis passa de la Grece chez les Romains, qui lui éleverent un temple dans le cirque de Flaminius, & établirent des fêtes en son honneur en différens tems de l'année. Une multitude presque innombrable fréquentoit le temple de ce dieu ; de jeunes gens entr'autres y couroient en foule, pour obtenir de lui, comme une faveur signalée, qu'il leur fît trouver des personnes faciles qui eussent la complaisance de se livrer à leur passion. Un nombre presqu'infini de malades & d'infirmes alloient lui demander leur guérison, ou plutôt se persuader qu'ils l'avoient reçue. Enfin les maux qu'occasionna le culte de Sérapis, obligea les empereurs de l'abolir dans Rome, & Théodose détruisit son temple à Alexandrie.

Cette divinité figuroit Jupiter qui commande au ciel & à la terre, & le dieu Plutus ou Pluton qui préside aux enfers & à tous les lieux souterreins, sur-tout aux mines, & par conséquent aux richesses puisqu'on les en tire ; c'est à cause de ces deux différens rapports qu'on présente ce dieu sur les médailles, tantôt avec une aigle sur sa main droite, ainsi qu'on le voit au revers d'une médaille de Mithridate V. pere de Mithridate Eupator, & d'une autre médaille de Caracalla, où Sérapis paroît à-demi couché sur un triclinium, espece de canapé ; tantôt avec le cerbère à ses piés, ainsi qu'il est si souvent gravé sur les médailles de plusieurs villes d'Asie, de Thrace & de Grece : par exemple sur celle de Pergame, de Laodicée, de Sidé de Pamphilie, de Nysa en Carie, d'Amasie dans le Pont, où se voit dans le champ de la médaille une étoile, pour marquer la puissance de ce dieu dans les cieux ; des Callatiens dans la Thrace, des Pénéates en Arcadie, & même des Marcianopolitains dans la basse Moesie.

Sérapis tel qu'il est gravé sur une médaille de Gordien Pie, expliquée dans les mémoires de littérature, a un boisseau, ou un panier sur la tête, à la maniere des divinités d'Egypte ; type qui signifie non-seulement que l'abondance & tous les biens venoient des dieux, mais aussi que c'étoit eux qui mesuroient, c'est-à-dire qui régloient tout sur la terre selon leur volonté. On donne particulierement ce symbole à Sérapis, comme inventeur de l'agriculture : il lui convient encore comme dieu des richesses, pour marquer qu'elles procurent aux hommes tous les besoins de la vie ; d'où vient que les anciens mettoient quelquefois une corne d'abondance à la main, comme il paroît sur quelques médailles.

Ce dieu, dont le caractere est de ne faire que du bien, n'a point dans la médaille de Gordien Pie, la foudre à la main, ainsi que le porte le plus souvent Jupiter, comme divinité terrible ; mais il tient dans sa main gauche hastam puram, sceptre qui étant émoussé par le haut sans fer aigu, à la différence des lances ordinaires, désigne que la bonté & la clémence sont le propre des dieux.

La main droite de la figure du dieu, & ses regards levés vers le ciel, semblent attester qu'il ne commande pas moins aux cieux que sur la terre, & aux enfers. C'est aussi l'attitude qu'a ce dieu sur plusieurs médailles des villes de l'Egypte, de Syrie, d'Asie & de Thrace. On le voit ainsi sur les médailles de Busiris, de Cabase, de Ménélas, d'Oxyrinche, de Prosope, de Naréolis, de Coptos & d'autres villes d'Egypte ; si ce n'est que cette divinité porte souvent sur la main droite l'animal, ou autre symbole de la ville dont elle est la patrone ; par exemple un lion, un cerf, un ibis, le lotus, une palme & autres types.

Sérapis a la même attitude sur les médailles d'Amasie, de Tomes, & d'Anchiale dans le Pont, de Nicée, de Ciane en Bithynie, de Mida en Phrygie, de Césarée la Germanique en Syrie, de Césarée de Cappadoce, ayant le mont Argée sur la main droite ; de Perinthe, de Sardis, de Bizuenne, de Callasie, de Mesembrie dans la Thrace, &c.

Mais le symbole le plus commun, & le plus universellement employé dans les médailles, images, statues, & pierres gravées de Sérapis, est le boisseau ou panier appellé en latin calathus, qu'il porte sur sa tête ; la forme n'en est pas la même par-tout ; quelquefois ce panier est également large dans toute sa hauteur ; ailleurs on le voit évasé par le haut, ici élevé, là plat, d'autres fois orné dans son contour de branches feuillées, le plus souvent tout uni ; dans d'autres, tressé en maniere de jonc ; ou enfin entouré de plusieurs bandes horisontales, & terminé par une espece de rebord, saillant dans sa partie supérieure.

Le muid se trouve sur la tête de quelques divinités égyptiennes, & en particulier sur celle d'Isis ; mais on peut dire que c'est proprement l'attribut de Sérapis ; ceux qui regardent ce dieu comme étant le soleil, prétendent que le boisseau mis au haut de sa tête, marque la prodigieuse élévation de cet astre ; d'autres, que cette divinité conduit tout avec poids & mesure ; quelques-uns enfin, en considérant Sérapis comme l'inventeur de l'agriculture. Il n'est pas possible de suivre tous ces détails ; les autres attributs de Sérapis, sont le cerbere, les rayons, le serpent, le bâton, les cornes de belier, le trident, la corne d'abondance, l'ibis, le vaisseau, le papillon, l'aigle, le cerf, & le phalle. On ne s'attend pas sans doute qu'on établisse les raisons qui ont fait donner à cette divinité tous ces différens attributs ; mais on peut lire les Mémoires de littérat. tom. X. in-4°. les auteurs de l'art numismatique ; Spanheim en particulier ; & finalement une dissertation sur le dieu Sérapis, imprimée récemment à Amsterdam, in-12. (D.J.)


SÉRAPOULE(Géog. mod.) petite ville de l'empire russien, dans la province de Permie, & la plus méridionale, sur une petite riviere qui, un peu audessous, se joint au Kama. (D.J.)


SERASKERou SERASKIER, s. m. (Hist. mod.) c'est le nom que les Turcs donnent à leurs généraux, ou à ceux qui commandent en chef leur armée ; ils leur donnent aussi le nom de bachbog, chef ou général. On choisit le séraskier parmi les bachas à deux ou trois queues ; mais si le séraskier n'a que l'honneur des deux queues, on ne souffre point de bacha à trois queues dans son armée, parce que ce seroit à lui que le commandement appartiendroit. Un séraskier n'est tenu que de communiquer ses plans aux autres officiers généraux, mais il n'est point obligé de suivre leur avis, & son pouvoir est arbitraire ; il cesse aussitôt que la campagne est finie. Le bacha de Silistrie porte toujours le titre de séraskier, parce qu'il est obligé de veiller à la sûreté des frontieres, du côté de la Pologne. Voyez Cantemir, hist. ottom.


SERAY-AGASI(Hist. turque) c'est le quatrieme aga du serrail ; il ne sort jamais de Constantinople, & est appellé pour cette raison séray-agasi, l'aga du serrail. Il fait l'office des trois autres aga, pendant qu'ils sont absens, c'est-à-dire, du capi-aga, du khazinedar-bachi, & du kilerdgi-bachi. du Loir. (D.J.)


SERBAJÉES. m. (terme de relation) nom qu'on donne à un capitaine de cavalerie qui est au service du grand seigneur. Pocock, descrip. d'Egypte, p. 176. (D.J.)


SERBETESou SERBETIS, (Géog. anc.) fleuve de la Mauritanie césariense, dans Ptolémée, l. IV. c. ij. Villeneuve croit que c'est le serdabale de Pline. Le nom moderne est Miron, selon Castalo, & Hued-Icer, selon Marmol. (D.J.)


SERBOCALS. m. (Fileur d'or) c'est parmi les fileurs d'or un petit cylindre de verre, sur lequel passe l'ouvrage, afin qu'il ne coupe point le bois du rouet.


SERCHIOLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie ; elle prend sa source au mont Apennin, dans l'état de Modène, arrose Luques dans son cours, & se jette dans la mer de Toscane, environ à six milles au-dessus de l'Arno. Le Serchio est l'Aesaris, l'Anser, ou l'Auser des latins. (D.J.)


SERDARS. m. (Hist. mod.) c'est le titre qu'on donne à un général de la Moldavie, qui est chargé de défendre les frontieres contre les incursions des Cosaques & des Tartares.


SERDEN-GIECHDIS. m. (Hist. mod.) nom que les Turcs donnent à une milice qui n'est point sur un pié fixe, mais qui est levée ou cassée au gré du sultan. Ce mot signifie homme qui méprise la vie. Dans les expéditions difficiles, le sultan ordonne la levée d'un certain nombre de ces soldats, à qui on donne dix aspres par jour ; les janissaires eux-mêmes s'y enrôlent, pour augmenter leur paye. Ces soldats combattent avec une férocité & une valeur à toute épreuve, & ceux qui échappent, ne peuvent être forcés à servir une seconde fois dans le même poste ; quand ils sont estropiés, ils ont une pension viagere de dix aspres par jour, & on leur donne le titre d'oturak, ou sédentaire. Voyez Cantemir, hist. ottom.


SÉRÉGIPPE(Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale, au Brésil ; elle prend sa source dans le gouvernement de Sérégippe, qu'elle arrose, & va se jetter dans la mer du Nord. (D.J.)

SEREGIPPE DEL REY, ou S. Christophe, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Brésil ; capitale du gouvernement de même nom, sur la rive septentrionale du Vazabaris, à onze lieues de Rio-Réal. Le gouvernement de Sérégippe est entre Rio-Réal, au midi, & la riviere de S. François au nord. (D.J.)


SEREIN(Physique & Médecine) on appelle communément serein, l'humidité dont l'air est chargé, principalement en été, & après les jours les plus sereins, quelques heures après le coucher du soleil, lorsque le vent est au midi, & qu'on n'estime communément que par un sentiment de froid qu'éprouvent ceux qui y sont exposés. Le serein n'est autre chose que la rosée du soir, ou la rosée commençante, qui n'est pas devenue encore sensible par l'accroissement qu'elle reçoit pendant la nuit, & qui est parvenue à son complement peu de tems après le lever du soleil ; c'est une erreur populaire que l'opinion qui fait regarder le serein comme une émanation séche, plus nuisible que la rosée proprement dite. Voyez ROSEE, Chimie & Médecine. (b)


SÉRÉNALA, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale, au Chili, dans l'évêché de Sant-Jago. Cette ville qui est la premiere du gouvernement de Chili, & la plus proche du Pérou, fut bâtie par le gouverneur du Chili, Petro de Valdivia, l'an 1544. Il lui donna le nom de Séréna sa patrie ; mais les Espagnols l'ont appellée depuis Coquimbo, du nom de la vallée dans laquelle elle est bâtie. C'est une grande ville, dont les rues sont larges, longues & tirées au cordeau, mais dans chacune desquelles on trouve à peine six maisons ; & quelles maisons encore ? Elles sont toutes basses, étroites, & couvertes de feuilles de palmier ; elles ont toutes un grand jardin, où l'on cueille tous les fruits d'Europe & du pays, qui sont d'un goût merveilleux, & dans une abondance étonnante.

Il passe au nord de la ville, une belle riviere, qui prend sa source dans les hautes montagnes des Andes ; elle arrose la vallée, qui est toute remplie de bestiaux qui y paissent pêle-mêle, sans qu'on en prenne aucun soin.

Le port de la Séréna est sous le 30e deg. de latitude méridionale, dans une baie fort étendue, & située environ à deux lieues de la ville. C'est dans ce port, aussi grand que commode, que l'on décharge les navires.

Comme la riviere qui fertilise la vallée, passe aussi dans la ville, elle y apporte abondamment du vin, du blé, des fruits, de la viande, & du poisson ; cette ville ne manque pas de couvents, il y en a de cordeliers, de dominicains, de peres de la merci, de jésuites, &c.

Ce pays étoit autrefois fort peuplé, il est à-présent presque désert ; les Espagnols, dans le tems de leurs conquêtes, & depuis, par les travaux des mines d'or & de cuivre, ont tellement détruit tous les habitans de cette contrée, que les mines d'or & de cuivre qui s'y trouvent, ont été abandonnées, faute de monde pour y travailler.

Longitude de la Séréna, suivant le P. Feuillée, 306. 24. 15. lat. 29. 54. 10. elle est de 73. 35. 45. plus occidentale que l'observatoire de Paris. (D.J.)


SÉRENADES. f. espece de concert qui se donne de nuit sous les fenêtres de quelqu'un ; il n'est composé ordinairement que de musique instrumentale ; quelquefois on y ajoute des voix. On appelle aussi sérénades les pieces que l'on compose, ou qu'on joue dans ces occasions. La mode des sérénades est passée depuis long-tems, & ne dure plus que parmi le peuple. Ce mot, italien d'origine, vient sans-doute de sereno, le serein ; & par métonymie, le soir. (S)


SÉRÉNISSIMEadj. (Hist. mod.) titre d'honneur, dérivé du mot sérénité, qu'on employoit autrefois pour les rois mêmes, & la France n'en donnoit point d'autre aux rois du nord ; mais depuis que le nom de majesté est devenu commun à tous les souverains rois, le titre de sérénissime est resté aux souverains qui ne sont pas têtes couronnées ; aux républiques de Venise & de Gènes, aux princes du sang de France qu'on traite d'altesse sérénissime, excepté M. le dauphin, pour qui ce titre ne paroît point assez convenable.


SÉRÉNITÉSÉRÉNITé

Il faut se munir de bonne heure contre les malignes influences de son climat & de son tempérament, en s'accoutumant à faire toutes les réflexions qui peuvent donner de la sérénité à l'esprit, & le mettre en état de soutenir avec courage, les petits maux & les revers de la fortune qui sont communs à tous les hommes. Celui qui possede cette heureuse disposition, n'a point l'imagination troublée, ni le jugement prévenu ; il est toujours le même, soit qu'il se trouve seul ou en compagnie ; affable envers tout le monde, il excite les mêmes dispositions dans tous ceux qui l'approchent ; le coeur s'épanouit en sa présence, & ne peut qu'avoir de l'estime & de l'amitié pour celui dont il reçoit de si douces influences. J'envisage enfin cet état comme une reconnoissance habituelle envers l'auteur de la nature ; la gaieté du printems, le chant des oiseaux, la verdure des prés, la fraîcheur des bois, raniment la sérénité ; la lecture & le commerce d'un tendre ami, y répandent de nouveaux charmes ; en un mot, c'est le souverain bien de la vie que Zénon a cherché sans le trouver. (D.J.)

SERENITE, (Hist. mod.) titre d'honneur qui a été pris autrefois par les rois de France, & même par les évêques. Nos rois de la premiere & de la seconde race, en parlant d'eux-mêmes, disoient notre sérénité, serenitas nostra ; & on voit qu'Adalard, évêque de Clermont, s'appliquoit la même qualité ; le pape & le sacré college, écrivant à l'empereur, aux rois, au doge de Venise, leur donnent le titre de sérénissime Caesar, ou rex, ou princeps ; le doge de Venise prend particulierement ce titre de sérénité ; le roi de Pologne le donne aux électeurs, quand il leur écrit ; & l'empereur, lorsqu'il traite avec eux, les qualifie de sérénité électorale, & les princes de l'empire de sérénité ducale ; les plénipotentiaires françois, à Munster, le refuserent à l'électeur de Brandebourg, sur ce que le mot de sérénité n'étoit pas françois, & que le roi ne l'accordoit à personne ; les princes allemands estimoient autrefois plus ce titre que celui d'altesse, mais l'usage a enfin prévalu en faveur de ce dernier, & l'on qualifie sur-tout les électeurs, d'altesse électorale.


SERENUS(Mythol.) épithète donnée à Jupiter, comme au dieu qui regle le tems serein, la pluie, & les saisons. (D.J.)


SÉREQUES. m. (Botan.) nom vulgaire qu'on a donné à l'espece de genêt appellé genista tinctoria frutescens, incana ; par C. B. P. Voyez GENET. (D.J.)


SERESLES, (Géog. anc.) Serae, les Sères occupoient ce que nous appellons la Chine septentrionale, & quelque partie de la grande Tartarie orientale. Ptolémée est le seul des anciens qui ait le mieux parlé de leur pays, quoiqu'avec plusieurs erreurs ; les autres auteurs en font des peuples d'Ethiopie. Horace, l. I. od. 12, les joint aux Indiens.

Subjectos orientis orae

Seras & Indos.

Lucain les place vers les sources du Nil. Héliodore, l. IX. les compte entre les Blémies. Pomponius Mela les met au centre des Scythes & des Indiens, au lieu de les placer à l'extrêmité.

Pausanias, après avoir fort bien décrit les vers-à-soie, se trompe sur les Sères qui les élevoient, & les place dans la partie la plus reculée de la mer Rouge.

Ainsi tout ce que les anciens ont su de vrai touchant les Sères, c'est qu'ils sont les premiers qui aient imaginé de travailler la soie. C'est d'eux qu'elle est venue aux Perses, & des Perses aux Grecs & aux Italiens. La premiere étoffe qu'on en ait vu en Europe, fut après la conquête de la Perse par Alexandre ; & c'étoit encore de ce pays-là que les Romains la tiroient, quand leur empire fut devenu florissant. Voyez SOIE. (D.J.)


SERETLE, (Géog. mod.) Sereth, ou Moldawa, riviere de la Turquie en Europe. Elle a sa source dans la Transilvanie, passe dans la Moldavie, où elle arrose Soczowa & Targorod ; entrant ensuite dans la Valachie, elle y reçoit le Missovo & le Bardalach ; enfin elle se va jetter dans le Danube, un peu au-dessous d'Aniopoli. (D.J.)


SEREUXadj. (Gram. & Méd.) il se dit du sang & des humeurs, lorsqu'ils sont délayés d'eau. Ainsi séreux est presque synonyme d'aqueux.


SERFS. m. (Gram. & Jurisprud.) du latin servus, est une personne assujettie à certains droits & devoirs serviles envers son seigneur. L'état des serfs est mitoyen entre celui de la liberté & l'esclavage.

Chez les Romains il y avoit des esclaves qui étoient dans une dépendance absolue de leur maître.

Il y en avoit aussi de semblables en France sous la premiere & la seconde race de nos rois.

Mais ces servitudes personnelles furent abolies peu-à-peu sous la seconde race de nos rois, ou du moins elles furent mitigées ; & comme il y avoit chez les Romains certains esclaves qui étoient attachés à la culture d'un fond particulier, & que l'on appelloit adscriptitios seu addictos glebae, lesquels cultivoient le fond à leur volonté, moyennant qu'ils rendoient à leur maître, tous les ans, une certaine quantité de blé & autres fruits ; de même aussi en France la plûpart des habitans de la campagne étoient serfs, c'est-à-dire attachés à certains fonds dont ils ne pouvoient être séparés.

Les bâtards & les aubains étoient serfs du roi.

Vers le commencement de la troisieme race nos rois affranchirent plusieurs communautés d'habitans, auxquelles ils donnerent des chartes de commune ou permission de s'assembler. Louis Hutin & Philippe-le-Bel affranchirent tous les serfs de leur domaine, moyennant finance.

Le roi donnoit quelquefois à certains serfs en particulier, des terres par lesquelles ils étoient réputés bourgeois du roi, & cessoient d'être serfs.

Les seigneurs donnoient aussi de semblables terres à leurs serfs, au moyen desquelles ils étoient réputés bourgeois de ces seigneurs.

Cependant plusieurs seigneurs ne consentirent point à l'affranchissement de leurs serfs ; desorte qu'il est resté des vestiges de cette espece de servitude dans les provinces régies par le droit écrit & dans quelques-unes de nos coutumes, telles que Bourgogne, Bourbonnois, Nivernois & quelques autres.

L'usage de ces différentes provinces & coutumes n'est pas uniforme par rapport aux serfs.

Dans quelques pays les hommes sont serfs de corps, c'est-à-dire, que leur personne même est serve, indépendamment de leurs biens ; ils ne peuvent se délivrer de la servitude, même abandonnant tout à leur seigneur, lequel peut les révendiquer en tous lieux ; c'est pourquoi on les appelle serfs de corps & de poursuite.

En d'autres pays les serfs ne sont réputés tels qu'à cause des héritages qu'ils tiennent du seigneur à cette condition : ces sortes de serfs sont ceux que l'on appelle mainmortables ou mortaillables.

Les serfs deviennent tels en plusieurs manieres, savoir 1°. par la naissance, l'enfant né dans un lieu mainmortable suit la condition du pere ; 2°. par convention, lorsqu'un homme franc va demeurer en lieu de mainmorte, & y prend un mein ou tenement ; 3°. par le domicile annal en un lieu mainmortable, & le payement qu'une personne franche fait au seigneur des droits dûs au seigneur par ses mainmortables ; 4°. par le mariage à l'égard des femmes ; car lorsqu'une femme franche se marie à un homme serf & de mainmorte, pendant la vie de son mari elle est réputée de même condition que lui.

Les droits que les seigneurs ont sur leurs serfs, sont différens, selon les pays ; ils dépendent de la coutume ou usage du lieu, & des titres des seigneurs ; c'est pourquoi l'on ne parlera ici que de ceux qui sont les plus ordinaires ; encore ne se trouvent-ils pas toujours réunis en faveur du seigneur.

Un des premiers effets de cette espece de servitude est que le serf ne peut entrer dans l'état de cléricature sans le consentement de son seigneur.

Par rapport aux femmes, le seigneur a le droit de for-mariage qui consiste en ce que le seigneur prend les héritages que la femme, serve de corps, a dans le lieu de la mainmorte, lorsqu'elle va se marier ailleurs.

Les héritages assis en un lieu de mainmorte sont réputés de même condition que les autres, s'il n'y a titre ou usance au contraire.

Les serfs ne peuvent vendre & aliéner leurs héritages mainmortables qu'aux gens de la seigneurie & de même condition, & non à des personnes franches ni d'une autre seigneurie, si ce n'est du consentement du seigneur, ou qu'il y ait usance ou parcours.

Ils ne peuvent pareillement disposer de leurs biens meubles & héritages par testament ni ordonnance de derniere volonté, sans le consentement de leur seigneur. Vivunt liberti, moriuntur ut servi.

Quant aux successions, les serfs mainmortables ne se succedent les uns aux autres qu'au cas qu'ils demeurent ensemble, & soient en communauté de biens, & à défaut de parens communs, le seigneur succede à son mainmortable.

La communion ou communauté une fois rompue entre les serfs mainmortables, ils ne peuvent plus se réunir sans le consentement de leur seigneur.

Si le serf s'absente, le seigneur peut pourvoir à la culture de ses héritages, afin que les droits soient payés ; mais le mainmortable peut réclamer l'héritage, pourvu qu'il vienne dans les dix ans.

Quelque favorable que soit la liberté, le serf ne peut prescrire la franchise & la liberté contre son seigneur par quelque laps de tems que ce soit.

Le témoignage des serfs mainmortables n'est pas reçu pour leurs seigneurs. Voyez les coutumes d'Auvergne, Bourgogne, Bourbonnois, Nivernois, Berry, Vitri, la Marche, & les commentateurs, le gloss. de du Cange au mot servus, celui de Lauriere au mot serf, & les mots CORVEE, ESCLAVE, MAINMORTE, MAINMORTABLE, MORTAILLE, MORTAILLABLE, SERVITUDE. (A)

SERF ABONNE, est celui qui a composé de la taille avec son seigneur, & n'est pas taillable à volonté ; il est parlé de ces sortes de serfs dans les coutumes locales d'Azay le Feron, de Buzançois, de Bauche, de Saint-Genou & de Mézieres en Touraine, & de Saint-Cyran en Brenne.

SERF BENEFICIAL ou BENEFICIER, étoit un serf attaché à la glebe dans une terre qui avoit été donnée à titre de bénéfice ou fief : ces sortes de serfs passoient au nouveau bénéficier ou feudataire avec l'héritage. Voyez BENEFICE, FIEF, & le glossaire de du Cange au mot servi beneficiarii.

SERF CASE, servus casatus, étoit celui qui étoit attaché à une case ou héritage. Voyez le gloss. de du Cange, au mot casatus & servi casati.

SERF DE CORPS ET DE POURSUITE, est celui qui est personnellement serf & en sa personne, indépendamment d'aucun héritage, & que le seigneur peut réclamer & poursuivre en quelque endroit qu'il aille. Voyez l'article 116 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

SERF COUTUMIER, ou réputé tel, dans la coutume de la Marche, quiconque doit à son seigneur par chacun an, à cause d'aucun héritage, argent à trois tailles payable à trois termes, avoine & geline. Voyez la dissertation de M. de Lauriere sur le tenement, ch. iv. & son glossaire au mot serf.

SERF DE DEVOTION, étoit un seigneur ou autre qui, quoiqu'il ne fût pas serf d'une église, cependant par un motif d'humilité & de dévotion se déclaroit serf d'une telle église, & donnoit tout son bien à Dieu & aux saints & saintes que l'on y révéroit. Voyez le mercure d'Août 1750, p. 92.

SERF DE DOUZE DENIERS, de six deniers, de quatre deniers, étoient des gens de condition servile qui payoient à leur seigneur une espece de taille annuelle ou capitation de douze deniers, six deniers, plus ou moins. Voyez la coutume de Bourbonnois, art. 189 & 204, le glossaire de du Cange, au mot capital & au mot servus.

SERF ECCLESIASTIQUE, n'étoit pas un ecclésiastique qui fût serf, mais un laïc qui étoit attaché à une manse ecclésiastique : ce qui est de singulier, c'est que ces sortes de serfs étoient fort improprement nommés ; car ils n'étoient pas de même condition que les autres ; tous nos monumens prouvent au contraire que cet état donnoit la liberté à celui qui étoit de condition servile ; & quelques-uns pensent que c'est de-là que les vrais serfs étoient obligés d'avoir le consentement de leur seigneur pour entrer dans la cléricature. Voyez le glossaire de du Cange au mot servi ecclésiastiques, & le traité de M. Bouquet, avocat, tom. I. p. 45.

SERF FISCAL ou SERF FISCALIN ou FISCALIN simplement, fiscalinus, étoit autrefois en France un serf attaché à l'exploitation du fisc ou domaine du roi. Il en est parlé dans plusieurs endroits de la loi des Lombards, dans Aymoin, Marculphe, Grégoire de Tours.

SERF FONCIER, est celui qui ne peut changer de demeure au préjudice de son seigneur, dont il est homme de corps & de suite ; il en est parlé dans un titre de Thibaut, comte palatin de Champagne & de Brie, roi de Navarre, du mois de Mai de l'an 1329. Voyez le traité de la noblesse par de la Roque, chap. xiij.

SERF DE FORMARIAGE, est celui qui ne peut se marier à une personne franche, ni même à une personne mainmortable d'autre lieu que celui de son domicile, sans la permission de son seigneur. Voyez FORMARIAGE, MAINMORTABLE & MAINMORTE.

SERF FRANC A LA MORT, est celui qui est taillé haut & bas par son seigneur, sans être néanmoins mainmortable, de maniere qu'après sa mort ses héritiers lui succedent. Voyez l'article 125 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

SERFS GERMANIQUES ; on a nommé de ce nom ceux dont la coutume étoit venue des peuples de la Germanie, & dont l'état étoit reglé de même : quelques-uns tiennent que nos serfs de France ont été établis à l'instar des serfs germaniques ; d'autres croyent qu'ils viennent des Romains, ce qui est plus vraisemblable. Voyez les notes de Bannelier sur Davot, t. I. p. 103.

SERF DE GLEBE, étoit celui qui étoit attaché à la glebe, c'est-à-dire à un fond pour le cultiver.

Ils étoient de deux sortes ; les uns appellés adscripti glebae, les autres addicti glebae.

Les premiers étoient des especes de fermiers qui cultivoient la terre pour leur compte, moyennant une rétribution qu'ils en rendoient au propriétaire pendant leur bail.

Les seconds, addicti glebae, étoient de vrais serfs, qui cultivoient la terre pour le seigneur ou propriétaire, & demeuroient attachés pour toujours à cette glebe. Voyez le gloss. de Ducange au mot adscriptitii, & au mot servi.

SERF DE MAIN-MORTE ou MAIN MORTABLE, est celui qui est sujet aux loix de la main-morte envers son seigneur. Voyez MAIN-MORTABLE, MAIN-MORTE & SERVITUDE.

SERF A LA MORT, est celui qui étant originairement main-mortable, & ayant quitté le lieu de la main-morte sans le congé du seigneur, pour aller demeurer en un lieu franc & non mortaillable, vit comme franc, & est serf à sa mort, parce qu'après son décès, son seigneur originaire vient réclamer sa succession. Voyez l'article 124 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

SERF PISSENE, quasi pejornatus ; on appelle ainsi en Nivernois les bâtards des serfs ; c'est ainsi que M. de Lauriere explique ce terme en son glossaire.

SERF DE POURSUITE, est celui que le seigneur peut suivre & réclamer en quelque lieu qu'il aille ; c'est la même chose que serf de corps. Voyez l'article 116 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne.

SERF DE QUATRE DENIERS, voyez ci-devant SERF DE DOUZE DENIERS, &c.

SERF-SERVAGE ou SERVAGIER, est celui qui est serf de son chef & de sa tête, & doit chacun an quatre deniers au seigneur pour rançon de son chef. Le seigneur peut, quand il lui plaît, prendre tous les biens de ce serf, mettre sa personne en ôtage, le vendre & aliéner : quand ce serf n'a point de quoi manger, le seigneur est tenu de lui en donner. Voyez l'article 119 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne, & l'article SERF DE QUATRE DENIERS.

SERF TESTAMENTAL, étoit celui que l'on avoit loué par un pacte particulier, le mot testament signifiant dans cette occasion écrit. Voyez le glossaire latin de Ducange au mot servus.

SERF A LA VIE, est celui qui vit comme serf, & qui meurt franc, lequel étant taillé haut & bas par son seigneur, n'est pas main-mortable, & après son décès ses héritiers lui succedent. Voyez l'article 125 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne, & ci-devant l'article SERF FRANC A LA MORT, & ci-après SERF A LA VIE ET A LA MORT.

SERF A LA VIE ET A LA MORT ou A VIE ET A MORT, est celui qui étant originairement main mortable & taillable, vit & meurt comme serf. Voyez l'article 123 des anciennes coutumes du duché de Bourgogne. (A)


SERFOUETTES. f. terme de Jardinier ; c'est un petit outil de fer renversé, qui a deux branches pointues d'un côté, & n'en a point de l'autre, lequel étant emmanché d'un manche d'environ quatre piés de long, sert à mouver la terre, à donner un petit labour autour des laitues, des chicorées & des autres plantes. (D.J.)


SERFOUIou SERFOUETTER, terme de Jardinier ; c'est mouver la terre avec la serfouette, donner un petit labour avec la serfouette autour de quelques plantes potageres, comme pois, chicorées, laitues, &c. (D.J.)


SERGEdans le Commerce, est une étoffe de laine piquée ou croisée, manufacturée sur le métier à quatre marches ou pédales, de la même maniere que l'on fabrique les ratines & autres étoffes.

La bonté des serges se connoît à la croisure, & celle des draps à la filure. Voyez DRAP.

Il y a des serges de différentes especes, qui prennent leur nom de leurs différentes qualités, ou des endroits dans lesquels on les fabrique. Celle qui a le plus de réputation, est la serge de Londres ; elle est maintenant très-estimée dans les pays étrangers, particulierement en France, où l'on a établi avec beaucoup de succès une manufacture de cette espece sous le titre de serge façon de Londres.

Manufacture de serge de Londres. Quant à la laine, on choisit la plus longue pour la chaine, & la plus courte pour la trame : avant que de faire usage de l'une & de l'autre, on doit premierement la dégraisser, en la mettant dans une chaudiere de liqueur, un peu plus que tiede, composée de trois quarts d'eau bien nette, & un quart d'urine ; après qu'on l'y a laissée assez longtems pour s'y dissoudre, & avoir ôté la graisse, &c. on la remue brusquement avec un bâton ; on l'ôte ensuite de la liqueur ; on la laisse égoutter, & après l'avoir lavée dans de l'eau courante, & sechée à l'ombre, on la bat avec des bâtons sur un ratelier de bois, pour en chasser l'ordure, & la plus grosse poussiere. Après quoi on l'épluche bien proprement avec les mains. Quand elle est ainsi préparée, on la graisse ou on l'imbibe d'huile d'olive, & l'on peigne avec de grands peignes la partie la plus longue, destinée à la chaine ; on la fait chauffer dans un petit fourneau pour cet usage pour la dégraisser une seconde fois, ou pour lui ôter son huile ; on la met dans de l'eau de savon très-chaude ; après l'en avoir retirée, on la tord, on la seche & on la file au rouet. Quant à la laine la plus courte, dont on veut faire trame, on la carde seulement sur le genou, avec de petites cardes très-fines ; on la file ensuite au rouet sans en ôter l'huile. Remarquez que le fil destiné à la chaine doit être toujours beaucoup plus fin & plus retors que celui de la trame.

Quand la laine est filée, tant celle qui est pour la chaine que celle qui est pour la trame, & que l'on a mis le fil en écheveaux, la laine destinée à la trame est mise sur des espolins (à moins qu'elle n'ait été filée dessus) proportionnés à la cavité ou à l'oeil de la navette ; & la laine, qui est pour la chaine, est dévidée sur une espece de bobines de bois, afin de la préparer à être employée : quand elle est montée, on lui donne de la consistance, c'est-à-dire, qu'on la rend ferme moyennant une espece de colle, dont celle qui est réputée la meilleure, est faite de coupures de parchemin : quand elle est seche on la met sur le métier.

Quand elle est montée sur le métier, l'ouvrier élevant & abaissant les fils (que l'on passe à-travers une canne ou un réseau), par le moyen de quatre pédales, situées dans la partie inférieure du métier, qu'il fait agir transversalement, également & alternativement l'une après l'autre, avec ses piés, à proportion que les fils sont élevés & abaissés, il jette la navette à-travers d'un côté à l'autre ; & à chaque fois qu'il jette la navette, & que le fil de la trame est croisé entre les fils de la chaine, il le frappe avec le chassis, auquel est attachée la canne, à travers les dents de laquelle les fils de la chaine sont placés, & il repéte ce coup deux ou trois fois, ou même plus, jusqu'à ce qu'il juge que la croisure de la serge est suffisamment serrée ; & ainsi de suite, jusqu'à ce que la chaine soit entierement remplie de la trame.

Aussi-tôt que l'on a ôté la serge de dessus le métier, on la porte chez le foulon, qui la foule ou qui l'écure dans l'auge ou le baquet de son moulin, avec une espece de terre grasse qui sert à cet usage, dont on a eu soin d'abord d'ôter les pierres & les ordures. Après qu'on l'a écurée pendant trois ou quatre heures, on ôte la terre à foulon, en lavant la serge avec de l'eau nette, que l'on met petit-à-petit dans l'auge, d'où on la retire quand elle est entierement nettoyée de la terre ; ensuite avec une espece de pinces de fer, on arrache tous les noeuds, les bouts, les pailles, &c. qui s'attachent sur la surface de la serge des deux côtés : après cela on la reporte dans l'auge à foulon, où on la repasse avec de l'eau de savon un peu plus que tiede, pendant environ deux heures : on la lave alors jusqu'à ce que l'eau vienne parfaitement claire, & qu'il n'y ait plus aucune apparence de savon : après quoi on l'ôte de l'auge, on arrache les noeuds, &c. on la met à des crocs ou crochets, afin qu'elle seche ; en prenant bien garde à mesure qu'elle seche, de l'étendre en long & en large, jusqu'à ce qu'elle ait ses justes dimensions ; quand elle est bien seche, on l'ôte des crochets, on la teint, on la tord, & enfin on la presse. Voyez TEINTURE, PRESSE, TENTE.

Serge, étoffe de soie. Cette étoffe est un tissu dont le grain se fait obliquement au moyen du remettage & de l'armure ; elle se fait avec une seule chaîne & la trame dont on met le nombre de bouts proportionné à la force dont on la veut. Cette étoffe a toujours à Lyon 11 vingt-quatriemes d'aune de large. Voyez ETOFFE DE SOIE.

Les serges sont un diminutif du satin, voyez SATIN. Elles ont six lisses & six marches ; chaque marche fait lever & baisser trois lisses. Voici l'armure d'une serge à six lisses.


SERGEANTEserjania, s. f. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée le plus souvent de quatre pétales disposés en rond. Le pistil fort du calice, & devient dans la suite un fruit qui est divisé en trois capsules, ou qui a trois têtes : chaque tête renferme une semence arrondie. Plumier, nova. plant. amer. gen. Voyez PLANTE.


SERGEANTIES. f. (Gram. & Jurisprud.) On dit tenir en sergeantie, & tenir en grande ou petite sergeantie. Tenir en grande sergeantie, c'est tenir du roi, pour faire service en personne, comme porter sa banniere, sa lance, son épée, à son couronnement, même son ost, être son maréchal, &c. Tenir en petite sergeantie, c'est tenir une terre du roi, à condition de lui donner chaque année quelque chose d'usage en guerre, comme un arc, une épée, une lance, des éperons, un cheval, des gantelets, &c.


SERGENTS. m. (Gram. & Jurispr.) est un officier établi pour faire toutes sortes d'exploits judiciaires & extrajudiciaires, & pour mettre à exécution les jugemens & mandemens de justice.

Pasquier & Ménage ont avec raison repris Cujas d'avoir voulu dériver ce mot de caesarianus, ainsi qu'il fait sur la loi defensionis 7. au code de jure fisci.

Ce terme vient du latin serviens qui signifie servant, parce que les sergens sont en effet les ministres de la justice, & qu'ils exécutent ses ordres & mandemens.

Du latin serviens on a fait par corruption servjens & en françois servjens, serjens, sergent. On trouve quelquefois écrit serregens ; ce qui a fait croire à quelques-uns que ce terme venoit de ce que les sergens faisoient serrer les files des gens de guerre ; d'autres ont cru que cela venoit de ce que les sergens serrent les gens, c'est-à-dire, emprisonnent ceux qui sont condamnés par corps ou decretés ; mais c'est par corruption que l'on a écrit serregens pour sergens, & la véritable étymologie de sergent vient, comme on l'a dit, du latin serviens, & de ce que les sergens sont les ministres de la justice.

Présentement presque tous les sergens se sont attribué le titre d'huissier-sergent ou d'huissier simplement quoique le titre d'huissier ne convienne véritablement qu'à ceux d'entre les sergens qui sont préposés à la garde de l'huis ou porte de l'auditoire.

Le titre de serviens ou sergent leur étoit commun anciennement avec tous les nobles qui servoient à la guerre sous les chevaliers. Armiger, scutarius ou serviens étoient termes synonymes ; les écuyers étoient appellés servientes, parce qu'ils servoient les chevaliers, portoient leur écu : & comme anciennement il falloit être chevalier pour rendre la justice, il ne faut pas s'étonner si ceux qui exécutoient les mandemens de justice, furent appellés servientes de même que les écuyers ; d'autant mieux qu'il y avoit des sergens de l'épée ou du plaid de l'épée qui étoient établis singulierement pour exécuter par les armes les mandemens de justice. Ces sortes de sergens faisoient alors ce que font aujourd'hui les archers. Ils étoient quelquefois préposés à la garde des châteaux qui n'étoient pas sur la frontiere, & alloient en guerre sous les châtelains, comme on voit dans l'ancienne chronique de Flandre, ch. xij. xv. xlvij. lxxviij. lxxxxj. lxxxxix. xc. & au liv. I. de Froissart, ch. xix.

Le service des écuyers étoit néanmoins différent de celui des sergens de justice. Et quoique les sergens tant à pié qu'à cheval, ayent été armés, & ayent eu solde pour le service militaire, leur service & leur rang étoit moindre que celui des écuyers ; c'est pourquoi les sergens ou massiers du roi furent appellés sergens d'armes, pour les distinguer des sergens ordinaires, & parce qu'ils étoient pour la garde du corps du roi ; ils pouvoient pourtant aussi faire sergenterie par tout le royaume, c'est-à-dire exploiter. Mais Charles V. en 1376 leur défendit de mettre à exécution les mandemens de justice qui étoient adressés à tous sergens en général : le service des armes & celui de la justice étant deux choses distinctes.

Il y avoit deux sortes de sergens pour la justice : les uns royaux : les autres pour les justices seigneuriales.

Le nombre des uns & des autres étoit devenu si excessif, & ils s'étoient rendus tellement à charge au peuple, qu'on les appelloit mangeurs, parce qu'ils vivoient à discrétion chez ceux chez lesquels on les avoit mis en garnison. Le peuple demanda en 1351 que le nombre de ces officiers fût réduit ; & en conséquence le roi Jean ordonna qu'il n'y en auroit plus que quatre dans les endroits où il y en avoit vingt, & ainsi des autres endroits à proportion.

Au commencement, les salaires des sergens, quand ils alloient en campagne, se payoient par journées, & non pas par exploits. Les sergens à cheval n'avoient que 3 sols par jour, & les sergens à pié 18 deniers ; les uns ni les autres ne pouvoient prendre davantage, quelque grand nombre d'ajournemens qu'ils donnassent dans différentes affaires & pour différentes parties ; leur salaire fut depuis augmenté, & néanmoins encore réglé à tant par jour.

Ils ne pouvoient autrefois exploiter, sans être revêtus de leurs manteaux bigarrés, & sans avoir à la main leur verge ou bâton dont ils touchoient légérement ceux contre lesquels ils faisoient quelque exploit. Ce bâton étoit semé de fleurs-de-lis peintes. Leur casaque ou habit appellé dans les ordonnances arnesium, étoit chargé des armes du roi ou autre seigneur, de l'autorité duquel ils étoient commis dans les villes. Les sergens royaux portoient sur leurs casaques les armes du roi en-haut, & celles de la ville en-bas.

Une des obligations des sergens étoit de prêter main-forte à justice, & d'aller au secours de ceux qui crioient à l'aide.

Les sergens sont encore regardés comme le bras de la justice ; c'est pourquoi François premier, averti d'un excès, quoique leger, fait à un simple sergent, porta le bras en écharpe, à ce que content nos annales, disant qu'on l'avoit blessé à son bras droit.

Il n'est pas permis en effet d'excéder les sergens faisant leurs fonctions.

Anciennement les assignations ne se donnoient que verbalement ; c'est pourquoi les sergens n'avoient pas besoin alors d'être lettrés. Ils certifioient les juges des ajournemens qu'ils avoient donnés pour comparoître devant eux.

L'ordonnance de Philippe-le-Bel en 1301 leur défendit de faire aucuns ajournemens sans commission du juge, ce qui n'est plus observé ; c'est pourquoi l'on dit communément que les huissiers ont leurs commissions dans leurs manches.

Ils étoient autrefois obligés de se faire assister de deux records ; ce qui ne s'observe plus depuis l'édit du contrôle, sinon en certains exploits de rigueur. Voyez EXPLOIT, HUISSIER, RECORD. (A)

SERGENS des aides, tailles & gabelles, étoient ceux qui étoient destinés à faire les exploits nécessaires pour le recouvrement des aides ou droits du roi qui étoient anciennement tous compris sous le nom général d'aides, & auxquels on ajouta depuis les tailles & gabelles pour lesquelles ces sergens faisoient aussi les poursuites nécessaires. Les sergens des aides sont les mêmes, que l'on a depuis appellés huissiers des tailles. Voyez au mot HUISSIER, & au mot TAILLE. Les sergens ou huissiers des élections, & ceux des greniers à sel ont succédé à ceux des aides & gabelles.

SERGENT APPARITEUR. On donnoit autrefois aux sergens le titre d'appariteur, ou de sergent indifféremment, & quelquefois tous les deux ensemble, comme termes synonymes. En effet, dans une ordonnance du mois d'Octobre 1358, ils sont appellés servientes seu apparitores.

Présentement, par le terme de sergent appariteur, on entend ordinairement celui qui fait les fonctions d'appariteur ou huissier dans une officialité ou autre tribunal ecclésiastique. Voyez ci-devant le mot APPARITEUR, & le glossaire de Ducange, au mot Apparitor.

SERGENS ARCHERS, ou plutôt ARCHERS SERGENS EXTRAORDINAIRES ; il y en avoit douze au châtelet de Paris. Voyez la déclarat. du 18 Avril 1555, Blanchard, pag. 732.

SERGENS D'ARMES étoient les massiers que le roi avoit pour la garde de son corps. Philippe Auguste les institua pour la garde de sa personne : ils étoient gentilshommes ; & à la bataille de Bouvines, où ils combattirent vaillamment, ils firent voeu, en cas de victoire, de faire bâtir une église en l'honneur de sainte Catherine ; & saint Louis, à leur priere, fonda l'église de sainte Catherine-du-Val-des-Ecoliers, possédée à-présent par les chanoines réguliers de sainte Génevieve.

Quoiqu'ils fussent gens de guerre, ils étoient aussi officiers de justice, & pouvoient en certains cas venir à la chambre des comptes avec des armes ; ils pouvoient faire l'office de sergenterie dans tout le royaume, c'est qu'ils avoient la faculté d'exploiter par-tout ; ils étoient gagés du roi, & exempts de toutes tailles & subsides ; ils n'avoient d'autres juges que le roi & son connétable, même en défendant ; leur office étoit à vie, à moins qu'ils ne fussent destitués pour forfaiture ; tellement que la mort du roi ne leur faisoit pas perdre leur office, comme cela avoit lieu pour tous les autres officiers. On leur donnoit ordinairement la garde des châteaux qui étoient sur la frontiere, sans qu'ils eussent d'autres gages que ceux attachés à leur masse. Ceux qui demeuroient près du roi, prenoient leurs gages, robes & manteaux pour le tems qu'ils avoient servi en l'hôtel ; ils furent ensuite assignés sur le trésor. Par une ordonnance de Philippe VI. de l'an 1342, une autre ordonnance de l'an 1285, pour l'hôtel du roi & de la reine, titre de fourriere, porte " item, sergens d'armes 30, lesquels seront à court sans plus, deux huissiers d'armes & 8 autres sergens avec, & mangeront à court, & porteront toujours leurs carquois plein de carreaux, & ne se pourront partir de court sans congé ". Philippe VI. en fixa le nombre à 100 en 1342. Charles V. étant régent du royaume, les réduisit au nombre de six en 1359, & leur défendit de tenir ensemble deux offices ; il leur défendit aussi en 1376, de mettre à exécution les mandemens de justice adressés à tous sergens en général, autre étant le service des armes & celui de la justice. On trouve aussi au registre olim un arrêt du 12 Septembre qui casse des lettres de Bertrand du Guesclin, connétable, ou de son lieutenant, par lesquelles il prétendoit avoir droit de jurisdiction sur les servans d'armes.

SERGENT BAILLAGER est celui qui sert près d'un bailliage, qui a droit d'instrumenter dans le ressort d'icelui. Voyez Imbert, p. 4. & Boucheul sur Poitou, tome II. p. 722, n °. 9.

SERGENT BATONNIER. On donna ce nom aux sergens qui portoient des bâtons ou verges, dont ils touchoient ceux contre lesquels ils faisoient quelque exploit. Bouthillier fait mention d'un sergent bâtonnier de la ville de Tournay ; il en est aussi parlé dans la coutume de Valenciennes, articles 3. 8. 10 & 11.

SERGENT BLAVIER est celui des habitans d'une paroisse qui est établi pour la garde des blés & autres grains. C'est la même chose que messier ou sergent messilier, messium custos. La coutume d'Auxerre l'appelle sergent blavier.

SERGENS CHATELAINS ; il y en a en Poitou, & dans quelques autres provinces de France, des sergens héréditaires qui sont appellés châtelains ou sergens châtelains, & qui tiennent leurs offices en fief. Loyseau, en son traité des offices, liv. II. ch. ij. n °. 50, tient que c'étoient jadis les gardes & concierges des châteaux ; & en effet, suivant des ordonnances des 18 & 28 Juillet, & 16 Novembre 1318, on voit que la garde des châteaux étoit donnée à des sergens d'armes, qui étoient obligés de les garder sans autres gages que ceux de leur masse.

SERGENT AU CHATELET ou du châtelet, est un sergent établi pour faire le service au châtelet de Paris, & pour exploiter dans l'étendue de cette jurisdiction, suivant le pouvoir qui lui est attribué.

Il y a au châtelet quatre sortes de sergens ; savoir

Les six sergens ou huissiers fieffés.

Les douze sergens de la douzaine.

Les sergens à cheval.

Et les sergens à verge ou à pié.

Les sergens fieffés paroissent être les plus anciens de tous, & les premiers sergens établis pour le service du châtelet ; ils furent surnommés fieffés, parce que leur office fut érigé en fief du tems que l'on inféoda la plûpart des offices. La déclaration du mois de Juin 1544, confirmative de leurs privileges, dit que les quatre sergens fieffés du châtelet ont été créés de très-grande ancienneté.

Du tems de la ligue, il en fut créé un cinquieme, & depuis encore un autre ; desorte qu'ils sont présentement au nombre de six.

Ces six offices sont présentement du corps des huissiers-commissaires-priseurs vendeurs de biens meubles ; ils ont toujours eu le privilege d'exploiter sans demander permission, placet, visa, ni pareatis.

Mais ils n'avoient autrefois le pouvoir d'exploiter que dans la ville, fauxbourgs, banlieue, prevôté & vicomté de Paris. François I. par sa déclaration du mois de Juin 1544, en les confirmant dans tous leurs droits & privileges, leur accorda en outre d'exercer leurs offices par tout le royaume, & d'y faire tous exploits de justice, & exécuter tous jugemens & mandemens, tant du roi que des chancelleries, parlemens, & autres juges quelconques.

Les plus anciens après les huissiers fieffés, sont les sergens de la douzaine, ainsi appellés, parce qu'ils sont seulement au nombre de douze. Ils furent institués par saint Louis, qui les tira du corps des sergens à verge, & leur donna 18 livres 5 sols parisis de gages. Ils portoient sur leurs habits douze petites bandes de soie blanche, rouge & verte.

La premiere fois qu'il en soit parlé, est en 1288, ainsi que le remarque M. Brusselles.

Ils étoient, comme on vient de le dire, du corps des sergens à verge ou à pié. En effet, l'ordonnance de Philippe-le-Bel, du mois de Novembre 1302, portant réglement pour les officiers du châtelet, dit qu'il y aura 80 sergens à pié, & les douze de la douzaine, & non plus ; que chacun donnera de plege ou caution 20 livres, & aura armures suffisantes pour soi, qui seront examinées par le prevôt de Paris, & par deux autres personnes qui sont nommées.

Cette même ordonnance porte, article 8. que les sergens de la douzaine seront ôtés à-présent, & que le prevôt, selon ce qu'il verra que nécessité sera, fera garder la ville, jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné.

On voit par-là que ces sergens de la douzaine étoient destinés pour la garde de la ville : cet article au reste semble se contredire avec l'article 2 ; aussi M. de Lauriere remarque-t-il qu'il n'est pas dans le registre du trésor des chartes.

Le même prince, par son ordonnance du 12 Juin 1309, confirmative de celle qu'avoient faite Guillaume de Haugest, trésorier, & Pierre le Feron, garde de la prevôté de Paris, touchant les officiers & les sergens du châtelet, dit qu'il y aura 90 sergens à pié, dans le nombre desquels douze sergens de la douzaine seront pris & élus comme il plaira au prevôt de Paris qui sera pour lors en place, & que ces douze sergens seront changés tous les deux mois.

On voit par-là que ces sergens de la douzaine étoient dès-lors à la nomination du prevôt de Paris, comme sa garde ordinaire, qu'il choisissoit par détachement dans le corps des sergens à pié.

François I. par des lettres de 1529, ordonna qu'ils porteroient un hocqueton argenté à une salamandre, qui étoit lors sa dévise, & une halebarde, pour accompagner le prevôt de Paris. Il leur donna les mêmes franchises & privileges qu'aux archers de ville, & accorda au sieur de Villebert, lors prevôt de Paris, la nomination de ces gardes ; ce qui fut confirmé par une déclaration du 27 Décembre 1551. Les prevôts de Paris jouissent encore de ce droit, & les sergens de la douzaine leur doivent une certaine somme à chaque mutation de prevôt, mais ils prennent des provisions du roi.

Ces mêmes gardes ont une barriere qui est le lieu certain de leur assemblée, afin qu'en toutes occasions & quand il plaît au prevôt de Paris, il puisse leur envoyer ses ordres, soit pour le suivre, soit pour la facilité des autres fonctions de leur charge. Cette barriere étoit anciennement rue des Ecrivains, proche le grand châtelet, où les prevôts de Paris ont toujours demeuré jusqu'au regne de Charles VIII. Présentement elle est adossée contre l'église saint Jacques de la Boucherie. Les armes de M. Seguier, prevôt de Paris sont au-dessus, ce qui fait présumer qu'elle a été construite de son tems.

Girard, dans ses observations sur le traité des offices de Joly, titre des sergens de la douzaine, dit qu'outre les treize-vingt sergens à verge, il y en a une petite troupe que l'on appelle les sergens de la douzaine, qui ne sont que douze, qui ont leur confrairie distincte & séparée des autres, que cela vient de ce qu'au prevôt de Paris appartient la force des armes, comme premier chef militaire de la ville de Paris, pour la manutention de laquelle il avoit été par nos rois ordonné qu'il y auroit douze personnes comme domestiques du prevôt de Paris, qui lui feroient perpétuelle assistance ; que pour cette cause ils sont pourvus de leurs offices par le roi sur la nomination du prevôt de Paris ; que par leur institution ils doivent porter le hocqueton & la halebarde, comme archers de ville ; qu'aussi sont-ils gagés & salariés de 25 livres tournois pour l'entretien de leur hocqueton, que le prevôt de Paris est tenu de leur donner lorsqu'ils sont pourvus & reçus.

Le même auteur ajoute que ces sergens font toutes sortes d'exploits dans la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris, comme les sergens à verge du châtelet, sans qu'ils soient tenus de faire aucun service au châtelet, ni assister les juges ni les commissaires lorsqu'ils exercent leurs charges, non plus que les sergens fieffés du châtelet ; qu'ils ne reconnoissent que le prevôt de Paris, lequel ils sont tenus d'assister avec leurs hocquetons & halebardes lorsqu'il va au châtelet tenir le siége, & aux cérémonies publiques.

Qu'aux pompes funebres des rois, il y en a quatre seulement qui accompagnent le prevôt de Paris avec des robes de deuil qui leur sont données comme aux autres officiers du roi.

Enfin Girard remarque que ces officiers ne pouvoient faire prisées ni ventes, & qu'ils n'étoient point reçus à payer le droit annuel, non plus que les commensaux de la maison du roi.

Les sergens de la douzaine obtinrent d'Henry II. des lettres-patentes en forme d'édit, du mois de Mai 1558, portant que les sergens de la douzaine pourroient faire tous exploits & informations, nonseulement en la ville, fauxbourgs & banlieue de Paris, mais aussi par toute la ville, prevôté, & vicomté de Paris, & anciens ressorts d'icelle, ainsi que faisoient & avoient accoutumé de faire les autres sergens à verge fieffés, & autres, sans qu'ils fussent tenus de demander assistance, placet, visa, ni pareatis.

Mais les sergens à verge & à cheval, ayant formé opposition à l'entérinement desdites lettres, les huissiers de la douzaine furent déboutés de l'effet d'icelles, par arrêt du premier Juillet 1560.

Les sergens de la douzaine obtinrent encore le 7 Octobre 1575, des lettres en forme de déclaration, portant qu'ils jouiroient de pareil pouvoir & priviléges que les 120 sergens à verge, priseurs, vendeurs au châtelet, prevôté & vicomté de Paris, unis en un seul corps avec 40 autres sergens à verge, priseurs vendeurs audit châtelet.

Mais les sergens à verge s'étant encore opposés à l'entérinement de ces lettres, par arrêt du 6 Juin 1587, les sergens de la douzaine furent déboutés de l'effet de ces lettres, avec défenses à eux de faire aucune prisée ou vente de bien meubles en la ville, banlieue, prevôté & vicomté de Paris, de faire aucuns exploits ou actes de justice hors la ville & banlieue, à peine de nullité, & de s'entremettre d'aller aux barrieres avec les sergens à verge, ni de se qualifier de sergens à verge, du nombre de la douzaine au châtelet, prevôté & vicomté de Paris, priseurs & vendeurs de biens, mais seulement sergens de la douzaine du châtelet de Paris.

Ils ont néanmoins été maintenus dans le droit de faire les mêmes fonctions que les sergens à cheval & à verge du châtelet, par deux arrêts du conseil des 29 Mars & 12 Juin 1677.

Les sergens à cheval du châtelet de Paris ont été institués pour faire leur service à cheval dans la prevôté & vicomté de Paris, pour tenir la campagne sûre, & pour exploiter dans l'étendue de la prevôté & vicomté, mais hors la banlieue qui forme les limites du district des sergens à pié ou à verge.

On ignore quel étoit d'abord le nombre des sergens du châtelet, soit à cheval ou à pié ; on trouve seulement que Philippe-le-Bel, par son ordonnance du mois de Novembre 1302, fixa le nombre de ces sergens à cheval à 80 ; qu'en 1309, il fut réduit à 60 ; qu'en 1321, Philippe-le-Long les remit à 98. Le nombre total des sergens du châtelet étoit néanmoins accru jusqu'à 700 ; mais en 1327, Philippe de Valois réduisit les sergens à cheval à 80. Le nombre en étant depuis beaucoup augmenté, Charles V. par édit du 8 Juin 1369, les réduisit à 220.

Chacun d'eux devoit donner caution jusqu'à la somme de 100 livres, de bien & loyalement sergenter ; ils devoient avoir un bon cheval à eux, & des armes suffisantes, lesquelles devoient être examinées par le prevôt de Paris, & deux autres personnes à ce commis.

Philippe-le-Bel reçut en 1309, plaintes de la part du peuple sur la grande multitude & oppressions des sergens à cheval & à pié du châtelet de Paris, pour les grandes extorsions qu'ils faisoient ; à quoi il pourvut par son ordonnance du 20 Avril de ladite année.

Il diminua, comme on l'a dit, le nombre des sergens, & ordonna que tous sergens de cheval & de pié, seroient demeurans en la ville de Paris, & que nul n'iroit hors la ville sans impétrer commandement du prevôt de Paris, ou de son lieutenant, ou des auditeurs.

La journée de ces sergens fut reglée à 6 sols parisis.

Les sergens à cheval & à pié étoient alors la seule garde qu'il y eut le jour dans Paris ; c'est pourquoi cette ordonnance porte que toutes les fois que l'on criera à la justice le roi, qu'ils viendront tous sans délai, & que quand le roi viendra à Paris ou s'en ira, ils s'approcheront du prevôt de Paris pour faire ce qui leur sera commandé ; que toutes les fois qu'il y aura feu en la ville, ou quelque assemblée commune, ils s'assembleront devers le prevôt ; & que si quelqu'un empêche le droit du roi, ils le feront savoir au prevôt ou à son lieutenant.

Philippe-le-Long, par son ordonnance de 1321, dit que d'ancienneté il avoit toujours été accoutumé que les sergens à cheval ne devoient point sergenter dans la banlieue de Paris, ni ceux de pié hors la banlieue, sinon en cas de nécessité, il ordonna que cet ordre ancien seroit observé.

Suivant l'édit de leur création du 8 Juin 1369, & les lettres-patentes & ordonnances rendues en leur faveur au mois d'Août 1492, Décembre 1543, 20 Novembre 1566, Mai 1582, Juin 1603, 13 Juin 1617 & 1644, confirmés tant par arrêts du conseil privé, que du parlement, des 4 Mars 1600, 10 Mai 1603, 24 Avril 1621, 4 Mars & 17 Avril 1622, de l'année 1648, 2 Janvier 1665, & autres postérieurs, ils ont non-seulement la faculté d'exploiter dans toute l'étendue du royaume, mais encore celle de mettre à exécution toutes sentences, jugemens, arrêts, & autres actes, de quelques juges qu'ils soient émanés, & de faire leur résidence où bon leur semble ; de mettre le scel du châtelet à exécution exclusivement à tous autres huissiers, & de faire dans toutes les villes & lieux du royaume les ventes de meubles, à l'exception de la ville de Paris, où il y a des huissiers-priseurs en titre.

Ils ont leurs causes commises au châtelet, tant en matiere civile que criminelle.

Les derniers édits ont attribué aux sergens à cheval le titre d'huissiers-sergens à cheval.

L'édit du mois de Février 1705, avoit ordonné qu'ils ne feroient qu'une seule & même communauté avec les sergens à verge ; mais par une déclaration du mois de Novembre suivant, les deux communautés ont été séparées comme elles l'étoient précédemment.

Les sergens à verge ou à pié, qu'on appelle présentement huissiers-sergens à verge, étoient dans l'origine les seuls qui faisoient le service dans le tribunal & dans la ville, fauxbourgs, & banlieue.

Ils étoient obligés de demeurer dans la ville, & être toujours prêts à s'assembler auprès du prevôt : mais il ne leur étoit pas permis d'aller deux ensemble.

Ils se tenoient ordinairement appuyés sur la barriere qui étoit au-devant du châtelet, pour être prêts au premier ordre du juge ou requisitoire des parties ; dans la suite on leur construisit en différens quartiers de Paris, différens corps-de-garde qui conserverent le nom des barrieres des sergens.

Le nombre de ces sergens qui étoit devenu excessif, fut réduit en 1321 à 133 ; en 1327 à 120 ; depuis il fut augmenté jusqu'à onze-vingt ou 220.

Anciennement ils ne pouvoient exploiter hors de la banlieue de Paris ; en 1543, on donna à 85 d'entr'eux le pouvoir d'exploiter dans toute la prévôté & vicomté ; & en 1550, on leur accorda à tous le même pouvoir ; & enfin on leur a donné à tous le pouvoir d'exploiter par tout le royaume, comme les huissiers à cheval.

Ils faisoient autrefois les prisées de meubles, mais présentement elles se font par les huissiers-priseurs, qui ont été tirés de leur corps. (A)

SERGENS DES CHEFS-SEIGNEURS, étoient ceux qui étoient commis par des seigneurs à la justice desquels ressortissoit quelque justice inférieure ; ils ne pouvoient faire aucune dénonciation dans les justices des seigneurs inférieurs ; de même qu'il n'étoit pas permis à ceux des justices inférieures d'en faire dans les justices des chefs-seigneurs, ainsi qu'il est dit dans une ordonnance de saint Louis, de l'an 1268 ou 1269.

SERGENT CHEVALIER, est un titre que prenoient autrefois les sergens à cheval, ce qui venoit sans-doute de ce que dans les anciennes ordonnances ces sortes de sergens sont nommés equites servientes ; quelques-uns d'entr'eux prennent encore abusivement ce titre de chevalier, mais en justice lorsqu'on y fait attention, on leur défend de prendre cette qualité.

SERGENS A CHEVAL, sont des sergens institués pour faire leur service à cheval. L'objet de leur institution a été qu'il y eût des sergens en état d'exécuter les mandemens de justice, dans les lieux les plus éloignés, ce que ne pouvoient faire les sergens à pié, ou du moins aussi promtement. Voyez ce qui est dit ci-devant des sergens à cheval à l'article des SERGENS DU CHATELET.

SERGENS CHEVAUCHEURS étoient des gardes des eaux & forêts, créés par édit du mois d'Août 1572, pour visiter à cheval les forêts du roi. Plusieurs furent supprimés par édit du mois d'Avril 1667 ; le reste fut supprimé en vertu de l'ordonnance de 1669, tit. 20. art. 3. & en leur place on établit d'autres gardes à cheval, sous le titre de gardes généraux.

SERGENS COLLECTEURS, on donna d'abord ce nom à certains sergens royaux, qui furent institués dans les paroisses par l'édit du 23 octobre 1581, pour exploiter & faire les contraintes à la requête des collecteurs, fermiers & autres commis & députés à la recette des aides, tailles & autres droits du roi. Ces sergens étoient comme on voit, les mêmes que ceux qu'on appelloit sergens des aides, tailles & gabelles.

On a depuis donné le nom de sergent collecteur, à l'officier qui dans chaque maîtrise des eaux & forêts ou grurie, est chargé de la collecte ou recette des amendes qui sont prononcées au profit du roi, pour raison des délits commis en matiere d'eaux & forêts. Ils doivent avoir un rôle & y emmarger ce qu'ils reçoivent, & en donner quittance ; & faute par eux de poursuivre, ils sont garans de leur négligence. Voyez l'ordonnance de 1669, tit. 3. art. 24, tit. 4. art. 3. 9, & tit. 6 art. 6.

SERGENT CRIEUR JURE, ou proclameur public, c'est un sergent établi dans chaque bailliage ou sénéchaussée royale, pour faire les annonces & proclamations publiques, assisté d'un ou deux jurés trompettes. Il y avoit au châtelet de Paris, un de ces sergent crieur juré, qui a été incorporé & uni au corps des sergens à verge. Il y a pourtant encore dans ce siege un crieur juré. Il y a eu de semblables offices de sergens crieurs proclameurs généraux, créés dans chaque bailliage. On trouve dans Joly, l'édit de création pour Angers, du mois de Février 1581.

SERGENT CRIEUR JURE, est celui qui est établi pour faire les cris & proclamations publiques.

Il y a au châtelet de Paris un sergent crieur juré, & un trompette juré, à l'instar desquels il y en a eu d'établis ès villes où il y a bailliages & sénéchaussées.

Le sergent crieur du châtelet de Paris, est incorporé & uni au corps des sergens à verge.

Henri III. en créa dans chaque siege royal de la province d'Anjou, par édit du mois de Février 1581. Voyez Joly.

SERGENS DANGEREUX, ainsi appellés parce qu'ils furent institués par édit d'Henri II. de l'an 1552, pour conserver le droit du roi dans les forêts où le roi a droit de tiers & danger, c'est-à-dire droit de dixieme, ou dans lesquels il a simplement droit de danger. Ils furent révoqués par ordonnance de Charles VII. de l'an 1413, art. 238. ; par celle de Charles IX. en 1563 ; & par l'ordonnance 1669. Voyez ci-après p. 92.

SERGENS DE LA DOUZAINE, voyez ce qui en est dit ci-devant à l'article des SERGENS DU CHATELET DE PARIS.

SERGENT DE L'EPEE ou DU PLAIT DE L'EPEE, ad placitum ensis ; c'étoient ceux qui exécutoient par la force, & même par les armes, les mandemens de justice, suivant le chap. v. de l'ancienne coutume de Normandie : voici quel étoit l'office de ces sergens. " Sous les vicomtes, dit cette coutume, sont les sergens de l'épée, qui doivent tenir les vûes, & faire les semonces & les commandemens des assises, & faire tenir ce qui y est jugé, & délivrer par droit les namps qui sont prins, & doivent avoir onze deniers par chacune vûe qui est soutenue, & aussi de chacun namps qu'ils délivrent, & pour ce sont-ils appellés sergens de l'épée ; car ils doivent justicier vertueusement à l'épée & aux armes tous les malfaiteurs, & tous ceux qui sont diffamés d'aucun crime & les fuitifs ; & pour ce furent-ils établis principalement, afin que ceux qui sont paisibles, soient par eux tenus en paix, & les malfaiteurs fussent punis par la roideur de justice, & par eux doivent être accomplis les offices de droit. Les bédeaux, dit ce même texte, sont mendres sergens, qui doivent prendre les namps, & faire les offices qui ne sont pas si honnêtes, & les mendres semonces ". On voit par-là que les sergens de l'épée avoient sous eux d'autres sergens. L'ordonnance du 20 Avril 1309, dit que les sergens du plait de l'épée donneront plege suffisant pour eux & pour leurs sous-sergens, de loyaument sergenter & répondre de leurs faits. La charte aux Normans, porte que nul sergent de l'épée ne pourra faire exercer son office par un autre sous peine de le perdre ; dans d'autres lettres, datées du 22 Juillet 1315, où le sergent de l'épée est nommé serviens noster spade, il est dit qu'il ne pourra louer son office à personne. Voyez le glossaire de M. de Lauriere, au mot sergent.

SERGENS EXTRAORDINAIRES des lieutenans criminels, étoient des sergens qui furent établis outre les sergens ordinaires du tribunal, pour faire le service auprès du lieutenant criminel, & faire tous exploits en matiere criminelle seulement. Ils furent institués par Henri II. en 1552. Ces offices ont depuis été supprimés & réunis aux autres offices de sergens & huissiers ordinaires.

SERGENT FERMIER étoit celui qui tenoit à ferme un office de sergenterie ; ce qui fut défendu par les ordonnances : il en est parlé dans la coutume de Bretagne, art. 674.

SERGENT FEODE est la même chose que sergent fieffé ; on dit présentement sergent fieffé. Voyez ce qui est dit ci-après au mot SERGENT FIEFFE.

SERGENT FEODE, FIEFFE ou DU FIEF, ou comme on disoit autrefois SERGENT, est celui qui tient l'office de sergenterie en fief. Ces sergens étoient sujets à certains devoirs pour raison de leur fief. Il en est parlé dans un titre de l'évêché de Paris, de l'an 1222 ; dans une autre charte, de l'an 1230 ; dans Matthieu Paris, à l'an 1256 ; dans les assises de Jérusalem, ch. exc. comme aussi dans un arrêt de la Chandeleur, de l'an 1269 ; & dans un autre du parlement de la Pentecôte, de l'an 1273. Il y a encore en plusieurs endroits de ces sergens féodés ou fieffés. Le sergent féodé ou fieffé a dans certains lieux charge & pouvoir de faire les exploits nécessaires, pour la recherche & conservation des droits féodaux du seigneur. Il reçoit les cens, rentes, coutumes, & autres devoirs du seigneur. Il a même en quelques lieux, comme à Senlis, quelque jurisdiction, & peut commettre trois sous-sergens, deux à cheval & un à verge, qui sont institués par le bailli, & révocables à volonté. A Dun-le-roi en Berri, & en quelques autres lieux, cet office est héréditaire, & tenu en hommage du roi. Au châtelet de Paris il y a quatre offices de sergens fieffés. Voyez SERGENS DU CHATELET.

Voyez la coutume de Senlis, art. 87 ; les arrêts du parlement de Paris, du 16 Juillet 1351, 3 Juin 1391 ; les ordonnances de l'échiquier de Normandie, de l'an 1426 ; l'ancienne coutume de Normandie, ch. xv. art. 121 ; le style du châtelet de Paris & d'Orléans, in fine ; l'auteur du grand coutumier, lib. I. ch. ij ; la coutume de Bretagne, art. 21 ; l'ordonnance de Charles VI. de l'an 1413 ; Joly, des offices de France, tom. II. lib. III. tit. 35 ; Brodeau, sur Paris, art. 1. n °. 14.

SERGENS DES FOIRES DE CHAMPAGNE ET DE BRIE, étoient ceux qui étoient établis par le juge conservateur de ces foires, pour exécuter ses mandemens, & les actes passés sous le scel de ces foires. Le nombre en étoit si excessif, que Philippe le Long, par des lettres du mois de Juin 1317, les réduisit à 140, 120 à cheval & 20 à pié.

SERGENT FORESTIER est celui qui est préposé à la garde des bois & forêts du roi ; ces sortes de sergens sont présentement appellés sergens à garde. Voyez SERGENT A GARDE.

SERGENT FRANC est un garde que certains seigneurs ont pour la conservation de leurs bois, ou pour la prise & la garde des bestiaux trouvés en délit. Voyez le glossaire de M. de Lauriere. (A)

SERGENT A GARDE, ce sont ceux qui sont préposés à la garde des forêts du roi ; ils ne peuvent faire aucuns exploits que pour le fait des eaux & forêts, & chasses de sa majesté.

Ces offices sont fort anciens. Suivant l'ordonnance de Philippe le Long, de l'an 1318, ils n'étoient mis & institués qu'à la délibération du grand-conseil, dans les endroits où ils étoient jugés nécessaires. Depuis, par édit d'Août 1526, & autres édits postérieurs, il en fut établi en divers lieux pour la garde & conservation des forêts du roi. Les maîtres des eaux & forêts ne laissoient pas d'en établir où ils jugeoient à propos, à l'exemple des baillis & sénéchaux ; mais ce droit leur fut ôté par l'article 45. de l'ordonnance de 1549, & il n'y a que le roi qui les puisse instituer ; mais ils peuvent être destitués par les grands-maîtres, lesquels peuvent commettre en leur lieu, en cas de prévarication.

On ne doit en recevoir aucun que sur information de vie & moeurs, & par témoins administrés par le procureur du roi ; & ils doivent savoir lire & écrire.

Ils doivent être assidus en leurs gardes, & ne s'en absenter que pour cause de maladie ou autre excuse légitime, en demandant permission au maître particulier & procureur du roi, qui substituent en leur place.

Ils sont obligés d'avoir chacun un registre coté & paraphé du maître & procureur du roi, pour y inscrire leurs procès-verbaux de visite, rapports, exploits & tous autres actes, ensemble l'extrait de la vente ordinaire & extraordinaire, & l'état, tour, qualité & valeur des arbres chablis ou encroués, & généralement tout ce qu'ils font en vertu de leur ministere.

Leurs procès-verbaux doivent être jugés sommairement, par les officiers à la prochaine audience.

Ils signent les procès-verbaux des gardes marteaux, lesquels doivent les appeller à leurs visites.

Le nombre des sergens à garde est divisé en deux parties, qui comparoissent alternativement à l'audience de la maîtrise ou grurie, même aux assises, pour les informer de l'état de leurs gardes, y présenter, affirmer & faire enregistrer leurs rapports, sur lesquels les juges peuvent condamner à des peines pécuniaires, quoiqu'il n'y ait aucune autre preuve ni information ; pourvû que les parties accusées ne proposent pas de cause suffisante de récusation.

L'ordonnance les rend responsables de délits commis en leur garde, faute d'en avoir fait leur rapport, & de l'avoir mis au greffe deux jours au plus tard après le délit commis, ou faute de nommer dans leur rapport les délinquans, & d'avoir marqué le lieu du délit & les autres circonstances.

Tout ce qui concerne les fonctions de ces sergens à garde est expliqué sous les tit. 3. 4. 6. 7. 10. 11. 15. 17. 18. 19. 21. 23. 25. 27. 30. 31. & 32. de l'ordonnance des eaux & forêts.

SERGENT GARDE-PECHE, est un sergent des eaux & forêts, établi dans une maîtrise ou grurie, pour veiller à la conservation des eaux & pêches sur les fleuves & rivieres dans l'étendue de son district. Ces sergens sont pour les eaux & la pêche, ce que les sergens à garde sont pour les bois. Voyez les tit. 12 & 31. de l'ordonnance de 1669.

SERGENT-GARDIEN, étoit celui qui étoit chargé de veiller à la conservation de quelque lieu qui étoit sous la sauve-garde du roi. Tous les lieux qui étoient sous la sauve-garde royale avoient des sergens royaux pour gardiens particuliers ; on peut voir à ce sujet les différentes lettres de sauve-garde qui sont rapportées dans le recueil des ordonnances de la troisieme race.

SERGENS DE GARNISON, dans les anciennes ordonnances sont ceux que l'on établit en garnison chez les parties saisies, pour les contraindre de payer.

SERGENS GENERAUX, étoient des sergens royaux qui avoient le pouvoir d'instrumenter, non pas seulement dans le district d'une justice royale, mais dans toute l'étendue d'une province ; il y en avoit en Normandie qui furent supprimés par une ordonnance du roi Jean, du 5 Avril 1350.

SERGENT A LOI, serviens ad legem, est un titre usité en Angleterre, pour exprimer un grade que l'on acquiert en jurisprudence & qui est le seul grade connu en ce genre, les titres de bachelier, de licencié & de docteur, n'y étant point usités.

Ce titre se confere avec beaucoup de solemnité & de dépense ; c'est un degré pour monter aux plus hautes dignités : pour l'acquérir, il faut avoir étudié les loix au moins pendant seize ans ; ce sont proprement des docteurs en droit qui exercent la profession d'avocat & de jurisconsulte, avec de certaines distinctions au-dessus des simples avocats.

Il y a ordinairement en Angleterre, six sergens du roi à loi & deux en Irlande. Il y a d'autres sergens à loi communs ; il y en a ordinairement vingt en Angleterre, & deux en Irlande ; il peut y en avoir davantage.

Les sergens du roi peuvent travailler pour toutes personnes autres que le roi.

Les sergens communs peuvent travailler contre tous. Voyez le glossaire de Ducange au mot servientes ad legem, & la page suivante.

SERGENS LOUVETIERS, c'étoient des sergens des forêts du roi, établis singulierement pour donner la chasse aux loups, & pour faire devant les maîtres & gruyers leur rapport des prises qu'ils auroient faites ; il en est encore parlé dans le réglement des eaux & forêts du mois de Mai 1592, art. 32.

SERGENT MAITRE, est la même chose que gruyer ou verdier. Selon Saint-Yon, dans son traité des Eaux & Forêts, gruyer, forestier, verdier, segrayer, châtelain, concierge, sergent maître, maître garde, n'est qu'un même office, ayant même fonction, pouvoir, jurisdiction & connoissance premiere des délits qui se commettent ès forêts jusqu'à 60 sols, appellé diversement selon les lieux, en quoi Ragneau s'est mépris dans son indice sur le mot verdier, où il suppose que le verdier est en plus grande charge que le sergent maître, & aussi qu'il connoît des amendes coutumiers ; car il ne connoît que des amendes légales jusqu'à 60 sols, c'est-à-dire de celles qui sont taxées par les ordonnances, lesquelles amendes légales Ragneau a apparemment entendu par le terme de coutumiers. Voyez la note de M. de Lauriere sur le tom. I. des Ordonnances, p. 464.

SERGENT MAITRE ou SERGENT GARDE DES METIERS. Voyez ci-après l'article SERGENT DES METIERS.

SERGENT A MASSE, serviens ad clavam, c'est le titre que prenoient & que prennent encore certains huissiers, qui dans leur institution portoient des masses ; il en est parlé dans la coutume du Hainault, qui les appelle sergens à masse d'argent au bailliage d'Amiens. Il y a huit sergens à masse à la justice civile.

SERGENT MESSIER ou SERGENT MESSILIER, messium custos, est un des habitans d'une paroisse qui est commis par le juge pour la garde des moissons ; on les appelle ailleurs sergens blaviers.

SERGENT DES METIERS, étoient ceux qui avoient la garde & l'inspection sur les personnes d'un certain état & métier ; on les appelloit aussi sergens & gardes ou sergens maîtres d'un tel métier ; il est parlé dans une ordonnance du mois de Mai 1360, des sergens & maîtres de la draperie, ou sergens & gardes de ce métier ; c'est de-là que les gardes & jurés des communautés d'arts & métiers tirent leur origine.

SERGENS DE L'ORDONNANCE DES FOIRES DE CHAMPAGNE ET DE BRIE. Voyez SERGENS DES FOIRES DE CHAMPAGNE ET DE BRIE.

SERGENT DE LA PAIX, dans la coutume de Valenciennes, art. 138. sont les sergens des jurisdictions ordinaires ; ils sont ainsi appellés, parce que dans le pays l'auditoire du juge dont ils sont les ministres est appellé maison de paix.

SERGENT DU PARLOIR AUX BOURGEOIS, étoient ceux qui exécutoient les mandemens ou commissions du bureau de la ville de Paris appellé anciennement le parloüer aux bourgeois ; ces sergens jouissoient des mêmes privileges que les archers & arbalestriers de la ville de Paris, excepté seulement pour les fortifications & réparations de la ville pour l'arriere-ban & pour la rançon du roi. Voyez l'Ordonn. de Louis XI. du mois de Novembre 1465.

SERGENT DU PETIT SCEL DE MONTPELLIER, étoient ceux qui servoient près la cour du petit scel de Montpellier ; ils étoient obligés de comparoître en personne à Montpellier tous les ans le jour de la S. Louis, il en est parlé dans l'Ordonnance de Charles VIII. du 28 Décembre 1490.

SERGENT A PIE ou A VERGE, est celui qui par son institution doit faire le service à pié, soit auprès du juge, soit dans l'étendue de la jurisdiction, à la différence des sergens à cheval qui ont été institués pour faire le service à cheval. Voyez ce qui est dit ci-devant des sergens à verge à l'article des SERGENS DU CHATELET DE PARIS.

SERGENT DU PLAIT DE L'EPEE, seu ad placitum ensis, étoit la même chose que sergent de l'épée. Voy. ci-devant SERGENT DE L'EPEE.

SERGENT PRAIRIER, est un des habitans d'une paroisse qui est commis par la justice à la garde des prés.

SERGENT PREVOTAIRE, en la coutume de Mehun-sur-Eure, en Berry, est le sergent du prevôt.

SERGENT DE QUERELLE ; on donnoit autrefois ce nom au sergent qui faisoit les actes dans les cas de duels, on l'appelloit ainsi par opposition au titre de sergent de la paix ou de paix, que l'on donnoit à ceux qui faisoient le service de sergens dans le tribunal, ou qui faisoient les autres exploits en matiere contentieuse.

Dans la coutume de Normandie, art. 63. le sergent de la querelle est le sergent ordinaire de l'action ou du lieu où le différent des parties est pendant. Voyez Berault sur cet article.

SERGENS ROUTIERS ou TRAVERSIERS, étoient des gardes des eaux & forêts, créés par l'article 21. de l'édit de Janvier 1583, dont les fonctions étoient de brosser & traverser les forêts, routes & chemins d'icelles ; plusieurs furent supprimés par édit du mois d'Avril 1667, le reste fut supprimé par l'ordonnance de 1669, tit. 10. art. 3. & en leur place on établit des gardes généraux à cheval. Voyez SERGENS CHEVAUCHEURS, SERGENS A GARDE, SERGENS TRAVERSIERS, MAITRES SERGENS.

SERGENT DU ROI ou SERGENT ROYAL, est celui qui a été institué par le roi. Les vieux praticiens disent que sergent à roi est pair à comte, ce qui vient de ce qu'anciennement un pair ne pouvoit être assigné que par ses pairs ; desorte qu'un comte ne pouvoit être semons ou ajourné que par un autre comte : mais comme dans la suite on se relâcha de ce cérémonial & que les pairs furent assignés par un simple huissier royal, ainsi que cela fut pratiqué en 1470 à l'égard du duc de Bourgogne accusé de crime d'état ; cette nouvelle forme de procéder fit dire que sergent à roi ou du roi, étoit pair à comte. Voyez Loisel en ses institutes, tit. des personnes, n. 31.

SERGENT ROYAL, est celui qui tient ses provisions du roi : l'institution des sergens royaux est presque aussi ancienne que la monarchie ; au commencement ils étoient choisis par les baillifs ou les sénéchaux, ce qui devoit se faire en pleine assise.

Les baillifs & sénéchaux pouvoient aussi les destituer, quoiqu'ils eussent des lettres du roi : ils étoient responsables des sujets qu'ils avoient nommés aux places vacantes.

Les sergens royaux avoient néanmoins dès-lors des provisions du roi, pour lesquelles ils payoient au roi un droit : Philippe le Long & Charles le Bel leur firent payer une finance, & le roi ordonna que le nombre en seroit fixé.

Ils étoient obligés de donner caution, & d'exercer leur office en personne, s'ils le louoient à un autre, ils s'exposoient à le perdre, ils avoient cependant des substituts, car si le roi donnoit une sergenterie à quelqu'un qui ne vouloit pas l'exercer, son substitut ne devoit être reçu que comme les sergens, avec le conseil de 10 ou 12 personnes, & en donnant caution, quand même celui dont ils remplissoient la place, en auroit donné une.

Ils ne pouvoient ajourner sans ordre des juges, ni faire aucune exécution en des lieux éloignés sans commission.

Pour ce qui est de leur district, ils ne pouvoient sergenter généralement dans tout un bailliage ; mais chacun d'eux seulement dans une châtellenie ou prévôté.

Eux seuls avoient droit de faire toutes exécutions pour les dettes du roi ; mais ils ne pouvoient pas contraindre les sujets des seigneurs à les faire porteurs de leurs lettres, sous prétexte qu'elles étoient passées sous le scel royal.

Ils pouvoient être arrêtés par ordre des seigneurs, s'ils alloient faire de nuit des exécutions dans leurs justices.

Il leur étoit défendu en général d'exercer leur office dans les terres des seigneurs qui avoient haute & basse justice, sinon dans le cas du ressort ou dans les autres cas qui appartiennent au roi, suivant le droit & la coutume, & alors ils ne pouvoient exploiter sans un mandement du juge royal, dans lequel fût contenu le cas royal.

Il ne leur étoit pas non plus permis d'établir leur domicile dans les terres des seigneurs haut justiciers ou des prélats, à moins qu'ils n'y fussent nés, ou qu'ils n'y fussent mariés : ils ne pouvoient même en ces deux cas y faire aucune fonction de leur office, même dans les cas de ressort, & dans les cas royaux ; & ils étoient soumis à la jurisdiction tant spirituelle que temporelle des prélats & des seigneurs, en tout ce qui ne concernoit pas la fonction de leur office.

Outre les sergens des justices royales, il y avoit encore d'autres sergens pour le service du roi ; chaque receveur des deniers du roi pouvoit avoir deux sergens à ses ordres ; s'il en avoit besoin d'un plus grand nombre, il devoit se servir de ceux du bailliage. C'est probablement là l'origine des sergens ou huissiers des tailles. Louis Hutin permit aussi au collecteur des décimes dans la province de Reims de créer des sergens & de les révoquer. (A)

SERGENT SEIGNEURIAL ou SUBALTERNE est un sergent non royal commis par un seigneur pour exploiter dans sa justice. Voyez SERGENT ROYAL.

SERGENT, simple, cette qualité est donnée par les anciennes ordonnances aux sergens des forêts, pour les distinguer des maîtres sergens, qui étoient la même chose que les verdiers ou châtelains. Voyez l'ordonnance de Philippe de Valois du 29 Mai 1346.

SERGENT, sous-, étoient des sergens inférieurs, qui étoient commis par un sergent fieffé. Voyez ci-devant SERGENT FIEFFE.

SERGENT DES TAILLES, voyez ci-devant au mot HUISSIER DES TAILLES & SERGENT DES AIDES, TAILLES & GABELLES.

SERGENT TRAVERSIER, voyez ci-devant SERGENT ROUTIER.

SERGENT A VERGE, est un sergent qui fait le service à pié : on a donné à ces sergens le surnom de sergens à verge, parce que dans leur institution ils étoient obligés de porter une verge ou bâton semé de fleurs-de-lis, pour marque de l'autorité de justice en vertu de laquelle ils agissent. Ils touchoient de cette verge ou baguette ceux contre lesquels ils faisoient quelque exploit. Voyez ce qui est dit ci-devant des sergens à verge à l'article des SERGENS DU CHASTELET. (A)

SERGENT, c'est dans l'art militaire, un soldat qui a passé par les degrés d'anspessade & de caporal, & dont les principales fonctions sont de veiller à ce que les soldats fassent leur service, & à leur apprendre le maniment des armes.

Le sergent est un bas officier dans les compagnies d'infanterie, comme le maréchal-de-logis l'est dans celles de cavalerie.

Les sergens tiennent un rôle du nom des soldats & de leurs logemens. Ils doivent les visiter le soir & le matin, sur-tout après que la retraite est battue, afin de connoître ceux qui sont libertins ou débauchés, & de les faire chatier. Ce sont eux qui posent le corps-de-garde & les sentinelles dans les endroits qu'on a marqués. Ils vont prendre l'ordre du major de la place tous les soirs. Ils s'assemblent en rond autour de lui dans la place d'armes, & ils ont le chapeau bas. Le major donne le mot à l'oreille au plus ancien, qui est à sa droite. Celui-ci le dit de même au suivant ; ainsi ce mot fait le tour du cercle, & revient au major, qui connoît par-là si tous l'ont retenu. Voyez MOT.

Lorsqu'une compagnie est en marche, les sergens sont sur les aîles pour faire dresser les rangs & les files, & pour empêcher que les soldats ne s'écartent. Ce sont eux qui reçoivent les vivres & les munitions des compagnies, qu'ils donnent ensuite aux caporaux, lesquels en font la répartition à leurs escouades.

Le capitaine choisit parmi les sergens celui qui est le plus entendu & le plus fidele, & il le charge du prêt. Voyez PRET. (Q)

SERGENS D'ARMES, dit en latin, servientes armorum, furent une garde instituée par Philippe Auguste pour la conservation de sa personne.

Ce prince forma cette garde à l'occasion du vieux de la Montagne, petit prince dans l'Asie vers la Terre-sainte, fameux par les entreprises que faisoient ses sujets sur la vie des princes à qui il en vouloit.

Les armes des sergens d'armes étoient, outre la masse d'armes, l'arc & les fleches. Ils avoient aussi des lances. Cette garde, qui étoit d'abord assez nombreuse, fut diminuée par Philippe de Valois, & cassée par Charles V. pendant la prison du roi Jean son pere. Daniel, hist. de la milice françoise. (Q)

SERGENT DE BATAILLE, c'étoit un officier d'un grade inférieur à celui de maréchal de bataille ; mais dont les fonctions approchoient de celles des inspecteurs.

Le pere Daniel croit que la charge de sergent de bataille a cessé depuis la paix des Pyrénées, & que les fonctions de ces sortes d'officiers varioient selon la volonté des princes.

Il y a dans les troupes d'Allemagne & d'Espagne des sergens généraux de bataille, tant pour l'infanterie que pour la cavalerie, qui ont en quelque façon dans leur district le même commandement que les maréchaux-de-camp dans nos armées. (Q)

SERGENT EN LOI, (Hist. mod. d'Angleterre) serviens ad legem ; les sergens en loi, sont des docteurs en droit civil, au-dessus des docteurs en droit ordinaire. Ils ne plaident qu'à la cour des communs plaidoyers, & le roi en choisit ordinairement deux ou trois, qui font l'office de ses avocats, & qui parlent pour lui, principalement dans les procès criminels, où il s'agit de trahison. (D.J.)

SERGENS DANGEREUX, (Eaux & Forêts) officiers des forêts qui furent institués par édit de Henri II. l'an 1552, pour conserver le droit du roi dans les bois où le prince a tiers & danger, ou simplement danger ; mais ils ont été supprimés par Charles IX. en 1563. Il y avoit encore autrefois dans les forêts des sergens traversiers & des surgardes-routiers, au lieu desquels on a établi de simples gardes. (D.J.)

SERGENT, s. m. (Outil) c'est un instrument de menuiserie, dont se servent aussi quelqu'autres ouvriers en bois.

Le sergent est une espece de barre de fer quarrée longue à volonté, recourbée en crochet par un des bouts : le long de cette barre monte & descend un autre crochet mobile aussi de fer, qu'on appelle la main du sergent. On se sert de cet instrument pour tenir & joindre les pieces & planches de bois, lorsqu'on les veut coller ensemble, ou pour faire revenir la besogne, c'est-à-dire, en approcher & presser les parties les unes près des autres, quand on veut les cheviller. Les tonneliers ont aussi une espece de sergent, pour faire entrer les derniers cerceaux sur le peigne des futailles ; ils l'appellent plus communément tirtoire. Savary. (D.J.)


SERGENTERIES. f. (Jurisprud.) est l'office de sergent ; il y eut anciennement des seigneurs qui donnerent en fief ces offices de sergens, soit avec quelques terres annexées, soit l'office simplement sans terres : ces sergenteries ainsi données en fief furent appellées sergenteries fieffées. Les quatre plus anciens sergens du châtelet ont encore de ces sergenteries fieffées ; il y en a aussi en plusieurs autres lieux. Voyez l'ancienne coutume de Normandie, celle de Bretagne, art. 674 & 677, le gloss. de M. de Lauriere, & le mot SERGENT. (A)


SERGERou SERGIER, s. m. (Sergerie) c'est un ouvrier, un marchand qui fabrique ou qui vend des serges ; il n'y a pas de provinces en France où il y ait tant de serges qu'en Picardie. Savary. (D.J.)


SERGERIES. f. (Manufacture de sergers) ce mot se dit tant de la manufacture des serges, que du commerce qui s'en fait. La province de Picardie est une de celle de France où il se fabrique le plus de sergerie. (D.J.)


SERGETTES. f. (Sergerie) petite serge, étroite, mince, & légere ; on met au nombre des sergettes, les cadis qui n'ont qu'une demi-aune moins un douze de large, & les serges de Crevecoeur, Policourt, Chartres, & autres semblables, dont la largeur n'est que de demi-aune ; la sergette est encore une espece de droguet croisé & drapé, qui se fait en quelques lieux du Poitou. Savary. (D.J.)

SERGETTE, s. f. terme de manufacture, c'est une serge légere & fine, que les bénédictins reformés portent au-lieu de chemise ; outre les habillemens marqués par la regle, les moines de Cluni portoient autrefois des robes fourrées de mouton, des bottines de feutre pour la nuit, des sergettes, & des caleçons. (D.J.)


SERGETTERIES. f. (Manufact. & Corporation) on appelle ainsi à Beauvais, ville de Picardie, nonseulement la manufacture des serges, ou l'ouvrage des tisserans & sergers qui les fabriquent, mais encore le corps & la communauté des maîtres qui en font profession. Savary. (D.J.)


SERGIOPOLIS(Géog. anc.) ville de l'Euphrateuse, à cent vingt-six stades de Sura, du côté du nord, selon Procope, qui dit qu'il y avoit une église de S. Serge, & que Justinien fortifia cette ville si bien, que Cosroès, roi des Perses, l'ayant attaquée, fut obligé d'en lever le siege. (D.J.)


SERGNou SERGNI, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans le comté de Molise ; elle étoit épiscopale dès l'an 402, sous la métropole de Capoue. On la connoissoit alors sous son ancien nom d'Aesernia ou Isernia. (D.J.)


SÉRIADTERRE DE, (Géog. anc.) Manethon a entendu l'Egypte, par la terre de Sériad ; selon Dodwel & Selden, on doit à la canicule le nom du Nil ; ce fleuve est appellé Siris dans les auteurs profanes, d'où dérive , que les latins écrivent sirios, & qui est le nom de la canicule, dont le lever a tant de rapport avec l'accroissement du Nil ; mais de même qu'Hésiode désigne cette étoile, par l'expression , de même aussi il est vraisemblable que les anciens ont désigné l'Egypte par les termes , ou , terre de Sériad, terre sériadique, terre où coule le fleuve Siris. C'est ainsi qu'ils ont appellé le même pays Aegyptus, du nom sous lequel Homère a connu le Nil. (D.J.)


SÉRICHS. m. terme de relation, nom d'une graine que les Coptes d'Egypte mettent dans leurs mets ; ils la pulvérisent, & en tirent de l'huile par expression. On peut avoir cette huile toujours fraîche, & on fait du marc de petits gâteaux applatis. Les Coptes mangent leur pain trempé dans cette huile, avec des oignons crus, & ils rompent leurs gâteaux en petits morceaux qu'ils trempent dans du syrop de sucre. Pocock, descript. d'Egypte, pag. 183. (D.J.)


SERIEou SUITE, s. f. en Algebre, se dit d'un ordre ou d'une progression de quantité, qui croissent, ou décroissent suivant quelque loi : lorsque la suite ou la serie va toujours en approchant de plus en plus de quelque quantité finie, & que par conséquent les termes de cette serie, ou les quantités dont elle est composée, vont toujours en diminuant, on l'appelle une suite convergente, & si on la continue à l'infini, elle devient enfin égale à cette quantité. Voyez CONVERGENTE, &c.

Ainsi 1/2, 1/4, 1/8, 1/16, 1/32, 1/64, &c. forment une suite qui s'approche toujours de la quantité 1, & qui lui devient enfin égale, quand cette suite est continuée à l'infini. Voyez APPROXIMATION, &c.

La théorie & l'usage des suites infinies, a été cultivée de nos jours avec beaucoup de succès ; on croit communément que l'invention en est due à Nicolas Mercator de Holstein, qui paroît néanmoins en avoir pris la premiere idée de l'arithmétique des infinis de Wallis ; on fait usage des suites principalement pour la quadrature des courbes, parce que cette quadrature dépend souvent de l'expression de certaines quantités qui ne peuvent être représentées par aucun nombre précis & déterminé ; tel est le rapport du diametre d'un cercle à sa circonférence, & c'est un très-grand avantage de pouvoir exprimer ces quantités par une suite, laquelle, étant continuée à l'infini, exprime la valeur de la quantité requise. Voyez QUADRATURE, &c.

Nature, origine & usages des suites infinies. Quoique l'arithmétique nous donne des expressions très-complete s & très-intelligibles pour tous les nombres rationnels, elle est néanmoins très-défectueuse, quant aux nombres irrationnels, qui sont en quantité infiniment plus grande que les rationnels ; il y a, par exemple une infinité de termes irrationnels, entre 1 & 2 : or que l'on propose de trouver un nombre moyen proportionnel entre 1 & 2, exprimé en termes rationnels, qui sont les seuls que l'on conçoit clairement, la racine de 2 ne présentant certainement qu'une idée très-obscure, il est certain qu'on pourra toujours approcher de plus en plus de la juste valeur de la quantité cherchée, mais sans jamais y arriver ; ainsi, pour le nombre moyen proportionnel entre 1 & 2, ou pour la racine quarrée de 2, si l'on met d'abord 1, il est évident que l'on n'a pas mis assez ; que l'on y ajoute 1/2, on a mis trop : car le quarré de 1 + 1/2, est plus grand que 2 ; si de 1 + 1/2, l'on ôte 1/8, on trouvera que l'on a retranché trop, & si l'on y remet 1/16, le tout sera trop grand : ainsi, sans jamais arriver à la juste valeur de la quantité cherchée, on en approchera cependant toujours de plus en plus. Les nombres que l'on vient de trouver ainsi, & ceux que l'on peut trouver de la même maniere à l'infini, étant disposés dans leur ordre naturel, font ce que l'on appelle une serie, ou une suite infinie : ainsi la serie 1 + 1/2 - 1/8 + 1/16, &c. continuée à l'infini, exprime la valeur de la racine quarrée de 2 ; quelquefois les suites ne procedent pas par des additions & des soustractions alternatives, mais par de simples additions ou par une infinité de soustractions ; dans toutes les suites infinies dont tous les termes pris ensemble ne doivent être égaux qu'à une grandeur finie, il est visible que leurs termes doivent aller toujours en décroissant ; il est bon même, autant qu'il est possible, qu'elles soient telles que l'on en puisse prendre seulement un certain nombre des premiers termes, pour la grandeur cherchée, & négliger tout le reste.

Mais ce ne sont pas seulement les nombres irrationnels que l'on peut exprimer en termes rationnels, par des suites infinies ; les nombres rationnels eux-mêmes, sont susceptibles d'une semblable expression ; 1, par exemple, est égal à la suite 1/2, 1/4, 1/8, &c ; mais il y a cette différence, qu'au lieu que les nombres irrationnels ne peuvent être exprimés en nombre rationnel que par ces suites, les nombres rationnels n'ont pas besoin de cette expression.

Parmi les suites infinies, il y en a quelques-unes dont les termes ne font qu'une somme finie ; telle est la progression géométrique 1/2, 1/4, 1/8, &c. & en général toutes les progressions géométriques décroissantes : dans d'autres suites, les termes font une somme infinie ; telle est la progression harmonique 1/2, 1/3, 1/4, 1/5, &c. Voyez HARMONIQUE. Ce n'est pas qu'il y ait plus de termes dans la progression harmonique, que dans la géométrique, quoique cette derniere n'ait point de terme qui ne soit dans la premiere, & qu'il lui en manque plusieurs que cette premiere contient ; une pareille différence rendroit seulement les deux sommes infinies, inégales ; & celle de la progression harmonique, seroit la plus grande : la raison en est plus profonde ; de la divisibilité de l'étendue à l'infini, il suit que toute quantité finie, par exemple un pié, est composée pour ainsi dire, de fini & d'infini : de fini, entant que c'est un pié ; d'infini, entant qu'il contient une infinité de parties, dans lesquelles il peut être divisé : si ces parties infinies sont conçues comme séparées l'une de l'autre, elles formeront une suite infinie, & néanmoins leur somme ne sera qu'un pié : or c'est ce qui arrive dans la suite géométrique 1/2, 1/4, 1/8, &c. décroissante : car il est évident que si vous prenez d'abord 1/2 pié, ensuite 1/2 ou la moitié de ce qui reste, c'est-à-dire 1/4 de pié ; & puis 1/2, ou la moitié du reste, c'est-à-dire, 1/8 de pié, vous pouvez opérer sans fin, en prenant toujours de nouvelles moitiés décroissantes, qui, toutes ensemble ne font qu'un pié. Quand on dit même que toutes ces parties prises ensemble font un pié, il ne faut pas prendre cette expression à la rigueur, car elles ne feroient un pié que dans la supposition que l'on eût pris tous les termes de la suite, & cela ne se peut, puisque la suite est infinie ; mais on peut prendre tant de termes de la suite qu'on veut, plus on en prendra, plus on approchera de la valeur d'un pié, & quoiqu'on n'ait jamais le pié exactement, on pourra en approcher aussi près qu'on voudra : ainsi cette suite n'a pas proprement un pié pour la somme, car une suite infinie n'a point de somme proprement dite, puisque sa somme varie selon qu'on en prend plus ou moins de termes, & qu'on ne peut jamais les prendre tous ; mais ce qu'on appelle la somme d'une suite, c'est la limite de la somme de ses différens termes, c'est-à-dire une quantité dont on approche aussi près qu'on veut, en prenant toujours dans la suite un nombre de termes de plus en plus grand. Nous croyons devoir faire cette remarque en passant, pour fixer l'idée nette du mot de somme d'une suite. Revenons à-présent à notre suite 1/2, 1/4, 1/8.

Dans cet exemple nous ne prenons pas seulement les parties qui étoient dans le tout, distinguées l'une de l'autre, mais nous prenons tout ce qui y étoit ; c'est pourquoi il arrive que leur somme redonne précisément le tout ou la quantité entiere ; mais si nous prenons la progression géométrique 1/3, 1/9, 1/27, &c. c'est-à-dire, que nous prenions d'abord 1/3 de pié, & que du reste l'on en prenne 1/9, & que de ce dernier reste l'on prenne encore 1/27 de pié, &c. il est vrai que nous ne prendrions que les parties qui sont distinctes l'une de l'autre dans le pié ; mais nous ne prendrions pas toutes les parties qui y sont contenues, puisque nous n'y prenons que tous les tiers, qui sont plus petits que les moitiés ; par conséquent, tous ces tiers qui décroissent, quoiqu'en nombre infini, ne pourroient faire le tout ; & il est même démontré qu'ils ne feroient que la moitié d'un pié ; pareillement tous les quarts, qui décroissent à l'infini, ne donneroient qu'un tiers pour somme totale, & tous les centiemes ne feroient qu'un quatre-vingt dix-neuvieme ; ainsi, non-seulement la somme des termes d'une suite géométrique, dont les termes décroissent à l'infini, n'est pas toujours une quantité finie ; elle peut même être plus petite qu'une quantité finie quelconque : car nous venons de voir comment on peut former une suite de quantités qui ne soient égales qu'à 1/2, 1/3, 1/4, & on peut de même en former qui ne soient égales qu'à 1/5, 1/6, &c. 1/10, 1/100, 1/1000, &c. & ainsi à l'infini.

Si une suite infinie décroissante exprime des parties qui ne puissent pas subsister dans un tout séparément les unes des autres, mais qui soient telles que pour exprimer leur valeur, il soit nécessaire de supposer la même quantité prise plusieurs fois dans le même tout ; alors la somme de ces parties sera plus grande que le tout supposé, & même pourra être infiniment plus grande, c'est-à-dire, que la somme sera infinie, si la même quantité est prise une infinité de fois. Ainsi dans la progression harmonique 1/2, 1/3, 1/4, &c. si nous prenons 1/2 pié ou 6 pouces, ensuite 1/3 de pié ou 4 pouces, il est évident que nous ne pouvons plus prendre 1/4 de pié ou trois pouces, sans prendre 1 pouce au-dessus de ce qui reste dans le pié. Puis donc que le tout est déja épuisé par la somme des trois premiers termes, l'on ne sauroit plus ajouter à ces trois termes les termes suivans, sans prendre quelque chose qui a déja été pris ; & puisque ces termes sont infinis en nombre, il est très-possible que la même quantité finie puisse être répétée un nombre infini de fois : ce qui rendra infinie la somme de la suite.

Nous disons possible ; car, quoique de deux suites infinies, l'une puisse faire une somme finie, & l'autre une somme infinie, il peut se trouver une suite où les termes finis ayant épuisé le tout, les termes suivans, quoiqu'infinis en nombre, ne feront qu'une somme finie.

De plus il est nécessaire de faire deux remarques sur les séries en général. 1°. Il y a quelques suites dans lesquelles, après un certain nombre de termes, tous les autres termes, quoiqu'infinis en nombre, deviennent chacun égaux à zéro. Il est évident que la somme de ces suites est une somme finie, & qu'on peut aisément la trouver. Soit, par exemple, la suite a + m a2 + m. m - 1 a3 + m. m - 1. m - 2 a4 + m. m - 1. m - 2. m - 3. a5, &c. il est évident que si on fait, par exemple, m = 3, cette suite se terminera au 4e. terme. Car tous les autres devant être multipliés par m - 3 qui est = 0 à cause de m = 3, ces termes seront nécessairement chacun égaux à zéro, ces suites n'ayant qu'une apparence d'infinité.

2°. Que la même grandeur peut être exprimée par différentes suites, qu'elle peut l'être par une suite dont la somme est déterminable, & par une autre, dont on ne sauroit trouver la somme.

La géométrie n'est pas sujette, dans l'expression des grandeurs, à autant de difficultés que l'arithmétique : on y exprime exactement en lignes les nombres irrationnels, & l'on n'a point besoin d'y recourir aux suites infinies. Ainsi l'on sait que la diagonale d'un quarré, dont le côté est 1, exprime la racine quarrée de 2. Mais en quelques autres cas, la géométrie elle-même n'est pas exempte de ces inconvéniens, parce qu'il y a quelques lignes droites que l'on ne peut exprimer autrement que par une suite infinie de lignes plus petites, dont la somme ne peut être déterminée : de cette espece sont les lignes droites égales à des courbes non rectifiables ; en cherchant, par exemple, une ligne droite égale à la circonférence d'un cercle, on trouve que le diametre étant supposé 1, la ligne cherchée sera 4/1 - 4/3 + 4/5 - 4/7 + 4/9, &c. Voyez RECTIFICATION.

Quant à l'invention d'une suite infinie, qui exprime des quantités cherchées, Mercator, le premier inventeur de cette méthode, se sert pour cet effet de la division. Mais M. Newton & M. Leibnitz ont porté cette théorie plus loin ; le premier, en trouvant ses suites par l'extraction des racines ; & le second, par une autre suite présupposée.

Pour trouver, par le moyen de la division, une suite qui soit l'expression d'une quantité cherchée. Supposons qu'on demande une suite qui exprime le quotient de b divisé par a + c, divisez le dividende par le diviseur, comme dans l'algebre ordinaire, en continuant la division, jusqu'à ce que le quotient fasse voir l'ordre de la progression, ou la loi suivant laquelle les termes vont à l'infini ; observant toujours les regles de la soustraction, de la multiplication, de la division, par rapport au changement des signes. Quand vous aurez poussé cette opération jusqu'à un certain point, vous trouverez que le quotient est b/a - (b c)/a2 + (b c2)/ a3 - (b c3)/ a4, &c. à l'infini. Ces quatre ou cinq termes étant ainsi trouvés, vous reconnoîtrez facilement que le quotient consiste en une suite infinie de fractions. Les numérateurs de ces fractions sont les puissances de c, dont les exposans sont moindres d'une unité que le nombre qui marque la place que ces termes occupent, & les dénominateurs sont les puissances de a, dont les exposans sont égaux au nombre qui marque la place de ces termes : par exemple, dans le troisieme terme, la puissance de c est du second degré dans le numérateur ; & la puissance de a est du troisieme degré dans le dénominateur.

Par conséquent 1°. si b = 1 & a = 1, substituant ces valeurs nous aurons le quotient ci-dessus = 1 - c + c2 - c3, &c. à l'infini : c'est pourquoi 1/(1 + c) = 1 - c + c2 - c3, &c. à l'infini.

2°. Donc si les termes qui sont au quotient décroissent continuellement, la suite donnera un quotient aussi près du vrai qu'il est possible. Par exemple, si b = 1, c = 1, a = 2, ces valeurs étant substituées dans la suite générale, & la division étant faite comme dans l'exemple général ci-dessus, on trouvera 1/3 = 1/(2 + 1) = 1/2 - 1/4 + 1/8 - 1/16 + 1/32 - 1/64 + 1/128, &c. Supposons maintenant que la série ou la suite s'arrête au quatrieme terme, la somme de cette suite sera audessous de la véritable ; mais il ne s'en faudra pas 1/32. Si elle s'arrête au sixieme terme, elle sera encore en-dessous, mais moins que de 1/128 : c'est pourquoi plus on poussera la série ou la suite, plus aussi on approchera de la véritable somme, sans pourtant jamais y arriver.

De la même maniere, on trouve que 1/4 = 1/(3 + 1) = 1/3 - 1/9 + 1/27 - 1/81 + 1/243, &c. à l'infini.... 1/5 = 1/(4 + 1) = 1/4 - 1/16 + 1/64 - 1/256, &c. à l'infini.... 1/6 = 1/(5 + 1) = 1/5 - 1/25 + 1/125 - 1/625, &c. à l'infini. Ce qui donne une loi constante, suivant laquelle toutes les fractions, dont le numérateur est l'unité, peuvent être exprimées par des suites infinies ; ces suites étant toutes des progressions géométriques, qui décroissent en telle maniere que le numérateur est toujours l'unité, & que le dénominateur du premier terme, qui est aussi l'exposant du rapport, est moindre d'une unité que le dénominateur de la fraction que l'on a proposé de réduire en suite.

Si les termes du quotient croissent continuellement, la série s'éloigne d'autant plus du quotient, qu'elle est poussée plus loin ; & elle ne peut jamais devenir égale au quotient, à moins qu'on ne limite ce quotient, & qu'on ne lui ajoute le dernier reste avec son propre signe. Par exemple, supposons 1/3 = 1/(1 + 2) ; on trouvera que le quotient = 1 - 2 + 4 - 8 + 16 - 64 + 128, &c. prenons le premier terme 1, il excede - 1/3 de 2/3 ; deux termes, c'est-à-dire 1 - 2, seront plus petits de 4/3 ; trois termes seront trop grands de 9/3 ; quatre termes seront trop petits que 1/3 de 15/3, &c. Si l'on suppose que la série ou la suite se termine au terme - 8 ; alors on aura 1/(1 + 2) = 1 - 2 + 4 - 8 + 16/3 ; mais 1 - 2 + 4 - 8 = - 5 = - 15/3 : ainsi 1/(1 + 2) = 16/3 - 15/3 = 1/3.

Mais, dira-t-on, qu'exprime donc alors une pareille suite ? car par la nature de l'opération, elle doit être égale à la quantité ou fraction proposée ; & cependant elle s'en éloigne continuellement. Un auteur nomme Guido Ubaldus, dans son traité de quadratura circuli & hyperbolae, a poussé ce raisonnement plus loin, & en a tiré une conséquence fort singuliere. Ayant pris la suite 1/2 = 1/(1 + 1), & ayant fait la division il a trouvé au quotient 1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1, &c. qui à l'infini ne peut jamais donner que 1 ou 0 ; sçavoir 1, si on prend un nombre impair de termes ; & 0, si on prend un nombre pair. D'où cet auteur a conclu que la fraction 1/2 pouvoit devenir 1 par une certaine opération, & que 0 pouvoit être aussi égal à 1/2, & que par conséquent la création étoit possible, puisqu'avec moins on pouvoit faire plus.

L'erreur de cet auteur venoit de n'avoir pas remarqué que la suite 1 - 1 + 1 - 1, &c. & en général 1 - c + c2 - c3 &c. n'exprimoit point exactement la valeur de la fraction 1/(1 + c). Car supposons qu'on ait poussé le quotient de la division jusqu'à cinq termes ; comme la division ne se fait jamais exactement, il y a toujours un reste ; soit ce reste r ; & pour avoir le quotient exact, il faut, comme dans la division ordinaire, ajoûter ce reste r divisé par le diviseur 1 + c, à la partie déjà trouvée du quotient.

Ainsi supposons que la série générale soit terminée à - c3, on aura 1/(1 + c) = 1 - c + c2 - c3 + c4/(1 + c) = (1 + c - c2 + c2 + c3 - c3 - c4 + c4)/(1 + c) = 1/(1 + c). Par conséquent la valeur exacte de 1/2 = 1/(1 + 1) est 1 - 1 + 1 - 1 + 1/(1 + 1) ; & cette valeur se trouve toujours égale à 1/2, & non pas zéro à 1. Voyez dans les Mémoires de l'académ. de 1715. un écrit de M. Varignon, où cette difficulté est éclaircie avec beaucoup de soin.

Pour s'instruire à fond de la matiere des suites, on peut consulter le traité de M. Jacques Bernoulli, intitulé Tractatus de seriebus infinitis, earumque summâ finitâ, imprimé à Basle en 1714, à la suite de l'Ars conjectandi du même auteur ; le septieme livre de l'Analyse démontrée du P. Reyneau ; l'ouvrage de M. Newton, intitulé Analysis per aequationes numero terminorum infinitas ; enfin le traité de M. Stirling, de summatione serierum ; & celui de M. Moivre, qui a pour titre Miscellanea analytica de seriebus & quadraturis. On joindra à ces ouvrages la lecture d'un grand nombre de mémoires sur cette matiere, composés par MM. Euler, Bernoulli, &c. &c. imprimés dans les volumes des académies de Pétersbourg & de Berlin.

Pour extraire les racines d'une suite infinie, voyez EXTRACTION DES RACINES.

Retour des séries ou des suites. Voyez l'art. RETOUR.

Dans la doctrine des séries, on appelle fraction continue, une fraction de cette espece à l'infini.

M. Euler a donné, dans les Mémoires de l'académie de Pétersbourg, des recherches sur ces sortes de fractions.

Interpolation des séries ou suites. Elle consiste à insérer dans une suite de grandeurs qui suivent une certaine loi, un ou plusieurs termes qui s'y conforment autant qu'il est possible. Cette méthode est à-peu-près la même que celle de faire passer une courbe du genre parabolique, partant des points qu'on voudra. Par exemple, si on a quatre points d'une courbe assez près les uns des autres, & qu'on veuille connoître à-peu-près les autres points intermédiaires ; on prendra un axe à volonté, & on menera des 4 points donnés les ordonnées a, b, c, d, qui ont pour abscisses e, f, g, h. On supposera ensuite que l'ordonnée de la courbe soit en général A + B x + C x2 + E x3 ; & on fera

ce qui fera connoître les quantités, A, B, C, D ; & par ce moyen on aura les ordonnées de la courbe parabolique, pour une abscisse quelconque x. Or ces ordonnées ne différeront pas beaucoup de celles qu'on cherche. Voyez les Mémoires de l'académie de Pétersbourg, tome II. page 180. (O)


SÉRIEUXadj. (Gram.) terme relatif à l'habitude du corps & au caractere de l'esprit. L'homme sérieux est grave dans son maintien & dans son discours ; il imprime du respect ; on se compose comme lui, pour en approcher ; le sérieux & la gravité conviennent assez aux magistrats. Le sérieux s'oppose au frivole ; il n'y a point d'affaire si sérieuse qui puisse fixer la légéreté de certains hommes. Il s'oppose aussi à la plaisanterie : ce n'est point en plaisantant que je vous parle ; ce que je vous dis est sérieux.


SÉRIGNAN(Géog. mod.) petite ville de France, dans le bas-Languedoc, au diocèse de Beziers ; c'est un siege particulier de l'amirauté. (D.J.)


SERINCERISIN, CEDRIN, s. m. (Hist. nat. Ornitholog.) serinus, oiseau dont on connoit deux especes ; l'une vient des îles Canaries situées dans la mer Atlantique, & l'autre se trouve en Stirie : ce dernier a le dos un peu roux, & le milieu de chaque plume est noir, comme dans la bergeronnette jaune ; la tête du mâle a une couleur jaune plus foncée que celle de la femelle ; le croupion est d'un beau verd jaunâtre, & la poitrine a une couleur jaune mêlée d'un peu de verd ; le ventre est blanc ; les côtés du corps ont des taches noires & oblongues ; la queue est noire, à l'exception des bords extérieurs de chaque plume qui sont verds ; les grandes plumes des ailes ont les mêmes couleurs que celles de la queue ; les plumes du second rang sont blanchâtres à l'extrêmité, & les petites ont une couleur verdâtre ; le bec est pointu & plus court & plus fort que celui du tarin ; la piece supérieure déborde un peu l'inférieure ; les piés sont bruns, & les ongles ont une couleur noire. Willughby. Ornit. Voyez OISEAU.

Le serin des Canaries auquel on a donné le nom de Canari, varie ici beaucoup pour la couleur, comme tous les oiseaux domestiques ; il est trop connu pour en donner une description. On peut voir dans le traité de M. Hervieux sur les serins de Canarie, la façon de les élever, de les multiplier, & de les guérir des maladies auxquelles ils sont sujets.

SERIN, LE, (Géog. mod.) ou le Serain, petite riviere de France. Elle prend sa source dans la Bourgogne, au diocèse d'Autun, vers les confins du bailliage de Saulieu, & va se rendre dans l'Yonne, entre Auxerre & Joigny. (D.J.)

SERIN, s. m. (Tisseranderie) instrument de bois avec des especes de dents de fer, dont on se sert en quelques lieux pour séparer la filasse du chanvre, de la plus grosse chenevotte qui y reste, après que le chanvre a été broyé. Cet instrument s'appelle encore écoussoir, & dans d'autres endroits, échanvroir. Voyez SERAN. (D.J.)


SERINCERv. n. (Tissérand.) c'est se servir du serin, pour séparer la chenevotte de la filasse. (D.J.)


SERINETTES. f. (Lutherie) petit orgue de Barbarie, aujourd'hui en usage pour apprendre aux serins à chanter plusieurs airs ; elle sonne l'union du larigot de l'orgue. Voyez ORGUE, LARIGOT & FLAGEOLET.

L'orgue de Barbarie, & par conséquent la serinette qui n'en differe qu'en grandeur, est composée de deux soufflets, ou d'un soufflet double, d'un sommier ou laye, où le vent des soufflets est conduit par un tuyau ou porte-vent d'un clavier à quillottes, c'est-à-dire, qui fait ouvrir les soupapes en foulant & d'un cylindre noté qui fait agir les touches. Le mouvement est communiqué à cette machine par le moyen d'une manivelle qui fait tourner une visse sans fin B D. La tige de cette visse a une cheville excentrique C, laquelle répond vis-à-vis des soufflets, & communique avec l'inférieur par le moyen d'une bride de fer C m, qui entoure par son extrêmité supérieure la cheville C, & qui est attachée par son extrêmité inférieure M : au moyen d'une cheville à la queue, entaillée en fourchette qui est à la table inférieure du soufflet de dessous M, lorsque l'on tourne la manivelle, à cause de l'excentricité de la cheville C, à laquelle la bride qui communique au soufflet intérieur est attachée ; cette bride C M hausse & baisse à chaque tour de manivelle : ce qui fait de même hausser & baisser la table inférieure du soufflet, qui aspire & chasse par ce moyen l'air extérieur dans la laye, d'où il passe aux tuyaux, lorsque les pilotes des touches ouvrent les soupapes. L'extrêmité D de la tige B D qui est tournée en visse sans fin engrene dans une roue dentée d, qui est appliquée à une des extrêmités du cylindre qui tourne sur lui-même de la quantité d'une dent à chaque tour de la manivelle A B ; ensorte qu'il y a autant de coups de soufflets que de dents à la roue D, qui peut en avoir cent.

Cet instrument a ordinairement une 8e. d'étendue ; ainsi il doit avoir 13 tuyaux & 13 touches à son clavier qui est composé d'une barre de bois D E, à laquelle les touches sont attachées par-dessous, au moyen d'un double crochet de fer fait en forme d'U, lequel est passé dans un trou de la touche, & dont les pointes entrent dans la barre, ensorte que les touches qui sont attachées par leur milieu puissent se mouvoir librement. A l'extrêmité des touches qui regardent les tuyaux, est un pilote a b attaché à la touche par un petit morceau de peau de mouton qui est lié autour du pilote & collé sur la touche. A la partie inférieure b du pilote est une pointe de fil de fer qui traverse le sommier, & porte sur la soupape qu'elle ouvre en poussant de haut-en-bas. Voyez SOUPAPE, SOMMIER DE POSITIF, auquel celui-ci ressemble, avec cette seule différence que la laye, voyez LAYE, est ici en-dessous ; au lieu qu'au sommier du positif elle est en-dessus ; du reste les soupapes, leurs ressorts & les pilotes sont disposées de même. L'extrêmité antérieure des touches a des pointes c c c c qui portent sur les notes des cylindres ; ensorte que lorsque l'on tourne le cylindre, & que les notes dont il est entouré, se présentent aux pointes des touches, elles font lever ces dernieres, & par conséquent baisser la pilote qui est attachée à l'autre extrêmité de la touche, laquelle ouvre la soupape qui laisse passer le vent aux tuyaux. Voyez la description du cylindre noté à l'article CARILLON.

Le soufflet double M m est comprimé en en-bas, afin de chasser l'air qu'il contient dans la laye, lorsque le soufflet inférieur aspire par les deux ressorts de fil de fer élastiques S S. Ce soufflet a aussi une soupape T qui s'ouvre de dedans en-dehors : cette soupape est tenue fermée par le ressort de fil de fer V, & elle ne s'ouvre que lorsque l'air contenu dans les soufflets est condensé jusqu'à un certain point, passé lequel, si elle ne s'ouvroit pas, le soufflet seroit en danger de crever : ce qui ne manqueroit pas d'arriver, lorsque l'on tourne rapidement la manivelle ; mais au moyen de cette soupape, cet accident n'est point à craindre.

Au reste il ne faut nulle science pour jouer de cet instrument ; la seule attention qu'il faut avoir est de tourner la manivelle d'un mouvement égal & proportionné à celui des airs qui sont notés sur le cylindre, lesquels s'exécutent aussi facilement à 2, 3, 4 ou 5 parties qu'à une seule. Voyez CARILLON & la figure de la serinette, Pl. de Lutherie.


SERINGUEARBRE, (Botan. exot.) c'est ainsi que cet arbre de la Guiane est nommé par les portugais du Para, pao de xiringa, c'est-à-dire, bois de seringue. Les habitans de la province d'Esmeraldas, au nord-est de Quito, l'appellent hhévé, & les Maïnas le nomment caoutchouc du nom de la résine singuliere qu'on en tire. Voyez RESINE CAOUTCHOUC.

Cet arbre est fort haut & très-droit ; il n'a qu'une petite tête, & nulles autres branches dans sa longueur ; les plus gros ont environ deux piés de diametre ; on ne voit aucune de ses racines hors de terre. Sa feuille est assez semblable à celle du manioc ; elle est composée de plusieurs feuilles sur une même queue ; les plus grandes qui sont au centre, ont environ trois pouces de long sur trois quarts de pouce de large ; elles sont d'un verd clair en-dessus, & d'un verd plus pâle en-dessous. Son fruit est triangulaire, à-peu-près semblable à celui du palma Christi, mais beaucoup plus gros ; il renferme trois semences oblongues, brunes, dans chacune desquelles on trouve une amande.

Ces amandes étant pilées & bouillies dans l'eau, donnent une huile épaisse en forme de graisse, de laquelle les Indiens se servent au lieu de beurre pour préparer leurs alimens. Le bois de l'arbre est léger & liant ; & comme il vient très-droit & très-haut, il peut servir utilement à faire de petits mâts d'une piece, ou des meches pour les gros mâts.

Pour en tirer le suc laiteux ou la résine, on lave le pié de l'arbre, & on y fait ensuite plusieurs entailles qui doivent pénétrer toute l'écorce : ces entailles se placent les unes au-dessus des autres, & au-dessous de la plus basse on mastique une feuille de balisier ou quelqu'autre semblable, qui sert de gouttiere pour conduire le suc laiteux dans un vase placé pour le recevoir.

Pour employer ce suc, on en enduit des moules préparés pour cela, & aussi-tôt que cet enduit y est appliqué, on l'expose à la fumée épaisse d'un feu qu'on allume à cet effet, prenant garde surtout que la flamme ne l'atteigne : ce qui feroit bouillonner la résine, & formeroit des petits trous dans le vase qu'on en veut faire. Dès qu'on voit que l'enduit à pris une couleur jaune, & que le doigt ne s'y attache plus, on retire la piece, & on y met une seconde couche qu'on traite de même, & on en ajoute jusqu'à ce qu'elle ait l'épaisseur qu'on veut lui donner ; alors, avant de la dessécher entierement, on y imprime avec des moules de bois taillés pour cela, tous les ornemens qu'on juge à-propos d'y ajouter.

Si le vaisseau qu'on veut faire de cette résine, doit avoir une embouchure étroite, comme, par exemple, une bouteille, on fait le moule avec de la terre grasse ; & quand la résine est desséchée, on le casse en pressant la bouteille, & on y introduit de l'eau pour délayer les morceaux du moule, & les faire sortir par les goulots.

En étendant cette résine sur de la toile, on la peut substituer aux toiles goudronnées, desquelles on fait des prelarts, des manches de pompe, des habits de plongeur, des outres, des sacs pour renfermer du biscuit en voyage ; mais tout ce qu'on voudra faire de cette résine, doit être fait sur le lieu même où sont les arbres, parce que le suc laiteux se desseche & s'épaissit très-promtement, lorsqu'il est tiré de l'arbre : ce sera un objet de commerce exclusif pour la colonie qui possede cette espece de petit trésor.

Les ouvrages faits avec le caoutchouc sont sujets, lorsqu'ils sont récens, à s'attacher les uns aux autres, surtout si le soleil donne dessus ; mais en frottant l'enduit frais avec du blanc d'Espagne, de la cendre, ou même de la poussiere, on prévient cette adhérence incommode, & on fait par le même moyen, prendre sur le champ à l'ouvrage une couleur brune, qu'il ne pourroit acquérir qu'à la longue.

Tous les sucs laiteux tirés de quelques autres arbres du Para peuvent servir à peu-près au même usage que celui de l'arbre seringue ; mais le suc de ce dernier surpasse tellement les autres, tant par son élasticité que par la propriété de s'attacher plus intimement aux corps sur lesquels on l'applique, qu'on lui a donné la préférence, & que les Portugais n'en employent point d'autre.

On parvient à dissoudre la résine caoutchouc, en la mêlant avec l'huile de noix, & la laissant longtems en digestion à un feu de sable fort doux. Hist. de l'acad. des Scienc. année 1751. (D.J.)

SERINGUE, s. f. (Chirurg.) cylindre creux avec un piston garni à sa tête de filasse, de feutre ou de castor, bien uni & graissé, pour en remplir exactement la capacité, glisser facilement dedans, & pousser quelque liqueur dans une cavité, ou en pomper les matieres purulentes. Il y a des seringues qui contiennent une chopine ou seize onces de liquide ; d'autres pour injecter les plaies, les ulceres, fistules, l'uréthre, la vessie, le vagin, la poitrine ; par conséquent il faut en avoir de différentes grandeurs. Celles qui servent à faire des injections dans la vessie, dans la poitrine & dans les grands abscès, sont ordinairement longues de quatre pouces & demi, sur un pouce neuf lignes de diametre, fig. 4. Pl. XXXI. On en a de plus petites par degrés, à proportion des cavités qu'on veut injecter. La plûpart de ces seringues sont d'étain ; leurs siphons ou cannules qui s'adaptent à l'extrêmité antérieure du cylindre, sont plus ou moins longs, gros ou menus, droits ou recourbés, suivant le besoin. Quelques-unes ont le bout fait en poire, percé de petits trous, afin que la liqueur en sorte comme d'un arrosoir ; tel est celui qu'on emploie pour le vagin, fig. 6. & 7. Les petites seringues n'ont pour siphon qu'un petit tuyau pyramidal, soudé ou monté à vis au-milieu de l'extrêmité antérieure du cylindre, fig. 8 & 9. Le piston de toutes les seringues, excepté de celles à lavement, est terminé postérieurement par un anneau dans lequel on le passe pour appuyer dessus, & faire sortir la liqueur, pendant qu'on tient le corps de la seringue avec les autres doigts. On fait aussi des seringues de cuivre, assez grandes pour injecter les vaisseaux dans les préparations anatomiques. Les oculistes se servent d'une petite seringue d'argent, appellée seringue oculaire, pour injecter les points lacrymaux. Voyez fig. 10. Pl. XXIII. Elle est longue d'environ deux pouces. Son diametre a quatre lignes ; son siphon long de dix lignes & demie s'adapte sur la seringue par le moyen d'une vis qui s'ajuste dans un écrou. L'extrêmité antérieure de ce siphon donne naissance à un petit tuyau d'environ trois lignes de longueur, qui est si fin, qu'à peine apperçoit-on l'ouverture qui est au bout. Enfin l'on a inventé une espece de seringue pour injecter l'oreille par la trompe d'Eustache. Son corps est assez semblable à celui des autres petites seringues ; mais son siphon est un canal de cuir long de trois piés & demi, sur trois lignes de diametre. A ce canal terminé en vis on ajoute encore un siphon auxiliaire long de six grands pouces, sur trois ou quatre lignes de diametre, fait d'étain, fort courbé & recourbé à contre sens vers son extrêmité, qui est terminée par un mamelon allongé, applani par-dessus, & dont la figure imite en quelque maniere celle d'un pigeon. Au bout de ce mamelon est un bouton haut de deux lignes, percé sur son sommet d'un petit trou. C'est ce bouton qui doit s'adapter à l'entrée de la trompe d'Eustache dans le fond de la bouche, derriere la cloison du nez. Deux choses particulieres à cette seringue, c'est 1°. une soupape de cuivre garnie de cuir, appliquée sur la tête du cylindre, couverte d'un petit chapiteau d'étain sur lequel s'ajuste le siphon par le moyen d'un écrou d'étain qui y est lié, & qui reçoit une vis percée qui se trouve sur le sommet du chapiteau. Cette soupape en s'élevant permet à la liqueur de la seringue de passer dans le canal de cuir, & en refuse le retour en s'abaissant. 2°. C'est une pompe d'étain composée d'un tuyau long d'environ six pouces, sur trois lignes de diametre, dont l'extrêmité postérieure est évasée en mamelon, montée sur un petit reservoir de neuf lignes de large vers sa base, & sur une culasse quarrée large de huit lignes, haute de quatre. Toutes ces pieces se montent à vis. La culasse est percée d'un trou large de quatre lignes, bouchée par une cheville de bois aussi percée d'un trou, dont le diametre est d'environ une ligne & demie. Sur le sommet de cette cheville est attachée une soupape de cuivre garnie de cuir, qui permet à la liqueur qui entre par la culasse & le trou de la cheville, de passer dans le tuyau de la pompe & dans la seringue, & qui en empêche le retour. La pompe se termine antérieurement par une vis percée qui s'engage dans l'écrou d'un petit canal pyramidal situé horisontalement à côté de la tête du corps de la seringue. C'est par cette pompe posée dans un grand pot d'eau tiede qu'on charge la seringue. En la faisant jouer l'eau entre par ce tuyau dans le cylindre, parcourt toute la machine, s'insinue dans la trompe d'Eustache, & sort par le nez & par la bouche. Voyez le traité des instrumens de Chirurgie par M. Garangeot, seconde édition, où il est marqué que le sieur Guyot, maître des postes de Versailles, a inventé cette seringue pour son utilité particuliere, & a été entierement guéri d'une surdité de cinq ans, par le moyen de plusieurs injections d'eau chaude qu'il fit avec cette machine.

Le mot de seringue vient du grec , syrinx, fistula, flûte, ou tout corps cylindrique creux.

On peut aussi se servir d'une seringue avec des siphons particuliers pour sucer les plaies sans se servir de la bouche. Voyez SUCCION.

Dans quelques pays étrangers, & sur-tout en Hollande, au-lieu de seringue on se sert d'une vessie préparée, comme on voit, fig. 11. Pl. VII. Le défaut où on peut se trouver de l'instrument convenable à faire des injections dans une partie, peut être réparé par l'usage de la vessie. On noue d'abord audessus de la cannule en a ; on la remplit de la liqueur ; on la noue ensuite en b ; on ôte le lien a ; & par la pression des mains, on fait sortir la liqueur par le tube. Hippocrate a décrit cette maniere d'injecter. Nos seringues sont d'une invention moderne. (Y)


SERIOLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie ; elle prend sa source dans le Bergamasc, aux confins de la Valteline, & se jette dans l'Ada, un peu au-dessus de Pizzighitone. (D.J.)


SERIPHIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleurs monopétales, qui ne sont à proprement parler que des demi-fleurons réunis qui forment deux têtes allongées, & composées d'écailles inégales ; ces têtes sont placées le long des branches, & renferment des semences nues & adhérentes à la couche. Pontederae dissert. Voyez PLANTE.


SERIPHUS(Géog. anc.) , île de l'Archipel, & l'une des Cyclades. Elle est fort connue des anciens. Tacite, annal. lib. IV. cap. xxj. la nomme saxum Seriphium. Elle n'étoit pourtant pas deserte ; car Hérodote dit que les Sériphiens & les Syhmiens furent presque les seuls des insulaires qui prirent le parti des Grecs contre Xerxès. Ovide, Métamorph. l. V. v. 241. a fait mention de cette île en ces termes :

Inde cavâ circumdata nube Seriphon

Deserit à dextrâ Cythico, Gyaroque relictis.

Ses montagnes sont si rudes & si escarpées, que les poëtes ont feint que Persée par le secours de la tête de Méduse, avoit changé en pierres jusqu'aux habitans du pays. Le nom de sériphe signifie pierreuse, & de-là vient que cette île est appellée saxum Seriphium.

Les Romains regardoient Sériphos comme un lieu propre à faire mourir de chagrin les malheureux & les scélérats mêmes. Auguste y relégua l'orateur Cassius Severus, que dix-sept ans d'exil en Crete n'avoient pu corriger de ses médisances, & qui vieillit dans cette île : in saxo Seriphio consenuit, dit Tacite. Vastilia femme de Labéon, convaincue d'adultere, y fut aussi reléguée ; & Stratonicus trouvoit le séjour de cette île si insupportable, qu'il demanda un jour à son hôte quel étoit le crime que l'on punissoit d'exil chez eux ; c'est la mauvaise foi, dit l'hôte. Hé que ne fais-tu donc quelque fourberie insigne, repliqua Stratonicus, pour te tirer de ce misérable lieu.

Pline, Elien & Théophraste assurent que les grenouilles étoient muettes dans Sériphos, & qu'elles recouvroient leur voix si on les transportoit ailleurs. Théophraste rapporte la cause de ce silence à la froideur de l'eau du lieu. Il faut que la race de ces grenouilles muettes se soit perdue, dit plaisamment M. de Tournefort, car le plus grand plaisir que nous eumes dans cette île, ajoute-t-il, fut d'entendre crier les grenouilles dans les marais au-tour du port. Hermolaüs Barbarus a rétabli l'endroit de Pline où ce fait est rapporté ; il prétend que dans les anciens exemplaires on lisoit des cigales pour des grenouilles.

C'est dans Sériphos que Polydecte a régné. Le nom moderne de cette île est Serpho. Voyez SERPHO. (D.J.)


SÉRIQUELA, (Géog. anc.) Serica ou Serumregio, contrée de l'Asie, fameuse chez les anciens, & qu'ils n'ont point connue. Pomponius Méla lui-même, l. I. c. ij. la place au milieu de l'orient, aulieu de la mettre à l'extrêmité.

Ptolémée, liv. VI. c. xvj. est celui des anciens géographes qui en a le mieux parlé. Il la borne au nord & à l'orient par des terres inconnues ; au midi par une partie de l'Inde, au-delà du Gange, & à l'occident par la Scythie, au-delà de l'Imaüs ; ce qui répond à-peu-près à la partie septentrionale de la Chine, ou au Cathay ; car il est vraisemblable, par la carte chinoise, faite en caracteres chinois, que la province de Quantong qui fournit la soie, & qui est dans la partie septentrionale de l'empire, est proprement la Sérique des anciens.

Il est vrai que Ptolémée distingue la Sérique du pays des Sines, qui doit être la Chine d'aujourd'hui ; mais il est fort possible que du tems de Ptolémée, on ne donnât le nom de pays des Sines qu'à la partie méridionale de la Chine ; & en effet, il met au 35 degré de latitude les limites de sa Sérique & de son pays des Sines qui est plus méridional ; & c'est à ce même degré, à 15 minutes près, que sont par les observations modernes, les limites de la province de Quantong & de celle de Nankin, qui sans difficulté étoit enfermée dans le pays des Sines.

Il est bon de remarquer que Ptolémée nous avertit lui-même, que c'est vers le 36 degré de latitude, ou vers le parallele de Rhodes, que l'on avoit de son tems le plus d'observations. Il est aisé d'en voir la raison par les navigations qui se faisoient alors, & elle avoit lieu pour les navigations mêmes qu'on entreprenoit dans les mers d'orient, plus fréquentées vers ce même parallele, à cause des marchandises qu'on y alloit chercher. On doit donc se fier à Ptolémée sur la position des confins de la Sérique & du pays des Sines, & par conséquent rendre la Sérique à la Chine septentrionale.

Cependant toutes les cartes mettent la Sérique dans la Scythie ; mais il y a grande apparence que c'est une faute, Ptolémée ne l'y met pas ; d'ailleurs la Sérique doit produire de la soie, & il n'en vient point aujourd'hui dans la Scythie des anciens, qui est notre Tartarie.

Il est vrai que quand Ptolémée est hors du 35 ou 36 degré, & dans le pays des Sines, on ne trouve aucune exactitude dans sa géographie ; apparemment parce que les navigateurs ne connoissoient encore de son tems que les lieux où se vendoit la soie. Il place la capitale des Sines au 3 degré de latitude méridionale ; mais par les observations modernes il n'y a aucune partie de la Chine qui soit plus proche de l'équateur que de 18 degrés. Il résulte donc que Ptolémée a mieux connu la Chine septentrionale que la méridionale, laquelle il a étendue excessivement audelà de ses bornes. (D.J.)


SERIR-ALDHEHEB(Géog. mod.) c'est-à-dire le tronc d'or ; nom persan d'un pays qui s'étend entre le Pont-Euxin & la mer Caspienne, dans lequel est située la ville de Derbend. On a nommé cette contrée le Trône d'or, parce que Nouschirvan, roi de Perse, accorda au gouverneur qu'il établit sur cette frontiere le privilege de s'asseoir sur un trône d'or, en conséquence de l'importance du poste qu'il lui confioit. (D.J.)


SERIR-EL-LAN(Géog. mod.) ville de Perse. Long. 63. 15. lat. 45. 15.


SERJANIAS. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante, ainsi nommée par le P. Plumier, en mémoire du P. Serjent, minime. Sa fleur est en rose, composée de quatre ou cinq feuilles placées circulairement ; du milieu du calice il part un pistil qui dégénere ensuite en un fruit, qui a trois cellules, trois aîles, & dont chaque cellule contient une semence ronde. Le P. Plumier en compte trois especes ; le docteur Guillaume Houston a trouvé ces plantes à la Veracruz & à Campêche, où elles s'élevent à une grande hauteur ; elles croissent dans le voisinage des arbres, qui servent à les soutenir, car elles ont des vrilles avec lesquelles elles s'attachent à tout ce qui les environne. (D.J.)


SERKASS(Géog. mod.) ville de Perse, que les géographes du pays placent à 85. 35. de longitude, sous les 32. 50. de latitude.


SERKE(Géog. mod.) ville d'Ethiopie, au milieu des montagnes dans un beau vallon, au pié duquel coule un ruisseau qui sépare l'Ethiopie du royaume de Sennar. (D.J.)


SERMANRAI(Géog. mod.) ville de l'Irac arabique, qui est l'Assyrie ou la Chaldée. Les tables arabiques la placent sur la rive orientale du Tigre, à 72. 30. de longitude, & à 34. de latitude septentrionale dans le quatrieme climat.


SERMEGHON(Géog. mod.) ville de Perse. Les géographes du pays la mettent à 87. 37. de longitude, sous les 37. 32. de latitude. (D.J.)


SERMENTJUREMENT, (Synon.) Le serment se fait proprement pour confirmer la sincérité d'une promesse ; le jurement pour confirmer la vérité d'un témoignage.

Le mot de serment est plus d'usage pour exprimer l'action de jurer en public, & d'une maniere solemnelle. Celui de jurement exprime quelquefois de l'emportement entre particuliers. Le serment du prince ne l'engage point contre les loix ni contre les intérêts de son état. Les fréquens juremens ne rendent pas le menteur plus digne d'être cru.

Enfin le mot serment est d'un usage beaucoup plus étendu que celui de jurement, car il se prend au figuré par toutes sortes de protestations qu'on fait dans le commerce du monde. Balsac dit en ce sens, que Jupiter rit également des sermens des amans & des rois. (D.J.)

SERMENT, VOEU, (Religion, Morale) ce ne sont point deux termes synonymes, & la différence qui se trouve entre ces deux actes religieux, mérite d'être exposée.

Tout serment, proprement ainsi nommé, se rapporte principalement & directement à quelque homme auquel on le fait. C'est à l'homme qu'on s'engage par-là : on prend seulement Dieu à témoin de ce à quoi on s'engage, & l'on se soumet aux effets de sa vengeance, si l'on vient à violer la promesse qu'on a faite, supposé que l'engagement par lui-même n'ait rien qui le rendît illicite ou nul, s'il eût été contracté sans l'interposition du serment.

Mais le voeu est un engagement où l'on entre directement envers Dieu, & un engagement volontaire, par lequel on s'impose à soi-même de son pur mouvement, la nécessité de faire certaines choses, auxquelles sans cela on n'auroit pas été tenu ; au moins précisément, & déterminément ; car si l'on y étoit déja indispensablement obligé, il n'est pas besoin de s'y engager : le voeu ne fait alors que rendre l'obligation plus forte, & la violation du devoir plus criminelle, comme le manque de foi, accompagné de parjure, en devient plus odieux, & plus digne de punition, même de la part des hommes.

Comme le serment est un lien accessoire qui suppose toujours la validité de l'engagement auquel on l'ajoute, pour rendre les hommes envers qui l'on s'engage plus certains de notre bonne-foi ; dès-là qu'il ne s'y trouve aucun vice qui rende cet engagement nul ou illicite, cela suffit pour être assuré que Dieu veut bien être pris à témoin de l'accomplissement de la promesse, parce qu'on sait certainement que l'obligation de tenir sa parole, est fondée sur une des maximes évidentes de la loi naturelle, dont il est l'auteur.

Mais quand il s'agit d'un voeu, par lequel on s'engage directement envers Dieu à certaines choses, auxquelles on n'étoit point obligé d'ailleurs, la nature de ces choses n'ayant rien par elle-même qui nous rende certains qu'il veut bien accepter l'engagement ; il faut, ou qu'il nous donne à connoître sa volonté par quelque voie extraordinaire, ou que l'on ait là-dessus des présomptions très-raisonnables, fondées sur ce qui convient aux perfections de cet être souverain. On ne peut s'imaginer, sans lui faire outrage, qu'il se prête à nos desirs, toutes les fois qu'il nous prendra envie de contracter avec lui, & de gêner inutilement notre liberté : ce seroit supposer qu'il retire quelqu'avantage de ces engagemens volontaires, qui doivent être toujours des devoirs indispensables.

Le docteur Cumberland prétend qu'on se forme une nouvelle obligation après le serment dans les engagemens qu'on prend ; mais cette nouvelle obligation n'empêche pas que la validité du serment n'ait une liaison nécessaire avec la validité de l'engagement, pour la confirmation duquel on le prête. La premiere & la principale raison, pourquoi celui qui manque à la parole donnée avec serment, mérite d'être puni, c'est parce qu'il a violé ses engagemens ; le parjure le rend seulement plus coupable, & digne d'une plus rigoureuse punition. Quoiqu'il peche alors, & contre cette loi naturelle qui ordonne de tenir ce que l'on a promis, & contre celle qui défend d'invoquer le nom de Dieu témérairement, cela ne change point la nature des obligations qui naissent de-là, en tant que jointes ensemble, de telle maniere que la violation de ce qui se rapporte à Dieu, suppose ici nécessairement une infraction de l'autre qui regarde les hommes, auxquels on s'engage en prenant Dieu à témoin. On ne le prend à témoin, que pour confirmer l'engagement où l'on entre envers ceux à qui l'on jure ; & si l'on a lieu de croire qu'il veut bien se rendre garant de l'engagement & vengeur de son infraction, c'est uniquement, parce que l'engagement n'a rien en lui-même qui le rende ou illicite, ou invalide. Traité des loix naturelles. (D.J.)

SERMENT, s. m. (Littérat.) attestation religieuse de la vérité, de quelque affirmation, engagement, promesse, &c. Mais nous ne voulons pas ici considérer le serment en théologien, en jurisconsulte, ni en moraliste ; nous en voulons parler en simple littérateur, & d'une façon très-concise. On trouvera dans les mém. des insc. des détails étendus sur le même sujet, & dans le même plan, car cette matiere envisagée de cette maniere, présente quantité de choses agréables, curieuses & solides ; c'est l'histoire de tous les peuples.

L'usage des sermens fut ignoré des premiers hommes. La bonne-foi regnoit parmi eux, & ils étoient fideles à exécuter leurs engagemens. Ils vivoient ensemble sans soupçon, sans défiance. Ils se croyoient réciproquement sur leur parole, & ne savoient ce que c'étoit, ni que de faire des sermens, ni de les violer. Dans ces premiers jours du monde naissant, dit Juvenal, les Grecs n'étoient pas toujours prêts à jurer, & si nous en croyons M. Despréaux.

Le Normand même alors ignoroit le parjure.

Mais sitôt que l'intérêt personnel eut divisé les hommes, ils employerent pour se tromper la fraude & l'artifice. Ils se virent donc réduits à la triste nécessité de se précautionner les uns contre les autres. Les promesses, les protestations étoient des liens trop foibles ; on tâcha de leur donner de la force en les marquant du sceau de la religion, & l'on crut que ceux qui ne craignoient pas d'être infideles, craindroient peut-être d'être impies. La discorde, fille de la nuit, dit Hesiode, enfanta les mensonges, les discours ambigus & captieux, & enfin le serment, si funeste à tout mortel qui le viole. Obligés d'avoir recours à une caution étrangere, les hommes crurent la devoir chercher dans un être plus parfait. Ensuite plongés dans l'idolâtrie, le serment prit autant de formes différentes que la divinité.

Les Perses attestoient le soleil pour vengeur de l'infraction de leurs promesses. Ce même serment prit faveur chez les Grecs & les Romains : témoin ce beau vers d'Homere.


SERMENTÉadj. (Gram. & Jurisprud.) se disoit dans l'ancien style, pour exprimer quelqu'un qui avoit serment à justice. Voyez JURE & SERMENT. (A)


SERMIONE(Géog. mod.) en latin Sermio ou Sirmio, bourg d'Italie dans l'état de Venise, au Véronèse, sur une petite presqu'ile, près du lac de Garde. C'est cet endroit que Catulle a chanté, & dans lequel il avoit établi sa retraite. Voyez SERMIO, Géog. anc. (D.J.)


SERMOLOGUES. m. (Hist. ecclés.) nom qu'on donnoit anciennement à un livre ecclésiastique ou recueil de sermons & homélies des papes ou d'autres personnages éminens en science & en piété, & qu'on lisoit autrefois aux fêtes des confesseurs, de la Toussaints, de la purification, & tous les jours depuis Noël jusqu'à l'octave de l'épiphanie. Voyez HOMELIE.


SERMONS. m. (Gram.) discours chrétien prononcé en chaire, dans une église, pour instruire & édifier les fidèles.

SERMON DE J. C. (Critique sacrée) c'est ainsi qu'on nomme le discours que J. C. tint sur la montagne à ses apôtres, & qui se trouve dans S. Matthieu, ch. v. vj. vij. Il importe de nous étendre plus que de coutume sur ce discours de notre Seigneur, parce qu'il renferme plusieurs préceptes qui paroissent impraticables, à cause des conséquences qui en résultent nécessairement. Par exemple, J. C. dit : " Ne résistez point à celui qui vous fait du mal ; au contraire si quelqu'un vous frappe à la joue droite, présentez-lui aussi l'autre joue ", chap. v. v. 39. C'est interdire la défense, qui est du droit naturel de tous les hommes, sans quoi ils ne sauroient se conserver. De même : " Si quelqu'un vous veut faire un procès pour avoir votre robe, laissez-lui aussi votre manteau ". Qu'on pratique ce précepte, & les gens de biens seront exposés à toutes les injures des méchans ; on les frappera, & on se moquera de leur patience, qui les exposera à de nouvelles injures, & au mépris. On les dépouillera de leur bien, & on les réduira eux & les leurs à la mendicité. Encore : " Ne vous amassez point des trésors sur la terre, où les vers & la rouille les consument, chap. vj. v. 19. " Est-il donc défendu à un chrétien de profiter des bénédictions du ciel, de l'héritage de ses ancêtres, & du succès de son travail ? Ne peut-il rien amasser pour l'avenir, ni prévenir les revers de l'adversité ? Faudra-t-il qu'il vive au jour la journée, pendant qu'il peut très-innocemment se mettre à l'abri de la disette, & amasser de quoi subsister, lorsque l'âge ou la maladie le mettront hors d'état de travailler ? J. C. dit de même : " Ne vous mettez point en peine de ce qui regarde votre vie, de ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, & à l'égard de votre corps de quoi vous vous habillerez, ch. v. v. 25 ". Sur quoi le seigneur propose à ses disciples, l'exemple des oiseaux de l'air, qui ne sement ni ne moissonnent, & qui n'amassent rien dans les greniers : & celui des lis des campagnes, qui ne travaillent ni ne filent, & que Dieu prend soin de vêtir. Il défend aussi d'avoir aucun souci pour le lendemain, parce que le lendemain aura soin de ce qui le regarde, ibid. v. 31. 33. Il veut enfin que ses disciples demandent les choses qui leur sont nécessaires, assurés que Dieu les leur donnera, chap. vij. v. 7. & suiv.

Pour accorder ces préceptes de J. C. avec la prudence & la justice, les interpretes ont cherché des explications ; ils ont limité les expressions générales du Sauveur ; ils y ont apposé des conditions. Quelques-uns ont cru que l'évangéliste avoit obmis quelques paroles de J. C. qui auroient servi à entendre ses commandemens, & à prévenir les mauvaises conséquences qui en résulteroient, si les Chrétiens les observoient à la rigueur ; d'autres ont imaginé des conseils évangéliques, c'est-à-dire, des conseils de perfection, qu'on n'est pas obligé de pratiquer pour être sauvé ; mais qui donnent à ceux qui les observent, un mérite supérieur aux autres, & des degrés de gloire dans le ciel. C'est une mauvaise défaite : tout est précepte, commandement ; & si bien commandement, que notre Seigneur finit son sermon sur la montagne, par la comparaison d'un homme prudent, qui bâtit sa maison sur le roc ; c'est celui qui observe les commandemens qu'il vient de donner ; & d'un homme insensé qui bâtit sa maison sur le sable, chap. vij. v. 24. & suiv.

Cependant, comme on convient que si les Chrétiens vouloient observer plusieurs de ces commandemens de J. C. la société seroit bien-tôt renversée ; les gens de bien en proie à la violence des méchans ; le fidele exposé à mourir de faim, parce qu'il n'auroit rien épargné dans sa prospérité, pour se nourrir & se vêtir dans l'adversité : en un mot, tout le monde avoue que les préceptes de N. S. ne sont pas incompatibles avec la sûreté & la tranquillité publiques : voilà ce qui a obligé les interpretes à recourir à des restrictions, à des modifications, à des paroles sousentendues ; mais tout cela n'est pas nécessaire, & nous paroît trop recherché : un législateur qui donne des préceptes, doit s'expliquer clairement ; les paradoxes ne conviennent point dans les loix ; chacun y apporteroit des restrictions & des modifications à son gré.

Ce qui a jetté les interpretes dans l'erreur, c'est qu'ils ont cru que les préceptes du Seigneur dans ces trois chapitres, regardoient tous les Chrétiens ; au lieu qu'ils devoient prendre garde, qu'encore qu'il y en ait beaucoup qui soient communs à tous les Chrétiens, il y en a beaucoup d'autres qui sont particuliers aux apôtres du Seigneur, & qui leur ont été donnés pour l'exercice du ministere dont ils furent revêtus. C'est ce que l'on verra, si l'on fait attention au récit de S. Luc, qui rapporte en abrégé le sermon de J. C. sur la montagne. Consultons-le ; cet évangéliste nous raconte, chap. vj. v. 12. & suivans, que J. C. ayant passé la nuit en prieres sur la montagne, lorsqu'il fut jour, appella ses disciples, c'est-à-dire, tous ceux qui faisoient profession de croire en lui ; & qu'alors il en choisit douze, qu'il nomma ses apôtres. Après cela il descendit dans la plaine avec ceux qu'il venoit de se choisir, & guérit un grand nombre de malades. Ensuite il monta sur le penchant de la montagne, s'y assit, & ses disciples s'approcherent de lui, Matth. c. v. v. j. Ce sont donc ici les disciples auxquels il avoit conféré l'apostolat : alors jettant les yeux sur eux, il leur dit ; ce sont les paroles de S. Luc, chap. vj. v. 20. C'est donc à eux qu'il s'adresse, & non en général à toute la troupe, qui étoit au-bas de la montagne. Il vient de leur confier une charge ; il leur donne ses instructions ; rien de plus clair & de plus simple.

Il ne faut après cela que considérer divers endroits du sermon de J. C. pour voir que c'est à ses apôtres qu'il parle : " Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumiere du monde, la ville assise sur une montagne, Matth. c. v. v. 13. 14. ". Tout cela convient, non en général aux chrétiens, mais aux apôtres de J. C. destinés par leur ministere à préserver le monde du vice, & à prévenir les jugemens de Dieu sur les hommes, en procurant la conversion des pécheurs. Ils étoient la lumiere du monde par la prédication de l'Evangile ; ils étoient la ville assise sur une montagne, pour servir de modele & de spectacle à l'univers ; ils étoient la lampe qui devoit éclairer tous ceux qui sont dans la maison, savoir dans l'Eglise de Dieu. Il les avertit qu'il n'est point venu abolir la loi ou les prophetes, mais les accomplir, ibid. v. 19. C'est une instruction dont ils avoient grand besoin dans leur ministere. Il leur parle des peines & des récompenses, non-seulement de ceux qui auront observé ou violé la loi, ce qui ne regarde que les particuliers ; mais aussi de ceux qui auront enseigné aux hommes à la violer, ou à l'observer, ibid.

Le Seigneur dit encore à ses mêmes disciples : " Cherchez premierement le royaume de Dieu & sa justice, & les autres choses vous seront accordées par-dessus, ibid. chap. vj. v. 33. ". On peut donner à ces paroles un sens qui se rapporte à tous les Chrétiens en général, je l'avoue ; mais le vrai sens convient aux apôtres du Sauveur : cherchez à établir le royaume de Dieu & sa justice ; c'étoit à eux à établir le royaume de Dieu, dont ils étoient les ministres.

" Ne donnez point les choses saintes aux chiens, & ne jettez point vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux piés, & que se tournant contre vous, ils ne vous déchirent, ibid. chap. vij. v. 6 ". Cela regarde évidemment les seuls apôtres, appellés à prêcher l'Evangile, & à qui J. C. donne ce précepte de prudence.

On voit donc clairement dans S. Luc, que le sermon du Seigneur, s'adresse aux apôtres, & non à la troupe ; en voici de nouvelles preuves. Après leur avoir prédit les persécutions qu'ils souffriront à cause de lui, il ajoute : " Réjouissez-vous alors, & soyez transportés de joie, parce qu'une grande récompense vous est assurée dans le ciel : car c'est ainsi que leurs peres ont traité les prophetes, Luc, vj. v. 23 ". J. C. parle donc à ses apôtres, & les avertit des persécutions qu'ils auront à souffrir, comme les prophetes en ont essuyé. De même encore, il employe la comparaison suivante : " Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? ne tomberont-ils pas tous deux dans la fosse ? ibid. v. 39 ". Ce propos regarde les seuls apôtres, appellés par leur ministere à conduire les autres hommes.

Dès qu'on a posé ce principe, que le sermon de notre Seigneur s'adresse à ses apôtres, il n'y a plus aucune difficulté. Tous les préceptes qui semblent choquer la prudence, la justice, ruiner la sûreté publique, & jetter le trouble dans la société ; tous ces préceptes, dis-je, sont très-justes, & n'ont plus besoin de limitation, ni de restriction. Les apôtres de J. C. occupés de leurs fonctions, ne doivent point s'amasser des trésors sur la terre. Il falloit sur toutes choses qu'ils se gardassent d'avarice ; ce défaut seul pouvant détruire tout le fruit de leur ministere. Ce sont eux que Dieu nourrira comme les oiseaux du ciel, qu'il vétira comme les lis des champs ; ce sont eux qui à l'exemple de leur maître, au ministere duquel ils ont succédé, doivent quand on leur frappe sur une joue, présenter aussi l'autre, c'est-à-dire, user de la plus grande modération. Ils seront les victimes du monde, mais la foi chrétienne dont ils sont les ministres, ne peut s'établir autrement que par la patience ; ce sont eux qui ne doivent être en aucun souci du lendemain, parce que Dieu s'est chargé immédiatement de pourvoir à tous leurs besoins. Ce fut aussi pour cela que le Seigneur après les avoir choisis, les envoya, & leur défendit de faire aucune provision pour le voyage, parce que l'ouvrier est digne de son salaire, Luc, c. ix. v. 3. & suivant, Matth. c. x. v. 1. & suivant.

Il ne faut pas cependant conclure de-là, que tous les préceptes des chap. v. vj. & vij. de S. Matthieu, ne regardent que les apôtres ; car ces saints hommes ont deux caracteres, celui de fideles, & celui d'apôtres de J. C. le Seigneur leur donne des commandemens qui leur conviennent en ces deux qualités, & d'autres qui ne sont relatifs qu'à leur qualité d'apôtres & à leur ministere. Beausobre, remarques critiques. (D.J.)


SERMONAIRES. m. (Gram.) auteur qui a composé & publié des sermons. Fléchier, Bossuet, Massillon, Cheminais, Bourdaloue, sont nos plus grands sermonaires.


SERMONETA(Géog. mod.) bourgade d'Italie dans la campagne de Rome, à 4 milles au midi oriental de Segni, & environ à 6 milles au midi d'Agnani. Cette bourgade a titre de duché, & toute sa campagne est ce que les anciens appelloient Palus-Pomptine. Pline dit que de son tems on y voyoit cinq villes ; à peine y voit-on aujourd'hui cinq fermes. (D.J.)


SERMYLIA(Géog. anc.) ville de la Macédoine dans la Chalcidie, près du mont Athos. Hérodote, l. VII. c. cxxiij. place cette ville sur le golfe Toronée. (D.J.)


SERONGES. f. (Commerce) espece de toiles peintes qui se fabriquent dans la ville de l'Indostan de ce nom. Pendant la saison des pluies qui durent quatre mois, les ouvriers impriment leurs toiles ; quand la pluie a cessé & qu'elle a troublé l'eau de la riviere qui passe à Seronge, ils y lavent les toiles qu'ils ont imprimées ; cette eau trouble a la vertu de faire tenir les couleurs, & de leur donner plus de vivacité ; desorte que plus on les lave dans la suite, plus elles deviennent belles, au-lieu que les couleurs des autres toiles peintes des Indes ne sont pas si vives, & qu'elles s'effacent en les lavant plusieurs fois. On fait à Seronge une sorte de toile peinte qui est si fine, que l'on voit la chair au-travers quand elle est sur le corps : il n'en vient point en Europe, elles sont toutes retenues pour le serrail & la cour du mogol ; les sultanes & les femmes de condition en font faire des chemises & des robes d'été pour leur usage, & la volupté des hommes y trouve leur compte.

SERONGE, (Géog. mod.) ville des Indes dans les états du mogol, sur la route de Surate à Agra. Elle est grande & peuplée. Il s'y fabrique des toiles qu'on appelle chitses, dont tout le même peuple de Perse & de Turquie est habillé ; mais on fait aussi dans cette ville une sorte de toile si fine, que quand elle est sur le corps, on le voit comme s'il étoit à nud. Il n'est pas permis aux marchands de transporter cette fine toile hors de la ville. Elle est destinée pour le serrail du grand-mogol & pour les principaux de sa cour. (D.J.)


SÉROSITÉS. f. (Médec.) les Médecins entendent par sérosité cette humeur qui est mêlée avec le sang, & chargée d'un grand nombre de particules salines & mucilagineuses, dont la secrétion & l'évacuation se fait par une multitude prodigieuse de couloirs & d'émonctoires, d'où il suit que la sérosité est d'une consistance plus ou moins épaisse & variable, tant par rapport à la couleur que par rapport au goût. Il ne faut pas confondre la sérosité avec la lymphe. Cette derniere est une liqueur transparente, insipide, pure, dont la partie la plus subtile compose le fluide qui circule dans le cerveau, dans la moëlle spinale, & peut-être dans les nerfs. (D.J.)


SEROULE, (Géogr. mod.) petite riviere de France. Elle a sa source en Rouergue, & se jette dans l'Avéiron, au-dessous de Milhars en Albigeois. (D.J.)


SERPA(Géog. anc.) ville de la Lusitanie, que l'itinéraire d'Antonin marque entre Ebora & Fines, à 13 milles du premier de ces lieux, & à 20 milles du second sur l'Anas ; il y a des savans qui prétendent que cette ville subsiste encore aujourd'hui, & que c'est la Serpa, ville de Portugal dans l'Alentejo, au midi de Moura ; mais comme l'ancienne Serpa étoit sur l'Anas, il en résulte qu'elle étoit différente de la Serpa moderne, située à une lieue de la Guadiana qui est l'Anas des anciens, ou du-moins la Serpa moderne n'est pas située précisément dans le même lieu que l'ancienne. (D.J.)

SERPA, (Géog. mod.) ville de Portugal dans l'Alentejo, aux confins de l'Andalousie, sur une hauteur remplie de rochers, à une lieue de Guadiana, à 30 au sud-est de Lisbonne, & à 10 des confins de l'Andalousie. Elle est fortifiée, & on y tient une bonne garnison. Long. 10. 15. latit. 37. 55. (D.J.)


SERPES. f. (Outil d'ouvriers) instrument de fer plat & tranchant en forme de grand & large couteau qui a le bout courbé en croissant, & une poignée de bois ; c'est après la coignée un des principaux outils des bucherons. Les Jardiniers s'en servent aussi pour émonder les arbres ; les Plombiers ont pareillement des serpes pour divers de leurs ouvrages ; les Vanniers particulierement, ceux qu'on nomme cloturiers & mandriers se servent de la serpe pour appointer les plus gros morceaux de châtaigniers & autres bois dont ils font les montans de leurs ouvrages. Les petits bois & les osiers s'appointent avec le couteau à travailler.

Pour forger une serpe à deux biseaux, le forgeron met un morceau d'acier entre deux morceaux d'une barre de fer, & soude. Lorsque le tout est bien corroyé, il donne à la serpe la figure qu'il juge à propos. La serpe a un biseau d'acier comme la doloire (D.J.)


SERPENTS. m. serpens, (Hist. nat.) animal qui n'a point de piés, & qui rampe. Voyez REPTILE. On divise les serpens en deux classes ; la premiere contient ceux dont la morsure n'est pas venimeuse, & que l'on nomme couleuvres ; ils font des oeufs qu'ils déposent dans les endroits chauds, & il en sort au bout d'un certain tems de petits serpens, voyez COULEUVRE, & la fig. 3 de la Pl. XVI. où on a représenté un petit serpent dans son oeuf. Les serpens de la seconde classe sont appellés viperes ; leur morsure est très-dangereuse ordinairement, même elle cause la mort, si on n'y apporte un promt remede ; ils font leurs petits tout vivans. Voyez VIPERE. il y a peu d'endroits où il n'y ait des serpens, ils aiment le chaud, & ils sont en plus grand nombre dans les pays méridionaux que dans les septentrionaux ; ils varient beaucoup pour la grandeur & la couleur. Dapper, hist. de l'Amérique, fait mention d'un serpent que l'on trouve au Brésil, & qui a vingt-quatre piés de longueur ; & Chrétien Mentzelius dit qu'il y en a dans les Indes orientales qui dévorent & qui avalent un bufle tout entier. Les auteurs qui ont écrit sur les serpens se sont contredits les uns les autres dans la plûpart de leurs descriptions, de façon qu'il est très-difficile de déterminer les différentes especes de ces animaux.

SERPENT AMPHISBENE, on a donné ce nom aux serpens dont la queue est aussi grosse que la tête ; on prétend qu'ils marchent en avant & en arriere comme les écrevisses, c'est pourquoi on les appelle aussi doubles-marcheurs.

SERPENT des îles Antilles, dans le nombre des îles Antilles, les seules îles de la Martinique & de Sainte-Alousie nourrissent dans leurs forêts & sur leurs montagnes une multitude de serpens venimeux dont la morsure est mortelle. Ce reptile tient de la nature des vivipares ; la femelle produisant à-la-fois jusqu'à soixante & quatre-vingt petits ; on rencontre des serpens de huit à dix piés de longueur sur quatre pouces de diametre & même plus, couverts sur le dos d'une peau écaillée de couleur grise ou noire marquetée, quelquefois verdâtre ou d'un jaune-brun ; le dessous du ventre est toujours plus pâle & presque blanc, couvert d'écailles plus grandes que celles du dos ; leur tête, qui est de forme triangulaire, un peu arrondie sur les angles, paroît comme écrasée, ils ont les yeux petits, vifs, la gueule demesurément fendue & garnie de petites dents ; sur les côtés de la mâchoire supérieure sont deux longs crocs un peu courbes, fort pointus, creux à leur naissance, mobiles dans l'alvéole, & percés d'un petit trou latéral au-dessus de la gencive, qui, dans cette partie, paroît gonflée, renfermant une vessicule remplie d'un venin des plus funestes à ceux qui ont le malheur d'en éprouver les effets, principalement si la piquure rencontre une veine ou une artere, on ne doit point alors espérer de remede. Les serpens s'élancent avec une extrême rapidité, ils piquent de leurs crocs les parties qu'ils touchent, & y seringuent leur venin au moyen du petit trou latéral dont on a parlé. Le parti le plus convenable dans ces occasions est de se faire une sorte de ligature à sept ou huit doigts au-dessus de l'endroit piqué, & de prendre promtement un bon coup d'eau-de-vie, ou, à son défaut, d'avaler, de l'urine toute chaude ; si on a tué l'animal, il est à propos d'en écraser la tête & de l'appliquer sur le mal, ayant grande attention de ne pas rester en place, mais de courir très-vîte, chercher du secours avant que l'enflure & l'assoupissement dont on est pris ayent fait des progrès. Quoique dans un pays chaud, on fait toujours du feu auprès du malade, on le couvre bien, & on l'agite un peu pour l'empêcher de dormir au-moins pendant vingt-quatre heures ; la soif qui le tourmente ne doit point être étanchée par de l'eau fraîche qui seroit pernicieuse ; il ne faut pas non plus qu'il prenne de nourriture, mais on lui fait avaler une forte dose de thériaque délayée dans de l'eau-de-vie, & on opere sur la blessure en y faisant des scarifications, & y appliquant les ventouses à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'on juge qu'il ne reste plus de venin ; alors on met sur la plaie un cataplasme composé d'ail pilé dans un mortier de bois avec une sorte d'herbe appellée mal-nommée, quelques autres plantes connues dans le pays & un peu de poudre de tête de serpent. Avant d'appliquer ces drogues, on en exprime le suc pour le faire boire au malade, lequel, au bout de trois ou quatre jours, doit être hors de danger.

Les negres piayes, médecins ou sorciers, font usage de la succion au-lieu de ventouses, ayant soin de se rincer la bouche à chaque fois avec de l'eau-de-vie ; ils appliquent ensuite sur la blessure plusieurs simples & drogues, dont ils se réservent la connoissance ; c'est un secret qu'on n'a jamais pu tirer d'eux.

Comme l'espece de serpent, dont on vient de parler, n'est autre chose qu'une très-grosse vipere, on pourroit sans-doute avec succès faire usage du remede que M. de Jussieu a employé si heureusement sur un homme qui, en herborissant, fut piqué au bras par un de ces animaux. Ce remede consiste à faire prendre au malade dix à douze gouttes d'eau-de-luce dans du vin, le bien couvrir ensuite, & répéter ce traitement de demi-heure en demi-heure, jusqu'à ce que les sueurs abondantes ayant emporté la cause du mal.

La chair du serpent étant rôtie sur le gril & accommodée comme celle de l'anguille est très-bonne au goût, mais il n'en faut pas faire un long usage, l'expérience ayant appris qu'elle subtilisoit trop le sang.

Les serpens changent de peau tous les ans ; ils se nourrissent de rats sauvages, de volailles, de grenouilles & d'insectes, ils s'endorment aussi-tôt qu'ils sont repus, jusqu'à ce que ce qu'ils ont avalé se soit entierement corrompu & consommé, car ces animaux n'ont pas une autre façon de digérer.

Serpent tête de chien. Cette espece se trouve communément dans l'île de la Dominique ; sa longueur est d'environ huit à neuf piés, & sa grosseur est plus forte que le bras ; il a la tête ramassée, ayant quelque rapport à celle d'un chien ; sa gueule est fendue, bien garnie de dents, sans crocs ni venin. La peau de ce serpent est couverte de petites écailles grises & comme argentées sur les flancs ; le dos étant varié de grandes marques noires bordées de jaune, & le dessous du ventre, dont les écailles sont presque aussi larges que l'ongle & fort minces, tire sur la couleur de nâcre de perle. La graisse des tête-de-chiens est estimée un souverain remede contre les rhumatismes ; on prétend qu'étant appliquée un peu chaude elle appaise les douleurs de la goutte ; la façon la plus ordinaire de s'en servir est de la mêler avec partie égale d'eau-de-vie ou de taffia.

SERPENT AVEUGLE. Voyez ORVET.

SERPENT CORNU, CERASTE. Ce serpent a sur la mâchoire supérieure une corne dure & pointue, d'où lui vient le nom de serpent cornu. Seba donne la description & la figure de plusieurs especes de ces serpens.

SERPENT ESCULAPE. Ce serpent est très-commun en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Pologne, en Asie, en Afrique & en Amérique. Ruysch dit que la face supérieure de ce serpent est d'un verd tirant sur la couleur de poireau, à l'exception du dos qui a une couleur noirâtre : la face inférieure est d'un blanc verdâtre. Seba donne la description de sept especes de serpens esculapes.

SERPENT A LUNETTE, ou SERPENT COURONNE. (Pl. XVI. fig. 4.) Il est ainsi nommé parce qu'il a sur la tête une tache dont la figure ressemble beaucoup à celle d'une paire de lunettes à mettre sur le nez. On trouve ce serpent dans l'Amérique méridionale, au Pérou, à Siam, aux grandes Indes, &c. Seba donne la description & la figure de plusieurs especes de serpens à lunettes, qui different les uns des autres par la grandeur & la couleur.

SERPENT A SONNETTES, boicininga, vipera caudisona. (Pl. XVI. fig. 2.) On a donné le nom de serpent à sonnettes à ce reptile, parce qu'il a l'extrêmité de la queue composée de plusieurs anneaux larges & mobiles, qui en frottant les uns contre les autres, font un bruit semblable à une sorte de cliquetis, ou au son d'une sonnette fêlée. La morsure de ce serpent passe pour très-venimeuse. Seba donne la description & la figure de plusieurs especes de serpens à sonnettes qui different par la grandeur & par les couleurs. On en trouve en Amérique, dans les Indes orientales & dans les Indes occidentales. Il est fait mention, dans les transactions philosophiques, d'un serpent à sonnettes qui avoit près de cinq pieds & demi de longueur : c'est le plus grand de tous ceux dont les auteurs ont parlé.

SERPENT MARIN, poisson de mer auquel on a donné ce nom, parce qu'il a beaucoup de ressemblance avec le serpent. Il devient long de trois ou quatre coudées ; il a le corps plus rond que celui de l'anguille ; la tête ressemble à celle du congre ; la mâchoire supérieure est plus longue que l'inférieure, & elles sont garnies de dents toutes les deux comme celles de la murene ; il y a aussi des dents au palais, mais en petit nombre. La couleur de ce poisson est jaune en entier, à l'exception du ventre & du bec qui sont cendrés. Il a deux petites nageoires auprès des ouies ; les yeux ont une couleur jaune. Rondelet, hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. XIV. chap. vj.

Le même auteur fait mention, au chap. vij. du livre déja cité, d'une autre espece de serpent marin rouge, dont les côtés sont traversés par des lignes qui s'étendent depuis le dos jusqu'au ventre. Ce poisson a sur le dos une nageoire & une autre sur le ventre, qui s'étendent toutes les deux jusqu'à la queue ; elles sont composées de deux petits poils très-minces & tous séparés les uns des autres. Il y a un trait sur les côtés du corps depuis la tête jusqu'à la queue qui est terminée par une nageoire. Voyez POISSON.

SERPENT VOLANT. Seba donne la description de deux especes de serpens volans ; comme il ne parle pas de leurs ailes, c'est sans-doute des especes d'acontias qui se tiennent sur les arbres, & qui s'élancent sur ceux qui passent dessous avec une impétuosité si grande, qu'on croiroit qu'ils volent. Voyez ACONTIAS. Cependant Vesputius assure avoir vu des serpens qui avoient des ailes, & Artus dit qu'il y a à la Côte d'or des serpens ailés qui volent assez bien pour prendre des oiseaux en l'air. Voyez DRAGON.

SERPENT, rampement du, (Physiq.) j'ai déja parlé, au mot RAMPEMENT, de ce mouvement progressif des serpens ; mais je ne puis m'empêcher d'ajouter encore deux lignes sur la justesse & l'exactitude presque géométrique qui se rencontre dans les mouvemens sinueux que les serpens font en rampant. Les écailles annulaires qui les assistent dans cette action, sont d'une structure très-singuliere. Sur le ventre, elles sont situées en travers, & dans un ordre contraire à celles du dos & du reste du corps : non-seulement depuis la tête jusqu'à la queue, chaque écaille supérieure déborde sur l'inférieure, mais les bords sortent en dehors ; ensorte que chaque écaille étant tirée en arriere, ou dressée en quelque maniere par son muscle, le bord extérieur s'éloigne un peu du corps, & sert comme de pié pour appuyer le corps sur la terre, pour l'avancer, & pour faciliter son mouvement serpentin.

Il est aisé de découvrir cette structure dans la dépouille, ou sur le ventre d'un serpent, quel qu'il soit. Mais ce n'est pas tout, il y a encore ici une autre méchanique admirable, c'est que chaque écaille a son muscle particulier, dont une extrêmité est attachée au milieu de l'écaille suivante. Le docteur Tyson a découvert cette méchanique dans le serpent à sonnettes ; & selon les apparences, elle existe de même dans les autres serpens, ou du moins dans les gros serpens des Indes orientales & occidentales. (D.J.)

SERPENS, pierres de, (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs aux coquilles fossiles pétrifiées, connues sous le nom de cornes d'ammon.

SERPENS, langues de, (Hist. nat.) nom que l'on donne quelquefois aux dents de poissons pétrifiées. Voyez GLOSSOPETRES.

SERPENT-FETICHE, (Hist. mod. superstition) les negres d'Afrique prennent pour objet de leur culte le premier objet, soit animé, soit inanimé, qu'ils rencontrent en sortant de chez eux pour exécuter quelque entreprise ; tantôt c'est un chien, un chat, un insecte, un reptile ; tantôt c'est une pierre, ou un arbre, &c. Lorsque les negres ont fait choix d'une divinité qu'ils nomment fétiche, ils lui font une offrande, & font voeu de continuer à lui rendre un culte, s'il les favorise dans le projet qu'ils méditent ; lorsqu'ils réussissent, ils attribuent leur succès à la divinité dont ils font choix ; si au contraire l'entreprise manque, le fétiche est oublié ; de cette maniere ces peuples font & défont leurs divinités à volonté. Ces superstitions si grossieres, n'empêchent point ces negres d'avoir des idées assez justes d'un être suprême, qu'ils regardent comme le souverain du ciel & de la terre ; ils lui attribuent la justice, la bonté, l'omniscience ; c'est un esprit qui réside dans les cieux & qui gouverne l'univers ; malgré cela leurs hommages sont réservés pour les fétiches dont nous avons parlé.

C'est sur-tout un serpent qui est la divinité la plus révérée des negres de la côte de Juidah ; ils l'invoquent dans les tems de sécheresse, dans les calamités publiques, dans la guerre, &c. On lui offre alors de l'argent, des pieces d'étoffes de soie, des marchandises précieuses, des bestiaux vivans & des mêts délicieux ; toutes ces offrandes tournent au profit des prêtres. Le serpent qui est l'objet de ce culte est très-familier ; sa peau est de la plus grande beauté par la variété de ses couleurs. Il n'est point venimeux, mais est d'une espece qui fait la guerre aux autres & qui les détruit efficacement ; il est même facile de les distinguer par leur forme & leurs couleurs. Le respect que l'on a pour le grand serpent-fétiche, s'étend à tous les serpens de son espece. Un capitaine anglois fut massacré impitoyablement, parce que les matelots de son équipage avoient eu le malheur de tuer un de ces serpens qui étoit venu se loger dans leur magasin. Comme les cochons se nourrissoient de serpens, on a pris le parti d'en détruire l'espece, de peur qu'ils ne continuassent à manger les divinités favorites de la nation. Le grand serpent-fétiche, que les negres croyent immortel, a un temple magnifique, des prêtres auxquels la crédulité des souverains a fait accorder des terres & des revenus considérables : de plus tous les ans on consacre à ce dieu un certain nombre de vierges choisies destinées à ses plaisirs, ou plutôt à ceux de ses ministres. Ces imposteurs sont parvenus à persuader au peuple qu'il est un tems dans l'année pendant lequel les serpens saisissent toutes les jeunes filles qui leur plaisent, & les jettent dans une espece de délire qui suit leurs embrassemens ; les parens de ces filles, pour les faire guérir de cette frénésie, les mettent dans des hôpitaux sous la direction des prêtres, qui travaillent à leur cure, & qui se font payer un prix considérable à titre de pension ; de cette maniere ils savent se faire payer même des plaisirs qu'ils se procurent. Ces pensions & les présens qui les accompagnent, font un produit immense, que les prêtres sont pourtant obligés de partager avec le souverain. Les filles qui ont été guéries dans ces sortes d'hôpitaux, sont obligées de garder un secret inviolable sur les choses qu'elles y ont vues ; la moindre indiscrétion seroit punie de mort. Cependant on nous dit que les prêtres imposteurs parviennent à fasciner tellement ces victimes de leur brutalité, que quelques-uns croyent réellement avoir été honorées des embrassemens du grand serpent-fétiche. Bosman raconte que les filles d'un roi furent obligées de subir les mêmes épreuves que les autres. Rien ne seroit plus dangereux que de révoquer en doute la probité des prêtres & la certitude des amours de leurs dieux. Ces prêtres se nomment féticheres ; ils ont un chef ou souverain pontife qui n'est pas moins révéré que le roi, & dont le pouvoir balance souvent celui du monarque. Son autorité est fondée sur l'opinion du vulgaire, qui croit que ce pontife converse familierement avec le dieu, & est l'interprête de ses volontés. Les féticheres ont une infinité de moyens pour s'engraisser de la substance des peuples qui gémissent sous leurs cruelles extorsions ; ils font le commerce, ont un grand nombre d'esclaves pour cultiver leurs terres ; & la noblesse, qui s'apperçoit souvent de leur manege, est accablée de leur crédit, & gémit en silence des impostures de ces misérables.

Le grand serpent-fétiche a aussi des prêtresses, appellées betas, qui se consacrent à son service ; les anciennes en choisissent tous les ans un certain nombre parmi les belles filles du pays. Pour cet effet, armées de bâtons, elles vont courir dans les villes, elles saisissent toutes les jeunes filles qu'elles rencontrent dans les rues ; & secondées des prêtres, elles assomment quiconque voudroit leur opposer de la résistance. Les jeunes captives sont conduites au séjour des prêtresses, qui leur impriment la marque du grand serpent. On leur apprend à chanter des hymnes en son honneur, à former des danses autour de lui, enfin à faire valoir leurs charmes, dont elles partagent les revenus avec les vieilles prêtresses qui les instruisent. Cela n'empêche point que l'on n'ait pour elles la plus profonde vénération.

SERPENT, en terme d'Astronomie, est une constellation de l'hémisphere boréal, qu'on appelle plus particulierement serpent ophiuchus.

Les étoiles de la constellation du serpent, sont au nombre de 17 dans le catalogue de Ptolémée, de 19 dans celui de Ticho, & de 59 dans celui de Flamsteed. Chambers. (O)

SERPENT D'AIRAIN, (Hist. jud.) figure d'airain qui représentoit un saraph, ou serpent volant, & que Moïse fit mettre au-dessus d'une pique, assurant que tous ceux qui le regardoient seroient guéris de la morsure des serpens aîlés qui désolerent les Israélites dans le desert, comme il est rapporté dans le livre des Nombres, chap. xxj. v. 9.

Jesus-Christ, dans S. Jean, ch. iij. v. 4. nous avertit que ce serpent ainsi élevé, étoit une figure de sa passion & de son crucifiement : sicut Moyses exaltavit serpentem in deserto, ita exaltari oportet Filium hominis. Ce serpent d'airain fut conservé parmi les Israélites jusqu'au regne d'Ezéchias, qui ayant appris qu'on lui rendoit un culte superstitieux, le fit mettre en piece, & lui donna par dérision le nom de nohestan. Voyez NOHESTAN.

Marsham s'est imaginé que le serpent d'airain étoit une espece de talisman, c'est-à-dire de ces pieces de métal qui sont fondues & gravées sous certaines constellations, d'où elles tirent une vertu extraordinaire pour guérir certaines maladies. Les uns attribuent ces effets au démon, d'autres à la nature du métal, d'autres aux influences des constellations. Marsham pense donc que ce serpent d'airain élevé par Moïse, guérissoit les hébreux mordus des serpens, de la même maniere que les talismans guérissent certaines maladies, par la proportion qui se rencontre entre les métaux dont ils sont composés, ou les influences des astres sous lesquels ils sont formés, & la maladie dont on dit qu'ils guérissent ; mais c'est attaquer un miracle par des suppositions chimériques, puisque rien n'est plus incertain que ces prétendues qualités qu'on attribue aux talismans. Voyez TALISMAN.

Buxtorf le fils au contraire dans son histoire du serpent d'airain, croit que cette figure devoit naturellement augmenter le mal des blessés au-lieu de le guérir, en leur retraçant l'image des monstres qui les avoient si cruellement déchirés, & que Dieu fit éclater doublement sa puissance en guérissant par un moyen qui devoit produire un effet contraire. Mais il est aussi inutile de grossir ce miracle qu'il est téméraire de le réduire à un effet purement naturel.

On prétend montrer à Milan, dans l'église de S. Ambroise, un serpent d'airain qu'on dit être le même que celui de Moïse. L'Ecriture raconte trop positivement la destruction de ce dernier par Ezéchias, pour qu'on ajoute foi à la tradition populaire des Milanois. Calmet, Dict. de la Bible, tome III. pages 542 & 543.

SERPENT, dans l'Ecriture, se prend aussi pour le démon. Le serpent invisible qui tenta Eve par l'organe du serpent sensible, étoit le démon, comme l'Ecriture & tous les commentateurs le remarquent. Quelques-uns expliquent aussi du démon ce que dit Job du serpent tortueux, chap. xxvj. v. 13. S. Jean dans l'Apocalypse, ch. xij. v. 9 & 14. marque clairement que le serpent ancien est le démon & satan : draco ille magnus, serpens antiquus, qui vocatur diabolus & satanas, & seducit universum orbem. Les Juifs appellent aussi le démon l'ancien serpent.

SERPENT, (Mythol.) cet animal est un symbole ordinaire du soleil. Dans quelques monumens il se mord la queue, faisant un cercle de son corps, pour marquer le cours ordinaire de cet astre. Dans les figures de Mithras, il environne quelquefois Mithras à plusieurs tours, pour figurer le cours annuel du soleil sur l'écliptique, qui se fait en ligne spirale.

Le serpent étoit aussi le symbole de la Médecine, & des dieux qui y président, comme d'Apollon, d'Esculape. Mais Pausanias nous dit que quoique les serpens en général soient consacrés à ce dernier dieu, cette prérogative appartient sur-tout à une espece particuliere dont la couleur tire sur le jaune ; ceux-là ne font point de mal aux hommes, & l'Epidaurie est le pays où il s'en trouve davantage. Le serpent d'Epidaure qui fut transporté à Rome pour l'Esculape, étoit de cette espece. C'étoit peut-être aussi de ces sortes de serpens dont les bacchantes entortilloient leurs tyrses, ou les paniers mystiques des orgyes, & qui ne laissoient pas d'inspirer tant de crainte aux spectateurs.

Les Egyptiens ne se contentoient pas de mêler le serpent avec leurs divinités ; les dieux-mêmes étoient souvent représentés chez eux, n'ayant que leur tête propre avec le corps & la queue du serpent. Tel étoit pour l'ordinaire Sérapis, qu'on reconnoît dans les monumens, à sa tête couronnée du boisseau, mais dont tout le corps n'est qu'un serpent à plusieurs tours. Apis se voit aussi avec une tête de taureau, ayant le corps & la queue de serpent retroussée à l'extrêmité.

Les génies ont été quelquefois représentés sous la figure d'un serpent. Deux serpens attelés tiroient le char de Triptolème, lorsque Cérès l'envoya parcourir le monde pour apprendre aux hommes à semer le blé. Quelques poëtes ont imaginé que les serpens étoient nés du sang des Titans, & d'autres en attribuent l'origine au sang de Python ou de Typhon. (D.J.)

SERPENT, (Luther.) instrument de musique à vent que l'on embouche par le moyen d'un bocal. Cet instrument est du genre des cornets, & leur sert à tous de basse. Il forme l'unisson du basson de hautbois ou de huit piés. Voyez la table du rapport de l'étendue des instrumens de Musique. Cet instrument, ainsi nommé à cause de sa figure ployée comme les serpens reptiles, est composé de deux pieces de bois de noyer ou autre propre à cela, que l'on creuse après avoir tracé le contour B C D E F G en demi-cylindre concave, lesquelles on colle ensuite l'une dessus l'autre, & qu'on réduit ensuite par-dehors avec des rapes à bois à environ une ligne ou une ligne & demie au plus d'épaisseur ; puis on le couvre d'un cuir mince ou de chagrin pour le conserver. Avant de mettre le cuir, on met sous les plis, dans la partie concave, du nerf de boeuf battu pour le renforcer en cet endroit, & l'empêcher de rompre lorsqu'on le prend par la partie B C. Voyez la fig. Pl. de Luth. Cet instrument a six trous notés, 1 2 3 4 5 6, par le moyen desquels & du vent que l'on inspire par le bocal A B, on lui donne l'étendue d'une dix-septieme.

Le bocal A B s'emboîte dans une frette de cuivre ou d'argent, selon que le col du bocal est de l'un ou l'autre métal. Ce col est recourbé, comme on voit dans la figure, pour présenter plus facilement le bocal (lequel on emboîte dans le col) à la bouche de celui qui joue de cet instrument. Le bocal est une petite cuvette ou hémisphere concave, laquelle est ordinairement d'ivoire ; au milieu de cette cuvette, qui peut avoir 1 1/2 pouce de diametre, est un petit trou qui communique par le collet a fig. suiv. dans le col de métal du serpent dans lequel il entre.

Pour jouer de cet instrument, il faut le prendre des deux mains, ensorte que les trois doigts, index, medius & annulaire de la main gauche bouchent les trous 1 2 3, le pouce de cette main étant placé à l'opposite des trous, pour pouvoir avec les autres doigts tenir l'instrument en état. Les trois mêmes doigts de la main droite servent à boucher les trous 4 5 6, vis-à-vis desquels le pouce de cette main est placé pour la même raison.

Après avoir posé les doigts sur les trous, on présente le bocal à la bouche, & on l'applique sur les levres, ensorte que l'air que l'on inspire dans le serpent ne puisse trouver aucun passage entre les bords du bocal & les levres, mais qu'il soit contraint de passer dans le corps de l'instrument ; pour cela on mouille avec la langue les bords du bocal, qui s'applique mieux par ce moyen sur les levres pour faire les tons graves sur cet instrument, particulierement ceux qui se font tous les trous bouchés. Il faut bien ménager le vent, & souffler également ; pour les autres tons où il y a quelques trous de débouchés, ils sont plus faciles à faire : il s'en trouve cependant quelques-uns qui ont le même doigté, lesquels par conséquent ne différent que par les différens degrés de vîtesse du vent qui anime l'instrument ; tels sont la plûpart des dièses, des tons naturels, que l'on peut faire cependant en ne débouchant que la moitié du trou supérieur, ou en croisant les doigts, c'est-à-dire en débouchant le trou de la note supérieure, & en bouchant celui de l'inférieure de la note dont on veut faire les diéses. Voyez la tablature suivante, où les notes de musique font voir quelle partie & quelle étendue forme le serpent. Voyez aussi la table du rapport de l'étendue des instrumens. Les zéros noirs & blancs qui sont au-dessous des notes, lesquelles correspondent aux trous du serpent, font voir quels trous il faut tenir ouverts ou fermés pour faire les tons des notes qui sont au-dessus.


SERPENTAIRES. f. (Hist. nat. Bot.) dracunculus, genre de plante, qui ressemble au pié de veau, par les fleurs & par les fruits, & dont les feuilles sont découpées profondément en plusieurs pieces. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Cette plante est le dracunculus polyphyllus de C. B. P. 195. & de Tourn. I. R. H. 160 dracunculus major, vulgaris, Ray, hist. la racine est plongée profondément dans la terre, elle est blanche, vivace, arrondie, de la grosseur d'une pomme, semblable à une bulbe, garnie de plusieurs fibres, capillaires, blanches, couverte d'une écorce jaunâtre, d'une saveur brûlante. Il vient ordinairement à ses côtés plusieurs petites bulbes par lesquelles elle se multiplie ; sa tige est unique, droite, de la grosseur d'un pouce & plus, haute d'une à deux coudées, cylindrique, lisse, panachée de taches de différentes couleurs, comme la peau des serpens, & composée de gaînes.

Ses feuilles sont portées sur des queues fongueuses, & longues de neuf pouces, elles sont partagées en six, sept, ou un plus grand nombre de segmens en maniere de main, étroits, lisses, & luisans ; du milieu des feuilles s'éleve une tige, grosse à peine comme le doigt, dont le sommet est occupé par une gaîne d'un pié de longueur, verte en - dehors, purpurine en-dedans, d'une odeur fort puante : cette gaîne étant ouverte, forme une fleur d'une seule piece, irréguliere, de la figure d'une oreille de lievre ; de son sein sort un pistil noirâtre, long, gros, pointu, accompagné à la base de plusieurs sommets, & de plusieurs embryons, qui se changent en des baies presque sphériques, succulentes, disposées en grappes vertes d'abord, ensuite rouges, brûlantes, & piquantes ; ces baies contiennent une ou deux graines arrondies, un peu dures, & en quelque façon ridées. La serpentaire vient dans les pays chauds, & est cultivée dans les jardins des apothicaires. (D.J.)

SERPENTAIRE, (Mat. méd.) les racines & les feuilles de cette plante, ont les mêmes vertus que celles du pié-de-veau ; desorte qu'on peut substituer ces deux plantes l'une à l'autre. Cependant Simon Pauli avertit que le pié-de-veau est plus doux que la serpentaire ; c'est pourquoi il faut préférer cette derniere plante, lorsqu'on veut déterger un peu plus fortement ; c'est pour cette même raison qu'on l'employe plus fréquemment à l'extérieur. Géoffroi, mat. méd. La racine de serpentaire entre dans l'emplâtre diabotanum.

SERPENTAIRE de Virginie, (Botan. éxot.) racine, autrement nommée viperine de Virginie, serpentaria virginiana, colubrina virginiana, offic. C'est une racine fibreuse, menue, légere, brune en - dehors, jaunâtre en-dedans, d'une odeur agréable, aromatique, approchant de l'odeur de la zédoaire, d'un goût un peu âcre & amer. On nous l'apporte de la Virginie.

Il faut choisir celle qui est récente, aromatique, pure, & non mêlée avec d'autres racines. Quelques-uns confondent cette plante avec la racine du cabaret de Virginie ; mais le coup d'oeil les distingue facilement, puisque les racines de ce cabaret sont noires ; il s'appelle asarum virginianum, pistolochiae foliis subrotundis, cyclaminis more maculatis.

Thomas Johnson, qui a corrigé l'histoire de Gérard, assure que c'est la racine d'une plante appellée aristolochia, seu pistolochia altera, semper virens ; mais Rai qui avoit dit la même chose, d'après Johnson, dans son premier tome de l'histoire des plantes, paroît en douter dans le second volume : & enfin dans le troisieme, il prouve que cette plante est différente de la pistoloche de Crete de Clusius ; Pluknet assure que l'on nous apporte de Virginie, les racines de trois plantes, sous le nom de serpentaire de Virginie.

La premiere se nomme aristolochia polyrrhizos, articulatis foliis, virginiana, Pluk.

Cette racine est un paquet de fibres & de chevelus attachés à une tête, de laquelle s'éleve une tige haute de neuf pouces, garnie de quelques feuilles en forme de coeur, & portée chacune sur une petite queue ; ces feuilles, en naissant, sont pliées par le milieu, ont la figure d'une oreille, & une longue pointe à leur extrêmité supérieure ; les fleurs naissent du bas de la tige, sur de longs pédicules ; elles sont longues, creuses, droites, comme celles des aristoloches ; portées sur un embryon, qui devient un petit fruit à cinq angles, lequel renferme de petites graines semblables aux pepins de raisins.

La seconde serpentaire se nomme aristolochia violae fruticosae foliis, virginiana, cujus radix serpentaria dicitur. C'est une racine composée de fibres très-menues, & blanches, de laquelle s'éleve une tige, le plus souvent seule, grêle, garnie de peu de feuilles, placées sans ordre, larges d'environ un pouce, fermes, taillées en forme de coeur à leur base, & terminées par le haut en une pointe aiguë ; chaque feuille est soutenue sur une queue d'un pouce de longueur ; les fleurs naissent vers le bas de la tige ; les graines sont petites, & semblables à celles que contient la figue.

La troisieme serpentaire est appellée aristolochia, pistolochia caule nodoso, seu serpentaria virginiana, D. Banister, c'est la véritable espece de serpentaire.

Cette racine n'est qu'un composé de petites fibres, de couleur jaune, d'une odeur, & d'un goût aromatique ; elle pousse une ou deux tiges, lisses, ou du moins très-peu velues, cylindriques, souvent droites ; elles ne sont ni quadrangulaires, ni couchées vers la terre, ni grimpantes comme les sarmens ; les feuilles naissent sur la tige alternativement, & sont placées sur chaque noeud ; elles sont minces, longues, pointues, taillées en maniere de coeur vers la queue, un peu velues en-dessus, rudes en-dessous, saillantes aux côtés, un peu gluantes, & s'attachent aux doigts ; les fleurs sortent près de la terre, elles sont seules, ou au nombre de deux ; leur talon qui est large, arrondi en forme de bonnet, soutient un pavillon ouvert dans le centre, lequel est de couleur pourpre foncé ; le reste de la fleur est d'un jaune sale ; le fruit est à six angles, en forme de poire, & a environ un pouce de diametre lorsqu'il est parvenu à sa maturité. Cette plante n'est pas toujours verte, car lorsque les semences sont mûres, les feuilles & les tiges se fanent & se desséchent. (D.J.)

SERPENTAIRE de Virginie, (Mat. méd.) viperine de Virginie, ou pistoloche de Virginie ; la racine de serpentaire de Virginie nous est apportée seche de l'Amérique, & principalement de la Virginie ; elle a une saveur âcre, amere & camphrée, & une odeur aromatique camphrée.

M. Carteuser assure qu'on n'en retire point d'huile essentielle, excepté qu'on n'en distille une très-grande quantité d'une seule fois ; cet auteur a retiré d'une once de ces racines, environ deux gros d'extrait, par le menstrue aqueux, & environ un gros de matiere résineuse, par l'application de l'esprit-de-vin ; ce dernier principe lui a paru plus actif que le premier, l'un & l'autre retiennent assez la saveur propre de la plante, & le dernier retient de plus une partie de son parfum.

Cette racine est singulierement estimée par les habitans de la Virginie, parce qu'ils la regardent comme un remede souverain contre la morsure du serpent très-venimeux, appellé boicininga ; elle passe aussi pour guérir de la morsure des chiens enragés, pour prévenir & même guérir de l'hydrophobie.

Elle est comptée en Europe, parmi les remedes diaphorétiques, diurétiques, carminatifs, fortifians, & vermifuges ; & parmi les alexipharmaques, & les hystériques les plus puissans ; & même M. Carteuser avertit de l'employer avec beaucoup de circonspection, dans les cas où il seroit dangereux de trop échauffer, exciter, irriter : on doit la donner en infusion dans du vin, depuis un scrupule jusqu'à un gros ; & on peut la faire entrer en substance dans les poudres composées, & dans les électuaires magistraux ; la dose de la teinture est depuis dix jusqu'à quarante gouttes ; tous ces remedes sont recommandés dans la peste, les fievres malignes, la petite vérole, & autres maladies éruptives, la fausse esquinancie, l'apoplexie séreuse, la paralysie, les fievres quartes intermitentes rebelles, la passion hystérique, la suppression des regles, la morsure des animaux vénéneux, &c.

La racine de serpentaire de Virginie entre dans l'eau thériacale, l'eau générale, & l'orvietanum praestantius de la pharmacopée de Paris ; l'extrait de cette racine entre dans la thériaque céleste. (b)

SERPENTAIRE, s. m. est le nom qu'on donne dans l'astronomie à une constellation de l'hémisphere boréal, appellée aussi ophiucus, & anciennement Esculapius. Voyez CONSTELLATION.

Les étoiles de cette constellation sont au nombre de 29, dans le catalogue de Ptolémée ; de 25, dans celui de Tycho, & de 69 dans le catalogue de Flamstead. Chambers. (O)


SERPENTE(Papeterie) espece de papier qui prend son nom du serpent dont il est marqué ; il est du nombre des petites sortes de papier ; son usage ordinaire est pour faire des éventails. (D.J.)


SERPENTEAUS. m. (Artifice) les artificiers appellent ainsi de petites fusées volantes sans baguettes, qui au lieu d'aller droit en haut, montent obliquement, & descendent en tournoyant çà & là, & comme en serpentant sans s'élever bien haut.

On se sert de la composition des fusées volantes pour les faire ; à l'égard de leur construction, il faut prendre des baguettes de fer, rouler dessus deux cartes à jouer l'une sur l'autre, qui seront couvertes d'un papier, ensorte que ce papier paroisse toujours dessus, & que les cartes soient au-dedans ; il sera nécessaire de mouiller un peu ces cartes, pour les rendre plus maniables ; mais il faut ne les employer que seches ; on collera avec de la colle faite de farine & d'eau, ce papier dans toute sa longueur, pour l'arrêter.

On prend la culotte du moule, que l'on fait entrer par un des bouts du serpenteau, & en cet endroit on l'étrangle avec de la ficelle à paulmier, que l'on graisse d'un peu de savon, & quand il a été étranglé, vous le liez avec un peu de fil.

On rapporte ensuite un autre moule N par dessus ce serpenteau, qui par ce moyen se trouve enfermé dedans ; on le charge de la composition marquée ci-dessus, avec un tuyau de plume, & d'abord on y en fait entrer jusqu'environ au milieu du serpenteau ; on refoule la composition avec la même baguette de fer, sur laquelle le serpenteau a été roulé, & l'on frappe dessus avec quelque palette ou léger maillet.

Lorsque ce serpenteau est chargé à moitié, l'on y fait entrer un grain de vesse, & l'on acheve de le charger avec de la poudre grenée, jusqu'à une distance du bout, pour y pouvoir mettre un petit tampon de papier mâché, que l'on frappe par - dessus avec la baguette de fer ; ce papier étant entré, & laissant un petit espace vuide au-dessus de lui, on étrangle le serpenteau dans cet endroit, & on le lie avec un bout de fil, comme on l'a fait de l'autre côté, avec cette différence que ce bout-ci est tout fermé, & que l'autre a conservé l'ouverture qui y a été faite par l'aiguille ou broche qu'on a fait entrer dedans ; on remplit ensuite ce vuide d'un peu d'amorce que l'on fait avec de la poudre écrasée & paitrie avec de l'eau.

On donne encore le nom de serpenteau, à un cercle de fer muni de petites grenades chargées, & de pointes aiguës, qu'on jette sur une breche.


SERPENTEMENTS. m. (Géom.) partie d'une courbe qui va en serpentant.

Le caractere du serpentement est que la courbe peut être coupée en 4 points, par une même ligne droite ; ainsi les serpentemens ne peuvent se trouver que dans les lignes du quatrieme ordre. Voyez COURBE & EQUATION.

On appelle serpentement infiniment petit, celui où on peut imaginer une ordonnée, qui étant supposée touchante de la courbe, y ait 4 valeurs égales, ou davantage ; par exemple le courbe qui a pour équation y=x a un serpentement infiniment petit à son origine, puisque si on transporte l'origine à une distance = a, en conservant toujours les x, on aura en faisant y = 2 - a, l'équation , qui donne lorsque x = 0, quatre valeurs de 2, toutes égales à a.

C'est pourquoi un point d'un courbe sera un serpentement infiniment petit, si en transportant l'origine en ce point, & rendant les nouvelles ordonnées u paralleles à la tangente en ce même point, on a en ce point u 4 = A z 3, 3 étant un nombre impair quelconque < 4.

Si on avoit u 5 = A z 3, le point de serpentement seroit avec inflexion, si on avoit u 6 = A z 3, le point de serpentement seroit double ; si u 7 = A z 3, il seroit double avec inflexion, & ainsi de suite. Voyez le traité des courbes de M. Cramer. (O)


SERPENTERv. n. (Gram.) c'est se mouvoir d'une maniere tortueuse, comme le serpent. Voyez SERPENTEMENT.

SERPENTER, terme de Manege, c'est conduire un cheval en serpentant, & tracer une piste tournée en ondes. Le mot serpenter a été substitué à celui de serpéger, qui n'est plus en usage. (D.J.)


SERPENTINS. m. (Chimie) long canal en zigzag interposé entre la cucurbite & le récipient dans le grand alembic à esprit-de-vin, & à rectifications. Cet appareil distillatoire n'est presque plus employé par les artistes modernes, & il est en effet d'un usage fort incommode & assez inutile, du moins pour les opérations communes qu'on avoit coutume d'y exécuter, la distillation de l'esprit-de-vin par exemple, voyez DISTILLATION & ESPRIT-DE-VIN, sous le mot VIN.

On donne aussi le nom de serpentin à une espece de réfrigerant. Voyez REFRIGERANT. (b)

SERPENTIN, terme de l'Art militaire ; c'est proprement le chien du mousquet ou la partie de la platine qui tient la meche, avec laquelle on met le feu au mousquet. Voyez CHIEN.

SERPENTIN, s. m. terme de relation ; c'est un hamac de coton dans lequel les gens riches se font porter au Brésil. Ces hamacs de coton s'appellent serpentins ; & ce nom leur vient peut-être de ce qu'ils sont faits sur le modele de ceux dans lesquels les sauvages dorment, après les avoir suspendus entre deux arbres, pour éviter les serpens. (D.J.)


SERPENTINES. f. (Hist. nat. Litholog.) ophites, serpentinum marmor, marmor zoeblicense. Pierre du genre de celles qu'on appelle ollaires, qui est ordinairement verte ou grise, remplies de taches noires ou blanches ; elle est douce au toucher, peu dure & facile à tailler ; M. Pott la met au nombre des pierres argilleuses, à cause de la propriété qu'elle a de se durcir dans le feu, & de ne point faire effervescence avec les acides. Par ces qualités la serpentine differe essentiellement du marbre, & l'on voit que c'est à tort que quelques naturalistes l'ont mise dans ce genre ; peut-être qu'ils ont été trompés par des marbres dont la couleur pouvoit être la même que celle de quelques serpentines. Son nom vient de ce qu'elle ressemble à la peau d'un serpent.

La serpentine se trouve sur-tout à Zoeblitz en Misnie ; voilà pourquoi on l'a quelquefois nommée marmor zoeblicense. La facilité avec laquelle cette pierre se taille fait qu'on en forme une infinité de vaisseaux, de boîtes, d'écritoires, &c. que l'on transporte fort loin.

On a été autrefois dans le préjugé de croire que la serpentine avoit la vertu de déceler les poisons ; mais il ne faudroit conseiller à personne d'en faire l'expérience.

On voit par ce qui précede, que cette pierre, à l'exception des couleurs & des accidens, ne differe en rien de la pierre de lard & des autres pierres ollaires. Voyez OLLAIRES.

SERPENTINE, (Maréchal.) langue serpentine. Voyez LANGUE.


SERPERterme de Galere ; c'est lever l'ancre.


SERPERASTRUM(Littérat.) sorte d'éclisse de bois que les Romains attachoient aux jambes des enfans pour les redresser. Cicéron appelle figurément serperastra les officiers d'une cohorte romaine, chargés de rétablir l'ordre dans la province, comme les éclisses redressoient les jambes cagneuses. (D.J.)


SERPETTES. f. (Outil d'Agricult.) petite serpe qui sert aux vignerons & aux jardiniers à tailler, à enter les arbres & à faire les vignes.

Pour tailler les arbres, soit branches, soit racines, on a nécessairement besoin de deux bons outils ; savoir, d'une serpette & d'une scie. La serpette sert à couper tout d'un coup le bois qui est jeune & vif, tendre, bien placé, & d'une grosseur médiocre, si bien qu'il ne faut jamais employer la serpette à l'endroit où son tranchant s'émousseroit aussi-tôt, & où la scie feroit mieux qu'elle. Quelques serpettes sont trop courtes, eu égard à leur longueur, & d'autres ne le sont pas assez. Il faut qu'elles tiennent un juste milieu.

La matiere doit être d'un bon acier & bien trempé ; desorte que le tranchant ne se rebrousse, ne s'égraine ou ne s'ébreche pas aisément. Il faut qu'elles soient bien affilées, souvent nettoyées de la crasse qui s'y attache en travaillant, & qu'elles soient autant de fois repassées qu'on s'apperçoit que le tranchant ne coupe pas bien, c'est-à-dire qu'elles ne passent pas aisément à proportion de l'effort qu'on fait.

Quand on a beaucoup d'arbres à tailler, il est besoin d'avoir beaucoup de serpettes pour en changer souvent. Il faut encore que l'alumelle de ces serpettes soit de médiocre grandeur, c'est-à-dire qu'elle ne soit que d'environ deux pouces, jusqu'à l'endroit où la courbure du dos commence ; & ensuite toute la courbure jusqu'à l'extrêmité de la pointe, doit encore avoir deux pouces ; ensorte que le tour du dehors ne soit que de quatre pouces en tout. Le manche doit tirer plus au quarré qu'au rond, & le bois de cerf y est très-propre. Il faut que ce manche soit d'une grosseur raisonnable pour que la main soit pleine, & qu'elle le puisse tenir bien ferme, sans qu'il tourne ou qu'il lui échappe en faisant effort ; une grosseur de deux pouces & huit lignes, ou tout au plus de trois pouces, est celle qu'il faut pour l'usage d'un homme qui se plaît à tailler toutes sortes d'arbres, & c'est une des plus utiles occupations de la campagne ; c'étoit celle du grec dont parle Aulugelle :

Un sage assez semblable au vieillard de Virgile,

Homme égalant les rois, homme approchant des dieux

Et, comme ces derniers, satisfait & tranquille.

Son bonheur consistoit aux beautés d'un jardin.

Un Scythe l'y trouva, qui la serpe à la main,

De ses arbres à fruit retranchoit l'inutile,

Ebranchoit, émondoit, ôtoit ceci, cela,

Corrigeant par-tout la nature,

Excessive à payer ses soins avec usure. (D.J.)


SERPHou SERFO ou SERFOU, (Géog. mod.) île de l'Archipel, connue des anciens Grecs & Romains, sous le nom de seriphos & seriphus. Voyez SERIPHUS.

Les François nomment cette île Sériphe ; les Anglois, Serfanto ; & les Italiens, Serfino. Le périple de Scylax & Strabon, la mettent au nombre des Cyclades ; mais Etienne le géographe la compte entre les Sporades ; elle est située à 36 degrés, 56 de lat. septentrionale, à 20 lieues nord-ouest de Naxie, à 30 de la côte orientale de la Morée, & à 12 milles N. O. de Siphantho. Pline ne donne que 12 milles de circuit à cette île, quoiqu'elle en ait plus de 36.

Son port l'a rendue recommandable, même du tems de la belle Grece ; cependant il ne faut pas chercher des antiquités dans Serpho : cette île n'a jamais été ni puissante, ni magnifique ; c'est un petit pays dont les montagnes sont rudes & escarpées, couvertes de pierres & de rochers, & l'on y trouve encore ceux qui ont donné lieu à la fable de Persée. Séneque parle de cette île, comme d'une île inculte, & le Scholiaste d'Aristophane la qualifie de très-chétive.

Il y a beaucoup d'apparence que les mines de fer & d'aimant de cette île, n'étoient pas connues dans ce tems-là ; car on n'auroit pas manqué d'en attribuer la production au pouvoir de la Gorgone ; cependant ces mines sont à fleur de terre, & les pluies les découvrent tous les jours. La mine de fer y est étoilée en plusieurs endroits, comme le régule d'antimoine étoilé. Celles d'aimant y sont fort abondantes ; mais pour en avoir de bons morceaux, il faudroit creuser profondément, ce qui est très-difficile dans un pays où parmi tant de fer, à peine trouve-t-on des outils propres à arracher les oignons qu'ils cultivent parmi leurs rochers dans de petits fonds humides ; ces oignons sont fort doux, au lieu que les oignons de Siphanto sont aussi âcres que ceux de Provence.

Enfin, les habitans de Serpho sont si glorieux d'avoir de si bons oignons, & ils les trouvent si délicieux, qu'ils ne s'avisent pas de prendre les perdrix qui mangent la moitié de leurs grains & de leurs raisins. Il n'y a dans cette île qu'un bourg qui porte le même nom, & un méchant hameau appellé San-Nicolo.

Le bourg est autour d'une roche affreuse à 3 milles du port, & ce port qui est d'une grande beauté ne sert de retraite qu'à des vaisseaux dévoyés dans une violente tempête, qui viennent s'y mettre à couvert de la fureur des vagues ; car les habitans de l'île sont aussi fainéans & aussi méprisables que leurs ancêtres. Ils sont pauvres, grossiers, parlent un grec fort corrompu, & le prononcent d'une maniere niaise & risible. Ils ne recueillent qu'un peu d'orge & de vin, ne forment dans toute l'île qu'environ mille personnes, qui payent huit cent écus de taille réelle & de capitation.

L'île est gouvernée pour le spirituel par un vicaire de l'évêque de Siphanto. Les meilleures terres appartiennent aux moines de S. Michel, dont le couvent est au nord, à deux lieues du bourg, & habité par des caloyers sous la direction d'un abbé. Nous remarquerons en passant, que quoiqu'en France on comprenne tous les moines grecs sous le nom de caloyers, il n'en est pas de même en Grece ; il n'y a que les freres qui s'appellent ainsi, car pour ceux qui sont prêtres, ils se nomment Iéromonaches.

M. de Tournefort étant à Serpho, dit qu'après les mines d'aimant, la plus belle chose qu'il y ait dans cette île en fait d'histoire naturelle, est une espece d'œillet, dont le tronc vient en arbrisseau dans les fentes de ces horribles rochers qui sont au-dessus du bourg ; c'est le caryophyllus graecus, arboreus, leucoii folio peramaro. Corol. I. R. H. 23. (D.J.)


SERPIGOS. m. en Médecine, c'est une espece de herpes, appellée vulgairement dartre. Voyez HERPES & DARTRE.

Cette maladie consiste en un grand nombre de très-petites pustules, qui s'élevent très-près les unes des autres ; quelquefois en forme circulaire, en causant des démangeaisons & des douleurs très-grandes ; elles ne viennent jamais à suppuration, & on ne les guérit qu'avec beaucoup de difficulté ; car après qu'elles ont paru entierement dissipées, elles reparoissent fort souvent en différens tems de l'année. Le peuple les frotte ordinairement avec de l'encre ; mais quand la maladie est fixée, il faut premierement employer quelques remedes généraux. Voyez LICHEN, IMPETIGO, &c.


SERPILLERv. n. (Jardinage) terme fort usité dans le jardinage ; c'est couper des deux côtés jusqu'au maître-brin, des palissades trop épaisses, qui sans ce soin déchoieroient bientôt de leur beauté. Il est vrai que cette opération les dégarnit la premiere année ; mais elles poussent si vigoureusement de tous côtés, qu'elles en sont plus belles la seconde année.


SERPILLIERES. f. (Emballage) sorte de grosse toile que quelques marchands font pendre aux auvents de leurs boutiques, pour ôter une partie du jour, afin d'empêcher qu'on ne découvre facilement les défectuosités qui se rencontrent sur leurs marchandises. Ce mot se dit encore d'une sorte de très-grosse toile de fort bas prix, dont les marchands & les emballeurs se servent pour emballer leurs marchandises. La plûpart des marchands qui vont aux foires, renvoyent chez eux les serpillieres qui ont servi aux emballages des marchandises qu'ils ont vendues. On se sert aussi de serpillieres pour faire des torchons. Savary. (D.J.)


SERPOLETS. m. serpillum, (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui ne differe du thym qu'en ce que ses tiges sont plus basses, moins dures & moins ligneuses. Tournefort, Instit. rei herb. Voyez PLANTE.

Ce genre de plante si bien nommé par les Anglois, the mother of thyme, plaît beaucoup par son odeur agréable, & par ses jolies fleurs. Tournefort en compte douze especes ; mais je m'arrêterai à la plus estimée dans la Médecine : c'est le petit serpolet, serpillum vulgare minus, Instit. rei herb. 197. Sa racine est menue, ligneuse, vivace, brune, garnie de fibres capillaires. Elle pousse plusieurs petites tiges, quarrées, dures, rougeâtres & basses ; les unes s'élevent droites à la hauteur de la main ; les autres serpentent & s'attachent çà & là à la surface de la terre par des fibres déliées, d'où lui vient son nom, tant en grec qu'en latin. Ses feuilles sont petites, vertes, un peu plus larges que celles du thym, arrondies, nerveuses, d'un goût âcre & aromatique. Ses fleurs naissent aux sommets des tiges, petites, disposées en maniere de tête, de couleur ordinairement purpurine, quelquefois blanche ; chacune d'elles est un tuyau découpé par le haut en deux levres, & soutenu par un calice fait en cornet. Lorsque ces fleurs sont tombées, il leur succede de petites semences presque rondes, renfermées dans une capsule, qui a servi de calice à la fleur.

Cette plante croît aux lieux incultes, montagneux, secs, rudes, sablonneux, pierreux ; dans les champs ; dans les pâturages ; en un mot presque par-tout. Elle fleurit au mois de Mai. Elle répand une odeur agréable, & a un goût aromatique. (D.J.)

SERPOLET, (Mat. méd.) serpolet citroné & petit serpolet ; on emploie indifféremment ces deux plantes. Elles ont les vertus & les usages communs de la plûpart des plantes à fleurs labiées de Tournefort, qui sont aromatiques & chargées d'huile essentielle. Le serpolet a sur-tout la plus grande analogie avec la marjolaine, le basilic, l'origan & le thym. Ces plantes constituent dans cette classe, relativement à leur composition naturelle & à leurs vertus médicinales, une division spécifiée par une douceur singuliere dans leurs principes actifs, un degré d'énergie moyen ou tempéré. Voyez MARJOLAINE & THYM.


SERRAGou SERRES du vaisseau. Voyez VAIGRES.


SERRAIL(Archit. turque) palais destiné à renfermer les sultanes & les esclaves de l'empereur turc & persan. Les seigneurs de ces deux empires ont aussi des serrail proportionnés à leurs facultés & à leur puissance ; mais il ne s'agira dans cet article que du serrail de Constantinople, nommé padischa-serai, palais de l'empereur ; serai d'où nous avons fait le mot serrail, veut dire palais, & padischa, empereur.

Ce palais est à gauche tout à l'entrée du port, & occupe la place de l'ancienne ville de Byzance, sur la pointe de la presqu'île de Thrace, où est précisément le Bosphore. Le serrail qui est l'ouvrage de Mahomet II. a près de trois milles de circuit ; c'est une espece de triangle, dont le côté tenant à la ville est le plus grand, celui qui est mouillé par les eaux du Bosphore est à l'est, & l'autre qui forme l'entrée du port est au nord : les appartemens sont sur la hauteur de la colline, & les jardins sur le bas jusqu'à la mer.

Quelque grande que soit cette enceinte, les dehors du palais n'ont rien de rare ; & s'il faut juger de la beauté des jardins par les cyprès que l'on y découvre, l'on conviendra qu'ils ne sont pas mieux entendus que ceux des particuliers. On affecte de planter dans le serrail des arbres toujours verds, pour dérober aux habitans de Galata & des autres lieux voisins, la vûe des sultanes qui s'y promenent.

Quoiqu'on ne voye que les dehors du serrail, il est à présumer que l'intérieur de ce palais n'a rien de ce que nous appellons superbe & magnifique ; parce que les Turcs ne savent guere ce que c'est que magnificence en bâtimens, & ne suivent aucune regle de bonne architecture. S'ils ont fait de belles mosquées, c'est qu'ils avoient un beau modele devant leurs yeux, qui étoit l'église de Ste. Sophie ; encore ne faudroit-il pas suivre un pareil modele pour bâtir des palais suivant les regles de la bonne architecture. On s'apperçoit aisément en voyant les grands combles des kioscs ou pavillons turcs, que l'on commence à s'éloigner d'Italie, & à s'approcher de la Perse & même de la Chine.

Les appartemens du serrail ont été faits en différens tems, & suivant le caprice des princes & des sultanes ; ainsi ce fameux palais est un assemblage de plusieurs corps de logis, entassés souvent les uns sur les autres, & séparés en quelques endroits. On ne doute pas que les appartemens ne soient spacieux & richement meublés. Leurs plus beaux ornemens ne consistent ni en tableaux, ni en statues ; ce sont des peintures à la turque, parquetées d'or & d'azur, entremêlées de fleurs, de paysages, de culs-de-lampes, & de cartouches chargés de sentences arabes, comme dans les maisons des particuliers de Constantinople.

Les bassins de marbre, les bains, les fontaines jaillissantes, font les délices des Orientaux, qui les placent aux premiers étages, sans craindre de trop charger le plancher. C'étoit aussi le goût des Sarrasins & des Maures, comme il paroît par leurs anciens palais, & sur-tout par celui de l'Alhambra qui est à Grenade en Espagne, où l'on montre encore comme un prodige d'architecture, le pavé de la salle des Lions, qui est fait de plaques de marbre plus grandes que celles des tombes de nos églises.

S'il y a quelques beaux morceaux dans le serrail, ce sont des pieces que les ambassadeurs des princes y ont fait apporter, comme des glaces de France & de Venise, des tapis de Perse, des vases d'Orient. On dit que la plupart des pavillons y sont soutenus par des arcades, au-dessous desquelles sont les logemens des officiers qui servent les sultanes. Ces dames occupent les dessus, qui sont ordinairement terminés en dômes couverts de plomb, ou en pointes chargées de croissans dorés ; les balcons, les galeries, les cabinets, les belveders, sont les endroits les plus agréables de ces appartemens. Enfin à tout prendre de la maniere qu'on dépeint ce palais, il ne laisse pas de répondre à la grandeur de son maître ; mais pour en faire un bel édifice, il faudroit le mettre à-bas, & se servir des matériaux pour en bâtir un autre sur un nouveau modele.

L'entrée principale du serrail, est un gros pavillon à huit croisées ouvertes au - dessus de la porte ; une grande entrée qui est sur la porte même, quatre plus petites à gauche sur la même ligne, & autant de même grandeur à droite. Cette porte dont l'empire ottoman a pris le nom, est fort haute, simple, ceintrée en demi-cercle, avec une inscription arabe sous le ceintre ; & deux niches, une de chaque côté, creusées dans l'épaisseur du mur.

Elle ressemble plutôt à un corps-de-garde, qu'à l'entrée du palais d'un des plus grands princes du monde : c'est pourtant Mahomet II. qui la fit bâtir ; & pour marquer que c'est une maison royale, le comble du pavillon de l'entrée est relevé de deux tourillons : 50 capigis ou portiers, sont commandés pour la garde de cette porte ; mais ils n'ont ordinairement pour arme qu'une baguette à la main.

On entre d'abord dans une grande cour, beaucoup plus longue que large ; à droite sont les infirmeries, à gauche les logemens des azancoglans, c'est-à-dire des personnes destinées aux charges les plus viles du serrail ; la cour des azancoglans renferme les chantiers pour le bois qui se brûle dans le palais ; on y en met tous les ans quarante mille voies, & chaque voie est une charretée que deux bufles ont peine à tirer.

Tout le monde peut entrer dans la premiere cour du serrail ; les domestiques & les esclaves des pachas & des agas qui ont affaire à la cour, y restent pour attendre leurs maîtres, & prendre soin de leurs chevaux : mais on y entendroit pour ainsi dire voler une mouche ; & si quelqu'un y rompoit le silence par un ton de voix un peu trop élevé, ou qu'il parût manquer de respect pour la maison du prince, il seroit bâtonné sur le champ par les officiers qui font la ronde : il semble même que les chevaux connoissent où ils sont, & sans-doute ils sont dressés à y marcher plus doucement que dans les rues.

Les infirmeries sont destinées pour les malades de la maison ; on les y conduit dans de petits chariots fermés, & tirés par deux hommes. Quand la cour est à Constantinople, le premier médecin & le premier chirurgien y font leurs visites tous les jours, & l'on assure que l'on y prend grand soin des malades : on dit même qu'il y en a plusieurs qui ne sont pas trop incommodés, & qui n'y vont que pour s'y reposer & pour y boire du vin ; l'usage de cette liqueur, défendue sévérement partout ailleurs, est toléré dans les infirmeries, pourvû que l'eunuque qui est à la porte, ne surprenne pas ceux qui le portent ; car en ce cas, le vin est répandu par terre, & les porteurs sont condamnés à deux ou trois cent coups de bâton.

De la premiere cour on passe à la seconde ; son entrée est aussi gardée par 50 capigis. Cette cour est quarrée, d'environ 300 pas de diametre, mais plus belle & plus agréable que la premiere ; les chemins en sont pavés, & les allées bien entretenues ; tout le reste est en gazon fort propre, dont la verdure n'est interrompue que par des fontaines qui en entretiennent la fraicheur.

Le trésor du grand - seigneur, & la petite écurie sont à gauche, & l'on y montre une fontaine où l'on faisoit autrefois couper la tête aux pachas condamnés à mort ; les offices & les cuisines sont à droite, embellies de leurs dômes, mais sans cheminées : on y allume le feu dans le milieu, & la fumée passe par des trous dont les dômes sont percés. La premiere de ces cuisines est destinée pour le grand - seigneur ; la seconde pour la premiere sultane, & la troisieme pour les autres sultanes ; la quatrieme pour le capiaga ou commandant des portes ; dans la cinquieme on prépare à manger pour les ministres qui se trouvent au divan ; la sixieme est pour les pages du grand-seigneur, que l'on nomme ichoglans ; la septieme est pour les officiers du serrail ; la huitieme pour les femmes & les filles qui servent dans ce palais ; la neuvieme pour tous ceux qui sont obligés de se trouver dans la cour du divan les jours de justice. On n'y apprête guere de gibier ; mais outre les quarante mille boeufs que l'on y consomme tous les ans, frais ou salés, les pourvoyeurs doivent fournir tous les jours 200 moutons ; 100 agneaux ou chevreaux, suivant les saisons ; 10 veaux ; 200 poules ; 200 paires de poulets ; 100 paires de pigeons ; 50 oisons. Voilà pour nourrir bien du monde.

Tout à l'entour de la cour regne une galerie assez basse, couverte de plomb & soutenue par des colonnes de marbre. Il n'y a que le grand-seigneur qui entre à cheval dans cette cour ; c'est pour cela que la petite écurie s'y trouve, mais il n'y a de place que pour environ 30 chevaux ; on serre les harnois dans des salles qui sont au - dessus, & ce sont les plus riches harnois du monde, par la broderie & les pierres précieuses dont ils sont relevés.

La grande écurie dans laquelle on entretient environ mille chevaux pour les officiers du grand - seigneur, est du côté de la mer sur le Bosphore. Les jours que les ambassadeurs sont reçus à l'audience, les janissaires proprement vétus se rangent à droite sous la galerie. La salle où se tient le divan, c'est-à-dire où l'on rend la justice, est à gauche tout au fond de cette cour ; à droite est une porte par où l'on entre dans l'intérieur du serrail : le passage n'en est permis qu'aux personnes mandées.

Pour la salle du conseil ou divan, elle est grande, mais basse, couverte de plomb, lambrissée & dorée assez simplement à la moresque. On n'y voit qu'un grand tapis étendu sur l'estrade, où se mettent les officiers qui composent le conseil ; c'est - là que le grand-visir, assisté de ses conseillers, juge sans appel de toutes les causes civiles & criminelles : le caïmacan tient sa place en son absence, & l'on y donne à manger aux ambassadeurs le jour de leur audience. Voilà tout ce qu'il est libre aux étrangers de voir dans le serrail ; pour pénétrer plus avant la curiosité coûteroit trop cher.

Les dehors de ce palais du côté du port, n'ont rien de remarquable que le kiosc ou pavillon, qui est vis-à-vis de Galata ; ce pavillon est soutenu par douze colonnes de marbre ; il est lambrissé, peint à la persienne & richement meublé. Le grand - seigneur y vient quelquefois pour avoir le plaisir de remarquer ce qui se passe dans le port, ou pour s'embarquer lorsqu'il veut se promener sur le canal.

Le pavillon qui est du côté du Bosphore, est plus élevé que celui du port, & il est bâti sur des arcades qui soutiennent trois salons terminés par des dômes dorés. Le prince s'y vient divertir avec ses femmes & ses muets : tous ces quais sont couverts d'artillerie, mais sans affuts ; la plûpart des canons sont braqués à fleur d'eau ; le plus gros qui est celui qui obligea, dit - on, Babylone à se rendre au sultan Mourat, est par distinction dans une loge particuliere. Cette artillerie fait grand plaisir aux Mahométans ; car on la tire pour les avertir que le carême est fini, & qu'il ne faut plus jeûner : on la décharge aussi les jours de réjouissance, & pour les conquêtes des sultans ou de leurs généraux.

Telle est la description qu'a donné Tournefort du serrail & de ses dépendances. La paresse asiatique rend de tels palais des lieux de délices pour tous les hommes de la cour du prince ; des gens qui ne craignent que le travail, peuvent trouver leur bonheur dans des lieux où l'on n'a rien à faire. Mais quels peuvent être les plaisirs & les amusemens des femmes du sultan, qui sont à jamais enfermées dans ces sortes de prisons ? On est dispensé d'en rien savoir, puisque ces dames ne tombent pas plus sous les sens d'aucun étranger, que si elles étoient des esprits purs. Ces beautés rares de Mengrélie & de Georgie ne sont faites que pour amuser le sultan, & pour faire enrager les eunuques. Tous les gouverneurs des provinces font à l'envi présent au grand - seigneur, des plus belles personnes de l'empire, non-seulement pour lui plaire, mais pour tâcher de se faire des créatures dans le palais, qui puissent les avancer. Ce n'est point la naissance qui regle les prérogatives des filles que leur sort conduit dans le serrail, c'est leur beauté, au goût du grand-seigneur, qui peut faire leur fortune. Ainsi la fille d'un berger peut devenir sultane favorite, & l'emporter sur cent autres que le sultan juge à-propos de négliger.

Après sa mort les femmes qu'il a daigné honorer de ses caresses, & les filles majeures passent dans le vieux serrail de Constantinople où elles sechent de langueur. Le vieux serrail qui est proche de la mosquée du sultan Bajazet, fut bâti par Mahomet II. On y confine ces pauvres femmes ou filles pour y pleurer tout à loisir la mort du prince ou celle de leurs enfans, que le nouveau sultan fait quelquefois étrangler. Ce seroit un crime de pleurer dans le serrail où loge l'empereur ; au contraire chacun s'empresse d'y témoigner de la joie pour son avénement à l'empire. Les plus jeunes filles sont quelquefois réservées pour lui, ou mariées à des pachas qui les recherchent, au refus du sultan. Quoi qu'il en soit, comme c'est un crime de voir celles qui restent dans le palais, il ne faut point compter sur tout ce qu'on en a écrit ; quand même on pourroit trouver le moyen d'y entrer un seul instant, qui est - ce qui voudroit mourir pour un coup d'oeil si mal employé ? Tout ce qu'on peut penser de mieux, c'est de regarder les sultanes favorites comme les moins malheureuses esclaves qui soient au monde. Mais de combien la liberté est-elle préférable à un si foible bonheur ! (D.J.)


SERRAIN(Géog. mod.) petite ville de l'Arabie heureuse, sur le bord de la mer. Elle est éloignée de la Mecque de quatre journées. (D.J.)


SERRANSERRANT, SERRATAN, s. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) hiaticula, poisson de la haute mer, qui ressemble au loup marin par la forme du corps & par l'ouverture de la bouche. Voyez LOUP MARIN. Le serran a la machoire inférieure plus longue & plus avancée que la supérieure, les dents pointues & les yeux petits ; il ressemble au tourd par les nageoires, par la queue, par les aiguillons & par les ouies. Voyez TOURD. Le dos est en partie rouge, & en partie noir ; il y a sur les côtés du corps des traits roux qui s'étendent depuis la tête jusqu'à la queue ; la nageoire de la queue est roussâtre, & la queue a des taches rousses. Le serran se nourrit de poisson ; sa chair est un peu plus dure que celle de la perche. Rondelet, hist. nat. des poissons, I. part. liv. VI. ch. ix. Voyez POISSON.


SERRANTvoyez VERDIERE.


SERRATAS. f. (Botan. anc.) nom donné par quelques auteurs romains à la plante que les Gaulois nommoient, selon Pline, betonica, mais qui paroit cependant être la même que notre sarriette. Il y avoit une autre plante appellée serrata, que Pline dit être la germandrée des Grecs ; je crois qu'il se trompe. (D.J.)


SERRATANvoyez SERRANT.


SERRAVALLou SARRAVALLE, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans l'état de Venise, au Trévisan, à deux milles nord-est de Cénéda. Long. 29. 51. latit. 46. 1.

Il y a un gros bourg de même nom dans le duché de Milan, aux confins du Tortonèse & de l'état de Gènes, près de la petite riviere de Scrivia. Ce bourg donne son nom à un petit territoire qui est comme enclavé dans l'état de Gènes. (D.J.)


SERRES. f. (Econom. rust.) couvert pour mettre certaines plantes pendant l'hiver ; c'est une espece de salle de trois, quatre ou cinq toises de largeur sur une longueur proportionnée au rez-de-chaussée d'un jardin, exposée pour le mieux au midi, bien percée pour en recevoir le soleil, & close de portes & chassis doubles, dans lesquelles on serre les arbrisseaux, les orangers, les fleurs & les fruits, qui ne peuvent pas souffrir la rigueur de l'hiver.

Il y a beaucoup d'art & d'intelligence dans la construction des serres, & plusieurs jardiniers, faute d'en être instruits, en ont souvent éprouvé du dommage, comme, par exemple, si les personnes qui ont bâti des serres pour conserver des plantes en hiver, n'ont pas eu soin d'y donner accès au soleil par des fenêtres disposées de façon que les rayons puissent parvenir jusqu'au fond ; sans quoi, toutes choses d'ailleurs égales, il se trouve une humidité froide qui venant à tomber sur les plantes, fait périr presque toutes les plus tendres. Il faut donc que ces serres exposées directement au midi soient construites de maniere qu'elles aient des vitrages bien transparens, & qui s'étendent, s'il est possible, jusqu'au pavé, en faisant avec la perpendiculaire un angle de 14 degrés 30'. Ensuite le plafond doit être bâti desorte que dans le pays où l'élévation du pole est de 52 degrés 1/2, il fasse avec la ligne horisontale tirée du haut des fenêtres vers la paroi opposée, un angle de 20 degrés 30'.

Le détail de la bonne construction des serres nous conduiroit trop loin, & demanderoit des figures en nombre. Il faut en prendre des modeles sur celles de Hollande & d'Angleterre ; car notre nation n'est pas encore assez éclairée sur ces sortes de bâtimens consacrés à l'avancement de la Botanique ; nous aimons mieux des avenues éloignées, & des champs stériles. Voyez les Pl. d'Agricult. (D.J.)

SERRE, (Géog. mod.) nom d'une riviere & de deux bourgs de France, que nos géographes appellent petites villes.

La riviere coule en Champagne, prend sa source dans la Thiérache, & se jette dans l'Oise à la Fere.

Les deux bourgs sont dans le Dauphiné : l'un à quatre lieues de Saint-Marcellin, élection de Romans ; l'autre est dans les montagnes, à cinq lieues de Sisteron. (D.J.)

SERRE, (Fonderie) terme de fondeurs des menus ouvrages ; c'est une des deux sortes de presses dont ces ouvriers se servent pour serrer, & presser l'une contre l'autre les deux parties de leurs moules. (D.J.)

SERRE, s. f. (Sucrerie) coin long & plat de fer & de buis, dont on se sert pour arrêter les rouleaux ou cylindres de bois, dont on remplit les tambours de fer des moulins à sucre. (D.J.)

SERRE, s. f. (terme de Vigneron) pressurage du marc de raisin au pressoir. Ce mot énergique ne devroit pas rester confiné dans les provinces qui produisent du vin blanc.

Pour faire ce vin blanc, on commence par jetter les raisins sur le pressoir sans les fouler dans la cuve. Après avoir donné proprement la premiere serre, on releve les raisins qui se sont écartés de la masse, & on donne la seconde serre ; ensuite avec une grande pelle tranchante on taille quarrément les extrêmités de la masse des raisins, on rejette par-dessus tout ce qui a été taillé des côtés, & on donne la troisieme serre qu'on appelle pour cette raison la premiere taille. (D.J.)

SERRES, terme de Fauconnerie, ce sont les ongles & les griffes d'un oiseau de proie.


SERRÉCHEVAL, (Manege) on nomme cheval serré un cheval qui s'étrécit, & ne s'étend pas assez d'une main à l'autre, qui ne prend pas assez de terrein. Quelquefois un cheval marche trop large, & quelquefois trop serré. Serrer la demi-volte, c'est faire revenir le cheval sur le même terrein où il a commencé la demi-volte. Ecole de cavalerie. (D.J.)


SERRE-BAUQUIERESS. m. (Marine) ce sont de longues pieces de bois, sur lesquelles le bout des baux est passé, & qui regnent autour du vaisseau. Voyez MARINE, Planche IV. fig. 1. Serre-bauquieres du premier pont coté 68. Serre-bauquieres du second pont coté 118.


SERRE-BOSSE(Marine) grosse corde amarrée, ou aux bosseurs, ou auprès d'eux, qui saisit la bosse de l'ancre, quand on la retire du vaisseau, & qu'on la tient amarrée sur l'épaule du vaisseau.


SERRE-DE-MAT(Marine) voyez ÉTAMBRAIE.


SERRE-FEUen terme d'Orfevre, est un morceau de fer ou de terre à creuset de différentes grandeurs, mais communément de 6 à 9 pouces de haut. Il fait un demi - cercle un peu allongé qui renferme la case, & qui s'appuie contre le jambage de la forge. Voyez FORGE. Il faut que le serre - feu surpasse le couvercle du creuset, de quelque chose en hauteur.

Il y a des trous au serre - feu pour laisser la liberté de souffler avec le soufflet à main. Il ne sert qu'à retenir le charbon autour du creuset. Voyez les fig. & les Pl. d'Orfev.


SERRE-FILEc'est le dernier homme d'une file de fantassins ou de cavaliers. Voyez FILE & ÉVOLUTION. (Q)


SERRE-GOUTTIERES(Marine) ce sont des pieces de bois posées sur les bouts des baux, qui donnent contre les allonges & les allonges de revers, ou contre les aiguillettes quand il y en a ; & qui faisant le tour du vaisseau, lui servent de liaison. Elles sont jointes avec les ceintes, les baux & les barrots, avec des chevilles de fer. Voyez MARINE, Pl. V. fig. j. Les serres - gouttieres du premier pont, cotés 75, & les serres-gouttieres du second pont, cotés 122.


SERRE-LA-FILE(Marine) c'est faire approcher les vaisseaux les uns des autres, quand ils sont en ligne.


SERRE-LIONNELA, (Géogr. mod.) nom corrompu, que donnent les François à une grande riviere d'Afrique en Guinée ; cette riviere est avec raison nommée par les Espagnols & les Portugais, rio di Sierra-Lione, riviere des montagnes des lions, parce qu'elle tire sa source des hautes montagnes d'Afrique, où se trouvent quantité de lions ; ainsi Voyez SIERRA - LIONE, rio di. (Géog. mod.) (D.J.)


SERRE-PAPIERS(Menuiserie) c'est une sorte de tablette divisée en plusieurs compartimens, qui se met ordinairement au bout d'un bureau, & où l'on arrange des papiers. (D.J.)


SERREMENTS. m. (Gram.) sensations sur les parties intérieures, semblables à celle du serrer sur les parties extérieures ; c'est en ce sens qu'on dit un serrement de coeur, un serrement d'estomac, un serrement d'ame.


SERRERv. act. (Gram.) c'est presser fortement en embrassant, en liant, & en faisant effort pour diminuer le volume. C'est aussi renfermer. On serre un noeud ; on se serre les uns contre les autres ; on est trop serré à table ; serrer la mesure, s'est s'avancer sur son ennemi ; il est serré de près ; voilà une étoffe bien serrée, il y a des alimens qui serrent le ventre ; serrez soigneusement ce que vous ne voudrez pas perdre ; serrer les orangers, c'est les mettre dans la serre ; il se prend aussi au figuré ; un raisonneur serré ; un style serré ; l'ame serrée.

SERRER LES VOILES, (Marine) c'est porter peu de voiles.

SERRER DE VOILES. (Marine). Voyez FERLER.

SERRER LE VENT, (Marine). Voyez PINCER.

SERRER, (Maréchal.) se dit d'un cheval qui se retrécit, & ne s'étend pas assez à une main ou à l'autre, qui ne prend pas assez de terrein. Un cheval marche quelquefois trop large, & quelquefois trop serré.

Lorsqu'un cheval se serre trop, il faut pour l'élargir l'arrêter de la rêne de dedans ; c'est-à-dire, porter en dehors, & le chasser en avant sur des lignes droites avec le gras des jambes. Il faut aussi nonseulement, serrer en tournant un cheval qui marche trop large, mais encore le tenir sujet ; & s'il se serre trop, il faut l'aider du gras des jambes, le pincer même s'il ne répond pas, & appuyer ensuite le talon du dehors.

Serrer la demi - volte, c'est faire revenir le cheval sur la même piste où il a commencé la demi-volte.

SERRER LA MESURE, terme d'escrime, c'est faire un petit pas en avant. Voyez ENTRER EN MESURE.


SERREou CERES, (Géogr. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Macédoine au territoire de Jamboli, dans les terres, près de Tricala, avec un archevêché. Quelques savans prennent cette ville pour l'Apollonie en Mygdonie de Pline & de Ptolémée, & cette conjecture paroît fort plausible. Long. 40, 18. Latit. 40, 45. (D.J.)


SERRETTES. m. (Teinture) cette plante sert aux Teinturiers pour teindre en jaune ; elle ne fait pas une si belle couleur que la gaude, & conséquemment il ne faudroit l'employer que pour les verds, pour les feuilles mortes, & autres couleurs composées où entre le jaune ; elle peut aussi servir pour les jaunes des couvertures de laine les plus grossieres, & des étoffes d'un très-bas prix. (D.J.)


SERRIONS. m. (Hist. mod.) espece de litiere ou de voiture d'une grande magnificence, dans laquelle le roi de Pégu se fait porter les jours de cérémonies, lorsqu'il paroît en public. Cette voiture est une espece de bâtiment ou de maison carrée, couverte par le haut, & ouverte par les côtés ; elle est revêtue de lames d'or, & garnie de rubis & de saphirs, elle est portée par 16 ou 18 hommes.


SERROou SERROOE, (Géog. mod.) ville de la seconde Macédoine, dans l'exarchat de ce nom, sur la mer Blanche, vers l'embouchure du Stromone. Elle étoit évêché dans le v. siecle, & archevêché honoraire dans le ix. (D.J.)


SERROIRS. m. en terme de Vergettier, c'est un cylindre de bois autour duquel on entortille la ficelle qui est engagée dans le pli de la soie, pour la mieux serrer.


SERROou SAROT, terme d'Oiseleur, c'est un bâton long d'un pié, qui tient ou serre une machine qui sert à prendre des oiseaux.


SERRUou SERHIUM, (Géog. anc.) promontoire & montagne de Thrace, sur la mer Egée. Hérodote, l. VII, nous apprend que la ville Zona étoit située sur ce promontoire. Pomponius Mela, l. II, c. 2. Pline, l. IV, c. 11. & Appien, l. IV, parlent aussi de ce promontoire. Il paroît qu'il étoit sur la côte des Doriques, & qu'il formoit l'embouchure de l'Hébrus, du côté de l'occident. (D.J.)


SERRURES. f. (Serrur.) sorte de machine de fer, de cuivre ou de bois, qui s'ouvre avec une clé, & qu'on applique à une porte, une armoire, &c. pour les fermer. Les pieces dont elle est composée sont un péne qui la ferme, un ressort qui le fait agir, un foncet qui couvre ce ressort, un canon qui conduit la clé, & plusieurs autres pieces renfermées dans sa cloison, avec une entrée ou écusson au-dehors. Anciennement les serrures s'attachoient en - dehors ; & il y a encore des endroits où les ouvriers en serrurerie sont obligés d'en faire de semblables pour leur chef-d'oeuvre, quand ils se font passer maîtres. Il y a plusieurs sortes de serrures, que nous allons définir dans des articles séparés.

Serrure à bosse. Serrure qui sert pour les portes des caves. On la noircit à la corne, pour la garantir de la rouille.

Serrures à clanches, serrure qu'on met aux grandes portes des maisons, & qui sont ordinairement composées d'un grand pêne dormant à deux tours, avec un ressort double par derriere.

Serrure à deux fermetures, serrure qui se ferme par deux endroits dans le bord du palastre.

Serrure à houssette. C'est une serrure qui est ordinairement pour les coffres simples, qui se ferme à la chûte du couvercle, & qui s'ouvre avec un demi-tour à droite.

Serrure à pêne dormant, serrure qui ne se ferme & s'ouvre qu'avec la clé.

Serrure à ressort, serrure qui se ferme en tirant la porte, & qui s'ouvre par le dehors avec un demi-tour de clé, & en - dedans avec un bouton qui se tire avec la main.

Serrure à un pêne en bord, serrure où le pêne est plié en équerre par le bout, & recourbé en demi-rond, pour faire place au ressort.

Serrure bénarde, serrure qui s'ouvre de deux côtés. Elle est garnie d'une, de deux ou de trois planches fendues qui passent par la clé.

Serrure treffiliere, serrure qui ne s'ouvre que d'un côté. V. l'art. SERRURERIE & les Pl. de cet art. (D.J.)

SERRURES de la Grece moderne, (Hist. des Arts) il n'y a presque dans toute la Grece que des serrures de bois ; voici quelle en est la fabrique. Ils font un trou à la porte, à-peu-près comme celui de nos serrures, & attachent par derriere vis-à-vis du trou, & proche de la gâche deux petits morceaux de bois percés, que nos menuisiers appellent des tourillons. Ces deux petites pieces de bois en soutiennent une autre qui a des dents, & qui coule en liberté par le trou des tourrillons pour entrer dans la gâche, & pour en sortir. Nos artisans appellent cette petite piece une crémillere. Chaque habitant porte sur soi un crochet, tantôt de fer, tantôt de bois, & le passe par le trou de la serrure, afin de lui faire attraper une des dents de la petite crémillere qui, par ce moyen, joue en liberté dans la gâche, selon que le crochet la conduit pour ouvrir ou fermer la porte ; s'ils n'étoient honnêtes gens, il leur seroit aisé de se voler les uns les autres, & il ne faudroit pas de ces serrures chez les Magnotes.

Remarquons en passant, que les serrures dont se servoient ordinairement les anciens Romains, n'étoient point appliquées aux portes comme les nôtres, mais elles ressembloient assez aux serrures des Grecs modernes ; & pour ouvrir la porte, on agitoit une cremillere qui entroit dans la gâche ; d'où vient qu'Ovide dit excute forte peram. (D.J.)


SERRURERIES. f. (Architect.) l'art de connoître le fer & de le travailler. La principale partie convient à l'art de bâtir ; la seconde forme un art particulier sur lequel nous renvoyons aux principes d'architecture, de sculpture, &c. de M. de Felibien ; & nous ajoutons seulement, qu'on peut à présent exécuter toutes sortes d'ouvrages de serrurerie pour l'ornement des églises, des palais, des jardins & des maisons ; on a, pour se modeler à cet égard, un grand ouvrage donné au public par Louis Fordrin, serrurier des bâtimens du roi : cet ouvrage, gravé en tailles-douces, en 1724, in-folio, forme d'Atlas, est intitulé nouveau livre de Serrurerie ; les tailles - douces, au nombre de cinquante, sont d'une grande beauté. (D.J.)


SERRURIERS. m. (Corps de jurande) artisan qui travaille à divers ouvrages de fer, & particulierement en serrures, d'où il a été appellé serrurier. Il y a à Paris une communauté de maîtres serruriers, dont les anciens statuts sont du mois de Novembre 1411, sous le regne de Charles VI. Les principaux outils qui servent à la serrurerie & à la forge des serruriers, sont le soufflet, l'auge de pierre pour mettre l'eau de la forge, l'archet ou arson avec ses forets, & les boîtes ; l'écouvette, les bigornes, les broches rondes ou carrées, les burins de diverses sortes, les brunissoirs, les clouïeres, les chasses carrées, rondes, & demi-rondes ; les limes de toutes especes depuis les gros carreaux jusqu'aux carrelettes ; les coins à fendre, les chevalets pour forer, & pour blanchir les calibres ; les crochets, les ciselets, les ciseaux à divers usages & de diverses formes, les compas, les enclumes, l'équerre, les étaux, les échopes, l'établi, les étampes, la fourchette, les fraises, les filieres ; plusieurs sortes de gratoires, quantité de marteaux, divers mandrins pour percer à chaud, faire les yeux des marteaux, & autres outils ; ou pour former & resserrer les trous quand ils sont percés ; les poinçons ronds, carrés, plats ; les perçoires aussi de toutes figures & à divers ouvrages ; la palette à foret, les tisonniers, les rifloirs, le rochoir, le rabot, le repoussoir, le tranchet, & la tranche ; plusieurs tenailles de fer, droites, crochues, rondes, & d'autres seulement de bois ; les tassaux, les taraux, le tourne-à-gauche, le vilebrequin & les valets. Outre ce grand nombre d'outils, & quelques autres de moindre conséquence, les serruriers se servent aussi de quelques outils de menuisier & de tailleur de pierre, pour entailler la pierre & le bois, lorsqu'ils veulent mettre leurs ouvrages en place. Savary. (D.J.)


SERSES. f. (Marine) modele ou gabant pour la construction d'un vaisseau. Voyez GABANT.


SERSELLY(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume d'Alger, dans la province de Ténez, avec un port & une citadelle, à neuf lieues d'Alger. On prend cette ville pour l'ancienne Rusubricari ou Rusicibar. (D.J.)


SERSER(Géog. mod.) ville de l'Irac, à 3 lieues de Bagdad, entre cette ville & celle de Confa, sur un ruisseau qui se décharge dans l'Euphrate. C'est le premier gîte où vont les pélerins de la Mecque, en partant de Bagdad. (D.J.)


SERSIFI(Botan.) nom vulgaire du genre de plante que les botanistes nomment tragopogon. Voyez TRAGOPOGON, Botan. (D.J.)


SERSUKERSS. m. pl. (Comm. des Indes oriental.) étoffes des Indes soie & coton, rayées de soie, & travaillées à-peu-près comme la mousseline ; la longueur des pieces est de sept, de neuf, de treize, & de seize aunes, sur deux tiers, trois-quarts & sept huitiemes de large. Savary. (D.J.)


SERTELE, (Metteur-en-oeuvre) terme dont les orfévres, bijoutiers, & principalement les metteurs-en-oeuvre, se servent pour exprimer l'enchâssement des pierres, diamans, ou autres objets, qui ne font corps avec la piece que par le moyen d'une place qu'on leur y a creusée, & où on les retient par le moyen d'une sertissure, ou bord d'or ou d'argent rebattu sur eux qui les y enclavent. Voyez SERTIR & SERTISSURE.


SERTIRen terme de Metteur-en-oeuvre, est rabattre sur les pierres un rebord qu'on a fait à l'extrêmité d'une piece pour les y retenir. Ces rebords, appellés sertissures, s'arrêtent d'abord avec une échope à arrêter, pour empêcher la pierre de chanceler sur sa portée, puis se resserrent & s'appliquent plus étroitement sur elle avec le poinçon à sertir, & le marteau à sertir. Voyez MARTEAU A SERTIR, ARRÊTER, HOPE A ARRÊTERÊTER.

Cette opération a deux avantages, de retenir la pierre sans qu'elle puisse s'échapper, & de fermer toute entrée aux choses qui pourroient nuire à la pierre, soit en ternissant son éclat, soit autrement. Lorsqu'une piece est bien sertie, l'humidité même ne doit point y pénétrer.


SERTISSURES. f. terme de Lapidaire, maniere dont une pierre est sertie ou montée. On a été très-long-tems à produire la sertissure d'une pierre dans le métal. On pouvoit fondre, forger un anneau, le réparer même à la lime, sans savoir cependant établir les pierres dans les métaux, rabattre des parties fines & déliées qu'il falloit détacher, & réserver sur la place, pour fixer & assurer solidement une pierre, en un mot, ce qu'on appelle la sertir. On évitoit tous ces détails, qui paroissent de peu de conséquence à nos artistes éclairés par l'habitude & la réflexion, & qui étoient très-difficiles alors, parce qu'on perçoit la pierre avec le même instrument qui servoit à la graver, & qu'on la passoit ensuite dans une ganse. Telle étoit la méthode des anciens, qui ne connoissoient, ou ne pratiquoient pas notre façon légere de sertir. (D.J.)

SERTISSURE A GRIFFES, (Metteur - en - oeuvre) on peut distinguer deux sortes de sertissures à griffe, celle des ouvrages à griffe, où la pierre enchâssée repose sur une bâte à laquelle on a soudé des pointes qui se rabattent sur la pierre, & forment tout son lieu ; ces sortes d'ouvrages sont peu solides, le moindre effort peut rompre ces pointes ; & la pierre n'étant retenue que par elle, s'échappe & se perd ; aussi ne monte-t-on de cette façon, que des pierres fausses & de peu de valeur. Les sertissures ordinaires sont celles auxquelles, outre la sertissure qui enveloppe la pierre de toutes parts, on a réservé sur l'épaisseur même de la sertissure de petites épaisseurs qui se terminent en pointe d'un côté, en courbe de l'autre, & servent à assurer de plus en plus la solidité du serti des pierres : cette façon de sertir est la plus usitée, s'emploie pour les pierres du plus grand prix & est la plus solide.

SERTISSURE A BISEAU CREUX, (Metteur-en-oeuvre) c'est la façon la plus ordinaire de sertir & monter en bagues ou cachets, les cornalines, jaspes, agathes, &c.

Pour former cette sertissure, on coupe avec l'onglette tranchante, sur le milieu du plat de la sertissure un filet ; on frappe avec le poinçon entre les deux épaisseurs séparées par ce filet pour rabattre l'épaisseur intérieure sur la pierre, & serrer la matiere contre la pierre, quand elle est suffisamment serrée, avec une onglette ronde ; & en la penchant du côté de la pierre, on enleve toutes les inégalités formées par le poinçon sur cette épaisseur qui forme la sertissure de la pierre, le biseau se découvre à la hauteur du feuillet, & l'on forme un creux tout-à-l'entour, qui lui a fait donner le nom de biseau creux ; quelquefois on forme sur le dehors de l'épaisseur extérieure des ornemens contournés, qui lui ont fait donner le nom de biseau creux à contour.

SERTISSURE A FEUILLES, on appelle de ce nom les sertissures sur l'épaisseur extérieure desquelles, en place de griffes, on forme des feuillages, qui n'ont de forme décidée que le goût de l'artiste.

SERTISSURE A FILET, (Metteur-en-oeuvre) c'est une sorte de sertissure que l'on emploie volontiers dans la monture des boucles à pierre, & quelquefois dans d'autres ouvrages ; on opere, pour former cette sertissure, comme dans celle à biseau creux ; elle consiste en ce qu'on réserve à l'entour de l'ouvrage un bord uni & élevé ; la sertissure de la pierre, comme dans la sertissure à biseau creux, est prise sur le plat de l'épaisseur, & rabattue en-dedans ; cette espece de sertissure a l'avantage, quand elle est bien faite, d'être plus solide, sur-tout pour les boucles, dont l'extérieur est souvent exposé à être heurté, en ce qu'elle garantit la sertissure qui se trouve à côté par le bord réservé, & la pierre elle-même, dont les vivarêtes se trouvent plus éloignées du bord, & à couvert par une espece de petit mur.


SERTULARIAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom d'un genre de plante marine, qui renferme, selon le systême de Linnaeus, les corallines de Tournefort, & les opontivides de Boerhaave : le caractere générique de ce genre de plante est d'être composé de parties attachées ensemble, comme sont des perles dans les colliers de femmes. (D.J.)


SERUMS. m. (Gram.) la partie aqueuse, claire & transparente, du sang, du lait, des humeurs animales.


SERUS(Géog. anc.) fleuve de l'Inde, en-deçà du Gange. Ptolémée, liv. VII. ch. j. place l'embouchure de ce fleuve sur le grand golfe, au midi d'Aganagara. Il ajoute que ce fleuve se formoit de deux sources, qui étoient dans le mont Semanthinus. Mercator croit que le nom moderne est Coromaran. (D.J.)


SERVAGES. m. (Lang. franç.) vieux mot qui signifioit autrefois esclavage & servitude ; on eût pu le conserver pour enrichir la langue, du moins pour désigner l'état de celui qui sert un maître ; mais l'usage en a autrement décidé, il l'a banni & de la prose & de la poésie. (D.J.)


SERVAN(Géog. mod.) petite ville de la province de Ségestan. Son terroir est fertile en fruits, en dattes & en pins ; ce qui est rare dans cette province. Les géographes du pays la mettent à 79. 15. de longit. sous les 32. 10. de lat. (D.J.)


SERVANTadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est sujet envers quelqu'un, ou qui sert à quelque chose.

Le fief servant est le fief du vassal relativement au fief du seigneur dont il releve, qu'on appelle le fief dominant. Voyez FIEF DOMINANT & FIEF SERVANT.

On appelle piece servant à conviction, celle qui est propre à confondre l'accusé.

Une requête servant d'avertissement, de griefs, de causes & moyens d'appel, de contredits ou de salvations, est celle qui est faite & employée pour en tenir lieu. (A)

SERVANS D'ARMES, (Histoire mod.) freres ou chevaliers du troisieme rang dans l'ordre de Malte. Les freres servans portent l'épée, & combattent comme les chevaliers ; mais il n'est pas nécessaire qu'ils prouvent la même noblesse que ceux-ci. Quoiqu'ils soient gentilshommes, ils ne peuvent être reçus dans le premier rang si leur noblesse ne va jusqu'au bisaïeul & au-delà de cent ans tant du côté paternel que du côté maternel. Il y a dans toutes les langues des commanderies affectées aux chevaliers servans. Voyez MALTE.


SERVANTES. f. (Econ. dom.) fille ou femme qui sert dans une maison.


SERVANTIAvoyez POLE.


SERVANTOISS. m. (Poésie) nom qu'on donnoit dans le tems des premiers romanciers à des pieces amoureuses, & quelquefois satyriques. (D.J.)


CONCORDANTadj. (Rhétoriq.) Vers concordans, ce sont certains vers qui ont quelques mots communs, & qui renferment un sens opposé ou différent, formé par d'autres mots : tels que ceux-ci. Et canis, lupus, in silvâ, venatur, nutritur, & omnia, servat. vastat. Dict. de Trév.

CONCORDANT ou BASSE-TAILLE, (Musiq.) barytonans : celle des parties de la Musique qui tient le milieu entre la taille & la basse. V. PARTIES. (S)

A l'opéra de Paris & dans les concerts, on donne proprement à la basse le nom de basse-taille, & quelquefois celui de basse-contre, lorsqu'elle descend fort bas ; & on appelle concordant, la voix moyenne entre la taille & la basse-taille. La clé du concordant est la clé de fa sur la troisieme ligne ; celle de la taille est la clé d'ut sur la quatrieme ; & celle de la basse-taille, la clé de fa sur la quatrieme.

La plûpart de nos basses-tailles de l'opéra ne sont que des concordans : il en faut excepter le sieur Chassey, dont la voix a eu une étendue singuliere tant en haut qu'en-bas. (O)


SERVES. f. (Poissonnerie) lieu où l'on conserve le poisson ; c'est ce qu'on appelle autrement gardoir. En plusieurs endroits du royaume on se sert du premier terme ; & l'on met cette différence entre serve & gardoir, que serve se dit du lieu où l'on conserve le poisson pour le prendre à mesure qu'on en a besoin, & que gardoir ne se dit que d'un endroit où l'on met le poisson au sortir de l'étang pour le faire dégorger. (D.J.)


SERVESTAN(Géog. mod.) ville de Perse. Long. selon Tavernier, 78. 15. lat. 29. 15.


SERVETISTESS. m. pl. (Hist. ecclés.) disciples ou sectateurs de Michel Servet, chef des Antitrinitaires ou nouveaux Ariens de ces derniers tems. Voyez ANTITRINITAIRE.

On ne peut pas dire exactement que Servet de son vivant ait eu des disciples, ayant été brûlé à Genève avec ses livres en 1553, avant que l'on eût donné le tems à ses dogmes de prendre racine. Mais on donne le nom de Servetistes aux Antitrinitaires modernes, parce qu'ils marchent sur les traces de Servet.

Sixte de Sienne donne le nom de Servetistes aux Anabaptistes, & il paroît qu'il emploie indifféremment ces deux qualifications. Aussi la doctrine des anciens Anabaptistes de Suisse étoit-elle conforme à celle de Servet. Voyez ANABAPTISTE.

Comme les livres que Servet a écrits contre le mystere de la Trinité sont fort rares, ses véritables sentimens sont très peu connus. M. Simon qui en avoit un exemplaire de la premiere édition faite en 1531, en parle fort au long dans son histoire critique du vieux Testament. Quoique Servet employe contre la Trinité un grand nombre des mêmes argumens par lesquels les Ariens attaquoient ce mystere, il proteste néanmoins qu'il est fort éloigné de leurs erreurs. Il est opposé en quelques choses aux Sociniens, & déclare que ses opinions n'ont rien de commun avec celles de Paul de Samosate ; mais Sandius, dans sa Bibliotheque des écrivains antitrinitaires, fait voir le contraire. Au reste, il ne paroît pas que cet hérésiarque ait eu aucun systême de religion fixe & régulier, au-moins dans la premiere édition de son livre contre la Trinité, publiée en 1531, sous le titre de Trinitatis erroribus, libri septem, per Michaëlem Servetum, alias Reves, ab Arragoniâ hispanum. L'année suivante il publia ses dialogues sur la Trinité, avec d'autres traités sous ce titre : Dialogorum de Trinitate libri duo, de justitia regni Christi, capitula quatuor, per Michaëlem Servetum, alias Reves, ab Arragoniâ hispanum, anno 1532. Dans la préface de ce dernier ouvrage, il déclare lui-même qu'il est peu content du premier, & qu'il va le retoucher. C'est ce qu'il exécuta, & en conséquence il fit paroître un ouvrage beaucoup plus ample contre le mystere de la Trinité, qui fut imprimé à Vienne en Dauphiné en 1553. Mais le peuple de Genève s'étant saisi des exemplaires de ce livre les brûla, & il n'y en eut que deux ou trois qui échapperent à la recherche rigoureuse qu'en fit faire Calvin ; un de ceux-là fut gardé à Basle, & est à-présent dans la bibliotheque du college à Dublin.

Ce dernier ouvrage de Servet est intitulé, le rétablissement du Christianisme, Christianismi restitutio, & est divisé en six parties ; la premiere contient sept livres de la Trinité ; la seconde trois livres de fide & justitiâ regni Christi, legis justitiam superantis, & de charitate ; la troisieme est divisée en quatre livres, & traite de regeneratione ac manducatione supernâ & regno Antichristi ; la quatrieme ne contient que trente lettres écrites à Jean Calvin ; la cinquieme renferme soixante marques du regne de l'Antechrist, & parle de sa manifestation comme déja présente ; enfin la sixieme a pour titre : de mysteriis Trinitatis ex veterum disciplinâ, ad Philipp. Melancht. & ejus collegas apologia. On en trouve deux exemplaires à Paris, un imparfait dans la bibliotheque du roi, & l'autre entier étoit dans la bibliotheque de M. Colbert.

Les erreurs de Servet sont en très-grand nombre ; car après avoir donné dans les opinions des Luthériens, des Sacramentaires & des Anabaptistes, il renouvella dans les livres dont nous venons de parler, les hérésies de Paul de Samosate, de Sabellius, d'Arius, de Photin & de quelques autres : car il dit " que ceux-là sont athées qui n'ont point d'autre Dieu qu'un assemblage de divinités, qu'un Dieu par connotation ou par accident, & non pas un Dieu souverain, grand, absolu ; qui font consister l'essence divine dans trois Personnes réellement distinctes & subsistantes dans cette essence. Qu'il est bien vrai qu'on peut reconnoître une distinction personnelle dans la Trinité, mais qu'il faut convenir que cette distinction n'est qu'extérieure ; que le Verbe n'a été dès le commencement qu'une raison idéale, qui représentoit l'homme futur, & que dans ce verbe ou raison idéale il y avoit Jésus-Christ, son image, sa personne, son visage & sa force humaine ; qu'il n'y a point de différence réelle entre le Verbe & le Saint-Esprit ; qu'il n'y a jamais eu en Dieu de véritable & réelle génération & inspiration ; que le Christ est le Fils de Dieu, parce qu'il a été engendré dans le sein d'une vierge par l'opération du Saint-Esprit, & parce que Dieu l'a engendré de sa substance ; & que le Verbe de Dieu descendant du ciel est maintenant la chair de Jesus-Christ, en telle sorte que sa chair est la chair du ciel, que le corps de Jesus-Christ est le corps de la divinité, que la chair est toute divine, qu'elle est la chair de Dieu, qu'elle est céleste & engendrée de la substance de Dieu. Il se raille de la distinction des Personnes, & prétend qu'il n'y a eu qu'une image ou une face personnelle, & que cette image étoit la personne de Jesus-Christ en Dieu, & qui a été communiquée aux anges ; que le Saint-Esprit est descendu dans les ames des apôtres comme le Verbe est descendu dans la chair de Jesus-Christ. Après avoir dit beaucoup d'impiétés sur la substance de l'ame, il conclut qu'elle est de Dieu & de sa substance ; que Dieu a mis dans l'ame une spiration créée avec sa divinité, & que par une même spiration, l'ame est substantiellement unie avec Dieu dans une même lumiere par le moyen du Saint-Esprit ; que le baptême des enfans est inutile, & qu'il est d'une invention humaine ; qu'on ne commet point de péché avant l'âge de vingt ans ; que l'ame se rend mortelle par le péché ", & beaucoup d'autres erreurs qu'on peut voir dans la bibliotheque des Antitrinitaires de Sandius, pages 9 & 10. Contin. de l'hist. ecclés. de M. Fleury, tom. XXX. liv. CXLIX. n °. 90.

Quant à la personne de Servet, Lubienski & d'autres Antitrinitaires nous le représentent comme un homme qui souffrît la mort fort constamment, & qui prononça un discours au peuple assemblé à son supplice. M. Simon a prétendu que cette harangue étoit supposée ; & Calvin rapporte que quand on lui eut lû la sentence qui le condamnoit à être brûlé vif, tantôt il paroissoit interdit & sans mouvement, tantôt il poussoit de grands soupirs, & quelquefois il faisoit des lamentations comme un insensé, & crioit à la maniere des Espagnols, miséricorde, miséricorde. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne retracta point ses erreurs.

Lubienski a encore voulu faire passer cet hérésiarque pour un homme très-savant dans les lettres humaines, & qui avoit une profonde connoissance de l'Ecriture ; M. Simon assure au contraire qu'il s'exprimoit très-mal en latin, & que ce qu'il cite d'hébreu & de grec prouve qu'il ne savoit presque rien de ces deux langues.

Une partie des ouvrages de Servet a été traduite en flamand, & l'on trouve aisément en Hollande ses livres de la Trinité en cette langue. Simon, répons. à quelques théologiens d'Hollande.


SERVICES. m. (Gram.) culte extérieur qu'on rend à Dieu. Le service divin. Office qu'on célebre pour les morts. Vous êtes invité à l'enterrement & au service de M. T. On se consacre au service de Dieu, lorsqu'on embrasse la profession ecclésiastique ou religieuse ; au service de l'état, lorsqu'on se charge de quelque fonction pénible du ministere. Entrer au service, c'est embrasser l'art militaire. Le service d'une maison, c'est tout ce qui appartient à l'économie domestique. Service se prend aussi pour condition ; un domestique est hors de condition, de service. Il s'étend à accorder les marques gratuites de la bienfaisance ; il m'a rendu de grands services. Il y a des circonstances où l'amour & l'amitié ne voyent aucun service trop bas. Il y a des états dont le devoir s'appelle service ; le service d'un chevalier de Malte ; service de cheval ; service de compagnon ; service de corps. Il est quelquefois synonyme à usage ; j'en ai tiré bien du service ; il m'a long-tems servi. On dit aussi un service d'or, d'argent, pour tous les ustensiles de table faits de ce métal ; un service de linge, pour les linges destinés à la table ; on a servi à quatre ou cinq services, pour un certain nombre de plats qu'on sert, & auxquels d'autres succedent. On n'est pas bien servi dans cette auberge, ce qu'il faut entendre & des mets & des domestiques. Etre de service à la tranchée ; être de service chez le roi, c'est exercer ses fonctions chez le roi, c'est être commandé à la tranchée. Servir à la paume, c'est envoyer le premier la balle. Il y a le côté du service.

SERVICE DIVIN, (Critiq. sacr.) le service divin chez les premiers chrétiens, consistoit dans la priere, la lecture des livres sacrés, & la participation à l'Eucharistie. Il finissoit, selon que S. Paul le recommande aux Romains, ch. xvj. 16. par un saint baiser, témoignage d'une communion fraternelle ; ce n'est pas dans ce baiser, dit néanmoins Clément d'Alexandrie, que consiste la charité, mais dans l'affection du coeur ; à-présent, continue-t-il, on ne fait que troubler les églises par les baisers mutuels, Poedag. lib. III. cap. cclxviij. Voyez dans le grec le reste du passage. Il se mêloit déja de la corruption dans les saints baisers. Je finis par remarquer que tout le service divin se nommoit en un seul mot sacrifice dès le tems de Tertullien. (D.J.)

SERVICE MILITAIRE, c'est le service que les troupes font à la guerre. Ce service peut être fait par des nationaux ou par des étrangers. Voyez sur ce sujet les ouvrages pour & contre les services militaires étrangers, considérés du côté du droit & de la morale, tant par rapport aux souverains qui les autorisent ou les permettent, qu'aux particuliers qui s'y engagent ; publiés pour mettre le public en état de juger sainement de l'usage des peuples anciens & modernes à cet égard, & en particulier de celui des Suisses, par Loys de Bochat, professeur en droit & en histoire à Lausanne, en trois tomes, in -8°.

Les différentes questions que M. de Bochat examine dans cet ouvrage sont très-curieuses & très-importantes.

Il s'agit de savoir :

1°. " S'il est permis à quelque homme que ce soit de se louer indifféremment à un prince étranger pour porter les armes, sans s'embarrasser de la justice ou de l'injustice des guerres que ce prince peut avoir.

2°. Si un prince ou un souverain quelconque peut vendre à un autre souverain les régimens, ou promettre de lui en fournir.

3°. Si un souverain peut permettre que sur ses terres un autre souverain leve des troupes, tout cela sans s'embarrasser de leur destination que d'une maniere politique & indifférente à la justice ou à l'injustice des armes ; & en cas que cela se puisse faire pour un, si cela peut en même tems se faire pour plusieurs ".

Il est aisé de s'appercevoir que ces différentes questions sont fort intéressantes. Nous n'entrerons cependant dans aucun détail sur ce sujet, parce qu'il seroit difficile de le faire sans lui donner beaucoup d'étendue, nous nous contentons donc de renvoyer à l'ouvrage de M. de Bochat, ou au vingt & un & vingt-deux volumes de la bibliotheque raisonnée, où l'on trouve un extrait de cet ouvrage, qui peut en donner des idées assez exactes.

Il y a eu dans tous les tems des pays dont les peuples fournissoient indifféremment des troupes à ceux qui vouloient les payer. " Les Gaulois, dit M. le chevalier de Folard, faisoient métier d'aller tuer les autres pour de l'argent, & de s'entretuer quelquefois comme bons compatriotes, parce qu'ils se vendoient indifféremment aux deux partis ; desorte que les mêmes drapeaux se trouvoient souvent opposés les uns contre les autres. Cela sembloit fort barbare & fort inhumain, continue le savant commentateur de Polybe, comme s'il n'étoit pas libre à chacun d'aller exercer son métier par-tout où il trouvera de l'avantage. On reprochoit la même chose aux Etoliens. Polybe & Tite-Live se fâchent bien fort contre cette conduite. Philippe de Macédoine, si célebre par sa guerre contre les Romains, traitant de la paix avec Q. Flaminius, reprocha à un préteur des Etoliens son infidélité, & l'avarice de sa nation, qui n'avoit nulle honte de fournir des troupes à une puissance, & d'en envoyer à son ennemi. Les Gesates (que M. de Folard croit être les peuples du Languedoc, ou des provinces méridionales des Gaules) faisoient plus que cela, car ils suivoient indifféremment toutes les puissances qui vouloient d'eux. On pouvoit comparer leurs princes, dit toujours M. de Folard, à des marchands de boeufs & de moutons, qui après les avoir vendus, les envoyent à différentes boucheries pour être égorgés. Il y a bien des états aujourd'hui qui font le même métier ". Comm. sur Polybe, Q. III. pag. 235. (q)

SERVICE, (Art culin. des Rom.) ferculum : nos officiers de bouche ont nommé service les plats qu'on met tout ensemble sur la table pour la couvrir ; & ils ont établi des repas à trois, à quatre & à cinq services ; mais il s'agit ici d'indiquer quelle étoit la distribution des services sur les tables des Romains, & non pas sur les nôtres. La voici donc en peu de mots.

Après la distribution des coupes, on servoit les viandes, non pas toujours chaque plat séparément, comme le marque ce vers d'Horace :

Adfertur squillas inter muraena natantes

In patinâ porrectâ.

Lib. II. satyr. viij. vers. 42.

Et cet autre :

.... tum pectore adusto,

Vidimus & merulas poni, & sine clune palumbes.

Mais souvent plusieurs plats ensemble étoient servis sur une table portative, à l'occasion de ce vers de Virgile.

Postquam exempta fames epulis, mensaeque remotae.

Aeneid. lib. II. vers. 220.

Servius assure qu'on apportoit les tables toutes garnies : Quia apud antiquos mensas apponebant pro discis. Athénée est conforme à Servius. Tel étoit le premier service ; ensuite les services se multiplioient ; & quoiqu'on retînt toujours les mêmes expressions de premier & second service, primae & secundae mensae, pour tout le souper, ces deux services se subdivisoient en plusieurs autres.

Le premier comprenoit les entrées qui consistoient en oeufs, en laitues & en vins miellés, suivant le précepte :

.... vacuis committere venis

Nihil nisi lene decet.

Après cela venoient les viandes solides, les ragoûts, les grillades ; le second service comprenoit les fruits cruds, cuits & confits, les tartes & les autres friandises que les Grecs appellent , & les Latins dulciaria & bellaria.

La table de l'empereur Pertinax n'étoit ordinairement que de trois services, quelque nombreuse que fût la compagnie ; au lieu que celle de l'empereur Eliogabale alloit quelquefois jusqu'à vingt-deux ; & à la fin de chaque service, on lavoit ses mains, comme si l'on eût fini le repas : car l'usage étoit de les laver aussi-bien à la fin qu'au commencement. Exhibuit aliquandò tale convivium, ut haberet viginti-duo fercula ingentium epularum ; & per singula lavarent, dit Capitolin. (D.J.)

SERVICE, s. f. (Architect.) c'est le transport des matériaux du chantier au pié du bâtiment qu'on éleve, & de cet endroit sur le tas. Ainsi, plus l'édifice est haut, plus le service en est long & difficile lorsqu'on l'acheve. Diction. de Charpent. (D.J.)


SERVIELA, (Géog. mod.) province de la Turquie européenne, bornée au nord par le Danube, au midi par l'Albanie & la Macédoine, au levant par la Bulgarie, & au couchant par la Bosnie. Elle peut avoir 76 lieues du levant au couchant, & 38 du midi au nord. Cette province que les Turcs appellent Serpilati, faisoit anciennement partie de la Moësie, de l'Illyrie & de la Pannonie. Elle appartint, lors de la décadence de l'empire romain, aux peuples serviens venus de la Sarmatie asiatique ; & elle eut dans la suite ses despotes particuliers, dont quelques - uns ont dépendu des rois de Hongrie. Le dernier eut le malheur d'être pris dans une bataille où son armée fut taillée en pieces par Amurat premier dans le quatorzieme siecle : alors la Servie tomba sous la puissance des Turcs ; cependant Bellegrade, la capitale, ne devint leur conquête que sous Soliman II. qui s'en rendit maître en 1521. Toute la Servie est aujourd'hui dépeuplée, sans culture & sans argent. On y compte à peine un millier de chrétiens, sous un archevêque latin que les Turcs tolerent. (D.J.)


SERVIENS(Géog. mod.) ou Rasciens, peuples que les latins du moyen âge ont appellé Serbi, Servi, Zirvi, & les Arabes Serf ou Sirf. Ces peuples habitent maintenant dans la Moësie supérieure, au pays des anciens Triballes ; ils sont venus des Palusméotides. Ils ont pénétré autrefois dans la Lusace & dans la Misnie, & firent des entreprises jusque dans la Thrace ; mais ils furent battus par Amurat premier, sultan des Turcs, l'an 767 de l'hégire. (D.J.)


SERVIETTES. f. (Chirurg.) espece de bandage fait avec une serviette pliée en trois doubles suivant sa longueur, & roulée par les deux bouts. On l'applique autour du corps sur l'appareil ; on en attache les deux bouts par-devant, & on la soutient avec le scapulaire. Ce bandage s'employe aux maladies de la poitrine & du bas-ventre. (D.J.)

SERVIETTE, (Toilerie) linge de table qu'on met sur chaque couvert, pour manger proprement, s'essuyer les mains, & couvrir ses habits. Douze serviettes & une grande nappe font ce qu'on appelle un service de table. (D.J.)

SERVIETTE, (Littérat.) les Romains nommoient une serviette mappa ; mantile étoit la nappe. Une chose qui paroîtra fort bizarre, c'est que long-tems après le siecle d'Auguste, ce n'étoit point encore la mode que l'on fournît des serviettes aux conviés, ils en apportoient de chez eux. Catulle se plaint d'un certain Asinius, qui lui avoit emporté la sienne ; & le menace de le diffamer par ses vers, s'il ne la lui renvoye promtement :

Marrucine Asini manu sinistrâ

Non belle uteris in joco atque vino.

Tollis lintea negligentiorum.

Et plus bas :

Quare aut hendecasyllabos trecentos

Expecta, aut mihi linteum remitte.

Martial dit à-peu-près la même chose d'Hermogene, homme connu pour de pareils tours d'adresse. " Personne des conviés, dit-il, n'avoit apporté de serviettes, parce que chacun craignoit les ongles crochus d'Hermogene : Hermogene ne s'en retourna pas pour cela les mains vuides ; il trouva le secret d'emporter la nappe. "

Attulerat mappam nemo, dùm furta timentur :

Mantile è mensa sustulit Hermogenes.

(D.J.)


SERVILEadj. (Gram.) qui appartient à quelque fonction ou qualité vile & basse. Cet emploi est servile. Il a l'ame servile. Il traduit d'une maniere servile. Voyez SERF & SERVITUDE.


SERVIRv. act. voyez l'article SERVICE.

SERVIR, (Gramm.) c'est porter honneur, respect. Il faut servir Dieu. C'est faire quelque fonction subalterne ; il servoit à l'autel avec édification ; il servoit à table. C'est embrasser une profession pénible, mais utile à l'état ; il sert le roi dans ses armées, dans la robe. C'est obliger, secourir, aider ; on sert ses amis de sa bourse, de son conseil, de son crédit. C'est être réduit à la condition de domestique ou d'esclave ; combien de tems avez - vous servi dans cette maison ? pourquoi en êtes - vous sorti ? avez-vous une attestation de bon service ? C'est pourvoir une table de mets ; sa table est toujours bien servie. C'est offrir un mets ; servez -moi de ce plat. C'est au trictrac, à la paume, & à d'autres jeux, jouer le premier coup. C'est remplir une fonction à laquelle on n'étoit pas destiné, par intérêt, par attachement ou par quelqu'autre motif ; il m'a servi de guide dans cette route pénible ; il m'a servi de garde dans cette maladie. C'est indiquer l'usage d'une chose ; je me sers du compas & de la regle ; je me servis, pour le convaincre, alternativement de l'expérience & de la raison, &c.


SERVISS. m. (Jurispr.) du latin servire dont on a fait dans la basse latinité servitia, pour dire services, & par corruption servis, sont les devoirs dont le censitaire emphytéote est tenu envers le seigneur, à cause de l'héritage qui lui a été donné à cette condition.

Ce terme de servis est usité, surtout dans les provinces régies par le droit écrit. Il est synonyme de cens ; si ce n'est que l'on veuille dire que le cens est cette modique redevance qui se paye en argent, in recognitionem dominii, & que les servis sont les autres devoirs & prestations dûs au seigneur sur le même héritage, soit en grains, volailles & autres choses.

On joint ordinairement les termes de cens & servis : en demandant le payement de l'un, on ne manque point de demander le payement des autres.

Les arrérages des servis se prescrivent comme ceux du cens, par 30 ans ou par 50 ans, suivant l'usage des différentes provinces. Voyez BORDELAGE, CENS, CENSIVE, DEVOIR, PRESCRIPTION, PRESTATION. (A)


SERVITES. m. (Ordre monastique) Les Servites sont un ordre de religieux suivans la regle de Saint Augustin, & qui s'attachent au service de la Vierge. Le premier auteur de cet ordre fut Bonfilio Monaldi, marchand de Florence, qui ayant quitté le négoce avec six autres de sa profession, se retira en 1223 au mont Sénaire à deux lieues de Florence. En 1239 ils reçurent de l'évêque la regle de Saint Augustin. Ensuite Bonfilio fut nommé général, & mourut en odeur de sainteté le premier Janvier 1261. Le concile de Latran approuva l'ordre des servites, & les papes lui ont accordé beaucoup de graces. Il n'est point établi en France ; mais Fra-Paolo, vénitien, qui étoit religieux servite, en a relevé la gloire en Italie, où l'on voit aussi des religieuses servites, ainsi nommées, parce qu'elles observent la regle des religieux du même nom. (D.J.)


SERVITEURS. m. (Morale) Les noms de maîtres & de serviteurs sont aussi anciens que l'histoire, & ne sont donnés qu'à ceux qui sont de condition & de fortune différentes ; car un homme libre se rend serviteur d'un autre, en lui vendant pour un certain tems son service, moyennant un certain salaire. Or, quoique cela le mette communément dans la famille de son maître, & l'oblige à se soumettre à sa discipline & aux occupations de sa maison, il ne donne pourtant de pouvoir au maître sur son serviteur que pendant le tems qui est marqué dans le contrat ou le traité fait entr'eux. Les serviteurs mêmes, que nous appellons esclaves, ne sont soumis à la domination absolue & au pouvoir arbitraire de leurs maîtres que par infraction de toutes les loix de la nature. (D.J.)

SERVITEUR, (Théologie) terme qui, dans l'Ecriture-sainte, se prend en divers sens.

1°. La signification la plus commune emporte avec soi l'idée d'esclave : car anciennement chez les Hébreux & les peuples voisins, la plûpart des serviteurs étoient esclaves, c'est-à-dire, absolument assujettis à leur maître, qui avoit droit de disposer de leurs personnes, de leurs corps, de leurs biens, & même de leur vie dans certains cas.

Les Hébreux avoient de deux sortes de serviteurs ou d'esclaves, comme il paroît par le Lévitique, c. xxv. v. 44. & seq. Les uns étoient ou étrangers ou achetés, ou pris à la guerre, & leurs maîtres les gardoient, les échangeoient ou les vendoient, en un mot en disposoient comme de leurs biens. Les autres étoient des esclaves hébreux qui vendoient leur liberté, pressés par l'indigence, ou qui étoient vendus pour leurs dettes, ou étoient livrés pour être esclaves par leurs parens, dans les cas de leur nécessité. Ces sortes d'esclaves hébreux ne demeuroient en esclavage que jusqu'à l'année du jubilé. Alors ils pouvoient rentrer en liberté, sans que le maître pût les retenir malgré eux. Que s'ils restoient volontairement chez leur maître, on les amenoit devant les juges, ils y faisoient leur déclaration qu'ils renonçoient pour cette fois au privilege de la loi ; on leur perçoit l'oreille avec une alêne, en les appliquant au montant de la porte de leur maître ; & dès-lors ils ne pouvoient plus recouvrer leur liberté, si ce n'est en l'année du jubilé qui se célebroit au bout de 49 ans.

2°. Serviteur se prend aussi pour marquer un homme attaché au service d'un autre par choix & librement, par inclination : comme Josué étoit serviteur de Moïse, Elisée d'Elie, Giezi d'Elisée, S. Pierre, S. André & les autres de Jesus-Christ.

3°. Serviteur se met souvent pour les sujets d'un prince. Les serviteurs de Pharaon, les serviteurs de Saül & ceux de David sont leurs sujets en général, ou leurs officiers & leurs domestiques en particulier. De même aussi les Philistins, les Syriens & plusieurs autres peuples sont appellés dans l'Ecriture serviteurs de David, parce que ce prince les avoit soumis & qu'ils lui payoient tribut.

4°. Les serviteurs de Dieu, les serviteurs du Seigneur sont les prêtres, les prophetes, ceux qui font profession d'une piété particuliere. On donne souvent à Moïse le nom d'homme de Dieu, de serviteur de Dieu par excellence ; & S. Paul prend aussi lui-même cette qualité.

On se donne quelquefois à soi-même, dit M. de Voltaire, des titres fort humbles, pourvu que l'on en reçoive des autres de fort élevés. Le pape s'appelle lui-même serviteur des serviteurs de Dieu. Un bon prêtre du Holstein écrivit un jour à Pie IV. à Pie IV. serviteur des serviteurs de Dieu. Il alla ensuite à Rome solliciter son affaire, & l'inquisition le fit mettre en prison pour lui apprendre à écrire.

5°. Dans l'Ecriture, serviteurs ou esclaves, opposés à libres & aux enfans des promesses, marque les Juifs par opposition aux chrétiens. Les Juifs n'étoient que les esclaves figurés par Agar & par Ismaël ; les chrétiens sont les enfans de la liberté figurés par Sara & par Isaac, comme S. Paul l'établit dans ses épîtres, & sur-tout dans celle aux Galates. Calmet, Dictionn. de la Bibl. tom. III. pag. 545.

SERVITEURS, s. m. pl. (terme de comm. de Chirurg.) on appelle serviteurs ou garçons, chez les maîtres chirurgiens de Paris, ceux qu'on nomme compagnons chez les maîtres de communautés des arts & métiers. Les garçons ou serviteurs peuvent aspirer à la maîtrise, & être admis à faire le grand chef-d'oeuvre quand ils ont servi six ans consécutifs chez un des maîtres, ou sept ans chez plusieurs. (D.J.)

SERVITEUR, en terme de Raffinerie, sont des ouvriers loués à l'année, qui sont sous les ordres du contre-maître, & doivent lui obéir sans replique. Il faut que ce soit des hommes forts & robustes, pour supporter les grandes fatigues d'une raffinerie. C'est pour cela qu'on les nourrit sans leur épargner ni pain, ni vin, ni bonne chere. Ils s'engagent pour un an. On ne peut les renvoyer qu'après ce terme, à-moins que ce ne soit pour cause de bassesse ou d'infidélité.


SERVITUDES. f. (Gramm. & Jurisprud.) en général est l'état d'une personne ou d'un héritage qui est assujetti à certains devoirs ou services envers une autre personne, ou envers un autre héritage.

Quelquefois par le terme de servitude, on entend le droit d'exiger ces sortes de services & de devoirs ; quelquefois au contraire on entend par servitude, l'obligation de les rendre, ce qui fait distinguer les servitudes en actives & passives.

Il y a deux sortes de servitudes, soit actives ou passives, les unes personnelles, les autres réelles.

Les servitudes personnelles sont aussi de deux sortes.

L'une est celle qui met une personne dans une dépendance servile d'une autre.

L'autre espece de servitude personnelle, est celle qui est imposée sur des fonds pour l'usage de quelques personnes, tels que l'usufruit, l'usage & l'habitation.

Souvent aussi l'on qualifie ces sortes de servitudes de mixtes, parce qu'elles sont parties personnelles & parties réelles, étant dûes à une personne sur un héritage.

Les servitudes réelles sont celles qui assujettissent un héritage à certaines choses envers un autre héritage.

On distingue deux sortes de servitudes réelles, savoir celles qu'on appelle urbaines, & les servitudes rurales ou rustiques qui sont imposées sur les héritages des champs.

Voyez au ff. & au code les titres de servitutibus, les traités de Coras, de Caepola, de Davezan & de Gamar ; les commentateurs des coutumes sur le titre des servitudes, & les subdivisions qui suivent. (A)

SERVITUDE ACTIVE, est celle que quelqu'un a droit d'exercer sur un autre ou sur son héritage ; la même servitude qui est active pour l'un est passive à l'égard de l'autre. Voyez SERVITUDE PASSIVE. (A)

SERVITUDE APPARENTE, est celle qui se manifeste continuellement d'elle-même, comme un chemin pratiqué au-travers d'un champ, l'égoût d'un toît qui tombe sur un héritage voisin, des vues droites qui portent sur un héritage, & il n'est pas besoin de s'opposer au decret pour la conservation des servitudes apparentes, à la différence des servitudes latentes qui sont purgées par le decret lorsque l'on ne s'y oppose pas. Voyez DECRET & SERVITUDE LATENTE. (A)

SERVITUDE DE BOIS, (Coutume de Béarn) droit en Béarn de prendre & de couper du bois dans une forêt avec le talh & le dalh ; servitude de dent, c'est le droit de faire paître son troupeau ; servitude de jasilha, c'est le droit de le faire coucher sur une terre pendant deux nuits pour le faire reposer ; servitude de pexe, c'est le droit de le faire paître. Trévoux. (D.J.)

SERVITUDE CACHEE. Voyez ci-après SERVITUDE LATENTE.

SERVITUDE CONTINUE, est celle dont l'usage est continuel, comme des vues subsistantes sur l'héritage voisin, à la différence des servitudes dont on n'use que de tems à autre, comme un droit de passage.

SERVITUDE DES HERITAGES DES CHAMPS. Voyez SERVITUDES RUSTIQUES.

SERVITUDE DES HERITAGES DE VILLE. Voyez SERVITUDE URBAINE.

SERVITUDE LATENTE, est celle qui n'est annoncée par aucune marque extérieure, comme le droit de passage que quelqu'un a dans un champ.

SERVITUDE MIXTE, est celle qui tient de la personnelle & de la réelle, comme l'usufruit qui est dû sur un fonds. Voyez USUFRUIT.

SERVITUDE NATURELLE, est celle qui est dans l'ordre même de la nature, comme l'écoulement des eaux qui viennent du fond supérieur sur le fond inférieur.

SERVITUDE NECESSAIRE, est celle qui est dûe sans autre titre que celui de la nécessité, comme le passage pour aller à un héritage qui est enclavé de toutes parts dans des héritages appartenans à autrui : la regle en ce cas est que l'on donne le passage par l'endroit le moins dommageable. Voyez SERVITUDE NATURELLE.

SERVITUDE OCCULTE ou CACHEE, est la même chose que servitude latente. Voyez SERVITUDE LATENTE.

SERVITUDE PASSIVE, est celle qu'une personne ou un héritage doit à une autre personne ou héritage ; la servitude passive est opposée à la servitude active.

SERVITUDE PATENTE. Voyez SERVITUDE APPARENTE.

SERVITUDE PERSONNELLE, est l'état d'une personne qui est l'esclave d'une autre. Voyez ESCLAVE & SERF.

SERVITUDE PREDIALE, ainsi nommée du latin praedium, qui signifie héritage, est celle qui est imposée sur un héritage en faveur de quelqu'un ou d'un autre. Voyez SERVITUDE REELLE, URBAINE & RUSTIQUE.

SERVITUDE RECIPROQUE, est lorsque deux personnes ont chacune un droit pareil à exercer l'une sur l'autre, soit sur leur personne ou sur leur héritage.

SERVITUDE REELLE, est un service dû par un héritage à un autre héritage.

De ces sortes de servitudes quelques-unes sont naturelles, comme l'écoulement des eaux du fond supérieur sur le fond inférieur ; d'autres nécessaires, comme le passage qui est dit pour aller à un héritage qui est entouré de tous côtés d'héritages appartenans à autrui ; d'autres sont établies par convention ; d'autres enfin par la possession dans les pays, où les servitudes peuvent s'acquerir sans titre.

Il ne peut y avoir de servitude proprement dite, qu'entre deux héritages, appartenans à différens propriétaires ; car il est de maxime que nemini res sua servit.

Les servitudes réelles sont urbaines ou rustiques, on en trouvera l'explication ci-après.

Suivant le Droit romain, les servitudes s'acquierent par la quasi tradition qui se fait par l'usage qu'en fait le propriétaire du fonds dominant, la tolérance du propriétaire du fonds servant, lorsqu'il y a eu possession de bonne foi avec titre pendant dix ans entre présens, & vingt ans entre absens.

On peut aussi acquérir une servitude par l'ordonnance du juge, lorsque partageant des biens communs à plusieurs personnes, il ordonne que l'héritage de l'un sera sujet à certains devoirs envers l'autre.

Il est encore permis à un testateur d'établir une servitude sur un de ses héritages, au profit d'un autre.

Dans la plûpart des pays coutumiers, il est de maxime, que nulle servitude sans titre ; la coutume de Paris rejette même la possession de cent ans.

Les servitudes s'éteignent par plusieurs moyens.

Le premier est la confusion qui se fait de la propriété des deux héritages, lorsqu'ils se trouvent réunis en une même main.

Le second est le non usage pendant le tems déterminé par les loix, qui est suivant le Droit romain, dix ans entre présens, & vingt ans entre absens ; en pays coutumier il faut trente ans, entre âgés & non privilegiés ; Paris, art. 186.

Le troisieme, est la renonciation à la servitude.

Le quatrieme, est la résolution du droit de celui qui l'avoit constituée.

La cinquieme, est la perte de l'héritage qui doit la servitude.

Le sixieme, enfin, est lorsque le cas de cessation, prévû par le titre, est arrivé. Voyez au digeste, de servitut. & le titre quemadmod. servitut. amitt.

SERVITUDE RURALE, voyez ci-après SERVITUDE RUSTIQUE.

SERVITUDE RUSTIQUE, ou des héritages des champs, est celle qui est dûe à un héritage, autre que ceux qui sont destinés pour l'habitation du pere de famille, quand même cet héritage seroit situé dans une ville.

Les principales servitudes de cette espece chez les Romains étoient celles appellées, iter, actus, via.

La servitude appellée iter, revenoit à ce que nous appellons droit de passage pour les gens de pié ; actus droit de passage pour les bêtes de somme, & via le passage pour les chariots & autres voitures.

Les autres servitudes sont aquae ductus, c'est-à-dire de faire passer de l'eau par l'héritage d'autrui ; aquae haustus, le droit d'y puiser de l'eau ; pecoris ad aquam appulsus, le droit d'abreuver ses bestiaux dans l'eau du voisin ; pascendi pecoris, droit de pascage ; calcis coquendae, de faire cuire sa chaux dans le fonds d'autrui ; arenae fodiendae, de tirer du sable sur le voisin ; cretae fodiendae, d'y tirer de la craie ou marne ; eximendi lapidis, d'en tirer de la pierre. Voyez ff. de servit. praed. rustic.

SERVITUDE URBAINE, est celle qui est dûe à un bâtiment destiné pour l'habitation du pere de famille, quand même ce bâtiment seroit situé aux champs.

On en distingue ordinairement huit.

La premiere, qu'on appelle servitus oneris ferendi, oblige celui qui la doit de porter les charges d'un autre.

La seconde appellée ligni immittendi, c'est le droit de poser ses poutres dans le mur voisin.

La troisieme, ligni projiciendi, est le droit d'avancer son bâtiment sur l'héritage voisin, comme sont les saillies & avances, les balcons.

La quatrieme, stillicidii recipiendi vel non recipiendi, est l'obligation de recevoir l'eau du toît du voisin, ou au contraire l'exemption de la recevoir.

La cinquieme, fluminis recipiendi vel non, c'est par l'eau qui tombe du toît voisin, mais rassemblée dans une gouttiere.

La sixieme, jus altiùs non tollendi, consiste à empêcher le voisin d'élever son bâtiment au-delà d'une certaine hauteur.

La septieme est, jus prospectus ou ne luminibus officiatur, c'est le droit d'empêcher le voisin de rien faire qui puisse nuire aux vûes de l'héritage dominant.

La huitieme appellée, servitus luminum, est le droit d'avoir des jours sur le voisin. Voyez au ff. le tit. de servit. praedior. urban.


SERVIVI(Jurisprud.) terme latin qui s'est conservé long-tems dans l'usage des chancelleries, pour exprimer l'attestation que chaque officier de chancellerie devoit donner à l'audiencier du tems qu'il avoit servi, soit au conseil, soit au parlement, à la chancellerie du palais ou ailleurs. Ces sortes d'attestations furent ainsi appellées, parce qu'étant autrefois rédigées en latin comme tous les actes de justice, elles commençoient par ce mot servivi. Voyez le sciendum de la chancellerie. (A)


SERVUSSERVUS


SERYvoyez MUSARAIGNE.


SESAC(Mythol. orientale) divinité des Babyloniens, à ce que pensent la plûpart des critiques sacrés. Ils ont cru trouver dans Jérémie le nom de ce dieu. Voici les paroles du prophete, ch. xxv. v. 15. " Ainsi a dit le seigneur : prends de ma main la coupe du vin de ma fureur, & fais-en boire à toutes les nations... & le roi Sesac en boira avec eux ; " puis il ajoute dans un autre endroit : " comment a été prise Sesac ? Comment Babylone est-elle devenue l'étonnement de toutes les nations ? "

Les interpretes qui conviennent que dans ces deux passages, Sesac désigne également le roi & la ville de Babylone, sont persuadés que ce Sesac étoit une des divinités des Babyloniens, & que Jérémie a prétendu désigner la ville même par le nom de cette divinité ; mais cette opinion est purement conjecturale. (D.J.)


SÉSAMES. m. (Botan.) suivant Linnaeus, le calice de ce genre de plante est monopétale ; divisé en cinq segmens : la fleur est aussi monopétale, en forme de cloche, & découpée en cinq parties dont l'une est beaucoup plus longue que les autres ; les étamines sont quatre filets plus courts que la fleur ; leurs bossettes sont oblongues, droites & pointues ; le germe du pistil est ovale & rude ; le stile est un filet ; le stigma est en forme de lance, divisé en deux ; le fruit est une capsule oblongue à quatre loges qui contiennent quantité de semences ovoïdes. Linnaei gen. plant. p. 293.

Tournefort met cette plante parmi les digitales, & l'appellent digitalis orientalis sesamum dicta, I. R. H. 164. Sa racine est annuelle ; son calice part des ailes des fleurs, presque sans pellicules ; il est petit, & divisé en cinq segmens longs & foibles ; sa fleur est monopétale ; son ovaire est en silique, tétragonal, oblong, divisé en quatre cellules, pleines de semences qu'on peut manger. Elles sont modérément humectantes, émollientes, parégoriques, visqueuses, grasses, & par conséquent emplastiques.

Les Egyptiens se servent beaucoup de sésame, tant en alimens qu'en remede, parce qu'il croît promtement, & qu'il précede les autres fruits après les inondations du Nil ; il récompense bien ceux qui le cultivent de leurs travaux par la quantité de siliques qu'il donne. Parkinson prétend que le sésame croît de lui-même aux Indes orientales, mais qu'on le cultive en Egypte, en Syrie, en Grece, en Crete & en Sicile. Les Arabes usent fréquemment dans leurs mets de l'huile exprimée de la graine de sésame. Il est vraisemblable que notre sésame n'est point celui des anciens ; car les vertus que Dioscoride lui attribue, ne conviennent point au nôtre. (D.J.)


SÉSAMOIDES. f. (Hist. nat. Bot.) sésamoides, genre de plante dont la fleur ressemble à celle du réseda. Voyez RESEDA. Le fruit a différente forme selon les diverses especes ; tantôt il est composé de plusieurs petites cornes qui sont remplies chacune par une semence qui a la figure d'un rein ; dans d'autres especes il ressemble par sa forme à une étoile, & il est divisé en plusieurs capsules. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SESAMOÏDE, adj. en Anatomie, nom de quelques petits os qui ressemblent à la semence d'une plante de ce nom.

Les vrais os sésamoïdes sont au nombre de deux, & on les observe dans le pouce tant de la main que du pié. C'est à ces os que les fléchisseurs du pouce sur le métacarpe sont attachés, & outre cela l'abducteur du pouce dans le pié. On remarque encore différens autres os sésamoïdes dans les autres articulations des doigts, mais ils ne se trouvent pas constamment.

Ces petits osselets se trouvent pour l'ordinaire dans les ligamens capsulaires de l'articulation des doigts & des orteils de plusieurs adultes ; leur figure & leur grosseur varient infiniment ; quelquefois ils sont gros comme des grains de moutarde, & quelquefois comme de gros pois. Les phalanges mêmes ne sont pas les seules parties où l'on trouve les os sésamoïdes : on en rencontre quelquefois sur les conduits du fémur à la partie inférieure du péroné, sur l'os du talon, &c.

On comprendra sans peine la cause de ce jeu de la nature, quand on ne regardera pas ces osselets comme ces pieces séparées, mais comme une portion de la capsule ligamenteuse qui s'est ossifiée.

Il est certain que ces petits os ne sont autre chose que les ligamens des articulations, ou de forts tendons de muscles, ou l'un & l'autre devenus osseux par la violente compression qu'ils éprouvent dans les endroits où ils sont placés. En voici la preuve.

1°. On ne rencontre pas les os sésamoïdes dans tous les sujets ; on les trouve ordinairement cartilagineux. Ils ne sont communément bien ossifiés que dans les sujets robustes & vieux.

2°. Ils sont placés sur la partie la plus élevée de la tête des os du métatarse & des phalanges qui soutiennent les tendons des fléchisseurs : ce qui justifie que la compression des ligamens est la cause de cette ossification.

3°. Les os sésamoïdes au commencement des muscles gastrocnémiens, ne sont évidemment composés que de fibres tendineuses.

4°. Les mêmes os à la premiere phalange du gros orteil, ne sont aussi visiblement que la continuation de la substance des ligamens & des tendons des muscles de cette partie ; & celui qui est quelquefois double à la seconde phalange du même orteil, est une partie du ligament circulaire.

5°. Enfin ces osselets doubles sous les tendons fendus du sublime, prouvent encore cette vérité.

Finissons par trois remarques de M. Winslow.

1°. Dans tous les sujets où les tendons & les ligamens ont beaucoup de fermeté, où l'action des muscles est forte, & la compression violente, il y a lieu de s'attendre à trouver de ces os.

2°. Toutes choses égales d'ailleurs, plus le sujet est âgé, plus on trouvera de ces os, & plus ils seront gros.

3°. Plus le sujet a fatigué ces extrêmités inférieures ou supérieures, plus aussi, toutes choses égales d'ailleurs, ces os seront gros & nombreux.

Mais quand M. Winslow ne craint point d'ajouter que ces osselets augmentent la force des muscles, en facilitent le jeu, & font que les orteils, lorsqu'on marche, supportent mieux le poids de toute la masse du corps ; je ne reconnois plus le physicien qui venoit tout-à-l'heure de parler raison & méchanique ; je n'y vois qu'un homme qui découvre les prérogatives de la nature dans sa dégénération même, qui préfere pour la force & la flexibilité des organes, la vieillesse à la jeunesse, & qui compte apparemment le mérite des saisons par l'hiver. (D.J.)


SÉSANNE(Géog. mod.) petite ville de France, dans la Brie, au diocese de Troyes, frontiere de la Champagne, à 25 lieues au sud-est de Paris, dans une plaine entourée de collines du côté de la Brie ; & sur une petite riviere qui n'a point de nom. Sézanne étoit fondée, avant la fin du vj. siecle, & sujette alors à Hugues, seigneur de Breques. Elle a été jointe au domaine du comté de Troyes, & finalement réunie à la couronne avec la Champagne. En 1632 elle fut réduite en cendres par un incendie, & rétablie quelque tems après ; mais elle est retombée dans un grand délabrement. (D.J.)


SESBAMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleurs polypétales, papilionacées & en forme de grappe ; les embryons sortent de la partie intérieure de la fleur, & deviennent dans la suite des siliques oblongues & divisées en plusieurs noeuds ; elles renferment des semences rondes. Ajoutez au caractere de ce genre que les feuilles naissent par paires. Pontederae anthologia. Voyez PLANTE.


SESBANS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbrisseau de la grosseur du myrte. Ses branches sont tendres, herbacées, & d'un verd-d'eau tant-soit-peu rougeâtre ; ses fleurs sont de couleur de safran, assez semblables à celles de l'anagyris, & pendent en touffes. Il naît de ses fleurs des longues siliques, telles que celles du foenu-grec, & qui contiennent des semences pareilles. Veslingius a remarqué que le nombre des cellules de chaque silique varie selon le nombre des graines, & que le tronc de l'arbrisseau est armé d'épines rares & courtes. (D.J.)


SESCHAN(Géog. mod.) anciennement Buge, Byces & Byce ; grand lac de la petite Tartarie en Europe. Il sépare la Tartarie des Nogais, de la Crimée, & se décharge dans la mer de Zabache par un canal fort court, n'étant séparé du golphe de Nigropoly que par un isthme de demi-lieue, sur lequel la ville de Précop est située. (D.J.)


SESELIS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante dont voici les caracteres, suivant Linnaeus. Le calice qui enveloppe la fleur, est à peine remarquable ; la couronne de la fleur est généralement uniforme ; la fleur est à cinq pétales à-peu-près égaux, & taillés en forme de coeur ; les étamines sont cinq filets qui finissent en pointes aiguës ; les bossettes des étamines sont simples ; le germe du pistil est placé sous l'enveloppe de la fleur ; les stiles sont recourbés ; les stigma sont obtus ; le fruit est ovale, petit, cannelé, & séparable en deux portions. Les graines sont au nombre de deux, de forme ovoïde, convexe d'un côté, & applaties de l'autre. Il paroît de cette description que Tournefort s'est trompé en rapportant les diverses especes de seseli au genre de plante qu'on nomme fenouil. (D.J.)

SESELI COMMUN, (Botan.) c'est un des noms qu'on donne vulgairement à la livêche, en latin ligusticum. Voyez LIVECHE, Botan. (D.J.)

SESELI DE CANDIE, (Botan.) nom vulgaire d'une des especes du genre de plante, que Tournefort appelle tordylium. Voyez TORDYLIUM, Botanique. (D.J.)

SESELI DE MARSEILLE, (Botan.) plante nommée par Tournefort, faeniculum tortuosum, & par les autres Botanistes, seseli massiliense ; sa tige s'éleve à la hauteur d'environ un pié & demi, & est remplie de moëlle blanche. Elle porte en ses sommités des ombelles, qui soutiennent de petites fleurs à cinq pétales, disposées en rose, de couleur blanche, & quelquefois purpurine. Après la chute de la fleur, son calice devient un fruit composé de deux graines oblongues, striées, arrondies d'une part, & applaties de l'autre ; elles sont d'un gris pâle, d'une odeur aromatique, & d'un goût fort âcre. Toute la plante a une odeur forte & agréable. Elle croît aux lieux sablonneux dans les pays chauds, comme en Languedoc, en Provence, & aux environs de Marseille. (D.J.)

SESELI DE MARSEILLE (Mat. méd.) la semence est la seule partie de cette plante qui soit d'usage en médecine. Elle est comptée parmi les semences carminatives. Elle est fort analogue avec celles des autres plantes ombelliferes usuelles, telles que le fenouil, l'anis, le cumin, &c. Aussi est-ce presque toujours avec ces dernieres semences qu'on l'emploie, & très-rarement seule. Son usage est fort rare pour les prescriptions magistrales. On l'emploie davantage dans les compositions officinales : elle entre, par exemple, dans la thériaque, le mithridat, l'eau générale, & la poudre de chalybe de la pharmacopée de Paris. (b)


SESI(LA), ou LA SESSIA, (Géogr. mod.) riviere d'Italie, dans le Milanez. Elle prend sa source dans les Alpes, aux confins du Vallais, traverse la vallée de son nom, & se décharge dans le Pô, audessous de Casal. (D.J.)


SESQUIest une particule souvent employée par les anciens musiciens, dans la composition des mots servant à exprimer différentes especes de mesures.

Ils appelloient donc sesqui-alteres, les mesures, dont la principale note valoit une moitié en sus de plus que sa valeur naturelle, c'est-à-dire, trois des notes dont elle n'auroit valu autrement que deux ; ce qui avoit lieu dans toutes les mesures triples, soit les majeures, où la breve même sans point valoit trois semi-breves : soit les mineures, où la semi-breve valoit trois minimes.

Ils appelloient encore sesqui-octave, le triple marqué par ce signe C 9/8.

Double sesqui-quarte, le triple marqué C 9/4. & ainsi des autres.

Sesqui-diton ou hemi-diton dans la musique grecque, est l'intervalle d'une tierce majeure diminuée d'un semi - ton, c'est-à-dire, une tierce - mineure. Voyez TIERCE. (S)


SESQUI-ALTEREen Géométrie, & en Arithmétique, c'est un rapport entre deux lignes, deux nombres, &c. dans lequel une de ces grandeurs contient l'autre une fois & une demi-fois. Voyez RAISON.

Ainsi les nombres 9 & 6, sont entr'eux en raison sesqui-altere ; car 9 contient 6 une fois & une demi-fois : tels sont aussi les nombres 30 & 20. (E)


SESQUI-DOUBLEadj. (Géom. Mathém.) on dit qu'une raison est sesqui-doublée, quand le plus grand de ses deux termes contient le plus petit deux fois & une demi-fois ; telle est la raison de 15 à 6, de 50 à 20, &c. Voyez RAISON. (E)


SESQUI-QUADRATadj. (Astron.) aspect sesqui-quadrat, est un aspect ou position des planetes, où elles sont éloignées l'une de l'autre de 4 signes & demi, ou 135 degrés, c'est-à-dire, 90 + 45. Voyez ASPECT. (E)


SESQUI-TIERCE(Géométrie) on dit qu'une quantité est en raison sesqui-tierce d'une autre quantité, quand la premiere contient la deuxieme une fois & un tiers de fois ; telle est la raison de 8 à 6, ou de 4 à 3. (E)


SESSou SEZZA, (Géogr. mod.) bourgade d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Labour, à cinq milles de Carinola, & à vingt-deux de Capoue, près du Gariglan, avec titre de duché, & un évêché suffragant de Capoue. Si cette bourgade est l'ancienne Suessa-Arunca, elle a bien perdu de son lustre, & l'on ne peut plus dire d'elle ce qu'en disoit Cicéron, lautissimum oppidum, car c'est un lieu misérable, malgré tous ses titres. Long. 31, 35. latit. 58, 30.

Corradini (Pierre - Marcelin), savant cardinal, naquit à Sessa, & donna une histoire de cette ville en latin ; mais il s'acquit une toute autre gloire par son bel ouvrage intitulé : vetus latium profanum & sacrum, 2 vol. in-fol. Il mourut à Rome en 1743, à 83 ans. (D.J.)


SESSES. f. (terme de relation) c'est une bande ou écharpe de toile, dont les Orientaux entourent le bonnet de leur turban, & qui leur ceint la tête. Les émirs, ou descendans de Mahomet, ont droit de porter seuls le turban avec la sesse de laine verte. L'habit des femmes de Samos, au rapport de Tournefort, consiste en un doliman à la turque, avec une coëffe rouge, bordée d'une sesse jaune ou blanche qui leur tombe sur le dos, de même que leurs cheveux, qui le plus souvent sont partagés en deux tresses, au bout desquelles pend quelquefois un trousseau de petites plaques de cuivre blanches, ou d'argent bas. (D.J.)


SESSIONS. f. (Gram.) il est dit pour séance, la session de tel concile ; cette affaire a été renvoyée à la session suivante du parlement.


SESSITES(Géogr. anc.) fleuve de la Gaule Transpadane. Pline, l. III, c. xvj. le compte au nombre des fleuves considérables qui se jettent dans le Pô. Leander le nomme Seuza. (D.J.)


SESTAKOou SESTANOS, (Géogr. mod.) ville de l'empire Russien, dans la province de Viarka, sur la rive droite de la Viarka. Long. 69. latit. 58. 30. (D.J.)


SESTES. f. (Mesure seche) on s'en sert à Siam pour les grains, graines & légumes seches. Il faut quarante sacs pour faire le seste, & quarante sestes pour le cochi ; ensorte qu'évaluant le seste sur le pié de cent catis, ou cent vingt-cinq livres, poids de marc, le sac pese environ trois livres un peu plus, & le cohi cent vingt livres. Savary. (D.J.)


SESTERAGES. f. (Gram. Jurisp.) tributs que quelques seigneurs levoient autrefois sur chaque septier de bled.


SESTERCES. m. (Monnoie romaine) le sesterce étoit une petite piece d'argent, qui valoit le quart du denier ou deux as & demi. Cette marque H. S. signifie dipondium cum semisse, & sestertius est la même chose que semistertius.

Les Romains comptoient par sestertii & par sestertia, car on ne trouve jamais sestertium au singulier, parce qu'on disoit mille sestertii, & non pas unum sestertium.

Les sestertia, qui étoient une monnoie de compte comme le talent, valoient autant de milliers de ces petites pieces d'argent, nommées sestertii, qu'il y avoit d'unité dans le nombre. Ainsi sestertia X. ou sestertium decem supplée millia, c'étoit dix mille petits sesterces.

Ce n'est que par le sujet qui est traité qu'on peut reconnoître s'il s'agit de grands ou de petits sesterces, les uns & les autres s'exprimant par cette marque H. S. le sestertius, parce qu'il valoit deux as & demi, & le sestertium, parce qu'il valoit deux livres & demie d'argent.

M. de S. Réal s'est persuadé que les Romains ne se servoient de cette marque H. S. que pour les petits sesterces, & que pour les grands ils écrivoient tout-au-long sestertia, au-lieu que les copistes avoient écrit en abrégé les uns & les autres. Mais cette opinion nous paroît sans fondement ; l'uniformité qui se trouve dans les manuscrits fait voir que cette maniere de marquer les grands sesterces ne vient point des copistes. Il y a même un endroit dans Suétone qui prouve décisivement que les Romains écrivoient en abrégé les grands sesterces, aussi-bien que les petits ; c'est dans la vie de Galba, cap. VI.

Quand on trouve sestertium decies numeratum esse dans Cicéron, c'est une syllepse de nombre, où numeratum, qui se rapporte à negotium, est pour numerata qui se devroit dire, comme il est même en quelques éditions, parce que l'on suppose centena millia. De même, an accepto centies sestertium fecerit, dans Velleius Paterculus pour acceptis centies centenis millibus sestertium. De même encore, trapezitae mille drachmarum sunt redditae, pour res mille drachmarum est reddita, Plaut.

Or comme les anciens ont dit, decies sestertium ou decies centena millia sestertium ; ils ont dit aussi decies aeris pour decies centena millia aeris.

Souvent le mot de sestertium est omis dans les auteurs par une figure nommée ellipse, comme fait Suétone dans la vie de César, promissumque jus annulorum cùm millibus C C C C distulit ; & le même dans la vie de Vespasien, primus è fisco latinis, graecis, rhetoribus annua centena constituit, c'est-à-dire, centena millia sestertium.

Selon l'opinion de M. Gassendi, l'as romain valoit neuf deniers de notre monnoie, (l'once d'argent étant estimée sur le pié de soixante-dix sols), le denier romain valoit dix as, c'est-à-dire huit sols de notre monnoie, & le petit sesterce, nommé en latin sestertius, valoit, suivant ce calcul, deux sols ; le grand sesterce, qui en comprenoit mille petits, valoit environ cent & une livres dix-sept sols ; aujourd'hui que l'once d'argent est estimée sur le pié de six livres & le marc sur le pié de cinquante livres, le sesterce vaudroit un peu moins de quatre sols, & les mille environ cent quatre-vingt-sept livres ; il est aisé de faire cette évaluation en tous tems d'après la valeur fixée de l'once d'argent. (D.J.)


SESTERTIUM(Topogr. de Rome) lieu de Rome, situé à deux milles & demi de la porte Esquiline ; ce lieu étoit ainsi nommé, dit Juste-Lipse, quòd semi tertio ab urbe milliari distabat. C'étoit l'endroit où l'on jettoit les cadavres de ceux que les empereurs faisoient mourir ; & ce fut dans ce même endroit, dit Plutarque, qu'on jetta la tête de Galba, après qu'on l'eut assassiné & qu'on lui eut fait toutes sortes d'outrages. (D.J.)


SESTIARIASESTIARIA


SESTINATES(Géog. anc.) peuples d'Italie dans l'Umbrie. Leur ville étoit un municipe, à la source de l'Issaurus ou Pisaurus. Ce municipe étoit célebre, comme le témoignent diverses inscriptions anciennes. (D.J.)


SESTIUM(Géog. anc.) ville d'Italie dans les terres de l'Oenotrie. Gabriel Bari croit que c'est aujourd'hui Saracena. (D.J.)


SESTO(Géog. mod.) petite ville d'Italie dans le Milanez, sur la gauche du Tésin, à l'endroit où il sort du lac Majeur. Elle a titre de duché, possédé par la maison de Spinola. (D.J.)


SESTOLA(Géog. mod.) ville d'Italie dans le duché de Modene, & le chef-lieu du Friguano. Il y a un gouverneur & une garnison. (D.J.)


SESTRI(Géog. mod.) petite ville d'Italie dans l'état de Genes, à 30 milles de cette capitale. C'est la résidence de l'évêque de Bruguano. On la nomme Sestri di Levante, & quelques-uns la prennent pour la Sesta Tiguliorum de Pline. Longit. 27. 2. lat. 44. 33.

Sestri, surnommée di Ponente, pour la distinguer de la précédente, est une autre petite ville de l'état de Genes, mais qui n'est qu'à 6 milles à l'ouest de la capitale. On a cru que c'étoit l'ancienne Tigulia. Long. 26. 35. latit. 44. 27. (D.J.)


SESTUou SESTOS, (Géog. anc.) ville du Chersonese de Thrace, sur la côte de l'Hellespont, & au milieu de cette côte, vis-à-vis de la ville d'Abydos. L'espace entre ces deux villes est de 7 à 8 stades. Sestos est à jamais célebre par les amours d'Héro & de Léandre, dont je parlerai au mot TOUR DE LEANDRE ; & c'est de - là qu'elle est appellée , Sestias Héro, par Musée, qui un peu auparavant dit : Sestus erant & Abydus, è regione positae, propè mare, vicina oppida.

Thucydide, l. VIII. p. 588. en parlant de Strombichide, remarque que ce chef des Athéniens étant venu à Abydus, & ne pouvant engager les habitans à se rendre ni les réduire par la force, navigea vers le rivage opposé, & mit une garnison dans Sestus pour être maître de l'Hellespont. Pomponius Méla, l. II. c. ij. place aussi ces deux villes à l'opposite l'une de l'autre : Est Abydo objacens Sestos, Leandri amore nobiles. Le nom national étoit Sestus, selon Etienne le géographe, & nous avons une médaille de Gordien avec ce mot.

Il y a, dit Procope, Aedif. l. IV. c. x. à l'opposite d'Abydos une ville fort ancienne, nommée Sestos, qui est commandée par une colline, & qui n'avoit autrefois ni fortifications, ni murailles. L'empereur Justinien y a fait bâtir une citadelle qui est de très-difficile accès, & qui passe pour imprenable.

Les Géographes croyent ordinairement que les châteaux des Dardanelles sont bâtis sur les ruines de Sestos & d'Abydos ; mais ils se trompent manifestement, car les châteaux sont vis-à-vis l'un de l'autre, au-lieu que ces deux villes étoient situées bien différemment : Sestos étoit si avancée vers la Propontide, que Strabon, qui compte avec Hérodote 875 pas d'Abydos à la côte voisine, en compte 3750 du port de cette ville à celui de Sestos.

Léandre devoit être bien vigoureux pour faire ce trajet à la nage, quand il vouloit voir Héro sa maîtresse ; aussi l'a-t-on représenté sur des médailles de Caracalla & d'Alexandre Sévere, précédé par un cupidon qui voloit le flambeau à la main pour le guider ; flambeau qui ne lui étoit pas d'un moindre secours, que le fanal que sa maîtresse prenoit soin d'allumer sur le haut de la tour où elle l'attendoit : il falloit être un héros & tout des plus robustes pour faire l'amour de cette maniere.

Il vaut donc mieux s'en tenir à ce que dit Strabon pour la situation de Sestos & d'Abydos ; d'ailleurs on ne trouve aucuns restes d'antiquité autour des châteaux, & l'endroit le plus étroit du canal est à trois milles plus loin sur la côte de Maita en Europe : on voit encore des fondemens & des masures considérables sur la côte d'Asie, où Abydos étoit placée.

Xerxès, dont le pere avoit fait brûler cette ville, de peur que les Scythes n'en profitassent pour entrer dans l'Asie mineure, choisit avec raison ce détroit pour faire passer son armée en Grece ; car Strabon assure que le trajet sur lequel il fit jetter un pont, n'avoit que sept stades, c'est - à - dire qu'environ un mille de largeur. (D.J.)


SESUVII(Géog. anc.) cité maritime de la Gaule celtique dans l'Armorique, selon César, Bel. Gal. l. II. c. xxiv. qui la nomme avec celle des peuples Veniti, Unelli, Osimii, Curiosolitae, Aulerei & Rhedones. Nicolas Samson observe dans ses remarques sur l'ancienne Gaule que le nom Sesuvii est fort corrompu chez les anciens, ce qu'il prouve par plusieurs passages, qui montrant que Essui & Sesuvii (le pays de Séez) ne sont qu'un même peuple dont les noms ont été altérés. (D.J.)


SETAEUM(Géog. anc.) petite contrée d'Italie dans la Calabre, aux environs de la ville de Sybaris. Gabriel Bari croit que S. Mauro, évêché de la Calabre, redevenu simple village, étoit dans le voisinage de ce petit pays. (D.J.)


SETANTIORUMSETANTIORUM


SETE(Géog. mod.) province d'Afrique, dans la basse-Ethiopie, au royaume de Louango, à seize lieues de Majambre. Elle produit du gros & du petit millet, du vin de palme & du bois rouge, dont les habitans trafiquent. (D.J.)


SETEIASETEIA


SÉTHIENSou SÉTHINIENS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) hérétiques sortis de Valentin, ainsi appellés du nom de Seth. Ils enseignoient que deux anges ayant créé l'un Caïn, & l'autre Abel, & celui-ci ayant été tué, la grande vertu qui étoit au-dessus des autres vertus, avoit voulu que Seth fût conçu comme une pure semence ; mais qu'enfin les deux premiers anges s'étant mêlés les uns avec les autres, la grande vertu avoit envoyé le déluge pour ruiner la mauvaise engeance qui en étoit venue ; que toutefois il s'en étoit glissé quelque partie dans l'arche, d'où la malice s'étoit répandue dans le monde. Ces hérétiques composerent plusieurs livres sous le nom de Seth & des autres patriarches. Quant à Jesus-Christ, ils se persuadoient ou qu'il étoit Seth, ou qu'il tenoit sa place. Tertullien, de praescr. c. xlvij ; Saint Irénée, l. I. c. vij & seq. Saint Epiphane, haer. 31 ; Baronius, A. C. 145 ; Sixte de Sienne, l. II. biblioth. Godeau, hist. ecclés. &c.


SÉTHIM(Critiq. sacrée) sorte de bois précieux dont Moïse se servit pour construire l'arche, les autels, la table, le tabernacle même, & plusieurs autres choses qui y servoient. Ce bois se trouvoit dans les deserts d'Arabie, mais nous ne le connoissons point ; & les septante ont traduit le mot hébreu sethim par le terme général de bois incorruptible. (D.J.)


SETHREITES-NOMUS(Géog. anc.) ou Sethroïtes, comme lisent Pline & Etienne le géographe, nome d'Egypte, l'un des dix du Delta. Sethrum ou Sethron en étoit la capitale. (D.J.)


SETIA(Géog. anc.) 1°. ville d'Italie dans le Latium, aujourd'hui Sezza. C'étoit, selon Tite-Live, l. VII. une colonie romaine voisine de celle de Norba. Pivernates Norbam atque Setiam finitimas colonias romanas, incursione subitâ, depopulati sunt. Il dit, l. XXVI. c. xviij. que c'étoit un municipe, & il le place sur la voie Appienne : Consul per Appiae municipia, quaeque propter eam viam sunt. Setiam sauram Lavinium praemisit. Cette ville étoit située sur le haut d'une montagne, ce qui a fait que Martial lui a donné l'épithete de pendula. Le même poëte dit dans un autre endroit, l. X. epigr. 64 :

Nec quae pendules delicata pomptinas

Ex arce clivi spectat uva Setini.

On recueilloit beaucoup de vin dans le territoire de Setia : Silius Italicus fait l'éloge de ce vin.

At quos ipsius mensis seposta liaei

Setia, & incelebri miserunt valla velitrae.

Les habitans de Setia étoient appellés Setini, & la ville elle-même se trouve nommée Setina colonia dans une inscription rapportée par M. Spon, page 179. Patrono. Fabrum Coloniae Setinae.

Cette ville conserve son ancien nom ; elle est située sur une montagne dans la campagne de Rome, entre Sermonette & Piperno. Mais aujourd'hui son terroir a changé de nature ; il ne produit presque rien du tout. L'on remarque parmi les bois dont ses montagnes sont présentement couvertes, beaucoup de ces plantes appellées ficus indica ; il y en a qui s'élevent jusqu'à la hauteur de trente piés, & qui font un tronc de la grosseur d'un homme. Les lauriers & les myrthes y sont communément dans les haies, & on commence à trouver assez fréquemment les oranges en pleine terre. Proche de Setia, au village de Casenove, on rencontre un fort grand marais, sur lequel on peut s'embarquer pour aller à Terracina.

2°. Setia est encore le nom d'une ville d'Espagne, dans la Bétique, que Ptolémée, l. II. c. jv. place dans les terres, & qu'il donne aux Turdules.

3°. Setia, ville de l'Espagne tarragonoise, située dans les terres & chez les Vascones, selon Ptolémée, l. II. c. vj.

Valerius Flaccus, poëte latin, étoit natif de Setia dans le Latium, & selon d'autre, de Padoue. Quoi qu'il en soit, ce poëte, qui fleurissoit sous l'empire de Domitien, vers l'an 71 de Jesus-Christ, eut beaucoup de part à l'amitié de Martial, & ne fut pas fort accommodé des biens de la fortune. Son poëme des Argonautes en huit livres, demeura imparfait ; & Quintilien regrette ce malheur pour les Lettres. (D.J.)


SÉTIE(Marine) voyez SEITIE.


SETIERS. m. terme de relation ; c'est le nom que les Francs donnent à des barques turques, avec lesquelles ils font le commerce de proche en proche. (D.J.)


SETINES. f. terme de laboureur, mesure de prés dans le pays de Bugei & de Gex ; c'est l'étendue de pré que six hommes peuvent faucher en un jour. On estime la setine au pays de Gex douze charretées de foin de vingt quintaux, qui font vingt-quatre méaux du pays de Bresse. A Genève la setine ou séretée est autant de pré qu'un homme peut faucher en un jour. (D.J.)


SETINUM(Botan.) nom donné par quelques-uns à la Meleze, & par quelques autres à l'agaric de Dioscoride. (D.J.)


SETIOLERterme de Jardinage. Ce terme se dit des plantes qui, pour être trop pressées dans leurs planches, montent plus haut qu'elles ne devroient, ce qui les rend foibles & menues. Le même mot se dit aussi des branches qui sont dans le milieu des arbres trop touffus. (D.J.)


SETONS. m. terme de Chirurgie, bandelette de linge qui sert à entretenir la communication entre deux plaies.

Ce mot vient du latin seta, parce que l'on se servoit anciennement de crins de cheval pour la même intention.

Fabrice d'Aquapendente employoit un cordon de soie. J'ai vu plusieurs chirurgiens qui se servoient de ces meches de coton qu'on met dans les lampes ; mais on doit préférer une petite bande de toile, parce que le linge convient mieux aux plaies. On a soin d'effiler cette bandelette sur les bords, pour qu'elle passe plus facilement, & qu'elle s'applique plus mollement aux parois de la plaie.

Le seton est d'un grand secours pour porter les médicamens tout le long du trajet d'une plaie contuse qui a une entrée & une sortie, comme cela arrive ordinairement dans les plaies d'armes à feu. Quelques praticiens objectent que le seton est un corps étranger qu'on entretient dans la plaie, & qu'ainsi l'usage doit en être proscrit ; mais on ne peut lui refuser d'avoir de grandes utilités ; il empêche que les entrées & les issues des plaies se renferment avant le milieu ; il sert à porter les remedes convenables dans toute leur profondeur, & à conduire aisément au dehors les matieres nuisibles. Si le seton a quelquefois produit des accidens, que l'on a vu cesser par la suppression qu'on en a faite, c'est que la plaie n'étoit point assez débridée, ou que le seton tiré d'un mauvais sens, accrochoit quelque esquille, laquelle en picotant les parties extrêmement sensibles, excitoit des douleurs cruelles, comme je l'ai remarqué plusieurs fois. Lorsque le seton est à l'aise dans la plaie, il ne produit aucun mauvais effet, il procure au contraire de très-grands avantages. Lorsque la plaie est mondifiée, on ôte le seton, & alors elle se guérit fort aisément, s'il n'y a aucun obstacle d'ailleurs.

Pour poser le seton au-travers de la plaie, il faut avoir une aiguille destinée à cet usage. Voyez AIGUILLE.

Le seton doit être fort long, parce qu'à chaque pansement il faut retirer ce qui est dans la plaie, & en faire suivre une autre partie, que l'on aura couverte d'onguent dans toute l'étendue qui doit occuper la longueur de la plaie. On coupe ensuite ce qui en est sorti, & qui est couvert de pus. Quand tout le seton est usé, & que l'on a encore besoin de s'en servir, il ne faut pas en passer un nouveau avec l'aiguille, mais on l'attachera au bout de celui qui finit, en observant autant qu'il est possible de faire entrer le seton par le côté supérieur de la plaie, & de le faire sortir par celui qui en est l'égoût.

Quand on supprime le seton, on met assez ordinairement de la charpie brute sur toute la longueur de l'endroit sous lequel le seton a passé, & par-dessus une compresse assez épaisse. En rapprochant par ce moyen les parois du sinus, on procure une promte réunion.

SETON, opération de Chirurgie par laquelle on perce d'un seul coup la peau en deux endroits, avec un instrument convenable, pour passer une bandelette de linge d'une ouverture à l'autre, afin de procurer une fontanelle, ou ulcere dans une partie saine. Voyez FONTANELLE. Le seton se pratique le plus ordinairement à la nuque.

Il y a bien des auteurs qui ne sont point partisans de cette opération. On fait contr'elle des objections qui lui sont particulieres ou communes avec les cauteres. Plusieurs personnes, fort éclairées d'ailleurs, ne croyent pas qu'un trou fait à la peau & à la graisse puisse servir d'égoût aux humeurs vitiées qui produisent des maladies habituelles ; telles que les maux de tête invétérés, les ophthalmies opiniâtres, &c. Cette opinion est contredite par un grand nombre de faits qui assurent l'utilité de ces sortes d'évacuations ; elles peuvent même servir de préservatif : on a l'expérience que les personnes qui portent des cauteres ne sont point attaquées de la peste. Voyez Ambroise Paré & autres auteurs, qui rapportent des observations positives à ce sujet.

Les raisons particulieres qu'on trouve dans les livres contre l'opération du seton, ont pour fondement la méthode cruelle dont on le pratiquoit. Les anciens pinçoient la peau avec des tenailles percées, & passoient un fer ardent au-travers de ces ouvertures pour percer la peau.

Pour faire cette opération par une méthode plus simple & moins douloureuse, le chirurgien pince la peau & la graisse longitudinalement avec les pouces & les doigts indicateurs des deux mains ; il fait prendre par un aide le pli de peau qu'il pinçoit de la main droite, & de cette main il perce la peau avec un petit bistouri à deux tranchans ; après avoir retiré son instrument, il passe la bandelette par le moyen de l'aiguille à seton, & on panse les deux petites plaies avec de la charpie, une compresse, & quelques tours de bande. On peut avoir un bistouri avec une ouverture ou oeil vers la pointe : par ce moyen on passera la bandelette en même tems qu'on fait les incisions.

La suite des pansemens est la même que nous l'avons décrite au mot SETON, piece d'appareil.

Cette espece de fontanelle a sur le cautere les avantages d'être faite dans le moment : la suppuration y est établie dès le second jour ; & dans l'application du cautere, il faut attendre la chute de l'escare, qui ne se fait souvent qu'au bout de douze ou quinze jours. L'ulcere produit par le seton est tellement soumis à la volonté du chirurgien, qu'on l'entretient tant de tems qu'on le desire, & qu'on le guérit de même dès qu'on le souhaite, en ôtant la bandelette. L'ulcere qu'on a fait avec le cautere, se guérit quelquefois malgré qu'on en ait ; & souvent on désireroit le guérir sans pouvoir y réussir, du-moins aussi promtement que le seton ; dans ce dernier cas la guérison est une affaire de vingt-quatre heures, & l'ulcere du cautere doit être mondifié, détergé & cicatrisé, ce qui demande un tems plus long. (Y)


SETTEou SETE, (Géog. mod.) cap de France dans le bas Languedoc, sur la côte de la mer, au midi du lac de Maguelone & de la bourgade de Frontignan. Louis XIV. y fit construire un port qui est pour les galeres & les petits bâtimens. C'est-là que commence le canal de Languedoc, qui va se terminer dans la Garonne à Toulouse. Long. suivant Cassini, prise au fanal de cette ville, 21. 13. latit. 43. 24. 40. (D.J.)


SETTENIL(Géog. mod.) en latin barbare Septenilium, petite ville d'Espagne, dans le royaume de Grenade, sur un rocher, au couchant de Munda, & vers les confins de l'Andalousie. La plûpart des maisons sont taillées dans le roc ; le terrein des environs ne produit que des pâturages. (D.J.)


SETTIA(Géog. mod.) province de l'île de Candie, du côté de l'occident, dans l'endroit que l'on appelle Isthene ; cette province est très-petite, n'ayant qu'environs douze milles d'étendue, & pour chef-lieu une petite ville de son nom. (D.J.)

SETTIA, (Géog mod.) ville de l'île de Candie, & le chef-lieu de la petite province de même nom ; elle est située au septentrion sur le bord de la mer ; son château qui étoit assez considérable, a été détruit par les Vénitiens en 1651, & n'a point été rétabli par les Turcs depuis que l'île de Candie a passé dans leurs mains. (D.J.)


SÉTUBAL(Géog. mod.) ville de Portugal, dans l'Estramadoure, au midi du Tage, vers l'embouchure du Zadaor, à 10 lieues au sud-est de Lisbonne.

Sétubal a été bâtie des ruines de l'ancienne Cetobriga, qui étoit un peuple plus avant au couchant, & dans laquelle Jupiter Ammon avoit un temple. On a eu soin de la fortifier, & de la fermer de murailles. Elle est située au bout d'une plaine de deux lieues de longueur, extrêmement fertile en grain, en vin, & en fruits. Au couchant de cette ville, la terre fait un promontoire avancé dans la mer, qui présente deux cornes, l'une au nord du côté du Tage, & l'autre au midi du côté de l'océan ; ce dernier promontoire est le promontorium Barbarium des anciens, & le cap de Espichel des modernes.

Sétubal s'étoit accrue par la commodité de son port, par la fertilité de son terroir, par la richesse de sa pêche, & par la fécondité de ses salines. Enfin, son commerce florissant avoit rendu depuis six siècles cette ville considérable, lorsqu'elle a été détruite par ce terrible tremblement de terre, du premier Novembre 1755, qui a si prodigieusement endommagé Lisbonne. Long. 8. 45. latit. 38. 22. (D.J.)


SETUNDUM(Géog. anc.) ville de l'Ethiopie, sous l'Egypte, le long du Nil, selon Pline, l. VI. c. xxx. (D.J.)


SETZ(Géog. mod.) par M. Delisle Seezin, ville de la basse-Hongrie, dans le comté de Barauyvar, à la droite du Danube, entre Bude & Peterwaradin. (D.J.)


SEUDRELA, (Géog. mod.) riviere de France, en Saintonge ; elle se jette dans la mer près de Marennes, & vis-à-vis la pointe méridionale de l'île d'Oleron. Au reste, la Seudre est plutôt un bras de mer qu'une riviere, puisqu'elle n'est navigable que par le secours des marées ; ses environs en tirent de grands avantages, parce qu'elle donne entrée quatre lieues avant dans les terres à des vaisseaux de deux cent tonneaux. Le cardinal de Richelieu projettoit de faire conduire un canal de l'extrêmité de la Seudre jusqu'à la Gironde ; mais l'idée de ce projet utile est morte avec lui. (D.J.)


SEUILS. m. (Archit.) c'est la partie inférieure d'une porte, ou la pierre qui est entre ses tableaux ; elle ne différe du pas qu'en ce qu'elle est arasée d'après le mur. Le seuil a quelquefois une feuillure pour recevoir le battement de la porte mobile. (D.J.)

SEUIL d'écluse, (Archit. hydraul.) piece de bois qui étant posée de travers, entre deux poteaux au fond de l'eau, sert à appuyer par le bas, la porte ou les aiguilles d'une écluse, ou d'un pertuis.

Seuil de pont-levis, grosse piece de bois avec feuillure, arrêtée au bord de la contr'escarpe d'un fossé, pour recevoir le battement d'un pont-levis, quand on l'abbaisse. On l'appelle aussi sommier. (D.J.)


SEUILLETSS. m. (Marine) ce sont des planches qui sont posées sur les parties inférieures & supérieures du sabord, qui couvrent l'épaisseur du bordage, & qui empêchent de pourrir les membres du vaisseau en y entrant. On appelle hauteur de seuillets, la partie du côté du vaisseau comprise entre le pont & les sabords.


SEULAGES. m. (Commerce) terme normand qui signifie magasinage. Voyez MAGASINAGE.


SEULES. f. signifie en Normandie magasin. Voyez MAGASIN.


SEULLONS. m. (Droit coutum.) le seullon, seillon ou sillon de terre, a quatre piés de largeur, & cent vingt piés de longueur. Trévoux. (D.J.)


SEUMARA(Géog. anc.) ville de l'Ibérie. Strabon, l. XI. p. 501. dit qu'elle étoit bâtie sur un rocher au bord de l'Aragus, à seize stades de la ville Harmozica. (D.J.)


SEURou SEURRE, (Géog. mod.) en latin barbare Surregium ; petite ville de France dans la Bourgogne, sur le bord de la Saone & du diocèse de Besançon. Il y a des augustins, des capucins, deux couvens de religieuses & un college. Elle est la douzieme qui députe aux états de Bourgogne. (D.J.)

SEURE, LA, (Géog. mod.) riviere de France en Poitou. Elle commence à porter bateau à Niort, & se jette dans la mer au-dessous de Marans. On appelle communément cette riviere Seure niortoise, pour la distinguer de la Seure nantoise, laquelle tombe dans la Loire près de Nantes. (D.J.)


SEURETÉS. f. (Commer.) assurance, précaution que ceux qui négocient & contractent ensemble, ont coutume de prendre, & doivent prendre pour n'être point trompés. La parole, ou au plus l'écrit des hommes, devroit être, & est en effet, la plus grande sureté des honnêtes gens ; mais la malice & la chicane de la plûpart, obligent souvent de prendre d'autres précautions, même avec ceux qui ont le plus de réputation de probité, & c'est ce qu'on appelle prendre ses seuretés. Le cautionnement, le nantissement, les gages, les endossemens, les souscriptions, &c. sont autant de seuretés que l'on peut prendre suivant le caractere des gens avec qui l'on traite, ou des affaires dont il s'agit. Dict. de Comm. (D.J.)


SEUSNES. f. (Pêcherie) on nomme seusne en Bretagne, un grand filet ou espece de senne, dont se servent les équipages des vaisseaux qui vont à la pêche de la morue, pour prendre le petit poisson dont on fait l'hameçon des lignes avec lesquelles on pêche la morue. Chaque bâtiment a ordinairement trois seusnes. Voyez SEINE. (D.J.)


SEUVO-MONS(Géog. anc.) montagne de la Scandinavie, Pline, lib. IV. c. xiij. en fait une montagne immense, égale aux monts Riphées. Tous les Géographes s'accordent à dire que Pline désigne parlà, cette grande chaine de montagnes qui s'étend en forme de croissant, depuis l'extrêmité septentrionale de la Scandinavie, & vient finir au promontoire Cimbrique, après avoir traversé toute cette grande peninsule. Cette montagne est connue aujourd'hui sous différens noms ; une partie entr'autres est appellée Skars ; on donne à une autre le nom de Suia, & à une troisieme celui de Doffrafiel. (D.J.)


SEVAS. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau de l'île de Madagascar ; ses feuilles sont d'un verd foncé pardessus ; elles sont blanches & cotonneuses par-dessous, & de la grandeur de celles d'un amandier ; elles sont astringentes & peuvent servir de remede contre le flux de sang.

SEVA, (Antiq. rom.) couteau dont on se servoit dans les sacrifices pour égorger les victimes. (D.J.)


SÉVE(Botan.) humeur aqueuse qui se trouve dans le corps des plantes, & qui les nourrit.

Nous ne connoissons point encore la cause de l'élévation de la séve dans les plantes : cette cause résideroit-elle dans quelque mouvement analogue au mouvement péristaltique des intestins ? L'action d'un air plus ou moins chaud sur la lame élastique des trachées, seroit-elle le principe de ce mouvement ? La roideur que le desséchement produit dans les parties élastiques & ligneuses, s'opposeroit - elle à ce mouvement ?

Quelques physiciens ont imaginé que la séve circuloit dans les plantes comme le sang circule dans les animaux ; mais les expériences de M. Halles ont démontré la fausseté de cette opinion ; aussi n'admet-il dans la séve qu'une sorte de balancement. Les judicieuses réflexions sur lesquelles il établit son hypothèse, méritent d'être lues dans l'ouvrage même ; je ne ferai que les indiquer ici.

Les plantes reçoivent & transpirent en tems égal beaucoup plus que les grands animaux ; les plantes sont dans un état de perpétuelle succion ; elles prennent sans - cesse de la nourriture pendant le jour par leurs racines, pendant la nuit par leurs feuilles ; les animaux au contraire ne prennent de la nourriture que par intervalle. La digestion de cette nourriture ne s'opéreroit point ou s'opéreroit mal, si de nouvelles nourritures ne succédoient sans interruption. La méchanique qui exécute la nutrition des plantes, paroît donc devoir différer beaucoup de celle qui exécute la nutrition des animaux qui nous sont les plus connus.

La nutrition des plantes semble devoir se faire d'une maniere plus simple, exiger moins de préparations que celle des grands animaux ; c'est ce qu'indique encore l'inspection des organes.

Les plantes n'ont point de parties qui répondent par leur structure ou par leur jeu, à celles qui opérent la circulation du sang dans les grands animaux. Elles n'ont ni coeur, ni arteres, ni veines ; leur structure est très - simple & très - uniforme ; les fibres ligneuses, les utricules, les vases propres, les trachées, composent le systême entier de leurs visceres ; & ces visceres sont répandus universellement dans tout le corps de la plante : on les retrouve jusque dans les moindres parties. Les vaisseaux séveux n'ont point de valvules destinées à favoriser l'ascension de la séve, & à empêcher la rétrogradation. Quand ces valvules échapperoient au microscope, l'expérience en démontreroit la fausseté ; puisque les plantes que l'on plonge dans l'eau, ou qu'on met en terre par leur extrêmité supérieure, ne laissent pas de végéter.

Il est si vrai que la séve monte & descend librement par les mêmes vaisseaux, que si après avoir coupé dans la belle saison, une des grosses branches d'un arbre, on adapte au tronçon un tube de verre qui contienne du mercure, on verra la séve élever le mercure pendant le jour, & le laisser tomber à l'approche de la nuit. On parviendra de cette façon à mesurer la force de la séve par l'élévation du mercure, & à comparer cette force dans différens sujets. Toutes choses d'ailleurs égales, les variations du mercure seront d'autant plus considérables, que le jour sera plus chaud, & la nuit plus fraîche. La marche de la séve dans la belle saison, ressemble donc assez à celle de la liqueur d'un thermometre : l'une & l'autre dépendent également des alternatives du chaud & du frais.

Enfin, les divers phénomenes botaniques qu'on a regardés comme de fortes preuves de la circulation de la séve, ne la supposent point nécessairement. Tous ces phénomenes s'expliquent de la maniere la plus heureuse par un principe fort simple, fondé sur l'observation ; c'est qu'il y a une étroite communication entre toutes les parties d'une plante ; elles sont toutes les unes à l'égard des autres, dans un état de succion : la nourriture que prend une de ces parties, se transmet aux autres ; les feuilles se nourrissent réciproquement ; la racine pompe le suc de la tige ; la tige pompe le suc de la racine. Ainsi, du commerce mutuel qui est entre le sujet & la greffe, résulte cette communication réciproque de leurs bonnes ou de leurs mauvaises qualités, qu'on allegue en preuve de la circulation. Le suc nourricier passe alternativement du sujet dans la greffe, & de la greffe dans le sujet. Certainement les plantes n'ont point d'estomac, d'intestins, d'arteres, ni de veines ; mais il se peut que la séve monte par le bois, & descende par l'écorce. Une partie du suc nourricier qui s'éleve par les fibres ligneuses, peut passer par les feuilles dans l'écorce, de-là dans la racine. Une autre partie de ce suc retourneroit par les mêmes vaisseaux vers la racine ; d'où elle repasseroit encore dans la tige ; c'est du-moins la conjecture de M. Bonnet ; & malheureusement toutes les conjectures en ce genre, ne sont que de pures dépenses d'esprit. (D.J.)

SEVE, (Géog. mod.) village de France près de Paris, & fameux par le passage de la riviere de Seine, qu'on y traverse sur un pont de bois de vingt & une arches, qui embrasse les deux bras de la riviere. M. Perrault de l'académie royale des Sciences, avoit projetté un pont de bois d'une seule arche, de trente toises de diametre, qu'il proposa de faire construire. Le trait de l'arche est une portion de cercle ferme & solide. Il auroit été composé de dix-sept assemblages de pieces de bois, qui posés en coupe l'un contre l'autre, se devoient soutenir en l'air par la force de leur figure, plus aisément que n'auroient fait des pierres de taille, qui ont beaucoup de pesanteur. Cette ingénieuse invention auroit eu l'avantage de ne point incommoder la navigation : ce pont n'auroit jamais été endommagé par les glaces & par les grandes eaux, & on auroit pu le rétablir sans que le passage en eût été empêché. (D.J.)

SEVE, (terme de marchand de vin) ce mot se dit d'une qualité ou d'une certaine saveur que le sep de vigne a communiqué à la grappe, & la grappe au vin, ce qui le rend agréable à boire : c'est une petite verdure qui se tourne en force dans la maturité du vin. Les gourmets font grand état de celui qui a de la seve ; mais il y a autant de différentes seves qu'il y a de différens vins. (D.J.)


SEVENBERG(Géog. mod.) petite ville des Pays-Bas, dans la Hollande, à trois lieues de Breda, & à deux de Willemstad. (D.J.)


SEVENDLE, (Géog. mod.) riviere qui coule entre celle de Terk & celle de Coï, en Derbend. Elle se décharge dans la mer Caspienne, selon M. Petit de la Croix. (D.J.)


SEVENNESLES, (Géog. mod.) la meilleure orthographe est Cevennes ; montagnes de France, au bas-Languedoc. Elles regnent dans les diocèses d'Alais, d'Uzès, de Mende & d'une partie du Vivarais. César, dans ses commentaires, appelle cette chaîne de montagnes, mons Cebenna, & dit qu'elle sépare les Helviens des Auvergnats, parce qu'en ce tems-là les peuples du Gevaudan & du Velay, (qui sont séparés du Vivarais par les Cevennes) étoient dans la dépendance des Auvergnats. Les poëtes latins appellent indifféremment ces montagnes, Cebenna ou Cebennae, mais Strabon & Ptolémée écrivent Cemmeni. Les Cevennes sont de difficile accès, & ont été cependant très-peuplées par le grand nombre de Calvinistes qui s'y retirerent dans les derniers siecles, comme dans un lieu de retraite. (D.J.)


SEVERSAINT, (Géog. mod.) ou Saint-Sever-Cap, pour le distinguer de Saint-Sever de Rustan. Saint-Sever-Cap est une petite ville de France, dans la Gascogne, au diocèse d'Aire, sur l'Adour, à 6 lieues au nord-ouest d'Aire, & à 155 de Paris. Il y a une sénéchaussée du ressort d'Acqs, & une abbaye d'hommes, ordre de Saint Benoît, fondée l'an 993. Long. 17. 44. latit. 43. 40.

Saint-Sever de Rustan, est une autre petite ville de France dans le Bigorre, au diocèse d'Auch, & à deux lieues de Tarbes, sur l'Arros, avec une abbaye d'hommes, ordre de Saint Benoît, unie à la congrégation de Saint Maur. Long. 17. 37. latit. 43. 8.

D. Martianay, bénédictin de la congrégation de Saint Maur, naquit à Saint-Sever-Cap en 1647, & mourut à Paris en 1717. Il a donné une nouvelle édition des oeuvres de Saint Jérôme, & un grand nombre d'autres ouvrages, dans lesquels il regne plus d'érudition que de jugement & de saine critique. Sa vie de Magdelaine du Saint Sacrement, qu'il mit au jour à Paris en 1711, est aussi ridicule qu'aucune de celles qui se trouvent dans les légendes. (D.J.)


SEVERACSEVERAC


SEVERAK(Géog. mod.) ville de la Turquie en Asie, sur la route d'Alep à Tauris, par Diarbékir & Van. (D.J.)


SEVEREadj. (Gram.) observateur scrupuleux des loix. Il se dit des choses & des personnes. Il est juge severe ; il a le goût severe.


SÉVÉRIE(Géog. mod.) province de l'empire Russien, dans la Moscovie, avec titre de duché ; c'est une province remplie de forêts ; la partie méridionale en a une seule, qui est longue de vingtquatre lieues d'Allemagne, & la partie septentrionale n'est pas moins couverte de bois. La sévérie est bornée au nord par les duchés de Smolensko & de Moscou, au midi par le pays des Cosaques, au levant par le même pays & la principauté de Vorotink, & au couchant par le duché de Czernigove. Ses principales rivieres sont la Dubiecza, la Dezna & la Nezin. Sigismond III. s'empara de cette province en 1611. Le czar Alexis la recouvra en 1654 ; & depuis ce tems - là, elle est restée à l'empire de Russie, comme faisant partie du duché de Smolensko. Novogrodek en est la capitale. (D.J.)


SEVERINOSAN, (Géog. mod.) il y a deux villes de ce nom en Italie, dans le royaume de Naples. La premiere est entre des collines, à six milles de Tolentin, à seize de Macerata, & à douze de Camerino. Elle a été bâtie en 1198, près des ruines de l'ancienne Septempeda, que les Goths avoient détruite en 543. Son évêché est suffragant de Fermo, & a été érigé par Sixte V. en 1586. Long. 30. 54. latit. 43. 10.

La seconde San - Severino est dans la principauté citérieure, au nord de la ville de Salerne, près de la riviere de Sarno. Elle appartient au prince d'Avellino de la maison Caraccioli. (D.J.)


SÉVÉRITÉRIGUEUR, (Synonym.) la sévérité se trouve principalement dans la maniere de penser & de juger ; elle condamne facilement & n'excuse pas. La rigueur se trouve particulierement dans la maniere de punir ; elle n'adoucit pas la peine & ne pardonne rien.

Les faux dévots n'ont de sévérité que pour autrui ; prêts à tout blâmer, ils ne cessent de s'applaudir eux-mêmes. La rigueur ne paroît bonne que dans les occasions où l'exemple seroit de la plus grande conséquence : par - tout ailleurs on doit avoir beaucoup d'égard à la foiblesse humaine.

L'usage a consacré les mots rigueur & sévérité à de certaines choses particulieres. On dit la sévérité des moeurs, la rigueur de la raison. La sévérité des femmes, selon l'auteur des maximes, est un ajustement & un fard qu'elles ajoutent à leur beauté. Dans ce sens, le mot rigueurs au pluriel répond à celui de sévérité. Il s'employe fort bien en poésie pour les destins. Brébeuf a dit :

L'une & l'autre fortune a d'égales rigueurs,

Et l'affront des vaincus est un crime aux vainqueurs.

(D.J.)


SEVEROSAN, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Capitanate, à vingt-quatre milles au couchant de Manfrédonia. Son évêché, auquel on a uni celui de Civitare, releve du saint siege. Long. 32. 56. latit. 41. 40. (D.J.)


SÉVÉRONDES. f. (Charpenter.) c'est la saillie d'un toît sur la rue, ou si l'on veut, le bas de la couverture d'une maison. On dit aussi subgronde. (D.J.)


SEVERUS-MONS(Géog. anc.) montagne d'Italie, dans la Sabine, Virgile en parle au VII. livre de l'Enéïde, vers 713.

Qui tetricae horrentes rupes, montemque Severum,

Casperiamque colunt.

Severus, dit Festus, est le nom propre de cette montagne, qui selon Léander, conserve encore cet ancien nom, car il veut qu'on la nomme monte - Severo. (D.J.)


SÉVICES(Jurisprud.) du latin saevitia, est un terme usité au palais, pour exprimer les traitemens inhumains que l'on fait souffrir à quelqu'un.

On joint ordinairement ensemble les termes de sévices & mauvais traitemens, quoique celui de sévices soit le plus fort.

Pour ordonner la séparation de corps entre mari & femme, il faut qu'il y ait des sévices de la part du mari ; ces sévices se mesurent à la qualité des personnes, à leur éducation, & à leur maniere ordinaire de vivre ; entre gens de basse condition, il faut des faits plus graves qu'entre gens qui ont plus de sentimens & de délicatesse. Voyez SEPARATION. (A)


SEVIES. f. (Marine) sorte de petit bâtiment flamand.


SÉVILLE(Géog. mod.) ville d'Espagne, capitale de l'Andalousie, sur la rive gauche du Guadalquivir, à 16 lieues au nord - ouest de Grenade, & à 88 au sud-ouest de Madrid.

Elle est une des premieres, des plus belles, & des plus considérables villes d'Espagne, à tous égards ; elle porte le titre de cité royale & de capitale d'un beau royaume ; elle tient le premier rang dans l'église des vastes états espagnols, par la dignité de métropole dont sa cathédrale est revêtue ; le commerce y fleurit par sa situation sur le Guadalquivir, près de la mer ; les flottes des Indes viennent y apporter l'or & l'argent du nouveau monde, & on y convertit ces métaux en monnoie.

Elle est située dans une belle & vaste plaine à perte de vue, qui lui donne ses fruits & les riches toisons de ses brebis. Un aqueduc de six lieues de long, ouvrage des Maures qui subsiste encore, fournit de l'eau à tous ses habitans.

Elle est de figure ronde, ceinte de hautes murailles flanquées de tours, avec des barbacanes, & fermées de douze portes. On distingue entre ses fauxbourgs, celui de Triana, situé à l'autre bord du fleuve, où on passe de la ville sur un pont de bateaux. Long. suivant Cassini, 11. 21. 30. latit. 37. 36.

Séville portoit dans l'antiquité le nom d'Hispalis : les Maures, qui n'ont point de p, ont fait Isbilia, & de-là est venu par corruption le nom Sévilla ; comme c'est de nos jours une des plus riches villes d'Espagne, c'étoit aussi la plus opulente ville des Maures ; Ferdinand III. roi de Castille & de Léon, en fit la conquête en 1248. & elle ne retourna plus à ses anciens maîtres. La mort qui termina la vie de ce prince quatre ans après, mit fin à ses brillans exploits.

Les maisons de cette ville sont toujours construites à la moresque, & mieux bâties que celles de Grenade & de Cordoue ; mais les rues sont étroites & tournantes. Les églises y sont fort riches ; la cathédrale est en particulier la plus belle église, & la plus régulierement bâtie qui soit dans toute l'Espagne ; sa voute, extrêmement élevée, est soutenue de chaque côté, par deux rangs de piliers ; elle est longue de 175 pas, & large de 80. Son clocher est d'une hauteur extraordinaire, bâti tout entier de briques, percé de grandes fenêtres, qui donnent du jour à la montée ; il est composé de trois tours l'une sur l'autre, avec des galeries & des balcons ; l'escalier a la montée si douce, qu'on peut la parcourir en mule & à cheval, jusqu'au plus haut, d'où l'on découvre toute la ville & la campagne.

L'archevêque de Séville, dont le siege est fort ancien, a pris quelquefois le titre de primat d'Espagne ; on prétend que ce prélat a plus de cent mille ducats de revenu ; la fabrique de l'église en a trente mille, & quarante chanoines ont chacun trente mille réaux.

La plûpart des autres églises de Séville sont belles, & particulierement celles qu'on voit dans quelques maisons religieuses ; on y compte 85 bénéfices, & plus de trois mille chapelles ; l'église de S. Salvador, qui servoit autrefois de mosquée aux Maures, est par conséquent bâtie à la moresque, c'est-à-dire qu'elle est faite en arcades, soutenues par des piliers qui forment plusieurs portiques.

L'université de Séville a été fondée en 1531. par Roderique Fernandez de Santaella, savant espagnol de son tems ; ensuite les rois d'Espagne lui ont accordé les mêmes privileges qu'à celles de Salamanque, d'Alcala, & de Valladolid ; elle a toujours pour patron quelque grand-seigneur espagnol, qui pour cela ne la fait pas fleurir davantage.

Au midi de la ville, près de l'église cathédrale, est le palais royal, nommé alcaçar, bâti en partie à l'antique par les Maures, & en partie à la moderne par le roi D. Pedro, surnommé le cruel ; mais l'antique est infiniment plus beau que le moderne. On donne à ce palais un mille d'étendue ; il est flanqué de tours, qui sont faites de grosses pierres taillées en quarré.

La bourse où les marchands s'assemblent, est derriere l'église cathédrale ; elle est faite en quarré, d'ordre toscan, & composée de quatre corps de logis : chaque façade a deux cent piés de longueur avec trois portes & dix - neuf fenêtres à chaque étage : elle a deux étages, dont l'un sert pour les consuls ; les appartemens sont de grandes salles lambrissées, où les marchands traitent ensemble des affaires du commerce ; ce bâtiment, commencé en 1584, & qui n'a été fini que soixante ans après, a couté prodigieusement, puisque l'achat de l'emplacement seul, fut payé soixante & cinq mille ducats.

A l'entrée du fauxbourg nommé Triana, est le cours, où toute la ville va prendre le frais en été ; il est fait comme un jeu de mail double, partagé en deux allées de grands arbres, avec de petits fossés pleins d'eau.

La boucherie, par une plus sage politique que celle de Paris, est hors de la ville ; mais par une délicatesse de luxe, également cruelle & effrénée, on prend soin avant que d'égorger les boeufs, de les faire combattre contre les dogues, afin que leur chair en soit plus tendre.

En rentrant dans la ville par le pont de bateaux, on voit à l'entrée du port, qui est spacieux, le long du bord du Guadalquivir, une grande place nommée l'Arénal, la maison de l'or, où l'on décharge les effets, & où l'on met l'or & l'argent qui viennent des Indes. Cette maison a un grand nombre d'officiers qui tiennent registre de toutes les marchandises qui arrivent du Nouveau-monde, ou qu'on y porte.

On compte plus de cent hôpitaux dans Séville, la plûpart richement dotés ; il y en a un où l'on donne à chaque malade ses mets particuliers, selon l'ordonnance des médecins ; les gentilshommes, les étudians de l'université, y sont reçus, & ont les uns & les autres, des chambres séparées ; c'est une fort belle institution.

Enfin Séville est une ville d'Espagne des plus dignes de la curiosité des voyageurs ; elle est moins peuplée que Madrid, mais plus grande & plus riche ; aussi fournit - elle seule au roi un million d'or par an. Le pays dans lequel elle est située, est extrêmement fertile en vin, en blé, en huile, & généralement en tout ce que la terre produit pour les besoins, ou pour les délices de la vie. Le Guadalquivir lui fournit du poisson, & la marée qui remonte deux lieues audessus de Séville, y jette entr'autres, quantité d'aloses & d'esturgeons ; cependant tout ce beau pays, & la ville même, peuvent être regardés comme déserts, en comparaison du tems des Maures ; on en sera bien convaincu si on lit l'histoire d'Espagne, sous le regne du roi Ferdinand.

Le commerce des Indes & de l'Afrique, fait qu'on se sert beaucoup à Séville d'esclaves qui sont marqués au né, ou à la joue ; on les vend & on les achete à prix d'argent, comme des bêtes, & on les fait travailler de même, sans que le christianisme qu'ils embrassent, serve à rendre leur sort plus heureux.

Je n'entrerai pas dans d'autres détails sur Séville, parce qu'on peut s'en instruire dans plusieurs ouvrages traduits en françois ; mais il faut que je parle de quelques hommes célebres dans les lettres, dont elle a été la patrie.

Avenzoar (Abu Merwan Abdalmalck Ebn Zohr), célebre médecin arabe, qui florissoit dans le xij siecle ; Léon l'afriquain place sa mort à 92 ans, dans l'année 564 de l'hégire, qui tombe à l'an 1167-8. de J. C. Né dans la médecine, & d'une famille de médecin, il eut pour maître Averroës, & exerça son art avec beaucoup de gloire dans Séville sa patrie. Il rejetta les vaines superstitions des astrologues, suivit principalement Galien dans sa théorie, & a cependant inséré dans ses écrits des choses particulieres, dont il parle d'après sa propre expérience. Son ouvrage intitulé, Tagassir filmadavat waltadhir, qui contient des regles pour les remedes & la diete dans la plûpart des maladies, a été traduit en hébreu l'an de J. C. 1280. & de l'hébreu en latin, par Paravicius.

Alcasar (Louis de), jésuite, a fait un ouvrage sur l'apocalypse, qui passe pour un des meilleurs des catholiques romains ; il est intitulé, Vestigatio arcani sensûs in Apocalypsi, & il a été imprimé plusieurs fois de suite, savoir à Anvers en 1604, 1611, & 1619. & à Lyon, en 1616, in-fol. L'auteur prétend que l'apocalypse est accomplie jusqu'au vingtieme chapitre, & ne fait aucune difficulté d'abandonner dans son explication, les peres de l'église. Il mourut dans sa patrie en 1613, âgé de 60 ans.

Antonio (Nicolas), chevalier de l'ordre de S. Jacques, & chanoine de Séville, a fait honneur à son pays, par sa bibliothèque des écrivains espagnols, qu'il mit au jour à Rome en 1672, en 2 vol. in - fol. Elle a été réimprimée dans la même ville, en 1696, aux fraix du cardinal d'Aguirre ; c'est un très-bon livre en son genre, avec une préface pleine de jugement. L'auteur mourut en 1684, à 67 ans. On lui doit encore un livre d'érudition : De exilio, sive de poenâ exilii, exulumque conditione, & juribus, Antverpiae 1659, in-fol.

Casas (Barthelemi de las), évêque de Chiapa, suivit à 19 ans son pere, qui passa en Amérique avec Colomb, en 1493. Il employa cinquante ans sans succès à tâcher de persuader aux Espagnols qu'ils devoient traiter les Indiens avec douceur, avec desintéressement, & leur montrer l'exemple des vertus. De retour en Espagne, en 1551, à cause de la foiblesse de sa santé, il se démit de son évêché, & mourut à Madrid en 1566, à 92 ans. On a de lui une relation intéressante, de la destruction des Indes par les barbaries des Espagnols. Cette relation parut à Séville en espagnol, en 1552 ; en latin à Francfort, en 1598 ; en italien à Venise, en 1643 ; & en françois à Paris, en 1697. C'est un ouvrage qui respire la bonté du coeur, la vertu, & la vraie piété ; on a encore de ce digne & savant homme, un livre latin, curieux & rare, imprimé à Tubingue en 1625, sur cette question : " si les rois ou les princes peuvent en conscience, par quelque droit ou quelque titre, aliéner leurs sujets de la couronne, & les soumettre à la domination de quelqu'autre seigneur particulier ". Voyez sur ce sujet la Bibl. ecclés. de M. Dupin, xvj. siecle.

Cervantes Saavcdra (Miguel de), auteur de don Quichotte, naquit à Séville, en 1549, selon Nicolas Antonio. Il avoit tant de passion pour s'instruire, qu'il dit : " je suis curieux jusqu'à ramasser les moindres morceaux de papier par les rues ". Mais il fit son étude particuliere des ouvrages d'esprit, tant en vers qu'en prose, & sur - tout de ceux des auteurs espagnols & italiens. On voit qu'il étoit fort versé en ce qui a du rapport à cette sorte de livres, par le plaisant & curieux inventaire de la bibliotheque de don Quichotte, par les fréquentes allusions aux romans, par le jugement fin qu'il porte de tant de poëtes, & par son voyage du parnasse.

Il passa en Italie pour prendre le parti des armes, & servit plusieurs années sous Marc-Antoine Colonne. Il se trouva à la bataille de Lépante, en 1571, & y perdit la main gauche d'un coup d'arquebuse ; ou du moins en fut-il si fort estropié, qu'il ne put plus s'en servir. Peu de tems après, il fut pris par les Maures, & mené à Alger, où il demeura plus de 5 ans prisonnier. De retour en Espagne, il composa plusieurs comédies, qui eurent une approbation générale, tant parce qu'elles étoient supérieures à celles qu'on avoit vues jusqu'alors, qu'à cause des décorations, qui étoient toutes de son invention, & qui parurent très-bien entendues. Les principales de ses comédies, étoient les coutumes d'Alger, Numancia, & la bataille navale. Cervantes traita le premier & le dernier de ces sujets en témoin oculaire. Il fit aussi quelques tragédies qu'on applaudit.

En 1584 il publia sa Galatée, qui fut très-accueillie. Il prouva par cet ouvrage la beauté de son esprit dans l'invention, la fertilité de son imagination dans la variété des descriptions, son adresse à dénouer les intrigues, & son habileté dans le choix des expressions propres au sujet qu'il traitoit. On estima sur-tout la modestie avec laquelle il parloit de l'amour. On ne critiqua que la multiplicité des épisodes, qui quoiqu'amenés avec beaucoup d'art, empêchent de suivre le fil de la narration, & l'interrompent trop souvent par de nouveaux incidens. Cervantes sentit bien lui - même ce défaut, & il en fait presque l'aveu, quand il introduit le curé Pérez, gradué à Siguenza, & maître Nicolas le Barbier, disant : " Celui-là que voilà tout - auprès du recueil de chanson de Lopès de Maldonado, comment s'appelle - t - il, dit le curé ? C'est la Galatée de Michel de Cervantes, répondit maître Nicolas. Il y a longtems que cet auteur est de mes meilleurs amis, reprit le curé, & je sai qu'il est plus malheureux encore que poëte. Son livre a de l'invention ; il promet assez, mais il n'acheve rien. Il faut attendre la seconde partie qu'il fait espérer ; peut - être qu'il réussira mieux, & qu'il méritera qu'on fasse grace à la premiere : compere gardez-la ". La seconde partie, quoique souvent promise, n'a jamais paru.

Ce joli passage est, comme on sait, dans don Quichotte, ouvrage incomparable par la beauté du style, par la justesse de l'esprit, la finesse du goût, la délicatesse des pensées, le choix des incidens, & la plaisanterie fine qui y regne d'un bout à l'autre. Don Quichotte nous offre en sa personne un fou vraiment héros, qui s'imaginant que quantité de choses qu'il voit, ressemblent aux avantures qu'il a lues, s'engage à des entreprises glorieuses dans son opinion, & folles dans celles des autres. On voit en même tems ce même héros - chevalier, raisonner fort sagement quand il n'est pas dans ses accès de folie. La simplicité de Sancho Pança est d'un comique qui n'ennuie personne. Il parle toujours comme il doit parler, & agit toujours conséquemment.

Pour que l'histoire d'un chevalier errant ne fatiguât pas le lecteur par la répétition tédieuse d'avantures d'une même espece, ce qui ne pouvoit manquer d'arriver, s'il n'avoit été question que de rencontres extravagantes : Cervantes a fait entrer dans son roman divers épisodes, dont les incidens sont toujours nouveaux & vraisemblables. Tous ces épisodes, hormis deux, savoir, l'histoire de l'esclave, & la nouvelle du curieux impertinent, sont enchâssés dans la fable même, ce qui est un grand art. Le style est approprié au caractere des personnages & des sujets. Il est pur, doux, naturel, juste & si correct, qu'il y a peu d'auteurs espagnols qui puissent aller du pair avec Cervantes à cet égard. Il en a poussé si loin l'étude, qu'il employe de vieux mots pour mieux exprimer de vieilles choses. Enfin, les raisonnemens sont pleins d'esprit, le noeud est habilement caché, & le dénouement heureux.

La premiere partie de don Quichotte parut à Madrid en 1605, in -4°. & est dédiée au duc de Bejar, de la protection duquel l'auteur se félicite dans des vers qu'il attribue à Urgande la déconnue, & qui sont à la tête du livre. La seconde partie de l'ouvrage ne parut qu'en 1615. Le débit du livre fut tel, qu'avant que l'auteur eût donné cette seconde partie, il fait dire au bachelier Sanson Carasco : " A l'heure qu'il est, je crois qu'on en a imprimé plus de douze mille à Lisbonne, à Barcelone & à Valence, & je ne fais point de doute qu'on ne le traduise en toutes sortes de langues ". Cette prédiction s'est si bien vérifiée, qu'il faudroit un volume pour entrer dans le détail de ses différentes éditions & traductions. Tous les plus célebres artistes, peintres, graveurs, sculpteurs, dessinateurs en tapisseries de haute & basse - lisse, ont travaillé à l'envi à représenter les avantures de don Quichotte, & c'est ce que nous avons de plus amusant.

Dès que cet ouvrage parut en Espagne, on lui fit un accueil qui n'avoit point eu d'exemple ; car il fut universel, chez les grands, le militaire & les gens de lettres. Un jour que Philippe III. étoit sur un balcon du palais de Madrid, il apperçut un étudiant sur le bord du Mançanarès, qui, en lisant, quittoit de tems en tems sa lecture, & se frappoit le front avec des marques extraordinaires de plaisir : " cet homme est fou, dit le roi aux courtisans qui étoient auprès de lui, ou bien il lit don Quichotte. Le prince avoit raison, c'étoit effectivement là le livre que l'étudiant lisoit avec tant de joie.

En 1614, Cervantes fit imprimer son voyage du Parnasse, qui n'est point un éloge des Poëtes espagnols de son tems, mais une satyre ingénieuse, comme celle de César Caporali, qui porte le même titre, en est une des poëtes italiens.

En 1615 il publia quelques comédies & farces nouvelles, les unes en vers, les autres en prose. Il y joignit une préface très-curieuse sur l'origine & les progrès du dramatique espagnol ; cependant les comédiens ne jouerent point les nouvelles pieces de l'auteur, & c'est lui-même qui nous l'apprend avec sa naïveté ordinaire.

" Il y a, dit-il, quelques années qu'étant revenu à mes anciens amusemens & m'imaginant que les choses étoient encore sur le même pié, que du tems que mon nom faisoit du bruit ; je me mis de nouveau à composer quelques pieces pour le théâtre ; mais les oiseaux étoient dénichés ; je veux dire, que je ne trouvais plus de comédiens qui me les demandassent. Je les condamnai donc à demeurer dans l'obscurité. Dans le même tems, un libraire m'assura qu'il me les auroit achetées, si un célebre comédien ne lui avoit dit, que l'on pouvoit espérer que ma prose réussiroit, mais non pas mes vers. Alors, je me dis à moi-même, ou je suis bien déchu, ou les tems sont devenus meilleurs, quoique cela soit contraire au sentiment commun, selon lequel on fait toujours l'éloge des tems passés. Je revis cependant mes comédies, & je n'en trouvai aucune assez mauvaise, pour qu'elle ne pût appeller de la décision de ce comédien au jugement d'autres acteurs moins difficiles. Dans cette idée, je les donnai à un libraire qui les imprima. Il m'en offrit une somme raisonnable, & je pris son argent. Je souhaiterois qu'elles fussent excellentes ; du moins j'espere qu'elles seront passables. Vous verrez bien-tôt, cher lecteur, ce que c'est ; si vous y trouvez du bon, & que vous rencontriez mon comédien de mauvaise humeur, priez-le de ma part de n'être pas si promt à faire injure aux gens ; qu'il examine murement mes pieces, il n'y trouvera ni ridicule, ni pauvreté ; leurs défauts sont cachés ; la versification est sortable au comique ; & le langage convient aux personnages qui y paroissent. Si tout cela ne le contente pas, je lui recommande une piece à laquelle je travaille, intitulée l'abus de juger sur l'étiquette, qui, si je ne me trompe, ne peut manquer de plaire. En attendant, Dieu lui donne la santé, & à moi de la patience. "

Il se divertit encore à composer quelques historiettes, qu'il publia sous le titre de novelas exemplares, & qu'il dédia au seigneur de Lemos. " Votre excellence, lui marque-t-il, saura que je lui envoie douze contes ; quoique je ne sois pas dans le goût d'en débiter, néanmoins, j'oserois les mettre au nombre des meilleurs, si ce n'étoit pas mon ouvrage ".

Il parle ainsi dans sa préface : " Je vous avertis, gracieux lecteur, que vous ne trouverez rien ici, dont on puisse abuser ; j'intitule mes nouvelles, exemplaires, parce que, si vous y prenez garde il n'en est aucune qui n'offre quelque exemple utile. J'ai eu dessein d'amuser sans danger, & les amusemens innocens sont, à coup sûr, légitimes. On ne peut pas toujours être occupé de la priere, de la méditation, ou des affaires : il faut des tems de récréation pour délasser l'esprit, & réparer ses forces ; c'est dans cette vue qu'on a des bois, des fontaines & des jardins cultivés. La lecture que je vous offre, ne peut exciter de passion criminelle. Il ne convient pas à un homme de mon âge, qui touche à sa soixante-quatrieme année, de badiner avec l'autre vie.

Comme j'ai fait cet ouvrage par goût, je n'ai rien négligé pour le mettre en état de plaire, & j'ai quelque gloire à dire, que je suis le premier qui ait écrit des contes originaux en espagnol ; ils sont tous tirés de mon fonds, & il n'en est aucun imité ni puisé dans d'autres écrivains. Mon imagination les a enfantés, ma plume les a mis sur le papier, & l'impression va les faire croître ".

Il y avoit long-tems que Cervantes s'occupoit à un autre livre d'imagination, intitulé les travaux de Persile & Sigismonde, qu'il finit immédiatement avant sa mort, arrivée en 1616. Il étoit alors attaqué d'une maladie qui ne l'empêcha pas d'écrire ce roman, & les petites anecdotes qui s'y rapportoient. Comme nous n'avons point d'autre historien que lui-même, & qu'il raconte tout avec grace : voyons ce qu'il nous dit à ce sujet. Il s'exprime en ces termes.

" Il arriva, mon cher lecteur, que comme je venois avec deux de mes amis de la fameuse ville d'Esquivias, je dis fameuse par mille endroits ; premierement par ses familles illustres ; en second lieu, par ses excellens vins, & ainsi du reste ; j'entendis quelqu'un galoper derniere nous, comme pour nous attraper, à ce qu'il me paroissoit ; & ce cavalier ne nous permit pas d'en douter, nous ayant crié de n'aller pas si vîte. Nous l'attendîmes donc, & nous vîmes approcher monté sur une ânesse un étudiant gris (j'entends qu'il étoit tout habillé de gris) : il avoit des bottines semblables à celles que portent les moissonneurs, pour empêcher le blé de leur piquer les jambes ; des souliers ronds, une épée & un collet noir, que le mouvement de sa monture faisoit souvent tourner de côté & d'autre, quelque peine qu'il se donnât à le mettre droit. Vos seigneuries, nous dit-il, vont apparemment solliciter quelque emploi ou bénéfice à la cour ; sans-doute que son éminence est à Tolede, ou du moins le roi, puisque vous allez si vîte. Franchement j'ai eu bien de la peine à vous atteindre, quoique mon âne ait plus d'une fois passé pour un bon coureur. A ce discours un de mes compagnons répondit ; le cheval du seigneur Cervantes en est la cause, c'est un drôle qui n'aime pas à aller doucement.

A peine mon homme eut-il entendu le nom de Cervantes, qu'il sauta à bas de sa monture, en faisant tomber son coussin d'un côté, & son portemanteau de l'autre (car il avoit tout cet équipage avec lui) ; il vint à moi, & me prenant par la main gauche ; oui, oui, dit-il, c'est ici le fameux, le divertissant écrivain, le favori des muses ! Me voyant complimenter si magnifiquement, je jugeai qu'il y auroit de l'impolitesse à ne pas lui témoigner quelque reconnoissance de ses louanges ; je l'embrassai (& lui fis tourner son collet par mon accolade), & je l'assurai qu'il étoit dans la même erreur sur mon sujet, que d'autres personnes, qui me vouloient du bien. Je suis, lui dis-je, Cervantes, il est vrai, mais non le favori des muses, ni rien de tout ce que vous m'avez dit de beau. Ayez donc la bonté, mon cher monsieur, de remonter sur votre bête, & continuons notre voyage, en nous tenant compagnie. Mon étudiant bien élevé, obéit.

Nous rallentîmes notre pas, & nous marchâmes bien doucement ensemble. On parla de mon mal, & mon homme me prononça bien-tôt mon arrêt, en me disant que j'avois gagné une hydropisie, & que toute l'eau de la mer, fût-elle douce, ne pourroit me désaltérer. C'est pourquoi, seigneur, Cervantes, ajoute-t-il, vous devez vous abstenir de boire, mais n'oubliez pas de manger ; cela seul vous guérira sans la moindre médecine. D'autres m'en ont dit autant, lui répliquai-je, mais je ne puis m'empêcher de boire, tout comme si je n'étois né que pour boire. Ma vie tend à sa fin, & par l'examen journalier de mon pouls, je trouve que Dimanche prochain, au plus tard, il achevera sa besogne, & moi ma course. Vous êtes arrivé encore à point pour me connoître, mais je n'aurai pas le tems de vous prouver combien je suis sensible à vos obligeans procédés.

En discourant ainsi, nous gagnâmes le pont de Tolede, que j'enfilai, comme lui celui de Ségovie. Ce qu'on dira de mon avanture, c'est l'affaire de la renommée ; mes amis peuvent avoir envie de la raconter, & j'en aurai une plus grande de l'entendre. Je retournai sur mes pas, pour embrasser encore une fois mon étudiant, & il en fit autant de son côté. Ensuite il donna des deux à sa monture, & me laissa aussi malade sur mon cheval, qu'il étoit mal monté sur son ânesse, au sujet de laquelle ma plume vouloit faire encore quelque plaisanterie : mais adieu mes bons amis ; car je m'en vais mourir ; & j'espere de vous revoir avant qu'il soit long-tems dans l'autre monde, aussi heureux que vous le pouvez désirer ".

Voilà donc Cervantes sur le bord du tombeau. L'hydropisie augmenta, & son mal épuisa ses forces. Mais plus son corps s'affoiblissoit, plus il s'attachoit à fortifier son esprit. Ayant reçu l'Extrème- Onction, il attendit la mort avec tranquillité ; & ce qu'il y a de plus surprenant, c'est qu'il ne pouvoit s'empêcher de dire ou d'écrire quelque chose de plaisant, à mesure que les idées riantes lui en venoient dans l'esprit. En effet, après avoir reçu les sacremens le 18 Avril 1616, il dicta le lendemain la dédicace de ses travaux de Persile & Sigismonde, adressée, comme je l'ai dit, au comte de Lémos, & conçue en ces termes :

" Il y a un vieille ballade, qui étoit jadis fort en vogue, & qui commençoit, avec un pié sur l'étrier. Je souhaiterois qu'elle ne convînt pas si parfaitement à cette épître, car je puis dire à-peu-près de même, avec un pié sur l'étrier. En partant pour les sombres régions, je prends le courage d'écrire cette épître, & je salue monseigneur avec ce dernier soupir. Hier on me donna l'Extrême-Onction, & aujourd'hui j'écris ceci. Le tems est court, le mal croît, l'espérance diminue ; cependant il me semble que je voudrois vivre un peu plus longtems, moins pour l'amour de la vie, que pour avoir encore une fois le plaisir de voir votre excellence saine & sauve en éspagne, & il ne seroit point impossible que ce plaisir ne me rendît la santé. Mais s'il est arrêté que je doive mourir, la volonté du ciel soit faite ; cependant votre excellence me permettra de l'informer de mes desirs, & de l'assurer qu'elle a en moi un serviteur si zélé, qu'il iroit même au-delà du trépas pour vous servir, si son pouvoir égaloit la sincérité de ses sentimens.

Je n'ai pas laissé que de me réjouir prophétiquement du retour de votre grandeur en Espagne ; mon coeur s'épanouissoit de joie, quand je me représentois tout le monde vous montrant du doigt, & criant : voilà le comte de Lémos ! Mes esprits se raniment, en voyant mes espérances accomplies, & vos grandes qualités justifier les idées que j'en avois conçues. Il reste encore chez moi quelques lueurs de la meche du jardin ; & si par un heureux hasard, ou plutôt par un miracle, le ciel me conservoit la vie, votre excellence verra la seconde partie de la Galatée, que je lui consacrois. Agréez mes voeux pour votre conservation, &c. A Madrid, le 19 Avril 1616 ".

Il finit ses jours peu de tems après, & ne vit point l'impression de son livre, dont le privilege fut accordé le 24 Septembre 1616, à Catherine de Salazar sa veuve. L'histoire de Persile & Sigismonde, & les contes ou novelas exemplares, ont été traduits en françois, & ne sont pas inconnus aux gens qui aiment ces sortes de productions. La vie de l'auteur a été donnée par don Grégorio Mayans y Siscar, bibliothécaire du roi d'Espagne. Elle est à la tête de l'édition espagnole de don Quichotte, imprimée à Londres en 1738, in -4°.

J'ai dit, au commencement de cet article, sur l'autorité de Nicolas Antonio, que Cervantes naquit à Séville ; cependant l'auteur de sa vie, que je viens de citer, estime qu'il étoit né à Madrid, & il appuie son sentiment sur ce que Cervantes s'adresse à cette ville, en prenant congé d'elle dans son voyage du Parnasse, en ces termes :

" Me tournant ensuite vers ma pauvre cabane, adieu, lui dis-je, & toi, Madrid, adieu ; adieu Fontaines, Prado, & vous campagnes où coule le nectar & dégoûte l'ambroisie ; adieu aimables & douces sociétés, où les malheureux oublient pour un tems leurs peines. Adieu charmant & romanesque séjour, où deux géans qui avoient entrepris d'escalader le ciel, frappés de la foudre, maudissent leur chûte, & sont renfermés dans les sombres prisons de la terre. Adieu théâtres, dont nous avons banni le sens commun, pour y faire régner la bouffonnerie. Adieu belle & vaste promenade de Saint Philippe, où l'on discute les intérêts des puissances, où les nouvelles se débitent, & font l'unique sujet des conversations, où l'on examine si le croissant brille ou pâlit, si le lion aîlé (Venise) triomphe ou succombe. Adieu pâle famine ; je quitte aujourd'hui mon pays, pour éviter le triste sort de mourir à ta porte, si je demeurois plus longtems ici ".

Nicolas Antonio répond que par ces mots mon pays, on peut entendre toute l'Espagne ; que d'ailleurs, 1°. ce qui semble favoriser son opinion, c'est que Cervantes dit, dans la préface de ses comédies, qu'étant petit garçon il avoit vu à Séville Lupus de Rueda, un des plus célebres comiques espagnols. 2°. Que les surnoms que porte Cervantes, sont ceux de familles illustres de Séville, & non de Madrid.

Quoiqu'il en soit, il est constant que Cervantes étoit bien mal logé à Madrid ; c'est ce qui paroît par la maniere dont il finit sa relation du voyage du Parnasse. Plein de souci, dit-il, je cherchai mon ancienne obscure retraite. Il n'avoit pas à sa mort dans cette ville un meilleur domicile. On admiroit ses ouvrages, & personne ne lui donna du pain ; il mourut dans l'indigence, à la honte de sa nation ; mais son nom ne mourra jamais.

J'ai trop amusé les gens qui goûtent les écrits de cet aimable écrivain, pour leur faire des excuses sur la longueur de son article, & je plains ceux qui n'aiment pas à la folie l'auteur de don Quichotte. Mais je passe à deux ou trois autres hommes de lettres nés à Séville, & je serai très-court sur leur compte.

Fox de Morzillo (Sébastien), en latin Sebastianus Foxus Morzillus, est du nombre des enfans devenus célebres par leur génie & par leurs études. Il naquit en 1628. Philippe II. nomma pour précepteur de Dom Carlos, Morzillus, qui étoit alors à Louvain ; il s'embarqua dans les Pays-Bas pour être plutôt auprès du jeune prince. Il fit naufrage & périt à la fleur de sa vie. Il a publié avant l'âge de 25 ans, 1°. un commentaire latin in Platonis Timaeum. 2°. De conscribendâ historiâ, libellus. 3°. De regno, & regis institutione, libri tres, &c.

Monardés (Nicolas), médecin, fleurissoit au xvj. siecle, & mourut en 1578. Il se fit une grande réputation par la pratique de son art, & par les ouvrages qu'il mit au jour. 1°. De secandâ venâ in pleuritide, Hispali, 1539, in -4°. 2°. De rosis, malis citriis, aurantiis, & limoniis, Antverpiae, 1565, in -4°. 3°. De las drogas de las Indias, à Séville, 1574, in -4°. Ce dernier livre a été traduit en anglois & en françois par Antoine Colin.

Pineda (Jean) théologien, entra dans la société des jésuites en 1572, & mourut en 1637 âgé de 80 ans. Ses commentaires latins sur Job & sur l'Ecclésiaste, forment quatre volumes in-fol. (D.J.)

SEVILLE, (Géog. mod.) ville de l'Amérique septentrionale, vers le bout occidental de l'île de la Jamaïque, assez près de la mer, avec un port. Long. 299. 38. latit. 18. 42. (D.J.)


SÉVIRv. n. (Gram.) punir, châtier ; la cour sevit contre les gens de robe subalternes qui font mal leur devoir.

SEVIR, s. m. (Antiq. rom.) nom d'un officier chez les Romains. Il y avoit deux sortes de sévirs : les premiers étoient des décurions des six décuries des chevaliers romains. Les seconds étoient les principaux officiers des colonies, auxquels on accordoit même le titre d'Augustates. Le trimalcion de Pétrone est titré de sévir Auguste, au pié du trophée que lui érigea Cinnamus son trésorier. (D.J.)


SEVRERv. act. (Gramm.) c'est ôter à un enfant l'usage du lait de sa nourrice, & le faire passer à une nourriture plus solide.

SEVRER, (Jardinage) on dit sevrer un arbre, une marcotte quand on la sépare du tronc d'où elle part, & qu'elle a pris racine dans la terre. C'est ainsi que l'on éleve les ifs, les tilleuls, les coignassiers, les orangers en partie, & les autres arbres de fleur, la charmille & la vigne.


SEX(Géog. anc.) EX, SEXI ou SEXTI, car ce mot s'écrit différemment, ville de l'Espagne bétique. Pline, lib. III. c. j. donne à cette ville le surnom de Firmum Julium ; & les habitans sont appellés Exitani, par Strabon. On croit que c'est présentement Velez-Malaga. (D.J.)


SEXAGENAIRES. m. & f. (Gram.) qui a atteint l'âge de 60 ans. Il y a des casuistes qui dispensent les sexagenaires du jeûne. Ce n'est pas l'âge, mais la nécessité, qui dispensent des loix. La loi Papia Papea défend le mariage aux sexagénaires.


SEXAGENARIUMSEXAGENARIUM


SEXAGENES. f. (Gram.) la sixieme partie du zodiaque ; le sexagene est donc de 60 degrés, & comprend deux signes.


SEXAGÉSIMALEadj. (Arithmét.) les fractions sexagésimales sont des fractions dont les dénominateurs procedent en raison sexagécuple ; par exemple, une prime ou une minute = 1/60, une seconde = 1/3600, une tierce = 1/26000 Voyez DEGRE, MINUTE, &c.

Autrefois on ne se servoit que des fractions sexagésimales dans les opérations astronomiques, & on s'en sert encore dans bien des cas, voyez LOGISTIQUE. Cependant l'arithmétique décimale est aujourd'hui fort en usage, même dans les calculs astronomiques.

Dans ces fractions, qu'on nomme aussi fractions astronomiques, le dénominateur étant toujours 60, ou un multiple de 60, on le sousentend ordinairement, & on n'écrit que le numérateur qu'on met plus bas. Ainsi quand on voit 4°. 59'. 32''. 50'''. 16''''. il faut lire 4 degrés, 59 minutes, 32 secondes d'un degré, ou 60 parties d'une minute, 50 tierces, 16 quartes, &c. Voyez FRACTION. Chambers. (E)


SEXAGÉSIMES. f. terme de calendrier ecclésiastique ; c'est le second dimanche avant le carême, ou celui qui précede le dimanche gras. On l'appelle ainsi parce qu'il tombe à-peu-près 60 jours avant Pâques, du latin sexagesimus, soixantieme.

La sexagésime est le dimanche qui suit la septuagésime, & qui précede la quinquagésime. Voyez SEPTUAGESIME & QUINQUAGESIME.


SEXANGLEadj. (Géom.) se dit d'une figure qui a six angles. Ce mot n'est employé que par quelques anciens auteurs.


SEXAVA(Géog. mod.) petite ville de Perse, toute entourée de vastes deserts, à cinq journées de Com, sur la route de Tauris à Ispahan, en passant par Zangan, Sultanie & autres lieux. Ses caravanserais sont commodes, & leur nombre supplée au défaut de leur grandeur. (D.J.)


SEXELE, (Morale) le sexe absolument parlant, ou plutôt le beau-sexe, est l'épithete qu'on donne aux femmes, & qu'on ne peut leur ôter, puisqu'elles font le principal ornement du monde. Qu'elles joignent à ce titre mérité, tout ce qui est propre à leur état, la pudeur, la retenue, la douceur, la compassion & les vertus des ames tendres : la musique, la danse, l'art de nuancer les couleurs sur la toile, sont les amusemens qui leur conviennent ; mais la culture de leur esprit est encore plus importante & plus essentielle. Que d'autre part leur heureuse fécondité perpétue les amours & les graces ; que la société leur doive sa politesse & ses goûts les plus délicats ; qu'elles fassent les plus cheres délices du citoyen paisible ; que par une prudence soumise & une habileté modeste, adroite & sans art, elles excitent à la vertu, raniment le sentiment du bonheur, & adoucissent tous les travaux de la vie humaine : telle est la gloire, tel est le pouvoir du beau-sexe. (D.J.)


SEXTANSS. m. (Poids & mesur. rom.) le sextans pesoit deux onces, ou seize drachmes poids de Troie. Les Romains divisoient l'as qui étoit la livre d'airain, en douze onces ; l'once étoit dite uncia, du mot unum ; & les deux onces sextans, sexta pars assis, la sixieme partie de l'as ou de la livre. En fait de mesure, le sextans contenoit semblablement deux onces de liqueur.

Sextantes, Caliste, duos infunde Falerni.

" Versez-moi, mon cher Caliste, deux doigts de ce vin de Falerne ". (D.J.)


SEXTANTS. m. en Mathématique, signifie la sixieme partie d'un cercle, ou un arc qui comprend 60 degrés. Voyez ARC & DEGRE.

On se sert plus particulierement du mot sextant, pour signifier un instrument d'astronomie qui ressemble à un quart de cercle, excepté que son étendue ne comprend que 60 degrés.

L'usage & l'application du sextant est le même que celui du quart de cercle. Voyez QUART DE CERCLE.


SEXTARIUS(Mesur. rom.) le sextarius (septier) des latins étoit une petite mesure de liquides, qui contenoit à-peu-près trois demi-septiers de Paris. C'étoit la mesure d'Auguste pour le vin, quand il vouloit boire un peu plus qu'à son ordinaire. On l'appelloit sextarius, parce qu'il faisoit la sixieme partie du congius. Il tenoit douze cyathes, & notre pinte de Paris en tient seize. (D.J.)


SEXTES. f. terme de Breviaire ; c'est le nom qu'on donne à une des petites heures ou heures canoniales qui font partie de l'office divin. Voyez HEURES.

On l'appelle ainsi, parce que chez les anciens on la récitoit vers la sixieme heure du jour, qui, selon leur maniere de compter, répondoit à l'heure de midi ; & les écrivains ecclésiastiques disent qu'elle fut instituée pour honorer la mémoire de l'heure où Jesus-Christ fut mis en croix : c'est ainsi que porte la glose chap. x. de celebrat. missar. Sexta cruci nectit. S. Basile, regul. major. quaest. 37. dit que les chrétiens chantoient ou récitoient à cette heure le pseaume 91. priant Dieu qu'il les délivrât du démon du midi, , qui est le pseaume que nous chantons aujourd'hui à complies. Il n'ajoute pas quels étoient les autres pseaumes, mais nous pouvons assurer sur la foi de Cassien, qu'il y en avoit encore deux autres, & que probablement ils étoient relatifs à la mort de Jesus-Christ & à son sacrifice. Bingham, orig. Eccles. tom. V. lib. XIII. c. ix. §. 12.

Aujourd'hui parmi les catholiques, sexte est composée du Deus in adjutorium, de trois pseaumes sous une seule antienne, d'un capitule, d'un répons bref avec son verset, & d'une oraison tirée du propre du tems, ou du propre des SS. ou du commun.

SEXTE, (Jurispr.) est la collection des decrétales, faites par ordre du pape Boniface VIII. on l'appelle sexte, parce qu'elle est intitulée, liber sextus decretalium, comme si c'étoit un sixieme livre des decrétales qui ont été recueillies par Gregoire IX. en cinq livres ; cependant cette collection de Boniface VIII, contient elle-même cinq livres ; la maniere de citer cette collection est de dire in sexto.

Cette collection comprend les constitutions des papes, publiées depuis celle de Gregoire IX ; savoir, celles du même Gregoire, d'Innocent IV. Alexandre IV. Urbain IV. Gregoire X. Nicolas III. Clément IV. & Boniface VIII. par l'ordre duquel cette compilation fut faite.

Boniface VIII. employa à ce travail Guillaume de Mandegot, archevêque d'Embrun ; Berenger de Frédol, évêque de Beziers ; & Richard de Sienne, qu'il nomma depuis cardinal en 1298 ; ce livre fut publié le 3 Mars à la fin de l'an 1298, c'est-à-dire en 1299 avant Pâque.

Le sexte ne fut point reçu en France, & il n'est permis ni de l'enseigner dans les écoles, ni de le citer au barreau, à cause des démêlés qu'il y eut entre Boniface VIII. & Philippe-le-Bel.

On a joint à la suite du texte & dans le même volume, les clementines & les extravagantes de Jean XXII. & les extravagantes communes. Voyez DROIT CANON, DECRET, DECRETALES.


SEXTELAGES. m. (Jurisprud.) appellé aussi sesterage ou stelage, est un terme formé par corruption de celui de sextierage, appellé dans la basse latinité sextariaticum ; c'est ce qui se prend sur un sextier ou septier de grain au profit du seigneur, pour le mesurage des grains qui se vendent dans son marché.

Ce droit dépend des titres & de la possession, voyez le gloss. de Ducange au mot sextariaticum, & celui de Lauriere au mot sextelage ; le traité des Fiefs, de Guyon, chapitre unique du Droit de sextelage, & les mots MITAGE, PINTAGE. (A)


SEXTERÉES. f. (Gram. & Jurisprud.) c'est dans la coutume de Troye & Rheims, un espace de terre contenant huit boisselées.


SEXTILadj. (Astronom.) est la position ou l'aspect de deux planetes, lorsqu'elles sont éloignées l'une de l'autre de la sixieme partie du zodiaque, c'est-à-dire de 60 degrés, ou de la distance de deux signes. On le désigne par cette marque (*). Voyez ASPECT. (O)


SEXTILE(Calend. des Rom.) ce mois étoit le sixieme à commencer par le mois de Mars, selon l'ancien usage, & ce nom lui resta, depuis même qu'on eut ajouté Janvier & Février aux mois de l'institution de Romulus. On lui donna ensuite le nom d'Auguste, mensis Augustus, comme on avoit donné au mois précédent, le nom de Jules-César, en l'appellant mensis Julius. (D.J.)


SEXTULA(Poids & Monn. rom.) nom chez les Romains, qui désignoit la sixieme partie de l'once. On sait que l'as romain valoit une livre, & se divisoit en douze onces ; on appelloit sextans, la sixieme partie de l'as, c'est-à-dire deux onces. Quadrans, la quatrieme partie, c'est-à-dire trois onces ; triens, la troisieme partie, c'est-à-dire quatre onces ; quincunx, cinq onces ; semis ou séminis, la moitié de l'as, c'est-à-dire six onces ; septunx, sept onces ; bes, huit onces ; dodrans, neuf onces ; dextans, dix onces ; deunx, onze onces : j'ignore les mots des parties de l'once, mais on sait que sextula étoit la sixieme partie de l'once. (D.J.)


SEXTULES. m. (Comm.) petit poids dont se servent les Apoticaires, pour peser les drogues qu'ils composent ou débitent ; il pese un scrupule plus que la dragme ou le gros. Voyez DRAGME, GROS, SCRUPULE. Dictionn. de Commerce.


SEXTUMVIRSEXTUMVIR


SEXTUPLEadj. en Musique ; est le nom que plusieurs ont donné assez improprement aux mesures à deux tems, composées de six notes égales, trois pour chaque tems ; ces sortes de mesures ont été appellées encore plus mal-à-propos par quelques françois, mesures à six tems.

On peut compter cinq especes de ces mesures sextuples, c'est-à-dire autant qu'il y a de différentes valeurs de notes depuis celle qui est composée de six rondes, appellée en France triple de six pour un, & qui s'exprime par ce chiffre 1/6, jusqu'à celle appellée triple de 6 pour 16, qui est composée de six doubles croches seulement, & se marque ainsi 6/16. La plûpart de ces distinctions sont abolies aujourd'hui, & elles sont en effet assez inutiles, puisque toutes ces différentes figures de notes sont moins des mesures différentes, que des modifications de mouvement du vite au lent dans la même espece de mesure ; ce qui se marque encore mieux avec un seul mot écrit à la tête de l'air, qu'avec tout ce fracas de chiffres & de notes qui ne servent qu'à embrouiller un art déja assez difficile en soi. Voyez TRIPLE, TEMS, MESURE, VALEUR DES NOTES, &c. (S)


SEYou SEA, (Géog. mod.) en latin Sena, petite ville de Portugal, dans la province de Beïra, au pié du mont Herminio, entre cette montagne & le Mondego, dont les sommets sont toujours couverts de neige. (D.J.)


SEYAHS. m. (Hist. mod.) especes de moines turcs ; ils ont des monasteres, mais lorsqu'ils en sont une fois sortis, ils n'y rentrent plus, & passent le reste de leur vie à courir de côté & d'autre & à faire les vagabonds. En leur donnant leur congé, leurs supérieurs les taxent à une somme d'argent, ou à une certaine quantité de provisions qu'ils sont obligés d'envoyer au couvent, faute dequoi l'entrée leur en est fermée. Lorsqu'un seyah arrive dans une ville, il va au marché ou dans la salle qui est auprès de la grande mosquée, là il crie de toute sa force, ô dieu, envoyez-moi cinq mille écus, ou mille mesures de riz, &c. Après avoir reçu les aumônes des ames dévotes, le moine mendiant va faire le même métier dans un autre endroit, & vit toujours errant jusqu'à ce qu'il ait amassé la somme à laquelle il a été taxé. Il y a chez les Indiens & dans les états du grand-mogol une grande quantité de ces pieux fainéans, qui viennent souvent infester les états du grand-seigneur, à qui ils sont si fort à charge, qu'un visir fit dire au grand-mogol qui avoit fait des offres de services au sultan, que la plus grande faveur que sa majesté Indienne pût faire à son maître, étoit d'empêcher que les religieux mendians de ses états n'entrassent sur ceux de sa hautesse. Voyez Cantemir, Hist. Ottomane.


SEYMAR BASSYS. m. (Hist. Turq.) premier lieutenant des janissaires ; il commande en particulier ceux qu'on appelle seymenys. Lorsque l'aga marche en campagne, il prend le titre de son lieutenant à Constantinople, il peut mettre son propre cachet sur les ordres qu'il donne : enfin, il a le maniement de toutes les affaires des janissaires. Duloir. (D.J.)


SEYNE(Géog. mod.) en latin du moyen âge Sedena, petite ville de France, dans la haute-Provence, chef-lieu d'une viguerie de même nom, sur une petite riviere qui se jette dans la Durance. (D.J.)


SÉYSSEL(Géog. mod.) petite ville de France, dans le Bugey, sur le Rhône, qui la divise en deux parties, & qui en ce lieu commence à être navigable ; on y décharge le sel qui vient du pays pour le transporter en Savoie. Longit. 23. 31. latit. 48. 44.

Seyssel (Claude de) savant du seizieme siecle, prit le nom de cette ville dans laquelle il étoit né ; il professa le Droit à Turin, devint maître des requêtes, conseiller de Louis XII. évêque de Marseille, & finalement archevêque de Turin, où il finit ses jours en 1520. Il a publié plusieurs traductions & ouvrages de différens genres. Son histoire de Louis XII. a été réimprimée plusieurs fois. Sa grande Monarchie de France, traduite en latin, par Sleidan, fit du bruit. Il y soutint une opinion fort extraordinaire pour un maître des requêtes, & pour un évêque ; c'est que le roi est dépendant du parlement. (D.J.)


SEYTAS. m. (Hist. mod. superst.) idole fameuse adorée par les Lapons. Ce dieu est une pierre qui n'a aucune forme déterminée, non-plus que sa femme & ses enfans qui ne sont autre chose que des masses de pierres informes, auxquelles les Lapons font des sacrifices, & qu'ils frottent avec le sang & la graisse des victimes, qui sont communément des rennes. Le hasard ou l'art ont donné à la partie supérieure de quelques-unes de ces pierres une forme dans laquelle on a cru trouver la ressemblance de chapeaux. Le lieu où sont placées les idoles est à l'endroit où le lac de Tornotresch forme une riviere & une cataracte.


SFACCHIA(Géog. mod.) ou monti Sfacchiosi, montagnes de l'île de Candie, au territoire de la Canée, vers le midi. Ces montagnes s'étendent vers la petite ville de Castel-Sfacchia habitée par les Sfacchiotes.


SFETIGRADO(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans l'Albanie, sur les confins de la Macédoine, à 20 lieues du sud-est de Croye. Amurath II. prit cette ville d'assaut, dans le xv. siecle, & elle est restée aux Turcs. Ils la nomment Suirgice. (D.J.)


SGRAFITTOS. m. (Peinture) terme italien qui désigne une espece de peinture à fresque, que nous appellons maniere égratignée. Voyez EGRATIGNEE, maniere, Peint. (D.J.)


SHAFTSBURY(Géog. mod.) en latin Septonia, grand & beau bourg à marché d'Angleterre, dans Dorset-shire, sur une colline, près des frontieres de Wilt-shire, entre les forêts de Craneborne & de Gillingham, à trois milles de la derniere, proche la Stoure. On y jouit d'une fort belle vue, & ses maisons au nombre de cinq cent, sont toutes bâties de pierres de taille. Shaftsbury a le titre de comté ; mais c'étoit dans son origine une place beaucoup plus considérable qu'elle ne l'est aujourd'hui ; car elle avoit jusqu'à dix églises paroissiales dans son enceinte. Alfred la fonda en 880, & la nomma Sheaftesbyrig, du mot saxon sheaft, qui veut dire une pyramide. Le roi Canut y est mort, & y est enterré. Long. 17. 36. lat. 51. 40. Mais la longitude, suivant Strect, est 19. 0'. 11''. latit. 52. 48. (D.J.)


SHAGRI-COTTAMS. m. (Hist. nat. Bot.) arbre des Indes orientales, qui est, dit-on, une espece de cornouiller ; il produit un fruit très-agréable & très-rafraîchissant qui se mange avec du sucre. Le suc des feuilles passe pour un bon remede contre la diarrhée & le flux hépatique ; ces mêmes feuilles en décoction font un excellent gargarisme.


SHAKRIou CHAKRI, s. m. (Hist. mod.) dans le royaume de Siam on désigne sous ce nom un des premiers magistrats de l'état qui est chargé de la police de l'intérieur. Toutes les affaires des provinces se portent devant lui, & les gouverneurs sont obligés de lui rendre compte & de recevoir ses ordres ; c'est lui qui est le président du conseil d'état.


SHANONLE (Géog. mod.) riviere d'Irlande. Elle prend sa source dans un lac du comté de Létrim, sépare la Connacie de la Mommonie, court ensuite à Limmerik, & se jette enfin dans l'Océan.


SHAPINS(Géog. mod.) île de la mer d'Ecosse ; & l'une des Orcades, vis-à-vis la partie orientale de Mainland. Elle est longue de six milles, large de trois. Elle a une église paroissiale, & un assez bon port.


SHAPOUR(Géog. mod.) ou Shapor, ville de l'Inde, dans les états du grand-mogol, au royaume de Berar. Quelques-uns imaginent que c'est la ville de Sora de Ptolémée en-deçà du Gange, à laquelle cet auteur donne le titre d'Arcati regis. (D.J.)


SHARVAKKA(Hist mod.) nom d'une secte de bramines, ou de prêtres indiens qui ont des sentimens très-peu orthodoxes & conformes à ceux des Epicuriens. Ils ne croyent point l'immortalité de l'ame, ni la vie à venir, & ils exigent de leurs adversaires des preuves sensibles & positives que l'on ne peut point trouver dans une fausse religion ; malgré cela on dit que les Sharvakkas menent une vie très-exemplaire.


SHASTERou CHASTER, s. m. (Hist. mod. sup.) c'est le nom que les idolâtres de l'Indostan donnent à un livre dont l'autorité est très-respectée parmi eux, qui contient tous les dogmes de la religion des brames, toutes les cérémonies de leur culte, & qui est destiné à servir de commentaire au livre appellé vedam, qui est le fondement de leur croyance, & il étoit fait dans la vue de prévenir des disputes qui pouvoient s'élever au sujet de ce livre ; mais il n'a point produit cet effet, parce qu'il n'est guere possible d'empêcher les disputes entre les différentes sectes d'une religion absurde par elle-même. On le nomme shaster, shastrum, ou jastra, ce qui signifie science ou systême : aussi donne-t-on ce même nom à plusieurs autres ouvrages, sur-tout sur la philosophie & sur l'astronomie, qui n'ont d'ailleurs aucun rapport avec la religion des Indiens. Il n'est permis qu'aux bramines & aux rajahs ou princes de l'Inde de lire le vedam, voyez VEDAM ; mais les prêtres des Banians, appellés shuderers, peuvent lire le shaster quant au peuple, il ne lui est permis de lire que le livre appellé puran ou pouran, qui est un commentaire du shaster ; ainsi il ne leur est permis de puiser les dogmes de sa religion que de la troisieme main.

Le shaster est divisé en trois parties, dont la premiere contient la morale des bramines ; la seconde contient les rites & les cérémonies de leur religion, & la troisieme divise les Indiens en différentes tribus ou classes, & prescrit à chacune les devoirs qu'elle doit observer.

Les principaux préceptes de morale contenus dans la premiere partie du shaster sont 1°. de ne point tuer aucun animal vivant, parce que les animaux ont, selon les Indiens, une ame aussi-bien que les hommes ; 2°. de ne point prêter l'oreille au mal, & de ne point parler mal de soi-même ; de ne point boire du vin, de ne point manger de viande, de ne point toucher à rien d'impur ; 3°. d'observer les fêtes prescrites, de faire des prieres & de se laver ; 4°. de ne point mentir, & de ne point tromper dans le commerce ; 5°. de faire des aumônes suivant ses facultés ; 6°. de ne point opprimer, ni faire violence aux autres ; 7°. de célébrer les fêtes solemnelles, d'observer les jeûnes, de se retrancher quelques heures de sommeil pour être plus disposé à prier ; 8°. de ne point voler, ni frauder personne de ce qui lui appartient.

La seconde partie du shaster a pour objet les cérémonies : elles consistent 1°. à se baigner souvent dans les rivieres. En y entrant, les Banians commencent par se frotter tout le corps avec de la boue ou du limon, après quoi ils s'enfoncent plus avant dans l'eau, & se tournent vers le soleil ; alors un bramine ou prêtre adresse une priere à Dieu pour le prier de purifier l'ame de ses souillures ; les Banians se plongent quelquefois dans la riviere, & ils croyent par-là avoir obtenu le pardon de tous leurs péchés ; 2°. les Banians se frottent le front d'une couleur rouge, qui est le signe qu'ils font partie du peuple de Dieu ; 3°. il leur est ordonné de faire des offrandes, des prieres sous des arbres destinés à ces usages sacrés, & qu'ils doivent tenir en grande vénération ; 4°. de faire des prieres dans les temples, de faire des offrandes aux pagodes ou idoles, de chanter des hymnes, & de faire des processions, &c. 5°. de faire des pélerinages à des rivieres éloignées, & sur-tout au Gange, afin de s'y laver, & de faire des offrandes ; 6°. d'adresser leurs voeux à des saints qui ont chacun des départemens particuliers ; 7°. il leur est ordonné de rendre hommage à Dieu, à la vue de la premiere de ses créatures qui s'offre à leurs yeux après le lever du soleil ; de rendre leurs respects au soleil & à la lune, qui sont les deux yeux de la divinité ; de respecter pareillement les animaux qui sont regardés comme plus purs que les autres, tels que la vache, le bufle, &c. parce que les ames des hommes passent dans ces animaux : c'est pour cela que les Banians frottent leurs maisons avec leur fiente, dans l'idée de les sanctifier par ce moyen.

La troisieme partie du shaster établit une distinction entre les hommes, & les divise en quatre tribus ou classes : la premiere est celle des bramines, ou prêtres chargés de l'instruction du peuple ; la seconde est celle des kutteris ou nobles, dont la fonction est de commander aux hommes ; la troisieme est celle des shudderis, ou des marchands, qui procurent aux autres leurs besoins à l'aide du trafic ; la quatrieme classe est celle des vises, ou artisans. Chacun est obligé de demeurer dans la classe ou tribu dans laquelle il est né, & de s'en tenir aux occupations qui lui sont assignées par le shaster.

Suivant les bramines, le shaster fut donné par Dieu lui-même à Brama, qui par son ordre le remit aux bramines de son tems pour en communiquer le contenu aux peuples de l'Indostan, qui en conséquence se diviserent en quatre tribus qui subsistent parmi eux jusqu'à ce jour.


SHEAD'SSHEAD'S


SHEAFIELD(Géog. mod.) gros bourg à marché d'Angleterre dans Yorck-Shire, sur le Derby, audessus de Rotherham. Toutes les maisons de ce bourg sont bâties en brique & en pierres de taille. Il s'y fait un grand trafic de blé, & les meilleurs couteaux d'Angleterre. (D.J.)


SHEBAN(Géog. mod.) ville & forteresse de l'Arabie-heureuse dans le pays d'Hadramont, à 11 stations ou 60 parasanges de Sanaa. Cette ville porte aussi le nom d'Hadramont. (D.J.)


SHECTEou CHECTEA, (Hist. mod.) c'est le nom d'une secte de bramines ou prêtres indiens, qui croyent contre toutes les autres que Ramon, Brama, Vistnou & Ruddiren sont des êtres subordonnés à Shecti ou Checti de qui seul ils ont dérivés leur pouvoir, & qu'ils regardent comme le créateur & le modérateur de l'univers. Ces sectaires, qui sont des déïstes, n'admettent point l'autorité du vedam ou livre sacré ; de plus, ils refusent de croire les choses qui ne tombent point sous leur sens, par conséquent ils ne croyent aucuns mysteres. Les Indiens les regardent comme des hérétiques dangereux, qui ne méritent que d'être exterminés.


SHEFFORD(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre en Bedfordshire. (D.J.)


SHEIKS. m. terme de relation, nom de celui qui a le soin des mosquées en Egypte, & dont la charge répond à celle des imans à Constantinople. Ils sont plus ou moins de sheiks dans chaque mosquée, selon sa grandeur & ses revenus. Dans les grandes mosquées, il y en a un qui est le chef & n'a rien à faire ; mais dans les petites mosquées, tous les sheiks ont soin d'ouvrir le temple, d'appeller pour les prieres, & de défiler ensemble pour faire leurs courtes dévotions. Pocock, description d'Egypte, p. 171. (D.J.)


SHEIK-BELLETterme de relation, nom d'un officier turc en Egypte, qui est le chef de la ville & qui est placé par le psasha. Son emploi est d'avoir soin qu'il n'arrive aucune innovation qui puisse préjudicier à la Porte ; mais toute son autorité dépend uniquement de son crédit ; car le gouvernement d'Egypte est de telle nature, que souvent ceux à qui l'on confere les moindres postes ont cependant la plus grande influence, & qu'un caya des janissaires ou des arabes trouve le secret par ses intrigues de gouverner malgré le pacha même. Pocock, description d'Egypte, p. 163. (D.J.)


SHELFS. m. (Minéralog.) est ce que les mineurs, particulierement dans les mines d'étain, appellent la terre-glaise : ils entendent par-là une surface imaginaire de la terre, que la secousse des eaux du déluge n'a jamais pu ébranler : ils prétendent que toutes ses veines de plomb & autres minéraux étoient paralleles à cette couche de terre ; que cependant depuis le déluge les unes se sont élevées & les autres renfoncées.

Par shelf, ils entendent cette surface dure ou enveloppe de la terre qu'on rencontre sous la terre franche, & qui est ordinairement de l'épaisseur d'un pié ; car ils supposent que depuis le déluge la terre a acquis une nouvelle enveloppe de terre végétable, ou qui est telle qu'elle a été formée par la corruption des végétables & des animaux. Voyez DELUGE, STRATA, FOSSILE, MINE, &c.


SHEPEY(Géog. mod.) île d'Angleterre, formée par deux branches de la riviere de Medway, dont l'une coule à l'occident & l'autre à l'orient. Cette île peut avoir environ 20 milles de tour. Son terroir est fertile & abondant en pâturages. On y voit deux ou trois bons villages outre Quéetisborough, gros bourg, accompagné d'un château, bâti dans le iv. siecle par Edouard III. On croit que Shepey est la Toliapis de Ptolemée, l. II. c. iij. (D.J.)


SHEQUES. m. (Hist. anc.) les Arabes nomment sheques les chefs de leurs tribus. Les anciens Grecs les appelloient phylarques ; ce fut un de ces sheques ou phylarques arabes qui, semblables à Sinnon, eut l'adresse de faire goûter à Crassus un plan de guerre contre les Parthes, dont le but étoit la perte de ce général, & il réussit dans son projet. Les anciens ne s'accordent point sur le véritable nom de ce fourbe si célebre dans l'histoire romaine ; Dion Cassius le nomme Abzarus, Plutarque Ariamnes, Florus Mazeres & Appien Acbarus. Quoi qu'il en soit, l'armée fut taillée en pieces ; Crassus périt dans des marais pleins de fondrieres, & sa défaite fut le plus terrible échec que les Romains eussent essuyé depuis la bataille de Cannes ; on leur tua vingt mille hommes, & il y en eut dix mille de pris. Artabaze reçut la tête de Crassus au milieu d'un festin de noces ; & la joie fut telle à cette vûe, qu'on versa de l'or fondu dans la bouche de cette tête, pour se moquer de la soif insatiable que ce romain avoit toujours eu de ce métal. Dion Cassius, l. II. c. l. Florus, l. III. c. ij. (D.J.)


SHERARDIAS. f. (Botan.) nom donné par M. Vaillant à un genre de plante, en mémoire de Guillaume de Shérard le plus fameux botaniste de son siecle.

La fleur de ce genre de plante est labiée, & n'a qu'un pétale divisé en cinq parties par les bords ; la levre supérieure en contient deux, & l'inférieure trois, son ovaire qui est placé au fond du calice dégénere en une capsule seche qui contient deux semences oblongues. L'on peut ajouter que ses feuilles naissent deux à deux, & opposées : Miller en compte treize especes. (D.J.)


SHERBURN(Géog. mod.) gros bourg à marché d'Angleterre, dans Dorsetshire, vers le nord de la vallée nommée White-hart. Ce bourg a été autrefois ville épiscopale, dont Adelme fut le premier évêque en 703 ; cet évêché fut uni dans le xj. siecle à celui de Salisbury, & y fut transferé : mais le bourg de Sherburn demeura aux évêques. (D.J.)


SHERIFS. m. (Hist mod.) est en Angleterre, un magistrat dont le pouvoir s'étend sur toute une province, & dont le principal devoir est de faire exécuter les sentences des juges, de choisir les jurés, &c. C'est, pour ainsi dire, le grand prevôt de la province. Les sherifs étoient autrefois choisis par le peuple : aujourd'hui c'est le souverain qui les nomme en cette maniere. Les juges présentent six personnes de chaque province, chevaliers ou écuyers riches ; de ces six le conseil d'état en choisit trois ; & parmi ces derniers le roi donne son agrément à celui qu'il veut. Ils étoient aussi anciennement plusieurs années de suite en charge : présentement on les change tous les ans ; il n'y a que celui de Westmorland dont la dignité soit héréditaire dans la famille du comte de Tanet. Les sherifs ont deux sortes de cours. La premiere se tient tous les mois par le sherif ou son substitut qu'on appelle under sherif ou sous-sherif, qui juge les causes de la province audessous de 40 schellings. L'autre cour se tient deux fois l'année ; un mois après Pâques, & un mois après la Saint-Michel. On y fait la recherche de toute offense criminelle contre le droit coutumier, hors les cas exceptés par acte du parlement. Les pairs du royaume & tous ceux qui ont droit de tenir de semblables cours, sont exempts de la jurisdiction de celle-ci. C'est encore un des devoirs du sherif de rendre à la trésorerie toutes les taxes publiques, les amendes & les saisies qui se sont faites dans les provinces, ou d'en disposer suivant les ordres du roi. Quand les juges font leurs tournées dans les provinces, le sherif doit prendre soin qu'ils soient bien reçus & bien gardés tout le tems qu'ils sont dans la province dont il est sherif. A Londres seulement il y a deux sherifs qui portent tous deux le titre de sherif de Londres & de Middlesex province où Londres est située. Dans chaque province, le sherif a un substitut qui fait presque toutes les affaires, & dont l'emploi est fixe. Etat de la grande Bretagne sous George II. tome II. page 188.


SHETTou CHETTI, (Hist. nat. Bot.) arbrisseau des Indes orientales qui produit des baies. Sa racine pilée & prise dans de l'eau froide, appaise l'ardeur des fievres chaudes, arrête les crachemens de sang. Le bem-shetti est un arbrisseau de la même espece, mais dont le fruit est plus farineux & plus doux que celui du premier.


SHIITEou CHIITES, s. m. pl. (Hist. mod.) Depuis environ onze siecles, les Mahométans sont partagés en deux sectes principales qui ont l'une pour l'autre toute la haine dont les disputes de religion puissent rendre les hommes capables. Les partisans de l'une de ces sectes s'appellent Sonnites, parce qu'ils admettent l'autorité des traditions mahométanes contenues dans la Sonna. Voyez cet article. Les Sonnites donnent à leurs adversaires le nom de Shiites, par où ils désignent des hérétiques, des sectaires, des gens abominables, nom que ceux-ci retorquent libéralement à leurs adversaires.

Les Shiites se soudivisent, dit-on, en soixante & douze sectes qui enchérissent les unes sur les autres pour leurs extravagances. C'est Ali, gendre de Mahomet, & son quatrieme successeur ou calife, qui est l'objet de leur querelle avec les Sonnites & les Karejites. Ils prétendent qu'Abubecr, Omar & Otman, qui ont succédé immédiatement à Mahomet, n'étoient que des usurpateurs ; & que la souveraineté & le pontificat des Musulmans appartenoit de droit à Ali & à sa famille. Non contens de ces prétentions, quelques Shiites soutiennent qu'Ali étoit au-dessus de la condition humaine ; que Dieu s'est manifesté par lui ; qu'il a parlé par sa bouche. Ils le préférent à Mahomet lui-même. D'autres, plus mitigés, les mettent sur la même ligne, & disent qu'ils se ressemblent aussi parfaitement que deux corbeaux : ceux-ci s'appellent Gobarites, c'est-à-dire, partisans de la secte des corbeaux. Quoiqu'Ali ait été assassiné, il y a des shiites qui soutiennent sa divinité : ils attendent son second avénement à la fin du monde, ce qui ne les empêche point d'aller faire leurs dévotions à Cufa où est son tombeau. Le respect des Shiites pour Ali est si grand, que toutes les fois qu'ils le nomment, ils ajoutent que Dieu glorifie sa face. Le surnom qu'ils lui donnent est celui de lion de Dieu. Les Shiites n'admettent point la sonna : ils traitent de mensonges & de rêveries les traditions contenues dans ce livre. Voyez SONNA.

Tels sont les motifs de la haine implacable qui divise les Sonnites & les Shiites. Ces querelles qui ont fait couler des flots de sang, subsistent encore dans toute leur force entre les Turcs qui sont Sonnites, & les Persans qui sont Shiites, ainsi que les Tartares-usbecs & quelques princes mahométans de l'Indostan.


SHINN(Géog. mod.) lac d'Ecosse dans la province de Sutherland au sud-ouest : c'est le plus considérable des lacs de cette province : on lui donne douze milles de longueur ; mais il est singulierement étroit, & se décharge par une riviere qui prend son nom. (D.J.)


SHIP-MONEY(Hist. d'Angl.) Ce mot signifie argent de vaisseau, ou pour les vaisseaux. C'est une taxe qui avoit été anciennement imposée sur les ports, les villes, &c. pour servir à la construction des vaisseaux. Charles premier renouvella cette taxe de sa propre autorité en 1640 ; mais elle fut abolie par le parlement le 7 d'Août 1641, comme contraire aux loix du royaume, à la propriété des sujets, aux résolutions du parlement & à la requête de droit. (D.J.)


SHIPHAVEou SHEPHAVEN, (Géog. mod.) petit golfe d'Irlande dans le comté de Dunghall, sur la côte septentrionale, au couchant du lac de Swilie, dont il n'est séparé que par un petit cap. (D.J.)


SHOGGLE(Géog. mod.) ville de Syrie au bord de l'Oronte, qu'on y passe sur un grand pont. Le vizir Cuperli y a fondé un beau kan pour la subsistance des voyageurs & des pauvres. (D.J.)


SHOKANADENS. m. (Hist. mod. Superstit.) divinité adorée dans le royaume de Maduré, sur la côte de Coromandel, & qui a un temple très-somptueux à Maduré capitale du pays. Dans les jours de solemnité, on porte ce dieu sur un char d'une grandeur si prodigieuse, qu'il faut, dit-on, quatre mille hommes pour le traîner. L'idole pendant la procession est servie par plus de quatre cent prêtres qui sont portés sur la même voiture, sous laquelle quelques indiens se font écraser par dévotion.


SHREWSBURou SHROPSHIRE, (Géog. mod.) en latin salopiensis comitatus, province d'Angleterre. Elle est bornée au nord par Chester-shire, au midi par la riviere de Temde, à l'orient par les comtés de Worcester & de Stafford, & à l'occident par les provinces de Denbigh & de Montgomeri qui sont du comté de Galles.

On donne à la province de Shrewsbury trente-cinq milles de longueur, vingt-cinq de largeur, & cent trente - cinq de circuit. Elle contient environ huit cent quatre-vingt-dix mille arpens de terre. On la partage en quinze hundreds, ou quartiers. Il s'y trouve une ville capitale qui porte son nom, & quinze gros bourgs à marché, & cent soixante-dix églises paroissiales. Cinq de ses places ont droit de députer au parlement d'Angleterre ; Shrewsbury, Blshop's-Castle, Bridgenorth, Ludlow & Wenlock.

Elle est arrosée de plusieurs rivieres. La Saverne la traverse par le milieu, & la Temde en mouille les parties méridionales de l'orient à l'occident. Deux peuples habitoient autrefois cette contrée ; les Cornaviens possédoient la partie qui est au nord-nord-est de la Saverne, & les Ordoviens avoient l'autre partie.

Enfin, depuis deux siecles cette province a produit tant de savans illustres, que j'en dois nommer quelques-uns : & pour plus de commodité, je les rassemblerai sous le mot de Shropshire, sous lequel est plus connue la province de Shrewsbury. (D.J.)


SHREWSBURY(Géog. mod.) ou SALOP, en latin Salopia, ville d'Angleterre, capitale de la province du même nom, avec titre de duché. Elle s'appelle autrement Shrowsbury, du saxon Shrobbes-birig. Les Gallois la nomment Pengwern, à cause d'un bois qui étoit dans son voisinage.

Cette ville est l'une des plus belles, des plus peuplées, des plus riches & des plus marchandes du royaume. Elle est située sur une colline, dans une presqu'île que forme la Saverne, à 150 milles de Londres. Elle est ceinte de bonnes murailles, & partagée en belles & larges rues, qui composent cinq grandes paroisses. Deux ponts de pierre, l'un à l'orient, & l'autre à l'occident, servent à entrer dans la ville.

Le voisinage du pays de Galles contribue beaucoup à rendre cette ville florissante. Ses habitans sont en partie anglois, en partie gallois ; & comme ils entendent également les deux langues, leur ville devient le bureau du commerce de tout le pays de Galles. Les manufactures y regnent, & leurs frises se débitent dans les autres provinces du royaume. Le lord Charles Talbot, auparavant comte de Shrewsbury, reçut le titre de duc du roi Guillaume, avec la dignité de secrétaire d'état. Long. 14. 48. lat. 54. 44. (D.J.)


SHROPSHIRE(Géog. mod.) Salopiensis comitatus ; province d'Angleterre, autrement nommée Shrewsburg, & dont nous avons fait l'article ; mais je me suis proposé de parler ici des grands personnages qu'elle a produits dans les sciences ; il importe aux gens de lettres de les connoître.

Baxter (Richard), fameux théologien non-conformiste, devint un des chapelains ordinaires de Charles II. & refusa l'évêché de Hereford. Il mourut en 1691, dans un âge avancé. C'étoit un homme qui auroit tenu son rang parmi les plus savans de son siecle, s'il ne se fût pas mêlé de trop de choses, & en particulier, de répandre la métaphysique sur toutes sortes de sujets. Il mit au jour plus de cent livres, qui n'ont point passé à la postérité, quoiqu'ils soient écrits d'un style touchant & pathétique ; mais dans ce grand nombre d'ouvrages, il attaque toutes les sectes & tous les partis ; ce qui lui fait honneur néanmoins, c'est que l'âge changea la maniere dont il jugeoit des hommes, il devint tolérant sur la fin de ses jours ; il se convainquit de l'injustice qu'il y a à exercer des actes d'inhumanité, sous prétexte de faire du bien aux hommes, & de maintenir le bon ordre dans l'église ; enfin, il apprit à désapprouver les doctrines corrompues, plutôt qu'à damner ceux qui les professent.

Son neveu & son héritier, Baxter (Guillaume), se montra un excellent grammairien, & un fort habile critique. Il mourut en 1723, âgé de 73 ans ; il étoit très-versé dans la mythologie, & entendoit fort bien la plûpart des langues de l'Occident & du Nord. Ses écrits lui ont acquis beaucoup de réputation dans la république des lettres ; il publia en 1719, son Glossarium antiquitatum britannicarum, dont il a paru une seconde édition en 1733, in-8°. avec des augmentations. Son Glossarium antiquitatum romanarum, a été donné depuis sa mort, à Londres, en 1726, in-8°. Cet ouvrage est rempli d'érudition grammaticale. Son édition d'Anacréon a été effacée par celle de M. Pauw, imprimée à Utrecht en 1732, in-4°. mais dans laquelle l'auteur n'auroit pas dû traiter avec tant de mépris, les notes de Baxter, & celles de Barnes, sur l'aimable poëte de Téos.

Brooke (Robert), premier juge de la cour des plaidoyers-communs, sous le regne de la reine Marie, se rendit par son savoir, un des premiers jurisconsultes de son tems ; & mourut comblé d'estime en 1551. Il est auteur de divers ouvrages de droit, & entr'autres de celui qui a pour titre, le grand abregé, la graunde abridgement ; c'est un extrait alphabétique de matieres choisies du droit de la Grande-Bretagne : il s'en est fait plusieurs éditions, principalement à Londres, savoir en 1573, 1576, 1586, &c. & parmi ces éditions, les plus anciennes sont estimées les meilleures, comme il arrive ordinairement aux recueils de ce genre.

Gataker (Thomas), descendoit d'une ancienne & bonne famille de Shropshire ; il naquit en 1574. & se montra par son érudition, un des savans anglois du dernier siecle ; il mourut en 1654, âgé de 80 ans. c'étoit un homme d'une lecture prodigieuse, & d'un jugement exact en matiere de critique ; ses oeuvres ont été recueillies, & imprimées à Utrecht en 1698, in-fol.

Son discours de la nature & de l'usage du sort, est le meilleur que nous ayons sur cette matiere ; il y prouve avec raison, 1°. qu'il y a autant de superstition à un homme de penser que certaines choses déplaisent à Dieu, qui ne lui sont réellement point désagréables, que de supposer que la créature a un pouvoir qu'elle n'a réellement point. 2°. que plusieurs personnes, vraiment pieuses, ont joué, & jouent communément, par délassement & sans cupidité, à des jeux de hasard ; & que d'autres gens du même ordre, se sont trouvés & se trouvent exposés à divers inconvéniens, en refusant par scrupule, d'y jouer, lorsqu'ils y sont sollicités par les personnes avec lesquelles ils vivent en relation ou avec lesquelles ils ont des ménagemens à garder. 3°. que les raisons sur lesquelles on condamne ces jeux, ont été cause de l'irrésolution de bien des gens, par rapport à l'usage nécessaire du sort dans les affaires sérieuses, & de la vie civile ; par exemple, lorsque dans des marchés communs entr'eux, & d'autres cas semblables, ils ont été contraints d'y avoir recours, & se sont trouvés dans l'incertitude s'ils le pouvoient légitimement, ou non.

Sa dissertation latine, de novi Testamenti stylo, est une piece curieuse ; il y prouve qu'il est fort incertain quelles langues sont des meres langues, mais qu'en tout cas, il est sûr que la latine n'est pas de ce nombre, puisqu'elle a beaucoup de termes de la langue sabine & toscane, & qu'elle tire principalement son origine de la grecque, & sur-tout de la dialecte éolienne ; & il cite là dessus Dionys. Halicarn. Antiq. rom. lib. I. Eustath. in Odyss. lib. I. Quintilian. Instit. lib. I. cap. v. & vj. Varro, de ling. lat. lib. IV. & IX. Suidas, in voce Naba. Julius Scaliger, de plant. lib. I. Joseph Scaliger, in Festum. Dan. Heinsius, de satyr. Horat. Hugo Grotius, de satisfact. christi, cap. viij. Jo. Meursius, in mantissa ad luxum romanum, c. xij. Vossius, in praefat. ad lib. de vitiis sermonis. Laur. Ramirez, Pentecontarch. cap. vj. Conrad. Gesner, in Mithridate ; & Seron Mesigerus, in praefat. Polyglot.

Pour le prouver, il remarque que si nous prenons quelque auteur latin, nous y trouverons peu de lignes, où il n'y ait divers mots dont l'origine ne soit visiblement grecque ; il donne pour exemple, les cinq premiers vers de la premiere éclogue de Virgile : nous rapporterons ici les deux premiers.

Tityre, tu patulae recubans sub tegmine fagi,

Sylvestrem tenui musam meditaris avenâ.

Il n'y a rien à dire du mot Tityrus, parce que c'est un nom propre, tu est doricum, . patulus, à pateo , recubo, cubo, , sub, ut super. , tego, & inde tegmen , dorice , fagus ; , sylva, sylvestris. , tendo, extendo ; , musa ; , meditor ; siccus, aridus ; , anima sicca ; ab , exsicco, ; unde ab ariditate, vox latina, avena.

Hyde (Thomas), savant d'une habileté extraordinaire dans les langues orientales, naquit en 1636, & mourut en 1706. professeur en arabe à Oxford, à la place du docteur Edmond Pocock. Il prouva sa science par son travail sur la polyglotte de Walton ; il corrigea non-seulement l'arabe, le syriaque, & le samaritain, mais il mit le Pentateuque persan en état de paroître. Ce Pentateuque avoit été imprimé à Constantinople en caracteres hébraïques, M. Hyde le transcrivit en caracteres persans ; ce que le savant archevêque Usser croyoit impossible, à pouvoir même être exécuté par un persan naturel, parce qu'une lettre hébraïque répond souvent à plusieurs lettres persanes, desorte qu'il est difficile de démêler laquelle il faut prendre. Il traduisit aussi ce Pentateuque en latin.

En 1665, il publia une version latine des observations d'Ulugbeig, sur la longitude & la latitude des étoiles fixes, avec des notes ; il a joint à cet ouvrage les tables de la déclinaison & de l'ascension des étoiles fixes, de Mahomedes Tizinus.

En 1674, il mit au jour le catalogue des livres imprimés de la bibliothèque bodléienne. En 1677, il publia les quatre évangiles & actes des apôtres, en langue malaise, & en caracteres européens. En 1691, il donna, itinera mundi, seu cosmographia Abrahami Pertsol, cum versione & notis. En 1694, il publia à Oxford in-8°. de ludis orientalibus, libri duo. Enfin, son grand & beau traité de la religion des anciens Perses, historia religionis veterum Persarum, eorumque magorum, parut à Oxford, en 1700, in-4°. c'est un ouvrage où regne la plus profonde érudition.

M. Wood nous a donné la liste d'une trentaine d'autres ouvrages très-curieux, que le savant Hyde se proposoit de publier, s'il vivoit assez de tems pour les finir, ayant déja travaillé à tous ; c'est un trésor que possede l'université d'Oxford.

Littleton (Edouard), garde du grand sceau d'Angleterre, sous le regne de Charles I. naquit dans la comté de Shrop, en 1589 ; fut nommé chevalier par le roi en 1635, garde du grand sceau en 1639, & la même année pair d'Angleterre. Il nous reste de lui des discours sur la liberté des sujets, & la prérogative du souverain ; ils ont été imprimés à Londres, en 1628 & 1677, in-fol. On les trouve aussi dans les collections de Rushworth. C'étoit, dit milord Clarendon, un homme de coeur, qui s'acquit une grande réputation par la profession des loix & du droit coutumier, desorte qu'il étoit regardé comme le plus savant dans les antiquités de ce genre ; & dans les cours supérieures, il parut toujours avec éclat.

Littleton (Adam), philologiste habile, & savant grammairien, naquit dans Shropshire en 1627, & mourut en 1694. Le dictionnaire latin & anglois, qu'il a mis au jour, en 1678, in-4°. lui a fait beaucoup d'honneur ; on l'employe dans les écoles, & on le réimprime perpétuellement ; cependant le dictionnaire de Cambridge mérite la préférence, à cause des autorités dont les mots sont appuyés ; mais le docteur Littleton, outre son dictionnaire latin, a publié plusieurs autres ouvrages, soit en belles-lettres, soit en théologie ; il entendoit même les langues orientales, & dépensa la plus grande partie de son bien pour se procurer des livres & des manuscrits en ce genre.

Maynwaring (Arthur), écrivain politique du dernier siecle, naquit en 1668, & mourut en 1712. Il est auteur de plusieurs brochures pleines d'esprit sur les affaires politiques, & entr'autres, de la feuille hebdomadaire intitulée le Mêlange. Il aima sur la fin de ses jours, avec la plus forte passion, la célebre actrice mademoiselle Oldfield, & la fit son exécutrice testamentaire ; elle fut sans contredit redevable à ses instructions, d'être devenue si excellente comédienne ; car comme il n'y avoit personne qui entendît mieux que lui l'action du théatre, il n'y avoit aussi personne qui fût plus charmé d'y voir exceller mademoiselle Oldfield.

Whichcot (Benjamin), naquit dans le comté de Shrop, en 1609, & mourut chez son ami le docteur Cudworth. Ses sermons choisis parurent à Londres, en 1698, in-8°. avec une préface du comte de Shaftesbury, auteur des Charactéristicks : c'est une chose bien singuliere de voir un homme si célebre, & si peu croyant, éditeur de sermons ! mais en même-tems sa préface est si belle, & si peu connue des étrangers, qu'ils nous sauront gré d'en trouver ici un assez grand extrait.

Milord Shaftesbury observe d'abord, que quand on fait réflexion sur la nature de la prédication, que l'on considere l'excellence de cet établissement, le cas qu'on en a toujours fait dans le christianisme, le grand nombre de saints hommes mis à part pour cette grande oeuvre, à qui l'on accorde tous les avantages possibles, pour avancer les grandes vérités de la révelation, & pour inspirer aux hommes du respect pour la religion ; quand on fait attention à la solemnité des assemblées religieuses, à la présence respectable & à l'autorité de l'orateur chrétien, il y a peut-être lieu de s'étonner qu'on ne lui voit pas produire de plus grands & de plus heureux effets dans le monde ; on doit néanmoins reconnoître que cette institution est un si puissant appui de notre religion, que s'il n'y avoit point d'assemblées publiques, ni de ministres autorisés, il n'y auroit, en fort peu de tems, non-seulement plus de christianisme, mais de vertus ; puisque nonobstant tous les secours de la prédication, & les appuis qu'elle fournit à la vertu, il s'en faut de beaucoup que les moeurs soient reformées, & que les hommes soient devenus meilleurs.

Mais quelque raison que nous ayons de penser toujours respectueusement de cette institution, & des bons effets qu'elle produit sur les hommes ; quelque avantageuse que soit l'idée que nous pouvons avoir du travail de ceux à qui le ministere de la parole est commis, il semble néanmoins qu'il n'est pas impossible qu'il n'y ait quelque chose de défectueux, & que le peu de succès ne doit pas être uniquement attribué à la malice, à la corruption, à la stupidité des auditeurs, ou des lecteurs.

On a vû que dans quelques pays, & parmi certain ordre de chrétiens, le ministere de la parole n'a pas été entierement consacré aux choses spirituelles ; mais qu'une grande partie de ces divines exhortations, a eu quelque chose de commun avec les affaires d'état. De quelque utilité que cela ait pu être aux hommes, ou à la paix du christianisme, il faut avouer que la prédication en elle-même doit être d'autant moins propre à produire une heureuse révolution dans les moeurs, à proportion qu'elle a servi à produire des révolutions d'état, ou à appuyer d'autres intérêts que ceux du royaume de Jesus-Christ. Nous ne trouvons pas non plus, que depuis que la politique & les mysteres de la religion ont été unis ensemble, l'une ni l'autre en aient tiré beaucoup d'avantages ; du moins n'a-t-il jamais paru que la théologie soit devenue meilleure par la politique, ou que la politique ait été épurée par la théologie.

Entre les auteurs qui ont été zélés pour cette malheureuse alliance, & qui ont voulu faire un systême de politique chrétienne, on nomme le fameux Hobbes, lequel, soit qu'il ait rendu quelque service au gouvernement civil, ou non, a du moins fait bien du mal aux moeurs ; & si les autres parties de la philosophie lui ont quelque obligation, la morale ne lui en a aucunement. Il est vrai que tout ce qu'il y a eu de grands théologiens dans l'église anglicane, l'ont attaqué avec beaucoup de zèle & d'érudition, mais si l'on avoit travaillé avec le même soin à corriger ses principes de morale, qu'on a eu à réfuter quelques autres de ses erreurs, cela eût peut-être été d'un plus grand service à la religion pour l'essentiel. Je nomme ce philosophe, parce qu'en faisant l'énumération des passions qui tiennent les hommes unis en société, & les engagent à avoir quelque commerce ensemble, il oublie de parler de la douceur, de l'amitié, de la sociabilité, de l'affection naturelle, & des autres dispositions de cet ordre ; je dis qu'il oublie, parce qu'il est difficile de concevoir qu'il y ait un homme assez méchant, pour n'avoir jamais éprouvé par expérience, aucun de ces sentimens, & pour pouvoir en conclure qu'ils ne se rencontrent point dans les autres.

A toutes les passions & à toutes les bonnes dispositions, cet auteur a substitué une seule passion dominante, savoir la crainte, qui ne laisse subsister qu'un desir immodéré d'ajouter pouvoir à pouvoir, desir qui, selon lui, ne s'éteint que par la mort ; il accorde aux hommes moins de bon naturel qu'aux bêtes féroces.

Si le poison de ces principes contraires à la saine morale ne s'étoit pas répandu au-delà de ce qu'on peut s'imaginer, sur-tout dans le tems que le docteur Whichcot vivoit, peut-être que lorsqu'il s'agissoit des intérêts de la vertu, aurions-nous entendu moins parler de terreur & de châtimens, & davantage de rectitude morale & de bon naturel. Du moins n'auroit-on pas pris l'habitude d'exclure le bon naturel, & de rabaisser la vertu, qu'on attribue au seul tempérament. Au contraire, les défenseurs de la religion se seroient fait une affaire de plaider en faveur de ces bonnes dispositions, & de faire voir combien elles sont profondément enracinées dans la nature humaine, au lieu de prendre le contrepié, & d'avoir bâti sur leurs ruines ; car certaines gens s'y prenoient ainsi pour prouver la vérité de la religion chrétienne.

On établissoit la révélation en déprimant les principes fondés dans la nature de l'homme, & l'on faisoit consister la force de la religion dans la foiblesse de ces principes ; comme si un bon naturel & la religion étoient ennemis : chose si peu connue parmi les payens mêmes, que la piété par laquelle ils désignoient la religion (comme le nom le plus honorable qu'ils pouvoient lui donner), consistoit en grande partie en de bonnes dispositions naturelles ; & qu'on entendoit par-là non-seulement l'adoration & le culte de la divinité, mais l'affection des parens pour leurs enfans, celle des enfans pour la patrie, & en général celle de tous les hommes les uns pour les autres, dans leurs différentes relations.

On a eu raison de reprocher à quelques sectes chrétiennes que leur religion paroissoit opposée au bon naturel, & n'être fondée que sur la domination, sur l'amour propre & sur la haine, toutes dispositions qu'il n'est pas aisé de concilier avec l'esprit de l'évangile. Mais on peut dire certainement de l'église anglicane, autant & plus que d'aucune autre au monde, que ce n'est pas là son esprit, & que c'est par des traits totalement opposés que cette église se fait connoître, plus que toutes les autres, pour vraiment & dignement chrétienne.

Wycherley (Guillaume), un des plus célebres poëtes comiques, naquit vers l'an 1640. Il étudia quelque tems à Oxford, quitta l'université sans avoir pris aucun degré, & se fit recevoir dans la société des jurisconsultes de Middle-Temple. Mais comme ce tems-là étoit celui du regne des plaisirs & de l'esprit, Wycherley qui avoit de l'esprit & du goût pour les plaisirs, abandonna promtement l'étude seche des loix, pour des occupations plus agréables & plus à la mode. Il composa sa premiere piece de théâtre intitulée l'amour dans un bois, représentée en 1672 avec un grand succès. Ce début favorable lui procura la connoissance de tous les beaux esprits de la cour & de la ville, & en particulier celle de la duchesse de Cleveland, qu'il fit d'une façon assez singuliere.

Un jour que Wycherley alloit en carosse du côté de S. James, il rencontra près de Pall-Mall, la duchesse dans sa voiture, qui mettant la tête hors de la portiere, lui cria tout haut : " vous, Wycherley, vous êtes un fils de putain ; " & en même tems elle se cacha, & se mit à rire de toute sa force. Wycherley fut d'abord un peu surpris de ce compliment ; mais il comprit bientôt qu'il faisoit allusion à un endroit de sa comédie, où il dit : " quand les parens sont esclaves, leurs enfans suivent leur destinée ; les beaux génies ont toujours des p... pour meres ".

Comme dans les premiers momens de la surprise de Wycherley les carosses avoient continué leur route, il se trouvoit déja assez éloigné ; mais notre poëte revenu de son étonnement ordonna à son cocher de fouetter ses chevaux, & d'atteindre le carosse de la duchesse.

Dès qu'il l'eut atteint : " Madame, lui dit-il, vous m'avez donné un nom qui appartient généralement aux gens heureux. Votre grandeur voudroit-elle se trouver ce soir à la comédie de Wycherley. Eh bien, reprit-elle, si je m'y trouve, que lui arrivera-t-il d'heureux ? C'est, répondit le poëte, que j'aurai l'honneur de vous y faire ma cour, quoiqu'en même tems je manque à une belle personne, qui m'a donné rendez-vous ailleurs. Quoi, dit la duchesse, vous avez l'infidélité de manquer à une belle femme qui vous a favorisé à ce point, pour une autre qui ne l'a point fait, & qui n'y songe pas ? Oui, reprit Wycherley, dès que celle qui ne m'a point favorisé, est la plus belle des deux ; mais quiconque, continua-t-il, demeurera constamment attaché à votre grandeur, jusqu'à ce qu'il en ait trouvé une plus belle, est sûr de mourir votre captif. " La duchesse de Cleveland rougit & ordonna à son cocher d'avancer.

Comme elle étoit dans la fleur de la jeunesse, spirituelle, & la plus grande beauté qu'il y eut en Angleterre, elle fut sensible à un compliment aussi galant. Pour couper court, elle vint à la comedie du poëte, elle se plaça comme de coutume au premier rang, dans la loge du roi. Wycherley se mit directement au-dessous d'elle, & l'entretint pendant tout le cours de la piece. Tel a été le commencement d'un commerce, qui fit dans la suite beaucoup de bruit.

Mais le plus étrange, c'est que ce fut ce commerce même, qui mit Wycherley dans les bonnes graces du duc de Buckingham, lequel passionnément épris de cette dame, en étoit mal-traité, & se persuada que Wycherley étoit heureux. Enfin, le duc ne recueillit aucun fruit de ses longues assiduités auprès de la duchesse, soit qu'elle fût retenue par la proximité du parentage qu'il y avoit entr'eux, (car elle étoit sa cousine germaine), soit qu'elle craignît qu'une intrigue avec un homme de ce rang, sur qui tout le monde avoit les yeux, ne pût demeurer cachée au roi ; en un mot, quelle qu'en fut la raison, elle refusa de recevoir plus long-tems ses visites, & s'obstina si fort dans son refus, que l'indignation, la rage, & le mépris, succéderent à l'amour dans le coeur du duc, qui résolut de perdre sa parente.

Cette résolution prise, il la fit observer de si près, qu'il sçut bien-tôt qui étoient ceux qu'il pourroit regarder comme ses rivaux. Lorsqu'il en fut instruit, il eut soin de les nommer ouvertement, & le poëte ne fut pas oublié, pour faire encore plus de tort à la duchesse dans l'esprit du public. Wycherley apprenant de bonne-heure cette fâcheuse nouvelle, craignit extrêmement qu'elle ne vînt aux oreilles du roi. Pour prévenir ce malheur, il pria instamment Wilmot, comte de Rochester, & le chevalier Charles Sidley, de représenter au duc, le tort extrême qu'il feroit à un homme qui n'avoit pas l'honneur d'être connu de lui, qui le respectoit, & qui ne l'avoit jamais offensé. A peine ces MM. eurent commencé à en toucher quelque chose au duc, qu'il s'écria " qu'il ne blâmoit point Wycherley, mais sa cousine ". Cependant, reprirent-ils, en le faisant soupçonner d'une pareille intrigue, vous le perdrez infailliblement ; c'est-à-dire, que votre grandeur travaille injustement à ruiner de fond en comble un homme de mérite.

Enfin ces MM. s'étendirent si fort sur les belles qualités de Wycherley, & sur les charmes de sa conversation, que le duc de Buckingham amoureux des avantages de l'esprit, permit qu'on lui présentât Wycherley, & il le retint à souper. Il fut si charmé de lui, qu'il s'écria dans son transport, " ma cousine a raison ; " & depuis ce moment, il fit de Wycherley son ami, & le combla de bienfaits. Comme il étoit grand écuyer du roi, & colonel d'un des premiers régimens de la couronne, il nomma Wycherley un des sous-écuyers, & capitaine-lieutenant de sa compagnie, dont il lui céda tous les appointemens ; ces deux objets faisoient au moins trente-six mille livres de rente de notre monnoie, & faufilerent agréablement Wycherley avec la noblesse de la cour & de la ville.

Il continua de travailler pour le théâtre. On avoit déja joué son misantrope (plain-dealer) en 1678, & en 1683, on représenta sur le théâtre royal, sa femme de campagne, the country-wife. Cet homme qui passoit sa vie dans le plus grand monde, dit M. de Voltaire, en connoissoit parfaitement les vices, & les peignoit du pinceau le plus ferme & des couleurs les plus vraies. Dans son misantrope qu'il a imité de Moliere, il est certain que ses traits ont moins de finesse & de bienséance, mais ils sont plus forts & plus hardis ; la piece angloise est plus intéressante, & l'intrigue plus ingénieuse. Sa femme de campagne, est encore tirée de l'école des femmes de Moliere. Cette piece angloise n'est pas assurément l'école des bonnes moeurs, mais c'est l'école de l'esprit, & du bon comique.

Le roi Charles II, donna à Wycherley de grandes marques de sa faveur. Il lui rendit visite dans une maladie, & lui conseilla d'aller passer l'hiver à Montpellier, conseil qu'il accompagna d'un présent de cinq cent livres sterling, pour le défrayer. Il perdit néanmoins dans la suite les bonnes graces du roi par son mariage avec la comtesse de Drogheda, qui le fit maître de tout son bien ; mais après la mort de cette dame, la donation lui fut contestée, enlevée ; Wycherley ruiné, fut arrêté par les créanciers, & mis en prison où il demeura sept ans, & n'en fut tiré que par la générosité de Jacques II, qui au sortir d'une représentation du plain-dealer, ordonna sur le champ de payer de sa bourse, les dettes de l'auteur.

Il prit le parti de disposer du douaire de sa premiere, en épousant une jeune personne, qui lui apporta quinze cent livres sterling, dont une portion servit à ses pressans besoins ; mais il mourut en 1715, onze jours après la célébration de ses noces. On avoit publié à Londres en 1704 un volume de ses poësies mêlées, qui n'ont pas été reçues aussi favorablement du public, que ses pieces de théâtre.

Mylord Lansdowne a peint Wycherley avec beaucoup d'esprit & de vérité. Ceux, dit-il, qui sans connoître Wycherley autrement que par ses ouvrages, voudront en juger, seront portés à croire que la variété des images & des caracteres, la profonde connoissance de la nature, les observations fines de l'humeur, des manieres, & des passions des personnes de tout rang & de toute condition, en un mot, cette exacte peinture de la nature humaine, que l'on voit dans ses productions, jointe à beaucoup d'esprit & de force d'expression, que tout cela ensemble, dis-je, ne peut avoir été que le fruit d'une application & d'un travail extraordinaire ; tandis que dans le fond, nous devons le plaisir & l'avantage qu'il nous a procuré à sa grande facilité. S'il lui en avoit couté pour écrire, je suis bien trompé s'il ne s'en seroit pas épargné la peine. Ce qu'il a fait, auroit été difficile pour un autre ; mais la massue ordinaire, qu'un homme ne pouvoit lever, servoit de canne à Hercule.

L'âcreté de ses satyres pourroit vous jetter dans une autre erreur, & vous faire penser que c'étoit un homme malin. Mais ce que le lord Rochester dit du lord Dorset, peut lui être appliqué ; " c'étoit le meilleur homme avec la muse la plus maligne. " Tout piquant & censeur sévere qu'il paroît dans ses écrits, il étoit du caractere le plus doux & le plus humain, obligeant tout le monde, & ne voulant de mal à personne ; il n'attaque le vice que comme un ennemi public ; sensible à la plaie, il est contraint de la sonder ; ou tel qu'un conquérant généreux, il s'afflige de la nécessité d'user des voies de rigueur.

Le roi Charles II. qui étoit lui-même homme d'esprit, se faisoit souvent un plaisir de passer ses heures de loisir avec Wycherley, comme Auguste avec Horace, & il eut même des vues fort avantageuses sur lui ; mais malheureusement l'amour vint à la traverse, l'amant l'emporta sur le courtisan, l'ambition fut la victime de l'amour, la passion dominante des plus belles ames.... Il y a des personnes qui critiquent sa versification. Il est certain qu'elle n'est pas nombreuse ; mais un diamant brute n'en est pas moins un diamant. (D.J.)


SHUDDERERou CHUDERERS, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme dans la partie orientale du Malabare les prêtres du second ordre, c'est-à-dire, inférieurs aux bramines, qui font la fonction de desservir les temples ou pagodes de la tribu des Indiens idolâtres, appellés shudderi, qui est celle des marchands ou banians. Il ne leur est point permis de lire le vedam ou livre de la loi, mais ils enseignent à leur tribu le shaster, qui est le commentaire du vedam. Ils ont le privilege de porter au col la figure obscene, appellée lingam. Voyez cet article, & le mot RUDDIREN.


S ou KAKIS. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un arbre du Japon, nommé figuier des jardins ; il a les feuilles du poirier, & son fruit est d'un goût très-agréable. L'arbre est fort laid ; ses branches sont tortueuses & en petit nombre ; son écorce, qui est brune ou noire dans sa jeunesse, devient blanche & raboteuse en vieillissant ; ses feuilles, dont le pédicule est court, ressemblent en couleur & en figure à celles du poirier, mais sont plus longues, ovales, plates & cotonneuses par-dessous. Ses fleurs sortent de l'aisselle des feuilles, au mois de Mai & de Juin. Elles sont en forme de tuyau, de la grosseur d'un pois, un peu jaunes, environnées d'un calice divisé en plusieurs pieces, avec un pistil court & plusieurs étamines. Le fruit est de la grosseur & de la figure d'une pomme, blanchâtre en-dehors ; sa chair de couleur rousse, tendre & d'un goût de miel. Ses semences ressemblent à celles de la courge, & sont rangées en étoiles au milieu du fruit.

SI, en musique, est une des sept syllabes dont on se sert en France pour solfier les notes. Guy Aretin, en composant sa gamme, n'inventa que six de ces syllabes, quoique la gamme fut formée de sept notes : ce qui fit que pour nommer la septieme, il falloit à chaque instant changer les noms des autres notes, & les solsifier de diverses manieres ; embarras que nous n'avons plus depuis l'invention du si.

Brossard & plusieurs autres auteurs attribuent l'invention du si à un nommé le Maire, entre le milieu & la fin du dernier siecle ; d'autres en font honneur à un certain Vander-Putten ; d'autres enfin remontent jusqu'à Jean de Muris, vers l'an 1330.

Il est très-aisé de prouver que l'invention du si est de beaucoup postérieure à Jean de Muris, dans les ouvrages duquel on ne voit rien de semblable. A l'égard de Vander-Putten, je n'en puis rien dire, parce que je ne le connois point. Reste le Maire, en faveur duquel les voix paroissent se réunir aujourd'hui.

Si l'invention consiste à avoir introduit dans la pratique l'usage de cette syllabe si, je ne vois pas beaucoup de raisons pour lui en refuser l'honneur. Mais si le véritable inventeur est celui qui a vu le premier la nécessité d'une septieme syllabe & qui en a ajouté une en conséquence, il ne faut pas avoir fait beaucoup de recherches en musique, pour voir que le Maire ne mérite nullement ce titre. Car on trouve, dans plusieurs endroits des ouvrages du pere Mersenne, la nécessité de cette septieme syllabe pour éviter les muances, & il témoigne que plusieurs avoient inventé ou mis en pratique une septieme syllabe à-peu-près dans le même tems, & entr'autres le sieur Gilles Grandjean, maître écrivain de Sens ; mais que les uns nommoient cette syllabe ci ; les autres di, les autres ni, les autres si, les autres za ; & avant même le P. Mersenne, on trouve dans un ouvrage de Banchieri, moine olivetan, imprimé en 1614, & intitulé cartella di musica, l'addition de la même septieme syllabe ; il l'appelle bi par béquarre, & ba par bémol, & il assure que cette addition avoit été fort approuvée à Rome ; desorte que toute la prétendue invention de le Maire consiste, tout au plus, à avoir prononcé si au lieu de prononcer bi ou ba, ni ou di ; & voilà avec quoi un homme est immortalisé.


SI-FAN(Géog. mod.) vaste pays de la Tartarie asiatique. Dans la carte que les jésuites ont donnée du Tibet, le pays de Si-Fan est distinctement marqué comme borné à l'est par la province de Se-chuen au nord par le pays de Coconor, & à l'ouest par la riviere de Tsacho-Tsitsirhana.

Suivant cette position, le pays de Si-fan est entre 29 degrés 54 minutes & 33 degrés 40 minutes de latitude, & entre 12 degrés 30 minutes & 18 degrés 20 minutes de longitude, ouest de Pekin. Sa figure forme un triangle, dont la base qui est au nord, offre environ 300 milles de longueur ; & les deux autres côtés qui font un angle au sud, sont chacun environ de 245 milles. C'est encore aujourd'hui ce qui reste aux Si-fans d'un domaine qui comprenoit tout le Tibet, & même quelques territoires de la Chine. On peut inférer de-là & de la conformité qui subsiste entre les langues du Si-fan & du Tibet, que les Chinois étendent le nom de Si-fan à toute cette région, & quelquefois à toutes les nations qui sont à l'ouest de l'empire de la Chine.

Suivant les apparences, c'est ce grand empire de Si-fan, comprenant tout l'espace qui est entre la Chine & l'Indoustan, avec toutes les vastes plaines & les deserts au nord & à l'ouest habités par les Tartares éluths, qui portoit autrefois le nom de Tangut, Tanguth, ou Tankut. On a d'autant moins sujet d'en douter, que la langue & les caracteres du Tibet, qui sont encore en usage dans le pays de Si-fan, conservent le nom de langue & de caracteres de Tangut.

Suivant les historiens chinois, l'année 1227 est l'époque de l'entiere ruine des Si - fans, après de longues guerres qu'ils ont eues avec les empereurs de la Chine. Leur état présent ne ressemble guere à celui où ils étoient anciennement ; car ils n'ont pas une seule ville, au-lieu qu'autrefois ils formoient une nation nombreuse & puissante.

Les lamas qui les gouvernent, ne les inquietent pas beaucoup, pourvu qu'ils leur rendent certains honneurs, & qu'ils payent exactement les droits de fo, ce qui va à très-peu de chose. Ces droits semblent être des especes de dixmes religieuses. Les Si-fans ont toujours suivi la religion de Fo, & ont toujours choisi leurs ministres d'état & quelquefois leurs généraux parmi les lamas. Les livres & les caracteres de leurs chefs, sont ceux du Tibet. Quoique voisins des Chinois, leurs coutumes & leurs cérémonies ressemblent peu à celles de la Chine ; par exemple, dans les visites que les Si-fans rendent à ceux qu'ils respectent, ils leur présentent un grand mouchoir blanc, de coton, ou de soie. Ils ont aussi quelques usages établis parmi les Tartares-kalks, & d'autres de ceux du Coconor.

Les Si-fans ne reconnoissent qu'à-demi l'autorité des mandarins chinois, & ne se hâtent guere de répondre à leurs citations : ces officiers n'osent même les traiter avec rigueur, ni entreprendre de les forcer à obéir ; parce qu'il seroit impossible de les poursuivre dans l'intérieur de leurs affreuses montagnes dont le sommet est couvert de neige, même au mois de Juillet : d'ailleurs, la rhubarbe croissant en abondance dans leur pays, les Chinois les ménagent pour en tirer cette marchandise précieuse. (D.J.)


SI-GAN(Géog. mod.) SI-GAN-FU, & par le pere le Comte, qui estropie tous les noms, SIGNANFOU, grande ville de la Chine, dans la province de Xenxi où elle a le rang de premiere métropole de la province. Elle est bâtie sur le bord de la riviere de Guci, en forme d'amphitheâtre : ses environs sont agréables & fertiles. Longitude, suivant le pere Gaubil, 125. 3. 15. latit. 32. 6.

Rien, selon les jésuites, n'a rendu cette ville plus remarquable que la découverte qui s'y fit en 1625, d'une inscription de plusieurs pages, qui nous apprend que la religion chrétienne est entrée à la Chine en 631. On trouvera cette inscription dans toutes les relations & dans le dictionnaire de la Martiniere. Ce n'est cependant autre chose qu'une fraude pieuse, une piece manifestement supposée, comme M. de la Crose l'a prouvé sans réplique. En vain les peres Magalhanès & le Comte établissent la venue de l'apôtre Saint Thomas à la Chine, M. Maigrot, évêque de Conon, & vicaire apostolique dans ce même royaume, reconnoît que les missionnaires ont pris pour l'apôtre Saint Thomas, un certain Tamo, ce sont ses propres termes, l'un des plus insignes fripons qui soient jamais entrés à la Chine, & qui n'y vint qu'après l'an 582. (D.J.)


SIAGBANDARS. m. (Comm. de Perse) nom qu'on donne en Perse au receveur des droits d'entrée & de sortie qui se payent sur les marchandises dans toute l'étendue du royaume ; c'est une espece de fermier général. (D.J.)


SIAGUL(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre. Ptolémée, l. IV. c. iij. la marque sur le bord de la mer, entre Néapolis Colonia & Aphrodisium. On croit que c'est aujourd'hui Suze en Barbarie, au royaume de Tunis. Long. suivant Ptolémée, 36. latit. 32. 20. (D.J.)


SIAHCOUCH(Géog. mod.) ou Siah-Kuk, ou Siahcoueh, mot persan, qui veut dire montagne noire, mais qui cependant n'est pas adapté à de seules montagnes. En effet, quoiqu'on nomme en langue persane Siahcouch une chaîne de montagnes qui s'étend depuis le desert du Khorastan jusqu'au pays de Ghilan qui est sur la mer Caspienne, Siah-couch est aussi le nom d'une île de la mer Noire, à l'embouchure du Douna, qui est le Tanaïs ou le Borysthène.


SIAKARELIGION DE, (Hist. mod. superstion.) cette religion qui s'est établie au Japon, a pour fondateur Siaka ou Xaca, qui est aussi nommé Budsdo, & sa religion Budsdoïsme. On croit que le buds ou le siaka des Japonois, est le même que le foë des Chinois, & que le visnou, le budda ou putza des Indiens, le sommonacodum des Siamois ; car il paroît certain que cette religion est venue originairement des Indes au Japon, où l'on professoit auparavant la seule religion du sintos. Voyez SINTOS. Les Budsdoïstes disent que Siaka naquit environ douze cent ans avant l'ere chrétienne ; que son pere étoit un roi ; que son fils quitta le palais de son pere, abandonna sa femme & son fils, pour embrasser une vie pénitente & solitaire, & pour se livrer à la contemplation des choses célestes. Le fruit de ses méditations fut de pénétrer la profondeur des mysteres les plus sublimes, tels que la nature du ciel & de l'enfer ; l'état des ames après la mort ; leur transmigration ; le chemin de l'éternelle félicité, & beaucoup d'autres choses fort au-dessus de la portée du commun des hommes. Siaka eut un grand nombre de disciples ; se sentant proche de sa fin, il déclara que pendant toute sa vie, il avoit enveloppé la vérité sous le voile des métaphores, & qu'il étoit enfin tems de leur révéler un important mystere. Il n'y a, leur dit-il, rien de réel dans le monde, que le néant & le vuide : c'est le premier principe de toutes choses ; ne cherchez rien au-delà, & ne mettez point ailleurs votre confiance. Après cet aveu impie, Siaka mourut à l'âge de soixante-dix-neuf ans ; ses disciples diviserent en conséquence sa loi en deux parties ; l'une extérieure, que l'on enseigne au peuple : l'autre intérieure, que l'on ne communique qu'à un petit nombre de prosélites. Cette derniere consiste à établir le vuide & le néant, pour le principe & la fin de toutes choses. Ils prétendent que les élémens, les hommes, & généralement toutes les créatures sont formées de ce vuide, & y rentrent après un certain tems par la dissolution des parties ; qu'ainsi il n'y a qu'une seule substance dans l'univers, laquelle se diversifie dans les êtres particuliers, & reçoit pour un tems différentes modifications, quoiqu'au fond elle soit toujours la même : à-peu-près comme l'eau est toujours essentiellement de l'eau, quoiqu'elle prenne la figure de la neige, de la pluie, de la grêle ou de la glace.

Quant à la religion extérieure du budsdoïsme, les principaux points de sa doctrine sont, 1°. que les ames des hommes & des animaux sont immortelles ; qu'elles sont originairement de la même substance, & qu'elles ne different que selon les différens corps qu'elles animent. 2°. Que les ames des hommes séparées du corps sont récompensées ou punies dans une autre vie. 3°. Que le séjour des bienheureux s'appelle gokurakf ; les hommes y jouissent d'un bonheur proportionné à leur mérite. Amida est le chef de ces demeures célestes ; ce n'est que par sa médiation que l'on peut obtenir la rémission de ses péchés, & une place dans le ciel, ce qui fait qu'Amida est l'objet du culte des sectateurs de Siaka. 4°. Cette religion admet un lieu appellé dsigokf, où les méchans sont tourmentés suivant le nombre & la qualité de leurs crimes. Jemma est le juge souverain de ces lieux ; il a devant lui un grand miroir, dans lequel il voit tous les crimes des réprouvés. Leurs tourmens ne durent qu'un certain tems, au bout duquel les ames malheureuses sont renvoyées dans le monde pour animer les corps des animaux impurs, dont les vices s'accordent avec ceux dont ces ames s'étoient souillées ; de ces corps, elles passent successivement dans ceux des animaux plus nobles, jusqu'à ce qu'elles puissent rentrer dans des corps humains, où elles peuvent mériter ou démériter sur nouveaux frais.

5°. La loi de Siaka défend de tuer aucunes créatures vivantes, de voler, de commettre l'adultere, de mentir, de faire usage de liqueurs fortes. Cette loi prescrit, outre cela, des devoirs très-gênans, & une mortification continuelle du corps & de l'esprit. Les bonzes ou moines de cette religion punissent avec la derniere sévérité, & de la maniere la plus cruelle, les moindres fautes de ceux qui sont soumis à leur direction ; ces moines sont de deux especes, les uns appellés genguis, & les autres appellés goguis. Ils menent une vie extraordinairement pénitente, & leur figure a quelque chose de hideux : le peuple les croit des saints, & n'ose résister à leurs ordres, quelques barbares qu'ils puissent être, & lors même que leur exécution doit être suivie de la mort. Ces bonzes font passer les pelerins qui visitent les temples de Siaka par les épreuves les plus cruelles, pour les forcer de confesser leurs crimes avant que de les admettre à rendre leurs hommages à ce dieu.

Cette religion a ses martyrs, qui se donnent une mort volontaire, dans la vue de se rendre agréables à leurs dieux. On voit, le long des côtes de la mer, des barques remplies de fanatiques, qui après s'être attachés une pierre au col, se précipitent dans le fond de la mer. D'autres se renferment dans des cavernes qu'ils font murer, & s'y laissent mourir de faim. D'autres se précipitent dans les abymes brûlans des volcans. Quelques-uns se font écraser sous les roues des chariots sur lesquels on porte en procession Amida & les autres dieux de leur religion ; ces scenes se renouvellent chaque jour, & les prétendus martyrs deviennent eux-mêmes les objets de la vénération & du culte du peuple.

Il y a plusieurs fêtes solemnelles que célebrent les sectateurs de la religion de Siaka. La principale est celle que l'on appelle la fête de l'homme. L'on y porte en procession la statue du dieu Siaka sur un brancard, celle de sa maîtresse paroît ensuite ; cette derniere rencontre comme par hasard la statue de sa femme légitime : alors ceux qui portent celle-ci se mettent à courir de côté & d'autre, & tâchent d'exprimer par leurs actions le chagrin que la rencontre d'une rivale préférée cause à cette épouse infortunée ; ce chagrin se communique au peuple, qui communément se met à fondre en larmes. On s'approche confusément des brancards comme pour prendre parti entre le dieu, sa femme & sa maîtresse, & au bout de quelque tems, chacun se retire paisiblement chez soi, après avoir remis les divinités dans leurs temples. Ces idolâtres ont une autre fête singuliere, qui semble faite pour décider, les armes à la main, la préséance que méritent les dieux. Des cavaliers armés de pié en cap, échauffés par l'ivresse, portent sur le dos les dieux dont chacun d'eux s'est fait le champion ; ils se livrent des combats qui ne sont rien moins que des jeux, & le champ de bataille finit par se couvrir de morts, cette fête sert de prétexte à ceux qui ont à venger des injures personnelles, & souvent la cause des dieux fait place à l'animosité des hommes.

La religion de Siaka a un souverain pontife, appellé siako, des évêques que l'on nomme tundes, & des moines ou bonzes appellés xenxus & xodoxins. Voyez ces différens articles.


SIAKOou XACO, (Hist. mod.) c'est le nom que l'on donne au Japon au souverain pontife du Budsdoïsme, ou de la religion de Siaka. Il est regardé par ceux de la secte comme le vicaire du grand Budsdo ou Siaka. Voyez l'article qui précede. Le siako a un pouvoir absolu sur tous les ministres de sa religion ; c'est lui qui consacre les tundes, dont la dignité répond à celle de nos évêques, mais ils sont nommés par le cubo ou empereur séculier. Il est le chef suprême de tous les ordres monastiques du Budsdoïsme ; il décide toutes les questions qui s'élevent au sujet des livres sacrés, & ses jugemens sont regardés comme infaillibles. Le siako a, suivant le P. Charlevoix, le droit de canoniser les saints, & de leur décerner un culte religieux. On lui attribue le pouvoir d'abréger les peines du purgatoire, & même celui de tirer les ames de l'enfer pour les placer en paradis.


SIALAGOGUESou SALIVANS, adj. (Médec.) ce sont des remedes qui donnent un mouvement violent aux liqueurs limphatiques & salivaires, & les font sortir par la bouche ; mais quoique le regne végétal fournisse beaucoup de remedes qui excitent la salive, cependant le plus efficace est le mercure ; c'est aussi pour cela que l'on employe le mercure, lorsqu'on veut procurer sûrement & copieusement la salive.


SIALOGRAPHIES. f. dans l'économie animale, la partie qui traite de la salive. Ce mot est composé du grec , ou , salive, & , j'écris.

Schurig, médecin à Dresde, nous a donné un livre in-4°. sous le titre de sialographie, imprimé à Dresde en 1723.

De Nuck, un ouvrage in-8°. sous le même titre, imprimé à Leyde en 1690 & en 1722.


SIAMROYAUME DE, (Géog. mod.) royaume d'Asie, dans les Indes orientales. Ce royaume est appellé, par ceux du pays, Muan-Thai, c'est-à-dire, la terre de Thai. Les Malays & les Péguans l'appellent Tziam, d'où vient le nom européen Siam. Il s'étend depuis environ le septieme degré de latitude septentrionale, jusqu'au dix-neuvieme. Vers le milieu où la ville capitale est située, il est à 14 degrés 18 minutes de latitude septentrionale, & à 120 degrés de longitude.

Il est borné à l'orient par les royaumes de Tunquin, Cochinchine & Camboia ; au midi par la mer, & par le pays de Malaca, dont le roi de Siam possede Ligor, Tanasseri, & quelques autres petites provinces ; à l'ouest par le royaume de Pégu, & au nord par celui de Laos.

Sa longueur, qui se prend du septentrion au midi, est à-peu-près de cent lieues, dans les endroits où elle n'est point occupée par les états voisins. Sa largeur est d'environ cent lieues dans sa plus grande étendue, & d'environ vingt lieues dans sa plus petite. A considerer sa grandeur, il n'est guere peuplé, excepté le long de la riviere. La quantité de peaux de dains & de bufles que les marchands en tirent tous les ans, fait assez voir qu'il contient de grandes forêts & de vastes deserts ; il faut encore remarquer qu'on ne tue ces animaux que dans le voisinage, parce que les tigres & les marais ne permettent pas aux chasseurs de pénétrer un peu avant dans les bois.

Ce royaume renferme douze grandes provinces, dont chacune est gouvernée par un oja, ou prince, en qualité de lieutenant de roi, qui a sous lui plusieurs opera ou officiers inférieurs. Il y a aussi à la cour un oja pour chaque province, qui en ménage les affaires & veille sur la conduite du lieutenant-général de la province.

Les Siamois parlent deux sortes de langues, la vulgaire qui est toute simple, en monosyllabes, & sans conjugaison ni déclinaison ; & une autre qu'on appelle langue bali, enrichie d'inflexions de mots comme les langues européennes. Les termes de religion & de justice, les noms de charge, & tous les ornemens de la langue vulgaire, sont empruntés de la bali ; & il semble de-là, que quelque colonie étrangere se soit habituée autrefois au pays de Siam. Mais c'est un raisonnement que l'on pourroit faire de la plûpart des contrées des Indes, qui ont ordinairement deux langues.

On prétend que les loix des Siamois leur viennent du pays de Laos ; & c'est sans-doute parce qu'il y a de la conformité entre les loix de Laos & celles de Siam, comme il y en a entre leurs religions. Cela ne prouve pas que l'un de ces royaumes ait donné sa religion & ses loix à l'autre, puisque tous les deux peuvent les avoir puisées dans une source commune. Quoi qu'il en soit, on veut à Siam que ce soit Laos qui leur ait donné ses loix, & même des rois : on veut à Laos, que leurs rois, & la plûpart de leurs loix viennent de Siam.

La figure des Siamois est indienne ; leur teint est mêlé de rouge & de brun, leur nez court & arrondi par le bout, les os du haut de leur joue gros & élévés, leurs yeux fendus un peu en-haut ; leurs oreilles plus grandes que les nôtres ; en un mot, ils ont tous les traits de la physionomie indienne & chinoise, leur contenance naturellement accroupie, comme celle des singes, dont ils ont beaucoup de manieres, entr'autres une passion extraordinaire pour les enfans.

Leur religion est la même que celle des brahmans, qui, pendant plusieurs siecles, a été la religion des peuples qui habitent depuis le fleuve Indus jusqu'aux extrêmités de l'orient, si on excepte la cour du grand-mogol, & les grandes villes de son empire, aussi bien que Sumatra, Java, Celebres, & les autres îles voisines, où le mahométisme a fait de si grands progrès, qu'il semble l'emporter sur elle. Ce paganisme universel (qu'il faut distinguer de la religion des anciens persans, qui adoroient le soleil, laquelle est aujourd'hui presque éteinte) : ce paganisme, dis-je, quoique divisé en plusieurs sectes & opinions, selon les différentes coutumes, langues, & interprétations de ceux qui les professent, n'a pourtant qu'une seule & même origine.

Les Siamois représentent dans leurs temples le premier instituteur de leur religion sous la figure d'un négre d'une grandeur prodigieuse, qui est assis, & qui a les cheveux frisés, & la peau noire, mais dorée, comme par respect. On voit à ses côtés deux de ses principaux disciples ; & devant & autour de lui le reste de ses apôtres, tous de la même couleur, & la plûpart dans la même posture. Ils croyent, selon la doctrine de Brahmans, que la divinité habitoit en lui, & que cela paroît par sa doctrine, par sa maniere de vivre, & par ses prophéties.

Ils disent aussi que Wistnou, par où ils entendent la Divinité, après avoir pris différentes formes, pendant plusieurs milliers d'années, & visité le monde huit fois, parut la neuvieme sous la personne d'un négre, qu'ils appellent Sammana-Kutama (c'est dans nos écrivains françois Sammana Codom). Ce dieu, selon eux, a revêtu dans le Gange seul cinq cent cinquante fois la forme humaine. Cette idée leur est commune avec tout le peuple de l'Inde sur la métamorphose de leurs dieux. Cette idée leur est encore commune avec les anciens Egyptiens, les Grecs & les Romains. " Une erreur si ridicule & si étendue, comme le dit M. de Voltaire, vient pourtant d'un sentiment raisonnable, qui est au fond de tous les coeurs. On sent naturellement sa dépendance d'un être suprême, & l'erreur se joignant à la vérité, a fait regarder les dieux dans presque toute la terre, comme des seigneurs qui venoient quelquefois visiter & réformer leurs domaines. "

Les principes de la morale des Siamois sont tous négatifs, & à-peu-près les mêmes que dans la plûpart des contrées des Indes. Ne rien tuer. Ne rien dérober. Ne point boire de liqueur qui enivre. Ne point exténuer ses forces par la fatigue. Ils suivent exactement ce dernier précepte, persuadés que la félicité suprême consiste à n'être point obligés d'animer une machine, & de faire agir un corps. Dans ces pays où la chaleur excessive énerve & accable, le repos est si délicieux, & le mouvement si pénible, que ce systême de métaphysique paroît naturel. A Siam, la possession d'un éléphant fait la gloire & l'honneur de son maître.

Leurs ecclésiastiques menent une vie retirée & austere : car ils aspirent dans ce monde à un état de perfection agréable au ciel, & suivi de grandes récompenses, en domptant leurs passions, & mortifiant leurs desirs. Ils ne se marient point tant qu'ils sont dans l'état ecclésiastique, mais vivent ensemble dans des monasteres près des temples. Ils vont presque nuds, n'ayant qu'un morceau de drap d'un jaune-brun autour de leur ceinture, & un autre morceau qui pend de dessus l'épaule gauche en plusieurs petits plis, & qu'ils déployent lorsqu'il pleut pour s'en couvrir les épaules & la partie supérieure du corps. Ils ne se couvrent jamais la tête, qui est rasée de près, & portent à la main un éventail de feuilles de palmier, ou de coupeaux de bois.

Il y a plusieurs rangs & plusieurs degrés différens d'ecclésiastiques siamois. Les plus jeunes prennent un nom qui revient à celui de frere ; & à l'âge de 20 ans, ils en prennent un autre qui répond à celui de pere. Les Péguans les appellent talapoi ; & comme ce nom a été premierement connu des étrangers, ils le donnent à l'heure qu'il est indifféremment à tous les prêtres & ecclésiastiques de la religion qui regne à Pégu, Siam, Camboia, Aracan, Parma, Laos, Tonquin, & la Cochinchine.

Les peres siamois vivent en société dans une ou plusieurs maisons faites comme des monasteres, près de certains temples. Chacun de ces couvens est gouverné par un chef qu'ils nomment sompan. Tous les couvens de chaque province, sont soumis à un sompan en chef ; & ceux-ci de même que tout le clergé du royaume, sont sous la jurisdiction du prah-sankara, comme qui diroit le grand pontife. Ce primat souverain demeure à Judia (Siam), & son autorité est si grande, que le roi lui-même est obligé de s'incliner devant lui.

Chacun peut se faire moine, s'il a assez de crédit pour cela. Il y a même des hommes mariés qui quittent leur femme, & se mettent dans un monastere. Les voilà moines, & jouissant du privilege de ne pouvoir pas être punis par le bras séculier. Le roi lui-même, lorsqu'ils sont coupables de quelque crime capital, se contente de les bannir dans une île déserte, où il exile aussi ses mandarins & ses ministres d'état, quand il les disgracie.

Ces mêmes ecclésiastiques ont établi plusieurs fêtes annuelles qu'on célebre toujours ; une, par exemple, au commencement de l'année ; une, lorsque le roi va faire des offrandes dans un temple de Napathat, en carosse tiré par des hommes : une autre quand ce prince va par eau faire ses dévotions dans un temple situé au-dessous de Siam ; & suivant l'opinion du petit peuple, pour couper les eaux, qui dans ce tems-là, sont dans leur plus grande hauteur, & leur commander de se retirer. On compte parmi les fêtes annuelles des Siamois, celles du lavement des éléphans qui se fait deux fois l'année, & ces deux jours-là, on lave la tête de ces animaux avec beaucoup de cérémonie. Les Siamois célebrent aussi le premier & le quinzieme jour de chaque mois, qui sont les jours de la nouvelle & de la pleine lune.

Ils commencent leur année le premier jour de la lune de Novembre ou de Décembre, suivant de certaines regles. Leur époque commence à la mort de leur grand dieu Sammona-Khodum ; ensorte qu'en 1670, ils comptoient 2304 ans. Ils ont, comme les Chinois, un cycle de 60 ans, quoiqu'il n'y ait que douze de ces années-là qui aient des noms particuliers, & qui étant répétés cinq fois font le cycle entier.

Donnons pour les curieux le nom des 12 années siamoises en françois ; l'année de la souris ; 2. l'année de la vache ; 3. l'année du tigre ; 4. l'année du lievre ; 5. l'année du grand serpent ; 6. l'année du petit serpent ; 7. l'année du cheval ; 8. l'année du bélier ; 9. l'année du singe ; 10. l'année du poulet ; 11. l'année du chien ; 12. l'année du pourceau.

L'année est divisée chez ce peuple en douze mois, qui sont lunaires, de 29 & de 30 jours alternativement. Chaque troisieme année ils ont treize mois, un de douze étant répété deux fois. Le premier mois a 29 jours ; le second 30 ; le troisieme encore 29 ; & ils se suivent ainsi alternativement : desorte que l'année entiere est composée de 354 jours, & chaque troisieme année de 384. A l'égard des jours du mois, ils en comptent quinze depuis la nouvelle lune jusqu'à la pleine lune, après quoi ils commencent à compter par un, & continuent jusqu'à la lune suivante. De-là vient que quelques-uns de leurs mois ont 30 jours, & d'autres 29. Leurs semaines sont composées de 7 jours. Le dimanche est comme nous dirions en françois le jour du soleil ; le lundi, le jour de la lune ; le mardi, le jour du travail ; le mercredi, le jour de l'assemblée ; le jeudi, le jour de la main ; le vendredi, le jour du repos ; le samedi, le jour attractif ; parce qu'il attire une nouvelle semaine.

Les deux premiers de leurs mois, qui répondent à-peu-près à nos mois de Décembre & de Janvier, font tout leur hiver ; le troisieme, quatrieme & cinquieme, leur petit été, & les sept ou huit autres leur grand été. Leur hiver est sec, & leur été pluvieux : sans cette merveille, la zone torride seroit sans-doute inhabitable ; ainsi pendant l'hiver, le soleil étant au midi de la ligne, ou vers le pole antarctique, les vents de nord regnent toujours, & temperent l'air jusqu'à le rafraîchir sensiblement. Pendant l'été, lorsque le soleil est au nord de la ligne, & à plomb sur la tête des Siamois, les vents de midi qui soufflent toujours, y causent des pluies continuelles, ou du moins font que le tems y est toujours tourné à la pluie. C'est cette regle éternelle des vents qui fait que les vaisseaux ne peuvent presque arriver à la barre de Siam pendant les six mois des vents de nord, & qu'ils ne peuvent presqu'en sortir pendant les six mois de vents de midi.

Voici maintenant ce qui regarde la monnoie de ce royaume. Le tsiam, que les étrangers appellent catti, s'entend de l'argent, & pese deux livres & demie ou vingt thails, ou cinquante richsdalers, c'est-à-dire qu'il a deux fois la valeur d'un catti, comme il a cours à Batavia, & dans le Japon. On ne frappe point de thails dans ce royaume, mais il y vaut quatre maas, ou trente sols de Hollande. Chaque maas vaut deux fuangs ; chaque fuang vaut deux siampais ; un siampai vaut deux puininis ; un puinini contient un nombre incertain de cauris. Les cauris different beaucoup en valeur, car pour un fuang, on en peut acheter depuis 500 jusqu'à 800. On en apporte une grande quantité des îles Maldives. Toute la monnoie d'argent de Siam est faite des écus de Hollande, que l'on bat en Hollande exprès, & que la compagnie hollandoise des Indes orientales, y transporte sur le pié d'environ quatre florins l'écu.

Il me reste à parler des productions du royaume de Siam, de la vie des Siamois, de leurs mariages, de leurs tribunaux, de leurs rois, des grands & petits officiers de la couronne, &c. mais le détail que j'en ferai sera fort court.

Ce royaume est riche en mines, & la grande quantité d'idoles de fonte qu'on y voit, justifie qu'on a mieux su les exploiter anciennement qu'aujourd'hui. L'or dont la superstition a orné leurs idoles presque sans nombre, les lambris & les combles de leurs temples, prouvent aussi la richesse de ces mines. On en trouve aussi quelques-unes de fer, qu'on fait fondre & non forger. Aussi les Siamois n'ont que des ancres de bois pour leurs galeres, auxquelles ils attachent des pierres, pour les faire couler à fond. Ils n'ont ni épingles, ni aiguilles, ni clous, ni ciseaux, ni serrures, & n'employent par conséquent pas un clou à bâtir leurs maisons, quoiqu'elles soient toutes de bois : leurs fermetures sont des cadenas qui leur viennent du Japon, dont les uns sont de fer, & fort bons, & les autres de cuivre très-mauvais.

Les Siamois ont des bois propres à construire des vaisseaux, parce que leurs arbres viennent si droits, si gros & si hauts, qu'un seul suffit à faire un bateau, ou ballon, comme disent les Portugais, de 10 à 15 toises de longueur ; ils creusent l'arbre, & en élargissent la capacité ; ils relevent les côtés par un bordage d'une planche de même longueur, ensuite ils attachent aux deux bouts une proue & une poupe fort haute, un peu recourbée en-dehors, qu'ils ornent de sculpture & de dorure ; mais comme ils n'ont point de chanvre, leurs cordages sont d'une écorce verte qui est sur le cocotier, & leurs voiles sont de nattes de gros joncs.

Ils ont aussi du bois propre à bâtir des maisons, à la menuiserie & à la sculpture. Il y en a de légers, de fort pesans, d'aisés à fendre, & d'autre qui ne se fend point. On appelle ce dernier bois-marie en Europe, & c'est le meilleur de tous pour les coudes de navire ; celui qui est dur & pesant, se nomme bois de fer, & est assez connu dans les îles de l'Amérique.

On ne trouve presque aucun de nos arbres de l'Europe, ni de nos plantes dans le pays de Siam ; il n'y a point d'oignons, d'ails, de grosses raves, de persil, d'oseille, &c. Les roses n'y ont point d'odeur ; mais à la place de nos arbres, de nos plantes, & de nos fleurs, qui sont inconnues aux Siamois, ils en ont d'autres particulieres que nous ne connoissons point. Tel est, par exemple, leur arbre topoo. C'est une espece de figuier de la grandeur d'un hêtre, touffu, qui a l'écorce unie & grise, & les feuilles rondes, à longue pointe ; il porte un fruit rond, insipide, & qui n'est bon que pour les chauves-souris. Tous les Siamois regardent cet arbre comme sacré, & agréable aux dieux, parce que leur grand saint Sammana-Khodum prenoit plaisir à s'asseoir dessous ; & c'est pour cela qu'ils aiment à le planter auprès des temples, lorsque le terroir & le climat le permettent.

Ils attribuent la même sainteté à un autre figuier, dont les branches se courbant vers la terre, y prennent racine, & forment de nouveaux troncs ; desorte qu'il acquiert un fort grand contour. Ses feuilles ressemblent à celles du laurier-cerise, excepté qu'elles sont plus grandes, & il porte un fruit comme l'espece de figuier dont nous venons de parler.

Un autre arbre fort extraordinaire, qu'on trouve dans le royaume de Siam, est l'arbre aux nids d'oiseaux. Il est de la grandeur d'un pommier ; son tronc & ses grosses branches touffues, sont pleines d'excroissances raboteuses, de différentes grosseurs & figures, & sont chargées de feuilles étroites. A l'extrêmité des petites branches pendent plusieurs nids d'oiseaux, faits d'herbes séches, & de quelqu'autre matiere, travaillés avec beaucoup d'art, & de la forme d'une bourse longue, qui va en s'étrécissant par le haut. L'ouverture des nids est tournée au nord-ouest, desorte qu'ils sont à couvert du vent du midi & de la pluie. Kaempfer a compté plus de cinquante de ces nids sur un seul arbre, & n'en a jamais vu sur aucun autre. Les oiseaux sont d'un brun jaunâtre, & ressemblent aux serins de Canarie, mais ils n'ont qu'un cri approchant de celui des moineaux.

Les terres du pays de Siam, sont purement argilleuses, à peine y trouve-t-on un caillou. Les lieux élevés sont arides & brûlés du soleil ; l'inondation annuelle de la campagne, produit seule l'abondance de la récolte du riz. Les pâturages sont grossiers ; aussi n'y a-t-il dans le pays ni chevaux, ni mulets, & tout se réduit aux boeufs & aux éléphans. La chasse des derniers est permise, mais on n'y va que pour les prendre, & jamais pour les tuer. On voit toujours un éléphant de garde au palais du roi tout enharnaché & prêt à monter. A l'endroit où il est mis de garde, il y a un échaffaud qui est à plein pié de l'appartement du roi, afin que sans sortir le prince puisse monter tout-de-suite sur son éléphant.

L'eau pure est la boisson ordinaire des Siamois ; mais comme c'est de l'eau de riviere chargée de bourbe, on la met dans de grands vases pour la laisser reposer & filtrer pendant un certain espace de tems. Ils boivent aussi de deux liqueurs qu'ils appellent tari & neri. Le tari se tire par incision d'une espece de cocotier sauvage ; le neri se tire de même de l'arequier, sorte d'arbre dont le fruit se nomme areque. Ils boivent encore des eaux-de-vie de riz, qu'ils éclaircissent avec de la chaux.

Leur dépense en habits, en logement & en ameublemens n'est pas couteuse. D'abord ils ne s'habillent point : ils vont nuds piés & nue tête, & s'entourent seulement les reins d'une piece de toile peinte qu'on appelle pagne. Leurs maisons les plus belles sont de bois, & à un seul étage. La plûpart de leurs lits ne consistent qu'en une natte de jonc. Les tables sont sans piés, sans nappes, ni serviettes, ni cueilleres, ni fourchettes, ni couteaux. Point d'autres sieges que des nattes de jonc. Leur vaisselle est de porcelaine grossiere, ou d'argille. Le bois simple ou vernissé leur fournit tout le reste. Leur nourriture ordinaire est le riz & le poisson. La mer leur donne aussi de petites tortues & des écrevisses. Les sauterelles, les lézards, & la plûpart des insectes, ne déplaisent point à leur goût. Leurs sausses sont faites avec un peu d'eau, de sel, de petites herbes, & un peu d'épices, que leur fournissent les Hollandois.

Les formalités de leurs mariages sont assez simples ; mais à cause de la chaleur du climat, on a coutume de marier les filles & les garçons fort jeunes, desorte que les filles ont souvent des enfans à l'âge de douze ans. Les hommes peuvent avoir plusieurs femmes, dans le nombre desquelles il y en a toujours une qui est la principale de toutes. Le divorce y est commun ; en ce cas le mari rend à sa femme principale sa dot ; & ils partagent leurs enfans également, si leur nombre est pair ; s'il est impair, la femme en a un de plus que le mari. Pour les autres femmes & leurs enfans, le mari a la puissance de les vendre. Après le divorce, le pere & la mere peuvent aussi vendre les enfans qui leur sont échus en partage.

Il y a des tribunaux de judicature pour juger tous les différens des particuliers ; mais il n'y a dans chaque tribunal qu'un seul officier qui ait voix délibérative ; tous les autres n'ont que voix consultative, selon l'usage de la Chine, & autres états voisins. Les gouverneurs des villes sont les chefs des tribunaux. Dans les procès délicats, on admet la preuve du feu, de l'eau, & des vomitifs. La peine du vol est la condamnation au double ou au triple ; mais on étend la peine du vol sur toute la possession injuste en matiere réelle : desorte que lorsqu'on est évincé d'un héritage par procès, on rend non-seulement l'héritage à la partie, mais on en paye encore le prix, moitié aux juges, moitié à la partie. Quand il peut y avoir peine de mort, la décision en est reservée au roi seul, qui quelquefois seulement accorde à des juges extraordinaires qu'il envoye dans les provinces, le pouvoir d'infliger une peine capitale.

Le roi est entierement despote ; tout le peuple sans distinction lui appartient. La seule différence qu'il y a des esclaves du roi à ses sujets de condition libre, c'est que ceux-là sont toujours occupés à des travaux personnels, & sont nourris ; au-lieu que ceux-ci ne lui doivent de travail que six mois de l'année, & se nourrissent eux-mêmes. Généralement tout le peuple est une milice enrôlée ; mais comme ce prince n'employe jamais tous ses sujets dans son armée, & que rarement il met une armée en campagne, il occupe à tel travail qu'il lui plaît pendant six mois de l'année, ceux de ses sujets qu'il n'employe pas à la guerre.

Les Siamois sont peut-être le peuple le moins porté & le plus inhabile à l'art militaire. Si les Péguans, leurs voisins, entrent d'un côté sur leurs terres, ils entrent dans celles du Pégu, & les deux parties emmenent des villages entiers en captivité. De siéges, ils n'en ont jamais fait ; & quand ils prennent quelques places, c'est toujours par la faim ou par la trahison. Ils sont encore plus foibles sur mer que sur terre : à peine le roi a-t-il cinq ou six petits vaisseaux, qui ne peuvent servir que pour porter des marchandises. Ses galeres ne sont que de médiocres bâteaux à un pont, avec des rames fort courtes qui atteignent à peine à l'eau, & des ancres de bois.

Les finances du roi consistent en droit de douanne sur les marchandises qui arrivent dans ses états, & en un droit annuel sur toutes les terres labourables, & sur tous les fruits qui se recueillent ; il a outre cela des terres qu'il fait cultiver par ses sujets ; il a les amendes & confiscations ; enfin il gagne beaucoup dans le commerce qu'il fait seul & exclusivement sur la plûpart des choses rares qu'on vend ensuite à son profit.

Les anciennes loix de Siam ordonnent qu'après la mort du roi, son frere succédera à la couronne ; & après la mort du frere, ou s'il n'y a point de frere, son fils aîné. Mais ces loix ont été si souvent violées, & la succession a été si fort dérangée, qu'à-présent lorsque le roi vient à mourir, celui de la famille royale qui est le plus puissant, s'empare de la couronne ; desorte qu'il arrive rarement que le plus proche & véritable héritier monte sur le trône, ou soit en état de s'y maintenir.

Le roi de Siam a plusieurs grands officiers ; savoir 1. un officier qui a la direction des cours criminelles & des confiscations ; c'est une place de grande confiance. 2. Un grand chancelier, qui a la direction des affaires étrangeres. 3. Un grand chambellan, qui a la surintendance des palais du roi. 4. Le premier juge. 5. Le receveur général des revenus de la couronne. 6. Un grand écuyer qui a l'inspection des éléphans & de leurs équipages. 7. Un grand maître de la maison, qui a sous son intendance tous les domestiques du roi, & les ballons de sa majesté.

Il y a plusieurs autres officiers de la cour d'un rang inférieur, comme le chef des malagans, celui des mores, le receveur des douannes, &c.

Les Siamois n'ont point de nom de famille héréditaire, ils reçoivent les noms qu'ils portent de leurs maîtres & de leurs supérieurs. Les premiers de l'état portent le nom de leurs charges ; mais nul officier n'a de gages ; il a seulement le logement, & quelquefois de petits présens du prince, comme quelques terres labourables, qui reviennent encore au roi avec l'office après le mort de l'officier. Ainsi le seul gain des offices consiste dans les concussions & les présens des particuliers, ce qui est si commun que les moindres officiers en font aux plus grands à titre de respect, mais en réalité pour en être protégés. Le ministere est orageux dans ce pays-là, tant par l'inconstance naturelle du prince, que parce que les voies sont ouvertes à tout le monde pour lui porter ses plaintes.

Un ambassadeur n'est dans ce royaume, comme dans tout l'Orient, qu'un messager des rois ; il ne représente point son maître ; il est arrêté à l'entrée du royaume, jusqu'à ce que le roi soit informé de son arrivée. On le conduit d'abord à l'audience, & il ne peut rester dans la capitale après l'audience de congé.

La fameuse ambassade de Siam en France dans le dernier siecle, nous a valu les relations de ce royaume, composées par le P. Tachard, par l'abbé de Choisy, par MM. Delisle, Gervaise, de Chaumont, & de la Loubere ; mais outre que toutes ces relations se contredisent, elles n'ont pas le mérite de celle de Kaempfer, qui d'ailleurs est postérieure à tous les voyageurs que je viens de nommer. (D.J.)

SIAM, (Géog. mod.) capitale du royaume de Siam, & la résidence du roi. Cette capitale est appellée par les Siamois Meang-Syouthia, & par les Chinois Juehia & Judia. Long. suivant Cassini, Lieutaud, & Desplaces, 118. 21. 30 ; suivant le P. Noël, 118. 6. 30. Latit. suivant les uns & les autres, 14, 18.

Cette ville est renommée dans toutes les Indes, quoique très-moderne, n'ayant pas aujourd'hui plus de trois siecles d'antiquité. Elle étoit auparavant dans le lieu où est présentement Bankok, sur le bord occidental de la grande riviere Meuan ; mais on l'a démolie pour la rebâtir où elle est à-présent, dans une île basse formée par cette riviere. Cette île a la forme de la plante du pié, le talon tourné à l'ouest, & environ deux milles d'Allemagne de circuit. Elle est située dans un pays tout-à-fait plat, autant que la vûe peut s'étendre, sur un terrein bas, coupé par plusieurs canaux qui viennent de la riviere, & qui forment tout autant de petites îles quarrées ; desorte qu'on ne sauroit aller fort loin sans bateau. Elle est environnée d'une muraille de briques, qui doit être aujourd'hui tombée en ruine, si on ne l'a pas rétablie.

Plusieurs grands canaux qui viennent de la riviere, traversent la ville, & sont assez profonds pour porter les plus grands bateaux, & les faire aborder auprès des principales maisons. Les rues sont en droite ligne le long des canaux, mais la plûpart sont fort étroites ; d'ailleurs elles sont toutes sales & malpropres, il y en a même qui sont inondées en haute marée. A considérer la grandeur de cette ville, elle est assez dépeuplée, sur-tout du côté de l'ouest & du sud, où l'on voit de grands espaces vuides, & qui ne sont point cultivés.

Le roi a trois palais dans cette ville, dont le plus remarquable est dans le milieu de la ville même. Ce palais est un grand quarré, divisé en plusieurs bâtimens qui, suivant l'architecture chinoise, sont ornés de plusieurs toîts l'un sur l'autre, & de plusieurs frontispices, dont une partie est dorée. Dans l'enceinte du palais, aussi-bien qu'au dehors, il y a de longues écuries où l'on voit une centaine d'éléphans rangés de suite, & magnifiquement harnachés ; mais il n'y a qu'une seule ouverture pour entrer dans le palais ; & quoiqu'elle soit extrêmement sale, personne n'y passe qu'à pié : & pour éviter toute surprise, il est défendu à tous les bâtimens qui remontent la riviere, de s'approcher des murs du palais royal qu'à une certaine distance.

On voit aux portes & aux autres avenues de ce palais, une foule de gens nuds, dont la peau basanée est peinte de figures noires bigarrées, comme les images du saint-sépulchre à Jérusalem. Quelques-uns ne sont marqués ainsi qu'aux bras, mais les autres le sont par tout le corps, jusqu'à la ceinture, qu'ils couvrent d'un morceau de drap, suivant la coutume générale du pays. On leur donne le nom portugais de bracospintados, ou bras peints. Ce sont-là les gardes du roi, ses portiers & ses bateliers. Pour toutes armes, ils ont des bâtons gros & courts, & ne font que roder autour du palais comme des vagabonds.

Dans les autres parties de la ville il y a un quartier qui est destiné aux étrangers, où demeurent les Chinois, les Maures & les Indoustans : c'est un quartier très-peuplé, où il se fait un grand commerce, parce que tous les vaisseaux y abordent. Les maisons de ces étrangers sont en quelques endroits toutes bâties de pierre, mais elles sont fort petites, n'ayant que huit pas de longueur, quatre de largeur, & deux étages, quoiqu'elles n'ayent pas plus de deux brasses & demie de hauteur. Elles sont couvertes de tuiles plates, & ont de grandes portes sans aucune proportion.

Le quartier des naturels du pays, est, comme on peut bien le penser, le plus grand de tous ; il est habité par quantité d'artisans, rempli de boutiques des deux côtés, & de grandes places pour les marchés, qui se tiennent tous les jours soir & matin. Les maisons des gens du commun qui y demeurent, ne sont que de misérables cabanes bâties de bambou, & couvertes de branches & de feuilles de palmier qui croissent dans les marais. Les boutiques sont basses & mal entendues, mais elles sont assez bien situées en lignes droites paralleles aux rues.

Les mandarins ou ministres d'état, & les courtisans, demeurent dans les quartiers voisins des palais du roi ; leurs maisons, quoique bâties de pierre & de chaux, sont assez chétives ; les appartemens ne sont ni propres ni garnis, & les cours sont fort sales.

Les canaux de Siam ont donné lieu à un grand nombre de ponts, dont la plûpart sont faits de bois, & peu solides. Ceux qu'on a bâtis sur le grand canal sont de pierre ou de brique, avec des balustrades de même ; mais comme il n'y a dans cette ville ni chariots ni charettes, tous les ponts sont fort étroits : les plus beaux ont 60 ou 80 pas de long, & sont fort hauts au milieu.

Comme tout le pays de Siam fourmille de prêtres & de moines, cette ville en particulier est pleine de temples, dont les cours aboutissent régulierement au niveau des rues, & sont remplies de pyramides & de colonnes de différentes figures, & dorées. Ces temples ne sont pas si grands que nos églises, mais ils les surpassent en magnificence extérieure, comme par le grand nombre de leurs toîts, par leurs frontispices dorés, leurs escaliers avancés, leurs pyramides, colonnes, piliers, & autres embellissemens. Le dedans est orné de plusieurs statues de grandeur naturelle, ou même plus grandes, artistement faites d'un mêlange de plâtre, de résine & de poil, auquel on donne d'abord un vernis noir, & que l'on dore ensuite. Elles sont placées en plusieurs rangs dans un lieu éminent, où est l'autel.

Dans quelques temples elles sont rangées le long des murailles, assises les jambes croisées, toutes nues, excepté au milieu du corps, où elles sont ceintes d'un morceau de drap jaune foncé ; elles ont aussi depuis l'épaule gauche jusqu'au nombril, une autre piece de drap de la même couleur entortillée. Leurs oreilles sont fendues, & si longues, qu'elles descendent sur les épaules. Leurs cheveux sont frisés & noués sur la tête en deux noeuds, desorte qu'on ne peut pas distinguer si c'est un bonnet ou quelqu'autre espece d'ornement. La main droite est posée sur le genou droit, & la gauche sur le giron. A la place d'honneur, qui est le milieu, il y a une idole qui excede de beaucoup la grandeur d'un homme, assise dans la même posture sous un dais. Elle représente leur apôtre, ou le fondateur de leur religion, leur Sammona-Khodum.

Ce Khodum a des statues d'une grandeur monstrueuse dans quelques temples. Kaempfer a vu une de ces idoles assise sur un lieu élevé, dont la proportion étoit telle qu'elle auroit étant droite, cent vingt piés de long. Ces sortes d'idoles sont dans la même posture où Khodum & ses disciples se mettoient lorsqu'ils étoient dans leurs méditations religieuses. Les prêtres ses sectateurs, sont encore obligés par leurs regles de s'asseoir tous les jours en certain tems pour l'exercice de leur dévotion. Ils portent aussi le même habit ; ils vont la tête nue & rasée ; & pour se garantir du soleil, ils se couvrent le visage d'un éventail fait de bois & de feuilles de palmier.

Les maisons des moines sont près des temples, & elles sont assez chétives ; mais à un des côtés ils ont leur école publique. Cette école est une grande salle où l'on monte par quelques degrés : & au lieu de fenêtres il y a plusieurs petites lucarnes, pour donner de l'air aux étudians pendant les leçons ; cette salle est divisée en plusieurs bancs. Au milieu est une estrade sur laquelle il y a un pupitre ouvragé & doré ; un vieux prêtre y vient à certaines heures lire d'une voix lente & distincte ses leçons aux jeunes étudians. Lorsqu'il prononce certain mot, ses auditeurs mettent leurs mains sur leur front ; mais en général ils ne brillent pas par leur dévotion ; car pendant les leçons les uns coupent du pinang, d'autres le mettent en poudre ; d'autres mêlent du mercure avec du jus de quelques herbes, & d'autres s'amusent à autre chose.

Près du pupitre, ou dans un autre endroit de la salle, on voit l'idole d'Amida, se tenant debout sur la fleur tarate, faba aegyptia, ou nymphaea magna : ils croyent qu'il intercede pour les ames des morts. Autour de la salle pendent des fleurs & des couronnes de papier, des banderolles, & d'autres ornemens dorés, attachés à des bâtons de bambou, qu'ils portent dans les convois funebres. On remarque encore devant le pupitre une machine en forme de table, faite de bambou jointe grossierement ensemble, & tendue de pieces de drap jaune, dont les prêtres se couvrent la ceinture. Cette table est ordinairement jonchée de fleurs, & quelquefois couverte de plats pleins de riz, de pinang, de pissang, de poisson sec, de limon, mangostangs, & autres fruits du pays, qui sont des offrandes & des présens qu'on fait aux moines du couvent.

Il y a plusieurs villages autour de Siam : dans quelques-uns les vaisseaux y servent de maisons, & contiennent chacun deux ou trois familles. Ils conduisent ces maisons flottantes dans tous les endroits où l'on tient des foires, pour y vendre leurs marchandises. Dans les villages situés en terre-ferme, les maisons sont communément bâties de bambous, de roseaux, & de planches. Quelques-unes de celles qui cotoyent la riviere, sont élevées sur des piliers de la hauteur d'une brasse, afin que les eaux qui inondent le pays pendant quelques mois, puissent passer librement dessous. Chaque maison a un degré ou une échelle, pour descendre à terre quand les eaux se sont retirées ; & un bateau pour aller aux environs lorsqu'elles sont hautes.

C'est sur les éminences que sont bâtis hors de la ville plusieurs temples, couvents, tous les cimetieres où l'on enterre les morts, & les cours où l'on brûle leurs os, & où l'on éleve de magnifiques pyramides.

Entre ces pyramides élevées proche de Siam, il y en a une fameuse, à une lieue au nord-ouest de la ville. Elle est d'une structure massive, mais haute de plus de vingt brasses, & placée dans un quarré fermé d'une muraille basse. Cet édifice a deux pieces posées l'une sur l'autre ; la piece de dessous est quarrée ; chaque côté a cent quinze pas de long, & s'éleve jusqu'à la hauteur de plus de douze brasses. Il y a quatre étages bâtis l'un sur l'autre, & le plus haut s'étrécissant, laisse sur le sommet de celui qui est immédiatement dessous un espace vuide pour marcher tout-au-tour ; chaque étage est embelli de corniches. La seconde piece de la pyramide est posée sur la surface de la premiere qui est quarrée ; chaque côté ayant trente-six pas de long. Le piédestal de cette seconde piece est octangulaire, & monte ensuite en forme de clocher. Sur le haut il y a plusieurs colonnes qui soutiennent un tas de globes qui s'élevent en pointe, c'est-à-dire, dont les diametres diminuent à proportion de la hauteur ; le tout finit par une aiguille fort longue & fort déliée. (D.J.)

SIAM, maladie de, (Médecine) ce n'est point, comme on le pense communément, une maladie particuliere qui ait un caractere propre, & qu'on n'observe qu'à Siam, dans les Indes, & dans les îles d'Amérique. Nous n'en trouvons la description dans aucun des auteurs qui ont voyagé dans ces contrées, ni dans les ouvrages des médecins qui ont traité de la médecine de ces peuples ; tels que Cleyer, Barchusen, Prosper Alpin, &c. Nous savons seulement par le témoignage de différentes personnes instruites qui ont resté long-tems au Cap & à la Martinique, qu'on y donne le nom de maladie de Siam, à certaines especes de fiévres continues, ardentes, qui attaquent les nouveaux débarqués dans ces pays, & qui outre les symptomes ordinaires, sont accompagnées d'hémorrhagies plus ou moins abondantes par différentes parties du corps. Ces symptomes sont plus fréquens pendant les chaleurs brûlantes de l'été que dans les autres saisons, & plus familiers à ceux qui sont d'un tempérament vif, bilieux, pléthorique. Du reste, il ne paroît pas que ces fiévres qu'on appelle maladie de Siam, soient plus dangereuses que les autres ; ou si elles le sont, ce n'est que par accident, moins à cause des hémorrhagies qui sont excitées, qu'à cause de l'incommodité ou des autres mauvais effets de la chaleur excessive de la saison. Il n'est pas rare de voir en France des fiévres ardentes pendant les étés très-chauds, auxquelles on pourroit donner la même dénomination ; car on y apperçoit les mêmes symptomes ; rien n'est si ordinaire que d'observer pendant leur cours ou à la fin, des hémorrhagies abondantes, souvent critiques & salutaires.

On n'a dans les îles d'autre attention particuliere pour la maladie de Siam, que d'insister un peu plus sur les saignées, sur les anti-phlogistiques, sur les ptisanes nitreuses, émulsionnées, sur les boissons acides ; en un mot, sur les rafraîchissans, remedes qui paroissent très-bien indiqués par le caractere de la maladie, l'état du malade & de la saison, & dont un succès soutenu constate l'efficacité. (m)


SIAMBIS(Géog. anc.) île que Pline, l. IV. c. xvj. met au nombre de celles qui sont sur la côte de la Bretagne. Cambden croit que c'est l'île Sena de Pomponius Méla, & dit qu'on la nomme à présent Sayn. Voyez SAYN, île de (D.J.)


SIAMOISES. f. (Soyerie & Cotonnerie) étoffe mêlée de soie & de coton qu'on a vue la premiere fois en France, lorsque les ambassadeurs du roi de Siam y vinrent sous le regne de Louis XIV. Les siamoises de fil & de coton ont été plus heureuses ; il s'en fait toujours un assez grand commerce. Les unes sont à grandes, & les autres à petites raies de diverses couleurs ; leur largeur est de demi-aune, ou de près d'une aune : quelques-unes se savonnent. Dictionnaire de Commerce. (D.J.)


SIAMPARTS. m. (Marine) petit bâtiment de la Chine qui a une voile, deux, quatre, ou six rames, & qui peut porter vingt-cinq à trente hommes. Il navige terre à terre, & va très-vite.


SIAN(Géog. mod.) petit état d'Afrique, dans la basse Ethiopie, au voisinage de ceux de Chélicie & d'Ampaza : il est gouverné par un seigneur mahométan. (D.J.)


SIARA(Géog. mod.) capitainerie de l'Amérique méridionale, dans le Brésil, sur la côte septentrionale, entre celle de Maragnan, & celle de Rio-Grande ; les Portugais y ont deux forteresses. Les sauvages de cette côte sont grands & laids de visage ; ils ont les cheveux longs, les oreilles percées, pendantes presque sur les épaules, & la peau teinte en noir, excepté depuis les yeux jusqu'à la bouche. Long. 338. latit. mérid. 3. 15. (D.J.)


SIARES. m. (terme de relation) nom que les habitans des îles Maldives donnent à un lieu qui est consacré au roi des vents. Il n'y a presque aucune de leurs îles où ils n'ayent un siare, dans lequel ceux qui sont échappés de quelque danger sur mer, vont faire leurs offrandes. Ces offrandes consistent en de petits bateaux chargés de fleurs & d'herbes odoriférantes. On brûle ces herbes & ces fleurs à l'honneur du roi des vents, & on jette les petits bateaux dans la mer après y avoir mis le feu. Tous leurs navires sont dédiés au roi des vents & de la mer. (D.J.)


SIATUTANDA(Géog. anc.) ville de la Germanie. Ptolémée, liv. II. ch. x. la marque dans le climat le plus septentrional. Ceux qui veulent que ce soit Sideburen, dans la province de Groningue, n'ont rien qui puisse appuyer cette position.


SIBA(Géog. mod.) province de l'empire du Mogol. Elle est bornée au nord par celle de Nagracut, au midi par celles de Gor & de Jamba, au levant par le grand Tibet, & au couchant par la province de Pengap. On voit dans sa partie septentrionale le lac d'où sort le Gange, & dans sa partie méridionale se trouve la ville & le petit royaume de Sirinagar.

SIBA, LA, (Géog. mod.) riviere de la grande Tartarie, & qui s'appelloit autrefois Altui. Elle a sa source dans les montagnes d'une branche du Caucase, à 43d de latitude, au sud des sources de la Jéniséa, & elle se perd vers le nord de deserts du Goby. Ses bords sont habités par les Monugales de l'ouest qui ont un petit kan pour chef. (D.J.)


SIBDA(Géog. anc.) ville de la Carie, Pline, l. V. c. xxjx. dit que ce fut une des six villes qu'Alexandre le grand mit dans la dépendance de la ville d'Halicarnasse.


SIBERENA(Géog. mod.) ville d'Italie. Etienne le géographe la donne aux Anotriens. On a des médailles anciennes avec ce mot , Gabriel Bari dit que le vulgaire ignorant la nomme présentement S. Severina ; cependant elle s'appelloit déjà de la sorte dès le tems de Constantin Porphirogenete. (D.J.)


SIBÉRIE(Géog. anc.) contrée de l'empire russien ; elle comprend la partie la plus septentrionale de cet empire, & même de l'Asie. Elle est bornée à l'orient par la mer du Japon, au midi par la grande Tartarie, à l'occident par la Russie, dont elle est séparée par le commencement du mont Caucase, & au septentrion par la mer Glaciale ; ainsi la Sibérie peut avoir huit cent lieues dans sa plus grande étendue d'occident en orient, & trois cent lieues du midi au nord.

Comme ce grand pays est situé entre le 50 & le 70d de latitude, le froid y doit être très-piquant dans les parties septentrionales ; mais voici une autre cause qui augmente le froid jusques dans les cantons méridionaux. La Sibérie n'est, à proprement parler, qu'une large vallée ouverte aux vents du nord qui la traversent sans obstacle depuis la nouvelle Zemble jusqu'au sommet du Païassemnoï ; or cette exposition y rend le froid plus excessif que dans des pays septentrionaux, tels que la Suede, mais que des montagnes mettent à l'abri du nord.

Cette contrée produit les plus riches fourrures ; & c'est ce qui servit à en faire la découverte en 1563. Ce fut sous Ivan Basilides, qu'un particulier des environs d'Arcangel, nommé Anika, riche pour son état & pour son pays, remarqua que des hommes d'une figure extraordinaire, vêtus d'une maniere jusqu'alors inconnue dans ce canton, & parlant une langue que personne n'entendoit, descendoient tous les ans une riviere qui tombe dans la Dwina, & venoient apporter au marché des martres & des renards noirs, qu'ils troquoient pour des clous & des morceaux de verre, comme les premiers sauvages de l'Amérique donnoient leur or aux Espagnols ; il les fit suivre par ses enfans & par ses valets jusque dans leur pays ; c'étoient des Samojedes.

Les domestiques d'Anika étant de retour, rendirent compte à leur maître de l'état du pays qu'ils avoient vu, & de la facilité de gagner des richesses immenses en portant aux habitans des marchandises de peu de valeur contre leurs belles pelleteries. Anika profita de cet avis, & fit si bien qu'en peu d'années ses gens, ses parens & ses amis se trouverent enrichis par ce nouveau trafic.

Les Aniciens, c'est ainsi qu'on les nomma, se voyant comblés de biens, & craignant des révolutions de la fortune, songerent, pour se maintenir, à se procurer un appui dans la personne du premier ministre. On les écouta favorablement, & peu de tems après l'empereur de Russie fut reconnu par tous les Samojedes pour leur souverain.

On éleva des forteresses le long de la riviere d'Oby, on y mit des garnisons, & on nomma un gouverneur général de tout le pays. On continue d'y envoyer des colonies de russes, de tartares, de polonois. On y condamne même comme à un exil, des voleurs, des misérables & autres gens qui sont l'écume des hommes. Enfin des prisonniers de guerre suédois du premier mérite y ont été relégués par le czar Pierre.

C'est-là qu'on a bâti Tobolski, devenue capitale de cette vaste contrée, & le séjour du vice-roi. Tous ceux qui doivent des tributs en pelleterie les portent dans cette ville ; & quand ces tributs sont recueillis, on les envoie à Moscou sous une bonne escorte.

La Sibérie est occupée par trois sortes d'habitans ; savoir, 1°. par des peuples payens, qui sont les anciens habitans du pays ; 2°. par des tartares mahométans, qui sont ceux sur lesquels les Russes l'ont conquise ; 3°. par les russes qui en sont à-présent les maîtres.

Les peuples payens qui habitent la Sibérie se divisent en plusieurs nations, dont les principales sont les Voguluzes & les Samojedes, qui habitent, les uns entre l'Oby & la Lena vers la mer Glaciale, & les autres sur la côte septentrionale de la Russie. Les Ostiaques habitent vers le 60 degré de latitude. Les Tingoëses, ou Toungonses, occupent une grande partie de la Sibérie orientale, & sont divisés en plusieurs branches. La plûpart de ces peuples n'ont point d'habitation fixe ; ils vivent sous des huttes, ils demeurent pendant l'hiver dans les forêts, cherchant leur nourriture à la chasse, & dans l'été ils vont gagner les bords des rivieres pour s'entretenir de la pêche. Les peaux des poissons sont leur habillement d'été, & les peaux des élans & des rennes leur servent au même usage en hyver. Un arc, une fleche, un couteau, une hache avec une marmite font toutes leurs richesses. Les râclures d'un certain bois leur tiennent lieu de lit de plume pour se coucher ; les rennes & les chiens leur servent de chevaux pour tirer leurs traîneaux sur la neige. La religion de ces différens peuples consiste en quelque honneur qu'ils rendent au soleil, à la lune & à leurs idoles.

Les tartares mahométans font la seconde partie des habitans de la Sibérie. Ils occupent un grand nombre de villages le long de l'Irtis & de la Tobol, & ils ont le libre exercice de leur religion. Leurs principaux chefs sont des murses.

Les russes qui font la troisieme espece d'habitans actuels de la Sibérie, sont venus s'y établir depuis que ce pays est sous l'obéissance de la Russie, & leur nombre s'est accru en peu de tems.

La partie septentrionale de la Sibérie ne produit aucune sorte de grains ni de fruit, ensorte qu'elle est tout-à-fait inculte ; mais la partie méridionale n'a besoin que d'être cultivée pour produire les choses nécessaires à la vie. Les pâturages y sont excellens, & les rivieres fourmillent de poisson.

C'est uniquement dans la Sibérie & les provinces qui en dépendent, qu'on trouve les renards noirs & les zibelines, de même que les gloutons ; les plus belles peaux d'hermines & de loups-cerviers en viennent pareillement. On y trouve aussi des castors en abondance, & ceux de Camizchatka entr'autres sont d'une grandeur extraordinaire. Comme toutes ces pelleteries sont fort précieuses, il n'est permis à qui que ce soit d'en faire négoce ; mais les habitans du pays qui en ont sont obligés de les porter aux commis du trésor, qui les doivent payer à un certain prix réglé.

La Sibérie est aujourd'hui partagée en autant de gouvernemens qu'il y a de villes ; chaque ville a son vaiwode sous les ordres du vice-gouverneur-général, qui est un poste également honorable & profitable. La monnoie de Russie est la seule qui ait cours dans ce continent, mais elle y est fort rare, & tout le négoce s'y fait en échange, faute d'argent. Le gouvernement spirituel de la Sibérie est confié à un métropolitain du culte grec, tel qu'il est reçu en Russie, & ce prélat réside à Toboloskoy.

Qui croiroit que cette contrée a été longtems le séjour de ces mêmes Huns qui ont tout ravagé jusqu'à Rome, sous Attila, & que ces Huns venoient du nord de la Chine ? Les Tartares Usbecs ont succédé aux Huns, & les Russes aux Usbecs. On s'est disputé ces contrées sauvages, ainsi qu'on s'est exterminé pour les plus fertiles.

La Sibérie fut autrefois plus peuplée qu'elle ne l'est, sur-tout vers le midi ; on en juge par des tombeaux & par des ruines. Toute cette partie du monde, depuis le soixantieme degré ou environ, jusqu'aux montagnes éternellement glacées qui bornent les mers du nord, ne ressemble en rien aux régions de la zone tempérée, ce ne sont ni les mêmes plantes, ni les mêmes animaux sur la terre, ni les mêmes poissons dans les lacs & les rivieres. Il seroit curieux d'en avoir des descriptions par un naturaliste, & ce sera le fruit du progrès des sciences en Russie. Gmelin a déja ouvert cette carriere sur les plantes de cette froide contrée, par sa flora Siberica, Petropoli 1750, en deux vol. in-4°. avec fig. Quant à la description géographique de la Sibérie, on l'a mise au jour à Nuremberg en 1730, in-fol. Les curieux peuvent la consulter. (D.J.)


SIBOLES. m. (Hist. nat.) animal quadrupede de la nouvelle Espagne, dont on ne nous apprend rien sinon qu'il est de la grandeur d'une vache, & que l'on estime beaucoup sa peau par la douceur de son poil.


SIBUZATES(Géog. anc.) peuples de la Gaule aquitanique, que César, Bell. gall. liv. III. met au nombre de ceux qui se soumirent à Crassus. On ne les connoît point.


SIBYLLES. f. (Divinat. des Grecs & des Rom.) femme inspirée de l'esprit prophétique, & qui étoit douée du don de prédire l'avenir.

La premiere femme qui s'avisa de prononcer des oracles à Delphes, s'appelloit Sibylla. Elle eut pour pere Jupiter au rapport de Pausanias, & pour mere Lamia fille de Neptune ; & elle vivoit fort longtems avant le siege de Troie. De-là toutes les femmes qui se distinguerent par le même talent, furent appellées sibylles. Y a-t-il eu des sibylles dans le paganisme, & quel étoit leur nombre ? Sur quel fondement les anciens ont-ils imaginé qu'elles avoient le don de prophétie ? Comment annonçoient-elles leurs oracles ? Enfin quel culte leur a-t-on rendu ?

Varron, cité par Lactance, dérivoit le nom de sibylle de deux termes éoliens ou doriens ; il le croyoit synonyme du mot théoboulé, conseil divin ; , pour , dieu ; & pour , conseil. Cette étymologie est confirmée par la signification que plusieurs écrivains grecs donnent au mot sybilla. Diodore, lib. IV. qui l'explique par enthousiaste, dit que le mot , sibylliser, signifie à la lettre la même chose que , être saisi par l'esprit divin. Strabon rend aussi le mot de sibylla par celui d', & Arrien, cité par Eustathe, assuroit que les sibylles avoient reçu ce nom, parce qu'elles portoient un dieu au-dedans d'elles-mêmes. Les descriptions que Virgile & Ovide font de la sibylle de Cumes rendant ses oracles, nous apprennent ce qu'on entendoit par cette théophorie.

Nier qu'il y ait eu plusieurs sibylles, seroit renverser tous les témoignages de l'antiquité. Platon, in Phaedo & in Theage, à l'occasion de cette sorte de fureur dont quelques personnes sont saisies, & qui les met en état d'annoncer l'avenir, fait mention de la Pythie, des prêtresses de Dodone & de la sibylle. Diodore de Sicile dit que Daphné fille de Tirésias, n'étoit pas moins savante que son pere dans l'art de la divination ; & qu'après avoir été transportée à Delphes, elle écrivit un grand nombre d'oracles. Comme cette fille, ajoute-t-il, étoit souvent éprise d'une fureur divine en rendant ses réponses, on lui donna le nom de sibylle. Strabon, lib. XIV. fait mention de la sibylle Erythrée, & d'une autre nommée Athénaïs, qui selon lui vivoit du tems d'Alexandre. Il prétend encore dans un autre endroit, lib. XVI. qu'il y en avoit eu une plus ancienne. Pausanias, in Phoc. parle fort au long de la sibylle Erophyle qui vivoit avant le siege de Troie. Le même auteur décrit le rocher où elle rendoit ses oracles, & en cite quelques-uns. Aristote, en philosophe éclairé, examinant dans ses problèmes, Probl. 30. n °. 1. en quoi consiste l'enthousiasme qui saisissoit les devins inspirés, nomme Bacis & la sibylle, & range cet enthousiasme parmi les genres de délire ou de folie.

Il est donc certain qu'il y a eu en différens tems, & dans des lieux differens, des femmes qui se sont données pour avoir le don de prédire l'avenir, & qui ont porté le nom de sibylles. Aux témoignages que j'ai déja cités pour preuve, je pourrois joindre celui de Varron, celui de Cicéron, celui de Virgile qui dit des choses si curieuses sur la sibylle de Cumes, ceux de Pline, de Solin, du philosophe Hermias, de Procope, d'Agathias, de Jamblique, d'Ammian Marcellin, de Justin & d'une infinité d'autres.

Mais si les anciens ont établi l'existence de pareilles femmes, ils ne s'accordent ni sur le nombre, ni sur la patrie, ni sur le nom des différentes sibylles. Le problème n'étoit pas encore résolu au tems de Tacite ; & tout ce que les critiques ont débité à ce sujet, n'en a pas rendu la solution plus aisée. En donnant, comme faisoit Héraclite cité par Plutarque, une durée de mille ans à la vie de la sibylle, on pourroit concilier les différentes opinions ; & c'étoit probablement le parti qu'avoit pris Ovide. Il suppose qu'au tems d'Enée, la sibylle de Cumes avoit déja vécu 700 ans, & qu'elle devoit encore vivre pendant trois siecles. Dans cette supposition, la sibylle ayant pu habiter successivement divers pays, & se rendre célebre dans différentes générations ; elle avoit pu porter les différens noms de Daphné, d'Erophile, de Démophile, &c. Au reste, comme la sibylle ne nous peut intéresser, qu'autant que son histoire se trouvera liée avec celle de l'esprit humain en général, ou avec celle d'une nation particuliere : la discussion de ces détails nous doit être assez indifférente. Il nous suffit de savoir que par le nom de sibylle, on désignoit des femmes qui sans être prêtresses, & sans être attachées à un oracle particulier, annonçoient l'avenir & se disoient inspirées. Différens pays & différens siècles avoient eu leurs sibylles ; on conservoit les prédictions qui portoient leurs noms, & l'on en formoit des recueils.

Le plus grand embarras où se sont trouvés les anciens, c'est d'expliquer par quel heureux privilege il s'est trouvé des sibylles qui avoient le don de prédire l'avenir. Les Platoniciens en ont attribué la cause à l'union intime que la créature parvenue à un certain degré de perfection, pouvoit avoir avec la divinité. D'autres rapportoient cette vertu divinatrice des sibylles, aux vapeurs & aux exhalaisons des cavernes qu'elles habitoient. D'autres encore attribuoient l'esprit prophétique des sibylles à leur humeur sombre & mélancolique, ou à quelque maladie singuliere. S. Jérome a soutenu que ce don étoit en elles la récompense de leur chasteté ; mais il y en a du moins une très-célebre qui se vante d'avoir eu un grand nombre d'amans, sans avoir été mariée :

Mille mihi lecti, connubia nulla fuere.

Il eût été plus court & plus sensé à S. Jérome, & aux autres PP. de l'Eglise, de nier l'esprit prophétique des sibylles, & de dire qu'à force de proférer des prédictions à l'aventure, elles ont pu rencontrer quelquefois ; sur-tout à l'aide d'un commentaire favorable, par lequel on ajustoit des paroles dites au hasard, à des faits qu'elles n'avoient jamais pu prévoir.

Le singulier, c'est qu'on recueillît leurs prédictions après l'événement, & qu'on les mît en vers, quoiqu'il n'y ait pas la moindre apparence qu'elles aient jamais prophétisé de cette maniere ; outre qu'elles ont vécu dans des tems différens, & dans des pays éloignés les uns des autres. Cependant il se trouva une collection de leurs prophéties du tems de Tarquin le Superbe, & ce fut une vieille femme qui lui fit présent de ce recueil en neuf livres, qu'on nomma livres sibyllins, & qu'il déposa dans un souterrain du temple de Junon au Capitole. Voyez-en toute l'histoire au mot SIBYLLINS LIVRES, (Antiq. rom.)

Quant aux autres vers sibyllins rédigés en huit livres, & qui sont visiblement un ouvrage du ij. siècle de J. C. voyez SIBYLLINS LIVRES (Hist. ecclés.) Cette nouvelle collection est le fruit de la pieuse fraude de quelques chrétiens platoniciens, plus zélés qu'habiles ; ils crurent en la composant, prêter des armes à la religion chrétienne, & mettre ceux qui la défendroient en état de combattre le Paganisme avec le plus grand avantage : comme si la vérité avoit besoin du mensonge pour triompher de l'erreur.

Enfin il y a eu trois collections de vers sibyllins, sans parler de celles que pouvoient avoir quelques particuliers. La premiere, achetée par Tarquin, contenoit trois livres ; la seconde fut compilée après l'incendie du capitole, mais on ignore combien de livres elle contenoit ; la troisieme est celle que nous avons en huit livres, & dans laquelle il n'est pas douteux que l'auteur n'ait inséré plusieurs prédictions de la seconde.

Mais pour revenir aux sibylles de l'antiquité, il est trop curieux de connoître la maniere dont elles prophétisoient pour n'en pas rendre compte au lecteur. Comme la Pythie de Delphes rendoit quelquefois ses oracles de vive voix, la fameuse sibylle de Cumes en Italie, rendoit aussi quelquefois les siens de la même maniere ; c'est Virgile, soigneux observateur du costume, qui nous l'apprend. Helenus dit à Enée, en lui conseillant de consulter cette sibylle quand il seroit arrivé en Italie, de la prier de ne point écrire ses prédictions sur des feuilles d'arbres, mais de les lui apprendre d'une autre façon : ce qu'Enée exécute à la lettre lorsqu'il va la consulter.

Foliis tantum ne carmina manda,

Ne turbata volent rapidis ludibria ventis,

Ipsa canas, oro.

Enéïd. lib. VI. vers 74.

La Pythie, après avoir demeuré quelque tems sur le trépié, entroit en fureur, & dans le transport qui l'agitoit elle rendoit ses oracles ; la sibylle étoit saisie des mêmes fureurs lorsqu'elle débitoit ses prédictions.

Subito non vultus, non color unus,

Non comptae mansêre comae, sed pectus anhelum,

Et rabis fera corda tument, majorque videri ;

Nec mortale sonans, afflata est numine quando

Jam propiore dei.

Ibid. v. 48.

C'est-là que Rousseau a puisé ces vives idées.

Ou tel que d'Apollon le ministre terrible,

Impatient du dieu dont le souffle invincible,

Agite tous ses sens,

Le regard furieux, la tête échevelée,

Du temple fait mugir la demeure ébranlée

Par ses cris impuissans.

Des prêtres établis à Delphes avoient soin de recueillir ce que la Pythie prononçoit dans sa fureur, & le mettoient en vers. Il y a bien de l'apparence qu'on faisoit à-peu-près de même des réponses de la sibylle, puisque toutes celles que l'antiquité nous a transmises sont aussi en vers.

On sait que les oracles se rendoient de différentes autres manieres, ou en songes, ou dans des billets cachetés, &c. La sibylle de Cumes annonçoit les siens d'une façon singuliere, dont Virgile nous a instruits. Elle les écrivoit sur des feuilles d'arbres qu'elle arrangeoit à l'entrée de sa caverne, & il falloit être assez habile & assez promt pour prendre ces feuilles dans le même ordre où elle les avoit laissées ; car si le vent, ou quelqu'autre accident les avoit dérangées, tout étoit perdu, & on étoit obligé de s'en retourner sans espérer d'autre réponse.

Rupe sub imâ

Fata canit, foliisque notas & nomina mandat.

Quaecumque in foliis descripsit carmina virgo,

Digerit in numerum, atque antro seclusa relinquit.

Illa manent immota locis, neque ab ordine cedunt.

Verùm eadem verso tenuis cum cardine ventus

Impulit, & teneras turbavit janua frondes,

Numquam deinde cavo volitantia prendere saxo,

Nec revocare situs, aut jungere carmina curat.

Inconsulti abeunt, sedemque odêre sibyllae.

Eneïd. lib. III. vers 443.

" Au fond d'une grotte, près du port de Cumes, est la sibylle qui annonce aux humains les secrets de l'avenir ; elle écrit ses oracles sur des feuilles volantes, qu'elle arrange dans sa caverne, où ils restent dans l'ordre qu'il lui a plu de leur donner. Mais il arrive quelquefois que le vent, lorsqu'on en ouvre la porte, dérange les feuilles ; la sibylle dédaigne alors de rassembler ces feuilles éparses dans sa caverne, & néglige de rétablir l'ordre des vers ".

Virgile a suivi l'ancienne tradition qu'on trouve dans Varron, & que Servius a confirmée. Au reste, rien n'étoit plus célebre en Italie que l'antre où cette sibylle avoit rendu ses oracles. Aristote en parle comme d'un lieu très-curieux ; & Virgile en fait une description magnifique. La religion avoit consacré cette caverne, on en avoit fait un temple.

Les Romains avoient presque pour les sibylles elles-mêmes, autant de respect que pour leurs oracles ; s'ils ne les regarderent pas comme des divinités, ils les crurent au moins d'une nature qui tenoit le milieu entre les dieux & les hommes. Lactance prétend que la Tiburtine étoit honorée comme une déesse à Rome. M. Spon rapporte que près du lieu que les gens du pays disent être l'antre de la sibylle Tiburtine, on voit les ruines d'un petit temple qu'on croit lui avoir été consacré. On peut remarquer ici que les habitans de Gergis dans la petite Phrygie, avoient coutume de représenter sur leurs médailles la sibylle qui étoit née dans cette ville, comme étant leur grande divinité.

Pour terminer cet article, je n'ajouterai qu'un mot du tombeau & de l'épitaphe de la sibylle Erythrée, la plus célebre de toutes. Dans ses vers, dit Pausanias, elle se fait tantôt femme, tantôt soeur, & tantôt fille d'Apollon. Elle passa une bonne partie de sa vie à Samos, ensuite elle vint à Claros, puis à Délos, & de-là à Delphes où elle rendoit ses oracles sur une roche. Elle finit ses jours dans la Troade ; son tombeau, continue-t-il, subsiste encore dans le bois sacré d'Apollon smintheus, avec une épitaphe en vers élégiaques, gravés sur une colonne, & dont voici le sens. Je suis cette fameuse sibylle qu'Apollon voulut avoir pour interprete de ses oracles ; autrefois vierge éloquente, maintenant muette sous ce marbre, & condamnée à un silence éternel. Cependant par la faveur du dieu, toute morte que je suis, je jouis de la douce societé de Mercure & des nymphes mes compagnes.

Ceux qui seront curieux d'approfondir davantage l'histoire des sibylles, peuvent parcourir les savantes dissertations de Gallaeus : sex Gallaei dissertationes de sibyllis, Amst. 1688, in-4°. Le traité qu'en a fait M. Petit médecin de Paris, Pet. Petiti de sibyllâ tractatus, Lips. 1686, in-8°. L'ouvrage de Th. Hyde, de religione Persarum. Van Dale, de oraculis Ethnicorum, & Lactance qui nous a conservé sur les sibylles l'ancienne tradition, qu'il dit avoir puisée dans les écrits de Varron. (D.J.)

SIBYLLE de Delphes, (Antiquit. grecq.) prophétesse qui prononçoit des oracles. Diodore de Sicile, Denys d'Halicarnasse, Plutarque & Pausanias, nous la représentent comme une femme vagabonde, qui alloit de contrée en contrée débiter ses prédictions. Elle étoit en même tems la sibylle de Delphes, d'Erythrée, de Babylone, de Cumes & de beaucoup d'autres endroits. Plusieurs peuples se disputoient l'honneur de l'avoir pour concitoyenne. Elle-même dans un de ses oracles, que nous avons encore, se dit fille d'un pere mortel, & d'une mere immortelle. Il ne faut pourtant pas la confondre avec la Pythie, puisqu'elle prophétisoit sans le secours des exhalaisons qui sortoient de l'antre de Delphes, & qu'elle n'a jamais monté sur le sacré trépié. D'ailleurs, la vraie Pythie ne sortoit jamais du temple d'Apollon, dès qu'une fois elle avoit été consacrée à ce dieu ; la sibylle au contraire, étoit étrangere, & toujours errante. Voyez PYTHIE. (D.J.)


SIBYLLINSLIVRES, (Hist. rom.) anciens livres d'oracles & de prédictions extrêmement accrédités chez les Romains. Ils furent apportés à Tarquin le Superbe, ou, selon Pline, à Tarquin l'ancien, par une vieille mystérieuse qui disparut comme une ombre ; on la crut sibylle elle-même. On assembla les augures, on enferma les livres dans le temple de Jupiter au capitole ; on créa des pontifes pour les garder ; on ne douta point que les destinées de Rome n'y fussent écrites. Ces livres prophétiques périrent cependant dans l'incendie du capitole l'an 671 de Rome, sous la dictature de Sylla ; mais on se hâta de réparer cette perte. On en recueillit d'autres dans la ville d'Eythrée & ailleurs ; on les rédigea par extraits. Auguste les renferma dans des coffres dorés, & les mit sous la base du temple d'Apollon Palatin qu'il venoit de bâtir. Ils y demeurerent jusqu'au tems d'Honorius en 405 de J. C. & cet empereur, dit-on, donna des ordres à Stilion de les jetter dans le feu. Traçons en détail toute cette histoire d'après les écrits de M. Freret, & faisons-la précéder de ses réflexions intéressantes sur cette maladie incurable de l'esprit humain, qui, toujours avide de connoître l'avenir, change sans-cesse d'objets, ou déguise sous une forme nouvelle les anciens objets qu'on veut lui arracher. Croyons que l'histoire des erreurs qui semblent les plus décriées, peut encore ne pas être aujourd'hui des recherches de pure curiosité.

Dans tous les siecles & dans tous les pays, les hommes ont été également avides de connoître l'avenir ; & cette curiosité doit être regardée comme le principe de presque toutes les pratiques superstitieuses qui ont défiguré la religion primitive chez les peuples policés, aussi-bien que chez les nations sauvages.

Les différentes especes de divination que le hasard avoit fait imaginer, & qu'adopta la superstition, consistoient d'abord dans une interprétation conjecturale de certains événemens qui par eux-mêmes ne méritoient le plus souvent aucune attention ; mais qu'on étoit convenu de prendre pour autant de signes de la volonté des dieux. On commença probablement par l'observation des phénomenes célestes, dont les hommes furent toujours très-vivement frappés ; mais la rareté de ces phénomenes fit chercher d'autres signes qui se présentoient plus fréquemment, ou même que l'on pût faire paroître au besoin. Ces signes furent le chant & le vol de certains oiseaux ; l'éclat & le mouvement de la flamme qui consumoit les choses offertes aux dieux ; l'état où se trouvoient les entrailles des victimes ; les paroles prononcées sans dessein, que le hasard faisoit entendre ; enfin, les objets qui se présentoient dans le sommeil à ceux qui par certains sacrifices ou par d'autres cérémonies, s'étoient préparés à recevoir ces songes prophétiques.

Les Grecs furent pendant plusieurs siecles sans connoître d'autres moyens que ceux-là de s'instruire de la volonté des dieux ; & chez les Romains, si on en excepte quelques cas singuliers, cette divination conjecturale fut toujours la seule que le gouvernement autorisa ; on en avoit même fait un art qui avoit ses regles & ses principes.

Dans les occasions importantes c'étoit par ces regles que se conduisoient les hommes les plus sensés & les plus courageux ; la raison subjuguée dès l'enfance par le préjugé religieux, ne se croyoit point en droit d'examiner un systême adopté par le corps de la nation. Si quelquefois séduite par cette nouvelle philosophie, dont Tite-Live fait gloire de s'être garanti, elle entreprenoit de se révolter, bientôt la force de l'exemple, & le respect pour les anciennes opinions la contraignoient de rentrer sous le joug. En voulez-vous un exemple bien singulier ? le voici.

Jules César ne peut être accusé ni de petitesse d'esprit, ni de manque de courage, & on ne le soupçonnera pas d'avoir été superstitieux ; cependant, ce même Jules César ayant une fois versé en voiture, n'y montoit plus sans réciter certaines paroles, qu'on croyoit avoir la vertu de prévenir cette espece d'accident. Pline qui nous rapporte le fait, liv. XXVII. chap. ij. assure que de son tems, presque tout le monde se servoit de cette même formule, & il en appelle la conscience de ses lecteurs à témoin.

Du tems d'Homere & d'Hesiode, on ne connoissoit point encore les oracles parlans, ou du-moins ils avoient fort peu de célébrité ; j'appelle oracles parlans, ceux où l'on prétendoit que la divinité consultée de vive voix, répondoit de la même maniere par l'organe d'un prêtre, ou d'une prétresse qu'elle inspiroit. L'oracle de Delphes qui fut le premier des oracles parlans, ne répondoit qu'un seul jour dans l'année, le septieme du mois busios, usage qui subsista même assez longtems : ainsi on imagina pour la commodité de ceux qui vouloient connoître l'avenir, de dresser des recueils d'oracles ou de prédictions écrites, que pouvoient consulter les curieux qui n'avoient pas le loisir d'attendre. Ces prédictions, conçues en termes vagues & ambigus, comme ceux des oracles parlans, étoient expliquées par des devins particuliers, qu'on nommoit chresmologues, ou interprêtes d'oracles.

On trouve dans les anciens écrivains trois différens recueils de cette espece, celui de Musée, celui de Bacis, & celui de la Sibylle. Quoique ce dernier ait été beaucoup plus célébre chez les Romains que chez les Grecs, on voit néanmoins par les ouvrages de ces derniers, qu'ils ne laissoient pas d'en faire usage. Il falloit même que ces prédictions fussent très-connues aux Athéniens, puisque le poëte Aristophane en fait le sujet de ses plaisanteries dans deux des comédies qui nous restent de lui.

Différens pays, & différens siecles avoient eu leurs sibylles : on conservoit à Rome avec le plus grand soin les prédictions de celle de Cumes, & on les consultoit avec appareil dans les occasions importantes ; cependant les écrivains de cette ville, Pline, l. XIII. c. xiij, & Denys d'Halicarnasse, l. I, c. iv. ne sont d'acord ni sur le nombre des livres qui composoient ce recueil, ni sur le roi auquel il fut présenté. Ils s'accordent seulement à dire que Tarquin, soit le premier, soit le second de ceux qui ont porté ce nom, fit enfermer ce recueil dans un coffre de pierre, qu'il le déposa dans un souterrain du temple de Junon au capitole, & qu'il commit à la garde de ces vers qu'on prétendoit contenir le destin de Rome, deux magistrats sous le titre de duumviri sacris faciundis, auxquels il étoit défendu de les communiquer, & à qui même il n'étoit permis de les consulter que par l'ordre du roi, & dans la suite par celui du sénat. Cette charge étoit une espece de sacerdoce ou de magistrature sacrée, qui jouissoit de plusieurs exemptions, & qui duroit autant que la vie.

Quand les plébéïens eurent été admis à partager les emplois avec les patriciens, l'an 366 avant J. C. on augmenta le nombre de ces interpretes des destinées de la nation, comme les appelle P. Decius dans Tite-Live, fatorum populi Romani interpretes. On les porta jusqu'à dix, dont cinq seulement étoient patriciens, & alors on les nomma décemvirs. Dans la suite, ce nombre fut encore accru de cinq personnes, & on les appella quindécemvirs. L'époque précise de ce dernier changement, n'est pas connue ; mais comme une lettre de Caelius à Cicéron, épist. famil. l. VIII, c. iv, nous apprend que le quindécimvirat est plus ancien que la dictature de Jules César, on peut conjecturer que le changement s'étoit fait sous Sylla.

Ces magistrats que Cicéron nommoit tantôt sibyllinorum interpretes, tantôt sibyllini sacerdotes, ne pouvoient consulter les livres sibyllins sans un ordre exprès du sénat, & de-là vient l'expression si souvent répétée dans Tite-Live libros adire jussi sunt. Ces quindécimvirs étant les seuls à qui la lecture de ces livres fût permise, leur rapport étoit reçu sans examen, & le sénat ordonnoit en conséquence, ce qu'il croyoit convenable de faire. Cette consultation ne se faisoit que lorsqu'il s'agissoit de rassurer les esprits allarmés, par la nouvelle de quelques présages fâcheux, ou par la vue d'un danger dont la république sembloit être ménacée : ad deponendas potius quàm ad suscipiendas religiones, dit Cicéron ; & afin de connoître ce qu'on devoit faire pour appaiser les dieux irrités, & pour détourner l'effet de leurs menaces, comme l'observent Varron & Tite-Live.

La réponse des livres sibyllins étoit communément, que pour se rendre la divinité favorable, il falloit instituer une nouvelle fête, ajouter de nouvelles cérémonies aux anciennes, immoler telles ou telles victimes, &c. Quelquefois même les prêtres sibyllins jugeoient, qu'on ne pouvoit détourner l'effet du courroux céleste que par des sacrifices barbares, & immolant des victimes humaines. Nous en trouvons un exemple dans les deux premieres guerres puniques, les années 227 & 217 avant J. C.

Les décemvirs ayant vu dans les livres sibyllins que des Gaulois & des Grecs s'empareroient de la ville, urbem occupaturos, on imagina que, pour détourner l'effet de cette prédiction, il falloit enterrer vif dans la place, un homme & une femme de chacune de ces deux nations, & leur faire prendre ainsi possession de la ville. Toute puérile qu'étoit cette interprétation, un très-grand nombre d'exemples nous montre que les principes de l'art divinatoire admettoient ces sortes d'accommodemens avec la destinée.

Le recueil des vers sibyllins déposé par l'un des Tarquins dans le capitole, périt comme on l'a vu au tems de la guerre sociale, dans l'embrasement de ce temple en 671. Mais on se hâta de remédier à la perte qu'on venoit de faire, & dès l'an 76 avant J. C. le sénat sur la proposition des consuls Octavius & Curion, chargea trois députés d'aller chercher dans la ville d'Erythrée, ce qu'on y conservoit des anciennes prédictions de la sibylle. Varron & Fenestella cités par Lactance, ne parlent que d'Erythrée ; mais Denys d'Halicarnasse & Tacite ajoutent les villes grecques de la Sicile & de l'Italie.

Tacite qui devoit être instruit de l'histoire des livres sibyllins, puisqu'il étoit du corps des quindecimvirs, dit qu'après le retour des députés, on chargea les prêtres sibyllins de faire l'examen des différens morceaux qu'on avoit rapportés ; & Varron assuroit selon Denys d'Halicarnasse, que la regle qu'ils avoient suivie, étoit de rejetter comme faux tous ceux qui n'étoient pas assujettis à la méthode acrostiche. Nous indiquerons dans la suite quelle étoit cette méthode.

Auguste étant devenu souverain pontife, après la mort de Lepidus, ordonna une recherche de tous les écrits prophétiques, soit grecs, soit latins, qui se trouvoient entre les mains des particuliers, & dont les mécontens pouvoient abuser pour troubler sa nouvelle domination. Ces livres remis au préteur, montoient à deux mille volumes qui furent brûlés ; & l'on ne conserva que les vers sibyllins, dont on fit même une nouvelle révision.

Comme l'exemplaire écrit au tems de Sylla commençoit à s'altérer, Auguste chargea encore les quindecimvirs d'en faire une copie de leur propre main, & sans laisser voir ce livre à ceux qui n'étoient pas de leur corps. On croit que, pour donner un air plus antique & plus vénérable à leur copie, ils l'écrivirent sur ces toiles préparées qui composoient les anciens libri lintei, avant qu'on connût dans l'occident l'usage du papier d'Egypte, & avant qu'on eût découvert à Pergame l'art de préparer le parchemin, carta Pergamena.

Cet exemplaire des vers sibyllins fut enfermé dans deux coffrets dorés, & placés dans la base de la statue d'Apollon Palatin, pour n'en être tirés que dans les cas extraordinaires.

Il seroit inutile de suivre les différentes consultations de ces livres, marquées dans l'histoire romaine ; mais nous croyons devoir nous arrêter sur celle qui se fit par l'ordre d'Aurélien, au mois de Décembre de l'an 270 de J. C. parce que le récit en est extrêmement circonstancié dans Vopiscus.

Les Marcomans ayant traversé le Danube, & forcé les passages des Alpes, étoient entrés dans l'Italie, ravageoient les pays situés au nord du Pô, & menaçoient même la ville de Rome, dont un mouvement mal-entendu de l'armée romaine, leur avoit ouvert le chemin. A la vue du péril où se trouvoit l'empire, Aurélien naturellement superstitieux, écrivit aux pontifes, pour leur ordonner de consulter les livres sibyllins. Il falloit pour la forme un decret du sénat ; ainsi le préteur proposa dans l'assemblée le requisitoire des pontifes, & rendit compte de la lettre du prince. Vopiscus nous donne un précis de la délibération, qu'il commence en ces termes : praetor urbanus dixit, referimus ad vos, patres conscripti, pontificum suggestionem, & principis litteras quibus jubetur ut inspiciantur fatales libri, &c. Le decret du sénat rapporté ensuite, ordonne aux pontifes sibyllins de se purifier, de se revêtir des habits sacrés, de monter au temple, d'en renouveller les branches de laurier, d'ouvrir les livres avec des mains sanctifiées, d'y chercher la destinée de l'empire, & d'exécuter ce que ces livres ordonneront. Voici les termes dans lesquels Vopiscus rapporte l'exécution du decret : itum est ad templum, inspecti libri, proditi versus, lustrata urbs ; cantata carmina, amburbium celebratum, ambarvalia promissa, atque ita solemnitas quae jubebatur expleta est.

La lettre de l'empereur aux pontifes, qu'il appelle patres sancti, finit par des offres de contribuer aux fraix des sacrifices, & de fournir les victimes que les dieux demanderont, même s'il le faut des captifs de toutes les nations, cujuslibet gentis captivos, quaelibet animalia regia. Cette offre montre que, malgré les édits des empereurs, on croyoit, comme je l'ai dit, les sacrifices humains permis dans les occasions extraordinaires, & qu'Aurélien ne pensoit pas que les dieux se contenteroient de cantiques & de processions.

Sa lettre aux pontifes commence d'une façon singuliere, il marque qu'il est surpris qu'on balance si long-tems à consulter les livres sibyllins. Il semble, ajoute-t-il, que vous ayez cru délibérer dans une église de chrétiens, & non dans le temple de tous les dieux : perindè quasi in christianorum ecclesiâ, non in templo deorum omnium tractaretis. Ce qui augmente la singularité & l'expression de l'empereur, c'est qu'il est prouvé par les ouvrages de S. Justin, de Théophile d'Antioche, de Clément d'Alexandrie, & d'Origene, que depuis près de six vingt ans, les chrétiens citoient, au tems d'Aurélien, les ouvrages de la sibylle, & que quelques-uns d'entr'eux la traitoient de prophétesse.

Les livres sibyllins ne furent point ôtés du temple d'Apollon Palatin par les premiers empereurs chrétiens. Ils y étoient encore au tems de Julien qui les fit consulter en 363 sur son expédition contre les Perses ; mais au mois de Mars de cette année, le feu ayant consumé le temple d'Apollon, on eut beaucoup de peine à sauver ces livres qu'on plaça sans-doute dans quelqu'autre lieu religieux : car Claudien nous apprend qu'on les consulta quarante ans après sous Honorius, lors de la premiere invasion de l'Italie, par Alaric en 403. Ce poëte parle encor de ces vers dans son poëme sur le second consulat de Stilicon en 405.

Il faut conclure de-là, que si, comme le dit Rutilius Numatianus, Stilicon fit jetter ces livres au feu, ce fut au plutôt dans les années 406, ou 407. Au reste, comme ce poëte, zélateur ardent de l'ancienne religion, accuse en même tems Stilicon d'avoir appellé les barbares, & d'avoir détruit les vers sibyllins, dans la vue de causer la ruine de l'empire, en lui enlevant le gage de sa durée éternelle ; peut-être la seconde de ces deux accusations n'est-elle pas mieux fondée que la premiere.

Après avoir donné cette espece d'histoire des livres sibyllins, qui renferme tout ce qu'on en sait d'assuré, je dois ajouter quelques remarques sur ce qu'ils contenoient. Ce que Tite-Live & Denis d'Halicarnasse nous racontent touchant les diverses consultations qu'on en faisoit, donne lieu de penser, qu'on ne publioit point le texte même des prédictions, mais seulement la substance de ce qu'on prétendoit y avoir trouvé ; c'est-à-dire, le détail des nouvelles pratiques religieuses ordonnées par la sibylle pour appaiser les dieux. Comme il ne nous reste aucun des historiens antérieurs à la perte du premier recueil des vers sibyllins, il faut nous contenter de ce qu'en disent Denis & Tite-Live ; & nous devons même regarder comme supposé le long fragment des vers sibyllins, rapporté par Zozime, à l'occasion des jeux séculaires.

Ces vers qui devoient être tirés de l'ancien recueil, ne sont point dans la forme acrostiche ; ils contiennent le nom de Rome, du Tibre, de l'Italie, &c. & prescrivent les cérémonies qui devoient accompagner les jeux séculaires dans un détail qui démontre la supposition.

Le second recueil compilé sous Sylla, nous est un peu mieux connu, & je vais rapporter ce que les anciens nous en apprennent. 1°. Varron cité par Lactance, assure que ce recueil contenoit d'abord mille vers au plus ; & comme Auguste ordonna une seconde révision, qui en fit encore rejetter quelques-uns, ce nombre fut probablement diminué.

2°. Ce que disoit Varron cité par Denis d'Halicarnasse, qu'on avoit regardé comme supposés tous les vers qui interrompoient la suite des acrostiches, montre que cette forme regnoit d'un bout à l'autre de l'ouvrage.

3°. Cicéron nous explique en quoi consistoit cette forme. Le recueil étoit partagé en diverses sections, & dans chacune, les lettres qui formoient le premier vers, se trouvoient répétés dans le même ordre au commencement des vers suivans ; ensorte que l'assemblage de ces lettres initiales devenoit aussi la répétition du premier vers de la section : acrostichus dicitur, cùm deinceps ex primis versûs litteris aliquid connectitur.... In sibyllinis ex primo versu cujusque sententiae primis litteris illius sententiae carmen omne praetextitur.

4°. Les prédictions contenues dans ce recueil étoient toutes conçues en termes vagues & généraux, sans aucune désignation de tems ou de lieu ; ensorte, dit Cicéron, qu'au moyen de l'obscurité dans laquelle l'auteur s'est habilement enveloppé, on peut appliquer la même prédiction à des événemens différens : Callide, qui illa composuit, perfecit ut, quodcumque accidisset, praedictum videretur, hominum & temporum definitione sublatâ. Adhibuit etiam latebram obscuritatis ut iidem versus alias in aliam rem posse accommodari viderentur.

Dans le dialogue où Plutarque recherche pourquoi la Pythie ne répondoit plus en vers, Boéthius, un des interlocuteurs qui attaque vivement le surnaturel des oracles, observe dans les prédictions de Musée, de Bacis & de la Sibylle, les mêmes défauts que Cicéron avoit reprochés aux vers sibyllins. Ces auteurs de prédictions, dit Boéthius, ayant mêlé au hasard des mots & des phrases qui conviennent à des événemens de toute espece, les ont, pour ainsi dire, versés dans la mer d'un tems indéterminé : ainsi lors même que l'événement semble vérifier leurs prophéties, elles ne cessent pas d'être fausses, parce que c'est au hasard seul qu'elles doivent leur accomplissement.

Plutarque nous a conservé dans la vie de Démosthène, un de ses oracles qui couroient dans la Grece sous le nom de la Sibylle ; c'est à l'occasion de la défaite des Athéniens, près de Chéronée ; on étoit, dit Plutarque, dans une grande inquiétude avant la bataille, à cause d'un oracle dont tout le monde s'entretenoit : " Puissai-je, disoit-il, m'éloigner de la bataille du Thermodon, & devenir un aigle pour contempler du haut des nues ce combat, où le vaincu pleurera, & où le vainqueur trouvera sa perte ". Il étoit bien difficile d'appliquer cet oracle à la défaite de Chéronée ; 1°. il falloit trouver un Thermodon auprès du champ de bataille ; & Plutarque qui étoit de Chéronée même, avoue qu'il n'a pu découvrir dans les environs de cette ville, ni ruisseaux, ni torrent de ce nom. 2°. Le vainqueur ne trouva point sa perte à cette bataille, & même il n'y fut pas blessé.

Lorsqu'on examinera les prédictions des oracles les plus accrédités, celles de la Pythie, de Musée, de Bacis, de la sibylle, &c. rapportées dans les anciens, on trouvera toujours que Cicéron, liv. II. n. 56. de divinat. a raison de dire, que celles qui n'ont pas été faites après-coup, étoient obscures & équivoques, & que si quelques-unes n'avoient pas été démenties par l'événement, c'étoit au hasard qu'elles le devoient.

Quelques absurdes que fussent les conséquences que les partisans du surnaturel de la divination se trouvoient obligés de soutenir dans les controverses philosophiques, ils étoient excusables jusqu'à un certain point. Le principe qu'ils défendoient, faisoit chez eux une partie essentielle de la religion commune ; ce principe une fois admis, l'absurdité des conséquences ne devoit point arrêter des hommes religieux. Mais que dire de ces rusés politiques, qui pour couvrir les desseins de leur ambition, forgeoient à leur gré des oracles sibyllins ? C'est ainsi que P. Lentulus Sura, un des chefs de la conjuration catilinaire n'eut point de honte de semer comme vraie, une prétendue prédiction des sibylles, annonçant que trois Cornéliens jouiroient à Rome de la souveraine puissance.

Sylla & Cinna, tous deux de la famille Cornélienne, avoient déja vérifié une partie de la prédiction. Lentulus qui étoit de la même famille, répandit dans le public que l'oracle devoit avoir son accomplissement dans sa personne ; & peut-être eût-il réussi sans l'heureuse prévoyance de Cicéron, qui fit mentir l'oracle.

Pompée voulant rétablir Ptolomée Auletès dans son royaume d'Egypte, la faction qui étoit contraire à ce puissant citoyen, prit le parti d'inventer une prédiction sibylline qui portoit, qu'au cas qu'un roi d'Egypte eût recours aux Romains, ils devoient l'assister de leur protection, sans lui fournir de troupes. Cicéron qui soutenoit le parti de Pompée, savoit bien que l'oracle étoit supposé ; mais persuadé qu'il étoit plus sage de l'éluder que de le réfuter, il fit ordonner au proconsul d'Afrique, d'entrer en Egypte avec son armée, de conquérir ce pays, & d'en gratifier Ptolémée au nom des Romains.

Jules-César s'étant emparé de l'autorité souveraine sous le nom de dictateur, ses partisans qui cherchoient à lui faire déférer la qualité de roi, répandirent dans le public un nouvel oracle sibyllin, selon lequel les Parthes ne pouvoient être assujettis que par un roi des Romains. Le peuple étoit déja déterminé à lui en accorder le titre, & le sénat se trouvoit contraint d'en signer le decret, le jour même que César fut assassiné.

Enfin cet abus de faire courir dans Rome & dans toute l'Italie des prédictions sibyllines, alla si loin, que Tibere tremblant qu'on n'en répandît contre lui, défendit à qui que ce fût d'avoir aucun papier de prédictions sibyllines, ordonnant à tous ceux qui en auroient de les porter dans le jour même au préteur : simul commonefecit, Tiberius, quia multa vana sub nomine celebri vulgabantur, sanxisse Augustum, quem intrà diem ad praetorem urbanum deferrentur, neque habere privatim liceret.

Ce qui cause mon étonnement, n'est pas de voir que les Romains crussent aux oracles des sibylles, c'étoit un principe de leur religion, quelque ridicule qu'il fût en lui-même ; mais je suis toujours surpris que dans des tems éclairés, tel qu'étoit la fin du dernier siecle, la question du surnaturel des oracles eût encore besoin d'être traitée sérieusement, & qu'une opinion si folle & contredite par les faits mêmes sur lesquels on la fondoit dans le paganisme, ait trouvé de nos jours, pour ainsi dire, & dans le sein du christianisme, des défenseurs très-zélés. (D.J.)

SIBYLLINS, LIVRES, (Hist. ecclés.) l'ouvrage moderne qui nous est parvenu sous ce nom, est une compilation informe de prophéties différentes, supposées la plûpart vers le premier ou le second siecle du christianisme, par quelques-uns de ces hommes, qui joignant la fourberie au fanatisme, ne font point scrupule d'appeller le mensonge & l'imposture au secours de la vérité.

Les livres ou vers sibyllins dont nous parlons, sont encore remplis de choses contre l'idolatrie & la corruption des moeurs des payens, mais on a eu soin pour accréditer ces prophéties, d'y insérer plusieurs circonstances véritables que fournissoient les anciennes histoires qui subsistoient alors, & que la barbarie des siecles postérieurs a détruites. Il est aussi fait mention dans ces vers, d'une comete que l'auteur annonce devoir précéder certains événemens qu'il prédit à-coup-sûr, puisqu'ils étoient arrivés ainsi que la comete, plusieurs siecles avant lui ; mais on attend sans-doute de nous quelques détails de plus sur cette collection de vers sibyllins.

Elle est divisée en huit livres, & a été imprimée pour la premiere fois en 1545 sur des manuscrits, & publiée plusieurs fois depuis avec d'amples commentaires, surchargés d'une érudition souvent triviale, & presque toujours étrangere au texte que ces commentaires éclaircissent rarement. Les ouvrages composés pour & contre l'authenticité de ces livres sibyllins, sont en très-grand nombre, & quelques-uns même très-savans ; mais il y regne si peu d'ordre & de critique, & leurs auteurs étoient tellement dénués de tout esprit philosophique, qu'il ne resteroit à ceux qui auroient eu le courage de les lire, que l'ennui & la fatigue de cette lecture.

Le savant Fabricius, dans le premier livre de sa bibliotheque grecque, donne une espece d'analyse de ces différens ouvrages, à laquelle il joint une notice assez détaillée de huit livres sibyllins. On peut y avoir recours ; c'est assez de nous borner dans cet article à quelques observations générales sur ces huit livres sibyllins modernes.

1°. Il est visible, qu'ils ne sont autre chose qu'une misérable compilation informe de divers morceaux détachés, les uns dogmatiques, les autres supposés prophétiques, & ceux-ci toujours écrits depuis les événemens, & le plus souvent chargés de détails fabuleux ou du moins peu assurés.

2°. Il est encore certain que tous ces morceaux sont écrits dans une vue absolument différente de celle que s'étoient proposée les auteurs des vers qui composoient le premier & le second des deux recueils gardés à Rome. Les anciens vers sibyllins prescrivoient les sacrifices des cérémonies, & les fêtes par lesquelles les Romains pouvoient appaiser le courroux des dieux qu'ils adoroient. Le recueil moderne est au contraire rempli de déclamations très-vives contre le polythéisme & contre l'idolâtrie ; & partout on y établit, ou du moins on y suppose l'unité de Dieu. Presque aucun de ces morceaux n'a pu sortir de la plume d'un payen ; quelques-uns peuvent avoir été faits par des Juifs, mais le plus grand nombre respire le christianisme ; il suffit de les lire pour s'en convaincre.

3°. Les prédictions des vers sibyllins conservés à Rome, & celles qui étoient répandues dans la Grece, dès le tems d'Aristophane & de Platon, étoient, comme l'observent Cicéron & Boëthus, des prédictions vagues, applicables à tous les tems & à tous les lieux ; elles se pouvoient ajuster avec des événemens opposés : ut idem versus aliàs in aliam rem posse accomodari viderentur.... ut, quodcumque accidisset, praedictum videretur. Au contraire dans la nouvelle collection tout est si bien circonstancié, qu'on ne peut se méprendre aux faits que l'auteur avoit en vûe. S'il ne nomme pas toujours les villes, les pays & les peuples dont il veut parler, il les désigne si clairement qu'on ne sauroit les méconnoître, & le plus souvent il indique le tems où ces choses sont arrivées d'une maniere qui n'est point susceptible d'équivoque.

4°. Les anciens oracles sibyllins gardés à Rome étoient écrits de telle sorte qu'en réunissant les lettres initiales des vers qui composoient chaque article, on y retrouvoit le premier vers de ce même article. Le nouveau recueil n'offre aucun exemple de cette méthode, car l'acrostiche inséré dans le huitieme livre, & qui est emprunté d'un discours de l'empereur Constantin, est d'une espece différente. Il consiste en trente-quatre vers, dont les lettres initiales forment , mais ces mots ne se trouvent point dans le premier vers.

5°. Les nouveaux vers sibyllins contiennent des choses qui n'ont pu être écrites que par un homme instruit des dogmes du Christianisme, & des détails de l'histoire de Jesus-Christ rapportés par les évangélistes. L'auteur se dit même dans un endroit enfant du Christ : ailleurs il assure que ce Christ est le fils du Très-haut, & il désigne son nom par le nombre 888, valeur numérale des lettres du mot dans l'alphabet grec.

6°. Quoique les morceaux qui forment ce recueil puissent avoir été composés en différens tems, celui auquel on a mis la derniere main à la compilation se trouve clairement indiqué dans le cinquieme & dans le huitieme livre. On fait dire à la sibylle que l'empire romain aura quinze rois : les quatorze premiers sont désignés par la valeur numérale de la premiere lettre de leur nom dans l'alphabet grec. Elle ajoute que le quinzieme, qui sera, dit-on, un homme à tête blanche, portera le nom d'une mer voisine de Rome : le quinzieme des empereurs romains est Hadrien, & le golfe adriatique est la mer dont il porte le nom. De ce prince, continue la sibylle, il en sortira trois autres qui régiront l'empire en même tems ; mais à la fin, un seul d'entr'eux en restera possesseur. Ces trois rejettons, , comme la sibylle les appelle, sont Antonin, Marc-Aurele & Lucius-Vérus, & elle fait allusion aux adoptions & aux associations qui les unirent. Marc-Aurele se trouva seul maître de l'empire à la mort de Lucius-Vérus, arrivée au commencement de l'an 169, & il le gouverna sans collegue l'an 177, qu'il s'associa son fils Commode. Comme il n'y a rien qui puisse avoir quelque rapport avec ce nouveau collegue de Marc-Aurele, il est visible que la compilation doit avoir été faite entre les années 169 & 177 de Jesus-Christ.

7°. On trouve encore un autre caractere chronologique, mais moins précis dans le huitieme livre. Il est dit que la ville de Rome, , subsistera pendant neuf cent quarante-huit ans seulement, suivant la valeur des lettres numérales de son nom, après quoi elle deviendra une ruine, . Cette destruction de Rome est annoncée dans presque tous les livres du recueil, mais sa date n'est marquée qu'en ce seul endroit. Nous lisons dans l'histoire de Dion, qu'au tems de Tibere il courut sur la durée de Rome une prédiction attribuée à la sibylle, où cette durée étoit fixée à neuf cent ans. Cet oracle attira l'attention de Tibere, & occasionna une nouvelle recherche des vers sibyllins conservés par les particuliers ; cependant on ne comptoit alors que l'an 772 de la fondation de Rome, & on ne devoit pas être fort allarmé. Cette réflexion de l'historien nous montre que l'addition de quarante-huit ans avoit été faite à dessein par quelqu'un qui écrivoit après l'an 900 de Rome, 148 de Jesus-Christ, mais avant l'an 196 : la valeur numérale des lettres du mot étoit sans-doute ce qui l'avoit déterminé à préférer le nombre de 948.

Josephe, dans ses antiquités judaïques, liv. XX. chap. xvj. composées depuis les livres de la guerre des juifs & vers la treizieme année de Domitien l'an 93 de l'ere vulgaire, cite un ouvrage de la sibylle où l'on parloit de la tour de Babel & de la confusion des langues, à-peu-près comme dans la Genèse ; si, dans le tems auquel écrivoit Josephe, cet ouvrage de la sibylle n'eût pas déja passé pour ancien, s'il n'eût pas été dans les mains des Grecs, l'historien juif ne l'auroit pas cité en confirmation du récit de Moïse. Il résulte de-là que les Chrétiens ne sont pas les premiers auteurs de la supposition des livres sibyllins. Josephe ne rapportant pas les paroles mêmes de la sibylle, nous ne sommes plus en état de vérifier si ce qui est dit de ce même événement dans notre collection étoit tiré de l'ouvrage que cite Josephe ; mais on est sûr que plusieurs des vers attribués à la sibylle dans l'exhortation qui se trouve parmi les oeuvres de S. Justin, dans l'ouvrage de Théophile d'Antioche, dans Clément d'Alexandrie, & dans quelques autres peres, ne se lisent point dans notre recueil ; & comme la plûpart de ces vers ne portent aucun caractere de christianisme, il seroit possible qu'ils fussent l'ouvrage de quelque juif platonisant.

Lorsqu'on acheva sous M. Aurele la compilation des vers sibyllins, il y avoit déja quelque tems que les sibylles avoient acquis un certain crédit parmi les Chrétiens. Nous en avons la preuve dans deux passages de Celse, & dans les réponses que lui fait Origene. Celse qui écrivoit sous Hadrien & sous ses successeurs, parlant des différentes sectes qui partageoient les Chrétiens, supposoit une secte de Sibyllistes ; sur quoi Origene observe qu'à la vérité ceux d'entre les Chrétiens qui ne vouloient pas regarder la sibylle comme une prophétesse, désignoient par ce nom les partisans de l'opinion contraire ; mais qu'on n'avoit jamais connu de sectes particulieres des Sibyllistes. Celse reproche aux Chrétiens dans le second passage d'avoir corrompu le texte des vers sibyllins, desquels, leur dit-il, quelques-uns d'entre vous employent les témoignages, ; & vous les avez corrompus, ajoute-t-il, pour y mettre des blasphêmes. Il entendoit par-là sans-doute les invectives contre le polythéisme & contre l'idolâtrie. Origene se contente de répondre au reproche, en défiant Celse de produire d'anciens exemplaires non-altérés.

Ces passages de Celse & d'Origene semblent prouver deux choses ; 1°. que l'authenticité de ces prédictions n'étoit point alors mise en question, & qu'elle étoit également supposée par les payens & par les Chrétiens ; 2°. que parmi ces derniers il y en avoit seulement quelques-uns, , qui regardoient les sibylles comme des prophétesses, & que les autres chrétiens blâmant la simplicité de ces hommes crédules, leur donnoient l'épithete de Sibyllistes. Plutarque qui vivoit presque dans le même tems, appelle ainsi, dans la vie de Marius, les interpretes des prédictions de la sibylle, ou les chresmologues. Ceux qui ont avancé que les païens donnoient à tous les Chrétiens le nom de Sibyllistes, n'ont compris le vrai sens ni du reproche de Celse, ni de la réponse d'Origene.

L'opinion favorable aux sibylles qui, de l'aveu de Celse, étoit d'abord celle d'un assez petit nombre de Chrétiens, devint peu - à - peu l'opinion commune. Les vers sibyllins paroissant favorables au Christianisme, on les employoit dans les ouvrages de controverse avec d'autant plus de confiance que les Payens eux-mêmes, qui reconnoissoient les sibylles pour des femmes inspirées, se retranchoient à dire que les Chrétiens avoient falsifié leurs écrits, question de fait qui ne pouvoit être décidée que par une comparaison des différens manuscrits, que très-peu de gens étoient en état de faire.

Les regles de la critique & même celles de la saine logique étoient alors peu connues, ou du - moins très-négligées : à cet égard, les plus célebres philosophes du paganisme n'avoient aucun avantage sur le commun des auteurs chrétiens. Il suffira d'en citer pour exemple les dialogues & les traités dogmatiques de Plutarque, qui, malgré ce grand sens dont on le loue, ne paroît jamais occupé que de la crainte d'omettre quelque chose de tout ce qu'on peut dire de vrai & de faux sur le sujet qu'il traite. Ce même défaut regne dans les ouvrages de ceux qui sont venus après lui. Celse, Pausanias, Philostrate, Porphyre, l'empereur Julien, en un mot, tous les auteurs payens n'ont ni plus de critique, ni plus de méthode que Plutarque. On les voit tous citer sous le nom d'Orphée, de Musée, d'Eumolpe, & des autres poëtes antérieurs à Homere, des ouvrages fabriqués par les nouveaux Platoniciens, & donner comme authentiques des oracles supposés par ces mêmes philosophes, ou plutôt par les sectateurs du nouveau Pythagorisme, ou de la secte orphique, qui joignoit les dogmes égyptiens & chaldéens à quelques points de l'ancienne doctrine de Pythagore.

Comme les auteurs de ces oracles & de ces vers philosophiques supposoient la spiritualité, l'infinité, la toute-puissance du Dieu suprême, que plusieurs blâmoient le culte des intelligences inférieures, condamnoient les sacrifices & faisoient quelquefois allusion à la Trinité platonicienne, parlant d'un Pere, d'un Fils, d'un Esprit, les Chrétiens crurent qu'il leur étoit permis d'employer ces autorités dans la controverse avec les payens, pour les battre par leurs propres armes. Mémoires des Inscriptions, t. XXIII. (D.J.)


SICA(Armes des Romains) sica étoit une petite épée courbée en forme de faulx, comme la portoient les Thraces. Le glossaire grec le dit sica, , sica, épée thracienne fort courbée ; c'est pourquoi Capitolin appelle Maximinus qui étoit en Thrace, sicilatum latronem. (D.J.)


SICAIRES. m. (Hist. juive) les Juifs de Césarée pilloient, commettoient toutes sortes de brigandages, & l'on donnoit le nom de sicaires aux plus cruels d'entr'eux, à cause qu'ils portoient des courtes épées comme celles des Perses, & courbées comme le poignard que les Romains nomment sica. Ils se mêloient ordinairement dans les jours de fête avec le peuple qui se rendoit à Jérusalem par dévotion, & en tuoient plusieurs au retour. Ils attaquoient les villages de ceux qu'ils haïssoient, les pilloient & y mettoient le feu. (D.J.)


SICAMBRES(Géogr. anc.) Sicambri, peuples de la Germanie. Leur nom est différemment écrit dans les anciens auteurs. César dit ordinairement Sicambri, quoique dans quelques manuscrits on lise Sigambri. Suétone, Florus, Horace, Martial, Sidonius Apollinaris & Claudien lisent assez généralement Sicambri. Strabon, Plutarque & Tacite disent Sugambri.

On convient que ces peuples furent ainsi nommés du fleuve Sigus ou Segus, la Siga. Ils s'avancerent de-là vers le Rhin ; car du tems de César ils étoient voisins de ce fleuve, Sicambri qui proximi sunt Rheno. Ils étendirent ensuite leurs limites jusqu'au Weser. Ce fut un peuple puissant & nombreux, le plus considérable des Istévons, & qui passoit pour le plus belliqueux de la Germanie : on sait la réponse fiere qu'ils firent à l'officier que César leur avoit envoyé, pour leur demander qu'ils lui livrassent la cavalerie des Usipetes qui s'étoit retirée sur leurs terres. Ils lui dirent que l'empire romain finissoit au Rhin, & qu'il n'avoit rien à voir dans la Germanie. César outré de cette réponse, fit faire un pont sur ce fleuve. L'ouvrage fut achevé en dix jours. L'armée romaine marcha contre les Sicambres, qui se retirerent dans les bois, résolus de s'y défendre s'ils y étoient attaqués. César n'ayant osé l'entreprendre, se contenta de ravager leurs terres, après quoi il repassa le Rhin, & fit rompre le pont qu'il y avoit fait construire.

Les Sicambres paroissent avoir été partagés en trois nations ; celle des Usipetes, celle des Teucteres & celle des Bructeres. Les Usipetes ayant été chassés de leur pays par les Cattes, furent errans pendant quelque tems ; une partie passa dans les Gaules où elle fut défaite par César ; ceux qui échapperent après le combat, s'étant joints aux autres, vinrent s'établir dans cette contrée des Sicambres, qui forme présentement le comté de la Marck & une partie de la Westphalie. Ils furent subjugués par Drusus l'an 743 de Rome, & ne voulurent pas suivre les autres Sicambres dans la Gaule Belgique, les duchés de Gueldres & de Cleves.

Les Teucteres ayant été chassés de leur pays, comme les Usipetes, par les mêmes ennemis, eurent la même destinée, & s'arrêterent avec eux dans le pays des Sicambres, qui leur en assignerent une assez grande étendue entre les Usipetes, les Bructeres & les Ubiens, ce qui forme à-présent une partie de la Westphalie & du duché de Berg, & quelque peu du comté de la Marck. Ils passoient pour les meilleurs cavaliers de la Germanie. C'étoit leur passion, & on remarque dans l'histoire qu'ils aimoient tellement les chevaux, que l'aîné des enfans avoit le privilege de choisir le cheval qui lui plaisoit dans l'écurie de son pere. Les Sueves les chasserent de ce pays, ce qui les obligea de passer le Rhin, & de se réfugier parmi les Ménapiens.

Les Bructeres habiterent originairement entre les Angrivariens & les Chamaves. Ils étoient divisés en grands & petits. Ceux-là occupoient partie de l'Over-Issel, & les évêchés de Munster & de Paderborn. Les petits demeuroient vers la source de l'Ems, dans une partie de l'évêché de Paderborn & dans les comtés de Lippe & de Rieteberg. Ce pays avoit été habité auparavant par les Juhons.

Les Angrivariens & les Chamaves s'étant emparés des terres des Bructeres, ceux-ci vinrent occuper la contrée des Sicambres, qui s'étendoit le long de la riviere de Segus qui renferme aujourd'hui partie du duché de Berg, de l'archevêché de Treves & de la Vétéravie. Segodunum, qu'on prétend être Siegen, étoit leur demeure la plus remarquable.

Ces trois peuples auxquels d'autres se joignirent, quitterent le nom de Sicambres vers la décadence de l'empire romain, pour prendre celui de Francs. Ils occupoient alors tout ce qui étoit entre l'Océan & le Meyn ; & comme le pays étoit extraordinairement peuplé, une partie passa dans la Gaule Belgique, & y jetta les fondemens de la monarchie françoise ; les autres demeurerent dans la Germanie, & furent distingués par le surnom de Francs orientaux ; c'est d'eux qu'est dérivé le nom de Franconie qui étoit la France orientale, dont une partie a conservé le même nom de Franconie. (D.J.)


SICAMORS. m. (terme de Blason.) c'est un cerceau ou cercle lié comme celui d'un tonneau. On voit des écus de sable à un sicamor d'or. (D.J.)


SICANDROILE, (Géog. mod.) île imaginaire de la mer Egée ; nous n'avons jamais su la trouver dans l'Archipel, dit Tournefort, ni même en apprendre aucune nouvelle : les nouveaux voyageurs n'ont pas été plus heureux. (D.J.)


SICANIENSLES, (Géog. anc.) ou les SICANES, Sicani, peuples de Sicile, qui en occupoient la partie occidentale. Ce peuple, suivant Thucydide, étoit originaire de l'Ibérie, & venu des bords du fleuve Sicanus, que les écrivains postérieurs ont appellé Sicoris, & que nous nommons Segro. Thucydide ne donne pas ceci comme une simple tradition, mais comme un fait incontestable. Ephorus au rapport de Strabon, & Philiste de Syracuse cité par Diodore de Sicile, tenoient le même langage dans leurs écrits. Il est vrai que le même Diodore se déclare pour le sentiment de Timée, qui regardoit les Sicani comme Autochthones : mais ni l'un ni l'autre n'ont fait réflexion que ce mot d'autochthones ne pouvoit se prendre au sens qu'ils lui donnent, que par ceux qui, selon le systême des mythologues grecs, croyoient les hommes sortis même du sein de la terre. Pour Strabon, il suppose avec Ephorus, l'origine ibérienne des Sicani.

Au tems de Thucydide & des autres écrivains allegués ci-dessus, il étoit facile de vérifier le fait. Les Carthaginois employoient des troupes espagnoles dans leurs guerres contre les grecs de Sicile. Ces Espagnols pris dans les combats, & vendus comme esclaves, se trouvoient mêlés avec les Sicani ; & par ce mêlange on connoissoit aisément s'ils parloient des dialectes d'une même langue. Dans la guerre que Denis-le-tyran fit aux Carthaginois en 386, un grand nombre de Sicani se joignirent à ses troupes ; peu après, un corps d'Espagnols mécontens des Carthaginois, quitta leur service, & renforça l'armée syracusaine. Philiste qui tenoit un rang considérable à la cour de Denis, avoit sans-doute profité de l'occasion pour constater l'origine ibérienne des Sicani, en comparant leur langue & leurs coutumes avec celles des Espagnols qui servoient dans la même armée.

Thucydide dit que les Ibériens, qu'il nomme Sicani, ne passerent en Sicile, que parce qu'ils avoient été chassés par les Liguriens de la contrée qu'ils habitoient auparavant. De ce passage il faut conclure avec M. Freret, que les Sicani avoient autrefois possédé le pays où les Liguriens se trouvoient au tems de Thucydide, c'est-à-dire, vers l'an 430 avant l'ere chrétienne. Or les Liguriens occupoient alors toute la côte de la mer, depuis les Pyrénées jusqu'aux Alpes, & depuis les Alpes jusqu'à l'embouchure de l'Arne. Scylax qui nous a donné une description des bornes de la Méditerranée vers l'an 350, & sous le regne de Philippe, pere d'Alexandre, distingue trois especes de Liguriens : les Ibéroligyes, depuis les Pyrenées jusqu'au Rhône : les Celtoligyes, depuis le Rhône jusqu'aux Alpes : & les Ligyes ou Liguriens proprement dits, depuis les Alpes jusqu'à l'Arne. Les Liguriens étoient si anciennement établis entre le Rhône & les Alpes, que les Grecs crurent pouvoir faire mention d'eux dans les fables qu'ils débitoient sur le voyage d'Hercule.

Observons encore avec M. Freret, que si le pays dont les Ibériens furent chassés, eût été en-deça des Alpes, ces peuples, loin de pouvoir pénétrer en Italie, auroient été contraints de se retirer à l'occident du Rhône. Ils se trouvoient donc alors établis audelà des Alpes : & c'est de-là que s'avançant toujours de proche en proche jusqu'à l'extrêmité de l'Italie, ils passerent enfin en Sicile. Le tems du passage des Sicani n'est pas fixé par Thucydide qui se contente de mettre cet événement avant la prise de Troie, c'est-à-dire, dans sa chronologie, avant l'an 1284 ; mais il paroît par les témoignages d'Hellanicus & de Philiste, que les Sicaniens étoient déja possesseurs d'une partie de l'île en 1364.

Si l'on prenoit à la lettre plusieurs expressions semées dans l'Enéide, on concluroit que les Sicaniens avoient conservé des établissemens aux environs du Tibre ; Virgile en parle souvent, & les nomme veteres Sicani. Mais peut-être, par une licence ordinaire aux poëtes, aura-t-il donné le nom de cet ancien peuple espagnol aux Sicules, nation très-différente, puisqu'elle étoit illyrienne, & dont il restoit en effet quelques peuplades dans le Latium. Mém. des inscriptions, tome XVIII. Hist. pag. 80. (D.J.)


SICANUS(Géog. anc.) 1°. fleuve d'Espagne, selon Thucydide. On croit que c'est le même que le SICORIS.

2°. Fleuve de Sicile : Etienne le géographe qui cite Apollodore ; remarque que ce fleuve couloit près d'Agrigente, & que la contrée voisine se nommoit Sicania. Hésychius fait mention d'une ville de Sicile appellée , & d'une contrée à laquelle il donne le nom de . (D.J.)


SICCA(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre selon les uns, & de la Numidie selon d'autres. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route d'Hippone royale à Carthage. Salluste, Jugurth. c. lvj. Pline, liv. V. ch. iij. écrivent simplement Sicca. Mais Ptolémée, liv. IV. ch. iij. la table de Peutinger, & Procope, liv. II. ch. xxiv. y joignent le surnom de veneria. Ce dernier ajoute qu'elle étoit à trois journées de Carthage. Sicca veneria devint un siége épiscopal : il ne faut pas la confondre avec Sicca ou Siga ville de la Mauritanie césariense, & où Syphax avoit eu son palais. Voyez SIGA.

C'est à Sicca dans la Numidie, ou dans l'Afrique propre, que naquit Arnobe vers la fin du iij. siecle, & il y professa la rhétorique, avant que d'embrasser le Christianisme. Pour obtenir son admission à l'Eglise, il écrivit un ouvrage contre les Gentils : cet ouvrage dont il s'est fait plusieurs éditions, contient sept livres. L'auteur y employa toutes les fleurs de sa rhétorique, & débita beaucoup de littérature ; mais comme il se hâta trop à composer son ouvrage, de-là vient que l'ordre & la belle économie n'y paroissent pas avec toute la justesse qui seroit à desirer. M. Dupin ajoute que le tour des pensées est d'un orateur, & que les termes sont durs, mal-arrangés, peu polis, & quelquefois même peu latins.

Proclus (Eutychius), grammairien célebre du second siecle, étoit aussi natif de Sicca. Il fut nommé précepteur de l'empereur. M. Antonin le philosophe, & élevé par ce prince à la dignité de proconsul. Il mit au jour un livre (cité par Trébellius Pollion) sur ce qu'il y avoit de plus curieux dans les pays étrangers : c'est dommage que ce livre soit perdu. (D.J.)


SICCITÉS. f. (Gram.) privation de toute humidité. Faites évaporer jusqu'à siccité, disent les Chimistes ; & plus l'évaporation sera lente, plus les crystaux que vous aurez seront beaux & réguliers.


SICELIASICELIA


SICERA(Critiq. sacr.) , mot grec employé par Saint Luc, j. 15. & qui signifie toute boisson enivrante outre le vin : ton fils, dit l'ange à Zacharie, ne boira point de vin ni de toute boisson qui peut enivrer, ; c'étoit la loi des Réchabites & des Nazaréens. (D.J.)


SICHEMSICHAR, NÉAPOLIS, (Géog. anc.) aujourd'hui NAPLOUSE, ville de la Samarie, située entre Guerizim & Heba, dans la vallée qui sépare ces deux villes, à quarante milles de Jérusalem. Depuis la ruine de Samarie par Salmanasar, Sichem fut la capitale des Samaritains, & elle l'étoit encore du tems d'Alexandre. Les Juifs l'appelloient par moquerie Sichar ; & de-là vient qu'on la voit ainsi nommée dans l'évangile de Saint Jean, iv. 5. Ce terme signifie la ville des ivrognes, du mot hébreu siccorim, ivrognes. C'étoit dans le voisinage de Sichem qu'on enterra les os de Joseph que les Israëlites apporterent avec eux d'égypte ; & dans le même endroit étoit le puits de Jacob, comme on l'appelloit, où Notre-Seigneur étoit assis, quand il eut avec la samaritaine la conversation que l'évangile rapporte.

Justin Martyr étoit de Sichem, non de la race des Samaritains, mais descendu des Grecs que Vespasien établit dans cette ville qu'il nomma flavea Caesarea, en mémoire de son nom de Flavius. Il nous reste de Justin qui étoit grand platonicien, divers ouvrages. Les premieres éditions en ont été données par Robert Etienne en 1551 & 1571 en grec. Ensuite parut celle de Commelin en 1593 en grec & en latin : Morel la donna beaucoup plus belle en 1656, grecque & latine. Enfin a paru celle de dom Prudent Marand, savant bénédictin, en 1742. in-fol. J'ai parlé de Saint Justin parmi les peres de l'Eglise. (D.J.)


SICHINO(Géog. mod.) île de la mer Aegée, entre celles de Milo à l'occident & Amorgo, proche de Policandro ; en latin Sicinus ou Sicenus. Elle n'a pas plus de cinq à six lieues de tour. Ce n'est proprement qu'une montagne, mais qui ne laisse pas de produire le meilleur froment de l'Archipel. Il n'y a que deux villages, qui sont sur le haut de cette montagne, & peuplés seulement de laboureurs & de paysans, qui ne vivent que du rapport de leurs terres. Comme il n'y a point de port un peu considérable dans l'île de Sichino, il n'y a aussi point de trafic. (D.J.)


SICHORou SIHOR, (Géog. anc.) on imagine que c'est une ville dans la partie occidentale de la tribu d'Aser. Cet endroit ne doit pas être loin du Carmel. M. Reland conjecture que ce pourroit être la ville ou le fleuve des crocodiles, que Pline, l. V. c. xix. & Strabon mettent dans ce pays-là. Strabon, l. XVI. dit qu'elle est entre Ptolémaïde & la Tour de Straton, ou Césarée de Palestine. L'hébreu lit Sichor-Lebenath ; & l'on croit que Lebenath est le promontoire blanc, entre Ecdippe & Tyr, & que Sichor est un ruisseau de ce canton là. Sichor signifie trouble. (D.J.)


SICIGNANO(Géog. mod.) bourgade d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure, sur une montagne qu'on prend pour l'alburnus mons des anciens. (D.J.)


SICILE(Géog. mod.) c'est la plus considérable par sa grandeur & sa fertilité des îles de la Méditerranée, entre l'Afrique & l'Italie. Elle n'est séparée de l'Italie que par le petit détroit de Messine, qui n'a que trois milles de large ; au lieu que le plus court trajet de Sicile en Afrique est de quatre-vingt milles. Sa longueur, prise de l'est à l'ouest, est d'environ 180 milles d'Italie, & sa largeur du midi au nord de 130, d'autant qu'elle commence au cap Passaro, sous la hauteur de 35-15, & finit à 37-30 de latitude.

Sa forme est triangulaire, dont chaque angle fait une pointe ou un cap. Celui qui regarde l'Italie a été nommé par les anciens Pelorus, & aujourd'hui capo del Faro. Celui qui regarde la Morée, Pachynum, aujourd'hui capo Passaro ; & celui qui regarde l'Afrique, Lyliboeum, aujourd'hui capo di Dico.

La Sicile est divisée en trois provinces qu'on nomme vallées, dont l'une s'appelle val di Demona, l'autre val di Noto, & la troisieme val di Mazara. Le val de Demona contient les villes de Messine, Melazzo, Cefalu, Taormina qui sont maritimes, & quelques autres dans le pays. Le val de Noto a dans son enceinte les villes de Catania, Agosta, Syracusa, Noto, Lentini, Carlentini & autres. Le val de Mazara comprend les villes de Palerme, Mazara, Marsala, Trapano, Termini, Girgenti, Xaxa, Licate & autres.

Palerme, Messine & Catane sont les trois capitales du pays, chacune dans sa province. Les villes où il y a port de mer, sont Messine, Agosta-Syracusa, Trapani, Palerme & Melazzo ; le climat de cette grande l'île est chaud, mais l'air y est pur, le printems y est continuel, & le terroir fertile. Le nombre des habitans de toute l'île montoit, par le dénombrement qui en fut fait dans le dernier siecle, à plus de neuf cent mille ames ; mais on sait que ce nombre a beaucoup diminué depuis.

Les principales rivieres sont le Cantaro, l'Alabus ou Onabola des anciens, la Jarreta, anciennement Symaethus, selon quelques-uns : les rivieres de Patti & d'Oliviero, le Termini, l'Armiraglio, le Drago, la Terra-Nova, l'Abisso, &c.

Le Monte-Gibello, anciennement Aetna, moins redoutable que le Vésuve, est cependant renommé pour sa hauteur, ses forêts, sa neige perpétuelle, & le feu qu'il jette souvent avec force cendres. Le tour de cette montagne est d'environ soixante milles. Du levant au midi ce sont des vignes, & du couchant au nord des bois pleins de bêtes sauvages. Le mont Trapani, anciennement Eryx, est près de Palerme. Les autres montagnes de l'île sont moins connues dans l'histoire ; mais toutes abondent en sources d'eau douce, & quelques-unes fournissent des bains d'eau chaudes, tiedes & soufrées.

Le terroir de la Sicile est des meilleurs. Il produit abondamment du blé, du vin, de l'huile, du safran, du miel, de la cire, du coton & de la soie. La vallée de Noto est couverte de gras pâturages & de blés ; & celle de Démona est fertile en bois & en arbres fruitiers. La mer fournit aussi beaucoup de poisson. Enfin la Sicile est heureusement située pour le commerce & la navigation.

On peut voir, à l'article Sicilia qui doit suivre celui-ci, les premiers peuples qui ont passé dans cette île & qui y ont dominé, jusqu'à ce que les Romains s'en soient rendus les maîtres. Dans la décadence de leur empire, cette île fut dévastée par Genseric, roi des Vandales, qui la soumit. Le trop malheureux Bélisaire, général de Justinien, la reconquit sur eux en 535 ; mais elle redevint la proie des Sarrazins d'Afrique dans le ix. siecle. Ils y établirent des gouverneurs, qui se nommoient émirs, & qui se maintinrent à Palerme jusqu'à l'an 1074, qu'ils en furent chassés par les Normands, qui avoient pour chefs Robert Guiscard & Roger son fils. Ce dernier fonda en 1139 un nouveau royaume en Sicile, qui fut ensuite exposé à bien des révolutions, par l'avidité des princes qui y prétendoient en vertu de leurs alliances.

Roger, vainqueur des musulmans dans cette île, & des chrétiens au royaume de Naples, baisa les piés du pape Urbain II. son prisonnier, & obtint de lui l'investiture de sa conquête, & fit modérer la redevance à six cent squifates, monnoie qui vaut environ une pistole. Le pape consentit encore qu'il n'y eût jamais dans l'île de Sicile, ni légation, ni appellation au saint siege, que quand le roi le voudroit ainsi. C'est depuis ce tems-là que les rois de Sicile, seuls rois vassaux des papes, sont eux-mêmes d'autres papes dans cette île.

Constance, fille de Roger, porta le royaume de Naples & de Sicile dans la maison de Souabe, par son mariage avec l'empereur Henri VI. en 1186. Après la mort de Conrard leur petit-fils, Mainfroy son frere bâtard, fut reconnu pour son héritier ; mais Charles de France, comte d'Anjou & de Provence, s'étant fait investir du royaume de Naples & de Sicile par le pape Clément IV. en 1265, tua Mainfroy l'année suivante, & fit couper la tête au fils de Contard en 1269. Pierre III. roi d'Aragon, qui avoit épousé Constance fille de Mainfroy, fit égorger tous les François en 1282, le jour de pâques au premier coup de son de vêpres, d'où ce massacre a été appellé depuis les vêpres siciliennes.

Cette affreuse catastrophe envenima les fameuses querelles des deux maisons d'Anjou & d'Aragon, dont l'histoire est si remplie. La derniere eut l'avantage, se maintint en possession, & chassa les François qui n'ont pu depuis remettre le pié dans ces deux royaumes.

La Sicile est restée sous la domination des Espagnols jusqu'à la paix d'Utrecht en 1713, que les alliés la donnerent au duc de Savoie qui y fut couronné la même année. Les Espagnols qui avoient été forcés à cette cession, revinrent en Sicile en 1719, & l'envahirent presqu'entierement ; ils en furent cependant chassés par les Anglois. Le traité de Londres disposa de la Sicile en faveur de l'empereur, qui céda en échange au duc de Savoie le royaume de Sardaigne, & promit les successions de Toscane, de Parme & de Plaisance à l'infant Don Carlos. Enfin la guerre de 1733, suivie du traité de 1736, a mis ce dernier prince en possession des royaumes de Naples & de Sicile, sous le titre de roi des deux Siciles, savoir de la Sicile en deçà du Phare, & de la Sicile au-delà du même Phare.

Il gouverne cette île par un vice-roi, comme cela s'est pratiqué depuis la guerre de Messine, qui donna lieu à la destruction des loix & des privileges de toutes les villes. De-là vient que les peuples nombreux qui y étoient autrefois, se sont fondus. Le plus grand commerce est un revenu d'environ cent mille écus que produisent les permissions accordées à chaque particulier de manger du laitage & des oeufs en carême. Le clergé séculier & monastique jouit du droit de franchise pour l'entrée de toutes sortes de marchandises & de denrées de leurs biens ; de là chaque famille a quelque ecclésiastique pour fils & pour proche parent, & ne paye rien : mais ce qu'il y a de plus singulier, c'est qu'un ecclésiastique qui n'est attaché par le sang à aucune famille, vend son droit de franchise à ceux des séculiers qui n'ont point d'ecclésiastique pour parent. Toutes les églises & les chapelles du royaume, qui sont en très-grand nombre dans chaque ville, & même à la campagne, jouissent d'un droit d'asyle en faveur de tous les scélérats qui s'y retirent. Presque toutes les charges de robe & d'épée se vendent, & l'on peut croire si d'ordinaire l'argent est préféré au mérite.

La ville de Palerme est la seule du royaume où l'on bat monnoie : encore y fabrique-t-on rarement des especes d'or ou d'argent, faute de matiere, qui sort toute du pays.

Abrégeons : la Sicile n'a plus rien aujourd'hui de considérable que ses montagnes & son tribunal de l'inquisition, qui a des commissaires avec cour & officiers dans tous les coins du royaume. Ceux qui possedent les charges & offices de l'inquisition, jouissent, ainsi que leurs maisons, des privileges qui y sont attachés, ne reconnoissent point d'autre tribunal ; & la multitude de ces charges & offices remplies par la noblesse, les riches & les bourgeois est si grande, qu'il ne faudroit pas d'autre cause pour ruiner entierement la monarchie de Sicile.

On sait que pour comble de maux, cette île éprouva en 1693 un affreux tremblement de terre, qui porta partout la désolation. Les villes de Catane, d'Agouste, de Syracuse, de Lentini, de Carlentini, de Modica, furent presque détruites : un grand nombre de bourgs & de villages essuya la même catastrophe, & l'on compta près de quinze mille personnes qui périrent dans ce bouleversement.

Tant de révolutions qu'a éprouvé la Sicile, rendent intéressante l'histoire & la description de cette île ; & c'est sur quoi les curieux peuvent consulter l'un ou l'autre des ouvrages suivans.

Burigni, histoire de Sicile, imprimée à la Haye en 1745, 2 vol. in -4°.

Fazelli, de rebus Siculis, Catanae, 1749, 2 vol. in-fol.

Description de la Sicile, publiée en Italien par le marquis de Villa - Blanca. Cet ouvrage a paru en 1760. (D.J.)

SICILE, MER DE, (Géog. mod.) la mer de Sicile est la partie de la mer Ionienne, qui est au midi de le Calabre, & qui baigne la côte orientale du royaume de Sicile. (D.J.)

SICILE, tribunal de la monarchie de, (Hist. de Sicile) c'est ainsi qu'on nomme cette heureuse jurisdiction ecclésiastique & temporelle, indépendante de la cour de Rome, dont jouissent les rois de Sicile. Il faut indiquer l'origine de ce beau privilege.

Dès que le comte Roger eut enlevé cette île aux Mahométans & aux Grecs, & que l'église latine y fut établie, Urbain II. crut devoir y envoyer un légat pour y régler la hiérarchie : mais Roger refusa si fortement & si constamment de recevoir ce légat dans le pays de sa conquête, que le pape voulant ménager une famille de héros si nécessaire à l'entreprise des croisades, dont il étoit tout occupé, prit le parti d'accorder, la derniere année de sa vie, en 1098, une bulle au comte Roger, par laquelle il révoqua son légat, & créa ce prince & tous ses successeurs, légats nés du saint siege en Sicile, leur attribuant tous les droits & toute l'autorité de cette dignité qui étoit à la fois spirituelle & temporelle. Voilà ce fameux droit attaché à cette monarchie ; droit que depuis les papes ont voulu anéantir, & que les rois de Sicile ont maintenu. Si cette prérogative, ajoute M. de Voltaire, est incompatible avec la hiérarchie chrétienne, il est évident qu'Urbain ne put la donner ; si c'est un objet de discipline que la religion ne réprouve pas, il est également certain que chaque royaume est maître de se l'attribuer. Ce privilege au fond, n'est que le droit de Constantin & de tous les empereurs, de présider à la police de leurs états ; cependant il n'y a eu dans toute l'Europe catholique, qu'un gentilhomme qui ait su se procurer cette prérogative aux portes de Rome même. (D.J.)


SICILIA(Géog. anc.) île de la mer Méditerranée, près de la côte d'Italie, dont elle n'est séparée que par un détroit auquel elle donnoit son nom, & qu'on appelle aujourd'hui le phare de Messine.

Elle est si voisine de l'Italie, que plusieurs des anciens ont cru qu'elle avoit été jointe au continent, & que quelques tremblemens de terre, ou l'effort des deux mers l'en avoient séparée : Sicilia, ut serunt, aliquando continens, & agro Bruttio adnexa, dit Pomponius Méla. Virgile, Aeneid. lib. III. v. 414. se sert aussi de la même expression, ferunt :

Haec loca vi quandum, & vastâ convulsa ruinâ,

Dissiluisse ferunt, quum protinus utraque tellus

Una foret. Venit medio vi Pontus, & undis

Hesperium siculo latus abscidit. Arvaque & urbes

Littore diductas angusto interluit aestu.

" On dit qu'autrefois l'Italie & la Sicile jointes par un isthme, ne formoient qu'un même continent. Une violente tempête brisa l'isthme, sépara les deux régions, & ouvrit aux flots un passage étroit entre l'une & l'autre ".

Silius Italicus, liv. XIV. v. 11. assure si positivement que la Sicile a été anciennement jointe au continent, qu'on jureroit qu'il en a été témoin. Pline, liv. III. ch. viij. en parle sur le même ton que Silius Italicus : Sicilia quondam Bruttio, agro cohaerens, mox interfuso mari avulsa. Ce qu'il y a de sûr, c'est que cette proximité étoit si grande, qu'on entendoit des deux côtés le chant des coqs & le cri des chiens. Pline donne quinze cent pas de largeur au détroit qui sépare l'Italie de la Sicile. Agathamere, liv. I. ch. v. dit que le trajet du promontoire Pelorum en Italie, étoit d'onze stades.

Cette île a été connue sous différens noms qui lui ont été donnés, ou à raison de sa situation, ou à cause des peuples qui l'ont habitée. Les noms les plus usités sont ceux de Trinacria, Triquetra, Sicania, Sicilia. Ce dernier nom a été employé par divers auteurs, entr'autres par Pline, liv. III. chap. viij. qui préféroit la Sicile à toutes les îles : ante omnes insulas est claritate Sicilia. Elle est appellée Sicania par Thucydide ; & par plusieurs auteurs Trinacria ou Triquetra, à cause de sa figure triangulaire, ou à cause de ses trois principaux promontoires. Le nom Trinacria est cependant plus usité chez les poëtes que chez les historiens.

Les Sicani, peuples d'Espagne, en passant dans cette île, lui donnerent le nom de Sicania ; & les Siculi, peuples d'Italie, en se retirant dans cette même île occasionnerent le nom de Sicilia. On compte aussi parmi ses anciens habitans, les Lestrigons, peuples d'Italie. Enfin il est certain que la Sicile a encore été peuplée en différens tems par diverses colonies grecques venues de Naxos, de Chalcidie, de Corinthe, & d'autres endroits. Les Carthaginois même occuperent la plus grande partie de l'île. Ce mêlange de peuples a été cause qu'Apulée appelle les Siciliens Trilingues, parce qu'il se parloit trois différentes langues chez eux ; savoir, la grecque, la carthaginoise & la langue latine. Ptolémée, liv. III. c. iv. a fait une description de la Sicile telle qu'elle étoit de son tems ; on peut la consulter.

C'est assez pour moi de remarquer qu'aucun prince n'a eu l'île entiere sous son obéissance avant la domination des Romains, qui furent appellés par les Mammertins contre Hiéron roi de Syracuse, & les Carthaginois ses alliés. Après plusieurs combats, les Romains demeurerent maîtres de ce friand morceau, dont ils tirerent dans la suite de grands avantages. Ils firent de la Sicile le grenier de l'Italie. Cette île leur donna le moyen de former des armées navales, & de se rendre maîtres des mers Adriatique & Méditerranée.

D'un autre côté, les arts & les sciences fleurirent dans cette île sous l'autorité des tyrans qui la gouvernoient. Gorgias, sicilien, se distingua dans l'art oratoire, & fut le maître d'Isocrate. Il fleurissoit vers la 80e olympiade. Epicharme, son compatriote & son contemporain, se distingua par ses écrits sur la Philosophie. Dinolochus, sicilien, se montra un des premiers poëtes comiques. Timée, sicilien, qui florissoit du tems de Ptolémée Philadelphe, écrivit l'histoire de la Sicile, de l'Italie & de la Grece avec beaucoup d'éloquence, suivant le témoignage de Cicéron. Je tais les hommes illustres qui fleurirent à Syracuse, à Agrigente, à Panorme, &c. parce qu'on les nommera en parlant de leur patrie.

Pour ce qui regarde la Sicile moderne, voyez SICILE. (D.J.)


SICILIBRA(Géog. anc.) ville de l'Afrique propre, à 29 milles de Carthage, entre Unuca & Vallis, à 7 milles du premier de ces lieux, & à 15 milles du second. Cette ville étoit un siege épiscopal, dont l'évêque se nommoit episcopus sicillibensis.


SICILIENNES. f. en Musique ; sorte de danse commune en Sicile, dont l'air est dans la mesure à 6/4, ou à 6/8 ; d'un mouvement beaucoup plus modéré que celui de la gigue, mais en même tems plus marqué.


SICILIQUES. m. (Poids anc. & mod.) sicilicum ; sorte de poids qui chez les anciens pesoit deux drachmes, ou six scrupules. Le sicilique des modernes, & dont les Apothicaires se servent, pese un sextule & deux scrupules. (D.J.)


SICIMINASICIMINA


SICINUS(Géog. anc.) selon Ptolémée, liv. III. c. xv. Sicenus ; selon Strabon, l. X. p. 484. & Pline, l. VI. c. xij. Sycinus ; île de la mer Egée, & l'une des Cyclades, à l'occident de l'île d'Ios. Le même Pline nous apprend qu'elle se nommoit auparavant Onde ; ses habitans sont appellés Sicinites par Diogene Laërce.

S'il en faut croire les fables des poëtes, Thoas, roi de Lemnos, & fils de Bachus, fut garanti par sa fille du malheur où tous les autres hommes de Lemnos qui furent massacrés par leurs femmes avoient été enveloppés. Il fut poussé dans l'île dont il est ici question, & il y épousa la nymphe Oenone ou Oenoïs, de laquelle il eut un fils appellé Sicinus, qui donna son nom à l'île. On la nomme aujourd'hui Sichine ou Sicine ; mais elle est désignée dans les cartes marines sous le nom de Zétine, Sétine, ou Sétin. Voyez SICHINO. (D.J.)


SICKUS. m. (Hist. nat. Bot.) c'est un poirier du Japon, qui porte un fruit d'une figure extraordinaire, & d'un goût agréable, semblable à celui de la poire de bergamotte. Ce fruit dont le pédicule est fort long, se divise d'abord comme en deux branches, ensuite en plusieurs autres apposées les unes aux autres, plus grosses qu'un tuyau d'orge, tortueuses, & longues d'un demi-pouce, à l'extrêmité desquelles sont suspendues à une petite queue, deux grains de la figure & de la grosseur d'un grain de poivre, divisés en trois lobes, qui contiennent chacun une semence assez semblable à celle du lin par sa couleur, son brillant & sa grosseur. Les feuilles de l'arbre sont ovales, pointues, d'un verd clair, & finement dentelées.


SICLES. m. (Monnoie des Hébreux) monnoie d'argent des Juifs qui avoit cours dans leur pays dès le tems d'Abraham. Gen. xxiij. 15.

Les Hébreux avoient non-seulement des sicles, mais des demi- sicles, ou des békas. Le sicle pesoit environ trois shellings d'Angleterre. Ezechiel, c. lxv. 12. nous apprend qu'il y en avoit soixante à la mine. Le sicle des Hébreux contenoit quatre drachmes, desorte que leur drachme devoit valoir neuf sous d'Angleterre. M. Brerewood ne l'estime que sept sous, & demi ; mais selon l'évaluation du docteur Bernard, qui paroit avoir le mieux examiné ce sujet en évaluant à neuf sous la drachme juive & attique, le béka ou le demi- sicle fait un shellin six sous, le sicle trois shellins, la mine neuf livres sterling, & le talent d'argent quatre cent cinquante livres sterling.

Il nous reste encore plusieurs sicles juifs, avec l'inscription, Jérusalem kedushah, c'est-à-dire, Jérusalem la sainte. Cette monnoie se répandit chez les nations voisines, sur-tout depuis que la captivité de Babylone eut dispersé ce peuple dans l'orient. Voyez à ce sujet Lighfoot, & l'apparat de Walton à la tête de la bible polyglotte de Londres.

On lit dans le II. l. des Rois, c. xjv. 26. que la chevelure d'Absalon, qu'on lui coupoit une fois l'an, pesoit deux cent sicles ; cette pesanteur ne doit pas étonner, parce qu'il s'agit ici du sicle babylonien, qui étoit environ les deux tiers plus léger que le sicle hébreu ; car l'auteur qui a rédigé le livre des Rois vivoit à la fin de la captivité de Babylone, où les Juifs ne connoissoient que le poids babylonien. (D.J.)


SICLIou SICHILI, (Géog. mod.) ville de Sicile, dans le val de Noto, à 3 lieues au sud-ouest de la ville de Noto, sur le bord d'une petite riviere. Long. 32. 50. lat. 16. 52.


SICORIS(Géog. anc.) fleuve d'Espagne. Il séparoit les Isergetes des Lacetani. César, Pline, Dion Cassius & Vibius Sequester en font mention ; & il est à croire que c'est de ce fleuve que prétend parler Thucydide, liv. VI. lorsqu'il fait venir des bords du fleuve Sicanus en Espagne, les Sicaniens qui allerent s'établir en Sicile. Ce fleuve fut plus connu du tems de la guerre civile. Lucain, liv. IV. v. 11. le décrit ainsi en parlant de la ville Illerda bâtie sur ses rives :

Colle tumet modico, lenique excrevit in altum

Pingue solum tumulo : super hunc fundata vetustâ

Surgit Ilerda manu ; placidis praelabitur undis

Hesperios inter Sicoris non ultimus amnes,

Saxeus ingenti quem pons amplectitur arcu,

Hibernas passurus aquas.

Ce fleuve se nomme présentement le Segre, & les Catalans l'appellent Agna naval. (D.J.)


SICUEDON(Lexic. médic.) on entend par ce mot grec la fracture entiere & transversale d'un os long faite avec égalité, comme lorsqu'on casse un concombre en deux. Cette fracture ne differe point de celle qu'on appelle raphanédon ; sicuedon veut dire, en maniere de concombre, de , concombre.


SICULESLES, (Géog. anc.) peuples originaires des confins de la Dalmatie ; ils vinrent après les Liburnes s'établir en Italie. Ces Sicules formoient une nation nombreuse qui s'empara d'une partie considérable du pays ; ils peuplerent l'Ombrie du milieu, la Sabine, le Latium, & tous les cantons dont les peuples ont été connus depuis sous le nom d'Opiques. En comparant quelques passages d'Hérodote, de Thucydide, de Platon & d'Aristote, on voit clairement que les noms de Sicules & d'Opiques étoient deux noms généraux qui comprenoient tout ce qui s'étend depuis le Tibre jusqu'à l'extrêmité orientale de l'Italie, à l'exception de ce qu'en ont occupé les Liburnes. Ces deux noms généraux furent peu-à-peu abolis par les ligues particulieres des Sabins, des Latins, des Samnites, des Oenotri & des Itali, qui se formerent dans la suite. Les Sicules qui passerent en Sicile, sont les seuls qui ayent conservé leur ancien nom, que cette île a reçu d'eux. Nous avons la date précise de ce passage des Sicules dans l'île : Hellanicus de Lesbos, historien plus ancien que Thucydide, & même qu'Hérodote, donnoit pour époque à cet événement la vingt-sixieme année du sacerdoce d'Alcyonée, prêtresse d'Argos : ce qui répond à l'an 80 environ avant la prise de Troie, marqué par Philiste, auteur sicilien ; c'est - à - dire à l'an 1364 avant l'ére chrétienne, selon la chronologie de Thucydide. (D.J.)


SICULIANou SICULIANA, (Géog. anc.) petite ville de l'île de Sicile, dans le val Mazara, à la gauche de Fiume di Cani, environ à deux milles de la côte. C'est l'ancienne Cena, entre Agrigentum & Allava. (D.J.)


SICULOTAE(Géog. anc.) peuples de la Dalmatie, selon Ptolémée, l. II. c. xvij. & Pline, liv. III. c. xxij. Ce dernier dit qu'ils étoient partagés en 24 décuries.


SICUM(Géog. anc.) ville de l'Illyrie, dans la Dalmatie, sur la côte. Pline, l. III. c. xxij. dit que l'empereur Claude y envoya des soldats vétérans. Sophien veut que ce soit aujourd'hui Sebenico. (D.J.)


SICYNOIDES. f. (Hist. nat. Bot.) sicynoïdes, genre de plante à fleurs monopétales, en forme de cloches ouvertes & profondement découpées. Les unes sont stériles & n'ont point d'embryon ; les autres sont soutenues par un embryon, qui devient dans la suite un fruit semblable à une amande, charnu & hérissé de pointes. Ordinairement ces fruits sont réunis en maniere de tête, & renferment chacun sous une peau mince, une seule semence. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.


SICYONE(Géog. anc. & mod.) ville du Péloponnèse dans l'Achaïe propre, & dans les terres, près de l'Asopus. Cette ville autrefois puissante, & qui eut ses propres rois, devint ensuite libre ; & durant la guerre des républiques de la Grece, elle fut tantôt soumise aux Athéniens, tantôt aux Lacédémoniens. Justin dit, liv. XIII. ch. v. Démosthenes, Sicyona, Argos, & Corinthum, caeterasque civitates eloquentiâ suâ, Atheniensibus junxit. Quoique Sicyone fût dans l'Achaïe, comme le marque Pline, l. IV. ch. v. cependant elle se trouve avoir été comprise dans l'Argolie.

Le royaume de Sicyone est le plus ancien royaume qui ait été dans la Grece. Son premier roi s'appelloit Egialée, & selon Eusebe, le commencement de son regne précéda de 74 ans la naissance d'Abraham. Le dernier roi, qui étoit le vingt-sixieme, s'appelloit Zeuxippus. Après lui, la forme du gouvernement changea ; les prêtres d'Apollon exercerent l'autorité souveraine pendant 30 ou 40 ans ; & enfin les rois d'Argos & de Mycenes s'en emparerent. Ce royaume dura 962 ans ; il finit lorsqu'Hélie étoit souverain sacrificateur & juge des Juifs.

On célébroit à Sicyone de cinq en cinq ans des jeux pythiens en l'honneur d'Apollon, & on y donnoit pour prix des coupes d'argent. Les ouvriers de cette ville le disputoient à ceux de Corinthe pour la perfection des ouvrages. Dipaenus & Scyllis enrichirent Sicyone des plus belles statues en marbre ; ils formerent plusieurs éleves, qui sculpterent tant de figures de dieux, que les Sicyoniens en prêterent à leurs voisins, qui n'en avoient point encore ; mais le culte que les Sicyoniens rendoient à Bacchus, étoit trop honteux pour être agréé dans d'autres pays ; car ils adoroient ce dieu sous un nom si contraire à la décence, qu'il n'y a que des gens très-effrontés qui osassent le proférer dans une conversation libre ; du moins c'est ce qu'assure Clément d'Alexandrie, admonit. ad gentes, p. 15.

Le luxe étoit fort répandu à Sicyone ; les souliers de cette ville passerent en proverbe ; ils étoient si galans, qu'il n'étoit pas permis à un homme grave de les porter.

Mais au milieu de ce luxe, Sicyone donna la naissance à l'un des plus grands capitaines de l'antiquité ; je veux parler d'Aratus, qui défit Nicoclès tyran de sa patrie, s'empara de la citadelle de Corinthe, chassa le roi de Macédoine, & délivra la ville d'Argos de ses usurpateurs. Philippe II. roi de Macédoine, le fit empoisonner, vers l'an 214 avant J. C. Il mourut à Egion, & son corps fut porté à Sicyone, où on lui éleva un monument qui subsistoit encore du tems de Pausanias. Aratus avoit écrit l'histoire des Achéens, qui s'est perdue, & dont Polybe fait un grand éloge.

Prascilla, qui se rendit illustre par ses poésies lyriques, étoit aussi de Sicyone. Elle vivoit en la 28e. olympiade, selon Eusebe. Suidas & Athénée la citent quelquefois. Phylarque naquit, selon quelques-uns, à Sicyone, & mit au jour plusieurs ouvrages historiques, entr'autres une histoire de l'expédition de Pyrrhus dans le Péloponnèse. Plutarque parle de cet auteur grec. Athénée & les scholiastes de Pindare, citent l'histoire de Sicyone donnée par Menechme, qui y étoit né, & qui florissoit du tems des premiers successeurs d'Alexandre. Si cette histoire nous fût parvenue, nous serions instruits de mille choses curieuses que nous ignorons sur le royaume de ce nom.

La ville de Sicyone a été souvent endommagée par des tremblemens de terre. Celle que l'on a rebâtie sur son territoire, se nomme présentement Vasilica, ou Basilica ; elle appartient au turc ; elle avoit encore quelque apparence, lorsque les Vénitiens étoient maîtres de la Morée ; mais ce n'est plus à présent qu'un monceau de ruines ; ce monceau est situé sur une montagne, à une lieue du golfe de Lépante, & la riviere Asopus passe au-dessous. Voyez SICYONIE. (D.J.)

SICYONE, (Lexicog. médic.) ; ce mot dans les médecins grecs désigne tantôt une figue sauvage, tantôt la coloquinte, & tantôt une ventouse conique, ouverte par son extrêmité pointue. (D.J.)


SICYONIE(Géog. anc.) Sicyonia, contrée du Péloponnèse, dans l'Achaïe propre, & séparée du territoire de Corinthe par le fleuve Némée. Tite-Live, l. XXIII. c. xv. remarque qu'on la nomma d'abord Micone, & ensuite Aegialée : cette contrée avoit deux villes dans les terres ; savoir, Phlius & Sicyone.

Les Sicyoniens, dit Pausanias, veulent qu'Egialé, originaire de leur pays, en fût le premier roi ; que sous son regne, cette partie du Péloponnèse, qui s'appelle encore aujourd'hui l'Egiale, prît sa dénomination ; que dans cette contrée, il bâtit en rase campagne la ville d'Egialée, avec une citadelle, qui occupoit tout le terrein où ils ont à présent un temple de Minerve.

Dans la suite des tems, Lamédon ayant fait épouser sa fille à Sicyon, né dans l'Attique, Sicyon acquit le royaume ; ce fut sous son regne que tout le pays changeant de nom fut appellé la Sicyonie, & que la ville qui s'appelloit autrefois Egialée, se nomma Sicyone.

Les Sicyoniens devinrent dans la suite Doriens, & commencerent à faire partie des états d'Argos. Ils sont à présent misérables, ajoute Pausanias, & fort différens de ce qu'ils étoient autrefois. D'en vouloir rechercher la cause, continue l'historien, c'est peut-être ce qu'il ne nous est pas permis : il vaut donc mieux se contenter de celle qu'Homere donne de la décadence de tant d'autres villes ; du puissant Jupiter la volonté suprême. Ils étoient déja réduits à cet état de foiblesse, lorsque par surcroit de malheur ils furent assiégés d'un tremblement de terre, qui fit de leur ville une solitude, & renversa beaucoup de monumens & d'édifices publics, qui étoient d'une grande beauté. Le même accident ruina plusieurs villes de la Carie & de la Lycie, & l'île de Rhodes en fut ébranlée.

Les Sicyoniens enterroient leurs illustres morts d'une maniere assez convenable ; ils jettoient le corps dans une fosse, & le couvroient de terre ; ils construisoient un petit mur tout-à-l'entour ; puis ils élevoient quatre colonnes qui soutenoient un toit fait en forme d'aîle déployée & panchée ; ils ne mettoient aucune inscription sur la sépulture, mais en rendant les derniers devoirs au mort, ils l'appelloient seulement par son nom, sans y ajouter celui de son pere, & tout - de - suite ils lui donnoient le dernier adieu.

Les Sicyoniens, continue Pausanias, ont plusieurs statues, qu'ils renferment dans une espece de sacristie : mais chaque année durant une certaine nuit, ils les tirent de ce lieu pour les porter dans le temple ; ils allument des flambeaux afin d'éclairer la cérémonie, & chantent des hymnes composées en vieux langage. La statue qu'ils nomment le Bacchéus, tient le premier rang à cette procession ; c'est une statue qu'ils croyent avoir été consacrée par Andromadas, fils de Philias ; ensuite paroit le Lysius, autre statue que Phanès, disent-ils, transporta de Thèbes à Sicyone par ordre de Pythie ; il est certain que Phanès vint à Sicyone en même tems qu'Aristomaque, fils de Cléodée : mais pour avoir négligé d'accomplir un certain oracle, il ne put rentrer dans le Péloponnèse, aussi-tôt qu'il se l'étoit proposé.

En descendant du temple de Bacchus dans la place, on trouve à main droite le temple de Diane, surnommé Limnea. Ce temple est si vieux, qu'il n'a plus de toît. La statue de la déesse y manque aussi, & l'on ne sait si elle a été transportée ailleurs, ou si elle a péri par quelqu'accident.

Dans la place, il y a un temple dédié à la Persuasion : & voici la raison que l'on en apporte. On dit qu'Apollon & Diane ayant tué Python, vinrent à Egialée pour se faire purifier ; mais qu'on leur y fit une si grande frayeur, qu'ils furent obligés de passer en Crete, & d'avoir recours à Cramanor. En effet, on voit à Sicyone un endroit qu'on appelle encore aujourd'hui la Peur. On ajoute qu'aussi-tôt la ville d'Egialée fut frappée de la peste, & que les devins consultés, répondirent que ce fléau ne cesseroit point, qu'Apollon & Diane n'eussent été appaisés : qu'en conséquence de cet oracle, on envoya sept jeunes garçons, & autant de jeunes filles, en habit de supplians, sur le bord du fleuve Sythas ; que le dieu & la déesse se laisserent fléchir à leurs prieres, & qu'ils voulurent bien revenir dans la citadelle de Sicyone. C'est la raison pourquoi l'on a consacré ce temple à la Persuasion dans le même lieu où Apollon & Diane s'étoient arrêtés en rentrant dans la ville ; & encore à présent, ajoute Pausanias, ils pratiquent la même cérémonie tous les ans ; car le jour de la fête du dieu, ils envoyent des jeunes enfans sur le bord du fleuve, & tirent du temple d'Apollon les statues des deux divinités, pour les porter dans le temple de la Persuasion ; & ensuite ils les portent où elles étoient.

Ce temple est dans la place, & l'on dit qu'anciennement Praetus l'avoit fait bâtir dans ce lieu, parce que ses filles y avoient été guéries de leur frénésie. L'on tient pour certain que Méléagre y suspendit la lance dont il avoit percé le sanglier de Calydon, & que la flute de Marsyas y fut aussi consacrée ; car on dit qu'après le malheur qui arriva à ce Silene, sa flute tomba dans le fleuve Marcias, que de-là elle passa dans le Méandre, & du Méandre dans l'Asope, qui la jetta sur le rivage, où un berger l'ayant ramassée, la consacra à Apollon ; mais toutes ces offrandes ont été brûlées avec l'ancien temple. Celui que j'ai vu, dit Pausanias, & la statue qui y est, sont modernes ; & c'est Pytoclès qui en a fait la consécration.

Au milieu de la place publique, continue Pausanias, il y a un Jupiter en bronze fait par Lysippe, natif de Sicyone même, & auprès est une statue de Diane toute dorée. Aux environs, l'on voit un Hercule en bronze du même Lysippe, & un Mercure Agoreus. Dans le lieu d'exercice, près le marché, il y a un Hercule en marbre, ouvrage de Scopas. Toute l'enceinte de cette espece d'académie est destinée aux exercices qu'apprennent les jeunes gens ; aussi ne l'appelle-t-on point autrement que le gymnase. Au milieu est le temple d'Hercule ; on y voit une statue de bois d'un goût antique ; celui qui l'a faite est Laphnès de Phlius, où Hercule est honoré d'un culte tout particulier.

Du temple d'Hercule on va à celui d'Esculape ; dans le parvis de celui-ci, on trouve à main gauche deux chapelles qui se joignent ; dans l'une est la figure du Sommeil, mais il n'en reste plus que la tête ; l'autre est consacrée à Apollon, & il n'y a que les prêtres du dieu qui aient permission d'y entrer. Sous le portique qui est devant le temple, on conserve un os de baleine d'une grandeur prodigieuse. Derriere est la figure du Songe, & tout auprès, celle du Sommeil qui endort un lion. A l'entrée du temple, vous voyez d'un côté une statue de Pan assis ; de l'autre une Diane qui est debout.

Dans le temple, ce qui s'offre d'abord à vos yeux, c'est un Esculape, mais sans barbe ; cette statue est d'or & d'ivoire, c'est un ouvrage de Calamis ; le dieu tient d'une main un sceptre, & de l'autre une pomme de pin. Les Sicyoniens disent que ce dieu leur est venu d'Epidaure, sous la forme d'un dragon, dans un char attelé de deux mulets, & conduit par Nicegora sicyonienne. Plusieurs autres statues de grandeur médiocre sont suspendues à la voute ; il y en a une entr'autres qui est assise sur un dragon, & qui, si on les en croit, represente Aristodama, la mere d'Aratus, qui, selon eux, eut pour pere Esculape : c'est tout ce que ce temple contient de remarquable.

Celui de Vénus n'en est pas loin ; la premiere statue est celle d'Antiope ; car ils prétendent que les enfans d'Antiope étoient originaires de Sicyone ; que pour cela leur mere vint s'y établir, & se regarda toujours comme liée de consanguinité avec les Sicyoniens : personne au reste n'entre dans le temple de Vénus, excepté une femme, qui en qualité de sacristine, s'oblige à n'avoir aucun commerce avec son mari, & une jeune vierge qui en est la prêtresse, & dont le sacerdoce ne dure qu'un an ; sa fonction est d'apporter les cuvettes & les vases nécessaires au sacrifice, d'où elle prend son nom. Les autres peuvent voir & adorer la déesse du seuil de la porte, mais sans entrer plus avant. La déesse est assise ; c'est Canachus de Sicyone qui a fait cette statue, le même qui a fait l'Apollon Didyméen, pour la ville de Milet, & l'Apollon Isménien pour celle de Thèbes. La Vénus est d'ivoire & d'or : elle a sur la tête une espece de couronne terminée en pointe, qui représente le pole ; elle tient d'une main un pavot, & de l'autre une pomme. Ils lui offrent en sacrifice les cuisses de toutes sortes de victimes, à la réserve du porc, qui ne lui est pas agréable ; les autres parties de la victime se brûlent avec du bois de genievre : mais pour les cuisses, on les fait rôtir avec des feuilles de Péderos. Voyez PEDEROS.

Vers la porte sacrée de Sicyone, & tout-auprès de cette porte, l'on trouve, ajoute Pausanias, un temple de Minerve, qui fut autrefois consacré par Epopée, & qui, soit pour la grandeur, soit pour la magnificence, l'emportoit beaucoup sur tous les édifices de ce siecle-là ; mais le tems n'a épargné que sa réputation, car ce temple a été brûlé par le feu du ciel, & l'on n'y voit qu'un autel que la foudre n'ait pas endommagé, & qui subsiste dans le même état qu'il étoit du tems d'Epopée. Devant cet autel est la sépulture du héros ; auprès de son tombeau l'on a rangé les statues de ces dieux, que l'on appelle préservateurs, auxquels les Sicyoniens font des sacrifices avec les mêmes cérémonies que les Grecs ont accoutumé de pratiquer pour détourner d'eux les maux qu'ils appréhendent. (D.J.)


SIDA-POUS. m. (Botan. exot.) nom d'un arbre qui croit au Malabar : il n'est remarquable que parce qu'il ne porte des fruits que quand il est extrêmement vieux. Ray, hist. plant. (D.J.)


SIDARISO(Géog. mod.) bourg de la Morée, dans la Zaconie, entre Misitra & Malvasia, à-peu-près à égale distance de l'un & de l'autre. On prend ce bourg pour l'ancienne Geremia de Pausanias, ou Gerania de Pline. (D.J.)


SIDAYE(Géog. mod.) M. Réland écrit Sydaye ; ville des Indes ; dans l'île de Java, sur la côte septentrionale de cette île, assez près de Touban, avec un port qui a dix brasses de profondeur, fond de terre vaseux. Lat. mérid. 6. 44. (D.J.)


SIDEou SIDA, (Géog. anc.) ville de l'Asie mineure dans la Pamphylie, sur le bord de la mer. Ptolémée, l. V. c. v. la marque immédiatement après l'embouchure de l'Eurymédonte ; mais Strabon met un fleuve entre deux. Cependant comme il ne nomme point ce fleuve, il y a apparence qu'il n'étoit pas considérable. Il ajoute que Side étoit une colonie des Cuméens, & qu'on y voyoit un temple de Minerve. Le Périple de Scylax fait aussi de Side une colonie des Cuméens, & lui donne un port. Ciceron, l. III. epist. 6. ad. Attic. Tite-Live, l. XXXVII. c. xxiij. & Pausanias, l. VIII. c. xxviij. parlent aussi de cette ville ; & le dernier remarque que le Mélas couloit aux environs. La ville de Side est aujourd'hui presque toute ruinée, & ses ruines se nomment Scandalor, ou Canelohora, selon Thevet. Niger dit Chirisonda.

Side est encore une ville du Péloponnèse, selon Pausanias, l. III. c. xxij. elle avoit, dit-on, pris son nom de Sida, une des filles de Danaüs.

Eustathius, patriarche d'Antioche dans le iv. siecle, étoit de Side en Pamphylie. Sozomene fait un grand éloge de ses ouvrages. L'église grecque honore sa mémoire le 20 Février, & la latine le 16 de Juillet. Sa dissertation de la Pythonisse a été donnée en 1529 par Léon Allatius, & ce n'est pas un chef-d'oeuvre de jugement & de critique. (D.J.)


SIDEN(Géogr. anc.) fameux étang de l'Inde. Pline, l. XXXI. c. ij. dit que Ctésias rapporte que tout y va à fond, & que rien n'y surnage ; c'est une pure fable. Cet étang est appellé Silia par Strabon, Silla par Diodore de Sicile, & Sila par Arrien. Les habitans de ce quartier sont nommés Silei. (D.J.)


SIDENA(Géog. anc.) nom d'une contrée du Pont de la Cappadoce, d'une ville de l'Asie mineure dans la Lycie, & d'une ville de la Troade, sur le Granique. Cette derniere étoit ruinée du tems de Strabon, l. XIII. p. 587. (D.J.)


SIDÉNIENSLES, (Géog. anc.) Sideni, peuples de la Germanie. Ils habitoient sur l'Oder, selon Ptolémée, l. II. c. xj. On prétend que leur pays étoit dans le terrein de Stetin. (D.J.)


SIDERAou SIDRA, (Géog. mod.) petite île de l'Archipel, près de la côte de la Morée, entre les golfes de Napoli & d'Engia. Cette île a été bien connue des anciens sous le nom de Calauria. Strabon lui donne trente stades, qui font à peine une lieue de circuit. Neptune y avoit un temple célebre, avec droit de réfuge, auquel les Macédoniens, maîtres de la Grece, n'oserent jamais toucher ; & ce fut en considération de ce temple, que l'île fut appellée Posidonia. Diane y étoit aussi revérée d'une maniere particuliere, d'où vint à la déesse l'épithete de Calaurienne. Enfin cette île fameuse par la mort de Démosthène, qui s'y retira, comme dans un asyle assuré que lui procuroit le temple de Neptune, contre les poursuites d'Antipater. (D.J.)


SIDÉRATIONS. f. terme de Chirurgie, gangrene parfaite. Voyez SPHACELE.

En Médecine le mot sidération est pris pour la paralysie. Voyez PARALYSIE.


SIDERÉALadj. (Astronom.) On appelle année sideréale, le tems de la révolution de la terre d'un point de son orbite au même point. Elle est distinguée de l'année tropique. Voyez AN.


SIDERITESS. m. (Phys.) est un nom que quelques anciens auteurs donnent à la pierre d'aimant, voyez AIMANT.


SIDERITISS. f. (Botan.) Ce genre de plante s'appelle vulgairement en françois crapaudine, nom sous lequel on l'a caractérisée. Tournefort en compte quatorze especes, dont il suffira de décrire la plus commune, sideritis vulgaris, hirsuta. I. R. H. 191 ; en anglois the procumbent tronwort.

Cette plante pousse des tiges à la hauteur de deux piés, quarrées, velues, jaunâtres ; ses feuilles sont opposées l'une à l'autre le long des branches, oblongues, velues, crénelées en leurs bords, ridées, d'un goût astringent un peu âcre. Ses fleurs sont en gueule, verticillées, ou disposées en rayons & par étage, d'un blanc jaunâtre, marquetées de points rouges ; chaque étage de ces fleurs est soutenu par des feuilles presque rondes, coupées souvent en crêtes de coq, & différentes des autres feuilles qui naissent plus bas. Chaque fleur est un tuyau découpé par le haut en deux levres, & soutenue par un calice formé en cornette. Les graines qui succedent aux fleurs sont au nombre de quatre, oblongues, noires, enfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Cette plante a une odeur puante, croît aux lieux montagneux, & passe pour vulnéraire & dessicative.

Les Botanistes n'ont point encore découvert les trois especes de sideritis mentionnées dans Dioscoride. (D.J.)


SIDEROCAP, (Géog. mod.) cap de l'île de Candie, sur la côte orientale de l'île, au territoire de Sittia. Le long de ce cap la mer a 24 brasses de profondeur, où l'on peut mouiller & se tenir à l'ancre en sureté. (D.J.)


SIDEROCAPSA(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la Macédoine, au midi des ruines d'Emboli, au nord-ouest de Bolina, & à quelque distance du golfe Contessa. On la nommoit anciennement Chrysites, à cause de quelques mines d'or qu'elle renferme, & qui ne sont pas encore épuisées. Long. 31. 20. latit. 40. 32. (D.J.)


SIDÉROMANTIES. f. (Divination) , espece de divination qui se faisoit parmi le peuple avec un fer rouge, sous lequel on plaçoit avec art un certain nombre de petites paillettes, & le devin annonçoit les événemens d'après les figures, les écarts, les étincelles que rendroient les petites paillettes en brûlant. Potter, archaeol. graec. l. II. c. xviij. tom. I. p. 353. (D.J.)


SIDEROXYLUMS. m. (Botan.) genre de plante dans le systême de Linnaeus, & qu'il caractérise ainsi. Le calice est une petite enveloppe composée d'une seule feuille découpée en cinq quartiers, & qui subsiste. La fleur est formée d'un seul pétale, divisé en cinq segmens arrondis & concaves ; à la base de chaque segment est une denticule pointue & courbée intérieurement ; les étamines sont cinq filets aigus & de la longueur de la fleur ; les bossettes des étamines sont simples ; le germe du pistil est arrondi, le stile est pointu, & a la longueur des étamines ; le stigma est simple ; le fruit est une baie rondelette ayant une seule loge ; les grains sont au nombre de quatre. Linnaei, Gen. plant. p. 81.


SIDETESLES, (Géog. anc.) Sidetae, peuples de l'Asie mineure dans la Pamphylie, selon Tite-Live, l. XXXV. c. xlviij. Ils prenoient leur nom de la ville Sida ; ce sont les Siditae d'Arrien. Il est fait mention de ces peuples sur une médaille rapportée dans le trésor de Goltzius ; on y lit ce mot, . (D.J.)


SIDIRUS(Géog. anc.) lieu de l'Asie mineure dans la Phrygie, au voisinage de la ville de Trallis. C'étoit la patrie de Chéremon, qui, à ce que dit Agathias, l. II. engagea par ses prieres l'empereur Auguste à rétablir la ville de Trallis, qu'un tremblement de terre avoit renversée. Du tems d'Agathias on voyoit à Sidirus un autel très-ancien, sur lequel on avoit élevé autrefois la statue de Cheremon ; mais Agathias ajoute qu'il n'y vit point cette statue. (D.J.)


SIDOL(Diete) espece de sauce fort décriée par les voyageurs européens, mais qui est fort agréable pour les indiens des royaumes de Pégu, de Siam & d'Arrakan. On dit que ce n'est autre chose que le jus ou la saumure tirée du poisson qui est entré en putréfaction. Les habitans de ce pays mêlent cette sauce, qui est extrêmement puante & dégoûtante, à tous leurs alimens. Les rois & les grands seigneurs assaisonnent leurs mets avec une sauce faite avec des crevettes pulvérisées, & mêlées avec du sel & du poivre long.


SIDOLOUCUMou SIDOLEUCUM, (Géog. anc.) le nom moderne est Saulieu, ville de la Gaule lyonnoise, dans l'Auxois en Bourgogne. Elle est placée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route de Lugdunum à Gessoriacum, entre Augustodunum & Albalone, à vingt-sept milles de la premiere de ces places, & à vingt-quatre milles de la seconde. (D.J.)


SIDOMou SIDOMI-NOTTI, s. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un arbrisseau du Japon, qui par sa feuille & ses autres apparences, ressemble à un prunier sauvage ; sa fleur est rouge, à cinq pétales, avec un calice de figure conique, duquel il sort avant la chûte des pétales, un fruit charnu.


SIDON(Géog. anc.) ville de la Phénicie, dans la Syrie, à vingt-quatre milles de Sour (autrefois Tyr), à trente-cinq milles de Barut, & à cinquante de Damas. Il est quelquefois fait mention de cette ville dans l'Ecriture, comme dans Josué, xix. 28. Judic. I. xxxj. & iij. Reg. xvij. xxxj. Elle a été fameuse par son commerce.

Les principales divinités des Sidoniens étoient Baal & Astarte, ou le Soleil & la Lune, & les Hébreux ont souvent embrassé leur idolâtrie, sur-tout depuis qu'Achab roi d'Israël, eut épousé Jesabel fille d'Ethbaal, roi de Sidon. Alexandre subjugua les Sidoniens, prit la ville, & en donna le gouvernement à Abdolonime, qui étoit jardinier, mais de la famille royale de Sidon, comme nous le dirons à la fin de cet article.

Les anciens peuples de Sidon avoient du génie pour les arts méchaniques ; ils étoient d'habiles tisserands, & d'excellens charpentiers. La ville de Sidon subsiste encore sous le nom de Zaïde ou eïde.

Zénon, philosophe épicurien, & qui soutint glorieusement l'honneur de sa secte, naquit à Sidon : il eut entr'autres disciples Cicéron, Cotta, & Pomponius Atticus ; d'où l'on peut juger du tems auquel ce philosophe vivoit. Cicéron oüit Zénon à Athénes l'an 674 de Rome, c'est-à-dire, la premiere année de la 175 olympiade. Nous avons perdu tous les écrits de Zénon, & entr'autres l'ouvrage qu'il fit contre le foible des Mathématiques, & les obscurités de cette science. Gassendi disoit à ce sujet, que les Géometres ont établi leur empire dans le pays des abstractions & des idées, & qu'ils s'y promenent tout à leur aise ; mais que s'ils veulent descendre dans le pays des réalités, ils trouvent bien-tôt une résistance insurmontable.

Au reste, il faut se rappeller qu'il y a eu plusieurs Zénon, & qu'ils ont tous été célebres dans leur genre. Le plus ancien & l'un des principaux philosophes de l'antiquité, étoit Zénon d'Elée, disciple de Parménides ; il fleurissoit dans la 79 olympiade. Amoureux de la liberté, il entreprit de la procurer à sa patrie opprimée par un tyran, nommé par les uns Néarque, & par d'autres Démylus ; mais le projet de Zénon ayant été découvert, il souffrit avec une fermeté extraordinaire les tourmens les plus rigoureux. Le second Zénon surnommé le cynique, fut le chef des Stoïciens ; c'étoit un homme de la plus haute vertu : les Athéniens eurent tant de confiance dans sa probité, qu'ils lui envoyoient tous les soirs les clés de leur ville. Le troisieme écrivit sur la Géographie. Le quatrieme fit l'histoire des hauts faits de Pyrrhus en Italie & en Sicile, avec un abrégé de l'histoire de Rome & de celle de Carthage. Le cinquieme étoit disciple de Chrysippe. Le sixieme professoit la Médecine avec une grande gloire. Le septieme étoit grammairien distingué. Le huitieme est celui qui nâquit à Sidon.

Quand cette ville se fut rendue à Alexandre le Grand, il déposa Straton qui avoit usurpé la couronne, & s'informa s'il n'y avoit aucun des descendans de Cinyras en vie, pour le placer sur le trône ; on croyoit généralement que toute la famille royale étoit éteinte ; mais enfin, quelques personnes plus éclairées nommerent Abdolonyme. Diodore de Sicile l'appelle Ballonyme, & Plutarque Alynome. Il subsistoit à la campagne de la culture des jardins ; Alexandre l'envoya chercher sur le champ, & lui ayant donné la couronne qui lui appartenoit par sa naissance, il lui demanda de quelle maniere il avoit supporté sa pauvreté. " Je souhaite, seigneur, répondit Abdolonyme, de soutenir aussi-bien le nouvel état dont vous m'honorez : ces mains ont pourvu à mes besoins ; je n'ai rien eu, & rien ne m'a manqué ". Alexandre touché de la beauté de cette réponse, augmenta les états d'Abdolonyme, lui donna les biens de Straton, & y joignit de riches présens de son butin sur les Perses.

Tous les Anglois savent par coeur les vers charmans de Cowley sur la vie rustique, tirés de cette histoire, rapportée dans Diodore de Sicile, liv. XVII. Quinte - Curce, l. IV. Justin, l. XI. c. x. & Plutarque, de fortuna Alexandri. Ils commencent ainsi :

Happy the man, whom bounteous Gods allow

With his own hauds paternal grounds to plow ! &c.

" Heureux, cent fois heureux, l'homme, qui loin du tumulte, & exempt de crainte & d'espérance, vit des fruits de son champ & de son jardin ! Son champ lui fournit ce dont la seule nature a besoin ; & son jardin lui offre libéralement par son ombre & par ses fruits, des plaisirs innocens. Il voit, sans que cette vue altere sa tranquillité, le poids onéreux des grandeurs, ambitionné par des insensés, & possédé par les méchans.... C'est ainsi que le sage Abdolonyme passoit sa vie, lorsque les envoyés d'un grand roi vinrent lui offrir une couronne, & le trouverent occupé à cultiver son jardin. Ce ne fut qu'à regret qu'il quitta sa campagne chérie, pour monter sur le trône ; il ne put s'empêcher de s'arrêter souvent sur la route, de tourner souvent les yeux vers le séjour qu'il abandonnoit, & on l'entendit plus d'une fois répéter : Hélas ! je quitte un royaume bien plus propre à rendre heureux, que celui que je vais posséder ! " (D.J.)


SIDONES(Géog. anc.) peuples de la Germanie, entre les Luti-Buri & les Cogni, selon Ptolémée, l. II. c. xj. Ils habitoient donc entre l'Oder & la Vistule. (D.J.)


SIDONIA(Géog. mod.) & plus communément Medina-Sidonia, ville d'Espagne, dans l'Andalousie, à sept lieues du port Sainte-Marie. Elle a été autrefois le siége d'un évêché transféré à Cadix en 1264 ; & c'est seulement depuis ce tems-là, que Cadix a été reconnue pour ville épiscopale. Voyez MEDINA-SIDONIA. Géog. mod. (D.J.)


SIDONIORUMSIDONIORUM


SIDRA(Géog. mod.) grand golfe d'Afrique, sur la côte de Barbarie, entre Tripoli & Barca. On l'appelloit anciennement Syrtis magna : son nom moderne lui vient de la petite île Sidra qui est au fond. On voit dans ce golfe les seches ou basses de Barbarie, qui sont dangereuses. (D.J.)


SIDRO(Géog. mod.) cap de Grece, dans la Livadie, en latin Cynosura, & Doriscum Promontorium. Il est à l'embouchure de la riviere d'Asopo, dans le golfe de Négrepont. (D.J.)


SIDRONA(Géog. anc.) ville de l'Illyrie, dans la Liburnie : Ptolémée, l. II. c. xvij. l'a marquée dans les terres ; le nom moderne est Belas, selon Niger.


SIDUS(Géog. anc.) nom d'une bourgade du territoire de Carinthe dans la Mégaride, selon Pline, l. IV. c. vij. 2°. d'une bourgade de l'Asie mineure, dans l'Ionie, au voisinage de Clazomene ; 3°. d'un lieu de l'Asie mineure, dans la Pamphylie.


SIDUSA(Géog. anc.) île de l'Asie mineure, Pline, l. V. c. xxxj. la place sur la côte de l'Ionie : Thucydide, l. VIII. p. 360. fait aussi mention de cette île ; Etienne le géographe écrit Sidussa, & en fait une ville.


SIECLES. m. (Chronolog.) c'est dans la chronologie un espace de cent ans : les anciens poëtes divisoient le tems en quatre siecles. Le premier, nommé le siecle d'or, désigne l'innocence d'Adam & d'Eve dans le paradis terrestre, où ils trouvoient sans peine & sans travail ce qui leur étoit nécessaire. Le second, appellé siecle d'argent, marque le fruit de leur péché, qui est le travail & les douleurs. Le troisieme, dit le siecle d'airain, est pour le tems de la corruption des hommes jusqu'au déluge. Et le quatrieme, connu sous le nom de siecle de fer, marque le tems de la guerre que les hommes se firent les uns aux autres, & les suites de leur division. (D.J.)

SIECLES DES POETES, (Mythol.) ce sont les quatre âges du monde, qui, selon les poëtes, suivirent la formation de l'homme. A l'âge d'or succéderent l'âge d'argent, l'âge d'airain, & l'âge ou le siecle de fer. Voyez-en les articles, & joignez-y ce beau passage d'Hésiode. " Les habitans du siecle d'or, dit ce poëte ingénieux, devinrent autant de bons génies & d'anges tutélaires. Les hommes de l'âge d'argent furent changés en génies souterrains bienheureux, mais mortels, comme s'il pouvoit y avoir de vrai bonheur sans l'immortalité. Les hommes du siecle d'airain sont descendus aux enfers, & morts sans ressource. Enfin ceux de l'âge héroïque, sont allés habiter les champs élisées, ou les îles fortunées situées aux extrêmités du monde ". (D.J.)

SIECLE DE FER, (Mythol.) les tems rapides & innocens, d'où les poëtes fabuleux ont tiré leur âge d'or, ont fait place au siecle de fer. Les premiers hommes goûtoient le nectar de la vie, nous en épuisons aujourd'hui la lie. Les esprits languissans n'ont plus cet accord & cette harmonie qui fait l'ame du bonheur ; les passions ont franchi leurs barrieres ; la raison à demi-éteinte, impuissante ou corrompue, ne s'oppose point à cet affreux désordre ; la colere convulsive se répand en fureur, ou pâle & sombre, elle engendre la vengeance. La basse envie seche de la joie d'autrui ; joie qu'elle hait, parce qu'il n'en fut jamais pour elle. La crainte découragée, se fait mille fantômes effrayans qui lui ravissent toutes les ressources. L'amour même est l'amertume de l'ame ; il n'est plus qu'une angoisse triste & languissante au fond du coeur ; ou bien guidé par un sordide intérêt, il ne sent plus ce noble desir qui jamais ne se rassasie, & qui s'oubliant lui-même, met tout son bonheur à rendre heureux le cher objet de sa flamme. L'espérance flotte sans raison. La douleur, impatiente de la vie, se change en délire, passe les heures à pleurer, ou dans un silence d'accablement. Tous ces maux divers, & mille autres combinés de plusieurs d'entr'eux, provenant d'une vue toujours incertaine & changeante du bien & du mal, tourmentent l'esprit & l'agitent sans - cesse. Tel est le principe de la vile partialité ; nous voyons d'abord avec froideur & indifférence l'avantage de notre semblable ; le dégoût & la sombre haine succedent & s'enveloppent de ruses, de lâches tromperies & de basses violences : tout sentiment sociable & réciproque s'éteint & se change en inhumanité qui pétrifie le coeur ; & la nature déconcertée semble se venger d'avoir perdu son cours.

Jadis le ciel s'en vengea par un déluge : un ébranlement universel sépara la voûte qui retenoit les eaux du firmament. Elles fondirent avec impétuosité ; tout retentit du bruit de leur chûte, l'Océan n'eut plus de rivage, tout fut Océan ; & les vagues agitées se rouloient avec fureur au-dessus des plus hautes montagnes, qui s'étoient formées du débris du globe.

Les saisons irritées depuis ont tyrannisé l'univers confondu. L'hiver piquant l'a couvert de neiges abondantes ; les chaleurs impures de l'été ont corrompu l'air. Avant ce tems un printems continuel regnoit sur l'année entiere ; les fleurs & les fruits ornoient à l'envi la même branche de leurs couleurs variées ; l'air étoit pur & dans un calme perpétuel. Maintenant notre vie est le jouet des élémens qui passent du tems serein à l'obscurité, du chaud au froid, du sec à l'humide, concentrant une chaleur maligne, qui sans-cesse affoiblit nos jours, & tranche leur cours par une fin prématurée. (D.J.)

SIECLES D'IGNORANCE, (Hist. mod.) les neuf, dix & onzieme siecles sont les vrais siecles d'ignorance. Elle étoit si profonde dans ces tems-là, qu'à peine les rois, les princes, les seigneurs, encore moins le peuple, savoient lire ; ils connoissoient leurs possessions par l'usage, & n'avoient garde de les soutenir par des titres, parce qu'ils ignoroient la pratique de l'écriture ; c'est ce qui faisoit que les mariages d'alors étoient si souvent déclarés nuls. Comme ces traités de mariage se concluoient aux portes des églises, & ne subsistoient que dans la mémoire de ceux qui y avoient été présens, on ne pouvoit se souvenir ni des alliances, ni des degrés de parenté, & les parens se marioient sans avoir de dispense. De-là tant de prétextes ouverts au dégoût & à la politique pour se séparer d'une femme légitime : de-là vient aussi le crédit que prirent alors les clercs ou ecclésiastiques dans les affaires, parce qu'ils étoient les seuls qui eussent reçu quelque instruction. Dans tous les siecles, ce sont les habiles qui dominent sur les ignorans. (D.J.)

SIECLES, LES QUATRE, (Arts & Sciences) c'est ainsi qu'on nomme par excellence les quatre siecles célebres, dont les productions ont été admirées par la postérité. On sait que le mot de siecle se prend ici d'une maniere vague, pour signifier une durée de 60 ou 80 ans, plus ou moins.

Ces quatre siecles heureux, où les arts ont atteint une perfection à laquelle ils ne sont point parvenus dans les autres, sont celui qui commença dix années avant le regne de Philippe, pere d'Alexandre le grand ; celui de Jules-César & d'Auguste ; celui de Jules II. & de Léon X ; enfin celui de Louis XIV. Ce dernier a fini comme les autres, malgré les efforts qu'ont fait les causes morales & physiques pour soutenir les lettres & les arts au point d'élévation où ils avoient atteint rapidement. Ce tems ne se trouvera plus, dit M. de Voltaire, où un duc de la Rochefoucault, l'auteur des maximes, au sortir de la conversation d'un Pascal & d'un Arnauld, alloit au théâtre de Corneille. Ainsi disparoît le génie des arts & des sciences, jusqu'à ce que la révolution des siecles le vienne encore tirer une autre fois du tombeau, où il semble qu'il s'ensevelisse pour plusieurs générations, après s'être montré seulement durant quelques années. (D.J.)

SIECLE, (Critiq. sacrée) ce mot, qui se prend ordinairement pour un espace de cent ans, ne se trouve point en ce sens dans l'Ecriture, mais il signifie long-tems. Les géans sont des hommes fameux depuis long-tems, à saeculo, Gen. vj. 4. L'Ecriture donne aussi le nom de siecle, au tems qui s'écouloit d'un jubilé à l'autre. Il le servira jusqu'au siecle, Exod. xxj. 6. c'est-à-dire jusqu'au jubilé prochain. L'esclave hébreu qui ne vouloit pas profiter du privilege de l'année sabbatique, demeuroit esclave jusqu'à l'autre année sabbatique. Siecle se prend encore pour toujours dans ce monde ; ainsi foedus saeculi est une alliance indissoluble, ou, comme nous disons, éternelle. Les enfans du siecle, , désignent les hommes. Luc, xvj. 8. (D.J.)


SIEGBOURGou SIGEBERG, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, au duché de Berg, sur la Sieg. (D.J.)


SIEGE(Scienc. étymolog.) on sait qu'on entend par siege, une dignité, une jurisdiction, une place, un canton dépendant de quelque prélat ; en voici l'étymologie & la filiation. Du mot grec , on a fait le mot latin sella, par l'affinité du sifflement entre H & S, & du mot sella on a fait le mot françois siege. Les hélies de Pindare, qu'Homere nomme selles, étoient le siege, le lieu de l'oracle. Le fertile canton, qu'Hésiode appelle Hellopie, étoit toutes les terres de la dépendance de ce même siege ; & le fleuve Selléis, qui en prit le nom, y couloit ; cette explication semble répandre la lumiere sur une infinité de passages obscurs. Enfin le christianisme, qui a consacré jusqu'aux termes de religion employés par les payens, & qui quelquefois même a été plus loin, appelle à son tour sieges les endroits où doivent résider les principaux de ses ministres, les lieux de leur jurisdiction ; & en conséquence la premiere de toutes ces jurisdictions, est nommée le saint siege. Le pape a pris un titre magnifique, pour désigner son district ; cependant il a donné lui-même ce titre à l'archevêché de Mayence. (D.J.)

SIEGE, s. m. (Astron.) est une étoile fixe de la seconde grandeur, qui se trouve dans la jointure de la jambe & de l'épaule gauche de la constellation, appellée pégase. Voyez PEGASE. (O)

SIEGE, LE SAINT, (Hist. ecclés.) le saint siege est proprement l'évêché de Rome, que l'église romaine est convenue de regarder comme le centre de son unité ; mais si Rome étoit détruite ou devenoit hérétique, l'église conviendroit d'un autre centre d'unité, qu'on regarderoit toujours comme le saint siege, tant qu'on y conserveroit la foi de l'église. Ainsi ce n'est pas l'église qui doit se régler sur l'évêché où est le saint siege ; car il étoit autrefois à Antioche ; mais c'est cet évêché qui doit garder les dogmes & se conformer aux regles de l'église ; & ce n'est que tant qu'il conserve ces dogmes & qu'il garde ces regles, que l'église le regarde comme le centre de l'unité.

La cour de Rome est fort différente du saint siege ; quelquefois on entend simplement par ce mot, les officiers du pape ; c'est en ce sens que l'on dit se pourvoir en cour de Rome ; mais la cour de Rome dans un autre sens, c'est cet assemblage de courtisans attentifs à relever la grandeur & la puissance des papes, afin d'y trouver eux-mêmes de quoi se relever & s'enrichir ; c'est une foule de flatteurs, qui attribuent aux pontifes romains des perfections que Dieu seul possede, & qu'il n'a communiquées à aucun homme mortel ; ce sont enfin des gens qui n'oublient rien, pour changer l'humilité sainte & le désintéressement apostolique, en un intérêt condamnable & en une domination arbitraire. C'est de cette extravagante prétention, que sont venus tant d'abus & de désordres qui désolent l'église chrétienne & fortifient le schisme. (D.J.)

SIEGE, dans l'Art militaire, est le campement d'une armée autour d'une place à dessein de s'en emparer, soit par famine en faisant des retranchemens tout-au-tour, & empêchant tout convoi de s'y introduire, soit à force ouverte en combattant les fossés & faisant des attaques formelles. Voyez LIGNES, TRANCHEE, APPROCHE.

Ce mot signifie à la lettre demeure, faisant allusion à ce que l'armée y fait sa demeure jusqu'à la réduction de la place.

Les sieges les plus célebres de l'antiquité sont ceux de Troye, de Tyr, d'Alexandrie, de Numance, &c. & parmi les modernes, ceux d'Ostende, de Candie, de Grave, de Prague, &c.

Les sieges peuvent se diviser en plusieurs especes, suivant la nature des villes qu'on doit attaquer, & la méthode qu'on y employe.

Le premier est le siege royal ou le véritable siege ; c'est celui dans lequel on fait tous les travaux nécessaires pour s'emparer de la place, en chassant successivement l'ennemi de toutes les fortifications qui la défendent ; cette sorte de siege ne se fait qu'aux villes considérables & importantes, & c'est de ce siege qu'on entend parler ordinairement, lorsqu'on dit qu'une armée fait le siege d'une place.

Le siege qui ne demande point tous les travaux du siege royal se nomme simplement attaque ; c'est pourquoi, lorsqu'un corps de troupes est envoyé pour s'emparer d'un poste important, comme d'un château ou de quelqu'autre petit lieu occupé par l'ennemi ; on ne dit point qu'on en va faire le siege, mais l'attaque.

M. de Folard, dans son Traité de l'attaque & de la défense des places des anciens, blâme avec raison ceux qui confondent le siege avec le blocus ou le bombardement. Il attaque à ce sujet un officier d'artillerie, qui dans un mémoire donné à l'académie des Sciences, sur la méthode de tirer les bombes avec succès, ne met aucune différence entre un siege dans les formes & un bombardement. Cet officier réduit à vingt-cinq les défauts où l'on tombe dans le jet des bombes pour y remédier, & les corrige autant que faire se peut : voici, dit-il, ce que j'ai pratiqué aux sieges de Nice, Alger, Gènes, Tripoli, Rose, Palamos, Barcelone, Alicant, & nombre d'autres places que j'ai bombardées. " Qui ne croiroit, en lisant cela, dit M. de Folard, qu'Alger, Gènes & Tripoli, ont soutenu un siege ? & ces sieges sont imaginaires, du moins de son tems. Ces trois villes furent bombardées par mer, & personne ne mit pié à terre ; c'est donc improprement qu'on se sert du terme de siege, lorsqu'il s'agit d'un bombardement, confondant ainsi l'un avec l'autre.

La résolution des sieges est une affaire de cabinet, elle est une suite naturelle de la supériorité que l'on croit avoir sur ses ennemis : mais leur exécution étant une des plus sérieuses, des plus importantes & des plus difficiles parties de la guerre, elle demande aussi le plus de mesure & de circonspection ; leur succès dépend de plusieurs choses.

1°. Du secret sans lequel il est difficile de réussir.

2°. Des forces qu'on a sur pié pour attaquer les places des ennemis, & défendre les siennes.

3°. De la disposition des ennemis ; car s'ils sont réunis & aussi forts que celui qui veut les attaquer, ils peuvent empêcher le succès du siege.

4°. De l'état des magasins les plus à-portée des lieux sur lesquels on peut entreprendre.

5°. De la conjoncture des tems ; car tous ne sont pas propres aux sieges, & rien n'étant plus ruineux pour les armées que ceux d'hiver, on les doit éviter tant qu'on peut.

6°. Des fonds nécessaires à leur dépense ; car l'argent étant le nerf de la guerre, sans lui on ne sauroit réussir en rien.

Ce sont toutes mesures à prendre de longue-main, qui doivent être dirigées à loisir ; & après tout cela, quand on croit les avoir bien prises, souvent tout échappe ; car l'ennemi qui n'est jamais d'accord avec vous pourra vous interrompre.

1°. Parce qu'il sera aussi fort que vous, & qu'il vous observera de près.

2°. Parce qu'il aura aussi dessein d'entreprendre de son côté sur des places, dont la conservation vous importe plus, que la conquête de celles sur lesquelles vous pourriez entreprendre.

3°. Parce qu'il sera en état de courir sur votre pays & d'y porter la désolation, pendant que vous serez occupé au siege d'une place, dont la prise, qui peut être incertaine, ne vous dédommageroit pas des pertes que vous pourriez souffrir.

4°. Enfin, parce qu'il peut se mettre à-portée de vous combattre, avant que vous puissiez être établi devant la place que vous voulez attaquer.

Il faut bien peser toutes ces considérations avant que de se déterminer, & prendre toujours si bien son tems, que l'ennemi ne puisse vous tomber sur les bras avant votre établissement.

Dans l'un & l'autre cas le mieux est d'être le plus fort, & d'avoir deux armées quand on le peut ; savoir, une qui assiége, & l'autre qui observe. Celle qui assiége se renferme dans ses lignes, & celle qui observe ne fait que rôder & occuper les avenues par où l'ennemi peut se présenter ou prendre des postes, & s'y retrancher, ou le suivre s'il s'éloigne, en le côtoyant & se postant toujours entre lui & l'armée assiégeante, le plus avantageusement qu'il est possible.

L'armée d'observation est encore d'un grand secours à l'assiégeant dans le commencement du siege, parce qu'elle veille à sa conservation, pour le favoriser, escorter ses convois, lui fournir des fascines, & faire plusieurs autres corvées. Réciproquement l'armée assiégeante la peut renforcer dans le besoin, après les six ou sept premiers jours de tranchée, quand elle a bien pris ses avantages contre la place.

C'est encore une circonstance bien favorable de pouvoir attaquer avant que l'ennemi se puisse mettre en campagne avec toutes ses forces, ou dans l'arriere saison, après qu'une partie de ses troupes s'étant retirée, il n'est plus assez fort pour s'opposer aux entreprises. M. de Vauban, Attaq. des places.

Un des objets les plus importans, lorsqu'on entreprend un siege ; c'est de l'environner de maniere que l'ennemi ne puisse y faire entrer aucun secours. M. de Vendôme ayant assiégé Verue à la fin de l'année 1704, sans couper absolument la communication de cette place avec l'armée de M. le duc de Savoie ; la ville se défendit depuis le 14 Octobre de cette année jusqu'au 7 Avril de la suivante, & M. de Vendôme auroit été obligé d'en lever le siege, s'il n'étoit parvenu à couper la communication avec l'armée ennemie ; c'est ce qu'il fit la nuit du premier au second de Mars.

Ayant fait après cela sommer le gouverneur de se rendre, celui-ci lui répondit, qu'il comptoit n'être assiégé que du jour de l'interruption de la communication, quoiqu'il y eût déja près de cinq mois que M. de Vendôme fût devant la place.

Avant de former un siege, on doit évaluer à-peu-près la quantité de troupes & de munitions dont on aura besoin pour la prendre ; cette évaluation est assez difficile, & nous n'avons aucun livre où elle soit traitée avec précision.

Ciran, l'un de nos plus anciens ingénieurs, suppose que l'armée assaillante doit être dix fois plus nombreuse que la garnison, & qu'ainsi il faut une armée de dix mille hommes pour attaquer une place dans laquelle il y en a mille ; mais ce rapport qui peut être assez exact dans cette supposition, pourvû qu'il n'y ait point à craindre qu'il vienne une armée au secours de la place, ne seroit pas suffisant dans une ville où il y auroit deux mille hommes, sur-tout s'il falloit se circonveiller contre l'ennemi.

Ce rapport se trouvera donc trop petit dans plusieurs cas, mais il sera aussi trop grand dans d'autres. Par exemple, on n'a pas besoin d'une armée de deux cent mille hommes pour assiéger une place dans laquelle il y en a vingt mille ; c'est au général à déterminer par la grande connoissance qu'il doit avoir de la guerre, le nombre de troupes dont il a besoin pour faire un siege quelconque, relativement à la grandeur de la place, à l'excellence de ses ouvrages, au nombre & à la valeur de la garnison qui y est renfermée.

Pour l'amas de munitions qu'on peut consommer dans un siege, il faut regler d'abord quelle en sera à-peu-près la durée, quelles seront les différentes batteries qu'il faudra élever, ce qu'elles pourront consommer par jour, &c. on a des tables dans plusieurs livres, notamment dans les mémoires d'artillerie de Saint-Remy, qui contiennent le détail des munitions de guerre menées à différens sieges ; mais comme on n'y rend aucune raison de la quantité des choses qu'elles contiennent, elles ne peuvent être d'un grand secours aux généraux. Cependant au défaut des préceptes, on joint ici quelques-uns de ces états pour donner une idée de la quantité de ces munitions qui se consomment dans un siege.

Comme dans le tems des sieges pour lesquels on a dressé les états précédens, on ne faisoit point usage des obus, il n'y en est pas fait mention ; mais comme l'on s'en est servi avec succès, au siege de Maestricht, en 1747, on ne doit point oublier d'en insérer dans le détail des munitions qui concernent les sieges. Voyez sur tout ce qui concerne ce sujet, & le détail des sieges, notre traité d'artillerie, & celui de l'attaque des places, seconde édition. (Q)

SIEGE d'aisance, s. m. (Archit.) c'est la devanture & la lunette d'une aisance.

SIEGE d'une selle, (Manege) le siege d'une selle est l'endroit du haut de la selle où le cavalier est assis.

SIEGE, s. m. (terme de Potier de terre) c'est une planche un peu panchée en-devant, placée derriere la roue, sur laquelle s'assied l'ouvrier quand il veut tourner un vase, ou quelqu'autre ouvrage de poterie. Cette planche a des deux côtés deux pieces de bois qu'on nomme des payens, qui sont fendues en hoches, de distance en distance pour lui servir comme de marche-pié. C'est sur ces hoches que l'ouvrier met ses piés lorsqu'il travaille, ce qui les lui tient fort écartés l'un de l'autre, pour qu'il ait plus de facilité à se servir du tournoir, avec lequel il donne le mouvement à sa roue ; les payens sont mis en penchant aussi-bien que la planche. Savary. (D.J.)

SIEGE, voyez GARDON.


SIEGEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Wétéravie, sur un ruisseau de même nom. Elle est chef-lieu d'une principauté qui appartient à une branche de la maison de Nassau. Long. 23. 58. lat. 50. 42.


SIÉGERv. n. (Gram.) occuper le siege. On dit ce pape a siégé dix ans. Il siégeoit lorsque cette affaire a été jugée. Siéger se prend alors pour présider.


SIÉNÉ(Géog. anc.) voyez SYÉNé.


SIENNE(Géog. mod.) ville d'Italie, dans la Toscane, capitale du Siennois, à 9 milles de Monte-Pulciano, à 11 de Florence, à 18 de Pérouse, & à 22 de Pise.

Elle est grande & assez bien bâtie ; sa situation sur une colline fait qu'on y respire un air pur, & qu'en même tems il faut toujours monter & descendre. Ses rues sont propres & pavées de briques mises de champ.

La cathédrale, quoique gothique, passe en total pour un bel édifice ; elle est revêtue de marbre en-dedans & en-dehors ; le pavé du choeur est de marbre blanc & noir, en maniere de mosaïque. Plusieurs fontaines fournissent de l'eau dans tous les quartiers. Les couvens de religieux y sont en grand nombre, & la plûpart ont des églises riches.

L'évêché de cette ville fut érigé en métropole en 1459 ; l'université fut établie en 1387. Ce fut à Sienne que le pape Nicolas II. tint le concile qui décida que l'élection des pontifes de Rome n'appartiendroit qu'aux cardinaux. Il y a une citadelle pour la défense de cette ville, dont le territoire rapporte du blé, du vin & d'excellent fruit. Long. suivant Cassini, 28. 51. 30. lat. 42. 22.

Pline appelle Sienne, colonia Senensis, & Tacite, colonia Seniensis. Le nom de Sena lui est donné par Caton, par l'Itinéraire d'Antonin & par Ptolémée. Plusieurs savans croyent que les Gaulois sénonois bâtirent cette ville pour leur repos. Quand les Romains en devinrent les maîtres, ils l'aggrandirent afin d'y pouvoir loger leurs colonies.

Dans le démembrement de leur empire, Sienne imita les autres villes ses voisines qui s'érigerent en républiques. Ensuite il s'éleva dans son sein des partis qui s'armerent les uns contre les autres. Petruccio florentin, profitant de la foiblesse des Siennois, s'empara de leur ville par surprise, & la gouverna tyranniquement.

Après sa mort, le peuple chassa ses enfans, recouvra & conserva pendant quelque tems sa liberté, sous la protection de l'empereur. Enfin Sienne fut soumise à Côme I. duc de Toscane. Philippe II. roi d'Espagne, lui céda cette ville pour payement des sommes qu'il lui devoit. Depuis lors, il ne lui est pas resté la plus petite ombre de son ancienne souveraineté.

Mais quelques papes, & des gens de lettres des plus illustres y ont pris naissance ; je dois d'autant moins oublier de les remémorer, qu'ils n'ont point laissé après eux de rejettons : cette ville est retombée dans la barbarie.

Je connois quatre papes nés à Sienne ; Alexandre III. Pie III. Paul V. & Alexandre VII.

Un des hommes du monde qui, dans les tems grossiers qu'on nomme du moyen âge, mérita le plus du genre humain, dit M. de Voltaire, est Alexandre III. élu pape en 1159, après la mort d'Adrien IV. Ce fut lui qui dans un concile abolit la servitude. C'est ce même pape qui triompha dans Venise par sa sagesse de la violence de l'empereur Frédéric Barberousse, & qui força Henri II. roi d'Angleterre, de demander pardon à Dieu & aux hommes du meurtre de Thomas Becker ; ce pape ressuscita les droits des peuples, réprima le crime dans les rois, & sut réserver au siege pontifical de Rome le privilege de la canonisation des saints. Après avoir gouverné sagement l'Eglise, il mourut comblé de gloire le 30 Août 1181.

Pie III. fils d'une soeur du pape Pie II. succéda à Alexandre VI. le 22 Septembre 1503. Il est loué dans les épîtres de Marsile Ficin, de Philelphe, de Sabellicus & de quelques autres gens de lettres, qui avoient conçu de grandes espérances de son gouvernement ; mais il mourut peu de jours après son exaltation d'une plaie à la jambe, avec soupçon d'avoir été empoisonné.

Paul V. (Camille Borghèse) originaire de Sienne, succéda au pape Léon XI. Monté sur le trône pontifical, il reprit les fameuses congrégations de auxiliis, & défendit aux deux partis de se censurer. Ensuite il s'avisa d'excommunier & d'interdire la république de Venise, pour avoir fait des loix qu'il jugeoit contraires aux libertés des ecclésiastiques ; mais les Vénitiens armerent, & Paul V. leva l'interdit & l'excommunication. Depuis lors il s'appliqua à embellir Rome, & à rassembler dans son palais les plus beaux ouvrages de peinture & de sculpture. Il mourut en 1621, à 69 ans, & eut pour successeur Grégoire XV.

Alexandre VII. de la famille des Chigi, né à Sienne en 1599, succéda à Innocent X. en 1655. Une de ses premieres démarches fut de renouveller les censures de son prédécesseur contre les cinq propositions de Jansénius. Il composa lui-même un nouveau formulaire qui fut reçu en France par une déclaration enregistrée, & par tous les évêques, excepté par quatre qui refuserent de signer ce formulaire. Alexandre VII. nomma neuf évêques françois pour faire le procès aux quatre prélats réfractaires, ce qui ne servit qu'à aigrir davantage les esprits.

Louis XIV. & le pape étoient alors en bonne intelligence ; l'insulte faite au duc de Crequi en 1662 avoit été réparée par sa sainteté, & le roi lui avoit rendu la ville d'Avignon. Ce pontife mourut peu de tems après en 1667, âgé de 68 ans, & eut pour successeur Clément IX.

On dit que dans le tems de sa nonciature d'Allemagne, il avoit résolu de quitter la religion romaine, & d'embrasser la protestante ; mais que la mort du comte Pompée son parent, qui fut empoisonné en passant par Lyon, pour se retirer en Allemagne, après son abjuration, lui fit retarder l'exécution de son premier dessein, & que son élévation au cardinalat lui inspira de toutes autres vues. Il aimoit les belles-lettres ; & quoiqu'il fût poëte médiocre, on a cependant imprimé au Louvre en 1656, un volume in-fol. de ses poésies, sous le titre de Philomathi musae juveniles.

Je passe aux simples hommes de lettres nés à Sienne, & quelques-uns d'eux ont immortalisé leur nom.

Bernardin de Sienne étoit cependant natif de Massa-Carera en 1583. mais on lui donna le surnom de Sienne, parce qu'il passa dans cette ville la plus grande partie de sa vie. Ses prédications, ses austérités, son humilité, son zele pour le soulagement des pestiférés, lui acquirent une très-grande gloire. Il devint vicaire général des freres de l'observance de S. François dans toute l'Italie ; il y réforma, ou établit de nouveau plus de trois cent monasteres, & refusa les évêchés de Sienne, de Ferrare & d'Urbin.

Pour animer davantage la dévotion des fideles, il fit faire un beau tableau, au milieu duquel étoit peint notre Sauveur entouré du soleil, & il obligeoit le peuple à adorer Jesus-Christ dans ce tableau. Cette conduite fut imitée par plusieurs moines du même ordre, qui exposoient le tableau en public dans les processions. Cependant quelques personnes sages n'approuvant point cette nouveauté, & craignant qu'on ne rendît plus d'honneur au tableau qu'à l'original, porterent l'affaire au tribunal de Martin V. Ce pape, après avoir fait là-dessus une consultation de prélats & de docteurs éclairés, défendit à Bernardin cette pratique comme dangereuse & superstitieuse, & Bernardin s'y conforma.

Il mourut à Aquila l'an 1444, dans la soixante-quatrieme année de son âge, & Nicolas V. l'a canonisé. Ses oeuvres qui ne roulent que sur des sujets de dévotion, ont été imprimées à Venise chez les Juntes en 1595, par les soins de Rodulphe, évêque de Sinigaglia, & à Paris l'an 1636 en deux vol. in-fol. par ceux du pere la Haye. Le style de S. Bernardin n'est ni pur, ni élevé ; mais dans le recueil donné sous son nom, les sermons qui sont véritablement de lui, contiennent une morale simple, dépouillée des fausses pensées & des jeux de mots de la plûpart des sermonaires d'Italie.

Catharin (Ambroise), célebre théologien du xvj. siecle, natif de Sienne, enseigna le droit dans plusieurs universités d'Italie, sous son nom de Politus Lancellotus. Il entra dans l'ordre de S. Dominique l'an 1515, à l'âge de 33 ans ; il prit alors le nom d'Ambroise Catharin, se donna tout entier à la Théologie, & se rendit bientôt célebre par ses écrits. Il parut avec éclat au concile de Trente en 1545, fut évêque de Minori en 1547, & archevêque de Conza en 1551. Il mourut subitement quelque tems après, & lorsqu'il touchoit au moment d'être nommé cardinal.

Il a publié un grand nombre d'ouvrages, & avancé dans quelques-uns des sentimens libres & hardis, sans s'embarrasser s'il s'écartoit de ceux de S. Augustin, de S. Thomas & des autres théologiens. Il déclare dans un traité sur la Prédestination, que Dieu n'a point prédestiné les hommes par un decret immuable, mais que leur salut dépend du bon usage qu'ils font des graces que l'Etre suprême leur accorde. Il établit la chûte d'Adam dans le péché qu'il fit en mangeant du fruit défendu, qui est, dit-il, un péché en nous en tant que notre volonté est comprise dans la sienne. Il pense aussi que Jesus-Christ seroit venu sur la terre quand même Adam n'auroit pas péché. Il prétend que S. Jean l'évangéliste n'est point mort, mais qu'il a été enlevé au ciel comme Henoch & Elie. Dans son traité de la Résurrection, loin de damner les enfans morts sans baptême, il assure qu'ils jouissent d'une félicité convenable à leur état. Il soutient dans un autre ouvrage que ces paroles, ceci est mon corps, ceci est mon sang, ne sont qu'énonciatives, & que Jesus-Christ n'a point consacré en les prononçant.

Enfin il a défendu au concile de Trente un sentiment qui a présentement un grand nombre de sectateurs en sorbonne, savoir, que l'intention extérieure est suffisante dans le ministre qui administre les sacremens ; c'est-à-dire que le sacrement est valide, pourvu que celui qui l'administre fasse extérieurement les cérémonies requises, quoique intérieurement il puisse avoir la pensée de se mocquer du sacrement & des choses saintes.

Ferrari (Jean-Baptiste) jésuite de Sienne, mort en 1655, a donné au public un dictionnaire syriaque utile, imprimé à Rome en 1622, in-fol. sous le titre de Nomenclator syriacus. Il témoigne dans sa préface qu'il a été aidé par de savans maronites sur l'interprétation des termes les plus obscurs.

Ochino (Bernardino) fut un de ces ecclésiastiques d'Italie, qui sortirent de leur pays dans le xvj. siecle, pour embrasser la religion protestante. Ochin avoit été d'abord cordelier, puis capucin, & même général de ce dernier ordre. Les historiens du tems disent qu'il enchantoit ses auditeurs par la grace, la politesse, l'abondance, la douceur & la pureté de son style. Il quitta l'habit de capucin, embrassa le luthéranisme, & passa par Genève pour se rendre à Augsbourg. Il entreprit en 1547 le voyage d'Angleterre avec son ami Pierre Martyr, d'où il fut appellé à Zurich en 1555 pour y être ministre de l'église italienne, qu'il desservit pendant huit ans.

Ses dialogues qu'on imprima, & qui sembloient contenir entr'autres erreurs l'approbation de la polygamie, irriterent les magistrats de Zurich, qui le chasserent de leur ville en 1563. Comme on ne voulut pas lui permettre de s'arrêter à Basle, seulement pendant l'hyver, il poursuivit tout de suite sa route en Pologne ; mais à peine y étoit-il arrivé, que le nonce Commendon l'obligea d'en sortir, en vertu d'un édit qu'il obtint contre tous les hérétiques étrangers. Ochin se rendit en Moravie, & mourut à Slaucow en 1564, âgé de 77 ans. La peste l'emporta, lui, ses deux filles & son fils.

La liste de ses écrits se trouve dans la bibliotheque des Antitrinitaires. Il publia en italien six volumes de sermons ; une exposition de l'épître de S. Paul aux Romains, un commentaire sur l'épître aux Galates ; un dialogue sur le purgatoire ; des apologues, &c. La plûpart de ces livres ont été traduits en latin ; mais les ouvrages de cet auteur qui ont fait le plus de bruit, & qu'il est difficile de trouver, sont ses dialogues, ses labyrinthi sur la prédestination & le franc-arbitre, & ses sermons sur la messe.

Ochin publia ses dialogues au nombre de trente en italien ; Castalion les mit en latin, & les fit imprimer à Basle en 1563. Le vingt-unieme de ses dialogues traite de la polygamie. Il n'est pas vrai cependant qu'il tâche d'y prouver qu'il est permis, & qu'il est même ordonné aux Chrétiens d'épouser autant de femmes qu'il leur plaît. Si vous lisez le commencement du dialogue de polygamiâ, vous verrez que l'état de la question est celui-ci : " Un homme qui souhaite des enfans, & qui est marié à une femme stérile, maladive, & avec laquelle il ne sauroit s'accorder, peut-il en épouser une autre, sans répudier la premiere " ? Ochin suppose qu'on le consulte sur un tel cas de conscience. Il prend le parti de la négative ; & après avoir mis dans la bouche de son consultant les raisons les plus favorables à la pluralité des femmes, & avoir répondu foiblement d'assez bonnes choses, il conclut par conseiller de recourir à la priere, & par assurer que si l'on demande à Dieu avec foi la continence, on l'obtiendra. Il déclare enfin que si Dieu ne donne point la continence, on pourra suivre l'instinct que l'on connoîtra certainement venir de Dieu. Voilà du pur fanatisme, mais il n'y a rien de plus.

M. Simon dans son hist. critiq. des comment. du N. T. c. lv. parle fort pertinemment des dialogues d'Ochin, qui roulent sur la Trinité. Il reconnoît que l'auteur ne s'y déclare pas tout-à-fait unitaire ; il rapporte seulement les raisons de part & d'autre, en poussant fort loin les argumens des antitrinitaires, sous prétexte d'y répondre.

Les labyrintes de cet écrivain, ont paru à Bayle l'ouvrage d'un homme qui avoit l'esprit net & pénétrant. Ochin, dit-il, y prouve avec force que ceux qui soutiennent que l'homme agit librement, s'embarrassent dans quatre grandes difficultés, & que ceux qui tiennent que l'homme agit nécessairement, tombent dans quatre autres grands embarras ; si bien qu'il forme huit labyrinthes, quatre contre le franc-arbitre, & quatre contre la nécessité. Il se tourne de tous les côtés imaginables pour tâcher de rencontrer une issue, & n'en trouvant point, il conclud à chaque fois par une priere ardente adressée à Dieu, afin d'être délivré de ces abîmes. Néanmoins dans la suite de l'ouvrage, il entreprend de fournir des ouvertures pour sortir de cette prison ; mais il conclud que l'unique voie est de dire comme Socrate ; unum scio, quod nihil scio. Il faut se taire, dit-il, & juger que Dieu n'exige de nous ni l'affirmative, ni la négative sur des points de cette nature.

M. d'Aubigné discourt assez au long des sermons d'Ochin sur la messe. Cet italien, dit-il, vouloit premierement que le service fût en langage vulgaire, & qu'on en supprimât plusieurs ornemens, afin de pouvoir dire sur le reste que c'est la cêne du Seigneur qui s'est faite religieuse, per parer piu sancta. Ochin a donné douze sermons sur la messe. L'un porte pour titre missae tragaedia, ac primum quomodo concepta, nota, baptisata fuerit. L'autre, quomodo nutrita, educata, ornata, ditataque ad summam praestantiam pervenerit. Cette maniere dramatique sent tout-à-fait le génie des Italiens, & ne respire point la dignité que demandent les mysteres.

Patricis (Francisco) siennois, évêque de Gaiete, florissoit dans le xv. siecle sous Sixte IV. & mourut en 1494. Il publia deux ouvrages, l'un de regno & regis institutione lib. IX. l'autre, de reipublicae institutione, lib. IX. Ces deux traités firent du bruit ; cependant ni l'un, ni l'autre ne sont estimés des connoisseurs, parce qu'il y regne plus de lecture que de jugement. Le premier a paru deux fois à Paris ; savoir, en 1519 & en 1530, in-folio. Le second a été traduit en françois par le sieur de Mouchetiere, & imprimé à Paris en 1610 in -8°.

Les Piccolomini ont fait un grand honneur à Sienne leur patrie. Piccolomini (Alexandre), archevêque de Patras, florissoit dans le xv. siecle, & prouva par ses écrits l'étendue de sa science. Il publia des ouvrages sur la théorie des planetes, les étoiles fixes, les questions méchaniques, la philosophie, la morale, la rhétorique, & la poétique d'Aristote. Il se servit de sa langue maternelle dans la plûpart de ses ouvrages, & il passe pour être le premier qui en ait usé de la sorte en matiere de philosophie & d'érudition. Imperialis l'en blâme, mais avec noblesse : Efferbuit mirè, dit-il, ingenium Alexandri Piccolominei senensis, in cogendo sub etruscis vexillis agmine scientiarum omnium, quo intentato aliàs facinore, immortalem sibi pararet in Italicâ celebritate triumphum. Le traité que Piccolomini mit au jour sur la réformation du calendrier, mérita les éloges des plus grands juges ; mais son application à des ouvrages sérieux, ne l'empêcha point de s'amuser à la poésie, & à donner des pieces de théâtre : ses deux comédies l'Alessandra, & l'Amor constante, furent fort estimées. Il mourut à Sienne, en 1578, âgé de 70 ans.

M. de Thou étant en Italie, en 1573, l'alla voir avec Paul de Foix, ambassadeur de Charles IX. Ils le trouverent tout occupé à l'étude, & plein de la consolation qu'il éprouvoit dans la lecture, au milieu des infirmités de la vieillesse, multa (dit de Thou) de studiis suis disseruit, eorumque se demùm in eâ aetate dulcissimum fructum capere dixit, aliis oblectamentis deficientibus, quibus aliae aetatis innocenter, & citrà offensam gaudere possunt. Quod cùm dicebat, non tam senectuti solatium quaerere dicebatur, quàm adolescentes qui aderant, quâ humanitate erat ad desidiam vitandam, & Philosophiae studia capessenda, exemplo suo cohortari.

Piccolomini (François) de la même famille qu'Alexandre, s'attira l'admiration de toute l'Italie par la beauté de ses leçons philosophiques, qu'il donna pendant 53 ans avec la même réputation, à Sienne, à Macerata, à Pérouse & à Padoue. Il mourut en 1604, âgé de 84 ans, sans jamais avoir eu besoin de lunettes. Ses funérailles témoignerent d'une façon singuliere l'estime que les Siennois lui portoient ; car toute la ville prit le deuil le jour de son enterrement, & l'on ferma tous les tribunaux. Son ouvrage latin de philosophia morali, imprimé à Venise en 1583, lui fit beaucoup d'honneur. Le p. le Moine dans ses peintures morales, parle de cet ouvrage avec estime, & en critique aussi quelques endroits.

Sixte de Sienne, né juif à Sienne, se convertit au christianisme, embrassa l'ordre de S. Dominique, & mourut en 1566, à l'âge de 49 ans. Il mit au jour, en 1566, sa bibliotheque sainte, dans laquelle il expose la critique des livres de l'ancien Testament, & indique des moyens de les expliquer. Les catholiques & les protestans paroissent en général fort prévenus en faveur du mérite de cette bibliotheque, dont la meilleure édition est celle de Naples, en 1742, en deux volumes in-fol. Cependant, pour ne rien déguiser, c'est un ouvrage très-imparfait. L'auteur y juge communément en mal-habile homme de ceux dont il parle. Son érudition critique est fort chétive, ce qui ne doit pas surprendre ; car Sixte ne savoit bien que l'hébreu, médiocrement le latin, & très-peu le grec.

Je ne connois point de famille plus illustre dans les lettres que celle des Socin, tous nés à Sienne. Ils se sont distingués dans la jurisprudence & dans la théologie, pendant deux siecles consécutifs, pere, fils, petit-fils, arriere-petit-fils, oncles & neveux.

Socin (Marianus) naquit à Sienne, en 1401, & mourut en 1467. Ce fut l'homme le plus universel de son siecle, & le premier jurisconsulte, au jugement d'Aeneas Silvius, & de Pancirole, qui a donné sa vie. Le pape Pie II. le combla de marques de son estime.

Cet homme illustre eut cependant un fils qui le surpassa, j'entends Socin (Barthélemi), né à Sienne, en 1437. Sa réputation le fit appeller à Ferrare, à Boulogne & à Pise, au moyen d'une pension de mille ducats. Il mourut en 1507. On a imprimé à Venise ses consultations avec celles de son pere, en 1579, en quatre volumes in-fol.

Socin (Marianus) petit-fils du précédent, & non moins célebre, naquit à Sienne en 1482, & mourut en 1556. Il professa le droit comme son grand-pere, dans plusieurs universités d'Italie, succéda à Alciat, & Boulogne sut enfin le retenir par des pensions & des privileges extraordinaires. Il eut treize enfans, entre lesquels Lélius & Alexandre se distinguerent éminemment.

Socin (Lélius) le premier auteur de la secte socinienne, naquit à Sienne, l'an 1525. Il commença par étudier le droit, mais ayant encore plus de goût pour la Théologie, il apprit le grec, l'hébreu, l'arabe, & voyagea en France, en Angleterre, en Hollande, en Suisse, en Allemagne & en Pologne. Il se fit connoître aux plus savans hommes de ce tems-là, & ne feignoit point de leur communiquer ses doutes, ou plutôt ses sentimens dans les matieres de religion. Sa famille qui les embrassa, fut obligée de se disperser. Camille son frere fut mis en prison. Quelques autres parens s'évaderent, & entr'autres son neveu Fauste. Lélius se rendit à Zurich, où il mourut, en 1562. Fauste recueillit ses papiers, & les fit valoir dans la suite.

Socin (Alexandre), pere de Fauste Socin, dont nous parlerons bien - tôt, mourut en 1541, à Macerata, avec la réputation d'un docte jurisconsulte.

Socin (Fauste), fils d'Alexandre, & petit-fils de Marianus, naquit à Sienne en 1539. Il embrassa avidement, ainsi que tous ses parens, hommes & femmes, les opinions de Lélius son oncle. Aussi ce sauva-t-il de Sienne avec toute sa famille par la crainte de l'inquisition. Il revint cependant en Italie, où le grand duc l'assura de sa protection, & lui donna des emplois honorables, qui l'empêcherent pendant 12 ans de se souvenir qu'il avoit été regardé comme celui qui mettoit la derniere main au systême de théologie samosaténienne, que son oncle Lélius avoit ébauché. Enfin l'étude sérieuse de l'Ecriture l'emporta sur les délices de la cour, il s'en exila volontairement, & vint à Basle, où il séjourna trois ans, & composa son ouvrage de Jesu-Christo Servatore. Les disputes qu'il eut avec des théologiens protestans du pays, l'obligerent de se retirer en Pologne, en 1579, desirant d'entrer dans la communion des unitaires ; cependant ses ennemis ameuterent contre lui la populace, qui pilla ses meubles, & quelques-uns de ses manuscrits, qu'il regretta extraordinairement, sur-tout son traité contre les athées. Il se réfugia dans la maison d'un gentilhomme polonois, chez lequel il mourut en 1604. Mais sa doctrine, loin de mourir avec lui, a pris tant de faveur, qu'elle regne & domine à-présent d'une maniere invisible dans toutes les sectes chrétiennes.

Les beaux arts ont été accueillis des Siennois, en même tems que les sciences.

Lorenzetti (Ambroise), né à Sienne dans le xjv. siecle, & contemporain de Giotto, apprit de lui les secrets de la peinture. Mais poussant plus loin son génie, il se fit un genre particulier, & s'y distingua. Il fut le premier qui tenta de représenter en quelque sorte les vents, les pluies, les tempêtes, & ces tems nébuleux, dont les effets sont si piquans sur la toile.

Vannius (François), né à Sienne en 1563, mort à Rome en 1609, fit remarquer dans ses ouvrages un coloris vigoureux, joint à la touche gracieuse du Correge. Il mit en même tems beaucoup de correction dans ses desseins, & fut comblé de faveurs par le pape Alexandre VII. son tableau de Simon le magicien qu'on voit dans l'église de S. Pierre à Rome, passe pour son chef-d'oeuvre. (D.J.)

SIENNE, la, (Géog. mod.) riviere de France, dans la Normandie, au Cotentin, vers le midi du diocèse de Coutances. Elle a sa source dans la forêt de S. Sever, se grossit de plusieurs petits ruisseaux, & après avoir reçu la Sône, elle va se perdre dans la mer du Havre. (D.J.)


SIENNOIS(Géog. mod.) province d'Italie, dans la Toscane. Elle est bornée au nord par le duché de Florence, au midi par la Méditerranée, au levant par le Perugin, l'Orviétano, & le duché de Castro, & au couchant par la mer de Toscane. On lui donne 65 milles du nord au sud, & presque autant du levant au couchant. Le Siennois, ainsi que sa capitale, a éprouvé bien des vicissitudes, avant que de jouir de la liberté, que les Espagnols lui enleverent vers le milieu du xvj. siecle, après quoi ils vendirent ce pays au grand duc Côme de Médicis. (D.J.)


SIEOUTSAI(Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme à la Chine le premier grade des lettres ; il répond à celui de nos bacheliers. Pour y être admis, il faut que les étudians aient subi un examen, qui consiste à composer un ouvrage sur une matiere qui leur a été donnée par un mandarin envoyé par la cour : lorsqu'ils ont réussi, ils obtiennent ce premier grade, & commencent à jouir de plusieurs privileges, comme de porter une robe bleue bordée de noir, & un oiseau d'argent sur leur bonnet. Ils sont soumis à un supérieur particulier, qui seul a droit de les punir ; car dès-lors qu'ils sont admis, ils ne sont plus sujets à recevoir la bastonnade par ordre des magistrats ordinaires. Les sieoutsai sont obligés de subir un nouvel examen, qui ne se fait que tous les trois ans dans la capitale de chaque province, en présence des mandarins & de deux commissaires de la cour ; ceux dont les ouvrages ont été approuvés, sont déclarés kirgin. Voyez cet article.


SIERvoyez SCIER.


SIÉRIBON(Géog. mod.) c'est ainsi qu'écrit M. Reland, dans sa carte de Java, ville des Indes dans l'île de Java, sur la côte septentrionale, entre Teggal & Dermayaon, à environ 20 lieues de la ville de Mataran vers le nord ; elle est capitale d'une province particuliere du même nom. (D.J.)


SIERRA(Géog. mod.) terme que les Espagnols & les Portugais employent pour signifier une montagne, ou un pays montagneux, dont les cimes de montagnes sont semblables aux dents d'une scie. Il y a de ces sierras dans plusieurs endroits de l'Espagne & du Portugal, mais surtout dans la Castille nouvelle, dans la Castille vieille, & au royaume de Grenade ; les Espagnols ont aussi nommé Sierra une petite province dans la Castille nouvelle, parce qu'elle est un pays de montagnes vers sa partie méridionale.

Sierra de Balbanera, montagne d'Espagne dans la vieille Castille. Ces montagnes avec celles d'Yangas vers Rioia, sont le Dicterius mons des anciens.

Sierra de Guara, montagne de l'Espagne, qui est une branche des Pyrénées vers les confins du Roussillon & de la Catalogne.

Sierra de Jasquivel, autre branche des Pyrénées, qui environne du côté de terre la ville de Fontarabie.

Sierra de Molina, montagnes d'Espagne, au-dessous de Moncayo (mons Caunus). C'est dans ces montagnes que le Tage & le Guadalquivir prennent leur source.

Sierra de Morena, en latin, montes Mariani, montagne d'Espagne, qui commence à l'extrêmité de la Castille nouvelle, qui sépare les royaumes d'Andalousie & de Grenade. Les avantures de don Quichotte ont immortalisé le nom de cette montagne.

Sierra Nevada, est 1°. le nom d'une montagne d'Espagne au royaume de Grenade, qu'elle sépare de celui de Murcie. C'est 2°. le nom d'une montagne de l'Amérique septentrionale, dans la Castille d'or. Son étendue est d'environ 40 lieues. Ces deux montagnes sont surnommées Nevada, parce que leurs sommets sont toujours couverts de neiges.

Sierras de Cogollo, montagnes d'Espagne dans la Castille vieille, au sortir de Burgos ; elles sont très-hautes & très-droites.

Sierras de Ronda, en latin, mons Illipula, montagnes d'Espagne au royaume de Grenade, le long des frontieres de l'Andalousie ; elles n'offrent partout que roches, qui s'étendent au long & au large jusqu'à la mer.

Sierras de S. Andrien, montagnes d'Espagne dans le Guipuscoa ; elles séparent la petite province d'Alava, de la Castille vieille.

Sierras d'Alcoba, montagne de Portugal, dans la province de Beyra. Toute la côte qui s'étend de Porto à Coimbre, est bornée à l'orient par une chaîne de ces hautes montagnes, qui s'étendent de l'une de ces villes à l'autre, & plus avant au midi pendant l'espace de douze lieues. La premiere chaîne de montagnes est le Tapiaeus mons des anciens. Le chemin de Porto à Lisbonne est dans une longue plaine bornée par cette premiere chaîne de montagnes. En traversant cette plaine, on voit une campagne agréable, cultivée & peuplée. Elle est arrosée par des sources abondantes qui sortent de ces montagnes, & forment diverses rivieres, dont les unes se jettent dans le Duero, d'autres dans le Vonga, & d'autres dans le Mondego. (D.J.)


SIERRA-LIONERIO DE, (Géog. mod.) c'est-à-dire, riviere de la montagne des lions, nom donné par les Espagnols & les Portugais à une grande riviere d'Afrique, dans la haute Guinée, à la côte de Malaguette, sous le 8e. degré 25 minutes de latitude septentrionale, & par les 359 degrés 40 minutes de longitude. Elle tire sa source de hautes montagnes peuplées de lions & d'autres animaux sauvages.

C'est une des plus considérables rivieres de l'Afrique, & son embouchure peut avoir trois à quatre lieues de largeur. Elle sépare deux royaumes ; celui du nord nommé Boulon, & celui du sud appellé Bouré. Son lit renferme quantité d'îles, d'un excellent terroir, couvertes de palmiers & toutes bordées de mangles.

La riviere de Sierra-lione, porte aussi les noms de Tagrin & de Mitouba dans les relations de nos voyageurs. Il est bon d'être averti de ces noms différens, afin de ne pas faire en géographie trois rivieres d'une seule. (D.J.)


SIEURS. m. (Hist. mod.) est un titre d'honneur ou une qualité chez les François. Les Jurisconsultes s'en servent souvent dans les actes publics ou autres actes de cette espece. Voyez SIRE.

On dit, je plaide pour le sieur un tel, le sieur abbé, le sieur marquis, &c. Voyez MONSIEUR.

Le nom de sieur est un titre qu'un supérieur donne ordinairement à son inférieur dans les lettres ou autres écritures particulieres ; comme dites au sieur Hubert qu'il fasse, &c.

Les autres l'employent souvent dans ce sens, par modestie en parlant d'eux-mêmes ; ainsi nous voyons à la tête de leurs livres : Traduction du sieur Dablancourt, Oeuvres du sieur Despreaux, &c.

Sieur est aussi un terme qui signifie le possesseur d'une terre seigneuriale : comme écuyer ou sieur d'un tel endroit. Voyez SEIGNEUR & ÉCUYER.


SIEURELvoyez SAUREL.


SIFACS. m. (Hist. nat.) espece de singe qui se trouve dans l'île de Madagascar ; il est blanc ; sa queue est blanche ; il a deux petites taches sur les côtes & est d'une grandeur médiocre. On trouve d'autres singes blancs, dont les queues sont blanches & mouchetées de noir : ils vont par troupes de quarante ou cinquante. Il y en a d'autres qui sont gris : ils ont le poil ras ; mais jamais on n'a pu parvenir à les apprivoiser.


SIFANTO(Géog. mod.) île de l'Archipel. Voyez SIPHANTO. (D.J.)


SIFARBAHR(Géog. mod.) nom d'une contrée de Perse, la plus méridionale de la province de Fars. Elle comprend quelques bourgades, quoique l'air y soit excessivement chaud. (D.J.)


SIFFLANTE(Gram.) adj. f. On appelle ainsi, & avec raison, certaines articulations, qui sont en effet une sorte de sifflement qui précede la voyelle. Il y en a quatre linguales : deux foibles & deux fortes, z, s, j, ch ; deux labiales : l'une foible, & l'autre forte, v, f ; & la gutturale h. Voyez LINGUALE.


SIFFLERv. act. Imiter avec la bouche le bruit du sifflet. Voyez l'article SIFFLET ; on produit ce bruit avec le sifflet même. Le merle siffle, le serpent siffle. On siffle un oiseau ; on siffle à quelqu'un sa leçon.

SIFFLER une piece, (Littérat.) c'est la huer tout haut ; c'est en marquer par des sifflemens les endroits dignes de mépris & de risée. L'usage de siffler aux représentations publiques, n'est pas d'institution moderne. Il est vraisemblable que cet usage commença presqu'aussi-tôt qu'il y eut de mauvais poëtes & de mauvais acteurs qui voulurent bien s'exposer aux décisions de tout un monde rassemblé dans un même lieu. Quoique nos modernes se piquent de la gloire de savoir juger sainement des pieces qui méritent leurs applaudissemens ou leurs sifflets ; je ne sai si les Athéniens ne s'y entendoient pas encore mieux que nous. Comme ils l'emportoient sur tous les autres peuples de la Grece pour la finesse & la délicatesse du goût, ils étoient aussi les plus difficiles à satisfaire. Lorsque dans les spectacles, quelqu'endroit n'étoit pas à leur gré, ils ne se contentoient pas de le siffler avec la bouche, plusieurs, pour mieux se faire entendre, portoient avec eux des instrumens propres à ce dessein. La plûpart même, autant qu'on en peut juger par quelques passages des anciens auteurs, employoient de ces sifflets de berger, que Virgile nous décrit dans une de ses éclogues :

Est mihi disparibus septem compacta cicutis

Fistula.

En effet, il y a toute apparence qu'ils usoient de ces sifflets, qui étoient composés de sept différens tuyaux, & qui par cette raison, rendoient jusqu'à sept sons différens ; ensorte qu'ils caractérisoient le degré de leur critique par un son varié plus ou moins fort du sifflet, raffinement de l'art dont nous n'avons pas encore imaginé les notes. Mais si les Athéniens siffloient avec des tons gradués les mauvais endroits d'une piece ou le mauvais jeu d'un acteur, ils savoient applaudir avec la même intelligence, aux beaux, aux bons, aux excellens morceaux. Et comme pour exprimer le premier de ces deux usages, ils employoient le mot ; ainsi pour marquer le second, ils avoient le terme .

Le docte Muret observe que les Grecs se servoient du même mot , pour signifier la flute des bergers, & le sifflet des spectateurs ; comme ils se servoient aussi du mot , pour dire jouer de la flute, & siffler à un spectacle les endroits des pieces qui leur déplaisoient. (D.J.)


SIFFLETS. m. (Gram.) petit instrument de bois, d'os ou d'ivoire, qui a toutes les parties du bec de la flute, voyez FLUTE ; mais qui est fort court, fermé par le bas & sans trou, & qui ne rend qu'un seul son plus ou moins fort, selon la grosseur du sifflet.

SIFFLET de Pan, (Luth. anc. & mod.) c'est un assemblage de douze tuyaux placés les uns à côté des autres, qui vont en diminuant de longueur, & qui n'ont qu'un ton : ces tuyaux peuvent être de bois, de cuivre, de roseau ou de fer. Ils rendent successivement la gamme ut, ré, mi, fa, sol, la, si, ut, ré, mi, fa, sol. On a appellé cet instrument le sifflet de Pan, parce qu'on le lui voit pendu au col, ou à la main, dans quelques statues antiques. Ce sifflet a passé du dieu Pan, à l'usage des chauderonniers ambulans dans nos provinces, qui vont achetant la vieille vaisselle de cuivre, & châtrant les chiens & les chats.


SIFFLEURvoyez BOUVREUIL.


SIGA(Géog. anc.) nom d'un fleuve de la Mauritanie césariense suivant Ptolémée. Ce fleuve est Rio de Aresgol, selon Ambroise Moralès.

Siga est aussi le nom d'une autre petite ville de la Mauritanie césariense, qui fut détruite par les Romains, selon Strabon, liv. XVII. p. 830. (D.J.)


SIGAH-GUSHS. m. (Zoolog.) nom d'un animal de Perse, qui ne paroît différer du lynx, que parce qu'il n'est point tacheté. Ses oreilles ont, comme celles de tous les lynx, un toupet noir de poils fins & veloutés au sommet. (D.J.)


SIGALÉONou SIGALION, (Mythol. égypt.) dieu du silence chez les Egyptiens.

On portoit sa statue dans les fêtes d'Isis & de Sérapis ; & on le représentoit dans leurs temples en forme d'un jeune homme qui se tenoit la bouche fermée avec un doigt sur les lèvres.

Les Grecs adopterent ce dieu, & le nommerent Harpocrate.

Ausone est presque le seul entre les Latins qui l'appelle Sigaléon, & il a forgé ce mot du grec je me tais. (D.J.)


SIGELA, (Géog. mod.) petite riviere d'Allemagne, qui prend sa source près de Sigen, & va se perdre dans le Rhin, à une lieue au-dessus de Bonn. (D.J.)


SIGÉESigeum, (Géog. anc.) promontoire, ville & port de l'Asie mineure dans la Troade, immédiatement après la ville de Rhoeteum. La ville de Sigeum étoit ruinée du tems de Strabon, l. XIII. p. 595. ce qui fait que peu d'autres en parlent. Pline, l. V. c. xxx. dit ; In promontorio quondam Sigeum oppidum. Ptolémée, l. V. c. ij. marque le promontoire Sigeum entre l'embouchure du Scamandre & Alexandria Troa. On comptoit soixante stades de ce promontoire à celui de Rhoeteum, en prenant le long du rivage. C'est aujourd'hui le cap Janitzari.

On y trouve un village, que les Grecs appellent Troius. Il contient trois cent feux ou environ. Tous les habitans sont grecs, & vivent de la vente de leurs denrées, qui sont des blés, des vins, des safrans, des melons & d'autres fruits. Tout y est à si grand marché, qu'on y a quinze poules pour une piastre, qui vaut un écu de notre monnoie. La douzaine d'oeufs n'y coute qu'un sol.

Ce fut à Sigée, si l'on en croit Cicéron & quelques auteurs anciens, qu'Alexandre, en voyant le tombeau d'Achille, s'écria : Trop heureux héros, qu'Homere ait chanté tes exploits. Cela est vrai, ajoute l'orateur romain ; car sans l'Iliade, Achille mourut tout entier, & son nom ne lui survivoit point. Cependant Pomponius-Mela, Pline & Solin placent ailleurs qu'à Sigée le tombeau d'Achille. La ville de Sigée a été autrefois épiscopale : elle est aujourd'hui ruinée. (D.J.)


SIGILLAIRESSIGILLARITES, s. f. pl. (Gram.) nom d'une fête des anciens Romains. Elle étoit ainsi appellée des petits présens, tels que des cachets, des anneaux, des gravures, des sculptures qu'on s'envoyoit. Elle duroit quatre jours : elle étoit immédiatement après les saturnales qui en duroient trois, ce qui faisoit ensemble sept jours : & comme les saturnales commençoient le 14 avant les calendes de Janvier, c'est-à-dire le 19 de Décembre, les sigillaires commençoient le 22, & duroient jusqu'au 15 inclusivement. On dit qu'elles furent instituées par Hercule, lorsque revenant d'Espagne, après avoir tué Geryon, il conduisit ses troupeaux en Italie, & qu'il en bâtit sur le Tibre un pont à l'endroit où l'on construisit depuis le pont Sublierus. D'autres en attribuent l'institution aux Pélagiens, qui imaginerent que par le mot de tête l'oracle ne leur demandoit pas des sacrifices d'hommes vivans, ni par celui de , des hommes, mais par le premier des statues, & par le second des lumieres ; ils présenterent à Saturne des bougies, & à Pluton des figures humaines ; de-là viennent & les sigillaires & les présens qui accompagnoient la célébration de cette fête.


SIGILLATEURSS. m. pl. (Littérat.) c'étoient chez les Egyptiens les prêtres qui étoient chargés de marquer les victimes destinées aux sacrifices. Comme il falloit que l'animal fut entier, pur, & bien conditionné pour être sacrifié, il y avoit des prêtres destinés à examiner les animaux qu'on destinoit à être victime. Quand la bête se trouvoit propre aux autels, ils la marquoient, en lui attachant aux cornes de l'écorce de papyrus, & en imprimant leur cachet sur de la terre sigillée qu'ils lui appliquoient. Hérodote raconte qu'on punissoit de mort quiconque offroit une victime qui n'avoit pas été ainsi marquée. (D.J.)


SIGILLÉETERRE, terra sigillata, (Hist. nat. Mat. médic.) nom que l'on a donné à des terres bolaires, auxquelles on attribuoit de grandes vertus ; on en formoit des petits gâteaux ronds, sur lesquels on imprimoit un sceau ou cachet, afin de certifier ceux qui les achetoient que la terre qu'on leur vendoit étoit réellement tirée de l'endroit qu'ils vouloient & n'étoit point contrefaite. La terre sigillée de Lemnos étoit regardée comme sacrée ; suivant le rapport de M. Hill, les prêtres seuls avoient la permission d'y toucher, on la mêloit avec du sang de chêvre, après quoi on y imprimoit un cachet. Comme les prêtres aidoient à la former, on l'appelloit terre sacrée, . Voyez les notes de M. Hill sur Théophraste, p. 179. Cette vénération subsiste encore actuellement, ce n'est qu'une fois dans l'année que l'on ouvre la carriere où se trouve cette terre, alors l'évêque à la tête de son clergé s'y rend en procession, on tire la terre avec des cérémonies, & on referme l'enceinte où elle se tire. Les Grecs font des présens de cette terre sigillée au sultan & aux grands officiers de l'empire, qui en font un très-grand cas, persuadés que cette terre est un antidote souverain contre toutes sortes de poisons. Voyez l'article LEMNOS, terre de.

Il est aisé de voir que les terres sigillées n'acquierent aucune vertu par le sceau qu'on leur imprime. Elles varient pour la couleur & pour la qualité, suivant les différens endroits où on les trouve ; & il y a autant de terres que l'on appelle sigillées, qu'il y a de pays où l'on veut se donner la peine d'y imprimer un cachet. (-)


SIGINDUNUM(Géog. anc.) ville de la Pannonie. Les Grecs & les Latins ont fort varié pour l'orthographe de ce mot. La plus commune est Singidunum. Voyez donc SINGIDUNUM. (D.J.)


SIGISTAN(Géog. mod.) province de Perse. Voyez SEGESTAN.


SIGIUS-MONS(Géog. anc.) montagne de la Gaule narbonnoise, sur la côte de la mer Méditerranée. Ptolémée écrit Setius-mons, & il est vraisemblable qu'il a raison, car cette montagne s'appelle présentement dans le pays Lou cap de Sete. (D.J.)


SIGLES. f. (Littérat.) on appelle sigles les lettres initiales que l'on employoit seules dans la maniere d'écrire en abrégé, lorsqu'on n'y exprimoit les mots que par des initiales. Ces lettres présentoient aux yeux du lecteur ou par l'arrangement qu'elles avoient entr'elles, ou par la place qu'elles tenoient dans le discours, une suite d'expressions connues, & n'étoient que rarement susceptibles de différentes interprétations ; par exemple, tout le monde étoit convenu que cette espece de formule S. P. Q. R. signifioit Senatus populusque Romanus. (D.J.)


SIGMAS. m. (Antiq. rom.) table en fer à cheval. Les Romains ayant négligé dans leurs tables l'usage de ce qu'ils appelloient triclinium, se servirent d'une table faite en forme de sigma, c'est-à-dire qui avoit la figure d'un fer à cheval, autour duquel étoit posé un lit plus ou moins grand, fait de même en demi-cercle, selon le diametre de la table.

Les places les plus honorables étoient celles qui se trouvoient aux deux extrêmités du lit. C'étoit par l'intervalle du demi-cercle que l'on servoit les viandes. Ce lit étoit fait ordinairement pour six ou sept convives : septem sigma capit, dit Martial.

Il avoit, selon Vossius, la figure d'un arc commun, & non celle de l'arc des Scythes qu'Athénée dit avoir ressemblé à la lettre capitale . Fulvius Ursinus, dans son appendix au traité de Ciaconius de triclinio, nous apprend que les anciens s'asseyoient sur des coussins autour de cette table, & qu'ils étoient dans l'attitude de nos tailleurs.

Eliogabale, prince fort grossier dans le choix des plaisirs dont il égayoit ses repas, faisoit mettre un lit autour de la table, nommée sigma, & ce lit portoit aussi le même nom. Il faisoit placer sur ce lit aujourd'hui huit hommes chauves, demain huit goutteux, un autre jour huit grisons, d'autres fois huit hommes fort gras, qui étoient si pressés, qu'à peine pouvoient ils porter la main à la bouche. Un autre de ses divertissemens étoit de faire faire le lit de table de cuir, de le remplir d'air au-lieu de laine ; & dans le tems que ceux qui l'occupoient ne songeoient qu'à bien manger & à bien boire, il faisoit ouvrir secrétement un robinet qui étoit caché sous la courtepointe, le lit s'applatissoit, & ces pauvres gens tomboient sous la table. (D.J.)


SIGMOIDESVALVULES, (Anatom.) valvules au nombre de trois, situées à la naissance de l'aorte. Elles sont faites comme des petits capuchons, & disposées de maniere que quand le sang sort du coeur, il les applatit ; & que s'il se présentoit pour y rentrer, il les rempliroit & les gonfleroit ; ce qui fait qu'elles ne s'opposent point à sa sortie, mais seulement à son retour. La figure circulaire qu'elles ont quand elles s'enflent, ne permet pas qu'elles forment exactement l'entrée du coeur, mais leur nombre fait qu'elles la ferment suffisamment, & qu'elles empêchent un reflux considérable & nuisible à la circulation. M. Litre a cru que dans une femme qu'il a ouverte, le défaut d'une des valvules sigmoïdes avoit été la cause de sa mort subite. (D.J.)


SIGNA(Art militaire des Romains) nom générique de différentes enseignes des Romains. Dans les unes, on portoit l'image du prince, & ceux qui les portoient s'appelloient imaginiferi : d'autres enseignes avoient une main étendue pour symbole de la concorde, & ces portes-enseignes se nommoient signiferi : dans quelques-unes étoit un aigle d'argent, qui faisoit nommer ceux qui la portoient aquiliferi, les porte-aigle. On voyoit dans d'autres un dragon à tête d'argent, & le reste du corps de taffetas que le vent agitoit comme un vrai dragon, & ces sortes de dragons étoient appellés draconarii. Enfin l'enseigne de l'empereur, nommée labarum, se portoit quand l'empereur étoit à l'armée ; ceux qui portoient cette enseigne, se nommoient labariferi. Le labarum étoit une étoffe pourpre enrichie par le bout d'une frange d'or, & garnie de pierres précieuses. Toutes ces enseignes étoient soutenues sur une demi-pique, pointue par le bout du bas, afin qu'on la plantât aisément en terre. (D.J.)


SIGNAGES. m. (Vitrer.) dessein d'un compartiment de vîtres, tracé en blanc sur le verre ou à la pierre noire, sur un ais blanchi pour faire les panneaux & les chef-d'oeuvres de vîtrerie. (D.J.)


SIGNALSIGNE, (Gram. synon.) le signe fait connoître ; il est quelquefois naturel. Le signal avertit, il est toujours arbitraire.

Les mouvemens qui paroissent dans le visage sont ordinairement les signes de ce qui se passe dans le coeur. Le coup de cloche est le signal qui appelle le chanoine à l'église.

On s'explique par signes avec les muets ou les sourds ; & l'on convient d'un signal pour se faire entendre des gens éloignés. Girard. (D.J.)

SIGNAL par le feu, (Littérature) les signaux par le feu se nommoient & , & l'art de les donner s'appelloit .

Homere est le premier qui en ait fait mention. L'usage en étoit déja si établi de son tems, qu'il en a employé la comparaison comme d'une chose connue & propre à peindre dans l'esprit de ses lecteurs l'image de ce qu'il vouloit faire concevoir.

" Comme lorsqu'une ville assise au milieu de la mer vient à être assiégée, on voit de loin durant le jour, dit le poëte, des tourbillons de fumée s'élever au milieu de la ville dans les airs, & pendant la nuit on apperçoit d'épaisses colonnes de feu s'élancer jusque dans les nues, & appeller de chez les peuples voisins un secours puissant contre les efforts de l'ennemi, telle paroissoit la flamme qui voltigeant autour de la tête d'Achille répandoit au loin son éclat.... "

Ce qu'Homere n'a fait qu'indiquer assez légerement, Eschyle l'a remarqué fort-au-long en plusieurs endroits de sa tragédie.

" Puissent enfin les dieux, s'écrie l'esclave qui fait le prologue de la piece, me délivrer de la pénible fonction qui m'attache depuis si long-tems à observer le moment du signal dont on est convenu. J'ai vu par plusieurs révolutions se montrer & disparoître ces astres brillants qui amenent à la terre les différentes saisons ; j'ai toujours attendu le flambeau qui doit parler à nos yeux, & nous apprendre la destruction de Troie.... que ces feux si long-tems espérés viennent enfin me dégager. Je vous salue, flambleau de la nuit, votre lumiere est agréable comme celle du plus beau jour ; quelles fêtes vont éclater à l'occasion de l'événement que vous annoncez " !

A peine l'esclave de Clytemnestre a-t-il porté la nouvelle au palais, que la reine sort pour en informer le peuple ; & quand les vieillards qui composent le choeur demandent, quel est le messager assez vîte à la course pour avoir apporté sitôt la premiere nouvelle de la prise de Troie ? Clytemnestre leur répond en ces termes : " Nous en sommes redevables à Vulcain, l'éclat de ses feux est parvenu jusqu'à nous, un signal a fait allumer un autre signal. Aux premiers feux apperçus sur le mont Ida, les seconds ont répondu de dessus le sommet de la montagne consacrée dans l'île de Lemnos à Mercure. L'étendue des eaux qui séparent cette île du mont Athos, a été bientôt éclairée par les flammes, & la montagne de Jupiter aussi-tôt après a été toute couverte de feu : semblables aux rayons du soleil qui se répandent sur la terre, ces feux ont annoncé la hauteur du mont Maciste, ce que le Maciste devoit publier, pour ainsi dire jusque sur les bords de l'Euripe. Des gardes placées sur le Mésape inaccessibles au sommeil, fideles à des ordres rigoureux, ont fait paroître à leur tour des feux qui, tels qu'une lune brillante, franchissant rapidement les campagnes de l'Asope, ont réveillé sur le mont Cythéron les signaux qui devoient en faire naître d'autres encore plus loin. La garde chargée d'observer de dessus cette derniere montagne n'a pas tardé, malgré la distance, à reconnoître ces feux. Elle a augmenté ceux qui devoient servir de réponse. Les ténébres du lac Gorgopis ont été dissipées par ce nouvel éclat, & le mont Egiplanete, frappé de cette lumiere, nous a avertis de ce qu'il venoit d'apprendre. Mes ordres ont été ponctuellement suivis ; les gardes que j'avois disposés sur l'Egiplanete ont à l'envi redoublé les feux, le golfe & le promontoire Saronique ont vu se produire le jour que ma volonté faisoit naître, & de grandes traces de lumiere sont arrivées jusque sur le mont Arachnéen : c'étoit le lieu le plus proche d'Argos & du palais des Atrides. Ainsi a été apportée l'importante nouvelle que je vous apprends. Telles ont été les lois que j'avois établies pour une juste correspondance entre ceux qui devoient se succéder dans la fonction de donner & de recevoir les signaux.... Les Grecs à cette heure sont maîtres de Troie ".

L'usage des signaux, dont l'invention toute entiere étoit dûe aux Grecs, se perfectionna à mesure que ce peuple réfléchit sur l'art de la guerre. Ces signaux y étoient souvent employés. De tout ce qui s'est inventé, dit Polybe, pour mettre à profit certaines occasions qu'il est important de ne point laisser échapper, rien n'est plus utile que les signaux par le feu. Dès-lors ils ne furent plus un simple signe d'institution pour apprendre seulement le gros d'un fait, on s'étudia à trouver comment on pourroit faire comprendre les différentes circonstances de ce qui se passoit à un éloignement de trois ou quatre journées de ceux avec lesquels il auroit été à désirer que l'on pût s'expliquer ; en un mot, on parvint, comme Polybe l'assûre, à faire connoître des événemens que l'on n'avoit pas pu prévoir & qu'on pouvoit deviner.

Le même Polybe rend compte, d'une excellente méthode pour les signaux par le feu, qui avoit pour auteur Cléoxene, ou Démoclite, suivant quelques écrivains, & qu'il avoit perfectionnée lui-même. Elle consistoit à faire lire peu-à-peu à un observateur ce qu'il étoit important d'apprendre. On ne montroit pas des mots ni des phrases dont le bon sens demeurât équivoque, ou sujet à des difficultés, comme il arrivoit souvent dans la pratique d'Enée ; mais après que toutes les lettres de l'alphabet avoient été rangées en quatre ou cinq colonnes, perpendiculairement les unes au-dessus des autres.

1°. Celui qui devoit donner le signal, commençoit par désigner le rang de la colonne où se devoit chercher la lettre que l'on vouloit indiquer. Il marquoit cette colonne par un, deux, trois flambeaux qu'il levoit toujours à gauche, suivant que la colonne étoit la premiere, la seconde ou la troisieme, & ainsi du reste.

2°. Après avoir fait connoître le rang de la colonne, & fixé l'attention de l'observateur à chercher où étoit la lettre ; celui qui étoit chargé du signal, indiquoit la premiere lettre de la colonne par un flambeau, la seconde par deux, la troisieme par trois, desorte que le nombre des flambeaux répondoit exactement au quantieme de la lettre d'une colonne, alors on écrivoit la lettre qui avoit été indiquée ; & par ces opérations répétées plusieurs fois, on parvenoit à former des syllabes, des mots, & des phrases qui présentoient un sens déterminé.

Celui qui donnoit le signal avoit encore un instrument géométrique garni de deux tuyaux, afin qu'il pût connoître par l'un la droite, & par l'autre la gauche de celui qui devoit lui répondre.

Le témoignage de Polybe, historien judicieux & exemt de soupçon de mensonge, ne nous laisse pas douter qu'on ne se servît avec succès de la méthode qu'il a expliquée & perfectionnée ; mais s'il étoit besoin de fortifier son témoignage, la pratique des siecles qui ont suivi celui de Polybe, seroit une nouvelle preuve de la vérité du récit de cet historien.

Voici ce que dit Jules Africain des signaux par le feu, dans son livre intitulé . Cet auteur en traite dans un chapitre particulier. Il est vrai qu'il est assez difficile, par l'altération du texte de trouver un sens net & suivi dans ce qu'il dit à ce sujet, & les différentes leçons que l'on a tirées des manuscrits, ne suffisent pas encore pour le faire entendre. On va tâcher cependant de traduire la fin du chapitre, & l'on n'hésitera pas à y faire un ou deux changemens, qui seront assez justifiés par la clarté qu'ils feront naître dans l'explication de Jules Africain.

" Je m'étonne assez souvent, dit - il, de la facilité que les signaux nous procurent d'écrire tout ce que nous voulons ; voici ce qui se pratique. On choisit d'abord des lieux propres à donner & à recevoir les signaux. On y détermine le côté gauche, le côté droit, & l'entre - deux de ces côtés ; ensuite on distribue les lettres de l'alphabet, & on en fait passer du côté gauche un certain nombre, par exemple, celles qui sont depuis l'alpha jusqu'au theta ; les suivantes, depuis l'iota jusqu'au pi demeureront dans le milieu, & le reste de l'alphabet sera tout entier du côté droit. Lorsqu'on veut désigner l'alpha, on n'allume qu'un signal du côté gauche, deux si c'est le beta, trois si c'est le gamma. Lorsque c'est l'iota qui doit être indiqué, on leve un signal entre le côté gauche & le côté droit ; dans l'entre - deux du terrein où doivent s'exécuter les opérations, on en leve trois si c'est le lambda, & on fera la même chose pour marquer les lettres comprises dans la troisieme distribution, sans avoir aucun égard à la valeur numérale des lettres ; car par exemple, on n'ira point lever cent signaux pour désigner la lettre rho, parce que dans les nombres le rho vaut cent. Il faudra qu'il y ait un concert bien établi entre ceux qui donnent, ou ceux qui reçoivent le signal, & qu'il y ait des gens chargés d'écrire. Tel est le discours de Jules Africain ".

Il ne nous apprend rien de plus particulier, si ce n'est quelle étoit la matiere de ces signaux. " Il faut avoir fait provision, dit - il, de bois sec, de chaume, de branches d'arbres & de paille ; si l'on enduit ces matieres de graisse, elles rendront beaucoup de flamme, & une fumée épaisse que l'on verra monter au ciel par tourbillon ".

Jules Africain nous assure que les Romains usoient de signaux, tels qu'il les a expliqués ; aussi remarque-t-on dans Tite-Live, dans Vegece, & dans la vie de Sertorius par Plutarque, quelques occasions où les généraux romains avoient eû recours à ce moyen de se parler de fort loin les uns aux autres ; mais il suffit de citer ces auteurs, sans rapporter les faits dans un plus grand détail. Mém. de littér. tome XIII. (D.J.)

SIGNAUX, c'est dans l'Art militaire différentes manieres de faire connoître à une troupe ou une armée, les mouvemens qu'on veut lui faire exécuter, & à ceux qui sont du même parti, ou de la même armée, le moyen de se reconnoître les uns & les autres.

Ces signaux sont de trois sortes. Les vocaux ainsi appellés de la voix humaine qui les forme ; les demi-vocaux qui se font par le tambour, la trompette, le canon, &c. & les muets qui se font par les différens mouvemens des drapeaux & des étendarts.

Il y a d'autres signaux muets qu'on fait mettre sur les habits des soldats, pour qu'ils se reconnoissent dans la mêlée ; par exemple, de la paille ou du papier au chapeau, la chemise par - dessus l'habit dans les camisades. Voyez CAMISADE.

Des corps séparés peuvent aussi se reconnoître par la fumée pendant le jour, & par le feu pendant la nuit. Une armée, par exemple, qui s'avance au secours d'une place assiégée, peut annoncer son arrivée par des feux allumés, lorsqu'elle occupe quelques endroits de la campagne, d'où ces feux peuvent être vus de la place.

" Toutes les évolutions & les mouvemens qui se pratiquent parmi le fracas des armes, dit le savant commentateur de Polybe, ne sauroient être commandées par la voix ; on devroit les faire au son du tambour, pourvu que les évolutions fussent distinguées par les différens roulemens. Qu'on ne me parle pas de l'exercice au son du tambour, tel qu'on le fait aujourd'hui, il est trop ridicule, puisque les évolutions ne sont pas distinguées. Je dis donc que dans une affaire générale ou dans un combat, le bruit des autres tambours, celui du canon, les décharges continuelles de l'infanterie, & les cris militaires, empêchent de distinguer les commandemens qui ne sont pas les mêmes par - tout, à cause des différens cas qui arrivent. Il me paroît qu'il seroit mieux d'introduire deux cors de chasse par régiment, dont les différens sons distingueroient les diverses évolutions & les manoeuvres qu'il faudroit faire, & auxquels il seroit bon d'accoutumer les soldats à la maniere des anciens. Cet instrument est de tous, celui qui fait un plus beau bruit de guerre, & qui me semble digne d'être mis à un autre usage, qu'à servir à animer les chiens ". Traité de la colonne, par M. le chevalier de Folard.

Les ennemis se servoient des signaux par le feu, pour s'avertir réciproquement des différens événemens qui arrivoient pendant la guerre, & même pour commencer le combat. " Ce signal de guerre avoit précédé l'usage des trompettes. Un prêtre couronné de lauriers précédoit l'armée avec une torche allumée à la main. Les ennemis l'épargnoient presque toujours dans la chaleur de la bataille. De - là est venue l'ancienne façon proverbiale d'exprimer une défaite complete . Le porte-flambeau même n'a pas été épargné. De-là vient encore, avec assez de vraisemblance, l'usage de représenter la discorde avec des torches ardentes. " Théatre des Grecs, par le P. Brumoi, l. IV. in - 12, p. 238.

Polybe nous a laissé une digression fort curieuse sur les signaux par le feu. On la trouve dans le sixieme vol. du commentaire sur cet auteur, par M. le chevalier de Folard, p. 139. M. Rollin a aussi donné cette même digression dans son histoire ancienne, p. 162, du huitieme vol. de l'édition in -12 de cet ouvrage. (Q)

SIGNAUX, (Marine) ce sont des instructions qu'on donne sur mer par quelque marque distinctive. Il y a deux sortes de signaux ; des signaux généraux, & des signaux particuliers. Les premiers concernent les ordres de batailles, de marches, de mouillage & de route ; les seconds les volontés du commandant pour tous les capitaines de chaque vaisseau en particulier, & réciproquement les avis que donnent au commandant les capitaines des vaisseaux. On se sert pour cela le jour, de pavillons de diverses couleurs, de flammes & de gaillardets ; & la nuit de canons, de pierriers, de fusées, & de fanaux ou feux. Dans un tems de brume, on fait usage de trompettes, de la mousqueterie, des pierriers & du canon, & on employe ces signaux, selon qu'on est convenu réciproquement ; & de quelque maniere qu'on les fasse, pourvu qu'ils soient clairs, faciles à distinguer & à exécuter, ils sont toujours bons. Pour avoir cependant une idée de la maniere dont on se parle sur mer, par signes, je vais rapporter un projet universel de signaux, que le P. Hôte a donné dans son art des armées navales, p. 421, & dont la plûpart sont pratiqués sur les vaisseaux. Je dois dire auparavant, que les signaux qui sont reçus par - tout, c'est un barril d'eau pendu à l'extrêmité de la vergue d'un vaisseau, lorsqu'on a besoin de faire aiguade ; & une hache attachée au même endroit, quand on veut faire du bois.

Pour revenir aux autres signaux, le P. Hôte les prescrit dans l'ordre suivant.

SIGNAUX de commandement pour le jour, (Marine) pour toute l'armée, on mettra un jacq sur le bâton du grand mât. Pour chaque escadre, on mettra le pavillon de l'escadre. Pour chaque division, on mettra une cornette de la couleur de l'escadre, au mât propre de la division. Pour chaque vaisseau, on mettra une des cinq flammes les plus remarquables, à un des trois endroits les plus en vue du mât, où l'on aura mis le signal de la division du vaisseau.

SIGNAUX de commandement pour la nuit ou pour la brune, (Marine) pour toute l'armée, trois coups de canon précipités. Pour la premiere escadre, trois coups posés ; pour la seconde, deux ; pour la troisieme, un.

Signaux de partance. Pour se disposer à partir, le petit hunier désbelé. Pour désaffourcher, deux coups de canon précipités. Pour mettre à pic, deux coups de canon précipités en bordant l'artimon, avec un feu sur le beaupré, si c'est la nuit.

Pour appareiller, le petit hunier hissé pendant le jour, & un feu au bâton d'enseigne pendant la nuit.

SIGNAUX pour les ordres, (Marine). Pavillon à la vergue d'artimon. Ordre de bataille. Stribort, blanc. Bas-bord, rouge.

Premier ordre de marche. Stribord, blanc & rouge. Bas-bord, blanc & bleu. Second ordre de marche, bleu. Troisieme ordre de marche, blanc sacié de rouge. Quatrieme ordre de marche, blanc sacié de bleu. Cinquieme ordre de marche, rouge sacié de blanc. Ordre de retraite, bleu sacié de blanc.

SIGNAUX pour les mouvemens de l'armée, (Marine). Pavillon sous le bâton du mât. Forcer de voiles, blanc & rouge. Carguer des voiles, rouge & bleu. Arriver, écartelé, blanc & rouge. Venir au vent, écartelé, blanc & bleu. Courir vent arriere, écartelé, rouge & bleu ; la nuit, deux feux au bâton d'enseigne. Courir au plus près stribord, rayé, blanc & rouge ; la nuit, deux feux à la vergue d'artimon. Bas-bord, rayé, blanc & bleu ; la nuit, trois feux à la vergue d'artimon.

Courir vent large de deux rumbs. Stribord, blanc sacié de rouge. Bas-bord, blanc sacié de bleu.

De quatre rumbs. Stribord, rouge sacié de blanc. Bas-bord, rouge sacié de bleu.

De six rumbs. Stribord, bleu sacié de blanc. Basbord, bleu sacié de rouge.

De huit rumbs. Stribord, blanc bordé de rouge. Bas-bord, blanc bordé de bleu. Revirer par la contre - marche, rouge bordé de blanc ; la nuit deux coups de canon précipités, & un posé. Revirer tous ensemble, rouge bordé de bleu ; la nuit un coup de canon, & deux précipités. Revirer vent arriere, blanc bordé de rouge ; la nuit quatre coups de canon posés.

SIGNAUX de chasse & de combat, (Marine). Pavillon de sous le mât de missaine. Se rallier, blanc & rouge. Donner chasse à une armée qui suit, blanc & bleu. Donner chasse à des vaisseaux qu'on veut reconnoître, rouge & bleu. Aller à l'abordage, blanc sacié de rouge. Doubler les ennemis, blanc sacié de bleu. Apprêter les brûlots, rouge sacié de blanc. Envoyer les brûlots aux ennemis, rouge sacié de bleu. Commencer le combat, trois coups précipités. Finir le combat, le général amene son pavillon & son enseigne. Finir la chasse, le général amene son pavillon, avec un coup de canon.

Signaux de conseils. Pavillon au bâton d'enseigne. Conseil des généraux, blanc & rouge. Conseil des capitaines, blanc & bleu. Conseil des commissaires, rouge & bleu.

Signaux de consultation. Pavillon au bâton d'enseigne. Demande. Pour combattre, blanc sacié de rouge. Pour relâcher, blanc sacié de bleu. Pour poursuivre l'ennemi, rouge sacié de blanc. Pour faire retraite, rouge sacié de bleu. Réponse, flamme blanche au même endroit, pour l'affirmative ; & flamme rouge pour la négative.

SIGNAUX pour faire venir à l'amiral. Flamme au bout de la vergue d'artimon. (Marine) à l'ordre, blanche ; les chaloupes armées, rouge ; les vaisseaux, bleu ; le commandant du vaisseau, blanche & rouge.

Signaux de mouillage. Pour mouiller, deux coups de canon précipités, & deux posés ou une enseigne bleue.

Pour affourcher, une petite ancre, & une enseigne blanche & bleue.

Pour désaffourcher, une grosse ancre & une enseigne rouge & bleue.

Signaux des particuliers pour avertir le général : pavillon au beaupré & au bâton d'enseigne. Quand on voit la terre, rayé blanc & rouge.

Quand on voit des vaisseaux étrangers, rouge.

Quand on voit une flotte, rayé blanc & bleu.

Quand on voit les ennemis, rayé rouge & bleu.

Quand on est près du danger, écartelé blanc & rouge, avec un coup de canon.

Quand on veut parler au général, écartelé rouge & bleu ; & si la chose presse, un coup de canon.

Flamme au bâton d'enseigne. Quand on a des malades, blanche.

Quand on fait eau, rouge.

Quand on n'a d'eau que pour peu de jours, bleue.

Quand on manque de bois, blanche & rouge.

Quand on manque de pain, blanche & bleue.

A tous ces signaux, le général répond de même, & alors les particuliers amenent & hissent leur signal autant de fois qu'il est nécessaire pour exprimer le nombre des choses dont il s'agit.

Tout ceci est fort bien imaginé ; il y a cependant une petite difficulté, c'est que le mélange des couleurs est très-difficile à distinguer lorsque les vaisseaux sont un peu éloignés. Pour remédier à cela, j'ai proposé, dans l'idée de l'état d'armement des vaisseaux de France, de se fixer au rouge & au blanc ; & j'ai avancé que de quarante pavillons seuls ou joints avec autant de flammes semblables, & mis en divers lieux, feroient plus de dix mille signaux, & serviroient par conséquent à donner autant d'ordres différens, sans compter quarante gaillardets, qui se multiplieroient tous seuls à plus de 120, en les changeant de place.

On peut employer sur les galeres les mêmes signaux ; & pour les placer, on doit choisir la poupe & le dessus du calut des arbres, qui sont les endroits les plus visibles.

SIGNAUX, (Marine) ce sont les noms & souscriptions de ceux qu'on enrôle qui savent signer, ou leurs marques & traits informes qu'ils font avec la plume, quand ils ne savent pas écrire leur nom.


SIGNALEMENTS. m. (Gramm.) description de la personne faite par tous ses caracteres extérieurs, que l'on donne à un prevôt de maréchaussée, à un sergent, à un exempt, pour reconnoître l'homme & s'en saisir. On donne le signalement d'un moine échappé de son couvent, d'une religieuse fugitive, d'un criminel, d'un deserteur. Quoique ces sortes de descriptions soient très - imparfaites, cependant elles contiennent toujours quelque chose de spécifique ; & ceux à qui on les confie ont une si grande habitude à les rapporter aux personnes désignées, que s'il leur arrive quelquefois de trouver de la ressemblance entre un signalement & une autre personne que celle du signalement, il ne leur arrive jamais de rencontrer celle-ci, & de s'y méprendre. Avec un signalement un peu détaillé, ils prennent de tems en tems celui qu'il ne faut pas prendre, mais ils ne manquent jamais celui à qui l'on en veut, s'il se présente à eux.


SIGNALERv. act. (Gramm.) c'est désigner par un signalement.

SIGNALER, c'est rendre remarquable, prouver avec publicité, montrer dans des circonstances difficiles quelque qualité rare en elle-même, ou commune en elle-même, mais rare par son intimité, ou le degré de force. Il a signalé son courage ; il a pardevers lui des actions signalées de générosité, d'humanité, de grandeur d'ame. Il se prend rarement en mauvaise part ; cependant si l'on dit un avocat signalé, on dit aussi un signalé fripon.


SIGNANDAIRES. m. (Gram. & Jurispr.) terme de pratique par lequel on entend quelqu'un qui sait & peut signer, ou qui a signé. Dans les actes importans, tels que les testamens, donations, criées, il faut des témoins signandaires, c'est-à-dire qui signent effectivement les actes, & non de ceux qui déclarent qu'ils ne le savent ou ne peuvent signer. Voyez SIGNATURE & TEMOIN. (A)


SIGNATURES. f. (Botan.) rapport ridicule des plantes entre leur figure & leurs effets. Ce systême extravagant n'a que trop régné. (D.J.)

SIGNATURE, (Jurisprud.) est la souscription d'un acte, ou l'apposition du nom de quelqu'un au bas de cet acte, mise de sa propre main.

Anciennement du tems que l'usage des lettres étoit fort négligé, on ne signoit point les actes ; au lieu de signature, on mettoit son sceau ou cachet.

Les notaires signoient bien leurs actes, mais ordinairement les parties ne signoient pas avec eux ; c'est pourquoi l'ordonnance d'Orléans en 1560, article 84, leur enjoignit de faire signer les parties & les témoins instrumentaires. Ce qui fut renouvellé par l'ordonnance de Blois en 1579, article 165.

Il y a des actes sous signature authentique, d'autres sous signature privée ou sous seing privé, ce qui est la même chose.

La signature des parties, des témoins, & des officiers publics, dont les actes doivent être souscrits, est ce qui donne la perfection à l'acte jusque-là ; & tant qu'il manque quelqu'une des signatures nécessaires, l'acte est imparfait.

Dans les jugemens rendus à l'audience, c'est la prononciation qui en fixe la date ; mais dans les procès par écrit, c'est la signature du juge ou du greffier. Voyez ACTE, JUGEMENT, NOTAIRE, SCEAU, SEING, TEMOIN. (A)

SIGNATURE DE COUR DE ROME, est une réponse du pape au bas d'une supplique, par laquelle il accorde à l'impétrant la grace ou le bénéfice qu'il lui demande.

En matiere de bénéfice, cette signature tient lieu de provisions, excepté pour les bénéfices consistoriaux ou chefs de communauté, pour lesquels une simple signature ne suffit pas, étant nécessaire d'obtenir des bulles.

Sous le terme de signature, on entend non-seulement la signature proprement dite, mais aussi la supplique ou un acte au bas duquel elle est apposée, lequel prend son nom de la signature qui est au bas.

La signature contient les clauses, dérogations & dispenses, avec lesquelles la grace ou le bénéfice sont accordés avec la commission pour l'exécuter.

Toute signature ou réponse à une supplique qui porte dispense ou provision de dignité dans une cathédrale ou collégiale, prieurés conventuels, canonicats de cathédrale, doit être signée par le pape même, qui répond par ces mots fiat ut petitur ; les autres signatures sont données par un officier de la chancellerie romaine, appellé préfet de la signature de grace, qui répond la supplique en ces termes : Concessum ut petitur, in praesentiâ D. N. papae.

La date de la signature se prend ordinairement du jour que la supplique a été mise entre les mains du dataire, & non pas seulement du jour qu'elle a été répondue.

Il est d'usage en france que les signatures originales de cour de Rome y font foi, pourvu qu'elles soient vérifiées par un certificat de deux expéditionnaires.

Ces signatures suffisent pour prendre possession des bénéfices ordinaires, pour lesquels il ne faut pas de bulles.

Il y a trois sortes de signatures ; l'une en forme gracieuse, l'autre in formâ dignum antiquâ, la troisieme in formâ dignum novissimâ, dont on trouvera l'explication ci-après. Voyez l'usage & pratique de cour de Rome de Castel. (A)

SIGNATURE AUTHENTIQUE, qu'on appelle aussi signature publique, est celle qui est émanée d'un officier public, & qui fait foi en justice, sans qu'il soit besoin de la faire reconnoître. Voyez SIGNATURE PRIVEE. (A)

SIGNATURE in formâ dignum novissimâ, est une seconde signature que le pape accorde par forme de lettre exécutoriale, faute par l'ordinaire d'exécuter dans les trente jours la commission portée par la signature, le pape enjoint à son refus à l'ordinaire plus voisin de l'exécuter. Voyez Castel.

SIGNATURE in formâ dignum antiquâ, est une signature de cour de Rome ainsi appellée, parce qu'elle commence par ces mots dignum arbitramur. C'est celle dont le pape use pour les cures & dignités, les canonicats des églises cathédrales, & pour les dévolus, dont il ne pourvoit l'impétrant que sous la condition de ne pouvoir prendre possession du bénéfice qu'après avoir obtenu le visa de l'ordinaire dont il dépend. Voyez Castel.

SIGNATURE EN FORME GRACIEUSE, est une signature de cour de Rome qui s'expédie sur une attestation de l'ordinaire ; c'est pourquoi elle ne contient point de commission de procéder préalablement à l'examen de l'impétrant, de maniere que celui - ci, en vertu de cette provision, peut se faire mettre en possession autoritate propriâ, sans aucun visa de l'ordinaire.

SIGNATURE DE JUSTICE, est une signature de cour de Rome donnée sur quelque matiere de jurisdiction contentieuse, dans l'assemblée des officiers préposés pour cet effet, appellée aussi la signature de justice ; telles sont les commissions, délégations, rescrits, & autres actes qui sont adressés aux tribunaux où se rend la justice. Voyez l'usage & pratique de cour de Rome de Castel, tome I. p. 10. & le mot SIGNATURE DE GRACE.

SIGNATURE ORIGINALE, c'est celle qui est écrite de la main même de celui dont elle contient le nom, à la différence des signatures qui sont copiées d'une main étrangere, & seulement par forme de mention des vraies signatures.

SIGNATURE PRIVEE, est celle qui émane d'une personne privée, c'est-à-dire qui n'a point de caractere public.

Ces sortes de signatures ne font point foi en justice, jusqu'à ce qu'elles y soient reconnues. Voyez ci-après SIGNATURE PUBLIQUE. (A)

SIGNATURE PUBLIQUE, voyez ci-devant SIGNATURE AUTHENTIQUE.

SIGNATURE, terme d'Imprim. c'est un signe ou une marque que l'on met au bas des pages au-dessous de la derniere ligne, pour la facilité de la reliure, & pour faire connoître l'ordre des cahiers & des pages qui les composent. Les signatures se marquent avec des lettres initiales qui changent à chaque cahier. S'il y a plus de cahiers que l'alphabet n'a de lettres, on ajoute à l'initiale un caractere courant de même sorte, c'est-à-dire un petit a à la suite d'un grand A, & ainsi de suite, ce qu'on redouble tant qu'il est nécessaire. Pour indiquer l'ordre des feuilles qui composent chaque cahier, on ajoute après la lettre initiale quelques chiffres qui ne passent pas le milieu du cahier, & qui par leur nombre marquent le format de l'édition. (D.J.)


SIGNES. m. (Métaphys.) Le signe est tout ce qui est destiné à représenter une chose. Le signe enferme deux idées, l'une de la chose qui représente, l'autre de la chose représentée ; & sa nature consiste à exciter la seconde par la premiere.

On peut faire diverses divisions des signes, mais nous nous contenterons ici de trois, qui sont de plus grande utilité.

Je distingue trois sortes de signes ; 1°. les signes accidentels, ou les objets que quelques circonstances particulieres ont liés avec quelques-unes de nos idées, ensorte qu'ils sont propres à les réveiller : 2°. les signes naturels ou les cris que la nature a établis pour les sentimens de joie, de crainte, de douleur, &c. 3°. les signes d'institution, ou ceux que nous avons nous-mêmes choisis, & qui n'ont qu'un rapport arbitraire avec nos idées. Ces derniers signes sont nécessaires à l'homme, pour que l'exercice de son imagination soit en son pouvoir.

SIGNE en Algebre se dit des caracteres + & -, plus & moins, qu'on met au-devant des quantités algébriques. Voyez CARACTERE, ALGEBRE, &c.

Signes semblables, voyez SEMBLABLE.

Signe radical, c'est le signe qu'on met au-devant d'une quantité radicale. Voyez RADICAL & RACINE. (O)

SIGNE, en Astronomie, est la douzieme partie de l'écliptique ou du zodiaque, ou une portion de ce cercle qui contient trente degrés. Voyez ZODIAQUE.

Les anciens ont divisé le zodiaque en douze segmens nommés signes ; en commençant par le point d'intersection de l'écliptique avec l'équinoxial, ces signes furent désignés par les douze constellations qui occupoient ces segmens du tems d'Hipparque. Mais depuis ce tems ces constellations ont tellement changé de place, par la précession de l'équinoxe, que le bélier est maintenant dans le taureau, le taureau dans les gemeaux, &c. Voyez PRECESSION, EQUINOXE, &c.

Voici les noms de ces douze signes & leur ordre : aries, taurus, gemini, cancer, leo, virgo, libra, scorpio, sagittarius, capricornus, aquarius, pisces ; en françois, le bélier, le taureau, les gemeaux, l'écrevisse ou le cancer, le lion, la vierge, la balance, le scorpion, le sagittaire, le capricorne, le verseau, les poissons. On les peut voir avec leurs différentes étoiles, sous l'article qui leur est particulier, &c.

On distingue les signes par rapport à la saison de l'année où le soleil y séjourne, en signes de printems, d'été, d'automne & d'hiver. Voyez PRINTEMS, ETE, &c.

Les signes du printems sont aries, taurus, gemini, le bélier, le taureau, les gemeaux ; ceux de l'été sont cancer, leo, virgo, l'écrevisse, le lion, la vierge ; ceux d'automne sont libra, scorpio, sagittarius, la balance, le scorpion, le sagittaire ; ceux d'hiver sont capricornus, aquarius, pisces, le capricorne, le verseau, les poissons.

Les signes du printems & ceux d'été sont aussi nommés septentrionaux ; & ceux d'automne & d'hiver sont appellés signes méridionaux ; parce que durant le printems & l'été, le soleil est sur l'hémisphere septentrional de la terre, que nous occupons ; & pendant l'automne & l'hiver, il est sur l'hémisphere méridional. (O)

SIGNE, (Médecine séméiotiq.) on appelle de ce nom tout effet apparent, par le moyen duquel on parvient à la connoissance d'un effet plus caché, dérobé au témoignage des sens. Ainsi le phénomène ou symptome, peut devenir un signe lorsqu'on cesse de le considérer abstractivement, & qu'on s'en sert comme d'un flambeau pour percer dans l'intérieur obscur de l'homme sain ou malade. Le pouls est, par exemple, un phénomène qui frappe les sens dans l'économie animale ; j'en ferai un signe si je remonte par son moyen à la connoissance du mouvement du sang & de la vie ; si, quand je le trouve bien régulier, j'en conclus que le sujet est bien portant ; ou quand, instruit par ses diverses irrégularités, je découvre différentes maladies. Toutes ces différentes modifications peuvent être autant de signes qui m'éclairent pour la connoissance de la santé ou des maladies. Il n'est point d'action, point d'effet sensible dans le corps humain, qui ne puisse fournir quelque signe. Les effets sont tous signes de leurs causes ; mais tous les signes doivent être fondés sur l'observation souvent réitérée, afin que la correspondance, la relation entre le signe & la chose signifiée, soient solidement établies. C'est la difficulté de connoître & de fixer comme il faut ce rapport, qui a embarrassé les premiers séméiologistes, & qui doit leur avoir coûté un travail & un tems infinis. Voyez SEMEIOTIQUE. Combien d'observations n'a-t-il pas fallu pour décider & constater la valeur des divers signes, ou même d'un seul dans les différens sujets, les différentes maladies & les diverses circonstances ? C'est à Hippocrate que la science des signes a le plus d'obligations : le premier séméioticien a été le plus grand ; aucun médecin postérieur, quoiqu'enrichi des trésors de cet illustre législateur de la médecine, n'a été au-dessus de lui ; il s'en est même trouvé peu qui l'ayent égalé, c'est-à-dire qui ayent su mettre en usage tous les signes qu'il avoit établis.

On peut, à la faveur des signes, acquérir trois sortes de connoissances ; ou remonter aux tems passés, & s'instruire par les effets présens de ceux qui ont précédé ; ou dissiper l'obscurité répandue sur des objets présens ; ou enfin porter un oeil pénétrant sur les événemens futurs. On appelle anamnestiques tous les signes qui nous rappellent l'état dans lequel le corps s'est trouvé plus ou moins long-tems auparavant ; de ce nombre sont les creux en différentes parties du corps, qui font connoître que la petite vérole à précédé ; les cicatrices, signes des blessures passées, &c. Les seconds, qui nous éclairent sur l'état présent de la santé ou de la maladie, sont appellés diagnostics ; ils sont extrêmement variés dans la maladie, pouvant avoir pour objet de déterminer le genre, l'espece, le caractere particulier, le siege, &c. de l'affection présente. Enfin on a donné le nom de signes prognostics à ceux qui mettent le médecin à portée de lire dans l'avenir, soit en santé ou en maladie ; ces signes sont extrêmement étendus, difficiles à saisir & à bien évaluer ; ils exigent une grande habitude à observer, beaucoup de travail & de pénétration : leur avantage compense bien au-delà toutes ces difficultés. Voyez ANAMNESTIQUE, DIAGNOSTIQUE, PROGNOSTIC, & tous les articles particuliers de Séméiotique.

Parmi les signes, il y en a qui sont communs à plusieurs maladies, & qu'on appelle équivoques ; ils indiquent différentes choses, suivant les circonstances dans lesquelles ils se rencontrent. Telle est, par exemple, la limpidité de l'urine, qui dans les fievres aiguës annonce le délire ; dans les coliques néphrétiques, le paroxysme prochain, de même que chez les personnes vaporeuses, & dans les fievres intermittentes ; & quelquefois n'est qu'une suite & un signe d'abondantes boissons aqueuses.

D'autres signes sont plus distinctifs ; on leur a donné le nom de pathognomoniques, lorsqu'ils ont toujours la même signification, & qu'ils ne sauroient exister sans que cette seule chose signifiée n'existe aussi. Telle est la vitesse du pouls dans la fievre, l'excrétion de semence dans la gonorrhée, &c. Il est rare de trouver des maladies caractérisées par un seul signe pathognomonique ; la plupart ne sont distinguées que par l'ensemble de plusieurs signes, qui ne sont pathognomoniques que lorsqu'ils sont rassemblés. Telle est la pleurésie, qui est marquée par le concours d'un point de côté, d'une difficulté de respirer, de la toux & d'une fievre aiguë, &c. Le défaut d'un de ces signes rendroit le diagnostic incertain.

SIGNES de Musique, sont en général, tous les caracteres dont on se sert pour noter la musique. Mais ce mot s'entend plus communément des dièzes, bémols, béquarres, points, reprises, pauses, guidons, & généralement de tous ces petits caracteres détachés, qui sont moins des notes véritables, que des modifications des notes & de la maniere de les chanter. Voyez tous ces mots. (S)

SIGNES, écriture par, (Littérat.) l'écriture par signes, par caracteres, par notes, ou par abréviations, est une seule & même chose. Voyez ABREVIATION, CARACTERE, NOTE, &c.

Nous nous contenterons de remarquer ici, que Plutarque, dans la Vie de Caton d'Utique, fait Cicéron inventeur de la maniere d'écrire avec des signes, à l'occasion de la conspiration de Catilina ; & qu'il paroît par une lettre du livre XIII. à Atticus, qu'il se servoit de cette maniere d'écrire, puisqu'il y fait mention de ce qu'il écrivoit, , par signes : expression qui fait voir que cet art étoit emprunté des Grecs. Dion Cassius, dans le LV. livre de son histoire, nous apprend que Mécène le communiqua au public par Aquila son affranchi. Il paroît aussi par Suétone, que César lui - même écrivoit avec des signes, per notas. Dans la vie de Galba, on trouve cette façon de parler : Quia notata, non perscripta, erat summa, ne haec quidem accepit. On trouve encore sur ce sujet, un passage remarquable dans le digeste, lib. XXIX. Lucius Titius miles, notario suo testamentum scribendum notis dictavit, & antequam litteris perscriberetur, vitâ defunctus est. Voici le portait que Manilius, dans le IV. liv. de ses Astronomiques, fait d'un notaire :

Hic & scriptor erit velox, cui littera verbum est,

Quique notis linguam superet, cursimque loquentis

Excipiat longas nova per compendia voces.

Baxter a du penchant à croire que cette maniere d'écrire étoit générale, avant qu'un musicien eût inventé l'alphabet ; car Aristoxene, contemporain d'Aristote, dans son traité de la Musique, fait de l'art d'écrire , une partie de la Musique. Le même Baxter croit que les notes de Musique, & les caracteres dont se servent les Médecins, sont encore des restes de ces anciens caracteres ou notae ; pour ne rien dire des siglae romaines, ainsi nommées pour singulae, qui n'étoient autre chose qu'une ou deux lettres, pour exprimer tout un mot, & qui par conséquent étoient plutôt des abréviations, que des signes ou des chiffres. Les des Egyptiens étoient des signes sacrés, notae sacrae, empruntés des interpretes des songes. Artémidore appelle partout ces symboles sacrés , terme qui dans l'Ecriture-sainte marque aussi des prodiges. Quam scitè per notas nos certiores facit Jupiter, dit Cicéron dans son traité de divinatione. On peut faire quelques conjectures sur la figure de ces signes, par les noms qu'Apulée leur donne, les appellant ignorabiles litteras, nodos, apices condensos, & par cette épigramme de Nicéarque.


SIGNERv. act. (Gramm.) écrire son nom de sa propre main au bas d'un acte, soit pardevant notaires, soit sous seing-privé, pour l'approuver & consentir de l'exécuter. Voyez SOUSCRIRE & SOUSSIGNER. Diction. de Comm. Voyez les articles SIGNATURE.

SIGNER, (Orfévrerie) c'est marquer l'argenterie & l'orfévrerie du poinçon. Chaque orfévre ou argentier, a son poinçon particulier ; & par les ordonnances il leur est enjoint de signer de leur poinçon toute la vaisselle & autres choses qu'ils fabriquent. L'argenterie qui n'est point signée se vend toujours à plus bas prix que celle qui est marquée du poinçon de l'ouvrier ; car ce défaut fait connoître qu'elle n'est pas au titre prescrit, & qu'il y a trop d'alliage. (D.J.)

SIGNER, terme de Vitrier, c'est marquer avec la drague, trempée dans du blanc broyé avec de l'eau de gomme, ou simplement avec de la craie, les endroits des pieces de verre que l'on veut couper avec le diamant. (D.J.)


SIGNETS. m. terme de Relieur, ce qui sert à marquer les endroits d'un livre d'usage, qu'on veut trouver promtement. C'est une espece de bouton un peu orné, d'où pendent plusieurs filets, ou rubans qu'on met dans un bréviaire, dans des heures, dans les bibles, &c. (D.J.)

SIGNET, en terme d'Eguilletier, est s'il faut ainsi parler, une touffe de plusieurs petits rubans montés sur une petite pelote, & garnis à l'autre bout de ferrets en maniere d'anneaux, pour empêcher la soie de se défiler. Voyez FERRETS A EMBRASSER.


SIGNIA(Géog. anc.) ville d'Italie dans le Latium, à quelques milles au nord de Norba. Tarquin le Superbe y envoya une colonie, comme nous le voyons dans Tite-Live, lib. I. c. lv. Signiam, Circejosque colonos misit, praesidia urbi futura terrâ marique. Le même historien, lib. II. c. xxj. ajoute que cette colonie fut augmentée & renouvellée sous les consuls : Signia colonia, quam rex Tarquinius deduxerat, suppleto numero colonorum, iterum deducta est. Silius Italicus, lib. VIII. vers 379. reproche à cette ville la mauvaise qualité de son vin :

Spumans inimico Signia musto.

Et Martial, lib. XIII. épigram. cxvj. spécifie la mauvaise qualité de ce vin :

Potabis liquidum Signina morantia ventrem.

Les habitans de cette ville sont appellés Signini par Tite-Live, lib. XXVII. c. x. & par Pline, lib. III. c. v. Elle conserve son ancien nom à quelque changement près, car on la nomme Segni.

Signia est encore une montagne de l'Asie mineure dans la grande Phrygie. Pline, l. V. c. xix. dit que la ville d'Apamée étoit au pié de cette montagne. (D.J.)


SIGNIFICATIFadj. (Gram.) qui caractérise, qui marque, qui ne laisse aucun doute. Il s'est expliqué là-dessus d'un ton & en des termes très- significatifs, prenez-y garde.

SIGNIFICATIFS, s. m. pl. (Hist. ecclés.) nom donné par quelques auteurs aux sacramentaires, qui disent que dans l'Eucharistie il n'y a plus que le signe du corps de J. C. Stranphinlus. Sandere.


SIGNIFICATIONS. f. (Gram. & Jurisp.) est un acte par lequel on notifie quelque chose à une autre personne.

Les significations sont faites les unes par les huissiers & sergens, d'autres se font de procureur à procureur.

On signifie à personne ou à domicile ; à personne, quand on notifie à la personne même ce que l'on a à lui dire ; à domicile, lorsque l'huissier se transporte au domicile de la personne, pour y notifier ce dont il s'agit. Voyez AJOURNEMENT, EXPLOIT, HUISSIER, PROCUREUR, SERGENT, (A)


SIGNIFIERv. act. (Gramm.) marquer, désigner, être le signe. Que signifie ce propos, ce geste, cette conduite ? Toutes ses protestations ne signifient rien. Faites - lui signifier vos demandes. Voyez l'article SIGNIFICATION.


SIGNINUM OPUS(Archit. rom.) c'est du ciment fait de chaux & de briques pilées. Ce mortier étoit ainsi appellé à cause du pays des Signiens, où se prenoient les meilleures briques pour le ciment. Vitruve entend quelquefois néanmoins par le signinum, toute sorte de mortier ; & en particulier, le mortier fait de chaux, de sable & de gros cailloux mêlés ensemble, dont on formoit des citernes. (D.J.)


SIGTUNA(Géogr. mod.) on écrit aussi Sictuna, Sigtunia, Sigtune ; ville de Suede dans l'Uplande, sur le bord du lac Maler, entre Upsal & Stockolm. Elle est très-ancienne, & Jean Magnus croit que Siggon V. roi de Suede, la fit bâtir pour opposer une barriere aux courses des Finlandois, accoutumés à venir ravager la Suede.


SIGUENZou SIGUENÇA, (Géog. mod.) en latin Seguntia ; ancienne petite ville d'Espagne, dans la vieille Castille, sur une hauteur, au pié du mont Atiença, près du Hénarès. Elle est défendue par une enceinte de murailles, un château & un arsénal. Son évêché qui est suffragant de Tolede, vaut trente à quarante mille ducats de revenu. Son université, aujourd'hui si misérable, a été fondée en 1600, sous le regne de Ferdinand V. Long. 15. 14. latit. 41. 7. (D.J.)


SIGUETTES. f. (Manege) c'est un cavesson, une espece de demi-cercle de fer creux & vouté, & avec des dents de fer comme celles d'une scie. Il est tourné en demi-cercle, & quelquefois composé de plusieurs pieces qui se joignent par des charnieres. Il est monté d'une têtiere & de deux longes, & sert à dompter les chevaux fougueux. Il y a une autre espece de siguette, qui est un fer rond & d'une seule piece, & qui est cousue sous la muserole de la bride, pour qu'elle ne paroisse pas. On la fait agir par une martingale lorsque le cheval bat à la main.


SIGULONES(Géog. anc.) peuples de la Germanie. Ptolémée, l. II. dit qu'ils habitoient dans la partie occidentale de la Chersonese cimbrique, au nord des Saxons. (D.J.)


SIHUNSIHON, SIHOUN, (Géog. mod.) grand fleuve d'Asie, qui sépare la Transoxane du pays de Gété. Les Arabes appellent la province de Marouaralnahar, toute l'étendue du pays qui est comprise entre les fleuves Sihun & Gihun. Le fleuve Sihun est le Jaxartes des anciens, & le fleuve Gihun, est le Bactrus ou l'Oxus. Le Sihun, suivant le P. Gaubil, prend sa source sous le 97. d. 13'. de longitude, & au 40. d. de latitude. (D.J.)


SIKI(Géog. mod.) village de la Turquie, en Asie, sur la côte de la Propontide. Il est peu éloigné du golphe de Montaquia, & est appellé Sequino dans nos cartes. Mais Siki est son véritable nom, qu'il a pris de son terroir plein de figuiers sauvages. On sait que siki veut dire en grec une figue. Ce village est grand, & a une église que les Grecs appellent Agios strategos ; c'est aussi le nom qu'ils donnent quelquefois à l'archange Saint Michel, comme qui diroit le saint capitaine. Près du rivage, on découvre une fontaine appellée christos, à laquelle ils attribuent des miracles. Ils en nomment l'eau agiasma, c'est-à-dire, l'eau benite. (D.J.)


SIKINO(Géog. mod.) , île de la mer Egée, entre celles de Milo & Armagos, proche de Policandro, à huit milles de Nio. Elle a environ vingt milles de tour, & n'a point de port, ce n'est proprement qu'une montagne, mais qui ne laisse pas de produire le meilleur froment de l'Archipel.

Pline, Apollonius de Rhodes, ainsi qu'Etienne le géographe, assurent qu'elle se nommoit anciennement Oenoé, l'île au vin, à cause de la fertilité de ses vignobles ; sur quoi le scholiaste d'Apollonius remarque qu'elle prit le nom de Sikinus, d'un fils de Thoas, roi de Lemnos, seule personne de l'île qui se sauva par l'adresse de sa fille Hypsipyle, dans cette cruelle expédition où toutes les femmes égorgerent non seulement leurs maris pendant la nuit, mais tous les garçons du pays, enragées de ce qu'ils leur préféroient les esclaves qu'ils venoient de faire en Thrace. Thoas donc aborda dans l'île dont nous parlons, & fut très-bien reçu d'une nymphe qui lui fit part de ses faveurs ; Sikinus en naquit, beau garçon, qui donna son nom au pays.

Sikino a été du domaine des ducs de Naxie ; il n'y a dans l'île qu'un bourg de même nom, & qui n'a guere plus de deux cent habitans qui sont presque tous grecs. Long. 43. 26. latit. 36. 35. (D.J.)


SIKKESS. m. (Géog. mod.) nom sous lequel les habitans du royaume d'Arrakan, situé dans la péninsule ultérieure de l'Inde, désignent les ministres d'état & les principaux officiers du royaume.


SIKOKF Île(Géog. mod.) la troisieme des trois grandes îles qui forment l'empire du Japon. Elle est presque quarrée ; & comme on l'a divisée en quatre provinces, on l'a nommée Sikokf, c'est-à-dire, le pays des quatre provinces. (D.J.)


SILS. m. (Hist. nat.) nom donné par les anciens à une espece d'ocre rouge ; ils en distinguoient trois especes ; le sil atticum étoit d'un rouge pourpre ; le sil, syriacum venoit de Syrie, étoit d'un rouge vif ; le sil, marmorosum ou marbré, qui avoit la dureté d'une pierre. Ils avoient aussi le sil achaïcum, dont nous n'avons point de description. M. Hill croit que le sil atticum romanorum dont il est parlé dans Vitruve, étoit un sable rouge & brillant préparé, qu'il ne faut point confondre avec l'ocre attique dont on a parlé. Voyez Hill, notes sur Théophraste.

SIL, (Géog. mod.) riviere d'Asie. Elle naît aux confins du Carduel, & après avoir traversé la Circassie, elle se décharge dans la mer de Zabache. (D.J.)


SILA(Géog. anc.) forêt d'Italie dans le Brutium, au nord de la ville de Rhegium, selon Strabon, l. VI. qui dit qu'on y recueilloit une sorte de poix très-estimée, appellée de - là pix Bruttia Sila. Cette forêt occupoit une partie de l'Apennin, ce qui fait que Pline, l. III. c. v. la nomme Apennini Silva, Sila. Il décrit aussi, l. XVI. c. ij. la poix que l'on recueilloit dans cette forêt. (D.J.)


SILAHDAR AGAou FELICTAR AGA, s. m. (Hist. mod.) officier du grand seigneur, tiré du corps des Itch-oglans. C'est le porte épée du sultan dans les cérémonies publiques. Le silahdar porte le cimeterre du grand seigneur & coupe les viandes à sa table. Il est comme le grand maître de la maison de l'empereur & regle toute sa cour. Son autorité s'étend aussi sur le reste de l'empire d'une maniere particuliere. Les grands ne lui parlent qu'avec respect, & ne lui écrivent jamais sans lui donner le titre de musahih, c'est-à-dire, conseiller privé, quoiqu'il ne le prenne point dans les actes. Sa place, qui lui permet d'approcher du sultan, l'éleve quelquefois à la plus haute faveur. Guer. moeurs des Turcs, tom. II.


SILARO LEou SELO, en latin Silarus, (Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples, dans la principauté citérieure. Elle a sa source dans l'Apennin, aux confins de la Basilicate, & se jette dans le golphe de Salerne, à dix - huit milles de Salerne. (D.J.)


SILARUS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, aux confins des Picentins & des Lucaniens. L'embouchure de ce fleuve faisoit, selon Strabon, l. VI. la borne entre la côte de la mer Tyrrhène & celle de la mer de Sicile. Pline, l. III. c. v. dit que le Silarus fait le commencement de la troisieme région & du pays des Lucaniens & des Brutiens. Virgile, Ptolémée, Pline, Silius Italicus, & la table de Peutinger, disent Silarus fluvius, ou Silarum flumen ; mais Pomponius Mela dit Silerus, & Lucain, aussi-bien que Vibius Sequester, écrivent Siler. Le nom moderne est il Salo. (D.J.)


SILAS(Géog. anc.) fleuve de l'Inde. Arrien rapporte, d'après Mégasthène, que ce fleuve sortoit d'une fontaine de même nom, qu'il couloit par le pays des Siléens, & que ses eaux étoient très-légeres. (D.J.)


SILATUMS. m. (Littérat.) les anciens Romains nommoient ainsi la roquille de vin qu'ils prenoient le matin, parce qu'ils y faisoient infuser de la plante sili, ou seseli. C'est une vieille coutume de boire le matin quelque liqueur médicinale, plus ou moins forte. C'est ainsi que nous faisons usage de vin d'absinthe, au lieu duquel les Indiens boivent du vin imprégné de gingembre. (D.J.)


SILAUMS. m. (Botan.) genre de plante dont voici les caracteres. Ses feuilles sont assez minces, courtes, & ressemblent beaucoup à celles du fenouil ; elles sont seulement un peu plus larges. Ses semences sont longues, sillonnées, & garnies d'une espece de marge ou bord feuillu. Boerhaave en compte cinq especes. (D.J.)


SILBERBERG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Silésie, vers les confins de la Bohème, dans les montagnes, près de quelques mines d'argent, qui ont occasionné son nom. (D.J.)


SILBIUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Japygie, selon Diodore de Sicile, qui dit que les Romains l'enleverent aux Samnites. Cette ville est appellée Silvium par d'autres auteurs. Voyez SILVIUM. (D.J.)


SILCESTER(Géog. mod.) ville détruite d'Angleterre, au nord du comté de Southampton, où l'on voit ses ruines. Elle fut fondée dans le iv. siecle par Constantin le jeune, fils de Constantin le grand. Les anciens l'appelloient Vindonum, & elle étoit la capitale des Ségontiens. Les Saxons la désolerent en s'emparant du pays, & les Danois acheverent de la ruiner. Elle occupoit alors quatre - vingt acres de terre. On y a déterré quelques médailles, & l'on y trouve encore les traces ordinaires des villes autrefois habitées par les Romains, je veux dire, un chemin royal pavé, qui passant par des lieux aujourd'hui déserts & jadis habités, cotoye les frontieres des comtés de Berk & de Wilt, & aboutit à la forêt de Chut, où l'on en voit les débris en quelques endroits. (D.J.)


SILE(Géog. anc.) ville de la basse Egypte. L'itinéraire d'Antonin la place sur la route de Sérapium à Péluse, entre Thaubasium & Magdolum, à vingt-huit milles de la premiere de ces places, & à douze milles de la seconde. Il y a apparence que Sile est la même que Selae de l'Augustamnique, & dont l'évêque nommé Alypius, assista au premier concile d'Ephèse. On croit aussi que c'est la même ville qui est nommée Sella dans les notices. (D.J.)


SILENCES. m. terme relatif, c'est l'opposé du bruit. Tout ce qui frappe l'organe de l'ouïe, rompt le silence. On dit le silence des temples est auguste, le silence de la nuit est doux, le silence des forêts inspire une espece d'horreur, le silence de la nature est grand, le silence des cloîtres est trompeur.

SILENCE, (Art orat.) le silence fait le beau, le noble, le pathétique dans les pensées, parce qu'il est une image de la grandeur d'ame ; par exemple le silence d'Ajax aux enfers dans l'Odyssée, où Ulysse fait de basses soumissions à ce prince ; mais Ajax ne daigne pas y répondre. Ce silence a je ne sais quoi de plus grand que tout ce qu'il auroit pu dire. C'est ce que Virgile a fort bien imité dans le vj. livre de l'Enéïde, où Didon aux enfers traite Enée de la même maniere qu'Ajax avoit fait Ulysse ; aussi insensible, aussi froide qu'un rocher de Paros, elle s'éloigna sans lui répondre, & d'un air irrité s'enfonça dans le bois.

Nec magis incepto vultum sermone movetur,

Quàm si dura silex aut stet Marpesia cautes,

Tandem proripuit sese, atque inimica refugit

In nemus umbriferum. v. 470.

2°. Il est une seconde sorte de silence, qui a beaucoup de grandeur & de sublimité de sentiment en certain cas. Il consiste à ne pas daigner parler sur un sujet dont on ne pouvoit rien dire sans risquer, ou démontrer quelque apparence de bassesse d'ame, ou de faire voir une élévation capable d'irriter les autres. Le premier Scipion l'africain, obligé de comparoître devant le peuple assemblé, pour se purger du crime de péculat dont les Tribuns l'accusoient : Romains, dit-il, à pareil jour je vainquis Annibal, & soumis Carthage ; allons-en rendre graces aux Dieux. En même tems il marche vers le capitole, & tout le peuple le suit. Scipion avoit le coeur trop grand pour faire le personnage d'accusé ; & il faut avouer que rien n'est plus héroïque que le procédé d'un homme, qui fier de sa vertu, dédaigne de se justifier, & ne veut point d'autre juge de sa conscience.

Dans la tragédie de Nicomede, ce prince, par les artifices d'Arsinoé sa belle-mere, est soupçonné de tremper dans une conspiration ; Prusias son pere, qui ne le souhaite pas coupable, le presse de se justifier, & lui dit :

Purge-toi d'un forfait si honteux & si bas.

l'ame de Nicomede se peint dans sa réponse vraiment sublime :

Moi, seigneur, m'en purger ! vous ne le croyez pas.

Je ne sais ce qu'on doit le plus admirer dans la réponse de Nicomede, ou de ce qu'il ne veut pas seulement se justifier, ou de ce qu'il est si sûr & si fier de son innocence, qu'il ne croit pas que son accusateur en doute.

3°. Un ambassadeur d'Abdere, après avoir longtems harangué Agis, roi de Sparte, pour des demandes injustes, finit son discours, en lui disant : seigneur, quelle réponse rapporterai - je de votre part ? Que je t'ai laissé dire tout ce que tu as voulu, & tant que tu as voulu, sans te répondre un mot. Voilà un taire-parlier bien intelligible, dit Montagne.

4°. Mais je vais offrir un exemple de silence qui est bien digne de notre respect. Un pere de l'Eglise nous donne une idée de la constance de Jesus-Christ par un fort beau trait de réponse. Pour l'entendre, il faut se rappeller une circonstance de la vie d'Epictete. Un jour, comme son maître lui donnoit de grands coups sur une jambe, Epictete lui dit froidement : si vous continuez, vous casserez cette jambe ; son maître irrité par ce sang froid, lui cassa la jambe : ne vous l'avois - je pas bien dit que vous casseriez cette jambe ? Un philosophe opposoit cette histoire aux chrétiens, en disant : votre Jesus-Christ a-t-il rien fait d'aussi beau à sa mort ? Oui, dit S. Justin, il s'est tû. (D.J.)

SILENCE, (Crit. sacrée) ce mot, outre sa signification ordinaire, se prend au figuré dans l'Ecriture ; 1°. pour la patience, le repos, la tranquillité : nous les conjurons de manger leur pain, en travaillant paisiblement, in silentio, , II. Thess. iij. 12. Ce terme 2°. désigne la retraite, la séparation du grand monde : Esther ne portoit pas ses beaux habits dans le tems de sa retraite ; in diebus silentii. 3°. Il marque la ruine, Dominus silere nos fecit, Jérem. viij. 14. c'est-à-dire, le seigneur nous a ruiné. (D.J.)

SILENCE, dieu du, (Mythol.) Ammian Marcellin dit qu'on révéroit la divinité du silence, silentii numen colitur. Les Egyptiens l'appelloient Sigation ; les Grecs, Harpocrate ; & les Romains, Angenora. On représentoit cette divinité ayant le doigt sur la bouche. (D.J.)

SILENCES, s. m. en Musique, sont différens signes répondans à toutes les différentes valeurs des notes ; & qui, mis à la place de ces notes, marquent que tout le tems de leur valeur doit être passé en silence.

Quoiqu'il y ait dix valeurs de notes différentes, depuis la maxime, jusqu'à la quadruple croche, il n'y a cependant que neuf caracteres différens pour les silences, parce qu'il n'y en a point qui corresponde à la valeur de la maxime ; mais pour en exprimer la durée, on double le bâton de quatre mesures, qui équivaut à la longue.

Ces divers silences sont donc, le bâton de quatre mesures, qui vaut une longue ; le bâton de deux mesures, qui vaut une breve, ou quarrée ; la pause, qui vaut une semi - breve, ou ronde ; la demi - pause, qui vaut une minime, ou blanche ; le soupir, qui vaut une noire ; le demi - soupir, qui vaut une croche ; le quart de soupir, qui vaut une double croche ; le demi-quart de soupir, qui vaut une triple croche ; & enfin, le seizieme de soupir, qui vaut une quadruple croche. Voyez dans les Pl. de Musique les figures de tous ces silences.

Il faut remarquer que le point n'a pas lieu parmi les silences, comme parmi les notes ; car, quoiqu'une noire & un soupir soient d'égale valeur, on ne pourroit pas pointer le soupir, pour exprimer la valeur d'une noire pointée ; mais il faut après le soupir écrire encore un demi - soupir ; ce qui est assez mal entendu. (S)


SILENCIAIRES. m. (Hist. rom.) silentiarius ; nom propre d'office parmi les esclaves des Romains ; ce nom & cet office n'a été établi que vers le tems de Salvien, comme l'a prouvé Pignorius. Mais les silenciaires, dans la cour des empereurs, étoient des gens attachés au service de leur maison, & qui avoient un décurion à leur tête. Enfin le nom de silenciaire fut donné dans le bas empire, au secrétaire du cabinet de l'empereur ; Charlemagne avoit un silenciaire. (D.J.)


SILENCIEUXadj. (Gram.) qui garde le silence ; une passion forte est ordinairement silencieuse ; les hommes silencieux profitent de tout ce qui se dit, & ils sont redoutables pour ceux qui cachent au fond de leur ame, des choses qu'ils seroient bien fâchés qu'on y devinât.


SILENES. m. (Botan.) genre de plante, décrit par Dillenius, dans son Hort. elstethensis, p. 309. & que Linnaeus caractérise de la maniere suivante. Le calice particulier de la fleur, est lisse, oblong, composé d'une seule feuille, découpée en cinq segmens sur les bords ; la fleur est à cinq pétales, dont les pointes sont obtuses & échancrées ; le nectarium, ou la partie de la couronne de la fleur, est comme formée de quelques denticules ; les étamines sont dix filets qui vont en pointes aiguës ; leurs bossettes sont oblongues ; le germe du pistil est cylindrique ; les styles, au nombre de trois, ou de cinq, sont communément de la longueur des étamines ; les stigma sont toujours panchés du côté du soleil ; le fruit est divisé en autant de cellules qu'il y avoit de stiles ; ces cellules contiennent un grand nombre de graines taillées en forme de rein. Linn. gen. plant. p. 197. (D.J.)

SILENE, (Mythol.) il étoit né de Mercure, ou de Pan, & d'une nymphe. Nonnus, dans ses dionysiaques, le fait fils de la Terre, c'est-à-dire qu'il ignoroit son origine. Silène, dit Orphée, étoit fort agréable aux dieux, dans l'assemblée desquels il se trouvoit fort souvent. Il fut chargé de l'enfance de Bacchus, & l'accompagna dans ses voyages.

Tous les poëtes se sont divertis à nous peindre la figure, le caractere & les moeurs de Silène ; à les en croire, il étoit ventru, ayant la tête chauve, un gros nez retroussé, & de longues oreilles pointues, étant tantôt monté sur un âne, sur lequel il a bien de la peine à se soutenir, & tantôt marchant appuyé sur un thyrse ; c'est le compagnon, & le premier lieutenant de Bacchus ; il raconte, dans le cyclope d'Euripide, qu'il combattit les géans, à la droite de son maître, tua Encélade, & en fit voir les dépouilles au dieu, pour preuve de sa valeur ; le voilà donc, malgré sa figure burlesque, travesti en grand capitaine.

Je sais bien qu'il s'attribue le nectar & l'ambroisie, comme s'il étoit un dieu céleste ; mais je sais encore mieux par mes lectures, qu'il n'en aimoit pas moins la boisson des pauvres mortels, & qu'il s'en donna à coeur joie, à l'arrivée d'Ulysse dans l'antre du cyclope ; personne n'ignore que les vignes sont appellées ses filles, & dans Pausanias l'Ivrognerie même lui verse du vin hors d'un gobelet.

Cependant Virgile, dans une de ses plus belles églogues (la sixieme, que M. de Fontenelle n'a pas eu raison de critiquer), ne représente pas seulement Silène comme un suppôt de Bacchus, mais comme un chantre admirable, & qui dans sa jeunesse avoit fait de bonnes études philosophiques.

Deux bergers, dit le poëte, le trouverent un jour endormi au fond d'une grotte ; il avoit, selon sa coutume, les veines enflées du vin qu'il avoit bû la veille, sa couronne de fleurs tombée de sa tête, étoit auprès de lui, & un vase pesant, dont l'anse étoit usée, pendoit à sa ceinture ; le vieillard avoit souvent flatté les bergers de l'entendre chanter de belles choses ; ils se jettent sur lui, & le lient avec des guirlandes ; Eglé, la plus jolie de toutes les nymphes, Eglé survient, & se joignant à eux, les encourage ; & au moment où il commençoit à ouvrir les yeux, elle lui barbouille tout le visage de jus de mûres ; le bon Silène riant de ce badinage, leur dit, pourquoi me liez - vous mes enfans ? laissez - moi libre ; c'est pour vous, bergers, que je chanterai ; je réserve à la charmante Eglé une autre sorte de recompense : à ces mots, il se met à commencer. Vous eussiez vû aussi - tôt les faunes & les bêtes farouches accourir autour de lui, & les chênes mêmes agiter leurs cimes en cadence ; la lyre d'Apollon ne fit jamais tant de plaisir sur le sommet du Parnasse ; jamais Orphée, sur les monts Rhodope & Ismare, ne se fit tant admirer.

Le poëte lui fait ici débiter les principes de la philosophie d'Epicure, sur la formation du monde. Il y joint beaucoup d'autres choses si jolies, que les échos des vallées, frappés de ses accords, les porterent jusqu'aux astres. Elien, de son côté, recite une conservation que Silène eut avec Midas sur ce monde inconnu, dont Platon & quelques autres philosophes ont tant parlé.

Voilà donc Silène qui, dans sa figure grotesque, étoit tout ensemble buveur, capitaine, chantre & philosophe. Après tout, Lucien paroît être celui qui en a fait le portrait le plus naïf, & c'est aussi d'après son tableau que Silène est représenté dans les monumens antiques ; entr'autres sur une belle agathe, expliquée par Scaliger & par Casaubon. (D.J.)

SILENES, (Mythol.) les plus considérables & les plus âgés d'entre les satyres, étoient nommés Silènes, au rapport des anciens historiens, qui les désignent souvent au pluriel ; mais il y en a un principal célebre dans la fable, & à qui les poëtes ont crû devoir donner plusieurs qualités. Voyez SILENE, c'est son nom par excellence. (D.J.)


SILERS. m. (Botan.) nom donné par quelques botanistes qui ont écrit en latin, à la plante séséli. Voyez SESELI.

Cependant le siler des auteurs romains désigne une plante toute différente, je veux dire, un arbrisseau qui vient dans les lieux marécageux, & qui porte des verges dures, coriaces, flexibles, & propres à toutes sortes d'ouvrages de vanniers. Les poëtes en font souvent mention avec les épithètes de molle & lentum. Les critiques modernes qui croyent que le siler des Romains, est notre souchet, se trompent, car quoiqu'il soit vrai que le souchet naisse dans les marais, ce n'est point un arbrisseau ; le siler des anciens est encore moins le saule, car ces deux arbustes sont souvent nommés ensemble par les mêmes auteurs, comme étant des plantes différentes. Il faut néanmoins qu'elles se ressemblent à divers égards. (D.J.)


SILÉSIE(Géogr. mod.) en allemand, Schlesien, contrée d'Allemagne, avec titre de duché, l'un des plus grands de l'Europe. Elle est bornée au nord par le marquisat de Brandebourg & par la Pologne, au midi, par la Moravie & par la Hongrie ; au levant, par la Pologne encore ; & au couchant, par la basse-Lusace & la Bohême.

Sa longueur est d'environ 60 milles germaniques, & sa largeur 20. L'Oder la partage en Silésie orientale, & Silésie occidentale ; ce duché est presque tout environné de montagnes, d'où sortent plusieurs petites rivieres poissonneuses, & qui après avoir fertilisé le pays, se rendent dans l'Oder.

Il y a dans cette contrée plusieurs grosses villes outre Breslaw sa capitale ; entre ces villes, les unes sont remarquables par leur force, les autres par leur beauté ; tout le pays est fertile en blé, en grandes forêts pleines de gibier, & en pâturages, où l'on nourrit plus de bétail qu'en aucun endroit d'Allemagne. On y trouve aussi quelques mines, & l'Oder facilite le commerce de toutes ses denrées.

La Silésie, après avoir été possedée par les Quades & les Sarmates Lechides, resta long-tems unie à la Pologne, en formant une espece de république qui avoit ses privileges particuliers. Elle devint ensuite un fief mouvant de la couronne de Bohème, & a été possédée par la maison d'Autriche depuis l'an 1339, jusqu'en 1740 ; & c'est assurément un des meilleurs pays qu'elle ait eu sous sa domination.

Après la mort de l'empereur Charles VI, un jeune prince qui fera long-tems parler de lui par son génie supérieur, & par ses grandes victoires, Fréderic II. roi de prusse, reclama ses prétentions sur une partie de ce pays, & par le traité conclu à Dresde, le 25 Décembre 1745, l'impératrice reine de Hongrie & de Bohème, céda à ce prince la haute & basse Silésie en toute souveraineté.

On a recueilli les écrivains de l'histoire de ce pays, Silesiacarum rerum scriptores ; ils forment trois volumes in-fol. publiés à Leipsick en 1729.

D'autres savans ont donné l'histoire naturelle de la Silésie. Tels sont Schwencfeld (Gasparus) ; Tritophaeum Silesiae, Ligniciae 1603 in -4°. Hennefeld, Silesiographia, Lipsiae, 1704. 3 vol. in -4°. Wolckmannus (Georg. Anton.), Silesia subterranea, en allemand, Léipsick, 1720, in -4°. (D.J.)


SILEXS. m. (Hist. nat. Minéral.) ce mot qui est latin, a été adopté par les naturalistes françois, pour désigner en général le caillou ou la pierre à fusil, & particulierement la pierre à fusil noire, qui se trouve par masses informes & détachées dans les couches de la craie. On a déja parlé de plusieurs propriétés de cette pierre à l'article CAILLOU ; l'on y a rapporté différens sentimens sur son origine & sa formation ; cependant on a cru faire plaisir au lecteur en lui mettant ici sous les yeux des observations plus récentes qui ont été faites sur le silex ; elles contribueront à jetter du jour sur la nature de cette pierre importante, dont la terre sert de base à l'agate, au jaspe, au quartz & aux pierres précieuses. Voyez ces différens articles.

Le silex est très-abondamment répandu dans presque toutes les parties de notre globe ; il ne forme jamais de couches suivies ou de bancs, comme la pierre calcaire, les ardoises, &c. mais il se trouve par masses de grandeurs inégales, détachées les unes des autres. C'est surtout dans les couches de craie que l'on rencontre une grande quantité de ces pierres ; elles y sont répandues par masses irrégulieres & de toutes sortes de figures. Ces sortes de silex sont communément noirs à l'intérieur ; à l'extérieur ils sont comme enveloppés d'une croute blanche qui se distingue par sa dureté de la craie qui les environne. Ces circonstances ont fait conjecturer qu'il devoit y avoir de l'analogie entre la craie & le silex ou caillou ; delà quelques auteurs ont pensé que la craie n'étoit produite que par la décomposition du caillou ; d'autres au contraire ont regardé le caillou comme une production de la craie. Ces sentimens sont tous deux fondés sur des raisons spécieuses ; nous allons voir pour lequel il paroit plus naturel de se décider.

Le silex ou le caillou ne se dissout point, lorsqu'on y verse de l'acide, malgré cela si un fragment de silex, qui est communément tranchant & d'une couleur noirâtre à l'extérieur, demeure pendant long-tems exposé aux injures de l'air, ses angles tranchans s'émoussent à la longue, & la partie noirâtre se recouvre d'une espece de peau blanche qui à la fin ne laisse plus paroître de noir. Cette expérience prouve d'une maniere incontestable que l'acide de l'air, qui n'est autre chose que l'acide vitriolique, a agi sur cette pierre ; il faut croire que la nature aidée des tems, & sachant donner à cet acide le degré d'activité qui lui est nécessaire, vient à bout de cette dissolution à laquelle le chimiste ne peut parvenir en se servant des acides ordinaires, qui sont des produits de l'art. Dans le liquor silicum on voit qu'il se fait une dissolution de la partie du caillou qui avoit été combinée par la fusion avec le sel alkali fixe. Voyez LIQUOR SILICUM. Ces expériences prouvent que la nature & l'art peuvent venir à bout de dissoudre le silex, & que cette pierre n'est point inattaquable par les dissolvans, comme quelques auteurs l'ont prétendu.

Lorsque l'on considere attentivement le caillou, on y trouve des caracteres qui indiquent d'une maniere sensible que cette pierre dans son origine a dû être molle, & avoir un degré de fluidité. En effet on trouve souvent dans le sein de la terre des coquilles dans l'intérieur desquelles on rencontre des cailloux de différentes couleurs qui s'y sont moulées au point de prendre parfaitement les empreintes des coquilles les plus petites dans lesquelles le suc pierreux a coulé ; une infinité d'exemples empêchent de douter de cette vérité ; en effet on trouve des échinites ou oursins, des turbinites, &c. qui paroissent entierement changés en silex. C'est aussi de cette maniere qu'ont dû se former les morceaux de bois changés en agates & en cailloux que l'on rencontre souvent en terre ; la matiere lapidifique qui produit le silex, a dû être dans une très-grande fluidité pour s'insinuer & se mouler dans les fibres & canaux déliés, dont le bois est composé. Voyez PETRIFICATION.

Le tissu compacte & serré du silex, ainsi que les mamelons qui se trouvent fréquemment, soit à sa surface, soit à son intérieur, nous conduisent à croire que non-seulement la matiere dont cette pierre s'est formée a été fluide, mais encore qu'elle a été dans un état de viscosité ou d'une espece de gelée. Si la dissolution eût été parfaite, c'est-à-dire si l'eau chargée de la matiere du caillou dissoute, n'eût eu que le point de saturation, l'évaporation eût produit du crystal de roche, c'est-à-dire des colonnes exagones terminées par une pyramide pareillement exagone, figure qui est propre à la matiere silicée, lorsqu'elle est pure. Mais lorsque des substances terreuses ou métalliques sont venues accidentellement se joindre à la dissolution, elles l'ont rendu opaque, colorée & visqueuse, & alors la crystallisation n'a point pû se faire. C'est-là vraisemblablement la raison pourquoi les pierres de la nature du silex, sont opaques ou fort chargées de couleur, forment presque toujours des mamelons ; on en a des exemples dans les agates, les jaspes, & l'on voit que ces pierres ont souvent à leur intérieur des cavités recouvertes de mamelons très durs, & dont la couleur varie en raison des métaux qui ont coloré la matiere, lorsqu'elle étoit fluide ou en dissolution ; au lieu que quelques cailloux ont à leur intérieur des cavités couvertes de crystaux clairs & transparens, qui ont toutes les qualités du crystal de roche.

Toutes ces conjectures prendront beaucoup de vraisemblance, si l'on y joint quelques expériences que M. Swab vient de publier dans le tome XX. des Mémoires de l'académie de Stockholm, année 1758 : le résultat de ces expériences prouve, que les acides agissent sur les verres formés par le mélange de terre calcaire quelconque ou de la chaux, avec de l'argille ou avec du caillou. On sait que ces substances qui seules ne se fondent point, entrent en fusion dès-lors qu'on vient à les mêler. Pour cet effet l'on n'a qu'à pulvériser ce verre, verser par-dessus de l'acide vitriolique, de l'acide nitreux ou de l'acide marin, & mettre le tout en digestion dans un lieu chaud ; dans cette expérience il ne se fait point d'effervescence, malgré cela on trouve que le dissolvant que l'on a employé s'épaissit en vingt-quatre heures, & forme une matiere gélatineuse & transparente comme de l'empoi, qui s'attache au vaisseau, au fond duquel est tombée une portion du verre pulvérisé qui ne s'est point dissoute.

L'acide vitriolique combiné avec de la chaux ou avec une substance calcaire seule produit bien une espece de sel, mais non pas une matiere gélatineuse, comme celle dont il s'agit ici ; pour produire cet effet, il faut que la chaux ou la terre calcaire ait été fondue, c'est-à-dire modifiée & élaborée par sa combinaison avec de l'argille ou avec une pierre de la nature du silex ou du caillou.

Les différentes gelées que M. Swab a obtenues de cette maniere, se durcissoient avec le tems & acquéroient la consistance d'une pierre ; elles étoient communément cassantes & remplies de gersures ; elles se mettoient par éclats, comme du silex ou comme du verre ; elles conservoient leur transparence, mais en se séchant elles prenoient une couleur plus foncée. Cette matiere gélatineuse séchée attiroit fortement l'humidité de l'air, même après avoir été édulcorée ; mais en la faisant rougir au feu, ce qui la remplit de fentes, elle n'attiroit plus d'humidité de l'air. Dans cet état, ni les acides, ni les alkalis n'attaquent plus cette matiere semblable à une pierre. Si on l'expose à un feu violent excité par un soufflet, en une demi-heure de tems sa surface se couvre d'une espece d'enduit ou de vernis, mais elle n'entre point en une fusion parfaite, elle devient tendre & grenue ou farineuse dans la fracture, & ressemble à de la pierre à chaux d'un grain fin qui a été calcinée, cependant elle n'a aucune des propriétés de la chaux.

Les expériences qui précedent ont été faites par M. Swab, dans la vûe de découvrir ; 1°. pourquoi certains verres étoient attaquables par les acides ; il a trouvé que ceux dans la composition desquels on avoit fait entrer de la chaux ou quelque pierre calcaire, étoient toujours dissouts par les acides & formoient de la gelée. 2°. Il a voulu découvrir, si ce ne seroit pas-là la voie dont la nature se serviroit dans le sein de la terre, pour former des silex ou du caillou. Comme cette pierre se trouve communément dans des couches de craie, le célébre M. Linnaeus a été le premier qui ait soupçonné que la craie pouvoit donner naissance au caillou ; M. Swab présume que le caillou pourroit bien être produit par la combinaison d'un acide minéral, avec une terre calcaire modifiée & élaborée par la nature d'une façon particuliere, à laquelle il s'est joint quelque mélange étranger. Il est certain que les caracteres que présente la gelée durcie dont on a parlé, son aspect vitreux, son infusibilité, son insolubilité dans les acides annoncent une très-grande analogie entr'elle & le silex ou caillou. Quant aux différences qui sont entre cette matiere & le silex, elles viennent du tems & de certaines circonstances que la nature met dans ses opérations, & que l'art ou ignore ou ne sait point imiter. Cependant M. Swab croit que l'on pourroit parvenir à faire des silex ou cailloux artificiels qui auroient plus de solidité, qui n'attireroient point l'humidité de l'air ; en un mot, qui seroient plus semblables au silex naturel, si l'on tentoit de combiner la chaux avec des substances différentes de celles qu'il a employées, & cela dans des proportions variées ; comme ces expériences demandent du tems, il se promet de les suivre & de rendre compte à l'académie de Stockholm, dont il est membre, du succès de ses travaux. En attendant, il paroît que les expériences que M. Swab a faites sont propres à jetter un grand jour sur la connoissance des pierres en général : elles pourroient faire présumer qu'il n'y a qu'une terre primitive dans la nature, dont les différentes combinaisons & élaborations produisent toutes les variétés que nous voyons dans les pierres. Voyez PIERRES. (-)


SILGUEROSS. m. (Hist. nat.) oiseau du Mexique & des autres provinces de la nouvelle Espagne, qui est de la grosseur d'un moineau ; son plumage est blanc & noir.


SILIAN(Géog. mod.) grand lac de Suede dans la Dalécarlie ; ses eaux sont portées à la mer par la riviere de Dala.


SILICENSASILICENSA


SILICERNES. m. (Antiq. rom.) silicernium festin funebre que l'on faisoit chez les Romains aux vieillards décrépits auprès d'un tombeau, comme pour leur dire le dernier adieu ; de-là vient que Térence appelle ingénieusement par métaphore silicernum un vieillard qui, courbé sous le poids des années, regarde tranquillement la pierre de la tombe où ses cendres doivent être renfermées. C'étoit une idée pleine de bon sens que celle du silicerne ; elle apprenoit aux hommes à moins redouter la crainte de la mort. (D.J.)


SILICISILICI


SILIGOS. m. (Littérat. Botan.) ce mot signifie le plus pur froment ; & dans Celse, la fleur du meilleur froment. Quelques auteurs botanistes, comme Tragus, Brunsfeld & Lonicerus, ont cru que les anciens appelloient le seigle du nom de siligo, parce qu'ils ont lu dans Pline, liv. XVIII. ch. x. & autres écrivains, que le froment, triticum, se changeoit in siliginem, & que le siligo retournoit quelquefois en froment ordinaire. Leur erreur a donné lieu à celle de divers laboureurs qui imaginent que le froment se change en seigle, & le seigle en froment, ce qui est contraire à la vérité, ces deux grains donnant toujours la même espece de plante, plus ou moins belle ; aussi le panis siligineus des anciens ne signifie point du pain de seigle, ni du pain de froment dégénéré en seigle, mais tout au contraire du pain de pur & beau froment également blanc & léger. (D.J.)


SILIKHTARS. m. (terme de relation) page d'une des chambres du grand-seigneur. Il est l'écuyer du grand-seigneur, porte son épée, & l'accompagne par-tout quand il sort du serrail.


SILINUS(Géog. anc.) fleuve du Péloponnèse dans l'Elide ; il arrosoit le territoire de Scillunte. C'est le Sellenus de Xenophon, & le Selinus de Strabon.


SILIQUAS. m. (Mesure anc.) ; poids des anciens qui faisoit la troisieme partie d'une obole, ou ce qui revient au même, la sixieme partie d'un scrupule.


SILIQUASTRUMS. m. (Botan.) genre de plante connue en françois sous le nom de gainier. Voyez GAINIER.


SILIQUES. f. (Hist. nat. Botan.) siliqua, terme synonyme à gousse.

La silique ou la gousse est le fruit des légumes & des plantes qui ont la fleur légumineuse. Il faut remarquer que la silique est ou simple, ou double, ou composée.

La silique simple est formée de deux lames convexes en-dehors, plates dans quelques espaces, collées par les bords l'une contre l'autre, & laissant entre ses lames appellées cosses, un espace occupé par les semences.

La silique double se forme aussi par deux lames, mais qui ne sont pas collées sur les bords, comme celles de la gousse simple ; ces deux lames se replient chacune en-dedans, & forment une cloison mitoyenne qui divise la silique dans sa longueur en deux loges remplies de semences.

La troisieme espece de silique, est composée de quelques pieces attachées bout-à-bout, & l'on trouve une semence dans chacune de ces pieces.

On voit aussi quelques siliques de plantes légumineuses qu'on prendroit d'abord pour siliques simples, parce qu'elles sont à deux cosses ; mais la différence consiste en ce que les cosses de celles-ci sont divisées en cellules par des cloisons posées au-travers, & ces cellules sont remplies par des semences.

J'ai dit ci-dessus que gousse & silique étoient synonymes dans notre langue, j'ajoute, avec M. de Tournefort, qu'il seroit à souhaiter qu'on fixât le nom de gousse, pour signifier les fruits des plantes qui ont les fleurs légumineuses, comme sont les pois, les feves, les astragales ; & qu'on n'employât celui de silique, que pour signifier les fruits qui sont à-peu-près de pareille structure, mais qui succedent à des fleurs qui ne sont pas légumineuses ; cependant on n'a point encore pu engager les botanistes à adopter cette distinction, & les deux mots sont restés entierement synonymes. (D.J.)

SILIQUE, s. f. (Monnoie) ancienne petite monnoie d'Alexandrie, valant une quinzaine de sous de la nôtre. Il en est parlé dans l'histoire ecclésiastique de M. Fleury.


SILIS(Géog. anc.) fleuve d'Italie, dans le territoire de Venise. Pline, liv. III. ch. xviij. veut que ce fleuve prenne sa source dans les monts Taurisani. Ce fleuve, selon Cluvier, Ital. antiq. lib. I. c. x. iij. retient son ancien nom ; car on le nomme présentement Sile. Il a sa source dans une plaine, au-dessus de Tarviso, qu'il partage en deux, & il y grossit son lit des eaux de plusieurs ruisseaux. (D.J.)


SILISTRIAou DORESTERO, (Géog. mod.) en latin Durostorum ; ville de la Turquie européenne, dans la Bulgarie, près du Danube, vis-à-vis de l'embouchure du Missoro, à 80 lieues de Sophie, & à 69 au nord-est d'Andrinople. C'est le chef-lieu d'un gouvernement qui est fort étendu. Elle a pour sa défense une bonne citadelle. Longit. 45. 15. lat. 42. 12.


SILLAGEou L'EAU DU VAISSEAU, LANGUE, SEILLURE, OUAICHE, HOUACHE, TRACE NAVALE, s. m. & f. (Marine) c'est la trace du cours du vaisseau ; & ce mot se prend souvent pour le cours & le chemin même. On dit ce vaisseau suivoit le sillage de l'amiral. Je connois le sillage de notre vaisseau, & je sai par expérience qu'il fait trois lieues par heure de vent largue. Ces deux capitaines vantoient le sillage de leurs frégates, qui à la vérité étoient plus fines de voiles que les nôtres, mais en revanche notre équipage manoeuvroit beaucoup mieux. Voyez SEILLURE. C'est lorsque le vaisseau avance beaucoup, bon sillage.

Doubler le sillage d'un vaisseau, c'est aller une fois aussi vîte que lui, ou faire une fois autant de chemin.


SILLES. m. (Poés. grecq.) espece de poëme satyrique des Grecs. Les Grecs n'ont jamais rien eu d'approchant de la satyre romaine que leurs silles, qui étoient aussi des poëmes mordans, comme on peut encore le reconnoître par quelques fragmens qui nous restent des silles de Timon. Ils ressemblent si fort à la plûpart des traits des satyres d'Horace, qu'ils pourroient fort bien être appellés des satyres, de même que les satyres pourroient être appellées des silles. Il y a pourtant cette différence essentielle, que les silles des Grecs étoient des parodies d'un bout à l'autre, ce qu'on ne peut pas dire des satyres des Romains ; car si l'on trouva quelquefois quelques parodies, on voit bien que ce n'est qu'en passant, & que le poëte n'a eu garde d'en abuser, & par conséquent la parodie ne fonde pas l'essence de la satyre romaine comme elle fonde l'essence des silles des Grecs. (D.J.)


SILLEBAR(Géog. mod.) ville des Indes sur la côte occidentale de l'île de Sumatra, le long d'un golfe. Il croît dans ses environs beaucoup de poivre. Lat. méridionale 4. 30.


SILLERv. n. (Marine) c'est cheminer, ou avancer en avant, en coupant l'eau & passant à-travers. On dit mettre un vaisseau dans la situation dans laquelle il peut mieux siller, c'est-à-dire en laquelle il peut mieux cheminer.

Vaisseau qui sille bien, c'est-à-dire qu'il fait bien du chemin, qu'il avance beaucoup, & fait bonne route.

Un vaisseau qui ne sille pas bien, c'est-à-dire qu'il chemine lentement, & avance peu.

SILLER, (Maréchal) cheval qui sille, qui est sillé, est celui qui a les sourcils blancs.

SILLER, terme de Fauconnerie, c'est coudre les paupieres d'un oiseau de proie afin qu'il ne voye goutte, & qu'il ne se débatte pas ; ce qui se fait pour dresser les oiseaux de proie, & voici comme il faut s'y prendre : Ayez une aiguille enfilée d'un fil fin ; faites tenir l'oiseau par le bec, puis passez-lui cette aiguille à-travers la paupiere de l'oeil droit à l'oeil gauche & moins près du bec afin qu'il voie devant. On doit avoir attention, en sillant les yeux d'un oiseau, de prendre la pellicule qui couvre la paupiere, de passer l'aiguille à l'autre paupiere, & de tirer les deux bouts du fil, & on les attache sur le bec coupant le fil près du noeud, & le tordant de maniere que les paupieres soient levées si haut que l'oiseau ne puisse voir que devant lui.


SILLETS. m. (terme de Luthier) c'est un petit morceau de bois qui va tout le long du bout du manche d'un instrument à corde, & sur lequel posent les cordes de l'instrument.


SILLONS. m. (Agriculture) c'est une longue raie qu'on fait sur la terre, quand on la laboure avec la charrue. La figure que le laboureur donne à son champ en le façonnant, doit être réglée suivant ce qui est plus avantageux pour la terre, & pour les bêtes qui labourent.

On ne doit jamais faire de sillons trop longs, parce que les bêtes ont trop à tirer tout d'une traite ; les raies n'en sont pas si étroites, & la terre n'en est pas si bien mêlée, ni figurée agréablement ; c'est pourquoi les curieux veulent qu'on sépare leurs terres par quartiers, chacun de quarante perches de long tout au plus.

Quand on laboure sur une colline, pour soulager les bêtes, & faire sa besogne plus aisément, il faut travailler en travers horisontalement à la colline, & non pas de haut-en-bas.

On laboure à plat uniment & également les terres, qui comme dans l'île de France, ont besoin de l'arrosement des pluies. Au contraire on laboure en talus & en dos d'âne à sillons hauts & élevés, les terres argilleuses, les terres humides, & généralement toutes celles qui n'ont pas besoin d'eau, ou qui sont difficiles à se dessécher. Ainsi dans la Brie & dans la petite Beausse, on laboure par planches, & on laisse d'espace en espace, un large sillon en talus pour recevoir les eaux, & les porter dans des fossés qui sont pour cet effet aux deux côtés des terres.

Au surplus, on fait les sillons plus ou moins larges, plus ou moins élevés, & les raies plus ou moins serrées dans certains pays que dans d'autres. On les fait pourtant en général beaucoup plus élevés, moins larges, & moins unis dans les terres humides & grasses, que dans les terroirs secs ; & cela pour faciliter l'écoulement des eaux qui pénetrent difficilement dans ces terres, & pour empêcher qu'elles n'y croupissent.

Il y a des laboureurs qui ne font leurs sillons que de quatorze à quinze pouces de largeur, sur treize ou quatorze de hauteur ; quand on fait de ces sillons étroits, il est bon de labourer du midi au nord, pour qu'ils ayent le soleil de deux côtés, & que les grains y mûrissent également ; sinon ceux du côté du midi mûriroient huit à dix jours avant les autres. Il n'est pas nécessaire d'avoir cette attention quand les sillons sont plats, larges, spacieux de huit, dix à douze piés, parce qu'ils ont le soleil de tous leurs côtés. Les terres fortes, qui boivent l'eau assez aisément, peuvent être labourées en planches, larges de huit à dix piés, dont le milieu sera pourtant un peu plus élevé que les deux extrêmités, afin de faciliter l'écoulement des eaux les plus abondantes, parce que les blés, principalement le seigle, les craignent beaucoup ; elles battent la terre, & la font durcir, surtout quand elles sont suivies de sécheresse ; mais quand elles tombent doucement, elles fertilisent beaucoup le terrein.

Il y a une espece de terre si seche, que l'eau s'y imbibe aussi-tôt qu'elle tombe : il lui faut de l'eau presque tous les huit jours en été, pour qu'elle fasse de belles productions. Quand on laboure de ces sortes de terres, on n'y fait ni sillons ni planches ; mais on met ces terres à uni à tous les remuemens qu'on y fait, & même après que le grain y est semé. Ce que les Laboureurs appellent labourer à uni, c'est relever avec l'oreille de la charrue toutes les raies de la terre d'un même côté ; de maniere que lorsqu'on a achevé de labourer le champ, il ne paroît aucun sillon, ni aucune enrue qui est un sillon fort large, & composé de plusieurs raies élevées par la charrue ; on se sert d'une charrue à tourne - oreille pour cette maniere de labourer, & on laboure ainsi principalement les terres pierreuses, où on ne met souvent que de menus grains.

Il est assez d'usage de donner le troisieme labour aux terres, différemment des deux précédens, c'est-à-dire, en traversant les premieres façons ; & ce labour est le meilleur qu'on puisse donner, parce qu'il ne laisse aucune ordure, & que toute la terre est également remuée. Cependant, il n'est bon que pour les pays secs, où l'eau s'imbibe promtement, & il ne vaut rien pour les terres qui sont trop humides, ou qui retiennent long-tems de l'eau, à-moins que l'année ne soit extrêmement seche ; autrement les eaux qui surviendroient, & qui n'auroient aucun écoulement de dessus cette terre ainsi traversée, l'humecteroient si fort, qu'on n'en pourroit tirer aucun bon parti dans la suite. Liger. (D.J.)

SILLON, (Conchyl.) les Conchyliologistes appellent sillon une cavité formée par l'élévation de deux stries, ou de deux côtés.

SILLON, en Anatomie, petite trace sur les os formée par le battement des arteres lorsqu'ils sont encore mols ; on observe plusieurs de ces sillons dans la face interne des os pariétaux. Voyez PARIETAL.

SILLON, en Fortification, est une espece de petit terreplein qu'on forme dans le milieu d'un fossé extrêmement large, pour en diminuer la largeur ; il est couvert d'un parapet & comme la tenaille. Voyez FOSSE.

SILLON, (Géog. mod.) lac d'Irlande, dans l'Ultonie ; il sépare la frontiere méridionale du comté de Cavan, de celle du comté de West-Méath.

Le sillon se nomme plus ordinairement enveloppe. Voyez ENVELOPPE. (Q)

SILLONS, (Filage) ce sont les diverses élévations que forme le fil sur la bobine du rouet en passant par les différentes distances de l'épinglier. Les sillons des fileuses ne doivent point être trop élevés, de peur que le fil ne s'éboule. Savary. (D.J.)


SILO(Géog. sacrée) ville dans l'Acrabatène, éloignée de douze milles de Sichem, selon Eusebe, ou seulement de dix, selon saint Jérome. Ce dernier ajoute, qu'elle étoit entierement ruinée de son tems ; elle est célebre dans l'Ecriture. M. Réland imagine que c'est du nom de Silo, que Pausanias a pris occasion de dire, l. VI. c. xxiv. que Silenus compagnon de Bacchus, étoit enterré dans la Palestine. Mais comme Silene est représenté sur des médailles de Sichem ou Néapolis, il semble que c'est plutôt à Sichem qu'à Silo, qu'on auroit crû voir le tombeau de ce demi-dieu du paganisme ; mais Benjamin de Tolede dit que de son tems, on montroit à Silo le tombeau de Samuel. (D.J.)


SILOÉ(Hist. sacrée) fontaine aux piés des murs de Jérusalem ; son eau couloit dans la ville par un aquéduc, & formoit une piscine d'eau qu'on croit être la même que Beth-Seda, ou Bethsaïda. Isaïe viij. 6. parle de cette fontaine, & dit que ses eaux couloient doucement & sans bruit. Il est vraisemblable que cette fontaine est la même que celle de Rogel ou du Foulon de Josué, xviij. 16. Quoi qu'il en soit, l'Ecriture nous apprend que le long de la piscine ou de l'aquéduc de Siloé, il y avoit une tour qui tomba & qui écrasa dix-huit hommes, Luc. xiij. 4. C'est aux eaux de cette fontaine que Jesus-Christ envoya l'aveugle né, au rapport de saint Jean, ix. 7. (D.J.)


SILPHIUMS. m. (Botan. anc.) , racine de Libye, aux environs de Cyrène, dont on faisoit un cas tout particulier, tant à cause de ses propriétés médicinales, que par son usage dans les ragouts. Les naturels du pays l'appelloient d'abord sirphi, ensuite silphi, d'où vint le mot grec . Les Latins nommerent la serpitium, le suc de la racine silphium.

Le suc ou la gomme de celle de Cyrène étoit tellement estimé, que les Romains déposoient dans le trésor public tout ce qu'ils en pouvoient acquérir ; & Jules César ne manqua pas de s'en emparer dans le tems de sa dictature. Les Grecs appelloient aussi proverbialement tout ce qui étoit rare, , silphium de Battus, c'est-à-dire, silphium de Cyrène, colonie dont Battus étoit fondateur. Mais nous apprenons de Pline, que long-tems avant qu'il écrivit, la connoissance du silphium de Cyrène étoit perdue ; les Romains tiroient alors leur silphium, ou le suc de cette plante d'Arménie, de Médie, & de Perse ; celui de Cyrène étoit entierement inconnu à Rome.

Je sais que quelques savans & botanistes modernes, comme le docteur Bentley, MM. Evelin, Laurence, & Geoffroy, imaginent reconnoître le silphium de Cyrène dans notre assa foetida ; mais je crois qu'ils auroient bien de la peine à démontrer leur opinion ; car sans parler des médailles qui leur sont contraires, & dont le docteur Mead a fait usage contre le docteur Bentley, il nous suffira de remarquer que Théophraste, Dioscoride, & l'ancien scholiaste d'Aristophane, donnent au silphium de Cyrène une odeur douce, odoriférante, & très-agréable ; ce qui ne convient certainement pas à l'odeur fétide, forte, & desagréable de notre assa foetida. (D.J.)


SILURESLES, (Géog. anc.) Siluri, peuples de la grande Bretagne. Pline, l. IV. c. xvj. les étend jusqu'à la mer d'Hibernie. Ptolémée, l. II. c. iij. qui écrit Sylures, ne leur donne que la ville Bullaeum, aujourd'hui Buelth ; mais selon l'itinéraire d'Antonin, ils devoient avoir encore Ariconium, Isca Silarum, Burium Bovium, & peut-être Gobannium. Le même itinéraire leur donne aussi Venta Silurum, & Magnae ou Magae.

Les Silures paroissent être venus de l'Espagne, en partie à cause de leur teint, qui étoit plus brun que celui des autres, de leurs cheveux courts & frisés, au lieu que les Bretons étoient naturellement blonds, & à cause de leurs moeurs qui étoient un peu différentes de celles des autres.

On sait d'ailleurs que les anciens Cantabres ou Biscayens, qui étoient fort appliqués à la navigation, envoyerent des colonies dans l'île d'Irlande, & l'on présume que les Silures étoient des descendans de ces Cantabres transplantés, qui avoient passé dans la grande île de Bretagne & s'y étoient établis.

Ostorius gagna sur eux une victoire décisive, dans laquelle il fit prisonnier leur roi, ses freres, ses enfans, & les renvoya à Rome, se flattant d'obtenir l'honneur du triomphe. Caractacus ayant été conduit chargé de chaînes devant l'empereur, lui parla en ces termes, au rapport de Tacite.

" Si ma modération n'avoit été aussi grande que ma naissance ou ma propre fortune, Rome me verroit maintenant son allié & non son captif ; & peut-être n'auroit-elle pas refusé de mettre au rang de ses amis, un prince qui commandoit à plusieurs peuples. L'état donc où je me trouve aujourd'hui, n'est pas moins indigne de moi qu'il est glorieux pour vous. J'ai eu armes, chevaux, équipages, grandeur, revenus, soldats & sujets. Ainsi ne trouvez point étrange, si possédant toutes ces choses, qui font l'objet de l'adoration des hommes, j'ai tâché de les défendre avec courage. Puisque vous vouliez tout avoir, il falloit bien, ou me conserver par les armes ce que je possédois, ou me résoudre à tout perdre. Si je m'étois soumis bassement & en lâche, votre gloire & mon infortune seroient ensevelies dans un silence éternel ; mais après avoir rendu votre nom fameux par ma défaite & par mes malheurs, si vous me conservez la vie, celle de mes freres & de mes enfans, nous serons dans le monde un exemple mémorable, & qui ne périra jamais de votre clémence & de votre générosité ".

L'Empereur Claude, touché de ce discours plein de force & de vérité, accorda le pardon à Caractacus, & lui fit ôter à l'instant ses chaînes, ainsi qu'à ses freres & à ses enfans, & à tous les captifs de leur suite. Cependant il arriva, dans l'intervalle du voyage de Caractacus à Rome, que les Silures obtinrent quelques avantages contre Ostorius. Irrités de ce qu'on les menaçoit de les transporter dans un pays étranger, comme on l'avoit pratiqué à l'égard des Sicambres, ils ne songerent plus qu'à défendre unanimement leur liberté jusqu'à la mort. Bientôt après ils taillerent en pieces deux cohortes romaines, que l'avarice des chefs & le desir du pillage avoient fait engager trop avant dans leur pays. Ensuite ils tâcherent de porter tous les autres peuples à se soulever, en les gratifiant de la plus grande partie des dépouilles qu'ils avoient faites sur leurs ennemis. Ostorius mourut de déplaisir de se voir hors d'état de terminer cette guerre. Aulus Didius qui lui succéda s'y prit mieux, ou fut plus heureux. Il arrêta les progrès des armes des Silures, qui s'étoient déja jettés sur les frontieres de la province Romaine. Enfin ils perdirent insensiblement leurs avantages, & furent soumis par Frentinus. On voit par ce qui précede que la défaite totale des Silures est renvoyée fort au-delà du regne de Vespasien, tems auquel quelques auteurs l'ont fixée. Lorsqu'on lit l'histoire d'un peuple brave qui préfere la mort à la servitude, le coeur le plus lâche s'intéresse à son sort, & lui souhaite du succès. Alors on quitte le parti des Romains, & l'on s'enrôle parmi les honnêtes gens.


SILVA CIMINIA(Géog. anc.) forêt d'Italie, dans la Toscane, au-delà de la ville de Pérouse, par rapport à Rome. Tite-Live, l. IX. c. xxxvj. & xxxvij. qui marque la situation de cette forêt, & qui la décrit, dit que sous le consulat de Q. Fabius, & de M. Marcius Rutilus, elle étoit aussi impénétrable & aussi affreuse que la forêt Hercinienne dans la Germanie, & qu'aucun marchand jusque-là n'avoit osé y passer. (D.J.)

SILVA HERCULI SACRA, (Géog. anc.) forêt de la Germanie, entre le Weser & l'Elbe : Tacite l'appelle ainsi, parce qu'elle étoit, dit-il, consacrée à Hercule.


SILVAINS. m. ou mieux encore SYLVAIN, (Mythol.) silvanus ; dieu champêtre des Romains, qui présidoit aux forêts, comme son nom l'indique ; c'est un dieu dont l'origine est peu connue. Les uns le font fils de Saturne, & les autres de Faune ; on ne sait pas même où il est né. Les Pélasges en porterent la connoissance de Grece en Italie.

Macrobe distingue trois Silvains ; l'un étoit dieu domestique ou dieu lare, Silvanus larium ; l'autre, dieu champêtre, & c'étoit le même que Pan ou Faune ; le troisieme dieu oriental, ou le dieu qui étoit le même que Mars, & celui-ci étoit proprement Silvain. Servius observe, que c'étoit - là l'opinion commune, mais que les philosophes disoient, que Silvain étoit le dieu de la matiere, qui est la masse & la lie des élémens ; c'est-à-dire ce qu'il y a de plus grossier dans le feu, dans l'air, dans l'eau & dans la terre.

On trouve Silvain représenté, tantôt avec les cornes & la moitié du corps de chevre, tantôt avec toute la forme humaine ; les attributs de Silvain sous la forme humaine, sont une serpe à la main, une couronne grossierement faite de feuilles & de pommes de pin, un habit rustique qui lui descend jusqu'au genou, un chien auprès de lui, & des arbres à ses côtés, comme dieu des forêts.

Silvain en la forme de Pan, étoit figuré avec les cornes, les oreilles, & la partie inférieure du corps de chevre, tout nud, couronné de lierre, mais dont les cornes percent la couronne, portant de la main gauche une branche de pin, ou tenant des pommes de cet arbre, ce qui montre que le pin étoit l'arbre favori de ce dieu. Souvent au lieu de pin, c'est une branche de cyprès, à cause de la tendresse qu'il avoit pour le jeune Cyparissus, qui fut métamorphosé en cyprès ; où, selon les Historiens, parce qu'il a le premier appris à cultiver cet arbre en Italie.

Une troisieme maniere assez ordinaire de représenter Silvain, c'est en forme d'herme, où l'on ne voit que la tête & la moitié du corps sans bras ; le reste se termine en pilier, dont la grosseur diminue toujours jusqu'à la base.

Silvain fut extrêmement honoré en Italie, où l'on croyoit qu'il avoit pris naissance, & qu'il avoit regné utilement pour les hommes. Il avoit plusieurs temples à Rome, un dans les jardins du mont-Aventin, un autre dans la vallée du mont-Viminal, & un troisieme sur le bord de la mer, d'où il étoit appellé Littoralis.

Ses prêtres formoient un des principaux colleges du sacerdoce romain, & nous en ferons un article à part ; c'est assez d'observer ici, qu'il n'y avoit que des hommes qui pussent lui sacrifier. On lui faisoit des offrandes selon la saison, & selon le besoin que l'on avoit de son secours. Dans le tems de la moisson, on lui présentoit des épis, afin qu'il bénît les blés. En automne, on lui offroit des raisins, afin qu'il donnât de bonnes vendanges ; & on lui donnoit du lait quand on le prioit d'avoir soin des troupeaux. Tout cela est marqué dans ces deux vers de Tibulle de l'Elégie 5. du liv. I. lorsqu'il parle des occupations que sa maîtresse auroit chez lui à la campagne.

Illa deo sciet agricolae pro vitibus uvam,

Pro segete spicas, pro grege ferre dapem.

" Elle saura offrir au dieu champêtre des raisins pour nos vignes, des épis pour nos moissons, & du lait pour nos troupeaux ". D'abord on se contentoit de lui faire de ces simples offrandes, mais dans la suite, on lui immoloit encore un cochon. On paroit ses autels de branches de cyprès ou de pin, & c'est pour cela qu'on l'appelloit Dendrophore.

On faisoit peur aux enfans de Silvain, comme du loup ; c'est à cause de l'inclination qu'ont tous les enfans à détruire & à rompre des branches d'arbres. Pour les en empêcher, on leur représentoit Silvain comme un dieu qui ne souffriroit pas impunément qu'on gâtat des choses qui lui étoient consacrées ; mais pourquoi Silvain étoit-il la terreur des femmes en couche ? Et pourquoi falloit-il implorer contre lui la protection d'autres divinités ? C'est, dit-on, parce que Silvain étoit regardé comme incube.

SILVAINS, (Mythol.) les Silvains étoient dans la Mythologie, certains dieux champêtres de peu d'importance, comme les Faunes, les Satyres, les Silenes, les Pans, les Egipans, &c. mais ils servoient tous aux poëtes à embellir leurs descriptions du paysage des campagnes. Ces dieux avoient des bocages particuliers, où les bergers & les troupeaux alloient chercher l'ombre pendant les ardeurs étouffantes de la canicule. (D.J.)

SILVAIN, COLLEGE DE, (Antiq. rom.) collegium Silvani ; c'est-à-dire société ou confrérie, qu'on appelloit aussi sodalitas, sodalitium. Entre les colleges ou confréries des Romains, il y en avoit de sacrés, comme collegium fratrum arvalium, le college des freres arvales, qui sacrifioient pour la fertilité des champs. Le college de Silvain à Rome, étoit aussi du nombre des sacrés & s'appelloit le grand college. Les corps de métier avoient aussi leurs colleges & leurs assemblées qui se faisoient en certains tems, & ces sortes de colleges n'étoient point sacrés.

La bibliotheque de S. Germain des prés possede un monument curieux ; c'est une pierre trouvée à ce qu'on dit au bois de Vincennes tout-auprès de S. Maur. Le savant P. Dom Bernard de Montfaucon, en a fait présent aux bénédictins de S. Germain. Cette pierre porte pour inscription : Collegium Silvani, restituerunt Marcus Aurelius, Augusti libertus, Hilarus, & magnus Cryptarius, curatores, c'est-à-dire que Marcus-Aurelius affranchi d'Auguste, surnommé Hilarius, & magnus Cryptarius, curateurs, ont rétabli le college de Silvain. Le nom de Marcus-Aurelius que portoit l'affranchi d'Auguste, marque qu'il étoit affranchi de Marc-Aurele, qui regna depuis l'an 160 de J. C. jusqu'à l'an 180 ; & que ce rétablissement du college de Silvain a été fait sous cet empereur.

Ce college de Silvain près de Paris, ayant été rétabli du tems de Marc-Aurele, il falloit donc qu'il eût été fondé long-tems auparavant, & qu'il fût depuis tombé en décadence, ce qui porta les curateurs à le remettre à son premier état. Ce fut apparemment peu de tems après que les Gaules furent réduites sous la puissance des Romains, que ce college de Silvain fut établi dans le bois de Vincennes, à l'imitation du grand college de Silvain de Rome ; car les principales villes des Gaulois se conformoient à cette capitale du monde, dans leurs établissemens, leurs édifices, leurs temples, leurs colleges, &c. & si les précieux restes de l'antiquité n'étoient comme abîmés dans les grands décombres qui ont si fort haussé le terrein de Paris, nous y verrions vraisemblablement bien des choses imitées de l'ancienne Rome.

Les temples & les autres lieux consacrés à Silvain, étoient ordinairement dans les bois & dans les forêts. Selon M. Fabretti, on voit encore aujourd'hui dans un bois près de Rome, joignant la voie d'Ostie, les mazures d'un temple avec l'inscription, Silvano sancto ; ce culte qu'on lui rendoit dans les bois avoit rapport à son nom. Ce dieu se voit assez souvent représenté entre des arbres, tenant une serpe, & portant une branche de pin ou de cyprès ; de-là vient qu'on l'appelloit Dendrophore.

Notre inscription ne nous apprend touchant ce college de Silvain, que ce que je viens de dire ; mais comme il a indubitablement été fondé, à l'exemple & sur la forme du grand college de Silvain de Rome, cela m'engage à rapporter ici de ce grand college romain, ce que les marbres nous en apprennent, car les anciens auteurs n'en ont jamais parlé.

Ce grand college avoit été inconnu presque jusqu'à nos jours. Ce fut M. Fabretti, fameux antiquaire, mort l'an 1700, qui, à la faveur de quelques inscriptions antiques, en donna la connoissance au public. Ce college est toujours appellé dans ses inscriptions, collegium magnum Silvani, le grand college de Silvain. On gardoit dans ce grand college les dieux Lares & les images des empereurs. On savoit bien par le rapport de quelques auteurs, qu'on rendoit un culte aux dieux Lares & aux images des empereurs ; mais il n'étoit dit nulle part, qu'on les gardât au grand college de Silvain.

Le nombre de ceux qui composoient ce grand college, alloit à plus de cent, selon une des inscriptions qui rapporte tous leurs noms. Le chef de la confrérie étoit Caïus Julius - Elpidephorus - Cyrinus, qui est appellé patronus sodalitii, le patron de la confrérie. Après lui venoient ceux qu'on appelloit immunes, au nombre de six ; ce nom paroît n'exprimer guere leur office & leurs prérogatives ; mais d'autres inscriptions nous apprennent que ces immunes avoient droit de sacrifier dans les assemblées, & ce droit est qualifié dans une inscription d'immunitas. Après ces immunes au nombre de six, venoient les soldats ou confreres, qui sont quatre-vingt-douze, divisés par décuries : or il est à remarquer que ces décuries ne comprenoient pas seulement dix personnes, comme le nom semble le signifier, mais quatorze, quinze, & quelquefois seize ; ce qui s'observe aussi dans d'autres inscriptions, où il est fait mention de colleges différens de celui dont nous parlons.

D'autres inscriptions qui rapportent les noms des soldats romains, mettent en titre centuria, le centurie, & en nomment bien au-delà de cent sur chacune.

Après les quatre-vingt-douze confreres, on voit dans un rang séparé les bas-officiers, qui y sont appellés biatores au lieu de viatores ; le b mis pour v consonne se trouve si souvent dans les inscriptions, qu'on ne s'y arrête plus. Ces biatores étoient destinés pour les commissions & pour les emplois les plus bas. Dans une autre inscription, T. Flavius Myrtillus-Januarianus est appellé scriba collegii magni, scribe ou secrétaire du grand college.

Dans ce grand college de Silvain & dans les autres colleges, les confreres s'assembloient quelquefois pour sacrifier ; on y faisoit des festins à toute la troupe. Ces colleges assistoient aussi à la pompe ou procession qui se faisoit tous les ans, & où l'on portoit les images des dieux & des empereurs. Le grand college de Silvain destiné à garder ces images, y devoit tenir un rang considérable.

Les inscriptions romaines qui nous ont donné la connoissance de ce grand college de Silvain, ne nous apprennent pas en quel lieu de la ville se faisoient les assemblées, ni où étoit l'édifice où l'on gardoit les dieux Lares & les images des empereurs. Le lieu où s'assembloient ceux qui composoient le college de Silvain de Paris, étoit apparemment dans le bois de Vincennes, où a été trouvé ce monument, ou peut-être dans quelque lieu voisin. L'inscription ne dit autre chose que ce que nous avons rapporté ci-dessus ; mais comme il avoit été fait à l'exemple de celui de Rome, ce que nous avons dit du college romain doit lui convenir. Extrait du discours de D. Bernard de Montfaucon, inséré dans les Mém. des Inscript. tom. XX. (D.J.)


SILVANECTES& SILVANECTUM, (Géog. anc.) ville de la Gaule belgique. Cette ville n'a point été connue des anciens, ou son nom est étrangement défiguré dans leurs livres. On ne sait si les habitans sont les Ulmanetes de Pline, l. IV. c. 17. ou les Sumanectes de Ptolémée.

La plûpart des géographes croyent qu'il est question, dans cet endroit de Ptolémée, des peuples silvanectes. Ptolémée donne aux Sumanecti une ville nommée , qui pourroit être la même chose que l'Augustomagus des anciens itinéraires, si l'on vient à convenir que les Sumanectes & les Silvanectes sont le même peuple. Les mêmes itinéraires placent Augustomagus entre Caesaromagus & Suessiones, ce qui montreroit que c'est la ville de Senlis d'aujourd'hui, qui est appellée civitas Silvanectum dans la notice des provinces des Gaules.

Dans celle des dignités de l'empire, on lit : praefectus laetorum gentilium, Remos & Silvanectas Belgiae secundae. L'on voit, par cette notice, que comme le nom des peuples Remi est donné à la ville de Rheims, de même le nom des peuples Silvanectae est employé, selon l'usage de ce tems-là, pour désigner la capitale Augustomagus, à-présent Senlis. Le roi Guntheram se plaignit à Grégoire de Tours, qui lui avoit été envoyé en ambassade, de ce qu'on lui retenoit sa part de la ville de Senlis : pars mea de urbe Silvanectensi non redditur.

M. de Valois croit que le nom de Silvanectes n'est point latin, mais gaulois, & que ce n'est que dans les notices de l'empire, qu'on trouve pour la premiere fois le nom de civitas Silvanectum pour Senlis, ainsi nommée de silva, parce qu'elle étoit au milieu des bois. (D.J.)


SILVES. f. (Gram. & Littérat.) piece de poésie faite d'enthousiasme, sans préparation, sans méditation, par fantaisie, par boutade, de chaleur d'imagination. Telles sont les silves de Stace.


SILVER-GROSS. m. (Monnoie) le silver-gros, c'est-à-dire, le silver-gros d'argent, est une monnoie de compte, dont les marchands de Breslau en Silésie se servent pour tenir leurs livres en écriture. Trente silver-gros font la richsdaler. Ricard. (D.J.)


SILVESou SILVA, (Géogr. mod.) petite ville de Portugal, dans le royaume des Algarves, au nord-est de Lagos, un peu au-dessus du bord de la mer, & dans une campagne admirable ; mais la ville n'en est ni plus peuplée ni plus riche. Aussi l'évêché qu'elle avoit a été transféré à Faro en 1590. Long. 9. 8. latit. 37. 15. (D.J.)


SILVESTRES. f. (Teint.) graine rouge qui sert à la teinture. L'arbre qui la produit ne croît qu'aux Indes occidentales : la graine silvestre vient particulierement de Guatimala, la plus grande & la plus fertile province de la nouvelle Espagne. Voy. COCHENILLE.


SILVESTRERIS. m. (Hist. ecclés.) religieux de la congrégation de Saint Silvestre Gozzolam, d'une famille noble d'Osmo dans la marche d'Ancone, & fondateur de cet ordre.


SILVINIACUMou SILVINIACUS, (Géog. anc.) grande bourgade de France, aux confins du Berry & de l'Auvergne, dont elle passoit pour être la borne ; c'est présentement Souvigny, entre Bourbon-l'Archambaut & Moulins. (D.J.)


SILVIUM(Géog. anc.) ville d'Italie. L'itinéraire d'Antonin la place sur la route de Bénevent à Tarente. Strabon donne Silvium aux Peuritii. Ses habitans sont nommés Sylvini par Pline, l. III. c. xj. Silvium, selon Holstein, étoit dans l'endroit où est à-présent il Gorgolione. (D.J.)


SILYS(Géog. anc.) les Scythes, selon Pline, l. VI. c. 15. donnoient dans leur langue ce nom à deux fleuves différens : savoir à celui que les Latins appelloient Tanaïs, & qui faisoit la séparation de l'Europe & de l'Asie, & au Jaxartes, qui tombe dans la mer Hyrcanienne. Il ne faut donc pas s'étonner si les soldats d'Alexandre le grand, lorsqu'ils furent arrivés sur le bord du Jaxartes (Arrian. l. IV. c. xv.) donnerent à ce fleuve le nom de Tanaïs. D'ailleurs Arrien dit que le Jaxartes, ou , selon le grec, est aussi appellé Tanaïs ; car il connoit deux fleuves de ce nom. Jornandès distingue pareillement deux Tanaïs, l'un qui vient des monts Riphées, & tombe dans les Palus méotides, l'autre qui prend sa source dans les monts Chrinni, & se perd dans la mer Caspienne. Voyez TANAÏS & JAXARTES. (D.J.)


SIMA(Archit. rom.) la grande cimaise, il y a deux sortes de cimaises, l'une droite & l'autre renversée ; c'est cette derniere qui est le sima des Latins, & que nous appellons gueule en français. (D.J.)


SIMADIRI(Hist. de l'égl. grecq.) nom que les Grecs modernes donnent à une planche longue de trois à quatre piés, large de cinq à six pouces, taillée en talus, & qui est d'usage pour appeller le peuple à la priere ; elle sert de cloche aux chrétiens grecs. Le caloyer ou le papas tient le simaridi d'une main à la porte de l'église, & de l'autre il frappe dessus à coups de maillet redoublés, ce qui fait un bruit qu'on entend d'assez loin. C'est, dit la Guilletiere, un plaisir au jour de fête, de voir dans quelques endroits les enfans des papas battre le simadiri en musique. (D.J.)


SIMAETHUS(Géog. anc.) selon Ptolémée & Ovide : Simetos selon Vibius Sequester ; & Simaethus selon Strabon, Thucydide & Pline. C'est le nom d'un fleuve de Sicile, qui, à ce que croit Cluvier, faisoit la borne entre les Leontini & le territoire de Catana. Ptolémée, l. III. c. iv. marque mal-à-propos l'embouchure de ce fleuve entre Catane & Tauromentum ; car Thucydide, l. VI. p. 455. met le fleuve Simaethus auprès du territoire, ou même dans le territoire des Leontini. Servius, ad aeneid. l. IX. v. 584. dit que le fleuve Simaethus couloit aux environs de Palica, ce qui est confirmé par Vibius Sequester : or les Leontini & Palica étoient au midi de Catane, au lieu que Tauromenium étoit vers le nord. Le nom moderne, selon Fazel, est Santo-Paulo ; Lazaretto selon Léander, & Jarretta selon d'autres. (D.J.)


SIMAIRSKA(Géog. mod.) ville de l'empire russien, au royaume d'Astracan, entre cette ville & Casan, sur le Wolga, au pays des Tartares nogais. Long. 66. lat. 54. 5.


SIMAISEVoyez CYMAISE.


SIMANCAS(Géog. mod.) en latin Septimanca, petite ville d'Espagne, au royaume de Léon, sur le Douëro, à trois lieues au midi de Valladolid, avec un château fortifié. Long. 13. 33. latit. 41. 45. (D.J.)


SIMARES. f. (habit des Romains) en latin syrma. Voyez SYMARE. Mais une simare d'ecclésiastique est une espece de robe de chambre, que les prélats mettent quelquefois par dessus leur soutane. (D.J.)


SIMAROUBAS. m. (Botan. exot.) écorce d'un arbre inconnu jusqu'à présent, qui croît dans la Guiane, & que les habitans ont appellée simarouba. Elle est d'un blanc jaunâtre, sans odeur, d'un goût un peu amer, composée de fibres pliantes, attachée au bois blanc, léger & insipide des racines, des souches & des troncs, desquels on la sépare aisément.

Le simarouba est composé de gomme résineuse, d'un goût qui n'est pas desagréable. Il fortifie l'estomac par sa légere amertume. Il appaise les douleurs & les tranchées par ses parties balsamiques & onctueuses, qui se connoissent par la couleur laiteuse que cette écorce donne à l'eau dans laquelle on la fait bouillir. Il arrête les hémorragies & les flux de ventre, par sa vertu astringente & vulnéraire.

Cette écorce est arrivée pour la premiere fois dans nos ports l'an 1713. On l'avoit envoyée de Guiane, où elle est fort en usage pour les flux de ventre dissentériques.

Elle convient sur-tout dans le flux de ventre séreux, bilieux, sanguinolens & muqueux, où cependant il n'y a point de fievre ni de dérangement d'estomac ; pour lors le simarouba se donne avec grand succès, soit en décoction jusqu'à deux drachmes dans deux livres d'eau, soit en poudre ratissée, à la dose de demi-drachme, dont on fait deux ou trois boles avec du syrop de capillaire. Cette écorce a une excellente vertu antispasmodique, stomachique, & légérement narcotique. Voyez les mém. de l'acad. des scienc. ann. 1729 & 1732. (D.J.)


SIMAou SIMAUM, (Géog. mod.) petite ville de la Turquie asiatique, dans l'Anatolie, près de la riviere de Sangari, à quatorze lieues de Nicée. (D.J.)


SIMBALATHS. m. (Mat. médic. des Arabes) nom donné par Avicenne & autres arabes, au nard celtique, & non pas au nard indien, comme on le prétend communément ; car Avicenne dit que c'est le nard européen, nardus romani orbis ; & après en avoir parlé, il mentionne plusieurs nards d'Asie, qui sont les nards indiens.


SIMBLEAUS. m. (Archit.) ou plutôt cingleau, par corruption du latin cingulum, un cordon ; c'est le cordeau qui sert à tracer les arcs de cercle d'une étendue plus grande que les branches des plus grands compas soit à branches, soit à verges. Les meilleurs simbleaux sont des chaînettes qui ne sont pas sujettes à s'allonger comme les cordes.

On appelle aussi simbleau une perche immobile par un de ses bouts, qui sert à tracer un grand arc de cercle.


SIMBLOTS. m. (Manufact.) c'est un assemblage de quantité de petites ficelles, qui sont au côté droit du métier que le fabriquant a monté pour faire une étoffe figurée. Ces ficelles, qui passent sur les poulies du cassin, & qui répondent aux lisses, sont en nombre égal aux fils de la chaîne auxquels elles sont attachées, ensorte que lorsque le tireur en tire quelqu'une, il s'éleve autant de fils, à-travers desquels l'ouvrier peut passer son espoulin. Pour savoir quelles ficelles doivent se tirer, on y a lu auparavant le dessein, c'est-à-dire, qu'on y a passé successivement autant de petites cordes à noeuds coulant que le liseur en a nommé. C'est cette lecture du dessein qui est ce qu'il y a de plus curieux, & aussi de plus difficile dans la monture de ces sortes de métiers, & l'on a besoin pour cela des plus habiles ouvriers, surtout si le dessein est beaucoup chargé. Dictionn. de Commerce. (D.J.)


SIMBORS. m. (Hist. nat. Bot.) plante singuliere des Indes orientales, qui ressemble aux cornes d'un élan. Elle croît sur les bords de la mer ; au lieu de racine elle paroit sortir d'une substance mollasse & fongueuse ; elle n'a pas besoin d'être mise en terre pour prendre, on n'a qu'à la placer sur une pierre ou dans le creux d'un arbre où elle reçoive de l'humidité. Cette plante est toujours verte ; ses feuilles ressemblent à celles des lis blancs ; elles sont visqueuses & d'un goût amer. On les regarde comme émollientes, résolutives, laxatives, & propres à tuer les vers.


SIMBOR-MAGIANAM(Botan. exot.) nom d'une plante des Indes, qui croît dans l'île de Java, près de la mer, & dans le royaume de Bantam. Il est ridicule à Bontius d'en parler, & de n'en avoir pas donné la description. (D.J.)


SIMBRUINASIMBRUINA


SIMELIUMS. m. (Hist. anc.) est un terme latin qui signifie un médailler, ou une planche, qui a plusieurs petites cavités pour y arranger des médailles par ordre chronologique. Voyez MEDAILLES & SUITE.

Ce mot est mal écrit ; ce devroit plutôt être cimelium, qui est formé du grec , curiosités ou cabinet des choses précieuses. Nous disons plus ordinairement un médailler qu'un cimelium.


SIMENIE(Géog. anc.) peuples de la grande-Bretagne. Ptolémée, l. II. c. iij. leur donne une ville nommée Venta. Il y en a qui croyent que ces peuples sont les habitans de l'Hantshire ; mais Cambden soupçonne qu'il faut lire dans Ptolémée Iceni, au lieu de Simeni. (D.J.)


SIMIA(Chimie) c'est le nom que les Arabes modernes donnent à une partie de la chimie prise dans sa plus ample signification : car, selon les idées les plus communes parmi eux, la chimie proprement dite, ne s'exerce que sur les sucs & sur les essences des plantes, quoique, par extension, elle comprenne la préparation des métaux & des minéraux, qui sont particulierement l'objet de ce que les Arabes appellent simia. Cependant lorsqu'ils parlent de la chimie en général, & des merveilleux effets qu'elle produit, ils joignent toujours les mots de kimia & de simia, pour comprendre toutes les opérations que l'on fait par le moyen du feu, tant sur les métaux & les minéraux, que sur les animaux & les plantes.

Ils donnent aussi le nom de simia à un autre art, qui a pour objet les noms & les nombres, dont on tire une espece de divination, de la même maniere que des points & des lignes, par le moyen de la géomancie. Cette science des noms va bien loin, parce qu'elle comprend aussi celle des noms des esprits, & leur invocation ; & dans le livre intitulé kitah al anwar, le livre des lumieres, on trouve 28 alphabets de la simia pour faire des talismans, afin d'attirer les esprits, & d'en tirer divers usages ; desorte qu'ils définissent cette science, l'art de connoître les esprits supérieurs, & de faire descendre jusqu'à nous leurs vertus, pour obtenir ce que nous desirons.

Le mot de simia vient des mots arabes sam & samat, qui signifient les veines d'or & d'argent qui se trouvent dans les mines. Les Arabes attribuent l'invention de la simia à Ammonius, & celle de la kimia ou chimie proprement dite, à Kirum ou Carum, c'est-à-dire à Chiron le centaure, précepteur d'Achille, qu'ils prétendent, selon M. d'Herbelot, n'être autre chose que le Coré de Moïse. Voyez ses articles Simia & Kimia. (D.J.)


SIMILAIRENOMBRE, (Arihmét.) le nombre similaire est la même chose que le nombre proportionnel. Les nombres plans similaires, sont ceux qui font des rectangles proportionnels ; par exemple, 6 multiplié par 2, & 12 multiplié par 4, dont l'un produit 12, & l'autre 48, sont des nombres similaires. Les nombres solides similaires, sont ceux qui font des parallelepipedes rectangles similaires. (D.J.)

SIMILAIRE, adj. (Physique) corps similaires se dit de deux corps comparés l'un à l'autre, qui ont, ou qui sont censés avoir des particules de même espece & de même nature, comme deux monceaux d'or, deux monceaux de plomb, &c. au-contraire un monceau d'or & un monceau de plomb sont des corps dissimilaires.

Similaire se dit aussi en parlant d'un même corps, dont les parties sont aussi toutes de la même nature. On les appelle autrement homogenes ; ainsi l'eau est un fluide homogene ou similaire. Au-contraire l'air, dont les parties n'ont pas toutes la même densité, est un fluide hétérogene & non similaire. Voyez HOMOGENE & HETEROGENE. (O)

SIMILAIRE, lumiere similaire, selon M. Newton, est celle dont les rayons sont également réfrangibles. Il l'appelle encore lumiere simple & homogene. Telle est, par exemple, la lumiere rouge primitive, qui est un faisceau de rayons tous également réfrangibles ; au-contraire, la lumiere blanche est un composé de rayons de diverses couleurs, dont les réfrangibilités sont différentes. Voyez RAYON, REFRANGIBILITE, COULEUR, &c. (O)

SIMILAIRES, en Anatomie, sont les parties du corps qui au premier coup d'oeil paroissent être composées de parties semblables ou de même contexture, nature & formation. Voyez PARTIE.

On en compte ordinairement de dix sortes ; savoir, les os, les cartilages, les ligamens, les membranes, les fibres, les nerfs, les arteres, les veines, la chair, & la peau : on peut les voir chacune sous son article particulier, &c.

Le docteur Grew remarque dans son anatomie des plantes, qu'elles ont pareillement leurs parties similaires & organiques. Voyez PLANTE.


SIMILou ASIMILI, (Littérat.) lieu commun en rhétorique, par lequel on tire des preuves ou des argumens de la convenance que deux ou plusieurs choses ont entr'elles. Tel est cet argument du p. Bourdaloue sur la providence. " Le mondain croit qu'un état ne peut être bien gouverné que par la sagesse & le conseil d'un prince. Il croit qu'une maison ne peut subsister sans la vigilance & l'économie d'un pere de famille. Il croit qu'un vaisseau ne peut être bien conduit sans l'attention & l'habileté d'un pilote : & quand il voit ce vaisseau voguer en pleine mer, cette famille bien réglée, ce royaume dans l'ordre & dans la paix, il conclut sans hésiter, qu'il y a un esprit, une intelligence qui y préside. Mais il prétend raisonner tout autrement à l'égard du monde entier ; & il veut que sans providence, sans prudence, sans intelligence, par un effet du hasard, ce grand & vaste univers se maintienne dans l'ordre merveilleux où nous le voyons. N'est - ce pas aller contre ses propres lumieres & contredire sa raison ? " Carême de Bourdal. t. II. p. 309.


SIMILITUDou RESSEMBLANCE, s. f. en Métaphysique, c'est l'identité des choses qui servent à distinguer les êtres entr'eux. Les êtres ne peuvent être discernés que par certaines propriétés intrinseques ; mais ces propriétés ne sauroient être connues & déterminées qu'en les comparant avec celles qui se trouvent dans d'autres êtres. Il n'y a que cette voie qui mette en état d'expliquer la différence de ces propriétés. Quand on n'y en remarque aucune, les objets sont censés parfaitement semblables. Levez le plan de deux édifices ; si leur disposition & leurs dimensions sont absolument pareilles, ces deux plans sont les mêmes ; & à moins que de les numéroter, vous ne saurez à quel édifice chacun d'eux se rapporte, ou plutôt il vous sera indifférent de le savoir.

La quantité peut différer ou être la même dans les choses semblables. Quand elle differe, on se sert de cette disproportion de choses semblables pour les distinguer.

L'identité de quantité fait ce qu'on appelle égalité, dont voyez l'article ; & la similitude porte sur tout ce qui n'est pas quantité dans les êtres. Léibnitz qui a donné le premier une idée distincte de la similitude, définit les choses semblables : ea quae non possunt distingui nisi per compraesentiam. Mais ce terme de compraesentia aura quelque chose d'obscur & de trop resserré, si on le restreint à la présence des objets qui s'offrent à-la-fois à nos sens. Pour rendre l'expression de Léibnitz juste, & son idée véritable, il faut étendre la comprésence à la possibilité d'appliquer non - seulement les objets l'un sur l'autre, mais encore à celle de comparer successivement deux objets, l'un présent, & l'autre absent, à un troisieme, qui serve de mesure & de proportion commune.

Si deux ou plusieurs objets ressemblans sont présens à-la-fois, la place que chacun d'eux occupe, le distingue des autres. S'ils ne s'offrent pas aux sens en même tems, on procede à l'égard de ceux qui different en quantité, par la voie de comparaison à quelque mesure qui s'applique successivement à l'objet présent, à l'objet absent. Sinon on a recours aux raisons extrinséques, prises de divers tems & de divers lieux dans lesquels ces objets ont existé & existent.

Les choses entre lesquelles on ne peut saisir d'autres différences intrinséques, que celle de la quantité, paroissent donc semblables, & ont la même essence, aussi-bien que les mêmes déterminations. La similitude n'a lieu qu'entre des êtres, qui appartiennent à la même espece, ou du moins au même genre, & elle ne s'étend pas au-delà des bornes de la notion commune, sous laquelle les choses semblables sont comprises. Une montre d'or, d'argent, de cuivre, sont semblables, entant que montres composées de rouages & de ressorts qui font aller l'aiguille sur le cadran des heures. Voilà leur notion commune, & leur ressemblance ne va pas plus loin. La matiere, la grosseur, le poids, la façon sont autant de choses qui peuvent varier. Il est vrai qu'à mesure qu'elles s'accordent, la similitude augmente jusqu'à ce qu'elle soit parfaite par le concours de toutes les choses qui servent à distinguer les êtres.

Or, il est manifeste qu'il ne sauroit y avoir une suite manifeste des causes ; car la derniere cause augmenteroit la suite en produisant son effet.

Pour les mathématiciens, ils appellent infini tout ce qui surpasse le fini ; c'est-à-dire, tout ce qui peut être exprimé ou mesuré en nombre. Cet article est tiré des papiers de M. Formey.

SIMILITUDE, s. f. en Arithmétique, Géométrie, &c. signifie la relation que deux choses semblables ont ensemble. Voyez SEMBLABLE.

SIMILITUDE, (Rhétor.) la similitude est une figure par laquelle on tâche de rendre une chose sensible par une autre toute différente.

Les rhéteurs s'en servent ou pour prouver, ou pour orner, ou pour rendre le discours plus clair & plus agréable. Quintilien, que je consulte comme un guide propre à nous conduire dans les ouvrages d'esprit, dit que les similitudes ont été inventées les unes pour servir de preuve des choses dont on traite, les autres pour éclaircir les matieres douteuses.

La premiere regle qu'il donne à ce sujet est de ne pas apporter pour éclaircissement une chose qui est peu connue ; parce que ce qui doit éclairer & donner du jour à une chose, doit avoir plus de clarté que la chose même. C'est pourquoi, dit-il, laissons aux poëtes les comparaisons savantes & peu connues.

La seconde regle est que les similitudes ne doivent pas être triviales ; car plus elles paroissent neuves, plus elles causent d'admiration.

La troisieme regle est que l'on ne doit point employer des choses fausses pour similitudes.

Quelquefois la similitude précede la chose, ou la chose précede la similitude ; quelquefois aussi elle est libre & détachée : mais elle est plus agréable quand elle est jointe avec la chose dont elle est l'image, par un lien qui les embrasse toutes deux, & qui fait qu'elles se répondent réciproquement.

Une quatrieme regle que j'ajoute à celles de Quintilien, c'est que dans les similitudes l'esprit doit toujours gagner, & jamais perdre ; car elles doivent toujours ajouter quelque chose, faire voir la chose plus grande, ou, s'il ne s'agit pas de grandeur, plus fine & plus délicate ; mais il faut bien se donner de garde de montrer à l'ame un rapport dans le bas, car elle se le seroit caché, si elle l'avoit découvert.

La cinquieme regle, c'est que l'esprit doit réunir dans les similitudes tout ce qui peut frapper agréablement l'imagination ; mais afin que la ressemblance dans les idées soit spirituelle, il faut que le rapport ne saute pas d'abord aux yeux, car il ne surprendroit point, & la surprise est l'essence de l'esprit. Si l'on comparoit la blancheur d'un objet à celle du lait ou de la neige, il n'y auroit point d'esprit dans cette similitude, à moins qu'on n'apperçût quelque rapport plus éloigné entre ces deux idées capable d'exciter la surprise. Lorsqu'un poëte nous dit que le sein de sa maîtresse est aussi blanc que la neige, il n'y a point d'esprit dans cette comparaison ; mais lorsqu'il ajoute avec un soupir, qu'il est d'ailleurs aussi froid, voilà qui est spirituel. Tout le monde peut se rappeller des exemples de cette espece : ainsi la similitude doit frapper par quelque pensée nouvelle, fine, & qui cause une espece de surprise.

Entre tant de belles similitudes que j'ai lu dans les orateurs, & les poëtes anciens & modernes, je n'en citerai qu'une seule qui me charme par sa noble simplicité ; c'est celle de M. Godeau dans sa paraphrase du premier pseaume de David :

Comme sur le bord des ruisseaux

Un grand arbre planté des mains de la nature,

Malgré le chaud brûlant conserve sa verdure,

Et de fruits tous les ans enrichit ses rameaux :

Ainsi cet homme heureux fleurira dans le monde ;

Il ne trouvera rien qui trouble ses plaisirs,

Et qui constamment ne réponde

A ses nobles projets, à ses justes desirs.

Après avoir parlé de la similitude en rhéteur, il faut bien que j'en dise un mot comme philosophe : je crois donc dès que le langage fut devenu un art, l'apologue se réduisit à une simple similitude. On chercha à rendre par - là le discours plus concis & plus court. En effet, le sujet étant toujours présent, il n'étoit plus nécessaire d'en faire d'application formelle. Ces paroles de Jérémie, chap. ij. 16. qui tiennent le milieu entre l'apologue & la similitude, & qui par conséquent participent de la nature des deux, nous font connoître avec quelle facilité l'apologue s'est réduit à une similitude. " Le Seigneur t'a appellé un olivier verd, beau & bon : il le mettra au feu avec grand bruit, & en brisera les branches ".

On peut ajouter que la similitude répond aux marques ou caracteres de l'écriture chinoise ; & que comme ces marques ont produit la méthode abrégée des lettres alphabétiques, de même aussi pour rendre le discours plus coulant & plus élégant, la similitude a produit la métaphore, qui n'est autre chose qu'une similitude en petit ; car les hommes étant aussi habitués qu'ils le sont aux objets matériels, ont toujours eu besoin d'images sensibles pour communiquer leurs idées abstraites.

Les degrés par lesquels la similitude s'est réduite en métaphore, sont faciles à remarquer par une personne qui se donnera la peine de lire attentivement les écrits des prophetes. Rien n'y est plus ordinaire que le langage entremêlé de similitudes & de métaphores. A peine quittent - ils la similitude, qu'ils reprennent la métaphore. Voilà donc les vicissitudes du langage, l'apologie se réduisit à la similitude, la similitude fit naître la métaphore ; les orateurs les employerent pour l'ornement de leurs discours, & finirent par en abuser. (D.J.)


SIMILORS. m. (Métallurgie) on nomme ainsi à Paris le zink fondu avec le cuivre rouge, qui donne au cuivre une couleur jaune plus ou moins foncée, selon les différentes proportions du zink & du cuivre qu'on aura employé. (D.J.)


SIMIou SIMIOS, (Géog. mod.) par les anciens Grecs & Latins Syme, dont on peut voir l'article. Simio est une île de l'Archipel, entre celle de Rhodes & le cap Crio, à 4 ou 5 lieues de la premiere ouest-nord-ouest, à 3 au nord de l'île Lamonia, & à 2 au midi du continent de l'Anatolie. Porcacchi & Boschino lui donnent 30 milles de circuit. Elle a deux ports, dont le plus septentrional, fort large d'entrée, est le meilleur.

Cette île est habitée par des grecs qui sont dressés à plonger, & qui pêchent adroitement au fond de la mer une grande quantité d'éponges qui se trouvent dans les environs. On bâtit aussi à Simio de petites fustes fort jolies, de neuf bancs ou rames ; ces frégates, qu'on appelle simpequirs, sont si légeres à la voile & à la rame que les corsaires ne les peuvent attraper, ensorte que les insulaires navigent continuellement pendant l'été d'un lieu à l'autre pour leur commerce. En hiver, ils reviennent dans leur rocher avec le gain qu'ils ont fait par leur trafic. Je dis rocher, parce que c'est ainsi que quelques géographes nomment cette île. Elle nourrit cependant grande quantité de chevres, & de plus elle produit de très-bon vin. Elle étoit même autrefois célebre par sa fertilité en blé & en grains. (D.J.)


SIMISou AMID, (Géog. mod.) par les anciens Amisus ; ville de la Turquie asiatique dans l'Anatolie, sur le bord de la mer Noire, par les 54. 20. de longit. & par les 40. 30. de latit. (D.J.)


SIMMEREN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans le bas Palatinat, à 10 lieues au couchant de Mayence ; elle appartient à l'électeur Palatin. Long. 25. 8. latit. 49. 54. (D.J.)


SIMOIS(Géog. anc.) fleuve de l'Asie mineure dans la petite Phrygie. Il prenoit sa source au mont Ida, & se jettoit dans le Xanthus, selon Pline, l. V. c. xxx. Virgile, Aeneïd. l. V. v. 262. donne au fleuve Simoïs l'épithete de rapide, parce que ce n'étoit proprement qu'un torrent,

Victor apud rapidum Simoenta sub Ilio alto.

Dans un autre endroit le même poëte dit que Vénus accoucha d'Enée sur le bord du Simoïs.

Tunc ille Aeneas quem Dardanio Anchisae

Alma Venus Phrygii genuit Simonies ad undam.

2°. Simoïs, fleuve de l'île de Sicile. Strabon, lib. XIII. p. 608. rapporte que selon quelques-uns Enée étant arrivé à Ægosome ou Segesta, donna les noms de Scamander & de Simoïs ou Simoeis à deux fleuves qui couloient aux environs de cette ville. Le Simoïs couloit à la droite, & se joignoit au Scamander avant que ce fleuve mouillât la ville de Segesta.

3°. Simoïs, fleuve de l'Epire, selon Virgile, Aeneïd. l. III. vers. 303. qui lui donne l'épithete de salsus :

.... salsi Simoentis ad undam.

De ces trois fleuves, le plus fameux est le Simoïs de la Troade ou de la petite Phrygie, qui, dans les écrits des poëtes, est presque toujours joint au Xanthe, parce qu'ils ont la même origine. Cependant, malgré leur célébrité, ces deux rivieres sont si peu larges, qu'elles tarissent souvent en été. Sortant & descendant l'une & l'autre de mont Ida, elles s'unissent au-dessous du lieu où étoit Troye, forment un grand marais, passent de nos jours par dessous un pont de bois appuyé sur quelques piliers de pierre, & s'embouchent dans l'Hellespont (détroit des Dardanelles) environ une demi-lieue au-dessous du cap Gieanizzari, (autrefois nommé le promontoire Sigée), près du nouveau château d'Asie ; j'entends le château neuf des Dardanelles bâti par Mahomet IV. à l'entrée du détroit, & dont il est une des portes. (D.J.)


SIMONvoyez DAUPHIN.


SIMONIAQUEadj. & s. (Gram.) qui est coupable de simonie.


SIMONIES. f. (Gram. & Jurisprud.) est le crime que commettent ceux qui trafiquent des choses sacrées ou bénéfices, comme en vendant les sacremens, la nomination & collation des bénéfices, l'entrée en religion.

Ce crime a été ainsi nommé de Simon le magicien, dont il est parlé dans les actes des apôtres, qui voulut acheter avec de l'argent la puissance de faire des miracles.

La simonie est mentale, conventionnelle ou réelle.

La premiere est celle qui est demeurée dans les bornes d'une simple pensée.

La seconde est celle qui a été convenue, sans être suivie de payement.

La troisieme est celle où le payement a suivi la convention, soit qu'il ait précédé, ou suivi ou accompagné la concession du bénéfice ou autre chose spirituelle.

La simonie réelle se commet aussi à manu, ab obsequio, & à linguâ ; à manu, soit en donnant de l'argent ou autre chose temporelle, ou en remettant une dette ; ab obsequio, en rendant des services temporels au collateur pour avoir un bénéfice ; à linguâ : par la flatterie, la faveur & la recommandation.

Quoiqu'il soit défendu en général de rien exiger pour l'administration des sacremens & autres choses spirituelles, & pour la collation des bénéfices, néanmoins des lois ecclésiastiques & civiles autorisent les ministres de l'Eglise à recevoir pour leur subsistance certaines rétributions pour les messes, pour les mariages, sépultures, pour les provisions des bénéfices, &c.

Il est ainsi permis à certaines communautés qui ne sont pas suffisamment fondées de recevoir des dots pour l'entrée en religion. Voyez DOT & RELIGIEUX.

La simonie se couvre de tant de détours, qu'il est souvent difficile de la prouver, d'autant même que l'on n'en admet pas la preuve par témoins, à-moins qu'il n'y en ait un commencement de preuve par écrit, mais elle n'en est pas moins criminelle.

Les conciles & les papes se sont toujours élevés contre les simoniaques ; le chap. cum detestabile les déclare excommuniés ipso facto, de quelque qualité qu'ils soient, & tous ceux qui y ont eu part.

Ceux qui ont été ordonnés par simonie, sont déclarés suspens & interdits.

Les provisions des bénéfices obtenues par cette voie, sont nulles de plein droit ; mais il n'y a que la simonie conventionnelle ou réelle à manu, qui donne lieu au dévolut.

Les simoniaques ne peuvent point s'aider de la possession triennale.

Les juges d'église connoissent de la simonie commise par les ecclésiastiques, mais les juges royaux sont seuls compétens pour procéder contre les laïques qui se trouvent coupables & participans de ce crime ; desorte que s'il s'en trouve quelques-uns d'impliqués avec des ecclésiastiques, l'official doit les renvoyer devant le juge royal, autrement il y auroit abus.

Les juges royaux peuvent néanmoins connoître de la simonie commise par un ecclésiastique, incidemment à une complainte.

Il n'y a que le pape qui puisse dispenser de la simonie volontaire ; mais l'évêque peut dispenser de celle qui a été commise à l'insu du pourvu, après néanmoins que celui-ci a donné la démission pure & simple entre les mains de l'évêque.

Quand la simonie est occulte, il faut se pourvoir à la pénitencerie de Rome ou par-devers l'évêque ; mais quand elle est volontaire & notoire, il faut se pourvoir à la daterie de Rome.

La dispense doit être adressée à l'évêque du lieu où est le bénéfice.

Quant aux fruits perçus, le confesseur en peut faire remise en tout ou partie, selon la dispense & la pauvreté du bénéficier.

Si celui-ci a ignoré la simonie commise par un tiers, sa desserte & sa bonne foi peuvent l'exempter de la restitution, au-moins de la plus grande partie.

Mais dans quelque cas que ce soit, le pourvu par simonie doit faire une démission pure & simple entre les mains du collateur ordinaire, sauf à obtenir de nouvelles provisions, si le collateur juge à propos de lui en accorder.

On dit communément que la confidence est la fille de la simonie. Voyez CONFIDENCE. Voyez aux decrétales le titre de simon. le traité de M. de Launoy, van Espen, Pontas, de Ste Beuve, d'Héricourt, Feuvret, de la Combe, & les mots DOT, PENSION, PERMUTATION, HONORAIRES. (A)


SIMONIENSS. m. (Hist. ecclés.) hérétiques sectateurs de Simon le magicien, & par conséquent les plus anciens qui ayent paru dans l'Eglise chrétienne.

Simon le magicien leur chef, samaritain de nation, ne reconnoissoit point Jesus-Christ comme fils de Dieu, mais il le considéroit comme son rival, & prétendoit être lui-même le Christ. Il ne croyoit ni salut, ni résurrection de la chair, mais une simple résurrection de l'ame. Il enseignoit qu'on ne devoit point se mettre en peine des bonnes oeuvres ; que toutes les actions étoient indifférentes par elles-mêmes, & que la distinction des bonnes & des mauvaises n'avoit été introduite que par les anges pour s'assujettir les hommes. Il rejettoit la loi donnée à Moïse, & disoit qu'il étoit venu l'abolir. Il attribuoit l'ancien Testament aux anges, & quoiqu'il se déclarât par-tout leur ennemi, il leur rendoit néanmoins un culte idolâtre, prétendant qu'on ne pouvoit être sauvé sans offrir au souverain Pere des sacrifices abominables par le moyen des principautés qu'il plaçoit dans chaque ciel ; & il leur offroit des sacrifices, non pour obtenir d'eux quelqu'assistance, mais pour empêcher qu'ils ne s'opposassent aux hommes.

Ses sectateurs professoient tous ces dogmes monstrueux, & pour la pratique, ils vivoient dans toute sorte de débauches, qui surpassoient, selon Eusebe, tout ce qu'on pourroit en dire ; ensorte qu'ils avouoient dans leurs livres que ceux qui entendoient parler pour la premiere fois de leurs mysteres secrets étoient surpris d'étonnement & d'effroi. Outre l'impudicité, ils s'adonnoient à toute sorte de magie ; & quoiqu'au dehors ils fissent en quelque sorte profession du Christianisme, ils ne laissoient pas que d'adorer Simon & sa concubine Helene, représentés sous la figure de Jupiter & de Mars, & de leur offrir des victimes & des libations de vin. Ils regardoient même le culte commun des idoles comme une chose indifférente ; ensorte que pour ne leur point offrir de l'encens, ils ne s'exposoient pas au martyre comme les chrétiens ; aussi les payens les laissoient-ils en repos.

On croit que les apôtres S. Pierre, S. Paul & S. Jean ont ces hérétiques en vue dans plusieurs endroits de leurs épîtres. Leur secte dura jusqu'au jv. siecle. S. Justin dit que de son tems, c'est-à-dire vers l'an 150 de Jesus-Christ, tous les Samaritains reconnoissoient Simon pour le plus grand des dieux, & S. Clément d'Alexandrie ajoute qu'ils l'adoroient. S. Irénée assure qu'ils étoient en très-petit nombre ; mais Eusebe & plusieurs autres écrivains postérieurs en parlent comme d'une secte connue, & qui subsistoit encore au commencement du v. siecle. Calmet, Diction. de la Bible.


SIMONTHORNA(Géog. mod.) ville de la basse Hongrie, au comté de Tolna, sur la Sarwiza, à 2 lieues de Caposwar, & à 3 de Tolna : elle est environnée d'un grand marais, avec un château. Cette ville fut prise sur les Turcs par le prince Louis de Bade en 1686. Long. 36. 49. lat. 46. 31.


SIMOODSUKE(Géog. mod.) une des huit provinces de la contrée orientale de l'empire du Japon. Elle se divise en neuf districts ; c'est un assez bon pays, plutôt plat que montagneux, où il y a beaucoup de prés & de champs qui produisent abondamment de l'herbe & du gokokf ; le gokokf est un terme générique qui comprend le riz, l'orge, le petit blé que nous appellons froment & les feves. (D.J.)


SIMOOSA(Géog. mod.) autrement Seosju ; une des quinze provinces de la grande contrée du sud-est de l'empire du Japon. Elle est censée avoir trois journées de longueur du sud au nord, & est divisée en 12 districts ; c'est un pays montagneux, assez peu fertile, mais qui abonde en volaille & en bestiaux.


SIMPELENLE, ou LE SIMPLON (Géog. mod.) & par les Italiens monte-Sampione, en latin Sempronius mons ; montagne des Alpes, aux confins des Suisses, du Vallais & du Milanez ; c'est cette montagne que l'on passe pour aller du Vallais au duché de Milan. (D.J.)


SIMPLAINS. m. (Hist. mil. anc.) soldat romain, qui n'avoit que paye simple. On appelloit duplain, celui qui l'avoit double.


SIMPLEadj. (Gramm.) qu'on regarde comme sans composition, sans mélange. Je gage le simple contre le double. Il a fait un raisonnement très- simple, mais très-fort quand il a dit : il y a environ douze cent ans qu'on a la petite vérole par toute la terre, & qu'elle est observée par tous les médecins du monde, parmi lesquels il n'y en a presque pas un qui assure l'avoir vue deux fois à la même personne ; donc on n'a point deux fois la petite vérole. Je n'ai de lui qu'une simple promesse. C'est un simple soldat. C'est un homme simple. C'est un caractere simple. Le récit en est simple.

SIMPLE, s. m. (Gramm.) c'est le nom générique sous lequel on comprend toutes les plantes usuelles en Médecine. Il connoît bien les simples. Celui qui ignore la vertu des simples n'est pas digne de faire la médecine. Le quinquina est un simple d'une vertu spécifique.

SIMPLE, adj. (Métaphysique) quand on regarde quelque chose que ce soit comme une, & comme n'ayant point des parties différentes ou séparables l'une de l'autre, on l'appelle simple. En ce sens-là il ne convient proprement qu'à un être intelligent d'être simple ; ne concevant dans un tel être rien de séparable dans la substance, nous n'avons point aussi l'idée qu'il puisse avoir des parties. Quelque peu de chose qu'on suppose de séparable dans la substance d'un être intelligent, on la suppose en même tems capable d'être détruite toute entiere.

Si l'on prend le terme simple dans cette précision, il ne se trouvera rien dans les êtres matériels qui soit simple, non plus que rien qui soit parfaitement un. Tout corps peut toujours être tellement séparé, que sa substance existera encore dans les parties après leur séparation ; ainsi l'une n'étoit pas l'autre, & le corps n'étoit pas simple.

Néanmoins on emploie ce terme à l'égard des corps, par analogie aux esprits ; on appelle simple un corps dans les parties duquel on n'apperçoit nulle différence communément sensible ; ainsi l'on dit de l'eau que c'est un corps simple. Quelques-uns l'ont dit aussi du feu, de l'or, de l'argent, & de ce que nous comprenons sous le nom d'élémens ou de métaux.

Ce qui est opposé au simple est dit composé. Voyez son article.

SIMPLE, adj. en Algebre, une équation simple est celle où la quantité inconnue n'a qu'une dimension, comme x = (a + b) /2. Voyez EQUATION.

En arithmétique, la multiplication & la division simples sont des opérations où il n'entre point de grandeurs de différente espece ; on les appelle ainsi pour les distinguer de la multiplication & de la division composées, où il s'agit de calculer des grandeurs de différentes especes. Voyez MULTIPLICATION, DIVISION. (E)

SIMPLE pacte, (Jurisprud.) promesse, contrat, ou engagement qui n'est point motivé par rapport à la valeur reçue au tems du payement, &c. & qui ne donne point d'action en justice. Voyez CONTRAT, CONVENTION, PACTE, &c.

SIMPLE PROPRIETE, que les loix romaines appellent une propriété, est celle du propriétaire à qui le fond de l'héritage appartient, tandis qu'un autre en a l'usufruit. Elle est opposée à pleine propriété. Voyez PLEINE, USUFRUIT & PROPRIETE.

SIMPLE appel, voyez APPEL.

SIMPLE garantie, voyez GARANTIE.

SIMPLE bénéfice, voyez BENEFICE,


SIMPLICITÉS. f. (Gram.) qualité qui donne à l'être le nom de simple. Voyez les articles SIMPLES.

SIMPLICITE, (Art orat.) la simplicité dans l'élocution, est une maniere de s'exprimer, pure, facile, naturelle, sans ornement, & où l'art ne paroît point ; c'est assurément le caractere de Térence. La simplicité d'expression n'ôte rien à la grandeur des pensées, & peut renfermer sous un air négligé des beautés vraiment précieuses.

Heureux qui se nourrit du lait de ses brebis,

Et qui de leur toison voit filer ses habits ;

Qui ne sait d'autre mer que la Marne ou la Seine ;

Et croit que tout finit où finit son domaine.

Voilà une peinture simple & charmante de la tranquillité champêtre, parce que c'est l'expression naïve des choses par leurs effets.

La simplicité se trouve dans l'ode avec dignité.

Le Ciel qui doit le bien selon qu'on le mérite,

Si de ce grand oracle il ne t'eût assisté,

Par un autre présent n'eût jamais été quitte

Envers ta piété.

Cette stance de Malherbe dans son ode à Louis XIII. est d'une parfaite simplicité ; les deux stances suivantes méritent encore d'être citées.

Le fameux Amphion dont la voix nompareille

Bâtissant une ville étonna l'univers

Quelque bruit qu'il ait eu, n'a point fait de merveilles

Que ne fassent mes vers.

Par eux de tes hauts faits la terre sera pleine

Et les peuples du Nil qui les auront ouis

Donneront de l'encens, comme ceux de la Seine,

Aux autels de Louis.

Le même poëte va me fournir un exemple plus parfait de simplicité admirable ; c'est dans sa paraphrase du pseaume 145.

En vain pour satisfaire à nos lâches envies

Nous passons près des rois tout le tems de nos vies

A souffrir des mépris, à ployer les genoux ;

Ce qu'ils peuvent n'est rien, ils sont ce que nous sommes ;

Véritablement hommes,

Et meurent comme nous.

La simplicité noble est d'aussi bonne maison que la grandeur même ; & comme elle vient du même principe de bon esprit, qui doute qu'elle ne se sente du lieu dont elle est sortie, & que par-tout où elle se rencontre elle ne conserve sa dignité, ses droits, ou pour le moins l'air & la mine de sa naissance ?

Mais si cette simplicité noble retrace de grandes images, elle ne differe pas du sublime ; Homère & Virgile sont des modeles de cette derniere simplicité.

Racine l'a bien connue, & j'en cite pour preuve ces vers d'Andromaque.

Ne vous souvient-il plus, seigneur, quel fut Hector ?

Nos peuples affoiblis s'en souviennent encor !

Son nom seul fait trembler nos veuves & nos filles ;

Et dans toute la Grece il n'est point de familles

Qui ne demandent compte à ce malheureux fils

D'un pere ou d'un époux qu'Hector leur a ravis.

(D.J.)


SIMPLIFIERv. act. (Gramm.) rendre simple. On simplifie une question en écartant toutes les conditions inutiles. On simplifie un problème en le réduisant à un autre moins compliqué, ou en faisant dépendre sa solution d'une seule recherche. On simplifie une affaire, une phrase, &c.


SIMPLUDIAIRES. m. (Antiq. rom.) on donnoit chez les Romains ce nom à certains honneurs funébres qu'on rendoit quelquefois aux morts. Festus dit que c'étoient les funérailles accompagnées de jeux dans lesquels on ne faisoit paroître que des danseurs, des sauteurs, des voltigeurs. Ces especes de funérailles étoient opposées à celle qu'on nommoit indictives, & dans lesquelles outre les danseurs & les sauteurs dont on a parlé, il y avoit des désulteurs qui sautoient d'un cheval sur un autre, & peut-être aussi voltigeoient sur des chevaux. Voyez Rollin, Antiq. rom.


SIMPULATRICESS. f. pl. (Littérat.) mot tiré de simpulum, & que Festus donne aux vieilles femmes qui avoient soin de purifier les personnes qui les consultoient, pour avoir été troublées dans leur sommeil par des visions nocturnes & des songes effrayans. Pollux appelle ces femmes . Elles prescrivoient ordinairement l'eau de mer pour purification, , dit Euripide. Un mot d'Aristophane exprime toute cette cérémonie, . (D.J.)


SIMPULES. m. (Antiq. rom.) simpulum ; vase fait en forme de burette avec un long manche ; les Romains se servoient de ce vase dans les libations qu'ils faisoient aux dieux. Pline, liv. XXXV. c. xij. nomme cette espece de vase simpuvium, & dit qu'il y en avoit de terre cuite.


SIMULACRE(Gramm. & Hist. de l'idolât.) vieux mot consacré, qui signifie idole, image, représentation. Il en est si souvent parlé dans l'Ecriture-sainte, qu'il importe de rechercher la source de ce genre d'idolâtrie.

L'origine des simulacres vient de ce que les hommes se persuaderent que le soleil, la lune & les étoiles étoient la demeure d'autant d'intelligences qui animoient ces corps célestes, & en regloient tous les mouvemens. Comme les planetes étoient de tous ces corps célestes les plus proches de la terre, & celles qui avoient le plus d'influence sur elles, ils en firent le premier objet de leur culte. Telle a été l'origine de toute l'idolâtrie qui a eu cours dans le monde. On servit ces intelligences célestes par des tabernacles, des chapelles, des temples, ensuite par des images & des simulacres. C'est pourquoi lorsque les peuples firent leurs dévotions à quelqu'une d'elles, ils dirigeoient leur culte vers la planete dans laquelle ils supposoient qu'habitoit cette intelligence divine, objet de leurs adorations. Mais ces corps célestes se trouvant la plûpart du tems sous l'horison, ils ne savoient comment les invoquer dans leur absence.

Pour remédier à cet inconvénient, ils eurent recours aux statues dans lesquelles ils croyoient qu'après leur consécration, ces intelligences étoient aussi présentes par leurs influences, que dans les planetes ; & que toutes les prieres qu'on leur adressoit avoient autant d'efficacité devant l'une que devant l'autre.

Tel fut le commencement de l'adoration des simulacres. On leur donna le nom des planetes qu'ils représentoient, qui sont les mêmes qu'elles ont aujourd'hui : de-là vient que nous trouvons Saturne, Jupiter, Mars, Apollon, Mercure, Vénus & Diane placés au premier rang dans le polythéïsme des anciens ; c'étoient-là leurs grands dieux. Ensuite l'opinion s'étant établie que les ames des gens de bien, après leur séparation du corps, alloient habiter d'autres planetes, on déïfia plusieurs de ceux qu'on crut tels, & le nombre des dieux s'augmenta dans les tems idolâtres.

L'adoration des simulacres commença dans la Chaldée, se répandit dans tout l'orient, en Egypte, & chez les Grecs qui l'étendirent dans tout l'occident. Ceux qui suivoient ce culte dans les pays orientaux furent nommés Sabéens ; & la secte qui n'adoroit que Dieu par le feu, reçut le nom de Mages. Toute l'idolâtrie du monde se vit partagée entre ces deux sectes. Voyez MAGES & SABEENS. (D.J.)


SIMULATIONS. f. (Gram. & Jurispr.) déguisement frauduleux introduit dans quelqu'acte judiciaire. La multitude des impôts de toute espece, auxquels les particuliers cherchent à se soustraire, donnent lieu à toutes sortes de simulations.


SIMULERv. act. feindre, déguiser, tromper par des suppositions, des apparences ; c'est un vol que de frauder des créanciers légitimes par des obligations simulées, & celui qui s'y porte est coupable de recel.


SIMULTANÉEadj. m. (Gram.) qui s'accomplissent ou s'exécutent en même tems : ces faits sont simultanées ; ces phénomenes sont simulatanées ; ces actions de la machine sont simultanées. Il se passe souvent dans la vie, dans la même maison, dans le même appartement des scenes simultanées. Pourquoi ne les rendroit-on pas sur le théatre ?


SIMYRA(Géogr. anc.) ville de la Phénicie ; elle est marquée dans Ptolémée, l. V. c. xv. entre l'embouchure du fleuve Eleutherus, & Orthosia, ainsi que dans Pline, l. V. c. xx, & Pomponius Méla, l. I. c. xij. (D.J.)


SIN(Hist. nat. Botan.) s. m. grand arbre du Japon, dont le bois est fort estimé pour en faire des coffres & d'autres ouvrages, parce qu'il est blanc, léger, à l'épreuve des vers & de la pourriture. Il rend une mauvaise odeur, lorsqu'il est plongé dans l'eau chaude ; ce qui l'a fait nommer aussi ksa-maki, ou maki-fétide.

SIN, (Géogr. des Arabes) Les Arabes appellent ainsi la Chine, & les Latins ont nommé Sinae, Sinarum regio, pays de la Chine ; les Persans disent Tchin. La Chine septentrionale est appellée par les Orientaux, le Khoran, ou le Khatha. (D.J.)


SIN-KOOS. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un arbre odoriférant du Japon, que Kempfer prend pour l'aquila, ou bois d'aigle, espece d'aloë, & dont il croit que ce sont les morceaux les plus résineux, & par conséquent ceux qui ont le plus d'odeur, auxquels on donne le nom de calamba. Son tronc, dit-il, est haut d'une coudée, droit, mince, d'un verd agréable, garni de feuilles dès le bas, couvert de poil, & se partageant en deux branches. Ses feuilles naissent une à une, éloignées d'un pouce entr'elles, semblables à celles du pêcher, d'un vert brillant & vif de chaque côté, sans découpure ; mais avec un gros nerf qui regne au milieu sur le dos, dans toute leur longueur, & qui couvre des deux côtés quantité de petits rameaux fins & presque imperceptibles. Cette description est d'autant plus curieuse, qu'on n'avoit qu'une connoissance imparfaite de cet arbre. On savoit seulement, comme l'observe aussi Kempfer, qu'il ne se trouve que dans les endroits les plus reculés des bois & des montagnes. Suivant le rapport des Japonois & des Siamois, il n'acquiert l'odeur qui le rend si précieux, que lorsqu'il est tout-à-fait vieux.


SINA(Géog. anc.) nom d'une ville de la Margiane, d'une ville de la Cappadoce, d'une ville de la grande Arménie, & d'un lieu de l'île de Lesbos, selon Strabon. l. IX. (D.J.)


SINAHORICS. m. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar qui ressemble à l'aigremoine, & qui en a les propriétés.


SINAou SINA, (Géog. anc.) montagne de l'Arabie Pétrée, située dans une espece de péninsule, formée par deux bras de la mer rouge, dont l'un s'étend vers le nord, & se nomme le golfe de Colsum ; aujourd'hui golfe de Suez ; l'autre s'avance vers l'orient, & s'appelle le golfe Elatinique, aujourd'hui d'Aïla ; elle est à 260 milles du Caire, & il faut dix à douze jours pour s'y rendre de cet endroit-là.

Le mont Sinaï est au levant de celui d'Oreb, sur lequel est le monastere de Sainte Catherine ; comme le mont Oreb est moins haut que celui de Sinaï ; l'ombre de ce dernier le couvre au lever du soleil. Il est beaucoup parlé du mont de Sinaï dans l'Ecriture, comme Exod. c. xviij. v. 20. c. xxiv. v. 16. c. xxxj. v. xviij. c. xxxiv. v. 2. & 4. Levit. c. xxv. v. 1. c. xxvj. v. 4. 5. &c.

Quoique Thomas de Pinedo, Berkelius, & quelques autres modernes, prétendent que le mont Casius, voisin de l'Egypte, n'est pas différent du mont Sinaï ; cependant s'il en faut croire les anciens géographes, & la plûpart des modernes, le mont Casius & le mont de Sinaï sont deux montagnes différentes, & situées assez loin l'une de l'autre. Ils mettent le mont Casius fort proche de la mer, entre l'Egypte & la Palestine. A l'égard du mont Sinaï, ils le placent bien avant dans les terres, sur les confins de l'Idumée & de l'Arabie Pétrée.

Il est certain que le nom de Casius a été donné à plusieurs montagnes ; ainsi l'on pourroit croire que le mont Sinaï seroit celui à qui le nom de Casius auroit été donné en premier lieu ; que de-là ce même nom auroit passé à la montagne qui sépare la Palestine d'avec l'Egypte ; comme il y a apparence que de cette montagne, il est passé à celle de la Syrie antiochienne.

Nous avons le profil du mont Sinaï dans une estampe gravée par Jean-Baptiste Frontana ; & si on compare ce profil avec celui de la montagne que les médailles nous réprésentent, on trouvera peut-être qu'il y avoit beaucoup de ressemblance entre l'une & l'autre.

Quoi qu'il en soit, Greaves dans sa traduction d'Abulféda, nous apprend une particularité remarquable, dont les historiens n'ont point parlé ; c'est que le roc du mont Sina est d'une espece de très-beau marbre de plusieurs couleurs, d'un rouge mêlé de blanc & de noir, & que pendant plusieurs milles on y voit de grands rochers de ce marbre, dont sans-doute les anciens ouvrages de l'Egypte ont été tirés, parce que toutes les autres carrieres & montagnes sont d'une espece de pierre de taille blanche, & non de marbre rouge marqueté de noir & de blanc, comme est le roc du mont Sina. (D.J.)


SINANou MOUTARDE, (Jardinage) Voyez MOUTARDE.


SINANO(Géogr. mod.) autrement Sinsju, une des huit provinces de la contrée orientale de l'empire du Japon. C'est un pays très-froid, où le sel, le poisson, & le bétail sont rares. Il produit d'ailleurs une grande quantité de muriers, de soie, & de cannib, dont il y a plusieurs manufactures. On donne à cette province, cinq journées de longueur du sud au nord, & elle se divise en onze districts. (D.J.)


SINAPISMES. m. médicament externe, âcre & chaud, composé ordinairement de semence de moutarde incorporée avec du vieux levain ; si le sinapisme étoit trop actif, il deviendroit vesicatoire. On ne s'en sert que pour rougir la peau, & attirer sur le lieu les humeurs nuisibles. On s'en servoit anciennement dans les maux de tête invéterés, & dans les longues fluxions. Il sert aujourd'hui à rappeller l'humeur de goutte sur une partie. Voyez RUBEFIANT. Des frictions préparatoires avec un linge chaud préparent à l'effet du sinapisme : ce mot vient de sinapi, moutarde. (Y)


SINARUM regio(Géogr. anc.) contrée de l'Asie, & la derniere que marque Ptolémée, l. VII. c. iij. du côté de l'orient. Il la borne au nord par la Sérique : à l'orient & au midi par des terres inconnues ; & à l'occident, partie par l'Inde d'au-delà le Gange, dont elle étoit séparée par une ligne tirée depuis le fond du grand golfe, jusqu'à la Sérique, partie par le grand golfe, & partie par le pays des Ichthyophages Ethiopiens, compris aussi sous le nom général de Sinae, ainsi que les peuples Samatheni, Acadrae, Aspithrae, & Ambathae. (D.J.)


SINASPITRUMS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante, dont la fleur est presqu'en croix composée de quatre pétales. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite un fruit ou une silique cylindrique, & composée de deux pieces qui renferme des semences ordinairement arrondies. Inst. rei herb. V. PLANTE.


SINCEREadj. (Gram.) qui est franc, & qui est incapable de toute dissimulation dans le discours.


SINCÉRITÉS. f. (Morale.) La sincérité n'est autre chose que l'expression de la vérité. L'honnêteté & la sincérité dans les actions égarent les méchans, & leur font perdre la voie par laquelle ils peuvent arriver à leurs fins : parce que les méchans croyent d'ordinaire qu'on ne fait rien sans artifice.

La sincérité est une ouverture de coeur. On la trouve en fort peu de gens ; & celle que l'on voit d'ordinaire, n'est qu'une fine dissimulation pour attirer la confiance des autres.

Si nos ames étoient de purs esprits, dégagés des liens du corps ; l'une liroit au fond de l'autre : les pensées seroient visibles, on se les communiqueroit sans le secours de la parole ; & il ne seroit pas nécessaire alors de faire un précepte de la sincérité ; c'est pour suppléer, autant qu'il en est besoin, à ce commerce de pensées, dont nos corps gênent la liberté, que la nature nous a donné le talent de proférer des sons articulés. La langue est un truchement, par le moyen duquel les ames s'entretiennent ensemble ; elle est coupable, si elle les sert infidelement, ainsi que le feroit un interprete imposteur, qui trahiroit son ministere.

La loi naturelle qui veut que la vérité regne dans tous nos discours, n'a pas excepté les cas où notre sincérité pourroit nous couter la vie. Mentir c'est offenser la vertu, c'est donc aussi blesser l'honneur : or on convient généralement que l'honneur est préférable à la vie ; il en faut donc dire autant de la sincérité.

Qu'on ne croie point ce sentiment outré : il est plus général qu'on ne pense. C'est un usage presque universel dans tous les tribunaux, de faire affirmer à un accusé, avant de l'interroger, qu'il répondra conformément à la vérité, & cela même, lorsqu'il s'agit d'un crime capital. On lui fait donc l'honneur de supposer, qu'il pourra, quoique coupable du fait qu'on lui impute, être encore assez homme de bien, pour déposer contre lui-même, au risque de perdre la vie, & de la perdre ignominieusement. Or le supposeroit-on, si l'on jugeoit que la loi naturelle le dispensât de le faire ?

La morale de la plûpart des gens, en fait de sincérité, n'est pas rigide : on ne se fait point une affaire de trahir la vérité par intérêt, ou pour se disculper, ou pour excuser un autre : on appelle ces mensonges officieux ; on les fait pour avoir la paix, pour obliger quelqu'un, pour prévenir quelqu'accident. Misérables prétextes qu'un mot seul va pulvériser : il n'est jamais permis de faire un mal, pour qu'il en arrive un bien. La bonne intention sert à justifier les actions indifférentes ; mais n'autorise pas celles qui sont déterminément mauvaises.

SINCERITE, FRANCHISE, NAÏVETE, INGENUITE, (Synonym.) La sincérité empêche de parler autrement qu'on ne pense, c'est une vertu. La franchise fait parler comme on pense ; c'est un effet du naturel. La naïveté fait dire librement ce qu'on pense ; cela vient quelquefois d'un défaut de réflexion. L'ingénuité fait avouer ce qu'on sait, & ce qu'on sent ; c'est souvent une bétise.

Un homme sincere ne veut point tromper. Un homme franc ne sauroit dissimuler. Un homme naïf n'est guere propre à flatter. Un ingénu ne sait rien cacher.

La sincérité fait le plus grand mérite dans le commerce du coeur. La franchise facilite le commerce des affaires civiles. La naïveté fait souvent manquer à la politesse. L'ingénuité fait pécher contre la prudence.

Le sincere est toujours estimable. Le franc plaît à tout le monde. Le naïf offense quelquefois. L'ingénu se trahit.

Je n'ajouterai rien à ces remarques de l'auteur des synonymes françois, mais je renvoie pour les choses aux mots, FRANCHISE, INGENUITE, NAÏVETE, SINCERITE. (D.J.)


SINCIPUTS. m. (Anatom.) est la partie antérieure de la tête qui prend depuis le front jusqu'à la suture coronale. Voyez Pl. d'Anatomie. Voyez aussi BREGMA & CRANE.


SINCYLIA(Géog. anc.) ville d'Espagne, présentement nommée Antiquera ; elle tiroit apparemment son nom du fleuve Singulis, aujourd'hui le Xénil, suivant l'opinion commune. (D.J.)


SINDA(Géog. anc.) nom, 1°. d'une ville de l'Asie mineure, dans la Pisidie ; 2°. d'une ville de l'Inde au-delà du Gange ; & 3°. d'une ville de la Sarmatie asiatique, sur le bosphore Cimmérien.


SINDE(Géog. mod.) ou Tata, du nom de sa capitale, province des Indes, dans les états du Mogol. Elle est bornée au nord par celle de Buckor, au midi par la mer, au levant par les provinces de Soret & de Jesselmere, & au couchant par la Perse. Elle est traversée par le Sinde du nord au midi. C'est un pays riche & fertile, où l'on fabrique quantité de belles toiles de coton. Le grand-mogol Akebar fit la conquête de ce pays, ainsi que de ceux de Cachimir & de Guzarate. Les peuples sont mahométans. (D.J.)

SINDE, le, ou INDE, (Géog. mod.) en latin Indus, grande riviere des Indes dans les états du grand-mogol. Elle prend sa source sur les confins du petit Thibet, dans les montagnes qui séparent ce royaume de la province de Nagracut. Son cours est du nord - est au sud-ouest ; après avoir traversé plusieurs pays, & s'être partagé en deux branches, qui sont les bouches de l'Inde, il se jette dans la mer.


SINDI(Géog. anc.) peuples de la Sarmatie asiatique comptés parmi ceux qui habitent le bosphore Cimmérien. Pomponius Mela les nomme Sindones, & les place au voisinage des Palus Méotides.


SINDICUS PORTUS(Géog. anc.) port de la Sarmatie asiatique, dans le bosphore Cimmérien, sur la côte de la mer Caspienne, selon Ptolémée, & le Périple de Scylax.


SINDIFIU(Géog. mod.) ville d'Asie, dans la Tartarie, au pays duquel elle donne son nom, sur les confins de la Chine. (D.J.)


SINDONS. m. (Hist. ecclés.) terme latin qui signifie proprement un linceul, mais qu'on trouve employé dans l'Ecriture & dans les anciens, pour exprimer diverses sortes de vêtemens.

Les évangélistes s'en servent pour marquer le linge dans lequel Joseph d'Arimathie enveloppa le corps de Jesus - Christ après l'avoir embaumé, l'avoir entouré de bandelettes, & lui avoir mis un suaire autour de la tête. Les saints suaires qu'on montre en différens endroits, ne peuvent pas tous être le vrai sindon qui enveloppa le corps de Jesus-Christ.

Il est encore parlé de sindon dans l'histoire de Samson, Judic. XIV. xij. 13. il promet aux jeunes hommes de sa noce triginta sindones & totidem tunicas, s'ils pouvoient expliquer l'énigme qu'il leur proposa. L'hébreu porte trente sidinim, & trente habits de rechange. Les uns entendent par sidinim ou sindonem, la tunique qu'on mettoit immédiatement sur la chair ; & par des habits de rechange, des habits complets, une tunique & un manteau, car ces deux pieces faisoient l'habit complet, ou simplement trente manteaux, qui avec trente tuniques formoient trente habits à changer.

La femme forte dont parle Salomon, Prov. xxij. 24. faisoit des sindons & des ceintures, qu'elle vendoit aux Phéniciens. Les filles de Jérusalem portoient de ces sindons, comme on le voit par Isaïe, chap. iij. vers. 23. C'étoit un habit propre aux Tyriens & aux Phéniciens, & peut-être tiroit-il son nom de la ville de Sidon. Martial parlant à un de ses amis d'un vêtement qu'il lui envoie, l'assure qu'il est encore plus propre à garantir du mauvais tems que les sindons de Syrie.

Ridebis ventos hoc munere tectus & imbres

Nec sit in Syriâ sindone tectus eris.

Le jeune homme qui suivoit Jesus - Christ la nuit de sa passion, n'avoit sur lui qu'un sindon, amictus sindone super nudo. Ce pouvoit être une espece de manteau pour se garantir du froid. Calmet, Dictionn. de la Bible.

SINDON, en Chirurgie, est un petit morceau rond de toile, dont on se sert pour panser la plaie causée par le trépan. Voyez TREPANER.

Le premiere chose qu'on fait ordinairement après l'opération du trépan, est de jetter quelques gouttes de baume blanc sur la dure mere, ensuite une cuillerée de miel rosat, qu'on a fait chauffer avec un peu de baume, on y met un sindon de fine toile de lin : cela s'applique immédiatement sur la dure mere ; & cela étant plus grand que le trou qui est au crâne, on en fait entrer la circonférence entre le crâne & la membrane, avec un instrument nommé meningophilax, voyez MENINGOPHILAX ; ensuite on y applique des plumasseaux de charpie, & par ce moyen le trou est tout-à-fait bouché.


SINDRIE - MALS. m. (Hist. nat. Botan.) c'est une fleur qui croît dans les bois de l'île de Ceylan, & que sa singularité fait transplanter dans les jardins, où elle sert en quelque façon d'horloge. Elle est ou rouge ou blanche : on assure qu'elle s'ouvre tous les jours vers les quatre heures de l'après midi ; elle demeure épanouie jusqu'au lendemain matin ; alors elle se referme pour ne s'ouvrir qu'à quatre heures du soir.


SINDRIou AKAI - SINDJO, s. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau du Japon qui a une coudée de hauteur ; il pousse dès sa racine des branches garnies de feuilles & alternes ; ses baies sont rondes, un peu applaties, moins grosses qu'un pois, de couleur incarnate, d'une chair molle & pleine de suc, avec un noyau de la couleur & de la grosseur d'une graine de coriandre.


SINES(Géogr. mod.) port de mer en Portugal, sur la côte de l'Estramadure, au sud-ouest de Saint-Jago de Cacem.

C'est dans ce petit port qu'est né au xv. siecle Vasco de Gama, amiral portugais, homme immortel par la découverte des Indes orientales, en tentant le passage du cap des Tempêtes, qu'il nomma le premier le cap de bonne Espérance, nom qui ne fut point trompeur.

Gama doubla la pointe de l'Afrique en 1497 ; & remontant par ces mers inconnues vers l'équateur, il n'avoit pas encore repassé le capricorne, qu'il trouva vers Sophala des peuples policés qui parloient arabe. De la hauteur des Canaries jusqu'à Sophala, les hommes, les animaux, les plantes, tout avoit paru d'une espece nouvelle. La surprise fut extrême de retrouver des hommes qui ressembloient à ceux du continent connu. Le mahométisme commençoit à pénétrer parmi eux ; les musulmans en allant à l'orient de l'Afrique, & les chrétiens en remontant par l'occident, se rencontroient à une extrêmité de la terre. Ayant enfin trouvé des pilotes mahométans à quatorze degrés de latitude méridionale, il aborda en 1498 dans les grandes Indes, au royaume de Calicut, après avoir reconnu plus de quinze cent lieues de côtes.

Ce voyage de Gama changea la face du commerce du monde, & en rendit maîtres les Portugais par l'Océan éthiopique, & par la mer Atlantique. En moins de cinquante ans ils formerent des établissemens très-considérables depuis les Moluques jusqu'au golfe Persique, dans une étendue de soixante degrés de longitude.

Gama revenu de son voyage en 1502, avec treize vaisseaux chargés de richesses incroyables, fut nommé viceroi des Indes par le roi Jean III. & mourut à Cochin le 24 Décembre 1525. Dom Etienne & dom Christophe de Gama ses fils, lui succéderent dans la même viceroyauté, & sont célebres dans l'histoire. (D.J.)


SINFS. m. (Mat. méd. des anc.) terme employé par les anciens pour désigner le bois d'aloës, agallochum ; mais les Arabes ont fait de ce terme un adjectif, & ont nommé le bois d'aloës jaune sinficum, & le noirâtre indicum. Le mot indicum n'indique pas ici le lieu du pays, mais la couleur noirâtre, ce qui est assez commun dans les ouvrages des anciens.


SINGARA(Géog. anc.) ville de la Mésopotamie, que Ptolémée, l. V. c. xviij. place sur le bord du Tibre. Etienne le géographe, Pline & Ammien Marcellin, connoissent aussi cette ville.


SINGES. m. simius, (Hist. nat. Zoologie). Il y a grand nombre d'especes de singes. La plûpart de ces animaux ont plus de rapport avec l'homme que les autres quadrupedes, sur - tout pour les dents, les oreilles, les narines, &c. ils ont des cils dans les deux paupieres, & deux mamelles sur la poitrine. Les femelles ont pour la plûpart des menstrues comme les femmes. Les piés de devant ont beaucoup de rapport à la main de l'homme ; les piés de derriere ont aussi la forme d'une main, car les quatre doigts sont plus longs que ceux du pié de devant, & le pouce est long, gros & fort écarté du premier doigt ; aussi se servent-ils des piés de derriere comme de ceux de devant pour saisir & empoigner. Il y a des singes qui ont dans la mâchoire d'en-bas une poche ou sac de chaque côté où ils serrent les alimens qu'ils veulent garder. Voyez synop. anim. Rai, mém. pour servir à l'hist. natur. des anim. dressé par M. Perrault, part. II.

M. Brisson, Regne anim. a divisé les différentes especes de singes en cinq races.

Race premiere. Ceux qui n'ont point de queue, & qui ont le museau court.

Le singe. Il y a plusieurs especes de singes, qui ne different entr'elles que par la grandeur ; elles ont beaucoup de rapport à l'homme par la face, les oreilles & les ongles. Les fesses sont nues ; le poil de ces animaux est de couleur mêlée de verdâtre & de jaunâtre. On les trouve en Afrique.

L'homme des bois, ourang outand bout ; cet animal est des Indes orientales ; il ressemble plus à l'homme qu'aucune autre espece de singe ; son poil est court & assez doux.

Le singe de Ceylan. La levre supérieure de ce singe est fendue comme celle d'un lievre ; les ongles sont plats & arrondis, excepté celui de l'index des piés de derriere, qui est long, recourbé & aigu ; le poil du dos a une couleur noirâtre, & celui du ventre, des bras & des piés, une couleur cendrée jaunâtre.

Race deuxieme. Les singes qui n'ont point de queue, & dont le museau est allongé : on leur a donné le nom de cynocephales.

Le singe cynocephale. Il ne differe du singe qu'en ce qu'il a le museau plus allongé. Il y a des cynocephales de différentes grandeurs : on les trouve en Afrique.

Le singe cynocephale de Ceylan. Il a les oreilles rondes, larges, transparentes, nues, & de couleur cendrée claire, les jambes longues & menues ; elles n'ont que peu de poil : celui du corps a beaucoup de rapport à la laine ; il est long, doux comme de la soie, de couleur roussâtre, plus foncée sur le dos du mâle que sur le ventre ; & au contraire plus foncée sur le ventre de la femelle que sur le dos. L'ongle de l'index de chaque pié est long, recourbé & pointu ; les autres sont plats & arrondis.

Race troisieme. Les singes qui ont une queue très-courte.

Le babouin. Il se trouve dans les deserts de l'Inde ; il est à-peu-près de la grandeur d'un dogue, & il ressemble à cet animal par la forme du museau ; il a les fesses nues & rouges, les jambes courtes, les ongles très-aigus, un peu recourbés, & la queue fort courte & relevée.

Race quatrieme. Les singes qui ont la queue longue & le museau court : on leur a donné le nom de cercopitheques.

Le sapajou brun. La longueur de ce singe est de 13 pouces, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue, qui est longue de 14 pouces & demi ; cet animal la roule en spirale, & l'applique autour des corps auxquels il veut s'attacher ou se suspendre. Le poil est noir sur la tête, & de couleur brune plus foncée sur le dos que sur le ventre.

Le sapajou noir. Ce singe ressemble au précédent par la conformation de la queue ; il est à-peu-près de la grandeur du renard ; ses poils sont longs, brillans, & couchés les uns sur les autres, noirs sur tout le corps, excepté les piés & une partie de la queue, qui ont une couleur brune ; le poil du menton & de la gorge est plus long que celui du corps. On trouve ce sapajou au Brésil.

Le sapajou cornu. Il a quatorze pouces de longueur depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue, qui est longue de quinze pouces, & conformée comme celle des deux sapajoux précédens. Celui dont il s'agit a sur la tête deux bouquets de poil en forme de cornes, d'où vient son nom de sapajou cornu. Le sommet de la tête, le milieu du dos, la queue, les jambes de derriere, & les quatre piés sont noirs ; les autres parties du corps ont une couleur brune ; les ongles sont longs & obtus.

Le sapajou à queue de renard. Il n'a que six pouces de longueur depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue, qui est longue de dix pouces ; les poils du corps sont longs & noirs, excepté la pointe qui est blanche ; ceux de la gorge & du ventre ont une couleur blanche sale ; les poils de la face sont très-courts & blanchâtres ; ceux de la queue sont très-longs & noirs ; il n'y a que les ongles des pouces qui soient courts & arrondis. On trouve ce sapajou dans la Guyane.

Le petit singe negre : il est noir ; on le trouve au Brésil.

Le singe de Guinée : les couleurs de ce singe ressemblent presqu'à celles du dos d'un lievre ; il a la tête petite & la queue longue.

Le singe musqué : il est ainsi nommé, parce qu'il a une odeur de musc ; son poil est long & de couleur blanche teinte de jaunâtre.

Le sapajou jaune : il a sept pouces & demi de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui est longue d'un pié, & garnie de longs poils ; les oreilles sont rondes & couvertes de poils assez longs, & de couleur blanche sale. Ce sapajou a le poil très-fin & très-doux, de couleur blanchâtre sur la partie inférieure du corps, de couleur mêlée de brun, de jaunâtre, & de blanchâtre sur la partie supérieure, & de couleur jaune - roussâtre sur les piés ; le bout de la queue est noir, & le reste a la même couleur que le dessus du corps. Les ongles des pouces sont courts & arrondis. On trouve cet animal à Ceylan & dans la Guyane ; il y en a de la même espece à Cayenne ; ils sont appellés singes de nuit.

Le singe varié : il a onze pouces de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui est longue d'environ quinze pouces. Les oreilles sont longues ; la face est noire ; le poil a une couleur mêlée de jaune & de noir sur le dessus de la tête & du cou, une couleur noire sur la partie extérieure des jambes de devant & sur les quatre piés, une couleur brune-noirâtre, mêlée d'une teinte de jaune & de roux sur les jambes de derriere, & une couleur blanche sur le dessous du corps & sur la partie intérieure des jambes. Les poils des joues & des côtés du cou sont longs, blancs à leur origine, & mêlés de noir & de jaune sur le reste de leur longueur : il y a de chaque côté près de l'origine de la queue une petite tache blanche ; les ongles des pouces sont courts & arrondis.

Le tamarin : il se trouve au Brésil. Le poil est assez long, & de couleur grise, teinte de noir sur le corps, de couleur noire mêlée de gris sur le front, & de couleur rousse sur la queue.

Le petit singe lion : on lui a donné ce nom, parce qu'on a trouvé quelque ressemblance entre sa tête & celle du lion. Il n'a qu'environ sept pouces de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui est longue de douze pouces & demi. Ce singe a de longs poils doux comme de la soie ; ceux du corps ont une couleur blanche teinte de jaune ; les poils qui entourent la face, ont une couleur rousse-foncée ; ceux de la poitrine une couleur rousse-jaunâtre ; ceux de la queue une couleur blanche-jaunâtre ; & ceux des jambes de devant & des quatre piés une couleur rousse. Les ongles des pouces des piés de derriere sont courts & arrondis : on trouve ce petit singe au Brésil.

Le petit singe de Para : il n'a que sept pouces de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui est longue de douze pouces & demi. Sa face & ses oreilles sont d'une couleur rouge très-vive. Le poil du corps est long, doux comme de la soie, & d'un gris-blanc argenté ; le poil de la queue a une couleur de marron ; l'entrée est approchante du noir : les ongles des pouces des piés de derriere sont larges, plats & arrondis.

Le singe à queue de rat : il a été ainsi nommé parce que sa queue ressemble à celle d'un rat. Elle est grosse & longue à proportion du corps qui est très - petit. Ce singe a le nez court, les yeux enfoncés, la face blanchâtre & ridée, le bout du nez & le tour de la bouche noirs, les oreilles grandes & nues, & les ongles courts & applatis. La tête est ronde en-devant & couverte jusqu'à la racine du nez par des poils d'une couleur noire qui tire sur le rouge : les poils du derriere de la tête qui est un peu allongé, sont noirâtres. La peau est nue depuis le menton jusqu'au ventre & à la partie intérieure des cuisses. Le poil du dos a une couleur rouge moins foncée que celui du devant de la tête ; la partie extérieure des cuisses, les piés & les reins, n'ont que peu de poil qui est d'un jaune-clair : cet animal se trouve en Amérique.

Le sagoüin : il n'a que sept pouces & demi de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui est longue de onze pouces & entourée d'anneaux alternativement bruns, noirâtres & gris-blancs. Tous les poils de cet animal sont fins & doux : chacun de ceux du dos est en partie roux, en partie brun & en partie gris-blanc : le brun & le gris-blanc sont disposés de façon qu'ils forment des bandes transversales. Les poils du dessous du corps & des jambes ont aussi du brun & du gris-blanc ; la tête & la gorge sont brunes : il y a une tache blanche au-dessous du nez entre les yeux & de longs poils blancs autour des oreilles. Les ongles des pouces des piés de derriere sont courts & arrondis : cet animal se trouve au Brésil.

Le singe à queue de lion : il est ainsi nommé, parce que sa queue est terminée par un bouquet de longs poils, & nue dans le reste de sa longueur comme celle du lion. Tout le corps a une couleur jaune, teinte de brun, excepté la gorge & la poitrine qui sont blanches.

Le singe-lion : le nom de ce singe vient de ce qu'il a comme le lion de longs poils en forme de criniere sur le cou & sur la poitrine ; ces poils sont blanchâtres ; le museau brun.

Le singe verd : il a quinze pouces de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à sa queue qui est longue de quatorze pouces. Le poil est de couleur mêlée de gris & de jaunâtre sur le dessus de la tête & du dos, de couleur grise sur la queue & sur les côtés & l'extérieur des jambes, de couleur blanche sur l'intérieur des jambes & sur la partie inférieure du corps : les joues ont de longs poils blancs : les poils sont courts & arrondis.

Le grand singe de la Cochinchine : il a environ deux piés de longueur depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui est longue d'un pié neuf pouces. Les joues ont de longs poils d'un blanc jaunâtre ; il y a sur le cou un collier de couleur de marron pourpré ; la face, les jambes & les piés de derriere sont de la même couleur ; le dessous de la tête, le corps & les bras sont gris ; le front, le dessus des épaules, les cuisses & les piés de devant ont une couleur noire ; les avant-bras & la queue sont blancs ; il y a une tache blanche sur le dos près de la queue : les ongles des pouces sont courts & arrondis.

Le singe de Guinée à barbe jaunâtre : on trouve aussi ce singe au Brésil. Il a le museau bleuâtre, la plus grande partie du corps de couleur noirâtre mêlée d'une couleur d'ambre, le ventre de couleur grise-bleuâtre, les jambes & les piés noirs, & la queue d'un roux-jaunâtre depuis le milieu de sa longueur jusqu'à l'extrêmité. Les joues & les oreilles ont une grande quantité de longs poils d'un blanc-jaunâtre.

Le singe rouge de Cayenne : il est très-gros & d'un rouge-bay foncé. Une conformation particuliere de l'os hioïde rend le son de sa voix effroyable lorsqu'il crie.

Le singe blanc à barbe noire.

Le singe noir à barbe blanche.

Le singe de Guinée à barbe blanche : on trouve aussi ce singe au Brésil. Il est de couleur brune avec de petits points blancs, excepté sur la poitrine & sur le ventre qui sont blancs en entier.

Le singe barbu : il est ainsi nommé, parce qu'il a une barbe longue d'environ six pouces. Son poil est court, lisse, luisant, & de couleur noire mêlée de brun, excepté sur la poitrine & sur la partie antérieure du ventre, où il est blanc.

Le singe barbu à queue de lion : ce singe a été ainsi nommé parce qu'il a une barbe blanche, longue de neuf pouces, & comme le lion, un bouquet de poil au bout de la queue. Les poils de la partie supérieure du corps ont une couleur noire, mêlée de brun, ceux de la partie inférieure sont blancs & longs : les ongles different peu de ceux de l'homme.

Le singe noir d'Egypte : il a de longs poils autour de la face.

Le singe roux d'Egypte : il est de la taille d'un grand chat ; il a une chevelure blanche autour de la face qui est noire.

Le petit singe du Mexique : il a environ sept pouces de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à l'origine de la queue qui est longue à peu-près d'un pié. La face est noire & nue jusqu'au-delà des oreilles ; le dessus du corps a une couleur mêlée de brun & de roux ; le dessous & les quatre piés sont blanchâtres ; la queue est en partie rousse & en partie noire : les ongles des pouces des piés de derriere sont larges, plats & arrondis.

Le belzebut : ce singe a quinze pouces de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui est longue de deux piés, terminée en pointe, & nue sur sa face inférieure, depuis les deux tiers de sa longueur jusqu'à l'extrêmité : cette partie est revêtue d'une peau sillonée comme celle de la plante des piés. Aussi cet animal se sert-il de sa queue comme d'une cinquieme jambe : il embrasse, il saisit, il empoigne, pour ainsi dire, avec l'extrêmité de sa queue ce qu'il veut porter à sa bouche. La face de ce singe, les oreilles, la tête, la partie antérieure du dos, la partie extérieure du bras, de la cuisse & la jambe, l'avant-bras, les piés & la queue sont noirs ; la partie postérieure du dos est d'un brun-noirâtre ; les côtés sont roux ; la gorge, la poitrine, le ventre, la partie intérieure du bas de la cuisse & de la jambe sont d'un blanc-sale & jaunâtre : il n'y a que quatre doigts aux piés de devant.

Race cinquieme. Les singes qui ont la queue longue & le museau allongé : on leur a donné le nom de cercopitheques cinocephales.

Le cercopitheque-cinocephale : il ne differe du singe qu'en ce qu'il a une queue & le museau allongé. Il y a des cercopitheques - cinocephales de différentes grandeurs : on les trouve en Afrique.

Le makaque : il a plus d'un pié de longueur, depuis le sommet de la tête jusqu'à la queue qui n'est longue que d'un pié, & courbée en arc. Le poil a les mêmes couleurs que celui du loup ; les narines sont fendues & élevées ; il n'y a point de poil sur les fesses : on trouve cet animal dans le royaume d'Angola & dans la Guyane.

Le magot ou tartarin : il est à-peu-près de la grandeur d'un dogue ; il a le nez gros, nud, cannelé & de couleur violette ; les poils ont une couleur grise-blanchâtre ; ceux de la partie antérieure du corps sont très-longs : on trouve cet animal en Asie & en Afrique.

M. de la Condamine nous apprend, Mém. de l'académie 1745, que les singes sont le gibier le plus ordinaire & le plus du goût des indiens de l'Amazone. Quand ils ne sont pas chassés ni poursuivis, ils se laissent approcher de l'homme sans marquer de crainte. C'est à quoi les sauvages de l'Amazone reconnoissent quand ils vont à la découverte, si un pays est neuf, ou n'a pas été fréquenté par des hommes. Dans tout le cours de la navigation sur ce fleuve, on en voit un si grand nombre & tant d'especes différentes, que la seule énumération en seroit ennuyeuse. Il y en a d'aussi grands qu'un levrier, & d'autres aussi petits qu'un rat, non-seulement les sapajous y sont communs ; mais il y en a d'autres plus petits encore, difficiles à apprivoiser, dont le poil est long, lustré ordinairement de couleur marron, & quelquefois moucheté de fauve ; ils ont la queue deux fois aussi longue que le corps, la tête petite & quarrée, les oreilles pointues & saillantes comme les chats ; ceux-ci ne ressemblent point aux autres singes, ayant plutôt l'air & le port d'un petit lion. On les nomme pinches à Maynas, & tamarins à Cayenne.

Les anciens, mém. de l'académie des Scienc. ont décrit l'anatomie du singe ; mais il y faut joindre les Remarques de M. Hunauld qui sont dans les mémoires modernes de la même académie, année 1735. En général, on a montré depuis long-tems tant de curiosité pour la dissection du singe, qu'on a donné souvent & représenté des parties de cet animal, comme tirées de cadavres humains. Galien a montré l'exemple à ses successeurs ; & je crois que Vésale lui-même a fait une ou deux fois cette petite supercherie.

SINGE, s. m. (Architect.) machine composée de deux croix de S. André, avec un treuil à bras, ou à double manivelle, qui sert à enlever des fardeaux, à tirer la fouille d'un puits, & à y descendre le moilon & le mortier, pour le fonder. Daviler. (D.J.)

SINGE, s. m. terme de Perspective, c'est un instrument de perspective qui sert à copier des tableaux, & à les reduire du grand au petit pié, ou du petit pié au grand, dans la proportion requise ; mais le vrai mot est pantographe. Voyez PANTOGRAPHE. (D.J.)


SINGERIESINGERIE


SINGHILLOS(Hist. mod.) c'est le nom que les Jagas, peuple anthropophage de l'intérieur de l'Afrique, donnent à leurs prêtres ; ce sont eux qui sont chargés de consulter les manes de leurs ancêtres, qui paroissent être les seuls dieux que ces peuples connoissent ; les prêtres le font par des conjurations, accompagnées ordinairement de sacrifices humains, que l'on fait en présence des ossemens des rois, conservés pour cet effet après leur mort, dans des especes de boëtes, ou de chasses portatives. Ces prêtres, dont l'empire est fondé sur la cruauté & la superstition, persuadent à leurs concitoyens que toutes les calamités qui leur arrivent, sont des effets de la vengeance de leurs divinités irritées, & qui veulent être appaisées par des hécatombes de victimes humaines ; jamais le sang humain ne coule assez abondamment au gré de ces odieux ministres ; les moindres soufflets de vents, les tempêtes, les orages, en un mot les événemens les plus communs, annoncent la colere & les plaintes des ombres altérées de sang ; plus coupables en cela que les peuples aveugles & barbares qu'ils gouvernent, & qu'ils entretiennent par la terreur dans des pratiques révoltantes ; c'est à leurs suggestions que sont dues les cruautés que ces sauvages exercent sur tous leurs voisins ; ce sont ces prêtres qui leur persuadent que plus ils seront inhumains, plus ils plairont aux puissances inconnues, de qui ils croyent dépendre. Voyez l'article JAGAS.


SINGIDAVA(Géog. anc.) ville de la Dace, selon Ptolémée, l. III. c. viij. le nom moderne est, à ce qu'on prétend, Enyed, & en allemand, Engetyn. (D.J.)


SINGIDUNUM(Géog. anc.) ou Singindunum, ou Sigendunum, ville de la Pannonie, que l'itinéraire d'Antoine marque sur la route d'Italie, en orient, en passant par le mont d'Or. Ptolémée met cette place au nombre des villes méditerranées de la haute Moesie, car, comme Pline nous l'apprend, la Moesie fut ajoutée à la Pannonie ; Singidunum étoit située à une petite distance de la Save. Holstein juge que c'est à-présent Zinderin, dans la Servie.

Jovien (Flavius Claudius Jovianus) naquit à Singidunum, vers l'an 331, & fut proclamé empereur par l'armée romaine, en 363, après la mort de Julien. Il fit aussitôt la paix avec les Perses, par une négociation qu'ils tirerent exprès en longueur pour faire consumer aux Romains ce qui leur restoit de vivres. Alors le nouvel empereur, pressé de la faim, & dans la crainte assez bien fondée, que quelqu'autre, profitant de son absence, ne prît aussi le diadéme, conclut avec Sapor un traité apparemment nécessaire, certainement honteux. Il céda par ce traité, les cinq provinces transtigritaines, avec la ville de Nisibe, qui étoit le boulevart de l'empire, en orient ; ce même prince avoit généreusement confessé la foi chrétienne, & persévéra dans la même croyance ; mais il se proposa d'éteindre par la douceur, les schismes de l'église. Son regne ne dura que sept mois & vingt jours ; il fut étouffé dans son lit, en 364, à l'âge de 33 ans, par la vapeur du charbon qu'on avoit allumé dans la chambre. M. l'abbé de la Bletterie a écrit la vie de ce prince, & nous y renvoyons le lecteur, parce qu'elle mérite d'être lue. (D.J.)


SINGITICUSSINGITICUS


SINGLERv. n. (Archit.) c'est dans le toisé, contourner avec le cordeau, le ceintre d'une voûte, les marches, la coquille d'un escalier, les montures d'une corniche, & toute autre partie qui ne peut être mesurée avec le pié & la toise. Daviler. (D.J.)


SINGLIOTSS. m. (Coupe des pierres) sont les deux foyers d'une ellipse où l'on attache les bouts d'un cordeau égal au grand axe, pour tracer cette courbe par le mouvement continu, qu'on appelle le trait du jardinier. Voyez ELLIPSE.


SINGO(Géog. mod.) petite ville de la Turquie en Europe, dans la Macédoine, sur la côte du golfe de Monte-Santo. Elle conserve le nom de l'ancienne Singus, qui avoit donné le sien au golfe Singiticus sinus. (D.J.)


SINGO-FAUS. m. (Hist. nat. Botan.) plante de l'île de Madagascar, qui s'attache au tronc des arbres, & dont il sort une grande feuille longue de deux ou trois piés, fort épaisse, & large de quatre doigts ; les habitans écrasent cette feuille, après l'avoir chauffée au feu, & s'en frottent le tour des yeux, pour s'éclaircir la vue.


SINGORou SINGORA, (Géog. mod.) ville des Indes, au royaume de Siam, sur la côte orientale de la presqu'île de Malaca, à l'embouchure d'une petite riviere, qui se jette dans le golfe de Patane. Latit. 9. 48. (D.J.)


SINGULARITÉ(Morale) on prend ordinairement ce mot en mauvaise part, pour désigner une affectation de moeurs, d'opinions, de manieres d'agir, ou de s'habiller, contre l'usage ordinaire ; cependant il faut distinguer la singularité louable, de la vicieuse.

1°. Tout homme de bon sens tombera d'accord avec moi, que la singularité est digne de nos éloges, lorsque malgré la multitude qui s'y oppose, elle suit les maximes de la morale & de l'honneur ; dans de semblables cas, il faut savoir que ce n'est pas la coutume, mais le devoir, qui est la regle de nos actions, & que ce qui doit diriger notre conduite, est la nature même des choses : alors la singularité devient une vertu qui éleve un homme au-dessus des autres, parce que c'est le caractere d'un esprit foible, de vivre dans une opposition continuelle à ses propres sentimens, & de n'oser paroître ce qu'on est ou ce qu'on doit être.

La singularité n'est donc vicieuse que lorsqu'elle fait agir les hommes contre les lumieres de la raison, ou qu'elle les porte à se distinguer par quelques niaiseries ; comme je ne doute pas que tout le monde ne condamne les personnes qui se singularisent par les mauvaises moeurs, le désordre & l'impiété ; je ne m'arrête qu'à ceux qui se rendent remarquables par la bisarrerie de leurs habits, de leurs manieres, de leurs discours, ou de telles autres choses de peu d'importance dans la conduite de la vie civile ; il est certain qu'à tous ces égards, on doit donner beaucoup à la coutume, & quoique l'on puisse avoir quelque ombre de raison, pour ne suivre pas la foule, on doit sacrifier son humeur particuliere, & ses opinions, aux usages reçus du public.

Il faut donc s'y prêter, & se ressouvenir qu'en suivant toujours le bon sens même, on peut paroître ridicule dans l'esprit de gens qui nous sont beaucoup inférieurs, & se rendre moins propres à être utile aux autres, dans des affaires réellement importantes ; au reste, parmi nous, on voit très - peu de gens se singulariser dans les modes, les usages, & les opinions reçues ; mais combien n'en voit-on pas qui, de peur de se donner un ridicule, n'osent se montrer ce qu'ils devroient être, & ce que la vertu leur prescrit d'être ? (D.J.)


SINGULIERRE, adj. (Gram.) ce terme est consacré dans le langage grammatical, pour désigner celui des nombres qui marque l'unité. V. NOMBRE.

Un même nom, avec la même signification, ne laisse pas très-souvent de recevoir des sens fort différens, selon qu'il est employé au nombre singulier, ou au nombre pluriel. Par exemple, donner la main, c'est la présenter à quelqu'un par politesse, pour l'aider à marcher, à descendre, à monter, &c. donner les mains, n'est plus qu'une expression figurée, qui veut dire consentir à une proposition. Cette remarque est due à M. l'abbé d'Olivet, sur ces vers de Racine, Bajazet, I. iij. 8. 9.

.... Savez-vous si demain

Sa liberté, ses jours seront en votre main.

Il me semble que de pareilles observations sont fort propres à faire concevoir qu'il est nécessaire d'apporter dans l'étude des langues, autre chose que des oreilles, pour entendre ce qui se dit, ou des yeux pour lire ce qui est écrit : il y faut encore une attention scrupuleuse sur mille petites choses qui échapperont aisément à ceux qui ne savent point examiner, ou qui seront mal vues par ceux qui n'auront pas une certaine pénétration, un certain degré de justesse dont on se croit toujours assez bien pourvu, & qui pourtant est bien rare.

L'usage a autorisé dans notre langue une maniere de parler qui mérite d'être remarquée : c'est celle où l'on employe par synecdoque, le nombre pluriel, au lieu du nombre singulier, quand on adresse la parole à une seule personne : Monsieur, vous m'avez ordonné ; je vous prie ; &c. ce qui signifie littéralement en latin, domine, jussistis ; oro vos ; la politesse françoise fait que l'on traite la personne à qui l'on parle, comme si elle en valoit plusieurs : & c'est pour cela que l'on n'emploie que le singulier, quand on parle à une personne à qui l'on doit plus de franchise, ou moins d'égards ; on lui dit, tu m'as demandé, je t'ordonne, sur tes avis, &c. cette derniere façon de parler s'appelle tutoyer, ou tutayer ; ainsi l'on ne tutaye que ceux avec qui l'on est très-familier, ou ceux pour qui l'on a peu d'égards. On trouve dans le patois de Verdun dévouser, pour tutayer ; ce qui me feroit volontiers croire que c'est un ancien mot du langage national ; il en a tous les caracteres analogiques, & il est composé de la particule privative dé, & du pronom pluriel vous, comme pour dire priver de l'honneur du vous. Ce mot méritoit de rester dans la langue, & il devroit y rentrer en concurrence avec tutayer : tous deux signifieroient la même chose, mais en indiquant des vues différentes ; par exemple, on tutayeroit par familiarité, ou par énergie, comme dans la poésie ; on dévouseroit par manque d'égards, ou par mépris.

Au reste, il y a peu de langues modernes où l'urbanité n'ait donné lieu à quelque locution vraiment irréguliere à cet égard. Les Allemands disent : mein herr, ich bin ihr diener, ce qui signifie littéralement en françois, monsieur, je suis leur serviteur, au lieu de ton, qui seul est régulier : ils disent de même ils, au lieu de tu, par exemple, sie bleiben immer ernsthaft, c'est-à-dire, ils demeurent toujours sérieux, au lieu de l'expression réguliere, tu es toujours sérieux : il y a donc dans le germanisme, abus du nombre & de la personne. Les Italiens, outre notre maniere, ont encore leur vossignoria, nom abstrait de la troisieme personne, qu'ils substituent à celui de la seconde. Les Espagnols ont également adopté notre maniere, pour le cas du moins où ils ne croyent pas devoir employer les noms abstraits de distinction, ou le nom de pure politesse, vuestra merced, ou vuesa merced, qu'ils indiquent communément dans l'écriture, par v. m. (B. E. R. M.)


SINGUSou SINGOS, (Géog. anc.) ville de la Macédoine, dans la Chalcidie. Ptolémée, l. III. c. xiij : la marque sur le golphe Singitique, aujourd'hui le golphe d'Athos. (D.J.)


SINIou CONFUSI, s. m. (Hist. nat. Botan.) arbre sauvage du Japon, de la grandeur du cerisier. Ses branches sont tortueuses : son écorce a l'odeur du camphre, & sa feuille ressemble à celle du nêflier ; mais ses fleurs qui naissent à l'entrée du printems, sont des especes de tulipes ou de lys blancs. Leur pistil est gros & de figure conique, environné d'un grand nombre d'étamines. Cet arbre est aussi appellé kobus par les Japonois.


SINIGAGLIA(Géog. mod.) en latin Senogallia, petite ville d'Italie, dans le duché d'Urbin, sur la riviere Nigola, près de la mer, à 10 milles de Fano, à 22 de Pésaro & d'Ancone, & à 34 d'Urbin. Cette ville fut fondée par les Sénonois, & devint depuis colonie romaine. La riviere la divise en ville neuve & en ville vieille, toutes les deux dépeuplées. Ses fortifications & celles du château ne sont pas absolument mauvaises. Son terroir abonde en vin, & manque de bonne eau. Son évêché a été établi depuis le iv. siecle, & est suffragant d'Urbin. Long. 30. 52. lat. 43. 40. (D.J.)


SINISTREadj. (Gram.) fâcheux, malheureux, de mauvais augure. Il se dit des choses & des personnes. Un homme sinistre ; un visage sinistre ; un songe sinistre ; un ordre sinistre.

SINISTRES, s. m. pl. (Hist. ecclés.) anciens hérétiques ainsi appellés de l'aversion qu'ils avoient prise pour leur main gauche ; ils ne vouloient rien accepter ni donner de cette main-là. On les appelloit aussi novateurs sabbatiens ; il en est parlé dans le concile de Constantinople, can. 7.


SINNADE(Géog. mod.) ville de la Turquie asiatique, dans l'Anatolie, vers la source du Sarabat, à quinze lieues d'Apamis, du côté du nord. Elle étoit autrefois archiépiscopale ; elle est aujourd'hui misérable. (D.J.)


SINNING(Géog. mod.) ville de la Chine, dans la province de Quantung, au département de Quangcheu, premiere métropole de la province. Latit. 31. 47. (D.J.)


SINOLE, (Géog. mod.) riviere d'Italie, au royaume de Naples. Elle a sa source dans la Basilicate & dans l'Apennin, aux confins de la Calabre, & va se jetter dans le golfe de Tarente, près de la tour de Saint-Basile. (D.J.)


SINOIS(Mythol.) surnom de Pan, pris du nom de la nymphe Sinoë, qui, soit en particulier, soit de concert avec ses compagnes, prit soin de l'éducation de ce dieu. (D.J.)


SINONIA(Géog. anc.) île de la mer de Thyrrène, selon Pomponius Mela, l. II. c. vij. & Pline, l. III. c. vj. On croit que c'est à-présent l'île de Salone, aux environs de Gaëte. (D.J.)


SINOPEterre de, (Hist. nat. anc.) terre rouge-brune de Natolie, qu'on ne connoît plus aujourd'hui.

Quand Voiture, dans ses entretiens avec Costar, dit plaisamment que les cordonniers ont été ainsi nommés parce qu'ils donnent des cors, il me rappelle l'étymologie sérieuse de Ménage, qui dérive sinople, terme de blason, de la terre de Sinope, qu'il suppose verte, & qui étoit d'un rouge-brun. Les anciens ont bien fait mention de la terre verte de Scio qu'ils estimoient beaucoup, mais non pas de la terre verte de Sinope. Je ne sais même si le mot prasinus dans Pline & dans Isidore signifie la couleur verte, que nous appellons sinople ; mais cela ne nous fait rien.

La terre de Sinope étoit une espece de bol plus ou moins foncé en couleur rouge-brune, qu'on trouvoit aux environs de cette ville de la Natolie, qui en distribuoit à Rome une grande quantité pour divers arts ; c'est pourquoi Strabon, Pline & Vitruve en ont beaucoup parlé.

Ce qui marque que cette terre n'étoit autre chose que du bol, c'est que les auteurs que l'on vient de citer, assurent qu'il étoit aussi beau que celui d'Espagne. Tout le monde sait que l'on trouve un très-beau bol rouge-brun en plusieurs endroits de ce royaume, où on l'appelle almagra ; & ce bol d'Espagne, suivant les conjectures de Tournefort, qui devoit en être instruit, ayant voyagé dans le pays, est un safran de Mars naturel. L'on ne connoît plus aujourd'hui sur les lieux, ni la terre verte de Scio, ni la rouge de Sinope, appellée rubrica fabrilis par Vitruve, Perse & autres auteurs.

La terre sinopique de nos jours, notre rubrique, est une terre rouge qui se trouve en Grece, en Arménie, en Egypte, dans les îles de Majourque & de Minorque, en France, en Allemagne & Angleterre. Il y en a de plusieurs especes, de graisseuses, de seches, de tendres, de dures, de tachées, &c. Elles servent aux ouvriers pour crayonner & tirer des lignes rouges.

C'est de cette terre que vient le nom de rubrique, qu'on donne au titre d'un livre de droit, parce que les titres en étoient autrefois écrits en lettres rouges. C'est la même origine de ce qu'on nomme rubriques générales dans l'office divin ; & finalement puisque j'en suis sur les étymologies, c'est aussi là celle du mot de brique, terre grasse, rougeâtre, que nous cuisons, après l'avoir façonnée en carreaux, & qui sert à bâtir.

Les Anglois savent à merveille pulvériser, tamiser & réduire en pâte, avec une eau gommée, leur terre rouge, dont ils font des crayons, qu'ils débitent dans le commerce ; mais nous vanter la rubrique, & toute autre sorte de terres, bols, craies, pierres de mine, &c. quelle qu'en soit la couleur, pour être utiles en médecine, en recommander les vertus vulnéraires intérieurement, c'est se moquer du monde, c'est aggréger ceux qui exercent l'art d'Esculape, au corps des petits marchands de crayons, qui étalent à Londres sur la bourse, ou à Paris sur le pont - neuf. (D.J.)

SINOPE, (Géog. anc.) ville de Paphlagonie, située au 43e degré de latitude septentrionale, sur le bord méridional du Pont-Euxin, près d'une riviere du même nom, à quelques milles en deçà de l'Halys, fut une des villes des plus célebres & des plus anciennes du royaume de Pont, dont la Paphlagonie, province entre. l'Halys & le Parthenius, faisoit partie. Ovide de Ponto, l. I. dit :

Urbs antiqua fuit, Ponti celebrata Sinope.

J'ai lu, dans les mém. des insc. t. X. in -4°. une excellente dissertation sur Sinope : en voici le précis.

Cette ville, au rapport de plusieurs écrivains, doit sa fondation à Sinope, une de ces amazones fameuses qui habitoient le long des rivages du Thermodon, & que quelques auteurs prétendent avoir été une colonie des Amazones de Libye, que Sésostris menoit avec lui dans ses expéditions, & dont il laissa, dit-on, une partie sur les bords de cette riviere, lorsqu'il passa dans ces contrées-là.

Mais d'autres écrivains croyent que Sinope, qui fonda en Asie la ville de son nom, étoit grecque d'origine, & fille d'Asope, petit prince établi à Thebes, ou plutôt à Phliasie, où il étoit venu de l'Asie d'auprès des rivages du Méandre : comme il avoit passé la mer pour se rendre en Grece, on en fit, en langage mythologique, un fils de l'Océan & de Téthis, ou de Neptune & de Cégluse ; & le fleuve Asope, à qui il donna son nom, n'étoit autre, suivant le même style, que le Méandre même, qui ayant suivi Asope sous les eaux de la mer, étoit venu reparoître sur les terres que ce prince avoit acquises près de la ville de Phliasie, ou Phigalie.

Pausanias fait mention d'un autre prince, nommé aussi Asope, le plus ancien des rois de Platée après Cytheron. Ce fut lui qui donna son nom à un autre fleuve appellé Asope, qui couloit près de Thèbes, & à l'Asopie, canton des environs de cette ville.

En ce tems-là les dieux, c'est-à-dire, les princes ou seigneurs de quelque contrée, aimoient à se signaler par l'enlevement des jeunes personnes qui étoient en réputation de beauté. Asope le phliasien avoit, dit-on, vingt filles, entre lesquelles il s'en trouvoit quelques-unes dont le mérite & la beauté faisoient beaucoup de bruit jusque dans les pays étrangers. Ce fut entre les jeunes seigneurs d'alors, à qui en enleveroit quelqu'une. Le petit souverain de l'île d'Oënone, qu'on qualifie du nom de Jupiter, se saisit d'Egine, dont il eut Eacus, pere de Pelée, qui le fut d'Achille, & l'île d'Oënone fut depuis appellée Egine. Le seigneur d'une autre île, qu'on honora du nom de Neptune, parce qu'il avoit passé la mer, surprit Corcyre, qu'il emmena dans son île de Schérie, qu'on nomma dans la suite Corcyre, à-présent Corfou. Un autre corsaire, qu'on titra aussi du nom de Neptune, pour la même raison, s'accommoda de Salamine, qui donna son nom à l'île où il la transporta.

Mars, c'est-à-dire, quelque guerrier, ravit Harpinne, & un jeune aventurier venu du Levant, qu'on décora pour cette raison du nom d'Apollon, surprit Sinope, une des autres filles d'Asope, qu'il transporta jusque dans une péninsule ou Chersonese de la côte méridionale du Pont-Euxin, qu'il lui céda, en lui laissant, dit-on, sa virginité. Quelques auteurs prétendent au contraire, beaucoup plus vraisemblablement, qu'il l'épousa, & qu'il en eut un fils nommé Syrus, qui donna son nom à la Syrie.

La situation du lieu où Sinope avoit été transplantée de la Grece, étoit trop charmante pour pouvoir ne s'y pas plaire. Cette princesse s'y fixa donc volontiers, & y jetta les fondemens de la ville de son nom, qui devint dans la suite si fameuse par ses richesses, par le grand nombre de ses habitans, par la beauté de ses édifices, tant publics que particuliers, par sa puissance sur terre & sur mer, & même par les grands hommes qu'elle a produits dans les arts & les sciences, ainsi que Strabon & autres auteurs en rendent témoignage.

S'il y avoit quelque fonds à faire sur ce qu'on raconte de l'origine de cette ville, elle auroit commencé vers le tems de l'expédition de Phryxus dans la Colchide, où il épousa Chalciope, fille d'Oeetes, roi du pays, une génération avant la conquête de la toison d'or par les Argonautes : car Asope, pere de Sinope, étoit contemporain de Sisyphe, roi de Corinthe, & d'Atamas, roi de Thebes & pere de Phrysus, qui le fut d'Argus l'argonaute, à qui l'on attribue, la construction du navire argo. Sinope étoit aussi tante, par Egine sa soeur, d'Eacus, pere de Télamon l'argonaute & de Pélée. Que la ville de Sinope ait été fondée avant le voyage des Argonautes en Colchide, c'est ce que supposent Diodore de Sicile dans son histoire, & Apollonius de Rhodes dans ses Argonautiques, puisque l'un & l'autre auteur font passer les Argonautes par cette ville.

C'étoit aussi une tradition constante chez les habitans de Sinope, qu'Antolycus, fils de Mercure, c'est-à-dire, de quelque fameux négociant de ces tems-là, & oncle de Jason par sa soeur Polyphema, étoit venu s'établir dans cette ville à son retour de la campagne qu'il avoit faite sous Hercule contre les Amazones du Thermodon. On va même jusqu'à dire que ce capitaine s'étant rendu maître de Sinope, en avoit chassé les habitans, & s'en étoit fait le fondateur, en y mettant une nouvelle colonie. Ce qu'il y a de certain, c'est que les Sinopiens lui déférerent les honneurs héroïques ; qu'après Sérapis ou Jupiter, Plutus, Apollon & Minerve, ils le revérerent comme patron de leur ville, & qu'ils alloient le consulter dans son temple comme un oracle.

C'est lui, peut-être, que représente une médaille de Sinope, citée par Spanheim, sur laquelle se voit un buste de héros le casque en tête, & au revers une figure de femme voilée avec un casque & un javelot à ses piés, pour signifier, dit M. Spanheim, l'amazone Sinope, suivant l'opinion de quelques auteurs, qui veulent que l'on donna le nom d'Amazone à Sinope la grecque, parce qu'elle aborda de son pays chez les Amazones, par l'embouchure du Thermodon, d'où Apollon la mena dans la Chersonese du Pont-Euxin, où elle fonda Sinope.

Cette ville après avoir été très-florissante pendant plusieurs siecles, fut presque entierement ruinée sous le regne d'Adrys, bisayeul de Crésus. Les Cimmériens ayant été chassés alors de leur pays par les Scythes, se sauverent sur la côte méridionale du Pont-Euxin, & se saisirent de la péninsule de Sinope, & de plusieurs autres villes de conséquence de l'Asie. Mais Halyatte, pere de Crésus, les ayant contraints depuis d'abandonner leurs conquêtes, ils furent aussi obligés de quitter Sinope, qu'ils avoient presque entierement détruite.

En ce tems-là, Milet, premiere ville de l'Ionie, & mere de plus de soixante & dix colonies, comme le dit Pline, se trouvant maîtresse de la Méditerranée & du Pont-Euxin, jettoit sur leurs côtes des colonies grecques de toutes parts depuis le lieu appellé le mur des Milésiens sur les bords d'un des bras du Nil, jusqu'à Panticapée à l'entrée du Bosphore cimmérien.

Mais de toutes les colonies qu'ils fonderent, nulle ne fut plus célebre que celle de Sinope. Rien ne les engagea davantage, selon Strabon, à s'établir dans cette ville qu'ils trouverent presque deserte, que les charmes & les avantages de son assiette, placée à la pointe d'une péninsule qui commandoit à la mer de tous côtés ; elle étoit presque inaccessible par mer à cause des rochers qui la bordoient jusqu'à l'entrée de ses deux ports, l'un à l'orient, & l'autre à l'occident des extrêmités de son isthme.

Comme cet isthme aussi n'avoit que deux stades de largeur, il étoit très-aisé d'en défendre l'entrée du côté de terre ; ce qui rendoit cette Chersonese d'un accès fort difficile à l'ennemi.

L'établissement des Milésiens à Sinope se fit vraisemblablement vers le commencement du regne de Cyaxare, dans la 37e olympiade, où quelques chronologues placent la fondation de cette ville.

Elle reprit bien-tôt son premier éclat, & étoit très-illustre du tems du jeune Cyrus. Après sa mort, les Grecs dans leur fameuse retraite sous Xénophon, ayant pris leur route par cette ville, y furent reçus très - favorablement. Outre toutes sortes de rafraîchissemens dont ils pouvoient avoir besoin, les habitans leur fournirent tous les bâtimens nécessaires pour les conduire à Héraclée de Bithynie, où plusieurs débarquerent, pour de-là continuer leur chemin par terre.

Strabon nous apprend que la ville de Sinope devint si puissante par mer & par terre, que non-seulement elle fut fondatrice de plusieurs colonies considérables sur la côte méridionale du Pont-Euxin, telles que Trébizonde, Cerasus, Gotyore, Armene, & autres ; mais qu'elle acquit l'empire de cette mer depuis la Colchide jusqu'aux îles Cyanées, près de l'entrée du bosphore de Thrace.

Ses flottes passerent même dans la Méditerranée, où elles rendirent, selon Strabon, de grands services aux Grecs dans plusieurs combats de mer. Cependant les Sinopiens, pour se soutenir contre les puissances qui les environnoient, & auxquelles ils causoient beaucoup d'ombrage, firent une alliance perpétuelle avec les Rhodiens, qui depuis que les Milésiens eurent perdu la domination de la mer, s'y étoient rendus les plus redoutables.

Une alliance si avantageuse contribua beaucoup à maintenir les Sinopiens contre leurs voisins, surtout contre les rois de Pont qui en avoient conçu une jalousie violente. La ville de Sinope étoit aussi trop à leur bienséance, pour qu'ils n'eussent pas toujours le dessein de l'envahir dès qu'il s'en présenteroit une occasion favorable.

Mithridate quatrieme du nom, & huitieme roi de Pont, imaginant l'avoir trouvée, fut le premier des souverains de ce royaume qui osa attaquer les Sinopiens ouvertement. Leur ayant donc déclaré la guerre, il vint aussi - tôt les assiéger, croyant les prendre au dépourvu. Mais comme ils eurent le tems d'envoyer des ambassadeurs aux Rhodiens, ils en reçurent un secours si promt & si puissant, ainsi que le raconte Polybe, que Mithridate fut obligé de lever honteusement le siége, après avoir perdu beaucoup de monde. Ceci arriva l'an des Seleucides 93, de Rome 534.

Mais trente-sept ans après, Pharnace son fils & son successeur, fut plus heureux ; car étant venu assiéger Sinope par mer & par terre avec deux nombreuses armées, lorsque les habitans s'en défioient le moins, il les força de se rendre, sans qu'ils eussent eu le tems de se reconnoître & d'être secourus des Rhodiens leurs alliés, qui furent inconsolables de la prise de cette ville. Ils firent toutes les tentatives imaginables, mais inutilement auprès des Romains, pour les persuader de déclarer la guerre à Pharnace, qu'ils traitoient de perfide.

Sinope perdit ainsi sa liberté l'an de Rome 571, après l'avoir conservée glorieusement pendant plusieurs siecles contre toutes les forces des Medes, des Lydiens, des Perses, des Macédoniens, & des premiers souverains du royaume de Pont, puissance dont les états alloient, pour ainsi dire, jusqu'aux portes de cette ville. En effet, selon Hérodote, l'empire des Medes sous Cyaxare, s'étendoit jusqu'à l'Halys qui confinoit au territoire de Sinope, & Ptérie qui touchoit presqu'à l'isthme de la Chersonese de cette ville, étoit sous Crésus du royaume de Lydie ; ce fut-là où ce prince, au rapport d'Hérodote, vint se poster à sa premiere campagne contre Cyrus ; & c'est de-là qu'il ravageoit les terres des Syriens, c'est-à-dire des Cappadociens, que les Grecs nommoient alors Syriens, dit encore cet historien.

Mithridate V. successeur de Pharnace son pere, ne se contenta pas seulement de réparer Sinope ruinée en partie dans le dernier siége ; il en fit la capitale de son état, & le séjour le plus ordinaire de sa cour ; mais il eut le malheur d'y être assassiné par ses confidens mêmes, & y fut enterré. Les Sinopiens, en reconnoissance des bienfaits qu'ils avoient reçus de ce prince, lui donnerent le titre d'Evergete, qu'ils firent graver sur leurs monnoies, où se lit .

Sinope ayant donc été entierement rétablie par la libéralité de ce prince, reprit sa premiere splendeur ; on y admiroit sur-tout la magnificence de ses portiques, celle de la place publique, de son gymnase ou académie, & de ses remparts. La beauté des fauxbourgs répondoit à celle de la ville ; & les dehors embellis de jardins agréables, étoient des plus charmans. Aussi Etienne de Byzance nomme-t-il Sinope la ville la plus illustre du Pont, ; titre qu'elle méritoit encore d'une maniere plus glorieuse, en mémoire des hommes de Lettres qui y avoient pris naissance, entre lesquels Strabon nomme Diogene le cynique, Timothée le philosophe, Diphile poëte comique, Bathon qui avoit écrit l'histoire de Perse.

Cette ville qui eut Minerve & Apollon pour patrons, doit avoir produit beaucoup d'autres savans, dont les ouvrages & les noms mêmes ne sont point arrivés jusqu'à nous, puisqu'Astérius évêque d'Amasée, témoigne que Sinope, ville ancienne, étoit très-féconde en grands hommes & en philosophes.

Mais entre tant de personnages célebres qui y prirent naissance, aucun ne l'a plus illustrée que Mithridate, sixieme du nom, dit Eupator, le fléau & la terreur des Romains, & que Cicéron dans son Lucullus, nomme avec raison le plus grand des rois après Alexandre : regum post Alexandrum maximus.

Ce prince que son goût pour les Arts & pour les sciences, que sa mémoire prodigieuse qui lui faisoit entendre & parler vingt-deux langues usitées dans ses états, & que la vaste étendue de son génie à qui rien n'échappoit, doivent rendre recommandable, se plaisoit principalement à faire sa résidence à Sinope & à Amise : il orna ces deux villes, & les remplit de tout ce qu'il put ramasser de plus rare & de plus précieux : Sinope & Amisus domicilia regis Mithridatis omnibus rebus ornata & referta, dit Cicéron, pro Manilio. Mais le malheur des guerres que ce prince eut à soutenir contre les Romains, qui de tous les peuples de la terre étoient les seuls capables de le vaincre, lui fit perdre cette ville & tous ses états ; après néanmoins avoir gagné huit ou neuf batailles contre autant de généraux romains, avoir causé des pertes immenses à la république romaine, & après une résistance des plus opiniâtres pendant près de trente années, contre trois de ses plus fameux capitaines, Sylla, Lucullus, & Pompée.

Il y avoit déja soixante-huit ans que la ville de Sinope étoit au pouvoir des rois de Pont, lorsqu'elle passa sous celui des Romains. Ils n'avoient pû dompter entierement Mithridate dans les deux premieres guerres qu'ils eurent contre lui sous la conduite de Sylla & de Murena. Ce prince s'étoit toujours relevé de toutes ses pertes, encore plus redoutable que jamais ; & la paix qu'il avoit conclue avec eux, lui fut des plus avantageuses ; mais il succomba finalement dans la derniere guerre, & y périt.

Lucullus qui s'étoit déja distingué sous Sylla dans la premiere guerre contre ce prince, eut dans la troisieme le commandement des armées romaines. Il fut très-heureux, remporta des victoires contre Mithridate, le chassa de son royaume, conquit la petite Arménie, avec le pays des Tibaréniens.

Après ces glorieux exploits, il retourna dans le Pont, où il lui restoit encore à prendre quelques-unes des principales villes, dont Sinope étoit la plus importante. Cette place, devant laquelle il se rendit en personne, auroit pû tenir long-tems contre toutes ses attaques : elle n'étoit pas seulement pourvue de toutes les munitions nécessaires pour une longue & vigoureuse défense, un grand nombre de pirates de Cilicie, gens déterminés, s'y étoient encore jettés ; & de plus elle pouvoit recevoir des renforts continuels par mer, dont elle étoit la maîtresse.

Mais la division s'étant mise parmi les chefs, tous ces avantages devinrent inutiles ; & pour surcroît de malheur, le feu ayant pris à la ville dans un tumulte, les Romains y donnerent un assaut général dans l'effroi de l'incendie, la prirent sans presqu'aucune résistance, & huit mille pirates qui ne purent gagner leurs vaisseaux, furent passés au fil de l'épée. Ce tragique événement arriva sur la fin de l'an de Rome 683, ou au commencement de l'année suivante 684.

La plûpart des habitans de Sinope n'ayant pu supporter l'insolence des pirates qui s'étoient jettés dans cette place pour la défendre, avoient été contraints de l'abandonner pendant le siége, & s'étoient retirés par mer où ils avoient pu. Lucullus étant maître de la ville, leur manda de revenir dans leurs maisons, dont il avoit eu grand soin de faire éteindre le feu, aussi-tôt que ses troupes furent entrées dans la ville.

Il remit aussi-tôt les habitans en possession de tous leurs biens, & par un excès de générosité, il leur accorda la liberté & le droit de vivre selon leurs lois, comme le rapporte Appien, graces dont il favorisa aussi les habitans d'Amise, autre ville capitale du Pont, & ancienne colonie des Athéniens, qu'Alexandre le grand, en considération de cette glorieuse origine, avoit aussi laissés en liberté.

Lucullus se signala encore à la prise de Sinope par son désintéressement, qui fut tel, qu'entre les richesses immenses & les pieces précieuses dont cette ville étoit remplie, il ne voulut retenir, dit Strabon, que la sphere de Billarus, célebre astronome, dont le nom cependant ne se trouve que dans cet auteur, & la statue d'Antylocus, du ciseau de Sthénis, fameux sculpteur.

Les Sinopiens regarderent cet événement comme un présage de la renaissance de leur ville ; & ce fut pour en conserver la mémoire à la postérité, qu'ils quitterent l'ere des rois de Pont, dont ils s'étoient servis depuis qu'ils étoient devenus leurs sujets, pour prendre celle de Lucullus, que l'on comptoit de l'an de Rome 684, qu'ils recouvrerent, pour ainsi dire, leur liberté.

Cependant à peine Sinope commençoit d'en jouir, qu'elle en fut dépouillée par Pharnace, qui enleva aux habitans une partie de leurs possessions. Ce prince, après la mort de Mithridate-Eupator, avoit obtenu de Pompée le royaume de Bosphore qu'avoit eu Macharès son frere. Mais il n'eut pas plutôt appris que la guerre s'étoit allumée entre César & Pompée ; que voulant profiter d'une si belle occasion de rentrer dans l'héritage de ses ancêtres, il se jetta sur le royaume de Pont, prit d'abord Sinope, qu'il pilla en partie, battit Domitien, général de l'armée romaine en Asie, & conquit en très-peu de tems, les états que son pere avoit possédés.

Mais toutes ses prospérités s'évanouirent presque en un instant. César, victorieux de ses ennemis, passe en diligence d'Alexandrie en Syrie, l'an de Rome 706, vole de-là dans le Pont, où il ne fait que paroître pour vaincre Pharnace, & tailler ses troupes en pieces à la fameuse journée de Ziéla, lieu qui, plusieurs années auparavant avoit été si funeste aux Romains, par la victoire importante que Mithridate y avoit remportée contre Triarius, lieutenant de Lucullus ; ainsi le nom romain fut vengé de l'affront qu'il avoit reçu en cet endroit, où César en monument de sa victoire, fit dresser un trophée, à l'opposite de celui que Mithridate y avoit fait élever à la honte des Romains.

Après le gain de cette bataille, tout céda au vainqueur ; le royaume de Pont rentra sous l'obéissance de la république romaine, & Pharnace, qui s'étoit sauvé dans Sinope avec mille cavaliers seulement, fut obligé de rendre cette ville à Domitius Calvinus, lieutenant de César, & de s'enfuir par mer dans le Bosphore, où il n'eut pas plutôt mis pié à terre, qu'un des grands du pays, qui s'étoit soulevé contre lui, le fit périr, & s'empara du royaume.

Sinope étant ainsi tombée sous la puissance des Romains, n'eut pas moins à se louer de la générosité de César, que de celle de Lucullus : il fonda le premier dans leur ville une colonie romaine.

Ces colonies étoient autant de garnisons romaines répandues de toutes parts, pour retenir & affermir les nouveaux sujets dans l'obéissance, les accoutumer insensiblement à la domination romaine, & leur en faire goûter à la longue les lois & les coutumes. C'étoit d'ailleurs la digne récompense des travaux & des fatigues militaires du soldat vétéran, & une décharge de cette multitude prodigieuse de citoyens, dont Rome se trouvoit accablée.

On avoit soin de mettre ordinairement ces colonies dans les lieux les plus avantageux & les mieux situés de chaque contrée, sur-tout dans les villes capitales & dans les métropoles. De toutes les villes d'Asie, Sinope, tant à cause de sa situation, que de sa puissance sur mer, fut une de celles où il convenoit le plus de mettre une colonie, & de la rendre florissante.

M. Vaillant s'étoit persuadé trop légerement que Lucullus avoit fait le premier de Sinope une colonie romaine. Ce n'est pas ainsi qu'en ont écrit les anciens auteurs, que cet antiquaire cite lui-même. Strabon parlant de la prise de Sinope par Lucullus, dit seulement que ce général laissa à cette ville tout ce qui contribuoit à l'embellir, & qu'il se contenta de faire enlever la sphere de Billarus, & la statue d'Antolycus, ouvrage du fameux sculpteur Sthénis ; c'est quelques lignes plus bas que ce géographe ajoute, que Sinope étoit, de son tems, colonie romaine ; de-là il est aisé de voir que cette colonie n'avoit pas été établie par Lucullus ; car si ce fait eût été vrai, Strabon en auroit fait mention plus haut, en parlant du traitement que Sinope reçut de ce général. Appien dit seulement que Lucullus rendit à Sinope la liberté. Ainsi aucun des anciens auteurs ne dit que cette ville ait été faite colonie par Lucullus.

L'époque de Sinope marquée sur la médaille de Gordien-Pie, frappée à Sinope, & si bien expliquée par M. l'abbé de Fontenu, prend son commencement à l'an de Rome 684. L'époque marquée sur les médailles de M. Aurele & de Caracalla, commence à l'établissement de la colonie romaine par Jules-César, l'an de Rome 707. Cette double époque a été très-bien remarquée par M. Vaillant ; elle se trouve aujourd'hui encore mieux confirmée par une médaille de Néron & d'Octavie, que le P. Froelich a fait graver, & par quelqu'autres dont on lui a communiqué la description.

Sinope ayant reçu tant de bienfaits de César, fit gloire de porter dans ses médailles le nom de colonie julienne, colonia julia Sinope. Auguste lui maintint apparemment ses franchises & ses privileges dans le voyage qu'il fit en Asie, l'an 12 de son empire, & de Rome 743, car elle joint la qualité d'Augusta avec celle de Julia dans quelques-unes de ses médailles ; colonia Julia Augusta Sinope dans Vaillant, au revers de Caracalla ; colonia Augusta Sinope dans Mezzabarbe, au revers de Gordien-Pie.

J'ai déja peut-être remarqué à l'article SERAPIS, (& j'en parlerai plus au long au mot TEMPLE DE SERAPIS) que ce dieu des Egyptiens étoit celui de Sinope, & que ce ne fut pas sans de grandes raisons, que les Sinopiens prirent Jupiter Plutus, c'est-à-dire, Sérapis pour leur divinité tutélaire ; car outre que plusieurs auteurs prétendent que ce fut Jupiter même, & non pas Apollon qui transporta de Grece en Asie Sinope, fondatrice de la ville de ce nom ; les Sinopiens étoient aussi persuadés que c'étoit à Jupiter Plutus, dieu des mines, qu'ils étoient redevables de l'opulence où les mettoit le grand trafic qu'ils faisoient sur toutes les côtes de la mer Noire, d'une quantité prodigieuse de fer qu'ils tiroient des mines de leur contrée, & des pays voisins : raison pour laquelle vraisemblablement Pomponius Mela nomme les Sinopiens chalybes, c'est-à-dire, comme l'explique Eustache sur Denys le géographe, forgerons, artisans, ou marchands en fer, & leur canton Chalybie, comme pour faire entendre que les habitans s'adonnoient sur-tout à la fabrique du fer, & qu'ils en tiroient leur principale richesse.

Outre le profit immense que le négoce du fer produisoit aux Sinopiens, ils en tiroient encore un très-considérable de la pêche du thon, qui se faisoit sur leur rivage, où en certain tems, selon Strabon, ce poisson se rendoit en quantité, raison pour laquelle ils le représentoient sur leurs monnoies, comme il paroît par les médailles de Géta. Ce poisson venoit des Palus-Méotides, d'où il passoit à Trébizonde & à Pharnacie, où s'en faisoit la premiere pêche ; il alloit de-là le long de la côte de Sinope où s'en faisoit la seconde pêche, & traversoit ensuite jusqu'à Byzance, où s'en faisoit une troisieme pêche.

La terre de Sinope vantée par Dioscoride, Pline & Vitruve, étoit une espece de bol plus ou moins formé, que l'on trouvoit autrefois au voisinage de cette ville, & qu'on y apportoit, pour la distribuer à l'étranger ; ce n'étoit au reste qu'un petit objet de commerce pour les Sinopiens : plusieurs autres villes de la Grece avoient des bols encore plus recherchés.

Voilà l'histoire complete de l'ancienne Sinope, en y comprenant même celle de son commerce. Je ferai un petit article de Sinope moderne, mais je ne puis terminer celui-ci, sans ajouter un mot du fameux Diogene, que j'ai déja nommé à la tête des hommes illustres dont cette ville a été la patrie.

Ce philosophe singulier, & bizarre dans ses manieres, mais vertueux dans ses principes, naquit à Sinope, dans la 91. olympiade, & mourut à Corinthe en allant aux jeux olympiques, la troisieme année de la 114 olympiade, âgé d'environ 90 ans, après avoir vécu dans l'étude de la morale, dans la tempérance, & le mépris des grandeurs du monde.

Il se soucioit peu d'être enterré, & cependant il le fut splendidement proche la porte de l'isthme du Péloponnèse ; plusieurs villes de Grece se disputerent l'honneur de sa sépulture. Son tombeau, dont parle Pausanias, portoit un chien de marbre de Paros, avec une épitaphe. M. de Tournefort a vu cette épitaphe, qui est très-singuliere, sur un ancien marbre à Venise, dans la cour de la maison d'Erizzo. Les habitans de Sinope lui dresserent aussi des statues de bronze.

Il me semble donc que ceux qui ne proferent aujourd'hui le nom de Diogene que pour le rendre ridicule, montrent bien peu de connoissance de sa vie & de l'antiquité. Les Athéniens en jugerent différemment, car ils honorerent toujours sa pauvreté volontaire & son tonneau. Ils punirent sévérement le jeune homme qui s'étoit avisé de le lui rompre, & lui en donnerent un autre au nom de la république. Plutarque, Cicéron, Séneque, en un mot les premiers hommes de l'antiquité, n'ont parlé de Diogene qu'en termes pleins d'éloges, & l'on ne sauroit guere s'empêcher de les lui accorder, lorsqu'on envisage philosophiquement la grandeur de son ame.

Je ne m'étonne point qu'Alexandre ait admiré un homme de cette trempe. Ce prince, maître du monde, avoit vu venir à lui de toutes parts, les hommes d'états & les philosophes pour lui faire la cour. Diogene fut le seul qui ne bougea de sa place ; il fallut que le conquérant d'Asie allât trouver le sage de Sinope. Dans cette visite, il lui offrit des richesses, des honneurs, & sa protection, & le sage lui demanda pour unique faveur qu'il voulût bien se retirer un peu de son soleil, comme s'il eût voulu dire : ne m'ôtez point les biens de la nature, & je vous laisse ceux de la fortune. Alexandre comprit bien la vigueur d'une ame si haute, & se tournant vers les seigneurs de sa cour : si je n'étois Alexandre, leur dit - il, je voudrois être Diogene ; c'est-à-dire, si je ne possédois tous les biens & tous les honneurs, je me tiendrois heureux de les mépriser comme ce sage.

Je n'ignore pas que ce seroit être ridicule de porter aujourd'hui une lanterne dans la même vue que le faisoit Diogene, pour chercher un homme raisonnable ; mais il faut bien qu'il n'ait pas abusé de cette idée, puisqu'elle ne parut point extravagante au peuple d'Athènes. Il y a mille choses semblables chez les anciens, dont on pourroit se moquer, si on les interprétoit à la rigueur ; & selon les apparences, ce ne seroit pas avec fondement.

A l'égard du crime de fausse-monnoie, pour lequel il fut contraint de quitter sa patrie, il est excusé par ses contemporains, sur ce qu'il ne s'y porta que par l'avis de l'oracle d'Apollon ; & s'il prit d'abord à la lettre la réponse Delphique, ce ne fut que pour lui donner bientôt après une toute autre interprétation, en se servant d'une monnoie bien différente de celle qui avoit cours, si nous entendons par-là ses maximes & son genre de vie.

Mais ce qu'on ne peut révoquer en doute, c'est la sagacité de son esprit, ses lumieres, & ses connoissances. Le sel de ses bons mots, la finesse & la subtilité de ses réparties, ont passé à la postérité. Si Aristippe, disoit-il, savoit se contenter de légumes, il ne feroit pas sans-cesse sa cour aux rois ; & quoi qu'en dise Horace, éternel adulateur d'Auguste, & détracteur impitoyable du philosophe de Sinope, qu'il n'appelle que le mordant cynique, je ne sai pas trop ce qu'Aristippe auroit pu répondre à Diogene.

Ce qu'il y a de sûr, c'est que nous ne lisons point la liste des livres qu'il avoit composés, sans regretter la perte de plusieurs de ses ouvrages. Il possédoit à un degré éminent le talent de la parole, & avoit une éloquence si persuasive, qu'elle subjuguoit tous les coeurs. C'est par cette éloquence qu'il s'acquit plusieurs disciples, que distinguoit dans le monde leur naissance, leur rang ou leur fortune. Tels ont été Stilpon de Mégare, Onésicrite & son fils, & Phocion, encore plus illustre qu'eux. Mais si vous voulez connoître plus particulierement Diogene & sa secte, voyez le mot CYNIQUE, hist. de la Philosophie. (D.J.)

SINOPE, (Géog. mod.) ville de l'Asie mineure, anciennement comprise dans la Paphlagonie, comme nous l'avons dit dans l'article précédent. Elle étoit à 50 stades d'Armène, bâtie à l'entrée d'une presqu'île, dont l'isthme n'a que deux stades (environ deux cent toises de largeur), elle avoit un bon port de chaque côté.

L'ancienneté de cette ville remonte au tems fabuleux, au tems même des Argonautes. Elle reçut son lustre des Milésiens, qui y envoyerent une colonie, & avec le tems elle devint assez puissante pour fonder elle - même d'autres colonies sur les côtes du Pont-Euxin ; savoir à Cérasunte & à Trapésunte. Les rois de Pont s'en emparerent, & Mithridate fit de Sinope la capitale de ses états. Lucullus joignit Sinope aux conquêtes de la république ; Jules-César y envoya une colonie romaine, & Auguste dans son voyage d'Asie, lui confirma ses franchises & ses immunités.

Ses murailles étoient encore belles du tems de Strabon qui vivoit alors. Celles d'aujourd'hui ont été bâties sous les derniers empereurs Grecs ; son château est entierement délabré. On ne trouve aucune inscription dans la ville, ni dans les environs ; mais on en voit quantité dans le cimetiere des Turcs, parmi des chapiteaux, bases & piédestaux. Ce sont les restes des débris du magnifique gymnase, du marché, & des portiques dont Strabon fait mention. Les eaux y sont excellentes, & l'on cultive dans les campagnes voisines, des oliviers d'une grandeur assez raisonnable.

Charatice capitaine mahométan, surprit Sinope du tems d'Alexis Comnène, dans le dessein d'enlever les trésors que les empereurs grecs y avoient mis en dépôt ; mais le sultan lui manda par politique d'abandonner la place sans y rien piller. Lorsque les croisés se rendirent maîtres de Constantinople, Sinope resta aux Comnènes, & fut une des villes de l'empire de Trébisonde. Elle devint dans la suite une principauté indépendante, dont Mahomet II. fit la conquête en 1461, sur Ismaël prince de Sinope ; c'est ainsi que cette ville de l'Anatolie, qui a été épiscopale dans le v. siecle, & qui n'est aujourd'hui qu'un bourg, a passé sous la domination de la Porte ottomane.

Strabon qui ne négligeoit rien dans ses descriptions, remarque que les côtes, depuis Sinope jusqu'en Bithynie, sont couvertes d'arbres dont le bois est propre à faire des navires ; que les campagnes sont pleines d'oliviers, & que les menuisiers de Sinope faisoient de belles tables de bois d'érable & de noyer. Tout cela se pratique encore aujourd'hui, excepté qu'au-lieu de tables qui ne conviennent pas aux Turcs, ils employent l'érable & le noyer à faire des sophas, & à boiser des appartemens. Ainsi ce n'est pas contre ce quartier de la mer Noire qu'Ovide a déclamé avec tant de véhémence, dans sa troisieme lettre écrite du Pont à Rufin. Long. 52. 54. lat. septent. 43.

Aquila, auteur d'une version grecque de l'ancien Testament, étoit de Sinope. Il publia deux éditions de cette version ; la premiere parut l'année 12 de l'empereur Adrien, la 128 de J. C. Dans la premiere, il se donna plus de liberté pour rendre le sens de l'original, sans s'attacher servilement aux mots, & sans faire une version littérale. Mais dans la seconde, il traduisit mot à mot, sans en excepter même les termes qui ne peuvent être bien rendus en grec, particulierement la particule eth, qui lorsqu'elle désigne seulement l'accusatif en hébreu, n'a proprement aucune signification : cependant comme elle signifie ailleurs avec, Aquila la rendoit par la particule , sans aucun égard au génie de la langue grecque.

S. Jérome porte de cette version des jugemens contradictoires ; tantôt il la loue, & tantôt il la blâme. Dans un endroit il en parle d'une maniere défavorable, & ailleurs il dit qu'Aquila a rendu l'original mot à mot, avec tout le soin & toute la fidélité possible, & non trop scrupuleusement comme quelques-uns le croyent. Souvent il préfere cette version à celle des septante, particulierement ses quaest. hebraïc. in Genes. Origene en parle toujours avec éloge. Il est vrai que plusieurs autres anciens, comme Eusebe, se plaignent souvent de l'inexactitude d'Aquila en bien des passages.

Malgré toutes leurs plaintes, les savans regrettent la perte des traductions d'Aquila, qui se seroient certainement conservées jusqu'à nous, si les anciens en avoient connu le véritable usage. Elles méritoient ces traductions, qu'on les eût souvent fait copier aux frais communs des églises, & qu'on les eût mises dans les bibliotheques publiques, pour les transmettre à la postérité ; mais les copistes de ces tems-là étoient employés par des gens ignorans à copier un nombre infini de pieces inutiles, tandis qu'on négligeoit des ouvrages importans, qui sont des pertes irréparables.

Ce fut la seconde version d'Aquila, retouchée par cet écrivain, que les juifs hellénistes reçurent, & ils s'en servirent par-tout dans la suite, au lieu de celle des septante. De-là vient qu'il est souvent parlé de cette version dans le talmud, & jamais de celle des septante. Cependant les Talmudistes, jaloux contre les Hellénistes, firent leurs efforts pour en dégoûter les peuples, & pour les ramener à l'hébreu. Cette affaire causa tant de bruit & de divisions, que les empereurs furent obligés de s'en mêler.

Justinien en particulier, publia une ordonnance qui se trouve encore dans ses nouvelles constitutions, portant permission aux Juifs de lire l'Ecriture dans leurs synagogues, dans la version grecque des septante, dans celle d'Aquila, ou dans quelle autre langue il leur plairoit, selon les pays de leur demeure. Mais les docteurs juifs ayant reglé la chose autrement, l'ordonnance de l'empereur ne servit de rien, ou de fort peu de chose ; car bientôt après les septante & Aquila furent abandonnés : & depuis ce tems - là la lecture de l'Ecriture s'est toujours faite dans leurs assemblées en hébreu & en chaldéen, dont on se sert même encore aujourd'hui dans quelques - unes de leurs synagogues, comme à Francfort. (D.J.)

SINOPE, LA, (Géog. mod.) petite riviere de France dans la basse Normandie, au Cotentin. Elle sort de plusieurs sources vers Famerville, & va tomber dans le havre de Quineville.


SINOPLES. m. terme de Blason ; c'est ainsi qu'on appelle le vert ou la couleur prasine dans les armoiries. Cette couleur signifie selon les symbolistes, amour, jeunesse, beauté, réjouissance, & sur-tout liberté ; d'où vient qu'on scelle en cire verte & en lacs de soie verte, les lettres de grace, d'abolition & de légitimation. L'origine du mot sinople est inconnue ; mais il ne faut pas la tirer de la terre de Sinope dans le Pont, car cette terre n'étoit point verte. On représente le sinople en gravure, par des hachures qui prennent de l'angle dextre du chef, à l'angle sénestre de la pointe. (D.J.)


SINSANS. m. (Hist. nat. Bot.) grand arbre du Japon, dont les feuilles disposées en rond autour des petites branches, sont longues d'environ trois pouces ; épaisses, pointues, légerement ondées, sans découpures à leur bord ; d'un goût de sagapenum, avec une chaleur mordicante. Ses fleurs sont à quatre & cinq pétales, petites & rougeâtres. Ses baies ont la forme d'une poire, & la grosseur de celles de l'aubeépine, renfermant quatre semences blanches, fendues en deux, & semblables à celles de l'oranger.


SINSICH(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne au duché de Juliers. Voyez ZINZICH.


SINTAGORA(Géogr. mod.) ville de la presqu'île de l'Inde, sur la côte de Malabar, dans la partie septentrionale du royaume de Canara, aux confins du royaume de Visapour, près de l'embouchure de la riviere Aliga. (D.J.)


SINTIA(Géog. anc.) ville de la Macédoine aux environs de la Thrace ; le pays où elle étoit située est nommé Sintice par Tite-Live & par Ptolémée. (D.J.)


SINTOou SINTOISME, s. m. (Hist. mod. Culte religieux) c'est le nom que l'on donne à la religion idolâtre la plus anciennement établie au Japon. Elle consiste dans le culte que l'on rend à des héros déifiés, que les Japonois adorent sous le nom de cami ou kami, ce qui signifie esprits immortels. On leur éleve des temples dans lesquels on conserve des épées, & d'autres armes antiques dont ces héros, devenus dieux, se servoient pour exterminer les monstres & les ennemis de l'empire. Les sintoïstes ont la vénération la plus profonde pour les reliques de ces dieux, qu'ils regardent comme les génies tutélaires de la nation, ses fondateurs & ses premiers rois. L'histoire de ces dieux fait la principale partie de la théologie du sintos ; elle est remplie d'événemens miraculeux, de géans vaincus, de dragons exterminés, & d'autres aventures extraordinaires, qui ressemblent beaucoup à celles qui sont contenues dans nos anciens livres de chevalerie. Le chef de la religion du sintos & le souverain pontife, se nomme mikaddo ou dairi ; il a seul le droit de placer les héros & les grands hommes de la nation au rang des dieux. On prétend qu'il descend lui-même des anciennes divinités du pays, qui se font un devoir de le visiter une fois tous les ans.

La religion du sintos n'admet point la métempsycose ; cependant ses sectateurs s'abstiennent de tuer ou de manger les animaux utiles aux hommes. Ils croyent l'immortalité de l'ame, & un état futur de bonheur & de malheur. Ils sont persuadés que le diable anime le renard qu'ils appellent ma, c'est-à-dire esprit malin, parce que cet animal cause de grands dommages à leurs pays.

Les principaux chefs de la religion du sintos se réduisent à quatre chefs.

1°. Les cérémonies légales : elles consistent à ne point se souiller de sang ; à s'abstenir de manger la chair ; à ne point toucher aux corps morts ; il n'est point permis de se présenter aux temples lorsque l'on est impur ; toute effusion de sang, même la plus involontaire, est regardée comme une grande souillure, & l'on démoliroit un temple si un ouvrier qui travailleroit à sa construction, venoit à se blesser jusqu'à répandre du sang. La plus grande de toutes les impuretés, est celle que l'on contracte par la mort de ses parens ; la souillure augmente à proportion de la proximité du degré. Quelques casuistes ajoutent que l'on peut contracter l'impureté des autres, ce qui arrive, soit en voyant, soit en entendant, soit en disant des choses impures & malhonnêtes. Les sintoïstes les plus rigides croyent encore que c'est un crime, que de se présenter aux dieux avec un esprit inquiet & chagrin ; ils disent que les prieres des malheureux doivent être des objets fâcheux pour des êtres qui jouissent de la suprême félicité.

2°. La célébration des fêtes de la religion est le second objet du sintoïsme. Ces fêtes s'appellent rébi, voyez cet article. Les principales se célebrent en l'honneur de Tensio-dai-sin, qui est le plus grand des dieux du sintoïsme : les autres dieux sont Suwa, Fatzman, Morisaki, Sitios, Sitenno, Gotsutenno, Inari, Idsumo, Jebisu, Daikoku, Tossi-toku, Fottei ou Miroku.

3°. Un des principaux points de la religion du sintos consiste à faire des pélerinages fréquens dans la province d'Isjé, où sont les temples consacrés au plus grand de leurs dieux, les femmes ne s'exemptent point de ce devoir ; mais les grands s'en dispensent & font faire ce pélerinage par des substituts. Lorsque les pélerins ont visité les saints lieux d'Isjé, on leur donne une boëte appellée ofavai, qu'ils ont en grande vénération. Voyez OFAVAI.

4°. La religion du sintos a des sociétés & des confréries religieuses, & ses moines. Voyez JAMMABOS.


SINTRou CINTRA, (Géog. mod.) montagne de Portugal dans l'Estramadure, à 7 lieues de Lisbonne. La terre y forme un cap avancé, que les anciens ont nommé promontorium Lunae ou promontorium Olisiponente ; c'est le Tagrus ou Tagrum de Varron, rei rust. l. II. c. v. Ce cap est un rameau de la montagne Sintra, autrefois nommée mons Lunae. C'est une montagne qui, par son élévation, se présente de fort loin aux vaisseaux qui rasent cette côte. A l'un des côtés de cette montagne est un gros bourg qui porte son nom. Au sommet de la montagne, il y a un monastere d'une vûe charmante. D'un côté l'on voit l'Océan, de l'autre le Tage, & des deux côtés un paysage agréable de riches campagnes s'offre aux yeux. Au pié de la montagne Sintra, il y avoit anciennement un temple dédié au soleil & à la lune. (D.J.)


SINTZHEIou SINSHEIM, (Géog. mod.) ville d'Allemagne dans la Suabe, au petit pays Creigow, à 4 lieues d'Heidelberg, & à même distance d'Heilbron. Cette ville appartient à l'électeur Palatin, & les François la brûlerent avec quantité d'autres en 1689. Long. 27. 34. latit. 49. 15. (D.J.)


SINUESSE(Géog. anc.) ville d'Italie dans le nouveau Latium, aux confins de la Campanie, au delà du Liris, sur le bord de la mer. Tite-Live, l. X. c. xxj. lui donne le titre de colonie romaine. La ville de Minturne, selon Strabon, l. V. étoit entre celle de Formies & de Sinuessa. Pline, l. III. c. v. fait de Sinuessa la derniere ville du Latium ajouté, & dit que quelques-uns l'avoient appellé Sinope ; mais Tite-Live, l. X. c. xxj. fait entendre que Sinuessa prit ce nom lorsque les Romains eurent envoyé une colonie dans un endroit où l'on croyoit qu'avoit été Sinope, ville grecque : placuit ut duae coloniae circà Vescinum & Falernum agrum deducerentur ; una ad ostium Liris fluvii, quae Minturnae appellata ; altera in saltu Vescino, Falernum contingente agrum, ubi Sinope dicitur graeca urbs fuisse ; Sinuessa deindè ab colonis romanis appellata. Les habitans de cette ville sont appellés Sinuessani ou populus Sinuessanus par le même historien, & Sinuisani dans une inscription rapportée par Holsten, p. 224.

Il y avoit au voisinage de cette ville des eaux minérales, qui en prenoient le nom d'aquae Sinuessanae, & auxquelles on attribuoit la vertu de remédier à la stérilité des femmes, & de remettre l'esprit aux hommes lorsqu'il étoit aliéné. C'étoit des bains d'eaux chaudes ; ce qui a fait que Silius Italicus, l. VIII. vers. 528. a donné à la ville de Sinuessa l'épithete de tepens. Nous voyons dans Tacite, l. XII. c. lxvj. que l'empereur Claude usa de ces bains.

On voit encore aujourd'hui quelques vestiges de Sinuessa, & elles conservent le nom de la ville. Il y a près de Monte-Dracone quelques ruines d'édifices, de même que vers le bord de la mer où sans-doute étoient les grandes murailles du port. (D.J.)


SINUEUXadj. (Gram.) qui ne suit pas la ligne droite. Voyez SINUOSITE.

SINUEUX, en terme de Chirurgie, se dit des ulceres étroits, profonds & tortueux. Voyez SINUS & FISTULE. (Y)


SINUOSITÉS. f. (Phys. & Géogr.) suite de détours en formes d'arcs alternativement placés en sens contraire.

C'est la sinuosité des côtes de la mer qui forme les baies, les ports, & servit de modèle à Dédale pour faire son labyrinthe. Voyez BAIE, PORT, &c. Voyez aussi LABYRINTHE.

SINUOSITE, s. f. (Ostéol.) nom que les Anatomistes donnent à une cavité oblongue de l'os ; cette cavité est faite en forme de gouttiere, ayant plus d'étendue dans sa longueur que dans sa largeur ; telle est celle qui se remarque à la partie supérieure de l'humerus, &c. (D.J.)

SINUOSITE, terme de Chirurgie & d'Anatomie, tour & détour que fait un ulcere dans les chairs. Voyez SINUS & FISTULE. (Y)


SINUou SINUS DROIT, en Trigonometrie, est une ligne droite tirée d'une extrêmité d'un arc perpendiculairement sur le rayon qui passe par l'autre extrêmité.

Le sinus d'un arc est la moitié de la corde du double de cet arc. Voyez ARC.

Ainsi la ligne A D, Pl. Trigonom. fig. 1. qui est moitié de la corde A B du double de l'arc A E B, est le sinus droit, ou simplement le sinus de l'arc A E.

Le sinus total est le sinus du quart de cercle H E ou de 90 degrés, c'est-à-dire le sinus total est la même chose que le rayon H C. Voyez RAYON.

Sinus verse est une partie E D du sinus total ou rayon, comprise entre le sinus droit A D & l'arc A E.

1°. Le sinus droit A D étant perpendiculaire au rayon E C ; tous les sinus tirés sur le même rayon, sont paralleles les uns aux autres.

2°. Puisque l'arc A E est la même mesure de l'angle A C E, & A I la mesure de l'ange contigu A C I, & le quart de cercle H E la mesure de l'angle droit ; A D est aussi le sinus droit & E D le sinus verse des angles A C E & A C I, & le sinus total est le sinus de l'angle droit.

3°. Deux angles contigus, comme A C E & A C I, ont le même sinus.

4°. Les sinus des angles obtus sont les mêmes que ceux de leur complément à deux angles droits.

5°. Tous les sinus d'arcs semblables ont le même rapport à leurs rayons.

Le sinus du complément ou le co- sinus de l'arc A E est le sinus de l'arc A H, qui est son complément à un quart de cercle. Voyez CO-SINUS.

Pareillement le co- sinus de l'arc A H est le sinus de l'arc A E.

Pour avoir en nombre la valeur des sinus, &c. on prend le rayon pour l'unité, & on détermine la valeur des sinus, des tangentes & des sécantes en parties du rayon. Si nous apprenons par l'almagest de Ptolémée, que les anciens divisoient le rayon en soixante parties, qu'ils appelloient degrés, & par-là ils déterminoient les cordes en minutes, secondes & tierces, c'est-à-dire en fractions sexagésimales du rayon, dont ils se servoient pareillement dans la résolution des triangles (Voyez SEXAGESIMAL, DEGRE, &c.) les Arabes sont, à ce qu'il paroît les premiers qui ont fait usage des sinus ou demi-cordes. Voyez CORDES.

Regiomontanus divisa d'abord, comme les anciens, le rayon en 60 degrés, & détermina les sinus des différens degrés par leurs fractions décimales ; mais dans la suite il trouva qu'il étoit bien plus commode de prendre le rayon pour l'unité, & ainsi il introduisit dans la Trigonométrie la méthode dont on se sert à-présent.

Dans les tables communes des sinus & des tangentes, on conçoit le rayon comme divisé en 10000000 parties : on ne va jamais plus loin pour déterminer la quantité de ces sinus & de ces tangentes. Ainsi comme le côté d'un hexagone soutient la sixieme partie d'un cercle & est égal au rayon, de même aussi le sinus de 30°. est 5000000.

1°. Le sinus A D étant donné, trouver le sinus du complément : ôtez le quarré du sinus A D du quarré du rayon A C ; le reste sera le quarré du sinus A G du complément : d'où tirant la racine quarrée, l'on a le sinus du complément ; par exemple, supposons A C, 10000000, & A D 5000000, on trouvera que A G sinus de 60°. est 8660254.

2°. Le sinus A D de l'arc A E étant donné, trouver le sinus de la moitié de l'arc ou la moitié de A E ; trouvez la corde de l'arc A E, voyez CORDE, car la moitié de cette corde est son sinus. Ainsi supposons D C & A D connues, comme dans le problème précédent, nous trouverons que le sinus de la moitié de la corde A E ou le sinus de 15°. = 2588190.

3°. Le sinus D G de l'arc D F étant donné, trouver le sinus D E de l'arc double D B, fig. 6. Puisque les angles en E & en G sont des angles droits, & que l'angle B est commun à chaque triangle B C G & D E B, nous aurons B C : C G : : B D : D E ; donc C G étant trouvé par le second problème, & B D étant double de D G, on peut trouver D E par la regle de proportion.

4°. Les sinus F G & D E, fig. 7. des arcs F A & D A, dont la différence D F est plus grande que 45 minutes, étant donnés, trouver un sinus intermédiaire quelconque, comme I L. Trouvez une quatrieme proportionnelle à la différence F D des arcs dont les sinus sont donnés, à la différence de l'arc I F dont on cherche le sinus, & à la différence D H des sinus donnés : ajoutez-la au plus petit sinus donné F G, la somme sera le sinus demandé.

5°. Trouver le sinus de 45 degrés ; soit H I, fig. 1. un quart de cercle, H C I sera un angle droit ; par conséquent le triangle sera rectangle, donc HI2 = HC2 + = 2HC2. C'est pourquoi puisque H C sinus total est 10000000 ; si du quarré de 2 H C 2, qui est 200000000000000, on extrait la racine quarrée 14142136 ; on aura la corde H I, dont la moitié 7071068 est le sinus demandé 45 degrés.

6°. Le sinus d'une minute ou de 60''. F G, fig. 7. étant donné, trouver le sinus d'une ou plusieurs secondes M N. Puisque les arcs A M & A F sont bien petits, A M F pourra être prise pour une ligne droite, sans qu'il y ait d'erreur sensible dans les fractions décimales du rayon dans lesquelles le sinus est exprimé, c'est-à-dire que les arcs A M & A F seront regardés comme proportionnels à leurs cordes ; c'est pourquoi puisque M N est parallele à F G, on aura A F : F G : : A M : M N ; donc A F, F G & A M étant donné, on trouve aisément M N.

Construire un canon des sinus. Les sinus de 30°. 15°. 45°. & 36°. étant trouvés, (nous avons montré ci-dessus la maniere de trouver les trois premiers, &, à l'égard du quatrieme, c'est la moitié du côté du pentagone, voyez PENTAGONE), on peut de-là construire un canon de tous les sinus à chaque minute & à chaque seconde ; car avec le sinus de 36°. on trouve ceux de 18°. 9°. 4°. 30'. & 2°. 15'par le second problème : ceux de 54°. 72°. 81°. 85°. 30'. & 87°. 45'. &c. par le premier problème ; d'ailleurs avec les sinus de 45°. on trouve le sinus de 22°. 30'. 11°. 15'. &c. Avec les sinus de 30°. & de 54°. on trouve le sinus de 12°. Avec le sinus de 12°. on trouve ceux de 6°. de 3°. de 1°. 30'. 35'. 78°. &c. Avec le sinus de 15°. on trouve le sinus de 7°. 30'. &c. jusqu'à ce qu'on ait 120 sinus, qui se suivent régulierement à 45'. près les uns des autres. On peut trouver les autres sinus intermédiaires par le cinquieme problème, & ainsi le canon sera complet.

Le sinus d'un arc étant donné, trouver la tangente & la sécante. Voyez TANGENTE & SECANTE.

Pour trouver le logarithme d'un sinus donné, voyez LOGARITHME.

Dans tous triangles, les côtés sont comme les sinus des angles opposés. Voyez TRIANGLE.

Le sinus B C, fig. 9. & le sinus verse A B étant donnés, trouver l'arc F C en degrés. Trouvez le demi-diametre A D, alors dans le triangle D B C, outre l'angle droit B, vous trouverez par les côtés B C & D C l'angle A D C, qui fait voir combien l'arc a de degrés ; le double de cet arc est l'arc F C. Ce problème est d'usage pour trouver le segment d'un cercle. Voyez SEGMENT.

Sinus artificiel signifie logarithme d'un sinus. Voyez LOGARITHME.

Ligne des sinus est une ligne sur le compas de proportion. Voyez COMPAS DE PROPORTION, &c. Chambers. (E)

Formules des sinus. x étant le sinus d'un angle, & 1 le sinus total, est son co- sinus ; 1/x, sa sécante ; , sa co-sécante ; , sa tangente.

De plus, si on nomme z un angle quelconque, on aura son sinus = c, & son co- sinus = c. Voyez le calcul intégral de M. de Bougainville.

En général, sin. d. cos. b = + sin. .

Sin. d. sin. b = - 1/2 cos. d + b + 1/2 cos. d - b.

Co- sin. d cos. b = cos. + cos. .

Sin. d + b = sin. d cos. b + sin. b cos. d.

Co- sin. d + b = cos. d cos. b - sin. b. sin. d.

Courbe des sinus, est une courbe dans laquelle les abscisses représentent les arcs de cercle ; les ordonnées représentent les sinus de ces angles.

Donc si z représente les abscisses, on aura l'ordonnée y = sin.z = c, ou bien dz = . Par ces formules, on trouvera aisément les propriétés de cette courbe, ses tangentes, sa quadrature, &c. (O)

SINUS ; s. m. (Osteolog.) espece de cavité d'un os qui a plus d'étendue dans son fond que dans son entrée, c'est ce qu'on remarque à l'égard des sinus frontaux, des maxillaires, &c. (D.J.)

SINUS du cerveau, (Anatom.) Les sinus du cerveau sont des canaux veineux, plus amples & moins coniques, par rapport à leurs arteres correspondantes, que les arteres ne le sont ordinairement, par rapport aux leurs. Dans ces sinus, se rassemble comme dans une espece d'entrepôt, le sang de différentes veines, pour être de-là distribué dans les véritables veines, qui doivent le rapporter au coeur.

Il y a quatre sinus principaux, le longitudinal supérieur, qui reçoit le sang de quelques parties externes de la tête & de la dure-mere, de la pie-mere, & même de l'extérieur du cerveau ; deux sinus latéraux par rapport à lui ; l'un droit & l'autre gauche, qui en reçoivent le sang ; & un quatrieme nommé torcular par les anciens, où se ramasse le sang qui revient du lacis choroïde, & par conséquent des ventricules du cerveau.

Tous les Anatomistes, excepté le célebre Morgagni, ont cru que le sinus longitudinal superieur étant parvenu au derriere de la tête, sur la tente du cervelet, se partage & se fourche en deux autres canaux, qui sont les deux sinus latéraux, dont chacun reçoit une égale quantité de sang, & qu'à l'endroit de cette bifurcation, le torcular verse son sang dans le confluent de ces trois sinus.

Mais M. Garengeot, chirurgien, a communiqué à l'académie ses observations, sur ce sujet, fort différentes de l'opinion commune. Eclairé par Morgagni, il a trouvé que comme le dit cet habile homme, la bifurcation prétendue du sinus longitudinal supérieur, n'est proprement continu, qu'avec le latéral droit, qui reçoit la plus grande partie de sa liqueur ; & que la gauche reçoit principalement celle du torcular, qui ne se décharge que dans ce sinus gauche, un peu après qu'il s'est séparé du longitudinal ; & en effet, à l'égard de ce point, M. Garengeot remarque qu'il ne seroit pas possible que le torcular se déchargeât dans le confluent du longitudinal, & de ses latéraux, parce qu'il y trouveroit une liqueur, dont le cours seroit contraire au cours de la sienne. Hist. de l'académie, année 1727. (D.J.)

SINUS en Chirurgie & en Anatomie, est une petite cavité ou poche oblongue, qui se forme pour l'ordinaire à côté d'une blessure ou d'un ulcere, dans lequel le pus s'amasse.

Un sinus est proprement une cavité dans le milieu d'une partie charnue, qui se forme par le croupissement ou la putréfaction du sang ou des humeurs, & qui se fait à elle même un passage.

Le sinus fistuleux est une ulcération étroite & longue. Scultet observe que les sinus profonds qui vont en bas, sont difficiles à guérir ; cependant ce chirurgien entreprend de guérir toutes sortes de sinus en une semaine, par les médicamens dont il fait la description, p. 338, & avec un bandage bien collant. Il ajoute qu'il n'en vient jamais aux incisions, que quand il s'apperçoit que tous les remedes de la pharmacie sont impuissans ; & que pour ouvrir le sinus il ne fait point usage du bistouri ou scapel trompeur, parce qu'il est bien plus sujet à tromper l'opérateur que le malade.

La méthode de Scultet pour la guérison des sinus sans opération, dépend plus de la compression & du bandage expulsif que des médicamens. Voyez les mots COMPRESSION, COMPRESSE, EXPULSIF & FISTULE. (Y)


SIOMIOS. m. (Hist. mod.) C'est ainsi qu'on nomme au Japon des seigneurs particuliers de certains districts ou terres dont ils sont propriétaires, & où ils rendent la justice au nom des empereurs du Japon. Ils sont dans une telle dépendance de la cour, qu'il ne leur est pas permis de rester plus de six mois dans leurs terres ; ils sont obligés de passer les six autres mois dans la ville de Jedo, où l'on retient toute l'année leurs enfans, qui répondent au souverain de la fidélité de leurs peres.


SIOou ZION, (Géog.) fameuse montagne d'Asie, dans la Judée, au midi & près de Jérusalem, sur laquelle fut bâti par Salomon le temple du Seigneur, ou pour mieux dire, il étoit sur le mont Moria. David & les autres rois ses successeurs choisirent leurs sépultures sur la montagne de Sion, mais on n'en voit aujourd'hui aucune trace. Ce mont même, dont la beauté est tant vantée dans l'Ecriture, est à présent tellement difforme, qu'on ne devineroit jamais qu'il y eût eu dessus une ville, & moins encore un château royal. Ce château détruit depuis tant de siecles, a été fort renommé chez les Hébreux, par la perte funeste que David y fit de son innocence ; car ce fut du haut de la terrasse où il se promenoit, qu'il laissa échapper un regard inconsidéré sur Bethsabée, femme d'Urie ; & ce fut dans ce même endroit, que le prophete Nathan l'ayant repris de la part de Dieu de l'adultere qu'il avoit commis, il reconnut humblement son crime. La maison de Caïphe, qui étoit proche du mont Sion, est à présent changée en une église que les Arméniens desservent. Les Turcs ont fait une mosquée du saint cénacle. On peut lire le voyage de la Terre-sainte par le P. Nau, sur l'état actuel de la montagne de Sion. (D.J.)

SION ou SYON, (Géog.) en latin Sedunum, & en allemand Sitten, ville de Suisse dans le Vallais, dont elle est capitale, sur la petite riviere de Sitten, près de la rive droite du Rhône, dans une belle plaine, à 20 lieues au levant de Geneve, à 12 au nord d'Aoste.

Cette ville, l'ancienne demeure des Séduniens, est propre, & bien bâtie. Elle n'a point eu de siege épiscopal qu'à la fin du sixieme siecle. Son évêque qui est suffragant de Moustiers, prend ridiculement la qualité de prince de l'empire, quoiqu'il n'en soit plus membre, qu'il n'ait aucune séance aux dietes, & qu'il ne doive aucune obéissance à l'empereur & aux états de l'empire, jouissant de la franchise accordée au corps Helvétique, & autorisée par le traité de Westphalie.

Il a d'autres grandes prérogatives. Il préside aux états du pays avec une autorité, à-peu-près semblable à celle du doge de Venise. La monnoie se bat à son coin, sous son nom, & à ses armes. Il est élu par les suffrages communs des chanoines de la cathédrale & des députés des départemens. L'autorité souveraine est entre les mains de l'assemblée générale du pays, qui est composée d'un certain nombre de députés des sept départemens.

Après l'évêque, celui qui tient le premier rang est le bailli du pays, nommé en allemand Landshauptman, c'est-à-dire, capitaine du pays. Il est juge absolu des causes civiles qui se portent devant lui, & sa charge dure deux ans. Long. de Sion, 24. 2. latit. 46. 8. (D.J.)


SIOR(Géog. mod.) ville d'Asie, capitale du royaume de Coré, dans la province de Sengado, à une lieue d'une large riviere. Long. 143. 38. latit. 37. 32. (D.J.)


SIOUANNAS. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau des Indes orientales qui présente un coup d'oeil très-agréable. Il produit des baies & des fleurs en ombelles. Son fruit croît sur les branches inférieures. On vante beaucoup l'efficacité de sa racine contre le venin des serpens les plus dangereux.


SIOULELA, (Géog. mod.) petite riviere de France dans l'Auvergne. Elle prend son nom d'un village nommé Sioule dans la généralité de Riom, & se perd dans l'Allier, à quatre lieues au-dessus de Moulins. (D.J.)


SIOUNE(Géogr. mod.) ville d'Afrique, dans la Barbarie, au royaume de Tripoli, dans les montagnes de Derne. C'est une petite république, dont les habitans Negres & Arabes, ont pour tout bien des forêts de palmiers, qui avec un peu de laitage & d'orge, leur donnent à vivre. Ils ne payent aucun tribut, sont libres, & contens. (D.J.)


SIOUTou SIUTH, (Géog. mod.) ville d'Afrique, dans la haute-Egypte, au pié d'une montagne, & à demi-lieue du Nil, qu'on passe dans cet endroit sur un pont de pierre, le seul qui soit sur ce fleuve. Cette ville est une des plus grandes & des plus peuplées de l'Egypte. Il y a plusieurs mosquées, & minarets. Le cascief y réside, & l'on y fabrique les toiles les mieux façonnées de toute l'Egypte. Long. 49. 28. latit. 26. 52. (D.J.)


SIPARIUMS. m. (Théatre des Rom.) sorte de voile qui se tiroit devant la scene, pendant que l'on travailloit au changement du théatre, ou à changer la décoration. (D.J.)


SIPHAE(Géog. anc.) ville de la Béotie. Elle étoit vers les confins de la Phocide, selon Ptolémée, l. III. c. xv. Thucydide, l. IV. p. 303. la met sur le bord de la mer, dans le golfe Cirsaeus. Dans la dialecte dorique, au lieu de Siphae, on disoit ou , & c'est ainsi que Pausanias, l. IX. c. xxxij. écrit : si, dit-il, après être parti de Créusis par mer, & après avoir passé Thisbé, vous reprenez la route le long de la côte, vous verrez sur le bord de la mer une autre petite ville nommée Tipha. Hercule y a un temple, & la fête s'y célebre tous les ans comme à Thisbé. Les Thiphéens, ajoute-t-il, se vantent d'être de tous les peuples de la Béotie, ceux qui ont toujours le mieux entendu la marine. Ils disent que Tiphis, à qui l'on confia la conduite du navire d'Argos, étoit de Tipha, & ils montrent hors de la ville un endroit où ils prétendent que ce navire aborda en revenant de Colchos. (D.J.)


SIPHANTO(Géogr. mod.) île de l'Archipel connue des anciens sous le nom de Siphnus. Voyez SIPHNUS.

Elle est à 36 milles de Milo, & sous un très-beau ciel ; l'air, les eaux, les fruits, le gibier, la volaille, tout y est excellent ; les raisins y sont merveilleux, mais la terre qui les produit est trop forte, & les vins n'y sont pas délicats. On y compte environ cinq mille ames, cinq villages, & quelques couvens. Le principal port de l'île est Faro, qui sans-doute a retenu son nom d'un ancien phare qui servoit à guider les vaisseaux. On voit dans Goltzius une médaille, où d'un côté est représentée une tour avec un homme placé au haut. De l'autre côté est la tête de quelque dieu, peut-être de Neptune.

Les moeurs des habitans de Siphanto, ne sont point décriées comme celles de leurs ancêtres, hommes & femmes. Les dames même de Siphanto quand elles sont à la campagne, couvrent pour n'être pas connues, leur visage avec des bandes de linge qu'elles roulent si adroitement, qu'on ne voit que leur bouche, leur nez, & le blanc de leurs yeux. Certainement elles n'ont pas l'air conquérantes avec ce masque, & ressemblent plutôt à des mumies ambulantes : aussi sont-elles plus soigneuses d'éviter les étrangers, que celles de Milo & de l'Argentiere n'ont d'empressement à les accueillir. Il y a un archevêque grec dans cette petite île. Long. 42. 48. latit. 38.


SIPHILISS. f. (Médec.) mot latin qu'on écrit différemment, parce qu'on en sait moins l'étymologie que la signification. Guy Patin, dans sa cent trente-deuxieme lettre, après avoir parlé du prince & de la princesse de C.... qui avoient la siphilis, dit que François I. gagna cette siphilis, & que le médecin le Coq en avertit Fernel pour qu'il le traitât. Voyez SYPHILIS.


SIPHNIENSS. m. pl. (Mythol.) habitans de l'île de Siphnos, une des Cyclades. Ces peuples ayant découvert dans leur île une mine d'or, Apollon leur en fit demander la dixme pour la Pythie, leur promettant de la faire fructifier à leur profit. Les Syphniens firent donc bâtir un trésor dans le temple de Delphes, & y déposerent la dixme que le dieu exigeoit ; mais dans la suite par un esprit d'avarice, dit l'historien, ils cesserent de payer ce tribut, & ils en furent punis ; car la mer inonda leurs mines, & les fit disparoître. La capitale de l'île est aujourd'hui Siphanto, séjour agréable, sous un beau ciel, & dans un air pur. (D.J.)


SIPHNIUS LAPIS(Hist. nat.) nom donné par les anciens à une pierre qui se trouvoit dans l'île de Siphnus dans la mer Egée ; on en formoit des vases parce qu'elle se travailloit aisément & soutenoit très-bien le feu. C'est une pierre de la nature de celle que nous appellons pierres ollaires.


SIPHNUS(Géog. anc.) île que Strabon compte au nombre des Cyclades. Pomponius Méla, Pline & l'itinéraire d'Antonin écrivent Siphnos. Ptolomée, liv. III. c. xv. place dans cette île une ville à laquelle ils semblent donner le même nom.

Cette ville s'appelloit Apollonia, selon Etienne le géographe. Ptolémée marque l'île Siphnos presque au milieu des îles Cyclades, & je ne crois pas qu'aucun autre qu'Etienne le géographe l'ait placée dans la mer de Crete. On l'appelloit anciennement Meropia, selon Pline ; ses habitans sont nommés Siphnii dans Hérodote, liv. VIII. c. xlvj.

Les Siphniens tenoient leur trésor dans un endroit du temple de Delphes, & voici la raison qu'en donne Pausanias, liv. X. c. xj. Ils avoient, dit-il, des mines d'or dans leur île ; Apollon leur demanda la dixme du produit de ces mines. Ils firent donc bâtir un trésor dans le temple de Delphes, & y déposerent la dixme que le dieu exigeoit ; mais dans la suite par un esprit d'avarice, ils cesserent de payer ce tribut, & ils en furent punis ; car la mer inonda leurs mines, & les fit disparoître.

Hérodote parle d'un autre malheur que les mines avoient attiré à cette île. Ceux parmi les Samiens qui avoient déclaré la guerre à Polycrate leur tyran, se voyant abandonnés par les Lacédémoniens, après la levée du siege de Samaos, s'enfuirent à Siphnos, où ils demanderent à emprunter dix talens. Siphnos étoit alors la plus riche de toutes les îles, & l'on regardoit comme un grand trésor la dixieme partie de l'or & de l'argent que l'on prenoit tous les ans sur le rapport des mines pour envoyer au temple de Delphes. Cependant la proposition des Samiens fut rejettée ; mais ils ravagerent tout le pays, après avoir mis en fuite tous les habitans que l'on obligea de donner cent talens de rançon pour retirer leurs prisonniers. On prétend que la Pythonisse avoit prédit ce malheur ; consultée par ceux de Siphnos pour savoir si leurs richesses se soutiendroient long-tems, elle répondit qu'ils se donnassent bien de garde d'une ambassade rouge dans le tems que leur hôtel de ville & leur marché seroient tous blancs. Il semble que la prophétie s'accomplit à l'arrivée des Samiens, dont les vaisseaux étoient peints de rouge, suivant l'ancienne coutume des insulaires, chez qui le bol est fort commun, & l'hôtel de la ville de Siphnos, de même que le marché, étoient revêtus de marbre blanc.

Théophraste, Pline, Isidore rapportent qu'on tailloit à Siphnos avec le ciseau des pots à feu d'une certaine pierre molle, lesquels pots devenoient noirs & très-durs après qu'on les avoit échaudés avec de l'huile bouillante. Cette terre n'étoit autre chose que de la mine de plomb qui est commune dans cette île ; mais Siphnus étoit encore plus célebre par ses mines d'or & d'argent, dont il ne reste pas aujourd'hui la moindre trace.

Les moeurs des habitans étoient fort décriées, au point qu'on disoit en proverbe, vivre à la siphnienne, , parole de siphnien, , pour dire de grosses injures à quelqu'un, ainsi que nous l'apprennent Etienne le géographe, Hesychius & Suidas.

Nous n'avons que peu de médailles de Siphnus. Il y en avoit une dans le cabinet de M. Foucault, dont le type est une tête de Gordien Pie, & le revers une Pallas en casque qui lance un javelot.

Cette île se nomme aujourd'hui Siphanto. On y trouve pour toute antiquité quelques tombeaux de marbre, qui servent communément d'auge pour y faire boire les animaux. (D.J.)


SIPHONS. m. voyez SYPHON.


SIPHONANTHEMUMS. m. (Botan.) genre de plante établi par le docteur Amman. Le nom dérive des mots grecs , un tuyau, & , une fleur : voici ses caracteres. La fleur est composée d'un seul pétale qui forme un tuyau divisé dans les bords en plusieurs segmens. Le pistil s'éleve du calice, & devient un fruit à quatre baies délicatement jointes ensemble ; il est divisé en quatre loges, & contient plusieurs graines rondelettes ; les tiges de la plante sont vertes & sillonnées ; les feuilles sont placées sans ordre, pressées les unes contre les autres, étroites, longues de trois pouces, & semblables à celles du saule ; elles sont d'un verd foncé de chaque côté, & portées sur des courtes queues. Des aîles des feuilles sortent différens pédicules en maniere de ceux des fleurs umbelliferes ; chacun de ces pédicules est terminé par un calice d'une seule feuille, divisée en cinq quartiers ; les fleurs sortent de ce calice, qui forme un tuyau délié, long de deux ou trois pouces, d'un verd jaunâtre, & découpé à l'extrêmité en quatre segmens ; au milieu des fleurs est le stile de couleur pourpre, crochu, environné de quatre étamines pourpres, qui ont chacune un sommet brun, triangulaire. Dans les quatre cellules de la capsule est contenue une grosse semence d'un jaune verdâtre. Act. petropol. vol. VIII. p. 216. (D.J.)


SIPONTE(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Pouille daunienne, sur la côte de la mer Adriatique, à l'embouchure du fleuve Garganus. Tite - Live & Pline écrivent Sipontum ; Pomponius Méla & l'itinéraire d'Antonin, Sipuntum, & les Grecs & quelques latins qui les ont suivis, disent Sipus, Sipuntum, dit Pomponius Méla, vel, ut Graii dixere, Sipus. Ptolémée & Etienne le gêographe lisent . Lucain, l. V. v. 377. décrit la situation de cette ville dans ces vers :

Quas recipit Salapina palus, & subdita Sipus

Montibus, Ausoniam quod torquent frugifer oram.

Dalmatico Boreae, Calabroque obnoxius austro,

Appulus hadriacus exit Garganus in undas.

Silius Italicus fait le nom de cette ville indéclinable :

Et terram & littora Sipus.

Siponte fut, selon Tite-Live, l. XXXIV. c. lxv. & l. XXXIX. c. xxiij. une colonie romaine, qui dans la suite se trouvant affoiblie fut augmentée & renouvellée. Cette ville subsista jusqu'au tems de Manfrede, qui voyant que l'air y étoit mal-sain, à cause des marais voisins, & qu'elle n'avoit pas un bon port, assigna aux habitans une place où fut bâtie la ville de Manfredonia. Le nom national est , selon Etienne le géographe, & Sipontinus, selon les Latins ; car on lit dans Cicéron, Agrar. II. c. xxvij. in Sipontinâ siccitate collocari, & dans Frontin, de Coloniis, ager Canusinus.... Sipontinus. Ricordanus Malespina. Hist. Florent. cap. clxviij.

Au bord de la mer, dit Léandre, sur un rocher escarpé, au pié du mont Gargan, on découvre les débris de l'ancienne ville de Siponte. Elle fut aussi appellée Sipa. Strabon dit que Diomede la bâtit ; elle étoit à 150 stades, ou à 20 milles de Salapia. On n'y voit aujourd'hui que des ruines d'édifices, qui font cependant conjecturer que cette ville étoit grande & belle. (D.J.)


SIPTÉ(Géog. anc.) Pausanias dit qu'à Olympie, ville de l'Elide, il y avoit vers le milieu de l'Altis, ou Bois sacré, sous des platanes, un trophée érigé par les Eléens vainqueurs des Lacédémoniens ; qu'auprès de ce trophée on voyoit une statue dédiée par ceux de Mende en Thrace, & que par une inscription gravée sur la cuisse du thrace, on apprenoit que ceux de Mende s'étant rendus maîtres de Sipté, en consacrerent les dépouilles à Jupiter. Sipté, ajoute Pausanias, étoit apparemment quelque ville ou quelque forteresse de Thrace. (D.J.)


SIPYLE(Géog. anc.) , en latin Sipylum ; ville de l'Asie mineure, & la capitale de la Méonie ; elle étoit bâtie au pié du mont Sipyle, selon Pline, liv. V. c. xxjx. qui dit qu'on l'appelloit auparavant Tantalis ; mais que de son tems ce n'étoit plus qu'un lac ou étang, cette ville ayant été abysmée dans la terre. Strabon, liv. I. pag. 58. rapporte la même chose. Il dit que Sipyle, qu'il surnomme Idaea, fut renversée du tems de Tantale, & que les marais du voisinage y formerent de grands lacs. Il ajoute dans le liv. XII. p. 579. qu'on ne doit pas regarder comme une fable ce qui étoit rapporté touchant le renversement de Sipyle, puisque de son tems la ville de Magnésie avoit été pareillement engloutie.

Le mont Sipyle, Sipylus, fut appellé anciennement Ceraunius. Pausanias, dans les Achaïques, lib. II. ch. xxiij. confirme l'engloutissement de la ville de Sipyle, bâtie au pié de cette montagne. Il témoigne y avoir vu le tombeau de Tantale fils de Jupiter & de Pluton ; & c'est même, ajoute-t-il, un tombeau très-remarquable, ainsi que le trône de Pélops qui étoit au haut du mont Sipyle, immédiatement au-dessus de la chapelle dédiée à la mere Plastène, qu'on regardoit pour la mere des dieux. Enfin il dit avoir vu des aigles blancs sur cette montagne, près d'un marais nommé le marais de Tantale.

Tournefort qui a eu la curiosité, dans le dernier siecle, de visiter le mont Sipyle, nous en a donné la description suivante.

La grande plaine de Magnésie, dit-il, est bornée au sud par le mont Sipylus ; & cette montagne quoique fort étendue de l'est à l'ouest, paroît beaucoup moins élevée que le mont Olympe. Le sommet du Sipylus reste au sud-est de Magnésie ; & le côté du nord est tout escarpé. Du haut de cette montagne la plaine paroît admirable, & l'on découvre avec plaisir tout le cours de la riviere. Plutarque dit que le mont Sipylus s'appelloit montagne de la foudre, parce qu'il y tonnoit plus souvent que sur les autres qui sont aux environs. C'est apparemment pour cela qu'on a frappé à Magnésie des médailles de Marc-Aurele, du vieux Philippe, d'Herennia & d'Etruscilla, dont les revers représentent Jupiter armé de la foudre.

La déesse Sipylène avoit pris son nom de cette montagne, ou, pour mieux dire, Cybele, la mere des dieux, avoit été nommée Sibilène, parce qu'on la révéroit d'une maniere particuliere dans le mont Sipylus ; ainsi il n'est pas surprenant qu'on voye tant de médailles de Magnésie, au revers desquelles cette déesse est représentée tantôt sur le frontispice d'un temple à quatre colonnes, tantôt dans un char. On juroit même dans les affaires les plus importantes par la déesse du mont Sipylus, comme il paroît par ce précieux marbre d'Oxford, où est gravée la ligue de Smyrne & de Magnésie, sur le Méandre, en faveur du roi Séleucus Callinicus.

On ne peut être sur le Sipyle, continue Tournefort, sans se représenter, tantôt les grandes armées d'Agésilaüs & de Tisapherne, tantôt celles de Scipion & d'Antiochus, qui disputoient l'empire d'Asie dans les vastes campagnes qu'offre à la vue cette montagne. Pausanias assure qu'Agésilaüs battit l'armée des Perses le long de l'Hermus ; & Diodore de Sicile rapporte que ce fameux général des Lacédémoniens, descendant du mont Sipylus, alla ravager les environs de Sardes.

Il est vraisemblable que le mont Sipyle étoit autrefois fécond en métaux & en aimant ; il n'est donc pas étonnant que la ville Sipylum, située au pié de cette montagne, ait été engloutie par des tremblemens de terre ; c'est un malheur assez ordinaire aux lieux qui abondent en mines métalliques, & ce malheur compense trop les richesses que les mines fournissent aux habitans. Si la fable, bien plus que la vérité, n'avoit toujours flatté le goût des Grecs, le mont Sipyle auroit peut-être été plus fameux par l'aimant, que par le rocher de Niobé, d'où selon les poëtes, les eaux qui coulent sans-cesse de cette montagne, sont les larmes que cette malheureuse mere verse encore après sa mort, pour la perte de ses enfans.

Pausanias étoit natif ou de Sipyle, capitale de la Néonie, ou de quelqu'autre ville voisine du mont Sipyle ; il vivoit à Rome sous l'empereur Hadrien, & sous les Antonins ; il mit au jour plus d'un ouvrage : car outre que Philostrate lui attribue des oraisons, Eustathe, Etienne de Bysance, & Suydas, le citent à l'occasion de quelques noms de villes ou de peuples, & nous donnent à entendre que non-seulement il avoit voyagé en Syrie, dans la Palestine, & dans toute l'Asie, mais qu'il en avoit publié une relation.

Quoi qu'il en soit, nous n'avons de lui que le voyage historique de la Grece, ouvrage qui est écrit avec un détail, une exactitude, un fond d'érudition ; que l'on ne trouve dans aucun autre voyageur, & qui peut, à bon titre, servir de modele. Nous le trouvons trop concis dans le style, mais c'est qu'écrivant pour les gens de son tems, qui étoient au fait de ce qu'il racontoit, il ne s'est pas cru obligé de s'expliquer plus au long. Son ouvrage est par-tout semé de réflexions utiles pour la conduite de la vie ; s'il s'y trouve bien des choses auxquelles nous ne prenons point d'intérêt, c'est que le tems & la religion ont mis une grande différence entre notre façon de penser, & celle des anciens.

Son voyage est écrit avec une vérité qui ne sauroit être suspecte ; l'auteur y rend compte de ce qu'il a vu dans la Grece ; & à qui en rend-il compte ? Aux Romains, au milieu de qui il vivoit, dont la plûpart avoient été en Grece aussi-bien que lui, & qui auroient pu le démentir, s'il avoit avancé quelque fausseté.

En second lieu, c'est un voyage historique ; on y remarque tout à la fois un voyageur curieux, & un écrivain profond, parfaitement instruit de tout ce qui regardoit les divers peuples dont il parle ; il en possédoit la langue, c'étoit la sienne propre ; il connoissoit leurs dieux, leur religion, leurs cérémonies, leurs lois, leurs coutumes, leurs moeurs ; il avoit lû leurs poëtes, leurs historiens, leurs généalogistes, leurs géographes, en un mot leurs annales & leurs monumens les plus anciens ; annales & monumens qui étoient alors subsistans, qu'il cite à chaque page, & que le tems nous a ravis. De-là, cette quantité prodigieuse de faits, d'événemens, de particularités, qui ne se trouvent plus que dans cet auteur, & qui le rendent précieux à tous ceux qui aiment l'étude des tems & de l'antiquité.

Enfin c'est le voyage de l'ancienne Grece, non de la Grece d'aujourd'hui, ou telle que Spon & Wheler l'ont décrite, pauvre, misérable, dépeuplée, gémissante dans une espece d'esclavage, & qui n'offre plus aux yeux du voyageur, que des ruines superbes, au milieu desquelles on la cherche sans la trouver ; en un mot, l'image de la dévastation la plus affreuse, & l'exemple déplorable des vicissitudes d'ici-bas. C'est de la Grece florissante que Pausanias nous donne la description ; de la Grece, lorsqu'elle étoit le séjour des muses, le domicile des sciences, le centre du bon goût, le théâtre d'une infinité de merveilles, & pour tout dire, le pays le plus renommé de l'univers.

Il est vrai que Pausanias n'embrasse dans sa relation, qu'une partie de la Grece, & les villes que ses colonies occupoient dans l'Asie mineure ; mais c'est aussi la partie la plus intéressante ; il la divise en dix états, qui étoient autrefois indépendans les uns des autres, savoir ; l'Attique, la Corinthie, l'Argolide, la Laconie, la Messenie, l'Elide, l'Arcadie, la Béotie, & la Phocide ; c'est pourquoi chacun de ses livres donne la description de chacun de ces dix états de la Grece, à la reserve du cinquieme & du sixieme livre, qui tous deux ne traitent que de l'Elide, comme le second, lui seul, comprend Corinthe & Argos.

Il décrit exactement l'origine des peuples qu'il se propose de faire connoître, il nous instruit de leur gouvernement, de leurs guerres, de leurs colonies ; il parcourt leurs villes & leurs bourgades, en rapportant ce qui lui a paru digne de curiosité. Si dans la discussion de quelques points d'histoire ou d'antiquité, il embrasse un sentiment plutôt qu'un autre, il cite toujours ses garans ; & ses garans sont ordinairement les historiens & les poëtes les plus anciens, comme témoins des faits qu'il discute, ou plus proches de ceux qui en avoient été témoins. C'est par cette raison que la lecture de Pausanias fait tant de plaisir à ces savans, qui ont tous les siecles présens à l'esprit, & qui ne veulent rien ignorer de ce qu'il est possible de savoir. M. Fabricius a fait en leur faveur le détail des diverses éditions & traductions de Pausanias, afin qu'ils pussent choisir. Nous avons en françois celle de M. l'abbé Gedoyn, qui est excellente, & accompagnée de quelques cartes, & de courtes remarques, mais bonnes, & instructives. (D.J.)


SIPYLENE(Mythol.) surnom de Cybele, pris de la ville de Sipylum, dans la Méonie, où cette déesse avoit un temple & un culte particuliers. (D.J.)


SIR(Géog. mod.) grande ville, & la capitale des Illyriens, selon Suidas. (D.J.)


SIRA-MANGHITSS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre aromatique de l'île de Madagascar, ses feuilles & son bois répandent une odeur semblable à celle du santal citrin ; l'écorce a l'odeur du girofle, & jette une résine jaune ; on la regarde comme un spécifique pour les maux de coeur, & pour fortifier le foie.


SIRACI(Géog. anc.) peuples d'Asie, qui habitoient vers les monts Caucases, & sur les bords du Mermodas, suivant Strabon, l. II. p. 492.


SIRADIEpalatinat de, (Géog. mod.) palatinat de la grande Pologne. Il est borné au nord par le palatinat de Lencizca ; à l'orient, par le palatinat de Sandomir ; au midi, par le duché de Silésie ; à l'occident, par le palatinat de Kalish. La riviere de Warta le divise en deux parties, l'une orientale, l'autre occidentale ; il est gouverné par un palatin qui en prend le nom, ainsi que son chef-lieu. (D.J.)

SIRADIE, ou SIRATZ, (Géog. mod.) ville de la grande Pologne, capitale du palatinat du même nom, dans une belle plaine, sur les bords de la Warta, à 46 lieues au nord-ouest de Cracovie. Elle a pour sa défense un château, qui n'a pas empêché les Tartares de la piller en 1290 ; les Bohèmes la brûlerent en 1292 ; les chevaliers de l'ordre Teutonique en agirent de même en 1331 ; & en 1447, elle fut désolée par un nouvel incendie. Long. 36. 18. lat. 51. 32. (D.J.)


SIRAE(Géog. anc.) village du Péloponnèse dans l'Arcadie, suivant Pausanias, l. VIII. c. xxiij. C'est aussi le nom d'un lieu de la Macédoine, dans la contrée Odomantique, selon Tite-Live, l. XLV. c. iv. (D.J.)


SIRAF(Géog. mod.) c'étoit une ville maritime du Farsistan, sur le golphe de Perse, éloignée d'environ 60 lieues de Schiraz, capitale de la province. Cette ville fut long-tems fameuse par son trafic ; car tous les vaisseaux arabes y abordoient, particulierement de Bassora, & les autres peuples indiens y apportoient aussi toutes sortes de marchandises de l'Inde ; le commerce florissoit encore à Siraf au commencement du xiv. siecle ; mais étant passé peu de tems après à Bander-Congo, & de-là à Ormuz, Siraf fut tellement abandonnée, que l'on auroit peine à trouver des vestiges d'une ville autrefois si brillante. (D.J.)


SIRATICKS. m. (Hist. mod.) c'est le nom sous lequel on désigne le souverain d'une nation de négres d'Afrique, appellée les foulis ; contre l'ordinaire des rois de ces climats, il gouverne avec la plus grande modération, ses loix paroissent dictées par l'amour du bien public, & il n'est, pour ainsi dire, que l'organe de sa nation ; cela n'empêche point que son autorité ne soit très-respectée & très-étendue ; les peuples se soumettent avec joie à des volontés qui tendent à leur bonheur. Le siratick a sous lui un grand officier, qui est pour ainsi dire le lieutenant général du royaume, qui commande à d'autres officiers, ces derniers sont tenus de fournir un certain contingent en cavalerie & en infanterie, sur le premier ordre qu'on leur donne ; ils sont payés sur le prix qui résulte de la vente des prisonniers de guerre, & de ceux qui refusent de servir le roi ou la patrie ; ce droit est fondé sur les loix primitives de l'état, qu'il n'est point permis au siratick de changer, quoiqu'il ouvre la porte à des oppressions sans nombre. La dignité de siratick ne passe point aux enfans, mais aux freres du roi défunt, ou bien à leur défaut, au fils de sa soeur ; usage qui est établi chez presque tous les négres.


SIRBI(Géog. mod.) bourgade de la Turquie d'Asie, dans l'Anatolie, sur une riviere de même nom, qui, deux lieues au-dessous, se jette dans la Méditerranée. Sirbi étoit autrefois, selon quelques savans, une ville épiscopale, nommée Xanthus, ou Xanthos, dans la notice d'Hiéroclès ; en ce cas là, cette ville auroit essuyé bien des événemens différens jusqu'à ce jour. Voyez XANTHUS. (D.J.)


SIRBON LAC(Géog. anc.) les anciens ont écrit sirbonis & serbonis ; ce lac, connu des historiens & des anciens géographes, étoit entre la Palestine & l'Egypte, sur la mer Méditerranée, assez près du mont Casius. Diodore de Sicile, l. I. c. xxx. en parle ainsi : il y a, dit-il, au milieu de la Caelé-Syrie & de l'Egypte, un lac fort étroit, & dont la longueur peut avoir deux cent stades ; on l'appelle le lac Sirbon ; il est très-profond & très-dangereux pour ceux qui ne le connoissent pas, parce qu'étant comme une bande d'eau entre deux rivages sablonneux, les vents le tiennent presque toujours couvert de sable, desorte qu'il ne fait qu'une même surface avec la terre ferme, de laquelle il est impossible de le distinguer à l'oeil ; il y a eû des capitaines qui y ont péri avec toute leur armée, faute de bien connoître le pays ; le sable accumulé sur cette eau bourbeuse, ne cede d'abord que peu-à-peu, comme pour séduire les passans, qui continuent d'avancer, jusqu'à ce que s'appercevant de leur erreur, les secours qu'ils tâchent de se donner les uns aux autres, ne peuvent plus les sauver. En effet, ce composé n'étant ni solide, ni liquide, on ne sauroit nager dans une eau épaissie par le sable, & par le limon dont elle est chargée : & l'on ne trouve nulle part un fond assez ferme pour appuyer le pié, ou pour s'élancer en haut ; tous les efforts qu'on peut faire ne servent qu'à attirer le sable qui est sur le rivage, & qui acheve d'accabler ceux qui sont pris dans ce funeste piege.

Strabon s'est assez grossierement trompé sur ce sujet, ayant confondu le lac de Sirbon, avec le lac Asphaltite, comme il aisé de le voir par la description qu'il en fait, & par ce qu'il dit de son origine. Géog. l. XVI. p. 1308. Amst. 1707. in-fol. Le lecteur peut consulter sur le lac Sirbon, Cellarius, Géogr. anc. l. IV. c. j. (D.J.)


SIRCK(Géog. mod.) les François disent & écrivent Sirque ; petite ville de Lorraine, aux confins du Luxembourg, sur la rive gauche de la Moselle, à trois lieues de Thionville, vers le couchant d'été. Elle a été cédée à la France par le traité de Vincennes, de l'an 1661, confirmé par celui de 1718. Long. 23. 46. latit. 49. 24. (D.J.)


SIRES. m. (Hist. mod.) est un titre d'honneur qu'on ne donne en France qu'au roi seul, & qui est comme une marque de souveraineté. Dans tous les placets, les demandes, les lettres, les discours, qui s'adressent au roi, on lui donne la qualité de sire.

Quelques-uns dérivent ce mot du latin herus, maître ; il semble que ce soit l'opinion de Budée, qui, en parlant au roi François premier, le nomme toujours here, maître ou sire : d'autres le dérivent du grec , seigneur ; telle est l'opinion de Pasquier ; cet auteur ajoute que les anciens Francs donnoient le même titre à Dieu, en le nommant beau sire diex ; d'autres font venir ce mot du syriaque, & soutiennent qu'on le donnoit d'abord aux marchands qui négocioient en Syrie. Ménage prétend qu'il vient de senior, ancien, d'où est venu seigneur, ensuite seignor, & sire.

Anciennement on se servoit également du mot sire, dans le même sens que sieur & seigneur, & on l'appliquoit aux barons, aux gentilhommes, & aux citoyens. Voyez SIEUR.

Le sire de Joinville a écrit l'histoire de S. Louis.

Il n'y avoit que certaines familles d'une noblesse distinguée, qui pouvoient prendre le nom de sire, devant le nom de leur maison, comme les sires de Coucy, les sires de Beaujeu ; mais lorsque le mot de sire se trouve dans nos anciens auteurs, avec le nom de baptême, il signifie très-peu de chose. Loyseau dit que les barons de France, qui étoient barons des duchés ou comtés relevant de la couronne, pour se distinguer des barons inférieurs, s'appellerent sires, comme sire de Bourbon, &c. On donne aussi au roi d'Angleterre le titre de sire, soit en lui parlant, soit en lui écrivant. Dans le même royaume le titre de sir, qui vient de sire, est donné à toutes les personnes de distinction qui sont au-dessous des barons, & lorsqu'on parle d'un baronnet, ou d'un simple chevalier, on l'appelle toujours par son nom de baptême, joint à celui de sir, comme sir Philippe Sydney. Lorsque le roi d'Angleterre crée un simple chevalier, il le nomme par son nom de baptême, lui commande de se mettre à genoux, & après lui avoir touché l'épaule gauche de son épée nue, il lui dit en anglois, rise sir, c'est-à-dire, levez-vous chevalier, & il le nomme. Miege, état nouveau de la grande Bretagne.


SIRENESS. f. (Mythol.) ces monstres demi-femmes & demi-oiseaux, doivent leur naissance à la fable ; ce fut, dit-elle, trois filles du fleuve Achéloüs, & de la muse Calliope. On les nomma Parthénope, Leucosie, & Ligée ; & selon d'autres, Aglaophénie, Thelxiépie, & Pisinoé, noms qui roulent sur la douceur de leur voix & le charme de leurs paroles ; mais les graces du chant, qui leur furent données en partage, les enorgueillirent jusqu'à oser défier les déesses du Parnasse ; il leur en couta leurs aîles qui leur furent arrachées en punition de leur témérité ; elles se retirerent dans des îles désertes, & proche de la côte de Sicile ou de Campanie ; de-là, elles attiroient sur leurs écueils les passagers, par l'harmonie de leur voix, & leur donnoient ensuite la mort. Désespérées de n'avoir pû surprendre dans leurs pieges Ulysse, ou Orphée, elles se précipiterent dans la mer, & ne furent plus entendues depuis. On tient qu'une d'elles donna le nom de Parthénope à la ville qui prit ensuite celui de Naples, & qu'une autre laissa celui de Léucosie à une île de ces mers là.

Les sirènes avoient la tête & le corps de femme jusqu'à la ceinture, & la forme d'oiseau, de la ceinture en bas ; ou tout le corps d'oiseau, & la tête de femme ; car on les trouve représentées en ces deux manieres & dans les mythologues, & sur les anciens monumens ; l'une tient une lyre, l'autre deux flutes, & la troisieme un rouleau pour chanter.

Ceux qui veulent moraliser sur cette fable des poëtes, disent que les sirènes n'étoient autre chose que des courtisannes, qui demeuroient sur les bords de la mer de Sicile, & qui par les attraits de la volupté, séduisoient les passans, & leur faisoient oublier leur course ; ils ajoutent même que le nombre & le nom des trois sirènes, a été inventé sur la triple volupté des sens, la musique, le vin, & l'amour ; en conséquence de cette idée, ils ont tiré l'étymologie de sirènes, du mot grec , qui signifie une chaîne, pour dire qu'il étoit comme impossible de se tirer de leurs liens, & de se détacher de leurs charmes invincibles. Strabon assure que les sirènes eurent un temple près de Surrente. (D.J.)


SIRENUMSIRENUM


SIRÉNUSESLES, (Géog. anc.) sirenusae, îles sur la côte de la mer de Tyrrhène, selon Ptolémée, l. III. c. j. Strabon, l. V. p. 247. nous marque plus précisément la position de ces îles. Entre le promontoire de Minerve, & l'île de Caprée, il n'y a, dit-il, qu'un trajet : & quand vous avez tourné autour de ce promontoire, vous rencontrez des îles seules & pierreuses, qu'on appelle sirenusae, sirenes, ou sirenides. Dans un autre endroit, l. V. p. 251. il compte 260 stades, depuis les îles sirenusae, jusqu'au fleuve Silarus ; il semble néanmoins donner ici le nom de sirenusae au promontoire de Minerve, qui a pû être appellé de ce nom, à cause du voisinage de ces îles, comme il avoit été nommé Athaeneum, ou promontoire de Minerve, à cause d'un temple qu'Ulysse y avoit bâti à l'honneur de Minerve.

Ces mêmes îles sont appellées Sirenum petrae, par Pomponius Mela, l. II. c. iv. & Sirenum sedes, par Pline, l. III. c. v. Elles étoient au nombre de trois ; il y en a qui en comptent davantage ; le pere Coronelli, Isolario, p. 117. en compte huit. Auprès de l'île de Procida, qui n'est pas éloignée de Pouzzoles, on voit, dit-il, huit petites îles qui sont pleines de rochers, & désertes ; elles sont près l'une de l'autre : les anciens les appelloient Sirénuses, ou les îles de Sirènes, parce que Parthénope, Ligée, & Léucosie, trois fameuses courtisannes, les avoient habitées.

Ces femmes avoient toute la beauté, toutes les graces, & tous les agrémens imaginables ; leur voix étoit belle & mélodieuse ; c'étoit aussi par tous ces artifices, & sur-tout par leurs chants, qu'elles charmoient ceux qui passoient près de là. Les nautonniers qui n'étoient pas assez sur leurs gardes, se trouvoient tellement épris de curiosité, qu'ils ne pouvoient s'empêcher de descendre dans cette île fatale, où, après des plaisirs illicites, ils éprouvoient la derniere misere. C'est pour cela que les poëtes ont feint qu'Ulysse devant passer auprès de ces écueils, avoit eu la sage précaution de boucher avec de la cire, les oreilles de ses compagnons, pour qu'ils n'entendissent point la voix de ces trompeuses sirènes. La fable ajoute qu'Ulysse lui-même, se lia au mât du navire, pour être insensible aux chants de ces dangereuses bacchantes.

On dit que les anciens habitans de ces îles, avoient coutume d'adorer les sirènes, & de leur offrir des sacrifices, & même on veut que du tems d'Aristote il y eut encore dans cet endroit, un temple dédié aux sirènes. L'une de ces îles porte aujourd'hui le nom de Galli ou Gallé : elle est à cinq milles de l'île Caprée ; l'autre, qui est un peu au-delà du cap de la Minerve, n'a aucun nom ; & la troisieme qui est auprès, s'appelle San-Petro. (D.J.)


SIRGIANou SERDGIAN, (Géog. mod.) ville de Perse, capitale du Kerman. Elle est arrosée par plusieurs canaux, ce qui en rend le séjour gracieux. Les tables arabiques lui donnent pour long. 90. 20. latit. septent. 29. 30. (D.J.)


SIRIASES. f. (Médec.) siriasis ; nom d'une maladie à laquelle les enfans sont sujets. Elle consiste dans l'inflammation du cerveau, la fievre aiguë, la perte de l'appétit, l'excavation des yeux & le desséchement du corps ; il faut détruire la fievre, dont tous les autres symptomes tirent leur origine. (D.J.)


SIRICACHEVoyez CRESSELLE.


SIRINAGAR(Géog. mod.) ville d'Asie, dans les états du grand-mogol, & capitale du petit royaume de Sirinagar, situé dans la partie méridionale de la province de Siba. (D.J.)


SIRION(Géog. anc.) lieu la Gaule aquitanique. L'itinéraire d'Antonin le marque entre Bordeaux & Ussubium, à quinze milles de la premiere de ces places, & à vingt milles de la seconde. Les uns veulent que ce soit Rioms, sur le bord de la Garonne, & d'autres Barsac, qui est au bord de la même riviere. (D.J.)


SIRIS(Géog. anc.) 1°. ville d'Italie dans la Lucanie, à l'embouchure du fleuve Siris. Elle fut d'abord nommée Leuternia, ensuite Policum, ensuite Siris, & enfin Heraclium, car elle ne fut plus regardée que comme le port de la ville d'Héraclée, lorsque les Tarentins eurent fondé cette derniere ville. Pline, liv. III. ch. xj. se trompe donc, lorsqu'il dit qu'Héraclée fut pendant quelque tems appellée Siris. Héraclée & Siris étoient toutes deux situées entre les fleuves Aciris & Siris, la derniere à l'embouchure du fleuve de même nom, & l'autre au bord de l'Aceris, mais à quelque distance de la mer.

On prétendoit que Siris avoit été bâtie par les Troïens ; & pour prouver cette idée, on y montroit un simulacre de la Minerve de Troie. On le montroit encore du tems de Strabon, comme une image miraculeuse, car elle baissoit les yeux, de l'horreur qu'elle éprouva lorsque les Ioniens prirent la ville, & qu'ils n'eurent aucun respect pour son simulacre. Plusieurs habitans s'étoient sauvés auprès de la statue de Minerve, & imploroient dans cet asyle, qu'ils croyoient inviolable, l'humanité du vainqueur ; mais sans aucun égard à leurs prieres, on les arracha barbarement de cet asyle. La déesse n'eut pas le courage de contempler ce crime, & voilà pourquoi elle avoit les yeux fixés en terre. Ce n'étoit pas la premiere fois qu'un spectacle affreux l'avoit obligée à détourner la vue ; elle se conduisit ainsi dans Troie quand on viola Cassandre.

Strabon, dont j'emprunte tous ces faits, les accompagne d'une réflexion judicieuse, liv. IV. p. 182. sur le grand nombre d'images de la même Minerve, qu'on prétendoit que les Troïens avoient consacrées depuis leur dispersion. C'est une impudence, dit-il, que d'oser feindre, non-seulement qu'autrefois un simulacre baissât les yeux, mais même qu'on peut aujourd'hui montrer un tel simulacre. C'est une impudence encore plus grande que d'oser parler d'un bon nombre de tels simulacres apportés de Troie. On se vante à Rome, continue-t-il, à Lavinée, à Luceria, à Siris, d'avoir la Minerve des Troïens, & l'on applique à divers lieux l'action des femmes troïennes.

2°. Siris, fleuve d'Italie dans la Lucanie, aujourd'hui Sino, Senno ou Sirio. Son embouchure est marquée du golfe de Tarente, près la ville de Siris, qui étoit le port d'Héraclée. Strabon, liv. VI. p. 264, dit qu'elle se trouvoit à vingt-quatre stades de cette derniere ville, à trois cent trente de Thurium, & à trois cent quarante de Tarente. Au reste, les géographes ont remarqué que Florus, liv. I. ch. xviij. a confondu la riviere Liris avec celle de Siris, en parlant du combat de Pyrrhus contre le consul Loevinus. Il dit que ce combat se donna, apud Heracleam & Campaniae fluvium Lirim, au lieu de dire apud Heracleam & Lucaniae fluvium Sirim. (D.J.)


SIRITISou SIRENETIS, (Géog. anc.) contrée d'Italie, dans la Lucanie. Athénée, liv. XIV. dit qu'elle prenoit son nom de la ville de Siris, qui y étoit située. Voyez SIRIS. (D.J.)


SIRIUSS. m. en Astronomie, ou la canicule, est une étoile de la premiere grandeur, très-brillante, qui est placée dans la gueule du grand chien. Voyez CHIEN & CONSTELLATION.

Les Arabes la nomment aschere, les Grecs , & les Latins canicula. Voyez CANICULE & CANICULAIRE. (O)


SIRMICHou SIRMISCH, (Géog. mod.) en latin Sirmiensis comitatus, contrée du royaume de Hongrie. Elle s'étend au midi le long de la Save, qui la sépare de la Servie & de la Rascie. Le Danube la borne à l'orient, le comté de Valpon au nord, & celui de Posega à l'occident. Les Turcs sont aujourd'hui les maîtres de cette contrée.

La ville de Sirmich, sa capitale, en latin Sirmium, lui a donné son nom. Cette ville, appellée par ceux du pays Szreino ou Schremnia, est située sur la riviere de Bosweth, proche la Save, au pié du mont Arpareta, à quinze milles d'Essek au midi. Long. 38. 6. latit. 45. 4.

Elle a eu un évêché sous Colocza. Il s'y est tenu deux conciles, l'un en 351, & l'autre en 537. Cette ville, alors considérable, fut ruinée par les Huns vers l'an 460, & les Turcs ne l'ont pas rétablie, ensorte que ce n'est plus aujourd'hui qu'une bourgade dépeuplée ; mais elle étoit puissante & célébre sous les empereurs romains, comme on peut le voir en lisant l'article SIRIMUM. (D.J.)


SIRMIO(Géog. anc.) péninsule d'Italie, dans la Gaule transpadane, au territoire de Vérone, dans le lac Benacus, du côté du midi. Cette péninsule charmante n'étoit pas la patrie de Catulle, qui étoit né à Vérone, comme le disent Pline, l. XXXVI. c. vj. & Eusebe, in chronic. mais il y avoit seulement une maison de campagne, ou une agréable retraite ; aussi ne l'appelle-t-il pas sa patrie, mais son domaine, & il s'en dit le maître, & non pas le nourrisson. Voici de quelle maniere il en parle, carm. xxxij.

Peninsularum Sirmio, insularumque

Ocelle, quascumque in liquentibus stagnis

Marique vasto fert uterque Neptunus.

Quam te libenter, quamque laetus inviso.

Et un peu plus bas il ajoute :

O quid solutis est beatius curis !

Quum mens onus reponit, ac peregrino

Labore fessi venimus larem ad nostrum,

Desideratoque adquiescimus lecto !

Hoc est, quod unum est pro laboribus tantis.

Salve, ô venusta Sirmio, atque hero gaude.

Que ces vers sont doux & agréables ! Quel aimable poëte que Catulle ! (D.J.)


SIRMIUM(Géog. anc.) ville de la basse-Pannonie, sur la rive gauche de la Save, dans l'endroit où cette riviere reçoit celle que les anciens nomment Bacuntius. C'est-là sa position, selon Pline, liv. III. ch. xxv. & Ptolémée, liv. II. ch. xvj.

C'étoit une très-grande ville, au rapport d'Hérodien, liv. VII. ch. ij. & la métropole de la Pannonie. On voit dans Gudius, pag. 146. une ancienne inscription, avec ces mots : natione Pannonius domu flavia Sirmio ; & on lit dans la notice des dignités de l'empire, flavia Augusta Sirmium, ce qui nous apprend que Sirmium fut redevable de quelques bienfaits à la maison flavienne. Peut - être les empereurs de cette maison y envoyerent-ils une colonie ; du moins M. le comte de Marsigli rapporte, dans son danube, une inscription, qui justifie que cette ville étoit une colonie romaine. Dec. col. Sirmiens. Les Huns la détruisirent vers l'an 460, & ce n'est plus aujourd'hui qu'un bourg de l'Esclavonie, nommé Sirmich.

Mais Sirmium, dans le tems de son lustre, a été la résidence, la patrie, ou le lieu du tombeau de plusieurs empereurs romains, ce qui lui valut le titre de ville impériale.

Je remarque d'abord que c'est à Sirmium que mourut Marc - Aurele, le 17 Mars de l'an 180 de Jesus-Christ, à l'âge de 59 ans, après en avoir régné 19. " On sent en soi - même un plaisir secret lorsqu'on parle de cet empereur, dit M. de Montesquieu. On ne peut lire sa vie sans une espece d'attendrissement. Tel est l'effet qu'elle produit, qu'on a meilleure opinion de soi-même, parce qu'on a meilleure opinion des hommes ". Il fit le bonheur de ses sujets, & l'on vit en lui l'accomplissement de cette ancienne maxime de Platon, que le monde seroit heureux si les philosophes étoient rois, ou si les rois étoient philosophes. Marc - Aurele faisoit profession ouverte de philosophie, mais de la plus belle, j'entends de celle des Stoïciens, dont il suivoit la secte & la morale. Il nous reste de ce prince douze livres de réflexions sur sa vie, ouvrage précieux, dont Madame Dacier a donné une traduction de grec en françois, avec des remarques.

L'empereur Claude finit aussi ses jours à Sirmium en 270, à 56 ans, d'une maladie pestilentielle qui s'étoit mise dans son armée, après de grandes batailles contre les Goths, les Scythes & les Sarmates.

Les empereurs nés à Sirmium sont Aurélien, Probus, Constance II. & Gratien. Rappellons briévement leur caractere.

Aurelianus (Lucius Domitius), l'un des plus grands guerriers de l'antiquité, étoit d'une naissance obscure, & parvint à l'empire par sa valeur, après la mort de Claude. Il aimoit le travail, le vin, la bonne-chere, & n'aimoit pas les femmes. Il fit observer la discipline avec la derniere sévérité ; & quoique d'un caractere des plus sanguinaires, sa libéralité, & le soin qu'il prit de maintenir l'abondance, firent oublier son extrême cruauté. Il battit les Perses, & s'acquit la plus haute réputation par la conquête des états de la reine Zénobie. Il traita les Palmyréniens avec une rigueur énorme, soumit l'Egypte à son obéissance, & triompha de Tetricus avec une pompe extraordinaire. Il alloit conduire en Thrace son armée contre les Perses, lorsqu'il fut tué par un de ses généraux au mois de Janvier 275. Il porta la guerre d'Orient en Occident, avec la même facilité que nos rois font marcher leurs armées d'Alsace en Flandres. On le déïfia après sa mort, & l'on éleva un temple en son honneur. Il fut nommé dans une médaille le restaurateur de l'empire, orbis restitutor. C'est un bonheur que ce prince payen, attaché au culte du soleil, ne se soit pas mis dans l'esprit de persécuter les chrétiens, car un homme si sanguinaire n'en eût pas laissé subsister un seul.

Probus (Marcus Aurelius), parvint de bonne heure aux premieres dignités militaires. Galien lui donna le commandement de l'Illyrie. Tacite y joignit celui de l'Orient ; & c'est là qu'il fut nommé par ses troupes à l'empire. Il vainquit Florien, frere de Tacite, qui avoit été son concurrent. Ensuite il remporta de grandes victoires sur les Vandales, les Gaulois, les Sarmates & les Goths. Il se préparoit à porter la guerre jusque dans la Perse, lorsqu'il fut tué en 282 par un parti de soldats séditieux, qu'il occupoit à des ouvrages publics auprès de Sirmium.

Constance II. (Flavius Julius Constantius), second fils de Constantin le grand, & de Fauste, naquit l'an 317 de Jesus - Christ, & fut déclaré César en 324. Après le décès de son pere, il fit mourir ses neveux & ses cousins. Il eut presque pendant tout le cours de son regne qui fut de 25 ans, une guerre désavantageuse à soutenir contre les Perses, au milieu de laquelle il se défit de plusieurs hommes illustres qui le servoient avec fidélité, entr'autres de Sylvain, capitaine habile, qui commandoit dans les Gaules, & de Gallus, qui avoit le département de l'Istrie. Enfin Julien, frere de Gallus, prit le titre d'empereur, & quitta les Gaules pour venger cette mort. Constance se préparoit à venir au-devant lui, lorsqu'il finit ses jours à Mopsueste, l'an 361, à l'âge de 45 ans. Saint Grégoire de Nazianze est le seul des écrivains originaux qui ait accusé Julien d'avoir fait empoisonner Constance. On s'apperçoit que ce pere de l'église charge sans preuves la mémoire de Julien, tandis qu'il fait de Constance le plus grand prince qui ait jamais été, & même un saint.

La vérité néanmoins est que Constance étoit un très-petit génie, qui d'ailleurs commit des cruautés inouies. Il fut paresseux & inappliqué ; vain & avide de louanges, sans se soucier de les mériter ; maître fier & tyran de ses sujets ; esclave de ses eunuques, qui conserverent toujours l'ascendant qu'ils avoient pris sur son enfance, & lui firent exercer en faveur de l'hérésie un pouvoir despotique sur l'église, sans qu'on puisse dire autre chose à sa décharge, sinon qu'il agit toujours par des impressions étrangeres.

Les payens même ont blâmé sa tyrannie dans les affaires de la religion. Voici ce qu'en dit Ammien. " Par bigoterie il mit le trouble & la confusion dans le christianisme, dont les dogmes sont simples & précis. Il s'occupa plus à les examiner avec une inquiétude scrupuleuse, qu'il ne travailla sérieusement à rétablir la paix. De-là naquirent une infinité de nouvelles divisions, qu'il eut soin de fomenter & de perpétuer par des disputes de mots. Il ruina les voitures publiques, en faisant aller & venir des troupes d'évêques pour les conciles, où il vouloit dominer sur la foi ".

Gratien, fils de Valentinien I. naquit en 359, & n'étoit âgé que de 16 ans lorsqu'il parvint à l'empire. Au lieu de rétablir l'ordre, la discipline & les finances, il donna des édits contre tous les hérétiques, & aliéna le coeur de ses sujets. Maxime en profita pour débaucher les légions, qui le nommerent empereur. Gratien obligé de fuir, fut assassiné à Lyon par Andragatius en 383, à l'âge de 24 ans. (D.J.)


SIROou SIROCO, s. m. (Marine) nom qu'on donne sur la Méditerranée au vent qui est entre l'orient & le midi. C'est le sud-est sur l'Océan.


SIRTLA, (Géog. mod.) riviere de Turquestan. Elle a sa source dans les montagnes qui séparent les états de Contousch (Khan des Calmoucks) de la grande Boucharie, à 44. 40. de latitude & à 95. de longitude. Après un cours d'environ cent lieues d'Allemagne, elle se dégorge dans le lac d'Aral, qui est situé sur les frontieres du Turquestan, à trois journées de la mer Caspienne. (D.J.)


SIRVAN(Géogr. mod.) province de Perse. Voyez SCHIRVAN.


SISACHTINIESS. f. pl. (Antiq. grecq.) c'est-à-dire, la déposition des charges ; c'étoit une fête en mémoire d'une loi que fit Solon, qui défendoit de contraindre par violence les pauvres à payer leurs dettes.


SISALLEVoyez GRIVE.


SISALO(Géogr. anc.) ville d'Espagne : l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route d'Emerita à Saragoce, en prenant par la Lusitanie. Elle étoit entre Mirobriga & Carcuvium, à treize milles de la premiere de ces places, & à vingt milles de la seconde. Ce pourroit être la ville Sisapone de Ptolémée, selon la Martiniere.


SISAPONE(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise : Ptolémée, l. II. c. vj. la donne aux Orétani, & la place vers les confins de la Bétique. Au lieu de Sisapone, Pline, l. XXXIII. c. vij. écrit Sisapo, & remarque qu'il y avoit dans ce lieu des mines qui fournissoient un excellent vermillon ; mais il met Sirapo dans la Bétique. Le P. Hardouin veut que ce soit aujourd'hui Almaden, dans l'Andalousie, au - dessus de Seville, & je crois fort qu'il a raison. Voyez dans le recueil de l'acad. des Sciences, le mém. de M. de Jussieu sur les mines d'Almaden. (D.J.)


SISAR(Géog. anc.) fleuve de la Mauritanie - Césariense ; son embouchure est placée par Ptolémée, l. IV. c. ij. entre les villes Chobat & Jarsath. C'est le fleuve Usar de Pline.


SISARUMS. m. (Hist. nat. Botan.) nom que les botanistes donnent au genre de plante nommé vulgairement & caractérisé au mot CHERVI. Voyez CHERVI.

Tournefort ne compte qu'une seule espece de ce genre de plante ; savoir, le sisarum germanorum, I. R. H. 309. C. B. P. 153. Boerh. Ind. alt. 54. en anglois, the common skirret.

Cette plante croît à la hauteur d'environ deux ou trois piés. Ses tiges sont épaisses, cannelées, & couvertes de feuilles longues, ailées, composées de quatre ou cinq lobes pointus & légerement crénelés en leurs bords, & opposés deux à deux. Ses fleurs sont en parasol, petites, odorantes, & à cinq pétales blancs. Sa semence approche de celle du persil, mais elle est plus grosse. Sa racine est semblable au navet ; longue comme la main, grosse comme le doigt, blanche, d'un goût doux, & bonne à manger. Nous apprenons de Pline que Tibere en faisoit venir d'Allemagne. On cultive le sisarum dans nos jardins où il fleurit au mois de Juin. On en recommande la racine dans du petit lait contre les maladies de la poitrine. (D.J.)


SISAURANUM(Géog. mod.) ville de Perse, à deux journées de Dara, & à trois milles de Rabdion, suivant Procope, qui dit que Justinien, ou plutôt Bélisaire, la prit & la rasa.


SISEou SISSEK, (Géog. mod.) place de la Croatie, sur la droite de la Save, au confluent de cette riviere avec la Kulpa. Longitude 34. 33. latitude 45. 58.


SISERRvoyez GRIVE.


SISGGou SISGAW, (Géog. mod.) petit pays de Suisse, au canton de Basle. Listel en est le chef-lieu.


SISIMITHREROCHER DE, (Géog. anc.) Sisimithrae petra, rocher d'Asie, dans la Bactriane, selon Strabon, l. XI. p. 517. Ce rocher avoit quinze stades de hauteur, c'est-à-dire, dix-huit cent soixante & quinze pas ; & quatre-vingt stades de circuit, c'est-à-dire, dix mille pas. Le haut du rocher formoit une plaine de terres labourables, capable de fournir du grain pour la nourriture de cinq cent personnes. Alexandre s'étant rendu maître de ce lieu, y trouva la belle Roxane, fille d'Oxyartes, & l'épousa, à ce que rapporte Plutarque. (D.J.)


SISIou SSIMA, (Géog. mod.) petite province de la grande contrée du sud - est de l'empire du Japon. Le pays est fort stérile, mais la mer voisine le fournit abondamment d'huitres, de coquillages, & autres choses semblables ; cette province n'a que trois districts.


SISO(Hist. nat. Bot.) plante du Japon, d'un pié de haut, dont la racine est très-fibreuse, la tige branchue, les petits rameaux terminés par un épi de fleurs, ses feuilles ovales, pointues, & disposées en rond autour des branches. Cette plante sert à teindre la soie en pourpre.


SISSACH(Géog. mod.) petite ville de Suisse, au canton de Basle ; elle est située dans une plaine, entre les monts qu'on nomme le haut & le bas Hawestein, au petit pays de Sisgow, auquel elle communique son nom, quoique Listel en soit regardé comme la capitale. (D.J.)


SISSONNEPAS DE, terme de Danse, pour exprimer un pas, qui s'exécute de la maniere suivante.

Ce pas renferme deux façons différentes de sauter ; savoir, 1°. plier pour sauter, & retomber plié ; 2°. étant plié se relever en sautant. Ainsi, si l'on veut faire ce pas du pié droit, ayant le corps posé sur le pié gauche, il faut plier dessus ; & alors la jambe droite, qui est en l'air, s'ouvre du même tems à côté ; mais lorsqu'on se releve en sautant, elle se croise devant la gauche à la troisieme position en tombant sur les deux piés. On reste plié pour se relever, en sautant du même tems sur le pié droit.

Le pas de sissonne se fait de même en arriere, excepté qu'au lieu de prendre le mouvement de derriere pour venir en avant, il doit se prendre de la jambe de devant pour la passer derriere en tombant sur les deux piés, & en se relevant sur la jambe qui a passé derriere.

Il y en a un autre qui se fait à-peu-près de même, excepté qu'on se releve au premier saut sur le pié de derriere, & qu'en sautant on plie sur le pié gauche, mais on retombe sur les deux piés. Au second saut l'on se releve sur le pié gauche, & le pié droit reste en l'air pour prendre un autre pas de ce pié.

On le fait aussi en tournant ; c'est la même maniere de tomber sur les deux piés & de se relever sur un pié ; il n'y a que le contour que le corps fait qui en fait le changement, parce que les jambes étant pour supporter le corps, elles le suivent dans tous ses mouvemens.


SISSOPOLI(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la Romanie, sur une presqu'île formée par la mer Noire, à 40 lieues au nord - ouest de Constantinople. Elle a le titre d'archiépiscopale, ce qui ne la peuple pas davantage. Long. 45. 34. latit. 42. 20. (D.J.)


SISTERS. m. (Mesure de continence) mesure pour les grains, dont on se sert à Berg-op-zoom ; soixante-trois sisters font le last de blé, & vingt-huit celui d'avoine.


SISTEROou CISTERON, (Géog. mod.) ville de France, en Provence, avec évêché, bailliage, & sénéchaussée. L'itinéraire d'Antonin la nomme Senistro, qu'on a depuis changé en Segesterica, & par une nouvelle corruption en Sistarica.

Cette ville a appartenu longtems aux comtes de Forcalquier, ensuite aux comtes de Provence, & enfin aux rois de France, qui représentent ces derniers comtes.

Sisteron est situé sur la Durance, qu'on y passe sur un pont, à 20 lieues d'Aix, à 15 d'Embrun, & à 146 de Paris. Elle est défendue par une citadelle, qu'on regarde comme le boulevard de la Province, du côté des Alpes. Elle a droit, comme chef d'un bailliage assez étendu, de députer aux états, & aux assemblées des communautés. Il y a un gouverneur, un lieutenant de roi, & un major.

Son évêché, établi dans le vj. siecle, est suffragant d'Aix ; il vaut quinze mille livres de rente. Son diocese contient 46 paroisses en Provence, 16 en Dauphiné & 2 dans le comtat Venaissin. Parmi ces paroisses, celle de Forcalquier se dit co-cathédrale, & a un chapitre. Long. de Sisteron, 23. 35. latit. 44. 12.

Albertet, poëte provençal, qui florissoit sur la fin du xiij. siecle, étoit né à Sisteron. Il aimoit les belles-lettres, étoit très-galant, & choisit pour l'objet de sa passion la marquise de Malespine, la dame la plus accomplie de Provence de ce tems-là. Il fit à sa louange plusieurs pieces de poésie, qui plurent tant à cette dame, qu'elle lui en marqua sa reconnoissance par des présens de chevaux, de bijoux & d'argent. Cependant, comme elle s'apperçut que les assiduités d'Albertet faisoient tort à sa réputation, elle le pria de se retirer. Ce poëte obéit avec douleur, & se rendit à Tarascon ; mais il continua dans sa retraite à chanter sa belle marquise. Il lui envoya entr'autres vers un sonnet, en forme de dialogue entr'elle & lui, qui commence.

Deportas vous ami, d'aquest amour per aras.

Dans une autre stance, il dit :

Mais commo faray yeu (diz'yeu) mas amours caras

My poder desportar d'aquest'affection ?

Car certes yeu endury en esta passion,

Per vous ingratament, moutas doulours amaras.

Le Monge des îles d'Or, nous apprend qu'Albertet mourut d'amour & de chagrin à Tarascon, & qu'en mourant, il remit son livre de poésies, intitulé lou Petrach de Venus, à Pierre de Valerme, son intime ami, pour en faire présent à sa cruelle & trop aimée Laure. Ce perfide ami, au lieu de remplir les intentions du mort, vendit l'ouvrage à le Fevre, poëte d'Usez, qui eut l'effronterie de le publier sous son nom ; mais la fourberie fut découverte, & le coupable subit la peine du fouet, établie anciennement par les loix des empereurs, contre les plagiaires de son ordre. (D.J.)


SISTRES. m. (Musiq. anc.) en latin sistrum ; instrument de musique qui étoit employé dans les cérémonies religieuses des Egyptiens, & principalement dans les fêtes qui se célébroient lorsque le Nil commençoit à croître. Cet instrument étoit de métal, à jour & à-peu-près de la figure d'une de nos raquettes. Ses branches percées de trous à égales distances, recevoient trois ou quatre petites baguettes mobiles de même métal, qui passoient au - travers, & qui étant agitées, rendoient un son aigu, plus propre à étourdir qu'à flatter l'oreille.

Le sistre étoit ovale, fait d'une lame de métal sonnant, dont la partie supérieure étoit ornée de trois figures ; savoir de celle d'un chat à face humaine, placée dans le milieu ; de la tête d'Isis du côté droit ; & de celle de Nephtys du côté gauche. Plusieurs verges de même métal, terminées en crochet à leurs extrêmités, & passées par des trous, dont la circonférence de l'instrument étoit percée de côté & d'autre, en traversoient le plus petit diamêtre. L'instrument avoit dans sa partie inférieure, une poignée par laquelle on le tenoit à la main ; & tout son jeu consistoit dans le tintement ou le son qu'il rendoit par la percussion des verges de métal, qui à chaque secousse qu'on lui donnoit, le frappoient à droite & à gauche.

Dans nos pierres gravées, Isis est représentée tenant un vase d'une main, & le sistre de l'autre ; mais la bibliotheque de Ste. Genevieve de Paris conserve un de ces instrumens tout de cuivre : c'étoit leur matiere ordinaire, ainsi qu'on l'apprend d'Apulée qui en a donné la description. Jérome Bosius en a fait un traité exprès, intitulé Isiacus de sistro. En effet les prêtres d'Isis furent nommés sistriaci.

L'usage du sistre dans les mysteres de cette déesse, étoit comme celui de la cymbale dans ceux de Cybèle, pour faire du bruit dans les temples & dans les processions ; ces sistres rendoient un son à-peu-près semblable à celui des castagnettes. Les Hébreux se servoient aussi de cet instrument dans leurs réjouissances ; car nous lisons au I. Rois, xviij. 6. que quand David revint de l'armée, après avoir tué Goliath, les femmes sortirent de la ville en chantant & en dansant avec des tambours & des sistres. (D.J.)


SISYMBRIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleurs en croix, composée de quatre pétales. Le pistil fort du calice & devient dans la suite un fruit ou une silique, composée de deux lames appliquées sur une cloison qui la divise en deux loges. Elle renferme des semences ordinairement arrondies. Ajoutez aux caracteres de ce genre, le port des especes qui le composent. Tournefort, I. R. H. Voyez PLANTE.

Tournefort compte douze especes de ce genre de plante ; entre lesquelles nous décrirons la plus commune, sisymbrium aquaticum, foliis in profundas lacinias divisis, siliquâ breviori, I. R. H. 226. Nous ajouterons un mot de sisymbrium annuel, à feuilles d'absynthe.

La racine du sisymbrium aquatique à feuilles lacinées, est oblongue, grosse comme le petit doigt ; blanche, âcre, piquante & bonne à manger. Elle pousse des tiges à la hauteur de trois ou quatre piés ; cannelées, creuses & quelquefois rougeâtres. Ses feuilles sont oblongues, pointues, découpées profondément, dentelées en leurs bords, disposées alternativement le long des tiges.

Ses fleurs naissent aux sommets des rameaux, soutenues par des pédicules longs & grêles, composées chacune de quatre pétales, jaunes, disposées en croix & à six étamines. Lorsque ces fleurs sont passées, il leur succede de petites siliques, courtes, divisées intérieurement en deux loges qui renferment des semences menues & presque rondes. Cette plante croît dans les fossés pleins d'eau, dans les rivieres, aux lieux marécageux ; elle fleurit en été, & passe pour apéritive.

Le sisymbrium à feuilles d'absynthe, a la racine annuelle. Elle pousse des tiges à la hauteur d'environ deux piés, divisées en plusieurs rameaux, revêtues de feuilles nombreuses, finement découpées, blanchâtres, d'un goût douçâtre mêlé d'une légere acrimonie. Ses fleurs naissent en grand nombre au sommet des branches, composées chacune de quatre pétales disposées en croix, de couleur jaune - pâle. Il leur succede des siliques longuettes, grêles, remplies de semences menues, rondes & rougeâtres. Cette plante croît sur les vieux murs, aux lieux rudes, incultes, pierreux, sablonneux ; elle fleurit en été. Sa semence est connue des herboristes sous le nom de thalitrou ; les pauvres gens l'employent dans quelque liquide pour arrêter la dyssenterie & le dévoiement. (D.J.)


SISYRINCHIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui ne differe de la flambe & du xiphion, que par sa racine qui est composée de deux tubercules posés l'un sur l'autre, comme la racine du glaïeul & comme celle du safran. Voyez FLAMBE & XIPHION. Tournefort, I. R. H. Voyez PLANTE.

Des trois especes de ce genre de plante que compte Tournefort, nous décrirons la principale ; sisyrinchium majus, flore luteâ maculâ notato, I. R. H. 365. Cette plante ressemble à l'iris bulbeux ; elle pousse deux ou trois feuilles longues, étroites, vertes & molles ; sa tige porte au sommet quelques fleurs semblables à celles de l'iris, s'ouvrant l'une après l'autre, de couleur bleue, marquées de quelques taches jaunes, & d'une odeur assez agréable. Ces fleurs sont de courte durée ; il leur succede des fruits oblongs qui contiennent des semences arrondies, petites & rougeâtres ; sa racine est composée de deux tubercules posés l'un sur l'autre ; elle est bonne à manger, d'un goût doux, de couleur noire en-dehors & blanche en-dedans. Sisyrinchium est un nom formé des deux mots grecs , cochon, & , rostrum, comme qui diroit groin de cochon, parce que les cochons poussent leur groin dans la terre pour y chercher la racine de cette plante, dont ils sont fort friands. (D.J.)


SITACou SITACE, (Géog. anc.) ville de la Perside, à 15 stades du Tigre, & au voisinage du mont Zagrus. (D.J.)


SITALCAS(Mytholog.) dans le temple de Delphes Apollon avoit plusieurs statues, l'une desquelles étoit appellée Apollon sitalcas. Elle venoit d'une amende à laquelle les Phocéens avoient été condamnés par les Amphictyons, pour avoir labouré un champ consacré au dieu. Cette statue étoit haute de 35 coudées. Pausanias qui fait ce récit, ne donne point l'étymologie du mot sitalcas. (D.J.)


SITES. m. (Peint.) c'est la situation, l'assiette d'un lieu. Les Italiens disent sito, dans le même sens. Ces deux mots viennent originairement du mot latin situs.

Site s'entend particulierement du paysage ; il y a des sites de plusieurs genres, bornés ou étendus, montueux, plats, aquatiques, cultivés ou incultes, habités ou deserts.

Sites insipides, ce sont des sites dont le choix est trivial. Claude le Lorrain n'a introduit dans ses paysages que des sites insipides ; mais ce defaut est réparé par la grace du coloris, & par la beauté de l'exécution.

Les sites extraordinaires, sont ceux qui frappent l'imagination par la beauté & la nouveauté de leurs formes. Il faut éviter les sites communs, ou les rendre agréables, piquans & frappans.

Les sites doivent donc être d'un beau choix, bien liés & bien débrouillés par leurs formes ; ils doivent avoir quelque chose de nouveau & de piquant. " Le moyen de les diversifier à l'infini, dit M. de Piles, est d'y faire survenir quelqu'un de ces accidens qui arrivent si communément, & qui répandent tant de variété dans la nature ; par exemple, l'interposition de quelques nuages qui causent de l'interruption dans la lumiere, ensorte qu'il y ait des endroits éclairés sur la terre, & des ombres qui selon le mouvement des nuages se succedent les uns aux autres, & font des effets merveilleux, & des changemens de clair-obscur qui semblent produire autant de nouveaux sites ". L'exécution & le coloris sont essentiels en ce genre.

Les paysages du Poussin sont remarquables par l'agrément, la nouveauté, la richesse & l'ingénieuse diversité des sites. Je dis l'ingénieuse diversité, car le site dans un paysage, doit être varié des divers objets que la nature produit de son bon gré, sans art & sans culture : les rochers, les torrens, les montagnes, les ruisseaux, les forêts, les ciels & les campagnes fertiles ou rustiques, sont les choses qui plaisent le plus dans les paysages. (D.J.)


SITELLAS. f. (Antiq. rom.) espece d'urne destinée chez les Romains, à mettre des billets ou ballotes, pour les élections des magistrats à Rome. On donnoit deux ballotes à ceux qui avoient droit de suffrage ; l'une marquée de deux lettres V. R. pour l'approbation ; & l'autre de la lettre A. pour la réjection : on jettoit à sa volonté dans la sitella l'une ou l'autre de ces deux ballotes. (D.J.)


SITHNIDES(Mytholog.) les nymphes sithnides étoient originaires du pays de Mégare ; l'une d'entre elles eut une fille dont Jupiter devint amoureux, & de ce commerce naquit Mégarus, fondateur de Mégare. Dans cette ville étoit un magnifique aquéduc, bâti par Théagene tyran de Mégare. Les habitans appelloient l'eau de cette fontaine, l'eau des nymphes sithnides. (D.J.)


SITHONIE(Géog. anc.) Etienne le géographe appelle ainsi une partie de la Thrace. Elle tiroit son nom de Sithonius roi des Odomantes. Cette contrée étoit située au-dessus du golfe Toyonaïcus, & l'on y comptoit trois villes ; savoir Olyntho, Metrée & Torone. Hérodote, lib. VII. c. cxxij. dit que la contrée où étoient situées les villes grecques Torona, Galepson, Sermyla, Mécyberna & Olynthus, étoit appellée de son tems Sithonia. C'est sans-doute des neiges des montagnes de cette contrée dont parle Virgile dans ces vers.

Nec sic frigoribus mediis Hebrumque bibamus,

Sithonias que nives hiemis subeamus aquosae.

(D.J.)


SITHONIENSLES, (Géog. anc.) Sithonii ; Hérodote met les Sithoniens sur les côtes de Macédoine, dans la Paraxie & la Calcidique, entre le golfe Singitique & le golfe Toronaïque. Etienne de Bizance & Pline en reconnoissent d'autres à l'extrêmité septentrionale de la Thrace, sur les bords du Pont-Euxin, le long de la riviere Salmidessus, entre le mont Aemus & le Danube. Horace, ode xviij. l. I. parle de ces derniers, il dit d'eux :

Sithoniis non levis Evius

Quùm fas atque nefas exiguo fine libidinum

Discernunt avidi.

" Bacchus nous prouve son irritation contre les Sithoniens ; car plongés dans la débauche, ils ne connoissent entre le bien & le mal d'autre milieu que leur insatiable cupidité ". On sait que ces peuples faisoient volontiers excès de vin dans leurs festins, & que leurs débauches se terminoient ordinairement par des querelles & par des meurtres. (D.J.)


SITIou SITTIA, (Géog. mod.) & par d'autres Setia & Settia ; province de l'île de Candie du côté de l'occident, dans l'endroit que l'on appelle isthme. Cette province n'a que douze milles d'étendue, & pour chef-lieu une ville de son nom, située au nord sur le bord de la mer. Cette ville est bien différente entre les mains des Turcs, de ce qu'elle étoit autrefois lorsqu'on l'appelloit Cytaeum. Son château même a été détruit par les Vénitiens en 1651. Long. 44. 6. lat. 35. 7. (D.J.)


SITICINES. m. (Antiq. rom.) on nommoit siticines chez les Romains, ceux qui jouoient aux enterremens, de la trompette sur des airs tristes & lugubres. (D.J.)


SITIFIS(Géog. anc.) ville de la Mauritanie césariense, & ensuite la capitale d'une des Mauritanies, à laquelle elle donna son nom. C'étoit une ville considérable, comme on le voit par l'itinéraire d'Antonin, où elle est nommée Sitifi.

Ce fut principalement dans le moyen âge que Sitifis acquit de la célébrité, & qu'elle donna son nom à la Mauritanie sitifense, dont elle devint la métropole. Plusieurs routes y aboutissoient comme dans les plus grandes villes. On compte entr'autres celles de Carthage, de Lambaesa, de Lamasba & de Theveste. Sitifis est aujourd'hui un village du royaume d'Alger dans la province de Bugie, & qui est connu sous le nom de Stefe. (D.J.)


SITOCOMES. m. (Antiq. grecq.) magistrat chez les Grecs, qui avoit une inspection générale sur les blés, & répondoit à-peu-près à l'édile céréal des Romains. (D.J.)


SITOMAGUou SITOMAGUS, (Géog. anc.) ville de la grande Bretagne : l'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Venta Icenorum à Londres, entre Venta Icenorum & Cambretonium, à 32 milles du premier de ces lieux, & à 21 milles du second. C'est aujourd'hui Thetford en Nord - Folekshire. Il paroît que c'est la même que la table de Peutinger appelle Sinomagum. (D.J.)


SITONESS. m. (Antiq. d'Athènes) , c'est ainsi qu'on nommoit les officiers chargés des provisions de blé pour la consommation de la ville ; & afin qu'elle fût toujours pourvûe, le trésorier général a voit ordre de leur fournir tout l'argent dont ils auroient besoin pour cet approvisionnement. Potter, Archaeol. graec. l. I. c. xv. t. I. p. 83. (D.J.)


SITONSLES, Sitones, (Géog. anc.) Tacite, Germ. c. xliv. & xlv. nomme ainsi l'un des trois principaux peuples qui habitoient la Scandivanie. Les Sitons, dit-il, sont voisins des Suions ; & quoique dans tout le reste ils leur soient semblables, il y a pourtant cette différence que c'est une femme qui commande chez eux, tant ils dégénerent, non-seulement de la liberté, mais encore de la servitude. Ils habitoient au-delà du mont Sévo, qui les séparoit des Suions. Ceux-ci s'étendoient à l'orient, & les Sitons étoient bornés à l'occident & au midi par l'Océan.

Les anciens n'ont point marqué distinctement en combien de peuples se divisoit la nation des Sitons. Cependant comme Ptolémée place les Chadini dans la partie occidentale de la Scandinavie, on ne peut guere se dispenser de les mettre au nombre des Sitons. Les Bergii de Pline peuvent aussi être compris sous ce nom général, de même que les habitans de l'île de Nérigon.

Dans la suite, le nom des Sitons fut changé en celui de Normands, qui leur fut commun avec les Suions ; & on vint enfin à les appeller Norvégiens, nom sous lesquels ils sont encore connus aujourd'hui. Ces peuples, dit M. d'Audifret, Anc. Géogr. tom. I. vivoient dans un grand déréglement avant que Norus, fils d'Humblus, roi de Suede, les eût subjugués. Il les ramena par sa douceur & par son adresse, & leur imprima d'abord la crainte des dieux. Il leur fit une sorte de religion ; & afin de les mieux retenir dans le devoir, il leur prescrivit des loix, leur apprenant par des instructions & par des exemples à régler leur vie. La mort de ce prince fit naitre plusieurs petits royaumes, dont le partage causa de grands différens ; desorte que les Sitons lassés des guerres civiles abandonnerent leur pays, & commencerent à courir les mers sous le nom de Norvégiens. (D.J.)


SITOPHYLAXS. m. (Antiq. grecq.) mot grec qui veut dire gardien du blé. Le sitophylax étoit le nom d'un magistrat chez les Athéniens, qui veilloit à ce que chaque particulier n'eût pas plus de blé qu'il lui en falloit pour sa provision. Cette provision étoit réglée par la loi, & les sitophylax avoient l'oeil à l'observation de cette loi. Il y avoit quinze sitophylax, dix pour la ville & cinq pour le pirée. Voyez le savant commentaire de Samuel Petit sur les loix attiques, l. V. tit. 57. (D.J.)


SITTACENE(Géog. anc.) contrée d'Asie dans l'Assyrie. Ptolémée, l. VI. c. j. la place près de la Suziane. Strabon dit que dans la suite on lui donna le nom d'Apolloniatide. (D.J.)


SITTACENI(Géog. anc.) peuples d'Asie dans la Sarmatie asiatique. Strabon, l. II. p. 415. les met au nombre des peuples qui habitoient sur le bord des Palus-Méotides. (D.J.)


SITTARD(Géog. mod.) ville d'Allemagne au duché de Juliers, & aux confins de celui de Limbourg. Cette petite ville, située sur un ruisseau environ à une lieue de la Meuse & à sept lieues au midi de Ruremonde, fut presque toute ruinée en 1677, & elle ne s'est pas rétablie depuis. (D.J.)


SITUATIONÉTAT, (Gram. & Synon.) situation dit quelque chose d'accidentel & de passager. Etat dit quelque chose d'habituel & de permanent.

On se sert assez communément du mot de situation pour les affaires, le rang ou la fortune, & de celui d'état pour la santé.

Le mauvais état de la santé est un prétexte assez ordinaire dans le monde, pour éviter des situations embarrassantes ou désagréables.

La vicissitude des événemens de la vie fait souvent que les plus sages se trouvent dans de tristes situations ; & que l'on peut être réduit dans un état déplorable, après avoir long-tems vécu dans un état brillant. Girard Synonymes. (D.J.)

SITUATION, s. f. en Géométrie & en Algebre, signifie la position respective des lignes, surfaces, &c.

M. Leibnitz parle dans les actes de Leipsic d'une espece particuliere d'analyse, qu'il appelle analyse de situation, sur laquelle on pourroit établir une sorte de calcul.

Il est certain que l'analyse de situation est une chose qui manque à l'algebre ordinaire. C'est le défaut de cette analyse, qui fait qu'un problême paroît souvent avoir plus de solutions qu'il n'en doit avoir dans les circonstances limitées où on le considere. Par exemple, qu'on propose de mener par l'angle C, fig. 12. Alg. d'un quarré A B C D une ligne F C G, qui soit terminée par les côtés A D & A B prolongés, & qui soit égale à une ligne donnée L M. Il est certain que ce problème ainsi proposé n'a que deux solutions, & qu'on ne peut mener par le point C plus de deux lignes E C H, G C F qui satisfassent à la question. Cependant si on réduit ce problême en équation en prenant A G pour inconnue, on trouvera qu'il monte au quatrieme degré. Voyez l'application de l'Algebre à la Géométrie de M. Guisnée, & le neuvieme livre de sections coniques de M. de l'Hôpital, d'où il s'ensuit que le problême a quatre solutions ; & il en a quatre en effet ; parce qu'on peut faire passer par le point C deux lignes C O, C Q, dont les parties O P, Q R, terminées par les côtés A D & A B (prolongées ou non) soient égales à la ligne donnée L M ; ce qui différentie les lignes O P & Q R d'avec les lignes G F, E H ; c'est que les extrêmités de ces deux-ci se trouvent sur les côtés A D & A B prolongés vers H & vers F, au-lieu que O P a une de ses extrêmités sur A D non-prolongé, & l'autre sur A B prolongé vers O ; & de même Q R a l'une de ses extrêmités sur A B non-prolongée, & l'autre sur A D prolongée vers Q. Le calcul algébrique ne peut exprimer autre chose que la condition que les extrêmités G, F, E, H, soient sur A D & A B prolongées ou non ; & voilà pourquoi le calcul donne quatre solutions du problême. Il est vrai que cette abondance de l'algebre qui donne ce qu'on ne lui demande pas, est admirable & avantageuse à plusieurs égards, mais aussi elle fait souvent qu'un problême qui n'a réellement qu'une solution en prenant son énoncé à la rigueur, se trouve renfermé dans une équation de plusieurs dimensions, & par - là ne peut en quelque maniere être résolu. Il seroit à souhaiter que l'on trouvât moyen de faire entrer la situation dans le calcul des problêmes ; cela les simplifieroit extrêmement pour la plûpart ; mais l'état & la nature de l'analyse algébrique ne paroissent pas le permettre. Voyez sur cela mon traité de dynamique, seconde édition, article 176 ; voyez aussi l'article ÉQUATION vers la fin.

Dans le tome VIII. des Mémoires de l'académie de Petersbourg, on trouve un mémoire de M. Euler, qui a pour titre, Solutio problematis ad Geometriam situs pertinentis, c'est-à-dire solution d'un problême qui a rapport à la Géométrie des situations. Mais on ne voit dans ce mémoire rien qui ait rapport à l'analyse de situation dont nous parlons ; il s'agit seulement de savoir par quel chemin on doit passer pour traverser des ponts disposés sur une riviere qui serpente, & les traverser de maniere qu'on ne passe jamais deux fois sur le même. (O)

SITUATION, (Poésie dramatique) situation en fait de tragédie, dit l'abbé Nadal, est souvent un état intéressant & douloureux ; c'est une contradiction de mouvemens qui s'élevent tout-à-la-fois, & qui se balancent ; c'est une indécision en nous de nos propres sentimens, dont le spectateur est plus instruit, pour ainsi dire, que nous-mêmes sur ce qu'il y a à conclure de nos moeurs, si elles sont frappées comme elles doivent l'être.

Au milieu de toutes les considérations qui nous divisent & qui nous déchirent, nous semblons céder à des intérêts où nous inclinons le moins, notre vertu ne nous assûre jamais plus que lorsque notre foiblesse gagne de son côté plus de terrein : c'est alors que le poëte qui tient dans sa main le secret de nos démarches, est fixé par ses regles sur le parti qu'il doit nous faire prendre, & tranche d'après elle sur notre destinée.

C'est dans le Cid qu'il faut chercher le modele des situations. Rodrigue est entre son honneur & son amour, Chimene est entre le meurtrier de son pere & son amant ; elle est entre des devoirs sacrés & une passion violente ; c'est de-là que naissent des agitations plus intéressantes les unes que les autres ; c'est là où s'épuisent tous les sentimens du coeur humain, & toutes les oppositions que forment deux mobiles aussi puissans que l'honneur & l'amour.

La situation de Cornelie entre les cendres de Pompée & la présence de César, entre sa haine pour ce grand rival & l'hommage respectueux qu'il rend à la vertu ; les ressentimens en elle d'une ennemie implacable sans que sa douleur prenne rien sur son estime pour César ; tout cela forme de chaque scene où ils se montrent ensemble une situation différente. Dans de pareilles circonstances, leur silence même seroit éloquent & leur entrevûe une poésie sublime, mais les présenter vis-à-vis l'un de l'autre, c'est pour Cornelie avoir déja fait les beaux vers, & ces tirades magnifiques qui mettent les vertus romaines dans leur plus grand jour.

Il est aisé de ne pas confondre les coups de théatre & les situations : l'un est passager, &, à le bien prendre, n'est point une partie essentielle de la tragédie, puisqu'il seroit facile d'y suppléer ; mais la situation sort du sein du sujet & de l'enchaînement de quelques incidens, & par conséquent s'y trouve beaucoup plus liée à l'action. (D.J.)

SITUATION, s. f. (Architect.) espace de terrein propre à y élever un bâtiment, ou pour planter un jardin. Il est d'autant plus avantageux que le fonds en est bon, l'exposition heureuse & les vûes belles ; c'est ce qu'on nomme vulgairement assiette. (D.J.)

SITUATION DU TERREIN, (Jardin.) est la chose la plus essentielle pour planter un jardin. Si le choix n'est pas heureux, les arbres mourront en peu de tems. Quoiqu'il y ait cependant des moyens pour améliorer les mauvaises terres, ils sont de grande dépense, souvent même il arrive que malgré les amandemens, les arbres ayant atteint le fond naturel de la terre, y périssent.

Cinq conditions sont nécessaires à une bonne situation ; une exposition saine, un bon terroir, l'eau, la vûe d'un beau pays, & la commodité du lieu.

Une exposition saine est celle d'un lieu qui n'est pas trop élevé, crainte des vents, ni trop bas, à cause des marécages ; il faut la demi côte ou la plaine. Dans une terre humide, la mi-côte est meilleure ; dans une terre légere, la plaine est préférable & de moindre entretien.

Un bon terroir signifie une terre fertile & abondante : sans cette condition il est inutile de planter un jardin. Voyez TERROIR.

L'eau, qui est la troisieme condition, est une des plus essentielles : les habitans d'un pays, s'ils paroissent sains, vous font juger de la bonté de l'eau ; & en y faisant cuire des légumes, vous connoîtrez sa qualité. Sans son secours les végétaux périroient dans les grandes chaleurs ; il n'en faut pas cependant une si grande quantité, parce qu'elle rendroit le lieu aquatique & mal-sain.

La vûe d'un beau pays, quoique moins nécessaire que les précédentes conditions, est du goût de tout le monde ; & la commodité du lieu ne l'est pas moins, par l'utilité qu'on en peut retirer.


SITZISTAN(Géogr. mod.) petite province de Perse, entre celle de Makeran & de Sablestan. Ses principaux lieux sont Sitzistan, Fardan, Chaluck, Masurgian & Masnich.


SITZU(Géog. mod.) une des cinq provinces impériales du Japon, dans l'île de Niphon. C'est le pays le plus avancé vers l'ouest, & sur un grand golfe. Les parties méridionales sont fort chaudes, mais celles du nord sont plus froides & plus abondantes en ce qu'ils appellent gokokf, c'est-à-dire, blé, riz, orge & feves. On y trouve aussi du poisson & du sel ; & à tout prendre, c'est un fort bon pays. Il est divisé en treize districts.


SIUMS. m. (Hist. nat. Botan.) De ce genre de plante, dans lequel Tournefort compte huit especes, nous décrirons celle des boutiques, sium aromaticum quod sison officinarum, I. R. H. 308. Cette plante a d'ordinaire la racine simple, blanche, ligneuse, foiblement enfoncée en terre, & d'un goût de panais, un peu aromatique. Elle pousse une ou plusieurs tiges hautes d'environ deux piés, rondes, moëlleuses, lisses, glabres, noueuses & rameuses. Ses feuilles sont ailées comme celles du panais, rangées alternativement le long de la tige, du reste semblables à celles du chervi, tendres, oblongues, crénelées sur leurs bords, quelquefois découpées. Ses fleurs naissent sur des ombelles, aux sommets de la tige & des rameaux ; petites, composées chacune de cinq pétales, blanches, taillées en coeur, & disposées en rose ; il leur succede des semences jointes deux à deux, menues, arrondies, cannelées sur le dos, applaties de l'autre côté, brunes, d'un goût un peu âcre & aromatique. Cette plante vient aux lieux humides, le long des haies & des fossés. Elle fleurit en été, & ses graines mûrissent au commencement d'Août ; mais on ne fait cas que de celles du Levant, parce qu'elles ont l'odeur du véritable amomum, & qu'elles abondent dans ce pays-là en une huile essentielle aromatique, qu'on en peut tirer par la distillation. (D.J.)


SIUTOS. m. (Hist. mod. relig. & philos.) c'est le nom sous lequel on désigne au Japon une secte de philosophes qui font profession de ne suivre aucune des religions admises dans cet empire. Ces philosophes font consister la perfection & le souverain bien dans une vie sage & vertueuse. Ils ne reconnoissent point un état futur, & prétendent que les bonnes actions & les crimes n'ont point hors de ce monde de récompenses ou de punitions à attendre. L'homme, selon eux étant doué de la raison, doit vivre conformément aux lumieres qu'il a reçues, & par conséquent il est obligé de vivre sagement. Les siutoïstes rejettent les chimeres de la métempsycose, & toutes les divinités ridicules des religions du sintos & de siaka. Voyez SINTOS & SIAKA. Ils croient que nos ames, issues d'un esprit universel qui anime toute la nature, après avoir été séparées du corps, retournent dans le sein de ce même esprit, de même que les fleuves après avoir terminé leurs cours, rentrent dans la mer d'où ils tiroient leur origine. Tien, c'est-à-dire le ciel, est le nom qu'ils donnent à cet esprit, qui est la seule divinité qu'ils admettent ; d'où l'on voit que les siutoïstes ont les mêmes idées sur la divinité que les lettrés chinois, c'est-à-dire, ce sont de vrais théïstes ; car quoique le mot tien signifie le ciel, il ne faut point croire que ce soit au ciel matériel & visible que ces philosophes adressent leurs voeux, mais à l'Etre suprême, créateur du ciel & de la terre. Voyez TIEN. Cependant on assure que quelques-uns d'entr'eux admettent un être intellectuel & incorporel qui gouverne la nature, mais qu'ils distinguent de son auteur, & qu'ils regardent comme étant lui-même une production de la nature. Selon eux cet être a été engendré par In & Jo ; deux puissances différentes, dont l'une est active, & l'autre passive ; l'une est le principe de la génération, & l'autre de la corruption. Les siutoïstes croient le monde éternel, mais que les hommes, les animaux, le ciel & tous les élémens ont été produits par In & Jo. Ces philosophes n'ont aucun temple, ni aucune forme de culte ; ainsi que les lettrés chinois, ils font des cérémonies en mémoire de leurs ancêtres, sur les tombeaux desquels ils offrent du riz & des viandes ; ils allument des cierges devant leurs images, & donnent des repas somptueux en leur honneur. Ils regardent le suicide non-seulement comme permis, mais même comme honorable.

Les siutoïstes ont, ainsi que les lettrés de la Chine, une profonde vénération pour la mémoire & les écrits de Confucius, & particulierement pour un de ses livres intitulé siudo, c'est-à-dire voie philosophique, d'où l'on voit que leur secte a tiré son nom ; elle étoit autrefois très-nombreuse au Japon, & avoit beaucoup de partisans parmi les personnes savantes & éclairées, qui s'étoient détrompées des superstitions & des religions absurdes du pays. Mais ces philosophes eurent à essuyer de la part des bonzes ou des moines, des calomnies & des persécutions qui les obligerent de se conformer, du-moins extérieurement, à l'idolâtrie du Japon. Le plus grand crime qu'on leur imputa, étoit de favoriser le Christianisme, accusation la plus terrible dont on puisse charger quelqu'un dans l'empire japonois.


SIVADIERES. f. (Mesure seche) mesure de grains en usage en Provence, & particulierement à Marseille. Les huit sivadieres font une hémine du pays. La sivadiere de blé doit peser un peu plus de neuf livres poids de Marseille, qui font sept livres un peu fortes poids de marc. Savary. (D.J.)


SIVANS. m. (Hist. Judaïq.) neuvieme mois de l'année civile des Hébreux, & le troisieme de l'année ecclésiastique. Il a trente jours, & répond à la lune de Mai.

C'étoit le six de ce mois que tomboit la Pentecôte, ou le cinquantieme jour après la Pâque. Voyez PENTECOTE.

Le 17 étoit fête pour la prise de Césarée par les Asmonéens, qui en chasserent les payens & y établirent des juifs.

Le 23, jeûne en mémoire de la défense faite par Jéroboam, fils de Nabat, à ses sujets, de porter leurs premices à Jérusalem.

Les juifs modernes jeûnent encore ou fêtent d'autres jours, en mémoire de quelques événemens fort suspects, qui ne sont attestés que par les livres de leurs rabbins. Calendr. des Juifs à la tête du Dictionn. de la Bible, par dom Calmet.


SIVAS(Géog. mod.) ville ruinée de la Turquie asiatique, dans l'Anatolie, à deux journées au midi de Tocat. Elle étoit le chef-lieu d'un gouvernement, & la résidence d'un bacha, avant que Tamerlan eût fait raser cette ville lorsqu'il s'en empara. Long. suivant les tables arabiques, 71. 30. lat. septentr. 39. 30. (D.J.)


SIVRAYou CIVRAY, (Géog. mod.) ville de France dans le Poitou, sur la Charente, à 10 lieues au midi de Poitiers, sur la route d'Angoulême. Elle a une sénéchaussée, & est chef-lieu d'un comté qui est un domaine de la couronne. Les Protestans faisoient autrefois fleurir cette ville, dans laquelle ils avoient un temple. Long. 17. 55. latit. 46. 12. (D.J.)


SIWA(Mythol.) divinité des anciens Germains que l'on croit être leur Pomone. On la représentoit toute nue, avec de longs cheveux qui lui descendoient par derriere jusqu'au milieu des jambes ; elle tenoit d'une main une grappe de raisin, & de l'autre une grosse pomme. Voyez Grosser dans son hist. latine de la Lusace ; Schoedius, de diis Germanorum ; & dom Bernard Montfaucon, tome II. de son antiquité expliquée par figures. (D.J.)


SIX(Arithmét.) nombre pair composé de deux & de quatre, ou de deux fois trois, ou de trois fois deux, ou de cinq & un. Deux & quatre font six ; trois & trois font six ; deux & deux font quatre, & deux font six, cinq & un font six. Six se marque de cette maniere en chiffres arabes 6, en chiffres romain VI, & en chiffres françois de compte & de finance, de la sorte vj. Le Gendre. (D.J.)

SIX CORPS DES MARCHANDS, (Corporation) On appelle à Paris les six corps des marchands, par honneur, & par une espece de distinction ; la draperie, l'épicerie, la mercerie, la pelleterie, la bonnetterie, & l'orfévrerie, pour ne les pas confondre avec ce grand nombre de communautés des arts & métiers, dont les maîtres de quelques-unes ont la qualité de marchands, mais dans un rang bien inférieur pour la richesse & l'étendue du commerce. Dictionn. de Comm. (D.J.)


SIX CENTIEMES(Hist. mod.) terme qui chez les anciens Saxons, qui évaluoient les hommes, signifioit une personne de la valeur de six cent chelins ; dans le tems que les Saxons dominoient en Angleterre, tous les hommes y étoient distribués en trois classes ; savoir la plus haute, la plus basse, & la moyenne ; desorte qu'une personne ayant reçu quelque injure, on proportionnoit la réparation à la valeur de l'offensé, & à sa classe.

Ceux de la plus basse classe s'appelloient deux centiemes, c'est-à-dire, des hommes évalués à deux cent chelins ; ceux de la moyenne s'appellent six centiemes ou gens évalués à six cent chelins ; ceux de la plus haute s'appelloient douze centiemes, comme étant évalués à douze cent chelins.


SIXAINS. m. dans l'Art militaire, étoit un ancien ordre de bataille suivant lequel six bataillons étant rangés sur une ligne, on faisoit avancer le second & le cinquieme pour former l'avant-garde ; le premier & le sixieme se retiroient pour faire l'arriere-garde ; & le troisieme & le quatrieme restoient en place pour former le corps de bataille. Chambers.

SIXAIN, (Poésie) On appelle sixain une stance composée de six vers. Nous avons deux sortes de sixains qui ont des différences assez remarquables : les premiers ne sont autre chose qu'un quatrain auquel on ajoute deux vers de rime différente de celle qui a terminé le quatrain. Les sixains de cette espece admettent deux vers de rime différente, soit devant, soit après, comme dans l'exemple suivant :

Seigneur, dans ton temple adorable

Quel mortel est digne d'entrer ?

Qui pourra, grand Dieu, pénétrer

Dans ce séjour impénétrable,

Où tes saints inclinés, d'un oeil respectueux,

Contemplent de ton front l'éclat majestueux ?

Rousseau.

La seconde espece de sixains, assez commune & fort belle, comprend deux tercets, qui ne doivent jamais enjamber le sens de l'un à l'autre : il y doit donc avoir un repos après le troisieme vers. Les deux premiers y riment toujours ensemble, & le troisieme avec le dernier ou avec le cinquieme, mais ordinairement avec celui-ci.

I. Exemple.

Renonçons au stérile appui

Des grands qu'on implore aujourd'hui ;

Ne fondons point sur eux une espérance folle :

Leur pompe indigne de nos voeux

N'est qu'un simulacre frivole,

Et les solides biens ne dépendent pas d'eux.

Rousseau.

II. Exemple.

Je disois à la nuit sombre :

O nuit ! tu vas dans ton ombre

M'ensevelir pour toujours.

Je redisois à l'Aurore,

Le jour que tu fais éclorre

Est le dernier de mes jours.

(D.J.) Rousseau.

SIXAIN, en terme de Layetier, est une boîte qui en contient cinq autres les unes dans les autres, & par conséquent de diverses grandeurs.

SIXAIN, (Mercerie) ce mot se dit parmi les marchands merciers des paquets composés en six pieces de rouleaux ou rubans de laine. Il n'y a guere que les rouleaux des numéros quatre & six qui soient par sixains ; on appelle aussi un sixain de cartes, un petit paquet contenant six jeux de cartes. (D.J.)


SIXENA(Géog. mod.) village d'Espagne, dans l'Aragon, au comté de Ribagorça, sur la riviere d'Alcana, à cinq lieues de Balbastro, vers le couchant. Long. 17. 47. latit. 41. 46.

Ce village est remarquable par son célebre monastere de dames de l'ordre de saint Jean de Jérusalem ; il forme un grand bâtiment dans un lieu spacieux, & ceint de murailles comme une citadelle. Ce fut la reine Sancha, femme d'Alphonse II. roi d'Aragon, qui fonda ce monastere en 1188, qui le dota richement. Après la mort d'Alphonse son mari, elle s'y retira avec sa fille Douce ; elles y prirent toutes deux l'habit, de même que quelques autres princesses du sang royal. Blanche, fille de Jacques II. roi d'Aragon, a été supérieure du même monastere, & c'est un beau rang.

La supérieure a son palais à part, richement orné : quand elle meurt, on fait ses obseques pendant sept jours ; ensuite on rompt le sceau de ses armes. Les dames d'Aragon & de Catalogne qui entrent dans cette maison, doivent être d'une race si ancienne & si connue, qu'il ne soit pas nécessaire d'en venir aux preuves de noblesse ; les autres les font à la maniere des chevaliers de l'ordre de Jérusalem.

Quand ces dames sont au choeur, elles portent un grand manteau & un sceptre d'argent à la main ; la supérieure confere tous les bénéfices cures de ses terres, & donne l'obédience à tous les prêtres. Elle visite son domaine avec les dames ses assistantes, & se trouve aux chapitres provinciaux de l'ordre en Aragon, où elle a séance & voix délibérative. Elle porte toujours la grande croix sur l'estomac, ce qui la distingue encore des autres dames. Je ne sache que l'abbesse de Remiremont qui soit le pendant de la supérieure du monastere de Sixena. (D.J.)


SIXIEMES. m. (Arithmétique) c'est la partie d'un tout divisé en six parties égales ; en fait de fractions ou nombre rompu, de quelque tout que ce soit, un sixieme s'écrit de cette maniere 1/6, & trois sixiemes, cinq sixiemes, &c. ainsi 3/6, 5/6, &c. un sixieme vaut un demi tiers ; ainsi deux sixiemes font un tiers, trois sixiemes la moitié ou un tiers & demi-tiers ; quatre sixiemes sont deux tiers ; cinq sixiemes font deux tiers & un demi-tiers, ou la moitié & un tiers ; & six sixiemes font trois tiers qui est le tout ; le sixieme de vingt sols est trois sols quatre deniers. Le Gendre. (D.J.)


SIXMILEWATER(Géog. mod.) riviere d'Irlande, dans la province d'Ulster ; elle arrose le comté d'Antrim, où elle se jette dans le lac de Neaugh. La ville de Connor est située à l'embouchure de cette petite riviere.


SIXTES. f. en Musique, est une des deux consonnances imparfaites, appellée par les Grecs hexacorde, parce que son intervalle est formé de six sons, c'est-à-dire, de cinq degrés diatoniques. Il y en a de quatre sortes : deux consonnantes & deux dissonnantes.

Les consonnantes sont 1°. la sixte mineure, composée de trois tons & de deux semi - tons majeurs, comme de mi à ut : son rapport est de 5 à 8. 2°. La sixte majeure, composée de quatre tons & un semi-ton majeur, comme sol, mi : son rapport est de 3 à 5.

Les sixtes dissonnantes sont 1°. la sixte diminuée, composée de deux tons & trois semi-tons majeurs, comme ut dièse, la bémol ; & dont le rapport est de 125 à 192. 2°. La sixte superflue, composée de quatre tons, un semi-ton majeur, & un semi-ton mineur ; le rapport de cette sixte est de 72 à 125.

Ces deux dernieres intervalles ne s'employent jamais dans la mélodie, & la sixte diminuée ne s'employe point non plus dans l'harmonie.

Il y a sept accords qui portent le nom de sixte : le premier s'appelle simplement accord de sixte. C'est l'accord parfait dont la tierce est portée à la basse ; sa place est sur la médiante du ton, ou sur la note sensible. Le second s'appelle accord de sixte quarte ; c'est encore l'accord parfait dont la quinte est portée à la basse ; il ne se fait guere que sur la dominante ou sur la tonique. Le troisieme est appellé accord de petite sixte ; c'est un accord de septieme, dont la quinte est portée à la basse. La petite sixte se met ordinairement sur la seconde note du ton & sur la sixieme. Le quatrieme est l'accord de sixte & quinte ou grande sixte, qui est encore un accord de septieme, mais dont la tierce est portée à la basse ; si l'accord de septieme est dominant, alors l'accord de grande sixte perd ce nom, & s'appelle accord de fausse quinte ; la grande sixte ne se met communément que sur la quatrieme note du ton. Enfin, le cinquieme est l'accord de sixte ajoutée, qui est un accord fondamental composé, ainsi que celui de grande sixte, de tierce, quinte, sixte majeure, & octave, & qui se place de même sur la tonique, ou sur la quatrieme note du ton. On ne peut donc distinguer ces deux accords que par la maniere de les résoudre sur l'accord suivant ; car si la quinte descend, & que la sixte reste en place, c'est l'accord de grande sixte, & la basse fondamentale fait une cadence parfaite. Mais si la quinte reste & que la sixte monte, c'est l'accord de sixte ajoutée, & la basse fondamentale fait une cadence irréguliere. Or, comme après avoir frappé cet accord, on est maître de le sauver de l'une de ces deux manieres ; cela tient l'auditeur en suspens sur le vrai fondement de l'accord jusqu'à ce que la suite l'ait déterminé ; & c'est cette liberté de choisir que M. Rameau appelle double emploi. Enfin, le cinquieme accord de sixte, est celui de sixte superflue ; c'est une espece de petite sixte, qui ne se pratique jamais que sur la sixieme note d'un ton mineur, descendant sur la dominante ; comme alors la sixte de cette sixieme note est naturellement majeure, on la rend quelquefois superflue en y ajoutant encore un dièse. Voyez au mot ACCORD. (S)

SIXTE, (Jeu du) le sixte a beaucoup de rapport au jeu de la triomphe : le nom de sixte lui a été donné parce qu'on y joue six, qu'on donne six cartes, & que la partie va en six jeux. L'on joue les cartes à ce jeu comme à la triomphe. Après être convenu de ce qu'on doit jouer, on voit à qui mêlera, & celui qui doit faire bat & donne à couper à sa gauche, & distribue ensuite six cartes à chacun par deux fois trois ; après quoi il tourne la carte du fond qui lui revient, & dont il fait la triomphe, lorsque le jeu n'est composé que de trente-six cartes, comme il doit être ordinairement ; & lorsqu'on veut qu'il y ait un talon, on joue avec les petites cartes ; en ce cas, on tourne la carte de dessus le talon qui fait la triomphe ; cela dépend de la volonté des joueurs. Le jeu est plus beau, & il faut plus de science à le jouer, lorsqu'on le joue avec trente-six cartes. Nous allons donner quelques regles qui acheveront de donner une intelligence plus complete de ce jeu.

Celui qui donne mal perd un jeu qu'il démarque, & remêle ; lorsque le jeu se trouve faux, le coup où il est découvert faux ne vaut pas, mais les précédens sont bons, & celui-là aussi si le coup étoit fini, & les cartes brouillées : qui tourne un as marque un jetton pour lui ; l'as emporte le roi, celui-ci la dame, la dame le valet, & ainsi des autres cartes, suivant leur ordre naturel.

Celui qui joue jettant une triomphe, ou telle autre carte que ce soit, on est obligé d'en jetter si on en a ; sinon on renonce, & l'on perd deux jeux dont on est démarqué, si on les a ; ou on le fera d'abord qu'on en aura de cette partie.

Celui qui jette d'une couleur jouée doit lever, s'il est possible, la carte la plus haute jouée ; autrement il perd un jeu qu'on lui démarque ; celui qui fait trois mains marque un jeu ; si deux joueurs ont fait chacun trois, c'est celui qui les a plutôt faites qui marque un jeu. Si tous les joueurs avoient fait une main chacun, celui qui auroit fait la premiere marqueroit le jeu ; de même que quand le prix est partagé par deux mains, celui qui a le plutôt ses deux mains marque le jeu.

Celui qui fait seul six mains gagne la partie : voilà de quelle maniere se joue le jeu de sixte : celui qui est le premier en carte a l'avantage, puisqu'il commence à jouer la carte qui lui est plus convenable.


SIZALISCA(Géog. mod.) riviere de Grece, dans la Livadie, anciennement Plistus. Elle a sa source près des ruines de Delphes, & se décharge dans le golfe de Salona, qui est une partie de celui de Lépante. (D.J.)


SIZES. f. (Jouaillier) est un instrument dont on se sert pour trouver le poids des perles fines & rondes. Voyez PERLES.

Il consiste en cinq plaques ou feuilles d'étain, d'environ deux pouces de long, & un demi pouce de large, attachées ensemble par un bout avec un clou rivé ; chacune de ces plaques est percée de plusieurs trous ronds, de différens diamêtres ; ceux qui sont à la premiere plaque servent à peser les perles, depuis 1/2 grain jusqu'à 7 grains ; ceux de la seconde sont faits pour peser les perles depuis 8 grains, ou 2 carats, jusqu'à cinq carats, &c. & ceux de la cinquieme, pour les perles depuis 6 carats 1/2 jusqu'à 8 1/2.


SIZETTEJEU DE LA, s. f. ce jeu est peu commun à Paris, & cependant c'est un des jeux de cartes les plus amusans ; il demande beaucoup de tranquillité & d'attention.

L'on y joue six personnes, ce qui lui a fait donner apparemment le nom de sizette ; l'on joue trois contre trois placés l'un entre l'autre alternativement, c'est-à-dire qu'il ne faut pas qu'il y ait deux joueurs d'un même parti l'un contre l'autre ; le jeu de cartes avec lequel l'on joue, est de trente-six cartes, depuis le roi, qui est la premiere, jusqu'au six.

Comme il est avantageux d'être premier, on voit à qui fera, à l'ordinaire ; celui qui mêle donne à couper à sa gauche, & distribue ensuite par sa droite, six cartes en deux fois, & jamais autrement, puis tourne la derniere carte, qui est celle de triomphe ; après quoi, ceux qui ont la main, c'est-à-dire qui sont premiers à jouer, examinent bien leur jeu, que l'un des trois doit gouverner, quoiqu'il soit permis à chacun de dire son sentiment ; celui donc qui gouverne le jeu, demande à chacun ce qu'il a, & après qu'il est informé de leur jeu, il fait jouer celui qui est à jouer, par la carte qu'il lui indique ; quand elle est jouée, ceux du parti contraire qui n'ont encore rien dit, se demandent leur jeu, & puis celui de ce parti qui est à jouer, fournit de la couleur qu'on joue, s'il en a, ou coupe s'il est à propos, & s'il n'en a pas : car on n'y est pas obligé, & ce sont ceux qui font les trois premieres levées, qui gagnent le jeu ; ceux qui les font toutes six, gagnent le double.

L'habileté du joueur consiste à savoir le jeu que ses adversaires ont, sans se faire trop expliquer, & de retenir avec soin la déclaration que chacun d'eux a faite de son jeu, pour s'y conformer ; cela regarde ceux qui gouvernent les jeux, & les autres joueurs doivent faire attention à ne rien dire que ce qu'on leur demande, afin de le cacher aux adversaires, & de ne pas expliquer les renonces que l'on peut avoir, sans y être obligé par celui qui gouverne, qui ne doit découvrir le jeu qu'à propos. L'expérience & l'usage apprendront ce jeu à ceux qui le joueront, ils y prendront beaucoup de plaisir. Voici quelques regles qui pourront les aider. Lorsque le jeu est faux, le coup est nul, & les précédens sont bons.

S'il y a une carte tournée, l'on remêle ; celui qui au-lieu de tourner la carte du dessous, qui devoit faire la triomphe, la joint à ses autres cartes, perd un jeu, & remêle ; celui qui donne mal, de même ; celui qui tourne une carte de l'un de ses adversaires, en donnant, perd un jeu, & remêle.

Celui qui renonce perd deux jeux, ou ne joue plus, mais on remêle comme si le coup se fût joué.

Celui qui ne coupe pas une couleur dont il n'a point, & qu'il pourroit couper, ne fait point faute, dans quelque cas que ce puisse être.

D'abord que la carte est lâchée sur le tapis, elle est censée jouée.

Lorsque deux des joueurs ont leur jeu étalé sur la table, il faut nécessairement que le troisieme étale aussi le sien, pendant que le coup se joue.

L'on ne sauroit changer de place pendant une partie, ni même pendant plusieurs ; l'on ne peut point faire couper qu'à gauche ; celui qui donneroit devant son tour, s'il avoit tourné, le coup seroit bon, mais s'il n'avoit pas tourné, il seroit tems de faire mêler celui qui le devroit de droit ; on ne peut donner les cartes que par trois.

Celui qui a joué avant son rang, ne peut point reprendre sa carte, à moins qu'il n'ait pas jetté de la couleur jouée, & dont il pouvoit fournir, dans ce cas il perd un jeu, & le coup se joue ; ceux qui quittent la partie avant qu'elle soit finie, la perdent.

Celui des joueurs qui tourneroit une ou plusieurs levées des adversaires, perdroit un jeu.

Lorsqu'un joueur fait une faute, ceux du même parti doivent la supporter ; ceux qui n'ont pas de points à démarquer pour leurs fautes, les adversaires les marquent en leur faveur.


SIZUNISLE, (Géog. mod.) petite île de France, sur la côte de Bretagne, au diocèse de Quimper, à trois lieues de la terre ferme. Elle est à fleur d'eau, d'un accès difficile, exposée à tout moment à être submergée, d'ailleurs presque stérile ; & cependant la liberté qu'on y respire, fait qu'elle est habitée par des gens qui se contentent pour toute nourriture, d'orge, de poisson, & de racines.

O Liberty ! thou goddess heav'nly bright !

Profuse of bliss, and pregnant with delight !

The poverty looks chearful in thy sight.

Thou mak'st the gloomy face of nature gay,

Giv'st beauty to the sun, and pleasure to the day.


SJIROGGIS. m. (Hist. nat. Botan.) arbrisseau du Japon, dont l'écorce est raboteuse, les feuilles longues de trois pouces, pointues aux deux extrêmités, sans découpures. Ses fleurs, placées sur des pédicules disposés en ombelle, sont en grand nombre, petites & pentapétales. Ses baies, en hiver, après la chûte des feuilles, sont d'un beau rouge, moins grosses qu'un pois, d'une chair blanche, pulpuleuse & amere. Ses graines sont triangulaires & de la grosseur de celles du carvi. On distingue au Japon un autre sjiroggi, nommé vulgairement namone, petit arbre dont les feuilles sont creuses dans leur longueur, recourbées, & très - légerement dentelées à leur bord. Ses baies sont à-peu-près de la grosseur d'une cerise ; & ses semences, qui sont en petit nombre, de celle de la graine de cumin.


SJOO(Géogr. mod.) une des quinze provinces de la grande contrée du Sud-est de l'empire du Japon. Elle est très-considérable, puisqu'on lui donne trois journées de longueur de tous côtés ; c'est un pays médiocrement fertile, mais qui abonde en vers à soie, & conséquemment en manufactures d'étoffes de ce genre ; cette province a onze districts. (D.J.)


SKAGEN(Géog. mod.) lac de Suede, dans la province de Vermeland, à l'orient du lac Waner, dans lequel il se décharge. (D.J.)


SKARou SCARA, (Géog. mod.) ville de Suede, dans la Westrogothie, sur la riviere de Lida, à deux lieues au midi du lac Waner. On croit que Scarin, roi des Goths, la fonda, & elle devint la résidence de ses successeurs. Long. 31. 36. latit. 58. 15.


SKARE-FIELDou DAARE-FIELD, (Géog. mod.) montagne de la Norwege, aux confins de la Suede. Ces montagnes ont comme les Alpes & les Pyrénées, diverses branches qui se répandent à l'orient & à l'ouest ; elles sont perpétuellement couvertes de neige, & ne produisent que de grands sapins pour des planches, & des mats de navires. (D.J.)


SKIDDOW(Géog. mod.) montagne d'Angleterre, dans la province de Cumberland. Elle passe pour la plus haute montagne d'Angleterre, comme celle de Scruffel, qui est vis-à-vis, est estimée la plus haute d'Ecosse. (D.J.)


SKIE(Géog. mod.) île de la mer d'Ecosse, une des Westernes, au midi de la province de Ross. On lui donne 42 milles de longueur, & 12 milles dans sa plus grande largeur ; elle n'est séparée du continent de l'Ecosse, que par un petit détroit. Il y a dans cette île, quinze golfes & cinq bonnes rivieres, où l'on pêche du hareng & des saumons ; son terroir produit beaucoup de blé, & on y nourrit de nombreux troupeaux. (D.J.)


SKINOSA(Géog. mod.) île, ou écueil de l'Archipel, à huit milles de l'île de Chéiro, & à douze milles de Naxio ; cet écueil qui a environ douze milles de tour, & qu'on a abandonné, est apparemment l'île Skimessa, que Pline, l. IV. c. xij. marque près de Naxos & de Pholegaudros. Les Grecs ne doutent pas que cette île n'ait pris son nom des Lentisques, , lentiscus, dont elle est couverte, quoique cet arbre ne soit pas plus commun dans Skinosa, que dans les îles voisines. Il ne reste dans Skinosa que des masures d'une ville ruinée, & parmi lesquelles on ne voit rien de remarquable. La férule des anciens croît en abondance dans cette île. (D.J.)


SKIPTON(Géog. mod.) ville à marché d'Angleterre, dans le Yorckshire, près de la riviere d'Ar, sur le chemin d'Yorck & Londres. Elle est environnée de bois ; on a trouvé dans son voisinage une fontaine salée & soufrée. (D.J.)


SKIRIAS. f. pl. (Ant. grec.) fête de Bacchus, qui se célébroit tous les ans à Aba, en Arcadie. Dans cette fête une de leurs coutumes étoit de fustiger des femmes à l'autel du dieu, comme on fustigeoit de jeunes enfans à l'autel de Diane Orthia, chez les Spartiates. Skiria vient de , ombre, parce que la statue de Bacchus étoit portée dans une espece de tabernacle, ou de niche, qui la tenoit à couvert du soleil. (D.J.)


SKIRRHES. m. terme de Chirurgie ; tumeur contre nature qui a essentiellement cinq caracteres qui en sont par conséquent autant de signes pathognomoniques. Il est 1°. dur & renitent ; 2°. indolent ; 3°. sans changement de couleur à la peau ; 4°. sans chaleur ; 5°. il se forme peu-à-peu & par une congestion lente. Cette tumeur tire son nom du mot grec skirrhos, qui signifie proprement un morceau de marbre.

Le skirrhe est formé par l'amas de sucs blancs lymphatiques endurcis, cette mauvaise disposition de la lymphe vient de l'usage d'alimens grossiers ou coagulans, de la vie oisive ou sédentaire, des soucis continuels & chagrins violens, du froid extérieur & de quelques levains étrangers capables d'épaissir les humeurs, tels que les virus véroliques, scrophuleux, &c.

L'épaississement particulier des humeurs recrémenticielles dans quelque viscere, y produit des tumeurs skirrheuses : la bile épaissie cause un skirrhe dans le foie ; le lait grumelé dans les mamelles ; la semence dans les testicules ; le chyle dans les glandes du mesentere ; la lymphe dans les glandes conglobées, &c. Les coups ou contusions sont des causes externes d'engorgement lymphatique, que la résorption de la sérosité qui sert de véhicule à la lymphe, fait endurcir & dégénérer en skirrhe. Le skirrhe peut être œdémateux, phlegmoneux, ou cancéreux. Voyez les mots OEDEME, PHLEGMON & CANCER.

Le vrai skirrhe est incurable, parce qu'il n'est pas susceptible de résolution. Les remedes fondans & résolutifs, tant intérieurs, qu'extérieurs, en donnant de l'action aux vaisseaux, les feroient se briser contre la masse skirrheuse, & précipiteroient sa dégénération en cancer.

Il y a beaucoup de tumeurs skirrheuses, dont l'humeur est encore sujette à être détrempée & délayée, & qui par conséquent sont résolubles. Pour entreprendre avec prudence la résolution du skirrhe, il faut observer si la constitution du sang est visqueuse & gluante ; ou si elle est salée, âcre, & muriatique.

Dans le premier cas, on employe les apéritifs & les fondans d'abord à des doses très-légeres, pour ne point exciter inconsidérement des mouvemens violens dans l'humeur ; tels sont les préparations apéritives de Mars ; les sels fondans, comme l'arcanum duplicatum ; le sel fixe de tartre. Quelques préparations mercurielles, comme l'aquila alba, l'aethiops minéral. Les gommes fondantes, telle que la gomme ammoniaque ; les pilules de savon, qu'on peut rendre plus actives avec des cloportes & le diagrede.

Extérieurement les cataplasmes émolliens & résolutifs, les fumigations avec le cinabre & le storax, ou avec le vinaigre jetté sur des briques rougies au feu, les emplâtres de ciguë, de vigo, diabotanum, &c.

Mais si la constitution du sang est âcre, il faut se servir avec la plus grande circonspection des fondans, & en adoucir l'action en usant de tems-en-tems de remedes purement délayans, humectans & rafraichissans, comme les bouillons avec le poulet ou le veau, & les plantes rafraichissantes ; les bains & demi-bains, le petit-lait, les eaux minérales ferrugineuses, & le lait d'ânesse.

Si le skirrhe est douloureux, ou qu'il ait de la chaleur, il faut éviter extérieurement toute composition emplastique, capable d'attirer des accidens, en augmentant le mouvement de l'humeur ; à moins qu'on ne pense qu'il devient phlegmoneux, & qu'il se dispose à suppurer ; mais ces apparences sont très-suspectes dans les parties où se forment ordinairement les cancers.

Le régime doit être extrêmement exact ; il faut éviter les alimens échauffans, & toutes les passions de l'ame. Voyez le Traité des tumeurs, par M. Astruc. (Y)


SKULA(Géog. mod.) montagne de Suede, dans l'Angermanie, près du golfe de Bothnie, entre les rivieres d'Husa & d'Angerman ; elle est extrêmement haute & si droite, qu'elle semble menacer ruine. (D.J.)


SKYROS(Géog. anc.) voyez SCYROS.


SLABODou SLOBODE, s. f. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme à Moscou, Pétersbourg & dans les autres villes de l'empire Russien, un fauxbourg destiné aux étrangers. On dit la slabode des allemands, la slabode des tartares, &c. ce mot qui est esclavon signifie une franchise, à cause des privileges accordés aux étrangers qui viendront y demeurer. En Sibérie & aux environs de Tobolskoy ; on nomme slabode, une enceinte environnée d'une muraille de bois qui est presque la seule fortification que l'on connoisse dans ce pays, pour se mettre à couvert des courses des Tartares, non soumis à la Russie.


SLABRESS. f. (Marine) petites buches qui vont à la pêche du levant.


SLAGou SLAGUEN, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Poméranie, au duché de Wandalie, sur le Wipper, à quelques lieues au-dessus de Rugenwalde. Long. 34. 15. lat. 54. 37. (D.J.)


SLAGELSLAGELS, SLAGEN, (Géogr. mod.) bourg du Danemarck, dans l'île de Selande, & le chef-lieu d'une préfecture, Slagels Herrit, à laquelle il donne son nom. (D.J.)


SLAINE(Géog. mod.) riviere d'Irlande ; elle a sa source dans le comté de Wicklo, & va se décharger dans la mer d'Irlande, à Wexford. Il est plus vraisemblable que le Modonus Fluvius de Ptolémée est la Liffe qui coule à Dublin, que la Slaine. (D.J.)


SLANTZA(Hist. nat. Botan.) petit arbuste qui croît abondamment dans la peninsule de Kamtschatka. On dit qu'il est de la nature du cedre, excepté qu'il est beaucoup plus petit, & qu'au lieu de s'élever en l'air, il rampe à la surface de la terre. Ses cônes ou ses pommes ne sont que de la moitié de la grandeur de celles du cedre ; les habitans du pays les mangent, elles sont fort astringentes, & passent pour un grand remede contre le scorbut : pour cet effet, on les fait bouillir dans de l'eau, & les matelots russes en ont éprouvé l'efficacité.


SLAUKAW(Géog. mod.) petite ville de la haute-Pologne, au palatinat de Cracovie, à deux milles d'Ilkusch. Il y a dans ses environs quelques mines de plomb mêlé d'argent. (D.J.)


SLAVELA, (Géog. mod.) riviere de la Dalmatie. Elle passe à Castelnovo, & se jette dans le golfe de Venise, au-dessous de la ville de Raguse. (D.J.)

SLAVES, LES, (Géog. anc.) Slavi, anciens peuples de la Sarmatie, qui avec les Venedes, s'établirent dans la Germanie, entre l'Elbe & la Vistule ; les peuples de ces quartiers ne se trouvant pas en état de leur faire tête, à cause qu'ils étoient épuisés par les grandes migrations qui s'étoient faites.

On ne sait pas au juste le tems où les Slaves s'emparerent des terres des Germains. Jornandès & Procope sont les premiers auteurs qui ayent parlé des Slaves. On lit dans le premier auteur, que l'invasion des Venedes se fit à la fin du cinquieme siecle, & l'on apprend par Paul Diacre qu'à la fin du sixieme siecle, les Slaves avoient pénétré dans l'intérieur de la Germanie. Du tems de Dagobert I. roi des François, les Slaves firent irruption dans la Thuringe & dans la France Trans-Rhénane, où ils mirent tout à feu & à sang. Il paroît qu'alors ils habitoient dans la Lusace, & dans les terres du haut & du bas-Elbe.

Nous avons les noms d'une partie des peuples qui composoient la nation des Slaves. De ce nombre sont les Antes, les Slavi Behemani (Bohèmes), les Maharenses (le duché des Bohèmes) & les Slaves Sorabes, qui habitoient entre l'Elbe & la Sala, aux confins des Thuringiens & des Saxons. Enfin, les annales de l'empereur Louis le Débonnaire nous apprennent, qu'à la diéte de Francfort, ce prince reçut les ambassadeurs & les présens que lui envoyoient les Slaves orientaux ; savoir, les Obotrites, les Sorabes, les Wilzes, les Béhémans, les Marnani, les Praedenecenteni & les Avares de la Pannonie. On met encore au nombre des Slaves, les Luciziens, les Rédariens, les Silésiens, les Polonois, les Havelliens, les Poméraniens, les Cassubiens, les Wagriens, les Rugiens.

Les Antes & les Sclavons, dit Procope, Bell. goth. l. III. c. xiv. n'obéissent pas à un roi : mais ils vivent depuis long-tems sous un gouvernement populaire, & déliberent publiquement de tout ce qui concerne leurs intérêts. Ces deux peuples observent les mêmes moeurs ; ils ne reconnoissent qu'un seul Dieu qui a créé le monde, & qui lance le tonnerre : & ils lui sacrifient des boeufs & d'autres victimes. Bien loin de faire dépendre la vie des hommes de la destinée, ils n'avouent pas seulement qu'il y en ait ; mais lorsqu'ils se voyent en quelque danger, soit par la violence d'une maladie ou par le sort des armes, ils promettent d'immoler une victime quand ils en seront échappés, & ils ne manquent pas d'y satisfaire ; alors ils croyent tenir leur vie de la mort de la victime. Ils rendent aussi des honneurs aux rivieres, aux nymphes & à d'autres divinités, & ils leur présentent des sacrifices, d'où ils tirent des présages de l'avenir. Ils habitent dans de misérables chaumieres, éloignées les unes des autres, & dont ils changent souvent ; ils font la guerre à pié, tenant en leurs mains de petits boucliers, & de petits dards ; ils ne portent point de cuirasses, quelques-uns mêmes ne portent ni tunique, ni manteau : mais ils se couvrent d'un haut de chausse, lorsqu'ils marchent contre l'ennemi. Ils parlent tous la même langue, & ont une taille & une mine toute semblable. Ils sont grands & robustes ; la couleur de leur visage n'est pas fort blanche, ni celle de leurs cheveux fort blonde : elle ne tire pas aussi sur le noir, mais plutôt sur le roux. Leur maniere de vivre est misérable comme celle des Massagetes, toujours dans la crasse. Leur esprit tient beaucoup de la simplicité des Huns, aussi-bien que du reste de leurs moeurs ; tel est le recit de Procope, mais il se trompe s'il a cru que tous les Slaves vivoient sous un gouvernement populaire ; car les Slaves Maharenses, les Slaves Bohêmes, les Slaves Wilzes, & les Slaves Obotrites étoient soumis à des rois ou chefs.

Les Slaves ou Sclavons passerent le Danube sous l'empire de Justinien, & inonderent l'Illyrie, où ils prirent des forts, qui jusqu'alors avoient été estimés imprenables. Ils se bornerent quelque tems à des courses passageres ; mais à la fin ils établirent dans l'Illyrie une demeure plus stable que dans leur propre pays. Ils donnerent entr'autres leur nom à cette partie de la Pannonie, qui est entre la Save & la Drave, qui fut appellée de-là, Pannonie Slavienne, & qu'on nomme encore présentement Esclavonie. (D.J.)


SLÉES. f. (Marine) sorte de machine, avec laquelle les Hollandois tirent à terre un vaisseau, de quelque grandeur qu'il soit. Voici la description de cette machine, tirée de l'architecture navale de M. Witsen. C'est une planche d'environ un pié & demi de largeur, & dont la longueur est égale à celle de la quille d'un vaisseau de moyenne grandeur. Elle est un peu élevée par derriere, & un peu creuse au milieu ; ensorte que les côtés s'élevent en talud. Il y a dans ces côtés des trous pour y pouvoir passer des chevilles, & le reste est tout uni. Derriere est un crochet, qui reçoit une crampe avec une chaîne de fer, qui est attachée à une petite machine, où il y a un certain nombre de poulies.

Pour faire usage de cette machine, on la met sous la quille du vaisseau, & on l'attache à côté par derriere avec des crocs ; desorte qu'elle est droite sous la quille. On la lie ensuite avec le vaisseau fortement, par le moyen des trous qui sont dans les côtés : on met un gros barreau par - derriere dans le creux qui est contre l'étambord, & on l'arrête par le moyen d'une cheville qu'on met dans le trou qui est à ce creux, & qui passant de-là dans celui qui est à l'extrêmité de la planche, entretient fermement l'étambord.

Les choses étant en cet état, & ayant graissé & la machine, & la forme sur laquelle elle est appuyée, un homme, à l'aide des poulies & des cabestans, amene ou tire à lui un vaisseau.


SLEGO(Géog. mod.) petite ville d'Irlande, dans la province de Connaught, capitale du comté de même nom, & la seule place remarquable de ce comté. Elle a le privilege de députer au parlement d'Irlande, & de tenir marché. Elle est défendue par un château, & a un assez bon port, mais d'un accès difficile, à cause d'une barre de sable qui le traverse. Long. 9. 20. latit. 54. 25. (D.J.)


SLEIDENou SCHLIDEN, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le duché de Juliers ; elle est un chef-lieu du comté de même nom, & a une citadelle pour sa défense.

Sturmius (Jean), philologue du xvj. siecle, naquit à Sleiden en 1507, & mourut en 1589, à 82 ans. Les meilleurs de ses ouvrages sont ses notes sur la rhétorique d'Aristote & sur Hermogene. Le P. Niceron a fait l'article de ce savant dans son histoire des hommes illustres. Il ne faut pas le confondre avec Sturmius (Jean), né à Malines, ni avec Sturmius (Jean Christophle), né dans le duché de Neubourg, tous deux mathématiciens & connus par des ouvrages en ce genre. (D.J.)


SLESWICKou SLESWICH, (Géog. mod.) ville de Danemarck, capitale du duché de même nom, sur le golfe de Slie, à 6 milles d'Allemagne de Kiell, 11 de Gluckstad, 15 de Hambourg, 17 de Lubeck. Elle est grande, mais sans fortifications, & n'ayant d'autre église dans son enceinte que la cathédrale, où l'on voit les tombeaux des anciens ducs de Sleswick. Son évêché est suffragant de Lunden. Cette ville a perdu son état florissant, par les malheurs de toute espece qu'elle a éprouvés consécutivement & qu'elle n'a pu éviter à cause de sa situation, qui se trouve sur les frontieres des Danois, des Saxons & des Suédois, peuples qui se sont toujours fait la guerre, & qui tour-à-tour ont pris, pillé, brûlé cette malheureuse ville. Long. 45. 2. lat. 54. 33. (D.J.)

SLESWICK, duché de, (Géog. mod.) pays de Danemarck, qui est proprement le Jutland méridional. Ce pays a le nord - Jutland pour bornes au septentrion, la mer Baltique à l'orient, le Holstein au midi, & l'Océan au couchant. Sa longueur est de quinze milles germaniques, & sa largeur à-peu-près de dix. Il est arrosé d'un grand nombre de rivieres, qui n'offrent dans sa partie occidentale que prairies & pâturages ; sa partie orientale consiste en de grandes plaines, qui abondent en toutes sortes de grains.

Ce duché est une ancienne dépendance du royaume de Danemarck. Il est partagé en plusieurs bailliages tous fort peuplés, & dans lesquels on compte quantité de villages, quelques forteresses, & quatorze villes ou bourgs. Sleswick en est la capitale. La noblesse de cette province est divisée en quatre cercles, dont le premier est celui d'Hadersleben : les trois autres sont ceux de Tondern, de Flensbourg & de Gottorp.

C'est dans un village de ce dernier cercle, qu'est né Kunckel (Jean), célebre chymiste du xvij. siecle, mort en Suede en 1702. Il se rendit fameux par ses nouvelles inventions, & particulierement par celle du phosphore d'urine, dont quelques-uns néanmoins lui ont disputé la découverte. Les principaux ouvrages qu'il a publiés sont, 1°. sur l'art de faire le verre ; 2°. observationes de salibus fixis, & volatilibus, auro & argento potabili ; nec non de colore metallorum mineralium, &c. Lond. 1678, in -8°. Ce dernier ouvrage avoit d'abord paru en allemand à Hambourg en 1676 ; 3°. plusieurs observations chymiques du même auteur ont été répandues dans les mémoires des curieux de la nature. (D.J.)


SLEW-BLOEMI(Géog. mod.) montagnes d'Irlande, dans la province de Leinster, au Quéens-County. Elles donnent la source à trois rivieres, le Barrow, la Shure & la Nure. (D.J.)


SLEW-GALEN(Géog. mod.) montagnes d'Irlande, dans la province d'Ulster, au comté de Tyrone. Ce comté est divisé en deux grandes parties par des montagnes qui le traversent dans sa longueur. Ces montagnes ont quelques mines de fer, & donnent la source à diverses petites rivieres, qui coulent vers le lac de Neaugh. (D.J.)


SLOANES. f. (Hist. nat. Bot.) sloana, genre de plante dont la fleur est ou monopétale en forme de cloche profondément découpée, ou sans pétales & composée de plusieurs étamines, au milieu desquelles s'éleve un pistil, qui devient dans la suite un fruit rond, membraneux & hérissé de pointes. Ce fruit s'ouvre en quatre parties, & contient des semences oblongues, renfermées dans une loge charnue. Plumier, nova plant. amer. gen. Voyez PLANTE.


SLOBODA(Géog. mod.) ville de l'empire Russien, dans la province de Wiarka, sur la rive droite de la Wiarka, au-dessous de Orlo. (D.J.)


SLONIM(Géog. mod.) petite ville du duché de Lithuanie, au palatinat de Novogrodeck, capitale d'un district de même nom, sur la rive gauche de la Sezara. Long. 44. 10. latit. 52. 40. (D.J.)


SLOOTEN(Géog. mod.) petite ville des Provinces-Unies, dans la Frise, capitale du Westergoo, sur le lac nommé Slooter-meer, à une lieue du Zuiderzée, & à trois de Sneek. Cette ville est marchande, bien peuplée ; elle a pour sa défense un fossé rempli d'eau, des remparts & cinq bastions. Son terroir est fertile en froment & en pâturages. Long. 23. 7. latit. 53. 3. (D.J.)


SLUCZK(Géog. mod.) ville de Pologne, dans le grand duché de Lithuanie, au palatinat de Novogrodeck, capitale du duché de même nom, sur la riviere de Sluczk. Elle est toute bâtie en bois, à l'exception de quelques édifices publics & du palais ducal. Long. 45. 58. latit. 57. 37. (D.J.)


SLYEou SLIE, ou SLEY, (Géog. mod.) riviere de Danemarck, dans le Jutland méridional. C'est proprement un golphe de la mer Baltique, qui entre dans les terres, & qui est beaucoup plus long que large. Il a cinq milles de longueur, depuis son embouchure jusqu'à Gottorp. On y pêche toute sorte de poissons ; mais l'embouchure est fermée par du sable, de la vase & des pierres, ensorte qu'il n'y a pas assez de fonds pour l'entrée des grands vaisseaux. (D.J.)


SMALAND(Géog. mod.) ou Gothie méridionale, province de Suede, dans la partie méridionale de la Gothie. Elle est bornée au nord par l'Ostrogothie, au midi par la Schone & par le Bleczing, au levant par la mer Baltique, & au couchant par la Westrogothie. On lui donne environ quarante lieues du levant au couchant, & vingt-cinq à trente du midi au nord, le long de la côte. Elle est partagée en plusieurs territoires, ou en continent & en îles. Calmar est sa capitale. (D.J.)


SMALKALDEN(Géog. mod.) les François écrivent Smalcalde, ville d'Allemagne, dans le cercle de la haute Saxe, au comté de Henneberg, & comprise dans le cercle de Franconie, à un mille de la Werra, à six au sud-ouest d'Erford. C'est la plus considérable de la principauté de Henneberg, & elle appartient aujourd'hui au prince de Hesse-Cassel. Cette ville est renommée dans l'histoire par les confédérations que les princes protestans y firent en 1530, 1537 & 1540, pour la défense de leur religion ; d'où la guerre qu'entreprirent contr'eux Charles-Quint & son frere Ferdinand, fut appellée la guerre smalcalique, dont l'on sait l'evénement. Long. 28. 47. latit. 51. 9.

Cellarius (Christophle), l'un des plus savans hommes de son pays, naquit à Smalkalden en 1638, & mourut à Hall en Saxe en 1707 à 68 ans. Il a donné un grand nombre d'ouvrages, & a procuré la réimpression de plusieurs auteurs anciens ; mais entre ses ouvrages, aucun ne lui a fait plus d'honneur que sa géographie ancienne & moderne, dont on a fait plusieurs éditions. On trouvera le catalogue de ses oeuvres, avec des remarques, dans le P. Nicéron, tom. V. p. 273. & suiv. (D.J.)


SMALTE(Chimie & Métall.) nom que l'on donne assez souvent au verre coloré en bleu par le cobalt. Voyez l'art. SAFFRE.


SMARAGDOSMARAGDO


SMARAGDUSMONS, (Géog. anc.) montagne d'Egypte, située, selon Ptolémée, l. IV. c. v. sur la côte du Golfe arabique ; c'est peut-être dans cette montagne qu'étoient les mines d'émeraudes dont Héliodore parle si souvent. (D.J.)


SMARTA(Hist. mod.) nom d'une secte de prêtres ou bramines de l'Indostan, qui prétendent que les dieux Vistnou & Issuren ou Ruddiren, ne sont qu'une même divinité, adorée sous des emblêmes & des figures différentes. Il y a peu de gens du peuple qui adoptent cette secte, vu que ses principes paroissent fort au-dessus de la capacité du vulgaire.


SMECTIS(Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à la lard ou steatite. Voyez LARD, pierre de.

Wallerius dans sa minéralogie, donne ce nom à une espece de marne, qu'il nomme marga fullonum saponacea lamellosa, ou terre à foulon savonneuse & feuilletée.


SMECTYMNUUSS. m. (Hist. d'Angl.) est un terme qui a été célebre du tems des guerres civiles & durant l'interregne. Il étoit formé des lettres initiales des noms de cinq célebres ministres presbytériens de ce tems - là, qui sont Etienne Marshal, Edmond Calamy, Thomas Yong, Matthieu Mewcomen, & Guillaume Spurstow, qui écrivirent ensemble un livre contre l'épiscopat, en l'année 1641, d'où leur est venu à eux & à leurs adhérens le nom de smectymnuens.


SMEGMAS. m. (Médec. anc.) ce mot se trouve si souvent dans les auteurs grecs, qu'il est bon de l'expliquer une fois. Il vient de , nettoyer en frottant. C'étoit une espece de composition d'usage en santé & en maladie. On s'en servoit particulierement pour frotter la peau, pour en ôter les démangeaisons, pour ouvrir les pores, pour soulager des douleurs de la goutte, ou pour les prévenir.

La base de cette composition étoit ou des choses adoucissantes, ou des poudres détersives, comme de la farine de fêves, des semences de melon, de la corne de cerf, de l'antimoine, des os de seche, des coquillages, du soufre, & des sels de différentes sortes. On prenoit aussi quelquefois de la staphisaigre, de l'ellébore, de la centaurée, du poivre, du nard, du cardamome ; on prenoit encore des gommes & des résines, comme du mastic, de l'encens, &c. On brûloit quelques-unes de ces matieres avant que de les pulvériser, & on en formoit, par le mélange de quelques sucs, des masses qu'on séchoit, & qu'on mettoit derechef en poudre, lorsqu'on vouloit en faire usage.

Ces poudres s'employent ou seules, ou incorporées avec du miel, du vin, de l'huile, de la crême d'orge, & l'on en faisoit une composition de la consistance d'un cataplasme, dont on s'oignoit le corps en tout ou en partie. L'on y ajoutoit quelquefois du savon, & l'on en formoit des especes de savonettes ; ainsi le smegma tiroit ses différentes vertus de la diversité des drogues qui le composoient. (D.J.)


SMEIOWITSCHS. m. (Hist. nat. Méd.) c'est le nom qu'on donne à une maladie qui se fait quelquefois sentir en Russie & en Sibérie. Ceux qui en sont attaqués sentent une douleur très-vive, accompagnée de chaleur à un doigt, & il s'y forme un abscès qui devient très-difficile à guérir. Voici le remede que les Tartares y appliquent. On prend une once de graisse de porc ; une livre de résine de sapin, de verd-de-gris & de vitriol de cuivre deux gros ; une demi once d'alun, & deux scrupules de mercure sublimé ; on met ce mélange sur le doigt, quand même l'abscès ne seroit point encore formé, vû que cela contribue à le mûrir. On prétend que ce remede guérit en peu de jours. Voyez Gmelin, voyage de Sibérie. Ce mal ressemble beaucoup à celui que nous connoissons sous le nom de mal d'avanture.


SMENUS(Géog. anc.) fleuve du Péloponnèse, dans la Laconie. Ce fleuve a son embouchure, dit Pausanias, l. III. c. xxiv. à la gauche d'un promontoire fort élevé, sur lequel il y a un temple de Diane, surnommé Dictynea, en l'honneur de laquelle il se célebre un jour de fête tous les ans. Je ne connois point de fleuve, poursuit Pausanias, dont les eaux soient plus douces, ni meilleures à boire. Il a sa source dans la montagne de Taïgete, & passe à cinq stades de la ville. C'est le fleuve Sménéos de Diodore de Sicile. (D.J.)


SMIHEL(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans le Budziac, ou la Bessérabie, sur la bouche la plus septentrionale du Danube, environ à quatre mille- au-dessus de Kilia-Nova, qui est vraisemblablement Tomes.


SMILAXS. m. (Botan.) entre les six especes de smilax établies par Tournefort, nous décrirons la premiere, qu'il appelle smilax aspera, fructu rubente, I. R. H. p. 654. on la nomme en françois liseron épineux. Elle pousse plusieurs tiges longues, dures, cannelées, sarmenteuses, rameuses, pliantes, garnies d'épines & de mains ou vrilles, par le moyen desquelles elles s'attachent & s'entortillent autour des arbrisseaux voisins. Ses feuilles naissent seules par intervalles, amples, semblables à celles du tamnus, mais plus épaisses, fermes, nerveuses, armées d'épines, tant sur les bords que sur le dos, marquetées assez souvent de taches blanches.

Ses fleurs naissent par grappes aux sommités des rameaux, petites, blanches, odorantes, composées chacune de six pétales, disposées en étoile, avec autant d'étamines à sommet oblong. Quand ces fleurs sont passées, il leur succede des fruits ronds comme des raisins, mollets & rouges dans leur maturité, qui contiennent deux ou trois semences rondes, lisses, douces au toucher, d'une couleur rouge brune en-dehors, blanches en-dedans, d'un goût fade & désagréable. Sa racine est serpentante, grosse comme le doigt, noueuse, fibreuse, blanchâtre & vivace.

Cette plante croît aux lieux incultes, le long des haies, au bord des chemins, & sur les montagnes, en Provence, en Languedoc, & autres pays chauds ; on la cultive aussi dans les jardins ; elle fleurit au printems, & son fruit mûrit en Juillet. Ses racines s'employent en médecine pour dessécher & exciter la sueur. (D.J.)


SMILLES. f. terme de Maçonnerie, c'est un marteau qui sert à piquer le moëllon ou le grais ; on appelle moëllon smillé ou esmillé, quand il est piqué avec la smille.


SMINTHE(Géog. anc.) Smintha, ville de l'Asie mineure, dans la Troade, selon Etienne le géographe, Eustathe, & Q. Calaber. Elle donnoit son nom à une montagne voisine, appellée Sminthium nemus. Cette ville, qui est nommée Sminthium par Strabon, l. X. p. 473. étoit voisine d'Hamaxitia, & se trouvoit déserte du tems de ce géographe, qui nous apprend qu'il y avoit divers lieux appellés Sminthe ; savoir, deux près d'Hamaxite, hors du temple d'Apollon sminthien, d'autres dans le territoire de Larisse, dans l'île de Rhodes, & en plusieurs autres endroits. Smintha fut une ville sur la côte de l'Hellespont. Elle devoit sa fondation à une colonie de Crétois, & elle avoit un temple où Apollon rendoit des oracles. Homere parle de Sminthe dans le premier livre de l'Iliade :

.... .

(D.J.)


SMINTHIEou SMINTHIé, adj. (Mythologie) est une épithete qu'on donne à Apollon, qui vient du grec , qui signifie un rat.

On donne deux origines à ce nom : on dit d'abord qu'il y avoit dans la ville de Chrise en Misie un prêtre d'Apollon, appellé Crisis, contre lequel ce dieu étant irrité par la négligence avec laquelle il remplissoit son ministere, envoya une grande quantité de rats pour ravager ses terres. Mais Crisis ayant appaisé ce dieu, Apollon vint lui-même à son secours, & détruisit tous les rats à coups de fleches : en mémoire de cet événement, Crisis bâtit un temple à son libérateur, sous le nom d'Apollon sminthien, & ce temple devint célébre par un oracle.

Clément Alexandrin raconte à ce sujet une autre histoire dans son exhortation aux Grecs. Les Crétois, dit-il, ayant dessein d'établir une colonie, consulterent l'oracle d'Apollon, pour savoir en quel lieu ils se fixeroient. La réponse fut, qu'ils devoient choisir l'endroit où les enfans de la terre s'opposeroient à leur passage. Quand ils furent arrivés dans l'Hellespont, les rats rongerent pendant la nuit toutes les cordes de leurs arcs ; ce qu'ils prirent pour un accomplissement de l'oracle ; & bâtirent dans ce lieu une ville qu'ils appellerent Smynthe, un temple à Apollon smintheus, & tinrent pour sacrés tous les rats des environs de ce temple.


SMOLENSKO(Géog. mod.) ville de l'empire russien, capitale du duché de même nom, sur la rive droite du Nieper, sur les confins de la Moscovie, à 78 lieues au sud-ouest de Moscou. Elle est grande & fortifiée d'un bon château, qu'on voit sur une montagne. Son évêché est suffragant de Gnesne. Cette ville a été souvent le théâtre de la guerre. Elle appartenoit d'abord aux grands ducs de Russie, fut ensuite conquise par le grand duc de Lithuanie, au commencement du xv. siecle, & reprise, cent ans après, par ses anciens maîtres. Sigismond III. roi de Pologne, s'en empara en 1611. Le czar Alexis, pere de Pierre le grand, la recouvra en 1654. Les Polonois lui céderent toutes leurs prétentions sur cette place, en 1687, & depuis lors, elle a toujours fait partie de l'empire de Russie. Long. 50. 38. latit. 54. 52. (D.J.)

SMOLENSKO, duché de, (Géog. mod.) duché de l'empire de Russie, borné au nord par la principauté de Biéla, au midi par une partie de la Séverie, au levant par le duché de Moscou, & au couchant par les palatinats de Mscislaw & de Witepsk. Le duché de Smolensko fait une partie de l'ancienne Sarmatie européane ; il composoit avec le duché de Moscovie la Russie blanche proprement dite. Sa capitale porte le même nom de Smolensko. (D.J.)


SMYRNE(Géog. anc. & Médailles) ville célebre de l'Ionie, à 150 stades au midi du fleuve Hermus, au fond d'un grand golfe, avec un port spacieux qui subsiste encore le même. Elle fut fondée 1114 ans avant J. C. 168 ans après la prise de Troie. Strabon l'a décrite avec soin, telle qu'elle étoit de son tems : voici comme il en parle.

Lorsque les Lydiens eurent détruit Smyrne, la campagne d'alentour n'étoit peuplée que de villages pendant quatre cent ans ou environ. Antigonus la rebâtit, & Lysimachus après lui ; c'est aujourd'hui une des plus belles villes d'Asie. Une partie est bâtie sur la montagne ; mais la plus grande partie est dans une plaine, sur le port, vis-à-vis du temple de la mere des dieux & du gymnase ou de l'école. Les rues sont les plus belles du monde, coupées en angles droits, & pavées de pierre. Il y a de grands portiques quarrés au plus haut & au plus bas de la ville, avec une bibliotheque & un homérion qui est un portique quarré avec un temple où est la statue d'Homere : car ceux de Smyrne sont fort jaloux de ce qu'Homere a pris naissance parmi eux, & ils ont un médaillon de cuivre qu'ils appellent homérion de son nom. La riviere de Melès coule le long des murailles. Entre les autres commodités de la ville, il y a un port qui se ferme quand on veut.

On voit par ce passage de Strabon, que les Lydiens avoient détruit une ville encore plus ancienne que celle qu'il décrit ; & c'est de celle dont parle Hérodote, lorsqu'il assure que Gigès roi de Lydie déclara la guerre aux Smyrnéens, & qu'Halyates son petit-fils s'en empara. Elle fut ensuite maltraitée par les Ioniens, surprise par ceux de Colophon, enfin rendue à ses propres citoyens, mais démembrée de l'Eolide sous l'empire des Romains.

La Smyrne de Strabon étoit vraisemblablement sur une montagne au sud de la nouvelle & au couchant de la haute forteresse ; car on y voit plusieurs monceaux de pierres, outre un grand bâtiment démoli. Ce bâtiment peut avoir été le temple de Cybele, la grand'mere des dieux. Pour ce qui est de l'homérion, on pourroit croire qu'on l'a appellé le temple de Janus, peut-être à cause de quelque ressemblance avec celui de Rome, car il n'est pas fort éloigné de la riviere que l'on suppose avoir été celle de Melès. C'est un petit portique ou bâtiment quarré de pierre, d'environ trois brasses de long & de large, avec deux portes opposées l'une à l'autre, l'une au nord & l'autre au sud, avec une grande niche en-dedans contre la muraille orientale, où pouvoit être l'effigie d'Homere, quoiqu'il y en ait qui assurent que c'étoit un temple de Janus.

On ne peut guere conjecturer où étoit le gymnasium, non-plus que les beaux portiques qui ornoient cette place. Le port qu'on ouvroit & que l'on fermoit quand on vouloit, pouvoit être cette petite place carrée sous la citadelle, qui sert à-présent de havre aux galeres & aux autres petits vaisseaux. Mais le théâtre & le cirque ne sont pas des moindres restes des antiquités de cette ville, quoique Strabon n'en parle point, apparemment parce qu'ils n'existoient pas encore de son tems.

Le théâtre étoit sur le penchant d'une montagne, au nord de la citadelle, & bâti de marbre blanc. On l'a détruit dans le siecle passé pour faire un kan nouveau, & un bazar qui est voûté de pierres de taille, & long de quatre cent pas. On a trouvé dans les fondemens un pot de médailles qui sont toutes de l'empereur Galien, de sa famille, & des tyrans qui régnoient en même tems que lui ; ce qui feroit conjecturer que cet empereur avoit fait bâtir ce superbe édifice, ou que du-moins il avoit été bâti de son tems. Il y en a pourtant qui assurent qu'il fut bâti du tems de l'empereur Claude. Ils se fondent sur ce qu'on a trouvé dans la scene de ce théâtre une base de statue qui n'avoit que le mot de Claudius. Ce n'est pas-là néanmoins une preuve suffisante, parce qu'il est assez ordinaire de trouver dans les fondemens des anciens bâtimens les médailles des fondateurs ou des empereurs contemporains.

Le cirque étoit creusé profondément dans la montagne qui est au couchant de la citadelle. Il est si bien détruit, qu'il n'en reste, pour ainsi dire, que le moule : on en a emporté tous les marbres, mais le creux a retenu son ancienne figure. C'est une espece de vallée de 465 piés de long, sur 120 de largeur, dont le haut est terminé en demi-cercle & le bas est ouvert en quarré. Cet endroit présentement est fort agréable par sa pelouse, car les eaux n'y croupissent point. Il ne faut pas juger de la véritable grandeur du cirque ou du stade, par les mesures que nous avons rapportées ; on sait que ces sortes de lieux n'avoient ordinairement que 125 pas de long, & qu'on les appelloit diaules, quand ils avoient le double d'étendue comme celui-ci. On découvre de cette colline toute la campagne de Smyrne qui est parfaitement belle, & dont les vins étoient estimés du tems de Strabon & d'Athénée.

On voit dans ce même endroit quantité d'anciens fondemens, mais on ne sait point ce que c'étoit. Les inscriptions qu'on y trouve, & qui concernent toutes la ville de Smyrne, sont en assez grand nombre ; quoique la plûpart ne soient que des fragmens où on lit le nom des empereurs Tibere, Claude & Neron. Strabon donne à plusieurs princes le titre de restaurateurs de Smyrne ; & le fragment d'une de ces inscriptions attribue la même gloire à l'empereur Adrien en ces termes : ; c'est - à - dire : " A l'empereur Adrien, olympien, sauveur, & fondateur. "

Spon a transcrit une grande inscription tirée du même lieu ; c'est une lettre des empereurs Severe, Antonin & Caracalla à ceux de Smyrne ; en voici la traduction : " Les très-divins empereurs Severe & Antonin, à ceux de Smyrne. Si Claudius Rufinus votre citoyen, lequel à cause de son application aux études & à l'art d'orateur, est dispensé des charges publiques selon les divines constitutions établies par nos ancêtres, est néanmoins obligé par une nécessité indispensable, & à votre réquisition, d'accepter l'emploi de gouverneur, faites ensorte qu'il ne soit pas troublé par d'autres occupations, comme il est juste ; car ce seroit une chose indigne de lui que l'affection qu'il vous porte, lui devînt onéreuse ; puisque c'est vous-mêmes qui avez demandé cette grace pour lui. Bien vous soit. Les députés ont été Aurélius, Antonius & Aelius Spératus. "

On a donné dans les mémoires de Littérature, tome IV. pag. 65. une inscription grecque envoyée de Smyrne, avec des remarques par M. Kuster. Cette inscription traduite en françois, porte :

Hermogène fils de Charimede, qui a écrit de la Médecine, est mort âgé de soixante & dix-sept ans, & ayant laissé autant de traités.

De Médecine, soixante-douze.

De livres historiques, savoir, de la ville de Smyrne, deux.

De la sagesse d'Homere un, de sa patrie un.

De l'origine des villes d'Asie deux, de ces villes de l'Europe quatre, de celles des îles un.

De la mesure de l'Asie par stades un, & de celles de l'Europe un.

Des stragèmes deux.

Un catalogue des Ioniens, & la succession des magistrats de Smyrne selon l'ordre des tems.

Si tous ces ouvrages ne s'étoient pas perdus, nous aurions plus de connoissance que nous n'avons de la ville de Smyrne, car cet Hermogène médecin en étoit sans-doute natif.

Nous observerons en passant, que cette inscription en son honneur écrit par un Z, & , au lieu de . Il ne faut pas s'imaginer que ce soit une faute du graveur ; au contraire le nom de Smyrne s'écrivoit anciennement aussi bien par un Z que par un , quoique plus souvent par un : Lucien nous apprend cela dans son traité qui a pour titre jugement des voyelles. Dans ce traité, la lettre par une prosopopée, dit que souffrant assez patiemment le tort que les autres lettres lui faisoient, elle ne s'étoit jamais plaint de la lettre Z qui lui avoit ôté les mots de Smaragde & de Smyrne. Outre cela, il y a des médailles anciennes où au lieu de , il se trouve par un Z ; M. de Boze en avoit deux dans son cabinet. On trouve Zmyrnaeorum au lieu de Smyrnaeorum, dans une ancienne inscription latine citée par Gruter.

Les marbres d'Oxford nous offrent aussi des inscriptions curieuses de Smyrne ; mais les médailles frappées dans cette ville, la font mieux connoître. Plusieurs de ces médailles nous apprennent qu'elle avoit un Prytanée, car elles font mention de ses Prytanes.

La place du château de Smyrne moderne étoit occupée dans le tems de la belle Grece par une citadelle sous la protection de Jupiter éthérée, ou qui présidoit aux lieux élevés. Pausanias assure que le sommet de la montagne de Smyrne appellé Coryphe, avoit donné le nom de coryphéen à Jupiter qui y avoit un temple. Il y a un beau médaillon où ce dieu éthérée est représenté assis, aussi-bien que sur une médaille de Vespasien, où le même dieu assis tient de la main droite une victoire, & une haste de la main gauche.

M. de Boze a publié dans les mémoires de Littérature tom. XVII. in -4°. des réflexions savantes sur une médaille antique frappée par les habitans de la ville de Smyrne en l'honneur de Sabinia Tranquillina, femme de Gordien Pie. On voit d'un côté sur cette médaille le buste d'une princesse, représentée sous la figure & avec les attributs de Cérès, tenant d'une main des épis, & de l'autre une corne d'abondance : on lit autour de ce portrait, .

Au revers est une femme debout, le pié droit appuyé contre une proue de vaisseau, la tête couronnée de tours, & les cheveux noués & soutenus par derriere avec une espece de ruban : son habillement relevé & plissé à la maniere de nos anciennes cottes d'armes, finit de même au-dessus du genou : elle tient de la main droite une patere, & de la gauche cette sorte de bouclier contourné, qui étoit particulier aux amazones & qu'on nommoit pelto. On remarque au-dessous un bout de draperie ou une espece de petite serviette, qui aidoit sans-doute à tenir le bouclier plus ferme, & qui pouvoit encore servir à d'autres usages.

A ces différens symboles, il est aisé de reconnoître l'amazone à qui les habitans de Smyrne rapportoient le nom, l'origine & la fondation de leur ville. La couronne de tours auroit peut-être suffi pour l'indiquer ; mais ils ont été bien aises d'exprimer encore par la patere que les cérémonies religieuses, les sacrifices sur-tout qu'on avoit coutume de faire en ces sortes d'occasions, n'avoient pas été oubliés ; & quant à la proue de vaisseau qui est l'attribut ordinaire des villes maritimes, on sait que Smyrne a toujours passé pour un des meilleurs ports de l'Archipel.

Autour de ce type ingénieux regne une inscription dont la plûpart des mots sont abrégés ; elle doit être lue ainsi, ; & les deux légendes réunies disent que la médaille ou monnoie dont il s'agit a été frappée par les Smyrnéens qui sont les premiers de l'Asie, sous la préture de Marcus Aurélius Tertius, Asiarque.

Quand les villes de la Grece & de l'Asie mineure passerent sous la domination des Romains, elles furent, ce semble, encore plus jalouses qu'auparavant des titres d'honneur dont elles jouissoient, & plus attentives à se maintenir dans les droits qu'elles croyoient avoir insensiblement acquis les unes sur les autres. Les historiens ont négligé ce détail, mais les monumens antiques nous en ont conservé des preuves sensibles : telle est entr'autres celle qui se tire du titre de premiere ville de l'Asie que Smyrne se donne sur la médaille dont on vient de parler : il y en a plusieurs autres qui la confirment. Les Smyrnéens, dit Tacite, se vantoient d'être les premiers de tous les peuples d'Asie, qui avoient dressé dans leur ville un temple à Rome dans le même tems qu'il y avoit de puissans rois en Asie, qui ne connoissoient pas encore la valeur des Romains.

Trois villes célebres, Pergame, Ephese & Smyrne, se disputerent vivement cette primatie de l'Asie sous l'empire des deux premiers Antonins. Jusque-là elles avoient vécu dans une parfaite intelligence : il y avoit même entr'elles une association particuliere, qui mettoit en commun pour les habitans de chacune le droit de bourgeoisie, l'usage des temples, le culte des divinités, les sacrifices, les fêtes & les jeux ; & cette association marquée sur la plûpart de leurs médailles y est exprimée en ces termes : . Une malheureuse idée de préséance les divisa bientôt. Pergame abandonna la premiere ses prétentions pour le bien de la paix, mais rien ne put détacher Smyrne du titre de premiere de l'Asie, car immédiatement après la mort de Marc-Aurele elle fit frapper, en l'honneur de Commode, une médaille où on lit, comme sur les précédentes : .

L'ambition ou la diligence des Smyrnéens ne porta pas grand préjudice aux habitans d'Ephese, qui, selon toutes les apparences favorisés par Septime Severe, frapperent deux médailles en son honneur, l'une avec la légende ordinaire, ; l'autre avec cette inscription détournée, , " le premier Jupiter des Ephésiens est le premier de l'Asie ".

Smyrne voulant enrichir sur les expressions d'Ephese, fit frapper en l'honneur de Caracalla un médaillon, où elle ajouta au mot ceux de , pour marquer qu'elle étoit la premiere & la plus considérable ville de l'Asie par sa grandeur & par sa beauté : cependant ces termes affectés, loin de lui donner un nouvel avantage, furent regardés comme une restriction favorable aux Ephésiens, qui ne trouverent rien de plus précis pour assûrer leur victoire que l'inscription qu'ils mirent au revers d'une médaille de Macrin, , " des Ephésiens qui sont les seuls premiers de l'Asie ".

En même tems que Smyrne disputoit de rang avec Ephese, ses médailles nous apprennent qu'elle étoit liée de confédération avec plusieurs autres villes, comme avec Thyatire, Apollinaris & Hiérapolis. L'association avec cette derniere ville semble même avoir été solemnisée par quelques jeux, car on a des médailles où cette confédération, , est représentée par deux urnes remplies de branches de palmier.

Il y a des médailles de Smyrne qui nous apprennent d'autres particularités. Telles sont les médailles qu'elle a frappées des empereurs Tite & Domitien, avec une figure chargée sur le revers qui porte un rameau dans sa main droite, une corne d'abondance dans la gauche ; l'eau qui en tombe représente la riviere d'Hermus. On y lit les mots suivans : , c'est-à-dire " Hermus des habitans de Smyrne dans l'Ionie " : on en peut recueillir que ceux de Smyrne tiroient tribut de la riviere d'Hermus, & qu'elle étoit annexée à l'Ionie.

Mais pour dire quelque chose de plus à la gloire de Smyrne, elle fut faite néocore sous Tibere avec beaucoup de distinction ; & les plus fameuses villes d'Asie ayant demandé la permission à cet empereur de lui dédier un temple, Smyrne fut préférée. Elle devint néocore des Césars, au lieu qu'Ephese ne l'étoit encore que de Diane ; & dans ce tems-là les empereurs étoient bien plus craints ; & par conséquent plus honorés que les déesses. Smyrne fut déclarée néocore pour la seconde fois sous Adrien, comme le marquent les marbres d'Oxford ; enfin elle eut encore le même honneur lorsqu'elle prit le titre de premiere ville d'Asie sous Caracalla, titre qu'elle conserva sous Julia Moesa, sous Alexandre Sévere, sous Julia Memmoea, sous Gordien Pie, sous Otacilla, sous Galien & sous Salonine.

Spon cite une médaille de cette ville qui présente le frontispice d'un temple, une divinité debout entre des colonnes, & cette légende autour, . c'est-à-dire, le sénat de Smyrne trois fois néocore. Il semble que cette médaille suppose une divinité protectrice du sénat, lequel ils appelloient saint, comme il paroît par le titre d'une inscription de cette ville qui dit : " A la bonne fortune, à l'illustre métropolitaine néocore pour la troisieme fois de l'empereur, conformément au jugement du saint sénat de Smyrne ".

Au défaut des médailles, l'histoire nous instruit des diverses révolutions de cette ville. Dès que les Romains en furent les maîtres, ils la regarderent comme étant la plus belle porte d'Asie, & en traiterent toujours les citoyens fort humainement ; ceux-ci, pour n'être pas exposés aux armes des Romains, les ont beaucoup ménagés & leur ont été fideles. Ils se mirent sous leur protection pendant la guerre d'Antiochus ; il n'y a que Crassus proconsul romain qui fut malheureux auprès de cette ville. Non-seulement il fut battu par Aristonicus, mais pris & mis à mort : sa tête fut présentée à son ennemi, & son corps enséveli à Smyrne. Porpenna vengea bientôt les Romains, & fit captif Aristonicus. Dans les guerres de César & de Pompée, Smyrne se déclara pour ce dernier, & lui fournit des vaisseaux. Après la mort de César, Smyrne, qui panchoit du côté des conjurés, refusa l'entrée à Dolabella, & reçut le consul Trebonius l'un des principaux auteurs de la mort du dictateur : mais Dolabella l'amusa si à-propos, qu'étant entré la nuit dans la ville, il s'en saisit, & le fit martyriser pendant deux jours. Dolabella cependant ne put pas conserver la place, Cassius & Brutus s'y assemblerent pour y prendre leurs mesures.

On oublia tout le passé quand Auguste fut paisible possesseur de l'empire. Tibere honora Smyrne de sa bienveillance, & régla les droits d'asyle de la ville. M. Aurele la fit rebâtir après un grand tremblement de terre les empereurs grecs qui l'ont possédée après les Romains la perdirent sous Alexis Comnène ; les Musulmans en chasserent les Latins & les chevaliers de Rhodes à diverses reprises. Enfin Mahomet I. en fit démolir les murailles. Depuis ce tems-là, les Turcs sont restés paisibles possesseurs de Smyrne, où ils ont bâti pour sa défense une espece de château à gauche, en entrant dans le port des galeres, qui est l'ancien port de la ville. Des sept églises de l'apocalypse, c'est la seule qui subsiste avec honneur ; Sardes si renommée par les guerres des Perses & des Grecs ; Pergame, capitale d'un beau royaume ; Ephese qui se glorifioit avec raison d'être la métropole de l'Asie mineure ; ces trois célebres villes ne sont plus, ou sont de petites bourgades bâties de boue & de vieux marbre ; Thyatire, Philadelphe, Laodicée ne sont connues que par quelques restes d'inscriptions où leur nom se trouve ; mais la bonté du port de Smyrne, si nécessaire pour le commerce, l'a conservée riche & brillante, & l'a fait rebâtir plusieurs fois après avoir été renversée par des tremblemens de terre. Voyez donc SMYRNE, (Géog. mod.)

C'est à cette ville que fut injustement exilé & que mourut Publius Rutilius Rufus, après avoir été consul l'an 648. Cicéron, Tite-Live, Velleïus Paterculus, Salluste, Tacite & Séneque ont fait l'éloge de son courage & de son intégrité. On rapporte qu'un de ses amis voyant qu'il s'opposoit à une chose injuste qu'il venoit de proposer dans le sénat, lui dit : " Qu'ai-je affaire de votre amitié, si vous contrecarrez mes projets ? Et moi, lui répondit Rutilius, qu'ai-je affaire de la vôtre, si elle a pour but de me soustraire à l'équité " ?

Bion, charmant poëte bucolique, surnommé le smyrnéen, , du lieu de sa naissance, a vécu en même tems que Ptolémée Philadelphe, dont le regne s'est étendu depuis la quatrieme année de la cxxiij. olympiade jusqu'à la seconde année de la cxxxiij. Il passa une partie de sa vie en Sicile, & mourut empoisonné, au rapport de Moschus son disciple & son admirateur. Leurs ouvrages ont été imprimés ensemble plusieurs fois, & entr'autres à Cambridge en 1652 & 1661, in -8°. mais la plus agréable édition est celle de Paris en 1686, accompagnée de la vie de Bion, d'une traduction en vers françois, & d'excellentes remarques par M. de Longepierre ; cette édition est devenue rare, & mériteroit fort d'être réimprimée.

Les auteurs qui donnent Smyrne pour la patrie de Mimnerme, autre aimable poëte-musicien, ont assûrément bien raison. Mimnerme chante le combat des Smyrnéens contre Gigès roi de Lydie, ce sont les hauts faits de ses compatriotes qu'il célebre avec affection. Il étoit antérieur à Hipponax, & vivoit du tems de Solon. Il fut l'inventeur du vers pentametre, s'il en faut croire le poëte Hermésianax, cité par Athénée. Il se distingua sur-tout par la beauté de ses élégies, dont il ne nous reste que quelques fragmens. Il pensoit & écrivoit avec beaucoup de naturel, d'amenité & de tendresse. Son style étoit abondant, aisé & fleuri. J'ai remarqué à sa gloire en parlant de l'élégie, qu'Horace le met au-dessus de Callimaque ; il avoit plus de grace, plus d'abondance & plus de poésie.

Il fit un poëme en vers élégiaques, cité par Strabon, sous le titre de Nanno sa maîtresse ; & ce poëme devoit être un des plus agréables de l'antiquité, s'il est vrai qu'en matiere d'amour ses vers surpassoient la poësie d'Homere ; c'est du-moins le jugement qu'en portoit Properce, car il dit, l. I. eleg. ix. Plus in amore valet Mimnermi versus Homero. Horace n'en parle pas autrement ; il cite Mimnerme, & non pas Homere, pour l'art de peindre la séduisante passion de l'amour : si, comme Mimnerme l'a chanté, dit-il, l'amour & les jeux font tout l'agrément de la vie, passons nos jours dans l'amour & dans les jeux.

Si, Mimnermus uti censet, sine amore jocisque

Nil est jucundum, vivas in amore jocisque.

Epist. VI. l. I. vers. 65.

Nous connoissons les vers de Mimnerme qu'Horace avoit en vûe ; Stobée, tit. 63. p. 243. nous les a conservés dans ses extraits. Il faut en donner ici la belle version latine de Grotius, & la traduction libre de cette jolie piece en vers françois par un de nos poëtes.

Vita quid est, quid dulce, nisi juvet aurea Cypris ?

Tunc peream, Veneris cum mihi cura perit.

Flos celer aetatis sexu donatus utrique,

Lectus, amatorum munera, tectus amor.

Omnia diffugiunt mox cum venit atra senectus,

Quae facit & pulchros turpibus esse pares.

Torpida sollicitae lacerant praecordia curae :

Lumina nec solis, nec juvat alma dies,

Invisum pueris, inhonoratumque puellis.

Tam dedit, heu, senio tristia fata Deus.

Que seroit sans l'amour le plaisir & la vie ?

Puisse-t-elle m'être ravie,

Quand je perdrai le goût du mystere amoureux,

Des faveurs, des lieux faits pour les amans heureux.

Cueillons la fleur de l'âge, elle est bientôt passée :

Le sexe n'y fait rien ; la vieillesse glacée

Vient avec la laideur confondre la beauté.

L'homme alors est en proie aux soins, à la tristesse ;

Haï des jeunes gens, des belles maltraité,

Du soleil à regret il souffre la clarté,

Voilà le sort de la vieillesse.

Le plus grand de tous les poëtes du monde est né, du-moins à ce que je crois, sur les bords du Mélès, qui baignoit les murs de Smyrne ; & comme on ne connoissoit pas son pere, il porta le nom de ce ruisseau, & fut appellé Mélésigene. Une belle avanturiere, nommée Crithéide, chassée de la ville de Cumes, par la honte de se voir enceinte, se trouvant sans logement, y vint faire ses couches. Son enfant perdit la vue dans la suite, & fut nommé Homere, c'est-à-dire l'aveugle.

Jamais fille d'esprit, & sur-tout fille d'esprit qui devient sage, après avoir eu des foiblesses, n'a manqué de mari : Crithéide l'éprouva ; car, selon l'auteur de la vie d'Homere, attribuée à Hérodote, Phémius, qui enseigna la grammaire & la musique à Smyrne, n'épousa Chrithéide qu'après le malheur de cette fille, & la naissance d'Homere. Il conçut d'elle si bonne opinion, la voyant dans son voisinage uniquement occupée du soin de gagner sa vie à filer des laines, qu'il la prit chez lui, pour l'employer à filer celles dont ses écoliers avoient coutume de payer ses leçons. Charmé des bonnes moeurs, de l'intelligence, & peut-être de la figure de cette fille, il en fit sa femme, adopta son enfant, & donna tous ses soins à son éducation. Aussi Phémius est fort célebre dans l'Odyssée ; il y est parlé de lui en trois endroits, l. I. v. 154. l. XVII. v. 263. l. XXII. v. 331. & il y passe pour un chantre inspiré des dieux. C'est lui qui par le chant de ses poésies mises en musique, & accompagnées des sons de sa lyre, égaye ces festins, où les poursuivans de Pénélope employent les journées entieres.

Non-seulement les Smyrnéens, glorieux de la naissance d'Homere, montroient à tout le monde la grotte où leur compatriote composoit ses poëmes ; mais après sa mort ils lui firent dresser une statue & un temple ; & pour comble d'honneur, ils frapperent des médailles en son nom. Amastris & Nicée, alliés de Smyrne, en firent de même, l'une à la tête de Marc-Aurele, & l'autre à celle de Commode.

Pausanias appelle le Mélès un beau fleuve ; il est devenu bien chétif depuis le temps de cet illustre écrivain ; c'est aujourd'hui un petit ruisseau, qui peut à peine faire moudre deux moulins ; mais il n'en est pas moins le plus noble ruisseau du monde dans la république des lettres. Aussi n'a-t-il pas été oublié sur les médailles, d'autant mieux que c'étoit à sa source qu'Homere ébauchoit dans une caverne les poésies qui devoient un jour l'immortaliser. Le Mélès est représenté sur une médaille de Sabine, sous la figure d'un vieillard appuyé de la main gauche sur une urne, tenant de la droite une corne d'abondance. Il est aussi représenté sur une médaille de Néron, avec la simple légende de la ville, de même que sur celles de Titus & de Domitien.

A un mille ou environ, au-delà du Mélès, sur le chemin de Magnésie à gauche, au milieu d'un champ, on montre encore les ruines d'un bâtiment que l'on appelle le temple de Janus, & que M. Spon soupçonnoit être celui d'Homere ; mais depuis le départ de ce voyageur, on l'a détruit, & tout ce quartier est rempli de beaux marbres antiques. A quelques pas de là, coule une source admirable, qui fait moudre continuellement sept meules dans le même moulin. Quel dommage, dit Tournefort, que la mere d'Homere ne vînt pas accoucher auprès d'une si belle fontaine ? On y voit les débris d'un grand édifice de marbre, nommé les bains de Diane : ces débris sont encore magnifiques, mais il n'y a point d'inscription.

Autrefois les poëtes de la Grece avoient l'honneur de vivre familierement avec les rois. Euripide fut recherché par Archélaüs ; & même avant Euripide, Anacréon avoit vécu avec Polycrate, tyran de Samos ; Eschyle & Simonide avoient été bien reçus de Hiéron, tyran de Syracuse. Philoxene eut en son tems l'accueil du jeune Denys ; & Antagoras de Rhodes, aussi-bien qu'Aratus de Soli, se sont vus honorés de la familiarité d'Antigonus roi de Macédoine ; mais avant eux, Homere ne rechercha les bonnes graces d'aucun prince ; il soutint sa pauvreté avec courage, voyagea beaucoup pour s'instruire, préférant une grande réputation & une gloire solide, qui s'est accrue de siecle en siecle, à tous les frivoles avantages que l'on peut tirer de l'amitié des grands.

Jamais poésies n'ont passé par tant de mains que celles d'Homere. Josephe, l. I. (contre Appian), assure que la tradition les a conservées dès les premiers tems qu'elles parurent, & qu'on les apprenoit par coeur sans les écrire. Lycurgue les ayant trouvées en Ionie, chez les descendans de Cléophyle, les apporta dans le Péloponnèse. On en récitoit dans toute la Grece des morceaux, comme l'on chante aujourd'hui des hymnes, ou des pieces détachées des plus beaux opéra. Platon, Pausanias, Plutarque, Diogene Laërce, Cicéron & Strabon, nous apprennent que Solon, Pisistrate, & Hipparque son fils, formerent les premiers l'arrangement de toutes ces pieces, & en firent deux corps bien suivis, l'un sous le nom de l'Iliade, & l'autre sous celui de l'Odyssée ; cependant la multiplicité des copies corrompit avec le tems la beauté de ces deux poëmes ; soit par des leçons vicieuses, soit par un grand nombre de vers, les uns obmis, les autres ajoutés.

Alexandre, admirateur des poëmes d'Homere, chargea Aristote, Anaxarque, & Callisthene, du soin de les examiner, & selon Strabon, ce conquérant même se fit un plaisir d'y travailler avec eux. Cette édition si fameuse des ouvrages d'Homere, s'appella l'édition de la Cassette, , parce qu'Alexandre, dit Pline, l. VII. c. ix. la serroit dans une cassette qu'il tenoit sous son oreiller avec son poignard. Il fit mettre ensuite ces deux ouvrages dans un petit coffre à parfums, garni d'or, de perles & de pierreries, qui se trouva parmi les bijoux de Darius. Malgré la réputation de cette belle édition, il paroît qu'elle a péri comme plusieurs autres. Strabon & Eustache sont mes garants ; ils assurent que dans l'édition dont il s'agit, on avoit placé deux vers entre le 855 & le 856 du II. liv. de l'Iliade : or ces deux vers ne se lisent aujourd'hui dans aucun de nos imprimés.

Enfin, les fautes se multiplierent naturellement dans le grand nombre des autres copies de ces deux poëmes, ensorte que Zénodote d'Ephese, précepteur de Ptolémée, Aratus, Aristophane de Bysance, Aristarque de Samothrace, & plusieurs autres beaux esprits, travaillerent à les corriger, & à rendre à Homere ses premieres beautés.

Il ne faut pas nous étonner des soins que prirent tant de beaux génies pour la gloire d'Homere. On n'a rien vu chez les Grecs de si accompli que ses ouvrages. C'est le seul poëte, dit Paterculus, qui mérite ce nom ; & ce qu'il y a d'admirable en cet homme divin, c'est qu'il ne s'est trouvé personne avant lui qu'il ait pu imiter, & qu'après sa mort, il n'a pu trouver d'imitateurs. Les savans conviennent encore aujourd'hui qu'il est supérieur à tout ce qu'il y a de poëtes, en ce qui regarde la richesse des inventions, le choix des pensées, & le sublime des images. Aucun poëte n'a jamais été plus souvent ni plus universellement parodié que lui.

C'est par cette raison que sept villes de la Grece se sont disputé l'avantage d'avoir donné la naissance à ce génie du premier ordre, qui a jugé à-propos de ne laisser dans ses écrits aucune trace de son origine, & de cacher soigneusement le nom de sa patrie.

Les habitans de Chio prétendent encore montrer la maison où il est né, & où il a fait la plûpart de ses ouvrages. Il est représenté sur une des médailles de cette île assis sur une chaise, tenant un rouleau, où il y a quelques lignes d'écriture. Le revers représente le sphynx, qui est le symbole de Chio. Les Smyrnéens ont en leur faveur des médailles du même type, & dont la seule légende est différente.

Les habitans d'Ios montroient, du tems de Pausanias, la sépulture d'Homere dans leur île. Ceux de Cypre le réclamoient, en conséquence d'un oracle de l'ancien poëte Euclus, qui étoit conçu en ces termes : " Alors dans Cypre, dans l'île fortunée de Salamine, on verra naître le plus grand des poëtes ; la divine Thémisto sera celle qui lui donnera le jour. Favori des muses, & cherchant à s'instruire, il quittera son pays natal, & s'exposera aux dangers de la mer, pour aller visiter la Grece. Ensuite il aura l'honneur de chanter le premier les combats & les diverses avantures des plus fameux héros. Son nom sera immortel, & jamais le tems n'effacera sa gloire ". C'est continue Pausanias, tout ce que je peux dire d'Homere, sans oser prendre aucun parti, ni sur le tems où il a vécu, ni sur sa patrie.

Cependant l'époque de sa naissance nous est connue ; elle est fixée par les marbres d'Arondel à l'an 676 de l'ere attique, sous Diognete, roi d'Athènes, 961 ans avant J. C. Quant à sa patrie, Smyrne & Chio sont les deux lieux qui ont prétendu à cet honneur avec plus de raison que tous les autres, & puisqu'il se faut décider par les seules conjectures, j'embrasse constamment celle qui donne la préférence à Smyrne. J'ai pour moi l'ancienne vie d'Homere par le prétendu Hérodote, le plus grand nombre de médailles, Moschus, Strabon & autres anciens.

Mais comme je suis de bonne foi, le lecteur pourra se décider en consultant Vossius, Kuster, Tannegui le Fevre, madame Dacier, Cuper, Schot, Fabricius, & même Léon Allazzi, quoiqu'il ait décidé cette grande question en faveur de Chio sa patrie.

Je félicite les curieux qui possedent la premiere édition d'Homere, faite à Florence, en 1478 ; mais les éditions d'Angleterre sont si belles, qu'elles peuvent tenir lieu de l'original. (D.J.)

SMYRNE, (Géog. mod.) Smyrne moderne est une ville de la Turquie asiatique, dans l'Anatolie, sur l'Archipel, au fond d'un grand golfe, avec un port spacieux & de bon mouillage, à environ 75 lieues de Constantinople. Cette ville est la plus belle porte de l'Asie, & l'une des plus grandes & des plus riches du Levant, parce que la bonté de son port la rend précieuse pour le commerce. Son négoce consiste en soie, toile de coton, camelots de poil de chevre, maroquins, & tapis. Elle est habitée par des grecs, des turcs, des juifs, des anglois, des françois, des hollandois, qui y ont des comptoirs & des églises. Les turcs y tiennent un cadi pour y administrer la justice. Son séjour y a le désagrément de la peste, qui y regne fréquemment, & des tremblemens de terre auxquels elle est exposée. Long. selon Cassini, 44d. 51'. 15''. lat. 38d. 28'. 7''.

C'est la patrie de Calaber (Quintus), nom donné à un poëte anonyme, dont le poëme grec intitulé les paralipomenes d'Homere, fut trouvé en Calabre par le cardinal Bessarion. C'est ce qui lui fit donner le nom de Calaber. Vossius conjecture que ce poëte vivoit sous l'empereur Anastase, vers 491. La meilleure édition de Quintus Calaber est celle de Rhodomanus. (D.J.)

SMYRNE, terre de (Hist. nat.) c'est une terre fort chargée de sel alkali ou de natron, qui se trouve dans le voisinage de la ville de Smyrne ; les habitans du pays s'en servent pour faire du savon. On rencontre cette terre ou plutôt ce sel dans deux endroits, près d'un village appellé Duracléa ; il est répandu à la surface de la terre, dans une plaine unie. Ce sel quand on le ramasse est fort blanc. On en fait ordinairement sa provision pendant l'été, avant le lever du soleil, & dans la saison où il ne tombe point de rosée. Ce sel sort de terre en certains endroits, de l'épaisseur d'environ deux pouces ; mais on dit que la chaleur du soleil, lorsqu'il est levé, le fait ensuite diminuer & rentrer, pour ainsi dire, en terre. Le terrein où ce sel se trouve est bas, humide en hiver & il n'y croît que fort peu d'herbe. Quand on a enlevé ce sel dans un endroit, il semble qu'il s'y reproduise de nouveau.

M. Smyth, anglois, a fait des expériences sur ce sel, par lesquelles il a trouvé qu'il ne différoit en rien du sel de soude, ou des alkalis fixes ordinaires ; il n'a point trouvé que cette terre contînt de l'alkali volatil.

Voici la maniere dont on prépare du savon avec cette terre ; on en mêle trois parties avec une partie de chaux vive, & l'on verse de l'eau bouillante sur le mélange ; on le remue avec un bâton, il s'éleve à la surface une matiere brune, épaisse, que l'on met à part ; on s'en sert, aussi-bien que de la dissolution claire, pour faire du savon ; mais cette matiere est beaucoup plus caustique que la liqueur claire. Ensuite on a de grandes chaudieres de cuivre dans lesquelles on met de l'huile ; on allume dessous un grand feu ; on fait un peu bouillir l'huile, & l'on y met peu-à-peu la matiere épaisse qui surnageoit à la dissolution ; après quoi on y met la liqueur même, ou la dissolution ; quelquefois on n'y met qu'une de ces substances. On continue à y en mettre jusqu'à ce que l'huile ait acquis la consistance de savon, ce qui n'arrive quelquefois qu'au bout de plusieurs jours ; on entretient pendant tout ce tems un feu très-violent. La partie la plus chargée de sel de la liqueur se combine avec l'huile, & la partie la plus foible tombe au fond de la chaudiere, & sort par un robinet destiné à cet usage. On la garde pour la verser sur un nouveau mélange de chaux & de terre. Lorsque le savon est bien formé, on le puise avec des cuilleres, & on le fait sécher sur une aire pavée de briques, ou enduite de glaise. Voyez les Transactions philosophiques, n °. 220.


SMYRNIUMS. m. (Botan.) genre de plante ainsi nommée par les Bauhins, Ray, Tournefort, Boerhaave, & autres botanistes ; nous la connoissons en françois sous le nom de maceron. Voyez MACERON.

Les anciens Grecs ont décrit clairement deux différentes plantes sous le nom de smyrnium ; savoir le maceron ordinaire, & le persil de Cilicie. La premiere de ces plantes aime les terres riches & humides, & la seconde ne se plait que sur les montagnes pierreuses, & dans les lieux les plus stériles & les plus secs. (D.J.)


SNEECKSNEK, ou SNITZ, (Géogr. mod.) ancienne ville des Pays-Bas, dans la Frise, au Westorgoo, à trois lieues de Zuyderzée, de Leuwarde & de Franeker, dans un terrein marécageux. Elle est bien bâtie, défendue par de bons remparts, peuplée & marchande. Il y a des écoles latines pour l'instruction de la jeunesse. Long. 23. 10. latit. 53. 9.

Hopper (Joachim), savant jurisconsulte, connu par plusieurs ouvrages de droit, écrits en latins, naquit à Sneeck en 1523, & mourut à Madrid en 1573, auprès de Philippe II. roi d'Espagne, qui l'avoit nommé son conseiller d'état au conseil de Malines.

Baart (Pierre), illustre poëte flamand, & compatriote de Hopper, s'est extrêmement distingué par ses ouvrages en vers. On fait cas de son poëme héroïque, intitulé le Triton de Frise, dans lequel il décrit la prise d'Olinde, ville du Brésil, dans la capitainerie de Fernambouc ; mais les gens de goût estiment encore plus le poëme de cet auteur, intitulé les Géorgiques de Frise. On vante la douceur & l'harmonie des vers, la beauté & la variété des images. (D.J.)


SNEIRNE(Géog. mod.) ville de Perse, entre Ninive & Hispahan, & à trois journées d'Amadam, avec un gouverneur qui y réside. (D.J.)


SNORING(Géog. mod.) bourg du comté de Norfolck ; mais bourg illustre par la naissance de Pearson (Jean), un des plus savans prélats d'Angleterre dans le xvij. siecle. Il s'avança de grade en grade par son mérite, & devint enfin successivement, de simple chapelain, évêque de Bangor, de Chester & de Londres. Il mourut en 1686, âgé de 74 ans.

C'étoit, dit M. Burnet, le plus grand théologien de son siecle à tout égard, homme d'un savoir éminent, d'un raisonnement profond, d'un esprit droit. A l'étude de l'histoire ecclésiastique, qu'il possédoit parfaitement, il joignit une grande connoissance des langues & des antiquités payennes. Judicieux & grave prédicateur, il se proposa plus d'instruire que de toucher. Sa vie fut exemplaire, & sa douceur étoit charmante. Avec tant de mérite & de si belles qualités, il nous a laissé un exemple de la foiblesse de l'esprit humain ; car plusieurs années avant sa mort, il perdit tellement la mémoire, qu'il étoit véritablement en enfance.

Son explication du symbole des apôtres, est un des meilleurs ouvrages que l'église anglicane ait produit ; il le publia à Londres en 1659. Il fut traduit en latin sur la cinquieme édition, & imprimé à Francfort en 1691 in -4°. Ce même ouvrage a été traduit en flamand, & ne l'a point été en françois.

Dans l'explication du premier article du symbole, le savant évêque se déclare contre l'idée innée de Dieu. " Quoiqu'il y ait eu des personnes, dit-il, qui se sont imaginé que l'idée de Dieu étoit innée & naturelle à l'ame humaine, ensorte qu'elle naît avec l'homme, je suis persuadé néanmoins qu'il n'y a point de connoissance innée de quelque chose que ce soit ; mais je crois que l'ame reçoit les premieres idées des conséquences raisonnées. Si donc, dans son origine, l'ame est comme une table rase, sur laquelle il n'y a aucun caractere gravé, & si toutes nos connoissances viennent par la voie des sens, par l'instruction & par le raisonnement, nous ne devons pas attribuer l'idée de Dieu à aucun principe né avec nous "

Les oeuvres posthumes de l'évêque de Chester sont écrites en latin, & ont paru à Londres en 1688, in -4°. par les soins de Dodwel. Ces oeuvres posthumes sont très-curieuses ; elles renferment une dissertation sur la vie de S. Paul, cinq leçons sur les actes des apôtres, & deux dissertations sur la succession des évêques de Rome.

Dans les leçons sur les actes des apôtres, le docteur Péarson remarque qu'il est fort difficile de fixer le tems précis de la naissance, de la mort & de l'ascension du Sauveur. Nous savons en général qu'il naquit sous le regne d'Hérode ; mais il n'y a aucune circonstance qui nous marque au juste en quelle année. Les Juifs ont par malice confondu l'ordre des tems, & les peres ne se sont pas donné beaucoup de peine pour l'éclaircir. Ils étoient seulement prévenus de la fausse opinion, que Jesus-Christ n'avoit prêché qu'une année. L'auteur reconnoît néanmoins, que c'est-là un point de pure curiosité, qui ne donne pas la moindre atteinte à la vérité de l'Histoire ecclésiastique ; & il pose pour fondement de sa chronologie, que Jesus-Christ fut crucifié la dix-neuvieme année de l'empire de Tibere.

Dans la premiere dissertation sur la suite des évêques de Rome, le savant Péarson observe que nous n'avons que deux catalogues des pontifes romains ; l'un nous est venu des Grecs, & l'autre des Latins. Les savans les suivoient indifféremment ; mais l'auteur prétend qu'ils se sont égarés, & que ces catalogues sont des guides trompeurs, qui conduisent à l'erreur. Pour commencer par celui d'Eusebe, qui est le plus ancien, il soutient qu'il ne peut pas être fort exact, par cette raison, que dans les dyptiques dont il l'a tiré, le tems de la mort des évêques n'est point désigné. Les évêques de Rome, sur-tout dans le premier siecle, ne faisoient pas une assez grande figure pour attirer les regards. Ainsi l'on ne trouve rien de sûr que depuis le pape Fabien, qui, dans le milieu du troisieme siecle, commit sept notaires pour recueillir fidélement les noms des martyrs & les circonstances de leur martyre.

M. Péarson remarque aussi plusieurs fautes qui ont échappé à Eusebe dans le catalogue qu'il nous a laissé des évêques de Rome. Il réprend, entr'autres, une faute qui regarde le pontificat de Xiste, qu'Eusebe fait durer huit ans dans sa chronique, & onze ans dans son histoire. Mais outre la contradiction, ni l'un ni l'autre ne sont véritables ; car il a dû laisser une place au pape Etienne, dont le pontificat seroit englouti par le trop long regne de Xiste. Le catalogue latin n'a pas plus de certitude. Quoiqu'on l'ait fait passer sous le nom du pape Damase, qui vivoit dans le quatrieme siecle, l'auteur en est inconnu, & il portoit autrefois le titre de gesta pontificalia. Isidore Mercator l'a suivi pour forger ses decrétales, qu'il a voulu aussi attribuer au pape Damase, afin de leur donner plus de poids. Cependant le style en est trop barbare, & l'ignorance des cérémonies de l'église paroît trop grossierement pour être du pape Damase. En un mot, malgré l'air d'antiquité que l'auteur s'est efforcé d'y donner, c'est un ouvrage forgé dans le sixieme siecle, qui a été continué par Anastase le bibliothécaire.

L'évêque de Chester a aussi donné les ouvrages de Saint Cyprien, avec les annales Cyprianici, Oxoniae 1682, in-fol. Il a eu grande part, avec son frere Richard, professeur en droit au college de Gresham, aux critici sacri, imprimés à Londres en 1660 & 1661, en 9 volumes in-fol. Enfin on lui attribue une belle édition grecque du vieux & du nouveau Testament : vetus Testamentum graecum, cum praefatione (Johannis Péarson) accedit novum Testamentum graecum, Cantabrigiae 1665, in -12. 3 vol. (D.J.)


SNOWDON-HILLS(Géog. mod.) montagnes d'Angleterre, au pays de Galles, dans le comté de Caernarvon. C'est une chaîne de montagnes, qui sont les plus élevées du comté de Galles, & d'ailleurs tellement entrecoupées de lacs & de marais, que les chemins en deviennent fort rudes & fort difficiles à tracer. La neige couvre leur sommet toute l'année, & c'est de là qu'elles ont tiré leur nom ; cependant cela n'empêche point qu'on n'y trouve dans le bas d'excellens pâturages. Du milieu de ces montagnes, on en voit une s'élever si prodigieusement, qu'elle surpasse de beaucoup toutes les autres, & cache son front dans les nues. Elle est située presque au coeur de la province, & on lui donne par excellence le nom de Snowdon. M. Caswel d'Oxford, qui l'a mesurée par la Trigonométrie, la juge haute de 3488 piés de Paris ; mais cette mesure peut n'être pas exacte, à cause des réfractions de l'air, qu'il est impossible d'exprimer avec précision. Voyez ce que nous en avons dit au mot MONTAGNE. (D.J.)


SNYATIN(Géog. mod.) ville de la petite Pologne, capitale de la Pokucie, sur la gauche du Pruth, à quatre lieues au levant de Colomey. Elle est assez marchande, car les Valaques y portent du miel, de la cire, & y amenent quantité de boeufs & de bons chevaux. (D.J.)


SO-NO-KIS. m. (Hist. nat. Botan.) espece de vigne du Japon, qui croît dans les bois, de la hauteur d'un pié. Ses feuilles ressemblent à celles du petit buis ; ses fleurs sont à quatre pétales, garnies d'un calice, & de couleur pourpre ; son fruit est rouge, de la grosseur du poivre, d'un goût doux & fade, contenant trois pepins un peu amers.


SOAMUS(Géog. anc.) fleuve de l'Inde, qui, selon Arrien, prend sa source aux montagnes de Capissa, & se rend dans l'Indus, sans recevoir les eaux d'aucune riviere. (D.J.)


SOANASUANA, SUANE, SOANE, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans la Toscane au Siennois, sur une montagne, proche de la riviere de Fiore, à seize lieues au midi de Sienne, dont son évêché, érigé dès le septieme siecle, est suffragant ; mais le mauvais air qu'on respire dans cette ville l'a rendue presque deserte. Long. 29. 14. latit. 42. 44.

Grégoire VII. connu sous le nom d'Hildebrand, moine de Cluni, fils d'un charpentier, naquit à Soana ; il fut élevé à la tiare pontificale en 1073, & mourut en 1085 à Salerne, comme je l'ai dit dans l'article de cette ville.

Il eut la hardiesse d'excommunier, de déposer l'empereur Henri IV. & déclara ses sujets libres du serment de fidélité. Entreprenant, audacieux, mêlant souvent l'artifice à l'ardeur de son zele pour les prétentions de l'Eglise, successeur d'Alexandre II. dont il gouvernoit le pontificat, il laissa, après son décès, une mémoire chere au clergé romain, mais odieuse à tout bon citoyen qui considerera les effets de son ambition inflexible. L'Eglise, dont il fut le vengeur & la victime, l'a mis au nombre des saints, comme faisoient les peuples de l'antiquité en déifiant leurs héros.

Mais tous les portraits, ou flatteurs, ou odieux, que tant d'écrivains ont fait de lui, se retrouvent dans le tableau d'un peintre de Naples, qui peignit ce pontife tenant une houlette dans une main & un fouet dans l'autre, foulant des sceptres à ses piés, & ayant à côté de lui les filets & les poissons de saint Pierre.

Benoît XIII. ayant donné une bulle pour introduire dans le bréviaire romain (qu'on dit assez ordinairement en France) la fête & l'office de Grégoire VII. quelques évêques éclairés & le parlement s'y opposerent vigoureusement, & la nation leur en sut bon gré. Voltaire, essai sur l'histoire générale. (D.J.)

SOANA, (Géog. anc.) fleuve de la Sarmatie asiatique, dont le nom moderne est Terchin. C'est aussi le nom d'un fleuve de l'île de Taprobane. Enfin, c'est une ville d'Italie dans la Toscane, qui a conservé son nom. (D.J.)


SOANDAou SOANDUS, (Géog. anc.) ville de la petite Cappadoce, suivant Strabon. Antonin la marque sur la route de Tavia. (D.J.)


SOANES(Géog. anc.) peuples d'Asie, dans la Colchide. Strabon, liv. II. p. 499. dit qu'ils étoient du nombre de ceux qui formoient l'assemblée générale de Dioscurias. Les Soanes de Strabon sont les Suani de Pline & de Ptolémée. Ils ne le cédoient point aux Phthéirophages leurs voisins pour l'ordure & pour la crasse, mais ils étoient bien plus puissans. (D.J.)


SOASTUS(Géog. anc.) fleuve de l'Inde, qui se jette dans le Cophès, selon Arrien. C'est peut-être le Sodinus de Pline, l. VI. c. xxiij. (D.J.)


SOATRIS(Géog. anc.) ville de la basse Moesie, sur le Pont-Euxin. L'itinéraire d'Antonin la marque entre Marcianopolis & Anchiale, à 26 milles de la premiere, & à 24 de la seconde. (D.J.)


SOAVE(Musiq. italien.) terme italien employé quelquefois dans la musique, & qui signifie d'une maniere agréable, douce, gracieuse, &c. (D.J.)


SOBANNUS(Géog. anc.) fleuve de l'Inde audelà du Gange. Ptolémée, liv. VII. ch. ij. met son embouchure entre Pagraza & Pithonobaste ; c'est présentement, selon Castalde, le Sian. (D.J.)


SOBARMAHou SOBORMAH, (Géog. mod.) nom persan, d'une grande île de la mer de la Chine, autour de laquelle il y en a plusieurs autres qui sont inhabitées. La mer y est profonde & très-orageuse. C'est peut-être l'île de Sumatra, du-moins ce qu'en dit le sherif Al-édrissi s'y rapporte. (D.J.)


SOBERNHEIM(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le palatinat du Rhin, sur la rive gauche de la Nahe, au-dessous de Marteinstein. (D.J.)


SOBIESLOW(Géog. mod.) petite ville de Boheme, dans le cercle, & à l'orient de Bechin. (D.J.)


SOBORMASOBORMA


SOBRARVEou SOBRARBE, (Géog. mod.) contrée d'Espagne, au royaume d'Aragon, avec titre de principauté. Elle a les Pyrénées au nord, & le comté de Ribagorça à l'orient. Elle contient plusieurs vallées, & une petite place qu'on nomme Ainsa. C'est dans ce pays que le Cinca prend sa source. (D.J.)


SOBREadj. (Gramm.) qui use de tout avec modération. L'homme sobre est sain & vit sans maladie & long-tems. Rien n'est plus commun qu'un vieil avare, parce que l'avarice est sobre. Comment se fait-il qu'un des vices les plus vils soit récompensé de la santé & de la longue vie ? Heureusement sa longue vie n'est qu'un long travail & un long tourment.


SOBRIÉTÉS. f. (Morale) tempérament dans le boire & le manger, ou pour mieux dire dans la recherche des plaisirs de la table.

La sobriété en fait de nourriture, a d'un côté pour opposé la gourmandise, & de l'autre une trop grande macération. La sobriété dans le boire, a pour contraire l'ivrognerie.

Je crois que la sobriété est une vertu très-recommandable ; ce n'est pas Epictete & Seneque qui m'en ont le mieux convaincu par leurs sentences outrées ; c'est un homme du monde, dont le suffrage ne doit être suspect à personne. C'est Horace, qui dans la pratique s'étoit quelquefois laissé séduire par la doctrine d'Aristippe, mais qui goûtoit réellement la morale sobre d'Epicure.

Comme ami de Mecene, il n'osoit pas louer directement la sobriété à la cour d'Auguste ; mais il en fait l'éloge dans ses écrits d'une maniere plus fine & plus persuasive, que s'il eût traité son sujet en moraliste. Il dit que la sobriété suffit à l'appétit, que par conséquent elle doit suffire à la bonne chere, & qu'enfin elle procure de grands avantages à l'esprit & au corps. Ces propositions sont d'une vérité sensible ; mais le poëte n'a garde de les débiter lui-même. Il les met dans la bouche d'un homme de province, plein de bon sens, qui sans sortir de son caractere, & sans dogmatiser, débite ses réflexions judicieuses, avec cette naïveté qui les fait aimer. Je prie le lecteur de l'écouter, c'est dans la satyre ij. l. II.

Quae virtus, & quanta, boni, sit vivere parvo :

(Nec meus hic sermo est, sed quem praecepit Ofellus

Rusticus, abnormis sapiens, crassâque Minervâ)

Discite, non inter lances, mensasque nitentes,

Quum stupet insanis acies fulgoribus, & quum

Acclinis falsis animus meliora recusat :

Verum hic impransi mecum disquirite. Cur hoc ?

Dicam si potero. Malè verum examinat omnis

Corruptus judex.

" Mes amis, la sobriété n'est point une petite vertu. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Ofellus, c'est un campagnard sans étude, à qui un bon sens naturel tient lieu de toute philosophie & de toute littérature. Venez apprendre de lui cette importante maxime ; mais ne comptez pas de l'apprendre dans ces repas somptueux, où la table est embarrassée par le grand nombre de services, où les yeux sont épris de l'éclat d'une folle magnificence, & où l'esprit disposé à recevoir de fausses impressions, ne laisse aucun accès à la vérité. C'est à jeun qu'il faut examiner cette matiere. Et pour quoi à jeun ? En voici la raison, ou je suis bien trompé : c'est qu'un juge corrompu n'est pas en état de bien juger d'une affaire ".

Dans la satyre vij. l. II, v. 105. Horace ne peut encore s'empêcher de louer indirectement les avantages de la sobriété. Il feint qu'un de ses esclaves profitant de la liberté que lui donnoit la fête des Saturnales lui déclare cette vérité, en lui reprochant son intempérance. " Croyez-vous, lui dit-il, être bienheureux & moins puni que moi, quand vous cherchez avec tant d'empressement ces tables servies délicatement & à grands fraix ? Ce qui arrive de-là, c'est que ces fréquens excès de bouche vous remplissent l'estomac de sucs âcres & indigestes ; c'est que vos jambes chancelantes refusent de soutenir un corps ruiné de débauches ".

Quî, tu impunitior illa

Quae parvo sumi nequeunt obsonia captas ?

Nempe inamarescunt epulae sine fine petitae,

Illusique pedes vitiosum ferre recusant

Corpus.

Il est donc vrai que la sobriété tend à conserver la santé, & que l'art d'apprêter les mets pour irriter l'appétit des hommes au-delà des vrais besoins, est un art destructeur. Dans le tems où Rome comptoit ses victoires par ses combats, on ne donnoit point un talent de gages à un cuisinier ; le lait & les légumes apprêtés simplement, faisoient la nourriture des consuls, & les dieux habitoient dans des temples de bois. Mais lorsque les richesses des Romains devinrent immenses, l'ennemi les attaqua, & confondit par sa valeur ces sybarites orgueilleux.

Je sais qu'il est impossible de fixer des regles sur cette partie de la tempérance, parce que la même chose peut être bonne à l'un & excès pour un autre ; mais il y a peu de gens qui ne sachent par expérience, quelle sorte & quelle quantité de nourriture convient à leur tempérament. Si mes lecteurs étoient mes malades, & que j'eusse à leur prescrire des regles de sobriété proportionnées à l'état de chacun, je leur dirois de faire leurs repas les plus simples qu'il seroit possible, & d'éviter les ragoûts propres à leur donner un faux appétit, ou le ranimer lorsqu'il est presque éteint. Pour ce qui regarde la boisson, je serois assez de l'avis du chevalier Temple. " Le premier verre de vin, dit-il, est pour moi, le second pour mes amis, le troisieme pour la joie, & le quatrieme pour mes ennemis ". Mais parce qu'un homme qui vit dans le monde ne sauroit observer ces sortes de regles à la rigueur, & qu'il ne fait pas toujours mal de les transgresser quelquefois, je lui conseillerois alors de tems en tems des jours d'abstinence pour rétablir son corps, le délivrer de la pléthore des humeurs, & procurer par l'exercice de l'élasticité aux ressorts affoiblis de sa machine. (D.J.)


SOBRIQUETS. m. (Littérature) sorte de surnom ou d'épithete burlesque, qu'on donne le plus souvent à quelqu'un pour le tourner en ridicule.

Ce ridicule ne naît pas seulement d'un choix affecté d'expressions triviales propres à rendre ces épithetes plus significatives ou plus piquantes ; mais de l'application qui s'en fait souvent à des noms de personnes considérables d'ailleurs, & qui produit un contraste singulier d'idées sérieuses & plaisantes ; nobles & viles, bisarrement opposées, telles que peuvent l'être dans un même sujet celles d'une haute naissance, avec des inclinations basses ; de la majesté royale, avec des difformités de corps, réputées honteuses par le vulgaire ; d'une dignité respectable, avec des moeurs corrompues, ou d'un titre fastueux, avec la paresse & la pusillanimité.

Ainsi lorsqu'avec les noms propres d'un souverain pontife, d'un empereur illustre, d'un grand roi, d'un prince magnifique, d'un général fameux, on trouvera joints les surnoms de Groin-de-porc, de Barberousse, de Pié-tortu, d'Eveille-chien, de Pain-en-bouche, cette union excitera presque toujours des idées d'un ridicule plus ou moins grand.

Quant à l'origine de ces surnoms, il est inutile de la rechercher ailleurs que dans la malignité de ceux qui les donnent, & dans les défauts réels ou apparens de ceux à qui on les impose : elle éclate sur-tout, à l'égard des personnes dont la prospérité ou les richesses excitent l'envie, ou dont l'autorité quelque légitime qu'elle soit, paroît insupportable ; elle ne respecte ni la tiare ni la pourpre, c'est une ressource qui ne manque jamais à un peuple opprimé ; & ces marques de sa vengeance sont d'autant plus à craindre, que non-seulement il est impossible d'en découvrir l'auteur, mais que ni l'autorité, ni la force, ni le laps de tems, ne sont capables de les effacer. On peut se rappeller à l'occasion de ce caractere indélébile, (s'il est permis d'user ici de ce terme), les efforts inutiles que fit un archiduc, appellé Frédéric, pour faire oublier le surnom de Bourse vuide dont il se trouvoit offensé : le peuple dans un pays où il étoit relegué le lui avoit donné dans le tems d'une disgrace qui l'avoit réduit à une extrême disette. Lorsqu'une fortune meilleure l'eut rétabli dans ses états, il eut beau pour marquer son opulence, faire dorer jusqu'à la couverture de son palais, le surnom lui resta toujours ; il faut aussi convenir que s'il eût fait du bien au peuple, au lieu de dorer son palais, son sobriquet eût été changé en surnom plein de gloire.

Il arriva quelque chose de semblable à Charles de Sicile, surnommé sans-terre, sobriquet qui ne lui avoit été donné, que parce qu'effectivement il fut longtems sans états ; il ne le perdit point, lors même que Robert son pere lui eut cédé la Calabre.

Il est aisé de comprendre par ce qu'on vient d'observer de l'origine & de la nature des sobriquets, quelles sont les sources communes d'où on les tire. Toutes les imperfections du corps, tous les défauts de l'esprit des hommes, leurs moeurs, leurs passions, leurs mauvaises habitudes, leurs vices, leurs actions de quelque nature qu'elles soient, tout y contribue.

A l'égard de la forme, elle ne consiste pas seulement dans l'usage de simples épithetes, on les releve souvent par des expressions figurées, dont quelques-unes ne sont quelquefois que des jeux de mots, comme dans celui de biberius mero, pour Tiberius Nero, à cause de sa passion pour le vin ; & dans celui de cacoergete, appliqué à Ptolomée VII. roi d'Egypte, pour le qualifier de mauvais prince, par imitation d'évergete, qui désigne un prince bienfaisant ; tel est encore celui d'épimane, donné à Antiochus IV. qui au lieu d'épiphane ou roi illustre dont il usurpoit le titre, ne signifie qu'un furieux.

D'autres sobriquets sont ironiques & tournés en contrevérités, comme celui de poëte laureat, que les Anglois donnent aux mauvais poëtes.

Il y en a souvent dont la malignité consiste dans l'emprunt du nom de quelque animal ou de quelques personnes célebres, notées dans l'histoire par leurs figures ou leurs vices, dont on fait une comparaison avec la personne qu'on veut charger ; les Syriens tirerent de la ressemblance du nez crochu d'Antiochus VIII. au bec d'un griffon, le sobriquet de grypus qui lui est resté ; & l'on connoît assez dans l'histoire ancienne, les princes & les personnes célebres à qui on a donné ceux de bouc, ceux de cochon, d'âne, de veau, de taureau & d'ours, comme on donne aujourd'hui ceux de Silene, d'Esope, de Sardanapale, & de Messaline, aux personnes qui leur ressemblent par la figure, ou par les moeurs.

Mais de toutes les expressions figurées, celle qui forme les plus ingénieux sobriquets, (si l'on veut convenir qu'il y ait quelque sel dans cette sorte de production de l'esprit) c'est l'allusion fondée sur une connoissance de faits singuliers, dont l'idée prête une sorte d'agrément au ridicule.

Ces différentes formes peuvent se réduire à quatre, qui font autant de genres de surnoms burlesques ; ceux dont la note est indifférente, ceux qui n'en impriment qu'une légere, ceux qui sont injurieux, & ceux qui sont honorables.

Pour donner lieu à ceux du premier genre, il n'a fallu qu'un attachement à quelque mode singuliere de coëffure ou d'habillement, quelque coutume particuliere, quelqu'action peu importante : ainsi les sobriquets de Pogonate ou Barbe - longue, donnés à Constantin V. empereur de Constantinople ; de crépu, à Boleslas, roi de Pologne ; de grisegonelle, à Geoffroi I. comte d'Anjou ; de courte-mantel, à Henri II. roi d'Angleterre ; de longue - épée, à Guillaume, duc de Normandie ; & de hache, à Baudoin VII. comte de Flandres, n'ont jamais pu blesser la réputation de ces princes.

Les Romains appelloient signum, ce genre de surnoms, & l'action de le donner significare.

Ceux du second genre ont pour objet quelque légere imperfection du corps ou de l'esprit, certains événemens, & certaines actions qui, quoiqu'innocentes, ont une espece de ridicule. C'est ce que Ciceron a entendu par turpicula, subturpia, & quasi deformia. Si Socrate, par exemple, se montroit peu sensible au surnom de camard, beaucoup s'en trouveroient offensés : celui de cracheur n'étoit point honorable à Vladislas, roi de Bohème, &c.

Ceux du troisieme genre, sont beaucoup plus piquans, en ce qu'ils ont pour objet les difformités du corps les plus considérables, ou les plus grandes disgraces de la fortune, & dont la honte est souvent plus difficile à supporter, que la douleur qui les accompagne.

Ceux du quatrieme genre, n'ont pour objet que ce qu'il y a de plus rare dans les qualités du corps, de plus noble dans celles de l'esprit & du coeur, de plus admirable dans les moeurs, & de plus grand dans les actions. Le propre de ces surnoms est d'être caractérisés d'une maniere plaisante, & qui quoiqu'elle tienne de la raillerie, ne laisse jamais qu'une idée honorable.

Ainsi les surnoms de bras-de-fer, & de cotte-de-fer, imposés l'un à Baudouin I. comte de Flandres, & l'autre à Edmond II. roi d'Angleterre, sont de vrais éloges de la force du corps dont ces princes étoient doués ; tel est aussi celui de temporiseur, qui, presque toujours choquant, fait pour Fabius l'apologie de sa politique militaire, comme celui de sans - peur marque à l'égard de Richard duc de Normandie, & de Jean duc de Bourgogne, leur intrépidité.

Il y a des caracteres accidentels qui en établissent encore des genres particuliers. Les uns peuvent convenir à plusieurs personnes, comme les surnoms de borgne, de bossu, de boiteux, de mauvais : d'autres ne sont guere appliqués qu'à une seule, comme le surnom de Copronyme imposé à Constantin IV. & celui de Caracalla au quatrieme des Antonins.

Les sobriquets ou surnoms que se donnent réciproquement les habitans d'une petite ville, d'un bourg ou d'un hameau, ne consistent ordinairement qu'en quelques épithetes si triviales & si grossieres, qu'il n'y auroit point d'honneur à en rapporter des exemples.

Il n'en est pas de même de ceux qui naissent dans l'enceinte des camps ; ils sont marqués à un coin de vivacité & de liberté particulieres aux militaires.

Il y en a enfin d'héréditaires, & qui n'ayant été d'abord attribués qu'à une seule personne, ont ensuite passé à ses descendans, & lui ont tenu lieu de nom propre. Tels sont la plupart des surnoms des Romains illustres, du tems de la république, que les auteurs de l'histoire romaine qui ont écrit en grec, ont cru leur être tellement propres, qu'ils ne leur ont ôté que la terminaison latine, comme Denis d'Halicarnasse l'a fait de ceux de & de : car il ne faut pas s'imaginer, comme l'ont cru quelques antiquaires, que les magistrats sur les médailles desquels on lit les surnoms d'Aenobarbus, de Naso, de Crassipes, de Scaurus, de Bibulus, soient les hommes des familles Domitia, Axsia, Furia, Amilia, Calpurnia, qui avoient la barbe rousse, le nez long, des piés contrefaits, de gros talons, & qui étoient adonnés au vin. Il y a au contraire dans cette république, certaines familles qui n'ont tiré leur nom que d'un de ces sortes de sobriquets, que le premier de la famille a porté, comme la Claudia qui a tiré le sien d'un boiteux. La même chose est arrivée en notre pays, aussi bien que dans beaucoup d'autres.

Cependant ces surnoms tels qu'ils ont été, sont devenus d'un grand avantage dans la chronologie & dans l'histoire. Il faut convenir que si quelque chose est capable de diminuer la confusion que peut causer dans l'esprit une multitude d'objets semblables, tels que ce nombre prodigieux de rois & de souverains, qui dans les monarchies anciennes & modernes, se succedent les uns aux autres sous les mêmes noms ; c'est l'attention aux surnoms par lesquels ils y sont distingués. Ces surnoms nous aident beaucoup à reconnoître les princes, au tems desquels les événemens doivent se rapporter, & à y fixer des époques certaines.

L'usage en est nécessaire, pour donner aux généalogies des familles qui ont possedé les grands empires & les moindres états, cette clarté qui leur est essentielle.

C'est par le défaut de surnoms, que la généalogie des Pharaons, dont Josephe & Eusebe ont dit que les noms étoient plutôt de dignité que de famille, est si obscure. Combien au contraire la précaution de les avoir ajoutés aux surnoms tirés de l'ordre numéral, sauve - t - elle de méprises & d'erreurs dans l'histoire des Alexandres de Macédoine, des Ptolemées d'Egypte, des Antiochus de Syrie, des Mithridates du Pont, des Nicomedes de Bithynie, des Antonins & des Constantins de l'empire, des Louis & des Charles de France, &c. Si les épithetes de riches, de grands, de conservateurs, &c. dont les peuples honorerent autrefois quelques - uns des princes de ces familles, laissent dans la mémoire une impression plus forte que celles qui sont tirées de l'ordre progressif de premier, second, troisieme & des nombres suivans, les surnoms burlesques de nez de griffon, de ventru, de joueur de flute, d'effeminé, de martel, de fainéant, de balafré, n'y en font-ils pas une dont les traces ne sont pas moins profondes ? Horace faisant la comparaison du sérieux & du plaisant, ne feint point de donner la préférence à ce dernier.

Discit enim citius, meminitque libentius illud

Quod quis deridet, quam quod probat & veneratur.

Combien y a-t-il même de familles illustres dans les anciennes monarchies, & dans celles du moyen âge, dont les branches ne sont distinguées que par les sobriquets des chefs qui y ont fait des souches différentes ! On le voit dans les familles romaines, la Domitia dont les deux branches ont chacune pour auteur un homme à surnom burlesque, l'un Calvinus, & l'autre Ahenobarbus ; & dans la Cornelia, de laquelle étoient les Scipions, où le premier qui a été connu par le surnom de Nasica, a donné son nom à une branche qui ne doit pas être confondue avec celle de l'Africain.

Une autre partie essentielle de l'histoire, est la représentation des caracteres des différens personnages qu'elle introduit sur la scene ; c'est ce que font les surnoms par des expressions qui sont comme des portraits en raccourci des hommes les plus célebres ; mais il faut avouer que par rapport à la ressemblance qui doit faire le mérite de ces portraits, que les surnoms plaisans l'emportent de beaucoup sur ceux du genre sérieux.

Les premiers trompent rarement, parce qu'ils expriment presque toujours les caracteres dans le vrai ; ce sont des témoignages irréprochables, des décisions prononcées par la voix du peuple, des traits de crayon libres tirés d'après le naturel, des coups de pinceau hardis qui ne sont pas seulement des portraits de l'extérieur des hommes, mais qui nous représentent encore ce qu'il y a en eux de plus caché.

Ainsi l'obscurité de l'origine de Michel V. empereur de Constantinople, dont les parens calfatoient des vaisseaux, nous est rappellée par son surnom de Calaphates ; la basse naissance du Pape Benoit XII. fils d'un boulanger françois, par celui de Jacques du Four, qui lui fut donné étant cardinal, & l'opprobre de l'ancienne profession de Valere Maximien devenu empereur, par celui d'Armentarius.

L'événement heureux pour le fils d'Othon, duc de Saxe, qui fut élevé à l'empire, & qui lorsqu'il s'y attendoit le moins, en apprit la nouvelle au milieu d'une partie de chasse, est signalé par le surnom de l'Oiseleur qui le distingue de tous les Henris.

L'empressement de l'empereur Léon pour détruire le culte des images, est bien marqué dans le terme d'Iconoclaste.

La mauvaise fortune qu'essuya Frédéric I. duc de Saxe, par la captivité dans laquelle son pere le tint, est devenue mémorable par le surnom de Mordu qui lui est resté.

La mort ignominieuse du dernier des Antonins, dont les soldats jetterent le cadavre dans le Tibre, après l'avoir traîné par les rues de Rome, ne s'oubliera jamais à la vue des épithetes de Tractitius & de Tiberinus, dont Aurelius Victor dit qu'il fut chargé.

Ainsi rien n'est à négliger dans l'étude de l'histoire ; les termes les plus bas, les plus grossiers ou les plus injurieux, & qui semblent n'avoir jamais été que le partage d'une vile populace, ne sont pas pour cela indignes de l'attention des savans.

M. Spanheim, dans son ouvrage sur l'usage des médailles antiques, tome II. s'est un peu étendu sur l'origine des sobriquets des Romains, en les considérant par le rapport qu'ont aux médailles consulaires, ceux des principales familles de la république romaine. M. de la Roque dans son traité de l'origine des noms, auroit dû traiter ce sujet par rapport à l'histoire moderne. M. le Vayer en a dit quelque chose dans ses ouvrages. Voyez sur-tout les mémoires de l'académie des Inscrip. & Belles-lettres. (D.J.)


SOCS. m. (Antiq. rom.) soccus ; sorte de chaussure en usage chez les Grecs & les Romains ; ensuite elle devint en particulier celle de ceux qui montoient sur le théatre, pour y représenter les personnages comiques. Elle étoit opposée au cothurne, autre chaussure ou brodequin, reservé pour les personnages héroïques. (D.J.)

SOC, terme de Laboureur, c'est un fer large & pointu, qui est au bout du scep de la charrue, & qui sert à fouiller dans la terre.

Le soc est la partie essentielle de toutes les charrues ; il est presque toujours formé par un fer plat & acéré. Ce fer étant introduit à deux ou trois pouces sous la terre, doit l'ouvrir ; mais il y a des socs qui coupent la terre en-dessous, pendant que les autres ne la divisent que comme pourroit faire un coin. Il est clair que ceux-ci ont à vaincre la résistance des racines, & qu'ils paîtrissent & corroiyent les terres fortes & humides : ces raisons ont déterminé les gens éclairés à donner la préférence aux socs coupans. (D.J.)


SOCCOLANS. m. (Ordre monast.) on appelle soccolans les religieux de l'ordre de S. François d'une réforme particuliere établie par S. Paulet de Foligny en 1368. Lui - même ayant vu que les paysans qui vivoient dans les montagnes de son hermitage, portoient des socques ou sandales de bois, il en ordonna l'usage aux religieux de sa réforme, qui furent appellés par cette raison soccolanti. Voyez de plus grands détails dans le P. Héliot, tome VII. c. ix. (D.J.)


SOCHACZOW(Géogr. mod.) prononcez Socachouf ; petite ville de Pologne dans le duché de Mozavie, près d'une petite riviere, à 4 lieues de Bloigné. C'est au-delà de cette ville qui est toute bâtie en bois, que commencent ces belles plaines qui s'étendent jusqu'à la Vistule, par un espace de 8 grandes lieues. (D.J.)


SOCIABILITÉ(Droit nat. & Moral.) bienveillance envers les autres hommes.

La sociabilité est cette disposition qui nous porte à faire aux hommes tout le bien qui peut dépendre de nous, à concilier notre bonheur avec celui des autres, & à subordonner toujours notre avantage particulier, à l'avantage commun & général.

Plus nous nous étudierons nous-mêmes, plus nous serons convaincus que cette sociabilité est conforme à la volonté de Dieu ; car outre la nécessité de ce principe, nous le trouvons gravé dans notre coeur. Si d'un côté le Créateur y a mis l'amour de nous-mêmes, de l'autre la même main y a imprimé un sentiment de bienveillance pour nos semblables ; ces deux penchans, quoique distincts l'un de l'autre, n'ont rien d'opposé, & Dieu les a gravés dans nos ames pour agir de concert. Aussi les coeurs généreux trouvent-ils la satisfaction la plus pure à faire du bien aux autres hommes, parce qu'ils ne font en cela que suivre un penchant naturel.

Du principe de la sociabilité découlent toutes les loix de la société.

1°. Cette union que Dieu a établie entre les hommes exige d'eux que dans tout ce qui a quelque rapport à la société, le bien commun soit la regle suprême de leur conduite ; & qu'attentifs aux conseils de la prudence, ils ne cherchent jamais leur avantage particulier au préjudice de l'avantage public.

2°. L'esprit de sociabilité doit être universel. La société humaine embrasse tous les hommes avec lesquels on peut avoir quelque commerce, puisqu'elle est fondée sur les relations qu'ils ont tous ensemble, en conséquence de leur nature & de leur état. Voyez en les preuves dans Puffendorf & Cumberland.

3°. La raison nous dit que des créatures du même rang, de la même espece, nées avec les mêmes facultés, pour vivre ensemble, & pour participer aux mêmes avantages, ont en général un droit égal & commun. Nous sommes donc obligés de nous regarder comme naturellement égaux, & de nous traiter comme tels ; ce seroit démentir la nature que de ne pas reconnoître ce principe d'équité (que les Jurisconsultes nomment aequabilitatis juris), comme un des premiers fondemens de la société. C'est là - dessus qu'est fondée la loi du réciproque ; de même que cette regle si simple, mais d'un usage universel, que nous devons être à l'égard des autres hommes dans les mêmes dispositions où nous desirons qu'ils soient à notre égard, & nous conduire avec eux de la même maniere que nous voulons qu'ils se conduisent avec nous dans des circonstances pareilles.

4°. La sociabilité étant d'une obligation réciproque entre les hommes, ceux qui par leur malice ou leur injustice rompent ce lien, ne sauroient se plaindre raisonnablement si ceux qu'ils offensent ne les traitent plus comme amis, ou même s'ils en viennent contr'eux à des voies de fait.

Mais si l'on est en droit de suspendre à l'égard d'un ennemi les actes de la bienveillance, il n'est jamais permis d'en étouffer le principe. Comme il n'y a que la nécessité qui nous autorise à recourir à la force contre un injuste aggresseur, c'est aussi cette même nécessité qui doit être la regle & la mesure du mal que nous pouvons lui faire ; & nous devons toujours être disposés à rentrer en amitié avec lui, dès qu'il nous aura rendu justice, & que nous n'aurons plus rien à craindre de sa part.

En un mot, rien n'est plus convenable à l'humanité que la bénéficence & la générosité. Il n'y a rien de plus vrai, dit Cicéron liv. I. des Offices, ch. vij. que ce beau mot de Platon, que nous ne sommes pas nés pour nous, mais pour les autres hommes & pour la patrie. Les Stoïciens soutenoient que pour entrer dans les desseins de la nature, il falloit contribuer chacun du sien à l'utilité commune, & employer non-seulement son industrie, mais ses biens à serrer de plus en plus les noeuds de la société humaine. (D.J.)


SOCIABLEAIMABLE, (Langue franç.) ces deux mots ne sont plus synonymes dans notre langue.

L'homme sociable a les qualités propres au bien de la société ; je veux dire la douceur du caractere, l'humanité, la franchise sans rudesse, la complaisance sans flatterie, & sur-tout le coeur porté à la bienfaisance ; en un mot, l'homme sociable est le vrai citoyen. Voyez SOCIABILITE.

L'homme aimable, dit M. Duclos, du moins celui à qui l'on donne aujourd'hui ce titre, est fort indifférent sur le bien public, ardent à plaire à toutes les sociétés où son goût & le hasard le jettent, & prêt à en sacrifier chaque particulier. Il n'aime personne, n'est aimé de qui que ce soit, plait à tous ; & souvent est méprisé & recherché par les mêmes gens.

Les liaisons particulieres de l'homme sociable sont des liens qui l'attachent de plus en plus à l'état ; celles de l'homme aimable ne sont que de nouvelles dissipations, qui retranchent d'autant les devoirs essentiels. L'homme sociable inspire le desir de vivre avec lui ; l'homme aimable en éloigne ou doit en éloigner tout honnête citoyen. (D.J.)


SOCIALadj. (Gramm.) mot nouvellement introduit dans la langue, pour désigner les qualités qui rendent un homme utile dans la société, propre au commerce des hommes : des vertus sociales.

SOCIAL, (Comm.) ce qui appartient à une société, ou qui est fait en son nom. On dit qu'un billet, ou autres actes, sont signés du nom social, lorsqu'un ou deux associés les ont signés du nom de la société. Dans ces écritures on met tous les noms des associés, ou l'on y ajoute le nom de compagnie, N. N. & compagnie. Voyez NOM SOCIAL, SOCIETE & COMPAGNIE.

SOCIALE, guerre, (Hist. rom.) on appelle guerre sociale ou des alliés, celle des peuples du Latium ou du pays Latin, contre les Romains. Cette guerre fut entreprise par les alliés, l'an de Rome 663, pour obtenir le droit de bourgeoisie que la république leur refusoit.

Les peuples du Latium supportoient les charges de la république, & cependant n'étoient point admis aux dignités, & n'avoient pas même le droit de suffrage. Il est vrai que dans les tems difficiles, pour les attacher plus étroitement à la république, on s'étoit quelquefois relâché là-dessus, par exemple, dans la seconde guerre punique ; mais quand le péril fut passé, les Romains firent regarder ces concessions comme des graces passageres, & qui ne fondoient point de droits.

Cependant les peuples alliés représentoient toujours qu'il étoit juste qu'ils eussent part aux honneurs d'un état, dont ils avoient étendu l'empire par leur vaillance. Ces peuples donc outrés d'être exclus du droit de bourgeoisie, résolurent d'en obtenir l'effet les armes à la main ; ils s'associerent ensemble, réunirent leur ressentiment commun, signerent une ligue, & se donnerent réciproquement des ôtages.

Il y eut entr'eux & la république des combats sanglans, des batailles & des prises de villes. La fortune passa plus d'une fois dans l'un & l'autre parti. Enfin le sénat s'appercevant que la république ne remportoit pas même de victoires qui ne lui fussent funestes, & qu'en faisant périr des alliés, elle perdoit autant de soldats qui composoient auparavant ses armées, ce corps si sage leur accorda insensiblement le droit de bourgeoisie romaine. Mais suivant sa politique ordinaire, il réduisit ce droit presqu'à rien, par la forme qu'il donna au traité ; desorte que ce droit de bourgeoisie, qui avoit coûté tant de sang aux alliés, ne devint presqu'à leur égard, qu'un vain titre, sans fonctions & sans autorité. (D.J.)


SOCIÉTÉS. f. (Morale) les hommes sont faits pour vivre en société ; si l'intention de Dieu eût été que chaque homme vécut seul, & séparé des autres, il auroit donné à chacun d'eux des qualités propres & suffisantes pour ce genre de vie solitaire ; s'il n'a pas suivi cette route, c'est apparemment parce qu'il a voulu que les liens du sang & de la naissance commençassent à former entre les hommes cette union plus étendue qu'il vouloit établir entr'eux ; la plûpart des facultés de l'homme, ses inclinations naturelles, sa foiblesse, ses besoins, sont autant de preuves certaines de cette intention du Créateur. Telle est en effet la nature & la constitution de l'homme, que hors de la société, il ne sauroit ni conserver sa vie, ni développer & perfectionner ses facultés & ses talens, ni se procurer un vrai & solide bonheur. Que deviendroit, je vous prie, un enfant, si une main bienfaisante & secourable ne pourvoyoit à ses besoins ? Il faut qu'il périsse si personne ne prend soin de lui ; & cet état de foiblesse & d'indigence, demande même des secours long - tems continués ; suivez-le dans sa jeunesse, vous n'y trouverez que grossiereté, qu'ignorance, qu'idées confuses ; vous ne verrez en lui, s'il est abandonné à lui - même, qu'un animal sauvage, & peut-être féroce ; ignorant toutes les commodités de la vie, plongé dans l'oisiveté, en proie à l'ennui & aux soucis dévorans. Parvient-on à la vieillesse, c'est un retour d'infirmités, qui nous rendent presque aussi dépendans des autres, que nous l'étions dans l'enfance imbécille ; cette dépendance se fait encore plus sentir dans les accidens & dans les maladies ; c'est ce que dépeignoit fort bien Séneque, Senec. de benef. l. IV. c. xviij. " D'où dépend notre sûreté, si ce n'est des services mutuels ? il n'y a que ce commerce de bienfaits qui rende la vie commode, & qui nous mette en état de nous défendre contre les insultes & les évasions imprévues ; quel seroit le sort du genre humain, si chacun vivoit à part ? autant d'hommes, autant de proies & de victimes pour les autres animaux, un sang fort aisé à répandre, en un mot la foiblesse même. En effet, les autres animaux ont des forces suffisantes pour se défendre ; tous ceux qui doivent être vagabonds, & à qui leur férocité ne permet pas de vivre en troupes, naissent pour ainsi dire armés, au lieu que l'homme est de toute part environné de foiblesse, n'ayant pour armes ni dents ni griffes ; mais les forces qui lui manquent quand il se trouve seul, il les trouve en s'unissant avec ses semblables ; la raison, pour le dédommager, lui a donné deux choses qui lui rendent sa supériorité sur les animaux, je veux dire la raison & la sociabilité, par où celui qui seul ne pouvoit résister à personne, devient le tout ; la société lui donne l'empire sur les autres animaux ; la société fait que non content de l'élement où il est né, il étend son domaine jusque sur la mer ; c'est la même union qui lui fournit des remedes dans ses maladies, des secours dans sa vieillesse, du soulagement à ses douleurs & à ses chagrins ; c'est elle qui le met, pour ainsi dire, en état de braver la fortune. Otez la sociabilité, vous détruirez l'union du genre humain, d'où dépend la conservation & tout le bonheur de la vie ".

La société étant si nécessaire à l'homme, Dieu lui a aussi donné une constitution, des facultés, des talens qui le rendent très-propre à cet état ; telle est, par exemple, la faculté de la parole, qui nous donne le moyen de communiquer nos pensées avec tant de facilité & de promtitude, & qui hors de la société ne seroit d'aucun usage. On peut dire la même chose du penchant à l'imitation, & de ce merveilleux méchanisme qui fait que les passions & toutes les impressions de l'ame, se communiquent si aisément d'un cerveau à l'autre ; il suffit qu'un homme paroisse ému, pour nous émouvoir & nous attendrir pour lui : homo sum, humani à me nihil alienum puto. Si quelqu'un vous aborde avec la joie peinte sur le visage, il excite en nous un sentiment de joie ; les larmes d'un inconnu nous touchent, avant même que nous en sachions la cause, & les cris d'un homme qui ne tient à nous que par l'humanité, nous font courir à son secours, par un mouvement machinal qui précede toute délibération. Ce n'est pas tout, nous voyons que la nature a voulu partager & distribuer différemment les talens entre les hommes, en donnant aux uns une aptitude de bien faire certaines choses, qui sont comme impossibles à d'autres ; tandis que ceux-ci, à leur tour, ont une industrie qu'elle a refusé aux premiers ; ainsi, si les besoins naturels des hommes les font dépendre les uns des autres, la diversité des talens qui les rend propres à s'aider mutuellement, les lie & les unit. Ce sont-là autant d'indices bien manifestes de la destination de l'homme pour la société.

Mais si nous consultons notre penchant, nous sentirons aussi que notre coeur se porte naturellement à souhaiter la compagnie de nos semblables, & à craindre une solitude entiere comme un état d'abandon & d'ennui. Que si l'on recherche d'où nous vient cette inclination liante & sociable, on trouvera qu'elle nous a été donnée très-à-propos par l'auteur de notre être, parce que c'est dans la société que l'homme trouve le remede à la plûpart de ses besoins, & l'occasion d'exercer la plûpart de ses facultés ; c'est-là, surtout, qu'il peut éprouver & manifester ces sentimens, auxquels la nature a attaché tant de douceur, la bienveillance, l'amitié, la compassion, la générosité : car tel est le charme de ces affections sociables, que de-là naissent nos plaisirs les plus purs. Rien en effet de si satisfaisant ni de si flatteur, que de penser que l'on mérite l'estime & l'amitié d'autrui ; la science acquiert un nouveau prix, quand elle peut se produire au dehors ; & jamais la joie n'est plus vive que lorsqu'on peut la faire éclater aux yeux des autres, ou la répandre dans le sein d'un ami ; elle redouble en se communiquant, parce qu'à notre propre satisfaction se joint l'agréable idée que nous en causons aussi aux autres, & que par-là nous les attachons davantage à nous ; le chagrin au contraire diminue & s'adoucit, en le partageant avec quelqu'un, comme un fardeau s'allege quand une personne officieuse nous aide à le porter. Ainsi, tout nous invite à l'état de société ; le besoin nous en fait une nécessité, le penchant nous en fait un plaisir, & les dispositions que nous y apportons naturellement, nous montrent que c'est en effet l'intention de notre créateur. Si le christianisme canonise des solitaires, il ne leur en fait pas moins une suprême loi de la charité & de la justice, & par-là il leur suppose un rapport essentiel avec le prochain ; mais sans nous arrêter à l'état où les hommes peuvent être élevés, par des lumieres surnaturelles, considérons-les ici entant qu'ils sont conduits par la raison humaine.

Toute l'économie de la société humaine est appuyée sur ce principe général & simple : je veux être heureux ; mais je vis avec des hommes qui, comme moi, veulent être heureux également chacun de leur côté : cherchons le moyen de procurer notre bonheur, en procurant le leur, ou du moins sans y jamais nuire. Nous trouvons ce principe gravé dans notre coeur ; si d'un côté, le Créateur a mis l'amour de nous - mêmes, de l'autre, la même main y a imprimé un sentiment de bienveillance pour nos semblables ; ces deux penchans, quoique distincts l'un de l'autre, n'ont pourtant rien d'opposé : & Dieu qui les a mis en nous, les a destinés à agir de concert, pour s'entr'aider, & nullement pour se détruire ; aussi les coeurs bien faits & généreux trouvent-ils la satisfaction la plus pure, à faire du bien aux autres hommes, parce qu'ils ne font en cela que suivre une pente que la nature leur a donnée. Les moralistes ont donné à ce germe de bienveillance qui se développe dans les hommes, le nom de sociabilité. Du principe de la sociabilité, découlent, comme de leur source, toutes les loix de la société, & tous nos devoirs envers les autres hommes, tant généraux que particuliers. Tel est le fondement de toute la sagesse humaine, la source de toutes les vertus purement naturelles, & le principe général de toute la morale & de toute la société civile.

1°. Le bien commun doit être la regle suprême de notre conduite, & nous ne devons jamais chercher notre avantage particulier, au préjudice de l'avantage public ; c'est ce qu'exige de nous l'union que Dieu a établie entre les hommes.

2°. L'esprit de sociabilité doit être universel ; la société humaine embrasse tous les hommes avec lesquels on peut avoir commerce, puisqu'elle est fondée sur les relations qu'ils ont tous ensemble, en conséquence de leur nature & de leur état. Voyez HUMANITE. Un prince d'Allemagne, duc de Wirtemberg, sembloit en être persuadé, lorsqu'un de ses sujets le remerciant de l'avoir protégé contre ses persécuteurs : mon enfant, lui dit le prince, je l'aurois dû faire à l'égard d'un turc ; comment y aurois - je manqué à l'égard d'un de mes sujets ?

3°. L'égalité de la nature entre les hommes, est un principe que nous ne devons jamais perdre de vue. Dans la société c'est un principe établi par la philosophie & par la religion ; quelqu'inégalité que semble mettre entr'eux la différence des conditions, elle n'a été introduite que pour les faire mieux arriver, selon leur état présent, tous à leur fin commune, qui est d'être heureux autant que le comporte cette vie mortelle ; encore cette différence qui paroît bien mince à des yeux philosophiques, est-elle d'une courte durée ; il n'y a qu'un pas de la vie à la mort, & la mort met au même terme ce qui est de plus élevé & de plus brillant, avec ce qui est de plus bas & de plus obscur parmi les hommes. Il ne se trouve ainsi, dans les diverses conditions, guere plus d'inégalité que dans les divers personnages d'une même comédie : la fin de la piece remet les comédiens au niveau de leur condition commune, sans que le court intervalle qu'a duré leur personnage, ait persuadé ou pû persuader à aucun d'eux, qu'il étoit réellement au - dessus ou au-dessous des autres. Rien n'est plus beau dans les grands, que ce souvenir de leur égalité avec les autres hommes, par rapport à leur nature. Un trait du roi de Suede, Charles XII. peut donner à ce sujet une idée plus haute de ses sentimens, que la plus brillante de ses expéditions. Un domestique de l'ambassadeur de France, attendant un ministre de la cour de Suede, fut interrogé sur ce qu'il attendoit, par une personne à lui inconnue, & vétue comme un simple soldat ; il tint peu de compte de satisfaire à la curiosité de cet inconnu ; un moment après, des seigneurs de la cour abordant la personne simplement vétue, la traiterent de votre majesté, c'étoit effectivement le roi ; le domestique au désespoir, & se croyant perdu, se jette à ses piés, & demande pardon de son inconsidération d'avoir pris sa majesté, disoit-il, pour un homme. Vous ne vous êtes point mépris, lui dit le roi avec humanité, rien ne ressemble plus à un homme qu'un roi. Tous les hommes, en supposant ce principe de l'égalité qui est entr'eux, doivent y conformer leur conduite, pour se prêter mutuellement les secours dont ils sont capables ; ceux qui sont les plus puissans, les plus riches, les plus accrédités, doivent être disposés à employer leur puissance, leurs richesses, & leur autorité, en faveur de ceux qui en manquent, & cela à proportion du besoin qui est dans les uns, & du pouvoir d'y subvenir qui est dans les autres.

4°. La sociabilité étant d'une obligation réciproque entre les hommes, ceux qui par leur malice, ou leur injustice, rompent le lien de la société, ne sauroient se plaindre raisonnablement, si ceux qu'ils offensent, ne les traitent plus comme amis, ou même s'ils en viennent contr'eux à des voies de fait ; mais si l'on est en droit de suspendre à l'égard d'un ennemi, les actes de la bienveillance, il n'est jamais permis d'en étouffer le principe : comme il n'y a que la nécessité qui nous autorise à recourir à la force contre un injuste aggresseur ; c'est aussi cette même nécessité qui doit être la regle & la mesure du mal que nous pouvons lui faire, & nous devons toujours être disposés à rentrer en amitié avec lui, dès qu'ils nous aura rendu justice, & que nous n'aurons plus rien à craindre de sa part. Il faut donc bien distinguer la juste défense de soi-même, de la vengeance ; la premiere ne fait que suspendre, par nécessité & pour un tems, l'exercice de la bienveillance, & n'a rien d'opposé à la sociabilité ; mais l'autre étouffant le principe même de la bienveillance, met à sa place un sentiment de haine & d'animosité, vicieux en lui-même, contraire au bien public, & que la loi naturelle condamne formellement.

Ces regles générales sont fertiles en conséquences ; il ne faut faire aucun tort à autrui, ni en parole, ni en action, & l'on doit réparer tout dommage : car la société ne sauroit subsister si l'on se permet des injustices.

Il faut être sincere dans ses discours, & tenir ses engagemens : car quelle confiance les hommes pourroient-ils prendre les uns aux autres ; & quelle sûreté y auroit-il dans le commerce, s'il étoit permis de tromper & de violer la foi donnée !

Il faut rendre à chacun non-seulement le bien qui lui appartient, mais encore le degré d'estime & d'honneur qui lui est dû, selon son état & son rang : parce que la subordination est le lien de la société, & que sans cela il n'y auroit aucun ordre dans les familles, ni dans le gouvernement civil.

Mais si le bien public demande que les inférieurs obéissent, le même bien public veut que les supérieurs conservent les droits de ceux qui leur sont soumis, & ne les gouvernent que pour les rendre plus heureux. Tout supérieur ne l'est point pour lui-même, mais uniquement pour les autres ; non pour sa propre satisfaction, & pour sa grandeur particuliere, mais pour le bonheur & le repos des autres. Dans l'ordre de la nature, est-il plus homme qu'eux ? a-t-il une ame ou une intelligence supérieure ? & quand il l'auroit, a-t-il plus qu'eux d'envie ou de besoin de vivre satisfait & content ? A regarder les choses par cet endroit, ne seroit-il pas bizarre que tous fussent pour un, & que plutôt un ne fût pas pour tous ? d'où pourroit-il tirer ce droit ? de sa qualité d'homme ? elle lui est commune avec les autres : du goût de les dominer ? les autres certainement ne lui cederont pas en ce point : de la possession même où il se trouve de l'autorité ? qu'il voye de qui il la tient, dans quelle vue on la lui laisse, & à quelle condition ; tous devant contribuer au bien de la société, il y doit bien plus essentiellement servir, n'étant supérieur qu'à titre onéreux, & pour travailler au bonheur commun, à proportion de l'élévation que sa qualité lui donne au-dessus des autres. Quelqu'un disoit devant le roi de Syrie, Antigone, que les princes étoient les maîtres, & que tout leur étoit permis : oui, reprit-il, parmi les barbares ; à notre égard, ajouta-t-il, nous sommes maîtres des choses prescrites, par la raison & l'humanité ; mais rien ne nous est permis, que ce qui est conforme à la justice & au devoir.

Tel est le contrat formel ou tacite passé entre tous les hommes, les uns sont au-dessus, les autres audessous pour la différence des conditions ; pour rendre leur société aussi heureuse qu'elle le puisse être ; si tous étoient rois, tous voudroient commander, & nul n'obéiroit ; si tous étoient sujets, tous devroient obéir, & aucun ne le voudroit faire plus qu'un autre ; ce qui rempliroit la société de confusion, de trouble, de dissension ; au lieu de l'ordre & de l'arrangement qui en fait le secours, la tranquillité & la douceur. Le supérieur est donc redevable aux inférieurs, comme ceux-ci lui sont redevables ; l'un doit procurer le bonheur commun par voie d'autorité, & les autres par voie de soumission ; l'autorité n'est légitime, qu'autant qu'elle contribue à la fin pour laquelle a été instituée l'autorité même ; l'usage arbitraire qu'on en feroit, seroit la destruction de l'humanité & de la société.

Nous devons travailler tous pour le bonheur de la société à nous rendre maîtres de nous-mêmes ; le bonheur de la société se réduit à ne point nous satisfaire aux dépens de la satisfaction des autres : or les inclinations, les desirs, & les goûts des hommes, se trouvent continuellement opposés les uns aux autres. Si nous comptons de vouloir suivre les nôtres en tout, outre qu'il nous sera impossible d'y réussir, il est encore plus impossible que par-là nous ne mécontentions les autres, & que tôt ou tard le contre - coup ne retombe sur nous ; ne pouvant les faire tous passer à nos goûts particuliers, il faut nécessairement nous monter au goût qui regne le plus universellement, qui est la raison. C'est donc celui qu'il nous faut suivre en tout ; & comme nos inclinations & nos passions s'y trouvent souvent contraires, il faut par nécessité les contrarier. C'est à quoi nous devons travailler sans-cesse, pour nous en faire une salutaire & douce habitude. Elle est la base de toute vertu, & même le premier principe de tout savoir vivre, selon le mot d'un homme d'esprit de notre tems, qui faisoit consister la science du monde à savoir se contraindre sans contraindre personne. Bien qu'il se trouve des inclinations naturelles, incomparablement plus conformes que d'autres, à la regle commune de la raison ; cependant il n'est personne qui n'ait à faire effort de ce côté-là, & à gagner sur soi ; ne fût-ce que par une sorte de liaison, qu'ont avec certains défauts les plus heureux tempéramens.

Enfin, les hommes se prennent par le coeur & par les bienfaits, & rien n'est plus convenable à l'humanité, ni plus utile à la société, que la compassion, la douceur, la bénéficence, la générosité. Ce qui fait dire à Cicéron, " que comme il n'y a rien de plus vrai que ce beau mot de Platon, que nous ne sommes pas nés seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour notre patrie & pour nos amis ; & que comme disent les Stoïciens, si les productions de la terre sont pour les hommes, les hommes eux-mêmes sont nés les uns pour les autres, c'est-à-dire, pour s'entre-aider & se faire du bien mutuellement ; nous devons tous entrer dans les desseins de la nature, & suivre notre destination en contribuant chacun du sien pour l'utilité commune par un commerce réciproque & perpétuel de services & de bons offices, n'étant pas moins empressés à donner qu'à recevoir, & employant non - seulement nos soins & notre industrie, mais nos biens mêmes à serrer de plus en plus les noeuds de la société humaine ". Puis donc que tous les sentimens de justice & de bonté sont les seuls & vrais liens qui attachent les hommes les uns aux autres, & qui peuvent rendre la société stable, tranquille, & florissante, il faut regarder ces vertus comme autant de devoirs que Dieu nous impose, par la raison que tout ce qui est nécessaire à son but, & par cela même conforme à sa volonté.

Quelque plausibles que puissent être les maximes de la morale, & quelque utilité qu'elles puissent avoir pour la douceur de la société humaine, elles n'auront rien de fixe & qui nous attache inébranlablement sans la religion. Quoique la seule raison nous rende palpables en général les principes des moeurs qui contribuent à la douceur & à la paix que nous devons goûter & faire goûter aux autres dans la société ; il est vrai pourtant qu'elle ne suffit pas en certaines occasions, pour nous convaincre que notre avantage est toujours joint avec celui de la société : il faut quelquefois (& cela est nécessaire pour le bonheur de la société) nous priver d'un bien présent, ou même essuyer un mal certain, pour ménager un bien à venir, & prévenir un mal quoiqu'incertain. Or, comment faire goûter à un esprit qui n'est capable que des choses sensuelles ou actuellement sensibles, le parti de quitter un bien présent & déterminé, pour un bien à venir & indéterminé ; un bien qui dans le moment même le touche vivement du côté de la cupidité, pour un bien qui ne le touche que foiblement du côté de sa raison : sera-t-il arrêté par les reproches de la conscience, quand la religion ne les suscite pas ? par la crainte de la punition, quand la force & l'autorité l'en mettent à couvert ? par le sentiment de la honte & de la confusion, quand il sait dérober son crime à la connoissance d'autrui ? par les regles de l'humanité, quand il est déterminé à traiter les autres sans ménagement, pour se satisfaire lui-même ? par les principes de la prudence, quand la fantaisie ou l'humeur lui tiennent lieu de tous les motifs ? par le jugement des personnes judicieuses & sensées, quand la présomption lui fait préférer son jugement à celui du reste des hommes ? Il est peu d'esprit d'un caractere si outré, mais il peut s'en trouver : il s'en trouve quelquefois, & il doit même s'en trouver un grand nombre, si l'on foule aux piés les principes de la religion naturelle.

En effet, que les principes & les traités de morale soient mille fois plus sensés encore & plus démonstratifs qu'ils ne sont, qui est-ce qui obligera des esprits libertins de s'y rendre, si le reste du genre humain en adopte les maximes ? en seront-ils moins disposés à les rejetter malgré le genre humain, & à les soumettre au tribunal de leurs bisarreries & de leur orgueil ? Il paroît donc que sans la religion il n'est point de frein assez ferme qu'on puisse donner ni aux saillies de l'imagination, ni à la présomption de l'esprit, ni à la source des passions, ni à la corruption du coeur, ni aux artifices de l'hypocrisie. D'un côté vérité, justice, sagesse, prudence d'un Dieu vengeur des crimes, & remunérateur des actions justes, sont des idées qui tiennent si naturellement & si nécessairement les unes aux autres, que les unes ne peuvent subsister, là où les autres sont détruites. Ceci prouve évidemment combien est nécessaire l'union de la religion & de la morale, pour affermir le bonheur de la société.

Mais, 1°. pour mettre cette vérité dans toute son évidence, il faut observer que les vices des particuliers quels qu'ils soient, nuisent au bonheur de la société ; on nous accorde déja, que certains vices, tels que la calomnie, l'injustice, la violence, nuisent à la société. Je vais plus loin, & je soutiens que les vices mêmes qu'on regarde ordinairement comme ne faisant tort qu'à celui qui en est atteint, sont pernicieux à la société. On entend dire assez communément, par exemple, qu'un homme qui s'enivre ne fait tort qu'à lui-même ; mais pour peu qu'on y fasse d'attention, on s'appercevra que rien n'est moins juste que cette pensée. Il ne faut qu'écouter pour cela les personnes obligées de vivre dans une même famille avec un homme sujet à l'excès du vin. Ce que nous souhaitons le plus dans ceux avec qui nous vivons, c'est de trouver en eux de la raison ; elle ne leur manque jamais à notre égard, que nous n'ayons droit de nous en plaindre. Quelque opposés que puissent être les autres vices à la raison, ils en laissent du moins certaine lueur, certain usage, certaine regle ; l'ivresse ôte toute lueur de la raison ; elle éteint absolument cette particule, cette étincelle de la divinité qui nous distingue des bêtes : elle détruit par - là toute la satisfaction & la douceur, que chacun doit mettre & recevoir dans la société humaine. On a beau comparer la privation de la raison par l'ivresse avec la privation de la raison par le sommeil, la comparaison ne sera jamais sérieuse ; l'une est pressante par le besoin de réparer les esprits qui s'épuisent sans-cesse, & qui servent à l'exercice même de la raison ; au lieu que l'autre supprime tout d'un - coup cet exercice, & à la longue en détruit, pour ainsi dire, les ressorts. Aussi l'auteur de la nature, en nous assujettissant au sommeil, en a - t - il ôté les inconvéniens, & la monstrueuse indécence qui se trouve dans l'ivresse. Bien que celui - ci semble quelquefois avoir un air de gaieté, le plaisir qu'elle peut donner est toujours un plaisir de fou qui n'ôte point l'horreur secrette que nous concevons contre tout ce qui détruit la raison, laquelle seule contribue à rendre constamment heureux ceux avec qui nous vivons.

Le vice de l'incontinence qui paroît moins opposé au bonheur de la société, l'est peut-être encore davantage. On conviendra d'abord que quand elle blesse les droits du mariage, elle fait au coeur de l'outragé la plaie la plus profonde : les loix romaines qui servent comme de principes aux autres loix, supposent qu'en ce moment il n'est pas en état de se posséder ; de maniere qu'elles semblent excuser en lui le transport par lequel il ôteroit la vie à l'auteur de son outrage. Ainsi le meurtre, qui est le plus opposé de l'humanité, semble par-là être mis en parallele avec l'adultere. Les plus tragiques événemens de l'histoire, & les figures les plus pathétiques qu'ait inventé la fable, ne nous montrent rien de plus affreux que les effets de l'incontinence dans le crime de l'adultere ; ce vice n'a guere de moins funestes effets, quand il se rencontre entre des personnes libres ; la jalousie y produit fréquemment les mêmes fureurs. Un homme d'ailleurs livré à cette passion, n'est plus à lui-même ; il tombe dans une sorte d'humeur morne & brute qui le dégoûte de ses devoirs ; l'amitié, la charité, la parenté, la république, n'ont point de voix qui se fasse entendre, quand leurs droits se trouvent en compromis avec les attraits de la volupté. Ceux qui en sont atteints, & qui se flattent de n'avoir jamais oublié ce qu'ils doivent à leur état, jugent de leur conduite par ce qu'ils en connoissent ; mais toute passion nous aveugle ; & de toutes les passions, il n'en est point qui aveugle davantage. C'est le caractere le plus marqué que la vérité & la fable attribuent de concert à l'amour ; ce seroit une espece de miracle, qu'un homme sujet aux désordres de l'incontinence, qui donnât à sa famille, à ses amis, à ses citoyens, la satisfaction & la douceur que demanderoient les droits du sang, de la patrie, & de l'amitié ; enfin, la nonchalance, le dégoût, la mollesse, sont les moindres & les plus ordinaires inconvéniens de ce vice. Le savoir vivre qui est la plus douce & la plus familiere des vertus de la vie civile, ne se trouve communément dans la pratique que par l'usage de se contraindre sans contraindre les autres. Combien faut - il davantage se contraindre & gagner sur soi, pour remplir les devoirs les plus importans qu'exigent la droiture, l'équité, la charité, qui sont la base & le fondement de toute société ? Or, de quelle contrainte est capable un homme amolli & efféminé ? Ce n'est pas que malgré ce vice, il ne reste encore de bonnes qualités ; mais il est certain que par-là elles sont extraordinairement affoiblies ; il est donc constant que la société se ressent toujours de la maligne influence des désordres qui paroissent d'abord ne lui donner aucune atteinte. Or, puisque la religion est un frein nécessaire pour les arrêter, il s'ensuit évidemment qu'elle doit s'unir à la morale, pour assurer le bonheur de la société.

2°. Il est certain que les devoirs qui nous reglent par rapport à nous - mêmes, n'aident pas peu à nous régler aussi par rapport aux autres hommes. Il est encore certain que ces deux sortes de devoirs se renforcent beaucoup de notre exactitude à remplir nos devoirs envers Dieu. La crainte de Dieu jointe à un parfait dévouement pour sa volonté, est un motif très-efficace pour engager les hommes à s'acquiter de ce qui les concerne directement eux-mêmes, & à faire pour la société tout ce qu'ordonne la loi naturelle. Otez une fois la religion, vous ébranlez tout l'édifice des vertus morales ; il ne repose sur rien. Concluons que les trois principes de nos devoirs sont trois différens ressorts qui donnent au système de l'humanité le mouvement & l'action, & qu'ils agissent tous à - la - fois pour l'exécution des vûes du Créateur.

3°. La société, toute armée qu'elle est des loix, n'a de force que pour empêcher les hommes de violer ouvertement la justice, tandis que les attentats commis en secret, & qui ne sont pas moins préjudiciables au bien public ou commun, échappent à sa rigueur. Depuis même l'invention des sociétés, les voies ouvertes se trouvant prohibées, l'homme est devenu beaucoup plus habile dans la pratique des voies secrettes, puisque c'est la seule ressource qui lui reste pour satisfaire ses desirs immodérés ; desirs qui ne subsistent pas moins dans l'état de société que dans celui de nature. La société fournit elle - même une espece d'encouragement à ces manoeuvres obscures & criminelles, dont la loi ne sauroit prendre connoissance, en ce que ses soins pour la sûreté commune, le but de son établissement, endorment les gens de bien en même tems qu'ils aiguisent l'industrie des scélérats. Ses propres précautions ont tourné contr'elle-même, elles ont subtilisé les vices, raffiné l'art du crime : & delà vient que l'on voit assez souvent chez les nations policées des forfaits dont on ne trouve point d'exemple chez les sauvages. Les Grecs avec toute leur politesse, avec toute leur érudition, & avec toute leur jurisprudence, n'acquirent jamais la probité que la nature toute seule faisoit reluire parmi les Scythes.

Ce n'est pas tout : les loix civiles ne sauroient empêcher qu'on ne donne quelquefois au droit & à la justice des atteintes ouvertes & publiques ; elles ne le sauroient lorsqu'une prohibition trop sévere donne lieu de craindre quelqu'irrégularité plus grande, ce qui arrive dans les cas où l'irrégularité est l'effet de l'intempérance des passions naturelles. L'on convient généralement qu'il n'y a point d'état grand & florissant où l'on puisse punir l'incontinence de la maniere que le mériteroient les funestes influences de ce vice à l'égard de la société. Restreindre ce vice avec trop de sévérité, ce seroit donner lieu à des désordres encore plus grands.

Ce ne sont pas là les seuls foibles de la loi : en approfondissant les devoirs réciproques qui naissent de l'égalité des citoyens, on trouve que ces devoirs sont de deux sortes ; les uns que l'on appelle devoirs d'obligation parfaite, parce que la loi civile peut aisément & doit nécessairement en prescrire l'étroite observation ; les autres que l'on appelle devoirs d'obligation imparfaite, non que les principes de morale n'en exigent en eux-mêmes la pratique avec rigidité, mais parce que la loi ne peut que trop difficilement en prendre connoissance, & que l'on suppose qu'ils n'affectent point si immédiatement le bien être de la société. De cette derniere espece sont les devoirs de la reconnoissance, de l'hospitalité, de la charité, &c. devoirs sur lesquels les loix en général gardent un profond silence, & dont la violation néanmoins est aussi fatale, quoiqu'à la vérité moins promte dans ses effets que celle des devoirs d'obligation parfaite. Séneque, dont les sentimens en cette occasion sont ceux de l'antiquité, ne fait point difficulté de dire que rien n'est plus capable de rompre la concorde du genre humain que l'ingratitude.

La société elle-même a produit un nouveau genre de devoirs qui n'existoient point dans l'état de nature ; & quoiqu'entierement de sa création, elle a manqué de pouvoir pour les faire observer : telle est par exemple, cette vertu surannée & presque hors de mode, que l'on appelle l'amour de la patrie. Enfin la société a non - seulement produit de nouveaux devoirs, sans en pouvoir prescrire une observation étroite & rigide ; mais elle a encore le défaut d'avoir augmenté & enflammé ces desirs désordonnés qu'elle devoit servir à éteindre & à corriger ; semblable à ces remedes qui dans le tems qu'ils travaillent à la guérison d'une maladie, en augmentent le degré de malignité. Dans l'état de nature, on avoit peu de choses à souhaiter, peu de desirs à combattre ; mais depuis l'établissement des sociétés, nos besoins ont augmenté à mesure que les rits de la vie se sont multipliés & perfectionnés ; l'accroissement de nos besoins a été suivi de celui de nos desirs, & graduellement de celui de nos efforts, pour surmonter l'obstacle des loix : c'est cet accroissement de nouveaux arts, de nouveaux besoins, de nouveaux desirs, qui a insensiblement amorti l'esprit d'hospitalité & de générosité, & qui lui a substitué celui de cupidité, de venalité & d'avarice.

La nature des devoirs, dont l'observation est nécessaire pour conserver l'harmonie de la société civile ; les tentations fortes & fréquentes, & les moyens obscurs & secrets qu'on a de les violer ; le foible obstacle que l'infliction des peines ordinaires par les loix oppose à l'infraction de plusieurs de ces devoirs, le manque d'encouragement à les observer, provenant de l'impossibilité où est la société de distribuer de justes récompenses : tous ces défauts, toutes ces imperfections inséparables de la nature de la société même, démontrent la nécessité d'y ajouter la force de quelqu'autre pouvoir coactif, capable d'avoir assez d'influence sur l'esprit des hommes pour maintenir la société, & l'empêcher de retomber dans la confusion & le désordre. Puisque la crainte du mal & l'espérance du bien, qui sont les deux grands ressorts de la nature pour déterminer les hommes, suffisent à peine pour faire observer les loix ; puisque la société civile ne peut employer l'un qu'imparfaitement, & n'est point en état de faire aucun usage de l'autre ; puisque enfin la religion seule peut réunir ces deux ressorts & leur donner de l'activité, qu'elle seule peut infliger des peines & toujours certaines & toujours justes ; que l'infraction soit ou publique ou secrette, & que les devoirs enfraints soient d'une obligation parfaite ou imparfaite ; puisqu'elle seule peut apprécier le mérite de l'obéissance, pénétrer les motifs de nos actions, & offrir à la vertu des récompenses que la société civile ne sauroit donner, il s'ensuit évidemment que l'autorité de la religion est de nécessité absolue, nonseulement pour procurer à la société mille douceurs & mille agrémens, mais encore pour assurer l'observation des devoirs, & maintenir le gouvernement civil. Voyez l'article de la PROBITE, & celui des ATHEES.

La religion ayant été démontrée nécessaire au soutien de la société civile, on n'a pas besoin de démontrer qu'on doit se servir de son secours de la maniere la plus avantageuse à la société, puisque l'expérience de tous les siecles & de tous les pays nous apprend que leur force réunie suffit à peine pour réfréner les désordres, & empêcher les hommes de tomber dans un état de violence & de confusion. La politique & la religion, l'état & l'Eglise, la société civile & la société religieuse, lorsqu'on sait les unir & les lier ensemble, s'embellissent & se fortifient réciproquement, mais on ne peut faire cette union qu'on n'ait premierement approfondi leur nature.

Pour s'assurer de leur nature, le vrai moyen est de découvrir & de fixer quelle est leur fin ou leur but. Les ultramontains ont voulu asservir l'état à l'Eglise ; & les Erastiens, gens factieux qui s'éleverent en Angleterre du tems de la prétendue réformation, ainsi appellés du nom de Thomas Eraste leur chef, ont voulu asservir l'Eglise à l'état. Pour cet effet, ils anéantissoient toute discipline ecclésiastique, & dépouilloient l'Eglise de tous ses droits, soutenant qu'elle ne pouvoit ni excommunier ni absoudre, ni faire des decrets. C'est pour n'avoir point étudié la nature de ces deux différentes sociétés, que les uns & les autres sont tombés à ce sujet dans les erreurs les plus étranges & les plus funestes.

Les hommes en instituant la société civile, ont renoncé à leur liberté naturelle, & se sont soumis à l'empire du souverain civil : or ce ne pouvoit pas être dans la vûe de se procurer les biens dont ils auroient pu jouir sans cela ; c'étoit donc dans la vûe de quelque bien fixe & précis, qu'ils ne pouvoient se promettre que de l'établissement de la source civile ; & ce ne peut être que pour se procurer cet objet qu'ils ont armé le souverain de la force de tous les membres qui composent la société, afin d'assurer l'exécution des decrets que l'état rendroit dans cette vûe. Or ce bien fixe & précis qu'ils ont eu en vûe en s'associant, n'a pu être que celui de se garantir réciproquement des injures qu'ils auroient pu recevoir des autres hommes, & de se mettre en état d'opposer à leur violence une force plus grande, & qui fût capable de punir leur attentat. C'est ce que promet aussi la nature du pouvoir dont la société civile est revêtue pour faire observer ses loix ; pouvoir qui ne consiste que dans la force & les châtimens, & dont elle ne sauroit faire un usage légitime que conformément au but pour lequel elle a été établie. Elle en abuse lorsqu'elle entreprend de l'appliquer à une autre fin ; & cela est si manifeste & si exactement vrai, qu'alors même son pouvoir devient inefficace ; sa force, si puissante pour les intérêts civils ou corporels, ne pouvant rien sur les choses intellectuelles & spirituelles. C'est sur ces principes incontestables que M. Locke a démontré la justice de la tolérance, & l'injustice de la persécution en matiere de religion.

Nous disons donc avec ce grand philosophe, que le salut des ames n'est ni la cause ni le but de l'institution des sociétés civiles. Ce principe établi, il s'ensuit que la doctrine & la morale, qui sont les moyens de gagner le salut, & qui constituent ce que les hommes en général entendent par le mot de religion, ne sont point du district du magistrat. Il est évident que la doctrine n'en est point, parce que le pouvoir du magistrat ne peut rien sur les opinions : par rapport à la morale, la discution de ce point exige une distinction. L'institution & la réformation des moeurs intéressent le corps & l'ame, l'économie civile & religieuse en tant qu'elles intéressent la religion, le magistrat civil en est exclus ; mais en tant qu'elles intéressent l'état, le magistrat doit y veiller lorsque le cas le requiert, y faire intervenir la force de l'autorité. Que l'on jette les yeux sur tous les codes & les digestes, à chaque action criminelle est désigné son châtiment ; non en tant qu'elle est vice ou qu'elle s'éloigne des regles éternelles du juste ou de l'injuste ; non en tant qu'elle est péché, ou qu'elle s'éloigne des regles prescrites par la révélation extraordinaire de la volonté divine, mais en tant qu'elle est crime, c'est-à-dire à proportion de la malignité de son influence, relativement au bien de la société civile. Si l'on en demande la raison, c'est que la société a pour but, non le bien des particuliers, mais le bien public, qui exige que les loix déployent toute leur sévérité contre les crimes auxquels les hommes sont les plus enclins, & qui attaquent de plus près les fondemens de la société.

Différentes raisons & diverses circonstances ont contribué à faire croire que les soins du magistrat s'étendoient naturellement à la religion, en tant qu'elle concerne le salut des ames. Il a lui-même encouragé cette illusion flatteuse, comme propre à augmenter son pouvoir & la vénération des peuples pour sa personne. Le mêlange confus des intérêts civils & religieux, lui a fourni les moyens de pouvoir le faire avec assez de facilité.

Dans l'enfance de la société civile, les peres de famille qui remplissoient toujours les fonctions du sacerdoce, étant parvenus ou appellés à l'administration des affaires publiques, porterent les fonctions de leur premier état dans la magistrature, & exécuterent en personne ces doubles fonctions. Ce qui n'étoit qu'accidentel dans son origine, a été regardé dans la suite comme essentiel. La plûpart des anciens législateurs ayant trouvé qu'il étoit nécessaire pour exécuter leurs projets, de prétendre à quelque inspiration & à l'assistance extraordinaire des dieux, il leur étoit naturel de mêler & de confondre les objets civils & religieux, & les crimes contre l'état, avec les crimes contre les dieux sous l'auspice desquels l'état avoit été établi & se conservoit. D'ailleurs dans le paganisme outre la religion des particuliers, il y avoit un culte & des cérémonies publiques instituées & observées par l'état & pour l'état, comme état. La religion intervenoit dans les affaires du gouvernement ; on n'entreprenoit, on n'exécutoit rien sans l'avis de l'oracle. Dans la suite, lorsque les empereurs romains se convertirent à la religion chrétienne, & qu'ils placerent la croix sur le diadème, le zele dont tout nouveau prosélite est ordinairement épris, leur fit introduire dans les institutions civiles des loix contre le péché. Ils firent passer dans l'administration politique les exemples & les préceptes de l'Ecriture, ce qui contribua beaucoup à confondre la distinction qui se trouve entre la société civile & la société religieuse. On ne doit cependant pas rejetter ce faux jugement sur la religion chrétienne, car la distinction de ces deux sociétés y est si expresse & si formelle, qu'il n'est pas aisé de s'y méprendre. L'origine de cette erreur est plus ancienne, & on doit l'attribuer à la nature de la religion juive, où ces deux sociétés étoient en quelque maniere incorporées ensemble.

L'établissement de la police civile parmi les Juifs étant l'institution immédiate de Dieu même, le plan en fut regardé comme le modele du gouvernement le plus parfait & le plus digne d'être imité par des magistrats chrétiens. Mais l'on ne fit pas réflexion que cette jurisdiction à laquelle les crimes & les péchés étoient assujettis, étoit une conséquence nécessaire d'un gouvernement théocratique, où Dieu présidoit d'une maniere particuliere, & qui étoit d'une forme & d'une espece absolument différentes de celles de tous les gouvernemens d'institution humaine. C'est à la même cause qu'il faut attribuer les erreurs des Protestans sur la réformation des états, la tête de leurs premiers chefs se trouvant remplie des idées de l'économie judaïque. On ne doit pas être étonné que dans les pays où le gouvernement reçut une nouvelle forme en même tems que les peuples adopterent une religion nouvelle, on ait affecté une imitation ridicule du gouvernement des Juifs, & qu'en conséquence le magistrat ait témoigné plus de zele pour réprimer les péchés, que pour réprimer les crimes. Les ministres prétendus réformés, hommes impérieux, en voulant modéler les états sur leurs vues théologiques, prouverent, de l'aveu même des protestans sensés, qu'ils étoient aussi mauvais politiques que mauvais théologiens. A ces causes de la confusion des matieres civiles & religieuses, on en peut encore ajouter plusieurs autres. Il n'y a jamais eu de société civile ancienne ou moderne, où il n'y ait eu une religion favorite établie & protégée par les loix, établissement qui est fondé sur l'alliance libre & volontaire qui se fait entre la puissance ecclésiastique pour l'avantage réciproque de l'un & de l'autre. Or en conséquence de cette alliance, les deux sociétés se prêtent en certaines occasions une grande partie de leur pouvoir, & il arrive même quelquefois qu'elles en abusent réciproquement. Les hommes jugeant par les faits, sans remonter à leur cause & à leur origine, ont cru que la société civile avoit par son essence un pouvoir qu'elle n'a que par emprunt. On doit encore observer que quelquefois la malignité du crime est égale à celle du péché, & que dans ce cas les hommes ont peu considéré si le magistrat punissoit l'action comme crime ou comme péché ; tel est, par exemple, le cas du parjure & de la profanation du nom de Dieu, que les loix civiles de tous les états punissent avec sévérité. L'idée complexe de crime & celle de péché étant d'ailleurs d'une nature abstraite, & composée d'idées simples, communes à l'une & à l'autre, elles n'ont pas été également distinguées par tout le monde ; souvent elles ont été confondues, comme n'étant qu'une seule & même idée ; ce qui sans-doute n'a pas peu contribué à fomenter l'erreur de ceux qui confondent les droits respectifs des sociétés civiles & religieuses. Cet examen suffit pour faire voir que c'est le but véritable de la société civile, & quelles sont les causes des erreurs où l'on est tombé à ce sujet.

Le but final de la société religieuse est de procurer à chacun la faveur de Dieu, faveur qu'on ne peut acquérir que par la droiture de l'esprit & du coeur, ensorte que le but intermédiaire de la religion a pour objet la perfection de nos facultés spirituelles. La société religieuse a aussi un but distinct & indépendant de celui de la société civile, il s'ensuit nécessairement qu'elle en est indépendante, & que par conséquent elle est souveraine en son espece. Car la dépendance d'une société à l'égard de l'autre, ne peut procéder que de deux principes, & d'une cause naturelle, ou d'une cause civile. Une dépendance fondée sur la loi de nature doit provenir de l'essence ou de la génération de la chose. Il ne sauroit y en avoir dans le cas dont il s'agit par essence ; car cette espece de dépendance supposeroit nécessairement entre ces deux sociétés une union ou un mêlange naturel qui n'a lieu qu'autant que deux sociétés sont liées par leur relation avec un objet commun. Or leur objet loin d'être commun est absolument différent l'un de l'autre, la derniere fin de l'une étant le soin de l'ame, & celle de l'autre le soin du corps & de ses intérêts ; l'une ne pouvant agir que par des voies intérieures, & l'autre au contraire que par des voies extérieures. Pour qu'il y eût une dépendance entre ces sociétés, en vertu de leur génération, il faudroit que l'une dût son existence à l'autre, comme les corporations, les communautés & les tribunaux la doivent aux villes ou aux états qui les ont créés. Ces différentes sociétés, autant par la conformité de leurs fins & de leurs moyens, que par leurs chartres, ou leurs lettres de création ou d'érection trahissent elles-mêmes, & manifestent leur origine & leur dépendance. Mais la société religieuse n'ayant point un but ni des moyens conformes à ceux de l'état, donne par-là des preuves intérieures de son indépendance ; & elle les confirme par des preuves extérieures, en faisant voir qu'elle n'est pas de la création de l'état, puisqu'elle existoit déja avant la fondation des sociétés civiles. Par rapport à une dépendance fondée sur une cause civile, elle ne peut avoir lieu. Comme les sociétés religieuses & civiles different entierement & dans leurs buts, & dans leurs moyens, l'administration de l'une agit dans une sphere si éloignée de l'autre, qu'elles ne peuvent jamais se trouver opposées l'une à l'autre ; ensorte que la nécessité d'état qui exigeoit que les loix de la nation missent l'une dans la dépendance de l'autre, ne sauroit avoir lieu, si l'office du magistrat civil s'étendoit au soin des ames, l'église ne seroit alors entre ses mains qu'un instrument pour parvenir à cette fin. Hobbes & ses sectateurs ont fortement soutenu cette thèse. Si d'un autre côté l'office des sociétés religieuses s'étendoit aux soins du corps & de ses intérêts, l'état couroit grand risque de tomber dans la servitude de l'église. Car les sociétés religieuses ayant certainement le district le plus noble, qui est le soin des ames, ayant ou prétendant avoir une origine divine, tandis que la forme des états n'est que d'institution humaine ; si elles ajoutoient à leurs droits légitimes le soin du corps & de ses intérêts, elles réclameroient alors, comme de droit, une supériorité sur l'état dans le cas de compétence ; & l'on doit supposer qu'elles ne manqueroient pas de pouvoir pour maintenir leur droit : car c'est une conséquence nécessaire, que toute société dont le soin s'étend aux intérêts corporels, doit être revêtue d'un pouvoir coactif. Ces maximes n'ont eu que trop de vogue pendant un tems. Les ultramontains habiles dans le choix des circonstances, ont tâché de se prévaloir des troubles intérieurs des états, pour les établir & élever la chaire apostolique au-dessus du trône des potentats de la terre, ils en ont exigé, & quelquefois reçu hommage, & ils ont tâché de le rendre universel. Mais ils ont trouvé une barriere insurmontable dans la noble & digne résistance de l'Eglise gallicane, également fidele à son Dieu & à son roi.

Nous posons donc comme maxime fondamentale, & comme une conséquence évidente de ce principe, que la société religieuse n'a aucun pouvoir coactif semblable à celui qui est entre les mains de la société civile. Des objets qui different entierement de leur nature, ne peuvent s'acquérir par un seul & même moyen. Les mêmes relations produisant les mêmes effets, des effets différens ne peuvent provenir des mêmes relations. Ainsi la force & la contrainte n'agissant que sur l'extérieur, ne peuvent aussi produire que des biens extérieurs, objets des institutions civiles ; & ne sauroient produire des biens intérieurs, objets des institutions religieuses. Tout le pouvoir coactif, qui est naturel à une société religieuse, se termine au droit d'excommunication, & ce droit est utile & nécessaire, pour qu'il y ait un culte uniforme ; ce qui ne peut se faire qu'en chassant du corps tous ceux qui refusent de se conformer au culte public : il est donc convenable & utile que la société religieuse jouisse de ce droit d'expulsion. Toutes sortes de société quels qu'en soient les moyens & la fin, doivent nécessairement comme société avoir ce droit, droit inséparable de leur essence ; sans cela elles se dissoudroient d'elles - mêmes, & retomberoient dans le néant, précisément de même que le corps naturel, si la nature, dont les sociétés imitent la conduite en ce point, n'avoit pas la force d'évacuer les humeurs vicieuses & malignes ; mais ce pouvoir utile & nécessaire est tout celui & le seul dont la société religieuse ait besoin ; car par l'exercice de ce pouvoir, la conformité du culte est conservée, son essence & sa fin sont assurées, & le bien-être de la société n'exige rien au-delà. Un pouvoir plus grand dans une société religieuse seroit déplacé & injuste.

SOCIETE, (Jurisprud.) signifie en général une union de plusieurs personnes pour quelque objet qui les rassemble. La plus ancienne de toutes les sociétés est celle du mariage, qui est d'institution divine.

Chaque famille forme une société naturelle dont le pere est le chef.

Plusieurs familles réunies dans une même ville, bourg ou village, forment une société plus ou moins considérable, selon le nombre de ceux qui la composent, lesquels sont liés entr'eux par leurs besoins mutuels & par les rapports qu'ils ont les uns aux autres ; cette union est ce qu'on appelle société civile ou politique ; & dans ce sens tous les hommes d'un même pays, d'une même nation & même du monde entier, composent une société universelle.

Outre ces sociétés générales, il se forme encore dans un même état, dans une même ville, ou autre lieu, diverses sociétés particulieres ; les unes relatives à la religion, qu'on appelle communautés & congrégations, ordres religieux ; les autres relatives aux affaires temporelles, telles que les communautés d'habitans, les corps de ville ; d'autres relatives à l'administration de la justice, telles que les compagnies établies pour rendre la justice ; d'autres relatives aux arts & aux sciences, telles que les universités, les colleges, les académies, & autres sociétés littéraires ; d'autres encore relativement à des titres d'honneur, telles que les ordres royaux & militaires ; enfin d'autres qui ont rapport aux finances, ou au commerce, ou à d'autres entreprises.

Les sociétés qui se contractent entre marchands, ou entre particuliers, sont une convention entre deux ou plusieurs personnes, par laquelle ils mettent en commun entr'eux tous leurs biens ou une partie, ou quelque commerce, ouvrage, ou autre affaire, pour en partager les profits, & en supporter la perte en commun, chacun selon leur fonds, ou ce qui est réglé par le traité de société.

Quand la part de chacun dans les profits & pertes n'est pas réglée par la convention, elle doit être égale.

Les portions peuvent être réglées d'une maniere inégale, soit eu égard à l'inégalité des fonds, ou à ce que l'un met plus de travail & d'industrie que l'autre.

On peut aussi convenir qu'un associé aura plus grande part dans les profits qu'il n'en supportera dans la perte, & même qu'un associé ne supportera rien de la perte, pourvu néanmoins que la perte soit prélevée avant qu'on regle sa part des profits, autrement la société seroit léonine.

Aucune société ne peut être contractée que pour un objet honnête & licite, & elle ne doit rien contenir de contraire à l'équité & à la bonne foi, qui doit être l'ame de toutes les sociétés ; du reste, elles sont susceptibles de toutes les clauses & conditions licites.

Pour former une société, il faut le consentement de tous les associés.

On peut avoir quelque chose en commun, comme des cohéritiers, des collégataires, sans être pour cela associés.

L'héritier d'un associé n'est même pas associé, parce qu'il n'a pas été choisi pour tel ; on peut cependant stipuler, que le droit de l'associé décédé passera à son héritier.

Si l'un des associés s'associe une autre personne, ce tiers ne devient point associé des autres, il n'est considéré que comme l'associé particulier de celui qui l'a adjoint avec lui, & c'est ce que l'on appelle vulgairement croupier.

Une société se peut contracter par écrit ou même sans écrit, par un consentement tacite.

Entre marchands les sociétés doivent être rédigées par écrit, & il doit en être déposé un extrait au greffe de la jurisdiction consulaire.

Les sociétés peuvent être générales de tous biens, ou relatives seulement à un certain objet, auquel cas elles se bornent à cet objet, & aux profits qui en proviennent, & n'embrassent point ce qui vient d'ailleurs.

On ne doit prendre sur les biens de la société que les dépenses licites, & dettes contractées pour le compte de la société ; chaque associé doit payer seul ses dettes particulieres, soit sur sa part, ou autrement.

Si la société étoit de tous biens, chaque associé ne peut disposer que de sa portion, & ne doit prendre sur le fonds commun que son entretien & celui de sa famille.

On peut cependant convenir dans une société générale que les dots des filles se prendront sur le fonds commun à mesure que les filles seront en âge d'être pourvues.

Les associés doivent demeurer unis & se garder fidélité. Chacun d'eux est obligé d'apporter tous ses soins pour l'intérêt commun, & est responsable aux autres de ce qui arrive par son dol, ou par sa faute grossiere.

Mais ils ne sont jamais tenus des cas fortuits, à-moins que leur faute n'y ait donné lieu.

Un associé ne peut rien faire contre le gré des autres, ni les engager sans leur fait, à-moins qu'il n'ait été chargé d'eux.

Il n'est pas permis à un associé de retirer son fonds avant la fin de la société.

Mais la société peut se dissoudre avant la fin, du consentement de tous les associés.

Chaque associé peut même renoncer à la société, pourvu que ce soit sans fraude, & que sa renonciation ne soit pas faite à contre-tems.

La société finit aussi lorsque l'objet pour lequel elle avoit été contractée est rempli, ou qu'il ne peut plus avoir lieu.

La mort naturelle ou civile d'un associé fait pareillement finir la société à son égard.

La société étant finie, l'on préleve les dettes, chacun se rembourse de ses avances, & l'on partage ensuite les profits s'il y en a.

L'héritier de l'associé a part aux profits qui étoient déja acquis, & porte aussi sa part des dettes qui étoient contractées ; il prend les choses en l'état qu'elles étoient au moment du décès. Voyez au digeste & au code le titre pro socio, l'ordonnance du commerce, tit. 4. Savary, & les mots ASSOCIES, COMMANDITE, COMMERCE, MARCHANDS. (A)

SOCIETE ANONYME, est celle qui se contracte sans paroître sous aucun nom. Ceux qui font ces sociétés travaillent chacun de leur côté sous leurs noms particuliers, pour se rendre ensuite raison l'un à l'autre des profits & pertes qu'ils ont fait dans leurs négociations. Voyez Savary.

SOCIETE CIVILE, s'entend du corps politique que les hommes d'une même nation, d'un même état, d'une même ville ou autre lieu, forment ensemble, & des liens politiques qui les attachent les uns aux autres ; c'est le commerce civil du monde, les liaisons que les hommes ont ensemble, comme sujets d'un même prince, comme concitoyens d'une même ville, & comme sujets aux mêmes lois, & participant aux droits & privileges qui sont communs à tous ceux qui composent cette même société. Voyez CITE, CITOYEN, ÉTAT, NATION, PEUPLE.

SOCIETE EN NOM COLLECTIF, est celle où le commerce & toutes les affaires communes se font, sous le nom de chacun des associés, qui sont tous dénommés dans les actes comme négocians en compagnie, ou seulement sous le nom d'un ou deux d'entr'eux, avec cette addition & compagnie, qui annonce que ceux qui sont dénommés négocient en compagnie, & qu'ils ont encore quelques autres associés qui ne sont pas dénommés.

SOCIETE EN COMMANDE est confondue par quelques-uns avec la société en commandite. Il semble néanmoins qu'il y ait quelque différence, & que le terme de société en commande convienne plus particulierement à cette espece de société qui se contracte entre celui qui donne des bestiaux à cheptel, & le preneur de ces bestiaux, sous la condition d'avoir certaine part aux profits provenans des bestiaux. Voyez BESTIAUX, CHEPTEL, COMMANDE & SOCIETE EN COMMANDITE.

SOCIETE EN COMMANDITE, est celle qui se fait entre deux personnes, dont l'une ne fait que mettre son argent dans la société, sans faire aucune fonction d'associé ; & l'autre donne quelquefois son argent, mais toujours son industrie pour faire sous son nom le commerce des marchandises dont ils sont convenus ensemble. Voyez Savary.

SOCIETE LEONINE est celle où l'un des associés tire pour lui seul tout le profit, ou du moins la plus grande partie, tandis que les autres ne sont participans que des pertes. Le surnom de léonines donné à ces sortes de sociétés, paroît avoir été tiré de la fable du lion, où cet animal sous divers prétextes, retient partout la part de ses associés, & garde tout pour lui.

SOCIETE PAR PARTICIPATION, est la même chose que la société anonyme. Elle est ainsi appellée, parce que celui qui promet de payer une partie du prix de la chose que l'on achete en commun, ne le fait qu'à la charge de participer au profit. Voyez SOCIETE ANONYME.

SOCIETE TACITE, est celle qui se contracte sans écrit, & même sans convention expresse, entre deux ou plusieurs personnes, par la demeure commune, mélange de biens, vie, bourse & dépense commune, & autrement que par le mariage. Voyez le traité de le Brun, inséré à la fin de son tr. de la communauté. (A)

SOCIETE D'EDIMBOURG, est le nom d'une académie de médecine, établie dans cette capitale de l'Ecosse. Elle a publié des mémoires estimés, dont plusieurs volumes sont traduits en françois.

SOCIETE ROYALE DE LONDRES, (Hist. des acad. mod.) académie de savans, établie à Londres pour la culture des arts & des sciences. Voici ce qu'en dit M. de Voltaire.

Quelques philosophes anglois, sous la sombre administration de Cromwel, s'assemblerent pour chercher en paix des vérités, tandis que le fanatisme opprimoit toute vérité. Charles II. rappellé sur le trône de ses ancêtres par l'inconstance de sa nation, donna des lettres patentes en 1660, à cette académie naissante ; mais c'est tout ce que le gouvernement donna. La société royale, ou plutôt la société libre de Londres, travailla pour l'honneur de travailler.

Ses travaux commencerent à adoucir les moeurs, en éclairant les esprits. Les Belles-lettres renaquirent, & se perfectionnerent de jour en jour. On n'avoit guere connu du tems de Cromwel, d'autre littérature que celle d'adapter des passages de l'ancien & du nouveau Testament aux dissensions publiques. On s'appliqua sous Charles II. à connoître la nature, & à suivre la route que le chancelier Bacon avoit montrée. La science des mathématiques fut portée bientôt à un point que les Archimedes n'avoient pu même deviner. Un grand homme, un homme étonnant, découvrit les loix primitives de la constitution générale de l'univers ; & tandis que toutes les autres nations se repaissoient de fables, les Anglois trouverent les plus sublimes vérités. Les progrès furent rapides & immenses en 30 années : c'est-là un mérite, une gloire qui ne passeront jamais. Le fruit du génie & de l'étude reste ; & les effets de l'ambition & des passions s'anéantissent avec les tems qui les ont produits.

Enfin l'esprit de la nation angloise acquit, sous le regne de Charles II. une réputation immortelle, quoique le gouvernement n'en eût point. C'est du sein de cette nation savante que sont sorties les découvertes sur la lumiere, sur le principe de la gravitation, sur l'abberration des étoiles fixes, sur la géométrie transcendante, & cent autres inventions qui pourroient à cet égard, faire appeller le xvij. siecle, le siecle des Anglois, aussi-bien que celui de Louis XIV.

M. Colbert, jaloux de cette nouvelle gloire des Anglois, voulut que les François la partageassent ; & à la priere de quelques savans, il fit agréer au roi l'établissement d'une académie des Sciences. Elle fut libre jusques en 1699, comme celle d'Angleterre ; mais elle n'a pas conservé ce précieux avantage.

Au reste, le docteur Sprat, évêque de Rochester, a donné l'histoire détaillée de la société royale de Londres ; & comme cette histoire est traduite en françois, tout le monde peut la consulter. (D.J.)

SOCIETE ROYALE DES SCIENCES, c'est sous ce nom que Louis XIV. fonda en 1706, une académie à Montpellier. Les motifs qui l'engagerent à cet établissement, furent la célébrité de cette ville, sa situation, la température & la sérénité de l'air, qui mettent en état de faire plus facilement qu'en aucun autre endroit, des observations & des recherches utiles & curieuses ; le nombre des savans qui y accouroient de toutes parts, ou qui s'y formoient dans les différentes sciences, & sur-tout dans une des parties la plus importante de la Physique. Le roi pour exciter davantage l'émulation des membres qu'il y nomma, voulut que la société royale des Sciences demeurât toujours sous sa protection, de la même maniere que l'académie royale des Sciences ; qu'elle entretînt avec cette académie l'union la plus intime, comme ne faisant ensemble qu'un seul & même corps ; que ces deux académies s'envoyeroient réciproquement un exemplaire de tout ce qu'elles feroient imprimer en leur nom ; qu'elles se chargeroient aussi mutuellement d'examiner les matieres importantes ; que leurs membres eussent séance dans les assemblées de l'une & de l'autre ; que la société royale des Sciences enverra toutes les années une des pieces qui y seront lues dans ses assemblées, pour être imprimées dans le recueil des mémoires de l'académie royale des Sciences, &c. Voyez les lettres-patentes & statuts donnés au mois de Février 1706.

Cette société n'a rien oublié pour répondre dans tous les tems aux vûes & aux bontés de S. M. toutes les sciences y ont été cultivées avec beaucoup de zele & de succès ; & quoique la Médecine soit la science favorite de cette ville qui a été son berceau & son premier asyle en France, & quoiqu'on s'y applique avec un soin particulier aux objets qui y sont relatifs, il ne laisse pas d'y avoir des personnes très-distinguées dans les autres parties de la Physique & les Mathématiques. On pourroit en voir la preuve dans plusieurs articles de ce Dictionnaire.


SOCINIENSS. m. pl. (Hist. ecclés.) Voyez UNITAIRES.


SOCLES. m. (Archit.) corps quarré plus bas que sa largeur, qui se met sous les bases des piédestaux, des statues, des vases, &c. Ce mot vient du latin soccus, sandale, à cause que ce corps sert à élever le pié des bâtimens, comme sur des patins ou sandales. Les Italiens appellent le socle soccolo, qui veut dire patin. (D.J.)


SOCOS. m. (Ornith.) oiseau du Brésil du genre des hérons, mais remarquable en particulier par la longueur de son col ; il est plus petit que le héron ordinaire, a le bec droit, pointu, la queue courte, la tête & le col bruns, avec des taches noires ; ses aîles ont un mélange blanc dans leur moucheture. Marggrave, hist. Brasil. (D.J.)


SOCONUSCO(Géogr. mod.) province de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle Espagne. Elle est bornée au nord par la province de Chiapa, au midi par la mer du sud, au levant par la province de Guatimala, & au couchant par la province de Guaxaca. De Laët lui donne environ 35 lieues de long, & presque autant de large. On n'y trouve d'autres places que Soconusco, qui n'est habitée que par un petit nombre d'espagnols. (D.J.)


SOCOTERou SOCOTORA, (Géog. mod.) île située entre l'Arabie - heureuse & l'Afrique, au midi du cap Fartac, & au nord du cap Gardafui, environ à 20 lieues de ces deux continens. On donne à cette île une quarantaine de lieues de tour ; elle a un roi particulier, qui releve d'un chérif d'Arabie. Son produit consiste en bétail, en riz & en fruits ; on en tire aussi des dattes, de l'encens & de l'aloës ; sa capitale se nomme Tamara, Tamarin ou Tamarette. Latit. 13. (D.J.)


SOCOTH-BÉNOTH(Critique sacrée) idole des Babyloniens, dont il est fait mention au IV. liv. des rois, chap. xvij. 30. Elle fut apportée dans la Palestine par les Babyloniens transférés en Samarie. Ce mot socoth-bénoth signifie le tabernacle des filles ; & la plûpart des meilleurs critiques ont adopté l'opinion de Selden, que c'est le nom du temple dédié à la Vénus de Babylone, où les filles s'assembloient pour se prostituer en l'honneur de cette déesse ; nous apprenons ces particularités d'Hérodote.

Il y a, dit cet ancien historien, chez les Babyloniens, comme dans l'île de Chypre, une coutume honteuse, c'est que toutes leurs femmes sont obligées une fois dans leur vie de venir au temple de Vénus, & d'y accorder leurs faveurs à quelqu'un des étrangers qui s'y rendent de leur côté pour en jouir. Il arrive seulement que les femmes qui ne veulent pas se prostituer, se tiennent près du temple de la déesse dans leurs propres chars sous des lieux voûtés, avec leurs domestiques près d'elles ; mais la plûpart, magnifiquement parées & couronnées de fleurs, se reposent ou se promenent dans le palais de Vénus, attendant avec impatience que quelque étranger leur adresse ses voeux.

Ces étrangers se trouvent en foule dans différentes allées du temple, distinguées chacune par des cordeaux ; ils voyent à leur gré l'assemblée de toutes les Babyloniennes, & chacun peut prendre celle qui lui plaît davantage. Alors il lui donne une ou plusieurs pieces d'argent, en disant, " j'invoque pour toi la déesse Mylitta ", c'est le nom de Vénus chez les Assyriens. Il n'est ni permis à la femme de dédaigner l'argent qui lui est offert, quelque petite que soit la somme, parce qu'elle est destinée à un usage sacré, ni de refuser l'étranger qui dans ce moment lui donne la main, & l'emmene hors du sanctuaire de la déesse ; après avoir couché avec lui, elle a fait tout ce qu'il falloit pour se rendre Vénus favorable, & elle revient chez elle, où elle garde ensuite religieusement les regles de la chasteté.

Les femmes qui sont belles ne demeurent pas longtems dans le temple de Vénus, mais celles qui ne sont pas favorisées des graces de la nature y font quelquefois un séjour de quelques années, avant que d'avoir eu le bonheur de satisfaire à la loi de la déesse ; car elles n'osent retourner chez elles qu'avec la gloire de ce triomphe.

Strabon confirme en deux mots le récit d'Hérodote. C'est la coutume, dit - il, des Babyloniennes de chercher à devenir la conquête de quelque étranger. Dans ce dessein, elles accourent en foule extrêmement parées dans le temple de Vénus ; l'étranger jette de l'argent à celle qui lui plaît, l'emmene hors du temple & couche avec elle ; mais l'argent qu'il lui donne est consacré à la déesse.

Il semble que Baruch fasse allusion à cette pratique infâme, dans le chap. vj. vers. 42. & 43. de ses prophéties : " Les femmes entourées de cordeaux sont assises ou brûlent des noyaux d'olives ; & lorsque quelqu'une d'elles accueillie par quelque étranger va dormir avec lui, elle reproche à sa voisine qu'elle n'a pas eu la même faveur, & que son cordeau n'a pas été rompu ". (D.J.)


SOCQUEURS(Fontaines salantes) ouvriers employés dans les salines de Franche-Comté ; ainsi appellés de leur fonction le soccage. Voyez l'article SALINE.


SOCRATIQUEPHILOSOPHIE, ou HISTOIRE DE LA PHILOSOPHIE DE SOCRATE, (Hist. de la Philos.) Le systême du monde & les phénomenes de la nature avoient été, jusqu'à Socrate, l'objet de la méditation des philosophes. Ils avoient négligé l'étude de la morale. Ils croyoient que les principes nous en étoient intimement connus, & qu'il étoit inutile d'entretenir de la distinction du bien & du mal, celui dont la conscience étoit muette.

Toute leur sagesse se réduisoit à quelques sentences que l'expérience journaliere leur avoit dictées, & qu'ils débitoient dans l'occasion. Le seul Archélaüs avoit entamé dans son école la question des moeurs, mais sa méthode étoit sans solidité, & ses leçons furent sans succès. Socrate son disciple, né avec une grande ame, un grand jugement, un esprit porté aux choses importantes, & d'une utilité générale & premiere, vit qu'il falloit travailler par rendre les hommes bons, avant que de commencer à les rendre savans ; que tandis qu'on avoit les yeux attachés aux astres, on ignoroit ce qui se passoit à ses piés ; qu'à force d'habiter le ciel, on étoit devenu étranger dans sa propre maison ; que l'entendement se perfectionnoit peut-être, mais qu'on abandonnoit à elle - même la volonté ; que le tems se perdoit en spéculations frivoles ; que l'homme vieillissoit, sans s'être interrogé sur le vrai bonheur de la vie, & il ramena sur la terre la philosophie égarée dans les régions du soleil. Il parla de l'ame, des passions, des vices, des vertus, de la beauté & de la laideur morales, de la société, & des autres objets qui ont une liaison immédiate avec nos actions & notre félicité. Il montra une extrême liberté dans sa façon de penser. Il n'y eut aucune sorte d'intérêt ou de terreurs qui retînt la vérité dans sa bouche. Il n'écouta que l'expérience, la réflexion, & la loi de l'honnête ; & il mérita, parmi ceux qui l'avoient précédé, le titre de philosophe par excellence, titre que ceux qui lui succéderent ne lui ravirent point. Il tira nos ancêtres de l'ombre & de la poussiere, & il en fit des citoyens, des hommes d'état. Ce projet ne pouvoit s'exécuter sans péril, parmi des brigands intéressés à perpétuer le vice, l'ignorance & les préjugés. Socrate le savoit ; mais qui est - ce qui étoit capable d'intimider celui qui avoit placé ses espérances au-delà de ce monde, & pour qui la vie n'étoit qu'un lieu incommode qui le retenoit dans une prison, loin de sa véritable patrie ?

Xénophon & Platon, ses disciples, ses amis, les témoins & les imitateurs de sa vertu, ont écrit son histoire ; Xénophon avec cette simplicité & cette candeur qui lui étoient propres, Platon avec plus de faste & un attachement moins scrupuleux à la vérité. Un jour que Socrate entendoit réciter un des dialogues de celui-ci ; c'étoit, je crois, celui qu'il a intitulé le lysis : ô dieux, s'écria l'homme de bien, les beaux mensonges que le jeune homme a dit de moi !

Aristoxene, Démétrius de Phalere, Panetius, Callisthene, & d'autres s'étoient aussi occupés des actions, des discours, des moeurs, du caractere, & de la vie de ce philosophe, mais leurs ouvrages ne nous sont pas parvenus.

L'athénien Socrate naquit dans le village d'Alopé, dans la soixante & dix-septieme olympiade, la quatrieme année, & le sixieme de thargelion, jour qui fut dans la suite marqué plus d'une fois par d'heureux événemens, mais qu'aucun ne rendit plus mémorable que sa naissance. Sophronisque son pere, étoit statuaire, & Phinarete sa mere, étoit sage-femme. Sophronisque qui s'apperçut bien - tôt que les dieux ne lui avoient pas donné un enfant ordinaire, alla les consulter sur son éducation. L'oracle lui répondit, laisse-le faire, & sacrifie à Jupiter & aux muses. Le bon homme oublia le conseil de l'oracle, & mit le ciseau à la main de son fils. Socrate, après la mort de son pere, fut obligé de renoncer à son goût, & d'exercer par indigence une profession à laquelle il ne se sentoit point appellé ; mais entraîné à la méditation, le ciseau lui tomboit souvent des mains, & il passoit les journées appuyé sur le marbre.

Criton, homme opulent & philosophe, touché de ses talens, de sa candeur & de sa misere, le prit en amitié, lui fournit les choses nécessaires à la vie, lui donna des maîtres, & lui confia l'éducation de ses enfans.

Socrate entendit Anaxagoras, étudia sous Archélaüs, qui le chérit, apprit la musique de Damon, se forma à l'art oratoire auprès du sophiste Prodicus, à la poésie sur les conseils d'Evenus, à la géométrie avec Théodore, & se perfectionna par le commerce de Diotime & d'Aspasie, deux femmes dont le mérite s'est fait distinguer chez la nation du monde ancien la plus polie, dans son siecle le plus célebre & le plus éclairé, & au milieu des hommes du premier génie. Il ne voyagea point.

Il ne crut point que sa profession de philosophe le dispensât des devoirs périlleux du citoyen. Il quitta ses amis, sa solitude, ses livres, pour prendre les armes, & il servit pendant trois ans dans la guerre cruelle d'Athènes & de Lacédémone ; il assista au siege de Potidée à côté d'Alcibiade, où personne, au jugement de celui - ci, ne se montra ni plus patient dans la fatigue, la soif & la faim, ni plus serein. Il marchoit les piés nuds sur la glace ; il se précipita au milieu des ennemis, & couvrit la retraite d'Alcibiade, qui avoit été blessé, & qui seroit mort dans la mêlée. Il ne se contenta pas de sauver la vie à son ami ; après l'action, il lui fit adjuger le prix de bravoure, qui lui avoit été décerné. Il lui arriva plusieurs fois dans cette campagne de passer deux jours entiers de suite immobile à son poste, & absorbé dans la méditation. Les Athéniens furent malheureux au siege de Delium : Xénophon renversé de son cheval y auroit perdu la vie, si Socrate, qui combattoit à pié, ne l'eût pris sur ses épaules, & ne l'eût porté hors de l'atteinte de l'ennemi. Il marcha sous ce fardeau non comme un homme qui fuit, mais comme un homme qui compte ses pas & qui mesure le terrein. Il avoit le visage tourné à l'ennemi, & on lui remarquoit tant d'intrépidité, qu'on n'osa ni l'attaquer ni le suivre. Averti par son démon, ou le pressentiment secret de sa prudence, il délivra dans une autre circonstance Alcibiade & Lochès d'un danger dont les suites devinrent funestes à plusieurs. Il ne se comporta pas avec moins d'honneur au siege d'Amphipolis.

La corruption avoit gagné toutes les parties de l'administration des affaires publiques ; les Athéniens gémissoient sous la tyrannie ; Socrate ne voyoit à entrer dans la magistrature que des périls à courir, sans aucun bien à faire : mais il fallut sacrifier sa répugnance au voeu de sa tribu, & paroître au sénat. Il étoit alors d'un âge assez avancé ; il porta dans ce nouvel état sa justice & sa fermeté accoutumées. Les tyrans ne lui en imposerent point ; il ne cessa de leur reprocher leurs vexations & leurs crimes ; il brava leur puissance : falloit - il souscrire au jugement de quelque innocent qu'ils avoient condamné, il disoit je ne sais pas écrire.

Il ne fut pas moins admirable dans sa vie privée ; jamais homme ne fut né plus sobre ni plus chaste : ni les chaleurs de l'été, ni les froids rigoureux de l'hiver, ne suspendirent ses exercices. Il n'agissoit point sans avoir invoqué le ciel. Il ne nuisit pas même à ses ennemis. On le trouva toujours prêt à servir. Il ne s'en tenoit pas au bien, il se proposoit le mieux en tout. Personne n'eut le jugement des circonstances & des choses plus sûr & plus sain. Il n'y avoit rien dans sa conduite dont il ne pût & ne se complût à rendre raison. Il avoit l'oeil ouvert sur ses amis ; il les reprenoit parce qu'ils lui étoient chers ; il les encourageoit à la vertu par son exemple, par ses discours ; & il fut pendant toute sa vie le modele d'un homme très - accompli & très-heureux. Si l'emploi de ses momens nous étoit plus connu, peut-être nous démontreroit - il mieux qu'aucun raisonnement, que pour notre bonheur dans ce monde, nous n'avons rien de mieux à faire que de pratiquer la vertu ; these importante qui comprend toute la morale, & qui n'a point encore été prouvée.

Pour réparer les ravages que la peste avoit faits, les Athéniens permirent aux citoyens de prendre deux femmes ; il en joignit une seconde par commisération pour sa misere, à celle qu'il s'étoit auparavant choisie par inclination. L'une étoit fille d'Aristide, & s'appelloit Mirtus, & l'autre étoit née d'un citoyen obscur, & s'appelloit Xantippe. Les humeurs capricieuses de celle-ci donnerent un long exercice à la philosophie de son époux. Quand je la pris, disoit Socrate à Antisthene, je connus qu'il n'y auroit personne avec qui je ne pusse vivre si je pouvois la supporter ; je voulois avoir dans ma maison quelqu'un qui me rappellât sans-cesse l'indulgence que je dois à tous les hommes, & que j'en attens pour moi. Et à Lamprocle son fils : Vous vous plaignez de votre mere ! & elle vous a conçu, porté dans son sein, alaité, soigné, nourri, instruit, élevé ? A combien de périls ne l'avez - vous pas exposée ? combien de chagrins, de soucis, de soins, de travail, de peines ne lui avez-vous pas coûté ?... Il est vrai, elle a fait & souffert & plus peut-être encore que vous ne dites ; mais elle est si dure, si féroce... Lequel des deux, mon fils, vous paroît le plus difficile à supporter, ou de la férocité d'une bête, ou de la férocité d'une mere ?... Celle d'une mere.... D'une mere ! la vôtre vous a - t - elle frappé, mordu, déchiré ? en avez-vous rien éprouvé de ce que les bêtes féroces font assez communément aux hommes ?... Non ; mais elle tient des propos qu'on ne digéreroit de personne, y allât-il de la vie... J'en conviens ; mais êtes - vous en reste avec elle ? & y a - t - il quelqu'un au monde qui vous eût pardonné les mauvais discours que vous avez tenus, les actions mauvaises, ridicules ou folles que vous avez commises, & tout ce qu'il a fallu qu'elle endurât de vous la nuit, le jour, à chaque instant depuis que vous êtes né, jusqu'à l'âge que vous avez ? Qui est - ce qui vous eût soigné dans vos infirmités comme elle ? Qui est-ce qui eût tremblé pour vos jours comme elle ? Il arrive à votre mere de parler mal ; mais elle ne met elle-même aucune valeur à ce qu'elle dit : dans sa colere même vous avez son coeur : elle vous souhaite le bien. Mon fils, l'injustice est de votre côté. Croyez - vous qu'elle ne fût pas désolée du moindre accident qui vous arriveroit ?... Je le crois... Qu'elle ne se réduisît pas à la misere pour vous en tirer ?... Je le crois... Qu'elle ne s'arrachât pas le pain de la bouche pour vous le donner ?... Je le crois... Qu'elle ne sacrifiât pas sa vie pour la vôtre ?.. Je le crois... Que c'est pour vous & non pour elle qu'elle s'adresse sans - cesse aux dieux ?... Que c'est pour moi... Et vous la trouvez dure, féroce, & vous vous en plaignez. Ah, mon fils, ce n'est pas votre mere qui est mauvaise, c'est vous ! je vous le répete, l'injustice est de votre côté... Quel homme ! quel citoyen ! quel magistrat ! quel époux ! quel pere ! Moins Xantippe méritoit cet apologue, plus il faut admirer Socrate. Ah, Socrate, je te ressemble peu ; mais du-moins tu me fais pleurer d'admiration & de joie !

Socrate ne se croyoit point sur la terre pour lui seul & pour les siens ; il vouloit être utile à tous, s'il le pouvoit, mais sur-tout aux jeunes gens, en qui il espéroit trouver moins d'obstacles au bien. Il leur ôtoit leurs préjugés. Il leur faisoit aimer la vérité. Il leur inspiroit le goût de la vertu. Il fréquentoit les lieux de leurs amusemens. Il alloit les chercher. On le voyoit sans - cesse au milieu d'eux, dans les rues, dans les places publiques, dans les jardins, aux bains, aux gymnases, à la promenade. Il parloit devant tout le monde ; s'approchoit & l'écoutoit qui vouloit. Il faisoit un usage étonnant de l'ironie & de l'induction ; de l'ironie, qui dévoiloit sans effort le ridicule des opinions ; de l'induction, qui de questions éloignées en questions éloignées, vous conduisoit imperceptiblement à l'aveu de la chose même qu'on nioit. Ajoutez à cela le charme d'une élocution pure, simple, facile, enjouée ; la finesse des idées, les graces, la légereté & la délicatesse particuliere à sa nation, une modestie surprenante, l'attention scrupuleuse à ne point offenser, à ne point avilir, à ne point humilier, à ne point contrister. On se faisoit honneur à tout moment de son esprit. " J'imite ma mere, disoit - il, elle n'étoit pas féconde ; mais elle avoit l'art de soulager les femmes fécondes, & d'amener à la lumiere le fruit qu'elles renfermoient dans leurs seins ".

Les sophistes n'eurent point un fléau plus redoutable. Ses jeunes auditeurs se firent insensiblement à sa méthode, & bien-tôt ils exercerent le talent de l'ironie & de l'induction d'une maniere très-incommode pour les faux orateurs, les mauvais poëtes, les prétendus philosophes, les grands injustes & orgueilleux. Il n'y eut aucune sorte de folie épargnée, ni celles des prêtres, ni celles des artistes, ni celles des magistrats. La chaleur d'une jeunesse enthousiaste & folâtre suscita des haines de tous côtés à celui qui l'instruisoit. Ces haines s'accrurent & se multiplierent. Socrate les méprisa ; peu inquiet d'être haï, joué, calomnié, pourvu qu'il fût innocent. Cependant il en devint la victime. Sa philosophie n'étoit pas une affaire d'ostentation & de parade, mais de courage & de pratique. Apollon disoit de lui : " Sophocle est sage, Euripide est plus sage que Sophocle ; mais Socrate est le plus sage de tous les hommes ". Les sophistes se vantoient de savoir tout ; Socrate, de ne savoir qu'une chose, c'est qu'il ne savoit rien. Il se ménageoit ainsi l'avantage de les interroger, de les embarrasser & de les confondre de la maniere la plus sûre & la plus honteuse pour eux. D'ailleurs cet homme d'une prudence & d'une expérience consommée, qui avoit tant écouté, tant lu, tant médité, s'étoit aisément apperçu que la vérité est comme un fil qui part d'une extrêmité des ténebres & se perd de l'autre dans les ténebres ; & que dans toute question, la lumiere s'accroit par degrés jusqu'à un certain terme placé sur la longueur du fil délié, au-delà duquel elle s'affoiblit peu-à-peu & s'éteint. Le philosophe est celui qui sait s'arrêter juste ; le sophiste imprudent marche toujours, & s'égare lui-même & les autres : toute sa dialectique se resout en incertitudes. C'est une leçon que Socrate donnoit sans-cesse aux sophistes de son tems, & dont ils ne profiterent point. Ils s'éloignoient de lui mécontens sans savoir pourquoi. Ils n'avoient qu'à revenir sur la question qu'ils avoient agitée avec lui, & ils se seroient apperçus qu'ils s'étoient laissés entraîner audelà du point indivisible & lumineux, terme de notre foible raison.

On l'accusa d'impiété ; & il faut avouer que sa religion n'étoit pas celle de son pays. Il méprisa les dieux & les superstitions de la Grece. Il eut en pitié leurs mysteres. Il s'étoit élevé par la seule force de son génie à la connoissance de l'unité de la divinité, & il eut le courage de réveler cette dangereuse vérité à ses disciples.

Après avoir placé son bonheur présent & à venir dans la pratique de la vertu, & la pratique de la vertu dans l'observation des loix naturelles & politiques, rien ne fut capable de l'en écarter. Les événemens les plus fâcheux, loin d'étonner son courage, n'altérerent pas même sa sérénité. Il arracha au supplice les dix juges que les tyrans avoient condamnés. Il ne voulut point se sauver de la prison. Il apprit en souriant l'arrêt de sa mort. Sa vie est pleine de ces traits.

Il méprisa les injures. Le mépris & le pardon de l'injure qui sont des vertus du chrétien, sont la vengeance du philosophe. Il garda la tempérance la plus rigoureuse, rapportant l'usage des choses que la nature nous a destinées à la conservation & non à la volupté. Il disoit que moins l'homme a de besoins, plus sa condition est voisine de celle des dieux ; il étoit pauvre, & jamais sa femme ne put le déterminer à recevoir les présens d'Alcibiade & des hommes puissans dont il étoit honoré. Il regardoit la justice comme la premiere des vertus. Sa bienfaisance, semblable à celle de l'Etre suprême, étoit sans exception. Il détestoit la flatterie. Il aimoit la beauté dans les hommes & dans les femmes, mais il n'en fut point l'esclave : c'étoit un goût innocent & honnête, qu'Aristophane même, ce vil instrument de ses ennemis, n'osa pas lui reprocher. Que penserons-nous de la facilité & de la complaisance avec laquelle quelques hommes parmi les anciens & parmi les modernes ont reçu & répété contre la pureté de ses moeurs ? une calomnie que nous rougirions de nommer ; c'est qu'eux-mêmes étoient envieux ou corrompus. Serons-nous étonnés qu'il y ait eû de ces ames infernales ? Peut-être, si nous ignorions ce qu'un intérêt violent & secret inspire, voyez ce que nous dirons de son démon à l'article THEOSOPHE.

Socrate ne tint point école, & n'écrivit point. Nous ne savons de sa doctrine que ce que ses disciples nous en ont transmis. C'est dans ces sources que nous avons puisé.

Sentimens de Socrate sur la divinité. Il disoit :

Si Dieu a dérobé sa nature à notre entendement, il a manifesté son existence, sa sagesse, sa puissance & sa bonté dans ses ouvrages.

Il est l'auteur du monde, & le monde est la complexion de tout ce qu'il y a de bon & de beau.

Si nous sentions toute l'harmonie qui regne dans l'univers, nous ne pourrions jamais regarder le hasard comme la cause de tant d'effets enchaînés partout, selon les loix de la sagesse la plus surprenante, & pour la plus grande utilité possible. Si une intelligence suprême n'a pas concouru à la disposition, à la propagation & à la conservation générale des êtres, & n'y veille pas sans-cesse, comment arrive-t-il qu'aucun désordre ne s'introduit dans une machine aussi composée, aussi vaste ?

Dieu préside à tout : il voit tout en un instant ; notre pensée qui s'élance d'un vol instantané de la terre aux cieux ; notre oeil qui n'a qu'à s'ouvrir pour appercevoir les corps placés à la plus grande distance, ne sont que de foibles images de la célérité de son entendement.

D'un seul acte il est présent à tout.

Les loix ne sont point des hommes, mais de Dieu. C'est lui proprement qui en condamne les infracteurs, par la voix des juges qui ne sont que ses organes.

Sentimens de Socrate sur les esprits. Ce philosophe remplissoit l'intervalle de l'homme à Dieu d'intelligences moyennes qu'il regardoit comme les génies tutélaires des nations : il permettoit qu'on les honorât : il les regardoit comme les auteurs de la divination.

Sentimens de Socrate sur l'ame. Il la croyoit préexistante au corps, & douée de la connoissance des idées éternelles. Cette connoissance qui s'assoupissoit en elle par son union avec le corps, se réveilloit avec le tems, & l'usage de la raison & des sens. Apprendre, c'étoit se ressouvenir ; mourir, c'étoit retourner à son premier état de félicité pour les bons, de châtiment pour les méchans.

Principes de la philosophie morale de Socrate. Il disoit :

Il n'y a qu'un bien, c'est la science ; qu'un mal, c'est l'ignorance.

Les richesses & l'orgueil de la naissance sont les sources principales des maux.

La sagesse est la santé de l'ame.

Celui qui connoît le bien & qui fait le mal est un insensé.

Rien n'est plus utile & plus doux que la pratique de la vertu.

L'homme sage ne croira point savoir ce qu'il ignore.

La justice & le bonheur sont une même chose.

Celui qui distingua le premier l'utile du juste, fut un homme détestable.

La sagesse est la beauté de l'ame, le vice en est la laideur.

La beauté du corps annonce la beauté de l'ame.

Il en est d'une belle vie comme d'un beau tableau, il faut que toutes les parties en soient belles.

La vie heureuse & tranquille est pour celui qui peut s'examiner sans honte ; rien ne le trouble, parce qu'il ne se reproche aucun crime.

Que l'homme s'étudie lui-même, & qu'il se connoisse.

Celui qui se connoit échappera à bien des maux, qui attendent celui qui s'ignore ; il concevra d'abord qu'il ne sait rien, & il cherchera à s'instruire.

Avoir bien commencé, ce n'est pas n'avoir rien fait ; mais c'est avoir fait peu de chose.

Il n'y a qu'une sagesse, la vertu est une.

La meilleure maniere d'honorer les dieux, c'est de faire ce qu'ils ordonnent.

Il faut demander aux dieux en général ce qui nous est bon ; spécifier quelque chose dans sa priere, c'est prétendre à une connoissance qui leur est reservée.

Il faut adorer les dieux de son pays, & regler son offrande sur ses facultés ; les dieux regardent plus à la pureté de nos coeurs, qu'à la richesse de nos sacrifices.

Les loix sont du ciel ; ce qui est selon la loi, est juste sur la terre, & légitimé dans le ciel.

Ce qui prouve l'origine céleste des loix, telles que d'adorer les dieux, d'honorer ses parens, d'aimer son bienfaiteur, c'est que le châtiment est nécessairement attaché à cette infraction ; cette liaison nécessaire de la loi, avec la peine de l'infraction, ne peut être de l'homme.

Il faut avoir pour un pere trop sévere, la même obéissance qu'on a pour une loi trop dure.

L'atrocité de l'ingratitude est proportionnée à l'importance du bienfait ; nous devons à nos parens le plus important des biens.

L'enfant ingrat n'obtiendra ni la faveur du ciel, ni l'estime des hommes ; quel retour attendrai-je, moi, étranger, de celui qui manque aux personnes à qui il doit le plus ?

Celui qui vend aux autres sa sagesse pour de l'argent, se prostitue comme celui qui vend sa beauté.

Les richesses sont entre les mains de l'homme, sans la raison, comme sous lui un cheval fougueux, sans frein.

Les richesses de l'avare ressemblent à la lumiere du soleil, qui ne recrée personne après son coucher.

J'appelle avare celui qui amasse des richesses par des moyens vils, & qui ne veut point d'indigens pour amis.

La richesse du prodigue ne sert qu'aux adulateurs & aux prostitués.

Il n'y a point de fonds qui rende autant qu'un ami sincere & vertueux.

Il n'y a point d'amitié vraie, entre un méchant & un méchant, ni entre un méchant & un bon.

On obtiendra l'amitié d'un homme, en cultivant en soi les qualités qu'il estime en lui.

Il n'y a point de vertus qui ne puisse se perfectionner & s'accroître, par la réflexion & l'habitude.

Ce n'est ni la richesse, ni la naissance, ni les dignités, ni les titres, qui font la bonté de l'homme ; elle est dans ses mains.

L'incendie s'accroit par le vent, & l'amour par le commerce.

L'arrogance consiste à tout dire, & à ne vouloir rien entendre.

Il faut se familiariser avec la peine, afin de la recevoir quand elle viendra, comme si on l'avoit attendue.

Il ne faut point redouter la mort, c'est un assoupissement ou un voyage.

S'il ne reste rien de nous après la mort, c'est plutôt encore un avantage, qu'un inconvénient.

Il vaut mieux mourir honorablement, que vivre deshonoré.

Il faut se soustraire à l'incontinence, par la suite.

Plus on est sobre, plus on approche de la condition des dieux, qui n'ont besoin de rien.

Il ne faut pas négliger la santé du corps, celle de l'ame en dépend trop.

La tranquillité est le plus grand des biens.

Rien de trop : c'est l'éloge d'un jeune homme.

Les hommes vivent pour manger, les bons mangent pour vivre.

Etre sage dans la haute prospérité, c'est savoir marcher sur la glace.

Le moyen le plus sûr d'être considéré, c'est de ne pas affecter de se montrer aussi bon que l'on est.

Si vous êtes un homme de bien, on aura autant de confiance en votre parole, qu'au serment.

Tournez le dos au calomniateur & au médisant c'est quelque perversité qui le fait agir ou parler.

Principes de Socrate ; sur la prudence domestique. Il disoit :

Celui qui saura gouverner sa maison, tirera parti de tout, même de ses ennemis.

Méfiez-vous de l'indolence, de la paresse, de la négligence ; évitez le luxe ; regardez l'agriculture comme la ressource la plus importante.

Il est des occupations sordides auxquelles il faut se refuser, elles avilissent l'ame.

Il ne faut pas laisser ignorer à sa femme ce qu'il lui importe de savoir, pour votre bonheur & pour le sien.

Tout doit être commun entre les époux.

L'homme veillera aux choses du dehors, la femme à celles du dedans.

Ce n'est pas sans raison que la nature a attaché plus fortement les meres aux enfans, que les peres.

Principes de la prudence politique de Socrate. Les vrais souverains, ce ne sont point ceux qui ont le sceptre en main, soit qu'ils le tiennent ou de la naissance, ou du hasard, ou de la violence, ou du consentement des peuples ; mais ceux qui savent commander.

Le monarque est celui qui commande à ceux qui se sont soumis librement à son obéissance ; le tyran, celui qui contraint d'obéir : l'un fait exécuter la loi, l'autre, sa volonté.

Le bon citoyen contribuera autant qu'il est en lui, à rendre la république florissante pendant la paix, & victorieuse pendant la guerre ; il invitera le peuple à la concorde, s'il se souleve ; député chez un ennemi, il tentera toutes les voies honnêtes de conciliation.

La loi n'a point été faite pour les bons.

La ville la mieux gardée, est celle qui renferme le plus d'honnêtes gens : la mieux policée, celle où les magistrats agissent de concert : celle qu'il faut préférer à toutes, où la vertu a des récompenses assurées.

Habitez celle où vous n'obéirez qu'aux loix.

Ce seroit ici le lieu de parler des accusations qu'on intenta contre lui, de son apologie, & de sa mort ; mais ces choses sont écrites en tant d'endroits. Qui est-ce qui ignore qu'il fut le martyr de l'unité de Dieu ?

Après la mort de Socrate, ses disciples se jetterent sur sa robe & la déchirerent. Je veux dire qu'ils se livrerent à différentes parties de la philosophie, & qu'ils fonderent une multitude de sectes diverses, opposées les unes aux autres, qu'il faut regarder comme autant de familles divisées, quoiqu'elles avouassent toutes la même souche.

Les uns s'étoient approchés de Socrate, pour se disposer par la connoissance de la vérité, l'étude des moeurs, l'amour de la vertu, à remplir dignement les premiers emplois de la république auxquels ils étoient destinés : tel fut Xénophon.

D'autres, parmi lesquels on peut nommer Criton, lui avoient confié l'éducation de leurs enfans.

Il y en eut qui ne vinrent l'entendre que dans le dessein de se rendre meilleurs ; c'est ce qui arriva à Diodore, à Euthydème, à Euthere, à Aristarque.

Critias & Alcibiade lui furent attachés d'amitié. Il enseigna l'art oratoire à Lysias. Il forma les poëtes Evénus & Euripide. On croit même qu'il concourut avant ce dernier dans la composition des tragédies qui portent son nom.

Son disciple Aristippe fonda la secte cyrénaïque, Phédon l'éliaque, Euclide la mégarique, Platon l'académique, Anthistène la cynique.

Xénophon, Eschine, Criton, Simon & Cebès, se contenterent de l'honneur de l'avoir eu pour maître.

Xénophon naquit dans la quatre-vingt-deuxieme olympiade. Socrate l'ayant rencontré dans une rue, comme il passoit, mit son bâton en travers, l'arrêta, & lui demanda où se vendoient les choses nécessaires à la vie. La beauté de Xénophon l'avoit frappé. Ce jeune homme fit à sa question une réponse sérieuse, selon son caractere. Socrate l'interrogeant une seconde fois, lui demanda s'il ne sauroit point où les hommes apprenoient à devenir bons. Xénophon déclarant son embarras par son silence & son maintien, Socrate lui dit : suivez-moi, & vous le saurez. Ce fut ainsi que Xénophon devint son disciple. Ce n'est pas ici le lieu d'écrire l'histoire de Xénophon. Nous avons de lui la cyropédie, une apologie de Socrate, quatre livres des dits & des faits mémorables de ce philosophe, un banquet, un livre de l'économie, un dialogue sur la tyrannie, l'éloge d'Agésilas & la comparaison des républiques d'Athènes & de Lacédémone, ouvrages écrits avec une grande douceur de style, de la vérité, de la gravité & de la simplicité.

La maniere dont Eschine s'offrit à Socrate est d'une naïveté charmante. Il étoit pauvre : je n'ai rien, dit-il au philosophe dont il venoit prendre les leçons, qui soit digne de vous être offert ; & c'est-là ce qui me fait sentir ma pauvreté. Je n'ai que moi : voyez si vous me voulez. Quels que soient les présens que les autres vous aient faits, ils ont retenu par-devers eux plus qu'ils ne vous ont donné. Quant au mien, vous ne l'aurez pas plutôt accepté qu'il ne me restera plus rien. Vous m'offrez beaucoup, lui répondit Socrate, à moins que vous ne vous estimiez peu. Mais venez, je vous accepte. Je tâcherai que vous vous estimiez davantage, & de vous rendre à vous-même meilleur que je ne vous aurai reçu. Socrate n'eut point d'auditeur plus assidu ni de disciple plus zélé. Son sort le conduisit à la cour de Denis le tyran, qui en fit d'abord peu de cas. Son indigence fut une tache qui le suivit par-tout. Il écrivit quelques dialogues à la maniere de Socrate. Cet ouvrage arrêta les yeux sur lui. Platon & Aristippe rougirent du mépris qu'ils avoient affecté pour cet homme. Ils le recommanderent à Denis, qui le traita mieux. Il revint dans Athénes, où il trouva deux écoles florissantes établies. Platon enseignoit dans l'une, Aristippe dans l'autre. Il n'osa pas se montrer publiquement au milieu de ces deux philosophes. Il s'en tint à donner des leçons particulieres. Lorsqu'il se fut assuré du pain, par cette ressource, il se livra au barreau, où il eut du succès. Ménedeme lui reprochoit de s'être approprié des dialogues que Socrate avoit écrits, & que Xantippe lui avoit confiés. Ce reproche fait beaucoup d'honneur à Eschine. Il avoit bien singulierement saisi le caractere de son maître, puisque Ménedeme & Aristippe s'y trompoient. On remarque en effet, dans les dialogues qui nous restent d'Eschine, la simplicité, l'expression, les maximes, les comparaisons & toute la morale de Socrate.

Nous n'ajouterons rien à ce que nous avons dit de Criton, sinon qu'il ne quitta point Socrate pendant le tems de sa prison ; qu'il veilla à ce que les choses nécessaires ne lui manquassent pas ; que Socrate offensé de l'abus qu'on faisoit de la facilité de son caractere pour le tourmenter, lui conseilla de chercher quelque homme turbulent, méchant, violent, qui fît tête à ses ennemis, & que ce conseil lui réussit.

Simon étoit un corroyeur dont Socrate fréquentoit quelquefois la maison. Là, comme par-tout ailleurs, il parloit des vices, des vertus, du bon, du beau, du décent, de l'honnête, & le corroyeur l'écoutoit ; & le soir, lorsqu'il avoit quitté son ouvrage, il jettoit sur le papier les principales choses qu'il avoit entendues. Periclès fit cas de cet homme, il chercha à se l'attacher par les promesses les plus flatteuses ; mais Simon lui répondit qu'il ne vendoit point sa liberté.

Cebès écrivit trois dialogues, dont il ne nous reste que le dernier, connu sous le nom du tableau. C'est un petit roman sur les goûts, les penchans, les préjugés, les moeurs des hommes, composé d'après une peinture qu'on voyoit dans le temple de Saturne. On y suppose les principes suivans.

Les ames ont préexisté aux corps. Un sort heureux ou malheureux les attend.

Elles ont un démon qui les inspire, dont la voix se fait entendre à elles, & qui les avertit de ce qu'elles ont à faire & à éviter.

Elles apportent avec elles un penchant inné à l'imposture, à l'erreur, à l'ignorance & au vice.

Ce penchant n'a pas la même force en toutes.

Il promet à tous les hommes le bonheur ; mais il les trompe & les perd. Il y a une condition vraie, & une condition fausse.

La poésie, l'art oratoire, la musique, la dialectique, l'arithmétique, la géometrie & l'astrologie, sont de l'érudition fausse.

La connoissance des devoirs & la pratique des vertus, sont la seule érudition vraie.

C'est par l'érudition vraie que nous échappons dans ce monde à la peine, & que nous nous préparons la félicité dans l'autre vie.

Cette félicité n'arrivera qu'à ceux qui auront bien vécu, ou qui auront expié leurs fautes.

C'est de ce séjour de délices qu'ils contempleront la folie & la misere des hommes. Mais ce spectacle ne troublera point leur jouissance. Ils ne peuvent plus souffrir.

Les méchans, au sortir de cette vie, trouveront le désespoir. Ils en seront saisis, & ils erreront ; jouets continuels des passions auxquelles ils se seront livrés.

Ce n'est point la richesse, mais l'érudition vraie qui rend l'homme heureux.

Il ne faut ni se fier à la fortune, ni trop estimer ses présens.

Celui qui croit savoir ce qu'il ignore, est dans une erreur qui l'empêche de s'instruire.

On met encore du nombre des disciples de Socrate, Timon le Misantrope. Cet homme crut qu'il fuyoit la société de ses semblables, parce qu'ils étoient méchans ; il se trompoit, c'est que lui-même n'étoit pas bon. Je n'en veux pas d'autre preuve, que la joie cruelle que lui causerent les applaudissemens que les Athéniens prodiguoient à Alcibiade ; & la raison qu'il en donna, le pressentiment du mal que ce jeune homme leur feroit un jour. Je ne hais pas les hommes, disoit-il, mais les bêtes féroces qui portent ce nom ; & qu'étois-tu toi-même, entre ces bêtes féroces, sinon la plus intraitable de toutes ? Quel jugement porter de celui qui se sauve d'une ville, où Socrate vivoit, & où il y avoit une foule de gens de bien ; sinon qu'il étoit plus frappé de la laideur du vice, que touché des charmes de la vertu ? Ce caractere est mauvais. Quel spectacle plus grand & plus doux que celui d'un homme juste, grand, vertueux, au-dessus de toutes les terreurs & de toutes les séductions ! Les dieux s'inclinent du haut de leur demeure bienheureuse, pour le voir marcher sur la terre ; & le triste & mélancolique Timon détourne ses regards farouches, lui tourne le dos, & va, le coeur rempli d'orgueil, d'envie & de fiel, s'enfoncer dans une forêt.


SOCZOVA(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la partie occidentale de la Moldavie, sur la Moldawa, entre Jassy & Newmack. Long. 44. 48. latit. 47. 12. (D.J.)


SODAS. m. (Gram. & Médec.) c'est ainsi que quelques auteurs appellent un sentiment de chaleur & d'érosion à la gorge, causé par des vapeurs âcres qui s'élevent de l'estomac, qui sont produites par la fermentation des matieres excrémenteuses. Les bilieux & les mélancoliques sont sujets au soda.


SODER-HAMPou SOEDER-HAMN, (Géog. mod.) c'est-à-dire Port du sud ; nouvelle petite ville de Suede dans l'Helsingie, sur la côte du golfe de Bothnie assez près, & au nord de l'embouchure du Linsna. On y fait des armes à feu. Les bourgeois les vendent aux habitans de la Bothnie, & ceux-ci aux Lapons qui viennent en acheter. Ils tirent aussi de cette ville de la poudre, des bales & du plomb en masse. (D.J.)


SODER-TELGou SODER-TALGE, ou simplement TELGE, (Géog. mod.) ville de Suede, dans la Sudermanie, à l'embouchure d'un des canaux par où le lac Maler communique avec la mer Baltique, & à quatre milles au sud-ouest de Stockholm. Longit. 37. 12. lat. 59. 21. (D.J.)


SODOME(Géog. anc. & sacrée) ville capitale de la Pentapole ; elle fut consumée, dit l'Ecriture, par le feu du ciel, avec trois autres villes voisines Gomorre, Zeboïm & Adama, qui toutes étoient plongées dans le crime. Les prophetes parlent souvent de la ruine de Sodome & de Gomorre, & partout ils marquent que ce seront des lieux déserts, arides, inhabités, couverts d'épines ; en un mot, une terre de sel, où l'on ne pourra planter, ni semer : siccitas spinarum, & acervi salis, & desertum usque in aeternum. Deut. xxix. 22. Sophon. 2. ix. Amos. iv. 11.

Strabon, liv. XV. parle aussi des ruines de Sodome & de son circuit de 60 stades, qu'on voyoit au bord de la mer Morte ; cependant l'on ne peut révoquer en doute, que la ville n'ait été rétablie dans la suite, soit au même endroit où elle étoit autrefois, sur le bord méridional de la mer Morte, soit vis-à-vis de ce lieu-là. Les notices font mention expresse de Sodome, ville épiscopale, située entre Thamar & Engaddi. Etienne le géographe met aussi Engaddi près de Sodome. On trouve dans les mêmes notices un Severe, évêque de Sodome, parmi ceux de l'Arabie, qui souscrivirent au premier concile de Nicée. (D.J.)


SODOMIES. f. (Gram. & Jurisprud.) est le crime de ceux qui commettent des impuretés contraires même à l'ordre de la nature ; ce crime a pris son nom de la ville de Sodome, qui périt par le feu du ciel à cause de ce désordre abominable qui y étoit familier.

La justice divine a prononcé la peine de mort contre ceux qui se souillent de ce crime, morte moriatur ; Lévitique, ch. xx.

La même peine est prononcée par l'authentique, ut non luxurientur.

La loi cum vir au code de adult. veut que ceux qui sont convaincus de ce crime soient brûlés vifs.

Cette peine a été adoptée dans notre jurisprudence : il y en a eu encore un exemple en exécution d'un arrêt du 5 Juin 1750, contre deux particuliers qui furent brûlés vifs en place de Grève.

Les femmes, les mineurs, sont punis comme les autres coupables.

Cependant quelques auteurs, tels que Menochius, prétendent que pour les mineurs, on doit adoucir la peine, sur-tout si le mineur est au-dessous de l'âge de puberté.

Les ecclésiastiques, les religieux, devant l'exemple de la chasteté, dont ils ont fait un voeu particulier, doivent être jugés avec la plus grande sévérité, lorsqu'ils se trouvent coupables de ce crime ; le moindre soupçon suffit pour les faire destituer de toute fonction ou emploi qui ait rapport à l'éducation de la jeunesse. Voyez du Perray.

On comprend sous le terme de sodomie, cette espece de luxure que les Canonistes appellent mollities, & les Latins mastrupratio, qui est le crime que l'on commet sur soi-même ; celui-ci lorsqu'il est découvert (ce qui est fort rare au for extérieur) est puni des galeres ou du bannissement, selon que le scandale a été plus ou moins grand.

On punit aussi de la même peine ceux qui apprennent à la jeunesse à commettre de telles impuretés ; ils subissent de plus l'exposition au carcan avec un écriteau portant ces mots, corrupteur de la jeunesse. Voyez les novelles 77. & 141. du Perray, des moyens can. ch. viij. Menochius, de arbitr. cas. 329. n. 5. M. de Vouglans, en ses Instit. au Droit criminel, page 510. (A)


SODORE(Géog. mod.) autrefois ville d'Ecosse, aujourd'hui village dans la petite île d'Iona, une des Weesternes. L'évêque de Cerses, suffragant de l'archevêque de Glascow, réside encore dans ce village. (D.J.)


SOEILE, ou SOA, (Géog. mod.) c'est une des plus petites îles Hébrides de l'occident d'Ecosse, & voisine de celle de Kildan ; elle abonde en pâturages & en oiseaux de mer, qui viennent y pondre leurs oeufs. (D.J.)


SOENSOUN ou TSSONN, s. m. (Marine) nom qu'on donne à la Chine, aux principaux & aux plus ordinaires vaisseaux marchands ou de guerre. Ces bâtimens sont larges en arriere, & diminuent insensiblement de largeur jusqu'à la proue. Ils n'ont point de quilles, & sont plats par-dessous ; ils ont une préceinte seule de chaque côté, deux mâts sans hunes, avec deux gros cordages, qui sont comme deux étais ; l'un à l'avant, l'autre à l'arriere. Leurs voiles sont d'écorces de roseaux, si bien entrelacées ensemble avec des feuilles de bambouc, que le moindre vent ne sauroit passer à-travers ; elles sont attachées à une épavre vers le haut du mât, qui les traverse pour les soutenir, & on les hisse par le moyen d'une poulie qui est attachée au haut de chaque mât. Au lieu d'écoutes & de bras, il y a divers petits cordages qui sont amarrés à un plus gros, & qui en font l'office.

Il y a dans le fond de cale plusieurs chambres qui n'ont point de communication ; des citernes pour conserver l'eau ; des galeries des deux côtés ; un pont fixe courant devant-arriere, & un pié au-dessus, un pont volant de planches, qui s'ôte & se remet, & sur lequel on se promene. La chambre du capitaine s'éleve à la hauteur d'un homme, au-dessus du pont volant ; & le château commence un peu plus bas que le pont fixe, & s'éleve bien haut au-dessus des deux ponts. Le dessus de ce château est une espece de demi-pont, où les premiers officiers se tiennent, & autour duquel sont suspendus leurs boucliers & leurs rondaches ; les piques sont rangées autour du vaisseau & paroissent en-dehors.

Sur le grand mât s'éleve une girouette ou pyramide, sur laquelle on attache des pieces d'étoffes, frisées & peintes de figures grotesques ; & au-dessous pend une queue, dont les poils ou fils servent à faire connoître d'où vient le vent. Le bâton de pavillon est à-peu-près comme le mât. Il y a une poulie vers le haut pour hisser & amener les pavillons qui sont suspendus de travers à ce mâtereau : la gaule d'enseigne est placée dans l'endroit où nous plaçons le mât d'artimon.

Le gouvernail se démonte aisément, & on le retire à bord quand on veut ; enfin, les ancres sont de bois ; elles n'ont ni jare, ni pattes, mais seulement en-bas deux longs morceaux de bois pointus, & malgré cela, elles enfoncent & tiennent aussi-bien que les ancres de fer. Les plus grands souns de charge portent quatorze cent tonneaux : mais le port de ceux qu'on équipe en guerre, n'est que de deux cent tonneaux. Ils ont vingt à trente legeres pieces de canons, qui tournent sur un pivot ; leur équipage est très-considérable, car un soun de dix canons porte deux cent hommes.


SOEST(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Westphalie, au comté de la Marck, à quatre lieues au sud-ouest de Lippstad. Elle passe pour une des plus grandes & des plus riches de la Westphalie ; elle a été impériale, & appartient présentement au roi de Prusse. Ses habitans sont en partie calvinistes, en partie catholiques ; le pays de ses environs est très-fertile. Long. 25. 48. lat. 51. 42.

Asselman, théologien moderé, naquit à Soest. Il a mis au jour un traité de ferendis haereticis, non auferendis. Ce titre tient un peu du jeu de mots, mais l'ouvrage part d'un esprit tolérant & raisonnable.

Gropper (Jean) controversiste du seizieme siecle, naquit à Soest en 1501, & mourut à Rome en 1558, ayant refusé trois ans auparavant le chapeau de cardinal. Son principal ouvrage est intitulé, Institutio fidei catholicae. Il avoit une idée si folle de la pureté, qu'ayant trouvé une servante qui faisoit son lit, il la chassa, & fit jetter le lit par la fenêtre ; j'imagine que cette servante étoit huguenotte. (D.J.)


SOEURS. f. (Gram. & Jurisprud.) est une personne du sexe féminin qui est issue de mêmes pere & mere, ou de même pere ou de même mere qu'une autre personne, mâle ou femelle dont on parle ; car la qualité de soeur peut être relative à deux soeurs, ou à une soeur & un frere.

La soeur germaine est celle qui est issue de même pere & mere que son frere ou sa soeur. On appelle soeur consanguine, celle qui est issue de même pere seulement ; soeur utérine est celle qui est née de même mere, mais non pas de même pere. Voyez FRERE. (A)

SOEUR, (Critiq. sacrée) ce mot dans le style des Hébreux, outre l'acception qui lui est commune à toutes les langues, a celle de signifier une proche parente, soit cousine-germaine ou niece. Dans l'Evangile de S. Matth. xiij. 56. les soeurs de Jesus-Christ, sont ses cousines : ce mot se dit au figuré de la ressemblance des inclinations des peuples & des villes, ainsi le prophete appelle Jérusalem, soeur de Sodome & de Samarie, parce qu'elle a imité leur idolâtrie, Ezéchiel, xvj. 46. il s'emploie pour un terme de caresse ; vous avez blessé mon coeur, ma tendre soeur, dit l'époux à l'épouse, dans le Cantiq. iv. 9. Jesus-Christ tient pour ses plus proches parens, pour mere, soeurs & freres, tous ceux qui suivront ses préceptes ; c'est sa bonté qui forme ces noeuds figuratifs. (D.J.)


SOFAS. m. (terme de relation) espece d'estrade qui est d'usage en Orient, & qui est élevée d'un demi-pié au-dessus du niveau de la chambre d'honneur, où l'on reçoit les personnes les plus remarquables. Chez les Turcs, tout le plancher est couvert d'un tapis de pié, & du côté des fenêtres, ils élevent une estrade, qu'ils appellent sofa. Il y a sur cette estrade de petits matelas, de deux à trois piés de large, couverts d'un petit tapis précieux. Les Turcs s'asseyent sur ce tapis comme les Tailleurs qui travaillent en France, les jambes croisées ; & ils s'appuient contre la muraille sur de grands carreaux de velours, de satin, & d'autre étoffe convenable à la saison. Pour prendre leur repas, on étend sur le tapis de l'estrade un cuir qui sert de nappe ; on met sur ce cuir une table de bois faite comme un plateau rond, & on la couvre de plats. Duloir. (D.J.)


SOFALou ZOFALA, (Géog. mod.) royaume d'Afrique, dans la Cafrerie, sur la côte de la mer d'Ethiopie, vers le Zanquebar. M. Danville renferme ce royaume entre les états de Monomotapa au nord, la mer de Mosambique à l'orient, le royaume de Sabia au midi, & celui de Manica au couchant. La riviere de Tandanculo coule au nord de ce pays, & une autre riviere qu'on nomme Sofala, le traverse d'orient en occident. Le roi de Sofala se nomme Quiteve. Ses sujets sont negres pour la plûpart. Ils ne se couvrent que depuis la ceinture jusqu'aux genoux, d'une pagne de coton ; quelques uns parlent arabe, & sont mahométans ; les autres ne professent aucune religion. Le pays ne manque pas d'éléphans, de lions & d'animaux sauvages ; mais vers l'embouchure du Cuama, c'est un pays fertile, & assez peuplé. Il se trouve même de riches mines d'or à quelque distance de la capitale du royaume, qui porte le même nom de Sofala, & que plusieurs savans prennent pour l'ophir de Salomon. Cette capitale est située sur le bord de la mer, un peu au nord de l'embouchure de la riviere Sofala. Les Portugais s'emparerent de cette ville vers 1508, & y bâtirent une forteresse qui leur est d'une grande importance, pour leur assurer le commerce qu'ils font avec les Cafres. Latit. mérid. de cette forteresse, 20. 30. (D.J.)


SOFFEou plutôt SOFIAH ou SOPHIE, (Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, capitale de la Bulgarie, que les Turcs appellent Sifiah Vilajeti, le pays de Sofiah, à cause de sa capitale. Elle est située sur la riviere de Bojana, dans une vaste plaine, à 96 lieues de Constantinople. Elle est sans murailles, au pié de mont Haemus, & d'ailleurs aussi mal-bâtie que les autres villes de Turquie. L'air qu'on y respire, est si mauvais, que sans la résidence du beglierbey, elle ne se maintiendroit pas telle qu'elle est aujourd'hui. Les Juifs y ont quelques synagogues, & y font du commerce, parce que c'est un grand passage pour aller de Constantinople en Hongrie.

L'on croit que Soffe est l'ancienne Sardica, rebâtie par Justinien. Les Bulgares venus des pays septentrionaux, ayant occupé la Moesie, fatiguerent long-tems les empereurs grecs de ce côté-là, où la Moesie confinoit à la Thrace ; enfin ayant été subjugués par les Grecs, la plûpart se firent chrétiens, & la ville de Sardique ou Sophie, devint un archevêché, lequel a été disputé entre les papes & les patriarches de Constantinople, jusqu'à ce que le turc ait décidé leur querelle. Long. 41. 28. latit. 42. 30. (D.J.)


SOFIS. m. (Science étymolog.) ce mot signifie proprement en arabe, un homme vêtu de laine ; car sof ou suf, veut dire de la laine. C'est pourquoi on donne ce titre chez les Mahométans, à celui qui vit retiré du monde, & qui par une espece de profession religieuse est grossierement habillé. Ainsi sofi désigne un religieux mahométan, qui porte aussi le nom de dervis en turc & en persan, & que les Arabes appellent fakir. Shah-Ismaël, roi de Perse, est le premier qui prit de ses ancêtres le surnom de sofi ; & de-là vient que plusieurs de nos historiens & de nos voyageurs, donnent aux rois de Perse le nom de sofi ou de grand-sohi. (D.J.)


SOFITou SOFFITE, s. m. (Menuis.) nom général qu'on donne à tout plafond ou lambris de menuiserie, qu'on nomme à l'antique, fermé par des poutres croisées ou des corniches volantes, dont les compartimens, par renfoncemens quarrés, sont ornés de roses par compartimens, enrichis de sculpture, de peinture & de dorure, comme on en voit aux basiliques & aux palais d'Italie. Dans l'ordre dorique, on orne ses sofites avec des gouttes au nombre de dix-huit, faites en forme de clochettes disposées en trois rangs, & mises au droit des gouttes, qui sont au bas des triglyphes.

On appelle aussi sofite, le dessous du plancher. Ce mot vient de l'Italien sofito, qui signifie soupente, galetas, plancher de grenier.

Sofite de corniche, rond. C'est un sofite contourné en rond d'arc, dont les naissances sont posées sur l'architrave, comme au temple de Mars, à la place des prêtres, à Rome. Daviler. (D.J.)


SOFROY(Géog. mod.) petite ville d'Afrique au royaume de Fez, à cinq lieues de Fez, au pié d'une branche du grand Atlas, qui se nomme aussi Sofroy. Le chérif en est le maître. Long. 13. 57. lat. 33. 32. (D.J.)


SOFTASS. m. (Hist. mod.) parmi les Turcs, ce sont certains religieux ou dervis qui sont bénéficiers rentés, & comme chanoines. Leur fonction est de venir à la fin de chaque namas ou priere du jour, dire une sorte d'office des morts auprès du tombeau des sultans qui ont laissé des fonds pour leur entretien.


SOGDLA, (Géog. mod.) nom que porte la plaine, au milieu de laquelle Samarcande, capitale de la Transoxane, est située. C'est donc la Sogdiane des anciens. Cette plaine, disent les Orientaux, est un des quatre paradis, ou lieux délicieux du monde. Elle est de tous côtés environnée de jardins couverts d'excellens fruits, de terres labourables, de pâturages toujours verds, de sources & de ruisseaux. (D.J.)


SOGDIANA-PETRA(Géog. anc.) forteresse dont parle Arrien dans ses expéditions d'Alexandre. C'est la même que Strabon nomme Sisimithrae-Petra, quoique ce dernier la mette dans la Bactriane, au lieu de la placer dans la Sogdiane. Voyez SisimithraePetra. Géog. anc. (D.J.)


SOGDIANE(Géog. anc.) contrée d'Asie, entre les fleuves Jaxartes & Oxus. Ptolémée, l. VI. c. xij. la borne du côté de l'occident par les monts Auxis, & à l'orient par le pays des peuples Sacae. Il convient avec Strabon, touchant les deux fleuves qui bornoient cette contrée ; car on lit dans Strabon, l. XI. que les Sogdiens étoient séparés des Bactriens par le fleuve Oxus, & des Nomades par le Jaxartes. Il ne parle point des autres bornes. Il paroît que dans la suite, la Sogdiane fut plus étendue du côté de l'occident que du tems de Ptolémée ; car divers auteurs la poussent jusqu'à la mer Caspienne. Au lieu de Sogdiana, Denis le Periegete dit Sugdias, ou Sogdias. Le nom des peuples varie pareillement, la plupart des auteurs les appellent Sogdiani ; & Strabon & Ammien Marcellin disent Sogdii. Ptolémée place dans la Sogdiane un grand nombre de peuples qui ne sont point connus des autres géographes. (D.J.)


SOGNO(Géog. mod.) petite province d'Afrique, dans l'Ethiopie occidentale, au royaume de Congo. Elle est bornée au nord par le Zaïre, au midi par l'Ambrisi, au levant par le Pemgo & Sundi, & au couchant par la mer. C'est une province où il ne croît que des palmiers ; mais l'on y recueille sur les bords de la mer beaucoup de sel, dont il se fait un grand débit. Latit. mérid. 6. (D.J.)


SOIES. f. (Gram. & Hist. nat.) est un fil mol, fin, délicat, & leger, qui est l'ouvrage d'un insecte appellé bombyx ou ver à soie.

Les anciens ne connoissoient guere les usages de la soie, ni la maniere de la travailler : ils la regardoient comme l'ouvrage d'une sorte d'araignée ou escargot, qui la tiroit de ses entrailles, & l'entortilloit autour des petites branches des arbres. Ils appelloient cet insecte ser de Seres, nom d'un peuple de Scythie qui le conservoient : c'est de-là que la soie même est appellée sericum. Mais le ser a bien peu de ressemblance avec notre bombyx ou ver à soie ; le premier vit cinq années ; mais le dernier meurt tous les ans, après s'être enveloppé dans une coque ou boule jaunâtre, qui, composée de petits fils attachés en rond, fait ce que nous appellons la soie.

C'est dans l'île de Cos que l'art de façonner la soie a été inventée d'abord, & on en donne l'honneur à Pamphile fille de Platis. Cette découverte ne fut pas long-tems inconnue aux Romains. On leur apportoit la soie de Sérica qui étoit le lieu où on trouvoit les vers qui la produisent. Mais ils étoient si éloignés de tirer avantage de cette découverte, qu'on ne put pas venir à bout de leur faire croire qu'un fil si beau étoit l'ouvrage d'un ver, & qu'ils formoient là-dessus mille conjectures chimériques.

Cet entêtement fut cause que la soie fut une marchandise bien rare chez eux pendant plusieurs siecles. On l'achetoit même au poids de l'or ; desorte que Vopisque rapporte que l'empereur Aurélien refusa à l'impératrice son épouse une robe de soie qu'elle lui demandoit avec beaucoup d'instance, par la raison qu'elle couteroit trop. Dans la suite, deux moines arrivant des Indes à Constantinople en 555, apporterent avec eux une grande quantité de vers à soie, avec les instructions nécessaires pour faire éclorre les oeufs, élever & nourrir les vers, pour en tirer la soie, la filer & la travailler : après quoi on établit pour cela des manufactures à Athènes, à Thebes & à Corinthe.

Environ l'an 1130 Roger roi de Sicile établit une manufacture de soie à Palerme & une autre en Calabre, qui furent dirigées par des ouvriers qui faisoient partie du butin qu'il avoit remporté d'Athènes, Corinthe, &c. dont ce prince avoit fait la conquête dans son expédition de la Terre-sainte. Insensiblement, ajoute Mézeray, le reste de l'Italie & de l'Espagne apprit des Siciliens & des Calabrois la maniere de gouverner les vers à soie & de travailler la soie : & à la longue, les François par droit de voisinage, commencerent à les imiter un peu avant le regne de François premier.

Les grands avantages qui revenoient de ces nouvelles manufactures donnerent envie à Jacques I. roi d'Angleterre de les introduire dans son royaume : il recommanda plusieurs fois du haut de son trône, & engagea ses sujets, dans des termes bien pressans, à planter des muriers, &c. pour la nourriture des vers à soie : mais malheureusement cela ne réussit pas. Cependant il paroît par beaucoup d'expériences qu'on trouve dans les Transactions philosophiques & ailleurs, que le ver à soie profite & travaille aussi bien à tous égards dans l'Angleterre, qu'en tout autre endroit de l'Europe.

Le ver à soie est un insecte qui n'est pas plus admirable par la matiere précieuse qu'il fournit pour différentes étoffes, que par toutes les formes par lesquelles il passe avant & après s'être renfermé dans la riche coque qu'il se fait lui-même. D'un petit oeuf à-peu-près gros comme la tête d'une épingle qui est son premier état, il devient un petit ver d'une couleur blanchâtre & tirant sur le jaune. Dans cet état il se nourrit de feuilles de mûriers, jusqu'à ce que venant en maturité, il s'enferme lui-même dans une coque ou enveloppe de soie de la grosseur & de la figure d'un oeuf de pigeon ; & se change en chrysalide. Il reste dans cet état sans aucun signe de vie ou de mouvement, jusqu'à ce qu'enfin il sort de cet état pour devenir un papillon ; & se fait ensuite un passage à-travers son tombeau de soie. Après quoi cessant réellement de vivre, il se prépare à soi-même une autre vie par les petits oeufs ou la semence qu'il pond, & que la chaleur du printems aide à éclorre. Voyez INSECTE.

Aussitôt que le ver à soie a acquis la grosseur & la force nécessaires pour faire sa coque, il fait sa toile ; car c'est ainsi qu'on nomme ce tissu leger qui est le commencement & le fondement de cet ouvrage admirable : c'est à quoi il emploie le premier jour. Le second jour il forme le commencement de sa coque, & s'enferme dedans avec sa soie. Le troisieme jour il est tout-à-fait caché, & il emploie les jours suivans à épaissir & fortifier sa coque : il travaille toujours avec le même bout, qui jamais ne se casse par sa faute, & qui est si fin & si long, que ceux qui l'ont examiné avec attention, assurent que sans exagérer, la soie que chaque coque contient suffiroit pour former la longueur de 6 milles d'Angleterre.

Au bout de dix jours, la coque est dans sa perfection : il faut pour lors la détacher des feuilles de mûrier où le ver l'avoit attachée. Mais ce point demande beaucoup d'attention ; car il y a des vers qui sont plus paresseux les uns que les autres : & il est dangereux d'attendre qu'ils se fassent eux-mêmes un passage, ce qui arrive autour du quinzieme jour de la lune.

On conserve les premieres coques, les plus fines & les plus fortes, pour en avoir des oeufs : on devide les autres avec soin : ou si on veut les garder toutes, ou bien s'il y en a trop pour pouvoir les devider toutes à-la-fois, il faut les mettre quelque tems dans un four dont la chaleur soit moderée, ou bien les exposer plusieurs jours de suite à la plus grande ardeur du soleil, afin de faire mourir l'insecte qui sans cette précaution ne manqueroit pas de se faire passage pour sortir & faire usage des nouvelles aîles qu'il a acquises dans la coque.

Ordinairement on ne devide que les plus belles coques. On met à part celles qui sont doubles, ou foibles, ou trop grossieres : ce n'est pas qu'elles soient mauvaises ; mais parce que n'étant pas propres pour être devidées, on les reserve pour être filées en écheveau.

Il y a des coques de plusieurs couleurs ; les plus ordinaires sont jaunes, orangées, isabelle, ou couleur de chair. Il y en a aussi quelques-unes qui sont verd de mer, d'autres couleur de soufre, & d'autres blanches : mais il n'est pas nécessaire de séparer les couleurs & les nuances pour les devider à part ; car toutes ces couleurs se perdent dans les autres préparations nécessaires à la soie.

Les différentes préparations que la soie essuie avant que d'être propre à être employée dans les manufactures d'étoffes de soie, sont de la filer, la devider, la passer au moulin, la blanchir & la teindre.

Nous donnerons à la suite de cet article la maniere de la filer, devider, passer au moulin, après avoir parlé des différentes sortes de soie. Quant à la maniere de la blanchir & de la teindre, nous renverrons à l'article TEINTURE.

On donne à la soie différens noms, suivant les différens états dans lesquels elle est :

Soie crue, est celle qu'on tire de la coque sans feu & sans coction : telle est toute, ou du moins la plus grande partie de celle qu'on fait venir du Levant en Angleterre.

Dans les manufactures de soie en France, la plus grande partie de cette soie crue passe pour être un peu meilleure qu'une espece de fin fleuret : cependant elle fait un fil luisant, & sert pour les manufactures d'étoffes de moyen prix. Mais les soies crues du Levant, d'où nous tirons la plus grande partie des nôtres, sont extrêmement belles & fines. Cette différence vient de ce qu'en France on jette les meilleures coques dans l'eau bouillante pour les filer & les devider, & on ne fait de soie crue qu'avec le rebut ; au lieu qu'au Levant on ne sait ce que c'est que de filer & devider la soie au feu ; mais on envoie toutes les soies en balle ou paquet, telles qu'elles ont été tirées de dessus les coques, desorte qu'on ne les distingue que par leurs qualités de fine, moyenne & grosse.

Soie bouillie, est celle qu'on a fait bouillir dans l'eau, afin de pouvoir la filer & la devider plus facilement. C'est la plus fine de toutes les sortes de soies qu'on travaille en France, & on ne s'en sert guere que pour les étoffes les plus riches, comme velours, taffetas, damas, brocards, &c.

Il y a aussi une autre espece de soie bouillie qu'on prépare à aller au moulin en la faisant bouillir, & qui ne peut pas recevoir cette préparation sans avoir auparavant passé par l'eau chaude.

Il est défendu par les loix de France de mêler de la soie crue avec la soie bouillie, parce que cela ôteroit la teinture, & que la soie crue gâte & coupe la soie bouillie.

La soie torse & retorse, est celle qui indépendamment du filage & du devidage, a de plus passé par le moulin & a été torse.

Elle reçoit cette préparation par degré, selon qu'on la passe plus ou moins souvent sur le moulin Cependant, à proprement parler, les soies torses sont celles dont les fils sont tors en gros & retors ensuite différentes fois.

Soie plate, est celle qui n'est point torse, mais qui est préparée & teinte pour faire de la tapisserie ou autres ouvrages à l'aiguille.

Soie d'Orient ou des Indes orientales : celle qu'on appelle proprement ainsi, n'est pas l'ouvrage des vers à soie ; mais elle vient d'une plante qui la produit dans des cosses semblables à celles que porte l'arbre du coton. La matiere qui est renfermée dans ces cosses, est extrêmement blanche, fine & passablement luisante : elle se file aisément, & on en fait une espece de soie qui entre dans la composition de plusieurs étoffes des Indes & de la Chine.

Soie de France. Ce n'est que dans les provinces les plus méridionales de la France qu'on cultive la soie, qu'on plante des mûriers, & qu'on nourrit des vers à soie. Les principales sont le Languedoc, le Dauphiné, la Provence, Avignon, la Savoye & Lyon. Cette derniere ville fournit à la vérité bien peu de soie de son propre crû ; mais c'est un entrepôt considérable, où les marchands de Paris & des autres villes vont s'en fournir : du-moins ils sont obligés de les faire passer par Lyon, quand même ils les tireroient d'ailleurs, soit par terre ou par mer.

On compte qu'il en entre dans Lyon, année commune, 6000 balles, à cent soixante livres par balle : desquelles 6000 balles il y en a 1400 qui viennent du Levant, 1600 de Sicile, 1500 d'Italie, 300 d'Espagne, & 1200 du Languedoc, de Provence & de Dauphiné.

Dans le tems que les manufactures de Lyon étoient dans un état florissant, on y comptoit 18000 métiers employés aux étoffes de soie ; mais elles sont tellement tombées, que même en 1698, il y en avoit à peine 4000. Il n'y a pas moins de diminution dans celles de Tours : on y voyoit anciennement 700 moulins pour devider & préparer les soies, 8000 métiers occupés pour fabriquer les étoffes, & 40000 personnes employées pour préparer & travailler les soies. Tout ce nombre est réduit à présent à 70 moulins, 1200 métiers, & 4000 ouvriers.

Soies de Sicile. Le commerce des soies de Sicile est fort considérable : ce sont les Florentins, les Génois & les Luquois qui le font : ils en tirent une grande quantité tous les ans de ce royaume, & principalement de Messine, dont une partie sert à entretenir leurs propres manufactures ; & ils vendent le reste avec profit à leurs voisins les François, &c. Les Italiens, & sur-tout les Génois, ont cet avantage sur les autres peuples, que comme ils ont de grands établissemens dans cette île, ils sont regardés comme les naturels du pays, & ne payent point de droits pour les transporter.

La soie qu'on fait en Sicile est en partie crue, & le reste est filé & mouliné ; pour cette derniere espece, celle qui vient de Sainte-Lucie & de Messine est la plus estimée. Les soies crues qui ne sont point travaillées s'achetent toujours argent comptant ; les autres se vendent quelquefois en échange d'autres marchandises.

Soies d'Italie. Les soies qu'on tire d'Italie, sont en partie travaillées, & en partie crues sans être travaillées. Milan, Parme, Luques & Modène n'en fournissent que de la derniere espece : Gènes beaucoup de la premiere ; Boulogne fournit des deux sortes.

Les soies d'Espagne sont toutes crues ; & on les file & on les mouline, &c. en Angleterre, à proportion des ouvrages auxquels on les destine.

Les soies de Turquie sont toutes crues : nous trouvons dans le commerce des soies du Levant un avantage qui manque dans celles de Sicile ; c'est que les dernieres ne peuvent venir que dans une saison particuliere de l'année ; au lieu que les premieres peuvent être amenées en toutes saisons. On les tire d'Alep, de Tripoli, de Sayde, de l'île de Chypre, de Candie, &c. Mais la principale ville de commerce, particulierement pour les soies de Perse, est Smyrne. Les soies y arrivent en caravanes, depuis le mois de Janvier jusqu'à celui de Septembre : les caravanes de Janvier sont chargées des plus fines soies ; celles de Février & de Mars les apportent toutes indifféremment ; & celles des autres mois ne se chargent que des plus grossieres.

Elles viennent toutes des différentes provinces de Perse, principalement de celles de Quilan & Schirevan, & de la ville de Schamachia, qui sont situées près des bords de la mer Caspienne : un auteur hollandois prétend que ces trois places ne fournissent pas moins de 30000 balles de soie par an. Ardeuil ou Ardebil, autre ville de Perse qui n'est pas éloignée des pays où on fait la soie, est le lieu où on la dépose, & d'où les caravanes prennent le chemin de Smyrne, d'Alep & de Constantinople : & cette ville & celle de Schamachie ont toujours été regardées comme le centre du commerce de la soie, quoiqu'on ait tâché plusieurs fois de l'éloigner de Smyrne & de la Méditerranée, en faveur de l'Archangel & de la mer Blanche, en les transportant à-travers la Moscovie par le Volga & la Dwina, qui sont deux fleuves qui traversent les principales provinces de ce vaste empire.

Ce nouveau cours des soies de Perse en Europe fut d'abord proposé par Paul Centurien, génois, au czar Basile, sous le pontificat de Léon X. Les François eurent le même dessein en 1626. Le duc d'Holstein envoya en 1633 des ambassadeurs à la cour de Perse précisément dans le même dessein ; & en 1668, le czar Alexis Michel fit lui-même cette entreprise ; mais il en fut détourné par la révolte des Cosaques & par la prise d'Astracan.

En 1668, le commerce des soies de Perse fut un peu détourné de Smyrne à cause d'un tremblement de terre qui bouleversa toute la ville ; & sans-doute cette translation de commerce se seroit faite, sans les puissans moyens que les Turcs mirent en oeuvre pour l'empêcher. Quoiqu'il en soit, Smyrne est toujours demeurée dans son ancienne possession ; & les différentes nations de l'Europe continuent toujours d'y envoyer leurs flottes, & d'en transporter les soies : & les choses resteront sans-doute dans cet état, à moins que les conquêtes que le dernier czar a faites le long de la mer Caspienne, ne mettent ses successeurs en état d'exécuter ce grand projet que lui-même a eu certainement en vue.

Soies de la Chine & du Japon. Différentes provinces de la Chine sont si abondantes en meuriers, & d'un climat si favorable aux vers à soie, qu'on ne sauroit concevoir combien elles produisent de soie ; la seule province de Tchekiam pourroit suffire à en fournir toute la Chine, & même une grande partie de l'Europe. Les soies de cette province sont les plus estimées, quoique celles de Nanquin & de Canton soient excellentes.

Le trafic des soies est le principal commerce de la Chine, & celui qui occupe le plus de monde. Mais les marchands européens qui y trafiquent, sur-tout en soies travaillées, doivent bien prendre garde au filage, &c. parce que ces soies sont sujettes à avoir beaucoup de dechet, comme la compagnie françoise des Indes orientales l'a éprouvé depuis peu à ses dépens.

Le Japon ne fourniroit pas moins de soie que la Chine, si les Japonois, qui sont un peuple barbare & soupçonneux, n'avoient interdit tout commerce avec les étrangers, sur-tout avec les Européens, excepté la Hollande, qui y est reçue dans des termes impies que Tavernier rapporte, mais que nous ne pouvons pas croire. Aussi les Hollandois se sont efforcés de se disculper par la plume de plusieurs écrivains fameux.

Les soies des états du grand-mogol viennent toutes de Kasem-Bazar, ville située dans le milieu des terres, d'où elles sont transportées par un canal de quinze lieues dans le Gange, d'où elles sont encore transportées à quinze autres lieues plus avant jusqu'à l'embouchure de la fameuse riviere de l'Indostan. La soie de Kasem-Bazar est jaunâtre, comme sont aussi celles de Perse & de Sicile ; il n'y en a point, du moins que nous connoissions, qui soit naturellement blanche, si on en excepte celle de Palestine. Quoiqu'il en soit, les Indiens la blanchissent avec une lessive faite des cendres d'un arbre qu'on appelle le figuier d'Adam. Mais comme cet arbre est fort rare, les Européens sont forcés de prendre la plus grande partie de leurs soies dans leur couleur naturelle qui est jaune.

On prétend que Kasem-Bazar seule produit tous les ans 22000 balles de soie du poids de 100 livres chaque balle. Les Hollandois en achetent la plus grande partie ; mais ils ne l'apportent point en Europe, non plus que celles du Japon ; mais ils la donnent en échange d'autres riches marchandises, comme particulierement des lingots d'argent, &c.

Tirage de soie. Premiere opération de cette matiere importante. Pour tirer la soie on s'est attaché à la méthode des Piémontois, par la réputation qu'ils se sont acquis de faire mieux que les autres nations ; on a même jugé à-propos de donner une idée des différentes qualités des cocons qui sont produits par le ver, avant que de détailler les parties dont le chevalet est composé.

Lorsque les cocons sont tirés des bruyeres où on fait monter les vers, il faut séparer les bons d'avec les mauvais, c'est-à-dire, ceux qu'on appelle chiques, & en Piémont chochetti, qui sont tachés, ou dont le ver est mort ou fondu. (Article 3. du réglement de Piémont pour la filature des cocons, du 8 Avril 1724). On doit encore séparer dans les bons les cocons fins d'avec ceux qui sont doubles, c'est-à-dire, les cocons formés par deux vers ensemble, parce que les derniers ne peuvent produire qu'une soie très-grossiere ; enfin dans les cocons fins, on doit encore séparer les cocons satinés ou veloutés de ceux qui ne le sont pas. Ces différentes qualités de cocons doivent être tirées séparément ; il est à observer que les cocons satinés ou veloutés demandent un degré de chaleur plus tempéré à l'eau de la bassine, que ceux qui sont fins ; les différentes opérations démontrent la nécessité de tirer les cocons séparément, parce que ce mélange de cocons se trouvant réuni, ne peut que causer une imperfection dans la matiere qui en est tirée.

Lorsque les cocons sont tirés ou séparés, il faut avoir soin de les passer au four lorsqu'il est un peu chaud, ou les exposer à la chaleur vive du soleil afin de faire mourir le ver qui y est renfermé, sans quoi au bout de 18 ou 20 jours, le ver changé en papillon perceroit le cocon, qui par-là se trouveroit hors d'état de fournir la soie au tirage, attendu que le trou auroit coupé tous les brins qui le composent. Les cocons qui ne sont pas passés au four servent à fournir les papillons qui font la graine dont se tire le ver. Les cocons ronds produisent des papillons mâles, & ceux qui sont pointus des papillons femelles. Cela fait, on a deux machines, l'une est un fourneau avec sa chaudiere, l'autre est un dévidoir. L'ouvrier est assis près du fourneau, jette dans la chaudiere pleine d'eau qui est sur le feu, qu'il a déja fait chauffer & même bouillir, l'entretenant ensuite à un certain degré que l'expérience seule peut déterminer, une poignée ou deux de cocons qui ont été bien nettoyés de la substance grossiere qui les environnoit ; ensuite il remue le tout fort vîte avec des brins de bouleau liés ensemble, & coupés comme une brosse. Quand la chaleur & l'agitation ont démêlé les bouts de soie des cocons, ils prennent aux brins du bouleau, & l'ouvrier les sort dehors en tortillant à la fois, 9, 10, 12, 15, 16 bouts de soie ; il en forme un fil qu'il porte sur le dévidoir qu'on a représenté dans nos Planches.

La fig. A représente la fille qui tire la soie, & qui conduit les opérations du tirage. La fig. B celle qui tourne l'hasple ou le devidoir sur lequel se ferment les écheveaux. La fig. C représente les quatre piés qui soutiennent le chassis ou quarré long de 4 piés environ sur environ deux piés & demi dans le haut, & 2 piés du côté de la tireuse de soie. La fig. E représente les quatre piliers, que les Piémontois nomment fantine, dont deux soutiennent l'hasple ou devidoir, & les deux autres l'épée ou va-&-vient. Les piliers qui soutiennent l'hasple doivent être éloignés de ceux qui soutiennent le va-&-vient de 2 piés liprandi, ou 38 pouces de notre mesure (mesure de Piémont, qui contient 12 onces, qui sont 18 pouces de notre mesure), afin que la distance de l'hasple à la bassine puisse conduire le fil plus sec & mieux conditionné sur l'hasple. (Art. 6. du réglement de Piémont, du 8 Avril 1724.) La fig. F représente l'hasple ou devidoir sur lequel la soie est formée en écheveau. La fig. G représente la manivelle du devidoir. La fig. H l'arbre du devidoir, au bout duquel & en-dedans du pilier est un pignon de bois I, composé de 22 dents, qui engrene à une roue taillée comme une roue de champ, appellée campana en langage piémontois, marquée K, attachée à une piece de bois arrondie, marquée L, au bout de laquelle est une autre roue de champ, marquée M, de 22 dents, qui engrene à un autre pignon, marqué N, composé de 35 dents, sur lequel est un excentrique, marqué O, qui entre par une pointe recoudée en équerre dans un trou qui est à l'extrêmité du va-&-vient, marqué P, qui de l'autre côté entre dans une coulisse, où il a la liberté d'aller & venir sur une même ligne. La fig. Q représente deux fils de fer recourbés en anneaux ouverts, que l'on appelle griffes, dans lesquels la soie est passée d'une part & de l'autre à une lame de fer percée, marquée R, & adhérente à la bassine ou chaudiere, marquée S, dans l'eau de laquelle sont les cocons, qui est posée sur un fourneau marqué T.

La figure marquée V, représente les fils composés de plusieurs brins de cocons croisés (art. 4. du réglement de Piémont), dans la partie marquée Y, entre la lame & les griffes, pour former l'écheveau marqué Z. La fig. a représente un petit balai avec lequel on fouette les cocons b, lorsqu'ils commencent à être chauds, afin de trouver le brin de chaque cocon ; ce qu'on appelle en terme de l'art, faire la battue.

La fig. 2 représente le plan de la premiere ; la fig. 3. la partie du chevalet & de l'hasple en face, & la fig. 4. le devant du même chevalet en face ; la fig. 5. représente le pignon de 35 dents, auquel est joint l'excentrique marqué O ; la fig. 5. représente une manne pleine de cocons.

Ces tours ou chevalets dont on se sert en France ne sont point composés comme ceux de Piémont, quant au mouvement ; ceux de France n'ont ni roue, ni pignons pour conduire le va-&-vient, mais seulement une corde sans fin, laquelle passant dans une cavité de l'arbre de l'hasple dans l'endroit où est le pignon I, vient embrasser une poulie cavée placée dans la partie où se trouve placé le pignon N, sur laquelle est posé l'excentrique O, & au moyen du mouvement que la tourneuse donne à l'hasple, l'extension de la corde le donne au va-&-vient.

L'art. 15. du réglement de Piémont défend absolument l'usage des chevalets à corde, proibendo onninamente l'uso di cavaletti à corda, sous peine d'amende ; il faut en expliquer la raison, de même que celle qui veut qu'on croise les fils comme ils paroissent par la fig. Y.

Chaque fil de la soie tirée est composé de plusieurs brins de cocons ; les fils les plus fins sont composés de 4 & 5 cocons ; les plus gros de 25 & 30. Cette façon de les croiser sert à les unir tellement ensemble, que tous ces brins réunis ne composent qu'un fil, qui par cette opération acquiert toute la consistance nécessaire pour l'emploi auquel il est destiné ; elle l'arrondit & le déterge de façon, qu'aucun bouchon ou bavûre ne peut passer à l'écheveau, qualité nécessaire pour former un parfait organsin ; on croise les fils les plus fins 18 à 20 fois au moins (art. 4. du réglement de Piémont), & on augmente les croisemens à proportion de leurs grosseurs.

Outre ces croisemens de fils sur eux-mêmes, il est encore une façon de les faire croiser séparément lorsqu'ils viennent sur l'hasple pour former des écheveaux, & c'est ici le point fondamental de la perfection que les Piémontois se sont acquise, & qui est tellement connu de toute l'Europe, qu'il n'est point de fabriquant dans cette partie du monde, qui ne soit obligé de convenir que les organsins (ce sont les soies qui servent à faire les chaînes ou toiles des étoffes de soie), composés avec la soie du tirage du Piémont, sont les plus beaux & les meilleurs de ceux qui se font dans cette partie du monde. Ces croisemens doivent former une espece de zig-zag sur le dévidoir, tellement irrégulier qu'un brin ne puisse pas se trouver sur un autre brin, attendu que la soie qui vient de la bassine ou chaudiere, qui n'est qu'une gomme ductile, n'étant pas seche, se colleroit sur un autre fil si elle le joignoit dans sa longueur, ce qu'on appelle en terme de l'art, bout-baisé ; il est donc d'une conséquence extraordinaire d'éviter ces baisemens de fil, afin de faciliter le dévidage de la soie, & empêcher les cassemens de fils, qui ne peuvent être raccommodés que par des noeuds, qui dans les étoffes fines, comme les taffetas unis, ne peuvent passer dans les peignes fins où la soie est passée ; de façon que s'il étoit possible de trouver une chaîne ou toile qui n'en eût aucun, on seroit sûr de faire une étoffe parfaite.

La méthode des Piémontois pare aux inconvéniens qu'on vient de démontrer, qui consistent dans la difficulté du devidage de la soie lorsqu'on veut la préparer pour organsin ou pour trame ; elle empêche encore la cause du vitrage, défaut le plus commun & le plus rebelle de tous ceux qu'on éprouve dans la filature. On en distingue douze plus ou moins nuisibles. Le vitrage est un arrangement vicieux des fils sur le devidoir, causé par le mouvement du va-&vient, dont la variation répétée trop souvent les fait trouver dans la même place, & les attache ou fait baiser, de façon que le devidage en est toujours difficultueux, & le déchet ou diminution de la soie très-considérable. Un habile homme pense avoir trouvé la façon de corriger ce défaut (gazette d'Avignon, du 28 Janvier 1749), en se servant des chevalets, à la maniere de ceux de France ; mais comme il n'est pas bien démontré, & qu'il exige encore le concours d'une habile tourneuse, on ne pense pas devoir s'arrêter à ce principe.

Le mouvement des tours ou chevalets dont on se sert en France étant composé du seul jeu, comme on l'a observé, il n'est pas possible qu'une seule corde qui donne le mouvement au va-&-vient, puisse produire le même effet que produiront des roues semblables à celles dont est composé le chevalet ou tour de Piémont ; un mouvement qui se fait par des roues à dents sera toujours plus juste & plus égal que celui à cordes & à poulies : le premier peut se mesurer, diviser & distribuer à telle proportion que l'on veut ; on peut en déterminer & fixer les gradations par le nombre des dents dont il est composé, & l'on est en état à chaque instant de compter ces gradations jusqu'à la plus petite réduction ; ce que l'on ne sauroit faire dans le second mouvement, la corde ni les poulies n'étant pas susceptibles de cette ponctuation géométrique qui seroit requise pour en mesurer & distinguer les progressions : d'ailleurs un mouvement composé est bien plus multiplié & varié qu'un mouvement simple, cela est clair.

Enfin il n'est pas de doute que pour former sur l'hasple ou devidoir les croisemens en zig-zag qui empêchent qu'aucun fil de la soie ne se couche sur l'autre, il faut un mouvement extrêmement multiplié & varié, & qui renferme en lui-même une irrégularité représentative aussi-bien que productive de ces zig-zags, ce qui ne se rencontre ni ne peut se rencontrer que dans le rouage de la machine de Piémont.

Le pignon de l'hasple de cette machine a 22 dents qui s'engrenent à une roue, non pas de 22 dents aussi, ce ne seroit-là qu'un mouvement simple, mais de 25 dents ; cette irrégularité, dans le nombre des dents, en engendre nécessairement une dans le mouvement qui n'est appellé un jeu (art. 15. du réglement de Piémont, 8 Avril 1724.), chez les Piémontois, qu'à cause de cette irrégularité même. La roue du va-&-vient de 35 dents reçoit le mouvement d'une roue de 22 dents, seconde irrégularité qui forme un second jeu, cette double irrégularité de mouvement s'entretenant exactement par la correspondance d'entre le va-&-vient & l'hasple qui lui donne le branle forme un mouvement intégral dont l'effet est d'imiter & de suivre, dans la décomposition du cocon, la même méthode que le ver-à-soie a employée à le composer ; car c'est un point de fait constant entre les naturalistes & les artistes, que la soie du cocon y est filée en zig-zags pareils à ceux que le tour du Piémont fait former sur son hasple, & que par conséquent l'opération de ce tour est une imitation de la nature dont l'industrie du ver instruit par elle est le prototype.

Ces deux mouvemens disposés, comme il vient d'être démontré, sont mesurés de façon qu'auparavant qu'ils puissent recommencer au même point d'où ils sont partis, l'hasple doit faire 875 tours. Or il n'est pas possible que pendant l'intervalle de cette quantité de tours que le vent de l'hasple fait sécher, il puisse arriver que le fil qui prend la même place qu'il a occupée en commençant les 875 tours, se colle avec celui qui l'a précédé parce qu'il doit être extrêmement sec.

On pourroit donner le réglement du Piémont en entier concernant le tirage des soies, traduit de l'italien très-exactement, avec des notes sur la nécessité d'observer tous les articles qu'il contient

Observations sur l'art de tirer la soie de dessus le cocon, où l'on démontre l'importance de cet art, & que la machine dont se servent les Piémontois pour le tirage, est la seule qui y convienne. Il n'est point d'art, dont les prérogatives & la perfection ne dépendent de certaines opérations élémentaires & primitives qui influent sur toutes les opérations subséquentes, aussi nécessairement que la cause influe sur son effet.

Tel est entr'autres, l'art de manoeuvrer & fabriquer la soie, dont l'opération élémentaire & primitive est le tirage, ou la façon de la tirer de dessus le cocon qui la produit. Cette opération a un rapport si essentiel à celles qui concernent la manoeuvre & la fabrication de la soie, & des étoffes dans la composition desquelles la soie entre, que c'est de son plus ou moins de perfection, que dépend le plus ou le moins de facilité & de succès de la préparation de la soie, & dans la fabrication desdites étoffes ; c'est une vérité justifiée par l'expérience de toutes les manufactures en soie, & par la réputation que les Piémontois se sont acquise dans toute l'Europe, pour ce qui concerne le tirage des soies, dans lequel ils excellent & l'emportent sur les autres nations. En effet, cette réputation est telle, qu'il n'est point de fabriquant qui ne soit obligé de convenir qu'il est impossible de faire une étoffe parfaite, sur-tout dans l'uni, sans le secours des organsins, ce sont les soies dont on forme la chaîne des étoffes, composés avec la soie du tirage du Piémont, tout autre tirage lui étant de beaucoup inférieur.

De-là, il est aisé de conclure qu'en France ni ailleurs, on n'atteindra jamais à la perfection de ce tirage qu'en imitant la pratique des Piémontois ; pratique d'autant plus sûre, qu'elle est une imitation de la nature, & que les nouvelles machines que l'on a voulu introduire en France, ne sont elles-mêmes qu'une imitation, mais imparfaite de celle de Piémont ; c'est ce que l'on va développer : le détail est indispensable.

Les cocons dont on veut tirer la soie étant triés, afin de ne tirer qu'une même espece de soie de plusieurs cocons à la fois ; on les passe au four pour faire mourir le ver qui y est renfermé. Cela fait, on les jette dans une chaudiere qu'on appelle en terme de l'art, bassine, pleine d'eau chaude, dont la chaleur est entretenue dans un certain degré par un fourneau sur lequel on la met. Une ouvriere en démêle les premiers brins ou fils, en les fouettant dans cette eau avec un petit balai ; les brins ou fils démêlés, elle les divise en deux portions égales, qu'elle croise l'une sur l'autre quinze ou dix-huit fois pour les soies les plus fines ; & à plus grand nombre de fois à proportion de leurs grosseurs.

Ces croisemens qui se font entre une lame de fer fixe & adhérente à la bassine, d'une part ; & deux fils de fer recourbés & attachés à une lame de bois, dont on parlera dans un moment, d'autre part, sont d'une nécessité absolue pour unir inséparablement les fils de chacun de ces deux brins croisés, en les dévidant sur le tour dont on parlera aussi ci-après, afin de leur donner la consistance & la force nécessaires pour être mis en oeuvre.

Premiere utilité de ces croisemens ; ils contribuent encore à rendre les soies nettes, parce qu'ils les détergent & ils les arrondissent également, de la même façon que pourroit faire une filiere, ensorte qu'il ne peut passer aucun bouchon entre les croisemens de cette espece ; on appelle bouchons les inégalités & grosseurs qui se rencontrent dans les fils. Seconde utilité de ses croisemens.

On attache chacun de ces brins à un tour ou devidoir que l'on nomme hasple, sur lequel une autre ouvriere en dévide jusqu'à une certaine quantité, dont l'on forme des écheveaux ; mais comme les écheveaux doivent être encore devidés pour préparer la soie sur le moulin ; il s'agit lors du premier dévidage, de parer aux inconvéniens qui peuvent se rencontrer dans le second. Ces inconvéniens sont, la difficulté dans ce second devidage, le cassement des fils, & le déchet par conséquent que ce cassement occasionne ; ce qui rend ce second devidage d'autant moins fructueux qu'il est plus défectueux, en ce que ces soies d'un côté demeurent plus long-tems à être devidées, & que d'un autre côté étant cassées, elles ne peuvent être nouées si proprement que ce noeud ne les rende inégales dans leur grosseur ; & cette défectuosité originelle non-seulement se continue dans la préparation de la soie & dans la formation de l'organsin, mais encore elle se perpétue jusque dans la fabrication de l'étoffe, sans pouvoir être corrigée par aucune industrie ; parce que ces noeuds ne pouvant passer par les dents des peignes, la soie se casse une seconde fois : il faut donc la renouer une seconde fois au-delà des dents du peigne, ce qui fait nécessairement une imperfection qui s'apperçoit, moins à la vérité dans une étoffe brochée, que dans une étoffe unie ; mais qui n'en est pas moins un vice & un défaut, soit que les premiers noeuds puissent passer ou non par les dents du peigne ; la chose est sensible.

Tous ces inconvéniens partent d'une même cause qui est que la soie, lors du premier devidage, n'a pas été croisée sur le tour ou hasple ; car outre les premiers croisemens dont on vient de parler, il en faut encore d'autres qui se forment sur cet hasple, à mesure que la soie s'y dévide. Ce sont ces nouveaux croisemens qui rendent aisé le second devidage, & empêchent le cassement des fils, & par conséquent leur déchet ; c'est ici où se réduit toute la difficulté du tirage, & le point essentiel & délicat de cette main-d'oeuvre fondamentale. La nécessité de l'expliquer le plus clairement qu'il sera possible, fait passer pardessus la crainte d'être prolixe.

La soie que produit le cocon, n'est dans son principe qu'une espece de gomme ductile à l'infini ; & comme en la tirant de dessus le cocon, elle est encore en bave, pour ainsi dire, il est nécessaire qu'en sortant de dessus la chaudiere pour aller sur le devidoir, elle fasse des mouvemens si exactement irréguliers, que les brins ne puissent jamais se joindre ; parce que dès qu'ils se sont une fois touchés & baisés, ils se collent ensemble & ne peuvent plus se séparer ; ce qui fait qu'il est impossible de devider ensuite cette soie mise en écheveaux sans qu'elle ne se casse ; défaut, on ne sauroit trop le répéter, d'autant plus essentiel, qu'il influe sur les opérations pour la préparer, mouliner, mettre en organsin, & ensuite en étoffes.

Ces mouvemens sont produits par celui d'une lame de bois qui est placée horisontalement au-dessus de la bassine, à environ deux piés 1/2 de l'hasple : à cette lame sont attachés deux fils de fer recourbés en anneaux ouverts, que l'on appelle griffes, dans lesquels on passe les deux brins déja croisés, ainsi qu'on l'a expliqué ci-devant.

C'est-là cette lame que les Artistes appellent va-&vient, nom qui en renferme une idée aussi claire que succincte, puisqu'effectivement elle ne fait qu'aller & venir, & cela sur sa longueur, & toujours sur une même ligne ; & ce sont ces allées & venues continuelles qui font que la soie se croise sur l'hasple en forme de zigzag, sans qu'un brin se couche, ni par conséquent se colle sur l'autre : elles doivent donc être ces allées & ces venues extrêmement justes & régulieres, pour former par proportion aux tours que fait l'hasple, un mouvement égal de correspondance d'où naissent successivement ces zigzags ; cela n'est pas douteux.

Or la machine de Piémont seule opere cette merveille ; c'est ce qu'il s'agit de démontrer : mais avant de passer outre, il est bon d'observer que les inventeurs de ces nouvelles machines en France, ne prétendent pas qu'elles prévalent à celle de Piémont : c'est déja un grand point, mais seulement qu'elles l'égalent ; c'est encore quelque chose : car en supposant le fait, c'en est assez pour proscrire leur usage, parce qu'elles coutent plus cher que la machine de Piémont ; mais il faut prouver que ces nouvelles machines n'approchent point de la perfection de celle de Piémont, & par conséquent qu'elles ne l'égalent pas.

La machine ou tour de Piémont que l'on appelle chevalet, est un chassis composé de quatre piliers de bois qui, joints ensemble par des traverses, forment un quarré long de 3 piés 4 pouces ou environ, sur environ 2 piés 1/2 de largeur. Dans le haut de ce chassis, & entre les deux piliers est placé l'hasple ou devidoir, composé de quatre aîles, dont le diametre est de deux piés ou environ, y compris le diametre de son arbre ou axe ; dans le bas & au côté opposé aussi entre les deux piliers, est la lame du bois ou le va-&-vient.

A l'un des bouts de l'arbre qui passe dans le pilier du côté droit, est attachée la manivelle de la tourneuse, & à l'autre bout est un pignon horisontal de vingt-deux dents.

Celui des deux piliers entre lesquels est le va-&vient, est attaché d'un bout par un excentrique ; l'autre bout du va-&-vient est passé dans une coulisse ; l'intervalle qui est entre les deux roues ci-dessus, est rempli par une piece de bois arrondie, à chacune des extrêmités de laquelle est une roue de champ, dont l'une qui a vingt-cinq dents s'applique & s'engraine sur le pignon de l'hasple ; & l'autre qui n'en a que vingt-deux sur la roue du va-&-vient.

La tourneuse met le rouage en mouvement, en tournant avec la main la manivelle du devidoir à l'arbre duquel est attaché le pignon, qui est le principe des deux mouvemens corrélatifs de l'hasple & du va-&-vient.

Ces deux mouvemens sont mesurés, de façon qu'auparavant qu'ils puissent recommencer au même point d'où ils sont partis, l'hasple doit faire 875 tours.

Le fameux réglement de Piémont, donné ad hoc au mois d'Avril 1724, exige indispensablement dans la structure des tours à filer ou devider la soie, ce nombre de roues & de dents.

Li cavaleti, porte l'article 15. provisti de loro guiochi necessari perle devute guerociature per ogni guiocho : avere il pagnone di denti 25, campana grossa di 25, stello dellaspa e campana piccola di denti 22 caduna ; e mantenersi tali ordigni, sempre in istato di buon servizio : c'est-à-dire, " les chevalets seront pourvûs de leurs jeux nécessaires pour opérer les croisemens susdits, chaque jeu aura, savoir, le pignon 25 dents, la grosse roue 25, l'étoile de l'hasple & la petite roue 22 chacune ; & il faudra maintenir toujours cet ordre, il sera d'un bon service ".

Cette loi est le fruit des recherches & des découvertes des plus habiles manufacturiers & artistes de Piémont. Il en résulte deux choses ; la premiere, qui n'est point contestée, que la soie qui se porte sur l'hasple doit continuellement se croiser ; & la seconde, que ces croisemens continuels ne peuvent être opérés par un mouvement simple, mais bien par un mouvement double & composé de deux jeux, tels qu'ils sont prescrits par cette ordonnance.

L'on sent déja au premier coup-d'oeil que ce rouage établit d'un côté l'identité continue de chaque mouvement de hasple & du va-&-vient en soi-même, une dent ne pouvant passer devant l'autre, & d'un autre côté la correspondance & la réciprocité entre ces deux mouvemens. On va les particulariser & en expliquer les propriétés, en faisant la comparaison des nouvelles machines avec celle de Piémont.

Les machines nouvellement inventées, l'une par le sieur V *** l'autre par le sieur R *** fabriquant en bas, & la troisieme par le sieur le M *** inspecteur des manufactures de Languedoc, telles qu'elles sont décrites dans le procès-verbal d'épreuves qui en ont été faites au mois d'Avril 1745 dans l'orangerie de M. le Nain intendant de Languedoc, en sa présence & en celle de plusieurs artistes. Ces machines, disons-nous, imitent bien en quelque façon celle de Piémont, comme on l'a déja observé ; en effet, leur structure est la même, & l'on y fait aussi de même les premiers croisemens dont on a parlé ci-devant, qui se font entre la bassine & la lame de fer. L'hasple ou devidoir & le va-&-vient sont aussi à quelque chose près, les mêmes que ceux de la machine de Piémont ; mais au-lieu d'un mouvement de rouage, elles n'ont qu'un mouvement à cordes & poulies ; & au-lieu d'un mouvement composé, elles n'en ont qu'un simple : & c'est précisément cette différence de mouvement, l'un composé & à roues, & l'autre simple & à corde & poulies, qui fait que le premier est constamment uniforme en soi-même, & dans la correspondance & réciprocité de l'hasple au va-&-vient, & que le deuxieme est aussi inégal en soi que dans cette correspondance de l'hasple au va-&-vient ; & de-là naît la perfection du tirage qui se fait par le mouvement à roues, & l'imperfection de celui qui ne s'opere qu'avec un mouvement à corde & poulies.

On en trouve la preuve écrite dans le procès-verbal même du mois d'Août 1745, ci-dessus énoncé. Les sieurs le M *** & R *** qui l'ont dressé conjointement, y reconnoissent en termes formels que l'inégalité & la cessation de la tension de la corde dans les tems secs causent l'inégalité & la cessation du mouvement du va-&-vient. Voilà donc un défaut radical dans ce mouvement à corde, de l'aveu même de ses auteurs, qui ne se rencontre, ni ne peut se rencontrer dans un mouvement à rouage.

Il est bien vrai qu'on prétend, selon ce procès-verbal, qu'il est remédié à ce défaut, du-moins dans le tour du sieur V *** par un contrepoids qui tient la corde tendue. Mais 1°. l'efficacité de ce remede n'est que conjecturale, on veut dire qu'elle n'est pas bien établie. En effet ce contrepoids ne sauroit empêcher que les poulies ne se liment peu-à-peu dans leurs rainures par le frottement continuel de la corde, & que la corde aussi ne s'amincisse, tant par ce frottement que par celui qu'elle souffre sur elle-même, étant croisée ; dès-lors le diametre de ces poulies étant diminué & cette corde amincie, glissant plus ou moins légerement, il en résulte nécessairement une inégalité de mouvement.

2°. Pourquoi recourir au remede, quand on peut éviter le mal dans sa source ? Qui détruit la cause, détruit l'effet. Le mouvement est fixé invariablement par le rouage dans la machine de Piémont ; il faut donc se servir de rouage sans recourir à des voies qui le rendent inégal, & qui elles-mêmes ont besoin d'un correctif, dont, encore un coup, l'effet est douteux tout-au-moins, s'il n'est pas démontré tout-à-fait impuissant.

Les sieurs le M *** & R *** confessent encore dans ce même procès-verbal, que le plus grand défaut de la construction d'un tour est d'occasionner le cassement des fils, & ils ont raison : or il est constant que lors des épreuves les fils se sont plus souvent cassés sur le tour du sieur V *** que sur les autres ; voilà donc conséquemment aux principes & de leur aveu même une des trois nouvelles machines qui ne sauroit entrer en concurrence avec les autres, & à plus forte raison avec celle de Piémont : si vinco vincentem te, debeo vincere te.

On a établi ci-devant que les fils qui se couchoient sur l'hasple lors du tirage ou premier devidage, se colloient ensemble, ce qui en occasionnoit la rupture lors du second devidage, & conséquemment le déchet, indépendamment de ce que ce second devidage en étoit plus long & plus difficultueux : le tour du sieur R *** en fournit la preuve. " Proportion gardée, dit le procès-verbal en question en parlant du second devidage, il a été mis plus d'un tiers sur le quart au devidage de l'écheveau filé sur le tour du sieur R *** qu'à celui de tous les autres ; la différence est plus considérable sur le déchet & le nombre des fils rompus, cela est bien clair ; ce qui suit ne l'est pas moins ; mais indépendamment de ces remarques qui peuvent être différentes de celles auxquelles donnera lieu le devidage du moulin, nous avons remarqué qu'il y a eu plus de tems à devider l'écheveau du tour du sieur R *** que ceux des autres : on n'en peut guere attribuer la cause, continue ce procès-verbal, qu'en ce que les fils en étoient collés plus durs aux endroits qui avoient porté sur les aîles des hasples, & qu'ils l'étoient encore un peu dans leur longueur ".

Ces judicieuses remarques épargnent le commentaire, on ne peut rien y ajouter, elles établissent démonstrativement ces trois points : 1°. que les fils de l'écheveau tiré sur le tour du sieur R *** se sont couchés dans les longueurs, & par conséquent collés ; 2°. que ce collage en a occasionné la rupture & le déchet lors du second devidage, indépendamment des inconvéniens qui en résulteront lors du devidage du moulin ; 3°. que ce second devidage a été plus long & plus difficultueux : trois défauts essentiels dans les principes mêmes des sieurs le M *** & de R *** car dans le cours des épreuves qu'ils ont faites lors de leur procès-verbal, ils ont reconnu, disent-ils, " que la bonne construction du tour devoit avoir principalement pour objet de contribuer à la perfection de la soie, d'empêcher que la soie ne soit difficile à devider, & ne souffre trop de déchet dans cette opération, &c. ". Le tour du sieur R *** a faussé sa vocation, puisqu'ils ont reconnu que la soie en étoit difficile à devider, souffroit plus de déchet, & par conséquent étoit moins parfaite.

Mais ces défauts, nous disent les mêmes sieurs le M *** & R *** ne sont que de petits défauts (quelle contradiction !) auxquels il sera aisé de remédier ! & comment cela ? c'est ce qu'ils ne savent ni l'un ni l'autre, ou tout-au-moins c'est sur quoi ils n'ont pas jugé à-propos de s'expliquer. La seule & véritable voie de remédier à ces défauts, est de reconstruire un tour d'une nouvelle structure : mais, non, vous répondront-ils. Il faut bien se garder de changer cette ingénieuse structure. Eh, pourquoi cela ? C'est pour lui conserver le grand avantage qu'il a sur les autres tours, qui est d'aller plus vîte qu'eux. Quelle erreur ! Cette vîtesse, en la supposant, est elle-même un défaut qu'il faut corriger, bien-loin d'être une qualité avantageuse à lui conserver, puisqu'elle empêche que la soie qui passe de la bassine sur l'hasple n'ait le tems de sécher, comme elle fait sur le tour de Piémont, dont le réglement de 1724 n'a prescrit une certaine distance entre les piliers, qu'afin que les fils puissent aller de la bassine sur l'hasple plus secs & mieux conditionnés. Li cavaleti devrano avere le fantine in distansa di due pedi liprandi l'una dall'altra, acciochè dall'aspla al ferro vi sia contanza tale che li fili.... possano andar sovra l'aspla piu asciuti è miglio conditionati, porte cette ordonnance, article 6. " les chevalets devront avoir les piliers en distance de 2 piés liprandi (mesure de Piémont de 19 pouces du pié de roi), c'est-à-dire, 3 piés 2 pouces pié de roi l'un de l'autre, afin que de l'hasple au fer il y ait une telle distance, que les fils.... puissent aller sur l'hasple plus secs & mieux conditionnés ".

Voilà donc encore une des trois nouvelles machines, qui ne mérite pas plus de préférence sur le tour de Piémont que celle du sieur V ***.

Voyons si celle du sieur le M *** aura un meilleur sort.

Cette machine, à proprement parler, n'est point de l'invention du sieur le M ***, mais un tour qui est en usage dans le Languedoc, c'est-à-dire, dont le mouvement est à corde & à poulies, & qui dèslors porte la réprobation sur son front. Le sieur le M *** y a seulement fait ajouter (c'est lui qui parle) " une petite piece de bois d'un pouce & demi d'épaisseur, clouée sur une des pieces latérales du chassis, au milieu de la ligne que décrit la corde qui embrasse la poulie du va-&-vient à l'arbre de l'hasple. Sur le sommet de cette piece est une poulie élevée de 4 à 5 pouces au-dessus de la corde, & sur cette poulie passe une petite corde, à un bout de laquelle est attachée une autre petite poulie mobile, sur laquelle roule la corde du va-&-vient ; & à l'autre bout pend un poids pesant 12 onces, qui tendant la corde à laquelle il est attaché, tend aussi la corde du va-&-vient, & en l'élevant en même tems qu'il l'approche du centre de la ligne qu'elle décrit, la fait entrer avec moins de frottement dans la rainure horisontale de la poulie du va-&-vient, & sortir de celle verticale de l'arbre de l'hasple avec moins de frottement ; moyennant quoi, sans rien déranger au tour de Languedoc, il seroit remédié, à ce que vous assure le même sieur le M ***, aux inconvéniens de l'inégalité & cessation du mouvement de leur va-&-vient, comme dans le tour du sieur V *** ".

Mais en bonne foi cette addition & prétendue correction aux tours de Languedoc pourra-t-elle jamais détruire leur imperfection originelle, & ne se trouvent-ils pas réfutés d'avance par tout ce que l'on a dit ci-dessus ?

Tout mouvement à corde & à poulies est impuissant pour produire cette constante & invariable irrégularité des mouvemens, tant du va-&-vient & de l'hasple, chacun en soi, que de leur correspondance également uniforme dans son irrégularité. Cela présupposé comme incontestable, ce mouvement double & composé de deux jeux est une merveille qui ne peut s'opérer que par le mystérieux rouage des tours de Piémont. Les sieurs le M ***, V ***, R ***, & tous les auteurs des mouvemens à corde & poulies, ou mouvemens simples, ne tomberont-ils pas dans une perpétuelle pétition de principes, lorsqu'ils s'obstineront à prétendre d'imprimer par quelque addition & par quelque correctif que ce soit à un mouvement simple, encore sans le déranger, la propriété & l'efficacité du mouvement composé d'un double jeu ? La proposition seule heurte les premiers principes du méchanisme ; aussi se trouve-t-elle proscrite par le réglement de Piémont qu'on a déja cité, qui défend l'usage des tours à corde, & inflige même la peine de 25 liv. d'amende pour chaque tour contre les fabriquans qui s'en serviront. Sotto pena, porte l'article 6. alli padroni delle filature di l. 25. per caduno cavalleto differentamente disposto ; & article 14. proibendo omninamente l'uso di cavaleti à corda ; défense de se servir des chevalets à corde, tels que celui d'aujourd'hui du sieur Vaucanson : il tutto sotto la pena susdetta ; sous peine aux maîtres de filature de 25 liv. par chaque chevalet différemment construit ; défendant absolument l'usage des chevalets à corde, de quelque façon qu'ils puissent être construits, quelque correctif qu'on y ajoute, & sous quelque prétexte que ce soit, car c'est là l'idée que renferme cet omninamente, le tout sous la peine susdite. D'où il faut conclure que l'invention du sieur le M *** n'empêche pas que son tour ne soit rangé dans la même classe que ceux des sieurs V *** & R ***.

Les auteurs & les partisans des tours à corde, n'objecteront peut-être pas que la prohibition de ces tours, portée par une ordonnance de Piémont, ne fait pas loi en France ? L'objection seroit risible & indécente : on ne la rapporte pas ici comme une autorité légale : c'est au roi seul, souverain législateur de son royaume, à lui en imprimer le caractere, si sa majesté le juge à propos, comme il y a lieu de l'espérer ; mais on la propose seulement comme une autorité de principe pour l'espece particuliere. Les sciences & les arts sont fondés sur des principes qui font loi pour ceux qui les cultivent : il y a autant de danger que de témérité à s'en écarter ; on n'en veut d'autre exemple que les auteurs de nouvelles machines.

Qu'ils ne tirent pas non plus avantage de la gratification qu'ils ont obtenue du conseil, & qu'ils ne la proposent pas comme un préjugé en leur faveur ; cette gratification est bien plus la récompense de leurs recherches que celle de leurs découvertes, & elle fait bien moins l'éloge de leurs talens que celui des bontés du magistrat qui la leur a obtenue, & de la libéralité du conseil qui la leur a accordée.

Personne n'ignore l'attention du ministere à exciter & à entretenir, par des promesses & par des gratifications, cette noble émulation si nécessaire pour porter les sciences & les arts à leur perfection ; & tout le monde sait avec quel zele M. le Nain a toujours secondé les vues du ministere sur ce point.

Ce magistrat, bien convaincu que les tours des sieurs V ***, R *** & le M *** n'avoient point corrigé le défaut du vitrage, c'est le nom que l'on donne au collement des fils de la soie sur l'hasple, chargea en 1748 un particulier d'Avignon (a), à qui il connoissoit des talens, de chercher le remede à ce défaut ; & quoiqu'il ne l'ait pas trouvé, n'ayant fait que tripler la rainure de la roulette de l'hasple des tours ordinaires, encore exige-t-il le concours d'une habile tourneuse ; cependant il a éprouvé de la part de M. le Nain la même libéralité dont les sieurs R ***, le M *** & autres précurseurs s'étoient ressentis, & cela parce que du moins il a travaillé tout autant & peut-être plus qu'eux, quoiqu'aussi infructueusement, & qu'il est juste de récompenser des talens qu'on a mis en oeuvre, quel qu'en soit le succès, toute peine méritant salaire.

Si un sujet de Piémont, qui se serviroit de ces nouveaux tours, bien loin d'être récompensé, est puni d'une amende de 25 livres par chaque tour, sotto pena di l. 25. per caduno cavalleto, les inventeurs de ces tours n'y feroient pas fortune assurément.

L'artiste Comtadin auroit bien plus de raison de s'arroger, sur le fondement de cette récompense, le mérite de son travail & la préférence sur ses concurrens, puisqu'au moins il peut leur opposer cet argument.... Si vous aviez trouvé le remede au vitrage, M. le Nain ne m'auroit pas chargé de le chercher : or il m'en a chargé, donc, &c.

Au reste, il faut discuter le fait par lui-même, & non par des préjugés épisodiques. Les nouvelles machines empêchent-elles le vitrage des soies ? La négative est démontrée par les principes & par l'expérience. Reste à savoir si la machine de Piémont a cette prérogative. L'affirmative est aisée à prouver, d'après les observations ci-dessus.

D'abord elle a pour elle les principes généraux &

(a) Gazette d'Avignon du 28 Janvier 1749.

particuliers. En général tout mouvement qui se fait par le moyen des roues à dents, est plus juste & plus égal que celui à corde & à poulies : le premier peut se mesurer, diviser & distribuer à telle proportion que l'on veut ; on en peut déterminer & fixer les gradations par le nombre des dents dont il est composé, & l'on est en état, à chaque instant, de compter ces gradations jusqu'à la plus petite réduction, ce que l'on ne sauroit faire dans le second mouvement, la corde ni les poulies n'étant pas susceptibles de cette ponctuation géométrique qui seroit requise pour en mesurer & distinguer les progressions ; la chose est aussi claire qu'incontestable.

2°. Un mouvement composé est bien plus multiplié & varié qu'un mouvement simple : cela s'entend de soi-même : or le mouvement à rouage est un mouvement composé ; par conséquent, &c.

3°. Dans la these particuliere, on comprend que pour former sur l'hasple ou devidoir ces croisemens en zigzags, qui empêchent qu'aucun sil de la soie ne se couche l'un sur l'autre, il faut un mouvement extrêmement multiplié & varié, & qui renferme en lui-même une irrégularité représentative aussi-bien que productive de ces zigzags ; ce qui ne se rencontre, ni même ne peut se rencontrer que dans le rouage en question.

Le pignon de l'hasple a vingt-deux dents qui s'engrenent à une roue, non de vingt-deux dents aussi, ce ne seroit-là qu'un même mouvement simple, mais de vingt-cinq dents. Cette irrégularité dans le nombre des dents, en engendre nécessairement une dans le mouvement, qui n'est appellé un jeu par l'ordonnance de 1724, qu'à cause de cette irrégularité même. La roue du va-&-vient de vingt-cinq dents, reçoit le mouvement d'une roue de vingt-deux dents, deuxieme irrégularité qui forme un second jeu : cette double irrégularité de mouvemens s'entretenant exactement par la correspondance d'entre le va-&vient & l'hasple qui lui donne le branle, forme un mouvement intégral, dont l'effet est d'imiter & de suivre la décomposition du cocon, la même méthode que le ver à soie a employée à le composer ; car c'est un point de fait constant entre les naturalistes & les artistes, que la soie du cocon y est filée en zigzags pareils à ceux que le tour de Piémont fait former sur son hasple, & que par conséquent l'opération de ce tour est une imitation de la nature, dont l'industrie du ver, instruit par elle, est le prototype.

C'est-là cette merveille dont la découverte a coûté tant de veilles, de soins & de recherches aux Piémontois (b). Elle n'a point frappé les sieurs le M *** & R ***, parce qu'ils ne la supposoient pas dans un tour qu'ils n'avoient pas envie de préconiser à l'exclusion des leurs. D'ailleurs ils la connoissoient si peu (car on est bien éloigné de les taxer de cette partialité plus opiniâtre qu'aveugle que l'amour-propre inspire aux ouvriers pour leurs productions), qu'ils n'y entendoient pas même mystere, & n'en soupçonnoient point dans ce nombre & dans cet arrangement curieux de roues & de dents. " Le quatrieme tour, disent-ils dans leur procès-verbal, est celui que le feu sieur Baron a fait faire sur le modele de ceux de Piémont ; son chassis est de la même longueur.... L'hasple donne le mouvement au va-&-vient par le moyen d'un arbre horisontal, dont un bout engraine par des dents à l'arbre de l'hasple, & l'autre à un plateau dentelé auquel est attaché le va-&-vient ".

Cette laconique description, ce silence sur le nombre & l'arrangement des roues & des dents du tour de Piémont de la part de gens qui ont pompeusement étalé des inutilités (c) dans les autres tours, provient tout au moins de ce qu'ils ne connoissoient guere ce qu'ils examinoient, ou qu'ils n'examinoient point assez ce qu'ils ne connoissoient pas ; cela est si vrai, qu'ils se sont de même imaginés que ce rouage embarrassoit l'opération du tirage (d). Quelle inconséquence !

D'ailleurs une réflexion qui se présente ici d'elle-même, c'est qu'il n'est pas bien certain que la machine du sieur B *** fût un modele parfait de celle de Piémont. Ce doute est d'autant plus raisonnable, que le témoignage même des sieurs M *** & R ***, de la façon dont ils en parlent, sert plutôt à le confirmer qu'à l'éclaircir, & encore moins à le résoudre.

L'autorité de la chose jugée (e) ne milite pas moins que les principes en faveur du tour de Piémont : enfin il a pour lui l'expérience de toute l'Europe. Muni de tant de titres, peut-on lui refuser une préférence aussi justement acquise ; préférence d'ailleurs dont il a été déja jugé digne par l'épreuve qui en a été faite en 1748, en présence de Messieurs les intendans du commerce, chez M. le Tourneur, l'un d'eux ?

La perfection de ce tour n'a point échappé aux lumieres de M. Rouillé, secrétaire d'état, sous les yeux duquel il a paru. " J'ai vu (f) dit, ce savant ministre, le tour du sieur Othon, qui est celui du Piémont : j'ai vu son devidoir, & j'ai été content de l'un & de l'autre ". Cette approbation est un garant assuré de celle qu'on a lieu d'attendre de tous les connoisseurs devant qui l'on renouvellera l'épreuve du tour de Piémont, si le conseil le juge à propos.

L'importance du tirage ou filage de la soie démontrée par lui-même & reconnue par l'unanimité des fabriquans de l'Europe, rien de plus intéressant pour le bien du commerce du royaume en général, & en particulier des manufactures des étoffes de soie qui en sont la branche la plus considérable, que d'assurer la méthode de ce même tirage, par une décision qui prononce irrévocablement sur la préférence que la machine de Piémont mérite sur ses concurrentes. Et comme cette décision doit porter sur ces deux objets, 1°. la structure des tours, 2°. leur utilité ; supposé que le conseil ne trouvât pas, quant à-présent, ces objets ou l'un des deux suffisamment éclaircis, par les raisons expliquées dans ce mémoire, en ce cas rien de plus simple que d'en faire faire la vérification en présence de nosseigneurs les commissaires du conseil, par les députés de l'académie royale des Sciences, conjointement avec ceux du commerce, & des manufacturiers, artistes & connoisseurs.

Cette précaution, qui est conforme à la sagesse & aux maximes du conseil, dissipera jusqu'au doute le plus leger, & acquerra infailliblement à la machine de Piémont une plénitude d'évidence, à laquelle ses adversaires, s'il lui en restoit encore alors, ne pourront résister.

Autres observations sur le tirage des soies. Quoique l'explication de la méthode dont les Piémontois se servent pour tirer leurs soies, paroisse suffisante pour parvenir à cette perfection qui leur est commune, il seroit néanmoins nécessaire d'établir un ordre, qui, sans exciter les murmures que causent ordinairement les nouveautés, pût rendre le public certain de la solidité du grand objet qu'on se propose.

L'ordre qu'on se propose d'établir, pourroit être

(b) On a fait en Piémont plus de roues que n'en contiendroient six tombereaux, auparavant de faire cette découverte.

(c) Voyez la description de l'hasple du tour du sieur R ***, les numérations des dents de deux roues du même tour, une corde finement placée, &c.

(d) Voyez le procès-verbal.

(e) Réglement de Piémont de 1724.

(f) Lettre du 25 Août 1748 à M. de Fourqueux, procureur général de la chambre des comptes.

une espece de réglement, qui pût concerner toutes les personnes qui s'appliquent à faire des soies, principalement celles dont la mauvaise foi peut donner lieu à de grandes défectuosités dans celles qu'elles font tirer ; il ne peut se trouver que des personnes semblables à qui cette nouveauté donne de la répugnance ; il est nécessaire d'expliquer quels sont les abus qui peuvent se commettre en pareil cas.

C'est un usage constant en France, en Piémont, en Italie, & depuis peu dans le royaume de Naples, que chaque particulier qui fait faire des soies, a la liberté de les faire tirer à sa fantaisie, c'est-à-dire, à tant de cocons, plus ou moins. Cette liberté ne doit point être ôtée à ceux qui en jouissent, crainte de décourager les personnes qui s'appliquent à faire des nouvelles plantations de meuriers. Mais elle entraine après soi un grand inconvénient, en ce que, excepté néanmoins en Piémont, la soie tirée à 17 cocons est bien souvent vendue dans les foires ou marchés sur le même pié & au même prix que celle qui est tirée à 13 ou à 12 ; celle tirée à 12, comme si elle étoit tirée à 10 ou à 9, ainsi des autres. C'est au moyen de cette fraude qui échappe aux lumieres des plus fameux connoisseurs, par la finesse de la soie tirée, que tous les organsins de l'Europe, autres que ceux de Piémont, ne sont jamais portés à cette perfection si nécessaire pour celle des étoffes, si l'on en excepte néanmoins certaines fabriques, qui ayant des fonds assez considérables pour acheter dans le tems de la récolte la quantité de cocons dont elles peuvent faire l'emploi pendant le courant de l'année, sont en état de fournir une quantité proportionnée d'organsin égal & bien suivi auquel on donne communément le nom d'organsin de tirage.

Indépendamment de la fraude qui peut être mise en pratique dans le tirage des soies, concernant la quantité de brins supposée, la croisade si nécessaire pour l'union des brins qui composent le fil, & si utile pour parvenir à faire un bel organsin, ne peut-elle pas être négligée ? Tout le monde sait que plus il y a de croisure, plus la soie acquiert de perfection ; mais aussi elle se tire bien plus doucement ; d'où on doit conclure que l'avidité du gain, & l'expédition du tirage pour vendre promtement la soie tirée ou grèze, peut occasionner la négligence d'un article aussi essentiel dans le réglement de Piémont, de l'importance duquel dépend toute la perfection de la soie.

Il est peu de Fabriquans de soie en France qui soient en état de se fournir tout-d'un-coup de la quantité de cocons qu'ils peuvent faire tirer, & dont ils font préparer la soie pour être employée dans leurs manufactures, & les faire travailler pendant le courant d'une année, s'ils ne sont de ceux à qui le conseil a fait des fonds, ou accordé des privileges pour en trouver plus facilement ; il faut donc avoir recours à cette multitude de particuliers qui font tirer eux-mêmes ; & c'est précisément cette quantité de soie de différens tirages qui altere les organsins qui en proviennent : ce qui n'arriveroit pas, si on observoit à cet égard la même regle qui est pratiquée en Piémont.

Il est nécessaire d'observer encore qu'il est peu de fabriquans d'étoffes qui achetent les soies oeuvrées comptant ; le terme du payement est toujours au moins d'une année : il est porté quelquefois à plus de 15 mois, & cela par rapport au tems long pour la préparation de la matiere & la fabrication de l'étoffe ; desorte qu'un marchand de soie, qui au commencement de la récolte vendra la soie achetée dans le commencement de la précédente, qu'il n'aura pas pu faire préparer plutôt, pour continuer son travail, qu'il ne peut ni ne doit faire discontinuer, afin d'entretenir ses ouvriers pour ne pas les perdre, sera obligé d'attendre plus de deux années, avant que de pouvoir se procurer le remboursement des avances qu'il aura été obligé de faire en achetant les cocons de divers particuliers qui ne peuvent vendre que comptant.

Il n'en est pas de même des particuliers qui font tirer les soies qu'ils cueillent : ceux-là ne sont pas obligés de vendre leurs cocons comptant, attendu leur bien être, & le bénéfice qui se trouve sur la soie qu'ils font tirer, & sur les fraudes que quelques-uns peuvent mettre en pratique, ainsi qu'elles ont été citées. Ils vendent la soie qu'ils font, à ceux qui la préparent pour la vendre aux fabriquans d'étoffe. Ces fabriquans de soie n'en achetent qu'à fur & mesure qu'ils en trouvent le débouché : ce qui fait que toutes ces parties différentes achetées de différens particuliers, réunies pour composer un même ballot, ne peuvent faire qu'une marchandise ou matiere très-défectueuse.

Pour prévenir un abus aussi pernicieux, il seroit nécessaire de faire un réglement semblable à celui de Piémont, qui, entr'autres articles, en eût un qui assujettît chaque particulier de faire une déclaration au châtelain ou procureur fiscal du bourg ou village où il feroit sa résidence, de la quantité de cocons qu'il a cueillis : à combien de brins il voudroit les faire tirer : les croiser en conformité de la quantité, à peine de, &c. dans le cas où il feroit une fausse déclaration : charger ceux qui la recevroient, de faire des visites exactes, en leur attribuant une partie des amendes encourues, ou autre indemnité pour les exciter à veiller : préposer une personne pour faire des visites générales outre les particulieres : & enfin ne rien négliger de ce qui pourroit contribuer à faire des soies parfaites.

Toutes les précautions qu'on pourroit prendre pour parvenir à la perfection du tirage des soies, deviendront inutiles, dès qu'on négligera celles qui conduisent à la perfection de l'organsin, qui ne sauroit être parfait, ni même bon, si celui qui le prépare, n'est pas certain de la quantité de fils ou brins qui composent les fils. On ne sauroit être instruit de cette qualité qu'en mettant en pratique les moyens énoncés ci-dessus.

Au moyen de cette précaution aussi nécessaire qu'utile, le particulier qui croiroit avoir été trompé dans l'achat des soies grèzes, n'auroit besoin que de recourir à celui qui auroit reçu la déclaration de son vendeur, pour en être parfaitement instruit ; d'ailleurs l'obligation imposée de la faire, tiendroit en quelque façon tous les fraudeurs en regle ; & ceux qui ne s'y trouveroient pas, seroient obligés de subir la peine qui leur seroit imposée à cet égard ; conséquemment les prévaricateurs seroient retenus par la crainte du châtiment ou par celle des exemples, & ne feroient plus de fausses déclarations.

Comme cet article est le plus délicat de ceux qui pourroient être insérés dans le réglement prétendu, aussi bien que celui de la croisade, il est néanmoins évident qu'il ne seroit à charge qu'aux personnes de mauvaise foi. Des semblables articles sont observés dans le réglement de Piémont concernant les filatures, ou à-peu-près de même. A l'égard des autres, tels que ceux qui concerneroient l'égalité du devidoir, tant pour les tirages de soie que pour les moulins à la préparer, le salaire des tireuses & des ouvriers qui travaillent aux moulins, les raisons qu'on donneroit de la nécessité de leurs exécutions, & l'examen qui en seroit fait, suffiroient pour les augmenter ou diminuer, selon que le cas l'exigeroit.

Dès que les mouliniers qui préparent la soie au sortir du tirage, seroient sûrs de la qualité de celles qu'ils employeroient, il est certain qu'ils s'appliqueroient à mieux travailler ; aucune raison ne pourroit les disculper des reproches qu'on seroit en droit de leur faire sur les défauts qui se trouveroient dans leurs ouvrages ; les organsins dont l'égalité est si recherchée, & qui ne se trouve que dans les fabriques auxquelles le tirage des soies est affecté, se trouveroient pour lors également beaux par-tout. Le prix excessif de ces mêmes organsins appellés communément organsins du tirage, qui ordinairement est de 3 à 4 l. par livre plus cher que les autres, feroit cesser, en diminuant, celui des étoffes, qui ne sauroient être parfaites sans le secours de ces mêmes organsins, conséquemment la diminution de la matiere nécessaire à la perfection de l'étoffe se trouvant dans l'étoffe même, pourroit donner lieu à une consommation & à l'établissement de la fabrique de celles qui ne sauroient subsister en France, que parce que la matiere dont elles sont composées, est infiniment moins parfaite, & plus chere que celle dont les étrangers se servent.

Du moulinage des soies. Le moulinage ou filage des soies étant la préparation au moyen de laquelle on peut employer ou travailler la soie, soit pour les étoffes, bas, &c. il est nécessaire, pour faciliter aux curieux l'intelligence de cette préparation, de leur faire remarquer que toutes les soies en général qui sont tirées simplement du cocon, sont appellées soie grèze.

Cette soie grèze reçoit ensuite différentes préparations, on en fait du poil, de la trame, & de l'organsin.

Le poil est composé d'un seul brin de soie grèze, tordu foiblement sur lui-même ; cette préparation est nécessaire pour donner plus de consistance à cette qualité de soie, & afin qu'elle ne bourre pas en teinture ; le poil est défendu dans toutes les étoffes de soie, & n'est employé que dans la bonneterie.

La trame est composée de deux brins de soie grèze, tordus légerement comme le poil. Il y en a quelqu'une à trois brins, mais elle n'est pas commune.

On donne encore le nom de trame à une certaine quantité de brins de soie grèze, tordus ensemble sur une machine disposée pour cette opération, appellée ovale ; mais comme cette qualité de soie n'est propre que pour les bonnetiers, on ne la détaillera qu'après avoir donné l'explication de la maniere dont on fabrique l'organsin.

L'organsin est composé de deux brins de soie grèze, il y en a de trois & de quatre, mais les plus ordinaires sont de deux brins. La préparation de cette qualité de soie, est bien différente de celle des autres ; l'organsin ayant besoin d'une force extraordinaire, pour qu'il puisse résister à l'extension & aux fatigues du travail de l'étoffe dont il compose la chaine, ou toile, dans laquelle la trame est passée.

Il faut donc pour la composition de l'organsin, que chaque brin de soie grèze dont il est composé, soit tordu séparément sur lui-même, d'une force extraordinaire, avec l'aide du moulin disposé pour cette opération. Ce tors, auquel on donne le nom de premier apprêt, & qui se fait à droite, est si considérable, que selon la supputation la plus exacte, trois pouces de longueur du brin, préparé comme il faut, auront reçu plus de 800 tours. Le réglement de 1737 donné ad hoc, ordonne, art. 108. de donner au moins aux organsins, au filage, ou premier apprêt, soixante points dessous, & quinze dessus ; c'est-à-dire que le pignon qui conduit celui de la bobine sur laquelle la soie se roule, à mesure qu'elle se travaille, n'ayant que quinze dents, & la bobine un pignon de soixante, il faut que le pignon conducteur fasse quatre tours pour en faire faire un à la bobine, qui par conséquent tournant très-doucement, donne le tems au brin de soie grèze de recevoir le tors ou apprêt qui lui est nécessaire ; de façon que si le pignon de quinze dents en avoit trente, & celui de la bobine soixante à l'ordinaire, le brin n'auroit pas tant de tors ou apprêt, parce qu'elle ramasseroit la soie plus vîte, le moulin ne donnant que le tors ordinaire, lequel n'augmente ni ne diminue qu'au prorata du mouvement lent ou promt qu'on donne à la bobine.

Chaque brin étant préparé de la façon qu'on vient de le démontrer, il est question de donner à l'organsin le retors, ou second apprêt, pour le finir ; il faut, pour parvenir à cette seconde opération, doubler, ou joindre ensemble deux brins de la soie préparée comme il a été dit ci-dessus, & lorsqu'on a le nombre de bobines nécessaires, on les remet sur le moulin, pour leur donner le tors nécessaire, c'est ce qu'on appelle charger le moulin ; avec cette différence, que le second tors n'emporte que la dixieme partie du premier, puisque l'article du réglement qu'on a déja cité, ordonne que les organsins gros seront retordus tant sur tant, ou point sur point : ce qui fait un quart de différence pour le mouvement, & que dans cette seconde opération, au-lieu d'une bobine pour ramasser le fil, dont la circonférence est ordinairement de six pouces seulement, ici c'est un devidoir, auquel les artistes ont donné le nom d'hasple, tiré de l'allemand, asplen, dont la circonférence est de quinze pouces environ ; ce qui faisant ramasser ou devider la soie plus vîte, ne donne qu'un tors très-leger dans cette seconde préparation. (Art. 10. du réglement de Piémont, concernant le moulinage des soies, du 8 Avril 1724.)

Il faut observer que les bobines pour le second apprêt, tournent à gauche, parce que si on les faisoit tourner comme dans le premier, la soie tordue une seconde fois dans le même sens, ayant reçu un tort considérable, se friseroit d'une telle façon, qu'il seroit impossible de l'employer ; desorte que les deux brins tordus & préparés comme il vient d'être démontré, ces deux brins paroissant n'en composer qu'un, forment le fil d'organsin.

Les organsins à trois ou quatre brins, reçoivent la même préparation que ceux à deux brins, pour le premier & second apprêt ; avec cette différence, que pour faire un organsin à trois brins, il faut doubler ou joindre ensemble trois brins, sur une même bobine ; pour un organsin à quatre brins, on en joint quatre, ensuite chargeant le moulin, on leur donne le second apprêt, comme aux premiers.

Il reste à observer que quoique le moulin ne tourne que d'un même côté, qui est à gauche, néanmoins un seul moulin peut faire toutes ces qualités de soies, qui viennent d'être décrites, quoique les bobines soient de nécessité de tourner à droite & à gauche, la disposition des moulins étant de façon que les parties qui frottent contre les fuseaux qui soutiennent les bobines, ont leur mouvement en-dedans pour le premier apprêt, & en-dehors pour le second ; c'est une des plus grandes perfections des moulins, à laquelle les Piémontois ont donné beaucoup de lustre. On expliquera ces différens mouvemens, en détaillant toutes les parties du moulin.

La soie ovalée reçoit une préparation semblable à-peu-près, à celle de la trame, avec cette différence, qu'au lieu de deux ou trois brins de soie grèze seulement, qui composent cette derniere qualité, la premiere est composée de huit, douze, & quelquefois seize brins ; mais comme cette qualité de soie n'est propre qu'aux bonnetiers, attendu qu'une étoffe ne doit recevoir dans sa confection, qu'une certaine quantité de brins de trame, quantité proportionnée au dessein, ou à sa réduction, ou à la grosseur de l'organsin, dont la chaîne est composée ; on ne pourroit pas faire une étoffe parfaite, si on y employoit une qualité de soie dont les brins ne pourroient pas être diminués ou augmentés, comme il arriveroit avec la soie ovalée.

L'art. 2. du réglement du mois de Février 1762. qui permet aux maîtres bonnetiers de la ville de Paris de faire des bas au moins à quatre brins de trame, pour l'assise qui forme la maille, ayant donné lieu à des abus considérables, en ce que les fabriquans, pour faire des bas légers, avoient trouvé le moyen d'employer des trames très-fines, ce qui rendoit les bas défectueux, il fut ordonné, par arrêt du conseil, du 30 Mars 1700. art. 4. que les soies préparées pour les ouvrages de bonnetterie, ne pourroient être employées en moins de huit brins ; ces huit brins pouvoient être de trame ou de poil indifféremment, mais néanmoins de soie travaillée au moulin ; mais comme les soies de cette espece faisoient revenir le bas plus cher qu'il n'est aujourd'hui, attendu les fraix du devidage & du doublage, les fabriquans de bas de Nîmes & de Lyon, inventerent l'ovale, qui est en usage dans tout le royaume, excepté à Paris, afin que la modicité du prix de cette marchandise, qui n'est pas moins de 25 à 30 sols chaque paire, donnât lieu à une plus grande consommation.

Pour rendre plus intelligible la différence de la soie ovalée, d'avec la trame ou le poil, quant aux fraix, il est bon d'observer que, suivant l'ancienne méthode pratiquée dans les provinces, lorsque la trame ou le poil étoient teints, il falloit les faire devider, ce qui coutoit des fraix assez considérables ; le devidage étant fait, il falloit ensuite doubler, ou joindre ensemble la quantité de fils devidés, qui devoient composer l'assise ; toutes ces opérations faisoient revenir cette matiere plus chere ; le doublage, en unissant les fils, qui ne pouvoient être au-dessous de huit brins, leur donnoit une espece de tors, pour l'employer plus facilement, il falloit encore que les soies trame, ou poil, eussent été travaillées au moulin, ainsi qu'il a été démontré dans l'article du moulinage, ce qui augmentoit les fraix de la préparation ; aujourd'hui l'ovale épargne le moulinage, le devidage en entier, & le doublage en partie, parce que l'ovale étant une imitation du doublage, une ouvriere, un ouvrier seul, en faisant autant que seize, selon l'ancienne méthode, le payement qui se fait pour une semblable préparation, est équivalent à la proportion du travail.

On a dit que la soie ovalée étoit un assemblage de huit, douze, même jusqu'à seize brins de soie grèze, suivant la qualité de la soie, ou le poids qu'on veut donner au bas ; cette soie, ou ces brins sont préparés comme la trame, c'est-à-dire tordus légerement ensemble sur eux-mêmes, & doivent composer la moitié de l'assise, qui par sa grosseur est devidée si aisément, que les fraix n'en sont pas comptés, & c'est la seule préparation dont elle a besoin ; dans cette opération se trouvent renfermés le moulinage, le devidage, & la partie du doublage, bien différent de l'ancien.

Lorsque la soie est ovalée, on la donne au teinturier pour lui donner la couleur desirée, & lorsqu'elle est teinte, comme on vient de dire qu'elle ne composoit que la moitié de l'assise, on joint ensemble les deux fils de soie ovalés, & les repassant sur l'ovale, comme le premier, ces deux fils paroissant n'en composer qu'un, forment l'assise entiere, propre à la fabrication du bas.

Outre la propriété de l'ovale à concourir à la diminution des fraix pour préparer la soie, elle en a encore une pour le mêlange des bas ; par exemple si on veut faire un bas mêlangé gris de maure, & gris clair, on fait teindre un fil de chacune de ces deux couleurs, on les double ou joint ensemble, & les repassant sur l'ovale, le tors que cette machine donne à ces deux fils, quoique léger, est si juste que le mêlange se trouve parfait dans la fabrication du bas ; de-là vient que dans le mêlange des bas de Nîmes, Lyon, &c. on ne voit point des barres brunes, ni des barres claires, mais un mêlange si régulier, qu'il n'est pas possible de faire mieux.

Outre cette perfection de l'ovale, il en est encore une dans cette même machine, qui n'est pas moins essentielle que la précédente. Le fabriquant qui fait ovaler sa soie, sait jusqu'à un pouce la longueur de son écheveau, & la quantité qui lui est nécessaire pour la qualité ou longueur du bas qu'il se propose de faire, de façon que, comme il arrive très-souvent que le teinturier charge la soie de drogues, pour rendre le poids de la soie, en conformité des reglemens & de l'usage, retenant de son côté une partie des écheveaux, il arrive que la longueur déterminée & juste de l'ovale, met le fabriquant de bas à l'abri de cette fraude, parce qu'étant ovalée teinte, elle doit avoir la même longueur que lorsqu'elle ne l'étoit pas, & que quand même le poids se trouveroit dans la partie rendue par le teinturier, si la longueur n'y étoit pas de même, la fraude seroit trop visible.

Pour rendre sensible la façon dont on peut mesurer la longueur du fil ovalé, il n'est besoin que d'examiner l'hasple, ou devidoir, sur lequel se forment les échevaux ; au bout de l'axe, ou arbre du devidoir, est un pignon de quatre dents, qui engrene à une roue de vingt-quatre, de façon que tous les six tours du devidoir, la roue en fait un ; au centre de cette même roue est attaché un autre pignon de quatre dents, qui engrene à une seconde roue de quarante ; tous les dix tours de la premiere roue, cette seconde en fait un ; combinez le mouvement de l'asple, avec celui de la premiere & seconde roue, il arrivera que toutes les fois que cette derniere fait un tour, le devidoir en fait soixante ; la chose est claire ; au centre de cette seconde roue, est un axe de quatre à cinq pouces de longueur, & de trois ou quatre lignes de diametre, sur lequel se roule une corde fine, au bout de laquelle est attaché un poids de trois ou quatre onces, afin de la tenir tendue ; lorsqu'on veut savoir combien de tours le devidoir a fait, il n'est besoin que de compter les tours de la corde, sur l'axe de la seconde roue, & multiplier ces mêmes tours par soixante, le produit donnera juste la quantité des tours du devidoir ; par exemple, dix tours de la petite corde, multipliés par soixante, donneront six cent tours du devidoir, &c.

Toutes ces perfections établies de l'ovale, n'empêchent pas qu'il n'y ait une imperfection bien marquée dans le bas fabriqué avec les secours de cette machine, puisque le réglement concernant la manufacture de cette marchandise, en défend l'usage à Paris, où il n'est permis de fabriquer des bas qu'à trame distincte ; c'est le terme des fabriquans de Paris. Il s'agit d'établir la différence qui se trouve dans le bas fabriqué avec de la soie ovalée, d'avec celui qui l'est à trame distincte.

La façon dont on a démontré la préparation de la soie ovalée, est bien différente de celle de la trame ou du poil. Dans cette premiere, tous les brins de soie grèze sont préparés ensemble : & dans la seconde, ils sont préparés ou deux ensemble, comme la trame, ou un seul, comme le poil. Or il résulte de toutes ces préparations différentes, qu'il n'est personne qui ne convienne que 8 brins de trame préparés séparément, auront plus de consistance & plus de perfection que 16 brins, de la même maniere préparés tous ensemble ; conséquemment qu'un bas fabriqué à trame distincte, acquerra plus de brillant & plus de qualité qu'un autre fabriqué avec de la trame ovalée. Il est encore à remarquer que si un bas fabriqué avec de la soie ovalée, se trouve au sortir de l'apprêt avec un noeud à l'endroit, il faut nécessairement le couper pour ôter cette difformité ; or on soutient qu'il n'est pas possible de couper un noeud de la soie ovalée, qu'on ne coupe l'assise du bas, ou au-moins la moitié, conséquemment que la maille n'échappe totalement, ce qui ne sauroit arriver dans un bas fabriqué à trame distincte, où un noeud de la soie coupée, ne composant que la huitieme partie de l'assise, les septieme & huitieme restantes auront toujours assez de force pour soutenir la maille.

Enfin l'invention de l'ovale n'a été établie & tolerée en France, que pour faciliter le commerce avec l'étranger. Les Anglois nous ont indiqué cette machine, nous aurions la mauvaise grace de leur laisser faire impunément ce commerce, tandis que nous pouvions les imiter : on n'empêche pas à Paris d'ovaler des trames & des organsins ; mais dans ce cas, l'ovale n'étant qu'une double préparation, qui augmente la perfection de cette marchandise ; la consommation qui se fait dans la ville, étant plus que suffisante pour occuper tous les maîtres bonnetiers qui y sont établis ; il n'est pas surprenant si les bas y sont plus chers qu'en aucune ville du royaume, & si leur prix excessif empêche la consommation qui pourroit en être faite chez l'étranger. Ce qui n'empêche pas néanmoins que les connoisseurs n'accordent la préférence à qui elle est dûe, quant à la qualité, puisqu'on a vu des fraudeurs marquer impunément des bas fabriqués à Lyon avec un faux plomb de Paris, ce qui a occasionné le réglement du 10 Juillet 1743, qui concerne la bonneterie.

Explication du moulin à filer la soie. La planche marquée A représente un moulin à trois vargues ; on appelle vargues chaque rangée de bobines & fuseaux ; il y a des moulins en Piémont à 4 & 6 vargues, mais les plus ordinaires sont à 4 ; savoir, trois vargues pour le premier apprêt, & un pour le second, attendu que ce dernier fait autant d'ouvrage que les deux, même les trois autres, ainsi qu'il a été expliqué dans la description du moulinage des soies. Il sera encore à propos d'observer que le vargue du bas du moulin qui donne le second apprêt aux organsins ou le retordement, peut aussi faire des trames. La partie rembrunie de l'intérieur du moulin est un assemblage de pieces de bois de la largeur d'un pouce & plus, montée en forme de chassis, de figure ronde, comme la figure du moulin, laquelle tournant sur un pivot par le secours d'un homme, de l'eau ou d'un cheval, donne le mouvement à toute la machine. Il n'a pas été possible de décrire cette partie intérieure, parce qu'elle auroit fait disparoître les principales, qui composent toute la machine entiere.

La lettre A représente le bâtiment du moulin ; B, la partie intérieure qui tourne ; C, des pieces de bois appliquées sur la partie tournante, en forme de vis sans fin, appellées serpes, posées diagonalement sur cette même partie, lesquelles passant dessous les branches des étoiles marquées D, les font tourner régulierement, de façon que lorsqu'une serpe a élevé en tournant une branche de l'étoile ; celle qui lui succede par sa position, prend celle de dessous, & successivement elles se reprennent les unes & les autres ; E, piece de bois faite en forme de croix, attachée solidement à la partie tournante, mobile dans la croisée, garnie de peau, dont le frottement contre les fuseaux leur donne le mouvement en-dedans, & à droite dans les deux vargues supérieurs, & à gauche dans le vargue inférieur, ainsi qu'il est démontré par la figure ; F, roue qui donne le mouvement au va-&-vient, ou espece de cercle sur lequel sont posés des fils de fer courbés, en forme d'anneau, servans de guide au fil qui se roule sur les bobines marquées C, ce qui les fait porter d'une extrêmité intérieure à l'autre, & les fait croiser par cette variation, réguliere & nécessaire pour faciliter le devidage de la soie filée, quand il est question de la doubler pour lui donner le second apprêt ; H, le petit cercle de bois ; I, les fils de fer recourbés ; L, support des étoiles ; M, étoile ou pignon, qui donne le mouvement aux bobines G, dans les deux vargues supérieurs, & aux dévidoirs N du vargue inférieur ; O, bobines pour filer la soie, qui tournent à droite ; P, bobines pour donner le retordement ou second apprêt, qui tournent à gauche ; Q, coronaire ou couronne à laquelle est attaché un fil de fer R, qui facilite le devidage de la soie qui est sur les bobines ; S, les fuseaux ; T, petits verres dans lesquels entre la pointe des fuseaux, appellés par les Piémontois carcagnoles ; V, pivot de la plante du moulin ; X, arbre du moulin, qui avec l'arbre X du dévidage, ne doit composer qu'une seule piece. Lorsque les moulins tournent à l'eau, ou avec des grandes roues garnies de deux hommes, & qu'il se trouve plusieurs plantes de moulin qui doivent tourner par un seul mouvement, la partie X du moulin est environnée d'une roue à cheville marquée Y, laquelle, par le moyen de la lanterne a a, attachée à l'arbre de la grande roue à l'eau ou à hommes, donne le mouvement au moulin. Et lorsqu'il se trouve plusieurs plantes, la communication du mouvement se fait de l'une à l'autre plante, de la même façon qu'il est marqué dans celle-ci.

La planche marquée B représente le devidage des soies sur les bobines, pour les mettre sur le moulin. Ces devidages doivent être de 400 tavelles ou devidoirs pour les moulins à 3 ou 4 vargues, & à-proportion suivant la quantité de plantes de moulin, ce qui n'empêche pas qu'on ne fasse devider à des ouvrieres avec la main pour suppléer au défaut du devidage. La soie devidée avec les tavelles est la même qui sort de dessus le tour à tirer la soie, appellée communément soie grèze.

Il est inutile de donner la dénomination des roues à chevilles & à dents, de même que des lanternes, qui sont les mêmes, le mouvement étant très-bien indiqué, il ne s'agit que de faire remarquer les principales opérations de ce devidage ; A, roue qui donne le mouvement à toute la machine ; B, roue à couronne, laquelle, par un excentrique qui lui est attaché, conduit le va-&-vient marqué C, où sont placés les guides qui font varier le fil sur les bobines D, afin de faciliter le devidage de la soie ; E, roues de bois dans le canon desquelles est passé quarrément une tringle de fer de longueur, pour qu'elles tournent toutes ensemble, & par leur frottement à la noix F, dans laquelle est passé immobilement une broche de fer qui entre dans la bobine D, elles font tourner les bobines qui appuyent par la noix de la broche sur les roues E très-légerement, ou par leur propre poids, de façon que quoiqu'un fil de l'écheveau qui est sur les tavelles retienne, les roues ne cessent point de tourner, sans néanmoins casser le fil ; G, tavelles ou forme de devidoir ; H, petit poids attaché à un cercle de la noix de la tavelle pour la fixer ; K, banque ou partie qui soutient tout le devidage ; L, petites roulettes qui soutiennent la lame du va-&-vient.

Il est à observer que les moulins seuls, comme celui dont nous donnons la description, tournent au moyen d'un homme, qui est dessous dans la partie intérieure de la machine ; & lorsqu'il se trouve quatre ou cinq plantes de suite, si on fait tourner par le secours des hommes, on les met dans une grande roue qui communique par son arbre à celui du moulin, à la grande roue duquel engrene un autre arbre posé horisontalement, qui communique à une autre plante, & successivement par la même continuation, lorsque l'eau fait tourner lesdits moulins. On a vu jusqu'à 18 plantes de suite, qui ne reçoivent leur mouvement que d'une seule roue à l'eau, qui produit le même effet que celle à homme.

Explication de l'ovale. A bâtiment de l'ovale. B assiette de l'ovale. C manivelle pour donner le mouvement. D grande roue sur laquelle est passée la courroie qui embrasse les fuseaux pour les faire tourner. E la courroie. F poulies en forme de bobines pour soutenir la courroie & la faire joindre aux fuseaux. G petite assiette qui soutient les fiches qui tiennent les fuseaux. H les fuseaux. I verres dans lesquels entre la pointe des fuseaux pour tourner sur eux mêmes. K les bobines. L le coronaire sur lequel est passé le fil de fer qui conduit les brins, & qui d'un côté facilite le devidage de la bobine. M les fils de soie. N chassis en forme d'ovale pour conduire les fils sur le devidoir. O anneaux dans lesquels les fils sont passés. P devidoir sur lequel se forment les écheveaux. Q pignon qui fait tourner une roue R, à laquelle est attaché un excentrique qui fait mouvoir la branche S du chassis, pour faire varier les fils qui forment les écheveaux, afin d'en faciliter le devidage. T roulette sur laquelle est posée un côté de la branche S pour en rendre le mouvement plus doux. V roue à chevilles qui donne le mouvement à la roue X, à l'arbre de laquelle est attaché un pignon Y, qui engrène avec le pignon Z, attache aussi à l'arbre du devidoir, ce qui compose le mouvement de toute la machine. A l'arbre de la roue à chevilles X, & en-dehors du montant 1, est attaché un pignon 2, qui ne peut pas être vu, qui engrene à la roue 3 ; à cette même roue est un autre pignon qui ne paroît pas, lequel engrene dans la roue 4, à l'arbre de laquelle est un autre pignon qui engrene à la roue 5, ce qui compose le mouvement qui indique le nombre des tours du devidoir. A la roue 5, est une cheville 6, laquelle prenant la queue du marteau 7, pour le faire frapper sur la cloche 8, avertit qu'elle a fait un tour, conséquemment que le devidoir en a fait un nombre proportionné, & à la quantité de dents dont sont composées les roues de ce mouvement, & à la quantité de celles des pignons. A l'arbre de la roue 5, & hors de la machine, est un petit essieu long de 4 à 5 pouces, sur lequel se roule une corde mince, à laquelle est suspendu un petit poids qui indique les tours de cette roue, par conséquent ceux du devidoir, en comptant les tours de la corde sur cet essieu. Quelques personnes se servent de cette façon de compter, d'autres ne s'en servent pas, & marquent les coups de la cloche ; cela est arbitraire.

Extrait du réglement publié à Turin, par ordre de S. M. le roi de Sardaigne, concernant le tirage & le filage des soies, le 8 Avril 1724.

Régles pour la filature des cocons. ARTICLE I. Quiconque voudra tenir des filatures de quelque qualité de soie que ce puisse être, personne n'étant excepté, sera tenu chaque année, avant que de commencer le tirage, d'en faire la déclaration ; savoir, celles qui se feront dans les fauxbourgs de la ville de Turin & son territoire, à l'office & entre les mains du secrétaire du consulat, qui sera obligé d'en tenir un regitre à part ; & celles qui se feront dans les autres villes, terres & lieux indépendans, à l'office du juge de l'ordinaire ; & chacun fera en telle occasion sa soumission entre les mains des secrétaires respectifs du consulat ou de l'ordinaire, d'observer ou faire observer les régles ou articles ci-dessous écrits, sous la peine de perdre ses soies filées ou leur valeur, même à défaut d'avoir fait ladite déclaration ou soumission.

L'ordinaire qui aura reçu lesdites déclarations, sera tenu de les remettre à l'office du consulat de Turin dans la quinzaine, à compter du jour qu'elles auront été faites, à peine de payer de ses propres deniers les vacations du commissaire que le magistrat seroit obligé d'envoyer sur les lieux pour les retirer.

Le secrétaire du consulat de la ville de Turin sera obligé de tenir un registre à part desdites déclarations.

Les susdites déclarations seront faites par les préposés ou maîtres auxdites filatures, & non par les propriétaires d'icelles, qui sont néanmoins tenus de répondre civilement pour leurs préposés.

Observation sur les articles de ce réglement. L'obligation imposée sur le premier article de ce réglement à tous ceux qui voudront entreprendre de tenir des filatures de soie, ou faire tirer des quantités considérables de cocons, pour les faire filer ensuite sur leurs moulins, afin de faire des organsins suivis & égaux, ne concerne pas seulement de simples particuliers ou négocians ; elle concerne encore les personnes les plus distinguées de l'état, soit par leur naissance, soit par leurs emplois qui ont tous des filatures considérables, comme faisant la plus grande partie de leurs richesses ; c'est pour cela que les seuls préposés aux filatures sont assujettis à faire les déclarations insérées dans le premier article, qui n'exclud pas néanmoins les propriétaires de la peine imposée aux contrevenans, puisqu'ils sont tenus d'en répondre civilement en cas de contravention. Elle sert encore à faire ressouvenir les mêmes préposés de la nécessité où ils doivent être de se conformer à tous les articles du même réglement, pour parvenir à la perfection si nécessaire du tirage & du filage des soies ; & à donner connoissance aux juges du consulat, tirés en partie de la noblesse, des lieux où sont les filatures, afin que les commis qu'ils ont soin d'y envoyer de tems-en-tems, puissent plus facilement faire leurs visites, pour ensuite en fournir leur rapport par les procès-verbaux qu'ils sont obligés de dresser, quoiqu'il ne s'y trouve pas de contraventions.

Le nom de filature est donné aux lieux où le tirage du cocon est suivi du moulinage de la soie, tant en premier qu'en second apprêt ; de façon qu'au sortir de la filature, elle soit préparée en organsin parfait & prête à être mise en teinture.

II. Toutes les filatures excédant trois fourneaux, devront être conduites pendant le cours de leur travail par une personne capable d'en répondre audit consulat, ou ordinaire du lieu où résidera le maître de la filature, afin qu'il soit plus exact à conserver les articles suivans du présent réglement, à peine de 25 écus d'or.

Observation. Ce second article fait voir que dès qu'un tirage est un peu considérable, il doit être conduit par une personne capable de répondre au consulat de l'exacte observance du réglement. Il y a des tirages de 20 à 30 fourneaux.

III. Pour filer lesdites soies, il faudra séparer les bons cocons d'avec les chiques, falouppes & douppions ; il faut enlever la bourre, & les filer séparément les uns des autres, en mettant dans la chaudiere un nombre de cocons proportionné à la qualité des soies qu'on doit filer ; & la fileuse sera bien attentive à ce que les soies se trouvent bien égales : le tout à peine de 25 écus d'or contre le maître de la filature ou son préposé qui s'y trouveront présens, ou donneront leur consentement à un semblable mêlange, & 10 livres contre la fileuse pour chaque contravention.

Observation. Ce qui est ordonné par cet article se pratique en plusieurs endroits de la France.

IV. Toutes lesdites soies ne pourront être filées qu'à deux fils seulement, de maniere qu'elles ne puissent former sur l'hasple ou dévidoir que deux échevaux, ayant soin de faire croiser les soies fines & superfines au-moins quinze fois ; & les autres qualités un plus grand nombre de fois, & à-proportion de la qualité de chacune & de sa grosseur ; lesquels croisemens ne seront point faits quand le dévidoir tourne déclarant que toutes les fois que les deux fils viendront à se joindre, de maniere que le fil aille double sur un seul écheveau, il faudra faire tourner l'hasple en arriere, jusqu'à ce qu'on ait trouvé le commencement du doublage. Un fil semblable doit demeurer entre les deux écheveaux, pour former un lien qui servira à les attacher ; avec défense de se servir d'autre matiere : le tout sous les peines susdites, outre la perte de la soie.

Observation. Ce quatrieme article n'est de conséquence qu'à l'égard des croisemens des soies. Il se pratique par-tout du plus au moins.

V. Toutes les soies préparées de cette façon, devront être levées, bien purgées, nettes & égales, selon leur qualité respective.

VI. Les chevalets sur lesquels seront filées les susdites soies, devront avoir les piliers éloignés de deux piés liprandi ; 28 pouces les deux, l'un de l'autre, afin que du tour à la lame il se trouve un tel éloignement, que les fils croisés comme il a été dit ci-devant, puissent aller sur le tour plus secs & mieux conditionnés : sous peine contre les maîtres des filatures de 25 livres pour chaque chevalet qui sera disposé différemment.

Observation. Ce sixieme article, qui ordonne que les piliers qui supportent le va-&-vient seront éloignés de deux piés liprandi de ceux qui soutiennent le tour, détruit totalement l'usage des machines nouvellement inventées pour tirer la soie : il faut le prouver. La raison de cet éloignement n'a d'autre objet que celui de donner lieu à la soie de se trouver sur le tour ou hasple plus seche & mieux conditionnée. Or selon le systême des auteurs des nouvelles machines, ils prétendent tirer la soie avec plus de célérité ; ce qui ne lui donneroit pas le tems de venir sur le tour aussi seche & aussi conditionnée que l'article l'exige, mais plus humide & plus baveuse, & le détruiroit totalement, si la méthode étoit bonne : au lieu que si l'article est bon, il faut nécessairement que les nouvelles machines soient détruites, puisque plus la soie se trouvera seche sur le tour, plus elle sera aisée à devider, ce qui est précisément l'objet qu'on doit se proposer. Vide le mémoire envoyé à M. le Tourneur le 15 Janvier 1747 ; à M. de Montaran le 12 Janvier idem.

Deux piés liprandi composent 28 pouces pié de roi.

VII. Les tours sur lesquels se fileront les susdites soies, ne pourront avoir plus de 48 onces de circonférence, ni moins de quarante ; observant néanmoins que tous les tours d'une filature soient d'une mesure égale, sous les peines susdites.

Observation. Les 48 onces de circonférence ordonnées par le septieme article, qui sont autant que 76 pouces, pié de roi, ne sont pas d'une grande conséquence pour le plus ou le moins ; mais il est d'une conséquence extraordinaire que dans une filature tous les tours soient égaux : il seroit même nécessaire que tous les tours du royaume ne fussent pas plus grands les uns que les autres.

VIII. Les écheveaux ne seront point levés de dessus le tour qu'ils ne soient bien secs ; & pour cet effet chaque chevalet sera pourvu de deux tours ; & ceux qui seront doubles, de quatre, sous la peine susdite.

Observation. Ce qui est contenu dans ce huitieme article, se pratique presque par-tout.

IX. Chaque flotte ou écheveau de soie de la premiere & seconde qualité, ne pourra être que de trois à quatre onces pour le plus haut poids ; celle de la troisieme & quatrieme qualités pourra être depuis six onces jusqu'à huit, sous la peine susdite.

Observation. A l'égard du poids des écheveaux mentionnés dans ce neuvieme article, comme il se fait peu de soie de la premiere & seconde qualités, il n'est pas pratiqué.

X. Après que chacune desdites flottes aura été levée, elle sera pliée à deux tours seulement, sans être liée avec du fil, cotée ou moresquée, faisant passer seulement une tête dans l'autre, de façon qu'on puisse reconnoître facilement si elle aura été travaillée sans fraude, & en conformité du présent réglement ; sous la peine dite ci-dessus.

Observation. Cette façon de tirer la soie de dessus le tour, contenue dans ce sixieme article, n'est simplement que pour examiner sa qualité.

XI. L'eau des bassines sera changée au-moins trois fois par jour, ayant soin de bien purger les cocons de la moresque, afin de rendre la soie bien nette & égale, & sans aucune bave. Il faudra lever au-moins une livre de moresque sur chaque rub de cocons, eu égard à la qualité des susdits cocons, sous peine de 10 livres contre la fileuse, chaque fois qu'elle sera trouvée en contravention.

Observation. Le changement d'eau dans les bassines est très-utile pour donner à la soie cette propreté qui lui est nécessaire. A l'égard de la bourre ou moresque qui enveloppe le cocon comme elle est très-grossiere en comparaison de celle qui se forme, il est nécessaire d'en lever au-moins une livre sur chaque rub, qui vaut autant que 25 livres de notre poids.

XII. Tout maître de filature sera tenu, à chaque demande qui lui sera faite par l'ordinaire du lieu, ou par les commis du consulat de Turin, de donner un état de la soie, des douppions, de la chique & de la moresque, le tout distinctement & séparément, sous peine de 25 écus d'or.

Observation. La peine de 25 écus d'or attachée à cet article, n'est précisément que pour savoir la quantité & qualité des soies de chaque particulier, afin qu'elles ne puissent pas être vendues sans payer les droits considérables, qui ne se perçoivent que sur la soie œuvrée, trame ou organsin, c'est-à-dire prête à être mise en teinture ; ce qui fait qu'il est défendu sous des peines très-rigoureuses de sortir aucune soie grézée du Piémont, ou qui ne soit travaillée.

XIII. Le salaire des fileuses sera réglé à journées, & non à raison de tant la livre de la soie qu'elles fileront ; & en cas de contravention, le maître de la filature encourra la perte de toute la soie déja filée, & la fileuse celle de 20 livres, outre la perte de son salaire.

Observation. C'est un usage établi en beaucoup d'endroits de France & d'Italie, de ne payer les fileuses de soie qu'à raison de tant chaque livre, ce qui fait qu'elles négligent la qualité pour s'attacher à la quantité, & par conséquent laissent passer toutes les ordures occasionnées par les mauvais croisemens, qui ne sont négligés que pour avancer l'ouvrage, & gagner plus par conséquent ; au lieu que dès que la fileuse est payée à journée, on a soin de la veiller, & elle a soin de faire mieux.

XIV. Chaque fourneau devra avoir un conduit de telle hauteur, qu'il empêche la fumée d'aller sur le tour, à peine de 25 livres contre le maître.

Observation. Comme la fumée noircit la soie & la rend moins brillante, il est nécessaire de donner au conduit du fourneau une hauteur qui puisse parer à cet inconvénient, très-préjudiciable à la vente.

XV. Les bassines ou chaudieres devront être ovales, minces & profondes d'un quart de ras, environnées d'une couverture de planches, & les chevalets pourvus de leur jeu nécessaire pour faire les croisemens de la soie juste. Chaque jeu aura un pignon de 35 dents ; la grande roue 25 ; l'étoile du tour & la petite roue 22 chacune. Il faudra maintenir un ordre semblable pour bien faire, défendant totalement l'usage des chevalets de corde : le tout sous la peine susdite.

Sept tours de l'hasple donnent cinq tours au va & vient.

Sept tours de celui de Rouviere, n'en donnent qu'un.

Huit tours de celui de Masurier, n'en donnent qu'un.

Observation. La profondeur des bassines fixée par l'article 15 à un quart de ras, qui vaut cinq pouces & demi, pié de roi, est sensible ; le mouvement du chevalet n'est pas de même, & il ne peut bien être démontré qu'en examinant le travail, attendu l'inégalité du nombre de dents qui composent les quatre roues qui donnent le mouvement au va-&-vient. Il est à observer seulement que l'usage des cordes pour les chevalets est totalement défendu, ce qui acheve de détruire tous les chevalets qui en sont pourvus. Vide le mémoire envoyé à M. de Montaran le 12 Janvier 1747 ; à M. le Tourneur le 15 dudit mois.

XVI. Chaque fourneau où sera filée la soie de premiere & seconde sortes, sera pourvu d'un tourneur ou d'une tourneuse habile, ou qui ait pratiqué, auxquels il sera défendu de tourner le dévidoir avec le pié, à peine de 5 livres.

Observation. Ce seizieme article n'est pas d'une grande conséquence, parce qu'il n'est pas difficile de tourner comme il faut l'hasple ou dévidoir. Il démontre seulement combien les Piémontois sont scrupuleux pour parvenir à la perfection du tirage des soies.

XVII. Il ne sera point permis, à peine de 10 liv. aux fileuses, ni à qui que ce soit, de nettoyer la soie sur l'hasple & hors de l'hasple, avec des aiguilles, poinçons ou autres, ce qui est appellé vulgairement aiguiller la soie.

Observation. Rien de plus dangereux que de nettoyer la soie avec des poinçons ou aiguilles, qui la coupent & la bourrent.

XVIII. Sous semblable peine il est défendu de lisser les flottes sur le tour ou ornement, avec de l'eau, même pure, & autre sorte d'eau ; elles doivent être nettoyées seulement avec les mains, sans se servir d'aucun autre ingrédient.

Observation. L'eau pure donnant un brillant à la soie, qui ne la rend pas meilleure, & les autres ingrédiens la chargeant, l'article 18 a pourvû aux autres inconvéniens qui peuvent résulter de ces opérations différentes.

XIX. Toutes les soies qui, encore qu'elles fussent hors des filatures, se trouveront en quelque tems que ce soit, & à qui qu'elles puissent appartenir, défectueuses, n'étant pas filées ou travaillées conformément à leurs qualités, n'ayant pas observé la forme & les regles prescrites ci-dessus, tomberont irrémissiblement en contravention ; & outre les peines susdites seront, sur la reconnoissance sommaire préalablement faite de leurs défauts, brûlées publiquement, sauf le recours du propriétaire comme il avisera raisonnablement ; avec obligation au maître fileur ou moulinier de dénoncer les soies défectueuses qui se rencontreront, & de qui il les aura reçues, sous peine de 25 écus d'or contre le maître qui contreviendra au présent réglement.

XX. A l'égard des soies ordinaires dites fagotines, après que la séparation en sera faite d'avec les bonnes, il faudra en faisant la battue tirer la moresque par le haut de la bassine jusqu'à trois fois, à la hauteur d'un demi ras au moins, afin que la soie reste bien purgée & nette ; sous peine par les contrevenans de payer 30 écus pour chaque livre de soie.

Observation. L'article 20 ne concerne que les petites parties de soie faites par des particuliers, qui sont appellées fagotines, parce qu'elles ne sont pas destinées pour des filages suivis, par conséquent très-inégales ; & quoique ceux qui les font tirer soient assujettis aux mêmes réglemens, néanmoins les différentes qualités rassemblées pour composer un seul ballot, forment toujours une soie défectueuse, attendu qu'elle est tirée de plusieurs personnes dont le tirage n'est pas suivi. C'est ce qui se pratique en France, où il y a peu d'organsin de tirage. On peut voir là-dessus le petit mémoire envoyé le 6 Juillet 1747, à M. de Montaran ; & à M. le Tourneur le 23 Mars 1747.

XXI. Et pour plus grande observance de tout ce que dessus, le consulat & l'ordinaire des lieux seront obligés respectivement, dans les occasions ou tems des filatures, de visiter & faire visiter, par des personnes expérimentées, les lieux où se fileront lesdites soies, afin de prendre les informations des contraventions qui pourront se trouver, pour procéder & condamner les contrevenans aux peines ci - dessus prescrites : défendant aux ordinaires ou autres auxquels seroient commises semblables visites, d'exiger aucune chose pour leurs vacations, sinon en fin de cause, & sur le pié qu'elles seront taxées par le consulat.

Observation. On peut comparer les visites ordonnées par l'article 21, à celles que font les inspecteurs dans les manufactures ; elles sont très-fréquentes, & produisent tous les effets qu'on peut desirer pour la perfection des tirages.

Mouliniers ou fileurs de soie, regles qu'ils doivent observer. ART. PREMIER. Quiconque voudra travailler du métier de moulinier ou fileur de soie, ne pourra, à peine de 50 écus d'or, ouvrir ni tenir boutique dans les états de S. M. en-deçà les monts, ni seulement exercer cet art en qualité de maître, qu'il n'ait en premier exercé comme garçon de boutique, en qualité d'apprentif, l'espace de six années ; & successivement travaillé trois autres années en qualité de compagnon, & s'il n'est jugé capable par les syndics de l'université dudit art, & admis pour tel par le consulat ; pour laquelle approbation & admission, personne excepté, il payera à l'université susdite 20 livres, pour être employées à son usage ; seront seulement exemts d'un tel payement, les fils des susdits maîtres ; & aucun maître dans ledit art ne pourra prendre, à peine de 50 livres, un apprentif pour un moindre tems que celui de trois années, lesquelles expirées, & ayant ainsi travaillé sans aucune notable interruption, il lui sera expédié par le maître un certificat de bon service, avec lequel il puisse continuer les autres trois années d'apprentissage, & les trois autres en qualité de compagnon, avec qui bon lui semblera, pourvu que ce soit dans les états de S. M.

II. Chacun de ceux qui voudra travailler en qualité de compagnon, sera tenu en premier lieu de faire foi de son bon service, par devant les susdits syndics, qui après l'avoir reconnu, en feront foi au pié dudit acte ; défendant expressément à qui que ce soit de prendre aucun compagnon, sans avoir vérifié si l'acte susdit est en bonne forme, à peine de 50 livres.

III. A l'égard des ouvriers étrangers, ils ne pourront avoir boutique, s'ils n'ont premierement travaillé dans les états de S. M. en qualité de compagnons pendant trois années, en justifiant qu'ils sont catholiques, à peine de 50 écus d'or. Le consulat pourra cependant abréger ledit tems, selon la capacité qui résultera desdits ouvriers, faisant cependant subir & approuver un examen par les maîtres où ils auront travaillé précédemment ; & dans le cas où il se trouvera preuve de leur capacité, ils seront tenus de payer au bénéfice de l'université les 20 livres susdites.

IV. Les compagnons ne pourront prendre congé des maîtres, ni ceux - ci le leur donner, s'ils ne se sont avertis quinze jours auparavant ; lequel tems expiré, auquel ils se seront réciproquement obligés, excepté néanmoins qu'il ne se trouvât quelque cas ou motif légitime & suffisant, à peine de dix livres, applicables un tiers au fisc, un autre tiers au profit de ladite université, & l'autre à celui de l'hôpital de la charité.

V. Les syndics dudit art seront obligés, toutes les fois qu'ils en seront chargés par le consulat, ou par l'ordinaire de leur département où se trouveront établies des universités semblables, d'aller en visite dans les maisons & bâtimens des fileurs, pour reconnoître si les soies seront travaillées en conformité des articles du reglement ci-dessous cités, & les maîtres fileurs & maîtres desdits fileurs seront obligés d'ouvrir les maisons, boutiques, bâtimens & autres lieux où il pourra se trouver des soies, sous peine à quiconque y contreviendra, de 50 livres applicables comme ci - dessus.

VI. Le maître ne pourra prendre aucun compagnon ou ouvrier qui aura déja travaillé dudit art chez un autre maître, si premierement il ne fait pas foi du certificat de bon service du maître précédent en dûe forme, sous peine au susdit maître de 25 livres applicables comme ci - dessus, laquelle peine aura également lieu contre le maître qui auroit refusé sans aucune cause un certificat semblable.

VII. Tout maître fileur sera tenu de rendre au propriétaire de la soie, la même qui sera travaillée, conformément à la facture, & sous la déduction du déchet, qui sera payé comptant sur le prix dont les parties seront convenues, avec la faculté avant de la rendre ou de la recevoir, de la faire conditionner selon les regles expliquées ci-dessous, & il sera établi un lieu pour ladite condition, en quel cas de vente que ce soit, tant pour la soie grèze que pour celle qui sera œuvrée.

VIII. Il sera pour cet effet destiné un lieu public, commodément disposé, sous la garde d'une personne responsable, préposée par consulat, laquelle, aussitôt que la soie sera pesée en présence des parties & la note prise, l'exposera à la condition, selon l'instruction qui lui sera donnée par le même consulat pendant vingt - quatre heures, & sans feu, dans les mois de Mai, Juin, Juillet & Août ; & dans les autres huit mois, pendant quarante-huit heures, avec un feu modéré & continuel sous la cheminée, moyennant salaire compétent que le consulat taxera, & qui sera payé par celui qui requerra la condition susdite, suivant laquelle, s'il est reconnu que la soie ait produit plus d'un & demi pour cent de diminution, la condition sera réitérée aux fraix du vendeur, ou du maître fileur, jusqu'à ce que la diminution dans la condition réitérée n'excede pas un & demi pour cent, avec déclaration que dans le cas où il s'éleveroit quelque contestation entre les parties, pour fait des soies qui auroient été conditionnées dans un autre endroit hors celui - là, du consentement des parties, il n'y aura aucun lieu pour le recours sur la différence du poids qui pourroit se trouver.

IX. Et pour éviter toutes les fraudes qui pourroient se commettre, il est expressément défendu auxdits maîtres fileurs & autres marchands, de faire mettre les soies pures avec celles de douppion, chiques, baves & fleuret, ni aucune de ces qualités avec l'autre, chaque sorte devant être travaillée séparément, sous peine de cent livres payables par le contrevenant, laquelle somme sera également payée par le maître fileur qui travaillera ou tiendra les soies exposées en quelques places où il y auroit des fenêtres, ou autres ouvertures relatives & près des écuries ou du fumier, ou qui en quelqu'autre façon donneront aux soies des moyens pour en augmenter le poids, outre la peine majeure, laquelle sera arbitrée par le consulat, suivant l'exigence des cas.

X. Tous les moulins de vingt hasples inclusivement & au - dessous, devront avoir les serpes divisées en douze parties & pas davantage. L'étoile des traches, ou hasples, ou devidoirs, sera de 60 dents dans toutes les plantes, & les petits demi-cercles ou roues des plantes, depuis 24 traches inclusivement jusqu'à celles de 20, devront être pour le moins de 8 bobines ; si c'est de 18, de 9 bobines ; & si c'est de 16 & au-dessous, de 10, avec une défense spéciale de se servir de traches de neuf dents. Les fuseaux seront maintenus bien droits, & les verres changés, & les coronaires bien disposées, afin qu'on puisse faire la perle bien serrée, & les hasples qui servent au moulin à tordre les organsins, seront tous de neuf onces de tour à juste mesure, & ceux pour les trames semblablement de neuf onces & demie, afin que toutes les fois qu'on levera la soie de dessus les susdits hasples, elle se trouve toute d'une mesure égale. Les propriétaires des filatures qui n'auront pas les moulins conformes audit réglement, seront tenus de les rendre justes dans l'espace de deux mois ; le tout à peine de 50 écus d'or ; laquelle peine subiront encore les maîtres qui travailleront dans des moulins qui ne seront pas conformes ou réduits à la regle susdite.

XI. Tous les organsins, tant superfins que de la seconde & troisieme sortes, seront cappiés toutes les huit heures ; & à l'égard des trames, lesquelles ne pourront être à moins de deux fils, toutes les quatre heures de travail, sous peine de 5 livres payables par les compagnons.

XII. Les matteaux des organsins devront être à l'avenir d'un tel poids, qu'il n'en entre pas moins de huit ou dix par chaque livre, & pliés de façon qu'ils ne soient pas trop serrés, sous peine de réitérer la condition dans l'occasion de la vente, & de restitution de la part du maître fileur, qui sera condamné à 10 livres pour chaque contravention.

XIII. Il reste défendu à tout maître fileur de contraindre leurs compagnons ou apprentifs, soit mâle ou femelle, à acheter d'eux ou prendre à-compte de leurs salaires respectifs aucune sorte d'alimens, soit boire, soit manger, excepté qu'ils n'en soient d'accord, sous peine de 25 livres chaque fois qu'ils y contreviendront.

XIV. Tous les appartemens ou moulins destinés au filage des soies, tant à l'eau qu'à la main, devront être pourvus d'un chef maître, examiné par les syndics de l'université de l'art & admis par le consulat, lequel devra avoir l'entiere veille sur le travail, afin que les soies se trouvent travaillées selon les articles du présent réglement, avec défenses auxdits maîtres d'occuper à aucun autre ouvrage continuel, actuel & particulier, les personnes employées audit filage, sauf à avoir soin & veiller sur le travail & ouvrages des autres personnes employées dans le même filage, à peine de la privation d'exercice du maître fileur, outre celle de dix écus d'or.

XV. Tous les maîtres fileurs du district de ce consulat, seront tenus de se rendre à l'université de Turin, pour reconnoître les syndics d'icelle, à l'exception des maîtres fileurs de Raconis, où l'établissement d'une université de maîtres fileurs a été permis, avec la totale dépendance néanmoins du consulat susdit, & l'obligation d'observer le présent réglement, ne voulant pas S. M. qu'aucune personne, soit par privilege, immunité ou exemption quelconque, puisse se dispenser de l'observation d'icelui, ni qu'aucun des susdits maîtres puisse être admis à un tel exercice, qu'au préalable il ne possede pour le montant de cinquante doubles, ou qu'il donne une caution suffisante de pareille somme devant le consulat.

Quand la soie est moulinée, il s'agit après cela de l'employer.

De la fabrication des étoffes en soie. Ce travail a plusieurs opérations préliminaires, dont nous donnerons quelques-unes ici, renvoyant pour les autres à différens articles de cet Ouvrage.

Opérations préliminaires. Premiere, il faut avoir les soies teintes. Voyez l'article de la FABRICATION des étoffes, & TEINTURE.

Deuxieme, il faut ourdir les chaînes, ce que nous allons expliquer.

Troisieme, il faut avoir le dessein de l'étoffe qu'on veut fabriquer. Voyez l'article VELOURS A JARDIN. Voyez aussi l'article DESSEIN.

Quatrieme, il faut monter le métier d'après le dessein. Voyez à l'article VELOURS, la maniere de monter un métier, avec sa description.

Cinquieme, le métier monté, il faut lire le dessein, ce que nous allons expliquer.

Sixieme, il faut fabriquer. Voyez à l'article VELOURS un exemple de fabrication d'une étoffe très-difficile, & aux différens articles de cet Ouvrage pour les autres étoffes.

Cela fait, nous terminerons cet article par différentes observations usitées sur quelques goûts particuliers d'étoffes.

De l'ourdissage des chaînes. Ourdir, c'est distribuer la quantité de fils qui doivent composer la chaîne sur l'ourdissoir.

On prend les 40 fils qui composent la cantre, & après les avoir fait passer chacun dans une boucle de verre, attachée au - dessus de chaque crochet sur lequel la soie est devidée, on noue tous les fils ensemble, ensuite on les met sur une premiere cheville posée sur une traverse au haut de l'ourdissoir, après quoi on les enverge par l'insertion des doigts. Voyez ENVERGER. On les met bien envergés, sur deux autres chevilles à quelque distance de la premiere. On passe ensuite tous les fils ensemble sous une tringle de fer bien polie, la moitié de ces mêmes fils étant séparée par une autre tringle également polie, les deux tringles de fer étant attachées au plot de l'ourdissoir, qui au moyen d'une mortaise quarrée, & de la grandeur d'un des quatre montans qui sont arrêtés en-haut & en-bas des deux croisées, dont celle d'en-bas ayant une crapaudine de cuivre dans le milieu, dans laquelle entre le tourillon de l'arbre de l'ourdissoir, lui fournit la liberté de tourner, a la liberté de monter & de descendre ; dans la croisée d'en - haut est passée une broche de fer sur laquelle s'enroule ou se déroule une corde de boyau passée dans une poulie du plot, & arrêtée à un tourniquet posé perpendiculairement à la poulie de ce plot.

Quand l'ouvriere met l'ourdissoir en mouvement, la corde qui se déroule laisse descendre le plot à mesure. Ce plot conduit tous les fils qu'il tient arrêtés entre deux poulies, de même que par la tringle supérieure, sur l'ourdissoir en forme de ligne spirale, jusqu'à ce que le nombre de tours qui indique la quantité d'aunes qu'on veut ourdir soit complet. Ayant le nombre de tours desiré, on prend la demi-portée avec la main droite, & la passant sur une cheville, on la fait passer dessous une seconde, & la ramenant par le dessus, on la passe ensuite dessous la premiere, de façon que cette maniere de passer alternativement la demi - portée ou la brassée dessus ou dessous les deux chevilles, forme une espece d'envergeure pour les portées seulement, ce qui donne la facilité de les compter. Quand cette opération est achevée, on fait tourner l'ourdissoir dans un autre sens, de façon que la corde du plot s'enroule à mesure, & le fait monter jusqu'à l'endroit où l'on a commencé ; pour lors on enverge de nouveau fil par fil, & on met les fils envergés sur les chevilles où ont été posés les premiers, & faisant passer la brassée sur la premiere, on enverge de nouveau & on descend comme la premiere fois, & on remonte de même, en continuant jusqu'à ce que la quantité de portées qui doivent composer la chaîne soient ourdies.

La piece étant ourdie, on passe des envergeures en bas & en haut ; celles d'en-bas servent à séparer les portées pour les mettre dans un rateau, quand on plie la piece sur l'ensuple de derriere ; l'envergeure d'en-haut sert à prendre les fils de suite, & de la même façon qu'ils ont été ourdis pour tordre la piece, ou pour la remettre. Les envergeures passées & arrêtées, on tire les chevilles d'en - bas, on leve la piece en chaînette, & pour lors on lui donne le nom de chaîne. Voyez CHAINE.

De la lecture du dessein. Lire le dessein, c'est incorporer le dessein dans les cordes du métier. Pour lire un dessein dans la regle, on enverge le semple, observant de commencer l'envergeure par la corde qui tire la derniere arcade & la derniere maille de corps. Quand le semple est envergé, on passe deux baguettes un peu fortes dans les 2 envergeures, & on les attache ferme sur un chassis fait avec des marches, qui est tourné de côté, afin que la place ordinaire du semple soit libre, pour avoir la liberté de faire des lacs pendant qu'on lira le dessein.

On range ensuite les dixaines dans les coches de l'escalette, par huit cordes. Voyez ESCALETTE. On place le dessein sur les dixaines de l'escalette, dont les grands carreaux du papier, au nombre de 50, contiennent chacun huit lignes perpendiculaires, qui sont autant de cordes. Si le dessein contient six couleurs, l'étoffe sera de six lacs. Pour commencer à lire, la liseuse choisit autant d'embarbes qu'elle range dans ses doigts, qu'il y a de lacs ou de couleurs ; chaque embarbe est destinée pour la même couleur pendant tout le lisage du dessein, & on doit toujours commencer par la même, suivre & finir également.

Le papier réglé ayant autant de lignes transversales ou horisontales, qu'il y en a de perpendiculaires, la liseuse suit la premiere ligne, & chaque couleur qui se trouve sur cette ligne, est prise par l'embarbe qui lui est destinée ; c'est - à - dire, que si une couleur occupe sur la ligne transversale 7, 8, 10 cordes perpendiculaires, la liseuse doit retenir autant de cordes du semple, observant de bien prendre sur les mêmes dixaines, & les mêmes cordes pendant la traversée du lisage. Quand elle a fini une ligne, elle en recommence une autre de même ; & quand elle est arrivée à la fin du premier carreau qui porte 10, 11 ou 12 lignes transversales, elle noue ensemble toutes les embarbes auxquelles elle donne le nom de dixaine, & en recommence une autre jusque à ce que le dessein soit fini.

Il faut observer que quoiqu'il y ait plusieurs lacs sur une même ligne, tous les lacs ensemble ne composent qu'un coup ; de façon que si le dessein contient six lacs chaque ligne, & que le carreau ait 12 lignes transversales, il se trouve 72 lacs, qui néanmoins ne composent que 12 coups.

Des desseins répétés. Tous les desseins qui se travaillent aujourd'hui, soit dans l'étoffe riche, soit dans celle qui n'est brochée que soie, ne portent que 40 à 50 dixaines ; ce qui les rend très-courts dans la réduction de l'étoffe ; les fabriquans néanmoins, ont trouvé le moyen de faire paroître le dessein plus long en faisant lire le dessein deux fois, & faisant porter à droite ce qui est à gauche, ou à gauche ce qui est à droite ; la façon de faire le dessein pour les étoffes de ce genre, de même que pour le lire, est différente des autres ; dans ces dernieres, il faut que le dessinateur s'attache seulement à faire ensorte que son dessein finisse comme il a commencé, pour qu'il soit suivi pendant le cours de l'étoffe ; au lieu que dans la nouvelle, il faut que le dessein pour le lire soit renversé après qu'il a été lu à l'ordinaire, pour que la figure qui étoit d'un côté soit portée de l'autre ; or, comme en renversant le dessein il arriveroit que les fleurs, tiges, & autres figures qui composent l'étoffe, supposé qu'elles eussent été lues en montant, ne pourroient être lues qu'en descendant, & que dans l'étoffe la moitié du dessein monteroit infailliblement, & que l'autre moitié descendroit ; il faut pour parer à cet inconvénient, que le dessein qui ordinairement se lit en commençant du bas en haut, lorsqu'on le lit une seconde fois, soit lu du haut en bas, c'est-à-dire en remontant ; de façon que par ce moyen le premier lac qui est lu à la seconde reprise, se trouve précisément le même qui a été lu lorsqu'on a commencé à lire à la premiere ; & par ce moyen le dessein suit, comme il arriveroit si on ne le lisoit qu'une fois ; avec la différence que tout ce qui étoit d'un côté, se trouve de l'autre pendant toute la fabrication de l'étoffe. Il est nécessaire encore que le dessinateur fasse rencontrer les fleurs, feuilles & tiges de son dessein ; de façon qu'en le renversant de droite à gauche pour le tirer, toutes les parties se trouvent parfaitement sur les mêmes cordes ou dixaines qui doivent se succéder tant dans la fin du premier lisage, que dans le commencement du second. Cette façon est très-singuliere, & des mieux imaginées de la fabrique, pour dispenser le dessinateur de ne faire qu'un dessein au lieu de deux.

Le sieur Maugis dans sa nouvelle méchanique a trouvé le moyen, en lisant le dessein une fois seulement, de faire l'étoffe comme si le dessein étoit lu deux fois, & de faire porter la figure de droite à gauche. Voyez la dissertation contenant les avantages de sa machine, imprimée à Lyon en 1758. Il seroit très-difficile de penser qu'un dessein lu une fois seulement, pût paroître deux fois en étoffe de différente façon ; cependant le fait est constant.

Pour parvenir à cette opération, on attache deux semples au rame, dont l'un par la premiere corde à gauche, prend la premiere également du rame, jusqu'à celle qui finit par 400, dont la pareille du semple qui fait la 400e, y est attachée, ayant continué nombre par nombre de corde depuis la premiere de 400 du semple, jusqu'à la derniere. Le second semple au contraire a la premiere corde attachée à la 400e du rame & la 400e du semple à la premiere du rame ; de façon que ces deux semples étant attachés d'une façon totalement opposée, il s'ensuit qu'un des semples porte la figure dans l'étoffe d'une façon opposée à l'autre, en supposant que le dessein fût lu sur chacun des deux semples séparés ; mais comme le dessein n'est lu qu'une fois sur un semple, ce même semple sur lequel le dessein est lu, est accroché aux deux semples dont il est question ; & pour fabriquer l'étoffe, on bande le semple qui doit faire faire la figure d'un côté, & quand il est fini on bande l'autre semple & on lâche le premier ; ce qui fait que la figure est exécutée dans un autre sens ; c'est-là le secret. Le seul semple qui est lu est attaché horisontalement à côté le métier & bien tendu, ayant la gavassiniere attachée de même au-dessus ; de façon que la tireuse prenant le lac, s'il est pesant elle l'attache à une petite bascule, qui en faisant lever les cordes que le lac retient, celles-ci font venir les cordes d'un des deux semples attachés d'une façon opposée, lesquelles cordes entrent dans un rateau, lequel baissant au moyen d'une autre bascule qui le tire par le bas, & au moyen encore de perles arrêtées & fixes sur chaque corde du semple, pour empêcher que le rateau ne glisse ; les perles retenant les cordes auxquelles elles sont fixées, tirent la corde de rame qui fait lever la soie, & fournit le moyen à l'ouvrier de brocher le lac ou passer la navette, si le cas l'exige, pour la fabrication de l'étoffe.

Exemple sur un dessein en petit. Assemblez les deux parties A B, de façon qu'elles forment la lettre C G, c'est le dessein entier, ou ce qu'il doit faire en étoffe ; lisez la partie A seulement, elle formera en étoffe ce que les deux parties démontrent.

Il faut pour cette opération commencer à lire en montant du côté de la lettre a, jusqu'à la fin de la feuille a, la lettre demi C. Cette feuille étant lue, il faut la renverser & la lire une seconde fois ; de façon que la lettre A soit renversée aussi, & se trouve enhaut ; pour lors on lit une seconde fois le dessein en remontant, & on finit de même par la lettre demi C. Il est visible que la feuille renversée porte à droite ce qui étoit à gauche ; & que si on la lisoit à l'ordinaire en commençant du bas en haut, les fleurs au lieu de monter au second lisage descendroient ; mais comme on fait lire du haut en bas, la figure doit toujours suivre l'ordre de la premiere feuille, attendu que le premier lac qui se tire, se trouve également le premier de la premiere feuille, & que le dernier se trouve de même le dernier ; avec cette différence, que la position de la feuille au second lisage, se trouve totalement opposée à celle de la premiere, & que par une conséquence infaillible, la figure doit se trouver de même dans l'étoffe.

Suivant cette démonstration, dans la pratique ordinaire, nu dessein qui contient une feuille de 40 ou 50 dixaines étant lu deux fois, paroît aussi long en étoffe, que s'il en contenoit deux ; & suivant la méchanique du sieur Maugis, il n'est besoin que de les lire une fois, pour qu'il produise le même effet.

Si ces deux petites feuilles ne sont pas suffisantes pour cette démonstration, on en fera faire deux plus grandes qui contiendront un dessein en plusieurs lacs brochés ; & au lieu de cinq à six dixaines comme celles - ci, on les fera de 15 à 20 chacunes ; mais il faut un avertissement promt, s'il est possible : le silence sur cet objet prouvera qu'on est satisfait.

Un dessinateur qui est obligé de fournir chaque année 50 desseins dans une fabrique, contenant 100 feuilles, n'a besoin que d'en peindre 50 pour remplir son objet ; ce qui fait qu'il s'applique infiniment mieux à perfectionner son ouvrage, soit dans la composition, soit dans le goût : on nomme ces desseins, desseins à répétition.

Des cordelines. On donne le nom d'armure à la façon de passer les cordelines ; mais ce mot est impropre ; car l'armure ne concerne précisément que la maniere de faire lever & baisser les lisses, suivant le genre d'étoffe que l'on fabrique ; au lieu que la beauté de la cordeline qui forme la lisiere, ne se tire que de la façon de la passer dans les lisses. Aussi l'on va donner cette façon de la passer, qui doit être la même dans tous les gros - de - tours & taffetas, ainsi que dans tous les satins, soit à huit lisses, soit à cinq.

Pour faire une belle lisiere dans un taffetas ou gros-de-tours, il faut passer une cordeline sur la premiere lisse & une sur la seconde ; ainsi des autres, s'il y en a six ou huit. Si l'étoffe exigeoit qu'il y eût un liseré passé sous une lisse levée seulement, pour lors on passeroit chaque cordeline sur deux lisses ; savoir une sur la premiere & la troisieme, & une sur la seconde & la quatrieme, ainsi des autres ; parce que sans cette précaution, il arriveroit que les cordelines n'étant passées que sur la premiere & la seconde, quand on seroit obligé de faire lever la troisieme & la quatrieme seules, & qu'elles n'auroient point de cordelines dans leurs mailles, il n'en leveroit aucune pour passer la navette de liseré ; conséquemment la trame ne seroit point arrêtée.

A l'égard des satins à huit lisses, s'ils sont fabriqués avec deux navettes, soit satins pleins ou unis, soit satins façonnés, il faut que la premiere cordeline prise du drap soit passée sur la deuxieme, troisieme, sixieme, & septieme lisse ; la seconde, sur la premiere, quatrieme, cinquieme, & huitieme lisse, ainsi des autres ; de façon que la sixieme ou huitieme cordeline soit la premiere hors du drap du côté droit, ou des deux navettes, quand on commence le course ou à travailler. A l'égard du côté gauche, il faut commencer dans un sens contraire, c'est-à-dire, que la premiere du côté du drap soit passée sur la premiere, quatrieme, cinquieme, & huitieme ; la seconde, sur la deuxieme, troisieme, sixieme, & septieme, & ainsi des autres. Au moyen de cette façon de passer la cordeline, il arrive que les deux premiers coups de navette se trouvent précisément sous les mêmes cordelines levées ; les deux seconds sous celles qui avoient demeuré baissées ; ainsi des autres jusqu'à la fin du course ; quoique à chaque coup de navette il leve une lisse différente, suivant l'armure ordinaire d'une prise & deux laissées.

Cette façon de passer les cordelines renferme deux objets également essentiels pour la perfection de la lisiere. Le premier est que les deux coups de navette se trouvent régulierement de chaque côté entre les trois ou quatre mêmes cordelines autant dessus que dessous, & produisent un effet bien différent que si elles croisoient à chaque coup ; parce que pour lors, le satin ne croisant pas comme la lisiere, & la trame y entrant dedans avec plus de facilité, la lisiere avanceroit plus que l'étoffe par rapport à la croisure continuelle ; ce qui la rendroit défectueuse, & feroit que l'étoffe étant déroulée, la lisiere feroit ce qu'on appelle en fabrique le ventre de veau ; tandis que l'étoffe paroîtroit également tendue ; ce qui arrive néanmoins très-souvent & fait paroître l'étoffe défectueuse, principalement quand il s'agit de coudre lisiere contre lisiere quand elle est coupée pour en faire des robes ou autres ornemens.

Le second objet, que l'on peut dire hardiment être ignoré de la centieme partie des fabriquans est, que cette façon de passer les cordelines, fait que dans celles qui levent du côté où on passe la navette, celle de la rive, ou la plus éloignée du drap, ne peut manquer de lever, & successivement les autres une prise & une laissée, afin que la trame se trouve retenue par celle qui leve, & que la lisiere soit plate à son extrêmité ; ce qui s'appelle en terme de fabrique, faire le ruban ; ce qui n'arriveroit pas si la seconde levoit ; parce que pour lors, le coup de navette précédent faisant que la trame se seroit trouvée dessous la cordeline de la rive qui auroit levé, cette cordeline se trouvant baissée quand il faudroit repasser les deux coups, l'ouvrier en étendant sa trame pour la coucher, les cordelines qui ne levent pas étant très-lâches, attendu que celles qui levent supportent tout le poids destiné à leur extension ; il arrive que la trame tire la cordeline qui n'est pas tendue, & la fait ranger sous la seconde qui l'est beaucoup, attendu la levée, & forme une lisiere quarrée au lieu de former le ruban, ou d'être plate comme elle doit être.

Cette précaution quoique très-importante est tellement ignorée des fabriquans de Lyon, que presque toutes les étoffes péchent par la lisiere, & que ceux qui ne connoissent pas la fabrique, attribuent ce défaut à la qualité de la matiere dont la cordeline est composée, quoiqu'il n'y en ait pas d'autre que celui que l'on vient de citer.

Il est donc d'une nécessité indispensable de passer les cordelines d'une façon, soit aux taffetas ou gros-de-tours, soit aux satins, que celle qui est à la rive de l'étoffe soit toujours disposée à être levée du côté où l'ouvrier lance la navette, parce que pour lors il se trouvera qu'elle aura baissé au coup précédent : cette observation concerne toutes les étoffes de la fabrique en général.

Dans une étoffe telle qu'une lustrine liserée, la façon de passer la cordeline est différente pour qu'elle soit parfaite, parce que pour lors la premiere navette passe régulierement deux fois, quand celle du liseré n'en passe qu'une ; ce qui fait qu'au retour de la premiere la cordeline doit croiser pour arrêter la trame, ce qui n'arrive pas dans celle que l'on vient de citer ; de façon que dans celle-ci- les deux coups de trame & celui du liseré doivent se trouver sous un même pas pour que la lisiere ne fasse pas le ventre de veau.

Les cordelines dans celle-ci doivent donc être passées, savoir du côté droit la premiere & la plus proche du drap sur la 3, 4, 7, & 8e lisse ; la seconde sur la premiere, 2, 5 & 6e, ainsi des autres, soit qu'il y en ait six ou huit ; de façon que celle de la rive se trouve toujours passée sur les mêmes lisses de la seconde ; par conséquent elle leve du côté où la navette est lancée. Les cordelines du côté gauche doivent être passées en sens contraire, c'est-à-dire, la premiere plus près du drap sur la premiere, 2, 5 & 6e, la seconde sur la 3, 4, 7 & 8e ce qui fait qu'au moyen de l'armure du satin, celle de la rive, au second coup de navette, se trouve régulierement sur la troisieme lisse, qui est celle qui doit lever à ce même coup, suivant l'armure du métier.

Cordelines pour les damas. Il n'est pas possible de passer la cordeline dans le damas, ni dans tous les satins à cinq lisses ; de façon que celle de la rive leve régulierement du côté que la navette est lancée ; attendu le nombre impair des lisses, qui fait que quand le course des cinq lisses est fini, la navette se trouve à gauche dans le premier, & à droite dans le second ; il y a cependant une façon de les passer, pour que la lisiere soit belle, différente des autres genres d'étoffe : la premiere cordeline du côté du drap doit être passée sur la premiere lisse du côté du corps, la quatrieme & la cinquieme ; la seconde doit être passée sur la deuxieme & la troisieme ; la troisieme sur la quatrieme & la cinquieme ; la quatrieme sur la premiere, la seconde & la troisieme ; la cinquieme sur la troisieme, quatrieme & la cinquieme ; la sixieme sur la premiere & seconde, en commençant à la droite. La lisiere du côté gauche doit être passée de même que celle du côté droit. Il y a encore une autre façon de passer la cordeline ; savoir, la premiere du côté du drap sur la premiere & la seconde ; la seconde sur la quatrieme & la cinquieme ; la troisieme sur la seconde & la troisieme ; la quatrieme sur la premiere & la cinquieme ; la cinquieme sur la troisieme & la quatrieme ; la sixieme sur la premiere & la seconde, où il faut observer que la lisse du milieu, ou la troisieme par laquelle finit le second course, ou le dixieme coup, ne doit jamais faire lever les mêmes cordelines qui sont sur la premiere lisse, parce que pour lors le course finissant par celle du milieu, les mêmes cordelines leveroient, & la trame ne seroit point liée.

De la différence des damas de Lyon & de Gènes. La façon dont les Italiens, principalement les Génois, fabriquent le damas, est tellement différente de celle dont on se sert en France, soit par la qualité & quantité de soie dont leurs chaînes sont composées, soit par la maniere dont ils sont travaillés, qu'il n'est pas besoin d'être fabriquant pour convenir que si leurs étoffes sont préférées aux nôtres, leurs principes sont aussi plus excellens ; c'est ce qu'il est nécessaire d'expliquer.

On vient de dire que la qualité & quantité de la soie dont les chaînes des damas qui se fabriquent chez l'étranger sont composées, different de la quantité & qualité de celle qui est employée dans les damas qui se fabriquent en France, il faut le démontrer.

Le réglement de 1 Octobre 1737, quoique rempli des vetilles sur le fait de la fabrication des étoffes, ne fait aucune mention des damas meubles ; il ordonne seulement, art. 68. que les damas ne pourront être faits à moins de 90 portées de chaîne. Celui du 19 Juin 1744, ordonne, titre viij. art. 4. que les damas réputés pour meubles ne pourront être faits à-moins de 90 portées de chaine, chaque portée de 80 fils.

Cette fixation qui ne concerne précisément que la quantité de soie pour ce genre d'étoffe, démontre assez que les fabricateurs des deux réglemens qu'on vient de citer, n'étoient pas des plus intelligens, puisque d'un côté, la quantité de soie qu'ils admettent est insuffisante, & de l'autre, qu'ils ne font aucune mention de la qualité, qui est aussi essentielle que la quantité même.

L'art. 1. du réglement du 8 Avril 1724, pour la manufacture de Turin, tiré du réglement de celle de Gènes, veut que les damas soient faits avec une chaîne de 96 portées de 80 fils chacun, & avec un peigne de 24 portées, pour qu'il se trouve 8 fils par chaque dent de ce peigne, & qu'il ne soit employé à l'ourdissage des damas que des organsins du poids de 6 octaves (6 octaves sont 18 deniers poids de marc), chaque raz (un raz fait demi-aune de France), au-moins, étant teints, ce qui vaut autant pour le poids qu'une once & demie chaque aune de la chaîne pour ceux qui s'ourdissent en France.

Les Piémontois ont eu soin de fixer le nombre des portées par rapport à la quantité de soie dans leurs damas de même que les poids par rapport à la qualité, & n'ont pas oublié de faire ordonner que les peignes pour la fabrication de ce genre d'étoffe fussent composés d'un nombre de portées proportionné à la quantité de la soie, & ne continssent que 8 fils chaque dent.

La fixation du poids seroit inutile si le nombre des portées n'étoit pas désigné, parce qu'on pourroit mettre moins de portées & un organsin plus gros, s'il n'étoit question que de la qualité, afin que le même poids se trouvât toujours à la chaîne, en conformité du réglement ; ce qui contribueroit à une défectuosité d'autant plus grande, qu'il n'est personne qui ne sache que ce n'est pas le fil le plus gros & le plus pesant qui fait la plus belle toile, mais bien le plus fin & le plus léger, la quantité nécessaire supposée complete .

Les Génois mettent 100 portées aux moindres damas meubles de leurs fabriques, & un peigne de 25 portées pour faire également le nombre complet de 8 fils chaque dent ; ce qui doit immanquablement faire une étoffe plus parfaite que si elle ne contenoit que 90 portées, comme il est ordonné par les réglemens de 1737 & 1744, concernant les manufactures de Lyon.

La quantité des portées prescrite pour les damas de Turin & de Gènes, étant supérieure à celle qui est prescrite pour ceux qu'on fait en France, il est évident que leurs étoffes doivent surpasser ces dernieres ; ce n'est pas encore assez pour leur perfection, ces étrangers veulent aussi que le poids de leur chaîne soit fixé, crainte qu'un organsin trop fin n'altérât la qualité de l'étoffe ne garnissant pas assez ; ce que tous nos fabricateurs de réglemens n'ont pas su imaginer, quoiqu'ils se soient attachés à des minuties infiniment au-dessous de ce que demande le damas pour qu'il soit parfait.

Si un organsin extraordinairement fin peut rendre led amas défectueux, quoique le nombre des portées soit complet, un organsin extraordinairement gros ne le rendra pas parfait ; il faut une matiere proportionnée à l'étoffe pour laquelle elle est destinée ; de façon que si un organsin trop fin fait paroître l'étoffe affamée ou peu garnie, celui qui est trop gros fera paroître un satin rude & sec, au-lieu d'être doux & velouté, comme il faut qu'il soit pour que l'étoffe soit en qualité.

Les Génois fabriquent encore des damas pour meubles, qui sont les plus parfaits qu'on puisse faire en ce genre ; ils sont composés de 120 portées, & faits avec un peigne de trente portées, pour avoir, à l'ordinaire, 8 fils par dent. Ces damas ne sont distingués des ordinaires de 100 portées que par la lisiere ou cordon qu'ils appellent cimossa, laquelle est faite en gros-de-tours, non en taffetas, c'est-à-dire que les deux coups de la navette, dont la trame sert à former l'étoffe, qui sont passés à chaque lac, passent pour le cordon sous un même pas, & forment un parfait gros-de-tours & une belle lisiere ; ce qui sert à les distinguer des damas ordinaires.

Cette façon de faire la lisiere ou cordon du damas en gros-de-tours, aussi-bien que la cordeline, est si ingénieuse, qu'on ose soutenir que de cinq ou six mille maîtres fabriquans qui sont à Lyon, il n'en est pas peut-être dix qui sur le champ soient en état de démontrer de quelle façon peut être faite une chose aussi singuliere, pas même encore en leur donnant le tems de l'étudier. Ce sont cependant des paysans très-grossiers qui font de telles étoffes, aussi-bien que les velours.

A l'égard de la façon dont les damas sont travaillés à Gènes, elle est différente de celle de France.

Toutes les chaînes des étoffes façonnées qui se font ou fabriquent à Lyon, ne reçoivent l'extension forte qu'elles doivent avoir pendant le cours de leur fabrication, qu'au moyen d'une grosse corde, laquelle étant arrêtée par un bout au pié du métier, fait ensuite trois ou quatre tours au-tour du rouleau sur lequel la chaîne est pliée, & ayant son autre bout passé dans un valet, ou espece de bascule de la longueur d'un pié & 1/2 plus ou moins, dont une partie taillée en demi-rond enveloppe ce même rouleau sur lequel il est posé horisontalement, on accroche à son extrêmité un poids d'une grosseur proportionnée, & selon qu'exige la longueur de la bascule qui tient le rouleau arrêté ; de façon que pour tenir la chaîne tendue il faut tourner le rouleau opposé sur lequel l'étoffe se roule à mesure qu'on la travaille, & au moyen d'une roue ou roulette de fer, taillée comme une roue à rochet d'une pendule, dans les dents de laquelle accroche un fer courbé pour entrer dans chacune de la roulette, & la retenir ; à mesure qu'on tourne le rouleau de devant, auquel est attaché & placé quarrément la roulette en question, on fait devider le rouleau de derriere, & la chaîne se trouve toujours tendue.

Cette façon de tenir tendue la chaîne des étoffes façonnées est très-commode, principalement pour les riches, qui demandent une extension continuelle de la chaîne, par rapport à cette quantité de petites navettes ou espolins, qui ne pourroient pas se soutenir sur l'étoffe si la piece étoit lâche ; mais elle est sujette à un inconvénient auquel on ne sauroit parer, en ce que les grandes secousses que la tire occasionne pendant le travail de l'étoffe, jointes aux coups de battant, & à la liberté que la bascule donne au rouleau de derriere de devider, font toujours lâcher un peu plus, un peu moins la chaîne, laquelle par conséquent perdant une partie de son extension, la fait perdre également à l'étoffe fabriquée. De-là vient le défaut ordinaire des damas de Lyon de paroître froissés dans des certains endroits si-tôt qu'ils sont hors du rouleau, ce qui s'appelle gripper, dans le langage de la fabrique de Lyon, défaut qui ne se trouve point dans les damas de Gènes, ou autres d'Italie, parce qu'ils sont travaillés différemment.

Les Génois n'ont ni corde, ni bascule, ni roulette de fer attachée à l'ensuple ou rouleau de devant, pour tenir tendues les chaînes de leurs étoffes ; ils se servent seulement de deux chevilles de bois, dont la premiere de deux piés de longueur environ, étant passée dans un trou de deux pouces en quarré, fait au rouleau de devant, qui pour cet effet est percé en croix en deux endroits de part en part, est attachée par le bout à une corde qui tient au pié du métier de devant.

L'ensuple ou rouleau de derriere est percé aussi à un des bouts, comme celui de devant ; & lorsqu'il est question de donner l'extension à la chaîne, on passe dans une des quatre entrées que forment les deux trous de part en part, une cheville de bois de la longueur de trois piés & demi au moins, à l'aide de laquelle on donne l'extension nécessaire pour la fabrication, en attachant la cheville par le bout à une corde placée perpendiculairement à l'estaze du métier, au-dessus de l'endroit où ce même bout se trouve.

Cette façon de tenir la chaîne tendue n'est susceptible d'aucun inconvénient ; au contraire, par le moyen de la cheville de derriere, on ne lui donne que l'extension qu'elle demande ; ce qui n'arrive pas avec la bascule qui, selon l'humide ou le sec, laisse courir le rouleau ou ensuple de derriere plus ou moins, suivant les grandes ou petites secousses que la chaîne reçoit par la tire, toujours pesante dans le damas, & cause l'inégalité qui se trouve dans les étoffes façonnées de cette espece ; elle empêche le froissement ou grippure qui se trouve dans les damas de Lyon, parce qu'elle retient toujours la chaîne dans cette même égalité d'extension qui lui est nécessaire pour la perfection de l'étoffe ; les secousses qu'elle reçoit ne la faisant ni lâcher, ni tirer plus qu'il ne faut, elle fait même que l'étoffe reçoit une espece d'apprêt pendant la fabrication, qui ne se voit que dans les damas de Gènes, ou autres fabriqués de la même maniere.

Quoiqu'on n'ait pas fait mention de la quantité de brins dont l'organsin, pour faire le damas, est composé, on pense bien que ceux qui sont faits avec un organsin à trois brins, doivent être plus beaux que ceux faits avec un organsin qui n'en contient que deux, par conséquent on ne dira rien de plus sur cet article.

La façon dont on vient de démontrer la différence qui se trouve dans la fabrication des damas d'Italie, & dans celle des damas qui sont fabriqués en France, de même que celle qui se trouve dans la quantité & qualité des soies dont les uns & les autres sont composés est si sensible, qu'il n'est personne qui ne convienne que dès que les fabriquans de France voudront se conformer à la maxime des Italiens, ils feront des étoffes aussi parfaites que celles qui sont travaillées par les montagnards de Gènes.

Tout ce que les fabriquans de France pourroient opposer à ce qui vient d'être dit en ce qui concerne le damas, & ce qui a été dit précédemment concernant le velours, est qu'étant obligés de tirer du Piémont les organsins propres à faire les chaînes de semblables étoffes pour qu'elles soient parfaites, les droits de sortie, les fraix de transport, les droits d'entrée dans le royaume, la provision des commissionaires qui vendent pour le compte des négocians piémontois, leur faisant revenir la soie infiniment plus chere qu'aux Génois & aux Italiens, il s'ensuit que l'étoffe fabriquée leur reviendroit également à un prix qui les mettroit hors d'état d'en faire le commerce.

Observation concernant ce dernier article qui demande un examen très-scrupuleux.

Le ballot d'organsin teint ne rend au plus que soixante quinze livres, ce qui fait que la soie teinte revient 5 liv. 5 s. plus chere aux François qu'aux Italiens, attendu qu'ils sont obligés de payer les droits du quart de la soie, qui s'en va en fumée dans les opérations de la teinture, & que les droits qui se perçoivent en France, n'équivalent pas sur les étoffes étrangeres aux fraix que les fabriquans françois sont obligés de supporter, ce qui fait que l'étranger peut donner sa marchandise à meilleur prix que le fabriquant françois.

Si les fabriquans françois achetoient eux-mêmes en Piémont les soies qu'ils employent, ils gagneroient & les fraix de commission, & les diminutions qui se trouvent sur les ballots ; en les faisant conditionner, la loi étant telle que le négociant piémontois ne sauroit le refuser ; & que dans l'article qui est contenu dans cette loi, il est précisément stipulé que dans le cas où l'acheteur & le vendeur seront convenus que la soie ne passeroit pas à la condition publique, dans le cas de contestation pour l'humidité ou autre defectuosité, le consulat de Turin n'en prendroit aucune connoissance, ce qui n'est pas de même quand la soie y a passé.

Il faudroit des fonds trop considérables pour acheter comptant les soies qu'ils employent, vendre leurs marchandises pour terme, payer les façons, &c. les soies se vendant ordinairement à Lyon pour dix-huit mois de terme, d'ailleurs les marchands de soie de Lyon sont obligés de faire de grosses avances à ceux du Piémont dans le tems du tirage des soies, tant pour l'achat des cocons dans les campagnes qui ne se fait que comptant, que pour le payement des femmes qui tirent la soie, & autres fraix. Les Anglois & Hollandois fournissent des fonds quelquefois deux années d'avance, parce qu'ils en tirent plus que nous, attendu qu'ils n'en cueillent point.

Des étoffes riches en 800. Les étoffes qui se font depuis peu en 800, sont assez singulieres pour qu'elles méritent de tenir place dans les mémoires de la fabrique d'étoffes de soie, or & argent.

Les étoffes en 800 ordinaires n'ont point de répétition, parce que si elles en avoient, il faudroit nécessairement 800 cordes de rame, 800 arcades & 800 cordes de semple, ce qui donneroit 1600 mailles.

(a) La condition publique est une chambre établie à Turin, pour y mettre les soies lorsque l'acheteur en convient avec le vendeur. Cette chambre contient quatre cheminées, dans lesquelles on fait un feu modéré pendant toute l'année, excepté dans les mois de Mai, Juin, Juillet & Août. Dans cette chambre, on sépare la soie par matteaux, qui contiennent quatre à cinq écheveaux chacun ; on les passe dans des ficelles, lesquelles sont suspendues dans le milieu ; & le ballot ayant été pesé avant que d'y être porté, on laisse la soie vingt-quatre heures ; après quoi on la repese : si le ballot a diminué de deux livres & demie, il est reporté une seconde fois, & enfin si à la troisieme la diminution se trouve encore de même, pour lors il est confisqué. Comme personne n'est forcé de porter la soie à la condition publique, les propriétaires de celles qui sont envoyées à Lyon n'ont garde de faire passer les leurs par une épreuve de cette sorte.

Or comme on a démontré dans tous les mémoires, que la réduction ordinaire de l'étoffe riche est de 800 mailles de corps, il s'ensuit que tous les 800 qui se sont faits jusqu'à ce jour, sont sans répétition & montés en 800 cordes de rame, & autant de semple, & une demi-arcade seulement, ce qui supprime la répétition.

Suivant la nouvelle méthode, on fait une étoffe en 800, c'est-à-dire, sans répétition dans sa largeur avec 400 cordes seulement & 400 arcades. Il paroît surprenant qu'avec 400 arcades il n'y ait pas de répétition, attendu qu'il n'est pas difficile de faire une étoffe qui dans sa largeur n'aura point de répétition, en attachant une demi - arcade à chaque corde de rame & ne laissant que 400 mailles de corps, mais il paroît impossible de la faire avec une arcade entiere qui leve 800 mailles.

Pour faire une étoffe dans ce goût, il faut faire deux desseins de même hauteur pour 400 cordes de semple, soit 8 en 10, soit 8 en 11, soit 8 en 12, suivant que le fabriquant desire que l'étoffe soit réduite, la liseuse met les deux desseins l'un sur l'autre ; & quand elle a lu un lac ou toutes les couleurs différentes qui sont sur la ligne horisontale du premier dessein, elle en lit un autre sur le second, & continue de même jusqu'à la fin de deux desseins en entier. Il faut bien faire attention que sous la dénomination d'un lac en fait de lisage de dessein, on comprend toutes les dorures & soies qui se brochent d'un ou deux coups de navettes aux deux autres, suivant la disposition de l'étoffe, mais ordinairement il n'y en a qu'un, attendu que la trame ne doit faire aucune figure dans ce genre d'étoffe, mais seulement le corps de cette même étoffe, de façon que quoiqu'il se trouve 5, 6, 7, même 8 lacs & plus à brocher dans l'intervalle d'un coup de navette à l'autre, tous ces lacs ensemble néanmoins n'en composent qu'un, suivant le lissage. On voit actuellement à Lyon des étoffes qui ont jusqu'à 12, même 13 lacs brochés & un passé, ce qui fait 14 lacs ; mais elles sont rares, attendu les fraix de la main - d'oeuvre, & qu'il n'est pas possible d'en faire plus d'un demi-quart par jour. Tous ces lacs brochés cependant & le lac passé n'en composent qu'un suivant le lissage.

Le dessein lu & le métier monté, l'ouvrier fait tirer les premiers lacs qui doivent être brochés, & ne passe ou ne broche sur l'étoffe qu'un côté des lacs qui ont été tirés & qui se rapportent au premier dessein lu ; il faut tirer ensuite les lacs du second dessein, & les broches dans la place qu'il a laissé vuide, ou qu'il n'a pas broché dans l'étoffe, de façon qu'il ne broche qu'une répétition de chaque dessein, soit à droite, soit à gauche ; de cette maniere, il se trouve qu'encore que le métier ne soit monté que de 400 cordes à l'ordinaire, les deux desseins lus, comme il a été démontré, contenant 400 cordes chacun, forment un 800 parfait.

Suivant cette façon de travailler, il se trouve qu'une étoffe de 6 lacs brochés chaque dessein en contient 12, ce qui augmente considérablement les fraix de main-d'oeuvre ; on a cependant trouvé le moyen de parer à cet inconvénient, mais il n'est pas aisé. Comme il n'y a encore que trois ou quatre métiers dans Lyon montés dans ce genre, il ne s'est trouvé qu'une liseuse qui ait pu mettre en usage la méthode qui commence à se mettre en pratique pour diminuer la quantité de lacs brochés. Il faut, pour cette opération, que la liseuse observe le vuide ou le fond qui se trouve dans chacun des deux desseins, & qu'elle ait soin de porter les parties qui se trouvent garnies dans le premier dessein dans le lac de la partie vuide du second, & de même celles qui se trouvent garnies dans le second dessein dans la partie vuide du premier ; ce qui fait qu'au lieu de 12 lacs brochés, il arrive qu'il ne s'en trouve quelquefois que 6, 7 à 8, plus ou moins ; il faut en même tems que l'ouvrier ait un grand soin de ne pas brocher à droite ce qu'il a broché à gauche sur le drap ou étoffe, ce qui n'est pas aisé ou facile pour l'ouvrier, & encore plus mal-aisé pour la liseuse, qui est obligée de choisir ses lacs, pour ainsi dire, des yeux ; insensiblement les liseuses & les ouvrieres s'accoutumeront à travailler dans ce goût, parce qu'il n'est rien dont les fabriquans ne viennent à bout lorsqu'ils veulent s'appliquer sérieusement.

Quoique cette façon de lire le dessein soit détaillée autant qu'elle peut l'être, de même que celle de travailler l'étoffe, elle ne paroît pas aisée à comprendre, si on ne connoît pas à fond, pour ainsi dire, le métier ; ainsi l'on pourroit objecter que, sans se donner tant de peine, il ne seroit pas difficile de monter un métier & faire une étoffe sans répétition, en faisant lire un dessein de 400 cordes à l'ordinaire, & au-lieu de 800 mailles de corps n'en mettre que 400.

L'on répondra à cette objection qu'il est très-aisé de faire une étoffe sans répétition sur un 400 ordinaire ; mais on observera en même tems que si le corps ne contenoit que 400 mailles, la réduction seroit si grossiere, qu'au-lieu de 4 à 5 bouts dont un gros-de-tours ou satin est composé pour la trame qui fait le corps de l'étoffe, il en faudroit plus de dix ; en voici la raison.

Le papier reglé sur lequel le dessinateur peint son dessein, porte la largeur juste de l'étoffe. Ce dessein étant répété deux fois dans cette même étoffe, doit se trouver réduit à la moitié juste dans la hauteur, comme il est forcé de l'être dans la largeur. Pour parvenir à cette réduction, il faut que la trame qui en fait le corps soit proportionnée pour qu'elle soit parfaite, attendu que si on trame trop gros, les fleurs, feuilles ou fruits qui doivent être ronds, seront larges ; de même que si on trame trop fin, les fleurs seront écrasées, & perdront de leur beauté ; c'est pour cela qu'un dessein sur un papier de 8 en 10 exige d'être tramé plus gros que celui qui est sur un 8 en 11 ; de même que celui qui est sur un 8 en 11, doit être également tramé plus gros que celui qui est sur un 8 en 12, attendu que la dixaine étant parfaitement quarrée, plus elle contient de coups dans sa hauteur, plus il faut qu'ils soient fins pour qu'ils puissent y entrer. Ce fait posé pour principe, il s'ensuit que 400 mailles de corps dans la largeur ordinaire, qui ne garniront que par la quantité de 8 mailles chaque dixaine, ne réduiront pas autant que 800 mailles qui en donneront 16, attendu la répétition. Par la même raison, puisque 12 coups doivent former le quarré dans un dessein de 8 en 12 sur 16 mailles, il en faudroit 24 sur 40 mailles dans la largeur ; ce qui écraseroit la fleur, laquelle, pour être dans sa rondeur, exigeroit une fois plus de trame chaque coup que l'étoffe ordinaire, à quoi il faut ajouter que la découpure dans le dessein qui ordinairement est de 4 fils doubles, se trouvant pour lors de 8, ajouteroit une imperfection par sa grossiereté, à laquelle il seroit impossible de parer, puisque dans un satin de 90 portées qui composent 7200 fils, la maille de corps contenant 9 fils, pour lors elle en contiendroit 18. On peut voir dans le traité des satins réduits toutes les proportions géométriques qui doivent être observées pour former une réduction juste dans toutes les étoffes, proportionnément à la quantité de mailles de corps contenues dans les largeurs ordinaires, puisque chaque maille doit avoir sa corde. Par exemple,

Un fabriquant de Lyon vient de monter un métier qui commencera à travailler dans la semaine : ce métier contient 3200 mailles de corps sans répétition, conséquemment 3200 cordes de rame, & autant de semple. Comme la largeur de 3200 cordes de semple porteroit huit fois autant de largeur qu'un 400 ordinaire, on a adossé deux cassins de 1600 cordes chacun, lesquelles cordes sont faites d'un fil de lin très-fin, & ne porteront pas plus large qu'un 800 ou un mille à l'ordinaire : ce qui facilitera le travail qu'une trop grande largeur auroit totalement rendu impossible. L'étoffe qui doit être fabriquée, ne sera point à répétition, attendu qu'elle est destinée pour habit d'homme à bordure, qui ne sauroit être répétée, cette bordure n'étant que d'un côté, de même que la patte de la poche & la soupatte qui ne sauroient se trouver dans le milieu de l'étoffe, par conséquent être répétées. Ce métier aura deux corps de 1600 mailles chacun ; chaque maille ne devroit avoir qu'un fil double ; mais comme le double corps exige deux chaînes, ou une chaîne & un poil ; chaque maille de corps contiendra deux fils doubles : ce qui fera la réduction tant dans la chaîne que dans le poil.

Suivant cette disposition, une fleur qui dans un 400 ordinaire de huit dixaines de largeur est réduite à 4 dixaines, sera réduite dans celle-ci à deux : ce qui est un objet considérable, puisqu'elle doit être dans sa hauteur d'une pareille réduction ; mais pour parer à un inconvénient aussi difficile, on prend un parti convenable, qui est qu'au lieu de peindre le dessein dans sa hauteur sur un papier de 8 en 10, en 11 ou en 12, on tourne le papier de côté, & on peint le dessein sur le papier en hauteur de 10, de 11, de 12 en 8 : ce qui fait qu'au lieu de 12 coups de navette que contient la dixaine sur une largeur de 8 cordes, il n'en faut que 8 sur une largeur de 10, 11 ou 12 ; pour lors on peut donner à la trame un peu plus de grosseur, pour que l'étoffe ait sa qualité : ce qui n'empêche pas que la découpure ne soit exactement fine, dès qu'elle ne contient que deux fils par mailles de corps : & ce qui fait toute la beauté de la réduction.

Pour ne rien laisser à desirer sur les réponses aux objections qui pourroient être faites sur la réduction, on pourroit avancer que dans un 400 qui ne seroit pas répété, le dessinateur n'auroit qu'à faire les fleurs, feuilles & fruits plus longs en hauteur, & que pour lors l'ouvrier étant obligé de mettre en rondeur tous les sujets dont le dessein seroit composé, il ne seroit pas obligé de tramer avec tant de brins. A quoi on répond 1°. qu'il ne seroit pas possible qu'un dessinateur travaillât régulierement, s'il étoit obligé de défigurer son dessein ; 2°. la découpure étant grosse par la maille de corps, lorsqu'elle se trouveroit placée perpendiculairement, seroit beaucoup plus fine, lorsqu'elle le seroit horisontalement, parce qu'elle seroit beaucoup plus serrée par la finesse de la trame ; 3°. il est d'une nécessité indispensable que le dessein soit peint avec une correction exacte, puisque pour parvenir à ce point, les dessinateurs qui veulent faire du beau, sont obligés de faire des esquisses autant parfaites qu'il leur est possible, sur des papiers qui portent juste la moitié de l'étoffe, pour celles qui sont répétées, de façon que l'esquisse doit être semblable à l'étoffe, tant en hauteur qu'en largeur, & quand elle est faite, on la divise en plusieurs quarrés égaux pour la peindre de même sur le papier réglé ; on appelle mettre en carte l'esquisse qui est divisée également en même nombre de quarrés : ce qui fait qu'en supposant l'esquisse parfaite, il n'est pas possible que le dessein soit autrement. Par exemple, une esquisse qui représente l'étoffe fabriquée, doit porter juste la moitié de la feuille du papier réglé, puisque la feuille porte juste la largeur de l'étoffe dont le dessein est répété. La feuille du papier réglé contient 50 dixaines de largeur & 40 de hauteur ; on la divise en dix parties pour la largeur de cinq dixaines chacune, & en huit parties pour la hauteur : ce qui fait également cinq dixaines pour la hauteur, conséquemment des quarrés parfaits. On divise l'esquisse de même, après quoi on peint le dessein ; & en suivant cette méthode, il est physiquement impossible de se tromper.

Modele d'un dessein à répétition. Faites lire le dessein A A, en commençant par le même endroit jusqu'en O O, la partie ou le côté A A étant en-bas ; la feuille étant lue, renversez-la, & mettez A A en haut ; lisez une seconde fois, & commencez de même par A A, en montant la feuille à mesure que l'on lira pour finir en O O. Cette façon de lire vous donnera l'étoffe, comme si vous aviez lu à l'ordinaire la feuille B B à la suite de la feuille A A : ce qui fait que la moitié du dessein suffit pour les étoffes à desseins répétés, & épargne la moitié du travail au dessinateur.

Avec la machine du sieur Maugis il n'est besoin que de lire une fois la demi-feuille pour semblable opération.

Fonds d'or ou d'argent. Tous les fonds d'or ou d'argent riches, qui se fabriquent aujourd'hui à Lyon, soit pour habits d'hommes, soit pour vestes, se font à double corps, ou à la broche ; il n'y a plus que les fonds d'or pour ornement d'églises qui se fassent à l'ordinaire, c'est-à-dire comme ils ont été démontrés précédemment, avec des fonds de couleur : tous les riches en or ont des chaînes, poils, &c. en couleur d'or ou aurore ; & ceux en argent, en blanc.

Toutes les chaînes des fonds or contiennent 40 portées doubles, qui composent 3200 fils doubles, & 10 portées de poil, qui font 800 doubles ou simples ; doubles, si l'organsin est fin ; & simple, s'il est gros : on ajoute un second poil de 40 portées simples, lorsque l'on veut une dorure relevée qui imite la broderie. Tous les métiers généralement quelconques, sont montés en gros de tours, c'est-à-dire sur 4 lisses de levée pour la chaîne & le rabat, & autant pour le rabat du poil ; & deux seulement pour le lever.

Tous les métiers & doubles corps ont 200 cordes pour la chaîne, & 200 cordes pour le poil ; chaque corde, tant de la chaîne que du poil, contient deux arcades pour faire lever les 800 mailles de chaque corps, ce qui fait que les fleurs ou ornemens sont répétés quatre fois dans l'étoffe ; on ne sauroit en répéter moins dans les 400 ordinaires.

Comme la lame, soit or ou argent, est ce qu'il y a de plus brillant dans l'étoffe riche, c'est aussi cette partie de dorure qui est semée le plus abondamment dans toutes les étoffes ; on la passe presque dans toutes à-travers avec la navette ; on la broche dans quelques-unes, mais rarement.

Ce coup de navette en lame doit faire deux figures très-différentes, quoique d'un seul jet ; la premiere, un grand brillant où la lame n'est point liée ; la seconde, un très-beau fonds moiré, suivant le goût du dessinateur.

Pour l'intelligence de cette opération nous donnerons le nom de petit corps, à celui dans lequel les fils de poil sont passés seulement, & le nom de grand corps à celui dans lequel la chaîne est passée de même.

Les desseins pour ce genre d'étoffe doivent être lus sur les deux corps ; pour le broché ou autre coup de navette s'il s'en trouve, telles que les rebordures, &c. à l'exception du lac de la navette de lame, lequel doit être peint en deux couleurs, l'une pour faire la moire, & l'autre pour faire le brillant.

De quelque façon que soient peintes les deux couleurs, pour faire avec la navette un fonds moiré & un fonds brillant, néanmoins pour concevoir plus aisément cette opération, nous supposerons le tout moiré en marron pour la couleur peinte sur le dessein, & le brillant en rouge.

Ces deux couleurs doivent être lues ensemble, & ne contenir qu'un seul lac ; savoir le rouge sur les deux corps, & le marron sur le grand corps seulement.

Pour travailler l'étoffe on passe le coup de fonds en soie aurore ou blanc, suivant les dorures ; on broche ensuite les espolins, soit soie, soit dorure différente de la lame, & au dernier coup la navette de lame, crainte que si on la passoit au premier coup, après la navette de soie la lame n'étant point arrêtée, le broché de tous les espolins ne la fît écarter ou rompre. Sitôt que la lame est passée, on fait lever les lisses du poil seulement, sous le fil desquelles on passe, sans aucun lac tiré, un coup de navette, auquel on donne le nom de coup perdu, & cela pour arrêter le poil qui, sans ce coup, traîneroit sous la piece dans les parties moirées.

Il est donc aisé de comprendre que dès que l'on tire le lac de lame, tout ce qui est lu sur les deux corps se tire, à l'exception du marron, qui n'étant lu que sur le grand corps, la partie qui ne se tire pas demeure en fonds, & fait le liage de la moire ; cela est clair, puisque c'est la partie du poil qui n'est lue que sur un corps.

Les habits pour homme & les vestes très-riches ne contenant que de très-petites fleurs, il s'en fait à quatre chemins qui font quatre répétitions ; il s'en fait ensuite à cinq chemins, à six, à sept & à huit, & point au-dessus. Mais comme le fabriquant doit chercher la facilité du travail dans ses opérations, & qu'il faut nécessairement que les 800 mailles de chaque corps travaillent, un métier à quatre chemins ou répétitions, doit contenir 200 cordes pour chaque corps, ce qui fait deux arcades chaque corde de rame, & 400 cordes à l'ordinaire.

Un métier à cinq répétitions ou chemins, se monte avec 160 cordes, qui sont 320 pour les deux corps, & deux arcades & demie à chaque corde de rame.

Trois arcades à chaque corde de rame, un métier à six chemins, 133 cordes, 266 pour les deux corps.

3 arcades 1/2 à chaque corde de rame, un métier à 7 chemins, 114 cordes, 228 pour les deux corps.

4 arcades à chaque corde de rame, un métier à 8 chemins, 100 cordes, 200 pour les deux corps.

Comme l'extension des chaînes qui sont nécessaires pour la fabrication des étoffes riches, fatigue beaucoup plus les cordages que les plombs qui sont attachés aux mailles du corps, les fabriquans qui ont un peu d'intelligence, prennent deux cordes pour une lorsqu'ils font lire les desseins, dans le nombre de celles qui sont destinées pour le grand corps, dont chaque maillon doit soutenir quatre fils doubles de la chaîne, & quatre fils simples pour le relevé, ce qui compose douze fils bien tendus ; & s'il y a huit répétitions, chaque corde doit faire lever 96 fils, ce qui les fatigue beaucoup, tant celles du semple que celles du rame : conséquemment c'est une attention qui même n'est pas connue de tous nos fabriquans de Lyon, dont la plupart ne sont, pour ainsi dire, que des automates qui ne savent travailler que machinalement ; au lieu que dans le petit corps, un métier monté à huit répétitions, ne leve pas plus de huit fils simples ou doubles, & encore d'un poil qui n'est pas tendu extraordinairement pour que la dorure ou lame liée paroisse mieux dans l'étoffe.

On ne croit pas devoir obmettre que tous les gros de tours riches étant composés de 40 portées doubles, qui font 3200 fils, les poils pour lier la dorure de 10 portées qui font 800 fils, il se trouve par ce moyen quatre fils doubles, chaque maille de corps & un fil de poil simple ou double, conséquemment quatre fils doubles, à chaque dent de peigne qui contient 800 dents, & un fil de poil ; ce qui fait que dans les doubles corps, ce liage serré, & les fils si près les uns des autres, font la moire en question, le liage du poil dans les autres étoffes brochées n'étant que du quart du poil qui est passé sous quatre lisses de rabat, c'est-à-dire toutes les quatre dents du peigne, un fil.

L'on ajoutera encore qu'il faut autant d'arcades au petit corps qu'il en faut au grand, pour que le tout puisse se faire juste ; & cela à proportion des répétitions.

Le beau relevé se fait aujourd'hui avec un deuxieme poil de quarante portées simples ; ce qui fait quatre fils séparés chaque maillon & chaque dent du peigne.

La dorure pour relever est ordinairement or ou argent lisse, broché à deux bouts ; il faut que le dessein & le métier soient disposés pour cette opération.

Quant au dessein, la dorure qui doit être relevée, doit être peinte d'une seule couleur, selon l'idée du dessinateur ; la partie qui doit être relevée, doit être peinte d'une couleur opposée à cette premiere, & par-dessus ; en observant que dans toutes les parties qui contiennent les extrêmités des sujets, il y ait au-moins deux côtés au-delà de celles qui doivent être relevées, c'est-à-dire que si la dorure qui doit être relevée est peinte en jaune ; la partie qui doit faire le relevé en bleu, peinte sur la partie jaune, tous les contours, refentes, &c. doivent être rebordés de deux cordes de jaune, tant en-dehors qu'en-dedans.

Pour brocher le relevé, on tire le lac peint en blanc, & on fait rabattre tout le poil des 40 portées simples, qui ordinairement n'est passé que dans le corps, & sous deux ou quatre lisses de rabat ; après quoi on passe l'espolin qui contient une petite canette de 4 ou 6 gros bouts de soie, après quoi on laisse aller la marche, & on fait tirer un second lac qui est le même, à l'exception des deux cordes de plus dans toute sa circonférence, & on broche l'espolin de dorure.

Les deux cordes de plus, peintes dans les circonférences & découpures des fleurs relevées, sont si nécessaires, que si elles manquoient, on ne tireroit que la même partie sous laquelle auroit passé la soie pour relever ; il arriveroit alors que la soie passée étant étendue aussi-bien que la dorure, resserreroient les rives ou extrêmités des fleurs de telle façon qu'il se feroit des ouvertures dans l'étoffe, qui seroient très-défectueuses, & porteroient coup à la vente ; ce qui est arrivé dès le commencement que le relevé a été mis en pratique.

Etoffe à la broche. Le fonds d'or ou d'argent à la broche ne different en aucune façon pour l'apparence de ceux qui sont à double corps, mais la fabrication en est très-différente ; outre que l'on peut fabriquer un fonds or à la broche, comme une autre étoffe, avec 400 cordes & deux répétitions seulement ; au-lieu qu'en double corps il faudroit 800 cordes, savoir 400 pour la chaîne.

L'invention de la broche, dès le commencement, ne fut mise en pratique que pour rendre le liage de la corde plus fin, & pour le faire grand ou petit, suivant que la beauté de l'étoffe l'exigeoit ; pour lors on faisoit tirer les cordes du liage telles qu'elles étoient peintes par le dessinateur, & en même tems on faisoit rabattre avec la marche une lisse qui faisoit baisser un fil double de chaque maille du corps qui étoit tirée, après quoi on passoit la broche ; & faisant tirer ensuite le lac qui devoit être broché, & joignant la broche au peigne, il arrivoit que le lac tiré en levant la broche, enlevoit en même tems les trois quarts de chaque maille de corps qui étoient demeurées dessus, & ne laissoient pour lier que le quatrieme fil que la lisse de rabat avoit fait trouver sous la broche lorsqu'on l'avoit passée quand le lac avoit été tiré.

La broche fait aujourd'hui le même effet que le double corps ; il y a encore cette différence qu'avec la broche on peut faire un fonds moiré avec le quart de la chaîne, en faisant baisser une lisse du rabat ; pour lors il ne faut point de coup perdu, comme au double corps ; ou-bien avec le poil en faisant baisser les quatre lisses de liage ; pour lors il faut le coup perdu comme au double corps ; ainsi tout revient au même.

Les métiers pour la broche sont montés à l'ordinaire, comme tous les gros-de-tours en 40 portées doubles de chaîne, & de dix de poil ; on les monte aussi en relevé, en ajoutant un second poil de 40 portées simples, comme il a été dit ci-devant. Les parties qui doivent faire fonds moire & fonds brillant par la lame, doivent être peintes sur le dessein, comme celles des doubles corps.

Au lieu d'un seul lac qui suffit pour le double corps, afin de faire le moëre & le brillant, ici il en faut deux. En supposant la partie du brillant sans liage peinte en rouge, & celle de la moire en marron, on tire la partie peinte en rouge, sous laquelle on passe la broche nuement, sans bouger ni faire mouvoir aucune lisse, & lorsque la broche est passée, on prend le second lac peint en marron, que l'on tire avec celui qui est peint en rouge ; pour lors faisant baisser tout le poil de dix portées, ou une des quatre lisses qui contient le quart de la chaîne, on passe la navette de lame, ou on broche l'espolin de la même qualité de dorure.

Il est très-aisé de comprendre, que le premier lac tiré se trouvant (ou la soie qu'il leve) toute sur la broche, quand le second est tiré ensuite, la broche étant près du peigne, les fils que la lisse de rabat fait baisser étant sur la broche, ne peuvent pas se trouver dessous étant arrêtés par cette même broche, & qu'il n'y a que ceux du second lac, lesquels se trouvant dessous, & n'étant gênés en aucune façon, forment la figure de la moire, en baissant aussi bas que le reste de la chaîne qui ne se tire pas ; & le vuide qui se trouve dans la partie où les fils ne peuvent pas baisser, forment le brillant de la lame. Il est vrai que pour cette opération il faut deux tems ; savoir, celui de passer la broche, & celui de passer la navette, au lieu qu'au double corps, il n'en faut qu'un, qui est celui de passer la navette seulement. Mais en revanche sur le métier de la broche, on peut, comme on l'a déja dit, faire l'étoffe à l'ordinaire à deux répétitions nonseulement, mais encore toutes sortes de gros-de-tours à la broche ou non, sans rien changer au métier, ce qui ne sauroit se faire avec les doubles corps.

L'on a trouvé depuis peu une invention assez jolie pour faciliter le travail des étoffes à la broche, qui souvent sont difficiles à travailler ; lorsque la moire se fait par le moyen du quart de la chaîne, il ne sera pas difficile de le comprendre ; par exemple, lorsque l'étoffe a plus de brillant que de moire, & que l'on fait baisser le quart de la chaîne, il arrive que les fils de cette chaîne, qui est extrêmement tendue, le deviennent encore davantage, lorsque la partie de soie qui doit faire la moëre est levée, le quart de cette même partie étant forcé de baisser, faite un triple extension ; savoir, celle de la chaîne ordinaire, celle de la tire, & celle du rabat, lequel pesant sur la broche, la force de baisser, & fait que la navette de lame ne peut se passer que difficilement dans ces momens, qui, suivant les desseins, ne sont pas de durée. Au moyen de cette méchanique, la broche passe derriere le peigne dans quatre lames d'un fer bien poli passé dans la chaîne, comme des mailles de lisses, & lorsqu'on veut passer la navette, on fait lever la petite méchanique, comme une lisse qui soutient la broche, & la navette se passe plus aisément. L'auteur du présent mémoire a donné dans le panneau, comme les autres ; il a fait faire la petite méchanique, & s'en est servi pendant quelques jours ; tout ce qu'elle a de plus beau est de lancer la broche aussi promtement que la navette, & de la retirer de même quand la lame est passée. Après avoir bien examiné si on ne pourroit pas trouver un moyen plus aisé pour cette opération, il n'a pas pu s'empêcher de rire de sa simplicité, & de celle de tous les fabriquans qui travaillent ces genres d'étoffes ; il a raisonné & pensé, que puisque tous les fabriquans en double corps font la moëre avec le poil qui est passé au petit corps, on pouvoit bien la faire de même avec le poil, quoique le métier fût monté autrement ; de façon qu'au lieu de faire baisser le quart de la chaîne au coup de lame, il a fait baisser les 4 lisses de poil, ce qui revient au même, puisqu'il se trouve un fil par dent de peigne, quand tout le poil baisse, comme au quart de la chaîne.

On pourroit dire que la quantité de fils de poils qui baissent, étant égale à celle des fils de la chaîne, l'extension des fils de poil doit produire le même effet que celle des fils de la chaîne ; à quoi on répondra, que tous les poils en général destinés à lier la dorure dans les étoffes de la fabrique, ne sont point tendus & arrêtés comme les chaînes, attendu qu'ils enterreroient la dorure ; d'ailleurs les poids qui les tiennent tendus montent à fur & mesure qu'ils s'employent (précaution nécessaire pour conserver l'égalité de l'extension), au lieu que les chaînes sont arrêtées avec des valets ou especes de bascules chargés de poids considérables, qui empêchent à l'ensuple de jouer pendant le cours de la fabrication, ce qui n'est pas de même au poil qui monte & descend, c'est-à-dire le poids, tandis que l'on travaille l'étoffe, de façon que l'on voit dérouler le poil, lorsqu'on le fait rabattre pour passer le coup de lame, & ainsi monter le poids & descendre, suivant les efforts de la tire & du rabat, & par ce moyen conserver toujours l'égalité de son extension, ce qui est d'une conséquence infinie pour toutes les étoffes de la fabrique, dans lesquelles les poils sont destinés à former des liages dans la dorure. Au moyen de cette façon de travailler, en faisant baisser le poil au lieu de la chaîne, l'on passe la navette de lame aussi aisément que dans une étoffe unie.

Suite des étoffes à la broche. Il se fabrique à Lyon des étoffes riches, auxquelles les ouvriers ont donné le nom d'étoffes à la broche, qui dans le commerce n'ont d'autre dénomination que celle de fonds d'or ou d'argent riches. Voici ce que c'est.

Toutes les étoffes riches de la fabrique, dont la dorure est liée par les lisses, soit par un poil, soit par la chaîne, ont un liage suivi qui forme des lignes diagonales, lesquelles partant à droite & à gauche, selon la façon de commencer ou d'armer le liage, en commençant par la premiere du côté du battant, & finissant par la quatrieme du côté des lisses, ou commençant par cette derniere, & finissant par la premiere du côté du battant. Cette façon d'armer le liage en général, & pourvu que la lisse ne soit pas contrariée, est la même, ou produit le même effet. Outre cette façon de lier la dorure dans les étoffes riches, elles ont encore une dorure plus grosse, qui imite la broderie, appellée vulgairement dorure sur liage, parce que pour lors on ne baisse point de lisse pour lier cette dorure, qui n'est arrêtée que par la corde ; c'est-à-dire, que dans les parties de dorure qui sont tirées, & qui ont une certaine largeur, le dissinateur a soin de laisser des cordes à son choix, lesquelles n'étant pas tirées, & se trouvant à distance les unes des autres, arrêtent la dorure, & lui donnent plus de relief, parce qu'elles portent plus d'éloignement que le fil ordinaire qui la lie. La distance ordinaire des cordes qui ne sont point tirées, afin d'arrêter la dorure, est de 13 à 14 cordes ; au lieu que dans les liages ordinaires, elle ne passe pas pour les plus larges, 5 à 6 cordes. Outre le brillant que le liage par la corde donne à la dorure, le dessinateur qui le marque au dessein, a encore la liberté de distribuer ce liage à son choix, tantôt à droite, tantôt à gauche, dans une partie de dorure en rond, quarrée ou ovale, comme il lui plaît, dans une feuille de dorure, à former les côtés, ce qui ne se peut avec la lisse ordinaire. Cette façon de tirer la dorure étant peinte sur le dessein, il n'est pas de doute que le dessinateur ne la distribue d'une façon à faire briller davantage l'étoffe, & qu'il ne la représente comme une broderie parfaite.

Malgré la beauté que l'étoffe acquérera par cette façon arbitraire de lier la dorure, il s'y trouveroit un défaut, auquel on a voulu remédier. Trente années ou environ se sont passées, sans qu'on ait pu y parvenir. La corde de la maille qui lioit cette dorure, & qui tenoit ordinairement dans les fonds gros-de-tours, huit fils simples, ou quatre fils doubles, qui composent la dent du peigne, étoit trop grosse, en comparaison des autres liages qui ne sont que d'un fil simple, ou deux fils dans le taffetas ou gros-de-tours, parce que ce genre d'étoffe est ourdi de même, & qu'il n'est pas possible de séparer le fil qui a été doublé par l'ourdissage. Il falloit donc trouver le moyen de diminuer la grosseur de ce liage, sans déranger néanmoins la variation qui lui est donnée, pour qu'il soit parfait ; & voici comment en est venu à bout un des plus habiles fabriquans de Lyon.

On a dit ci-devant, que le dessinateur peignoit son liage par la corde, pour lui donner l'agrément qu'il desiroit ; la liseuse laissoit en fond cette corde peinte, afin que n'étant pas tirée, elle formât une découpure, qui arrêtoit ou lioit la dorure. On a suivi le même ordre, quant à la façon de peindre le dessein ; mais au lieu de laisser en fond la corde destinée à lier la dorure, il a fallu au contraire en faire un lac particulier, & la faire lire comme les autres couleurs.

Lorsqu'il est question de fabriquer l'étoffe, on fait tirer le lac qui contient les différentes cordes destinées à lier la dorure ; ce lac étant tiré, l'ouvrier au moyen d'une marche particuliere, posée exprès, fait baisser une des quatre lisses du rabat de la chaîne, laquelle faisant baisser de même un des quatre fils doubles de la maille, il passe une petite baguette de fer ronde & bien polie dans la séparation des fils, que chaque maille tirée a fait lever, de façon qu'il se trouve un fil double de chaque maille dessous la baguette de fer. Cette opération faite, il pousse la baguette de fer du côté du peigne, & immédiatement après, il fait tirer le lac de la dorure qui doit être liée par la corde, en laissant aller le lac des cordes même, sous lesquelles la baguette a été passée. Ce lac étant tiré, les cordes qui doivent lier restent en fond comme à l'ordinaire ; mais la baguette qui est couverte des trois quarts des fils de chaque maille, étant levée par les autres parties de soie, sous lesquelles la dorure doit être passée ; elle leve par conséquent les trois quarts des fils de chaque maille dont elle est couverte, & ne laisse dans le fond que le seul fil double qui a été baissé, lorsqu'on a tiré le lac du liage qui sert seul à lier la dorure, au lieu des quatre qui la lioient précédemment, après quoi l'ouvrier la tire pour passer les autres dorures & les couleurs dont l'étoffe est composée.

Cette baguette est un peu plus grosse que celle qui forme dans le velours cizelé, celui qui n'est pas coupé, & qui vulgairement est nommé velours frisé ; elle a la même longueur & passe transversalement sur l'étoffe.

Cette façon de lier la dorure, est sans contredit une des plus belles inventions qui ait été trouvée dans la fabrique, eu égard à l'état actuel où elle se trouve.

Quelques fabriquans pour se distinguer ont voulu faire des étoffes liées de même, sans se servir de la baguette de fer, qui a fait donner à l'étoffe le nom d'étoffe à la broche, parce que dans le patois de Lyon, on appelle ordinairement broche, une petite baguette de bois, de fer ou de laiton ; ils y ont réussi, en faisant ourdir un poil de 10 portées, composant 800 fils ; mais pour faire cette opération, il falloit 800 mailles de plus, pour contenir les 800 fils de poil, conséquemment 400 cordes de rame, & 400 à chaque semple de plus, ce qui, avec le fil de lac d'augmentation, faisoit un objet de trois à quatre cent livres de dépense pour l'ouvrier, indépendamment de l'embarras de cette quantité de cordages, qui retarde toujours la fabrication : au lieu que dans l'étoffe à la broche, il n'y a rien à changer au métier, ni au travail, si ce n'est le tems de la passer, qui n'est rien pour ainsi dire, ce qui a fait donner la préférence à la premiere invention.

Etoffes riches qui ne peuvent se faire que l'endroit dessus. La Russie & quelques provinces du Nord, tirent de la fabrique de Lyon, des gros - de - tours sans nuances, qui sont très-riches.

Les étrangers veulent des étoffes pour l'hiver, qui aient beaucoup d'apparence, & qui ne soient pas cheres, de façon qu'elles ne sont brochées qu'avec de la lame d'or ou d'argent, qui est l'espece de dorure qui a le plus de brillant, ce qui convient parfaitement à l'un & à l'autre sexe qui ne s'habille, pour ainsi dire, que la nuit, les jours y étant trop courts en hiver ; il est vrai qu'on y envoye aussi des marchandises très-riches, dans le goût ordinaire ; mais comme la lumiere favorise plus que les autres celles qui sont faites seulement avec de la lame, celles-ci ont la préférence.

La raison qui fait que les étoffes fabriquées avec de la lame seulement, exigent que l'endroit soit dessus, ne pouvant être faites aussi belles & à aussi bon prix, suivant la méthode ordinaire, demandent une explication détaillée ; il faut la donner.

Les découpures qui sont nécessaires pour donner aux fleurs, feuilles & tiges, l'agrément qui leur convient, pour qu'elles soient parfaites, resteroient en fond de la couleur de la chaîne, dès qu'il n'y auroit qu'un lac broché & appauvriroient l'étoffe, ce qui est le langage ordinaire, parce que les découpures étant ou plus grandes ou plus petites, suivant que les feuilles ou les fleurs l'exigent pour leur perfection, diminueroient leur brillant, attendu l'opposition qui se trouveroit entre la soie qui paroîtroit terne, en comparaison de la lame, & cette même lame dont l'éclat seroit diminué ; il est vrai que l'on pourroit faire lire un second lac qui ne contiendroit que ces découpures, & le brocher en frisé de la même dorure de la lame, c'est-à-dire or, si la lame étoit or, & argent, si la lame étoit de même ; pour lors la découpure étant brochée & couverte par un frisé, la fleur, la feuille ou la tige seroient également riches, & l'étoffe ne seroit point appauvrie. Il n'est pas possible de trouver une autre méthode pour une étoffe, dont l'endroit est dessous. Dans ce cas, un lac de plus augmenteroit la façon de l'ouvrage, & le frisé la matiere, par conséquent le prix de l'étoffe.

Les fabriquans de la ville de Lyon, ingénieux à faire des étoffes, dont le bon marché leur procure la préférence, & satisfaisant les personnes qui veulent briller à peu de fraix, ont trouvé le moyen de faire l'étoffe aussi belle, avec un lac seul, & sans y ajouter de frisé, en baissant l'endroit dessus.

Ils font pour cet effet dessiner le dessein à l'ordinaire, & ne font peindre que la corde qui fait le contour des fleurs, feuilles, fruits & tiges, de même que les découpures grandes & petites, qui se trouvent dans tous ces sujets, c'est le terme ; ils font lire les parties peintes qui sont d'une seule couleur, le vuide qui se trouve entre ces parties peintes, forme le dessein, pour lors la bordure des fleurs, feuilles, fruits & tiges, de même que les découpures étant tirées pour brocher la lame, l'ouvrier fait baisser trois lisses du rabat de gros - de - tours, au moyen d'une marche posée exprès pour cette opération, les trois lisses rabattant les trois quarts de la chaîne ; le quart qui demeure levé, ayant du vuide par la séparation des trois quarts qui baissent, forme un liage serré, sous lequel la lame étant passée, elle fait une espece de frisé, qui paroît si peu différent de la lame ordinaire, qu'il n'est personne qui ne s'y méprenne ; & comme la lame n'est liée que par la corde, le liage ne se trouvant que d'un seul fil, au lieu de quatre, il produit le même effet que dans les étoffes à la broche. Observez que ce liage est absolument peint & lié avec les découpures & les cordes qui forment le contour des fleurs, feuilles, fruits & tiges, dont le dessein est composé.

Cette invention, à la broche près, n'est pas une des moindres de la fabrique, on peut dire même qu'elle a eu des admirateurs.

Il se fabrique des étoffes, auxquelles on a donné le nom de péruviennes, qui sont faites au bouton, qui sont légeres, jolies & à bon marché.

Elles sont composées d'une chaîne de 50 à 60 portées, ourdie en deux couleurs différentes ; chaque couleur de la chaîne a un corps particulier ; les deux corps donnent lieu à deux lacs différens, lesquels se tirent successivement l'un après l'autre ; on passe un coup de la même navette sous chacun des deux lacs tirés, la couleur de la trame qui est dans la navette est différente de celle des deux chaînes, de façon que l'étoffe montre trois couleurs différentes, ce qui compose une étoffe aussi belle que le dessein peut y contribuer, & qui ne revient pas chere.

Cette étoffe n'a point de lisses pour le coup de fonds, les fils qui le forment sont passés dans les mailles ; on a soin de faire lire le fonds avec la figure, de façon qu'au moyen de la tire, l'un & l'autre se fait ensemble.

En supposant la chaîne d'une étoffe semblable de 60 portées, elle contient 4800 fils. Chaque fil doit avoir sa maille de corps, afin que le fonds puisse se faire tel qu'il est dans un taffetas ; savoir un pris & un laissé : il faudroit donc par conséquent 4800 mailles de corps & autant d'aiguilles de plomb pour faire baisser la maille quand on laisse aller le lac tiré : or dans cette étoffe 120 ou 160 aiguilles suffisent pour cette opération, & voici de quelle façon on s'y prend.

Comme les desseins de la péruvienne sont petits, ceux qui portent 30 lacs d'hauteur ont 60 lisses, savoir 30 pour chaque couleur de la chaîne, plus ou moins à proportion de la hauteur du dessein ; les lisses sont faites de façon qu'il s'en trouve toujours une plus haute que basse de deux pouces au moins quoique les mailles soient de hauteur égale. Cette précaution est nécessaire, afin que 60 ou 80 lisses ne portent que la moitié de la distance que les lisses ont ordinairement entr'elles ; chaque lisse ne porte que deux aiguilles, de façon qu'au moyen de cette façon de monter ce métier, au lieu de 4800 aiguilles, 120 ou 160 suffisent pour faire l'étoffe. Il faut observer encore que ces lisses sont faites de façon qu'il y a une distance de trente mailles chaque lisse de l'une à l'autre si le métier est de 60, & de 40 s'il est de 80, afin que chaque maille puisse se trouver régulierement à la place du fil dans laquelle il doit être placé, pour qu'il ne soit point contrarié ; ces sortes de lisses sont appellées lisses à jour, par rapport à l'éloignement des mailles. Les lisserons sur lesquels sont montées les lisses de cette façon, n'ont pas plus d'une ligne d'épaisseur, ce qui fait que 60 lisses ne portent guere plus de trente lignes ou trois pouces, par la façon dont on vient de démontrer que les lisses étoient faites & attachées lorsqu'elles sont serrées ; mais comme dans le travail elles ont besoin d'une certaine distance pour qu'elles puissent avoir du jeu, la distance ordinaire est toujours de six pouces environ. On évite par cette façon de monter le métier, l'embarras de deux corps, sans lesquels on ne sauroit faire une étoffe, quand elle est façonnée, outre les quatre premieres lisses qu'on ne sauroit s'épargner pour en faire le fonds.

Pour que le dessein paroisse plus long, ou ait plus de hauteur dans une étoffe de cette espece, le dessinateur a soin de le composer de maniere qu'il soit répété, c'est-à-dire, qu'on puisse revenir sur ses pas en tirant le bouton, ce qui s'appelle dessiner à retour. En conséquence au lieu de paroître de 30 coups de hauteur dans l'étoffe de 60 lisses, il paroît en avoir 60, & à proportion dans les autres.

Des fonds or guillochés. Pour l'intelligence de cette façon de faire des fonds or dont la dorure pût par le liage former une espece de guilloché, il faut examiner ce qui a été écrit sur les étoffes riches à la broche. Voyez ce qui précede. La façon de travailler les étoffes en se servant de la broche, allongeoit un peu le travail, il étoit nécessaire de trouver un moyen qui parât à cet inconvénient & qui produisît le même effet ; pour y parvenir, on ajouta plusieurs lisses de liage & une quantité de marches équivalente à ces lisses, dont chacune doit avoir sa marche ; dans cette quantité de marches, on en choisissoit deux pour former un liage droit sur la lame brochée, les autres lisses étoient disposées de façon qu'elles faisoient une certaine figure dans les dorures qu'elles lioient, néanmoins cette figure étoit toujours la même dans le cours du dessein, il étoit donc nécessaire de trouver un moyen de distribuer une façon de lier la dorure, qui fût différente dans toutes les parties que l'on vouloit qui fussent liées différemment, ce qui n'auroit pas pu se faire qu'en mettant autant de lisses, & conséquemment autant de marches que les différences du guilloché en auroient exigé, ce qui, sur un dessein de dix dixaines, huit en douze, auroit exigé cent vingt lisses & autant de marches de liage.

La méthode qui a été mise en usage pour parvenir à faire des fonds or ou autres étoffes riches, dont le liage formât des guillochés différens dans les étoffes, a été celle de monter des métiers à deux corps ; savoir, un corps pour le poil, & un pour la figure : les premiers métiers ont été montés ; savoir, 200 cordes pour la figure, & 200 pour le poil, afin de ne point déranger l'ordre des 400 cordes, nombre ordinaire de la plus grande quantité des métiers. Chaque corde de rame étoit attachée à deux arcades, ou deux arcades étoient attachées à chaque corde de rame, pour faire tirer quatre mailles de corps, ce qui fait 800 mailles à l'ordinaire pour former la réduction qui est en usage dans la fabrique ; le second corps étoit attaché de même à 400 arcades, dont deux étoient attachées à chacune des 200 autres cordes de rame, ce qui faisoit encore 800 mailles dans lesquelles étoient passés 800 fils de poil pour lier la dorure, de façon que l'ourdissage du poil étant de 10 portées à 80 fils chacune, le nombre de 800 fils se trouvoit complet & égal à celui de la chaîne quant aux mailles de corps, le nombre des fils de chaîne étant pour ces genres d'étoffes de 40 portées doubles qui composent 3200 fils doubles qui valent autant que 6400 simples, & par conséquent 4 fils doubles chaque maille de corps, ce qui fait tous les 4 fils doubles un fil de liage, l'usage étant de passer le liage de façon, que dans toutes les étoffes façonnées, il se rencontre tous les 6, 8, 10 & 12 fils un de liage, pour que la dorure ne soit pas trop couverte. Si le liage étoit plus serré ou que le nombre de fils fût plus grand, attendu que la largeur de l'étoffe est la même, ils se raprocheroient davantage.

L'ouvrier en passant les fils de poil & ceux de la chaîne dans les lisses après les avoir passé dans chaque corps séparément, doit avoir un grand soin de passer les fils de poil dans les lisses, de façon que la premiere maille ou boucle de la lisse réponde parfaitement à la premiere maille du corps, la seconde à la seconde, la troisieme à la troisieme, la quatrieme à la quatrieme, pour les 4 lisses dans lesquelles on le passe ordinairement. Cette précaution est d'une nécessité indispensable, attendu que si elle n'étoit pas d'accord, les lisses disposées pour lever à chaque coup de navette qui fait le corps de l'étoffe, une partie du poil ; si ce poil n'étoit pas d'accord avec les lisses, il feroit lever quelques-uns des fils qui doivent lier la dorure, ce qui formeroit une contrariété qui rendroit l'étoffe défectueuse, ainsi qu'il a été dit plusieurs fois dans les articles où il a été question du liage de toutes les dorures en général, la maxime étant que le fil qui doit lier la dorure ou la soie ne doit point lever dans les coups de navettes qui précedent les lacs que l'on doit brocher, attendu que les lacs brochés & les coups de navettes ne forment qu'un même coup dans le travail de l'étoffe ou une même ligne horisontale sur le dessein.

On pourroit objecter que le poil pour lier étant passé dans un corps particulier, le travail de l'étoffe le faisant lever & baisser, les lisses destinées à lui donner ce mouvement devroient être inutiles. A quoi on répond, que si un poil de fil se trouvoit, suivant la figure que le dessinateur donneroit à son ouvrage, 2, 3, 4, 5 dixaines & plus sans travailler, ce fil de poil paroîtroit à l'envers de l'étoffe dans une pareille étendue, ce qui feroit qu'outre qu'il lâcheroit plus que ceux qui travailleroient, cet envers seroit ridicule & rendroit l'endroit de l'étoffe dans lequel il seroit employé très-défectueux, attendu qu'il ne lieroit pas comme celui qui tireroit davantage ; c'est précisément pour parer à cet inconvénient, que l'ouvrier, outre que ce poil est passé dans le corps, est encore obligé de le passer dans deux ou quatre lisses, n'importe qu'une lisse, s'il n'est passé que sur deux, ou que deux, s'il est passé sur quatre, puissent lever en croisant, & draper avec la chaîne, la lisse ou les deux levant alternativement aux coups de navette qui sont passés pour faire le corps de l'étoffe, en observant toujours, comme il a été dit, de ne pas faire lever celui qui doit lier, ce qu'il est aisé de prévoir en accordant l'armure avec la façon dont le poil est passé dans le corps.

Toutes ces étoffes riches sont montées ordinairement en gros-de-tours, attendu qu'il ne paroît point de fond, ce qui fait que la chaîne pour les or est toujours de couleur aurore, & blanche pour les fonds argent, ce qui a donné lieu de parler de 40 portées doubles pour l'ourdissage, qui valent & composent 80 portées à fils simples, sur quoi il faut observer, que si on ourdissoit 80 portées à fils simples, la quantité de croisés que les fils donneroient, empêcheroient à l'étoffe de se serrer, puisque dans 80 portées simples qui composent 6400, il se trouveroit 3200 croisures, au lieu que dans 3200 fils doubles, il ne s'en trouve que 1600. On fait à Lyon des gros-de-tours ourdis à 60 portées simples ; mais comme dans ce nombre de 60 portées, qui composent 4800 fils séparés, il se trouve 2400 croisures, ces étoffes ne peuvent recevoir qu'une trame très-fine par rapport à ces mêmes croisures, elles ne forment qu'un simple taffetas très-mince ; cette observation est de conséquence.

Plusieurs fabriquans font aujourd'hui teindre leurs chaînes & leurs poils en blanc pour les étoffes riches, dont les plus grands sujets (terme de fabrique) ou les principales parties sont en argent ; & lorsqu'ils veulent sur la même chaîne faire des or, ils la jaunissent avec du rocou, ce qui vaut à-peu-près autant que si elle étoit teinte en aurore, puisque le fond de l'étoffe, quant à la chaîne, ne paroît pas.

Les premieres étoffes qui ont été faites dans ce goût étant montées, comme il a été dit, sur 200 cordes, le dessein ne pouvoit être que très-petit, attendu que le dessinateur dans la hauteur du dessein étoit obligé de se conformer à la largeur ; aujourd'hui on les monte sur des 400, ce qui fait qu'il faut des cassins de 800, & les semples de même, ce qui néanmoins ne fait que 800 mailles de corps pour la chaîne, & pareille quantité pour le poil, chaque corde de rame n'ayant qu'une arcade au lieu de deux, tant pour la chaîne, que pour le poil ; de façon que le dessinateur peut s'étendre autant qu'il le juge à-propos.

Le métier disposé de la maniere qu'on vient de le décrire, le dessinateur peint le liage de la façon qu'il desire qu'il soit fait, en donnant à chaque partie de dorure le guillochage qui lui convient, ce qui ne pourroit pas se faire avec la broche, parce qu'à chaque partie de dorure, il faudroit la passer ; ce qui, dans une étoffe de quatre lacs de dorure donneroit quatre passages de broche, qui vaudroient autant que quatre lacs de plus, & avec les lacs de nuance augmenteroit considérablement la main-d'oeuvre.

Pour lire les desseins disposés pour ce genre d'étoffe, on commence ordinairement par les 200 ou 400 cordes du poil, la liseuse prenant toutes celles qui ne sont pas marquées sur le dessein, & laissant celles qui le sont à chaque lac qu'elle prend avec son embarbe ; lorsque la liseuse a lû la partie du poil, elle fait couler son dessein sur l'escalette de 50 dixaines pour les 400, & de 25 pour les 200 ; après quoi elle lit une seconde fois les mêmes lacs en prenant les cordes qui doivent lier la dorure, ou celles qu'elle a laissé comme les autres, de façon que le même lac lié deux fois n'en forme cependant qu'un, & lorsqu'on le tire pour travailler l'étoffe, la corde que la liseuse a laissée en lisant la partie du poil demeure en bas & forme le liage, tel qu'il a été peint par le dessinateur.

Si l'invention des étoffes à la broche a paru belle ; celle-ci ne l'est pas moins : avec la broche, on pourroit la passer une ou deux fois ; mais quand il faut la passer souvent dans un lac, le travail est trop allongé, au lieu que dans celle-ci le travail se fait à l'ordinaire, & l'on n'a pas besoin de marches de liage ; il est vrai que la dépense du métier est plus considérable, mais une fois faite il y en a pour long-tems.

Les fonds or les plus riches ont été faits dans tous les tems sur des métiers montés en 600 cordes, conséquemment 600 arcades & 1200 mailles de corps, ce qui faisoit une grande réduction, quoique le papier ne fût que de 10 en 10. Depuis les inventions du guillochage, on a monté des 600 à 600 mailles, ce qui semble diminuer la réduction ; mais en revanche, on fait le dessein de 8 en 14 ; ce qui faisant dans la hauteur quatre coups de plus chaque dixaine, forme une réduction équivalente ; la découpure est plus large qu'aux 400 ordinaires ; le guillochage de ces étoffes se fait par un plus grand nombre de lisses de poil, attendu que si on vouloit le faire avec un double corps, il faudroit des rames & des semples de 1200 cordes de largeur ; l'on ne désespere pas cependant que dans la suite l'on n'en vienne à bout.

Il se monte actuellement à Lyon un métier qui contiendra 1600 cordes de rame, & par conséquent autant à chaque semple, il contiendra 3200 mailles de corps ; on en donnera la description quand il sera achevé. Il faut observer que l'étoffe n'aura que la largeur ordinaire, on doit penser quelle sera la réduction ; on craint qu'elle ne soit trop forte pour la dorure qui ne pourra pas se serrer, excepté qu'on ne trame extraordinairement fin, ce qui pourroit occasionner une qualité trop mince dans l'étoffe.

Pour l'intelligence de l'armure du poil des étoffes à double corps, l'on observera que dans toutes les étoffes montées sur des métiers à 400 cordes ; le cassin est composé de 8 rangs de 50 poulies chacun, pour contenir un pareil nombre de cordes ; on commence à passer les cordes de bas en haut, ou de haut en bas, n'importe, dans une poulie de chacun des 8 rangs, savoir, une corde chaque poulie ; & on continue de suite, en reprenant toujours par le même rang où l'on a commencé, jusqu'à la fin. Les planches dans lesquelles sont passées les arcades, ont également 8 trous chaque rang, pour qu'elles puissent se rapporter à ceux du cassin. Le poil, qui le plus ordinairement est passé sur quatre lisses, doit se rapporter de même aux huit mailles de corps attachées aux huit arcades, qui passent dans les huit trous de la planche, de façon que les huit premieres mailles ou boucles des quatre lisses doivent faire le rang complet des huit mailles de corps, ce qui fait deux mailles ou boucles sur chacune des quatre lisses. Le fils du second rang des mailles du corps doit également correspondre à la boucle de la premiere lisse, & continuer de même tous les fils de poil jusqu'à la fin, desorte que le dernier fil de poil se puisse trouver sur la derniere des quatre lisses, & le premier sur la premiere. Cette précision est tellement nécessaire, que si par hazard on se trompoit d'un fil, il faudroit dépasser le tout, attendu la contrarieté qui se trouveroit dans le fil du liage qui leveroit au coup de navette, dans le tems où il faudroit que la lisse le fît baisser ; par la même raison le dessinateur doit avoir un grand soin que le point que forme son liage, soit placé de façon qu'il puisse correspondre & à l'armure du métier, & à celle du remettage, ou passage du fil dans les lisses, ce qui n'est pas difficile, lorsque le dessinateur entend un peu la fabrique ; d'ailleurs, la ligne du dessein, c'est-à-dire, celle qui est tirée horisontalement, doit se conduire pour cette opération qui est immanquable, & qui ne le gène point quant au goût qu'il veut donner à son liage guilloché.

L'ouvrier de son côté doit avoir une grande attention, quand il arme son métier, de ne faire lever que la seconde & la quatrieme lisse pour passer son coup de navette, si le point du liage se trouve placé sur la premiere ligne du dessein, lequel point doit correspondre à la premiere maille du corps, conséquemment à la premiere boucle de la lisse ; desorte que tous ces fils étant destinés pour le liage, ne doivent point lever le coup de navette qui sert à former le corps de l'étoffe, & à draper le poil, ainsi des autres.

Enfin le liage à double corps est si joli, que dans un même lac broché, toute la dorure, soit or lisse, soit or frisé, soit la lame or, peut être broché ou passé sans que le même liage soit égal sur aucune des parties dont le lac est composé, il en est de même de l'argent, ce qui produit une variété si surprenante, que l'étoffe paroît être composée d'autant de dorures différentes, qu'il se trouve de différens liages, ce qui produit des effets si difficiles à connoître, qu'il n'est pas possible que les fabriques étrangeres puissent pénétrer la cause de ces mêmes variétés qui se trouvent dans les étoffes riches des fabriques de Lyon.

Suite des étoffes dont la dorure est guillochée. Il vient de paroître des étoffes dont la dorure est guillochée, sans qu'elle soit travaillée à la broche, ou que le métier soit monté avec un double corps, c'est-à dire, seulement un échantillon, dont l'auteur du mémoire a conduit le dessein & le montage du métier, qui est un gros-de-tour de 40 portées à fil doublé & de quatre fils doubles chaque maille de corps, sur un 400 cordes à l'ordinaire ; il est vrai qu'il n'y a qu'une dorure qui puisse être guillochée ; mais aussi cette disposition de métier est excellente pour tous les fonds or, dont une navette de lame est passée à-travers, & dans lesquels les autres dorures qui sont brochées ne sont pas d'une grande considération pour que le fabriquant les assujettisse au guillochage.

Pour fabriquer une étoffe dans ce genre, le dessinateur fait son dessein, & peint son liage d'une corde, comme il se pratique, en lui donnant la forme du guilloché qu'il lui plait, laquelle est ordinairement sur la partie principale de la dorure. Le métier étant monté, on passe le coup de fond avec la navette de soie, soit qu'elle fasse liseré ou non. Elle fait liseré si le dessinateur a peint un lac particulier en petites découpures pour figurer dans le fond, ce liséré doit être toujours de la même couleur de la chaine ; ou si elle est différente, il ne faut pas qu'elle la coupe trop.

L'on pense bien qu'au coup de fond si c'est un liseré, on ne fait point baisser de lisse de rabat, parce que pour lors, le rabat faisant baisser la moitié de la tire, ou du lac tiré, ce lac ne formeroit qu'un gros-de-tours ordinaire.

Le second coup de navette que l'ouvrier passe est celui de la lame ; pour lors on tire le lac qui doit faire le guilloché, qui est formé par les cordes que le dessinateur a peintes dans les grands ou petits sujets qui composent ce lac. Ces cordes restent en bas lorsque le lac est tiré ; & suivant l'ancienne méthode, elles formeroient un liage de 4 fils doubles, dont chaque maille de corps est remplie, ce qui mangeroit ou cacheroit une partie de la dorure. Pour parer à cet inconvénient, l'ouvrier fait lever trois lisses du gros-de-tours, qui par ce moyen, levant trois fils doubles de chaque maille de corps qui doit lier la dorure, ne laissent qu'un fil double seulement pour la lier ; ce qui lui donne tout l'éclat dont elle est susceptible de l'invention.

Comme les parties qui ne sont pas tirées ne contiennent que le quart de la chaîne, qui n'est pas suffisant pour cacher ou enterrer totalement la lame, ces parties forment une espece de gaze en dorure de la même lame ; mais on peut y semer quelques petites fleurs liées par la corde même de la dorure, un peu plus grosse qu'à l'ordinaire, si on broche de l'argent sur un fond lamé or, ou or sur un lamé argent, afin que la dorure qui forme la gaze dans le fond, ne transpire pas au-travers de celle qui est brochée, mais pour lors la dorure brochée ne sauroit être liée par un liage guilloché.

Mais, dira-t-on, ne pourroit-on pas faire sur une dorure différente brochée, la même opération, qui se fait sur le lac sous lequel la lame est passée ? La chose n'est pas possible, en voici la raison. Les trois lisses qui levent pour ne laisser qu'un fil des quatre contenus dans la maille du corps, élevent la soie qu'elles contiennent aussi haut que le lac tiré, conséquemment elles empêchent de choisir la partie de dorure différente sous laquelle doit passer l'espolin qui contient cette même dorure, on ne pense pas même qu'il soit jamais possible de surmonter cet obstacle, ce qui seroit cependant d'une grande conséquence, si on pouvoit le vaincre ; mais, jusqu'à présent, il n'y a que la broche ou les doubles corps qui puissent produire cette perfection.

Il ne s'est fabriqué à Lyon qu'environ 12 aunes jusqu'à ce jour, de l'étoffe faite dans ce genre ; on pense bien que dès que cette invention sera connue, il s'en fera d'autres ; mais il n'y en a encore qu'un métier de monté ; cette façon de guillocher la dorure a été suivie bien-tôt d'une autre, qui n'est pas moins belle. On a dit que les parties qui n'étoient pas tirées au coup de lame, ne contenoient que le quart de la chaîne, attendu que les trois lisses de fond que l'ouvrier faisoit lever, levoient également les trois autres quarts de cette même chaîne, ce qui faisoit que le fond formoit par ce même quart restant une espece de gaze. Or, comme cette figure de gaze a déjà été connue dans les tissus en lame qui se sont faits l'endroit dessus, pour la fabrication desquels on ne fait que lire le fond, & que quand il est tiré on fait baisser trois lisses du rabat, les parties qui ne sont pas tirées faisant la figure, la partie tirée ne contenant que le quart de la chaîne, la dorure qui se trouvoit dessous faisant, par la dorure qu'elle contenoit, une espece de gaze, la partie qui n'étoit pas tirée, & qui faisoit la figure, lioit la dorure avec les quatre lisses de poil, ainsi qu'il se pratique, c'est-à-dire, que cette dorure qui n'auroit pas pu être liée, s'il n'y avoit pas eu un poil, l'étoit au moyen d'une des quatre lisses de liage que l'ouvrier faisoit lever successivement à chaque coup de lame qu'il passoit. On a donc voulu que ce coup dont la partie forme la gaze fît une figure différente, & voici ce qui a été imaginé pour faire que cette gaze imitât parfaitement le toilé, qui ordinairement dans toutes les étoffes doit environner la figure de la lame ; puisqu'il fait le fond de l'étoffe.

On monte le métier à l'ordinaire en gros-de-tours, & on y ajoute un poil de 20 portées, ce qui fait deux fils chaque maille de corps indépendamment des 4 fils doubles de la chaîne. On fait lever la moitié du poil au coup de fond ; & au coup de lame guilloché, on fait baisser tout le poil ; de façon que ces deux fils de poil qui sont passés dans chaque maille du corps, forment un second liage, lequel avec le fil double de la lisse, qui seule reste baissée sur ce coup, fait un frisé aussi parfait, que s'il étoit préparé sur le rouet à filer l'or ou l'argent.

Il paroît que ce n'est pas assez de dire que la lame passée, & qui se trouve liée par deux fils de poil & un de chaîne, paroît être un frisé parfait ; il faut donner une explication qui établisse la certitude d'un fait aussi singulier. Il est peu de personnes qui ne sachent que le frisé or ou argent qui s'emploie dans les étoffes de fabrique, n'est autre chose qu'une espece de cordonnet tout soie, qui se prépare & se fait sur le rouet à filer, lorsque ce cordonnet est achevé on le remet sur le rouet où on le fait couvrir par la lame comme les autres filés, après quoi on l'emploie, l'ayant levé, dans l'étoffe.

Ce frisé or ou argent n'a jamais autant de brillant que le filé uni ordinaire, attendu la quantité de soie dont il est composé, & le grain dont il est formé, ce qui fait que la lame ne sauroit être couchée dessus aussi uniment que sur un filé ; cette quantité de soie, la position de la lame sur le grain, tantôt à droite, tantôt à gauche, forme cette variation qui en diminue l'éclat. Or, dans l'étoffe guillochée, dont le fond forme la gaze, & où le quart de la chaîne lie la lame, la distance qui se trouve d'un fil à l'autre sur la même lisse, qui est de trois fils doubles ou simples, est trop grande pour que cette lame ne donne pas plus de brillant qu'il n'en faut ; pour qu'elle imite un frisé, les deux fils de poil qui se trouvent ajoutés par cette nouvelle invention, lesquels sont séparés par deux fils doubles ou quatre fils simples, forment une seconde couverture qui cache une partie de la lame, le fil de chaîne qui lie la lame étant extrêmement tendu, pour que l'étoffe soit fabriquée comme il faut, la resserre de façon qu'elle forme une espece de grain ou cordonnet qui n'ôteroit pas le brillant, si les deux fils de poil qui sont à côté, dont l'un est séparé par un fil de chaîne & l'autre qui le joint, & qui ordinairement ne sont tendus qu'autant qu'il le faut pour tenir la dorure en raison, ne formoient par leur opposition vis-à-vis ou à côté celui qui est extraordinairement tendu, ce grain qui compose le véritable frisé.

La chaîne de l'étoffe est composée de 40 portées doubles, qui valent autant pour la quantité que 80 portées simples. Le poil contient 20 portées simples, ce qui fait tous les deux fils doubles un fil de poil, conséquemment deux fils de poil chaque maille de corps, puisqu'elle contient quatre fils doubles de chaîne : on comprend aisément que si le poil étoit destiné à lier les dorures ordinaires, qui n'ont pas autant de brillant que la lame, le liage seroit trop serré, & enterreroit la dorure (c'est le terme), il n'y a donc qu'une étoffe de cette espece qui puisse soutenir un poil autant garni, la chaîne, dans toutes les étoffes, doit être extraordinairement tendue pour qu'elle soit fabriquée comme il faut. Le poil ne doit pas être de même dans l'étoffe riche ; c'est précisément ce contraste d'extension qui donne la forme au frisé apparent de l'étoffe dont il s'agit, de laquelle il n'y a encore, au moment que l'on écrit cet ouvrage, qu'un aune de faite, laquelle a été examinée par des commissionnaires connoisseurs qui en ont ordonné sur-le-champ, attendu la différence du prix, qui est de plus de 15 liv. l'aune en or, & 10 liv. en argent, s'il falloit brocher un frisé quelque fin qu'il pût être.

Il y a une observation très-importante à faire sur l'armure du métier concernant ce genre d'étoffe. On a dit que l'on faisoit baisser tout le poil au coup de la navette de lame, de façon qu'il s'en trouvoit un des deux qui sont passés dans la maille du corps qui joignoit le quatrieme fil de chaîne qui forme le guilloché, & l'autre en étoit séparé par un fil de chaîne d'une part, & deux de l'autre ; or comme des deux fils de poil qui lient avec celui de chaîne, il y en a un qui a levé au coup de fond, & qui baisse ensuite au coup de lame ; il faut que l'ouvrier ait une grande attention à ne pas faire lever au coup de fond le fil qui joint celui de la chaîne, mais bien celui qui en est séparé par deux fils, attendu que la contrariété qui se trouveroit dans ce fil qui joindroit celui de la chaîne qui lie, lui donnant une pareille extension ayant levé & baissé au coup de fond, ou dans un même coup, feroit un grain très-inégal, ce qui rendroit l'étoffe moins parfaite. On a dit assez souvent qu'il faut faire attention dans l'armure de toutes les étoffes en général, que le fil qui doit lier la dorure, tel qu'il soit, de chaîne ou de poil, ne doit jamais lever aux coups de navette qui forment le fond, afin d'éviter cette contrariété, qui est d'une très-grande conséquence dans toutes les étoffes en général, & qui ne peut passer que dans celle-ci attendu l'effet qu'il produit.

Quoique cette armure paroisse difficile, l'ouvrier en viendra aisément à-bout en laissant la lisse de chaîne qui doit lier lorsqu'il fait lever les trois autres, celle dont le fil joint celui de poil qui n'a pas levé au coup de fond ; la chose est simple, mais nos ouvriers la plûpart ne sont que des machines, même ceux qui veulent se donner pour les plus habiles.

De quelques étoffes omises dans le cours de cet ouvrage, telles que les batavia, les brocatelles, les florentines à sonnettes.

Les batavia. On fabrique à Lyon une étoffe à laquelle on a donné le nom de batavia. Cette étoffe ne représente ni le satin ni le gros-de-tours ; elle imite la serge, & dans l'armure elle se fait comme le raz-de-Saint-Maur.

Ce qui la fait distinguer de cette derniere étoffe, c'est que sa figure & son travail sont différens.

Le raz de Saint-Maur est noir ordinairement, & le batavia est de couleur différente ; il est uni, & le batavia est à carreaux.

Pour former le carreau du batavia ; toutes les cinq, six, sept & huit portées d'ourdissage, on ourdit dix ou douze fils blancs qui séparent la couleur de la chaîne, & forment une espece de bande.

Si la distance d'une bande à l'autre est de trois pouces plus ou moins, il faut dans la fabrication tous les 3 pouces plus ou moins, passer une navette dont la trame soit blanche, aussi c'est ce qui forme le carreau.

Si la bande ourdie est de dix fils blancs, on passe dix coups de navette avec la trame blanche ; si elle est de douze, on en passe douze, & c'est ce qui forme le carreau.

La trame ordinaire doit être de la couleur de la chaîne : il s'en fait d'une couleur différente auxquelles on donne le nom de batavia changeant : mais il faut toujours les mêmes coups pour former le carreau, soit que les fils soient blancs ou d'une autre couleur, il n'importe pas. Il en est de même pour l'ourdissage par rapport aux bandes.

On fait des batavia brochés à petits bouquets détachés, chaque bouquet étant placé au milieu de chaque carreau.

La largeur du batavia est deux tiers, ou de cinq huit, ad libitum.

La quantité de portées est de quarante jusqu'à soixante, en y comprenant les fils blancs ou de couleur qui forment les bandes.

Les batavia unis sont montés avec quatre lisses dont les fils sont passés à col tors ; celles qui sont brochées, sont passées dans quatre lisses pour lever, & quatre de rabat pour donner aux fils la liberté de lever lorsqu'on tire les lacs.

Nota. On a obmis dans l'article des MOIRES, d'observer qu'il s'en fait à 40 portées triples, ce qui vaut autant que 120 portées simples. Cette façon de les monter est pour éviter la quantité de lisses, parce que ces dernieres ne contiennent pas plus de mailles que si elles étoient montées à 40 portées simples ou 40 portées doubles, l'ourdissage étant de trois fils par boucle, ce qui ne fait qu'un fil quoiqu'il y en ait trois ; conséquemment trois fils chaque maille ou boucle de la lisse qui ne sont comptés que pour un.

Brocatelles. La brocatelle est une étoffe tramée de fil, destinée pour tapisserie. Elle est composée de 60 fils de chaîne, 10 portées de poil & un 20 de peigne, ce qui fait 6 fils chaque dent. Elle est montée ordinairement sur cinq lisses pour la chaîne, & trois pour le poil. Les lisses de poil qui ordinairement est de la même couleur de la chaîne, sont attachées de façon que le poil est toujours levé d'une hauteur propre à passer la navette, & ne forment qu'un rabat. L'ensuple de poil est élevée par derriere au-dessus de celui de la chaîne de maniere que l'ouverture se trouve faite sans le secours de la marche. Cette façon de monter le métier est disposée ainsi, afin que chaque marche n'ait qu'une estriviere, savoir une à chacune des cinq marches pour la chaîne afin de la faire lever, & une à chacune des trois lisses de poil pour la faire baisser.

Cette façon de monter le métier fait qu'au lieu de trois lisses à coulisse pour le poil ou six lisses ordinaires, savoir trois pour le lever, & trois pour le baisser, il n'en faut que trois ordinaires ; & au lieu de trois estrivieres à chaque marche de ce poil, savoir deux pour le faire lever, & une pour le faire baisser : il n'en est besoin que d'une pour le tout, la façon de tenir levé l'ensuple de poil tenant lieu de lisse pour lever le même poil.

Cette étoffe ne sauroit être travaillée que des deux piés, sans quoi il faudroit 30 marches au lieu de 8, savoir 15 pour le coup de fond, & 15 pour le coup de tire, afin que la révolution complete du cours causée par la disproportion du nombre de lisses de chaîne & de poil se trouvât complete ; au lieu que dans la façon de monter le métier, ainsi qu'il a été dit ci-devant, il n'en faut que huit.

Pour travailler cette étoffe, l'ouvrier passe un coup de fond & un coup de tire. La navette destinée pour le coup de fond est garnie d'une trame de fil toujours de la couleur de la chaîne, & celle du coup de tire est garnie de soie de la couleur dont on veut le fond.

Lorsque l'ouvrier commence à travailler, il foule du pié droit la premiere marche des lisses de satin, & du pié gauche celle du poil, & passe en plein la navette du fil ; c'est le premier coup de navette. Pour le second coup, il laisse aller la marche du pié droit, tient toujours le gauche sur la lisse de poil baissée, & passe la navette de soie dessous le lac qui est tiré, qui ordinairement est le fond ; la soie passée & arrêtée par la lisse qui est baissée, forme le fond de l'étoffe, de façon que ce qui n'est pas tiré en fait la figure qui est formée par un satin d'autant plus beau, qu'étant tramé de fil, il enfle davantage ; & étant à cinq lisses, il a plus de brillant.

Le second coup, l'ouvrier prend la deuxieme marche de satin & la seconde de poil. Le troisieme coup, la troisieme de satin & la troisieme de poil. Le quatrieme coup, la quatrieme de satin, & reprend la premiere de poil. Le cinquieme coup, la cinquieme de satin & la deuxieme de poil. Le sixieme, il reprend la premiere de satin & la troisieme de poil ; & ainsi des autres.

Florentines à sonnettes. La florentine est une étoffe de soie qui se travaille au bouton, pour que l'ouvrier aille plus vîte. Il n'est personne qui ne sache que de toutes les étoffes façonnées, il n'en est point qui se fabrique plus promtement que celle dont les cordages qui font lever la soie, se tirent avec le bouton. On a expliqué dans les différens articles de cet ouvrage, la façon de lire les desseins à la réduction pour les étoffes qui se travaillent avec le bouton, telles que les droguets ou autres de semblable espece : cette façon de lire le dessein épargne une quantité de fils assez considérable, mais celle de la sonnette, nonseulement épargne plus de fils ou cordes de tirage que la premiere, mais encore elle soulage grandement la tireuse par sa singularité.

Les desseins de florentine sont à grandes tiges & à grandes fleurs : les uns en un lac, & les plus beaux en deux ; ils portent ordinairement 40 à 50 dixaines, ce qui fait 400 boutons pour les premiers, & 500 pour les seconds en un lac ou une navette seule. Ceux qui sont en deux lacs ou à deux navettes portent le double. Il est des desseins de cette espece qui portent jusqu'à 14 ou 1500 boutons, suivant la longueur du dessein. Ces étoffes sont presque toutes montées en 400 cordes de semple & de rame. Chaque corde de rame fait lever trois mailles de corps, ce qui fait 1200 mailles & trois répétitions, ce qui vaut autant pour la réduction ordinaire que les étoffes très-riches qui sont montées en 600 cordes à l'ordinaire, avec une arcade chaque corde ; au - lieu que dans celui - ci chaque corde tire une arcade & demie. Dans l'étoffe riche, les desseins sont sur des papiers de 10 en 10 ; & dans celle-ci, ils sont sur des 8 en 10, parce qu'elle est toute soie, & que dans l'autre la dorure empêcheroit de serrer l'étoffe.

Lorsqu'il est question de lire le dessein, l'on examine dans les tiges les feuilles & les fleurs, dont la quantité de cordes qui doivent être prises peut aller à une certaine hauteur, sans qu'il y ait du changement, comme par exemple, à une dixaine ou deux de hauteur qui seront tirées sans discontinuer ; on en fait un lac qui est placé à la droite de la tireuse, & on continue de lire les petites parties jusqu'à la hauteur où la disposition du dessein oblige de changer ce premier lac pour en lire un second ; & ainsi des autres jusqu'à la fin du dessein. Quand l'étoffe est prête à être travaillée, la tireuse tire ce premier lac, & arrête le bouton tiré entre deux chevilles placées à sa droite ; dans lesquelles chevilles qui n'ont de distance de l'une à l'autre qu'autant qu'il en faut pour y placer la corde qui est arrêtée par le bouton qui est au - dessous, ce lac se trouvant tiré pendant le tems que les autres lacs qui sont legers se tirent, & que l'étoffe se fabrique jusqu'à la dixaine ou ligne transversale du dessein, où il faut changer ce premier lac qui ordinairement est le plus pesant ; lorsque le moment du changement arrive, le dernier lac tire une sonnette qui avertit du changement : pour lors la tireuse sort le lac arrêté entre les deux chevilles, & en place un autre pour continuer son travail.

Comme ces gros lacs sont placés en une seule ligne à la droite des autres boutons, il faut que les chevilles soient placées de façon que chaque bouton soit perpendiculaire aux deux chevilles dans lesquelles il doit être arrêté ; sans quoi la tire seroit gênée : c'est pour cela que la planche des chevilles qui est de quatre pouces de largeur, doit être d'une longueur égale au rang des boutons qui contiennent le gros lac, cette planche est arrêtée solidement à une piece de bois de la hauteur de l'étai du métier, où elle forme une espece de croix, & à une distance du bouton égale à la longueur déterminée qu'il doit avoir pour tenir la soie levée à la hauteur nécessaire pour que la navette puisse passer.

Il est aisé de comprendre que cette façon de lire le dessein soulage beaucoup la tireuse, puisque dans un dessein de 50 dixaines, loin de tirer le gros lac 500 fois, elle ne le tire au plus que 50, même 25 ou 30, suivant la hauteur des cordes arrêtées ; & encore tire-t-elle ce lac seul pour le mettre entre les deux chevilles, le surplus qui n'est pas arrêté, étant les plus petites parties à tirer qui ne sauroient la fatiguer.

Il y a encore une observation très - importante à faire sur cette façon de disposer le métier.

C'est une regle, que chaque lac ou bouton doit contenir autant de cordes de tirage qu'il y a de cordes de rame à tirer. Ces cordes qui sont d'un très-beau fil retordu coutent 4 liv. 10 s. jusqu'à 100 s. la livre. Or, si le gros lac contient 100 ou 200 cordes plus ou moins ; le bouton en doit tirer autant pour une fois seulement ; s'il est poussé jusqu'à une dixaine seulement, on épargne sur 100 cordes du lac 900 cordes de moins chaque dixaine, & sur 200 cordes 1800, de trois quarts & plus de longueur chacune ; ce qui, outre cette épargne qui est considérable, dégage par cette diminution de cordes le travail qui seroit beaucoup plus gêné, si le métier contenoit ce millier nombreux de cordages qui est diminué par ce retranchement industrieux.

Les florentines sont montées à 8 lisses pour le satin & autant pour le rabat, ce qui fait 16 lisses égales en tout. Les chaînes sont depuis 60 jusqu'à 75 portées ; les lisses de satin sont armées à l'ordinaire, savoir, une prise & deux laissées ; celles de rabat baissent de suite ; de façon que ce qui fait figure de florentine à l'endroit de l'étoffe, fait satin à l'envers ; & ce qui fait satin à l'endroit, fait florentine à celui qui lui est opposé.

On ne se sert point de carete ordinaire pour faire lever les lisses de la florentine ; & au moyen de celle qui est en usage, on épargne une estriviere chaque marche où il en faut une pour lever la lisse de satin, & une pour faire baisser la lisse de rabat. Une estriviere seule fait tout le mouvement, au moyen d'une carete fort élevée dont les alerons sont fixés horisontalement, auxquels on attache d'un côté la lisse qui doit baisser, & de l'autre celle qui doit lever ; de façon qu'une seule estriviere attachée à la lisse de rabat faisant baisser la lisse d'un côté de même que l'aleron, lorsque l'ouvrier foule la marche, le fait lever du côté opposé ; & par conséquent la lisse qui lui est attachée. Par exemple.

Au premier aleron d'un côté est attachée la premiere lisse de satin du côté du corps ; & de l'autre la premiere lisse de rabat du côté du battant. Au deuxieme, la quatrieme de satin & la troisieme de rabat. Au troisieme, la septieme lisse de satin & la troisieme de rabat. Au quatrieme, la deuxieme lisse de satin & la quatrieme de rabat. Au cinquieme, la cinquieme de satin & la cinquieme de rabat. Au sixieme, la huitieme de satin & la sixieme de rabat. Au septieme, la troisieme lisse de satin & la septieme de rabat. Au huitieme enfin, la sixieme lisse de satin & la huitieme de rabat.

L'usage est de commencer par la deuxieme lisse de satin & celles de rabat comme elles sont marquées, en suivant le satin à l'ordinaire, pour éviter la contrariété qui se trouveroit entre la huitieme lisse de rabat & la premiere de satin.

Il est bon d'observer encore que les carrettes dans les florentines ne sont pas placées au-travers des estases comme dans les autres métiers. On les attache au plancher & en long, c'est-à-dire, parallelement aux deux estases ; ensorte qu'en suivant l'ancienne méthode, il faudroit à la carete trente alerons, tandis qu'il ne lui en faut ici que huit ; il faudroit huit carquerons, au lieu qu'ici il n'y en a point ; il faudroit seize estrivieres pour les huit marches, tandis qu'on n'en employe que huit.

Machines inventées pour faciliter la fabrication des étoffes. La quantité de machines qui ont été inventées pour faciliter la fabrication de l'étoffe est considérable, attendu le peu d'utilité qui en résulte. Il en est cependant quelques - unes auxquelles on ne sauroit refuser un juste applaudissement.

Telle est, par exemple, celle qui fut inventée en l'année 1717 par Jean-Baptiste Garon, fabriquant de Lyon, ou plutôt par le sieur Jurines, maître passementier. Cette machine, qui tient lieu d'une seconde tireuse, de laquelle on ne pouvoit pas absolument se passer pour la fabrication des étoffes riches, ou celles dont la tire est extraordinairement pesante, ne coûte aujourd'hui que 7 livres 10 sols, au lieu de 45 livres que son auteur la vendoit, suivant le privilege qui lui fut accordé de la vendre seul pendant l'espace de dix années, par arrêt du conseil du mois de Mai 1718. Il est vrai qu'elle revenoit à son auteur à 20, 22 livres, le surplus de son prix lui tenoit lieu de récompense. Cette machine très - utile a tellement été multipliée, qu'on ne croiroit pas trop hasarder en soutenant qu'il y en a actuellement plus de dix mille à Lyon.

Après cette machine, a paru sur les rangs celle de Falcon, imaginée en 1738. Elle lui a été attribuée, quoique Basile Bouchon en fût le premier inventeur. Cette machine, aussi inutile qu'elle a coûté de l'argent, n'est mise en pratique que par un seul fabriquant, duquel Falcon a acheté les suffrages pour la faire valoir ; elle coûte à la communauté, à la ville ou à l'état environ quatre - vingt mille livres jusqu'à ce jour, en y comprenant une pension viagere de 1500 livres, dont la moitié est reversible après sa mort, sur la tête de sa femme. Cette pension a été accordée en 1748. Loin de soulager la tireuse, cette machine la fatigue extraordinairement, en ce qu'elle est obligée de travailler des piés & des mains, au lieu que suivant l'ancienne méthode, elle travaille des mains seulement. Tous les maîtres ouvriers qui ont voulu s'en servir, en ont été tellement satisfaits, que, excepté le seul qui a vendu cherement son suffrage à Falcon, ils ont fourni une déclaration, certifiée des maîtres gardes des ouvriers pour lors en exercice, qui contient en substance que s'ils avoient continué de s'en servir, elle les auroit tous ruinés ; cette déclaration est du mois de Janvier 1754, ensuite des ordres adressés à M. le prevôt des marchands de la ville de Lyon, par M. de Gournay, intendant du commerce, par sa lettre du mois de Décembre précédent, pour constater son utilité en conséquence d'une nouvelle demande de Falcon au conseil d'une somme de 20 mille livres de gratification, & d'une augmentation de mille livres de pension pour la rendre parfaite, comme si dans l'espace de seize années Falcon n'eût pas encore eu le tems de donner à sa machine toute la perfection dont elle devoit être revêtue, eu égard aux sommes qu'il en avoit reçues.

On sera sans-doute surpris que le conseil ait ordonné le payement de sommes aussi considérables, & une pension de même pour une machine aussi inutile ; la chose n'est pas difficile à concevoir, parce qu'en cela, comme en beaucoup d'autres choses, le conseil est souvent trompé. Quand il s'agit de statuer sur la récompense d'une machine, le ministere envoye la requête de l'inventeur au prevôt des marchands de Lyon, pour avoir son avis sur l'invention proposée ; le prevôt des marchands communique la lettre du ministre ou son préposé aux maîtres & gardes de la communauté, qui bien souvent composent avec l'inventeur ; le traité étant conclu, les maîtres & gardes donnent leur avis par écrit au prevôt des marchands, qui en conséquence envoye le sien au ministre, sur lequel la gratification est ordonnée. Falcon a reçu environ 50 mille livres depuis 1748 jusqu'en 1754, suivant ses quittances : on pense bien que toutes ces sommes ne sont pas entrées chez lui.

La machine de Falcon ne peut servir ni aux étoffes brochées, riches ou autres, ni aux étoffes courantes au bouton ; dans les premieres, pour un dessein de cent douzaines seulement en dix lacs brochés comme elles se font aujourd'hui, où il faut douze mille lacs, il faudroit douze mille bandes de carton de deux pouces & demi de large, les lacs qui ordinairement sont de fil dans les métiers ordinaires, étant de carton dans celle-ci. Il faudroit en outre au moins trois mois pour monter ce métier, au lieu de quinze jours qui suffisent, même moins suivant l'ancienne méthode ; le carton revient aussi cher que le fil de lac, qui dans une étoffe brochée durera dix à douze années, & dans celle - ci il ne peut servir absolument qu'à un dessein. Quand le fil de lac est usé, il sert encore à tramer des toiles grossieres destinées à faire des nappes, des essuie-mains & des draps pour coucher les tireuses & les compagnons du maître. Veuton avoir toutes les machines nécessaires pour lire le dessein & faire les lacs, 3000 livres ne seroient pas suffisantes pour en faire les fraix, sans y comprendre le tems perdu pour monter le métier. Veut-on augmenter ou diminuer les cordages, il faut les machines différentes ; par conséquent les mêmes fraix pour chaque métier. Veut - on faire des étoffes courantes, ou au bouton avec la même machine, on soutient hardiment qu'outre les fraix différens & proportionnés à la quantité de cordages énoncés ci - dessus, un bon ouvrier ne fera pas le quart de la journée. En un mot, si la machine & toutes les autres qui y concourent est disposée pour un métier de quatre cent cordes à l'ordinaire, on ne sauroit en diminuer ni en augmenter une seulement, qu'il ne faille faire les fraix nécessaires & énoncés ci-dessus pour la mettre en état de travailler. Cette machine déclarée inutile & ruineuse par les principaux membres de la communauté, a cependant été préconisée par un très-grand machiniste l'un des rédacteurs du réglement du 19 Juin 1744, puisqu'elle fait un article de ce réglement, qui permet un cinquieme métier aux fabriquans qui voudront le monter suivant la méchanique de Falcon, ce qui n'a pu faire faire fortune à cette méchanique, puisqu'elle a été proscrite par ceux qui seuls sont en état de connoître son utilité. On est bien éloigné de penser que Falcon ait acheté les suffrages, & du machiniste, & des rédacteurs du réglement ; on les a cru trop délicats pour un commerce semblable.

Le conseil est aujourd'hui plus circonspect à l'égard des gratifications ; l'intendant a ordre de pulvériser tous les méchanismes nouveaux en fait de fabrique pour s'assurer de leur utilité ; c'est lui qui a soin de faire payer & de donner les ordonnances à ce sujet au lieu & place du prevôt des marchands qui en étoit chargé ci-devant.

On a inventé encore d'autres machines pour travailler sans tireuse ; mais elles ne sont bonnes que pour des desseins de trois ou quatre dixaines ; elles sont montées avec un cylindre, dont la circonférence se rapporte à la quantité de dixaines dont le dessein est composé, chaque ligne du dessein tant transversale que perpendiculaire contenant plus d'un demi-pouce, ce qui fait que pour un dessein de cinquante dixaines de large pour quatre cent cordes à l'ordinaire, il faudroit un cylindre de vingt - cinq pouces & plus de longueur, & pour cinquante dixaines de hauteur en huit, en dix seulement, cent vingt-cinq pouces de circonférence, ce qui ne feroit pas moins de quarante-deux pouces ou trois piés & demi de diametre, & encore faudroit - il que l'étoffe n'eût qu'un lac seulement : ajoutez à toutes ces inventions qu'il n'est pas possible qu'un ouvrier puisse faire seul un ouvrage, ordinairement pénible pour deux personnes, & aller aussi vîte. La tireuse d'ailleurs étant utile pendant le cours de la fabrication à beaucoup d'autres occupations toutes relatives à l'expédition de l'ouvrage, telles que celles de remonder, r'habiller les fils, changer ceux qui sont écorchés, &c. tandis que l'ouvrier est occupé à autre chose. D'où il faut conclure que toutes les méchaniques, dont le nombre est assez grand, ne sont imaginées que pour attrapper par leurs auteurs quelques sommes d'argent, ce qui les rend paresseux & débauchés tout ensemble ; il est vrai que l'ordre établi depuis quelque tems a produit un changement différent. On ne disconvient pas que les ouvriers qui se distinguent dans les inventions d'étoffes ne méritent récompense, toutefois en rendant l'étoffe publique de même que l'invention ; mais à l'égard des méchaniques pour la fabrication de l'étoffe, si on n'avoit accordé que le privilege aux inventeurs tels que le sieur Garon, on auroit épargné des sommes considérables ; parce que si la méchanique est bonne, tous les ouvriers s'en serviront ; si elle ne l'est pas, elle ne mérite aucune gratification. Lorsque le privilege de dix années accordées à Garon fut expiré, on compta deux mille machines dans la fabrique, lesquelles pouvoient lui avoir procuré environ 25000 livres de bénéfice, ce qui devoit être suffisant pour son indemnité.

Modele d'un métier d'étoffe fabriquant seul un damas à fleurs. Le bâtis de ce métier est de deux piés de longueur (non compris les alongeaux), sur huit pouces de largeur ; sa hauteur est de quatorze pouces, non compris les hausses & le cassin ; toute sa hauteur est de trente-sept pouces ; les alongeaux sont de la longueur de 22 pouces 1/2.

Cette machine est posée sur un piédestal de 4 piés 2 pouces de longueur, sur 2 piés 3 pouces 1/2 de largeur, & 3 piés 2 pouces de hauteur. La plus grande partie des mouvemens se fait à couvert ; quelques-uns sont en dedans du piédestal.

Avant d'entrer dans la description de ces mouvemens, il est à-propos de faire sentir les difficultés qui se sont trouvées dans l'exécution de ce petit modele, & qui n'auroient pas lieu dans un grand métier.

Dans un grand métier, l'ensuple de devant est distante de celle de derriere d'environ 12 piés, par conséquent la soie qui a beaucoup d'étendue, a aussi beaucoup de ressort & prête avec facilité ; dans un court espace, tel qu'est celui du petit métier, où la soie n'a que 2 piés 4 pouces d'étendue, elle n'a presque aucun ressort, & casse plutôt que de prêter ; le peu de distance qui se trouve du drap aux lisses & des lisses aux maillons, forme encore une très - grande difficulté pour le jeu de la soie ; la lisse ne sauroit se lever qu'avec beaucoup d'effort, n'ayant du côté du drap que 2 pouces 1/2 de distance, & du côté des maillons que 4 pouces. La tire, dont une partie de la soie est rabattue par les lisses de rabat, & cela seulement à 4 pouces de distance, se trouve extrêmement gênée, & ne peut lever qu'avec peine. Il est aisé de juger, par toutes ces difficultés, combien il a été mal-aisé de trouver des moyens qui empêchassent la soie de se casser ; & pour que l'ouverture se trouvât assez nette pour le passage de la navette, la chaîne est de 15 portées de 80 fils (elle est divisée sur cinq ensuples), ce qui revient à 100 portées dans une largeur de damas ordinaire.

L'étoffe a trois pouces de largeur entre les lisieres ; le peigne a 172 dents & 7 fils par dent, ce qui feroit 1140 dents dans un peigne en largeur ordinaire ; les lisses sont au nombre de 10, 5 pour lever & 5 pour rabattre ; le grand corps est de 96 maillons, 12 & 13 fils par maillon alternativement ; le mouvement qui met en action toute la machine est placé audessus de la piece sur le derriere du métier entre les deux alongeaux.

La grande roue fixée à l'essieu du premier mobile est de 7 pouces 1/2 de diametre & de 60 dents ; cette roue fait tourner un axe de 10 pouces de longueur par le moyen d'une autre roue où elle s'engrene, dont le diametre est de 2 pouces 1/2 & de 20 dents, elle est fixée à l'extrêmité de l'axe qui est sur la droite ; cet axe est placé tout auprès de la barre d'en-bas du métier ; & sur le même parallele, à son autre extrêmité, est fixée une roue à cheville d'un pouce 8 lignes de diametre, & de 5 chevilles distantes les unes des autres d'un pouce ; cette roue fait tourner le tambour qui forme le dessein, y ayant pour cet effet 50 dents à chevilles sur l'extrêmité de la circonférence à droite où la roue à 5 chevilles s'engraine. Ce tambour a 25 pouces de circonférence & 5 pouces de largeur ; il a 48 divisions égales d'une ligne chacune ; il est placé sur la droite du métier, vis-à-vis le cassin, au même endroit qu'occupe le tireur à un métier ordinaire. En dedans du métier, & vis-à-vis ce tambour, est un clavier composé de 48 leviers d'une ligne d'épaisseur, chacun répondant aux 48 divisions du tambour ; tous les becs de ces leviers forment entr'eux une ligne droite parallele à l'axe du tambour, mais un peu plus élevée ; la circonférence de ce tambour est encore divisée en 50 parties égales d'un demi-pouce chacune, ce qui forme des lignes qui coupent à angle droit les autres 48 divisions ; c'est sur ces lignes que sont arrangées (suivant la disposition du dessein) les pointes qui font baisser les leviers lorsque le tambour vient à tourner.

A 3 ou 4 lignes de distance du bec des leviers, sont attachées des cordes de laiton, qui montent perpendiculairement jusqu'aux poulies du cassin ; ce cassin est double ; chaque chassis contient 48 poulies ; ces poulies ont deux diametres, le petit de six lignes & le grand d'un pouce & demi.

Les cordes attachées par le bas aux leviers, le sont par le haut avec des allonges de soie au petit diametre des poulies de la premiere chasse sur lesquelles elles roulent ; de secondes cordes sont attachées & roulent sur le grand diametre ; de-là elles vont gagner horisontalement & parallelement le petit diametre des poulies de la seconde chasse. Enfin de troisiemes cordes sont attachées au grand diametre, d'où elles tombent perpendiculairement jusqu'aux fourches où elles sont attachées ; chaque fourche fait lever deux maillons, y ayant deux répétitions au dessein ; comme les divisions de la circonférence du tambour ne sont éloignées que d'un demi-pouce, les pointes qui y sont fixées ne font baisser les leviers également que d'un demi-pouce ; mais par le moyen de différens diametres des poulies, la corde qui répond aux maillons leve de 4 pouces 1/2.

L'on a dit ci-dessus, que la roue qui fait tourner le tambour, n'a que cinq chevilles, distantes d'un pouce les unes des autres, tandis que celles du tambour ne le sont que d'un demi ; ce qui fait que chaque dent de la roue, après avoir fait tourner le tambour d'un demi-pouce, sort de son engrenage, & décrit un autre demi-pouce, sans toucher aux chevilles du tambour, qui reste immobile le même espace de tems qu'il vient de mettre à marcher, & qui par conséquent tient les leviers baissés, & la tire en l'air par le moyen d'un rochet qui le fixe, & l'empêche de retourner jusqu'à ce que la cheville suivante de la roue, vienne reprendre une autre cheville du tambour ; par ce moyen le lac ne change que tous les deux coups ; la même chose se pratique dans tous les damas, la navette passe deux fois sous le même lac, mais non pas sous le même pas ; les lisses changent aussi souvent que la navette passe de fois.

Sur le même axe mentionné ci-dessus, il y a encore une autre roue fixée, dont le diametre est de 2 pouces 1/2, & de vingt dents ; cette roue s'engrene dans un pignon de dix dents, & fait tourner un second axe ; cet axe a 25 pouces de longueur, il est placé sur la même ligne & même parallele du premier, il s'étend depuis le pilier de devant, jusques & passé celui de derriere ; il met en mouvement tout le reste de la machine, par le moyen de différentes roues qui y sont fixées, & qui communiquent à toutes les parties du métier. La premiere roue, qui est fixée sur cet axe, est une roue de champ de 3 pouces de diametre, & de soixante dents ; elle s'engrene dans un pignon de douze dents ; ce pignon est fixé sur un troisieme axe de 6 pouces 10 lignes de longueur ; il forme un angle droit avec le second, & passe sous la piece tout auprès des lisses, & va communiquer au côté gauche du métier ; à son extrêmité est fixée une platine de 2 pouces 1/2 de diametre ; cette platine mene, par le moyen d'une vis fixée à 1 pouce de distance du centre, un va-&-vient de 5 pouces 1/2 de longueur ; ce va-&-vient se meut horisontalement, & en fait aller un autre de 6 pouces de longueur, placé perpendiculairement ; une de ses extrêmités est arrêtée à la barre du métier, audessous du battant, à 2 pouces 1/2 de distance de la barre, il est attaché par une vis à l'extrêmité de l'autre va-&-vient ; il se meut donc par le haut circulairement & par vibration égale entre l'ensuple du devant & les lisses, & décrit une courbe ; lorsqu'il va du côté des lisses, il pousse le battant par la barre de dessous, au côté de laquelle est une cheville qui s'accroche dans l'entaille d'un valet ; ce valet qui a une bascule, tient par ce moyen le battant arrêté, jusqu'à ce que le va-&-vient, en s'en retournant, prenne par dessous le bout de la bascule, & la fasse lever ; le battant qui se trouve pour lors dégagé & libre, vient frapper l'ouvrage ; la chasse & le coup lui est donné par le moyen d'un ressort à boudin, qui est roulé dans un barrillet ; ce barrillet est placé dans un support, sur la barre du métier ; un des bouts du ressort tient à un des pivots de la traverse du battant, où sont assujetties les épées ; ce ressort se bande à volonté, (suivant le plus ou le moins de carte que l'on veut donner à l'étoffe), par le moyen d'une vis-sans-fin, qui fait tourner une roue assujettie au barrillet. A côté de la roue de champ, & sur le même axe, est fixée une espece de petit tambour, qui fait mouvoir un clavier composé de cinq leviers ; ce clavier est placé en dedans du métier, & vis-à-vis le tambour ; à cinq ou six lignes de distance du bec des leviers, sont attachées des cordes qui montent perpendiculairement & parallelement jusqu'à d'autres leviers, qui sont placés au haut du métier, où elles sont aussi attachées ; à l'autre extrêmité de ces leviers, sont attachées d'autres cordes, qui répondent aux cinq lisses qui doivent lever ; au bas de ces lisses sont encore d'autres cordes qui passent & roulent sous des poulies qui sont placées dans le piédestal, & vont repondre aux lisses de rabats, qui par ce moyen baissent lorsque les autres levent. A cinq pouces de distance du petit tambour, & sur le même axe, est fixée une roue de deux pouces de diametre, & de trente dents ; cette roue s'engrene dans un pignon de douze dents, à côté de ce pignon, & sur le même pivot, est fixée une platine de deux pouces trois lignes de diametre, cette platine mene, par le moyen d'une vis fixée à un pouce de distance du centre, un va-&vient de trois pouces de longueur, & lui fait par conséquent parcourir une ligne de deux pouces. Au-dessous du quartier d'ouvrage, & dans le milieu de la largeur du métier, est placée une fleche de quatre pouces & demi de longueur, & large de dix lignes par le bas ; elle se meut sur un pivot fixé à la barre du métier ; à sept lignes de distance au-dessus de ce pivot, elle a une cheville fixée, dans laquelle entre avec aisance une piece d'acier percée à cet effet par un bout ; cette piece a un pouce & demi de longueur, & environ deux lignes d'épaisseur ; elle peut se plier dans le milieu, par le moyen d'une charniere ; elle répond par le bas à un fort ressort, qui tire perpendiculairement & sur la même direction du pivot ; lorsque la fleche est parfaitement droite, le ressort ne tirant pas plus d'un côté que d'un autre, elle reste en cet état ; mais pour peu qu'elle soit poussée sur la droite ou sur la gauche, elle part avec rapidité du côté opposé ; son mouvement lui est donné par le moyen d'un va-&-vient, dont on vient de parler ci-dessus, qui a pour cet effet à l'extrêmité opposée à celle qui est arrêtée à la platine, une ouverture en traverse, de la longueur de quinze lignes, dans laquelle entre une vis, qui est fixée à la fleche ; cette ouverture est faite afin que la fleche lorsqu'elle est mise en mouvement, puisse partir sans être arrêtée par la vis, qui a la liberté de glisser aisément dedans ; elle se meut par son extrêmité circulairement, entre deux petites pieces d'acier, qui sont fixées à une tringle, contre lesquelles elle heurte, ce qui fait faire alternativement à la tringle un mouvement précipité de droite à gauche, & de gauche à droite, n'étant arrêtée sur les extrêmités qu'à deux supports à pivot très-mobiles, qui répondent à deux marteaux ; les têtes de ces marteaux sont insérées dans deux coulisses, qui sont placées contre les lisses, une de chaque côté du métier ; c'est dans ces coulisses que l'on met la navette qui est chassée par le moyen de ces marteaux : chaque fois qu'elle passe, il y a un crochet qui prend la soie, & qui la couche le long du drap ; le crochet a 3 pouces 1/4 de longueur ; son mouvement est circulaire, ayant son extrêmité opposée arrêtée à un pivot placé au-dessous des coulisses. A cette même extrêmité, il y a un retour d'un pouce de longueur, qui forme un angle aigu. Au-dessus de la coulisse est un va-&-vient, qui glisse le long d'une petite tringle, auquel est fixée une queue qui tombe dans l'angle, & qui par ce moyen, tire & repousse le crochet. Ce va-&-vient se meut par le moyen de différens retours & cordes qui en glissant sur des poulies, aboutissent au mouvement que mene le battant. Au bout du même axe est fixé un pignon de huit dents ; ce pignon s'engrene dans une roue de deux pouces huit lignes de diametre, & de quarante-huit dents ; le pivot de cette roue passe au-travers du pilier du métier ; à son autre extrêmité est un pignon de six dents, qui s'engrene dans une roue de deux pouces quatre lignes de diametre, & de quarante-huit dents ; cette roue est fixée à un essieu, qui passe au-travers de l'ensuple où se roule l'ouvrage ; sur le côté de cette ensuple, est fixé un rochet dont le cliquet est arrêté à la roue, ce qui donne la facilité de dérouler l'ouvrage, n'y ayant pour cela qu'à détourner une vis qui fait lever le cliquet. C'est par le moyen de ce rouage, que l'ouvrage se roule à mesure qu'il se fait.

SOIE des araignées, M. Bon, premier président de la chambre des comptes de Montpellier, & associé honoraire de la société royale des Sciences de la même ville, lut en 1709, à l'ouverture de cette académie, un mémoire sur l'emploi que l'on pouvoit faire des fils dont les araignées enveloppent leurs oeufs. Ces fils sont plus forts que ceux dont elles font leurs toiles ; ils ne sont pas fortement tendus sur les oeufs, desorte que la coque qu'ils forment est assez semblable aux cocons des vers-à-soie, qui ont été préparés & ramollis entre les doigts. M. Bon avoit fait ramasser douze ou treize coques des araignées les plus communes dans le Languedoc, qui ont les jambes courtes, & qui se trouvent dans des lieux habités. Après les avoir battues pour en ôter la poussiere, on les lava dans de l'eau tiede, & on les laissa tremper dans une eau de savon mêlée de salpêtre & d'un peu de gomme arabique ; ensuite on fit bouillir le tout à petit feu pendant deux ou trois heures ; après cette sorte de cuisson, on les lava de nouveau, on les fit sécher, & on les ramollit un peu entre les doigts. Enfin on les carda avec des cardes beaucoup plus fines que celles dont on se sert pour la soie ; par ce procedé on tira des coques d'araignées une soie d'une couleur grise assez singuliere, que l'on fila aisément, & dont le fil fut plus fin & plus fort que celui de la soie ordinaire : ce fil prend toutes sortes de couleurs, & on peut en faire des étoffes. On prétendoit que les araignées fourniroient plus de soie que les vers-à-soie, parce qu'elles sont plus fécondes ; une seule pond cinq ou six cent oeufs, au-lieu qu'un papillon de ver-à-soie n'en fait qu'une centaine ; de sept ou huit cent araignées, il n'en meurt presque aucune dans une année ; au contraire, de cent petits vers-à-soie, il n'y en a pas quarante qui parviennent à faire leur coque, quelque précaution que l'on prenne pour les conserver : tandis que les oeufs des araignées éclosent sans aucun soin, dans les mois d'Août & de Septembre, quinze ou seize jours après qu'ils ont été pondus. Les araignées dont ils sont sortis, meurent quelque tems après, & les jeunes restent dans leur coque sans manger, pendant dix à onze mois ; lorsqu'elles en sortent, on les met dans des cornets de papier, & dans des pots que l'on couvre d'un papier percé de trous d'épingles, pour leur donner de l'air : on les nourrit avec des mouches.

Les coques des araignées rendent plus de soie à proportion de leur légereté, que les coques de vers-à-soie ; treize onces de coques d'araignées rendent près de quatre onces de soie nette, dont il ne faut que trois onces pour faire une paire de bas des plus grands, tandis que les bas de soie ordinaires, pesent sept ou neuf onces. M. Bon fit voir à la société des Sciences de Montpellier, une paire de bas faits de soie d'araignées, qui ne pesoient que deux onces & un quart, & des mitaines qui ne pesoient qu'environ trois quarts d'once ; ces bas & ces mitaines étoient aussi forts, & presque aussi beaux que ceux qui sont faits avec de la soie ordinaire ; ils étoient d'une couleur grise, approchante du gris de souris, qui étoit la couleur naturelle de cette soie ; mais son lustre & son éclat avoient sans-doute été augmentés par l'eau de savon mêlée de salpetre, & d'un peu de gomme arabique.

M. Bon ayant envoyé des ouvrages de soie d'araignées à l'académie royale des Sciences de Paris, la compagnie chargea deux académiciens d'examiner la soie des araignées, pour savoir de quelle utilité elle pourroit être au public. M. de Reaumur fut nommé pour cet examen, & l'année suivante 1710, il rendit compte de son travail. M. Bon ayant fait voir que les araignées filoient dans certain tems de l'année, une soie dont on pouvoit faire différens ouvrages, M. de Reaumur se proposa de rechercher les moyens de nourrir & d'élever les araignées, & ensuite de savoir si leur soie pourroit être à aussi bon marché que celle des vers-à-soie ; & au cas qu'elle fût plus chere, si on pourroit être dédommagé de quelque façon. On sait que les araignées se nourrissent de mouches ; mais toutes les mouches du royaume suffiroient à peine, pour nourrir les araignées qui seroient nécessaires pour fournir de la soie aux manufactures, & d'ailleurs comment faire pour prendre chaque jour ces mouches ? il falloit donc chercher une autre sorte de nourriture ; les araignées mangent des cloportes, des millepiés, des chenilles, des papillons ; ces insectes n'étoient guere plus aisés à trouver que des mouches ; M. de Reaumur s'avisa de leur donner des vers de terre coupés par morceaux, elles les mangerent, & en vécurent jusqu'au tems de faire leur coque : il est facile de ramasser autant de vers de terre qu'on en veut ; ces insectes sont extrêmement abondans dans les champs ; il faut les chercher pendant la nuit à la lumiere d'une chandelle ; on en trouve en quantité dans tous les tems, excepté après les longues sécheresses. On pourroit aussi nourrir les araignées avec les plumes des jeunes oiseaux ; elles mangent la substance molle qui est à l'extrémité de leur tuyau ; on coupe cette extrêmité par morceaux longs d'une ligne, ou d'une ligne & demie ; les jeunes araignées semblent préférer cette nourriture à toute autre ; les rotisseurs fourniroient beaucoup de plumes ; on pourroit aussi en arracher de tems-en-tems aux poules & aux pigeons vivans, sans leur faire de mal. On trouveroit aussi d'autres moyens pour nourrir les araignées, & deja les vers & les plumes sont des nourritures plus assurées pour elles que les feuilles de meuriers pour les vers-à-soie : on n'a pas à craindre la gelée, & on en trouve dans tous les tems & dans tous les pays.

Il seroit donc aisé de nourrir un grand nombre d'araignées, mais on auroit bien de la peine de les élever, ou plutôt de les loger : si on les met plusieurs ensemble dans la même boîte au sortir de leurs coques, d'abord elles paroissent vivre en société ; elles travaillent plusieurs ensemble à faire une même toile dans les premiers jours, on en voit aussi plusieurs qui mangent ensemble sur le même morceau de plume ; mais bientôt elles s'attaquent les unes les autres, & les plus grosses mangent les plus petites : en peu de tems de deux ou trois cent qui étoient dans la même boîte, il n'en restoit plus qu'une ou deux. C'est apparemment parce que les araignées se mangent les unes les autres, qu'il y en a si peu, en comparaison du grand nombre d'oeufs qu'elles pondent ; car les frélons, les lézards, &c. ne pourroient pas en détruire un si grand nombre. Il faudroit donc, pour avoir de la soie, nourrir des araignées dans des lieux séparés, où chacune auroit sa case ; alors il faudroit bien du tems pour donner à manger à chacune en particulier. Les vers-à-soie ne demandent pas cette précaution ; d'ailleurs ils sont assez féconds puisqu'ils fournissent aujourd'hui une si grande quantité de soie en Europe ; on pourroit encore les multiplier davantage, si on le vouloit. Reste à savoir si la soie des araignées est plus abondante, meilleure, ou plus belle que celle des vers.

Toutes les especes d'araignées ne donnent pas une soie propre à être employée ; ainsi pour distinguer celles dont la soie est bonne, il est nécessaire d'avoir une idée générale des principales sortes d'araignées. M. Bon les divise en deux classes ; savoir, les araignées à jambes longues, & les araignées à jambes courtes, & il dit que ce sont les dernieres qui fournissent la bonne soie. On a objecté deux choses contre cette division : il y a des araignées qui ont les jambes de longueur moyenne, c'est-là l'inconvénient des divisions méthodiques, on y rencontre toujours un terme moyen qui est équivoque ; mais ce n'est pas là le plus grand inconvénient de la division de M. Bon : on pourroit au-moins le parer en grande partie ; pour cela il suffiroit de prendre une espece d'araignée bien connue pour objet de comparaison. Le plus grand défaut est que cette division n'est pas exacte, parce que différentes especes d'araignées vagabondes, & les grosses araignées brunes qui habitent des trous de vieux murs, n'ont point de soie quoiqu'elles ayent les jambes plus courtes que la plûpart de celles qui en donnent.

M. de Réaumur donne un autre moyen pour reconnoître parmi les araignées du royaume celles qui peuvent fournir de la soie : il les divise d'abord en deux genres principaux ; le premier comprend celles qui courent au loin pour chercher leur proie sans tendre de toiles. M. Homberg a donné à toutes les especes de ce genre d'araignées le nom de vagabondes : elles ne filent guere que lorsqu'elles font la coque de leurs oeufs ; quelques - unes forment cette coque en demi sphere, & la laissent collée à des pierres, ou cachée dans la terre ; d'autres font leur coque ronde comme une boule, & elles la portent toujours collée à leurs mamelons. Le tissu de toutes ces coques est très-serré, & communément de couleurs blanche ou grise : on n'en peut tirer qu'une très petite quantité de soie, qui n'est pas d'une assez bonne qualité pour être employée. Le second genre de la division de M. de Réaumur renferme toutes les araignées qui tendent des toiles, & il est sous-divisé en quatre especes principales. La premiere comprend toutes les araignées qui font des toiles dont le tissu est assez serré, & qui les étendent parallelement à l'horison, autant qu'elles peuvent se soutenir ; telles sont les araignées domestiques, qui font leurs toiles dans les maisons, & quelques especes d'araignées des champs, dont les toiles sont posées comme celles des araignées domestiques. Dans cette premiere espece les oeufs sont renfermés dans une toile assez semblable à celle qu'elles tendent pour arrêter les mouches ; ainsi elles ne peut pas être employée. Les araignées qui habitent des trous dans les vieux murs sont de la seconde espece ; le bord du trou est tapissé d'une toile qui se prolonge dans l'intérieur, en forme de tuyau ; les fils dont les oeufs sont enveloppés ne sont pas d'une meilleure qualité que ceux de la toile. La troisieme espece comprend les araignées dont les filets ne sont pas tissus comme une toile, mais seulement composés de différens fils tirés en tout sens. Cette espece pourroit être sous - divisée en un grand nombre d'autres ; les unes font leur coque en portion de sphere dont les bords sont collés sur une feuille ; ces coques sont très-blanches, & d'un tissu serré ; les araignées les couvent constamment, & se laissent emporter avec la feuille sans abandonner la coque ; d'autres renferment leurs oeufs dans deux ou trois petites boules rougeâtres ; elles suspendent ces boules à des fils, & les cachent avec un petit paquet de feuilles seches qu'elles suspendent aussi à des fils au-devant de la boule, & à quelque distance ; d'autres enfin font leur coque en forme de poire, & les suspendent comme une poire le seroit par la queue. Toutes ces coques sont composées d'une soie trop foible pour être travaillée, excepté celles qui sont en poire ; leur soie pourroit être employée, mais il y en a si peu qu'elle ne peut être d'aucune utilité. La quatrieme espece est celle que M. Homberg donne sous le nom d'araignée des jardins, où elle est fort commune, comme dans les bois & dans les buissons ; elle renferme beaucoup d'autres especes différentes par leur grosseur, leur figure & leur couleur. Les oeufs de ces araignées sont arrangés dans les coques de façon qu'elles ont à-peu-près la figure d'une sphere applatie. Les oeufs de quelques - unes de ces araignées sont collés les uns aux autres dans la coque. La soie des coques de toutes ces araignées est d'assez bonne qualité pour être employée ; il y en a cependant quelques especes dont la soie seroit trop foible pour soutenir des métiers un peu rudes. Les premiers fils qui enveloppent les oeufs sont plus tendus & plus serrés que ceux du dessus qui sont lâches comme les fils extérieurs des coques des vers-à-soie.

La soie des vers est toujours aurore ou blanche, on trouveroit plus de variété dans les couleurs de la soie des araignées ; il y a du jaune, du blanc, du gris, du bleu céleste & du beau brun caffé. Les araignées dont la soie est de cette derniere couleur sont rares ; on trouve leurs coques dans des champs de genêt ; la soie en est très-forte & très-belle : les oeufs sont enveloppés d'une soie brune qui est recouverte par une autre soie grise dont le tissu est plus serré que celui de la soie brune.

Les araignées qui sont nées au printems font leurs coques aux mois d'Août & de Septembre ; celles qui ont passé l'hiver les font dès le mois de Mai. Les fils qui composent les coques ne different de ceux des toiles que parce qu'ils sont plus forts. Un fil d'araignée n'est plus fort qu'un autre, que parce qu'il est composé d'une plus grande quantité de petits fils au sortir des mamelons. Chaque mamelon est parsemé de plusieurs petites filieres, dont sort la liqueur qui forme les fils. Si on applique le doigt sur un mamelon pendant qu'on presse le ventre de l'araignée, il s'y attache plusieurs fils, que l'on allonge en le retirant : on en a compté plus de sept ou huit sur le même mamelon. Lorsque l'araignée se dispose à filer, si elle applique tous ses mamelons à-la-fois, & si elle colle chaque mamelon en entier, le fil qui en résultera sera composé d'un nombre de fils bien plus grand qu'il ne seroit, si elle n'appliquoit qu'un seul mamelon, ou seulement une partie de ce mamelon. Les araignées qui filent la bonne soie ont six mamelons, dont il y en a quatre qui sont fort sensibles ; les deux autres sont si petits qu'on ne peut les distinguer qu'avec une loupe.

Un fil tiré des toiles ne peut porter que deux grains sans se rompre ; les fils des coques peuvent soutenir chacun le poids d'environ trente-six grains ; mais un seul fil de coque de ver-à-soie porte jusqu'à deux gros & demi, c'est - à - dire qu'il est quatre fois plus fort que le fil d'araignée : il est aussi à - peu - près quatre fois plus gros. Ainsi en réunissant cinq fils d'araignée en un seul, ce fil composé pourroit être aussi fort qu'un fil de ver-à-soie sans être plus gros ; mais il ne seroit jamais aussi lustré, parce que les fils réunis laisseroient des vuides entr'eux qui ne donneroient point de reflets. Les ouvrages que l'on a faits de fils d'araignée n'ont pas eu autant de lustre que les ouvrages de soie ordinaire, parce que les fils de la soie des araignées sont si crêpés, qu'au lieu de la devider on est toujours obligé de la carder & de la filer ensuite.

Lorsqu'on employe cette soie elle paroît rendre davantage que la soie ordinaire à poids égal ; il est aisé de trouver la cause de cette différence. Un fil de soie tel que les plus fins de ceux dont on se sert pour coudre, est composé d'environ 200 fils simples tels qu'on les tire de la coque. Pour qu'un fil fait de soie d'araignée soit aussi fort que ce fil à coudre, il faut qu'il soit composé de 36000 fils simples pareils à ceux des toiles ; car en supposant qu'il n'y ait que deux mamelons qui fournissent chacun un fil simple pour composer un fil propre à faire la toile des araignées, ce fil, quoique composé de deux fils simples, est cependant dix-huit fois plus foible que le fil de la coque, comme on l'a déja vu par l'expérience rapportée plus haut : ainsi il faudra au-moins trente-six fils simples, tels qu'ils sortent des mamelons, pour faire un fil de coque ; de plus le fil de coque étant quatre fois plus foible qu'un fil de soie ordinaire, il faudra réunir 90 fils de coque, c'est-à-dire, selon notre supposition, 180 fils simples pour faire un fil de soie d'araignée aussi fort qu'un fil de coque de soie ordinaire : par conséquent s'il faut 200 de ces fils de soie ordinaire pour faire un fil à coudre, il faudra 36000 fils simples d'araignées pour faire un fil aussi fort que le fil à coudre. Il est impossible de réunir cette prodigieuse quantité de fils de façon qu'ils ne laissent entr'eux plus de vuide qu'il n'y en a dans le fil de soie ordinaire : c'est pourquoi les ouvrages de soie d'araignée doivent être beaucoup plus épais que ceux de soie ordinaire pour qu'ils puissent avoir autant de force : ainsi la soie des araignées ne rend pas plus pour la force que la soie ordinaire quoiqu'elle rende plus pour le volume.

Les coques des vers-à-soie les plus fortes pesent 4 grains & les plus foibles plus de trois grains, desorte qu'il faut au-moins 2304 vers pour faire une livre de soie de seize onces. Les coques d'araignées les plus grosses pesent environ un grain ; ainsi il faut quatre grosses araignées pour donner autant de soie qu'un seul ver. De plus il y a un grand déchet dans les coques des araignées, elles sont remplies des coques des oeufs & autres ordures ; ce déchet est de plus des deux tiers du poids. M. Bon avoue que de treize onces de soie d'araignée sale, il n'en retira que quatre onces de soie nette : ainsi douze araignées ne donneront pas plus de soie qu'un seul ver. D'ailleurs s'il y a des araignées mâles & des araignées femelles, & si on suppose que le nombre des mâles égale celui des femelles, comme il n'y aura que les femelles qui puissent donner des coques, il faudra vingt araignées tant mâles que femelles pour donner autant de soie qu'un seul ver, & par conséquent 55296 araignées ne produiront qu'une livre de soie, encore faudra-t-il qu'elles soient des plus grosses de ce pays ; car douze araignées qui ne seroient que d'une grosseur médiocre, par exemple, de celles que l'on trouve dans les jardins, donneront beaucoup moins de soie ; il en faudroit 663552 pour en avoir une livre : enfin, il faudroit nourrir séparément toutes ces araignées, & donner à chacun un espace assez grand pour qu'elle y pût tendre sa toile. Tous ces inconvéniens rassemblés rendront la soie des araignées beaucoup plus chere que celle des vers. Au reste, on pourroit peut-être les prévenir. Si on avoit des araignées beaucoup plus grosses que les nôtres, elles donneroient plus de soie ; on en trouveroit dans les pays étrangers, sur-tout en Amérique, & il y a lieu d'espérer de les élever ici aussi facilement que les vers-à-soie qui ont été apportés de fort loin. Quoiqu'il en soit, c'étoit beaucoup de découvrir que la soie des araignées fût d'assez bonne qualité pour être employée dans les manufactures. M. Bon l'a prouvé clairement en montrant au public des ouvrages faits avec cette soie. Mémoires de l'académie royale des Sciences, année 1710, examen de la soie des araignées, par M. de Réaumur, page 386.

SOIE (Chimie, Pharm. Mat. méd.) la nature chimique de la soie est spécialement exposée à l'article SUBSTANCE ANIMALE. Voyez cet article.

Quelques pharmocologistes ont compté la soie crue donnée en substance, & sans avoir éprouvé le feu chimique parmi les cordiaux : & ils ont estimé cette vertu par celle du sel volatil qu'on en retire par la violence du feu. C'est la même erreur que celle qui a érigé la corne de cerf & la vipere en sudorifiques, voyez VIPERE & l'article PRINCIPE (Chimie) ; la soie n'est point cordiale, la soie n'a point de vertu médicamenteuse.

On a employé en Pharmacie, l'alkali volatil & l'huile empyreumatique de soie. Le premier principe entre, par exemple, dans les gouttes d'Angleterre céphaliques ou gouttes de Goddard. A la bonne-heure, car ce produit de l'analyse animale a des vertus médicamenteuses très-réelles & très-énergiques : mais il faut qu'on se souvienne que l'alkali volatil de soie n'a absolument que les propriétés médicinales connues des alkalis volatils animaux.

La cendre de soie est comptée parmi les remedes mondificatifs ; c'est un pauvre remede & qui est aussi fort peu usité. (b)

SOIE, (Coutelier) c'est la queue d'une lame de couteau de table ; la soie est séparée de la lame par la moitié.

SOIE, en terme de Vergettier ; c'est le poil dont les sangliers ou les porcs sont couverts. On tire beaucoup de soie de sanglier de Moscovie, d'Allemagne, de Lorraine, de Danemarck, &c.


SOIERIES. f. (Com.) nom sous lequel on renferme tout ce qui appartient au commerce en soie.


SOIFS. f. (Physiolog.) c'est l'appétit des fluides ; il ne faut point croire que ce qui est la source de la soif soit aussi la source de la faim ; souvent cette derniere sensation n'est pas accompagnée de la soif, & souvent on l'éprouve dans le tems qu'on a le moins d'appétit. Elle a son siége non-seulement dans l'estomac, mais dans l'oesophage, dans le pharynx & dans toute la bouche.

Son origine n'est pas facile à développer ; mais en général il paroît que la soif provient d'une certaine chaleur qui s'excite dans l'estomac par différentes causes ; les principales sont les alimens chauds, les vins spiritueux, les liqueurs fortes, les assaisonnemens aromatiques, le violent exercice, la chaleur de la saison, le crachement excessif des gens pituiteux, phthisiques, mélancoliques, &c.

Si donc 1°. le gosier n'est pas humecté, la soif se fait sentir, parce que les vaisseaux étant secs se retrécissent, & augmentent par-là le mouvement du sang ; c'est à cause de cette sécheresse, que les phthisiques ont la paume de la main fort chaude après le repas.

2°. S'il y a des matieres gluantes dans l'estomac, la soif peut survenir, parce que ces matieres qui ont de la viscosité, sont un effet de la chaleur, & quelquefois elles supposent un sang privé de sa lymphe ; quand le sang n'a pas d'humeur aqueuse, il est épais, & alors il ne peut pas passer librement par les vaisseaux capillaires, il gonfle donc les arteres qui doivent en conséquence battre plus fréquemment & plus fortement, ce qui ne sauroit arriver que la chaleur ne s'augmente.

3°. Les sels, les matieres âcres, ou les corps qui contiennent beaucoup de feu doivent causer la soif, car toutes ces substances mettent en mouvement les parties solides, & y excitent par conséquent de la chaleur.

4°. Dans les fievres, la soif se fait sentir avec violence, la raison n'est pas difficile à trouver ; les fievres ne sont causées que par un excès de mouvement, les arteres étant bouchées se gonflent, il faut donc qu'elles battent plus fortement & plus fréquemment, & que par-là il survienne plus de chaleur.

5°. Dans l'hydropisie, l'on sent une soif violente, cela vient de ce que la partie aqueuse du sang reste dans l'abdomen ; il n'y aura donc qu'un sang épais dans les autres parties, cette épaisseur causera nécessairement de la chaleur ; d'ailleurs l'abdomen étant rempli d'eau, les vaisseaux sanguins sont fort comprimés, le sang coule donc en plus grande quantité vers les parties supérieures ; de-là il suit que le mouvement & la chaleur y sont plus considérables, & qu'il arrive souvent des hémorrhagies aux hydropiques.

6°. On voit par ce détail que c'est un mauvais signe, comme dit Hippocrate, que de n'avoir pas soif dans les maladies fort aiguës ; cela marque que les organes deviennent insensibles, & que la mort n'est pas éloignée. L'origine de ce dégoût pour les fluides, vient du resserrement des vaisseaux lactés ; il faudroit alors employer quelque liquide très-humectant, auquel le malade se porteroit plus volontiers.

La cause finale de la soif, est de nous avertir des vices du sang, de sa diverse acrimonie, de son épaississement, de son inflammation ; du desséchement du pharynx, de l'oesophage & du ventricule, desséchement qui arrive toutes les fois que les glandes cessent de filtrer un suc doux & muqueux.

Entre les quadrupedes qui peuvent le plus supporter la soif, on n'en connoît point qui jouïssent de cet avantage comme le chameau ; car même dans les pays brûlans, ils supportent la soif des semaines entieres. Cet animal a dans le second de ses quatre ventricules plusieurs cavités faites comme des sacs, qui selon quelques physiciens pourroient être les reservoirs où Pline dit que les chameaux gardent fort long-tems l'eau qu'ils boivent en quantité quand ils en trouvent dans les déserts.

Ce qu'il y a de plus certain, c'est que l'homme n'a pas le même bonheur, & que quand il ne peut satisfaire à ce besoin pressant, cet état est suivi au bout de quelques jours de l'inflammation du ventricule, de la fievre, du resserrement de la gorge, & de la mort. C'est un tourment inexprimable, par lequel on recherche dans le secours de l'eau ou de tout autre liquide, le remede au mal qu'on endure ; on donneroit alors un royaume pour un verre d'eau, comme fit Lysimaque.

Il n'y a, dit l'amiral Anson, dans son voyage de la mer du Sud, que ceux qui ont long-tems souffert la soif, & qui peuvent se rappeller l'effet que les seules idées de sources & de ruisseaux ont produit alors en eux, qui soient en état de juger de l'émotion avec laquelle nous regardâmes une grande cascade d'une eau transparente, qui tomboit d'un rocher haut de près de cent piés dans la mer, à une petite distance de notre vaisseau. Ceux de nos malades qui n'étoient point à l'extrêmité, quoiqu'alités depuis long-tems, se servirent du peu de force qui leur restoit, & se traînerent sur le tillac pour jouir d'un spectacle si ravissant. (D.J.)

SOIF, (Lang. franç.) ce mot au figuré désigne une grande passion, un desir vif, inquiet & ardent de quelque chose ; il s'employe dans le style noble, la soif de l'or, la soif des honneurs, la soif de la gloire. L'Evangile dit, que ceux qui ont soif de la justice sont bienheureux ; c'est une belle idée. La poésie s'est enrichie de ce mot.

Cette soif de régner que rien ne peut éteindre

Rac. Iphig. act. 4. sc. 4.

Perfides, contentez votre soif sanguinaire.

Iphig. act. 5. sc. 4.

Vous brûlez d'une soif qu'on ne peut étancher.

Despreaux

(D.J.)


SOIGNIES(Géog. mod.) petite ville des Pays-Bas, dans le Haynaut, au comté de Mons, sur la riviere de Senne, à quatre lieues au nord-ouest de Binche, & à sept au sud-ouest de Bruxelles, près d'une forêt de même nom qui a sept lieues de circuit.

Cette ville est nommée Sonegiae dans les anciens titres, & c'est de Sonegiae qu'on a fait Soignies. Elle a un chapitre séculier, un couvent de Capucins, un de Soeurs - grises, & les PP. de l'Oratoire y ont une maison depuis 1629. Long. 21. 45. lat. 50. 31. (D.J.)


SOINS. m. (Gramm.) attention qu'on apporte à quelque chose. Ayez soin de ces effets. Je confie la conduite de ma maison à vos soins. Cet ouvrage est travaillé avec soin, ou soigné. J'ai l'esprit embarrassé de mille soins ou soucis. Combien de soins inutiles ne lui ai-je pas rendus ? J'en suis avec elle aux petits soins. On dit soigner pour avoir ou prendre soin ; soigneux, de celui qui a soin.


SOIRS. m. (Gram.) intervalle de la journée qui comprend la fin du jour & le commencement de la nuit. En hiver, les soirées sont longues.

SOIR, (Médecine) ce tems de la journée mérite une certaine attention de la part des Médecins, soit par rapport aux changemens qui arrivent alors dans les maladies, soit à cause des remedes qu'il convient de prescrire ou d'éviter. Les redoublemens de la plûpart des fievres se font le soir ; c'est vers le tems du coucher du soleil que les malades commencent à devenir plus inquiets ; le malaise augmente ; les douleurs sont plus sensibles ; souvent ils entrent alors dans l'agonie ; quelques-uns ayant pendant le jour retenu un dernier souffle de vie, prêt à échapper, sont morts dans l'instant que le soleil a cessé d'éclairer l'horison. Ces effets dépendroient-ils d'une action particuliere, ou de l'influence de cet astre lumineux ? Animeroit-il par sa présence la machine ? augmenteroit-il le ressort & le jeu des organes ? vivifieroit-il en un mot, également les hommes, les animaux & les plantes ? & en disparoissant, donneroit-il lieu à cette espece d'affaissement qui produit le sommeil varié des êtres organisés & vivans, qui prive la plûpart des plantes de leur éclat, qui les flétrit, & qui fait cesser l'exercice des sens & des mouvemens dans presque tous les animaux ? Voy. INFLUENCE DES ASTRES. Ou bien pourroit-on attribuer ces effets à la façon de vivre la plus généralement suivie par les hommes, à la fatigue du jour, à l'état de veille qui doit nécessairement lasser les organes, aux alimens qu'on prend, &c. ? Si ces causes influent, elles ne sont pas du moins générales, & l'on observe que dans les fievres lentes, les quotidiennes, les redoublemens ne viennent pas moins le soir, quoique le malade ait dormi tout le jour, & observé une diete rigoureuse. Cependant on ne doit pas tout-à-fait exclure leur action, qui se rend sensible chez ces personnes qui font du jour la nuit, & de la nuit le jour ; pour qui le soir est matin, & le matin est soir ; leur machine se plie insensiblement à ce pervertissement de l'ordre naturel. Le physique & le moral sont chez elles asservis à-peu-près aux mêmes loix, ou au même défaut de loix. Les maladies qui viennent en foule les assaillir sous ces lambris dorés, semblent s'y conformer, elles ne ressemblent jamais avec la même uniformité aux mouvemens du soleil, dont l'usage est souvent peu connu dans ces appartemens retirés, fermés à la clarté du jour, & uniquement éclairés par la brillante & flateuse lueur des flambeaux multipliés. Les redoublemens s'y font plus souvent sentir le matin que le soir, & dans l'administration des remedes le médecin est souvent obligé de se servir de leur mesure pour distinguer les tems de la journée.

Lorsque la nécessité n'est pas pressante, lorsqu'il est libre au médecin de choisir un tems de la journée pour faire prendre quelque remede, sur-tout des purgatifs, il les prescrit ordinairement le matin. Voyez ce mot. Le malade alors plus tranquille, fortifié par le sommeil de la nuit, en supporte mieux l'effet, & en éprouve plus de soulagement ; on évite de donner ces remedes le soir, à cause de la révolution que nous avons dit arriver alors assez communément dans la maladie, qui s'opposeroit au succès entier du médicament. D'ailleurs l'agitation que procure le remede, l'excrétion qu'il doit occasionner, empêcheroit le sommeil de la nuit. Les secours qui semblent plus appropriés le soir, sont les saignées à cause du redoublement ou de l'agitation plus grande qui se fait alors, les vésicatoires & les cordiaux pour prévenir ou dissiper un affaissement que l'absence du jour & le sommeil pourroient augmenter. Dans d'autres cas les calmans, les narcotiques indiqués pour préparer une nuit plus tranquille, pour procurer un sommeil qui rétablisse les forces, pour diminuer une excrétion trop abondante qui s'y opposeroit, & enfin pour réparer les mauvais effets qu'un purgatif ou un émétique, donné dans la journée, manque rarement d'occasionner. Pour remettre la machine dans l'équilibre & l'assiette naturelle, dont ces remedes l'avoient tirée, Sydenham étoit fort dans l'usage de donner un parégorique le soir du jour qu'il avoit purgé ses malades ; beaucoup de praticiens ont suivis cette méthode, dont ils se sont bien trouvés. (m)


SOISSONNOISLE, (Géog. mod.) pays de France qui faisoit autrefois partie de la province de Picardie, & qui est à-présent uni au gouvernement militaire de l'île de France. Il est borné au nord par le Laonnois, au midi par la Brie, au levant par la Champagne, & au couchant par le Valois. Il comprend une partie du terrein qu'occupoient anciennement les Suessiones. Il a depuis suivi le sort de Soissons sa capitale. C'est un pays fertile en grains, en prairies & en bois. La riviere d'Aîne le traverse. (D.J.)


SOISSONS(Géog. mod.) ville de France, capitale du Soissonnois, sur la riviere d'Aisne qu'on y passe sur un pont de pierre. Elle est assez grande, peuplée & située dans un vallon agréable & fertile, à 12 lieues d'Amiens & à 22 de Paris. Quoique ses dehors soient charmans, ses rues sont généralement étroites, & ses maisons mal bâties. Il y a dans cette ville un intendant, bureau des finances, présidial, élection, maréchaussée, jurisdiction des juges consuls & maîtrise des eaux & forêts. Les PP. de l'oratoire occupent le college. On voit quelques abbayes d'hommes dans cette ville, entr'autres celles de S. Jean qui est chef d'ordre & l'unique. L'abbaye de filles, ordre de S. Benoit, appellée l'abbaye de Notre-Dame, est très-riche. On remarque dans son église deux tombeaux de marbre assez antiques, qui ont chacun cinq à six piés de longueur, & trois de hauteur. L'un de ces tombeaux paroît être celui de quelque chrétien riche & illustre ; & l'autre est celui de quelque homme de guerre.

L'évêché de Soissons est très-ancien ; son évêque est le premier suffragant de Rheims, & a droit de sacrer nos rois au défaut de l'archevêque, ce qui a été pratiqué au sacre de S. Louis, & à celui de Louis XIV. Il est vrai que la cérémonie de ce sacre ne se fait dans l'église métropolitaine de Rheims, par l'évêque de Soissons, que sous l'autorité & avec la permission du chapitre. Le revenu de l'évêché de Soissons est de 15 à 20000 livres. Son diocèse compte près de 400 paroisses, & 23 abbayes tant d'hommes que de filles. Le chapitre de l'église cathédrale est nombreux, & les canonicats sont un peu meilleurs depuis la suppression qu'on a fait de onze prébendes. Long. 20. 59. lat. 49. 22.

Soissons, en latin Augusta Suessionum, a pris, comme on voit, son nom des peuples Suessiones. Elle s'appelloit auparavant Noviodunum, & elle étoit célebre du tems de Jules-César, qui remarque que Divitiacus son roi, avoit été un prince illustre & puissant. Ce fut Auguste qui abolit le nom de Noviodunum qu'avoit cette ville, pour lui donner le sien.

Dans nos tems modernes Louis XIV. a érigé à Soissons une académie de beaux esprits par des lettres patentes enregistrées au parlement, le 27 Juin 1675. En effet, elle a produit de tems en tems des gens de lettres de mérite.

Héricourt (Julien de), né dans cette ville, occasionna l'établissement de l'académie de Soissons. Son petit fils, Louis d'Héricourt, s'est distingué dans le barreau de Paris, & a mis au jour un livre fort estimé, sur le droit ecclésiastique françois.

Les Théologiens savent assez que Paschase Ratbert, abbé de Corbie, dans le neuvieme siecle, étoit de Soissons. Il se rendit illustre par un grand nombre d'ouvrages que le P. Sirmond a recueillis, & publiés pour la premiere fois à Paris, en 1618, en un volume in-folio. Le Traité de Paschase du corps & du sang de Notre Seigneur J. C. excita dans son tems, & a causé depuis de grandes contestations qu'il est inutile de reveiller.

Robbe (Jacques), connu par ses ouvrages de géographie, naquit à Soissons en 1643, & y est mort en 1721. Il a fait deux dissertations qui n'ont pas été imprimées. Dans la premiere, il prétend que le Bibrax oppidum Rhemorum, dont parle César, est la ville de Laon. L'autre dissertation traite du lieu où se donna en 593, la fameuse bataille de True (ou Traussi), dans le Suessonois, sous Clotaire II. M. Robbe croit que ce lieu appellé en latin Trucciu, dans les gesta Francorum, c. xxxvj. est Prêle sur l'Aisne, village au nord de Braine.

Sussannau (Hubert) poëte & humaniste, naquit à Soissons, en 1514, publia quelques traités de grammaire, & des poésies latines qui furent assez bien reçues.

Voilà pour les gens de lettres. Ajoutons un mot d'un homme célebre dans l'histoire de France, & qui mourut à Soissons en 1611, à l'âge de 57 ans, je veux parler de Charles de Lorraine, duc de Mayenne, frere de Henri duc de Guise. Il fut long-tems jaloux de la réputation de ce frere, dont il avoit toutes les grandes qualités à l'activité près. Nourri comme le duc de Guise dans les allarmes, il succéda à sa gloire ainsi qu'à ses desseins. L'un donnoit beaucoup au hasard, & l'autre à la prudence ; l'un étoit trop hardi, l'autre trop mesuré ; le premier promettoit tout & tenoit peu, celui-ci promettoit rarement & ne manquoit guere à sa parole. Dès que le sceptre de la ligue eut passé dans ses mains, il sçut long-tems par une sage politique, réunir sous ses loix les diverses factions des esprits ; & s'il n'eut pas trouvé dans sa propre famille des rivaux qui lui disputoient la couronne de France, on ne doute guere qu'il n'eût réussi à la mettre sur sa tête. (D.J.)

SOISSONS, (Académ. de) société littéraire établie à Soissons, sous la protection du cardinal d'Estrées, par lettres patentes du roi en 1674.

Avant qu'elle eût reçu cette forme munie de l'autorité royale, & dès l'an 1650, les premiers qui ont composé cette compagnie, s'assembloient régulierement une fois la semaine, conféroient ensemble de leurs études, se communiquant leurs lumieres, & corrigeant ensemble leurs compositions : encouragés à ces exercices par les liaisons qu'ils avoient avec plusieurs membres de l'académie Françoise, qui leur donnerent la pensée de former une académie, ensorte qu'on peut la regarder comme fille de l'académie Françoise avec laquelle elle conserve des liaisons très-étroites.

L'académie de Soissons a presque les mêmes statuts & les mêmes usages que l'académie Françoise. Le nombre de ses membres est fixé à 20, & elle doit toujours prendre un protecteur du corps de l'académie Françoise, à laquelle elle envoye tous les ans pour tribut, une piece de sa composition. La perfection de la langue françoise, l'Eloquence, les Belles - lettres & l'Histoire, sont les objets de ses études ; & pour marquer encore davantage ses rapports avec la premiere de nos académies, elle a pris pour devise un aiglon qui s'éleve vers le soleil à la suite d'un aigle, avec ces mots : maternis ausibus audax. Si quelque membre de l'académie Françoise se trouve à Soissons, les académiciens de cette derniere ville le prient de présider à leurs assemblées ; & de son côté l'académie Françoise admet dans les siennes les académiciens de Soissons, leur permet d'y prendre séance, & demande leur avis sur les matieres qu'on y agite.

En 1734 M. de Laubrieres, alors évêque de Soissons, fonda un prix annuel, qui doit être distribué à celui qui remplira le mieux, au jugement de l'académie, un sujet qu'elle propose sur quelque sujet d'histoire ou de littérature. Ce prix est une médaille d'or de trois cent livres.


SOIXANTE(Arithmét.) nombre pair composé de six dixaines, ou de dix fois six, ou de cinq fois douze, ou de douze fois cinq, ou de quinze fois quatre, ou de quatre fois quinze, ou de vingt fois trois, ou de trois fois vingt, ou de deux fois trente, ou de trente fois deux ; ainsi que six soit multiplié par dix, ou que dix le soit par six, ou cinq par douze, ou douze par cinq, ou quinze par quatre, ou quatre par quinze, ou vingt par trois, ou trois par vingt, ou trente par deux, ou deux par trente : cela ne produiroit jamais que soixante. Le nombre de soixante multiplié par lui-même, produit 3600. En chiffre commun ou arabe, soixante s'écrit 60 ; en chiffre romain de cette maniere LX ; & en chiffre françois de compte & de Finance, lx. On dit soixante & un, soixante -deux, soixante -trois, & ainsi de suite jusqu'à quatre-vingt. Irson. (D.J.)


SOIXANTERv. a. (Jeu de piquet) compter soixante points, faire un soixante, un pic ; ce qui se dit de celui qui a la main lorsqu'il compte jusqu'à trente points de suite en jouant les cartes, avant que le joueur qui est le dernier ait fait aucune levée ni rien compté. Acad. des jeux. (D.J.)


SOIXANTIEMES. m. (Arithmét.) en matiere de fractions ou nombres rompus, un soixantieme s'écrit ainsi 1/60. On dit aussi un soixante-unieme, un soixante & deuxieme, un soixante & troisieme, &c. & ces différentes fractions se marquent de même que celle ci-dessus ; avec cette différence néanmoins que l'on met un 1, un 2, un 3 au lieu du zéro qui suit le 6 : ce qui se pratique de cette maniere 1/61, 1/62, 1/63, &c. On dit encore 3/60, 5/60, 7/60, &c. Irson. (D.J.)


SOou SOC, s. m. (Comm.) mesure des longueurs dont on se sert dans le royaume de Siam. C'est la demi coudée. Deux keubs font un sok ; douze nious font le keub, & chaque niou contient huit grains de riz non battu, c'est-à-dire neuf de nos lignes. Au-dessus du sok sont le kene, le voua, le sen, le jod & le rôé-nung, qui contient deux mille vouas ou toises. Voyez KEN, VOUA, &c. Dictionnaire de Commerce & de Trévoux.


SOKIOS. m. (Hist. nat. Botan.) C'est un très-grand arbre du Japon, dont les feuilles sont fort longues, & ont plusieurs lobes. Ses branches sont longues & minces. Koempfer est porté à croire que c'est l'arbre de la casse.


SOLS. m. (Architect.) Ce terme, dérivé du latin solum, rez-de-chaussée, signifie dans la coutume de Paris, art. 187, la propriété du fonds d'un héritage. Ainsi il est dit dans cette coutume, que qui a le sol a le dessous & le dessus, s'il n'y a titre contraire. Ceux qui bâtissent sur le fonds d'autrui pour en jouir un certain nombre d'années, n'ont que le dessus. Daviler (D.J.)

SOL ou SOU, s. m. (Monnoie) Ce mot signifie tantôt une monnoie réelle & courante, & tantôt une monnoie imaginaire & de compte. Le sol monnoie courante, est une petite espece faite de billon, c'est-à-dire de cuivre, tenant un peu d'argent, mais plus ou moins, suivant les lieux & les tems. Le sol de France a d'abord été fabriqué sur le pié de douze deniers tournois : il fut appellé douzain, nom qu'il conserve encore, quoiqu'il n'en ait pas la valeur.

Il y a eu autrefois en France sous la premiere race de nos rois, des sols, des demi-sols, & des tiers de sols d'or, ainsi que des sols d'argent à la taille de 24 à la livre.

Il y a en Hollande deux monnoies, l'une d'argent, l'autre de billon, auxquelles on donne le nom de sol ; celle d'argent s'appelle sol de gros, & l'autre sol commun, dit en hollandois stuyver : le sol de gros vaut 12 deniers de gros, ou un demi-schilling d'Angleterre.

Le sol françois, monnoie de compte, appellé sol tournois, est composé de quatre liards qui valent 12 deniers tournois. Les 20 sols tournois font une livre tournois. L'autre sol de compte, que l'on appelle sol parisis, est d'un quart en sus plus fort que le sol tournois, & vaut 15 deniers.

Le sol d'Angleterre se nomme sol sterling ; c'est la vingtieme partie d'une livre sterling, & le sol sterling vaut douze deniers sterlings, ou douze penings, c'est-à-dire vingt-quatre sols tournois de France. (D.J.)

SOL D'OR, (Monnoie) monnoie d'or. On s'est servi en France pendant la premiere race de nos rois, de sols, de demi-sols, & de tiers de sols d'or fin.

Ces monnoies étoient en usage chez les Romains dès Constantin ; & vraisemblablement les Francs qui s'emparerent de la Gaule, imiterent les Romains dans la fabrication de leurs monnoies. La conformité qu'il y a pour le poids entre nos sols, nos demi-sols, & les tiers de sols, & ceux des empereurs romains qui ont régné depuis le déclin de l'empire, ne permet guere d'en douter. Leur sol & le nôtre pesoient également chacun 85 grains 1/3 de grain, les demi-sols & les tiers de sols à proportion. Cela se justifie par la quantité de monnoies qui nous restent des uns & des autres.

Il paroît par plusieurs passages de la loi salique, que le sol d'or des Francs valoit 40 deniers (mais ces derniers étoient d'argent fin & pesoient environ 21 grains) ; le demi-sol en valoit 20, & le tiers de sol 13 & 1/3 de denier. Ce sol d'or vaudroit aujourd'hui de notre monnoie courante 15 livres environ, le demi-sol & le tiers de sol à-proportion. Ces trois especes d'or avoient ordinairement sur un de leurs côtés la tête ou le buste de quelqu'un de nos rois, & de l'autre une croix, avec le nom du lieu où la piece avoit été fabriquée.

Sous la seconde race, on se servit aussi de sols d'or ; mais il s'en trouve si peu, qu'il n'est pas possible de pouvoir déterminer quel étoit leur véritable poids. M. le Blanc n'a vu qu'un seul de ces sols d'or, qu'il croit être de Louis le débonnaire, & qui étoit beaucoup plus fort que les sols d'or de la premiere race, car il pesoit 132 grains ; ils valoient toujours 40 deniers d'argent, mais ils étoient plus pesans que ceux dont il est parlé dans la loi salique.

Pendant le commencement de la troisieme race, on se servoit encore en France de sols d'or fin ; mais comme il n'en reste aucun, on n'en connoît ni le poids ni la valeur. Sous le regne de Philippe I. il y avoit des francs d'or qu'on nommoit aussi florins d'or, lesquels étoient peut-être la même chose que le sol d'or, qui avoit encore cours en ce tems-là. Après tout, que le sol d'or & le franc d'or ne soient qu'une même monnoie, ou que c'en soient deux différentes, on en ignore le poids & la valeur ; parce que personne n'a encore vû aucune espece d'or du commencement de la troisieme race. (D.J.)

SOL, (Musique) l'une des six syllabes inventées par l'Aretin, pour prononcer & solfier les notes de la gamme. Le sol naturel répond à la lettre G. Voyez GAMME. (S)

SOL, terme de Blason. Il se dit quelquefois du champ de l'écu qui porte les pieces honorables & les meubles. (D.J.)


SOLAGES. m. (Gramm. & Econom. rustiq.) sol terrein. Ces fruits sont d'un mauvais solage, d'un sol aride, d'un terroir ingrat. Solage se dit peu.


SOLAIREadj. (Astron.) se dit de ce qui a rapport au soleil. Voyez SOLEIL.

Systême solaire, est l'ordre & la disposition des différens corps célestes qui font leurs révolutions autour du soleil comme centre de leur mouvement : ces corps célestes sont les planetes du premier & du second ordre, & les cometes ; quant au plan du systême solaire. Voyez SYSTEME.

L'année solaire est composée de 365 jours 5 heures 49 minutes, par opposition à l'année lunaire, qui n'est que de 354 jours. Voyez ANNEE.

L'année solaire est tropique ou planétaire.

L'année solaire tropique est l'espace de tems dans lequel le soleil revient au même point des équinoxes ou des solstices ; cet espace est toujours égal à 365 jours 5 heures, & environ 49 minutes.

L'année solaire planétaire est l'espace de tems pendant lequel le soleil revient à quelque étoile fixe, particuliere : ce qui arrive environ au bout de 365 jours 8 heures & 9 minutes. V. AN. Chambers. (E)

SOLAIRE, s. f. est le nom que donne M. Bouguer à la courbe que décrivent les rayons de lumiere en traversant l'atmosphere. Voyez CREPUSCULE, REFRACTION.

M. Taylor a donné dans son livre methodus incrementorum directa & inversa, la maniere de trouver cette courbe ; M. Bouguer, dans sa dissertation sur la maniere d'observer en mer la hauteur des astres, qui remporta le prix de l'académie en 1729, a donné aussi l'équation de cette courbe par une méthode particuliere, plus claire que celle de M. Taylor, & il montre dans cette dissertation l'usage qu'on en peut faire pour connoître la hauteur des astres. (O)

SOLAIRE, en Anatomie, nom du muscle extenseur du pié ; il prend ses attaches à la partie postérieure & supérieure du tibia & du peroné, à la membrane interosseuse, & se termine par un tendon plat en s'unissant à ceux du plantaire & des jumeaux à la partie postérieure & supérieure du calcaneum.

SOLAIRE, terme de Chirurgie, bandage pour la saignée de l'artere temporale. Voyez ARTERIOTOMIE, article où l'on a donné la maniere de faire ce bandage. (Y)


SOLAKS. m. terme de relation, soldat à pié de la garde du grand-seigneur : les solaks ont un bonnet pareil à celui des tehornadgis, & portent chacun un arc à la main ; leur veste de dessous est retroussée jusqu'à la ceinture, avec des manches pendantes ; la chemise qu'ils ont par-dessus les caleçons, est brodée sur coutures. Du Loir.


SOLAMIRES. f. en terme de Boisselier, c'est cette toile de crin, de soie, ou de toute autre chose à claire voie dont on garnit les tamis, & à-travers laquelle doit passer ce qu'on veut sasser. Voyez TAMIS.


SOLANDRES. f. (Art hippiatr.) maladie du cheval ; c'est une espece d'ulcere ou crevasse qui vient au pli du jarret : la peau se trouve souvent fendue & rongée par l'âcreté des humeurs qui en découlent. (D.J.)


SOLANELA, (Géog. mod.) petite riviere de France, dans le Limousin ; elle se joint à la Correze, sous les murs de Tulles.


SOLANOIDES. f. solanoïdes, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose composée de quelques feuilles ; le pistil devient une coque assez ronde, qui renferme un noyau couvert d'une peau charnue qui lui donne l'apparence d'une baie. Tournefort, Mém. de l'acad. royale des Sciences. Voyez PLANTE.

La solanoide se nomme autrement dulcamere bâtarde ; sa fleur est en rose, à cinq pétales ; son pistil dégénere dans la suite en un fruit rondelet, contenant une semence dure, couverte d'une pulpe mince, qui donne au fruit la ressemblance d'une baie. Cette plante est nommée par Tournefort, solanoïdes americana, circeae foliis canescentibus. I. R. H.

Miller dit que les solanoïdes sont originaires des contrées les plus chaudes de l'Amérique, d'où l'on a apporté en Europe leurs semences ; elles sont aujourd'hui assez communes dans les jardins des curieux. Leurs fruits broyés donnent une couleur rouge assez belle, mais qui se fanne promtement, ensorte qu'on en fait peu de cas. (D.J.)


SOLANTO(Géog. mod.) en latin Solus ou Solantum, bourg, autrefois ville de Sicile, dans le Val de Mazara, entre Palerme & Termini, à l'orient septentrional de Monte-Alfano. M. Delisle appelle ce bourg le fort de Solanto. (D.J.)


SOLANUMS. m. (Botan.) Tournefort compte trente-quatre especes de solanum, entre lesquelles il y en a une principalement d'usage en Médecine, & une autre en aliment ; mais l'espece de solanum nommé belladonna majoribus foliis & floribus, par Tournefort I. R. H. 77, est un véritable poison.

Le solanum d'usage en Médecine est nommé solanum nigrum, vulgare, I. R. H. 149, en anglois, the common night-shade, & en françois, morelle. Voyez MORELLE.

L'espece de solanum dont la racine est d'usage en aliment, est le solanum tuberosum esculentum, I. R. H. 149, en françois batate, patate, pomme de terre, topinambour. Voyez POMME DE TERRE & TOPINAMBOUR.

La belladonna de Tournefort, de Boërhaave, de Clusius, de Dillenius & autres botanistes, est le solanum lethale de Ray, hist. 1. 679 ; solanum melanocerasus, C. B. P. 166, solanum maniacum, J. B. 3. 611. solanum somniferum, Phyt. Brit. 115, solanum furiosum luridè purpureo flore calathoide, melanocerasus. Pluk. Almag. 1. 352.

C'est le plus grand de tous les solanum ; il a plusieurs racines épaisses, longues, éparses, fortes, d'où partent de grandes tiges angulaires qui s'élevent à la hauteur de l'homme & plus, environnées de feuilles d'un verd sale, de la figure de celles de la morelle ordinaire, mais beaucoup plus larges ; ses fleurs sont dispersées parmi les feuilles ; elles croissent séparément sur de longs pédicules ; elles sont larges, profondes, en cloche, divisées en six segmens à leurs extrêmités, d'un brun foncé, verdâtres à l'extérieur, & purpurines au-dedans. Elles font place à des baies larges, luisantes, rondes, noires, comme des cerises, placées sur un calice brunâtre, & pleines d'une pulpe purpurine, succulente, d'un goût fade & douçâtre ; cette pulpe est parsemée de petites graines plates.

Ce sont les fruits de cette plante qui produisent des convulsions, des battemens de coeur terribles, l'aliénation de l'esprit, & la mort. Les mémoires de l'académie royale, les Transactions philosophiques, & d'autres ouvrages, n'ont cité que trop d'exemples des qualités funestes de cette plante. Ray rapporte, d'après Hochstetter, qu'un frere mendiant à Rome ayant bu d'une infusion de belladonne, perdit les sens, & qu'il les recouvra en buvant un verre de vinaigre. Il est très-vraisemblable que le meilleur remede contre ce poison, ainsi que contre le stramonium, seroit les acides végétaux précédés d'une boisson copieuse d'eau & de miel émétisés. Les peintres en miniature font macérer le fruit du solanum melanocerasus, & en préparent aussi un beau verd. (D.J.)


SOLARIUMS. m. (Littérat.) c'est une esplanade, ou un lieu élevé à-découvert au soleil, où l'on se promenoit, comme on l'apprend d'Isidore & du glossaire de Cyrille.

Solarium est aussi un cadran au soleil. Vitruve a décrit plusieurs sortes de cadrans au soleil, liv. IX. de son architecture. (D.J.)


SOLBAM(Maréchal.) se dit d'un cheval dont la sole est foulée.


SOLBATURES. f. terme de Maréchal, foulure & meurtrissure de la chair qui est sous la sole, & qui est froissée & foulée par la sole, c'est-à-dire la petite semelle de corne du pié du cheval, quand cet animal a marché long-tems pié nud, & quand la sole est trop desséchée. (D.J.)


SOLBAZAR(Géog. mod.) bourgade de la Turquie en Asie, dans l'Anatolie, à une petite distance de Madre. C'est, selon Léunclavius, l'ancienne Halonae, ville de l'Asie mineure, près du Méandre. (D.J.)


SOLDADIAou SOLDAIA, (Géog. mod.) ville sur la côte de la Tartarie-Crimée, entre la ville de Caffa & le cap Jukermen. Cette petite ville est prise pour l'ancienne Lagyra. (D.J.)


SOLDANELLES. f. soldanella, (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale en forme de cloche, & ordinairement frangée. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie inférieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit cylindrique, qui s'ouvre par la pointe, & qui renferme plusieurs semences attachées à un placenta. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Selon Linnaeus, le calice de la fleur est droit, durable & divisé en cinq segmens aigus ; la fleur est monopétale, en cloche, qui s'élargit jusque dans les bords où regne une dentelure ; les étamines sont cinq filets plats ; leurs bossettes sont simples ; le germe du pistil est arrondi ; le stile est menu, de la longueur de la fleur, & subsiste après elle ; le stigma est obtus ; le fruit est une capsule oblongue, cylindrique, contenant une seule loge ; les graines sont très-nombreuses, extrêmement petites & pointues.

La principale espece de soldanelle est nommée par Tournefort, convolvulus maritimus nostras, rotundifoliis, I. R. H. 83. Sa racine est fibreuse & menue. Elle pousse plusieurs tiges grêles, pliantes, sarmenteuses, rougeâtres, rampantes sur terre. Ses feuilles sont sphéroïdes, lisses, luisantes, semblables à celles de la petite chélidoine, mais plus épaisses, remplies d'un suc laiteux, & portées sur de longs pédicules. Ses fleurs sont des cloches à bords renversés comme celles des autres especes de liseron, assez grandes, & de couleur purpurine. Il leur succede des fruits presque ronds, membraneux, qui renferment des semences anguleuses & noires pour l'ordinaire. Cette plante croît fréquemment sur les rivages sablonneux de la mer, & fleurit en été. (D.J.)

SOLDANELLE, (Mat. médic.) chou marin. Cette plante est comptée parmi les purgatifs hydragogues, c'est-à-dire violens. On l'employe quelquefois dans l'hydropisie, la paralysie & les maladies invétérées de la peau. On donne son suc dépuré à la dose de demi-once ; son extrait à celle d'un gros ; la plante séchée & réduite en poudre à la dose d'un gros jusqu'à deux dans de l'eau ou dans du bouillon. Voyez PURGATIF.

Les feuilles seches de soldanelle entrent dans la poudre hydragogue de la Pharmacopée de Paris. (b)


SOLDATS. f. (Art militaire) est un homme de guerre, qui s'engage de servir un prince ou un état moyennant une certaine paye.

Ce mot est formé de l'italien soldato, & celui-ci du latin solida, ou solidata, ou solidus, solde ou paye ; cependant Pasquier aime mieux le dériver du vieil mot gaulois solet doyer, un soldier ; & Nicod le fait venir de soldurrus.

Le soldat est celui qui reçoit la paye ; le vassal est celui qui est obligé de servir à ses propres dépens ; le volontaire est celui qui sert à ses dépens, mais de bonne volonté. Voyez VASSAL, &c.

Ducange remarque que les anciens soldats ne devoient point avoir moins de cinq piés & demi de haut, & qu'on appelloit cette mesure incomma ou incoma. Chambers.

On doit, selon Vegece, s'attacher sur toute chose à connoître par les yeux, par l'ensemble des traits du visage, & par la conformation des membres, ceux qui peuvent faire les meilleurs soldats. Il y a, dit cet auteur, des indices certains & avoués par les gens d'expérience pour juger des qualités guerrieres dans les hommes, comme pour connoître la bonté des chevaux & des chiens de chasse. Le nouveau soldat doit avoir les yeux vifs, la tête élevée, la poitrine large, les épaules fournies, la main forte, les bras longs, le ventre petit, la taille dégagée, la jambe & le pié moins charnus que nerveux. Ces qualités peuvent dispenser d'insister sur la hauteur de la taille, parce qu'il est plus nécessaire que les soldats soient robustes que grands. Nouv. trad. de Vegece. On préfere les soldats levés dans la campagne à ceux des villes, parce qu'ils sont plus propres à soutenir les travaux & les fatigues militaires. (Q)

SOLDATS DE MARINE, (Marine) ce sont des soldats qu'on employe sur mer, & qui travaillent à la manoeuvre des écoutes & des couets.

SOLDATS GARDIENS, (Marine) soldats qu'on entretient sur les ports. Il y en a trois cent dans le port de Toulon ; & pareil nombre dans les ports de Brest & de Rochefort ; & cinquante au Havre-de-Grace ; outre 300 qu'on entretient à la demi-solde dans chacun de ces trois premiers ports.


SOLDES. f. (Art militaire) c'est la paye que l'on donne à chaque homme de guerre. Chez les Grecs, les soldats faisoient d'abord la guerre à leurs dépens ; ce qui étoit très-naturel, puisque c'étoient les citoyens mêmes qui s'unissoient pour défendre leurs biens, leur famille & leur vie. Périclès fut le premier qui établit une paye aux soldats athéniens. Chez les Romains, le service militaire se faisoit gratuitement dans les premiers tems de la république. Ce ne fut que plus de 440 ans après la fondation de Rome que le sénat, à l'occasion du siege de Véïes qui fut fort long, ordonna, sans en être requis, que la république payeroit aux soldats une somme réglée pour le service qu'ils rendroient. Pour fournir à cette paye, on imposa un tribut sur les citoyens à proportion de leur revenu. Quoique le soldat ne servît ordinairement que la moitié de l'année, il étoit payé de l'année entiere. Cette paye ne fut d'abord accordée qu'aux fantassins, mais les cavaliers l'obtinrent aussi trois ans après. Lors de l'établissement des compagnies d'ordonnances par Charles VII. en 1445, la solde de chaque gendarme, pour lui & pour toute sa lance fournie, voyez LANCE, étoit de trente francs par mois. Les bourgeois des villes & les habitans de la campagne payoient cette solde, & l'imposition ordonnée à ce sujet fut appellée la taille des gendarmes. Le P. Daniel prétend que c'est là le commencement des tailles ordinaires. Cette solde, dit cet auteur, paroîtra bien petite eu égard à l'équipage & à la suite du gendarme, & elle le seroit sans-doute de notre tems ; mais alors une telle somme étoit considérable, à cause du prix des vivres ; car nous voyons par les ordonnances de Louis XI. & même de François I. qu'un mouton à la campagne ne coutoit que 5 sols, pourvu qu'on rendît la peau & la graisse qui servoit à faire du suif. Cette solde fut depuis augmentée par la raison contraire. Hist. de la milice franç.

A l'égard de la solde ou de la paye que les troupes ont à-présent, voyez le code militaire de M. Briquet, ou les élémens de l'art militaire par M. d'Héricourt.

Pendant la guerre, la paye des troupes se fait de dix jours en dix jours, & de cinq en cinq pendant la paix, & toujours d'avance ; c'est ce qu'on appelle le prêt. Voyez PRET. (Q)

SOLDE DE COMPTE, (Commerce) somme qui fait la différence du débit & du crédit lorsque le compte est arrêté & vérifié. Dict. de com. & de Trév. Voyez COMPTE.


SOLDERSOLDER


SOLDIN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la nouvelle Marche de Brandebourg. Il y a une collégiale, composée de douze chanoines. Long. 32. 55. latit. 53. (D.J.)


SOLDURIER(Hist. des Gaules) on appelloit solduriers dans les Gaules certains braves qui s'attachoient à un prince ou à un seigneur pour avoir part à sa bonne ou à sa mauvaise fortune ; lorsque le seigneur périssoit dans un combat, ils mouroient avec lui, ou se tuoient après sa défaite. Voyez César, l. III. de la guerre des Gaules. (D.J.)


SOLES. f. solea, lingulaca, (Hist. nat. Ichthyol.) poisson de mer, dont la figure a quelque rapport à celle d'une langue de boeuf ; il est plus long, plus plat & moins large que la plie ; la face inférieure du corps a une couleur blanche, & la face supérieure est noire ; les mâchoires sont courbes, & n'ont point de dents. Il y a sur chacune des faces du corps un trait droit qui s'étend depuis la tête jusqu'à la queue ; les yeux sont placés sur la face supérieure de la tête ; les nageoires des ouïes ont la meme couleur que la partie du corps où elles se trouvent ; celle du dos & celle du ventre sont blanches en - dessous & noires en-dessus ; la premiere s'étend sur toute la longueur du dos ; l'autre ne commence qu'au-dessous de l'anus, & se prolonge aussi jusqu'à la queue dont la nageoire n'est pas fourchue. La sole craint le froid, & se cache au fond de la mer pendant l'hiver. Sa chair est dure, visqueuse, très-nourrissante & de bon goût, sur-tout lorsqu'elle a été gardée quelque tems, c'est pour cette raison que les soles sont meilleures à Paris que sur les côtes où on les pêche. Rondelet, hist. nat. des poissons, part. I. liv. XI. chap. x. Voyez POISSON.

Il seroit singulier que la nature eût réservé à des insectes le soin de faire éclorre des oeufs de poissons. C'est pourtant un sentiment que M. Deslandes a adopté par rapport aux oeufs de sole, comme il paroît par l'hist. de l'acad. des Scienc. ann. 1722. Il a pensé que les soles étoient produites par une espece de petite écrevisse de mer qu'on nomme chevrette ou crevette. M. Deslandes en fit pêcher une grande quantité, & les mit dans une baille plein d'eau de mer ; au bout de douze à treize jours il vit huit ou dix petites soles. Il répéta l'expérience plusieurs fois, toujours avec le même succès ; il mit ensuite des soles dans une baille ; & quoiqu'elles frayassent, il n'y parut point de petites soles.

Il a de plus trouvé, que quand on a nouvellement pêché des chevrettes, on leur voit entre les piés plusieurs petites vessies, inégales en grosseur & en nombre, fortement collées à leur estomac par une liqueur gluante. Ayant examiné ces vessies avec un microscope, il y a vu une espece d'embryon qui avoit l'air d'une sole ; d'où il conclud que les oeufs de sole, pour éclorre, doivent s'attacher à des chevrettes.

M. Lyonnet n'a pas voulu disputer cette conclusion ; mais il lui semble avec raison que M. Deslandes auroit pu rendre son expérience plus sure, si au-lieu de la grande quantité de chevrettes qu'il a mise dans sa baille, & parmi lesquelles il se seroit aisément pu mêler quelques petites soles, sans qu'il s'en fût apperçu, il se fût contenté de prendre quelques chevrettes chargées des vessies dont il parle ; & qu'après avoir compté ces vessies, il eût mis chaque chevrette à part dans un peu d'eau ; si pour lors en trouvant après quelques jours une petite sole dans l'eau, il eût aussi trouvé une vessie de moins à la chevrette placée dans le même vase, ç'auroit été une preuve que la sole seroit née d'une vessie attachée à la chevrette ; mais encore n'auroit - ce pas été une preuve que les oeufs de sole ont besoin de ces insectes, & qu'ils ne pourroient éclorre sans cela.

Si les oeufs de celles qui avoient frayé dans la baille sont demeurés stériles, & que les autres aient produit des poissons, la raison de cette différence peut bien avoir été, ou que les mâles n'ont pas fertilisé le frai des premieres, & qu'ils auront rendu fertile celui dont les oeufs se sont attachés aux chevrettes ; ou bien que ces oeufs ayant besoin d'agitation pour éclorre, les premiers n'ont pas eu dans la baille l'agitation nécessaire qu'ils auroient reçue dans la mer, tandis que les chevrettes par leur mouvement auront procuré une agitation suffisante aux autres. Toutes ces réflexions prouvent qu'on ne sauroit être trop réservé à établir des faits sur des expériences douteuses, & qu'on croit démonstratives. (D.J.)

SOLE, s. f. (Marine) c'est le fond des bâtimens qui n'ont pas de quille, tels que la gribane, le bac, &c.

SOLES, (Marine) pieces du fond d'un affut de bord.

SOLE, s. f. (Architect.) c'est une grosse piece de bois d'équarrissage, qui avec une autre piece qu'on appelle la fourchette, fait la base d'une machine à élever des fardeaux qu'on nomme un engin. C'est sur le milieu de la sole que pose le poinçon, & ses bras. Les sonnettes, autre machine pour battre des pieux, ont pareillement leur sole, de dessus laquelle s'élevent les montans à coulisse & leurs bras. Les soles sont encore les deux pieces de bois posées en croix sur un massif de pierre ou de maçonnerie, sur le milieu desquelles est appuyé & arbouté l'arbre ou poinçon qui porte la cage d'un moulin à vent, & sur lequel il tourne. En général, toutes les pieces de bois qui posent à terre pour soutenir quelque construction, machine ou bâtiment, & sur lesquelles on les éleve, s'appellent des soles. (D.J.)

SOLES, s. f. (Maçonn.) ce sont les jettées du plâtre ou panier, que les maçons font avec la truelle pour former les enduits. (D.J.)

SOLE, s. f. (Agric.) c'est une certaine étendue de champ sur laquelle on seme successivement par années, des blés, puis des menus grains, & qu'on laisse en jachere la troisieme année. On divise ordinairement une terre en trois soles. (D.J.)

SOLES, s. f. pl. (Charpent.) On appelle ainsi toutes les pieces de bois posées de plat, qui servent à faire les empatemens des machines, comme des grues, engins, &c. On les nomme racinaux, quand au-lieu d'être plates, elles sont presque quarrées. Daviler. (D.J.)

SOLE, s. f. (Comm.) place publique ou étape où l'on étale les marchandises, & où on les met comme en dépôt pour être vendues. Les marchands de vin en gros sont tenus de mettre dans les soles de l'hôtel de ville leurs vins, pour en payer le gros. Dictionn. de commerce. (D.J.)

SOLE, (Maréchal.) On appelle ainsi le dessous du pié du cheval. C'est une espece de corne beaucoup plus tendre que l'autre qui l'environne, & qui à cause de sa dureté, est appellée proprement la corne. Un fer qui porte sur la sole, peut fouler un cheval, le faire boîter, & lui meurtrir la chair qui la sépare du petit pié.

Cheval dessolé est celui à qui on a ôté la sole sans toucher à la corne du sabot. On ôte la sole pour plusieurs accidens, & en moins d'un mois, elle peut être entierement rétablie.

SOLE, (Vénerie) Ce mot en terme de chasse, signifie le milieu du dessous du pié des grandes bêtes. (D.J.)

SOLE ou SOULLE, jeu de la, (Hist. mod.) Le jeu de la sole ou de la soulle étoit en usage autrefois dans le Berry, le Bourbonnois, la Picardie, & peut-être ailleurs. Ce mot vient, selon M. Ducange, de solea, une semelle de soulier, parce que c'étoit avec la plante du pié que l'on poussoit l'instrument. On jouoit à la sole dès le xiv. siecle en plusieurs endroits du royaume. En certains pays, ce jeu s'appelloit la soule, en d'autres, la chéole. On voit ce jeu désigné dans les ordonnances de nos rois & dans les statuts synodaux. L'instrument du jeu, s'il étoit gros, s'appelloit soule, & soulette, s'il étoit petit, en basse Bretagne s'appelloit mellat en langue vulgaire du xv. siecle, qui est le tems auquel Raoul évêque de Tréguier le défendit. Son statut est de l'an 1440, & on le trouve au tom. IV. du thesaurus anecdotorum des PP. Martenne & Durant. L'ordonnance de Charles VI. qui parle de ce jeu auquel les paysans du Véxin s'exerçoient devant la porte de l'abbaye de Notre-Dame de Mortevert, le jour de carême-prenant, est de l'an 1387. Une autre ordonnance du roi Charles V. qui est de l'an 1369, met ce jeu dans le rang de ceux qui sont défendus, comme ne servant nullement à dresser la jeunesse pour la guerre. La sole, selon M. Ducange, étoit un ballon enflé de vent, ou une boule de bois, & peut-être l'un & l'autre. Dans un decret ou statut du châtelet de Paris de l'an 1493, il en est encore parlé sous le nom du jeu de la soule. On assure que les peuples de quelques villages de l'archiprêtré d'Hériscon en Bourbonnois, croyoient autrefois honorer Saint Jean l'évangeliste ou Saint Ursin, en courant la sole ; c'est-à-dire, que cet exercice se faisoit dans l'une de ces paroisses le 27 de Décembre, & dans une autre, le 29 du même mois. Voyez M. Ducange & ses continuateurs dans le glossarium mediae & infimae latinitatis, aux mots ludi, cheolare, mellat &c. Le même M. Ducange, dans sa viij. dissertation sur Joinville, & le mercure de Mars 1735, où l'on trouve plusieurs réflexions de M. Lebeuf, chanoine & souschantre d'Auxerre, sur le même sujet. Supplément de Moréry.


SOLEA(Antiq. rom.) riche chaussure d'or & de soie, avec une seule semelle de cuir. (D.J.)


SOLÉCISMES. m. (Gram.) quelques grammairiens ont prétendu que ce mot, qui se dit en grec , est formé de ces mots, , sani sermonis indigna corruptio, corruption d'un langage sain. Mais cette origine, quoiqu'ingénieuse & probable en soi, est démentie par l'histoire.

" Ce mot est formé de , qui signifie les habitans de la ville appellée , comme , les habitans de la campagne ". [ La terminaison vient de , domus ; d'où , habito ]. " De on a fait , imiter les habitans de la ville appellé , comme de , imiter les gens de la campagne ". Voyez IMITATION.

" Il y avoit deux villes de ce nom, l'une en Cilicie, sur les bords du Cydnus, l'autre dans l'île de Chypre. Ces deux villes, suivant un grand nombre d'auteurs, avoient été fondées par Solon. La ville qu'il avoit bâtie dans cette province, quitta dans la suite le nom de son fondateur, pour prendre celui de Pompée, qui l'avoit rétablie. A l'égard de celle de l'île de Chypre, Plutarque nous a conservé l'histoire de sa fondation. Solon étant passé auprès d'un roi de Chypre, acquit bientôt tant d'autorité sur son esprit, qu'il lui persuada d'abandonner la ville où il faisoit son séjour : l'assiette en étoit à la vérité fort avantageuse ; mais le terrein qui l'environnoit étoit ingrat & difficile. Le roi suivit les avis de Solon, & bâtit dans une belle plaine une nouvelle ville, aussi forte que la premiere, dont elle n'étoit pas éloignée, mais beaucoup plus grande & plus commode pour la subsistance des habitans. On accourut en foule de toutes parts pour la peupler, & il y vint sur-tout un grand nombre d'Athéniens, qui s'étant mêlés avec les anciens habitans, perdirent dans leur commerce la politesse de leur langage, & parlerent bientôt comme des barbares, de-là le nom , qui est leur nom, fut substitué au mot , à , qu'on employoit auparavant pour désigner ceux qui parloient un mauvais langage ". Mém. de l'acad. royale des Inscr. & Belles-lettr. tom. V. Hist. pag. 210.

Le nom de solécisme, dans son origine, fut donc employé dans un sens général, pour désigner toute espece de faute contre l'usage de la langue ; & il étoit d'abord synonyme de barbarisme.

Mais le langage des sciences & des arts, guidé par le même esprit que celui de la société générale, ne souffre pas plus les mots purement synonymes : ou il n'en conserve qu'un, ou il les différencie par des idées distinctives ajoutées à l'idée commune qui les rapproche. De-là la différence que les Grammairiens ont mise entre les deux mots, solécisme & barbarisme, & que M. du Marsais a exposée avec netteté au mot BARBARISME.

Théophraste & Chrysippe avoient fait chacun un ouvrage intitulé ; ce qui prouve l'erreur d'Aulu-Gelle, l. V. c. xx. qui prétend que les écrivains grecs qui ont parlé purement le langage attique, n'ont jamais employé ce mot, & qu'il ne l'a vu dans aucun auteur de réputation. (B. E. R. M.)


SOLEILS. m. en Astronomie, est le grand astre qui éclaire le monde, & qui par sa présence constitue le jour. Voyez JOUR.

On met ordinairement le soleil au nombre des planetes ; mais on devroit plutôt le mettre au nombre des étoiles fixes. Voyez ETOILE, PLANETE.

Suivant l'hypothèse de Copernic, qui est à-présent généralement reçue, & qui même est appuyée par des démonstrations, le soleil est le centre du systême des planetes & des cometes ; autour duquel toutes les planetes & les cometes, & entr'autres notre terre, font leurs révolutions en des tems différens, suivant leurs différentes distances du soleil. Voyez l'article PLANETE.

La grande distance de la terre au soleil est l'unique cause qui nous empêche d'en appercevoir la sphéricité, ce qui n'est pas fort étonnant, puisque nous ne voyons pas même celle de la lune, qui est beaucoup moins éloignée de nous : au lieu d'appercevoir leur surface sphérique, nous jugeons au contraire l'un & l'autre planes ou comme des disques, au milieu desquels nous nous imaginons un point qui, quoique réellement dans leur superficie, n'en est pas moins regardé comme le centre de l'astre, n'étant que celui de la surface ou du disque apparent.

Quoique le soleil soit déchargé de ce mouvement prodigieux que les anciens s'imaginoient qu'il faisoit tous les jours autour de la terre, il n'est point cependant parfaitement en repos.

Il paroît évidemment, par les apparences de ses taches, qu'il a un mouvement de rotation autour de son axe, semblable à celui de la terre qui mesure le jour naturel, mais seulement plus lent. On apperçoit quelques-unes de ces taches au bord du disque du soleil, & quelques jours après on les voit sur le bord opposé ; d'où après un délai de quatorze jours, elles reparoissent à la place où on les avoit vues d'abord, & recommencent leur cours ; elles finissent ainsi tout leur circuit en 27 jours de tems : d'où on conclut que ce tems est celui de la rotation du soleil sur son axe. Ces taches se meuvent d'occident en orient ; on en infere que le mouvement du soleil se fait d'occident en orient. Pour ce qui regarde les différentes apparences des taches du soleil, leur cause, &c. voyez TACHES.

Outre ce mouvement du soleil autour de son axe, cet axe en a encore d'autres, mais moins sensibles, suivant M. Newton. Car, selon ce philosophe, les planetes pesent vers le soleil & le soleil vers les planetes ; desorte que si le soleil, qui est considérablement plus gros que toutes les planetes prises ensemble, attire les planetes à lui, les planetes doivent aussi attirer le soleil & le déranger du lieu qu'il occupe ; il est vrai que ce dérangement n'est pas fort considérable, mais il l'est assez pour produire quelques inégalités dans le mouvement des planetes. Car comme dans toutes observations astronomiques on suppose le soleil immobile & fixe au foyer des orbites des planetes, il est évident que les dérangemens que l'action des planetes cause au soleil, étant rapportés à ces mêmes planetes, doivent empêcher qu'elles n'observent constamment & exactement la même loi dans leurs mouvemens apparens autour de cet axe.

A l'égard du mouvement annuel que le soleil paroît avoir autour de la terre, les Astronomes font voir facilement que c'est le mouvement annuel de la terre qui occasionne cette apparence.

Un observateur qui seroit dans le soleil, verroit la terre se mouvoir d'occident en orient, par la même raison que nous voyons le soleil se mouvoir d'orient en occident ; & tous les phénomenes qui résultent de ce mouvement annuel dans quelque corps que ce puisse être, paroîtront les mêmes de l'un comme de l'autre.

Soit par exemple S, (Plan. d'astron. fig. 39.) représentant le soleil, ABCD l'orbite de la terre, qui en fait le tour en allant d'occident en orient dans l'espace d'un an. Un observateur placé en S voyant la terre en A, la rapportera au point qui est dans la sphere des étoiles : quand elle arrivera en B, l'observateur la verra comme si elle étoit au point : quand elle sera en C, il la verra au point , &c. jusqu'à ce qu'après avoir fait tout son circuit, elle reparoîtra en . Ainsi il lui semblera que la terre aura décrit l'écliptique, & passé successivement de signe en signe.

Supposons maintenant que l'observateur passe du soleil sur la terre au point C, la distance des étoiles fixes est si grande, que celle du soleil n'est qu'un point par rapport à elles ; par conséquent l'observateur, qui est à-présent sur la terre, verra la même face des cieux, les mêmes étoiles, &c. qu'auparavant ; avec cette seule différence qu'au lieu qu'auparavant il s'imaginoit que la terre étoit dans les cieux & le soleil au centre, il s'imaginera maintenant que le soleil est dans les cieux & la terre au centre.

Donc la terre étant en C, l'observateur verra le soleil en ; & cet observateur étant emporté avec la terre, & partageant son mouvement annuel, n'appercevra point son propre mouvement ou celui de la terre ; mais observant le soleil lorsque la terre sera en D, le soleil lui semblera être en : de plus quand la terre avancera en A, le soleil paroîtra avoir parcouru les signes dingbats cancer>, , & ; & tandis que la terre décrit le demi-cercle ABC, le soleil paroîtra avoir parcouru sur la surface concave des cieux les six signes , , ,)(; de maniere qu'un habitant de la terre verra le soleil parcourir le même cercle dans les cieux & dans le même espace de tems, qu'un observateur qui seroit dans le soleil, verroit parcourir la terre.

C'est de-là que vient le mouvement apparent du soleil, par lequel il semble avancer insensiblement vers les étoiles du côté de l'orient ; desorte que si une étoile qui est proche l'écliptique se leve dans un tems avec le soleil, quelques jours après le soleil sera plus avancé à l'orient de cette étoile, & l'étoile se levera & se couchera avant lui.

Pour ce qui regarde les phénomenes qui résultent du mouvement apparent du soleil, ou du mouvement réel de la terre, par rapport à la diversité des jours & des nuits, des saisons, &c. Voyez TERRE & PARALLELISME.

Nature, propriétés, figure, &c. du soleil. 1°. De ce qu'on trouve que les taches du soleil restent quelquefois trois jours plus long - tems derriere le soleil, qu'elles n'en employent à parcourir son hémisphere visible, quelques auteurs ont conclu qu'elles ne sont point adhérentes à la surface du soleil, mais qu'elles en sont à quelque distance.

Mais cette opinion ne paroît point fondée ; car il semble au contraire que les taches suivent une loi assez réguliere dans leurs oppositions. Il y a certaines taches du soleil à qui l'on a vu faire deux ou trois révolutions de suite, & qui sont revenues constamment au même lieu au bout des 27 jours qui se sont écoulés à chaque période. Or toutes ces taches ont employé exactement 13 jours & demi à passer du bord occidental du soleil à son bord oriental. Donc puisqu'elles ont employé à chaque fois la moitié du tems périodique à parcourir le disque apparent du soleil, leur orbite doit convenir précisément avec la surface extérieure du corps lumineux, c'est - à - dire, qu'elles nagent, pour ainsi dire, sur le soleil. S'il y a quelques taches qui aient paru ne pas suivre exactement cette loi, il faut croire que l'observation n'en a pas été bien faite, & qu'on a peut-être pris d'autres taches pour les mêmes, ou que par quelque raison que nous ne saurions savoir, la révolution de ces taches dans la partie postérieure du soleil avoit été retardée.

2°. De ce que ces taches paroissent & disparoissent souvent, même au milieu du disque du soleil, & éprouvent différens changemens par rapport à leur masse, ou à leur figure, ou à leur densité, il s'ensuit que souvent il s'en éleve de nouveau autour du soleil, & qu'aussi il y en a qui s'évanouissent.

3°. Puisque les taches se dissolvent souvent & disparoissent même au milieu du disque du soleil, la matiere des taches, c'est-à-dire, les exhalaisons solaires retournent donc au soleil : d'où il suit qu'il doit se faire différentes altérations dans la matiere de cet astre, &c.

4°. Puisqu'en tout état le soleil paroît comme un disque circulaire, sa figure, quant aux sens, doit être sphérique, cependant nous ferons voir bientôt qu'elle est réellement sphéroïde.

Outre les macules ou taches obscures, plusieurs autres parlent des facules, ou taches, qui sont plus brillantes que le reste du disque du soleil. Celles-ci sont en général plus larges, & bien différentes des macules en figure, durée, &c.

Kirker, Scheiner, &c. supposent que ces facules sont des éruptions de flammes ; c'est pourquoi ils représentent la face du soleil comme couverte de volcans, &c.... Mais Huygens prenant de meilleurs télescopes, n'a jamais rien pu trouver de semblable, quoiqu'il ait remarqué quelquefois, même dans les macules, des endroits plus brillans que le reste.

5°. La substance du soleil est une matiere ignée ; voici comment on le prouve. Le soleil éclaire, & ses rayons rassemblés par des miroirs concaves, ou des verres convexes, brûlent, consument & fondent les corps les plus solides, ou même les convertissent en cendres ou en verre.

6°. Puisque les taches du soleil sont formées par les exhalaisons du soleil, il paroît que le soleil n'est pas un feu pur ; mais que ce feu est mêlé de particules hétérogènes.

7°. La figure du soleil est un sphéroïde plus élevé sous son équateur que sous ses poles. En effet, le soleil a un mouvement autour de son axe, & par conséquent la matiere solaire doit faire des efforts pour s'éloigner des centres des cercles dans lesquels elle se meut, avec d'autant plus de force que les circonférences sont plus grandes. Or l'équateur est le plus grand cercle, & les autres qui sont vers les poles, vont toujours en diminuant. Donc la matiere solaire tend à s'éloigner du centre de l'équateur avec plus de force, que des centres des cercles paralleles. Par conséquent elle s'éloignera du centre, plus sous l'équateur que sous aucun des cercles paralleles ; & ainsi le diametre du soleil qui passe par l'équateur, sera plus grand que celui qui passe par les poles, c'est-à-dire que la figure du soleil n'est pas parfaitement sphérique, mais sphéroïde.

Il est vrai que la différence des axes du soleil doit être fort petite, comme M. de Maupertuis l'a fait voir dans son Discours sur la figure des astres, & cela, parce que la force centrifuge des parties du soleil est beaucoup moins grande que leur pesanteur vers le soleil. C'est pour cette raison que nous n'appercevons point d'inégalités sensibles entre les deux diametres du soleil.

Parallaxe du soleil. Voyez PARALLAXE.

A l'égard de la distance du soleil, comme sa détermination dépend de celle de la parallaxe, & qu'on ne peut trouver la parallaxe du soleil sans faire des calculs longs & difficiles ; aussi les Astronomes ne sont point d'accord sur la distance du soleil.

La moyenne distance du soleil à la terre est suivant quelques-uns, de 7490 diametres de la terre ; selon d'autres 10000 ; selon d'autres 12000, & suivant d'autres 15000. Mais suivant la parallaxe de M. de la Hire, qui est 6''; la moyenne distance du soleil sera 17188 diametres de la terre, & suivant celle de Cassini 14182. Voyez DISTANCE.

Le diametre apparent du soleil n'est pas toujours le même. Lorsqu'il est le plus grand, Ptolémée l'estime de 33', 20''; Tycho 32'; Kepler 31', 4''; Riccioli 32', 8''; Cassini 32', 20''; de la Hire 32', 43''. Son diametre apparent moyen, est suivant Ptolémée 32', 13''; suivant Tycho 31'; suivant Riccioli 31', 40''; suivant Cassini 31', 40 ; suivant de la Hire 32', 10''; & suivant Kepler 30', 30''. Son plus petit diametre apparent, est suivant Ptolémée de 31', 20''; suivant Tycho 30'; suivant Kepler 30'; suivant Riccioli 31'; suivant Cassini 31', 8''; & suivant de la Hire 31', 38''. Chambers. (O)

SOLEIL, (Crit. sacr.) cet astre lumineux, objet de l'ancien culte de la plûpart des peuples de l'orient, a donné lieu dans l'Ecriture, tantôt à des comparaisons, tantôt à des façons de parler figurées. Ainsi lorsque les prophetes veulent marquer la durée d'une chose brillante & glorieuse, il la comparent à l'éclat & à la durée du soleil. Son trône est semblable au soleil, dit David, ps. 88. 38. Le bonheur présent, c'est le soleil qui s'éleve ; au contraire, quand Jérémie déclare ch. xv. 9. que le soleil ne luit plus pour Jérusalem, c'est-à-dire, que son bonheur est passé. Les ardeurs du soleil m'ont ternie, s'écrie l'épouse, dans le cantique, j. 5. c'est-à-dire, je suis dans l'affliction, dans la douleur. De même, lorsqu'Isaïe veut peindre un désastre, une calamité, il dit seulement que le soleil est obscurci, obtenebratus est sol, ch. xiij. 10 e &c. Ce petit nombre d'exemples suffit pour en rappeller d'autres semblables à la mémoire du lecteur. (D.J.)

SOLEIL, (Mythol. Iconolog.) cet astre a été le premier objet de l'idolatrie. L'idée d'un être purement spirituel, s'étant effacée dans l'esprit des hommes, ils porterent leurs voeux à ce qu'ils trouverent dans la nature de plus approchant de l'idée qu'ils avoient de Dieu : la beauté du soleil, le vif éclat de sa lumiere, la rapidité de sa course, sa régularité à éclairer successivement toute la terre, & à porter par-tout la lumiere & la fécondité ; tous ces caracteres essentiels à la divinité, tromperent aisément les hommes grossiers ; c'étoit le Bel, ou Baal des Chaldéens ; le Moloch des Chananéens ; le Béelphégor des Moabites ; l'Adonis des Phéniciens & des Arabes ; le Saturne des Carthaginois, l'Osiris des Egyptiens ; le Mithras des Perses ; le Dionysius des Indiens ; & l'Apollon ou Phoebus des Grecs & des Romains. Il y a même des savans qui ont prétendu que tous les dieux du paganisme se réduisoient au soleil, & toutes les déesses à la lune : ces deux astres furent les premieres divinités des Egyptiens.

On sait, par les marbres d'Arondel, que les Grecs adoroient le soleil, puisqu'ils juroient par cet astre, une entiere fidélité à leurs engagemens. Ménandre déclare qu'il faut adorer le soleil comme le premier des dieux, parce que ce n'est que par sa bienfaisance qu'on peut contempler les autres divinités. Les Rhodiens, dit-on, lui avoient consacré leur magnifique colosse. Il étoit adoré par les Syracusains & les Troézéniens, sous le nom de Jupiter libérateur. Les Corinthiens, selon Pausanias, lui dédierent plusieurs autels. Sa fête se solemnisoit à Rome, sous le nom de Soli invicto, & l'on célébroit des jeux publics en son honneur, à la fin de chaque année.

Si les habitans de Hiéropolis défendirent qu'on lui dressât des statues, c'étoit parce qu'il étoit assez visible, & c'est peut-être la raison pour laquelle ce même dieu n'étoit representé à Emese, que sous la figure d'une montagne ; enfin, selon Jules-César, les anciens Germains adoroient aussi le soleil, & lui sacrifioient des chevaux, pour marquer par la légereté de cet animal, la rapidité du cours de cet astre.

Les anciens poëtes, & particulierement Homère, ont communément distingué Apollon du Soleil, & les ont reconnu pour deux divinités différentes ; en effet, il avoit ses sacrifices à part, & son origine n'étoit pas la même ; il passoit pour fils d'Hypérion, & Apollon l'étoit de Jupiter. Les marbres, les médailles, & tous les anciens monumens les distinguent ordinairement, quoique les physiciens aient pris Apollon pour le soleil, comme ils ont pris Jupiter pour l'air, Neptune pour la mer, Diane pour la lune, & Cérès pour les fruits de la terre.

On représentoit ordinairement le soleil en jeune homme, qui a la tête rayonnante ; quelquefois il tient dans sa main une corne d'abondance, symbole de la fécondité dont le soleil est l'auteur ; assez souvent il est sur son char tiré par quatre chevaux, lesquels vont tantôt de front, & tantôt comme séparés en deux couples. (D.J.)

SOLEIL, (Inscr. Médail.) Plusieurs écrivains & poëtes grecs, donnent au soleil le titre de seigneur, , à la mode des Orientaux, qui l'ont appellé béel-samen, ou bal-schamain, c'est-à-dire, seigneur du ciel.

Ammien Marcellin, l. XVII. cite une inscription grecque d'un obélisque, portant ces mots en grec, sol deus magnus, despotes coeli : Gruter, l. XXXIII. c. iv. en indique une latine, avec ces mots : domino soli.

Quant aux médailles, on a celles d'Aurélien, ayant pour inscription : sol dominus imperii romani. On connoît aussi deux médailles d'Héliogabale ; l'une représente un soleil couronné de rayons, avec cette légende : sancto deo soli, au soleil dieu saint ; sur la seconde on lit : invicto soli, l'invincible soleil. Il ne faut pas s'en étonner, car ce prince se glorifia toujours d'avoir été prêtre du soleil, dans la Syrie, & par reconnoissance, il lui consacra un superbe temple à Rome.

Mais pour dire quelque chose de plus singulier, il se trouve des médailles de Constantin, frappées à l'honneur du soleil ; c'étoit vraisemblablement avant qu'il eût renoncé au culte des faux dieux. Dans ces médailles, le soleil est représenté comme le guide & le protecteur de cet empereur, avec l'inscription soli invicto, ou soli invicto comiti : une de ces médailles offre à la vue la tête toute radieuse du soleil ; l'autre représente ce dieu debout, avec sa couronne rayonnante, un globe dans la main gauche, & mettant de la droite une couronne sur la tête de Constantin, qui tient le labarum : l'une & l'autre médailles portent au revers le nom & la tête de Constantin. (D.J.)

SOLEIL, (Poésie anc. & mod.) comment Pindare, Homere, Virgile, Ovide, &c. n'auroient-ils pas célébré dans leurs écrits le pere & le modérateur des saisons, l'oeil & le maître du monde, les délices des humains, la lumiere de la vie : car ce sont là autant de surnoms que les Grecs & les Romains donnoient au soleil. Cependant j'aime encore mieux les tableaux que nos poëtes modernes & autres, ont faits de cet astre du jour, que les descriptions de l'antiquité ; je les trouve plus nobles, plus remplies d'images, & plus philosophiques.

On ne peut s'empêcher de louer ces beaux vers de Milton :

Oh son ! of this great world's : both eye and soul !

Oh thou ! that with surpassing glory crown'd,

Look'st from thy sole dominion, like the god

Of this great worlds, at whose sight all the stars

Hide their diminish'd heads.

Soleil astre du jour,

Toi qui sembles le dieu des cieux qui t'environnent,

Devant qui leur éclat disparoît & s'enfuit,

Qui fais pâlir le front des astres de la nuit, &c.

On connoît encore davanvage les vers suivans de M. de Voltaire.

Dans le centre éclatant de ces orbes immenses,

Qui n'ont pû nous cacher leur marche & leurs distances,

Luit cet astre du jour par Dieu même allumé,

Qui tourne autour de soi sur son axe enflammé ;

De lui partent sans fin des torrens de lumiere ;

Il donne en se montrant, la vie à la matiere,

Et dispense les jours, les saisons, & les ans,

A des mondes divers, autour de lui flottans.

Ces astres asservis à la loi qui les presse,

S'attirent dans leur course, & s'évitent sans cesse

Et servant l'un à l'autre & de regle & d'appui,

Se prêtent les clartés qu'ils reçoivent de lui.

Henriade, ch. vij.

Enfin M. Thompson peint avec tant de magnificence tous les biens que le soleil répand sur la nature, que ce morceau même dans une traduction françoise, ne peut que plaire aux gens assez heureusement nés pour gouter les belles choses, indépendamment de l'harmonie.

Puissant roi du jour, dit le poëte anglois, ô soleil, ame des mondes qui nous environnent, miroir fidele & transparent de ton créateur, puisse ma foible voix apprendre à te chanter ! ta force secrette & attractive, enchaine, gouverne, & regle tout le tourbillon, depuis les limites éloignées de Saturne, dont la révolution remplit une durée de trente ans, jusqu'à Mercure, dont le disque perdu dans l'éclat de tes rayons, peut à peine être apperçu par l'oeil philosophique.

Créateur de toutes les planetes, puisque sans ton regard vivifiant, leurs orbes immenses seroient des masses informes & sans mouvement ; esprit de vie, combien de formes d'êtres t'accompagnent, depuis l'ame que tu délies, jusqu'à la race la plus vile, composée de millions d'êtres mélangés, & produits de tes rayons ?

Pere des saisons, le monde végétal reconnut ton empire ! la pompe précéde & suit ton trône, & décore majestueusement au milieu de ton vaste domaine annuel ta brillante route céléptique ; éclat triomphant qui réjouit la nature ! en cet instant, une multitude d'êtres en attente, implorent ta bonté, ou pleins de reconnoissance, chantent une hymne commune en ton honneur ; tandis qu'au-tour de ton char brillant, les saisons menent à leur suite, dans une harmonie fixe & changeante, les heures aux doigts de rose, les zéphirs se jouant nonchalamment ; les pluies favorables, & la rosée passagere ; toute cette cour verse & prodigue odeurs, herbes, fleurs, & fruits, jusqu'à ce que tout s'allumant successivement par ton souffle, tu décores le jardin de l'univers.

Ton pouvoir ne se borne pas à la surface de la terre, ornée de collines, de vallons, & de bois épais, qui forment ta riante chevelure ; mais dardant profondément tes feux jusques dans ses entrailles, tu regnes encore sur les minéraux ! ici brillent les veines du marbre éclatant ; plus loin se tirent les outils précieux du labourage ; là, les armes étincelantes de la guerre ; ailleurs, les plus nobles ouvrages, qui font dans la paix, le bonheur du genre humain, & les commodités de la vie, & sur-tout ces métaux précieux qui facilitent le commerce des nations.

Le stérile rocher, lui-même, impregné de tes regards, conçoit dans son sein obscur, la pierre précieuse & transparente ; le vif diamant s'abreuve de tes plus purs rayons, lumiere rassemblée, compacte, dont l'éclat ose ensuite le disputer aux yeux de la beauté dont elle pare le sein : de toi, le rubis reçoit sa couleur foncée : de toi, le solide saphir prend l'azur qui le décore : par toi, l'améthiste se revêt d'ondes pourprées, le topaze brûle du feu de tes regards ; la robe du printems, agitée par le vent du sud, n'égale pas la verte éméraude dont tu nous caches l'origine ; mais tous tes rayons combinés & épais, jouent à-travers l'opale blanche, & plusieurs s'échappant de sa surface, forment une lumiere vacillante de couleurs répétées, que le moindre mouvement fait jaillir à l'oeil du spectateur.

La création inanimée semble recevoir par ton influence, le sentiment & la vie : par toi, le ruisseau transparent joue avec éclat sur la prairie ; la fougueuse cataracte qui répand l'horreur sur le fleuve bouillonnant, s'adoucit à ton retour ; le désert même, & ses routes mélancholiques, semblent s'égayer ; les ruines informes réfléchissent ton éclat, & l'abysme salé, apperçu du sommet de quelque promontoire, s'agite, & renvoie une lumiere flottante dans toute la vaste étendue de l'horison. Mais tout ce que mon esprit transporté pourroit peindre, l'éclat même de la nature entiere, détaillée ou réunie, n'est rien en comparaison de ta propre beauté ; source féconde de la lumiere, de la vie, des graces, & de la joie d'ici-bas, sans ton émanation divine, tout seroit enseveli dans la plus triste obscurité. (D.J.)

SOLEIL, chevaux du, (Mythol.) les poëtes donnent quatre chevaux au soleil, qu'ils nomment Pyroéis, Eoüs, Aethon & Phlégon, noms grecs, dont l'étymologie explique les attributs. Le premier marque le lever du soleil, lorsque ses rayons sont encore rougeâtres. Le second désigne le tems où ses rayons sortis de l'atmosphere sont plus clairs, vers les neuf heures du matin. Le troisieme figure le midi, où la lumiere du soleil est dans toute sa force. Le quatrieme représente le coucher, où le soleil semble s'approcher de la terre. Fulgence donne aux chevaux du soleil des noms différens Erythreus, le rouge ; Acteon le lumineux ; Lampas, le resplendissant ; Philogéus, qui aime la terre. Le premier dans cet auteur, se prend du lever du soleil ; le second de la clarté du soleil, lorsque n'ayant plus un atmosphere épais à percer, il répand une lumiere plus pure ; le troisieme peint le midi, tems où il a toute sa splendeur ; le quatrieme désigne son coucher, où il semble tendre vers la terre. On voit assez que les noms de Fulgence reviennent à ceux des poëtes, il n'avoit aucun besoin de les changer. (D.J.)

SOLEIL, coucher du, (Mythol.) la fable qui regarde le Soleil comme un dieu, donne une idée bien différente de son coucher, que ne fait l'Astronomie ; Cowley va vous l'apprendre aussi joliment qu'Ovide.

It is the time when witty poëts tell

That Phoebus into Thetis bosom fell,

She blush'd at first, and then put out the light

And drew the modest curtains of the night.

(D.J.)

SOLEIL, (Marine) il y a sur cet astre quelques façons de parler, dont voici l'explication.

Le soleil a baissé : cela signifie que le soleil a passé le méridien, ou qu'il a commencé à décliner.

Le soleil a passé le vent : cela signifie que le soleil a passé au-delà du vent. Exemple : le vent étant au sud, si le soleil est au sud-sud-ouest, il a passé le vent : & on dit que le vent a passé le soleil, lorsque le contraire a lieu. Ainsi le vent s'étant levé vers l'est, il est plutôt au sud que le soleil, & le vent a passé le soleil.

Le soleil chasse le vent : façon de parler dont on se sert, lorsque le vent court de l'ouest à l'est devant le soleil.

Le soleil chasse avec le vent : on entend par cette expression, que le vent souffle de l'endroit où se trouve le soleil.

Le soleil monte encore : c'est-à-dire que le soleil n'est pas encore arrivé au méridien, lorsque le pilote prend hauteur.

Le soleil ne fait rien : on entend par-là que le soleil est au méridien, & qu'on ne s'apperçoit pas en prenant hauteur, qu'il ait commencé à décliner.

SOLEIL BRILLANT, (Artificier) cet artifice, qui est un des plus apparens pour l'exécution d'un spectacle, imite si bien le soleil par le brillant de sa lumiere, qu'il cause ordinairement des exclamations de surprise parmi les spectateurs, au moment qu'il vient à paroître.

Sa construction n'est autre chose qu'une grande quantité de jets ou de fusées à aigrettes, rangées en forme de rayons autour d'un centre.

La composition de la matiere combustible peut être la même que celle des aigrettes ; ou si on la veut plus simple, il suffit de mettre sur trois parties de poudre une de limaille de fer ou d'acier neuve, c'est-à-dire, qui ne soit pas rouillée, & passée par un tamis médiocrement fin. On s'est piqué dans quelques artifices à Paris de faire des soleils d'un diametre extraordinaire, auxquels on donne le nom de gloire ; car on lit dans la description de celui qui fut fait en 1739, sur le pont-neuf, à l'occasion du mariage de madame Premiere de France, qu'il y en avoit un sur l'entablement du temple de l'Hymen, qui avoit 60 piés de diametre.

Supposé qu'on veuille faire un soleil de grandeur au-dessus de la moyenne, on prend des fusées à aigrettes d'environ 20 lignes de diametre, & de 15 à 20 pouces de long, qui jettent leur feu à 12 & 15 piés de hauteur ; laissant un pié de vuide dans le milieu, il en résulte un soleil de 25 à 30 piés de diametre. Si l'exaltation des flammes augmente à-peu-près en raison des quarrés des surfaces des mêmes matieres combustibles, il est visible que pour faire un soleil du diametre de 60 piés, il a falu des fusées à aigrettes au-moins de 4 pouces de diametre, pour qu'elles aient pu jetter leur feu à 28 ou 20 piés de distance, qui font la moitié de ce diametre, y compris l'espace vuide du milieu qu'occupent les longueurs des cartouches des fusées.

Puisque les fusées peuvent si fort varier de grandeur, & que la durée de cet artifice dépend de leur longueur, ou de la répétition des rangs de ces fusées, il est clair que les moyens de le former peuvent aussi beaucoup varier. Sur quoi il faut observer qu'on ne peut se dispenser de laisser au milieu du soleil un espace vuide d'une grandeur proportionnée à la grosseur des fusées, & au nombre qu'on y en veut mettre, à cause qu'elles doivent être rangées en rayon, & que l'espace compris par ces rayons diminue toujours à mesure qu'il approche du centre.

Je m'explique par un exemple. Supposons qu'on se serve de fusées de 20 lignes de grosseur ; il est évident que si l'on mettoit leurs têtes au centre, il n'y en auroit que deux qui puissent y être appliquées immédiatement ; trois commenceront à laisser un espace triangulaire ; quatre, un quarré ; cinq, un pentagone, &c. de 20 lignes de côte, desorte qu'une douzaine de ces fusées, qui se toucheroient par leur tête, laisseroient nécessairement un vuide de 7 pouces de diametre. D'où il suit que le vuide du milieu est déterminé par le nombre des fusées qu'on veut employer à faire le soleil, & que réciproquement le diametre du vuide détermine le nombre des fusées, parce qu'elles doivent toutes se toucher. Ainsi, supposant qu'on veuille y employer trois douzaines de fusées qui donnent une circonférence de 5 piés, le diametre du vuide sera d'environ 19 pouces.

On voit par cette observation, que pour attacher les fusées, il faut leur préparer pour assiette un anneau de la largeur que donne la longueur des fusées, & d'une ouverture fixée par leur grosseur & par leur nombre. Cet anneau peut être fait d'un assemblage de planches ; mais il est plus solide de le faire de deux cercles de fer concentriques, liés par 4 ou 6 entretoises, observant d'y ajouter des queues percées, pour qu'on puisse le clouer solidement sur des pieces de bois placées exprès sur le théâtre des artifices où il doit être exposé.

Cette carcasse de l'artifice étant faite, il ne s'agit plus que d'y appliquer ces fusées avec du petit fil-de-fer recuit pour être plus flexible, en les dirigeant toutes du centre à la circonférence, & les attachant aux deux bouts sur les cercles de fer préparés pour les y arranger, la gorge tournée en-dehors ; on y fait ensuite passer une étoupille bien attachée sur chacune, & enfermée dans des cartouches, s'il faut éviter le feu des artifices qu'on doit faire jouer avant le soleil.

Comme la durée de cet artifice ne seroit pas considérable, s'il n'y avoit qu'un rang de fusées, on la prolonge par un second rang, qui prend feu après que le premier est consumé ; on peut même, si l'on veut, y en ajouter un troisieme, pour tripler cette durée.

La maniere de disposer ce second rang, est à-peu-près la même que la premiere, observant seulement qu'afin qu'elles ne prennent pas feu avant le tems, leurs gorges doivent être couvertes & un peu éloignées des premieres, soit en les reculant, comme lorsqu'elles sont séparées par des rouelles de bois, ou en les rapprochant du centre, si elles sont sur un même plan ; comme sur le double anneau de fer dont on a parlé.

Tout l'art de la communication des feux ne consiste qu'à lier à la tête qui n'est pas étranglée, un porte-feu fait d'un cartouche vuide, dans lequel on fait passer une étoupille, ou qu'on remplit d'une composition un peu vive sans être foulée.

Ce porte-feu doit être collé dans l'intervalle des deux cartouches rebouché par les deux bouts, pour recevoir & donner le feu par des ouvertures faites à ses côtés, situé au bout d'en-bas, l'autre à celui d'enhaut, ainsi que l'on voit dans nos Pl. d'Artif. où la premiere fusée qui a sa gorge comme on l'a placée, la tête non étranglée, mais seulement formée ou bouchée par un papier collé, le long d'une partie de cette fusée est collée contre le cartouche qui reçoit le feu par une ouverture de laquelle sort une étoupille qui passe par ce trou dans le porte - feu, & qui en sort par le trou du haut, pour entrer dans la gorge de la seconde fusée du second rang.

Il est visible que s'il y avoit trois rangs, on devroit observer la même disposition du second à l'égard du troisieme pour y porter le feu ; mais cet arrangement sur un même plan ne convient point, parce qu'il laisse trop d'intervalle d'une gorge de feu à l'autre ; il vaut mieux que le feu soit continu ou sans une interruption sensible ; c'est pourquoi il est plus à-propos que les rangs soient placés les uns devant les autres, & séparés par des cloisons de bois ou de carton.

Lorsqu'on met plusieurs rangs de fusées, on peut, pour varier le spectacle, teindre les feux de chaque rang de couleurs inégales, dont la lumiere du soleil est susceptible en apparence, par l'interposition des vapeurs de la terre ou des nuées, comme du clair brillant, du rougeâtre, du pâle & du verdâtre, au moyen de la limaille de fer, de cuivre, du charbon de chêne pilé, de la poudre de buis, &c.

Comme il ne convient pas que le centre du soleil, qui est l'espace compris entre les têtes des fusées & celui qu'occupent les longueurs des corps de fusées doubles ou rayons opposés, soit obscur, on y colle un papier huilé qu'on peint de la figure d'un visage d'Apollon attribué au soleil, ou de quelques rayons de feu qu'on éclaire par derriere par le moyen des lampions ou lances à feu un peu éloignées, crainte d'embraser ce papier. Pour plus de sureté on peut y mettre de la corne ou du verre peint de couleur d'aurore ou jaune, avec des couleurs transparentes, qui n'aient pas assez de corps pour le rendre trop opaque, comme la gomme-gutte.

Lorsque l'intervalle de ce centre est d'un diametre plus grand que de 20 à 30 pouces, on peut mettre au centre du soleil une girandole, ou roue de feu, qui y forme un tourbillon, pendant que le reste du soleil jette ses rayons au-dehors, observant que les feux de l'un & de l'autre artifice soient exactement de la même couleur.

Il est visible qu'on peut étendre la surface du feu du soleil, en faisant plusieurs rangs de fusées attachées sur des cercles de fer concentriques, & plus grands les uns que les autres ; c'est par ce moyen qu'on a fait à Paris de ces soleils, qu'on dit avoir eu 60 piés de diametre.

Soleil d'eau tournant sur son centre. Il ne s'agit que de couvrir le plat des fusées de la girandole pour l'eau de feux brillans arrangés du centre à la circonférence, pour former la figure d'un soleil qui tournera sur son centre par le mouvement de circulation causé par les fusées posées en jante, dont le feu croisé par-dessous celles qui forment le soleil, ce qui produit un très-bel effet sur l'eau.

SOLEIL, terme de Blason, en armoirie on peint le soleil d'ordinaire avec douze rayons, dont les uns sont droits, & les autres en ondes ; & son émail est d'or. Quand il est de couleur, & représenté sans aucuns traits du visage, on l'appelle proprement ombre du soleil. (D.J.)

SOLEIL, s. m. (Hist. nat. Bot.) corona solis, genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons, & la couronne de demi-fleurons : ces fleurons & ces demi-fleurons sont portés par des embryons, & séparés les uns des autres par de petites feuilles pliées en gouttiere. Dans la suite ces embryons deviennent des semences garnies de deux feuilles. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SOLEIL DE MER, on a donné ce nom à différentes especes d'étoiles de mer qui different des étoiles proprement dites, en ce que les rayons ne partent pas du centre ; le milieu du corps des soleils est arrondi, & les rayons sortent de ce cercle. Rondelet, hist. des zoophites, ch. xvj. Voyez ETOILE DE MER.


SOLEME(Géog. mod.) petite ville de France, dans le Maine, sur la Sarte, à une lieue de Sablé. Les bénédictins y ont un ancien monastere remarquable par son église. Long. 17. 13. latit. 47. 50. (D.J.)


SOLEMNELadj. (Gram. & Théolog.) chose qui se fait avec beaucoup d'appareil & de cérémonie. Ainsi nous disons fêtes solemnelles, offices solemnels, processions solemnelles.

Les fêtes solemnelles dans l'Eglise romaine sont celles qu'on célebre avec plus de pompe & de cérémonies que les autres, à cause de la grandeur des mysteres ou de la dignité des saints en mémoire desquels elles sont instituées. Ainsi Pâques, la Pentecôte, Noël sont des fêtes solemnelles. La fête du patron de chaque paroisse est pour cette paroisse une fête solemnelle.

Dans quelques diocèses, par exemple dans celui de Paris, on distingue les grandes fêtes en annuels, solemnels majeurs & solemnels mineurs, solemne majus & solemne minus. La présentation de Jesus - Christ au temple : l'Ascension, la fête du S. Sacrement sont des jours solemnels majeurs, la plûpart des fêtes de la Vierge sont des solemnels mineurs ; c'est ce qu'on appelle dans d'autres diocèses annuel & semi-annuel. Voyez ANNUEL.

SOLEMNEL, (Jurisprud.) se dit de ce qui est revêtu des formes les plus authentiques.

Un acte solemnel est celui qui est passé devant un officier public avec le nombre de témoins requis.

Quelquefois, pour rendre un acte encore plus solemnel, on y fait intervenir certaines personnes dont la considération donne plus de foi & de poids à l'acte.

On entend quelquefois par testament solemnel tout testament reçu par un officier public, à la différence du testament olographe qui est écrit de main-privée. Voyez ACTE, FORMALITE, FORME, TESTAMENT. (A)


SOLEMNITÉS. f. (Gram.) la pompe, la magnificence, cérémonie qui accompagne quelqu'action remarquable dans un jour distingué par quelques circonstances. On dit la solemnité d'une fête ; la solemnité d'un mariage ; une entrée solemnelle ; la solemnité du serment.


SOLENS. m. (Conchyliolog.) & par Pline unguis ; c'est la même coquille que l'on appelle plus communément en françois couteau, manche de couteau, & dans le pays d'Aunis coutelier. C'est sous ce dernier nom de coutelier qu'on a considéré dans l'Encyclopédie le coquillage ; nous parlerons ici de la seule coquille.

C'est une coquille bivalve dont le corps est long, ouvert par les deux extrêmités, quelquefois droit & quelquefois arqué.

La classe des solens dont le corps est droit, comprend les especes suivantes : 1°. le solen ou manche de couteau blanc ; 2°. le couleur de rose, venant de l'Amérique ; 3°. le bariolé ; 4°. le solen, nommé l'onix ; 5°. le brun ; 6°. le mâle, c'est-à-dire le plus grand ; 7°. la femelle, c'est-à-dire le plus petit, 8°. le solen ressemblant à l'ongle par sa couleur ; 9°. le solen imitant le doigt par sa longueur ; 10°. le solen ressemblant à une flûte ; 11°. le solen fait comme un roseau ; 12°. le solen très-long, très-étroit, de couleur brune, avec un muscle noir vers la charniere.

On ne connoît que deux especes de solens ou manches de couteaux faits en arc ; savoir le solen courbé en forme de sabre hongrois, & le solen qui se trouve dans le sable.

Rumphius décrit un manche de couteau d'une seule piece, qu'il appelle solen arenarius : c'est un long tuyau à plusieurs reprises ou noeuds.

Le solen d'Orient, couleur de rose, est fort rare.

Klein, dans son traité de tubulis marinis avec figures, a donné le nom de solen à différens tuyaux de mer, dont il a formé quelques genres distingués par des caracteres qui leur sont propres ; son systême est très-méthodique & heureusement exécuté. (D.J.)

SOLEN, (Chirurgie) espece de boîte ronde, oblongue & creuse, dans laquelle on place un membre fracturé, une jambe, une cuisse, pour y être maintenue après la réduction dans sa situation naturelle. M. Petit le chirurgien a perfectionné cette machine avec beaucoup de sagacité. (D.J.)


SOLENUS(Géog. anc.) fleuve de l'Inde, en-deçà du Gange. Son embouchure est, selon Ptolémée, l. VII. c. j. dans le golfe Colchique, entre Colchi Emporium & Calligicum-Promontorium. (D.J.)


SOLESS. f. pl. (Hydraul.) sont des pieces de bois un peu épaisses, posées de plat, qui servent aux empatemens des machines ; on les nomme racineaux quand elles sont presque quarrées. (K)


SOLETARS. m. (Gram.) sorte de terre-glaise, dont on se sert en Angleterre pour dégraisser les laines ; on l'appelle aussi smectere.


SOLETUM(Géog. anc.) ville d'Italie dans la Calabre, au-dessus d'Otrante. Elle étoit déserte du tems de Pline, l. III. c. ij. Elle a été repeuplée depuis. C'est la même ville que Salentia, dont les habitans sont appellés Salentini, & qui donnoit son nom au promontoire Solentinum : c'est présentement Soleto ; selon Léandre, & Solitio, selon le P. Hardouin. (D.J.)


SOLEURE(Géog. mod.) en latin Salodurum, Solodorum, & en allemand Solothurn ; ville de Suisse, capitale du canton de même nom, sur la riviere d'Aare, à 12 lieues au midi de Bâle, à 10 au nord-est de Berne dans le Salgaeu, c'est-à-dire dans le pays des anciens Saliens.

Cette ville est remarquable par son antiquité, par ses édifices, par sa force, & par sa grandeur pour le pays. On y a trouvé des médailles, des inscriptions, & d'autres monumens qui justifient qu'elle étoit déja connue des Romains. Elle fut ruinée par les Huns, les Goths, les Vandales, qui ravagerent la Suisse tour-à-tour. L'église collégiale de S. Urse passe pour avoir été fondée par Berthrade, mere de Charlemagne. Les jésuites ont dans cette ville une belle maison, & les cordeliers un très-beau couvent, dont ils louent une partie aux ambassadeurs de France.

Soleurre devint une ville impériale sous les empereurs d'Allemagne, & les ducs de Souabe en furent ensuite gouverneurs. Dans le quatorzieme siecle, ses habitans s'allierent avec Berne, dans le siecle suivant, ils se joignirent aux cantons contre le duc de Bourgogne ; & après la guerre de 1481, ils furent reçus au nombre des cantons. Son gouvernement civil est à-peu-près le même qu'à Berne & à Fribourg, le pays étant divisé en bailliages, qui n'ont à la vérité dans leurs jurisdictions que des villages, excepté Olten, qui est une petite ville.

Quant au gouvernement spirituel, il est arrivé qu'en 1532 le parti catholique-romain prit le dessus, & depuis lors Soleurre & son canton sont demeurés attachés à la religion romaine. Longit. 25. 6. latit. 47. 14.

Schilling (Diebold), né à Soleurre, a laissé une histoire écrite en allemand de la guerre des Suisses contre Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Cet ouvrage est d'autant plus précieux que l'auteur s'étoit trouvé lui-même à presque toutes les batailles & actions de guerre qu'il décrit. Le manuscrit a été gardé jusqu'à ce jour au greffe de Berne, & imprimé pour la premiere fois dans cette ville en 1743, in-fol. (D.J.)

SOLEURRE, canton de, (Géog. mod.) canton de la Suisse, & l'onzieme en ordre. Il est borné au nord par le canton de Bâle, au midi & au levant par le canton de Berne, au couchant par ce même canton & en partie par les terres de l'évêque de Bâle. Il s'étend le long de l'Aare, en partie dans la plaine & en partie dans le mont Jura. Il est assez grand, mais fort étroit ; du reste, c'est un pays passablement fertile en grains, en pâturages & en bois. Tout ce canton est attaché à la religion catholique romaine. On l'a partagé en douze bailliages, & les baillifs ne sont pas obligés d'aller résider dans ceux qu'on nomme bailliages intérieurs. (D.J.)


SOLFARALA, (Géog. mod.) la Solfara des modernes, entre Naples & Pouzzoles, est le Forum Vulcani des anciens, ou cette colline d'Italie que Pline appelle Leucogaei colles, à cause de la blancheur du terroir. Il y avoit au même endroit des sources d'eaux qu'il nomme, l. XXXI. c. j. Leucogaei Fontes, & dont on vantoit les vertus pour la guérison des plaies. (D.J.)


SOLFATARAS. f. (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme en italien un endroit du royaume de Naples, dans le voisinage de Pouzzole, qui paroît brûler perpétuellement, & où l'on trouve un grand nombre d'ouvertures qui donnent passage à des vapeurs sulfureuses & à de la fumée que le feu souterrein fait sortir du sein de la terre qui est au-dessous. Les pierres qui sont autour de ces orifices ou ouvertures sont dans un mouvement perpétuel, & lorsqu'on y jette quelques corps légers, ils sont repoussés à dix ou douze piés de hauteur ; & l'on voit dans certains endroits le sable bouillonner comme de l'eau qui seroit sur le feu. Les pierres qui se tirent de cet espace de terrein sont très-chaudes, friables, blanches & comme calcinées ; pour peu qu'on y creuse, on trouve des cendres. On en tire aussi une très-grande quantité de vitriol bleu & d'alun ; la chaleur du terrein épargne les fraix du bois pour l'évaporation de ces sels, on ne fait que laver dans de l'eau les pierres qui en sont chargées, on met cette dissolution dans des chaudieres de plomb que l'on place sur les ouvertures de ce terrein, dont la chaleur est assez grande pour faire bouillir la dissolution, après quoi l'eau chargée de ces sels se met dans des cuves de bois où ils se crystallisent ; le débit de ce vitriol & de cet alun fait un revenu assez considérable.

Tout le terrein de la Solfatara est creux, & résonne sous les piés. Ayant été comme miné par les feux souterreins, il seroit dangereux d'y passer à cheval, parce qu'on seroit en danger d'y enfoncer. Quelques personnes croyent que les feux qui sont sous la Solfatara communiquent par-dessous terre avec le mont Vésuve, qui en est à quatre lieues ; & l'on prétend que lorsque ce volcan est tranquille, la fumée est plus forte dans la Solfatara, & au contraire que lorsque le volcan vomit des flammes & éprouve de fortes éruptions, ce terrein est moins agité.

Cet endroit étoit déja connu des anciens, qui l'appelloient Forum-Vulcani ; il a été décrit en vers par Pétrone. Les modernes l'appellent Solfatara ou Solforata, soufriere ; on croit que ce sont les restes d'une montagne qui a été détruite par les embrasemens souterreins, & qui a été changée en une plaine.


SOLFIERv. n. en Musique, c'est prononcer les syllabes de la gamme ut, re, mi, &c. & entonner en même tems les sons qui leur conviennent ; & c'est un exercice par lequel on fait commencer ceux qui apprennent la musique, afin que l'idée de ces différentes syllabes s'unissant dans leur esprit à celle des intervalles qui s'y rapportent, ces syllabes leur aident à se rappeller ces intervalles.

Il y a diverses manieres de solfier. Plusieurs nations ont gardé l'ancienne méthode des six syllabes de l'Arétin. D'autres en ont encore retranché, comme les Anglois, qui solfient sur ces quatre syllabes seulement, mi, fa, sol, la. Les François au contraire ont ajouté la syllabe si, pour renfermer sous des noms différens tous les sept sons de l'octave.

Les inconvéniens de la méthode de l'Arétin sont considérables ; car faute d'avoir rendu complete la gamme de l'octave, les syllabes de cette gamme ne signifient ni des touches fixes du clavier, ni des degrés du ton, ni même des intervalles exactement déterminés : la, fa peut former un intervalle de tierce majeure en descendant, ou de tierce mineure en montant, ou d'un semi-ton encore en montant. Voyez GAMME, MUANCES. C'est encore pis par la méthode des Anglois : ils trouvent à chaque instant différens intervalles qu'ils ne peuvent exprimer que par les mêmes syllabes, & toutes les quartes portent toujours les mêmes noms, qui devroient être réservés aux seules octaves.

La maniere de solfier établie en France par l'addition du si est infiniment supérieure à tout cela ; car la gamme se trouvant complete , les muances deviennent inutiles, & l'analogie des octaves est parfaitement observée : mais les Musiciens ont encore gâté cette méthode par la bizarre imagination de rendre les noms des notes toujours fixes & déterminés sur les touches du clavier, & non pas sur les degrés du ton ; ce qui charge inutilement la mémoire de tous les dièses ou bémols de la clé ; ce qui ôte au nom des notes le rapport nécessaire avec les intervalles qui leur sont propres, & ce qui efface enfin, autant qu'il est en eux, toutes les traces de la modulation.

Ut ou ré ne sont point ou ne doivent point être telle ou telle touche du clavier, mais tel ou tel degré du ton ; quant aux touches fixes, c'est par des lettres de l'alphabet qu'elles doivent s'exprimer ; la touche que vous appellez ut, je l'appelle C ; celle que vous appellez re, je l'appelle D. Ce ne sont pas des signes que j'invente, ce sont des signes tout établis, & par lesquels je détermine très-nettement la fondamentale d'un ton : mais ce ton une fois fixé, dites-moi, je vous prie, à votre tour, comment vous en appellez la tonique que j'appelle ut, & la seconde note que j'appelle ré, & la médiante que j'appelle mi, &c. car c'est-là le point essentiel. Qu'on y réfléchisse bien, & l'on trouvera que rien n'est moins naturel que ce que les Musiciens françois appellent solfier au naturel. Cette prétendue nature n'est du-moins connue chez nul autre peuple. (S)


SOLIou SOLOS, en Cilicie (Géog. anc.) cette ville qui prit ensuite le nom de Pompeïopolis, étoit située sur la côte, entre les embouchures du Lamus & du Cydnus ; Pomponius Mela, l. I. c. xiij. l'appelle Soloë, & dit qu'elle appartenoit aux Rhodiens ; ses habitans sont appellés Solenses, par Diogene Laërce.

Soli étoit la patrie de Chrysippe, philosophe grec de la secte des Stoïciens, disciple de Cleanthe, successeur de Zénon. Il a dit de la vertu, que l'action de la nature la faisoit naître par une espece de concomitance, & que cette même action produisoit par contre-coup la source des vices. C'est un beau principe sur l'existence du bien & du mal moral ; Chrysippe mourut âgé de 73 ans dans la 143 olympiade.

Aratus poëte grec étoit aussi de Solos en Cilicie, & vivoit dans la 126 olympiade, 276 ans avant J. C. Il a composé deux poëmes grecs qui tiennent entierement à l'Astronomie, les phénomenes & les prognostiques, . Cicéron avoit fait du premier une traduction en vers latins, dont il nous reste une grande partie. Grotius nous a donné une belle édition des phénomenes d'Aratus en grec & en latin, Lugd. Batav. 1600. in -4°.

Crantor autre poëte grec, & philosophe de mérite, naquit pareillement à Solos en Cilicie. Il quitta son pays natal où il étoit admiré, pour se rendre à Athènes, & y devenir disciple de Xénocrate avec Polemon. Ce dernier ayant succédé à Xénocrate dans l'académie vers la fin de la 116 olympiade, eut la gloire de voir au nombre de ses écoliers, le même Crantor qui avoit été autrefois son condisciple. Il passa pour l'un des piliers de la secte platonique ; & si vous voulez connoître quel cas on en faisoit, vous n'avez qu'à lire ces deux vers d'Horace, epist. 2. l. I. v. 3. qui dit :

Qui quid sit pulchrum, quid justum, quid utile, quid-non.

Plenius ac melius Chrysippo & Crantore dicit.

Ce philosophe fit un livre de la consolation qui s'est perdu, & qu'on estimoit beaucoup. On admire principalement son traité du deuil, dit Diogène de Laërce ; c'étoit là, sans-doute, le titre de l'ouvrage de notre Cilicien. Nous apprenons de Plutarque, que ce philosophe mit ce livre au jour pour consoler Hippoclès, qui avoit perdu ses enfans ; Cicéron tire beaucoup de choses de ce traité quand il composa un semblable livre. Crantor mourut d'hydropisie dans un âge fort avancé, & laissa à son ami Arcésilas tout son bien, qui montoit à douze talens, environ cinquante-trois mille livres de notre monnoie.

Enfin, Cléarque disciple d'Aristote, & célebre péripatéticien, étoit de Solos en Cilicie. De plusieurs ouvrages qu'il composa, il ne reste qu'un fragment de son traité sur le sommeil. C'est de son art d'aimer, qu'Athénée a pris ce qu'il a dit, l. XIII. des honneurs que Gygés roi de Lydie, fit à une courtisanne dont il étoit amoureux. (D.J.)

SOLI, ou Solon, ou Soler, en Cypre, (Géog. anc.) ville de l'île de Cypre, sur la côte septentrionale ; Strabon qui en fait deux athéniens, Apamas & Phalerus, les fondateurs, la place auprès de la ville d'Arsinoé. Elle avoit auparavant le nom d'Epéa, quoiqu'à proprement parler, Epéa fut une autre ville bâtie par Démophoon, fils de Thésée, près de la riviere de Clarius dans un quartier raboteux & infertile.

Philocyprus qu'Hipparque appelle Cypranor, en étoit le roi, lorsque Solon y arriva. Ce sage philosophe, la voyant si mal située, conseilla au roi de transporter sa cour en une fort belle plaine qui étoit audessous, d'y bâtir une plus grande & plus belle ville, & d'en accompagner la structure de plus de justesse & d'ornement.

Le projet de Solon fut exécuté avec beaucoup d'exactitude ; & dès qu'on fut en état d'en jetter les fondemens, après avoir fait les préparatifs nécessaires, il se chargea du soin de la peupler. Sa présence y attira beaucoup de monde ; desorte qu'elle ne fut pas plutôt bâtie, qu'on la vit presque remplie d'habitans. Philocyprus de son côté ne manqua pas de reconnoissance. Il voulut qu'on appellât la ville Solon, Soli, ou Solos, pour conserver dans son pays la mémoire de ce grand homme & de ses bienfaits. Ce prince laissa un fils, appellé Aristocyprus, qui lui succéda à la couronne, bien qu'il ne vécut pas longtems après lui ; car il fut tué dans un combat contre les Perses, du tems du roi Darius.

La ville de Soli fut aussi assiégée par les Perses, trois cent six ans avant la naissance du Sauveur du monde, & tint plus long-tems qu'aucune ville de Cypre : mais elle fut enfin prise au cinquieme mois, après qu'on en eut sappé les murailles par les fondemens.

Cette ville avoit un port, un temple de Vénus & d'Isis, & une riviere nommée apparemment Clarius ; Minerve y étoit aussi adorée, & ses prêtres se nommoient hypeccaustrii. Outre les rois que j'ai nommés, Athénée fait mention d'Eunostus, que Solon célebra plus qu'aucun autre dans ses vers.

Cette ville n'est à-présent qu'un village appellé Soléa, situé au côté septentrional de l'île, entre les caps de Cormachiti & d'Alexandrette, à sept lieues de Baffo. Strabon place au-dessus de Soli l'ancienne ville de Liménia, & au-dessous le cap de Crommyon, ou de Cormachiti. (D.J.)


SOLICINIUM(Géog. anc.) lieu d'Allemagne, dont parle Ammien Marcellin, l. XXVII. c. x. C'est, selon Herold, Solmi ; selon Lazius, Bretten ; & selon Cluvier, Sultz.


SOLICOQUEvoyez SQUILLE.


SOLIDAIRE(Jurisprud.) se dit de ce qui emporte une obligation de payer la totalité d'une dette commune à plusieurs personnes ; l'obligation est solidaire, quand chacun des obligés peut être contraint pour le tout. Il en est de même d'un cautionnement solidaire, c'est-à-dire, lorsque l'on a stipulé que chacune des cautions sera tenue pour le tout. Voyez ci-après SOLIDITE. (A)


SOLIDAIREMENTadv. (Gram. & Jurisprud.) signifie le droit que l'on a de contraindre chacun de plusieurs co-obligés à acquiter seul pour le tout une dette commune, sauf son recours contre ses co-obligés pour leur part & portion. Voyez ci-après SOLIDITE. (A)


SOLIDARITÉS. f. (Commerce) c'est la qualité d'une obligation où plusieurs débiteurs s'engagent à payer une somme qu'ils empruntent ou qu'ils doivent ; ensorte que la dette totale soit exigible contre chacun d'eux, sans que celui au profit duquel l'obligation est faite, soit obligé de discuter les autres, & l'un plutôt que l'autre. Dictionnaire du Commerce. (D.J.)


SOLIDES. m. en Géométrie, est une portion d'étendue qui a les trois dimensions, c'est-à-dire, longueur, largeur, & profondeur. Voyez DIMENSION.

Ainsi, comme tous les corps ont les trois dimensions, solide & corps sont souvent employés comme synonymes. Voyez CORPS.

Un solide est terminé ou compris par un ou plusieurs plans ou surfaces, comme une surface est terminée par une ou plusieurs lignes. Voyez SURFACE & LIGNE.

Les solides réguliers sont ceux qui sont terminés par des surfaces régulieres & égales.

Sous cette classe sont compris le tétrahedre, l'hexahedre ou cube, l'octahedre, le dodécahedre, & l'icosahedre. Voyez ces mots, & REGULIER, &c.

Les solides irréguliers sont tous ceux auxquels on ne peut pas appliquer la définition des solides réguliers. Tels sont le cylindre, le cône, le prisme, la pyramide, la parallélépipède, &c. Voyez CYLINDRE, CONE, &c.

La cubature d'un solide est la mesure de l'espace qui est renfermé par ce solide. Voyez CUBATURE & SOLIDITE.

Un angle solide est composé de trois angles plans, ou davantage, qui se rencontrent en un point. Voyez ANGLE ; ou autrement un angle solide comme B, (Planche géom. fig. 30.) est l'inclinaison de plus de deux lignes, A B, B C, B F, qui se rencontrent au même point B, & qui sont dans des plans différens.

Ainsi les angles solides, pour être égaux, doivent être contenus sous un nombre égal de plans égau x, de plans disposés de la même maniere.

La somme de tous les angles plans qui composent un angle solide, est toujours moindre que 260. autrement ils constitueroient le plan d'un cercle, & non pas un solide. Voyez ANGLE.

Figures solides semblables, voyez SEMBLABLE.

Bastion solide, voyez BASTION.

Lieu solide, voyez LIEU.

Les nombres solides, sont ceux qui naissent de la multiplication d'un nombre plan par un autre nombre quelconque.

Ainsi 18 est un nombre solide, formé du nombre plan 6, multiplié par 3, ou de 9 multiplié par 2. Voyez NOMBRE. Chambers. (E)

SOLIDE HYPERBOLIQUE AIGU, est un solide formé par la révolution de l'arc A M, fig. 20. sect. con. d'une hyperbole équilatere autour de son asymptote. Par cette révolution, il se forme une espece de fuseau infiniment long, & cependant Torricelli qui lui a donné ce nom, a démontré évidemment qu'il est égal à un solide ou corps fini. (O)

SOLIDE, adj. (Alg.) problême solide est un problême où l'équation monte au troisieme degré ; on l'appelle problême solide, parce que l'inconnue y est élevée à la troisieme puissance, laquelle représente un produit de trois dimensions. Voyez DIMENSIONS. (O)

SOLIDE, adj. en Physique se dit d'un corps dont les petites parties sont unies ensemble, desorte qu'une force d'un certain degré ne les divise & ne les sépare pas les unes des autres. Voyez SOLIDITE.

On nomme ces corps solides, par opposition à fluides. Voyez FLUIDE, FLUIDITE, &c.

Cependant on peut dire dans un autre sens, que tous les corps sont solides, en entendant la solidité de l'impénétrabilité. Les corps solides ou impénétrables qui sont l'objet de la Physique, sont distingués par là des corps simplement étendus, ou considérés avec leurs dimensions, & qui sont l'objet de la Géométrie. Voyez CORPS.

SOLIDE, en Anatomie, signifie les parties du corps continues & contenantes, ainsi appellées par opposition aux fluides & aux parties contenues du corps. Voyez CORPS, PARTIE & FLUIDE.

Les solides sont les os, les cartilages, les ligamens, les membranes, les fibres, les muscles, les tendons, les arteres, les veines, les nerfs, les glandes, les vaisseaux lymphatiques, les veines lactées, &c. Voyez OS, CARTILAGE, &c.

Nonobstant le grand nombre & l'apparence des parties solides du corps, nous trouvons par le secours du microscope, des injections, des vesicatoires, des atrophies, &c. que les parties solides sont excessivement petites & peu considérables, en comparaison des fluides. Au contraire, on peut presque démontrer par la considération du progrès & de la génération des vaisseaux, & par la résolution des plus grands vaisseaux dans les plus petits qui les constituent, que toute la masse des solides dans le corps, est composée des fibres, d'un tissu cellulaire & d'une substance gélatineuse qui en sont les élémens communs. Voyez FIBRES, TISSU CELLULAIRE & GELATINEUX.

En effet, toute la masse des solides aussi-bien que des fluides, si on en excepte seulement un petit germe ou animalcule, procéde d'un fluide bien subtil, qui ne differe point du suc des nerfs, comme l'a fait voir Malpighi dans son traité de ovo incubato. Voyez OEUF.

Le blanc de l'oeuf ne nourrit jamais, jusqu'à ce que l'incubation ait détruit son épaisseur naturelle, & qu'il ait passé par un grand nombre de dégrés de fluidité avant de devenir assez subtil pour entrer dans les petites vésicules du germe. Les solides d'abord mous & plus tendres, procedent de cette humeur subtile & passent par une infinité de degrés intermédiaires avant que d'arriver à leur plus grande solidité. Voyez GENERATION.

Par conséquent tous les solides dans nos corps (à-moins qu'on ne soit assez minutieux pour en excepter le premier germe) ne different des fluides dont ils ont été formés, que par leur repos, leur cohésion & leur figure ; & une particule fluide deviendra propre à former une partie d'un solide, si-tôt qu'il y aura une force suffisante pour opérer son union avec les autres parties solides. Voyez NUTRITION & ACCROISSEMENT.

SOLIDE, s. m. (Architect.) nom commun & à la consistance d'un terrein sur lequel on fonde, & au massif de maçonnerie de grosse épaisseur, sans vuide au-dedans.

On nomme encore solide, toute colonne ou obélisque fait d'une seule pierre. Et on appelle angle solide, une encoignure dite vulgairement carne. Daviler. (D.J.)


SOLIDITÉS. f. en Géométrie, est la quantité d'espace contenue sous un corps solide. Voyez CUBATURE.

On a la solidité d'un cube, d'un prisme, d'un cylindre ou d'un parallélépipède, en multipliant la base par la hauteur. Voyez CUBE, PRISME, CYLINDRE, &c.

La solidité d'une pyramide ou d'un cône, se détermine en multipliant ou la base entiere par la troisieme partie de la hauteur, ou la hauteur entiere par la troisieme partie de la base. Voyez PYRAMIDE & CONE.

Trouver la solidité de tout corps irrégulier. Mettez le corps dans un vase parallélépipède, & versez-y de l'eau ou du sable jusqu'en B, Pl. Géom. fig. 32. alors ôtez-en le corps, & observez à quelle hauteur l'eau ou le sable est placé, quand le corps est ôté, comme A C. Otez A C de A B, le reste sera B C ; ainsi le corps irrégulier est réduit à un parallélépipède, dont la base est F C G E & la hauteur B C pour trouver la solidité de ce parallélépipède. Voyez PARALLELEPIPEDE.

Supposez, par exemple, AB = 8 & AC = 5 : alors BC sera = 3 : de plus, supposez DB = 12, BE = 4, alors la solidité du corps irrégulier sera 144. (E)

SOLIDITE, s. f. (Physiq.) idée qui nous vient par l'attouchement, & qui est causée par la résistance que nous éprouvons ou que nous remarquons dans un corps jusqu'à ce qu'il ait quitté le lieu qu'il occupe lorsqu'un autre corps y entre actuellement.

Voici l'article que M. Formey a bien voulu nous communiquer sur ce sujet.

De toutes les idées que nous recevons par sensation, il n'y en a point que nous recevions plus constamment que celle de la solidité. Soit que nous soyons en mouvement ou en repos, dans quelque situation que nous nous mettions, nous sentons toujours quelque chose qui nous soutient, & qui nous empêche d'aller plus bas ; & nous éprouvons tous les jours, en maniant des corps, que tandis qu'ils sont entre nos mains, ils empêchent par une force invincible l'approche des parties de nos mains qui les pressent. Or, ce qui empêche ainsi l'approche de deux corps, lorsqu'ils se meuvent l'un vers l'autre, c'est ce que l'on appelle solidité, & que l'on peut nommer aussi impénétrabilité. C'est de toutes les idées celle qui paroît la plus essentiellement & la plus étroitement unie au corps, ensorte qu'on ne peut la trouver ou imaginer ailleurs que dans la matiere.

Par-tout où nous imaginons quelque espace occupé par une substance solide, nous concevons que cette substance occupe de telle sorte cet espace, qu'elle en exclut toute autre substance solide, & qu'elle empêchera à-jamais deux autres corps qui se meuvent en ligne droite l'un vers l'autre, de venir à se toucher, si elle ne s'éloigne d'entr'eux par une ligne qui ne soit point parallele à celle sur laquelle ils se meuvent actuellement.

Cette résistance qui empêche que d'autres corps n'occupent l'espace dont un corps est actuellement en possession, est si grande, qu'il n'y a point de force, quelque puissante qu'elle soit, qui la surmonte. Que tous les corps du monde pressent de tous côtés une goutte d'eau, ils ne pourront jamais vaincre la résistance qu'elle fera, quelque molle qu'elle soit, jusqu'à s'approcher l'un de l'autre, si auparavant ce petit corps n'est ôté de leur chemin. Les partisans de l'espace pur en concluent que la solidité differe de cet espace qui n'a ni résistance ni mouvement. Sans contredit, la solidité n'est pas un attribut de l'espace pur, puisque celui-ci n'est qu'une simple abstraction, prise de la considération de l'espace réel, qui n'est lui-même réel qu'en vertu des corps qui l'occupent. C'est aux corps que convient l'impénétrabilité, la solidité, & diverses autres propriétés ; & les corps étant annihilés, il ne reste absolument rien, que la possibilité d'en produire d'autres dont l'existance renouvelleroit l'espace détruit avec les précédens. C'est donc une distinction chimérique, selon M. Formey auteur de cet article, que celle que l'on met entre l'étendue des corps & l'étendue de l'espace, en disant que la premiere est une union, ou continuité de parties solides divisibles, & capables de mouvement, & l'autre une continuité de parties non solides, indivisibles, & immobiles.

La solidité d'un corps n'emporte autre chose, si ce n'est que ce corps remplit l'espace qu'il occupe, de telle sorte qu'il exclut absolument tout autre corps, au lieu que la dureté consiste dans une forte union de certaines parties de matiere qui composent des masses d'une grosseur sensible, desorte que toute la masse ne change pas aisément de figure. En effet le dur & le mou sont des noms que nous devons aux choses seulement par rapport à la constitution particuliere de notre corps. Ainsi nous donnons généralement le nom de dur à tout ce que nous ne pouvons sans peine changer de figure en le pressant avec quelque partie de notre corps ; & au contraire nous appellons mou ce qui change la situation de ces parties, lorsque nous venons à le toucher, sans faire aucun effort considérable & pénible. Mais la difficulté qu'il y a à faire changer de situation aux différentes parties sensibles d'un corps, ou à changer la figure de tout le corps ; cette difficulté, dis-je, ne donne pas plus de solidité aux parties les plus dures de la matiere qu'aux plus molles ; & un diamant n'est pas plus solide que l'eau : car quoique deux plaques de marbre soient plus aisément jointes l'une à l'autre, lorsqu'il n'y a que de l'eau ou de l'air entre deux, que s'il y avoit un diamant : ce n'est pas à cause que les parties du diamant sont plus solides que celles de l'eau ou qu'elles résistent davantage, mais parce que les parties pouvant être plus aisément séparées les unes des autres, elles sont écartées plus facilement par un mouvement oblique, & laissent aux deux pieces de marbre le moyen de s'approcher l'une de l'autre ; mais si les parties de l'eau pouvoient n'être point chassées de leur place par ce mouvement oblique, elles empêcheroient éternellement l'approche de ces deux pieces de marbre tout-aussi-bien que le diamant ; & il seroit aussi impossible de surmonter leur résistance par quelque force que ce fût, que de vaincre la résistance des parties du diamant.

Car que les parties de matiere les plus molles & les plus flexibles qu'il y ait au monde, soient entre deux corps quels qu'ils soient, si on ne les chasse point de-là, & qu'elles restent toujours entre deux, elles résisteront aussi invinciblement à l'approche de ces corps, que le corps le plus dur que l'on puisse trouver ou imaginer. On n'a qu'à bien remplir d'eau ou d'air un corps souple & mou, pour sentir bientôt de la résistance en le pressant : & quiconque s'imagine qu'il n'y a que les corps durs qui puissent l'empêcher d'approcher ses mains l'une de l'autre, peut se convaincre du contraire par le moyen d'un ballon rempli d'air. L'expérience faite à Florence avec un globe d'or concave, qu'on remplit d'eau & qu'on referma exactement, fait voir la solidité de l'eau, toute liquide qu'elle soit. Car ce globe ainsi rempli, étant mis sous une presse qu'on serra à toute force, autant que les vis purent le permettre, l'eau se fit chemin à elle-même à-travers les pores de ce métal si compact. Comme ces particules ne trouvoient point de place dans le creux du globe pour se resserrer davantage, elles s'échapperent au-dehors où elles s'exhalerent en forme de rosée, & tomberent ainsi goutte à goutte avant qu'on pût faire céder les côtés du globe à l'effort de la machine qui les pressoit avec tant de violence.

La solidité est une propriété non-seulement commune, mais même essentielle à tous les corps. Cela est vrai, soit qu'on considere les corps dans leur tout, soit qu'on n'ait égard qu'à leurs parties les plus simples. C'est aussi le signe le moins équivoque de leur existance. Des illusions d'optique en imposent quelquefois à nos yeux ; nous sommes tentés de prendre des fantômes pour des réalités ; mais en touchant, nous nous assurons du vrai par la persuasion intime où nous sommes que tout ce qui est corps est solide, capable par conséquent de résistance, & qu'on ne peut placer le doigt ou autre chose dans un lieu qui est occupé par une matiere quelconque, sans employer une force capable de la pousser ailleurs. Toute résistance annonce donc une solidité réelle plus ou moins grande. C'est une vérité tellement avouée, qu'elle n'a besoin d'autre preuve que de l'habitude où l'on est de confondre les deux idées ; quoiqu'à parler exactement, l'une représente la cause & l'autre l'effet. Mais il y a tel cas où l'une & l'autre (la solidité & la résistance) échappent à nos sens ou à notre attention.

Certains corps nous touchent sans-cesse, nous touchent partout également ; l'habitude nous a rendu leur contact si familier, que nous avons besoin d'y réfléchir pour reconnoître l'impression qu'ils font sur nous. Quand on agit dans un air calme, il est peu de personnes qui pensent qu'elles ont continuellement à vaincre la résistance d'un corps dont la solidité s'oppose à leurs mouvemens. Si l'on sortoit de l'atmosphere pour y rentrer, on sentiroit sans réflexion l'attouchement de l'air, comme on sent celui de l'eau quand on s'y plonge. Ce qui fait encore que la solidité des fluides échappe à notre attention, c'est que leur partie indépendante des unes & des autres est d'une petitesse qui surpasse beaucoup la délicatesse de nos sens, cedent aux moindres de nos efforts, surtout quand elles sont en petite quantité ; & nous ne pensons pas que nous agissons quand nous agissons très-peu. C'est en vertu de ce préjugé qui nous fait regarder comme vuide tout ce qui n'est plein que d'air ; que nous croyons qu'une liqueur n'a qu'à se présenter de quelque façon que ce soit à l'ouverture d'un vase pour y trouver accès ; mais nous devrions faire attention que toutes ces capacités sont naturellement remplies d'air, comme elles seroient pleines d'eau, si elles avoient été fabriquées au fond d'un étang, & qu'elles n'en fussent jamais sorties. Nous devrions penser de plus que l'air ayant de la solidité dans ses parties, on ne doit pas prétendre loger avec lui un autre corps dans le même lieu, & qu'ainsi pour mettre de l'eau, du vin, &c. dans une bouteille, il faut que l'air puisse passer entre le col & l'entonnoir, pour faire place à la liqueur ; mais quand ce col est tellement étroit qu'il ne peut pas donner en même tems un passage libre à deux matieres qui coulent en sens contraire, c'est-à-dire à la liqueur qu'on veut faire entrer, & à l'air qui doit sortir, il faut que cela se fasse successivement. C'est pourquoi, quand on veut introduire de l'esprit de lavande dans une cassolette, dont le canal est fort étroit, on commence par la chauffer ; & quand l'action du feu a fait sortir une bonne partie de l'air qu'elle contenoit, on plonge le col dans la liqueur qui va prendre sa place.

Nous avons dit que la solidité se confond avec l'impénétrabilité ; ce terme a besoin d'être expliqué, pour prévenir des objections tirées de certaines expériences, par lesquelles il paroît que plusieurs matieres mêlées ensemble confondent leurs grandeurs, & se pénétrent mutuellement. Une éponge, par exemple, reçoit intérieurement une quantité d'eau qui semble perdre son propre volume, puisque celui sous lequel elle se trouve renfermée après cette espece de pénétration, n'en est point sensiblement augmenté. Un vaisseau plein de cendre ou de sable, admet encore une grande quantité de liqueur ; & parties égales d'esprit-de-vin & d'eau mêlées dans le même vase, y tiennent moins de place qu'elles n'en occupoient avant le mélange : la matiere est-elle donc pénétrable ? ou si elle ne l'est pas, dans quel sens faut-il entendre son impénétrabilité ? C'est qu'il faut soigneusement distinguer la grandeur apparente des corps de leur solidité réelle. Les parties simples ou premiers élémens, s'il y en a, sont absolument impénétrables : celles même d'un ordre inférieur qui commencent à être composées, ne sont encore vraisemblablement jamais pénétrées par aucune matiere ; en un mot, il y a dans tous les corps, quels qu'ils puissent être, une certaine quantité de parties qui occupent seules les places qu'elles ont, & qui en excluent nécessairement tout autre corps. Mais ces parties solides & impénétrables, qui font proprement la vraie matiere de ces corps, ne sont pas tellement jointes ensemble, qu'elles ne laissent entr'elles des espaces qui sont vuides, ou qui sont pleins d'une autre matiere qui n'a aucune liaison avec le reste, & qui cede sa place à tout ce qui se présente pour l'en exclure ; en admettant ces petits interstices, dont l'existence est facile à prouver, on conçoit très-facilement que l'impénétrabilité des corps doit s'entendre seulement des parties solides qui se trouvent liées ensemble dans le même tout, & non pas du composé qui en résulte. Voyez les leçons de Physique expérimentale de M. l'abbé Nollet, tome I. pag. 65 & suiv. Cet article est de M. FORMEY.

SOLIDITE, (Jurisprudence) est l'obligation dans laquelle est chacun des co-obligés d'acquiter intégralement l'engagement qu'ils ont contracté.

Dans quelques provinces on dit solidarité, expression qui paroît plus juste & moins équivoque que le terme de solidité.

Ce n'est pas que le payement puisse être exigé autant de fois qu'il y a de co-obligés solidairement ; l'effet de la solidité est seulement que l'on peut s'adresser à celui des co-obligés que l'on juge à propos, & exiger de lui le payement de la dette en entier, sans qu'il puisse en être quitte en payant sa part personnelle, sauf son recours contre ses co-obligés pour répéter de chacun d'eux leur part & portion qu'il a payée en leur acquit.

La solidité a lieu ou en vertu de la loi, ou en vertu de la convention.

Il y a certain cas dans lesquels la loi veut que tous les obligés puissent être contraints solidairement comme en matiere civile, lorsqu'il y a fraude, & en matiere criminelle, pour les dommages & intérêts, & autres condamnations pécuniaires prononcées contre les accusés.

Les conventions ne produisent point de solidité, à moins qu'elle n'y soit exprimée suivant la novelle 99 de Justinien. Voyez le titre de duobus reis stipulandi & promittendi ; au digeste, au code & aux institutes, & la novelle 99 ; le traité de la subrogat. de Rénusson ; & les mots CAUTION, CO-OBLIGÉS, CREANCIERS, DEBITEURS, DISCUSSION, DIVISION, FIDEIJUSSION, OBLIGATION, PAYEMENT, QUITTANCE. (A)

SOLIDITE, en Architecture, est un terme qui s'applique à la consistance du terrein sur lequel la fondation d'un bâtiment est posée, & à un massif de maçonnerie d'une épaisseur considérable, sans aucune cavité dedans. La solidité des pyramides d'Egypte est inconcevable. Voyez PYRAMIDE & CORPS.

SOLIDITE, SOLIDE, (Synonym.) Le mot de solidité a plus de rapport à la durée : celui de solide en a davantage à l'utilité. On donne la solidité à ses ouvrages, & l'on cherche le solide dans ses desseins.

Il y a dans quelques auteurs & dans quelques bâtimens plus de grace que de solidité. Les biens & la santé joints à l'art d'en jouir, sont le solide de la vie : les honneurs n'en sont que l'ornement. Synon. franç. (D.J.)


SOLIGNAC(Géogr. mod.) petite ville ou plûtôt bourg de France dans le Velay, sur la gauche de la Loire, & à deux lieues au midi de Puy, capitale du Velay. Long. 21. 23. latit. 45. 26. (D.J.)


SOLILOQUES. m. (Littérat.) est un raisonnement & un discours que quelqu'un se fait à lui-même. Voyez MONOLOGUE.

Papias dit que soliloque est proprement un discours en forme de réponse à une question qu'un homme s'est faite à lui-même.

Les soliloques sont devenus bien communs sur le théâtre moderne : il n'y a rien cependant de si contraire à l'art & à la nature, que d'introduire sur la scene un acteur qui se fait de longs discours pour communiquer ses pensées, &c... à ceux qui l'entendent.

Lorsque ces sortes de découvertes sont nécessaires, le poëte devroit avoir soin de donner à ses acteurs des confidens à qui ils pussent, quand il le faut, découvrir leurs pensées les plus secrettes : par ce moyen les spectateurs en seroient instruits d'une maniere bien plus naturelle : encore est-ce une ressource dont un poëte exact devroit éviter d'avoir besoin.

L'usage & l'abus des soliloques est bien détaillé par le duc de Buckingham dans le passage suivant : " Les soliloques doivent être rares, extrêmement courts, & même ne doivent être employés que dans la passion. Nos amans parlant à eux-mêmes, faute d'autres, prennent les murailles pour confidens. Cette faute ne seroit pas encore réparée, quand même ils se confieroient à leurs amis pour nous le dire ".

Nous n'employons en France que le terme de monologue, pour exprimer les discours ou les scenes dans lesquelles un acteur s'entretient avec lui-même, le mot de soliloque étant particulierement consacré à la théologie mystique & affective. Ainsi nous disons les soliloques de saint Augustin, ce sont des méditations pieuses.


SOLINSS. m. pl. (Architect.) ce sont les bouts des entrevoux des solides scellées avec du plâtre sur les poutres, sablieres ou murs. Ce sont aussi les enduits de plâtre pour retenir les premieres tuiles d'un pignon. (D.J.)


SOLITAIRES. m. (Morale) celui qui vit seul, séparé du commerce & de la société des autres hommes, qu'il croit dangereuse.

Je suis bien éloigné de vouloir jetter le moindre ridicule sur les religieux, les solitaires, les chartreux ; je sais trop que la vie retirée est plus innocente que celle du grand monde : mais outre que dans les premiers siecles de l'Eglise la persécution faisoit plus de fugitifs que de vrais solitaires, il me semble que dans nos siecles tranquilles une vertu vraiment robuste est celle qui marche d'un pas ferme à-travers les obstacles, & non pas celle qui se sauve en fuyant. De quel mérite est cette sagesse d'une complexion foible qui ne peut soutenir le grand air, ni vivre parmi les hommes sans contracter la contagion de leurs vices, & qui craint de quitter une solitude oisive pour échapper à la corruption ? L'honneur & la probité sont-ils d'une étoffe si legere qu'on ne puisse y toucher sans l'entamer ? Que feroit un lapidaire s'il ne pouvoit enlever une tache d'une émeraude, sans retrancher la plus grande partie de sa grosseur & de son prix ? il y laisseroit la tache. Ainsi faut-il, en veillant à la pureté de l'ame, ne point altérer ou diminuer sa véritable grandeur, qui se montre dans les traverses & l'agitation du commerce du monde. Un solitaire est à l'égard du reste des hommes comme un être inanimé ; ses prieres & sa vie contemplative, que personne ne voit, ne sont d'aucune influence pour la société, qui a plus besoin d'exemples de vertu sous ses yeux que dans les forêts. (D.J.)

SOLITAIRE, (Hist. monac.) nom de religieuse du monastere de Faiza, fondé par le cardinal Barberin, & approuvé par un bref de Clément X. l'an 1676. Les religieuses de ce couvent, s'adonnent entierement à la vie solitaire ; elles gardent un silence continuel, ne portent point de linge, vont toujours nuds piés sans sandale, & ont pour habit une robe de bure ceinte d'une grosse corde. Le cardinal Barberin instituteur de ce monastere, ne mena point une vie semblable à celle de ses religieuses ; c'étoit un homme du monde, fin, intrigant, toujours occupé du manege politique des intérêts de diverses puissances. (D.J.)

SOLITAIRE, ver, (Hist. nat. des Insect.) voilà le plus long de tous les animaux, s'il est vrai qu'on en ait vu qui avoient 80 aunes de Hollande. Quelques physiciens prétendent qu'il se forme ordinairement dans le foetus, qu'il vieillit avec nous, & ne se trouve jamais que seul dans les corps où il habite. Que penser de ce systême si ces faits étoient véritables, comme Hippocrate & ses sectateurs le soutiennent ? que croire de l'origine de pareils animaux ?

Hors des corps animés on n'en a jamais trouvé de semblables, auxquels on puisse présumer que ceux-ci devroient leur naissance ; & s'il y en avoit eu de petits ou de grands, leur figure applatie & la grande multitude de leurs articulations n'auroient pas manqué, ce semble, de les faire connoître. Il faudroit donc admettre que ces vers ne sont produits que par ceux qui se trouvent dans nos corps ; & si cela est, comment peuvent-ils en être produits, à-moins qu'on ne suppose que chacun de ces vers ne se suffise à lui-même pour produire son semblable, vû qu'il se trouve toujours seul ?

Mais cette supposition ne leve pas toutes les difficultés qu'on peut faire sur l'origine de ce ver singulier. On pourra toujours demander pourquoi il ne se trouve jamais que seul, & quel chemin prennent ses oeufs ou ses petits pour entrer dans le corps d'un autre homme. Avec de nouvelles suppositions, il ne seroit pas difficile de répondre à ces difficultés.

La premiere difficulté disparoîtroit en supposant que ce ver est du nombre de ceux qui se mangent les uns les autres ; le plus fort ayant dévoré ceux qui sont nés avec lui dans un même endroit, doit enfin rester tout seul. Pour ce qui est de l'autre difficulté, on n'a qu'à supposer que l'oeuf ou le foetus de ce ver est extrêmement petit ; que l'animal le dépose dans notre chyle ; ce qu'il peut faire aisément si l'issue de son ovaire est près de sa tête, comme l'est celle des limaces. Du chyle il entrera dans la masse du sang de l'homme ou de la femme, où ce ver habite. Si c'est dans une femme, la communication que son sang a avec le foetus qu'elle porte, y donnera par sa circulation entrée à l'oeuf ou au foetus du ver, qui y croîtra aussi-tôt qu'il se sera arrêté à l'endroit qui lui convient. Que si l'oeuf ou le foetus du ver se trouve dans la masse du sang d'un homme, la circulation de ce sang fera passer cet oeuf ou ce foetus dans les vaisseaux où ce sang se filtre, afin d'être préparé à un usage nécessaire pour la conservation de notre espece. Et de-là on conçoit aisément comment il peut se trouver mêlé dans les parties qui entrent dans la composition du foetus humain.

C'est ainsi qu'avec des suppositions on peut rendre raison de tout, même de l'existence des choses qui n'ont jamais été, comme l'ont fait les physiciens des derniers siecles, qui nous ont expliqué de quelle maniere la corruption engendroit des insectes. C'est les imiter que de bâtir par rapport au ver solitaire sur des faits, qui pour avoir été assez généralement reçus, n'en sont pas pour cela plus véritables. M. Valisnieri a renversé d'un seul coup ce systême ridicule, en établissant par ses observations & ses recherches, que le solitaire n'est qu'une chaîne de vers qu'on nomme cucurbitaires, qui se tiennent tous accrochés les uns aux autres, & forment ainsi tous ensemble la figure d'un seul animal. Les raisons qu'il en allegue sont si vraisemblables, & ont paru si fortes aux physiciens éclairés, qu'il est aujourd'hui fort difficile de n'être pas de cet avis. (D.J.)

SOLITAIRE, s. m. (Jeu) nom d'un jeu qu'on a inventé depuis une cinquantaine d'années, auquel un homme peut jouer seul. C'est une tablette percée de 37 trous, disposés de maniere que le premier rang en a trois, le second cinq, les trois suivans chacun sept, le sixieme cinq, & le dernier trois. Tous ces trous ont chacun une cheville, à la reserve d'un qui reste vuide. Ce jeu consiste à prendre toutes ces chevilles les unes après les autres, ensorte qu'il n'en reste plus aucune. Elles se prennent comme on prend les dames au jeu de dames, en sautant par dessus, & se mettant à la place vuide qui est de l'autre côté de celle qu'on prend & qu'on enleve. Ce jeu n'a pas grand attrait quand on en ignore la marche, & n'en a point quand on la sait. (D.J.)

SOLITAIRE, (Jeu de cartes) c'est une espece de quadrille, ainsi appellé parce que l'on est obligé de jouer seul sans appeller. S'il arrive que les quatre joueurs n'ayent pas assez beau jeu pour jouer sans prendre, ou même pour rappeller un médiateur, on est obligé de passer, ne pouvant contraindre spadille à jouer, comme au quadrille ordinaire ; on laisse alors les deux fiches du poulan sur le jeu, & l'on continue d'en faire mettre le même nombre par celui qui mêle jusqu'à ce que l'un des quatre joueurs puisse faire jouer sans prendre, ou avec un médiateur. A l'égard des bêtes, elles augmentent de vingt-huit jettons de plus que tout ce qui se trouve sur le jeu ; & sur les poulans doubles de cinquante-six jettons.

SOLITAIRE, le médiateur solitaire à trois, (Jeu de cartes) Ce jeu ne se joue à trois que faute d'un quatrieme, & n'en est pas moins amusant. On l'appelle solitaire parce qu'on joue toujours seul.

Il faut ôter dix cartes du jeu ordinaire, c'est-à-dire neuf carreaux & le six de coeur, & laisser le roi de carreau ; par ce moyen on peut jouer dans les quatre couleurs quoiqu'il y en ait une presque supprimée. Par exemple, un joueur ayant les deux as noirs avec des rois pourra jouer en carreau, il aura par conséquent tous les matadors qui lui seront payés comme au médiateur à quatre : de même celui qui a de quoi demander un médiateur, peut demander le roi de carreau, puisque l'on le laisse dans le jeu, ce qui le rend aussi divertissant qu'à quatre. Ce jeu se marque comme au médiateur, c'est-à-dire que celui qui fait met deux fiches devant lui, & l'on ne joue point en appellant, l'on ne renvoie point aussi à spadille. Si l'on n'a pas dans son jeu de quoi jouer un médiateur, ou sans prendre, il faut passer. Alors celui qui mêle doit mettre encore deux fiches devant lui, ce qui se continue jusqu'à ce qu'un des joueurs fasse jouer. A l'égard des bêtes, elles augmentent toujours de vingt-huit les unes sur les autres comme au médiateur ordinaire à quatre. La seule différence qu'il y ait c'est que la bête faite par remise doit augmenter d'autant de jettons qu'il se trouvera de passe sur le jeu ; au-lieu que celle qui est faite par codille ne sera pas de plus de jettons qu'au médiateur ordinaire à quatre. Comme à ce jeu l'on joue un coup de moins à chaque tour, il est convenable de jouer douze tours au-lieu de dix, pour que la reprise soit finie ; pour ce qui regarde le reste, on suit à ce jeu les lois du médiateur à quatre.

Autre maniere de jouer le médiateur solitaire à trois. L'on ôte pour jouer à ce jeu les quatre trois qui n'y sont pas d'un grand usage, ce qui le réduit au nombre de trente-six cartes au-lieu de quarante. Celui qui mêle donne à chacun des joueurs douze cartes, trois à trois ou quatre à quatre, & non autrement, ce qui emploie les trente-six cartes du jeu. Celui qui fait jouer en telle couleur que ce soit est obligé de faire sept levées pour gagner. L'on peut aussi demander un médiateur lorsqu'on n'a que de quoi faire six levées dans son jeu, sinon il faut passer, en suivant pour le reste les regles du médiateur ordinaire à quatre.


SOLITAURILIES(Antiq. rom.) nom d'un sacrifice solemnel qu'on faisoit chez les Romains, d'un verrat, d'un bélier & d'un taureau. Voyez -en les détails au mot SUOVE-TAURILIES (D.J.)


SOLITUDES. f. (Religion) lieu desert & inhabité. La religion chrétienne n'ordonne pas de se retirer absolument de la société pour servir Dieu dans l'horreur d'une solitude, parce que le chrétien peut se faire une solitude intérieure au milieu de la multitude, & parce que Jesus-Christ a dit : que votre lumiere luise devant les hommes, afin qu'ils voyent vos bonnes oeuvres, & qu'ils glorifient votre pere qui est aux cieux. L'âpreté des regles s'applanit par l'acoutumance, & l'imagination de ceux qui croyent par dévotion devoir s'y soumettre, est plus atrabilaire, plus maladive, qu'elle n'est raisonnable & éclairée. C'est une folie de vouloir tirer gloire de sa cachette. Mais il est à propos de se livrer quelquefois à la solitude, & cette retraite a de grands avantages ; elle calme l'esprit, elle assure l'innocence, elle appaise les passions tumultueuses que le désordre du monde a fait naître : c'est l'infirmerie des ames, disoit un homme d'esprit. (D.J.)

SOLITUDE, état de, (Droit naturel) état opposé à celui de la société. Cet état est celui où l'on conçoit que se trouveroit l'homme s'il vivoit absolument seul, abandonné à lui-même, & destitué de tout commerce avec ses semblables. Un tel homme seroit sans-doute bien misérable, & se trouveroit sans-cesse exposé par sa foiblesse & son ignorance à périr de faim, de froid, ou par les dents de quelque bête féroce. L'état de société pourvoit à ses besoins, & lui procure la sûreté, la nourriture & les douceurs de la vie. Il est vrai que je suppose l'état de paix & non pas l'état de guerre, qui est un état destructeur, barbare, & directement contraire au bonheur de la société. (D.J.)


SOLIVES. f. (Charpent.) piece de bois, de brin ou de sciage, qui sert à former les planchers ; il y en a de plusieurs grosseurs, selon la longueur de leur portée. Les moindres solives sont de 5 à 7 pouces de gros ; pour les travées, depuis 9 jusqu'à 15 piés. Les solives de 15 piés ont 6 pouces sur 8 ; celles de 21 piés ont 8 pouces sur 10 ; celles de 24 piés 9 pouces sur 11 ; & celles de 27 piés 10 pouces sur 12 : ces proportions sont générales dans toutes les solives. Dans les solives ordinaires & celles d'enchevêtures, elles ne sont pas tout-à-fait les mêmes, comme on le verra dans la table suivante.

Table des dimensions des solives, eu égard à leur longueur.

Les solives d'une grande portée doivent être liées ensemble avec des liernes entaillées, & posées en travers par-dessus, ou avec des étrésillons entre chacune. Selon la coutume de Paris, article 206, il n'y a que les solives d'enchevêture qu'on peut mettre dans un mur mitoyen, & dans un mur même non mitoyen ; mais elles doivent porter sur des sablieres. On les pose de champ, & à distances égales à leur hauteur : ce qui donne beaucoup de grace à leur intervalle. Le mot de solives vient du mot solum, plancher.

Solive de brin, solive qui est de toute la longueur d'un arbre équarri.

Solive de sciage, solive qui est débitée dans un gros arbre, suivant sa longueur.

Solive passante, solive de bois de brin qui fait la largeur d'un plancher sous poutre. Cette solive se pose sur les murs de refend, plutôt que sur les murs de face, parce que ceux-ci en diminuent la solidité, & qu'elle s'y pourrit ; & lorsqu'on est obligé d'y poser des solives de cette espece, on la fait porter sur une sabliere soutenue par des corbeaux.

Solive d'enchevêtrure, ce sont les deux plus fortes solives d'un plancher, qui servent à porter le chevêtre, & qui sont ordinairement de brin. On donne aussi ce nom aux plus courtes solives qui sont assemblées dans le chevêtre. Daviler. (D.J.)


SOLIVEAUS. m. (Charpent.) moyenne piece de bois d'environ 5 à 6 pouces de gros, plus courte qu'une solive ordinaire. (D.J.)


SOLKAMSKAIA(Géog. mod.) petite ville de l'empire russien, dans la province de Perucie, sur la riviere d'Usolska, qui un peu au-dessous se joint au Kama. (D.J.)


SOLLICITATIONS. f. terme relatif à tous les moyens qu'on emploie pour obtenir un avantage qu'il dépend d'un autre de nous accorder, ou de nous refuser.

Les sollicitations dans une affaire injuste, sont une injure à celui à qui elles sont adressées ; on le prend ou pour un sot, ou pour un fripon.


SOLLICITERv. act. & n. (Gram.) c'est prendre toutes les voies nécessaires pour réussir dans une affaire, dont le succès nous importe. On sollicite sans pudeur ; on sollicite également une chose juste ou injuste ; on sollicite par soi-même & par les autres : on ne rougit d'aucune sorte de séduction ; on sollicite à commettre une mauvaise action ; on sollicite au plaisir ; on sollicite à l'évacuation.


SOLLICITEURS. m. (Gram. & Jurisp.) de procès, ou solliciteur simplement ; est celui qui donne ses soins à la poursuite d'une cause, instance ou procès qui concerne un tiers.

On entend quelquefois par le terme de sollicitation, les instances qui sont faites auprès des juges en leurs maisons, pour obtenir d'eux ce que l'on demande. Ces sortes de démarches & d'importunités sont défendues avec raison par les ordonnances, surtout lorsque l'on emploie de mauvaises voies pour capter les suffrages des juges.

Il n'est pas cependant défendu de rendre à ses juges l'honneur qui leur est dû, de les aller saluer chez eux, & de leur demander l'audience ou l'expédition d'une affaire de rapport ; de leur donner les instructions & éclaircissemens dont ils peuvent avoir besoin.

Les solliciteurs de procès, c'est-à-dire ceux qui font profession de suivre des procès pour autrui, sont regardés d'un oeil peu favorable, non pas qu'il y ait rien de prohibé dans cette gestion, mais parce que souvent ils abusent de leurs connoissances & de leurs talens pour vexer les parties ; & quelquefois pour acquérir eux-mêmes des droits litigieux. Voyez DROITS LITIGIEUX.

SOLLICITEUR DES RESTES, on nommoit autrefois ainsi celui qui étoit chargé de poursuivre les comptables pour les debets de leurs comptes : on l'appelle présentement contrôleur des restes. Voyez CHAMBRE DES COMPTES, & le mot CONTROLEUR GENERAL DES RESTES. (A)


SOLLICITUDES. f. (Gramm.) soin pénible & continu. Les hommes vivent dans une sollicitude continuelle ; il y a des états pleins de sollicitudes ; on dit sur-tout la sollicitude pastorale.


SOLLINGEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans le cercle de Westphalie, au duché de Berg, sur la riviere de Wipper. Long. 24. 19. latitude 51. 9.

Claudeberge, l'un des premiers sectateurs de Descartes en Allemagne, naquit à Sollingen en 1622, & mourut en 1665. Ses oeuvres ont été recueillies & imprimées à Amsterdam en 1691, en deux volumes in -4°. On en faisoit un grand cas avant qu'une meilleure philosophie eût été connue. (D.J.)


SOLMISSUS(Géog. anc.) montagne de l'Asie mineure dans l'Ionie. Strabon, l. XIV. pag. 639. la place au voisinage de la ville d'Edesse, au-dessus du bois sacré nommé Ortygia. Il ajoute que pendant les couches de Latone, les Curetes se tinrent sur cette montagne, & que par le bruit de leurs armes ils épouvanterent Junon, qui par jalousie cherchoit à nuire à Latone. (D.J.)


SOLMSCOMTE DE, (Géog. mod.) comté d'Allemagne dans la Wétéravie. Il confine avec le haut landgraviat de Hesse, la principauté de Dillenbourg, & la seigneurie de Beilstein. La maison de Solms, qui possede ce comté & plusieurs autres seigneuries, est une branche de la maison de Nassau. (D.J.)


SOLOS. m. (Musique) ce mot italien s'est francisé dans la Musique, & s'applique à une piece ou à un morceau de Musique qui se chante à voix seule, ou qui se joue sur un seul instrument, avec un seul accompagnement de basse ou de clavecin. Rien n'est si beau qu'un solo de Tartini ; mais pour l'entendre, il faut d'autres oreilles que celles de Midas. (S)


SOLOCHOLES ILES (Géog. mod.) îles sur la côte de Barbarie, au nombre de trois, appellées anciennement Gaea, Pontia & Mysinos. Elles sont dans le golfe de Sidra, & environnées de fameux écueils que les anciens nommoient la grande Syrte, & qu'on appelle aujourd'hui les Seches de Barbarie. (D.J.)


SOLOGNE(Géog. mod.) en latin Secalonia ou Segalonia ; pays de France compris dans le gouvernement de l'Orléanois, qui est au midi de la Loire. On lui donne communément 25 lieues de longueur, sur 12 de largeur. La Sologne est arrosée de plusieurs petites rivieres, du Loiret, du Cousson, du Beuvron & de la Sauldre. C'est un pays diversifié par des bois, des rivieres, des prairies, & des terres labourables qui produisent de fort bon seigle ; il s'y trouve aussi beaucoup de gibier, & le vin qu'on en retire, donne de la bonne eau-de-vie ; l'air qu'on y respire n'est pas trop sain, & les eaux qu'on y boit sont pesantes ; en échange les laines de ce pays sont estimées, & se manufacturent en draps & en serges. Romorentin est la capitale de la Sologne. Voyez ROMORENTIN.


SOLOKAMSKO(Géog. mod.) ville de l'empire russien, sur la riviere d'Usolsko. Elle a été bâtie par les Russes, & elle est renommée par ses chevaux & par ses salines. Ses habitans sont en partie russes & en partie tartares. (D.J.)


SOLON(Géog. anc.) ville des Allobroges, dont parle Tite-Live. Elle est nommée Solonium par Dion Cassius. (D.J.)


SOLONATES(Géog. anc.) peuples d'Italie ; Pline, l. III. ch. xv. les met dans la huitieme région, & le p. Hardouin croit que leur ville est aujourd'hui Citta del Sole. On trouve dans Gruter une inscription ancienne, avec ces mots : Curatori Solonatium. (D.J.)


SOLONIUS AGER(Géog. anc.) champ ou campagne d'Italie, dans le Latium. Tite-Live, liv. VIII. ch. xij. dit que les Antiates y avoient fait des incursions ; ce qui donna occasion aux Romains de prendre les armes contr'eux. Il est aussi parlé de ce champ dans Cicéron. Divinat. liv. I. & II. & ad Attic. l. II. épit. iij. & dans Plutarque, in Mario.

Ce champ Solonius, dit Cluvier, étoit entre les sources du Numicius & du Juturna, & entre les villes Sabellum & Patrica, où sont aujourd'hui les lieux S. Abrocolo, Torre maggiori, Carqueto. On ignore, ajoute Cluvier, l'origine de ce mot Solonius ; on doit néanmoins conjecturer que c'est un dérivé, puisque la maison de campagne de C. Marius, & celle de Cicéron, sont aussi appellées Villa Solonium. (D.J.)


SOLOONontis, (Géog. anc.) fleuve de l'Asie mineure, dans la Bithynie : Plutarque en parle dans la vie de Thésée. Un certain Menecrates, dit-il, a écrit dans une histoire qu'il a faite de la ville de Nicée en Bithynie, que Thésée emmenant avec lui Antiope, séjourna quelque-tems dans ce lieu-là ; parmi ceux qui l'accompagnoient, il y avoit trois jeunes athéniens qui étoient freres, Ennée, Thoas & Soloon ; le dernier étant devenu amoureux d'Antiope, découvrit son secret à un de ses freres, qui alla sans différer parler de sa passion à cette reine ; elle rejetta fort loin ses propositions, & du reste, elle prit la chose avec beaucoup de douceur & de sagesse, car elle ne fit aucun éclat, & n'en découvrit rien à Thésée ; Soloon au desespoir se jetta dans un fleuve où il se noya ; Thésée averti de cette avanture, en fut très-faché ; & la douleur qu'il en eut, le fit ressouvenir d'un oracle que la prêtresse d'Apollon lui avoit rendu autrefois à Delphes, par lequel elle lui ordonnoit que, quand il se trouveroit en terre étrangere, il bâtît une ville dans le lieu où il seroit le plus triste, & qu'il en donnât le gouvernement à quelques-uns de ceux qu'il auroit à sa suite ; Thésée bâtit donc là une ville, qu'il nomma Pythiopolis, donna au fleuve qui coule tout auprès, le nom de Soloon, en mémoire du jeune homme, qui s'y étoit noyé, & laissa dans la place ses deux freres pour gouverneurs. (D.J.)


SOLOR(Géog. mod.) île de la mer des Indes, au midi de celles des Célebes. Les Hollandois l'enleverent aux Portugais en 1613. Ils en tirent du bois de Santal, & des vivres pour les Moluques. Cette île a un roi particulier. Elle est située à l'occident & à deux lieues de celle de Timor. Long. 140. lat. méridionale 8.


SOLORIUS MONS(Géog. anc.) montagne d'Espagne. Pline, l. III. c. j. la compte au nombre de celles qui séparoient l'Espagne tarragonoise de la Bétique, & de la Lusitanie. Isidore, liv. XIV. orig. c. viij. qui en fait la plus haute montagne de l'Espagne, l'appelle Solurius mons. C'est aujourd'hui, selon le pere Hardouin, Sierra de los Vertientes. (D.J.)


SOLOSS. m. (Gymnast.) , espece de palet avec lequel les anciens s'exerçoient ; il ne différoit du disque que par sa figure sphérique. Potter, archaeol. graec. tom. I. p. 443.


SOLSONA(Géog. mod.) ville d'Espagne, dans la Catalogne, à deux lieues au nord de Cardona, près du Cardonero, sur une hauteur. Elle a un évêché suffragant de Tarragone, fondé par Philippe II. avec 4000 ducats de revenus. Les uns veulent que cette ville soit l'ancienne Ceressus, & d'autres l'ancienne Caléa. Long. 19. 14. latit. 41. 52. (D.J.)


SOLSTICES. m. en Astronomie, est le tems où le soleil est dans un des points solstitiaux, c'est-à-dire, où il est à la plus grande distance de l'équateur, qui est d'environ 23 degrés 1/2 ; on l'appelle ainsi quasi à sole stante, parce que le soleil quand il est proche du solstice, paroît durant quelques jours avoir à-peu-près la même hauteur méridienne ; & que les jours avant & après le solstice, sont sensiblement de la même grandeur, comme si le soleil restoit (staret) dans le même parallele à l'équateur. Cela vient de ce que la portion de l'écliptique que le soleil décrit alors pendant quelques jours, est presque parallele à l'équateur. C'est de quoi on se convaincra facilement en jettant les yeux sur un globe.

Il y a deux solstices chaque année, le solstice d'été & le solstice d'hiver.

Le solstice d'été arrive quand le soleil est dans le tropique du cancer, ce qui tombe au 21 Juin, auquel tems les jours sont les plus longs de l'année.

Le solstice d'hiver arrive quand le soleil entre dans le premier degré du capricorne, ce qui arrive vers le 21 de Décembre, quand il commence à revenir vers nous, & que les jours sont les plus courts.

Ceci doit être entendu seulement pour notre hémisphere septentrional, car pour l'hémisphere méridional, l'entrée du soleil dans le capricorne fait le solstice d'été, & son entrée dans le cancer fait le solstice d'hiver.

Les points des solstices sont les points de l'écliptique vers lesquels le soleil monte ou descend en s'éloignant de l'équateur, mais au-delà desquels il ne va point. Voyez ÉCLIPTIQUE.

Le premier point qui est dans le commencement du premier degré du cancer est appellé le point d'été, & l'autre qui est dans le commencement du premier point du capricorne, le point d'hiver. Les points des solstices sont diamétralement opposés l'un à l'autre.

Colure des solstices, est celui qui passe par les points des solstices. Voyez COLURE.

Les points des solstices retrogradent ainsi que les points des équinoxes. Car les points des solstices sont toujours à 90 degrés des points des équateurs. Voyez PRECESSION. (O)


SOLTA(Géogr. mod.) île du golphe de Venise, sur la côte de la Dalmatie, entre la ville de Tran & l'île de Lézina, près de Spalatro. Cette île étoit nommée par les anciens, Olynta, Soloentia & Bolentia. Elle appartient à-présent aux Vénitiens, & on lui donne trente milles de tour, mais elle est presque deserte à cause de sa stérilité. (D.J.)


SOLTHOLM(Géog. mod.) petite île de Danemarck, au milieu du Sund, à la hauteur des villes de Copenhague, & de Malmoé.


SOLTWEDEL(Géog. mod.) c'est-à-dire la vallée du Soleil, petite ville d'Allemagne, dans la vieille marche de Brandebourg, sur la riviere d'Ietze. On prétend que Charlemagne fit bâtir cette ville des ruines d'un ancien lieu qu'on appelloit Heliopolis, & qu'il fit abattre la statue du Soleil qu'on y adoroit. Long. 29. 22. latit. 53. 6. (D.J.)


SOLUBLEadj. (Gram.) qui peut se résoudre. La question que vous me proposez est difficile ; mais je la crois soluble.

SOLUBLE, adj. (Gram.) qui peut se dissoudre. Cette substance est soluble dans l'eau ; cette autre ne l'est que dans l'esprit-de-vin.


SOLUS(Géog. anc.) ville de Sicile, selon Pline, l. III. c. viij. Les habitans de ce lieu sont appellés Soluntini par Ciceron, & la ville se nomme encore Solunto ou Solanto. Solus est encore le nom d'un promontoire de la Lybie, sur la côte de la mer Atlantique, selon les périples d'Hannon & de Scylax. Il y avoit au sommet de ce promontoire tout couvert d'arbres un temple dédié à la Vengeance & à Neptune. (D.J.)


SOLUTIONS. f. en Mathématique, est la réponse à une question, ou la résolution de quelque problême proposé. Voyez RESOLUTION, PROBLEME, &c.

SOLUTION, s. f. en Physique, est la réduction d'un corps solide & ferme à un état fluide, par le moyen de quelque menstrue. Voyez MENSTRUE.

On confond quelquefois la solution avec ce que nous appellons autrement dissolution, cependant ce n'est pas la même chose, du-moins à tous égards. Voyez DISSOLUTION.

Solution de continuité se dit de l'état d'un corps dont les parties ne sont plus continues, & sont séparées les unes des autres ; par exemple, si on fait un trou au milieu d'une table, on dit alors qu'il y a solution de continuité dans les parties de cette table. (O)

SOLUTION DE CONTINUITE, est un terme dont se servent les Chirurgiens, pour exprimer un dérangement qui arrive dans les parties du corps, par lequel leur cohésion naturelle est détruite, comme par une blessure ou autre cause. Voyez CONTINUITE.

La solution de continuité est une division, désunion ou séparation des parties continues, c'est-à-dire des parties solides du corps. On lui donne un nom particulier, suivant la nature de la partie, la différence de la cause ou la maniere de l'application, comme plaie, rupture, fracture, piquure, ouverture, contusion, ulcere, corrosion, dilacération, exfoliation, carie, &c. Voyez BLESSURE, RUPTURE, FRACTURE, &c. (Y)

SOLUTION, (Chimie) la solution des corps en général est ou radicale ou superficielle. Nous disons qu'elle est radicale lorsque la composition du corps dissous est entierement détruite, & qu'il est par conséquent décomposé dans ses élémens, & en parties totalement dissimilaires. Nous disons au contraire qu'elle est superficielle, lorsque les molécules qui composent ce corps sont simplement séparées, & que ce corps est conséquemment divisé en parties similaires & très-fines.

Nous avons différentes observations à faire sur la solution, les corps à dissoudre, les menstrues ou les dissolvans, & les différens moyens dont on se sert pour les dissolutions ; tous les corps solides, les aggrégats, les mixtes, les composés & les décomposés, quelques liquides & demi-liquides, par exemple, les huiles, les baumes liquides naturels, &c. sont des corps que l'on dissout. On divise les menstrues en général, en aqueux, salins acides, salins alkalis fixes & volatils, inflammables, spiritueux & huileux, & en mixtes, par exemple, en aqueux-inflammables, acides-inflammables, salés-inflammables & salés - aqueux. Quelques-uns joignent à ces menstrues généraux un menstrue universel ; cependant on doit le mettre, comme j'en ai averti ci-devant, au nombre des êtres imaginaires.

Les menstrues aqueux, tels que sont l'eau simple de fontaine & de riviere, l'eau de pluie & la rosée, les eaux pures distillées, & différens phlegmes, dissolvent les sels sur-tout, les mucilages, les gélées & les concrétions gommeuses. Les menstrues salins acides, par exemple, l'huile & l'esprit de vitriol, l'esprit de sel, de nitre, de vinaigre, de sucre, de miel, le vinaigre simple & distillé, &c. sont propres à dissoudre les corps terreux, pierreux, métalliques & demi-métalliques ; les salins alkalis au contraire, comme le sel de tartre, les cendres gravelées, le nitre fixé, l'alkahest de Glauber, l'huile de tartre par défaillance, l'esprit aqueux de sel ammoniac, &c. peuvent dissoudre les corps sulphureux, huileux, onctueux, gras, &c. & enfin les inflammables spiritueux, comme l'esprit-de-vin le mieux rectifié, & les autres esprits de cette nature brisent les soufres minéraux, néanmoins un peu contraints par les alkalis salins, de même que les concrets bitumineux, camphrés & résineux, les huiles éthérées, &c. & chargent leurs pores de molécules divisées de ces corps. Pour ce qui est des mixtes & des menstrues composés, tels que le vin, esprit-de-vin alkalisé, la liqueur aqueuse & vineuse de la terre foliée de tartre, l'esprit vineux de sel ammoniac, &c. il est facile de connoître & de déterminer la faculté qu'ils ont de dissoudre par celle de leurs simples menstrues, & par la raison singuliere de leur mixtion & de leur composition.

Les moyens dont on se sert avant la dissolution, ou pendant qu'elle se fait, se réduisent à la trituration, à la commixtion, à la dissection, à la fusion, la digestion, la coction, la distillation, la cohobation, &c.

On doit rapporter l'extraction à la solution, comme en étant une espece la plus usitée. En effet on en fait usage toutes les fois qu'il est question de dissoudre telle ou telle substance active dans les corps composés, & de la séparer des autres parties. On prépare par le moyen de la solution & de l'extraction non - seulement différentes teintures, les essences, les élixirs, les baumes liquides, les infusions, les extraits, les mucilages & les gelées ; mais fort souvent on fait passer ces corps par la dissolution pour les faire ensuite passer par des précipitations, des calcinations, & d'autres opérations. Boerhaave, Chimie. (D.J.)

SOLUTION, (Jurisprud.) signifie quelquefois payement, quelquefois il se prend pour décision, comme quand on dit la solution d'une question ; quelquefois enfin il signifie cessation de quelque chose, comme dans les procès-verbaux des chirurgiens, lorsqu'en parlant d'une plaie ils disent qu'il y a solution de continuité, pour exprimer que les chairs sont ouvertes & séparées. (A)


SOLVABILITÉS. f. (Gram. & Jurisprud.) est la puissance où quelqu'un est de payer & acquiter ce qu'il doit, c'est-à-dire, lorsqu'il a assez de biens pour le faire. Voyez SOLVABLE & INSOLVABILITE. (A)


SOLVABLEadj. (Jurisprud.) à solvendo, est celui qui est en état de payer, qui a de quoi répondre d'une dette. Un gardien solvable est celui qui a de quoi répondre des meubles laissés à sa garde. Ce terme est opposé à celui d'insolvable. Voyez SOLVABILITE. (A)


SOLVENSESOLVENSE

Les Romains y envoyerent autrefois une colonie sous le nom de colonia Solvensis. On croit que Solvense-oppidum est aujourd'hui Solfeld ou Solveld, bourgade de la basse Carinthie, entre S. Weit & Clagenfurt. (D.J.)


SOLYMESLES, Solymi, (Géog. anc.) peuples de l'Asie mineure dans la Lycie, selon Hérodote, qui veut que les Miliens ayent été autrefois appellés Solymi ; mais Strabon place les Solymes dans la Pisidie. De son tems on voyoit encore près de Termesse dans la vallée de Bellérophon qui avoit dompté les Solymes, le tombeau de son fils Isandre, tué dans le combat. Pline, l. V. c. xxx. dit qu'Eratosthene comptoit les Solymes au nombre des peuples de l'Asie qui se trouvoient éteints. Il y avoit une colline de l'Asie mineure dans la Pisidie, au - dessus du promontoire Termessien, qui portoit le nom de Solyme, Solymus collis. Hésychius nomme aussi Solymi des peuples de la Scythie. (D.J.)


SOMACHEvoyez SAUMACHE & SAUMATRE.


SOMASCO(Géog. mod.) petite ville ou plutôt bourg d'Italie, sur les frontieres du Milanez & du Bergamasque, au diocèse de Milan. Ce bourg a donné l'origine & le nom à la congrégation des clercs réguliers qu'on appelle somasques. Cette congrégation commença en 1528, & ses clercs furent mis en 1568 au nombre des clercs religieux sous la regle de S. Augustin. Ils fleurissent en Italie. (D.J.)


SOMASQUES. m. (Gram. & Hist. ecclés.) religieux de la congrégation de S. Mayeul ; ils sont sous la regle de S. Augustin. Ils ont été appellés somasques du lieu de leur chef-d'ordre Somasque, ville située entre Milan & Bergame.


SOMBREadj. (Gram.) qui n'est pas assez éclairé de la lumiere du jour, & où l'on a peine à discerner les objets. On dit un lieu sombre, un tems sombre ; & au figuré, une humeur sombre, un homme sombre, un air sombre.


SOMBRERSOMBRER


SOMBRÉRASILE DE, (Géog. mod.) île d'Afrique, au nombre de trois, sur la côte de Guinée, au sud de la baie de Ste. Anne ; elles produisent du vin, de l'huile, du coton, du bois rouge pour la teinture, & des cannes de sucre. (D.J.)


SOMBRÉROILE DE, (Géogr. mod.) petite île qu'on range au nombre des Vierges à l'orient de S. Jean de Portorico. Cette île, quoique sous la domination des Espagnols, n'est fréquentée que par des pêcheurs ; elle est ronde, plate sur ses bords, & relevée dans son milieu par une montagne ronde ; la ressemblance qu'elle a avec un chapeau dont les bords sont rabattus lui a fait donner le nom de Sombréro, qui en espagnol signifie chapeau.


SOMBRIÉROLE MONT, (Géog. mod.) montagne d'Afrique dans la basse Ethiopie, au pays de Benguela, & au couchant de la baie de ce nom. Elle est plate, & nommée par cette raison Klap-mats par les Hollandois, parce qu'à la voir de loin, elle imite en figure un bonnet de prêtre à trois angles. (D.J.)


SOMES. f. (Marine chinoise) vaisseau dont les Chinois se servent pour naviguer sur mer, & qu'ils nomment tchouen. Les Portugais ont appellé ces sortes de vaisseaux soma, sans qu'on sache la raison de cette dénomination.

Les somes (car nous avons francisé le mot portugais), ne peuvent point se comparer à nos vaisseaux européens, ni pour l'art de leur construction, ni pour leur grandeur, puisqu'ils ne portent guere au-delà de deux cent cinquante tonneaux, & s'il est vrai que la connoissance de la navigation soit fort ancienne chez les Chinois, il est certain qu'ils ne l'ont pas plus perfectionnée que leurs autres sciences.

Leurs tchouen ou somes ne sont à proprement parler que des barques plattes à deux mâts : ils n'ont guere que 80 à 90 piés de longueur ; la proue coupée & sans éperon, est relevée en haut de deux especes d'ailerons en forme de cornes, qui font une figure assez bizarre ; la poupe est ouverte en-dehors, par le milieu, afin que le gouvernail y soit à couvert des coups de mer ; ce gouvernail qui est large de 5 à 6 piés, peut s'élever & s'abaisser par le moyen d'un cable qui le soutient sur la poupe.

Ces vaisseaux n'ont ni artimon, ni beaupré, ni mâts de hune ; toute leur mâture consiste dans le grand mât & le mât de misaine, auxquels ils ajoutent quelquefois un fort petit mât de perroquet, qui n'est pas d'un grand secours ; le grand mât est placé assez près du mât de misaine, qui est fort sur l'avant ; la proportion de l'une à l'autre, est communément comme 2 à 3. & celle du grand mât au vaisseau, ne va jamais au - dessous, étant ordinairement plus des deux tiers de toute la longueur du vaisseau.

Leurs voiles sont faites de natte de bambou ou d'une espece de cannes communes à la Chine, lesquelles se divisent par feuilles en forme de tablettes, arrêtées dans chaque jointure, par des perches qui sont aussi de bambou ; en - haut & en - bas sont deux pieces de bois : celle d'en-haut sert de vergue : celle d'enbas, faite en forme de planche, & large d'un pié & davantage, sur cinq à six pouces d'épaisseur, retient la voile lorsqu'on veut la hisser, ou qu'on veut la ramasser.

Ces sortes de bâtimens ne sont nullement bons voiliers, ils tiennent cependant mieux le vent que les nôtres, ce qui vient de la roideur de leurs voiles, qui ne cedent point au vent ; mais aussi comme la construction n'en est pas avantageuse, ils perdent à la dérive l'avantage qu'ils ont sur nous en ce point.

Ils ne calfatent point leurs somes & autres vaisseaux avec du goudron comme on fait en Europe ; leur calfas est fait d'une espece de gomme particuliere, & il est si bon, qu'un seul puits ou deux, à fonds de cale du vaisseau, suffit pour le tenir sec. Jusqu'ici ils n'ont eu aucune connoissance de la pompe.

Leurs ancres ne sont point de fer comme les nôtres ; elles sont d'un bois dur & pesant, qu'ils appellent pour cela tie mou, c'est-à-dire bois de fer. Ils prétendent mal - à - propos que ces ancres valent beaucoup mieux que celles de fer, parce que, disent-ils, celles-ci sont sujettes à se fausser, ce qui n'arrive pas à celles de bois qu'ils employent : cependant, pour l'ordinaire, elles sont armées de fer aux deux extrêmités.

Les Chinois n'ont sur leur bord ni pilote, ni maître de manoeuvre ; ce sont les seuls timonniers qui conduisent la some, & qui commandent la manoeuvre. Il faut avouer néanmoins qu'ils sont assez bons pilotes côtiers, mais mauvais pilotes en haute mer ; ils mettent le cap sur le rumb qu'ils croyent devoir faire, & sans s'embarrasser des élans du vaisseau, ils courent ainsi comme ils le jugent à propos. Voyez de plus grands détails dans l'histoire de la Chine, du pere du Halde. (D.J.)


SOMEN(Géog. mod.) lac de Suede, dans la Gothie. Il se décharge dans le fleuve Motala, à l'occident de Lindkoping. (D.J.)


SOMERTON(Géog. mod.) c'est - à - dire ville d'été, Sommer's-town ; ce n'est cependant qu'un bourg à marché d'Angleterre, dans le Sommerset-shire, à la droite de l'Ivell, à quelques milles au - dessus de l'endroit où cette petite riviere se jette dans le Parret, & qu'on nomme Ivel-mouth ; mais Sommerton étoit anciennement une ville importante, qui a donné son nom à la province ; aussi les rois de Westsex y avoient établi leur résidence. Il n'est à présent considérable que par la grande foire des boeufs qui s'y tient, depuis le dimanche des rameaux, jusqu'au premier de Juin. (D.J.)


SOMMA(Géog. mod.) bourgade d'Italie, au royaume de Naples, dans la terre de Labour, au sommet du mont Vésuve, qui en prend le nom de monte-di-Somma, quoique certains auteurs veuillent que le nom de Somma ait été donné au mont Vésuve, à cause de l'excellence des fruits & des vins qu'il produit, ou à cause de sa hauteur. (D.J.)


SOMMAGES. m. (Jurisprud.) terme qui se trouve dans quelques coutumes, & qui signifie le service de cheval à somme, qui est dû au seigneur foncier. Voyez l'ancienne coutume de Normandie, ch. xxxiv. Ferrier, l. V. ch. ij. la coutume de Lorraine, tit. 8. art. 5. (A)


SOMMAILS. m. (Marine) c'est une basse. Voyez BASSE.


SOMMAIRES. m. (Littérat.) abregé qui contient en peu de mots la somme ou substance d'un chapitre, d'un traité, d'un ouvrage, &c. Voyez ABREGE.

Le sommaire qu'on met à la tête d'un livre, d'un chapitre, d'une loi, &c. est utile au lecteur, pour lui donner une idée générale, & lui faciliter l'intelligence de ce dont il s'agit. Les sommaires sont surtout nécessaires dans les histoires, pour présenter sous un coup d'oeil abregé, & indiquer les principaux événemens. Voyez ARGUMENT.

Il y a cette différence entre un sommaire & une récapitulation, que celle-ci est à la suite, ou à la fin des matieres, & que le sommaire doit les préceder.

SOMMAIRE, (Jurisprud.) se dit de ce qui est bref, & dont l'expédition est promte.

Les matieres sommaires sont celles dont l'objet est léger, & dont l'instruction est sommaire, c'est - à-dire, simple & promte. Voyez MATIERES SOMMAIRES. (A)

SOMMAIRE, imprimer en, (Imprimerie) imprimer en sommaire est lorsqu'un titre un peu long, est disposé de façon que la premiere ligne avance de deux ou trois lettres, tandis que les suivantes sont en retraite, & ont chacune un quadratin au commencement. Ce mot se dit par opposition à cul-de-lampe, dont les lignes vont en diminuant de part & d'autre. (D.J.)


SOMMATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est un acte par lequel on interpelle quelqu'un de dire ou faire quelque chose.

Les huissiers font des sommations de payer, de remettre des pieces, &c.

Les procureurs font des sommations de donner copie de pieces, de fournir de défenses, de satisfaire à un réglement, de venir plaider, &c.

SOMMATION RESPECTUEUSE est un acte fait par deux notaires, ou par un notaire en présence de deux témoins, par lequel, au nom d'un enfant, ils requierent ses pere & mere, ou l'un d'eux, de consentir au mariage de cet enfant.

On appelle ces sortes de sommations, respectueuses, parce qu'elles doivent être faites avec décence, & sans appareil de justice ; c'est pourquoi l'on y emploie le ministere des notaires, & non celui des huissiers.

Ces sommations ne peuvent être faites qu'en vertu d'une permission du juge, laquelle s'accorde sur requête, l'objet de ces sommations de la part de l'enfant, est de se mettre à couvert de l'exhérédation que ses pere & mere pourroient prononcer contre lui, s'il se marioit sans leur consentement.

Mais pour que ces sommations produisent cet effet, il faut que l'enfant soit en âge de les faire, & qu'il ait trente ans, si c'est un garçon, ou vingt - cinq ans, si c'est une fille.

L'enfant qui consent de courir les risques de l'exhérédation, peut se marier à 25 ans, sans requérir le consentement de ses pere & mere. Voyez l'arrêt de réglement, du 27 Juillet 1692, au journal des audiences. (A)

SOMMATION, en guerre, sommer une place, c'est envoyer un tambour, ou un trompette ordonner au gouverneur de se rendre ; sinon lui protester qu'on donnera l'assaut, & qu'on mettra tout à feu & à sang.


SOMMÉadj. terme de Blason, ce mot se dit de cette ramure du cerf dont on charge les écus, où l'on met quelquefois des corps sans nombre, & où quelquefois on les compte. On dit aussi sommé de tout ce qui est au sommet de quelque chose, comme une petite tour au sommet d'une grosse ; ce qu'on appelle autrement donjonné. N. porte de sable à une tour d'or sommée de trois flammes de gueules, ou sommée d'une étoile, d'une hache, &c. cependant on dit plus communément surmonté. Ménestrier. (D.J.)


SOMMESOMMEIL, (Gram. & Synonym.) il y a quelquefois de la différence entre ces deux mots. Somme signifie toujours le dormir, ou l'espace du tems qu'on dort. Sommeil se prend quelquefois pour l'envie de dormir : on est pressé du sommeil en été, après le repas ; on dort d'un profond somme après une grande fatigue.

C'est-là que le prélat muni d'un déjeuner,

Dormant d'un léger somme, attendoit le dîner.

Boileau.

Sommeil a beaucoup plus d'usage & d'étendue que somme. On dit poétiquement de la mort, que c'est un sommeil de fer, parce que le sommeil est l'image de la mort. Ce mot signifie au figuré, l'indolence & l'insensibilité ; l'oubli de la religion & de la vertu, est un sommeil funeste. (D.J.)

SOMME, la, (Géog. mod.) en latin vulgaire Somona ; riviere de France en Picardie, qu'elle traverse presque toute d'orient en occident, où elle prend sa source, au lieu nommé Fonsomme, & après avoir arrosé plusieurs villes, elle va se jetter dans la Manche, entre le Crotoi & S. Valery. (D.J.)

SOMME, s. f. en Mathématique, signifie la quantité qui résulte de l'addition de deux ou plusieurs grandeurs, nombres, ou quantités jointes ensemble. Voy. ADDITION.

On l'appelle quelquefois total, & en algebre on l'exprime quelquefois par la lettre s, qui signifie somme.

La somme d'une équation est l'assemblage de tous les termes d'une équation ; lorsque le nombre absolu, ou terme tout connu, étant transporté d'un côté à l'autre avec un signe contraire, le tout devient égal à zéro ; ensorte que zéro est un des membres de l'équation, comme dans cet exemple, x 2 + 5 x - 3 = 0. Descartes appelle x 2 + 5 x - 3, la somme de l'équation proposée, & c'est sous cette forme que l'on considere ordinairement les équations. Voyez EQUATION. (O)

SOMME, s. f. (Comm. d'argent) ce mot se dit d'une certaine quantité, par exemple de livres, sols, & deniers, que l'on reçoit, & dont on fait payement ; sur les livres & dans les comptes des marchands, les sommes se tirent en lignes, sur la marge à droite, en chiffre commun, en arabe ; on appelle somme totale, celle qui provient de l'addition de plusieurs petites sommes. Irson. (D.J.)

SOMME, s. f. (Clouterie) ce terme, dans le négoce de la clouterie, exprime en un seul mot, une certaine quantité de milliers de clous ; toute la broquette, à la reserve de la grosse broquette estampée, ou à tête emboutie, & toutes les autres sortes de clous, qui sont du nombre de ceux qu'on appelle clous légers, même quantité de clous, dit clous-au-poids, se vendent à la somme quand on les vend en gros ; la somme est de douze milliers de compte ; les broquettes estampées, de tous les grands clous, se vendent au compte. Savary. (D.J.)

SOMME HAUTE, (Comm. maritime) en matiere de commerce de mer, on appelle somme haute, la dépense qui ne concerne ni le corps du navire, ni les victuailles, ni les loyers des hommes ; mais ce qui s'employe au nom de tous les intéressés, pour l'avantage du dessein qu'on a entrepris. Les marchands en fournissent ordinairement les deux tiers, & l'autre tiers se paye par le maître du navire. Dict. du comm. (D.J.)

SOMME, (Maréchal.) fardeau qu'on met sur un cheval, & qui est aussi pesant qu'il peut le porter. Cheval de somme est celui qui est destiné à porter la somme.

SOMME DE VERRE, (Verrerie) une somme de verre, est un panier de verre propre aux vitriers, qui renferme vingt-quatre plats, ou pieces de verre rondes, d'environ deux piés de diametre, qui font la charge du crocheteur ; on peut tirer d'une somme de verre, 90 ou 95 piés quarrés de vitrage. (D.J.)


SOMMÉESS. f. pl. terme de Fauconnerie, se dit des pennes du faucon qui ont entierement pris leur croît ; on dit les pennes de cet oiseau sont toutes sommées.


SOMMEILS. m. (Physiolog.) état d'inaction ou de détension des organes des sens extérieurs, & des mouvemens volontaires ; cet état est nécessaire à l'homme pour soutenir, réparer, & remonter sa machine.

Du Dieu qui nous créa la clémence infinie,

Pour adoucir les maux de cette courte vie,

A placé parmi nous deux êtres bienfaisans,

De la terre à jamais aimables habitans,

Soutiens dans les travaux, trésors dans l'indigence,

L'un est le doux sommeil, & l'autre est l'espérance,

L'un quand l'homme accablé sent de son foible corps

Les organes vaincus, sans force & sans ressorts,

Vient par un calme heureux secourir la nature,

Et lui porter l'oubli des peines qu'elle endure.

Henriade, chant 7.

Tels sont les effets salutaires du sommeil ! Mais la cause qui le fait naître ou disparoître au bout d'un certain nombre d'heures, est si difficile à trouver, qu'il faut s'en tenir à de simples conjectures, entre lesquelles voici peut-être les plus vraisemblables.

Pour que notre corps puisse se mouvoir avec facilité, il faut qu'il y ait du suc nerveux qui puisse être envoyé dans les nerfs, & qu'il n'y ait pas d'obstacle qui l'arrête dans son cours. Si ces deux conditions viennent à manquer, on se trouve dans l'inaction.

Quand nous agissons, le suc nerveux se dissipe peu-à-peu ; ensorte qu'après de longs travaux, il ne se trouve plus d'esprits en assez grande quantité pour mouvoir notre corps : mais afin que nos liqueurs coulent dans nos organes avec facilité, les fibres de nos vaisseaux doivent avoir une certaine tension ; si elles n'étoient pas tendues, elles ne sauroient pousser les fluides : or par le travail les fibres perdent leur tension, parce que le suc qui les remplissoit, & qui les tendoit en les remplissant, s'évapore continuellement ; ces fibres n'étant plus tendues, tombent les unes sur les autres, & de-là, il suit que celles du cerveau qui sont les plus molles doivent plus facilement s'affaisser. Quand la masse du cerveau sera ainsi affaissée, le suc nerveux ne passera plus dans les nerfs comme auparavant ; ensorte qu'alors succédera la langueur qui nous obligera de nous reposer ; c'est ce qu'on peut prouver par le sommeil, qui arrive quand on lie une des carotides, ou quand on a perdu une quantité extraordinaire de sang, ou quand les sucs qui remplissent les vaisseaux ont été épuisés par les maladies.

Les nerfs éprouvent encore une autre compression, quand nous veillons long-tems ; la transpiration enleve continuellement la partie la plus fluide du sang, ce qu'il y a de plus grossier reste dans les vaisseaux. De plus, par le travail, & même par l'action seule du coeur, le sang s'accumule dans les extrêmités des arteres qui se trouvent au cerveau ; ces arteres doivent donc s'engorger, & leur engorgement doit comprimer l'origine des nerfs ; cette compression produit nécessairement un engourdissement dans tout le corps, puisqu'il est un obstacle au cours du suc nerveux. On voit l'effet de cette compression dans les plénitudes du sang, dans l'usage immodéré des esprits fermentés, qui par leur raréfaction causent une grande pression dans le cerveau, & par conséquent jettent dans le sommeil ; mais on a vu un effet bien plus sensible de cette compression ; une femme dont le crâne étoit ouvert, s'endormoit dès qu'on lui pressoit le cerveau, & tomboit, pour ainsi dire, en apopléxie par une compression plus forte : nous pouvons donc penser que la compression est une des causes du sommeil.

Lorsque nous avons été fatigués par le travail, ou que nous avons veillé long-tems, le suc nerveux se trouve dissipé, les vaisseaux gonflés dans la tête, compriment l'origine des nerfs, mais en certains cas, le cerveau ayant perdu sa tension, s'affaisse & forme la compression ; or tout cela doit produire dans les nerfs le même effet qu'une ligature, le sentiment doit donc s'émouvoir, les mouvemens volontaires doivent devenir difficiles & cesser entierement. Comme le col n'est soutenu que par les muscles extenseurs, & qu'il faut une action pour le tenir droit, la tête doit se pancher par son poids, parce que ces muscles n'agissent plus ; les yeux doivent se fermer, car pour qu'ils soient ouverts, il faut que le muscle qui leve la paupiere soit raccourci ; durant le sommeil, il ne reçoit pas assez de suc nerveux pour cela, ainsi il se lâche & abandonne la paupiere supérieure à elle-même ; enfin tous les membres sont lâches, puisque les muscles qui les meuvent ne reçoivent plus comme auparavant, la liqueur qui les anime ; de tout cela, il suit aussi que les affections de l'esprit qui dépendent de l'activité des sens doivent cesser lorsque nous dormons.

Tandis que l'action cesse dans les muscles qui sont sujets à la volonté, le mouvement devient plus sensible dans le coeur & dans les organes de la respiration ; les muscles étant lâches dans les extrêmités, ils ne poussent plus le sang, leurs fibres affaissées n'aident ni les arteres, ni les veines ; il arrive donc que le coeur trouve plus de résistance : or comme le coeur ne sauroit trouver de la résistance que son action ne devienne plus grande, ces obstacles qui se trouvent dans les extrêmités font que la circulation est plus forte dans les visceres, car le sang ne pouvant pas continuer sa route vers les extrêmités, se jette en plus grande quantité dans les vaisseaux latéraux ; c'est-à-dire dans les vaisseaux qui se répandent dans l'abdomen.

Ce systême donne au moins la cause de plusieurs phénomenes très-curieux, 1°. la transpiration augmente dans le sommeil, & les autres secrétions diminuent. Outre que la chaleur du lit en raréfiant la peau peut ouvrir les tuyaux secrétoires, il faut observer que le sang qui se jette en plus grande quantité dans les visceres de l'abdomen, gonfle les arteres ; ce gonflement comprime les tuyaux secrétoires, qui alors ne peuvent plus recevoir la liqueur qu'ils ont accoutumé de filtrer ; mais les tuyaux secrétoires de la peau ne sont pas comprimés de même, parce qu'ils n'appuyent extérieurement que contre l'air ; d'ailleurs, ils ne sont pour la plûpart que les extrêmités des arteres ou des pores ; ainsi rien ne sauroit empêcher que les liqueurs ne continuent leur chemin par ces ouvertures. Ajoutez que la chaleur est plus grande quand nous dormons, & que nous sommes bien couverts : or cette chaleur produit la raréfaction, & la raréfaction est suivie d'une transpiration plus abondante.

2°. Les parties se nourrissent mieux durant le sommeil, car d'abord il se dissipe moins de substance grossiere, puisque les muscles sont dans l'inaction, & de plus, ce repos qui regne dans le corps, fait que les parties qui se nourrissent peuvent se mieux appliquer aux parties solides, car elles ne trouvent pas d'obstacles dans le mouvement que les muscles quand ils agissent, impriment à ces parties que doit réparer le suc nourricier. Tandis que les obstacles diminuent, la force qui fait l'application du suc nourricier aux parties solides augmente, car c'est l'action du coeur ; & par cette action plus forte du coeur, le chyle se change en lymphe & en sang plus facilement : enfin les vésicules qui renfermoient la graisse, & qui étoient vuidées par l'action des muscles, se remplissent peu-à-peu de nouvelle huile, & c'est même le principal effet du sommeil : tout en un mot se répare à cause de ce mouvement doux & uniforme que nous éprouvons en dormant ; au contraire, tout se détruit & se vuide dans notre corps, par les veilles.

3°. Durant le sommeil, le suc nerveux se filtre peu-à-peu & coule dans ses réservoirs ; & enfin après sept à huit heures de repos ; il s'en trouve une assez grande quantité pour remonter notre machine.

4°. Ce qui se perd par la transpiration qui arrive durant le sommeil, c'est sur-tout la partie aqueuse des alimens & de notre sang ; le mouvement modéré qui regne alors dans notre corps, ne peut détacher que peu de parties huileuses & grossieres, au-contraire, il attache davantage ces sortes de parties, comme nous l'avons dit ; mais dans le tems que nous veillons, l'action des muscles fait évaporer les matieres plus épaisses qui sont dans le tissu des parties solides. De-là il suit que quand nous dormons, nous n'avons pas besoin de manger, comme quand nous veillons ; cela paroîtra encore plus clairement, si l'on fait réflexion que le suc nerveux destiné aux muscles ne se perd pas, puisqu'il n'y est pas envoyé, & que tout se remplit & se répare. On peut donc être long-tems sans prendre des alimens, pourvu qu'on dorme ; & si l'on veille & que l'on agisse, il faudra souvent manger. On peut ajouter à tout cela, que le sentiment étant émoussé durant le sommeil, les fibres de l'estomac ne sont donc pas si sensibles aux impressions de la faim.

5°. Les fibres du cerveau des enfans sont fort molles, elles s'affaisseront donc, ou elles se gonfleront plutôt que celles des vieillards dans lesquels elles se desséchent : de-là vient que les enfans dorment plus que les adultes & les vieillards ; peut-être que le repos du foetus dans le sein de la mere vient de la même source ; il y a cependant une autre cause dans le foetus, c'est que les objets ne font impression ni sur ses yeux, ni sur ses oreilles ; or, dès que les sens sont tranquilles ou sans action, on est disposé au sommeil ; enfin le sang est partagé entre le placenta & le foetus ; il y a donc moins de mouvement, & par conséquent plus de repos : ajoutez encore que les fibres molles des enfans n'ont pas assez de force pour diviser les matieres épaisses qui sont dans les vaisseaux ; il doit donc se former plus aisément une plénitude dans leur cerveau, & la compression causée par cette plénitude, produira le sommeil.

6°. Si l'on dort trop long-tems, la transpiration s'arrête, on a la tête pesante, on est sans force ; la raison en est peut-être de ce que la partie aqueuse qui se dissipe presque seule durant le sommeil, prive le sang de véhicule, & que les parties grossieres doivent former des engorgemens par-tout : la transpiration doit donc cesser en même tems. Pour ce qui regarde la tête, les vaisseaux se gonflent toujours quand on dort, & enfin par un long sommeil le gonflement devient si grand, que les vaisseaux capillaires sont comprimés avec les veines par les grosses arteres, le sang ne pourra donc pas revenir avec la même facilité, & ce sera une nécessité qu'on ait la tête pesante ; mais cette compression qui empêche le sang de revenir, arrête encore le suc nerveux à l'origine des nerfs, ainsi ce suc ne pourra pas couler dans les extrêmités, & on se trouvera sans force, faute du suc nécessaire pour mouvoir les muscles ; enfin les battemens des vaisseaux causeront par leurs secousses des impressions désagréables qui reveilleront en sursaut, & qui nous empêcheront de dormir tranquillement.

7°. Pour la graisse, il est évident qu'elle doit se ramasser en plus grande quantité dans ceux qui dorment trop long-tems : car comme il ne se fait pas de dissipation de la substance grossiere par la transpiration, c'est une nécessité que les vésicules huileuses se remplissent davantage.

8°. Quand on s'éveille, on baille, on étend les bras, on est plus agile, on a plus de vivacité d'esprit ; comme le suc nerveux n'a pas coulé dans les muscles durant le sommeil, toutes leurs fibres sont languissantes, il faut donc les contracter tous pour ouvrir le passage au suc nerveux qui s'est filtré dans le cerveau, ou pour l'appeller dans ces parties. De plus, le mouvement du sang étoit languissant dans les muscles, il faut hâter son cours ; or cela se fait par la contraction où ils entrent quand on étend les membres : le bâillement vient de la même cause, comme on le peut voir à l'article de ce mot : ce suc nerveux qui entre dans les muscles, & qui s'est ramassé en grande quantité, fait qu'on est plus agile. Quant à la vivacité d'esprit, l'Etre suprême a voulu qu'elle dépendit du mouvement des liqueurs dans le cerveau : or ce mouvement est beaucoup plus aisé quand il s'est ramassé une grande quantité de suc nerveux, & que les fibres ne sont plus engourdies, ou qu'elles ont repris leur tension, & c'est ce qui arrive durant le sommeil.

La conjecture tirée de la compression du cerveau, que nous venons de préférer aux autres, pour expliquer les phénomenes que présente le sommeil, semble être confirmée par l'action des causes qui nous assoupissent.

1°. Les alimens pris avec excès, & sur - tout les viandes solides & tenaces prises en grande quantité, nous font dormir ; cela vient de ce que les alimens peu aisés à se diviser, forment une liqueur épaisse, qui ne peut pas aisément passer par les extrêmités artérielles du cerveau ; par-là elles occasionnent un engorgement qui cause une compression.

D'ailleurs ces matieres, comme elles sont tenaces, arrêtent la transpiration, ainsi que Sanctorius l'a remarqué ; de-là il suit qu'il y aura dans le cerveau une plénitude, & par conséquent une compression : en général, les vaisseaux sont plus remplis quand on a mangé, & la plénitude est plus grande quand les arteres se vuident plus difficilement ; or cette difficulté est plus grande quand les alimens sont tenaces ; enfin, quand le ventricule est plein de ces alimens, il se vuide avec peine, il se boursouffle, & ce boursoufflement comprimant les vaisseaux du bas-ventre, le sang est déterminé vers la tête.

2°. Les liqueurs fermentées endorment, parce qu'elles contiennent des principes qui se raréfient beaucoup ; ces principes en occupant beaucoup d'espace, dilatent les arteres du cerveau, & les compriment par conséquent.

3°. Les remedes qui appaisent la douleur, nous procurent un doux sommeil ; mais nous ne parlons ici que d'une douleur continuelle & longue ; il faut regarder cette douleur comme un long travail qui agite le corps & le cerveau, & qui produit une insomnie ; dès que la cause de cette insomnie vient à cesser, on est saisi du sommeil, comme après une insomnie ordinaire, & après un travail fatiguant ; l'ame par les loix qui l'unissent avec le corps, ne sauroit sentir la douleur, qu'elle ne cause de l'agitation dans le cerveau ; mais quand la douleur cesse, les fibres du cerveau étant relâchées, n'empêchent plus par leur agitation, que la compression ne produise le sommeil ; d'ailleurs, quand on souffre, les arteres du cerveau sont plus pleines, & quand la douleur cesse, cette plénitude produit la compression dont nous venons de parler ; on voit par-là que des remedes contraires pourront faire dormir : quand le lait aigri a causé des convulsions & des coliques aux enfans, les absorbans se chargent de l'acide, & produisent le sommeil ; dans les grandes maladies dont la chaleur est le principe, les remedes rafraîchissans seront des somniferes.

4°. La grande chaleur jette dans l'assoupissement ; la raréfaction qu'elle cause dans les liqueurs, l'évaporation des parties les plus fluides du sang, le relâchement qu'elle produit dans les fibres, doivent nécessairement produire le sommeil : le froid peut occasionner la même chose, parce qu'en arrêtant la transpiration, il cause une plénitude qui comprime le cerveau.

5°. La tranquillité de l'esprit procure le sommeil, car le cerveau n'est pas alors agité par l'ame ; ainsi abandonné, pour ainsi dire, à lui-même, il peut s'affaisser, puisqu'il ne résiste pas à la compression ; c'est sur-tout en calmant l'esprit que le murmure des ruisseaux nous assoupit : ce bruit sourd & uniforme attire notre attention sans nous agiter, & par-là éloigne de notre esprit les pensées qui pourroient nous troubler ; on doit dire la même chose des sons des instrumens qui produisent cet effet.

6°. Tout ce qui peut empêcher le sang de se rendre au cerveau, doit nécessairement assoupir ; car alors les fibres deviennent flasques, & s'affaissent ; de-là vient que les grandes évacuations sont suivies du sommeil.

7°. Tous les accidens qui peuvent causer une compression dans le cerveau, doivent endormir ; aussi les observations nous apprennent-elles que les abscès, les liqueurs extravasées, les contusions, les enfoncemens du crâne, produisent un assoupissement.

8°. Pour ce qui est des assoupissemens qui tirent leur origine des mouvemens sympathiques, ils peuvent venir de la plénitude, ou des compressions que causent ces mouvemens dans le cerveau.

9°. Enfin, il faut convenir qu'il y a des especes de sommeil dont on ne peut rendre raison.

De même que tout ce qui comprime le cerveau & s'oppose au passage du suc nerveux dans les nerfs, amene le sommeil ; tout ce qui produira un effet contraire nous tiendra dans une situation opposée à l'assoupissement ; les passions, la douleur, les matieres âcres & volatiles nous mettent toujours dans un état où les fibres se trouvent agitées. Pour les matieres âcres & volatiles, on voit aisément qu'elles peuvent produire cette agitation ; mais quant aux maladies de l'esprit, l'Etre qui tient l'ame & le corps dans une dépendance mutuelle, peut seul nous apprendre la maniere dont le cerveau se trouble quand l'ame est agitée : quoi qu'il en soit, l'effet des passions est toujours un mouvement dans le cerveau ; ce mouvement fait couler le suc nerveux, & empêche que le cerveau ne soit comprimé par les vaisseaux, ou ne s'affaisse de lui - même. Boerhaave, Haller, de Sénac. (D.J.)

SOMMEIL, (Mythol.) Homere & Hésiode font le Sommeil fils de l'Erebe & de la Nuit, & frere de la Mort, dont il est la plus parfaite image.

Junon voulant endormir Jupiter, pour l'empêcher de voir ce qui se passoit dans le camp des Grecs & des Troïens, va trouver le Sommeil à Lemnos, son séjour ordinaire, & le prie d'assoupir les yeux trop clairvoyans de son mari, en lui promettant de beaux présens, & l'appellant le roi des dieux & des hommes. Le Sommeil s'en défendit par la crainte de la colere de Jupiter : " Je me souviens, lui dit-il, Iliade, l. XIV. d'une semblable priere que vous me fîtes au sujet d'Hercule : je m'insinuai auprès de Jupiter, je fis couler mes douceurs les plus puissantes dans ses yeux & dans son esprit, & vous profitâtes de ce moment pour persécuter ce héros. Jupiter s'étant éveillé, entra dans une si grande fureur, qu'il me chercha pour me punir ; j'étois perdu sans ressource ; il m'auroit jetté dans les abîmes les plus profonds de la mer, si la Nuit, qui dompte les dieux comme les hommes, ne m'eût sauvé. Je me jettai entre ses bras secourables, & Jupiter, quelque irrité qu'il fût, s'appaisa ; car il n'osoit forcer cet asyle : & vous venez m'exposer au même péril ". Cependant Junon le gagna en lui promettant en mariage la plus jeune des graces.

Ovide établit le domicile du Sommeil au pays des Cimmériens, que les anciens croyoient être plongés dans les plus épaisses ténebres. Là est une vaste caverne, dit-il, Métam. l. II. où les rayons du soleil ne pénetrent jamais : toujours environné de nuages sombres & obscurs, à peine y jouit - on de cette foible lumiere, qui laisse douter s'il est jour ou nuit ; jamais les coqs n'y annoncerent le retour de l'aurore ; jamais les chiens ni les oies qui veillent à la garde des maisons, ne troublerent par leurs cris importuns le tranquille repos qui y regne ; nul animal ni féroce, ni domestique, ne s'y fit jamais entendre. Le vent n'y agita jamais ni les feuilles, ni les branches. On n'y entend rien, ni querelles, ni murmures ; c'est le séjour de la douce tranquillité. Le seul bruit qu'on y entend, est celui du fleuve d'oubli, qui coulant sur de petits cailloux, fait un doux murmure qui invite au repos. A l'entrée de ce palais naissent des pavots, & une infinité d'autres plantes, dont la nuit ramasse soigneusement les sucs assoupissans, pour les répandre sur la terre. De crainte que la porte ne fasse du bruit en s'ouvrant ou en se fermant, l'antre demeure toujours ouvert, & on n'y voit aucune garde. Au milieu de ce palais est un lit d'ébene couvert d'un rideau noir : c'est-là que répose sur la plume & sur le duvet le tranquille dieu du sommeil....

Iris envoyée par Junon, s'étant approchée de ce lit, le Sommeil frappé de l'éclat de ses habits, ouvre ses yeux appesantis, fait un effort pour se relever, & retombe aussi-tôt. Enfin, après avoir laissé souvent tomber son menton sur son estomac, il fait un dernier effort, & s'appuyant sur le coude demande à Iris quel étoit le sujet de son arrivée... Toute cette peinture enchante par la douceur du style & des images ; nos meilleurs poëtes ont fait leurs efforts pour l'imiter ; Garth en Angleterre en a beaucoup approché, témoin les vers suivans.

Upon a couch of down in these abodes

Supine with folded arms he thoughtless nods :

Indulging dreams his Godhead lull to ease,

With murmurs of soft rills and whisp'ring trees.

The poppy, and cach numming plant dispense

Their drowsy virtue and dull indolence.

A careless Deity !...

On représentoit ce dieu comme un enfant enseveli dans un profond sommeil, qui a la tête appuyée sur des pavots. Tibulle lui donne des aîles : un autre poëte lui fait embrasser la tête d'un lion qui est couché. Les Lacédémoniens, au rapport de Pausanias, joignoient ensemble dans leurs temples la représentation du Sommeil & celle de la Mort. Lorsqu'on invoquoit le Sommeil pour les morts, il s'agissoit alors du sommeil éternel, qui étoit la mort. (D.J.)


SOMMELIERS. m. (Gram.) officier de grande maison, qui a le soin des vins & des liqueurs. Il y a un pareil surveillant dans les maisons religieuses.


SOMMELLERIES. f. (Architect.) lieu au rez-de-chaussée d'une grande maison, & près de l'office, où l'on garde le vin de la cave, & qui a ordinairement communication avec la cave par une descente particuliere. (D.J.)


SOMMERv. act. (Arithmétique) c'est ajouter, joindre plusieurs sommes ou nombres, pour connoître à combien ils peuvent monter ensemble ; il y a plus de sureté à sommer avec la plume, qu'avec le jetton. Irson. Voyez SOMME. (D.J.)

SOMMER, s. m. mesure dont on se sert en Espagne. Le sommer fait quatre quarteaux ; il faut huit sommers pour l'arobe, & deux cent quarante sommers pour la botte. Voyez AROBE & BOTTE. Id. ibid.


SOMMEREN(Géog. mod.) bourg des Pays-bas dans la mairie de Bois-le-duc, au quartier de Pelland. Quoique la guerre y ait causé de grands ravages, on compte encore dans ce bourg environ huit cent maisons de paysans, outre celles des boutiquiers, des artisans, & d'autres particuliers. Il y a un tribunal de sept échevins, & une église protestante. (D.J.)


SOMMERSETSOMMERSET

Elle a 55 milles de long, 40 de large, & 204 de circuit. On y compte 42 quartiers, 35 villes ou bourgs à marchés, & 385 églises paroissiales. Elle est abondamment arrosée de rivieres qui la rendent fertile en grains & en fruits, & riche en prairies, en pâturages & en troupeaux.

On y trouve plusieurs mines d'excellens charbons de terre, & des fontaines médicinales qui sont renommées ; Bristol est la capitale de cette province. Le plomb qui se tire des montagnes de Mendip, est un des meilleurs du royaume, & il s'en fait un grand commerce.

Les anciens habitans de ce pays portoient le nom de Belges, & possédoient outre cette province, celles de Wight & de Southampton. Plusieurs seigneurs y ont leurs terres, & de belles maisons de campagne ; mais ce qui fait sur-tout la gloire de cette belle province, ce sont les illustres gens de lettres qu'elle a produits : il faut nommer ici les principaux.

Beckington (Thomas), est le premier dans cette province qui se soit distingué dans les lettres. Il fit ses études à Oxford, dans le college neuf dont il étoit membre en 1408, & dont il fut dans la suite le bienfaiteur. Il devint évêque de Bath & Wells, & favorisa si généreusement les sciences, qu'il en a été regardé comme le plus grand protecteur dans son siecle. Il publia un ouvrage latin : de jure regum anglorum ad regnum Franciae. On disputoit alors fort vivement sur cette matiere, & Beckington tâcha de prouver dans son livre, la nullité de la loi salique, & le droit héréditaire des rois d'Angleterre à la couronne de France. Il mourut en 1464.

Bond (Jean), se montra un critique utile pour la jeunesse, par ses notes sur Perse & sur Horace, qui sont toujours fort estimées à cause de leur briéveté ; on y remarque pourtant des obmissions considérables, particulierement touchant les points historiques & philosophiques, qui sont absolument nécessaires pour l'intelligence des auteurs. Bond mourut recteur de l'école publique de Taunton en 1612, âgé de 62 ans.

Bennet (Christophle), né en 1614, s'attacha à la Médecine, & se rendit fameux dans sa pratique & par ses écrits. Son ouvrage intitulé : theatri tabidorum vestibulum, &c. Londres 1654 in -8°. est un ouvrage admirable. L'auteur mourut en 1655, âgé de 41 ans, de la maladie même sur laquelle il a fait un chef-d'oeuvre.

Charleton (Gautier), autre médecin célebre, naquit en 1619 ; après avoir long-tems pratiqué à Londres, se retira en 1691 dans l'île de Jersey où il mourut fort âgé. Il a publié un grand nombre d'ouvrages. Les principaux sont : 1°. Oeconomia animalis, Londres 1658, Amsterdam 1659, Leyde 1678, la Haye 1681 in -12. 2°. Exercitationes physico-anatomicae, de Oeconomiâ animali, Londres 1659 in -8°. réimprimées depuis plusieurs fois au-delà la mer : 3°. les Femmes éphésiennes & cimmériennes, ou deux exemples remarquables de la puissance de l'amour, & de la force de l'esprit, Londres 1653 in -8°. 4°. Exercitationes pathologicae, Londres 1660 in -4°. 5°. Onomasticon zoicon, &c. Londres 1668 & 1671 in -4°. Oxon. 1677 in-fol. 6°. De scorbuto liber singularis, cui accessit epiphonema in medicastros, London 1671 in -8°. Leyde 1672 in -12. 7°. Leçons anatomiques sur le mouvement du sang, & la structure du coeur, Londres 1683 in -4°. 8°. Inquisitio de causis catameniorum, & uteri rheumatismo, London 1685 in -8°. 9°. La vie de Marcellus, traduite de Plutarque en anglois, Londres 1684 in -8°. 10°. Discours sur les défauts du vin, & sur les manieres d'y remédier, London 1668, 1675 & 1692 in -8°.

Ajoutons son livre intitulé, Chorea gigantum, ou la plus fameuse antiquité de la Grande Bretagne, vulgairement appellée Stone-hinge, qui se trouve dans la plaine de Salisbury, rendue aux Danois ; Londres 1663, en neuf feuilles in -4°.

Inigo (Jones), inspecteur-général des bâtimens de Jacques I., de la reine Anne, du prince Henri, & de Chrétien IV. roi de Danemarck, & ensuite du roi Charles I., composa en 1620, par ordre de Jacques I. un ouvrage, où il prétend que Stone-hinge sont les restes d'un temple bâti par les Romains, pendant leur séjour dans la Grande Bretagne, & dédié à Coelus dont les anciens dérivoient l'origine de toutes choses. Ayant laissé cet ouvrage imparfait, lorsqu'il mourut en 1652, il tomba entre les mains de M. Jean Webb de Burleigh dans le comté de Sommerset, qui y mit la derniere main & le publia sous ce titre : La plus notable antiquité de la Grande-Bretagne, vulgairement appellée Stone-hinge, dans la plaine de Salisbury, rétablie ; Lond. 1655, en quinze feuilles in-fol.

Charleton, peu content de ce livre, l'envoya à Olaüs Wormius, fameux antiquaire danois. Ce savant lui écrivit plusieurs lettres sur cette matiere, & ce sont ces lettres, avec les ouvrages de quelques autres écrivains danois, qui ont servi de fonds à Charleton pour composer son traité sur ce sujet. Cet ouvrage, dit M. Wood, quoique peu favorablement reçu de plusieurs personnes lorsqu'il parut, n'a pas laissé d'être fort estimé de nos plus célebres antiquaires, & sur - tout du chevalier Guillaume Dugdale, qui croyoit que le docteur Charlton avoit rencontré juste dans sa Chorea gigantum. Cependant M. Webb entreprit la défense du traité d'Inigo Jones, par un livre intitulé : Défense de Stone-hinge rétabli, où l'on examine les ordres & les regles de l'architecture des Romains, &c. Lond. 1665 in - fol.

Baker (Thomas), né en 1625, & mort en 1690, a mis au jour à Londres 1684 in -4°. en latin & en anglois, un ouvrage intitulé la Clé de la Géométrie, dont on trouve un extrait dans les Trans. phil. du 20 Mars 168 3/4 n °. 154.

Godwin (Thomas), enseigna avec réputation à Abingdon, & mourut en 1643 à 55 ans. On a de lui plusieurs ouvrages en latin, remplis d'érudition ; les plus estimés sont : 1°. Romanae historiae anthologia, Oxford 1613 in -4°. 1623, & Londres 1658 : 2°. Synopsis antiquitatum hebraicarum, libri tres, Oxford 1616 in -4°. 3°. Moses & Aaron, ou les Usages civils & ecclésiastiques des Hébreux, Londres 1625 in -4°. la septieme édition est aussi de Londres en 1655 in -4°. Cet ouvrage a été traduit en latin, & publié à Utrecht en 1690 in -4°. avec des remarques de Jean-Henri Reyzius : on y a ajouté deux dissertations de Witsius ; l'une sur la théocratie des Israélites, & l'autre sur les Réchabites.

Cudworth (Rodolphe), naquit en 1617, & cultiva de bonne heure toutes les parties de la Théologie, des Belles-lettres & de la Philosophie. En 1647 il prononça un sermon en présence de la chambre des communes, dans lequel il la sollicite de contribuer à faire fleurir l'érudition. " Je ne parle pas seulement, dit-il, de celle qui est propre pour la chaire, vous y veillez suffisamment ; mais je parle de l'érudition qui est d'un usage moins ordinaire ; prise dans ses différentes branches, lesquelles toutes réunies, ne laissent pas d'être utiles à la religion & à la société. C'est une chose digne de vous, messieurs, en qualité de personnes publiques, d'encourager le savoir, qui ne peut que réflechir sur vos personnes, & vous couvrir d'honneur & de gloire ".

En 1654 il fut nommé principal du college de Christ à Cambridge, poste dans lequel il passa le reste de ses jours, & mourut en 1688, âgé de 71 ans.

Cudworth réunissoit de grandes connoissances ; il étoit très-versé dans la Théologie, dans les langues savantes & dans les antiquités. Il prouva par ses ouvrages qu'il n'étoit pas moins philosophe subtil, que profond métaphysicien. Il fit choix de la philosophie méchanique & corpusculaire ; & dans la métaphysique, il adopta les idées & les opinions de Platon.

Il publia en 1678 son systême intellectuel de l'univers, in-fol. Il combat dans cet ouvrage l'Athéisme (qui est la nécessité de Démocrite), dont il réfute les raisons & la philosophie. Thomas Wise a publié en 1706, un abrégé fort estimé de ce bel ouvrage, en deux volumes in -4°. & cet abrégé étoit nécessaire, parce que le livre du docteur Cudworth est un si vaste recueil de raisons & d'érudition, que le fil du discours est perpétuellement interrompu par des citations grecques & latines. M. le Clerc avoit cependant desiré que quelque savant entreprit de traduire en latin le grand ouvrage de Cudworth ; ce projet a été finalement exécuté en 1733, par le docteur Mosheim, & sa traduction a paru à Iene en 2 vol. in-fol. avec des notes & des dissertations.

Cudworth a laissé plusieurs ouvrages manuscrits, entr'autres 1°. un Traité du bien & du mal moral, contenant près de mille pages : 2°. un Traité qui n'est pas moins considérable sur la liberté & sur la nécessité : 3°. un Commentaire sur la prophétie de Daniel touchant les septante semaines, en 2 volumes in-fol. 4°. un Traité sur l'éternité & l'immutabilité du juste & de l'injuste ; ce traité a été publié en anglois à Londres en 1731 in -8°. avec une préface du docteur Chandler, évêque de Durham : 5°. un Traité de l'immortalité de l'ame, en un vol. in -8°. 6°. un Traité de l'érudition des Hébreux, &c.

Il laissa une fille nommée Damaris, qui fut intimement liée avec M. Locke, dont il est tems de parler.

En effet, la province de Sommerset doit sur-tout se vanter d'avoir produit ce grand homme. Il naquit à Whrington, à 7 ou 8 milles de Bristol, en 1632. Après avoir commencé à étudier sérieusement, il s'attacha à la Médecine ; & quoiqu'il ne l'ait jamais pratiquée, il l'entendoit à fond au jugement de Sydenham. Le lord Ashley, depuis comte de Shaftesbury, qui reconnoissoit devoir la vie à un des conseils de Locke, disoit cependant que sa science médicinale étoit la moindre partie de ses talens. Il avoit pour lui la plus grande estime, le combla de bienfaits, & le mit en liaison avec le duc de Buckingham, le lord Halifax, & autres seigneurs de ses amis, pleins d'esprit & de savoir, & qui tous étoient charmés de la conversation de Locke.

Un jour trois ou quatre de ces seigneurs s'étant donné rendez-vous chez le lord Ashley, pour s'entretenir ensemble, s'aviserent en causant de demander des cartes. Locke les regarda jouer pendant quelque tems, & se mit à écrire sur ses tablettes avec beaucoup d'attention. Un de ces seigneurs y ayant pris garde, lui demanda ce qu'il écrivoit. " Mylord, dit-il, je tâche de profiter de mon mieux dans votre compagnie ; car ayant attendu avec impatience, l'honneur d'être présent à une assemblée des plus spirituels hommes du royaume, & ayant eu finalement cet avantage, j'ai cru que je ne pouvois mieux faire que d'écrire votre conversation ; & je viens de mettre en substance le précis de ce qui s'est dit ici depuis une heure ou deux ". Il ne fut pas besoin que M. Locke lût beaucoup de ce dialogue, ces illustres seigneurs en sentirent le ridicule ; & après s'être amusés pendant quelques momens à le retoucher, & à l'augmenter avec esprit, ils quitterent le jeu, entamerent une conversation sérieuse, & y employerent le reste du jour.

Locke éprouva la fortune & les revers du comte Shaftesbury, qui lui avoit donné une commission de cinq cent livres sterling, qu'on supprima. Après la mort du roi Charles II. M. Penn employa son crédit auprès du roi Jacques II. pour obtenir le pardon de M. Locke ; & la chose eût réussi si M. Locke n'avoit répondu, qu'il n'avoit que faire de pardon, puisqu'il n'avoit commis aucun crime.

En 1695 il fut nommé commissaire du commerce & des colonies, emploi qui vaut mille livres sterling de rente ; mais il le résigna quelques années après, à cause de l'air de Londres qui étoit contraire à sa santé ; & quoique le roi même voulût lui conserver ce poste sans résidence, M. Locke se retira dans la province d'Essex, chez le chevalier Marsham son ami, avec lequel il passa les quinze dernieres années de sa vie, & mourut en 1704 âgé de 73 ans.

Il fit lui-même son épitaphe, dont voici le précis : Hîc situs est Joannes Locke. Si qualis fuerit rogas, mediocritate suâ contentum se vixisse respondet. Litteris eò usque tantum profecit, ut veritati uni se litaret ; morum exemplar si quaeras, in Evangelio habes. Vitiorum utinàm nusquam ; mortalitatis certè (quod prosit) hîc, & ubique.

Il avoit une grande connoissance du monde, & des affaires. Prudent sans être fin, il gagnoit l'estime des hommes par sa probité, & étoit toujours à couvert d'un faux ami, ou d'un lâche flatteur. Son expérience & ses moeurs honnêtes, le faisoient respecter de ses inférieurs, lui attiroient l'estime de ses égaux, l'amitié & la confiance des grands. Quoiqu'il aimât sur - tout les vérités utiles, & qu'il fût bien - aise de s'en entretenir, il se prêtoit aussi dans l'occasion aux douceurs d'une conversation libre & enjouée. Il savoit plusieurs jolis contes, & les rendoit encore plus agréables, par la maniere fine & aisée dont il les racontoit. Il avoit acquis beaucoup de lumieres dans les arts, & disoit que la connoissance des arts contenoit plus de véritable philosophie, que toutes les belles & savantes hypothèses, qui n'ayant aucun rapport à la nature des choses, ne servent qu'à faire perdre du tems à les inventer, ou à les comprendre. Comme il avoit toujours l'utilité en vue dans ses recherches, il n'estimoit les occupations des hommes qu'à proportion du bien qu'elles sont capables de produire, c'est pourquoi, il faisoit peu de cas des purs grammairiens, & moins encore des disputeurs de profession.

Ses ouvrages rendent son nom immortel. Ils sont trop connus, pour que j'en donne la liste ; c'est assez de dire, qu'ils ont été recueillis & imprimés à Londres en 1714, en 3 vol. in-fol. & que depuis ce tems-là, on en a fait dans la même ville huit ou dix éditions. Il a seul plus approfondi la nature & l'étendue de l'entendement humain, qu'aucun mortel n'avoit fait avant lui. Depuis Platon jusqu'à nos jours, personne dans un si long intervalle de siecles, n'a dévoilé les opérations de notre ame, comme ce grand homme les développe dans son livre, où l'on ne trouve que des vérités. Personne n'a tracé une méthode de raisonner plus claire & plus belle ; & personne n'a mieux réussi que lui à rappeller la philosophie de la barbarie, à l'usage du monde & des personnes polies qui pouvoient avec raison la mépriser, telle qu'elle étoit auparavant.

Je joins à ma liste des hommes illustres de la province de Sommerset, un courtisan célebre, que la fortune, par un exemple des plus rares, daigna constamment favoriser jusqu'à la fin de ses jours ; je veux parler du lord Pawlet, marquis de Winchester, grand trésorier d'Angleterre, mort dans ce poste en 1572, âgé de 97 ans. Il laissa une postérité plus nombreuse que celle d'Abraham, qui ne comptoit que soixante & dix descendans, au lieu que le lord Pawlet en vit jusqu'à cent trois. Pendant le cours d'une si longue carriere, passée sous des regnes si opposés, tels que ceux d'Henri VIII. d'Edouard VI. de Marie & d'Elisabeth, il posséda toujours leur faveur & leurs bonnes graces. Il échappa à tous les dangers, & s'endormit tranquillement avec ses peres, comblé d'années, d'honneurs, & de richesses. On rapporte qu'ayant été interrogé, comment il avoit fait pour se maintenir parmi tant de troubles & de révolutions dans l'état & dans l'église, il répondit, en étant un saule, & non pas un chêne. Cette réponse peint à merveille le caractere d'un ministre d'état, qui ne chérit que lui, se prête à tout, & s'embarrasse peu du bien public. (D.J.)


SOMMETS. m. (Géom.) c'est en général le point le plus élevé d'un corps ou d'une figure, comme d'un triangle, d'une pyramide, &c. Le sommet d'un angle est le point où viennent se réunir les deux lignes qui forment cet angle. On dit que deux angles sont opposés au sommet, quand l'un est formé par le prolongement des côtés de l'autre. Le sommet d'une figure est le sommet & l'angle opposé à la base. Tel est le point M (Planc. géom. fig. 19.) opposé à la base K L. Voyez BASE.

SOMMET d'une courbe, est proprement l'extrêmité de l'axe d'une courbe qui a deux parties égales & semblables également & semblablement situées par rapport à son axe. Ainsi, (fig. 26. sect. con.) A est le sommet de la courbe M A M.

Sommet en général est le point où une courbe est coupée par son axe ou son diametre. Ainsi une courbe a autant de sommets sur le même axe ou le même diametre, qu'il y a de points où elle est coupée par cet axe ou ce diametre. (O)

SOMMET, (Botan.) les sommets terminent l'extrêmité supérieure des étamines, & sont autant de capsules chargées d'une poussiere très - fine qu'elles répandent, lorsque la maturité les fait entre-ouvrir. Cette poussiere étant vue par le microscope, paroît composée de petits grains d'une figure uniforme dans chaque espece de plante. (D.J.)

SOMMET, (Conchyl.) en latin apex, cacumen, vertex ; c'est la pointe ou l'extrêmité du haut d'une coquille.

SOMMET DE LA TETE, en Anatomie, est la partie la plus haute & moyenne de la tête. Voyez TETE.

SOMMET, (Archit.) c'est la pointe de tout corps, comme d'un triangle, d'une pyramide, d'un fronton, d'un pignon, &c.


SOMMIERS. m. (Coupe des pierres) par analogie au sommet ; c'est la premiere pierre d'une plate-bande, laquelle porte à plein au sommet du pié droit, où elle forme le premier lit en joint, & l'appui de la butée des claveaux pour les tenir suspendus sur le vuide de la baie, d'où ils ne peuvent s'échapper qu'en écartant les sommiers ou coussinets. La coupe ou inclinaison de leur lit enjoint sur l'horison, est ordinairement de 60 degrés ; parce qu'on a coutume de la tirer du sommet d'un triangle équilatéral.

SOMMIER, (Finance) gros registre où le commis des aydes, les receveurs des tailles, & autres commis des bureaux des fermes du roi, écrivent les sommes à quoi montent les droits qu'ils reçoivent journellement. Quelques marchands, négocians, & banquiers, donnent aussi le nom de sommiers, à celui de leurs registres, qu'on appelle le grand livre. Dictionnaire du Commerce. (D.J.)

SOMMIER, (Commerce) se dit des bêtes de somme dont les voituriers & messagers se servent pour le transport des marchandises. Le messager de Lyon a dix sommiers, c'est-à-dire, dix chevaux de charge. Dictionnaire de Commerce.

SOMMIER, (Commerce de bois) piece de bois ordinairement de brin qui tient le milieu pour la grosseur, entre la poutre & la solive. Trévoux. (D.J.)

SOMMIERS, (Brass.) ce sont les pieces de bois sur lesquelles sont placées les cuves, les bacs, & les tringles de la touraille.

SOMMIER, (Coffretier - Malletier) autrement dit coffre de charge, grand coffre fait pour être porté à la guerre ou en voyage sur des mulets ou des chevaux. Trévoux. (D.J.)

SOMMIER, (Piece d'une presse d'Imprimerie) est un morceau de bois à-peu-près quarré, de deux piés de long, sur deux piés de diametre, & dont chacune des extrêmités se termine par deux tenons : il y a à une presse deux sortes de sommiers, savoir celui d'enhaut & celui d'en-bas.

Le sommier d'en-haut (voyez les Planches & les fig. d'Imprimerie), est celui où est enchâssé l'écrou de la vis de la presse ; & sur celui d'en-bas, est posé le berceau dans lequel roule, va & vient tout le train de la presse : ils sont posés l'un & l'autre entre les deux jumelles, & maintenus au moyen de leurs doubles tenons qui entrent dans les doubles mortaises faites au-dedans des jumelles. Voyez aussi les explications des Planches.

SOMMIER de clavecin, (Lutherie) est la piece de bois dans laquelle entrent les fiches qui servent à tendre les cordes de cet instrument. C'est une forte piece de hêtre ou autre bois à-peu-près de même qualité, assemblée dans les côtés du clavecin par des tenons en queue d'hironde. Sur le sommier sont collés deux chevalets 1, 2, F F ; le premier porte les cordes de la petite octave, lesquelles vont s'attacher aux fiches du rang 2 3, qui doivent passer entre les cordes de l'unisson, qui sont les deux grandes cordes à l'unisson du clavessin. Ces deux rangs de cordes qui passent sur le grand chevalet E F, vont s'attacher aux chevilles des deux rangs 4 5, 6 7. Chacun de ces rangs a autant de chevilles qu'il y a de touches au clavier ; les chevilles sont rangées sur deux lignes près l'une de l'autre en cette sorte : celles du rang inférieur sont celles du rang antérieur du clavessin, & répondent aux touches diatoniques, & celles du rang supérieur ou postérieur du clavessin, répondent aux touches cromatiques ou aux feintes en cette maniere.

SOMMIER de positif, représenté Planche d'Orgue, fig. 12. ne differe de celui du grand orgue qu'en ce que la laie E F est en-dessus, & que les soupapes n s'ouvrent en poussant par le petit bâton o n qui traverse une boursette. Voyez BOURSETTE. Ce petit bâton est poussé en-haut par la bascule du positif, voyez à ce mot ; le derriere de la laie est assemblé par une languette dans une rainure faite à la table du sommier du côté de la queue des soupapes, qui sont de même que celles du sommier de grand orgue, voyez SOMMIER de grand orgue ; le dessus E F de la laie est assemblé d'un côté à rainure & languette avec le derriere de la laie, & par-devant à tenons & mortaises avec trois morceaux de bois assemblés de même avec le chassis. Ces morceaux de bois, le chassis du sommier & le dessus de laie qui forment deux cadres, sont entaillés en drageoir à mi-bois, pour recevoir deux devans de laie A E : à la partie opposée au-dessus E F de la laie, & en-dessous du sommier est une planche r S collée & clouée sur les barres du chassis. C'est par des trous faits à cette planche que passent les petits bâtons o n qui levent les soupapes ; ces trous sont fermés par des boursettes qui laissent mouvoir les petits bâtons, & retiennent l'air ou le vent renfermé dans la laie. Voyez BOURSETTE. Le côté S de cette planche porte sur la moitié des morceaux x, décrits au mot SOMMIER de grand orgue, sur l'autre moitié desquels la peau de mouton, qui ferme le dessous des gravures, est aussi collée. Les jeux que l'on met dans le positif sont les mêmes que ceux du grand orgue, avec cette différence, qu'ils sont de plus menue taille s'ils sonnent l'unisson des premiers, ou des dessus s'ils sont plus courts. Voyez JEUX.

SOMMIER de grand orgue, & en général tout sommier d'orgue est la partie de l'orgue sur laquelle les tuyaux sont rangés, & qui leur distribue le vent.

Un sommier est composé de plusieurs parties. Pour faire un sommier, il faut prendre du bois d'Hollande, ou de Vauge (le plus sec est le meilleur), le refendre & le corroyer, c'est-à-dire le blanchir avec le rabot. On le laisse ensuite trois semaines ou un mois dans quelque endroit ; comme, par exemple, un grenier exposé aux variétés de la température de l'air, pour lui laisser faire son effet.

Après que le bois est parvenu à son état de repos, on le dresse bien de tous côtés, & on en fait un chassis, A B, C D, fig. 2. Orgue, dont les côtés A C, B D, s'appellent la largeur ou la profondeur du chassis, & les côtés A B, C D, la longueur du même chassis ; ces derniers côtés sont entaillés à leur partie intérieure, comme H F ; les entailles aussi-bien par les denticules k qui les séparent suivent le diapason. Voyez DIAPASON. Après que les deux longs côtés du chassis, qui est assemblé à queue d'hironde, ou à tenons & mortaises, sont entaillés, on fait des barres G H, F E, aussi longues que la largeur du chassis, & d'un équarrissage égal à celui de l'entaille qu'elles doivent remplir exactement pour faire tenir ces barres dans leurs entailles ; on les colle & on les cloue avec des clous d'épingles ; les barres & les intervalles qu'elles laissent entr'elles, qui s'appellent gravures, doivent suivre le diapason ; les entailles, comme on a dit, ont la même largeur que les barres qui doivent les remplir exactement, & les denticules la même largeur que les gravures auxquelles elles correspondent.

Après que le chassis & les barres sont assemblés, on dresse le dessus & le dessous, & on applique sur le dessus une table a b c d, fig. 3. Orgue. Cette table est aussi faite de bois d'Hollande, que l'on colle & l'on cloue sur le chassis & les barres. Lorsque la table est collée & séchée, on retourne le sommier ; ensorte que les gravures soient en-dessus, & l'on verse dedans un plein chauderon de colle, pour enduire & fermer tous les joints & pores des bois ; on réïtere jusqu'à trois fois la même opération, observant que pour le premier enduit la colle soit très-claire, pour le second un peu plus forte, & pour le troisieme assez épaisse.

Lorsque les enduits de colle forte sont séchés, on ajuste des morceaux de bois x x, fig. 2. épais seulement d'une ligne & demie ou deux entre les barres H G, E F, du sommier : ces morceaux de bois qui sont à l'affleurement des barres, doivent être éloignés de la barre de devant du chassis d'une distance H x, F x, B x, moins grande de quatre lignes que les soupapes n'ont de longueur.

Après que ces morceaux de bois sont collés, on colle des bandes de vélin (voyez VELIN) sur la partie du chassis A B x x, fig. 2. Orgue. Ces bandes de vélin couvrent la barre antérieure A B, les parties H x, F x, B x, des traverses H G, F E, & les épaulemens x x qui bornent le plan des soupapes. Lorsque les bandes de vélin sont collées & séchées, on colle de la peau de mouton sur toute l'étendue x x D C ; ce qui acheve avec le parchemin des soupapes de couvrir tout le dessous du sommier. Pour faire étendre la peau & rechauffer la colle, on se sert d'un linge trempé dans de l'eau bouillante que l'on exprime avant de l'appliquer sur la peau ; ce qui donne le moyen de la pouvoir étendre à son gré, voyez la fig. 4. N L M K.

Pour faire les soupapes, on prend du bois d'Hollande très-sec, on le dresse, & on le dégauchit de tous côtés ; les soupapes doivent avoir de longueur quatre lignes de plus que l'ouverture k x, fig. 2. & aussi quatre lignes de plus de largeur que la gravure sur laquelle elle doit être appliquée ; on abat ensuite les faces latérales en talud ou en glacis, ensorte que les deux longues faces latérales D C, fig. 8. & son opposée ne soient éloignées que d'une ligne ou une ligne & demie du trait de scie a o de la soupape ; on donne à la face E o D une inclinaison semblable, & à son opposé qui est la queue, celle de quarante-cinq d ; ensuite on met des anneaux de fil-de-fer sur la partie de devant. Ces anneaux doivent être placés à l'extrêmité antérieure o du trait de scie o a, voyez f, fig. 9. & la soupape est achevée ; on colle ensuite dessous un morceau de peau de mouton A, fig. 8. par le côté glabre, ensorte que le côté du duvet soit tourné au-dehors ; ce morceau de peau doit être d'un pouce ou un & demi plus long que la soupape, & excéder de cette quantité du côté de la queue ; ces morceaux de peau que l'on colle sur les pieces x x de la fig. 2. servent de charniere aux soupapes, sur la queue ou face postérieure desquelles on colle un morceau de la même peau, qui couvre cette face & la charniere C B, fig. 8. Ce morceau empêche que la soupape ne se décolle de la peau qui couvre toute la face inférieure. Avant d'appliquer les soupapes sur les places qui leur conviennent, on perce & découpe avec un couteau le vélin qui ferme les gravures en ces endroits, ainsi qu'on peut voir aux ouvertures a a a a & de la fig. 4. Après que les soupapes sont ainsi collées, comme on peut voir en b b b ; on met à chacun de leur côté une pointe de laiton ou de fil-de-fer c c c vers la partie antérieure : ces pointes servent à guider la soupape dans ses mouvemens, ensorte qu'elle retombe toujours sur l'ouverture a de la gravure.

Lorsque les soupapes sont faites & montées sur le sommier, on fait la boîte F E, fig. 4. 6. 7. 9. 10. appellée laie, qui les enferme, laquelle n'a que trois côtés : le côté F, fig. 6. & 9. est une planche de bois de chêne de trois ou quatre pouces de large, & aussi longue que le sommier. Cette barre est appliquée & collée sur les pieces x, sur une partie desquelles les peaux des soupapes sont aussi collées. Le côté F, opposé à cette barre, s'appelle devant de laie : il est composé de deux planches entaillées à mi-bois dans tout leur circuit. Cette entaille du drageoir est faite avec un guillaume, aussi-bien que celui du chassis qui reçoit ces deux devants de laie, voyez la fig. 6. qui est le profil, & les fig. 7. & 10. les devants de la laie sont revêtus de peau collée par son côté glabre sur toute la surface qui regarde l'intérieur de la laie pour la fermer exactement ; chaque piece du devant a deux anneaux G G, fig. 7. 10. 14. qui servent à la pouvoir retirer, quand on veut rétablir quelque soupape. Les devants de la laie sont retenus dans leur cadre par des tourniquets de fer p p, fig. 7. le dessous de la laie, qui est le côté opposé aux soupapes, est assemblé à rainure & languettes, avec le fond E de la laie, & à tenons & à mortaises, avec les trois morceaux de bois E F E, qui forment avec le sommier les deux cadres entaillés en drageoir dans tout leur pourtour, qui reçoivent les deux devants de laie. A la partie intérieure du dessous de la laie est collée une barre de bois m, fig. 6. aussi longue que l'intérieur de la laie : cette barre est traversée par des traits de scie m m, fig. 7, paralleles & directement placés vis-à-vis ceux des soupapes qui doivent les regarder ; ces traits de scie, tant ceux des soupapes que de la barre de bois m, qu'on appelle guide, servent à loger un ressort f g e, fig. 6 & 9. Ces ressorts qui sont de laiton le plus élastique que l'on puisse trouver, ont la forme d'un U d'Hollande majuscule : les deux extrêmités de ces ressorts font le crochet vers la partie extérieure ; ces crochets entrent dans des trous f e percés, l'un dans le trait de scie de la soupape, & l'autre vis-à-vis dans le trait de scie du guide. Ces ressorts auxquels le guide sert de point d'appui servent à renvoyer la soupape vers le sommier, & à l'y tenir appliquée ; entre le guide m & le devant de la laie, il doit y avoir des trous d e ; ces trous servent à passer les boursettes d e, qui communiquent aux soupapes par le moyen des S, e f, qui tiennent par une de leurs extrêmités aux anneaux f des soupapes, & par l'autre aux anneaux supérieurs e des boursettes. Voyez BOURSETTE. Les soupapes sont tirées par les touches du clavier par le moyen des targettes qui vont des boursettes à l'abrégé, & de celles qui vont de l'abrégé aux touches du clavier. Voyez ABREGE. Un des bouts de la laie est bouché, & l'autre bout a une ouverture quarrée E D, fig. 14. entaillée en drageoir, comme les cadres qui reçoivent les devants de laie : cette ouverture sert à recevoir le porte-vent qui vient des soufflets. Voyez SOUFFLETS & PORTE-VENT DE BOIS.

Le dessus de la table du sommier est garni d'autant de tringles H H, fig. 7. & une de plus qu'il doit y avoir de jeu sur le sommier. Ces tringles qui sont de feuillet sont collées & clouées sur la table, & doivent croiser les gravures ; on les appelle registres dormans, à cause des registres qui sont placés entr'eux. Voyez REGISTRES DORMANS. Les registres, ainsi nommés de regere, rego, gouverner, parce qu'en effet ils gouvernent le vent qui anime l'orgue, sont des regles M N, fig. 10. & 11. de bois de feuillet très-sec : ces regles doivent occuper toute la largeur que laissent entr'eux les registres dormants, entre deux desquels elles doivent couler facilement ; on colle sous le registre de la peau de mouton par le côté glabre : le duvet doit être tourné du côté de la table du sommier, sur laquelle le registre doit poser. Les facteurs de Flandre ordinairement ne mettent point de peau sous les registres, mais ils dressent si bien la table du sommier & le registre, que l'air ne sauroit trouver entre deux aucun passage ; cependant la méthode de les garnir de peau est préférable, car pour peu que le bois travaille ou gauchisse, le vent s'introduit d'une gravure dans une autre, ce qui produit un cornement insupportable.

Après que les registres sont placés sur le sommier entre les tringles H H, appellés registres dormans, on les égalise à la hauteur de ces tringles, & on met des épaulemens : les épaulemens N O, M O sont des morceaux de bois aussi larges que le registre que l'on colle sur ses extrêmités, qui doivent excéder la longueur du sommier d'un demi-pié de chaque côté : les épaulemens doivent laisser entr'eux une longueur o o, fig. 11. égale à toute la longueur A B du sommier, & à la moitié de la distance qui se trouve entre le milieu d'une gravure & le milieu de celle qui est à côté. Par-dessus les registres & leurs guides, les registres dormans, on met une table a b c d, fig. 9. & 10. de bois d'Hollande ou de Vauge, qu'on appelle chape ; les chapes qui sont épaisses au-moins d'un pouce, servent à recevoir les tuyaux par leurs piés qui entrent dans des cavités hémisphériques. Voyez PIE de tuyaux d'orgue. Pour trouver sur la chape, qui doit être arrêtée sur le sommier par les quatre coins avec des chevilles, les places des tuyaux, il faut tracer des lignes u x, fig. 10. ces lignes doivent répondre sur le milieu des gravures & des lignes z y, qui doivent répondre sur le milieu des registres. Pour tracer les premieres, il faut, avant d'avoir collé la table du sommier sur les barres, avoir tracé sur les longs côtés du chassis les points s t, qui répondent à la gravure, diviser ensuite l'espace s t en deux parties égales au point r, mener avec l'équerre des menuisiers la ligne droite r u perpendiculaire au plan de la chape, faire la même opération à l'autre extrêmité x, & à toutes les gravures, tirer ensuite les lignes u x, u x, qui répondront sur le milieu des gravures. Pour tracer les autres lignes z y, il faut prolonger sur les côtés de la chape les têtes des registres dormans, & diviser l'espace qu'elles laisseront entr'elles en deux parties égales, mener par les points de division les lignes z y, z y, qui répondront directement sur le milieu des registres : les intersections des lignes u x, z y, sont les endroits où il faut percer avec un vilbrequin les trous, lesquels se rencontreront perpendiculairement sur les gravures dans lesquelles ils doivent déboucher : la chape, le registre & la table du sommier doivent tous trois être percés. Il faut observer qu'un des épaulemens doit porter contre la table du sommier, l'autre épaulement qui est celui où la bascule du mouvement prend, voyez MOUVEMENT, doit en être éloigné de l'autre côté de la moitié de l'intervalle u u ou x x, que nous avons dit être l'excès de la longueur o o du registre, fig. 11. sur celle de la table du sommier. Après avoir percé les trous, on les aggrandit, & on les brûle avec des fers chauds pour les approprier ; les trous des basses qui doivent avoir une certaine grandeur, se font quarrés par-dessous les chapes, & on les équarrit jusqu'à la moitié de l'épaisseur de la chape ; dans l'autre moitié de la chape, on les arrondit pour recevoir le pié des tuyaux. Ceux des registres & de la table sont quarrés dans toute l'épaisseur de ces pieces ; on fait ces trous des basses avec un ciseau de menuisier, c'est même à cause qu'on les fait avec un ciseau qu'ils sont quarrés ; leur figure au reste est assez indifférente ; on les fait avec un ciseau, à cause de l'inconvénient qu'il y auroit de les brûler avec un fer chaud assez gros pour les creuser, la chaleur considérable d'un gros morceau de fer étant capable de faire éclater le bois. Un registre est ouvert lorsque ses trous répondent vis-à-vis ceux de la table du sommier & ceux de la chape, ce qui établit la communication de ces derniers à la gravure. Voyez D D, fig. 12. Orgue. Il est fermé lorsque le registre est enfoncé, ensorte que les intervalles de ses trous a b c d e f, fig. 11. répondent entre les trous correspondans de la table & de la chape. Voyez e c, fig. 12 ; ce qui empêche la communication du vent de la gravure aux trous de la chape. Quant à l'arrangement des jeux, il faut savoir qu'un jeu est posé sur un seul registre, selon la largeur du sommier : le premier jeu que l'on pose est sur le devant du sommier, qui est le côté de la laie marqué I, fig. 9. on met la montre de 16 piés ensuite sur le registre marqué II, le bourdon de 16 ou 8 piés bouché sonnant le 16. Pour entendre ce que c'est qu'un 16 piés, un 8 piés bouché sonnant le 16, voyez l'article JEUX, & leurs articles particuliers, ensuite le grand cornet, & selon l'ordre de la table suivante.

Pour éviter la confusion parmi tant de jeux, on fait le sommier du grand orgue en deux parties, & on place les basses aux côtés extérieurs de chaque partie vers les bascules des mouvemens, ensorte que les plus grands tuyaux sont vers les côtés de l'orgue, & les petits au-dessus dans le milieu où l'on fait un pont sur lequel on pose les sommiers de cornet & de la trompette du récit, & quelquefois aussi les chapes de la fourniture & de la cimbale, lorsqu'on ne les met pas sur le sommier. Voyez l'article de ces jeux.

Pour faire tenir tous ces jeux debout sur les chapes des sommiers dans les trous desquels ils ne font que poser, on met des faux sommiers a b c d, fig. 14, qui sont des planches de feuillet d'Hollande que l'on perce avec les tarieres pointues des charrons d'autant de trous e e qu'il y en a à la chape du sommier : ces trous qui doivent être assez grands pour que le tuyau H K puisse y entrer, doivent avoir leur centre perpendiculairement au-dessus de celui des trous de la chape, vis-à-vis desquels ils se rencontrent. Pour trouver la place du centre de ces trous, on trace sur le faux sommier les mêmes lignes u x z y qu'on a tracées sur la chape ; & aux intersections de ces lignes on perce des trous avec un vilebrequin que l'on accroît avec un autre dont la meche est plus grosse, & avec les tarieres pointues, jusqu'à ce que les tuyaux puissent y entrer ; après on place le faux sommier sur le sommier à environ un demi-pié de distance ; on le fait tenir par quatre piliers fixés aux quatre coins avec des vis ; on place ensuite les piés des tuyaux dans les trous du faux sommier, & on les fait entrer dans les trous des chapes, comme les tuyaux K H. On doit remarquer que la bouche des tuyaux doit toujours être en-dessus du faux sommier, & que par conséquent il faut que les piés des tuyaux soient quelques pouces plus longs que la distance de la chape A B C D au faux sommier a b c d.

Il suit de cette construction qu'après que la laie est remplie du vent des soufflets, si l'organiste abaisse une touche du clavier (qui par le moyen de sa targette fera tourner un rouleau de l'abrégé, lequel par le moyen d'une autre targette tirera une soupape, & la fera ouvrir), que l'air condensé contenu dans la laie entrera dans la gravure dont la soupape est ouverte, & passera de-là par le trou de la table & du registre qui sera ouvert dans le trou correspondant de la chape, d'où il entrera dans le tuyau par le trou de son pié : ce qui le fera parler. Voyez l'explication de la maniere dont le vent fait parler les tuyaux, à l'article BOURDON DE SEIZE & au mot JEUX.

Le sommier du positif differe peu de celui du grand orgue ; toute la différence est que la laie E F, fig. 12, est en-dessus du côté de la table, & que les soupapes s'ouvrent en foulant en-dessous par le moyen des petits bâtons o n, qui portent sur le haut des bascules du positif. Voyez BASCULE DU POSITIF & POSITIF.

SOMMIER, (Maréchal.) on appelle ainsi un cheval de somme.

SOMMIER, terme de Parcheminier, c'est une peau de veau, qui couvre la herse, ou métier des parcheminiers, & qui soutient la peau qu'on travaille, dans le tems qu'on la rature.

Contre-sommier, est une peau de parchemin en cosse, qu'on pose entre le sommier & la peau qu'on rature, afin que le fer trouve plus de facilité à mordre. Voyez PARCHEMIN.

SOMMIER, terme de Tonnelier, c'est ainsi qu'on nomme les cerceaux doubles, qui se placent aux deux extrêmités d'une futaille, & immédiatement sur le jable, afin de lui donner plus de force.


SOMMIERES. f. (Manuf. de lainage) sorte d'étoffe toute de laine, tant en chaîne qu'en trame croisée, chaude, & mollette qui n'est autre chose qu'une espece de serge un peu lâche, tirée à poil, tantôt d'un seul côté, & tantôt de deux côtés, dont on se sert à faire des doublures pour l'hiver. (D.J.)


SOMMIERES(Géog. mod.) en latin vulgaire Sumerium ; petite ville de France, dans le Languedoc, sur la Vidourle, à deux lieues de Nîmes. Les calvinistes en avoient fait une forte place ; c'est encore aujourd'hui un gouvernement particulier dans le Languedoc. Long. 21. 43. latit. 43. 55. (D.J.)


SOMMISTES. m. (Chancel. rom.) c'est le principal ministre de la chambre romaine, pour l'expédition des bulles ; il en fait faire les minutes, les fait recevoir, & plomber. (D.J.)


SOMMITÉS. f. (Gram.) extrêmité supérieure d'un objet. Il se dit particulierement de la pointe des plantes, voyez SOMMET, & du haut des collines. La sommité de cette colline.


SOMMONA-KODOMS. m. (Hist. mod. superstition) c'est un personnage fameux, qui est objet de la vénération, & même du culte des Siamois, des habitans de Laos, & du Pégu. Suivant les talapoins, ou prêtres siamois, le nom propre de cet homme est Kodom, & sommona signifie le solitaire ou le religieux des bois, parce que ce législateur, devenu l'idole des Siamois, étoit un sarmane ou sammane, de la côte de Malabar ou de Coromandel, qui leur apporta la religion qu'ils suivent aujourd'hui, & qui est prêchée par les talapoins ses disciples. On croit que cet homme, ou ce dieu, est le même que Poutisat ou Budda, nom qu'on lui donne en différentes parties de l'Inde : on présume aussi que c'est lui qui est adoré par une secte de Chinois qui l'appellent Shaka, ou She-kia. Quoi qu'il en soit de ces opinions, les prêtres siamois font une histoire non moins merveilleuse que ridicule, de leur législateur ; ils disent qu'il est né d'une fleur, sortie du nombril d'un enfant qui mordoit le gros doigt de son pié, & qui lui-même n'étoit que la feuille d'un arbre nageant à la surface des eaux. Malgré cela, les Siamois ne laissent pas de donner à Sommona kodom, un pere qui étoit roi de Tanka, ou de Ceylan, & une mere appellée Maha ou Marya, ou suivant d'autres, Man-ya. Ce nom a attiré l'attention des missionnaires chrétiens qui ont été à Siam ; il a fait croire aux Siamois que Jesus-Christ étoit un frere de Sommona-kodom, qu'ils appellent le méchant Thevetat, qui, selon ces aveugles idolâtres, est tourmenté en enfer, par un supplice qui a du rapport avec celui de la croix.

Sommona-kodom mourut, suivant les annales de Siam, 544 ans avant l'ere chrétienne ; les talapoins, dont le but principal est de tirer de l'argent du peuple, qu'ils séduisent, assurent que non-content d'avoir donné tout son bien aux pauvres, n'ayant plus rien, il s'arracha les yeux, & tua sa femme & ses enfans, pour les donner à manger aux talapoins. Ces charités si inouies dégagerent le saint homme de tous les liens de la vie : alors il se livra au jeûne, à la priere, & aux autres exercices qui menent à la perfection ; il ne tarda point à recevoir la recompense de ses bonnes oeuvres ; il obtint une force de corps extraordinaire, le don de faire des miracles, la faculté de se rendre aussi grand & aussi petit qu'il vouloit, celle de disparoître ou de s'anéantir, & d'en substituer un autre à sa place ; il savoit tout, connoissoit le passé & l'avenir ; il se transportoit avec une promtitude merveilleuse, d'un lieu dans un autre, pour y prêcher ses dogmes. Suivant les mêmes traditions, ce prétendu prophete eut deux disciples, qui partagent avec lui la vénération & le culte des Siamois ; l'un d'eux pria un jour son maître d'éteindre le feu de l'enfer, mais il ne voulut en rien faire, disant que les hommes deviendroient trop méchans, si on leur ôtoit la crainte de ce châtiment. Malgré sa sainteté, Sommona-kodom eut un jour le malheur de tuer un homme ; en punition de ce crime, il mourut d'une colique, qui lui vint pour avoir mangé de la viande de porc : avant de mourir, il ordonna qu'on lui érigeât des temples & des autels, après quoi il alla jouir du nireupan, c'est-à-dire, de l'état d'anéantissement dans lequel la théologie siamoise fait consister la félicité suprême ; là, il ne peut faire ni bien ni mal ; cela n'empêche point qu'on ne lui adresse des voeux. Les Siamois attendent la venue d'un second Sommona-kodom, prédit par le premier ; ils le nomment Pra-narotte ; il sera si charitable, qu'il donnera ses deux fils à manger aux talapoins ; action qui mettra le comble à ses vertus. Voyez la Loubere, hist. & descript. de Siam.


SOMNAMBULE& SOMNAMBULISME, s. m. (Médecine) ce mot formé de deux mots latins, somnus, sommeil, & ambulo, je me promene, signifie littéralement l'action de se promener pendant le sommeil ; mais on a étendu plus loin la signification de ce mot, dans l'usage ordinaire, & l'on a donné le nom générique de somnambulisme, à une espece de maladie, d'affection, ou incommodité singuliere, qui consiste en ce que les personnes qui en sont atteintes, plongées dans un profond sommeil, se promenent, parlent, écrivent, & font différentes actions, comme si elles étoient bien éveillées, quelquefois même avec plus d'intelligence & d'exactitude ; c'est cette faculté & cette habitude d'agir endormi comme éveillé, qui est le caractere distinctif du somnambulisme ; les variétés naissent de la diversité d'actions, & sont en conséquence aussi multipliées que les actions dont les hommes sont capables, & les moyens qu'ils peuvent prendre pour les faire ; elles n'ont d'autres bornes que celles du possible, & encore ce qui paroît impossible à l'homme éveillé, ne l'est point quelquefois pour le somnambule ; son imagination échauffée dirige seule & facilite ses mouvemens.

On voit souvent des somnambules qui racontent en dormant tout ce qui leur est arrivé pendant la journée ; quelques-uns répondent aux questions qu'on leur fait, & tiennent des discours très-suivis ; il y a des gens qui ont la malhonnêteté de profiter de l'état où ils se trouvent, pour leur arracher, malgré eux, des secrets qu'il leur importe extrêmement de cacher ; d'autres se levent, composent, écrivent ou se promenent, courent les rues, les maisons ; il y en a qui nagent & qui font des actions très-périlleuses par elles-mêmes, comme de marcher sur le bord d'un toît sans peur, & par-là sans danger ; ils ne risquent que de s'éveiller, & si cela leur arrive, ou par hasard, ou par le secours funeste de quelque personne imprudente, ils manquent rarement de se tuer. Quelques somnambules ont les yeux ouverts, mais il ne paroît pas qu'ils s'en servent ; la plûpart n'ont en se réveillant aucune idée de ce qu'ils ont fait étant endormis ; mais ils se rappellent d'un sommeil à l'autre, les actions des nuits précédentes ; il semble qu'ils aient deux mémoires, l'une pour la veille, & l'autre pour le sommeil. Lorsqu'on suit quelque tems un somnambule, on voit que leur sommeil, si semblable à la veille, offre un tissu surprenant de singularités : il ne manque pas d'observations étonnantes dans ce genre ; mais combien peu sont faites exactement, & racontées avec fidélité ? ces histoires sont presque toujours exagérées par celui qui en a été le témoin ; on veut s'accommoder au goût du public, qui aime le merveilleux, & qui le croit facilement ; & à mesure qu'elles passent de main en main, elles se chargent encore de nouvelles circonstances, le vrai se trouve obscurci par les fables auxquelles il est mêlé, & devient incroyable ; il importe donc de choisir des faits bien constatés, par la vue & le témoignage d'un observateur éclairé. Laissant donc à part tous les contes imaginaires, ou peu prouvés, qu'on fait sur les somnambules, je vais rapporter quelques traits singuliers, qui pourront servir à faire connoître la nature de cette affection, dont la vérité ne sauroit être suspecte ; je les tiens d'un prélat illustre, (M. l'archevêque de Bordeaux), aussi distingué par ses vertus, que par la variété & la justesse de ses connoissances ; son nom seul fait une autorité respectable, qu'on ne sauroit recuser.

Il m'a raconté qu'étant au séminaire, il avoit connu un jeune ecclésiastique somnambule : curieux de connoître la nature de cette maladie, il alloit tous les soirs dans sa chambre, dès qu'il étoit endormi ; il vit entr'autres choses, que cet ecclésiastique se levoit, prenoit du papier, composoit, & écrivoit des sermons ; lorsqu'il avoit fini une page, il la relisoit tout-haut d'un bout à l'autre (si l'on peut appeller relire, cette action faite sans le secours des yeux) ; si quelque chose alors lui déplaisoit, il le retranchoit, & écrivoit par - dessus, les corrections, avec beaucoup de justesse. J'ai vu le commencement d'un des sermons qu'il avoit écrit en dormant, il m'a paru assez bien fait, & correctement écrit : mais il y avoit une correction qui étoit surprenante ; ayant mis dans un endroit ce divin enfant, il crut en la relisant, devoir substituer le mot adorable à divin ; pour cela il effaça ce dernier mot, & plaça exactement le premier pardessus ; après cela il vit que le ce, bien placé devant divin, ne pouvoit aller avec adorable, il ajouta donc fort adroitement un t à côté des lettres précédentes, de façon qu'on lisoit cet adorable enfant. La même personne, témoin oculaire de ces faits, pour s'assurer si le somnambule ne faisoit alors aucun usage de ses yeux, mit un carton sous son menton, de façon à lui dérober la vue du papier qui étoit sur la table ; mais il continua à écrire sans s'en appercevoir ; voulant ensuite connoître à quoi il jugeoit de la présence des objets qui étoient sous ses yeux, il lui ôta le papier sur lequel il écrivoit, & en substitua plusieurs autres à différentes reprises, mais il s'en apperçut toujours, parce qu'ils étoient d'une inégale grandeur : car quand on trouva un papier parfaitement semblable, il le prit pour le sien, & écrivit les corrections aux endroits correspondans à celui qu'on lui avoit ôté ; c'est par ce stratagème ingénieux, qu'on est venu à bout de ramasser quelques-uns de ses écrits nocturnes. M. l'archevêque de Bordeaux a eu la bonté de me les communiquer ; ce que j'ai vu de plus étonnant, c'est de la musique faite assez exactement ; une canne lui servoit de regle, il traçoit, avec elle, à distance égale, les cinq lignes nécessaires, mettoit à leur place, la clé, les bémols, les diéses, ensuite marquoit les notes qu'il faisoit d'abord toutes blanches, & quand il avoit fini, il rendoit noires celles qui devoient l'être. Les paroles étoient écrites audessus. Il lui arriva une fois de les écrire en trop gros caracteres, de façon qu'elles n'étoient pas placées directement sous leur note correspondante ; il ne tarda pas à s'appercevoir de son erreur, & pour la reparer, il effaça ce qu'il venoit de faire, en passant la main par-dessus, & refit plus bas cette ligne de musique, avec toute la précision possible.

Autre singularité dans un autre genre, qui n'est pas moins remarquable ; il s'imagina, une nuit au milieu de l'hiver, se promener au bord d'une riviere, & d'y voir tomber un enfant qui se noyoit ; la rigueur du froid ne l'empêcha point de l'aller secourir, il se jetta tout de suite sur son lit, dans la posture d'un homme qui nage, il en imita tous les mouvemens, & après s'être fatigué quelque-tems à cet exercice, il sent au coin de son lit un paquet de la couverture, croit que c'est l'enfant, le prend avec une main, & se sert de l'autre pour revenir en nageant, au bord de la prétendue riviere ; il y pose son paquet, & sort en frissonnant & claquant des dents, comme si en effet il sortoit d'une riviere glacée ; il dit aux assistans qu'il gêle & va mourir de froid, que tout son sang est glacé ; il demande un verre d'eau-de-vie pour se rechauffer, n'en ayant pas, on lui donne de l'eau qui se trouvoit dans la chambre, il en goûte, reconnoit la tromperie, & demande encore plus vivement de l'eau-de-vie, exposant la grandeur du péril qu'il couroit ; on lui apporte un verre de liqueur, il le prend avec plaisir, & dit en ressentir beaucoup de soulagement ; cependant il ne s'éveille point, se couche, & continue de dormir plus tranquillement. Ce même somnambule a fourni un très-grand nombre de traits forts singuliers ; ceux que je viens de rapporter, peuvent suffire au but que nous nous sommes proposé. J'ajouterai seulement que lorsqu'on vouloit lui faire changer de matiere, lui faire quitter des sujets tristes & désagréables, on n'avoit qu'à lui passer une plume sur les levres, dans l'instant il tomboit sur des questions tout-à-fait différentes.

Quoiqu'il soit très-facile de reconnoître le somnambulisme par les faits incontestables que nous avons détaillés, il n'est pas aisé d'en découvrir la cause & le méchanisme ; l'étymologie de cette maladie est un écueil funeste à tous ces faiseurs d'hypothèses, à tous ces demi-savans qui ne croyent rien que ce qu'ils peuvent expliquer, & qui ne sauroient imaginer que la nature ait des mysteres impénétrables à leur sagacité, d'autant plus à plaindre que leur vue courte & mal assurée, ne peut s'étendre jusqu'aux bornes très-voisines de leur horison ; on peut leur demander :

1°. Comment il se peut faire qu'un homme enseveli dans un profond sommeil, entende, marche, écrive, voie, jouisse en un mot de l'exercice de ses sens, & exécute avec justesse, divers mouvemens : pour faciliter la solution de ce problème, nous ajouterons que le somnambule ne voit alors que les objets dont il a besoin, que ceux qui sont présens à son imagination. Celui dont il a été question, lorsqu'il composoit ses sermons, voyoit fort bien son papier, son encre, sa plume, savoit distinguer si elle marquoit ou non ; il ne prenoit jamais le poudrier pour l'encrier, & du reste il ne se doutoit pas même qu'il eût quelqu'un dans sa chambre, ne voyoit & n'entendoit personne, à moins qu'il ne les interrogeât ; il lui arrivoit quelquefois de demander des dragées à ceux qu'il croyoit à côté de lui, & il les trouvoit fort bonnes quand on lui en donnoit ; & si dans un autre tems on lui en eût mis dans la bouche, sans que son imagination fût montée de ce côté-là, il n'y trouvoit aucun goût, & les rejettoit.

2°. Comment l'on peut éprouver des sensations sans que les sens y ayent part ; voir, par exemple, sans le secours des yeux : le somnambule dont nous avons fait l'histoire, paroissoit évidemment voir les objets qui avoient rapport à son idée, lorsqu'il traçoit des notes de musique ; il savoit exactement celles qui devoient être blanches ou noires, & sans jamais se méprendre il noircissoit les unes & conservoit les autres ; & lorsqu'il étoit obligé de revenir au haut de la page, si les lignes du bas n'étoient pas seches, il faisoit un détour pour ne pas les effacer en passant la main dessus ; si elles étoient assez seches, il négligeoit cette précaution inutile. Il est bien vrai que si on lui substituoit un papier tout-à-fait semblable, il le prenoit pour le sien ; mais pour juger de la ressemblance, il n'avoit pas besoin de passer la main tout-autour. Peut-être ne voyoit-il que le papier, sans distinguer les caracteres. Il y a lieu de présumer que les autres sens dont il se servoit n'étoient pas plus dispos que les yeux, & que quelqu'autre cause suppléoit leur inaction ; on auroit pû s'en assurer en lui bouchant les oreilles, en le piquant, en lui donnant du tabac, &c.

3°. Comment il arrivoit qu'en dormant il se rappelloit le souvenir de ce qui lui étoit arrivé étant éveillé, qu'il sût aussi ce qu'il avoit fait pendant les autres sommeils, & qu'il n'en conservât aucun souvenir en s'éveillant : il témoignoit quelquefois pendant le sommeil sa surprise de ce qu'on l'accusoit d'être somnambule, de travailler, d'écrire, de parler pendant la nuit ; il ne concevoit pas comment on pouvoit lui faire de pareils reproches, à lui qui dormoit profondement toute la nuit, & qu'on avoit beaucoup de peine à réveiller ; cette double mémoire est un phénomene bien merveilleux.

4°. Comment il est possible que sans l'action d'aucune cause extérieure on soit affecté aussi gravement que si on eût été exposé à ses impressions : notre somnambule, sans être sorti de son lit, éprouva tous les symptomes qu'occasionne l'eau glacée, précisément parce qu'il a cru avoir été plongé dans cette eau quelque tems. Nous pourrions demander encore l'explication d'un grand nombre d'autres phénomenes que les somnambules nous fournissent, mais nous n'en retirerions pas plus de lumieres. Il faut convenir de bonne foi qu'il y a bien des choses dont on ne sait pas la raison, & qu'on chercheroit inutilement. La nature a ses mysteres, gardons-nous de vouloir les pénétrer, sur-tout lorsqu'il ne doit résulter aucune utilité de ces recherches, à-moins de vouloir s'exposer gratuitement à débiter des erreurs & des absurdités.

Je vais plus loin : non-seulement on ne sauroit expliquer les faits que nous avons rapportés ; mais ces phénomenes en rendent d'autres qu'on croyoit avoir compris inexplicables, & jettent du doute & de l'obscurité sur des questions qui passent pour décidées ; par exemple :

On croit communément que le sommeil consiste dans un relâchement général qui suspend l'usage des sens & tous les mouvemens volontaires ; cependant le somnambule ne se sert-il pas de quelques sens, ne meut-il pas différentes parties du corps avec motif & connoissance de cause ? & le sommeil n'est cependant pas moins profond.

2°. S'il ne se sert pas de ses sens pour obtenir les sensations, comme il est incontestable que cela arrive quelquefois, on peut donc conclure avec raison que les objets même corporels peuvent, sans passer par les sens, parvenir à l'entendement. Voilà donc une exception du fameux axiome, nihil est in intellectu quod prius non fuerit in sensu. Il ne faut pas confondre ce qui se passe ici avec ce qui arrive en songe. Un homme qui rêve, de même que celui qui est dans le délire, voit comme présens des objets qui ne le sont pas ; il y a un vice d'apperception, & quelquefois de raisonnement ; mais ici les objets sont présens à l'imagination, comme s'ils étoient transmis par les sens, ce sont les mêmes que le somnambule verroit s'il r'ouvroit les yeux & en reprenoit l'usage. Ils sont existans devant lui de la même maniere qu'il se les représente ; l'apperception qu'il en auroit par l'entremise des sens ne seroit pas différente.

3°. Les plus grandes preuves que le philosophe donne de l'existence des corps sont fondées sur les impressions qu'ils font sur nous ; ces preuves perdent nécessairement beaucoup de leur force, si nous ressentons les mêmes effets sans que ces corps agissent réellement ; c'est précisément le cas du somnambule, qui gele & frissonne sans avoir été exposé à l'action de l'eau glacée, & simplement pour se l'être vivement imaginé : il paroît par-là que les impressions idéales font quelquefois autant d'effet sur le corps que celles qui sont réelles, & qu'il n'y a aucun signe assuré pour les distinguer.

4°. Sans nous arrêter plus long-tems sur ces considérations, qui pourroient être plus étendues & généralisées, tirons une derniere conséquence peu flatteuse pour l'esprit humain, mais malheureusement très-conforme à la vérité ; savoir, que la découverte de nouveaux phénomenes ne fait souvent qu'obscurcir ou détruire nos connoissances, renverser nos systêmes, & jetter des doutes sur des choses qui nous paroissoient évidentes : peut-être viendra-t-on à bout d'ôter tout air de paradoxe à cette assertion ; que c'est le comble de la science que de savoir avec Socrate qu'on ne sait rien.

Pour ce qui regarde la Médecine, il nous suffit d'être fondés à croire que tous ces phénomenes dénotent dans le somnambule une grande vivacité d'imagination, ou, ce qui est le même, une tension excessive des fibres du cerveau, & une extrême sensibilité. Les causes qui disposent à cette maladie sont peu connues ; les médecins ne se sont jamais occupés à les rechercher ; ils se sont contentés d'écouter comme le peuple, les histoires merveilleuses qu'on fait sur cette matiere. En examinant les personnes qui y sont les plus sujettes, on voit que ce sont celles qui s'appliquent beaucoup à l'étude, qui y passent les nuits, ou qui s'échauffent la tête par d'autres occupations.

La santé des somnambules ne paroît du tout point altérée, leurs fonctions s'exécutent avec la même aisance, & leur état ne mériteroit pas le nom de maladie, s'il n'étoit à craindre qu'il n'empirât, que la tension des fibres du cerveau n'augmentât & ne dégénérât enfin en relâchement. La manie paroît devoir être le terme du somnambulisme ; peut-être n'en est-elle que le premier degré & n'en differe pas essentiellement.

Il paroît donc important de dissiper cette maladie avant qu'elle se soit enracinée par le tems, & qu'elle soit devenue plus forte & plus opiniâtre ; mais les moyens d'y parvenir ne sont pas connus, ils ne paroissent pas même faciles à trouver ; c'est dans la médecine rationnelle qu'il faut les chercher : les observations pratiques manquent tout-à-fait ; l'analogie nous porte à croire que ceux qui sont propres à la manie pourroient réussir dans le somnambulisme. Voyez MANIE. C'est encore une très-foible ressource ; car personne n'ignore combien peu les remedes les plus variés ont de prise sur cette terrible maladie. En tirant les indications des causes éloignées du somnambulisme, & de l'état du cerveau & des nerfs, il paroît que la méthode de traitement la plus sûre doit être de dissiper ces malades, de les faire voyager, de les distraire des occupations trop sérieuses, de leur en présenter qui soient agréables, & qui n'attachent pas trop : on pourroit seconder ces effets par les bains froids, remedes excellens & trop rarement employés, pour calmer la mobilité du systême nerveux. Quant aux somnambules qui se levent, & qui courent de côté & d'autre, & qui risquent par-là de tomber dans des précipices, de se jetter par la fenêtre, comme il arriva à un qui imaginant avoir dans sa chambre Descartes, Aristote & quelques autres philosophes, crut tout-à-coup les voir sortir par la fenêtre, & se disposoit à les accompagner, s'il n'avoit été retenu : il faut les attacher dans leur lit, fermer exactement les portes, griller les fenêtres, & s'ils se levent, les éveiller à coups de fouet. Ce remede réussit à bien des personnes. Un somnambule fut aussi guéri par un remede que je me garderai bien de conseiller, ce fut en se jettant d'une fenêtre fort élevée : il se rompit le bras, & depuis ne ressentit aucune atteinte de cette maladie. (m)


SOMNIALES DII(Mytholog.) c'étoient les dieux qui présidoient au sommeil, & qui rendoient leurs oracles par les songes. Les savans n'ignorent pas qu'il y avoit des dieux particuliers qui présidoient aux songes, & qu'il y avoit des ministres préposés pour leur culte. M. Spon rapporte une inscription qu'il avoit copiée à Florence dans le palais de Strozzi, où il est parlé du culte d'Hercule, comme d'un dieu qui présidoit aux songes. Cette inscription porte : cultores Herculis somnialis ; on trouve diverses statues du même dieu avec ces mots, deo somniali.

Il est peut-être difficile de déterminer par quelle raison les anciens croyoient qu'Hercule présidoit aux songes : il n'en est pas moins certain qu'ils le croyoient, & qu'on envoyoit les malades dormir dans ses temples, pour y avoir en songe quelque agréable présage du rétablissement de leur santé. (D.J.)


SOMNIFERESadj. (Mat. méd.) épithete que l'on donne aux remedes qui procurent le sommeil ; tels sont la cynoglosse, la jusquiame, la belladone, toutes les especes de pavot. Cependant il y a des alimens qui provoquent le sommeil ; tels sont le lait, les alimens glutineux, le suc ou le jus exprimé des viandes des jeunes animaux, les liqueurs fermentées, & enfin tous les esprits ardens : de-là vient que l'ivresse est une espece de sommeil.


SOMOou SKIMMI, ou FANNA, s. m. (Hist. nat. Bot.) qui signifie la fleur par excellence ; c'est un arbre sauvage du Japon, il a des feuilles de laurier, & des fleurs comme celles de la narcisse. Son écorce est aromatique. Il est de la grandeur d'un de nos cerisiers, d'un bois roux, dur & fragile. Ses feuilles sont disposées en rond, autour de petites branches, & ses fleurs sont situées à leur bout. Les bonzes de la Chine & du Japon mettent devant les idoles & sur les tombeaux des feuilles de cet arbre en bouquets.


SOMPAYES. m. (Monn. étrang.) c'est la plus petite monnoie d'argent qui se fabrique à Siam. Elle vaut quatre à cinq sols monnoie de France, à prendre l'once d'argent sur le pié de six livres.


SOMPIS. m. (Poids) petit poids dont les habitans de Madagascar se servent pour peser l'or & l'argent. Le sompi ne pese qu'une dragme ou gros, poids de Paris ; c'est néanmoins le plus fort de tous ceux dont ces insulaires ont l'usage, ne sachant ce que c'est que l'once, le marc, ou la livre, & n'ayant rien qui leur en tienne lieu, ou qui y réponde. Tout, hors l'or & l'argent, se négocie par échange & par estimation. Les diminutions du sompi sont le vari ou demi-gros : le sacare ou scrupule, le nanqui ou demi-scrupule, & le nanque qui vaut six grains. Le grain chez eux n'a point de nom. Savary. (D.J.)


SOMPTUAIRESLOIX, (Jurisprud.) ce sont des loix faites pour restraindre le luxe dans les habits, les équipages, la table, &c. Voyez LOI.

La plûpart des nations ont eu dans différens tems leurs loix somptuaires : & il y en a qui sont encore en vigueur, comme chez les Vénitiens, les François, &c. Mais on remarque qu'il n'y a point de loix plus mal observées que les loix somptuaires.

Les loix somptuaires de Zaleucus, cet ancien législateur des Locriens, sont fameuses. Elles ordonnoient qu'une femme ne se feroit point accompagner dans les rues de plus d'un domestique, à-moins qu'elle ne fût ivre ; qu'elle ne pourroit point sortir de la ville pendant la nuit, à-moins que ce ne fût pour commettre la fornication ; qu'elle ne porteroit point d'or, ni de broderie sur ses habits, à-moins qu'elle ne se proposât d'être courtisanne publique : que les hommes ne porteroient point de franges ni de galons, excepté quand ils iroient dans de mauvais lieux, &c.

Les Anglois ont eu aussi leurs loix somptuaires, mais elles ont toutes été révoquées par le statut premier de Jacques I. ou sont tombées en désuétude.

Sous le regne de Charles IV. Cambden dit qu'on avoit porté si loin le luxe dans les chaussures, qu'on fut obligé de défendre aux hommes de porter des souliers de plus de six pouces de largeur du côté des doigts ; les autres habillemens étoient si courts, qu'il fut ordonné par le statut 25 d'Edouard IV. que toutes personnes d'une condition inférieure à celle des lords, porteroient des robes ou habits de telle longueur qu'elles pussent, quand la personne est debout, lui couvrir les fesses.

Chez les Romains il y avoit quantité de loix somptuaires. La loi Orchia limitoit le nombre des convives dans les fêtes, sans limiter la dépense. La loi Fannia, qui fut faite 32 ans après, ordonnoit que dans une fête ordinaire on ne pourroit pas dépenser plus de 10 as, & plus de 100 as dans les fêtes solemnelles, comme les saturnales, &c. & Gellius nous apprend que 10 as étoient le prix d'un mouton, & 100 celui d'un boeuf.

La loi Didia qui fut faite 18 ans après, ordonna que les premieres loix somptuaires seroient exécutées non-seulement à Rome, mais même par-toute l'Italie ; & qu'en cas de transgression, non-seulement le maître de la fête, mais aussi les convives seroient sujets à l'amende. Voyez l'article LOI.


SOMPTUOSITÉS. f. (Gramm.) magnificence qu'on se procure par de grandes dépenses. Il n'est question chez les anciens que de la somptuosité de Lucullus.


SOMTOUou SOMTOC, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Chinois nomment les vice-rois des provinces. C'est une des plus éminentes dignités de l'empire. Ils ont deux provinces sous leurs ordres, qui ont outre cela des gouverneurs nommés fu-yen.


SONCAP DE, (Géog. mod.) cap dans la Méditerranée, sur la côte de l'île de Corse, environ cinq milles à l'ouest de l'entrée du port de San-Bonifacio ; c'est une longue pointe avancée en mer vers le sud-ouest. (D.J.)

SON, s. m. (Phys.) est une perception de l'ame qui lui est communiquée par le secours de l'oreille : ou bien c'est un mouvement de vibration dans l'air, qui est portée jusqu'à l'organe de l'ouie. Voyez OUIE.

Pour éclaircir la cause du son, nous observerons, 1°. que pour produire le son, il faut nécessairement du mouvement dans le corps sonore.

2°. Que ce mouvement existe d'abord dans les parties déliées & insensibles des corps sonores, & qu'il y est excité par leur choc & leur collision mutuelle, ce qui produit ce tremblement qui est si facile à remarquer dans les corps qui rendent un son clair, comme les cloches, les cordes des instrumens de musique, &c.

3°. Que ce mouvement se communique à l'air, ou produit un mouvement semblable dans l'air ou dans autant de ses parties qu'il y en a de capables de le recevoir & de le perpétuer ; d'autant plus que le mouvement des corps qui sont à quelque distance, ne peut point affecter nos sens sans la médiation d'autres corps qui reçoivent ces mouvemens du corps sonore, & les communiquent immédiatement à l'organe.

Enfin que ce mouvement doit être communiqué aux parties qui sont les instrumens propres & immédiats de l'ouie.

De plus, ce mouvement d'un corps sonore qui est la cause immédiate du son, doit être attribué à deux causes différentes, ou au choc de ce corps & d'un autre corps dur, comme dans les tambours, les cloches, les cordes d'instrumens, ou bien au battement & au frottement du corps sonore & de l'air l'un contre l'autre immédiatement, comme dans les instrumens à vent, les flutes, les trompettes, &c.

Mais dans l'un & dans l'autre cas, le mouvement qui est la suite de cette action mutuelle, & la cause immédiate du mouvement sonore, que l'air porte jusqu'à l'oreille, est un mouvement presque insensible, qui se fait remarquer dans les parties déliées & insensibles du corps par un tremblement & des ondulations.

Pour expliquer ce méchanisme, on suppose que tous les corps sensibles sont composés d'un nombre de parties petites & insensibles, ou corpuscules parfaitement durs & incapables d'être comprimés. Voyez CORPUSCULE.

Ces parties en composent d'autres un peu plus grandes, mais encore insensibles ; & celles-ci différent entr'elles, selon les différentes figures & l'union des parties qui les composent. Celles-ci constituent encore d'autres masses plus grandes & beaucoup plus distinguées des premieres : & des différentes combinaisons de ces dernieres, sont composés ces corps grossiers qui sont visibles & palpables, &c.

Les premieres & les plus petites parties, comme nous l'avons observé, sont absolument dures ; les autres sont compressibles & unies de telle sorte, qu'étant comprimées par une impulsion extérieure, elles ont une force élastique ou restitutive, au moyen de laquelle elles se rétablissent d'elles - mêmes dans leur premier état. Voyez ÉLASTICITE.

Lors donc qu'un corps en choque un autre, les petites particules par leur force élastique se meuvent avec une grande vîtesse, avec une sorte de tremblement & d'ondulations, comme on l'observe facilement dans les cordes des instrumens de musique, & c'est ce mouvement sonore qui est porté jusqu'à l'oreille ; mais il faut observer que c'est le mouvement insensible de ces particules, qu'on suppose être la cause immédiate du son ; & même parmi celles-là, il n'y a que celles qui sont proches de la surface, qui communiquent avec l'air ; le mouvement du tout ou des parties plus grandes, n'y servant qu'autant qu'il le communique aux autres.

Pour faire l'application de cette théorie, frappez une cloche avec quelque corps dur, vous appercevrez aisément un trémoussement sensible sur la surface qui se répand de lui-même sur le tout, & qui est d'autant plus sensible, que le choc est plus fort. Si on y touche dans quelqu'autre endroit, le tremblement & le son cesse aussi-tôt ; ce tremblement vient sans-doute du mouvement des particules insensibles qui changent de situation, & qui sont en si grande quantité & si serrées les unes contre les autres, que nous ne pouvons pas appercevoir leurs mouvemens séparément & distinctement, mais seulement une espece de tremblement ou d'ondulation.

Le corps sonore ayant fait son impression sur l'air contigu, cette impression est continuée de particule en particule, suivant les loix de la pneumatique. Voyez ONDE & ONDULATION.

Les sons varient à-proportion des moyens qui concourent à leur production ; les différences principale résultent de la figure & de la nature du corps sonore ; de la force, du choc, de la vîtesse, &c. des vibrations qui se suivent ; de l'état & constitution du milieu ; de la disposition, distance, &c. de l'organe ; des obstacles qui se rencontrent entre l'organe, le corps sonore & les corps adjacens. Les différences les plus remarquables des sons, naissent des différens degrés & combinaisons des conditions dont nous venons de parler ; on les distingue en fort & foible, en grave & aigu, long & court.

La vîtesse du son ne differe pas beaucoup, soit qu'il aille suivant ou contre la direction du vent. A la vérité le vent transporte une certaine quantité d'air d'un lieu à un autre, & le son est accéléré tandis que ses vagues se meuvent dans cette partie d'air, lorsque leur direction est la même que celle du vent. Mais comme le son se meut avec beaucoup plus de vîtesse que le vent, l'accélération qu'il en reçoit est peu considérable. En effet, la vîtesse du vent le plus violent que nous connoissions, est à la vîtesse du son comme 1 est à 33 : & tout l'effet que nous appercevons que le vent peut produire, est d'augmenter ou de diminuer la longueur des ondulations ; desorte qu'au moyen du vent, le son puisse être entendu d'une plus grande distance qu'il ne le seroit autrement.

Que l'air soit le milieu ordinaire du son, c'est ce qui résulte de plusieurs expériences qui ont été faites, soit dans un air condensé, soit dans l'air rarefié. Dans un récipient qui n'est point vuide d'air, une petite sonnette se fait entendre à quelque distance ; mais quand on en a pompé l'air, à-peine l'entend-on tout auprès : si l'air est condensé, le son sera plus fort à-proportion de la condensation ou de la quantité d'air pressé. Nous en avons plusieurs exemples dans les expériences de M. Hauksbée.

Mais l'air n'est pas seul capable des impressions du son, l'eau l'est aussi comme on le remarque en sonnant une sonnette dans l'eau ; on en distingue pleinement le son : à la vérité il n'est pas si fort & plus bas d'une quarte, au jugement des bons musiciens. Mersenne dit qu'un son produit dans l'eau paroît de même, que s'il étoit produit dans l'air & entendu dans l'eau. M. l'abbé Nollet a fait sur les sons entendus dans l'eau, plusieurs expériences curieuses. Mém. académ. 1741.

Le célebre M. Newton a donné à la fin du second livre de ses Principes, une théorie très-ingénieuse & très-savante des vibrations de l'air, & par conséquent de la vîtesse du son. Sa théorie est trop compliquée & trop géométrique pour être rendue ici ; nous nous contenterons de dire qu'il trouve la vîtesse du son par son calcul, à-peu-près la même que l'expérience la donne. Cet endroit des Principes de M. Newton, est peut-être le plus difficile & le plus obscur de tout l'ouvrage. M. Jean Bernoulli le fils, dans son Discours sur la propagation de la lumiere, qui a remporté le prix de l'académie des Sciences en 1736, dit qu'il n'oseroit se flater d'entendre cet endroit des Principes. Aussi nous donne-t-il dans la même piece, une méthode plus facile & plus aisée à suivre que celle de M. Newton, & par le moyen de laquelle il arrive à la même formule qu'a donnée ce grand géometre.

Un auteur qui a écrit depuis sur cette matiere, prétend qu'on peut faire contre la théorie de MM. Newton & Bernoulli, une objection considérable ; savoir, que ces deux auteurs supposent que le son se transmet par des fibres longitudinales vibrantes, qui se forment successivement, & qui sont toujours égales entr'elles ; or cette hypothèse n'est point démontrée, & ne paroît point même appuyée sur des preuves solides. Le même auteur prétend que dans cette hypothèse, M. Bernoulli auroit dû trouver la vîtesse du son, double de ce qu'il l'a trouvée, & de ce qu'elle est réellement. M. Euler dans sa Dissertation sur le feu, qui a partagé le prix de l'académie 1738, a donné aussi une formule pour la vîtesse du son ; elle est différente de celle de M. Newton, & l'auteur n'indique point le chemin qui l'y a conduit.

Voici en général de quelle maniere se font les expériences pour mesurer la vîtesse du son. On sait par la mesure actuelle, la distance d'un lieu A, à un autre B. Un spectateur placé en B, voit la lumiere d'un canon qu'on tire au lieu A, & comme le mouvement de la lumiere est presque instantané à de si petites distances, le spectateur B compte combien il s'écoule de secondes depuis le moment où il voit la lumiere du canon, jusqu'à ce qu'il en entende le bruit. Divisant ensuite l'espace qui est entre les lieux A & B par le nombre de secondes trouvé, il a le nombre de toises que le son parcourt en une seconde.

Le son se transmet en ligne droite ; mais il se transmet aussi en tout sens, & suivant toutes sortes de directions à la fois, quoiqu'avec moins de vîtesse. Cela vient de ce que le son se transmet par un fluide. & que les pressions dans un fluide, se partagent en tout sens ; la lumiere au contraire, ne se propage jamais qu'en ligne droite : c'est ce qui donne lieu de croire qu'elle n'est point causée par la pression d'un fluide. Sur la réflexion du son, Voyez ÉCHO & CABINET SECRET. (O)

La vîtesse du son est différente, suivant les différens auteurs qui la déterminent. Il parcourt l'espace de 968 pié en une minute suivant M. Isaac Newton : 1300 suivant M. Robert : 1200 suivant M. Boyle : 1330 suivant le docteur Walker : 1474 suivant Mersenne : 1142 suivant M. Flamsteed & le docteur Halley : 1148 suivant l'académie de Florence, & 1172 piés suivant les anciennes expériences de l'académie des Sciences de Paris. M. Derham prétend que la cause de cette variété vient en partie de ce qu'il n'y avoit pas une distance suffisante, entre le corps sonore & le lieu de l'observation, & en partie de ce que l'on n'avoit pas eu égard aux vents.

M. Derham propose quelques-unes des plus considérables questions relatives aux loix du son, & répond à chacune avec exactitude, par les expériences qu'il a faites lui-même sur cette matiere.

SON, en Musique ; quand l'agitation communiquée à l'air par un corps violemment frappé parvient jusqu'à notre oreille, elle y produit une sensation qu'on appelle bruit. Mais il y a une espece de bruit permanent & appréciable qu'on appelle son.

La nature du son est l'objet des recherches du physicien ; le musicien l'examine seulement par ses modifications, & c'est selon cette derniere idée que nous l'envisageons dans cet article.

Il y a trois choses à considerer dans le son : 1, le degré d'élevation entre le grave & l'aigu : 2, celui de véhémence entre le fort & le foible : 3, & la qualité du timbre qui est encore susceptible de comparaison du sourd à l'éclatant, ou de l'aigu au doux.

Je suppose d'abord que le véhicule du son n'est autre chose que l'air même. Premierement, parce que l'air est le seul corps intermédiaire de l'existence duquel on soit parfaitement assuré, entre le corps sonore & l'organe auditif, qu'il ne faut pas multiplier les êtres sans nécessité, & que l'air suffit pour expliquer la formation du son ; & de plus, parce que l'expérience nous apprend qu'un corps sonore ne rend pas de son dans un lieu exactement privé d'air. Si l'on veut absolument imaginer un autre fluide, on peut aisément lui appliquer tout ce que nous avons à dire de l'air dans cet article.

La permanence du son ne peut naître que de la durée de l'agitation de l'air. Tant que cette agitation dure, l'air vient sans-cesse frapper l'organe de l'ouïe, & prolonge ainsi la perception du son : mais il n'y a point de maniere plus simple de concevoir cette durée, qu'en supposant dans l'air des vibrations qui se succédent, & qui renouvellent ainsi à chaque instant la sensation du son. De plus, cette agitation de l'air, de quelque espece qu'elle soit, ne peut être produite que par une émotion semblable dans les parties du corps sonore. Or c'est un fait certain que les parties du corps sonore éprouvent de telles vibrations. Si l'on touche le corps d'un violoncelle dans le tems qu'on en tire du son, on le sent frémir sous la main, & l'on voit bien sensiblement durer les vibrations de la corde jusqu'à ce que le son s'éteigne. Il en est de même d'une cloche qu'on fait sonner en la frappant du battant ; on la sent, on la voit même frémir, & l'on voit sautiller les grains de sable qu'on jette sur sa surface. Si la corde se détend ou que la cloche se fende, plus de frémissement, plus de son. Si donc cette cloche ni cette corde ne peuvent communiquer à l'air que les mouvemens qu'elles éprouvent elles-mêmes, on ne sauroit douter que le son étant produit par les vibrations du corps sonore, il ne soit propagé par des vibrations semblables, que le même instrument communique à l'air. Tout cela supposé, examinons ce qui constitue le rapport des sons du grave à l'aigu.

Théon de Smyrne témoigne que Lasus, de même que le pythagoricien Hypase de Métapont, pour calculer au juste les rapports des consonances, s'étoient servis de deux vases semblables & resonnans à l'unisson ; que laissant vuide l'un des deux, & remplissant l'autre jusqu'au quart, la percussion de l'un & de l'autre avoit fait entendre la consonnance de la quarte ; que remplissant ensuite le second jusqu'au tiers, jusqu'à la moitié, la percussion des deux avoit produit la consonnance de la quinte, puis celle de l'octave.

Pythagore, au rapport de Nicomaque & de Censoria, s'y étoit pris d'une autre maniere pour calculer les mêmes rapports. Il suspendit, disent-ils, différens poids aux mêmes cordes, & détermina les rapports des sons sur ceux qu'il trouva entre les poids tendans ; mais les calculs de Pythagore sont trop justes pour avoir été faits de cette maniere, puisque chacun sait aujourd'hui sur les expériences de Vincent Galilée, que les sons sont entr'eux, non comme les poids tendans, mais en raison sous-double de ces mêmes poids.

Enfin on inventa le monocorde, appellé par les anciens canon harmonicus, parce qu'il donnoit la régle de toutes les divisions harmoniques. Il faut en expliquer le principe.

Deux cordes de même métal, de grosseur égale, & également tendues, forment un unisson parfait, si elles sont aussi égales en longueur : si les longueurs sont inégales, la plus courte donnera un son plus aigu. Il est certain aussi qu'elle fera plus de vibrations dans un tems donné ; d'où l'on conclud que la différence des sons du grave à l'aigu, ne procede que de celle du nombre des vibrations faites dans un même espace de tems, par les cordes ou instrumens sonores qui les font entendre ; & comme il est impossible d'estimer d'une autre maniere les rapports de ces mêmes sons, on les exprime par ceux des vibrations qui les produisent.

On sait encore, par des expériences non moins certaines, que les vibrations des cordes, toutes choses d'ailleurs égales, sont toujours réciproques aux longueurs. Ainsi, une corde double d'une autre, ne fera dans le même tems que la moitié du nombre de vibrations de celle-ci, & le rapport des sons qu'elles rendront s'appelle octave. Si les cordes sont comme 2 & 3, les vibrations seront comme 3 & 2, & le rapport des sons s'appellera quinte, &c. Voyez au mot INTERVALLES.

On voit par-là, qu'il est aisé avec des chevalets mobiles, de former sur une seule corde des divisions qui donnent des sons dans tons les rapports possibles entr'eux, & avec la corde entiere ; c'est le monocorde, dont je viens de parler. Voyez son article.

On peut rendre des sons graves ou aigus par d'autres moyens. Deux cordes de longueur égale ne forment pas toujours l'unisson ; car si l'une est plus grosse ou moins tendue que l'autre, elle fera moins de vibrations en tems égaux, & conséquemment le son en sera plus grave. Voyez CORDES.

C'est sur ces deux régles combinées que sont fondés, la construction des instrumens à corde tels que le clavessin, & le jeu des violons & basses, qui, par un perpétuel & différent accourcissement des cordes sous les doigts, produit cette prodigieuse diversité de sons qu'on admire dans ces instrumens. Il faut raisonner de même pour les instrumens à vent. Les plus longs forment des sons plus graves si le vent est égal. Les trous, comme dans les flûtes & haubois, servent à les raccourcir pour faire des sons plus aigus. En donnant plus de vent on les fait octavier, & les sons deviennent plus aigus encore. Voyez les mots ORGUE, FLUTE, OCTAVIER, &c.

Si l'on racle une des plus grosses cordes d'une viole ou d'un violoncelle : ce qui se doit faire plutôt avec douceur qu'avec force, & un peu plus près du chevalet qu'à l'ordinaire ; en prêtant une attention suffisante, une oreille exercée entendra distinctement, outre le son de la corde entiere, au-moins celui de son octave, de l'octave de sa quinte, & la double octave de sa tierce : on verra même frémir, & on entendra résonner toutes les cordes montées à l'unisson de ces sons -là. Ces sons accessoires accompagnent toujours un son principal quelconque : mais quand ce son est aigu, ils y sont moins sensibles. On appelle ces sons les harmoniques du son principal ; c'est par eux que M. Rameau prétend que tout son est appréciable, & c'est en eux qu'il a cherché le principe physique de toute l'harmonie. Voyez HARMONIE.

Une difficulté qui resteroit à expliquer est de savoir comment deux ou plusieurs sons peuvent être entendus à la fois. Lorsqu'on entend, par exemple, les deux sons de la quinte, dont l'un fait deux vibrations, pendant que l'autre en fait trois ; on ne conçoit pas comment la même masse d'air peut fournir dans un même tems ces différens nombres de vibrations, & bien moins encore, quand il se trouve plus de deux sons ensemble. Mengoli & les autres se tirent d'affaire par des comparaisons. Il en est, disent-ils, comme de deux pierres qu'on jette à-la-fois dans l'eau à quelque distance, & dont les différens cercles qu'elles produisent, se croisent sans se détruire. M. de Mairan donne une explication plus philosophique. L'air, selon lui, est divisé en particules de diverses grandeurs, dont chacune est capable d'un ton particulier, & n'est susceptible d'aucun autre. Desorte qu'à chaque son qui se forme, les particules qui y sont analogues, s'ébranlent seules, elles & leurs harmoniques, tandis que toutes les autres restent tranquilles jusqu'à ce qu'elles soient émues à leur tour par les sons qui leur correspondent. Ce systême paroît très-ingénieux ; mais l'imagination a quelque peine à se prêter à l'infinité de particules d'air différentes en grandeur & en mobilité, qui devroient être répandues dans chaque point de l'espace, pour être toujours prêtes au besoin à rendre en tout lieu l'infinité de tous les sons possibles. Quand elles sont une fois arrivées au tympan de l'oreille, on conçoit encore moins comment, en les frappant plusieurs ensemble, elles peuvent y produire un ébranlement capable d'envoyer au cerveau la sensation de chacune d'elles en particulier. Il semble qu'on éloigne la difficulté plutôt qu'on ne la surmonte. Mengoli prétendoit aller au-devant de cette derniere objection, en disant que les masses d'air, chargées, pour ainsi dire, de différens sons, ne frappent le tympan que successivement, alternativement, & chacune à son tour ; sans trop songer à quoi cependant il occuperoit celles qui sont obligées d'attendre que les premieres aient achevé leur office.

La force du son dépend de celle des vibrations du corps sonore ; plus ces vibrations sont grandes, plus le son est vigoureux & s'entend de loin.

Quand la corde est assez tendue & qu'on ne force pas trop la voix ou l'instrument, les vibrations restent toujours isochrones, & par conséquent le ton demeure le même, soit qu'on renfle ou qu'on adoucisse le son ; mais en raclant trop fort la corde, en soufflant ou en criant trop on peut faire perdre aux vibrations l'isochronisme nécessaire pour l'identité du ton ; & c'est peut-être la raison pourquoi, dans la musique françoise, où c'est un grand mérite de bien crier ; on est plus sujet à chanter faux que dans l'italienne, où la voix se modere plus sagement.

La vîtesse du son, qui sembleroit devoir dépendre de sa force, n'en dépend point. Cette vitesse est toujours égale & constante, si elle n'est précipitée ou retardée par ces altérations de l'air : c'est-à-dire que le son, fort ou foible, fera toujours la même quantité de chemin, & qu'il parcourra toujours dans deux secondes le double de l'espace qu'il aura parcouru dans une. Au rapport de Halley & de Flamstead, le son parcourt en Angleterre 1070 piés de France en une seconde. Le pere Mersenne & Gassendi ont assuré que le vent, favorable ou contraire, n'accéléroit ni ne retardoit le son ; depuis les expériences que Derham & l'académie des sciences ont faites sur ce sujet, cela passe pour une erreur.

Sans ralentir sa marche ; le son s'affoiblit en s'étendant, & cet affoiblissement, si la propagation est libre, qu'elle ne soit gênée par aucun obstacle, ni dérangée par le vent, suit ordinairement la raison des quarrés des distances.

Quant à la différence qui se trouve encore entre les sons par la qualité du timbre, il est évident qu'elle ne tient ni au degré de gravité, ni même à celui de force. Un hautbois aura beau se mettre exactement à l'unisson d'une flûte, il aura beau radoucir le son au même degré, le son de la flûte aura toujours je ne sai quoi de doux & de moëlleux, celui du hautbois je ne sai quoi de sec & d'aigre, qui empêchera qu'on ne puisse jamais les confondre. Que dirons-nous des differens timbres des voix de même force & de même portée ? chacun est juge de la variété prodigieuse qui s'y trouve. Cependant, personne que je sache n'a encore examiné cette partie, qui peut-être, aussi-bien que les autres, se trouvera avoir ses difficultés : car la qualité de timbre ne peut dépendre, ni du nombre de vibrations qui font le degré du grave à l'aigu, ni de la grandeur ou de la force de ces mêmes vibrations qui fait le degré du fort au foible. Il faudra donc trouver dans les corps sonores une troisieme modification différente de ces deux, pour expliquer cette derniere propriété ; ce qui ne me paroît pas une chose trop aisée ; il faut recourir aux principes d'acoustique de M. Diderot, si l'on veut approfondir cette matiere.

Les trois qualités principales dont je viens de parler, entrent toutes, quoiqu'en différentes proportions, dans l'objet de la musique, qui est en général le son modifié.

En effet, le compositeur ne considere pas seulement si les sons qu'il emploie doivent être hauts ou bas, graves ou aigus, mais s'ils doivent être forts ou foibles, aigres ou doux ; & il les distribue à différens instrumens, en récits ou en choeurs, aux extrêmités ou dans le médium des voix, avec des doux ou des forts, selon les convenances de tout cela. Mais il est certain que c'est uniquement dans la comparaison des sons de l'aigu au grave que consiste toute la science harmonique. Desorte que, comme le nombre des sons est infini, on pourroit dire en ce sens que cette même science est infinie dans son objet.

On ne conçoit point de bornes nécessaires à l'étendue des sons du grave à l'aigu ; & quelque petit que puisse être l'intervalle qui est entre deux sons, on le concevra toujours divisible par un troisieme son. Mais la nature & l'art ont également concouru à limiter cette infinité prétendue par rapport à la pratique de la musique. D'abord, il est certain qu'on trouve bientôt dans les instrumens les bornes des sons, tant au grave qu'à l'aigu ; allongez ou raccourcissez à un certain point une corde sonore, elle ne rendra plus de son : on ne peut pas non plus augmenter ou diminuer à discrétion la capacité d'une flûte ni sa longueur ; il y a des limites au-delà desquelles elle ne résonne plus. L'inspiration a aussi ses loix, trop foible, la flûte ne rend point de son ; trop forte à un certain point, elle ne fait plus, de même que la corde trop courte, qu'un cri perçant qu'il n'est pas possible d'apprécier. Enfin, c'est une chose incontestable par l'expérience, que tous les sons sensibles sont renfermés dans des limites au-delà desquelles, ou trop graves ou trop aigus, ils ne sont plus apperçus, ou deviennent inappréciables. M. Euler a même, en quelque façon, fixé ces limites ; &, selon ses expériences & son calcul rapportés par M. Diderot, tous les sons sensibles sont compris entre les nombres 30 & 7552 ; c'est-à-dire que, selon ce savant auteur, le son le plus grave appréciable à notre oreille, fait trente vibrations par seconde, & le plus aigu 7552 vibrations dans le même tems ; intervalle qui renferme près de huit octaves.

D'un autre côté, on voit par la génération harmonique des sons, que parmi tous les sons possibles il n'y en a qu'un très - petit nombre qui puissent être admis dans un bon systême de musique ; car tous ceux qui ne forment pas des consonances avec les sons fondamentaux, ou qui ne naissent pas médiatement ou immédiatement des différences de ces consonances, doivent être proscrits du systême ; voilà pourquoi quelque parfait que puisse être aujourd'hui notre systême de musique, il est pourtant borné à 12 sons seulement dans l'étendue d'une octave, desquels douze toutes les autres octaves ne contiennent que des répliques. Que si l'on veut compter toutes ces répliques pour autant de sons différens, en les multipliant par le nombre d'octaves auquel est bornée l'étendue des sons sensibles, on trouvera 96 en tout pour le plus grand nombre de sons praticables dans notre musique sur un même son fondamental.

On ne pourroit pas évaluer avec la même précision le nombre de sons praticables dans l'ancienne musique : car les Grecs formoient, pour ainsi dire, autant de systêmes de musique qu'ils avoient de manieres différentes d'accorder leurs tétracordes. Il paroît par la lecture de leurs traités de musique, que le nombre de ces manieres étoit grand, & peut-être indéterminé. Or chaque accord particulier changeoit les sons de la moitié du systême, c'est-à-dire, des deux cordes mobiles de chaque tétracorde. Ainsi l'on voit bien ce qu'ils avoient de sons dans une seule maniere d'accord, c'est-à-dire, seize seulement ; mais on ne peut pas calculer au juste combien ce nombre devoit se multiplier dans tous les changemens de mode, & dans toutes les modifications de chaque genre, qui introduisoient de nouveaux sons.

Par rapport à leurs tétracordes, les Grecs distinguoient les sons en deux classes générales ; savoir, les sons stables & permanens, dont l'accord ne changeoit jamais, & qui étoient au nombre de huit ; & les sons mobiles, dont l'accord changeoit avec le genre & avec l'espece du genre : ceux-ci étoient aussi au nombre de huit, & même de neuf & de dix, parce qu'il y en avoit qui se confondoient quelquefois avec quelques-uns des précédens, & quelquefois s'en séparoient ; ces sons mobiles étoient les deux moyens de chacun des cinq tétracordes. Les huit sons immuables étoient les deux extrêmes de chaque tétracorde, & la corde proslambanomene. Voyez tous ces mots.

Ils divisoient derechef les sons stables en deux especes, dont l'une s'appelloit soni apieni, & contenoit trois sons ; savoir, la proslambanomene, la nete synnéménon, & la nete hyperboleon. L'autre espece s'appelloit soni baripieni, & contenoit cinq sons, l'hypate hypaton, l'hypate meson, la mese, la paramese, & la nite drezeugnumenon. Voyez ces mots.

Les sons mobiles se subdivisoient pareillement en soni mesopieni, qui étoient cinq en nombre ; savoir, le second & montant de chaque tétracorde, & en cinq autres sons appellés soni oxipieni, qui étoient le troisieme en montant de chaque tétracorde. Voyez TETRACORDE, SYSTEME, GENRE, &c.

A l'égard des douze sons du systême moderne, l'accord n'en change jamais, & ils sont tous immobiles. Brossard prétend qu'ils sont tous mobiles, fondé sur ce qu'ils peuvent être altérés par dièse ou par bémol ; mais autre chose est de substituer un son à un autre, & autre chose d'en changer l'accord. (S)

SONS HARMONIQUES, ou SONS FLUTES, sont une qualité singuliere de sons qu'on tire de certains instrumens à corde, tels que le violon & le violoncelle, par un mouvement particulier de l'archet, & en appuyant très-peu le doigt sur certaines divisions de la corde. Ces sons sont fort différens, pour le degré & pour le timbre, de ce qu'ils seroient si l'on appuyoit tout-à-fait le doigt. Ainsi ils donneront la quinte quand ils devroient donner la tierce, la tierce quand ils devroient donner la quarte, &c. & pour le timbre, ils sont beaucoup plus doux que ceux qu'on tire à plein de la même corde, en la faisant porter sur la touche ; c'est pourquoi on les a appellés sons flûtés. Il faut pour en bien juger, avoir entendu M. Mondonville tirer sur son violon, ou le sieur Bertaud sur son violoncelle, une suite de ces beaux sons. En glissant même le doigt légerement de l'aigu au grave, depuis le milieu d'une corde qu'on touche en même tems de l'archet, on entend distinctement une succession de ces mêmes sons du grave à l'aigu, qui étonne fort ceux qui n'en connoissent pas la théorie.

Le principe sur lequel est fondée la regle des sons harmoniques, est qu'une corde étant divisée en deux parties commensurables entr'elles, & par conséquent avec la corde entiere, si l'obstacle qu'on mettra au point de division, n'empêche qu'imparfaitement la communication des vibrations d'une partie à l'autre ; toutes les fois qu'on fera sonner la corde dans cet état, elle rendra non le son de la corde entiere, mais celui de la plus petite partie si elle mesure l'autre, ou si elle ne la mesure pas, le son de la plus grande aliquote commune à ces deux parties. Qu'on divise donc une corde 6 en deux parties 4 & 2, le son harmonique résonnera par la longueur de la petite partie 2 qui est aliquote de la grande partie 4 ; mais si la corde 5 est divisée selon 2 & 3, comme la petite partie ne mesure pas la grande, le son harmonique ne résonnera que selon la moitié 1 de la petite partie ; laquelle moitié est la plus grande commune mesure des deux parties 3 & 2, & de toute la corde 5.

Au moyen de cette loi qui a été trouvée sur les expériences faites par M. Sauveur à l'académie des Sciences, & avant lui par Wallis, tout le merveilleux disparoît : avec un calcul très-simple, on assigne pour chaque degré le son harmonique qui lui répond : & quant au doigt glissé le long de la corde, on n'y voit plus qu'une suite de sons harmoniques, qui se succedent rapidement dans l'ordre qu'ils doivent avoir selon celui des divisions sur lesquelles on passe successivement le doigt.

Voici une table de ces sons qui peut en faciliter la recherche à ceux qui desirent de les pratiquer. Cette table indique les sons que rendroient les divisions de l'instrument touchées à plein, & les sons flûtés qu'on peut tirer de ces mêmes divisions touchées harmoniquement.

Table des sons harmoniques. La corde entiere à vuide, donne l'unisson.

La tierce mineure, donne la dix-neuvieme ou la double octave de la quinte.

La tierce majeure, donne la dix-septieme ou la double octave de la tierce majeure.

La quarte, donne la double octave.

La quinte, donne la douzieme, ou l'octave de la même quinte.

La sixte mineure, donne la triple octave.

La sixte majeure, donne la dix-septieme majeure, ou la double octave de la tierce.

L'octave, donne l'octave.

Après la premiere octave, c'est-à-dire, depuis le milieu de la corde jusque vers le chevalet, où l'on retrouve les mêmes sons harmoniques répétés dans le même ordre sur les mêmes divisions 1, c'est-à-dire, la dix - neuvieme sur la dixieme mineure ; la dix-septieme sur la dixieme majeure, &c.

Nous n'avons fait dans cette table aucune mention des sons harmoniques relatifs à la seconde & à la septieme ; premierement, parce que les divisions qui les donnent, n'ayant entr'elles que des aliquotes fort petites, les sons en deviendroient trop aigus pour être agréables à l'oreille, & trop difficiles à tirer par un coup d'archet convenable : & de plus, parce qu'il faudroit entrer dans des soûdivisions trop étendues, qui ne peuvent s'admettre dans la pratique : car le son harmonique du ton majeur seroit la vingt-troisieme, ou la troisieme octave de la seconde, & l'harmonique du ton mineur seroit la vingt-quatrieme ou la troisieme octave de la tierce majeure. Mais quelle est l'oreille assez fine & la main assez juste, pour pouvoir distinguer & toucher à sa volonté un ton majeur ou un ton mineur ? (S)

SON, (Commerce) on sait que c'est la peau des grains moulus séparée de la farine par le moyen du blutoir, du sas, ou du tamis. Les Amidonniers se servent du son de froment pour faire leur amidon, qui n'est autre chose que la fécule qui reste au fond des tonneaux où ils ont mis le son tremper avec de l'eau. Les Teinturiers mettent le son au nombre des drogues non colorantes, parce que de lui-même il ne peut donner aucune couleur ; c'est avec le son qu'ils font les eaux sûres, dont ils se servent dans la préparation de leurs teintures. (D.J.)

SON, (Littérature) les anciens se frottoient de son dans leurs cérémonies lustrales ; ils en usoient aussi dans leurs cérémonies magiques, principalement quand ils vouloient inspirer de l'amour. Nous lisons dans le prophete Baruch, c. vj. vers. 42. que les femmes de Chaldée assises dans les rues y brûloient du son à ce dessein. Il est vrai qu'il y a dans la vulgate, succendentes ossa olivarum, brûlant des noyaux d'olive. L'auteur de la vulgate lisoit probablement ici, , expression qui en effet signifie (Athén. l. II.) noyaux d'olive brûlés ; mais il est certain qu'il y a dans le texte , mot qui signifie du son. Théocrite dans sa Pharmaceutrie, nous fournit encore un exemple de cet usage ; l'enchanteresse Siméthe, après avoir essayé de plusieurs charmes pour enflammer le coeur de son amant ; je vais maintenant brûler du son, ; & elle ajoute vers la fin de l'Idylle, qu'elle a appris ce secret d'un assyrien. (D.J.)


SONATES. f. en Musique, est une piece de musique purement instrumentale, composée de quatre ou cinq morceaux de caracteres différens. La sonate est à-peu-près par rapport aux instrumens, ce qu'est la cantate par rapport aux voix.

La sonate est faite ordinairement pour un seul instrument qui récite accompagné d'une basse continue ; & dans une telle composition, on s'attache à tout ce qu'il y a de plus favorable pour faire briller l'instrument pour lequel on travaille ; soit par la beauté des chants, soit par le choix des sons qui conviennent le mieux à cette espece d'instrument, soit par la hardiesse de l'exécution. Il y a aussi des sonates en trio ; mais quand elles passent ce nombre de parties, elles prennent le nom de concerto. Voyez ce mot.

Il y a plusieurs différentes sortes de sonates ; les Italiens les réduisent à deux especes principales ; l'une qu'ils appellent sonate da camera, sonate de chambre, laquelle est ordinairement composée de divers morceaux faits pour la danse ; tels à-peu-près que ces recueils qu'on appelle en France des suites ; l'autre espece est appellée sonate da chieza, sonates d'église, dans la composition desquelles il doit entrer plus de gravité, & des chants plus convenables à la dignité du lieu. De quelque espece que soient les sonates, elles commencent communément par un adagio, & après avoir passé par deux ou trois mouvemens différens, finissent par un allegro.

Aujourd'hui que les instrumens font la partie la plus essentielle de la musique, les sonates sont extrêmement à la mode, de même que toutes les especes de symphonies ; le chant des voix n'en est guere que l'accessoire. Nous sommes redevables de ce mauvais goût à ceux qui voulant introduire le tour de la musique italienne dans une langue qui ne sauroit le comporter, nous ont obligé de chercher à faire avec les instrumens ce qu'il nous étoit impossible de faire avec nos voix. J'ose prédire qu'une mode si peu naturelle ne durera pas ; la Musique est un art d'imitation ; mais cette imitation est d'une autre nature que celle de la Poésie & de la Peinture ; & pour la sentir il faut la présence ou du-moins l'image de l'objet imité ; c'est par les paroles que cet objet nous est présenté ; & c'est par les sons touchans de la voix humaine, jointe aux paroles, que ce même objet porte jusque dans les coeurs le sentiment qu'il doit y produire. Qui ne sent combien la musique instrumentale est éloignée de cette ame & de cette énergie ? Toutes les folies du violon de Mondonville m'attendriront-elles jamais comme deux sons de la voix de Mlle. le Maure ? Pour savoir ce que veulent dire tous ces fatras de sonates dont nous sommes accablés, il faudroit faire comme ce peintre grossier qui étoit obligé d'écrire au-dessous de ses figures, c'est un homme, c'est un arbre, c'est un boeuf. Je n'oublierai jamais le mot du célebre M. de Fontenelle, qui se trouvant à un concert, excédé de cette symphonie éternelle, s'écria tout haut dans un transport d'impatience, sonate, que me veux-tu ? (S)


SONCHUSS. m. (Botan.) on nomme communément en françois ce genre de plante laiteron, & en anglois the sow-thistle. Tournefort en distingue douze especes, & le genre a été caractérisé au mot LAITERON. (D.J.)


SONCINO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans le Crémonois, sur la droite de l'Oglio, à sept lieues au sud-ouest de Crémone. Long. 27. 20. latit. 45. 23. (D.J.)


SOND(Géographie) est un nom qu'on donne par distinction au fameux détroit par où la mer Germanique communique à la mer Baltique.

Il est situé entre l'île de Zélande & la côte de Shonen ; il a environ 16 lieues de long & 5 de large, excepté auprès du fort de Cronembourg, où il n'en a qu'une ; desorte que les vaisseaux ne peuvent passer que sous le canon de ce fort.

Cela a donné lieu aux Danois de mettre un impôt sur tous les vaisseaux, & on prétend que c'est un des plus beaux revenus de la couronne de Danemarck : & depuis ils empêchent les pilotes de passer par le petit ou le grand Belt, qui sont deux autres passages de la mer Baltique, quoiqu'un peu moins commodes que le Sond.

Toutes les Nations qui trafiquent dans cette partie du nord, sont sujettes à ce droit ; cependant les Suédois en étoient exempts par le traité de 1644 : mais ce privilege leur a été ôté par le traité de 1720, qui les a remis au niveau de leurs voisins.

Par le traité de Spire, fait entre les Danois & Charles-Quint ; le droit de passage fut fixé à deux nobles à la rose pour un vaisseau de deux cent tonneaux ; cependant en 1640 cet impôt fut augmenté jusqu'à 500 rixdales.

La connivence de Jacques I, roi d'Angleterre, qui épousa une princesse de Danemarck, & les guerres que les Hollandois ont été contraints de faire pour leur liberté, ont donné lieu à une exaction si considérable ; depuis bien des années ce droit a été remis sur un pié plus modéré.

Cromwel avoit résolu d'enlever ce passage aux Danois, & il y auroit réussi sans-doute, s'il n'étoit pas mort, auparavant que la flotte qu'il y envoya pour cet effet fût arrivée.

L'origine & le progrès de cet impôt (qui d'une petite contribution volontaire que les Marchands payoient pour entretenir des fanaux dans certains endroits de la côte, & dont le roi de Danemarck n'étoit que le trésorier & le dépositaire, devint à la longue un pesant fardeau pour le commerce, aussi-bien qu'une espece de reconnoissance servile de sa souveraineté sur ces mers) est rapportée dans l'histoire de Danemarck, ch. iij. p. 11. & seq. Voyez SUND.


SONDARI(Botan. exot.) nom qu'on donne chez les Malabares, à l'arbrisseau de leur pays que les Botanistes appellent frutex indicus, baccifer, floribus umbellatis, fructu tetra-cocco. (D.J.)


SONDBACH(Géog. mod.) communément Sandbith, gros bourg à marché d'Angleterre, dans Cheshire, sur une hauteur. (D.J.)


SONDEDETROIT DE LA, (Géog. mod.) détroit célebre de la mer des Indes, entre les îles de Sumatra & de Java, sous les 5 & 6 degrés de latitude méridionale. (D.J.)

SONDE, ILES DE LA, (Géog. mod.) îles de la mer des Indes, situées autour de l'équateur, & au couchant des Moluques. Elles s'étendent depuis le 8 deg. de latit. sept. jusqu'au 8 de lat. mérid. & depuis le 138 deg. de long. jusqu'au 158. Les principales de ces îles sont Sumatra, Java & Bornéo ; leurs peuples tiennent beaucoup du naturel, de la façon de vivre, & du langage de ceux de la terre-ferme de Malaca, ce qui fait conjecturer qu'elles ont été peuplées par les Malayes. Les Hollandois font le principal commerce de ces îles. (D.J.)

SONDE, s. f. (Machine hydraul.) la sonde dont on se sert pour sonder un terrein dans l'eau, est tantôt une perche de bois qu'on divise en piés, au bout de laquelle on scelle un poids de plomb convenable si le courant de l'eau le demande ; tantôt c'est un boulet de canon attaché au bout d'une corde, divisée pareillement par piés ; par ce moyen on leve le profil de la riviere.

Pour sonder au-dessous de l'eau le gravier ou le sable qu'on y trouve, & examiner où commence le terrein solide, on employe une autre espece de sonde.

Cette sonde est de fer, elle a en tête pour couronnement un gros anneau, au-travers duquel on passe le bras d'une tariere pour la tourner. Elle a au-dessus une tête pour pouvoir la battre & la faire entrer jusqu'à un fond de consistance qu'on a trouvé au-dessous du gravier ; & en la tournant à plusieurs reprises, elle emporte dans ses barbelures quelques échantillons du terrein de consistance qu'elle a rencontré, par où l'on juge de la nature de ce terrein.

Il y a des sondes pour la construction des ponts, qui sont encore faites d'une autre maniere.

Elles ont une petite poche au bout en forme de coquille de limaçon, laquelle ne prend pas du sable en la tournant d'une certaine façon, mais prend du terrein au-dessous du sable où on la pousse, en la tournant d'un autre sens : ces sortes de sondes pour être plus sûres, doivent être toutes d'une piece.

Quand le gravier est trop gros, & qu'il s'y rencontre de gros cailloux, que les sondes ordinaires ne peuvent écarter, pour lors on se sert d'un gros pieu de chêne arrondi, de 5 ou 6 pouces de diametre, suivant la profondeur du terrein & la rapidité de l'eau ; on arme ce pieu d'une lardoire au bout pour pouvoir écarter les cailloux, & d'une frète ou chaperon à la tête pour pouvoir résister aux coups de la massue avec laquelle on enfonce la sonde. (D.J.)

SONDE DE TERRE, instrument très - vanté pour pénétrer profondément dans les entrailles de la terre, connoître la nature des lits qui la composent, & trouver des eaux. Le détail des opérations faites pour forer la fontaine du fort de Saint-François, commencées le 8 Mai, & achevées le 2 Août 1751, nous informeront & du méchanisme de cette sonde, de son usage & de son utilité.

L'emplacement de la fontaine étant déterminé, on fit une excavation de 12 piés de diametre par le haut réduite à 8 piés par le bas, & de 4 piés de profondeur. On s'apperçut que la nature du terrein annonçoit un sable bouillant qui devient très-liquide aussitôt qu'il est découvert. Il se rencontre ordinairement dans toute la Flandres à 5, 6 ou 7 piés de profondeur. On fit promtement au centre de ce déblai une ouverture de 18 pouces en quarré, & d'environ 2 piés de profondeur ; on y fit entrer le premier coffre. Ces coffres sont formés par un assemblage de quatre planches de bois d'orme de 16 à 18 pouces de largeur, (Voy. les fig.) de 2 à 3 pouces d'épaisseur, & de 8, 9 ou 10 pouces de longueur au plus. Ces quatre planches doivent laisser entr'elles un vuide de 12 pouces en quarré, & être posées de façon que la largeur de l'une recouvre alternativement l'épaisseur de l'autre. Par cet arrangement, l'effort que la terre, le sable, & les cailloux font en-dedans du coffre, & qui tend à les écarter, trouve une résistance qu'il ne peut surmonter qu'en faisant plier tous les clous qui les assemblent ; on se contente dans le pays de clouer deux planches larges sur deux étroites. On a vû souvent résulter de grands inconvéniens de cette méthode ; celle qu'on a suivie doit paroître préférable ; on arrange d'abord trois planches, comme il a été dit ci-dessus. Puis on les cloue l'une sur l'autre de 8 en 8 pouces avec des clous barbés de 6 pouces de longueur ; on pose ensuite à la moitié de leur longueur, & en-dedans un quarré de fer de 12 à 14 lignes de largeur, sur 4 lignes d'épaisseur ; on en place deux autres à 1 pié ou environ des extrêmités ; on les fait perdre dans l'épaisseur des planches ; on fait trois rainures dans l'épaisseur de la quatrieme, pour recevoir ces quarrés, & on la cloue sur les trois autres. Ensuite on pose trois quarrés de fer en-dehors : celui du milieu est de deux pieces qu'on rejoint par des charnieres & des clavettes, on en met un second à l'une des extrêmités, & le troisieme à 6 pouces de l'autre. Ces 6 pouces sont destinés à porter le sabot qui doit être de quatre pieces bien trempées par leur tranchant, & bien recuites ; il faut avoir attention que le talon de ce sabot porte précisément contre le milieu de l'épaisseur des planches : le coffre est préparé en-dedans de son autre extrêmité en forme d'emboîtement pour recevoir celui qui le suivra, qui doit être travaillé, ainsi que les autres qu'on employe avec les mêmes sujettions que le premier, à cela près qu'au lieu du sabot, ils sont diminués quarrément sur 6 pouces de longueur pour entrer dans l'emboîtement de ceux sur lesquels ils sont posés. On ne peut apporter trop de soins à la construction de ces coffres ; on ne doit pas s'en rapporter aux ouvriers, il faut que quelqu'un d'intelligent examine si les planches sont de même largeur, de même épaisseur ; si ces épaisseurs sont d'équerre sur les largeurs ; si elles ne sont ni ventelées, ni roulées, ou si elles n'ont point quelqu'autre défaut ; enfin, si leur assemblage forme un vuide quarré. Après ces précautions, le coffre étant achevé, on trace sur deux de ses côtés des lignes de milieu, dont on fera connoître l'utilité. Il n'est pas possible dans un mémoire de l'espece de celui-ci de suivre le travail, sans expliquer la façon & l'usage des instrumens qu'on met en oeuvre ; on prie le lecteur de trouver bon qu'on continue comme on a commencé.

On a laissé le premier coffre enfoncé de 2 piés ; on lui met ce qu'on appelle communément un bonnet, (voyez les fig.) c'est une piece de bois travaillée de façon qu'elle porte sur le haut du coffre & sur le bas de l'emboîtement ; il faut que la partie qui recouvre le haut du coffre soit d'équerre sur celle qui entre dedans, & que tous ses points portent, s'il est possible, sur tous ceux de l'assemblage. Ce bonnet doit excéder le coffre d'un pié & demi à 2 piés, pour porter le choc de la hie ou du mouton qu'on fait ensuite agir à petits coups, afin de donner à deux charpentiers, qui dans le cas présent étoient appliqués avec des plombs aux lignes du milieu dont on a parlé, la facilité de redresser le coffre & de le faire descendre, suivant une direction perpendiculaire. Il descendit de trois piés, après quoi il refusa d'entrer ; on mit la grande tariere en oeuvre, on retira 4 piés d'un sable bouillant de la même espece que le premier qu'on avoit découvert ; le fond devint fort dur ; on se servit d'une petite tariere ; on la fit entrer de 2 piés & demi ; on retira du sable couleur d'ardoise qui étoit fort serré en sortant du coffre ; mais qui s'ouvroit & se réduisoit en eau aussi-tôt qu'il étoit à l'air.

Les tarieres dont on vient de parler, sont des especes de lanternes de tole forte ; la grande a environ 8 pouces de diametre, & la petite 4 pouces : elles sont couvertes par le haut, afin que l'eau qui est dans les coffres, & qui paroît aussi-tôt que le sable bouillant, ne fasse pas retomber par son poids, lorsqu'on les retire, ce dont elles sont chargées : après les avoir fait passer dans une manivelle, on les monte sur des barreaux de seize lignes de grosseur, au moyen d'une espece de charniere traversée par deux boulons quarrés portant une tête à une de leurs extrêmités & une vis à l'autre, sur laquelle on monte des écroux qu'il faut serrer avec prudence, pour ne pas forcer la vis que la filiere a deja tourmentée : les deux écroux ne doivent pas être placés du même côté de la charniere, afin de donner la facilité à deux hommes de les monter & démonter ensemble ; ils ont pour cela chacun un tourne-vis qui doit avoir assez de force d'un côté pour chasser les boulons dans les trous des charnieres, lorsqu'ils font résistance ; l'autre est diminué sur sa longueur, & sert à faire rencontrer les trous des charnieres, en le passant dedans. On descend ensuite l'instrument ; le barreau coule au-travers de la manivelle qui est appuyée sur le coffre, & lorsqu'il est au fond, on releve cette manivelle à une hauteur convenable pour la tourner aisément ; on y assure le barreau avec un coin qu'on chasse fortement dans sa mortaise dans laquelle ce barreau ne doit présenter que trois à quatre lignes, & avoir une entaille particuliere pour le reste de sa grosseur. Il porte à son extrêmité un étrier qui tient au crochet du cable de l'engin ; ce crochet doit tourner très-librement dans sa chape, afin de ne pas faire tordre le cable ; on couvre le coffre de deux planches épaisses qui s'y emboîtent fortement, & qui laissent entr'elles une ouverture ronde pour y passer le barreau, & le contraindre par-là à se maintenir dans une direction constante.

Après la petite tariere, on se servit de la grande, & on perfectionna ce que la premiere avoit commencé, on retira du sable de la même espece que le précédent ; on remit le bonnet sur le coffre, & on le fit descendre de 18 pouces en dix volées de hie ; on le vuida, on présenta un second coffre ; on lui mit le bonnet & on laissa descendre légérement la hie, pour l'assurer dans son enboîtement ; on lui en donna ensuite deux volées de trente coups chacune ; après quoi on joignit les deux coffres par huit molles bandes qui sont des pieces de fer plat d'environ 16 lig. de largeur, de 3 à 4 lig. d'épaisseur & de 2 piés & demi à 3 piés de longueur. On en cloue deux sur chaque côté des coffres près des angles, moitié de leur longueur sur l'un & moitié sur l'autre ; il ne faut point arrêter ces molles - bandes, qu'on ne soit sûr que les quarrés qui se trouvent à la rencontre des coffres sont bien affermis, & que les planches ne peuvent plus prendre de rebroussement sous le coup de la hie, sans quoi le moindre affaissement feroit sauter toutes les têtes des clous qui tiennent les molles - bandes ; c'est ce qu'on a cherché à prévenir, en faisant donner soixante coups de hie avant de les clouer.

On battit vigoureusement le second coffre : les Charpentiers ayant toujours leurs plombs à la main, il descendit de 2 piés en vingt volées de vingt coups chacune. On employa un troisieme coffre, & on établit un échafaudage pour se mettre à hauteur de pouvoir manoeuvrer aisément dedans ; on y descendit la petite tariere, & on la porta jusqu'à 3 piés au-dessous du sabot du premier coffre, on la retira, on mit la grande en oeuvre, on fit agir la hie ; & enfin on recommença alternativement ces manoeuvres jusqu'à vingt - un piés de profondeur, où les instrumens ne trouverent plus de prise ; on y conduisit les coffres, qui comme eux, refuserent d'aller plus bas ; on employa une langue de serpent, on la fit entrer d'un pié, & on reconnut qu'elle étoit dans un banc de cailloux ; l'eau monta considérablement dans les coffres, & s'y mit de niveau avec celle d'un puits qui en étoit à 5 toises ; on eut la curiosité d'examiner le rapport de la hauteur des eaux du fossé du fort avec celles-ci, on les trouva de niveau : jusque-là, on n'étoit sûr de rien, le hasard pouvant y avoir part ; deux jours après, on baissa celles du fossé de 2 piés ; celles du puits & des coffres baisserent, & tout se remit de niveau ; on peut conclure avec bien de la vraisemblance que l'eau du puits dont la garnison faisoit usage, étoit la même que celle des fossés : cette eau étoit extrêmement crue, dure, pesante ; parce que passant au-travers de gros cailloux qui laissent beaucoup d'espace entr'eux, elle ne pouvoit acquérir d'autres qualités, qualités qui occasionnoient beaucoup de maladies.

Après avoir reconnu avec la langue de serpent la nature du fonds, on employa un instrument qu'on nomme dans le pays une tulipe, qui ne fit aucun effet ; on en fit faire un nouveau dont on tira un très-bon parti. Il porte par le bas une langue de serpent suivie d'une espece de vis sans fin dont les filets sont très-forts & bien trempés ; cette vis est surmontée d'un assemblage de barreaux forgés triangulairement, espacés l'un de l'autre, & posés obliquement ; ensorte qu'extérieurement ils présentent un de leurs angles ; le tout forme un cône renversé dont la base a huit pouces de diametre ; les parties qui la composent sont soudées sur un barreau de seize lignes de grosseur qui porte lui-même la langue de serpent par le bas. On le mit en oeuvre ; après quelques tours de manivelle, on sentit qu'il brisoit les cailloux ; mais ils lui résisterent bientôt au point d'arrêter six hommes. Il faut prendre garde en pareil cas que les ouvriers ne s'opiniâtrent point à surmonter l'obstacle, ils romproient les charnieres ou les barreaux. Il ne provient que de la position de quelques gros cailloux qui se présentent en même tems à l'instrument par leur point de plus grande résistance : il faut dans cette occasion faire bander le cable, relever les barreaux de cinq à six pouces par un mouvement très-lent, & faire faire en même tems trois ou quatre tours à la manivelle en sens contraire ; on la tourne ensuite à l'ordinaire, en faisant lâcher le cable insensiblement ; les cailloux prennent entr'eux un arrangement différent, & on parvient à les briser. Cette manoeuvre paroît aisée ; elle est cependant assez difficile à faire exécuter avec précision : on continua à tourner la manivelle, on ne trouva plus la même difficulté ; mais l'instrument n'avança que très-lentement ; on parvint cependant à le faire entrer de toute sa longueur, on le retira en faisant détourner la manivelle pour le dégager & lui donner plus de facilité à remonter, on trouva l'espace que les petits barreaux forment entr'eux, rempli de morceaux de cailloux, qui faisoient juger que dans leur entier ils devoient avoir quatre, cinq & six pouces de grosseur. On chassa le coffre : il entra de six pouces en vingt volées de trente coups ; on redescendit l'instrument, & on le mena à un pié plus bas qu'il n'avoit été ; on le retira rempli comme la premiere fois ; on battit le coffre, il descendit de quatre pouces ; l'outil n'ayant que huit pouces de diametre par le haut, ne lui frayoit qu'une partie de son chemin que le sabot tâchoit d'achever ; on sentit qu'à mesure qu'on descendoit, les cailloux étoient plus serrés les uns contre les autres ; on fit un second instrument sur le modele à - peu - près du premier. On l'employa, & on le fit descendre aussi bas qu'il fut possible ; on le retira rapportant avec lui des morceaux de cailloux proportionnés à sa capacité ; on retourna un grand instrument, on le couronna d'un cylindre de tôle de douze pouces de hauteur & d'un diametre un peu moindre que le sien. On travailla jusqu'à ce qu'on crût que le haut de ce cylindre étoit recouvert par les graviers de six à huit pouces, on le retira plein de cailloux entiers, de morceaux & de beaucoup de petits éclats. On continua les mêmes manoeuvres pendant treize jours, & on perça enfin ce banc qui avoit onze piés d'épaisseur. On eut grande attention à bien vuider le coffre avant d'entamer le terrein au-dessous qu'on avoit reconnu avec la langue de serpent être du sable bouillant. On fit ici une faute sur la parole des gens du pays qui assuroient que ce sable se soutenoit fort bien ; malgré le peu de disposition qu'on avoit à les croire, on se laissa séduire, quoique d'un autre côté il y eût grande apparence que le sable dont on avoit vu l'échantillon, étoit du véritable sable bouillant, il parut très-ferme dans le commencement ; on se servit alternativement de la grande & de la petite tariere, on descendit à huit piés audessous des coffres ; on les battit, ils entrerent assez aisément de près de deux piés ; & comme ils commençoient à refuser, on ne les pressa pas. On employa la petite tariere qui s'arrêta au pié des coffres, quoiqu'avant elle la grande tariere fût descendue beaucoup plus bas ; on sentit des cailloux, & on jugea que le chemin qu'on avoit fait jusques-là étoit rempli ; le sable des côtés extérieurs du coffre s'étoit détaché, & avoit coulé, les cailloux qui étoient immédiatement au-dessus l'avoient suivi, & avoient comblé l'ouverture que les tarieres avoient faite. On se mit en devoir de les retirer ; mais il en retomboit à mesure qu'on en tiroit ; on ne pouvoit pas les briser, comme on avoit fait auparavant ; parce que, lorsqu'ils étoient pressés par les instrumens, ils se logeoient dans le sable & se déroboient à leurs efforts ; enfin, on en diminua le nombre, & ils cesserent de retomber. Lorsqu'on eut fait descendre le coffre de quatre piés, apparemment que le sabot ayant retrouvé un peu de ferme, leur avoit fermé le passage, les mouvemens du coffre en avoient cependant encore fait descendre. On mit tous les instrumens en oeuvre ; la grande tariere faisoit un assez bon effet ; elle les enveloppoit dans le sable dont elle se chargeoit ; on ne put cependant pas si bien s'en défaire, qu'on n'en trouvât encore à plus de cent piés de profondeur. Il étoit aisé d'éviter ces inconvéniens ; il falloit, lorsque le coffre fut arrivé sur le sable, le frapper avec vigueur, le faire descendre de deux piés ou deux piés & demi ; retirer deux piés de sable du dedans ; recommencer à le frapper de même ; le vuider & continuer. Il est vrai que l'ouvrage est long, parce que les coffres n'entrent pas aisément ; mais on travaille en sûreté, & on n'a pas le desagrément d'être persécuté par les cailloux, & de voir dans un moment combler l'ouvrage de quatre jours.

La premiere couche qu'on rencontra, étoit d'un sable bouillant gris, tirant sur le verd, de 11 piés d'épaisseur : la seconde, d'un sable bouillant gris d'ardoise, dans lequel l'on étoit entré de 8 piés, lorsque les coffres refuserent absolument de descendre ; on les battit toute une journée sans qu'ils fissent le moindre mouvement : on travailla pendant trois jours avec la petite & la grande tariere, on essaya de les faire descendre, mais ce fut inutilement : on alla en avant avec les instrumens ; on se trouva en cinq jours à 10 piés au-dessous du sabot des coffres : ces 10 piés furent tout-à-coup remplis, & le sable remonta de 9 piés dans les coffres. Si malheureusement les instrumens avoient été à fond pendant ce mouvement, il auroit été très-difficile de les retirer. On fut obligé en pareil cas, à Aire, il y a quarante ans, d'abandonner 80 piés de barreaux : on reprit les tarieres, & on fut près de huit jours à se remettre au point où on étoit : on jugea par la longueur de ce travail, que le sable couloit le long des coffres, & qu'il remplaçoit celui qu'on tiroit : on sonda avec la langue de serpent, qui rencontra la terre glaise à 3 piés au-dessous de 10 piés où on en étoit, par conséquent à 13 piés des coffres ; ce fut une bonne découverte, on reprit courage, & on fit avancer la grande tariere, qu'on retiroit souvent par précaution ; on sentit dans un moment, qu'elle pesoit plus qu'à l'ordinaire, on la remonta très-promtement, non sans difficulté, parce qu'elle étoit déja recouverte du sable qui avoit fait un mouvement & qui s'étoit reporté jusques dans les coffres : on se trouva fort heureux dans cette circonstance, de leur avoir donné 12 pouces de creux ; ils n'en ont ordinairement que 8 dans le pays, parce qu'on n'y trouve communément que 12 à 13 piés de ce sable bouillant, & il y en avoit 33 ici : on avoit bien réfléchi sur la façon de remédier aux inconvéniens, mais on ne vouloit la mettre en usage qu'à la derniere extrêmité : comme on vit cependant qu'on perdoit beaucoup de tems, & qu'il étoit inutile de porter la curiosité plus loin sur la nature de ce terrein, on tâcha de retirer le sable jusqu'à 3 piés près de la terre-glaise, & on introduisit sur le champ de nouveaux coffres dans les premiers, ils avoient 8 pouces & 1/2 de vuide, un pouce & 1/4 d'épaisseur, & 18 piés de long. Cette grande dimension n'est ici d'aucune conséquence : ces coffres n'ayant que peu d'effort à soutenir ; ils étoient d'ailleurs maintenus dans les grands, qu'ils passerent de 3 piés sans violence & à la main : on leur mit un bonnet ; on les battit, ils descendirent jusqu'au point où on avoit porté les instrumens, & ils refuserent : ces coffres n'ont point d'emboîtement, on les joint simplement par les molles-bandes : on descend le premier, en passant, à 18 pouces de son extrêmité, un boulon de fer, au milieu duquel on porte le crochet du cable ; on le présente dans le grand coffre, & on l'y laisse couler jusqu'à ce que le boulon porte sur ses côtés : on dégage le crochet, on en prend un second par son boulon, on le présente sur celui-ci : on le joint, comme il a été dit, par des molles-bandes, on les souleve ensemble pour dégager le premier boulon, & on les laisse descendre jusqu'au second, ainsi de suite.

Les tarieres ramenerent bien le sable qui étoit jusque sur la glaise, mais elles ne purent l'entamer, parce qu'elle se colloit à leurs meches, qui dans le moment ne mordoient plus. On fit un nouvel instrument, qu'on connoîtra mieux par la figure que par l'explication qu'on pourroit en donner : on l'employa, mais comme on sentit que le sable recommençoit à couler, on le retira : on descendit la grande tariere, on trouva que non-seulement il avoit comblé ce que le premier instrument avoit fait, mais qu'il étoit remonté de 5 piés dans les petits coffres : on soupçonna que tous ces mouvemens occasionnoient un affaissement, qui devoit se communiquer jusqu'aux terres qui entouroient le haut des coffres : on leva les madriers qui couvroient le fond du premier déblai, ils n'étoient plus soutenus que par leurs extrêmités : on trouva effectivement le terrein baissé de cinq piés le long des coffres, formant un cone renversé de 8 piés de diametre. Jusque-là on ne s'en étoit pas apperçu, parce que dès le commencement de l'ouvrage, le haut du déblai avoit été couvert, pour la facilité des manoeuvres ; on connut enfin toute la fluidité du sable bouillant, on répara avec la grande tariere, le mal qu'il avoit fait, & on chassa les coffres jusqu'à un pié & demi dans la glaise. On suppute qu'on avoit été obligé de retirer plus de 90 piés cubes de sable, au-delà du volume dont les coffres occupoient la place : on reprit le nouvel instrument, & on ne fut pas trompé dans l'espérance où l'on étoit, qu'on ne rencontreroit plus les difficultés que l'on avoit eu à surmonter : on perça un lit de 10 piés, d'une terre-glaise couleur d'ardoise, mêlée d'un peu de sable ; on entra ensuite dans une terre séche, dure, & plus claire en couleur que la précédente ; on la prend dans le pays pour du tuf, ce n'est cependant qu'une glaise ; celle-ci avoit 14 piés d'épaisseur : on étoit arrêté de tems-en-tems par de gros cailloux, mais enfin l'instrument les forçoit à se ranger de côté dans les terres, & lorsqu'il les avoit passé, s'ils retomboient, ils étoient obligés de remonter avec lui, parce qu'il remplissoit exactement, au moyen de la terre dont il se chargeoit, le tuyau, pour ainsi dire, qu'il avoit fait : on retira de cette façon, de près de 80 piés des profondeur, des cailloux qui pesoient jusqu'à cinq livres : ils n'étoient pas tous noirs en dedans, comme les premiers. On entra ensuite dans un lit de 18 piés de glaise noire, mêlée d'un peu de sable d'une odeur désagréable : on en fit sécher quelques petites parties, on les brûla, elles rendirent une flamme violette, & une très-forte odeur de soufre : on passa de-là dans un lit de 11 piés d'épaisseur, d'une terre fort grasse, mêlée de beaucoup de veines & de petits morceaux d'une espece de craie blanche, qui tenoit de la nature de la marne à laquelle on croyoit toucher ; mais on trouva encore un lit de 12 piés d'une glaise bleue fort grasse, sans aucune des marques qu'avoit la précédente : à 10 piés de là on sentit dans une glaise noire de la résistance sous l'instrument, & quelque chose qui s'écrasoit : on le retira, & on en trouva le bout plein d'une terre blanche, & de petits graviers qui ordinairement ne sont pas des marques équivoques : on sonda avec la langue de serpent, & on connut qu'on avoit rencontré la véritable marne.

Comme on ne fera plus d'usage des gros barreaux dont on s'est servi jusqu'à-présent, on s'arrêtera un moment pour expliquer la façon de les descendre & de les remonter, lorsqu'il y en a, comme ici, une quantité d'employée. Tous ces barreaux doivent être percés à 2 ou 3 piés de leurs extrêmités ; si on ne veut les remonter & les descendre qu'un à un, la manoeuvre est facile, mais elle est longue ; pour les descendre & les remonter deux à deux, en les supposant premierement tous descendus, il faut les enlever au moyen du treuil, jusqu'au trou qui est au-dessus de la premiere charniere, dans lequel on fait passer un boulon de fer qui porte un étrier : ce boulon s'appuie sur la manivelle qui est posée sur le coffre : on dégage, en secouant le cable, le crochet de l'étrier qui est à l'extrêmité du barreau, on reprend celui-ci, on leve tout jusqu'au trou qui est audessous de la seconde charniere, on y passe un boulon avec son étrier, & on démonte les deux barreaux ensemble. On fait à-peu-près la même manoeuvre pour les descendre : on descend le premier seul, & on le remonte de même, pour avoir la facilité de nettoyer les instrumens qu'il porte, on l'arrête au trou qui est au-dessous de son extrêmité supérieure : on passe le crochet du cable dans un étrier qu'on place au trou qui est au-dessus de la charniere qui joint deux autres barreaux, on les enleve, & on les monte sur ce premier : on leve les trois barreaux ensemble pour avoir la facilité de dégager l'étrier qui porte sur la manivelle, on les laisse couler jusqu'à celui qui est au-dessus ; alors un homme, monté sur une petite échelle, en passe un nouveau dans le trou qui est au-dessous de l'extrêmité des barreaux : il y met le crochet du cable ; on dégage celui qui est sur la manivelle sur laquelle on fait descendre celui-ci : on prend deux autres barreaux, comme il a été dit, on les monte avec les vis & les écrous sur la partie qui sort du coffre, & on continue. Si les barreaux sont plus longs que le poinçon de l'engin, on les fait passer dans un cercle de fer qui est à l'extrêmité de l'étourneau ; on peut de cette façon les descendre & les remonter 3 à 3, on gagne par-là beaucoup de tems. Si les deux barreaux ensemble, avec la partie de celui qui sort du coffre, sont plus courts que le poinçon, on les accroche par leur extrêmité, on les descend, & on les remonte aisément 2 à 2. Il faut avoir grand soin, chaque fois qu'on démonte les barreaux, de faire passer un petit ballet avec de l'eau ; dans les trous des charnieres, de laver les vis & les écrous, parce qu'il s'y introduit du sable qui en ruine bientôt les filets.

On s'est arrêté à la marne ; il fut question de mettre les buisses en oeuvre ; ces buisses sont des pieces de bois de chêne de 6 ou 7 pouces d'équarrissage, percées d'un bout à l'autre sur 3 pouces de diametre : on ne leur donne que 9 à 10 piés de longueur, afin d'éviter de les percer à la rencontre, comme parlent les ouvriers, c'est-à-dire, percer la moitié de la longueur par un bout, & l'aller rencontrer par l'autre : ce qui ne manque pas de former un angle qui, quoique fort obtus, ne laisse pas que d'occasionner à l'eau un frottement qu'il est à propos d'éviter le plus qu'il est possible : ces buisses étant percées, on en abat les angles, & pour les éprouver, on ferme exactement une de leurs extrêmités, on les emplit d'eau par l'autre, jusqu'aux trois quarts, on la presse fortement avec un refouloir, on examine de près si l'eau ne pénetre pas en-dehors, on les retourne, & on fait la même manoeuvre pour le quart qui n'a pas été éprouvé ; on est sûr par cette précaution, autant qu'on peut l'être, qu'elles sont sans défaut : après ces précautions, on fait entrer, à un pié de l'extrêmité de la premiere qu'on doit descendre, deux fortes vis en bois, qui ne pénétrent qu'à trois quarts de pouce, on y accroche un grand étrier qui tient au cable, on l'enleve, & on le laisse descendre jusqu'à ce que ces vis portent sur deux tasseaux qui s'appuient sur les coffres, & dont l'épaisseur ne doit point empêcher qu'on ne dégage l'étrier : on prend une seconde buisse, qui est garnie de ses vis, on la présente sur la premiere, elle porte un emboîtement & un cercle de fer dans son épaisseur, dont elle retient la moitié de la largeur, & l'autre moitié entre, au moyen de quelques coups de maillet, dans celle de la premiere buisse : on a garni les jointures en-dedans, avec de la filasse goudronnée, on les garnit de même en-dehors, sur 5 à 6 pouces de hauteur, on les couvre d'une lame de plomb, clouée de très-près, on y attache des molles-bandes, on leve tout, pour démonter les premieres vis & les laisser descendre jusqu'aux secondes : quoique ces vis ne pénétrent point dans l'intérieur des buisses, il faut avoir la précaution de boucher les trous qu'elles ont faits, avec un bouchon de liege goudronné, qu'on y fait entrer avec force. La premiere buisse doit être délardée, & garnie d'un sabot de fer : on en ajusta, l'une sur l'autre, de la façon qu'il a été dit, jusqu'à ce qu'on sentît que le sabot portoit sur la marne, dans laquelle on les fit descendre de 2 piés à petits coups de hie, afin de ne pas déranger les molles-bandes ni les jointures. On raccourcit les buisses à la hauteur des coffres, & on y introduisit une petite tariere, montée sur des barreaux d'un pouce de grosseur ; elle descendit jusque sur la marne qui étoit entrée dans les buisses : on sentit qu'elle rencontroit de la résistance, on la retira avec quelque peu de gravier blanc & transparent, on se servit d'un petit instrument, qui lui ôta toute difficulté : on la redescendit, on la fit entrer d'un pié : on la retira pleine de gravier, & d'une marne grasse, blanche, & collante : on vuida la buisse, & on alla avec le même instrument jusqu'à deux piés au-dessous du sabot, on sentit du ferme qu'il ne put entamer, on reprit le petit instrument, qui entra fort aisément : les barreaux dont on se servit, n'avoient qu'un pouce de grosseur : on ne pouvoit pas, de peur de les affoiblir, y faire des trous pour y passer des étriers, comme à ceux qui avoient 16 lignes : au-lieu de cela, on les arrêtoit avec le coin dans la manivelle, soit en les descendant, soit en les remontant : cette manivelle portoit sur deux tasseaux qui tenoient au coffre, & qui l'élevoient assez haut pour que le coin qu'on y frappoit, ne touchât point aux buisses : on faisoit sortir ce coin, lorsqu'on vouloit mettre les barreaux en liberté, soit pour les descendre ou les remonter : on les prenoit d'ailleurs à telle hauteur qu'on vouloit, avec un instrument qui étoit attaché au cable de l'engin que les ouvriers nomment le diable.

On retira le petit instrument qui avoit percé un lit de gravier de 5 à 6 pouces ; on redescendit la petite tariere, qui revint toujours remplie de marne, jusqu'à 5 piés de profondeur, où il se trouva un autre lit de gravier. Le petit instrument lui fraya de nouveau son chemin, & on continua à la faire entrer. Elle descendit de 4 piés : on finit la journée. Un ouvrier couvrit la buisse avec le bonnet. Le lendemain, à la pointe du jour, il alla le lever ; il sortit un bouillon d'eau qui étonna. Elle parut se mettre de niveau avec l'orifice de la buisse ; elle conservoit cependant un mouvement qu'on ne put appercevoir qu'en mettant un petit morceau de papier sur la superficie. On descendit la petite tariere qui fut arrêtée à 20 piés près de la profondeur où l'on avoit été auparavant. On reprit le petit instrument qui perça une espece de tampon de plus d'un pié d'épaisseur de terre, de bois, de cloux & de tout ce que l'eau du fond avoit eu la force de chasser. Jusque-là on en fut d'autant plus surpris, que la petite tariere & le petit instrument n'avoient rien ramené de pareil. Peut-être ces matieres s'étoient-elles rangées de côté, & que l'eau qui commençoit à s'élever les avoit forcées à remonter avec elle, & n'avoit cependant pas eu la force de les conduire plus haut. Il ne faut pas s'étonner si l'instrument tient quelquefois très-fortement dans les buisses : il forme avec la marne qui s'y colle extérieurement, & celle dont il se charge par-dessus en remontant, une espece de piston. On se sert, pour le soulager, d'un tourne-à-gauche, avec lequel on tourne & détourne les barreaux ; la marne qui l'enduit extérieurement se délaie : l'eau de dessous se communique à celle de dessus, & la difficulté cesse.

L'obstacle étant levé, l'eau commença à couler avec assez de force ; on continua à se servir alternativement de la tariere & du petit instrument jusqu'à 25 piés de profondeur. On rencontra encore dans cette marche des lits de gravier, & on s'apperçut que l'eau augmentoit sensiblement à mesure qu'on les perçoit. On mesura la quantité qu'il en sortoit par le haut des buisses qu'on trouva être d'un pouce & 3/7, ou 20 pintes de Paris par minute. On voulut mal-à-propos en tirer un plus gros volume ; on redescendit le petit instrument : on ne lui eut pas fait faire quatre tours, que les barreaux se rompirent à 74 piés de profondeur, & en abandonnerent 81 piés dans le fond. La consternation des anciens serviteurs du roi & des ouvriers fut dans ce moment très-grande ; on chercha à les rassurer : on fit faire un instrument extrêmement simple : on le descendit avec les 74 piés de barreaux qu'on avoit retirés : on le joignit à ceux qui étoient dans le fond ; il les saisit avec tant de force, & l'instrument qui étoit engagé dans la marne tenoit si fort, que deux hommes appliqués au treuil de l'engin en rompirent le cable sans qu'il quittât prise : on envoya chercher une chevre à l'arsenal ; dès le premier coup de levier l'eau devint blanche : on jugea que l'instrument avoit fait un mouvement dans le fond ; au deuxieme coup de levier, les barreaux monterent de 4 pouces ; & au troisieme tout fut dégagé. On reprit le cable de l'engin, & on retira les barreaux cassés au grand contentement des spectateurs. On ne jugea pas à propos de s'exposer une seconde fois à un accident de cette nature, d'autant moins que la quantité d'eau dont on étoit sûr suffisoit pour le fort S. François. Elle est augmentée, & donne aujourd'hui premier Décembre 35 pintes par minute mesure de Paris.

SONDE de mer, ou PLOMB DE SONDE, (Marine) c'est une corde chargée d'un gros plomb, autour duquel il y a un creux rempli de suif, que l'on fait descendre dans la mer, tant pour reconnoître la couleur & la qualité du fond, qui s'attache au suif, que pour savoir la profondeur du parage où l'on est. Ce dernier article est susceptible de beaucoup de difficultés quand cette profondeur est considérable.

On dit être à la sonde, lorsqu'on est en un lieu où l'on peut trouver le fond de la mer avec la sonde ; aller à la sonde, lorsqu'on navige dans des mers ou sur des côtes dangereuses & inconnues, ce qui oblige d'y aller la sonde à la main ; venir jusqu'à la sonde, quand on quitte le rivage de la mer, & qu'on vient jusqu'à un endroit où l'on trouve fond avec la sonde ; & enfin on dit que les sondes sont marquées, & cela veut dire que les brasses ou piés d'eau sont marqués sur les cartes, près des côtes.

SONDE, (terme de Mineur) le mineur se sert d'une sonde à tariere pour aggrandir le trou, lorsqu'il veut crever les galeries par quelque bombe, ou gargouge chargée ; c'est ce qu'il exécute en enfonçant la lombe dans les trous, & en maçonnant ensuite l'ouverture de même qu'aux fourneaux. (D.J.)

SONDE, est un instrument de Chirurgie dont on se sert pour examiner & sonder l'état des blessures, ulceres & autres cavités.

Il y a des sondes de différentes figures suivant leurs différens usages. La sonde pour les plaies & les ulceres, est une verge de fer, d'acier ou d'argent très-polie, longue tout au plus de cinq pouces & demi, mousse & boutonnée par ses extrêmités, afin qu'elle ne blesse pas les parties dans lesquelles on l'introduit. La plus menue s'appelle stilet, stilus. Elle est de la grosseur d'une aiguille à tricoter ; une de ses extrêmités se termine en poire ou en olive, l'autre est un peu mousse. Sa matiere est ordinairement d'argent. On a coutume de la faire recuire pour la plier facilement, & lui donner une figure convenable aux sinuosités ou détours des plaies & des ulceres. Voyez fig. 5. Pl. I. Les autres sondes sont plus ou moins grosses, suivant le besoin. Quelques-unes sont percées par un bout, comme les aiguilles, pour passer les setons : quelques stilets le sont aussi. L'usage des sondes est pour faire connoître la profondeur, l'étendue, le trajet des plaies & des ulceres, leur pénétration jusqu'aux os, les parties qui ont été offensées, les sinuosités des fistules, les clapiers qui s'y rencontrent, les fractures qu'il peut y avoir, les corps étrangers qui y sont engagés, la carie des os, &c.

Dans les plaies d'armes à feu, la sonde doit être terminée par un bouton olivaire, gros comme l'extrêmité du petit doigt, afin de ne point suivre ou faire de fausses routes dans les déchiremens qui accompagnent ces sortes de plaies.

Il y a des sondes cannelées, c'est-à-dire creusées en gouttiere dans toute leur longueur ; arrondies du côté opposé. La cannelure doit être très-unie, & un peu plus large dans son commencement. La pointe doit être fermée, de façon que l'extrêmité d'un bistouri ne puisse pas passer l'obstacle qu'oppose l'arête qui est à l'extrêmité de la sonde. Le manche est une espece de treffle ou de coeur applati, ou une piece plate fendue, pour faire une fourchette propre à maintenir le filet de la langue quand on le veut couper aux enfans. Les sondes cannelées servent de conducteur aux instrumens tranchans pour aggrandir les plaies & les ulceres sinueux ou fistuleux. Voyez la figure 4 & 5. Pl. II. La figure 4. sert de tire-balle.

La sonde aîlée ou gardienne des intestins dans les hernies avec étranglement, est très-commode pour servir à la dilatation de l'anneau de l'oblique externe, ou du ligament de l'arcade crurale, qui produisent cet étranglement. C'est une sonde cannelée comme la précédente, que M. Petit a faite couder aux deux tiers de sa longueur ; sous le coude est soudée une plaque en forme de coeur, large d'un pouce, longue de deux. Les deux côtés de cette plaque représentent les aîles de la sonde. Quand on a introduit cet instrument qui sert de conducteur au bistouri, la plaque dont la pointe doit être enfoncée jusque dans l'ouverture, couvre les intestins & les garantit du tranchant du bistouri. Voyez la figure 14. Pl. III.

Les sondes pour la vessie sont particulierement appellées algalies, voyez ALGALIE.

La sonde pour l'opération de la taille, voyez CATHETER.

La sonde de poitrine est la même dont on se sert pour sonder la vessie des femmes, voyez ALGALIE. L'usage de cette sonde à la poitrine, est d'évacuer le sang & les autres matieres liquides épanchées dans cette cavité, d'y faire des injections, &c. Voyez la fig. 1. Pl. X.

Il y a encore une espece de sonde qui sert à découvrir la carie des dents : elle est crochue, faite d'acier, longue d'environ trois pouces & demi ; son milieu qui est ordinairement taillé à pans sert de manche ; ses deux extrêmités sont rondes, & vont en diminuant se terminer en une pointe un peu mousse ; chacune d'elles est légerement recourbée à contre sens. C'est avec l'une de ces pointes qu'on examine la carie & sa profondeur. Voyez la figure 7. Planche XXV. (Y)

SONDE, (Comm.) instrument qui sert à sonder & à connoître la qualité ou la connoissance de quelque chose.

Les commis des barrages des villes où l'on paye quelques droits, & ceux des bureaux d'entrées & sorties du royaume ont différentes sondes pour reconnoître si dans les marchandises qui passent à leurs bureaux, & dont on leur paye les droits, il n'y en auroit pas quelqu'autre plus précieuse, ou de contrebande.

Les sondes des commis pour les entrées du vin sont en forme d'une longue broche de fer, emmanchée dans du bois, qu'ils fourrent dans les chariots chargés de paille ou de foin, & autres choses semblables, dans lesquelles on pourroit cacher un tonneau ou barril.

Les autres sondes sont à proportion semblables, mais convenables à la qualité des matieres qu'on veut sonder. Dict. de Comm. & de Trévoux.

SONDE, s. f. (terme de Chaircutier) ils nomment de la sorte une longue aiguille d'argent, dont ils se servent pour sonder les jambons, langues de boeufs, & autres viandes crues ou cuites, qu'il leur est permis de vendre & débiter. (D.J.)

SONDE, s. f. (terme d'Eventailliste) c'est une longue aiguille de laiton qui leur sert à ouvrir les papiers, pour y placer les fleches de la monture d'un éventail. (D.J.)


SONDERv. act. (Gramm.) c'est se servir de la sonde. Voyez les articles SONDE.


SONDRIO(Géog. mod.) en allemand Sonders, gros bourg de la Valteline, sur la rive droite de l'Adda, au pié du mont Masegrio, & le chef-lieu d'un gouvernement auquel il donne son nom. C'étoit autrefois une ville fermée de murailles, avec un château, mais les murs & le château furent abattus en 1335. (D.J.)


SONGES. m. (Métaph. & Physiol.) le songe est un état bizarre en apparence où l'ame a des idées sans y avoir de connoissance réfléchie, éprouve ces sensations sans que les objets externes paroissent faire aucune impression sur elle ; imagine des objets, se transporte dans des lieux, s'entretient avec des personnes qu'elle n'a jamais vues, & n'exerce aucun empire sur tous ces fantomes qui paroissent ou disparoissent, l'affectent d'une maniere agréable ou incommode ; sans qu'elle influe en quoi que ce soit. Pour expliquer la nature des songes, il faut avant toutes choses tirer de l'expérience un certain nombre de principes distincts ; c'est là l'unique fil d'Ariane qui puisse nous guider dans ce labyrinthe : de toutes les parties qui composent notre machine, il n'y a que les nerfs qui soient le siege du sentiment, tant qu'ils conservent leur tension, & cet extrait précieux, cette liqueur subtile qui se forme dans le laboratoire du cerveau, coule sans interruption depuis l'origine des nerfs jusqu'à leur extrêmité. Il ne sauroit se faire aucune impression d'une certaine force sur notre corps, dont la surface est tapissée de nerfs, que cette impression ne passe avec une rapidité inconcevable de l'extrêmité extérieure à l'extrêmité intérieure, & ne produise aussi-tôt l'idée d'une sensation. J'ai dit qu'il falloit une impression d'une certaine force, car il y a en effet une infinité de matieres subtiles & déliées répandues autour de nous, qui ne nous affectent point ; parce que pénétrant librement les pores de nos parties nerveuses, elles ne les ébranlent point, l'air lui-même n'est apperçu que quand il est agité par le vent. Tel étant l'état de notre corps, il n'est pas difficile de comprendre comment pendant la veille nous avons l'idée des corps lumineux, sonores, sapides, odoriférans & tactiles : les émanations de ces corps ou leurs parties même heurtant nos nerfs, les ébranlent à la surface de ces corps ; & comme lorsqu'on pince une corde tendue dans quelqu'endroit que ce soit, toute la corde trémousse, de même le nerf est ébranlé d'un bout à l'autre, & l'ébranlement de l'extrêmité intérieure est fidelement suivi & accompagné, tant cela se fait promtement ; de la sensation qui y répond. Mais lorsque fermant aux objets sensibles toutes les avenues de notre ame, nous nous plongeons entre les bras du sommeil, d'où naissent ses nouvelles décorations qui s'offrent à nous, & quelquefois avec une vivacité qui met nos passions dans un état peu différent de celui de la veille ? Comment puis-je voir & entendre, & en général sentir, sans faire usage des organes du sentiment, démêlant soigneusement diverses choses qu'on a coutume de confondre ? Comment les organes du sentiment sont-ils la cause des sensations ? est-ce en qualité de principe immédiat ? est-ce par l'oeil ou par l'oreille que l'on voit & entend immédiatement ? Point du tout, l'oeil & l'oreille sont affectés ; mais l'ame n'est avertie que quand l'impression parvient à l'extrêmité intérieure du nerf optique ou du nerf auditif ; & si quelque obstacle arrête en chemin cette impression, de maniere qu'il ne se fasse aucun ébranlement dans le cerveau, l'impression est perdue pour l'ame. Ainsi, & c'est ce qu'il faut bien remarquer comme un des principes fondamentaux de l'explication des songes, il suffit que l'extrêmité intérieure soit ébranlée pour que l'ame ait des représentations. On connoît de plus aisément que cette extrêmité intérieure est la plus facile à ébranler, parce que les ramifications dans lesquelles elle se termine sont d'une extrême tenuité, & qu'elles font place à la source même de ce fluide spiritueux, qui les arrose & les pénétre, y court, y serpente, & doit avoir une toute autre activité, que lorsqu'il a fait le long chemin qui le conduit à la surface du corps ; c'est de-là que naissent tous les actes d'imagination pendant la veille, & personne n'ignore que dans les personnes d'un certain tempérament, dans celles qui sont livrées à de telles méditations, ou qui sont agitées par de violentes passions, les actes d'imagination sont équivalens aux sensations & empêchent même leur effet, quoiqu'elles nous affectent d'une maniere assez vive. Ce sont là les songes des hommes éveillés, qui ont une parfaite analogie avec ceux des hommes endormis, étant les uns & les autres dépendans de cette suite d'ébranlemens intérieurs qui se passent à l'extrêmité des nerfs qui aboutissent dans le cerveau. Toute la différence qu'il y a, c'est que pendant la veille nous pouvons arrêter cette suite, en rompre l'enchaînure, en changer la direction, & lui faire succéder l'état des sensations, au-lieu que les songes sont indépendans de notre volonté, & que nous ne pouvons ni continuer les illusions agréables, ni mettre en fuite les fantômes hideux. L'imagination de la veille est une république policée, où la voix du magistrat remet tout en ordre ; l'imagination des songes est la même république dans l'état d'anarchie, encore les passions font-elles de fréquens attentats contre l'autorité du législateur pendant le tems même où ses droits sont en vigueur. Il y a une loi d'imagination que l'expérience démontre d'une maniere incontestable, c'est que l'imagination lie les objets de la même maniere que les sens nous les représentent, & qu'ayant cause à les rappeller, elle se fait conformément à cette liaison ; cela est si commun, qu'il seroit superflu de s'y attendre. Nous voyons aujourd'hui pour la premiere fois un étranger à un spectacle dans une telle place, à côté de telles personnes : si ce soir votre imagination rappelle l'idée de cet étranger, soit d'elle - même, ou parce que nous lui demandons compte, elle fera en même tems les fraix de représenter en même tems le lieu du spectacle, la place que l'étranger occupoit, les personnes que nous avons remarquées autour de lui ; & s'il nous arrive de le voir ailleurs, au bout d'un an, de dix ans ou davantage, suivant la force de notre mémoire, en le voyant, toute cette escorte, si j'ose ainsi dire, se joint à son idée. Telle étant donc la maniere dont toutes les idées se tiennent dans notre cerveau, il n'est pas surprenant qu'il en forme tant de combinaisons bisarres ; mais il est essentiel d'y faire attention, car cela nous explique la bisarrerie, l'extravagante apparence des songes, & ce ne sont pas seulement deux objets qui se lient ainsi, c'en sont dix, c'en sont mille, c'est l'immense assemblage de toutes nos idées, dont il n'y en a aucune qui n'ait été reçue avec quelqu'autre, celle-ci avec une troisieme, & ainsi de suite. En parlant d'une idée quelconque, vous pouvez arriver successivement à toutes les autres par des routes qui ne sont point tracées au hasard, comme elles le paroissent, mais qui sont déterminées par la maniere & les circonstances de l'entrée de cette idée dans notre ame ; notre cerveau est, si vous le voulez, un bois coupé de mille allées, vous vous trouverez dans une telle allée, c'est-à-dire vous êtes occupé d'une telle sensation ; si vous vous y livrez, comme on le fait, ou volontairement pendant la veille, ou nécessairement dans les songes de cette allée, vous entrerez dans une seconde, dans une troisieme, suivant qu'elles sont percées, & votre route quelqu'irréguliere qu'elle paroisse dépend de la place d'où vous êtes parti & de l'arrangement du bois, desorte qu'à toute autre place ou dans un bois différemment percé vous aurez fait un autre chemin, c'est-à-dire un autre songe. Ces principes supposés, employons-les à la solution du problême des songes. Les songes nous occupent pendant le sommeil ; & lorsqu'il s'en présente quelqu'un à nous, nous sortons de l'espece de léthargie complete où nous avoient jettés ces sommeils profonds, pour appercevoir une suite d'idées plus ou moins claires, selon que le songe est plus ou moins vif, selon le langage ordinaire ; nous ne songeons que lorsque ces idées parviennent à notre connoissance, & font impression sur notre mémoire, & nous pouvons dire, nous avons eu tel songe, ou du-moins que nous avons songé en général ; mais, à proprement parler, nous songeons toujours, c'est-à-dire que dès que le sommeil s'est emparé de la machine, l'ame a sans interruption une suite de représentations & de perceptions ; mais elles sont quelquefois si confuses, si foibles, qu'il n'en reste pas la moindre trace, & c'est ce qu'on appelle le profond sommeil, qu'on auroit tort de regarder comme une privation totale de toute perception, une inaction complete de l'ame.

Depuis que l'ame a été créée & jointe à un corps, ou même à un corpuscule organisé, elle n'a cessé de faire les fonctions essentielles à une ame, c'est-à-dire d'avoir une suite non-interrompue d'idées qui lui représentent l'univers, mais d'une façon convenable à l'état de ses organes ; aussi tout le tems qui a précédé notre développement ici-bas, c'est-à-dire notre naissance, peut être regardé comme un songe continuel qui ne nous a laissé aucun souvenir de notre préexistence, à cause de l'extrême foiblesse dont un germe, un foetus sont susceptibles. S'il y a donc des vuides apparens, &, si j'ose dire, des especes de lacunes dans la suite de nos idées, il n'y a pourtant aucune interruption. Certains nombres de mots sont visibles & lisibles, tandis que d'autres sont effacés & indéchiffrables ; cela étant, songer ne fera autre chose que s'apperçevoir de ses songes, & il est uniquement question d'indiquer des causes qui fortifient les empreintes des idées, & les rende d'une clarté qui mette l'ame en état de juger de leur existence, de leur liaison, & d'en conserver même le souvenir. Or ce sont des causes purement physiques & machinales ; c'est l'état du corps qui décide seul de la perception des songes ; les circonstances ordinaires qui les accompagnent concourent toutes à nous en convaincre. Quelles sont ces personnes qui dorment d'un profond sommeil, & qui n'ont point ou presque point songé ? Ce sont les personnes d'une constitution vigoureuse, qui jouissent actuellement d'une bonne santé, ou celles qu'un travail considérable a comme accablées. Deux raisons opposées provoquent le sommeil complet & destitué de songes : dans ces deux cas, l'abondance des esprits animaux fait une sorte de tumulte dans le cerveau, qui empêche que l'ordre nécessaire pour lier les circonstances d'un songe ne se forme ; la disette d'esprits animaux fait que ces extrêmités intérieures des nerfs, dont l'ébranlement produit des actes d'imagination, ne sont pas remuées, ou du-moins pas assez pour que nous en soyons avertis ; que faut-il donc pour être songeur ? Un état ni foible, ni vigoureux ; une médiocrité de vigueur rend l'ébranlement des filets nerveux plus facile ; la médiocrité d'esprits animaux fait que leur cours est plus régulier, qu'ils peuvent fournir une suite d'impressions plus faciles à distinguer. Une circonstance qui prouve manifestement que cette médiocrité que j'ai supposée est la disposition requise pour les songes, c'est l'heure à laquelle ils sont plus fréquens ; cette heure est le matin. Mais, direz-vous, c'est le tems où nous sommes le plus frais, le plus vigoureux, & où la transpiration des esprits animaux étant faite, ils sont les plus abondans ; cette observation, loin de nuire à mon hypothese, s'y ajuste parfaitement. Quand les personnes d'une constitution mitoyenne, (car il n'y a guere que celles-là qui rêvent) se mettent au lit, elles sont à-peu-près épuisées, & les premieres heures du sommeil sont celles de la réparation, laquelle ne va jamais jusqu'à l'abondance : s'arrêtant donc à la médiocrité, dès que cette médiocrité existe, c'est-à-dire vers le matin, les songes naissent ensuite, & durent en augmentant toujours de clarté jusqu'au réveil. Au reste, je raisonne sur les choses comme elles arrivent ordinairement, & je ne nie pas qu'on ne puisse avoir un songe vif à l'entrée ou au milieu de la nuit, sans en avoir le matin ; mais ces cas particuliers dépendent toujours de certains états particuliers qui ne font aucune exception aux regles générales que je pose ; je conviens encore que d'autres causes peuvent concourir à l'origine des songes, & qu'outre cet état de médiocrité que nous supposons exister vers le matin, toute la machine du corps a encore au même tems d'autres principes d'action très-propres à aider les songes ; j'en remarque deux principaux, un intérieur & un extérieur. Le premier, ou le principe intérieur, c'est que les nerfs & les muscles, après avoir été relâchés à l'entrée du sommeil, commencent à s'étendre & à se gonfler par le retour des fluides spiritueux que le repos de la nuit a réparés, toute la machine reprend des dispositions à l'ébranlement ; mais les causes externes n'étant pas encore assez fortes pour vaincre les barrieres qui se trouvent aux portes des sens, il ne se fait que les mouvemens internes propres à exciter des actes d'imagination, c'est-à-dire des songes. L'autre principe, ou le principe extérieur qui dispose à s'éveiller à demi, & par conséquent à songer, c'est l'irritation des chairs qui, au bout de quelques heures qu'on aura été couché sur le dos, sur le côté, ou dans toute autre attitude, commence à se faire sentir. J'avoue donc l'existence des choses capricieuses que je viens d'indiquer, mais je regarde toujours cette disposition moyenne entre l'abondance & la disette d'esprits, comme la cause principale des songes ; & pour mettre le comble à la démonstration, voyez des exemples qui viennent àpropos. Une personne en foiblesse ne trouve, quand elle revient à elle-même, aucune trace de son état précédent ; c'est le profond sommeil de disette. Un homme yvre-mort ronfle plusieurs heures, & se réveille sans avoir eu aucun songe ; c'est le profond sommeil d'abondance ; dont on ne songe que dans l'état qui tient le milieu. Voyons à-présent naître un songe, & assistons en quelque sorte à sa naissance.

Je me couche, je m'endors profondément, toutes les sensations sont éteintes, tous les organes sont comme inaccessibles ; ce n'est pas là le tems des songes, il faut que quelques heures s'écoulent, afin que la machine ait pris les principes d'ébranlement & d'action que nous avons indiqués ci-dessus ; le tems étant venu, songe-t-on aussi-tôt, & ne faut-il point de cause plus immédiate pour la production du songe, que cette disposition générale du corps ? Il semble d'abord qu'on ne puisse ici répondre sans témérité, & que le fil de l'expérience nous abandonne ; car, dira-t-on, puisque personne ne sauroit seulement remarquer quand & comment il s'endort, comment pourroit-on saisir ce qui préside à l'origine d'un songe qui commence pendant notre sommeil ?

Au secours de l'expérience, joignons-y celui du raisonnement : voici donc comment nous raisonnons. Un acte quelconque d'imagination est toujours lié avec une sensation qui le précéde, & sans laquelle il n'existeroit pas ; car pourquoi un tel acte se seroit-il développé plutôt qu'un autre, s'il n'avoit pas été déterminé par une sensation ? Je tombe dans une douce rêverie, c'est le point-de-vue d'une riante campagne, c'est le gazouillement des oiseaux, c'est le murmure des fontaines qui ont produit cet état, qui ne l'auroit pas assurément été par des objets effrayans, ou par des cris tumultueux ; on convient sans peine de ce que j'avance par rapport à la veille, mais on ne s'en apperçoit pas aussi distinctement à l'égard des songes, quoique la chose ne soit ni moins certaine, ni moins nécessaire ; car si les songes ne sont pas des chaînes d'actes d'imagination, & que les chaînes doivent, pour ainsi dire, être toutes accrochées à un point fixe d'où elles dépendent, c'est-à-dire à une sensation, j'en conclus que tout songe commence par une sensation & se continue par une suite d'actes d'imagination, toutes les impressions sensibles qui étoient sans effet à l'entrée de la nuit deviennent efficaces, sinon pour réveiller, au-moins pour ébranler, & le premier ébranlement qui a une force déterminée est le principe d'un songe. Le songe a toujours son analogie avec la nature de cet ébranlement ; est-ce, par exemple, un rayon de lumiere qui s'insinuant entre nos paupieres a affecté l'oeil, notre songe suivant sera relatif à des objets visibles, lumineux ? est-ce un son qui a frappé nos oreilles ? Si c'est un son doux, mélodieux, une sérénade placée sous nos fenêtres, nous rêverons en conformité, & les charmes de l'harmonie auront part à notre songe ; est-ce au contraire un son perçant & lugubre ? les voleurs, le carnage, & d'autres scènes tragiques s'offriront à nous ; ainsi la nature de la sensation, mere du songe, en déterminera l'espece ; & quoique cette sensation soit d'une foiblesse qui ne permette point à l'ame de l'appercevoir comme dans la veille, son efficacité physique n'en est pas moins réelle ; tel ébranlement extérieur répond à tel ébranlement intérieur, non à un autre, & cet ébranlement intérieur une fois donné, détermine la suite de tous les autres.

Ce n'est pas, au reste, que tout cela ne soit modifié par l'état actuel de l'ame, par ses idées familieres, par ses actions, les impressions les plus récentes qu'elle a reçues étant les plus aisées à se renouveller : de-là vient la conformité fréquente que les songes ont avec ce qui s'est passé le jour précédent, mais toutes les modifications n'empêchent pas que le songe ne parte toujours d'une sensation, & que l'espece de cette sensation ne détermine celle du songe.

Par sensation je n'entends pas les seules impressions qui viennent des objets du dehors ; il se passe outre cela mille choses dans notre propre corps, qui sont aussi dans la classe des sensations, & qui par conséquent produisent le même effet. Je me suis couché avec la faim & la soif, le sommeil a été plus fort, il est vrai, mais les inquiétudes de la faim & de la soif luttent contre lui ; & si elles ne le détruisent pas, elles produisent du moins des songes, où il sera question d'alimens solides & liquides, & où nous croirons satisfaire à des besoins qui renaîtront à notre reveil ; une simple particule d'air qui se promenera dans notre corps produira diverses sortes d'ébranlemens qui serviront de principes & de modification à nos songes : combien de fois une fluxion, une colique, ou telle autre affection incommode ne naissent-elles pas pendant notre sommeil, jusqu'à ce que leur force le dissipe enfin ? Leur naissance & leurs progrès sont presque toujours accompagnés d'états de l'ame ou de songe qui y répondent.

Le degré de clarté auquel parviennent les actes d'imagination, qui constituent les songes, nous en procure la connoissance ; il y a un degré déterminé auquel ils commencent à être perceptibles, comme dans les objets de la vue & de l'ouïe, il y a un terme fixe d'où nous commençons à voir & à entendre ; ce degré existant une fois, nous commençons à songer, c'est-à-dire à appercevoir nos songes ; & à mesure que de nouveaux degrés de clarté surviennent, les songes sont plus marqués ; & comme ces degrés peuvent hausser & baisser plusieurs fois pendant le cours d'un même songe, de-là viennent ces inégalités, ces especes d'obscurité qui éclipsent presque une partie d'un songe, tandis que les autres conservent leur netteté ; ces nuances varient à l'infini. Les songes peuvent être détruits de deux manieres, ou lorsque nous rentrons dans l'état du profond sommeil, ou par notre reveil : le reveil c'est le retour des sensations ; dès que les sensations claires & perceptibles renaissent, les songes sont obligés de prendre la fuite : ainsi toute notre vie est partagée entre deux états essentiellement différens l'un de l'autre, dont l'un est la vérité & la réalité, tandis que l'autre n'est que mensonge & illusion ; cependant si la durée des songes égaloit celle de la nuit, & qu'ils fussent toujours d'une clarté sensible, on pourroit être en doute laquelle de ces deux sensations est la plus essentielle à notre bonheur, & mettre en question qui seroit le plus heureux, ou le sultan plongé tout le jour dans les délices de son serrail, & tourmenté la nuit par des rêves affreux, ou le plus misérable de ses esclaves qui, accablé de travail & de coups pendant la journée, passeroit des nuits ravissantes en songes. A la rigueur, le beau titre de réel ne convient guere mieux aux plaisirs dont tant de gens s'occupent pendant leurs veilles, qu'à ceux que les songes peuvent procurer.

Cependant l'état de la veille se distingue de celui du sommeil, parce que dans le premier, rien n'arrive sans cause ou raison suffisante.

Les événemens sont liés entr'eux d'une maniere naturelle & intelligible, au lieu que dans les songes, tout est décousu, sans ordre, sans vérité : pendant la veille un homme ne se trouvera pas tout-d'un-coup dans une chambre, s'il n'est venu par quelqu'un des chemins qui y conduisent : je ne serai pas transporté de Londres à Paris, si je ne fais le voyage ; des personnes absentes ou même mortes ne s'offriront point à l'improviste à ma vue ; tandis que tout cela, & même des choses étranges, contraires à toutes les loix de l'ordre & de la nature, se produisent dans les songes : c'est donc là le criterium que nous avons pour distinguer ces deux états ; & de la certitude même de ce criterium vient un double embarras, où l'on semble quelquefois se trouver d'un côté pendant la veille, s'il se présente à nous quelque chose d'extraordinaire, & qui, au premier coup-d'oeil, soit inconcevable ; on se demande à soi-même, est-ce que je rêve ? On se tâte, pour s'assurer qu'on est bien éveillé ; de l'autre, quand un songe est bien net, bien lié, & qu'il n'a rassemblé que des choses bien possibles, de la nature de celles qu'on éprouve étant bien éveillé : on est quelquefois en suspens, quand le songe est fini, sur la réalité ; on auroit du penchant à croire que les choses se sont effectivement passées ainsi ; c'est le sort de notre ame, tant qu'elle est embarrassée des organes du corps, de ne pouvoir pas déméler exactement la suite de ses opérations : mais comme le développement de nos organes nous a fait passer d'un songe perpétuel & souverainement confus, à un état miparti de songes & de vérités, il faut espérer que notre mort nous élevera à un état où la suite de nos idées continuellement claire & perceptible ne sera plus entrecoupée d'aucun sommeil, ni même d'aucun songe : ces réflexions sont tirées d'un essai sur les songes, par M. Formey.

SONGE VENERIEN, (Médec.) maladie que Caelius Aurelianus appelle en grec . Hippocrate dit aussi , avoir des songes vénériens. Ce n'est point une maladie, dit Caelus Aurelianus, ni le symptome d'une maladie, mais l'effet des impressions de l'imagination, qui agissent durant le sommeil. Cet état vient ou de beaucoup de tempérament, de l'usage des plaisirs de l'amour ; ou au contraire d'une continence outrée. Il demande différens traitemens selon ses causes. Chez les uns il faut détourner l'imagination des plaisirs de l'amour, & la fixer sur d'autres objets. Les anciens faisoient coucher les personnes sujettes à l'oneirogonie dans un lit dur, lui prescrivoient des remedes rafraîchissans, des alimens incrassans, des boissons froides & astringentes, le bain froid, & lui appliquoient sur la région des lombes des éponges trempées dans de l'oxicrat. Quelques-uns ordonnoient au malade de se coucher avec la vessie pleine, afin qu'étant de tems-en-tems éveillé, il perdît les impressions des plaisirs de l'amour qui agissent dans le sommeil ; mais cette méthode seroit plus nuisible qu'utile, parce qu'une trop longue rétention d'urine peut devenir la cause d'une maladie, pire que celle qu'il s'agit de guérir. (D.J.)

SONGE, (Critique sacrée) il est parlé dans l'Ecriture de songes naturels & surnaturels ; mais Moïse défend également de consulter ceux qui se mêloient d'expliquer les songes naturels, Lévit. xix. 26. & les surnaturels, Deuter. xiij. 1. C'étoit à Dieu & aux prophêtes que devoient s'adresser ceux qui faisoient des songes pour en recevoir l'interprétation. Le grand prêtre revêtu de l'éphod, avoit aussi ce beau privilege.

On lit plusieurs exemples de songes surnaturels dans l'Ecriture ; le commencement de l'évangile de saint Matthieu en fournit seul deux exemples ; l'ange du Seigneur qui apparut à Joseph en songe, & l'avis donné aux mages en songe, de ne pas retourner vers Hérode.

Les Orientaux faisoient beaucoup d'attention aux songes ; & ils avoient des philosophes qui se vantoient de les expliquer ; c'étoit un art nommé des Grecs onéirocritique. Ces philosophes d'Orient ne prétendoient point deviner la signification des songes par quelque inspiration, comme on le voit dans l'histoire de Daniel. Nabuchodonosor pressant les mages des Chaldéens de lui dire le songe qu'il avoit eu, & qu'il feignoit avoir oublié, ils lui répondirent qu'il n'y a que les dieux qui le savent, & qu'aucun homme ne pourroit le dire ; parce que les dieux ne se communiquent pas aux hommes, Daniel, ij. 11. Les mages ne prétendoient donc point être inspirés. Leur science n'étoit qu'un art qu'ils étudioient, & par lequel ils se persuadoient pouvoir expliquer les songes. Mais Daniel expliqua le songe de Nabuchodonosor par inspiration ; ce qui fit dire au prince, que l'esprit des saints dieux étoit en lui.

Il ne faut pourtant pas déguiser au sujet du songe de Nabuchodonosor, qu'il y a une contradiction apparente dans le ch. iv. v. 7. & 8. & le ch. ij. v. 5. & 12. du livre qui porte le nom de Daniel. On rapporte au ch. iv. l'édit de Nabuchodonosor, par lequel il défend de blasphémer le Dieu des juifs. Il y fait le récit de ce qui s'étoit passé à l'occasion du songe qu'il avoit eu. Il déclare qu'ayant récité ce songe aux philosophes ou mages de Chaldée, aucun d'eux n'avoit pu le lui expliquer, & que l'ayant ensuite récité à Daniel, ce prophete lui en avoit donné l'explication.

Le fait est rapporté bien différemment dans le second chapitre. Ici Nabuchodonosor ne vouloit jamais déclarer aux mages le songe qu'il avoit eu. Il prétendit qu'ils le devinassent, parce qu'il ne pouvoit s'assurer sans cela que leur explication fût vraie. Ils eurent beau protester que leur science ne s'étendoit pas si loin ; il ordonna qu'on les fît mourir comme des imposteurs. Daniel vint ensuite, à qui le roi ne dit point le songe en question ; au contraire il lui parla en ces termes : me pourriez-vous déclarer le songe que j'ai eu, & son interprétation ? Dan. ij. 26. Là-dessus Daniel lui fait le récit du songe & l'explique.

Un savant critique moderne trouve la contradiction de ces deux récits si palpable, & leur conciliation si difficile, qu'il pense qu'on doit couper le noeud, & reconnoître que les six premiers chapitres de Daniel ne sont pas de lui ; que ce sont des additions faites par des juifs postérieurs à son ouvrage, & que ce n'est qu'au chapitre sept que commence le livre de ce prophete. (D.J.)

SONGES, (Mythol.) enfans du sommeil, selon les poëtes. Les songes, dit Ovide, qui imitent toutes sortes de figures, & qui sont en aussi grand nombre que les épis dans les plaines, les feuilles dans les forêts, & les grains de sable sur le rivage de la mer, demeurent nonchalamment étendus autour du lit de leur souverain, & en défendent les approches. Entre cette multitude infinie de songes, il y en a trois principaux qui n'habitent que les palais des rois & des grands, Morphée, Phobetor & Phantase.

Pénélope ayant raconté un songe qu'elle avoit eu par lequel le prochain retour d'Ulysse & la mort de ses poursuivans lui étoient promis, ajoute ces paroles : " J'ai oui dire, que les songes sont difficiles à entendre, qu'on a de la peine à percer leur obscurité, & que l'événement ne répond pas toujours à ce qu'ils sembloient promettre, car on dit qu'il y a deux portes pour les songes, l'une est de corne & l'autre d'ivoire ; ceux qui viennent par la porte d'ivoire, ce sont les songes trompeurs qui font entendre des choses qui n'arrivent jamais ; mais les songes qui ne trompent point, & qui sont véritables, viennent par la porte de corne. Hélas, je n'ose me flatter que le mien soit venu par cette derniere porte " !

Horace & Virgile ont copié tour-à-tour cette idée d'Homere, & leurs commentateurs moralistes ont expliqué la porte de corne transparente, par l'air, & la porte d'ivoire, opaque, par la terre. Selon eux, les songes qui viennent de la terre, ou les vapeurs terrestres, sont les songes faux ; & ceux qui viennent de l'air ou du ciel, sont les songes vrais.

Lucien nous a donné une description toute poétique d'une île des songes dont le Sommeil est le roi, & la Nuit la divinité. Il y avoit des dieux qui rendoient leurs oracles en songes, comme Hercule, Amphiaraüs, Sérapis, Faunus. Les magistrats de Sparte couchoient dans le temple de Pasiphaë, pour être instruits en songes, de ce qui concernoit le bien public. Enfin on cherchoit à deviner l'avenir par les songes, & cet art s'appelloit onéirocritique. Voyez ce mot. (D.J.)

SONGE, (Poésie) fiction que l'on a employée dans tous les genres de poésie, épique, lyrique, élégiaque, dramatique : dans quelques-uns, c'est une description d'un songe que le poëte feint qu'il a, ou qu'il a eu ; dans le genre dramatique, cette fiction se fait en deux manieres ; quelquefois paroît sur la scene un acteur qui feint un profond sommeil, pendant lequel il lui vient un songe qui l'agite, & qui le porte à parler tout haut ; d'autres fois l'acteur raconte le songe qu'il a eu pendant son sommeil. Ainsi dans la Mariane de Tristan, Hérode ouvre la scene en s'éveillant brusquement, & dans la suite il rapporte ce songe qu'il a fait. Mais la plus belle description d'un songe qu'on ait donnée sur le théâtre, est celle de Racine dans Athalie ; épargnons au lecteur la peine d'aller la chercher. C'est Athalie qui parle scene v. acte II.

Un songe (me devrois-je inquieter d'un songe ?)

Entretient dans mon coeur un chagrin qui le ronge.

Je l'évite partout, partout il me poursuit.

C'étoit pendant l'horreur d'une profonde nuit.

Ma mere Jézabel devant moi s'est montrée,

Comme au jour de sa mort pompeusement parée.

Ses malheurs n'avoient point abattu sa fierté.

Même elle avoit encore cet éclat emprunté,

Dont elle eut soin de peindre & d'orner son visage,

Pour réparer des ans l'irréparable outrage.

Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.

Le cruel Dieu des juifs l'emporte aussi sur toi.

Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,

Ma fille.... En achevant ces mots épouvantables,

Son ombre vers mon lit a paru se baisser.

Et moi, je lui tendois mes mains pour l'embrasser,

Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mêlange

D'os & de chair meurtris, & traînés dans la fange,

Des lambeaux pleins de sang, & des membres affreux,

Que des chiens dévorans se disputoient entr'eux, &c. (D.J.)

SONGES, fêtes des (Hist. mod.) les sauvages de l'Amérique septentrionale appellent fête des songes ou du renversement de cervelle, une espece de bacchanale qui se célebre parmi eux vers la fin de l'hiver, & qui dure ordinairement 15 jours. Pendant ce tems, il est permis à chacun de faire toutes les folies que la fantaisie lui suggere. Chaque sauvage barbouillé ou déguisé de la maniere la plus bizarre, court de cabanes en cabanes, renverse & brise tout sans que personne puisse s'y opposer ; il demande au premier qu'il rencontre l'explication de son dernier rêve, & ceux qui devinent juste, sont obligés de donner la chose à laquelle on a rêvé. La fête finie, on rend tout ce qu'on a reçu, & l'on se met à réparer les desordres qu'une joie licencieuse a causés. Comme l'ivresse est souvent de la partie, il arrive quelquefois des tumultes & des catastrophes funestes dans ces sortes d'orgies, où la raison n'est jamais écoutée.


SONGERv. act. (Métaphys.) songer, c'est avoir des idées dans l'esprit, pendant que les sens extérieurs sont fermés, ensorte qu'ils ne reçoivent point l'impression des objets extérieurs avec cette vivacité qui leur est ordinaire ; c'est, dis-je, avoir des idées, sans qu'elles nous soient suggérées par aucun objet de dehors, ou par aucune occasion connue, & sans être choisies ni déterminées en aucune maniere par l'entendement ; quant à ce que nous nommons extase, je laisse juger à d'autres si ce n'est point songer les yeux ouverts.

L'esprit s'attache quelquefois à considérer certains objets avec une si grande application, qu'il en examine les faces de tous côtés, en remarque les rapports & les circonstances, & en observe chaque partie avec une telle contention qu'il écarte toute autre pensée, & ne prend aucune connoissance des impressions ordinaires qui se font alors sur les sens, & qui dans d'autres tems lui auroient communiqué des perceptions extrêmement sensibles. Dans certaines occasions, l'homme observe la suite des idées qui se succedent dans son entendement, sans s'attacher particulierement à aucune ; & dans d'autres rencontres, il les laisse passer, sans presque jetter la vue dessus, comme autant de vaines ombres qui ne font aucune impression sur lui.

Dans l'état où l'ame se trouve aliénée des sens, c'est-à-dire, dans le sommeil, elle conserve souvent une maniere de penser foible & sans liaison, que nous nommons songer ; & enfin un profond sommeil ferme entierement la scene, & met fin à toutes sortes d'apparences. Voilà des réflexions supérieures sur ce mode de penser, elles sont de Locke. (D.J.)


SONGOS. m. (Hist. nat.) oiseau qui se trouve en Afrique, & surtout dans le royaume de Congo & d'Abyssinie. Il est très-friand de miel sauvage qu'il fait découvrir aux voyageurs par le cri qu'il fait, lorsqu'il en a rencontré. Cette raison est cause qu'on ne leur fait point de mal, & l'on risqueroit de leur déplaire, si on les tuoit.

SONGO ou SONHO, (Géog. mod.) province d'Afrique, dans la basse Ethiopie, au royaume de Congo, & dépendante de ce roi. Elle est située le long du fleuve Zaïre, & s'étend jusqu'au bord méridional de la riviere de Le lunde. Ce pays abonde en éléphans, en singes, en chats de mer & en palmiers. Les habitans sont payens. (D.J.)


SONGSON(Géog. mod.) île de l'Océan oriental, la douzieme des îles Marianes, à vingt lieues d'Agrigan, & à cinq de Mang ou Tunas. On lui donne six lieues de tour. Il y a dans cette île un volcan. Latit. septentrionale 20. 15. (D.J.)


SONNAS. f. (Hist. mod.) c'est le nom que les Mahométans donnent à un recueil de traditions contenant les faits & les paroles remarquables de Mahomet leur prophete. Quoique ce recueil soit rempli de rêveries les plus absurdes & les plus destituées de vraisemblance, ils l'ont en très-grande vénération, & c'est après le koran ou l'alkoran, le livre qui a le plus d'autorité chez les sectateurs de la religion mahométane. La sonna est, pour ainsi dire, un supplément à cet ouvrage ; elle contient, outre les traditions dont on a parlé, les réglemens & les décisions des premiers califes ou successeurs de Mahomet : ce qui constitue un corps de Théologie dont il n'est point permis de s'écarter. L'attachement des Mahométans pour cet ouvrage leur a fait donner le nom de Sonnites ou Traditionites. Quelques-uns des faits merveilleux qui y sont rapportés, sont même attestés & confirmés par l'alcoran, & deviennent par-là des articles de foi. Tels sont les miracles de Mahomet, son voyage au ciel, & d'autres événemens merveilleux dont le prophete fait attester la vérité par la voix de Dieu-même. Les Sonnites regardent l'alcoran comme coéternel à Dieu. Ils ont encore des opinions relatives à la politique par lesquelles ils different de ceux qu'ils appellent Shutes au sectaires schismatiques : ces derniers regardent les califes ou successeurs de Mahomet qui ont précédé Ali, gendre de ce prophete, comme des usurpateurs, ils prétendent que c'est à Ali que l'autorité pontificale & souveraine étoit dévolue de droit après la mort de Mahomet. Les Persans sont shutes, & les Turcs, ainsi que les Arabes, sont sonnites : ces deux sectes s'anathématisent réciproquement ; & ont l'une pour l'autre toute la haine dont les opinions religieuses peuvent rendre les hommes susceptibles. Les Sonnites assurent qu'au jour du jugement, leurs adversaires seront montés sur les épaules des Juifs qui les conduiront au grand trot en enfer. Les Sonnites se divisent en quatre sectes principales qui sont toutes regardées comme orthodoxes par tous les Musulmans qui ne sont point shutes. Voyez SHUTES.


SONNAILLES. f. (Gramm.) cloche de cuivre battu mince qu'on pend au cou des mulets.

SONNAILLE, s. m. (Maréchal.) on appelle ainsi un cheval qui porte une clochette pendue au cou, & qui marche devant les autres.


SONNANTadj. (Gramm.) qui rend du son. Un vers sonnant ; une tête sonnante. Au figuré, une proposition mal sonnante. Ce qui sonne mal à l'oreille d'un théologien scholastique, sonne quelquefois très-bien à l'oreille de la raison.


SONNEBERGou SUANEBERG, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la nouvelle Marche du Brandebourg, sur la rive gauche de la Warte.


SONNEBOURG(Géog. mod.) petite contrée d'Allemagne dans le Tirol, & de la dépendance de la maison d'Autriche, avec le titre de comté.


SONNERv. n. (Gramm.) rendre du son. J'entends sonner une cloche, du cor. Sonnez, menétriers ; il se dit alors de tout instrument. Cette période sonne bien à l'oreille ; cette proposition sonne mal. Il fait sonner bien haut une petite chose. V. les articles SON.

SONNER LE QUART, (Marine) c'est sonner une cloche en branle afin d'avertir la partie de l'équipage qui est couchée, de se lever pour venir faire le quart.

SONNER POUR LA POMPE, (Marine) c'est donner un coup de cloche pour avertir les gens du quart de pomper.

SONNER une monnoie, (Monnoie) c'est l'éprouver par le son. Les trois manieres d'éprouver les monnoies dans le commerce, sont de les sonner, de les toucher, c'est-à-dire d'en faire l'épreuve par la pierre-de-touche, & de les cisailler. Il n'y a guere que cette derniere qui soit sûre. On dit que les Indiens connoissent le titre de l'or & de l'argent en les maniant, ou en les mettant entre les dents ; mais en ce cas-là on les tromperoit souvent. (D.J.)


SONNERIES. f. (Gramm.) l'assemblage ou le bruit de plusieurs cloches. On dit, la sonnerie de cette paroisse est très-considérable & très-belle. Il y a dans les églises la grande & la petite sonnerie qui ont chacune leur taxe.

SONNERIE, (Horlog.) nom que les horlogers donnent à la partie d'une horloge qui sert à faire sonner les heures, la demie ou les quarts.

On ne sait point dans quel tems on a inventé les sonneries ; ce qu'il y a de sûr, c'est qu'elles ont été employées dans les plus anciennes horloges à roues : on pourroit même croire qu'elles furent imaginées avant. Car si l'on fait attention à ce qui a été rapporté dans l'article HORLOGE, au sujet de celle qui fut envoyée à Charlemagne, on verra qu'elle avoit une espece de sonnerie, puisqu'il y avoit des boules d'airain, qui à chaque heure frappoient régulierement sur un petit tambour de même métal, un nombre de coups égal à l'heure marquée par l'horloge.

Comme toutes les sonneries sont construites à-peu-près sur les mêmes principes, nous allons expliquer celle d'une pendule à ressort à quinze jours, d'autant plus que cette sonnerie est des plus usitées, & que lorsqu'on en aura une fois bien compris l'effet, il sera facile d'entendre celui de toutes les autres.

Sonnerie d'une pendule à ressort sonnant l'heure & la demie. Q, P, O, M, N, L, voyez les fig. & les Pl. de l'Horlogerie, représente le rouage d'une sonnerie vue de face. Q est le barillet denté à sa circonférence. Le nombre de ses dents est 84. Il engrene dans le pignon P de la seconde roue, de 14 ; celle-ci a 72, & engrene dans le pignon de la troisieme roue, ou roue de chevilles qui est de 8 ; cette roue a 10 chevilles & 60 dents ; elle mene le pignon de la roue d'étoquiau, qui est de 6, & celle-ci la roue N, qui a aussi un étoquiau ; enfin cette derniere engrene dans le pignon du volant L. Le nombre de ces derniers pignons est ordinairement de 6, mais celui de leur roue est assez indéterminé ; il doit être cependant tel que les dents de ses roues ne soient pas trop menues, & que le volant ait une vîtesse convenable pour pouvoir ralentir celle du rouage. Quant à la seconde roue, à la roue de chevilles & à celle d'étoquiau, leur nombre est déterminé. Il faut que celle-ci fasse un tour par coup de marteau ; que la roue de chevilles fasse 9 tours pour un de la seconde roue, celle-ci portant le chaperon. Ainsi on voit que la seconde roue ayant 72 dents, le pignon de la roue de chevilles est de 8 ; & que cette derniere roue étant de 60, le pignon de la roue d'étoquiau est de 6.

On voit dans une autre fig. le profil de cette sonnerie. p f est la détente, qui est mieux exprimée ailleurs ; la partie F entre dans les entailles du chaperon, dont nous parlerons plus bas, & la partie p sert à arrêter la sonnerie en s'opposant au mouvement de la cheville m de la roue d'étoquiau.

La partie E, qu'on ne peut voir distinctement dans le profil, est exprimée dans une figure suiv. où l'on voit cette pendule du côté du cadran qui est ôté. Cette partie s'appuie sur le détentillon D, c, b, qui a une partie H représentée plus bas, & qui est marquée h dans le profil. Il sert par la partie c b, à faire détendre la sonnerie, & par l'autre h à faire que cette sonnerie parte à l'heure précise. Le marteau A Y est mobile, vers ses deux extrêmités ; il a une espece de palette en Y qui s'avance vers la cage, & qui est menée par des chevilles de la roue o o pour le faire sonner. On va voir comment toutes ces parties agissent ; 1° pour faire sonner la pendule, & 2°. pour qu'elle le fasse d'une maniere précise.

Supposant que le ressort qui est dans le barillet tende à le faire tourner de Q en W, il est clair que si le rouage étoit libre, il tourneroit ; & que la roue O tournant de o en p, ses chevilles leveroient le marteau, & le feroient frapper sur le timbre. Mais supposant que l'étoquiau m au profil vienne frapper sur la partie p de la détente, le rouage ne pourra plus tourner. Or si l'on dégage cet étoquiau en écartant la détente, il est clair que le rouage devenant libre, la pendule sonnera : voici donc comment cela s'exécute. Le détentillon par sa branche, s'avance devant la roue des minutes B. Cette roue a deux chevilles opposées l'une à l'autre, & situées de façon que lorsque l'aiguille des minutes est sur 25 ou 55 minutes, elles commencent à le lever. Imaginant donc cette aiguille dans l'une ou l'autre de ces positions, il est clair que levant le détentillon, celui-ci levera en même tems la partie E de la détente, & par conséquent dégagera la partie p de la cheville m, au profil, & qu'ainsi le rouage étant libre, la pendule sonneroit : mais dans le même instant la partie h du détentillon arrêtant la cheville k fixée sur la roue n, le rouage est encore arrêté de nouveau ; ainsi la pendule ne peut sonner, que lorsqu'en conséquence du mouvement de la roue des minutes, le détentillon n'étant plus soutenu par la cheville de cette roue, il tombe, & dégage la cheville h : alors le rouage peut tourner, & la pendule sonner.

Maintenant voici comment elle est déterminée à sonner un nombre de coups toujours égal à l'heure marquée par des aiguilles.

Nous avons dit plus haut que la détente a une partie F qui entre dans les entailles du chaperon, dont on voit le plan dans une autre fig. Ce chaperon entre quarrément sur l'arbre de la seconde roue prolongé au-delà de la platine de derriere. Son diametre est tel que la partie f au profil de la détente reposant sur sa circonférence, son autre partie p est trop éloignée de l'étoquiau de la roue m pour qu'il puisse le rencontrer ; les entailles au contraire sont assez profondes pour que la partie f y reposant, la partie p rencontre l'étoquiau de la roue m ; de façon que dans ce dernier cas, la pendule ne peut sonner qu'un coup, parce que, comme nous l'avons dit, la roue d'étoquiau faisant un tour par coup de marteau ; lorsqu'on dégage pendant un instant sa cheville de la partie p, si cette roue peut achever son tour, la pendule sonnera, mais un coup seulement. Il est facile de conclure de tout ceci, que tant que la détente repose sur la circonférence du chaperon, la pendule sonnera ; mais que lorsqu'elle repose dans les entailles, elle ne pourra sonner qu'un coup, & seulement lorsque la partie p de la détente aura été dégagée de la cheville de la roue d'étoquiau.

La roue o o ayant dix chevilles, un de ses tours équivaut à 10 coups de marteau. De plus cette roue, comme nous l'avons dit, faisant neuf tours pour un de la seconde roue, il s'ensuit que ses chevilles leveront le marteau 90 fois pour un tour de cette roue, & par conséquent pour un du chaperon, puisqu'il est porté sur son axe. Donc si l'on suppose que la détente porte toujours sur la circonférence du chaperon, la pendule dans un de ses tours sonnera 90 coups, pendant chacun desquels le chaperon fera la 1/90, partie de son tour. Mais si l'on y fait attention, on verra que 90 est égal à 12 ; plus à la somme des nombres 1, 2, 3, 4, &c. jusqu'à 12 inclusivement. On pourra donc partager la circonférence du chaperon en 12 parties ; comme on le voit dans une des fig. qui contiendront chacune 1/90 2/90 3/90, &c. jusqu'à 12/90 inclusivement, & de plus laisser entre chacune de ces parties un intervalle égal encore à 1/90, & tant que la détente reposera sur ces parties, comme 10, 11, 12, &c. la pendule sonnera 10, 11, 12 coups. Or 90 est encore égal au nombre de coups qu'une pendule doit sonner dans 12 heures, puisque ce nombre est composé de 12 demies, & de la somme 78 des heures 1, 2, 3, 4, jusqu'à 12 inclusivement. Donc le chaperon faisant un tour en 12 heures, il fera sonner à la pendule le nombre des coups requis. Ainsi supposant que la détente repose sur une des entailles, comme 10 par exemple, & que l'aiguille des minutes soit sur le midi, la sonnerie, comme nous l'avons expliqué, partira, & la pendule sonnera 11 coups ou 11 heures ; après quoi la détente reposera au fond de l'entaille 11 ; & à la demie, la sonnerie partant encore, elle ne sonnera qu'un coup, comme nous l'avons déja dit. Imaginant encore que la détente réponde à la partie 3 du chaperon, que l'aiguille des heures soit sur 4 heures, celle des minutes sur midi, la pendule sonnera 4 heures ; & si elle continue de marcher à la demie, elle sonnera un coup, & à 5 heures elle en sonnera 5, ainsi de suite.

Nous avons dit que le chaperon est divisé en 12 parties ; mais la partie destinée pour une heure, aulieu d'être comme les autres, est confondue dans la fente qui est entre 1 & 12 ; parce que comme il ne faut qu'un coup pour une heure, elle est dans le cas d'une demie. Les entailles du chaperon, voyez les fig. sont un peu plus grandes qu'1/90 de sa circonférence, parce qu'elles doivent contenir en outre la partie F de la détente ; mais cela revient au même, celle-ci portant sur la circonférence du chaperon pendant un plus long-tems, qui répond à son épaisseur. Pour que l'heure sonne plus facilement, le côté de l'entaille, du sens duquel le chaperon tourne, comme A, voyez les fig. est limé en biseau, afin d'élever la détente plus facilement ; & que dès que le premier coup de l'heure a frappé, la détente posant sur la circonférence du chaperon, la pendule continue le reste des coups requis.

On conçoit facilement que ces effets d'une sonnerie peuvent s'exécuter par des moyens très - variés ; mais ceux que nous venons de décrire, étant des plus simples, les horlogers n'en employent point d'autres : de façon qu'on peut être sûr que dans toute sonnerie il y a toujours une force motrice pour faire frapper le marteau, un chaperon ou un équivalent pour en déterminer les coups, & deux détentes dont l'effet est à-peu-près de même que celui dont nous venons de parler, & qui servent à déterminer l'instant précis où la pendule doit sonner. Le volant & le pignon servent à ralentir la vîtesse du rouage, pour que l'intervalle entre les coups de marteau soit distinct. n'est par cette raison que dans toutes sortes de sonneries & dans les répétitions, le rouage doit être toujours composé d'un certain nombre de roues, afin que le volant puisse avoir une vîtesse suffisante pour produire cet effet.

Quant au calcul des nombres d'une sonnerie, la théorie en est très-facile. Les seules conditions sont 1°. que la roue des chevilles fasse un nombre de tours par rapport au chaperon, tel que, lorsque la pendule ou l'horloge sonne l'heure & la demie avec un nombre de chevilles quelconque, elle fasse donner 90 coups de marteau par tour de chaperon, & que lorsqu'elle ne sonne que les heures, elle n'en fasse donner que 78 ; ce qui est clair par ce que nous avons dit plus haut : 2°. il faut que la roue d'étoquiau fasse un tour par coup de marteau. Lorsque cette roue a deux especes de demi - anneaux ou cerceaux adaptés sur son plan, elle n'en fait qu'un demi. Enfin le chaperon devant faire deux tours par jour, il faut toujours que le nombre de ses tours soit double de celui des jours que va la pendule ou l'horloge sans être remontée ; & par-là le nombre de ses tours par rapport à ceux du barillet ou de la grande roue de sonnerie, sont encore déterminés. Nous allons rendre cela sensible par un exemple. On a vu que le barillet de cette sonnerie a 84 dents, & qu'il engrene dans le pignon de 14 de la seconde roue ; par conséquent le chaperon, qui est porté sur l'arbre de cette roue, fera 6 tours pour un du barillet : mais comme cette pendule va 18 jours, le chaperon doit faire 36 tours dans cet intervalle de tems ; par conséquent le barillet 6, puisqu'un des siens en vaut 6 du chaperon. On voit donc comment les tours du chaperon déterminent ceux du barillet ou de la grande roue. Voyez HORLOGE, PENDULE A RESSORT, CALCUL, NOMBRE, &c.

La sonnerie que nous venons d'expliquer, est celle que l'on employe en général dans les pendules ; mais comme on vient de voir que toutes les sonneries sont construites à - peu - près de même, celle des montres à sonnerie sont dans le même cas, & n'en different que par le volume ; & comme elles sont aujourd'hui presque hors d'usage, il est inutile de s'y étendre, d'autant plus que quiconque aura bien compris la mécanique de la sonnerie des pendules, concevra facilement celle des montres.


SONNET(Poésie) petit poëme de quatorze vers, qui demande tant de qualités, qu'à peine, entre mille, on peut en trouver deux ou trois qu'on puisse louer. Despréaux dit que le dieu des vers

Lui-même en mesura le nombre & la cadence,

Défendit qu'un vers foible y pût jamais entrer,

Ni qu'un mot déja mis osât s'y remontrer.

Voilà pour la forme naturelle du sonnet.

Il y a outre cela la forme artificielle, qui consiste dans l'arrangement & la qualité des rimes ; le même Despréaux l'a exprimée heureusement : Apollon

Voulut qu'en deux quatrains de mesure pareille,

La rime avec deux sons frappât huit fois l'oreille ;

Et qu'ensuite six vers artistement rangés

Fussent en deux tercets par le sens partagés.

Le tercet commence par deux rimes semblables, & l'arrangement des quatre derniers vers est arbitraire.

Ce poëme est d'une très-grande beauté. On y veut une chaîne d'idées nobles, exprimées sans affectation, sans contrainte, & des rimes amenées de bonne grace.

Boileau ne composa que deux sonnets dans le cours de sa vie. L'un commence :

Parmi les doux transports d'une amitié fidele, &c.

Il le fit très - jeune, & ne le désavouoit que par le scrupule trop délicat d'une certaine tendresse qui y est marquée, & qui ne convenoit pas, disoit-il, à un oncle pour sa niece. Son autre sonnet mérite d'être ici transcrit à la place de celui de Desbarreaux, que tout le monde sait par coeur à cause de sa beauté.

Nourri dès le berceau près de la jeune Orante,

Et non moins par le coeur que par le sang lié,

A ses jeux innocens enfant associé,

Je goûtois les douceurs d'une amitié charmante.

Quant un faux Esculape à cervelle ignorante,

A la fin d'un long mal vainement pallié,

Rompant de ses beaux jours le fil trop délié,

Pour jamais me ravit mon aimable parente.

O qu'un si rude coup me fit verser de pleurs !

Bientôt ma plume en main signalant mes douleurs,

Je demandai raison d'un acte si perfide.

Oui, j'en fis dès quinze ans ma plainte à l'univers ;

Et l'ardeur de venger ce barbare homicide,

Fut le premier démon qui m'inspira des vers.

Notre poëte satyrique n'a rien écrit de plus gracieux : A ses jeux innocens enfant associé : Rompant de ses beaux jours le fil trop délié : Fut le premier démon qui m'inspira des vers. Boileau a bien prouvé par ce morceau qu'on peut parler en poésie de l'amitié enfantine aussi bien que de l'amour, & que tout s'annoblit dans le langage des dieux. (D.J.)

SONNET en blanc, (Poésie) on appelle un sonnet en blanc, celui où il n'y a que les rimes, & dont les vers sont à remplir. Voyez BOUTS-RIMES. (D.J.)


SONNETTES. f. (Gram.) petite cloche dont on se sert dans les temples, pour avertir le peuple qu'on leve Dieu ; dans les maisons pour appeller les valets ; dans les rues pour faire allumer les lanternes ou balayer, &c.

SONNETTE, (Hydraul.) est une machine soutenue de deux arc-boutans & d'un rancher ; composée de deux montans ou coulisses à plomb, avec des poulies pour monter le mouton par un cordage que l'on tire ; on le laisse ensuite tomber sur la tête des pieux pour les enfoncer. (K)


SONNETTIERS. m. (Corps de jurande) ouvrier qui est réuni au corps des Fondeurs, & qui fait des grelots & de petites sonnettes pour les mulets. (D.J.)


SONNEURS. m. (Langue franç.) celui qui sonne les cloches pour avertir le peuple de ce qui se doit faire ou de ce qui se passe ; on a appellé autrefois sonneurs, ceux qui servoient la messe. Le seizieme canon du concile de Cologne tenu en 1310, ordonne que les sonneurs seront lettrés, pour pouvoir répondre au prêtre, & qu'ils serviront en surplis ; mais il n'y avoit pas besoin d'être lettré pour pouvoir répondre au prêtre, & moins encore pour servir en surplis. Ainsi je crois que par être lettré dans ce tems-là, on entendoit savoir lire. (D.J.)

SONNEUR, (Architect.) ouvrier qui tire les cordages des sonnettes ; il y en a ordinairement seize pour chaque sonnette, dont on se sert pour enfoncer des pieux dans la terre. (D.J.)


SONNOIS LE(Géog. mod.) petit pays de France, dans la province du Maine ; il a douze lieues de longueur, depuis Ballon jusqu'à Seez, & autant de largeur, depuis Alençon jusqu'au Perche. Mamers est son chef-lieu. (D.J.)


SONOBA(Géog. anc.) ville de l'Espagne Bétique ; Strabon, l. III. p. 143. est le seul des anciens qui parle de cette ville. (D.J.)


SONOREadj. (Gram.) qui rend beaucoup de son ; on distingue les corps en bruyans, sourds & sonores.


SONQUASLES, (Géog. mod.) peuples vagabonds d'Afrique, vers la partie méridionale : c'est une sorte de cafres qui habitent les montagnes, où ils vivent de racines & de chasse ; ce sont des voleurs de profession, qui enlevent tout le bétail qu'ils peuvent attraper. Leurs cabanes sont de branches de bois, entrelacées & couvertes de jonc ; ils ne se donnent pas la peine de les défaire, quand ils vont chercher de nouveaux pâturages. Il leur est plus commode d'en bâtir de nouvelles dans les lieux où ils se rendent ; parce qu'au cas qu'il leur prenne fantaisie de retourner dans leurs premiers gîtes, ils trouvent leurs cabanes toutes prêtes. Les habits d'hommes sont de peaux de bufles ou d'ânes sauvages cousues ensemble ; les femmes portent un parasol de plumes d'autruche autour de la tête. (D.J.)


SONRIERGRAND, (Dign. d'abbaye) nom qu'on donne dans l'abbaye de Remiremont au receveur général & administrateur des droits seigneuriaux. Le grand prevôt, le chancelier, & le grand sonrier, doivent chacun deux écus sols, le premier jour de l'an à la doyenne de l'abbaye de Remiremont ; il y a aussi une des chanoinesses de cette abbaye qui a le titre de sonriere. (D.J.)


SONSOROLîles, (Géog. mod.) petites îles de l'Océan indien, comprises au nombre de celles de Palos. Le P. Duberon jésuite, en découvrit deux en 1710. Il rapporte dans les lettres édifiantes, t. II. p. 77. que les habitans sont bien faits & robustes ; ils vont tout nuds, & ont les cheveux crépus. (D.J.)


SONTIATES(Géog. anc.) ancien peuple d'Aquitaine. Voyez SOTIATES.


SONZÉSS. m. (Hist. nat.) espece de choux ou de légume de l'île de Madagascar ; ses feuilles sont rondes & d'une grandeur extraordinaire ; elles ont le goût des choux ; mais la racine a celui des culs d'artichaux.


SOORou SOORA, ou SOER, (Géog. mod.) petite ville de Danemark, dans l'île de Sélande, entre Magel & Ringstadt, près d'un lac qui abonde en poisson. C'étoit autrefois une riche abbaye, qui est à présent un célebre collége. Long. 29. 27. latit. 55. 28. (D.J.)


SOPHENE(Géog. anc.) contrée de la grande Arménie ; Strabon, l. XI. p. 527. la met au nord de la Mésopotamie & de la Comagene, entre les monts Masius & Antilaurus. Selon Ptolémée, l. V. c. xiij. la Sophene s'étendoit à l'orient de l'Euphrate, entre la Basilissene au nord, l'Aclisene à l'orient, & l'Anzitene au midi. Procope, aedif. l. III. c. iij. en décrivant les diverses fortifications que l'empereur Justinien fit bâtir dans cette contrée, la nomme Sophanene ; elle est appellée Tzophanese & Tzophane, dans les authentiques : mais de même que dans le code, on entend par ces deux mots deux contrées différentes. (D.J.)


SOPHIou SOFI, s. m. (Hist. mod.) c'est un titre ou une qualité qu'on donne au roi de Perse, qui signifie prudent, sage, ou philosophe.

Quelques-uns prétendent que ce titre doit son origine à un jeune berger de ce nom, qui parvint à la couronne de Perse en 1370. D'autres le font venir des sophoi, sages, anciennement appellés magi. Vossius donne à ce mot une autre étymologie ; il observe que sophi, en arabe signifie laine : & il ajoute que les Turcs l'appliquoient par dérision aux rois de Perse, même depuis le tems d'Ismaël ; parce que suivant leur religion, ils ne doivent se couvrir la tête que d'un morceau d'étoffe de laine ordinairement rouge : c'est de - là qu'on appelle aussi les Perses kezelbaschs, c'est-à-dire têtes rouges. Mais Bochart assure que sophi dans le langage persan d'où il est tiré, signifie une personne qui suit sa religion dans toute sa pureté, & qui préfere le service de Dieu à toute autre chose ; & il le fait venir d'un ordre religieux qui porte ce nom. Voyez SOPHIS.

Les sophis font gloire de leur illustre extraction, & ce n'est pas sans raison, puisque cette famille ne le cede à aucune autre dans tout l'orient : ils sont descendus en droite ligne de Houssein, second fils d'Ali, cousin de Mahomet, & de Fathime, fille de Mahomet ; mais on prétend qu'elle a été éteinte dans la derniere révolution de Perse. Il n'y a point de prince dans le monde dont l'autorité soit plus absolue que celle des sophis de Perse ; leur pouvoir n'est jamais borné par aucune loi, même par celles qu'il pourroit établir ; car il les suspend, les change, les casse, comme il le juge à propos.


SOPHIAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Dodonée, Lobel, Gerard, & quelques autres anciens botanistes à l'espece de sisymbrium annuelle à feuilles d'absynthe, sisymbrium annuum, absynthii minoris folio, de Tournefort. Voyez SISYMBRIUM. (D.J.)


SOPHIANA(Géog. mod.) ville de Perse, dans l'Adir-Beitzan, à huit journées au nord-ouest de Tauris, dans un vallon marécageux, couvert de quantité d'arbres qui empêchent presque de voir cette ville avant qu'on soit dedans. Quelques - uns la prennent pour l'ancienne Sophie de Médie. (D.J.)


SOPHIESAINTE, (Architect.) c'étoit anciennement l'église patriarchale de Constantinople, bâtie par Constantin, qui la nomma Sophie, parce qu'il la dédia à la Sagesse éternelle. Un tremblement de terre ayant endommagé, & en partie ruiné ce superbe temple, Justinien le rebâtit. Evagrius, liv. IV. ch. xxx. & Procope se sont attachés à le décrire.

Il faut descendre de quelque côté qu'on entre. Son portique a sept entrées. Il y en a cinq de face qui sont ordinairement fermées ; la largeur de ce portique est de 32 piés, & de-là on entre dans sainte Sophie par neuf grandes ouvertures ; celle du milieu a 18 piés de haut, & les portes sont de cuivre rouge. Quatre pilastres larges de 47 piés, soutiennent le dôme qui en a 86 de diametre, & qui cependant est tellement écrasé, qu'il n'a de hauteur que la concavité d'un demi globe parfait.

Les galeries qui regnent tout-au-tour ont 53 piés de large, & sont appuyées de soixante-quatre colonnes. Celles de l'intérieur sont de marbre serpentin & de porphyre, hautes de 18 piés ; & les colonnes de dessous sont de marbre blanc, pareil à celui dont les murailles sont revêtues. Dans les galeries, il y a cinquante-deux colonnes de même ordre, & de matiere semblable à celles qui sont au bas. Au - dessous des portes du temple, il y a quatre petites colonnes de jaspe. Parmi les marbres dont sont pavées les galeries, on voit une pierre semblable au porphyre, que les Turcs ont en grande vénération.

Mais comme ils sont ennemis des Arts, ils ont détruit ou laissé périr la plus grande partie de cet ancien temple & ses décorations. Autrefois toutes les voûtes du temple étoient peintes en mosaïque, elles sont aujourd'hui barbouillées de blanc. Lorsque Ste. Sophie appartenoit aux chrétiens orientaux, les femmes se plaçoient dans les galeries, dont l'entrée étoit interdite aux hommes. Il y avoit aussi un autel qui ne subsiste plus ; mais on trouve à la place la niche où l'on met l'alcoran. Cette niche est tournée vers le Zébla, c'est-à-dire à l'orient, qui est le point du ciel vers lequel les Mahométans doivent se tourner dans leurs prieres. Le pavé de cette mosquée est de marbre, couvert de riches tapis de Turquie. On a pratique dans un coin de mur, une tribune destinée pour le grand-seigneur, qui s'y rend par un escalier dérobé. Il y a devant le portail des réduits de marbre en façon d'oratoires, couverts d'un petit dôme, qui servent de sépulture aux jeunes princes ottomans.

Au-delà du portique qui est devant cette mosquée, & dans lequel les femmes mahométanes viennent quelquefois faire leurs prieres, il y a plusieurs portes, dont une seule reste ouverte pour l'entrée. On y voit en-dehors quatre minarets ou petites tours à plusieurs étages, avec des balcons en saillie : les muozims y montent quatre à cinq fois le jour à certaines heures, pour appeller les turcs au naama, c'est-à-dire à l'oraison, car les Mahométans ne se servent point de cloches. Ceux qui voudront de plus grands détails, les trouveront dans Du-Loir. (D.J.)


SOPHIou SOPHÉES, s. m. (Hist. mod.) espece d'ordre de religieux mahométans en Perse, qui répond à celui qu'on appelle dervis, chez les Turcs & les Arabes ; & fakirs, chez les Indiens. Voyez DERVIS & FAKIRS.

Quelques-uns prétendent qu'on les nomme sophis, à cause d'une espece d'étoffe qu'ils portent qu'on appelle souf, parce qu'elle se fabrique dans la ville de Souf, en Syrie ; d'autres, parce qu'ils ne portent par humilité à leur turban, qu'une étoffe de laine qu'on nomme en arabe, sophi ; d'autres enfin veulent que ce soit du mot arabe sophie, qui signifie pur & simple, parce qu'ils professent la pure religion de Mahomet, qui est selon eux celle de la secte d'Aly.

Le plus éminent de ces sophis est toujours décoré du titre de scheik, c'est-à-dire révérend. Scheik sophi qui jetta les premiers fondemens de la grandeur de la maison royale de Perse, éteinte par les dernieres révolutions, fut le fondateur ou plutôt le restaurateur de cet ordre. Ismael qui conquit la Perse, étoit lui-même sophi, & se faisoit gloire de l'être. Il choisit tous ses gardes parmi les membres de cet ordre, & voulut que tous les grands seigneurs de sa cour fussent sophis. Le roi de Perse & les seigneurs continuent à y entrer, quoiqu'il soit à-présent tombé dans un grand mépris ; car les sophis du commun sont employés ordinairement en qualités d'huissiers ou de domestiques de la cour, & même d'exécuteurs de la justice ; & les derniers rois de Perse ne vouloient pas leur permettre de porter l'épée en leur présence. Ce mépris dans lequel sont les sophis, a été cause que les rois de Perse ont quitté ce titre pour prendre celui de scheik, qui signifie roi ou empereur. Mais M. de la Croix s'est trompé, en prétendant qu'ils n'avoient jamais porté le nom de sophi.


SOPHISMES. m. (Logique) le sophisme est le singe du syllogisme. Pour être séduisant & captieux, il faut nécessairement qu'il en affecte la figure & la mine. On peut dire de lui en général, que ce qu'il a de vicieux consiste dans une contravention à quelqu'une des regles générales ou particulieres de quelqu'une des quatre figures, d'où résultent toutes les sortes des syllogismes.

La logique du Port - Royal les réduit à sept ou huit, ne s'arrêtant pas à remarquer ceux qui sont trop grossiers pour surprendre les personnes un peu attentives.

Le premier, consiste à prouver autre chose que ce qui est en question. Ce sophisme est appellé par Aristote ignoratio elenchi, c'est-à-dire l'ignorance de ce qu'on doit prouver contre son adversaire ; c'est un vice très-ordinaire dans les contestations des hommes. On dispute avec chaleur, & souvent on ne s'entend pas l'un l'autre. La passion ou la mauvaise foi fait qu'on attribue à son adversaire ce qui est éloigné de son sentiment, pour le combattre avec plus d'avantage, ou qu'on lui impute les conséquences qu'on s'imagine pouvoir tirer de sa doctrine, quoiqu'il les désavoue & qu'il les nie.

Le second suppose pour vrai ce qui est en question ; c'est ce qu'Aristote appelle pétition de principe. On peut rapporter à ce sophisme tous les raisonnemens où l'on prouve une chose inconnue, par une qui est autant ou plus inconnue, ou une chose incertaine, par une autre qui est autant ou plus incertaine.

La troisieme prend pour cause ce qui n'est point cause. Ce sophisme s'appelle non causa pro causâ, il est très-ordinaire parmi les hommes, & on y tombe en plusieurs manieres : c'est ainsi que les Philosophes ont attribué mille effets à la crainte du vuide, qu'on a prouvé démonstrativement en ce tems & par des expériences ingénieuses, n'avoir pour cause que la pesanteur de l'air. On tombe dans le même sophisme, quand on se sert des causes éloignées & qui ne prouvent rien, pour prouver des choses ou assez claires d'elles-mêmes, ou fausses, ou du-moins douteuses. L'autre cause qui fait tomber les hommes dans ce sophisme, est la sotte vanité qui nous fait avoir honte de reconnoître notre ignorance ; car c'est de-là qu'il arrive que nous aimons mieux nous forger des causes imaginaires des choses dont on nous demande raison, que d'avouer que nous n'en savons pas la cause ; & la maniere dont nous nous échappons de cette confession de notre ignorance est assez plaisante. Quand nous voyons un effet dont la cause est inconnue, nous nous imaginons l'avoir découverte, lorsque nous avons joint à cet effet un mot général de vertu ou de faculté, qui ne forme dans notre esprit aucune autre idée, sinon que cet effet a quelque cause ; ce que nous savions bien, avant d'avoir trouvé ce mot. Ceux qui ne font point profession de science, & à qui l'ignorance n'est pas honteuse, avouent franchement qu'ils connoissent ces effets, mais qu'ils n'en savent pas la cause ; au lieu que les savans qui rougiroient d'en dire autant, s'en tirent d'une autre maniere, & prétendent qu'ils ont découvert la vraie cause de ces effets, qui est, par exemple, qu'il y a dans les arteres une vertu pulsifique, dans l'aimant une vertu magnétique, dans le sené une vertu purgative, & dans le pavot une vertu soporifique. Voilà qui est fort commodément résolu ; & il n'y a point de Chinois qui n'eût pû avec autant de facilité, se tirer de l'admiration où on étoit des horloges en ce pays-là, lorsqu'on leur en apporta d'Europe ; car il n'auroit eu qu'à dire, qu'il connoissoit parfaitement la raison de ce que les autres trouvoient si merveilleux, & que ce n'étoit autre chose, sinon qu'il y avoit dans cette machine une vertu indicatrice qui marquoit les heures sur le cadran, & une vertu sonorifique qui les faisoit sonner : il se seroit rendu par-là aussi savant dans la connoissance des horloges, que le sont ces Philosophes dans la connoissance du battement des arteres, & des propriétés de l'aimant, du sené & du pavot.

Il y a encore d'autres mots qui servent à rendre les hommes savans à peu de frais, comme de sympathie, d'antipathie, de qualités occultes. Ce qui les rend ridiculement savans, c'est qu'ils s'imaginent l'être effectivement, pour avoir trouvé un mot auquel ils attachent une certaine qualité imaginaire, que ni eux ni personne n'a jamais conçue.

Le quatrieme consiste dans un dénombrement imparfait. C'est le défaut le plus ordinaire des personnes habiles que de faire des dénombremens imparfaits, & de ne considérer pas assez toutes les manieres dont une chose peut être ou peut arriver ; d'où ils concluent témérairement, ou qu'elle n'est pas, parce qu'elle n'est pas d'une certaine maniere, quoiqu'elle puisse être d'une autre : ou qu'elle est de telle & telle façon, quoiqu'elle puisse être encore d'une autre maniere qu'ils n'ont pas considérée.

Le cinquieme fait juger d'une chose par ce qui ne lui convient que par accident. Ce sophisme est appellé fallacia accidentis. Il consiste à tirer une conclusion absolue, simple & sans restriction de ce qui n'est vrai que par accident : c'est ce que font tant de gens qui déclament contre l'antimoine, parce qu'étant mal appliqué, il produit de mauvais effets ; & d'autres qui attribuent à l'éloquence tous les mauvais effets qu'elle produit, quand on en abuse ; ou à la Médecine les fautes de quelques ignorans.

On tombe aussi souvent dans ce mauvais raisonnement, quand on prend les simples occasions pour les véritables causes ; comme qui accuseroit la religion chrétienne d'avoir été la cause du massacre d'une infinité de personnes, qui ont mieux aimé souffrir la mort que de renoncer Jesus-Christ ; au lieu que ce n'est ni à la religion chrétienne, ni à la constance des martyrs qu'on doit attribuer ces meurtres, mais à la seule injustice & à la seule cruauté des payens.

On voit aussi un exemple considérable de ce sophisme dans le raisonnement ridicule des Epicuriens, qui concluoient que les dieux devoient avoir une forme humaine, parce que dans toutes les choses humaines, il n'y avoit que l'homme qui fût doué de la raison. " Les dieux, disoient-ils, sont très-heureux : nul ne peut être heureux sans la vertu : il n'y a point de vertu sans la raison, & la raison ne se trouve nulle part ailleurs qu'en ce qui a la forme humaine : il faut donc avouer que les dieux sont en forme humaine. " Voilà qui n'est pas bien conclu. En vérité ce que M. de Fontenelle a dit des anciens, savoir qu'ils ne sont pas sujets, sur quelque matiere que ce soit, à raisonner dans la derniere perfection, n'est point exagéré. " Souvent, dit cet auteur ingénieux, de foibles convenances, de petites similitudes, des jeux d'esprit peu solides, des discours vagues & confus passent chez eux pour des preuves ; aussi rien ne leur coute à prouver ; mais ce qu'un ancien démontroit en se jouant, donneroit à l'heure qu'il est, bien de la peine à un pauvre moderne ; car de quelle rigueur n'est-on pas sur les raisonnemens ? On veut qu'ils soient intelligibles, on veut qu'ils soient justes, on veut qu'ils concluent. On aura la malignité de démêler la moindre équivoque ou d'idées ou de mots ; on aura la dureté de condamner la chose du monde la plus ingénieuse, si elle ne va pas au fait. Avant M. Descartes on raisonnoit plus commodément ; les siecles passés sont bienheureux de n'avoir pas eu cet homme-là ".

Le sixieme passe du sens divisé au sens composé, ou du sens composé au sens divisé ; l'un de ces sophismes s'appelle fallacia compositionis, & l'autre fallacia divisionis. J. C. dit dans l'Evangile, en parlant de ses miracles : les aveugles voyent, les boiteux marchent droit, les sourds entendent. Il est évident que cela ne peut être vrai qu'en prenant ces choses séparément, c'est-à-dire dans le sens divisé. Car les aveugles ne voyoient pas demeurant aveugles, & les sourds n'entendoient pas demeurant sourds. C'est aussi dans le même sens qu'il est dit dans les Ecritures, que Dieu justifie les impies ; car cela ne veut pas dire qu'il tient pour justes ceux qui sont encore impies, mais bien qu'il rend justes, par sa grace, ceux qui étoient impies.

Il y a au contraire, des propositions qui ne sont vraies qu'en un sens opposé à celui-là, qui est le sens divisé. Comme quand S. Paul dit : que les médisans, les fornicateurs, les avares n'entreront point dans le royaume des cieux, car cela ne veut pas dire que nul de ceux qui auront eu ces vices ne seront sauvés, mais seulement que ceux qui y demeureront attachés ne le seront pas.

Le septieme passe de ce qui est vrai à quelque égard, à ce qui est vrai simplement ; c'est ce qu'on appelle dans l'école, à dicto secundum quid, ad dictum simpliciter. En voici des exemples. Les Epicuriens prouvoient encore que les dieux devoient avoir la forme humaine, parce qu'il n'y en a point de plus belle que celle-là, & que tout ce qui est beau doit être en dieu. C'étoit fort mal raisonner ; car la forme humaine n'est point absolument une beauté, mais seulement au regard des corps ; & ainsi n'étant une perfection qu'à quelque égard & non simplement, il ne s'ensuit point qu'elle doive être en dieu, parce que toutes les perfections sont en dieu.

Nous voyons aussi dans Cicéron, au III. livre de la nature des dieux, un argument ridicule de Cotta contre l'existence de Dieu, qui a le même défaut. " Comment, dit-il, pouvons-nous concevoir Dieu, ne lui pouvant attribuer aucune vertu ? Car, dirons-nous, qu'il a de la prudence, mais la prudence consistant dans le choix des biens & des maux, quel besoin peut avoir Dieu de ce choix, n'étant capable d'aucun mal ? Dirons-nous qu'il a de l'intelligence & de la raison, mais la raison & l'intelligence nous servent à nous, à découvrir ce qui nous est inconnu par ce qui nous est connu ; or il ne peut y avoir rien d'inconnu à Dieu ? La justice ne peut aussi être en Dieu, puisqu'elle ne regarde que la société des hommes ; ni la tempérance, parce qu'il n'a point de voluptés à modérer ; ni la force, parce qu'il n'est susceptible ni de douleur ni de travail, & qu'il n'est exposé à aucun péril. Comment donc pourroit être Dieu, ce qui n'auroit ni intelligence ni vertu " ? Ce qu'il y a de merveilleux dans ce beau raisonnement, c'est que Cotta ne conclud qu'il n'y a point de vertu en Dieu, que parce que l'imperfection qui se trouve dans la vertu humaine n'est pas en Dieu. Desorte que ce lui est une preuve que Dieu n'a point d'intelligence, parce que rien ne lui est caché ; c'est-à-dire qu'il ne voit rien, parce qu'il voit tout ; qu'il ne peut rien, parce qu'il peut tout ; qu'il ne jouit d'aucun bien, parce qu'il possede tous les biens.

Le huitieme enfin, se réduit à abuser de l'ambiguité des mots ; ce qui se peut faire en diverses manieres. On peut rapporter à cette espece de sophisme, tous les syllogismes qui sont vicieux, parce qu'il s'y trouve quatre termes, soit parce que le moyen terme y est pris deux fois particulierement, ou parce qu'il est susceptible de divers sens dans les deux prémisses ; ou enfin parce que les termes de la conclusion ne sont pas pris de la même maniere dans les prémisses que dans la conclusion. Car nous ne restraignons pas le mot d'ambiguité, aux seuls mots qui sont grossierement équivoques, ce qui ne trompe presque jamais ; mais nous comprenons par-là tout ce qui peut faire changer du sens à un mot, par une altération imperceptible d'idées, parce que diverses choses étant signifiées par le même son, on les prend pour la même chose.

Ainsi quand vous entendrez le sophisme suivant :

Les apôtres étoient douze,

Judas étoit apôtre ;

Donc Judas étoit douze.

le sophiste aura beau dire que l'argument est en forme ; pour le confondre, sans nulle discussion ni embarras, démêlez simplement l'équivoque du mot les apôtres. Ce mot les apôtres signifie dans le syllogisme en question, les apôtres en tant que pris tous ensemble & faisant le nombre de douze. Or dans cette signification, comment dire dans la mineure, or Judas étoit apôtre ? Judas étoit-il apôtre en tant que les apôtres sont pris tous ensemble au nombre de douze ?

Citons encore pour exemple ce sophisme burlesque.

Le manger salé fait boire beaucoup ;

Or boire beaucoup fait passer la soif :

Donc le manger salé fait passer la soif.

Ce sophisme porte un masque de syllogisme ; mais il sera bientôt démasqué par une simple attention : c'est que le moyen terme, qui paroît le même dans la premiere & dans la seconde proposition, change imperceptiblement à la faveur d'un petit mot qui est de plus dans l'une, & qui est de moins dans l'autre. Or un petit mot ne fait pas ici une petite différence. Une diphtongue altérée causa autrefois de furieux ravages dans l'Eglise ; & une particule changée, n'en fait pas de moindres dans la Logique pour conserver au moyen terme, le même sens dans les deux propositions. Il falloit énoncer dans la mineure, or faire boire beaucoup fait passer la soif. Au lieu de cela, on supprime ici dans la mineure, le verbe faire devant le mot boire, ce qui change le sens, puisque faire boire & boire, ne sont pas la même chose.

On pourroit appeller simplement le sophisme, une équivoque ; & pour en découvrir le vice ou le noeud, il ne faudroit que découvrir l'équivoque.


SOPHISTES. m. (Gram. & Hist. anc. ecclés.) qui fait des sophismes, c'est-à-dire qui se sert d'argumens subtils, dans le dessein de tromper ceux qu'on veut persuader ou convaincre. Voyez SOPHISME & GYMNOSOPHISTE. Ce mot est formé du grec , sage, ou plutôt de , imposteur, trompeur.

Le terme sophiste, qui maintenant est un reproche, étoit autrefois un titre honorable, & emportoit avec soi une idée bien innocente. S. Augustin observe qu'il signifioit un rhéteur ou professeur d'éloquence, comme étoient Lucien, Athaenée, Libanius, &c.

Suidas, & après lui Olar. Celsius, dans une dissertation expresse sur les sophistes grecs, nous déclare que ce mot s'appliquoit indifféremment à tous ceux qui excelloient dans quelque art ou science, soit théologiens, jurisconsultes, physiciens, poëtes, orateurs ou musiciens. Mais il semble que c'est donner à ce mot un sens trop étendu. Il est possible qu'un rhéteur ait fait des vers, &c. mais que ce soit en vertu de son talent poétique qu'on l'ait nommé sophiste, c'est ce que nous ne voyons point de raison de croire. Quoi qu'il en soit, Solon est le premier qui paroît avoir porté ce nom, qui lui fut donné par Isocrate ; ensuite on le donna assez rarement, mais seulement aux philosophes & aux orateurs.

Le titre de sophiste fut en grande réputation chez les Latins dans le douzieme siecle, & dans le tems de S. Bernard. Mais il commença à s'introduire chez les Grecs dès le tems de Platon, par le moyen de Protagoras & de Gorgias, qui en firent un métier infâme en vendant l'éloquence pour de l'argent. C'est de-là que Séneque appelle les sophistes, des charlatans & des empyriques.

Cicéron dit que le titre de sophiste se donnoit à ceux qui professoient la Philosophie avec trop d'ostentation, dans la vûe d'en faire un commerce, en courant de place en place pour vendre en détail leur science trompeuse. Un sophiste étoit donc alors comme à-présent, un rhéteur ou logicien qui faisoit son occupation de décevoir & embarrasser le peuple par des distinctions frivoles, de vains raisonnemens & des discours captieux.

Rien n'a plus contribué à accroître le nombre des sophistes, que les disputes des écoles de philosophie. On y enseigne à embarrasser & obscurcir la vérité par des termes barbares & inintelligibles, tels que antiprédicamens, grands & petits logicaux, quiddités, &c.

On donna le titre de sophiste à Rabanus Maurus, pour lui faire honneur. Jean Hinton, moderne auteur scholastique anglois, a fait ses efforts pour se procurer le titre magnifique de sophiste.


SOPHISTIQUERv. act. (Gram. & Com.) signifie mélanger, altérer des drogues & des marchandises, en y en mêlant d'autres de différente ou de moindre qualité. Il se dit particulierement des remedes & des drogues qu'on soupçonne n'être pas toujours sans mélange. Dict. de Com.


SOPHISTIQUERIES. f. (Com.) mélange de drogues de mauvaise qualité que l'on veut faire passer avec des bonnes. Id. ibid. pag. 159.


SOPHONIELIVRE DE, (Critiq. sacr.) le livre sacré de sophonie, ne contient que trois chapitres. Son style est assez semblable à celui de Jérémie, dont il semble n'être que l'abréviateur. C'est le neuvieme des douze petits prophetes ; mais nous ne savons rien de sa vie, que ce qu'il nous apprend lui-même de sa naissance, ch. j. v. 1. savoir, qu'il étoit fils de Chusi, de la tribu de Siméon. Il vivoit du tems de Josias, qui commença son regne l'an du monde 3363, & il y a beaucoup d'apparence qu'il prophétisoit avant que ce prince religieux eût réformé les desordres de ses sujets. Sophonias peint vivement leur idolâtrie, menace Jérusalem de toute la colere du Seigneur, & finit néanmoins par des promesses consolantes sur le retour de la captivité. (D.J.)


SOPHOZAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par Linnaeus, au genre de plante appellé par Dillénius, dans son Hort. Eysstet. p. 112. ervi species ; en voici les caracteres : le calice de la fleur est en forme de cloche, composé d'une seule feuille, divisée en cinq segmens obtus à l'extrêmité : la fleur est légumineuse à cinq pétales, dont le supérieur est droit & oblong, devenant plus large au sommet, & se courbant dans les bords : les aîles sont au nombre de deux, aussi longues que la fleur supérieure des fleurs : les étamines sont dix filets distincts, pointus, & de la même longueur que la fleur, mais cachés : les bonnettes des étamines sont petites, le germe du pistil est oblong & cylindrique : le stigma est obtus, le fruit est une gousse très-longue & très-déliée, contenant une seule loge marquée de tubérosités, où sont contenues des graines arrondies, & nombreuses. Linn. gen. pl. p. 177. (D.J.)


SOPHRONISTESS. m. (Ant. grecq.) ; on nommoit ainsi chez les Athéniens, dix magistrats chargés de veiller aux bonnes moeurs de la jeunesse, & l'endroit où l'on enfermoit les jeunes gens indociles, pour les corriger, s'appelloit . Potter. Archaeol. graec. l. I. ch. xxv. t. I. p. 84. & 130. (D.J.)


SOPIANAE(Géog. anc.) ville de la basse Pannonie, marquée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route de Sirmium à Carnuntum. Le nom moderne est Zéeblack, selon Simler, & Soppan, selon Lazius. (D.J.)


SOPITHESREGION DES, (Géog. anc.) Sopithis regio, la région des Sopithes, Sopithis regio, est une contrée de l'Inde, Strabon, l. XV. p. 699, qui l'appelle aussi Cathea, dit que quelques-uns la placent entre les fleuves Hydaspes & Acésines ; Diodore de Sicile distingue la terre des Cathéens, du royaume des Sopithes.

Quoi qu'il en soit, Strabon remarque qu'on racontoit des choses merveilleuses de la beauté de ce pays & des qualités de ses chevaux, & de ses chiens. Onésicrite, dit-il, rapporte que parmi ces peuples, on choisissoit le plus bel homme pour le mettre sur le trône, & que deux mois après qu'un enfant étoit né, on examinoit publiquement s'il étoit bien conformé, & s'il étoit digne de vivre, ou non. C'étoit aussi une coutume particuliere aux Cathéens, que les mariages dépendissent du choix de l'amant & de la maîtresse, sans que le consentement des parens fût requis. Dans ce même pays, il y avoit une race de chiens admirables ; Alexandre en reçut des Sopithes, cent cinquante en présent. Ces sortes de chiens ne lâchoient jamais prise. Quinte - Curce, l. IX. c. 1. raconte quelques autres particularités de ce peuple singulier. (D.J.)


SOPOLO(Géog. mod.) ville à demi ruinée des états du Turc, dans l'Albanie, au canton appellé le Canina, à environ douze lieues de Butrinto, vers le nord, & à quelque distance de la bouche du golfe de Venise. Les uns la prennent pour l'ancienne Hecatonpedum, d'autres pour Olpae, & d'autres pour Castria. (D.J.)


SOPORANTSOPORIFIQUE, ou SOPORIFERE, (Médecine) est une médecine qui a la vertu de procurer le sommeil. Voyez SOMMEIL. Tel est l'opium, le laudanum, &c. Voyez OPIUM, LAUDANUM, &c.

Ce mot vient du latin sapor, sommeil. Les Grecs au lieu de ce mot, se servent du mot hypnotic. Voy. HYPNOTIC.

SOPORIFIQUES, maladies soporifiques, endormantes, assoupissantes, sont le coma ou cataphora, la léthargie, & le carus, lesquelles semblent différer les unes des autres par le plus & le moins, plutôt que par leur essence. Elles s'accordent en ce qu'elles sont toutes accompagnées de stupeur. Voyez COMA, CARUS, LETHARGIE, &c.


SOPRON(Géog. mod.) comté de la basse Hongrie. Il est borné au nord par les terres de l'Autriche ; à l'orient, par les comtés de Mosom & de Javarin ; au midi, par celui de Sarwar ; au couchant, par l'Autriche.

Le comté prend son nom de sa capitale, qu'on appelle Edenbourg ; elle est située sur une petite riviere, à l'occident du lac de Ferto. Longitude 36. 37. latitude 47. 55. (D.J.)


SORest la même chose que saurage. Voyez SAURAGE.

SOR, (Géog. mod.) nom de deux petites rivieres de France ; l'une est dans le Languedoc, au Lauragais ; elle passe à Sorèze, & se jette dans l'Agout ; l'autre dans l'Alsace, a sa source au mont de Vosge, & se perd dans le Rhin, à Offentorff. (D.J.)


SORA(Géog. anc.) nom commun à plusieurs villes. 1°. C'est une ville de l'Asie mineure dans la Paphlagonie. 2°. Ville de l'Arabie déserte, aux confins de la Mésopotamie. 3°. Ville de l'Inde en-deçà du Gange selon Ptolémée, l. VII. chap. j. ses interpretes croyent que c'est à-présent Bisnagar. 4°. Ville de la Phénicie. 5°. Ville d'Italie, dans la Campanie, selon Strabon, & dans le Latium, selon Ptolémée. Tite-Live en fait une colonie romaine. Elle fut saccagée par l'empereur Frédéric II. sous le pontificat de Grégoire IX. On ne sait par qui elle a été rétablie, mais c'est actuellement un évêché qui releve du saint siege.

C'est dans l'ancienne Sora, ville de la Campanie, que naquit Quintus-Valérius-Soranus. Il florissoit au cinquieme siecle de Rome, & passoit pour le plus savant homme qui eût paru entre les auteurs latins, litteratissimum togatorum omnium, dit Cicéron, l. III. de Oratore. Il observa dans ses ouvrages une méthode que Pline a pris soin d'imiter ; c'est qu'il y joignit des sommaires qui faisoient que chaque lecteur pouvoit choisir ce qui lui convenoit, sans avoir la peine de lire le tout. Deux vers qui nous restent de Soranus, semblent témoigner qu'il pensoit que Dieu est la cause immanente de toutes choses ; opinion qui ne differe point du spinosisme. Voici ces deux vers :

Jupiter omnipotens, rerumque, deûmque rex,

Progenitor, genitrixque deûm, deus unus, & omnis.

(D.J.)

SORA, (Géog. mod.) petite ville d'Italie, dans la terre de Labour, au royaume de Naples, près de la riviere de Carigliano, à vingt lieues au sud-est de Rome. Elle a titre de duché, & un évêque qui ne releve que du saint siege. Elle a été bâtie sur les ruines de l'ancienne Sora, qui fut saccagée & brûlée par l'empereur Frédéric II. sous le pontificat de Grégoire IX. Long. 31. 15. lat. 41. 46.

Baronius (César), savant cardinal, naquit à Sora, en 1538, & mourut à Rome, bibliothécaire du Vatican, en 1605, à 68 ans.

Il a donné les annales ecclésiastiques en latin, ouvrage qui contient en 12 tomes in fol. l'histoire ecclésiastique, depuis Jesus-Christ, jusqu'à l'an 1198. Baronius entreprit cet ouvrage à l'âge de 30 ans, pour réfuter les centuriateurs de Magdebourg. C'étoit une grande entreprise, & au-dessus des forces de l'auteur, d'autant plus que son manque de connoissance de la langue grecque, devoit le détourner de ce travail. En s'y dévouant, il auroit dû se contenter de rapporter les faits de l'histoire ecclésiastique, sans entrer dans des controverses de parti, & dans les intérêts de la cour de Rome ; enfin son style n'est ni pur, ni le moins du monde agréable.

Le savant P. Pagi, de l'ordre de S. François, a fait une critique des annales de Baronius en 4 vol. in-fol. dont le premier parut en 1697, & les trois derniers en 1705. D'autres savans, Casaubon, le cardinal Noris, Richard de Montaigu, Blondel, & M. de Tillemont, ont publié leurs remarques critiques sur les annales de Baronius. Un libraire de Lucques en a donné une nouvelle édition, avec les corrections de ces savans au bas des pages. Le meilleur, sans-doute, seroit de composer une nouvelle histoire de l'Eglise, exacte, complete , & exempte des défauts & des milliers de fautes qui se trouvent dans celle du cardinal napolitain.

Peu s'en fallut qu'il ne succédât à Clément VIII. mais le cardinal de Vérone s'expliqua si fortement pour lui donner l'exclusion, qu'il fit changer les suffrages : Monseigneur illustrissime, dit-il au cardinal Spinelli, qui soutenoit Baronius, " ce sujet n'est point propre à soutenir le fardeau du pontificat ; il n'est ni théologien, ni canoniste, ni versé dans les sciences ; c'est un écrivain piquant, & rapsodiste : tant s'en faut qu'il fût bon à gouverner l'église universelle, que je doute fort qu'il sçut gouverner une église particuliere ". Enfin l'Espagne lui donna l'exclusion pour la papauté, à cause de son livre de la Monarchie de Sicile, & la douleur qu'il en eut abrégea le cours de sa vie. (D.J.)

SORA, s. m. (Hist. nat. Bot. exot.) nom donné par le peuple de Guinée, à une espece de buisson dont les feuilles sont de la grandeur & de la figure de celles du séné ; les habitans du pays les font bouillir dans l'eau, & en prennent la colature, contre toutes sortes de douleurs d'entrailles. Transact. philos. n. 231. (D.J.)


SORABESLES, (Géog. anc.) Sorabi, peuples de la Germanie, compris au nombre des Vénèdes, & ensuite comptés parmi les Slaves. Dans le moyen âge, ils habitoient sur le bord de la Sala, & s'étendoient jusqu'à l'Elbe. Il est souvent parlé des Sorabes, dans les annales de Charlemagne ; on y voit l'année 782, que ce prince apprit que les Sorabes slaves, qui habitoient entre l'Elbe & la Sala, avoient fait des courses sur les terres des Thuringiens & des Saxons, qui étoient leurs voisins. Sous l'année 806, il est dit que l'empereur envoya son fils Charles à la tête d'une armée, dans la terre des Slaves, appellés Sorabes, qui habitoient sur le bord de l'Elbe ; & Eginhart, dans la vie de Charlemagne, dit que la riviere Sala séparoit les Thuringiens d'avec les Sorabes.


SORACTES(Géog. anc.) montagne d'Italie, dans l'Etrurie, aux confins des Falisques, & dans le voisinage du Tibre. Servius fait entendre qu'elle n'étoit pas éloignée de la voie flaminienne. Horace parle de cette montagne, au premier livre de ses odes. Ode IX.

Vides ut altâ stet nive candidum

Soracte.

Au pié de cette montagne, il y avoit sur une éminence, une ville, ou du moins une forteresse de même nom ; & c'est ce que Virgile entend par ce vers de son Enéïde, l. VII. v. 699.

Hi Soractis habent arces, flaviniaque arva.

La montagne de Soracte étoit consacrée à Apollon. ibid. l. v. 785.

Sancti custos Soractis Apollo.

Silius Italicus, liv. VIII. v. 493. dit la même chose.

Qui sacrum Phaebo Soracte frequentant.

Au bas du mont Soracte, sur les bords du Tibre, s'élevoit un temple consacré à la déesse Féronie ; ce temple, & le culte de la déesse, avoient été de tout tems communs aux Sabins & aux Latins ; les uns y alloient offrir leurs voeux : les autres y étoient attirés par la foire célebre qui s'y tenoit. Quelques Romains s'y étant rendus, furent insultés par les Sabins, qui les dépouillerent de leur argent, & les retinrent en captivité ; ce qui fit naître une guerre entre les deux peuples, dans la quatre-vingt douzieme année de Rome.

Le nom moderne, selon Léander, est monte di S. Silvestro, & par corruption, monte S. Tresto. Cette montagne a été ainsi appellée à cause du pape Silvestre, qui s'y retira durant la persécution exercée contre les chrétiens ; au sommet de cette montagne, qui est d'un accès très-difficile, est un bourg de même nom, & tout proche il y a un monastere qu'on dit avoir été bâti en l'honneur de S. Silvestre, par Carloman, frere de Pepin, & chef des François, avant qu'il se fût retiré au monastere du mont Cassin. Il y en a qui disent que le temple & le petit bois consacré à Apollon, étoient dans l'endroit où l'on voit aujourd'hui le monastere.

Le mont Soracte étoit à vingt-six milles de Rome, entre le Tibre & la voie Flaminienne ; c'est-là que les Hirpes, c'est-à-dire certaines familles du pays, marchoient impunément sur des charbons ardens, après s'être frottés d'un certain onguent la plante des piés, au rapport de Varron & de Pline. (D.J.)


SORADÉENVERS, (Poésie anc.) on nommoit vers soradéens du tems de Quintilien, des vers licencieux, faits pour gâter le coeur & l'esprit. On les appelloit ainsi, du nom de leur auteur Sorades, poëte d'Alexandrie, qui s'étoit distingué en ce genre. Ces vers soradéens étoient composés ou d'iambes, ou de trochées, ou de dactyles, ou d'anapestes. (D.J.)


SORAIREadj. (Soirie) il se dit de deux fils envergés qui se trouvent ensemble sur la même verge ou canne, parce que l'intermédiaire qui les séparoit s'est cassé.


SORAMELA, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique, dans la Terre-ferme, à douze lieues de celle de Surinam. Les Indiens qui habitent sur ses bords, sont caraïbes. (D.J.)


SORANUS(Mytholog.) surnom que les Sabins donnoient au dieu de la mort. Le mot Sora en leur langue signifioit cercueil.


SORATOou SARATOF, (Géogr. moderne) ville de l'empire Russien, dans le royaume d'Astracan, sur un bras du Volga, au penchant d'une montagne, avec un fauxbourg qui s'étend le long de la riviere. Les maisons de cette ville, & même la plûpart des églises, sont de bois. Longitude 67. 15. latit. 52. 12.


SORAW(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la haute Saxe, sur les confins de la Silesie, capitale du marquisat de Lusace, près du Bober, à 2 lieues au nord-est de Sagan, & à 7 sud de Crossen. Long. 32. 55. latit. 51. 37.

Neander (Michel), un des plus célebres littérateurs allemands du xvj. siecle, naquit à Soraw en 1525, & mourut à Isfeld l'an 1595, âgé de 70 ans. Entre ses principaux ouvrages qu'il a publiés, je nomme 1°. les erotemata linguae graecae, Basilaea 1553 & 1565 in -8°. La préface qu'il a mise à la tête de la seconde édition, est une dissertation sur les bibliotheques anciennes, où il parle des livres qui sont perdus, & sur les bibliotheques de son tems les mieux fournies en manuscrits grecs. 2°. Linguae hebreae erotemata, Basil. 1556, in -8°. & plusieurs autres fois. La préface de cet ouvrage traite, comme la précédente, de la langue hébraïque en général, des ouvrages & des savans les plus célebres dans les langues orientales. 3°. Opus aureum & scholasticum, Lipsiae 1575, in -8°. Ce recueil contient le poëme de Colluthus de Lycoplis sur l'enlevement d'Hélene, celui de Thryphiodore d'Egypte, sur la ruine de Troie, & trois livres de Quintus Calaber, ou Cointe le Calabrois, sur le même sujet. 4°. Chronicon & historia Ecclesiae, Lipsiae 1590, in -8°. 5°. Orbis terrae partium simplex enumeratio. Lipsiae 1582, 1586, 1589 & 1597, in -8°. Cet ouvrage assez curieux dans le tems où il parut, ne l'est plus pour nous.

Fabricius, Morhof, Baillet, & finalement le P. Niceron, ont beaucoup parlé de ce littérateur. Il ne faut pas le confondre, comme ont fait quelques bibliothécaires, avec le Neander (Michel), physicien & médecin, né à Souchimestal, en 1529, & mort en 1581. Ce dernier a donné entr'autres ouvrages une synopsis mensurarum & ponderum, à Basle, 1556, in -4°.


SORBETS. m. (Confit. & boisson des Turcs) celui que les Turcs boivent ordinairement n'est qu'une infusion de raisins secs, dans laquelle ils jettent une poignée de neige : cette boisson ne vaut pas la tisane de l'hôtel-Dieu de Paris.

Tournefort raconte dans ses voyages, qu'étant dans l'île de Crete sur le mont Ida, il s'avisa de faire du sorbet pour rétablir ses forces épuisées des fatigues qu'il avoit essuyées en grimpant cette montagne. " Nous remplîmes, dit-il, nos tasses d'une belle neige crystallisée à gros grains, & la diposâmes par couche avec du sucre, sur lequel on versoit ensuite d'excellent vin, tout cela se fondoit promtement en secouant les tasses ". Ce sorbet est sans contredit meilleur que celui des turcs ordinaires ; car ceux qui sont riches & raffinés font leur sorbet avec du suc de limon & de citrons confis au sucre, qu'on délaie dans de l'eau glacée ; ainsi le sorbet des turcs riches est une composition seche faite de citron, de sucre, d'ambre, &c. Ils appellent aussi du même nom le breuvage que l'on fait de cette composition battue avec de l'eau ; mais les pauvres gens ne boivent guere de cette espece de sorbet. (D.J.)


SORBIERS. m. (Hist. nat. Bot.) sorbus, genre de plante qui differe de ceux du poirier & de l'alisier par la disposition des feuilles ; elles naissent par paires dans le sorbier comme celles du frêne. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SORBIER, voyez CORNIER.

On distingue communément deux especes de ce genre de plante, le sorbier cultivé, & le sorbier sauvage, Le sorbier ou cornier cultivé ordinaire, est le sorbus sativa, I. R. H. 633. en anglois, the common service-tree ; il a la racine longue, dure, grosse, ligneuse. Elle produit un arbre grand & branchu, dont le tronc est droit, couvert d'une écorce rude, ou un peu raboteuse, pâle ; son bois est fort dur, compact, rougeâtre.

Ses feuilles sont oblongues, rangées plusieurs ensemble sur une côte comme celles du frêne, dentelées en leurs bords, velues, molles, verdâtres en-dessus, blanchâtres en-dessous, d'un goût acerbe & styptique.

Ses fleurs sont petites, blanches, jointes plusieurs ensemble en forme de grappes, portées sur de longs pédicules, qui sortent d'entre les feuilles ; chacune d'elles est composée de cinq feuilles disposées en rose. Après que ces fleurs sont tombées, le calice devient un fruit de la forme & de la grosseur d'une petite poire, dur, charnu, de couleur verdâtre, ou pâle d'un côté, & rougeâtre de l'autre, rempli d'une chair jaunâtre, d'un goût très-acerbe ; ce fruit s'appelle en latin sorbum, en françois sorbe ou corne. Il ne murit point ordinairement sur l'arbre ; on le cueille en automne, & on le met sur de la paille, où il devient mou, doux, bon, & assez agréable à manger ; il renferme dans un follicule membraneux, quelques semences ou pepins applatis.

Cet arbre vient naturellement dans certaines contrées ; il aime les montagnes froides, & un terrein pierreux ; on le cultive aussi dans les vergers & les vignobles, quoiqu'il croisse très-lentement ; il fleurit en Avril & Mai, & son fruit n'est mûr qu'en Novembre.

Le sorbier ou cornier sauvage, sorbus sylvestris, C. B. P. 415. Raii, hist. 1457, sorbus aucuparia, I. R. H. 634, en anglois, the wild-service, est un arbre de grandeur médiocre ; son tronc est droit, branchu, couvert d'une écorce brune, rougeâtre, sous laquelle il s'en trouve une autre qui est jaune, d'une odeur puante, & d'un goût amer. Ses feuilles sont plus pointues que celles du sorbier cultivé, fermes, lisses, sans poil, & varient beaucoup suivant les lieux.

Ses fleurs sont petites, blanches, odorantes, attachées plusieurs ensemble, en maniere d'ombelle ; il leur succede des fruits semblables aux baies de l'olivier, d'un jaune mêlé de vermillon, d'un goût acerbe & désagréable, mais dont les merles & les grives sont fort friands, d'où vient que les oiseleurs s'en servent comme d'appât pour prendre ces oiseaux au filet ou autrement. (D.J.)

SORBIER ou CORNIER, (Diete & Mat. méd.) le fruit de cet arbre est du nombre de ceux dont les hommes se nourrissent, & qui possedent en même tems des vertus véritablement médicamenteuses. La sorbe ou corne a, comme aliment & comme remede, la plus parfaite analogie avec la cornouille & avec la neffle. Voyez CORNOUILLE, NEFFLE, & ce qui est dit de l'usage des cornes à l'article CORMIER, hist. nat. (b)


SORBONNES. f. (Hist. mod.) college de théologie, fameux dans l'université de Paris, & qui tire son nom de Robert de Sorbon son fondateur. Celui-ci, qui étoit confesseur & aumonier du roi S. Louis, ayant formé en 1256, le dessein d'établir un college en faveur de 16 pauvres étudians en théologie, 4 de chaque nation de l'université, le roi donna à ce college plusieurs maisons qui étoient de son domaine dans la rue Coupe-gueule, vis-à-vis le palais des Thermes, & au moyen de quelques échanges de rentes, Robert de Sorbon fit bâtir dans cet emplacement ce college pour 16 écoliers & un proviseur, c'est-à-dire, un principal ou supérieur. On les appelloit les pauvres de Sorbonne, & leur maison la pauvre Sorbonne, pauper Sorbonna. Mais par la suite elle s'enrichit, & de college destiné à loger des étudians, elle devint une société particuliere dans la faculté de théologie de Paris, & une retraite pour un certain nombre de docteurs & de bacheliers de cette maison. Cependant elle s'étoit toujours maintenue dans son ancienne simplicité, jusqu'au tems que le cardinal de Richelieu la fit rebâtir avec une magnificence, qui seule seroit capable d'immortaliser son nom : ce qu'on y admire le plus c'est l'église dans laquelle est le mausolée de ce cardinal. Trois grands corps de logis comprennent, outre la bibliotheque, la salle des actes, la salle à manger, les cuisines, &c. trente-six appartemens pour les docteurs & bacheliers de la maison, & ces appartemens sont donnés à l'ancienneté. Pour être admis dans cette maison, dès qu'on a été reçu bachelier en théologie, il faut professer un cours de philosophie dans quelque college de l'université, cependant on postule, ou, comme on dit, on supplie pour être aggrégé à la maison & société, & l'on soutient un acte que l'on appelle Robertine, du nom du fondateur, ce que les bacheliers font ordinairement avant que d'entrer en licence. De ceux qui sont de la maison, on en distingue de deux sortes ; les uns sont de la société, & ont droit de demeurer en Sorbonne, & de donner leur suffrage dans les assemblées de la maison, les autres sont de l'hospitalité, c'est-à-dire, aggrégés à la maison sans être de la société. On les appelle ordinairement docteurs licenciés ou bacheliers de la maison & société de Sorbonne. Mais leur véritable titre, & celui qu'ils prennent dans les actes de la faculté, est docteurs licenciés & bacheliers de la faculté de théologie de Paris, de la maison & société de Sorbonne ; ce qu'on exprime en latin par doctor, licentiatus, ou baccalaureus theologus sacrae facultatis Parisiensis, socius Sorbonicus. On donne aussi communément aux autres docteurs de la faculté le titre de docteur de Sorbonne ; & bien des gens en prennent occasion de penser que la maison de Sorbonne a quelque supériorité dans la faculté de théologie de Paris. Cette maison respectable par les hommes célebres qu'elle a produits, par les savans qui la composent, & par ceux qu'elle forme encore tous les jours, n'est après tout qu'une société particuliere, comme plusieurs autres, & surtout celle de Navarre, qui composent le corps de la faculté de théologie avec une autorité & des fonctions parfaitement égales dans les assemblées, & les autres actes de faculté. Il est vrai encore que les assemblées soit ordinaires, soit extraordinaires de la faculté se tiennent dans la grande salle de Sorbonne ; mais cet usage ne tire point à conséquence, parce qu'elle s'assembloit autrefois aux mathurins, & qu'elle peut encore s'assembler dans telle maison de son corps qu'elle juge à-propos.

Il y a proche de la Sorbonne des écoles extérieures, où six professeurs, dont quatre sont entretenus par le roi, & deux ont été fondés par des particuliers, font des leçons reglées de théologie. Ces chaires sont toujours remplies par des sujets de la maison de Sorbonne, laquelle nomme aussi à plusieurs autres places, comme à celle de grand maître du college Mazarin, dont les chaires de philosophie, ainsi que celles du college du Plessis, sont toujours données à des membres de la maison & société de Sorbonne. Le premier supérieur de la maison se nomme proviseur ; & dans l'intérieur, l'autorité, c'est-à-dire, le maintien des réglemens & du bon ordre, appartient au chef des docteurs, qu'on nomme senieur de Sorbonne, & au chef des bacheliers en licence, qu'on appelle prieur de Sorbonne. Voyez PRIEUR & SENIEUR.

Pour ce qui concerne la bibliotheque de cette maison. Voyez le mot BIBLIOTHEQUE.


SORCELLERIES. f. (Magie) opération magique, honteuse ou ridicule, attribuée stupidement par la superstition, à l'invocation & au pouvoir des démons.

On n'entendit jamais parler de sortileges & de maléfices que dans les pays & les tems d'ignorance. C'est pour cela que la sorcellerie régnoit si fort parmi nous dans le xiij. & xiv. siecles. Les enfans de Philippe le Bel, dit M. de Voltaire, firent alors entr'eux une association par écrit, & se promirent un secours mutuel contre ceux qui voudroient les faire périr par le secours de la sorcellerie. On brûla par arrêt du parlement une sorciere qui avoit fabriqué avec le diable un acte en faveur de Robert d'Artois. La maladie de Charles VI. fut attribuée à un sortilege, & on fit venir un magicien pour le guérir.

On vit à Londres la duchesse de Glocester accusée d'avoir attenté à la vie d'Henri VI. par des sortileges. Une malheureuse devineresse, & un prêtre imbécille ou scélerat qui se disoit sorcier, furent brûlés vifs pour cette prétendue conspiration. La duchesse fut heureuse de n'être condamnée qu'à faire une amende honorable en chemise, & à une prison perpétuelle. L'esprit de lumiere & de philosophie, qui a établi depuis son empire dans cette île florissante, en étoit alors bien éloigné.

La démence des sortileges fit de nouveaux progrès en France sous Catherine de Médicis ; c'étoit un des fruits de sa patrie transplantés dans ce royaume, On a cette fameuse médaille où cette reine est représentée toute nue entre les constellations d'Aries & Taurus, le nom d'Ebullé Asmodée sur sa tête, ayant un dard dans une main, un coeur dans l'autre, & dans l'exergue le nom d'Oxiel. On fit subir la question à Côme Ruggieri florentin, accusé d'avoir attenté par des sortileges à la vie de Charles IX. En 1606 quantité de sorciers furent condamnés dans le ressort du parlement de Bordeaux. Le fameux curé Gaufrédi brûlé à Aix en 1611, avoit avoué qu'il étoit sorcier, & les juges l'avoient cru.

Enfin ce ne fut qu'à la raison naissante vers la fin du dernier siecle, qu'on dut la déclaration de Louis XIV. qui défendit en 1672, à tous les tribunaux de son royaume d'admettre les simples accusations de sorcellerie ; & si depuis il y a eu de tems-en-tems quelques accusations de maléfices, les juges n'ont condamné les accusés que comme des prophanateurs, ou quand il est arrivé que ces gens-là avoient employé le poison.

On demandoit à la Peyrere, auteur des préadamites, mais qui d'ailleurs a composé une bonne histoire de Groenlande, pourquoi l'on parloit de tant de sorciers dans le nord qu'on supplicioit ; c'est, disoit-il, parce que le bien de tous ces prétendus sorciers que l'on fait mourir, est en partie confisqué au profit des juges.

Personne n'ignore l'histoire de l'esclave affranchi de l'ancienne Rome, qu'on accusoit d'être sorcier, & qui par cette raison fut appellé en justice pour y être condamné par le peuple romain. La fertilité d'un petit champ que son maître lui avoit laissé, & qu'il cultivoit avec soin, avoit attiré sur lui l'envie de ses voisins. Sûr de son innocence, sans être allarmé de la citation de l'édile Curule qui l'avoit ajourné à l'assemblée du peuple, il s'y présenta accompagné de sa fille ; c'étoit une grosse paysanne bien nourrie & bien vêtue, benè curatam & vestitam : il conduisit à l'assemblée ses boeufs gros & gras, une charrue bien équipée & bien entretenue, & tous ses instrumens de labour en fort bon état. Alors se tournant vers ses juges : Romains, dit-il, voilà mes sortileges, veneficia mea, quirites, haec sunt. Les suffrages ne furent point partagés ; il fut absous d'une commune voix, & fut vengé de ses ennemis par les éloges qu'il reçut. (D.J.)


SORCIERES. f. (Conchyliol.) nom que les Bretons donnent à une espece de sabot, qui est petite & plate. Voyez SABOT.

L'animal qui habite ce coquillage est très-petit, & à spirales applaties ; cet animal est ombiliqué, & tire sur la couleur cendrée, avec des taches brunes. Sa chair est reçue dans un sac brun foncé ; sa bouche est brune, ses yeux sont gros & noirs, ses cornes sont de la même couleur & coupées dans leur largeur par une ligne brune, ce qui les rend épaisses, & d'une pointe fort camuse.

Trois particularités se trouvent dans ce testacé ; la premiere consiste dans une petite languette charnue, ferme, & qui paroît sortir au fond de la poche. La seconde est une base charnue sur laquelle il rampe. Son opercule fait la troisieme différence ; il est mince & brillant.

On fait de fort belles fleurs à l'abbaye de la Joie (à 2 lieues du port de Lorient) avec du burgau & des sorcieres. (D.J.)

SORCIERES de Thessalie, (Mytholog.) la fable leur donnoit le pouvoir d'attirer par des enchantemens la lune sur la terre. Elles empruntoient leurs charmes des plantes venimeuses que leur pays fournissoit en abondance, depuis que Cerbere passant par la Thessalie lorsqu'Hercule l'emmenoit enchaîné au roi de Micènes, avoit vomi son venin sur toutes les herbes. Cette fable étoit fondée sur les plantes vénéneuses ou sur la beauté des femmes de Thessalie. (D.J.)


SORCIERSSORCIERS

Les payens ont reconnu qu'il y avoit des magiciens ou enchanteurs malfaisans, qui par leur commerce avec les mauvais génies ne se proposoient que de nuire aux hommes, & les Grecs les appelloient goétiques. Ils donnoient à l'enchanteur le nom d', au devin celui de . Par ils désignoient celui qui se servoit de poisons, & par , celui qui trompoit les yeux par des prestiges. Les Latins leur ont aussi donné différens noms, comme ceux d'empoisonneurs, venenarii & venefici, parce qu'en effet ils savoient préparer les poisons, & en faisoient usage : Thessaliens & Chaldéens : Thessali & Chaldaei, du nom des pays d'où sortoient ces magiciens : généthliaques & mathématiciens, genethliaci & mathematici, parce qu'ils tiroient des horoscopes, & employoient le calcul pour prédire l'avenir : devins, augures, aruspices, &c. arioli, augures, aruspices, &c. des différens genres de divination auxquels ils s'adonnoient. Ils appelloient les magiciennes lamies, lamiae, du nom d'une nymphe cruelle & forcenée, qu'on feignoit dévorer tous les enfans : sagae, terme qui dans l'origine signifioit une personne prévoyante, mais qui devint ensuite odieux, & affecté aux femmes qui faisoient profession de prédire l'avenir : striges, qui veut dire proprement des oiseaux nocturnes & de mauvais augure, nom qu'on appliquoit par métaphore aux magiciennes, qui, disoit-on, ne faisoient leurs enchantemens que pendant la nuit. On les trouve encore appellées dans les autres de la bonne latinité veratrices, veraculae, simulatrices, fictrices. Dans les loix des Lombards elles sont nommées mascae, à cause de leur figure hideuse & semblable à des masques, dit Delrio. Enfin on trouve dans Hincmar, & depuis fréquemment dans les autres qui ont traité de la magie, les mots sortiarii & sortiariae, que nous avons rendus par ceux de sorciers & de sorcieres.

Les anciens ne paroissent pas avoir révoqué en doute l'existence des sorciers, ni regardé leurs maléfices comme de simples prestiges. Si l'on ne consultoit que les poëtes, on admettroit sans examen cette multitude d'enchantemens opérés par les Circés, les Médées, & autres semblables prodiges par lesquels ils ont prétendu répandre du merveilleux dans leurs ouvrages. Mais il paroît difficile de recuser le témoignage de plusieurs historiens d'ailleurs véridiques, de Tacite, de Suétone, d'Ammien Marcellin, qu'on n'accusera pas d'avoir adopté aveuglément, & faute de bon sens, ce qu'ils racontent des opérations magiques. D'ailleurs pourquoi tant de loix séveres de la part du sénat & des empereurs contre les magiciens, si ce n'eussent été que des imposteurs & des charlatans propres tout au plus à duper la multitude, mais incapables de causer aucun mal réel & physique ?

Si des fausses religions nous passons à la véritable, nous trouverons qu'elle établit solidement l'existence des sorciers ou magiciens, soit par des faits incontestables, soit par les regles de conduite qu'elle prescrit à ses sectateurs. Les magiciens de Pharaon opérerent des prodiges qu'on n'attribuera jamais aux seules forces de la nature, & qui n'étoient pas non plus l'effet de la divinité, puisqu'ils avoient pour but d'en combattre les miracles. Je n'ignore pas que ces prodiges sont réduits par quelques modernes au rang des prestiges ; mais outre que ce n'est pas le sentiment le plus suivi, conçoit-on bien clairement qu'il soit du ressort de la nature de fasciner les yeux de tout un peuple, de le tromper longtems par de simples apparences, de lui faire croire que des spectres d'air ou de fumée sont des animaux & des reptiles qui se meuvent ? Si ce n'eussent été que des tours de charlatan, qui eût empêché Moïse si instruit de la science des Egyptiens, d'en découvrir l'artifice à Pharaon, à sa cour, à son peuple, & en les détrompant ainsi, de confirmer ses propres miracles ? Pourquoi eût-il été obligé de recourir à de plus grandes merveilles que celles qu'il avoit opérées jusque-là, & que les magiciens ne purent enfin imiter ? Prestiges pour prestiges, la production des moucherons, phantastiques ne leur eût pas dû couter davantage que celle des serpens ou de grenouilles imaginaires. Dans le livre de Job, satan demande à Dieu que ce saint homme soit frappé dans tous ses biens, & Dieu les lui livre, en lui défendant seulement d'attenter à sa vie ; ses troupeaux sont enlevés, ses enfans ensevelies sous les ruines d'une maison ; lui-même enfin se trouve couvert d'ulceres depuis la plante des piés jusqu'au sommet de la tête. L'histoire de l'évocation de l'ombre de Samuel faite par la pythonisse, & rapportée au xxviij. chap. du second liv. des Rois, ce que l'Ecriture dit ailleurs des faux prophetes d'Achab & de l'oracle de Beelzebuth à Accaron : tous ces traits réunis prouvent qu'il y avoit des magiciens & des sorciers, c'est-à-dire des hommes qui avoient commerce avec les démons.

On n'infere pas moins clairement la même vérité des ordres réitérés que Dieu donne contre les magiciens & contre ceux qui les consultent : Vous ferez mourir, dit-il, ceux qui font des maléfices ; maleficos non potieris vivere, Exod. xxij. v. 18. Même arrêt de mort contre ceux qui consultoient les magiciens & les devins : anima quae declinaverit ad magos & ariolos & fornicata fuerit cum illis... interficiam illam de medio populi mei. Levitic. xx. v. 6. Qu'il n'y ait personne parmi vous, dit-il encore à son peuple, qui fasse des maléfices, qui soit enchanteur, ou qui consulte ceux qui ont des pythons ou esprits, & les devins ou qui interroge les morts sur des choses cachées : nec inveniatur in te maleficus, nec incantator, nec qui pythones consulat, nec divinos, aut quaerat à mortuis veritatem, Deuteron. xviij. v. 10 : précautions & sévérités qui eussent été injustes & ridicules contre de simples charlatans, & qui supposent nécessairement un commerce réel entre certains hommes & les démons.

La loi nouvelle n'est pas moins précise sur ce point que l'ancienne ; tant d'énergumenes guéris par J. C. & ses apôtres, Simon & Elymas tous deux magiciens, la pythie dont il est parlé dans les actes des apôtres, enfin tant de faits relatifs à la magie attestés par les peres, ou attestés par les écrivains ecclésiastiques les plus respectables ; les décisions des conciles, les ordonnances de nos rois, & entr'autres de Charles VIII. en 1490, de Charles IX. en 1560, & de Louis XIV. en 1682. Les Jurisconsultes & les Théologiens s'accordent aussi à admettre l'existence des sorciers ; & sans citer sur ce point nos théologiens, nous nous contenterons de remarquer que les hommes les plus célebres que l'Angleterre ait produits depuis un siecle, c'est-à-dire, Mrs. Barrow, Tillotson, Stillingfleet, Jenkin, Prideaux, Clarke, Locke, Vossius, &c. ce dernier surtout remarque que ceux qui ne sauroient se persuader que les esprits entretiennent aucun commerce avec les hommes, ou n'ont lu les saintes Ecritures que fort négligemment, ou, quoiqu'ils se déguisent, en méprisent l'autorité. " Non possunt in animum inducere ulla esse in spiritibus commercia cum homine... sed deprehendi eos vel admodùm negligenter legisse sacras litteras, vel utcumque dissimularent, Scripturarum autoritatem parvi facere. Voss. epistol. ad. "

En effet dans cette matiere tout dépend de ce point décisif ; dès qu'on admet les faits énoncés dans les Ecritures, on admet aussi d'autres faits semblables qui arrivent de tems en tems : faits extraordinaires, surnaturels, mais dont le surnaturel est accompagné de caracteres qui dénotent que Dieu n'en est pas l'auteur, & qu'ils arrivent par l'intervention du démon. Mais comme après une pareille autorité il seroit insensé de ne pas croire que quelquefois les démons entretiennent avec les hommes de ces commerces qu'on nomme magie ; il seroit imprudent de se livrer à une imagination vive & tout-à-la-fois foible, qui ne voit par-tout que maléfices, que lutins, que phantômes & que sorciers. Ajouter foi trop légérement à tout ce qu'on raconte en ce genre, & rejetter absolument tout ce qu'on en dit, sont deux extrêmes également dangereux. Examiner & peser les faits, avant que d'y accorder sa confiance, c'est le milieu qu'indique la raison.

Nous ajouterons même avec le P. Malebranche, qu'on ne sauroit être trop en garde contre les rêveries des démonographes, qui sous prétexte de prouver ce qui a rapport à leur but, adoptent & entassent sans examen tout ce qu'ils ont vû, lû, ou entendu.

" Je ne doute point, continue le même auteur, qu'il ne puisse y avoir des sorciers, des charmes, des sortileges, &c. & que le démon n'exerce quelquefois sa malice sur les hommes, par la permission de Dieu. C'est faire trop d'honneur au diable, que de rapporter sérieusement des histoires, comme des marques de sa puissance, ainsi que font quelques nouveaux démonographes, puisque ces histoires le rendent redoutable aux esprits foibles. Il faut mépriser les démons, comme on méprise les bourreaux, car c'est devant Dieu seul qu'il faut trembler.... quand on méprise ses loix & son évangile.

Il s'ensuit de-là, (& c'est toujours la doctrine du P. Malebranche), que les vrais sorciers sont aussi rares, que les sorciers par imagination sont communs. Dans les lieux où l'on brûle les sorciers, on ne voit autre chose, parce que dans les lieux où on les condamne au feu, on croit véritablement qu'ils le sont, & cette croyance se fortifie par les discours qu'on en tient. Que l'on cesse de les punir, & qu'on les traite comme des fous, & l'on verra qu'avec le tems ils ne seront plus sorciers, parce que ceux qui ne le sont que par imagination, qui sont certainement le plus grand nombre, deviendront comme les autres hommes.

Il est sans-doute que les vrais sorciers méritent la mort, & que ceux même qui ne le sont que par imagination, ne doivent pas être regardés comme innocens, puisque pour l'ordinaire, ces derniers ne sont tels, que parce qu'ils sont dans la disposition du coeur d'aller au sabbat, & qu'ils se sont frottés de quelque drogue pour venir à bout de leur malheureux dessein. Mais en punissant indifféremment tous ces criminels, la persuasion commune se fortifie ; les sorciers par imagination se multiplient, & ainsi une infinité de gens se perdent & se damnent. C'est donc avec raison que plusieurs parlemens ne punissent point les sorciers " ; (il faut ajouter précisément comme sorciers, mais comme empoisonneurs, & convaincus de maléfices, ou chargés d'autres crimes, par exemple, de faire périr des bestiaux par des secrets naturels.) " Il s'en trouve beaucoup moins dans les terres de leur ressort, & l'envie, la haine, & la malice des méchans ne peuvent se servir de ce prétexte pour accabler les innocens ". Recherche de la vérité, liv. III. chap. vj.

Il est en effet étonnant qu'on trouve dans certains démonographes une crédulité si aveugle sur le grand nombre des sorciers, après qu'eux-mêmes ont rapporté des faits qui devroient leur inspirer plus de reserve. Tel est celui que rapporte en latin Delrio, d'après Monstrelet ; mais que nous transcrirons dans le vieux style de cet auteur, & qui servira à confirmer ce que dit le P. Malebranche, que l'accusation de sorcellerie est souvent un prétexte pour accabler les innocens.

" En cette année (1459), dit Monstrelet : en la ville d'Arras au pays d'Artois, advint un terrible cas & pitoyable, que l'en nommoit vaudoisie, ne sai pourquoi : mais l'en disoit que c'étoient aucunes gens, hommes & femmes, qui de nuit se transportoient par vertu du diable, des places où ils étoient, & soudainement se trouvoient en aucuns lieux arriere de gens, ès bois, ou ès déserts, là où ils se trouvoient en très-grand nombre hommes & femmes, & trouvoient illec un diable en forme d'homme, duquel ils ne vesient jamais le visage ; & ce diable leur lisoit ou disoit ses commandemens & ordonnances, & comment & par quelle maniere ils le devoient avrer & servir, puis faisoit par chacun d'eux baiser son derriere, & puis il bailloit à chacun un peu d'argent, & finalement leurs administroit vins & viandes en grand largesse, dont ils se repaissoient ; & puis tout-à-coup chacun prenoit sa chacune, & en ce point s'estaindoit la lumiere, & connoissoient l'un l'autre charnellement, & ce fait tout soudainement se retrouvoit chacun en sa place dont ils étoient partis premierement. Pour cette folie furent prins & emprisonnés, plusieurs notables gens de ladite ville d'Arras, & autres moindres gens, femmes folieuses & autres, & furent tellement gehinés, & si terriblement tourmentés, que les uns confesserent le cas leur être tout ainsi advenu, comme dit est ; & outre plus confesserent avoir veu & cogneu en leur assemblée plusieurs gens notables, prélats, seigneurs & autres gouverneurs de bailliages & de villes : voire tels, selon commune renommée, que les examinateurs & les juges leur nommoient & mettoient en bouche : si que par force de peines & de tormens ils les accusoient & disoient que voirement ils les y avoient veus ; & les aucuns ainsi nommés, étoient tantôt après prins & emprisonnés & mis à torture, & tant & si très-longuement, & par tant de fois que confesser le leur convenoit ; & furent ceux-ci qui étoient des moindres gens, exécutés & brûlés inhumainement. Aucuns autres plus riches & plus puissans se rachepterent par force d'argent, pour éviter les peines & les hontes que l'on leur faisoit ; & de tels y eut des plus grans, qui furent preschés & séduits par les examinateurs, qui leur donnoient à entendre, & leur promettoient s'ils confessoient le cas, qu'ils ne perdroient ne corps ne biens. Tels y eût qui souffrirent en merveilleux patience & constance, les peines & les tormens ; mais ne voulurent rien confesser à leur préjudice, trop bien donnerent argent largement aux juges, & à ceux qui les pouvoient relever de leurs peines. Autres y eut qui se absenterent & vuiderent du pays, & prouverent leur innocence, si qu'ils en demourerent paisibles, & ne fait ni à faire ce que plusieurs gens de bien cogneurent assez, que cette maniere d'accusation, fut une chose controuvée par aucunes mauvaises personnes, pour grever & déstruire, ou deshonorer, ou par ardeur de convoitise, aucunes notables personnes, que ceux hayoient de vieille haine, & que malicieusement ils feirent prendre meschantes gens tous premierement, auxquels ils faisoient par force de peines & de tormens, nommer aucuns notables gens tels que l'en leur mettoit à la bouche, lesquels ainsi accusez étoient prins & tormentez, comme dit est. Qui fût pour veoir au jugement de toutes gens de bien, une chose moult perverse & inhumaine, au grand deshonneur de ceux qui en furent notez, & au très-grand péril des ames de ceux qui par tels moyens vouloient deshonnorer gens de bien ". Monstrelet, 3e vol. des chroniques, fol. 84. édit. de Paris 1572. in-fol.

On renouvella ces procédures dans la même ville & avec les mêmes iniquités, au bout d'environ 30 ans ; mais le parlement de Paris rendit justice aux parties, par l'absolution des accusés, & par la condamnation des juges.

Malgré des exemples si frappans, on étoit encore fort crédule en France sur l'article des sorciers dans le siecle suivant.

En 1571, un sorcier nommé Trois-Echelles, fut exécuté en greve, pour avoir eu commerce avec les mauvais démons, & accusa douze cent personnes du même crime, dit Mézerai qui trouve ce nombre de douze cent bien fort ; car, ajoute-t-il, un auteur le rapporte ainsi, " je ne sai s'il le faut croire, car ceux qui se sont une fois rempli l'imagination de ces creuses & noires fantaisies, croyent que tout est plein de diables & de sorciers. ". L'auteur que Mézerai ne nomme point, mais qu'il désigne pour un démonographe, c'est Bodin. Or Bodin dans sa démonomanie, liv. IV. chap. j. dit que " Trois-Echelles se voyant convaincu de plusieurs actes impossibles à la puissance humaine, & ne pouvant donner raison apparente de ce qu'il faisoit, confessa que tout cela se faisoit à l'aide de satan, & supplia le roi (Charles IX.) lui pardonner, & qu'il en défereroit une infinité. Le roi lui donna grace, à charge de revéler ses compagnons & ses complices, ce qu'il fit, & en nomma un grand nombre par nom & surnom qu'il connoissoit, & pour vérifier son dire, quant à ceux qu'il avoit vus aux sabbats, il disoit qu'ils étoient marqués comme de la patte ou piste d'un lievre qui étoit insensible, ensorte que les sorciers ne sentent point les pointures quand on les perce jusqu'aux os, au lieu de la marque. Il ajoute encore, que Trois Echelles dit au roi Charles IX. qu'il y avoit plus de trois cent mille sorciers en France ", nombre beaucoup plus prodigieux que celui qui étonnoit Mézerai. Il y a apparence que Trois-Echelles étoit réellement sorcier, & que la plûpart de ceux qu'il accusa, ou ne l'étoient que par imagination, ou ne l'étoient point du tout. Quoi qu'il en soit, Trois-Echelles profita mal de la grace que lui avoit accordée le roi, & retomba dans ses premiers crimes, puisqu'il fut supplicié. Quant aux autres, continue Bodin, " la poursuite & délation fut supprimée, soit par faveur ou concussion, ou pour couvrir la honte de quelques-uns qui étoient, peut-être, de la partie, & qu'on n'eût jamais pensé, soit pour le nombre qui se trouva, & le délateur échappa " ; mais ce ne fut pas, comme on voit, pour long-tems. Bodin, dit M. Bayle, de qui nous empruntons ceci, veut faire passer pour un grand désordre cette conduite, qui au fonds étoit fort louable, car la suppression des procédures fondées sur la délation d'un pareil scélérat, fait voir qu'il y avoit encore de bons restes de justice dans le royaume. Elles eussent ramené les maux qui furent commis dans Arras au quinzieme siecle. Bayle, réponse aux questions d'un provinc. chap. LV. 603 de l'édit. de 1737. in-fol.

Sous le successeur de Charles IX, on n'étoit pas moins en garde contre l'excessive crédulité sur ce point, comme il paroît par ce récit de Pigray, chirurgien d'Henri III. & témoin oculaire du fait qu'il rapporte. La cour du parlement de Paris s'étant, " dit-il, réfugiée à Tours en 1589, nomma MM. le Roi, Falaiseau, Renard, médecins du roi, & moi, pour voir & visiter quatorze, tant hommes que femmes, qui étoient appellantes de la mort, pour être accusées de sorcellerie : la visitation fut faite par nous en la présence de deux conseillers de ladite cour. Nous vîmes les rapports qui avoient été faits, sur lesquels avoit été fondé leur jugement par le premier juge : je ne sai pas la capacité ni la fidélité de ceux qui avoient rapporté, mais nous ne trouvâmes rien de ce qu'ils disoient, entr'autres choses qu'il y avoit certaines places sur eux du tout insensibles : nous les visitames fort diligemment, sans rien oublier de tout ce qui y est requis, les faisant dépouiller tous nuds : ils furent piqués en plusieurs endroits, mais ils avoient le sentiment fort aigu. Nous les interrogeâmes sur plusieurs points, comme on fait les mélancoliques ; nous n'y reconnumes que de pauvres gens stupides, les uns qui ne se soucioient de mourir, les autres qui le désiroient : notre avis fut de leur bailler plutôt de l'ellebore pour les purger, qu'autre remede pour les punir. La cour les renvoya suivant notre rapport ". Pigray, chirur. liv. VII. chap. x. p. 445.

Cependant ces accusations fréquentes de sorcellerie, jointes à la créance qu'on donnoit à l'astrologie judiciaire & autres semblables superstitions sous le regne des derniers Valois, avoient tellement enraciné le préjugé, qu'il existe un grand nombre de vrais sorciers, que dans le siecle suivant on trouve encore des traces assez fortes de cette opinion. En 1609, Filesac docteur de sorbonne, se plaignoit que l'impunité des sorciers en multiplioit le nombre à l'infini. Il ne les compte plus par cent mille, ni par trois cent mille, mais par millions : voici ses paroles. " Lepidè Plautus in truculento, act. I. sc. j. "

Nam nunc lenonum & scortorum plus est ferè

Quam olim muscarum & cum caletur maximè.

Etiam magos, maleficos, sagas, hoc tempore in orbe christiano, longe numero superante omnes fornices & prostibula, & officiosos istos qui homines inter se convenas facere solent, nemo negabit, nisi elleborosus existat, & nos quidem tantam colluviem miramur & perhorrescimus. De idololat. mastic. fol. 71.

La maréchale d'Ancre fut accusée de sortilege, & l'on produisit en preuve contr'elle, de s'être servie d'images de cire qu'elle conservoit dans des cercueils, d'avoir fait venir des sorciers prétendus religieux, dits ambrosiens, de Nanci en Lorraine, pour l'aider dans l'oblation d'un coq qu'elle faisoit pendant la nuit dans l'église des Augustins & dans celle de S. Sulpice, & enfin d'avoir eu chez elle trois livres de caracteres, avec un autre petit caractere & une boëte, où étoient cinq rondeaux de velours, desquels caracteres, elle & son mari usoient pour dominer sur les volontés des grands. " On se souviendra avec étonnement, dit M. de Voltaire, dans son essai sur le siecle de Louis XIV. jusqu'à la derniere postérité, que la maréchale d'Ancre fut brûlée en place de greve comme sorciere, & que le conseiller Courtin, interrogeant cette femme infortunée, lui demanda de quel sortilege elle s'étoit servie pour gouverner l'esprit de Marie de Médicis : la maréchale lui répondit : je me suis servie du pouvoir qu'ont les ames fortes sur les esprits foibles, & qu'enfin cette réponse ne servit qu'à précipiter l'arrêt de sa mort ".

Il en fut de même dans l'affaire de ce fameux curé de Loudun, Urbain Grandier, condamné au feu comme magicien, par une commission du conseil. Ce prêtre étoit sans-doute repréhensible & pour ses moeurs & pour ses écrits ; mais l'histoire de son procès, & celle des diables de Loudun, ne prouvent en lui aucun des traits, pour lesquels on le déclara dûement atteint & convaincu du crime de magie, maléfice & possession, & pour réparation desquels on le condamna à être brûlé vif avec les pactes & caracteres magiques qu'on l'accusoit d'avoir employé.

En 1680, la Vigoureuse & la Voisin, deux femmes intriguantes qui se donnoient pour devineresses, & qui réellement étoient empoisonneuses, furent convaincues de crimes énormes & brûlées vives. Un grand nombre de personnes de la premiere distinction furent impliquées dans leur affaire ; elles nommerent comme complices ou participantes de leurs opérations magiques la duchesse de Bouillon, la comtesse de Soissons & le duc de Luxembourg, sans-doute, afin de tâcher d'obtenir grace à la faveur de protections si puissantes. La premiere brava ses juges dans son interrogatoire, & ne fut pas mise en prison, mais on l'obligea de s'absenter pendant quelque tems. La comtesse de Soissons décretée de prise de corps, passa en Flandres. Pour le duc de Luxembourg, accusé de commerce avec les magiciennes & les démons, il fut envoyé à la bastille, mais élargi bientôt après, & renvoyé absous. Le vulgaire attribuoit à la magie son habileté dans l'art de la guerre.

Si les personnes dont nous venons de parler eussent pratiqué l'art des sorciers, elles auroient fait une exception, à ce que dit le jurisconsulte Ayrault, qu'il n'y a plus maintenant que des stupides, des paysans & des rustres qui soient sorciers. On a raison en effet de s'étonner, que des hommes qu'on suppose avoir commerce avec les démons & leur commander, ne soient pas mieux partagés du côté des lumieres de l'esprit, & des biens de la fortune, & que le pouvoir qu'ils ont de nuire, ne s'étend jamais jusqu'à leurs accusateurs & à leurs juges. Car on ne donne aucune raison satisfaisante de la cessation de ce pouvoir, dès qu'ils sont entre les mains de la justice. Delrio rapporte pourtant quelques exemples de sorcieres qui ont fait du mal aux juges qui les condamnoient, & aux bourreaux qui les exécutoient ; mais ces faits sont de la nature de beaucoup d'autres qu'il adopte, & son seul témoignage n'est pas une autorité suffisante pour en persuader la certitude ou la vérité à ses lecteurs.


SORDIDITÉS. f. (Morale) substantif énergique dont notre langue devroit s'enrichir, & qui exprimeroit très-bien une avarice basse & honteuse : " sois économe, mais ne sois point sordide, ce n'est que pour te reposer le soir, que tu dois, voyageur sensé, profiter du matin de tes jours, the bramine inspir'd ". (D.J.)


SORESSALAGO DELLA, (Géog. mod.) lac d'Italie, dans la campagne de Rome. Il s'étend dans les marais Pomptins, entre le fleuve Sisto & la plage romaine. Il a vers le nord un émissoire, par lequel il se décharge dans le lac Carpolaccio, lequel se perd lui-même dans la mer. (D.J.)


SORET(Géog. mod.) petite province des Indes, dans les états du Mogol. Elle touche vers le levant au royaume de Guzarate, & vers le ponant à la mer. Elle est peuplée ; & sa ville capitale s'appelle Iangar. (D.J.)


SORGHO(Mat. méd. & diet.) voyez MIL, gros, & l'article FARINE & FARINEUX.


SORGUE(Géog. mod.) ville de France en Provence, dans le comtat Venaissin, près du confluent où la Sorgue, la Nesque & la Louvèse se jettent dans le Rhône, à près de deux lieues d'Avignon. Long. 22. 30. latit. 43. 55. (D.J.)

SORGUE, la, (Géog. mod.) riviere de France dans la Provence, au comtat Venaissin. Elle prend sa source à la célebre fontaine de Vaucluse, à une lieue de Gordes. Elle se sépare en trois branches, dont l'une se rend dans la Nesque, la seconde se joint à la Louvèse, & la troisieme se jette dans le Rhône au-dessous d'Avignon. (D.J.)


SORGUGES. f. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Turcs nomment une aigrette faite de plumes, & ornée de pierreries que l'on porte au turban. Le sultan seul a le droit d'en porter trois. Les grands pachas ou gouverneurs d'Egypte, de Babylone & de Damas en portent une seule du côté gauche ; les officiers d'un moindre rang portent aussi une aigrette, mais elle est toute simple.


SORou MONTI-SORI, (Géog. mod.) montagnes de la Sicile dans le val Demona. Ce sont les montagnes que les anciens ont appellées Heraei montes ou Junonii montes. (D.J.)


SORIA(Géog. mod.) ville d'Espagne dans la vieille Castille, près de la source de Duero, bâtie en partie des ruines de l'ancienne Numance. Longit. 15. 34. latit. 41. 47. (D.J.)


SORIE-SEGOVIANE(Commerce de laine) laine d'agnelins qui vient de Ségovie, ville d'Espagne. Il y en a de lavée & de non-lavée. Il vient aussi des sories de Moline, de Castille, d'Albarasin & de Navarre. (D.J.)


SORISSAGES. m. (Commerce du hareng) façon que l'on donne au hareng, en le fumant à un feu de bois ou de charbon dans les lieux qu'on appelle roussables. Trévoux. (D.J.)


SORISTAou SOURIE, (Géog. mod.) province de la Turquie asiatique sur le bord de la Méditerranée, entre la Caramanie, l'Arménie, le Diarbeck & l'Arabie. Elle comprend la Sourie -propre, la Phénicie & la Palestine. La capitale de la Sourie -propre est aujourd'hui Alep.

Le Soristan est un pays fertile, & qui le seroit bien davantage s'il étoit en d'autres mains que celles des Turcs, qui ne connoissent ni le travail, ni l'agriculture ; car cette région est riche en pâturages & en bétail ; elle est arrosée de l'Euphrate, de l'Oronte & autres rivieres, & elle est fournie de bons ports de mer. La langue des Souriens d'aujourd'hui est l'arabesque ou la moresque, qui est la même ; les habitans des villes marchandes situées sur les ports, y parlent aussi un jargon italien, sans liaison ni syntaxe. (D.J.)


SORITES. m. (Logique) un argument des plus captieux & des plus embarrassans est celui que les Latins nomment sorites, du grec soros, qui veut dire un monceau. Cet argument est composé de plusieurs propositions, peu différentes les unes des autres, & tellement enchaînées, qu'après avoir débuté par une vérité sensible & incontestable, on passe, comme de proche en proche, à une conclusion évidemment fausse.

Pour éviter la surprise, il faut sur-tout prendre garde que tout ce qui se dit de l'attribut se dise aussi du sujet. Qu'il n'y ait point d'ambiguité ni dans les termes, ni dans les propositions. Qu'on n'insere point de propositions négatives parmi des affirmatives. Que la proposition qui précede immédiatement la conclusion ne soit point négative, à-moins que la conclusion ne le soit aussi. Que la liaison & la gradation, qui doit être entre les propositions, soit juste. Enfin qu'il n'y ait dans le sorite aucune proposition particuliere, si ce n'est peut-être la premiere. Telles sont en abregé les judicieuses regles que Facciolati a détaillées dans un discours sur les argumens insolubles ; on peut le consulter. (D.J.)


SORLINGUESLES, (Géog. mod.) îles situées sur la côte de la grande Bretagne, à 8 lieues à l'ouest de la pointe la plus avancée de la province de Cornouaille, qui est le cap de Lands-End, où elles sont rangées en rond. On en compte plus de cent ; mais dans ce nombre, il y en a dix plus grandes que les autres. Elles sont la plûpart couvertes d'herbes, & fournies de bons pâturages ; cependant on y voit force rochers & écueils, ainsi que de lapins, de grues & d'oiseaux aquatiques. La plus grande de toutes est celle de Ste Marie qui a 8 milles de circuit, avec un havre large & commode. La reine Elisabeth y fit construire un fort où l'on tient garnison. L'île de Silly est la seconde en grandeur, & a été apparemment autrefois plus considérable, puisqu'elle a donné le nom de Sillinae à toutes les autres.

Cambden en comparant ce que les anciens nous ont appris de la position & de l'histoire des îles Cassitérides, avec la connoissance exacte qu'il avoit des Sorlingues, a découvert le premier & prouvé invinciblement l'identité cachée sous ces noms différens.

Il résulte donc que les îles Sorlingues sont les Silinae ou Cassiterides des anciens, nom qui leur fut donné à cause de leur richesse en mines d'étain, qui ont été connues des Phéniciens, des Tartésiens, des Carthaginois, des Romains & des Marseillois.

Les empereurs romains avoient coutume d'y envoyer des personnes coupables de quelques crimes pour travailler aux mines ; c'étoit une maniere de supplice usitée dans ce tems-là, comme aujourd'hui d'envoyer aux galeres.

Les anciens habitans de ces îles portoient des habits noirs & longs, qui descendoient jusqu'à terre. Ils se nourrissoient de leur bétail, & vivoient à la maniere de Nomades, n'ayant aucune demeure fixe. Leur commerce consistoit à troquer du plomb, de l'étain & des peaux contre de la vaisselle de terre, du sel, & quelques petits ouvrages de bronze qu'on leur donnoit en échange : ils ne se soucioient point d'argent, & même ils ne s'appliquoient pas beaucoup au travail des mines. A moitié chemin de ces îles, au cap le plus avancé de la province de Cornouaille, la marée découvre quand elle est basse une île, ou plutôt un rocher, nommé autrefois Lissia, aujourd'hui Letowrow & the Gulphe, c'est-à-dire le gouffre. (D.J.)


SORNES. f. terme de Gorge ; ce mot signifie les scories, les écumes, les crasses qui sortent du fer en le forgeant. Scorie est le terme générique dont les Métallurgistes se servent. Le machefer est le nom que les Serruriers & les Maréchaux donnent aux scories de fer ; mais dans les grosses forges, on les appelle sornes. (D.J.)


SORNU(Géog. anc.) ville de la Dace, selon Ptolémée, l. III. c. viij. Lazius dit que le nom moderne est Sewrny, que d'autres écrivent Severin ou Zeverin, ville de la haute Hongrie, sur le Danube. (D.J.)


SOROLE, (Géog. mod.) en latin Subur, riviere de Portugal dans l'Estramadoure ; accrue de diverses autres rivieres, elle sépare l'Estramadoure de l'Alentéjo, & tombe dans le Tage entre Benavente & Salva-Tierra. (D.J.)


SOROCK(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la Moldavie sur le Niester ou Turla, avec un château pour défense. Les Polonois en sont les maîtres. (D.J.)


SOROGA(Géog. anc.) ville de la haute Pannonie, & une de celles qui étoient éloignées du Danube, selon Ptolémée, l. II. c. xv. Lazius croit que c'est aujourd'hui Sagrabia. (D.J.)


SORON(Géog. anc.) bois du Péloponnèse dans l'Arcadie, entre le Ladon & le Psophis. Quand vous avez passé le Ladon, dit Pausanias, l. III. c. xxiij. vous prenez par les villages des Argéathes, des Lycoates, des Scotines, & vous arrivez au bois de Soron, où il y a un chemin qui vous mene à Psophis. Ce bois commence toutes les autres forêts de l'Arcadie, nourrit des sangliers, des ours & des tortues, dont on peut faire des lyres aussi belles que celles qui se font des tortues des Indes. Vers la fin du bois de Soron, on voyoit les ruines d'un ancien village, que l'on nommoit Paüs. (D.J.)


SORORES(Géog. anc.) Strabon, liv. XVI. pag. 749. dit qu'on donnoit ce nom à ces quatre villes, Antioche près de Daphné, Seleucie dans la Piérie, Apamée & Laodicée, à cause de leur amitié & de leur concorde. (D.J.)


SORP(Géog. mod.) fontaine de France en Provence, au diocèse de Riez, & dans le territoire de Baudun. Cette fontaine est si considérable, que dans sa source même, on la divise en dix canaux, qui font moudre dix moulins différens. (D.J.)


SORRATS. m. (Hist. nat. Botan.) maltha ; poisson du genre des chiens de mer. Il a des dents larges comme celles de la lime, & le museau court. Il ressemble au milandre par le nombre & la position des nageoires, par la queue & par les parties intérieures ; mais il n'a pas de taie devant les yeux. La chair du sorrat est molle & laxative. Rondelet, Hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. XIII. Voyez MILANDRE, POISSON.


SORRENTO(Géog. mod.) en latin Surrentum ; ville d'Italie, au royaume de Naples dans la terre de labour, à l'extrêmité du golfe de Naples, & à 4 lieues à l'ouest d'Amalfi. Long. 31. 50. lat. 40. 38.

Cette ville est décorée d'un archevêché ; mais elle tire sa principale gloire d'être la patrie du Tasse, Tasso Torquato.

A ce que j'ai déja dit de ce beau génie, en parlant du poëme épique, je vais joindre ici d'autres particularités.

L'amour de la poésie entraîna tellement le Tasse, malgré les conseils de son pere, qu'il publia à l'âge de 17 ans son poëme de Rénaud, Il Rinaldo, qui parut à Venise en 1572, in -4°. Il avoit lu le Roland furieux de l'Ariosto, & s'étoit senti piqué d'une grande émulation pour ce poëte, par qui sa réputation fut si long-tems balancée, & qui lui est encore préféré par un grand nombre de beaux esprits d'Italie. Comme l'Arioste avoit adressé son poëme à un cardinal d'Est, le Tasse voulut à l'envi se choisir un patron du même nom & de la même qualité ; en un mot, débuter par un nom célebre, & par les éloges d'une maison capable de soutenir sa muse naissante. Mais pour adoucir le chagrin que cette résolution donneroit à son pere, il tâcha de se le rendre favorable par deux strophes qui finissent son poëme, dans lesquelles, parlant à son ouvrage, il lui ordonne d'aller se soumettre à sa censure, en des termes aussi fins & aussi délicats, que pleins de respect, de reconnoissance & de tendresse. Ce poëme lui acquit l'estime des savans & des académies d'Italie. Les louanges qu'on lui adressa de toutes parts, l'ambition d'être mis au-dessus de ses concurrens, & son goût invincible pour la poésie, lui firent abandonner la jurisprudence, malgré la médiocrité de sa fortune, & tous les efforts de ce même pere pour l'arracher à un penchant naturel, qui ne produit d'ordinaire qu'une magnifique fumée.

A l'âge de 27 ans il suivit en France le cardinal d'Est, & fut reçu du roi Charles IX. disent les historiens d'Italie, avec une bienveillance singuliere. On n'en peut pas donner, ajoutent-ils, une preuve plus forte que ce qui se passa à l'occasion d'un homme de lettes qui avoit été condamné à mort. C'étoit un poëte de quelque réputation ; il étoit malheureusement tombé dans un crime énorme. Le Tasse, tant en faveur des muses, que par compassion, résolut d'aller demander sa grace au roi. Il se rendit au Louvre ; mais il apprit en arrivant que le roi venoit d'ordonner que la sentence fut exécutée en peu de jours, & qu'il avoit déclaré là-dessus sa volonté. Cette déclaration d'un prince qui ne revenoit guere de ses résolutions, n'étonna point le Tasse. Il se présenta au roi avec un visage ouvert : " Sire, lui dit-il, je viens supplier votre majesté, de laisser périr par les loix un malheureux, qui a fait voir par sa chûte scandaleuse, que la fragilité humaine met à bout tous les enseignemens de la philosophie ". Le roi frappé de cette réflexion du Tasse, & de cette maniere de demander grace, lui accorda la vie du criminel. C'est dommage que les historiens françois n'ayent point confirmé cette anecdote italienne.

Le Tasse de retour à Ferrare en 1573, donna l'Aminte, qui fut représentée avec un grand succès. Cette pastorale est l'originale du Berger fidele & de la Philis de Sciros. On fut enchanté de la nouveauté du spectacle, & de ce mélange de bergers, de héros & de divinités qu'on n'avoit pas vu encore ensemble sur le théâtre. Il parut aux yeux des spectateurs comme un tableau brillant, où l'imagination & la main d'un grand peintre exposoient en même tems dans un beau paysage la grandeur héroïque, & la douceur de la vie champêtre. L'auteur s'étoit dépeint lui-même dans ce poëme, sous la personne de Tircis, & s'y montroit dans cet état tranquille où l'avoit mis la protection du duc de Ferrare, & dans cet heureux loisir qu'il consacroit aux muses. On y voyoit le portrait du duc & de sa cour, touché d'une maniere aussi fine que spirituelle ; tout cela étoit réhaussé par l'odieuse peinture de Mopse, sous le nom duquel le Tasse désigne un de ses envieux. On prétend encore qu'il y a décrit l'amour dont il brûloit en secret pour la princesse Léonore soeur du duc, passion qu'il a toujours cachée avec beaucoup de soin.

Quoiqu'il en soit, cette pastorale est d'une grande beauté. L'auteur y a scrupuleusement observé les regles prescrites par Aristote sur l'unité du lieu, & sur celle des caracteres. Enfin il a su soutenir l'intérêt de sa piece en ménageant dans son sujet des situations intéressantes. On peut cependant lui reprocher quelquefois de la sécheresse, & sur-tout ce nombre de récits consécutifs, qui ne donnant rien à la représentation, laissent sans occupation un des principaux sens, par l'organe duquel les hommes sont plus facilement touchés. Le pere Bouhours condamne avec raison la Silvie du Tasse, qui en se mirant dans une fontaine, & en se mettant des fleurs, leur dit qu'elle ne les porte pas pour se parer, mais pour leur faire honte. Cette pensée n'est point naturelle à une bergere. Les fleurs sont les ajustemens qu'elle emprunte de la nature, elle s'en met lorsqu'elle veut être plus propre & plus parée qu'à l'ordinaire, & elle est bien éloignée de songer qu'elle puisse leur faire honte.

L'Aminte fut imprimée pour la premiere fois en 1581, avec les Rimes du Tasse, à Venise, par Alde le jeune, in -8°. & dans les autres recueils des oeuvres de l'auteur, qui parurent aussi à Venise les années suivantes en 1582 & 1583. Depuis il s'en est fait plusieurs éditions séparément. Ménage en donna une à Paris en 1655, in -4°. avec des remarques, sur lesquelles l'académie della Crusca fit des observations que le traducteur a insérées à la page 74. de ses mescolanze, imprimées à Paris en 1678, in -8°. Il y a aussi une édition de l'Aminte fort jolie, faite à Amsterdam en 1678. On en a des traductions en plusieurs langues, & même en latin. En 1734 & 1735 il y en a eu deux en françois ; la premiere de M. Pecquet, & la seconde de M. l'Escalopier. Il a paru aussi une traduction angloise de l'Aminte à Londres en 1628, in -4°. Jean de Xauregui en a publié une version espagnole à Séville en 1618, in -4°. On en a donné une traduction hollandoise à Amsterdam en 1715, in -8°.

Le Tasse acheva en 1574, à l'âge de 30 ans, sa Jérusalem délivrée. La premiere édition complete de ce beau poëme épique parut à Ferrare, l'an 1581, chez Vittorio Baldini, in -4°. Il s'est fait quantité de traductions de la Jérusalem délivrée dans toutes les langues. Scipion Gentilis en a traduit les deux premiers livres en vers latins, sous ce titre. Solimeidos libri duo priores, de Torquati Tassi italicis expressi, Venise 1585, in -4°. Il y en a deux traductions espagnoles, l'une de Jean Sedeno, imprimée à Madrid en 1587, in -8°. l'autre d'Antoine Sarmento de Mendosa, qui parut dans la même ville en 1649, in -8°. Fairfax a traduit ce poëte en anglois avec beaucoup d'élégance & de naturel, & tout-à-la-fois avec une exactitude scrupuleuse. Chaque ligne de l'original est rendue par une ligne correspondante dans la traduction ; c'est dommage qu'il ait servilement imité l'italien dans ses stances, dont la prolixe uniformité déplaît dans un long ouvrage. M. Hill en a donné une nouvelle traduction imprimée à Londres en 1713. Gabriel Fasagno en a fait une version en langue napolitaine, imprimée à Naples en 1720, in-fol. Le poëme & la version napolitaine sont sur deux colonnes.

Les François se sont aussi empressés à donner des traductions de ce poëme ; la premiere & la plus mauvaise de toutes, est celle de Vigenere, qui parut à Paris en 1595, in -4°. & 1598, in -8°. Les endroits qu'il a mis en vers, déplaisent encore plus que sa prose. Depuis Vigenere, on a vu plusieurs autres traductions en vers alexandrins de la Jérusalem, mais aucune de ces traductions n'a réussi. Enfin en 1724 M. Mirabaud publia une traduction en prose de la Jérusalem délivrée, & il en donna une nouvelle édition beaucoup meilleure en 1735.

On n'ignore point les jugemens qu'un grand nombre de savans de tous les pays ont porté de ce célebre poëme, soit en sa faveur, soit à son désavantage, & je ne crois pas devoir m'y arrêter ici. La critique de M. Despréaux a non-seulement révolté les Italiens, mais presque tous les François. Il est vrai cependant que Despréaux estimoit le Tasse, & qu'il en connoissoit le mérite ; autrement comment auroit-il pu dire de cet illustre poëte ?

Il n'eût point de son livre illustré l'Italie,

Si son sage héros toujours en oraison,

N'eût fait que mettre enfin Satan à la raison ;

Et si Renaud, Argand, Tancrede & sa maîtresse,

N'eussent de son sujet égayé la tristesse.

M. l'abbé d'Olivet, dans son histoire de l'académie françoise, assure avoir entendu tenir à M. Despréaux le discours suivant, peu de tems avant sa mort, à une personne qui lui demanda s'il n'avoit point changé d'avis sur le Tasse : " J'en ai si peu changé, dit-il, que le relisant dernierement, je fus très-fâché de ne m'être pas expliqué un peu au long dans quelqu'une de mes réflexions sur Longin. J'aurois commencé par avouer que le Tasse a été un génie sublime, étendu, heureusement né à la poésie & à la grande poésie ; mais ensuite venant à l'usage qu'il a fait de ses talens, j'aurois montré que le bon sens n'est pas toujours ce qui domine chez lui ; que dans la plûpart de ses narrations, il s'attache bien moins au nécessaire, qu'à l'agréable ; que ses descriptions sont trop chargées d'ornemens superflus ; que dans la peinture des plus fortes passions, & au milieu du trouble qu'elles venoient d'exciter, souvent il dégénere en traits d'esprit qui font tout-à-coup cesser le pathétique ; qu'il est plein d'images trop fleuries, de tours affectés, de pointes & de pensées frivoles, qui loin de pouvoir convenir à sa Jérusalem, pourroient à-peine trouver place dans son Aminte. Or, conclut M. Despréaux, tout cela opposé à la sagesse, à la gravité, à la majesté de Virgile, qu'est-ce autre chose que du clinquant opposé à de l'or " ? Cependant il est toujours certain, malgré les réflexions de Despréaux, que la Jérusalem du Tasse est admirable par la conduite, l'intérêt, la variété, les graces & cette noblesse qui releve le sublime.

La tragédie de Torrismond, il Torrismondo, parut à Vérone en 1587, in -8°. Mais le Tasse lui-même n'étoit pas content de cette piece, & se plaignoit de ses amis qui la lui avoient arrachée des mains, & l'avoient publiée avant qu'il eût pû la mettre dans la perfection où il la souhaitoit. Dalibray, poëte du dernier siecle, en a fait une traduction libre en vers françois, au devant de laquelle il a mis un discours où l'on trouve de bonnes réflexions sur le génie de la tragédie, sur celui du Tasse, & sur la tragédie de Torrismond en particulier. Cette traduction de Dalibray, quoique pesante & prosaïque, fut jouée deux fois, & imprimée à Paris en 1636, in -4°.

Le Tasse lassé des critiques qu'on faisoit de sa Jérusalem délivrée, se proposa de faire un nouvel ouvrage, sous le titre de la Jérusalem conquise, la Jérusalemme conquistata, libri XXIV. Ce poëme parut à Rome en 1593, in -4°. mais il n'a point été reçu avec le même applaudissement que le premier, où l'auteur s'étoit abandonné à son génie, au lieu que dans la Jérusalem conquise il s'est proposé de s'accommoder en quelque maniere au goût & aux idées de ses critiques.

Toutes les oeuvres de ce beau génie ont été imprimées ensemble avec sa vie par Jean-Baptiste Manso son ami, à Florence en 1724, en six. vol. in-fol. Les deux premiers tomes contiennent ses poésies : la Jérusalem délivrée, la Jérusalem conquise, le Renaud, le poëme sur la création, Torrismond, l'Aminte : les autres poésies sont divisées en trois classes. 1. Poésies galantes. 2. Poésies héroïques. 3. Poésies sacrées & morales. Elles sont suivies de quelques pieces imparfaites du Tasse, & de quelques-unes de celles qui passent sous son nom. Les ouvrages en prose forment les tomes III. & IV. Ils consistent en vingt-cinq dialogues sur différens sujets, & environ quarante discours ou autres pieces sur diverses matieres d'érudition, principalement sur l'art poétique, sur le poëme épique ; tout cela est suivi de la défense de la Jérusalem délivrée. Le tome V. est divisé en deux parties ; dans la premiere se trouvent les lettres familieres & poétiques du Tasse ; dans la seconde sept pieces de l'académie della Crusca, & d'autres beaux esprits d'Italie, concernant les disputes sur les poésies de l'auteur & celles de l'Arioste. Le VI. tome contient dix-huit pieces, dialogues ou discours sur le même sujet, c'est-à-dire pour ou contre le Tasse. (D.J.)


SORRETERIES. f. (Comm.) lieu où l'on fait sorer les sardines.

Presque toutes les sardines de Douarnenez, dans le ressort de l'amirauté de Quimper en Bretagne, se pressent ; on ne les saloit pas autrefois en barril, comme on fait à-présent, on les sorroit de la même maniere dont on boucane encore aujourd'hui les harengs-sors en Picardie & en Normandie. Il s'en faisoit un grand commerce le long des côtes d'Espagne & d'Italie : depuis qu'on s'est mis à les saler en barrils, ce premier commerce est tombé de maniere qu'on ne sorre plus guere de sardines ; à-présent les sardines salées se mangent pour la plûpart crues par les Basques & les garçons de vignobles où l'on les fait passer.

Les lieux où l'on fait sorreter les sardines sont établis à-peu-près de la même maniere que les roussables où l'on fait fumer en Normandie les harengs-sors. On sale à terre les sardines en tas ou en grenier ; on les arrange de tête en queue, en forme de demi-ovale ; on seme entre chaque lit du sel, comme on fait aux sardines que l'on prépare pour être pressées ; on les laisse ainsi en tas pendant deux ou trois jours au plus. Quand on veut que cet apprêt soit doux & moins âcre, on sale les sardines avec de vieux sel reposé d'une année, parce que le poisson apprêté de sel neuf ou nouveau, est bien moins délicat ; après qu'il est resté suffisamment au sel, on passe dans de petites brochettes de bois les sardines de la même maniere que celles qu'on met en presse ; on les lave de même dans l'eau de mer, & ensuite dans l'eau douce ; après quoi on les pend dans la sorreterie, comme on fait les harengs ; on les laisse égoutter pendant 24 heures avant d'y faire le feu, qui dure ordinairement 7 à 8 jours si le tems est sec, sinon pendant 10 jours & plus s'il est humide.

Le feu qu'on fait pour sorreter les sardines, est fait avec du bois de chêne & des copeaux de tonnelier ou de menuisier, que l'on recouvre ensuite de cendres des landes brûlées ; pour lui faire rendre plus de fumée, on met le feu le long des pentes des brochettes.

Le lieu qui sert à cette préparation est une salle ou espece de cellier sans étage au-dessus, avec une cheminée dont l'embouchure occupe toute la largeur de la piece, le long de laquelle sont pendues les sardines.

On ne commence guere à sorreter à Douarnenez, que vers la fin de la pêche, parce qu'alors ce sont les plus grosses sardines qui viennent à la côte, qu'elles rangent toujours pour passer l'embouchure du canal, vers la fin de Décembre ou au plus tard vers la fin de Janvier. Voyez la fig. 1. Pl. XIII. de pêche.


SORT(Jurisprud.) On entend par ce terme, le hasard produit dans les partages ; après avoir formé les lots, ils se distribuent ou par choix ou par convention, ou enfin on les tire au sort. Dans ce dernier cas, on fait autant de petits billets qu'il y a de lots, & l'on écrit sur l'un premier lot, & sur l'autre second lot, & ainsi des autres. On mêle ensuite ces billets après les avoir pliés ou roulés, & on les fait tirer l'un après l'autre, un pour chaque héritier, suivant l'ordre de progéniture ; & selon le billet qui échet, on écrit dans le partage que le premier lot est advenu à un tel, le second à un tel. Voyez LOTS & PARTAGE. (A)

SORT, (Critiq. sacr.) maniere de décider les choses par le hasard. Cet usage est très-convenable dans plusieurs occasions, sur-tout dans celles où il n'y a aucune raison de préférence. Alors l'auteur des Proverbes a raison de dire que le sort termine toute dispute. Son usage étoit fréquent chez les Hébreux, comme cela paroît dans plusieurs endroits de l'Ecriture. La terre promise fut partagée au sort. Les Levites reçurent leur lot par le même moyen. Dans le jour de l'expiration, on jettoit le sort sur les deux boucs, pour savoir lequel des deux seroit immolé. David distribua par le sort les rangs aux vingt-quatre bandes de prêtres qui devoient servir dans les temples. Quand il fut question de remplir la place de Judas dans l'apostolat, le sort tomba sur saint Matthias. Enfin la robe de Jésus-Christ fut jettée au sort.

Mais la maniere de tirer le sort chez les Juifs, n'est pas marquée fort distinctement dans l'Ecriture ; & nous n'en voyons qu'une sorte exprimée dans Salomon. On jettoit les sorts (apparemment des billets) dans le pan d'une robe, d'où, après les avoir bien mêlés, on les tiroit pour la décision.

Le mot sort désigne encore dans l'Ecriture l'effet du sort, le partage. La méchante femme doit être le partage des pécheurs, sors peccatorum, Ecclés. xxv. 26. c'est-à-dire, que le pécheur mérite de souffrir la mauvaise humeur d'une méchante femme plutôt que l'homme vertueux ; mais malheureusement le sort ne le décide pas toujours ainsi. (D.J.)

SORTS, (Théologie payenne) sortes. Le sort est l'effet du hasard, & comme la décision ou l'oracle de la fortune ; mais les sorts sont les instrumens dont on se sert pour savoir quelle est cette décision.

Les sorts étoient le plus souvent des especes de dés, sur lesquels étoient gravés quelques caracteres ou quelques mots dont on alloit chercher l'explication dans des tables faites exprès. Les usages étoient différens sur les sorts. Dans quelques temples on les jettoit soi-même ; dans d'autres on les faisoit sortir d'une urne, d'où est venue cette maniere de parler si ordinaire aux Grecs, le sort est tombé.

Ce jeu de dés étoit toujours précédé de sacrifices & de beaucoup de cérémonies ; apparemment les prêtres savoient manier les dés ; mais s'ils ne vouloient pas prendre cette peine, ils n'avoient qu'à les laisser aller ; ils étoient toujours maîtres de l'explication.

Les Lacédémoniens allerent un jour consulter les sorts de Dodone, sur quelque guerre qu'ils entreprenoient ; car outre les chênes parlans, & les colombes & les bassins & l'oracle, il y avoit encore des sorts à Dodone. Après toutes les cérémonies faites, sur le point qu'on alloit jetter les sorts avec beaucoup de respect & de vénération, voilà un singe du roi de Molosses, qui étant entré dans le temple, renverse les sorts & l'urne. La prêtresse effrayée dit aux Lacédémoniens qu'ils ne devoient pas songer à vaincre, mais seulement à se sauver ; & tous les écrivains assurent que jamais Lacédémone ne reçut un présage plus funeste.

Les plus célébres entre les sorts étoient à Préneste & à Antium, deux petites villes d'Italie. A Préneste étoit la fortune, & à Antium les fortunes. Voyez SORTS DE PRENESTE.

Les fortunes d'Antium avoient cela de remarquable, que c'étoient des statues qui se remuoient d'elles-mêmes, selon le témoignage de Macrobe, l. I. c. xxiij. & dont les mouvemens différens, ou servoient de réponse, ou marquoient si l'on pouvoit consulter les sorts.

Un passage de Ciceron, au liv. II. de la divination, où il dit que l'on consultoit les sorts de Préneste par le consentement de la fortune, peut faire croire que cette fortune savoit aussi remuer la tête, ou donner quelqu'autre signe de ses volontés.

Nous trouvons encore quelques statues qui avoient cette même propriété. Diodore de Sicile & Quinte-Curce disent que Jupiter-Ammon étoit porté par quatre-vingt prêtres dans une espece de gondole d'or, d'où pendoient des coupes d'argent ; qu'il étoit suivi d'un grand-nombre de femmes & de filles qui chantoient des hymnes en langue du pays, & que ce dieu porté par ses prêtres, les conduisoit en leur marquant par quelques mouvemens où il vouloit aller.

Le dieu d'Héliopolis de Syrie, selon Macrobe, en faisoit autant : toute la différence étoit qu'il vouloit être porté par les gens les plus qualifiés de la province, qui eussent long-tems auparavant vécu en continence, & qui se fussent fait raser la tête.

Lucien, dans le traité de la déesse de Syrie, dit qu'il a vu un Apollon encore plus miraculeux, car étant porté sur les épaules de ses prêtres, il s'avisa de les laisser là, & de se promener par les airs, & cela aux yeux d'un homme tel que Lucien, ce qui est considérable.

Dans l'Orient les sorts étoient des fleches, & aujourd'hui encore les Turcs & les Arabes s'en servent de la même maniere. Ezéchiel dit que Nabuchodonosor mêla ses fleches contre Ammon & Jérusalem, & que la fleche sortit contre Jérusalem. C'étoit-là une belle maniere de résoudre auquel de ces deux peuples il feroit la guerre.

Dans la Grece & dans l'Italie on tiroit souvent les sorts de quelque poëte célebre, comme Homere ou Euripide ; ce qui se présentoit à l'ouverture du livre, étoit l'arrêt du ciel. L'histoire en fournit mille exemples. Voyez SORTS d'Homere.

On voit même que quelques 200 ans après la mort de Virgile, on faisoit déja assez de cas de ses vers pour les croire prophétiques, & pour les mettre en la place des sorts qui avoient été à Préneste ; car Alexandre Severe encore particulier, & dans le tems que l'empereur Héliogabale ne lui vouloit pas de bien, reçut pour réponse dans le temple de Préneste cet endroit de Virgile dont le sens est : " Si tu peux surmonter les destins contraires, tu seras Marcellus. Voyez SORTS de Virgile.

Les sorts passerent jusque dans le christianisme ; on les prit dans les livres sacrés, au-lieu que les payens les prenoient dans leurs poëtes. S. Augustin, dans l'épître cxix. à Januarius, paroît ne desapprouver cet usage que sur ce qui regarde les affaires du siecle. Grégoire de Tours nous apprend lui-même quelle étoit sa pratique ; il passoit plusieurs jours dans le jeûne & dans la priere ; ensuite il alloit au tombeau de saint Martin, où il ouvroit tel livre de l'Ecriture qu'il vouloit, & il prenoit pour la réponse de Dieu le premier passage qui s'offroit à ses yeux. Si ce passage ne faisoit rien au sujet, il ouvroit un autre livre de l'Ecriture.

D'autres prenoient pour sort divin la premiere chose qu'ils entendoient chanter en entrant dans l'église. Voyez SORTS des Saints.

Mais qui croiroit qu'Héraclius délibérant en quel lieu il feroit passer l'hyver à son armée, se détermina par cette espece de sort ? Il fit purifier son armée pendant trois jours ; ensuite il ouvrit le livre des évangiles, & trouva que son quartier d'hyver lui étoit marqué dans l'Albanie. étoit-ce là une affaire dont on pût espérer de trouver la décision dans l'Ecriture ?

L'Eglise est enfin venue à-bout d'exterminer cette superstition ; mais il lui a fallu du tems. Du moment que l'erreur est en possession des esprits, c'est une merveille, si elle ne s'y maintient toujours. (D.J.)

SORTS d'Homere, (Divinat. du paganisme) sortes Homericae ; espece de divination. Elle consistoit à ouvrir au hasard les écrits d'Homere, & à tirer à la premiere inscription de la page qui se présentoit à la vûe, un augure ou pronostic, de ce qui devoit arriver à soi-même & aux autres, ou des regles de conduite convenables aux circonstances dans lesquelles on se trouvoit. Les Grecs donnoient à ce genre de divination le nom de .

L'antiquité payenne semble avoir regardé ceux qui avoient le talent supérieur de la poésie, comme des hommes inspirés ; ils se donnoient pour tels ; ils assuroient qu'ils parloient le langage des dieux, & les peuples les ont cru sur leur parole. L'Iliade & l'Odyssée sont remplis d'un si grand nombre de traits de religion & de morale ; ils contiennent dans leur étendue une si prodigieuse variété d'événemens, de sentences & de maximes appliquables à toutes les circonstances de la vie, qu'il n'est pas étonnant que ceux qui par hasard ou de dessein formé, jettoient les yeux sur ces poëmes, ayent cru y trouver quelquefois des prédictions ou des conseils : il aura suffi que le succès ait justifié de tems en tems la curiosité des personnes, qui dans des situations embarrassantes ont eu recours à cet expédient, pour qu'on se soit insensiblement accoutumé à regarder les écrits de ce poëte, comme un oracle toujours prêt à rendre des réponses à quiconque voudroit l'interroger. On ne peut s'imaginer à quel point les hommes portent la crédulité, lorsqu'ils sont agités par la crainte, ou par l'espérance.

Ce n'étoit point-là un de ces préjugés qui ne regnent que sur le vulgaire ; de grands personnages de l'antiquité, ceux principalement qui aspiroient à gouverner les autres, n'ont pas été exempts de cette chimere. Mais ce ne fut point par cette idée superstitieuse que Socrate dans sa prison, entendant réciter ces vers qu'Homere met dans la bouche d'Achille ; j'arriverai le troisieme jour à la fertile Phthie,


SORTACAP, (Géog. mod.) cap de la Méditerranée, sur la côte de Tripoli, en Barbarie, au fond du golphe de Sidra. On prend ce cap pour l'Hippi promontorium des anciens. (D.J.)


SORTES. f. (Gram.) nom collectif, qui rassemble sous son acception un certain nombre de choses distinguées par quelque caractere d'un plus grand nombre qui forme le genre. Plante est le genre ; mais il y a bien des sortes de plantes. Etoffe est le genre ; mais il y a bien des sortes d'étoffes, d'animaux, de poissons, de serpens ; il y a toutes sortes d'esprits & de caracteres. Il y a dans quelques hommes une sorte d'instinct ; il y en a qui ont une sorte de science. Cet homme nous en contera de toutes les sortes. Il y a de toutes sortes de marchandises. Il n'y a sorte d'attentions qu'il n'ait prise, le hasard les a toutes trompées.

SORTE, s. f. (Joaillerie) on se sert de ce terme dans le commerce des pierreries, en parlant des émeraudes qui ne se vendent qu'au marc ; ce qui en marque les différentes grosseurs qui vont en diminuant, depuis la premiere sorte jusqu'à la troisieme ; on dit aussi premiere, seconde & troisieme couleur. (D.J.)


SORTIES. f. (Gram.) l'action de sortir, ou passage d'un lieu qu'on regardoit comme sa premiere demeure dans un autre. J'en suis à ma premiere sortie. Ce mot a quelquefois rapport au tems, à la sortie de l'hiver, à la fin d'une occupation, à la sortie de ce livre. Aux issues d'une maison, j'ai deux sorties, & cela m'est fort commode, je m'échappe & je rentre quand il me plaît & sans qu'on le sache ; aux voies qu'on ouvre aux eaux, à l'air, à un fluide dont le séjour incommoderoit ; j'ai pratiqué une sortie à ces vapeurs.

SORTIE, (Fortification) terme dont on se sert dans l'art militaire pour exprimer l'action par laquelle les assiégés sortent de leurs villes ou de leurs forteresses, afin de chasser les assiégeans, d'enclouer leur canon, d'empêcher leurs approches, & de détruire leurs ouvrages, &c. On dit, faire une sortie, repousser une sortie, &c. On est coupé dans une sortie, lorsque l'ennemi se place entre ceux qui sont sortis & leur ville. Chambers.

Ceux qui se tiennent toujours dans leur place sans faire des sorties, sont, dit le chevalier de la Ville, semblables à ceux qui ne se soucient point du feu qui est dans la maison du voisin, & qui ne se meuvent pour l'éteindre, que lorsqu'il a pris à la leur. En effet, les assiégeans avançant toujours leurs travaux vers la place, il est de la derniere importance de travailler de bonne heure à en arrêter le progrès ; c'est à quoi les sorties sont excellentes lorsqu'elles sont bien disposées & bien conduites ; car autrement elles avanceroient plutôt la prise de la place qu'elles ne la retarderoient. Quelques avantageuses que soient les sorties, on ne peut pas en faire indifféremment dans toutes sortes de places ; il faut pour en entreprendre que la garnison soit nombreuse. Une garnison foible & qui seroit amplement fournie de toutes les munitions nécessaires pour se défendre & pour subsister long-tems dans la ville, devroit être fort circonspecte dans les sorties. Mais une garnison nombreuse & qui n'est pas d'ailleurs fournie pour long-tems de vivres & d'autres munitions, doit fatiguer l'ennemi autant qu'il lui est possible, par de très-fréquentes sorties : c'est aussi le parti que l'on doit prendre dans une ville dont les fortifications sont mauvaises ; on ne doit pas se laisser renfermer, pour être obligé de se rendre, pour ainsi dire, sans résistance. Il faut fatiguer l'ennemi continuellement, le tenir éloigné de la place le plus long-tems qu'il est possible, & n'omettre aucune chicane pour lui disputer l'approche du glacis & la prise du chemin couvert. C'est ainsi que M. le marquis d'Uxelles, depuis maréchal de France, en usa dans la défense de Mayence en 1689. Il défendit cette ville, assez grande & très-mal fortifiée, pendant plus de deux mois, par le secours d'une garnison excellente, & il fut obligé de capituler faute de poudre & de munitions, étant encore maître de son chemin couvert, & même, pour ainsi dire, de tous ses glacis, puisque l'ennemi n'y avoit qu'un logement sur le haut, encore, dit M. de Feuquieres, M. le Marquis d'Uxelles le laissa-t-il faire pour avoir prétexte de capituler, & que l'ennemi ne pût pas soupçonner qu'il se rendoit faute de poudre. A Keiservert en 1702, la place fort mauvaise par elle-même, ne fut encore défendue que par de nombreuses sorties, qui firent payer la prise cher à l'ennemi. Dans des cas semblables, on ne doit point se négliger pour les sorties ; pour qu'elles réussissent, il faut qu'elles soient faites avec art & intelligence ; c'est, dit M. le maréchal de Vauban, dans ces sortes d'actions que la vigueur, la diligence & la bonne conduite doivent paroître dans tout leur éclat & dans toute leur étendue.

Lorsque l'ennemi est encore loin de la place, les sorties sont très-périlleuses, parce que l'ennemi peut avec sa cavalerie, leur couper la retraite dans la ville ; mais lorsqu'il a établi sa seconde parallele & qu'il pousse les boyaux de la tranchée en avant pour parvenir à la troisieme au pié du glacis, c'est alors qu'on peut sortir sur lui ; on le peut même, si l'on prend bien ses précautions, lorsqu'il travaille à sa seconde parallele, & qu'elle n'est point encore achevée entierement ; mais où elles doivent être les plus fréquentes, c'est lorsque l'assiégeant est parvenu à la troisieme parallele & qu'il veut s'établir sur le glacis. On ne craint plus alors d'être coupé, & on peut le surprendre d'autant plus aisément, qu'on peut tomber sur lui d'abord & le culbuter sans lui donner le tems de se reconnoître.

Les sorties peuvent être ou grandes ou petites ; les grandes doivent être au moins de 5 ou 600 hommes, ou proportionnées à la garde de la tranchée, & les plus petites seulement de 10, 15, ou 20 hommes.

L'objet des grandes sorties doit être de détruire & de raser une grande partie des travaux de l'assiégeant, afin de le mettre dans la nécessité de les recommencer, d'enclouer le canon des batteries, de reprendre quelque poste que l'on aura abandonné, & enfin de nuire à l'ennemi en retardant ses travaux, pour reculer par-là la prise de la place.

Pour les petites sorties, elles ne se font que pour donner de l'inquiétude aux têtes de la tranchée, pour effrayer les travailleurs, & pour les obliger de se retirer. Comme il faut toujours quelque tems pour les rappeller & les remettre dans l'obligation de continuer leur travail, il y a un tems de perdu, qui retarde toujours l'avancement & le progrès des travaux.

Le tems le plus propre pour les grandes sorties, est deux heures avant le jour ; le soldat est alors fatigué du travail de la nuit & accablé de sommeil, il doit par cette raison être plus aisé à surprendre & à combattre. Lorsqu'il a fait de grandes pluies pendant la nuit, & que le soldat ne peut faire usage de son feu, c'est encore une circonstance bien favorable ; il ne faut rien négliger pour le surprendre : car ce n'est, pour ainsi dire, que par la surprise que l'on peut tirer quelque avantage d'une sortie.

Pour les petites sorties, dont l'objet est de donner simplement de l'inquiétude aux assiégeans, sans pouvoir leur faire grand mal, voici comme elles se font. On choisit, pour les faire, des soldats hardis & valeureux, au nombre, comme nous l'avons dit, de 10, 15 ou 20, qui doivent s'approcher doucement de la tête des travaux des assiégeans, & se jetter ensuite promtement dessus, en criant, tue, tue, & jettant quelques grenades ; ensuite de quoi ils doivent se retirer bien vîte dans la place ; l'allarme qu'ils donnent ainsi est suffisante pour faire fuir les travailleurs, qui ne demandent pas mieux que d'avoir un prétexte spécieux pour s'enfuir, sans, dit M. Goulon, qu'il soit possible de les en empêcher, & de les rassembler toute la nuit, ce qui la fait perdre aux assiégeans. Si, dit le même auteur, les assiégeans s'accoutument à ces petites sorties, & qu'ils ne s'en ébranlent plus, les assiégés s'en appercevant, feront suivre ces petites sorties d'une bonne, laquelle n'étant point attendue, renversera sans difficulté les travailleurs & ceux qui les couvrent : après quoi elle se retirera sans s'opiniâtrer au combat, pour ne pas avoir toute la tranchée sur les bras. (Q)

SORTIE, (Hydr.) c'est l'ouverture circulaire ou l'orifice d'un ajutage par où l'eau s'élance en l'air & forme un jet d'eau. Voyez ORIFICE. (K)

SORTIE, s. f. (Commerce) c'est le passage d'un lieu à un autre. Il n'y a guere de souverains qui n'ait établi des droits sur les marchandises qui entrent dans leurs états ou qui en sortent ; mais les souverains qui ont le moins établi de ces droits en général, sont les plus éclairés. Il ne faut aucun de ces droits dans un même royaume, qui est sous la domination du même souverain. (D.J.)


SORTILEGES. m. (Magie) Voyez SORCELLERIE.

SORTILEGE, (Jurisp.) on entend par ce terme un maléfice qui se fait par l'opération du diable.

Le sortilege est compris dans ce que l'on appelle en général magie ; mais il a particulierement pour objet de nuire aux hommes, soit en leur personne, soit en leurs bestiaux, plantes & fruits de la terre.

Il n'appartient qu'aux Théologiens de traiter une matiere si délicate ; c'est pourquoi nous nous contenterons de parler des peines que les lois ont prononcées contre ce crime.

La loi divine condamne à mort ceux qui en sont convaincus, Levit. xx. Deutéron. xviij.

Le droit canonique prononce l'excommunication & les autres censures contre ceux qui usent de sortilege.

Les lois mêmes du paganisme les ont condamnés comme ennemis du bien public & du repos de la société. La loi des xij. tables y est précise ; & si les Romains permirent depuis l'usage des augures, ce ne fut que pour savoir le sort des armes & des batailles ; encore reconnut-on le danger de cet usage qui favorisoit les assemblées secrettes où se formoient les conspirations contre l'état & la vie des concitoyens : tellement que ces assemblées furent défendues par un édit de Tibere.

Les empereurs chrétiens se hâterent d'arrêter le cours de ces superstitions criminelles, ainsi qu'on le voit au code de maleficis & mathematicis : la peine du sortilege étoit tantôt d'être exposé aux bêtes, tantôt celle d'être brûlé vif, ou d'être crucifié, quelquefois d'être mis dans un vase plein de pointes, où d'être décapité ; la moindre peine étoit la déportation.

La seule peine que nous ayons retenue est celle du feu vif. Elle ne doit pourtant pas être ordonnée dans tous les cas. On distingue s'il ne s'agit que d'un sortilege simple, sans autres circonstances aggravantes, & qui part ordinairement d'un cerveau dérangé, ou s'il y a eu maléfice qui ait causé la mort à quelqu'un ou des pertes considérables ; c'est principalement pour ces maléfices qu'on ordonne la peine du feu.

Les prétendus devins, faiseurs de prognostics & diseurs de bonne fortune, dont parlent les ordonnances d'Orléans & de Blois, doivent seulement être punis de peines corporelles & exemplaires. L'édit d'Août 1682 ajoute cependant la peine de mort, lorsqu'à la superstition se joint l'impiété & le sacrilege.

Voyez le traité de la police de la Mare, le traité de la magie, &c. imprimé en 1737, l'histoire critique des pratiques superstitieuses par le P. le Brun, & les institutes au droit criminel de M. de Vouglans. (A)


SORTILEGUES. m. (Antiq. rom.) c'étoit un emploi sacré que celui de sortilegue, c'est-à-dire de celui qui avoit la fonction de jetter les sorts ; elle étoit exercée par des hommes & par des femmes, au choix du pontife. On les appelloit sortiarii & sortiariae, d'où sont venus sans-doute les noms de sorciers & sorciéres. Mais ceux qui jettoient les sorts n'avoient pas le pouvoir de les tirer ; on se servoit pour cela du ministere d'un jeune enfant. Dans les inscriptions recueillies par Gruter, on en trouve une d'un nommé C. Stiminius Heracla, qui se qualifie de sortilegue de Vénus Erycine. (D.J.)


SORTINO(Géog. mod.) petite ville de Sicile dans le val de Noto, au bord de la riviere de Sortino, & un peu au-dessus de l'endroit où cette riviere se jette dans le Fium-grande. (D.J.)


SORTIRv. n. (Gram.) passer d'un lieu qu'on regarde comme son séjour, dans un autre. Le maître de la maison est sorti ; il a eu ordre de sortir du royaume ; il est sorti d'un mauvais pas ; cet endroit sort trop ; cette figure sort trop ; il est sorti d'exercice ; il sortit de la place à la tête d'une petite troupe ; ne sortez point de votre sujet ; la petite vérole commence à sortir à cet enfant ; il est sorti de bonne heure ; vous sortez de cadence, de mesure ; il est sorti de grands hommes de Port-Royal, &c.

SORTIR, (Jurisp.) signifie avoir, tenir ou produire ; comme quand on dit qu'un jugement sortira effet, c'est-à-dire aura son exécution.

Dans les contrats de mariage, où l'on fait des stipulations de propres, après avoir fixé la mise en communauté, on dit que le surplus sortira nature de propres, c'est-à-dire tiendra nature de propres. Voyez PROPRE. (A)

SORTIE LE BOUTE-FEU A LA MAIN, (Marine) cela signifie qu'un port est assez bon pour en faire sortir un vaisseau tout prêt à tenir la mer, ou prêt à combattre ; tel est, par exemple, le port de Brest.

SORTIR DU FORT, terme de Chasse, il se dit d'une bête qui débûche de son fort, ou du lieu où elle a passé le jour.


SORVIODUNUM(Géog. anc.) ville de la Grande Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route de Cavella à Viroconium, en prenant par Muridonum. Elle étoit entre Brige & Vindogladia, à 9 milles du premier de ces lieux, & à 12 milles du second. Quelques manuscrits lisent Sorbiodunum pour Sorviodunum ; le nom moderne est Old-Salisbury, selon Cambden. En effet, la ville de Salisbury d'aujourd'hui a été bâtie des ruines de l'ancienne Sorbiodunum, qui étoit située un peu au-dessus sur une hauteur aride & stérile, où il y avoit un château fortifié, dont l'enceinte avoit cinq cent pas de tour. (D.J.)


SORYS. m. (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une pierre de couleur grise, chargée de vitriol.


SOS(Géog. mod.) petite ville de France dans le bas Armagnac. Elle a donné la naissance à M. de Silhon (Jean), conseiller d'état ordinaire, & l'un des premiers membres de l'académie Françoise. Il s'appliqua à l'étude de la religion & de la politique, & fut employé dans des négociations importantes, sous le ministere du cardinal de Richelieu. Il mourut en 1667, après avoir mis au jour plusieurs livres, & entr'autres celui qui a pour titre, le Ministre d'état. C'est un bon écrivain, mais dont le style est trop diffus. Il a très-bien prouvé la fausseté de la puissance indirecte, que les Ultramontains s'avisent d'attribuer au pape sur le temporel des princes. (D.J.)


SOSIBESLES, (Géog. anc.) peuples des environs de la Sarmatie asiatique. Ils furent du nombre de ceux qui conspirerent contre l'empire romain sous Marc Antonin le philosophe. (D.J.)


SOSICUROE(Géog. anc.) peuples de l'Inde, en-deçà du Gange, & selon Ptolémée, l. VII. c. j. dans le golfe Colchique. Castald dit que le nom moderne est Jacamcuri. (D.J.)


SOSIPOLISS. m. (Mythol. grecq.) dieu des Eléens. Pausanias raconte que les Arcadiens ayant fait une grande irruption en Elide, les Eléens s'avancerent contr'eux pour éviter la prise de leur capitale. Comme ils étoient sur le point de livrer bataille, une femme se présenta aux chefs de l'armée, portant entre ses bras un enfant à la mamelle, & leur dit, qu'elle avoit été avertie en songe que cet enfant combattroit pour eux. Les généraux éléens crurent que l'avis n'étoit pas à négliger ; ils mirent cet enfant à la tête de l'armée, & l'exposerent tout nud ; au moment du combat cet enfant se transforma tout-à-coup en serpent, & les Arcadiens furent si effrayés de ce prodige, qu'ils se sauverent ; les Eléens les poursuivirent, en firent un grand carnage, & remporterent une victoire signalée.

Comme par cette avanture la ville d'Elis fut sauvée, les Eléens donnerent le nom de Sosipolis à ce merveilleux enfant, bâtirent un temple à sa gloire, & instituerent une prêtresse particuliere pour présider à son culte. Le temple étoit double : la partie antérieure étoit consacrée à Lucine, qui selon l'opinion des Eléens, avoit singulierement présidé à la naissance de Sosipolis. Tout le monde jouissoit d'une entrée libre dans cette partie du temple ; mais dans le sanctuaire du dieu, personne n'y entroit que la prêtresse qui même, pour exercer son ministere, se couvroit la tête d'un voile blanc.

Les filles & les femmes restoient dans le temple de Lucine, chantoient des hymnes & brûloient des parfums en l'honneur du dieu d'Elide. On représentoit ce dieu sous la forme d'un enfant avec un habit de plusieurs couleurs, & semé d'étoiles, tenant d'une main une corne d'abondance.

On peut croire que les chefs des Eléens pour effrayer leurs ennemis, & donner du courage à leurs troupes, s'aviserent du stratagême d'exposer un enfant à la tête du camp, & de substituer ensuite avec adresse, un serpent à la place. Enfin on fit intervenir la religion pour soutenir une ruse qui avoit si bien réussi. Voilà le premier tome de la Pucelle d'Orléans.

Jupiter est aussi quelquefois nommé Sosipolis, c'est-à-dire sauveur de la ville. (D.J.)


SOSPELLO(Géog. mod.) petite ville des états du roi de Sardaigne, dans le comté de Nice, entre Nice & Cony. Elle fut prise en 1692 par les François, qui la rendirent au duc de Savoie par la paix de 1696.

Raynaud (Théophile), l'un des fameux jésuites du xvij. siecle, naquit à Sospello, passa presque toute sa vie en France, & mourut à Lyon en 1663, à 79 ans, selon M. Gallois.

Le P. Raynaud étoit extrêmement laborieux, comme le prouve le nombre de livres qu'il a composés. Il en publia quelques-uns qui furent à son grand regret, flétris par l'inquisition ; mais il déchargea sa colere sur les Jacobins, par un ouvrage où il ramassa une infinité de choses tirées de leurs écrits, qui n'avoient pas été censurées, quoiqu'elles le méritassent. On ne sauroit nier qu'il n'eût l'esprit satyrique, l'imagination vive & une mémoire prodigieuse. Son style est obscur, à cause qu'il affecte de se servir de termes difficiles à entendre, & de mots tirés du grec.

Il maltraita les Jansénistes qui ne l'ont pas épargné à leur tour ; mais les Carmes l'ont beaucoup loué, & ils lui rendirent les honneurs funebres dans tous les couvens de leur ordre. Ce fut à cause de l'ouvrage qu'il avoit fait sur le scapulaire. Guy Patin étoit aussi de ses bons amis, & trouvoit beaucoup de doctrine dans tous ses ouvrages ; ce n'est pas un petit éloge, car l'édition qu'on en a faite à Lyon en 1665, comprend 20 volumes in - fol. & ce qui est fort étrange, le libraire ne s'y est pas ruiné.

Au reste, le P. Raynaud a si souvent déguisé son nom à la tête de ses livres, que M. Baillet n'a pas eu le bonheur de pouvoir toujours découvrir cette supercherie. Hurtado moine espagnol, a jetté bien des railleries, non-seulement sur les divers noms que prenoit le P. Raynaud, mais aussi sur les titres que ce pere donnoit à ses ouvrages. Il faut pourtant convenir que ses titres étoient quelquefois ingénieux. Qui ne voudroit lire, par exemple, un ouvrage intitulé, les spiritualités hétéroclites ; & les anomalies de la piété. C'est le titre du quinzieme & du seizieme volume des oeuvres de ce jésuite. Voilà donc, dira-t-on, des hétéroclites dans la religion, aussi bien que dans la grammaire ; y voilà des anomalies, aussi bien que dans la lune : on ne peut se dispenser d'acheter un ouvrage qui nous apprend des choses si singulieres. (D.J.)


SOSPITA(Mythol.) c'est-à-dire salutaire ; surnom de Junon, parce qu'elle veilloit à la salubrité de l'air, dont l'intempérie cause les maladies. Cette déesse, qui est souvent prise pour l'air même, avoit trois temples à Rome sous le nom de Juno sospita, & les consuls, avant que d'entrer en charge, alloient lui offrir un sacrifice. (D.J.)


SOSSINATI(Géog. anc.) peuples de l'île de Sardaigne. Strabon, lib. V. pag. 225. les compte au nombre des peuples montagnards qui habitoient dans des cavernes, & qui bien qu'ils eussent des terres propres à porter du blé, les négligeoient, aimant mieux piller les terres des autres, tantôt dans l'île, tantôt dans le continent opposé, sur-tout les terres des Pisans. (D.J.)


SOSSIUS(Géog. anc.) fleuve de la Sicile, Ptolémée, l. III. c. iv. le marque sur la côte méridionale, entre la ville Pintia & l'embouchure du fleuve Isburus. Le nom moderne est Calia Bellota selon Fazel, & Pulici selon Léander. (D.J.)


SOTFAT, IMPERTINENT, (Gram.) ce sont là de ces mots dans toutes les langues qu'il est impossible de définir, parce qu'ils renferment une collection d'idées qui varient suivant les moeurs dans chaque pays & dans chaque siecle, qu'ils s'étendent encore sur les tons, les gestes & les manieres.

Il me paroît en général que l'épithete de fat, de sot & d'impertinent, prise dans un sens aggravant, n'indiquent pas seulement un défaut, mais porte avec soi l'idée d'un vice de caractere & d'éducation. Il me semble aussi que la seconde épithete attaque plus l'esprit, & les deux autres les manieres ; c'est en vain qu'on fait des leçons à un sot, la nature lui a refusé les moyens d'en profiter. Les discours les plus raisonnables sont perdus auprès d'un fat ; mais le tems & l'âge lui montrent quelquefois l'extravagance de la fatuité. Ce n'est qu'avec beaucoup de peine qu'on peut venir à bout de corriger un impertinent.

Le sot est celui qui n'a pas même ce qu'il faut d'esprit pour être un fat. Un fat est celui que les sots croyent un homme d'esprit. L'impertinent est une espece de fat enté sur la grossiereté.

Un sot ne se tire jamais du ridicule, c'est son caractere. Un impertinent s'y jette tête baissée, sans aucune pudeur. Un fat donne aux autres des ridicules, qu'il mérite encore davantage.

Le sot est embarrassé de sa personne. Le fat est rempli de l'amour de la sienne, avec une sorte de hauteur pour les autres. L'impertinent passe à l'effronterie.

Le sot, au - lieu de se borner à n'être rien, veut être quelque chose ; au-lieu d'écouter, il veut parler, & pour - lors il ne sait & ne dit que des bêtises. Un fat parle beaucoup, & d'un certain ton qui lui est particulier ; il ne sait rien de ce qu'il importe de savoir dans la vie, s'écoute & s'admire. Il ajoute à la sottise la vanité & le dédain. L'impertinent est un fat, qui pêche en même tems contre la politesse & la bienséance. Ses propos sont sans égard, sans considération & sans respect. Il confond l'honnête liberté avec une familiarité excessive ; il parle & agit avec une hardiesse insolente, c'est un fat ou un sot outré, sans délicatesse. Le sot ennuie ; le fat révolte ; l'impertinent rebute, aigrit & irrite.

Addisson & la Bruyere ont donné d'excellens coups de crayon sur chacun de ces trois défauts. Théophraste les a décrits en passant dans ses portraits ingénieux des vices des Athéniens. Séneque les caractérise aussi dans ses tableaux des moeurs romaines ; mais il a peint merveilleusement le fat parfait ; dans la personne d'un des aimables de Rome, qui ayant été transporté par ses esclaves du bain dans sa chaise à porteurs, se donne la peine de leur demander en arrivant, s'il est assis, comme si c'étoit une chose au-dessous de lui de le savoir. Citons ce trait dans la langue originale, il a bien plus de sel : Audio quemdam ex istis delicatis (si modo deliciae vocandae sunt vitam & consuetudinem dediscere), cùm ex balneo inter manus elatus, & in sellâ positus esset, dixisse interrogando, jam sedeo ? Nimis humilis & contempti hominis esse videtur, scire quid faciat. Senec. de brevitate vitae, cap. xij. (D.J.)


SOTAVENTou SOTOVENTO, (Géog. mod.) on appelle ainsi la partie méridionale des îles Antilles. Les Espagnols leur donnent ce nom, à cause qu'elles sont effectivement sous le vent, à l'égard de celles de Barlovento. Les principales de ces îles sont la Trinité, la Marguerite, la Tortuga, la Rocca, Bon-Aire, Curacao, Oruba. (D.J.)


SOTERSOTERIA, (Littérature) c'est-à-dire, conservateur, conservatrice : on trouve que ces noms étoient souvent donnés aux divinités, lorsqu'on croyoit leur être redevable de sa conservation. On les donnoit particulierement à Jupiter, à Diane, à Proserpine. Il y avoit chez les Grecs des fêtes appellées sotéries, qui se célébroient en action de graces, quand on étoit délivré de quelques périls. (D.J.)


SOTÉRIESS. f. pl. soteria, (Antiq. rom.) fêtes qu'on célébroit en action de graces pour la délivrance de quelque grand péril public. Sous le regne des empereurs, on ne manquoit pas de faire ces sortes de solemnités, lorsque le prince relevoit de maladie. (D.J.)


SOTHERTOou SUTTERTON, (Géog. mod.) village d'Angleterre, dans Lincoln - shire & dans la partie septentrionale du Holland. Ce village mérite d'être remarqué, parce qu'il étoit autrefois sur le bord de la mer, & qu'aujourd'hui il en est à plus de deux milles. Ainsi l'Océan s'est retiré de ce côté - là, à mesure qu'il s'est avancé vers un autre. (D.J.)


SOTIATES(Géog. anc.) peuples de la Gaule, marqués dans l'Aquitaine par César. M. l'abbé de Longuerue observe que le nom de ces peuples est corrompu en celui de Soutiates dans plusieurs éditions des commentaires de César ; mais de quelque maniere qu'on écrive ce mot, on n'en connoît pas mieux le peuple dont il s'agit, comme le prouve assez la variété des opinions de nos savans.

M. de Marca, hist. de Béarn, l. I. c. ix. pense que le peuple Sotiates répond au diocèse d'Aire. M. de Valois veut que ce soit le quartier aux environs de Soz qui est de l'ancien diocèse d'Eause, aujourd'hui compris dans celui d'Aux. M. Samson, dans ses remarques sur la carte de l'ancienne Gaule, estime que les Sotiates sont les habitans du diocèse de Lectoure, d'autant mieux que la ville est forte d'assiette & de travail, comme dit César ; & parce que ce pays se présente le premier du côté de Toulouse, par où il semble que Crassus entra dans l'Aquitaine. Enfin M. Lancelot, hist. de l'acad. des Inscript. tome V. p. 291. croit que les Sotiates sont plutôt les habitans du pays de Foix, parce que cette ville est frontiere de Languedoc, qu'on y entre en venant de Toulouse sans avoir de riviere considérable à passer ; que le pays est montueux, & a quelques mines de cuivre, circonstance que César dit du pays des Sotiates.

La conjecture de M. de Marca n'est autorisée que sur une charte faite par quelque moine moderne fort ignorant. L'opinion de M. de Valois n'est fondée que sur la conformité du nom de Soz avec Sotiates, qui toute seule est la plus foible raison du monde. Les idées de MM. Samson & Lancelot ne sont étayées d'aucune autorité ancienne ou moderne. En un mot, comme les anciens après César n'ont fait aucune mention des peuples Sotiates ; que lui - même n'en parle qu'en passant & légerement, il est impossible aujourd'hui de deviner la position des peuples Sotiates, ainsi que de plusieurs autres nommés dans les commentaires de ce grand capitaine, d'autant mieux que ces peuples ont sans-doute été confondus avec d'autres peuples par Auguste, dans le tems qu'il fit faire la nouvelle division de l'Aquitaine. (D.J.)


SOTIES. f. (Hist. du théat. franç.) nom donné à des farces qu'on représentoit autrefois en public, & qui étoient un tissu de bouffonnerie pour faire rire le peuple. Elles suivirent de près les mysteres de la passion. L'on ne doit pas les confondre avec les sotéries, qui étoient des pieces de vers plus anciennes faites en l'honneur des saints. (D.J.)


SOTTISES. f. (Gram.) c'est l'action ou le propos d'un sot. Voyez SOT.


SOTTISIERS. m. (Gram.) recueil de pieces ordurieres.


SOTTOSRINSS. m. terme de Galere, pieces de bois qui croisent les courbâtons, & qui servent à les lier & à les affermir.


SOU(Monnoie) voyez SOL.

SOU, s. m. (Marine) c'est la terre qui est au fond de l'eau.

SOU, s. f. (Economie rustique) c'est l'étable aux pourceaux.


SOUACHEM(Géog. mod.) petite île du golfe Arabique, qui sépare, pour ainsi dire, l'Egypte de l'Ethiopie. Il y a dans cette île un bacha turc. (D.J.)


SOUADOU(Géogr. mod.) nom qu'on donne à un amas d'îles de l'Océan indien, situées partie sous le deuxieme, partie sous le troisieme degré de latitude méridionale, au midi des îles d'Adoumatis, & au nord des îles d'Addou en général qui en sont assez proche. (D.J.)


SOUBou SUBA, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi qu'on nomme dans l'Indostan des especes de vice-rois ou de gouverneurs généraux, qui ont sous leurs ordres des gouverneurs particuliers, que l'on nomme nababs ; ils sont nommés par le grand-mogol.


SOUBARDIERSS. m. pl. terme de Carrier, principaux étais qui soutiennent la machine avec laquelle on tire des pierres les masses de pierre à faire de l'ardoise. (D.J.)


SOUBASSEMENTS. m. (Archit.) large retraite ou espece de piédestal continu, qui sert à porter un édifice. Les architectes le nomment stéréobate & socle continu, quand il n'y a ni base, ni corniche. (D.J.)

SOUBASSEMENT, terme de Tapissier ; bande d'étoffe, de soie, de drap, de serge, qui est attachée le long de chaque pan de lit.


SOUBERMES. m. (Marine) c'est un torrent, c'est-à-dire, un amas d'eaux provenues des pluies ou de la fonte des neiges, qui grossit les rivieres.


SOUBISE(Géog. mod.) petite ville de France, dans la Saintonge, sur la Charente, à 2 lieues au nord de Brouage, & à 5 de la Rochelle. Elle a donné le nom à une branche de l'illustre maison de Rohan ; c'est une principauté de vingt mille livres de rente. Elle comprend sept grosses paroisses, qui forment un petit pays. Longitude 16. 34. latitude 45. 49. (D.J.)


SOUBRESAUTS. m. (Manege) saut imprévu & à contretems que le cheval fait pour se dérober de dessous le cavalier qui le monte.


SOUBRETTES. f. (Gram.) c'étoit autrefois une femme attachée au service d'une autre. Il n'y a plus de soubrette dans nos maisons ; mais elles sont restées au théâtre, où elles sont communément méchantes, bavardes, sans décence, sans sentiment, sans moeurs, & sans vertu ; car il n'y a rien dans la société qui ressemble à ce personnage.


SOUBREVESTES. f. (Habit milit.) la soubreveste fait partie de l'habillement des mousquetaires. Ce fut en 1688 que le roi ordonna les soubrevestes, qui sont comme des juste-au-corps sans manches. Elles sont bleues & galonnées comme les casaques. Elles ont une croix devant & une derriere, qui sont de velours blanc bordées de galon d'argent ; les fleurs-de-lis aux angles de la croix sont de même. Le devant & le derriere des soubrevestes, s'accrochent aux côtés par des agraffes. Non-seulement les mousquetaires, mais encore les sous-brigadiers, les brigadiers & les maréchaux-des-logis, portent la soubreveste. Il n'y a que les officiers supérieurs qui ne la portent point. Le roi fournit la casaque & la soubreveste, & on rend l'une & l'autre quand on quitte la compagnie. (D.J.)


SOUBRIGADIERS. m. dans la Cavalerie, est un bas officier qui commande sous le brigadier, & qui l'aide dans l'exercice de ses fonctions. Voyez OFFICIERS. Chambers.


SOUCHES. f. (Grammaire & Jurisprudence) pris dans le sens littéral signifie le tronc d'un arbre ; on employe ce terme dans un sens figuré en matiere de généalogies & de propres pour désigner celui qui est l'auteur commun de plusieurs personnes : on le compare à la souche ou tronc d'un arbre, dont ces autres personnes sont les branches ; on appelle donc souche ou tige commune celui duquel sont issus d'autres personnes.

Les immeubles qui n'ont pas encore été transmis par succession, ne forment que des acquêts quand ils ont fait souche, c'est-à-dire, qu'ils ont passé du pere au fils, ou d'un collatéral à un autre par voie de succession : on dit qu'ils ont fait souche, parce que le défunt est regardé comme la souche d'où procede l'héritage qui devient propre. Voyez PROPRE & COUTUME SOUCHERE.

Succéder par souches in stirpes, c'est lorsque plusieurs personnes viennent par représentation d'un défunt, & ne prennent tous ensemble que ce qu'il auroit pris, au lieu que ceux qui succédent par tête, prennent chacun jure suo leur portion virile. Voyez REPRESENTATION, SUCCESSION, PARTAGE. (A)

SOUCHE de cheminée, (Archit.) c'est un tuyau composé de plusieurs tuyaux de cheminée, qui paroît audessus d'un comble ; il ne doit être élevé que de trois piés plus haut que le faîte. Les tuyaux d'une souche de cheminée sont ou adossés au devant les uns des autres, comme on les faisoit anciennement, ou rangés sur une même ligne, & joints par leur épaisseur, comme on le pratique quand ils sont dévoyés.

Les souches de cheminée se font ordinairement de plâtre pur, pigeonné à la main, & on les enduit des deux côtés de plâtre au panier. Dans les bâtimens considérables, on les construit de pierre ou de brique de quatre pouces, avec mortier fin & crampons de fer.

Souche feinte ; souche qu'on éleve sur un toit, pour répondre à la hauteur, à la figure, à la situation des autres, & leur faire symmetrie.

Souche ronde ; tuyau de cheminée de figure cylindrique en maniere de colonne creuse, qui sort hors du comble, ainsi qu'il y en a au palais à Paris. Ces sortes de souches ne se partagent point par des languettes pour plusieurs tuyaux ; mais elles sont accouplées ou grappées, comme celles par exemple du château de l'Escurial, à sept lieues de Madrid, en Espagne. Daviler. (D.J.)

SOUCHE, (Hydr.) est le tuyau qui s'éleve au milieu d'un bassin & d'où sort le jet ; on le soude à plomb sur la conduite & du même diametre, & il est terminé par un ajutage de cuivre soudé, & qui se dévisse pour nettoyer les ordures qui empêchent l'effet de l'eau. (K)

SOUCHE, (Comm. en détail) les détailleurs nomment ainsi la plus longue des deux pieces de bois qui composent ce que les marchands appellent une taille, sur laquelle ils marquent avec des hoches les marchandises qu'ils donnent à crédit. (D.J.)

SOUCHE, (Exploitat. des bois) c'est la partie de l'arbre qui est à fleur de terre & qui tient aux racines. On l'appelle aussi sepée ; mais ce dernier terme ne se dit guere que des arbres, du tronc desquels il sort diverses tiges.


SOUCHERE(Jurisprudence) se dit d'une coutume où, pour succéder aux propres, & pour être admis au retrait lignager, il faut être descendu de celui qui a mis l'héritage dans la famille. Voyez COUTUME SOUCHERE, & les mots COTE, SIGNE, PROPRE, RETRAIT LIGNAGER, SOUCHE. (A)


SOUCHETS. m. (Hist. nat. Bot.) cyperus, genre de plante dont la fleur n'a point de pétales ; elle est composée de plusieurs étamines, & elle forme une sorte de tête écailleuse. Le pistil sort des aîles des écailles, & devient dans la suite une semence triangulaire. Ajoutez aux caracteres de ce genre que les tiges sont aussi triangulaires. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Il y a deux especes de souchet en usage dans les boutiques, le long, & le rond du levant.

Le souchet long, cyperus longus, est une racine longue, menue, noueuse, genouillée, tortueuse, difficile à rompre, noirâtre en-dehors, blanchâtre en-dedans ; d'un goût suave un peu âcre, aromatique, d'une odeur agréable qui approche de celle du nard. Il croît en Provence & en Languedoc, & c'est de-là qu'on nous l'apporte. On choisit celui qui est bien conservé, qui n'est pas carié, & qui est odorant.

C'est la racine d'une plante qui s'appelle cyperus odoratus, radice longâ, C. B. P. Cette racine est oblongue, genouillée, garnie de plusieurs noeuds articulés les uns avec les autres, & de plusieurs fibres capillaires, d'un rouge noirâtre, succulent, & souvent de petites racines en forme d'olives, comme dans la racine de filipendule ; de cette racine sortent des feuilles graminées, semblables à celles du porreau, mais cependant plus longues & plus étroites : la tige est d'une coudée, droite, sans noeuds, lisse, striée, triangulaire, & pleine d'une moëlle blanche ; elle porte à son sommet des feuilles plus petites, disposées en maniere d'étoile, & placées au-dessous des épis de fleurs, qu'elles surpassent en longueur. Ces bouquets sont amples, épars, & comme flottans sur le sommet de la tige : ils sont composés d'épis ou de têtes écailleuses, garnies de fleurs à étamines sans pétales : des aisselles des écailles naissent les pistils, qui se changent ensuite en grains triangulaires, durs, revêtus d'une écorce noire. Cette plante croît abondamment dans la Provence, & dans quelques endroits des environs de Paris.

Le souchet rond du Levant, cyperus rotundus orientalis, est une racine arrondie, de la grandeur & de la figure d'une olive, raboteuse, striée, roussâtre ou rougeâtre, & quelquefois noire en-dehors & blanche en-dedans, plusieurs racines sont attachées à la même tête, & y pendent comme par des filets. Elle a le même goût, & la même odeur que la racine du souchet long. La plante s'appelle cyperus rotundus orientalis major. C. B. P. Elle pousse beaucoup de racines, arrondies, cannelées, de la grosseur d'une olive ou environ, liées ensemble par une fibre intermédiaire. Elle a les feuilles, les fleurs, & les graines semblables à la précédente. Elle vient en abondance dans l'Egypte le long du Nil, & dans les marais.

On connoit encore une troisieme espece de souchet qui s'appelle cyperus americanus, dans le p. du Tertre, radix sanctae Helenae, galangae species, J. B. scirpus americanus, caule geniculato, cavo, I. R. H. cette espece passe pour avoir les mêmes vertus que les précédentes.

Dioscoride & Pline ont parlé du souchet, sans en distinguer les especes. Leurs racines sont propres à diviser les humeurs, à exciter les regles, & à fortifier l'estomac affoibli par le relâchement des fibres. Hippocrate en prescrivoit l'usage dans les ulceres de la matrice. Les racines sont moins odorantes fraîches que séches ; mais elles sont aussi moins actives, étant chargées d'une plus grande quantité de phlegmes inutiles. Falloppe prétend que la graine de souchet long enivre comme l'yeble, lorsqu'on en mange avec le riz, avec lequel elle se trouve souvent mêlée dans les rizieres d'Italie. Je ne sai si cette remarque est certaine, mais elle est assez vraisemblable ; car les parfumeurs macerent les racines de souchet dans le vinaigre, les séchent ensuite, & les pulvérisent pour en faire des parfums. (D.J.)

SOUCHET des Indes, (Botan.) Voyez SAFRAN des Indes. (D.J.)

SOUCHET-SULTAN, (Botan.) espece de souchet, nommé par Tournefort, cyperus rotundus esculentus, angustifolius I. R. H. Il pousse des feuilles arondinacées, longues, étroites, semblables à celles des autres souchets ; ses tiges sont hautes d'environ deux piés, triangulaires, portant en leurs sommets des fleurs à plusieurs étamines ramassées en tête jaunâtre, entre des feuilles à écailles, disposées en maniere d'étoile : quand ces fleurs sont passées, il vient sous chaque feuillet, une graine triangulaire, ou relevée de trois coins ; ses racines sont des fibres menues, auxquelles sont attachés des tubercules charnus, gros comme les plus petites noisettes, ronds, ornés d'une espece de petite couronne comme les neffles, couverts d'une écorce ridée un peu rude, jaunâtre ou rousse, ayant la chair blanche, ferme, d'un goût doux. Cette plante croît aux pays chauds, en Provence, en Italie, en Sicile, &c. où sa racine est d'usage en médecine. (D.J.)

SOUCHET, terme de Carriers, ils nomment ainsi une assez mauvaise pierre, qui se trouve quelquefois entre les bancs qui composent une carriere, particulierement sur le dernier banc ; le plus souvent le souchet n'est qu'une espece de terre & de gravois. (D.J.)


SOUCHETAGES. m. (Eaux & forêts) descente que font les officiers des eaux & forêts, après la coupe des bois, pour visiter & compter le nombre & la qualité des souches, ou arbres abattus. Il se dit aussi du compte & de la marque des bois de futaie, qu'on a permission d'abattre dans une vente : cette derniere visite se fait avant l'exploitation des bois. Traité des eaux & forêts. (D.J.)


SOUCHETEURS. m. (Gram.) expert que chacun nomme de son côté, pour assister au souchetage & à la visite des souches.


SOUCHEVERv. n. terme de Carrier, c'est proprement couper le souchet, c'est-à-dire, la pierre ou moilon qui se trouve dans les carrieres, au-dessous du dernier banc de pierre. Il se dit néanmoins plus communément de tout l'ouvrage que les garçons carriers font dans le fond de la carriere, sous chaque banc ou lit de pierre, pour les séparer les uns des autres : c'est l'ouvrage le plus difficile & le plus périlleux de tous, qui ne se fait que sous - oeuvre, dans une posture très-contrainte, le carrier étant ordinairement couché de son long sur de la paille, pour pouvoir détacher & couper la pierre avec le marteau en croissant, qu'en terme du métier on appelle une esse. (D.J.)


SOUCHEVEURS. m. terme de Carrier, ouvrier qui travaille dans les carrieres à ôter le souchet. (D.J.)


SOUCICALTHA, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur radiée, dont le disque est composé de plusieurs fleurons, & la couronne de demi-fleurons ; ces fleurons, & ces demi-fleurons, sont portés sur des embryons, & soutenus par un calice. Les embryons deviennent dans la suite des capsules, le plus souvent courbes & bordées, qui renferment chacune une semence ordinairement oblongue. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SOUCI, (Mat. méd.) souci des jardins, & souci de vigne, ou souci sauvage. On donne les mêmes vertus aux deux especes de souci ; quelques-uns préférent le sauvage comme étant plus fort ; ils sont apéritifs & résolutifs, ils levent les obstructions du foie, de la rate, & de la matrice ; ils guérissent la jaunisse, excitent les regles, & facilitent l'accouchement : on prescrit le suc de toute la plante, depuis une once jusqu'à quatre ; l'infusion des fleurs & des feuilles pilées dans le vin blanc, depuis trois onces jusqu'à six : l'extrait, depuis un gros jusqu'à deux ; la conserve des fleurs, depuis un gros jusqu'à une once ; on recommande les fleurs & les feuilles mangées cuites ou crues, & leur décoction en boisson ordinaire, pour guérir les écrouelles ; la décoction des fleurs de souci dans du lait & de la biere, est très en usage en Angleterre, dans la petite vérole, selon J. Rai. On se préserve de la peste, au rapport du même auteur, en mangeant des fleurs de souci avec l'huile & le vinaigre, & en se rinsant la bouche le matin à jeun avec le vinaigre de souci, & en avalant ensuite une ou deux cuillerées. Extrait de la mat. méd. de Geoffroi.

SOUCI de marais, (Botan.) nom vulgaire du genre de plante que Tournefort appelle populago. Voy. POPULAGO. (D.J.)

SOUCI ou SOUCIE, Voyez ROITELET HUPE.

SOUCI D'EAU, populago ; genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond ; le pistil sort du milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit membraneux, dans lequel sont réunies, en maniere de tête, plusieurs gaines qui sont ordinairement recourbées en en-bas, & qui contiennent des semences le plus souvent oblongues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SOUCI, s. m. (Morale) facheuse sollicitude & inquiétude d'esprit ; curae, disent les Latins.

L'idée des soucis qui voltigent dans les appartemens des grands, curae laqueata circùm tecta volantes, pour parler avec Horace ; cette idée, dis-je, est très-ingénieuse, & ne se trouve que trop vraie. Tandis qu'un particulier qui sait reprimer le soulevement de ses passions, coule doucement ses jours dans une honnête médiocrité, un seigneur riche & puissant a d'ordinaire le coeur flétri par les soucis les plus amers. Lucrèce dit :

Metus curaeque sequaces

Nec metuunt sonitus armorum seraque tela.

" Les soucis & les craintes ne respectent ni le bruit des armes, ni la fureur des traits ". Il s'en faut de beaucoup, c'est-là que les soucis se plaisent ; ils s'établissent sur-tout dans le coeur des puissances & des têtes couronnées, malgré l'éclat de l'or & de la pourpre qui les environne. (D.J.)

SOUCI DE HANNETON, en terme de Boutonnier, c'est une espece de meche en soie plate, & non torse, devidée sur une bobine ; on la noue à une certaine distance, de deux noeuds près l'un de l'autre, puis de deux autres à la même distance, ainsi tout le long, jusqu'à ce qu'on en ait assez ; ensuite on coupe la soie au milieu de la distance des noeuds ; cette distance partagée forme de petits bouquets brillans, à proportion de la beauté de la soie, le souci entre dans les graines d'épinars, & autres ajustemens d'hommes & de femmes.


SOUCIES. m. (Ornithol.) en latin trochilus, espece de moineau ou passereau ; on le nomme soucie, à cause que ses sourcils sont composés de plumes noires, élevées sur chaque côté des temples au-dessus des yeux, au-milieu desquels il a une espece de crête de plusieurs plumes jaunes, sur le sommet de la tête. Cet oiseau fréquente les haies & les jardins, où il se met volontiers sur les choux pour y attraper des insectes ; il a le bec un peu crochu quand il est jeune ; le dessus de sa gorge, de l'estomac, & du ventre, sont jaunâtres ; sa queue & ses aîles sont cendrées, mais le dessus de son dos tire sur le brun. Quand il est vieux, il a le bec rond, longuet, pointu, & très-noir ; ses jambes sont d'un brun qui tire sur le noir, les plumes du dos sont de couleur d'ocre ; le dessus du ventre & de la gorge sont blancs, ses yeux sont noirs & ombrés de plumes cendrées ; il est sauvage, & ne vit pas en cage. (D.J.)


SOUCIERv. act. & n. il ne se dit guere qu'avec le pronom personnel ; c'est prendre du souci. Voyez SOUCI. De quoi vous souciez-vous dans ce monde ? Je méprise à-présent tout ce qui me plut autrefois, je ne me soucie plus de cet amas de raretés que j'avois achetées à grand prix.


SOUCIEUXadj. qui prend aisément du souci. Il a toujours un air soucieux qui afflige.


SOUCISou SOUTIS, s. m. pl. (soirie des Indes) ce sont des mousselines de soie rayées, de diverses couleurs, qui viennent des Indes. On les appelle mousselines, quoiqu'il n'entre aucun coton dans leur fabrique ; ce qui leur a fait donner ce nom, c'est une espece de bourre légere qui paroît sur la superficie de la toile, comme sur les mousselines ; mais ce sont des vraies toiles de soie. Il n'y a que les Indiens qui aient la maniere de travailler ainsi ces sortes d'étoffes. Dict. de comm. (D.J.)


SOUCOUPES. f. terme d'Orfèvre & de Fayencier, ouvrage d'orfèvre, de fayencier, ou de potier d'étain, qui forme la figure d'un vase, composé d'un pié, & d'un dessus, qui est une sorte d'assiette large, avec de petits rebords, servant à poser un verre ou une tasse. (D.J.)


SOUDAINadj. (Grammaire) terme relatif à la promtitude de l'action ; rien de plus soudain que le mouvement de la lumiere : on dit aussi, une irruption soudaine, une mort soudaine, une maladie soudaine, une révolte soudaine, &c.


SOUDANS. m. (Hist. mod.) ou comme on le trouve dans nos vieux auteurs soldan, & en latin soldanus ; étoit le nom qu'on donnoit autrefois aux lieutenans généraux des califes dans leurs provinces & dans leurs armées ; mais la puissance des califes étant déchue peu-à-peu par diverses révolutions, & sur-tout par la trop grande étendue de pays soumis à leur domination, ces lieutenans généraux s'érigerent en souverains. Saladin, général des troupes de Noradin roi de Damas, prit ce titre, & fut le premier soudan d'Egypte. Les empereurs turcs détruisirent toutes les petites dinasties que les soudans avoient fondées dans l'Asie mineure, comme celles de Cogni, de Caramanie, &c. & soumirent aussi celles d'Egypte en 1516. Pour l'étymologie du mot soudan, voyez SULTAN.

SOUDAN, ou SOLDAN, s. m. (Hist. mod.) est le nom d'un officier de la cour de Rome, qu'on appelle autrement juge de la tour de nove, ou maréchal de Rome à la cour de savelles ; c'est une espece de prevôt qui a la garde des prisons, & qui connoît de plusieurs affaires criminelles, sur-tout de celles où les courtisannes sont impliquées. Pendant la vacance du siege, on lui confie quelquefois la garde du conclave avec des soldats sous ses ordres. Ducange, glossar. latinit.


SOUDEou SEL DE SOUDE, (Chimie & Médec.) on appelle soude le sel lixiviel, ou les cendres de plusieurs plantes qui contiennent du sel marin, & qui croissent pour la plûpart sur les côtes maritimes des pays chauds, quoiqu'on en trouve quelques-unes au-milieu des terres, comme le kali geniculatum que Henkel a cueilli en Saxe. Les botanistes n'ont éclairé jusqu'à présent qu'imparfaitement cette partie, & nous trouvons si peu d'ordre & de clarté dans les noms & les descriptions qu'ils donnent des plantes dont on a coutume de tirer la soude, que nous n'osons en présenter un tableau complet ; on les a presque toutes confondues sous le nom de kali, tandis que plusieurs sont de différens genres. M. de Jussieu, mémoires de l'académie 1717, nomme kali d'Espagne annuel couché sur terre, à feuilles courtes, & de sedum, celui dont on retire principalement à Alicant la soude dite de barille. On prépare la soude dans plusieurs autres contrées. Les marchands distinguent ces différentes soudes par le nom que la plante dont on les tire a dans chaque endroit. Ainsi ils appellent la soude préparée à Cherbourg, soude de varech ; ainsi ils divisent celle d'Alicant en soude de barille & soude de bourdine. C'est du kali geniculatum de Gaspard Bauhin, du kali majus cochleato semine, & du salsola sativa du même auteur, qu'on retire les soudes communes. Pour y parvenir, voici la méthode qu'on suit dans tous les pays où le travail s'exécute en grand, en Egypte, près d'Alexandrie, à Carthagene, à Alicant, à Cherbourg, & en d'autres endroits.

On cueille cette plante qui a crû sans art, ou qu'on a semée pour la multiplier ; on la coupe lorsqu'elle est dans sa plus grande force, on la fait sécher au soleil comme le foin ; on la met en gerbes, après en avoir ramassé le fruit, si on souhaite ; on la brûle ensuite sur des grils de fer, d'où les cendres tombent dans une fosse, ou par un procédé plus suivi, dans un grand creux ; on jette d'abord une botte de kali séchée & enflammée, qui réduit successivement en cendres toutes celles dont on la couvre peu-à-peu. Le feu éteint naturellement, on tire du creux les cendres qui contiennent une très-grande quantité de sel alkali fixe marin (voyez SEL), auquel on a donné les noms de soude, soude en pierre, salicore, salicote, la marie, alun catin, dont Pline dit que la découverte est dûe à des marchands qui jettés par la tempête à l'embouchure du fleuve Bélus en Syrie, firent cuire leurs alimens avec le kali, dont la cendre unie au sable sur lequel elle tomboit, forma du verre par la fusion de l'un & de l'autre.

On préférera la soude des pays chauds à celle des pays froids ; la soude de barille est la plus estimée de toutes. On la choisira seche, sonnante, d'un gris bleuâtre, garnie de petits trous, n'ayant aucune odeur de marécage ; on rejettera celle qui a une croûte verdâtre, qui est noirâtre, puante, ou qui contient des pierres. Pour être sûr de son choix dans l'achat de la soude, il faut la dissoudre dans l'eau, la filtrer, comparer le poids que l'eau a acquis avec celui de la soude, ou-bien faire évaporer jusqu'à siccité ; elle sera d'autant meilleure, qu'elle contiendra une plus grande quantité de sel alkali auquel elle doit toute sa vertu.

Le sel de la soude est un vrai sel lixiviel alkalin marin, c'est lui qui sert de base au sel commun ; mais cet alkali est mêlé de sel de Glauber, de tartre vitriolé, & d'une assez grande quantité de sel marin que le feu n'a pu décomposer. Ce sel marin constitue le sel essentiel du kali de la plûpart des plantes maritimes, & de toutes celles qui fournissent la soude ; ce qu'il est aisé de démontrer par la décoction, l'expression, la filtration de l'évaporation du suc de ces plantes. Voyez le supplément au Flora saturnisans de Henkel, voyez SEL ESSENTIEL. Ce sel neutre est détruit par l'incinération, le feu dégage l'acide marin de sa base alkaline ; cet acide se dissipe, & l'alkali reste mêlé avec la terre, & une portion des sels qui n'ont pu être décomposés, voyez SEL LIXIVIEL. La putréfaction est un autre moyen de décomposer le sel marin ; le kali donne en se pourrissant une odeur extrêmement fétide, semblable à celle des excrémens humains, ou des parties animales putréfiées : elle est dûe à un alkali volatil qu'on peut ramasser sous forme concrête par la distillation. Voyez Henkel à l'endroit cité. C'est ici évidemment une transmutation de l'alkali fixe en volatil.

M. Henkel ayant versé les différens acides minéraux sur un sel grossier qui s'étoit précipité de la lessive & sur la soude, trouva après une forte effervescence, & après avoir laissé reposer la dissolution, une poudre semblable au bleu de Prusse, en très-petite quantité, voyez le supplément au Flora saturnisans déjà cité. M. Geoffroy répéta les expériences de M. Henkel, obtint à-peu-près les mêmes produits, & observa que la fécule bleue qui varioit beaucoup, dépendoit principalement de la quantité de charbon contenu dans la soude. Voyez son mémoire parmi ceux de l'académie, 1725. Il attribua cette couleur bleue à la portion ferrugineuse du charbon, développée par le savon tartareux formé de soufre, ou de l'huile concentrée du même charbon unie avec le sel alkali qui est ici abondant.

La soude est d'un très-grand usage pour blanchir le linge dans les pays où on ne brûle que du bois flotté, comme à Paris, dont les cendres ne contiennent point d'alkali fixe ; les blanchisseuses ne pouvant faire usage de ces cendres pour leurs lessives, employent la soude à leur place ; elle sert aussi à dégraisser les étoffes ; mais sa plus grande consommation est dans les fabriques de savon noir, gris ou blanc, & dans les verreries. Voyez SAVON, VERRE, EMAIL & FRITTE. Pour ces derniers ouvrages on ne devroit l'employer que lorsqu'elle est purifiée par la lessive de sa partie terreuse surabondante. Le sel marin qu'elle contient lui est nécessaire pour que le savon prenne de la consistance.

Nous ne trouvons pas qu'on se soit servi de la soude pure ou lessive dans la Médecine, mais les vertus apéritives & fondantes des savons communs de Marseille, d'Alicant, de Venise, sont connues de tout le monde ; ils les doivent presque toutes au sel alkali de la soude : nous pouvons donc les attribuer à ce dernier. On pourroit en faire des pierres à cauteres, moins actives que celles qu'on prépare communément avec les cendres clavelées.

SOUDE BLANCHE, (Minéralogie & Chimie) Lemery donne ce nom au natrum des anciens. Voyez NATRUM.

SOUDE, kali, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du milieu de cette fleur, & devient dans la suite un fruit presque rond & membraneux, qui renferme un fruit d'une forme singuliere ; car il est contourné comme un limaçon, & le plus souvent enveloppé par les pétales de la fleur. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SOUDE DE BARILLE, (Commerce) soude d'Alicant, ainsi nommée de l'herbe de barille qui se seme, se cultive, se recueille & se brûle aux environs de cette ville d'Espagne. On la tire rarement toute pure d'Espagne, les Espagnols la mêlant souvent avec la soude de bourdine, qui est une autre herbe qui ressemble à la barille. C'est la véritable soude de barille qu'il faut employer pour la fabrication des glaces à miroirs, la bourdine n'y étant pas propre ; elle s'envoie en masse dans de grands cabats de jonc. (D.J.)


SOUDÉEou SOULDÉE, s. f. (Jurisprud.) terme usité anciennement pour dire la valeur d'un sou, comme on peut voir dans les statuts donnés par S. Louis aux Boulangers, dans lesquels sont détaillés les jours de fêtes auxquels il ne leur est pas permis de cuire du pain ; la contravention à ce réglement étoit punie par une amende de six deniers, & la confiscation de deux soudées de pain pour chaque fournée, c'est-à-dire autant de pain qu'il s'en donnoit alors pour la valeur de deux sous. Voyez le traité de la Police, tome I. liv. II. tit. 8. ch. v. (A)


SOUDERv. act. (Gramm.) c'est joindre ensemble deux morceaux de métal séparés, par le moyen d'une composition d'une fusibilité moyenne entre l'un & l'autre, quelquefois par le seul moyen du feu, &c. Voyez les articles suivans.

SOUDER, terme d'Arquebusier, les Arquebusiers soudent les tenons sous les canons de fusil en les y assujettissant avec du fil de fer, & en faisant fondre du cuivre avec du borax en poudre, de la même façon que les Serruriers. Les Arquebusiers soudent aussi avec de l'argent & du cuivre mêlés ensemble. Ils ont aussi plusieurs autres pieces dans leurs ouvrages qu'ils sont obligés de souder, comme les guidons, &c.

SOUDER, v. act. SOUDURE, s. f. (Hydr.) est la maniere de joindre ensemble deux pieces de plomb, par le moyen d'un mêlange chaud de plomb & d'étain, appellé soudure, ensorte que ces deux pieces ne fassent qu'un corps.

On soude deux tables de plomb avec de la soudure faite de deux tiers de plomb & d'un tiers d'étain.

Le cuivre se soude avec de l'étain & du cuivre, & quelquefois de l'argent.

L'argent se soude avec le cuivre mêlé avec de l'argent ; cette soudure s'appelle huit. (K)

SOUDER, en terme de Bijoutier, est l'action de réunir différentes parties désunies pour n'en faire qu'un tout par le moyen de la soudure. Voyez SOUDURE.

Pour souder, on arrête ensemble les pieces que l'on veut joindre, soit avec du fil de fer, soit avec des crampons ; on met des paillons de soudure le long des assemblages ; on humecte le tout, & on garnit de borax tous les endroits où il y a des paillons de soudure ; il est même prudent, lorsqu'une piece a déja éprouvé quelques soudures, de garnir légerement de borax les endroits précédemment soudés ; cela empêche la soudure ancienne de se brûler au feu. Lorsque la piece est ainsi disposée, on l'expose à un feu léger pour faire sécher le borax ; on veille pendant ce tems-là à ce que les paillons de soudure ne s'écartent pas des places où on les a posés, ce qui arrive quelquefois par le bouillonnement qu'excite l'humidité mêlée au borax. Si la piece est petite, on la porte tout-de-suite au feu de la lampe, où d'un coup de flamme dirigé par le chalumeau de cuivre, on échauffe la totalité de la piece, & on la soude du même coup. Lorsque la piece est grosse, après l'avoir fait sécher, on l'environne & on la couvre de charbon allumé : on l'échauffe alors en soufflant à l'entour avec un soufflet à main ; lorsque la piece est d'un rouge suffisant, on découvre les endroits qui doivent être soudés en ôtant les charbons de dessus ces places ; on porte le tout au feu de la lampe, où d'abord on acheve de l'échauffer tout-à-fait en l'enveloppant de toute la flamme du chalumeau ; & lorsqu'on apperçoit que la soudure est prête à se fondre, on retrécit sa flamme, & on la porte plus directement sur les parties à réunir : lorsque l'on a vu couler toutes les soudures, alors on dégarnit la piece promtement de tout le feu de charbon qui l'environne ; on la laisse refroidir, on la délie, & on la met dérocher dans l'eau seconde, voyez EAU SECONDE & DEROCHER. Il y a une observation à faire, c'est qu'il arrive quelquefois que les crampons ou fils de fer se soudent avec l'or par la violence du feu, & qu'il est aisé d'éviter cet inconvenient en mêlant tant soit peu de sel de verre avec le borax.

SOUDER, terme de Chaînetier ; les Chaînetiers soudent plusieurs de leurs ouvrages avec de la soudure dont les deux tiers sont d'argent & l'autre tiers de cuivre ; quelquefois la soudure est moitié l'un, moitié l'autre, selon les ouvrages.

SOUDER, fers à, dont se servent les Facteurs d'orgues pour souder toutes les pieces de plomb ou d'étain dont les tuyaux sont composés, sont des fers ABC, (fig. 28. Pl. orgue) dont la partie B A a la forme d'un coin, dont le tranchant est arrondi. La partie BC, qui est la queue ou le manche, sert à les pouvoir tenir, au moyen des poignées DE qui sont de bois, & sont chacune une moitié de cylindre convexo-concave, c'est-à-dire, creuse par dedans pour recevoir le manche de fer, & convexe par dehors pour s'ajuster dans la main. Voyez POIGNEES. Lorsque les fers sont neufs, on les lime avec une lime douce, & on les frotte avec du sel ammoniac, ce qu'on appelle les étamer, parce que sans cette préparation ils ne prendroient pas la soudure qui est sur la tuile.

Pour se servir de ces fers, après les avoir fait chauffer non jusqu'à ce qu'ils soient rouges, on les frotte sur la tuile où il y a de la soudure, que la chaleur du fer fait fondre, & qui s'attache au fer lorsqu'elle est fort dure, comme l'encre à écrire dans une plume. On la porte en cet état sur la partie que l'on veut souder, où on l'applique en passant & repassant le fer chaud autant de fois qu'il en est besoin pour la faire prendre. Voyez l'article SOUDURE.

SOUDER, fers à, est un instrument dont les Plombiers se servent pour souder les ouvrages de leur métier. C'est un fer de forme cylindrique, dont la queue aussi de fer, sort du milieu de la base du cylindre, est emboîtée dans deux morceaux de bois appellés mouflettes, qui lui servent de manche, & par le moyen desquelles l'ouvrier retire le fer du feu, & s'en sert sans être incommodé de la chaleur. Il y a encore des fers à souder qui sont d'une forme triangulaire & plus petits : ceux-là ne sont propres qu'aux seuls Plombiers. Voyez les Pl. & fig. du Plombier.

SOUDER les pots d'étain, c'est unir, par le moyen d'un fer à souder, le haut & le bas d'un pot pour en former d'un seul corps. Pour cela, on prend une bande de feutre de chapeau, qui forme la circonférence du pot en-dedans ; cette bande est plus ou moins large & longue, suivant la grandeur & la grosseur des pieces. On joint les deux pieces l'une sur l'autre ; on les attache par deux gouttes avec le fer chaud : puis on conduit ce fer sur ce qu'on appelle la soudure, qui est un cordon qui vient en moule à une piece, soit du haut & du bas, & dans lequel il y a un degré pour introduire justement l'autre piece, & qui fournit en même tems la matiere suffisante pour faire la soudure, on fait marcher le fer en tournant la piece sur ses genoux ; on appuie le fer assez fort, afin qu'elle soit bien tréfondue ; ensuite on retire son feutre avec un petit crochet.

Il faut avoir soin de passer légerement du suif autour de la soudure avant de souder.

SOUDER à la soudure légere en étain, c'est faire tenir une anse, ou charniere, ou autre morceau à une piece d'étain, soit de poterie ou menuiserie, sans la jetter sur la piece. Voyez JETTER SUR LA PIECE.

Pour cela on attache, avec une goutte d'étain, l'anse ou autre morceau qu'on a jetté à part sur la piece où on le veut unir, puis on met du charbon allumé sur une plaque de fer échancrée, qui échauffant l'anse & la piece où elle est posée, fait fondre la soudure légere qu'on y met adroitement, & soude la piece proprement ; après quoi on retire le feu.

La soudure légere est composée de trois parties, une d'étain fin, une d'étain de glace & une de plomb. Cette soudure se coule par petites branches sur une rape à étain ; elle est fort tendre à fondre, c'est ce qui fait qu'elle fond sur une piece chaude, sans que la piece fonde.

On soude aussi, à la soudure légere, des pieces sortant du moule, encore assez chaudes pour fondre la soudure, principalement des chandeliers d'étain, pour éviter de les souder au fer : c'est une diligence. Voyez SOUDER.

SOUDER, en terme de Potier, c'est l'action d'appliquer une partie au corps d'une piece, comme corne, pié, manche, &c. Voyez ces mots.

SOUDER, (Rubanier) maniere de joindre une nouvelle piece au bout d'une autre qui finit ; cette maniere est uniquement affectée au galon, & voici ce que l'on entend par-là ; lorsqu'on est borné à faire un aulnage juste, comme supposé de 20, 30 aulnes, & qu'une des pieces de chaîne vient à finir avant ce complément, il faut donc en substituer une autre à sa place, ce qui se fait ainsi ; la piece qui finit & au bout de laquelle on a ajouté la corde à encorder pour l'allonger, étant parvenue auprès des lissettes, une autre de même contenance est placée sur les potenceaux ; & au moyen de l'encroix, chaque brin de cette piece nouvelle est passé à la place de celui auquel il doit succéder dans les mêmes mailles des lisses où passoient ceux qui finissent, ce brin à passer prend celui qu'il va remplacer par un demi-tour qu'on lui fait faire, & passe ainsi dans la lisse, de même tous les autres, ce qui après est passé de même dans le peigne, devant lequel le tout étant, est arrêté sur l'ensouple de devant par une autre corde à encorder ; on travaille ainsi avec cette double chaîne, la longueur de quatre doigts, jusqu'à ce que l'on juge que la nouvelle piece ne puisse s'échapper par derriere ; ce qui étant fait, le bout de la piece finie, détaché de la corde à encorder qui le tenoit tendu derriere les lisses, est dépassé en le tirant pardevant le peigne, & pour lors la nouvelle chaîne se trouve seule en état d'aller. Il faut observer pendant ce travail de quatre doigts, que l'ouvrage doit être extraordinairement frappé par le battant à coups redoublés, pour empêcher, autant qu'il est possible, l'extrême épaisseur qu'auroit cet endroit fait ainsi avec deux chaînes ; il s'agit à-présent de couper ces portions de chaînes inutiles, ce qui se fait en les coupant avec des ciseaux le plus près que l'on peut, les tirant même de l'ouvrage avec force pour les faire sortir davantage ; cela achevé en travaillant le galon, ces bouts vont se loger dans le corps de l'ouvrage & ne paroissent plus : cet endroit n'a d'autre difformité que d'être un peu plus épais que le reste.

SOUDER, en terme de Raffineur, s'entend de l'action d'éprouver si les formes sont cassées ou non en les frappant plusieurs fois avec le manche du cacheur. Voyez CACHEUR.

SOUDER UN COMPTE, (Commerce) c'est la même chose que solder un compte. V. COMPTE & SOLDER.


SOUDOIRS. m. (Cirerie) sorte d'outil ou d'instrument de fer dont les Ciriers se servent pour souder ensemble les bras des flambeaux de poing. Il est long d'environ deux piés, fait en fer de pique un peu arrondie ; il a un manche de bois pour le tenir. (D.J.)


SOUDOYERv. act. (Gram.) c'est payer la solde d'un homme, d'une troupe. Nous soudoyons des armées immenses.


SOUDRASS. m. (Hist. mod.) c'est le nom sous lequel on désigne dans les Indes orientales une tribu d'Indiens idolâtres, parmi laquelle sont tous les ouvriers, les laboureurs & les artisans. Dans quelques endroits on les nomme Veys. Cette tribu se soudivise en plusieurs ordres ou castes, qui se méprisent les unes les autres, suivant les fonctions auxquelles elles se livrent. Chaque caste a ses usages particuliers ; il y en a qui se permettent de manger les animaux, & d'autres, de même que ceux des tribus plus distinguées, ne mangent rien de ce qui a eu vie.


SOUDURou SOUDER, (Chimie, Métallurgie, Orfévrerie, arts méchaniques, &c.) c'est une opération, par laquelle on joint deux ou plusieurs métaux, à l'aide d'un fondant métallique, que le feu puisse faire entrer en fusion plus facilement que les métaux que l'on veut joindre ou coller les uns aux autres. Le fondant dont on se sert pour cette opération, se nomme soudure ; elle varie. 1°. en raison des métaux que l'on veut souder, 2°. par la maniere dont il faut l'appliquer.

En effet, les métaux ont des propriétés particulieres, & ils exigent pour se mettre en fusion des degrés de feu différens. Or lorsqu'on veut souder deux morceaux d'un même métal ou de métaux différens, il faut que chacun de ces morceaux aient un commencement de fusion par les bords, c'est-à-dire, dans l'endroit par où l'on veut les faire tenir ensemble, sans que le reste des morceaux entre en fusion ; pour produire cet effet, on fait une composition, dans laquelle on fait ordinairement entrer une portion du métal que l'on veut souder, auquel on joint une quantité plus ou moins grande de quelqu'autre substance métallique qui en facilite la fusion. En général on peut réduire l'art de souder aux principes suivans. 1°. Il faut que la soudure entre plus aisément en fusion, que le métal ou que les métaux qu'on veut souder. 2°. Il faut que la soudure ait, autant que faire se peut, la même couleur que le métal à souder. 3°. Il faut que la soudure ait la même ductilité & la même solidité que le métal qu'on veut souder, sans quoi la soudure ne seroit point de durée, & ne pourroit être polie, travaillée & cizelée. 4°. Les métaux alliés, entrent plus aisément en fusion que les métaux purs. Il faut encore observer que les métaux étant différemment alliés, exigent des soudures différentes. On va indiquer dans cet article, celles qui conviennent à chaque métal, & à leurs différens alliages ; nous allons commencer par l'or.

Si l'or que l'on voudra souder est très-pur, on n'aura qu'à prendre une partie d'or pur, par exemple, 16 grains, on y joindra 1/3 d'argent pur, par exemple, 2 grains ; on mettra le tout dans un creuset bien net, où l'on fera fondre le mélange, en observant de le remuer ; on y ajoutera du borax de la grosseur de deux pois ; lorsque tout sera parfaitement fondu, on le vuidera dans une lingotiere, on battra cet alliage pour le réduire en une lame très-mince, on le fera bouillir dans de l'eau, dans laquelle on aura fait dissoudre de l'alun ; après quoi, cet alliage sera propre à souder des morceaux d'or fin.

Si les morceaux d'or fin que l'on veut souder étoient très-délicats, on pourroit faire entrer dans la soudure, un peu plus d'argent, & en mettre le quart, ou même la moitié de la quantité d'or qu'on y emploie. Lorsque les morceaux à souder sont fort petits, on n'aura pas besoin de creuset pour fondre la soudure, on n'aura qu'à former un creux dans un charbon, & l'on y fera fondre la soudure ou le mêlange, avec un chalumeau, la flamme d'une lampe ou d'une bougie. C'est la méthode des metteurs en oeuvre.

Lorsque les pieces que l'on veut souder sont d'un or déja allié, voici la composition que les Orfévres employent pour la soudure. On prend deux parties d'or fin, par exemple, deux gros ; on y joint une partie ou un gros d'argent fin, & autant de cuivre, c'est-à-dire, un gros ; on fait fondre le tout de la maniere susdite, & l'on obtient une composition propre à souder l'or allié, soit avec de l'argent, soit avec du cuivre, soit avec l'un & l'autre de ces métaux ; on observera seulement de faire ensorte que la composition de la soudure ait une couleur conforme aux pieces que l'on veut souder. Ce qui se fera en mettant dans la soudure de l'argent ou du cuivre, proportionnellement à l'alliage de l'or à souder. Ainsi c'est sur la nature de l'alliage qu'il faut se régler, & pour la quantité d'or, & pour celle des deux autres métaux que l'on fera entrer dans la soudure, c'est-à-dire, on prendra plus d'or, si l'or à souder est pur ; & l'on prendra plus d'argent & de cuivre, si l'or à souder est plus allié avec l'un ou l'autre de ces métaux, ou avec tous les deux à la fois. Ainsi, si l'or étoit d'un très-bas aloi, on pourroit faire la soudure, en prenant 10 grains d'or fin, & 20 grains d'argent ou de cuivre, que l'on fera fondre, que l'on réduira en lames, & que l'on fera bouillir. C'est à chaque ouvrier à consulter la nature de l'or qu'il doit souder, & à faire sa soudure en conséquence.

Cela posé, tous les métaux, à l'exception du fer, entrent plus aisément en fusion que l'or, mais on ne peut point s'en servir pour cela, parce que les soudures n'auroient ni la couleur ni la ductilité de l'or. En se servant de l'argent, de l'étain & du plomb, on auroit une soudure blanche ; en se servant du cuivre, on auroit une soudure rouge. D'ailleurs l'étain rend l'or cassant, & la soudure ne tiendroit point, inconvénient qu'auroit pareillement le plomb. Le laiton ou cuivre jaune approcheroit assez de la couleur de l'or, & il se fondroit plus promtement que lui ; mais comme le laiton contient du zinc, il est plus aigre que l'or, & il lui communiqueroit même cette mauvaise qualité. Ainsi le parti le plus sûr, est de prendre pour la soudure, une portion d'un or qui soit du même aloi que celui qu'on veut souder, & d'y joindre pour la fusibilité 1/3, ou tout au plus 1/4 d'argent ou de cuivre, ou de tous deux à la fois.

Quand la soudure pour l'or aura été ainsi préparée ; voici les précautions qu'il faudra prendre pour souder. On commencera par donner quelques coups de lime, ou l'on passera le grattoir sur les endroits par où l'on voudra souder les pieces, ce qui s'appelle aviver, ce qui se fait pour enlever de dessus l'or les saletés & l'espece de rouille superficielle qui s'y forme à cause du cuivre avec lequel il est allié ; on les joindra fortement les unes aux autres en les liant avec un fil-de-fer ; on humectera les endroits que l'on veut souder, avec de l'eau que l'on y appliquera avec un pinceau ; on mettra par-dessus la soudure que l'on aura réduite en lame mince, & coupée en très-petits morceaux ; on les saupoudrera avec du borax tout calciné, réduit en poudre & mêlé avec du fiel de verre, bien pur & bien pulvérisé, de maniere que la soudure & les endroits que l'on veut faire prendre en soient parfaitement couverts. Lorsque le tout aura été ainsi préparé, on mettra les pieces dans un feu de charbon bien allumé, de maniere qu'elles en soient entourées ; on soufflera légerement avec un soufflet ou avec la bouche, jusqu'à ce qu'on voye que la soudure soit bien fondue, ce que l'on reconnoîtra lorsqu'elle paroîtra unie & luisante comme un miroir ; alors on écartera les charbons qui sont par-dessus & tout-au-tour, après quoi on prend avec des pinces les pieces soudées, & on les jette dans de l'eau pour les refroidir.

Il faut que le borax que l'on employera dans cette opération ait été calciné, sans cela il arriveroit des inconvéniens, vû que ce sel bouillonne dans le feu, lorsqu'il n'a point été calciné, ce qui pourroit causer du dérangement dans la position des lames minces ou des petits morceaux de soudure. Cette calcination se fera dans un creuset que l'on n'emplira de borax que jusqu'à moitié ; lorsqu'il aura suffisamment bouillonné, on retirera le creuset que l'on laissera refroidir, & le borax sera facile à réduire en une poudre blanche que l'on conservera pour l'usage. Si on donnoit un trop grand feu au creuset, le borax se changeroit en verre, & alors on en perdroit une portion qui resteroit attachée aux parois du creuset.

Lorsque les pieces d'or que l'on veut souder sont petites, on ne peut point les mettre dans un feu de charbon ; alors on se sert d'une lampe garnie d'une meche, dont avec un chalumeau on souffle la flamme sur les petites pieces que l'on veut joindre ensemble, & que l'on a placées dans un creux pratiqué dans un charbon de bois & propre à recevoir ce qu'on veut souder ; lorsqu'on a mis les pieces dans ce creux, on les couvre d'un autre petit charbon, après quoi, avec le chalumeau, on souffle la flamme de la lampe, de maniere qu'elle forme un dard qui aille donner sur les pieces à souder, & sur-tout sur l'endroit que l'on veut faire prendre ; on continue à souffler jusqu'à ce qu'on voye que la soudure soit bien fondue, alors on cesse de souffler, & on laisse refroidir la piece d'elle-même, ou bien on la jette dans l'eau.

Lorsque des pieces d'or passent par le feu, elles perdent leur éclat & leur couleur, sur-tout quand l'or est d'un bas titre, alors il faut chercher à leur rendre leur éclat & leur couleur ; pour cet effet on se sert d'une liqueur qui n'est autre chose que de l'eau seconde, ou bien de l'eau simple, dans laquelle on a fait dissoudre de l'alun à volonté ; on fait rougir les pieces d'or qui ont été soudées, & on les éteint dans cette dissolution d'alun, que l'on fait bouillir pendant quelques minutes sur du feu ; au bout de ce tems on retire les pieces, & on les frotte avec de la pierre ponce en poudre, après quoi, on les lave de nouveau.

Il arrive aussi que par la soudure dans laquelle on employe le borax, l'or prend une couleur plus pâle : mais on pourra lui rendre sa couleur naturelle, au moyen de la liqueur naturelle suivante. On prend parties égales de nitre purifié, d'alun & de sel marin ; on mêlera ces sels, & on les réduira en poudre ; on trempera la piece d'or qui aura été soudée dans de l'eau, ou dans de la biere, après quoi on la roulera dans le mélange susdit, afin qu'elle en soit entierement couverte ; alors on la mettra sur des charbons allumés, jusqu'à ce que la poudre environnante commence à bouillonner ; à ce signe on retirera promtement la piece, & on la trempera dans de l'eau ou dans de la biere ; on enlevera la poudre qui y sera restée attachée avec une brosse, ou en la frottant doucement avec un morceau d'étoffe, & un peu de pierre-ponce, après quoi on pourra lui donner quelques coups de brunissoir. Par ce moyen la piece aura repris la couleur d'or qu'elle doit avoir. Telle est la maniere de souder l'or.

Soudure de l'argent. Pour souder de l'argent, on observera les mêmes regles que nous avons indiquées pour l'or ; les grands ouvrages pourront pareillement se souder dans un feu de charbon, & les petits à la lampe & à l'aide d'un chalumeau. Quant à la soudure que l'on y employe, les Orfevres en distinguent de deux especes ; l'une s'appelle soudure forte, & l'autre soudure tendre.

La premiere s'appelle forte, parce qu'elle est difficile à fondre, & qu'elle souffre le marteau tout comme les pieces mêmes qui ont été soudées. L'autre soudure est plus aisée à fondre, mais plus cassante.

Quoique l'argent varie pour l'alliage ou pour le titre, ainsi que l'or ; quand il s'agit de le souder, on consulte plutôt la grandeur & l'épaisseur des pieces que leur titre ; ainsi lorsque les pieces sont grandes, on employe la soudure forte, & lorsqu'elles sont petites & minces, on se sert de la soudure tendre.

La meilleure soudure forte se fait en mêlant parties égales de laiton ou de cuivre jaune & d'argent : on fait fondre ces deux métaux dans un creuset bien net, & on remue la matiere fondue avec une verge de fer ; on y joint pendant la fusion un peu de borax, auquel on ajoute aussi quelquefois un peu de fiel de verre. Lorsque le tout est bien fondu, on vuide le creuset dans une lingotiere où on laisse la matiere se refroidir, après quoi on la réduit en lames très-minces que l'on lave dans la liqueur à blanchir l'argent, que nous décrirons par la suite. On coupe les lames en petits morceaux ; mais il faut observer de faire rougir ces lames au feu, lorsqu'on les a durcies en les frappant au marteau, ce que l'on connoît lorsqu'elles se gersent par les bords, ou lorsqu'elles commencent à se fendre.

Quelques orfevres donnent la préférence à une soudure faite avec quatre parties d'argent & trois parties de cuivre jaune. Cette soudure est plus aisée à fondre que la précédente, mais elle ne souffre point si bien le marteau. Cependant on peut l'employer avec succès dans les ouvrages de moyenne grandeur.

D'autres prennent deux parties d'argent fin & une partie d'oripeau ou de laiton en feuilles minces, que l'on ne met dans le creuset que lorsque l'argent est entré en fusion, circonstance qui est pourtant indifférente. Il faut seulement observer de ne point laisser cette soudure trop long-tems en fusion, parce qu'elle deviendroit aigre & cassante, & trop difficile à fondre. Cette soudure est encore plus fusible que la précédente.

Les livres sont remplis de recettes pour faire des soudures pour l'argent ; quelques-uns disent qu'il faut y faire entrer de l'arsenic, & même du mercure ; mais il est aisé de sentir que ces substances doivent rendre la soudure aigre & cassante, & donner une mauvaise qualité aux pieces soudées.

A l'égard de la soudure tendre de l'argent, voici celle que l'on regarde comme la meilleure. On prend une partie d'argent très-fin & autant de cuivre jaune ; on les fait fondre ensemble, après quoi on met de zinc la huitieme partie de ce qu'on a mis d'argent ; on continue encore à faire fondre le mélange, on remue le tout, & l'on y joint un peu de borax, & aussi-tôt après on vuide la composition dans une lingotiere.

On peut encore faire cette soudure en prenant une partie d'argent fin, douze parties de cuivre jaune & quatre parties de zinc. On commence par faire fondre l'argent & le cuivre jaune, après quoi on y joint le zinc après l'avoir chauffé ; on remue le tout, l'on y met ensuite une partie de borax, & peu après on vuide le creuset.

Quelques-uns joignent une petite portion d'étain à l'argent & au cuivre jaune ; mais il faut observer que l'étain rend la soudure aigre & cassante. On peut aussi se servir de l'étain fin, pour souder les petits ouvrages en argent ; mais lorsqu'on est dans le cas de refondre ces ouvrages d'argent, l'étain nuit à l'argent, & l'on est obligé de l'en séparer avec soin, sans quoi il rendroit toute la masse très-aigre.

Comme l'argent que l'on employe dans la vaisselle ou pour d'autres usages est ordinairement allié avec du cuivre, les ouvrages d'argenterie qui ont été soudés, deviennent noirs par cette opération, & perdent leur éclat ; on remédie à cet inconvénient en faisant la composition suivante, dans laquelle on fait blanchir les pieces. On prend parties égales de tartre crud & de sel marin, que l'on réduit parfaitement en poudre ; on met ce mélange dans un vaisseau de terre neuf & vernissé, ou bien, si l'on a un grand nombre de pieces à blanchir, on prend un grand chaudron de cuivre jaune. On verse de l'eau sur le mélange de tartre & de sel, ce qui fera une dissolution qu'on rendra forte à volonté. On place le chaudron sur un feu de charbon, on fera rougir au feu la piece qu'on voudra blanchir, en prenant garde de ne point la laisser fondre ; plus la piece sera mince, plus il faudra y avoir attention. Lorsque la piece aura rougi, on la jettera dans la liqueur dont elle doit être entierement couverte ; on la fera bouillir doucement pendant une demi-heure ou même plus, en observant de la remuer avec une baguette ou une cuillere de cuivre jaune, mais il faudra bien se garder de se servir pour cela d'un instrument de fer qui feroit des taches sur l'argent. De tems en tems on sortira une piece de l'eau pour voir si elle est devenue blanche ; lorsqu'elle sera au point de blancheur que l'on desire, on ôtera le chaudron de dessus le feu, & l'on trempera les pieces dans de l'eau bien nette ; on les frottera avec du sable fin ou avec une brosse, & on les remettra dans de nouvelle eau ; on les essuyera bien proprement avec un linge, ou bien on les fera sécher au-dessus d'un brasier de charbon. S'il se trouvoit quelque piece qui ne fût point parfaitement blanche, on la remettroit de nouveau dans la même liqueur, ce que l'on est quelquefois obligé de réitérer plusieurs fois.

Il y a encore une autre liqueur dont les Orfevres & les Jouailliers se servent pour blanchir les ouvrages d'argenterie ; elle consiste à faire bouillir les pieces pendant environ un demi-quart d'heure dans une dissolution d'alun, après quoi on les nettoye de la maniere qui vient d'être décrite. Quelques-uns conseillent de mettre les pieces d'argent à tremper pendant vingt - quatre heures dans de l'eau seconde, mais cette méthode ne blanchit point parfaitement l'argent. On réussira encore en frottant les pieces d'argenterie avec de l'eau de savon, sans avoir besoin de les y faire bouillir. Quelques orfevres nettoyent leurs pieces, soit avec de la pierre à plâtre réduite en poudre, soit avec des os de seche, soit avec de la craie & du vinaigre, &c.

Soudure du cuivre. On employe différentes compositions pour la soudure du cuivre ; les unes s'appellent soudures fortes, les autres soudures tendres. Voici une maniere de faire la soudure forte, qui se pratique par les ouvriers en cuivre. On prend seize parties de cuivre jaune & une partie de zinc. On commence par faire fondre le cuivre jaune dans un creuset ; & lorsqu'il est bien fondu, on y joint le zinc que l'on aura préalablement fait chauffer, afin qu'il ne petille point ; comme il feroit, si on le mettoit tout-d'un-coup dans le creuset ; on remue le mélange, & l'on recouvre proprement le creuset ; lorsqu'on l'a laissé entrer parfaitement en fusion pendant deux minutes, on vuide le creuset sur un ballet de bouleau placé au-dessus d'une cuve pleine d'eau ; par ce moyen le mélange fondu se réduira en une grenaille, qui est la soudure desirée ; on la lavera & on la conservera pour l'usage. Cette soudure est très-bonne pour souder les grosses pieces, elle souffre très-bien le marteau ; mais comme elle est assez difficile à fondre, quelques-uns préferent de ne prendre que huit parties de cuivre jaune contre une partie de zinc ; cette soudure est très-fusible, & cependant très-malléable. Un mélange de trois parties de cuivre rouge & d'une partie de zinc fait encore une très-bonne soudure. D'autres ne font que simplement couper des lames de cuivre jaune en petits morceaux, qu'ils appliquent sur l'endroit qu'ils veulent souder, en y joignant du borax.

La soudure tendre pour le cuivre n'est autre chose qu'un mélange de deux parties d'étain, & d'une partie de plomb que l'on fait fondre ensemble ; après quoi on en forme un lingot dont on se sert au besoin.

Lorsqu'on veut faire des ouvrages propres en cuivre, sans avoir égard à la dépense, on peut se servir des soudures qui ont été décrites pour l'argent, & même de celles pour l'or.

Quand on veut souder des pieces de cuivre, on commence par donner quelques coups de lime sur les jointures ou sur les endroits que l'on veut joindre, ou bien on y donne quelques coups de grattoir ; on échauffe les pieces dans un feu de charbon ; on met ensuite un peu de colophone sur les endroits qu'on veut faire prendre, puis on y met quelques morceaux de la soudure tendre, composée d'étain & de plomb ; lorsque cette soudure est fondue, on enleve ou l'on essuye le superflu de la soudure, tandis qu'elle est encore fluide, avec de l'étoupe ou de la filasse.

On se sert encore d'une autre méthode pour souder les ouvrages en cuivre. Les ouvriers ont des outils particuliers, appellés fers à souder, qui sont de fer ou de cuivre que l'on fait rougir, sans cependant que la chaleur aille jusqu'à les blanchir. Quand le fer à souder est d'un rouge de cerise, on lui présente un lingot de la soudure tendre qui venant ainsi à se fondre, tombe goutte à goutte sur l'endroit qu'on veut souder, sur lequel on a d'abord répandu un peu de colophone ; après cela on repasse avec le fer à souder tout chaud sur l'endroit que l'on veut faire prendre, par-là on égalise la soudure ; on enleve ensuite le superflu avec une lime ou un grattoir.

Comme les pieces de cuivre qui ont été soudées perdent leur couleur & se noircissent, on la leur rend en les trempant dans une liqueur qui est de l'urine, dans laquelle on a mis des cendres de bois neuf. On fait bouillir ce mélange ; & après avoir fait rougir au feu les ouvrages, on les éteint dans la liqueur ; ou bien, on les éteint dans une simple dissolution de sel marin : cette opération s'appelle décaper.

Soudure du laiton ou cuivre jaune. On emploie aussi une soudure forte, & une soudure tendre pour le laiton ou cuivre jaune. La soudure forte est la même que pour le cuivre rouge, c'est-à-dire de seize parties de laiton contre une partie de zinc, que l'on fait fondre & que l'on met en grenaille de la même maniere. Cette soudure est encore fort bonne en ne mettant que huit parties de laiton contre une partie de zinc. Si on veut que la soudure soit encore plus aisée à fondre, on ne prend que six parties de laiton. On prend aussi quelquefois trois parties de cuivre rouge que l'on fait fondre avec une partie de zinc : cette soudure est dure & solide. D'autres prennent deux parties de cuivre rouge contre une partie de zinc. On peut ainsi varier les proportions du zinc & du cuivre : ce qui donne des soudures plus ou moins jaunes, en raison du plus ou du moins de zinc qu'on y a fait entrer, ce qui les rend aussi plus fusibles & plus tendres. La soudure tendre du cuivre jaune se fait ordinairement avec six parties de laiton, une partie de zinc & une partie d'étain. On commence d'abord par faire fondre le cuivre jaune ou laiton ; lorsqu'il est fondu, on y joint l'étain, & aussi-tôt après on y met le zinc, après avoir eu la précaution de le chauffer ; on remue le tout, & on le met en grenaille, on le lave & on le conserve pour s'en servir au besoin.

Dans les petits ouvrages qui ne demandent pas beaucoup de solidité, on se sert d'une soudure faite avec de l'étain & du plomb, pour les ouvrages en cuivre jaune. Elle est composée ordinairement de trois parties d'étain fin, & d'une partie de plomb. Pour appliquer cette soudure, il faut toujours donner quelques coups de lime ou de grattoir aux endroits que l'on veut souder, & y répandre un peu de colophone ; après quoi on y fait tomber la soudure avec le fer à souder rougi, dont on se sert ensuite pour égaliser les jointures soudées.

On peut se servir pour le tombac & pour les autres compositions métalliques qui ont le cuivre jaune pour base, des mêmes soudures que pour le laiton ou le cuivre jaune.

Soudure pour le fer. Tous les métaux sont plus fusibles que le fer ; ainsi on peut se servir d'eux pour souder ce métal. On emploie communément à cet usage le cuivre rouge & le cuivre jaune pour les grands ouvrages. On peut encore se servir de toutes les soudures fortes du cuivre jaune. Dans les ouvrages de fer qui exigent de la propreté, on peut souder avec l'or, si les ouvrages méritent cette dépense.

Lorsqu'on veut souder de grandes pieces de fer avec le cuivre, on commence par limer les jointures par où l'on veut joindre les pieces ; ensuite on coupe de petites lames de cuivre que l'on applique sur les jointures, où on les assujettit au moyen d'un fil ; on met par-dessus un enduit de glaise ou de terre grasse qui environne la soudure de tous côtés. Quelques-uns mettent un peu de verre pilé ou de sablon fin sur le cuivre qui doit servir à souder, avant que de l'entourer de terre grasse. D'autres mêlent avec cette terre toutes sortes de matieres propres à faciliter la fusion ; après quoi on fait sécher doucement la terre grasse en la présentant de loin au feu. Alors on place les pieces qu'on veut souder dans la forge, en observant sur - tout que le vent du soufflet aille donner directement sur la partie qui doit être soudée, afin d'échauffer fortement cette partie. Lorsqu'on s'apperçoit que les pieces sont rougies jusqu'à blancheur, & que la terre grasse s'est vitrifiée, on les retire du feu ; si c'est du fer tendre, on les trempe dans l'eau ; si c'est de l'acier, on le laisse refroidir de lui-même. Pour-lors on ôte la glaise vitrifiée, & on polit avec les outils convenables l'endroit qui a été soudé. Le procédé est le même, si, au-lieu de cuivre rouge, la soudure a été faite avec du laiton ou cuivre jaune, ou avec les soudures fortes qui ont été indiquées pour le laiton.

Comme les ouvrages d'acier perdent une partie de leur dureté toutes les fois qu'elles passent par le feu, on est obligé de les tremper de nouveau après les avoir soudées, afin de leur rendre la dureté qu'elles avoient perdue. Voyez TREMPE DE L'ACIER.

La soudure des ferblantiers n'est autre chose qu'un mélange de parties égales d'étain & de plomb. Pour souder les jointures, ils ne font que les mouiller avec un peu d'eau, ils y répandent un peu de colophone en poudre, ils prennent leur fer à souder qui est tout chaud, ils l'essuient, & par son moyen font tomber quelques gouttes de soudure sur les jointures, & y repassent avec le fer à souder. Pour faire pénétrer la soudure jusqu'à ce qu'ils n'apperçoivent aucun intervalle vuide, ils enlevent le superflu de la colophone & de la soudure, en frottant avec un morceau d'étoffe de laine. Cette soudure convient à tous les ouvrages qui sont étamés.

Soudure de l'étain. Pour souder l'étain, on se sert d'un étain mêlé de plomb à parties égales ; d'autres mettent un peu plus d'étain que de plomb ; ils prennent, par exemple, 3 1/4 livres d'étain contre 2 livres de plomb : c'est ce que les Potiers - d'étain appellent soudure forte. La soudure tendre est celle dont ils se servent pour les petits ouvrages. Pour la faire, on joint du bismuth à l'étain & au plomb dans des proportions différentes. Les uns prennent 3 onces de bismuth contre 2 onces de plomb, & 4 onces d'étain fin ; les autres mettent 4 onces de bismuth sur 2 onces de plomb, & 4 onces d'étain ; d'autres font leur soudure avec une partie de bismuth, une partie de plomb & deux parties d'étain fin ; d'autres enfin y mettent six parties d'étain, une partie de plomb & un quart de bismuth. On fond ensemble ces trois substances, & l'on en forme des lingots.

Ceux qui font des boutons d'étain ont une soudure dont ils font grand mystere, ils y mettent une livre de bismuth, un quarteron de plomb, & trois quarterons d'étain. D'autres font cette soudure avec une partie d'étain, une partie de bismuth, & un peu plus de la moitié de plomb. D'autres enfin prennent six parties de bismuth, six parties d'étain fin, & trois parties de plomb.

Il y a différentes manieres d'appliquer ces soudures sur les ouvrages en étain. 1°. La premiere consiste à former avec de la glaise une espece de rigole, qui fait que la soudure fondue coule dans les jointures que l'on veut faire prendre, sans pouvoir se répandre. 2°. Il y a une seconde maniere de faire la même soudure ; quant à celle de l'appliquer, c'est la même qu'on a décrite pour la soudure du fer-blanc. 3°. Pour les ouvrages qui demandent de la propreté, on se sert du chalumeau & de la lampe comme pour les soudures de l'or & de l'argent.

Soudure du plomb. On se sert de différentes soudures pour le plomb ; la plus ordinaire est faite avec du plomb & de l'étain, auxquels on joint quelquefois du bismuth. La soudure des faiseurs-d'orgues est composée de quatre parties de bismuth, seize parties d'étain, & huit parties de plomb. D'autres la font avec trois parties de bismuth, quatorze parties d'étain, & onze parties de plomb. Cette soudure pour les tuyaux d'orgues doit varier à proportion des différens alliages dont on se sert pour faire les différens tuyaux. Tantôt on prend parties égales de plomb & d'étain, tantôt deux parties de plomb contre une partie d'étain, tantôt deux parties d'étain contre une de plomb ; on y joint aussi quelquefois de l'antimoine.

On peut encore employer pour le plomb les soudures propres aux Ferblantiers & aux Potiers-d'étain.

Non-seulement on soude ensemble des pieces d'un même métal, mais encore dans l'Orfévrerie & la Bijouterie on est souvent obligé de souder des pieces de différens métaux. Pour souder l'or avec l'argent, l'or avec le cuivre, l'or avec le fer, on peut se servir des mêmes soudures que pour l'or fin & l'or allié.

Pour souder l'argent avec le cuivre rouge, le cuivre jaune, le fer, on pourra se servir des soudures indiquées pour l'argent.

Pour souder le cuivre rouge avec le cuivre jaune & avec le fer, on pourra employer les soudures indiquées pour le laiton ou cuivre jaune ; elles peuvent aussi servir à souder le cuivre jaune avec le fer & l'acier, cependant beaucoup d'artisans se servent pour cela de la même soudure que pour l'étain.

Toutes les méthodes indiquées dans cet article important pour les arts & métiers, sont extraites d'un ouvrage allemand de M. Klein, qui a pour titre, Description détaillée de la soudure des métaux, publié à Berlin en 1760, & qui est l'ouvrage le plus complet qui ait encore été publié sur cette matiere intéressante. (-)

SOUDURE, en terme de Bijoutier, c'est une composition d'or bas, d'argent & de cuivre fort, aisée à fondre. Il y a de la soudure au tiers, au quatre, au cinq, au six, au sept, au huit, au neuf & au dix, qui est la plus forte qu'on employe. Pour faire la soudure au quatre, par exemple, on prend trois parties d'or & une d'aloi que l'on fait fondre ensemble, & que l'on forge de l'épaisseur d'une piece de six liards ; & on la coupe par paillons plus ou moins gros. On marque chaque morceau de soudure du numéro de son titre, & on renferme les paillons coupés dans des boîtes aussi numérotées de leurs titres, afin d'éviter l'inconvénient d'employer une soudure pour une autre. Voyez ALOI.

SOUDURE, en terme de Diamantaire, est une composition d'étain & de plomb fondus ensemble : un tiers du premier, & deux tiers de l'autre. Monter en soudure, Voyez Mettre en soudure.

Mettre en SOUDURE, en terme de Diamantaires, c'est monter le diamant dans la coquille sur un mélange d'étain & de plomb, qu'on appelle soudure. Ce mélange prend la forme d'un cone qui remplit par sa base la coquille & au fond duquel est le diamant que l'on veut tailler.

SOUDURE, terme de Ferblantiers. La soudure des ferblantiers est d'étain. Ils s'en servent pour joindre ensemble deux ou plusieurs pieces de fer-blanc. Ils commencent par mettre sur la raie ou les pieces qu'ils veulent souder, de la poix-résine écrasée ; ensuite ils enlevent avec le fer à souder un petit morceau de soudure, & le posent sur la poix-résine : la chaleur du fer fait fondre la soudure, la poix-résine, & les fait incorporer avec les pieces de fer - blanc & les assujettit ensemble.

SOUDURE, terme d'Horlogers. Les Horlogers en employent de plusieurs especes. La soudure d'étain qui est la même que celle des ferblantiers, le zinc & la soudure d'argent ou soudure au tiers : elle se fait en mettant les deux tiers d'argent & un tiers de cuivre.

Les mouleurs de boîtes ont des soudures de différens numéros, comme de la soudure au 3, au 4, au 5, ce qui signifie que sur 3 ou 4 ou 5 parties de soudure il y en a une d'alliage d'un métal inférieur ; ainsi la soudure d'or au 4 est un mélange de 3 parties d'or au titre avec une d'argent ou de rosette, selon que l'on employe de l'or rouge ou de l'or blanc. On employe la soudure la plus forte sur les ouvrages de plus haut titre.

SOUDURE, dont les Facteurs d'orgues se servent, est un mélange de deux parties d'étain & d'une de plomb, que l'on fond ensemble dans une cuilliere de fer, & que l'on coule en plusieurs bandes larges d'un pouce, & épaisses seulement de deux lignes ou environ. On met la soudure en bandes plates, afin que les fers à souder avec lesquels on la prend sur la tuile, puissent la fondre plus aisément. Ainsi si on veut faire trois livres de soudure, il faut deux livres d'étain & une livre de plomb : elle sert à joindre deux ou plusieurs pieces & à n'en faire qu'une. Avant que d'employer la soudure, il faut blanchir les rives de ce que l'on veut souder, laisser sécher le blanc, ensuite gratter le blanc & la surface du tuyau avec la pointe à gratter décrite à son article. Cette pointe doit être bien affilée sur la pierre à l'huile, afin de ne point éclater le blanc qui doit border les deux côtés de la soudure, & qui l'empêche de s'étendre au-delà de ce qui est nécessaire. Une bonne soudure doit avoir une ligne, une ligne & demie ou au plus deux lignes de large, selon l'épaisseur & la grandeur des pieces que l'on soude, & être bordée de chaque côté par une bande de blanc de 4 ou 5 lignes de large plus ou moins. Le blanc qui sert à empêcher la soudure de couler & de s'étendre au-delà de l'endroit où on veut qu'elle soit, sert aussi à empêcher les tuyaux de fondre à l'approche du fer chaud avec lequel on pose & on fait couler la soudure dans l'espace que l'on a gratté de part & d'autre de la fente qui sépare les deux pieces que l'on veut joindre. On doit avoir gratté en biseau, c'est-à-dire, ensorte que la pointe ait pénétré plus avant vers la rive ou arrête, où elle doit avoir atteint toute l'épaisseur, que vers le blanc où elle ne doit qu'effleurer la superficie.

La gratture doit être bien unie, sans ressauts ni bosses, afin que la soudure vienne de même ; pour cela il faut gratter légerement : on la graisse ensuite avec du suif de chandelle, & on applique la soudure avec les fers à souder que l'on traîne tout-du-long des endroits qu'il faut souder, voyez FERS A SOUDER, qui doivent être étamés & chargés de soudure autant qu'il est besoin.

Lorsqu'une soudure est bien faite, elle doit former dans toute sa longueur une petite convexité très-unie & par - tout de même largeur, laquelle dépend de l'égalité avec laquelle on a gratté le tuyau.

SOUDURE, (Plomberie) mêlange fait de deux livres de plomb avec une livre d'étain, qui sert à joindre les tables de plomb ou de cuivre. On la nomme soudure au tiers.

Soudure en losange ou en épi. Grosse soudure avec bavures en maniere d'arrête de poisson. On la nomme soudure plate, quand elle est plus étroite, & qu'elle n'a d'autre saillie que son arrête. Daviler. (D.J.)

SOUDURE, (Maçonn.) On entend par soudure, du plâtre serré dont on raccorde deux enduits qui n'ont pu être faits en même tems sur un mur ou sur un lambris. (D.J.)

SOUDURE, (Droit romain) La soudure fait dans le droit romain un objet de question qui a partagé tous les jurisconsultes ; parce que comme ils ont cru qu'on ne pouvoit pas séparer les métaux, par exemple, l'or du cuivre, ou que la soudure produisoit un vrai mélange des deux matieres soudées ensemble ; ils ont établi, que des deux choses jointes ensemble, la moindre étoit acquise au maître de la plus grande.

Quelques - uns d'eux ont distingué deux sortes de soudure, l'une qui se fait avec une matiere de même genre que les deux corps soudés ensemble ; l'autre qui se fait avec une matiere de différente nature. Ils appellent la premiere ferruminatio, & l'autre plumbatura. Suivant l'idée de ces jurisconsultes, la premiere sorte de soudure confond les deux corps soudés ensemble, de maniere que le tout demeure par droit d'accessoire au propriétaire de la plus grosse, ou de la plus considérable partie, quand même elle viendroit ensuite à être séparée de la moindre ; comme si un bras soudé à une statue d'or, se détachoit. Que si les deux parties étoient égales, ensorte que l'une ne pût être regardée comme une accessoire de l'autre ; alors, disent-ils, aucun des deux propriétaires ne pourroit s'approprier le tout, & chacun demeureroit maître de sa portion.

D'un autre côté, quand deux pieces d'argent, par exemple, sont soudées avec du plomb, ou que l'on soude ensemble deux pieces de différent métal, ce qu'on appelloit plumbatura ; ces mêmes jurisconsultes vouloient qu'en ce cas, il n'y eût point de mêlange, & qu'ainsi les deux corps soudés demeurent chacun à leur maître, soit que l'un se trouve plus ou moins considérable que l'autre.

Mais on ne voit aucun fondement solide de cette différence ; car deux pieces d'argent soudées ensemble avec de l'argent, demeurent aussi distinctes l'une de l'autre, que si elles étoient soudées avec du plomb, ou si une piece de fer étoit soudée avec une piece d'argent.

Après tout, il ne faut pas s'étonner que les décisions des jurisconsultes romains soient si peu nettes sur cette matiere. En effet, ce n'est point par des idées physiques ou métaphysiques, ni même par la destination, l'usage, ou le prix des choses mêlées ensemble, qu'on doit décider les questions sur l'accessoire ; mais c'est par de tout autres principes que nous établirons ailleurs plus convenablement qu'au chetif mot SOUDURE. (D.J.)


SOUETTEvoyez CHOUETTE.


SOUFFLAGES. m. (Marine) renforcement de planches qu'on donne à quelque vaisseau.

SOUFFLAGE, (Marine) c'est un soufflage sur les membres du vaisseau & non sur les bordages.

SOUFFLAGE, four du, (Manufacture des glaces) on appelle dans les manufactures des glaces à miroir le four du soufflage, celui où se fond & se prépare le verre pour faire les glaces soufflées. Le four des glaces de grand volume, se nomme four à couler. Savary. (D.J.)


SOUFFLES. m. (Gram.) il est quelquefois synonyme à haleine & à respiration ; c'est l'air chassé du poumon. Les bons principes que les maîtres s'efforcent à graver dans l'esprit des enfans, ressemblent à des caracteres tracés sur le sable, que le moindre souffle de l'air efface.

SOUFFLE, se dit dans l'Artillerie, de la compression de l'air formée par le mouvement du boulet lorsqu'il sort du canon. Ce souffle est si violent, qu'il détruit en peu de tems les embrasures des batteries. (Q)


SOUFFLERv. act. & neut. c'est agiter avec l'haleine ; soufflez sur ce duvet, & vous le ferez voler dans l'air ; souffler une chandelle, c'est l'éteindre ; souffler en chimie, c'est s'occuper de la recherche de la pierre philosophale ; souffler un mauvais discours, c'est l'insinuer ; on souffle aux grands tout ce que l'on veut ; souffler au théâtre, c'est secourir la mémoire de l'acteur ; souffler un emploi à quelqu'un, c'est le lui enlever ; souffler au jeu de dames, c'est ôter de dessus le damier la dame avec laquelle l'adversaire auroit dû en prendre une ou plusieurs des vôtres. Voyez les articles suivans.

SOUFFLER, (Marine) c'est donner un second bordage à un vaisseau, en le revétissant de planches formées par des nouvelles préceîntes, soit pour le garantir de l'artillerie des ennemis, ou pour lui faire bien porter la voile, & l'empêcher de se rouler, ou de se tourmenter trop à la mer. Pour comprendre la raison de ceci, il faut lire l'article CONSTRUCTION.

SOUFFLER L'EMAIL, terme d'Emailleur ; c'est en former, en le soufflant avec un petit tube de verre, cet émail creux qu'on appelle du jais. Voyez EMAIL.

SOUFFLER, (Maréchal.) se dit d'un cheval poussif. Laisser souffler son cheval, c'est l'arrêter pour lui laisser reprendre haleine. Voyez HALEINE. Souffler au poil, se dit de la matiere qui n'a pas eu d'écoulement dans certains maux de pié, & qui reflue & se fait jour au pâturon ou à la couronne.


SOUFFLETS. m. (Art méchanique) est un instrument dont le méchanisme consiste à pomper l'air & à le pousser contre le feu ou toute autre chose, par le moyen d'une ame ou soupape de cuir, qui est attachée au bois de dessous, & tenue lâche & aisée, de façon qu'elle s'en éloigne quand on leve celui de dessus, & revient s'y appliquer dès que par une légere pression on rapproche les deux bois l'un de l'autre ; par-là l'air ne pouvant ressortir par où il est entré, s'échappe nécessairement par un trou pratiqué exprès au bout du soufflet. Le soufflet est composé de deux ais, au bord desquels est clouée une peau, d'une douelle placée à l'une des extrêmités des ais, & d'une soupape attachée en-dedans à l'ouverture de l'ais du dessous ; il est évident qu'en écartant les ais, l'air est attiré en-dedans du soufflet par l'ouverture de l'ais de dessous ; qu'en les rapprochant, la soupape s'abaisse, & que l'air est chassé par la douelle. Voilà en général à quoi se réduit toute construction de soufflet, quelle qu'elle soit.

SOUFFLET, outil d'Arquebusier ; ce soufflet est comme celui des serruriers, suspendu de même, & a le même mouvement ; il sert aux Arquebusiers pour souffler & allumer le feu à la forge.

SOUFFLET QUARRE, en terme de Boisselier ; c'est un soufflet qui ne differe du soufflet ordinaire que par de petites feuilles de bois de fourreau qu'on y colle intérieurement à la place des verges.

SOUFFLET QUARRE A DOUBLE VENT, en Boissellerie ; on appelle ainsi des soufflets qui pompent le double d'air des autres, par le moyen d'une planche qu'on y met de plus, & d'un ressort qui s'y ajoute.

SOUFFLET, outil de Ferblantier ; ce soufflet est beaucoup plus petit que les soufflets d'orgue, & est exactement fait comme eux. Il sert aux ferblantiers à allumer le feu avec lequel ils font chauffer leurs fers à souder. Voyez les Pl. du Ferblantier.

SOUFFLET, (Forge) Voyez l'article GROSSES FORGES, où le soufflet de ces usines est décrit.

SOUFFLETS DE L'ORGUE, représentés Pl. d'orgue, fig. 23. sont de grands corps qui, en se dilatant, se remplissent d'air, qu'ils chassent par les porte-vents dans la laie du sommier lorsqu'ils se contractent. C'est cet air ainsi poussé avec vitesse, & qui est condensé, qu'on appelle vent, sans lequel l'orgue est un corps sans ame.

Les soufflets, dont un seul, quelque grand qu'on le fasse, ne sauroit suffire, sont composés de deux tables de bois de chêne de 6, 7 ou 8 piés de long, sur 3 ou 4 de large, plus ou moins, selon la grandeur des soufflets & celle de l'orgue. Ces tables sont faites de bois d'Hollande de deux pouces d'épaisseur, qu'on assemble à rainures & languettes, ou avec des clés, & que l'on dresse bien des deux côtés & sur champ. La table inférieure, fig. 24. est percée de deux ou de trois trous : le trou O, qui a 1 pié de long, 6 pouces de large reçoit la partie supérieure du gosier O R, fig. 23. par lequel l'air contenu dans la capacité du soufflet passe dans le porte-vent. Ce trou doit être à environ 2 pouces du bout de la table, & dans le milieu de sa largeur, ensorte que le grand côté du trou soit parallele au petit côté de la table, comme on voit dans la fig. 24. L'autre trou, ou bien deux autres, si on a fait deux ouvertures, est vers l'autre bout de la table, dont il est éloigné de 8 pouces ou environ. Ce trou a 1 pié en quarré ; c'est où on ajuste les deux soupapes S P, qui chacune ferment un trou. Lorsque l'on a fait deux ouvertures à l'extrêmité des tables, qui est le côté du gosier ; & à la partie intérieure du soufflet, on met des barres D C ; chaque barre a autant d'épaisseur que la moitié de toutes les éclisses qui trouvent place dans la largeur D D, dont les deux barres D C éloignent les tables ; à l'autre extrêmité des tables sont d'autres barres de bois paralleles aux premieres, mais collées & clouées de l'autre côté, ensorte que ces dernieres sont extérieures ; la barre extérieure de la table de dessous est à l'extrêmité de cette table ; mais les barres L L, N N de la table de dessus, & qui sont au nombre de deux, sont, la premiere, à environ 4 pouces du bout de la table, & la seconde N N, à 8 ou 10 pouces de la premiere, entre lesquelles on met la pierre M qui comprime le soufflet par son poids, & contraint l'air d'en sortir : après que ces tables sont faites, on fait les plis du soufflet. Les pieces E E qui composent les plis des côtés du soufflet s'appellent éclisses, & les pieces T, fig. 24. qui composent les plis de la tête du soufflet s'appellent têtieres. Toutes ces pieces, tant les éclisses que les têtieres, sont faites de bois d'Hollande réfendu de l'épaisseur d'un quart de pouce : la largeur des têtieres est d'un pouce ou 1 1/4 pouce par pié de la longueur du soufflet ; ensorte que si le soufflet a 8 piés de long, les têtieres doivent avoir 8 pouces de large, qui est 1 pouce par pié de la longueur du soufflet, ou 10 pouces, qui font 1 pouce 1/4 par pié de la même longueur. Les éclisses ont par le côté de la tête du soufflet la même largeur que les têtieres, & par le bas une largeur D e, f c, égale à l'épaisseur des barres D C. Ces barres sont percées de trois trous 1, 2, 3, pratiqués obliquement, ensorte qu'ils répondent à la tête extérieure ; & au milieu des faces intérieures des barres on passe des cordes d'un calibre convenable dans ces trous, & on les arrête avec des chevilles enduites de colle, que l'on enfonce à coups de marteau, & que l'on arase ensuite aux faces intérieures des barres, qui font le côté par où les chevilles doivent être enfoncées. On fait entrer les bouts de corde qui sortent des trous par le côté de la tête des barres dans les trous correspondans de la barre de l'autre table ; ils doivent entrer par le côté de la tête, & sortir par la face intérieure, c'est-à-dire, par la face qui regarde le dedans du soufflet, & être chevillés & collés comme par l'autre bout. Ces cordes ainsi passées d'une barre dans l'autre, servent de charniere aux barres.

Après que les éclisses & les têtieres sont taillées, & que les rives extérieures sont arrondies, on couvre le côté qui doit regarder l'intérieur du soufflet, aussi bien que le côté intérieur des tables, de parchemin bien collé, afin que l'air condensé dont le soufflet est rempli, ne s'échappe pas au-travers des pores dont les planches sont fort remplies. Quelques facteurs pour satisfaire à la même indication, se contentent d'enduire plusieurs fois de colle l'intérieur du soufflet, comme on fait l'intérieur du sommier. V. SOMMIER.

Lorsque le parchemin est sec, on assemble les éclisses les unes avec les autres avec des bandes de peau de mouton parées. Ces bandes qui servent aussi à assembler de même les têtieres, sont collées sur la partie convexe du pli, ensorte que les bandes de peau des plis saillans sont collées à l'extérieur du soufflet, & les bandes des plis rentrans regardent l'intérieur. On met ensuite les éclisses & les têtieres en presse, & on les laisse sécher. Les têtieres doivent toujours être en nombre pairement pair, c'est-à-dire que la moitié de ce nombre doit être en nombre pair ; ensorte, par exemple, qu'on ne pourroit pas faire un soufflet qui auroit 10 têtieres ; mais on le peut faire avec 8 ou 12, ou tout autre nombre dont la moitié est un nombre pair. Les éclisses sont de chaque côté du soufflet en même nombre que les têtieres, ensorte qu'elles sont dans un soufflet en nombre double de ces dernieres. Ainsi si un soufflet a 8 têtieres, il aura 16 éclisses, 8 de chaque côté. Le haut des éclisses & les têtieres doivent être coupées à onglet, un peu moindres que 45°. ensorte que les ouvertures A E, F B, fig. 24. ayent de large du côté de E & de F, environ la huitieme partie de la largeur A E, F B. Le soufflet a 8 éclisses de chaque côté, & environ la douzieme partie des mêmes longueurs, si le soufflet en a douze. On assemble ensuite les éclisses & les têtieres avec les tables, avec des bandes de peau parées, collées moitié sur les éclisses ou têtieres & les tables. Lorsque les bandes de peau sont séchées, on coud avec du gros fil de Bretagne, les têtieres & les éclisses par la peau des bandes, qui doit excéder les angles saillans t u x, d'environ un pouce de chaque côté ; on ouvre ensuite le soufflet, ensorte que les tables fassent ensemble un angle de 30 ou 35 degrés, ou que la distance A A, fig. 23. soit de 3 1/2 piés ou 4 piés, pour un soufflet de 8 piés.

Avant que d'assembler les éclisses avec les tables, on les étend sur un établi le côté de dehors en-dessus, & on colle sur leur extrêmité étroite une piece de peau triangulaire a b D D, fig. 23. qui prend toutes les éclisses ; cette piece de peau s'appelle rabat, voyez RABAT. La partie D de cette piece de peau qui excede les éclisses d'environ 4 pouces, vient s'appliquer sur les faces extérieures des barres D C où elle est collée ; on assemble de même les éclisses de l'autre côté du soufflet. Après que les têtieres & les éclisses sont assemblées avec les tables, & que les queues des rabats sont collées sur les barres D c, D c, qui forment l'épaisseur du soufflet, on colle une bande de peau sur toute la face D c c D, cette peau parée dans tout son pourtour, est recouverte à ses deux bouts par les rabats a b D. Par-dessus cette piece on en met une autre plus longue & plus large, parée de même dans tout son contour, laquelle recouvre par ses extrêmités, les rabats & les tables par ses longs côtés, d'environ 2 pouces. Toutes ces pieces de peau sont collées & parées par le côté du duvet, ensorte que le côté glabre est en dehors. Pour faire étendre la peau & rechauffer la colle, on se sert d'un linge trempé dans de l'eau chaude & ensuite exprimé, que l'on applique sur la peau ; on ne se sert du linge mouillé que lorsque le côté glabre de la peau est en-dehors ; car lorsque c'est le duvet, & qu'on veut le menager comme celui de la peau dont les soupapes & les devans de l'axe sont doublés, on se sert d'un morceau de bois bien dressé, que l'on fait chauffer devant le feu comme un fer à repasser le linge, & on l'applique ensuite sur la peau dont la colle est rechauffée par ce moyen.

Pour achever le soufflet, qui se trouve fini quant à la partie inférieure c D, qui est le côté du gosier, il faut coller sur les vuides A E, F B, que les éclisses & les têtieres laissent entr'elles, des pieces de peau xvz, qui s'appellent les premieres demi-aisnes, les secondes aisnes, & les troisiemes ronds. On commence par coller les ronds z, sur les angles saillans t u x des plis ; on colle ensuite les demi-aisnes x, qui sont des pieces de peau triangulaires, moitié sur une éclisse, & l'autre moitié sur la têtiere voisine, ensorte que les espaces AE, FB, se trouvent fermés par ce moyen. Après que les pieces sont séchées, on colle par-dessus les aisnes y, qui sont des pieces lozanges, composées de deux demi-aisnes, unies par leur petit côté ; ensorte que si on coupoit l'aisne en deux par une ligne 3 4, qui est la petite diagonale du lozange, on auroit deux triangles qui seroient chacun semblables aux demi - aisnes, mais seulement plus grands. On colle les pieces, ensorte qu'une moitié 234, couvre une des demi-aisnes déjà collées, & l'autre moitié 1 4 3, la demi-aisne qui est vis-à-vis. Pour faire entrer ces pieces de peau dans les encoignures des plis, on se sert d'un couteau de bois non tranchant, avec lequel on range la peau dans les endroits où les doigts ne peuvent atteindre, & on rechauffe la colle avec un linge trempé dans l'eau chaude, autant de fois qu'il est nécessaire.

Avant de coller les aisnes & les demi-aisnes, on a l'attention d'ouvrir le soufflet autant qu'il le doit être, & d'écarter également les plis. Pour exécuter la premiere de ces deux choses, on dresse le soufflet debout sur la face D c c D, que l'on pose sur une planche qui est par terre, ensorte que les deux tables soient inclinées à l'horison, l'une d'un côté, & l'autre de l'autre de la moitié de l'ouverture du soufflet ; on l'arrête dans cet état avec des cordes ou des barres de bois. Pour la seconde, qui est que les plis ouvrent également, on doit avoir collé du ruban de fil sur l'intérieur des plis. Ces rubans ne les laissent s'ouvrir que de la quantité que l'on veut. Cela fait aux soufflets que l'on laisse sécher dans le même état où ils ont été collés, c'est-à-dire tout ouverts, on ajuste un chassis sur l'ouverture S P. Ce chassis E F 4 5, qui a environ un pouce d'épais, a un drageoir fait avec un guillaume dans tout son circuit intérieur. Ce drageoir reçoit les soupapes S P ; les soupapes sont faites avec du feuillet d'Hollande, & sont doublées de peau collée par le côté glabre. Cette peau qui doit excéder la soupape d'un côté pour lui servir de queue, est prise entre une barre G du chassis, & une piece G qui la recouvre. Par-dessus cette piece G on en met une autre 6, qui empêche le renversement des soupapes qui ne peuvent ouvrir qu'autant que cette piece le permet. Le chassis qui est doublé de peau collée par le côté glabre, aussi-bien que l'endroit de la table où il pose qui est garni de peau, ensorte que les deux duvets se rencontrent, est attachée sur la table en-dedans du soufflet par les quatre vis E F 4 5, qui traversent la table, & qui sont retenues par-dessous avec des écrous. Lorsqu'on dilate le soufflet, on suspend l'action de la colonne d'air qui presse au-dessus des soupapes S P, ce qui donne lieu à celle de la colonne qui presse par-dessous les mêmes soupapes, d'exercer tout l'effort dont elle est capable contr'elles. Mais comme les soupapes n'opposent à cet effort qu'une très-petite résistance, la colonne d'air qui presse en-dessous force cet obstacle, ouvre les soupapes & s'introduit dans la capacité du soufflet qu'elle remplit à l'instant. Aussi-tôt que le soufflet est rempli, les soupapes retombent par leur propre poids, la cause qui les tenoit levées cessant, qui est le courant d'air rapide qui a rempli le soufflet. Le soufflet étant ainsi rempli, si on comprime la table supérieure, l'air qu'il contient sera contraint d'en sortir par l'ouverture O où est ajusté le gosier.

Le gosier représenté, fig. 25. est une portion de tuyau cdefgh, des mêmes dimensions que l'ouverture O, dans laquelle il doit entrer jusqu'au rebord d i g, p o r. On fait ce rebord en diminuant la partie du gosier qui entre dans le soufflet. Cette partie est coupée obliquement comme on voit en C i. Sur ce talud qui doit regarder les têtieres par-dedans le soufflet, on ajuste un chassis l m n o ; ce chassis qui est doublé de peau du côté qu'il s'applique au gosier, porte une soupape x, qui s'ouvre de dehors en dedans du gosier. Cette soupape (qui comme toutes les autres est doublée de peau collée par le côté glabre, ensorte que le duvet est en- dehors), laisse passer l'air contenu dans le soufflet lorsqu'on le comprime, & ne le laisse point rentrer. La partie inférieure du gosier a un drageoir ekf, qui entre dans un autre drageoir oo, qui est à la face supérieure du porte-vent M N fig. 23. avec lequel il doit convenir. Lorsque le soufflet est mis en place, on colle de la peau de mouton parée sur tous les joints, tant ceux du gosier avec la table inférieure du soufflet, que ceux du même gosier avec le porte-vent, & on fait la bascule FIK, fig. 23. par le moyen de laquelle on ouvre le soufflet.

Cette bascule est une forte piece de bois de chêne, d'un demi-pié ou environ de large, sur 2 ou 3 pouces d'épaisseur, que l'on arrondit dans les deux tiers de sa longueur ; à l'extrêmité F de cette bascule, on fait une fourchette pour recevoir la palette du crochet FE, qui y est retenue par une cheville qui la traverse. Le crochet prend dans une anse E, attachée à la table supérieure du soufflet, & la bascule a pour point d'appui une forte piece de bois G G, scellée dans les murailles. On fixe sur des chevalets cette piece de bois à des entailles H, faites en dos d'âne, qui servent de point d'appui à la bascule qui est traversée en cet endroit par une grosse cheville de fer M, autour de laquelle elle peut se mouvoir librement. A l'extrêmité K de la bascule est une corde K L, qui a plusieurs noeuds : cette corde doit être assez longue pour que le souffleur puisse par son moyen abaisser l'extrêmité de la bascule qui, dans les grands soufflets, se trouve trop élevée pour y atteindre avec la main. On charge les soufflets avec une pierre MR, qui pese environ 60 livres pour un soufflet de 8 piés ; & il en faut au moins quatre pour un grand orgue de 16 piés. Voyez le mot ORGUE. Le souffleur doit observer de ne relever qu'un soufflet à la fois, ensorte que lorsque l'un aspire, les autres puissent toujours fournir au sommier le vent nécessaire, & de ne point lâcher subitement le soufflet sur l'air qu'il contient ; car cela donne une secousse aux tuyaux, dont les moins attentifs s'apperçoivent, & qui est très-désagréable.

SOUFFLET, terme de Sellier, espece de voiture, ou de chaise roulante fort légere, posée sur deux roues ; un soufflet n'a de place que pour une ou deux personnes ; le dessus & le dedans sont de cuir, ou de toile cirée ; ils se levent & se plient comme un soufflet pendant le beau tems, & s'étendent de toute part pour garantir de la pluie. (D.J.)

SOUFFLET, s. m. (Critiq. sacr.) coup de la main porté au visage : donner un soufflet, en grec ; si quelqu'un, dit Jesus-Christ, vous frappe sur la joue droite, présentez-lui aussi l'autre ; , &c. Matt. V. v. 39. Il est constant que ce discours ne doit pas être pris à la rigueur de la lettre, & que cela signifie, il vaut encore mieux que vous souffriez un second soufflet, que de vous venger du premier : la preuve en est évidente par l'exemple de Jesus-Christ lui-même : car un officier du grand prêtre lui ayant donné un soufflet, notre Seigneur, bien loin de présenter l'autre joue, lui dit : si j'ai mal parlé, faites le voir ; mais si je n'ai rien dit que de bien, pourquoi me frappez-vous ? Le Seigneur se plaint de l'injure qu'il vient de recevoir, avec une grande modération, & prouve qu'il ne l'a pas méritée ; l'exemple de Jesus-Christ est donc le commentaire du précepte qu'il donne à ses apôtres, car c'est à eux seuls qu'il parle, & la plûpart de ses préceptes ne se rapportent qu'à eux & à leur ministere. (D.J.)


SOUFFLEURS. m. (Gram.) celui qui souffle. Voyez les articles SOUFFLER, & suiv.

SOUFFLEUR, Voyez MULAR.

SOUFFLEUR, s. m. (Belles-lettres) homme de théâtre, qui est ordinairement placé dans une des coulisses, & à portée des acteurs, pour suivre fort attentivement, sur le papier, ce que les acteurs ont à dire, & le leur suggérer si la mémoire vient à leur manquer.

SOUFFLEUR, s. m. (Alchimie) chercheur de pierre philosophale. Voyez PHILOSOPHIE HERMETIQUE, PIERRE PHILOSOPHALE.

SOUFFLEUR, (Maréchal.) on appelle ainsi certains chevaux, qui sans être poussifs, soufflent prodigieusement, sur-tout dans les chaleurs ; ce qui ne peut venir que d'un défaut de conformation à l'entrée du conduit de la respiration, ou de quelque excroissance de chair à l'entrée extérieure des naseaux.


SOUFFLUREse dit dans la fonderie, de certaines concavités ou bouteilles qui se forment dans l'épaisseur du métal ; quand il a été fondu trop chaud. Il se trouve quelquefois des soufflûres en dehors des boulets, c'est un défaut, & ils n'ont pas alors leur poids. Voyez BOULET & CANON. (Q)


SOUFFRANCES. f. (Gramm.) peine de corps ou d'esprit ; la mort nous délivre de toutes nos souffrances ; les amans ne parlent que de leurs souffrances.

SOUFFRANCE, (Jurisprud.) est une surséance, ou délai, que le seigneur accorde à son vassal, pour lui faire la foi & hommage, en considération de quelque empêchement légitime ; le motif de ce délai est que régulierement la foi & hommage doit être faite par le vassal en personne.

Elle n'a pas lieu pour le payement des droits utiles, ni pour la prestation de l'aveu & dénombrement.

La souffrance est nécessaire ou volontaire ; nécessaire quand l'empêchement du vassal est tel que le seigneur ne peut lui refuser le délai ; comme en cas de minorité, maladie, ou autre empêchement légitime ; elle est volontaire, lorsque le seigneur l'accorde librement, & pour faire plaisir à son vassal.

La souffrance, même nécessaire, n'a point lieu de plein droit, elle doit être demandée au seigneur dominant, par le tuteur en personne, si le vassal est mineur, ou si le vassal est majeur, par un fondé de procuration spéciale.

Le tems pour demander la souffrance est de quarante jours, depuis l'ouverture du fief ; ces quarante jours sont francs, de maniere qu'on ne compte pas celui de l'ouverture du fief, ni le quarantieme jour.

Faute de demander la souffrance dans les quarante jours, le seigneur peut faire saisir le fief, & faire les fruits siens, sauf le recours des mineurs contre leur tuteur ; mais si les mineurs n'avoient pas de tuteur, la saisie n'emporteroit pas perte de fruits contr'eux, jusqu'à ce qu'ils fussent en âge de faire la foi.

Le tuteur, en demandant souffrance pour ses mineurs, doit à peine de nullité déclarer leurs noms & leur âge, afin que le seigneur sache quand chacun d'eux sera en état de faire la foi.

Si le tuteur, en demandant la souffrance, ne payoit pas les droits, le seigneur pourroit la lui refuser, & saisir.

La souffrance peut s'accorder en justice, ou devant notaire, & même par un écrit sous seing privé : quand il s'agit d'un fief mouvant du roi, on obtient des lettres de souffrance en la petite chancellerie.

Il n'est pas besoin d'obtenir nouvelle souffrance, pour une portion du même fief, qui échet ensuite au mineur.

Il est de maxime que souffrance vaut foi tant qu'elle dure, c'est-à-dire que pendant ce délai, le seigneur ne peut saisir, faute de foi & hommage.

Dès que la souffrance est finie, à l'égard d'un des mineurs, il doit aller à la foi, quand même les autres n'auroient pas l'âge. Voyez les commentateurs sur l'article 41. de la coutume de Paris ; les auteurs qui ont traité des fiefs ; & les mots FOI, HOMMAGE, AVEU, DENOMBREMENT, DROITS SEIGNEURIAUX. (A)

SOUFFRANCE, s. f. terme de compte, ce mot se dit des articles de la dépense d'un compte qui n'étant pas assez justifiés pour être alloués, ni assez peu pour être rayés, restent comme en suspens pendant un tems, afin que pendant ce délai, le comptable puisse chercher & rapporter des quittances, ou autres pieces pour sa décharge. Les articles en souffrance, se rayent après le délai fini, s'ils ne sont pas justifiés, ou s'allouent s'ils le sont. Dict. du Comm. (D.J.)


SOUFFRIRSUPPORTER, (Synonym.) souffrir se dit d'une maniere absolue : on souffre le mal dont on ne se venge point. Supporter regarde proprement les défauts personnels : on supporte la mauvaise humeur de ses proches.

L'humilité chrétienne fait souffrir les mépris, sans ressentiment. L'usage du monde fait supporter dans la société, une infinité de choses qui déplaisent. On souffre avec patience, on supporte avec douceur.

Quand souffrir signifie permettre, il veut après soi un que, avec le subjonctif ; ainsi Larrey a fait une faute en disant dans l'épitaphe d'Edouard VI.

Urne où ses cendres reposent,

Souffrez-nous de graver ces vers sur son tombeau.

Il falloit dire, souffrez que nous gravions. Supporter signifie quelquefois protéger & soutenir : les financiers sont supportés à la cour, à cause de leur fortune ; quelques escadrons ne peuvent pas supporter le choc de toute une armée. (D.J.)


SOUFREpierre de, (Hist. nat.) on trouve en Franche-Comté des cailloux qui sont d'une forme arrondie irréguliere, & lorsqu'on vient à les briser, on trouve que ces cailloux formoient une espece de croute, qui sert d'enveloppe à du soufre natif.

SOUFRE, s. m. (Hist. nat. Minéralogie & Chimie) sulphur ; c'est une substance solide, mais friable, d'un jaune clair lorsqu'il est pur, très-inflammable, & qui en se brûlant répand une flamme bleuâtre accompagnée d'une odeur pénétrante & suffocante. Il se fond très-aisément lorsque le feu ne lui est point immédiatement appliqué, & pour lors il ne s'enflamme point.

La nature nous présente le soufre de deux manieres : ou il est pur & sous la forme qui lui est propre, ou il est combiné avec d'autres substances du regne minéral, qui par leur union avec lui le rendent méconnoissable ; c'est ainsi qu'il est dans les mines où il est combiné avec les métaux.

Le soufre pur que l'on nomme aussi soufre fossile, soufre natif, ou soufre vierge, se trouve abondamment dans quelques endroits de la terre ; ce n'est que dans le voisinage des volcans & des endroits sujets aux embrasemens souterreins que ce soufre se rencontre ; & par-tout où on le voit, on doit supposer qu'il a été produit & sublimé par les feux de la terre ; ils l'ont dégagé des substances avec lesquelles il étoit combiné ; ils l'ont sublimé comme auroit pû faire un fourneau, & ils l'ont porté à la surface de la terre.

M. Rouelle, dans ses savantes leçons de chimie, enseigne la façon dont le soufre se forme par le feu des volcans ; ses idées sont fondées sur la nature du soufre, qui n'est autre chose que de l'acide vitriolique combiné avec le phlogistique ou la matiere inflammable. Suivant ce savant chimiste, ce sont les bitumes qui servent d'aliment aux feux souterreins ; par leur embrasement ces bitumes se décomposent, & l'acide vitriolique, si abondant dans le sein de la terre, s'unit au phlogistique des matieres grasses qui brulent, & produit du soufre ; d'où M. Rouelle conclut que le soufre pur n'est qu'une production secondaire de la nature ; puisque sans les embrasemens souterreins, on n'en trouveroit jamais sous la forme qui lui est propre ; tout celui qui est dans la terre est dans un état de combinaison, comme toutes les mines ; & la terre renferme les parties dont il peut être produit.

Les environs des volcans sont donc toujours remplis de soufre ; il est aisé de sentir qu'il n'est point communément fort pur, comme on peut en juger par sa couleur ; ainsi le parti le plus sûr, tant pour les opérations de la Chimie que pour les usages médicinaux, est de ne se servir de ce soufre, qu'après l'avoir purifié ; alors on est certain qu'il est parfaitement dégagé des matieres métalliques & arsénicales, avec lesquelles les feux souterreins peuvent l'avoir combiné ; on sent aussi que ce soufre est souvent mélangé avec des terres, des pierres, &c. Les échantillons de ce que l'on nomme soufre natif, sont plus ou moins purs, suivant les circonstances ; celui que l'on nomme soufre de Quito & soufre de la Guadeloupe, est d'un jaune clair & transparent ; il vient des parties de l'Amérique qui éprouvent le plus de ravages de la part des volcans ; on en rencontre aussi de plus ou moins pur aux environs des monts Aetna, Vésuve, Hecla, &c. Certaines eaux thermales, telles que celles d'Aix-la-Chapelle, & de plusieurs autres endroits, déposent une assez grande quantité de soufre.

Le soufre entre dans la combinaison d'un très-grand nombre de mines ; il s'y trouve dans des proportions différentes, & fait prendre aux métaux des formes & des couleurs qu'ils n'auroient point sans cela. Voyez les articles MINERALISATION & MINE. Mais la mine la plus ordinaire & la plus abondante du soufre, est la pyrite, d'où l'on est obligé de le tirer par art ; on nomme pyrites sulfureuses, celles dont on se sert pour cet usage ; cependant le soufre est une substance qui entre toujours nécessairement dans la combinaison de toute pyrite. Voyez l'article PYRITE.

Il y a plusieurs méthodes pour tirer le soufre des pyrites ; quelquefois on l'obtient accidentellement par le grillage de certaines mines qui sont fort chargées de cette substance ; ces mines sont sur - tout les pyrites cuivreuses, dont on ne peut obtenir le cuivre, avant que le soufre en ait été séparé. Pour cet effet on forme à l'air libre, des tas de pyrites qui ont environ 20 piés en quarré, & 9 piés de haut ; on arrange ces tas sur un lit de buches & de fagots ; on laisse une ouverture à ce tas qui serve de vent, ou comme le cendrier sert à un fourneau ; on enduit les parois extérieurs du tas, qui forment comme des especes de murs, avec de la pyrite en poudre & en petites particules que l'on mouille. Alors on met le feu au bois, & on le laisse bruler doucement pendant 9 ou 10 semaines. On forme à la partie supérieure des tas ou de ces massifs de pyrites, des trous ou des creux, qui forment comme des bassins dans lesquels le soufre fondu par l'action du feu va se rendre, & d'où on le puise avec des cuilleres de fer ; mais ce soufre ainsi recueilli n'est point parfaitement pur ; il a besoin d'être fondu de nouveau dans des chaudieres de fer ; alors les parties pierreuses & terreuses qui s'y trouvent mêlées tombent au fond de la chaudiere, & le soufre pur nage à leur surface. Telle est la maniere dont on tire le soufre au Hartz : pour s'en faire une idée, on n'aura qu'à jetter les yeux sur celle des Planches de Minéralogie, qui représentent le travail du soufre.

La même Planche représente encore une autre maniere d'obtenir du soufre, qui se pratique dans quelques endroits d'Allemagne. Elle consiste à faire griller les pyrites ou la mine de cuivre sous un angard couvert d'un toît qui va en pente ; ce toît oblige la fumée qui part du tas que l'on grille, à passer pardessus une auge remplie d'eau froide ; par ce moyen cette fumée, qui n'est composée que de soufre, le condense & tombe dans l'auge, d'où on le retire lorsqu'il s'en est suffisamment amassé.

En Suede, dans les mines de Néricie, on obtient le soufre par la distillation ; on a pour cela un fourneau qui a la forme d'un quarré long ; dans les murs latéraux on laisse deux rangées de dix ou douze ouvertures, pour y placer deux rangées de retortes de fer très-grandes ; on ne les remplit de pyrites que jusqu'au tiers, parce que l'action du feu les fait gonfler considérablement ; une portion du soufre suinte au-travers du fer des retortes ; ce soufre est très-pur, & on le débite pour de la fleur de soufre ; quand au reste du soufre qui fait la plus grande partie, il est reçu dans des récipiens remplis d'eau, qui ont été lutés avec des retortes. Cette distillation se renouvelle toutes les vingt - quatre heures ; on enleve le soufre qui s'est rendu dans les récipiens ; on ôte des retortes le résidu qui y est resté, & l'on y remet de nouvelles pyrites. Le soufre qui a été ainsi obtenu, est porté dans une chaudiere de fer, enchâssée dans un massif de maçonnerie, sous laquelle on fait un feu doux ; par-là le soufre se fond de nouveau, & dépose les substances étrangeres avec lesquelles il étoit encore mêlé. Lorsque les pyrites ont été dégagées du soufre qu'elles contenoient, on les jette en un tas, à l'air libre ; après qu'elles ont été exposées aux injures de l'air, ces tas sont sujets à s'enflammer d'eux-mêmes, après quoi le soufre en est totalement dégagé ; mais on a soin de prévenir cet inconvénient ; on lave ces pyrites calcinées, & l'on en tire du vitriol, qu'elles ne donneroient point si on les avoit laissé s'embraser. Voyez VITRIOL.

Le soufre avant que d'avoir été purifié se nomme soufre brut ou soufre caballin ; après qu'il a été dégagé des parties étrangeres, on le prend avec des cuilleres de fer tandis qu'il est encore liquide, & on le verse dans des moules qui lui donnent la forme de bâtons arrondis ; c'est ce qu'on appelle soufre en canon.

Presque tout le soufre qui se débite dans le commerce vient des pays où il y a des volcans & des embrasemens de la terre, parce qu'alors la nature épargne la peine & les fraix pour l'obtenir ; il n'y a que les pays où la main d'oeuvre & le bois sont à très-grand marché, tels que la Suéde & certains cantons d'Allemagne, où l'on puisse songer à le tirer des pyrites, ou des mines de cuivre pauvres de la maniere qui a été décrite. Aux environs du mont Vésuve & dans d'autres endroits d'Italie où il se trouve du soufre, on met les terres qui sont imprégnées de cette substance dans des pots de terre de la forme d'un pain de sucre ou d'un cône fermé par la base, & qui ont une ouverture par le sommet ; on arrange ces pots dans un grand fourneau destiné à cet usage, en observant de les coucher horisontalement ; on donne un feu modéré qui suffise pour faire fondre le soufre, qui découle par l'orifice qui est à la pointe des pots, & qui est reçu dans d'autres pots dans lesquels on a mis de l'eau froide où le soufre se fige.

Après toutes ces purifications le soufre n'est point encore parfaitement pur ; souvent il renferme encore des substances qui pourroient en rendre l'usage dangereux ; pour le dégager parfaitement on est obligé de le sublimer à l'aide du feu ; cette sublimation se fait ou en grand ou en petit. En Angleterre, cette opération se fait sur plusieurs quintaux de soufre à-la-fois ; on se sert pour cela d'un fourneau particulier. On a une grande chaudiere de fer qui est prise dans la maçonnerie, & qui peut contenir deux ou trois quintaux de soufre concassé grossierement ; on ne remplit cette chaudiere que jusqu'aux trois quarts. Au-dessus de cette chaudiere est une espece de chambre quarrée, qui est garnie intérieurement de carreaux de terre ou de fayence vernissés. A quelques pouces au - dessus de la chaudiere est une ouverture ou porte par où le soufre qui se sublime entre dans la chambre quarrée, au fond de laquelle est un trou qui ferme à coulisse, par lequel on peut voir si la sublimation se fait convenablement. Pendant l'opération il faut que toutes les ouvertures soient bouchées, afin d'empêcher l'air d'y entrer.

Le soufre se purifie en petit par la sublimation de la maniere suivante. On met le soufre dans une cucurbite de terre, au-dessus de laquelle on adapte cinq ou six aludels, dont le dernier se bouche avec un couvercle ; le premier des aludels est joint avec la cucurbite, & on les lutte ensemble avec de la terre grasse, afin de retenir la chaleur, & on ne laisse ouverts que les registres du fourneau sur lequel la cucurbite est placée, afin de donner de l'air. Après quoi on donne un feu un peu au-dessus du degré nécessaire pour tenir le soufre en fusion ; par ce moyen le soufre s'éleve & s'attache aux parois des aludels sous la forme d'une poudre d'un jaune clair, extrêmement fine : c'est ce qu'on appelle fleurs de soufre. Alors il est pur, & dans un état de division qui le rend propre aux usages médicinaux, & à passer dans l'économie animale. Il est bon d'observer que les droguistes falsifient quelquefois les fleurs de soufre avec du soufre ordinaire pulvérisé ; par ce moyen ils les allongent, & s'épargnent les peines & les fraix de la sublimation.

M. Rouelle regarde le soufre comme un véritable sel neutre, ou comme un acide à qui le phlogistique a fait prendre une forme solide & concrete. En effet ce savant chimiste remarque que le soufre fondu en se refroidissant se crystallise à la maniere des sels neutres. La crystallisation commence vers les parois du vaisseau dans lequel le soufre a été fondu, & à la surface par où il a le contact de l'air où le refroidissement commence, & où il se forme une croûte ; si on creve cette croûte avant que le soufre ait eu le tems de se refroidir entierement, & si l'on vuide le soufre qui est encore en fusion au centre, on verra que la croûte sera remplie de petits crystaux en colonnes ou en stries.

Quoique le soufre soit une substance très - inflammable, il ne laisse pas de brûler très-lentement. Stahl a remarqué qu'en prenant deux gros de soufre pulvérisé, au milieu duquel on place un fil qui sert de meche, & auquel on met le feu avec précaution, de crainte que la flamme ne s'étende sur la surface du soufre, ces deux gros ne perdront dans une heure de tems que 15 ou 16 grains de leur poids.

C'est une vérité reconnue de tous les chimistes, que l'acide vitriolique & l'acide du soufre sont les mêmes ; cependant l'acide sulphureux volatil dont nous venons de parler, n'est point la même chose que l'acide vitriolique ; & le célebre Stahl a observé que l'acide sulphureux volatil, en se dégageant du soufre, entraine avec lui une portion du phlogistique ; de plus il a remarqué qu'il attiroit fortement l'humidité de l'air, & que cette humidité entroit comme partie essentielle dans l'acide sulphureux volatil. Pour que le phlogistique reste uni à cet acide, il faut que le soufre soit brûlé lentement ; sans cela à un feu trop violent cette portion du phlogistique se dégageroit, & l'acide que l'on obtiendroit, seroit un simple acide vitriolique non volatil. On trouvera vers la fin de cet article la meilleure maniere d'obtenir l'acide sulphureux volatil, en parlant des préparations pharmaceutiques du soufre.

On fera voir dans la suite de cet article, que le soufre se dissout dans toutes sortes d'huiles, & dans l'alkali fixe. Quelques auteurs ont prétendu que l'on pouvoit disposer le soufre à la fixité, en le mettant en digestion dans l'acide vitriolique, & en en faisant l'abstraction, & réitérant à plusieurs reprises ces opérations ; mais les acides n'ont aucune action sur le soufre ; il n'est pas plus vrai que l'acide nitreux, ou l'acide du sel-marin rende le soufre transparent, lorsqu'on l'y fait bouillir pendant six heures.

On peut produire artificiellement du soufre ; pour cet effet on n'a qu'à prendre parties égales de tartre vitriolé, & d'alkali fixe bien pur, on les pulvérise avec un peu de charbon ; on met ce mêlange dans un creuset, que l'on couvre bien exactement, & on donne un feu très-vif ; par ce moyen, le mêlange entre en fusion & produit un véritable foie de soufre ; pour en séparer le soufre, on n'aura qu'à faire dissoudre ce foie de soufre dans de l'eau, & y verser quelques gouttes d'acide, qui fera tomber le soufre en poudre, sous la forme & la couleur qui lui est propre. Ce soufre s'est produit dans l'opération par la combinaison qui se fait de l'acide vitriolique contenu dans le tartre vitriolé avec le phlogistique du charbon. Le célebre Stahl a trouvé que dans la composition du soufre, l'acide vitriolique faisoit environ 15/16 du poids total, & même un peu plus, & que le phlogistique y faisoit un peu moins que 1/16.

Le soufre a la propriété de s'unir avec tous les métaux & les demi-métaux, à l'exception de l'or, sur lequel il n'agit que lorsqu'il est combiné avec le sel alkali fixe. Comme l'acide vitriolique se trouve abondamment répandu dans le regne minéral, ainsi que le phlogistique, il n'est point surprenant que l'on rencontre le soufre dans un si grand nombre de mines.

Le soufre en poudre, mêlé avec de la limaille de fer, & humecté, produit une chaleur très-forte, & le mêlange finit par s'allumer. Le soufre trituré avec du mercure, se change en une poudre noire, connue sous le nom d'éthiops minéral. Si on sublime ce mêlange, on obtient du cinnabre. Voyez CINNABRE. Combiné avec le régule d'antimoine, il forme ce qu'on appelle l'antimoine cru. Voyez REGULE D'ANTIMOINE. Le soufre combiné avec l'arsenic, fait la substance appellée orpin ou orpiment, voyez cet article.

Le soufre, comme nous l'avons déja fait remarquer, n'est point soluble dans l'eau, ainsi c'est une erreur de croire qu'il puisse lui communiquer aucune qualité. Quelques personnes ont cru, sans raison, qu'il étoit propre à rafraîchir l'eau.

On prépare diversement le soufre pour des usages pharmaceutiques : on trouve dans les boutiques, premierement les fleurs de soufre dont il a été déja parlé. 2°. le soufre lavé, & la crême de soufre. Ce soufre lavé se prépare ainsi : prenez du soufre commun entier, deux livres ; faites - les fondre à un feu doux, dans un vaisseau de terre ; versez dessus trois livres d'eau bouillante ; faites bouillir le mêlange pendant un quart-d'heure, laissez-le reposer un instant, & decantez ; versez une pareille quantité d'eau bouillante sur le résidu, faites bouillir encore, & decantez ; repetez cette manoeuvre quatorze fois ; mettez votre soufre ainsi lavé, dans un vaisseau de terre bien couvert, que vous tiendrez deux heures dans un four, pour que votre soufre coule comme de l'huile ; laissez refroidir le vaisseau, cassez-le, retirez votre soufre & le reduisez en poudre : c'est le soufre lavé. Si vous pulvérisez ultérieurement ce soufre sur le porphire avec une eau distillée aromatique, vous aurez la crême de soufre. 3°. Le lait & le magistere de soufre, ne sont autre chose que le précipité du foie de soufre, soit spontané, soit obtenu par l'acide du vinaigre. Ce n'est par conséquent, comme on voit, que du soufre très-divisé par la pulvérisation philosophique. On voit encore que le soufre lavé, la crême de soufre, le lait ou le magistere de soufre, & les fleurs de soufre, ne sont qu'une même chose, savoir du soufre entier très-divisé, mais très-vraisemblablement le lait ou magistere de soufre plus que ses autres préparations, d'ailleurs très-analogues. On prépare d'ailleurs un lait de soufre d'une espece particuliere & qui differe essentiellement de tous ces remedes purement sulphureux. Celui-ci est un précipité du même, hépar de soufre par l'alun : il se fait dans ce cas une double précipitation, savoir celle du soufre, & celle de la terre de l'alun ; ce précipité est immense eu égard à la quantité de réactifs d'où on le retire.

L'union du soufre à différentes huiles, soit essentielles, soit par expression, fournit divers baumes de soufre, ou rubis de soufre ; ils se préparent en faisant dissoudre des fleurs de soufre dans une huile quelconque, de l'une ou de l'autre espece ; les huiles par expression en dissolvent une très-grande quantité, & l'on peut faire commodément cette opération dans un vaisseau de terre, & avec le secours d'un feu tel qu'il n'échauffe l'huile que jusqu'au point de faire fondre le soufre, ce qui arrive à un degré bien inférieur à celui qui seroit nécessaire pour faire bouillir cette huile ; les huiles essentielles au - contraire ne dissolvent que peu de soufre. Boërhaave a trouvé que l'huile de térébenthine, v. g. n'en pouvoit dissoudre qu'un 1/16 de son poids. On doit traiter le soufre avec les huiles essentielles, dans un matras à long cou, qui ne soit rempli qu'à demi, & qu'il faut laisser ouvert, parce qu'il faut faire bouillir le mêlange, effectuer la dissolution, & qu'il faut prévenir l'explosion énorme dont est susceptible ce mêlange, selon l'observation rapportée par Hoffman, phys. chim. l. III. obs. 15. or cette explosion ne peut avoir cependant lieu, que lorsqu'on traite imprudemment ces matieres dans des vaisseaux bien fermés & trop pleins, qui venant à éclater par la simple expansion vaporeuse, repandent jusque dans le foyer du fourneau, cette matiere très-inflammable : car il est à-peu-près évident que ce n'est qu'en s'enflammant rapidement, & par conséquent lorsqu'il est déja hors des vaisseaux, que le baume de soufre dont nous parlons, peut produire les effets rapportés dans cette opération d'Hoffman. Au reste, les divers baumes de soufre sont dénommés par l'espece d'huile qu'on emploie à leur préparation ; ainsi le dernier, dont nous venons de parler, est le baume de soufre térébenthiné ; il y a un baume de soufre anisé, il pourroit y en avoir un amandé, ou amigdalé, &c.

On trouve encore au nombre des remedes officinaux, un syrop de soufre, & des tablettes de soufre ; ce syrop de soufre n'est autre chose que le foie de soufre préparé avec alkali, délayé dans trois ou quatre parties d'eau, qu'on mêle ensuite avec suffisante quantité de soufre, pour en faire un syrop.

Les tablettes de soufre se préparent ainsi : prenez fleur de soufre, demi once ; sucre blanc, quatre onces ; cuisez votre sucre avec de l'eau commune (car l'eau rose demandée dans la pharmacopée de Paris, d'après la routine commune, est très-inutile) en consistance d'électuaire solide ; alors mêlez vos fleurs de soufre, faites des tablettes selon l'art.

Tous les remedes dont nous venons de parler, sont destinés uniquement à l'usage intérieur, excepté les baumes de soufre, qui sont aussi recommandés pour l'usage extérieur ; c'est presque uniquement aux maladies chroniques de la poitrine, comme asthme, phthisie, toux invéterées, que ces remedes sont destinés ; mais ils sont fort peu usités ; & vraisemblablement ils sont abandonnés avec raison. Boërhaave, qui a traité assez au long de la plûpart, dans sa chimie, les condamne presque sans restriction ; il dit qu'ils irritent, échauffent, desséchent, qu'ils nuisent aux poumons, à l'estomac, aux autres visceres, qu'ils diminuent l'appétit, & augmentent la soif & les sueurs, & il ajoute qu'il ne se décide point ainsi légerement, mais qu'il a examiné la chose très-exactement, quae non temere effundo, sed explorata loquor meditatus.

Les baumes de soufre sont d'ailleurs recommandés pour l'usage extérieur, comme de puissans resolutifs discussifs, déssechans, contraires à la gangrene, & principalement comme spécifiques contre la gale ; mais il est principalement sous la forme d'onguent quand on l'emploie contre cette derniere maladie ; on a coutume même de le mêler dans ce cas, avec quelques autres médicamens. Voici l'onguent pour la gale, de la pharmacopée de Paris ; remede dont le soufre fait l'ingrédient principal, la vraie base du remede.

Prenez sain-doux lavé, six onces ; racine de patience sauvage, cuite jusqu'à consistance de pulpe, & passée par un tamis, & fleur de soufre, de chacun une once & demie ; d'onguent populeum battu avec du suc d'aulnée, demi-once : battez le tout exactement dans un mortier, & faites-en un onguent pour être employé sur le champ. Quant à l'emploi de cet onguent, voyez GALE.

Foie de soufre : celui dont il sera ici seulement question, est préparé comme nous l'avons déja dit, avec l'alkali fixe de nitre ; cette matiere se présente sous la forme d'une substance concrête d'un rouge foncé ; elle tombe facilement en déliquium ; elle est très-soluble dans l'esprit-de-vin, quoique les deux principes dont elle est composée, ne soient solubles ni l'un ni l'autre dans ce menstrue. Boërhaave s'exprime peu exactement, lorsqu'il appelle la dissolution du foie de soufre, dans l'esprit-de-vin, sulphuris dissolutio in alcohole vini. Le foie de soufre dissout toutes les substances métalliques, & même l'or, avec beaucoup de facilité, quoique l'alkali fixe du soufre pris séparément, ne dissolve point l'or. Stahl croit que c'est avec ce menstrue, que Moïse ouvrit & disposa à une promte pulvérisation, le veau d'or, duquel il est dit dans le xxxiij. chap. de l'exod. v. 20. que Moïse le prit... tulit vitulum quem fecerant, & combussit igne, contrivitque donec in pulverem redegit, postea sparsit in superficiem aquarum, & potavit filios Israel. Ce chimiste a fait un traité exprès, sous le titre de vitulus aureus igne combustus, &c. dans lequel, au sujet de ce fait rapporté dans l'Ecriture, ou plutôt à cette occasion, il examine très - doctement, mais peut-être trop longuement, toutes les manieres connues de diviser l'or. Le foie de soufre est précipité par tous les acides ; il répand pendant cette opération, une odeur détestable, & semblable à celle des oeufs pourris : les chimistes se servent quelquefois de ce signe, pour reconnoître l'acide vitriolique, dans quelques substances terreuses ou salines, dans lesquelles ils le soupçonnent ; ils traitent ces substances avec le phlogistique, de la maniere que nous avons rapportée plus haut, en traitant de la composition artificielle du soufre ; ils versent ensuite sur le mêlange ainsi traité, un peu d'acide de vinaigre ; s'ils produisent par-là cette mauvaise odeur, ils en concluent la présence d'un foie de soufre, & par conséquent celle du soufre qui suppose nécessairement le concours d'un acide vitriolique, qui est le principe recherché ; cette épreuve qui est usitée, sur-tout dans les travaux sur les eaux minérales, n'est point démonstrative.

La théorie commune, sur la maniere d'être du principe sulphureux dans les eaux minérales soufrées, enseigne que ce principe y est contenu sous la forme de foie de soufre : cette théorie est fausse.

Acides du soufre : l'acide que fournit le soufre consumé par une flamme violente, est du pur acide vitriolique. Voyez VITRIOLIQUE acide. Le meilleur appareil que les chimistes ayent trouvé jusqu'à présent, pour retirer cet acide, c'est de placer sur un feu vif de charbon, une petite écuelle pleine de soufre, qui s'enflamme bientôt, & deflagre vivement, & de tenir suspendue sur cette écuelle une large cloche de verre, peu élevée au-dessus du sol qui porte le soufre brulant ; cette cloche perfectionnée par les chimistes modernes, porte en dedans, & à sa partie inférieure, c'est-à-dire à son ouverture, une gouttiere qui s'ouvre en-dehors par un bec ; les vapeurs du soufre brulant étant condensées dans l'intérieur de cette cloche, coulent en petits filets presque insensibles dans la gouttiere, s'y ramassent, & sont versés au-dehors, par le bec, dans un vaisseau convenable qui y est adapté. Cette opération réussit mieux lorsqu'on la fait dans un air humide. Je ne sais quel chimiste moderne a imaginé de disposer autour de cet appareil, un éolipyle, de maniere qu'il soufflât continuellement dans l'intérieur de la cloche une vapeur aqueuse ; de quelque maniere qu'on s'y prenne, du moins dans le procedé connu jusqu'à présent, on obtient très-peu d'acide vitriolique du soufre ; cet article est connu dans l'art sous le nom d'esprit de soufre par la cloche, spiritus sulphuris per campanam ; & sous celui d'huile de soufre, si on a concentré cet esprit par la rectification. Ces opérations s'exécutent à peine dans les laboratoires des chimistes instruits ; du moins dans la vue d'avoir un acide particulier, soit comme instrument chimique, soit comme médicament ; & ce n'est point assurément une fraude réelle que de substituer l'esprit de vitriol à l'esprit de soufre, demandé encore quelquefois dans les ordonnances des médecins.

L'esprit sulphureux volatil est encore plus difficile à retenir que l'acide dont nous venons de parler ; c'est encore un présent que Stahl a fait à la chimie, que l'acide sulphureux ramassé en abondance, & possédé en un volume considérable dans des vaisseaux. Il a proposé deux moyens pour se procurer cette richesse chimique, dans une dissertation exprès, intitulée, spiritus vitrioli volatilis in copiâ parandi fundamentum & experimentum, laquelle se trouve aussi dans son opuscule. L'un de ces deux moyens est de distiller à dessein, du vitriol, dans une cornue fêlée, ce qui produit, comme on voit, un acide sulphureux, volatil, artificiel, c'est-à-dire, fourni par un soufre artificiel, composé dans la cornue par l'union de l'acide du vitriol au phlogistique introduit par la félure. Le second moyen consiste à faire bruler paisiblement du soufre sous une espece de cloche de terre tronquée, & ouverte par son sommet, qui porte une file verticale d'aludels (voyez les Planches de chimie), dans lesquelles est aposté un aimant de cet acide : savoir, des linges trempés dans une forte lessive d'alkali fixe, lequel se change par l'absorption de cet acide, en un sel neutre d'une espece particuliere, & dont tous les acides minéraux chassent l'acide sulphureux volatil ; si on lessive les linges chargés de ce sel neutre, dans suffisante quantité d'eau, qu'on évapore cette lessive, & qu'on distille par l'intermede de l'acide vitriolique, le sel qu'on en retire, dans un alembic muni d'un récipient convenable, toutes les jointures étant exactement lutées, on obtient l'acide sulphureux volatil en assez grande quantité.

La nature de cet acide est fort peu connue : Stahl croit qu'il est spécifié par le phlogistique, qu'il contient en une assez foible proportion, différente de celle qui constitue, suivant lui, l'acide nitreux ; mais cette prétention n'est point du tout prouvée.

Il est démontré contre Hoffman & ses copistes, que l'acide sulphureux volatil n'est point l'acide propre, & encore moins l'esprit élastique des eaux minérales, dans le premier mémoire sur les eaux de Selters. Mémoire présenté à l'académ. roy. des Sciences. vol. II.

L'acide sulphureux volatil a la propriété de détruire & de décomposer les couleurs ; c'est pour cette raison que l'on expose les laines & les soies à la vapeur du soufre afin de les blanchir ; cette vapeur s'attache si fortement à ces sortes d'étoffes, que l'on ne peut plus leur faire prendre de couleur à-moins de les bouillir dans de l'eau de savon, ou dans une dissolution de sel alkali fixe. Mais il faut prendre garde de laisser ces étoffes trop long-tems exposées à la vapeur du soufre, parce qu'elle pourroit les endommager & les rendre cassantes.

Personne n'ignore que le soufre est une des substances qui entrent dans la composition de la poudre à canon & des feux d'artifice. Voyez POUDRE.

L'acide sulphureux volatil a la propriété d'arrêter la fermentation ; c'est pour cette raison que l'on soufre les tonneaux dans lesquels on veut mettre certains vins, cela les empêche de fermenter & de tourner à la graisse.

On a déja fait remarquer que le soufre se trouvoit dans presque toutes les mines des métaux dans des proportions différentes ; alors il leur fait changer de forme & de couleur, il noircit tous les métaux, & les rend aigres & cassans, excepté l'argent qu'il rend si ductile, qu'on peut le plier & le tailler avec un couteau : c'est ce qu'on peut voir dans la mine d'argent nitreuse, qui n'est que de l'argent combiné avec le soufre ; on peut imiter cette mine par l'art. Le soufre n'agit point sur l'or ni sur le zinc quand ils sont bien purs ; mais il agit très-fortement sur le fer, le cuivre, le plomb, l'étain. C'est par ces propriétés que le soufre joue un très-grand rôle dans les travaux de la métallurgie ; on cherche à le dégager par le grillage ; & dans cette opération, lorsque son acide est mis en action par le feu, il sert à détruire les métaux qui nuiroient à ceux que l'on veut obtenir, parce qu'il y en a auxquels il s'unit préférablement à d'autres ; c'est ainsi que dans le grillage de la mine de cuivre il sert à détruire le fer qui accompagne souvent cette mine. Dans le traitement de la mine de plomb, le soufre sert aussi à dissoudre les autres substances minérales qui y sont jointes, & facilite la formation de la matte.

Les anciens chimistes & les naturalistes ont donné très-improprement le nom de soufre à plusieurs substances qui ne sont rien moins que le soufre minéral dont nous parlons. Ils ont donné ce nom à toutes les substances huileuses & grasses des trois regnes de la nature, aux bitumes, & à toutes les matieres propres à s'enflammer.

Les alchimistes ont désigné le phlogistique sous le nom de soufre des métaux ; ils en distinguent deux especes, l'une qu'ils appellent soufre volatil, & l'autre soufre fixe. Cette distinction étoit fondée sur ce que certains métaux perdent très-aisément leur phlogistique, comme le fer & le cuivre, & sont calcinés & réduits en chaux, tandis que d'autres ne le perdent que très-difficilement, comme l'or & l'argent. D'autres par soufre volatil ont voulu désigner le soufre qui se dégage des mines par une calcination légere ; & par soufre fixe ils ont entendu le phlogistique des métaux. Il est aisé de sentir comme cette dénomination est impropre, vu que le phlogistique est un principe élémentaire des métaux, qui, comme Beccher l'a fait voir le premier, les met dans l'état métallique ; au-lieu que le vrai soufre est un corps grossier, fort éloigné de la simplicité d'un principe. Cette erreur des anciens chimistes a été mise dans tout son jour, & refutée par le célebre Stahl. Ce restaurateur de la saine Chimie a fait voir, dans son traité du soufre & dans ses autres ouvrages, qu'il falloit bannir ces façons de parler impropres & obscures.

Nous ne pouvons passer ici sous silence une erreur qui a été quelquefois accréditée par des personnes très-habiles d'ailleurs ; il s'agit des prétendues pluies de soufre, que l'on nous dit être tombées en de certains canton, où l'on nous assure avoir vu la terre couverte d'une poudre jaune. M. Henckel & d'autres savans ont apprécié ce phénomène à sa juste valeur, en disant que cette poudre n'est autre chose que la poussiere des étamines de quelques plantes, ou que celle qui se trouve dans les pommes des pins, que le vent a répandue dans l'air & que la pluie a ensuite rabattue. Plusieurs personnes, fondées apparemment sur ces prétendues pluies de soufre, ont aussi imaginé qu'il y avoit un vrai soufre répandu dans l'air, & que c'étoit lui qui produisoit les éclairs & le tonnerre ; à en croire la plûpart des physiciens non chimistes, peu s'en faut que notre atmosphere ne soit un arsenal dans lequel on trouve des magasins de poudre-à-canon toute formée. En effet, ils voyent dans l'air du nitre tout formé, ils y voyent du soufre, il ne leur manquera plus que du charbon pour avoir tout ce qu'il faut pour leur artillerie systêmatique. S'ils empruntoient les lumieres de la chimie, qui seule peut guider dans les connoissances naturelles, ils s'épargneroient un grand nombre de conjectures hazardées qui n'ont d'autre fondement que des chimeres que l'expérience détruit. (-)


SOUFRIERES. f. (Hist. nat. Minéralogie) c'est ainsi qu'on nomme, dans l'île de la Guadeloupe, une montagne fort élevée, qui a la forme d'un cône tronqué, & qui s'éleve au-dessus de toutes les autres montagnes de cette île. Elle est à environ trois lieues des côtes de la mer, & occupe le milieu de la partie méridionale de l'île. Cette montagne a été autrefois un volcan ; & suivant la description qui en a été donnée par différens voyageurs, & en dernier lieu par M. Peyssonel médecin, il n'y a pas lieu de douter qu'elle ne soit encore embrasée dans son intérieur. Le nom de soufriere lui vient de la grande quantité de soufre que l'on y trouve ; il se sublime naturellement par la chaleur souterraine, & se trouve en si grande abondance, que cet endroit paroît inépuisable.

Le chemin qui conduit au sommet de cette montagne est très-difficile ; on rencontre par-tout des débris de volcans, comme des pierres calcinées, de la pierre-ponce, des sources d'eaux chaudes, de l'alun, &c. Le terrein ressemble à du colcothar, ou au résidu de la distillation du vitriol, étant rouge comme de l'ochre. Lorsqu'on est parvenu à une certaine hauteur on trouve un espace qui peut avoir environ 25 toises de diametre ; l'on n'y voit que du soufre, des cendres & des terres calcinées ; le terrein de cet endroit est rempli de fentes profondes, d'où il sort de la fumée ; l'on entend qu'il se fait un bouillonnement au-dessous, & il en sort du soufre qui se sublime & s'attache aux parois de ces fentes & des cavités qui s'y sont formées. On éprouve en cet endroit une odeur de soufre qui ôte la respiration, & l'on voit l'acide sulfureux que la chaleur dégage se condenser en gouttes, & ruisseler comme de l'eau claire. Le terrein est peu solide, & l'on peut y enfoncer des bâtons avec facilité ; & si l'on ne marchoit avec précaution, on couroit risque de s'y abysmer. Cet endroit paroît être le soupirail par où les éruptions de ce volcan se sont faites autrefois. On dit que dans un tremblement de terre, cette montagne se fendit en deux, & vomit un grand nombre de matieres embrasées, & que depuis ce tems on n'a plus éprouvé de tremblement de terre dans l'île. Cette fente a plus de mille piés de profondeur, & plus de 20 piés de largeur. Du côté du nord de cette fente, dans la plaine, est un petit étang dont les eaux sont fortement imprégnées d'alun. On trouve aussi près de cette fente une grotte très-étendue, & qui présente des phénomenes très-dignes d'être remarqués. A l'entrée de cette caverne on éprouve une chaleur modérée ; en montant plus haut par dessus des débris de pierres, on entre dans une seconde grotte où l'on sent que la chaleur augmente, & en montant encore plus haut on parvient à un endroit qui forme une troisieme grotte ; la chaleur y est si considérable, que, suivant le rapport de M. Peyssonel, l'on peut à-peine y respirer, les flambeaux ont beaucoup de peine à brûler, & l'on est bien-tôt trempé de sueur. Au côté gauche de cet endroit la grotte semble continuer ; M. Peyssonel voulant aller plus avant vers ce côté, fut très - surpris d'y trouver de la fraîcheur, de voir que les flambeaux y brûloient très-bien ; en descendant encore plus, il trouva qu'il y faisoit un froid excessif ; revenu de cet endroit, il repassa par la partie chaude de la grotte où il avoit été auparavant, & y éprouva la même difficulté de respirer & la même chaleur que la premiere fois.

On trouve différentes especes de soufre dans la soufriere de la Guadeloupe, il y en a qui ressemble parfaitement à des fleurs de soufre ; d'autre se trouve en masses compactes, & est d'un beau jaune d'or ; enfin l'on en rencontre des morceaux qui sont d'un jaune transparent comme du succin, au point d'y être trompé. Voyez les transactions philosophiques, tom XLIX. voyez l'article SOLFATARA. (-)


SOUFROIRS. m. (ouvrage de Potier) c'est une petite étuve bien plafonnée en ciment & bien close, pour y blanchir la laine ou la soie par la vapeur du soufre allumé dans une terrine. (D.J.)


SOUFYSECTE DES (Religion persane) secte ancienne chez les Persans. On en fixe l'origine vers l'an 200 de l'égire. Sheic-Abousaïd, philosophe austere, en fut le fondateur ; c'est une secte toute mystique, & qui ne parle que de revélations, d'unions spirituelles avec Dieu, & d'entier détachement des choses de la terre. Ils entendent spirituellement tout l'alcoran, & spiritualisent tous les préceptes qui regardent l'extérieur de la religion, excepté pour les jeûnes qu'ils font avec la plus grande austérité. Leur foi & leur doctrine ont été recueillies dans un livre qu'ils ont en vénération, & qu'ils nomment galchendras, c'est-à-dire le parterre des mysteres. Il est vraisemblable que leur théologie mystique a passé d'orient en occident par la voie de l'Afrique, & qu'elle s'est ainsi communiquée d'abord à l'Espagne, ensuite par l'Espagne en Italie, en France & ailleurs. (D.J.)


SOUHAITDESIR, s. m. (Synonym.) l'un & l'autre désignent une inquiétude qu'on éprouve pour une chose absente, éloignée, à laquelle on attache une idée de plaisir. Les souhaits se nourrissent d'imagination ; ils doivent être bornés. Les desirs viennent des passions ; ils doivent être modérés. On se repaît des souhaits ; on s'abandonne à ses desirs. Les paresseux s'occupent à faire des souhaits chimériques ; les courtisans se tourmentent par des desirs ambitieux. Les souhaits me semblent plus vagues, & les desirs plus ardens. Quelqu'un disoit qu'il connoissoit plus les souhaits que les desirs, distinction délicate, parce que les souhaits doivent être l'ouvrage de la raison, & que les desirs sont presque toujours une inquiétude aveugle qui naît du temperament.

M. de Saci a dit, mes desirs soupirent vers vous ; c'est mal parler : les desirs ne soupirent point, ce sont eux qui font soupirer. (D.J.)


SOUIou SOI, s. m. (Cuisin.) c'est une espece de sauce que les Japonois préparent, & qui est très-recherchée par les peuples de l'Asie, & par les Hollandois qui en apportent de ce pays ; c'est une espece d'extrait ou de suc qui se tire de toute sorte de viandes, & sur-tout des perdrix & du jambon. On y joint du suc de champignons, beaucoup de sel, de poivre, de gingembre, & d'autres épiceries qui lui donnent un goût très-fort, & qui contribuent à empêcher que cette liqueur ne se corrompe. Elle se garde pendant un grand nombre d'années dans des bouteilles bien bouchées, & une petite quantité de cette liqueur mêlée avec les sucs ordinaires, les releve, & leur donne un gout très-agréable. Les Chinois font aussi du souï, mais on regarde celui du Japon comme supérieur ; ce qui vient, dit-on, de ce que les viandes sont beaucoup plus succulentes au Japon qu'à la Chine.


SOUILLAou SOULIAC, (Géog. mod.) petite ville de France dans le Quercy à 3 lieues de Sarlat, sur la Borese, près de la Dordogne, avec un abbaye d'hommes de l'ordre de saint Benoit. Toutes les maisons de cette place ne sont que de bois, & le bas de la ville ne sert que d'écuries ou d'étables. Long. 18. 57. latit. 45. 4. (D.J.)


SOUILLARDS. f. (Charpent.) piece de bois assemblée sur des pieux, & que l'on pose au-devant des glacis, qui sont entre les piles des ponts de pierre. On en met aussi aux ponts de bois. On appelle encore souillard un petit chassis, que plusieurs font sceller dans les écuries pour contretenir les piliers. (D.J.)


SOUILLES. f. (Vénerie) lieux bourbeux où se veautre le sanglier. Le souil est souvent une marque qui fait reconnoitre sa taille. Fouilloux.


SOUILLERTACHER, (Gramm. Synon.) ces deux mots désignent la même chose, & forment un même sens ; mais tacher ne s'emploie qu'au propre, & souiller ne se dit guere qu'au figuré ; ainsi l'on dit tacher ses hardes, souiller sa conscience, se tacher de graisse, se souiller de crimes. Souiller est très-beau en poésie.

Lorsque le déshonneur souille l'obéissance,

Les rois doivent douter de leur toute-puissance :

Qui la hazarde alors, n'en sait pas bien user,

Et qui veut tout pouvoir, ne doit pas tout oser.

Corneille, dans D. Sanche d'Aragon.

(D.J.)


SOUILLURES. f. (Gram. Critiq. sacrée) impureté extérieure : selon la loi de Moïse, on contractoit plusieurs sortes de souillures légales ; les unes étoient volontaires, comme l'attouchement d'un homme mort ; d'une femme qu'on savoit avoir le cours de ses regles ; d'un animal impur, & autres choses souillées ; d'autres souillures étoient involontaires, comme d'être attaqué de quelque maladie, telle que la lepre, de se trouver sans y penser dans la chambre d'un homme qui tomboit mort, ou de toucher par mégarde quelque chose d'impur. Ces diverses impuretés excluoient des choses saintes, & de tout acte de religion, celui qui en étoit souillé, jusqu'à ce qu'il se fût purifié, ou qu'il fût guéri ; mais les choses souillées de leur nature, comme les charognes, ou déclarées telles par l'institution de la loi, comme certains animaux, ne pouvoient jamais devenir pures ; les maisons, les habits, les ustenciles de ménage, se purifioient par des lavages, des lessives, le soufre ou le feu, après quoi l'on pouvoit s'en servir. Voyez PURIFICATION. (D.J.)

SOUILLURE, terme de Teinturier ; ce mot s'emploie dans les teintures qui se font par des mêlanges lorsqu'on mêle ensemble différentes especes.


SOUIRFAS. f. (Hist. nat. Bot.) plante de l'île de Madagascar, dont la feuille est déchiquetée ; elle est d'un goût aigrelet, & passe pour un remede excellent contre la fievre, lorsqu'on l'applique sur la région du foie & du coeur.


SOULAGERv. act. (Gram.) diminuer sa peine, son travail, ou sa fatigue, soit en la partageant, soit en l'adoucissant. On dit, cet homme succombe sous le poids dont il est trop chargé ; il faut le soulager. On soulage un vaisseau, un plancher, un malade, les affligés. La douleur se soulage par la plainte.


SOULEPAYS DE, (Géog. mod.) pays de France, au gouvernement militaire de Guyenne & de Gascogne, dans les Pyrénées, & enclavé entre le Béarn & la basse Navarre. Le pays de Soule est habité par les Basques, & les Pyrénées le séparent du val de Roncal en Navarre.

Pline fait mention de certains peuples vers les Pyrénées, qu'il nomme Sibillates : il est fort probable que ces Sibillates sont ceux de Soule, parce que nous voyons dans Frédegaire, que le véritable nom de ce pays étoit Subola ; corrompu depuis en Sola ; il étoit des anciennes dépendances des Tarbelliens, & il a toujours été au diocèse d'Acqs, capitale des Tarbelliens, jusqu'au milieu du xj. siecle, que l'évêque d'Oleron s'empara de la jurisdiction spirituelle.

Après la prise du roi Jean, & le traité de Brétigny, les Anglois se rendirent maîtres de Soule ; ensuite sous Charles VII. après la prise d'Acqs, & des autres villes de Gascogne, la Soule, avec sa capitale Mauléon, se rendit aux François. On lui a conservé de grands privileges ; c'est un pays d'état, pauvre à la vérité, mais tous ceux qui y ont des fiefs, ont droit d'assister à la tenue des états. La Soule est située le long du Gave-Suzon, & comprend environ 60 paroisses. (D.J.)

SOULE, la, (Géog. mod.) en latin du moyen âge Subola, Sulla, Sola ; petite riviere de France, dans la Normandie, au diocèse de Coutances. Elle naît auprès de Montabor, & après un cours d'environ sept lieues, elle se joint à la Sienne, au pont de la Roque.


SOULEVERse SOULEVER, (Langue françoise) ce verbe se dit rarement au propre, excepté des sujets vis-à-vis de leur prince ; le peuple se souleva ; toutes les provinces se sont soulevées, en parlant d'une émotion populaire générale. Les Guises firent soulever plusieurs villes contre Henri III. mais on ne diroit pas que la grande-Bretagne s'est soulevée contre la France en lui déclarant la guerre.

Ce passage, consurget gens in gentem, regnum in regnum, est donc mal traduit, par " on verra se soulever peuple contre peuple, royaume contre royaume ".

Soulever se dit encore au figuré de tout ce qui révolte l'humanité, ou qui cause du scandale & de l'indignation sans qu'il s'agisse de souverains ni de sujets, par exemple ; l'apologiste moderne du massacre de la Saint Barthélemi a soulevé tout le monde contre lui. (D.J.)


SOULIES. f. (Marine) c'est le lieu où le vaisseau a posé, lorsque la mer étoit basse, & qu'il a touché sur de la vase.


SOULIERS. m. (Chaussure) chaussure de cuir, ou de quelque étoffe qui couvre le pié depuis ce qu'on appelle la cheville. Le soulier est composé d'une ou de plusieurs semelles ; d'un talon de cuir ou de bois, de l'empeigne, des quartiers, & des oreilles. (D.J.)

SOULIER des anciens, (Littérat.) il paroît qu'en général chez les anciens, la matiere la plus ordinaire des souliers étoit le cuir apprêté. Martial se moquoit d'un homme qui portoit une calotte de maroquin assez profonde. Celui-là, disoit-il, vous a plaisamment raillé, qui a parlé de votre calotte comme de la chaussure de votre tête.

Haedinâ tibi pelle contegenti

Nuda tempora verticemque calvae,

Festive tibi, Phaebe, dixit ille,

Qui dixit caput esse calceatum.

On se servit aussi d'écorces d'arbres, ou du moins de leurs membranes, comme par exemple de celles de la plante appellée papyrus : calceos praeterea ex papyro textili subligavit.

Les bergeres espagnoles, au rapport de Pline, fournissent la mode de souliers de jonc & de genêt. On mit en oeuvre pour les couvrir la laine, le lin, la soie, & l'or. Si nous en croyons quelques auteurs, non-seulement les souliers se trouverent chargés de feuilles d'or, mais il y en avoit même dont les semelles étoient d'or massif : espece de luxe qui paroît presque incroyable : seculum auratum, imò aureum.

Plaute dans sa comédie des Bacchides, fait dire à un valet à qui son maître demande si un certain Théotime est riche : vous me demandez si un homme est riche, lorsqu'il porte des semelles d'or à ses souliers : etiam rogas qui soccis habeat auro suppactum solum.

Le luxe n'en demeura point là ; la vanité de la parure des souliers alla si loin, que non-seulement le dessus du soulier étoit garni de pierreries, mais tout le soulier même, ainsi qu'on le voit clairement par ce passage : gemmas non tantum crepidarum obstragulis, sed & totis socculis addunt.

A l'égard de la forme des souliers, elle a été différente suivant le génie & les moeurs des nations. Nous ne trouvons rien dans l'Ecriture-sainte qui puisse nous donner une notion de celle des souliers des Hébreux, & les rabbins expliquent si différemment les termes qui concernent les souliers des juifs, que l'on ne sait véritablement à quoi s'en tenir.

Le soulier romain quant à la hauteur, ne se terminoit pas comme le nôtre ; il s'élevoit jusqu'à mi-jambe, en prenant juste toutes les parties. Il étoit ouvert par-devant depuis le cou-de-pié, & se fermoit avec une espece de ruban ou de lacet. Pour être bien chaussé, il falloit que le soulier fût extrêmement serré, tensum calceum. Un soin particulier des gens du siecle, dit S. Jerôme, est d'avoir un soulier propre & bien tendu : si pes in laxâ pelle non natet. On sait que Paul Emile ayant répudié sa femme, qui étoit en considération pour sa vertu, & par-là s'étant exposé aux reproches de ses amis, se contenta de leur répondre en leur montrant le pié : vous voyez, dit-il, ce soulier, il est bien fait & me chausse juste, vous ne savez point où il me blesse.

Si ce n'étoit pas une preuve sensible de l'irrégularité de la conduite de sa femme, c'étoit au-moins une marque certaine que tout le pié étoit couvert du soulier. La forme, au volume près, en étoit égale pour les femmes comme pour les hommes. Que votre pié, dit Ovide, à une femme qu'il aime, ne nage point dans un soulier trop large.

Ne vagus in laxâ pes tibi pelle natet.

La pointe du soulier étoit recourbée ; c'est de-là que Cicéron, dans son traité de la nature des dieux, a pris l'idée de la chaussure de Junon : calceolis repandis.

Il y avoit une sorte de souliers appellés perones que les simples magistrats pouvoient porter, & dont il est parlé dans Festus. Juvenal nous en a donné la description dans sa quatorzieme satyre. C'étoient de gros souliers fait exprès pour résister aux boues, aux neiges, & dont les paysans se servoient en travaillant à la terre. Ce sont, sans-doute, les mêmes dont Ulpien entend parler dans la loi 3. §. ff. de offic. praef. vigil. calceatum, dit-il, debere praefectum vigilum coerrare. Les gardes préposés à veiller pendant la nuit aux incendies, avoient besoin de pareils souliers, pour résister aux pluies, aux neiges, & autres injures du tems.

Avant de parler de la couleur & des ornemens que les anciens mettoient à leurs souliers, il est à-propos de faire mention d'une autre sorte de souliers qui étoit en usage chez eux, & que les Romains appelloient soleae, & qui revient assez à notre sandale. Elle consistoit dans une simple piece de bois ou de cuir que l'on plaçoit sous le pié, & que l'on attachoit par des bandelettes de toile ou d'étoffe, passées & repassées sur le pié, & entre les doigts du pié, & autour de la jambe : il nous en reste plusieurs exemples dans les anciens monumens de peinture & de sculpture, que les curieux ont conservés. C'est par rapport à ces liens que Virgile & Ovide ont appellé les sandales vincula. Ce dernier a dit dans ses métamorphoses.

Vincla duo pedibus demunt.

Et Virgile, dans le huitieme livre de l'Enéide.

Et Tyrrhena pedum circumdat vincula plantis.

On appelloit encore cette chaussure crepida & crepidula, à cause du bruit que l'on faisoit en marchant.

Cette sandale étoit plus particulierement la chaussure des femmes. Cicéron reprochant à Verrès sa mollesse & ses manieres efféminées, l'accuse d'avoir paru en public, en qualité de préteur, avec des sandales, un manteau de pourpre, & une tunique descendant jusqu'aux talons : stetit soleatus praetor populi romani, cum pallio purpureo, tunicaque talari. Ce n'est pas que les hommes ne se servissent quelquefois de la sandale, particulierement lorsqu'ils alloient à quelque festin. Quant aux souliers dont les soldats se servoient à la guerre, on les appelloit caligae militum. Comme cette chaussure leur étoit particuliere, on les nommoit souvent caligati, au lieu de milites ; ainsi Seneque, de benef. cap. xvj. en parlant de Marius, dit : à caligine ad consulatum pervenit.

Il y avoit encore deux autres chaussures en usage, mais dont on ne se servoit que sur le théatre ; c'étoient le brodequin & le cothurne. Voyez chacun de ces mots à leur article.

Quelques-uns croyent que les souliers des hommes étoient noirs, sur le fondement de ce vers d'Horace :

Nigris medium impedit crus pellibus.

Ils le croyent encore sur ces vers de la septieme satyre de Juvenal, où parlant d'un certain Quintilien, il dit qu'il étoit beau, bien fait de sa personne, vaillant, sage & très-noble ; car le croissant qu'il portoit sur ses souliers de peau noire, en étoit une preuve.

Felix, & sapiens, & nobilis, & generosus,

Appositam nigrae lunam subtexit alutae.

Le terme aluta signifie une peau déliée sur laquelle on pouvoit peindre le croissant, ou la lune en son entier, comme il est dit dans les vers de Juvenal qu'on vient de lire, auxquels il faut ajouter cet endroit de l'épigramme 29 du II. liv. de Martial.

Non extrema sedet limatâ lingula plantâ,

Caecina non laesum cingit aluta pedem.

On rapporte plusieurs raisons de l'usage de faire peindre une lune ou un croissant sur les souliers des sénateurs, & des personnes d'une ancienne famille. C'est une des questions que Plutarque propose sur les usages des Romains, quest. 86. On a depuis imaginé plusieurs autres raisons de cet usage qu'il seroit inutile de rapporter. On ne sait pas même si l'on peignoit la lune dans son plein, ou si ce n'étoit que son croissant, ni en quel endroit du soulier elle étoit placée.

Il est encore difficile de découvrir la forme & l'usage des souliers que les Romains appelloient mullei. Festus veut qu'on les ait ainsi nommés, de l'ancien mot mullare, qui signifioit unir différentes parties d'une étoffe ou de quelqu'autre matiere, par une couture fine & délicate, ce qui convient à la broderie des souliers. M. Danet prétend que les souliers des fils des sénateurs, avoient aussi une lune, mais différente qui leur avoit donné le titre de mullei calcei. Mais il paroît que ces mots de Tertullien dans son traité de pallio, nous donnent une idée plus claire du soulier appellé mulleus : Impuro, dit-il, cruri purum aut mulleolum induit calceum.

Les souliers qui étoient simples & sans ornement, étoient appellés puri ; & ceux qui étoient ornés par une lune, ou par quelque broderie, étoient distingués par l'épithete de mullei.

Les souliers des femmes étoient blancs pour l'ordinaire. Les souliers des sénateurs étoient de peau noire, & quelquefois blanche, mais les magistrats curules les portoient de couleur rouge.

Pendant un tems, une honnête femme chez les Romains n'osoit porter du rouge aux souliers : cette couleur étoit affectée aux courtisannes. Cette mode ne dura guere, soit que le caprice le reglât, soit que dans quelques femmes, la vertu ait été assez hardie pour s'affranchir de la tyrannie d'un usage qui contraignoit le goût. Celles qui se piquoient le plus de régularité, porterent impunément des souliers rouges, long-tems même avant le regne d'Aurelien qui leur en permit l'usage, & l'ôta en même tems aux hommes, calceos mulleos, rubros viris omnibus tulit, mulieribus reliquit. L'ordonnance de ce prince fut d'autant plus gracieuse pour les dames, que lui & ses successeurs se réserverent cette couleur, à l'exemple des anciens rois d'Italie, au rapport de Dion. Elle régna dans le bas Empire, & passa des empereurs d'Occident à la personne des papes qui acheverent d'effacer les traces de sa premiere destination.

Les empereurs chargerent leurs souliers de plusieurs ornemens. Ils y firent broder la figure d'une aigle enrichie de perles & de diamans, aquilis ex lapillis & margaritis. Il y a lieu de croire que cette décoration passa jusqu'aux souliers des dames, ou du-moins jusqu'à ceux des impératrices.

La chaleur de saint Chrysostome contre les souliers brodés, dont la mode subsistoit de son tems, me rappelle celle du frere Thomas contre les coëffures hautes dont j'ai parlé au mot hennin. S. Chrysostome ne s'échauffa guere moins sur cette niaiserie, qu'il l'auroit fait si l'on avoit élevé des idoles sur les autels des chrétiens. On voit aujourd'hui des femmes qui ont beaucoup de raison & de piété, porter des souliers avec des ornemens, que ce pere de l'Eglise regardoit comme une invention du diable. Saint Pierre ne desapprouvoit pas les ornemens de ce genre, puisque les saintes femmes qu'il cite pour exemple, en portoient elles-mêmes ; mais il veut qu'on donne une autre attention aux ornemens qui font le vrai mérite.

La mollesse & la galanterie varierent la chaussure ; & la mode inventa une sorte de soulier grec qu'on appelloit sicyonien. Il étoit plus léger & plus délicat que les autres. " Si vous me donnez, dit Cicéron, au premier livre de l'orateur, des souliers sicyoniens, je ne m'en servirois certainement point ; c'est une chaussure trop efféminée : j'en aimerois peut-être la commodité, mais, à cause de l'indécence, je ne m'en permettrois jamais l'usage.

On employa le liege pour hausser le soulier, & élever la taille, suivant la coutume des Perses, chez qui la petite taille n'étoit pas en honneur ; l'usage de cette chaussure étoit commun sur la scene & dans les représentations où l'on recherchoit de la majesté. Les coquettes s'en servoient dans les bals, les actrices sur le théatre, sur-tout dans le comique, & s'il est permis de rapprocher des choses infiniment opposées ; les prêtres s'en servoient dans les sacrifices.

On ôtoit ses souliers en se mettant à table. On sait le bon mot de Dorion, poëte musicien. Ayant perdu à un festin le soulier qu'il portoit à un pié malade, " Je ne ferai d'autre imprécation contre le filou, dit-il, sinon qu'en me dérobant mon soulier, il ait pu trouver chaussure convenable à son pié. "

Les esclaves ne portoient point de souliers, mais marchoient nuds piés ; & on les appelloit pour cela cretati ou gypsati, des piés poudreux. Il y avoit même des personnes libres qui alloient aussi nuds piés ; & Tacite remarque que Phocion, Caton d'Utique, & plusieurs autres marchoient quelquefois sans souliers ; mais ces exemples sont rares, & généralement parlant, toutes les personnes qui étoient de condition libre, marchoient toujours chaussées, si ce n'étoit dans quelque solemnité extraordinaire de religion, ou quelque calamité publique ; car nous apprenons de l'histoire que, quand on lavoit la grand'mere des dieux, on alloit piés nuds en procession, & que les dames romaines se déchaussoient dans les sacrifices de Vesta.

Tertullien rapporte que les pontifes des payens ordonnerent souvent des processions nuds piés dans un tems de sécheresse : Cum stupet coelum & aret annus, nudi-pedalia denunciantur. A la mort de Jules César, plusieurs chevaliers romains ramasserent ses cendres, revêtus de tuniques blanches & piés nuds, pour marquer tout-ensemble leur respect & leur tristesse. Lycurgue & la jeunesse lacédémonienne alloient toujours piés nuds.

Les magiciennes dans leurs mysteres magiques, avoient un pié chaussé & l'autre nud ; c'est Ovide & Virgile qui le disent : Unum exuta pedem vinclis, IV. Aeneid. Horace parlant de Canidie, assure qu'elle marchoit piés nuds, pour mieux réussir dans ses enchantemens.

Si le lecteur veut réunir à cet article celui de CHAUSSURE, & parcourir en même tems le traité de Balduinus, de calceo antiquo, il n'aura presque rien à desirer sur cette matiere. (D.J.)

SOULIER de Notre-Dame, (Botan.) en anglois, the ladiez-slipper. Tournefort distingue trois especes de ce genre de plante. L'espece commune, calceolus vulgaris, jette une tige d'environ un pié, garnie de quelques feuilles larges, veineuses, ressemblantes à celles du plantain, & rangées alternativement. Elle porte une fleur ordinairement unique, à sommet, composée de dix pétales inégaux, quatre opposés en croix, & deux placés au milieu. Ces derniers représentent en quelque maniere un soulier ou sabot, de couleur jaune, ferrugineuse ou purpurine-noirâtre. Le fruit qui succede, a la figure d'une lanterne à trois côtés. Il contient des semences semblables à de la sciure de bois ; cette plante croît sur les montagnes & dans les forêts. (D.J.)

SOULIER, (Marine) piece de bois concave, dans laquelle on met le bout de la patte de l'ancre, pour empêcher qu'elle ne s'accroche sur la pointe, quand on la laisse tomber : on n'en fait presque point usage en France.


SOULIERS(Géog. mod.) bourg de France en Provence, viguerie d'Hières, & diocèse de Toulon. Ce bourg est la patrie d'Antoine Arena, poëte du xvj. siecle, qui se rendit alors célebre par ses vers macaroniques, & en particulier par sa description de la guerre de Charles-Quint dans son pays, dont il avoit été témoin. Il mourut en 1544.

Ce n'est point à Souliers en Provence, mais au château de Souliers dans la province de la Marche qu'est né François Tristan, surnommé l'hermite, poëte reçu à l'académie françoise en 1649, & mort dans la misere en 1655, âgé de 54 ans. On connoît à ce sujet l'épigramme de M. de Montmor, maître des requêtes :

Elie, ainsi qu'il est écrit,

De son manteau comme de son esprit

Récompensa son serviteur fidele.

Tristan eût suivi ce modele ;

Mais Tristan, qu'on mit au tombeau

Plus pauvre que n'est un prophete,

En laissant à Quinaut son esprit de poëte,

Ne put lui laisser un manteau.

Les poésies de Tristan ont été recueillies en trois volumes ; le premier contient ses amours ; le second sa lyre, & le troisieme ses vers héroïques ; mais il se distingua sur-tout par ses pieces dramatiques, qui eurent beaucoup de succès pendant sa vie. Mais sa tragédie de Marianne, retouchée par Rousseau, est la seule qui soutienne encore la réputation de son auteur. Mondori, célebre comédien de son tems, fit de si grands & de si continuels efforts, pour y bien jouer le rôle d'Hérode, qu'il en mourut. Le rôle d'Oreste dans l'Andromaque de Racine, a causé depuis le même sort à Montfleury.

Tristan a fait aussi des poésies sacrées, & a mis en vers l'office de la Vierge. Enfin il composa lui-même son épitaphe, que voici :

Je fis le chien-couchant auprès d'un grand seigneur.

Je me vis toujours pauvre, & tâchai de paroître.

Je vécus dans la peine attendant le bonheur,

Et mourus sur un coffre en attendant mon maître.

C'étoit Gaston de France dont il étoit gentilhomme ordinaire. (D.J.)


SOULONDRE(Géog. mod.) petite riviere de France, dans le bas Languedoc. Elle naît à 2 lieues de Lodeve ; & au-dessous de cette ville, elle coule dans la Lergue. (D.J.)


SOUMELPOUR(Géog. mod.) petite ville des Indes, au royaume de Bengale, dans les états du grand-mogol, sur la riviere de Gouel, à 30 lieues vers le couchant d'Ougli. Toutes ses maisons sont de terre, & couvertes de branches de cocos. Longit. 102. 20. latit. 21. 35. (D.J.)


SOUMISSIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est une déclaration par laquelle on s'engage à faire quelque chose, ou l'on consent que quelque chose soit faite.

Ainsi l'on se soumet aux rigueurs d'un tribunal, comme de la conservation de Lyon.

On fait ses soumissions pour un office, pour une ferme, ou quelqu'autre exploitation ou entreprise, en consignant une somme ou en faisant une déclaration que l'on s'oblige de payer. Voyez CONSIGNATION, OFFRES, OBLIGATION, PAYEMENT. (A)


SOUMONTSOUI(Hist. nat. Botan.) arbre de l'île de Madagascar, dont le bois est violet & marbré ; il sert à teindre en rouge.


SOUNS. m. (Marine) ce sont à la Chine les principaux bâtimens, tant de guerre que vaisseaux marchands. Les plus grands de charge sont de 300 lastes ; ceux qu'on équipe en guerre, ne passent pas 100.


SOUPAPEen Hydraulique, Pneumatique, &c. est une espece de couvercle de tuyau, qui est fait de maniere qu'il s'ouvre d'un côté, & que de l'autre plus il est pressé, plus il bouche exactement l'ouverture : desorte qu'il laisse entrer un fluide dans le tuyau, & l'empêche de retourner, ou bien le laisse sortir & l'empêche de rentrer.

Les soupapes sont d'un grand usage dans les machines pneumatiques, dans lesquelles elles sont ordinairement faites de morceaux de vessie. Voyez PNEUMATIQUE & CANNE A VENT.

Dans les machines à vent hydrauliques, comme aux pistons des pompes, elles sont ordinairement de cuir. Voyez PISTON.

Quelquefois elles sont faites de deux morceaux de cuir ronds, renfermés entre deux plaques de cuivre.

Quelquefois elles sont faites de cuivre, toujours couvertes de cuir, & garnies d'un petit ressort qui donne passage quand il est pressé fortement, & qui ramene la soupape sur l'ouverture sitôt que la force cesse de le presser. Voyez POMPE, &c.

L'usage des soupapes dans l'Hydraulique est principalement nécessaire pour pouvoir élever l'eau à une hauteur considérable par le moyen des pompes ; en effet la force de l'air ne pouvant élever l'eau qu'à la hauteur de 32 piés, il est certain que si on vouloit transporter par le moyen d'une pompe simple une certaine quantité d'eau dans un lieu élevé, on ne pourroit jamais la transporter à plus de 32 piés de hauteur. Or les soupapes, par leur solidité & leur construction, sont destinées à soutenir l'eau qui est au-dessus, & par conséquent déchargent, pour ainsi dire, l'atmosphere de la force qu'il faudroit qu'elle employât pour les tenir en équilibre ou pour les élever, desorte que le surplus de cette force est employé à élever une nouvelle quantité d'eau.

On a cru jusqu'à présent qu'on ne pouvoit donner un trop grand diametre à l'ouverture des soupapes des pompes ; & on se fondoit sur ce principe très-vrai, qu'une certaine quantité d'eau passera plus facilement par une grande ouverture. Cependant le contraire est fort possible ; voici l'éclaircissement du paradoxe. Si la fonction d'une soupape ne consistoit qu'à laisser passer l'eau par son ouverture, le principe seroit vrai sans difficulté, mais une soupape a deux autres fonctions à remplir.

1°. Il faut qu'après avoir laissé passer l'eau, & dès qu'il n'en passe plus, elle retombe & ferme le passage par où l'eau est entrée dans le corps de pompe.

2°. Il faut qu'étant retombée sur son ouverture qu'elle ferme, elle porte toute la colonne qui y est entrée.

Pour le premier effet, il lui faut une pesanteur spécifique plus grande que celle de l'eau, sans quoi elle ne retomberoit pas malgré la résistance de l'eau, comme elle le doit faire. Pour le second effet, il lui faut une solidité proportionnée à la colonne d'eau qu'elle soutiendra. Les deux effets s'accordent à exiger en général la même chose.

Je suppose une soupape parfaite, qui s'ouvre ou qui s'éleve, se referme ou retombe à souhait, qui ait précisément la solidité nécessaire pour soutenir la colonne d'eau entrée dans le corps de pompe. Je suppose ensuite que pour y faire entrer l'eau encore plus facilement qu'elle n'y entroit, on augmentât l'ouverture de cette soupape, tout le reste demeurant le même ; qu'en arrivera-t-il ? En augmentant l'ouverture, il aura fallu nécessairement augmenter le diametre de la soupape, & par conséquent son poids : l'eau qui n'aura que la même vîtesse, & qui n'ouvre ou qui n'éleve les soupapes que par cette force, élevera donc moins la nouvelle soupape ou la soupape plus pesante, & le passage de l'eau sera retréci & rendu plus difficile, tout au contraire de l'intention qu'on avoit eue. Hist. & mém. acad. 1739.

La nature a fait un fréquent usage des soupapes dans la construction des vaisseaux du corps humain ; elles servent à faciliter la circulation du sang & des autres liqueurs. (O)

SOUPAPES, c'est dans le sommier de l'orgue les pieces qui ferment le passage au vent qui, lorsqu'elles sont ouvertes, passe de la laie dans la gravure, dont la soupape est abaissée. Les soupapes sont tenues fermées par les ressorts f g e, fig. 6. & 9. Voyez RESSORT. Elles ne sont ouvertes que lorsqu'on les tire en-bas par le moyen des boursettes, targettes de sommier & du clavier, & des touches que l'organiste abaisse avec ses doigts. Voyez SOMMIER.


SOUPÇONS. m. (Morale) défiance sur la probité, sur la sincérité d'une personne, ou sur la vérité de quelque chose ; c'est une croyance desavantageuse accompagnée de doute.

Les soupçons, dit ingénieusement le chancelier Bacon,sont entre nos pensées, ce que sont les chauvesouris parmi les oiseaux, qui ne volent que dans l'obscurité. On ne doit pas écouter les soupçons, ou dumoins y ajouter foi trop facilement. Ils obscurcissent l'esprit, éloignent les amis, & empêchent qu'on n'agisse avec assurance dans les affaires. Ils répandent sans-cesse des nuages dans l'imagination. Tyrans de l'amour & de la confiance, ils rendent les rois cruels, les maris odieux, les femmes furieuses, les maîtres injustes, les gens de bien insociables, & disposent les sages à la mélancolie & à l'irrésolution.

Ce défaut vient plutôt de l'esprit que du coeur, & souvent il trouve place dans des ames courageuses. Henri VII. roi d'Angleterre, en est un bel exemple. Jamais personne n'a été plus brave, ni plus soupçonneux que ce prince ; cependant dans un esprit de cette trempe, les soupçons ne font point tant de mal ; ils n'y sont reçus qu'après qu'on a examiné leur probabilité ; mais sur les esprits timides, ils prennent trop d'empire.

Rien ne rend un homme plus soupçonneux que de savoir peu. On doit donc chercher à s'instruire contre cette maladie. Les soupçons sont nourris de fumée, & croissent dans les ténebres ; mais les hommes ne sont point des anges : chacun va à ses fins particulieres, & chacun est attentif & inquiet sur ce qui le regarde.

Le meilleur moyen de modérer sa défiance est de préparer des remedes contre les dangers dont nous nous croyons menacés, comme s'ils devoient indubitablement arriver, & en même tems de ne pas trop s'abandonner à ses soupçons, parce qu'ils peuvent être faux & trompeurs. De cette façon il n'est pas possibles qu'ils nous servent à quelque chose.

Ceux que nous formons nous-mêmes, ne sont pas à beaucoup près si fâcheux que ceux qui nous sont inspirés par l'artifice & le mauvais caractere d'autrui ; ces derniers nous piquent bien davantage. La meilleure maniere de nous tirer du labyrinthe des soupçons, c'est de les avouer franchement à la partie suspecte : par-là on découvre plus aisément la vérité, & on rend celui qui est soupçonné plus circonspect à l'avenir ; mais il ne faut pas user de ce remede avec des ames basses. Quand des gens d'un mauvais caractere se voyent une fois soupçonnés, ils ne sont jamais fideles. Les Italiens disent sospetto licencia fede, comme si le soupçon congédioit & chassoit la bonne foi ; mais il devroit plutôt la rappeller & l'obliger à se montrer ouvertement. Enfin il faut que l'homme se conduise de son mieux, pour ne pas donner lieu à des soupçons ; & pour le dire en poëte,

Il faut pour mériter une solide estime,

S'exempter du soupçon aussi-bien que du crime.

(D.J.)


SOUPES. f. (Cuisine) est une espece de potage composé de pain & de bouillon, & jus de viande, & autres matieres, que l'on sert ordinairement au commencement d'un repas.

Ce mot est françois, & formé de l'italien zuppa ou suppa, qui vient du latin sapa, qui signifie du vin réduit au tiers : d'autres le dérivent du mot celtique sauben, qui a la même signification.

En France, la soupe est regardée comme une partie essentielle d'un dîner. On en rehausse quelquefois le goût avec des oignons ou des choux, des navets, des porreaux, des coulis, &c.

SOUPE DE LAIT, (Manege) ce terme de manege & de commerce de chevaux, se dit du poil qui tire sur le blanc. Trévoux. (D.J.)


SOUPEAUS. m. (Agricul.) morceau de bois qui sert à tenir le soc de la charrue avec l'oreille, & qui est posé en-dessous. (D.J.)


SOUPENTESOUPENTE

SOUPENTE, s. f. terme de Bourreliers, ils appellent soupentes de grosses courroies de plusieurs cuirs cousus ensemble, qui tiennent suspendus le corps d'un carrosse, & qui s'allongent ou s'accourcissent suivant qu'il en est besoin, par le moyen de fortes boucles de cuivre relevées en bosses, que fondent les Fondeurs en sable, & que dorent les Doreurs sur métal. (D.J.)

SOUPENTE, s. f. (Menuiserie) espece d'entresol, qui se fait de planches jointes à rainure & languettes portées sur des chevrons ou soliveaux. On pratique les soupentes dans les lieux élevés pour avoir plus de logement. Daviler. (D.J.)

SOUPENTES, (Serrurerie, Maçonnerie) les Serruriers & les Maçons appellent de la sorte les barres de fer ou les morceaux de bois qui servent à soutenir le faux-manteau d'une cheminée. (D.J.)


SOUPERen terme de Cuisine, signifie l'action de prendre le repas du soir.

Souper se prend encore substantivement pour marquer le repas du soir même, & souvent ce qui le compose.

SOUPER DES ROMAINS, (Antiq. rom.) le souper des Romains étoit non-seulement leur principal repas, mais c'étoit souvent un repas préparé, une assemblée de toute une famille, un rendez-vous de plusieurs amis. Tout y étoit concerté de maniere à rendre les choses plus commodes & plus agréables à ceux qui en devoient être ; l'heure, le lieu, le service, la durée, les accompagnemens & les suites.

Le tems de ce repas étoit ordinairement entre la neuvieme & la dixieme heure du jour, suivant leur maniere de compter, & selon la nôtre, entre trois & quatre heures après midi ; ensorte qu'il restoit du tems suffisamment pour la digestion, pour les amusemens, pour les soins domestiques, & même quelquefois pour le régal extraordinaire : les écrivains sont d'accord sur cet article.

Imperat extructus frangere nona thoros :

c'est-à-dire, la neuvieme heure avertit de se mettre à table. Juvenal outrant la déclamation, remarque comme une insulte faite aux bonnes moeurs, aux loix & à la justice, la conduite d'un certain Marius, qui dans l'exil qu'il avoit mérité par ses concussions, prévenoit cette heure.

Exul ab octavâ Marius bibit, & fruitur dis

Iratis, at tu, victrix provincia, ploras.

Le lieu du souper étoit anciennement in atrio, c'est-à-dire dans une espece de vestibule exposé aux yeux de tout le monde. Ils ne rougissoient point de manger ainsi, dit Valere Maxime, liv. II. c. j. parce que leur sobriété & leur modération n'appréhendoient point la censure de leurs concitoyens : nec sanè ullas epulas habebant, quas populi oculis subjicere erubescerent. Après cela ils y furent obligés par les loix Aemilia, Antia, Julia, Didia, Orchia, de peur qu'une plus grande retraite ne donnât lieu à la licence : Imperatum est ut patentibus januis pransitaretur, & coenaretur, dit Macrobe, ne singularitas licentiam gigneret, ajoute Isidore.

Quelquefois, & sur-tout dans la belle saison, le souper se donnoit sous un platane, & sous quelqu'autre arbre touffu ; mais en quelque lieu que ce fût, on avoit soin de faire étendre en l'air une grande piece de draperie, qui pût mettre la table & les convives à couvert de la poussiere & des autres malpropretés. Outre les anciens marbres qui en font foi encore aujourd'hui, Horace dans la description du repas que Nasidienus donna à Mecenas, n'oublie pas ce tapis dont la chûte malheureuse causa une si grande désolation.

Interea suspensa graves aulaea ruinas

In patinam fecêre, trahentia pulveris atri

Quantum non aquilo campanis excitat agris.

Mais quand les Romains eurent été instruits dans l'architecture, ils voulurent mettre en oeuvre les leçons qu'ils en avoient reçues. Les disciples, afin d'y mieux réussir, dépouillerent leurs maîtres, & bâtirent à leurs dépens des sallons exprès, pour recevoir plus commodément & plus splendidement ceux qu'ils vouloient traiter. Alors cette modestie des premiers Romains, ces réglemens mêmes tant de fois renouvellés & multipliés pour la maintenir, furent bientôt mis en oubli. Les censeurs, quoique secondés par les plus sages du sénat & du peuple, ne purent arrêter le torrent ; on écoutoit sans s'émouvoir, les harangues des uns, & les menaces des autres.

La république étoit encore dans sa plus grande splendeur, lorsqu'il plut à Lucullus d'avoir plusieurs de ces superbes sallons, à chacun desquels il donna le nom de quelque divinité, & ces noms étoient pour ses maîtres d'hôtel, un signal de la dépense qu'il vouloit faire à ses repas.

L'empereur Claude avoit entr'autres un sallon, auquel il avoit donné le nom de Mercure. Mais tout ce qu'on en avoit vu jusqu'alors, fut effacé par l'éclat de ce sallon aussi merveilleux que magnifique de Néron, appellé domus aurea. Celui-ci, par le mouvement circulaire de ses lambris & de ses plat-fonds, imitoit les conversions du ciel, & représentoit les diverses saisons de l'année, qui changeoient à chaque service & faisoient pleuvoir des fleurs & des essences sur les convives. Comme le luxe va toujours en augmentant, quoique la fortune diminue, Eliogabale enchérit encore sur Néron, autant que Néron avoit enchéri sur Lucullus.

Les buffets étoient chargés de quantité de vases, encore plus précieux par la délicatesse du travail, que par l'or, l'argent ou la matiere rare dont ils étoient composés. C'étoient la plûpart des fruits de leurs victoires, & des dépouilles des provinces qu'ils avoient conquises, dont la plus grande partie servoit plutôt à former un spectacle magnifique, qu'à aucun usage nécessaire.

La table étoit chez les premiers Romains de figure quarrée, du bois que leur fournissoient leurs forêts, & que leur tailloient leurs propres ouvriers. Quand ils eurent passé chez les Africains & chez les Asiatiques, ils imiterent d'abord ces peuples, puis ils les surpasserent en ce genre-là comme en tout autre. Ils varierent la figure de leurs tables ; & parce qu'ils ne les couvroient point encore de nappes, il fallut les faire au-moins d'une matiere qui n'offrît à leurs yeux rien que de luisant & de beau. Ils y employerent l'ivoire, l'écaille de tortue, la racine du buis, de l'érable, du citronnier & tout ce que l'Afrique féconde en singularités, leur fournissoit de plus curieux. Non contens de cette recherche, ils les ornerent de plaques de cuivre, d'argent & d'or, & ils y enchâsserent des pierres précieuses en forme de couronne. La table des pauvres étoit à trois piés ; celle des riches étoit soutenue par un seul. A chaque service on nettoyoit les tables avec une éponge mouillée, & à chaque fois les conviés se lavoient les mains. On avoit encore l'usage de substituer au premier service une nouvelle table toute servie, & ainsi pour tous les autres jusqu'à la fin du souper.

La maniere dont les Romains étoient à table n'a pas toujours été la même ; mais elle a paru digne de la curiosité des gens de lettres. Dans les premiers tems, ils mangeoient sur des bancs à l'exemple des Lacédémoniens ; ensuite ils adopterent l'usage des petits lits de Carthage qui n'étoient pas fort tendres ; enfin ils vinrent à manger sur les lits les plus mollets, les plus voluptueux & les plus magnifiques. Voyez LIT DE TABLE, Antiq. rom.

Les convives se rendoient au souper à la sortie du bain, avec un habillement qui ne servoit qu'à cela, & qu'ils appelloient synthesis ; espece de draperie qui ne tenoit presqu'à rien, comme il paroît dans les marbres, & qui étoit pourtant différente du pallium des Grecs.

On ne voit point qu'on ôtât les souliers aux dames, ni qu'on leur lavât ou parfumât les piés quand elles venoient prendre part à la fête ; mais rien n'étoit plus commun pour les hommes : on avoit raison de ne pas exposer à la boue & à la poudre, les étoffes précieuses dont les lits de table étoient couverts. On présentoit de l'eau pour les mains, & même pour les piés, à ceux qui ne sortoient pas du bain.

Quant aux ombres & aux parasites qui venoient aux repas, ceux-ci appellés ou tolérés par le maître de la maison, & ceux-là amenés par les convives, voyez -en l'article au mot OMBRE & PARASITE.

Une chose qui paroîtra même ici fort bizarre, c'est que long-tems après le siecle d'Auguste, ce n'étoit point encore la mode que l'on fournît des serviettes aux conviés ; ils en apportoient de chez eux.

Tout le monde ainsi rangé, on ôtoit de dessus le buffet où étoient les vases plus ou moins précieux, on ôtoit, dis-je, des coupes qu'on plaçoit devant chaque convive. On faisoit présenter à chacun des couronnes de fleurs ou de lierre, auxquelles on se plaisoit d'attribuer la propriété d'empêcher par leur fraîcheur, l'effet des fumées du vin. Après s'être fait frotter les cheveux d'essences odorantes, ils mettoient ces couronnes sur leur tête, & les gardoient pendant tout le repas. On leur donnoit en même tems une liste de tous les services & de tous les mêts qui devoient composer le festin.

On servoit ensuite les viandes, non pas toujours chaque plat séparément ; mais souvent plusieurs plats ensemble sur une table portative.

Leurs soupers étoient pour l'ordinaire à trois services ; mais quelquefois par un surcroît de bonne chere & de magnificence, on les augmentoit jusqu'à sept. On commençoit d'abord par des oeufs, c'étoit un des mêts du premier service ; on y servoit aussi des salades de laitues & d'olives, des huitres du lac Lucrin si renommé chez eux pour la bonté de ce coquillage, & d'autres choses pareilles qui pouvoient exciter l'appétit.

Le second service étoit composé du rôti & des viandes les plus solides, parmi lesquelles on entremêloit quelques plats de poisson, dont ils étoient si grands amateurs, que sans ce mets on n'auroit pas cru faire bonne chere.

Le troisieme service consistoit en pâtisserie, & en fruits de toute espece ; rien n'étoit plus magnifique.

On attendoit ce dernier service pour faire les dernieres libations. Ces libations consistoient à répandre avant que de boire, un peu de vin de la coupe en l'honneur de quelque divinité, ou même de l'empereur, pour se montrer bon courtisan, quand la république fut assujettie ; ou en celui du génie de la personne à qui on vouloit déférer cette distinction : c'étoit le tems du repas où la gaieté des conviés paroissoit davantage.

On commençoit à faire courir les santés ; le maître de la maison faisoit apporter une coupe plus grande & plus riche que les autres, qu'on appelloit cupa magistra, la principale coupe, pour boire à la ronde les santés des personnes qu'on chérissoit. Quand c'étoit celle d'une maîtresse, souvent par galanterie on obligeoit de boire autant de coups que son nom avoit de lettres. On élisoit souvent un roi du festin. Voyez ROI DU FESTIN.

Il y avoit des domestiques dont la fonction étoit de présider à l'arrangement des plats, & qui tenoient lieu de nos maîtres d'hôtel ; d'autres pour avoir soin de la distribution des vins, & d'autres pour couper les viandes. Ils faisoient la fonction de nos écuyers tranchans : il y en avoit même qui pendant l'été ne faisoient que chasser les mouches avec de grands éventails de plumes garnis d'un manche, comme quelques bas-reliefs antiques nous les représentent.

On se lavoit quelquefois les mains aussi souvent que les services vatioient ; si on servoit un poisson ou un oiseau de quelque prix & de quelque rareté singuliere, on l'apportoit aux sons des flûtes & des hautbois ; l'allegresse redoubloit, ainsi que le vin de Falerne qu'on faisoit rafraîchir dans des vases d'or, & le maître du festin se croyoit amplement récompensé par les acclamations de toute l'assemblée.

La bonne chere n'étoit pas le seul plaisir des soupers, la musique en faisoit souvent partie ; on y admettoit des chanteuses & des joueurs d'instrumens ; ou bien les conviés eux-mêmes y suppléoient ; on y appelloit aussi des danseuses, des mimes, des pantomimes, qui faisoient des scenes muettes, & d'autres sortes de gens dont le métier étoit de débiter des contes plaisans pour amuser la compagnie ; on y lisoit souvent des ouvrages d'esprit : enfin on tâchoit de rassembler tout ce qui pouvoit divertir & flater les sens.

Au commencement de la république, les Romains chantoient dans leurs repas, les louanges des grands hommes au son de la flûte ; mais dans la suite, il ne se donnoit point de fête à laquelle les bouffons, les joueuses d'instrumens & les pantomimes, ne fussent appellés. On mêloit quelquefois aux plaisirs de la table le jeu, ou quelqu'autre divertissement plus barbare ; j'entens les gladiateurs samnites. Voyez SAMNITES.

Je viens de dire que les pantomimes paroissoient toujours à la fin des grands repas, & je ne dois pas oublier pour preuve, ce qui arriva dans un souper que donnoit l'empereur Auguste. On avoit beaucoup loué le pantomime Pylade, qui avoit représenté les fureurs d'Hercule sur le théâtre public. Auguste voulut donner ce régal à sa compagnie : il fait venir Pylade, & lui dit de jouer la même piece dont il avoit reçu tant d'applaudissemens. Pylade qui, dans l'excès de sa fureur avoit tiré des fleches sur le peuple, commençoit déjà à en faire autant sur les conviés, & si on ne l'eût arrêté, il auroit sans-doute ensanglanté la scene ; il est même à croire que ceux sur qui ces fleches seroient tombées, n'étoient pas les personnes qu'il respectoit davantage.

Suétone nous a conservé trois lettres du même empereur, où il est parlé de plaisirs plus tranquilles. Les deux premieres sont à Tibere, à qui il rend compte de ce qui s'est passé dans deux soupers. " J'ai soupé, dit-il, avec les mêmes personnes que vous savez, excepté que nous avions de plus Vinicius & Sibius le pere ; & en soupant, tant hier qu'aujourd'hui, nous avons joué assez sagement & en bons vieillards ; . Talis enim jactatis ut quisque canem aut senionem miserat, in singulos talos singulos denarios in medium conferebat, quos tollebat universos qui venerem jecerat. Dans la seconde lettre ; nous nous sommes, dit-il, assez bien réjouis pendant les fêtes de Minerve. Non-seulement nous avons joué pendant le souper, mais encore nous avons mis tout le monde en humeur de jouer : Forum aleatorium calefecimus, frater tuus magnis clamoribus rem gessit. ".

Dans la troisieme lettre, il mande à sa fille qu'il lui envoye 250 deniers, parce qu'il avoit donné pareille somme à chacun de ses convives pour jouer à pair & à non, aux dez ou à tel autre jeu qu'ils voudroient, pendant le souper.

Plaute, Catulle & Properce, parlent des divers jeux de table à - peu - près dans les mêmes termes. Mais ce que Pline écrit à Cornelien, l. VI. Ep. xxxij. marque encore plus positivement la coutume de son tems. Après avoir rendu compte à son ami des affaires que Trajan avoit terminées à Cincelles, centumcellis ; il ajoute, vous voyez que nos journées ont été assez bien remplies : mais nos occupations ne finissoient pas moins bien. Nous avions l'honneur de souper tous les jours avec l'empereur ; le repas étoit fort frugal, eu égard à la dignité de celui qui le donnoit. La soirée se passoit quelquefois à entendre des comédies ou des farces ; quelquefois aussi une conversation enjouée nous tenoit lieu d'un plaisir qui auroit couté plus cher, mais qui ne nous auroit peut-être pas touché davantage. Vides quam honesti, quam severi dies fuerint, quos jucundissimae remissiones sequebantur. Adhibebantur quotidiè coenae, erat modica si principem cogites. Interdum acroamata audiebamus, interdum jucundissimis sermonibus nox ducebatur.

Le dernier acte des soupers voluptueux, étoit une nouvelle collation qui succédoit aux jeux & aux autres amusemens. Cette collation s'appelloit chez les Romains commissatio ou commessatio, du mot grec , dit Varron, parce que les anciens Romains qui habitoient plus volontiers la campagne que la ville, se régaloient à tour de rôle, & soupoient ainsi tantôt dans un village, & tantôt dans un autre. Quelquefois même, quand on avoit soupé trop modestement dans un endroit, après quelques tours de promenade, on se retrouvoit dans un autre pour cette sorte de réveillon.

Démétrius, fils du dernier Philippe, roi de Macédoine, ayant vaincu Persée son frere dans une espece de joute ou de tournois : Persée ne l'avoit pas pardonné à Démétrius. Mais celui-ci après avoir bien soupé avec ceux de sa quadrille, leur dit, que n'allons nous faire le réveillon chez mon frere ? quin commessatum ad fratrem imus ? ce sera peut - être un moyen de nous réconcilier.

Suétone nous apprend, que Titus poussoit le régal du souper assez souvent jusqu'à minuit, au lieu que Domitien son frere demeuroit rarement à table, après le coucher du soleil.

Mais à quelque heure qu'on se séparât, on finissoit toujours le souper par des libations aux dieux. On le commençoit par un coup de vin grec ; César qui étoit magnifique faisoit servir jusque dans les festins qu'il donnoit au peuple, quatre sortes de vins ; savoir, de Chio, de Lesbos, de Falerne, & le Mammertin. Virgile parle des libations aux dieux faites à la fin du repas que Didon donna à Enée.

Postquam prima quies epulis, mensaeque remotae,

Crateras magnos statuunt, & vina coronant....

Hîc regina gravem gemmis auroque poposcit,

Implevitque mero pateram....

Tum facta silentia tectis.

Jupiter (hospitibus nam te dare jura loquuntur)

Dixit, & in mensâ laticum libavit honorem :

Primaque libatum summo tenus attigit ore :

Tum Bitiae dedit increpitans....

Post alii proceres, &c.

Aeneid. I. v. 727.

" Vers la fin du repas, on apporta de grandes coupes ; la reine en demanda une d'or, enrichie de pierreries, & répandit du vin sur la table. On fit silence, & après qu'elle eût adressé sa priere à Jupiter, & qu'elle eût fini la libation sacrée, elle trempa légerement ses levres dans la coupe, la donna à Bitias qui avala sur le champ la liqueur mousseuse, & tous les autres seigneurs l'imiterent. "

Après les effusions sacrées, on bûvoit à la prospérité de son hôte, & à celle de l'empereur. Ce dernier coup s'appelloit poculum boni genii, & se faisoit avec le cri ; après cela on relavoit les mains avec une espece de pâte faite exprès.

Enfin les conviés en prenant congé de leur hôte, recevoient de lui de petits présens qui d'un mot grec étoient appellés apophoreta du verbe , emporter ; ainsi finissoit la journée romaine.

Il ne me reste plus qu'à expliquer quelques termes qu'on trouve souvent dans les auteurs latins, & qui peuvent embarrasser ceux qui commencent à les lire ; par exemple.

Coena recta, désigne un souper splendide que les grands de Rome donnoient à leurs amis, & aux cliens qui leur avoient fait cortege dans leurs visites & dans la poursuite des charges. Ceux qui vouloient éviter cet embarras, leur distribuoient des provisions de bouche, & cette distribution s'appelloit sportula. Domitien la retrancha, & rétablit le repas appellé coena recta, comme Suétone nous l'apprend : sportulas, dit-il, publicas sustulit, revocatâ coenarum rectarum consuetudine.

Coena dapsilis, un festin abondant en viandes, soit que ce mot vienne de dapes, qui signifie des viandes exquises, ou du grec , abondance de toutes choses.

Coena acroamatica, du mot grec , qui signifie des conversations plaisantes & agréables. C'est un souper où l'on dit quantité de bons mots pour se divertir.

Il y avoit de plus coena adventitia, intervallata, novemdialis, & duodenaria, appellée en grec , parce que les conviés étoient au nombre de douze, habillés en dieux & en déesses.

Enfin, il y avoit un souper pontifical, que le souverain prêtre donnoit le jour de son inauguration.

Abacus étoit le buffet sur lequel on mettoit les verres, le dessert, &c.

Urnarium, étoit une table quarrée sur laquelle on posoit les vases, les flacons, les bassins, &c.

Cartibulum, signifie la table sur laquelle on découpoit les viandes qu'on servoit ensuite aux conviés.

Antecoena ou gustatio, désignoit le premier service ou les entrées. Le second s'appelloit caput coenae, & le troisieme ou le dessert, se nommoit bellaria. Auguste n'avoit ordinairement que ces trois services, coenam ternis ferculis praebebat, dit Suétone.

A-l'entour de la grande table des conviés, il y avoit une espece de marche-pié un peu élevé, sur lequel étoient assis les enfans d'un certain âge qui soupoient avec la compagnie. Suétone nous dit dans la vie de l'empereur Claude, ch. xxxij. Adhibebat omni coenae liberos suos cum pueris, puellisque nobilibus, qui more veteri ad fulcra lectorum sedentes, vescerentur. (D.J.)

SOUPER ; (Hist. des usag. de France) on soupe dans ce siecle à dix heures à la cour, & dans les grandes maisons de Paris ; dans le quinzieme siecle, & même sous la minorité de Charles IX, c'étoit l'usage à la cour de France de souper à six heures du soir, & de dîner à onze du matin. Il n'étoit que 8 heures quand le duc d'Orléans fut assassiné le 23 Novembre 1407. & cependant à cette heure, il avoit déja soupé avec la reine ; c'est qu'alors les princes, ainsi que les bourgeois, n'aimoient point à se déheurer, pour me servir de l'expression du cardinal de Retz. (D.J.)


SOUPHRIERELA, (Géog. mod.) montagne de l'Amérique septentrionale, dans l'île de la Guadaloupe. C'est une des plus hautes montagnes de l'île, qui vomit presque toujours du souphre, des cendres & des pierres brûlées, quoiqu'il fasse un froid continuel sur son sommet ; mais le milieu & le bas de cette montagne, sont couverts d'une agréable verdure, & arrosés d'une infinité de ruisseaux. (D.J.)


SOUPIERS. m. (terme de Carrier) c'est une espece de banc ou de lit de pierre, qui ne se trouve que dans les carrieres de S. Maur, village à deux lieues de Paris, & qui y tient lieu de ce qu'on appelle le souchet dans les autres carrieres ; avec cette différence que du soupier, il se tire d'excellens moillons, & que le souchet n'est souvent qu'un amas de gravois & de terre, sur lesquels est posé le grand banc. (D.J.)


SOUPIRSANGLOT, GÉMISSEMENT, CRI PLAINTIF, (Synonymes) tous ces mots peignent les accens de la douleur de l'ame ; en voici la différence selon l'explication physiologique donnée par l'auteur de l'histoire naturelle de l'homme.

Lorsqu'on vient à penser tout-à-coup à quelque chose qu'on desire ardemment, ou qu'on regrette vivement, on ressent un tressaillement ou serrement intérieur ; ce mouvement du diaphragme agit sur les poumons, les éleve, & y occasionne une inspiration vive & promte qui forme le soupir ; lorsque l'ame a réfléchi sur la cause de son émotion, & qu'elle ne voit aucun moyen de remplir son desir, ou de faire cesser ses regrets, les soupirs se répetent ; la tristesse qui est la douleur de l'ame, succede à ses premiers mouvemens.

Lorsque cette douleur de l'ame est profonde & subite, elle fait couler les pleurs ; si l'air entre dans la poitrine par secousses, il se fait plusieurs inspirations réitérées par une espece de secousse involontaire ; chaque inspiration fait un bruit plus fort que celui du soupir, c'est ce qu'on appelle sanglots. Les sanglots se succedent plus rapidement que les soupirs, & le son de la voix se fait entendre un peu dans le sanglot.

Les accens en sont encore plus marqués dans le gémissement. C'est une espece de sanglot continué, dont le son lent se fait entendre dans l'inspiration, & dans l'expiration ; son expression consiste dans la continuation & la durée d'un ton plaintif, formé par des sons inarticulés : ces sons du gémissement sont plus ou moins longs, suivant le degré de tristesse, d'affliction, & d'abattement qui les cause, mais ils sont toujours répétés plusieurs fois ; le tems de l'inspiration est celui de l'intervalle du silence, qui est entre les gémissemens, & ordinairement ces intervalles sont égaux pour la durée, & pour la distance.

Le cri plaintif est un gémissement exprimé avec force & à haute voix ; quelquefois ce cri se soutient dans toute son étendue sur le même ton, c'est sur-tout lorsqu'il est fort élevé & très-aigu ; quelquefois aussi il finit par un ton plus bas ; c'est ordinairement lorsque la force du cri est modérée. (D.J.)

SOUPIR, s. m. en Musique, est un caractere qui se fait ainsi , & qui marque un silence, dont le tems doit être égal à celui d'une noire ou de la moitié d'une blanche. Voyez SILENCES, VALEUR DES NOTES, &c. (S)


SOUPIRAILS. m. (Archit.) ouverture en glacis entre deux jouées rampantes, pour donner de l'air & un peu de jour, à une cave, à un cellier, à un aquéduc. Le glacis d'un soupirail doit ramper de telle sorte, que le soleil ne puisse jamais y entrer. (D.J.)

SOUPIRAIL d'aquéduc, (Archit. hydraul.) on appelle ainsi une certaine ouverture en abajour, dans un certain aquéduc couvert, ou à plomb, dans un aquéduc souterrein, laquelle se fait d'espace en espace, pour donner échappée aux vents qui, étant renfermés, empêcheroient le cours de l'eau. (D.J.)


SOUPIRER(Lang. franç.) Malherbe, Gombaut, Sarrasin, Despréaux & autres poëtes, ont employé ce mot dans une signification active, pour signifier produire au dehors.

Tantôt vous soupiriez mes peines,

Tantôt vous chantiez mes plaisirs.

Malh.

Mille esprits abusés en leur sujétion

Vont soupirer leur flâme éloquente & muette.

Gomb.

Tout dort dans la nature, & Daphnis seulement,

Privé de ce repos, soupire son tourment.

Sarrasin.

Ce n'étoit pas jadis sur ce ton ridicule

Qu'amour dictoit les vers que soupiroit Tibulle.

Despréaux.

Soupirer dans le sens de desirer passionnément, rechercher avec ardeur, se met avec la préposition après & pour. Je soupire après ma délivrance ; comme la biche soupire après le courant des eaux, ainsi mon ame soupire après vous, ô mon Dieu. Port royal. C'est une chimere que de soupirer pour des richesses qui ne sont point le prix de la vertu, & qu'on n'emporte point dans la tombe. (D.J.)


SOUPLEadj. (Gram.) maniable, flexible, qui cede facilement sous l'action des doigts, & qui n'y excite aucune sensation de roideur & de résistance. On rend les peaux souples en les maniant ; les jeunes branches des arbres sont souples ; les ressorts minces sont souples : on dit au figuré, un caractere souple, un esprit souple, une humeur souple. Celui qui a de la souplesse se plie facilement à tout ce que les circonstances existent, & s'avancera rapidement.

SOUPLE, (Maréchal.) un cheval souple, est celui qui a les mouvemens lians & vifs.


SOUPLESSES. f. (Gram.) qualité qui fait appeller souple. Voyez SOUPLE.


SOUPROSE(Géog. mod.) bourg, que nos auteurs qualifient de ville de France, en Gascogne, au diocèse d'Acqs, à demi-lieue de la riviere d'Adour, & dans un endroit marécageux. (D.J.)


SOUQUENILLES. f. terme de Tailleur ; espece de vêtement de toile que les cochers & les palefreniers mettent pour conserver leurs habits en pansant leurs chevaux.


SOUR(Géog. mod.) ville ruinée de la Turquie asiatique, dans la Syrie, sur le bord de la mer ; les tables arabiques la placent dans le troisieme climat, sous le 68 degré 30 minutes de longitude, & sous le 32 degré 40 minutes de latitude septentrionale.

Cette place n'est autre chose que les ruines de la fameuse Tyr ; le sultan des Mammelucs d'Egypte l'ayant prise en 1291 sur les Francs, la démolit de fond en comble. La mer bat jusques dans ses ruines. Son port est rempli d'écueils, de sable, & de roches. On ne trouve dans toute la campagne voisine que quelques cabanes de pêcheurs maures. (D.J.)


SOURBASSISS. f. (Soierie) ce sont les soies de Perse les plus fines, & de la meilleure qualité, de toutes celles que l'on tire du Levant. Il y en a de blanches & de jaunes, mais toutes ordinairement grêzes & en matasses. Leur pliage est en masse, & chaque balle contient cent vingt masses. Le plus grand commerce s'en fait à Smyrne, où elles sont apportées de Perse par caravanes. On en tire aussi d'Alep, & de quelques autres échelles du Levant. Il en vient encore une assez grande quantité par le retour des vaisseaux, que les nations d'Europe envoyent dans le golfe persique. Diction. de comm. (D.J.)


SOURCES. f. (Physique) est une eau qui sort de la terre en plus ou moins grande quantité, & qui forme les puits, les fontaines, les rivieres. Voyez FONTAINE, FLEUVE, &c.

SOURCES, (Archit. Hydraul.) ce sont plusieurs rigoles de plomb, de rocaille ou de marbre, qui sont bordées de mousse ou de gazon, & qui par leurs sinuosités & détours, forment dans un bosquet planté sans symmétrie, sur un terrein en pente, une espece de labyrinthe d'eau, ayant quelques jets aux endroits où elles se croisent. Il y a de ces sortes de sources au jardin de Trianon. Daviler. (D.J.)


SOURCICLEvoyez ROITELET HUPE.


SOURCILIEREadj. en Anatomie, parties relatives aux sourcils. Voyez SOURCILS.

Arcades sourcilieres du coronal ; tubérosités sourcilieres du coronal, voyez CORONAL.

Trou sourcilier, voyez TROU.

Le muscle sourcilier vient de la racine du nez qui se termine obliquement dans la peau vers le milieu du sourcil.

Quelques-uns regardent ce muscle seulement comme une portion des frontaux.


SOURCROUTEvoyez SAUER-KRAUT.


SOURDadj. celui qui ne jouit pas de la faculté d'entendre les bruits, les sons. Voyez l'article SURDITE.

SOURD, (Critique sacrée) celui qui est privé de l'ouïe ; l'Evangile rapporte les guérisons miraculeuses que J. C. opéra sur des sourds, Marc. vij. 37. mais sourd est aussi pris dans l'Ecriture métaphoriquement pour un sourd spirituel, Isaïe, xxix. 18. & pour celui qui n'est pas présent. Non maledices surdo. Levit. xix. 14. Vous ne calomnierez point celui qui est absent. (D.J.)

SOURD, adj. en terme d'Arithmétique, signifie un nombre qui ne peut être exprimé, ou bien un nombre qui n'a point de mesure commune avec l'unité. Voyez NOMBRE.

C'est ce qu'on appelle autrement nombre irrationel ou incommensurable. Voyez IRRATIONEL & INCOMMENSURABLE.

Quand il s'agit d'extraire la racine proposée d'un nombre ou d'une quantité quelconque, si cette quantité n'est pas une puissance parfaite de la racine que l'on demande, c'est-à-dire, si l'on demande une racine quarrée, & que la quantité proposée ne soit pas un vrai quarré ; si c'est une racine cube, & que la quantité ne soit pas un vrai cube, &c. alors il est impossible d'assigner en nombres entiers ou en fractions, la racine exacte de ce nombre proposé. Voyez RACINE, QUARRE, &c.

Quand cela arrive, les mathématiciens ont coutume de marquer la racine demandée de ces nombres ou quantités, en les faisant précéder du signe radical : ainsi signifie la racine quarrée de 2 ; & ou 16 signifie la racine cubique de 16. Ces racines sont appellées proprement des racines sourdes, à cause qu'il est impossible de les exprimer en nombres exactement, car l'on ne sauroit assigner de nombre entier ou fractionnaire, lequel multiplié par lui-même produise 2 ; ou bien un nombre, lequel multiplié cubiquement puisse jamais produire 16.

Il y a aussi un autre moyen fort en usage aujourd'hui d'exprimer les racines, sans se servir des signes radicaux ; on a recours aux exposans. Ainsi, comme x2, x3, x5, &c. signifient le quarré, le cube, & la cinquieme puissance de x ; de même aussi x1/2, x1/3, x1/5 signifient la racine quarrée, cube, &c. de x.

La raison en est assez évidente ; car puisque est un moyen proportionnel géométrique entre 1 & x, pareillement 1/2 est un moyen proportionnel arithmétique entre 0 & 1 ; c'est pourquoi, comme 2 est l'exposant du quarré de x, 1/2 sera l'exposant de sa racine quarrée, &c. Voyez EXPOSANT.

Observez aussi que pour la commodité & pour abréger, on donne souvent aux nombres rationnels la forme des membres sourds. Ainsi, , , &c. signifient 2, 3/2, 3, &c.

Mais quoique ces racines sourdes, quand elles le sont véritablement, soient inexprimables en nombres, elles sont néanmoins susceptibles des opérations arithmétiques, telles que l'addition, la soustraction, la multiplication, &c. Un algébriste ne doit pas ignorer avec quelle facilité on peut les soumettre à ces opérations.

Les quantités sourdes sont simples ou composées.

Les simples sont exprimées par un seul terme, comme .

Les composées sont formées par l'addition ou la soustraction des simples irrationels : comme + : - , ou . ; cette derniere signifie la racine cubique de ce nombre, qui est le résultat de l'addition de 7 à la racine quarrée de 2.

Reduire les quantités rationelles à la forme de racines sourdes quelconques proposées. Elevez la quantité rationelle au degré marqué par l'exposant de la puissance de l'irrationelle ou sourde, & ensuite mettez au-devant le signe radical de la quantité sourde proposée. Ainsi, pour reduire a = 10 à la forme de = b, quarrez a = 10 ; & le faisant précéder du signe radical, on aura de cette maniere = , qui est la forme de la quantité sourde demandée.

De même s'il falloit donner à 3 la forme de ; il faudroit élever 3 à sa quatrieme puissance, & mettant au-devant le signe radical, on auroit ou , qui a la même forme que .

Et par ce moyen, une simple fraction sourde, dont le signe radical n'affecte que l'un de ses termes, peut être changée en un autre, dont le numérateur & le dénominateur soient affectés du signe radical. Ainsi, se reduit à & revient à , où le signe radical affecte le numérateur & le dénominateur.

Reduire les irrationels simples, qui ont des signes radicaux différens, & que l'on appelle irrationels hétérogenes, à d'autres qui peuvent avoir un signe radical commun, ou qui sont homogenes. Multipliez les exposans l'un par l'autre, & élevez mutuellement la puissance de l'un au degré de l'exposant de l'autre : ainsi pour reduire & à un signe radical commun ; multipliez l'exposant 2 du radical par l'exposant 4 du radical , & élevez en même tems la puissance aa du radical au quatrieme degré, & vous aurez = : pareillement multipliant l'exposant 4 du radical par l'exposant 2 du radical , vous éleverez la puissance bb du radical au second degré, ce qui donnera ; ainsi & se trouvent transformés en & qui ont un signe radical commun.

Pour reduire les irrationels aux plus petits termes possibles, divisez la quantité sourde par quelqu'une des puissances des nombres naturels 1, 2, 3, 4, &c. de même degré que l'exposant du radical, pourvu que cela puisse se faire sans aucun reste, en employant toujours la plus haute puissance possible : mettez ensuite la racine de cette puissance au-devant du quotient ou de l'irrationel ainsi divisé, vous aurez une nouvelle quantité sourde, de même valeur que la premiere ; mais en termes plus simples. Ainsi , en divisant par 16 aa, & faisant précéder la racine 4 a, sera reduite à celle-ci 4a ; & s'abaissera à 2. de même s'abaisse à b.

Cette réduction est d'un grand usage par-tout où l'on peut la faire : mais si on ne peut pas trouver, pour un diviseur, des quarrés, des cubes, des quarrés quarrés, cherchez tous les diviseurs de la puissance de l'irrationelle proposée, & voyez ensuite si quelqu'un d'eux est un quarré, un cube, &c. ou une puissance telle que le signe radical l'indique : si l'on en peut trouver quelqu'un, que l'on s'en serve de la même maniere que ci-dessus, pour dégager en partie du signe radical la quantité irrationelle : si l'on propose, par exemple, la quantité ; parmi ses diviseurs on trouvera 4, 9, 16, 36 & 144 ; par lesquels divisant 288, on a les quotiens 72, 32, 18, 8, & 2 ; c'est pourquoi au lieu de , on peut mettre 2, ou 3, ou 4, ou 6, ou enfin 12 ; & l'on peut faire la même chose en algebre ; mais pour connoître le calcul entier des irrationels, voyez l'algebre de Kersey & un grand nombre d'autres ouvrages sur le même sujet. Chambers. (E)

SOURD, on donne ce nom dans différentes provinces de France à la salamandre terrestre. Voyez SALAMANDRE.

SOURD, couteau, terme de Corroyeur ; un couteau sourd, est une espece de plane qui n'est pas extrêmement tranchant, qui leur sert à préparer leurs cuirs. (D.J.)

SOURD, (Joaillerie) les Joailliers disent qu'une pierre est sourde, qu'elle a quelque chose de sourd, quand elle n'a pas tout le brillant & tout l'éclat que les pierres d'une semblable espece doivent avoir pour qu'elles soient parfaites. Les pailles & les glaces, qui sont de grands défauts dans les pierres précieuses, & un certain oeil sombre, obscur & brouillé que d'autres ont quelquefois, sont proprement le sourd de la joaillerie. (D.J.)


SOURDECOUCHE, (Jardinage) V. COUCHE.

SOURDE lime, s. f. (terme de Serrurier) on appelle lime sourde, celle qui ne fait point de bruit. Elle est toute enveloppée de plomb, & le manche même, desorte qu'il n'y a que la partie qui lime qui soit découverte. Elle sert à couper sans bruit les plus grosses barres de fer, pourvu qu'on les enveloppe aussi de plomb, n'y laissant rien de découvert que pour le jeu de la lime. Le plomb, qui est fort doux, empêche le trémoussement des parties du fer qui cause le bruit, de même que la main, quand on la met sur une cloche qu'on frappe. (D.J.)


SOURDELINES. f. (Musiq. instrum.) instrument de musique à vent ; c'est une espece de musette, qu'on appelle aussi sampogne, & qui étoit autrefois d'usage en Italie. Elle est différente de nos musettes, en ce qu'elle a quatre chalumeaux avec plusieurs trous garnis de boëtes, qui servent à les ouvrir & fermer, & qui s'avancent ou se reculent par le moyen de petits ressorts. On a attribué l'invention de la sourdeline à Jean-Baptiste Riva, à dom Julio & à Vincenze. (D.J.)


SOURDINES. f. (Fortification) bruit sourd qu'on fait faire à une trompette pour qu'il s'étende moins loin. On se sert pour cet effet d'un morceau de bois qu'on introduit dans l'ouverture de la trompette ; il est percé tout du long ; il sert à rétrécir l'ouverture de cet instrument, ce qui en étouffe le son. Voyez TROMPETTE. (Q)

SOURDINE, s. f. (Horlogerie) c'est une piece de la cadrature d'une montre à répétition, voyez SX fig. & Planches de l'Horlogerie, disposée de façon que poussant en-dedans la partie X, les tiges des marteaux frappent contre les extrêmités tt de cette piece, desorte qu'alors les marteaux ne frappant plus ni sur le timbre ni sur la boëte, on n'entend point sonner la répétition, & l'on n'apprend l'heure que par le tact, ce qui a fait donner à cette piece le nom de sourdine. Les sourdines ont été inventées principalement pour les répétitions à timbre.

Sourdine se dit encore d'un petit bouton situé à la lunette d'une montre à répétition, & qui répond à la partie X de la sourdine, de façon qu'en appuyant sur ce bouton, c'est la même chose que si l'on le faisoit sur la partie X, au moyen de quoi les coups des marteaux sont transmis de même au-dehors : quelquefois cette derniere sourdine est située à la cuvette, alors elle répond directement au marteau qui vient frapper dessus.

SOURDINE, (Lutherie) sorte de violon qui n'a qu'une table, lequel fait très-peu de bruit, d'où lui vient son nom. Voyez VIOLON & la figure de cet instrument, qui est représenté par sa partie postérieure, (l'antérieure étant semblable à celle du violon) pour faire voir comment le talon du manche est articulé avec la barre a b qui sert de contre-table & d'ame. Voyez les fig. & les Pl. de Lutherie.

Une autre fig. représente cet instrument vu par la partie antérieure.

On donne encore le nom de sourdine à la petite plaque d'argent qu'on applique au chevalet d'un instrument à corde pour en éteindre le son.


SOURDONS. m. (Conchyliolog.) sur les côtes de Poitou & d'Aunis, on nomme sourdon un coquillage dont la coquille est à deux battans & fort convexe ; sa longueur n'a qu'environ 14 lignes, & sa largeur 9 ou 10 lignes ; c'est une espece de peigne. Voyez PEIGNE, Conchyl.

La surface extérieure de cette coquille est ornée de cannelures assez larges, à côtes arrondies, qui partent toutes du sommet ; la plus grande partie de ces cannelures vont en ligne droite à la base, & les autres en se recourbant un peu, vont se terminer audessus de la base ; la surface intérieure de cette coquille est presque toute polie, c'est-à-dire, qu'elle n'est cannelée que dans une bande d'environ une ligne de largeur, qui regne tout-autour du bord de la coquille, qui est blanche, sur-tout intérieurement, car extérieurement elle est quelquefois d'un blanc sale. Elle est peu épaisse, dentelée dans ses bords comme les dents d'une scie.

L'animal est aussi de couleur blanchâtre, quelquefois variée de rouge, de violet, de brun & de jaune ; deux muscles qui sortent de son corps vers la charniere l'attachent fortement à ses deux valves. Il se tient dans le sable, mais peu enfoncé ; aussi les tuyaux dont il se sert pour attirer & jetter l'eau sont - ils très-courts, car le plus long & le plus gros, qui est le plus éloigné du sommet de la coquille, ne s'étend guere à plus d'une ligne de son bord. Ces tuyaux sont non-seulement découpés en frange, comme ceux des palourdes autour de leurs ouvertures, mais ils ont encore quelques especes de poils au-dessous de cette même ouverture.

Quoique les sourdons s'enfoncent peu avant dans le sable, ils en sont pourtant couverts entierement. On connoît néanmoins les endroits où ils sont lorsque la mer a abandonné ce terrein pendant son reflux, par les trous qui paroissent au-dessus d'eux, & mieux encore par plusieurs petits jets d'eau ; car ils poussent l'eau quelquefois à plus de deux piés de haut.

Ce coquillage exécute ses mouvemens progressifs par le moyen d'une plaque ou pié fait en forme de croissant par le bout. Cette partie molle a fort l'air d'un pié-bot. M. de Réaumur vous expliquera le méchanisme qui facilite la marche du sourdon, dans les mémoires de l'acad. des Sciences, année 1710. page 455. avec les figures. (D.J.)


SOURDREv. neut. sortir, jaillir, s'écouler. Il se dit des eaux, des ruisseaux, des fontaines.

SOURDRE, (Marine) On se sert de ce terme pour exprimer la sortie d'un nuage de l'horison, en s'avançant vers le zénith.

SOURDRE AU VENT, (Marine) c'est tenir le vent, & avancer au plus près.


SOURE(Géog. mod.) ou Rio di Soure, petite ville de Portugal dans l'Estramadure, sur une riviere de même nom, à cinq lieues de Coïmbre, & à six de Leyra. Cette ville n'a qu'une paroisse, quatre à cinq cent habitans, & quelques couvens de religieux. Long. 9. 9. lat. 40. 5.

SOURE, la, (Géog. mod.) nom d'une riviere des Pays-Bas, & d'une riviere d'Alsace. La premiere est dans le Luxembourg, & se joint à la Moselle entre Trèves & Grevemacheren. La seconde prend sa source aux monts de Vosge, arrose Saverne, & se jette dans le Mottern.

SOURE, Rio de, (Géog. mod.) anciennement Ancus, riviere de Portugal dans l'Estramadure. Elle sort du mont Sierra de Ancaon, & se perd dans le Mondégo. (D.J.)


SOURICIEREen terme de Layetier, c'est une boëte ou un piege où les souris se prennent sans pouvoir en sortir. Il y en a à bascule, de natte, & à panier. Voyez chacun de ces termes.

SOURICIERE A BASCULE chez les Layetiers, est un petit coffre quarré fermé de tous côtés, excepté par un bout, qui est comme une espece de trape qui s'éleve par le moyen d'une bascule dont il est garni, & qui est retenue très-foiblement par un crochet qui répond à l'appât qu'on a eu soin de suspendre dans la souriciere ; ensorte que quand l'animal vient pour y mordre, la bascule tombe & l'enferme.

SOURICIERE A NATTE, c'est en Layeterie un petit coffre sur lequel est un panier de fil de fer dont l'ouverture va toujours en diminuant, & se termine par des pointes qui empêchent l'animal de sortir.

SOURICIERE A PANIER, c'est chez les Layetiers une simple planche garnie d'un panier comme la souriciere à natte. Voyez SOURICIERE A NATTE.


SOURIQUOISLES, (Géogr. mod.) peuples de l'Amérique septentrionale dans la nouvelle France, où ils habitent l'Acadie. Ils vivent de poisson en été, & de venaison en hiver. Ils obéissent à des chefs qu'ils nomment sagamos, & n'ont nulle forme de religion. (D.J.)


SOURISS. f. (Hist. nat. Zoologie) mus minor ; animal quadrupede qui a environ trois pouces & demi de longueur depuis le bout du museau jusqu'à la queue ; qui est longue de trois pouces un quart. La souris ne differe du rat qu'en ce qu'elle est plus petite, qu'elle a la queue plus velue, & le poil plus court & plus doux, de couleur mêlée de jaunâtre & de cendré noirâtre sur le dessus du corps ; le dessous & les quatre jambes sont de couleur jaunâtre ; avec quelques teintes de cendré : ces couleurs varient ; & il y a des souris entierement blanches. Ces animaux produisent dans toutes les saisons, & plusieurs fois par an. Les portées ordinaires sont de cinq ou de six ; en moins de quinze jours les petits se dispersent & vont chercher à vivre ; aussi la durée de leur vie est fort courte. Tous les oiseaux de nuit, les chats, les fouines, les belettes, les rats même, leur font la guerre. L'espece des souris est généralement répandue en Europe, en Asie, & en Afrique ; on prétend que celles qui sont actuellement en grand nombre en Amérique, y ont été apportées de l'Europe. Il paroît qu'elles fuient les pays inhabités, & qu'elles suivent l'homme par l'appétit naturel qu'elles ont pour le pain, le fromage, le lard, l'huile, le beurre, & les autres alimens que l'homme prépare pour lui-même. Hist. nat. gen. & part. tom. VII. Voyez QUADRUPEDE.

SOURIS, (Mat. méd.) Les Pharmacologistes ont célébré comme médicamenteuses plusieurs parties & préparations de la souris, la chair, la peau, le sang, la cendre, & cela fort arbitrairement, à leur ordinaire.

La seule matiere fournie par la souris, qui a conservé jusqu'à présent le titre & l'emploi de médicament, c'est sa fiente, connue principalement chez les Pharmacologistes sous le nom de musurda, & encore sous le nom ridicule d'album nigrum, forgé apparemment en prenant pour un nom générique celui d'album, spécifié par l'épithete de graecum dans un des noms scientifiques ou mystérieux que porte la fiente de chien, voyez CHIEN, Mat. méd.

La fiente de souris est mise au rang des purgatifs par la plûpart des auteurs de matiere médicale, & par quelques-uns, même par Juncker, par exemple, au nombre des émétiques, mais véritablement des émétiques hors d'usage. Ettmuller dit qu'elle lâche admirablement & doucement le ventre. C'est dans quelques pays un remede de bonne femme pour purger les enfans : on leur en donne depuis le poids d'un grain jusqu'à deux en substance dans de la bouillie, ou celui de cinq ou six grains broyés avec du lait, qu'on passe ensuite à-travers d'un linge. La dose pour les enfans un peu plus forts, est de sept à huit grains. Sept à huit crotins de souris sont un puissant purgatif, même pour les adultes, & qui est spécialement recommandé pour ouvrir le ventre dans la passion iliaque. Ces usages n'étant point fondés sur des observations journalieres, peuvent être regardés comme suspects ; mais on peut employer la fiente de souris avec moins de circonspection dans les suppositoires & les lavemens irritans, où elle passe pour faire très-bien. Il est encore vraisemblable qu'elle est réellement détersive, résolutive & dessicative dans l'usage extérieur. (b)

SOURIS D'AMERIQUE, petit animal quadrupede. Il a environ trois pouces de longueur depuis le bout du museau jusqu'à la queue, qui est longue de trois pouces huit lignes. Le museau est un peu pointu ; les oreilles sont grandes & larges ; le poil est d'un bai-rouge clair. Regn. anim. p. 172.

SOURIS, s. f. (terme de Coëffeuse) les coëffeuses ont nommé souris, une fausse coëffe qu'elles mettent sous les deux autres lorsqu'on coëffe à trois rangs ; il n'y a que deux de ces coëffes qui soient complete s & ayent des barbes ; la troisieme n'est qu'une fausse coëffe sans fond, ni barbe ; c'est celle que les lingeres & coëffeuses appellent souris : elle a seulement quelques plis sur le front comme les autres, & ses deux bouts viennent se perdre sur les tempes sous la seconde coëffure. (D.J.)

SOURIS, gris de souris, (Maréchallerie) poil de cheval. C'est une nuance de poil gris, laquelle est de la couleur du poil d'une souris.

La souris est aussi un cartilage qui forme le devant des naseaux du cheval, & qui l'aide à s'ébrouer. Voyez EBROUER.

SOURIS, ou SOURIRE, s. m. (Physiolog.) c'est un ris léger ; il se fait lorsque dans les mouvemens de l'ame doux & tranquilles, les coins de la bouche s'éloignent un peu sans qu'elle s'ouvre, les joues se gonflent, & forment dans quelques personnes, par une espece de duplicature un léger enfoncement entre la bouche & les côtés du visage, que l'on appelle la fossette, qui produit un agrément dans les jolies personnes. Le souris est une marque de satisfaction intérieure, de bienveillance, d'applaudissement. Il est vrai que c'est aussi une façon d'exprimer le mépris, l'insulte & la moquerie ; mais dans un souris malin on serre davantage les levres l'une contre l'autre par un mouvement de la levre inférieure. Le souris d'approbation & d'intelligence est un des plus grands charmes de l'objet aimé, sur-tout quand ce charme vient d'un contentement qui a sa source dans le coeur. Enfin, il y a des souris d'assurance, d'admiration, de doute. Le souris d'Abraham, quand Dieu lui promit un fils, n'étoit pas un souris de doute, mais de satisfaction, d'admiration & de reconnoissance. (D.J.)


SOURSOMMEAU(terme de Bahutier) c'est le ballot qu'on met dans l'entre-bas sur les deux ballots qui composent la somme. La somme ordinaire est composée de deux ballots ou de deux paniers, mais fort souvent on ajoute le soursommeau, qui est un troisieme petit panier ou ballot que l'on met sur les deux autres dans l'entre-bas. (D.J.)


SOUS(Géog. mod.) nom commun à quelques villes. 1°. C'est un des noms de la célebre Suses, capitale de la Susiane. Voyez SUSES.

2°. Sous surnommée Alacsa, est une ville de Mauritanie, dans la partie la plus occidentale de l'Afrique, sur les bords de l'Océan atlantique, au pié du mont Atlas, sous le 15. 30. de longitude, & sous le 32. de latitude septentrionale, selon les tables arabiques de Nassir-Eddin & d'Ulugbeg.

3°. Sous ou Souis des Arabes, est la même ville d'Egypte que nous appellons ordinairement Suez, voyez SUEZ. (D.J.)


SOUS - AILESS. f. pl. (Archit.) bas côtés ou collatéraux d'une église.


SOUS - BARBE(Marine) Voyez PORTE-BOSSOIR.

SOUS-BARBES, (Marine) ce sont les plus courtes étances qui soutiennent le bout de l'étrave quand elle est sur le chantier.

SOUS-BARBE, (Manege) on appelloit ainsi la partie du cheval qui porte la gourmette. Voyez GOURMETTE.

SOUBARBE, (en terme d'Eperonnier) est une partie de la bride, de figure plate, droite d'un côté & taillée en coude de l'autre. Elle regne tout le long du coude, & se termine par un petit bouton nommé rouleau. Voyez ROULEAU, & les Planches & figures de l'Eperonnier.

SOUS-BARQUE, terme de Riviere, quatrieme tour de planches servant à la construction d'un bateau foncet ou quatrieme bord.


SOUS - TRIPLÉEadj. (Mathémat.) une raison sous-triplée est le rapport des racines cubiques. Voyez RAISON.


SOUS - VICAIRES. m. (Hist. ecclésiast.) prêtre qui partage les fonctions du vicaire. Voyez VICAIRE.


SOUS CAMÉRIERS. m. (Hist. mod.) celui qui est subordonné au camérier, & qui succede à ses fonctions. Voyez CAMERIER.


SOUS FERMIERS. m. (Financ.) celui qui tient une ferme ou une partie d'une ferme sous un autre.

On appelloit autrefois simplement sous-fermiers, ceux qui prenoient des sous-fermes sous les fermiers généraux de sa majesté : maintenant ils se donnent le titre d'intéressés dans les fermes du roi.


SOUS-AGES. m. (Gram. & Jurisp.) est l'âge de minorité qui est au-dessous de la majorité, qui est appellé dans quelques coutumes l'âge par excellence, comme étant l'âge parfait requis par la loi. Voyez AGE & AGE, MAJEUR, MAJORITE, MINEUR, MINORITE, EMANCIPATION, BENEFICE D'AGE. (A)


SOUS-AIDES. m. (Gram. & Jurisp.) est une aide ou prestation seigneuriale que les sous-tenans ou sujets médiats, & les arriere-vassaux doivent au seigneur duquel ils tiennent de nu à nu, c'est-à-dire immédiatement, pour payer par lui le droit de loyaux & chevels-aides au chef-seigneur du fief chevel duquel les arriere-fiefs relevent médiatement. Voyez l'ancienne coutume de Normandie, ch. xxxv. (A)


SOUS-ALLÉEvoyez ALLEE.


SOUS-ARBRISSEAUou ARBUSTE, voyez ARBRISSEAU.


SOUS-ARGOUSINS. m. (Marine) terme de galere, c'est l'aide de l'argousin.


SOUS-AVOUÉS. m. (Hist. ecclés.) second avoué d'une église ou d'un monastere. Voyez AVOUE.


SOUS-BACHAou SOUS-BACHI, s. m. (Hist. mod.) le second après le bacha ; officier subordonné à celui-ci.


SOUS-BAILS. m. (Gram.) cession de son bail à un autre, ou second bail passé d'un premier tenant à un second. Voyez l'article BAIL.


SOUS-BASSEMENTvoyez SOUBASSEMENT.

SOUS-BASSEMENT, s. m. (Menuiserie) est la partie de lambris qui se met devant les appuis des croisées.


SOUS-BOUTS. m. en terme de Cordonnier, est ce qu'on appelle talon. Il est fait de petits morceaux de cuir cloués ensemble.


SOUS-CHANTRES. m. (Hist. ecclés.) est un officier de choeur qui officie à la place du chantre. Voy. CHANTRE.


SOUS-CHERIFvoyez SCHERIF.


SOUS-CHEVERv. act. (Carrier) c'est couper la pierre en-dessous avec le marteau appellé l'esse, & la séparer du banc qui est inférieur.


SOUS-CHEVRONS. m. (Archit.) piece de bois d'un dôme, ou d'un comble en dôme, dans laquelle est assemblé un bout de bois appellé clé, qui retient deux chevrons courbes. (D.J.)


SOUS-CLERCS. m. (Gram.) qui est subordonné au clerc, & qui travaille sous lui.


SOUS-COMITES. m. terme de Galere, nom de celui qui fait aller le quartier de proue, qui est entre l'arbre de mestre, & l'arbre de trinquet.


SOUS-CONTRAIREadj. (Géom.) lorsque deux triangles semblables sont placés de façon qu'ils ont un angle commun. Voy. (Pl. de Géom. fig. 44.) au sommet, sans que leurs bases soient paralleles : on dit qu'ils ont une position sous-contraire ; dans ce cas, l'angle B est = A, & l'angle D = C. Voyez ANTIPARALLELE, au mot PARALLELE.

Si le cône scalène B V D est tellement coupé par le plan C A, que l'angle en C soit égal à l'angle en D, le cône est dit alors être coupé d'une maniere souscontraire à la base B D. Chambers. (E)


SOUS-COSTAUXou INTER - COSTAUX DE VERHEYEN, en Anatomie, nom des muscles situés sous les côtes. Voyez COTES.

Ces muscles se remarquent à la face interne des côtes, & viennent de la 6, 7, 8, ou 9e des côtes, vis-à-vis de leur angle, & se terminent à la côte supérieure suivante, & quelquefois à la quatrieme.

Ces muscles avoient déja été décrits par Eustache, suivant que l'observe Morgagni.


SOUS-CUTANÉEE, adj. en Anatomie, qui est sous la peau ; les arteres, les veines, les glandes sous-cutanées ; les vaisseaux lymphatiques sous-cutanés.


SOUS-DIACRES. m. (Hist. eccl.) subdiaconus, & en grec , est un ecclésiastique revêtu du premier degré des ordres sacrés ou majeurs, que l'on appelle sous-diaconat. Voyez SOUS-DIACONAT.

Le sous-diacre, selon la disposition du concile de Trente, Sess. XXIII. ref. c. v, vj, vij, viij. xj. & xij. doit avoir été éprouvé dans tous les ordres inférieurs, & avoir au-moins atteint sa vingt-deuxieme année ; il doit être assez instruit pour pouvoir exercer ses fonctions, avoir des attestations de son curé, & des maîtres sous qui il étudie, & espérer, moyennant la grace de Dieu, de garder la continence ; son ordination doit être précédée de trois publications faites au prône, afin de connoître s'il n'est point engagé par mariage, ou par voeu incompatible, ou chargé de dettes, ou irrégulier de quelqu'autre maniere.

Le jour de l'ordination étant venu, on appelle ceux qui doivent être ordonnés sous-diacres, chacun par son nom & par son titre : un tel, au titre d'une telle église, pour ceux qui ont des bénéfices : un tel, au titre de son patrimoine : frere tel, profès d'un tel ordre : frere tel à titre de pauvreté : d'abord l'évêque les avertit de considérer attentivement à quelle charge ils se soumettent. Jusqu'ici, leur dit-il, il vous est libre de retourner à l'état séculier ; mais si vous recevez cet ordre, vous ne pourrez plus reculer, il faudra toujours servir Dieu, dont le service vaut mieux qu'un royaume, garder la chasteté avec son secours, & demeurer engagés à jamais au ministere de l'Eglise : songez-y donc, tandis qu'il est encore tems, & si vous voulez perséverer dans cette sainte résolution, approchez au nom de Dieu.

Ensuite on fait approcher ceux qui doivent être ordonnés sous-diacres, conjointement avec ceux qui doivent être ordonnés diacres & prêtres, & tous ensemble, étant prosternés à terre, on chante les litanies, & l'on invoque pour eux les suffrages de tous les saints. Ils se relevent à genoux, & l'évêque instruit les sous-diacres de leurs fonctions ; elles sont de servir le diacre, préparer l'eau pour le ministere de l'autel, laver les nappes d'autel & les corporaux ; le sous-diacre doit aussi offrir au diacre le calice & la patene pour le sacrifice, & avoir soin de mettre sur l'autel autant de pains qu'il faut pour le peuple, ni plus ni moins, de peur qu'il ne demeure dans le sanctuaire quelque chose de corrompu. Ce sont les fonctions marquées dans le pontifical romain. Il faut être au-moins sous-diacre, pour toucher les vases sacrés & les linges qui touchent immédiatement la sainte eucharistie.

L'évêque donne ensuite à celui qui doit être ordonné sous-diacre, à toucher le calice vuide, avec la patene, puis il lui met les ornemens qui conviennent à son ordre, comme la dalmatique & le manipule ; enfin il lui présente le livre des épîtres, avec le pouvoir de les lire dans l'église ; ainsi le ministere des sous-diacres est presque réduit au service des autels, & à assister l'évêque ou les prêtres dans les grandes cérémonies. Autrefois, ils étoient les secrétaires des évêques, qui les employoient dans les voyages & les négociations ecclésiastiques. Ils étoient chargés des aumônes & de l'administration du temporel ; & hors de l'église, ils faisoient les mêmes fonctions que les diacres. Fleury, instit. au droit ecclés. tom. I. part. I. ch. viij. p. 75. & suiv.


SOUS-DIVISERv. act. (Gram.) diviser une seconde fois. Voyez DIVISER.


SOUS-DOMINANTES. f. en musique, est la quatrieme note du ton. On l'appelle sous-dominante, parce qu'en effet la dominante est immédiatement audessus d'elle ; ou bien parce qu'il y a le même intervalle en descendant de la tonique à cette quatrieme note, qu'en montant de la tonique à la dominante. Voyez DOMINANTE, MODE, TONIQUE.

L'accord de la sous-dominante est composé, 1°. de tierce majeure ou mineure, selon que le mode est majeur ou mineur ; 2°. de quinte ; 3°. de sixte majeure : cette sixte qui est la quinte de la dominante, est censée la représenter. Voyez là-dessus mes élemens de musique. (O)


SOUS-DOUBLEadj. (Matth.) on dit qu'une quantité est sous-double, ou en raison sous-double d'une autre quantité, quand la premiere est contenue deux fois dans la seconde : ainsi 3 est sous-double de 6, comme 6 est double de 3. Voyez RAISON & DOUBLE. (E)


SOUS-DOUBLÉadj. (Matth.) deux grandeurs sont en raison sous-doublée de deux autres, quand elles sont dans le rapport ou la raison des racines quarrées de ces deux autres.


SOUS-DOYEN(Jurisprud.) est celui qui est immédiatement après le doyen d'une compagnie. Voyez DOYEN. (A)


SOUS-ÉCUYERS. m. (Hist. mod.) officier de la maison du roi d'Angleterre, dont la fonction est de présenter & de tenir l'étrier au roi lorsqu'il monte à cheval.


SOUS-ÉPINEUXadj. (Anat.) nom d'un muscle situé dans la fosse sous-épineuse de l'omoplate. Il remplit tout l'espace de cette fosse, & se termine à la facette moyenne de la grosse tubérosité de la tête de l'humérus.


SOUS-FAITE(Charpenter.) piece de bois audessous du faîte, liée par des entretoises ; des liernes & des croix de saint André. La sous-faîte sert à rendre les assemblages plus solides. (D.J.)


SOUS-FERME(Finance de France) partie du bail général des fermes. Les principes de régie ne sauroient être trop uniformes pour la sûreté publique & pour la facilité du travail des supérieurs. S'il convient ordinairement de permettre les sous-fermes des parties qui veulent du détail, il semble que la bonne police exige que ces sous-fermes s'adjugent à l'enchere au profit du roi, & que tout ce qui regarde une partie, appartienne à une seule compagnie composée de travailleurs.

La forme de donner les fermes au plus offrant & dernier enchérisseur, en éloignant tous monopoles, trafics, pensions, gratifications, accommodemens & autres abus dont le retranchement est ordonné par les divers réglemens faits depuis 1661 jusqu'à ce jour, a produit en partie les augmentations prodigieuses qui se sont trouvées sur les fermes ; mais cette méthode a aussi des inconvéniens considérables, en ce que les sous-fermiers ont porté leurs sous-fermes au-delà de leur juste valeur, ce qui donne lieu à deux grands désordres ; l'un que les sous-fermiers demandent toujours des diminutions qu'ils obtiennent ; & l'autre, qu'ils vexent infiniment les peuples, pour s'indemniser de l'excès de leurs sous-fermes. Considération sur les finances. (D.J.)


SOUS-FERMERv. act. (Com.) prendre ou donner à ferme une partie de ce qui compose une ferme générale.


SOUS-FRÉTERv. act. (Marine) c'est louer à un autre le vaisseau qu'on a loué, ou fréter à un autre le vaisseau qu'on a affrété. Il est défendu de sous-fréter un vaisseau à plus haut prix que celui qui est porté par le premier contrat ; mais l'affréteur peut prendre à son profit le fret de quelques marchandises, pour achever la charge du vaisseau qu'il a entierement affrété.


SOUS-GARDES. f. terme d'Arquebusier, c'est un morceau de fer long d'environ huit pouces, & large d'un demi-pouce, qui forme par le milieu un demi-cercle, & qui a une oreille à chaque côté qui servent à l'assujettir au bois de fusil à la vissant. Cette piece se pose dessous le bois de fusil, & sert pour garentir la détente, & empêcher qu'elle ne s'accroche & qu'elle ne fasse partir le fusil dans le tems qu'on ne s'y attend pas.


SOUS-GORGES. f. terme de Bourrelier, c'est une partie de la bride du cheval, qui consiste en une bande de cuir qui passe sous la gorge, qui est terminée par deux boucles, au moyen desquelles on l'attache à deux petites courroies qui tiennent à la têtiere auprès du fronteau. L'usage de la sous-gorge est d'assujettir la bride, & d'empêcher que le cheval en secouant la tête ne dérange la têtiere & ne fasse tomber toute la bride. Voyez les fig. & les Pl. du Bourrelier.


SOUS-GOUVERNEURS. m. (Gram.) celui qui représente le gouverneur, fait ses fonctions & le soulage dans son emploi.


SOUS-INTRODUITEFEMME, (Hist. ecclés.) une femme sous-introduite étoit celle qu'un ecclésiastique avoit chez lui pour le soin de son ménage, ou pour quelque autre raison. M. Fleury dit, dans son Hist. ecclés. l. II. p. 140. qu'on nommoit femmes introduites ou sous-introduites, celles que les ecclésiastiques tenoient dans leurs maisons par un usage que l'Eglise condamnoit, & qui fut reproché à Paul de Samosate, parce qu'encore que ce fut sous prétexte de charité & d'amitié spirituelle, les conséquences en étoient trop dangereuses, & qu'il en résultoit tout au moins du scandale.

Dès le tems de saint Cyprien, où l'on ne faisoit encore aucun voeu solemnel de virginité ni de célibat, & où l'on n'imposoit aux ecclésiastiques aucune nécessité de s'abstenir du mariage, on lit que des filles demeuroient librement avec des hommes d'église, couchoient avec eux dans un même lit, & soutenoient néanmoins qu'elles ne donnoient par-là aucune atteinte à leur chasteté, offrant pour preuve d'être visitées par des expertes. Saint Cyprien le reconnoît lui-même, & censure quelques-unes de ces filles. Voici ses propres paroles : Quid nobis de iis virginibus videatur, quae cum in statu suo esse, & continentiam similiter tenere decreverint, detectae sunt poste à in eodem lecto pariter mansisse cum masculis : ex quibus unum diaconum esse dicis : planè easdem, quae se cum viris dormisse confessae sint, adseverare se integras esse, &c. Epist. IV. p. 7. edit. Brem. Fell.

Le même pere se plaint ailleurs que quelques confesseurs étoient tombés dans la même faute ; & les expressions dont il se sert sont bien fortes : non deesse, qui Dei templa, & post confessionem sanctificata & illustrata priùs membra turpi & infami concubitu suo maculent, cubilia sua cum foeminis promiscua jungentes, &c.

Une telle compagne des ecclésiastiques fut appellée femme sous-introduite, , parce que les ecclésiastiques les introduisoient chez eux comme des aides & des soeurs spirituelles, consortio sororiae appellationis ; & cet usage devint si commun, que divers conciles, & entr'autres celui de Nicée, furent obligés de défendre cet usage. . Canon III.

Cependant les défenses des conciles eurent si peu d'effet, que les empereurs chrétiens, comme Honorius, Théodose & Justinien se virent contraints d'employer toute l'autorité des loix pour remédier à cet abus. Voyez cod. Theodos. l. XVI. tit. 2. leg. 44. cod. inst. l. I. tit. 3. de episcop. & cler. leg. 19. novell. VI. cap. v. Jacques Godefroy, tom. VI. p. 86. & suivantes. Pour ne point entrer dans de plus grands détails sur cette matiere, nous renvoyons les lecteurs curieux aux notes d'Henri de Valois sur Eusebe, hist. ecclés. l. VII. c. xxx. à Henri Dodwel, dissertat. Cyprianic. 3. à Bingham, antiq. ecclés. liv. VI. c. ij. & finalement à M. Boëhmer, dans son jus ecclés. protestant. l. III. tit. 2. (D.J.)


SOUS-LIEUTENANTest un troisieme officier dans les compagnies d'infanterie & de cavalerie, dont les fonctions sont à-peu-près les mêmes que celles des lieutenans. On les établit ordinairement dans la guerre & on les casse à la paix. Voyez OFFICIER.

Dans toutes les compagnies de la maison du roi, excepté les gardes du corps, il y a des sous-lieutenans. Il y a aussi dans toutes les compagnies de gendarmerie : ce sont les seconds officiers de toutes ces compagnies. (Q)


SOUS-LIGNERv. act. (terme d'Imprimeur) c'est imprimer en italique un mot ou plusieurs qui sont sous - lignés dans un manuscrit, à dessein de les faire remarquer, ou pour quelqu'autre raison. (D.J.)


SOUS-LOCATAIRES. m. (Jurisprud.) est celui auquel le principal locataire d'une maison ou autre héritage a donné lui-même à loyer quelque portion de ce qu'il tenoit du propriétaire.

Le sous - locataire est différent du cessionnaire du bail, en ce que le cessionnaire doit payer au propriétaire, au lieu que le sous-locataire paye au principal locataire.

L'article 162 de la coutume de Paris, permet néanmoins au propriétaire de saisir les meubles des sous-locataires ; mais ceux-ci en ont main-levée en payant le loyer de leur occupation.

En fait de fermes, on appelle sous-fermier, ce qu'en fait de bail à loyer on appelle sous-locataire. Voyez BAIL A LOYER, FERME, LOCATAIRE, PRINCIPAL LOCATAIRE. (A)


SOUS-LUIterme de Manége, un cheval qui est bien sous-lui, qui se met bien sur les hanches, est un cheval qui en marchant approche les piés de derriere de ceux de devant, & dont les hanches soutiennent en quelque maniere les épaules. (D.J.)


SOUS-MULTIPLEadject. en Mathém. &c. une quantité sous-multiple est celle qui est contenue dans une autre un certain nombre de fois ; & qui par conséquent étant répétée un certain nombre de fois, lui devient exactement égale.

Ainsi 3 est un sous - multiple de 21 : dans ce sens, sous - multiple revient au même que partie aliquote. Voyez ALIQUOTE.

Une raison sous multiple est celle qui est entre la quantité sous-multiple, & la quantité qui la contient ; ainsi la raison de 3 à 21, est sous - multiple. Voyez RAISON.

Dans ces deux cas sous - multiple est l'opposé de multiple : 21, par exemple, est multiple de 3, & la raison de 21 à 3, est une raison multiple. Voyez MULTIPLE. Chambers. (E)


SOUS-NORMALES. f. (Géom.) est la même chose que sous - perpendiculaire. Voyez SOUS - PERPENDICULAIRE.


SOUS-OFFICIERSSOUS-OFFICIERS


SOUS-ORBITAIREen Anatomie, nom des arteres qui se distribuent au-dessous de l'orbite.


SOUS-ORDRE(Jurisprud.) est un ordre particulier qui se fait en second entre les créanciers particuliers d'un créancier colloqué dans l'ordre principal, qui ont formé opposition sur lui en sous - ordre, c'est-à-dire, pour se venger sur ce qui peut lui revenir, au cas qu'il soit colloqué utilement dans l'ordre. Voyez CREANCIER, DECRET, OPPOSITION & SOUS - ORDRE, SAISIE REELLE. (A)


SOUS-PENTEvoyez SOUPENTE.

SOUS-PENTE, (Maréchall.) les Maréchaux appellent ainsi un assemblage de courroies disposées comme on le voit dans la figure, qui servent à arrêter un cheval dans le travail. Voyez TRAVAIL. Les trois principales a a a qui servent à suspendre ou élever le cheval, sont garnies de deux ou trois chaînons à chaque bout : il y a cinq courroies traversantes qui coulent comme on veut. Les trois plus courtes b b b, servent à garnir sous le ventre ; & des deux autres l'une c c est fort longue, un de ses côtés va entourer la croupe, & l'autre le poitrail ; ces côtés se bouclent à deux boucles d d, qui sont à la courroie qui est de l'autre côté.


SOUS-PERPENDICULAIREadj. en Géométrie ; la sous-perpendiculaire est une portion de l'axe d'une courbe interceptée entre l'extrêmité de l'ordonnée & le point, où la perpendiculaire à la tangente, tirée de l'autre extrêmité de l'ordonnée, coupe l'axe de cette courbe. Voyez TANGENTE.

La sous-perpendiculaire est donc une ligne qui détermine le point où l'axe d'une courbe est coupé par une perpendiculaire tirée sous une tangente, au point de contact.

Ainsi TM, Planch. sect. coniq. fig. 19, touchant la courbe en M, & M R étant perpendiculaire à T M, au point de contingence, la ligne PR comprise entre l'ordonnée PM & la perpendiculaire MR, s'appelle sous-perpendiculaire. La sous-perpendiculaire PR est à la demi-ordonnée PM, comme PM à PT, ou comme MR, à TM ; d'où on peut conclure que dans la parabole, la sous-perpendiculaire est sous-double du parametre, & par conséquent d'une grandeur constante ; car P R = dans la parabole = en nommant le parametre a, = a/2.

En général, puisque la sous-tangente est (voy. SOUSTANGENTE), on aura la sous-perpendiculaire = y 2 divisé par la soustangente, c'est-à-dire .


SOUS-PESERv. act. (Gram.) prendre quelque chose pesant en-dessous, & le soulever de la main pour en estimer le poids.


SOUS-PRÉCEPTEURS. m. (Gram.) celui qui soulage le précepteur dans ses fonctions. Voyez PRECEPTEUR.


SOUS-PRIEURS. m. (Hist. ecclés.) est un officier claustral qui aide le prieur. Voyez PRIEUR.


SOUS-PROMOTEURS. m. (Gram.) qui représente le promoteur & sert sous lui. Voyez PROMOTEUR.


SOUS-RACHATS. m. (Jurisprud.) c'est le rachat au seigneur dominant par ses arrieres - vassaux, pendant qu'il a mis en sa main le fief de son vassal, faute de rachat.

C'est le profit de l'arriere - fief que le seigneur exploite. Voyez RACHAT & FIEF.


SOUS-REFECTORIERS. m. (Gram.) celui qui veille aux choses du réfectoire sous le réfectorier.


SOUS-RENTES. f. (Gram.) rente que l'on tire d'une chose que l'on tient soi-même à rente.


SOUS-RENTIERS. m. (Gram.) celui qui tient à rente d'un rentier. Voyez RENTE.


SOUS-SECRÉTAIRES. m. (Gram.) qui travaille sous le secrétaire. Voyez SECRETAIRE.


SOUS-SURPARTICULIERESOUS-SURPARTIENTE, (RAISON) voyez RAISON.


SOUS-TIRERv. act. sous-tirer du vin, c'est le transvaser d'un tonneau dans un autre.


SOUS-TRAITANTterme de Finance, celui qui traite d'une ferme adjugée à un autre, ou qui en tient une partie du traitant en général ; il se dit plus particulierement dans les fermes du roi. (D.J.)


SOUS-TRAITÉsous-ferme qui fait partie d'une plus grande. Voyez SOUS-FERME. Id. ibid.


SOUS-TRAITERprendre une sous - ferme, la tenir de celui qui a la ferme générale. Voyez FERME & SOUS-FERME. Id. ibid.


SOUS-TRIPLEadj. (Mathémat.) deux quantités sont en raison sous - triple, quand l'une est contenue dans l'autre trois fois. Voyez RAISON. Ainsi 2 est sous-triple de 6, ou en raison sous-triple de 6, de même que 6 est triple de 2, ou en raison triple de 2. (E)


SOUS-VENTRIERES. f. (Maréchal.) courroie de cuir qu'on met sous le ventre des chevaux de carrosse & de voiture, pour tenir leurs harnois en état.


SOUS-YEUX(Jardinage) terme usité chez les Vignerons, qui s'employe aussi par les Jardiniers pour exprimer de petits yeux ou boutons placés au-dessous des vrais yeux, & proche de la base ou empatement d'un rameau. Ces yeux inférieurs sont toujours plus petits du double que les yeux supérieurs, souvent même on a de la peine à les distinguer ; chacun de ces sous-yeux a une feuille qui lui sert de mere-nourrice, de même qu'en ont les vrais yeux, mais de moitié plus petite. Ils restent toujours nains, & ne produisent que des bourgeons nains. Formés les premiers, leurs feuilles viennent les premieres, & elles tombent de même. Chaque année à la pousse du printems, le plus grand nombre des sous-yeux avorte. La seve qui se porte par-tout avec véhémence dans cette saison, trouvant des conduits plus dilatés dans les véritables yeux, les préfere aux sous - yeux, dont les conduits & les passages sont trop étroits.


SOUSAProvince de, ou SOUSE, (Géog. mod.) province d'Afrique, dans la Barbarie, au royaume de Tunis. Elle a pris son nom de sa capitale.

SOUSA, (Géog. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Tunis, capitale de la province de son nom, sur un rocher, près de la mer. C'est la résidence du gouverneur de la province, à 25 milles de Tunis, à l'opposite de l'île de Pantalarée, & plus près de la Sicile qu'aucune autre ville d'Afrique. Elle a un bon port, où les corsaires de Tunis se mettent à l'ancre. Son terroir rapporte de l'orge, des figues & des olives, & il est fertile en pâturages. Ce fut dans le voisinage de cette place, qui n'est à-présent qu'une bourgade, que le prince Philibert de Savoie fut autrefois défait, & qu'un grand nombre de chevaliers de Malte périrent. Long. 28. 47. lat. 35. 54. (D.J.)


SOUSBANDEc'est dans l'Artillerie, une bande de fer qui entre sur un affut à mortier. Voyez MORTIER. (q)


SOUSBERMEvoyez SOUBERME.


SOUSCAPULAIRE(Anat.) le muscle souscapulaire est situé dans toute la fosse souscapulaire, il vient de la base de l'omoplate & de la fosse souscapulaire, & il s'insere par un tendon demi-circulaire à la petite tubérosité qui se remarque vers la tête de l'humerus.


SOUSCLAVIERRE, adj. en Anatom. se dit des parties situées sous la clavicule. Voyez CLAVICULE.

Le muscle sousclavier s'attache sous la portion humérale de la clavicule, & se termine à la premiere côte.

Les arteres sousclavieres sont au nombre de deux, l'une à droite, l'autre à gauche, elles naissent de l'arcade de l'aorte, & changent de nom lorsqu'elles sont parvenues au-dessus du milieu de la premiere vraie côte.

L'artere sousclaviere droite, qui est la plus grosse & la plus longue des deux, jette au médiastin, au thymus, au péricarde, & au larynx, &c. des petites arteres, sous le nom de médiastines, thymiques, péricardines, & trachéales. Voyez MEDIASTINE, THYMIQUE, &c.

La sousclaviere droite produit à un bon travers de doigt de son origine, la carotide droite, à peu de distance de la carotide, elle donne ordinairement quatre rameaux, qui sont l'artere mammaire interne, l'artere cervicale, l'artere vertébrale, & quelquefois l'intercostale supérieure. Voyez ARTERE MAMMAIRE, CERVICALE, VERTEBRALE, &c.

La sousclaviere gauche se distribue à-peu-près de la même maniere que la sousclaviere droite.

La veine sousclaviere droite est fort courte, elle est formée par le concours des veines vertébrales, jugulaire interne, jugulaire externe, céphalique, & axillaire. Voyez VERTEBRALE, &c.

La veine sousclaviere gauche est plus longue, outre les veines vertébrales, jugulaires, &c. elle reçoit le canal thorachique, les veines pectorales, les intercostales supérieures. Voyez THORACHIQUE, PECTORAL, &c.


SOUSCLOISONen Anatomie, se dit d'une colonne graisseuse, appliquée au bord inférieur de la cloison cartilagineuse des narines. Voyez NEZ.

Les muscles de la souscloison sont des fibres charnues qui partent de la souscloison, & s'unissent aux fibres de l'orbiculaire des lèvres.


SOUSCRIPTION(Gram. & Jurispr.) est l'apposition d'une signature au-dessous d'un écrit, souscrire une promesse ou billet, c'est le signer. Voyez SIGNATURE. (A)

SOUSCRIPTION, s. f. (fonds en Angleterre) ce mot se dit en Angleterre de l'intérêt que les particuliers prennent dans un fonds public, ou dans un établissement de commerce, en signant sur un registre pour combien ils veulent y prendre part. Presque toutes les grandes affaires se font, dans ce pays-là, par voye de souscription, & c'est une excellente méthode. (D.J.)

SOUSCRIPTION, s. f. (Commerce) c'est l'engagement que celui qui souscrit un billet, lettre-de-change, promesse, ou obligation, prend en y ajoutant sa signature, d'être la caution de celui qui les a faits, de payer pour lui les sommes qui y sont contenues, & d'acquiter toutes les clauses qui y sont spécifiées, ensorte que celui ou ceux au profit desquels lesdits billets, lettres-de-change, promesses & obligations, ont autant de débiteurs tenus de l'acquit de leur dette, & de l'exécution des engagemens pris dans ces actes, qu'il y a de personnes qui y ont mis leur signature, ou souscription ; on ne demande des souscriptions que pour plus de sûreté ; c'est un vrai cautionnement. Savary. (D.J.)

SOUSCRIPTION, dans le commerce des livres, signifie l'obligation de prendre un certain nombre d'exemplaires d'un livre qu'on doit imprimer, & une obligation réciproque de la part du libraire, ou de l'éditeur, de délivrer ces exemplaires dans un certain tems.

Les conditions ordinaires de souscriptions sont, du côté du libraire, de fournir les livres à meilleur compte aux souscripteurs, qu'aux autres, à un tiers, ou un quart du prix de moins ; & de la part des souscripteurs, de payer moitié du prix d'avance, & le reste en recevant les exemplaires : c'est un avantage égal pour l'un & pour l'autre : car par ce moyen, le libraire a les fonds nécessaires pour exécuter une entreprise, qui autrement seroit au-dessus de ses forces ; & le souscripteur reçoit en quelque façon l'intérêt de son argent, par le prix modéré qu'il paye de ces livres.

Les souscriptions tirent leur origine d'Angleterre, & ce n'est que depuis peu qu'elles sont en usage dans d'autres pays : les premieres souscriptions ont été proposées dans le milieu du dernier siecle, pour l'impression de la bible polygotte de Walton, qui est le premier livre qui ait été imprimé par souscriptions.

Elles ont passé d'Angleterre en Hollande : & commencent à s'introduire en France. La collection des antiquités du pere Montfaucon, est le premier livre qui y ait été publié par souscriptions, & le nombre des souscripteurs fut si grand, qu'on en refusa beaucoup. La même méthode a depuis été proposée pour l'édition de S. Chrysostome, par les bénédictins, mais elle n'a pas eu le même succès.

Tous les autres livres qui ont été depuis imprimés en France, par souscription, sont la traduction des vies de Plutarque, par M. Dacier ; la description de Versailles, & l'histoire de la milice françoise, par le pere Daniel, &c.

En Angleterre, les souscriptions sont très-fréquentes, & cette habitude les a rendues sujettes à quelques abus qui commencent à les décréditer.


SOUSDIACONATS. m. (Hist. eccl.) ordre ecclésiastique, inférieur à celui de diaconat, & néanmoins très-ancien dans l'Eglise, puisque S. Ignace, S. Cyprien, & le pape Corneille, en font mention. Les soûdiacres n'étoient pas ordonnés comme les ministres sacrés, par l'imposition des mains ; & les scholastiques ont douté que le soûdiaconat fût un sacrement. Dans l'ordination des soûdiacres, l'évêque leur fait toucher le calice & la patène ; ce rite est établi dans le concile de Carthage iv. & dans les anciens pontificaux ; on leur donne encore la tunique & le manipule, & le livre des épîtres ; mais cette cérémonie est plus nouvelle. Les Grecs leur imposent les mains. Leur ancienne fonction étoit de recevoir les oblations des fideles, pour les porter au diacre, qui les présentoit au prêtre, ou les mettoit sur l'autel ; ils avoient droit d'entrer dans le sanctuaire, de toucher des vases sacrés, de servir les diacres à l'autel. Le célibat a été annexé à l'ordre des soûdiacres, en Occident, dès le quatrieme siecle ; en Orient, ils n'y ont pas plus été obligés que ceux qui étoient dans les ordres sacrés, & même dans les premiers tems, ils pouvoient se marier après avoir été ordonnés soûdiacres ; mais cela leur fut défendu par le concile in trullo, & par la loi de Justinien. Morin, de sacris ordinat. & Thomassin, discipl. de l'égl. Voyez SOUS-DIACRE.


SOUSSIGNERv. act. (Gram. Jurisp. & Com.) c'est mettre sa signature, c'est-à-dire écrire son nom, & quelquefois y ajouter un paraphe au pié de quelque acte ou écrit, pour l'agréer, le faire valoir, & consentir à son exécution. Voyez SIGNATURE.

Les personnes qui ne savent pas écrire se contentent de mettre au lieu de signature quelque marque qui leur est propre, si c'est sous seing-privé ; mais dans tout acte public ou passé par-devant notaires, il faut faire mention que l'un des contractans, ou même tous deux, ont déclaré ne savoir signer. Les consultations des avocats & celles des habiles négocians qui donnent leur conseil ; les réponses des docteurs de Sorbonne sur les cas de conscience, commencent ordinairement par ces mots, le conseil soussigné, &c. & les promesses, quittances, certificats par ceux - ci assez semblables : je soussigné, ou nous soussignés, reconnoissons, certifions, &c. Dictionn. de Commerce.


SOUSTANGENTES. f. (Géom.) la soustangente d'une courbe est une portion de son axe interceptée entre l'extrêmité d'une ordonnée & l'intersection de la tangente avec l'axe ; cette ligne détermine le point où la tangente coupe l'axe prolongé. Voyez COURBE & TANGENTE.

Ainsi dans la courbe A M, &c. (Planche d'anal. fig. 10.) la ligne T P, comprise entre la demi-ordonnée P M, & la tangente T M, en est la soustangente. Si on mene la perpendiculaire M Q à la tangente M T, on aura P R à P M, comme P M à P T, & P M à P T, comme M R à T M.

Il est aisé de voir que la soustangente est à l'ordonnée y, comme la différentielle d x de l'abscisse est à la différence d y de l'ordonnée, donc la soustangente = (y d x)/(d y).

C'est une loi que, dans toute équation qui exprime la valeur d'une soustangente, si cette valeur est positive, le point d'intersection de l'axe & de la tangente, tombe du côté de l'ordonnée où la courbe a son sommet, ainsi que cela arrive dans la parabole.

Au contraire, si la valeur de la soustangente est négative, le point d'intersection de l'axe & de la tangente, tombe du côté de l'ordonnée, opposé à celui où la courbe a son sommet ; ainsi que cela arrive dans l'hyperbole rapportée à ses asymptotes.

En général, dans toutes les courbes dont l'équation est y = xm, m marquant un nombre quelconque entier ou rompu positif ou négatif, la sous - tangente est égale à l'abscisse multipliée par l'exposant m de la puissance de l'ordonnée. Voyez TANGENTE.

Ainsi dans la parabole ordinaire dont l'équation est x = y y, la sous-tangente est égale à x multipliée par l'exposant 2 de y y ; or x est l'abscisse dont la soustangente est égale au double de l'abscisse ; & d'ailleurs comme cette valeur vient avec le signe +, ou est positive, elle doit être prise du côté de l'ordonnée où la parabole a son sommet, au - delà duquel l'axe doit être prolongé.

De même dans une des paraboles cubiques dont l'équation est y = x 2/3, la valeur de la sous - tangente est égale aux 2/3 de l'abscisse.


SOUSTENDANTES. f. en Géométrie, est une ligne droite opposée à un angle, & que l'on suppose tirée entre les deux extrêmités de l'arc qui mesure cet angle. Voyez ANGLE & ARC.

Ce mot est formé du latin sub, sous, & tendo, je tends.

La soustendante de l'angle répond à la corde de l'arc. Voyez CORDE.

Dans tout triangle rectangle, le quarré de la soustendante de l'angle droit, est égal aux quarrés des soustendantes des deux autres angles, par la 47e proposition d'Euclide. Cette merveilleuse propriété du triangle a été découverte par Pythagore. Voyez HYPOTHENUSE. Chambers. (E)


SOUSTERREINSSOUSTERREINS


SOUSTRACTIONS. f. en Arithmétique, la soustraction est la seconde regle, ou pour mieux dire, la seconde opération de l'arithmétique : elle consiste à ôter un nombre d'un autre nombre plus grand, & à trouver exactement l'excès de celui-ci sur celui-là.

En un mot, la soustraction est une opération par laquelle on trouve un nombre qui, ajouté au plus petit de deux nombres homogenes, fait avec lui une somme égale au plus grand de ces nombres. Voyez ARITHMETIQUE.

Voici ce qu'il faut observer dans cette opération.

Pour soustraire un plus petit nombre d'un plus grand. 1°. Ecrivez le plus petit nombre sous le plus grand, les unités sous les unités, les dixaines sous les dixaines, &c. en général les quantités homogenes les unes sous les autres, ainsi que nous l'avons prescrit pour l'addition. 2°. Tirez une ligne sous les deux nombres. 3°. Soustrayez séparément les unités des unités, les dixaines des dixaines, les centaines des centaines ; en commençant à droite, & procédant vers la gauche, écrivez chaque reste sous le caractere sur lequel vous avez opéré, & qui vous l'a donné. 4°. Si le chiffre que vous avez à soustraire est plus grand que celui dont il doit être soustrait, empruntez une unité sur le chiffre qui suit immédiatement en allant vers la gauche, cette unité empruntée vaudra 10 ; ajoutez cette dixaine au plus petit caractere, & soustrayez le plus grand de la somme. S'il se rencontroit un zéro immédiatement devant celui qui vous contraint d'emprunter, parce qu'il est trop petit ; l'emprunt se feroit sur le chiffre qui suit immédiatement ce zéro, en allant vers la gauche. Mais sans emprunter sur les nombres suivans, ce qui cause quelquefois de l'embarras ; il vaut mieux ajouter une unité au nombre qui suit immédiatement, & qui vaut toujours dix unités, par rapport au nombre qui le précede ; & dans la colonne suivante soustraire une unité de plus dans la quantité que l'on soustrait ; afin de détruire par cette derniere opération l'augmentation que l'on a faite par la premiere.

Il n'y a point de nombre qu'on ne puisse ôter d'un plus grand, en observant ces regles. Exemple.

Car, commençant par le premier caractere qui se présente à droite, & ôtant 3 de 9, reste 6, que j'écris au-dessous de la ligne. Passant au second caractere, je trouve 6 que je ne peux ôter de 5 ; c'est pourquoi j'emprunte sur le 4 qui suit le plus immédiatement 5, en allant vers la gauche, & qui marque des centaines, une unité, ou dix dixaines. J'ajoute ces 10 dixaines, aux 5 dixaines que j'avois, & qui me produit 15 dixaines, d'où soustrayant 6 dixaines, il m'en reste 9, J'écris donc 9 sous la ligne & sous les dixaines. J'en suis aux centaines, je dis 2 & 1 que j'ai emprunté, font 3 ; 3 de 4, reste un, que j'écris sous la ligne. J'avance & je dis, 5 ne se peut ôter de 3 ; j'emprunte, non sur le zéro, mais sur le 4 qui vient après le zéro, toujours en allant vers la gauche. Cet 1 vaut cent mille, par conséquent si on le suppose à la place du zéro, il vaudra 10 dixaines de mille. J'emprunte sur ces 10 dixaines de mille, une unité qui vaudra 10 mille, & par conséquent le zéro se trouvera valoir 9 dixaines de mille : or ces dix mille ajoutés à trois mille que j'ai, produisent 13 mille ; de ces 13 mille, j'ôte 5 mille, reste 8 mille, que j'écris sous la ligne. Je dis ensuite 6 de 9, reste 3, que j'écris sous la ligne. J'arrive au 4 sur lequel j'ai emprunté une unité, & qui ne vaut par conséquent que trois ; je ne dirai donc point 8 de 4, mais 8 de 3 : on achevera la soustraction, en continuant d'opérer, comme nous avons fait jusques-là.

Si l'on proposoit d'ôter un nombre héterogene, d'un autre nombre héterogene plus grand ; on suivroit la même méthode, observant seulement que les unités que l'on emprunte, ne valent pas 10 unités ; mais autant qu'il en faut de la plus petite espece, pour contenir une unité de la plus grande. Exemple.

Je ne peut ôter 9 deniers de 6 deniers. J'emprunte 1 sol, sur les 16 sols qui précedent les 6 deniers. Ce sol vaut 12 deniers. Ces 12 deniers joints aux 6 deniers que j'ai déja, font 18 deniers, d'où j'ôte 9 deniers, & il me reste 9 deniers, j'écris donc 9 sous la ligne. Pareillement 19 sols ne peuvent se soustraire des 15 sols restans. J'emprunte donc sur les 45 livres qui précedent, une livre qui vaut 20 sols. Ces 20 sols joints aux 15 sols que j'ai, font 35 sols, d'où j'ôte 19 sols, & il me reste 16 sols que j'écris sous la ligne. Enfin j'ôte 27 livres, de 44 livres qui me restent, & j'écris la différence 17 sous la ligne.

Si le nombre à soustraire est plus grand que celui d'où il faut le soustraire ; il est évident que l'opération est impossible. Dans ce cas, il faut ôter le plus petit nombre du plus grand, & écrire le reste avec un signe négatif. Exemple, soient 8 livres à payer avec 3 livres ; j'en paye 3 des 8 que je dois, avec les 3 que j'ai, & il en reste 5 de dûes ; j'écris donc au - dessous de la ligne - 5.

La preuve de la soustraction se fait en ajoutant le nombre soustrait avec le reste ; où l'excès du plus grand nombre sur le plus petit avec le plus petit. S'ils font une somme égale au plus grand, l'opération a été bien faite. Exemple.

SOUSTRACTION en Algebre, pour faire une soustraction algébrique, quand il s'agit de monomes, on écrit ces quantités de suite, en changeant simplement le signe de la grandeur à soustraire ; & l'on fait ensuite la réduction, si ces quantités sont semblables : ainsi pour ôter + c de b, on écrit b - c ; puisque - est le signe de la soustraction : & pour ôter - b de a, on écrit a + b, en changeant le signe - en + ; ensorte que la grandeur a est augmentée par cette soustraction ; en effet ôter des dettes, c'est augmenter les facultés de quelqu'un : soustraire des moins, est donc aussi donner des plus.

S'il est question de polinomes, on disposera les termes de la grandeur à soustraire, sous ceux de la grandeur dont on soustrait ; c'est-à-dire, les termes de l'une, sous les termes semblables de l'autre, en changeant simplement tous les signes de la grandeur à soustraire, en des signes contraires, c'est-à-dire, que l'on mettra - où il y aura +, & le signe + où l'on verra le signe -. Ainsi, pour retrancher le polinome - 2 acx + 3 acx 2 + 4 a 3 m - 5 a 3 b (A) du polinome 7 cx 2 - 4 a 3 b + 5 a 3 m - acx + bd, (B) on disposera comme on le voit ici.

7 cx 2 - 4 a 3 b + 5 a 3 m - acx + bd (B).

- 3 cx 2 + 5 a 3 b + 4 a 3 m + 2 acx (A).

----------

4 cx 2 + a 3 b + a 3 m + acx + bd.

Les termes du polinome A, sous les termes du polinome B ; les termes semblables les uns sous les autres, en changeant tous les signes du polinome A, en des signes contraires. Cette préparation faite, on réduira les termes à leur plus simple expression ; & cette réduction donnera 4 cx 2 + a 3 b + a 3 m + acx + bd, qui est la différence cherchée.

Quand il n'y a point de termes semblables, on écrit simplement la quantité à soustraire, dont on change les signes, à la suite du polinome, dont on fait la soustraction : ainsi pour ôter xx - 2 cx + cc de 2 a 4 - 3 b 2, écrivez 2 a 4 - 3 b 2 - xx + 2 cx - cc ; en changeant simplement les signes de la grandeur xx - 2 cx + cc, qui n'a aucuns termes semblables à ceux de la quantité 2 a 4 - 3 b 2. (E)

SOUSTRACTION, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est l'action d'ôter & enlever frauduleusement une chose du lieu où elle devroit être.

C'est principalement pour les papiers que l'on a détournés que l'on se sert de ce terme ; cela s'appelle une soustraction de pieces.

Soustraction d'une minute d'un notaire, c'est l'enlevement qui est fait de cette minute.

Soustraction de pieces dans une production, c'est lorsque l'on retire frauduleusement d'une production quelque cotte ou quelque piece d'une cotte, que l'on a intérêt de supprimer. Voyez DIVERTISSEMENT, ENLEVEMENT, RECELE, SUPPRESSION. (A)


SOUSTRAITS. m. terme de riviere, ce sont des fagots que l'on met dans le fond des bateaux, pour empêcher que la marchandise ne soit mouillée.


SOUSTYLAIRES. f. en Gnomonique, est une ligne droite, sur laquelle le style ou gnomon d'un cadran est élevé.

Cette ligne est la section ou rencontre du plan du cadran, avec le plan d'un méridien qu'on suppose être perpendiculaire au plan du cadran. Ce méridien est toujours différent du méridien du lieu, à-moins que le plan du cadran ne soit horisontal, ou qu'il ne soit dans la ligne qui joint le levant au couchant : ainsi la méridienne d'un cadran differe presque toujours de la soustylaire ; car la méridienne d'un cadran est la ligne de section du plan du cadran avec le méridien du lieu. Au reste le point où ces deux lignes se rencontrent, est le centre du cadran ; car le sommet du style représente le centre de la terre, & par conséquent un point commun aux deux méridiens ; & le point de rencontre de la soustylaire & de la méridienne est encore un point commun aux deux méridiens, d'où il s'ensuit qu'une ligne menée par le sommet du style & par le point de rencontre des deux lignes dont il s'agit, seroit la ligne de section ou de rencontre des deux méridiens, & qu'ainsi cette ligne représente l'axe de la terre, c'est-à-dire lui est parallele. Or le point où le plan d'un cadran est coupé par une ligne tirée du sommet du style parallelement à l'axe de la terre, est toujours le centre du cadran, & le point de rencontre des lignes horaires. Donc le point de rencontre de la soustylaire & de la méridienne est toujours le centre du cadran. (O)

Dans les cadrans polaires, équinoxiaux, horisontaux, méridiens & septentrionaux, la ligne soustylaire est la ligne méridienne, ou ligne de douze heures, ou l'intersection du plan sur lequel le cadran est tracé, avec celui du méridien du lieu, parce que le méridien du lieu se confond alors avec le méridien du plan. Voyez MERIDIEN. (O)


SOUTANES. f. terme d'Eglise, habit long & descendant jusque sur les talons que portent les ecclésiastiques, & que portoient autrefois les gens de justice sous leur manteau. Le pape porte toujours la soutane blanche ; les évêques la portent noire quand ils sont en deuil, ou hors de leur diocèse ; mais dans leurs diocèses & à certaines grandes cérémonies, ils ont droit de la porter violette. Les cardinaux la portent rouge. Il y a, dans le journal du palais, un arrêt qui a du rapport à l'obligation de porter la soutane sous les peines prononcées par le concile de Trente. Ducange dérive le mot soutane de subtaneum, qui dans la basse latinité signifioit la même chose.

L'histoire de la chevalerie nous apprend que le gentilhomme novice qui devoit être fait chevalier, passoit la nuit précédente à prier Dieu dans une église ; son habit dans ce premier jour étoit une soutane brune, toute unie & sans ornement ; le lendemain, il communioit, & alloit au bain où il quittoit l'habit d'écuyer. (D.J.)


SOUTANELLES. f. (Hist. ecclésiast.) petite soutane de campagne, qui ne descend que jusqu'au-dessous du genoux.


SOUTES. f. (Gram. & Jurisprud.) ou, comme on écrivoit autrefois, soulte, quasi solutio, est ce que l'on donne pour solder un partage ou un échange.

Quand un lot se trouve plus fort qu'un autre, on le charge d'une soute en argent envers l'autre lot, pour rendre les choses égales.

De même dans un échange, quand l'héritage donné d'une part à titre d'échange, est plus fort que celui qui est donné en contr'échange, on charge celui qui a l'héritage le plus fort de payer une soute à celui qui a le plus foible.

Dans les partages, la soûte suit la nature du partage, c'est-à-dire que quand il n'est point dû de droits seigneuriaux pour l'héritage que l'on a dans son lot, il n'en est pas dû non plus pour l'héritage ou portion que l'on conserve moyennant une soute.

Dans les échanges, au contraire la portion d'héritage pour laquelle on paye une soute, est réputée acquise par contrat de vente, & sujette aux mêmes droits que l'on paye en cas de vente. Voyez DROITS SEIGNEURIAUX, ECHANGE, PARTAGE. (A)

SOUTE, (Marine) c'est le plus bas des étages de l'arriere d'un vaisseau, lequel consiste en un retranchement enduit de plâtre, fait à fond de cale, où l'on enferme les poudres & le biscuit. Cette derniere est placée ordinairement sous la sainte - barbe ; elle doit être garnie de fer-blanc, afin que le biscuit se conserve mieux ; & la soute aux poudres est placée sous celle-ci : mais il n'y a point de regle à cet égard. Voyez VAISSEAU.


SOUTENEMENSS. m. pl. (Gram. & Jurisprud.) sont des écritures fournies au soutien d'un compte, l'oyant compte fournit ses débats contre le compte, & le rendant compte pour réponse aux débats, fournit ses soutenemens. Voyez COMPTE, DEBATS, OYANT, RENDANT. (A)


SOUTENIRv. act. (Gram.) C'est supporter un fardeau ; cette poutre soutient seule tout le bâtiment. C'est tenir suspendu ; l'air soutient les nuages. C'est appuyer ; si je ne l'avois soutenu de la main, il tomboit à terre. C'est nourrir & fortifier ; ces viandes soutiennent long-tems. C'est résister ; il faut soutenir vigoureusement ce poste. Tenir la bride haute & ferme ; soutenez ce pas-là. Voyez les articles suivans.

SOUTENIR, v. act. en Musique, c'est faire exactement durer les sons toute leur valeur, sans se relâcher vers la fin, & sans en passer une partie dans le silence, comme font très-souvent les Musiciens, surtout les Symphonistes. (S).

SOUTENIR, (Marine) on se sert de ce verbe pour exprimer l'effort d'un courant qui pousse un vaisseau dans un sens, tandis que le vent le pousse dans un autre sens ; desorte que par ces deux forces il est porté dans sa véritable route.

SOUTENIR, (Marine) on sousentend le pronom se. C'est demeurer dans le même parage, & ne pas dériver, nonobstant les courans ou la marée contraire, sans avancer cependant, ou sans avancer beaucoup.

SOUTENIR LA MAIN, (Maréchal.) ou SOUTENIR UN CHEVAL, en termes de Manege, c'est tenir la bride ferme & haute, pour l'empêcher de tendre le col & de s'en aller sur les épaules.

On dit soutenir un cheval de la jambe de dedans ou du talon de dedans, lorsqu'il s'entable, & qu'en maniant sur les voltes sa croupe va avant ses épaules.

On dit encore soutenir un cheval, lorsqu'on l'empêche de se traverser & qu'on le conduit également, le tenant toujours sujet sans que la croupe puisse échapper, sans qu'il perde ni sa cadence, ni son terrein en lui faisant marquer ses tems égaux.


SOUTENUen termes de Blason, se dit d'une piece qui en a une autre au-dessous. D'or à trois bandes de gueules, au chef d'or, chargé d'un lion naissant de sable, soutenu d'une devise cousue d'or, chargée de trois treffles de sable.

Caylar en Languedoc, d'or à trois bandes de gueules, au chef d'or, chargé d'un lion naissant de sable, soutenu d'une devise cousue d'or, chargée de trois treffles de sable.


SOUTERAINELA, (Géog. mod.) petite ville, disons mieux, petit bourg de France, dans le Limousin, à 2 lieues de Limoges. (D.J.)


SOUTHAMPTON(Géog. mod.) On devroit écrire South-Hanton ; ville d'Angleterre dans l'Hantshire & sa capitale. Elle est située sur le rivage de la baie de son nom, entre les deux rivieres du Test & de l'Itching, mais plus près de la derniere, à 72 milles au sud-ouest de Londres.

On ne doute point qu'elle n'ait été bâtie des ruines d'une autre ville de même nom, sise un peu plus haut, aux bords de la même riviere, dans l'endroit où l'on voit les deux villages de Sainte-Marie, & de Bittern. Cette ancienne ville, presque ruinée par les Danois en 980, fut réduite en cendres par les François dans le xiv. siecle, pendant les démêlés d'Edouard III. avec Philippe de Valois pour la couronne de France.

Les habitans éleverent une nouvelle ville dans une situation plus commode, plus voisine de l'eau, & qui conserva le même nom. Avec le tems, cette nouvelle ville se peupla, s'aggrandit, fut fermée de bonnes murailles, & devint florissante. Son port fut muni d'un château bâti de pierre de taille ; & comme elle étoit la capitale du comté, elle lui donna le nom de Southampton, vulgairement Hantshire.

Son havre est assez bon & revêtu d'un beau quai. Son commerce est cependant aujourd'hui moins considérable qu'autrefois ; mais cette ville ne laisse pas d'être encore grande & peuplée, car on y compte cinq paroisses. Elle est du nombre des villes qui se gouvernent par elles-mêmes, & qui ne relevent point du lieutenant de la province. Enfin elle a titre de duché, érigé par Charles II. en faveur de l'aîné des fils naturels qu'il a eus de la duchesse de Cleveland. Long. 16. 22. latit. 59. 48.

Fuller (Nicolas) savant philologue, naquit à Southampton dans le xvj. siecle, & mourut en 1623. Ses miscellanea theologica & sacra sont remplis d'érudition.

Anne, comtesse de Winchelsea, dame d'esprit, & connue par ses vers, étoit née dans la province de Southampton, & mourut en 1720. On a publié à Londres en 1713 in -8°. un recueil de ses poésies, où se trouve son poëme sur la rate, & sa tragédie intitulée Aristomene, mais qui n'a jamais été représentée. (D.J.)

SOUTHAMPTON, baie de, (Géog. mod.) ou baie de Hampton. Les anciens la nommoient Clausentum, c'est-à-dire, le canal de Hanton ; & c'est de ce nom que la province entiere a été appellée Hantshire.

La baie de Southampton a près de huit milles de longueur & trois milles de largeur. Elle est fort droite, & presque sans courbure, s'étendant du nord-ouest au sud-est. Ses côtes occidentales se terminent par une pointe, où l'on a bâti le château de Calshot, sur un rocher avancé, pour défendre l'entrée de la baie. A l'occident de cette baie le pays est couvert d'une grande & vaste forêt, de trente milles de tour, nommée new-forest, & anciennement appel-pellée Ithene.

Avant le regne de Guillaume-le-Conquérant, ce quartier étoit habité ; mais ce prince le changea en une forêt. Il détruisit pour cet effet trente-six paroisses qui s'y trouvoient, sans épargner ni bourgs ni villages, ni églises, ni monasteres. Il expulsa par la force tous les habitans, soit pour se donner le plaisir de la chasse, soit, plus vraisemblablement, pour se procurer, en cas de soulevement, une retraite assurée dans cette vaste forêt, jusqu'à ce qu'il eût reçu du secours de la Normandie qui est vis-à-vis.

Au reste, le pays que cette forêt occupe, & ce qui est aux environs, d'un côté jusqu'à la mer, & de l'autre jusqu'au comté de Dorset, étoit la demeure des anciens regnes, avant l'invasion des Saxons. La côte qui s'étend au midi de la forêt, est restée toute ouverte jusqu'au xvj. siecle qu'Henri VIII. pour la couvrir, y fit construire le château de Hurst, sur une langue de terre avancée qui approche le plus de l'île de Whigt, & dont le trajet n'a guere au-delà de deux milles de largeur. (D.J.)


SOUTHWARE(Géog. mod.) ou plus communément Soudrik, bourg d'Angleterre dans la province de Surrey, uni & incorporé à la ville de Londres par deux beaux ponts sur la Tamise. Ce bourg est si considérable & si peuplé, qu'il pourroit passer pour une grande ville, puisqu'il contient cinq grosses paroisses. C'est de ce bourg qu'on passe à Lambeth où est le palais des archevêques de Cantorbéry, bâtiment antique, construit au bord de la Tamise, vis-à-vis Westminster. Près de ce palais, est la promenade nommée vaux - hall. La plus belle des églises de Southware est celle de Sainte-Marie-Overy ou Overry, qui étoit anciennement de la dépendance d'un prieuré fondé dans le xiij. siecle. Le prieuré fut détruit par Henri VIII. mais l'église fut conservée, & en 1540 les bourgeois l'acheterent du roi, pour en faire une église paroissiale.

Sherlock (Guillaume) savant théologien, naquit à Southware, ou, si vous l'aimez mieux, à Londres, vers l'an 1641. Il fut nommé doyen de saint Paul en 1691, & mourut en 1707 âgé de 67 ans. C'étoit un écrivain clair, poli, bon logicien, & qui s'acquit un grand nom sous le regne de Jacques II. par ses ouvrages polémiques contre les catholiques romains. Son traité du jugement dernier a souffert un grand nombre d'éditions, ainsi que celui de la mort. On a donné en françois à la Haye en 1721 in -8°. une belle traduction du traité de la providence par Sherlock. On a aussi traduit en françois son traité de l'immortalité de l'ame, & de la vie éternelle. Amsterd. 1708, in -8°. Enfin les sermons de Sherlock ont été traduits & publiés en françois à la Haye en 1723 en deux volumes in -8°. (D.J.)


SOUVERAINETÉ(Gouvernement) on peut la définir avec Puffendorf, le droit de commander en dernier ressort dans la société civile, que les membres de cette société ont déferé à une seule ou à plusieurs personnes, pour y maintenir l'ordre au-dedans, & la défense au-dehors, & en général pour se procurer sous cette protection un véritable bonheur, & sur-tout l'exercice assuré de leur liberté.

Je dis d'abord que la souveraineté est le droit de commander en dernier ressort dans la société, pour faire comprendre que la nature de la souveraineté consiste principalement en deux choses ; la premiere dans le droit de commander aux membres de la société, c'est-à-dire de diriger leurs actions avec empire ou pouvoir de contraindre ; la seconde est que ce droit doit être en dernier ressort, de telle sorte que tous les particuliers soient obligés de s'y soumettre, sans qu'aucun puisse lui résister : autrement si cette autorité n'étoit pas supérieure, elle ne pourroit pas procurer à la société l'ordre & la sûreté qui sont les fins pour lesquelles elle a été établie.

Je dis ensuite que c'est un droit déféré à une ou à plusieurs personnes, parce qu'une république est aussi bien souveraine qu'une monarchie.

J'ajoute enfin, pour se procurer sous cette protection un véritable bonheur, &c. pour faire connoître que la fin de la souveraineté est la félicité des peuples.

On demande quelle est la source prochaine de la souveraineté, & quels en sont les caracteres ? Il est certain que l'autorité souveraine, ainsi que le titre sur lequel ce pouvoir est établi, & qui en fait le droit, résulte immédiatement des conventions mêmes qui forment la société civile, & qui donnent naissance au gouvernement. Comme la souveraineté réside originairement dans le peuple, & dans chaque particulier par rapport à soi-même, il résulte que c'est le transport & la réunion des droits de tous les particuliers dans la personne du souverain qui le constitue tel, & qui produit véritablement la souveraineté ; personne ne sauroit douter, par exemple, que lorsque les Romains choisirent Romulus & Numa pour leurs rois, ils ne leur conférassent par cet acte même la souveraineté sur eux qu'ils n'avoient pas auparavant, & à laquelle ils n'avoient certainement d'autre droit que celui que leur donnoit l'élection de ce peuple.

Le premier caractere essentiel de la souveraineté, & celui d'où découlent tous les autres, c'est que c'est un pouvoir souverain & indépendant, c'est-à-dire une puissance qui juge en dernier ressort de tout ce qui est susceptible de la direction humaine, & qui peut intéresser le salut & l'avantage de la société ; mais quand nous disons que la puissance civile est par sa nature souveraine & indépendante, nous entendons seulement que cette puissance une fois constituée, a une puissance telle que ce qu'elle établit dans l'étendue de son district, ne sauroit être légitimement troublé par un autre pouvoir.

En effet, il est absolument nécessaire que dans tout gouvernement, il y ait une telle puissance suprême, la nature même de la chose le veut ainsi, & il ne sauroit subsister sans cela ; car puisqu'on ne peut pas multiplier les puissances à l'infini, il faut nécessairement s'arrêter à quelque degré d'autorité supérieur à tout autre ; & quelle que soit la forme du gouvernement monarchique, aristocratique, démocratique, ou mixte, il faut toujours qu'on soit soumis à une décision souveraine, puisqu'il implique contradiction de dire qu'il y ait quelqu'un au-dessus de celui ou ceux qui tiennent le plus haut rang dans un même ordre d'êtres.

Un second caractere qui est une suite du premier, c'est que le souverain comme tel, n'est tenu de rendre compte à personne ici-bas de sa conduite : quand je dis que le souverain n'est pas comptable, j'entends aussi long-tems qu'il est véritablement souverain ; car la souveraineté n'existe que pour le bien public, & il n'est pas permis au souverain de l'employer d'une maniere directement opposée à sa destination, puisqu'il est constant que tout souverain, ou tout corps de souveraineté est soumis aux loix naturelles & divines.

Les limitations du pouvoir souverain ne donnent aucune atteinte à la souveraineté ; car un prince ou un sénat à qui on a déféré la souveraineté, en peut exercer tous les actes, aussi-bien que dans une souveraineté absolue : toute la différence qui s'y trouve, c'est qu'ici le roi prononce seul en dernier ressort, suivant son propre jugement, & que dans une monarchie limitée, il y a un sénat qui conjointement avec le roi, connoît de certaines affaires, & que son consentement est une condition nécessaire sans laquelle le roi ne sauroit rien décider.

Il nous reste à dire un mot des parties de la souveraineté, ou des différens droits essentiels qu'elle renferme. L'on peut considérer la souveraineté comme un assemblage de divers droits & de plusieurs pouvoirs distincts, mais conférés pour une même fin, c'est-à-dire pour le bien de la société, & qui sont tous essentiellement nécessaires pour cette même fin ; ce sont ces différens droits, ces différens pouvoirs que l'on appelle les parties essentielles de la souveraineté. Pour les connoître, il ne faut que faire attention à leur fin.

La souveraineté a pour but la conservation, la tranquillité & le bonheur de l'état, tant au-dedans qu'au-dehors ; il faut donc qu'elle renferme en elle-même tout ce qui lui est essentiellement nécessaire pour procurer cette double fin.

La premiere partie de la souveraineté, & qui est comme le fondement de toutes les autres, c'est le pouvoir législatif en vertu duquel le souverain établit en dernier ressort des regles générales & perpétuelles que l'on nomme loix ; par-là chacun est instruit de ce qu'il doit faire ou ne pas faire pour maintenir le bon ordre, de ce qu'il conserve de sa liberté naturelle, & comment il doit user de ses droits pour ne pas troubler le repos public.

La seconde partie essentielle de la souveraineté est le pouvoir coactif, c'est-à-dire le droit d'établir des peines contre ceux qui troublent la société par leurs désordres, & le pouvoir de les infliger actuellement ; sans cela l'établissement de la société civile & des loix seroit tout-à-fait inutile, & on ne sauroit se promettre de vivre en sûreté. Mais afin que la crainte des peines puisse produire une impression assez forte sur les esprits, il faut que le droit de punir s'étende jusqu'à pouvoir faire souffrir le plus grand de tous les maux naturels, je veux dire la mort ; autrement la crainte de la peine ne seroit pas toujours capable de balancer la force de la passion ; en un mot, il faut qu'on ait manifestement plus d'intérêt à observer la loi qu'à la violer : ainsi ce droit du glaive est sans contredit le plus grand pouvoir qu'un homme puisse exercer sur un autre homme.

La troisieme partie essentielle de la souveraineté est de pouvoir maintenir la paix dans un état, en décidant les différends des citoyens ; comme aussi de faire grace aux coupables lorsque quelque raison d'utilité publique le demande ; & c'est-là ce qu'on appelle le pouvoir judiciaire.

4°. La souveraineté renferme encore tout ce qui concerne la religion par rapport à son influence sur l'avantage & la tranquillité de la société.

C'est en cinquieme lieu une partie essentielle de la souveraineté de pouvoir mettre l'état en sûreté à l'égard du dehors, & pour cet effet d'avoir le droit d'armer les sujets, lever des troupes, contracter des engagemens publics, faire la paix, des traités, des alliances avec les états étrangers, & d'obliger tous les sujets à les observer.

Enfin, c'est une partie de la souveraineté d'avoir le droit de battre monnoie ; de lever les subsides absolument nécessaires en tems de paix & en tems de guerre, pour assurer le repos à l'état, & pour pourvoir aux nécessités publiques. Telles sont les parties essentielles de la souveraineté.

Quant aux différentes manieres d'acquérir la souveraineté, je me contenterai de dire que le seul fondement légitime de cette acquisition est le consentement, ou la volonté du peuple ; cependant il n'arrive que trop souvent qu'on acquiert la souveraineté par la violence, & qu'un peuple est contraint par la force des armes de se soumettre à la domination du vainqueur ; cette acquisition violente de la souveraineté se nomme conquête, usurpation. Voyez les mots CONQUETE & USURPATION.

Puisque la guerre ou la conquête est un moyen d'acquérir la souveraineté, il résulte que c'est aussi un moyen de la perdre. (D.J.)

SOUVERAINETE ABSOLUE, (Gouvernem.) voyez MONARCHIE ABSOLUE.

SOUVERAINETE LIMITEE, (Gouvernem.) voyez MONARCHIE LIMITEE.


SOUVERAINSS. m. pl. (Droit naturel & politiq.) Ce sont ceux à qui la volonté des peuples a conféré le pouvoir nécessaire pour gouverner la société.

L'homme, dans l'état de nature, ne connoit point de souverain ; chaque individu est égal à un autre, & jouit de la plus parfaite indépendance ; il n'est dans cet état d'autre subordination que celle des enfans à leur pere. Les besoins naturels, & sur-tout la nécessité de réunir leurs forces pour repousser les entreprises de leurs ennemis, déterminerent plusieurs hommes ou plusieurs familles à se rapprocher, pour ne faire qu'une même famille que l'on nomme société. Alors on ne tarda point à s'appercevoir, que si chacun continuoit d'exercer sa volonté, à user de ses forces & de son indépendance, & de donner un libre cours à ses passions, la situation de chaque individu seroit plus malheureuse que s'il vivoit isolé, on sentit qu'il falloit que chaque homme renonçât à une partie de son indépendance naturelle pour se soumettre à une volonté qui représentât celle de toute la société, & qui fût, pour ainsi dire, le centre commun & le point de réunion de toutes ses volontés & de toutes ses forces. Telle est l'origine des souverains. L'on voit que leur pouvoir & leurs droits ne sont fondés que sur le consentement des peuples ; ceux qui s'établissent par la violence, ne sont que des usurpateurs ; ils ne deviennent légitimes, que lorsque le consentement des peuples a confirmé aux souverains les droits dont ils s'étoient emparés.

Les hommes ne se sont mis en société, que pour être plus heureux ; la société ne s'est choisi des souverains que pour veiller plus efficacement à son bonheur & à sa conservation. Le bien-être d'une société dépend de sa sureté, de sa liberté & de sa puissance, pour lui procurer ces avantages. Il a fallu que le souverain eût un pouvoir suffisant pour établir le bon ordre & la tranquillité parmi les citoyens, pour assurer leurs possessions, pour protéger les foibles contre les entreprises des forts, pour retenir les passions par des peines, & encourager les vertus par des récompenses. Le droit de faire ces loix dans la société, s'appelle puissance législative. Voyez LEGISLATION.

Mais vainement le souverain aura-t-il le pouvoir de faire des loix, s'il n'a en même tems celui de les faire exécuter : les passions & les intérêts des hommes font qu'ils s'opposent toujours au bien général, lorsqu'il leur paroît contraire à leur intérêt particulier. Ils ne voyent le premier que dans le lointain ; tandis que sans-cesse ils ont le dernier sous les yeux. Il faut donc que le souverain soit revêtu de la force nécessaire pour faire obéir chaque particulier aux loix générales, qui sont les volontés de tous, c'est ce qu'on nomme puissance exécutrice.

Les peuples n'ont point toujours donné la même étendue de pouvoir aux souverains qu'ils ont choisis. L'expérience de tous les tems apprend, que plus le pouvoir des hommes est grand, plus leurs passions les portent à en abuser : cette considération a déterminé quelques nations à mettre des limites à la puissance de ceux qu'elles chargeoient de les gouverner. Ces limitations de la souveraineté ont varié, suivant les circonstances, suivant le plus ou moins d'amour des peuples pour la liberté, suivant la grandeur des inconvéniens auxquels ils s'étoient trouvés entierement exposés sous des souverains trop arbitraires : c'est-là ce qui a donné naissance aux différentes divisions qui ont été faites de la souveraineté & aux différentes formes des gouvernemens. En Angleterre, la puissance législative réside dans le roi & dans le parlement : ce dernier corps représente la nation, qui par la constitution britannique, s'est réservé de cette maniere une portion de la puissance souveraine ; tandis qu'elle a abandonné au roi seul le pouvoir de faire exécuter les loix. Dans l'empire d'Allemagne, l'empereur ne peut faire des loix qu'avec le concours des états de l'Empire. Il faut cependant que la limitation du pouvoir ait elle-même des bornes. Pour que le souverain travaille au bien de l'état, il faut qu'il puisse agir & prendre les mesures nécessaires à cet objet ; ce seroit donc un vice dans un gouvernement, qu'un pouvoir trop limité dans le souverain : il est aisé de s'appercevoir de ce vice dans les gouvernemens suédois & polonois.

D'autres peuples n'ont point stipulé par des actes exprès & authentiques les limites qu'ils fixoient à leurs souverains ; ils se sont contentés de leur imposer la nécessité de suivre les loix fondamentales de l'état, leur confiant d'ailleurs la puissance législative, ainsi que celle d'exécuter. C'est-là ce qu'on appelle souveraineté absolue. Cependant la droite raison fait voir qu'elle a toujours des limites naturelles ; un souverain, quelque absolu qu'il soit, n'est point en droit de toucher aux loix constitutives d'un état, non-plus qu'à sa religion ; il ne peut point altérer la forme du gouvernement, ni changer l'ordre de la succession, à moins d'une autorisation formelle de sa nation. D'ailleurs il est toujours soumis aux loix de la justice & à celles de la raison, dont aucune force humaine ne peut le dispenser.

Lorsqu'un souverain absolu s'arroge le droit de changer à sa volonté les loix fondamentales de son pays ; lorsqu'il prétend un pouvoir arbitraire sur la personne & les possessions de son peuple, il devient un despote. Nul peuple n'a pu ni voulu accorder un pouvoir de cette nature à ses souverains ; s'il l'avoit fait, la nature & la raison le mettent toujours en droit de réclamer contre la violence. Voyez l'article POUVOIR. La tyrannie n'est autre chose que l'exercice du despotisme.

La souveraineté lorsqu'elle réside dans un seul homme, soit qu'elle soit absolue, soit qu'elle soit limitée, s'appelle monarchie. Voyez cet article. Lorsqu'elle réside dans le peuple-même, elle est dans toute son étendue, & n'est point susceptible de limitation ; c'est ce qu'on appelle démocratie. Ainsi chez les Athéniens la souveraineté résidoit toute entiere dans le peuple. La souveraineté est quelquefois exercée par un corps, ou par une assemblée qui représente le peuple, comme dans les états républicains.

En quelques mains que soit déposé le pouvoir souverain, il ne doit avoir pour objet que de rendre heureux les peuples qui lui sont soumis ; celui qui rend les hommes malheureux est une usurpation manifeste & un renversement des droits auxquels l'homme n'a jamais pu renoncer. Le souverain doit à ses sujets la sûreté, ce n'est que dans cette vue qu'ils se sont soumis à l'autorité. Voyez PROTECTION. Il doit établir le bon ordre par des loix salutaires, il faut qu'il soit autorisé à les changer, suivant que la nécessité des circonstances le demande ; il doit réprimer ceux qui voudroient troubler les autres dans la jouissance de leurs possessions, de leur liberté, de leur personne ; il a le droit d'établir des tribunaux & des magistrats qui rendent la justice, & qui punissent les coupables suivant des regles sûres & invariables. Ces loix s'appellent civiles, pour les distinguer des loix naturelles & des loix fondamentales auxquelles le souverain lui-même ne peut point déroger. Comme il peut changer les loix civiles, quelques personnes croyent qu'il ne doit point y être soumis ; cependant il est naturel que le souverain se conforme lui-même à ses loix tant qu'elles sont en vigueur, cela contribuera à les rendre plus respectables à ses sujets.

Après avoir veillé à la sûreté intérieure de l'état, le souverain doit s'occuper de sa sûreté au-dehors ; celle-ci dépend de ses richesses, de ses forces militaires. Pour parvenir à ce but, il portera ses vues sur l'agriculture, sur la population, sur le commerce, il cherchera à entretenir la paix avec ses voisins, sans cependant négliger la discipline militaire, ni les forces qui rendront sa nation respectable à tous ceux qui pourroient entreprendre de lui nuire, ou de troubler sa tranquillité ; de-là naît le droit que les souverains ont de faire la guerre, de conclure la paix, de former des alliances, &c. Voyez PAIX, GUERRE, PUISSANCE.

Tels sont les principaux droits de la souveraineté, tels sont les droits des souverains ; l'histoire nous fournit des exemples sans nombre de princes oppresseurs, de loix violées, de sujets révoltés. Si la raison gouvernoit les souverains, les peuples n'auroient pas besoin de leur lier les mains, ou de vivre avec eux dans une défiance continuelle ; les chefs des nations contens de travailler au bonheur de leurs sujets, ne chercheroient point à envahir leurs droits. Par une fatalité attachée à la nature humaine, les hommes font des efforts continuels pour étendre leur pouvoir ; quelques digues que la prudence des peuples ait voulu leur opposer, il n'en est point que l'ambition & la force ne viennent à bout de rompre ou d'éluder. Les souverains ont un trop grand avantage sur les peuples ; la dépravation d'une seule volonté suffit dans le souverain pour mettre en danger ou pour détruire la félicité de ses sujets. Au-lieu que ces derniers ne peuvent guere lui opposer l'unanimité ou le concours de volontés & de forces nécessaires pour reprimer ses entreprises injustes.

Il est une erreur funeste au bonheur des peuples, dans laquelle les souverains ne tombent que trop communément ; ils croyent que la souveraineté est avilie dès lors que ses droits sont resserrés dans des bornes. Les chefs de nations qui travailleront à la félicité de leurs sujets, s'assureront leur amour, trouveront en eux une obéissance promte, & seront toujours redoutables à leurs ennemis. Le chevalier Temple disoit à Charles II. qu'un roi d'Angleterre qui est l'homme de son peuple, est le plus grand roi du monde ; mais s'il veut être davantage, il n'est plus rien. Je veux être l'homme de mon peuple, répondit le monarque. Voyez les articles POUVOIR, AUTORITE, PUISSANCE, SUJETS, TYRAN.

SOUVERAIN, (Jurisprud.) ce titre est donné à certains tribunaux, comme aux conseils souverains, aux cours souveraines ; ce qui ne signifie pas que ces juges ayent une autorité souveraine qui leur soit propre, mais qu'ils exercent la justice au nom du souverain.

A la table de marbre, on appelle tenir le souverain, lorsque les commissaires du parlement viennent y tenir l'audience.

De même aux requêtes de l'hôtel, les maîtres des requêtes, étant au nombre de sept, jugent au souverain certaines causes dont ils sont juges en dernier ressort. Voyez CONSEIL SOUVERAIN, COUR SOUVERAINE, MAITRE DES REQUETES, REQUETES DE L'HOTEL. (A)

SOUVERAIN, (Monnoie) c'est le nom d'une monnoie frappée en Flandres vers le commencement du dernier siecle. Il y avoit aussi un demi - souverain & un quart de souverain. Le souverain de Flandres étoit du poids de six deniers 12 grains, ou 2 gros 12 grains trébuchans, & étoit reçu en France pour 13 livres. Le demi - souverain valoit 6 livres 10 sous, pesant 1 gros 6 grains ; le quart 3 liv. 5 sous pesant demi gros 3 grains. Cette monnoie n'a pas toujours eu le même type. Le livre qui contient les réglemens faits en 1641 pour les monnoies, donne la figure de deux souverains, dont le premier frappé en 1616, a d'un côté les effigies des archiducs Albert & Elisabeth assis, & de l'autre côté l'écu d'Autriche. Le second frappé en 1622, a d'un côté le buste de Philippe IV. roi d'Espagne, & de l'autre côté son écu. (D.J.)


SOUVIGNY(Géogr. mod.) en latin moderne Silviniacus, petite ville de France dans le Bourbonnois, sur le ruisseau de Quesne, près de l'Allier, à 2 lieues de Moulins, & à 3 de Bourbon l'Archambaud. Elle doit être ancienne, car Charlemagne y fit ses premieres armes dans la guerre de Pepin son pere, contre le duc de Guienne. Les sires de Bourbon, dont est venue la branche aujourd'hui régnante, y avoient leur sépulture. Le monastere du prieur de cette ville vaut environ dix mille livres de rente. Long. 20. 52. latit. 36. 31. (D.J.)


SOVou SOVI, (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne en Afrique dans les royaumes de Congo & d'Angola à des especes de gouverneurs ou de vicerois, qui sont soumis aux rois du pays ou aux Portugais, & qui tyrannisent les habitans qui sont sous leurs ordres de la maniere la plus cruelle ; ils jugent des procès & des différends, & ne manquent pas de rendre à leur profit ceux à qui ils donnent tort.


SOWAAS(Métallurg.) les Japonois donnent ce nom à une composition métallique qui n'est autre chose qu'un alliage d'or & de cuivre, & qui travaillée, a une couleur aussi belle que l'or pur.


SOYEvoyez SOIE.


SOYETEURS. m. (Soierie) ouvrier qui travaille en étoffes de soie. Il n'y a guere qu'à Lille, capitale de la Flandre françoise, où on leur donne ce nom, ailleurs on les appelle manufacturiers, fabriquans ou ouvriers en soie. Savary.


SOYEUXadj. qui imite la qualité de la soie ; le castor est soyeux : qui est bien fourni de soie ; ce taffetas est très- soyeux.


SOZ(Géog. mod.) Bourg d'Espagne, aux frontieres de la Navarre ; c'est un bourg remarquable par la naissance de Ferdinand V, surnommé le Catholique. Il épousa Isabelle de Castille, & réunit en faveur de ce mariage, les états de Castille à ceux d'Aragon en 1479. C'est sous son regne que Colomb découvrit le nouveau monde, & soumit à la Castille tant de riches provinces. Ferdinand remporta à Toro une grande victoire en 1476 sur Alphonse V. roi de Portugal, conquit le royaume de Grenade, & chassa les Maures d'Espagne en 1492. Bientôt après, il se rendit maître d'Oran en Afrique, s'empara du royaume de Naples, usurpa celui de Navarre en 1512, & mourut en 1516 au village de Madrigales, d'un breuvage que Germain de Foix, sa seconde femme, lui avoit fait prendre, pour le rendre capable d'avoir des enfans. Voilà sa vie ; la politique de ce prince n'est pas moins connue ; il parloit sans-cesse de religion & de bonne foi, & viola toujours l'une & l'autre. Il trompa indignement le roi d'Angleterre son gendre, après avoir successivement trompé son parent, le roi de Navarre, & le roi Louis XII, & les Vénitiens, & les papes. On l'appelloit en Espagne, le catholique ; en Italie, le prudent ; en France & en Angleterre, le perfide ; & c'étoit-là le seul titre qu'il méritoit. (D.J.)


SOZUSAE(Géog. anc.) Etienne le géographe connoît trois villes de ce nom, l'une dans la Phénicie ; l'autre dans la Pisidie, & la troisieme dans l'Ethiopie. S. Epiphane en met encore une dans la Pentapole, & il en fait un siége épiscopal, dont il nomme l'évêque Héliodore. (D.J.)


SPA(Géog. mod.) bourg du pays de Liége, sur les confins du duché de Limbourg, à environ cinq milles de la ville de Liége. Ce bourg est toujours renommé par ses eaux minérales ; elles étoient déja célebres du tems de Pline, & vous trouverez la belle & simple description qu'il en fait dans son Hist. nat. liv. XXXI. ch. ij. au mot TUNGRORUM FONS. (D.J.)


SPACIEUXadj. (Gramm.) qui occupe un grand espace, un jardin spacieux ; une maison spacieuse. Au figuré, vous avez entrepris cet ouvrage, le champ est spacieux.


SPADou SPATA, (Géog. mod.) cap de l'île de Candie, à 8 lieues au couchant de la Canée ; c'est le spacum promontorium des anciens, selon Coronelli. (D.J.)


SPADASSINS. m. (Gram. Escrim.) homme sanguinaire & fou, qui se fait un jeu de sa vie & de celle des autres qu'il expose avec une imprudence qui ne se conçoit pas, en leur faisant mettre l'épée à la main pour un oui ou non.


SPADILLES. m. au jeu de Quadrille, c'est l'as de pique qui est le premier a-tout & la premiere carte de quelque couleur que soit la triomphe : spadille a le privilege de forcer les autres matadors quand il a été joué la premiere carte, & que ceux qui les ont n'ont pas d'autre a-tout à fournir. Il en est de même du baste à l'égard de la manille, le matador supérieur forçant toujours l'inférieur. Voyez MATADORS.

SPADILLE FORCE, est une maniere de jouer à l'hombre, assez divertissante quand on joue pour le plaisir, parce qu'il y a toujours des bêtes au jeu, & qu'on gagne souvent codille quand on y pense le moins ; mais quand le jeu est intéressé ce n'est plus la même chose, parce que le jeu de l'hombre qui est tout spirituel par lui-même, dégénere presque en jeu de hasard, & que la conduite ne sert de rien à un joueur qui se voit souvent spadille fort mal accompagné ; il se joue en tout comme le véritable jeu de l'hombre dont nous avons parlé plus haut, chacun parle à son rang, & si personne ne joue, celui qui a spadille est obligé de jouer quelque foible que soit son jeu.

Celui qui a spadille en main peut passer, pour voir si quelqu'un des joueurs ne le tirera pas d'embarras.

Quand personne n'accuse spadille, on voit dans le talon s'il n'y est pas, celui qui l'a fait la bête, & le coup ne se joue pas.


SPADONvoyez ESPADON.


SPAGIRIQUEadj. (Gram.) du grec , extraire ; c'est une épithete par laquelle on désigne la Médecine chimique. Spagirique s'oppose à galenique.


SPAHI-AGASIS. m. terme de relation ; aga ou commandant des spahis. Le spahi-agasi & les caziasques vont chez le grand-seigneur avec beaucoup de cérémonies, toutes les fois que se tient le divan. Duloir. (D.J.)


SPAHILAR-AGAS. m. (Hist. mod.) colonel-général de la cavalerie turque ou des spahis ; c'est un des grands officiers du sultan. Il a la même autorité sur les spahis, que l'aga des janissaires sur ce corps d'infanterie, elle étoit même autrefois si grande, qu'elle étoit redoutable au grand-seigneur ; mais le visir Cuprogli l'a beaucoup diminuée, en abaissant le corps des spahis qui avoient détrôné l'empereur Osman. Guer, Moeurs des Turcs, tome II.


SPAHISS. m. (Hist. mod.) chez les Turcs sont les soldats qui composent la cavalerie de leurs armées.

On les nommoit autrefois selictarlis, c'est-à-dire hommes d'épée, mais ayant plié lâchement dans une occasion, Mahomet III. les cassa & leur substitua un nouveau corps qu'il nomma spahis, c'est-à-dire simples cavaliers, & leur donna un étendard rouge. On les tire ordinairement d'entre les baltagis & les ichoglans du trésor & de la fauconnerie, & d'entre les Turcs naturels d'Asie.

Les spahis se servent de l'arc & de la lance plus commodément que des armes à feu. Quelques-uns portent à la main un girit espece de dard de 2 piés de long, qu'ils lancent avec autant de force que d'adresse, mais leur arme la plus redoutable est le cimeterre ; quelques-uns portent aussi pour armes défensives des cottes de mailles, des cuirasses & des casques, mais le plus grand nombre n'a que l'habillement ordinaire des Turcs & le turban.

Autrefois les spahis d'Asie ne paroissoient jamais à l'armée, que suivis de trente ou quarante hommes chacun, sans compter leurs chevaux de main, tentes & bagages : aujourd'hui ils y vont sur le pié de simples soldats. Leur corps n'est pourtant jamais qu'une multitude confuse qui n'est distribuée ni en régimens, ni en compagnies ; ils marchent par pelotons, combattent sans beaucoup d'ordre, s'absentent du camp & quittent le service sans congé. Ils ont cependant quelques capitaines qu'on nomme agas, qui ont cent-cinquante aspres de paye par jour ; celle des spahis est depuis 12 aspres jusqu'à 30 ; mais ceux qui ne se trouvent pas à la paye du mois de Novembre, sont rayés de dessus les registres du grand-seigneur. Cette cavalerie passoit anciennement pour la meilleure de l'Europe, mais depuis qu'on a permis aux domestiques des bachas d'y entrer, elle est devenue molle, vile & libertine : leur général en chef se nomme spahilar-aga. Guer, Moeurs des Turcs, tom. II.


SPALATRou SPALATO, (Géog. mod.) ville de l'état de Venise, capitale de la Dalmatie vénitienne, sur le golfe de Venise, à 3 milles de Salone, à 12 de Trau, & environ à 400 de Venise. Elle est assez peuplée, parce que c'est une échelle des caravanes de Turquie qui y déchargent leurs marchandises pour Venise. D'ailleurs, son port est grand & a un bon fonds. Long. 34. 10. latit. 43. 62.

Dans les monumens de quatre cent ans, cette ville est appellée Spaletum, Spalatum ; & de cette maniere Spalato sembleroit plus conforme à l'origine que Spalatro, quoique ce dernier mot soit le plus en usage. Ce mot peut lui être venu de palatium, parce que ce lieu n'étoit anciennement qu'un palais de l'empereur Dioclétien né à Salone, & l'on en voit encore les restes. Le dome de Spalatro étoit un petit temple au milieu de ce palais. Depuis que ce temple a été changé en église, on l'a percé pour y faire un choeur, & on y a fait quelques jours. Les murailles du palais de Dioclétien qui embrassent les deux tiers de la ville, offrent encore trois portes d'une belle architecture, & dont les pierres sous l'arc sont entées en mortaise les unes sous les autres.

Spalato passa en 1124 sous la domination des Vénitiens qui ont aggrandi ses murailles, & les ont fortifiées. Elle a eu le titre d'archevêché vers l'an 650 ; & son archevêque se dit primat de la Dalmatie, quoiqu'il soit sujet lui-même à la primatie de Venise. Il a douze suffragans, & presque tous dans un triste état par le voisinage du Turc.

Le fameux Marco - Antonio de Dominis devint archevêque de cette ville ; c'étoit un physicien de quelque mérite, & un homme plein de vûes pour la pacification des troubles de religion. Il chercha une retraite en Angleterre sous le regne de Jacques premier ; & ce fut un grand sujet de triomphe à la nation, qui enlevoit un prosélite de ce rang aux catholiques romains ; mais le prélat de Dalmatie, quoique fort accueilli, & élevé à quelques honneurs, ne les trouva pas capables de satisfaire son ambition ; il prit le mauvais parti de retourner en Italie, à la sollicitation de l'ambassadeur d'Espagne, qui lui fit espérer un chapeau de cardinal. Etant arrivé à Rome, il y fit une abjuration publique de la religion protestante ; cependant il n'obtint aucune dignité, & même quelque tems après il fut arrêté sur quelques soupçons de ses vrais sentimens, & il fut enfermé dans le château saint Ange, où il finit sa vie en 1625, âgé de 64 ans.

Pendant son séjour en Angleterre, il fit imprimer l'histoire du concile de Trente de Fra Paolo. Il publia dans le même pays un grand ouvrage, intitulé, de republica ecclesiastica, Londini 1617 & 1622, en deux volumes in-fol. & l'on en a donné depuis un troisieme volume en Allemagne en 1658. La Sorbonne a censuré plusieurs propositions du premier tome de cet ouvrage ; & Richer a fait sur cette censure quelques notes, dans lesquelles il n'est pas du sentiment de ses confreres.

Dominis est connu des Physiciens par un petit traité de radiis visûs & lucis, imprimé à Venise en 1611 in -4°. dans lequel il explique les couleurs de l'arc-en-ciel, par deux réfractions de la lumiere solaire & une réflexion entre-deux. Kepler avoit déja eu la même pensée. Descartes a suivi en partie l'explication de Dominis ; mais la véritable exposition de ce phénomene étoit réservée à Newton par le moyen de sa doctrine des couleurs, qui est la seule véritable. (D.J.)


SPALDYNG(Géog. mod.) ou SPALDING, petite ville à marché d'Angleterre, dans l'Incolnshire, au quartier du Holland, vers l'embouchure du Welland. Elle est toute renfermée de rivieres, de coupures & de marais. (D.J.)


SPALETRA(Géog. anc.) ville qu'Etienne le géographe place dans la Thessalie. C'est la Spalathra que Pline, liv. IV. ch. ix. met dans la Magnésie. Le peryple de Scylax fait de Spalathra une ville maritime de la Magnésie. (D.J.)


SPALMADORI(Géog. mod.) petite île de l'Archipel, près de l'île de Scio, vis-à-vis de Porto-Delphino. Ce fut aux environs de Spalmadori, que les Turcs défirent l'armée navale des Vénitiens en 1695. (D.J.)


SPANDAW(Géog. mod.) ou SPANDOW, ville d'Allemagne, dans la moyenne marche-de-Brandebourg, sur le Havel, près de son embouchure dans la Sprée, à trois lieues au nord-ouest de Berlin. Avant que d'entrer dans Spandaw, on passe sur la chaussée d'un étang, au milieu duquel est une citadelle très-forte, qui renferme un arsenal des mieux fournis d'Allemagne, avec une grosse garnison à cause de l'importance de cette place. La ville est éloignée de la citadelle d'une mousquetade : elle est fortifiée de remparts de terre, & de murailles de brique. Plusieurs françois protestans s'y sont réfugiés, comme dans un sûr asyle. Longitude 31. 20. latitude 52. 34. (D.J.)


SPANGENBERG(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans le bas landgraviat de Hesse, au quartier appellé Ampt-Spangenberg, dont elle est le chef-lieu. Sa situation est à environ 4 milles germaniques au sud-est de Cassel, sur une petite riviere qui se jette dans la Fulde. Longitude, 27. 13. latit. 51. 17. (D.J.)


SPANHEIM(Géog. mod.) ou SPONHEIM, comté d'Allemagne, dans le palatinat. Il est borné au nord par l'électorat de Mayence, au midi par les duchés de Lorraine & de Deux-Ponts, à l'orient par l'électorat du Palatinat, & au couchant par l'électorat de Treves. L'électeur palatin possede la plus grande partie de ce comté. (D.J.)


SPARADRAPS. m. terme de Chirurgie & de Pharmacie, sorte de toile enduite d'emplâtre de chaque côté. Elle se fait en trempant de la toile demi-usée dans une composition emplastrique, fondue & un peu refroidie. On la polit en la raclant avec une longue spatule. Il y a autant de sortes de sparadrap qu'il y a d'emplâtres dans lesquels on trempe cette toile. On l'appelle communément toile à Gautier, probablement du nom de son inventeur. Elle sert à couvrir le pois qu'on met dans le trou d'un cautere, & peut être employée alternativement plusieurs fois, d'un côté & d'un autre. On préfere dans ce cas, une feuille fraîche de lierre. Le sparadrap sert à former des bougies pour le canal de l'urethre, & des sondes ou tentes emplastriques pour les sinus, &c. (Y)


SPARAGONS. m. (Com.) sorte de basse laine qui se fabrique en Angleterre.


SPARAILLONS. m. (Hist. nat. Ichthiolog.) SPARGOIL, SPARLE, spargus, sparus, poisson de mer si ressemblant à la dorade, que les pêcheurs mêmes s'y trompent au premier coup-d'oeil ; il en differe cependant, en ce qu'il a le corps plus rond, moins épais, plus applati & moins long : il a rarement plus d'un empan de longueur. L'ouverture de la bouche est moins grande, & la tête plus applatie que dans la dorade, mais le bec a plus de longueur. On reconnoît très-aisément ce poisson par une tache noire qu'il a sur la queue. Les sparaillons restent sur les rivages de la mer : ils se réunissent plusieurs ensemble pendant les froids : leur chair est tendre, mais moins ferme que celle de la dorade. Rondelet, hist. natur. des poiss. part. I. liv. V. ch. iij. Voyez POISSON.


SPARGANIUMS. m. (Botan.) genre de plante nommée vulgairement en françois ruban d'eau, & dont voici les caracteres. Ses fleurs sont mâles, polypétales, herbacées, garnies d'un grand nombre d'étamines, & fortement attachées à la tige en forme de globes. Ses ovaires sont situés sur la même tige, au-dessous des fleurs mâles dont nous venons de parler. Ce sont de petits tubes recourbés, semblables à des siliques, & qui deviennent en murissant osseux, mono-capsulaires ou bi-capsulaires ; ils contiennent un noyau farineux. Ses ovaires sont aussi en globes semblables à des noeuds. Tournefort en compte trois especes, qui ne méritent aucune description particuliere. (D.J.)


SPARGELLES. f. (Botan.) Voyez SPERGULA. (D.J.)


SPARGOILVoyez SPARAILLON.


SPARLEVoyez SPARAILLON.


SPARTARIUSSPARTARIUS


SPARTou LACÉDÉMONE, (Géog. anc.) ville du Péloponnèse dans la Laconie.

J'ai promis au mot Lacédémone, de la décrire ; & comment pourrois-je l'oublier ? Son nom seul rappelle de plus grandes choses, & surtout de plus grandes vertus, que celui de toutes les autres villes de la Grece ensemble. Sa gloire a fait tant de bruit dans le monde, & dans les annales de l'Histoire, qu'on ne se lasse point d'en parler. Les auteurs ont coutume de donner le nom de Spartiates aux habitans de la ville, & celui de Lacédémoniens aux habitans de la campagne. Hérodote, Xénophon & Diodore, ont presque toujours observé cet usage.

Cette ville a été bâtie par Lacédémon, qui regnoit avec Eurotas en Laconie, la 67 année de l'ere attique, & la 1539 année avant J. C. Il la nomma Sparte, du nom de sa femme ; & c'est le seul nom dont Homere fasse usage pour désigner la capitale de la Laconie.

Plus ancienne que Rome de 983 ans ; plus que Carthage de 867 ans ; plus que Syracuse de 995 ans ; plus qu'Alexandrie de 1405 années ; plus que Lyon de 1693 années ; & plus que Marseille de 1136, car Eusebe prétend que cette derniere ville a été bâtie 1736 ans avant la naissance de J. C.

La forme de Sparte étoit ronde, & son terrein inégal & coupé par des collines, selon la description de Polybe. Cet historien lui donne 48 stades de circuit, c'est-à-dire un peu plus de deux lieues de France ; circuit bien différent de celui d'Athènes, qui approchoit de 100 stades. C'est là-dessus que Thucydide fait une si belle remarque sur la fortune de ces deux villes, qui ont autrefois partagé toute la Grece pour leurs intérêts. " Imaginons-nous, dit-il, que la ville de Sparte soit rasée, & qu'il en reste seulement les temples & le plan de ses édifices ; en cet état, la postérité ne pourroit jamais se figurer que sa puissance & sa gloire fussent montées au point où elles sont. Si nous supposons, au contraire, que la ville d'Athènes ne soit plus qu'une esplanade, son aspect nous devroit toujours persuader que sa puissance aura été deux fois plus grande qu'elle n'est ".

Dans les premiers tems, Sparte n'eut point de murailles, & quoiqu'ouverte, Agésilaüs la défendit contre Epaminondas, après la bataille de Leuctres : elle demeura telle 6 ou 700 ans, selon la plûpart des historiens ; ce fut du tems de Pyrrhus que le tyran Nabis éleva des murs à cette ville. Philopoëmen les fit abattre, & Appius Claudius les rétablit bientôt après.

Hérodote dit que du tems de Xerxès, la ville de Sparte pouvoit fournir huit mille hommes capables de porter les armes ; mais ce nombre augmenta bien dans la suite, & rien ne prouve mieux la multitude des habitans de la république de Lacédémone, que les colonies qui en sont sorties. Elle peupla Byzance, quatre ou cinq villes d'Asie, une dans l'Afrique, cinq ou six dans la Grece, trois ou quatre provinces d'Italie, une ville en Portugal, & une autre en Espagne auprès de Cordoue. Cependant le nombre de ses habitans n'a roulé que sur la fécondité de leurs mariages. Sparte ne souffrit point que des familles étrangeres vinssent s'établir dans son enceinte, & jamais ville n'a été plus jalouse de son droit de bourgeoisie.

Elle fut toujours distinguée par les Romains, tant qu'ils en furent les maîtres ; enfin elle tomba sous la domination des Turcs, l'an de J. C. 1460, 7 ans après la prise de Constantinople, 5 ans après celle d'Athènes, & 3210 ans après sa fondation. On la nomme aujourd'hui Misistra, dont il est bon de voir l'article. Je passe maintenant à ce qu'elle étoit du tems de Pausanias. Voici la description qu'il en fait dont j'élaguerai peu de chose.

En descendant de Thornax, dit-il, on trouvoit devant soi la ville de Sparte, qui étoit appellée ainsi de sa fondation ; mais qui dans la suite prit le nom de Lacédémone, parce que c'étoit le nom du pays. Il y avoit dans cette ville beaucoup de choses dignes de curiosité. En premier lieu, la place publique où se tenoit le sénat des vieillards, qui étoient au nombre de 28 ; le sénat de ceux qui sont les conservateurs des loix ; le sénat des éphores, & le sénat de ces magistrats qu'ils appelloient bidiéens. Le sénat des vieillards étoit le souverain tribunal des Lacédémoniens, & celui qui régloit toutes les affaires de l'état. Les autres sénateurs étoient, à-proprement parler, des archontes ; les éphores étoient au nombre de cinq & les bidiéens de même. Ceux-ci étoient commis pour veiller sur les jeunes gens, & pour présider à leurs exercices, soit dans le lieu qu'ils nommoient le plataniste, soit par-tout ailleurs. Ceux-là étoient chargés de soins plus importans, & chaque année ils en nommoient un d'entr'eux qui présidoit aux autres, & dont le nom servoit à marquer l'année ; de la même maniere qu'à Athènes les neuf élisoient un d'entr'eux, qui avoit le nom d'archonte par excellence.

Le plus bel édifice qu'il y eût dans la place, étoit le portique des Perses, ainsi nommé parce qu'il avoit été bâti des dépouilles remportées sur les Perses. Dans la suite on l'avoit beaucoup aggrandi & orné. Tous les chefs de l'armée des Barbares, & entr'autres Mardonius, fils de Gobryas, avoient là chacun leurs statues de marbre blanc, & ces statues étoient sur autant de colonnes : on y voyoit aussi la statue d'Arthémise, fille de Lygdamis & d'Halicarnasse. On dit que cette reine de son propre mouvement, joignit ses forces à celles de Xerxès pour faire la guerre aux Grecs, & que dans le combat naval qui fut donné auprès de Salamine, elle fit des prodiges de valeur.

Après le portique des Perses, ce qu'il y avoit de plus beau à voir dans cette place, étoit deux temples, dont l'un étoit consacré à Jules-César, & l'autre à Auguste son fils. On remarquoit sur l'autel de ce dernier une figure d'Agias, gravée sur du cuivre : c'est cet Agias qui prédit à Lysander, qu'il se rendroit maître de toute la flotte d'Athènes à Aigospotamos, à la reserve de dix galeres, qui en effet se sauverent en Chypre.

Dans la place de Sparte on voyoit encore trois statues, une d'Apollon pythien, l'autre de Diane, & la troisieme de Latone. L'endroit où étoient ces statues, étoit une enceinte qu'ils appelloient du nom de choeur, parce que dans ces jeux publics auxquels les jeunes gens s'exerçoient, & qui se célébroient avec beaucoup de solemnité, toute la jeunesse alloit là, & y formoit des choeurs de musique en l'honneur d'Apollon.

Près de-là étoient plusieurs temples, l'un consacré à la Terre, l'autre à Jupiter agoréus, un autre à Minerve agoréa, & un quatrieme à Neptune surnommé asphalius. Apollon & Junon avoient aussi chacun le leur : on voyoit aussi une grande statue qui représentoit le peuple de Sparte ; & un peu plus bas le temple des Parques. Tout joignant ce temple étoit le tombeau d'Oreste : auprès de sa sépulture on remarquoit le portrait du roi Polydore, fils d'Alcamène. Les Lacédémoniens ont tellement distingué ce roi entre tous les autres, que les actes publics ont été long-tems scellés de son sceau.

Au même lieu il y avoit un Mercure qui portoit un petit Bacchus, & ce Mercure étoit surnommé agoreus. Il y avoit aussi dans le même endroit des rangées d'anciennes statues, qui représentoient les éphores de ces tems-là. Parmi ces statues on voyoit le tombeau d'Epiménide, & celui d'Aphareus, fils de Périérès. Du côté droit étoient les Parques ; on voyoit les salles où les Lacédémoniens prenoient ces repas publics qu'ils nommoient phidities, & là étoit aussi Jupiter hospitalier & Minerve hospitaliere.

En sortant de la place, & passant par la rue des Barrieres, on trouvoit une maison qu'ils appelloient le Boonete. Au-dessus du sénat des bidiéens il y avoit un temple de Minerve, où l'on dit qu'Ulysse consacra une statue à la déesse, sous le nom de Minerve celeuthea, comme un monument de la victoire qu'il avoit remportée sur les amans de Pénélope ; & il fit bâtir sous le même nom, trois temples en trois différens endroits. Au bout de la rue des Barrieres, on trouvoit une sépulture de héros, entr'autres celle d'Iops, qu'on croit avoir vécu environ le tems de Lelex & de Mylès, celle encore d'Amphiaraüs, fils d'Oïclès.

Près de-là étoit le temple de Neptune surnommé ténarien, & assez près on voyoit une statue de Minerve. Du même côté on trouvoit la place Hellénie, ainsi appellée parce que dans le tems que Xerxès passa en Europe, toutes les villes grecques qui prirent les armes contre lui, envoyerent leurs députés à Sparte, & ces députés s'aboucherent là pour aviser aux moyens de résister à une puissance si formidable. D'autres disoient que cette dénomination étoit encore plus ancienne, & qu'elle venoit de ce que tous les princes de la grece ayant pour l'amour de Ménélas, entrepris le siege de Troye, ils s'assemblerent en ce lieu pour délibérer sur cette expédition, & sur les moyens de tirer une vengeance de Pâris qui avoit enlevé Hélene.

Près de cette place, on montroit le tombeau de Talthybius ; mais ceux d'Egion en Achaïe avoient aussi dans le marché de leur ville un tombeau, qu'ils assuroient être celui de Talthybius. Dans le même quartier on voyoit un autel dédié à Apollon Acritas, ainsi appellé, parce que cet autel étoit bâti sur une hauteur. On trouvoit dans le même endroit un temple de la Terre, qu'ils nommoient Gasepton, & un peu au-dessus un autre temple d'Apollon, surnommé Maléatis : passé la rue des Barrieres contre les murs de la ville, on trouvoit une chapelle dédiée à Dictynne, & ensuite les tombeaux de ces rois, qui ont été appellés Lurypontides.

Auprès de la place Hellénienne, il y avoit le temple d'Arsinoé, qui étoit fille de Leucippe, & belle-soeur de Castor & Pollux. Du côté des remparts, on voyoit un temple de Diane, & un peu plus loin la sépulture de ces devins qui vinrent d'Elis, & qu'on appelloit Jamides. Maron & Alphée avoient aussi-là leurs temples. C'étoit deux grands capitaines, qui après Léonidas, signalerent le plus leur courage au combat de Thermopyles. A quelques pas de-là, on voyoit le temple de Jupiter Tropeus. Mais de tous les temples qui étoient à Sparte, le plus révéré étoit celui de la mere des dieux. On voyoit auprès le monument héroïque d'Hyppolite, fils de Thésée, & celui d'Aulon Arcadien, fils de Tlésimene, frere de Parthenopée.

La grande place de Sparte avoit encore une autre issue & de ce côté-là on trouvoit un édifice où les habitans venoient prendre le frais. On disoit que ce bâtiment étoit un ouvrage de Théodore de Samos, qui le premier trouva l'art de fondre le fer & d'en faire des statues. C'est à la voûte de cet édifice que les Lacédémoniens avoient suspendu la lyre de Timothée de Milet, après l'avoir puni de ce qu'aux sept cordes de l'ancienne lyre, il en avoit ajouté quatre autres.

A quelques pas du temple d'Apollon, étoient trois autels dédiés à Jupiter Ambulius, à Minerve Ambulia, & aux Dioscures, qui avoient aussi le surnom d'Ambulii. Vis-à-vis étoit une éminence appellée Colona, où il y avoit un temple de Bacchus Colonate : ce temple tenoit presque à un bois qu'ils avoient consacré à ce héros, qui eut l'honneur de conduire Bacchus à Sparte. Du temple de Bacchus à celui de Jupiter Evanemus, il n'y avoit pas loin, & de ce dernier on voyoit le monument héroïque de Pleuron, dont les enfans de Tyndare descendoient par leur mere.

Près de là étoit une colline où Junon Argiva avoit un temple, qui avoit été consacré, dit-on, par Eurydice, fille de Lacédémon, & femme d'Acrisius, & qui étoit fils d'Abas : car pour le temple de Junon Hyperchiria, il avoit été bâti par le conseil de l'oracle, dans le tems que le fleuve Eurotas inondoit toute la campagne. On voyoit dans ce temple une statue de bois d'un goût fort ancien, & qui représentoit, à ce qu'ils disoient, Vénus-Junon. Toutes les femmes qui avoient des filles à marier, faisoient des sacrifices à cette déesse.

Au sortir de la place, vers le couchant, étoit le théâtre bâti de marbre blanc. Vis-à-vis du théâtre étoit le tombeau du roi Pausanias, qui commandoit les Lacédémoniens au combat de Platée. La sépulture de Léonidas étoit tout-auprès. Tous les ans on faisoit les oraisons funebres de ces grands capitaines sur leurs tombeaux, & ces oraisons étoient suivies de jeux funéraires, où il n'y avoit que les Lacédémoniens qui fussent reçus à disputer le prix. Léonidas étoit véritablement inhumé dans ce lieu-là ; car ses os avoient été rapportés des Thermopyles par Pausanias quarante ans après sa mort. On voyoit aussi-là une colonne, sur laquelle étoient gravés les noms de ces grands hommes, qui soutinrent l'effort des Perses aux Thermopyles, & non-seulement leurs noms, mais ceux de leurs peres. Il y avoit un quartier dans la ville qu'on nommoit le Théontélide, où étoient les tombeaux des rois, dits Agides. Le lesché étoit tout contre. C'étoit le lieu où les Crotanes s'assembloient, & les Crotanes étoient la cohorte des Pitanates.

On trouvoit ensuite le temple d'Esculape, qu'ils nomment l'Enapadon, & un peu plus loin le tombeau de Ténarus, d'où un promontoire fort connu avoit pris sa dénomination. Dans le même quartier on voyoit le temple de Neptune Hyppocurius, & celui de Diane Eginea. En retournant vers le lesché, on trouvoit sur son chemin le temple de Diane Issoria, autrement dite Liminéa. Près de ces tombeaux des Agides, on voyoit une colonne, sur laquelle on avoit gravé les victoires qu'un lacédémonien, nommé Anchionis, avoit remportées, au nombre de sept, tant à Olympie qu'ailleurs. On voyoit aussi le temple de Thétis dans ce quartier-là. Pour le culte de Cérès Cthonia, qui étoit établi à Sparte, les habitans croyoient l'avoir reçu d'Orphée ; mais il y a plus d'apparence qu'ils l'avoient pris des habitans d'Hermione, chez qui cette déesse étoit honorée sous le même nom. On voyoit aussi à Sparte un temple de Sérapis, & un temple de Jupiter Olympien.

Il y avoit un lieu qu'ils appelloient Dromos, où ils exerçoient leurs jeunes gens à la course. Si l'on y entroit du côté qui regardoit la sépulture des Agides, on voyoit à main gauche le tombeau d'Eumédès, qui étoit un des fils d'Hippocoon, & à quelques pas de-là une vieille statue d'Hercule. C'étoit à ce dieu, & en ce lieu-là, que sacrifioient les jeunes gens qui sortoient de l'adolescence, pour entrer dans la classe des hommes. Le Dromos avoit deux gymnases ou lieux d'exercices, dont l'un avoit été consacré à cet usage par Euryclide de Sparte. Au-dehors & près de la statue d'Hercule, on montroit une maison qui étoit autrefois la maison de Ménélas. Plus loin on trouvoit les temples des Dioscures, des Graces, de Lucine, d'Apollon Carnéus & de Diane Hégémaque. A droite du Dromos, on voyoit le temple d'Agnitas ; c'étoit un surnom qui avoit été donné à Esculape, à cause du bois dont la statue avoit été faite.

Quand on avoit passé le temple d'Esculape, on voyoit un trophée que Pollux, à ce qu'on dit, avoit érigé lui-même après la victoire qu'il avoit remportée sur Lyncée. Les Dioscures avoient leurs statues à l'entrée du Dromos, comme des divinités qui président à la barriere. En avançant plus loin, on voyoit le monument héroïque d'Alcon ; à quelques pas delà étoit le temple de Neptune, surnommé Domatilès. Plus loin étoit un endroit, qu'ils nommoient le Plataniste, à cause de la grande quantité de grands platanes dont il étoit rempli. Voyez PLATANISTE.

Vers ce bois de platanes, on voyoit aussi le monument héroïque de Cynisca, fille du roi Archidame. Derriere un portique qui étoit-là, on trouvoit encore d'autres monumens héroïques, comme ceux d'Alcime & d'Enarephore ; un peu plus loin ceux de Dorcée & de Sébrus. Dorcée avoit donné son nom à une fontaine qui étoit dans le voisinage, & Sébrus le sien à une rue de ce quartier-là. A droite du monument de Sébrus, on remarquoit le tombeau d'Alcman. Là se trouvoit aussi le temple d'Helene & le temple d'Hercule ; le premier plus près de la sépulture d'Alcman ; le second contre les murs de la ville. Dans ce dernier il y avoit une statue d'Hercule armé ; on dit qu'Hercule étoit représenté ainsi, à cause de son combat avec Hippocoon & avec ses enfans.

En sortant du Dromos, du côté de l'orient, on trouvoit un temple dédié à Minerve Axiopoenas, ou vengeresse. Minerve avoit encore dans cette rue un temple, qu'on trouvoit à gauche au sortir du Dromos. On rencontroit ensuite le temple d'Hipposthène, homme célebre pour avoir été plusieurs fois vainqueur à la lutte ; & vis-à-vis de ce temple, il y avoit une statue fort ancienne, qui représentoit Mars enchaîné, sur le même fondement qu'on voyoit à Athènes une victoire sans aîles : car les Lacédémoniens s'étoient imaginés que Mars étant enchaîné, demeureroit toujours avec eux, comme les Athéniens avoient cru que la Victoire n'ayant point d'aîles, elle ne pourroit s'envoler ailleurs ni les quitter. C'étoit la raison qui avoit porté ces deux peuples à représenter ainsi ces divinités. Il y avoit encore à Sparte un autre lesché, qu'ils nommoient le Poecile.

On voyoit tout près les monumens héroïques de Cadmus, fils d'Agenor ; d'Oéolicus, fils de Théras ; & d'Egée, fils d'Oéolicus. On croyoit que c'étoit Mésis, Léas & Europas, fils d'Hyrée & petit - fils d'Egée, qui avoient fait élever ces monumens. Ils avoient même ajouté celui d'Amphiloque, parce que Tisamène, leur ancêtre, étoit né de Démonasse, soeur d'Amphiloque. Les Lacédémoniens étoient les seuls grecs qui révéroient Junon sous le nom de la déesse Egophage, & qui lui immoloient une chevre. Si on reprenoit le chemin du théâtre, on voyoit un temple de Neptune Généthlius, & deux monumens héroïques, l'un de Cléodée, fils d'Hyllus, l'autre d'Oébalus ; Esculape avoit plusieurs temples dans Sparte ; mais le plus célebre de tous étoit celui qui étoit auprès de Boonete, & à la gauche duquel on voyoit le monument héroïque de Teleclus.

Plus avant on découvroit une petite colline, au haut de laquelle il y avoit un vieux temple de Vénus, & dans ce temple une statue qui représentoit la déesse armée. Ce temple étoit singulier ; mais à proprement parler, c'étoient deux temples l'un sur l'autre ; celui de dessus étoit dédié à Morpho : ce nom Morpho étoit un surnom de Vénus. La déesse y étoit voilée, & elle avoit des chaînes aux piés. Les habitans de Sparte disoient que c'étoit Tyndare qui lui avoit mis ces chaînes, pour donner à entendre combien la fidélité des femmes envers leurs maris devoit être inviolable : d'autres disoient que c'étoit pour se venger de Vénus, à qui il imputoit l'incontinence & les adulteres de ses propres filles.

Le temple le plus proche qui se présentoit ensuite, étoit celui d'Hilaire & de Phoebé. Un oeuf enveloppé de bandelettes étoit suspendu à la voûte du temple, & le peuple croyoit que c'étoit l'oeuf dont accoucha Léda. Des femmes de Sparte filoient tous les ans une tunique pour la statue d'Apollon qui étoit à Amycle, & le lieu où elles filoient, s'appelloit par excellence la Tunique. On voyoit auprès une maison qu'avoient habitée autrefois les fils de Tyndare, & qu'avoit achetée depuis un particulier de Sparte nommé Phormion. Un jour, à ce qu'on rapporte, les Dioscures étoient arrivés chez lui, se disant des étrangers qui venoient de Cyrène ; ils lui avoient demandé l'hospitalité, & l'avoient prié de leur donner une certaine chambre dans sa maison : c'étoit celle où ils s'étoient plu davantage lorsqu'ils étoient parmi les hommes. Phormion leur dit que toute sa maison étoit à leur service, à la reserve pourtant de cette chambre, qui étoit occupée par une jeune fille qu'il avoit. Les Dioscures prirent l'appartement qu'on leur donna ; mais le lendemain la jeune fille & les femmes qui la servoient, tout disparut, & on ne trouva dans sa chambre que deux statues des Dioscures, une table, & sur cette table du benjoin ; voilà ce que racontoient les habitans de Sparte.

En allant vers la porte de la ville, on trouvoit sur son chemin le monument héroïque de Chilon, qui avoit été autrefois en grande réputation de sagesse, & celui d'un héros athénien, qui étoit un des principaux de cette colonie, que Doricus, fils d'Anaxandride, avoit débarqué en Sicile.

Les Lacédémoniens avoient aussi bâti un temple à Lycurgue leur législateur, comme dieu ; derriere son temple on voyoit le tombeau de son fils Eucosmus, auprès d'un autel qui étoit dédié à Lathria & à Anaxandra, qui étoient deux soeurs jumelles, qui avoient épousé les deux fils d'Aristodème, qui étoient aussi jumeaux. Vis - à - vis du temple de Lycurgue, étoit la sépulture de Théopompe, fils de Nicandre, & celle de cet Eurybiade, qui commandoit la flotte des Lacédémoniens au combat d'Artémisium, & à celui de Salamine contre les Perses.

On trouvoit ensuite le monument héroïque d'Astrabacus. On passoit de-là dans une rue qu'ils nommoient Limnée, où il y avoit un temple dédié à Diane Orthia. Du temple de Diane, il n'y avoit pas loin à celui de Lucine. Les Lacédémoniens disoient que c'étoit l'oracle de Delphes qui leur avoit conseillé d'honorer Lucine comme une déesse.

Dans la ville il n'y avoit point de citadelle bâtie sur une hauteur, comme la Cadmée à Thèbes, ou Larissa à Argos ; mais il y avoit plusieurs collines dans l'enceinte de leur ville, & la plus haute de ces collines tenoit lieu de citadelle. Minerve y avoit son temple, sous les noms de Minerve Polinchos & Chalciaecos, comme qui diroit de Minerve gardienne de la ville. Tyndare avoit commencé cet édifice ; après lui ses enfans entreprirent de l'achever, & d'y employer le prix des dépouilles qu'ils avoient remportées sur les Aphidnéens ; mais l'entreprise étant encore restée imparfaite, les Lacédémoniens, longtems après, construisirent un nouveau temple, qui étoit tout d'airain comme la statue de la déesse. L'artiste dont ils s'étoient servi se nommoit Gitiadas. Au-dedans du temple, la plûpart des travaux d'Hercule étoient gravés sur l'airain. Là étoient aussi gravés les exploits des Tyndarides, & sur - tout l'enlevement des filles de Leucippe. On voyoit ensuite d'un côté Vulcain, qui dégageoit sa mere de ses chaînes, & d'un autre côté Persée prêt à partir pour aller combattre Méduse en Libye. Des nymphes lui mettoient un casque sur la tête, & des talonieres aux piés, afin qu'il pût voler en cas de besoin. On n'avoit pas oublié tout ce qui avoit rapport à la naissance de Minerve, & ce qui effaçoit le reste, c'étoient un Neptune & une Amphitrite, qui étoient d'une beauté merveilleuse. On trouvoit ensuite une chapelle de Minerve Ergané.

Aux environs du temple il y avoit deux portiques, l'un au midi, l'autre au couchant ; vers le premier étoit une chapelle de Jupiter, surnommé Cosmètes, & devant cette chapelle, le tombeau de Tyndare. Sur le second portique on voyoit deux aigles éployées, qui portoient chacune une victoire ; c'étoit un présent de Lysander, & en même tems un monument des deux victoires qu'il avoit remportées, l'une près d'Ephèse sur Antiochus, le lieutenant d'Alcibiade, qui commandoit les galeres d'Athènes ; l'autre encore sur la flotte athénienne, qu'il avoit défaite entierement à Aigospotamos. A l'aîle gauche du temple d'airain, il y avoit une chapelle consacrée aux muses, parce que les Lacédémoniens marchoient à l'ennemi, non au son de la trompette, mais au son des flutes & de la lyre.

Derriere le temple, étoit la chapelle de Vénus Aréa ; l'on y voyoit des statues de bois aussi anciennes qu'il y en eût dans toute la Grece ; à l'aîle droite on voyoit un Jupiter en bronze, qui étoit de toutes les statues de bronze, la plus ancienne ; ce n'étoit point un ouvrage d'une seule & même fabrique ; il avoit été fait successivement, & par pieces ; ensuite ces pieces avoient été si bien enchassées, si bien jointes ensemble avec des clous, qu'elles faisoient un tout fort solide. A l'égard de cette statue de Jupiter, les Lacédémoniens soutenoient que c'étoit Léarque, de Rhégium, qui l'avoit faite ; selon quelques-uns, c'étoit un éleve de Dipoene & de Scyllis ; & selon d'autres, de Dédale même.

De ce côté-là, étoit un endroit appellé Scenoma, où l'on trouvoit le portrait d'une femme ; les Lacédémoniens disoient que c'étoit Euryléonis, qui s'étoit rendue célebre pour avoir conduit un char à deux chevaux dans la carriere, & remporté le prix aux jeux olympiques. A l'autel même du temple de Minerve, il y avoit deux statues de ce Pausanias, qui commandoit l'armée de Lacédémone au combat de Platée ; on disoit que ce même Pausanias, se voyant atteint & convaincu de trahison, avoit été le seul qui se fût réfugié à l'autel de Minerve Chalciaecos, & qui n'y eût pas trouvé sa sûreté ; la raison qu'on en rapportoit, c'est que Pausanias ayant quelque tems auparavant commis un meurtre, il n'avoit jamais pu s'en faire purifier. Dans le tems que ce prince commandoit l'armée navale des Lacédémoniens & de leurs alliés, sur l'Hélespont, il devint amoureux d'une jeune Bysantine : ceux qui avoient ordre de l'introduire dans sa chambre, y étant entrés sur le commencement de la nuit, le trouverent déja endormi ; Cléonice, c'étoit le nom de la jeune personne, en approchant de son lit, renversa par mégarde une lampe qui étoit allumée : à ce bruit, Pausanias se réveille en sursaut ; & comme il étoit dans des agitations continuelles, à cause du dessein qu'il avoit formé de trahir sa patrie, se croyant découvert, il se leve, prend son cimeterre, en frappe sa maîtresse, & la jette morte à ses piés. C'est-là le meurtre dont il n'avoit jamais pû se purifier, quelques supplications, quelque expédient qu'il eût employé. En vain s'étoit-il adressé à Jupiter Phyxius : en vain étoit-il allé à Phigalée, en Arcadie, pour implorer le secours de ces gens qui savoient évoquer les ames des morts : tout cela lui avoit été inutile, & il avoit payé enfin à Dieu, & à Cléonice, la peine de son crime. Les Lacédémoniens, par ordre exprès de l'oracle de Delphes, avoient depuis érigé deux statues en bronze à ce prince, & avoient rendu une espece de culte au génie Epidote, dans la pensée que ce génie appaiseroit la déesse.

Après ces statues, on en voyoit une autre de Vénus, surnommée Ambologera, c'est - à - dire Vénus qui éloigne la vieillesse ; celle-ci avoit été aussi érigée par l'avis de l'oracle ; ensuite étoient les statues du Sommeil & de la Mort, qui sont freres, au rapport d'Homère, dans l'Iliade. Si de-là on passoit dans la rue Alpia, on trouvoit le temple de Minerve, dite Ophthalmitis, comme qui diroit Minerve qui conserve les yeux : on disoit que c'étoit Lycurgue même, qui avoit consacré ce temple sous ce titre à Minerve, en mémoire de ce que dans une émeute, ayant eu un oeil crevé par Alcandre, à qui ses loix ne plaisoient pas, il avoit été sauvé, en ce lieu-là, par le peuple, sans le secours duquel il auroit peut-être perdu l'autre oeil, & la vie même.

Plus loin étoit le temple d'Ammon, car il paroît que les Lacédémoniens étoient, de tous les Grecs, ceux qui recouroient le plus volontiers à l'oracle de la Libye : on dit même que Lysander, assiégeant la ville d'Aphytis, près de Pallène, eut durant la nuit une apparition du dieu Ammon, qui lui conseilla, comme une chose également avantageuse, à lui & à Lacédémone, de laisser les assiégés en paix ; conseil auquel il déféra si bien, qu'il leva le siege, & qu'il porta ensuite les Lacédémoniens à honorer Ammon, encore plus qu'ils ne faisoient ; ce qui est de certain, c'est que les Aphitéens révéroient ce dieu comme les Libyens mêmes.

Si quelqu'un trouve un peu longue cette description de Sparte, par Pausanias, je prie ce quelqu'un de se rappeller qu'il n'y a pas jusqu'aux portes & aux clés des anciens Spartiates, que l'histoire n'ait décrites. Comment vous imagineriez - vous qu'étoient faites leurs portes, dit joliment M. de la Guilletiere ? croiriez-vous que les étoiles en eussent formé les traits ? vous les trouverez cependant dans la constellation de Cassiopée. Après que vous aurez démêlé, dans un jour serein, l'étoile méridionale qui est à la tête, & la septentrionale qui est à la chaise, remarquez bien les deux autres qui sont situées entre celles-là ; toutes les quatre vous traceront la peinture d'une porte des Lacédémoniens, coupée par le milieu, & qui s'ouvre des deux côtés. C'est Théon qui nous l'apprend dans ses commentaires sur Aratus ; ceux qui ne peuvent s'élever jusqu'au ciel, trouveront dans les figures de Bayerus, celles des portes des Spartiates.

Pour leurs clés, il faut bien en reconnoître la célébrité malgré nous. Ménandre, Suidas, & Plaute, en conviennent de bonne foi. Je sais qu'Aristophane dit qu'elles avoient trois dents, qu'elles étoient dangereuses, & propres à crocheter ; mais les traits odieux d'un satyrique, qui ne cherche qu'à faire bassement sa cour au peuple d'Athènes, dont il avoit tous les vices, sont peu propres à nous séduire. Ce poëte, plein d'imaginations où régnoit la méchanceté de son naturel, ne pouvoit attaquer les Spartiates sur leur courage & sur leurs vertus ; il ne lui restoit que leurs clés à ridiculiser. (D.J.)

Après avoir conservé la ville des Spartiates au milieu de ses ruines, transmettons à la postérité la mémoire de ses loix, le plus bel éloge qu'on puisse faire de son législateur.

On ne considere ordinairement Lycurgue que comme le fondateur d'un état purement militaire, & le peuple de Sparte, que comme un peuple qui ne savoit qu'obéir, souffrir, & mourir. Peut-être faudroit-il voir dans Lycurgue celui de tous les philosophes qui a le mieux connu la nature humaine, celui, sur-tout, qui a le mieux vu jusqu'à quel point les loix, l'éducation, la société, pouvoient changer l'homme, & comment on pouvoit le rendre heureux en lui donnant des habitudes qui semblent opposées à son instinct & à sa nature.

Il faudroit voir dans Lycurgue, l'esprit le plus profond & le plus conséquent qui ait peut-être jamais été, & qui a formé le systême de législation le mieux combiné, le mieux lié qu'on ait connu jusqu'à présent.

Quelques - unes de ses loix ont été généralement censurées, mais si on les avoit considerées dans leur rapport avec le systême général, on ne les auroit qu'admirées ; lorsqu'on saisit bien son plan, on ne voit aucune de ses loix qui n'entre nécessairement dans ce plan, & qui ne contribue à la perfection de l'ordre qu'il vouloit établir.

Il avoit à réformer un peuple séditieux, féroce, & foible ; il falloit mettre ce peuple en état de résister aux entreprises de plusieurs villes qui menaçoient sa liberté ; il falloit donc lui inspirer l'obéissance & les vertus guerrieres, il falloit faire un peuple de héros dociles.

Il commença d'abord par changer la forme du gouvernement ; il établit un sénat qui fût le dépositaire de l'autorité des loix, & de la liberté. Les rois de Lacédémone n'eurent plus que des honneurs sans pouvoir ; le peuple fut soumis aux loix : on ne vit plus de dissensions domestiques, & cette tranquillité ne fut pas seulement l'effet de la nouvelle forme du gouvernement.

Lycurgue sut persuader aux riches de renoncer à leurs richesses : il partagea la Laconie en portions égales : il proscrivit l'or & l'argent, & leur substitua une monnoie de fer dont on ne pouvoit ni transporter, ni garder une somme considérable.

Il institua ses repas publics, où tout le monde étoit obligé de se rendre, & où régnoit la plus grande sobriété.

Il régla de même la maniere de se loger, de se meubler, de se vêtir, avec une uniformité & une simplicité qui ne permettoient aucune sorte de luxe. On cessa d'aimer à Sparte, des richesses dont on ne pouvoit faire aucun usage : on s'attacha moins à ses propres biens qu'à l'état, dont tout inspiroit l'amour ; l'esprit de propriété s'éteignit au point qu'on se servoit indifféremment des esclaves, des chevaux, des chiens de son voisin, ou des siens propres : on n'osoit refuser sa femme à un citoyen vertueux.

Dès la plus tendre enfance, on accoutumoit le corps aux exercices, à la fatigue, & même à la douleur.

On a beaucoup reproché à Lycurgue d'avoir condamné à mort les enfans qui naissoient foibles & mal constitués : cette loi, dit-on, est injuste & barbare ; elle le seroit sans-doute, dans une législation où les richesses, les talens, les agrémens de l'esprit, pourroient rendre heureux, ou utiles, des hommes d'une santé délicate ; mais à Sparte, où l'homme foible ne pouvoit être que méprisé & malheureux, il étoit humain de prévenir ses peines en lui ôtant la vie.

On fait encore à Lycurgue un reproche de cruauté, à l'occasion des fêtes de Diane : on fouettoit les enfans devant l'autel de la déesse, & le moindre cri qui leur seroit échappé, leur auroit attiré un long supplice : Lycurgue, dans ces fêtes, accoutumoit les enfans à la douleur, il leur en ôtoit la crainte qui affoiblit plus le courage, que la crainte de la mort.

Il ordonna que dès l'âge de cinq ans, les enfans apprissent à danser la pyrique ; les danseurs y étoient armés ; ils faisoient en cadence, & au son de la flute, tous les mouvemens militaires qui, sans le secours de la mesure, ne peuvent s'exécuter avec précision ; on n'a qu'à lire dans Xénophon, ce qu'il dit de la tactique & des évolutions des Spartiates, & on jugera que sans l'habitude, & un exercice continuel, on ne pouvoit y exceller.

Après la pyrique, la danse la plus en usage étoit la gymnopoedie ; cette danse n'étoit qu'une image de la lutte & du pancrace, & par les mouvemens violens qu'elle exigeoit des danseurs, elle contribuoit encore à assouplir & à fortifier le corps.

Les Lacédémoniens étoient obligés de s'exercer beaucoup à la course, & souvent ils en remportoient le prix aux jeux olympiques.

Presque tous les momens de la jeunesse étoient employés à ces exercices, & l'âge mûr n'en étoit pas dispensé. Lycurgue, fort différent de tant de médiocres législateurs, avoit combiné les effets, l'action, la réaction réciproque du physique & du moral de l'homme, & il voulut former des corps capables de soutenir les moeurs fortes qu'il vouloit donner ; c'étoit à l'éducation à inspirer & à conserver ces moeurs, elle fut ôtée aux peres, & confiée à l'état ; un magistrat présidoit à l'éducation générale, & il avoit sous lui des hommes connus par leur sagesse & par leur vertu.

On apprenoit les loix aux enfans ; on leur inspiroit le respect de ces loix, l'obéissance aux magistrats, le mépris de la douleur & de la vie, l'amour de la gloire & l'horreur de la honte ; le respect pour les vieillards étoit sur-tout inspiré aux enfans, qui, parvenus à l'âge viril, leur donnoient encore des témoignages de la plus profonde vénération. A Sparte, l'éducation étoit continuée jusque dans un âge avancé ; l'enfant & l'homme y étoient toujours les disciples de l'état.

Cette continuité d'obéissance, cette suite de privation, de travaux & d'austérités donnent d'abord l'idée d'une vie triste & dure, & présentent l'image d'un peuple malheureux.

Voyons comment des loix si extraordinaires, des moeurs si fortes ont fait des Lacédémoniens, selon Platon, Plutarque & Xénophon, le peuple le plus heureux de la terre.

On ne voyoit point à Sparte la misere à côté de l'opulence, & par conséquent on y voyoit moins que par-tout ailleurs l'envie, les rivalités, la mollesse, mille passions qui affligent l'homme, & cette cupidité qui oppose l'intérêt personnel au bien public, & le citoyen au citoyen.

La jurisprudence n'y étoit point chargée d'une multitude de loix ; ce sont les superfluités & le luxe, ce sont les divisions, les inquiétudes & les jalousies qu'entraîne l'inégalité des biens, qui multiplient & les procès & les loix qui les décident.

Il y avoit à Sparte peu de jalousie, & beaucoup d'émulation de la vertu. Les sénateurs y étoient élus par le peuple, qui désignoit, pour remplir une place vacante, l'homme le plus vertueux de la ville.

Ces repas si sobres, ces exercices violens étoient assaisonnés de mille plaisirs ; on y portoit une passion vive & toujours satisfaite, celle de la vertu. Chaque citoyen étoit un enthousiaste de l'ordre & du bien, & il les voyoit toujours ; il alloit aux assemblées jouir des vertus de ses concitoyens, & recevoir les témoignages de leur estime.

Nul législateur, pour exciter les hommes à la vertu, n'a fait autant d'usage que Lycurgue du penchant que la nature donne aux deux sexes l'un pour l'autre.

Ce n'étoit pas seulement pour que les femmes devenues robustes donnassent à l'état des enfans bien constitués, que Lycurgue ordonna qu'elles feroient les mêmes exercices que les hommes ; il savoit qu'un sexe se plaît par-tout où il est sûr de trouver l'autre. Quel attrait pour faire aimer la lutte & les exercices aux jeunes spartiates que ces jeunes filles qui devoient ou combattre avec eux, ou les regarder combattre ! qu'un tel spectacle avoit encore de charmes aux yeux des vieillards qui présidoient aux exercices, & qui devoient y imposer la chasteté dans les momens où la loi dispensoit de la pudeur !

Ces jeunes filles élevées dans des familles vertueuses & nourries des maximes de Sparte, récompensoient ou punissoient par leurs éloges ou par leurs censures ; il falloit en être estimé pour les obtenir en mariage, & mille difficultés irritoient les desirs des époux ; ils ne devoient voir leurs épouses qu'en secret, ils pouvoient jouir & jamais se rassasier.

La religion d'accord avec les loix de Lycurgue ; inspiroit le plaisir & la vertu ; on y adoroit Vénus, mais Vénus armée. Le culte religieux étoit simple ; & dans les temples nuds & fréquentés, on offroit peu de chose aux dieux, pour être en état de leur offrir toujours.

Après Vénus, Castor & Pollux étoient les deux divinités les plus honorées ; ils avoient excellé dans les exercices cultivés à Sparte ; ils étoient des modeles d'un courage héroïque, & d'une amitié généreuse.

Les Lacédémoniens mêloient à leurs exercices des chants & des fêtes. Ces fêtes étoient instituées pour leur rappeller le souvenir de leurs victoires, & ils chantoient les louanges de la divinité & des héros.

On lisoit Homere, qui inspire l'enthousiasme de la gloire ; Lycurgue en donna la meilleure édition qu'on eût encore vue.

Le poëte Terpandre fut appellé de Lesbos, & on lui demanda des chants qui adoucissent les hommes. On n'alloit point au combat sans chanter les vers de Tirtée.

Les Lacédémoniens avoient élevé un temple aux Graces, ils n'en honoroient que deux ; elles étoient pour eux les déesses à qui les hommes devoient la bienfaisance, l'égalité de l'humeur, les vertus sociales ; elles n'étoient pas les compagnes de Vénus & des muses frivoles.

Lycurgue avoit fait placer la statue du Ris dans le temple des Graces, la gaieté régnoit dans les assemblées des Lacédémoniens, leur plaisanterie étoit vive ; & chez ce peuple vertueux, elle étoit utile, parce que le ridicule ne pouvoit y tomber que sur ce qui étoit contraire à l'ordre ; au-lieu que dans nos moeurs corrompues, la vertu étant hors d'usage, elle est souvent l'objet du ridicule.

Il n'y avoit à Sparte aucune loi constitutive ou civile, aucun usage qui ne tendît à augmenter les passions pour la patrie, pour la gloire, pour la vertu, & à rendre les citoyens heureux par ces nobles passions.

Les femmes accouchoient sur un bouclier. Les rois étoient de la postérité d'Hercule : il n'y avoit de mausolées que pour les hommes qui étoient morts dans les combats.

On lisoit dans les lieux publics l'éloge des grands hommes, & le récit de leurs belles actions. Il n'y a jamais eu de peuple dont on ait recueilli autant de ces mots qui sont les saillies des grandes ames, & dont les monumens attestent plus la vertu. Quelle inscription que celle du tombeau des trois cent hommes qui se dévouerent aux Termopiles ! Passant, vas dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses saintes loix.

Si l'éducation & l'obéissance s'étendoient jusque dans l'âge avancé, il y avoit des plaisirs pour la vieillesse ; les vieillards étoient juges des combats, juges de l'esprit & des belles actions ; le respect qu'on avoit pour eux, les engageoit à être vertueux jusqu'au dernier moment de la vie, & ce respect étoit une douce consolation dans l'âge des infirmités. Nul rang, nulle dignité ne dispensoit un citoyen de cette considération pour les vieillards qui est leur seule jouissance. Des étrangers proposoient à un général lacédémonien de le faire voyager en litiere. Que les dieux me préservent, répondit-il, de m'enfermer dans une voiture, où je ne pourrois me lever si je rencontrois un vieillard.

La législation de Lycurgue si propre à faire un peuple de philosophes & de héros, ne devoit point inspirer d'ambition. Avec sa monnoie de fer, Sparte ne pouvoit porter la guerre dans des pays éloignés ; & Lycurgue avoit défendu que son peuple eût une marine, quoiqu'il fût entouré de la mer. Sparte étoit constituée pour rester libre, & non pour devenir conquérante ; elle devoit faire respecter ses moeurs, & en jouir ; elle fut long-tems l'arbitre de la Grece, on lui demandoit de ses citoyens pour commander les armées ; Xantippe, Gilippe, Brasidas en sont des exemples fameux.

Les Lacédémoniens devoient être un peuple fier & dédaigneux ; quelle idée ne devoient-ils pas avoir d'eux-mêmes, lorsqu'ils se comparoient au reste de la Grece ? Mais ce peuple fier ne devoit pas être féroce, il cultivoit trop les vertus sociales, & il avoit beaucoup de cette indulgence, qui est plus l'effet du dédain que de la bonté. Des Clazomeniens ayant insulté les magistrats de Sparte, ceux-ci ne les punirent que par une plaisanterie : ses éphores firent afficher, qu'il étoit permis aux Clazoméniens de faire des sottises.

Le gouvernement & les moeurs de Sparte se sont corrompus, parce que toute espece de gouvernement ne peut avoir qu'un tems, & doit nécessairement se détruire par des circonstances que les législateurs n'ont pu prévoir ; ce fut l'ambition & la puissance d'Athénes qui forcerent Lacédémone de se corrompre, en l'obligeant d'introduire chez elle l'or & l'argent, & d'envoyer au loin ses citoyens dans des pays, dont ils revenoient couverts de gloire & chargés de vices étrangers.

Il ne reste plus de Lacédémone que quelques ruines ; & il ne faut pas, comme le Dictionnaire de Trévoux, en faire une ville épiscopale, suffragante de l'archevêché de Corinthe.


SPARTE-GENETS. m. (Hist. nat. Bot.) genistaspartium, genre de plante qui ne differe du spartium & du genet que par ses pointes. Voyez GENET & SPARTIUM. Tournefort, I. R. H. Voyez PLANTE.


SPARTIUMS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur papilionacée. Le pistil sort du calice, & devient dans la suite une silique courte, arrondie, & un peu gonflée, & renferme une semence dont la forme ressemble le plus souvent à celle d'un rein. Tournefort, Inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort en distingue quatre especes, dont la principale est le spartium monospermon, flore luteo, semine reni simili, I. R. H. 645. Cette espece d'arbrisseau pousse une tige à la hauteur de deux ou trois piés, se divisant en plusieurs rameaux qui jettent de petites verges semblables à celles du jonc. Ses fleurs sont légumineuses, petites, jaunes, d'une odeur de jonquille, attachées à des pédicules qui sortent des côtés des petites verges. A cette fleur succede une capsule fort courte, qui ne contient qu'une seule semence dure, noire, & faite en petit rein. L'espece de spartium que nous venons de décrire, se nomme communément en françois genêt-jonquille. (D.J.)


SPARTIVENTOLE CAP, (Géog. mod.) cap d'Italie, au royaume de Naples, à l'extrêmité de la Calabre ultérieure. Magin dit que c'est Herculis promontorium des anciens. (D.J.)


SPARTONS. m. (Marine) c'est un cordage de genêt d'Espagne, d'Afrique & de Murcie, dont l'usage est fort bon, soit qu'il aille dans l'eau salée ou dans l'eau douce.


SPASMES. m. (Médec. Patholog.) ce mot est pris assez ordinairement, sur tout par les auteurs grecs & latins, comme synonyme à convulsion, & dans ce sens il est employé pour désigner la contraction non-naturelle de quelque partie. Quelques médecins françois ont évité de confondre ces deux mots, appellant spasme la disposition des parties à la convulsion, & convulsion le complément de cette disposition, ou ce qui revient au même, un spasme plus fort & plus sensible : il me semble qu'on pourroit en distinguant ces deux états, établir la distinction sur des fondemens moins équivoques, & pour cela je remarque que deux sortes de parties peuvent être le sujet ou le siege du spasme, ou de la convulsion : les unes ont un mouvement considérable, mais soumis à l'empire de la volonté ; tels sont les muscles destinés à exécuter les mouvemens animaux : les autres ont une action plus cachée, un mouvement moins remarquable, mais indépendant de l'arbitre de la volonté ; de ce nombre sont tous les organes qui servent aux fonctions vitales & naturelles. Le spasme ou la convulsion ne sauroient s'évaluer de la même façon dans l'un & l'autre cas : on juge que les muscles soumis à la volonté sont dans une contraction contre nature, lorsque cette contraction n'est point volontaire, c'est ce que j'appelle proprement convulsion. Cette mesure seroit fautive à l'égard des parties qui se contractent naturellement sans la participation de la volonté ; on ne doit donc décider leur contraction non-naturelle que lorsqu'elle sera portée à un trop haut point, que le mouvement tonique sera augmenté de façon à entraîner une lésion sensible dans l'exercice des fonctions. Cette seconde espece me paroît devoir retenir le nom plus approprié de spasme ; la différence que je viens d'établir dans la nomenclature se trouve encore fondée sur la façon ordinaire de s'exprimer ; ainsi on dit : Un homme est tombé dans les convulsions, il avoit le bras en convulsion, &c. lorsqu'il s'agit de ces contractions contre nature extérieures involontaires, & l'on dit au contraire : Le spasme des intestins, de la vessie, des extrêmités artérielles des différens organes, &c. lorsqu'on veut exprimer l'augmentation de ton de ces parties intérieures. En partant de ces principes, je crois qu'on peut dire qu'une convulsion suppose un spasme violent ; & dans ce cas, il sera vrai que le spasme est une disposition prochaine à la convulsion. Cette assertion est fondée sur ce que tous les symptomes apparens ont pour cause un dérangement intérieur que nous croyons analogue.

Quel est donc ce dérangement intérieur, & quelle en est la cause ? Champ vaste ouvert aux théoriciens, sujet fertile en discussions, en erreurs & en absurdités. Les partisans de la théorie ordinaire confondant toujours spasme & convulsion, les ont regardés comme des accidens très-graves, qu'ils ont fait dépendre d'un vice plus ou moins considérable dans le cerveau ; les uns ont cru que ce vice consistoit dans un engorgement irrégulier des canaux nerveux ; d'autres l'ont attribué à un fluide nerveux, épais & grumelé, qui passoit avec peine & inégalement dans les nerfs, & excitoit par-là cette irrégularité dans les mouvemens. La plûpart ont pensé que la cause du mal étoit dans les vaisseaux sanguins du cerveau, & que leur disposition vicieuse consistoit en des especes de petits anévrismes extrêmement multipliés, qui rendoient la circulation du sang déja épais & sec, plus difficile, & en troubloient en même tems l'uniformité. Tous enfin ont recours à des causes particulieres, presque toutes vagues, chimériques, ou peu prouvées pour l'explication d'un fait plus général qu'on ne le pense communément.

Et c'est précisément de tous les défauts qu'on pourroit, par le plus léger examen, découvrir dans ces théories, celui qui est le plus remarquable, & qu'il est le plus important d'approfondir ; rien n'est plus nuisible aux progrès d'une science, que de trop généraliser certains principes, & d'en trop particulariser d'autres. La circulation du sang, simple phénomene de Physiologie, dont la découverte auroit dû, ce semble, répandre un nouveau jour sur la Médecine théorique, n'a fait qu'éblouir les esprits, obscurcir & embrouiller les matieres, parce que tout aussi-tôt on l'a regardée comme un principe général, & qu'on en a fait un agent universel. Erreur dont les conséquences ont toujours été de plus en plus éloignées du sanctuaire de la vérité ou de l'observation ; donnant dans l'écueil opposé, on n'a considéré le spasme que sous l'aspect effrayant d'un symptome dangereux, tandis qu'avec une idée plus juste de l'économie animale on n'y auroit vu qu'un principe plus ou moins général, qui, vrai Protée, changeoit de forme à chaque instant, & produisoit dans différentes parties & dans différentes circonstances des effets très-différens. C'est par la lecture de quelques ouvrages modernes, specimen novi medicinae conspectus, idée de l'homme physique & moral, &c. & des différens écrits de M. de Bordeu, que partant d'une connoissance exacte de l'économie animale, voyez ce mot ; on pourra sentir de quelle importance il est d'analyser plus profondément qu'on ne l'a fait jusqu'ici le spasme, & d'en examiner de beaucoup plus près la nature, le méchanisme, la marche, les especes & les variations.

A mesure que les sujets sont plus intéressans, on doit chercher davantage à trouver de grands points de vûe pour les mieux appercevoir, pour les considérer en grand, & les suivre dans toutes leurs applications ; mais il faut bien prendre garde aux fondemens sur lesquels on établit de grands principes. Il est incontestable qu'en Médecine de pareils fondemens ne peuvent être assis que sur l'observation ; & comme les différentes théories qui se sont succédées jusqu'à présent n'ont été reçues que sur la foi d'un pareil appui, & qu'il est probable que leurs auteurs étoient persuadés de les avoir ainsi fondés, il en résulte nécessairement qu'il en est de l'observation, comme Montagne le disoit de la raison, que c'est un pot à deux anses, une regle de plomb & de cire alongeable, ployable & accommodable, à tous sens & à toutes mesures. Il y a donc une maniere de saisir l'observation pour en tirer les lumieres qu'elle doit fournir ; il faut donc un point de vûe propre à saisir le fonds de l'observation, avant que de pouvoir se flatter d'en tirer assez de parti pour former une théorie également solide & profonde.

Infantum corpus laeditur in quantum convellitur ; c'est un grand & important axiome que le célebre auteur des ouvrages cités plus haut, établit pour fondement de la théorie des maladies, il découle naturellement des principes justes & féconds qu'il a exposés sur l'économie animale ; il est d'ailleurs appuyé sur des observations multipliées, & sur-tout sur le genre d'observation le plus lumineux & le moins équivoque ; c'est celui dont on est soi-même l'objet : voilà donc le spasme proposé comme cause générale de maladie, suivons l'auteur dans les différens pas qu'il a faits pour venir à cette conséquence, & examinons sans prévention les preuves sur lesquelles il en étaye la vérité. Jettons d'abord un coup d'oeil sur l'homme sain, & sans remonter aux premiers élémens peu connus dont il est composé, fixons plus particulierement nos regards sur le tableau animé que présentent le jeu continuel des différentes parties & les fonctions diversifiées qui en résultent.

Qu'est-ce que l'homme ? ou pour éviter toute équivoque, que la méchanceté & la mauvaise foi sont si promtes à faire valoir ; qu'est-ce que la machine humaine ? Elle paroît à la premiere vûe, un composé harmonique de différens ressorts qui mûs chacun en particulier, concourent tous au mouvement général ; une propriété générale particulierement restreinte aux composés organiques, connue sous les noms d'irritabilité ou sensibilité, se répand dans tous les ressorts, les anime, les vivifie & excite leurs mouvemens ; mais modifiée dans chaque organe, elle en diversifie à l'infini l'action & les mouvemens ; par elle les différens ressorts se bandent les uns contre les autres, se résistent, se pressent, agissent & influent mutuellement les uns sur les autres ; cette commixture réciproque entretient les mouvemens, nulle action sans réaction. De cet antagonisme continuel d'actions, résulte la vie & la santé ; mais les ressorts perdroient bientôt & leur force, & leur jeu, les mouvemens languiroient, la machine se détruiroit, si l'Etre suprême qui l'a construite n'avoit veillé à sa conservation, en présentant des moyens pour ranimer les ressorts fatigués, & pour ainsi dire débandés, pour rappeller les mouvemens & remonter en un mot toute la machine ; c'est-là l'usage des six choses connues dans le langage de l'école sous le nom des six choses non naturelles, & qui sont absolument nécessaires à la vie : l'examen réfléchi des effets qui résultent de l'action de ces causes sur le corps & de quelques phénomenes peu approfondis, l'analogie qu'il doit y avoir nécessairement entre la machine humaine & les autres que la main des hommes a su fabriquer, & plusieurs autres raisons de convenance, ont fait penser qu'il devoit y avoir dans le corps un premier & principal ressort, dont le mouvement ou le repos entraîne l'exercice ou l'inaction de tous les autres, voyez ÉCONOMIE ANIMALE ; observation si frappante, qu'il est inconcevable comment elle a pû échapper à l'esprit de comparaison & aux recherches des Méchaniciens modernes. Parmi les différentes parties, celles dont le département est le plus étendu, sont sans contredit, la tête & le ventre, l'influence de leurs fonctions est la plus générale ; ces deux puissances réagissent mutuellement l'une sur l'autre, & par cette contranitence d'action, lorsqu'elle est modérée, se conservent dans une tension nécessaire à l'exercice de leurs fonctions respectives ; mais leurs efforts se réunissent sur le diaphragme, cet organe le premier mû dans l'enfant qui vient de naître, doit être regardé comme le grand mobile de tous les autres ressorts, comme la roue maîtresse de la machine humaine, comme le point où les dérangemens de cette machine viennent se concentrer, où ils commencent & d'où ils se répandent ensuite dans les parties analogues.

Partons de ce point de vûe lumineux, pour promener avec plus de fruit nos regards attentifs sur l'innombrable cohorte de maladies qui se présente à nos yeux ; tâchons de pénétrer dans l'intérieur de la machine pour y appercevoir les dérangemens les plus cachés : supposons parmi cette multitude de ressorts qui se résistent mutuellement & qui par cette contranitence réciproque, entretiennent leurs mouvemens & concourent par-là à l'harmonie générale ; supposons, dis-je, un de ces ressorts altéré, affoibli, par l'abus de ce qui sert à l'entretenir, destitué de la force nécessaire pour réagir efficacement contre le ressort sympathique ; aussi-tôt cette égalité d'action & de réaction qui constitue une espece de spasme naturel est troublée ; ce dernier ressort augmente la sphere de ses mouvemens, les fibres qui le composent sont irritées, tendues, resserrées, & dans un orgasme qui constitue proprement l'état spasmodique contre-nature. Mais remontons à la source du dérangement d'un organe particulier, nous la trouverons dans le diaphragme, qui par le tissu cellulaire, par des bandes aponévrotiques & par les nerfs, communique comme par autant de rayons aux différentes parties ; l'action de cet organe important est entretenue dans l'uniformité qui forme l'état sain par l'effort réciproque & toujours contre-balancé de la tête & de l'épigastre ; si l'une de ces deux puissances vient à agir avec plus ou moins de force, dès-lors l'équilibre est rompu, le diaphragme est affecté, son action cesse d'être uniforme, une ou plusieurs de ses parties sont dérangées, & par une suite de son influence générale sur tous les visceres, le dérangement, l'affection, la maladie plus ou moins considérable se propage & se manifeste dans les organes qui répondent aux parties du diaphragme altérées, par un spasme plus ou moins sensible, plus ou moins facilement réductible à l'état naturel.

Les deux pivots sur lesquels roule le jeu du diaphragme & en conséquence tous les mouvemens de la machine, & où prennent naissance les causes ordinaires de maladie, sont comme nous l'avons déja remarqué, la tête & le bas-ventre ; toute la force du bas-ventre dépend de l'action tonique des intestins & de l'estomac, & de leur effort contre le diaphragme ; les alimens qu'on prend en attirent par le méchanisme de la digestion, l'influx plus considérable de toutes les parties sur la masse intestinale, en augmente le jeu, & remonte pour ainsi dire ce ressort qu'une trop longue abstinence laissoit débandé, sans force & sans action ; il agit donc alors plus fortement sur le diaphragme ; le dérangement qui en résulte, très-sensible chez certaines personnes, leur occasionne pendant la digestion une espece de fievre ; si la quantité des alimens est trop grande, ou si par quelque vice de digestion ils séjournent trop long-tems dans l'estomac, l'égalité d'action & de réaction de la tête avec cet organe est sensiblement troublée, & ce trouble se peint tout aussi-tôt par l'affection du diaphragme & des parties correspondantes. Les mêmes effets suivront si les humeurs abondent en quantité à l'estomac & aux intestins, si leurs couloirs sont engorgés, si des mauvais sucs s'accumulent dans leur cavité, &c. appliquons le même raisonnement à la tête, & nous verrons l'équilibre disparoître par l'augmentation des fonctions auxquelles la masse cérébrale est destinée ; ces fonctions sont connues sous le nom générique de passions ou affections de l'ame, elles se réduisent au sentiment intérieur qui s'excite par l'impression de quelque objet sur les sens, & à la durée du sentiment produit par ces impressions ; ce sont ces deux causes dans la rigueur, réductibles à une seule, qui entretiennent le ressort de la tête ; & son augmentation contre nature est une suite de leur trop d'activité ; ainsi les passions modérées ne concourent pas moins au bonheur physique, c'est-à-dire à la santé, qu'au bonheur moral : le corps seroit bien moins actif, les sommeils seroient bien plus longs, les sens seroient dans un engourdissement continuel, si nous n'éprouvions pas cette suite constante de sensations, de craintes, de réflexions, d'espérance ; si nous étions moins occupés de notre existence & des moyens de l'entretenir, & si à mesure que le soin de la vie animale nous occupe moins, nous ne cherchions à donner de l'exercice à la tête par l'étude, par l'accomplissement de nouveaux devoirs, par des recherches curieuses, par l'envie de se distinguer dans la société, par l'ambition, l'amour, &c. ce sont-là tout autant de causes qui renouvellent le ressort de la tête, & qui entretiennent son antagonisme modéré avec celui du bas-ventre ; mais si ces causes deviennent plus actives ; si une crainte excessive ou une joie trop vive nous saisit ; si l'esprit ou le sentiment est trop occupé d'un seul objet, il se fatigue & s'incommode, le ressort de la tête augmentant & surpassant celui du bas-ventre, devient cause de maladie. Théorie importante qui nous manquoit, qui nous donne un juste coup-d'oeil pour exciter & modérer nos passions d'une maniere convenable.

De cette double observation naît une division générale de la pathologie en maladies dûes au ressort augmenté de la tête, & en celles qui sont produites par l'augmentation du ressort du bas-ventre : cette division va paroître plus importante & plus féconde en se rapprochant du langage ordinaire des médecins ; pour cela qu'on fasse attention que le dérangement du ressort du bas-ventre reconnoît pour cause, des mauvaises digestions, des amas d'humeurs viciées, &c. dans l'estomac & les intestins ; & d'un autre côté que le ressort de la tête est altéré par des sensations trop vives, par des passions violentes, par des méditations profondes, des veilles excessives, des études forcées, & l'on s'appercevra que la division précédente se reduit à la distinction connue, mais mal approfondie, des maladies en humorales & nerveuses : double perspective qui se présente dans un lointain très-éclairé au médecin observateur.

Les maladies purement nerveuses dépendantes d'une lésion particuliere de sentiment, doivent être appellées plus strictement spasmodiques ; l'état de spasme est l'état premier & dominant, le seul qu'il soit alors nécessaire d'attaquer & de détruire ; mais il arrive souvent qu'à la longue la masse intestinale, dérangée par l'affection constante du diaphragme, donne lieu à de mauvaises digestions, & entraîne bientôt après un vice humoral ; ou au contraire dans des sujets sensibles très-impressionables, qui ont le genre nerveux très-mobile, l'affection humorale étant essentielle & protopathique, occasionne par la même raison des symptomes nerveux ; le genre mixte de maladies qui résulte de cette complication de quelque façon qu'elle ait lieu, est le plus ordinaire ; lorsque la maladie est humorale ou mixte, la cause morbifique irrite, stimule les forces organiques, augmente leurs mouvemens, & les dirige à un effort critique, ou, ce qui est le même, excite la fievre, pendant le premier tems de la fievre, qu'on appelle tems de crudité ou d'irritation ; l'état spasmodique des organes affectés, & même de toute la machine, est peint manifestement sur le pouls, qui, pendant tout ce tems, est tendu, serré, précipité, convulsif : lorsque par la réussite des efforts fébrils le spasme commence à se dissiper, les symptomes diminuent, le tems de la coction arrive, le pouls est moins tendu, il commence à se développer ; la solution du spasme annonce, détermine, & prépare l'évacuation critique qui terminera la maladie ; à mesure qu'elle a lieu, les accidens disparoissent, la peau est couverte d'une douce moiteur, l'harmonie se rétablit dans la machine, le spasme se dissipe, le pouls devient plus mol, plus égal, plus rapprochant en un mot de l'état naturel : si, au contraire, quelqu'obstacle vient s'opposer à l'accomplissement de la crise, tout aussi-tôt les efforts redoublent, la constriction des vaisseaux augmente, leur spasme devient plus sensible, le pouls reprend un caractere d'irritation ; dans les maladies nerveuses où il ne se fait point de crise, le pouls conserve pendant tout le cours de la maladie son état convulsif, image naturelle de ce qui se passe à l'intérieur.

Nous ne poussons pas plus loin ces détails, renvoyant le lecteur curieux aux ouvrages mêmes dont nous les avons tirés ; les principes plus rapprochés des faits y paroîtront plus solidement établis, & plus féconds ; les conséquences mieux enchaînées & plus naturellement déduites, les vûes plus vastes, les idées plus justes & plus lumineuses ; mais pour juger sainement de la bonté de cette doctrine, il ne faut pas chercher à la plier aux minucieuses recherches anatomiques ; ce n'est point à la toise des théories ordinaires qu'il faut la mesurer ; on tâcheroit en vain de la soumettre aux loix peu connues & mal évaluées de la circulation du sang ; mesures fautives & sur la valeur desquelles tous ceux qui les admettent ne sont pas d'accord ; c'est dans l'observation répétée, & sur-tout dans l'étude de soi-même, qu'il faut chercher des raisons pour la détruire ou la confirmer ; appliquons-lui avec l'auteur ce que Stahl disoit avec raison de toutes ces discussions frivoles, qui ne font qu'embrouiller les faits, avec lesquels elles sont si rarement d'accord : mussitant hic subtilitates nudae, eo nil faciunt speculationes anatomicorum à viis & mentibus petitae, sed motus naturae hîc considerari debet. Qu'on fasse attention d'ailleurs que ces principes pathologiques, très-conformes aux loix bien fixées de l'économie animale, aux dogmes les plus sacrés, établis par les anciens, & reconnus par les modernes, à la doctrine des crises, aux nouvelles découvertes, enfin à la plus exacte observation, fournissent encore l'explication naturelle de plusieurs phénomenes dont les théoristes modernes avoient inutilement cherché les raisons ; les métastases entr'autres, les douleurs vagues qu'on sent courir en différens endroits du corps, les maladies qui changent à chaque instant de place, & plusieurs autres faits analogues, écueils où se venoient briser la sagacité & l'imagination de ces auteurs, se déduisent si naturellement de ce systême, qu'ils en paroissent la confirmation.

Quelle que soit la fécondité des principes que nous venons d'exposer, quelle que soit la multiplicité & la force des preuves qui étayent la doctrine dont ils sont les fondemens ; une raison plus victorieuse encore combat en leur faveur ; un avantage infiniment plus précieux aux yeux du praticien éclairé s'y rencontre ; c'est que cette théorie loin de gêner, d'asservir l'observateur, de lui fasciner pour ainsi dire les yeux, & de diriger sa main, ne fait au-contraire que lui servir de point de vue fixe pour discerner plus exactement les faits ; bien éloignée en cela des théories ordinaires qui tyrannisent le praticien, & l'asservissent au joug souvent funeste du raisonnement. Pour faire sentir cette différence & le prix de cet avantage, je propose l'épreuve décisive de la pratique : qu'un malade se présente avec une fievre assez considérable, difficulté de respirer, point de côté assez vif, crachement de sang, &c. le médecin imbu des théories ordinaires, s'avance avec d'autant plus de courage qu'il a moins de lumiere, & au premier aspect de ces symptomes, ce despote absolu dit : " je prouve par mes raisonnemens que ces phénomenes sont des signes assurés d'une inflammation de la plevre ou du poumon ; je tiens pour maxime incontestable que les saignées sont le remede unique & par excellence de toute inflammation ; on ne sauroit trop en faire, & le moindre retardement est un grand mal ". En conséquence, il ordonne qu'on fasse coup-sur-coup plusieurs saignées, secours jamais curatif, quelquefois soulageant, & souvent inutile ou pernicieux ; il fait couler à grands flots le sang de l'infortuné malade, qui atteint d'une affection humorale, meurt bientôt après victime de ce théoriste inconsidéré ; que le même malade tombe entre les mains d'un médecin qui aura adopté la théorie que nous venons d'exposer ; mais promt à se décider, s'il est conséquent à ses principes, il examinera attentivement, & les symptomes qui paroissent, & les causes qui ont précédé, attribuant tous ces symptomes au pervertissement de l'action du diaphragme, à un spasme plus ou moins étendu, il se rappellera en même tems que ce dérangement intérieur peut être l'effet de deux vices très-différens, ou produit par l'augmentation du ressort de la masse intestinale qu'auront occasionnée la présence & l'accumulation de mauvais sucs dans les premieres voies, ou tout-à-fait indépendant de cette cause ; considerant la maladie sous ce double aspect, il vient à-bout de décider par un examen plus réfléchi des symptomes propres, à quelle cause elle doit être attribuée : c'est-là que s'arrête le théoricien ; le praticien observateur muni de ces connoissances, appelle à son secours les observations antérieures pour classer la maladie, & déterminer par quel genre de remedes il doit attaquer la cause qui se présente, comment il doit employer ces remedes, les varier, & dans quel tems il doit les administrer. Suivons-le dans le traitement de cette maladie pour indiquer combien cette théorie s'applique heureusement à la pratique : supposons que cette prétendue fluxion de poitrine soit du nombre de celles qui ne dépendent que du mauvais état de l'estomac & des intestins ; après une ou deux saignées & l'émétique que la violence des accidens peut exiger, il tournera toutes ses vues du côté du bas-ventre, il sollicitera par des purgatifs legers la solution du spasme de ce côté, & préparera par-là une crise promte & salutaire. Attentif à suivre tous les mouvemens de la nature, si le spasme critique paroît se diriger vers quelqu'autre couloir ; instruit par divers signes, & sur-tout par le pouls de cette détermination, il secondera la nature en poussant les humeurs vers les couloirs indiqués ; ainsi, jamais asservi par la théorie à telle ou telle pratique, il n'en sera que plus éclairé pour mieux saisir & suivre l'observation ; d'où il résulte évidemment que quand même les fondemens de ce systême seroient aussi foibles qu'ils sont solides, il n'en seroit pas moins infiniment préférable à tous ceux que nous connoissons. (m)


SPASMODIQUEou CONVULSIVES, maladies, (Médecine) en partant des principes que nous avons exposés à l'article précédent SPASME, toutes les maladies mériteroient cette qualification, parce que toutes dépendent d'un spasme plus ou moins général ; mais nous avons remarqué qu'il y en avoit où cet état n'étoit que secondaire produit par un vice humoral, & que dans d'autres le spasme étoit essentiel ; ce sont celles que nous avons plus particulierement appellées spasmodiques, & auxquelles on a souvent donné le nom de maladies nerveuses. Voyez ce mot. Dans celles-ci le spasme beaucoup plus considérable, se manifeste pour l'ordinaire par des symptomes extérieurs plus appropriés ; tels sont les convulsions, les frissons, les tremblemens, les hoquets, les nausées, les douleurs vagues, les défaillances fréquentes, les lassitudes, les vents, &c. Tous ces symptomes varient, suivant l'espece de maladie qu'ils accompagnent, & se réunissent en plus ou moins grand nombre ; on connoît que ces maladies sont purement spasmodiques ou nerveuses, par l'absence des signes qui caractérisent les affections humorales, & le genre mixte qui résulte de la combinaison de ces deux especes est marqué par le mêlange de leurs phénomenes.

Les maladies qui sont en général reconnues pour spasmodiques sont l'épilepsie, l'hypocondriacité, l'hystéricité, les attaques de convulsion, l'asthme convulsif, les palpitations de coeur, le hoquet, l'opistotone & l'emprostotone, l'incube, les mouvemens convulsifs, le priapisme, le ténesme, quelques especes de colique, & sur tout la colique vulgairement appellée de plomb ou des peintres, le ris sardonique, l'éclampsie ou épilepsie des enfans, l'hieranosos, le chorea sancti viti, le beriberi, maladie indienne, la toux, l'éternument, le bâillement ; & plusieurs auteurs y rangent aussi les affections arthritiques, la migraine, les fievres intermittentes & généralement toutes les maladies périodiques ; on pourroit augmenter encore cette liste par l'énumération des maladies des différentes parties qui peuvent être spasmodiques ; il n'est pas possible de déterminer parmi ces maladies celles qui sont strictement spasmodiques, d'avec celles qui sont mixtes, parce que les mêmes maladies peuvent varier dans différens sujets au point de mériter d'être rangées tantôt dans une classe & tantôt dans une autre.

Il n'est pas possible, par la même raison, de donner un pronostic général qui puisse convenir à toutes ces maladies, parce que les unes sont très-dangereuses, comme l'épilepsie, les attaques de convulsion, &c. les autres n'entraînent à leur suite aucune espece de danger, comme la plûpart des fievres intermittentes ; nous renvoyons le lecteur aux articles particuliers de chaque maladie que nous n'avons fait que nommer ; nous n'entrons pas non plus dans aucun détail sur le traitement qui convient à chaque maladie, il doit varier non-seulement selon les maladies, mais selon les différentes causes auxquelles elles doivent être attribuées ; il faut attaquer le vice humoral dans celles où le spasme apparent en est le produit, dans les autres il faut avoir recours aux nervins, roborans, toniques, anti-spasmodiques : de ce nombre sont les préparations d'opium, les odeurs fétides, le sel sédatif, les amers & sur-tout le quinquina ; les calmans, anodins, narcotiques ne doivent être employés que pour calmer la violence des accidens ; les stomachiques amers, les martiaux sont très-efficaces pour détruire la cause de la maladie, pour donner le ton aux vaisseaux, fortifier les nerfs, & les rendre moins mobiles ; mais dans leur administration, il faut bien prendre garde qu'il n'y ait aucun vice humoral, ils seroient alors funestes en arrêtant des mouvemens spasmodiques souvent salutaires ; les plaisirs, la dissipation, les promenades en voiture ou à cheval, ou même à pié, les spectacles, les concerts aident très-efficacement à leurs effets sans qu'il en résulte le moindre inconvénient.

SPASMODIQUES, mouvemens, & SPASME, (Séméiot.) outre les maladies dont les spasmes, convulsions, ou mouvemens spasmodiques sont les symptomes essentiels & caractéristiques, il y en a où ces symptomes ne sont que des accidens plus ou moins graves, qui en varient, & pour l'ordinaire augmentent le danger. Sans entrer dans aucune discussion théorique, nous allons extraire des ouvrages du grand Hippocrate, & de quelques autres médecins observateurs, les faits & les axiomes au sujet des signes qu'on peut tirer du spasme & des mouvemens spasmodiques, ou convulsifs. Le spasme doit être ici regardé comme exactement synonyme à convulsion : nous nous servirons indifféremment de l'un & l'autre mot.

Les convulsions qui surviennent à l'effet d'un émétique, à une superpurgation, à la passion iliaque, à un flux immodéré des regles, ou des hémorrhoïdes, à une hémorragie considérable, à une blessure, à des veilles excessives, à un délire continuel, &c. sont, suivant les observations d'Hippocrate, de Waldschmid, de Baglivi, &c. presque toujours mortelles.

Dans les fievres aiguës avec beaucoup d'ardeur, les distensions spasmodiques sont d'un mauvais augure. Hippoc. aphor. 13. lib. VII. Il en est de même des spasmes qu'accompagnent les douleurs vives dans les entrailles, aphor. 66. lib. IV. les mouvemens convulsifs des mains ou des piés survenus dans le cours d'une fievre aiguë, indiquent de la malignité, coac. praenot. cap. j. n °. 44. ils annoncent une mort prochaine au phrénétique qui en est attaqué, ibid. cap. ij. n °. 16. Les mouvemens spasmodiques sont, suivant l'observation de Riviere, moins dangereux au commencement d'une maladie, que lorsqu'elle est parvenue à l'état fixe ; moins dangereux aussi dans les enfans que dans les adultes, & dans les femmes que dans les hommes. Hippocrate a remarqué qu'elles y étoient beaucoup plus sujettes.

Il y a moins à craindre de la fievre qui survient aux convulsions, que des convulsions qui surviennent à la fievre, Hippoc. aphor. 26. lib. II. il arrive même souvent que la fievre dissipe toutes les affections spasmodiques, aphor. 57. lib. IV. cependant lorsque les convulsions arrivent dans le cours de la fievre, & qu'elles disparoissent le même jour, elles font cesser la fievre le même jour ou le lendemain, ou le sur-lendemain ; mais si elles durent plus d'un jour, elles deviennent un mauvais signe, coac. praenot. lj. n °. 230. Les mouvemens convulsifs sont les avant-coureurs de plusieurs maladies ; & Sydenham a remarqué que les petites véroles qui en étoient précédées dans les enfans, étoient ordinairement bénignes & discrettes ; les tensions spasmodiques du dos sont, suivant Waldschmid, familieres aux malades attaqués de la petite vérole, de la rougeole, & des fievres pétéchiales.

Les interruptions de voix convulsives qui s'observent dans quelques fievres, annoncent la folie, & un danger pressant, Hippocr. coac. praenot. cap. jx. n °. 4. la distorsion spasmodique du nez, des sourcils, des yeux, ou des levres, est un signe mortel dans les malades déja affoiblis, id. ibid. cap. j. n °. 74. le testicule droit refroidi, & dans un état convulsif, fournit le même présage, aphor. 2. liv. VIII.

On doit s'attendre qu'il surviendra des convulsions ou mouvemens spasmodiques 1°. lorsque dans un ulcere situé aux parties postérieures du corps, les humeurs viennent à disparoître, aphor. 65. lib. V. 2°. Après des veilles opiniâtres, aphor. 18. lib. VII. 3°. Lorsque dans le courant d'une maladie les yeux s'obscurciront avec défaillance, coac. praenot. ij. n °. 135. 4°. Lorsque les délires sont violens & variés, ou joints avec une affection soporeuse, sur-tout si un frisson occupe alors le cou & le dos ou même tout le corps, dans ces circonstances les urines que le malade rend contiennent beaucoup de pellicules, ou sont membraneuses, . 5°. Dans les maladies longues, s'il paroît sans raison apparente quelque tumeur contre nature dans le bas-ventre, coac. praenot. cap. ij. n °. 8-11. 6°. Lorsque dans les fievres l'haleine est désagréable, aphor. 68. lib. IV. 7°. Lorsqu'un ivrogne devient tout-à-coup muet, il meurt bien-tôt après dans les convulsions, à-moins que la fievre ne soit excitée, ou qu'il ne recouvre la parole au moment que l'accès d'ivrognerie est dissipé, ou que le vin est cuvé, aphor. 5. lib. V. 8°. A la suite des douleurs de tête aiguës, & des pesanteurs avec engourdissement, coac. praenot. jv. n °. 12. 9°. Les femmes qui sont attaquées de suffocation de matrice sont très-sujettes aux convulsions. Dorcas en fournit un exemple, coac. praenot. cap. xxjv. n °. 44. Elles sont plus rares & plus dangereuses dans les hommes qui ont passé l'âge de sept ans, cap. xjv. n °. 11. 10°. Les convulsions sont annoncées chez certains malades inquiets, tremblans, par des petits abcès aux oreilles, auxquels se joint une mauvaise disposition des permieres voyes, voyez n °. 7.

Les malades attaqués de mouvemens spasmodiques dont les yeux ont beaucoup d'éclat, sont hors d'eux-mêmes, & risquent d'être long-tems malades, cap. xjv. n °. 5. la taciturnité pendant les convulsions, est d'un mauvais augure, si elle dure long-tems ; si elle se dissipe bien-tôt, elle indique la paralysie de la langue, du bras ou du côté droit, n °. 13. Ceux qui sont attaqués de mouvemens convulsifs meurent en quatre jours, s'ils passent ce tems ils reviennent en santé, aphor. 5. lib. VI. La fievre aiguë qui survient aux spasmes les fait cesser ; si elle existoit auparavant, son redoublement produit cet effet ; le sommeil, le cours de ventre & une excrétion abondante d'urine vitrée parviennent au même but ; mais les convulsions soudaines sont terminées par la fievre & le devoiement ; coac. praenot. cap. xjx. n °. 12. Quelquefois les douches d'eau froide font disparoître les spasmes, sur-tout dans des jeunes gens robustes, & jouissant d'ailleurs d'une bonne santé, aphor. 21. & 25. lib. V. Plus souvent la chaleur ramollit la peau, calme les douleurs & adoucit les convulsions, ibid. aphor. 22. Galien a prouvé par l'heureuse expérience qu'il a faite sur lui-même, que rien n'est si efficace dans pareil cas que de répandre sur la partie attaquée de mouvemens spasmodiques, de l'huile douce bien chaude. Dans les femmes l'éruption des regles resout sur le champ les spasmes ; il arrive quelquefois que ces mouvemens spasmodiques leur sont d'un grand secours, lorsqu'étant enceintes, elles sont incommodées de douleurs de têtes gravatives, avec un penchant insurmontable au sommeil, coac. praenot. cap. xxjv. n °. 21. & 24.

Le frisson, le vomissement, le hoquet, l'éternument, &c. étant des especes de mouvemens spasmodiques, fournissent aussi différens signes qu'on doit trouver détaillés à leurs articles particuliers ; nous n'ajouterons qu'un mot par rapport à l'éternument, pour suppléer ce qui manque à cet article. L'éternument survenant au hoquet, le fait céder tout-de-suite, Hipp. aphor. 13. liv. VI. Il est très-avantageux aux femmes attaquées de vapeurs, & à celles qui ne peuvent accoucher, aphor. 35. lib. V. & si propre à chasser l'arriere-faix, qu'Hippocrate conseille, dans ces circonstances, de donner un sternutatoire, ibid. aphor. 49. L'éternument est mauvais dans toutes les affections de la poitrine, soit qu'il les accompagne ou qu'il les précede ; du reste il n'est point défavorable dans les autres maladies, coac. praenot. cap. xvj. n °. 24. Riviere rapporte, d'après Forestus, une observation singuliere sur l'éternument, il assure que si un homme malade éternue une seule fois, il succombera sûrement à la violence de la maladie, & en rechappera s'il éternue deux fois ; le contraire arrive à la femme, un éternuement lui annonce ou prépare une convalescence prochaine, & sa mort est assurée après deux éternumens. Le fait assurément mérite bien d'être vérifié plus d'une fois, en attendant, fides sit penes autorem. (m)


SPATARA(Géog. mod.) petite île de Laconie, fameuse autrefois sous le nom d'île de Cranaë, où la belle Hélene accorda ses premieres faveurs à Pâris. Sur le rivage de la terre ferme qui est vis-à-vis ; cet heureux amant fit bâtir après sa conquête, un temple à Vénus, pour marquer les transports de sa joie & de sa reconnoissance. Il donna à cette Vénus le surnom de Migonitis, & nomma le territoire Migonion, du mot qui signifioit l'amoureux mystere qui s'y étoit passé. Ménélas, le malheureux époux de cette princesse, dix-huit ans après qu'on la lui eut enlevée, vint visiter ce temple, dont le voisinage avoit été le témoin de son malheur & de l'infidélité de sa femme. Il n'osa point ruiner cet édifice sacré ; mais il fit mettre aux deux côtés de la statue de Vénus les tableaux de deux autres déesses, celle de Thétis & celle de Praxidice, la déesse des châtimens, pour montrer qu'il ne laisseroit jamais son affront impuni ; cependant il n'eut pas l'avantage de se voir vengé d'Hélene. Cette belle veuve lui survéquit ; il est vrai qu'on prétend que dans son dernier refuge à Rhode, Polixo eut la barbarie de la faire pendre à un arbre, loin de lui accorder le droit d'asyle qu'elle lui devoit comme malheureuse & comme parente. (D.J.)


SPATHSPAAT, ou SPAR, s. m. (Hist. nat. Minéralogie) spatum, marmor metallicum ; le mot spath a été introduit par les minéralogistes allemands & a été adopté par les François. Les Anglois disent sparr. On désigne sous ce nom une pierre calcaire assez pesante, composée de lames ou de feuillets qui ne peuvent se plier, & qui sont tantôt plus tantôt moins sensibles à l'oeil ; elle se dissout avec effervescence dans les acides ; elle se brise & pétille dans le feu, ses lames y perdent leur liaison, & enfin elle s'y change en une vraie chaux ; en un mot, le spath a toutes les propriétés des pierres calcaires. Voyez l'article CALCAIRES.

Wallerius compte neuf especes de spaths ; savoir, 1°. le spath opaque & romboïdal, c'est-à-dire qui se casse toujours en rhomboïdes ; il est pesant, compacte & de différentes couleurs.

2°. Le spath feuilleté ou en lames, spatum lamellosum ; il est très-tendre, il pétille & se brise dans le feu, cependant il finit par entrer en fusion. L'arrangement des lames dont ce spath est composé lui fait prendre souvent des figures très-singulieres, & qui varient à l'infini.

3°. Le spath en particules fixes & placées sans ordre ni régularité, de façon qu'il n'est point aisé de distinguer la figure des lames ou des cubes dont il est composé ; il y en a de différentes couleurs.

4°. Le spath tendre & transparent, il est en rhomboïdes, ses couleurs sont variées, il y en a quelquefois qui est veiné.

5°. Le spath en rhomboïdes, clairs & transparens qui doublent les objets que l'on regarde au-travers ; ce spath est blanc & transparent comme du crystal de roche, c'est ce qu'on appelle crystal d'Islande.

6°. Le spath en crystaux ; ils différent du crystal de roche en ce que leurs colonnes sont ordinairement tronquées ou tranchées par le sommet. Ces crystaux de spath varient considérablement pour le nombre de leurs côtés ; il y en a de cubiques, d'exagones, d'octogones, de neuf côtés, de quatorze côtés ; les uns sont prismatiques ou à colonnes, d'autres sont par masses cristallisées qui présentent toutes sortes de figures singulieres. Ils varient aussi pour les couleurs ; il y en a de blancs, de jaunes, de rouges, de violets, de verdâtres, &c. c'est proprement à ces crystaux spathiques que l'on doit donner le nom de fluors. Ils ont tous la propriété de devenir phosphoriques lorsqu'on les frotte les uns contre les autres, ou lorsqu'on les échauffe légérement sans les faire rougir.

7°. Le spath, fétide, appellé lapis suillus, qui est ou sphérique, ou rayonné, ou prismatique. Cette pierre répand une odeur désagréable lorsqu'on la frotte ; mais son odeur étant une chose purement accidentelle, ne mérite pas qu'on en fasse une espece particuliere.

8°. Le spath compacte & solide, que l'on nomme spath vitreux parce qu'il ressemble assez à une masse du verre. Il est plus ou moins transparent, sa couleur est ou blanche, ou grise, ou verdâtre, ou violette. Il n'affecte point de figure déterminée, mais il se brise en morceaux irréguliers, comme le quartz avec qui il a beaucoup de ressemblance au premier coup d'oeil ; il ne fait point effervescence avec les acides non plus que lui ; mais ce qui le distingue du quartz, c'est qu'il ne fait point feu lorsqu'on le frappe avec de l'acier ; échauffé il devient phosphorique ou lumineux lorsqu'on le frotte dans un endroit obscur. D'ailleurs il est rare qu'il soit d'un tissu assez compacte pour qu'un oeil exercé n'y apperçoive en quelque endroit une disposition à se mettre en lames, ou quelques surfaces unies. C'est ce spath que l'on nomme spath fusible ; nous parlerons de ses propriétés dans la suite de cet article, & des expériences qui ont été faites avec lui.

9°. Wallerius enfin ajoute à ces différentes especes de spaths celui qu'il nomme spath dur ou spathum pyrimachum, parce qu'il donne des étincelles lorsqu'on le frappe avec de l'acier. M. Pott soupçonne que cela vient de ce que ce spath est intimement combiné avec des parties de quartz ; en effet, il est constant que de faire feu est une propriété étrangere au spath. Quoi qu'il en soit, M. Wallerius dit que ce spath se partage en morceaux cubiques rectangulaires, dont les surfaces sont très-unies. Voyez la minéralogie de Wallerius.

On voit par ce qui précede que le spath est un vrai protée ; il se montre sous une infinité de formes différentes, par les arrangemens divers que prennent les lames ou feuillets dont cette pierre est toujours composée, & qui ordinairement caractérisent le spath. C'est de l'arrangement & de la liaison plus ou moins forte de ces lames que dépend le plus ou le moins de dureté & de solidité de cette pierre. Le spath accompagne un très-grand nombre de mines ; plus il est tendres, plus il donne d'espérance que l'on trouvera des métaux précieux, parce qu'alors il est plus propre à donner entrée aux exhalaisons minérales qui forment les mines. Voyez l'article MINE & MATRICE.

Les propriétés que nous avons assignées aux différentes especes de spath, suffisent pour le mettre en état de le distinguer du quartz. En effet, cette derniere pierre ne se change point en chaux par la calcination ; elle ne fait point d'effervescence avec les acides ; elle ne devient point phosphorique après avoir été chauffée ; elle ne montre point de feuillets ni de disposition à se partager suivant des plans ou surfaces unies, tandis que ces signes conviennent en tout ou en partie aux spaths. Joignez à cela que le quartz est beaucoup plus dur ; il est d'un tissu compacte comme celui du verre ; il donne toujours des étincelles lorsqu'on le frappe avec de l'acier. Voyez QUARTZ.

On a déja fait remarquer qu'il y avoit une espece de spath que les Allemands ont nommé fluss-spath ou spath fusible. Ce nom lui a été donné, soit parce qu'on s'en sert comme d'un fondant dans les fonderies, soit parce qu'il entre en fusion avec une facilité singuliere pour peu qu'on y joigne de sel alkali.

M. Pott croit que ce spath fusible est redevable de sa fusibilité & de sa dureté, à une portion de terre de caillou (terra silicea) qui s'y trouve combinée avec la terre spathique ou calcaire. On a lieu de soupçonner outre cela quelqu'autre substance dans le spath fusible. En effet, la pesanteur extraordinaire de cette pierre donne lieu de croire qu'elle contient quelque substance métallique. Quelques auteurs ont cru que c'étoit de l'arsénic ; mais M. Pott assure qu'ayant fondu quelquefois du spath fusible avec du marbre blanc, il a obtenu quelques grains de plomb ; mais il convient que cette expérience ne lui a point toujours réussi ; ce qui vient, selon lui, de ce que l'action trop violente du feu a pu dissiper la partie métallique durant la fusion.

M. de Justi, très-habile chimiste allemand, conteste la vérité de cette expérience de M. Pott ; il paroît que ce n'est point sans raison, vu que le marbre blanc ne contient point de matiere propre à produire la réduction d'un métal. D'un autre côté, M. de Justi assure n'avoir jamais pu tirer le moindre atôme d'une substance métallique du spath, quelque fondant ou quelque matiere qu'il ait employé pour en faire la réduction. De plus, il dit n'avoir jamais pu parvenir à faire entrer en fusion un mêlange de spath & de marbre, quelque degré de feu qu'il ait donné, & quelque variété qu'il ait mise dans les proportions. M. Pott n'a pas manqué de répliquer à M. de Justi, & dans ses réponses il persiste toujours à maintenir la vérité de ses expériences, & il en rapporte encore de nouvelles, par lesquelles il persiste à maintenir la fusibilité du spath avec le marbre ; expérience que M. de Justi n'a jamais pu effectuer : sur quoi ce dernier soupçonne son adversaire de s'être trompé sur la qualité de la pierre qu'il travailloit, & l'accuse de ne pas connoître le spath pesant. En effet, à la vue de résultats si différents, on a lieu de croire que ces deux chymistes ont opéré sur des matieres tout-à-fait différentes. Selon M. de Justi, le spath qu'il appelle pesant, se distingue de toutes les especes de spaths par son poids extraordinaire, qui surpasse non-seulement celui de toutes les autres pierres, mais encore qui est plus grand que celui de plusieurs mines métalliques, & qui égale presque celui de l'hématite, qui est une mine de fer très pesante. M. de Justi présume du poids de ce spath, qu'il doit nécessairement contenir une portion considérable de quelque substance métallique ; il se fonde encore sur les effets que ce spath pesant produit dans les dissolvans. Les dissolvans agissent très-promtement sur les différens spaths, sur-tout lorsqu'ils sont réduits en poudre, & les dissolvent entierement ; au lieu que l'eau forte n'agit point, selon lui, sur le spath pesant, à-moins que d'être bouillante, & même alors il dit que l'on voit clairement que ce dissolvant n'attaque pas la totalité de cette pierre, mais seulement quelques-unes de ses parties. L'eau régale ne paroît point non plus avoir d'abord aucune action sur ce spath ; mais lorsqu'elle commence à bouillir, elle attaque vivement la totalité de la pierre ; mais elle lâche bientôt les parties qu'elle avoit dissoutes, ce qui, selon lui, annonce la présence d'une substance métallique sur laquelle l'eau-forte a de la prise, tandis que l'eau régale ne peut la dissoudre.

M. de Justi a poussé plus loin ses expériences sur le spath qu'il nomme pesant. Il en prit un quintal poids d'essai, qu'il mêla avec trois quintaux de sable blanc parfaitement pur, & dans lequel la calcination n'avoit développé aucune couleur ; il y joignit un quintal & demi de potasse bien purifiée, & un quintal de borax calciné. Il fit fondre ce mêlange pendant deux heures au feu le plus violent : par-là il obtint un verre d'un beau jaune d'or foncé tirant sur le rouge. Il devient plus foncé encore quand on ne fait entrer dans le mêlange que deux quintaux de sable contre un quintal de spath pesant. Voulant rendre la couleur de ce verre plus claire, M. de Justi fit le mêlange d'une autre maniere ; il prit un quintal poids d'essai de spath pesant, qu'il joignit avec six quintaux de sable, trois quintaux de potasse, & un quintal & demi de borax. Il fit fondre ce nouveau mêlange pendant deux heures, & obtint un verre de très-beau jaune d'or tirant toujours sur le rouge. Il assure avoir fait ces expériences avec le même succès sur des spaths pesans venus de différens endroits.

D'un autre côté, M. Pott, par ses expériences, a eu des produits très-différens. Il prit deux onces de son spath, six gros de nitre & autant de borax, ce qui lui donna un verre verdâtre ; pareillement trois parties de spath avec une partie de sel alkali fixe bien pur, lui ont donné une espece de scorie qui ressembloit à une agate d'un gris noirâtre. Enfin une partie de spath avec trois parties d'alkali fixe pur ont produit une masse noire.

Des produits si différens doivent faire conjecturer qu'il n'est guere possible que ces deux auteurs habiles aient travaillé sur la même substance. Pour convenir de leurs faits, il faudroit que ces deux chimistes se fussent communiqué une portion de la pierre que chacun d'eux appelloit l'un spath fusible, & l'autre spath pesant, & que séparément ils eussent traité la même substance de la même maniere. Il peut se faire que leurs spaths, quoique très-conformes les uns aux autres à l'extérieur, renfermassent des mêlanges, des combinaisons & même des métaux très-différens.

Le spath qu'on nomme fusible n'entre point en fusion tout seul & sans addition ; il ne fait alors que se pelotonner, sans entrer en fusion dans les vaisseaux fermés. Quand aux spaths crystallisés & colorés, que l'on nomme fluors, ils perdent leurs couleurs, & deviennent tendres & friables. Mais le spath fusible a la propriété de communiquer une fusibilité étonnante aux pierres & aux terres les moins fusibles par elles-mêmes ; c'est, selon M. Pott, cette propriété qui fait que l'on a trouvé très-avantageux de traiter les mines qui ont le spath fusible pour matrice, vu que ces mines portent leur fondant avec elles. Voyez la continuation de la lithogéognosie de M. Pott, pages 126137. Cependant M. de Justi croit que le spath n'agit point comme fondant dans le traitement des mines, mais comme précipitant, en se chargeant de la portion de soufre que ces mines contiennent.

La différence que l'on remarque entre le spath calcaire & le spath fusible dont on vient de parler, paroît dûe à la partie métallique, c'est-à-dire, au plomb qui est, suivant les apparences, contenu dans ce dernier, d'autant plus que le plomb est toujours un très-puissant fondant, comme le prouvent tous les travaux de la métallurgie. Il y a une mine de plomb que l'on nomme spathique, qui ressemble parfaitement à du spath par son tissu feuilleté, & qui est une vraie mine de plomb. Voyez l'article PLOMB. Il y a aussi une mine de fer spathique, qui contient une très-grande quantité de métal, ce qui n'empêche point qu'elle ne ressemble parfaitement à du spath. Telle est la mine de fer blanche d'Alvare en Dauphiné. Voyez l'article FER. Tout cela prouve que le coup-d'oeil extérieur ne peut suffire pour nous faire connoître la nature des pierres, qui ne sont presque jamais homogenes & pures, lors même qu'elles le paroissent.

On peut donner le nom de spath calcaire à toute pierre calcaire qui paroît composée d'un assemblage de lames ou de feuillets luisans ; ainsi les stalactites, les congélations, &c. sont du spath. Les particules luisantes que l'on remarque dans le marbre de Paros sont aussi spathiques ; mais elles sont enveloppées d'un gluten qui leur donne la dureté du marbre Voy. PAROS, marbre de. En général il paroît que le spath est la pierre calcaire la plus pure, & que les feuillets ou lames dont il est composé sont la figure propre à cette pierre, lorsqu'elle est dans sa plus grande pureté.

On a cru devoir s'étendre sur cet article, vu que le spath, par la variété de ses figures, de ses couleurs & de ses propriétés, est une pierre d'achoppement pour tous ceux qui commencent à s'appliquer à l'étude de la minéralogie. On se flatte qu'au moyen de ce qui a été dit ici, on pourra se faire une juste idée du spath ; qu'on le distinguera des pierres gypseuses & des pierres talqueuses qui sont feuilletées comme il l'est ordinairement, & sur-tout qu'on ne le confondra point avec le quartz ; inconvénient dans lequel sont tombés presque par-tout les auteurs anglois, qui donnent indistinctement le nom de spath à toutes les crystallisations qui accompagnent les mines. D'un autre côté, l'on ne sera point surpris des grandes variétés de cette pierre, quand on considérera que dans sa formation elle a pu se combiner avec des sucs lapidifiques d'une nature différente de la sienne, ce qui en a pu faire un corps dont les propriétés ont été altérées. Tout spath pur est une pierre calcaire & en a les propriétés. Voyez PIERRE. (-)


SPATHA(Léxic. médic.) ; ce terme est singulierement équivoque ; il signifie quelquefois une côte, souvent une spatule dont se servent les Apoticaires ; dans Celse, l. VII. c. x. une espece de bistouri ; d'autres fois, une sorte d'épée tranchante ; enfin, il désigne l'enveloppe extérieure du fruit du palmier. (D.J.)


SPATHALIUM(Littérat.) , espece de bracelet rouge que les dames romaines portoient sur le poignet, tel à-peu-près que seroit un bracelet fait de grains de corail ; mais le même mot dans Martial, désigne une branche de palmier avec son fruit.


SPATULES. f. est un instrument dont les Chirurgiens & les Apoticaires se servent, qui est plat par un bout & rond par l'autre, & qui sert à étendre les onguens.

Ce mot vient du latin spatha, du grec , qui a la même signification.

Les Chirurgiens ont de petites spatules d'acier ; les Apoticaires ont aussi de grandes spatules de bois, pour remuer leurs drogues quand ils les délayent, les mêlangent, & les font bouillir.

La spatule des Chirurgiens est longue de cinq pouces deux ou quatre lignes ; on la divise en deux parties, dont une qui est véritablement la spatule, se nomme la palette, & l'autre son manche. La palette va du manche en augmentant jusqu'à sa fin ; elle a deux pouces de long sur une ligne & demie d'épaisseur ; un des côtés est exactement plane, & l'autre va doucement en arrondissant.

Le manche est une tige irrégulierement cylindrique ; il va un peu en diminuant jusqu'à son extrêmité, où il se termine différemment suivant la volonté des chirurgiens.

Les uns y font ajouter de petites rainures transversales après l'avoir un peu applatie & recourbée ; ce qui construit un élévatoire : d'autres y font ajouter une sonde boutonnée ou cannelée.

Le manche doit avoir trois pouces deux ou quatre lignes de long ; la matiere des spatules est de fer ou d'argent. Les premieres sont plus fortes & conviennent à la construction d'un élévatoire ; les autres sont plus propres & ne se rouillent pas.

La palette des spatules sert à étendre les onguens tenaces & les emplâtres sur le linge, le cuir, ou le taffetas, & à charger les plumaceaux, tentes & bourdonnets, des médicamens convenables, comme baumes, digestifs, & onguens assez mols ; & comme cette palette a un côté plat, & l'autre d'une rondeur évasée, ces mêmes médicamens sont étendus & chargés en plus ou moindre quantité : on se sert de la rondeur pour charger les plumaceaux un peu gras, & du côté plat pour les charger plus maigres. Voyez la figure 2. Planche I. (Y)

SPATULE, en terme de Blanchisserie ; c'est un morceau de bois rond jusqu'à une de ses extrêmités qui est plate ; on s'en sert pour remuer la matiere dans la chaudiere. Voyez les Planc. Il y a encore une spatule de fer beaucoup plus petite, avec laquelle on gratte les bords de la chaudiere. Voyez auprès de la premiere chaudiere, Planches de la Blanchisserie des eires.

SPATULE, en terme de Cirier ; c'est un instrument de bois assez long & taillé en forme de lame de couteau ; on s'en sert pour faire tomber dans la poële les croutes qui se forment autour, & même sur la cuilliere. Voyez CUILLIERE.

SPATULE, en terme de Doreur, se dit d'un outil à manche dont le fer est large & arrondi par l'extrêmité tranchante ; elle sert à reparer dans les moulures. Voyez les figures & les Planches du Doreur.

SPATULE, terme de Peintre, instrument de bois plat par un bout & rond par l'autre, dont se servent les Peintres pour délayer & pour broyer leurs couleurs ; on donne aux spatules la figure qu'on veut. (D.J.)

SPATULE ; les Pâtissiers appellent ainsi une petite cuilliere plate dont ils se servent pour battre leurs pâtes. Voyez les figures & Planches.

SPATULE, en terme de Raffineur, n'est autre chose qu'une verge de fer applatie & ronde dans son contour ; sa douille & son manche composent cinq à six piés de hauteur. On s'en sert pour gratter l'empli & les greniers, & ramasser le sucre qui y est tombé, tant en emplissant qu'en mouvant. Voyez EMPLI, EMPLIR, UVERUVER. Voyez aussi les Pl.

SPATULE D'EMPLI, est un morceau de fer applati par un bout, terminé à l'autre par un bouton qui ne lui sert que d'ornement, au-dessous duquel est un petit crochet pour l'arrêter aux bords du rafraîchissoir ; elle sert à gratter le rafraîchissoir après l'empli. Voyez EMPLI & RAFRAICHISSOIR. Voyez les figures & les Pl.

SPATULE PETITE, en terme de Raffineur, ne differe de la grande que par sa petitesse & son usage, qui est de gratter le grain qui se forme dans les pots. Voyez POTS & GRAIN. Voyez encore les Pl.


SPAUTA(Géog. mod.) lac de la Médie-Atropatie. Ce lac produit un sel auquel Strabon, liv. II. p. 524. attribue des qualités qu'il n'a pas à-présent. Pierre Gilles, dans une lettre dont Ortelius a eu communication, appelle ce lac Spota, & le décrit de la sorte : Nous trouvâmes ce lac si salé, que son rivage étoit couvert d'une glace continuelle de sel l'espace de quatre stades. J'eus la curiosité, ajoute-t-il, de faire l'épreuve de ce que Strabon avoit dit de ce sel. Je mé promenai dans le lac l'espace de deux cent pas en avançant vers le milieu, & l'eau me venoit à-peine au milieu du corps. Je voyois le lac couvert d'une croûte de sel continuelle sans pouvoir découvrir la terre d'aucun côté. On prétend qu'il faut six jours pour faire le tour de ce lac. (D.J.)


SPÉA(Géog. mod.) petite riviere d'Ecosse ; elle sort du lac de Laggan, & va se jetter dans le lac Aber.


SPECIAS. f. (Commerce) terme dont quelques marchands, négocians, & banquiers, se servent assez souvent dans leurs écritures pour signifier ce qu'on nomme ordinairement solde, soute, ou soude d'un compte. Dictionnaire de Commerce & de Trév. Voyez SOLDE, SOUDE, MPTEMPTE.


SPECIALadj. (Gram. & Jurisprud.) se dit de ce qui se réfere singulierement à un certain objet. Ce terme est ordinairement opposé à général ; une procuration est générale ou spéciale ; celle qui est générale, est pour faire toutes les affaires du constituant ; la procuration spéciale n'est que pour une certaine affaire ; on dit de même une autorisation spéciale, une clause spéciale. (A)


SPÉCIÉSdans la Médecine, sont proprement les ingrédiens simples dans les boutiques des Droguistes & des Apoticaires, dont ils font les médecines composées. Cependant les auteurs de Pharmacie donnent communément ce nom à certaines poudres aromatiques ou cathartiques ; parce que probablement on les tenoit autrefois prêtes & préparées d'avance, pour faire des électuaires, des tablettes, des pilules, &c. comme l'on en a encore présentement.


SPÉCIEUXadj. (Gram.) qui a une apparence séduisante & trompeuse ; vos raisons sont spécieuses ; vous avez trouvé un prétexte spécieux ; vous avez rendu votre projet bien spécieux. Cet homme a couvert sa noirceur à mon égard d'un voile bien spécieux ; il a commencé, avant que de m'accuser, d'avouer une partie des obligations qu'il m'avoit, puis il a laissé entrevoir qu'il avoit les raisons les plus fortes de se plaindre de moi. Plus il connoissoit la fausseté de toute sa conduite, plus il a mis d'art à lui donner une honnêteté spécieuse ; j'avois lu au fond de son ame vile & corrompue ; il s'en étoit apperçu, il ne pouvoit plus me souffrir.

SPECIEUSE, (Alg.) Arithmétique spécieuse, est cette espece d'Arithmétique qui enseigne à calculer les quantités exprimées par les lettres de l'alphabet, que les premiers algébristes appelloient species, especes, apparemment parce que ces lettres servent à exprimer généralement toutes les quantités, & en marquent ainsi l'espece générale, pour ainsi dire. On appelle cette arithmétique spécieuse, pour la distinguer de celle où les quantités sont exprimées par des nombres, qu'on appelle Arithmétique numérique. Voyez ARITHMETIQUE.

L'Arithmétique spécieuse, est ce que nous appellons communément Algebre. Voyez ALGEBRE. (O)


SPÉCIFICATIONS. f. (Gram. & Jurisp.) est ce qui désigne l'espece d'une chose, ce qui sert à expliquer que l'on a eu en vûe singulierement telle & telle chose ; comme quand on legue tous ses meubles & effets mobiliers, & que l'on explique que l'argent comptant sera compris dans ce legs : c'est une spécification que l'on fait par rapport à l'argent. Voyez ci-devant SPECIAL. (A)


SPÉCIFIQUEPESANTEUR, en Hydrostatique, signifie cette gravité ou pesanteur particuliere à chaque espece de corps naturel, & par laquelle on le distingue de tous les autres. Voyez PESANTEUR, POIDS & GRAVITE.

On dit qu'un corps est spécifiquement plus pesant qu'un autre, lorsque sous le même volume il a un poids plus grand qu'un autre corps, & on dit que cet autre est spécifiquement plus léger que le premier. Ainsi, si de deux spheres égales, chacune d'un pié de diametre, l'une est de plomb & l'autre de bois ; comme on trouve que celle de plomb est plus pesante que celle de bois, on dit qu'elle est spécifiquement plus pesante ; & que celle qui est de bois, est spécifiquement plus légere.

Quelques-uns appellent cette espece de pesanteur, relative, par opposition à la pesanteur absolue, qui est la même dans les petites parties de chaque corps, égales en masses, ce qui les fait descendre également vîte dans le vuide.

Loix de la pesanteur & de la légéreté spécifique des corps. 1°. Quand deux corps sont égaux en volume, leurs pesanteurs spécifiques sont l'une à l'autre comme leurs masses. Ainsi on dit qu'un corps est d'une pesanteur spécifique double d'un autre, lorsqu'il a deux fois sa masse sous le même volume.

Donc les pesanteurs spécifiques des corps égaux, sont comme leur densité. Voyez DENSITE.

2°. Les pesanteurs spécifiques des corps qui sont du même poids, sont en raison réciproque de leurs volumes. Ainsi les densités de deux corps du même poids, sont en raison réciproque de leurs volumes.

3°. Les pesanteurs spécifiques de deux corps sont en raison composée de la raison directe de leurs masses, & de la raison réciproque de leurs volumes.

4°. Un corps spécifiquement plus pesant qu'un fluide, perd dans ce fluide une portion de sa pesanteur, égale à celle d'un pareil volume de fluide.

Car supposons qu'un pouce cubique de plomb soit plongé dans l'eau, un pouce cubique d'eau sera par ce moyen chassé du lieu qu'il occupoit ; mais le poids de cette eau étoit soutenu par la résistance de l'eau qui l'environnoit. Il faut donc qu'une partie du poids du cube de plomb soit soutenue par l'eau environnante, & que cette partie soit égale au poids de l'eau qui a été repoussée ; par conséquent la pesanteur du corps plongé doit être diminuée d'autant. Voyez FLUIDE.

Ainsi, 1°. puisqu'un fluide spécifiquement plus pesant, a plus de poids sous le même volume, qu'un autre plus léger ; le même corps perdra davantage de son poids dans un fluide spécifiquement plus pesant que dans un plus léger ; & par conséquent il pesera plus dans un fluide plus léger que dans un autre plus pesant.

2°. Des corps égaux homogenes, par exemple, deux balles égales de plomb, qui pesent également dans l'air, perdront leur équilibre si on les plonge dans deux fluides différens.

3°. Puisque les pesanteurs spécifiques sont comme les masses sous le même volume, la pesanteur spécifique du fluide sera à la pesanteur spécifique du corps plongé, comme la partie du poids qui perd le corps solide, est à tout le poids du corps.

4°. Deux solides de volume égal, perdent autant de poids l'un que l'autre dans le même fluide ; mais le poids de celui qui est spécifiquement plus pesant, est plus grand que celui du corps spécifiquement plus léger : donc le corps spécifiquement plus léger, perd plus de son poids à-proportion que celui qui est spécifiquement plus pesant.

5°. Puisque les volumes des corps de poids égal, sont réciproquement comme leurs pesanteurs spécifiques, un corps spécifiquement plus léger, perd davantage de son poids dans le même fluide, qu'un autre corps de même poids & d'une plus grande pesanteur spécifique, ou d'un moindre volume. C'est pourquoi s'ils sont en équilibre dans un fluide, ils ne le seront pas de même dans un autre ; mais celui qui est spécifiquement plus pesant l'emportera, d'autant plus que le fluide sera plus dense.

Trouver la pesanteur spécifique d'un fluide. Suspendez un globe de plomb à un des côtés d'une balance, & attachez à l'autre côté un poids qui soit en équilibre avec l'autre en plein air ; plongez successivement le globe dans les différens fluides dont les pesanteurs spécifiques sont inconnues, & observez combien il pese dans chacun. Ces différentes pesanteurs étant soustraites chacune à-part du premier poids, ce qui reste est la quantité de poids qui se perd dans chaque fluide. D'où on connoît la pesanteur spécifique de chacun de ces fluides.

Donc, puisque les densités sont comme les pesanteurs spécifiques, on trouve en même tems la raison des densités des fluides.

Ce problême est d'un fort grand usage ; car on trouve par ce moyen le degré de pureté ou de bonté des fluides ; connoissance dont l'utilité s'étend non-seulement à la philosophie naturelle, mais encore aux usages de la vie & à la pratique de la médecine.

On remarque que les pesanteurs spécifiques des mêmes fluides varient dans les différentes saisons de l'année. M. Eisenschmid, dans son livre intitulé, disquisitio nova de ponderibus, &c. rapporte quantité d'expériences sur ce sujet, dont nous ne citerons ici que les principales.

Tables des pesanteurs spécifiques de différens fluides.

6°. Pour déterminer en quelle raison la pesanteur spécifique d'un fluide, est à la pesanteur spécifique d'un solide qui est spécifiquement plus pesant que le fluide ;

Pesez la masse du solide dans le fluide, & remarquez quel est précisement son poids dans le fluide & dans l'air : la gravité spécifique du fluide sera à celle du solide, comme la partie de la pesanteur que perd le solide, est à son poids dans l'air.

7°. Les pesanteurs spécifiques des corps également pesans, sont réciproquement comme les quantités de pesanteurs qu'ils perdent dans le même fluide.

Par ce moyen on trouve la raison des pesanteurs spécifiques des solides, en pesant dans le même fluide, des portions de ces solides qui soient également pesantes dans l'air, & en remarquant quelle est la pesanteur que chacun perd.

Plusieurs auteurs ont déterminé les pesanteurs spécifiques de différens solides. Ghétaldus a examiné particulierement les pesanteurs spécifiques des corps métalliques ; & c'est de lui qu'Oughtred les a empruntées. On trouve dans les Transactions philosophiques, des tables fort amples des pesanteurs spécifiques, faites par différens auteurs.

Voici celles de quelques-uns des corps les plus ordinaires, qui ont été publiées par le P. Mersenne, & depuis par différens auteurs.

Table des pesanteurs spécifiques de différens solides.

Un poids de cent livres d'or est égal en volume à

Voyez à l'article BALANCE HYDROSTATIQUE une table plus étendue.

8°. Un corps spécifiquement plus pesant qu'un fluide, y descend avec une pesanteur égale à l'excès de son poids sur celui d'un pareil volume de ce fluide.

Donc 1°. la force qui peut soutenir dans un fluide un corps spécifiquement plus pesant, est égale à l'excès de la pesanteur absolue de ce corps, sur celle d'un pareil volume de fluide. Par exemple, 47 liv. 1/3 de cuivre, perdent cinq liv. & un tiers de leur poids dans l'eau ; donc une puissance de 42 liv. suffit pour les y soutenir.

2°. Puisque l'excès de poids d'un solide sur le poids d'un fluide, est moindre que l'excès du même sur le poids d'un fluide plus léger, ce solide descendra avec moins de vîtesse dans un fluide plus pesant que dans un autre plus léger.

9°. Un corps spécifiquement plus léger qu'un fluide, enfonce dans ce fluide jusqu'à ce que le poids d'une quantité de ce fluide, égale en masse à la partie qui est plongée, soit égal au poids du corps entier.

Donc 1°. puisque les pesanteurs specifiques des corps qui ont le même poids, sont réciproquement comme leurs volumes, & que des volumes de même poids dans différens fluides, sont comme les parties du même solide qui y sont plongées ; les pesanteurs spécifiques des fluides sont réciproquement comme les parties du même corps qui y sont plongées.

2°. Un solide donc enfonce plus avant dans un fluide plus léger que dans un plus pesant, & d'autant plus profondément que le rapport de la pesanteur spécifique du solide à celle du fluide est plus grand.

3°. Si un corps est de la même pesanteur spécifique qu'un fluide, tout le corps y enfoncera ; & il s'arrêtera dans quelqu'endroit du fluide qu'on le place.

4°. Si un corps spécifiquement plus léger qu'un fluide, y est entierement plongé, il sera forcé par les colonnes collatérales du fluide de remonter avec une force égale à l'excès de pesanteur d'un pareil volume du fluide sur la pesanteur du solide.

5°. Donc un corps spécifiquement plus léger qu'un fluide, & placé dans le fond d'un vase que ce fluide remplit, sera soulevé & remontera.

10°. La pesanteur spécifique d'un solide est à la pesanteur spécifique d'un fluide plus léger, où il est plongé, comme la masse de la partie qui y est plongée est à toute la masse entiere.

11°. Les pesanteurs spécifiques des solides égaux, sont comme leurs parties plongées dans le même fluide.

12°. La pesanteur & la masse d'un corps, & la pesanteur d'un fluide spécifiquement plus pesant étant données, trouver la force requise pour tenir le solide plongé entierement dans le fluide.

Comme cette force est égale à l'excès de pesanteur d'un pareil volume de fluide, sur celle du solide, au moyen de la masse donnée du solide & du poids d'un pié cubique du fluide, trouvez par la regle de trois, le poids d'un volume de fluide égal à celui du corps. Otez-en le poids du solide ; le reste est la force demandée. Par exemple, supposez que l'on demande la force nécessaire pour soutenir dans l'eau un solide de 8 piés cubes de volume, & de 100 liv. de pesanteur ; puisqu'un pié cubique d'eau pese 70 liv. le poids de 8 piés cubes d'eau est 560, ôtez-en 100 liv. qui est la pesanteur du solide, les 460 liv. restantes sont la force nécessaire pour tenir le solide dans l'eau & l'empêcher de remonter.

D'où il suit que puisqu'un corps monte dans un solide spécifiquement plus pesant, avec une force égale à celle qui pourroit l'empêcher de monter, on peut pareillement par le présent problême, trouver la force avec laquelle un corps spécifiquement plus léger monte, ou tend à monter, dans un fluide plus pesant.

13°. La pesanteur d'un corps qui doit être construit d'une matiere spécifiquement plus pesante, & celle d'un fluide spécifiquement plus léger, étant donnée, déterminer la cavité que le corps doit avoir pour nager sur le fluide.

La pesanteur d'un pié cubique de fluide étant donnée, on trouve par la regle de trois, le volume de la portion du fluide égale en poids au corps. Si donc on fait la cavité du corps telle que le volume soit un peu plus grand que ce volume trouvé, le corps aura moins de pesanteur sous le même volume, que le fluide, & par conséquent sera spécifiquement plus léger, & ainsi nagera sur le fluide. Par exemple, supposez qu'on propose de faire une boule de fer du poids de 30 liv. de telle sorte qu'elle puisse nager sur l'eau. Puisque le poids d'un pié cubique d'eau est 70 liv. une masse d'eau égale en poids à 30 liv. contiendra les 3/7 d'un pié cube, & on trouvera facilement le diametre d'une sphere qui ait 3/7 de piés cubes de solidité. On fera ensuite la boule de fer de maniere qu'elle soit creuse en-dedans, & que son diametre soit plus grand que le diametre trouvé ; cette boule surnagera.

Ces différens théorèmes qu'on a annoncés, peuvent non-seulement se démontrer par les principes de méchanique, mais encore être confirmés par l'expérience. Voyez le cours de physique expérimentale de M. Cottes, traduit de l'anglois par M. le Monnier, docteur en médecine de la faculté de Paris, & de l'académie royale des Sciences de Paris, 1742. Voyez aussi l'article FLUIDE. Wolf & Chambers. (E)

SPECIFIQUE, (Médec.) nous entendons par spécifiques, les médicamens dont la vertu est telle qu'ils sont plus efficaces contre certaines maladies déterminées, que contre d'autres ; ensorte que leurs vertus réunies, remplissent plusieurs indications curatives de la même maladie. La rhubarbe, par exemple, mérite la préférence sur les autres médicamens laxatifs dans la diarrhée, en ce que non-seulement elle évacue, mais tempere par son amertume balsamique les sucs caustiques, & qu'en cessant d'opérer comme purgatif, elle fortifie le ton des intestins trop affoibli, à cause des particules légerement astringentes qu'elle contient.

On donne à d'autres médicamens le nom de spécifiques, parce qu'une longue expérience a fait connoître la vertu qu'ils ont de produire des effets favorables dans certaines maladies ; c'est ce qui a fait donner au quinquina le nom de spécifique, pour arrêter les accès des fievres intermittentes ; à l'opium, pour calmer les douleurs ; aux mercuriels, pour guérir les maladies vénériennes.

Enfin, il y a des remedes que les médecins appellent spécifiques, pour désigner seulement qu'ils sont plus amis que d'autres des parties qu'attaque la maladie, & qu'ils leur font principalement ressentir leur opération ; c'est ainsi que les nerfs & les parties nerveuses se trouvent très-bien des remedes empreints d'une huile subtile, aromatique, de bonne odeur ; & qu'ils se trouvent mal des remedes irritans. Dans la putridité, l'estomac est réjoui par les acides qui se trouvent contraires aux maladies des bronches des poumons. Les cantharides ne font point d'impression sur l'estomac, mais elles picotent les canaux urinaires des reins, les ureteres, la vessie, & leur causent des contractions spasmodiques.

Après avoir indiqué les divers sens qu'on peut donner aux remedes nommés spécifiques en médecine, nous allons indiquer en peu de mots, ceux qui conviennent davantage pour la guérison de différentes maladies les plus communes.

Le quinquina n'a point perdu la réputation qu'il s'est acquise dès le commencement, d'être le spécifique des fievres intermittentes, ou du moins d'en reprimer les accès : le fait est certain, quoique la maniere soit inconnue. On loue encore avec raison, dans les mêmes fievres, les fleurs de camomille ordinaire, parce que leur amertume & leur huile ont une vertu antispasmodique, & une autre tonique légerement astringente.

La teinture de rhubarbe & de gentiane, préparée avec une lessive de sel de tartre, & l'esprit urineux du sel ammoniac, a dans plusieurs especes de fievres quartes, une espece de vertu spécifique ; mais quand cette fievre ne cede pas à ce remede, il paroît qu'on peut recourir avantageusement au mercure doux, ou diaphorétique, bien préparé.

Le nitre dépuré avec un peu de camphre, les adoucissans, les doux anodins, les émulsions, & les diaphorétiques fixes, ont une espece de vertu particuliere dans toutes les inflammations qui sont accompagnées de fievre, & qui communément attaquent les parties nerveuses, comme sont les membranes du cerveau, les tuniques de l'estomac, la plevre, les bronches des poumons.

Lorsque les humeurs ont une disposition maligne, c'est-à-dire une disposition à la putréfaction, le camphre marié avec le nitre, mérite des éloges, soit que les maladies soient aiguës ou chroniques. On doit regarder le vinaigre, ou simple, ou chargé de la teinture des racines cordiales, comme le meilleur des alexiteres, dans la peste même. Le suc de limons, de citrons, le syrop de limon aromatisé avec l'huile de cedre, resistent puissamment en qualité d'acides, à la dissolution corruptible des humeurs.

Les douleurs causées par un resserrement spasmodique, sont utilement mitigées par la liqueur anodine minérale d'Hoffman ; les vents dont la raréfaction cause une extension douloureuse des membranes de l'estomac & des intestins, se dissipent avantageusement, toutes les fois qu'il n'y a point d'inflammation, par l'écorce d'orange jointe aux fleurs de camomille, & par d'autres remedes semblables, qui ont une huile subtile, vaporeuse, réunie à un principe aromatique, qui fortifient & adoucissent.

Les goutteux sont soulagés par l'usage abondant & continué d'une décoction de racine d'armoise, de scorzonere, de squine, de réglisse, & de polypode ; le rob de sureau, pris intérieurement à la dose d'une once, dans un liquide convenable, est une espece de spécifique pour exciter la transpiration.

Les accidens hystériques & hypocondriaques, qui proviennent de la contraction spasmodique du systême des nerfs, ne connoissent point de meilleur remede que l'exercice du corps, les gommes balsamiques, comme l'assa foetida, le sagapenum, l'opopanax, le castoreum, l'extrait de rhubarbe, la myrrhe & le safran, pris souvent à dose modérée, parce que ces remedes dissolvent les liqueurs tenaces, & fortifient le ton des parties nerveuses.

Lorsque le tissu vésiculaire des poumons est engorgé dans l'asthme par une pituite épaisse, la gomme ammoniaque, le baume du Pérou, l'opopanax, réduits en pilules, ou en essence, avec la teinture de tartre, sont les remedes les plus spécifiques, c'est-à-dire les plus appropriés à cette maladie.

Quand les mêmes poumons commencent à être attaqués de phthisie, c'est sur-tout dans le lait d'anesse, ou seul, ou coupé avec les eaux de Selter, qu'il faut chercher le remede spécifique à ce mal, en y joignant l'exercice modéré à cheval, avec le régime convenable d'ailleurs, pour prévenir la putridité des humeurs.

L'hydropisie dépendant d'une infinité de causes particulieres, n'a point de remedes spécifiques ; mais comme l'écoulement des urines est quelquefois un des moyens destinés à évacuer les eaux des hydropiques, on peut conseiller la poudre des cantharides, mêlée avec le sel de tartre, quelques grains de nitre dépuré, & de camphre, si les humeurs ont disposition à prendre le cours des urines pour s'évacuer ; il faut ensuite fortifier le corps par des bandages.

La disposition des reins à former du gravier, demande un long & fréquent usage de l'infusion des sommités de mille-feuilles, ainsi que l'écorce des racines d'acacia, infusée dans l'eau.

La dissenterie, maladie contagieuse qui fait quelquefois de grands ravages, est ordinairement heureusement guérie par la racine de l'Amérique, connue sous le nom d'ipecacuanha, qui passe dans ce mal pour un spécifique.

On prescrit, entre les remedes qui peuvent émousser l'acrimonie, les diaphorétiques doux, les tempérans, & l'infusion légere de rhubarbe ; enfin on employe avec succès, l'écorce de cascarille, pour raffermir les fibres relâchées des intestins, & calmer les mouvemens désordonnés.

Les vers, qui présentent quelquefois la scène de plusieurs accidens, sont heureusement attaqués & chassés du corps par l'extrait de rhubarbe, & surtout par le diagrède, & le mercure doux : on peut, dans les enfans, faire précéder l'usage de ces remedes, par quelques cuillerées d'huile d'olive, ou d'amande douce, lesquels comme tous les huileux, causent la mort des vers, sur tout si les enfans sont à jeun.

Dans les maladies vénériennes, le bois & l'écorce de gayac, mais sur-tout le mercure, passent depuis long-tems pour être les meilleurs spécifiques connus. Le gayac empreint l'eau dans laquelle on le fait bouillir, d'un sel subtil resineux, qui accélere la circulation de la masse du sang & des humeurs ; ce qui tend à dissoudre les sucs tenaces, & à lever les obstructions.

On attaque avec succès les maladies cutanées, telles que l'herpès, la gale, & autres exulcérations de la peau, par le soufre diaphorétique d'antimoine, & en général par les antimoniaux.

La stagnation des humeurs & du sang, qui procede d'une contusion des parties extérieures ; outre les remedes externes, admet intérieurement l'usage de l'infusion, ou de la décoction du damozanium, & autres plantes de ce genre, qui possedent des vertus incisives, résolutives, & discussives.

Voilà, dans plusieurs maladies, les remedes choisis que l'expérience a fait connoître pour les plus utiles, & dont la plûpart sont honorés du titre de spécifiques ; cependant les vertus de tous ces médicamens, même des plus vantés, ne sont jamais que relatives, bornées & limitées à certaines dispositions & circonstances ; ils demandent tous d'être reglés par une méthode convenable, & par les lumieres d'un sage médecin qui connoisse les causes de la maladie, le régime, le genre de vie qu'il faut suivre pendant l'usage de ces remedes, la maniere de les combiner, & combien de tems il faut les continuer.

Nous n'avons donc garde d'imaginer qu'il y ait des remedes qui produisent toujours un effet salutaire dans tous les sujets : nous n'entendons par spécifiques, comme nous l'avons déja dit, que les remedes connus, qui ont généralement une faculté particuliere, ou spéciale, dans certaines maladies préférablement à d'autres.

A plus forte raison sommes-nous convaincus qu'il n'y a ni panacées, ni secrets, ni spécifiques universels. Ceux qui prétendent en posseder, ne sont que des fourbes & des charlatans : si l'on croit ces gens-là, dit la Bruyere, le remede qu'ils ont est un bien de famille qui s'est amélioré dans leurs mains ; de spécifique qu'il étoit contre un seul mal, il les guérit tous par les expériences qu'ils en ont faites ; forcez un peu votre mémoire, ajoute-t-il, nommez une maladie, la premiere qui vous viendra dans l'esprit, l'épilepsie, dites-vous, ils la guérissent. Ils ne ressuscitent personne, à la vérité, ils ne rendent pas la vie aux hommes, mais ils les conduisent nécessairement à la décrépitude, & ce n'est que par hasard que leurs peres & leurs ayeuls, qui avoient leurs spécifiques & leurs secrets, sont morts fort jeunes. (D.J.)


SPECILLUMou SPECULUM, est un instrument de chirurgie, qui sert à sonder & écarter les plaies, &c. c'est la même chose que sonde. Voyez SONDE. (Y)


SPECTABILES(Littérature) titre d'honneur qu'on donnoit aux nobles du second rang sous les empereurs romains ; mais c'étoit un titre inconnu du tems de la république. Il y avoit deux autres qualifications dans le discours, accordées à la noblesse, dont la principale étoit celle de illustres, & la moindre celle de clarissimi. (D.J.)


SPECTACLES(Invent. anc. & mod.) représentations publiques imaginées pour amuser, pour plaire, pour toucher, pour émouvoir, pour tenir l'ame occupée, agitée, & quelquefois déchirée. Tous les spectacles inventés par les hommes, offrent aux yeux du corps ou de l'esprit, des choses réelles ou feintes ; & voici comme M. le Batteux, dont j'emprunte tant de choses, envisage ce genre de plaisir.

L'homme, dit-il, est né spectateur ; l'appareil de tout l'univers que le Créateur semble étaler pour être vu & admiré, nous le dit assez clairement. Aussi de tous nos sens, n'y en a-t-il point de plus vif, ni qui nous enrichisse d'idées, plus que celui de la vue ; mais plus ce sens est actif, plus il a besoin de changer d'objets : aussitôt qu'il a transmis à l'esprit l'image de ceux qui l'ont frappé, son activité le porte à en chercher de nouveaux, & s'il en trouve, il ne manque point de les saisir avidement. C'est de-là que sont venus les spectacles établis chez presque toutes les nations. Il en faut aux hommes de quelque espece que ce soit : & s'il est vrai que la nature dans ses effets, la société dans ses événemens, ne leur en fournissent de piquans que de loin à loin, ils auront grande obligation à quiconque aura le talent d'en créer pour eux, ne fût-ce que des phantômes & des ressemblances, sans nulle réalité.

Les grimaces, les prestiges d'un charlatan monté sur des tréteaux, quelque animal peu connu, ou instruit à quelque manege extraordinaire, attirent tout un peuple, l'attachent, le retiennent, comme malgré lui ; & cela dans tout pays. La nature étant la même par-tout, & dans tous les hommes, savans & ignorans, grands & petits, peuple & non peuple, il n'étoit pas possible qu'avec le tems les spectacles de l'art n'eussent pas lieu dans la société humaine ; mais de quelle espece devoient-ils être, pour faire la plus grande impression de plaisir ?

On peut présenter les effets de la nature, une riviere débordée, des rochers escarpés, des plaines, des forêts, des villes, des combats d'animaux ; mais ces objets qui ont peu de rapport avec notre être, qui ne nous menacent d'aucun mal, ni ne nous promettent aucun bien, sont de pure curiosité ; ils ne frappent que la premiere fois, & parce qu'ils sont nouveaux : s'ils plaisent une seconde fois, ce n'est que par l'art heureusement exécuté.

Il faut donc nous donner quelque objet plus intéressant qui nous touche de plus près ; quel sera cet objet ? nous-mêmes. Qu'on nous fasse voir dans d'autres hommes, ce que nous sommes, c'est de quoi nous intéresser, nous attacher, nous remuer vivement.

L'homme étant composé d'un corps & d'une ame, il y a deux sortes de spectacles qui peuvent l'intéresser. Les nations qui ont cultivé le corps plus que l'esprit, ont donné la préférence aux spectacles où la force du corps & la souplesse des membres se montroient. Celles qui ont cultivé l'esprit plus que le corps, ont préféré les spectacles où on voit les ressources du génie & les ressorts des passions. Il y en a qui ont cultivé l'un & l'autre également, & les spectacles des deux especes, ont été également en honneur chez eux.

Mais il y a cette différence entre ces deux sortes de spectacles, que dans ceux qui ont rapport au corps, il peut y avoir réalité, c'est-à-dire que les choses peuvent s'y passer sans feintes & tout de bon, comme dans les spectacles des gladiateurs, où il s'agissoit pour eux de la vie. Il peut se faire aussi que ce ne soit qu'une imitation de la réalité, comme dans ces batailles navales où les Romains flatteurs représentoient la victoire d'Actium. Ainsi dans ces sortes de spectacles, l'action peut être ou réelle, ou seulement imitée.

Dans les spectacles où l'ame fait ses preuves, il n'est pas possible qu'il y ait autre chose qu'imitation, parce que le dessein seul d'être vû contredit la réalité des passions : un homme qui ne se met en colere, que pour paroître fâché, n'a que l'image de la colere ; ainsi toute passion, dès qu'elle n'est que pour le spectacle, est nécessairement passion imitée, feinte, contrefaite : & comme les opérations de l'esprit sont intimément liées avec celles du coeur, en pareil cas, elles sont de même que celles du coeur, feintes & artificielles.

D'où il suit deux choses : la premiere que les spectacles où on voit la force du corps & la souplesse, ne demandent presque point d'art, puisque le jeu en est franc, sérieux, & réel ; & qu'au contraire ceux où l'on voit l'action de l'ame, demandent un art infini, puisque tout y est mensonge, & qu'on veut le faire passer pour vérité.

La seconde conséquence est que les spectacles du corps doivent faire une impression plus vive, plus forte ; les secousses qu'ils donnent à l'ame, doivent la rendre ferme, dure, quelquefois cruelle. Les spectacles de l'ame au-contraire, font une impression plus douce, propre à humaniser, à attendrir le coeur plutôt qu'à l'endurcir. Un homme égorgé dans l'arene, accoutume le spectateur à voir le sang avec plaisir. Hippolyte déchiré derriere la scene, l'accoutume à pleurer sur le sort des malheureux. Le premier spectacle convient à un peuple guerrier, c'est-à-dire destructeur ; l'autre est vraiment un art de la paix, puisqu'il lie entr'eux les citoyens par la compassion & l'humanité.

Les derniers spectacles sont sans-doute les plus dignes de nous, quoique les autres soient une passion qui remue l'ame & la tient occupée. Tels étoient chez les anciens le spectacle des gladiateurs, les jeux olympiques, circenses & funebres ; & chez les modernes, les combats à outrance, & les joûtes à fer émoulu qui ont cessé. La plûpart des peuples polis ne goûtent plus que les spectacles mensongers qui ont rapport à l'ame, les opéras, les comédies, les tragédies, les pantomimes. Mais une chose certaine, c'est que dans toute espece de spectacles, on veut être ému, touché, agité ou par le plaisir de l'épanouissement du coeur, ou par son déchirement, espece de plaisir ; quand les acteurs nous laissent immobiles, on a regret à la tranquillité qu'on emporte, & on est indigné de ce qu'ils n'ont pas pu troubler notre repos.

C'est le même attrait d'émotion qui fait aimer les inquiétudes & les allarmes que causent les périls où l'on voit d'autres hommes exposés, sans avoir part à leurs dangers. Il est touchant, dit Lucrece, de nat. rer. lib. II. de considérer du rivage un vaisseau luttant contre les vagues qui le veulent engloutir, comme de regarder une bataille d'une hauteur d'où l'on voit en sureté la mêlée.

Suave mari magno turbantibus aequora ventis

E terrâ alterius magnum spectare laborem ;

Suave etiam belli certamina magna tueri

Per campos instructa tui sine parte pericli.

Personne n'ignore la dépense excessive des Grecs & des Romains en fait de spectacles, & sur-tout de ceux qui tendoient à exciter l'attrait de l'émotion. La représentation des trois tragédies de Sophocle couta plus aux Athéniens que la guerre du Péloponnèse. On sait les dépenses immenses des Romains pour élever des théatres, des amphithéatres & des cirques, même dans les villes des provinces. Quelques-uns de ces bâtimens qui subsistent encore dans leur entier, sont les monumens les plus précieux de l'architecture antique. On admire même des ruines de ceux qui sont tombés. L'histoire romaine est encore remplie des faits qui prouvent la passion démesurée du peuple pour les spectacles, & que les princes & les particuliers faisoient des fraix immenses pour la contenter. Je ne parlerai cependant ici que du payement des acteurs. Aesopus, célebre comédien tragique & le contemporain de Cicéron, laissa en mourant à ce fils, dont Horace & Pline font mention comme d'un fameux dissipateur, une succession de cinq millions qu'il avoit amassés à jouer la comédie. Le comédien Roscius, l'ami de Cicéron, avoit par an plus de cent mille francs de gages. Il faut même qu'on eût augmenté les appointemens depuis l'état que Pline en avoit vu dressé, puisque Macrobé dit que ce comédien touchoit des deniers publics près de neuf cent francs par jour, & que cette somme étoit pour lui seul : il n'en partageoit rien avec sa troupe.

Voilà comment la république romaine payoit les gens de théatre. L'histoire dit que Jules César donna vingt mille écus à Laberius, pour engager ce poëte à jouer lui-même dans une piece qu'il avoit composée. Nous trouverions bien d'autres profusions sous les autres empereurs. Enfin Marc-Aurele, qui souvent est désigné par la dénomination d'Antonin le philosophe, ordonna que les acteurs qui joueroient dans les spectacles que certains magistrats étoient tenus de donner au peuple, ne pourroient point exiger plus de cinq pieces d'or par représentation, & que celui qui en faisoit les fraix ne pourroit pas leur donner plus du double. Ces pieces d'or étoient à-peu-près de la valeur de nos louis, de trente au marc, & qui ont cours pour vingt-quatre francs. Tite-Live finit sa dissertation sur l'origine & le progrès des représentations théatrales à Rome, par dire qu'un divertissement, dont les commencemens avoient été peu de chose, étoit dégénéré en des spectacles si somptueux, que les royaumes les plus riches auroient eu peine à en soutenir la dépense.

Quant aux beaux arts qui préparent les lieux de la scene des spectacles, c'étoit une chose magnifique chez les Romains. L'architecture, après avoir formé ces lieux, les embellissoit par le secours de la peinture & de la sculpture. Comme les dieux habitent dans l'olympe, les rois dans des palais, le citoyen dans sa maison, & que le berger est assis à l'ombre des bois, c'est aux arts qu'il appartient de représenter toutes ces choses avec goût dans les endroits destinés aux spectacles. Ovide ne pouvoit rendre le palais du soleil trop brillant, ni Milton le jardin d'Eden trop délicieux : mais si cette magnificence est au-dessus des forces des rois, il faut avouer d'un autre côté que nos décorations sont fort mesquines, & que nos lieux de spectacles, dont les entrées ressemblent à celles des prisons, offrent une perspective des plus ignobles. (D.J.)


SPECTATEURest une personne qui assiste à un spectacle. Voyez SPECTACLE.

Chez les Romains, spectateurs, spectatores, signifioient plus particulierement une sorte de gladiateurs qui avoient obtenu leur congé, & qui étoient souvent gagés pour assister comme spectateurs aux combats de gladiateurs, &c. dont on régaloit le peuple. Voyez GLADIATEUR.


SPECTRES. m. (Métaphysique) on appelle spectres certaines substances spirituelles, qui se font voir ou entendre aux hommes. Quelques-uns ont cru que c'étoient les ames des défunts qui reviennent & se montrent sur la terre. C'étoit le sentiment des Platoniciens, comme on le peut voir dans le Phédon de Platon, dans Porphyre, &c. En général l'opinion touchant l'existence des spectres étoit assez commune dans le paganisme. On avoit même établi des fêtes & des solemnités pour les ames des morts, afin qu'elles ne s'avisassent pas d'effrayer les hommes par leurs apparitions. Les cabalistes & les rabbins parmi les Juifs n'étoient pas moins pour les spectres. Il faut dire la même chose des Turcs, & même de presque toutes les sectes de la religion chrétienne. Les preuves que les partisans de cette opinion en donnent, sont des exemples ou profanes ou tirés de l'Ecriture-sainte. Baronius raconte un fait, dont il croit que personne ne peut douter : c'est la fameuse apparition de Marsilius Ficinus à son ami Michael Mercato. Ces deux amis étoient convenus que celui qui mourroit le premier reviendroit pour instruire l'autre de la vérité des choses de l'autre vie. Quelque tems après, Mercato étant occupé à méditer sur quelque chose, entendit tout-d'un-coup une voix qui l'appelloit : c'étoit sont ami Ficinus qu'il vit monté sur un cheval blanc, mais qui disparut dans le moment que l'autre l'appella par son nom.

La seconde opinion sur l'essence des spectres est celle de ceux qui croyent que ce ne sont point les ames qui reviennent, mais une troisieme partie dont l'homme est composé. C'est-là l'opinion de Théophraste, Paracelse, & tous ceux qui croyent que l'homme est composé de trois parties ; savoir de l'ame, du corps & de l'esprit. Selon lui, chacune de ses parties s'en retourne après la mort à l'endroit d'où elle étoit sortie. L'ame qui vient de Dieu, s'en retourne à Dieu. Le corps qui est composé de deux élémens inférieurs, la terre & l'eau, s'en retourne à la terre, & la troisieme partie, qui est l'esprit, étant tirée des deux élémens supérieurs l'air & le feu, s'en retourne dans l'air, où avec le tems elle est dissoute comme le corps ; & c'est cet esprit, & non pas l'ame, qui se mêle des apparitions. Théophraste ajoute qu'il se fait voir ordinairement dans les lieux & auprès des choses qui avoient le plus frappé la personne qu'il animoit ; parce qu'il lui en étoit resté des impressions extrêmement fortes.

La troisieme opinion est celle qui attribue les apparitions aux esprits élémentaires. Paracelse & quelquelques-uns de ses sectateurs croyent que chaque élément est rempli d'un certain nombre d'esprits, que les astres sont la demeure des salamandres, l'air celle des sylphes, l'eau celle des nymphes, & la terre celle des pigmées.

La quatrieme opinion regarde comme des spectres les exhalaisons des corps qui pourrissent. Les partisans de cette hypothese croyent que ces exhalaisons rendues plus épaisses par l'air de la nuit, peuvent représenter la figure d'un homme mort. C'est la philosophie de Cardan & d'autres : elle n'est pas nouvelle. On en trouve des traces dans les anciens, & sur-tout dans la troade de Séneque.

Enfin la cinquieme opinion donne pour cause des spectres des opérations diaboliques. Ceux-ci supposent la vérité des apparitions comme un fait historique, dont on ne peut point douter ; mais ils croyent que c'est l'ouvrage du démon qui se formant un corps de l'air, s'en sert pour ses différens desseins. Ils soutiennent que c'est la maniere la plus convenable, & la moins embarrassante pour expliquer les apparitions.

Nonobstant le grand nombre de ceux qui croyent les spectres & qui cherchent à expliquer leur possibilité, il y a eu de tout tems des philosophes qui ont osé nier leur existence. On en peut faire trois classes. On peut mettre dans la premiere ceux qui n'admettent aucune différence entre le corps & l'esprit, comme Spinosa, qui soutenant qu'il n'y a qu'une seule substance, ne peut point admettre des spectres. On peut mettre dans la seconde classe ceux qui paroissent croire l'existence du diable, mais qui lui ôtent tout pouvoir sur la terre. La troisieme classe comprend ceux qui admettent le pouvoir du diable sur la terre, mais qui nient qu'il puisse prendre un corps.

SPECTRES, les, s. m. pl. (Conchyliolog.) en latin concha spectrorum, en anglois the spectre-shell ; les auteurs appellent ainsi une volute singuliere de la classe de celles qui ont le sommet élevé. Voyez VOLUTES.

Ce nom lui vient de figures bisarres & frappantes dont elle est chargée. Ces figures sont rougeâtres sur un fond blanc, ce qui les fait paroître plus effrayantes. Elles forment deux grandes & larges fascies qui environnent toute la volute depuis le sommet jusqu'au bas, & entre ces fascies regnent des cordons assez réguliers de taches & de différens points. Cette coquille est rare, & se vend ordinairement fort cher. (D.J.)

SPECTRE COLORE, (Optique) est le nom que l'on donne à l'image oblongue & colorée du soleil, formée par le prisme dans une chambre obscure. Voyez COULEUR & PRISME.


SPÉCULAIREPIERRE, (Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à une pierre gypseuse ou pierre à plâtre, qui est composée de feuillets brillans comme ceux du talc ; on l'appelle aussi miroir des ânes. Elle est ou blanche, ou jaunâtre, ou de couleur d'iris. Il s'en trouve beaucoup à Montmartre.


SPECULARIA(Antiq. rom.) on nommoit ainsi l'espece de vitrage faite de pierres spéculaires, & qu'on employoit aux fenêtres avant que le verre fût d'usage. (D.J.)


SPÉCULATIFadj. (Phil.) on appelle ainsi les connoissances qui se bornent à la spéculation des vérités, & qui n'ont point la pratique pour objet. Voyez PRATIQUE.


SPÉCULATIONS. f. (Gram.) examen profond & réfléchi de la nature & des qualités d'une chose, Ce mot s'oppose à pratique. La spéculation recherche ce que c'est que l'objet ; la pratique agit. Ainsi l'on peut dire que la philosophie, la vertu, la religion, la morale, ne sont pas des sciences de pure spéculation. Celui qui n'en a que la spéculation, n'est que le fantôme d'un philosophe, d'un homme vertueux, religieux, moraliste. La physique a ses spéculations, qu'il faut mettre à l'épreuve de l'expérience ; que seroit-ce que les mathématiques sans les problèmes d'utilité, auxquels on arrive par la démonstration de ses propositions spéculatives ? Les théorèmes sont la partie de spéculation. Les problêmes sont la partie de pratique.

SPECULATION, terme de marchand d'étoffes, sorte d'étoffe non-croisée qui se fabrique pour l'ordinaire à Paris, dont la chaîne est de soie cuite ou teinte, & la trème de fil blanc de Cologne, ou de fil de coton blanc. Sa largeur est communément de demi-aune, moins un seize, mesure de Paris. Il s'en fait de moirée & de non-moirée de différentes couleurs. Savary. (D.J.)


SPECULUMterme de Chirurgie, nom qu'on a donné à différens instrumens qui dilatent des cavités. Ce mot est latin, & signifie miroir. On s'en est servi pour les instrumens qui font voir ce qui se trouve contre nature dans les cavités qu'ils tiennent ouvertes.

Speculum ani, est un instrument dont on se sert pour écarter le fondement, examiner le mal, tirer des os, & enlever toute matiere qui peut s'y être fixée. Voyez DILATATOIRE.

Speculum matricis, est un instrument dont on se sert pour examiner & panser les endroits qui se trouvent viciés dans les parties secrettes des femmes. Il a la même forme que le speculum ani. Voyez DILATATOIRE.

Speculum oris, est un instrument qui sert à examiner les maux de bouche. Il y en a de deux sortes. L'un sert à contenir la langue afin de voir plus aisément le fond de la bouche. Voyez GLOSSOCATOCHE. L'autre est un instrument qui sert à ouvrir & dilater la bouche par force, afin de faire prendre au malade du bouillon ou des remedes liquides.

Cet instrument est composé de deux colonnes cylindriques, hautes pour le moins de trois pouces paralleles entr'elles, distantes l'une de l'autre d'un pouce & demi, posées sur un piédestal dont la base est percée perpendiculairement en écrou. Au haut des colonnes sont situées horisontalement deux plaques d'acier de figure pyramidale tronquée, c'est-à-dire, qu'elles sont plus larges du côté des colonnes que vers leur pointe. L'inférieure est mobile, la supérieure est fixe. Elles ont extérieurement quatre entaillures formées par autant de biseaux pour les empêcher de glisser quand elles sont entre les dents. La plaque inférieure a trois trous. Ceux des côtés servent à loger les colonnes sur lesquelles elle glisse ; celui du milieu reçoit la soie d'une vis à double pas, qui passe par l'écrou du piédestal, & dont l'extrêmité inférieure est terminée en treffle pour le tourner. Quand on tourne cette vis, dont le sommet est un chaperon ou tête demi-sphérique, au-dessus de la plaque mobile ; cette plaque s'éloigne plus ou moins de celle qui est fixe, en se baissant ou se haussant comme on veut, & fait par conséquent ouvrir la bouche autant qu'il est nécessaire. Voyez la fig. 11. Pl. XXVI. On trouve dans le traité d'instrumens de M. de Garengeot, une description beaucoup plus ample de cet instrument.

M. Levret a fait graver dans son traité des polypes, un speculum oris de son invention. Pour opérer aisément dans le fond de la bouche, soit pour la ligature des polypes du nez qui s'étendent derriere le voile du palais, soit pour amputer les amygdales extraordinairement tuméfiées, il faut se rendre maître du mouvement de la mâchoire inférieure & de la langue. Les divers speculum oris ne remplissent que fort imparfaitement ces intentions ; ils gênent beaucoup l'opérateur, & dans quelques cas ils empêchent absolument l'opération. Le nouveau speculum gravé Pl. XXXIV. fig. 5. n'a pas ces inconvéniens. On monte à vis le coin de bois, sur la branche du côté opposé à celui où l'on doit opérer. Ce coin est entre les dents molaires. La plaque contient la langue. On avoit cru mal-à-propos que la surface polie de la plaque refléchiroit dans le fonds de la gorge les rayons de lumiere d'une bougie : mais c'est une fausse spéculation, puisque l'haleine ternit cette plaque.

Speculum oculi, ou miroir de l'oeil, instrument qui tient l'oeil ouvert & assujetti de maniere à permettre au chirurgien d'y faire les opérations convenables. M. Petit a imaginé le speculum annulaire. Celui qui est représenté Pl. 23. fig. 6. sert pour les injections dans le point lacrimal inférieur, & on voit, fig. 7. celui qui convient pour assujettir la peau de la réunion des deux paupieres, & la bander afin de faire l'opération de la fistule lacrimale.

Il y a un autre instrument propre pour l'opération de la cataracte. C'est une espece de coulisse plate & à jour, composée de deux jumelles exactement quarrées, qui ont environ trois pouces de longueur & de rectitude, sur une ligne de large. Elles se recourbent ensuite, & se jettent en-dessous de la longueur de six à sept lignes, pour s'approcher & ne former plus qu'un corps, dont l'extrêmité est attachée à la corne d'un demi-cercle, dont la corde horisontalement située peut avoir un pouce de longueur.

Ces jumelles sont éloignées l'une de l'autre, de maniere qu'elles laissent un vuide ou une fente qui a une ligne de diametre : elles se tiennent à la même distance par de petites bandes traversieres, deux en dessus & deux en dessous qui forment une cannule à jour, observant que la bande qui est à sept lignes du coude soit large, & ait dans son milieu un trou gravé en écrou, pour les usages que l'on rapportera.

Ces jumelles sont soudées par leur partie postérieure sur une plaque allongée & artistement figurée, de quatorze lignes de long, & qui sert de manche à l'instrument.

La seconde piece de cet instrument est mobile ; c'est une verge aussi quarrée, de trois pouces de long sur une ligne de diametre : elle est de même que les jumelles, coudée à la partie antérieure, & se jette en-dessous, pour former une petite tige de six à sept lignes de long, qui, de même que la précédente, est attachée à la corne d'un demi-cercle aussi horisontalement situé, desorte que les deux demi-cercles se touchent par leurs bouts, forment un anneau ovale d'un pouce de longueur & de huit lignes de large.

L'anneau ovale que nous venons d'examiner a deux bords, l'un inférieur, ou qui regarde le dessous de l'instrument, & l'autre supérieur, qui regarde le dessus. Le premier devant être appliqué immédiatement sur les paupieres, doit présenter une ouverture plus spacieuse, afin de s'accommoder à la figure globuleuse de l'oeil.

La situation de la seconde piece du speculum oculi, est d'occuper le vuide ou la fente qui se trouve entre les jumelles & entre les bandes traversieres qui sont en-dessus & en-dessous, de maniere qu'elle glisse là-dedans comme une coulisse ; mouvement qui s'exécute en poussant un petit bouton, qui est soudé ou monté à vis sur la partie postérieure du corps.

Enfin la derniere piece de cet instrument est une petite vis, qui s'engageant dans l'écrou qui est pratiqué sur la bande large des jumelles, tient l'anneau ferme dans l'ouverture qu'on lui a donnée.

Pour se servir de cet instrument, on pose la circonférence antérieure de l'anneau sur le bord des paupieres, & en poussant l'anneau, on les écarte de maniere à voir le globe de l'oeil fixé & arrêté. Voyez la fig. 9. Pl. XXIII.

On se sert de cet instrument pour l'opération de la cataracte, & pour l'extirpation de quelques excroissances, &c. La nouvelle méthode d'opérer par l'extraction du crystallin, rend ces ingénieuses inventions inutiles.

Pour l'extraction des corps étrangers nichés dans l'angle que la membrane interne des paupieres fait avec le globe de l'oeil, il n'y a point de meilleur speculum qu'une bandelette, dont l'extrêmité garnie d'un emplâtre agglutinatif, s'applique sur la paupiere pour l'écarter du globe. (Y)


SPEI FANUM(Géog. anc.) ou Spei templum, temple d'Italie. Denys d'Halicarnasse, liv. IX. ch. xxx. le met à huit stades de la ville de Rome. Tite-Live, liv. XXIV. chap. xlvij. en parlant de l'incendie & du rétablissement du temple de l'Espérance, dit qu'il étoit au-dehors de la porte Carmentale. (D.J.)


SPEISS(Métallurgie) dans les atteliers où l'on traite la mine de cobalt pour faire le verre bleu qu'on appelle smalte ou saffre, on donne le nom de speiss à une matiere qui se dépose au fond des creusets où l'on a fait vitrifier le cobalt avec la fritte du verre. Lorsque la mine de cobalt se trouve jointe avec de la mine de plomb, en faisant fondre cette mine, le speiss vient nager à la surface du plomb qui est plus pesant que lui. Cette matiere, qui est du cobalt pur & dans l'état de chaux, est, suivant M. Gellert, en état de colorer trente ou quarante fois son poids de fritte ou de verre, au lieu que la mine de cobalt grillée de la maniere ordinaire, à proportion du cobalt qu'elle contient, ne peut en colorer que de huit à quinze fois son poids. Voyez l'article SAFFRE, où l'on trouvera les différentes opinions des chimistes modernes sur la nature du cobalt & du speiss. (-)


SPELARITE(Mythol.) surnom d'Appollon, de Mercure & d'Hercule, dont les statues se plaçoient souvent dans des cavernes.


SPELLO(Géog. mod.) bourg d'Italie, dans l'Ombrie, au duché de Spolete, à cinq milles de Foligno, sur une colline de l'Apennin. C'est l'ancienne ville que Pline nomme Hispellium, & Strabon Hyspellum. Ce bourg fut saccagé en 1529 par les troupes de l'empereur, & le pape Paul III. fit ensuite abattre ses murailles, qu'on n'a pas relevées depuis ; cependant les ruines d'un ancien théâtre, & quelques autres monumens, marquent que c'étoit une ville florissante ; ce qui le prouve encore, c'est que le tombeau de Properce a été trouvé en 1722 dans ce bourg d'Ombrie, qui est à six milles de Bévania, lieu de sa naissance, sous les ruines d'une maison qu'on appelle aujourd'hui la maison du poëte. Properce mourut à l'âge de 41 ans, l'an de Rome 739, & 15 ans avant J. C. (D.J.)


SPELUNCAE(Géog. anc.) 1°. lieu d'Italie, au territoire de Fondi ; ce lieu, selon Suétone, étoit un prétoire, & les Jurisconsultes donnent quelquefois le nom de prétoire, à une maison de campagne bâtie avec quelque magnificence. 2°. Speluncae, dans l'itinéraire d'Antonin, étoit un lieu d'Italie, à dixhuit milles de Brindes. (D.J.)


SPERAREv. act. (Lang. lat.) on trouve chez les anciens le verbe sperare, pour signifier prévoir ; c'est ainsi que dans Virgile, Aeneid. liv. IV. v. 419. Didon dit à sa soeur :

Hunc ego si potui tantum sperare dolorem.

" Si j'avois pû prévoir, imaginer, me préparer à un coup si terrible. " Les Anglois disent aussi to hope pour to believe, c'est-à-dire espérer pour croire. (D.J.)


SPERCHEA(Géog. anc.) promontoire de la Macédoine ; Ptolémée, liv. III. ch. xüj. le marque sur la côte de la Phthiotide, dans le golfe Pélasgique entre Echinus & Thebae Phthiodes. Le nom moderne est Comen, selon Niger ; & Phthelia, selon Sophein. Il y avoit sur ce promontoire une ville de même nom. (D.J.)


SPERCHIUS(Géog. anc.) fleuve de la Macédoine ; Ptolémée, l. III. c. xiij. le marque sur la côte de Phthiotide, dans le golfe Pélasgique, entre Echinus & Phthiotides. Homere parle de ce fleuve, & dit que Pélée lui voua la chevelure d'Achille son fils, s'il revenoit heureusement dans sa patrie après la guerre de Troie. (D.J.)


SPERGULAS. f. (Hist. nat. Botan.) espece de morgeline, nommée par Tournefort, alsine major ; c'est une petite plante qui pousse plusieurs tiges, nouées à la hauteur d'environ un demi-pié ; ses feuilles sont petites, étroites, jaunâtres, disposées en rayons autour de chaque noeud des branches ; ses fleurs naissent au sommet des tiges ; elles sont composées de plusieurs petits pétales blancs, disposés en rose, soutenus par un calice à cinq feuilles. Ses graines sont petites, rondes, noires, plus menues que celles de la rave ; cette plante croît dans les champs & dans les pâturages ; les Anglois la nomment spurry, & la sement deux fois dans un été ; la premiere semaille est au mois de Mai ; la seconde se fait après la moisson du seigle. Sa récolte est d'une utilité admirable pour les bestiaux pendant l'hiver ; les vaches qui s'en nourrissent donnent de meilleur lait & de meilleur beurre qu'en prenant tout autre pâturage ; la volaille en fait aussi ses délices. (D.J.)


SPERMACOCÉ(Hist. nat. Botan.) genre distinct de plante dans le systême de Linnaeus ; le calice est une enveloppe très-petite, divisée par quatre découpures à l'extrêmité ; il est placé sur le germe, & subsiste. La fleur est composée d'une seule feuille qui forme un tuyau divisé à l'extrêmité en quatre segmens obtus, & un peu panchés en arriere ; les étamines sont quatre filets pointus plus courts que la fleur ; leurs bossettes sont simples ; le germe du pistil est arrondi, applati, & situé sous le réceptacle ; le stile est fendu au sommet ; les stigma sont obtus ; le fruit est composé de deux capsules oblongues jointes ensemble, convexes d'un côté, applaties de l'autre, & finissant en deux cornes ; les graines sont uniques, de forme rondelette. Linn. gen. plant. pag. 25. (D.J.)


SPERMATIQUEen Anatomie, est ce qui a rapport à la semence ou sperme. Voyez SEMINAL.

Les anciens divisoient en général les parties du corps animal en spermatiques & sanguines. Les parties spermatiques sont celles qui par leur couleur, &c. ont quelque ressemblance avec la semence, & qu'on supposoit en être formées ; tels sont les nerfs, les membranes, les os, &c. les parties sanguines sont celles qu'on supposoit être formées du sang après la conception.

Mais les modernes prétendent avec bien plus de fondement, que toutes les parties sont spermatiques en ce sens, & qu'elles sont formées de l'oeuf de la femelle ou de la semence du mâle. Voyez GENERATION.

M. Andry parle de vers spermatiques qui se trouvent dans le corps humain. Voyez VERS.

Vaisseaux spermatiques appellés aussi vasa praeparantia, sont de certains vaisseaux qui sont destinés à porter le sang aux testicules, &c. pour y être séparé & préparé en semence ; & à transporter ensuite le sang qui reste après la secrétion. Voyez SEMENCE, TESTICULE, &c.

Les vaisseaux spermatiques sont deux arteres & autant de veines.

Les arteres spermatiques viennent de la partie antérieure du tronc de l'aorte, au-dessous des émulgentes. Voyez les Planches & les fig. d'Anat. & leur explication.

Leur structure est bien singuliere, en ce que contraires à la forme des autres arteres qui sont très-grosses à leur sortie du tronc, elles sont très-petites dans leur origine & deviennent plus grosses à mesure qu'elles s'avancent vers les testicules. Par ce moyen le sang est comprimé quand il commence à sortir de l'aorte pour aller dans ces parties, ce qui le dispose aux différens changemens, &c. qu'il doit essuyer. Dans les quadrupedes, ces arteres sont tortillées & contournées comme une vis, ce qui répond au même but.

Cowper observe, que la raison pour laquelle la nature a suivi une autre méthode dans les hommes, est que dans ce cas, il auroit fallu que les muscles de l'abdomen eussent été plus larges qu'ils ne sont, au moyen dequoi les intestins auroient pû tomber souvent dans le scrotum ; inconvénient auquel les quadrupedes ne sont point exposés, à cause de la situation horisontale de leur corps.

Les arteres spermatiques rencontrent dans leur route les veines spermatiques & elles entrent ensemble dans le tissu cellulaire du péritoine, où s'insinuant dans la membrane vaginale, & y étant enveloppées ensemble, elles vont passer à trois ou quatre travers de doigts des testicules, où elles se divisent en deux branches inégales, dont la plus grosse va aux testicules & s'y partage, voyez TESTICULE, & la plus courte va se rendre dans le parastate ou épididyme. Voyez PARASTATE.

Les veines spermatiques prennent le même cours que les arteres ; si ce n'est qu'un peu au-dessus des testicules elles se divisent en plusieurs branches, qui en s'unissant forment un plexus qu'on appelle corps variqueux pampiniforme ou pyramidal. Le sang que les veines spermatiques reportent, est rapporté du côté droit à la veine cave, & du côté gauche aux veines émulgentes. Voyez encore les Pl. & les figures anat. avec leur explic.

Ces vaisseaux sont sujets comme les autres, à des jeux de la nature. Verheyen a vû deux arteres spermatiques d'un côté, dont l'une sortoit de l'artere émulgente. Kerckringius dit avoir trouvé quatre arteres spermatiques, dont les deux gauches naissoient de l'émulgente, & une des deux droites, procédoit de l'aorte. Mais Ambroise Paré prétend avoir vû dans un sujet, sept veines émulgentes & autant d'arteres ; il ne faut pas beaucoup compter sur une observation unique ; mais il est assez commun de trouver la veine spermatique double de chaque côté. Marchettis dit même en avoir vû trois, qui nées du tronc de la veine cave, se réunissoient en une seule avant que d'entrer dans le testicule.

Les Anatomistes curieux ne doivent pas manquer de lire dans les mémoires de Médecine d'Edimbourg, tom. V. un savant morceau de M. Martin, dans lequel il combat les anastomoses des veines & des arteres spermatiques, adoptées par M. Boerhaave.


SPERMATOCELES. f. en Chirurgie, tumeur des testicules & des vaisseaux déférens, causée par le séjour & l'épaississement de la matiere spermatique. Voyez SEMENCE, TESTICULE ; ce terme est composé de deux mots grecs, , semen, semence, & de , tumeur.

La rétention de la matiere prolifique donne lieu à un gonflement très-douloureux qui se dissipe par les saignées, la diete rafraîchissante, & les cataplasmes anodins. Si cette maladie n'est pas calmée promtement par ces moyens, elle dégénere en sarcocele. Voyez SARCOCELE. (Y)


SPERMATOLOGIES. f. dans l'économie animale, la partie qui traite de la semence : ce mot est composé du grec , semence, & , traité.

Nous avons un livre de Schurig sous le titre de spermatologia, imprimé à Francfort, in -4°. 1720.


SPERMES. m. (Gram.) liqueur seminale des animaux. Voyez SPERMATIQUE.

SPERME DE BALEINE, sperma ceti, en Pharmacie, est une substance blanchâtre & fade, préparée avec une huile qu'on trouve dans la tête d'un poisson cetacé, que quelques-uns appellent baleine mâle, d'autres cachalot, & les Latins orca, & qui est différent de la baleine ordinaire, en ce qu'il a des dents, au lieu des os de baleine, & une bosse sur le dos. Voyez BALEINE.

Les anciens ignoroient entierement la nature de cette préparation : desorte que Schroeder semble douter si on doit la regarder comme une substance animale ou minérale.

On lui a donné le nom de sperme de baleine, sperma ceti, sans-doute pour en augmenter la valeur, en donnant une idée de sa rareté. L'huile dont on le tire se trouve dans un grand réservoir de quatre ou cinq piés de profondeur, & de dix ou douze piés de longueur, qui remplit toute la cavité de la tête, & qui semble tenir lieu du cerveau & du cervelet.

La maniere de le préparer est un secret connu de bien peu de personnes. Voici comme on dit que cette préparation se fait. Quand on a tiré l'huile ou cerveau de la tête de l'animal, on le fait fondre sur un feu modéré, & on le jette dans des moules tels que ceux dans lesquels on forme les pains de sucre. Quand il est refroidi & séché, on le retire des moules, & on le fait encore fondre, & on continue de la sorte jusqu'à ce qu'il soit bien purifié & devenu blanc. Ensuite on le hache avec un instrument fait exprès, & on le reduit en miettes, dans l'état où on le trouve chez les droguistes. On doit le choisir bien blanc, net & transparent, d'une odeur douce, que quelques-uns s'imaginent tenir de celle de la violette. On le falsifie avec la cire ; mais il est facile de découvrir la tromperie, soit par l'odeur de la cire, ou par la foiblesse de la couleur. On vend aussi une composition d'huile tirée de la queue de la baleine au lieu de celle du cerveau : mais cette derniere espece jaunit aussi-tôt qu'elle prend l'air. En général, il n'y a point de marchandise qui ait plus besoin d'être tenue couverte que le sperme de baleine.

Le sperme de baleine est d'une grande utilité pour la médecine. Le docteur Quincy dit que c'est un excellent remede pour l'asthme, &c... On s'en sert aussi pour les contusions, les blessures intérieures, & après l'accouchement. Mais il est certain que la plus grande vertu, & celle qui lui a donné tant de vogue, est la propriété qu'il a d'adoucir la peau, & de dissoudre les tumeurs de la poitrine. C'est pourquoi nos dames s'en servent dans leurs pâtes, &c.

On fait depuis peu des bougies avec le sperme de baleine ; on les adoucit avec un vernis léger ; elles ne sont point rayées ni cicatrisées ; elles l'emportent sur les plus belles bougies de cire pour la couleur & le poli ; & quand elles ne sont pas falsifiées, elles ne tachent point la soie, les étoffes ni la toile la plus fine.


SPERONNELLou ÉPERON DE CHEVALIER, (Jardinage) symphytum, se nomme encore consoude royale ; fleur qui est double & varie dans ses couleurs ; elle est tantôt blanche - bleue, tantôt incarnate & d'autres couleurs. Ses brins sont déliés, revêtus de petites feuilles longues, étroites & jointes ensemble. Elle demande un grand air, une terre ordinaire, & un arrosement fréquent. Elle se seme au printems comme les autres.


SPETBROCHET DE MER, HAUTIN, HAUTAIN, OUTIN, s. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) sphyraena, poisson de mer qui ressemble au brochet par la forme du corps, & dont il y a deux especes : la premiere a le corps allongé & menu & le bec pointu ; la mâchoire inférieure est plus longue que la supérieure & terminée en pointe ; elles joignent si exactement l'une contre l'autre, que l'on ne distingue pas la bouche, quoique l'ouverture en soit grande ; les dents sont fort pointues & courbées en arriere, le dedans de la bouche a une couleur jaune : il y a au milieu de la mâchoire de dessous une dent qui est plus longue que les autres, & qui entre dans un trou de la mâchoire de dessus. Les yeux sont grands, & il y a deux trous entr'eux & l'extrêmité de la mâchoire. Ce poisson n'a qu'un rang d'écailles qui s'étend depuis la tête jusqu'à la queue, à-peu-près sur le milieu du corps ; le ventre a une couleur blanche, & l'extrêmité du bec est noire. Il y a deux nageoires auprès des ouïes, deux plus petites à la partie antérieure du ventre, une au-dessous de l'anus, & deux au dos ; la premiere des nageoires du dos a cinq aiguillons, & la seconde n'en a point. La chair de ce poisson est seche, blanche, dure, & de bon goût.

Le spet de la seconde espece ressemble beaucoup au premier par la forme du corps, mais il en differe principalement en ce qu'il n'a ni dents ni écailles : le bec est aussi plus court, & il n'a jamais plus d'un empam de longueur ; sa chair est blanche, mais moins dure : la queue s'élargit à l'extrêmité ; les os & la chair sont presque transparens. Rondelet, hist. nat. des poissons, premiere partie, liv. VIII. chap. j. & ij. Voyez POISSON.


SPEYLA, ou SPAEA, (Géog. mod.) grande riviere d'Ecosse, la plus grosse de ce royaume après le Tay, & la plus rapide de toutes. Sa source est au pié d'une montagne, sur les confins des provinces de Lochabir & de Badenoch. Elle reçoit dans son cours qui est de soixante milles, plusieurs autres rivieres, & se jette avec rapidité dans l'Océan, au-dessous de Bagie, maison du duc de Gordon. Tout l'avantage que procure cette riviere à ceux qui habitent sur ses bords, est la pêche des saumons qui s'y rencontrent en quantité. Les pêcheurs se mettent de nuit sur l'eau dans des canots d'osier entourés de cuir. Ils suivent les saumons à la trace, les dardent avec des bâtons pointus, & les prennent à la main. Dans le jour, ils les attendent sur le bord de l'eau. (D.J.)


SPEZZEGOLFE DE LA, (Géog. mod.) golfe d'Italie dans l'état de Gènes, entre la bouche de Magra au levant, & Porto-Venere au couchant.

SPEZZE, (Géog. mod.) Specie, Specia ; petite ville d'Italie dans l'état de Gènes, sur le golfe du même nom, à quatre milles de Porto-Venere ; & à sept de Sarzane, dans un terroir agréable & fertile. Long. 27. 30. latit. 44. 6. (D.J.)


SPHACELES. m. en Chirurgie, est une corruption ou mortification totale de quelque partie, causée par l'interception du sang & des esprits. Voyez MORTIFICATION.

Ce mot est grec, , formé peut-être de , je fais mourir. On l'appelle aussi quelquefois necrosis, & quelquefois sideratio. Voyez NECROSIS & SIDERATION.

Le sphacele est différent de la gangrene, en ce que celle-ci n'est qu'une mortification commencée, &, pour ainsi dire, le commencement du sphacele, qui est une mortification parfaite & achevée. Voyez GANGRENE.

On distingue le sphacele par la noirceur ou la lividité de la partie affectée, par sa mollesse, son insensibilité, & son odeur de cadavre.

Les autres causes du sphacele sont des ligatures trop serrées, des froids excessifs, les grandes inflammations, la morsure des chiens enragés, &c.

Un pié sphacele, suivant Aquapendente, doit être coupé dans la partie mortifiée un peu au-dessous du vif. Quand le pié est coupé, la chair morte qui reste doit être consumée en y appliquant un cautere actuel, répété à plusieurs reprises, jusqu'à ce que le malade sente la chaleur du feu. Voyez AMPUTATION & GANGRENE. (Y)


SPHACTÉRIE(Géog. anc.) Sphacteria, île du Péloponnèse, sur la côte de la Messenie, vis-à-vis de la ville de Pylos. On la nommoit aussi Sphagia : Pline, l. IV. c. xij. comprend trois îles sous le nom de Sphagiae ; mais deux de ces îles ne sont proprement que des écueils. La troisieme, qui étoit la plus grande, s'appelloit Sphagia & Sphacteria, comme le disent positivement Strabon, l. VIII. p. 359, & Etienne le géographe. Le nom de Sphacteria paroît néanmoins le plus usité, & c'est ainsi qu'elle est appellée par Thucydide, l. IV. p. 256. & par Diodore de Sicile, l. XIII. c. xxiv.

Pausanias, l. IV. c. xxxvj. après avoir dit que l'île de Sphactérie, est vis-à-vis du port de Pylos, ajoute : il est assez ordinaire que des lieux obscurs & inconnus par eux-mêmes deviennent tout-à-coup célébres, pour avoir servi de théâtre aux jeux de la fortune, ou à quelque événement considérable : c'est ce qui est arrivé à l'île de Sphactérie. La défaite des Lacédémoniens la tira de cette obscurité où elle étoit, & du tems de Pausanias on y voyoit encore dans la citadelle une statue de la Victoire que les Athéniens y avoient laissée, pour monument de l'avantage qu'ils avoient remporté sur Lacédémone.

Pausanias, l. I. c. xij. déclare dans un autre endroit, que ce qui s'étoit passé dans l'île de Sphactérie, où les Athéniens, commandés par Démosthene, avoient eu quelque avantage, étoit plutôt une ruse de guerre, & s'il faut ainsi dire, un larcin qu'une victoire. (D.J.)


SPHAECULAE(Littérature) nom qu'on donnoit chez les Romains à des especes de marrons de bois, tesserae ligneae, sur lesquels les empereurs désignoient les présens qu'ils faisoient à certaines personnes de l'un & de l'autre sexe, qui se trouvoient avec eux au théâtre ou au cirque. (D.J.)


SPHAERISTICI(Gymnastiq.) maîtres qui enseignoient la sphéristique. Voyez SPHERISTIQUE & SPHERISTERE. (D.J.)


SPHENO-ÉPINEUSEen Anatomie, nom de l'artere maxillaire interne, appellée aussi épineuse. Voyez MAXILLAIRE.


SPHÉNO-PALATINen Anatomie, nom d'un muscle qu'on nomme aussi sphéno-staphylin, & d'un trou formé par l'os du palais, & par l'os sphénoïde. Voyez SPHENO-STAPHYLIN.


SPHENO-PHARYNGIENen Anatomie, est une paire de muscles qu'on nomme aussi spheno-salpingo-pharyngien, &c. Voyez SPHENO-SALPINGO-PHARYNGIEN.


SPHÉNO-PTÉRYGO-PALATINSPHÉNO-PTÉRYGO-PALATIN


SPHÉNO-SALPINGO-PHARYNGIENen Anatomie ; nom des muscles qui s'attachent en partie à l'os sphénoïde, directement au-dessus de l'aile interne de l'apophyse ptérygoïde, & en partie à la portion voisine & cartilagineuse de la trompe d'Eustache, & se termine à la ligne blanche du pharinx. Winslow. Voyez PHARINX.


SPHENO-SALPINGO-STAPHYLINou PERISTAPHYLIN EXTERNE, en Anatomie ; c'est un muscle qui naît large & tendineux du bord postérieur des os du palais, & répand un grand nombre de fibres sur la cloison du palais ; puis devenu par la réunion de ses fibres, un petit tendon délié, il se réflechit vers le petit crochet de l'aile interne de l'apophyse ptérigoïde, & s'insere charnu dans toutes les parties membraneuses, charnues & cartilagineuses de la trompe d'Eustache, & un peu à l'os sphénoïde.


SPHENO-STAPHYLINen Anatomie, nom d'une paire de muscles de la luette, appellés aussi salpingo-staphylins. Voyez SALPINGO-STAPHYLIN.


SPHÉNOIDALLE, adj. en Anatomie, ce qui appartient à l'os sphénoïde.

L'apophyse sphénoïdale est une éminence de l'os de la pommette qui est articulée avec l'os sphénoïde. Voyez POMMETTE & SPHENOIDE.

La fente sphénoïdale ou fente orbitaire supérieure est celle qui se remarque entre les grandes & les petites ailes de l'os sphénoïde.

Les sinus sphénoïdaux sont situés dans le corps de l'os sphénoïde ; ils sont divisés par une cloison verticale.


SPHÉNOIDEOS, (Anatomie) os du crâne, autrement dit l'os basilaire ou cunéiforme ; il est situé au milieu de la base du crâne, & a une figure approchante de celle d'une chauvesouris, dont les ailes sont étendues. On distingue à cet os un corps & deux branches communément appellées les apophyses plates du sphénoïde.

On y considere aussi deux faces, une externe, & l'autre interne. On remarque dans la face externe cinq apophyses, deux trous, deux sinus & six échancrures. Des apophyses il y en a deux que l'on nomme ptérygoïdes, à chacune desquelles on distingue deux ailes, une externe, & l'autre interne : dans la partie inférieure de l'aile interne se remarque un bec osseux, autour duquel passe le tendon d'un muscle. Les troisieme & quatrieme apophyses sont dites épineuses, & la cinquieme, qui est placée entre les deux ptérygoïdes, est appellée la crête du sphénoïde ; les trous sont nommés ptérygoïdiens. Les sinus appellés sphénoïdaux s'ouvrent dans le nez. Des échancrures, il y en a deux inférieures, deux postérieures, & deux antérieures ; celles-ci aident à former les fentes sphéno-maxillaires, & les trous nommés sphéno-palatins. Les inférieures se trouvent entre les ailes des apophyses ptérygoïdes, pour recevoir une portion des os du palais.

Cet os fait, outre cela, partie de huit fosses ; savoir, des deux nasales, des deux ptérygoïdiennes, des deux orbitaires, & des deux zygomatiques.

On considere dans la face interne du sphénoïde quatre apophyses nommées clinoïdes, deux fentes appellées sphénoïdales ; huit trous, quatre de chaque côté ; savoir, l'optique, le maxillaire supérieur, le maxillaire inférieur, & le trou pour l'artere de la dure-mere ; une fosse nommée pituitaire ou selle à cheval, aux côtés de laquelle se trouvent deux échancrures. Cet os fait partie des deux fosses temporales.

L'os sphénoïde est joint avec tous les os du crâne, & outre cela avec ceux de la pommette, & les os maxillaires, ceux du palais, & le vomer.

Les jeux de la nature se rencontrent dans les sinus de cet os, comme dans d'autres os du crâne. D'abord quelquefois la lame osseuse qui partage ces sinus, ne se trouve pas directement au milieu, & par-là rend un des sinus plus grand que l'autre. Quelquefois encore il n'y a qu'un grand sinus au milieu de l'os, avec une seule ouverture.

Riolan assure qu'il a examiné un grand nombre de crânes, dans lesquels il n'a point trouvé de sinus sphénoïdaux, sur quoi il dit 1°. qu'on ne les trouve pas dans les enfans ; 2°. dans ceux qui ne croissent plus ; 3°. dans ceux qui ont le crâne fort épais ; 4°. enfin dans ceux chez qui les sinus sourciliers manquent ; mais les autres anatomistes ne conviennent point de la vérité générale de ces quatre observations, ou pour mieux dire, elles se sont trouvées le plus communément fausses. (D.J.)


SPHERES. f. en Géom. est un corps solide contenu sous une seule surface, & qui a dans le milieu un point qu'on appelle centre, d'où toutes les lignes tirées à la surface, sont égales. Voyez SOLIDE &c.

On peut supposer que la sphere est engendrée par la révolution d'un demi-cercle A B C (Pl. de Géométr. fig. 34.) autour de son diametre A C, qu'on appelle aussi l'axe de la sphere ; & les points A & C qui sont les extrêmités de l'axe, sont nommés les poles de la sphere.

Propriétés de la sphere. 1°. Une sphere est égale à une pyramide dont la base est égale à la surface de la sphere, & la hauteur au rayon de la sphere.

2°. Une sphere est à un cylindre circonscrit autour d'elle, comme 2 est à 3. Voyez CYLINDRE.

3°. Le cube du diametre d'une sphere est au solide que contient la sphere, à-peu-près comme 300 à 157. On peut donc par-là mesurer à-peu-près la solidité d'une sphere.

4°. La surface d'une sphere est quadruple de l'aire d'un cercle décrit avec le rayon de la sphere.

Le diametre d'une sphere étant donné, trouver sa surface & sa solidité. 1°. Trouvez la circonférence du cercle décrit par le rayon de la sphere. Voyez CIRCONFERENCE.

Multipliez ce que vous avez trouvé par le diametre, le produit sera la surface de la sphere. Multipliez la surface par la sixieme partie du diametre, le produit sera la solidité de la sphere.

Ainsi, en supposant que le diametre de la sphere est 56, la circonférence sera 175, qui multipliée par le diametre, produira 9800 qui est la surface de la sphere : cette surface multipliée par la sixieme partie du diametre, donnera 919057, qui est la solidité : ou bien opérez comme il suit :

Trouvez le cube du diametre 175616 : ensuite cherchez une quatrieme proportionnelle à ces nombres 300, 157, 175616, cette quatrieme proportionnelle sera 919057. Voyez PROPORTIONNEL : c'est la solidité de la sphere qu'on cherchoit.

Pour ce qui regarde les segmens & les secteurs des spheres, voyez SEGMENT & SECTEUR.

Projection de la sphere. Voyez PROJECTION.

Sphere d'activité d'un corps est un espace déterminé & étendu tout-autour de lui, au-delà duquel les émanations qui sortent du corps, n'ont plus d'action sensible. Voyez ATMOSPHERE.

Ainsi nous disons que la vertu de l'aimant a de certaines bornes au-delà desquelles cette pierre ne peut point attirer une aiguille ; mais par-tout où l'aiguille est placée, pourvu qu'elle puisse être mise en mouvement par l'aimant, on dit qu'elle est dans la sphere d'activité de l'aimant. Voyez AIMANT.

SPHERE, en Astronomie, est cet orbe ou étendue concave qui entoure notre globe, & auquel les corps célestes, le soleil, les étoiles, les planetes & les cometes semblent être attachées. Voyez CIEL.

On l'appelle aussi la sphere du monde, & elle est l'objet de l'Astronomie sphérique. Voyez ASTRONOMIE & SPHERIQUE.

Cette sphere est extrêmement grande, puisqu'elle renferme les étoiles fixes ; ce qui la fait quelquefois nommer la sphere des étoiles fixes. Le diametre de l'orbite de la terre est si petit, quand on le compare au diametre de la sphere du monde, que le centre de la sphere ne soufre point de changement sensible, quoique l'observateur se place successivement dans les différens points de l'orbite : mais en tout tems & à tous les points de la surface de la terre, les habitans ont les mêmes apparences de la sphere ; c'est-à-dire, que les étoiles fixes paroissent occuper le même point dans la surface de la sphere, voyez PARALLAXE. Notre maniere de juger de la situation des astres est de concevoir des lignes droites tirées de l'oeil ou du centre de la terre, à-travers le centre de l'astre, & qui continuent encore jusqu'à ce qu'elles coupent cette sphere ; les points où les lignes se terminent, sont les lieux apparens de ces astres. Voyez LIEU & PARALLAXE.

Pour déterminer mieux les lieux que les corps occupent dans la sphere, on a imaginé différens cercles sur sa surface, & qu'on appelle par cette raison cercles de la sphere. Voyez CERCLE.

Il y en a quelques-uns qu'on appelle grands cercles, comme l'écliptique, le méridien, l'équateur, &c. les autres petits cercles, comme les tropiques, les paralleles, &c. Voyez chacun de ces cercles sous son nom particulier, EQUATEUR, HORISON, ECLIPTIQUE, &c.

SPHERE, en Géographie, &c. signifie une certaine disposition de cercles sur la surface de la terre, dont la plûpart gardent toujours entr'eux la même situation, mais sont différemment disposés par rapport aux différens points de la surface de notre globe.

Les cercles qu'on concevoit originairement sur la surface de la sphere du monde, ont été pour la plus grande partie, transférés par analogie à la surface de la terre ; où on les conçoit tracés directement sous ceux de la sphere & dans les mêmes plans, de maniere que si les plans des cercles de la terre étoient continués jusqu'à la sphere, ils co-incideroient avec les cercles respectifs qui y sont placés : c'est ainsi que nous avons sur la terre un horison, un méridien, un équateur, &c. Voyez HORISON. &c.

Comme l'équateur qui est dans le ciel divise la sphere en deux parties égales, l'une septentrionale, l'autre méridionale ; de même aussi l'équateur qui est sur la surface de la terre, la divise en deux parties égales. Voyez EQUATEUR.

Et comme les méridiens qui sont dans la sphere, passent par les poles du monde, il en est de même de ceux qui sont sur la terre. Voyez MERIDIEN.

Toute la sphere, ou le globe terrestre pouvant amener tour-à-tour tous ses points sous le méridien ; & le méridien pouvant hausser ou baisser l'axe du monde en glissant dans les entailles de l'horison ; cela sert à déterminer les aspects du ciel à l'égard de tous les peuples de la terre, à mesurer les distances des lieux, à connoître la durée des nuits & des jours pour tel lieu, le moment du lever & du coucher du Soleil, l'heure qu'il est en tel endroit, quand il est midi dans un autre ; en un mot, à résoudre toutes les questions qui regardent la disposition des lieux, tant entr'eux sur le globe, qu'à l'égard du Soleil & de tout le ciel. Voyez GLOBE.

Donc, suivant la différente position de quelques-uns de ces cercles par rapport aux autres, il arrive que nous avons la sphere droite parallele ou oblique.

La sphere droite est celle dans laquelle l'équateur coupe l'horison du lieu à angles droits.

Dans cette situation, l'équateur & tous les cercles paralleles à l'horison, doivent couper directement l'horison, sans s'incliner d'un côté plus que de l'autre. Réciproquement l'horison coupe l'équateur, & tous les cercles paralleles à l'équateur en deux portions égales. Telle est la sphere droite, & voici ses effets. On a le jour en général tant que le soleil est sous l'horison. Or tous les cercles que le soleil décrit d'un tropique à l'autre sont coupés en deux portions égales par cet horison, puisqu'ils tombent directement dessus. Les jours y sont donc égaux aux nuits, & durant toute l'année il y a douze heures de jour & autant de nuit. Le soleil y descendant directement sous l'horison, s'en éloigne plus vîte que s'il s'y plongeoit obliquement ; ainsi le crépuscule est le plus court.

La sphere parallele est celle dans laquelle l'équateur est parallele à l'horison sensible, & dans le plan de l'horison rationnel.

Elle est telle pour ceux auxquels le pole sert de zénith. Si ce coin du monde est habitable, on doit y avoir l'horison dans l'équateur, puisque le pole & le zénith y étant la même chose, à 90 degrés de-là, on trouve également l'horison & l'équateur qui se confondent, ou deviennent paralleles l'un à l'autre ; ce qui fait donner à cette disposition du monde le nom de sphere parallele. En voici les suites. Le soleil est six mois en-deçà de l'équateur vers le pole arctique, & six mois au-delà. Si l'équateur est l'horison des peuples qui peuvent être sous le pole, ils devroient voir le soleil tourner six mois de suite autour d'eux, s'élever peu-à-peu durant trois mois jusqu'à la hauteur de 23 1/2 degrés, & pendant trois autres mois s'abaisser par des cercles disposés en forme de ligne spirale, jusqu'à ce que décrivant un parallele qui commence à se détacher de l'équateur, il abandonne aussi leur horison.

La sphere oblique est celle dans laquelle l'équateur coupe l'horison obliquement.

Dans cette position l'horison & l'équateur se coupent obliquement, faisant un angle aigu d'un côté, & obtus de l'autre ; desorte que les révolutions diurnes de la sphere se font à angles obliques à l'horison. L'un des poles du monde est toujours élevé au-dessus de l'horison, & toujours visible ; mais l'autre est perpétuellement au-dessous & invisible, & la hauteur de l'un est toujours égale à l'abaissement de l'autre. Le zénith est hors de l'équateur, entre lui & le pole. Il en est de même du nadir.

Sphere armillaire ou artificielle est un instrument astronomique qui représente les différens cercles de la sphere dans leur ordre naturel, & qui sert à donner une idée de l'usage & de la position de chacun d'eux, & à résoudre différens problêmes qui y ont rapport.

On l'appelle ainsi parce qu'elle est composée d'un nombre de bandes, ou anneaux de cuivre ou d'autre matiere, appellés par les Latins armilla, à cause de la ressemblance qu'ils ont avec des bracelets ou anneaux.

On la distingue d'avec le globe en ce que quoique le globe ait tous les cercles de la sphere tracés sur sa surface, il n'est cependant pas coupé en bandes ou anneaux pour représenter les cercles purement & simplement ; mais il offre aussi les espaces intermédiaires qui se trouvent entre les cercles. Voy. GLOBE.

Tout ce que nous voyons dans le ciel marche pour nous, comme étant vu dans une sphere concave. Un globe convexe, & qu'on ne voit que par dehors, n'étant pas naturellement propre à nous peindre cette concavité, on s'avisa de construire une sphere évuidée, & où l'on pût voir intérieurement tous les points qu'on a intérêt de connoître, en ne la composant que de ces points mis bout-à-bout, & en supprimant les autres.

Il y a des spheres armillaires de deux sortes, suivant l'endroit où la terre y est placée ; c'est pourquoi on les distingue en sphere de Ptolémée & sphere de Copernic : dans la premiere la terre occupe le centre, & dans la derniere elle est sur la circonférence d'un cercle, suivant la place que cette planete remplit dans le systême solaire. Voyez SYSTEME.

La sphere de Ptolémée est celle dont on se sert communément, & qui est représentée, Pl. astronomique, fig. 21.

Au milieu sur l'axe de la sphere, il y a une boule T, qui représente la terre, &c. Tous les problêmes qui ont rapport aux phénomenes du soleil & de la terre peuvent se resoudre au moyen de cette sphere, à-peu-près comme on le feroit par le moyen du globe céleste. Voyez ces problêmes sous l'article GLOBE.

La sphere de Copernic differe à plusieurs égards de celle de Ptolémée. Le soleil y occupe le centre, & au tour de cet astre sont placées à différentes distances les planetes, au nombre desquelles est la terre. Cet instrument est de si peu d'usage, qu'on nous excusera facilement si nous nous dispensons d'en donner la description détaillée. Chambers.

SPHERE, s. f. (Archit.) c'est un corps parfaitement rond, qu'on nomme aussi globe ou boule ; il sert d'ornement sur la rampe d'un escalier.

SPHERE, s. f. (Miroiterie) ou boule ; instrument dont se servent les miroitiers - lunetiers, pour travailler les verres concaves qui sont propres aux opérations d'Optique, ou autres ouvrages de miroiterie. (D.J.)


SPHÉRICITÉS. f. est la qualité qui constitue la figure sphérique, ou ce qui fait que quelque corps est rond ou sphérique. Voyez SPHERE.

La sphéricité des cailloux, des fruits, des graines, &c. & des gouttes d'eau, de vif-argent, &c. & des bulles d'air dans l'eau, &c. vient, suivant Hooke, du peu de convenance de leurs parties avec celles du fluide environnant ; ce fluide, selon lui, les empêche de se mêler & les contraint de prendre une forme ronde en les pressant également de toutes parts. Voy. GOUTTE.

Les Newtoniens expliquent cette sphéricité par leur grand principe de l'attraction, suivant lequel les parties de la même goutte fluide, &c. se rangent naturellement le plus proche du centre de cette goutte qu'il est possible, ce qui occasionne nécessairement une figure ronde. Voyez ATTRACTION & COHESION. Chambers. (O)


SPHÉRIE(Géog. anc.) Sphaeria ; île du Péloponnèse, sur la côte de l'Argolide, sous la domination de Troesène. Cette île, dit Pausanias, l. II. c. xxxij. est si près du continent, que l'on y peut passer à pié. Elle s'appelloit originairement l'île Sphérie ; mais dans la suite on lui donna le nom d'île Sacrée. Sphérus, qui, selon les Troezéniens, fut l'écuyer de Pélops, étoit inhumé dans cette île. Ethra, fille de Pithée, femme d'Egée & mere de Thésée, fut avertie en songe par Minerve, d'aller rendre à Sphérus les devoirs que l'on rend aux morts. Etant venue dans l'île à ce dessein, il arriva qu'elle eut commerce avec Neptune. Ethra, après cette aventure, consacra un temple à Minerve surnommée apaturie, ou la trompeuse, & voulut que cette île, qui se nommoit Sphérie, s'appella l'île sacrée. Elle institua même l'usage que toutes les filles du pays, en se mariant, consacreroient leur ceinture à Minerve apaturie ; c'étoit - là peut-être une méchanceté de cette princesse. (D.J.)


SPHÉRIQUEadj. (Géom. & Astronomie) se dit en général de tout ce qui a rapport à la sphere, ou qui lui appartient. Un angle sphérique est l'inclinaison mutuelle de deux plans qui coupent une sphere. Voyez PLAN & ANGLE.

Ainsi l'inclinaison des deux plans C A F & C E F, Pl. de Trigonométrie, fig. 21. forme l'angle sphérique A C E. Voyez SPHERE.

La mesure d'un angle sphérique A C E est un arc de grand cercle A E, décrit du sommet C, comme pole, & compris entre les côtés C A & C E.

D'où il s'ensuit que puisque l'inclinaison du plan C E F au plan C A F est par-tout la même, les angles qui sont aux intersections opposées C & F sont égaux.

Si un cercle de la sphere A E B F coupe un autre cercle C E D F, fig. 19. les angles adjacens A E C & A E D sont égaux à deux droits ; & les angles opposés A E C & D E B sont égaux entr'eux. Ainsi tous les angles sphériques comme A E C, A E D, D E B, BEC, &c. faits autour du même point E, sont égaux pris ensemble à quatre angles droits.

Un triangle sphérique est un triangle compris entre trois arcs de grands cercles d'une sphere qui se coupent l'un l'autre. Voyez TRIANGLE.

Propriétés des triangles sphériques. 1°. Si dans deux triangles sphériques, Pl. de Trigonomét. fig. 10. & 11. A B C & abc, l'angle A = a, B A = b a, & C A = c a ; les angles B b, & les côtés qui renferment les angles, seront respectivement égaux ; & par conséquent les triangles entiers seront égaux ; c'est-à-dire B C = b c, B = b, & C = c.

De plus, si dans deux triangles sphériques A = a, C = c, & A C = a c, alors B = b, A B = a b, & b c = B C. Enfin si dans deux triangles sphériques A B = a b, A C = a c, & B C = b c ; donc A sera égal a, B = b & C = c : les démonstrations de ces propriétés sont les mêmes que celles des propriétés semblables qui se rencontrent dans les triangles plans ; car les propositions sur l'égalité des triangles rectilignes s'étendent à tous les autres, &c. pourvu que leurs côtés soient semblables. Voyez TRIANGLE sphérique isocele.

2°. Dans un triangle A B C, fig. 11. les angles à la base B & C sont égaux ; & si dans un triangle sphérique les angles B & C à la base B C sont égaux, le triangle est isocele.

3°. Dans tout triangle sphérique chaque côté est moindre qu'un demi-cercle ; deux côtés quelconques pris ensemble sont plus grands que le troisieme ; tous les trois côtés pris ensemble sont moindres que la circonférence d'un grand cercle, le plus grand côté est toujours opposé au plus grand angle, & le moindre côté au moindre angle.

4°. Si dans un triangle sphérique B A C, fig. 13. deux côtés A B & B C pris ensemble sont égaux à un demi-cercle, la base A C étant continuée en D, l'angle externe B C D sera égal à l'angle interne opposé B A C.

Si deux côtés pris ensemble sont moindres ou plus grands qu'un demi-cercle, l'angle externe B C D sera moindre ou plus grand que l'angle interne opposé A, & la converse de toutes ces propositions est vraie ; savoir, si l'angle B C D est égal ou plus grand, ou moindre que A, les côtés A B & B C sont égaux, ou plus grands, ou moindres qu'un demi-cercle.

5°. Si dans un triangle sphérique A B C, fig. 12. deux côtés A B & B C sont égaux à un demi-cercle, les angles à la base A & C sont égaux à deux angles droits ; si les côtés sont plus grands qu'un demi-cercle, les angles sont plus grands que deux droits ; & si les côtés sont moindres, les angles sont moindres, & réciproquement.

6°. Dans tout triangle sphérique chaque angle est moindre que deux droits ; & les trois ensemble sont moindres que six angles droits, & plus grands que deux.

7°. Si dans un triangle sphérique B A C, les côtés A B & B C sont des quarts de cercle, les angles à la base B & C seront des angles droits ; si l'angle A compris entre les côtés A B & A C est un angle droit, B C sera un quart de cercle ; si A est un angle obtus, B C sera plus grand qu'un quart de cercle ; & s'il est aigu, B C sera moindre, & réciproquement.

8°. Si dans un triangle sphérique rectangle, le côté B C, fig. 14. adjacent à l'angle droit B, est un quart de cercle, l'angle A sera un angle droit ; si B E est plus grand qu'un quart de cercle, l'angle A sera obtus ; & si B D est moindre qu'un quart de cercle, l'angle A sera aigu, & réciproquement.

9°. Si dans un triangle sphérique rectangle chaque côté est plus grand ou plus petit qu'un quart de cercle, l'hypothénuse sera moindre qu'un quart de cercle, & réciproquement.

10°. Si dans un triangle sphérique A B C, fig. 15. rectangle seulement en B, un côté C B est plus grand qu'un quart de cercle, & l'autre côté A B moindre, l'hypothénuse A B sera plus grande qu'un quart de cercle, & réciproquement.

11°. Si dans un triangle sphérique obliquangle ABC, fig. 16. les deux angles à la base A & B, sont obtus ou aigus, la perpendiculaire C D qu'on laissera tomber du troisieme angle C sur le côté opposé A B, tombera dans le triangle ; si l'un d'eux A est obtus, & l'autre B aigu, la perpendiculaire tombera hors du triangle.

12°. Si dans un triangle sphérique A B C tous les angles A, B, & C sont aigus, les côtés sont chacun moindres qu'un quart de cercle. Ainsi, si dans un triangle sphérique obliquangle un côté est plus grand qu'un quart de cercle, il y a un angle obtus, savoir celui qui est opposé à ce côté.

13°. Si dans un triangle sphérique A C B, deux angles A & B sont obtus, & le troisieme C aigu, les côtés A C & C B opposés aux côtés obtus sont plus grands qu'un quart de cercle ; ainsi si les deux côtés sont moindres qu'un quart de cercle, les deux angles sont aigus.

14°. Si dans un triangle sphérique tous les côtés sont plus grands qu'un quart de cercle, ou - bien s'il y en a deux plus grands, & un qui soit égal à un quart de cercle, tous les angles sont obtus.

15°. Si dans un triangle sphérique obliquangle deux côtés sont moindres qu'un quart de cercle, & le troisieme plus grand, l'angle opposé au plus grand sera obtus & les autres aigus. Wolf & Chambers.

Sur la résolution des triangles sphériques, voyez TRIANGLE.

Les propriétés des triangles sphériques sont démontrées avec beaucoup d'élégance & de simplicité dans un petit traité qui est imprimé à la fin de l'introductio ad veram Astronomiam, de M. Keill. M. Deparcieux, de l'académie royale des Sciences de Paris & de celle de Berlin, a donné au public en 1741, un traité de Trigonométrie sphérique, in -4°. imprimé à Paris chez Guérin ; l'auteur démontre dans cet ouvrage les propriétés des triangles sphériques, en regardant leurs angles comme les angles formés par les plans qui se coupent au centre de la sphere, & les côtés des triangles sphériques comme les angles que forment entr'elles les lignes tirées du centre de la sphere aux extrêmités du triangle ; c'est - à - dire qu'il substitue aux triangles sphériques des pyramides qui ont leur sommet au centre de la sphere. L'académie royale des Sciences ayant fait examiner cet ouvrage par des commissaires qu'elle nomma à cet effet, a jugé que quoique l'idée de M. Déparcieux ne soit pas absolument nouvelle, & qu'elle l'ait obligé de charger quelques-unes de ses démonstrations d'un assez grand détail, elle lui avoit donné moyen d'en éclaircir & d'en simplifier un plus grand nombre d'autres, & que cet ouvrage ne pouvoit manquer d'être fort utile. (O)

L'astronomie sphérique est la partie de l'Astronomie qui considere l'univers dans l'état où l'oeil l'apperçoit. Voyez ASTRONOMIE.

L'astronomie sphérique comprend tous les phénomenes & les apparences des cieux & des corps célestes, telles que nous les appercevons, sans en chercher les raisons & la théorie. En quoi elle est distinguée d'avec l'astronomie théorique, qui considere la structure réelle de l'univers, & les causes de ses phénomenes.

Dans l'astronomie sphérique on conçoit le monde comme une surface sphérique concave, au centre de laquelle est la terre, autour de laquelle le monde visible tourne avec les étoiles & les planetes, qui sont regardées comme attachées à sa circonférence ; & c'est sur cette supposition qu'on détermine tous les autres phénomenes.

L'astronomie théorique nous apprend par les loix de l'optique, &c. à corriger ces apparences, & à réduire le tout à un systême plus exact.

Compas sphérique, voyez COMPAS.

Géométrie sphérique est la doctrine de la sphere & particulierement des cercles qui sont décrits sur sa surface, avec la méthode de les tracer sur un plan, & d'en mesurer les arcs & les angles quand on les a tracés.

La Trigonométrie sphérique est l'art de résoudre les triangles sphériques, c'est-à-dire, trois choses étant données dans un triangle sphérique, trouver tout le reste : par exemple, deux côtés & un angle étant donnés, trouver les deux autres angles, & le troisieme côté. Voyez TRIANGLE & TRIGONOMETRIE. Chambers.

SPHERIQUES, (Géom.) c'est proprement la doctrine des propriétés de la sphere, considérée comme un corps géométrique, & particulierement des différens cercles qui sont décrits sur sa surface. Voyez SPHERE.

C'est sur cette matiere que le mathématicien Théodose a écrit les livres qui nous restent encore de lui, & qu'on appelle les sphériques de Théodose.

Voici les principales propositions, ou les principaux théorèmes des sphériques.

1°. Si on coupe une sphere de quelque maniere que ce soit, le plan de la section sera un cercle dont le centre est dans un diametre de la sphere.

D'où il suit, 1°. que le diametre H I (Planche de Trigonom. fig. 17.) d'un cercle qui passe par le centre C, est égal au diametre A B du cercle générateur de la sphere, & le diametre d'un cercle, comme F E, qui ne passe pas le centre, est égal à quelque corde du cercle générateur.

2°. Que comme le diametre est la plus grande de toutes les cordes, un cercle qui passe par le centre est un grand cercle de la sphere, & tous les autres sont plus petits.

3°. Que tous les grands cercles de la sphere sont égaux les uns aux autres.

4°. Que si un grand cercle de la sphere passe par quelque point donné de la sphere, comme A ; il doit passer aussi par le point diamétralement opposé, comme B.

5°. Que si deux grands cercles se coupent mutuellement l'un l'autre, la ligne de section est un diametre de la sphere ; & que par conséquent deux grands cercles se coupent l'un l'autre dans des points diamétralement opposés.

6°. Qu'un grand cercle de la sphere la divise en deux parties, ou hémispheres égaux.

2°. Tous les grands cercles de la sphere se coupent l'un l'autre en deux parties égales & réciproquement tous les cercles qui se coupent en deux parties égales, sont de grands cercles de la sphere.

3°. Un arc d'un grand cercle de la sphere compris entre un autre arc, H I L (fig. 18.) & ses poles A & B, est un quart de cercle.

Celui qui est compris entre un moindre cercle D E F, & un de ses poles A, est plus grand qu'un quart de cercle ; & celui qui est compris entre le même, & l'autre pole B, est plus petit qu'un quart de cercle.

4°. Si un grand cercle d'une sphere passe par les poles d'un autre, cet autre passe par les poles de celui-ci ; & si un grand cercle passe par les poles d'un autre, ils se coupent l'un l'autre à angles droits, & réciproquement.

5°. Si un grand cercle A F B D passe par les poles A & B d'un plus petit cercle D E F, il le divise en parties égales, & le coupe à angles droits.

6°. Si deux grands cercles A E B F, & C E D F, (fig. 19.) se coupent l'un l'autre aux poles E & F, d'un autre grand cercle A C B D, cet autre passera par les poles H & h, I & i des cercles A E B F, & C E D F.

7°. Si deux grands cercles A E B F, & C E D F, en coupent chacun un autre mutuellement, l'angle d'obliquité A E E sera égal à la distance des poles H I.

8°. Tous cercles de la sphere, comme G E, & L K, (fig. 20.) également distans de son centre C, sont égaux : & plus ils sont éloignés du centre, plus ils sont petits ; ainsi, comme de toutes les cordes paralleles il n'y en a que deux qui soient également éloignées du centre, de tous les cercles paralleles au même grand cercle, il n'y en a que deux qui soient égaux.

9°. Si les arcs E H & K H, G I & I L, compris entre un grand cercle I H M, & les cercles plus petits G N E, & L O K sont égaux, les cercles sont égaux.

10°. Si les arcs E H & G I, du même grand cercle A I B H, compris entre deux cercles G N E, & I M H, sont égaux, les cercles sont paralleles.

11°. Un arc d'un cercle parallele I G, (fig. 21.) est semblable à un arc d'un grand cercle A E, si chacun d'eux est compris entre les mêmes grands cercles C A F, & C E F.

Ainsi, les arcs A E & I G, ont la même raison à leur circonférence ; & par conséquent contiennent le même nombre de degrés ; & l'arc I G, est plus petit que l'arc A E.

12°. L'arc d'un grand cercle est la ligne la plus courte qu'on puisse tirer d'un point de la surface d'une sphere à un autre point de la même surface.

De-là il s'ensuit que la vraie distance de deux lieux sur la surface de la terre, est un arc d'un grand cercle compris entre ces lieux. Voyez NAVIGATION & CARTE. Wolf & Chambers. (E)


SPHERISTERES. m. (Gymnastiq.) sphaeristerium, lieu consacré à tous les exercices dans lesquels on employoit la balle.

Quoiqu'entre les divers exercices où l'on se servoit de balles, il y en eût plusieurs qu'on ne pouvoit pratiquer qu'en plein air & dans les endroits les plus spacieux des gymnases, tels qu'étoient les xystes, xysta, ou les grandes allées découvertes ; on ne laissoit pas chez les Grecs de construire dans ces gymnases quelques pieces convenables à certaines especes de sphéristiques.

Les Romains qui avoient imité les Grecs dans la construction de la plûpart de leurs bâtimens, & entre autres dans celle de leurs gymnases ou palestres, & de leurs thermes, y plaçoient aussi de ces sphéristeres, qui n'étoient pas tellement affectés à ces édifices publics, qu'il ne s'en trouvât souvent dans les maisons des particuliers tant à la ville qu'à la campagne. L'empereur Vespasien, par exemple, en avoit un dans son palais ; & c'étoit-là, qu'au rapport de Suétone, il se faisoit frotter la gorge & les autres parties du corps un certain nombre de fois. Alexandre Severe s'exerçoit aussi très-souvent dans son sphéristere, suivant le témoignage de Lampridius.

Pline le jeune, dans les descriptions qu'il nous a laissées de ses deux maisons de campagne du Laurentin & de celle de Toscane, place dans l'une & dans l'autre un sphaeristerium. Il dit en parlant du Laurentin, cohaeret calida piscina mirificè ex quâ natantes mare adspiciunt ; nec procul sphaeristerium, quod calidissimo soli, inclinato jam die, occurrit, c'est-à-dire, il y a une grande baignoire d'eau chaude si avantageusement située, que ceux qui s'y baignent voyent la mer ; & non loin de - là est un jeu de paume exposé à la plus grande chaleur du soleil vers la fin du jour. Et en parlant de sa maison de Toscane, il s'exprime ainsi : apodyterio superpositum est sphaeristerium quod plura genera exercitationis, pluresque circulos capit ; une espece de jeu de paume propre à divers exercices, occupe le dessus du lieu qui sert de garde-robe ; & ce jeu de paume est accompagné de plusieurs réduits & détours particuliers.

Comme Vitruve, dans la description qu'il donne des gymnases ou palestres, tels qu'on les voyoit en Grece de son tems (car ils n'étoient pas fort communs en Italie) ne dit pas un mot du sphaeristerium, en faisant le dénombrement des différentes pieces de la palestre ; il y a apparence que le coryceum dont il parle, est le véritable sphaeristerium des palestres, c'est-à-dire, un lieu destiné à la plûpart des exercices où l'on se servoit d'une balle, & qui faisoient partie de la sphéristique. Voyez SPHERISTIQUE & SPHAERISTICI. (D.J.)


SPHÉRISTIQUE(Gymnastiq.) chez les anciens la sphéristique comprenoit tous les exercices où l'on se sert d'une balle : elle faisoit une partie considérable de l'orchestique. On a fait honneur de son invention à Pithus, à Nausicaa, aux Sicyoniens, aux Lacédémoniens, & aux Lydiens. Il paroît que dès le tems d'Homere cet exercice étoit fort en usage, puisque ce poëte en fait un amusement de ses héros. Il étoit fort simple de son tems, mais il fit de grands progrès dans les siecles suivans chez les Grecs. Ces peuples s'appliquant à le perfectionner, y introduisirent mille variétés qui contribuoient à le rendre plus divertissant, & d'un plus grand commerce. Ils ne se contenterent pas d'admettre la sphéristique dans leurs gymnases où ils eurent soin de faire construire des lieux particuliers, destinés à recevoir tous ceux qui vouloient s'instruire dans cet exercice, ou donner des preuves de l'habileté qu'ils y avoient acquise : ils proposerent encore des prix pour ceux qui se distingueroient en ce genre dans les jeux publics ; ainsi qu'on peut le conjecturer de quelques médailles grecques rapportées par Mercurial, & sur lesquelles on voit trois athletes nuds s'exerçant à la balle au-devant d'une espece de table qui soutient deux vases, de l'un desquels sortent trois palmes avec cette inscription au-dessous, . Les Athéniens, entr'autres donnerent un témoignage signalé de l'estime qu'ils faisoient de la sphéristique, en accordant le droit de bourgeoisie, & en érigeant des statues à un certain Aristonique Carystien, joueur de paume d'Alexandre le grand, & qui excelloit dans cet exercice.

Les balles à jouer se nommoient en grec , spheres, globes, & en latin elles s'appelloient pilae. La matiere de ces balles étoit de plusieurs pieces de peau souple & courroyée, ou d'autre étoffe, cousues ensemble en maniere de sac que l'on remplissoit tantôt de plume ou de laine, tantôt de farine, de graine de figuier, ou de sable. Ces diverses matieres plus ou moins pressées & condensées, composoient des balles plus ou moins dures. Les molles étoient d'un usage d'autant plus fréquent, qu'elles étoient moins capables de blesser & de fatiguer les joueurs, qui les poussoient ordinairement avec le poing, ou la paume de la main. On donnoit à ces balles différentes grosseurs ; il y en avoit de petites, de moyennes, & de très-grosses ; les unes étoient plus pesantes, les autres plus légeres ; & ces différences dans la pesanteur & dans le volume de ces balles, ainsi que dans la maniere de les pousser, établissoient diverses sortes de sphéristiques. Il ne paroît pas que les anciens ayent employé des balles de bois, ni qu'ils ayent connu l'usage que nous en faisons aujourd'hui pour jouer à la boule & au mail ; mais ils ont connu les balles de verre, ce que nous observons en passant.

A l'égard des instrumens qui servoient à pousser les balles, outre le poing & la paume de la main, on employoit les piés dans certains jeux ; quelquefois on se garnissoit les poings de courroies qui faisoient plusieurs tours, & qui formoient une espece de gantelet ou de brassard, sur-tout lorsqu'il étoit question de pousser des balles d'une grosseur ou d'une dureté extraordinaire. On trouve une preuve convaincante de cette coutume sur le revers d'une médaille de l'empereur Gordien III. rapportée par Mercurial, où l'on voit trois athletes nuds ceints d'une espece d'écharpe, lesquels soutiennent de leur main gauche une balle ou un ballon, qui paroît une fois plus gros que leur tête, & qu'ils semblent se mettre en devoir de frapper du poing de leur main droite armée d'une espece de gantelet. Ces sortes de gantelets ou de brassards, tenoient lieu aux anciens de raquettes & de battoirs qui, selon toute apparence, leur ont été absolument inconnus.

Les exercices de la sphéristique, qui étoient en grand nombre chez les Grecs, peuvent se rapporter à quatre principales especes, dont les différences se tiroient de la grosseur & du poids des balles que l'on y employoit. Il y avoit donc l'exercice de la petite balle, celui de la grosse, celui du ballon & celui du corycus.

De ces quatre especes de sphéristiques, celui de la petite balle étoit chez les Grecs le plus en usage, & celui qui avoit le plus mérité l'approbation des Médecins. Antyllus, dont Oribase nous a conservé des fragmens considérables, & qui est l'auteur dont nous pouvons tirer plus d'éclaircissemens sur cette matiere, reconnoît trois différences dans cet exercice de la petite balle, non-seulement par rapport à la diverse grosseur des balles dont on jouoit ; mais aussi par rapport à la diverse maniere de s'en servir. Dans la premiere, où l'on employoit les plus petites balles, les joueurs se tenoient assez près les uns des autres. Ils avoient le corps ferme & droit, & sans branler de leur place, ils s'envoyoient réciproquement les balles de main en main avec beaucoup de vîtesse & de dextérité. Dans la seconde espece, où l'on jouoit avec des balles un peu plus grosses, les joueurs, quoiqu'assez voisins les uns des autres, déployoient davantage les mouvemens de leurs bras, qui se croisoient & se rencontroient souvent ; & ils s'élançoient çà & là pour attraper les balles, selon qu'elles bondissoient ou bricoloient différemment. Dans la troisieme espece, où l'on se servoit de balles encore plus grosses, on jouoit à une distance considérable, & les joueurs se partageoient en deux bandes, dont l'une se tenoit ferme en son poste, & envoyoit avec force & coup sur coup les balles de l'autre côté, où l'on se donnoit tous les mouvemens nécessaires pour les recevoir & les renvoyer.

On doit rapporter à l'exercice de la petite balle, dont on vient de décrire les trois especes alléguées par Antyllus, trois autres sortes de jeux appellés & .

Le jeu nommé aporrhaxis, d', abrumpo, frango, & dont Pollux nous a conservé la description, consistoit à jetter obliquement une balle contre terre, lui donnoit occasion de rebondir une seconde fois vers l'autre côté d'où elle étoit renvoyée de la même maniere & ainsi de suite, jusqu'à ce que quelqu'un des joueurs manquât son coup, & l'on avoit soin de compter les divers bonds de la balle.

Dans le jeu appellé ourania, l'un des joueurs se courbant en arriere, jettoit en l'air une balle qu'un autre tâchoit d'attrapper en sautant avant qu'elle retombât à terre, & avant que lui-même se trouvât sur ses piés : ce qui demandoit une grande justesse de la part de celui qui recevoit cette balle, & qui devoit pour sauter prendre précisément l'instant que la balle qui retomboit pût être à la portée de sa main.

L'harpaston a son nom dérivé d', rapio, parce qu'on s'y arrachoit la balle les uns aux autres. Pour y jouer, on se divisoit en deux troupes, qui s'éloignoient également d'une ligne nommée , que l'on traçoit au milieu du terrein, & sur laquelle on posoit une balle. On tiroit derriere chaque troupe une autre ligne, qui marquoit de part & d'autre les limites du jeu. Ensuite les joueurs de chaque côté couroient vers la ligne du milieu, & chacun tâchoit de se saisir de la balle, & de la jetter au-delà de l'une des deux lignes qui marquoient le but, pendant que ceux du parti contraire faisoient tous leurs efforts pour défendre leur terrein, & pour envoyer la balle vers l'autre ligne. Cela causoit une espece de combat fort échauffé entre les joueurs qui s'arrachoient la balle, qui la chassoient du pié & de la main, en faisant diverses feintes, qui se poussoient les uns les autres, se donnoient des coups de poing, & se renversoient par terre. Enfin le gain de la partie étoit pour la troupe qui avoit envoyé la balle audelà de cette ligne qui bornoit le terrein des antagonistes. On voit par-là que cet exercice tenoit en quelque façon de la course, du saut, de la lutte & du pancrace.

L'exercice de la grosse balle étoit différent des précédens, non-seulement à raison du volume des balles que l'on y employoit, mais aussi par rapport à la situation des bras ; car dans les trois principales especes de petite sphéristique, dont on vient de parler, les joueurs tenoient toujours leurs mains plus basses que leurs épaules ; au-lieu que dans celle-ci, ces mêmes joueurs élevoient leurs mains au-dessus de leur tête, se dressant même sur la pointe du pié, & faisant divers sauts pour attraper les balles qui leur passoient par-dessus la tête. Cet exercice, comme l'on voit, devoit être d'un fort grand mouvement, & d'autant plus pénible, qu'outre qu'on y mettoit en oeuvre toute la force des bras pour pousser des balles d'une grosseur considérable à une grande distance, les courses, les sauts, & les violentes contorsions que l'on s'y donnoit, contribuoient encore à en augmenter la fatigue.

La troisieme espece de sphéristique connue des Grecs, étoit l'exercice du ballon, appellé , dont nous savons peu de circonstances, si ce n'est que ces ballons étoient vraisemblablement faits comme les nôtres, qu'on leur donnoit une grosseur énorme, & que le jeu en étoit difficile & fatigant.

L'exercice du corycus, qui étoit la quatrieme espece de sphéristique grecque, la seule dont Hippocrate ait parlé, & qu'il appelle , qui est la même chose que le , du médecin Arétée, consistoit à suspendre au plancher d'une salle, par le moyen d'une corde, une espece de sac que l'on remplissoit de farine ou de graine de figuier pour les gens foibles, & de sable pour les robustes, & qui descendoit jusqu'à la hauteur de la ceinture de ceux qui s'exerçoient. Ceux-ci prenant ce sac à deux mains, le portoient aussi loin que la corde pouvoit s'étendre, après quoi lâchant ce sac ils le suivoient, & lorsqu'il revenoit vers eux, ils se reculoient pour céder à la violence du choc ; ensuite le reprenant à deux mains, ils le poussoient en avant de toutes leurs forces, & tâchoient malgré l'impétuosité qui le ramenoit, de l'arrêter, soit en opposant les mains, soit en présentant la poitrine leurs mains étendues derriere le dos ; ensorte que pour peu qu'ils négligeassent de se tenir fermes, l'effort du sac qui revenoit leur faisoit quelquefois lâcher le pié, & les contraignoit de reculer.

Il résultoit, selon les Médecins, de ces différentes especes de sphéristiques, divers avantages pour la santé. Ils croyoient que l'exercice de la grosse & de la petite balle étoit très-propre à fortifier les bras, aussi-bien que les muscles du dos & de la poitrine, à débarrasser la tête, à rendre l'épine du dos plus souple par les fréquentes inflexions, à affermir les jambes & les cuisses. Ils n'estimoient pas que le jeu de ballon fût d'une grande utilité, à cause de sa difficulté & des mouvemens violens qu'il exigeoit ; mais en général ils croyoient tous ces exercices contraires à ceux qui étoient sujets aux vertiges, parce que les fréquens tournoiemens de la tête & des yeux, nécessaires dans la sphéristique, ne pouvoient manquer d'irriter cette indisposition. Pour ce qui concerne l'exercice du corycus, ou de la balle suspendue, ils le jugeoient très-convenable à la diminution du trop d'embonpoint, & à l'affermissement de tous les muscles du corps ; se persuadant aussi que les secousses réitérées que la poitrine & le ventre recevoient du choc de cette balle, n'étoient pas inutiles pour maintenir la bonne constitution des visceres qui y sont renfermés. Arétée en conseilloit l'usage aux lépreux ; mais on le défendoit à ceux qui avoient la poitrine délicate.

Après avoir parcouru les especes de sphéristiques en usage chez les Grecs, examinons présentement ce que les Romains ont emprunté d'eux par rapport à cet exercice, & ce qu'ils y ont ajouté de nouveau. On ne trouve dans l'antiquité romaine que quatre sortes de sphéristiques ; savoir le ballon, appellé follis ; la balle, surnommée trigonalis ; la balle villageoise, pila paganica, & l'harpastum. Caelius Aurélianus les désigne toutes par l'expression générale de sphaera italica, paume italienne. Le poëte Martial les a toutes comprises dans ces vers.

Non pila, non follis, non te paganica thermis

Praeparat, aut nudi stipitis ictus hebes :

Vara nec injecto ceromate brachia tendis,

Non harpasta vagus pulverulenta rapis.

Le ballon étoit de deux especes, de la grande & de la petite. On poussoit les grands ballons avec le bras garni comme nous l'avons dit en parlant de celui des Grecs. La petite espece qui étoit le plus en usage, se poussoit avec le poing, d'où elle recevoit le nom de follis pugillaris ou pugilatorius. La légéreté de ce ballon le mettoit le plus à la portée des personnes les moins robustes, tels que sont les enfans, les vieillards & les convalescens.

La paume appellée trigonalis, se jouoit avec une petite balle nommée trigon, non pas de sa figure qui étoit ronde & nullement triangulaire, mais du nombre des joueurs qui étoient ordinairement trois disposés en triangle, & qui se renvoyoient la balle, tantôt de la main droite, tantôt de la gauche, & celui qui manquoit de la recevoir, & la laissoit tomber, perdoit la partie. Il y a trois expressions latines qui ont rapport à ce jeu, & qui méritent d'être remarquées. On appelloit raptim ludere, lorsque les joueurs faisoient en sorte de prendre la balle au premier bond. Datatim ludere se disoit d'un joueur qui envoyoit la balle à un autre, & qui accompagnoit ce mouvement de diverses feintes pour tromper les joueurs. Enfin, expulsum ludere s'appliquoit à l'action des joueurs qui se repoussoient les uns les autres pour attraper la balle, & la renvoyer.

La paume de village, appellée pila paganica, n'étoit pas tellement abandonnée aux paysans, qu'elle ne fût aussi reçue dans les gymnases & dans les thermes, comme il est facile de s'en convaincre par les vers de Martial ci-dessus rapportés. Les balles qu'on employoit dans cette sorte de paume étoient faites d'une peau remplie de plume bien foulée & bien entassée, ce qui donnoit une dureté considérable à ces balles. Elles surpassoient en grosseur les balles trigones & les ballons romains. La dureté de ces balles jointe à leur volume en rendoit le jeu plus difficile & plus fatiguant.

La derniere espece de sphéristique en usage chez les Romains & nommée harpastum, n'étoit en rien différente de l'harpaston des Grecs, de qui les Romains l'avoient empruntée ; ainsi, sans répeter ce qui a été dit, on remarquera seulement que l'on s'exerçoit à ce jeu sur un terrein sablé, que la balle qui y servoit étoit de la petite espece, & que l'on y employoit plutôt les mains que les piés, comme il paroît par cette épigramme de Martial sur des harpastes :

Haec rapit antoei velox in pulvere Draucus,

Grandia qui vano colla labore facit.

Et par ces vers du même poëte :

Sive harpasta manu pulverulenta rapis

Non harpasta vagus pulverulenta rapis.

L'antiquité grecque & romaine ne nous fournit rien de plus touchant des différentes especes de sphéristiques ; mais on en découvre une tout-à-fait singuliere qui est le jeu de balles de verre dans une ancienne inscription trouvée à Rome en 1591, sous le pontificat d'Innocent XI. & que l'on voit encore aujourd'hui attachée aux murs du Vatican : elle est le seul monument dont nous ayons connoissance, qui fasse mention du jeu de la balle de verre, inconnu jusqu'au tems d'un Ursus Togatus mentionné dans l'inscription, lequel s'en dit l'inventeur. Il est difficile de deviner précisément en quoi consistoit ce jeu, & il faut nécessairement, au défaut d'autorités sur ce point, hasarder quelques conjectures. M. Burette, dans une dissertation sur la sphéristique des anciens, qu'il a mise dans le recueil des mémoires de l'académie des Inscriptions, & dont nous avons tiré cet article, a de la peine à se persuader que les balles de verre qu'on employoit fussent solides : car, dit-il, si l'on veut leur attribuer une grosseur proportionnée à celle de nos balles ordinaires, elles eussent été d'une pesanteur incommode & dangereuse pour les joueurs ; si au contraire on les suppose très-petites, elles eussent donné trop peu de prise aux mains, & eussent échappé aux yeux. Il y auroit donc lieu de croire que ces balles étoient autant de petits ballons de verre que les joueurs s'envoyoient les uns aux autres ; & l'adresse dans ce jeu consistoit sans-doute à faire ensorte que ces ballons fussent toujours soutenus en l'air par les diverses impulsions qu'ils recevoient des joueurs qui les frappoient de la paume de la main, & à empêcher qu'ils ne heurtassent contre les murs, ou qu'ils ne tombassent par terre, auquel cas ils ne manquoient guere de se briser. Ce qui acheve de déterminer à cette opinion est un passage de Pline le naturaliste, qui employe l'expression de pila vitrea dans une occasion où ce ne peut être qu'une boule de verre creuse : Cum, additâ aquâ, vitreae pilae sole adverso, in tantum excandescant, ut vestes exurant. " Les boules de verre pleines d'eau, & exposées aux rayons du soleil, s'échauffent jusqu'au point de brûler les habits ". Voilà dumoins ce qu'on a pensé de plus vraisemblable par rapport à cette derniere espece de sphéristique, si peu connue d'ailleurs, & qui mériteroit certainement d'être plus particulierement éclaircie. (D.J.)


SPHÉROIDES. m. en Géométrie, est le nom qu'Archimede a donné à un solide qui approche de la figure d'une sphere, quoiqu'il ne soit pas exactement rond, mais oblong, parce qu'il a un diametre plus grand que l'autre, & qu'il est engendré par la révolution d'une demi-ellipse sur son axe. Ce mot vient de , sphere, & , figure.

Quand il est engendré par la révolution d'une demi-ellipse sur son plus grand axe, on l'appelle sphéroïde oblong ou allongé ; & quand il est engendré par la révolution d'une ellipse sur son petit axe, on l'appelle sphéroïde applati.

Pour ce qui regarde les dimensions solides d'un sphéroïde allongé, il est les deux tiers de son cylindre circonscrit.

Un sphéroïde allongé est à une sphere décrite sur son grand axe, comme le quarré du petit axe est au quarré du grand ; & un sphéroïde applati est à une sphere décrite sur le petit axe, comme le quarré du grand axe est au quarré du petit.

On appelle aujourd'hui assez généralement sphéroïde tout solide engendré par la révolution d'une courbe ovale autour de son axe, soit que cette courbe ovale soit une ellipse ou non. (O)


SPHÉROMACHIES. f. (Ant. grecq.) , espece particuliere de jeu de paume, dont les balles étoient de plomb, & se nommoient . Potter, Archaeol. graec. l. II. c. xxj. t. I. p. 448. Voyez SPHERISTIQUE. (D.J.)


SPHETTUS(Géog. anc.) municipe de la tribu Acamantide, selon Etienne le géographe. Pausanias, l. II. c. xxx. en fait une bourgade de l'Attique ; ce qui revient au même, & dit qu'elle fut fondée par Sphettus, fils de Troezen. Phavorinus lit Sphittos pour Sphettus. Il est souvent fait mention de cette bourgade dans les orateurs & autres écrivains grecs. Le vinaigre y étoit très-piquant, & les personnes fort satyriques, comme nous l'apprennent Aristophane & Athénée. M. Spon, dans la liste des bourgs de l'Attique, rapporte une inscription qu'il avoit vûe à Constantinople chez M. de Nointel, ambassadeur, qui l'avoit apportée d'Athènes. On y lisoit ces mots :


SPHINCTERen Anatomie, est un terme dont on se sert pour signifier une espece de muscles circulaires, ou muscles en forme d'anneaux, qui servent à former & retrécir différens orifices du corps, & à empêcher l'excrétion de ce qui y est contenu. Voyez MUSCLE.

Ce mot est formé du grec , strictor ou constricteur, quelque chose qui bouche & tient une chose bien close ; ces muscles ont un effet à-peu-près semblable à ceux des cordons d'une bourse.

Le sphincter des levres, voyez ORBICULAIRE.

Le sphincter du vagin est un muscle constricteur, qui sert à empêcher le reflux du sang du clitoris, &c. pendant le coït. Voyez VAGIN, CLITORIS.

SPHINCTER DE L'ANUS, (Anatomie) c'est un muscle large, épais, charnu, qui borde l'anus tout autour : sa figure & la tissure de ses fibres en-dehors immédiatement sous la peau forme une espece d'ovale. Il tient par-devant à l'accélérateur de l'urine, & par derriere à l'os coccyx. A mesure qu'il avance plus loin sur le corps de l'intestin droit, ses fibres deviennent circulaires, & ont à-peu-près deux doigts de large. Il est beaucoup plus large dans les hommes que dans les animaux ; & cela, parce que l'homme ayant le corps dressé perpendiculairement, il faut beaucoup plus de force à ce muscle pour retenir les excrémens, fonction pour laquelle il est fait. (D.J.)

SPHINCTER DE LA VESSIE, (Anatomie) Fallope observe que les Anatomistes de son siecle n'ont pas bien décrit la situation de ce muscle, en le plaçant au-dessous des prostates ; car si cela étoit, dit-il, la semence dans le coït ne pourroit pas être éjaculée sans urine ; observation que les auteurs modernes n'ont point faite, ou par inadvertance, ou parce qu'ils ont été trompés par une partie des levatores ani, qui restoient sur les prostates, & que Riolan appelle sphincter externus.

Le sphincter de la vessie est situé à la partie supérieure du cou de la vessie, immédiatement au-dessus des glandes prostates, où, dit Fallope ; nous ne devons pas nous attendre à trouver un muscle entier, & une substance distincte de celle du canal, semblable à celle de l'anus ; mais seulement la partie la plus charnue du cou de la vessie composée de plusieurs fibres transversales, dont la contraction empêche la sortie involontaire de l'urine. Pour découvrir ces fibres transversales, l'auteur conseille de plonger la vessie dans de l'eau bouillante, en commençant par ôter les fibres droites qui sont en-dehors, au moyen de quoi les transversales paroîtront.

Les principales connexions de la vessie dans l'homme sont avec l'intestin rectum & les vésicules séminaires, & dans la femme avec le vagin, & outre cela dans l'un & l'autre sexe avec les os pubis, nonseulement par plusieurs fibres ligamenteuses, mais encore par quelques petits trousseaux de fibres charnues qui en viennent & qui se portant obliquement au cou de la vessie, l'embrassent par leur entrecroisement en se confondant avec les fibres transverses de sa tunique charnue ; c'est l'entrecroisement de ces fibres charnues sur le cou de la vessie que M. Winslow soupçonne être son véritable sphincter, lequel se trouve fortifié par quelques fibres du sphincter de l'anus.

L'urine qui est déchargée dans la vessie n'en sort que dans certains tems, à cause du sphincter qui embrasse son côté, & qui, comme un ressort bandé, ferme l'ouverture qui y répond ; elle y séjourne jusqu'à ce que par les impressions vives qu'elle fait sur les parois de la vessie, elle ait donné lieu à la contraction des fibres charnues de son corps ; cette contraction jointe à celle du diaphragme & des muscles de l'abdomen qui agissent en même tems, se trouvant pour-lors plus forte que celle du sphincter, l'oblige à céder, & donne à l'urine la liberté de s'échapper. (D.J.)


SPHINXS. m. & f. (Mytholog.) monstre fabuleux, auquel les anciens donnoient ordinairement un visage de femme, avec un corps de lion couché.

Le sphinx, célebre dans la fable, est celui de Thèbes qu'Hésiode fait naître d'Echidne & de Typhon. Junon irritée contre les Thébains, envoya ce monstre dans le territoire de Thèbes pour le désoler.

On représente le sphinx de Thèbes avec la tête & le sein d'une jeune fille, les griffes d'un lion, le corps d'un chien, la queue d'un dragon, & des aîles. Elle exerçoit ses ravages sur le mont Phycée, d'où se jettant sur les passans, elle leur proposoit des énigmes difficiles, & mettoit en pieces ceux qui ne pouvoient les déchiffrer. Oedipe qui fut assez heureux pour expliquer l'énigme qu'elle lui proposa, a fait lui-même la peinture suivante de cette cruelle sphinx.

Né parmi les rochers aux piés du Cythéron,

Ce monstre à voix humaine, aigle, femme & lion,

De la nature entiere exécrable assemblage,

Vomissoit contre nous l'artifice & la rage.

Enfin cette sphinx barbare, outrée de dépit de se voir devinée, se cassa la tête contre un rocher.

Il y en a, dit Pausanias, qui prétendent que la Sphinx étoit une fille naturelle de Laïus, & que, comme son pere l'aimoit fort, il lui avoit donné connoissance de l'oracle que Cadmus avoit apporté de Delphes. Après la mort de Laïus, ses enfans s'entre-disputerent le royaume ; car outre ses fils légitimes, il en avoit laissé plusieurs de diverses concubines ; mais le royaume, suivant l'oracle de Delphes, ne devoit appartenir qu'à un des enfans de Jocaste. Tous s'en rapporterent à Sphinx, qui, pour éprouver celui de ses freres qui avoit le secret de Laïus, leur faisoit à tous des questions captieuses : & ceux qui n'avoient point connoissance de l'oracle, elle les condamnoit à mort, comme n'étant pas habiles à succéder. Oedipe instruit de l'oracle par un songe s'étant présenté à Sphinx, fut déclaré successeur de Laïus.

D'autres ont dit que Sphinx, fille de Laïus, peu contente de n'avoir aucune part au gouvernement, s'étoit mise à la tête d'une troupe de bandits, qui commettoient mille desordres aux environs de Thèbes ; ce qui la fit regarder comme un monstre. On lui donnoit pour mere Echidne, & pour pere Typhon ; c'étoient toujours les peres & meres de ce qu'il y avoit de plus monstrueux. Les griffes de lion marquoient sa cruauté ; son corps de chien, les desordres dont une fille de ce caractere est capable ; ses aîles désignoient l'agilité, avec laquelle elle se transportoit d'un lieu à un autre, pour éviter les poursuites des Thébains ; ses énigmes signifioient les embuches qu'elle dressoit aux passans, les attirant dans les rochers & dans les brossailles du mont Phycée où elle habitoit, & dont il leur étoit impossible de se dégager, faute d'en savoir les issues qu'elle connoissoit parfaitement. Oedipe la força dans ses retranchemens, & la fit mourir. Sphinx vient de , embarrasser.

Rien de plus commun que la figure de sphinx avec des aîles ou sans aîles, dans les monumens égyptiens. Plutarque dit qu'on mettoit des sphinx dans leurs temples, pour marquer que la religion égyptienne étoit toute énigmatique. Les oracles que les Egyptiens faisoient rendre à leur célebre sphinx, étoient une frauduleuse invention de leurs prêtres, qui ayant creusé sous terre un canal aboutissant au ventre & à la tête de cette prétendue divinité, entroient aisément dans son corps, d'où ils faisoient entendre d'une voix sépulcrale des paroles superstitieuses en réponse aux voyageurs qui venoient consulter l'oracle.

Pline dit que la tête du sphinx, dont nous parlons, avoit quarante-trois piés de longueur, douze de circuit, & qu'il en avoit cent soixante-douze du sommet de la tête jusqu'au ventre. On lit dans les observations curieuses, qu'à trois cent pas de la grande pyramide & presque vis-à-vis du vieux Caire, proche le rivage du Nil, on voit encore la tête de ce fameux sphinx, & que le reste du corps est enterré sous le sable ; mais ce récit est un nouveau conte à ajouter aux autres. (D.J.)

SPHINX, (Sculpt.) ouvrage de sculpture imitant les sphinx de la fable ; on les représente d'ordinaire avec la tête & le sein d'une fille, & le corps d'un lion ; tel est le sphinx de l'escalier qui porte ce nom à Fontainebleau ; tels sont les deux sphinx de marbre blanc, devant le parterre de la dauphine à Versailles. On en voit plusieurs autres semblables qui ornent des rampes de terrasse dans les jardins ; mais il n'y a point de sphinx modernes, qui égalent les anciens en goût & en travail exquis.

C'est dommage que le sphinx de bronze qui a été déterré à Rome, se soit trouvé dans un si grand désordre qu'on a eu beaucoup de peine à le restaurer. On ne peut nier qu'il n'ait été grec. L'assemblage des morceaux met les connoisseurs en état de juger combien les Grecs avoient altéré la premiere forme de ces animaux. Il est vrai qu'ils n'y attachoient pas les mêmes idées, & qu'ils étoient éloignés de l'allégorie des signes célestes, qui avoient donné naissance à cet objet fantastique. Le sphinx n'étoit en quelque façon connu dans la Grece que par l'histoire d'Oedipe ; on le voit même sur quelques pierres gravées, lorsqu'il propose à ce prince une énigme qui ne mérite guere d'être si célebrée. Le sphinx est encore traité de la même façon sur le revers des médailles des Antiochus, & sur un poids de plomb trouvé dans l'île de Chio. Ces différens emplois du même objet méritent d'être présentés ; ils sont capables de piquer la curiosité, & font naître l'envie de chercher pourquoi les Grecs ont adopté le sphinx ; pourquoi ils ne l'ont point représenté accroupi ; enfin, pourquoi ils lui ont donné des aîles, de l'arrondissement desquelles il y a lieu d'être surpris ? Toutes ces réflexions sont de M. de Caylus. (D.J.)


SPHONDILIUMS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante que les Anglois nomment cow-parsnep, & les François berce, mot sous lequel vous en trouverez les caracteres.

Tournefort distingue huit especes de ce genre de plante, dont il nous suffira de décrire la plus commune. Spondilium vulgare hirsutum, I. R. H. 320.

Sa tige s'éleve à la hauteur d'une coudée & plus, nouée, velue, cannelée & creuse en - dedans. Ses feuilles sont larges, laciniées, couvertes dessus & dessous d'un duvet assez doux, & d'un goût douçâtre. Ses fleurs naissent sur des ombelles, composées chacune de cinq pétales disposées en fleurs de lis, de couleur ordinairement blanche, & quelquefois purpurine. Quand cette fleur est tombée, le calice qui la soutenoit devient un fruit, composé de deux grandes graines ovales, applaties, d'une odeur désagréable, & d'une saveur un peu âcre ; sa racine est empreinte d'un suc jaunâtre, accompagné d'âcreté. Cette plante croît dans les champs, & fleurit au mois de Mai ou de Juin. Ses feuilles passent pour émollientes, & sa graine est recommandée comme antihystérique, par le d. Willis.

Il ne paroît pas que le sphondilium des modernes, soit celui de Dioscoride, ni de Pline ; car les vertus qu'ils lui attribuent paroissent entierement étrangeres à notre plante. (D.J.)


SPHRAGIDIUM(Géog. anc.) Pausanias, liv. IX. ch. iij. donne ce nom à un antre de la Béotie, dans le mont Cithéron ; c'étoit l'antre des nymphes Cithéronides, qui à ce qu'on disoit avoient eu le don de prophétie. Du nom de ce lieu, ces nymphes étoient aussi appellées Sphragitides, comme dit Plutarque dans la vie d'Aristide. (D.J.)


SPHRAGITIDESNYMPHES, (Littérat.) nymphes du mont Cithéron qui avoient eu le nom de sphragitides, de l'antre appellé sphragidion. Peut-être que ce nom venoit du respect & du silence que l'on gardoit sur ce qui se passoit dans cet antre, de peur de blesser ces nymphes & d'encourir leur indignation ; car , signifie un cachet, d'où vient le proverbe , signatum habere, avoir un cachet sur la bouche, pour dire ne point parler, ou garder un profond silence. (D.J.)


SPIAGGIA ROMANALA, (Géog. mod.) c'est-à-dire la plage romaine. Les Italiens appellent de ce nom une partie de la Méditerranée, le long de la côte de l'Eglise. (D.J.)


SPIAUTER(Hist. nat. Minéralog.) nom donné par quelques auteurs au zinc, Voyez l'article ZINC.


SPICAterme de Chirurgie, nom qu'on donna à une espece de bandage, parce qu'il représente par ses tours de bande en doloires, les rangs d'un épi de blé.

Le spica est différent, suivant les parties auxquelles on l'applique. On en fait un pour la luxation de l'humerus & pour la fracture de l'acromion & celle du bout externe de la clavicule, voyez HUMERUS, ACROMION, CLAVICULE ; on fait aussi un spica pour le bubonocele & pour la luxation de l'os de la cuisse.

Pour faire le spica qui convient à la luxation de l'humerus, on prend une bande de trois doigts de largeur, sur six aunes de longueur, & roulée à un chef. On pose l'extrêmité de la bande sous l'aisselle opposée ; on tire un jet de bande de derriere en devant, en croisant obliquement les deux épaules ; on passe sur la tête de l'os luxé, sous l'aisselle, & on vient croiser sur le deltoïde : on descend sur la partie antérieure de la poitrine obliquement ; on conduit la bande sous l'aisselle opposée, où l'on assujettit l'extrêmité de la bande. On revient par derriere le dos sur le premier jet de bande, pour passer autour de la tête de l'humerus, en formant un doloire avec la premiere circonvolution de la bande ; on fait trois ou quatre doloires, & ensuite un circulaire autour de la partie supérieure moyenne du bras. Ce circulaire laisse un espace en ou triangle équilatéral avec le premier croisé de la bande, ce que les auteurs appellent gerani. On remonte ensuite par un rampant, & on conduit le globe de la bande sous l'aisselle opposée pour terminer par des circulaires autour du corps ; on arrête la bande avec des épingles à l'endroit où elle finit.

Avant l'application de ce bandage, on a soin de garnir le lieu malade & le dessous de l'aisselle avec des compresses.

Le spica pour la clavicule se fait de même, à l'exception que les croisés de la bande se font sur la clavicule.

Pour faire le spica de l'aîne, on pose le bout de la bande sur l'épine de l'os ilion du côté de la maladie ; on descend obliquement sur l'aîne entre les parties naturelles ; on entoure la cuisse postérieurement ; on revient croiser antérieurement sur l'aîne, on conduit la bande sur l'os-pubis, au-dessus de l'os des îles du côté opposé ; on entoure le corps au-dessus des fesses, & on revient sur le bout de la bande pour continuer en faisant des doloires, quatre ou cinq circonvolutions comme la précédente : on finit par des circulaires autour du corps.

Le spica de la cuisse se fait de même, à l'exception que les croisés qui forment les épis se font sur la partie extérieure & supérieure de la cuisse. Voyez BANDE & BANDAGE. (Y)


SPICCATOSTACCATO, adj. mots italiens consacrés à la musique, & qui indiquent des sons secs, piqués, & bien détachés. Voyez PIQUE, DETACHE. (S)


SPICNARD(Botan.) Voyez NARD. (D.J.)


SPIEGELBERG(Géog. mod.) petit pays d'Allemagne, dans le cercle de Westphalie, entre le comté de Shaumbourg & la Basse-Saxe. Il appartient au Prince de Nassau-Dietz. Il n'a que six lieues de longueur, quatre de largeur, & un bourg qui prend son nom. (D.J.)


SPIETZ(Géogr. mod.) petite ville de Suisse, dans le canton de Berne, sur le bord du lac de Thoun. (D.J.)


SPIGA(Géog. mod.) ou Chizico, petite ville de la Turquie asiatique, dans l'Anatolie, sur la côte de la mer de Marmora, à huit milles de l'île de ce nom au midi. Elle a un port près du cap de Spigola. Il est fort douteux que ce soit la célebre Cysique des anciens. (D.J.)

SPIGA, LA, (Géog. mod.) petite riviere de la Turquie asiatique, en Anatolie. Elle a sa source au mont Ida, & se décharge dans la mer de Marmora, à onze lieues de Spiga, vers le couchant. On ne doute pas que ce ne soit l'Aesapus de Strabon, ou l'Aesepus de Pline & de Ptolémée. (D.J.)


SPIGELIUSLOBE DE, Spigelius de Bruxelles, disciple de Casserius & d'Aquapendente, professa l'anatomie & la chirurgie dans l'université de Padoue ; il nous a laissé un corps d'anatomie. Le petit lobe du foie porte son nom. Nous avons de lui un livre intitulé. Spigelii opera omnia. Venet. 1627. fol. Amstelaed. 1644. fol.


SPIGURNELS. m. (Hist. mod.) étoit anciennement celui qui avoit la charge des espigurnantia, ou de sceller les actes du roi. Spielman & du Fresne rapportent ce mot sans y ajouter aucune interprétation. Mais il semble qu'il est pris du saxon sparrau, qui signifie serrer, sceller ou assurer. Voyez Kennet's glos. in paroch. antiquit.


SPILEMBERGO(Géog. mod.) & SPILEMBERG par les Allemands ; ville de l'état de Venise dans le Frioul, sur le Tajamento, à 10 milles d'Udine, vers les frontieres du Boulonnois. Lazius croit que c'est la Bibium d'Antonin, mais Smiler prétend que Bibium est Billigratz. Long. 30. 46. lat. 46. 11. (D.J.)


SPINA(Géog. anc.) ville d'Italie au voisinage de Ravenne, près de l'embouchure la plus méridionale du Pô. C'étoit une colonie grecque & qui avoit été florissante, mais qui du tems de Strabon, liv. V. se trouvoit réduite à un simple village. Cet ancien géographe ajoute, qu'on montroit à Delphes le trésor des Spinites. Cette circonstance est confirmée par Pline, liv. III. ch. xvj. qui marque en même tems la situation de cette ville, en disant que l'embouchure du Pô, nommée Eridanum ostium, étoit appellée par quelques-uns Spineticum ostium, de la ville de Spina, qui avoit été bâtie auprès & apparemment à la gauche ; car Butrium se trouvoit à la droite, entre cette embouchure & Ravenne. (D.J.)


SPINA VENTOSAS. m. maladie de Chirurgie, qui consiste dans une carie interne des os, principalement vers les jointures où elle a coutume de commencer sans douleur ; ensuite la face interne du corps de l'os & la moëlle même se corrompent. La carie pénetre peu-à-peu jusqu'à la surface externe ; les os deviennent mous ou vermoulus, & se cassent quelquefois, ne pouvant résister à l'effort des muscles dans les mouvemens violens & subits auxquels ils sont exposés ; ou bien ils se gonflent, & il y survient une exostose. Quand l'os est carié, le périoste se détache & se corrompt aussi sans qu'il paroisse aucune tumeur au-dehors. Pendant que l'humeur qui cause cette maladie, ronge le périoste, il s'y excite à cause de sa sensibilité, une douleur vive & piquante, comme si l'on étoit percé par une épine, d'où vient le nom de ce cruel mal, c'est-à-dire du mot latin spina, épine. Lorsque le périoste est consumé, la douleur cesse, l'humeur s'épanche dans les chairs & forme une tumeur lâche, molle, indolente, sans changement de couleur à la peau ; & parce que cette tumeur semble remplie d'une humeur ventueuse ou flatueuse, qu'elle imite l'œdème, & que ventosité chez les Arabes signifie tumeur oedémateuse, on a ajouté au mot de spina, celui de ventosa ou ventositas spinae. Cette espece d'abscès étant ouvert par lui-même ou par l'opération, il en sort un pus séreux, & il en résulte un ulcere sinueux ou fistuleux, qui ne se peut guérir que la carie ne soit enlevée par le fer ou par le feu. Il s'y joint ordinairement une fievre lente, & le malade meurt souvent en consomption.

La cause de cette maladie est souvent un virus vénérien dégénéré, ou un virus scorbutique ou écrouelleux.

Avicenne a parlé du spina ventosa, lib. IV. Fen. 4. tract. 4. c. ix. Pandolfin en a fait un traité entier, auquel Mercklin a ajouté des notes. M. A. Severinus en a écrit aussi un traité, sous le nom de paedarthrocace, terme composé de trois mots grecs, , puer ; enfant, jeune personne, , articulus, articulation, & , malum, mal, à cause que ce mal attaque principalement les enfans & les jeunes gens, & rarement ceux de 25 ou 30 ans, à moins qu'ils n'en aient été incommodés auparavant sans être guéris, & parce qu'il commence presque toujours par les jointures.

Le prognostic est fort douteux, on a souvent vu cette maladie se reproduire ailleurs, après l'avoir détruite dans une partie.

Dans le commencement, lorsqu'il n'y a point encore ulcération à l'os, on peut tâcher de guérir cette maladie après les remedes généraux, par un régime convenable. L'usage de la décoction des bois sudorifiques, l'application extérieure des cataplasmes résolutifs & aromatiques, les onctions mercurielles, & autres remedes suivant la sagacité du guérisseur. Si ces secours loin de diminuer les accidens semblent augmenter les douleurs, c'est un signe qu'il se fait abscès dans l'os ; on ne peut l'ouvrir trop promtement, pour éviter les progrès de la carie que le pus occasionne dans l'intérieur. M. Petit rapporte dans son Traité des maladies des os, à l'article de la carie, avoir donné issue par l'opération du trépan, à un abscès dans la cavité du tibia. Un homme avoit été traité méthodiquement de la vérole, traitement qui fit disparoître une tumeur à la partie moyenne du tibia. Les douleurs ne cesserent pas entierement ; elles augmenterent quinze jours après être sorti de chez M. Petit. Le malade avoit de la fievre ; sa jambe étoit devenue rouge, & même douloureuse à l'extérieur. On délibera dans une consultation qu'il falloit ouvrir l'endroit où il y avoit eu tumeur, pour donner issue à quelque matiere qu'on soupçonnoit être infiltrée dans le périoste, & causer ces accidens. L'incision ne procura aucun soulagement ; on se détermina deux jours après à l'application du trépan qui procura une évacuation considérable d'un pus très-fétide. La moëlle étoit toute fondue, & le canal paroissant presque vuide, M. Petit appliqua trois autres couronnes de trépan, & coupa les ponts qui restoient des uns aux autres. Le cautere actuel fut appliqué plusieurs fois pour détruire la carie, & le malade guérit. Il y a plusieurs observations de cette nature, & on réussit presque toujours lorsque l'opération n'a pas été trop differée. Ce spina ventosa est une exostose suppurée. Voyez EXOSTOSE.

Il n'est pas toujours possible de détruire ces exostoses & ces caries. Lorsque par leur situation elles ne sont pas accessibles, il faut en venir au remede extérieur, qui est l'amputation du membre. J'ai eu occasion d'ouvrir une tumeur qui sembloit aquoflatueuse, à la partie interne & inférieure de la caisse d'un jeune homme de 20 ans. Cette tumeur qui étoit sans changement de couleur à la peau, avoit été précédée par des douleurs assez vives dans l'os du fémur, ce qui caractérisoit un spinosa ventosa. Après avoir donné issue par une incision, à une grande quantité de matiere assez fétide, je portai mon doigt dans le foyer de cet abscès, il passa par-dessus le muscle vaste interne, à la partie postérieure du fémur, où je sentis un trou à l'os qui pénétroit dans la cavité. Il fallut nécessairement faire l'amputation de la cuisse, n'étant pas possible de travailler à la destruction de la carie dans un lieu où l'os est recouvert d'une aussi grande quantité de muscles & de vaisseaux considérables. (Y)


SPINA-LONGA(Géog. mod.) forteresse de l'île de Candie, sur un rocher escarpé, près de la côte septentrionale de l'île & du golfe auquel elle donne son nom. Cette forteresse située à 55 milles de Candie, au levant en tirant vers Sétia, étoit autrefois une ville épiscopale, & elle a un port. (D.J.)


SPINAE(Géog. anc.) ville de la Grande-Bretagne. L'itinéraire d'Antonin la marque sur la route d'Isca à Calleva, entre Duracornovium & Callava, à 15 milles de chacune de ces places. On croit que le bourg de Newbury s'est élevé des ruines de cette ville, qui n'est plus aujourd'hui qu'un petit village appellé Spene, à un mille de Newbury. (D.J.)


SPINALLE, adj. en Anatomie, se dit des parties qui ont quelque relation avec l'épine. Voyez ÉPINE.

Les arteres spinales sont principalement les deux produites par l'artere vertébrale. Voyez VERTEBRALE.

L'artere spinale antérieure est produite par la réunion des deux rameaux des arteres vertébrales sur l'apophyse basilaire de l'os occipital. Voyez OS OCCIPITAL.

L'artere spinale postérieure est produite par la réunion de deux rameaux produits par les arteres vertébrales à leur entrée dans le crâne. Voyez CRANE.

Ces deux arteres descendent le long de la partie antérieure & de la partie postérieure de la moëlle allongée, & communique avec des rameaux des intercostales & des lombaires. Voyez INTERCOSTALE, LOMBAIRE, &c.


SPINARZA(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne dans l'Albanie, sur la riviere de même nom, près de son embouchure. Long. 37. 10. lat. 41.


SPINELLEadj. (Gram. Joaillerie) on dit rubis spinelle (Voyez l'article RUBIS), lorsqu'il est de couleur de vinaigre ou de pelure d'oignon. Quoiqu'il ait la dureté du rubis balai, il n'en a pas le prix.


SPINEUSESS. m. (Mythol.) dieu qui présidoit au défrichement des ronces & des épines.


SPINHUYSS. m. (Hist. mod. Econom. politique) ce mot est hollandois, & signifie maison où l'on file ; on donne ce nom en Hollande à des maisons de force établies dans presque toutes les villes, dans lesquelles on renferme les femmes de mauvaise vie, qui ont attiré l'attention de la police ; on les y occupe à filer & à différens autres travaux convenables à leur sexe ; on ne leur épargne point les corrections, lorsqu'elles manquent à remplir la tâche qui leur est imposée. Ces sortes de maisons sont ordinairement sous la direction de deux échevins, qui nomment un inspecteur & une inspectrice, qui leur rendent compte.


SPINOSAPHILOSOPHIE DE, (Hist. de la philos.) Benoît Spinosa, juif de naissance, & puis déserteur du judaïsme, & enfin athée, étoit d'Amsterdam. Il a été un athée de systême, & d'une méthode toute nouvelle, quoique le fond de sa doctrine lui fût commun avec plusieurs autres philosophes anciens & modernes, européens & orientaux. Il est le premier qui ait reduit en systême l'athéïsme, & qui en ait fait un corps de doctrine lié & tissu, selon la méthode des géometres ; mais d'ailleurs son sentiment n'est pas nouveau. Il y a long - tems que l'on a cru que tout l'univers n'est qu'une substance, & que Dieu & le monde ne sont qu'un seul être. Il n'est pas sûr que Straton, philosophe péripatéticien, ait eu la même opinion, parce qu'on ne sait pas s'il enseignoit que l'univers ou la nature fût un être simple & une substance unique. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il ne reconnoissoit d'autre dieu que la nature. Comme il se moquoit des atomes & du vuide d'Epicure, on pourroit s'imaginer qu'il n'admettoit point de distinction entre les parties de l'univers ; mais cette conséquence n'est point nécessaire. On peut seulement conclure que son opinion s'approche infiniment plus du spinosisme que le systême des atomes. On a même lieu de croire qu'il n'enseignoit pas, comme faisoient les atomistes, que le monde fût un ouvrage nouveau, & produit par le hazard ; mais qu'il enseignoit, comme font les spinosistes, que la nature l'a produit nécessairement & de toute éternité.

Le dogme de l'ame du monde, qui a été si commun parmi les anciens, & qui faisoit la partie principale du systême des stoïciens, est, dans le fond, celui de Spinosa ; cela paroîtroit plus clairement, si des auteurs géometres l'avoient expliqué. Mais comme les écrits où il en est fait mention, tiennent plus de la méthode des rhétoriciens, que de la méthode dogmatique ; & qu'au contraire Spinosa s'est attaché à la précision, sans se servir du langage figuré, qui nous dérobe si souvent les idées justes d'un corps de doctrine : de-là vient que nous trouvons plusieurs différences capitales entre son systême & celui de l'ame du monde. Ceux qui voudroient soutenir que le spinosisme est mieux lié, devroient aussi soutenir qu'il ne contient pas tant d'orthodoxie ; car les stoïciens n'ôtoient pas à Dieu la providence : ils réunissoient en lui la connoissance de toutes choses ; au lieu que Spinosa ne lui attribue que des connoissances séparées & très-bornées. Lisez ces paroles de Seneque : " Eundem quem nos, jovem intelligunt, custodem, rectoremque universi, animum ac spiritum, mundani hujus operis dominum & artificem, cui nomen omne convenit. Vis illum fatum vocare ? Non errabis : hic est ex quo suspensa sunt omnia, causa causarum. Vis illum providentiam dicere ? Recte dicis. Est enim cujus consilio huic mundo providetur. Vis illum naturam vocare ? Non peccabis. Est enim ex quo nata sunt omnia, cujus spiritu vivimus. Vis illum vocare mundum ? Non falleris. Ipse est enim totum quod vides, totus suis partibus induitur, & se sustinens vi suâ. " Quaest. natur. lib. XI. cap. xlv. Et ailleurs il parle ainsi : " Quid est autem, cur non existimes in eo divini aliquid existere, qui Dei par est ? Totum hoc quo continemur, & unum est & Deus, & socii ejus summus & membra. " Epist. 92. Lisez aussi le discours de Caton, dans le IV. liv. de la Pharsale, & sur-tout considérez-y ces trois vers.

Est-ne Dei sedes nisi terra & pontus & aer,

Et coelum & virtus ? Superos quid quaerimus ultra ?

Jupiter est quodcumque vides, quocumque moveris.

Pour revenir à Spinosa, tout le monde convient qu'il avoit des moeurs, qu'il étoit sobre, modéré, pacifique, désintéressé, même généreux ; son coeur n'étoit taché d'aucun de ces vices qui déshonorent. Cela est étrange ; mais au fond il ne faut pas plus s'en étonner, que de voir des gens qui vivent très-mal, quoiqu'ils ayent une pleine persuasion de l'Evangile ; ce que l'attrait du plaisir ne fit point dans Spinosa ; la bonté & l'équité naturelles le firent. De son obscure retraite sortit d'abord l'ouvrage qu'il intitula, traité théologico-politique, parce qu'il y envisage la religion en elle-même, & par rapport à son exercice, eu égard au gouvernement civil. Comme la certitude de la révélation est le fondement de la foi ; les premiers efforts de Spinosa sont contre les prophetes. Il tente tout pour affoiblir l'idée que nous avons d'eux, & que nous puisons dans leurs prophéties. Il borne à la science des moeurs tout le mérite des prophetes. Il ne veut pas qu'ils ayent bien connu la nature & les perfections de l'Etre souverain. Si nous l'en croyons, ils n'en savoient pas plus, & peut - être qu'ils n'en savoient pas tant que nous.

Moïse, par exemple, imaginoit un Dieu jaloux, complaisant & vindicatif, ce qui s'accorde mal avec l'idée que nous devons avoir de la divinité. A l'égard des miracles, dont le récit est si fréquent dans les Ecritures, il a trouvé qu'ils n'étoient pas véritables. Les prodiges, selon lui, sont impossibles ; ils dérangeroient l'ordre de la nature, & ce dérangement est contradictoire. Enfin pour nous affranchir tout-d'un-coup & pour nous mettre à l'aise, il détruit par un chapitre seul toute l'autorité des anciennes Ecritures. Elles ne sont pas des auteurs dont elles portent les noms, ainsi le pentateuque ne sera plus de Moïse, mais une compilation de vieux mémoires mal digérés par Esdras. Les autres livres sacrés n'auront pas une origine plus respectable.

Spinosa avoit étonné & scandalisé l'Europe par une théologie qui n'avoit de fondement que l'autorité de sa parole. Il ne s'égara pas à demi. Son premier ouvrage n'étoit que l'essai de ses forces. Il alla bien plus loin dans un second. Cet autre écrit est sa morale, où donnant carriere à ses méditations philosophiques, il plongea son lecteur dans le sein de l'athéïsme. C'est principalement à ce monstre de hardiesse, qu'il doit le grand nom qu'il s'est fait parmi les incrédules de nos jours. Il n'est pas vrai que ses sectateurs soient en grand nombre. Très-peu de personnes sont soupçonnées d'adherer à sa doctrine, & parmi ceux que l'on en soupçonne, il y en a peu qui l'ayent étudié, & entre ceux - ci, il y en a peu qui l'ayent comprise, & qui soient capables d'en tracer le vrai plan, & de développer le fil de ses principes. Les plus sincères avouent que Spinosa est incompréhensible, que sa philosophie sur-tout est pour eux une énigme perpétuelle, & qu'enfin s'ils se rangent de son parti, c'est qu'il nie avec intrépidité ce qu'eux-mêmes avoient un penchant secret à ne pas croire.

Pour peu qu'on enfonce dans ces noires ténébres où il s'est enveloppé, on y découvre une suite d'abymes où ce téméraire raisonneur s'est précipité presque dès le premier pas, des propositions évidemment fausses, & les autres contestables, des principes arbitraires substitués aux principes naturels & aux vérités sensibles, un abus des termes la plûpart pris à contre-sens, un amas d'équivoques trompeuses, une nuée de contradictions palpables.

De tous ceux qui ont réfuté le spinosisme, il n'y a personne qui l'ait développé aussi nettement, ni combattu avec autant d'avantage que l'a fait Mr. Bayle. C'est pourquoi je me fais un devoir de transcrire ici un précis des raisonnemens par lesquels il a ruiné de fond-en-comble ce systême monstrueux. Mais avant d'en faire sentir le ridicule, il est bon de l'exposer. Spinosa soutient 1°. qu'une substance ne peut produire une autre substance ; 2°. que rien ne peut être créé de rien, parce que ce seroit une contradiction manifeste que Dieu travaillât sur le néant, qu'il tirât l'être du non-être, la lumiere des ténébres, la vie de la mort ; 3°. qu'il n'y a qu'une seule substance, parce qu'on ne peut appeller substance que ce qui est éternel, indépendant de toute cause supérieure, que ce qui existe par soi-même & nécessairement. Or toutes ces qualités ne conviennent qu'à Dieu, donc il n'y a d'autre substance dans l'univers que Dieu seul.

Spinosa ajoute que cette substance unique, qui n'est ni divisée, ni divisible, est douée d'une infinité d'attributs, & entr'autres de l'étendue & de la pensée. Tous les corps qui se trouvent dans l'univers sont des modifications de cette substance en tant qu'étendue, & que les ames des hommes sont des modifications de cette substance en tant que pensée. Le tout cependant reste immobile, & ne perd rien de son essence pour quelques changemens legers, rapides, momentanés. C'est ainsi qu'un homme ne cesse point d'être ce qu'il est en effet, soit qu'il veille, soit qu'il dorme, soit qu'il se repose nonchalamment, soit qu'il agisse avec vigueur. Ecoutons ce que Bayle oppose à cette doctrine.

1°. Il est impossible que l'univers soit une substance unique ; car tout ce qui est étendu a nécessairement des parties, & tout ce qui a des parties est composé : & comme les parties de l'étendue ne subsistent point l'une dans l'autre, il faut nécessairement ou que l'étendue en général ne soit pas une substance, ou que chaque partie de l'étendue soit une substance particuliere & distincte de toutes les autres. Or selon Spinosa, l'étendue en général est l'attribut d'une substance : d'un autre côté, il avoue avec les autres philosophes, que l'attribut d'une substance ne differe point réellement de cette substance ; d'où il faut conclure que chaque partie de l'étendue est une substance particuliere : ce qui ruine les fondemens de tout le système de cet auteur. Pour excuser cette absurdité, Spinosa ne sauroit dire que l'étendue en général est distincte de la substance de Dieu, car s'il le disoit, il enseigneroit que cette substance est en elle-même non-étendue ; elle n'eût donc jamais pû acquérir les trois dimensions, qu'en les créant, puisqu'il est visible que l'étendue ne peut sortir ou émaner d'un sujet non étendu, que par voie de création : or Spinosa ne croyoit point que de rien ont pût faire rien. Il est encore visible qu'une substance non étendue de sa nature, ne peut jamais devenir le sujet des trois dimensions : car comment seroit-il possible de les placer sur ce point mathématique ? elles subsisteroient donc sans un sujet, elles seroient donc une substance ; desorte que si cet auteur admettoit une distinction réelle entre la substance de Dieu, & l'étendue en général, il seroit obligé de dire que Dieu seroit composé de deux substances distinctes l'une de l'autre, savoir de son être non-étendu, & de l'étendue : le voilà donc obligé à reconnoître que l'étendue & Dieu ne sont que la même chose ; & comme d'ailleurs, dans ses principes, il n'y a qu'une substance dans l'univers, il faut qu'il enseigne que l'étendue est un être simple, & aussi exempt de composition que les points mathématiques ; mais n'est-ce pas se moquer du monde que de soutenir cela ? est-il plus évident que le nombre millénaire est composé de mille unités, qu'il est évident qu'un corps de cent pouces est composé de cent parties réellement distinctes l'une de l'autre, qui ont chacune l'étendue d'un pouce ?

Pour se débarrasser d'une difficulté si pressante, Spinosa répond que l'étendue n'est pas composée de parties, mais de modifications. Mais a-t-il bien pû se promettre quelqu'avantage de ce changement de mot ? qu'il évite tant qu'il voudra le nom de partie, qu'il substitue tant qu'il voudra celui de modalité ou modification, que fait cela à l'affaire ? les idées que l'on attache au mot partie, s'effaceront-elles ? ne les appliquera-t-on pas au mot modification ? les signes & les caracteres de différence sont-ils moins réels, ou moins évidens, quand on divise la matiere en modifications, que quand on la divise en parties ? visions que tout cela : l'idée de la matiere demeure toujours celle d'un être composé, celle d'un amas de plusieurs substances. Voici de quoi bien prouver cela.

Les modalités sont des êtres qui ne peuvent exister sans la substance qu'elles modifient, il faut donc que la substance se trouve par-tout où il y a des modalités, il faut même qu'elle se multiplie à proportion que les modifications incompatibles entr'elles se multiplient. Il est évident, nul spinosiste ne le peut nier, que la figure quarrée, & la figure circulaire, sont incompatibles dans le même morceau de cire ; il faut donc nécessairement que la substance modifiée par la figure quarrée ne soit pas la même substance que celle qui est modifiée par la figure ronde : autrement la figure quarrée & la figure ronde se trouveroient en même tems dans un seul & même sujet : or cela est impossible.

2°. S'il est absurde de faire Dieu étendu, parce que c'est lui ôter sa simplicité, & le composer d'un nombre infini de parties, que dirons-nous, quand nous songerons que c'est le reduire à la condition de la nature la plus vile, en le faisant matériel, la matiere étant le théâtre de toutes les corruptions & de tous les changemens ? Les spinosistes soutiennent pourtant qu'elle ne souffre nulle division, mais ils soutiennent cela par la plus frivole, & par la plus froide chicanerie qui puisse se voir. Afin que la matiere fût divisée, disent - ils, il faudroit que l'une de ses portions fût séparée des autres par des espaces vuides : ce qui n'arrive jamais ; mais c'est très-mal définir la division. Nous sommes aussi réellement séparés de nos amis, lorsque l'intervalle qui nous sépare est occupé par d'autres hommes rangés de file, que s'il étoit plein de terre. On renverse donc & les idées & le langage, quand on nous soutient que la matiere reduite en cendres & en fumée, ne souffre point de séparation ?

3°. Nous allons voir des absurdités encore plus monstrueuses, en considérant le dieu de Spinosa, comme le sujet de toutes les modifications de la pensée : c'est déja une grande difficulté que de concilier l'étendue & la pensée dans une seule substance : & il ne s'agit point ici d'un alliage comme celui des métaux, ou comme celui de l'eau & du vin ; cela ne demande que la juxta-position : mais l'alliage de la pensée & de l'étendue doit être une identité. Je suis sûr que si Spinosa avoit trouvé un tel embarras dans une autre secte, il l'auroit jugée indigne de son attention ; mais il ne s'en est pas fait une affaire dans sa propre cause : tant il est vrai que ceux qui censurent le plus dédaigneusement les pensées des autres, sont fort indulgens envers eux-mêmes. Il se moquoit sans doute du mystère de la Trinité, & il admiroit qu'une infinité de gens osassent parler d'une nature formée de trois hypostases, lui, qui à proprement parler, donne à la nature divine autant de personnes qu'il y a de gens sur la terre ; il regardoit comme des fous ceux qui admettant la transubstantiation, disent qu'un homme peut être tout-à-la-fois en plusieurs lieux, vivre à Paris, être mort à Rome, &c. lui qui soutient que la substance étendue, unique, & indivisible, est tout-à-la-fois par-tout, ici froide, ailleurs chaude, ici triste, ailleurs gaie, &c.

S'il y a quelque chose de certain & d'incontestable dans les connoissances humaines, c'est cette proposition-ci : on ne peut affirmer véritablement d'un même sujet, aux mêmes égards, & en même tems, deux termes qui sont opposés ; par exemple, on ne peut pas dire sans mentir, Pierre se porte bien, Pierre est fort malade. Les spinosistes ruinent cette idée, & la justifient de telle sorte, qu'on ne sait plus où ils pourront prendre le caractere de la vérité : car si de telles propositions étoient fausses, il n'y en a point qu'on pût garantir pour vraies. Montrons que cet axiome est très-faux dans leur systême, & posons d'abord pour maxime incontestable que tous les titres que l'on donne à ce sujet, pour signifier ou tout ce qu'il fait, ou tout ce qu'il souffre, conviennent proprement & physiquement à la substance, & non pas à ses accidens. Quand nous disons le fer est dur, le fer est pesant, il s'enfonce dans l'eau ; nous ne prétendons point dire que sa dureté est dure, que sa pesanteur est pesante, &c. ce langage seroit très-impertinent ; nous voulons dire que la substance étendue qui le compose, résiste, qu'elle pese, qu'elle descend sous l'eau. De même quand nous disons qu'un homme nie, affirme, se fâche, caresse, loue, &c. nous faisons tomber tous ces attributs sur la substance même de son ame, & non pas sur ses pensées, entant qu'elles sont des accidens ou des modifications. S'il étoit donc vrai, comme le prétend Spinosa, que les hommes fussent des modalités de Dieu, on parleroit faussement quand on diroit, Pierre nie ceci, il veut ceci, il veut cela, il affirme une telle chose : car réellement, selon ce systême, c'est Dieu qui nie, qui veut, qui affirme, & par conséquent toutes les dénominations qui résultent de toutes les pensées des hommes, tombent proprement & physiquement sur la substance de Dieu : d'où il s'ensuit que Dieu hait & aime, nie & affirme les mêmes choses, en même tems, & selon toutes les conditions requises, pour faire que la regle que nous avons rapportée touchant les termes opposés, soit fausse : car on ne sauroit nier que selon toutes ces conditions prises en toute rigueur, certains hommes n'aiment & n'affirment, ce que d'autres hommes haïssent & nient. Passons plus avant : les termes contradictoires vouloir, & ne vouloir pas, conviennent, selon toutes ces conditions, en même tems, à différens hommes : il faut donc que dans le systême de Spinosa, ils conviennent à cette substance unique & indivisible qu'on nomme Dieu. C'est donc Dieu qui forme en même tems l'acte de vouloir, & qui ne le forme pas à l'égard d'un même objet. On vérifie donc de lui deux termes contradictoires, ce qui est le renversement des premiers principes de la métaphysique : un cercle quarré n'est pas plus une contradiction, qu'une substance qui aime & hait en même tems le même objet : voilà ce que c'est que la fausse délicatesse. Notre homme ne pouvoit souffrir les moindres obscurités, ni du péripatétisme, ni du judaïsme, ni du christianisme, & il embrassoit de tout son coeur une hypothése qui allie ensemble deux termes aussi opposés que la figure quarrée & la circulaire, & qui fait qu'une infinité d'attributs discordans & incompatibles, & toute la variété & l'antipathie des pensées du genre humain se certifient tout à-la-fois, d'une seule & même substance très-simple & indivisible. On dit ordinairement, quot capita, tot sensus ; mais selon Spinosa, tous les sentimens de tous les hommes sont dans une seule tête. Rapporter simplement de telles choses, c'est les réfuter.

4°. Mais si c'est physiquement parlant, une absurdité prodigieuse, qu'un sujet simple & unique soit modifié en même-tems par les pensées de tous les hommes, c'est une abomination exécrable quand on considere ceci du côté de la morale.

Quoi donc ! l'être infini, l'être nécessaire, souverainement parfait, ne sera point ferme, constant, & immuable ? que dis-je, immuable ? il ne sera pas un moment le même ; ses pensées se succéderont les unes aux autres, sans fin & sans cesse ; la même bigarrure de passions & de sentimens ne se verra pas deux fois : cela est dur à digérer. Voici bien pis : cette mobilité continuelle gardera beaucoup d'uniformités en ce sens, que toujours pour une bonne pensée, l'être infini en aura de mille sortes, d'extravagantes, d'impures, d'abominables ; il produira en lui-même toutes les folies, toutes les réveries, toutes les saletés, toutes les iniquités du genre humain ; il en sera non-seulement la cause efficiente, mais aussi le sujet passif ; il se joindra avec elles par l'union la plus intime que l'on puisse concevoir ; car c'est une union pénétrable, ou plutôt c'est une vraie identité, puisque le mode n'est point distinct réellement de la substance modifiée. Plusieurs grands philosophes ne pouvant comprendre qu'il soit compatible avec l'être souverainement bon, de souffrir que l'homme soit si méchant & si malheureux, ont supposé deux principes, l'un bon & l'autre mauvais ; & voici un philosophe qui trouve bon que Dieu soit bien lui-même & l'agent & le patient de tous les crimes, & de toutes les miseres de l'homme. Que les hommes se haïssent les uns les autres, qu'ils s'entr'assassinent au coin d'un bois, qu'ils s'assemblent en corps d'armée pour s'entretuer, que les vainqueurs mangent quelquefois les vaincus : cela se comprend, parce qu'ils sont distincts les uns des autres ; mais que les hommes n'étant que la modification du même être, n'y ayant par conséquent que Dieu qui agisse, & le même Dieu en nombre, qui se modifie en turc, en se modifiant en hongrois, il y ait des guerres & des batailles ; c'est ce qui surpasse tous les monstres & tous les déréglemens chimériques des plus folles têtes qu'on ait jamais enfermées dans les petites-maisons. Ainsi dans le systême de Spinosa, tous ceux qui disent, les Allemands, ont tué dix mille Turcs, parlent mal & faussement, à moins qu'ils n'entendent, Dieu modifié en Allemand a tué Dieu modifié en dix mille Turcs ; & ainsi toutes les phrases par lesquelles on exprime ce que font les hommes les uns contre les autres, n'ont point d'autre sens véritable que celui-ci, Dieu se hait lui-même, il se demande des graces à lui-même & se les refuse ; il se persécute, il se tue, il se mange, il se calomnie, il s'envoie sur l'échafaud. Cela seroit moins inconcevable, si Spinosa s'étoit représenté Dieu comme un assemblage de plusieurs parties distinctes ; mais il l'a réduit à la plus parfaite simplicité, à l'unité de substance, à l'indivisibilité. Il débite donc les plus infâmes & les plus furieuses extravagances, & infiniment plus ridicules que celles des poëtes touchant les dieux du paganisme.

5°. Encore deux objections. Il y a eu des philosophes assez impies pour nier qu'il y eût un Dieu, mais ils n'ont point poussé leur extravagance jusqu'à dire, que s'il existoit, il ne seroit point une nature parfaitement heureuse. Les plus grands Sceptiques de l'antiquité ont dit que tous les hommes ont une idée de Dieu, selon laquelle il est une nature vivante, heureuse, incorruptible, parfaite dans la félicité, & nullement susceptible de maux. C'étoit sans-doute une extravagance qui tenoit de la folie, que de ne pas réunir dans sa nature divine l'immortalité & le bonheur. Plutarque réfute très-bien cette absurdité des Stoïques : mais quelque folle que fût cette rêverie des Stoïciens, elle n'ôtoit point aux dieux leur bonheur pendant la vie. Les Spinosistes sont peut-être les seuls qui ayent réduit la divinité à la misere. Or, quelle misere ? Quelquefois si grande, qu'il se jette dans le desespoir, & qu'il s'anéantiroit s'il le pouvoit ; il y tâche, il s'ôte tout ce qu'il peut s'ôter ; il se pend, il se précipite ne pouvant plus supporter la tristesse affreuse qui le dévore. Ce ne sont point ici des déclamations, c'est un langage exact & philosophique ; car si l'homme n'est qu'une modification, il ne fait rien : ce seroit une phrase impertinente, boufonne, burlesque que de dire, la joie est gaie, la tristesse est triste. C'est une semblable phrase dans le systême de Spinosa que d'affirmer, l'homme pense, l'homme s'afflige, l'homme se pend, &c. Toutes ces propositions doivent être dites de la substance dont l'homme n'est que le mode. Comment a-t-on pu s'imaginer qu'une nature indépendante qui existe par elle-même & qui possede des perfections infinies, soit sujette à tous les malheurs du genre humain ? Si quelqu'autre nature la contraignoit à se donner du chagrin, à sentir de la douleur, on ne trouveroit pas si étrange qu'elle employât son activité à se rendre malheureuse ; on diroit, il faut bien qu'elle obéisse à une force majeure : c'est apparemment pour éviter un plus grand mal, qu'elle se donne la gravelle, la colique, la fievre chaude, la rage. Mais elle est seule dans l'univers, rien ne lui commande, rien ne l'exhorte, rien ne la prie. C'est sa propre nature, dit Spinosa, qui la porte à se donner elle-même en certaines circonstances un grand chagrin, & une douleur très-vive. Mais, lui répondrai-je, ne trouvez-vous pas quelque chose de monstrueux & d'inconcevable dans une telle fatalité ?

Les raisons très-fortes qui combattent la doctrine que nos ames sont une portion de Dieu, ont encore plus de solidité contre Spinosa. On objecte à Pythagoras dans un ouvrage de Cicéron, qu'il résulte de cette doctrine trois faussetés évidentes ; 1°. que la nature divine seroit déchirée en pieces ; 2°. qu'elle seroit malheureuse autant de fois que les hommes ; 3°. que l'esprit humain n'ignoreroit aucune chose, puisqu'il seroit Dieu.

6°. Je voudrois savoir à qui il en veut, quand il rejette certaines doctrines, & qu'il en propose d'autres. Veut-il apprendre des vérités ? Veut-il réfuter des erreurs ? Mais est-il en droit de dire qu'il y a des erreurs ? Les pensées des philosophes ordinaires, celles des juifs, celles des chrétiens ne sont-elles pas des modes de l'être infini, aussi-bien que celles de son éthique ? Ne sont-elles pas des réalités aussi nécessaires à la perfection de l'univers que toutes les spéculations ? N'émanent-elles pas de la cause nécessaire ? Comment donc ose-t-il prétendre qu'il y a là quelque chose à rectifier ? En second lieu, ne prétend-il pas que la nature dont elles sont les modalités, agit nécessairement, qu'elle va toujours son grand chemin, qu'elle ne peut ni se détourner, ni s'arrêter, ni qu'étant unique dans l'univers, aucune cause extérieure ne l'arrêtera jamais, ni ne le redressera ? Il n'y a donc rien de plus inutile que les leçons de ce philosophe ? C'est bien à lui qui n'est qu'une modification de substance à prescrire à l'Etre infini, ce qu'il faut faire. Cet être l'entendra-t-il ? Et s'il l'entendoit, pourroit-il en profiter ? N'agit-il pas toujours selon toute l'étendue de ses forces, sans savoir ni où il va, ni ce qu'il fait ? Un homme, comme Spinosa, se tiendroit en repos, s'il raisonnoit bien. S'il est possible qu'un tel dogme s'établisse, diroit-il, la nécessité de la nature l'établira sans mon ouvrage ; s'il n'est pas possible, tous mes écrits n'y feront rien.

Le systême de Spinosa choque si visiblement la raison, que ses plus grands admirateurs reconnoissent que s'il avoit enseigné les dogmes dont on l'accuse, il seroit digne d'exécration ; mais ils prétendent qu'on ne l'a pas entendu. Leurs apologies, loin de le disculper, font voir clairement que les adversaires de Spinosa l'ont tellement confondu & abysmé, qu'il ne leur reste d'autre moyen de leur répliquer que celui dont les Jansénistes se sont servis contre les Jésuites, qui est de dire que son sentiment n'est pas tel qu'on le suppose : voilà à quoi se réduisent ses apologistes. Afin donc qu'on voie que personne ne sauroit disputer à ses adversaires l'honneur du triomphe, il suffit de considérer qu'il a enseigné effectivement ce qu'on lui impute, & qu'il s'est contredit grossierement & n'a su ce qu'il vouloit. On lui fait un crime d'avoir dit que tous les êtres particuliers sont des modifications de Dieu. Il est manifeste que c'est sa doctrine, puisque sa proposition 14e est celle-ci, praeter Deum nulla dari neque concipi potest substantia, & qu'il assûre dans la 15e, quidquid est, in Deo est, & nihil sine Deo neque esse neque concipi potest. Ce qu'il prouve par la raison que tout est mode ou substance, & que les modes ne peuvent exister ni être conçus sans la substance. Quand donc un apologiste de Spinosa parle de cette maniere, s'il étoit vrai que Spinosa eût enseigné que tous les êtres particuliers sont des modes de la substance divine, la victoire de ses adversaires seroit complete , & je ne voudrois pas la leur contester, je ne leur conteste que le fait, je ne crois pas que la doctrine qu'ils ont réfutée soit dans son livre. Quand, dis-je, un apologiste parle de la sorte, que lui manque-t-il ? qu'un aveu formel de la défaite de son héros ; car évidemment le dogme en question est dans la morale de Spinosa.

Il ne faut pas oublier que cet impie n'a point méconnu les dépendances inévitables de son systême, car il s'est moqué de l'apparition des esprits, & il n'y a point de philosophie qui ait moins droit de la nier ; il doit reconnoître que tout pense dans la nature, & que l'homme n'est point la plus éclairée & la plus intelligente modification de l'univers : il doit donc admettre des démons. Quand on suppose qu'un esprit souverainement parfait a tiré les créatures du sein du néant, sans y être déterminé par sa nature, mais par un choix libre de son bon plaisir, on peut nier qu'il y ait des anges. Si vous demandez pourquoi un tel créateur n'a point produit d'autres esprits que l'ame de l'homme, on vous répondra, tel a été son bon plaisir, stat pro ratione voluntas : vous ne pourrez opposer rien de raisonnable à cette réponse, à-moins que vous ne prouviez le fait, c'est-à-dire qu'il y a des anges. Mais quand on suppose que le Créateur n'a point agi librement, & qu'il a épuisé sans choix ni regle toute l'étendue de sa puissance, & que d'ailleurs la pensée est l'un de ses attributs, on est ridicule si l'on soutient qu'il n'y a pas des démons. On doit croire que la pensée du Créateur s'est modifiée non-seulement dans le corps des hommes, mais aussi par tout l'univers, & qu'outre les animaux que nous connoissons, il y en a une infinité que nous ne connoissons pas, & qui nous surpassent en lumieres & en malice, autant que nous surpassons, à cet égard, les chiens & les boeufs. Car ce seroit la chose du monde la moins raisonnable que d'aller s'imaginer que l'esprit de l'homme est la modification la plus parfaite qu'un Etre infini, agissant selon toute l'étendue de ses forces, a pu produire. Nous ne concevons nulle liaison naturelle entre l'entendement & le cerveau, c'est pourquoi nous devons croire qu'une créature sans cerveau est aussi capable de penser, qu'une créature organisée comme nous le sommes. Qu'est-ce donc qui a pu porter Spinosa à nier ce que l'on dit des esprits ? Pourquoi a-t-il cru qu'il n'y a rien dans le monde qui soit capable d'exciter dans notre machine la vue d'un spectre, de faire du bruit dans une chambre, & de causer tous les phénomenes magiques dont les livres font mention ? Est-ce qu'il a cru que, pour produire ces effets, il faudroit avoir un corps aussi massif que celui de l'homme, & qu'en ce cas-là les démons ne pourroient pas subsister en l'air, ni entrer dans nos maisons, ni se dérober à nos yeux ? Mais cette pensée seroit ridicule : la masse de chair dont nous sommes composés, est moins une aide qu'un obstacle à l'esprit & à la force : j'entends la force médiate, ou la faculté d'appliquer les instrumens les plus propres à la production des grands effets. C'est de cette faculté que naissent les actions les plus surprenantes de l'homme ; mille & mille exemples le font voir. Un ingénieur, petit comme un nain, maigre, pâle, fait plus de choses que n'en feroient deux mille sauvages plus forts que Milon. Une machine animée plus petite dix mille fois qu'une fourmi, pourroit être plus capable de produire de grands effets qu'un éléphant : elle pourroit découvrir les parties insensibles des animaux & des plantes, & s'aller placer sur le siege des premiers ressorts de notre cerveau, & y ouvrir des valvules, dont l'effet seroit que nous vissions des fantômes & entendissions du bruit. Si les Médecins connoissoient les premieres fibres & les premieres combinaisons des parties dans les végétaux, dans les minéraux, dans les animaux, ils connoîtroient aussi les instrumens propres à les déranger, & ils pourroient appliquer ces instrumens comme il seroit nécessaire pour produire de nouveaux arrangemens qui convertiroient les bonnes viandes en poison, & les poisons en bonnes viandes. De tels médecins seroient sans comparaison plus habiles qu'Hippocrate ; & s'ils étoient assez petits pour entrer dans le cerveau & dans les visceres, ils guériroient qui ils voudroient, & ils causeroient aussi quand ils voudroient les plus étranges maladies qui se puissent voir. Tout se réduit à cette question ; est-il possible qu'une modification invisible ait plus de lumieres que l'homme & plus de méchanceté ? Si Spinosa prend la négative, il ignore les conséquences de son hypothese, & se conduit témérairement & sans principes.

S'il eût raisonné conséquemment, il n'eût pas aussi traité de chimérique la peur des enfers. Qu'on croye tant qu'on voudra que cet univers n'est point l'ouvrage de Dieu, & qu'il n'est point dirigé par une nature simple, spirituelle & distincte de tous les corps, il faut pour le moins que l'on avoue qu'il y a certaines choses qui ont de l'intelligence & des volontés, & qui sont jalouses de leur pouvoir, qui exercent leur autorité sur les autres, qui leur commandent ceci ou cela, qui les châtient, qui les maltraitent, qui se vengent sévérement. La terre n'est - elle pas pleine de ces sortes de choses ? Chaque homme ne le sait-il pas par expérience ? De s'imaginer que tous les êtres de cette nature se soient trouvés précisément sur la terre, qui n'est qu'un point en comparaison de ce monde, c'est assurément une pensée tout - à - fait déraisonnable. La raison, l'esprit, l'ambition, la haine, seroient plutôt sur la terre que par-tout ailleurs. Pourquoi cela ? En pourroit - on donner une cause bonne ou mauvaise ? Je ne le crois pas. Nos yeux nous portent à être persuadés que ces espaces immenses, que nous appellons le ciel, où il se fait des mouvemens si rapides & si actifs, sont aussi capables que la terre de former des hommes, & aussi dignes que la terre d'être partagés en plusieurs dominations. Nous ne savons pas ce qui s'y passe ; mais si nous ne consultons que la raison, il nous faudra croire qu'il est très-probable, ou du-moins possible, qu'il s'y trouve des êtres puissans qui étendent leur empire, aussi-bien que leur lumiere sur notre monde. Nous sommes peut-être une portion de leur seigneurie : ils font des loix, ils nous les révelent par les lumieres de la conscience, & ils se fâchent violemment contre ceux qui les transgressent. Il suffit que cela soit possible pour jetter dans l'inquiétude les athées, & il n'y a qu'un bon moyen de ne rien craindre, c'est de croire la mortalité de l'ame. On échapperoit par-là à la colere de ces esprits, mais autrement ils pourroient être plus redoutables que Dieu lui-même. En mourant on pourroit tomber sous le pouvoir de quelque maître farouche, c'est en vain qu'ils espéreroient d'en être quittes pour quelques années de tourment. Une nature bornée peut n'avoir aucune sorte de perfection morale, ne suivre que son caprice & sa passion dans les peines qu'elle inflige. Elle peut bien ressembler à nos Phalaris & à nos Nérons, gens capables de laisser leur ennemi dans un cachot éternellement, s'ils avoient pû posséder une autorité éternelle. Espérera-t-on que les êtres malfaisans ne dureront pas toujours ? Mais combien y a-t-il d'athées qui prétendent que le soleil n'a jamais eu de commencement, & qu'il n'aura point de fin ?

Pour appliquer tout ceci à un spinosiste, souvenons-nous qu'il est obligé par son principe à reconnoître l'immortalité de l'ame, car il se regarde comme la modalité d'un être essentiellement pensant ; souvenons-nous qu'il ne peut nier qu'il n'y ait des modalités qui se fâchent contre les autres, qui les mettent à la gêne, à la question, qui font durer leurs tourmens autant qu'elles peuvent, qui les envoyent aux galeres pour toute leur vie, & qui feroient durer ce supplice éternellement si la mort n'y mettoit ordre de part & d'autre. Tibere & Caligula, monstres affamés de carnages, en sont des exemples illustres. Souvenons-nous qu'un spinosiste se rend ridicule, s'il n'avoue que tout l'univers est rempli de modalités ambitieuses, chagrines, jalouses, cruelles. Souvenons - nous enfin que l'essence des modalités humaines ne consiste pas à porter de grosses pieces de chair. Socrate étoit Socrate le jour de sa conception ou peu après ; tout ce qu'il avoit en ce tems-là peut subsister en son entier après qu'une maladie mortelle a fait cesser la circulation du sang & le mouvement du coeur dans la matiere dont il s'étoit aggrandi : il est donc après sa mort la même modalité qu'il étoit pendant sa vie, à ne considérer que l'essentiel de sa personne ; il n'échappa donc point par la mort à la justice, ou au caprice de ses persécuteurs invisibles. Ils peuvent le suivre partout où il ira, & le maltraiter sous les formes visibles qu'il pourra acquérir.

M. Bayle appliqué sans-cesse à faire voir l'inexactitude des idées des partisans de Spinosa, prétend que toutes leurs disputes sur les miracles n'est qu'un misérable jeu de mots, & qu'ils ignorent les conséquences de leur systême, s'ils en nient la possibilité. Pour faire voir, dit-il, leur mauvaise foi, & leurs allusions sur cette matiere, il suffit de dire que quand ils rejettent la possibilité des miracles, ils alleguent cette raison, c'est que Dieu & la nature sont le même être : desorte que si Dieu faisoit quelque chose contre les loix de la nature, il feroit quelque chose contre lui-même, ce qui est impossible. Parlez nettement & sans équivoque, dites que les loix de la nature n'ayant pas été faites par un législateur libre, & qui connût ce qu'il faisoit, mais étant l'action d'une cause aveugle & nécessaire, rien ne peut arriver qui soit contraire à ces loix. Vous alléguerez alors contre les miracles votre propre these : ce sera la pétition du principe, mais au-moins vous parlerez rondement. Tirons-les de cette généralité, demandons-leur ce qu'ils pensent des miracles rapportés dans l'Ecriture. Ils en nieront absolument tout ce qu'ils n'en pourront pas attribuer à quelque tour de souplesse. Laissons-leur passer le front d'airain qu'il faut avoir pour s'inscrire en faux contre des faits de cette nature, attaquons-les par leurs principes. Ne dites-vous pas que la puissance de la nature est infinie ? & la seroit-elle s'il n'y avoit rien dans l'univers qui pût redonner la vie à un homme mort ? la seroit-elle s'il n'y avoit qu'un seul moyen de former des hommes, celui de la génération ordinaire ? Ne dites pas que la connoissance de la nature est infinie. Vous niez cet entendement divin, où, selon nous, la connoissance de tous les êtres possibles est réunie ; mais en dispersant la connoissance, vous ne niez point son infinité. Vous devez donc dire que la nature connoît toutes choses, à-peu-près comme nous disons que l'homme entend toutes les langues. Un seul homme ne les entend pas toutes, mais les uns entendent celle-ci & les autres celle-là. Pouvez-vous nier que l'univers ne contienne rien qui connoisse la construction de notre corps ? Si cela étoit, vous tomberiez en contradiction, vous ne reconnoîtriez plus que la connoissance de Dieu fût partagée en une infinité de manieres : l'artifice de nos organes ne lui seroit point connu. Avouez donc, si vous voulez raisonner conséquemment, qu'il y a quelque modification qui le connoît ; avouez qu'il est très-possible à la nature de ressusciter un mort, & que votre maître confondoit lui-même ses idées, ignoroit les suites de son principe lorsqu'il disoit, que s'il eût pû se persuader la résurrection du Lazare, il auroit brisé en pieces tout son systême, il auroit embrassé sans répugnance la foi ordinaire des Chrétiens. Cela suffit pour prouver à ces gens-là qu'ils démentent leurs hypothèses lorsqu'ils nient la possibilité des miracles, je veux dire, afin d'ôter toute équivoque, la possibilité des événemens racontés dans l'Ecriture.

Plusieurs personnes ont prétendu que M. Bayle n'avoit nullement compris la doctrine de Spinosa, ce qui doit paroître bien étrange d'un esprit aussi subtil & aussi pénétrant. M. Bayle a prouvé, mais aux dépens de ce systême qu'il l'avoit parfaitement compris. Il lui a porté de nouveaux coups que n'ont pu parer les spinosistes. Voici comme il raisonne. J'attribue à Spinosa d'avoir enseigné, 1°. qu'il n'y a qu'une substance dans l'univers ; 2°. que cette substance est Dieu ; 3°. que tous les êtres particuliers, le soleil, la lune, les plantes, les bêtes, les hommes, leurs mouvemens, leurs idées, leurs imaginations, leurs desirs, sont des modifications de Dieu. Je demande présentement aux spinosistes, votre maître a-t-il enseigné cela, ou ne l'a-t-il pas enseigné ? S'il l'a enseigné, on ne peut point dire que mes objections aient le défaut qu'on nomme ignoratio elenchi, ignorance de l'état de la question. Car elles supposent que telle a été sa doctrine, & ne l'attaquent que sur ce pié-là. Je suis donc hors d'affaire, & l'on se trompe toutes les fois que l'on débite que j'ai refuté ce que je n'ai pas compris. Si vous dites que Spinosa n'a point enseigné les trois doctrines ci-dessus articulées, je vous demande, pourquoi donc s'exprimoit-il comme ceux qui auroient eu la plus forte passion de persuader au lecteur qu'ils enseignoient ces trois choses ? Est-il beau & louable de se servir du style commun, sans attacher aux paroles les mêmes idées que les autres hommes, & sans avertir du sens nouveau auquel on les prend ? Mais pour discuter un peu ceci, cherchons où peut être la méprise. Ce n'est pas à l'égard du mot substance que je me serois abusé, car ce n'ai point combattu le sentiment de Spinosa sur ce point-là, je lui ai laissé passer ce qu'il suppose que pour mériter le nom de substance il faut être indépendant de toute cause, ou exister par soi-même éternellement nécessairement. Je ne pense pas que j'aie pû m'abuser en lui imputant de dire, qu'il n'y a que Dieu qui ait la nature de substance. S'il y avoit donc de l'abus dans mes objections, il consisteroit uniquement en ce que j'aurois entendu par modalités, modifications, modes, ce que Spinosa n'a point voulu signifier par ces mots-là, mais encore un coup, si je m'y étois abusé, ce seroit sa faute. J'ai pris ces termes comme on les a toujours entendus. La doctrine générale des philosophes est que l'idée d'être contient sous soi immédiatement deux especes, la substance & l'accident, & que la substance subsiste par elle-même, ens per se subsistens, & que l'accident subsiste dans un autre, ens in alio. Or subsister par soi, dans leurs idées, c'est ne dépendre que de quelque sujet d'inhésion ; & comme cela convient, selon eux, à la matiere, aux anges, à l'ame de l'homme, ils admettent deux sortes de substances, l'une incréée, l'autre créée, & ils subdivisent en deux especes la substance créée ; l'une de ces deux especes est la matiere, l'autre est notre ame. Pour ce qui regarde l'accident, il dépend si essentiellement de son sujet d'inhésion, qu'il ne sauroit subsister sans lui ; c'est son caractere spécifique. Descartes l'a toujours ainsi entendu. Or puisque Spinosa avoit été grand cartésien, la raison veut que l'on croie qu'il a donné à ces termes là le même sens que Descartes. Si cela est, il n'entend par modification de substance qu'une façon d'être qui a la même relation à la substance par la figure, le mouvement, le repos, la situation à la matiere, &c. que la douleur, l'affirmation, l'amour, &c. à l'ame de l'homme : car voilà ce que les Cartésiens appellent modes. Mais en supposant une fois que la substance est ce qui existe de soi, indépendamment de toute cause efficiente, il n'a pas dû dire que la matiere, ni que les hommes fussent des substances ; & puisque, selon la doctrine commune, il ne divisoit l'être qu'en deux especes, savoir en substance & en modification de substance, il a dû dire que la matiere, & que l'ame des hommes n'étoient que des modifications de substance, qu'il n'y a qu'une seule substance dans l'univers, & que cette substance est Dieu. Il ne sera plus question que de savoir s'il subdivise en deux especes la modification de substance. En cas qu'il se serve de cette subdivision, & qu'il veuille que l'une de ces deux especes soit ce que les cartésiens & les autres philosophes chrétiens nomment substance créée, & que l'autre espece soit ce qu'ils nomment accident ou mode, il n'y aura plus qu'une dispute de mot entre lui & eux, & il sera très-aisé de ramener à l'orthodoxie tout son systême, & de faire évanouir toute sa secte ; car on ne veut être spinosiste qu'à cause qu'on croit qu'il a renversé de fond en comble le systême des Chrétiens & l'existence d'un Dieu immatériel & gouvernant toutes choses avec une souveraine liberté. D'où nous pouvons conclure en passant, que les spinosistes & leurs adversaires s'accordent parfaitement bien dans le sens du mot modification de substance. Ils croyent les uns les autres que Spinosa ne s'en est servi que pour désigner un être qui a la même nature que ce que les Cartésiens appellent mode, & qu'il n'a jamais entendu par ce mot là un être qui eût les propriétés ou la nature de ce que nous appellons substance créée.

Si l'on veut toucher la question au vif, voici comme on doit raisonner avec un spinosiste. Le vrai & le propre caractere de la modification convient-il à la matiere par rapport à Dieu, ou ne lui convient-il point ? Avant de me répondre, attendez que je vous explique par des exemples ce que c'est que le caractere propre de la modification. C'est d'être dans un sujet de la maniere que le mouvement est dans le corps & la pensée dans l'ame de l'homme. Il ne suffit pas pour être une modification de la substance divine, de subsister dans l'immensité de Dieu, d'en être pénétré, entouré de toutes parts, d'exister par la vertu de Dieu, de ne pouvoir exister ni sans lui, ni hors de lui. Il faut de plus que la substance divine soit le sujet d'inhérence d'une chose, tout comme selon l'opinion commune l'ame humaine est le sujet d'inhérence du sentiment & de la douleur, & le corps le sujet d'inhérence du mouvement, du repos & de la figure. Répondez présentement ; & si vous dites que, selon Spinosa, la substance de Dieu n'est pas de cette maniere, le sujet d'inhérence de cette étendue, ni du mouvement, ni des pensées humaines ; je vous avouerai que vous en faites un philosophe orthodoxe qui n'a nullement mérité qu'on lui fît les objections qu'on lui a faites, & qui méritoit seulement qu'on lui reprochât de s'être fort tourmenté pour embarrasser une doctrine que tout le monde savoit, & pour forger un nouveau systême, qui n'étoit bâti que sur l'équivoque d'un mot. Si vous dites qu'il a prétendu que la substance divine est le sujet d'inhérence de la matiere & de toutes les diversités de l'étendue & de la pensée, au même sens que, selon Descartes, l'étendue est le sujet d'inhérence du mouvement, l'ame de l'homme est le sujet d'inhérence des sensations & des passions ; j'ai tout ce que je demande, c'est ainsi que j'ai entendu Spinosa, c'est là-dessus que toutes mes objections sont fondées.

Le précis de tout ceci est une question de fait touchant le vrai sens du mot modification dans le systême de Spinosa. Le faut-il prendre pour la même chose qu'une substance créée, ou le faut-il prendre au sens qu'il a dans le systême de M. Descartes ? Je crois que le bon parti est le dernier, car dans l'autre sens Spinosa auroit reconnu des créatures distinctes de la substance divine, qui eussent été faites ou de rien ou d'une maniere distincte de Dieu. Or il seroit facile de prouver par un grand nombre de passages de ses livres, qui n'admet ni l'une, ni l'autre de ces deux choses. L'étendue, selon lui, est un attribut de Dieu. Il s'ensuit de-là que Dieu essentiellement, éternellement, nécessairement est une substance étendue, & que l'étendue lui est aussi propre que l'existence ; d'où il résulte que les diversités particulieres de l'étendue, qui sont le soleil, la terre, les arbres, les corps des bêtes, les corps des hommes sont en Dieu, comme les philosophes de l'école supposent qu'elles sont dans la matiere premiere. Or si ces philosophes supposoient que la matiere premiere est une substance simple & parfaitement unique, ils concluroient que le soleil & la terre sont réellement la même substance. Il faut donc que Spinosa conclue la même chose. S'il ne disoit pas que le soleil est composé de l'étendue de Dieu, il faudroit qu'il avouât que l'étendue du soleil a été faite de rien ; mais il nie la création : il est donc obligé de dire que la substance de Dieu est la cause matérielle du soleil, ce qui compose le soleil, subjectum ex quo ; & par conséquent que le soleil n'est pas distingué de Dieu, que c'est Dieu lui - même, & Dieu tout entier, puisque, selon lui, Dieu n'est point un être composé de parties. Supposons pour un moment qu'une masse d'or ait la force de se convertir en assiettes, en plats, en chandeliers, en écuelles, &c. elle ne sera point distincte de ces assiettes & de ces plats : & si l'on ajoute qu'elle est une masse simple & non composée de parties, il sera certain qu'elle est toute dans chaque assiette & dans chaque chandelier ; car si elle n'y étoit point toute, elle seroit partagée en diverses pieces ; elle seroit donc composée de parties, ce qui est contre la supposition. Alors ces propositions réciproques ou convertibles seroient véritables, le chandelier est la masse d'or, la masse d'or est le chandelier. Voilà l'image du Dieu de Spinosa, il a la force de se changer ou de se modifier en terre, en lune, en mer, en arbre, &c. & il est absolument un, & sans nulle composition de parties. Il est donc vrai qu'on peut assurer que la terre est Dieu, que la lune est Dieu, que la terre est Dieu tout entier, que la lune l'est aussi, que Dieu est la terre, que Dieu tout entier est la lune.

On ne peut trouver que ces trois manieres, selon lesquelles les modifications de Spinosa soient en Dieu ; mais aucune de ces manieres n'est ce que les autres philosophes disent de la substance créée. Elle est en Dieu, disent-ils, comme dans sa cause efficiente, & par conséquent elle est distincte de Dieu réellement & totalement. Mais, selon Spinosa, les créatures sont en Dieu, ou comme l'effet dans la cause materielle, ou comme l'accident dans son sujet d'inhésion, ou comme la forme du chandelier dans l'étain dont on le compose. Le soleil, la lune, les arbres en tant que ce sont des choses à trois dimensions, sont en Dieu comme dans la cause matérielle dont leur étendue est composée : il y a donc identité entre Dieu & le soleil, &c. Les mêmes arbres en tant qu'ils ont une forme qui les distingue des pierres, sont en Dieu, comme la forme du chandelier est dans l'étain. Etre chandelier n'est qu'une maniere d'être de l'étain. Le mouvement des corps & des pensées des hommes sont en Dieu, comme les accidens des péripatéticiens sont dans sa substance créée. Ce sont des entités inhérentes à leur sujet, & qui n'en sont point composées, & qui n'en font point partie.

Un apologiste de Spinosa soutient que ce philosophe n'attribue point à Dieu l'étendue corporelle, mais seulement une étendue intelligible, & qui n'est point imaginable. Mais si l'étendue des corps que nous voyons & que nous imaginons n'est point l'étendue de Dieu, d'où est-elle venue, comment a-t-elle été faite ? Si elle a été produite de rien, Spinosa est orthodoxe, son systême devient nul. Si elle a été produite de l'étendue intelligible de Dieu, c'est encore une vraie création, car l'étendue intelligible n'étant qu'une idée, & n'ayant point réellement les trois dimensions, ne peut point fournir l'étoffe ou la matiere de l'étendue formellement existante hors de l'entendement. Outre que si l'on distingue deux especes d'étendue, l'une intelligible, qui appartient à Dieu, l'autre imaginable, qui appartient aux corps, il faudra aussi admettre deux sujets de ces étendues distincts l'un de l'autre, & alors l'unité de substance est renversée, tout l'édifice de Spinosa va par terre.

M. Bayle, comme on peut le voir par tout ce que nous avons dit, s'est principalement attaché à la supposition que l'étendue n'est pas un être composé, mais une substance unique en nombre. La raison qu'il en donne, c'est que les spinosistes témoignent que ce n'est pas là en quoi consistent les difficultés. Ils croyent qu'on les embarrasse beaucoup plus, lorsqu'on leur demande comment la pensée & l'étendue se peuvent unir dans une même substance. Il y a quelque bisarrerie là-dedans. Car s'il est certain par les notions de notre esprit que l'étendue & la pensée n'ont aucune affinité l'une avec l'autre, il est encore plus évident que l'étendue est composée de parties réellement distinctes l'une de l'autre, & néanmoins ils comprennent mieux la premiere difficulté que la seconde, & ils traitent celle-ci de bagatelle en comparaison de l'autre. M. Bayle les ayant si bien battus par l'endroit de leur systême, qu'ils pensoient n'avoir pas besoin d'être secourus, comment repousseront-ils les attaques aux endroits foibles ? Ce qui doit surprendre, c'est que Spinosa respectant si peu la raison & l'évidence, ait eu des partisans & des sectateurs de son systême. C'est sa méthode spécieuse qui les a trompés, & non pas, comme il arrive quelquefois, un éclat de principes séduisans. Ils ont cru que celui qui employoit la géométrie, qui procédoit par axiomes, par définitions, par théoremes & par lemmes, suivoit trop bien la marche de la vérité, pour ne trouver que l'erreur au lieu d'elle. Ils ont jugé du fond sur les apparences, décision précipitée qu'inspire notre paresse. Ils n'ont pas vu que ces axiomes n'étoient que des propositions très-vagues, très-incertaines, que ces définitions étoient inexactes, bisarres & défectueuses, que leur chef alloit enfin au milieu des parallogismes où sa présomption & ses fantaisies le conduisoient.

Le premier point d'égarement, qui est la source de l'erreur, se trouve dans la définition que Spinosa donne de la substance. J'entends par la substance, dit-il, ce qui est en soi & est conçu par soi-même, c'est-à-dire, ce dont la corruption n'a pas besoin de la conception d'une autre chose dont elle doive être formée. Cette définition est captieuse, car elle peut recevoir un sens vrai & faux : ou Spinosa définit la substance par rapport aux accidens, ou par rapport à l'existence ; or de quelque maniere qu'il la définisse, sa définition est fausse, ou du moins lui devient inutile. Car 1°. s'il définit la substance par rapport aux accidens, on pourra conclure de cette définition que la substance est un être qui subsiste par lui-même indépendamment d'un sujet d'inhésion. Or Spinosa ne peut faire servir une telle définition à démontrer qu'il n'y a dans le monde qu'une seule & unique substance. Il est évident que les arbres, les pierres, les anges, les hommes existent indépendamment d'un sujet d'inhérence. 2°. Si Spinosa définit la substance par rapport à l'existence, sa définition est encore fausse. Cette définition bien entendue, signifie que la substance est une chose, dont l'idée ne dépend point d'une autre idée, & qui ne suppose rien qui l'ait formée, mais renferme une existence nécessaire ; or cette définition est fausse, car ou Spinosa veut dire par ce langage mystérieux, que l'idée même de la substance, autrement l'essence & la définition de la substance, est indépendante de toute cause, ou bien que la substance existante subsiste tellement par elle-même qu'elle ne peut dépendre d'aucune cause. Le premier sens est trop ridicule, & d'ailleurs trop inutile à Spinosa, pour croire qu'il l'ait eu dans l'esprit ; car ce sens se reduiroit à dire, que la définition de la substance ne peut produire une autre définition de substance, ce qui est absurde & impertinent. Quelque peu conséquent que soit Spinosa, je ne croirai jamais qu'il employe une telle définition de la substance, pour prouver qu'une substance n'en peut produire une autre, comme si cela étoit impossible ; sous prétexte qu'une définition de substance ne peut produire une autre définition de substance. Il faut donc que Spinosa, par sa définition entortillée de la substance, ait voulu dire que la substance existe tellement par elle - même, qu'elle ne peut dépendre d'aucune cause. Or c'est cette définition que tous les philosophes attaquent. Ils vous diront bien que la définition de la substance est simple & indivisible, sur-tout si on la considere par opposition au néant ; mais ils vous nieront qu'il n'y ait qu'une substance. Autre chose est de dire qu'il n'y a qu'une seule définition de substance, & autre chose, qu'il n'y a qu'une substance.

En mettant à-part les idées de métaphysique, & ces noms d'essence, d'existence, de substance, qui n'ont aucune distinction réelle entr'elles, mais seulement dans les diverses conceptions de l'entendement ; il faudra, pour parler plus intelligiblement & plus humainement, dire, que puisqu'il y a deux sortes d'existences, l'une nécessaire, & l'autre contingente, il y a aussi de toute nécessité deux sortes de substances, l'une qui existe nécessairement, & qui est Dieu, & l'autre qui n'a qu'une existence empruntée de ce premier être, & de laquelle elle ne jouit que par sa vertu, qui sont les créatures. La définition de Spinosa ne vaut donc rien du tout ; elle confond ce qui doit être nécessairement distingué, l'essence, qu'il nomme substance, avec l'existence. La définition qu'il apporte pour prouver qu'une substance n'en peut produire une autre, est aussi ridicule que ce raisonnement qu'on feroit pour prouver qu'un homme est un cercle : Par homme, j'entends une figure ronde ; or le cercle est une figure ronde, donc l'homme est un cercle. Car voici comme raisonne Spinosa : il me plaît d'entendre par substance ce qui n'a point de cause ; or ce qui est produit par un autre a une cause, donc une substance ne peut être produite par une autre substance.

La définition qu'il donne du fini & de l'infini n'est pas plus heureuse. Une chose est finie, selon lui, quand elle peut être terminée par une chose de la même nature. Ainsi un corps est dit fini, parce que nous en concevons un plus grand que lui ; ainsi la pensée est terminée par une autre pensée. Mais le corps n'est point terminé par la pensée, ainsi que la pensée ne l'est point par le corps. On peut supposer deux sujets différens, dont l'un ait une connoissance infinie d'un objet, & l'autre n'en ait qu'une connoissance finie. La connoissance infinie du premier ne donne point l'exclusion à la connoissance finie du second. De ce qu'un être connoît toutes les propriétés & tous les rapports d'une chose, ce n'est pas une raison, pour qu'un autre n'en puisse du - moins saisir quelques rapports & quelques propriétés. Mais, dira Spinosa, les degrés de connoissance qui se trouvent dans l'être fini, n'étant point ajoutés à cette connoissance que nous supposons infinie, elle ne peut pas l'être. Pour répondre à cette objection, qui n'est qu'une pure équivoque, je demande, si les degrés de la connoissance finie ne se trouvent pas dans la connoissance infinie, on ne sauroit le nier. Ce ne seroit pas à la vérité les mêmes degrés numériques, mais ce seront les mêmes spécifiquement, c'est-à-dire, qu'ils seront semblables. Or il n'en faut pas davantage pour la connoissance infinie. Quant aux degrés infinis dont elle est composée, on ajouteroit encore tous les degrés qui se trouvent épars & désunis dans toutes les connoissances finies, elle n'en deviendroit pas plus parfaite ni plus étendue. Si j'avois précisément le même fonds de connoissances que vous sur quelqu'objet, en deviendrois - je plus habile & mes lumieres plus étendues, parce qu'on ajouteroit vos connoissances numériques à celles que je possede déja ? Vos connoissances étant absolument semblables aux miennes, cette répétition de la même science ne me rendroit pas plus savant. Donc une connoissance infinie n'exige point les degrés finis des autres connoissances ; donc une chose n'est pas précisément finie, parce qu'il existe d'autres êtres de la même nature.

Ses raisonnemens sur l'infini ne sont pas plus justes. Il appelle infini, ce dont on ne peut rien nier, & ce qui renferme en soi formellement toutes les réalités possibles. Si on lui passe cette définition, il est clair qu'il lui sera aisé de prouver qu'il n'y a dans le monde qu'une substance unique, & que cette substance est Dieu, & que toutes choses sont les modes de cette substance. Mais comme il n'a pas prouvé cette définition, tout ce qu'il bâtit dessus, n'a qu'un fondement ruineux. Pour que Dieu soit infini, il n'est pas nécessaire qu'il renferme en lui toutes les réalités possibles qui sont finies & bornées, mais seulement les réalités & perfections possibles qui sont immenses & infinies : ou, si l'on veut, pour parler le langage ordinaire de l'école, qu'il renferme éminemment toutes les réalités & les perfections possibles ; c'est - à - dire, que toutes les perfections & réalités qui se rencontrent dans les individus de chaque être que Dieu peut former, se trouvent en lui dans un degré éminent & souverain : d'où il ne s'ensuit pas que la substance de Dieu renferme la substance des individus sortis de ses mains.

Les axiomes de Spinosa ne sont pas moins faux & captieux que ses définitions : choisissons ces deux qui sont les principaux : La connoissance de l'effet dépend de la connoissance de la cause, & la renferme nécessairement : Des choses qui n'ont rien de commun entre elles, ne peuvent servir à se faire connoître mutuellement. On sent tout-d'un-coup le captieux de ces deux axiomes ; & pour commencer par le premier, voici comme je raisonne. On peut considérer l'effet de deux manieres, en-tant qu'il est formellement un effet, ou matériellement, c'est-à-dire, tout simplement, entant qu'il est en lui-même. Il est vrai que l'effet considéré formellement comme effet, ne peut être connu séparément de la cause, selon cet axiome des écoles, correlata sunt simul cognitione. Mais si vous prenez l'effet en lui-même, il peut être connu par lui-même. L'axiome de Spinosa est donc captieux, en ce qu'il ne distingue pas entre les différentes manieres dont on peut envisager l'effet. D'ailleurs, quand Spinosa dit que la connoissance de l'effet dépend de la connoissance de la cause & qu'elle la renferme, veut - il dire que la connoissance de l'effet entraîne nécessairement une connoissance parfaite de la cause ? Mais en ce sens, l'axiome est très-faux, puisque l'effet ne contient pas toutes les perfections de la cause, qu'il peut avoir une nature très-différente de la sienne : savoir si la cause agit par sa seule volonté ; car tel sera l'effet qu'il plaira à la volonté de le produire. Mais si Spinosa prétend seulement que l'idée de l'effet est relative à l'idée de la cause, l'axiome de Spinosa est vrai alors, mais inutile au but qu'il se propose ; car, en partant de ce principe, il ne trouvera jamais qu'une substance n'en puisse produire une autre dont la nature & les attributs seront différens. Je dis plus : de ce que l'idée de l'effet est relative à l'idée de la cause, il s'ensuit dans les principes de Spinosa, qu'une substance douée d'attributs différens peut être la cause d'une autre substance. Car Spinosa reconnoît que deux choses dont l'une est cause de l'autre, servent mutuellement à se faire connoître : or, si l'idée de l'effet est relative à l'idée de la cause, il est évident que deux substances de différent attribut pourront se faire connoître réciproquement, pourvu que l'une soit la cause de l'autre, non pas qu'elles aient une même nature & les mêmes attributs, puisqu'on les suppose différens ; mais par le rapport qu'il y a de la cause à l'effet. Pour l'autre axiome, il n'est pas moins faux que le précédent : car, quand Spinosa dit, que les choses qui n'ont rien de commun entre elles, ne peuvent servir à se faire connoître réciproquement ; par le mot de commun, il entend une même nature spécifique. Or l'axiome pris en ce sens, est très-faux ; puisque, soit les attributs génériques, soit la relation de la cause à l'effet, peuvent les faire connoître les uns par les autres.

Examinons maintenant les principales propositions qui forment le systême de Spinosa. Il dit dans sa seconde, que deux substances ayant des attributs différens, n'ont rien de commun entr'elles. Dans la démonstration de cette proposition, il n'allegue d'autre preuve que la définition qu'il a donnée de la substance, laquelle étant fausse, on n'en peut rien légitimement conclure, & par conséquent cette proposition est nulle. Mais afin d'en faire mieux comprendre le faux, il n'y a qu'à considérer l'existence & l'essence d'une chose pour découvrir ce sophisme. Car, puisque Spinosa convient qu'il y a deux sortes d'existence, l'une nécessaire & l'autre qui ne l'est pas ; il s'ensuit que deux substances qui auront différens attributs, comme l'étendue & la pensée, conviendront entr'elles dans une existence de même espece, c'est-à-dire, qu'elles seront semblables en ce que l'une & l'autre n'existeront pas nécessairement, mais seulement par la vertu d'une cause qui les aura produites. Deux essences ou deux substances parfaitement semblables dans leurs propriétés essentielles, seront différentes, en ce que l'existence de l'une aura précédé celle de l'autre, ou en ce que l'une n'est pas l'autre. Quand Pierre seroit semblable à Jean en toutes choses, ils sont différens, en ce que Pierre n'est pas Jean, & que Jean n'est pas Pierre. Si Spinosa dit quelque chose de concevable, cela ne peut avoir de fondement & de vraisemblance, que par rapport à des idées métaphysiques qui ne mettent rien de réel dans la nature. Tantôt Spinosa confond l'espece avec l'individu, & tantôt l'individu avec l'espece.

Mais, dira-t-on, Spinosa parle de la substance précisément, & considérée en elle-même. Suivons donc Spinosa. Je rapporte la définition de la substance à l'existence ; & je dis, si cette substance n'existe pas, ce n'est qu'une idée, une définition qui ne met rien dans l'être des choses ; si elle existe, alors l'esprit & le corps conviennent en substance & en existence. Mais, selon Spinosa, qui dit une substance, dit une chose qui existe nécessairement. Je réponds que cela n'est pas vrai, & que l'existence n'est pas plus renfermée dans la définition de la substance en général que dans la définition de l'homme. Enfin, on dit, & c'est ici le dernier retranchement, que la substance est un être qui subsiste par lui-même. Voici donc où est l'équivoque ; car puisque le systême de Spinosa n'est fondé uniquement que sur cette définition avant qu'il puisse argumenter & tirer des conséquences de cette définition, il faut préalablement convenir avec moi du sens de la définition. Or, quand je définis la substance un être qui subsiste par lui-même, ce n'est pas pour dire qu'il existe nécessairement, je n'en ai pas la pensée ; c'est uniquement pour la distinguer des accidens qui ne peuvent exister que dans la substance & par la vertu de la substance. On voit donc que tout ce systême de Spinosa, cette fastueuse démonstration n'est fondée que sur une équivoque frivole & facile à dissiper.

La troisieme proposition de Spinosa est que dans les choses qui n'ont rien de commun entr'elles, l'une ne peut être la cause de l'autre. Cette proposition, à l'expliquer précisément, est aussi fausse ; ou dans le seul sens véritable qu'elle peut avoir, on n'en peut rien conclure. Elle est fausse dans toutes les causes morales & occasionnelles. Le son du nom de Dieu n'a rien de commun avec l'idée du créateur qu'il produit dans mon esprit. Un malheur arrivé à mon ami n'a rien de commun avec la tristesse que j'en reçois. Elle est fausse encore cette proposition, lorsque la cause est beaucoup plus excellente que l'effet qu'elle produit. Quand je remue mon bras par l'acte de ma volonté, le mouvement n'a rien de commun de sa nature avec l'acte de ma volonté, ils sont très-différens. Je ne suis pas un triangle ; cependant je m'en forme une idée, & j'examine les propriétés d'un triangle. Spinosa a cru qu'il n'y avoit point de substance spirituelle, tout est corps selon lui. Combien de fois cependant Spinosa a-t-il été contraint de se représenter une substance spirituelle, afin de s'efforcer d'en détruire l'existence ? Il y a donc des causes qui produisent des effets, avec lesquels elles n'ont rien de commun, parce qu'elles ne les produisent pas par une émanation de leur essence, ni dans toute l'étendue de leurs forces.

La quatrieme proposition de Spinosa ne nous arrêtera pas beaucoup : Deux ou plusieurs choses distinctes sont distinguées entr'elles, ou par la diversité des attributs des substances, ou par la diversité de leurs accidens qu'il appelle des affections. Spinosa confond ici la diversité avec la distinction. La diversité vient à la vérité de la diversité spécifique des attributs & des affections. Ainsi il y a diversité d'essence, quand l'une est conçue & définie autrement que l'autre, ce qui fait l'espece, comme on parle dans l'école. Ainsi un cheval n'est pas un homme, un cercle n'est pas un triangle ; car on définit toutes ces choses diversement, mais la distinction vient de la distinction numérique des attributs. Le triangle A, par exemple, n'est pas le triangle B. Titius n'est pas Maevius ; Davus n'est pas Oedipe. Cette proposition ainsi expliquée, la suivante n'aura pas plus de difficultés.

C'est la cinquieme conçue en ces termes : Il ne peut y avoir dans l'univers deux ou plusieurs substances de même nature ou de même attribut. Si Spinosa ne parle que de l'essence des choses ou de leur définition, il ne dit rien ; car ce qu'il dit, ne signifie autre chose, sinon qu'il ne peut y avoir dans l'univers deux essences différentes, qui aient une même essence : qui en doute ? Mais si Spinosa entend qu'il ne peut y avoir une essence qui se trouve en plusieurs sujets singuliers, de même que l'essence du triangle se trouve dans le triangle A & dans le triangle B ; ou comme l'idée de l'essence de la substance se peut trouver dans l'être qui pense & dans l'être étendu, il dit une chose manifestement fausse, & qu'il n'entreprend pas même de prouver.

Nous voici enfin arrivés à la sixieme proposition que Spinosa a abordée par les détours & les chemins couverts que nous avons vûs. Une substance, dit-il, ne peut-être produite par une autre substance. Comment le démontre-t-il ? Par la proposition précédente, par la seconde & par la troisieme ; mais puisque nous les avons réfutées, celle-ci tombe & se détruit sans autre examen. On comprend aisément que Spinosa ayant mal défini la substance, cette proposition qui en est la conclusion, doit être nécessairement fausse. Car au fond, la substance de Spinosa ne signifie autre chose, que la définition de la substance ou l'idée de son essence. Or, il est certain qu'une définition n'en produit pas une autre. Mais comme tous ces degrés méthaphysiques de l'être ne subsistent & ne sont distingués que par l'entendement, & que dans la nature ils n'ont d'être réel & effectif qu'en vertu de l'existence ; il faut parler de la substance, comme existante, quand on veut considérer la réalité de ses effets. Or dans un tel rocher, être existant, être substance, être pierre, c'est la même chose ; il faut donc en parler comme d'une substance existante, quand on le considere comme étant actuellement dans l'être des choses, & par conséquent comme substance existante, pour exister nécessairement & par elle-même ou par la vertu d'autrui ; il s'ensuit qu'une substance peut être produite par une autre substance ; car qui dit une substance qui existe par la vertu d'autrui, dit une substance qui a été produite, & qui a reçu son être d'une autre substance.

Après toutes ces équivoques & tous ces sophismes, Spinosa croyant avoir conduit son lecteur où il souhaitoit, leve le masque dans la septieme proposition. Il appartient, dit-il, à la substance d'exister. Comment le prouve-t-il ? Par la proposition précédente qui est fausse. Je voudrois bien savoir, pourquoi Spinosa n'a pas agi plus franchement & plus sincérement ; car si l'essence de la substance emporte nécessairement l'existence, comme il le dit ici, pourquoi ne s'en est-il pas expliqué clairement dans la définition qu'il a donnée de la substance, au lieu de se cacher sous l'équivoque fâcheuse de subsister par soi-même, ce qui n'est véritable que par rapport aux accidens & point du-tout à l'existence ? Spinosa a beau faire, il ne détruira pas les idées les plus claires & les plus naturelles.

La substance ne dit autre chose qu'un être qui existe, sans être un accident attaché à un sujet. Or, on sait naturellement que tout ce qui existe sans être accident, n'existe pas néanmoins nécessairement, donc l'idée & l'essence de la même substance n'emportent pas nécessairement l'existence avec elles.

On n'entrera pas plus avant dans l'examen des propositions de Spinosa, parce que les fondemens étant détruits, il seroit inutile de s'appliquer davantage à renverser le bâtiment ; cependant comme cette matiere est difficile à comprendre, nous la retoucherons encore d'une autre maniere ; & quand ce ne seroit que des répétitions, elles ne seront pas néanmoins inutiles.

Le principe sur lequel s'appuie Spinosa est de lui-même obscur & incompréhensible. Quel est - il ce principe au fondement de son systême ? C'est qu'il n'y a dans le monde qu'une seule substance. Certainement la proposition est obscure & d'une obscurité singuliere, & nouvelle : car les hommes ont toujours été persuadés, qu'un corps humain & un muid d'eau ne sont pas la même substance, qu'un esprit & un autre esprit ne sont pas la même substance, que Dieu & moi, & les autres différentes parties de l'univers ne sont pas la même substance. Le principe étant nouveau, surprenant, contre tous les principes reçus, & par conséquent fort obscur, il faut donc l'éclaircir & le prouver. C'est ce qu'on ne peut faire qu'avec le secours de preuves, qui soient plus claires que la chose même à prouver : la preuve n'étant qu'un plus grand jour, pour mettre en évidence ce qu'il s'agit de faire connoître & de persuader. Or quelle est, selon Spinosa, la preuve de cette proposition générale, il n'y a & il ne peut y avoir qu'une seule substance ? La voici : c'est qu'une substance n'en sauroit produire une autre. Mais cette preuve n'enferme-t-elle pas toute l'obscurité & toute la difficulté du principe ? N'est-elle pas également contraire au sentiment reçu dans le genre humain, qui est persuadé qu'une substance corporelle, telle qu'un arbre, produit une autre substance, telle qu'une pomme, & que la pomme produite par un arbre, dont elle est actuellement séparée, n'est pas actuellement la même substance que cet arbre ? La seconde proposition qu'on apporte en preuve du principe, est donc aussi obscure pour le moins que le principe, elle ne l'éclaircit donc pas, elle ne prouve donc pas. Il est ainsi de chacune des autres preuves de Spinosa : au lieu d'être un éclaircissement, c'est une nouvelle obscurité. Par exemple, comment s'y prend-il pour prouver qu'une substance ne sauroit en produire une autre ? C'est, dit-il, parce qu'elles ne peuvent se concevoir l'une par l'autre. Quel nouvel abîme d'obscurité ? Car enfin, n'ai-je pas encore plus de peine à démêler, si deux substances peuvent se concevoir l'une par l'autre, qu'à juger si une substance en peut produire une autre ? Avancer dans chacune des preuves de l'auteur, c'est faire autant de démarches d'une obscurité à l'autre. Par exemple, il ne peut y avoir deux substances de même attribut, & qui aient quelque chose de commun entr'elles. Cela est-il plus clair, ou s'entend-il mieux que la premiere proposition qui étoit à prouver ; savoir, qu'il n'y a dans le monde qu'une seule substance.

Or, puisque le sens commun se révolte à chacune de ces propositions, aussi-bien qu'à la premiere, dont elles sont les prétendues preuves ; au lieu de s'arrêter à raisonner sur chacune de ces preuves, où se perd le sens commun, on seroit en droit de dire à Spinosa, votre principe est contre le sens commun ; d'un principe où le sens commun se perd, il n'en peut rien sortir où le sens commun se retrouve. Ainsi de s'amuser à vous suivre, c'est manifestement s'exposer à s'égarer avec vous, hors de la route du sens commun. Pour refuter Spinosa, il ne faut, ce me semble, que l'arrêter au premier pas, sans prendre la peine de suivre cet auteur dans un tas de conséquences qu'il tire selon sa méthode prétendue géométrique, il ne faut que substituer au principe obscur dont il a fait la base de son systême, celui-ci, il y a plusieurs substances, principe qui dans son genre est clair au suprême degré. Et en effet, quelle proposition plus claire, plus frappante, plus intime à l'intelligence & à la conscience de l'homme ? Je ne veux point ici d'autre juge que le sentiment naturel le plus droit, & que l'impression la plus juste du sens commun répandu dans le genre humain. Il est donc naturel de répondre simplement à la premiere proposition qui leur sert de principe : vous avancez une extravagance qui révolte le sens commun, & que vous n'entendez pas vous-mêmes. Si vous vous obstinez à soutenir que vous comprenez une chose incompréhensible, vous m'autorisez à juger que votre esprit est au comble de l'extravagance, & que je perdrois mon tems à raisonner contre vous & avec vous. C'est ainsi qu'en niant absolument la premiere proposition de ses principes, ou en éclaircissant les termes obscurs dont il s'enveloppe, on renverse l'édifice & le systême par ses fondemens. En effet, les principes des sectateurs de Spinosa, ne résultent que des ténebres où ils prennent plaisir à s'égarer, pour y engager avec eux ceux qui veulent bien être la dupe de leur obscurité, ou qui n'ont pas assez d'intelligence, pour appercevoir qu'ils n'entendent pas eux-mêmes ce qu'ils disent.

Voici encore quelques raisons dont on peut se servir pour renverser ce systême. Le mouvement n'étant pas essentiel à la matiere, & la matiere n'ayant pû se le donner à elle - même, il s'ensuit qu'il y a quelque autre substance que la matiere, & que cette substance n'est pas un corps, car cette même difficulté retourneroit à l'infini. Spinosa ne croit pas qu'il y ait d'absurdité à remonter ainsi de cause en cause à l'infini ; c'est se précipiter dans l'abîme pour ne pas vouloir se rendre, ni abandonner son systême.

J'avoue que notre esprit ne comprend pas l'infini, mais il comprend clairement qu'un tel mouvement, un tel effet, un tel homme doit avoir sa premiere cause ; car si on ne pouvoit remonter à la premiere cause, on ne pourroit en descendant, rencontrer jamais le dernier effet, ce qui est manifestement faux, puisque le mouvement qui se fait à l'instant que je parle, est de nécessité le dernier. Cependant on conçoit sans peine, que remonter de l'effet à la cause, ou descendre de la cause à l'effet, sont des choses unies de la même maniere qu'une montagne avec sa vallée ; desorte que comme on trouve le dernier effet, on doit aussi rencontrer la premiere cause. Qu'on ne dise pas qu'on peut commencer une ligne au point où je fais, & la tirer jusqu'à l'infini, de même qu'on peut commencer un nombre & l'augmenter jusqu'à l'infini ; de telle sorte qu'il y ait un premier nombre, un premier point, sans qu'on puisse trouver le dernier. Ce seroit un sophisme facile à reconnoître, car il n'est pas question d'une ligne qu'on puisse tirer, ni d'un nombre qu'on puisse augmenter, mais il s'agit d'une ligne formée & d'un nombre achevé. Et comme toute ligne qu'on acheve après l'avoir commencée, tout nombre qu'on cesse d'augmenter, est nécessairement fini, ainsi de même, le mouvement, l'effet qu'il produit à l'instant étant fini, il faut que le nombre des causes qui concourent à cet effet le soit aussi.

On peut éclaircir encore ce que nous disons par un exemple assez sensible. Les Philosophes croyent que la matiere est divisible à l'infini. Cependant, quand on parle d'une division actuelle & réelle des parties du corps, elle est toujours nécessairement finie. Il en est de même des causes & des effets de la nature. Quand elle en pourroit produire d'autres, & encore d'autres à l'infini, les causes néanmoins & les effets qui existent actuellement à cet instant, doivent être finis en nombre ; & il est ridicule de croire qu'il faille remonter à l'infini pour trouver la premiere cause du mouvement. De plus, quand on parle du mouvement de la matiere, on ne s'arrête pas à une seule partie de la matiere, pour pouvoir donner lieu à Spinosa d'échapper, en disant que cette partie de la matiere a reçu son mouvement d'une autre partie, & celle-là d'une autre, & ainsi de même jusqu'à l'infini ; mais on parle de toute la matiere quelle qu'elle soit, finie & infinie, il n'importe. On dit que le mouvement n'étant pas de l'essence de la matiere, il faut nécessairement qu'elle l'ait reçu d'ailleurs. Elle ne peut l'avoir reçu du néant ; car le néant ne peut agir. Il y a donc une autre cause qui a imprimé le mouvement à la matiere, qui ne peut être ni matiere ni corps. C'est ce que nous appellons esprit.

On démontre encore par l'histoire du monde, que l'univers n'a pas été formé par une longue succession de tems, comme il faudroit nécessairement le croire & le dire, si une cause toute - puissante & intelligente n'avoit pas présidé dans la création, afin de l'achever & de le mettre en sa perfection. Car s'il s'étoit formé par le seul mouvement de la matiere, pourquoi seroit-elle si épuisée dans ses commencemens, qu'elle ne puisse plus, & n'ait pu depuis plusieurs siecles former des astres nouveaux ? pourquoi ne produiroit-elle pas tous les jours des animaux & des hommes par d'autres voies que par celles de la génération, si elle en a produit autrefois ? ce qui est pourtant inconnu dans toutes les histoires. Il faut donc croire qu'une cause intelligente & toute-puissante a formé dès le commencement cet univers en cet état de perfection où nous le voyons aujourd'hui. On fait voir aussi qu'il y a du dessein dans la cause qui a produit l'univers. Spinosa n'auroit pu néanmoins attribuer une vûe & une fin à sa matiere informe. Il ne lui en donne qu'entant qu'elle est modifiée de telle ou telle maniere, c'est-à-dire que parce qu'il y a des hommes & des animaux. Or c'est pourtant la derniere des absurdités de croire & de dire que l'oeil n'a pas été fait pour voir, ni l'oreille pour entendre. Il faut dans ce malheureux systême réformer le langage humain le plus raisonnable & le mieux établi, afin de ne pas admettre de connoissance & d'intelligence dans le premier auteur du monde & des créatures.

Il n'est pas moins absurde de croire que si les premiers hommes sont sortis de la terre, ils ayent reçu par-tout la même figure de corps & les mêmes traits, sans que l'un ait eu une partie plus que l'autre, ou dans une autre situation. Mais c'est parler conformément à la raison & à l'expérience, de dire que le genre humain soit sorti d'un même moule, & qu'il a été fait d'un même sang. Tous ces argumens doivent convaincre la raison qu'il y a dans l'univers un autre agent que la matiere qui le régit, & en dispose comme il lui plaît. C'est pourtant ce que Spinosa a entrepris de détruire. Je finis par dire que plusieurs personnes ont assuré que sa doctrine considérée même indépendamment des intérêts de la religion, a paru fort méprisable aux plus grands mathématiciens. On le croira plus facilement, si l'on se souvient de ces deux choses, l'une, qu'il n'y a point de gens qui doivent être plus persuadés de la multiplicité des substances, que ceux qui s'appliquent à la considération de l'étendue ; l'autre, que la plûpart de ces savans admettent du vuide. Or il n'y a rien de plus opposé à l'hypothèse de Spinosa, que de soutenir que tous les corps ne se touchent point, & jamais deux systêmes n'ont été plus opposés que le sien & celui des Atomistes. Il est d'accord avec Epicure en ce qui regarde la rejection de la Providence ; mais dans tout le reste leurs systêmes sont comme l'eau & le feu.


SPINOSISTES. m. (Gram.) sectateur de la philosophie de Spinosa. Il ne faut pas confondre les Spinosistes anciens avec les Spinosistes modernes. Le principe général de ceux-ci, c'est que la matiere est sensible, ce qu'ils démontrent par le développement de l'oeuf, corps inerte, qui par le seul instrument de la chaleur graduée passe à l'état d'être sentant & vivant, & par l'accroissement de tout animal qui dans son principe n'est qu'un point, & qui par l'assimilation nutritive des plantes, en un mot, de toutes les substances qui servent à la nutrition, devient un grand corps sentant & vivant dans un grand espace. De-là ils concluent qu'il n'y a que de la matiere, & qu'elle suffit pour tout expliquer ; du reste ils suivent l'ancien spinosisme dans toutes ses conséquences.


SPINTHERS. m. (Littérat.) ce mot se trouve dans Plaute ; c'est une espece de bracelet que les dames romaines, dans les premiers siecles de la république, portoient au haut du bras gauche. (D.J.)


SPINUSS. m. (Hist. nat. des anc.) corps fossile d'une qualité bien remarquable, s'il est vrai ce qu'en dit Théophraste & d'autres naturalistes, qu'on coupoit le spinus en pieces, & qu'après l'avoir mis en tas à l'exposition du soleil, il prenoit feu, s'allumoit, & bruloit encore mieux quand on l'humectoit avec de l'eau. (D.J.)


SPINYLAC, (Géog. mod.) lac d'Ecosse, dans la province de Murray. Il est couvert de cygnes, & bordé de deux châteaux, l'un à l'occident & l'autre au midi. (D.J.)


SPIRVAL DE, (Géog. mod.) en latin Vallis Asperia ; vallée de France dans le Roussillon, arrosée par le Tec, en latin Tedis, & environnée des Pyrénées de tous côtés, excepté du côté de l'orient. Le val de Spir étoit autrefois un comté qui a appartenu aux comtes de Cerdagne ; ce n'est aujourd'hui qu'une sous-viguerie de Perpignan. Le principal lieu de cette vallée est Prats de Moillo, que Louis XIV. a fait fortifier, & qui l'avoit déja été anciennement en 1232. (D.J.)


SPIRACULou CHARONEAE SCROBES, (Géog. anc.) Pline, l. II. c. xciij. appelle ainsi des lieux ou des cavernes qui exhaloient des vapeurs empestées, capables de donner la mort seulement aux oiseaux, comme une caverne du mont Soracte, au voisinage de Rome ; ou capables de la donner à toutes sortes d'animaux, à l'exception de l'homme, comme on trouvoit quelques - unes de ces cavernes en différens endroits ; ou qui quelquefois la donnoient même aux hommes, comme les cavernes des territoires de Sinuessa & de Pouzzol. Il est parlé dans Séneque, natur. quaest. l. VI. c. xxviij. des cavernes d'Italie, dont les exhalaisons étoient fatales aux oiseaux, & dangereuses pour les autres animaux, & même pour les hommes.

Près de Naples, on voit une caverne, dont on a parlé dans ce Dictionnaire, appellée par les Italiens Grotta del cane, c'est-à-dire, la Grotte du chien, parce que si on y jette un chien, il perd sur le champ tout mouvement & tout sentiment, jusqu'à ce qu'on le plonge dans une eau voisine qui lui fait reprendre les esprits, & lui rend, pour ainsi dire, la vie : d'un autre côté, cette vapeur ne nuit point aux hommes. Enfin la caverne du territoire de Pouzzol, dont Pline fait mention, se trouve encore aujourd'hui à la gauche du lac d'Agnani, appellé vulgairement lago Agnano. (D.J.)


SPIRALES. f. (Géom.) est en général une ligne courbe, qui va toujours en s'éloignant de son centre, & en faisant autour de ce centre plusieurs révolutions.

On appelle plus proprement & plus particulierement spirale en Géométrie, une ligne courbe dont Archimede est l'inventeur, & qu'on nomme pour cette raison spirale d'Archimede.

En voici la génération. On suppose le rayon d'un cercle divisé en autant de parties que sa circonférence, par exemple en 360. Le rayon se meut sur la circonférence, & la parcourt toute entiere. Pendant ce même tems, un point qui part de centre du cercle, se meut sur le rayon, & le parcourt tout entier, desorte que les parties qu'il parcourt à chaque instant sur le rayon, sont proportionnelles à celles que le rayon parcourt dans le même instant sur la circonférence, c'est-à-dire que tandis que le rayon parcourt, par exemple, un degré de la circonférence, le point qui se meut sur le rayon, en parcourt la 300e partie. Il est évident que le mouvement de ce point est composé, & si l'on suppose qu'il laisse une trace, c'est la courbe qu'Archimede a nommée spirale, dont le centre est le même que celui du cercle, & dont les ordonnées ou rayons sont les différentes longueurs du rayon du cercle, prises depuis le centre, & à l'extrêmité desquelles le point mobile s'est trouvé à chaque instant : par conséquent les ordonnées de cette courbe concourent toutes en un point, & elles sont entr'elles comme les parties de la circonférence du cercle correspondantes qui ont été parcourues par le rayon, & qu'on peut appeller arcs de révolution. Voy. la fig. 39. de géom. la courbe C M m m est une spirale. Lorsque le rayon C A, fig. 39. géom. a fait une révolution, & que le point mobile parti de C, est arrivé en A, on peut supposer que ce point continue à se mouvoir, & le rayon à tourner, ce qui produira une continuation de la spirale, & on voit que cette courbe peut être continuée par ce moyen, aussi loin qu'on voudra. Voyez fig. 40.

Archimede, inventeur de la spirale, en l'examinant, en trouva les tangentes, ou ce qui revient au même les sous-tangentes, & ensuite les espaces. Il démontra qu'à la fin de la premiere révolution, la soustangente de la spirale est égale à la circonférence du cercle circonscrit, qui est alors le même que celui sur lequel on a pris les arcs de la révolution : qu'à la fin de la seconde révolution, la sous-tangente est double de la circonférence du cercle circonscrit, triple à la fin de la troisieme révolution, & toujours ainsi de suite. Quant aux espaces, qui sont toujours compris entre le rayon qui termine une révolution, & l'arc spiral qui s'y termine aussi, pris depuis le centre, Archimede a prouvé que l'espace spiral de la premiere révolution, est à l'espace de son cercle circonscrit, comme 1 à 3 ; que l'espace de la seconde révolution est au cercle circonscrit, comme 7 à 12 ; celui de la troisieme, comme 19 à 27, &c. Ce sont là les deux plus considérables découvertes du traité d'Archimede. Nous avons ses propres demonstrations : elles sont si longues & si difficiles, que comme on le peut voir par un passage latin, rapporté dans la préface des infiniment petits de M. de l'Hôpital, Bouillaud avoue qu'il ne les a jamais bien entendues, & que Viete, par cette même raison, les a injustement soupçonnées de parallogisme ; mais par le secours des nouvelles méthodes, les démonstrations de ces propriétés de la spirale, ont été fort simplifiées & étendues à d'autres propriétés plus générales. En effet, l'esprit de la géométrie moderne est d'élever toujours les vérités, soit anciennes, soit nouvelles, à la plus grande universalité qu'il se puisse. Dans la spirale d'Archimede, les ordonnées ou rayons sont comme les arcs de révolution : on a rendu la génération de cette courbe plus universelle, en supposant que les rayons y fussent, comme telle puissance qu'on voudroit de ces arcs, c'est-à-dire, comme leurs quarrés, leurs cubes, &c. ou même leurs racines quarrées, cubiques, &c. car les géometres savent que les racines sont des puissances mises en fractions. Ceux qui souhaitent un plus grand détail sur l'universalité de cette hypothèse, le trouveront dans l'histoire de l'académie royale des Sciences, an. 1704, p. 57. & suiv.

Spirale logarithmique, ou logistique, voyez LOGARITHMIQUE. (O)

SPIRAL, ressort, (Horlogerie) c'est une lame d'acier ployée en ligne spirale, susceptible de contraction & de dilatation, élastique, que les horlogers employent de deux manieres différentes, l'une pour servir de force motrice, & l'autre de force réglante.

Les ressorts tirent toute leur énergie de l'élasticité de la matiere ; cette propriété qui est généralement connue, & même palpable dans presque tous les corps, nous laisse néanmoins encore dans une profonde ignorance sur la cause qui la produit ; ce ne sera donc que par les effets, & sur-tout par l'usage que les horlogers en font pour en tirer la force motrice & la force réglante, que je me propose de la traiter dans cet article : par cette raison, je supprimerai l'énumération qu'il y auroit à faire des différentes matieres susceptibles d'élasticité, & je me bornerai à parler seulement de celles de l'acier trempé, que les horlogers employent avec tant d'avantage.

L'on sait en général que la force élastique peut être prise pour une puissance active qui réagit proportionnellement aux efforts qui la compriment, ou qui la pressent ; ainsi de quelque figure que soit un corps parfaitement élastique, il la reprendra toujours, des que la compression cessera : par exemple, lorsqu'on ploie une lame d'épée, elle se redresse avec d'autant plus de vîtesse, qu'elle a exigé plus de force pour être ployée ; c'est donc par cette réaction que les ressorts peuvent tenir lieu de poids, ou de force motrice, pour animer & faire marcher les montres & les pendules, & par cette raison on les nomme ressorts moteurs.

Comme ressorts moteurs, ils peuvent être susceptibles de différentes figures plus ou moins avantageuses pour l'intensité de cette force ; d'où il suit qu'on pourroit faire cette question : la matiere & sa quantité étant donnée, trouver la figure qui donnera la plus grande puissance élastique ; mais outre que la solution en est très-difficile, & qu'elle tient à un grand nombre d'expériences qu'il y auroit à faire, dignes d'occuper même les plus habiles physiciens, je dois, quant à présent, me borner à rendre compte de ce qu'on fait, plutôt que de ce qu'il y auroit à faire.

De l'exécution & application des ressorts, en qualité de force motrice. Pour faire les ressorts de montres, l'on prend de l'acier en barre, que l'on fait dégrossir aux grandes forges, pour ensuite le tirer rond à la filiere, plus ou moins gros, suivant les ressorts qu'on a à faire ; ou bien l'on prend de l'acier rond d'Angleterre, & c'est le meilleur, l'on coupe ce fil par bouts de 20 à 30 pouces ; après l'avoir fait recuire, on le forge pour l'applatir & le réduire à l'épaisseur d'un quart de ligne, on le dresse sur le plat, & l'on supplée ainsi à la lime, aux inégalités que le marteau a pu laisser ; cela s'apperçoit à la différence de courbure que prend le ressort, en le faisant ployer de place en place dans toute sa longueur. On le lime aussi d'égale largeur, en le faisant passer dans toute sa longueur, dans un calibre. Plusieurs de ces ressorts ainsi préparés, on les entortille chacun de fil-d'archal sur toute leur longueur, en laissant un demi-pouce d'intervalle ; l'on prend un de ces ressorts, on en forme un cercle qui peut avoir 7 à 8 pouces de diametre, l'on en ploye ainsi une douzaine de même largeur, concentriquement les uns dans les autres, ce qui forme une trempe cylindrique, épaisse de la largeur des ressorts, & large de toutes les épaisseurs réunies, & il reste encore un vuide dans le milieu, & tous les jours que laissent les fils-d'archal ; ces jours sont utiles, parce que l'huile ou le liquide dans lequel on les plonge pour les tremper, saisit aisément toutes les surfaces des ressorts : l'on prend ce paquet de douze ressorts, pour le placer dans un cercle de fer fait en forme de roue de champ, qui a une croisée au centre de laquelle est un pivot qui tient à l'extrêmité d'une verge de fer, & qui laisse mobile le cercle, pour être tourné dans le fourneau au moyen d'une autre baguette, dont on se sert pour faire tourner ce cercle par sa circonférence ; l'on voit aisément que cette méchanique n'est là que pour la facilité de donner une égale chaleur dans toutes les parties de la circonférence.

L'on porte le tout dans un fourneau de reverbere où le charbon doit être bien allumé ; & lorsque les ressorts ont acquis le degré de chaleur que l'expérience seule peut apprendre, ce qui revient à-peu-près d'un rouge couleur de charbons allumés : alors on retire le tout des fourneaux, & l'on fait tomber subitement le paquet de ressorts dans une suffisante quantité d'huile de navette, l'on repete cette expérience autant de fois qu'on a de douzaines de ressorts à tremper.

Retirez de l'huile ces ressorts, coupez de place en place les fils-d'archal, pour les séparer les uns des autres, les blanchir avec du grai, les bleuir sur un fer chaud, les redresser à coup de marteau, les limer de nouveau pour les égaler sur la largeur comme sur l'épaisseur, avec cette différence qu'il faut que la lame aille en diminuant d'épaisseur insensiblement sur le bout qui doit faire les tours intérieurs du ressort.

Cette derniere opération exige toute l'attention, pour qu'ils prennent des courbures régulieres & semblables, de place en place ; & lorsqu'on les passe entre les doigts, en ployant légerement la lame, il ne faut plus sentir aucune différence, aucune dureté, en un mot, une flexibilité égale dans toute la largeur, comme si l'on passoit un simple ruban entre ses doigts ; mais l'expérience & la délicatesse du tact sont bien plus propres à faire sentir cette épreuve, que tout ce que l'on pourroit dire.

Après avoir fait aux ressorts ce qu'on pouvoit de mieux avec la lime, il faut ensuite, pour les égaler parfaitement, les passer & repasser plusieurs fois entre deux morceaux de bois dur, de quatre à cinq pouces en quarré, bien dressés, & qui tout rassemblés par une charniere & le morceau de dessus, portent un bras de levier d'un pié avec lequel l'on presse : l'on est deux pour passer le ressort dans cette machine ; l'un le tient par un bout de la tenaille & le tire, pendant que l'autre presse avec le bras de levier ; l'on place entre ces machines, de l'émeri rude dans le commencement, & doux sur la fin, & on le polit.

C'est par cette derniere opération que l'on parvient à donner au ressort cette uniforme flexibilité qui lui est si essentielle ; après quoi on le bleuit une seconde fois le plus également qu'il est possible, par une chaleur douce. L'on recuit également les deux extrêmités pour y faire une ouverture qui s'appelle oeil ; l'on ploye avec une pince ronde le bout qui doit faire le tour intérieur autour de l'arbre, & l'on procede à lui donner sa figure spirale en le ployant autour d'un arbre au moyen d'un crochet qui entre dans l'oeil du ressort, tournant l'arbre d'une main, & de l'autre appuyant du pouce sur le premier tour, l'on fait passer ainsi la longueur du ressort ; ce ressort ainsi ployé spiralement tend par sa réaction à se redresser ; c'est pourquoi il faut lâcher par degrés. D'où il suit, que la réaction est moindre que l'action, & qu'elle perd d'autant plus cette qualité, que les ressorts sont plus comprimés & qu'ils restent plus long-tems dans cet état. Si la matiere des ressorts étoit parfaitement élastique, bien loin de rester ployés en ligne spirale, ils reviendroient droit au même point dont ils seroient partis ; & au contraire, si la matiere étoit parfaitement sans élasticité, le ressort resteroit comme on l'auroit ployé & ne vaudroit rien ; d'où il suit que les meilleurs ressorts sont ceux qui rendent le plus de réaction, ou qui perdent le moins de leur élasticité. Or l'acier trempé étant de toutes les matieres celle qui a le plus cette propriété ; c'est donc avec raison que les Horlogers la préférent. L'on augmente prodigieusement l'élasticité de l'acier par la trempe qu'on lui donne ; mais on est obligé de la lui diminuer pour qu'il ne casse pas lorsqu'on le met au travail ; & l'on a raison de dire que les meilleurs ressorts sont sujets à casser, parce que ce sont ceux à qui on a conservé le plus d'élasticité ; mais lorsqu'on diminue trop cette qualité élastique par le revenir ou recuit qu'on donne aux ressorts après la trempe, ils ne cassent pas, il est vrai ; mais ils perdent trop sensiblement leur élasticité, & conséquemment leur force ; il y a donc par-tout des extrêmes qu'il faut éviter. C'est un point qu'il faudroit pouvoir saisir ; mais qui est infiniment difficile, pour ne pas dire impossible. L'on préfere donc dans cette alternative qu'un ressort soit plus près de casser par trop d'élasticité, que de se rendre en en manquant. Enfin, pour résumer ce que l'expérience & le raisonnement m'ont donné sur les différens ressorts que j'ai éprouvés, j'ai trouvé, toutes choses égales d'ailleurs, qu'une lame de ressort étoit d'autant plus élastique, & conservoit d'autant plus long-tems cette qualité, que la lame étoit plus mince, plus large, plus longue ; ensorte que cette lame étant ployée en spirale autour de l'arbre dans son barillet, son rayon fût égal à la largeur ou hauteur des ressorts, & réciproquement ; c'est pourquoi les ressorts de montre plate se rendent ou se cassent plus fréquemment que les autres. Le ressort placé dans le barillet porte un crochet qui accroche le bout extérieur du ressort, & l'arbre accroche le bout intérieur. Dans cet état, si l'on vient à tourner l'arbre, le barillet étant fixé, le ressort s'enveloppera immédiatement sur le corps de l'arbre, ainsi de tous les tours successivement ; dans cet état le ressort sera bandé, si l'on lui oppose un rouage à faire tourner par le moyen des dents qu'on aura pratiquées à la circonférence du barillet ; ce qui engrénera dans le premier pignon ; le ressort en se détendant fera tourner le rouage avec une vîtesse qui diminuera comme la détente du ressort.

Mais si au lieu d'opposer au barillet des rayons égaux comme sont les aîles de pignons sur lesquelles il agit, on lui adapte une chaînette qui communique & s'entortille sur une figure conique taillée en spirale, dont les rayons diminuent précisément comme la force du ressort augmente, c'est ce qui formera la fusée. Voyez FUSEE. Alors la fusée portant la roue du barillet, communiquera au premier pignon une égale vîtesse pour tous les tours, & par-conséquent la force motrice sera uniforme sur tout le rouage.

De l'exécution du ressort spiral & de son application en qualité de force réglante. Le ressort spiral d'une montre ordinaire est une lame d'acier très - déliée qui peut avoir trois ou quatre pouces de longueur, & d'un neuvieme à un douzieme de ligne de largeur, sur un trente à quarante - huitieme d'épaisseur ployée en ligne spirale de quatre à trois tours au moins ; ces tours doivent avoir des intervalles plus ou moins grands, suivant la force du spiral & la grandeur du balancier ; la lame doit diminuer d'épaisseur imperceptiblement du dehors au-dedans, ensorte que lorsqu'on suspend un petit poids par le bout intérieur, & qu'on le leve en tenant avec une pincette l'autre extrêmité extérieure, il prenne la figure d'un cône renversé ; c'est à cette épreuve qu'on juge si le ressort se déploye bien, & s'il garde les intervalles proportionnés au diametre du spiral ; il faut aussi que les tours de lame soient exactement paralleles entr'eux & dans le même plan.

Pour faire ces petits ressorts, l'on prend de l'acier d'Angleterre qui n'est point trempé, mais qui est passé au laminoir ; ce qui lui donne assez de corps pour avoir de l'élasticité. Plusieurs horlogers s'en servent & font eux - mêmes leurs ressorts spiraux ; ils redressent, réforment même ceux qui sont faits, mais il n'y a guere que les habiles artistes capables de les bien faire ; Genève est la seule ville que je connoisse où il y ait des gens qui ne s'occupent qu'à faire de ces ressorts, & qui les font d'autant mieux, que la routine & la délicatesse du tact l'emportent de beaucoup sur la théorie : ils ne se servent point de fil d'Angleterre ; ils prennent une lame d'acier trempé, & revenue comme une lame de ressort moteur qu'ils affoiblissent à la lime jusqu'à une certaine épaisseur ; après quoi ils les coupent par petites bandes. Les redresser, limer sur la largeur & l'épaisseur, les adoucir & les ployer en ligne spirale, sont toutes opérations trop longues à détailler, & qui seroient encore insuffisantes pour donner une idée de leur délicatesse ; il n'y a guere que l'expérience qui puisse la faire sentir.

Je ne déciderai pas lesquels des deux spiraux sont les meilleurs d'être d'acier trempé, ou non trempé ; ce qu'il y a de certain, c'est que j'ai vu de bons effets par les uns & les autres ; je ne pense pas qu'il soit connu de personne, autrement que par conjectures, auxquelles on doit donner la préférence ; les raisons qu'on donne de part ou d'autre, me paroissant trop foibles pour être rapportées.

De l'application du ressort spiral au balancier. Sur l'axe du balancier est ménagée une petite assiette pour recevoir & faire tenir à frottement une virole qui est percée par une ligne qui seroit tangente, dans l'épaisseur de la circonférence : ce trou est pour recevoir l'extrêmité intérieure du spiral ; & au moyen d'une goupille qu'on y fait entrer avec, ce spiral se fixe & s'arrête sur la virole ; elle est coupée pour faire un peu ressort en entrant sur l'assiette du balancier ; ce qui donne la facilité de tourner la virole qui tient alors par une pression élastique ; le balancier étant placé sur la platine, la cheville de renversement est en repos sur le centre d'échappement. Voyez RENVERSEMENT. A l'extrêmité extérieure du spiral, se trouve sur la platine un piton percé pour la recevoir avec une goupille qui la serre & la fixe. Par ce moyen le balancier ne peut point tourner d'un côté ni d'un autre, sans tendre le ressort spiral. Le balancier ainsi placé, la roue de rencontre agit par une de ces dents sur la palette si c'est une verge, & sur les tranches du cylindre, si c'en est un ; alors elle tend le ressort spiral en décrivant l'arc de levée ; mais le balancier ne parcourt point son arc de levée sans gagner de la force pour continuer son arc commencé, qui devient par cette raison cinq ou six fois plus grand, voyez RECUL, REPOS, ARC DE SUPPLEMENT, & ARC DE LEVEE, où le ressort spiral fait un si grand rôle en s'opposant aux vibrations du balancier, & en les accélérant. (Voyez REGULATEUR ELASTIQUE.) Sous le balancier est placé une méchanique qu'on nomme la coulisserie ; elle consiste en une roue dentée qui engréne dans le rateau qui est une portion de cercle trois ou quatre fois plus grand que la roue ; ce rateau est denté en dehors & placé concentriquement au balancier, au - dedans duquel est réservée une portion de rayon sous lequel est placé deux goupilles entre lesquelles se place le grand trou du ressort spiral ; ensorte que lorsqu'on tourne la roue qui porte une aiguille de rosette, ce rateau se meut, & les deux chevilles en fourchettes suivent le tour du spiral, & par conséquent le raccourcissent ou l'allongent, parce qu'il est censé prendre naissance à cette fourchette. Il faut donc faire abstraction de la partie excédante qui va de la fourchette au piton où l'extrêmité est fixée, parce que cette partie ne doit avoir aucun mouvement par les vibrations du balancier ; c'est pour cela qu'on place les chevilles très-proches l'une de l'autre, pour ne laisser que la liberté au spiral de glisser dedans ; puisque par cette méchanique l'on raccourcit ou allonge le ressort spiral, il devient donc plus fort ou plus foible, il retarde ou accelere la vîtesse du balancier ; c'est donc véritablement une force réglante ; j'ai trouvé par l'expérience que les petits ressorts spiraux, relativement au balancier, toutes choses égales d'ailleurs, étoient ceux qui permettoient les plus grands momens au balancier sans arrêter au doigt. Pour bien placer un spiral, il faut qu'il ne bride en aucun sens, qu'il laisse le balancier libre d'opérer ses vibrations dans toutes leurs étendues ; ce qui se voit aisément. En regardant marcher la montre l'on voit s'il tourne bien droit, si les tours de lames jouent dans leurs véritables proportions, &c.

Les ressorts spiraux ne perdent point de leur élasticité par le mouvement des vibrations ; ils se contractent & se dilatent par des efforts parfaitement égaux ; j'ai fait à ce sujet quelques expériences qui servent à le prouver. Avec la machine pour le frottement des pivots, le balancier étant arrêté par le spiral, je donnois jusqu'à trois tours de tension, ce qui comprimoit le spiral autour de la virole, je l'abandonnois alors, & le spiral non-seulement se détendoit des trois tours ; il faisoit encore trois tours à-peu-près dans le sens contraire, ce qui rendoit le spiral presque en ligne droite ; il faisoit donc six tours par ces premieres vibrations qui alloient en diminuant d'étendue jusqu'à ce qu'elles s'arrêtassent.

J'ai répété cette expérience plusieurs fois ; je n'ai vu aucune altération dans l'élasticité du spiral ; donc à plus forte raison, ne la perdra-t-il pas dans les montres où les plus grandes tensions ne vont jamais à un tour. (Article de M. Romilly, Horlog.)


SPIRARE AMORES(Littérature) respirer les amours ; dans le style des Grecs & des Latins n'est pas ce que nous entendons, en disant, respirer l'amour. Ces deux façons de parler sont entierement différentes, & signifioient des choses fort opposées. Spirare amores, & en grec, , respirer les amours, c'est-à-dire, les faire sortir de ses yeux, de sa bouche, &c. ne dire pas une parole, ne pousser pas un soupir, ne donner pas un coup - d'oeil qui ne fasse naître l'amour, & n'allume cette passion. Notre langue n'a point de terme qui puisse bien exprimer cela. Horace disoit à Lycé :

Quo fugit Venus ? Heu ! quove color decens ?

Quo motus ? Quid habes illius, illius,

Quae spirabat amores,

Quae me surpuerat mihi ?

" Hélas ! qu'est devenu cette fleur de jeunesse, ce gracieux coloris, ces manieres enjouées & engageantes qui animoient toutes vos démarches ? Que vous reste-t-il de cette Lycé, de cette charmante Lycé, qui faisoit naître tant d'amours & qui m'avoit enlevé à moi-même " ? La traduction qu'on vient de lire est passable ; cependant faire naître tant d'amours, ne rend point la force & la beauté du latin, spirare amores. (D.J.)


SPIRATIONS. f. terme usité parmi les Théologiens, lorsqu'ils traitent du mystere de la Ste. Trinité, & de la maniere dont le S. Esprit procede du Pere & du Fils.

Ils distinguent deux sortes de spirations, l'une active & l'autre passive. La spiration active est l'action ou la notion, par laquelle le Pere & le Fils de toute éternité produisent le S. Esprit. La spiration passive est la notion ou le caractere, par lequel le S. Esprit est désigné comme procédant du Pere & du Fils.

Les Scholastiques disent que la spiration active n'est pas distinguée réellement de la paternité & de la filiation, parce qu'elle n'a point d'opposition relative ni avec l'une, ni avec l'autre. Mais ils ajoutent qu'elle en est distinguée formellement, parce qu'elle ne présente pas les mêmes idées que la paternité & la filiation, qu'on la définit tout différemment, & que ce n'est pas par elle, mais par la paternité & la filiation que le Pere & le Fils sont constitués en qualité de personnes. Voyez PERSONNE, PATERNITE, FILIATION, NOTION, TRINITE, &c.


SPIRES. f. dans l'ancienne Architecture, est quelquefois employé pour la base d'une colonne, & quelquefois pour astragale. Voyez BASE, ASTRAGALE.

Ce mot vient du latin spaerae, les replis d'un serpent qui sont semblables à cela, quand ils sont couchés par terre, ou bien du grec , le roulement d'un cable. Voyez BASE.


SPIREAS. f. (Hist. nat. Botan.) spiraea ; genre de plante à fleur en rose composée de plusieurs pétales disposées en rond. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit composé de plusieurs siliques qui renferment une semence oblongue. Tournefort, I. R. H. voyez PLANTE.

La principale des especes de spiraea est à feuilles de saule ; c'est un arbrisseau qui croît à la hauteur d'environ trois piés, poussant plusieurs rameaux grêles couverts d'une écorce rouge, portant beaucoup de feuilles longues & étroites comme celles du saule, dentelées en leurs bords, vertes en - dessus, rougeâtres en-dessous ; d'un goût astringent, tirant sur l'amer. Ses fleurs sont petites, disposées aux sommités des branches en maniere de grappes ou d'épis longs presque comme le doigt, & assez gros. Chacune de ces fleurs est composée de cinq pétales incarnats disposés en rose, & soutenus par un calice découpé en étoile. Après qu'elles sont passées, il paroît un fruit composé de plusieurs gaînes disposées en maniere de tête ; on trouve dans chacune de ces gaînes des semences menues, applaties, jaunâtres. On cultive cet arbrisseau dans les jardins, aux lieux sombres & ombrageux. (D.J.)


SPIREO(Géog. mod.) cap de la Morée, dans la Zacanie sur la côte du golfe d'Engia, au midi de l'île de ce nom, & au sud-ouest de celle de Dorussa.


SPIRES(Conchyl.) contours, circonvolutions de la vis d'une coquille, ou que la coquille forme autour de son fût.


SPIRIQUESLIGNES, (Géom.) especes de courbes inventées par Perséus, & qu'il ne faut pas confondre avec les spirales. M. Montucla a trouvé dans Proculus ce que c'étoit que lignes spiriques. Ce commentateur les décrit assez clairement. Il nous apprend que c'étoient des courbes qui se formoient en coupant le solide fait par la circonvolution d'un cercle autour d'une corde, ou d'une tangente, ou d'une ligne extérieure. De-là naissoit un corps en forme d'anneau ouvert ou fermé, ou en forme de bourlet ; ce corps étant coupé par un plan, donnoit, suivant les circonstances, des courbes d'une forme fort singuliere, tantôt allongées en forme d'ellipse, tantôt applaties & rentrantes dans leur milieu, tantôt se coupant en forme de noeud ou de lacet. Perséus considéra ces courbes, & crut avoir fait une découverte si intéressante, qu'il sacrifia à son bon génie. Montucla, hist. des Mathém. tom. I. (D.J.)


SPIRITU-SANCTO(Géog. mod.) capitainie de l'Amérique méridionale au Brésil, sur la côte orientale, à 10 degrés de latitude méridionale. Elle est bornée au nord par la capitainie de Porto - Séguro, au midi par celle de Rio-Janeiro, & à l'orient par la mer. Ses limites ne sont point fixées du côté de l'occident. Ce gouvernement passe pour le plus fertile de ceux du Brésil, & le mieux fourni de toutes les choses nécessaires à la vie. L'on y fait commerce de coton & de bois de Brésil. Il n'y a dans ce gouvernement, qui appartient aux Portugais, qu'une seule ville de même nom. (D.J.)

SPIRITU-SANCTO, la ville de, (Géog. mod.) ville de l'Amérique méridionale au Brésil, capitale du gouvernement de ce même nom, sur le bord de la mer, avec un port. Elle n'a ni remparts, ni murailles ; elle est située sur le bord de la mer avec un port, qui est une petite baie, ouverte vers l'orient, & parsemée de petites îles.


SPIRITUALITÉS. f. (Gramm.) on dit la spiritualité de l'ame, pour désigner cette qualité qui nous est inconnue, & qui la distingue essentiellement de la matiere. Voyez l'article AME.

Le même mot se prend aussi pour une dévotion honnête, recherchée, qui s'occupe de la méditation de ce qu'il y a de plus subtil & de plus délié dans la religion.


SPIRITUELadj. (Gramm.) qui est esprit, qui est d'une nature essentiellement différente de la matiere ; en ce sens il s'oppose à matériel. L'être spirituel ; l'être matériel. Il se prend aussi pour désigner la qualité de l'homme que nous appellons l'esprit. C'est un homme très- spirituel ; cette pensée est très - spirituelle. On le dit des personnes qui s'occupent de la contemplation des choses divines. Les religieux ont des peres spirituels & des peres temporels. La vie spirituelle a des douceurs. Spirituel s'oppose à temporel & à civil dans ces phrases : le glaive spirituel ; la puissance spirituelle. S'il est si difficile de poser des bornes entre la puissance temporelle & la puissance spirituelle, c'est que chacune cherche à étendre les prérogatives. L'alliance spirituelle est celle que l'on contracte avec Dieu par des voeux religieux. La communion spirituelle est la part que les assistans prennent à la communion du prêtre. Il y a des incestes spirituels. Les Valentiniens s'appelloient spirituels, & ils donnoient aux Catholiques le nom de psychiques. Ceux d'entre les freres mineurs qui dans le xjv. siecle s'attacherent à toute l'austérité de la regle de S. François, se distinguerent des autres par l'épithéte de spirituels.


SPIRITUEUXadj. (Gram.) qui est plein de ce que les chimistes appellent esprits. Voyez ESPRIT, Chimie. La distillation extrait des corps ce qu'ils ont de plus spiritueux. Les bons vins sont très- spiritueux.


SPIROLES. f. terme d'Artillerie, vieux mot ; Rabelais dit, l. I. c. xxvj. bombards, faulcons, spirols, & autres pieces. La spirole étoit une maniere de petite coulevrine, ainsi appellée de spira, tortillement en ligne spirale ; & l'on a donné ce nom à la spirole, soit à cause de la tortuosité du chemin que faisoit son boulet ; soit pour distinguer cette piece d'artillerie de plusieurs autres, que le sifflement de leurs boulets semblable à celui des serpens, avoit déja fait nommer basilics, serpentines, & coulevrines. (D.J.)


SPITALL(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la haute Carinthie, aux frontieres de l'évêché de Saltzbourg, sur la Liser, près son embouchure dans la Drave.


SPITHAMES. f. (Mesure anc.) nom équivoque qu'on avoit donné chez les Grecs à deux mesures différentes, dont l'une, assez rare, faisoit seulement la moitié de l'autre, & n'étoit que la quatrieme partie de la coudée, composée de six doigts grecs, qui revenoient à quatre doigts romains. La grande spithame étoit la moitié de la coudée grecque, & les trois quarts du pié, d'où vient qu'on y comptoit douze doigts, comme on en comptoit six à la petite. C'est du moins là l'opinion de M. de la Barre que nous ne prétendons pas garantir, mais on peut le consulter dans les mém. des Inscript. tom. XIX. (D.J.)


SPITHÉAD(Géog. mod.) rade d'Angleterre, dans le Hant-Shire, au nord-est, entre la ville de Portsmouth & l'île de Wight. C'est le rendez-vous de la flotte royale, soit qu'elle aille à l'ouest, ou qu'elle revienne à l'est.


SPITZBERGLE, (Géog. mod.) pays de la terre Arctique, dans l'Océan septentrional, ainsi nommé à cause de la quantité de ses montagnes aiguës. Les Anglois l'appellent Niew-land. Il est fort avancé audessus de la Norwege, vers le nord, à la hauteur de 80 degrés de latitude, entre la nouvelle Zemble à l'orient, & le Groenland à l'occident, à près de trois cent lieues de chacune de ces contrées. Il fut découvert en 1596, & ainsi nommé par Guillaume Barents & Jean Cornelis, hollandois, qui cherchoient un chemin pour aller à la Chine, par la mer Glaciale.

On a reconnu que le Spitzberg est divisé en deux parties : celle qui est au couchant est une grande île, qui s'étend du septentrion au midi l'espace de près de deux cent mille pas, & celle qui est au levant, est une autre île plus petite, nommée la nouvelle Frise.

Il n'y a ni villes, ni villages connus dans ce pays à cause du grand froid qu'il y fait, mais seulement quelques ports, comme la baie de Hoorn, la baie des Anglois, la baie des Basques, le golfe de Way, & quelques autres ports fréquentés par les Anglois, les Hollandois, les Hambourgeois, pour la pêche de la baleine, qui y est meilleure qu'en aucun autre pays du pole arctique ; mais les glaces dont toutes les côtes du Spitzberg sont couvertes, en rendent la navigation très-dangereuse. (D.J.)


SPLANCHNOLOGIES. f. en Anatomie, traité ou explication des visceres, où est représenté l'objet de cette partie de l'anatomie. Voyez VISCERE.

Ce mot est formé du grec , viscere, intestin, , discours.

La sarcologie est divisée en trois parties ; savoir, la splanchnologie, la myologie & l'angeiologie. Voyez SARCOLOGIE. La splanchnologie est celle qui traite des parties internes, & particulierement des visceres.


SPLENDEURS. f. (Gram.) éclat. La splendeur des astres. Il se prend au figuré ; la splendeur de son nom, de sa maison, de ses dignités. La splendeur de l'ancienne Rome.


SPLENDIDEadj. (Gram.) somptueux. Un repas splendide, une table splendide.


SPLÉNETIQUEadj. (Médecine) il se dit de celui qui est attaqué d'opilations & d'obstructions dans la rate. Voyez RATE.

Dans les splénetiques, la ratte est gonflée plus qu'à l'ordinaire, ou durcie, de façon qu'on y apperçoit une tumeur skirrheuse.

On connoît les personnes splénetiques par leur teint livide & plombé. Leur caractere est d'être portées à rire ; & c'est un expédient dont on suppose que la nature se sert pour évacuer l'humeur trop abondante dont la rate est surchargée ; c'est pourquoi les anciens disoient que l'organe du rire résidoit dans la rate ; c'est aussi à cause de cela que quand quelqu'un rit bien, on dit qu'il décharge sa rate. Voyez RIRE.

SPLENETIQUE, se dit aussi des remedes indiqués dans les obstructions de la rate ; tels sont les eaux minérales ferrugineuses, savonneuses, & autres de pareille nature. Voyez OBSTRUCTION & RATE.


SPLÉNIQUEadj. en Anatomie, se dit des parties qui ont quelque relation avec la rate. Voyez RATE.

L'artere splénique, arteria splenica, est un tronc de la coeliaque gauche qui sert à porter le sang de cette artere à la rate, pour y être séparé, préparé, &c. son cours est bien tortueux, & après qu'elle est arrivée à la surface de la rate, elle se répand dans toute la substance en petites branches, qui semblent aboutir aux petites cellules.

La veine splénique, vena splenica, se forme au-dehors, des différentes petites veines de la rate qui s'unissent en quittant sa surface. Elle porte le sang qui reste après la sécrétion qui s'est faite dans la rate, à la branche gauche de la veine porte, pour être de-là portée au foie, où il doit être préparé davantage, & converti en bile. Voyez FOIE & BILE.

La veine & l'artere splénique communiquent visiblement l'une à l'autre ; car aussi tôt qu'on a versé de l'eau dans l'une, elle se vuide aussi-tôt par l'autre. Voyez RATE.

SPLENIQUE ; ce terme, outre sa signification anatomique, exprime la vertu des médicamens qui conviennent aux maux de la rate. Voyez au mot RATE, les opérations & remedes proposés en faveur des ratileux. (Y)


SPLENIUSen Anatomie, est une paire de muscles, qu'on appelle aussi triangulaires à cause de leur forme.

Ils viennent de cinq apophyses épineuses supérieures des vertebres du dos, & de la derniere du col, & du ligament cervical, & montant obliquement s'attachent aux apophyses transverses des deux ou trois vertebres supérieures du col, & s'inserent à la partie postérieure de l'apophyse mastoïde, & à la partie voisine de la ligne transverse de l'occipital, sont appellés splénius, parce qu'ils ressemblent à la rate d'un boeuf. On les appelle encore mastoïdiens postérieurs.


SPLUGERBERGMONTAGNE DE, (Géog. mod.) montagne des Grisons, de la haute ligue, dans la communauté de Schams. Cette montagne a 2 lieues de montée jusqu'au sommet, & environ 3 lieues de descente du côté de l'Italie. Il y a une hôtellerie sur la cime, & une grande plaine qui produit de la bonne herbe, qu'on fauche en été. (D.J.)


SPODIUMS. m. (Minéralogie) est une espece de chaux ou de cendre de métaux, qu'on regarde comme un cardiaque, & à laquelle quelques-uns accordent les mêmes vertus qu'au corail. Voyez CORAIL.

Le spodium des anciens grecs étoit une espece de récrément grisâtre qu'on trouve en forme de cendres dans la terre des fourneaux où on a fondu de l'airain ; ils l'appelloient , qui signifie à la lettre cendres.

Spodium est une poudre de métaux, qui ressemble beaucoup, par son origine & son usage, à la tutie & au pompholix, à l'exception qu'il est plus pesant. Voyez TUTIE & POMPHOLIX.

Le spodium des médecins arabes, comme Avicenne & autres, étoit composé de racines de buissons & de roseaux brûlés.

Quelques modernes font aussi une sorte de spodium d'ivoire brûlée & calcinée. On le contrefait souvent avec des os de boeuf ou de chien brûlés ; mais il n'est pas si bon.

L'antispodium que les anciens ont substitué à leur spodium étoit fait de feuilles de mirthes, de noix de galle, & autres drogues calcinées.


SPOLETEDUCHE DE, (Géog. mod.) duché d'Italie, dans l'état de l'Eglise. Il est borné au nord par la marche d'Ancone & le duché d'Urbin ; au midi par la Sabine & le patrimoine de S. Pierre ; à l'orient par l'Abruzze ultérieure ; & à l'occident par l'Orviétano & le Pérusin. Son terroir, quoique marécageux, est extrêmement fertile. Les rivieres qui l'arrosent sont le Tibre, la Néra & le Topino. Ses principaux lieux sont Spoleto, capitale, Trevi, Foligni, Bevagna, Otricoli, Riéti, Spello, &c.

Cette province, qu'on appelle indifféremment Ombrie ou duché de Spolete, commença à être connue sous ce dernier nom en 572, que Longin, exarque de Ravenne, y établit des ducs, sous l'autorité des empereurs d'Orient. C'est Charlemagne qui vers l'an 780, fit présent à l'Eglise du duché de Spolete & de ses dépendances, qui peuvent avoir 47 milles du nord au sud, & 65 milles de l'est à l'ouest. (D.J.)


SPOLETIUM(Géog. anc.) ville d'Italie chez les Villumbres, selon Ptolémée, l. III. c. j. Velléius Paterculus, l. I. c. xiv. & Tite-Live, epist. 20. en font une colonie romaine ; & Florus la compte au nombre des municipes les plus célebres d'Italie. Ses habitans sont appellés Spoletini dans Pline, l. III. c. xiv. & populus spoletinus dans Ciceron, pro Balbo, c. xxj. On lit dans une ancienne inscription, rapportée par Gruter, p. 476. n °. 7, ordo spoletinorum, génitif formé de spoletium, selon Cellarius, & non de spoletum, comme écrivent par erreur quelques modernes, qui ont voulu former le nom latin de cette ville sur celui qu'elle porte aujourd'hui ; car c'est de la ville Spolete dont il est question. Symmaque, l. III. epist. 12. donne à Spolete le nom de bonne ville, & lui attribue la gloire d'être la mere des meilleurs citoyens. (D.J.)


SPOLETO(Géog. mod.) les François écrivent Spolete, en latin Spoletum, ou Spoletium, dont le territoire s'appelloit Ager spoletinus.

Spoleto est une ville d'Italie, dans l'état de l'Eglise, capitale du duché de même nom, à 10 lieues au sud-est de Pérouse, & à 20 au nord de Rome ; elle est bâtie en partie sur une colline, & en partie dans la plaine, dont la communication se fait par le moyen d'un pont soutenu de vingt-quatre gros pilastres, que l'on a rangés avec beaucoup d'art.

Son château passe pour un des plus forts de l'Italie ; son évêché ne releve que du saint siege ; la cathédrale est un assez beau bâtiment ; le territoire de cette ville produit beaucoup de bons fruits, d'huile, d'amandes, du blé, & des vins ; ils étoient autrefois fameux, car Martial en parle, & les préfére aux vins de Salerne même. Long. 30. 26. latit. 42. 44.

Tous les anciens ont parlé de Spolete, capitale des Villumbres ; Tite-Live en particulier fait l'éloge de cette ville, dont Annibal tenta vainement le siege, après sa défaite par les Romains, auprès du lac de Perugia. Théodoric, roi des Goths, y fit bâtir un palais que les Goths détruisirent après sa mort, ainsi que le théâtre. Fréderic Barberousse saccagea cette ville, parce qu'elle soutenoit le parti du pape Alexandre III. Les Pérusins la surprirent & la brûlerent en 1324 ; mais elle s'est rétablie de tous ses malheurs. On y voit encore quelques fragmens antiques, de foibles restes d'un amphithéâtre, & quelques marbres détachés ; mais son aqueduc est un ouvrage digne de la curiosité des voyageurs.

Cet aqueduc, fondé sur le roc, s'éleve à 105 toises, c'est-à-dire à 630 piés, pour joindre ensemble deux montagnes voisines ; cet ouvrage, que la tradition du pays attribue à Théodoric, est peut-être le morceau d'architecture gothique le plus hardi & le plus haut que l'on connoisse dans le monde ; il subsiste presque dans son entier, & continue depuis tant de siecles à porter de l'eau dans la ville ; il sert aussi de pont pour y passer. (D.J.)


SPOLIARIUMS. m. (Antiq. rom.) c'étoit chez les Romains la chambre des bains, destinée à s'habiller & se déshabiller avant & après le bain. Ce mot désignoit encore l'endroit de Rome où l'on traînoit, & où l'on dépouilloit les corps des gladiateurs qui avoient été tués en combattant. (D.J.)


SPOLIATIONS. f. (Gram. & Jurisp.) est l'action de dépouiller quelqu'un de quelque chose, comme de ses papiers, de son argent, de ses meubles, & autres effets. La spoliation d'une hoirie est lorsqu'on enleve d'une succession le tout ou partie des effets qui la composoient, ce qui est appellé en droit, crimen expilatae haereditatis. Voyez DIVERTISSEMENT, ENLEVEMENT, RECELE, VOL. (A)


SPONDAIQUEadj. (Littérat.) sorte de vers hexametre dans la poésie grecque & latine, ainsi nommé parce qu'au lieu d'une dactyle au cinquieme pié, il a un spondée, ce qui est une exception à la regle générale de la construction du vers hexametre. Tels sont ceux-ci :

Nec brachia longo,

Margine terrarum porrexerat amphitrite. Ovid.

Supremamque auram, ponens caput, expiravit. Vida.

Ces sortes de vers sont fort expressifs par leur cadence, mais il n'est permis qu'aux grands poëtes de les employer. Homere en est plein. Personne n'a peut-être remarqué dans ce poëte, qu'il est rare de lire vingt vers de l'Iliade, sans en rencontrer un ou deux spondaïques.


SPONDAULAS. m. , dans l'antiquité étoit un joueur de flûte, ou d'autre instrument à vent de cette espece, qui, pendant qu'on offroit les sacrifices, jouoit à l'oreille du prêtre quelque air convenable, pour l'empêcher de rien écouter qui pût le distraire ou diminuer son attention. Voyez SACRIFICE. Ce mot est formé du grec , libation, & , flûte. (S)


SPONDÉES. m. (Littérature) dans la prosodie grecque & latine, c'est une mesure de vers ou pié composé de deux syllabes longues, comme vrtnt, dvs cmps. Voyez PIE, QUANTITE.

Le spondée est une mesure grave & lente, à la différence du dactyle, qui est rapide & léger ; tous les vers hexametres grecs & latins, finissent ordinairement par un spondée. Voyez VERS & MESURE.


SPONDIASS. m. (Hist. nat. Bot.) nom donné par Linnaeus au genre de plante que le P. Plumier appelle moubin, en voici le caractere.

Le calice de la fleur est permanent, il est d'une seule feuille divisée dans les bords en cinq quartiers : la fleur est composée de cinq pétales ovoïdes & déployées ; les étamines sont neuf filets, de la longueur du calice, & du nombre desquels il y en a cinq placés circulairement ; les bossettes des étamines sont simples, le germe du pistil est ovale, le stile est très-petit, & se termine par trois stigma obtus ; le fruit est une baie ovale, renfermée dans chaque cellule, & quelquefois cette baie contient quatre noyaux. Plumier, gen. 22. Linn. gen. plant. p. 175. (D.J.)


SPONDIASMES. m. (Musique anc.) c'est, dit Aristide-Quintilien, une sorte d'intervalle qui, avec deux autres nommées , exolutio & ejectio, étoient mis en oeuvre par les anciens, pour caractériser différentes harmonies, ou différens modes. Selon lui, l' étoit un relachement qui baissoit la corde, ou le son de la quantité de trois dièses, ou de trois quarts de ton : le spondiasme les haussoit de la même quantité, & l' de cinq dièses. Le vieux Bacchius définit de même l' ; mais il ne dit pas un mot du spondiasme, non plus que Méibom. Malgré leur silence, on doit présumer que le spondiasme, ainsi que les deux autres intervalles, n'avoit lieu que dans le genre enharmonique. (D.J.)


SPONDIUS(Mythol.) Apollon avoit un autel dans le temple d'Hercule, à Thèbes, sous le nom de spondius, c'est-à-dire Apollon qui préside aux traités. Cet autel étoit fait de la cendre des victimes ; là se pratiquoit une espece de divination tirée de tout ce que l'on a pu apprendre, soit par la renommée, soit autrement. (D.J.)


SPONDYLES. m. (Hist. nat. Conchyliolog.) nom générique que l'on a donné à différentes especes de coquilles. Voyez COQUILLE.

SPONDYLE, ou PIé-D'ANE, s. m. (Conchyliol.) en latin, par les naturalistes modernes, spondylus ; espece d'huitre ainsi nommée ; elle n'a d'autre différence de l'huitre ordinaire, que dans sa charniere, laquelle consiste en deux boutons arrondis, qui renferment le ligament, disposé de façon que les boutons de la valve supérieure sont reçus dans les cicatrices de l'inférieure, & que pareillement les boutons de cette derniere se logent dans les trous de la supérieure. Le ligament de nature coriace se trouve entre les boutons, & sert à la charniere des deux valves.

On connoît des spondyles unis, & d'autres raboteux sans pointes ; il y en a qui sont couverts de lames blanches, & armés dans leur pourtour de pointes couleur de rose ; d'autres sont distingués par des lames jaunâtres, & par un mamelon en partie rouge & en partie blanc ; cette derniere espece de spondyle est appellé gaidaron par Rondelet, en latin gaiderona. (D.J.)

SPONDYLE, (Conchyl.) c'est le cal nerveux de la chair de l'huitre. (D.J.)

SPONDYLE, , est un terme dont on se servoit anciennement, pour exprimer une vertebre de l'épine du dos. Voyez VERTEBRE, &c.


SPONDYLOLITES. m. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs aux vertebres des poissons qui se trouvent dans le sein de la terre en plusieurs endroits, comme en Tyrol, à Dax, &c.


SPONDYLUSS. m. (Antiq. grec.) , espece de maron de cuivre dont on se servoit pour donner son suffrage au barreau ou ailleurs, avant qu'on eut mis les feves en usage. Potter, Archaeol. grec. tom. I. p. 119. (D.J.)


SPONGIEUXSE, adj. en Anatomie, nom qu'on donne à plusieurs parties du corps, à cause de leur contexture qui est poreuse & caverneuse comme celle d'une éponge ; comme les corps spongieux du penis, qu'on nomme aussi corps caverneux & nerveux. Voyez CORPS CAVERNEUX.

Les os spongieux du nez, qu'on appelle aussi os turbinés, & os cribriformes. Voyez CRIBRIFORME & ÉPONGE.


SPONGIOLITES. f. (Hist. nat. Litholog.) pierre semblable à des champignons, qui se trouve dans le voisinage de Bologne en Italie. Voyez FUNGITE.


SPONGITES. f. (hist. nat. Bot.) nom sous lequel quelques naturalistes ont voulu désigner des pierres légeres & spongieuses, qui ne sont que des incrustations formées dans l'eau sur des végétaux, ou des corps marins ; cette pierre est de la nature du tuf & des incrustations. Voyez ces deux articles.


SPONSUSSPONSA, (Littérat.) Ces deux mots ne se prennent pas seulement dans les auteurs, pour des personnes fiancées, promises en mariage ; sponsus se prend aussi dans le même sens que maritus & vir, comme on le voit dans Horace, Ode II. l. III. vers. 31. 33. & 42. On a donc censuré mal-à-propos Santeuil le victorin d'avoir mis sponsus pour mari, & sponsa pour femme.

Sponsus se prend aussi pour une caution. Sponsum au neutre, aussi-bien que auditum, est un de ces noms substantifs verbaux qu'il a plu à nos grammairiens d'appeller supins, & qui se prend pour sponsor, un répondant, une caution. Séneque a dit au IV. liv. des Bienfaits, ch. xxxix. sponsum descendam, quia promisi. (D.J.)


SPONTANÉEadj. se dit, en Grammaire, de tout ce qui s'exécute de soi-même ; & en Médecine, on appelle évacuation spontanée, celle qui se fait sans qu'on ait rien pris pour cet effet ; fatigue spontanée, une lassitude qui n'a été causée par aucune fatigue précédente : hémorrhagie spontanée celle qui arrive sans avoir été excitée : sueur spontanée celle qui arrive par le seul mouvement de la nature.

Selles spontanées, ou qui se font sans l'aide ou de lavemens ou de suppositoires.


SPONTANÉITÉS. f. (Gram.) la qualité qui constitue le spontanée Voyez SPONTANEE. Si l'on attache au mot spontanéité d'autre idée que celle que l'italien met dans cette phrase, il mondo va dase, c'est une chimere.


SPONTOou ESPONTON, s. m. (Art. milit.) c'est une demi-pique dont se servent les officiers, qui a sept à huit piés de longueur. (Q)


SPORADESS. f. pl. en Astronomie, est un nom que les anciens donnoient aux étoiles qui ne faisoient partie d'aucune constellation. Voyez ETOILE.

Ce sont celles que les modernes appellent ordinairement étoiles informes. Voyez CONSTELLATION.

Plusieurs des sporades des anciens ont depuis formé de nouvelles constellations : par exemple, de celles qui sont entre le lion & la grande ourse, Hévelius a formé une constellation appellée le petit lion ; il en a formé une autre de celles qui sont sous la queue de la grande ourse ; on la nomme canis venaticus, &c. Chambers. (O)

SPORADES, îles, (Géog. mod.) îles de l'Archipel, ainsi nommées, parce qu'elles sont dispersées, & non rassemblées en un tas comme les cyclades. Il y a une partie de ces îles dans la mer de Crete, d'autres dans la mer Carpathienne, & les plus considérables dans la mer Icarienne. (D.J.)


SPORADIQUEMALADIE, (Médec.) morbus sporadicus. Les maladies sporadiques sont celles qui attaquent diverses personnes, dans différens tems ou en différens lieux ; au-lieu que les maladies épidémiques sont particulieres à certains tems ou saisons, & les endémiques à certains lieux. Ce mot est dérivé du grec semer. Ainsi maladie sporadique veut dire une maladie semée, dispersée çà & là. (D.J.)


SPORCOS. m. (Com.) terme usité parmi les négocians des provinces de France pour signifier une marchandise dans laquelle il n'y a point de tare. Voyez TARE. Dictionnaire de Commerce.


SPORI(Géog. mod.) Les anciens appelloient les Antes & les Sclavons du même nom grec spori, qui signifie dispersés ; parce que, dit Procope, leurs cabanes occupoient une grande étendue de pays : & du tems de cet historien, ces peuples barbares couvroient en effet une grande partie d'un des bords du Danube. (D.J.)


SPORTULAS. f. (Littérat. & Hist. anc.) Ce mot est sans contredit le diminutif de sporta, mais il seroit difficile d'en marquer la véritable étymologie. Quoi qu'il en soit, sporta & sportula ont signifié originairement dans la langue latine, une corbeille ou panier fait de joncs, de roseaux, de branches d'osier tissues & entrelacées.

On l'a étendu ensuite à signifier les vases ou mesures propres à contenir les pains, les viandes, & les autres mets que l'on distribuoit en certaines occasions : & lorsque l'usage se fut introduit chez les grands de Rome, de faire distribuer à leurs cliens, & à ceux qui leur faisoient la cour, de certaines portions pour leur nourriture ; ces portions que l'on mettoit dans des corbeilles, furent appellées, par métonymie, sportulae. Ensuite on l'employa pour signifier une sorte de repas public, différent de ceux qu'on appelloit caenae rectae qui étoient des repas servis par ordre, où l'on n'admettoit que des gens choisis. Tels étoient les repas que donnoit Auguste, au rapport de Suétone : Convivabatur & assiduè nec unquam nisi rectâ. Casaubon explique ce mot rectâ par , & lui oppose le repas appellé sportula, , où l'on invitoit tout le peuple indistinctement, & où chacun recevoit sa portion dans une corbeille.

Les distributions que les particuliers répandoient sur leurs cliens, se faisoient tantôt en argent, tantôt en viandes, quelquefois même de ces deux manieres, & s'appelloient également du nom de sportulae. Ces présens étoient souvent de petites médailles d'argent qui servoient de monnoie ; mais les empereurs ou autres personnes de qualité donnoient des médailles d'or. Aussi Trebellius Pollio, parlant des petits présens que l'empereur Galien fit à son consulat, dit qu'il donna une sportule à chaque sénateur, & à chaque dame romaine quatre médailles d'or : Senatui sportulam sedens erogavit. Matronas ad consulatum suum rogavit, iis denique manum sibi osculantibus quaternos aureos sui nominis dedit.

C'étoit aussi la coutume que ceux qui entroient dans le consulat, envoyassent à leurs amis de ces présens : Sportulam consulatûs mei & amicitiae nostrae, & honori tuo debeo, hanc in solido misi, dit Symmachus. Le mot de sportula, qui signifie une petite corbeille, fut donné à ces présens, parce qu'on les envoyoit dans une corbeille. Les vers suivans de Coripus, l. IV. sur le consulat de l'empereur Justin, nous le confirment.

Dona calendarum, quorum est ea cura, parabant

Officia, & turmis implent felicibus aulam,

Convectant rutilum sportis capacibus aurum.

C'est pourquoi les gloses grecques qui expliquent le mot de sportula, disent que ce sont des présens qu'on envoyoit dans des corbeilles.

Outre ces sportules, les consuls donnoient de petites tablettes de poche d'argent ou d'ivoire dans lesquelles étoient leurs noms ; & c'est ce qu'on appelloit les fastes. Sidonius, l. VIII. c. vj. parlant du consulat d'Asterius, nomme les sportules & les fastes qui furent distribués.

Enfin, le mot sportula s'est appliqué généralement à toutes sortes de présens, de gratifications & de distributions, de quelque nature qu'elles fussent. (D.J.)


SPRÉELA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne. Elle prend sa source dans la partie septentrionale de la Bohème, traverse la Lusace ; &, grossie dans son cours de plusieurs rivieres, entre dans la moyenne marche de Brandebourg, arrose Berlin & Spandaw, où elle se joint au Havel, & y perd son nom. (D.J.)


SPREHENBERG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Lusace. Elle est située sur une colline, dont le bord est arrosé par la riviere de Sprée, d'où lui vient son nom. (D.J.)


SPROTTALA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, en Silésie, dans la principauté de Glogaw. Elle prend sa source au pays de Lignitz, forme dans celui de Glogaw un lac, d'où elle sort pour se perdre dans le Bober à Sprottaw. (D.J.)


SPROTTAW(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Silésie, au duché de Glogaw, au confluent du Bober & du Sprotta, à deux milles au-dessus de la ville de Sagan. Long. 32. 9. lat. 51. 33. (D.J.)


SPUMA LUNAE(Hist. nat. Lithol.) nom sous lequel plusieurs naturalistes ont désigné la pierre spéculaire. Voyez SPECULAIRE.

SPUMA LUNAE, (Hist. nat.) Quelques auteurs se sont servis de ce nom pour désigner le talc. Voyez TALC.


SPUMA LUPI(Hist. nat.) nom donné par quelques naturalistes à une mine de fer arsenicale, qui est noire, luisante, & en petits crystaux qui donnent une poudre rouge quand on les écrase. Elle ressemble aux crystaux d'étain, & se trouve souvent dans les mines de ce métal qu'il faut en séparer soigneusement avant que de les faire fondre, parce qu'elles rendroient l'étain d'une mauvaise qualité. Cette substance est si dure qu'elle fait feu contre l'acier. Il y en a de cubique, de striée, composée de particules polyhédres & demi-transparentes. Les Allemands nomment cette substance minérale wolfram ou écume de loup ; elle n'est point propre à être exploitée dans les forges. Voyez la minéralogie de Wallerius.


SPUMEUXadj. (Gram.) mauvais mot technique qui n'emporte aucune idée de plus qu'écumeux.


SPUMOSITÉS. f. celui-ci peut être reçu, car il désigne la propriété de se mettre en écume, pour laquelle nous n'avons que ce mot.


SPURN-HEAD(Géog. mod.) c'est-à-dire, le cap d'éperon, cap avancé d'Angleterre, sur la côte d'Yorck-Shire, au quartier d'En-Riding. Sur ce cap il y a un village nommé Kellensey. C'est ce village ou Spurn-Head, qu'on doit prendre pour être ce que Ptolémée, l. II. c. iij. nomme Ocelli promontorium, . (D.J.)


SPUTATIONS. f. (Médec.) c'est l'action de cracher. Il y a des maladies où l'on est fatigué d'une sputation fréquente.


SQUALUSS. m. (Hist. nat. Ichthyol.) espece de chien de mer que les naturalistes nomment galeus glaucus, dentibus granulosis, foraminibus circa oculos. C'est un poisson dont la peau est très-rude. On en trouve qui ont plus de 20 piés de longueur, sur 8 à 9 de circonférence dans la partie la plus grosse du corps, & qui pesent au-delà de trente quintaux. L'organe le plus singulier de ces sortes de poissons consiste en un filtre placé entre la pointe du museau & du cerveau, de la consistance & de la couleur du corps vitré, & l'humeur transsude par quantité de petits trous de la peau. Presque tous les poissons sont enduits d'une espece d'huile ou de graisse, qui sert à les défendre des impressions nuisibles que l'eau pourroit faire sur leur peau & sur leurs écailles ; cette huile est apparemment un produit de leur transpiration ; mais le squalus est encore doué à sa partie antérieure, destinée à fendre l'eau, d'un magasin abondant de cette matiere huileuse, qui lui sert sans-doute à lubrifier cette partie, & peut-être à bien d'autres usages qui nous sont inconnus. (D.J.)


SQUAMMEUXÉCAILLEUX, adj. en Anatomie. c'est une épithete des sutures fausses ou bâtardes du crâne ; parce qu'elles sont composées d'écailles semblables à celles des poissons, ou comme des tuiles qui avancent les unes sur les autres. Voyez SUTURE.

Les sutures squammeuses sont aussi appellées temporales, parce qu'elles sont formées par les os des tempes. Voyez TEMPORAL.


SQUELETES. m. (Anatomie) on entend par un squelete tous les os d'un animal dépouillé des tégumens, des muscles, des vaisseaux, des glandes & des visceres, & rangés dans leur situation naturelle. On peut étendre l'acception de ce terme à toute préparation seche ; mais le gros des anatomistes l'a restraint à la préparation des os.

Il y a deux sortes de squeletes, le squelete naturel, dans lequel les os tiennent ensemble par leurs ligamens ; le squelete artificiel, où ils sont attachés avec du fil - d'archal, ou quelqu'autre substance qui ne faisoit point partie de l'animal à qui les os appartiennent.

On prépare de la premiere maniere les petits sujets, & ceux dont les os ne sont pas entierement ossifiés, parce que si toutes leurs parties étoient séparées, leur petitesse & leur peu de solidité ne permettroient pas au plus habile artiste de les réunir, au lieu que les os des adultes sont proprement & commodément nettoyés lorsqu'ils sont séparés, & il n'est pas difficile de les replacer ensuite, & de les fixer dans leur état naturel.

On suit quelquefois les deux méthodes dans la préparation d'un même squelete ; on laisse les petits os unis par leurs ligamens naturels, & l'on sépare les gros, on les nettoie, & on les attache ensuite avec du fil - d'archal, ou quelqu'autre matiere semblable.

Une remarque singuliere, c'est que quand les os du squelete sont réduits dans leur situation naturelle, il n'y en a presque pas un seul qui soit placé perpendiculairement sur un autre, quoique la machine entiere qu'ils composent, soit construite de maniere, que quand elle est droite, la ligne perpendiculaire, tirée de leur centre de gravité commun, passe par le milieu de leur base commune. C'est par ce moyen que nous nous tenons fermes sur nos jambes, comme si l'axe de tous les os étoit une ligne droite perpendiculaire à l'horison. Cette propriété facilite en même tems les différens mouvemens que nous avons à faire.

Il est vrai que toutes les fois que les os destinés à supporter quelque partie de notre corps, s'écartent de leur direction naturelle, la force requise dans les muscles, pour balancer la pesanteur de cette partie, devient plus grande qu'elle ne seroit sans cela. Et il n'y a aucun endroit de notre corps où le nombre & la force des muscles, ne puisse suffire à cet effet.

Tant que nous demeurons dans la même posture, il y a un nombre considérable de muscles qui sont dans un état de contraction, ce qui doit à la longue produire une sensation désagréable ; la raison & l'expérience sont d'accord en ceci. Voilà ce que nous appellons être las de la même posture, inconvénient que nous n'éprouverions point droits, si tous les os étoient perpendiculaires les uns aux autres. Mais ce défaut, si c'en est un, est bien compensé, par la facilité, la promtitude, & la force avec laquelle nous exécutons une infinité de mouvemens.

Les os des femmes sont plus petits, relativement à leur grandeur, que ceux des hommes, parce que la force de leurs muscles n'est pas assez grande, ni le poids qui leur est appliqué perpendiculairement assez grave pour les empêcher de s'étendre.

Les enfoncemens, les rebords, les aspérités, & les autres inégalités causées par les muscles, sont encore moins sensibles en elles qu'en nous, parce que leurs muscles étant moins forts, moins épais & moins exercés, font des impressions moins considérables sur leurs os.

Elles ont plus fréquemment l'os du front divisé par la continuation de la suture sagittale, ce qui provient des causes générales de la différence de leurs os d'avec les nôtres ; ainsi qu'on s'en appercevra, en considérant la structure de leur épine interne & moyenne.

Leurs clavicules sont moins recourbées, parce que leurs bras ont été moins violemment tendus en devant ; car l'ajustement de nos européennes, surtout de celles qui ont de la naissance, est contraire à ce mouvement.

Leur sternum est plus élevé par de longs cartilages inférieurs, afin que la poitrine s'étende en proportion de ce qu'elle est retrécie, par la compression du diaphragme qui se fait dans la grossesse.

Elles manquent assez souvent d'un os, ou ont un trou dans le milieu du sternum, qui sert de passage aux vaisseaux des mamelles ; ce qu'il faut peut-être attribuer à leur constitution lâche, dans laquelle l'ossification ne se fait pas aussi promtement que dans les sujets en qui l'action des solides a de la vigueur, & la circulation des fluides de la vîtesse ; car un trou beaucoup plus petit suffisoit à cet effet ; les branches des vaisseaux internes des mamelles destinées aux parties extérieures de la poitrine passent entre les cartilages des côtés, avant qu'elles passent au sternum.

Le cartilage xiphoïde est plus souvent fourchu dans les femmes que dans les hommes ; ce qui provient de la même cause que nous venons d'apporter dans l'article précédent, savoir la lenteur de l'ossification.

Les cartilages supérieurs des côtes qui ont à supporter les mamelles, s'ossifient plus promtement.

Le poids des mamelles leur rend les cartilages moyens plus plats & plus larges.

Les cartilages inférieurs sont plus longs, & leur rendent la poitrine plus large.

Elles ont l'os sacrum plus tourné en arriere ; ce qui contribue à la grandeur du bassin.

Les femmes foibles qui ont mis au monde plusieurs enfans dans leur jeunesse, ont quelquefois les vertebres du dos courbées en-dedans, & leur sternum enfoncé, ou deviennent, comme Cheselden l'observe, voutées, & ont la poitrine enfoncée, à cause du poids & de la pression de l'utérus, & de l'action violente des muscles épigastriques.

Le coccyx est plus mobile & plus reculé en-arriere, pour fortifier la sortie de l'enfant.

Les os des iles sont plus creux, se portent plus en-dehors, & sont par conséquent fort écartés l'un de l'autre, pour donner plus de capacité à la partie inférieure du bas ventre, & procurer plus de place à la matrice durant la grossesse.

L'arcade ou partie supérieure de l'os pubis, est beaucoup plus ample dans les femmes qui ont eu des enfans, que dans les autres, étant dilatée par l'action du muscle droit du bas ventre.

Le cartilage qui joint les deux os du pubis, est extrêmement épais, ce qui donne beaucoup plus de capacité au bassin.

Les surfaces conjointes des os pubis, des os innominés & de l'os sacrum, ont peu d'étendue, afin de procurer avec l'os sacrum qui est fort étroit, un passage plus libre à l'enfant dans l'accouchement.

La grosse tubérosité de l'os ischion est plus plate dans les femmes que dans les hommes, à cause de la pression continuelle qu'il souffre, par la vie sédentaire que les premieres mènent.

La grande capacité du bassin dans les femmes est cause que les articulations des os des cuisses sont plus éloignées que dans les hommes ; ce qui laisse, comme Albinus l'observe très-bien, un plus grand espace à la matrice pendant la grossesse. Cet éloignement des cuisses est peut-être une des causes qui fait que les femmes panchent plus d'un côté que de l'autre en marchant que les hommes, pour empêcher le centre de gravité de leur corps, de trop se jetter sur l'articulation de la cuisse qui pose à terre, tandis que l'autre est levée, ce qui les exposeroit à tomber. Tous ces faits prouvent que la destination des femmes est d'avoir des enfans & de les nourrir. (D.J.)


SQUILLACI(Géog. mod.) ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, près du golfe de même nom, sur le torrent de Favelone, à 12 lieues de Cosenza, à 14 de Girace, avec titre de principauté, sous la métropole de Rhegio. Long. 34. 32. latit. 38. 52.

Quoique la fondation de cette ville, qu'on rapporte à Ulysse, soit fabuleuse, on sait néanmoins que la Calabre a été autrefois habitée par des grecs, & que même on appelloit ce pays-là, & tout ce qui est à l'extrêmité de l'Italie, la grande Grece. Strabon veut que Squillaci fût une colonie des Athéniens, dont elle avoit conservé la politesse & les inclinations.

Quoi qu'il en soit, cette ville se glorifie d'avoir donné la naissance à Cassiodore (Magnus Aurelius) secrétaire d'état de Thédoric, roi des Goths, & l'un des plus grands ministres de son siecle dans l'art de gouverner. Il fut consul en 514, & eut beaucoup de crédit sous Athalaric & sous Vitiges. Il trouva le tems de composer divers ouvrages, dont la meilleure édition est celle du P. Garet, à Rouen, en 1679, infol. Il se retira du monde sur ses vieux jours, & mourut dans le monastere qu'il fit bâtir à Squillaci, à l'âge d'environ quatre-vingt-treize ans, vers l'an 562 de J. C.

Nous lui devons une peinture riante de la situation de Squillaci sur la mer Adriatique, qu'on appelle aujourd'hui mer de Sicile de ce côté-là, & qui fait en cet endroit un golfe, qu'on nomme aujourd'hui golfe de Squillaci. " Cette ville, dit-il, s'éloigne du rivage en s'élevant doucement, environnée d'un côté de fertiles campagnes, & de l'autre baignée de la mer ; l'aurore du soleil est pour elle, & jamais nuage ni brouillard ne lui en dérobent la lumiere ; l'air en est pur, & les saisons y sont toujours tempérées. Son territoire offre des campagnes couvertes d'oliviers, des aires pleines de riches moissons, & des vignes qui promettent une abondante vendange. "

Cette description, qui a quelque chose d'étudié, marque du moins l'inclination naturelle que cet homme illustre avoit conservée pour sa patrie. Il en donna de bonnes preuves par les travaux qu'il entreprit pour l'utilité de cette ville, lorsqu'il étoit gouverneur de l'Abruzze & de la Lucanie, qu'on comprend aujourd'hui sous le nom de Calabre. Il fit creuser de vastes réservoirs dans la concavité d'un rocher, pour y attirer des poissons de toute espece, & c'est dans ce même lieu qu'il bâtit depuis son monastere.

" La situation de ce monastere, écrivit - il à ses moines, nous invite à préparer toutes sortes de soulagemens pour les étrangers, & pour les pauvres du pays. Vous avez des jardins arrosés de plusieurs canaux, & le voisinage du fleuve Pellène, qui est fort poissonneux, & qui a cela de commode, que vous ne devez pas craindre d'inondation de l'abondance de ses eaux, quoiqu'il en ait assez pour n'être pas à mépriser. On le trouve àpropos lorsqu'on en a besoin, & dès qu'il a rendu le service qu'on en attendoit, on le voit se retirer. Il est, pour ainsi dire, dévoué à tous les ministeres de votre maison, prêt à rafraîchir vos prairies, à arroser vos jardins, & à faire tourner vos moulins. Vous avez aussi la mer au bas du monastere, & vous pouvez y pêcher commodément. Vous avez encore de grands réservoirs où le poisson se rend de lui-même. Je les ai fait creuser dans la concavité de la montagne, desorte que le poisson qu'on y met, ayant la liberté de s'y promener, de s'y nourrir, & de se cacher dans le creux des rochers, comme auparavant, ne sent point qu'il est captif, &c. " Pline le jeune n'a pas jetté plus de fleurs que Cassiodore dans les peintures agréables de ses maisons de plaisance. (D.J.)

SQUILLACI, golfe de, (Géog. mod.) on appelle golfe de Squillaci, une partie de la mer Ionienne, sur la côte de la Calabre ultérieure, entre le cap de Rizzuto, & celui de Stilo, qui le sépare du golfe de Girace. (D.J.)


SQUILLES. f. (Hist. nat.) CHEVRETTE, SOLICOQUE, CREVETTE, squilla ; crustacée dont il y a plusieurs especes qui different principalement par la grandeur & par les couleurs. Les squilles de mer sont beaucoup plus grandes que celles d'eau douce ; celles-ci ont le corps couvert d'une soie très-mince, jaune ou blanchâtre, & transparente. Elles naissent dans les ruisseaux dont les eaux sont claires, & elles se retirent sous les racines des roseaux & des glayeux, ou sous les pierres. Les squilles de mer ont la chair tendre, délicate & de bon goût. Dict. univ. des drogues simples par Mr. Lemery. Voyez CRUSTACEE.

SQUILLE, (Botan.) voyez SCILLE.

SQUILLE AQUATIQUE, (Insectolog.) M. Derham dit que les squilles aquatiques étant du nombre des insectes les plus voraces, elles ont aussi des organes proportionnés à leur état, en particulier la grande squille aquatique recourbée a quelque chose de hideux dans la posture qu'elle tient dans l'eau, dans son aspect, sur-tout dans la structure de sa bouche, qui paroît armée de longs crochets aigus, avec lesquels elle saisit goulument & hardiment tout ce qu'elle rencontre, même jusqu'aux doigts des hommes. Lorsqu'elle tient sa proie, elle la serre si fortement avec ses pinces, qu'elle ne lâche point prise, après même qu'on l'a tirée de l'eau, & lorsqu'on la roule dans la main. Quand ces insectes ont attrapé quelque chose de succulent pour leur nourriture, ou quelqu'autre petit insecte, ils percent avec leurs pinces creuses leur proie ; & à-travers les creux de ces pinces, ils en sucent tout le suc ou le sang. (D.J.)


SQUILONES. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) c'est le nom que les Portugais ont donné à un poisson d'eau douce, qui a huit ou neuf pouces de longueur ; il est fort gras & d'un goût exquis. Il est remarquable par une espece de duvet qui lui vient autour de la bouche. Il se trouve abondamment dans le royaume de Congo en Afrique.


SQUINES. f. (Hist. des drog. exot.) racine exotique nommée chinna, ceù cinna, par Cesalp. chinaea radix, par Cordus, chinna & schina, par Tabern. C'est une racine qui tire son nom du pays de la Chine d'où elle a d'abord été portée dans les Indes orientales. Elle est bien différente par sa nature & par ses vertus de l'écorce appellée china china, qui vient du Pérou, & que nous nommons en françois quinquina. On trouve chez les droguistes deux especes de squine, l'une orientale, & l'autre occidentale.

La squine orientale, china orientalis off. est une grosse racine sans odeur, noueuse, genouillée, pesante, ligneuse, à tubercules inégaux, extérieurement d'un blanc rougeâtre, & intérieurement d'un blanc tirant sur le rouge ; quelquefois elle est un peu résineuse. Elle a dans sa fraîcheur un goût un peu âcre & pâteux ; mais lorsqu'elle est seche son goût est terreux & légerement astringent.

La meilleure est celle qui est récente, compacte, solide, pesante, qui n'est point cariée ni rongée par les teignes ; on veut qu'elle soit presque insipide, pleine cependant d'une espece d'humeur grasse & onctueuse ; ce que l'on connoît assez évidemment en la mâchant, mais encore plus lorsqu'on la fait bouillir. On rejette celle qui est trop vieille, qui n'a point de suc, qui est spongieuse, légere & cariée.

La plante est appellée smilax aspera chinensis, lampatam dicta, par Herman, smilax minus spinosa, fructu rubicundo, radice virtuosâ, par Kaempfer. Sa racine est grosse, dure, noueuse, inégale, un peu fibreuse, longue, rousse ou noirâtre en dehors, blanchâtre en dedans, d'un goût foible & presque insipide. Voilà ce que les médecins appellent racine de squine, également célebre par ses effets.

Elle s'éleve d'une ou de deux coudées lorsqu'elle n'est pas soutenue, mais étant appuyée sur les buissons voisins, elle monte plus haut. Ses sarmens sont ligneux, de la grosseur d'une paille d'orge, d'un rouge brun près de la terre, & noueux de deux pouces en deux pouces ; les parties comprises entre les noeuds sont alternativement courbées & un peu réfléchies, & chaque noeud a quelquefois deux petites épines crochues & opposées sur le même côté. De chaque noeud sort une feuille portée sur une queue creusée en gouttiere, membraneuse, repliée, d'où naissent deux mains ou vrilles, une de chaque côté, semblables à celles de la vigne, par lesquelles elle s'attache fortement à tout ce qui est autour.

De l'aisselle des queues de chaque feuille poussent des bouquets de fleurs ou des bourgeons ; quelquefois les vrilles sont à l'extrêmité de la queue & touchent à la feuille qui est en forme de coeur, de trois pouces de diametre, & qui se termine en une pointe courte & obtuse.

Cette feuille est mince, membraneuse, luisante, noirâtre des deux côtés, & fort ondée vers la pointe ; le bord est entier, & quelquefois inégal ; elle a cinq nervures branchues qui dès leur origine vont les unes directement, & les autres en forme d'arc, se réunir à la pointe.

Les fleurs de cette plante sont petites, portées sur un pédicule grêle, délié, de la longueur d'un pouce, de couleur rougeâtre ou jaunâtre ; elles sont au nombre de dix, plus ou moins disposées en ombelles sans calice, d'un jaune tirant sur le verd, à six feuilles disposées en étoile autour d'un embryon qui approche par sa figure de la semence de coriandre, & est entouré par six étamines ou filets transparens garnis d'un sommet jaunâtre. Cet embryon qui occupe le centre, porte un petit stile surmonté d'une tête de couleur bleuâtre.

Lorsque la fleur est passée, l'embryon en grossissant devient un fruit qui a la figure, la grosseur, la couleur & l'éclat de la cerise, plus spongieux que charnu ; sa pulpe est peu considérable, seche, farineuse, de couleur de chair, d'un goût acerbe & semblable à celui des neffles. Dans l'intérieur de ce fruit sont renfermées quatre, cinq ou six semences de la grandeur d'une petite lentille, de la figure d'un croissant, rassemblées en rond comme les grains de mauve ; étant seches, elles ont une couleur de chataigne tirant sur le noir ; elles sont blanches en-dedans, très-dures, & d'une substance de corne. Cette plante croît en abondance dans le royaume de la Chine parmi les cailloux, les épines & dans les lieux incultes.

La squine a été selon toute apparence, inconnue aux anciens médecins. Les nouveaux auteurs l'ont fort recommandée & pendant long-tems pour guérir les maux vénériens. Des marchands chinois lui ont donné de l'autorité pour la premiere fois vers l'an 1535, par leurs assurances que cette racine guérissoit la goutte, les maladies vénériennes & plusieurs autres, sans qu'on fût obligé d'observer le régime exact que l'on suivoit alors, en usant du gayac ; ils ajoutoient encore qu'il ne falloit pas tant de tems, & que la squine ne causoit pas tant de dégoût. Les Espagnols la vanterent par toutes ces raisons à l'empereur Charles-quint, comme le rapporte Davila & Vésale ; conséquemment ce prince en fit usage de son propre mouvement sans consulter les médecins ; mais ce fut sans succès puisqu'il n'observoit point de régime, & qu'il n'en continua pas l'usage, ce qui l'obligea de reprendre son gayac : cependant tout le monde le pressa de publier la maniere d'employer la squine, & tous ceux qui suivirent son exemple furent également trompés ; cette licence téméraire eut sa mode ; on en revint à la diete du gayac avec la squine, car tous les auteurs de médecine conviennent encore que ce remede bien administré, est un excellent antidote contre les maladies vénériennes.

Ce remede atténue les humeurs épaisses, les tempere, les résout, & les dissipe ensuite par les sueurs & par les urines ; cependant la squine, la sarsepareille & le gayac, sont bien inférieurs au mercure pour la guérison des maladies qu'on contracte par le commerce avec une personne gâtée.

Je n'ajoute qu'un mot sur la squine d'occident. Elle est nommée china occidentalis ; c'est une racine oblongue, grosse, noueuse, tubéreuse, qui ne differe de la squine d'orient que par la couleur qui est plus rousse ou noirâtre en dehors, & plus rougeâtre en dedans. La plante est appellée smilax aspera fructu nigro, radice nodosâ, magnâ, farinaceâ, china dicta, Sloane catal. plant. jam. On apporte cette squine de la nouvelle Espagne, du Pérou, du Brésil & d'autres pays de l'Amérique. Elle a les mêmes vertus que la squine d'orient, quoiqu'on la regarde comme lui étant inférieure. (D.J.)

SQUINE BATARDE, (Botan.) senecio asiaticus, jacobaeo folio, radice lignosâ, china officinarum dicta nobis, Commel Boher. Ind. A. 117. Senecio madrapatensis, rapi folio, floribus maximis, cujus radix à nonnullis china dicitur, Petiv. Mus. 680. Hort. elth. 345. Cette plante croît au Malabar, & y est nommée perinchakka ; il en est parlé fort au long dans les Trans. philos. n °. 274. p. 943. (D.J.)


SQUINQUEvoyez SCINE.


SQUIRHES. m. (Chirurgie) voyez SKIRRHE.


SSIou GUS, s. m. (Hist. natur. Botanique) c'est un oranger sauvage du Japon, dont le fruit est de fort mauvais goût. Ses branches sont inégales & tortueuses, garnies d'épines longues, fortes & piquantes. Son bois n'est pas dur. L'écorce qui est grasse & d'un verd brillant se sépare sans peine. Chacune des feuilles est composée de trois petites feuilles qui se réunissent au centre sur un pédicule mince, long d'un demi-pouce, garni d'un bord de chaque côté. Ces petites feuilles sont ovales, longues d'un pouce, d'un verd foncé par-dessus & plus clair au revers, celles du milieu un peu plus longues que les autres. Les fleurs ressemblent à celles du néflier, & croissent près des épines ou jointes aux feuilles une à une, ou deux à deux sans pédicules. Elles ont cinq pétales d'un demi pouce de long ; elles sont blanches, garnies d'un calice, & presque sans odeur. Le pistil est court, environné de plusieurs étamines courtes & pointues. Le fruit ressemble à l'orange par sa figure, & n'en differe intérieurement que par l'odeur désagréable, & le mauvais goût de sa pulpe qui est visqueuse. On fait sécher l'écorce de ce fruit pour en faire avec d'autres drogues un remede célebre au Japon, qui se nomme ki-kolum.

SSI ou KUTSPINAS, s. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un arbre du Japon, qui est une espece de nefflier ; sa feuille est grande, sa fleur très-blanche, l'odeur très-agréable, & la forme en tuyau, partagé en six levres, longues, étroites, & qui s'ouvrent de la grandeur d'une rose. Son fruit est exagone & de figure conique ; il a la pulpe jaune, d'un goût désagréable, & remplie d'une infinité de petites semences, semblables à celles du sésame. Cette pulpe sert aux teintures en jaune. Un autre arbre du même nom, a la feuille plus petite, & la fleur blanche & double. Son bouton, lorsqu'il n'est point ouvert, présente la figure d'une belle coquille de limaçon de figure oblongue.


SSIBU-KAKIS. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un figuier du Japon, qui donne un fruit qui ne se mange point, mais qu'on enterre dans un pot, pour le faire pourrir & fondre, & dans le suc qu'on passe soigneusement, on trempe le papier, dont on fait des habits, pour le garantir de la pourriture. On s'en sert aussi pour teindre les toiles d'ortie & de chanvre.


SSIOS. m. (Hist. nat. Botan.) arbre du Japon, qui est une espece de laurier qui donne du camphre, sur-tout par ses racines. Il est de l'épaisseur & de la hauteur de nos tilleuls. On en tire le camphre dans la province de Saxuma, & dans les îles de Gotto, où il croît uniquement, par la décoction des racines & du bois coupés en petits morceaux ; mais quoiqu'on le sublime ensuite, il est plus de quatre-vingt fois meilleur marché que celui de Bormeo, qui se tire des arbres par de simples incisions entre l'écorce & le bois. L'arbre japonois a peu de branches ; son écorce est dure & d'un gris obscur, mais celle des jeunes branches est gluante & s'enleve aisément. La moëlle en est dure & ligneuse ; le bois est naturellement blanc ; mais en se séchant, il prend une petite teinture de rouge. Quoique peu compacte, il a des fibres assez dures qui le rendent propre à faire des ouvrages de menuiserie, comme cabinets, boîtes, &c. mais à mesure que sa résine s'évapore, il devient raboteux. Les plus beaux cabinets du Japon sont faits de la racine de cet arbre, & de celle du fatz-no-ki. Les veines & les nuances de l'un & de l'autre ont beaucoup d'agrément.

Les feuilles du camphrier japonois tiennent à des pédicules assez longs, qui rougissent un peu après avoir été verds d'abord. Elles sont toujours seules, sans ordre, membraneuses, de forme tirant sur l'ovale, pointues à l'extrêmité, ondées sur les bords, sans être dentelées, avec beaucoup de fibres d'une couleur plus pâle. Le dessus est d'un verd foncé, mais luisant ; le dessous a la couleur de l'herbe & la douceur de la soie. Le nerf qui est prominent des deux côtés, est d'un verd blanchâtre & jette ses rameaux en arc le long de la feuille. De ces rameaux, il en sort d'autres plus déliés. L'extrêmité des fibres forme assez souvent de petits porreaux qui sont particuliers à cet arbre. Lorsqu'il est dans toute sa grandeur, il commence à pousser de petites fleurs, aux mois de Mai & de Juin. Elles naissent aux extrêmités des petites branches sous les pédicules des feuilles ; & leurs propres pédicules sont d'un tiers plus courts que ceux des feuilles, forts, menus, divisés en petites branches, dont chacune porte une fleur blanche hexapétale avec neuf étamines ; trois au milieu, & les six autres disposées en rond autour des premieres. A mesure que le calice augmente, la graine mûrit ; & dans sa maturité, elle est de la grosseur d'un pois, luisante, & d'un pourpre foncé. Sa figure est ronde, allongée comme une poire, avec une petite enveloppe de couleur tirant sur le pourpre, d'un goût de camphre giroflé. Elle renferme un noyau, de la grosseur d'un grain de poivre, dont l'écorce est d'un noir luisant, & qui se sépare en deux ; il est de nature huileuse, & d'un goût fade. Voyez Kaempfer, histoire du Japon.


STest un terme indéclinable, dont on se sert ordinairement quand on recommande le silence.

Les Romains écrivoient ces deux lettres sur les portes des chambres où ils mangeoient, comme s'ils avoient voulu dire, sed tace ou silentium tene.

Porphire, remarque que les anciens se faisoient un point de religion de ne pas dire un seul mot en sortant ou en entrant par les portes.


STABIE(Géog. anc.) Stabiae, ville d'Italie, dans la Campanie. Elle ne subsistoit plus du tems de Pline, liv. III. c. v. qui nous apprend qu'elle avoit été détruite, sous le consulat de Cn. Pompée, & de L. Caton, par Sylla, le dernier d'Avril, & qu'elle étoit réduite à un simple village.

Pline le jeune, l. VII. epist. xvj. après avoir rapporté que son oncle, curieux d'examiner l'embrasement du mont Vesuve, dit à son pilote de tourner du côté de Pomponianus, ajoute que Pomponianus étoit à Stabie, dans un endroit séparé par un petit golfe, que forme insensiblement la mer sur ses rivages qui se courbent. Ovide parle de Stabiae au quinzieme livre de ses Métamorphoses, v. 711.

Herculeamque urbem, Stabiasque.

On voit dans Galien, liv. V. Méth. medec. & dans Symmaque, liv. VI. epist. 17. que le lait des vaches de Stabiae étoit en usage dans la Médecine. Charles Patin confirme ce fait par une médaille curieuse de l'empereur Géta, sur le revers de laquelle est une vache, qui désigne l'excellence du lait que produisoient les pâturages de Stabie. Columelle, liv. X. v. 139. fait l'éloge des eaux & des fontaines de Stabie.

Fontibus & Stabiae celebres, & vesvia rura.

La table de Peutinger place Stabiae entre Pompeii & Surrentum. C'est aujourd'hui Castel a mare di Stebia, ou simplement Castel a mare. (D.J.)


STABILITÉS. f. (Gramm.) qualité de ce qui est fixe, immobile. On dit la stabilité de la terre ; la stabilité d'une convention, du caractere de l'esprit, des vues, des vertus, &c.


STABLATS. m. (Lang. Franç.) c'est une habitation que font les habitans des pays des hautes montagnes dans des étables, où ils s'enferment en hyver pendant la chûte des neiges. (D.J.)


STACHIR(Géog. anc.) fleuve de la Lybie intérieure. Ptolémée, l. IV. c. vj. dit que ce fleuve sort du mont Rysadius ; & qu'auprès de cette montagne, il forme un marais Clonia. Marmol prétend que ce fleuve est le Senega. (D.J.)


STACHYSS. m. (Hist. nat. Botan.) genre de plante à fleur monopétale labiée, dont la levre supérieure est un peu concave & droite, la levre inférieure est divisée en trois parties ; dont les deux extérieures sont beaucoup plus petites que celle du milieu. Le pistil sort du calice, il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies & renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les feuilles sont velues & blanches. Tourn. inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort établit six especes de ce genre de plante, dont nous décrivons la principale, la grande d'Allemagne, stachys major germanica. I. R. H. 186.

Sa racine est dure, fibrée, jaunâtre, & vivace. Elle pousse une ou plusieurs tiges à la hauteur d'environ 2 piés, grosses, quarrées, nouées, velues, blanches, veloutées, moëlleuses en-dedans. Ses feuilles sont opposées l'une à l'autre à chaque noeud de sa tige, semblables à celles du marrhube blanc, mais beaucoup plus longues, plus blanches ; cotonnées, dentelées en leurs bords, d'une odeur assez agréable, d'un goût astringent sans aucune âcreté.

Ses fleurs sont verticillées & disposées en maniere d'épis entre les feuilles, au sommet de la tige, velues en - dehors, glabres en - dedans, ordinairement purpurines, quelquefois blanches, approchantes de celles du lamium ; chacune de ces fleurs est en gueule, ou en tuyau découpé par le haut en deux levres ; la supérieure est creusée en cueilleron, relevée & échancrée : l'inférieure est divisée en trois parties, dont celles des côtés sont beaucoup plus petites que celles du milieu.

Après que la fleur est tombée, il lui succéde quatre semences presque rondes, noirâtres, renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Toute la plante rend une odeur forte ; elle croît aux lieux montagneux, rudes, incultes, & fleurit en été. Son nom lui vient de ces fleurs rangées en épis, car en grec veut dire épi. (D.J.)


STACKILAC, (Géog. mod.) lac d'Ecosse dans la province de Strah-Navern. (D.J.)


STACTÉS. m. (Hist. nat. des drog.) c'est ainsi que les anciens nommoient la plus précieuse sorte de myrrhe liquide, qui découloit des arbres sans incision. Ce n'étoit pas le storax de nos boutiques, comme quelques modernes l'ont imaginé, car le storax est même fort différent de notre myrrhe en larmes. C'est une myrrhe liquide, naturelle, d'un grand usage dans les choses de luxe. On la mêloit dans des vins de liqueur, qu'on appelloit vina myrrhata, & qu'on estimoit singulierement. De-là vient que dans Plaute une vieille dit :

Tu mihi stacte, cinnamomum. Tu rosa,

Tu crocum & cassia es !

Les anciens composoient encore avec le stacté des parfums ordoriférans, des pommades pour les cheveux & des baumes de grand prix. Plusieurs commentateurs de l'Ecriture prétendent que c'est de ce baume de myrrhe que les mages porterent à Bethléem au Sauveur du monde, avec de l'or & de l'encens.

Nos parfumeurs appellent à leur tour stacte quelques morceaux choisis de myrrhe, qu'ils font dissoudre dans de l'huile, & y mettent de l'odeur ; car nous ne connoissons plus le stacte des anciens ; nous ne connoissons uniquement que la myrrhe seche en larmes. Voyez MYRRHE & MYRRHE, vin. (D.J.)


STADES. m. (Mesure itinéraire des anciens) mesure de longueur des Grecs ; leur stade, selon Pline, étoit de 125 piés romains, & chacun de ces piés romains étoit de 12 pouces : il falloit 5 piés romains pour faire un pas géométrique ; ainsi 625 piés romains faisoient 125 pas géométriques, par conséquent il falloit 8 stades pour faire un mille romain ; donc les 800 stades faisoient 100 mille romains.

Pour réduire maintenant 800 stades romains à nos lieues de France, les lieues communes de France sont de deux mille 400 pas géométriques ; donc 800 stades faisoient 41 de nos lieues de France & 2/3 de lieue.

Je sais bien que M. de Barre a établi un systême tout différent de celui-ci ; il donne aux Grecs deux stades, un grand & un petit. Le grand stade, selon lui, étoit de 133 pas romains, deux tiers, & il y en avoit sept & demi au mille ; le petit stade étoit de 80 pas ou de 400 piés romains. On peut lire dans les Mémoires de l'académie des Inscriptions, tome XIX. les raisons sur lesquelles il appuye son hypothèse ; mais quoiqu'elle soit accompagnée de savantes recherches, je ne crois pas devoir abandonner l'opinion commune. (D.J.)

STADE D'OLYMPIE, (Antiq. greq.) le stade d'Olympie étoit un espace de 600 pas qu'on avoit renfermé de murs près de la ville d'Elis & du fleuve Alphée, & qu'on avoit orné de tout ce qu'on avoit cru propre à l'embellir ; mais comme on avoit été contraint de s'assujettir au terrein qui étoit inégal, ce stade étoit fort irrégulier, ainsi qu'on peut le voir par le dessein qu'en a tracé sur la description de Pausanias, M. le chevalier Folard, & que M. l'abbé Gédoyn a fait graver pour l'insérer dans la traduction de cet auteur grec.

Ce stade étoit composé de deux parties : la premiere, dont la figure ressembloit assez à la proue d'un vaisseau, étoit nommée la barriere. C'étoit - là qu'étoient les écuries & les remises où se tenoient les chevaux & les chariots, & où ils s'apparioient. La seconde étoit nommée la lice, & c'étoit dans l'espace qu'elle contenoit que se faisoient les courses, soit à cheval, soit avec les chariots. Au bout de la lice étoit la borne, autour de laquelle il falloit tourner, & comme celui qui en approchoit le plus, formoit un cercle plus court, il étoit toutes choses égales, plutôt revenu au lieu d'où il étoit parti. C'étoit-là principalement que consistoit l'adresse de ceux qui conduisoient les chars, & où au même tems ils couroient le plus grand danger. Car indépendamment de ce qu'ils pouvoient s'y rencontrer avec un autre char ; si on venoit à toucher cette borne, l'essieu se brisoit en mille pieces, ou recevoit du-moins quelqu'échec qui faisoit perdre tout l'avantage. Voilà ce qu'Horace exprime par ces mots, metaque fervidis évitata rotis.

Au-delà de cette borne étoit encore une autre occasion de danger. C'étoit la figure du génie Tarascippas, qui étoit faite de maniere à effrayer les chevaux. On ne sait si on l'avoit mise là exprès pour augmenter le danger de la course, ou si par respect pour ce génie on l'y avoit laissée, supposé qu'elle y fut avant la construction du stade ; mais il est toujours vrai que c'étoit un endroit fort dangereux.

Des deux côtés de cette lice dans toute sa longueur étoient les places des spectateurs. Les principales étoient pour les juges & pour les personnes de considération ; le peuple qui y accouroit en foule se mettoit où il pouvoit : car rien n'est égal à la curiosité qu'on avoit pour ces sortes d'exercices.

J'ai dit que de la barriere les chars entroient dans la lice, & je dois ajouter que la séparation de ces deux lieux étoit fermée avec une corde qui se baissoit par une espece de méchanique, que décrit Pausanias ; & c'étoit le signal qui avertissoit d'entrer dans la lice. Banier. (D.J.)


STADEN(Géogr. mod.) en latin Statio, ville d'Allemagne dans le cercle de la basse-Saxe, au duché de Brême, sur la riviere de Schwinge, près de l'Elbe, à 15 lieues au nord-est de Brême. Cette ville a été considérable du tems des Romains, qui y tenoient des troupes pour défendre les passages de l'Elbe. Après avoir subi la domination des archevêques de Brême, elle devint ville anséatique & florissante ; mais elle déchut beaucoup, lorsque les Anglois eurent transporté à Hambourg le commerce de leurs draps. Le feu la consuma presqu'entierement en 1659. Les ducs de Brunswick-Lunebourg la prirent en 1676. Elle appartient aujourd'hui à l'électeur d'Hanovre. Longit. 26. 54. latit. 53. 42. (D.J.)


STADHOUDERvoyez STATHOUDER.


STADIA(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans le Coménolitari, sur le bord occidental du golfe Thessalonique, au midi de l'embouchure de la Platamona. C'est le Dium en Macédoine de Strabon. (D.J.)


STADIASMOSS. m. (Littérat. greq.) signifie la mesure par stades. Ce mot, quoique bon & ancien, ne se trouve pourtant dans aucun de nos dictionnaires grecs. Personne n'ignore que les anciens Grecs étoient accoutumés à mesurer les distances des lieues par stades ; ils appelloient cela , d'où vient . (D.J.)


STADIDROMES. m. (Gymnast.) nom que l'on donnoit à ceux qui dans l'exercice de la course ne couroient que l'espace d'un stade, à la différence de ceux qui en couroient deux, & que l'on nommoit dolcodromes, & de ceux qui retournoient après avoir couru les deux stades, & qu'on nommoit dianlodromes, enfin de ceux qui couroient armés & qui s'appelloient oplitodromes. (D.J.)


STADISIS(Géog. anc.) ville de l'Ethiopie sous l'Egypte, près de la grande cataracte du Nil ; c'est la Tasitia de Ptolémée. (D.J.)


STADIUMS. m. (Jeux de la Grece) , carriere pour les courses publiques dans l'ancienne Grece. Cette carriere étoit environnée de plusieurs rangs de degrés élevés sur une enceinte faite en portion d'ovale, dont chaque côté étoit de 600 piés athéniens, ce qui déterminoit le stade simple qui étoit de 125 pas géométriques ; le stade doublé, c'est-à-dire parcouru deux fois, formoit 250 pas ; l'hippodrome de Némée étoit d'une grande étendue, car il devoit avoir 750 pas, étant deux fois plus long que le double stade.

Mais le plus beau stade de la Grece étoit le stadion panathenaicon d'Athènes, dont les débris frappoient encore tellement les curieux voyageurs dans le dernier siecle, qu'ils ne pouvoient s'empêcher d'en dire ce que Pausanias avoit dit de l'ouvrage entier : on ne le sauroit voir sans l'admirer. Sa figure étoit une portion d'ovale, coupée selon sa largeur ; & il semble que la nature se fut jouée pour renfermer à plaisir une colline qui regne pareillement en portion d'ovale, comme pour borner le terrein de cette carriere. Les rangs des degrés étoient tous de marbre blanc. L'empereur Adrien donna un jour aux Athéniens dans ce stade le spectacle d'une chasse de mille bêtes sauvages. (D.J.)


STADSBERou STADBERG, (Géog. mod.) bourgade d'Allemagne dans le cercle de Westphalie, aux confins du comté de Waldeck, sur la riviere de Dimel. On nommoit autrefois cette bourgade Eresberg & Mersberg, & c'étoit là que les anciens Saxons avoient bâti un temple à leur dieu Irminsul. (D.J.)


STAENIENSS. m. pl. (Hist. ancienne) peuples de l'ancienne Gaule, qui du tems des Romains habitoient au pié des Alpes maritimes.


STAFARDE(Géog. mod.) bourgade des états de Savoie, au marquisat de Saluces, entre Cavours & Pignérol sur le Po. Elle est connue par son abbaye d'hommes de l'ordre de Citeaux, & par la victoire que le maréchal de Catinat y remporta en 1690 sur le duc de Savoie. Longit. 25. 4 latit. 44. 35. (D.J.)


STAFFORALA, (Géog. mod.) riviere d'Italie dans le Milanez. Elle arrose le Pavesan, & après avoir passé à Voghera, elle se perd dans le Po. (D.J.)


STAFFORD(Géog. mod.) ville d'Angleterre, capitale du comté de même nom, sur la Saw, dans une agréable campagne ; elle est bien bâtie, a deux paroisses, une école publique, & un château pour sa défense. Long. suivant Harris, 15. 30. latit. 52. 54. (D.J.)


STAFFORD-SHIRE(Géog. mod.) province méditerranée d'Angleterre, dans le diocèse de Lichfield & Conventry. Elle est bornée au nord - ouest par le comté de Chester ; à l'occident par celui de Shrewsbury ; au midi par ceux de Worcester & de Warwick ; & à l'est & au nord-est par celui de Darby. Elle s'étend du nord au sud l'espace de quarante-quatre milles ; elle en a vingt-sept de large, & cent quarante de circuit : on y compte cinq hundreds ou quartiers, & cent trente églises paroissiales. Il y a quatre villes qui ont droit de députer au parlement ; savoir Stafford, la capitale, Lichfield, Newcastle, Taenworth, & quinze bourgs à marché.

Les principales rivieres de cette province, sont la Trent, la Tame, la Dove, la Blithe, & la Saw. La partie septentrionale du comté de Stafford est montueuse, froide, & assez stérile ; mais la partie méridionale est fertile. Outre les pâturages & les grains, on y trouve des carrieres de charbon de terre, d'albâtre, & de pierres de moulin. Nous avons un excellent ouvrage sur son histoire naturelle : Plot (Robert) the natural history of Stafford-Shire, Oxoniae, 1686. in-fol.

Les anciens habitans de ce pays ont été les Carnariens, qui possédoient outre cela les terres comprises dans les comtés de Shrewsbury, de Worcester, & de Chester : après eux ce comté fut le partage des Saxons Merciens.

Il a produit depuis la renaissance des Lettres des savans distingués, entre lesquels on peut nommer Alleyn (Thomas), Lightfoot (Jean), Wollaston (Guillaume), & Sheldon (Gilbert), qui méritent tous quatre nos éloges.

Alleyn naquit en 1542, & mourut en 1632 ; sa science dans les Mathématiques l'exposa de même que le Moine Bâcon, aux jugemens desavantageux du peuple, qui le regardoit comme un sorcier, tandis que les hommes éclairés le respectoient comme un beau génie. Henri Savile, Cambden, Robert Cotton, Spelman, Selden, &c. ont chanté ses louanges. Ce dernier l'appelle academiae Oxoniensis decus, omnis eruditionis genere ornatissimum. Henri, comte de Northumberland, & Robert comte de Leicester, favori de la reine Elisabeth, l'aimerent singulierement. Il n'épargna ni ses soins, ni son crédit, ni sa bourse, pour rassembler des manuscrits dans toutes les Sciences, & pour favoriser leurs progrès. Mais ses propres ouvrages, ses recueils, & ses observations sur l'Astronomie, les Mathématiques, & la nouvelle philosophie, sont tombées dans des mains inconnues.

Lightfoot naquit en 1602, & mourut en 1675 à 74 ans ; c'étoit un homme prodigieusement habile dans les antiquités judaïques ; ses ouvrages précédés de sa vie, ont été rassemblés & imprimés à Londres, en 1684. On fit une nouvelle édition de ce recueil à Rotterdam, en 1686, en 2 vol. in-fol. La troisieme édition parut à Utrecht en 1699, par les soins de Jean Leveden ; il y a ajouté un nouveau volume contenant les ouvrages posthumes latins de l'auteur, qui n'avoient pas encore vu le jour, & que M. Jean Strype lui avoit envoyés d'Angleterre. Le troisieme volume contient 22 traités, dont la plûpart sont courts, & quelques-uns imparfaits.

Enfin, M. Strype a publié à Londres en 1700, in -8°. de nouvelles oeuvres posthumes de Lightfoot ; il avoit eu dessein d'insérer dans cette collection, une chronique de ce qui s'est passé dans le monde au sujet des Juifs, sous les empereurs Ottomans, sur la fin du xj. siecle. Cet ouvrage qui dépeint les malheurs & la destruction des Juifs dans ce tems-là, avoit été composé par un certain sacrificateur nommé Joseph, qui vivoit sous le regne d'Henri VIII. La traduction de l'hébreu en anglois étoit de Lightfoot, & de sa propre main.

On voit par la lecture des oeuvres de ce savant, qu'il avoit quelques sentimens particuliers : par exemple, il croyoit, 1°. que les Juifs étoient entierement rejettés de Dieu. 2°. Il pensoit que les clés du royaume des cieux n'avoient été données qu'à saint Pierre. 3°. Que le pouvoir de lier & de délier, accordé à cet apôtre, regardoit la doctrine, & non la discipline. 4°. Dans son interprétation de ces paroles de Dieu à Caïn : si tu fais mal, le péché est à la porte ; il prétend que par le péché, il ne faut pas entendre la punition, mais l'oblation pour le péché, pour en faire l'expiation.

Wollaston naquit en 1659, & fit d'excellentes études ; mais comme il étoit pauvre, il prit l'emploi de second maître d'école dans la province à 70 livres sterlings par an. Peu de tems après, la mort d'un de ses parens, arrivée en 1688. le mit en possession d'un bien très-considérable. Un changement aussi imprévu qu'avantageux, auroit été capable de tourner la tête à bien des gens ; mais la même fermeté d'ame qui avoit soutenu Wollaston dans la mauvaise fortune, lui fit supporter la bonne avec modération ; sa philosophie lui apprit à se posséder également dans les deux états opposés.

Il se fixa à Londres, épousa une femme de mérite, & cependant continua toujours de passer sa vie dans la retraite & dans l'étude. Il avoit des amis, du loisir, & des livres, dont il sut profiter. Il cultiva presque toutes les sciences, & travailla sur-tout à perfectionner sa raison, en s'affranchissant des préjugés, en observant l'étendue & l'influence des axiomes, la nature & la force des conséquences ; enfin, en suivant la bonne méthode dans la recherche de la vérité. Il mourut en 1724, de la même maniere qu'il avoit vécu, en philosophe chrétien.

La reine d'Angleterre fit placer son buste dans une grotte de son jardin de Richemont avec ceux de Newton, de Locke, de Samuel Clarck, &c.

Mais son fameux ouvrage, ébauche de la religion naturelle, the religion of nature delineated, qu'il mit au jour l'année de sa mort, a fait sa principale gloire. Le débit prodigieux qu'eut en Angleterre cet ouvrage, dont il s'est vendu plus de dix mille exemplaires en peu d'années, prouve assez son mérite. Il est peu d'ouvrages finis qu'on puisse opposer à celui qu'il a donné sous le modeste titre d'ébauche. Le dessein exécuté de main de maître, a non-seulement toutes les proportions, mais aussi toutes les graces de l'expression, du tour, de la solidité, du savoir, & de la nouveauté.

La traduction françoise de ce beau livre a paru à la Haye en 1726, in -4°. L'auteur a eu l'art de débrouiller le cahos des notes qui regne dans l'édition angloise ; mais il seroit à souhaiter que sa traduction fût moins défectueuse pour le style, & sur-tout pour le sens ; car il fait souvent dire à M. Wollaston ce qu'il ne dit point, & quelquefois le contraire de ce qu'il dit.

Sheldon (Gilbert) archevêque de Cantorbéri, naquit dans la province de Stafford, en 1598, & mourut à Lambeth en 1677, âgé de 80 ans. C'étoit un homme adroit au maniment des affaires, généreux, charitable, d'une conversation pleine d'agrément, peut-être même à l'excès, honnête homme, sans avoir beaucoup de religion, dont il ne parloit d'ordinaire que comme d'un mystere d'état, & d'une affaire de pure politique mondaine très - sagement établie. Il a employé 37 mille livres sterling en oeuvres de piété. Il a élevé le magnifique théatre d'Oxford qui porte son nom, & y a employé 14470 liv. 11. s. 11. d. Enfin, il légua à l'université deux mille livres sterling, dont la rente est destinée à l'entretien du théatre. (D.J.)


STAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) est une résidence actuelle & exacte que chaque nouveau chanoine doit faire dans son église pendant six mois ou un an, selon les statuts du chapitre, lorsqu'il a pris possession, pour pouvoir jouir des honneurs & des revenus de sa prébende.

Le tems du stage dépend des statuts du chapitre ; il y a même quelques chapitres où les nouveaux chanoines ne sont point assujettis au stage, dans les chapitres où il a lieu, les conseillers de cour souveraine en sont dispensés. Voyez Brillon, au mot STAGE, & les mots CANONICAT, CHANOINE, CHAPITRE, RESIDENCE. (A)


STAGIERS. m. terme d'église, chanoine qui fait son stage, c'est-à-dire qui assiste régulierement aux offices de son église pendant le tems fixé par les statuts du chapitre, afin de pouvoir jouir des honneurs & des revenus attachés à la prébende dont il a pris possession. (D.J.)


STAGIRE(Géog. anc.) Stagirus, par Thucydide, & par Hérodote, Stagira, gén. orum, par Pline, & par Etienne le géographe, ville de la Macédoine, au voisinage du mont Athos, sur le golfe Strymonique, entre Amphipolis, & Acanthus. Thucydide, l. IV. p. 311. dit que Stagirus étoit une colonie des Andriens, & que conjointement avec la ville d'Acanthus, elle abandonna le parti des Athéniens. Cette ville est appellée dans un endroit Libanova par Sophien, & dans un autre passage, il la nomme Orthagoria ; Nicetor lui donne le nom de Macra.

Stagire n'étoit qu'une petite ville, mais elle s'est immortalisée par la naissance d'Aristote, le plus illustre des éleves de Platon, le chef & le fondateur de la philosophie péripatéticienne. Il vit le jour à Stagire, la premiere année de la 99e olympiade, l'an 384 avant Jesus-Christ ; il étoit fils de Nicomaque fameux médecin, petit-fils de Macaon, fils d'Esculape même. On voit qu'il descendoit de bonne race dans la connoissance de la nature ; aussi s'est-il illustré dans cette partie.

A l'âge de seize ans il vint à Athènes, & y étudia sous Platon tant qu'il vécut : après sa mort, Aristote se rendit en Asie auprès d'Hermias, qui étoit roi d'Atarnès ville de Mysie, & il épousa la niece de ce prince. Il demeura trois ans avec lui, au bout desquels Hermias étant tombé dans un piége que lui tendit le général d'Ocus roi de Perse, fut arrêté, & envoyé à la cour de Perse, où on le fit mourir.

Aristote accablé de ce malheur, passa à Mitylene, & de-là en Macédoine, où sa réputation l'avoit devancé. Philippe se proposant de le mettre auprès d'Alexandre, lui manda qu'il remercioit moins les dieux de lui avoir donné un fils, que de l'avoir fait naître du tems d'Aristote ; il accepta la place de précepteur du jeune prince, & demeura huit ans auprès de lui. Ensuite Alexandre alla conquérir la Perse ; mais Aristote dévoué aux Muses, choisit pour son séjour la ville d'Athènes, & y enseigna dans le Lycée avec une gloire unique la Philosophie pendant douze ans.

Sa haute réputation excita l'envie ; on l'accusa, suivant la coutume, d'avoir des sentimens contraires à la religion ; & cette accusation fut si violente, que craignant le sort de Socrate, il se sauva à Chalcis, ville d'Eubée, où il mourut deux ans après, l'an 3 de la 114e olympiade, âgé de 63 ans.

Diogene Laërce parmi les anciens, & Stanley parmi les modernes, vous donneront sa vie ; elle est digne de votre curiosité. Je ne dirai rien ici du nombre & du mérite des ouvrages de ce grand homme ; on n'a pas oublié d'en faire mention en plusieurs endroits de l'Encyclopédie. (D.J.)


STAGNANA(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne dans la Romanie, près de la côte de la mer Noire, entre Siropoli & les bouches du détroit de Constantinople.

STAGNARA, LAC, (Géog. mod.) lac de Turquie en Europe, dans la Romanie, près de la ville ou bourgade de Develto. (D.J.)


STAGNATIONS. f. (Gramm. & Méd.) ralentissement ou perte totale du mouvement progressif. Les humeurs sont en stagnation.


STAGNO(Géog. mod.) petite ville de la Dalmatie dans la presqu'île de Sabioncello, sur le golfe de Venise, où elle a un petit port, qui est à 30 milles au nord-ouest de Raguse, dont son évêque est suffragant. Long. 35. 38. lat. 42. 53.


STAINFORD-BRIDGE(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans Yorck Shire, au quartier oriental de cette province, & sur le Derwent. C'est là que Harold roi d'Angleterre défit en 1066 le roi de Norwege ; & c'est-là que neuf jours après ce même prince livra la bataille à Guillaume le conquérant, & perdit la couronne & la vie. (D.J.)


STAINTHORPE(Géog. mod.) gros bourg d'Angleterre, dans la province de Durham, à quatre ou cinq milles de Bernard-Castle, au nord-est.


STAJOLUSS. m. (Littérat.) nom qu'on donnoit chez les Romains à une mesure de longueur qu'on employoit pour arpenter le terrein ; cette mesure étoit égale à cinq palmes & trois quarts de palme. (D.J.)


STALACTITES. f. (Hist. nat.) stalactites, stalagmites, lapis stillatitius ; c'est ainsi que les naturalistes nomment des concrétions pierreuses qui se forment peu-à-peu à la partie supérieure d'un grand nombre de grottes & de cavernes, & qui y sont suspendues de la même maniere que les glaçons s'attachent en hiver aux toits des maisons. Ces concrétions ou stalactites sont toujours calcaires, & doivent être regardées comme un vrai spath. Voyez SPATH. Elles prennent suivant les circonstances, des formes différentes, cependant communément elles sont coniques, & elles sont diversement colorées, suivant les différentes substances qui y sont jointes.

Il est évident que les stalactites doivent leur formation à des eaux, qui après avoir détrempé & dissous des terres ou des pierres, se filtrent au-travers des roches & de leurs fentes, forment des gouttes dont la partie terreuse se dégage peu-à-peu par l'évaporation & le contact de l'air, & s'augmentent à proportion de l'abondance du fluide qui charrie la matiere dont elles sont composées. Voyez PIERRES.

Les stalactites sont de toutes les substances minérales les plus propres à nous donner une idée de la formation des pierres. Elles nous prouvent d'une façon sensible que l'eau est leur véhicule, & qu'elles se forment journellement. Souvent les eaux contiennent en si grande abondance des matieres dissoutes ou détrempées, qu'elles parviennent à la fin à remplir entierement des cavités très-considérables, & à boucher à la longue des endroits où auparavant on pouvoit passer librement ; c'est ce qui arrive dans les grottes d'Arcy & dans beaucoup d'autres qui changent perpétuellement de face par les concrétions & les stalactites qui s'y forment journellement. Lorsqu'à force de s'amasser, ces stalactites ont rempli une grotte ou un espace vuide, elles forment à la fin une masse solide, qui prend de la consistance & ne fait plus qu'une roche ou pierre, dans laquelle cependant on voit souvent des couches & des veines qui sont les endroits où les stalactites se sont réunies, &, pour ainsi dire, collées les unes aux autres ; c'est ainsi que l'on peut conjecturer que se sont formés les albâtres d'Orient, qui ne sont autre chose que des stalactites calcaires de la nature du marbre.

Les stalactites sont plus ou moins transparentes ou opaques en raison de la pureté de la terre que les eaux ont déposée, & suivant que la dissolution s'est faite plus ou moins parfaitement. En effet nous voyons des stalactites presque transparentes, tandis que d'autres sont opaques & remplies de matieres étrangeres & colorantes.

En considérant attentivement presque toutes les stalactites, on apperçoit qu'elles sont formées d'un assemblage de petites lames ou de feuillets plus ou moins sensibles, telles que celles des spaths : ces feuillets forment des especes de stries ou d'aiguilles qui vont aboutir à un centre commun, qui est quelquefois creux ou fistuleux. D'autres stalactites sont entierement solides. A l'extérieur leur figure est ordinairement conique ; cependant quelquefois elle présente des formes bizarres, dont la singularité est encore augmentée par l'imagination des curieux, qui trouvent ou croyent souvent trouver à ces pierres des ressemblances qu'elles n'ont que très-imparfaitement. Il y en a pourtant qui représentent assez bien des choux-fleurs, des fruits confits, des arbustes, &c.

La couleur des stalactites est ou blanche, ou brune, ou rougeâtre ; leur surface est ou lisse, ou inégale, & raboteuse. (-)


STALAGMITES. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pierre appellée stalactite ; cependant quelques personnes ont restreint ce nom à une espece de concrétion opaque composée de plusieurs couches concentriques, & forment un amas de mamelons.


STALIMENEILE, ou STALIMINI, (Géog. mod.) & quelquefois par les Turcs Limio ; c'est l'ancienne Lemnos ; île de l'Archipel, placée dans les cartes marines à quatre lieues d'Allemagne, à l'ouest de l'île de Ténédos, à sept au sud-ouest des îles d'Imbros & de Samandrachi, huit à l'ouest-quart-au-sud du détroit des Dardanelles, & environ à dix au sud-est du mont Athos.

Cette île fut appellée Lemnos de sa situation qui ressemble à un lac ou à un étang, que les Grecs appellent . On la nomme Hypsipylée d'une des filles du roi Thoas, qui avoit autrefois régné sur ces insulaires. Elle étoit consacrée à Vulcain, & en conséquence on la surnomma Vulcania. Homere nous dit que Vulcain la chérissoit par-dessus tous les pays du monde, & c'est pour cela que ce dieu est appellé dans Virgile le pere Lemnien.

On donne à cette île cent milles d'Italie, ou vingt-cinq lieues d'Allemagne de circuit. Elle est plus étendue en longueur d'orient à l'occident, qu'en largeur du nord au midi. Elle avoit anciennement deux villes, dont la capitale étoit appellée Hephaestia, la ville de Vulcain, & l'autre Myrina. On ne sait laquelle de ces deux villes est à-présent celle de Stalimene, & même quelques auteurs veulent que c'est le village Cochino qui est près de la mer. Quoiqu'il en soit, les Pélasgiens ont autrefois habité une des deux villes de cette île, où ils se retirerent après avoir été chassés de l'Attique par les Athéniens.

L'île de Stalimene n'est pas haute, mais fort inégale, & diversifiée par des côteaux & des vallons. Ses plus hautes montagnes sont situées du côté de la Macédoine. Celle qui est nommée Mosychle par Hesichius, vomit à son sommet des feux & des flammes, dont les poëtes n'ont pas oublié de parler ; delà vient la fiction poétique des forges que Vulcain avoit dans cette île, comme en Sicile, travaillant tantôt dans l'une, tantôt dans l'autre à forger les foudres de Jupiter & les armes des grands hommes. De-là vient que cette île fut appellée Oethalie, c'est-à-dire brûlante ; aussi Séneque lui donne toujours l'épithete d'ardente.

On y compte plus de 70 villages, habités presque tous par des grecs laborieux ; cependant cette île n'a point de rivieres, mais seulement quelques fontaines & ruisseaux. Elle a un beau port poissonneux, nommé Porto S. Antoni. Elle est dépourvue de bois, ensorte que ses habitans se servent à la place de tiges d'asphodele & d'autres plantes. On y recueille par la culture de bons vins, du blé, du chanvre, du lin, des feves, des pois & plusieurs autres sortes de légumes. Diverses sortes d'animaux domestiques & sauvages n'y manquent point, non plus que de serpens de plusieurs especes.

Mais c'est la terre lemnienne qui a fait la principale gloire de cette île chez les anciens, & qui la fait encore aujourd'hui parmi les Turcs. Galien vint exprès sur les lieux pour connoître ce bol médicinal dont on chantoit les vertus ; & de nos jours le grand-seigneur pour honorer les ministres des têtes couronnées qui sont à la Porte, leur donne de cette terre sigillée en présent, comme un excellent remede pour la guérison des plaies & les morsures de vipere. Philoctete, fils d'Apollon, qui avoit accompagné les Grecs à la guerre de Troie ayant été blessé au pié par une fleche empoisonnée, fut laissé dans l'île de Lemnos pour y être guéri de sa plaie par le moyen de la terre lemnienne ; cependant les corroyeurs de Stalimene ne font pas un si grand cas de cette terre que les anciens & le grand-seigneur, car ils l'employent pour tanner leurs cuirs.

Le mont Athos, que les Grecs nomment Agios oros, c'est-à-dire la montagne sainte, couvre l'île Stalimene de son ombre lorsque le soleil approche de son coucher ; & c'est ce que Belon a eu occasion de voir au solstice d'été. On dit qu'il y avoit anciennement dans cette île la statue d'un boeuf faite de pierre blanche, & que le mont Athos l'obscurcissoit de son ombre ; d'où vient le proverbe, le mont Athos couvre le côté du boeuf de Lemnos ; & l'on appliquoit ce proverbe à ceux qui tâchoient d'obscurcir la gloire des autres par leurs calomnies.

Pline fait mention d'un labyrinthe célebre qui étoit dans cette île, & qui passoit pour être plus magnifique que ceux de Crète & d'Egypte ; mais il n'est pas resté la moindre trace de ce superbe édifice, ni même de l'endroit où il avoit été bâti.

L'île de Stalimene, après avoir été successivement envahie par les Turcs & les Vénitiens, & enfin demeurée entre les mains des premiers, qui s'en rendrent maîtres en 1657, après un siege de deux mois, & ils l'ont toujours possédée depuis. (D.J.)

STALIMENE, (Géog. mod.) ville capitale de l'île de même nom sur un côteau proche de la mer, avec un bon port, & un château où les Turcs tiennent garnison, sous l'autorité d'un gouverneur qui y fait son séjour. Les maisons de cette petite ville sont bâties le long d'une colline qui est toute plantée de vignes. Quelques-uns prétendent que Stalimene est l'ancienne Myrina que Ptolémée semble placer près de la mer, au-lieu qu'il met Hephystia, autrefois capitale de l'île, au milieu des terres. Long. 43. 4. latit. 40. 5. (D.J.)


STALIOCANUSSTALIOCANUS


STALLES. m. & f. (terme d'église) c'est un siege de bois qui se hausse & se baisse au moyen de deux fiches ; quand il est baissé il forme un siege assez bas ; étant levé, il présente un étui attaché sur le siege même comme la moitié d'un cul-de-lampe, un peu plus ample que la paume de la main. A proprement parler, on n'est ni assis ni debout sur une stalle, mais seulement un peu appuyé par-derriere, les coudes portant par - devant sur une espece de paumelle qui avance, & qui est soutenue par une double console.

Il y a deux rangs de stalles ou formes dans les églises, l'un haut & l'autre bas. Les hautes stalles sont pour les prêtres & religieux profès, les basses sont pour les clercs & les novices.

L'appui attaché sur le siege en forme de cul-de-lampe porte le nom de patience, & dans quelques ordres religieux on lui donne encore celui de miséricorde, parce que l'ancien usage étoit de chanter debout l'office divin ; ce n'est que par indulgence que l'on a permis au clergé de s'y appuyer. (D.J.)


STALLEN(Géog. mod.) en italien Bevio ; communauté du pays des Grisons dans la ligue de la maison de Dieu, où elle a le sixieme rang, & est composée de deux jurisdictions.


STAMENSUBTEMEN, (Littérature) il faut bien distinguer la signification de ces deux mots qui dans les auteurs latins désignent deux sortes de fil dans le métier des Tisserans. Le premier, stamen, forme ce que l'on appelle la chaîne qui passe entre les dents du peigne, & tient à des rouleaux par les extrêmités. Subtemen ou trama est la trame, c'est-à-dire, le fil que la navette conduit entre les fils de la chaîne pour les lier ensemble & leur donner de la consistance. On dit la trame dans le sens propre & la trame dans le sens figuré. Telam texere, signifie ourdir une toile ; retexere, la désourdir. Par la même raison, scribere, étoit passer une obligation, & rescribere, biffer, rayer cette obligation.

Subtemen se prend encore dans les auteurs au figuré. C'est ainsi qu'Horace, en parlant des parques qui ont fixé le terme des jours d'Achille dans les plaines du Scamandre, employe subtemen figurément pour filum ; car les parques ne faisoient que filer. Dans Catulle elles se servoient elles-mêmes du mot subtemen dans ce sens-là :

Currite ducentes subtemina, currite fusi.

(D.J.)


STAMENAS. f. (Marine) c'est la même chose que genoux, voyez GENOUX.


STAMETTES. f. (Comm. & Manuf.) étoffe de laine qui se fabrique en différens endroits des Provinces-Unies, dont il est fait mention dans un tarif d'Hollande.


STAMPALIEou STAMPALÉE, (Géogr. mod.) comme les Italiens, les Turcs & les Grecs la nomment île de l'Archipel, à sept lieues au couchant de l'île de Stanchio ou Longo, & à quatre lieues est-nord-est de celle de Namphia. Porcacchi lui donne, comme Pline, 87 milles d'Italie de circuit ; mais d'autres auteurs ne lui en donnent que 60. Son terroir est fertile, & sa pêche abondante. Strabon, Ptolémée & Pline appellent cette île Astypalée, & elle reçut ce nom d'Astypalée mere d'Ancée, qu'elle eut de Neptune. Lorsque les Cariens étoient en possession de cette île, elle étoit appellée Pyrrha, ensuite on la nomma Pilea, & quelque tems après elle reçut un nom grec, qui signifioit la table des dieux, soit parce qu'elle étoit toute embellie de fleurs, soit à cause du nom d'une de ses montagnes. Ses anciens habitans révéroient Achille comme un dieu, & avoient bâti un petit temple en son honneur sur la pointe septentrionale de leur île. (D.J.)


STAMPES. f. (Comm. des negres) instrument dont l'on se sert pour marquer les negres dans l'île de Saint Domingue, afin de les pouvoir reconnoître. La stampe est faite ordinairement d'une lame d'argent très-mince tournée de maniere qu'elle forme les chiffres de chaque propriétaire de negres. Elle est attachée à un petit manche de bois afin de la tenir lorsqu'on veut l'appliquer après l'avoir fait raisonnablement chauffer. Nous avons dit ailleurs ce qu'on doit penser de cette odieuse pratique. (D.J.)


STANCES. f. (Poésie) on nomme stance, un nombre arrêté de vers comprenant un sens parfait, & mêlé d'une maniere particuliere qui s'observe dans toute la piece.

Une loi essentielle, c'est de ne point enjamber d'une stance à l'autre. Il est nécessaire de régler ses vers, ensorte que passant d'une stance à l'autre, on ne rencontre pas deux vers masculins, ou deux vers feminins consécutifs qui riment ensemble ; savoir, le dernier de la stance qu'on a lue, & le premier de celle qu'on va lire.

Il y a des stances régulieres, & des stances irrégulieres : on appelle stance irréguliere des stances de suite, qui ne sont pas assujetties à des régles déterminées. Le poëte employe indifféremment toutes sortes de stances. Le mêlange des rimes y est purement arbitraire, pourvu toutefois de ne mettre jamais plus de deux rimes masculines ou féminines de suite.

Les stances sont de 4, 6, 8, 10, 12 & 14 vers. On fait aussi des stances de 5, de 7, de 9 & de 10 vers. Les stances de 4 vers font un quatrain ; 5 vers font un quintil ; 6, un sixain ; 8, un huitain ; 10, un dixain.

Il n'y a que les stances composées de sept, de neuf, de douze, de treize & de quatorze vers, qui n'ont pas un nom particulier. Il en faut dire un mot. Les stances de douze, se composent comme le dixain, ou stance de dix vers, à laquelle on ajoute deux vers, qui sont pour l'ordinaire de même rime que ceux qui les précedent. Les stances de quatorze vers, sont des stances de dix vers, à la fin desquels on ajoute quatre vers, qu'on peut faire rimer avec ceux qui précédent. Ces sortes de stances, encore plus celles de treize & de seize vers sont très-rares. Les stances de sept vers, se composent d'un quatrain & d'un tercet, ou autrement d'un tercet & d'un quatrain ; dans la premiere maniere, il doit se trouver un repos après le quatrieme vers ; & dans la seconde maniere, ce repos doit être après le troisieme vers. Les stances de neuf vers, ne se composent que d'une façon, c'est-à-dire, que l'on fait un quatrain, suivi d'un quintil ; ainsi le repos dans cette stance, est placé après le quatrieme vers. Exemple :

Je ne prends point pour vertu

Les noirs accès de tristesse

D'un loup-garou revêtu

Des habits de la sagesse ;

Plus légere que le vent,

Elle fuit d'un faux savant

La sombre mélancholie,

Et se sauve bien souvent

Dans les bras de la folie.

Les stances n'ont été introduites dans la poésie françoise, que sous le regne de Henri III. en 1580. Lingendes, dont les poésies ont beaucoup de douceur & de facilité, est le premier de nos poëtes qui ait fait des stances. Les irrésolutions, les douces réveries s'accommodent assez à leur cadence inégale. Cependant leur matiere peut être enjouée, & on arrange de telle façon les vers, que dans les sujets galants, chaque stance se termine par un masculin, & dans les tristes par un féminin : les rimes masculines étant moins languissantes que les féminines.

Stance vient de l'italien stanza, qui signifie demeure, parce qu'à la fin de chaque stance, il faut qu'il y ait un sens complet & un repos. Ce que le couplet est dans les chansons, la strophe dans les odes, les stances le sont dans les matieres graves & spirituelles. (D.J.)


STANCHIou STANCON ou LANGO, (Géog. mod.) comme disent les Grecs & les Italiens ; île de l'Archipel sur la côte de l'Asie mineure, à 7 lieues au levant de Stampalie, entre les îles de Nisarée & de Calamine, & à 3 lieues du cap de la Terre-ferme, qui est appellé Calono.

Les cartes marines lui donnent l'île de Rhodes au sud-est, l'île de Calamine à l'occident, celle de Scarpanto du côté du midi, & l'Asie mineure au nord. Sa longueur est de 40 milles d'Italie d'orient en occident. Son terroir est fertile sur-tout en excellens vignobles, mais l'air y est mal-sain, ce qui fait qu'elle est presque deserte.

La capitale qui porte le même nom de Lango ou Stanchio, est située dans la partie occidentale, au fond d'un grand golfe d'une étroite embouchure, & au pié d'une montagne qui aboutit en plaine. Les vaisseaux pourroient se venir mettre à l'ancre dans ce golfe sur six à sept brasses d'eau, mais le port voisin est meilleur pour l'ancrage. On trouve encore en quelques endroits de la ville, des restes de colonnes & de statues, qui font juger par la matiere & par l'ouvrage de la premiere splendeur de cette place. Aussi personne n'ignore que l'île de Stanchio est l'ancienne Cos, immortelle pour avoir été la patrie d'Hippocrate. (D.J.)


STANDAERT-BUITEN(Géog. mod.) seigneurie des Pays bas, dans le marquisat de Berg-op-zom, sur la rive de la Merck, vis-à-vis le havre d'OudenBosch. Standaert-Buiten est le siege d'un bureau de l'amirauté de Rotterdam. Il y a une église protestante, & une chapelle pour les catholiques.


STANDIA(Géog. mod.) île sur la côte septentrionale de l'île de Candie, à environ 6 milles d'Italie, au nord-est de la ville de Candie, & à pareille distance, est du cap Freschia.

Cette île n'est, à proprement parler qu'un rocher, ou une grande & longue montagne, qui défend par sa hauteur les vaisseaux du vent & de la tempête. C'est-là que les Vénitiens, dans la guerre de Candie contre les Turcs, se portoient avec leur flotte, pour pouvoir porter du secours à la ville de Candie. Ils ne retirerent aucun autre avantage de l'île Standia, qui est deserte & stérile. Sa petite baie, nommée Conca, est assez sûre. Son meilleur port, qui est le plus oriental, se nomme Porto-della-Madona. Les anciens ont connu cette île ; Ptolémée & Strabon la nomment Dia, & Pline en parle sous le nom de Cia. (D.J.)


STANES(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans la province de Middlesex, sur le bord de la Tamise.


STANFORD(Géogr. mod.) nom commun à deux villes d'Angleterre. La premiere est dans la province de Lincoln, avec titre de comté, sur le Wéland, à 75 milles au nord-ouest de Londres, vers les confins de la province de Leicester. Elle est fermée de murailles, bien peuplée, & jouissant de plusieurs privileges. Elle a six ou sept églises paroissiales, & deux beaux hôpitaux. Longitude 15. 43. latitude 52. 45.

La seconde ville d'Angleterre qui porte le nom de Stanford, est dans Nottingham-Shire, sur le bord de la Stoure, & vers les frontieres de la province de Leicester. On a trouvé dans cette ville quelques monumens d'antiquité, & particulierement des médailles. Long. 16. 15. latit. 53. 4. (D.J.)


STANGUES. f. terme de Blason ; c'est la tige droite d'une ancre, qui est traversée en sa partie supérieure, vers l'anneau d'une piece de bois qu'on appelle la trabe.


STANTÉadj. (Peint.) terme dont on se sert quelquefois en peinture, au lieu de peiné : un tableau stanté, est donc un ouvrage où l'on découvre la peine, la gêne, le travail qu'il a couté à l'artiste. Ce défaut de facilité ne laisse jouir qu'imparfaitement du plaisir que les beautés d'un morceau de peinture peuvent d'ailleurs offrir au spectateur. C'est sur-tout dans les arts d'agrément, que le talent doit s'annoncer sous un dehors libre & aisé. Il faut qu'un tableau. soit fini, mais sans qu'on juge qu'il ait beaucoup fatigué le peintre, en un mot, sans paroître stanté. (D.J.)


STANTZ(Géog. mod.) gros bourg de Suisse, au canton d'Underwald, à une lieue au-dessus du lac des quatre cantons. Ce bourg étoit autrefois la capitale de tout le canton ; il ne l'est plus que de la vallée inférieure, depuis le partage de religion, mais il est toujours considérable. (D.J.)


STAPHISAIGRES. f. (Hist. nat. Botan.) cette plante est l'espece de delphinium nommée delphinium platani folio, staphisagria dictum, I. R. H. 428. Sa racine est longue, ligneuse, annuelle : elle pousse une tige à la hauteur d'environ deux piés, droite, ronde, rameuse ; ses feuilles sont grandes, larges, découpées profondément en plusieurs parties, vertes, velues, ressemblantes à celles du platane ou de la vigne, attachées à des queues longues. Ses fleurs naissent au sommet de la tige & des rameaux, & dans les aisselles des feuilles ; elles sont composées chacune de cinq pétales inégales, disposées en rond, & d'un bleu foncé ; la feuille supérieure s'allonge postérieurement, & reçoit dans son éperon l'éperon d'une autre feuille. Quand la fleur est passée, il lui succede un fruit composé de trois ou quatre cornes ou gaînes verdâtres, qui s'ouvrent en-dedans, selon leur longueur, & qui renferment plusieurs semences grosses comme de petits pois, de figure triangulaire, ridées, jointes étroitement ensemble, noirâtres en-dehors, blanchâtres ou jaunâtres en - dedans, d'un goût âcre, brûlant, amer, fort désagréable.

Cette plante croît aux lieux sombres dans les pays chauds, comme en Italie, en Provence & en Languedoc, d'où la graine nous est apportée seche ; elle fleurit en été, & sa semence mûrit en automne ; on s'en sert extérieurement pour tuer les poux, & quelquefois pour consumer les chairs des ulceres. (D.J.)


STAPHYLINen Anatomie, nom d'un muscle de la luette qui vient de la pointe commune du rebord postérieur des os du palais, & vient en se portant le long de la partie moyenne de la cloison du palais, environner la luette.


STAPHYLODENDRONS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante qui se caracterise ainsi ; son calice est d'une seule piece, découpée en cinq quartiers. Sa fleur est pentapétale, droite, en cloche, à cinq étamines au milieu. L'ovaire au fond du calice est garni de deux tuyaux, & devient un fruit membraneux, divisé en deux loges, dont les semences sont à coques ligneuses.

Les Botanistes comptent quatre especes de ce genre de plante, dont la plus commune est le staphylodendron de Tournefort, I. R. H. 616. pistachia silvestris, C. B. P. 401. Nux vesicaria. Park. Theat. 1417.

C'est un arbrisseau dont le bois est rempli de moëlle blanche ; ses feuilles ressemblent à celles du sureau, elles sont seulement plus petites, & dentelées en leurs bords ; ses fleurs sont attachées par grappes à des pédicules longs & menus ; chacune d'elles est formée de cinq pétales blancs, disposés en rond, & soutenus sur un calice d'une seule piece, découpé en cinq parties : lorsque cette fleur est tombée, il paroît en sa place un fruit membraneux ou une espece de vessie verdâtre, divisée en deux loges, dans lesquelles se trouvent quelques semences couvertes d'une écorce ligneuse, rougeâtre, facile à casser ; leur substance est verdâtre, d'un goût fade & doucereux. Cet arbrisseau croît dans les bois, dans les haies & dans les buissons des pays chauds. Son nom est composé de , raisins, & , arbre, comme qui diroit arbre de raisin, parce que son fruit est disposé en grappes ; il peut fournir de l'huile par expression. (D.J.)


STAPHYLOMou CHUTE DE L'UVÉE, s. m. (Chirurg.) maladie de l'oeil, formée par la membrane uvée qui passe au-travers de la cornée ouverte, par une plaie ou un ulcere, voyez UVEE & CORNEE. Ce mot vient du grec , uvée, grain de raisin, à raison de la couleur noire de la membrane qui fait saillie.

Le staphylome differe, suivant le volume de la tumeur : lorsqu'elle est considérable, elle occasionne beaucoup de difformité à l'oeil, & de douleur au malade, par l'irritation que cause la rencontre des cils & le mouvement des paupieres. Cette espece de tumeur détruit entierement la vûe ; on ne peut guérir les malades, qu'en liant la tumeur si la base est étroite, ou en l'ouvrant si la base est large ; dans l'un & l'autre cas l'oeil se vuide dès l'instant par l'incision, ou après la chûte de la ligature, & le malade perd l'organe affecté. Si l'ouverture ou l'ulcere de la cornée est petite, la tumeur de l'uvée est appellée myocéphalon, tête de mouche, par rapport à sa ressemblance à la tête de cet insecte. J'en ai guéri plusieurs de cette nature, en faisant souffler sur la tumeur deux ou trois fois par jour un collyre sec, avec la tuthie & le sucre candi en poudre. S'il y a inflammation à la conjonctive, on a égard à cet accident. Voyez OPHTHALMIE.

Le staphylome est une espece d'hernie de l'uvée ; on pourroit essayer de le guérir, pourvû qu'il ne soit point d'un volume trop considérable, en le comprimant légerement par des compresses & un bandage appliqués sur la paupiere à l'endroit qui répond à la tumeur, ou comme le propose M. de la Faye dans ses remarques sur les opérations de Dionis, par une petite lame de corne fort mince & concave, qui étant mise entre l'oeil & la paupiere, entoureroit exactement & immédiatement le globe de l'oeil. Ce moyen, dit cet auteur, pourroit faire rentrer peu-à-peu la partie de l'uvée qui forme le staphylome. (Y)


STARACHINO(Géog. mod.) petite ville ou plutôt bourg de la Turquie européenne, dans la Macédoine, à 4 lieues de Vostanza, proche de la rive gauche du Vardari. Quelques-uns prétendent que c'est l'ancienne Stobi, qui devint colonie romaine. (D.J.)


STARAIA - RUSSou STARO-RUSSA, (Géog. mod.) ville de l'empire Russien, dans le duché de Novogorod, sur le lac Ilmen, à l'endroit où la riviere Lovat se jette dans ce lac. (D.J.)


STARGARD(Géog. mod.) il y a trois petites villes de ce nom en Allemagne. La premiere est la capitale de la Poméranie ultérieure, sur la riviere d'Ihne, à 5 lieues au levant de Stetin ; elle appartient aujourd'hui au roi de Prusse, & est fort dépeuplée. La seconde Stargard, est une ville du royaume de Prusse, sur la riviere de Fers, à sept grandes lieues de Dantzic. La troisieme est au duché de Mecklenbourg, vers les confins de l'Uckermark, au midi de la petite ville de Brandebourg. (D.J.)


STARIES. f. terme de commerce de mer, usité particuliérement dans le levant.

Les Hollandois nomment staries le tems que ceux qui commandent les escortes que l'amirauté de Hollande accorde aux convois qui vont au levant, restent à Smyrne, au-delà de celui qui leur est permis par leur commission.

Au retour des convois, les commandans des escortes sont tenus de remettre un journal de leur voyage entre les mains du procureur-général de l'amirauté ; s'il n'approuve pas les staries faites extraordinairement, il en rejette la dépense sur le compte des commandans. Voyez AMIRAUTE. Dict. de Commerc.


STAROS. m. (Comm.) mesure d'Italie, seche & liquide. Comme mesure de liquides, elle est à Florence de trois barrils, & le barril de vingt fiasques. On se sert aussi du staro dans la Calabre & dans la Pouille. Dans ces deux provinces du royaume de Naples, il faut dix stari pour la salme, trente-deux pignatoli pour le staro. C'est aussi le boisseau dont on se sert en plusieurs villes d'Italie pour mesurer les grains, particulierement à Venise, à Livourne, & à Luques. Le staro ou stara de Livourne pese ordinairement 54 livres : 112 stari sept huitiemes font le last d'Amsterdam. Les grains se mesurent aussi à Luques au staro, dont les 119 font un last d'Amsterdam : le staro de Venise pese 128 livres gros poids ; chaque staro contient quatre quartes ; 35 stari un cinquieme, ou 140 quartes quatre cinquiemes font le last d'Amsterdam. Savary. (D.J.)


STAROSTES. m. (Hist. mod.) en Pologne on donne ce nom à des gouverneurs de villes & de châteaux ; ils sont nommés par le roi pour veiller sur ses revenus, & pour rendre la justice en son nom ; on appelle starostie le district sous leur jurisdiction : cependant il y a des starostes qui n'ont point de jurisdiction, alors ils ne doivent être regardés que comme des châtelains.


STAROSTIES. f. (Hist. de Pologne) on appelle starostie en Pologne, des terres que les rois de Pologne distribuent comme bon leur semble, pourvû que ce soit à des Polonois. Autrefois elles faisoient le domaine de ces princes, & c'est pour cela qu'on les nomme biens royaux. Sigismond - Auguste céda volontairement ce domaine aux gentilshommes, pour leur aider à soutenir leurs dépenses militaires. Il se reserva seulement, pour lui & pour ses successeurs, le droit de nommer à ces seigneuries, & que le trésor de la république jouiroit du revenu pendant la vacance, jusqu'à la nomination d'un staroste, comme les rois de France ont droit de jouir des évêchés & autres bénéfices de leur nomination par économat. Outre cela il chargea les starosties d'un impôt appellé quarta (kwarta), parce qu'il est la quatrieme partie du revenu de la terre, ce qui fait avec ce qu'on leve sur les biens d'église, le fonds pour l'entretien des arsenaux, de l'artillerie, & de la cavalerie polonoise.

Il y a deux sortes de starosties, les unes simples, les autres à jurisdiction. Ces dernieres sont un triounal appellé grode, avec un juge, & un tabellionage, où s'enregistrent tous les actes passés dans le ressort de la starostie, les protestations, les contrats, & autres ; comme elles ont aussi le privilege de pouvoir juger à mort, les femmes ne possedent jamais de ces sortes de starosties, ni aucun jeune homme avant sa majorité. (D.J.)


STASES. f. (Gram. & Méd.) repos des humeurs dans quelques parties du corps, où elles ne devroient point s'arrêter. La stagnation suppose encore un peu de mouvement, il n'y en a plus dans la stase.


STATAMATER(Mythol.) la mere Stata, divinité qu'on honoroit à Rome dans le marché public, en allumant de grands feux en son honneur ; c'étoit la divinité protectrice de Rome qu'on vénéroit ainsi. (D.J.)


STATANUM VINUM(Littérature) Strabon, liv. V. pag. 243. vante une sorte de vin ainsi nommé du lieu où on le recueilloit. Ce lieu devoit être dans le Latium ou dans la Campanie. Pline, l. XIV. c. vj. qui connoit ce vin, dit qu'il croissoit au voisinage de Falerne, & peut-être aux environs des marais Statines, qui pouvoient lui donner leur nom. Athénée, l. I. c. xxj. fait aussi mention de ce vin. (D.J.)


STATEN-EYLAND(Géog. mod.) c'est-à-dire îles des Etats, parce qu'elles ont été découvertes par les sujets des Etats-généraux. Ce sont trois îles de la mer Glaciale, éloignées les unes des autres, mais qui appartiennent à-présent à la Russie : la difficulté est de les rendre habitables. (D.J.)


STATER(Mon. des Hébreux) , piece de monnoie qui valoit un sicle, ou quatre drachmes. Les receveurs du temple ayant demandé à saint Pierre, si leur maître ne payoit pas le didrachme (j'ai vû plusieurs anciennes éditions du Nouveau - Testament en françois où il y a les dix drachmes, les traducteurs ayant ignoré que didrachme étoit deux drachmes, & non dix.) Jesus-Christ voulant satisfaire à cet impôt, envoya Pierre pêcher dans le lac de Tibériade, & l'apôtre y prit à la ligne un poisson qui avoit dans son gosier un stater. Cette piece de monnoie servit à acquiter ce que Jesus - Christ & saint Pierre devoient pour le temple, savoir un didrachme ou un demi-sicle chacun par année. Matt. xvij. 24. 27. (D.J.)


STATERA(Littérature) la différence étoit grande entre statera, strutina, & libra, chez les Romains. Libra étoit une balance composée comme les nôtres, de deux bassins, d'un fléau, d'une languette, & chasse. Trutina étoit proprement la languette de la balance qui marque l'égalité du poids ; & statera étoit ce qu'est parmi nous la romaine : mais au-lieu du crochet qui porte le fardeau, il y avoit un bassin. (D.J.)


STATERES. f. (Antiq. rom.) statera, balance romaine : voici la description qu'en donne Vitruve, l. X. c. viij. l'anse qui est comme le centre du fléau, étant attachée comme elle est, proche de l'extrêmité à laquelle le bassin est pendu, plus le poids qui coule le long de l'autre extrêmité du fléau, est poussé en avant sur les points qui y sont marqués, plus il aura la force d'égaler une grande pesanteur, selon que le poids étant éloigné du centre, aura mis le fléau en équilibre ; ainsi le poids qui étoit trop foible lorsqu'il étoit trop près du centre, peut acquérir en un moment une grande force, & élever en-haut sans beaucoup de peine un très-lourd fardeau. Dans cette ancienne balance il y avoit un bassin au - lieu du crochet qu'on met maintenant au pezon, pour porter le fardeau. Voyez BALANCE ROMAINE. (D.J.)

STATERE, s. m. (Monnoie anc. de Grece) monnoie d'or ou d'argent que l'on fabrique en Grece. Les statères d'or de Cyzique étoient en particulier fort estimés, à cause de la beauté de la fabrique ; le type étoit d'un côté une tête de femme, & de l'autre une tête de lion : ils étoient du poids de deux drachmes, & valoient vingt-huit drachmes d'argent d'Athènes. La statère d'or d'Athènes valoit vingt drachmes, dans le rapport de l'or à l'argent, qui étoient dans ce tems-là chez les Grecs de dix à un, c'est-à-dire qu'une drachme d'or valoit dix drachmes d'argent. La statère d'or de Cyzique valant vingt-huit drachmes d'Athènes ; la drachme de Cyzique devoit peser une drachme attique, & deux cinquiemes ou huit oboles & deux cinquiemes d'Athènes.

Ainsi la statère de Cyzique, en l'évaluant par vingt-huit drachmes d'Athènes, vaudroit de la monnoie qui a cours en France, environ vingt & une livres ; mais le rapport de l'or à l'argent étant actuellement en France environ de quatorze à un, le statère d'or de Cyzique vaudroit environ vingt - neuf livres de notre monnoie.

A l'égard du statère d'argent, il pesoit ordinairement quatre drachmes, ce qui revient à-peu-près à trois livres de notre monnoie. (D.J.)


STATEUR(Mythol.) surnom de Jupiter. Romulus voyant ses soldats plier dans un combat contre les Samnites, pria Jupiter de rendre le courage aux Romains, & de les arrêter dans leur fuite. Sa priere fut exaucée, & en mémoire de cet événement, Romulus bâtit un temple à Jupiter au pié du mont Palatin, sous le titre de Stator, le dieu qui arrête. La statue qu'on lui consacra représentoit Jupiter debout tenant la pique de la main droite, & le foudre de la gauche. Ciceron met dans la bouche d'un de ses interlocuteurs, que le consul Flaminius marchant contre Annibal, tomba tout d'un-coup, lui & son cheval, devant la statue de Jupiter Stator, sans qu'il en parût aucune cause. Cet accident fut pris par ses troupes pour un mauvais augure, ou plutôt pour un avis que le dieu lui donnoit de s'arrêter & de ne pas aller combattre ; mais le consul méprisa l'avis, ou l'augure, & fut battu à la journée de Trasimènes. (D.J.)


STATHMOSS. m. (Littérat.) , c'étoit une maison royale ou publique qu'il y avoit sur les routes en Asie, selon le rapport d'Hérodote, dans laquelle on pouvoit s'arrêter, autant qu'on le desiroit, & y prendre le repos dont on avoit besoin. On sait qu'encore aujourd'hui les voyageurs trouvent par-tout dans le Levant des maisons appellées caravanserai, qui servent au même usage. (D.J.)


STATHOUDEou STADHOUDER, s. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nomme, dans la république des Provinces Unies des Pays-Bas, un prince à qui les états donnent le commandement des troupes, & une grande part dans toutes les affaires du gouvernement. Ce titre répond à celui de lieutenant-général de l'état ; il ne confere point les droits de la souveraineté, qui réside toujours dans l'assemblée des états-généraux, mais il jouit de prérogatives qui lui donnent la plus grande influence dans la république.

Dans le tems de la naissance de la république des Provinces-Unies, elle avoit besoin d'un chef habile & propre à soutenir sa liberté chancelante contre les efforts de Philippe II. & de toute la monarchie espagnole. On jetta les yeux sur Guillaume I. de Nassau-Dillembourg, prince d'Orange, qui possédoit de grands biens dans les pays qui venoient de se soustraire au despotisme du roi d'Espagne, & qui d'ailleurs étoit déjà gouverneur des provinces de Hollande, de Zélande & d'Utrecht. Ce prince par son amour pour la liberté, & par ses talens, parut le plus propre à affermir l'état qui venoit de se former ; dans cette vue les provinces de Hollande & de Zélande lui confierent, en 1576, la dignité de stathouder ou de lieutenant-général de l'état ; l'exemple de ces provinces ne tarda point à être suivi par celles de Gueldre, d'Utrecht, & d'Overyssel. On attacha à cette dignité le commandement des armées, tant par terre que par mer, avec le titre de capitaine-général & d'amiral ; le stathouder eut le droit de disposer de tous les emplois militaires, celui de nommer les magistrats, sur la nomination des villes, qui lui étoient présentées, enfin celui de faire grace aux criminels. Outre cela il assistoit aux assemblées des états, dans lesquelles on ne prenoit aucune résolution que de son consentement. Il présidoit dans chaque province à toutes les cours de justice ; il étoit chargé de l'exécution des decrets de la république ; il étoit l'arbitre des différends qui survenoient entre les villes & les provinces de la république. Tous les officiers étoient obligés de lui prêter serment de fidélité, après l'avoir prêté aux états des provinces & au conseil d'état.

Guillaume I. ayant été assassiné en 1584, les mêmes provinces, en reconnoissance des services éminens de ce prince, conférerent la dignité de stathouder au prince Maurice son fils, avec la même autorité & les mêmes prérogatives. Fréderic Henri, frere du prince Maurice, lui succéda en 1625 ; après avoir fait respecter sa république, il mourut en 1647, & Guillaume II. son fils prit possession du stathouderat, dont on lui avoit accordé la survivance du tems même de son pere. Il en jouit jusqu'à sa mort arrivée en 1650. Comme les vues ambitieuses de ce prince avoient donné de l'ombrage aux provinces de la république, elles prirent des mesures pour renfermer l'autorité du stathouder dans des bornes plus étroites, & même la province de Hollande forma le dessein d'exclure son fils Guillaume III. depuis roi d'Angleterre, de toutes les charges possédées par ses ancêtres. Cependant en 1672, la Hollande étonnée des progrès de Louis XIV. nonobstant les efforts de la faction républicaine, déclara le prince Guillaume stathouder & capitaine-général des forces de la république, avec le même pouvoir dont avoient joui ses prédécesseurs. Cet exemple fut suivi de quatre autres provinces. En considération de ses services, les états de Hollande déclarerent, en 1674, la charge de stathouder héréditaire, & accorderent qu'elle passeroit aux héritiers mâles de Guillaume III. De cette maniere il fut stathouder de cinq provinces, & il conserva cette dignité, même après être monté sur le trône d'Angleterre. Ce prince exerçoit en Hollande un pouvoir si absolu, qu'on disoit de lui, qu'il étoit roi de Hollande & stathouder d'Angleterre. Il mourut sans enfans en 1702, & déclara pour son légataire universel le jeune prince de Nassau-Dietz, son parent, descendu de Guillaume-Louis de Nassau-Dietz, cousin de Guillaume I. fondateur de la république, qui étoit déjà stathouder héréditaire des provinces de Frise & de Groningue ; ce prince eut le malheur de se noyer en 1711, en passant un bras de mer appellé le Moerdyck. Il n'avoit point été stathouder de toute la république, mais simplement des deux provinces susdites. Son fils posthume, Guillaume-Charles-Henri Frison, prince de Nassau-Dietz, succéda à son pere dans ses biens & dans le stathouderat des provinces de Frise & de Groningue ; en 1722 la province de Gueldre le nomma aussi son stathouder, mais les quatre autres provinces, dans lesquelles le parti républicain dominoit, ne voulurent jamais lui accorder cette dignité. Enfin en 1747, ces provinces forcées par le peuple, & d'ailleurs effrayées des victoires de la France, déclarerent ce prince stathouder, lui accorderent une autorité plus grande qu'à aucun de ses prédécesseurs, déclarerent le stathouderat héréditaire dans sa famille, & y appellerent même les femmes au défaut des mâles. Ce prince a joui de la dignité de stathouder jusqu'à sa mort ; après lui elle est passée au prince Guillaume son fils, né en 1746, qui la possede aujourd'hui.

On donne aussi dans les Pays-Bas le nom de stathouders à des officiers municipaux, qui font dans de certains districts les fonctions des subdélégués des intendans de province en France. (-)


STATICEstatice, s. f. (Hist. nat. Bot.) genre de plante dont les fleurs sont réunies en une sorte de tête presque sphérique, & soutenus par un calice commun. Cette tête est formée par plusieurs fleurs, qui ont la forme d'un œillet, & qui sont composées de plusieurs pétales ; ces pétales sortent d'un calice particulier à chaque fleur, & fait en forme d'entonnoir. Le pistil sort aussi du calice, & devient dans la suite une semence oblongue & enveloppée par le calice ou par une capsule. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Entre les neuf especes de ce genre de plante, nous décrirons la premiere de Tournefort, statice vulgaris major, I. R. H. 340. on l'appelle en anglois the sea july flower. Sa racine est longue, assez grosse, ronde, ligneuse, rougeâtre, vivace, divisée en plusieurs têtes. Elle pousse un grand nombre de feuilles longues & étroites comme celles du gramen, de couleur de verd-de-mer. Il releve d'entre ces feuilles, plusieurs tiges à la hauteur d'environ un pié, droites, sans noeuds, creuses, presque toutes nues ; elles portent à leur sommet un bouquet sphérique de petites fleurs à cinq pétales, blanches, purpurines, disposées en œillet, dans un calice formé en entonnoir ; ce bouquet de fleurs est encore soutenu par un calice général écailleux. Lorsque les fleurs sont tombées, il succede à chacune d'elles une semence oblongue, pointue par les deux bouts, enfermée dans une capsule qui a servi de calice à la fleur.

Cette plante croît aux lieux montagneux, un peu humides ; elle fleurit en été, & comme ses fleurs ne s'ouvrent pas toutes ensemble, mais les unes après les autres, elle reste fleurie jusqu'au milieu de l'automne. On l'estime vulnéraire, astringente, & convenable pour arrêter le sang dans la dissenterie, & les regles trop abondantes. (D.J.)


STATIONS. f. (Gram.) lieu où l'on s'arrête.

STATION, en Géométrie, &c. est un lieu qu'on choisit pour faire une observation, prendre un angle ou autre chose semblable.

On ne peut mesurer une hauteur ou une distance inaccessible, qu'on ne fasse deux stations dans deux endroits, dont la distance est connue. Quand on fait des cartes géométriques de provinces, &c. on fixe les stations sur plusieurs éminences du pays, & de-là on prend les angles aux différentes villes, villages, &c.

Dans l'arpentage, on mesure la distance qu'il y a d'une station à une autre ; & on prend l'angle que l'endroit où on se trouve forme avec la station suivante. Voyez ARPENTAGE. (E)

STATION, en Astronomie, est la position ou l'apparence d'une planete au même point du zodiaque plusieurs jours de suite. Voyez PLANETE.

Comme la terre, d'où nous appercevons le mouvement des planetes, est placée hors du centre de leurs orbites, les planetes, vues de la terre, ont un cours irrégulier ; quelquefois on les voit aller en avant, c'est-à-dire, d'occident en orient, c'est ce qu'on appelle être directes ; quelquefois on les voit aller en arriere, c'est-à-dire, d'orient en occident, c'est ce qu'on appelle être rétrogrades. Voyez DIRECT & RETROGRADE.

De plus, entre ces deux états, il y en a un autre intermédiaire, dans lequel les planetes ne paroissent aller ni en avant, ni en arriere, mais rester à la même place dans leur orbite ; c'est ce qu'on appelle leur station ; c'est ce qui arrive quand les lignes suivant lesquelles on voit une planete de dessus la terre, placée en deux différens endroits de son orbite, sont paralleles entr'elles ; car alors, les deux lieux où on voit la planete dans le ciel sont sensiblement le même à cause de la petitesse du rayon de l'orbe terrestre en comparaison de la distance des étoiles.

Soit un cercle BDG (fig. 63. astronomiq.) dans lequel la terre est supposée se mouvoir, de B en D. Si pendant ce tems la planete A décrit l'arc C A, qui soit tel que BA, DC soient paralleles, elle paroîtra répondre sensiblement au même point du ciel, & par conséquent stationnaire.

Dans le second volume de l'académie de Pétersbourg, p. 82. M. Mayer donne une méthode pour déterminer les lieux de la terre d'où une planete vue dans un point donné de son orbite doit paroître stationnaire ; & M. Halley a donné une méthode pour trouver le tems d'une station. Voyez les institutions astronomiques de M. le Monnier, p. 589. (O)

STATION, (Hydraul.) se dit dans un nivellement de l'endroit où se pose le niveau, desorte qu'un coup de niveau est compris entre deux stations. C'est ainsi qu'on connoît la pente d'une montagne. (K)

STATION, dans l'histoire de l'Eglise, est un terme qui s'applique aux jeûnes des quatrieme & sixieme jours de la semaine, c'est-à-dire, le mercredi & le vendredi, que beaucoup de personnes chez les anciens observoient très-scrupuleusement jusqu'à trois heures après-midi. Voyez FETE.

S. Pierre d'Alexandrie, dans son épitre canonique, can. 15. observe qu'il étoit ordonné conformément à l'ancienne tradition, de jeûner toutes les semaines pendant ces deux jours ; le mercredi, en mémoire du conseil que les juifs tinrent pour mettre à mort notre Sauveur ; & le vendredi à cause de sa passion. On a encore quelqu'égard à cette tradition dans l'Eglise d'Angleterre. Voyez ABSTINENCE.

Station se dit aussi, dans l'Eglise romaine, d'une église où on peut aller gagner des indulgences dans de certains jours. Voyez INDULGENCE.

Ce fut saint Grégoire qui fixa les stations à Rome, c'est-à-dire, les églises dans lesquelles on devoit faire l'office tous les jours du carême, & les fêtes solemnelles. Ces stations sont marquées dans son sacramentaire, telles qu'on les voit dans le missel romain ; elles sont appropriées principalement aux églises patriarchales & titulaires. Mais quoique ces stations soient réglées, l'archidiacre ne manque point à chaque station, d'annoncer au peuple la station suivante.

Station est aussi une cérémonie de l'Eglise romaine, dans laquelle les prêtres ou chanoines vont en procession hors du coeur pour chanter une antienne devant le crucifix, ou devant l'image de la Vierge. On attribue cette cérémonie à saint Cyrille.

STATIONS, (Hist. ecclésiast.) ce terme ne désignoit chez les Hébreux que le rang de ceux qui assistoient aux sacrifices ; & chez les Romains, le lieu où les avocats se tenoient pour répondre aux consultations ; mais dans l'Eglise primitive, ce terme fut usité pour signifier un jour que les chrétiens passoient en prieres, & dans lequel ils jeûnoient jusqu'à l'heure de none. Suivant l'usage récent de l'Eglise romaine, le mot station dénote les chapelles où le clergé & le peuple vont en procession, & s'arrêtent pour y célébrer une partie de l'office divin. Enfin dans les derniers tems, les papes & les évêques ayant indiqué des églises particulieres où l'on est obligé d'aller prier pour gagner le jubilé, l'usage a donné à ces églises le nom de station. Cet usage semble venir des anciens Romains, qui, dans les fêtes extraordinaires de réjouissances ou de deuil, avoient ordonné des stations du peuple dans les principaux temples des dieux. (D.J.)


STATIONNAIREadj. en Astronomie, se dit d'une planete qui paroît rester immobile au même point du zodiaque. Voyez STATION.

Quoique les planetes aient quelquefois un mouvement progressif, & quelquefois un mouvement retrograde, il peut y avoir quelque point dans lequel elles paroissent stationnaires. Une planete paroîtra stationnaire, lorsque la ligne qui joint la terre & le centre de la planete, est dirigée au même point du firmament, c'est-à-dire, quand cette ligne est pendant quelque tems parallele à elle-même.

Saturne paroît stationnaire à la distance de 90 degrés du soleil ; Jupiter à la distance de 52, & Mars à une distance beaucoup plus grande.

Saturne est stationnaire huit jours, Jupiter quatre, Mars deux, Vénus un & demi, & Mercure un demi ; cependant les tems de ces différentes stations ne sont pas toujours égaux, parce que les orbites de ces planetes ne sont pas des cercles qui aient le soleil pour centre ; mais des ellipses dont le soleil occupe le foyer, & dans lesquelles les planetes ne se meuvent pas uniformément. Chambers (O)

STATIONNAIRE, (Milice romaine) ce nom s'est donné dans le bas Empire romain à des soldats ou des officiers que l'on mettoit en certains postes, d'où ils avertissoient les gouverneurs & les magistrats de ce qui se passoit. (D.J.)

STATIONNAIRE, fievre, (Médec.) épithete qu'on donne à certaines fievres continues, qui dépendent d'une disposition particuliere des saisons & des alimens, & qui regnent plus constamment & plus généralement que les autres pendant une ou plusieurs années. Elles sont opposées aux fievres intercurrentes. Sydenham a parfaitement traité des unes & des autres ; il faut le lire & le relire. On les appelle stationnaires, à stando, rester, demeurer. (D.J.)

STATIONNAIRE, (Hist. ecclésiast.) épithete qu'on a donné dans l'Eglise au diacre qui étoit de semaine, pour chanter l'évangile aux messes que le pape ou l'évêque du diocèse venoit dire dans différentes stations. (D.J.)


STATIQUES. f. (Ordre encyclop. entend. raison, Philos. ou science, science de la nature, Mathématiq. Mathém. mixtes, Méchaniq. Statique) est une partie de la méchanique, qui a pour objet les loix de l'équilibre des corps ou des puissances qui agissent les unes sur les autres.

La méchanique en général a pour objet les loix de l'équilibre & du mouvement des corps, mais on donne plus parfaitement le nom de méchanique à la partie qui traite du mouvement, & celui de statique à la partie qui traite de l'équilibre ; ce nom vient du latin stare, s'arrêter, être en repos, parce que l'effet de l'équilibre est de produire le repos, quoiqu'il y ait dans le corps en équilibre une tendance au mouvement.

La statique se divise en deux parties, l'une qui conserve le nom de statique, a pour objet les loix de l'équilibre des solides. C'est dans cette partie qu'on traite ses différentes machines simples ou composées, comme la poulie, le levier, le plan incliné, &c. l'autre partie, qu'on appelle hydrostatique, a pour objet les loix de l'équilibre des fluides.

L'ouvrage le plus étendu que nous ayons sur la statique, est la nouvelle méchanique de M. Varignon, imprimée à Paris en 1725, en deux volumes in -4°. Dès l'année 1687 l'auteur avoit donné un ouvrage sur ce même sujet avec le titre de projet d'une nouvelle méchanique.

Dans ce premier ouvrage, qui a paru la même année que les principes de Newton, M. Varignon donne une méthode générale pour déterminer l'équilibre sur toutes les machines, & cette méthode est peu différente de celle que M. Newton donne dans le premier livre de son ouvrage. Elle consiste à reduire par le principe de composition des forces, toutes les puissances qui agissent sur une machine à une seule puissance, dont la direction doit passer par quelque point d'appui fixe & immobile lorsqu'il y a équilibre. Ainsi dans la poulie, par exemple, il faut que la direction de la puissance qui résulte des deux puissances appliquées à la poulie, passe par le centre fixe de la poulie : de même dans le levier, il faut que la puissance qui résulte des deux puissances appliquées aux extrêmités du levier, ait une direction qui passe par le point d'appui. L'auteur a étendu ce principe dans sa nouvelle méchanique, qui n'a été imprimée qu'après sa mort, & il y a joint la maniere de déterminer par le même moyen les loix de l'équilibre des fluides. (O)

STATIQUE, colonne, (Archit.) espece de pilier rond ou à pans, posé sur un socle, à hauteur d'appui, au milieu d'un marché : on pend à une potence de fer, une balance ou romaine, pour peser publiquement, & à poids étalonnés par la police, les vivres & denrées que le peuple achete, comme on le pratique en quelques villes du Languedoc. Le mot statique vient de statera, balance. (D.J.)

STATIQUES, statici, (Médec.) sont une espece d'épileptiques, ou de personnes attaquées d'épilepsie. Voyez EPILEPSIE.

Les statiques différent des cataleptiques en ce que ces derniers n'ont aucun sentiment des objets extérieurs, & ne se ressouviennent point de ce qui s'est passé dans le tems du paroxisme : au lieu que les statiques sont occupés pendant tout ce tems d'idées fortes & vives, dont ils se ressouviennent assez bien après que l'accès est passé. Voyez CATALEPTIQUE & ÉPILEPSIE.


STATOSTATO


STATONES(Géog. anc.) peuples d'Italie, dans la Toscane, selon Pline, l. III. c. v. Strabon, l. V. p. 226, nomme leur ville Statonia, & la place dans les terres. Du tems de Vitruve, l. II. c. ij. de Lapidicin. le territoire de cette ville étoit une préfecture, praefectura Statoniensis ; & on s'accorde à dire que c'est aujourd'hui le duché de Castro. Les vins de ce quartier, vina Statoniensia, sont vantés par Pline, l. XIV. c. vj. Séneque, dans ses questions naturelles, l. III. c. xxv. fait mention d'un lac de ce territoire : il le nomme lacus Statoniensis, & il y met une île flottante. C'est présentement le lac de Mezzano. (D.J.)


STATUAIRES. m. (Sculpt.) sculpteur qui fait des statues, mais la statuaire désigne l'art de faire des statues. Voyez SCULPTEUR, SCULPTURE, STATUE & STATUES des Grecs & des Romains. (D.J.)

Quant à l'art statuaire pour la fonte, voyez BRONZE. (D.J.)

STATUAIRE, colonne, (Archit.) colonne qui porte une statue, comme la colonne que le Pape Paul V. a fait élever sur un piédestal devant l'église de Sainte Marie-Majeure à Rome, & qui porte une statue de la sainte Vierge de bronze doré. Cette colonne qui a été tirée des ruines du temple de la paix, & dont le fût d'un seul bloc de marbre blanc, a 5 piés 8 pouces de diametre sur 49 & demi de hauteur, est d'ordre corinthien & cannelé.

On peut aussi appeller colonnes statuaires, les caryatides, persiques, termes, & autres figures humaines qui font l'office des colonnes, comme celles du gros pavillon du Louvre, que Vitruve nomme telomones & atlantes. Daviler. (D.J.)


STATUES. f. (Sculpt. & Archit. Décorat.) figure de plein relief taillée ou fondue, qui imite dans la représentation tous les êtres de la nature. Mais ordinairement une statue représente un dieu, un homme, une femme ; & l'on a coutume d'embellir de statues les palais ou les places publiques. On distingue différentes especes de statues, dont nous ne donnerons ici que de courtes définitions, renvoyant les détails au mot STATUES des Grecs & des Romains.

Statue allégorique. Statue qui représente quelque symbole, comme les parties de la terre, les saisons, les âges, les élémens, les tempéramens, les heures du jour. Telles sont les statues modernes de marbre du parc de Versailles.

Statue colossale. Statue qui excede le double ou le triple du naturel, ou statue d'une hauteur démesurée.

Statue curule. On appelle ainsi les statues qui sont dans des chariots de course tirés par deux, quatre ou six chevaux, comme il y en avoit aux cirques, hyppodromes, &c. ou dans les chars, comme on en voit à des arcs de triomphe sur quelques médailles antiques.

Statue équestre. Statue qui représente un homme à cheval, comme celle de Marc-Aurele à Rome, d'Henri IV. de Louis XIII. de Louis XIV. à Paris, &c.

Statue de fonte. Statue de plusieurs morceaux séparés & remontés sur une armature de fer, ou statue formée de grands morceaux fondus d'un jet. Telle est la statue équestre érigée dans la place de Vendôme, & qu'on peut regarder comme un chef-d'oeuvre de fonderie. Voy. les détails de cet art au mot BRONZE.

Statue grecque. C'est une statue nue & antique. Les Grecs se servoient de ces statues pour représenter leurs divinités, les athletes des jeux olympiques & les héros ; celles-ci étoient appellées statues d'Achille, parce qu'il y en avoit quantité qui représentoient Achille dans la plûpart des villes de Grece.

Statue hydraulique. C'est toute figure qui sert d'ornement à quelque fontaine & grotte, ou qui fait l'office de jeu ou de robinet par quelqu'une de ses parties, ou par un attribut qu'elle tient. C'est aussi tout animal qui sert au même usage, comme les grouppes des deux bassins quarrés du haut parterre de Versailles.

Statue iconique, est toute statue qui a la taille & la ressemblance de la personne qu'elle représente.

Statue pédestre. Statue qui est en pié ou debout. Il y a à Paris deux statues de cette espece qui ont été élevées à la gloire de Louis XIV. l'une dans la place des Victoires, faite par Desjardins, l'autre dans l'hôtel-de-ville par Coisevox.

Statue persique. Figure d'homme en pierre ou en terme, qui fait l'office de colonnes dans les bâtimens. On appelle statue caryatide celle d'une femme qui sert au même usage.

Statue romaine, est une statue couverte de quelque habillement.

Statue sacrée. On appelle ainsi une figure qui représente Jesus-Christ, la Vierge, ou quelque saint, dont on décore les autels, l'extérieur ou l'intérieur des églises. (D.J.)

STATUES des Grecs & des Romains, (Antiq. grecq. & rom.) quoique les Grecs & les Romains ayent eu des termes différens pour présenter à l'esprit d'idée que nous mettons au mot de statues, ils n'en ont affecté spécialement aucun pour distinguer les statues des dieux & des demi-dieux, & celles des hommes, des animaux & des choses inanimées. Les Grecs ont employé en général les termes , comme les Romains ceux de statuae, imagines, simulachra, sculptilia.

Comme l'explication de ces divers synonymes seroit fort ennuyeuse, il vaut mieux remarquer que tous les peuples du monde ont consacré de bonne heure les statues à la religion. Les Egyptiens montrerent l'exemple : ces peuples, dit Diodore de Sicile, liv. I. frappés d'admiration en observant le mouvement régulier du soleil & de la lune, les regarderent comme les premieres divinités auxquelles ils se croyoient redevables de toute la douceur de leur vie. Ils bâtirent des temples à leur honneur, poserent à l'entrée de ces édifices sacrés des figures de sphinx, & dans l'intérieur des statues de lions, à cause de l'entrée du soleil dans le signe du lion, au tems des débordemens du Nil, principe de la fertilité de leurs terres dans toute l'étendue de son inondation. Osiris leur avoit enseigné l'agriculture ; ils l'honorerent, après sa mort, sous la figure d'une genisse.

La promtitude des Israélites à élever le serpent d'airain, montre que cette nation avoit appris en Egypte l'art de la statuaire. Cet art passa promtement chez les Grecs & chez les Romains, qui chargerent leurs temples de superbes statues, depuis celle de Cybèle jusqu'à celle d'Isis, après qu'ils eurent adopté le polythéïsme.

Il seroit peut-être à souhaiter que les payens n'eussent jamais songé à faire entrer les statues & les images dans leur culte religieux, du-moins le Christianisme épuré pouvoit s'en passer. Le peuple n'est pas capable de s'élever au-dessus des sens ; mettant toujours l'accessoire à la place du principal, il cherche à s'acquiter aisément : ici la superstition le subjugue, & là la dépravation l'entraîne dans des excès criminels.

Elien, Hist. var. liv. IX. c. xxxjx. rapporte qu'un jeune athénien devint amoureux de la statue de la Bonne-Fortune qui étoit dans le Prytanée. Les voeux fréquens qu'il lui présentoit l'échaufferent à un tel point, qu'après avoir trouvé des raisons pour excuser dans son esprit la folie de sa passion, il vint à l'assemblée des prytanes, & leur offrit une grosse somme pour l'acquisition de la statue : on la refusa ; il orna la statue avec toute la magnificence qui pouvoit être permise à un particulier, lui fit un sacrifice, & se donna la mort. Pline, l. XXXVI. c. jv. Valere-Maxime, VIII xj. Athenée, l. VIII. Plutarque, in Gryllo ; Clément d'Alexandrie, admonit. ad Gentiles ; Arnobe, lib. adversus Gentiles, sont remplis d'exemples de ces foiblesses humaines pour les statues de Vénus qu'on voyoit à Gnide & dans l'île de Chypre.

Quoi qu'il en soit, après les dieux, l'honneur des statues fut communiqué aux demi-dieux & aux héros que leur valeur élevoit au-dessus des autres, & qui par des services éclatans s'étoient rendus vénérables à leur siecle.

Quelques-uns ont reçu ces honneurs pendant leur vie, & d'autres les ayant refusés, les ont mérités après leur mort par un motif de reconnoissance encore moins équivoque. Tel fut Scipion, à qui Rome ne rendit cet éclatant témoignage de son estime que quand il ne fut plus en état de s'y opposer lui-même. Etant censeur, il avoit fait abattre toutes les statues que les particuliers s'étoient érigées dans la place publique, à-moins qu'ils n'eussent été autorisés à le faire par un decret du sénat ; & Caton aima mieux que l'on demandât pourquoi on ne lui en avoit point élevé, que si on pouvoit demander à quel titre on lui avoit fait cet honneur-là.

Suétone dit qu'Auguste déclara par un édit que les statues qu'il avoit fait élever en l'honneur des grands hommes de toutes les nations, ne l'avoient été que pour leur servir d'exemple, de même qu'aux princes ses successeurs, & afin que les citoyens en désirassent de semblables. Mais on sait assez que la plûpart de ses successeurs en furent plus redevables à la crainte de leurs sujets qu'à leur propre mérite ; aussi sentant bien qu'ils n'avoient rien de semblable à espérer après leur mort, ils se hâtoient de se faire rendre par force ou par complaisance un hommage qui n'étoit dû qu'à la vertu.

Les statues, comme les temples, faisoient une partie considérable des apothéoses dont il est si souvent parlé dans les auteurs de l'histoire d'Auguste ; on y trouve un grand détail des cérémonies essentielles qui se pratiquoient en ces occasions, & de tout ce que la flatterie y ajouta pour plaire davantage aux vivans dans des honneurs si légerement décernés aux défunts. Les Romains étoient si scrupuleux dans ces dédicaces de temples ou de statues, qu'ils les auroient recommencées s'ils s'étoient apperçus qu'un seul mot ou même une seule syllabe y eût été obmise ; & Pline observe que le pontife Métellus, qui étoit begue, se prépara pendant six mois à prononcer le nom de la déesse Ops-opifera, à laquelle on devoit dédier une statue.

Les législateurs ont été honorés de statues dans presque tous les états ; quelques hommes illustres ont partagé avec eux cet honneur ; mais d'autres se défiant de la reconnoissance & de l'estime publique, n'attendirent pas qu'on le leur accordât, ils s'éleverent à eux-mêmes des statues à leurs fraix : & c'est peut-être à cette liberté que l'on doit les réglemens qui défendirent d'en ériger sans l'aveu des censeurs. Mais ces ordonnances ne s'étendoient pas sur les statues que les personnes de quelque considération faisoient poser pour l'ornement de leurs maisons de campagne, ou quelquefois à côté des leurs, ils en élevoient pour des esclaves dont les services leur avoient été agréables, ce qui n'étoit pas permis à la ville, du-moins pour les esclaves.

Valere-Maxime dit qu'une statue de Sémiramis la représentoit au même état où elle se trouvoit lorsqu'on vint dire que les habitans de Babylone s'étoient révoltés ; elle étoit à sa toilette, n'ayant qu'un côté de ses cheveux relevés ; & s'étant présentée en cet état à son peuple, il rentra aussi-tôt dans le devoir.

Cornélius Népos, dans la vie de Chabrias, rapporte que les Athéniens qui honoroient d'une statue les athletes victorieux à quelque jeu que ce fût de la Grece, le firent représenter appuyé sur un genou, couvert de son bouclier, la lance en arrêt, parce que Chabrias avoit ordonné à ses soldats de se mettre dans cette attitude pour recevoir l'attaque des soldats d'Agésilaüs, qui furent défaits. Ces mêmes Athéniens éleverent à Bérose, qui a vécu du tems d'Alexandre, & non au tems de Moïse, ainsi que l'établit Eusebe, une statue dont la langue étoit dorée, & qui fut posée dans le lieu des exercices publics par estime pour ses écrits, & pour ses observations astronomiques.

Pline dit que Lucius Minucius Augurinus, qui s'opposa aux desseins ambitieux de Mélius, & qui de l'état de sénateur où il étoit né, passa à celui de plébéien pour pouvoir être tribun du peuple, ayant rétabli l'abondance à Rome, fut honoré d'une statue à la porte Trégemina ; & Patin cite la médaille qui le représente comme il l'étoit dans cette statue, tenant en sa main deux épis, symbole de l'abondance.

Les femmes même qui avoient rendu quelque service à la république, furent associées à la prérogative d'avoir des statues. On ordonna une statue équestre à Clélia, échappée des mains de Porsenna qui la gardoit en ôtage. La vestale Suffétia eut par un decret du sénat, la permission de choisir le lieu qui lui plairoit pour poser la statue qui lui fut décernée en reconnoissance de quelques terres dont elle fit présent à la ville de Rome ; & Denys d'Halicarnasse en allegue quelques autres exemples.

Quand le sénat ordonnoit une statue, il chargeoit les entrepreneurs des ouvrages publics de prendre au trésor de l'état de quoi fournir à la dépense qui convenoit. Il y avoit un terme fixé pour l'exécution de cet ordre, & des officiers préposés pour y tenir la main.

En accordant la permission ou le droit d'élever des statues, le sénat en déterminoit le lieu, avec un terrein de cinq piés d'étendue autour de la base, afin que la famille de ceux à qui il avoit fait cette faveur eût plus de commodité pour assister aux spectacles qui se donnoient dans les places publiques, avant qu'on eût bâti les amphithéâtres & les cirques. La concession du lieu étoit proportionnée à la dignité de celui que l'on vouloit honorer, & à l'action qui lui procuroit l'avantage d'avoir une statue par autorité publique.

Quelques-unes étoient placées dans les temples ou dans les cirques, où le sénat s'assembloit, d'autres dans la place de la tribune aux harangues, dans les lieux les plus éminens de la ville, dans les carrefours, dans les bains publics, sous les portiques destinés à la promenade, à l'entrée des aqueducs, sur les ponts ; & avec le tems il s'en trouva un si grand nombre, que c'étoit un peuple de pierres ou de marbre : partout, dit Cicéron, on les honoroit en brûlant de l'encens devant ces réprésentations ; on y portoit des offrandes, on y allumoit des cierges ; & comme on en posoit selon les occurences, à l'occasion de quelque action singuliere, dans des lieux moins fréquentés, il y avoit des officiers chargés du soin de les faire garder ; ces officiers sont appellés dans le droit romain, comites, curatores statuarum, & tutelarii.

Les lieux destinés à la représentation des comédies & des tragédies, étoient accordés pour élever des statues à ces fameux acteurs qui faisoient les délices du peuple ; les auteurs des belles pieces de théâtre n'y avoient pas moins de droit, mais le plus souvent on les plaçoit dans les bibliotheques, sur-tout depuis que Pollion en eût ouvert de publiques.

On ordonnoit quelquefois des statues pour faire passer à la postérité la punition de quelque trahison ou de quelque crime contre l'état ; on les posoit couchées par-terre & sans base, pour les tenir à la portée des insultes dont parle Juvénal.

Solin remarque, que Dédale fut le premier qui imagina de donner aux statues l'attitude naturelle d'une personne qui marche ; avant lui elles avoient les piés joints, & on les appelloit chez les Romains compernes.

Les statues assises étoient communément employées pour représenter les dieux & les déesses, comme un symbole du repos dont ils jouissoient. On représentoit de même les premiers magistrats pour exprimer la situation tranquille de leur ame, dans l'examen & la discussion des affaires.

Quant à la matiere dont elles étoient composées, il y a apparence que l'argille comme la plus maniable, & la plus susceptible des formes arbitraires, y fut d'abord employée. Après lui avoir donné la figure qui convenoit au dessein, l'ouvrier la laissoit durcir au soleil, ou la faisoit sécher au feu, pour la mettre en état de résister plus long-tems aux injures de l'air ; peut-être même que l'incrustation de quelque matiere plus dure pour la préserver d'altération, conduisit ceux qui inventerent l'art de fondre les métaux, à se servir de l'argille pour la composition des moules.

Le bois fut ensuite mis en oeuvre comme plus traitable que la pierre ou les métaux ; les Romains n'eurent pendant long-tems dans leurs temples que des dieux de bois grossiérement taillés, même après que les Sculpteurs eurent assujetti la pierre & le marbre. Les statues des dieux se faisoient souvent par préférence d'un certain bois, plutôt que d'un autre. Priape fut d'abord de bois de figuier pour le jardinier qui imploroit son assistance, contre ceux qui voloient ses fruits ; le vigneron voulut que son Bacchus fût de bois de vigne ; & l'on employoit celui d'olivier pour les statues de Minerve : Mercure, en sa qualité de dieu des Sciences, ne se tailloit pas tout de bois, surtout pour être joint à Minerve par les hermathènes, & à Hercule par les hermeracles.

Hérodote rapporte que les Epidauriens réduits à la derniere misere par la stérilité de leurs terres, envoyerent consulter l'oracle de Delphes, qui leur répondit, que le remede à leurs maux étoit attaché à l'érection de deux statues à l'honneur des déesses Damia & Auxesia, en les faisant tailler d'olivier franc. Comme le seul territoire d'Athènes nourrissoit de ces sortes d'arbres, ils envoyerent en demander ; on leur en promit, sous la condition que tous les ans à certains jours les Epidauriens députeroient quelques-uns de leurs citoyens, pour faire à Athènes des sacrifices à Minerve & à Erechthée. Après quelques années, cette servitude déplut aux Epidauriens, qui voulurent s'en affranchir, & on leur déclara la guerre. Il paroît en examinant le nom de ces deux divinités peu connues, que ce n'étoit qu'un avertissement de l'oracle, pour engager les Epidauriens à donner plus de soin qu'ils n'en donnoient à la culture de leurs terres.

Pausanias fait mention de quelques statues de bois qui avoient le visage, les mains & les piés de marbre ; d'autres de bois doré & peint, avec le visage, les piés & les mains incrustés d'ivoire. Le même historien dit que Théodore de Samos fut le premier qui découvrit l'art de fondre le fer, & que Tisagoras fut le premier qui en fit usage pour fondre plusieurs statues ; mais ce métal est trop poreux, & parlà trop susceptible de la rouille pour avoir été longtems mis en oeuvre, sur-tout pour être exposé en plein air ou dans des lieux humides. Le cuivre qui devint bronze par son alliage avec l'étain ou le plomb de douze jusqu'à vingt-cinq livres par cent, a une consistance bien plus fusible, & se trouve moins sujet à l'altération.

L'or & l'argent ont encore été employés pour les statues, il ne faut qu'ouvrir Pausanias pour en trouver de fréquens exemples : mais Valere-Maxime observe que ni à Rome, ni en aucun endroit de l'Italie, on n'avoit vû de statues d'or, avant que Glabrion en exposât une équestre pour Marcus-Acilius Glabrion son pere, dans le temple de la piété, après la défaite d'Antiochus le grand aux Thermopyles. Les magistrats d'Athènes, lors de leur installation, faisoient serment qu'ils seroient exacts observateurs des loix, & qu'ils ne recevroient aucuns présens pour l'administration de la justice, sous peine de faire élever à leurs dépens une statue d'or d'un certain poids ; l'ivoire entroit encore dans la fabrique des statues.

J'ignore s'il y avoit des statues magiques faites avec de la cire pour être plus susceptibles des maléfices, mais il est certain que le bois de buis comme le plus compact, étoit employé dans les secrets de la magie. Photius, dans l'extrait des XXII. livres des histoires d'Olympiodore, fait mention d'une statue élevée à Reggio, qui avoit la vertu d'arrêter les feux du mont Etna, & qui empêchoit les Barbares de venir désoler les côtes.

Pline & beaucoup d'historiens ont parlé de la statue artificielle de Memnon, qui retentissoit tous les matins au lever du soleil, & dont les débris, à ce que disent quelques auteurs, rendoient au lever du soleil un son semblable à celui des cordes d'un instrument lorsqu'elles viennent à se casser.

Néalcès de Cyzique rapporte, qu'après la mort de Méton, les habitans d'Acragas s'étant révoltés, Empédocle appaisa la sédition, conseilla à ses citoyens de prendre le gouvernement républicain, & qu'ayant fait de grandes libéralités au peuple, & doté les filles, qui faute de bien ne trouvoient pas à se marier, il avoit couvert de pourpre la statue qu'on avoit faite dresser à son honneur, & y avoit fait rapporter une cuirasse dorée & d'autres ornemens, qui furent pillés par les Romains.

Voilà la premiere statue grecque qui irrita leur cupidité, mais dès qu'ils furent vainqueurs & maîtres de la terre, ils embellirent leur ville des plus fameuses statues répandues dans le monde. Métrodore de Scepsis dit que les Volociniens furent attaqués par les Romains, sans autre motif que celui de s'emparer de deux mille statues qui servoient à l'ornement de leur ville. Mummius en enleva un grand nombre de l'Achaïe. Lucullus du Pont, Antoine d'Ephèse ; Néron fit enlever toutes celles qui étoient à Olympie ; le seul Caton se contenta de transporter de Cypre à Rome la statue de Zénon par considération pour le mérite de ce philosophe.

Il étoit ordinaire à Rome de mettre des statues jusques sur les tombeaux. Festus Pompeius raconte qu'on trouvoit près de la porte romaine un lieu appellé Statuae Cinciae, à cause du grand nombre de statues qui y étoient sur les sépultures de la famille Cincia ; mais les loix Athéniennes défendoient même de poser des statues de Mercure au-dessus des colonnes sépulchrales ; & Démétrius de Phalere à qui l'on avoit élevé plus de trois cent statues, réduisit la hauteur des colonnes ou des pyramides sépuchrales à trois coudées.

Lucien dans le dialogue intitulé Philopseudes, ou le Crédule, fait mention d'une statue qui avoit la vertu de guérir la fievre, & dont les genoux étoient chargés des marques de la reconnoissance de ceux qui en avoient obtenu quelque soulagement ; & il rapporte tout de suite la punition d'un malheureux qui avoit volé le petit trésor de cette statue. Mais le même auteur se moque des statues qu'on prétendoit qui suoient, qui se remuoient, & qui rendoient des oracles. Cependant les Romains portoient un tel respect, une telle vénération aux statues de leurs princes, que la loi défendoit à un maître de maltraiter son esclave qui s'étoit réfugié auprès de la statue d'un empereur ; & du tems de Tibere, c'étoit une espece de crime, que d'avoir seulement changé de robe devant une statue. L'empereur Claude fit ôter celle d'Auguste de la place publique, où l'on exécutoit les coupables condamnés, pour ne la point profaner par un pareil spectacle.

Pausanias observe aussi que les Grecs regardoient comme une affaire capitale de voler une statue, ou de l'ôter de sa place. Il nous a conservé là-dessus l'histoire de Théagene, fils de Thémosthène, prêtre d'Hercule à Thasos. Dans son enfance il étoit d'une si grande force, qu'à l'âge de neuf ans, revenant du lieu où il alloit faire ses exercices, il enleva, dit-on, une statue d'airain ; il fut arrêté, & on ne fit grace à son âge, qu'à condition qu'il la replaceroit ; ce qu'il exécuta dans le moment. Il remporta jusqu'à 1400 prix en différens jeux de la Grece, si nous en croyons le texte grec du même Pausanias ; car le traducteur qui les a réduits à 400, ne s'y est déterminé que par le motif d'une plus grande vraisemblance. Un de ses concurrens qui l'avoit trop souvent rencontré dans son chemin pendant qu'il vivoit, avoit passé de la jalousie à une haine si forte contre lui, qu'il alloit toutes les nuits charger de coups de fouet la statue de ce vainqueur ; & cette statue étant tombée sur celui qui la traitoit si indignement, l'écrasa. Ses enfans demanderent en justice vengeance de la mort de leur pere, fondés sur la loi de Dracon qui condamnoit à l'exil, les choses même inanimées, qui avoient occasionné la mort d'un homme ; les Thasiens ordonnerent que la statue seroit précipitée dans la mer ; mais ils en furent punis par la stérilité de leurs terres. Ils envoyerent à Delphes ; l'oracle leur conseilla de rappeller les exilés ; on oublia la statue de Théagene, & la stérilité continua : nouvelle députation ; l'oracle rappella le souvenir de l'injure faite à Théagene : des plongeurs tirerent la statue de la mer ; on la rétablit avec honneur. Elle fut depuis en très-grande vénération ; & on imploroit son secours en différentes maladies.

On profanoit les statues en les renversant par terre, en les couvrant de boue, en arrachant ou biffant les inscriptions, comme Pline le fait connoître dans le panégyrique de Trajan ; Suétone exprime avec bien de la force ce sentiment du sénat lui-même à la mort de Domitien ; voici ses termes : Contrà senatus adeò laetatus est, ut repleta certatim curia non temperaret, quin mortuum contumeliosissimo atque acerbissimo acclamationum genere laceraret, scalas etiam afferri, clypeosque, & imagines ejus coràm detrahi, & ibidem solo affigi juberet, novissimè eradendos ubique titulos, & abolendam omnem memoriam decerneret.

Ces observations générales sur les statues, suffiront à la plûpart des lecteurs ; mais les curieux desireront encore des détails particuliers qui leur facilitent l'intelligence de Pline, de Pausanias, & des autres écrivains de la Grece & de Rome : tâchons de les servir en quelque chose.

La liberté de faire des statues, multiplia les temples & les divinités : nous ne connoissons les dieux par le visage, dit Cicéron, que parce qu'il a plu aux Peintres & aux Sculpteurs de nous les représenter ainsi : deos eâ facie novimus quâ Pictores & Sculptores voluerunt. Aussi Aristophane appelle les Sculpteurs , faiseurs de dieux, & Julius Pollux, la statuaire, , la fabrication des dieux.

La matiere de cet art statuaire, artis statuariae, comme Pline l'appelle, fut le métal de toutes especes ; car quoique le cuivre & le bronze en fussent la matiere la plus commune, cependant, les Egyptiens, & d'autres peuples, y employerent le fer, l'or, & l'argent. La premiere statue de bronze qu'on vit à Rome, fut celle de la déesse Cérès ; on la fit des deniers provenans de la vente des meubles de Cassius, qui fut tué par son propre pere, parce qu'il aspiroit à la royauté. Il est vrai que la statue d'Hercule dédiée par Evandre, & celle de Janus consacrée par Numa, étoient plus anciennes & de même métal ; mais la fonte en venoit de dehors, nec dubium in Hetruriâ factitatas, dit Pline, l. XXXIV. c. vij.

Les premieres statues d'argent qu'on vit à Rome étoient d'Asie ; je parle de celles de Pharnace & de Mithridate, rois de Pont, que Pompée fit porter dans son triomphe ; il est vrai que bientôt après on commença d'en fondre à Rome, & dans les provinces de l'empire. Les premieres furent à l'honneur d'Auguste, & on en fit un grand nombre. Dans la suite, on fondit deux statues d'argent en l'honneur de Commode, dont l'une pesoit quinze cent livres, & dont l'autre étoit accompagnée d'un taureau & d'une vache d'or, à cause que ce prince affectoit le titre de fondateur de Rome, & qu'il s'avisa d'appeller cette ville coloniam commodianam. Domitien, au rapport de Suétone, ordonna qu'on ne fit aucune statue à sa ressemblance pour mettre au capitole, si elle n'étoit d'or ou d'argent, & d'un certain poids, par lui désigné, statuas sibi in capitolio non nisi aureas & argenteas poni permisit, ac ponderis certi. Il me semble par les vers suivans de Stace, que le poids des statues d'or fixé par Domitien, étoit de cent livres.

Da capitolinis aeternum sedibus annum,

Quo niteant sacri centeno pondere vultus

Caesaris.

Toutefois les empereurs romains ne furent pas les premiers du monde qui eurent des statues d'or à leurs images ; car Gorgias Léontin, qui vivoit longtems avant eux, & qui n'étoit qu'un simple particulier, se fit représenter en une statue solide de pur or, qu'il dédia au temple d'Apollon à Delphes, vers la 70e olympiade : tant étoient grandes les richesses que procuroit alors le talent de la parole. C'est Pline, l. XXXIII. c. iv. qui nous apprend cette particularité : hominum primus & auream statuam & solidam Gorgias Leontinus Delphis in templo sibi posuit, lxx. circiter olympiade, tantus erat docendae artis oratoriae quaestus.

Les statues ne différoient pas seulement par la matiere ; elles différoient encore par la forme & par la grandeur. Pour ce qui regarde la forme, il faut d'abord observer que les unes étoient nues, & les autres vétues ; chez les Grecs, toutes les statues étoient nues, à l'exception de celles de Lucine qu'on couvroit jusqu'aux piés ; chez les Romains, elles étoient couvertes d'un habit conforme au rang, & au sexe. Pline le dit en ces termes : Graeca res est nihil velare, at contra romana & militaria, thoracas addere.

Les Grecs faisoient leurs statues toutes nues, afin de mieux représenter la nature, & de mettre dans leurs ouvrages la respiration & la vie. Aussi faut-il convenir qu'on apperçoit dans les statues grecques une légereté & une finesse dans les draperies, à-travers desquelles le nud se découvre, une élégance, une délicatesse dans les contours ; une correction de dessein, une majesté dans les attitudes ; qualités auxquelles les sculpteurs romains ne purent jamais atteindre. Virgile le savoit bien, quand il attribue la science de bien gouverner à sa nation, & qu'il ne peut refuser aux Grecs l'excellence de la fonte & de la sculpture ; c'est d'eux qu'il dit, Enéïd. liv. VI. v. 848.

Excudent alii spirantia molliùs aera

Credo equidem, vivos ducent de marmore vultus,

Orabunt causas meliùs, coelique meatus

Describent radio, & surgentia sidera dicent.

Tu regere imperio populos, Romane, memento,

Parcere subjectis, & debellare superbos.

" D'autres peuples plus industrieux feront respirer l'airain, & sauront animer le marbre ; ils auront des orateurs plus éloquens, & des astronomes plus habiles, qui liront dans les cieux, & mesureront le cours des étoiles. Pour toi, romain, songe à subjuguer & à régir les nations ; c'est à toi de faire la guerre & la paix, de pardonner aux peuples soumis, & de dompter ceux qui te résistent : tels sont les arts qui te sont réservés ".

Les Romains distinguoient leurs statues par les habillemens. Ils appelloient statuae paludatae celles des empereurs qui étoient revêtus du paludamentum, long manteau de guerre ; telles étoient les statues de Jules-César placées au capitole & gravées en taille-douce dans le recueil des statues, publié à Rome en 1584 par Laurentius Vaccarius. Les statues thorocatae, étoient celles des capitaines & des chevaliers avec leur cotte-d'armes. Loricatae, étoient celles des soldats avec leur cuirasse. Mais, dit Pline, Caesar quidem dictator loricatam sibi dicari in foro suo passus est. Les trabiées, trabeatae, étoient celles des sénateurs & des augures. Togatae, celles des magistrats en robes longues ; tunicatae, celles du peuple avec une simple tunique ; enfin, stolatae statuae, étoient celles des femmes habillées de leurs stoles ou longues robes.

Mais on peut diviser commodément les statues antiques en pédestres, équestres, & curules, c'est-à-dire, à pié, à cheval, & en char. Entrons dans quelques détails sur cette division, parce qu'elle fournit quantité de faits curieux.

Les statues équestres sont de l'invention des Grecs qui les appelloient celetas, du mot , cheval de monture ; & c'est par de telles statues qu'on representoit en marbre ou en bronze les vainqueurs aux quatre grands jeux de la Grece ; ensuite on les figura sur des chars tirés à deux, à quatre, ou à six chevaux de front, qu'on appelloit bigae, quadrigae, & sejuges ; c'est ainsi qu'en parle Pline, l. XXXIV. c. v. Equestres utiquè statuae romanam celebrationem habent, orto sine dubio à Graecis exemplo. Sed illi caelatas tantùm dicabant in sacris victores ; posteà verò & qui bigis & quadrigis vicissent, undè & nostris currus in his, qui triumphavissent serùm hoc & in his, non nisi à divo Augusto sejuges.

Les statues pédestres occupoient trois endroits remarquables à Rome. 1°. On les mettoit dans des niches pratiquées dans les entre-colonnes des bâtimens, ou bien sur les chapiteaux desdites colonnes. C'est ainsi que M. Scaurus étala publiquement trois mille statues de bronze dans son théâtre ; & c'est ainsi qu'Auguste décora deux galeries de son forum. Dans l'une, il plaça tous les rois latins, depuis Enée portant son pere sur ses épaules, jusqu'à Amulius ; dans l'autre étoient les rois de Rome, depuis Romulus jusqu'à Tarquin - le - superbe, conjointement avec les généraux qui avoient reculé les frontieres de l'empire, tous revêtus de leurs habits triomphaux ; ce sont à ces deux rangs de statues qu'Ovide fait allusion, quand il dit, Fastor. liv. V. v. 563.

Hinc videt Aeneam oneratum pondere sacro,

Et tot Juleae nobilitatis avos :

Hinc videt Iliadem humero ducis arma ferentem ;

Claraque dispositis acta subesse viris.

Par ce dernier vers, Ovide nous fait entendre qu'il y avoit sous chaque statue une inscription en l'honneur de celui qu'elle représentoit. Auguste qui se trouvoit du nombre, avoit la sienne qui nommoit toutes les provinces qu'il avoit réunies à l'empire comme Velleïus Paterculus le rapporte, l. XI. c. xxxix. Quarum provinciarum titulis forum ejus praenitet ; ce sont ces inscriptions que les Historiens appelloient acta, tituli, indices. Il y en avoit de semblables toutes dorées dans le forum de Trajan & l'empereur Antonin en augmenta le nombre qu'il plaça dans le forum ulpien : Quibus nobilibus viris, bello germanico defunctis statuas in foro ulpiano collocavit, dit Aullu-Gelle, l. XIII. c. xxiij.

2°. On posoit aussi les statues pédestres sur des pilastres, que l'on élevoit au milieu & aux deux côtés des frontispices d'une pleine architecture. Ces endroits étoient par leur élévation, les vraies places d'honneur des statues pédestres. C'étoit aussi en pareils lieux que se trouvoit dans le forum d'Auguste la belle statue de Minerve, toute d'ivoire. Pausanias ajoute, qu'à l'exemple d'Auguste, ses successeurs rechercherent dans tous les coins du monde les plus belles statues pédestres, pour en orner leurs ouvrages publics & embellir la ville de Rome : Et ipsum, & reliquos principes, pleraque ornamentorum talia undìque avexisse, & ad opera sua ornanda traduxisse.

Le troisieme lieu destiné à porter les statues pédestres, étoit les colonnes solidaires, c'est-à-dire, non appliquées au bâtiment. Ces statues sur colonnes se dressoient pour l'ordinaire à l'honneur de ceux qui avoient rendu des services signalés à la république, par leurs exploits, leur savoir, ou leurs vertus. Caïus Maevius fut le premier que le sénat honora de ce genre de récompense, après sa victoire contre les Latins, & celle qu'il gagna sur mer contre les Antiates. On mit de-même la statue de Trajan sur la colonne de cet empereur plantée au milieu du forum magnifique dont il embellit Rome. On plaça de même la statue d'Antonin-le-débonnaire sur sa colonne plantée au champ de Mars, haute de 161 piés, & percée d'un bout à l'autre d'un escalier de 207 marches qui tiroient le jour de cinquante petites ouvertures.

On voyoit, tant à Rome que dans les campagnes, plusieurs autres statues pédestres de particuliers, placées sur des colonnes solitaires. C'est assez de citer ici celle de Caïus Duellius qui vainquit sur mer les Carthaginois ; & celle que le sénat & le peuple romain décernerent à P. Minutius au-delà de la porte dite Trejemina. Voyez les Ornamenti di fabriche antichiè moderni di Romà, de Bartholomaeo Rossi fiorentino.

Les statues pédestres furent connues dans Rome avant les équestres. Cependant les deux premieres équestres qu'on y vit, étoient assez anciennes ; puisque l'une fut élevée en l'honneur de Clélie qui s'échappa des mains de Porsenna, & passa le Tibre à la nage sur un bon cheval ; & l'autre étoit à la gloire d'Horatius surnommé le borgne : c'est Pline qui nous l'apprend. Pedestres, dit-il, sine dubio Romae fuêre in autoritate longo tempore. Equestrium tamen origo per quam vetus est, cum foeminis etiam honore communicato ; Cleliae enim statua est equestris. Hanc primam & Horatii coclitis publicè dicatam crediderim.

Les marchés de Rome & les places publiques étoient décorés des plus belles statues équestres. Jules César ordonna de mettre celle qui le représentoit dans le forum de son nom. Le cheval & la statue avoient été taillés par Lysippe pour Alexandre-le-grand. César fit ôter la tête d'Alexandre de dessus la statue, & y substitua la sienne. Stace, l. I. Sylv. nous apprend cet échange :

Cedat equus, Latiae qui contrà templa Diones

Caesarei stat cede fori, quem tradere es ausus

Pellaeo, Lysippe duci : mox Caesaris ora

Auratâ cervice tulit.

C'est ici le moment de remarquer que les anciens faisoient souvent des statues, dont la tête se détachoit du reste du corps, quoique l'une & l'autre fussent d'une même matiere ; & pour faire promtement une nouvelle statue, ils se contentoient d'en changer la tête. Ainsi nous lisons dans Suétone, qu'au-lieu de briser les statues des empereurs, dont la mémoire étoit odieuse, on en ôtoit les têtes, à la place desquelles l'on mettoit celles des empereurs chéris ou considérés. De-là vient sans-doute en partie qu'on a trouvé dans la suite des tems, quantité de têtes antiques sans corps.

Les statues équestres de Pollux, de Domitien, de Trajan, de Marc - Aurele, d'Antonin - le - pieux revêtu d'un long manteau qui lui pend de l'épaule gauche sur la croupe du cheval, ont une grande célébrité dans l'histoire. Elle vante aussi celles qu'Alexandre Severe fit mettre dans le forum transitorium de Nerva. Lampride en parle en ces termes : Statuas colossos, vel pedestres nudas, vel equestres, divis imperatoribus dicatas, in foro divi Nervae quod transitorium dicitur, locavit, omnibus cum titulis & columnis aereis quae gestorum ordinem continerent.

Les statues curules, soit de marbre ou de bronze, avoient pour lieu propre de leur emplacement, les arcs de triomphe. Comme on élevoit de tels arcs en l'honneur de ceux à qui le triomphe étoit décerné après leurs victoires, & que les triomphateurs, en entrant dans Rome, passoient par-dessous ces arcs sur des chars attelés de plusieurs chevaux de front, l'on mettoit leurs statues curules au-dessus desdits arcs pour en conserver la mémoire. Ainsi l'arc de triomphe érigé en l'honneur d'Auguste sur le pont du Tibre, étoit orné de sa statue de bronze portée sur un char attelé de quatre chevaux. Ce même empereur ayant fait élever un arc de triomphe à son pere Octave, l'enrichit d'un quadrige, sur lequel étoient les représentations d'Apollon & de Diane. Le tout, char, chevaux, figures, étoit d'une seule piece de marbre, ouvrage de Lysias dont Pline, l. XXXVI. c. v. vante extrêmement l'excellence. Enfin, l'on estimoit beaucoup l'arc de triomphe que le sénat & le peuple romain firent ériger en l'honneur de Trajan, dans la ville d'Ancône, & qui étoit orné de la statue de ce prince posée sur un char tiré par quatre chevaux. Eicherrius dans ses délices d'Italie, l. II. en parle en ces termes : In ejus medio noscitur arcus ille sublimis, quadrigis & trophaeis in fastigio onustus A. S. P. Q. R. in ejus beneficii memoriam, Trajano ibidem erectus, & adhuc temporis extans.

C'est encore une belle chose à considérer que la différence de grandeur des statues, car quelle qu'en fût la matiere, de métal, de marbre ou d'ivoire, il y en avoit en tout genre, de grandes, de moyennes & de petites. On appella grandes statues celles qui surpassoient la grandeur naturelle des personnes pour lesquelles elles étoient faites ; on nomma moyennes ou athlétiques celles qui étoient conformes à leur grandeur, & petites celles qui étoient au-dessous. Ce n'est pas tout, les grandes se divisoient en trois ordres ; quand elles n'excédoient la hauteur naturelle que d'une moitié, on les nommoit augustes, & elles servoient à représenter les empereurs, les rois & les grands capitaines de Rome. Celles qui avoient deux fois la grandeur s'appelloient héroïques, & on les consacroit aux demi-dieux & aux héros. Enfin lorsqu'elles s'étendoient jusqu'à trois hauteurs ou plus, elles prenoient le nom de colossales, & étoient destinées pour les dieux.

Quoique les premieres sortes de statues, c'est-à-dire les augustes & les héroïques, servissent communément à représenter en marbre ou en fonte les empereurs, les rois & les généraux romains, cependant on en étendit l'usage à quelques gens de lettres. L. Actius, célebre entre les poëtes de son tems, montra l'exemple en se faisant faire une statue de bronze beaucoup plus grande que sa taille, & qu'il mit dans le temple des muses hors la porte Capene. Notatum ab auctoribus, dit Pline, L. Actium poetam in camoenarum aede, maximâ formâ statuam sibi posuisse, quùm brevis admodum fuisset. Mais il est étonnant que les hommes ayent osé se faire ériger des statues semblables à celles que la religion avoit spécialement consacrées pour les dieux, je veux dire des statues colossales ; cependant on vit des rois & des empereurs, Sésostris, Attila, Eumenes, Néron, Domitien, Commode, &c. qui s'attribuerent tous le même honneur.

Tous les historiens, & Pline en particulier, se sont fort étendus sur la description des statues colossales de marbre ou de bronze, qui faisoient l'admiration publique. Audaciae, moles statuarum excogitatas, quas colossos vocant, vidimus turribus pares, dit l'historien naturaliste de Rome. Telle étoit la statue de Jupiter olympien, chef-d'oeuvre de Phidias ; sa hauteur étoit si prodigieuse, ajoute Pausanias, que ce dieu qui étoit assis, n'auroit pû se lever sans percer la voûte du temple. Telle étoit la Minerve d'Athènes haute de 36 coudées, & tel le Jupiter du capitole que Sp. Carvilius fit élever de la fonte des dépouilles des Samnites. Tel étoit encore un autre Jupiter au champ de Mars que l'empereur Claude y fit poser. Tel un Hercule, que Fabius Verrucanus tira de Tarente ; telle étoit enfin la statue colossale d'Apollon par Lysippe, dont la hauteur étoit de 40 coudées. Je passe sous silence le colosse de Rhodes dédié au soleil.

Pline, l. XXXIV. c. vij. ajoute que la Gaule avoit dans une ville d'Auvergne une statue de Mercure qui surpassoit tout ce qu'on connoissoit de statues colossale, ayant 400 piés de hauteur. C'étoit l'ouvrage de Zénodore, qui y avoit employé dix ans de travail & des sommes immenses. Voici ces paroles : Verùm omnem amplitudinem statuarum ejus generis vicit aetate nostrâ Zenodorus Mercurio facto in civitate Gallia Arvernis per annos decem, pedum cccc. immani pretio. Néron, frappé de la renommée de cette statue, attira Zénodore à Rome, & l'engagea de faire à sa ressemblance une statue colossale de 100 piés de haut, selon Pline, ou de 120, selon Suétone, cap. xxxj. vestibulum ejus fuit in quo colossus cxx. pedum staret ipsius effigie. Il est vrai qu'après la mort de ce prince on ôta le nom de Néron à cette statue colossale, & on la dédia au soleil, ainsi que d'autres.

Le lecteur jugera sans-doute qu'il n'étoit pas possible de travailler à un seul attelier les statues colossales qu'on vient de décrire ; or l'artiste, pour pouvoir les exécuter, distribuoit la besogne à un grand nombre d'ouvriers choisis, & leur traçoit les proportions, ensorte que quand ils rendoient les parties dont ils avoient été chargés séparément, elles se rapportoient avec tant de justesse, qu'en les rejoignant elles composoient un tout parfaitement assorti, & qui sembloit être du même bloc & de la même main. Pausanias nous a donné sur ce sujet des détails de l'art de la fonte qui méritent attention. Le Jupiter de bronze, dit-il, la plus ancienne des statues de ce métal, n'étoit point l'ouvrage d'une seule & même fabrique. Il a été fait dans le même tems par parties ; ensuite les pieces ont été si bien enchâssées & si bien jointes ensemble avec des clous, qu'elles font un tout fort solide. Nous avons vu renouveller de nos jours le même procédé par un artiste médiocre, qui a exécuté de la même maniere à Dresde une statue équestre plus grande que nature.

Les Grecs mettoient sur la base de leurs statues le nom de celui qu'elles représentoient ou qui en avoit fait la dépense ; ils pouvoient effacer ce même nom & en substituer un autre, c'est ce qu'ils firent souvent par flatterie, quand ils furent soumis aux Romains ; quelquefois ils changeoient en même tems la tête ou en retouchoient les traits. Plutarque dit qu'ils userent de ce stratagème, & mirent le nom d'Antoine aux deux statues colossales d'Attalus & d'Euménès.

Considérez en passant les progrès de l'art statuaire, depuis les premieres statues taillées pour les dieux, jusqu'à la colossale que Néron se fit faire par Zénodore. La premiere idole de la Diane d'Ephese étoit un tronc d'orme, ou, selon Pline, une souche de vigne. Pausanias parle d'un Mercure de bois grossier, qui étoit dans le temple de Minerve Poliade. Avant que Rome triomphât de l'Asie, les statues des dieux consacrées dans les bocages n'étoient que de terre cuite. Cicéron, l. I. de la divination, dit que la statue de Summanus placée sur le faîte du temple de Jupiter étoit pareillement de terre. Les Romains ne pensoient pas alors qu'ils seroient un jour tellement épris de l'amour des statues, qu'ils publieroient une loi qui condamneroit à l'amende les statuaires chargés de faire des statues, si dans leurs ouvrages ils péchoient en quelque chose contre la regle de leur art & contre l'attente de ceux qui les employeroient.

Les statues de grandeur naturelle furent nommées athletiques ou iconiques, statuae athleticae, statuae iconicae, parce qu'elles imitoient mieux que les grandes & les petites la ressemblance de ceux pour lesquels elles étoient faites.

Les peuples de la Grece, pour perpétuer le souvenir des victoires remportées par les athletes, employerent tout l'art des Sculpteurs, afin de transmettre aux siecles à venir la figure & les traits de ces mêmes hommes qu'ils regardoient avec tant d'estime & d'admiration : on leur érigeoit ces statues dans le lieu même où ils avoient été couronnés, & quelquefois dans celui de leur naissance, & c'étoit ordinairement la patrie du vainqueur qui satisfaisoit les fraix de ces monumens. Les premiers athletes pour qui on décora Olympie de ces sortes de statues (ce qui arriva dans la lix. & la lxj. olympiades, selon Pausanias, furent Praxidomes vainqueur au pugilat, & Rhexibius vainqueur au pancrace. La statue du premier étoit de bois de cyprès ; & celle du second, de bois de figuier. Le bronze dans la suite devint la matiere la plus ordinaire de ces statues.

On ne les faisoit pas néanmoins toujours de grandeur naturelle, mais on accordoit cet honneur à ceux qui avoient vaincu aux quatre grands jeux de la Grece. Ces statues chez les Romains représentoient les athletes nuds, sur-tout depuis le tems qu'ils avoient cessé de se couvrir d'une espece d'écharpe ou de ceinture ; mais comme les athletes romains ne l'avoient point quittée, ils la conservoient dans leurs statues. On élevoit de ces monumens non-seulement aux athletes, mais encore aux chevaux, à la vîtesse desquels ils étoient redevables de la couronne agonistique ; & Pausanias témoigne que cela se fit pour une cavale, entr'autres, nommée Aura, qui avoit, sans conducteur, procuré la victoire à son maître, après l'avoir jetté par terre. On peut lire dans le même auteur un dénombrement exact de toutes les statues d'athletes qui se voyoient de son tems à Olympie. Les Hellanodiques prenoient grand soin que ces statues ne fussent pas plus grandes que le naturel ; & en cas de contravention, ils faisoient renverser la statue par terre. C'étoit sans-doute de crainte que le peuple, qui n'étoit que trop porté à rendre les honneurs divins aux athletes, ne s'avisât, en voyant leurs statues d'une taille plus qu'humaine, de les mettre au rang des demi-dieux.

Les statues plus petites que nature étoient soudivisées en quatre especes, auxquelles on donna des noms tirés de leur différente hauteur, celles de la grandeur de trois piés se nommoient tripedaneae. Telles étoient les statues que le sénat & le peuple ordonnoient pour leurs ambassadeurs qui avoient péri de mort violente dans leur légation ; c'est ce que Pline, l. LIV. c. vj. nous apprend : à romano populo tribui solere injuria caesis tripedaneas statuas in foro. On cite pour exemple la statue de Tullius Coelius, qui fut tué par les Fidénates, & celles de P. Junius & de T. Carumanus que la reine des Illyriens fit mettre à mort. Quand les statues n'étoient que de la grandeur d'une coudée, on les appelloit cubitales. Lorsqu'elles étoient hautes d'une palme, c'est-à-dire de quatre doigts, elles étoient appellées palmares. Enfin quand elles étoient encore moins hautes, on les nommoit sigilla. On faisoit quantité de ces sigilla en or, en argent, en ivoire, & on les estimoit beaucoup, soit pour leur travail, soit à cause qu'on pouvoit les transporter commodément, & même les avoir sur soi par dévotion pour les dieux, par reconnoissance pour des princes, par admiration pour de grands hommes, ou par attachement pour des amis qu'ils représentoient.

Voilà l'histoire des statues dont le nombre étoit incroyable chez les Grecs & les Romains. Il suffit de lire Pausanias pour s'en convaincre. Sans parler de l'Attique & d'Athènes qui fourmilloient de ce genre d'ouvrages, la seule ville de Milet en Ionie en rassembla une si grande quantité, que lorsqu'Alexandre s'en rendit maître, il ne put s'empêcher de demander où étoient les bras de ces grands hommes, quand les Perses les subjuguerent. On sait que Mummius remplit Rome des statues de la seule Achaïe : devictâ Achaïa, statuis implevit urbem. Plutarque rapporte que Paul Emile employa trois jours à la pompe de son triomphe de Macédoine, & que le premier put à peine suffire à faire passer en revue les tableaux & les statues d'excessive grandeur prises sur les ennemis, & portées sur deux cent cinquante chariots.

D'un autre côté, la multitude des statues qui se faisoient perpétuellement dans Rome étoit si grande, que l'an 596 de la fondation de cette ville les censeurs P. Cornelius Scipio & M. Popilius se crurent obligés de faire ôter des marchés publics les statues de particuliers & de magistrats ordinaires, qui les remplissoient, attendu qu'il en restoit encore assez pour les embellir, en laissant seulement celles de ceux qui en avoient obtenu le privilege par des decrets du peuple & du sénat.

Entre les statues que les censeurs réformerent, je ne dois pas oublier celle de Cornélie, mere des Gracches, ni celle d'Annibal, qui prouvoient dumoins la noble façon de penser des Romains. Je crois que Pline se dégrade, quand il lui échappe de dire à l'occasion de ces dernieres, & adeò discrimen omne sublatum, ut Annibalis etiam statuae, tribus locis visebantur in urbe cujus intrà muros solus hostium emisit hastam.

Cependant la séverité des censeurs que nous venons de nommer, ne put éteindre une passion si dominante, & qui s'accrut encore sur la fin de la république, ainsi que sous le regne d'Auguste & de ses successeurs. L'empereur Claude fit des loix inutiles pour la modérer. Cassiodore qui fut consul 463 ans après la mort de ce prince, nous apprend que le nombre des statues pédestres qui se trouvoient dans Rome de son tems, égaloient à-peu-près le nombre des habitans de cette grande ville, & les figures équestres excédoient celui des chevaux. En un mot, les statues de prix étoient si nombreuses, qu'il fallut créer des officiers pour garder nuit & jour ce peuple de statues, & ces troupeaux de chevaux, si je puis parler ainsi, dispersés dans toutes les rues, palais & places publiques de la ville. Cet amas prodigieux de statues demandoit autant d'habileté pour en empêcher le pillage qu'on avoit mis d'art à les faire, & de soin à les fixer en place : nam quidem populus copiosissimus statuarum, greges etiam abundantissimi equorum, tali sunt cautelâ servandi, quali & curâ videntur affixi.

Mais entre tant de statues publiques de Rome, il s'en trouva une seule à la garde de laquelle on imagina de pourvoir d'une façon bien singuliere. Peut-être pensez-vous que c'étoit une statue d'or massif, qui se trouvoit posée devant la maison d'un riche affranchi, d'un traitant ou d'un munitionnaire de vivres ? Point du tout. Eh bien, la statue en bronze ou en marbre de quelque divinité tutélaire des Romains ? Non. La statue d'un demi-dieu, de l'Hercule de Tarente, de Castor, de Pollux ? Nullement. La statue de quelque héros du sang des empereurs, de Marcellus, de Germanicus ? En aucune façon. C'étoit la figure d'un chien qui se léchoit une plaie ; mais cette figure étoit si vraie, si naturelle, d'une exécution si parfaite, qu'on décida qu'elle méritoit d'être mise sous un cautionnement nouveau dans la chapelle de Minerve, au temple de Jupiter capitolin. Cependant comme on ne trouva personne assez riche pour cautionner la valeur de ce chien, les gardiens du temple furent obligés d'en répondre au péril de leur vie. Ce n'est point un fait que j'imagine ou que je brode, j'ai pour garant l'autorité & le témoignage de Pline, dont voici les propres paroles, l. XXXIV. c. vij. cujus (canis) eximium miraculum, & indiscreta viri similitudo, non eò solùm intelligitur, quòd ibi dicata fuerat, verùm & novâ satisdatione, nam summa nulla par videbatur, capite tutelarios cavere pro ea instituti publici fuit.

Il faut terminer ce discours qui, quoiqu'un peu long pour cet ouvrage, n'est qu'un précis fort abrégé des recueils que j'ai faits sur les statues de la Grece & de Rome. Aussi me suis-je moins proposé de tout dire que de piquer & d'étendre la curiosité. Il est bon de joindre à la lecture de Pausanias & de Pline la dissertation de Frigelius, de statuis illustrium romanorum, dont le petit livre de François Lemée n'est qu'un extrait. Le traité des statues de Calistrate, traduit par Vigenere à la fin des images des deux Philostrates, avec les notes du traducteur, est plein d'érudition ; mais les ouvrages des savans d'Italie méritent encore plus d'être étudiés.

Enfin nous n'avons ici considéré que l'historique ; l'art statuaire, qui renferme d'autres détails intéressans liés de près à cet article, a été discuté avec recherches au mot SCULPTURE ancienne & moderne ; & les artistes célebres ont été soigneusement dénommés avec des observations sur l'art même aux mots SCULPTEURS anciens, & SCULPTEURS modernes. On a même pris soin de décrire les belles statues antiques qui nous sont parvenues. Voyez BAS-RELIEF, GLADIATEUR, HERCULE, LAOCOON, ROTATEURS, VENUS de Médicis, & autres. (D.J.)

STATUE, (Critique sacrée) image taillée pour être adorée ; Moïse les défend totalement aux Hébreux, Deuter. xvj. 22. Il est parlé dans l'écriture de la statue d'or que Nabuchodonosor fit dresser dans la plaine de Dura ; elle avoit soixante coudées de haut, & six de large ; il est apparent qu'il l'avoit érigée en l'honneur de Bel. Mais le changement de la femme de Loth en statue de sel, Genes. xix. 26. a plus excité l'attention des commentateurs de l'Ecriture que la statue de Nabuchodonosor. Quelques critiques pensent que le corps de la femme de Loth s'étant incrusté de nitre de la mer-Morte, Moïse a pu appeller statue de sel un corps ainsi pétrifié. D'autres savans prétendent avec plus de vraisemblance, que le texte de l'Ecriture doit s'entendre figurément d'un état d'immobilité, dans lequel cette femme curieuse demeura ; & que ces mots changée en statue de sel, signifient comme en statue de sel, comparaison ordinaire à des habitans d'un pays qui abondoit en masses de sel nitreux. (D.J.)


STATUERv. act. (Gram.) c'est arrêter par un statut, après examen, délibération. Voyez STATUT.


STATURES. f. (Gram.) est la grandeur & la hauteur d'un homme. Ce mot vient du latin statura, qui est formé de stare, être debout.

La stature ou taille d'un homme est admirablement bien proportionnée aux circonstances de son existence. Le docteur Grew observe que si l'homme eût été nain, il eût difficilement pu être une créature raisonnable : car pour cet effet, ou il auroit eu une grosse tête, & son corps & son sang n'auroient pas pu fournir assez d'esprits à son cerveau ; ou s'il eût eu la tête petite & proportionnée, il n'auroit pas eu de cervelle suffisamment pour remplir ses fonctions. De plus, si l'homme eût été géant, il n'eût pas pu si commodément trouver des nourritures, parce que la quantité des bêtes propres à la nourriture de l'homme n'auroit pas été suffisante ; ou si les bêtes avoient été plus grosses à proportion, on n'auroit jamais pu trouver assez de pâturages pour les nourrir, &c. Voyez NAIN, GEANT.

Cependant c'est le sentiment commun, même depuis le tems d'Homere, que dans les siecles les plus reculés les hommes surpassoient de beaucoup les modernes en grandeur ; & nous voyons à la vérité que les histoires, tant sacrée que prophane font mention d'hommes dont la taille étoit surprenante ; aussi ces histoires en parlent-elles comme de Géans.

M. Derham observe, qu'il est très-probable que la taille des hommes étoit au commencement du monde telle qu'elle est à présent ; comme on peut l'estimer par les tombeaux, momies, &c. qui subsistent encore. Le plus ancien tombeau qui existe est celui de Cheops dans la premiere pyramide d'Egypte, qui suivant l'observation de M. Gréaves ne surpasse de gueres la grandeur de nos cercueils ordinaires. Sa cavité, dit-il, n'a que 6. 488 piés de long, & 2. 218 piés de large, & 2. 160 de profondeur : de ces dimentions & de celles de différens corps embaumés qu'il a apportés d'Egypte, cet auteur exact conclud que la nature ne décroît point, & que les hommes de notre tems sont de la même taille que ceux qui vivoient il y a trois mille ans.

M. Hakewell nous fournit d'autres exemples plus modernes à joindre à ces observations : les tombeaux qui sont à Pise, & qui ont quelques mille ans d'antiquité, qui ne sont pas plus longs que les nôtres. On peut dire la même chose de celui d'Athelstan qui est dans l'église de Malmsbury, de celui de Sheba, dans saint Paul, qui sont de l'année 693, &c.

Les anciennes armures, écus, vases, &c. qu'on a déterrés de nos jours, fournissent la même preuve : par exemple, le casque d'airain qu'on a déterré à Metaurum, est propre pour servir à un homme de notre tems ; cependant on prétend que c'est un de ceux qui ont été laissés lors de la défaite d'Asdrubal. Joignez à tout cela qu'Auguste avoit 5 piés 9 pouces de haut, qui étoit la taille de la reine Elisabeth ; avec cette différence seulement, qu'en évaluant le pié romain avec le nôtre, la reine avoit deux pouces de plus que cet empereur.


STATUTS. m. (Gram. & Jurisprud.) est un terme générique qui comprend toutes sortes de loix & de réglemens.

Chaque disposition d'une loi est un statut, qui permet, ordonne ou défend quelque chose.

Il y a des statuts généraux, il y en a de particuliers ; les premiers sont des loix générales qui obligent tous les sujets : les statuts particuliers sont des réglemens faits pour une seule ville, pour une seule église ou communauté, soit laïque, soit ecclésiastique, séculiere ou réguliere : chaque corps d'arts & métiers a ses statuts : les ordres réguliers, hospitaliers & militaires en ont aussi.

Un des points les plus difficiles à bien démêler dans la jurisprudence, c'est de déterminer la nature & le pouvoir des statuts, c'est-à-dire, en quel cas la loi doit recevoir son application.

En général les coutumes sont réelles, clauduntur territorio ; cependant on est souvent embarrassé à déterminer quel statut ou coutume on doit suivre pour la décision d'une contestation. Souvent le statut du domicile se trouve en concurrence avec les différens statuts de la situation des biens, avec celui du lieu où l'acte a été passé, du lieu où l'exécution s'en fait ; & pour connoître le pouvoir de chaque statut, & celui d'entr'eux qui doit prévaloir, il faut d'abord distinguer deux sortes de statuts, les uns personnels, les autres réels.

Les statuts personnels sont ceux qui ont principalement pour objet la personne, & qui ne traitent des biens qu'accessoirement ; tels sont ceux qui regardent la naissance, la légitimité, la liberté, les droits de cité, la majorité, la capacité ou incapacité de s'obliger, de tester, d'ester en jugement, &c.

Les statuts réels sont ceux qui ont pour objet principal les biens, & qui ne parlent de la personne que relativement aux biens ; tels sont ceux qui concernent les dispositions que l'on peut faire de ses biens, soit entre-vifs ou par testament.

Quelques auteurs distinguent une troisieme espece de statuts, qu'ils appellent mixtes ; savoir, ceux qui concernent tout-à-la-fois la personne & les biens ; mais de cette maniere la plûpart des statuts seroient mixtes, n'y ayant aucune loi qui ne soit faite pour les personnes, & aussi presque toujours par rapport aux biens. A dire vrai, il n'y a point de statuts mixtes, ou du moins qui soient autant personnels que réels ; car il n'y a point de statut qui n'ait un objet principal ; cet objet est réel ou personnel, & détermine la qualité du statut.

Le statut du domicile regle l'état de la personne, & sa capacité ou incapacité personnelle ; il regle aussi les actions personnelles, les meubles & effets mobiliers, en quelque lieu qu'ils se trouvent situés de fait.

Le pouvoir de ce statut du domicile s'étend par tout pour ce qui est de son ressort ; ainsi, celui qui est majeur, selon la loi de son domicile, est majeur par-tout.

Le statut de la situation des biens, en regle la qualité & la disposition.

Quand le statut du domicile & celui de la situation sont en contradiction l'un avec l'autre, s'il s'agit de l'état & capacité de la personne, c'est le statut du domicile qui doit prévaloir ; s'il s'agit de la disposition des biens, c'est la loi de leur situation qu'il faut suivre.

Si plusieurs statuts réels se trouvent en concurrence, chacun a son effet pour les biens qu'il régit.

En matiere d'actes, c'est le statut du lieu où on les passe qui en regle la forme.

Mais il y a certaines formalités qui servent à habiliter la personne, telles que l'autorisation du mari à l'égard de la femme ; celles-là se reglent par le statut du domicile, comme touchant la capacité personnelle ; d'autres sont de la substance de la disposition même, telles que la tradition & l'acceptation dans les donations ; & celles-ci se reglent par le statut du lieu où sont les biens dont on dispense.

Enfin dans l'ordre judiciaire on distingue deux sortes de statuts, ceux qui concernent l'instruction, & ceux qui touchent la décision : pour les premiers, litis ordinatoria, on suit la loi du lieu où l'on plaide ; pour les autres, litis decisoria, on suit la loi qui régit les personnes ou leurs biens, selon que l'un ou l'autre est l'objet principal de la contestation.

Quelques statuts sont seulement négatifs, d'autres prohibitifs, d'autres prohibitifs-négatifs.

Le statut simplement négatif, est celui qui déclare qu'une chose n'a pas lieu, mais qui ne défend pas de déroger à sa disposition, comme quand une coutume dit que la communauté de biens n'a pas lieu entre conjoints, & qu'elle ne défend pas de l'établir.

Le statut prohibitif est celui qui défend de faire quelque chose, comme la coutume de Normandie, art. 33. qui porte que quelqu'accord ou convenance qui ait été faite par contrat de mariage, & en faveur d'icelui, les femmes ne peuvent avoir plus grande part aux conquêts faits par le mari, que ce qui leur appartient par la coutume, à laquelle les contractans ne peuvent déroger.

Le statut est prohibitif - négatif lorsqu'il déclare qu'une chose n'a pas lieu, & qu'il défend de déroger à sa disposition : on confond souvent le statut prohibitif avec le prohibitif-négatif.

Quand le statut prononce quelque peine contre les contrevenans, on l'appelle statut pénal. Voyez LOI PENALE & PEINE.

Sur la matiere des statuts, on peut voir Bartole, Balde, Paul de Castre, Christineus, Everard, Tiraqueau, Dumoulin, Dargentré, Burgundus, Rodemburgius, Voet, les mémoires de Roland, les questions sur les démissions de M. Boulenois, & ses dissertations sur les questions qui naissent de la contrariété des loix & coutumes. (A)

STATUT DE SANG, (Hist. d'Angleterre) c'est ainsi qu'on nomma en Angleterre le réglement qu'Henri VIII. fit en 1539 au sujet de la religion. Il décerna la peine de feu ou du gibet contre ceux ; 1°. qui nieroient la transubstantiation ; 2°. qui soutiendroient la nécessité de la communion sous les deux especes ; 3°. qu'il étoit permis aux prêtres de se marier ; 4°. qu'on peut rompre le voeu de chasteté ; 5°. que les messes privées sont inutiles ; 6°. que la confession auriculaire n'est pas nécessaire pour le salut. Gardiner, évêque de Winchester, étoit le véritable auteur de ces loix. Il avoit fait entendre au prince, que c'étoit le seul moyen d'empêcher qu'il ne se formât une ligue contre lui ; que ce qu'il avoit aboli n'étoit pas essentiel à la religion ; & qu'enfin personne ne le regarderoit comme hérétique, pendant qu'il maintiendroit ces six articles. On rechercha ceux qui les condamnoient, mais on en découvrit un si grand nombre, que le roi se vit obligé de changer la peine de mort, en celle de la confiscation des biens contre ceux-là seulement qui seroient coupables de violation du quatrieme statut. Enfin, en 1547 sous Edouard VI. la loi des six articles fut révoquée pour toujours, ce fut-là l'aurore des jours plus heureux qui reparurent sous le regne d'Elisabeth. (D.J.)

STATUTS, (Commerce) ce sont des réglemens faits par autorité publique, & confirmés par des lettres-patentes du souverain pour servir à la conduite, gouvernement & discipline des corps des Marchands & des communautés des Arts & Métiers.

Les statuts en général sont aussi anciens que l'union des particuliers en certains corps & communautés, parce qu'il est impossible d'entretenir la paix entre plusieurs personnes de condition égale, si elles ne conviennent de certaines loix communes, suivant lesquelles elles s'engagent de vivre & de se conduire par rapport à l'intérêt commun ; mais comme il est du bon ordre & de la sureté des états, qu'il ne s'y tienne point d'assemblée sans l'aveu du prince, les princes eux-mêmes ou leurs ministres, ou officiers, ont trouvé bon de veiller à l'établissement ou à la manutention de ces statuts.

C'est ce qui est arrivé en France sur la fin du douzieme siecle ; car quoiqu'il y ait des communautés qui produisent des statuts qui leur ont été donnés, à ce qu'elles prétendent, dès le commencement du onzieme siecle, on doute pourtant de leur authenticité.

Le premier réglement général qui ait été fait au sujet des statuts des corps & communautés, est celui des états généraux, tenus à Orléans au mois de Décembre 1560. l'article 98, ordonnant que tous les statuts desdits corps & communautés seroient revûs & corrigés, réduits en meilleure forme, mis en langage plus intelligible, & de nouveau confirmés & autorisés par lettres-patentes du roi.

L'exécutoire de cet article donna lieu à quantité de lettres-patentes de confirmation, expédiées sous Charles IX. Les guerres de religion qui suivirent suspendirent la continuation de cette police.

Louis XIV. donna au mois de Mars 1673 un édit pour le renouvellement général des statuts de tous les corps & communautés, & il fut même reglé au conseil un rôle des sommes qu'il leur en devoit couter. Il paroît par ce rôle, qu'alors ces communautés n'étoient dans Paris qu'au nombre de quatrevingt-quatre ; mais par celui du mois d'Avril 1691, portant exécution du premier, elles se trouvent monter à cent vingt-quatre, y en ayant eu plusieurs nouvelles, érigées par lettres-patentes depuis l'édit de 1673.

Depuis que les rois ont trouvé à-propos de donner leurs lettres de confirmation des statuts & réglemens des communautés, elles sont obligées de demander cette confirmation au commencement de chaque regne ; mais plusieurs de nos rois ont bien voulu ne pas user de leurs droits à cet égard. Dictionn. de Commerce.


STAUROLATRES. m. pl. (Hist. ecclés.) adorateur de la croix ; hérétiques qu'on appelloit aussi en arménien chaziazariens, qui signifie la même chose ; ils rendoient à la croix le même culte qu'à Dieu.


STAUROLITES. f. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs à la pierre en croix, lapis crucifer. Voyez PIERRE EN CROIX.


STAUROPHYLAXS. m. (Hist. ecclés.) , officier de l'église de Constantinople, chargé de garder la croix trouvée par l'impératrice Helene ; ce mot est composé de , une croix ; & , je garde ; les ecclésiastiques chargés de porter la croix en procession se nommoient , staurophori, staurophores. (D.J.)


STAVELLO(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, entre le pays de l'évêque de Liége, & les duchés de Limbourg & de Luxembourg, sur la riviere d'Ambleve, à une lieue au-dessus de Malmédie, & à 4 de Limbourg. Elle a une ancienne abbaye de l'ordre de S. Benoît, fondée dans le septieme siecle ; son abbé est prince de l'empire, & souverain de la ville. Long. 23. 34. lat. 50. 25. (D.J.)


STAVEREN(Géog. mod.) ville des Provinces-Unies, dans la Frise, au Westergo, sur le Zuyderzée, à six lieues d'Enckhuysen, & à 9 de Vollenhove.

Staveren étoit autrefois une ville puissante, riche, extrêmement peuplée, & l'un des célebres ports de mer de toutes les côtes septentrionales. Les anciens rois de Frise y faisoient leur séjour ordinaire ; & les annales disent que Richolde, premier roi du pays, fit bâtir vers l'an 400, entre Staveren & Médemblic, un superbe temple, dont l'enceinte servoit d'asyle aux criminels & aux bannis. De plus, Staveren fut comprise dans l'alliance des villes Anséatiques.

De fréquentes inondations de la mer, ont extrêmement diminué sa grandeur & son lustre ; cependant c'est encore une bonne ville, peuplée, & commerçante ; son port est à l'embouchure d'une petite riviere qu'on retient par un canal qui coule dans le pays. Il y a outre cela un grand mole qui s'avance dans la mer, & qui est soutenu par des pilotis pour empêcher que les sablons ne bouchent l'entrée de ce port. Enfin, elle a pour sa défense de fortes murailles & de bons bastions, qui sont environnés de marais. Long. 22. 54. lat. 52. 57. (D.J.)


STAWANGEou STAVANGER, (Géog. mod.) ville de Norwege, dans le gouvernement de Bergen, capitale de la contrée de même nom, sur le Buckenfiord, à 30 lieues au midi de Bergen, avec un évêché suffragant de Drontheim. Long. 22. 48. lat. 58. 44. (D.J.)


STAXIS(Lexicog. médic.) , de , distiller ; c'est une distillation de sang goutte-à-goutte par les narines. Telle est l'acception générale de dans Hippocrate.

L'effusion de sang par le nez goutte-à-goutte est regardée comme dangereuse dans la doctrine des crises, en ce qu'elle indique le manque de force & la foiblesse de la nature. Hippocrate dit qu'elle est de mauvais augure lorsqu'elle arrive l'onzieme jour. Galien ajoute que toutes les distillations légeres par le nez sont funestes dans les pleurésies & dans les phrénésies ; au contraire les évacuations abondantes & libres de sang par le nez passent chez tous les médecins anciens & modernes pour être des crises salutaires, & pour désigner la terminaison heureuse de la maladie. (D.J.)


STÉATITES. f. (Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à une terre douce au toucher comme du savon, qui est de la nature de la terre cimolée. Voyez CIMOLEE. D'autres ont donné le nom de stéatite à la pierre de lard. Voyez LARD, pierre de.


STÉATOCELES. f. en Chirurgie, est une tumeur du scrotum, qui est composée d'une substance grasse qui s'y est amassée, & qui ressemble à du suif. Voyez STEATOME. (Y)


STÉATOMES. m. (Médec.) , de , suif ; espece de tumeur enkistée, & qui est formée dans les parties molles par une matiere semblable à du suif.

Les stéatomes viennent de la graisse qui ne pouvant pas sortir des cellules adipeuses, forme des tumeurs, & y dégenere en une espece de suif ; on trouve dans ces tumeurs une membrane qui s'épaissit, & qui peut être séparée de toutes les parties voisines. On ne sauroit douter que cette membrane, ou ce sac, n'ait été dans son origine une cellule adipeuse. La méthode curative de cet accident est la même que celle de l'athérome & du meliceris. (D.J.)


STECS. m. au jeu du romestecq, est une marque que l'on efface pour celui qui fait la derniere levée. Voyez ROMESTECQ.


STECKBORENou STECKBUREN, ou STECKBORN, (Géog. mod.) petite ville de Suisse dans le Thurgaw, au bord du lac de Constance, à deux lieues au-dessus de l'endroit où ce lac se dégorge dans le Rhin. (D.J.)


STEENS. m. (poids) le mot stéen ou stéin, signifie pierre : c'est une sorte de poids plus ou moins fort, suivant les lieux où il est en usage. A Anvers la pierre est de huit livres, qui en font sept de Paris & d'Amsterdam. A Hambourg la pierre est de dix livres ; à Dantzick & à Revel il y a la petite & la grosse pierre pour peser les marchandises plus ou moins fines. Leur fléin de vingt-quatre livres fait à Paris vingt-une livres cinq onces cinq gros. A Konigsberg la pierre est de quarante livres, qui en font trente - deux de Paris. (D.J.)


STEENBERGUE(Géog. mod.) petite ville des Pays - Bas au Brabant hollandois, dans la partie septentrionale du marquisat de Berg-op-zoom. Cette ville est très - bien fortifiée, & elle fait avec les poldeers des environs une seigneurie qui appartient à la maison de Nassau-Orange ; mais les Etats-généraux en sont souverains, & y levent les mêmes impôts que dans les autres pays de la généralité. La régence est composée d'un drossard, d'un bourguemestre & de six échevins, avec un secrétaire. Long. 21. 50. lat. 51. 36. (D.J.)


STEENKERCKou STEINCKERCK, (Géog. mod.) les François écrivent Stinquerque en estropiant l'ortographe de ce mot ; village des Pays-bas dans le Hainaut, à deux lieues & demie de Halle, & à une d'Enghien, sur les confins du Brabant. Ce village est célebre par le fameux combat du 3 Août 1692, le plus sanglant de toute la guerre de ce tems-là. M. le maréchal de Luxembourg ne sut que l'armée ennemie s'approchoit, que quand la brigade de Bourbonnois venoit d'être entamée. Il eut le bonheur de réparer cette surprise, en forçant, après deux attaques inutiles, le prince d'Orange à repasser les défilés par lesquels il étoit venu. (D.J.)


STEENWICK(Géog. mod.) petite ville des Pays - Bas, dans la province d'Over-Issel, vers les confins de la Frise, sur la riviere d'Aa. Ses fortifications sont bonnes & régulieres. Elle étoit autrefois sous l'évêché de Deventer. Le Prince Maurice de Nassau la prit sur les Espagnols en 1592, & elle est restée depuis sous la domination des Etats généraux. Long. 23. 38. lat. 52. 49.

Cette petite ville est la patrie d'Oléarius (Adam), qui s'est acquis de la réputation par la relation du voyage qu'il fit en Perse, en Moscovie & en Tartarie, en qualité de secrétaire de l'ambassade du duc de Holstein. M. de Wicquefort a traduit en françois cette relation, & l'a faite imprimer à Paris en 1656, en deux vol. in -4°. Le même ouvrage a été réimprimé en 1726, en deux vol. in-fol. avec beaucoup de cartes & de figures copiées sur celles de l'édition allemande, dessinées par Oléarius lui-même. Oléarius de retour dans sa patrie, donna un abrégé des chroniques de Holstein, imprimé à Schleswick en 1663.

Paludanus (Bernard) autrement nommé Vanden-Broek, étoit compatriote d'Oléarius, & a publié entr'autres ouvrages de savantes remarques sur les voyages de Linschoten. (D.J.)


STEGANOGRAPHIES. m. (Littérat.) est l'art de l'écriture secrette, ou d'écrire en chiffres, de maniere que l'écriture ne puisse être lue que par le correspondant. Voyez CHIFFRE.

Aeneas le tacticien inventa il y a plus de 2000 ans, au rapport de Polybe, vingt façons différentes d'écrire de maniere que personne n'y pouvoit rien comprendre s'il n'étoit dans le secret.

Mais à-présent il est bien difficile de rien écrire de cette maniere qui ne puisse être déchiffré, & dont on ne trouve le secret. Le docteur Wallis, cet excellent mathématicien, a beaucoup contribué à l'art de déchiffrer. Voyez DECHIFFRER.

La stéganographie, qui est assurément un art fort innocent, n'a pas laissé que de passer dans des siecles peu éclairés, pour une invention diabolique. Tritheme, abbé de Spanheim, ayant entrepris de le faire revivre, & composé à ce dessein plusieurs ouvrages, un mathématicien, sans - doute ignorant, nommé Boville, ne comprenant rien à certains noms extraordinaires que Tritheme n'avoit employés que pour marquer sa méthode, publia que l'ouvrage étoit plein de mysteres diaboliques. Possevin l'a copié ; & prévenu de ces imputations, l'électeur palatin Frédéric II. fit brûler l'original de la stéganographie de Tritheme qu'il avoit dans sa bibliotheque. Cependant lorsqu'on a été revenu de ces préjugés, divers auteurs ont donné des traités de stéganographie, tels que le Caramuel, Gaspar Schot, jésuite allemand, Wolfang Ernest Eidel, autre savant allemand, & entr'autres un duc de Lunébourg, qui fit imprimer en 1624 un traité sur cette matiere, intitulé cryptographia, c'est-à-dire écriture cachée ; c'est aussi ce que signifie stéganographie, qui est un mot formé du grec , caché, & de , écriture. On trouve plusieurs exemples & manieres de stéganographie dans les récréations mathématiques d 'Ozannam.


STEGEou STEKE, (Géog. mod.) petite ville de Danemarck, sur la côte septentrionale de l'île de Mone, dont elle est la capitale, avec un château où l'on tient garnison.


STEGEBORG(Géog. mod.) petite ville de Suede dans l'Ostrogothie, sur la côte de la mer Baltique, à trois lieues à l'orient de Suderkoping, avec un petit port commode. (D.J.)


STEGNOSES. f. (Médec.) est une obstruction de toute transpiration animale, sur-tout de celle qui se fait par les pores. Voyez TRANSPIRATION.

Il signifie aussi constipation, condensation. Ce mot a rapport aux stegnotiques qui sont destinés à boucher, fermer, ou resserrer.


STEGNOTIQUEadj. en Médecine, remede propre à fermer ou à boucher l'orifice des vaisseaux ou émunctoires quand ils sont relâchés, étendus, déchirés, &c. Voyez STYPTIQUE & ASTRINGENT.

Ce mot est formé du grec , impedio, constipo, j'empêche, je resserre.

Telles sont les feuilles de grenadiers, les roses rouges, les feuilles de plantin, les racines de tormentille, &c. Les stégnotiques sont propres pour les hémorrhoïdes & autres flux de sang. Voyez ASTRINGENS, STYPTIQUES.


STEIN(Géog. mod.) ville de Suisse, dans le canton de Zurich, sur la rive droite du Rhin, à l'endroit où ce fleuve sort du lac de Constance. Cette ville jouit d'une entiere liberté & se gouverne par ses propres magistrats, sous la protection de Zurich, depuis l'an 1484. Long. 26. 44. lat. 47. 50. (D.J.)

STEIN, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la basse Autriche, sur le Danube, à 10 milles au-dessus de Vienne, & à 20 au-dessus de Lentz.


STEINAW(Géog. mod.) nom de deux petites villes d'Allemagne en Silésie ; l'une est dans la principauté d'Oppelen, sur la petite riviere de Stein ; l'autre dans la principauté de Wolaw sur le bord de l'Oder. (D.J.)


STEINBACH(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le marquisat de Bade, à quelques lieues au sud-ouest de la ville de Bade.


STEINFURTautrement STENFORD, (Géog. mod.) petite ville ou bourg d'Allemagne, dans le cercle de Westphalie, sur le Wecht, à six lieues de la ville de Munster vers le couchant méridional. Ce bourg donne son nom à un comté qui a eu autrefois des seigneurs particuliers. (D.J.)


STEINHEIM(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans l'archevêché de Mayence, sur la gauche du Mein, près de Selingstad. Long. 26. 3. lat. 50. 4.

Reineccius (Reinier), l'un des savans hommes d'Allemagne du xvj. siecle dans la connoissance de l'histoire, naquit à Steinheim, & y finit ses jours en 1595. On a de lui un grand nombre d'ouvrages latins sur les différens peuples de l'antiquité, & en particulier sur les Juifs, les Grecs, les Romains, les familles des rois de Macédoine, celles des Arsacides, des Séleucides, des Lagides, des rois d'Arménie & de Pergame, des rois de Messénie, des rois de Médie & de Bactriane, des rois d'Athènes & de Mycène, &c. On fait un cas particulier de son historia Julia. Son traité de la méthode de lire & d'étudier l'histoire, methodus legendi historias, est encore estimé. (D.J.)


STEKAIMENS. m. (Comm.) mesure de liquides. Voyez STEKAN.


STEKAou STECKAN, s. m. (Comm.) mesure de Hollande pour les liquides, & particulierement pour les huiles. Les bottes ou pipes d'huile contiennent depuis 20 jusqu'à 25 stekans. A Amsterdam on nomme cette mesure stekaimen. Le stekaimen contient 16 mingles ou mingulles, à raison de deux pintes de Paris le mingle, ainsi il est de 32 pintes. La barrique de Bourdeaux rend 12 stekans & demi. Le tonneau de Bayonne, Tursan, & Chalosse, 240 stekans, & le poinçon de Nantes 12. Diction. de comm. & de Trév.


STÉLAGES. m. (Droit de seigneur.) droit qui se perçoit sur les grains en quelques endroits de France. C'est un droit de seigneur qu'on nomme ailleurs minage, hallage, & mesurage. Il consiste ordinairement en une écuellée de grains par chaque sac qui se vend dans une halle ou marché. Il y a des lieux où le stélage se leve aussi sur le sel, comme dans la principauté de Bouillon. (D.J.)


STELES. m. (Antiq. grec.) , nom qu'on donnoit chez les Grecs à un pilier auquel on exposoit un criminel à la vue du public, & sous lequel on l'enterroit ensuite pour raison de son crime : les coupables ainsi exposés étoient appellés stelitae. Potter, Archaeol. grec. l. I. c. xxv. tom. I. p. 130. (D.J.)

STELES, s. f. pl. (Archit.) les Grecs nommoient ainsi les pierres quarrées dans leur base, qui conservoient une même grosseur dans toute leur longueur, d'où sont venus les colonnes attiques, & ils appelloient styles les pierres qui étant rondes dans leur base, finissoient en pointe par le haut, d'où sont venus les colonnes diminuées, & les obélisques.


STELECHITESS. f. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs à l'ostéocolle. Voyez cet article. Aldrovande a donné le nom de stelechite aux entrochites.


STELLA TERRAE(Hist. nat.) quelques auteurs ont donné ce nom au talc. Voyez l'art. TALC.

STELLA, (Géog. mod.) ville d'Espagne, au royaume de Navarre, capitale d'une mérindade, avec un château pour sa défense. Elle est située sur le chemin de Biscaye à Pampelune, dans une plaine agréable, au bord de la riviere Ega. (D.J.)

STELLA, (Géog. mod.) montagne de Portugal, près de Coïmbre ; c'est une chaîne de montagnes qui tourne de Coïmbre à l'orient, entre les rivieres de Mondego & de Zezere. Anciennement elle étoit appellée Hermenus ou Herminius, & elle est différente d'une autre montagne Herminius, qui est dans la province d'Alentéjo à l'orient, jusques dans le voisinage de Corilhana. (D.J.)

STELLA, la, (Géog. mod.) riviere d'Italie, dans l'état de Venise, au Frioul. Elle prend sa source près de Coloredo, & se jette par deux embouchures dans le lac de Venise : c'est le telamentum minus des anciens, selon Léander. (D.J.)


STELLARIS LAPIS(Hist. nat. Lithol.) nom donné par quelques auteurs à la pierre que nous appellons astroïte. Voyez cet article.


STELLATEPLAINE DE, (Géog. anc.) Stellatis ager ou campus, plaine ou campagne d'Italie, dans la Campanie. Tite - Live, l. IX. c. xliv. parle des incursions que les Samnites firent dans cette campagne. Il en donne en quelque sorte la situation lorsqu'il dit, liv. XXII. chap. xiij. qu'Annibal s'étant détourné de son chemin, & ayant traversé les territoires d'Alifa, de Calatia, & de Cales, descendit dans la plaine de Stellate, qu'il trouva renfermée de montagnes & de fleuves.

Ciceron parle de cette plaine dans sa premiere harangue, ch. j. de lege agraria, & dans sa seconde harangue, ch. xxxj. il dit que la plaine de Stellate fut unie au territoire de la Campanie, & que dans la distribution qui en fut faite, on adjugea douze arpens à chaque homme.

Selon Suétone, in Caesare, ch. xx. la campagne de Stellate avoit été autrefois consacrée, ou peut - être seulement conservée par les anciens Romains, & fut divisée conjointement avec la Campanie à environ vingt mille citoyens romains, qui avoient trois enfans ou davantage. (D.J.)


STELLATINETRIBU, (Antiq. rom.) la tribu Stellatine étoit une des quatre qui furent établies ensemble, l'an de Rome 337, & dont voici les noms : Stellatine, Sabatine, Tormentine, & Arniensis ou Narniensis : selon M. Boivin, le véritable nom de cette derniere est Aniensis ; j'y consens, l'objet qu'il importe de connoître, c'est l'esprit du gouvernement de Rome, dans l'établissement des tribus. Les censeurs, tous les cinq ans, distribuoient le peuple dans ses diverses tribus, de maniere que les tribuns & les ambitieux ne pussent pas se rendre maîtres des suffrages, & que le peuple même ne pût pas abuser de son pouvoir. (D.J.)


STELLINGUESS. m. pl. (Hist. saxonne) c'est le nom que se donnerent les Saxons, à qui Lothaire, fils de Louis-le-Débonnaire, accorda la permission de professer le paganisme, que Charlemagne avoit obligé leurs peres d'abandonner. Lothaire se trouvant enveloppé de grandes affaires à cause des guerres qu'il avoit contre ses freres, Louis & Charles-le-Chauve, requit les Saxons ses sujets de le secourir de troupes & d'argent, & pour les y disposer il leur accorda la liberté de suivre telle religion qu'ils voudroient. Alors la plûpart des Saxons retournerent à leur ancien paganisme, & se nommerent Stellingues, en conséquence de la permission de Lothaire. Stelling en ancien saxon, signifie réglement, système, hypothèse, arrangement ; telle est l'origine du nom bizarre qu'ils prirent, de Stellingues, comme qui diroit gens attachés à un systême, ou à un réglement de religion. (D.J.)


STELLIONATS. m. (Jurisprud.) est un nom générique sous lequel les loix romaines ont compris toutes les especes de fraude & de tromperies qui peuvent se commettre dans les conventions, & auxquelles la loi n'avoit pas donné de désignation particuliere.

Le stellionat est mis par les loix au nombre des crimes, & a été ainsi nommé d'un certain lésard appellé stellio, remarquable par son extrême finesse & par la variété de ses couleurs, parce que ceux qui commettent ce crime employent toutes sortes de détours & de subtilités pour cacher leur fraude.

Entre les différentes manieres de commettre ce crime, on en remarque six des plus usitées dont les loix romaines font mention.

La premiere est lorsque quelqu'un vend ou engage la même chose à deux personnes en même tems.

La seconde est du débiteur qui engage ou donne en payement à ses créanciers une chose qu'il sait ne lui pas appartenir.

La troisieme est le cas de celui qui soustrait ou altere des effets qui étoient obligés à d'autres.

La quatrieme est lorsque quelqu'un collude avec un autre au préjudice d'un tiers.

La cinquieme est du marchand qui donne une marchandise pour une autre, ou qui en substitue une de moindre qualité à celle qu'il a déjà vendue ou échangée.

La sixieme enfin est lorsque quelqu'un fait sciemment une fausse déclaration dans un acte.

Ainsi, suivant le droit romain, le stellionat ne se commettoit pas seulement dans les conventions, mais encore par le seul fait & sans qu'il fût besoin d'une déclaration expresse.

Mais parmi nous on ne répute stellionataire que celui qui fait une déclaration frauduleuse dans un contrat, soit en vendant comme sien un héritage qui ne lui appartient pas ou qui est substitué, soit en déclarant comme franc & quitte de toutes charges, un fonds qui se trouve déjà hypothequé à d'autres ; ce crime peut conséquemment se commettre, nonseulement dans les ventes & obligations, mais aussi dans les constitutions de rente.

Chez les Romains ce crime étoit puni d'une peine extraordinaire. Quand le stellionat étoit joint au parjure on condamnoit le coupable aux mines, si c'étoit un homme de vile naissance, & à la rélégation ou interdiction de son emploi, si c'étoit une personne constituée en dignité.

Parmi nous il est rare que ce crime soit poursuivi extraordinairement ; à moins qu'il ne soit accompagné de circonstances de fraude extrêmement graves, les peines ne se prononcent que par la voie civile.

Les plus ordinaires sont, 1°. que le stellionataire peut être contraint au remboursement du prix de la vente, ou au rachat de la vente, ordonnance de 1629. 2°. Il peut y être contraint par corps, même les septuagénaires, qui dans les autres cas ne sont pas sujets à cette contrainte pour dettes purement civiles, ordonnance de 1667. 3°. On ne reçoit point le stellionataire au bénéfice de cession.

Les femmes étoient aussi autrefois sujettes aux mêmes peines, lorsqu'en s'obligeant avec leurs maris elles déclaroient leurs biens francs & quittes, quoiqu'ils ne le fussent pas : mais l'édit du mois de Juillet 1680, a affranchi dans ce cas les femmes de l'emprisonnement & les a seulement assujetties au payement solidaire des dettes auxquelles elles se sont obligées avec leurs maris, par saisie & vente de leurs biens.

Il y a néanmoins trois cas où les femmes sont contraignables par corps pour stellionat ; le premier est lorsqu'il procede de leur fait seulement, ordonnance de 1667. Le second lorsqu'elles sont marchandes publiques, & qu'elles font un commerce séparé de celui de leurs maris, Paris article 335. Le troisieme est lorsqu'elles sont séparées de biens d'avec leurs maris, ou que par leurs contrats de mariage elles se sont réservé l'administration de leurs biens.

Au reste, notre usage s'accorde avec le droit romain en ce que la peine de ce crime cesse, 1°. lorsqu'avant contestation en cause le stellionataire offre de dédommager celui qui se plaint (ce qui n'a pas lieu néanmoins dans le cas du vol ou rapine.) 2°. Lorsque celui qui se plaint est lui-même complice de la fraude, ne pouvant en ce cas dire qu'on l'a trompé.

Voyez au Digeste le titre stellionatus & celui ad leg. cornel. de falsis ; & au code, de crimine stellionat. Brod. sur Louet, let. S, n. 18. Dufart, l. XXXII. ch. 165. Greg. Tolosanus ; les Institutes de M. de Vouglans ; l'ordonnance de 1667, titre 34. & les mots DECLARATION, FAUX, PARJURE, CONTRAT DE CONSTITUTION, REMBOURSEMENT, RENTE, VENTE. (A)


STELLIONATAIRES. m. (Jurisprud.) est celui qui a commis un stellionat. Voyez ci-devant STELLIONAT. (A)


STELLITES. m. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs à des pierres qui ont une ressemblance parfaite avec des étoiles de mer. Il s'en trouve de cette espece sur le mont Liban. On en rencontre aussi en plusieurs endroits d'Europe.


STENAY(Géog. mod.) en latin du moyen âge, Sathanacum, ville de France, capitale du pays de Bar, sur la Meuse, à 3 lieues de Montmédi, & à 7 de Verdun. Le duc Charles céda à perpétuité à Louis XIII. & à ses successeurs la ville de Stenay, par le traité de l'an 1619, confirmé par le traité des Pyrénées, l'an 1659, & par celui de Vincennes, l'an 1661. Ses fortifications furent rasées par ordre de Louis XIV. mais elles ont été relevées depuis. Long. 22. 51. latit. 42. 30. (D.J.)


STENDAou STENDEL, (Géogr. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la vieille Marche de Brandebourg, sur la petite riviere d'Ucht, environ à cinq milles au nord-ouest de Tangermund, & à 4 sud-est d'Arneberg. Les guerres d'Allemagne l'ont presqu'entierement ruinée. Long. 29. 47. latit. 52. 28. (D.J.)


STENFORou BORCH-STENFORDE, (Géog. mod.) & quelquefois Stienfurt, petite ville d'Allemagne, dans le cercle de Westphalie, capitale d'un comté de même nom, sur le Wecht, à 6 lieues au nord - ouest de Munster, avec une académie. Long. 25. latit. 41. 52. 24.


STÉNIADE(Mythol.) Minerve étoit surnommée Sténiade, c'est-à-dire robuste, pour désigner l'air mâle & vigoureux qu'on donnoit à cette déesse.


STENOMARGAS. f. (Hist. nat. Lithol.) nom par lequel quelques naturalistes ont voulu désigner une marne, qui est compacte à-peu-près comme une pierre. D'autres entendent par - là la marne ou craie légere & fine que l'on nomme agaric minéral ou lait de lune, &c.


STENONPAROTIDE DE, RELEVEUR DE. Stenon s'est attaché à la recherche des glandes & des conduits lymphatiques. Il a découvert le premier les principaux conduits salivaires supérieurs. Il nous a laissé encore différens autres ouvrages. Le conduit de la parotide & les releveurs des côtes portent son nom. Voyez PAROTIDE & RELEVEUR.


STENTATO(Musique italienne) ce terme de la musique italienne, avertit de chanter d'une maniere qui exprime la douleur, & en poussant avec force, & comme avec peine, les sons de la voix ou de l'instrument. Brossard. (D.J.)


STENYCLERUS(Géog. anc.) ville du Péloponnèse dans la Messénie, selon Hérodote & Strabon, mais ce dernier écrit Stenyclaros. Il ajoute que Cresphonte, après s'être rendu maître de la Messénie, la divisa en 5 parties, & choisit pour sa demeure la ville de Stenyclaros, située au milieu du pays.

Stenyclerus étoit encore le nom d'une plaine du Péloponnèse, dans la Messénie, sur le chemin d'Ithome à Mégalopolis d'Arcadie. Quand vous avez passé, dit Pausanias, l. IV. c. xxxiij. les rivieres de Leucasie & d'Amphise, vous entrez dans la plaine de Stényclere, ainsi dite du nom d'un héros des Messéniens. Vis-à-vis étoit autrefois Oechalie : mais du tems de Pausanias c'étoit un bois de cyprès, nommé le bois Carnasius. (D.J.)


STEP(Géog. mod.) plaine de l'empire russien, aux environs d'Astracan, à l'orient du Volga. Cette vaste plaine, mais inculte & sans habitans, produit une grande quantité de sel entassé comme des couches de cristal d'espace en espace.


STEPHANE(Géog. anc.) c'est un des noms que Pline, l. V. c. xxxj. donne à l'île de Samos, ainsi que le nom de la ville de Préneste, dans le Latium. Le même auteur, l. IV. c. viij. donne encore ce nom à une montagne de la Thessalie, dans la Phthiotide. Enfin, c'est le nom d'une ville de la Phocide, & d'une ville de l'Asie mineure dans la Paphlagonie, sur la côte du Pont-Euxin. (D.J.)


STÉPHANEPHORES. m. (Antiquité asiatique) ; on nommoit dans l'antiquité stéphanephores, certains prêtres ou pontifes particuliers, d'un ordre distingué, qui portoient une couronne de laurier, & quelquefois une couronne d'or, dans les cérémonies publiques. Ce sacerdoce étoit établi dans plusieurs villes d'Asie, à Smyrne, à Sardes, à Magnésie du Méandre, à Tarse, & ailleurs. On voit par les monumens que cette dignité étoit annuelle & éponyme dans quelques villes. Les stéphanephores anciennement consacrés au ministere des dieux, s'attacherent ensuite au culte même des empereurs. Nous lisons dans une inscription que Tibere-Claude de Sardes, avoit été stéphanephore, ; mais nous ignorons s'il étoit pontife des dieux ou des empereurs.

On nommoit aussi stéphanephore le prêtre qui étoit à la tête des femmes dans la célebration des thesmophories. Mais on nommoit par excellence stéphanephore le premier pontife de Pallas, comme celui d'Hercule portoit le nom de Dadouque. Potter, Archaeol. grec. tom. I. p. 206. (D.J.)


STÉPHANITESS. m. (Antiq. greq.) ; les Grecs nommoient stéphanites tous les jeux & les exercices dont le prix consistoit dans une simple guirlande. Potter. Archaeol. greq. tom. I. p. 451.


STEPNEY(Géogr. mod.) village d'Angleterre, dans la province de Middlesex, à l'orient de Londres. C'est un village agréable, brillant, plus peuplé que beaucoup de places qu'on nomme villes en France. Il y a trois paroisses à Stepney, une épiscopale, une presbytérienne, & une de Quakers. (D.J.)


STERCORAIRECHAIRE, (Hist. des papes) c'est ainsi qu'on nommoit à Rome, au rapport de M. Lenfant, une chaire qui étoit autrefois devant le portique de la basilique, sur laquelle on faisoit asseoir le pape le jour de sa consécration. Le choeur de musique lui chantoit alors ces paroles du pseaume 113. selon l'hébreu, & le 112. selon la Vulgate, v. 6. & suiv. " Il tire de la poussiere celui qui est dans l'indigence & il éleve le pauvre de son avilissement pour le placer avec les princes de son peuple " : c'étoit pour insinuer au pape, dit le cardinal Raspon, la vertu de l'humilité, qui doit être la compagne de sa grandeur. Cet usage fut aboli par Léon X. qui n'étoit pas né pour ces sortes de minuties. (D.J.)


STERCORANITESS. m. pl. (Hist. ecclés.) nom que quelques écrivains ont donné à ceux qui pensoient que les symboles eucharistiques étoient sujets à la digestion & à toutes ses suites de même que les autres nourritures corporelles.

Ce mot est dérivé du latin stercus, excrément.

On ne convient pas généralement de l'existence de cette erreur. Le président Manguin l'attribue à Amalaire, auteur du neuvieme siecle ; & le cardinal Humbert, dans sa réponse à Nicetas Pectoratus, l'appelle nettement stercoraniste, parce que celui - ci prétendoit que la perception de l'hostie rompoit le jeûne. Enfin Alger attribue la même erreur aux Grecs.

Mais ces accusations ne paroissent pas fondées, car 1°. Amalaire propose à la vérité la question, si les especes eucharistiques se consument comme les alimens ordinaires, mais il ne la décide pas. Nicetas prétend aussi que l'Eucharistie rompt le jeûne, soit qu'il reste dans les especes quelque vertu nutritive, soit parce qu'après avoir reçu l'Eucharistie, on peut prendre d'autres alimens ; mais il ne paroît pas avoir admis la conséquence que lui impute le cardinal Humbert. Il ne paroît pas non plus que les autres grecs soient tombés dans cette erreur, S. Jean Damascene les en disculpe.

Mais soit que le stercoranisme ait existé ou non, les protestans n'en peuvent tirer aucun avantage contre la présence réelle, que cette erreur suppose plutôt qu'elle ne l'ébranle. Voyez M. Wuitass, traité de l'Euchar. premiere partie, quest. ij. art. 1. sect. 1. p. 416. & suiv.


STERCULIUS(Mythol.) surnom donné à Saturne, parce qu'il fut le premier qui apprit aux hommes à fumer les terres pour les rendre fertiles. (D.J.)


STEREA(Géog. anc.) municipe de l'Attique, dans la tribu Pandionide, selon Lucien.


STÉRÉOBATE(Archit.) voyez SOUBASSEMENT. (D.J.)


STÉRÉOGRAPHIES. f. est l'art de dessiner la forme ou la figure des solides sur un plan. Voyez SOLIDE.

Ce mot est formé du grec , solide, & , je décris. La stéréographie est une branche de la Perspective, ou plutôt c'est la perspective même des corps solides ; c'est pourquoi on en peut voir les regles aux mots PERSPECTIVE, & SCENOGRAPHIE. Voyez aussi STEREOGRAPHIQUE, & PROJECTION. (O)


STÉRÉOGRAPHIQUEadj. (Perspect.) projection stéréographique de la sphere, est celle dans laquelle on suppose que l'oeil est placé sur la surface de la sphere. Voyez PROJECTION.

La projection stéréographique est la projection des cercles de la sphere, sur le plan de quelque grand cercle, l'oeil étant placé au pole de ce cercle. Cette projection a deux avantages ; 1°. les projections de tous les cercles de la sphere, y sont des cercles, ou des lignes droites, ce qui rend ces projections faciles à tracer. 2°. Les degrés des cercles de la sphere, qui sont égaux, sont à la vérité inégaux dans la projection, mais ils ne sont pas à beaucoup près si inégaux que dans la projection orthographique ; c'est ce qui fait qu'on se sert par préférence de cette projection pour les mappemondes, ou cartes qui représentent le globe terrestre en entier.

Voici la méthode & la pratique de cette projection, dans tous les cas principaux, c'est-à-dire sur les plans du méridien, de l'équateur, & de l'horison.

Projection stéréographique sur le plan du méridien ; soit Z Q N E (Pl. de perspect. fig. 22.) le méridien ; Z & N les poles, comme aussi le zénith & le nadir ; E Q l'équinoctial ou l'équateur ; Z N le colure des équinoxes, & le premier cercle vertical ; Z 15 N, Z 30 N, Z 45 N, &c. sont les cercles horaires ou méridiens. Pour décrire ces cercles, trouvez d'abord les points 15, 30, 45, 60, &c. dans l'équinoctial, pour cela il ne faudra que trouver les tangentes des moitiés des angles de 15 degrés, de 30, de 45, &c. dans le grand cercle ZENQ, & les porter depuis Y, jusqu'aux points 15, 30, 45, &c. ou bien, ce qui abrégera encore l'opération, on divisera le grand demi cercle ENQ en 180 degrés, en commençant au point N, 90 de chaque côté ; ensuite par le point Z, & par les points de 15, de 30, de 45 degrés, &c. on tirera des lignes droites qui couperont la ligne Y 2, aux points 15, 30, 45, &c. Ces points étant trouvés, il ne s'agira plus que de décrire par ces points, & par les points Z & N, des arcs de cercle Z 15 N, Z 30 N, Z 45 N, qui représenteront les méridiens ; ce qu'on exécutera facilement par les méthodes connues de géométrie, pour tracer un cercle par trois points donnés. Si on ne veut pas se servir de ces méthodes pour décrire ces cercles, on pourra en employer d'autres qui seront encore plus simples : par exemple, pour tracer le méridien Z 15 N, on tirera du point Z au point 15, une ligne droite, & sur cette ligne droite, on élevera au point Z une perpendiculaire qui ira couper la ligne Y E, prolongée en quelque point ; la distance entre ce point de rencontre & le point 15, sera le diametre du cercle Z 15 N, dont on trouvera par conséquent le centre, en divisant cette distance en deux parties égales. On peut aussi avoir les centres d'une autre maniere : par exemple, pour avoir le centre du cercle Z 45 N, on tirera par le point Y & par le point de 45 degrés du quart de cercle NQ, une ligne droite ou diametre, qu'on prolongera jusqu'au quart de cercle Z E ; ensuite par le point Z, & par les points d'intersections de ce diametre, avec les deux quarts de cercle N Q, Z E, on tirera deux lignes droites qui iront couper la ligne Q Y E, prolongée, s'il est nécessaire, en deux points, & la distance de ces points donnera le diametre ; de-là, il est facile de conclure, par les principes de la Géométrie, que le diametre du cercle Z 45 N est égal à la moitié de la somme de la tangente de la moitié de 45 degrés, & de la tangente du complément de cette moitié au quart de cercle ; que la distance du point Y au centre du cercle Z 45 N, est égale à la tangente du complément de 45 degrés, c'est-à-dire à la cotangente de 45 degrés, & que la distance du point 45 à ce même centre, est égale à la sécante du complément de 45 degrés, c'est-à-dire à la cosécante de 45 degrés, & ainsi des autres ; ce qui fournit encore de nouvelles méthodes pour déterminer les centres des projections des différens méridiens ; car pour déterminer par exemple le méridien Z 45 N, il n'y a qu'à prendre depuis le point 45, vers E, une ligne égale à la cosécante de 45 degrés, ou à la demi somme des tangentes de la moitié de 45 degrés, & du complément de cette moitié ; ou bien on prendra depuis le point Y vers E, une ligne égale à la cotangente de 45 degrés.

Dans cette même projection les arcs de cercle , & rs, rs, sont les tropiques septentrional & méridional, qui se projetteront aussi par des arcs de cercle. Pour tracer ces cercles, par exemple , , on prendra d'abord sur le demi-cercle F 22, les arcs E , Q de 23 degrés & demi, ensuite par le point E, & par le point qui en est le plus éloigné, on tirera une ligne droite qui coupera la ligne Z N en un point, & par ce point, & les deux points , on décrira un arc de cercle qui représentera le tropique du cancer. On peut aussi s'y prendre de la maniere suivante pour décrire le tropique o ; on portera de y vers o une ligne yo, égale à la tangente de la moitié de 23 degrés 30', & du point o vers le point Z, on portera une ligne égale à la cosécante de 23° 30', en prenant pour sinus total le rayon du tropique. On pourra décrire par une méthode semblable tous les autres cercles paralleles à l'équateur.

Dans cette projection , rs est l'écliptique, elle est représentée par une ligne droite & on la divisera en degrés, comme on a divisé la projection E 2 de l'équateur, on nommera ces degrés par les signes du zodiaque, en comptant 30°. pour chaque signe.

Projection stéréographique sur le plan de l'équinoctial ou équateur : soit SC (fig. 23.) le méridien & le colure des solstices ; E N le colure équinoctial, & le cercle horaire de 6 heures ; P le pole septentrional ; , le tropique septentrional ; E N la moitié septentrionale de l'écliptique. Pour en trouver le centre, on divisera d'abord la ligne P C en 90 degrés, comme on a divisé dans la fig. 22. la ligne Y Q ; on prendra ensuite la portion P , de 66 degrés & demi, & on portera depuis vers S, une ligne égale à la sécante de 23 degrés & demi, ensuite d'un rayon égal à cette sécante, on décrira un cercle qui passe par le point ; ou bien on portera depuis le point P, vers S, une ligne égale à la tangente de 23 degrés & demi ; & de l'extrêmité de cette ligne, comme centre, on décrira un arc de cercle qui passe par les points N, E. Le pole a de l'écliptique est à l'intersection du cercle polaire & du méridien, parce que c'est le lieu par où doivent passer tous les cercles de longitude ; & E Z N sera l'horison du lieu, par exemple de Paris. Pour la décrire, prenez depuis P jusqu'à Z la tangente de la demi-latitude ; alors la tangente de la colatitude, prise depuis P jusqu'à O, ou sa sécante depuis Z jusqu'à O, donne le centre du cercle qui doit représenter l'horison, & son pole qui représente le zénith, sera éloigné du pole P d'une quantité égale à la tangente de la demi-colatitude.

Tracer tous les autres cercles dans cette projection : 1°. pour les cercles de longitude qui doivent tous passer par a, & par les différens degrés de l'écliptique ; prenez la tangente de 66 degrés 30 minutes, depuis a vers x sur le méridien, ce qui donnera un point par lequel une perpendiculaire étant tirée au méridien, elle contiendra les centres de tous les cercles de longitude, & les distances de ces centres au rayon PC, seront les tangentes des degrés de leurs distances au méridien S P C. 2°. On décrit tous les paralelles de déclinaison, en prenant les tangentes de leurs demi distances au pole P, & décrivant du point P & de ces demi distances, comme rayons, des cercles concentriques. 3°. Tous les cercles azimuthaux ou verticaux doivent passer par le zénith h : puis donc que le zénith de Paris est éloigné de P de 41°. 30'. prenez-en la cosécante, (ou la sécante de 48 degrés 50 minutes) depuis h vers C, & cela donnera le point X, qui est le centre de l'azimuth oriental & occidental, c'est-à-dire E h N. 4°. Les cercles de hauteur ou almicantarats, sont des cercles plus petits, dont les poles ne sont point dans le plan de la projection ; ainsi le cercle O e est un cercle de hauteur, élevé de 50 degrés au-dessus de l'horison. 5°. Tous les cercles horaires sont des lignes droites, tirées du centre P à l'extrêmité du grand cercle S N X E.

Projection stéréographique sur le plan de l'horison. D'abord décrivez un cercle qui représente l'horison ; partagez-le en quatre parties par deux diametres : Z (fig. 24.) sera le zénith du lieu ; 12 z 12 sera le méridien ; 6 z 6 sera le premier vertical ou azimuth d'orient & d'occident ; faites Z P égal à la tangente de la moitié de 41°. 10 ; P sera le pole du monde : faites z AE = à la tangente de la moitié de 48°. 30'. & vous aurez le cercle équinoctial 6 ae 6.

Dans cette projection, les almicantarats sont tous paralleles au cercle de projection, & les azimutaux sont tous des lignes droites qui passent par Z, centre du cercle de projection. Les paralleles de déclinaison sont tous de petits cercles paralleles au cercle équinoctial ; & on trouve leurs intersections avec le méridien, en prenant la tangente de leurs demi-distances du zénith, vers le midi ou vers le nord, ou des deux côtés depuis Z : leurs centres se trouvent en coupant en deux la distance qui est entre ces deux points : car le milieu sera le centre du parallele.

Pour ce qui regarde les cercles horaires, faites Z c = à la tangente de 48°. 50'; ou P c = à la sécante de 48°. 50'. tirez par le point C une perpendiculaire au méridien 12 Z C prolongé ; ensuite si vous prenez Z C pour rayon, & que sur la ligne C T vous portiez les tangentes de 15°. 30°. 45°. &c. d'un & d'autre côté, vous aurez les centres de chacun des cercles horaires, 7 & 5, 8, 4, &c.

Remarquez que dans toute projection stéréographique, tous les diametres sont divisés en degrés, par les tangentes des demi-angles correspondans ; ainsi dans la fig. 22. on a divisé Y Q en degrés, aux points 15, 10, 45, &c. en portant depuis Y les tangentes des moitiés de 15 degr. de 30 degr. de 45 degr. &c. & c'est-là le fondement de la projection des cercles horaires de la sphere, sur un plan donné. Voyez GNOMONIQUE, &c.

Comme dans la projection stéréographique tous les cercles se projettent par des lignes droites, ou par d'autres cercles, on se sert beaucoup de cette sorte de projection. Il faut toujours imaginer dans ces sortes de projections, que l'oeil est éloigné du plan, d'une quantité égale au rayon du grand cercle de la projection, & que la moitié de la sphere projettée est audessous du papier, ensorte que son centre se confonde avec le centre du grand cercle de projection. Au reste, cette espece de projection, malgré tous ses avantages, a un inconvénient, c'est que l'on ne peut pas s'y servir d'une même échelle pour trouver les distances des lieux : car par exemple, dans la fig. 22. les points 15, 30, 45, &c. sont inégalement éloignés les uns des autres sur la projection ; cependant les points de la sphere dont ces lieux sont la projection, sont tous à 15 degrés les uns des autres. Il en est de même de tous les autres points de la projection : car leurs distances se projettent par des arcs de différens cercles, & dans lesquels les degrés sont représentés par des divisions inégales. Ainsi dans une mappemonde qui n'est pas à l'horison de Paris, il faut bien se garder de se servir d'une échelle pour trouver la distance de Paris aux différentes villes de l'Europe ; on ne peut se servir d'une échelle pour mesurer ces distances, que dans les mappemondes dont Paris occupe le centre, c'est-à-dire dans celles dont la projection est sur l'horison de Paris ; encore faudra-t-il se servir d'une échelle dont les divisions soient inégales, comme le sont celles de la ligne Y Q, fig. 22. & cette échelle ne pourra donner que les distances de Paris à toutes les autres villes, & non pas la distance de ces autres villes entr'elles. (O)


STÉRÉOMÉTRIES. f. (Géom.) est une partie de la Géométrie, qui enseigne la maniere de mesurer les corps solides, c'est-à-dire, de trouver la solidité ou le contenu des corps ; comme des globes, des cylindres, des cubes, des vases, des vaisseaux, &c. Voyez SOLIDE & SOLIDITE.

Ce mot est formé du grec solide, & mesure. Voyez -en la méthode sous les articles des différens corps, comme GLOBE, CYLINDRE, SPHERE, &c. Voyez aussi JAUGE. Chambers. (E)


STEREONTIUM(Géog. anc.) ville de la Germanie, selon Ptolémée, l. II. c. xj. Quelques savans veulent que ce soit aujourd'hui Cassel. (D.J.)


STÉRÉOTOMIES. f. (Géom.) est la même chose que coupe des pierres. Voyez COUPE DES PIERRES.


STÉRILITÉS. f. (Malad.) maladie appartenante au sexe. Elle dépend de plusieurs causes que l'on peut réduire au vice des solides, à celui des fluides & à un vice combiné de ces deux premiers.

La plûpart des femmes conçoivent, & portent leur fruit jusqu'au neuvieme mois ; mais beaucoup d'entr'elles ne peuvent concevoir, c'est ce que l'on nomme stérilité. C'est une maladie qui afflige les familles, leur faisant perdre l'espoir d'avoir des héritiers.

Le vice des solides consiste dans la conformation irréguliere des parties de la génération, dans l'affaissement & l'étroitesse du vagin, dans l'obstruction & le desséchement des ovaires, dans le relâchement & la foiblesse de la matrice, du vagin, des trompes & des autres parties. Souvent il se trouve que le vagin n'est pas ouvert, souvent les parois sont obliterées, & l'art ne peut remédier à leur coalition.

D'autres fois les éminences qui sont contenues entre les aîles, telles que le clitoris, les nymphes, sont si prodigieuses, qu'elles ne permettent pas l'introduction du membre viril dans le grand conduit de l'utérus. On a vu des femmes en qui cette structure bizarre a donné lieu à de grands desordres, en leur facilitant un commerce illicite avec des personnes du même sexe.

Le vice des fluides consiste ou dans l'excès des fluides ou dans la petite quantité de ces fluides. C'est ainsi que les regles immodérées, les pertes continuelles, les fleurs blanches continuelles, en épuisant les humeurs, relâchent & humectent si fort les parois de l'utérus, que la liqueur séminale & l'embryon venu de l'ovaire ne peuvent y rester ni y être retenu : de-là vient que les femmes sujettes à ces incommodités, ou ne conçoivent point ; ou si elles sont assez heureuses pour concevoir, elles sont sujettes à de fréquens avortemens. Ces sortes de femmes étant toujours mouillées, les parties solides des organes n'ont point assez de ressort pour échauffer les principes de l'embryon ; la sérosité qui les inonde & leur humidité étouffent les principes actifs de la semence qui auroient pu sans cette fâcheuse circonstance se développer, & porter dans l'oeuf cet esprit vivifiant nécessaire pour former ou développer l'embryon.

La sanie ou plutôt les écoulemens purulens des fleurs blanches lymphatiques, d'une gonorrhée virulente, produisent les mêmes effets, & disposent l'utérus aux ulcérations & à l'hydropisie. D'ailleurs tous ces vices des humeurs ci-dessus énoncés empêcheroient l'utérus de se fermer, & de garder le précieux dépôt dont ces parois ont été arrosés.

Souvent les vices des solides se combinent avec ceux des fluides. C'est à cette cause que l'on peut rapporter la suppression des regles, les pâles couleurs, ou la chlorose, qui sont toutes des causes & des signes de stérilité.

Or cette suppression dépend également du vice des solides comme de celui des fluides : la roideur, la sécheresse, l'aridité de l'utérus, la trop grande tension de ses fibres, sont des causes fréquentes de la diminution, de la suppression des regles ; comme aussi le sang trop épais, trop acre, trop abondant produit encore les mêmes effets. C'est l'ordinaire que les filles en qui la menstruation est pénible, ne conçoivent que difficilement ; & que celles en qui les regles coulent librement & régulierement, sont plus heureuses dans la conception, dans la gestation comme dans l'accouchement. C'est ainsi que l'illustre Fernel procura à la France un dauphin, conseillant au roi d'approcher de la reine pendant l'éruption facile des regles : ce sont aussi là les vues des grands praticiens de nos jours.

Mais outre ces causes, la chaleur de l'utérus est quelquefois si grande, qu'elle détruit & suffoque tous les principes les plus actifs de la liqueur séminale : d'ailleurs cela arrivera encore plus surement, si cette liqueur se trouve trop froide, respectivement à l'état présent de l'utérus, si les embrassemens d'un époux sont froids, languissans ; ou si l'épouse ne sympathise & ne correspond que froidement aux embrassemens de son époux, soit par la constitution froide & inactive de son tempérament, soit par le peu d'inclination ou d'amitié qu'elle se sent pour lui.

Enfin l'expérience fournit d'autres causes qui confirment ces premieres : nous voyons tous les jours des femmes qui conçoivent avec un second mari, & qui en ont des enfans, tandis qu'elles n'avoient pu en avoir du premier. Nous voyons de même des maris avoir des enfans en secondes noces, qui n'ont pu en avoir du premier lit. Ces cas ne sont point rares ; ils tendent à prouver le rapport qui doit être entre les humeurs des deux époux, de-même qu'entre les organes destinés à l'ouvrage de la génération.

Voilà les causes de la stérilité qui peuvent avoir lieu du côté de la femme : il en est d'autres qui attaquent les hommes, dont la froideur, la langueur dans les embrassemens vient des mêmes causes du vice des solides, de leur mutilation, ou du peu d'activité des humeurs séminales. La cause la plus commune est le libertinage, l'habitude des plaisirs qui a épuisé les secours de la santé & les marques de la virilité. Car la vraie cause prochaine de la conception est l'immission de la liqueur séminale vivifiante dans l'utérus pour y développer les rudimens de l'embryon contenu dans l'ovaire.

Traitemens. Si l'on nous demande les remedes nécessaires pour détruire ces causes, & donner à tant de familles cette douce consolation qui serre & affermit les noeuds des alliances, qui entretient la concorde & l'union dans la société conjugale ; nous répondrons que la plûpart des causes énoncées ci-dessus sont sans remedes, & que l'on voit rarement les médecins réussir dans l'administration des remedes pour une telle fin.

La difficulté vient de l'embarras où l'on est de connoître les vices réels que l'on doit combattre. On voit bien les vices des solides dans l'un & l'autre sexe, qui dépendent de la conformation extrinseque ; mais on ne voit pas de même ceux qui dépendent du vice interne des fibres, de la sécheresse, de la roideur ; ou des fluides, soit qu'ils péchent par excès, soit qu'ils soient en trop petite quantité. L'excès des liquides, & leur médiocrité peuvent provenir de causes également capables de produire l'un & l'autre : d'ailleurs les différences des tempéramens & des affections mettent encore un obstacle invincible à la connoissance de la cause & du remede.

Nous allons cependant donner quelques points de vue généraux.

Dans la tension & la sécheresse trop grandes, on doit relâcher par les remedes émolliens, humectans & adoucissans, par un régime délayant, tempérant & rafraîchissant : cette indication générale a lieu dans les deux sexes.

Les eaux légerement acidules, les limonades aigrelettes, les cordiaux acides & doux, les viandes de jeunes animaux, leurs bouillons, sont donc ici spécialement indiqués : les émulsions, les bains d'eau froide ou légerement tiéde, les frictions douces sur les parties avec les huiles, les infusions ou décoctions émollientes, les demi-bains, les embrocations sont très-bien indiqués dans ce cas.

Dans la souplesse, l'humidité & le relâchement des parties, on doit employer les remedes astringens & toniques : tels sont les injections, les pessaires, les bains ; les demi-bains, les fomentations, & autres remedes composés ou préparés des médicamens astringens, fortifians & toniques. Voyez ASTRINGENS & TONIQUES.

Les fomentations avec les infusions de plantes aromatiques, telles que l'armoise, la matricaire, la millefeuille, la tanésie, la sauge, la cataire, les menthes, les marrubes, les absynthes, & autres de même vertu, sont fort recommandées.

Les opiates faites de plantes aphrodisiaques, de leur suc, des gommes aromatiques, les teintures de myrrhe, d'aloës, de castoréum, les différens élixirs, la teinture d'ambre, de musc, employés en fomentation, en injection ; ces substances même employées en linimens, ont quelquefois réussi ; on doit commencer par leur usage intérieur.

Les emménagogues sont les remedes indiqués dans le cas de suppression de regles ; mais il faut, avant toute chose, bien considérer les causes, sans quoi on ne feroit qu'irriter le mal. En général, ces remedes doivent être donnés long-tems & par intervalle. Voyez EMMENAGOGUES.


STERLINGS. m. (Monn. de compt. d'Angl.) nom de la monnoie idéale & de compte d'Angleterre ; quelques-uns croyent que ce mot vient de la ville Sterling en Ecosse, où ils prétendent qu'on battoit anciennement de la monnoie très-pure, avec fort peu d'alliage. D'autres disent avec bien plus d'apparence, que ce nom dérive du mot saxon stére, qui signifie regle ; ainsi, selon ce sentiment, une monnoie sterling, n'est autre chose qu'une monnoie faite selon la regle prescrite.

Enfin, Cambden estime que le mot sterling est moderne, & qu'il a été vraisemblablement pris de certains ouvriers flamands, qui sous le regne de Jean-Sans-terre, furent attirés dans la grande-Bretagne pour y raffiner l'argent ; à quoi ils réussissoient bien mieux que les Anglois. Comme on appelloit communément les gens de ce pays-là Esterlings, à cause de leur situation à l'est de l'Angleterre, il est arrivé que la monnoie qu'ils firent, fut nommée esterling, & par abréviation sterling, c'est-à-dire, faite par les Esterlings ou Flamands, & par conséquent plus pure que celle qu'on avoit battue jusqu'alors.

Quoiqu'il en soit, les négocians anglois tiennent leurs comptes par livres sterlings, shillings, & farthings, en mettant la livre idéale sterling pour vingt shillings, le shilling pour douze sols, & le sol pour quatre farthings. (D.J.)

STERLING, (Géog. mod.) province d'Ecosse, dans la seconde presqu'île de ce royaume, au midi du Tay. Cette province est bornée à l'orient par l'Avon, qui la sépare de la Lothiane, & par le Forth, qui la sépare de la Fife. Au nord elle a la province de Menteith ; à l'occident, celle de LÉnox, & au midi celle de Cluydesdale. Elle s'étend en longueur du nord-ouest au sud-est, l'espace de vingt milles, & sa largeur n'est que de douze milles. Mais si cette province est petite, elle est l'une des plus fertiles de l'Ecosse ; on y compte environ vingt paroisses ; les rivieres qui l'arrosent sont le Carron, le Kelwin, le Coutyr, le Bannok, & le Forth.

En passant de la Lothiane dans cette province, on voit les restes de la muraille des Romains, qui s'étendoit à-travers les provinces de Sterling & de LÉnox, jusqu'à Kilpatrick, sur la Cluyd, dans un espace de trente à trente-cinq milles. Les vallées de la province de Sterling sont entrecoupées de prairies ; les montagnes du midi & de l'ouest, entretiennent de gros troupeaux de bêtes à cornes ; les habitans brûlent du bois, du charbon de pierre, ou une espece de tourbe, suivant les lieux. (D.J.)

STERLING, (Géog. mod.) ville de l'Ecosse méridionale, capitale de la province de même nom, sur la pente d'un rocher, dont le Forth mouille le pié, & qu'on passe sur un pont de pierre, à 12 lieues au nord-ouest d'Edimbourg. Elle a été la demeure de plusieurs rois d'Ecosse. On y voit un beau & fort château. Long. 13. 55. lat. 56. 5.

Les anciens appelloient cette ville Binobara ; mais Ptolémée l'appelle Vindovara. C'étoit une des bornes de l'empire romain dans la Grande-Bretagne, comme il paroît par une inscription qu'on trouve vers le pont au bas du château, & qui marque qu'une des aîles de l'armée romaine faisoit garde dans cette place. Du tems de la religion catholique, il y avoit près de cette ville une abbaye magnifique qui portoit le nom de Cambuskenneth.

A deux milles au nord de Sterling, est une terre nommée Arthrey ou Airthrey, dans laquelle on trouve une mine de cuivre au côté méridional d'une montagne. La matiere qu'on tire de la mine est couverte d'une croute métallique, & le reste est bigarré de couleurs vives, de verd, de violet, & de bleu. Un quintal de cette matiere rend trente livres de cuivre ; une fontaine sort de la même montagne ; & comme elle passe à-travers une terre minérale, elle en prend une légere teinture, & on la croit bonne pour guérir quelques maux externes.

Quoiqu'il en soit, la ville de Sterling est la patrie de Marie Lambrun, femme qui mérite d'occuper sa place dans l'histoire du xvj. siecle. Elle avoit épousé un françois nommé Lambrun, qui lui donna le nom sous lequel elle est connue ; tous les deux entrerent fort jeunes au service de Marie Stuart qu'ils adoroient. L'époux de mademoiselle Lambrun fut si touché de la fin tragique de cette princesse, qu'il en mourut de douleur au bout de quelques mois, & sa femme desespérée résolut aussi-tôt de venger l'un & l'autre par un terrible crime. Elle s'habille en homme, prend le nom d'Antoine Sparch, & se rend à Londres, portant sur elle deux pistolets chargés, l'un pour tuer la reine Elisabeth, & l'autre pour se tuer tout de suite, afin d'éviter l'échafaud.

En perçant la foule avec vivacité pour s'approcher de la reine qui se promenoit dans ses jardins, elle laisse tomber un de ses pistolets ; les gardes accourent, la saisissent, & ne songent qu'à la traîner en prison ; mais Elisabeth voulant sur le champ l'interroger elle-même, lui demanda son nom, sa patrie, & sa qualité.

Mademoiselle Lambrun répondit d'un ton ferme : " Madame, je suis écossoise & femme, quoique je porte cet habit : je m'appelle Marguerite Lambrun. J'ai vécu plusieurs années auprès de la reine Marie, que vous avez injustement fait périr ; & par sa mort, vous avez été cause de celle de mon mari, qui n'a pu survivre au trépas d'une reine innocente, à laquelle il étoit dévoué. De mon côté, aimant l'un & l'autre avec passion, j'avois résolu au péril de ma vie, de venger leur mort par la vôtre. Tous les efforts que j'ai faits pour abandonner ce dessein, n'ont abouti qu'à m'apprendre qu'il n'y a rien qui soit capable d'empêcher une femme irritée de se venger, lorsqu'un double amour enflamme sa haine & son ressentiment. "

Quoique la reine Elisabeth eût grand sujet d'être émue d'un tel discours, elle ne laissa pas de l'écouter de sens froid, & de repartir tranquillement : " Vous avez donc cru de faire votre devoir, & rendre à l'amour que vous avez pour votre maîtresse & pour votre mari, ce qu'il exigeoit : mais quel pensez-vous que doit être maintenant mon devoir à votre égard " ?

Cette femme répondit à la reine avec grandeur : " Je dirai franchement à votre majesté mon avis, pourvu qu'il lui plaise de me dire premierement, si elle me fait cette question en qualité de reine, ou en qualité de juge ". Elisabeth lui déclara que c'étoit en qualité de reine. " Votre majesté doit m'accorder grace ", repartit Marguerite Lambrun.

" Mais quelle assurance me donnerez-vous, répliqua la reine, que vous n'en abuserez pas, & que vous n'entreprendrez pas une seconde fois un attentat semblable ? " A quoi la Lambrun repartit encore : " Madame, la grace, que l'on veut accorder avec tant de précaution, n'est plus, selon mon idée, une véritable grace : ainsi votre majesté peut agir contre moi comme juge ".

Alors la reine s'étant retournée vers quelques membres de son conseil qui étoient présens, leur dit : " Il y a trente ans que je regne ; mais je ne me souviens pas d'avoir trouvé personne qui m'ait jamais fait une pareille leçon. Allez (continua-t-elle, en s'adressant à mademoiselle Lambrun), je vous accorde la grace pure, entiere, & sans aucune condition ".

Marie Lambrun se prosterna aux genoux de la reine, en la priant d'avoir la générosité de la faire conduire sûrement hors des royaumes de la grande-Bretagne jusqu'aux côtes de France. Elisabeth le lui accorda volontiers ; & l'on regarda cette requête de Marie Lambrun, comme un trait singulier de prudence & de sagesse. (D.J.)


STERNBERG(Géog. mod.) contrée d'Allemagne, dans la nouvelle marche de Brandebourg, aux confins de la Pologne & de la Silésie ; c'est un pays montagneux, coupé de quelques petites rivieres. Sternberg sa capitale, lui donne son nom ; cette petite ville est située aux confins de la Silésie, entre Custrin, Schwerin, Francfort sur l'Oder, & autres lieux. (D.J.)


STERNOSTERNO


STERNO-CLEIDO-MASTOIDIENou STERNO - MASTOIDIEN, ou MASTOIDIEN ANTÉRIEUR, en Anatomie, nom de deux muscles dont chacun vient de la partie supérieure & antérieure du sternum, de la clavicule, vers l'extrêmité sternale, & se termine à l'apophyse mastoïde.


STERNO-COSTAUXou le triangulaire du sternum, (Anatomie) nom de quelques muscles qui s'attachent aux côtes & au sternum. Voyez COTES & STERNUM.

Ces muscles viennent de chaque côté de la partie inférieure & interne du sternum, & s'inserent à la seconde, troisieme, quatrieme, cinquieme, sixieme, & septieme des vraies côtes.


STERNO-HYOIDIENen Anatomie, est une paire de muscles qui viennent de la partie la plus supérieure & interne du sternum, de la portion voisine de la clavicule & de la partie adjacente à la premiere côte ; ils sont larges & situés le long de la trachée-artere, des glandes thyroïdes, & du cartilage scutiforme ; ils se terminent à la base de l'os hyoïde.


STERNO-THYRO-PHARYNGIENen Anatomie ; nom d'une paire de muscles du pharynx, qui sont formés par un paquet de fibres qui prend ses attaches à la partie interne & supérieure du sternum, s'unit intimement avec le sterno-thyroïdien jusque vers les attaches, au cartilage thyroïde, & vient s'unir ensuite avec le thyro-pharyngien. Voyez STERNO-THYROIDIEN & THYRO-PHARYNGIEN.


STERNO-THYROIDEen Anatomie, est une paire de muscles du larynx qui s'inserent dans la partie supérieure & interne du sternum, tout-autour du rebord inférieur de sa cavité articulaire, & se termine à la tubérosité oblique du cartilage thyroïde.


STERNOMANTISS. f. (Antiq. grecq.) ; c'étoit un des noms de la prêtresse de l'oracle de Delphes, plus connu encore sous celui de Pythie ; mais le même nom de étoit généralement donné à tous ceux qui agités par quelque démon, prophétisoient, ou rendoient des oracles. (D.J.)


STERNUMS. m. en Anatomie, nom d'un os situé tout le long de la partie antérieure & moyenne de la poitrine.

Cet os est composé de trois pieces dans les adultes, une supérieure qui a la figure d'un exagone irrégulier, une moyenne de figure d'un quarré oblong, & une inférieure la moins considérable de toutes ; elle est cartilagineuse, & se nomme cartilage xiphoide, Voyez XIPHOIDE.

Mais dans les enfans il est composé de plusieurs pieces suivant les différens âges, c'est-à-dire de 5, de 6, 7 & quelquefois de 8 pieces.

Deux pieces principales du sternum sont unies ensemble par diarthrose obscure, de façon qu'en les décrivant comme n'étant qu'une seule piece, leur face antérieure externe est inégalement convexe, la postérieure interne est légerement concave ; le bord supérieur qui a sur le milieu une grande échancrure, que les anciens ont nommée fourchette, & sur les parties latérales deux cavités pour y recevoir les clavicules ; le bord intérieur a cinq petits enfoncemens, un mitoyen, & deux à chaque partie latérale, qui sont quelquefois confondus ensemble ; on voit sur les bords latéraux quatre petites cavités comme divisées en deux, & vers la partie supérieure une petite portion du cartilage de la premiere vraie côte. Voyez COTE.

L'os du sternum souffre des jeux de la nature dans divers sujets, je n'entends pas pour le nombre des os qui le composent comme ont fait quelques anatomistes, en les considérant sur des sujets de différens âges, mais pour la figure, la grandeur, la situation de cet os : par exemple, on a trouvé quelquefois sa pointe extrêmement tournée en-dehors ou en-dedans, & alors ce jeu de la nature doit avoir nui à sa santé, produit des difficultés de respirer & de se courber, ou des maladies internes incurables. On trouve aussi quelquefois à la partie inférieure du sternum un trou qui est plus ou moins grand.

Un auteur allemand assure dans les selecta medica Francofurtensia, avoir observé un pareil trou, & que ce trou donnoit passage aux arteres & aux veines mammaires ; M. Hunauld dit qu'il n'a trouvé ce trou qu'une seule fois ; qu'il n'y passoit rien, & qu'il étoit rempli par une sorte de substance cartilagineuse. Voici, peut-être, continue-t-il, ce qui donne occasion à la formation de ce trou. Le sternum, dans les premiers tems, est tout cartilagineux, & l'ossification y commence en différens endroits ; le nombre de ces ossifications est incertain, elles se réunissent plus ou moins tard pour former trois pieces qui ensuite se soudent pour n'en faire qu'une. Si donc lorsque toutes ces différentes ossifications commencent à se réunir, il y a un endroit où l'ossification se trouve arrêtée ; cet endroit restera rempli de la substance cartilagineuse qui en se détachant, lorsqu'on fait le squelete, laissera appercevoir un trou dans l'os du sternum ; peut-être encore que les trois pieces d'ossification qui se rencontrent par leurs bords, peuvent, en prenant de l'accroissement & de la solidité, avant que d'être unies, laisser un vuide entr'elles. Comme on ne dit point avoir vu un pareil trou à la partie supérieure du sternum, c'est vraisemblablement parce que la partie supérieure de cet os n'est ordinairement qu'une seule piece dès les premiers tems, & qu'elle ne s'ossifie point en différens endroits, au-lieu que la multitude différente d'ossifications se fait à la partie inférieure, où le trou dont il s'agit se rencontre toujours. (D.J.)

STERNUM, fracture du, (maladie de Chirurgie) solution de continuité de l'os sternum à l'occasion de quelque coup ou chute. Le sternum, comme les os du crâne, est susceptible de fracture & d'enfoncement. On reconnoît la fracture à l'inégalité des pieces osseuses, & quelquefois à la crépitation qu'on entend en comprimant alternativement les pieces séparées. L'enfoncement se connoît par la dépression ; la douleur, la difficulté de respirer, la toux, & quelquefois le crachement de sang sont les symptomes de la fracture & de l'enfoncement. Le crachement est plutôt l'effet de la commotion que de la fracture. Ambroise Paré rapporte qu'il a été envoyé en 1563 par le feu roi de Navarre pour panser un gentilhomme de la chambre, blessé devant Melun d'un coup de mousquet au milieu du sternum, sur sa cuirasse : il tomba par terre comme mort, jettant grande quantité de sang par la bouche, & il en cracha de suite pendant l'espace de trois mois. Le sternum étoit enfoncé. Pour en faire la réduction on fit coucher le blessé sur le dos, ayant un carreau entre les épaules, & les os furent rétablis dans leur état naturel par la pression latérale des côtes. On appliqua des compresses trempées dans une liqueur vulnéraire spiritueuse, & un bandage qui ne doit pas être trop serré, afin de ne pas gêner la respiration. Les saignées sont dans cette fracture d'un grand secours pour calmer les accidens & pour les prévenir.

Le sternum est un os spongieux sujet à être altéré par la carie. On peut tenter sur cet os les opérations convenables pour enlever la carie ; tel que le trépan. Il y a sur la possibilité de la réussite de cette destruction des parties viciées, deux observations très-importantes, l'une dans Galien, & l'autre dans Harvey, au traité de generatione animalium, où l'on voit que le sternum a été détruit en partie, & que les malades ont survécu. Dans l'un & dans l'autre cas on touchoit le coeur, & l'on sentoit les mouvemens dans le vuide qu'avoit laissé la déperdition de substance du sternum. (Y)


STERNUTATIONS. f. (Physiol.) en grec , en latin sternutatio, voyez ÉTERNUMENT, qui est le terme le plus en usage ; nous n'ajouterons ici que peu de remarques sur ce curieux phénomène de notre organisation.

Tout le monde sait que c'est un mouvement convulsif, au moyen duquel l'air étant poussé violemment par toutes les cavités des narines, balaie & emporte avec bruit la mucosité qu'il trouve sur son passage.

Pour entendre cet effet, il faut se rappeller 1°. qu'il y a un rameau de nerf de la cinquieme paire qui se rend à la membrane pituitaire du nez. 2°. Quand ce nerf vient à être irrité, l'intercostal, le vague, & par conséquent les nerfs des muscles qui servent à la respiration, doivent sentir cette irritation, & forcer les muscles à entrer en contraction. 3°. Comme les nerfs du nez sont fort sensibles, ils produisent de grands mouvemens dans les nerfs qui vont aux muscles inspirateurs ; c'est ce qui fait que le thorax se dilate tout-à-coup extraordinairement. 4°. Cette dilatation subite pourroit être suivie d'un resserrement lent, si les muscles qui servent à l'expiration n'avoient pas des nerfs qui fussent irrités, de même que ceux des muscles inspirateurs : comme ces muscles inspirateurs sont plus forts que les muscles expirateurs, leur action a d'abord prévalu, mais durant le tems qu'ils agissent, la résistance augmente ; & les nerfs des muscles expirateurs étant toujours irrités, y causent une contraction qui l'emporte enfin sur les muscles inspirateurs. 5°. La violence avec laquelle les muscles expirateurs se contractent, comprime extraordinairement les poumons, ensorte que l'air est obligé de sortir avec force. 6°. Par la communication des nerfs, les muscles qui concourent à élever la racine de la langue, entrent en contraction : par ce moyen l'air ne pouvant sortir par la bouche, est jetté impétueusement dans la cavité des narines, & si l'humeur muqueuse de la membrane pituitaire est ramassée dans ses reservoirs, les secousses de l'air l'enlevent & la balayent. 7°. Les muscles qui poussent l'air des poumons dans la trachée-artere, sont principalement le triangulaire & le diaphragme.

Ainsi l'éternument se fait lorsque l'air d'une grande inspiration est long-tems retenu dans le poumon, & en sort ensuite avec force par le nez, au moyen d'un mouvement expirateur convulsif de tous les muscles abdominaux, des intercostaux & du diaphragme. Quand on inspire beaucoup d'air, les muscles postérieurs de la tête & du cou étendent la tête & le corps en arriere, & à leur tour les antérieurs, la plient fortement en devant dans l'expiration. Il arrive avant l'éternument une espece de petit chatouillement doux dans les narines, & quelquefois dans les parties avec lesquelles les nerfs olfactifs correspondent. Lorsqu'on éprouve cette sensation, toutes les actions du corps sont suspendues, & l'on reste un instant dans l'attente de ce qui va se passer. L'instant suivant, les muscles qui servent à l'expiration se retirent avec une force que rien ne peut arrêter ; & les poumons subitement resserrés, chassent l'air qu'ils contiennent avec un bruit semblable à celui d'une liqueur qu'on jette dans le feu. Ainsi dans l'instant que se fait cette forte expiration, le sang ne sauroit passer dans les poumons ; par la même raison, le sang veineux qui revient de la tête, ne sauroit se décharger librement dans le ventricule droit du coeur ; ce qui fait que non-seulement les vaisseaux du cerveau sont distendus, mais aussi que l'impétuosité du sang artériel est augmentée par la violence de cette commotion. Or le concours de ces deux causes produit une sorte de distension momentanée dans toute la masse du cerveau. Il est clair que c'est-là ce qui se passe dans l'éternument ; car s'il est réitéré, tous les sens & le mouvement musculaire manquant à la fois, le visage s'enfle, il sort des larmes des yeux, le nez coule ; & si l'éternument est répété bien des fois, toutes les actions du cerveau en sont prodigieusement troublées.

Il est vraisemblable que c'est à la commune origine des nerfs que commence cette puissante irritation qui met en branle presque tous les nerfs de la poitrine, du dos, de la tête, & les enveloppe tous dans les mêmes mouvemens, comme on voit que la piquûre d'un nerf, d'un tendon quel qu'il soit, produit un spasme universel. On peut juger de toute l'étendue de cette contraction musculaire, puisqu'il en résulte un ébranlement général de toute la machine au moment qu'on y songe le moins, & par la plus petite cause, l'émanation de quelque corps odoriférant qu'on inspire.

On éternue même en regardant le soleil, parce qu'il entre dans le nez une branche à peine visible du nerf ophthalmique avec le nerf olfactif, & qui étant ébranlée par une vive lumiere, excite dans le nerf des organes de la respiration les mouvemens convulsifs de l'éternument. C'est par la même raison qu'on pleure quand on a reçu de fortes odeurs.

L'irritation de la membrane pituitaire se fait, ou extérieurement par la vapeur d'esprit-de-vin, de fortes odeurs, comme par celle de la marjolaine, des roses, du tabac, portées aux narines, par des poudres qui volant en l'air, sont reçues par l'inspiration ; par des médicamens âcres, comme l'ellébore, l'euphorbe & autres sternutatoires qui picotent la membrane du nez ; ou intérieurement par l'acrimonie de la lymphe qui humecte naturellement la membrane des narines, comme dans le coryza.

Les matieres qui sont rejettées en éternuant viennent, 1°. du nez, de la gorge, parce que la membrane pituitaire y exsude continuellement de la lymphe ; 2°. de la trachée-artere & des bronches des poumons. Mais il ne faut pas croire que tout ce qui irrite les narines, soit les seules causes de la sternutation ; car il y a des gens qui savent éternuer plusieurs fois de suite au gré de leur volonté.

L'éternument peut s'arrêter, en pressant l'angle interne de l'oeil. Comprime - t - on le nerf récurrent qui vient de l'ophthalmique de la cinquieme paire, & qui paroît principalement s'anastomoser avec les nerfs de la premiere paire ? c'est l'opinion de Willis.

La sternutation differe de la toux, parce qu'elle se fait avec moins de force, & que l'air qu'on n'inspire & qu'on n'expire qu'une seule fois dans l'éternument affecte de passer par les narines.

L'émonction ou l'action par laquelle on se mouche, est une espece d'éternument doux & volontaire.

Les éternumens, quand ils ne sont pas naturels, peuvent être de bons ou de mauvais signes en Médecine, suivant leur violence, leurs causes, & les maladies dans lesquelles ils arrivent. Ils sont quelquefois, comme dans le mouvement augmenté de la circulation du sang, l'avant-coureur d'une hémorrhagie salutaire, ou d'une métastase favorable dans le hoquet ; mais dans les maladies épidémiques, dans la rougeole, la petite-vérole, les fievres continues, où la métastase s'est jettée sur les narines, les sternutations n'apportent aucun soulagement ; elles empirent le mal, lorsqu'elles viennent du consentement des parties, comme dans l'hystérisme, l'épilepsie, l'esquinancie, les maladies des yeux & des poumons. Dans les maladies des narines, telles que leur inflammation, leur ulcération, un polype, un cancer, l'ozaene, il en résulte des sternutations qui augmentent le mal, par la commotion qu'elles causent. En pareil cas, il faut adoucir les narines, en injectant, en attirant, en portant dans le nez, des baumes, les linimens opposés à la nature de la maladie.

Les humeurs âcres, catharrheuses, qui agacent les nerfs olfactoires provoquent des éternumens fréquens, qui cesseront en attaquant la cause, & en adoucissant les symptômes par des drogues onctueuses, ou par la fumée de parfums secs, dirigée dans les narines, si les humeurs âcres sont extrêmement tenues.

Enfin, l'on conçoit aisément que les sternutations sont capables de procurer plusieurs autres effets salutaires ou nuisibles. Par exemple, 1°. on pourra les exciter artificiellement dans les maladies apoplectiques & soporeuses. On pourra de même s'en servir avec succès pour aider l'accouchement, pour faciliter la sortie de l'arriere-faix ; c'est pourquoi Hippocrate qui savoit si bien tirer parti des observations, ordonne dans ces cas de faire éternuer la femme en couche, la bouche & les narines fermées. 2°. Par la même raison, de telles sternutations produisant une violente secousse dans tout le corps pourroient exciter l'avortement, l'hernie, les regles, & rompre même des vaisseaux dans le nez ou dans la poitrine. 3°. Non-seulement des sternutations violentes & continuées, fatiguent & accablent prodigieusement ; mais elles peuvent même devenir mortelles. Les praticiens en citent des exemples aisés à comprendre, puisque les sternutations ne sont autre chose que de violentes convulsions. Elles produisent quelquefois dans l'hystérisme une coecité momentanée, qui se dissipe avec les antispasmodiques, parce qu'elle vient de la sympathie des nerfs ; car il est naturel de conjecturer que la premiere cause de cet accident, vient de la commune distribution des nerfs de la cinquieme paire au nez & à l'oeil.

Le remede dans les sternutations violentes & répétées est de porter dans les narines, du lait, des huiles, des infusions de graine de lin, de psyllium ; en un mot tout liquide onctueux, visqueux, mucilagineux, adoucissant, balsamique, & d'y joindre du laudanum liquide. C'est ainsi qu'on arrêtera les sternutations causées par le muguet, la bétoine, la marjolaine, la lavande, la racine de pyrethre, l'euphorbe, l'ellébore ; enfin, tout ce qu'il y a de plus âcre dans la classe des végétaux.

Cependant il arrive très-rarement pour notre consolation, des malheurs causés par les éternumens ; l'expérience nous apprend sans-cesse, qu'ils sont plus salutaires que nuisibles, plus propres à éloigner une maladie qu'à y conduire. Semblables à la toux qui détache pour notre bien la lymphe visqueuse des poumons, ils emportent la mucosité superflue de la membrane pituitaire, & procurent par ce moyen plus de finesse dans l'odorat. Ils excitent en même - tems un mouvement plus vif dans la circulation du sang, augmentent celui des humeurs & des esprits, & raniment presque tous les sens à la fois. La nature a donc été sage de nous faire des organes délicats, que l'impression de l'air, de la lumiere & des odeurs, ébranlent presque toujours à notre avantage. (D.J.)


STERNUTATOIREadj. (Thérapeutique) espece d'errhins, c'est-à-dire de remedes destinés à être introduits dans le nez, voyez ERRHINS, dont la vertu spéciale consiste à pouvoir produire l'éternument. Voyez ÉTERNUMENT.

Les sternutatoires sont encore connus dans les auteurs grecs & latins, sous le nom de ptarmica, du mot grec , j'éternue. Les effets & les usages des sternutatoires sont exposés à l'article ÉTERNUMENT, & la maniere de les appliquer à l'article ERRHIN, voyez cet article. Les précautions à observer dans leur administration & les considérations qui contr'indiquent leur usage, ont été renvoyés à celui-ci. Tous les praticiens conviennent que ce genre de secours ne convient point aux pléthoriques sanguins, qui en général supportent mal toute sorte de secousses violentes.

Il est observé que dans les vertiges qui précédent ou qui annoncent les apoplexies sanguines, l'usage indiscret des sternutatoires hâte souvent l'attaque, & même la détermine.

Quoique les errhins dont l'effet se borne à provoquer puissamment l'évacuation nasale, soient utiles dans les ophthalmies en général, & même dans celles qui ont un caractere véritablement inflammatoire ; l'usage des sternutatoires est manifestement nuisible dans ce dernier cas. Ceux qui sont sujets à des hémorrhagies, & sur-tout à des hemoptysies, & ceux qui sont menacés de phthysie ne doivent point être exposés à l'action des sternutatoires.

Juncker désapprouve formellement leur usage contre l'épilepsie, & il assûre même que cet usage n'est pas trop sûr dans les léthargies ou les défaillances ; enfin, il est très-connu qu'on doit préserver autant qu'il est possible de l'éternument, & par conséquent qu'il ne faut pas faire éternuer à dessein les sujets qui ont des hernies, des chûtes de matrice, & les femmes grosses. Quant à ce dernier chef, il est sans-doute très-évident par l'observation même de l'utilité de l'éternument pour chasser l'arriere-faix. Voyez ÉTERNUMENT.

Tous les corps capables d'irriter puissamment la membrane pituitaire provoquent l'éternument, lorsqu'ils sont appliqués sur cet organe ; & ce sont les mêmes qui étant portés dans l'estomac & dans les intestins, sont capables d'irriter ces derniers organes vraisemblablement de la même maniere, & qui excitent en conséquence le vomissement ou la purgation ; & enfin qui impriment sur les organes du goût, la sensation appellée vive, piquante, âcre, & qui déterminent aussi abondamment l'écoulement de la salive ; ainsi tous les émétiques & les purgatifs forts sont en même tems sternutatoires & salivans.

Il est cependant un certain nombre de remedes, tirés pour la plûpart de la famille des végétaux, dont la vertu sternutatoire paroît avoir quelque chose de spécifique, ou du moins dont la qualité émétique ou purgative n'est point constatée ; telles sont la pyrethre, le poivre noir, le gingembre, la semence de nielle, celle de moutarde, de roquette, &c. la bétoine, la marjolaine, le marum, l'origan & le plus grand nombre de plantes aromatiques de la classe radiée de Tournefort, les fleurs de muguet, le ptermica ou herbe à éternuer, &c. mais les sternutatoires les plus puissans sont tirés de la classe des émétiques & des purgatifs forts ; tels sont le vitriol blanc, l'euphorbe, les ellébores, la racine de cabaret, l'iris, le concombre sauvage, le tabac, &c. Voyez tous ces articles particuliers.

On trouve dans presque tous les dispensaires des poudres sternutatoires composées ; voici celles de la pharmacopée de Paris.

Prenez feuilles seches de marjolaine, de bétoine & fleurs seches de muguet, de chacun un gros ; de feuilles seches de cabaret demi-gros ; faites une poudre selon l'art. (b)


STERTZINGEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans le Tirol, au pié du mont Brenner, sur le torrent d'Eiseck, à 5 lieues au nord-ouest de Brixen. Quelques-uns croyent que c'est le Vipiternum d'Antonin. Long. 29. 51. lat. 46. 28. (D.J.)


STETIou STETTIN, (Géog. mod.) ville d'Allemagne dans le cercle de la haute Saxe, capitale de la Poméranie prussienne, & d'un duché de même nom, sur la gauche de l'Oder, à 35 lieues au nord de Francfort, & à 56 au sud-est de Lubeck.

Stetin & son territoire furent anciennement habités par les Sidini, & ensuite par les Vendes. En 1121, Boleslas, duc de Pologne, entreprit d'y établir le Christianisme par la force, mais il réussit beaucoup mieux en remettant aux habitans le tribut qu'il leur avoit imposé ; cependant la religion chrétienne ne triompha dans cette ville qu'au bout d'un siecle, & alors elle fut gouvernée par les mêmes loix que Magdebourg. La paix de Westphalie donna Stetin aux Sué dois. En 1710, elle fut obligée de recevoir des troupes de Prusse, de Saxe & de Holstein, & quelque tems après, le roi de Prusse en fut mis en possession. Ce prince y a établi en 1720 la régence de la Poméranie, & une chambre de guerre & de domaine, mais en même tems il a confirmé aux habitans leurs divers privileges qui sont considérables. Long. suivant Street, 31. 56'. 15''. lat. 53. 36.

Kirstenius (George) est le seul homme de lettres de ma connoissance qui soit né à Stetin. Il cultiva la poésie latine & la médecine. Il a publié dans cette derniere science des disquisitions philologiques, & deux excellentes dissertations, de symptomatibus visûs & auditûs, olfactûs & tactûs, sur les symptomes de la vûe & de l'ouïe, de l'odorat & du tact. Christine, reine de Suede, l'honora de son estime & de ses bontés. Il mourut en 1660, à 47 ans. Le P. Nicéron l'a mis au rang des hommes illustres. Il l'étoit pourtant beaucoup moins que Kirstenius (Michel), autre médecin du xvij. siecle, né à Bérone, petite ville de Moravie ; ce dernier étoit un homme versé en plusieurs sciences. Il y a eu quelques autres savans du nom de Kirstenius, & que les Bibliographes n'ont pas toujours bien distingués les uns des autres. (D.J.)


STEUNOS(Géog. anc.) grotte ou antre de l'Asie mineure, dans la Phrygie, au quartier de ces Phrygiens qui habitoient sur les bords du fleuve Peucella, & qui étoient originaires d'Asanie. Pausanias, l. X. c. xxxij. dit : " C'est un antre qui, par sa figure ronde & par son exhaussement, plaît fort à la vûe ". Ils en ont fait un temple de la mere des dieux, où la déesse a sa statue. (D.J.)


STEVENSWERT(Géog. mod.) île des Pays-bas, dans le quartier & à 3 lieues de Ruremonde, sur les frontieres de l'évêché de Liege. Cette île est formée par la Meuse, & défendue par une forteresse qui fut cédée en 1705 aux états généraux par l'empereur, en vertu du traité de Barriere. (D.J.)


STEWARTGREAT, (Hist. d'Angleterre) c'est-à-dire grand sénéchal, lequel seul pouvoit prononcer l'arrêt de mort contre un pair accusé de haute trahison. Cette charge étoit autrefois perpétuelle, & la premiere du royaume ; mais l'excès du pouvoir qui lui étoit attribué l'a fait abolir en Angleterre, comme on a aboli en France celle de connétable ; avec cette différence toutefois, que la charge de grand stewart est rétablie par interim pour le couronnement du roi, & lorsqu'il s'agit de la vie d'un pair. Le roi Georges I. donna cette commission au lord Cowper en 1716, par rapport aux auteurs de la rebellion d'Ecosse, dont le comte de Nithisdale étoit du nombre ; mais son épouse lui sauva la vie la veille de l'exécution, en gagnant le principal officier de la garde de la tour de Londres ; en faisant sauver son mari sous ses habits, elle resta prisonniere avec les siens. Toute la grande Bretagne applaudit à l'action héroïque de cette dame, & vint lui témoigner son estime. Quelqu'outré qu'on fût dans le ministere de la tendresse ingénieuse de la comtesse de Nithisdale, on ne crut pas devoir prendre d'autre parti que de la mettre en liberté. C'est ordinairement le lord chancelier que le roi charge de la commission de présider aux procès des pairs accusés de haute trahison. Ce fut aussi le chancelier qui présida en 1746 au jugement des quatre pairs d'Ecosse, les comtes de Kilmarnock & de Cromarty, & les lords Balmérine & Lovat. (D.J.)


STEYou STEYBR, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne dans la haute Autriche, située sur une colline, au quartier de Traun, au confluent du Steyr & de l'Ens, à 3 lieues au-dessus du bourg de Traun. Quelques-uns prennent Steyr pour l'ancienne Asturis. Long. 32. 34. latit. 48. (D.J.)


STHÉNIENSJEUX, (Antiq. grecq.) l'antiquité nous apprend peu de chose touchant les jeux sthéniens. Ils furent institués, selon Plutarque, par les Argiens en l'honneur de l'égyptien Danaüs, neuvieme roi d'Argos, puis rétablis en l'honneur de Jupiter, surnommé le fort, le puissant, d'où ils prirent le nom de sthéniens. Hésychius fait une courte mention de ces jeux. Meursius, dans sa graecia feriata, n'allegue sur ce point que le seul passage d'Hésychius, sans rien dire de celui de Plutarque, ni de celui de Pausanias que je vais rapporter, ne connoissant rien de plus en ce genre.

Ce dernier historien témoigne que de son tems on voyoit encore sur le chemin qui conduisoit de Trézene à Hermione, une roche ou une pierre, nommée originairement l'autel de Jupiter sthénien, qu'on appelloit la roche de Thésée, depuis que ce prince tout jeune la remua, pour tirer de dessous la chaussure & l'épée qui devoient le faire connoître à Egée son pere, & que celui - ci dans ce dessein y avoit cachées.

Au reste il ne faut point confondre ces jeux ou cette fête d'Argos avec une autre fête que les femmes athéniennes celébroient sous le nom de , & dans laquelle ces femmes se brocardoient & se disoient mille injures. Il est parlé des sthénies d'Athènes dans Hésychius & dans Suidas. (D.J.)


STIBADIUMS. m. (Littérature) ce mot emprunté des Grecs par les Romains, signifioit un lit de table fait de joncs ; ces sortes de lits étoient fort commodes pour manger, à cause de leur légereté & de leur fraîcheur. Ils succéderent à ceux qu'on nommoit triclinia ; il y en avoit de toutes grandeurs, à six, à huit & à neuf places, suivant le nombre des convives qui se trouvoient au repas. (D.J.)


STIBIÉadj. on donne cette épithete au tartre ; on dit tartre stibié : ce mot vient du latin stibium, antimoine. Voyez l'article ANTIMOINE.


STICHOMANTIES. f. (Littérature) mot composé de , vers, & , divination, c'est donc l'art de deviner par le moyen des vers ; après avoir écrit sur de petits billets des vers, on jettoit ces billets dans une urne, & celui qu'on tiroit le premier, étoit pris pour la réponse de ce qu'on vouloit savoir. Les vers des Sibylles servirent long-tems à cet usage. Quelquefois on se contentoit d'ouvrir un livre de poésie, sur-tout d'Homere & de Virgile, & le premier vers qui se présentoit aux yeux tenoit lieu d'oracle. Lampride rapporte dans la vie d'Alexandre Sévere que l'élévation de ce prince avoit été marquée par ce vers de Virgile, qui s'offrit à l'ouverture du livre.

Tu regere imperio populos, romane, memento.

" Romain, ta destinée est de gouverner les peuples sous ton empire ". Voyez SORTS d'Homere & de Virgile. (D.J.)


STIGLIANO(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Basilicate, près la riviere de Salandrella, à 20 milles de la côte du golfe de Tarente. Elle a titre de principauté. Ses bains sont assez renommés, on les appelle, je ne sai pourquoi, les bains de Bracciano. (D.J.)


STIGMAS. m. (Botan.) le stigma dans les pistils est une pointe mousse, qui forme sur l'embryon une pellicule membraneuse, transparente. (D.J.)


STIGMATEvoyez FLEUR.

STIGMATES, organes extérieurs de la respiration de plusieurs insectes, & principalement des chenilles. C'est M. Malpighi qui a reconnu le premier cette organisation. Les chenilles ont sur chacun des douze anneaux du corps, à l'exception du second, du troisieme & du dernier, deux taches ovales, une de chaque côté, placées plus près du ventre que du dos : ces taches sont imprimées en creux dans la peau, & bordées par un petit cordon le plus souvent noir. Ces taches sont jaunes dans certaines chenilles, & dans d'autres elles ont une couleur blanche. La petite ouverture, qui est au milieu de chacune de ces taches, communique à un poumon particulier, desorte que les chenilles ont neuf poumons de chaque côté, ou plutôt neuf paquets de trachées qui composent le poumon, & qui s'étendent chacun tout le long du corps.

M. Malpighi a découvert que ces organes servoient à la respiration des chenilles, en les couvrant d'huile ou d'une matiere graisseuse quelconque, alors l'insecte tombe en convulsions sur le champ. Mais si on ne met de l'huile que sur un certain nombre de stigmates, les parties voisines de celles qui sont huilées deviennent paralytiques par la privation d'air, & souvent l'insecte meurt quelque tems après. On tient cependant sous l'eau un ver à soie pendant des heures entieres, sans le faire mourir ; il reprend ses forces & sa vigueur en le remettant à l'air & en l'exposant au soleil. M. de Reaumur croit que c'est parce que l'eau ne peut pas pénétrer dans les stigmates, comme l'huile, & que l'air qui se trouve renfermé dans le creux de chaque stigmate empêche que l'insecte ne soit suffoqué. M. Malpighi croyoit que l'air entroit & sortoit par les stigmates ; mais M. de Reaumur a découvert depuis par des expériences réïtérées en plongeant une chenille dans l'eau, que l'air avoit son issue par de très-petites ouvertures répandues sur tout le corps, qui communiquent à de petits canaux, & que ces canaux ont communication avec les trachées dont il a été fait mention. Mém. pour servir à l'hist. des insectes, par M. de Reaumur, tome I. n °. 3. Voyez INSECTE.

STIGMATES, (Hist. anc.) signes ou caracteres dont on marquoit ordinairement les esclaves qui avoient été fugitifs. La marque la plus commune étoit la lettre F, qu'on leur imprimoit au front avec un fer chaud. On se contentoit quelquefois de leur mettre un collier ou un bracelet, sur lequel on gravoit le nom du maître. Quelques-uns ont cru qu'on imprimoit aussi des caracteres sur les mains, les bras ou les épaules des nouveaux soldats chez les Romains ; mais cet usage n'a pas été général, & l'on n'en trouve pas des témoignages assez précis chez les anciens, pour affirmer que cette coutume fût constamment établie dans les troupes romaines.

STIGMATES, (Théolog.) marques ou incisions que les payens se faisoient sur la chair en l'honneur de quelque fausse divinité.

Ces stigmates s'imprimoient ou par un fer chaud, ou par une aiguille avec laquelle on faisoit plusieurs piquûres, que l'on emplissoit ensuite d'une poudre noire, violette, ou d'une autre couleur, qui s'incorporoit avec la chair, & demeuroit imprimée pendant toute la vie. La plûpart des femmes arabes ont les bras & les joues chargés de ces sortes de stigmates : Lucien dans son livre de la déesse de Syrie, dit que tous les Syriens portoient de ces caracteres imprimés les uns sur les mains, & les autres sur le col. Moïse, Lévitiq. x. xix. vers. 28. défend aux Israëlites de se faire aucune figure, ni aucune stigmate sur le corps. L'hébreu porte, vous ne vous ferez aucune écriture de pointe, c'est-à-dire, aucune stigmate imprimée avec des pointes.

Ptolémée Philopator ordonna qu'on imprimât une feuille de lierre, qui est un arbre consacré à Bacchus sur les juifs qui avoient quitté leur religion pour embrasser celle des payens. S. Jean, dans l'Apocalypse, fait illusion à cette coutume, quand il dit, c. xiij. vers. 16. & 17. que la bête a imprimé son caractere dans la main droite, & sur le front de ceux qui sont à elle ; qu'elle ne permet de vendre ou d'acheter qu'à ceux qui portent le caractere de la bête ou son nom, & S. Paul, dans son épitre aux Galates, dit qu'il porte les stigmates de J. C. sur son corps en parlant des coups de fouet qu'il a reçus pour la prédication de l'évangile.

Philon le juif, de monarch. l. I. dit qu'il y a des hommes qui pour s'attacher au culte des idoles d'une maniere plus solemnelle & plus déclarée, se font sur la chair avec des fers chauds, des caracteres qui prouvent leur engagement & leur servitude. Procope, in Isaï. xliv. remarque l'ancien usage des chrétiens, qui se faisoient sur le poignet & sur les bras des stigmates, qui représentoient la croix ou le monogramme de J. C. usage qui subsiste encore aujourd'hui parmi les chrétiens d'Orient, & parmi ceux qui ont fait le voyage de Jérusalem. Prudence, hymn. x. décrit en ces termes la maniere dont les payens se faisoient des stigmates en l'honneur de leurs dieux.

Quid cum sacrandus accipit sphragitidas ?

Acus minutas ingerunt fornacibus,

His membra pergunt urere : utque igniverint

Quamcumque partem corporis fervens nota

Stigmavit, hanc sic consecratam praedicant.

Calmet, dictionn. de la Bibl.

STIGMATES, (Théolog.) terme que les Franciscains ont introduit pour exprimer les marques ou empreintes des plaies de Notre Seigneur, qu'il imprima lui-même sur le corps de S. François d'Assise.

Voici ce qu'en dit M. l'abbé Fleury, dans son histoire ecclésiastique, tom. XVI. l. LXXIX. n °. 5. d'après Vading & S. Bonaventure. " En 1224, saint François se retira sur le mont Alverne pour y passer son carême de saint Michel, c'est-à-dire, les quarante jours qu'il avoit coutume de jeûner ; depuis l'assomption de Notre-Dame, jusqu'à la fin de Septembre.... Un matin, vers la fête de l'exaltation de la sainte Croix, qui est le 14 Septembre, comme il prioit au côté de la montagne, il vit un séraphin, ayant six aîles ardentes & lumineuses, qui descendoit du haut du ciel d'un vol très - rapide. Quand il fut proche, saint François vit entre ses aîles la figure d'un homme, ayant les mains & les piés étendus & attachés à une croix. Deux aîles s'élevoient au-dessus de sa tête, deux étoient étendues pour voler, & deux couvroient tout son corps.... La vision disparoissant, le saint apperçut à ses mains & à ses piés les marques des clous comme il les avoit vus à l'image du crucifix. Ses mains & ses piés paroissoient percés de clous, dans le milieu, les têtes des clous se voyoient au-dedans des mains & au-dessus des piés, & les pointes repliées de l'autre côté, & enfoncées dans la chair. A son côté droit paroissoit une cicatrice rouge, comme si elle venoit d'un coup de lance, & souvent elle jettoit du sang, dont sa tunique & ses fémoraux étoient arrosés. "

L'impression de ces stigmates fut confirmée par plusieurs miracles que rapporte le même auteur, qui continue ainsi : " Quelque soin que prit François de cacher ses stigmates, il ne put empêcher que l'on ne vît ceux des mains & des piés, quoique depuis ce tems-là il marchât chaussé, & tînt presque toujours ses mains couvertes. Les stigmates furent vus par plusieurs de ses confreres, qui bien que très dignes de foi par leur sainteté, l'assurerent depuis par serment, pour ôter tout prétexte d'en douter. Quelques cardinaux les virent par la familiarité qu'ils avoient avec le saint homme ; ils ont relevé les stigmates, dit saint Bonaventure, dans les proses, les hymnes & les antiennes qu'ils ont composées en son honneur, & ont rendu témoignage à cette vérité de vive voix, & par écrit. Enfin le pape Alexandre IV. prêchant au peuple, en présence de plusieurs freres & de moi-même (ce sont les propres paroles de saint Bonaventure), assura que pendant la vie du saint il avoit vu ces sacrés stigmates de ses propres yeux. Il ajoute qu'à la mort de saint François plus de cinquante freres les virent, & la pieuse vierge Claire avec ses soeurs, & une multitude innombrable de séculiers, dont plusieurs les baiserent & les toucherent de leurs mains pour plus grande certitude.

Quant à la plaie du côté, il la cacha si bien, que de son vivant personne ne put la voir qu'à la dérobée, mais après sa mort elle parut évidemment comme les autres ".

On a institué en mémoire de ce miracle une fête appellée la fête des stigmates de saint François, avec une messe & un office particulier, mais qui n'est obligatoire que pour les Franciscains. Il y eut aussi à la même occasion une archi-confrérie érigée en 1594, par François Pizi, chirurgien de la ville de Rome.


STIGMITESS. f. (Hist. nat. Lithol.) nom donné par quelques naturalistes aux pierres remplies de taches ou de petits points.


STIGNITESS. f. (Hist. nat. Lithol.) nom donné par Pline à un porphyre rouge avec des taches noires, c'est le même qu'il appelle syenites & pyrropoecilon.


STIL DE GRAIN(Peint.) pâte jaune faite avec une espece de craie ou marne blanche, qu'on teint par une décoction de graines d'Avignon dans de l'eau ; jointe à de l'alun ordinaire. De ce mêlange, on en forme cette pâte seche & tortillée qui s'appelle stil de grain ; c'est en Hollande qu'on le fabrique ; il faut le choisir tendre, friable, d'un beau jaune doré. On l'emploie pour peindre en huile & en miniature.

Le stil de grain se compose ordinairement avec du blanc de Troie & de la graine d'Avignon ; mais l'espece en est mauvaise, & il change. Il vaut mieux le faire avec du blanc de plomb ou de céruse ; broyer ce blanc bien fin, en le détrempant sur le porphyre, d'où il faut le lever avec une spatule de bois, & le laisser sécher à l'ombre : ensuite prenez de la graine d'Avignon ; mettez-la en poudre dans un mortier de bois, & faites-la bouillir avec de l'eau dans un pot de terre plombé, jusqu'à ce qu'elle soit consommée environ du tiers ou plus : passez cette décoction dans un linge, & jettez-y la grosseur de deux ou trois noisettes d'alun pour l'empêcher de changer de couleur ; quand il sera fondu, détrempez le blanc de cette décoction, & le réduisez en forme de bouillie assez épaisse, que vous pétrirez bien entre les mains, & vous en formerez des trochisques, que vous ferez secher dans une chambre bien aérée ; quand le tout sera sec, vous le détremperez de même jusqu'à trois ou quatre fois avec ladite décoction, selon que vous voudrez que le stil de grain soit clair ou brun ; & vous le laisserez bien sécher à chaque fois. Remarquez qu'il est bon que ce suc soit chaud, quand on en détrempe la pâte, & qu'il faut en faire d'autres, lorsque le premier est gâté.

Cette couleur jaune que donne le stil de grain est fort susceptible par le mêlange des qualités des autres couleurs. Quand on mêle le stil de grain avec du brun rouge, on en fait une couleur des plus terrestres ; mais si on la joint avec du blanc ou du bleu, on en tire une couleur des plus fuyantes. (D.J.)


STILAGou STELAGE, s. m. (Comm.) droit qui se perçoit sur les grains en quelques endroits de France. C'est un droit seigneurial, qu'on nomme ailleurs minage, hallage & mesurage. Il consiste ordinairement en une écuellée de grain par chaque sac qui se vend dans une halle ou marché.

Il y a des lieux où le stelage se leve aussi sur le sel, comme dans la souveraineté de Bouillon. Diction. de Commerce.


STILEen Botanique, est la partie qui est élevée au milieu d'une fleur ; & qui pose par sa partie inférieure sur le rudiment du fruit ou de la graine.

C'est ce qu'on appelle plus ordinairement pistil. Cependant Bradley les distingue : il l'appelle stile, quand il n'est que joint ou contigu à la graine ou au fruit ; & pistil, lorsqu'il contient au-dedans de lui la semence ou le fruit, comme l'ovaire contient les oeufs. Voyez PISTIL.

STILE, (Critiq. sacrée) instrument de fer, d'acier, ou d'autre matiere, pointu d'un côté pour former les lettres sur une tablette enduite de cire, & applatie de l'autre pour les effacer. Voyez TABLETTE DE CIRE.

Cet usage des anciens est très-bien décrit dans ce passage du 4 des Rois, xxj. 13. j'effacerai Jérusalem comme on efface l'écriture des tablettes, & je passerai mon stile dessus plusieurs fois. Dieu vouloit faire entendre par cette métaphore, qu'il ne laisseroit pas la moindre trace de la vie criminelle qu'on y menoit, mais qu'il la détruiroit, comme on efface l'écriture sur une tablette de cire, en tournant le stile & le passant par-dessus. Jérémie, ch. xvij. 1. dit que le crime de la tribu de Juda est écrit avec un stile de fer & une pointe de diamant, & qu'il est gravé sur leur coeur comme sur des tablettes. Mais ces mots d'Isaïe, viij. 5. scribe stilo hominis, écrivez en stile d'homme, signifient une maniere d'écrire simple, naturelle, intelligible, opposée au stile figuré & énigmatique des prophetes. (D.J.)

STILE, stilus, s. m. en Chirurgie, est un long instrument d'acier qui va en diminuant par un bout, & se termine en pointe, de maniere qu'il a la forme d'un cone ; & qui sert à étendre & découvrir une partie, ou à l'insinuer dedans.

On a coutume de faire rougir au feu le stile pour l'insinuer dans les cannules cannulae, & le retirer aussitôt ; & on l'y met & l'en retire successivement aussi souvent qu'il est nécessaire ; pour cet effet, il est bon d'avoir deux stiles pour les introduire alternativement. Voyez CANNULA.

STILE, en Gnomonique, signifie le gnomon ou aiguille d'un cadran, qu'on dresse sur un plan pour jetter l'ombre. Voyez GNOMON.


STILETS. m. (Gram.) est une sorte de poignard petit & dangereux qu'on peut fort bien cacher dans sa main, & dont les lâches sur-tout se servent pour assassiner en trahison. Voyez POIGNARD.

La lame en est ordinairement triangulaire & si menue, que la plaie qu'elle fait, est presque imperceptible. Le stilet est séverement défendu dans tous les états bien policés.

STILET, instrument de Chirurgie, qu'on introduit dans les plaies & ulceres. Voyez SONDE. Anel a imaginé des petits stilets d'or extrêmement déliés, à-peu-près comme des soies de porc, & néanmoins boutonnés par leur extrêmité, pour sonder les points lacrimaux, & desobstruer le conduit nazal. Voyez fig. 11. Pl. XXIII. Voyez FISTULE LACRIMALE. (Y)


STILLICIDIUMS. m. (Architect. rom.) on sait que ce mot signifie d'ordinaire la chûte de l'eau goutte-à-goutte ; mais dans Vitruve il désigne la pente du toît qui est favorable à l'écoulement des eaux ; il appelle au figuré les toîts des cabanes des premiers hommes stillicidia. Pline entend aussi par stillicidia, l'épaisseur du feuillage des arbres quand elle est capable de mettre à couvert de la pluie. (D.J.)


STILLYARDS. m. (anc. compag. de Comm.) on nommoit autrefois en Angleterre, la compagnie de stillyard, une compagnie de commerce établie en 1215 par Henri III. en faveur des villes libres d'Allemagne. Cette compagnie étoit maîtresse de presque toutes les manufactures angloises, particulierement des draperies. Les préjudices que ces privileges apportoient à la nation, la firent casser sous Edouard IV. Elle subsista néanmoins encore quelque tems en faveur des grandes avances qu'elle fit à ce prince, mais enfin elle fut entierement supprimée en 1552, sous le regne d'Edouard VI. (D.J.)


STILO(Géog. mod.) bourg d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre ultérieure, sur le Cacino, à six milles de la côte de la mer Ionienne.

C'est dans ce bourg qu'est né Campanella (Thomas), fameux philosophe italien, qui fit grand bruit par ses écrits, & dont la vie fut long-tems des plus malheureuses. Il entra dans l'ordre de saint Dominique, & un vieux professeur de ce même ordre conçut une haine implacable contre Campanella, parce qu'il se montra plus habile que lui dans une dispute publique.

En passant par Bologne on lui enleva ses manuscrits & on les déféra au tribunal de l'inquisition. Quelques paroles qui lui étoient échappées sur la dureté du gouvernement d'Espagne & sur des projets de révolte, le firent arrêter par le vice-roi de Naples ; on lui fit souffrir la question, & on le retint 27 ans en prison. Enfin Urbain VIII. qui le connoissoit par ses écrits, obtint sa liberté en 1626 du roi d'Espagne, Philippe IV. Le même pape le prit à Rome au nombre de ses domestiques, & le combla de biens ; mais tant de faveur ralluma la jalousie des ennemis de Campanella ; il s'en apperçut & se sauva secrettement de Rome en 1634, dans le carrosse de M. de Noailles, ambassadeur de France. Arrivé à Paris, il fut accueilli gracieusement de Louis XIII. & du cardinal de Richelieu, qui lui procura une pension de deux mille livres. Il passa le reste de sa vie dans la maison des jacobins de la rue saint Honoré, & y est mort en 1639, à 71 ans.

Il a publié un grand nombre de livres sur la Théologie, la Philosophie, la Morale, la Physique, la Politique, la Rhétorique, la Médecine, & l'Astrologie. Il seroit superflu d'indiquer les titres & les éditions d'ouvrages, dont on ne fait aucun cas aujourd'hui. Nous n'avons plus besoin de l'apologie de Galilée, ni de préservatif contre l'autorité d'Aristote. On méprise souverainement l'Astrologie judiciaire. Enfin, on ne craint plus la monarchie universelle du roi d'Espagne. Les idées de Campanella pour fonder une république, qu'il nomme allégoriquement la cité du Soleil, ne valent pas, à beaucoup près, l'Uthopie de Thomas Morus. Ajoutez que c'est un écrivain plein d'imaginations folles, & dont le style est rebutant.

Son Athéismus triumphatus, est de tous ses ouvrages celui qui a fait le plus de bruit, quoique ce soit perdre son tems aujourd'hui que de prendre la peine de le lire. On prétend qu'en faisant semblant de combattre les athées dans cet ouvrage, il a cherché à les favoriser, en leur prêtant des argumens auxquels ils n'ont jamais pensé, & en y répondant très - foiblement ; d'où vient qu'on a dit qu'il auroit dû intituler son ouvrage, Atheismus triomphans, & peut - être l'eût-il fait s'il l'eût osé.

Ern. Sal. Cyprianus a donné fort au long, en latin, la vie de Campanella ; c'est dans le goût des savans de son pays, mais ils s'en corrigeront bientôt. (D.J.)


STIMULANTadj. se dit en Médecine, d'une espece de douleur, il signifie alors une douleur poignante ou pongitive. Ce terme vient du latin stimulus, aiguillon, parce que la douleur est comme un aiguillon qui réveille & ranime les mouvemens de la machine en produisant une irritation ou un chatouillement désagréable.

STIMULANS, remedes âcres, irritans, dont l'énergie est très-considérable. Ces remedes sont en général tous les amers, tous les sels volatils & fixes, les sels neutres ou androgyns, les sels volatils huileux, les baumes, les teintures âcres, telles que celle de soufre, de scories, de foie & de régule d'antimoine.

Tous ces remedes sont indiqués dans tous les cas où l'atonie de nos fibres est trop grande, & où la viscosité de nos humeurs obstrue nos vaisseaux au point d'empêcher leur oscillation. On peut conclure de-là que tous les remedes atténuans sont autant de stimulans, parce qu'en divisant les humeurs & en redonnant du ressort aux fibres, ils rétablissent l'équilibre entre les solides & les fluides.


STINCHAou STINSIAR, (Géog. mod.) riviere d'Ecosse, dans la province de Carrik. Elle sort d'un petit lac de cette province, & se perd dans la mer. (D.J.)


STINKERKES. f. (Modes) mouchoir de cou, d'usage dans le dernier siecle ; on le bordoit de dentelle, de franges de soie, de filets d'or ou d'argent ; voici l'origine de ce nom. Une bataille, suivie de la victoire, se donna en 1692, près d'un village du Hainaut, nommé Steinkerke : il plut à nos dames d'illustrer ce nom, en le faisant passer du village à une espece de mouchoir de cou de leur invention, & qui prit beaucoup de faveur, parce que plusieurs dames, qui crurent devoir cacher leur gorge, y trouverent un double avantage. (D.J.)


STIP-VISCHS. m. (Ichthyolog.) nom donné par les Hollandois à un poisson des Indes orientales, qui est de la classe de ceux de l'Europe, qui ont deux nageoires de derriere, dont l'antérieure est armée de piquans. La peau du stip-visch est tachetée, & sa chair est très-délicate : on le prend communément avec l'hameçon. (D.J.)


STIPENDIAIRES. m. (Gram.) qui est aux gages ou à la solde d'un autre.


STIPENDIÉadj. (Gram.) payé, soudoyé par quelqu'un.


STIPULATIONS. f. stipulatio, (Gram. & Jurisprudence) est une forme particuliere, par laquelle on fait promettre à celui qui s'oblige de donner ou faire quelque chose.

Les jurisconsultes tirent l'étymologie de ce mot du latin stipulum, qui est la même chose que firmum : de stipulum on a fait stipulation, parce que c'est la stipulation qui affermit les conventions, & leur donne de la force.

D'autres font venir stipulation de stips, qui signifie une piece de monnoie, parce que les stipulations ne se faisoient guere qu'à propos de quelques sommes pécuniaires.

Isidore fait dériver ce mot de stipula, qui signifie un brin de paille, parce que, selon lui, les anciens, quand ils se faisoient quelque promesse, tenoient chacun par un bout un brin de paille qu'ils rompoient en deux parties, afin qu'en les rapprochant cela servît de preuve de leurs promesses.

Mais cet auteur est le seul qui fasse mention de cette cérémonie, & il n'est pas certain que les stipulations n'eussent lieu que dans les promesses pécuniaires, comme Festus & Varron le prétendent ; il est plus probable que stipulatio est venu de stipulum.

La stipulation étoit alors un assemblage de termes consacrés. Pour former cette maniere d'obligation, on l'appelloit souvent interrogatio, parce que le stipulant, c'est-à-dire celui au profit de qui l'on s'obligeoit, interrogeoit l'autre : Moevi, spondesne dare decem ; & Moevius, qui étoit le promettant, répondoit spondeo ; ou bien, s'il s'agissoit de faire quelque chose, l'un disoit, facies ne, &c. l'autre répondoit, faciam, fide jubes, fide jubeo, & ainsi des autres conventions.

Ces stipulations étoient de plusieurs sortes, les unes conventionnelles, d'autres judicielles, d'autres prétoriennes, d'autres communes ; mais ces distinctions ne sont plus d'aucune utilité parmi nous ; ceux qui voudront s'en instruire plus à fond, peuvent consulter Gregorius Tolosanus, liv. XXIV. chap. j.

Dans toutes ces stipulations, il falloit interroger & répondre soi-même : c'est de-là qu'on trouve dans les loix cette maxime, alteri nemo stipulari potest.

Mais ces formules captieuses furent supprimées par l'empereur Léon ; & dans notre usage, on n'entend autre chose par le terme de stipulation, que les clauses & conditions que l'on exige de celui qui s'oblige envers un autre ; & comme on peut aujourd'hui s'obliger pour autrui, à plus forte raison peut - on stipuler quelque chose au profit d'autrui. Voyez au digeste le tit. I. liv. XLV. le liv. VIII. du code, tit. XXXVIII. & aux instit. liv. III. tit. VI. & les mots ACCORD, CONTRAT, CONVENTION, CLAUSE, OBLIGATION, PACTE. (A)


STIPULER(Scienc. étymol.) on sait que stipuler, en latin stipulari, signifie contracter ; ce mot vient de stipula, qui veut dire une paille, parce qu'anciennement les premieres stipulations furent faites entre les bergers pour des terres, & qu'alors celui qui stipuloit, qui contractoit, tenoit en sa main une paille, stipulam, qui représentoit les fonds de terre qu'il vouloit prendre ou engager. (D.J.)


STIPULESS. f. pl. (Botan.) ce sont deux petites feuilles pointues, qui se trouvent à la naissance de plusieurs especes de plantes. (D.J.)


STIQUES. m. (Critique sacrée & profane) en grec ; ce mot qu'il importe d'expliquer, veut dire la même chose que le mot latin versus. L'un & l'autre de ces deux termes dans leur origine signifioit simplement une ligne ou une rangée ; car versus vient de vertere, qui signifie tourner ; & quand l'écrivain est au bout de sa ligne, il faut qu'il retourne, & le lecteur tout de même. Voyez Menagii observ. in Diog. Laërtii, l. IV. n °. 24. S. Jérôme dit aussi dans sa préface à sa version latine de Daniel, que Méthodius, Eusebe & Apollinaire avoient répondu aux objections de Porphyre contre l'Ecriture, multis versuum millibus, c'est-à-dire dans des ouvrages qui contenoient plusieurs milliers de lignes ; car ces auteurs ont tous écrit en prose. Cornélius Nepos, dans Epaminondas, l. XVI. vj. dit : Uno hoc volumine vitas excellentium virorum concludere constituimus, quorum separatim multis millibus versuum complures scriptores ante nos explicarunt. Josephe, à la fin de ses antiquités, dit que son ouvrage contenoit vingt livres & soixante mille vers ou stiques. Voyez VERSET, Critiq. sacrée. (D.J.)


STIRI(Géog. mod.) montagne de la Turquie européenne, dans la Livadie, avec un village qui lui a communiqué son nom, & qui est l'ancienne Stiris. On voit sur cette montagne le monastere d'un hermite de ce desert, qu'on nomme le couvent de S. Luc Stirite, & qui est l'un des plus beaux de toute la Grece ; il est composé de plus de cent caloyers, qui s'occupent dans leurs cellules & dans les campagnes à divers ouvrages nécessaires ; leur église est belle & bâtie à la grecque. Voyez ce qu'en dit Whéler dans son voyage de Dalmatie. (D.J.)


STIRIEen allemand STEYER, (Géog. mod.) province d'Allemagne, & l'un des états héréditaires de la maison d'Autriche, au cercle de ce nom. Elle a pour bornes l'archiduché d'Autriche au nord, la Hongrie à l'orient, la Carniole au midi, la Carinthie & l'archevêché de Saltzbourg à l'occident. Elle étoit anciennement comprise partie dans la Pannonie & partie dans la Norique. Elle fut sous la domination des ducs de Baviere jusqu'en 1030, que l'empereur Conrad II. l'érigea en marquisat ; Frédéric I. érigea ce marquisat en duché, & par la donation qu'il en fit à Léopold, duc d'Autriche, son beau-pere, du consentement des états du pays, la Stirie passa dans la maison d'Autriche. Cette province a 32 lieues de long sur 20 de large. C'est un pays fort montagneux, arrosé de la Drave, du Muer, & d'autres rivieres, désert & stérile dans sa plus grande partie, mais abondant en mines de fer. On le divise en haute & basse Stirie. Gratz en est la capitale. (D.J.)


STIRIS(Géog. anc.) ville de la Grece dans la Phocide. Pausanias, l. X. c. xxxv. dit : " On ne va pas seulement de Chéronée dans la Phocide par le chemin qui mene à Delphes, ni par celui qui traversant Panopée, passe auprès de Daulis, & aboutit au chemin qui fourche ; il y en a encore un autre fort rude, par lequel en montant presque toujours, on arrive enfin à Stiris, autre ville de la Phocide. Ce chemin peut avoir six-vingt stades de longueur ".

Les Stirites se vantoient d'être athéniens d'origine. Ils disoient qu'ayant suivi la fortune de Péteüs, fils d'Orneus, chassé d'Athènes par Egée, ils vinrent s'établir dans un coin de la Phocide, où ils bâtirent une ville qu'ils nommerent Stiris, parce qu'ils étoient la plûpart de la bourgade Stirium ou Steirea, qui faisoit partie de la tribu Pandionide. Ils habitoient sur la cime d'un roc fort élevé, & par cette raison ils manquoient souvent d'eau, particulierement en été : car ils n'avoient que des puits, dont l'eau n'étoit pas même fort bonne : aussi ne s'en servoient-ils qu'à se laver & à abreuver leurs chevaux. Ils étoient obligés de descendre quatre stades pour aller chercher de l'eau d'une fontaine creusée dans le roc.

On voyoit à Stiris un temple de Cérès, surnommé Stiritis : ce temple étoit bâti de briques crues ; mais la déesse étoit du plus beau marbre, & tenoit un flambeau de chaque main. Près de cette statue, il y en avoit une autre fort ancienne, couronnée de bandelettes, & ces peuples rendoient à Cérès tous les honneurs imaginables.

De Stiris à Ambryssum, on comptoit environ 60 stades, & l'on y alloit par une plaine qui étoit entre deux montagnes. Le chemin étoit bordé de vignes à droite & à gauche, & tout le pays étoit un vignoble ; mais entre les ceps de vigne, on élevoit une espece de chêne-verd.

Stiris, selon M. Spon, voyage de Grece, tome II. subsiste encore aujourd'hui, & conserve son ancien nom : car on l'appelle Stiri ; mais ce n'est plus qu'un village. (D.J.)


STIRITIS(Mythol.) Cérès avoit un temple à Stiris, ville de Phocide, sous le nom de Cérès Stiritis, dans lequel on lui rendoit, dit Pausanias, tous les honneurs imaginables. Ce temple étoit bâti de briques ; mais la déesse étoit du plus beau marbre, & tenoit un flambeau de chaque main. (D.J.)


STIRONELE, (Géog. mod.) riviere d'Italie dans le Parmesan. Elle a sa source dans les montagnes, & après s'être grossie de la Vezola & de la Parola, elle se jette dans le Tarro. (D.J.)


STIVALE MONT, (Géog. mod.) montagne de la Turquie européenne, dans la Livadie. C'est le Cythis des anciens, selon M. Spon. Les Grecs l'ont appellé Stiva, d'un village de ce nom qui est audessus. (D.J.)


STOAE(Antiq. athén.) ; c'est ainsi que les Athéniens nommoient leurs portiques plantés d'arbres pour la promenade, de sieges pour se reposer, & de cabinets de feuillage pour se retirer ou pour converser. Potter, archaeol. graec. l. I. c. viij. t. I. p. 38. Voyez aussi le mot PORTIQUE. (D.J.)


STOBI(Géog. anc.) ville de la Macédoine dans la Pélagonie. Il y a apparence qu'elle prit ses accroissemens & son lustre après la destruction de la Pélagonia, métropole de la province : car personne, depuis Tite - Live, ne fait mention de cette derniere ville, au-lieu que Stobi est fort connue. Pline, l. IV. c. x. en fait une colonie romaine. Il en est parlé dans le digeste, leg. ult. de censib. & on a des médailles de Vespasien & de Trajan, où elle a le titre de municipe, MUNICIP. STOBEUS, MUNICIP. STOBENSIUM. Ptolémée, l. III. c. xiij. connoît aussi cette ville qu'il donne aux Pélagoniens. Il y en a qui veulent que le nom moderne soit Starachino. (D.J.)


STOCS. m. (Forges) base sur laquelle est appuyée l'enclume de grosses forges. Voyez l'article GROSSES FORGES.


STOCFISHS. m. (Commerce de poisson) poisson de mer salé & desséché, couleur de gris cendré, ayant néanmoins le ventre un peu blanc ; sa longueur ordinaire est d'un pié ou deux. La morue seche ou parée, que l'on appelle autrement merlu ou merluche, est une espece de stockfish. Savary. (D.J.)


STOCKHEIM(Géog. mod.) nom de deux petites villes d'Allemagne. La premiere est dans l'évêché de Liege, sur la Meuse, à 5 lieues au-dessous de Mastricht. La seconde, autrement nommée Stockak, est dans la Suabe, au landgraviat de Nellenbourg, sur une petite riviere de ce nom, à deux lieues du lac, & à six au nord de la ville de Constance. Long. de cette derniere, 26. 32. latit. 47. 56. (D.J.)


STOCKHOLM(Géogr. mod.) ville de Suede, dans l'Upland, la capitale du royaume, & la résidence des rois, à 75 lieues de Copenhague, à 260 de Vienne, & à environ 310 de Paris.

Cette ville est bâtie à l'embouchure du lac Méler dans la mer Baltique ; tout y est sur pilotis, dans plusieurs îles voisines les unes des autres ; il n'y a que deux fauxbourgs qui soient en terre ferme.

Stockholm est grande, fort peuplée, & fait un commerce considérable. La plûpart de ses maisons sont actuellement bâties en brique, au lieu que précédemment elles étoient presque toutes de bois. On y remarque entr'autres beaux édifices le palais du chancelier, celui de la noblesse, & le château, qui est un bâtiment spacieux, où non-seulement la cour loge, mais où s'assemblent aussi la plûpart des cours supérieures du royaume. Ce château est situé de façon que d'un côté il a vue sur le port, & de l'autre sur la ville, où il fait face à une grande place décorée des plus belles maisons. Le palais de la noblesse est le lieu où elle tient ses séances.

Stockholm n'oubliera jamais la fête funeste de ce même palais, dans laquelle Christiern rétabli roi, & son primat Troll, firent égorger en 1520 le sénat entier, & tant d'honnêtes citoyens. Le tyran devenu partout exécrable, fut enfin déposé, & finit ses jours en prison ; Troll mourut les armes à la main ; dignes l'un & l'autre d'une fin plus tragique !

On divise ordinairement Stockholm en quatre parties ; savoir, Sud-Malm, & Nor-Malm, qui sont les deux fauxbourgs, au milieu desquels la ville est située, & dans une île. La quatrieme partie est Garceland, & le tout compose une des grandes villes de l'Europe.

L'île dans laquelle la plus grande partie de Stockholm se trouve enfermée, est environnée de deux bras de riviere, qui sortent impétueusement du lac Meler, & sur chacun de ces bras, il y a un pont de bois ; ensuite il se forme encore quelques autres îles qui n'en sont séparées que par un peu d'eau. D'un côté on a la vûe sur le lac, & de l'autre sur la mer, laquelle forme un golfe qui s'étend à-travers plusieurs rochers, ensorte qu'on le prendroit pour un autre lac. L'eau en est si peu salée, qu'on en pourroit boire devant Stockholm, à cause de la quantité d'eau douce qui y tombe du lac Meler.

On rapporte la fondation de la ville à Birger, qui fut gouverneur de Suede après la mort du roi Eric, surnommé le Begue, & on prétend qu'elle reçut le nom de Stockholm d'une grande quantité de poutres qu'on y apporta des lieux circonvoisins ; stok signifie en suédois une poutre, & holm une île, & même un lieu desert. Quoi qu'il en soit, outre la force de sa situation, elle est encore défendue par une citadelle toute bordée de canons.

Presque tout le commerce de Suede se fait à Stockholm ; il consiste en fer, fil - de - fer, cuivre, poix, résine, mâts, & sapins, d'où on les transporte ailleurs. La plûpart des marchandises & denrées qu'on reçoit des pays étrangers viennent dans ce port, dont le havre est capable de contenir un millier de navires : il y a encore un quai qui a un quart de lieue de long, où peuvent aborder les plus grands vaisseaux ; mais son incommodité consiste en ce qu'il est à dix milles de la mer, & que son entrée est dangereuse à cause des bancs de sable.

On compte dans cette ville neuf églises bâties de brique, & couvertes de cuivre, indépendamment de celles des fauxbourgs. La noblesse & les grands du royaume résident à Stockholm, où l'on a établi, en 1735, une académie des Sciences & de Belles - Lettres.

Le gouvernement de la ville est entre les mains du stadtholder, qui est aussi conseiller du conseil privé. Après lui sont les bourg-mestres, au nombre de quatre, l'un pour la justice, l'autre pour le commerce, le troisieme pour la police, & le quatrieme pour l'inspection sur tous les bâtimens publics & particuliers. Les tributs qui s'imposent sur les habitans pour le maintien du gouvernement de la ville, les bâtimens publics, la paie d'une garde de trois cent hommes, &c. les tributs, dis - je, que les bourgeois doivent payer pour cette dépense, seroient regardés comme un pesant fardeau, même dans les pays les plus opulens ; aussi tâche - t - on de dédommager les citoyens sur lesquels tombent ces charges, par les privileges qu'on leur accorde, soit pour les douannes, soit pour le commerce du pays qui passe nécessairement par leurs mains. Long. de Stockholm, suivant Harris, 35. 1. 15. latit. 58. 50. Long. suivant Cassini, 36. 56. 30. latit. 59. 20.

La célebre reine Christine naquit à Stockholm, en 1626, de Gustave Adolphe, roi de Suede, & de Marie-Eléonore de Brandebourg. Elle avoit beaucoup de sagacité dans l'esprit, l'air mâle, les traits grands, la taille un peu irréguliere. Elle étoit affable, généreuse, & s'illustra par son amour pour les sciences, & son affection pour les gens de lettres. Elle succéda aux états de son pere en 1653, & abdiqua la couronne en 1654, en faveur de Charles Gustave, duc des Deux-Ponts, de la branche de Baviere palatine, son cousin germain, fils de la soeur du grand Gustave.

Peu de tems après cette abdication, Christine vint en France, & les sages admirerent en elle une jeune reine qui, à 27 ans, avoit renoncé à la souveraineté dont elle étoit digne, pour vivre libre & tranquille. Si l'on veut connoître le génie unique de cette reine, on n'a qu'à lire ses lettres, comme M. de Voltaire l'a remarqué.

Elle dit dans celle qu'elle écrivit à Chanut, autrefois ambassadeur de France auprès d'elle : " j'ai possédé sans faste, je quitte avec facilité. Après cela ne craignez pas pour moi, mon bien n'est pas au pouvoir de la fortune ". Elle écrivit au prince de Condé. " Je me tiens autant honorée par votre estime que par la couronne que j'ai portée. Si, après l'avoir quittée, vous m'en jugez moins digne, j'avouerai que le repos que j'ai tant souhaité, me coute cher ; mais je ne me repentirai point pourtant de l'avoir acheté au prix d'une couronne, & je ne noircirai jamais par un lâche repentir une action, qui m'a semblé si belle ; s'il arrive que vous condamniez cette action, je vous dirai pour toute excuse, que je n'aurois pas quitté les biens que la fortune m'a donnés, si je les eusse cru nécessaires à ma félicité, & que j'aurois prétendu à l'empire du monde, si j'eusse été aussi assurée d'y réussir que le seroit le grand Condé. "

Telle étoit l'ame de cette personne si singuliere ; tel étoit son style dans notre langue qu'elle avoit parlé rarement. Elle savoit huit langues ; elle avoit été disciple & amie de Descartes qui mourut à Stockholm dans son palais, après n'avoir pu obtenir seulement une pension en France, où ses ouvrages furent même proscrits pour les seules bonnes choses qui y fussent. Elle avoit attiré en Suede tous ceux qui pouvoient l'éclairer. Le chagrin de n'en trouver aucun parmi ses sujets, l'avoit dégoûtée de regner sur un peuple qui n'étoit que soldat. Elle crut qu'il valoit mieux vivre avec des hommes qui pensent, que de commander à des hommes sans lettres ou sans génie. Elle avoit cultivé tous les arts dans un climat où ils étoient alors inconnus. Son dessein étoit d'aller se retirer au milieu d'eux en Italie. Elle ne vint en France que pour y passer, parce que ces arts ne commençoient qu'à y naître.

Son goût la fixoit à Rome. Dans cette vûe elle avoit quitté la religion luthérienne pour la catholique ; indifférente pour l'une & pour l'autre, elle ne fit point scrupule de se conformer en apparence aux sentimens du peuple chez lequel elle vouloit passer sa vie. Elle avoit quitté son royaume, en 1654, & fait publiquement à Inspruck la cérémonie de son abjuration. Elle plut assez peu à la Cour de France, parce qu'il ne s'y trouva pas une femme dont le génie pût atteindre au sien. Le roi la vit, & lui fit de grands honneurs, mais il lui parla à peine.

La plûpart des femmes & des courtisans n'observerent autre chose dans cette reine philosophe, sinon qu'elle n'étoit pas coëffée à la françoise, & qu'elle dansoit mal. Les sages ne condamnerent en elle que le meurtre de Monasdelchi son écuyer, qu'elle fit assassiner à Fontainebleau dans un second voyage. De quelque faute qu'il fût coupable envers elle, ayant renoncé à la royauté, elle devoit demander justice, & non se la faire. Ce n'étoit pas une reine qui punissoit un sujet, c'étoit une femme qui terminoit une galanterie par un meurtre ; c'étoit un italien qui en faisoit assassiner un autre par l'ordre d'une suédoise, dans un palais d'un roi de France. Nul ne doit être mis à mort que par les loix. Christine en Suede n'auroit eû le droit de faire assassiner personne ; & certes ce qui eût été un crime à Stockholm, n'étoit pas permis à Fontainebleau.

Cette honte & cette cruauté ternissent prodigieusement la philosophie de Christine qui lui avoit fait quitter un trône. Elle eût été punie en Angleterre ; mais la France ferma les yeux à cet attentat contre l'autorité du roi, contre le droit des nations, & contre l'humanité.

Christine se rendit à Rome, où elle mourut en 1689, à l'âge de 63 ans. Essai sur l'hist. universelle. (D.J.)


STOECHADESILES, (Géog. anc.) îles de la mer Méditerranée, sur la côte de la Gaule narbonnoise, au voisinage de la ville de Marseille. Pline entre les anciens, est celui qui paroît les avoir le mieux connues. Il en donne non-seulement le nombre & le nom général ; il en marque encore les noms particuliers & la situation. Les Marseillois, dit - il, donnerent des noms particuliers à ces trois îles Stoechades, selon leur situation, c'est-à-dire, à l'égard de Marseille. La premiere, ou la plus proche de la ville, fut nommée d'un nom grec Prote, ce qui veut dire premiere : la seconde fut nommée Mese, c'est-à-dire, celle du milieu, ou mediana, comme on l'appella après l'abolition de la langue grecque dans ce pays-là : la troisieme fut nommée Hupaea, inférieure, c'est-à-dire, celle qui est au-dessous des deux autres, & la plus éloignée de Marseille.

A cette description il n'est pas difficile de reconnoître les trois îles, que l'on trouve dans la mer voisine de la ville d'Hieres, & qui prennent aujourd'hui leur nom de cette ville, quoique chacune des trois ait aussi le sien en particulier. La premiere île s'appelle vulgairement Porqueyroles ou Porqueroles, à cause qu'il y vient beaucoup de sangliers, qui y passent à la nage de la terre ferme, pour manger le gland des chênes verds qui s'y trouvent en abondance. La seconde île a le nom de Portecroz, du nom du port, où il y a un petit fort. La troisieme se nomme l'île du Titan ou du Levant, à cause qu'elle est à l'orient des deux autres ; & l'on voit par les anciens registres de Provence, que cette troisieme île s'appelloit autrefois Cabaros.

Ces îles furent premierement habitées par les Marseillois, qui les nommerent Stoechades, peut-être à cause de la plante stoechas qui y abonde. Les trois écueils ou rochers voisins de Marseille, nommés If, Ratonneau & Pomègue, ne sont point, comme quelques-uns l'ont imaginé, les Stoechades des anciens, parce que ces rochers sont stériles, & ne produisent ni la plante stoechas, ni presqu'aucune autre. Les trois îles d'Hieres sont aussi nommées les îles d'or, par corruption du mot latin Araé, qui est l'ancien nom de la ville d'Hieres ; ainsi le nom d'insulae Arearum, est celui des îles d'Hieres ou des Stoechades de l'antiquité. (D.J.)


STOECHASS. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante, à fleur monopétale, labiée, dont la levre supérieure est relevée & fendue en deux parties, & l'inférieure en trois, de façon qu'au premier aspect cette fleur paroît divisée en cinq parties. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & entouré de quatre embryons qui deviennent dans la suite autant de semences arrondies & renfermées dans une capsule qui a servi de calice à la fleur. Ajoutez aux caracteres de ce genre, que les fleurs sont disposées par rangs sur des têtes écailleuses, du haut desquelles il sort quelques petites feuilles. Tournefort, inst. rei herbar. Voyez PLANTE.

La premiere des cinq especes de stoechas de Tournefort sera celle que nous décrirons ; c'est la stoechas purpurea, arabica vulgò dicta, Inst. rei herb. 201. J. B. 3. 277. C. B. P. 216. Raii hist. stoechas brevioribus ligulis, Clus. hist. 344. C'est un sous - arbrisseau, haut d'une ou de deux coudées : ses tiges sont ligneuses, quadrangulaires : ses feuilles naissent deux à chaque noeud, de la figure de celles de la lavande, longues de plus d'un pouce, larges de deux lignes, blanchâtres, âcres, odorantes & aromatiques. L'extrêmité de la tige est terminée par une petite tête longue d'un pouce, épaisse, formée de plusieurs petites feuilles arrondies, pointues, blanchâtres & fort serrées. D'entre ces feuilles sortent sur quatre faces, des fleurs d'une seule piece, en gueule, de couleur de pourpre foncé : la levre supérieure est droite, & divisée en deux : & l'inférieure partagée en trois ; mais cependant elles sont tellement découpées toutes les deux, que cette fleur paroît du premier coup-d'oeil partagée en cinq quartiers. Leur calice est d'une seule piece, ovalaire, court, légerement dentelé, permanent, & porté sur une écaille. Le pistil qui est attaché à la partie postérieure de la fleur, en maniere de clou, est environné de quatre embryons qui se changent en autant de graines arrondies, & renfermées dans le fond du calice : la petite tête est couronnée de quelques petites feuilles d'un pourpre violet.

Cette plante aime les lieux chauds & secs ; aussi croît-elle abondamment en Languedoc, en Provence & sur - tout aux îles d'Hieres appellées par les anciens îles Stoechades. Ses sommités fleuries, ou petites têtes desséchées, sont nommées par Dioscoride, par Galien, & dans les ordonnances des médecins stoechas, stoechas arabica ou flores stoechados.

Ces sommités fleuries, ou ces petites têtes sont oblongues, écailleuses, purpurines, d'un goût un peu âcre, amer, & d'une odeur pénétrante, qui n'est pas desagréable. Ceux qui les cueillent, & qui sont un peu éclairés, conservent leur couleur & leur odeur, en les faisant secher enveloppées dans du papier gris, & on les met ensuite dans une boîte.

On multiplie les stoechas de graines qu'on seme au printems dans une terre seche & legere. Quand elles se sont élevées à la hauteur de trois pouces, on les transplante ailleurs à six pouces de distance ; on les arrose, on les abrite, jusqu'à ce qu'elles ayent pris racine ; on les nettoie de mauvaises herbes ; on les couvre pendant l'hiver, & l'année suivante on les met ailleurs à demeure ; on doit choisir celles qui sont nouvelles, odorantes, & en même tems un peu ameres. On retire l'huile essentielle de ces têtes fleuries de la même maniere que des sommités de la lavande ; elle a les mêmes vertus, mais on en fait peu d'usage en médecine.

On a dans les boutiques une autre plante nommée stoechas citrin, stoechas citrina angustifolia, C. B. P. 264. mais elle n'a ni la figure, ni les vertus du vrai stoechas, c'est une espece d'elychrisum. (D.J.)

STOECHAS ou STOECHAS ARABIQUE, (Mat. méd.) cette plante croît abondamment en Provence & en Languedoc ; c'est des îles d'Hieres & des environs de Montpellier qu'on la tire, principalement pour l'usage de la Médecine.

C'est la plante entiere fleurie & sechée, ou ses épis fleuris & sechés qu'on employe ; elle est de la classe des labiées de Tournefort. Elle est très-aromatique ; on en retire par conséquent par la distillation, une eau distillée bien parfumée & très-analogue en vertus à celles que fournissent la plûpart des autres plantes usuelles de la même classe ; telles que la lavande, la sauge, le thim, &c. on en retire aussi par la distillation une bonne quantité d'huile essentielle qui est peu d'usage en Médecine, & qui a les mêmes vertus que l'huile essentielle de lavande, &c.

Le stoechas est mis au rang des remedes céphaliques & antispasmodiques ; on l'employe quelquefois en infusion dans la paralysie, les tremblemens des membres, le vertige & toutes les maladies appellées nerveuses & spasmodiques ; mais le stoechas est beaucoup moins usité & moins efficace dans tous ces cas, que beaucoup d'autres plantes de sa classe, & notamment que la sauge qui paroît lui devoir être toujours préférée. Voyez SAUGE.

Les autres vertus attribuées à cette plante, comme d'exciter les regles & les urines, & même de purger doucement la pituite & la bile noire, ne sont pas assez réelles, ou ne lui appartiennent point à un degré assez considérable pour l'avoir rendue usuelle à ces titres. Ainsi, quoique cette plante ne soit pas sans vertus, mais seulement parce que l'on ne manque point de remedes absolument analogues & plus efficaces, on n'en fait que rarement usage dans les prescriptions magistrales : elle entre cependant dans plusieurs compositions officinales, parce que dans ces compositions on entasse tout. On trouve dans les pharmacopées un syrop simple, & un syrop composé de stoechas. Le premier n'est point usité, & n'est presque bon à rien, si on le prépare selon la méthode commune, en faisant long-tems bouillir avec le sucre une infusion ou une décoction de cette plante.

Le syrop composé auquel le stoechas donne son nom contient toutes les particules de plusieurs substances végétales très-aromatiques, & doit être regardé comme une préparation bien entendue, & comme un bon remede très - propre à être mêlé dans les juleps, les décoctions, les infusions, les potions fortifiantes, cordiales, stomachiques, céphaliques, diaphorétiques, hystériques & emménagogues. Ce syrop est absolument analogue à un autre syrop composé, très-connu dans les boutiques sous le nom de syrop d'armoise, si même le syrop de stoechas ne vaut mieux que ce dernier. En voici la description d'après la pharmacopée de Paris.

Syrop de stoechas composé. Prenez épis secs de stoechas trois onces ; sommités fleuries & seches de thim, de calament, d'origan, de chacun une once & demie ; de sauge, de bétoine, de romarin, de chacun demi-once ; semences de rue, de pivoine mâle, de fenouil, de chacun trois gros ; canelle, gingembre, roseau aromatique, de chacun deux gros : que toutes ces drogues hachées & pilées macerent pendant deux jours dans un alembic d'étain ou de verre, avec huit livres d'eau tiéde ; alors retirez par la distillation au bain - marie huit onces de liqueur aromatique, dont vous ferez un syrop en y faisant fondre au bain - marie le double de son poids, c'est-à-dire une livre de beau sucre. D'autre part ; prenez le marc de la distillation avec la liqueur résidue ; passez & exprimez fortement ; ajoutez quatre livres de sucre à la colature ; clarifiez & cuisez en consistance de syrop, auquel, lorsqu'il sera à demi refroidi, vous mêlerez le précédent. (b)


STOERLE, ou LE STOR, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, dans la basse-Saxe, au duché de Holstein. Elle se forme de divers petits ruisseaux, aux confins de l'Holsace & de la Stormarie, baigne la ville de Krempe, & va se jetter dans l'Elbe, un peu au-dessous de Gluckstad. (D.J.)


STOICIENSTOÏQUE, (Synonym.) stoïcien signifie ordinairement un homme qui suit la philosophie de Zénon ; & stoïque, un homme ferme qui ne s'émeut de rien, qui est insensible à tout, quoiqu'il ne soit point instruit de la philosophie du portique. Stoïcien va proprement à l'esprit & à la doctrine ; stoïque au caractere & à la conduite. Suivant cette distinction, il faudroit dire, les Stoïciens sont de ce sentiment ; & d'une personne que les fâcheux événemens ne peuvent ébranler, c'est un vrai stoïque, une ame stoïque.

Enfin, stoïcien ne se dit guere que dans le propre, quand il s'agit effectivement de Zénon & de ses disciples ; la philosophie stoïcienne ; la secte stoïcienne. Stoïque se dit au contraire presque toujours au figuré ; voilà une action stoïque ; cependant l'on peut dire, voilà l'action d'un stoïcien ; il a reçu cette triste nouvelle en stoïcien ; il a fini ses jours en stoïcien, en grand homme. (D.J.)


STOICISMEou SECTE STOÏCIENNE, ou ZENONISME, (Hist. de la Philosophie) le stoïcisme sortit de l'école cynique : Zénon qui avoit étudié la Morale sous Cratès, en fut le fondateur. Aussi disoit-on que d'un stoïcien à un cynique, il n'y avoit que l'habit de différence. Cependant Zénon rendit sa philosophie plus étendue & plus intéressante que celle de Diogène ; il ne s'en tint pas à traiter des devoirs de la vie ; il composa un systême de philosophie universelle d'après les maîtres qu'il avoit entendus, & il donna aux exercices de l'école une face nouvelle.

Zénon naquit à Citium, ville maritime de l'île de Chypre ; Citium avoit été bâti par une colonie phénicienne ; ce qui lui attira quelquefois le reproche qu'il n'étoit qu'un étranger ignoble. Mnésius son pere faisoit le commerce ; l'éducation de son fils n'en fut pas plus négligée ; les affaires du bon - homme l'appelloient souvent à Athènes, & il n'en revenoit point sans rapporter au jeune Zénon quelques livres de Socrate. A l'âge de trente à trente deux ans, il vint lui - même dans la ville fameuse pour y vendre de la pourpre, & pour entendre les hommes dont il avoit lu les ouvrages. Tout en débarquant, il demanda où ils demeuroient ; on lui montra Cratès qui passoit, & on lui conseilla de le suivre. Zénon suivit Cratès, & devint son disciple. Il ne pouvoit assez admirer l'élévation que son maître montroit dans sa conduite & dans ses discours ; mais il ne se faisoit point au mépris de la décence qu'on affectoit dans son école ; il se livra tout entier à la méditation, & bien-tôt il parut de lui un ouvrage intitulé de la République, qu'il avoit écrit, disoit-on, assez plaisamment, sous la queue du chien. Les Cyniques ne s'occupoient que de la Morale ; ils ne faisoient aucun cas des autres sciences. Zénon ne les approuvoit pas en ce point ; entraîné par le desir d'étendre ses connoissances, il quitta Cratès, qui ne digéra pas sans peine cette désertion. Il fréquenta les autres écoles ; il écouta Stilpon pendant dix ans ; il cultiva Zénocrate ; il vit Diodore Cronus ; il interrogea Polémon : enrichi des dépouilles de ces hommes, il ouvrit boutique ; il s'établit sous le portique ; cet endroit étoit particulierement décoré des tableaux de Polygnote & des plus grands maîtres, on l'appelloit le stoa, d'où la secte de Zénon prit le nom de stoïcienne ; il ne manqua pas d'auditeurs, sa morale étoit sévere ; mais il savoit tempérer par le charme de l'éloquence l'austérité de ses leçons ; ce fut ainsi qu'il arrêta une jeunesse libertine que ses préceptes nuds & secs auroient effarouchée ; on l'admira ; on s'attacha à lui ; on le chérit ; sa réputation s'étendit, & il obtint la bienveillance même des rois. Antigonus Gonatès de Macédoine, qui n'avoit pas dédaigné de le visiter sous le portique, l'appella dans ses états ; Zénon n'y alla point, mais lui envoya Persée son disciple ; il n'obtint pas seulement des Athéniens le nom de grand philosophe, mais encore celui d'excellent citoyen ; ils déposerent chez lui les clés des châteaux de leur ville, & l'honorerent de son vivant d'une statue d'airain ; il étoit d'une foible santé, mais il étoit sobre ; il vivoit communément de pain, d'eau, de figues, & de miel ; sa physionomie étoit dure, mais son accueil prévenant ; il avoit conservé l'ironie de Diogène, mais tempérée. Sa vie fut un peu troublée par l'envie ; elle souleva contre lui Arcésilaüs & Carnéadès, fondateurs de l'académie moyenne & nouvelle ; Epicure même n'en fut pas tout-à-fait exempt ; il souffrit avec quelque peine qu'on donnât particulierement aux stoïciens le nom de sages. Cet homme qui avoit reçu dans ses jardins les graces & la volupté, dont le principe favori étoit de tromper par les plaisirs les peines de la vie, & qui s'étoit fait une maniere de philosopher douce & molle, traitoit le stoïcisme d'hypocrisie. Zénon de son côté ne ménagea pas la doctrine de son adversaire, & le peignit comme un précepteur de corruption ; s'il est vrai que Zénon prétendit qu'il étoit aussi honnête, naturam matris fricare, quam dolentem aliam corporis partem fricando juvare ; & que dans un besoin pressant, un jeune garçon étoit aussi commode qu'une jeune fille ; Epicure avoit beau jeu pour lui répondre. Mais il n'est pas à croire qu'un philosophe dont la continence avoit passé en proverbe, enseignât des sentimens aussi monstrueux. Il est plus vraisemblable que la haine tiroit ces conséquences odieuses d'un principe reçu dans l'école de Zénon, & très-vrai, c'est qu'il n'y a rien de honteux dans les choses naturelles. Le livre de la république ne fut pas le seul qu'il publia ; il écrivit un commentaire sur Hésiode, où il renversa toutes les notions reçues de théologie, & où Jupiter, Junon, Vesta, & le reste des dieux, étoient réduits à des mots vuides de sens. Zénon jouit d'une longue vie ; âgé de quatre-vingt dix-huit ans, il n'avoit plus qu'un moment à attendre pour mourir naturellement ; il n'en eut pas la patience ; s'étant laissé tomber au sortir du portique, il crut que la nature l'appelloit : me voilà, lui dit-il, en touchant la terre du doigt qu'il s'étoit cassé dans sa chûte, je suis prêt ; & de retour dans sa maison, il se laissa mourir de faim. Antigone le regretta, & les Athéniens lui éleverent un tombeau dans la Céramique.

Sa doctrine étoit un choix de ce qu'il a puisé dans les écoles des académiciens, des Erétriaques ou Eristiques, & des cyniques. Fondateur de secte, il falloit ou inventer des choses, ou déguiser les anciennes sous de nouveaux noms ; le plus facile étoit le premier. Zénon disoit de la dialectique de Diodore, que cet homme avoit imaginé des balances très - justes, mais qu'il ne pesoit jamais que de la paille. Les stoïciens disoient qu'il falloit s'opposer à la nature ; les cyniques, qu'il falloit se mettre au-dessus, & vivre selon la vertu, & non selon la loi ; mais il est inutile de s'étendre ici davantage sur le parallele du stoïcisme, avec les systêmes qui l'ont précédé ; il résultera de l'extrait des principes de cette philosophie, & nous ne tarderons pas à les exposer.

On reproche aux stoïciens le sophisme. Est - ce pour cela, leur dit Séneque, que nous nous sommes coupé la barbe ? on leur reproche d'avoir porté dans la société les ronces de l'école ; on prétend qu'ils ont méconnu les forces de la nature, que leur morale est impraticable, & qu'ils ont inspiré l'enthousiasme au-lieu de la sagesse. Cela se peut ; mais quel enthousiasme que celui qui nous immole à la vertu, & qui peut contenir notre ame dans une assiette si tranquille & si ferme, que les douleurs les plus aiguës ne nous arracheront pas un soupir, une larme ! Que la nature entiere conspire contre un stoïcien, que lui fera-t-elle ? qu'est-ce qui abattra, qu'est-ce qui corrompra celui pour qui le bien est tout, & la vie n'est rien ? Les philosophes ordinaires sont de chair comme les autres hommes ; le stoïcien est un homme de fer, on peut le briser, mais non le faire plaindre. Que pourront les tyrans sur celui sur qui Jupiter ne peut rien ? il n'y a que la raison qui lui commande ; l'expérience, la réflexion, l'étude, suffisent pour former un sage ; un stoïcien est un ouvrage singulier de la nature ; il y a donc eu peu de vrais stoïciens, & il n'y a donc eu dans aucune école autant d'hypocrites que dans celle-ci ; le stoïcisme est une affaire de tempérament, & Zénon imagina, comme ont fait la plûpart des législateurs, pour tous les hommes, une regle qui ne convenoit guere qu'à lui ; elle est trop forte pour les foibles, la morale chrétienne est un zénonisme mitigé, & conséquemment d'un usage plus général ; cependant le nombre de ceux qui s'y conforment à la rigueur n'est pas grand.

Principes généraux de la philosophie stoïcienne. La sagesse est la science des choses humaines & des choses divines ; & la philosophie, ou l'étude de la sagesse, est la pratique de l'art qui nous y conduit.

Cet art est un, c'est l'art par excellence ; celui d'être vertueux.

Il y a trois sortes de vertus ; la naturelle, la morale, & la discursive ; leurs objets sont le monde, la vie de l'homme, & la raison.

Il y a aussi trois sortes de philosophies ; la naturelle, la morale, & la rationelle, où l'on observe la nature, où l'on s'occupe des moeurs, où l'on perfectionne son entendement. Ces exercices influent nécessairement les uns sur les autres.

Logique des stoïciens. La logique a deux branches, la rhétorique & la dialectique.

La rhétorique est l'art de bien dire des choses qui demandent un discours orné & étendu.

La dialectique est l'art de discuter les choses, où la briéveté des demandes & des réponses suffit.

Zénon comparoit la dialectique & l'art oratoire, à la main ouverte & au poing fermé.

La rhétorique est ou délibérative, ou judiciaire, ou démonstrative ; ses parties sont l'invention, l'élocution, la disposition, & la prononciation ; celles du discours, l'exorde, la narration, la réfutation, & l'épilogue.

Les académiciens récens excluoient la rhétorique de la philosophie.

La dialectique est l'art de s'en tenir à la perception des choses connues, de maniere à n'en pouvoir être écarté ; ses qualités sont la circonspection & la fermeté.

Son objet s'étend aux choses & aux mots qui les désignent ; elle traite des conceptions & des sensations ; les conceptions & les sensations sont la base de l'expression.

Les sens ont un bien commun ; c'est l'imagination.

L'ame consent aux choses conçues, d'après le témoignage des sens : ce que l'on conçoit se conçoit par soi - même ; la compréhension suit l'approbation de la chose conçue, & la science, l'imperturbabilité de l'approbation.

La qualité par laquelle nous discernons les choses les unes des autres, s'appelle jugement.

Il y a deux manieres de discerner le bon & le mauvais, le vrai & le faux.

Nous jugeons que la chose est ou n'est pas, par sensation, par expérience, ou par raisonnement.

La logique suppose l'homme qui juge, & une régle de jugement.

Cette regle suppose ou la sensation, ou l'imagination.

L'imagination est la faculté de se rappeller les images des choses qui sont.

La sensation naît de l'action des objets extérieurs, & elle suppose une communication de l'ame aux organes.

Ce qu'on a vu, ce qu'on a conçu reste dans l'ame, comme l'impression dans la vue, avec ses couleurs, ses figures, & ses éminences, & ses creux.

La compréhension formée d'après le rapport des sens, est vraie & fidele ; la nature n'a point donné d'autre fondement à la science ; il n'y a point de clarté, d'évidence plus grande.

Toute appréhension vient originairement des sens ; car il n'y a rien dans l'entendement qui n'ait été auparavant dans la sensation.

Entre les choses comprises, il y en a de plus ou de moins sensibles ; les incorporelles sont les moins sensibles.

Il y en a de rationelles & d'irrationelles, de naturelles & d'artificielles, telles que les mots.

De probables & d'improbables, de vraies & de fausses, de compréhensibles & d'incompréhensibles ; il faut pour les premieres qu'elles naissent d'une chose qui soit, qu'elles y soient conformes, & qu'elles n'impliquent aucune contradiction.

Il faut distinguer l'imagination du fantôme, & le fantôme du fantastique qui n'a point de modele dans la nature.

Le vrai est ce qui est, & ce qui ne peut venir d'ailleurs que d'où il est venu.

La compréhension, ou la connoissance ferme, ou la science, c'est la même chose.

Ce que l'esprit comprend, il le comprend ou par assimilation, ou par composition, ou par analogie.

L'homme reçoit la sensation, & il juge ; l'homme sage refléchit avant que de juger.

Il n'y a point de notions innées ; l'homme vient au monde comme une table rase sur laquelle les objets de la nature se gravent avec le tems.

Il y a des notions naturelles qui se forment en nous sans art ; il y en a qui s'acquierent par industrie & par étude ; je laisse aux premieres le nom de notions, j'appelle celles-ci anticipations.

Le senti est dans l'animal, il devient le conçu dans l'homme.

Les notions communes le sont à tous, il est impossible qu'une notion soit opposée à une notion.

Il y a la science, & l'opinion, & l'ignorance ; si l'on n'a pas éprouvé la sensation, on est ignorant ; s'il reste de l'incertitude après cette épreuve, on est incertain ; si l'on est imperturbable, on sait.

Il y a trois choses liées, le mot, la chose, l'image de la chose.

La définition est un discours qui analyse, devient la réponse exacte à la question, qu'est-ce que la chose ? elle ne doit rien renfermer qui ne lui convienne ; elle doit indiquer le caractere propre qui la distingue.

Il y a deux sortes de définitions ; les unes des choses qui sont, les autres des choses que nous concevons.

Il y a des définitions partielles, il y en a de totales.

La distribution d'un genre dans ses especes les plus prochaines, s'appelle division.

Un genre s'étend à plusieurs especes ; un genre suprême n'en a point au-dessus de lui ; une espece infinie n'en a point au-dessous d'elle.

La connoissance complete se forme de la chose du mot.

Il y a quatre genres ; la substance, la qualité, l'absolu, le rapport.

Les énonciations qui comprennent sous un point commun des choses diverses, s'appellent catégories ; il y a des catégories dans l'entendement, ainsi que dans l'expression.

L'énonciation est ou parfaite, ou imparfaite & défectueuse ; parfaite, si elle comprend tout ce qui est de la chose.

Une énonciation est ou affirmative ou négative, ou vraie ou fausse.

Une énonciation affirmative ou négative, parfaite, est un axiome.

Il y a quatre catégories ; la directe, l'oblique, la neutre, & l'active ou passive.

Un axiome est ou simple ou composé ; simple, si la proposition qui l'énonce est simple ; composée, si la proposition qui l'énonce est composée.

Il y a des axiomes probables ; il y en a de rationnels, il y en a de paradoxals.

Le lemme, le proslemme & l'épiphore, sont les trois parties de l'argument.

L'argument est concluant ou non ; syllogistique ou non.

Les syllogismes sont ou liés, ou conjoints, ou disjoints.

Il y a des modes, selon lesquels les syllogismes concluans sont disposés.

Ces modes sont simples ou composés.

Les argumens syllogistiques qui ne concluent pas, ont aussi leurs modes. Dans ces argumens, la conclusion ne suit pas du lien des prémisses.

Il y a des sophismes de différens genres ; tels, par exemple que le sorite, le menteur, l'inexplicable, le paresseux, le dominant, le voile, l'électre, le cornu, le crocodile, le réciproque, le déficient, le moissonneur, le chauve, l'occulte, &c.

Il y a deux méthodes, la vulgaire & la philosophique.

On voit en effet, que toute cette logique n'a rien de bien merveilleux. Nous l'avons dépouillée des termes barbares dont Zénon l'avoit revêtue. Nous aurions laissé à Zénon ses mots, que les choses n'en auroient pas été plus nouvelles.

Physiologie des stoïciens. Le cahos étoit avant tout. Le cahos est un état confus & ténébreux des choses, c'est sous cet état que se présenta d'abord la matiere, qui étoit la somme de toutes les choses revêtues de leurs qualités, le reservoir des germes & des causes, l'essence, la Nature, s'il est permis de s'exprimer ainsi, grosse de son principe.

Ce que nous appellons le monde & la nature ; c'est ce cahos débrouillé, & les choses ténébreuses & confuses prenant l'ordre & formant l'aspect que nous leur voyons.

Le monde ou la nature est ce tout, dont les êtres sont les parties. Ce tout est un ; les êtres sont ses membres ou parties.

Il faut y distinguer des principes différens des élémens.

De ces principes, l'un est efficient ; l'autre est passif. L'efficient est la raison des choses qui est dans la matiere, ou Dieu. Le passif est la matiere même.

Ils sont l'un & l'autre d'une nature corporelle. Tout ce qui agit ou souffre, est corporel. Tout ce qui est, est donc corps.

La cause efficiente ou Dieu, est un air très - pur & très-limpide, un feu artificiel, placé à la circonférence des cieux la plus éloignée, séjour de tout ce qui est divin.

Le principe passif ou la matiere, est la nature considérée sans qualité, mérite, chose prête à tout, n'étant rien, & cessant d'être ce qu'elle devient, se reposant, si rien ne la meut.

Le principe actif est opposé au principe passif. Ce feu artificiel est propre à former de la matiere, avec une adresse suprême & selon les raisons qu'il a en lui-même, les semences des choses. Voilà sa fécondité. Sa subtilité permet qu'on l'appelle incorporel, immatériel.

Quoiqu'il soit corps, en conséquence de son opposition avec la matiere, on peut dire qu'il est esprit.

Il est la cause rationnelle, incorruptible, sempiternelle, premiere, originelle, d'où chaque substance a les qualités qui lui sont propres.

Cette cause est bonne. Elle est parfaite. Il n'y a point de qualités louables qu'elle n'ait.

Elle est prévoyante ; elle régit le tout & ses parties ; elle fait que le tout persévere dans sa nature.

On lui donne différens noms. C'est le monde dont elle est en effet la portion principale, la nature, le destin, jupiter, Dieu.

Elle n'est point hors du monde ; elle y est comprise avec la matiere ; elle constitue tout ce qui est, ce que nous voyons & ce que nous ne voyons pas ; elle habite dans la matiere & dans tous les êtres ; elle la pénétre & l'agite, selon que l'exige la raison universelle des choses ; c'est l'ame du monde.

Puisqu'elle pénétre toutes les portions de la matiere, elle y est intimement présente, elle connoît tout, elle y opere tout.

C'est en agitant la matiere & en lui imprimant les qualités qui étoient en elle, qu'elle a formé le monde. C'est l'origine des choses. Les choses sont d'elle. C'est par sa présence à chacun qu'elle les conserve ; c'est en ce sens que nous disons qu'elle est Dieu, & que Dieu est le pere des choses, leur ordinateur & leur conservateur.

Dieu n'a point produit le monde par une détermination libre de sa volonté ; il en étoit une partie ; il y étoit compris. Mais il a rompu l'écorce de la matiere qui l'enveloppoit ; il s'est agité & il a opéré par une force intrinséque, selon que la nécessité de sa nature & de la matiere le permettoit.

Il y a donc dans l'univers une loi immuable & éternelle, un ordre combiné de causes & d'effets, enchaînés d'un lien si nécessaire, que tout ce qui a été, est & sera, n'a pû être autrement ; & c'est-là le destin.

Tout est soumis au destin, & il n'y a rien dans l'univers qui n'en subisse la loi, sans en exempter Dieu ; puisque Dieu suit cet ordre inexplicable & sacré des choses ; cette chaîne qui lie nécessairement.

Dieu, ou la grande cause rationnelle n'a pourtant rien qui la contraigne : car hors d'elle & du tout, il n'y a que le vuide infini ; c'est la nature seule qui la nécessite ; elle agit conformément à cette nature, & tout suit conformément à son action ; il ne faut pas avoir d'autre idée de la liberté de Dieu, ni de celle de l'homme ; Dieu n'en est ni moins libre, ni moins puissant ; il est lui-même ce qui le nécessite.

Ce sont les parties ou les écoulemens de cet esprit universel du monde, distribués par-tout, & animant tout ce qu'il y a d'animé dans la nature, qui donnent naissance aux démons dont tout est rempli.

Chaque homme a son Génie & sa Junon qui dirige ses actions, qui inspire ses discours, & qui mérite le plus grand respect ; chaque particule du monde a son démon qui lui est présent & qui l'assiste ; c'est là ce qu'on a désigné sous les noms de Jupiter, de Junon, de Vulcain, de Cérès. Ce ne sont que certaines portions de l'ame universelle, résidentes dans l'air, dans l'eau, dans la terre, dans le feu, &c.

Puisque les dieux ne sont que des écoulemens de l'ame universelle, distribuées à chaque particule de la nature, il s'ensuit que dans la déflagration générale qui finira le monde, les dieux retourneront à un Jupiter confus, & à leurs anciens élemens.

Quoique Dieu soit présent à tout, agite tout, veille à tout, en est l'ame, & dirige les choses selon la condition de chacune, & la nature qui lui est propre ; quoiqu'il soit bon, & qu'il veuille le bien, il ne peut faire que tout ce qui est bien arrive, ni que tout ce qui arrive soit bien ; ce n'est pas l'art qui s'y oppose, mais c'est la matiere qui est indocile à l'art. Dieu ne peut être que ce qu'il est, & il ne peut changer la matiere.

Quoiqu'il y ait un lien principal & universel des choses, qui les enchaîne, nos ames ne sont cependant sujettes au destin, qu'autant & que selon qu'il convient à leur nature ; toute force extérieure a beau conspirer contr'elles, si leur bonté est originelle & premiere, elle perséverera ; s'il en est autrement, si elles sont nées ignorantes, grossieres, féroces ; s'il ne survient rien qui les améliore, les instruise, & les fortifie ; par cette seule condition, sans aucune influence du destin, d'un mouvement volontaire & propre, elles se porteront au vice & à l'erreur.

Il n'est pas difficile de conclure de ces principes, que les stoïciens étoient matérialistes, fatalistes, & à proprement parler athées.

Nous venons d'exposer leur doctrine sur le principe efficient ; voici maintenant ce qu'ils pensoient de la cause passive.

La matiere premiere ou la nature est la premiere des choses, l'essence & la base de leurs qualités.

La matiere générale & premiere est éternelle ; tout ce qu'il en a été est, elle n'augmente ni ne diminue, tout est elle ; on l'appelle essence, considérée dans l'universalité des êtres ; matiere, considérée dans chacun.

La matiere dans chaque être, est susceptible d'accroissement & de diminution ; elle n'y reste pas la même, elle se mêle, elle se sépare, ses parties s'échappent dans la séparation, s'unissent dans le mêlange ; après la déflagration générale, la matiere se trouvera une, & la même dans Jupiter.

Elle n'est pas stable, elle varie sans-cesse, tout est emporté comme un torrent, tout passe, rien de ce que nous voyons ne reste le même ; mais rien ne change l'essence de la matiere, il n'en périt rien, ni de ce qui s'évanouit à nos yeux ; tout retourne à la source premiere des choses, pour en émaner derechef ; les choses cessent ; mais ne s'anéantissent pas.

La matiere n'est pas infinie ; le monde a ses limites.

Il n'y a rien à quoi elle ne puisse être réduite, rien qu'elle ne puisse souffrir, qui n'en puisse être fait ; ce qui seroit impossible si elle étoit immuable ; elle est divisible à l'infini ; or ce qui est divisible ne peut être infini ; elle est contenue.

C'est par la matiere, par les choses qui sont de la matiere, & par la raison générale qui est présente à tout, qui en est le germe, qui le pénetre, que le monde est, que l'univers est, que Dieu est ; on entend quelquefois le ciel par ce mot, Dieu.

Le monde existe séparé du vuide qui l'environne, comme un oeuf, la terre est au centre ; il y a cette différence entre le monde & l'univers, que l'univers est infini ; il comprend les choses qui sont, & le vuide qui les comprend ; le monde est fini, le monde est compris dans le vuide qui n'entre pas dans l'acception de ce mot.

Au commencement il n'y avoit que Dieu & la matiere ; Dieu, essence des choses, nature ignée, être prolifique, dont une portion combinée avec la matiere, a produit l'air, puis l'eau ; il est au monde comme le germe à la plante ; il a déposé le germe du monde dans l'eau, pour en faciliter le développement ; une partie de lui-même a condensé la terre, une autre s'est exhalée ; de-là le feu.

Le monde est un grand animal, qui a sens, esprit, & raison ; il y a, ainsi que dans l'homme, corps & ame dans ce grand animal ; l'ame y est présente à toutes les parties du corps.

Il y a dans le monde, outre de la matiere nue de toute qualité, quatre élémens, le feu, l'air, l'eau, & la terre ; le feu est chaud, l'air froid, la terre seche, & l'eau moite ; le feu tend en haut, c'est son séjour ; cet élément, ou sa portion connue sous le nom d'aether, a été le rudiment des astres & de leurs spheres ; l'air est au-dessous du feu ; l'eau coule sous l'air & sur la terre ; la terre est la base du tout, elle est au centre.

Entre les élémens deux sont légers, le feu & l'air ; deux pesans, l'eau & la terre ; ils tendent au centre qui n'est ni pesant ni léger.

Il y a une conversion réciproque des élémens entr'eux ; tout ce qui cesse de l'un, passe dans un autre ; l'air dégénere en feu, le feu en air ; l'air en eau, l'eau en air ; la terre en eau, l'eau en terre ; mais aucun élément n'est sans aucun des autres : tous sont en chacun.

Le feu est le premier des élémens, il a son séjour vers le ciel, & le ciel est, comme nous l'avons dit, la limite derniere du monde, où ce qui est divin a sa place.

Il y a deux feux ; l'artificiel qui sert à nos usages, le naturel qui sert aux opérations de la nature ; il augmente & conserve les choses, les plantes, les animaux ; c'est la chaleur universelle sans laquelle tout périt.

Ce feu très-haut, répandu en tout, enveloppe derniere du monde, est l'aether, est aussi le Dieu tout-puissant.

Le soleil est un feu très-pur, il est plus grand que la terre, c'est un orbe rond comme le monde ; c'est un feu, car il en a tous les effets ; il est plus grand que la terre, puisqu'il l'éclaire & le ciel en même tems.

Le soleil est donc à juste titre, le premier des dieux.

C'est une portion très-pure de l'aether, de Dieu ou du feu, qui a constitué les astres ; ils sont ardens, ils sont brillans, ils sont animés, ils sentent, ils conçoivent, ils ne sont composés que de feu, ils n'ont rien d'étranger au feu ; mais il n'y a point de feu qui n'ait besoin d'aliment ; ce sont les vapeurs des eaux, de la mer, & de la terre, qui nourrissent le feu des astres.

Puisque les astres sont des portions du feu naturel & divin, qu'ils sentent & qu'ils conçoivent, pourquoi n'annonceroient-ils pas l'avenir ? ce ne sont pas des êtres où l'on puisse lire les choses particulieres & individuelles, mais bien la suite générale des destinées ; elle y est écrite en caracteres très-évidens.

On appelle du nom d'astres le soleil & la lune ; il y a cette différence entre un astre & une étoile, que l'étoile est un astre, mais que l'astre n'est pas une étoile.

Voici l'ordre des astres errans ; saturne, jupiter, mars, mercure, vénus, le soleil, la lune ; la principale entre les cinq premieres, c'est vénus, l'astre le plus voisin du soleil.

La lune occupe le lieu le plus bas de l'aether, c'est un astre intelligent, sage, d'une nature ignée ; mais non sans quelque mêlange de terrestre.

La sphere de l'air est & commence au-dessous de la lune, elle est moyenne entre le ciel & les eaux, sa figure est ronde, c'est Junon.

La région de l'air se divise en haute, moyenne, & basse ; la région haute est très-seche & très-chaude ; la proximité des feux célestes la rend très-rare & très-tenue ; sa région basse, voisine de la terre, est dense & ténébreuse ; c'est le réceptacle des exhalaisons ; la région moyenne plus temperée que celle qui la domine, & que celle qu'elle presse, est seche à sa partie supérieure, humide à sa partie inférieure.

Le vent est un courant d'air.

La pluie, un changement de nue en eau ; ce changement a lieu toutes les fois que la chaleur ne peut diviser les vapeurs que le soleil a élevées de la terre & des mers.

La terre, la portion du monde la plus dense, sert de base au tout, comme les os dans les animaux ; elle est couverte d'eaux qui se tiennent de niveau à sa surface ; elle est au centre ; elle est une, ronde, finie, ainsi que l'exige la nature de tout centre ; l'eau a la même figure qu'elle, parce que son centre est le même que celui de la terre.

La mer parcourt l'intérieur de la terre, par des routes secrettes ; elle sort de ses bassins, elle disparoît, elle se condense, elle se filtre, elle se purifie, elle perd son amertume, & offre, après avoir fait beaucoup de chemin, une eau pure aux animaux & aux hommes.

La terre est immobile.

Il n'y a qu'un seul monde.

Il est éternel, c'est Dieu & la nature ; ce tout n'a point commencé, & ne finira point ; son aspect passera.

Comme l'année a un hyver & un été, le monde aura une inondation & une déflagration ; l'inondation couvrira toute la surface de la terre, & tout périra.

Après cette premiere révolution par l'eau, le monde sera embrasé par le feu, répandu dans toutes ses parties, il consumera l'humidité, & s'assimilera les êtres ; ils prendront peu-à-peu sa nature, alors tout se résoudra en Jupiter, & le premier cahos renaîtra.

Ce cahos se débrouillera comme le premier, l'univers se reformera comme il est, & l'espece humaine sera reproduite.

Le tems est à la derniere place entre les êtres.

Anthropologie des Stoïciens. L'homme est une image du monde, le monde est en lui, il a une ame & un corps comme le grand tout.

Les principes de l'espece humaine étoient dans l'univers naissant ; les premiers hommes sont nés par l'entremise du feu divin, ou par la providence de Dieu.

Dans l'acte de la génération, le germe de l'homme s'unit à la portion humide de l'ame.

La liqueur spermatique ne produit que le corps, elle contient en petit tous les corps humains qui se succéderont.

L'ame ne se forme point dans la matrice, elle vient du dehors, elle s'unit au corps avant qu'il ait vie.

Si vous remontez à la premiere origine de l'ame, vous la ferez descendre du feu primitif dont elle est une étincelle ; elle n'a rien de pesant ni de terrestre ; elle est de la même nature que la substance qui forme les astres, & qui les fait briller.

L'ame de l'homme est une particule de Dieu, une petite portion de l'ame universelle qui en a été, pour ainsi dire, détachée : car l'ame du monde est la source féconde de toutes les ames.

Il est difficile d'expliquer la nature ; elle est ignée, ardente, intelligente, & raisonnable.

Il y a des ames mortelles, & il y en a d'immortelles.

Après la déflagration générale, & le renouvellement des choses, les ames retourneront dans les corps qu'elles ont animés avant cet événement.

L'ame est un corps, car elle est, & elle agit ; mais ce corps est d'une ténuité & d'une subtilité extrêmes.

On y distingue huit facultés ; les cinq sens, la faculté d'engendrer, celle de parler une partie principale.

Après la mort, elle remonte aux cieux ; elle habite les astres, elle converse avec les dieux, elle contemple, & cet état durera jusqu'à ce que le monde consumé, elle & tous les dieux se confondent, & ne forment qu'un seul être, Jupiter.

L'ame du sage, après la dissolution du corps, s'occupe du cours du soleil, de la lune, & des autres astres, & vérifie les connoissances qu'elle a acquises sur la terre.

Principes de la philosophie morale des Stoïciens. Dans la vie, c'est sur-tout la fin qu'il faut regarder ; la fin est l'être par qui tout se fait, pour qui tout est, à qui tout se rapporte.

La fin peut se considérer sous trois aspects, l'objet, les moyens, & le terme.

La fin de l'homme doit être de conformer sa conduite aux loix de la nature.

La nature n'est autre chose que la raison universelle qui ordonne tout ; conformer sa conduite à celle de la nature, c'est se voir comme une partie du grand tout, & conspirer à son harmonie.

Dieu est la portion principale de la nature ; l'ame de l'homme est une particule de Dieu ; la loi de la nature, ou de Dieu, c'est la regle générale par qui tout est coordonné, mu, & vivifié ; vivre conformément à la nature, imiter la divinité, suivre l'ordre général, c'est la même chose sous des expressions différentes.

La nature est tout ce qu'il y a de bon & beau.

La vertu a ces deux qualités comme la nature.

Le bonheur en est une suite.

Bien vivre, aimer le beau, pratiquer le bien, & être heureux, c'est une même chose.

La vertu a son germe dans l'ame humaine, c'est une conséquence de son origine ; particule émanée de la divinité, elle tend d'elle-même à l'imitation du principe de son émanation ; ce principe la meut, la pousse & l'inspire.

Cette particule détachée de la grande ame, & spécifiée par son union à tel ou tel corps, est le démon de cet homme, ce démon le porte au beau, au bon, & à la félicité.

La souveraine félicité consiste à l'écouter : alors on choisit ce qui convient à la nature générale ou à Dieu, & l'on rejette ce qui contredit son harmonie & sa loi.

Chaque homme ayant son démon, il porte en lui le principe de son bonheur, Dieu lui est présent. C'est un pontife sacré qui préside à son autel.

Dieu lui est présent ; c'est Dieu-même attaché à un corps de figure humaine.

La nature du bonheur de l'homme est la même que la nature du bonheur de Dieu. C'est la vertu.

La vertu est le grand instrument de la félicité.

Le bonheur souverain n'est pas dans les choses du corps, mais dans celles de l'ame.

Il n'y a de bien que ce qui est honnête. L'honnête n'est relatif qu'à l'ame. Rien de ce qui est hors de l'homme ne peut donc ajouter solidement à son bonheur.

Le corps, les jouissances, la gloire, les dignités sont des choses hors de nous & de notre puissance ; elles ne peuvent donc que nuire à notre bonheur, si nous nous y attachons.

Le dernier degré de la sagesse consiste à bien distinguer le bon du mauvais.

Entre les choses, il y en a qui sont bonnes ; il y en a qui sont mauvaises, & d'autres qu'on peut regarder comme indifférentes.

Une chose est bonne relativement à la nature d'un être : une créature raisonnable ne peut être heureuse que par les objets analogues à la raison.

Ce qui est utile & honnête est bon. La bonté ne se conçoit point séparée de l'utilité & de l'honnêteté.

L'utile consiste à se conformer à la fin du tout dont on est partie ; à suivre la loi du principe qui commande.

La vertu est le vrai bien ; la chose vraiment utile. C'est-là que la nature parfaite nous invite.

Ce n'est point par des comparaisons de la vertu avec d'autres objets, par des discours, par des jugemens que nous découvrons que la vertu est le bien. Nous le sentons. C'est un effet énergique de sa propre nature qui se développe en nous, malgré nous.

La sérénité, le plaisir & la joie sont les accessoires du bien.

Tout ce qui est opposé au bien est mal. Le mal est un écart de la raison générale du tout.

Les accessoires du mal sont les chagrins, la douleur, le trouble.

La vertu & ses accessoires constituent la félicité.

Il y a des biens présens ; il y en a de futurs. Des biens constans, des biens intermittens, de durables & de passagers ; des biens d'objets, de moyens, de fin, d'utilité, d'intérieurs, d'extérieurs, d'absolus, de relatifs, &c.

Le beau c'est la perfection du bien.

Tous les biens sont égaux. Il faut les desirer tous. Il n'en faut négliger aucun.

Il y a entre le bien ou l'honnête ; entre le mal ou le honteux, des choses intermédiaires qui ne peuvent ni contribuer au bonheur, ni y nuire. On peut ou les négliger, ou les rechercher sans conséquence.

Le sage est sévere ; il fuit les distractions ; il a l'esprit sain ; il ne souffre pas ; c'est un homme dieu ; c'est le seul vrai pontife ; il est prophete ; il n'opine point ; c'est le Cynique par excellence ; il est libre ; il est roi ; il peut gouverner un peuple ; il n'erre pas, il est innocent ; il n'a pitié de rien ; il n'est pas indulgent, il n'est point fait pour habiter un desert ; c'est un véritable ami ; il fait bien tout ce qu'il fait ; il n'est point ennemi de la volupté ; la vie lui est indifférente ; il est grand en tout ; c'est un économe intelligent ; il a la noblesse réelle ; personne n'entend mieux la médecine ; on ne le trompe jamais ; il ne trompe point ; c'est lui qui sait jouir de sa femme, de ses enfans, de la vie ; il ne calomnie pas ; on ne sauroit l'exiler, &c.

Les Stoïciens à ces caracteres en ajoutoient une infinité d'autres qui sembloient en être les contradictoires. Après les avoir regardés comme les meilleurs des hommes, on les eût pris pour les plus méchans. C'étoit une suite de leur apathie, de leur imitation stricte de la divinité, & des acceptions particulieres des mots qu'ils employoient. La définition du stoïcien étoit toute semblable à celle que Vanini donnoit de Dieu.

L'ame, semblable à un globe parfaitement rond, est uniforme ; elle n'est capable ni de compression, ni d'expansion.

Elle est libre ; elle fait ce qu'elle veut ; elle a sa propre énergie. Rien d'extérieur ne la touche, ni ne peut la contraindre.

Si on la considere relativement au tout, elle est sujette au destin ; elle ne peut agir autrement qu'elle agit ; elle suit le lien universel & sacré qui unit l'univers & ses parties.

Dieu est soumis au destin, pourquoi l'ame humaine, qui n'en est qu'une particule, en seroit-elle affranchie ?

Aussi-tôt que l'image du bien l'a frappée, elle le desire.

Le principe qui se développe le premier dans un être animé, est celui de sa propre conservation.

S'il atteint ce qui est conforme à la nature, son bonheur commence.

Les desirs suivent la connoissance ou l'opinion des choses.

C'est de la connoissance de l'ordre universel, que dépend celle du vrai bien.

Si l'on présente à l'homme un bien convenable à sa nature, & qu'il s'y porte avec modération, il est sage & non passionné ; s'il en jouit paisiblement, il est serein & content ; s'il ne craint point de le perdre, il est tranquille, &c.

S'il se trompe sur la nature de l'objet ; s'il le poursuit avec trop d'ardeur ; s'il en craint la privation ; s'il en jouit avec transport ; s'il se trompe sur sa valeur ; s'il en est séduit ; s'il s'y attache, s'il aime la vie, il est pervers.

Les desirs fondés sur l'opinion, sont des sources de trouble. L'intempérance est une des sources les plus fécondes du trouble.

Le vice s'introduit par l'ignorance des choses qui font la vertu.

Il y a des vertus de théorie. Il y en a de pratique. Il y en a de premieres. Il y en a de secondaires.

La prudence qui nous instruit de nos devoirs ; la tempérance qui regle nos appétits ; le courage qui nous apprend à supporter ; la justice qui nous apprend à distribuer, sont des vertus du premier ordre.

Il y a entre les vertus un lien qui les enchaîne ; celui à qui il en manque une, n'en a point. Celui qui en possede bien une, les a toutes.

La vertu ne se montre pas seulement dans les discours ; mais on la voit aussi dans les actions.

Le milieu entre le vice & la vertu n'est rien.

On forme un homme à la vertu. Il y a des méchans qu'on peut rendre bons.

On est vertueux pour la vertu - même. Elle n'est fondée ni dans la crainte, ni dans l'espérance.

Les actions sont ou des devoirs, ou de la générosité ; ou des procédés indifférens.

La raison ne commande ni ne défend les procédés indifférens ; la nature ou la loi prisent les devoirs. La générosité immole l'intérêt personnel.

Il y a des devoirs relatifs à soi-même ; de relatifs au prochain, & de relatifs à Dieu.

Il importe de rendre à Dieu un culte raisonnable.

Celui-là a une juste opinion des dieux qui croit leur existence, leur bonté, leur providence.

Il faut les adorer avant tout, y penser, les invoquer, les reconnoître, s'y soumettre, leur abandonner sa vie, les louer même dans le malheur, &c.

L'apathie est le but de tout ce que l'homme se doit à lui-même. Celui qui y est arrivé est sage.

Le sage saura quand il lui convient de mourir ; il lui sera indifférent de recevoir la mort ou de se la donner. Il n'attendra point à l'extrêmité pour user de ce remede. Il lui suffira de croire que le sort a changé.

Il cherchera l'obscurité.

Le soir il se rappellera sa journée. Il examinera ses actions. Il reviendra sur ses discours. Il s'avouera ses fautes. Il se proposera de faire mieux.

Son étude particuliere sera celle de lui-même.

Il méprisera la vie & ses amusemens ; il ne redoutera ni la douleur, ni la misere, ni la mort.

Il aimera ses semblables. Il aimera même ses ennemis.

Il ne fera d'injure à personne. Il étendra sa bienveillance sur tous.

Il vivra dans le monde, comme s'il n'y avoit rien de propre.

Le témoignage de sa conscience sera le premier qu'il recherchera.

Toutes les fautes lui seront égales.

Soumis à tout événement, il regardera la commisération & la plûpart des vertus de cet ordre, comme une sorte d'opposition à la volonté de Dieu.

Il jugera de même du repentir.

Il n'aura point ces vues de petite bienfaisance étroite, qui distingue un homme d'un autre. Il imitera la nature. Tous les hommes sont égaux à ses yeux.

S'il tend la main à celui qui fait naufrage, s'il console celui qui pleure, s'il reçoit celui qui manque d'asyle ; s'il donne la vie à celui qui périt ; s'il présente du pain à celui qui a faim, il ne sera point ému. Il gardera sa sérénité. Il ne permettra point au spectacle de la misere, d'altérer sa tranquillité. Il reconnoîtra en tout la volonté de Dieu & le malheur des autres ; & dans son impuissance à les secourir, il sera content de tout, parce qu'il saura que rien ne peut être mal.

Des disciples & des successeurs de Zénon. Zénon eut pour disciples Philonide, Calippe, Possidonius, Zenode, Scion & Cléanthe.

Persée, Ariston, Herille, Denis, Spherus & Athénadore se sont fait un nom dans sa secte.

Nous allons parcourir rapidement ce qu'il peut y avoir de remarquable dans leurs vies & dans leurs opinions.

Persée étoit fils de Démétrius de Cettium. Il fut, disent les uns, l'ami de Zénon ; d'autres, un de ces esclaves qu'Antigone envoya dans son école, pour en copier les leçons. Il vivoit aux environs de la cxxx. olympiade. Il étoit avancé en âge, lorsqu'il alla à la cour d'Antigone Gonatas. Son crédit auprès de ce prince fut tel, que la garde de l'Acro-Corinthe lui fut confiée. On sait que la sûreté de Corinthe & de tout le Péloponnèse dépendoit de cette citadelle. Le philosophe répondit mal à l'axiome stoïque, qui disoit qu'il n'y avoît que le sage qui sache commander. Aratus de Sycione se présenta subitement devant l'Acro-Corinthe, & le surprit. Il empêcha Antigone de tenir à Menedeme d'Erétrie la parole qu'il lui avoit donnée, de remettre les Erétriens en république ; il regardoit les dieux comme les premiers inventeurs des choses utiles chez les peuples qui leur avoient élevé des autels. Il eut pour disciples Hermagoras d'Amphipolis.

Ariston de Chio étoit fils de Miltiade. Il étoit éloquent, & il n'en plaisoit pas davantage à Zénon qui affectoit un discours bref. Ariston qui aimoit le plaisir, étoit d'ailleurs peu fait pour cette école sévère. Il profita d'une maladie de son maître pour le quitter. Il suivit Polémon, auquel il ne demeura pas long-tems attaché. Il eut l'ambition d'être chef de secte, & il s'établit dans le Cynosarge, où il assembla quelques auditeurs, qu'on appella de son nom les Aristoniens : mais bien-tôt son école fut méprisée & déserte. Ariston attaqua avec chaleur Arcesilaüs, & la maniere de philosopher académique & sceptique. Il innova plusieurs choses dans le Stoïcisme : il prétendoit que l'étude de la nature étoit au-dessus de l'esprit humain ; que la Logique ne signifioit rien, & que la Morale étoit la seule science qui nous importât ; qu'il n'y avoit pas autant de vertus différentes qu'on en comptoit communément, mais qu'il ne falloit pas, comme Zénon, les réduire à une seule ; qu'il y avoit entr'elles un lien commun ; que les dieux étoient sans intelligence & sans vie, & qu'il étoit impossible d'en déterminer la forme. Il mourut d'un coup de soleil qu'il reçut sur sa tête qui étoit chauve. Il eut pour disciple Eratosthene de Cyrene. Celui-ci fut grammairien, poëte & philosophe. Il se distingua aussi parmi les Mathématiciens. La variété de ses connoissances lui mérita le nom de philologue, qu'il porta le premier, & les Ptolémées, Philopator & Epiphane lui confierent le soin de la bibliotheque d'Alexandrie.

Persée ne fut pas le seul qui abandonna la secte de Zénon. On fait le même reproche à Denis d'Héraclée. On dit de celui-ci qu'il regarda la volupté comme la fin des actions humaines, & qu'il passa dans l'école cyrénaïque & épicurienne.

Hérille de Carthage n'eut pas une jeunesse fort innocente. Lorsqu'il se présenta pour disciple à Zénon, celui-ci exigea pour preuve de son changement de moeurs, qu'il se coupât les cheveux qu'il avoit fort beaux. Hérille se rasa la tête, & fut reçu dans l'école stoïque. Il regarda la science & la vertu comme les véritables fins de l'homme, ajoutant qu'elles dépendoient quelquefois des circonstances, & que semblables à l'airain dont on fondoit la statue d'Alexandre ou de Socrate, il en falloit changer selon les occasions ; qu'elles n'étoient pas les mêmes pour tous les hommes ; que le sage avoit les sciences qui n'étoient pas celles du fou, &c.

Sphaerus le borysthénite, le second disciple de Zénon, enseigna la Philosophie à Lacédémone, & forma Cléomene. Il passa de Sparte à Alexandrie : il modifia le principe des Stoïciens, que le sage n'opinoit jamais. Il disoit à Ptolémée qu'il n'étoit roi, que parce qu'il en avoit les qualités, sans lesquelles il cesseroit de l'être. Il écrivit plusieurs traités que nous n'avons pas.

Cléanthès, né à Asse en Lycie, succéda à Zénon sous le Stoa. Il avoit été d'abord athlete. Son extrême pauvreté lui fit apparemment goûter une philosophie qui prêchoit le mépris des richesses. Il s'attacha d'abord à Cratès, qu'il quitta pour Zénon. Le jour il étudioit ; la nuit il se louoit, pour tirer de l'eau dans les jardins. Les Aréopagistes, touchés de sa misere & de sa vertu, lui décernerent dix mines sur le trésor public : Zénon n'étoit pas d'avis qu'il les acceptât. Un jour qu'il conduisoit des jeunes-gens au spectacle, le vent lui enleva son manteau, & le laissa tout nud. La fortune & la nature l'avoient traité presqu'avec la même ingratitude. Il avoit l'esprit lent : on l'appelloit l'âne de Zénon, & il disoit qu'on avoit raison, car il portoit seul toute la charge de ce philosophe. Antigone l'enrichit ; mais ce fut sans conséquence pour sa vertu. Cléanthès persista dans la pratique austere du Stoïcisme. La secte ne perdit rien sous lui de son éclat ; le portique fut plus fréquenté que jamais : il prêchoit d'exemple la continence, la sobriété, la patience & le mépris des injures : il estimoit les anciens philosophes de ce qu'ils avoient négligé les mots, pour s'attacher aux choses ; & c'étoit la raison qu'il donnoit de ce que beaucoup moindres en nombre que de son tems, il y avoit cependant parmi eux beaucoup plus d'hommes sages. Il mourut âgé de 80 ans : il fut attaqué d'un ulcere à la bouche, pour lequel les médecins lui ordonnerent l'abstinence des alimens ; il passa deux jours sans manger ; ce régime lui réussit, mais on ne put le déterminer à reprendre les alimens. Il étoit, disoit-il, trop près du terme pour revenir sur ses pas. On lui éleva, tard à la vérité, une très-belle statue.

Mais personne ne s'est fait plus de réputation parmi les Stoïciens que Chrysippe de Tarse. Il écouta Zénon & Cléanthès : il abandonna leur doctrine en plusieurs points. C'étoit un homme d'un esprit promt & subtil. On le loue d'avoir pu composer jusqu'à cinq cent vers en un jour : mais parmi ces vers, y en avoit-il beaucoup qu'on pût louer ? L'estime qu'il faisoit de lui-même n'étoit pas médiocre. Interrogé par quelqu'un qui avoit un enfant, sur l'homme à qui il en falloit confier l'instruction : à moi, lui répondit-il ; car si je connoissois un précepteur qui valût mieux, je le prendrois pour moi. Il avoit de la hauteur dans le caractere : il méprisa les honneurs. Il ne dédia point aux rois ses ouvrages, comme c'étoit la coutume de son tems. Son esprit ardent & porté à la contradiction lui fit des ennemis. Il éleva Carnéade, qui ne profita que trop bien de l'art malheureux de jetter des doutes. Chrysippe en devint lui-même la victime. Il parla librement des dieux : il expliquoit la fable des amours de Jupiter & de Junon d'une maniere aussi peu décente que religieuse. S'il est vrai qu'il approuvât l'inceste & qu'il conseillât d'user de la chair humaine en alimens, sa morale ne fut pas sans tache. Il laissa un nombre prodigieux d'ouvrages. Il mourut âgé de 83 ans : on lui éleva une statue dans le Céramique.

Zénon de Tarse, à qui Chrysippe transmit le portique, fit beaucoup de disciples & peu d'ouvrages.

Diogene le babylonien eut pour maîtres Chrysippe & Zénon. Il accompagna Critolaüs & Carnéade à Rome. Un jour qu'il parloit de la colere, un jeune étourdi lui cracha au visage, & la tranquillité du philosophe ne démentit pas son discours. Il mourut âgé de 98 ans.

Antipater de Tarse avoit été disciple de Diogene, & il lui succéda. Ce fut un des antagonistes les plus redoutables de Carnéade.

Panaetius de Rhodes laissa les armes auxquelles il étoit appellé par sa naissance, pour suivre son goût & se livrer à la Philosophie. Il fut estimé de Cicéron, qui l'introduisit dans la familiarité de Scipion & de Laelius. Panaetius fut plus attaché à la pratique du Stoïcisme qu'à ses dogmes. Il estimoit les philosophes qui avoient précédé, mais sur-tout Platon, qu'il appelloit leur Homere. Il vécut long-tems à Rome, mais il mourut à Athènes. Il eut pour disciples des hommes du premier mérite, Mnesarque, Possidonius, Laelius, Scipion, Fannius, Hécaton, Apollonius, Polybe. Il rejettoit la divination de Zénon : écrivit des offices ; il s'occupa de l'histoire des sectes. Il ne nous reste aucun de ses ouvrages.

Possidonius d'Apamée exerça à Rhodes les fonctions de magistrat & de philosophe ; & au sortir de l'école, il s'asseyoit sur le tribunal des loix, sans qu'on l'y trouvât déplacé. Pompée le visita. Possidonius étoit alors tourmenté de la goutte. La douleur ne l'empêcha point d'entretenir le général romain. Il traita en sa présence la question du bon & de l'honnête. Il écrivit différens ouvrages. On lui attribue l'invention d'une sphere artificielle, qui imitoit les mouvemens du systême planétaire : il mourut fort âgé. Cicéron en parle comme d'un homme qu'il avoit entendu.

Jason, neveu de Possidonius, professa le Stoïcisme à Rhodes, après la mort de son oncle.

Voyez à l'article de la PHILOSOPHIE DES ROMAINS l'histoire des progrès de la secte dans cette ville sous la république & sous les empereurs.

Des femmes eurent aussi le courage d'embrasser le Stoïcisme, & de se distinguer dans cette école par la pratique de ses vertus austeres.

La secte stoïcienne fut le dernier rameau de la secte de Socrate.

Des restaurateurs de la Philosophie stoïcienne parmi les modernes. Les principaux d'entr'eux ont été Juste-Lipse, Scioppius, Heinsius & Gataker.

Juste-Lipse naquit dans le courant de 1447. Il fit ses premieres études à Bruxelles, d'où il alla perdre deux ans ailleurs. Il étudia la Scholastique chez les jésuites ; le goût de l'éloquence & des questions grammaticales l'entraînerent d'abord ; mais Tacite & Séneque ne tarderent pas à le détacher de Donat & de Cicéron. Il fut tenté de se faire jésuite ; mais ses parens qui n'approuvoient pas ce dessein, l'envoyerent à Louvain où sa vocation se perdit. Là il se livra tout entier à la Littérature ancienne & à la Jurisprudence. Il se lia sous Corneille Valere, leur maître commun, à Delrio, Giselin, Lermet, Shott, & d'autres qui se sont illustrés par leurs connoissances. Il écrivit de bonne heure. Il n'avoit que dix-neuf ans, lorsqu'il publia ses livres de variis lectionibus : il les dédia au cardinal Perrenot de Granvelle, qui l'aima & le protégea. A Rome, il se plongea dans l'étude des antiquités : il y connut Manuce, Mercurialis & Muret. De retour de l'Italie en Flandres, il s'abandonna au plaisir, & il ne parut pas se ressouvenir beaucoup de son Epictete : mais cet écart de jeunesse, bien pardonnable à un homme qui étoit resté si jeune sans pere, sans mere, sans parens, sans tuteurs, ne dura pas. Il revint à l'étude & à la vertu. Il voyagea en France & en Allemagne, en Saxe, en Bohème, satisfaisant par-tout sa passion pour les sciences & pour les savans. Il s'arrêta quelque tems en Allemagne, où le mauvais état de sa fortune, qui avoit disparu au milieu des ravages de la guerre allumée dans son pays, le détermina à abjurer le Catholicisme, pour obtenir une chaire de professeur chez des Luthériens. Au fond, indifférent en fait de religion, il n'étoit ni catholique, ni luthérien. Il se maria à Cologne. Il s'éloigna de cette ville pour aller chercher un asyle où il pût vivre dans le repos & la solitude ; mais il fut obligé de préférer la sécurité à ces avantages & de se refugier à Louvain, où il prit le bonnet de docteur en droit. Cet état lui promettoit de l'aisance : mais la guerre sembloit le suivre par-tout ; elle le contraignit d'aller ailleurs enseigner parmi les Protestans la Jurisprudence & la Politique. Ce fut là qu'il prétendit qu'il ne falloit dans un état qu'une religion, & qu'il falloit pendre, brûler, massacrer ceux qui refusoient de se conformer au culte public : quelle morale à débiter parmi des hommes qui venoient d'exposer leurs femmes, leurs enfans, leur pays, leurs fortunes, leur vie, pour s'assûrer la liberté de la conscience, & dont la terre fumoit encore du sang que l'intolérance espagnole avoit répandu ! On écrivit avec chaleur contre Juste-Lipse. Il devint odieux : il médita de se retirer de la Hollande. Sa femme superstitieuse le pressoit de changer de religion ; les jésuites l'investissoient : il auguroit mal du succès de la guerre des Provinces-Unies. Il simula une maladie : il alla à Spa ; il passa quelques années à Liege, & de-là il vint à Cologne, où il rentra dans le sein du Catholicisme. Cette inconstance ne nuisit pas autant à sa considération qu'à sa tranquillité. Les jésuites, amis aussi chauds qu'ennemis dangereux, le préconiserent. Il fut appellé par des villes, par des provinces, par des souverains. L'ambition n'étoit certainement pas son défaut : il se refusa aux propositions les plus avantageuses & les plus honorables. Il mourut à Louvain en 1606, âgé de 58 ans. Il avoit beaucoup souffert, & beaucoup travaillé ; son érudition étoit profonde : il n'étoit presqu'aucune science dans laquelle il ne fût versé ; il avoit des lettres, de la critique & de la philosophie. Les langues anciennes & modernes lui étoient familieres. Il avoit étudié la Jurisprudence & les Antiquités. Il étoit grand moraliste ; il s'étoit fait un style particulier, sententieux, bref, concis & serré. Il avoit reçu de la nature de la vivacité, de la chaleur, de la sagacité, de la justesse même, de l'imagination, de l'opiniâtreté & de la mémoire. Il avoit embrassé le Stoïcisme ; il détestoit la philosophie des écoles. Il ne dépendit pas de lui qu'elle ne s'améliorât. Il écrivit de la politique & de la morale ; & quoiqu'il ait laissé un assez grand nombre d'ouvrages, qu'ils ayent presque tous été composés dans les embarras d'une vie tumultueuse, il n'y en a pas un qu'on lise sans quelque fruit : sa physiologie stoïcienne, son traité de la constance, ses politiques, ses observations sur Tacite ne sont pas les moins estimés : il eut des moeurs, de la douceur, de l'humanité, assez peu de religion. Il y a dans sa vie plus d'imprudence que de méchanceté : ses apostasies continuelles sont les suites naturelles de ses principes.

Gaspard Scioppius, dont on a dit tant de bien & de mal, marcha sur les pas de Juste-Lipse. Il publia des élémens de la philosophie stoïcienne ; ce n'est guere qu'un abrégé de ce qu'on savoit avant lui.

Daniel Heinsius a fait le contraire de Scioppius. Celui - ci a délayé dans une oraison de philosophiâ stoicâ ce que Scioppius avoit resserré.

Gataker s'est montré fort supérieur à l'un & à l'autre dans son commentaire sur l'ouvrage de l'empereur Antonin. On y retrouve par-tout un homme profond dans la connoissance des orateurs, des poëtes & des philosophes anciens : mais il a ses préjugés. Il voit souvent Jesus-Christ, S. Paul, les évangélistes, les peres sous le portique, & il ne tient pas à lui qu'on ne les prenne pour des disciples de Zénon. Dacier n'étoit pas éloigné des idées de Gataker.


STOIDIS(Géog. anc.) île de l'Asie, vers la côte de la Carmanie, & au voisinage de l'Inde. Pline, liv. VI. c. xxv. nous apprend qu'on pêchoit des perles sur les côtes de cette île. C'est en vain que Saumaise soutient que Pline, au lieu de Stoïdis, avoit écrit Tyndis ; tous les manuscrits de Pline s'opposent à la correction de Saumaise. (D.J.)


STOLBERG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Thuringe, chef-lieu d'un petit comté de même nom. Ce comté confine avec la principauté d'Anhalt, le comté de Mansfeld & de Hohenstein, & le comté de Schwartzbourg. Les comtes de cette maison possedent encore le comté de Wernigérode.

C'est dans le comté de Stolberg que naquit en 1546 Rhodoman (Laurent) connu dans la littérature par plusieurs ouvrages. Il étoit poëte, & très-versé dans la langue grecque : il a fort bien réussi dans la traduction latine de Diodore de Sicile. Scaliger lui fit obtenir la chaire de professeur en histoire dans l'académie de Wirtemberg, où il mourut en 1606, âgé de soixante ans.

Schneidewin (Jean) savant jurisconsulte, né à Stolberg en 1519, & mort en 1568, étoit le quinzieme des enfans de son pere qui ne l'en aima que plus tendrement. Ce fils devint un habile homme, & fut employé par l'électeur de Saxe dans des négociations importantes. Son commentarius ad instituta, est un ouvrage estimé. (D.J.)


STOLES. f. (Antiq. rom.) stola, robe traînante à l'usage des dames de qualité, & sur laquelle elles jettoient dans les jours de céremonie, un petit manteau.

Cette robe des dames romaines se mettoit par-dessus la tunique, & avoit quelque ressemblance aux habits de cour de nos tems modernes. Si votre maîtresse, dit un poëte, s'habille de quelque robe ample & longue, écriez - vous de toute votre force, que sous cet équipage elle va mettre le feu par-tout ; mais en même-tems priez-la d'une voix timide, qu'elle ne s'expose point aux rigueurs de l'hiver.

La queue de cette robe étoit traînante, & le bas garni d'un tissu très-large, d'or ou de pourpre, lata fascia. Le corps de la robe étoit rayé de différentes couleurs ; elle reçut insensiblement un grand nombre de plis, s'augmenta de volume, fit tomber la toge, ou du moins n'en laissa l'usage qu'aux hommes & aux courtisannes.

Le nom de stole peu altéré a passé dans l'église, & est devenu une partie de l'habillement du prêtre, quand il est devant l'autel. Mais l'étole est bien different de la stole des Romains, car c'est proprement les extrêmités de la longue robe que portoit le grand prêtre des Juifs ; & si l'on veut remonter à l'origine de la stole du grand prêtre juif, on la trouvera dans la Genèse, où l'on verra que Pharaon voulant établir Joseph, intendant de l'Egypte, il le fit revétir d'une robe de fin lin, appellée stola byssina. On trouvera encore que les robes qui furent distribuées aux freres de Joseph sont nommées stoles, ainsi que la robe neuve dont se para Judith pour tromper Holopherne. (D.J.)


STOLHOFFEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, au cercle de Suabe, dans le marquisat de Bade, proche la rive droite du Rhin, à 6 lieues au nord-est de Strasbourg. Les Allemands y furent forcés dans leurs lignes par les François en 1707. Long. 25. 24. lat. 48. 30. (D.J.)


STOLPENPIERRE DE, (Hist. nat. Litholog.) en allemand stolpenstein ; c'est le nom qu'on donne à une pierre de touche ou à une espece de basaltes qui se trouve en Misnie ; elle est semblable à du marbre noir ou gris par sa couleur, mais sa forme est très-singuliere ; elle se trouve en cristaux ou en colonnes prismatiques, qui sont ou pentagones ou hexagones, ou eptagones, ou octogones ; quelquefois même il y a de ces colonnes qui ont la figure d'une solive équarrie. Les surfaces de ces prismes sont unies & lisses, comme si elles avoient été polies. Ces colonnes prismatiques sont placées perpendiculairement les unes à côté des autres comme des tuyaux d'orgue ; elles s'élevent d'environ 16 ou 17 piés audessus du sommet d'une montagne ; & ces prismes ou colonnes servent de fondement au château de Stolpen, qui est bâti précisément au-dessus.

M. Pott qui a examiné cette pierre, dit qu'elle est d'une très grande dureté ; elle ne fait point effervescence avec les acides, & l'action du feu ne la convertit point en chaux. Ce savant chimiste conjecture, que c'est une terre argilleuse comme celle de l'ardoise combinée avec une terre ferrugineuse qui fait la base de cette pierre ; sans aucune addition un feu très-violent peut la changer en une scorie noire si dure, qu'elle donne des étincelles lorsqu'on la frappe avec un briquet, quoique dans son état naturel elle ne fasse point feu. Cette pierre est de différentes nuances, elle est ou noirâtre ou d'un gris de fer ou d'un gris de cendre ; en frottant un métal dessus elle en prend la couleur, & plus elle est noire, plus elle est propre à servir de pierre de touche. Voyez la Lithogéognosie de M. Pott, voyez aussi l'article TOUCHE (pierre de).

STOLPEN, (Géog. mod.) ville d'Allemagne, au cercle de la haute Saxe, dans la Poméranie ultérieure, sur la riviere de même nom, à 30 lieues au nord-ouest de Dantzick ; elle dépend du roi de Prusse. Long. 34. 48. lat. 54. 42. (D.J.)

STOLPEN, LA, (Géog. mod.) ou la Stolpe ; riviere d'Allemagne, dans la Poméranie ultérieure, au duché de Vandalie ; elle se forme de divers ruisseaux, & se perd dans la mer Baltique. (D.J.)


STOLPMUND(Géogr. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade d'Allemagne, dans la Poméranie ultérieure, au duché de Vandalie, vers l'embouchure de la Stolpe, qui lui donne son nom. (D.J.)


STOMACHIQUEadj. en Anatomie, ce qui appartient à l'estomac. Voyez ESTOMAC.

STOMACHIQUE, adj. (Thérapeutique) ou remede approprié aux maladies particulieres de l'estomac ; car l'estomac étant sujet comme tous les autres organes, aux maladies universelles ou communes, telles que l'inflammation, les divers genres de tumeurs, &c. à des maladies propres ou particulieres ; savoir, celles qui ont rapport à sa constitution, & à les fonctions propres ; & les maladies communes se traitant toujours par les remedes généraux ou communs ; restent seulement les maladies particulieres auxquelles puissent convenir les remedes appropriés.

Les maladies propres de l'estomac sont pour la plûpart des affections légeres qui ne peuvent qu'être mises au rang des incommodités, quoiqu'elles soient souvent très-opiniâtres & très-importantes ; ce sont des vices dans les digestions, & des vices qui pour rester dans l'ordre des maladies propres de l'estomac, doivent ne dépendre d'aucune cause manifeste, & notamment exclure toutes les conformations contre nature, tous les vices organiques ou des solides, & ces maladies sont outre les digestions pénibles & les digestions fougueuses ; sont dis-je, les douleurs ou coliques d'estomac, & les vomissemens habituels.

Ce n'est absolument qu'aux maladies particulieres de l'estomac ainsi circonscrites, que les remedes stomachiques sont vraiment consacrés. On les employe toujours dans la vûe de rétablir le ton naturel, la sensibilité naturelle, l'activité naturelle, de réveiller le jeu, de remédier à la paresse, à l'inertie, au relâchement de cet organe, ou bien au contraire d'émousser sa trop grande sensibilité, de diminuer sa tension contre-nature, de modérer sa trop grande activité, &c. de suppléer le trop peu d'énergie des sucs digestifs, ou leur trop peu d'abondance, de leur rendre leurs seves ; de corriger leur acidité, leur âcreté, leur bilescence, de les adoucir, de les épaissir ; ou au contraire, de les rendre plus fluides, &c. toutes indications déduites, comme on voit, de vices fort occultes & dirigées à des opérations pour le moins aussi peu comprises, du-moins fort peu évidentes, annoncées tout-au-plus par quelques effets, mais d'une maniere très-éloignée.

Quoique les vices des digestions soient assez généralement divisés en deux especes, très-opposées, qu'on exprime communément par le relâchement contre nature, & par la trop grande tension ; & qu'on peut se représenter en effet par ces deux états opposés ; & qu'ainsi les stomachiques dussent être partagés aussi en deux classes ; celles des toniques & celles des relâchans ; cependant comme il a été observé dans l'article DIGESTION, p. 1002, col. 2. & 1003. col. 1. que rien n'est si bizarre que les affections propres de l'estomac, & rien de si équivoque que les signes d'après lesquels on prétend communément déduire le caractere des deux classes générales de ces affections ; rien aussi de moins constant en Médecine, que les regles de détails sur l'administration des divers stomachiques, aussi comme il est observé dans l'endroit que nous venons de citer. L'unique maniere d'employer utilement les divers stomachiques dans les cas où ces remedes sont indiqués en général, c'est l'empyrisme ou le tatonnement : ce dogme général est confirmé entr'autres observations par celle - ci ; savoir, qu'il n'est pas rare de voir des maladies de l'estomac causées par des amas d'acide, ou pour le moins accompagnées de ce symptome, guéries par l'usage du lait, ce qui dément formellement les deux dogmes les plus reçus de la doctrine courante sur ce point ; car les acides de l'estomac sont regardés comme un des indices les plus clairs de son relâchement, de sa foiblesse ; & le lait tient le premier rang parmi les remedes relâchans.

Au reste, soit que par un préjugé très-ancien & très-répandu, les remedes fortifians, échauffans, toniques, soient généralement regardés comme amis de l'estomac, & comme capables de remédier à tous ces dérangemens, les stomachiques proprement dits sont tous pris dans la classe des remedes fortifians, échauffans, toniques, ou même tous les remedes fortifians, échauffans, toniques sont en même tems regardés comme stomachiques ; & en effet, tous les remedes de cet ordre sont propres à guérir plusieurs maladies de l'estomac.

Mais une observation plus éclairée a appris aussi qu'un grand nombre de ces incommodités étoient très-efficacement combattues par les remedes rafraîchissans & par les remedes relâchans, c'est-à-dire, qu'en cherchant par le tatonnement des remedes pour chaque cas particulier, il falloit se retourner du côté des rafraîchissans & des relâchans, aussi-bien que du côté des toniques ; ensorte qu'on pourra laisser, si l'on veut, pour obéir à l'usage, le titre de stomachiques aux remedes toniques ; mais en observant que ce ne sont pas les seuls qui soient propres aux affections de l'estomac, ou bien distinguer les stomachiques en stomachiques toniques, & en stomachiques rafraîchissans & relâchans. Au reste, quoique les absorbans remédient quelquefois très-directement aux affections de l'estomac, nous ne les comptons point parmi les stomachiques, parce qu'il est évident qu'ils n'operent point du tout sur l'organe même, sur l'estomac, tandis que l'action des autres paroît évidemment se porter uniquement sur les solides.

Les stomachiques tant rafraîchissans & relâchans que toniques, n'étant, comme nous l'avons insinué déja, que ces remedes généraux considérés quant à un de leurs effets particuliers, nous ne saurions indiquer ici ces remedes & en exposer la nature, sans répéter absolument & inutilement ce qui en est dit aux articles rafraîchissans, relâchans, & toniques. Voyez ces articles.


STONES. m. (Poids d'Angleterre) poids dont les bouchers anglois se servent pour peser la viande qu'ils débitent. Le stone est de huit livres d'avoir du poids, c'est-à-dire, de la livre la plus pesante des deux, dont on se sert en Angleterre : cette livre est de seize onces. (D.J.)


STONEHENGE(Antiquité) c'est ainsi que les Anglois nomment un monument singulier qui se voit dans les plaines de Salisbury, à environ deux lieues de cette ville. Ce monument est composé de quatre rangées de pierres brutes d'une grandeur énorme, placées circulairement. Quelques-unes de ces pierres ont vingt piés de hauteur sur sept de largeur, & en soutiennent d'autres placées horisontalement ; ce qui forme comme des linteaux de porte ; l'on présume que toutes les autres pierres étoient anciennement liées les unes aux autres, & ne formoient qu'un seul édifice.

La grandeur de ces pierres & la difficulté qu'il y eût eu à les transporter à cause de l'énormité de leur poids, a fait croire qu'elles étoient composées, & que les anciens avoient le secret d'un ciment au moyen duquel avec du sable ou de petites pierres, ils venoient à bout de faire des masses très-considérables. Mais cette raison ne paroît point décisive, vu que les Egyptiens avoient trouvé le moyen de faire venir de très-loin des masses de pierres bien plus considérables qu'aucune de celles dont ce monument anglois est composé ; d'ailleurs en examinant le grain de ces pierres, tout le monde demeure convaincu qu'elles sont naturelles.

Les antiquaires anglois sont partagés sur les usages auxquels cet édifice a pu servir. Quelques-uns croyent que c'étoit un temple des druides ou prêtres des anciens Bretons ; d'autres croyent que c'étoit un temple des Romains dédié à Coelus ou au ciel, parce qu'il étoit découvert ; d'autres croyent que c'étoit un monument élevé en l'honneur de Hengist fameux héros danois, qui conquit l'Angleterre ; d'autres enfin croyent que c'étoit un monument élevé par Aurelius Ambrosius, fondés sur ce que le nom latin de ce lieu est encore mons Ambrosii.

M. Mallet, dans son Introduction à l'histoire de Danemark, nous apprend que les anciens peuples du nord élevoient sur des collines, soit naturelles soit artificielles, des autels qui n'étoient composés que de rochers dressés sur la pointe, & qui servoient de bases à de grandes pierres plates qui formoient les tables. Quelques-uns de ces autels étoient entourés d'un double rang de pierres énormes, qui environnoient aussi la colline même sur laquelle ces autels étoient placés. On voit encore une semblable enceinte dans l'île de Sélande, où ces pierres ont dû être apportées de fort loin, & par un travail énorme ; sur quoi M. Mallet remarque que de tout tems la superstition a imaginé qu'on ne pouvoit honorer la divinité qu'en faisant pour elle des especes de tours de force. Le même auteur observe encore que dans les lieux où les peuples du nord faisoient l'élection de leurs rois, on formoit une enceinte composée de douze rochers placés sur la pointe perpendiculairement, au milieu desquels il s'en élevoit un plus grand que les autres, sur lequel on mettoit un siege pour le roi ; les autres pierres servoient de barriere entre le peuple & lui. On trouve trois de ces monumens grossiers ; l'un près de Lund en Scanie, l'autre à Leyre en Sélande, & le troisieme près de Vibord en Jutlande. Il y a lieu de croire que le stonehenge des Anglois servoit à quelques usages semblables, qui étoient communs aux Bretons & aux anciens Danois, ou que ces derniers avoient apporté en Angleterre, lorsqu'ils en firent la conquête.


STONG(Géog. mod.) riviere de Suede, dans la province d'Ostrogothie, qu'elle sépare en deux parties : elle se rend dans le lac de Roxen, près de Linkoping. (D.J.)


STONI(Géog. anc.) peuples des Alpes, Strabon, l. IV. p. 204. les joint avec les Lepontini & les Tridentini ; & Tite-Live, épitom. l. LXII. dit que le consul Q. Marcius les subjugua. Ils sont nommés Stoeni, & mis au nombre des Liguriens, dans l'inscription des triomphes du capitole, rapportée par Gruter, p. 298. de liguribus Stoenis. Ils tiroient sans-doute leur origine des Liguriens, ou ils avoient une origine commune avec eux. Les Stoni étoient aussi apparemment compris sous le nom général des Euganei, dont la capitale est appellée Stonos par Pline, l. III. c. xx. Etienne le géographe connoît une ville nommée Stonos & la donne aux Liguriens. On ne sait point précisément le lieu où habitoient les Stoni ; Cluvier les place par conjecture au voisinage du fleuve Clusius, au nord du lac Edrinus. (D.J.)


STONY-STRATFORD(Géog. mod.) bourg d'Angleterre, dans Buckinghamshire, sur le bord de l'Ouse. C'est un grand & beau bourg, où se tient un des meilleurs marchés de la province ; son nom lui vient de trois choses ; la premiere, de ce que toutes les maisons y sont de pierre de taille ; la seconde, parce qu'il est sur l'ancienne voie militaire, autrement sur un chemin battu, pavé autrefois par les Romains qu'on nomme aujourd'hui Watling-Streat, & dont on voit encore quelques restes hors du bourg ; la troisieme, parce qu'il est situé près d'un gué de l'Ouse.

Cependant, comme la riviere n'est plus guere guéable dans cet endroit, on y a construit un pont. De l'autre côté de la riviere, il y avoit anciennement une place appellée Lactorodum, qui tiroit son nom de son gué pierreux ; car en langue galloise, lech signifie une pierre, & rhyd, un gué, mais la place n'est plus, & il n'y reste qu'un village, nommé Passham, pour marquer que c'étoit un lieu de passage. Stony-Stratford est toujours un lieu de grand abord, parce qu'il est sur la route de Londres, au nord d'Angleterre. (D.J.)


STOOR-JUNKARE(Idolâtrie des Lapons) dieu des Lapons idolâtres ; ils croyent que tous les animaux, & en particulier les bêtes sauvages, comme les ours, les loups, les renards, les cerfs, & les rennes, sont sous son empire ; c'est pourquoi ils lui sacrifient de tems à autre un renne mâle. Chaque famille a son stoor-junkare, & lui rend un culte sur quelque rocher, ou près de quelque caverne, ou sur le bord d'un lac. La figure de ce dieu est une espece de pierre brute, qui semble avoir une tête ; & c'est à cette pierre que se borne la religion de ce peuple imbécille. (D.J.)


STOPFORD(Géog. mod.) ville d'Angleterre, en Chester-Shire, au quartier septentrional, près de l'endroit où la Tamer se jette dans la Mersey.


STOPHIES(Antiq. grecq.) fêtes que l'on célebroit à Erétrie en l'honneur de Diane. Hésychius qui en parle ne nous apprend point leur origine. (D.J.)


STOQUERen terme de Raffinerie, c'est l'action de conduire les feux de maniere à rendre la chaleur égale partout, en transportant le charbon d'une place où il est moins nécessaire dans une autre où il l'est plus ; & de donner de l'air aux grilles en faisant tomber les cendres au-dessous, & en ces grilles l'une de l'autre. Voyez GRILLES.


STOQUEURS. m. en terme de Raffinerie, est une verge de fer applatie sur les extrêmités en forme d'une spatule, environ de trois doigts de large. Il a quatre piés de long avec sa douille, qui reçoit un manche de même longueur. On s'en sert à gouverner les fourneaux, & à donner de l'air aux grilles. Voyez STOQUER. Voyez aussi les Pl.


STORou STURA, (Géog. mod.) ville ruinée ; elle étoit située sur le détroit de Négrepont, au fond d'un petit golfe, entre Potiri au sud-est, & Caristo au nord-ouest. Mahomet II. brûla cette ville, qui ne s'est pas rétablie depuis. (D.J.)


STORAXSTYRAX, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur monopétale, en forme d'entonnoir, & profondement découpée. Le pistil sort du calice ; il est attaché comme un clou à la partie postérieure de la fleur, & il devient dans la suite un fruit arrondi & charnu, qui renferme ordinairement un ou deux noyaux, dans lesquels on trouve une amande. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

STORAX, (Hist. des drog. exot.) on distingue à présent dans la matiere médicale, conformément à la doctrine des Arabes, deux sortes de storax ; savoir, le liquide, & le solide ou le sec, au lieu que les Grecs n'en connoissoient qu'un qui est le sec ; du moins il ne paroît pas qu'ils aient connu le liquide ; or comme ces deux sortes de storax sont entierement différens, & qu'ils tirent leur origine de différens arbres, nous en formerons deux articles séparés, outre que c'est la bonne méthode à suivre dans un dictionnaire ; ainsi voyez STORAX LIQUIDE & STORAX SOLIDE. (D.J.)

STORAX LIQUIDE, (Hist. des drog. exot.) suc nommé par les auteurs latins styrax liquidus, & par les arabes miha. C'est un suc résineux dont on trouve deux especes dans les boutiques d'apoticaire, le pur & le grossier.

Le storax liquide pur est un suc résineux, d'une substance tenace & mielleuse, semblable à le térébenthine, à demi-transparent, brun, ou d'un brun rougeâtre, ou d'un gris brun, d'une odeur forte, & qui approche un peu du storax solide, mais presque désagréable, à cause de son goût un peu âcre, aromatique & huileux. On estime celui qui est gluant, jaune, transparent & très-odorant.

Le storax liquide, moins pur ou grossier, est un suc résineux semblable à de la lie, brun ou grisâtre, opaque, gras, peu odorant. Il paroît être la lie du précédent, & l'on ne doit même l'employer dans les remedes externes, qu'après l'avoir passé & purifié de la crasse qu'il contient.

Le commun des apoticaires donne au storax liquide, d'après quelques arabes, & mal-à-propos, le nom de stacté, parce que le stacté des Grecs est la colature de la myrrhe, comme on le peut voir dans Dioscoride. On trouve rarement le storax liquide, pur & véritable ; car outre qu'il est ordinairement sali par la sciure ou par la poussiere de bois ; il arrive encore que l'on substitue trop souvent d'autres sucs résineux factices à sa place.

Les auteurs sont bien éloignés d'être d'accord sur l'origine du storax liquide ; autant de savans, autant d'avis. Les uns pensent que c'est la colature de la myrrhe, à cause du nom de stacté que certains écrivains arabes lui donnent ; mais outre la différence du goût & de l'odeur qui se trouve entre la myrrhe & le storax, il est clair que ce sont des choses entierement différentes, parce que la myrrhe qui tient le milieu entre la gomme & les résines, se dissout en partie facilement dans toutes sortes de liqueurs aqueuses, & que le storax liquide ne se dissout que dans les liqueurs huileuses & grasses, ainsi que les résines.

D'autres écrivains croyent que le storax liquide est fait du storax calamite dissous dans de l'huilé ou du vin, mêlé avec de la térébenthine de Venise : cette décoction, disent-ils, étant refroidie, le storax liquide va au fond, & on enleve la substance huileuse qui surnage.

Quelques naturalistes imaginent que c'est une huile exprimée des noix de l'arbre, d'où découle le storax calamite ; mais d'autres adoptant en partie cette idée prétendent que le storax liquide se fait plutôt par la décoction des tendres rameaux, & des bourgeons du storax, ou du liquidambar.

D'autres enfin se persuadent que le storax calamite & le storax liquide sont le même suc, & qu'ils ne different que par la consistance. Dale soutient en particulier, que tout ce que l'on vend chez les apoticaires de Londres pour du storax liquide, est un suc tout-à-fait factice.

Cependant Jacques Petiver célebre apoticaire anglois, de la société royale, & savant naturaliste, rapporte dans les Transactions philosophiques, n °. 313. que le storax liquide nommé par les Turcs & les Arabes coter mija, est le suc d'un arbre qui s'appelle rosamallos, lequel croît à Cobros, île dans la mer Rouge, éloignée de trois journées de la ville de Suez. On enleve, dit-il, l'écorce de cet arbre tous les ans, on la pile, & on la fait bouillir dans l'eau de la mer, jusqu'à la consistance de glu : ensuite on recueille la substance résineuse qui surnage. Mais comme elle contient encore beaucoup de crasse ou d'écorce en poudre, on la fond de nouveau dans l'eau de la mer, & on la passe. On renferme séparement dans des petits tonneaux cette résine ainsi purifiée, & cette espece de résidu épais qui reste après la purification, & on les transporte à Mocha, célebre foire d'Arabie. Voilà les deux especes de storax que l'on trouve dans les boutiques. Il nous manque la description de l'arbre dont on tire le storax liquide ; mais on n'a pas été muet sur les vertus de son suc résineux, qui tout calculé, ne valent pas celles des autres baumes. Celui qui est pur est très-bon pour arrêter le progrès de la putréfaction des plaies ; il est la base de l'onguent de styrax. Enfin les peuples de l'Orient font beaucoup d'usage de cette drogue. Le tonneau qui contient environ 400 livres, se vend dans le pays depuis 200 l. de notre monnoie jusqu'à 400 liv. selon que le storax est plus ou moins pur. (D.J.)

STORAX SOLIDE, (Hist. des drog. exot.) résine appellée storax ou lebni par Avicenne, par Dioscoride, & storax solidus par les médecins modernes. Nous en allons parler d'après M. Geoffroy. C'est une substance résineuse, seche, dont les anciens Grecs ont distingué deux especes, & qui sont encore connues de nos jours ; savoir, le storax calamite ou en larmes, & le storax ordinaire, ou en masse.

Le storax calamite, , Graecor. styrax calamita, off. est une substance résineuse, brillante, solide, un peu grasse, qui s'amollit sous les dents ; elle est composée de grumeaux ou de miettes blanchâtres & roussâtres, d'un goût résineux, un peu âcre, agréable, & d'une odeur pénétrante, sur-tout lorsqu'on le jette au feu ; il s'allume lorsqu'on l'approche de la flamme, & forme une lueur très-claire. On l'apportoit autrefois de Pamphylie dans des roseaux, selon le témoignage de Galien ; c'est ce qui fait qu'on l'a nommé calamite : il étoit très-estimé.

Le storax commun ou en masses, autrement dit la résine du storax, storax vulgaris, seu in glebas compactus, off. est une substance en masse, résineuse, d'un jaune brun ou rougeâtre, brillante, grasse, un peu gluante, & qui jette comme une liqueur mielleuse, parsemée de quelques miettes blanchâtres : elle a le même goût & la même odeur que le storax calamite.

Ces deux especes de résine ne different pas l'une de l'autre ; la premiere espece est la larme du storax, qui découle goutte-à-goutte de petites fentes, ou des incisions de cet arbre, & qui a été séchée aussi-tôt, & recueillie promtement. La seconde espece est un suc qui coule plus abondamment des plus grandes incisions, & qui ne s'épaissit qu'après beaucoup de tems ; desorte que le contact de l'air chaud la rend rousse ou noire avant qu'elle seche.

On choisit les larmes du storax, ou les morceaux qui sont purs, brillans, odorans, sans être mêlés d'aucune sciure de bois, ou d'autre saleté. On nous apporte le storax de la Syrie, & des autres pays des Indes orientales par la Hollande, ou par Marseille. Enfin on vend chez les droguistes une certaine sciure de bois, que l'on appelle sarrilles du storax ; elle est inutile pour la médecine, & on doit la rejetter.

Quelques auteurs arabes, & sur-tout Sérapion, confondent le storax liquide, qu'ils appellent miha, dont nous avons déja parlé, avec le storax solide, ou le storax des Grecs ; cependant Avicennes les a distingués en parlant du storax liquide, sous le nom de miha ; & du storax sec, ou des Grecs, tantôt sous le nom d'astorax, tantôt sous celui de lebni.

Paul Eginete, Nicolas Myrepse, & quelques Grecs, font mention d'un certain storax stacté, que plusieurs personnes regardent comme une résine particuliere & bien différente du storax : d'autres au-contraire, croyent que ce n'est autre chose que la résine liquide du storax, que l'on a ramassée & recueillie avant qu'elle fût seche ; Dioscoride en a fait mention ; peut-être aussi que les Grecs ont donné ce nom au storax liquide, ou au miha des Arabes. Il est difficile de décider ce problême, qui est d'ailleurs de peu de conséquence.

L'arbre d'où découle le storax, s'appelle styrax folio mali cotonei ; dans C. B. P. 452. & dans les I. R. H. 598. Il est de la grandeur d'un olivier, & se trouve dans les forêts de la Provence ; autour de la chartreuse de Monrieu, à Baugencier, à Soliers, & entre la Sainte-Baume & Toulon.

Il ressemble au coignassier par son tronc, son écorce, & ses feuilles, lesquelles naissent alternativement, sont arrondies, & terminées en pointe ; elles sont longues d'un pouce & demi, & un peu moins larges, vertes & luisantes en-dessus, blanches & velues en-dessous.

Ses fleurs viennent sur les nouvelles branches, quatre, cinq, ou six ensemble ; elles sont blanches, odorantes, semblables aux fleurs de l'oranger, mais d'une seule piece, formant un tuyau court par le bas, & découpé en maniere d'étoile par le haut, en cinq ou six quartiers, d'un demi-pouce de longueur.

Leur calice est creux, en forme de petite cloche, long de deux lignes ; leur pistil est arrondi, attaché à la partie postérieure de la fleur, en maniere de clou, & devient un fruit de la grosseur & de la figure d'une noisette : ce fruit est blanchâtre, charnu, douçâtre dans le commencement, ensuite un peu amer ; il contient un ou deux noyaux très-durs, lisses, luisans, d'un rouge brun, renfermant une amande blanche, grasse, huileuse, d'une odeur qui approche beaucoup de celle de la résine du storax, & d'un goût âcre & désagréable.

Ces arbres ne donnent que très-peu ou point du tout de résine, en Provence ; mais on en retire beaucoup de ceux qui viennent dans les pays plus chauds. Aussi le storax dont on se sert dans les boutiques, est tiré des arbres qui naissent en Syrie & en Cilicie.

Il est un peu plus pénétrant que le benjoin, parce qu'il contient plus d'huile très-subtile ; cependant il est moins détersif, parce qu'il contient moins de sel essentiel ; ainsi le benjoin lui est préférable pour dissiper l'engorgement des poumons dans l'asthme humoral, & la toux opiniâtre qui vient de la même cause ; mais le storax peut récréer les esprits, par sa douce odeur, & calmer le mouvement déréglé des nerfs : on l'employe intérieurement dans l'enrouement, à cause de ses parties huileuses : on le donne depuis demi-drachme jusqu'à deux drachmes : on l'applique sur les parties qui tendent, faute de chaleur, à devenir paralytiques : on l'employe fréquemment avec le benjoin, pour faire des parfums & des fumigations : on prépare avec le storax, une huile odorante très-suave, en le macérant dans suffisante quantité d'eau commune, pendant trois jours ; on distille d'abord l'eau, & ensuite il vient une huile jaune ; cette huile est recommandée dans les ulceres internes de la poitrine, à la dose d'une douzaine de gouttes. On fait une teinture de storax par le moyen de l'esprit-de-vin, de la même maniere que la teinture de benjoin, & qui a des propriétés semblables. On pourroit aussi faire des fleurs de storax, comme on en fait de benjoin. Le storax solide entre dans la thériaque, le mithridat, le diascordium, plusieurs onguens, emplâtres & pastilles. (D.J.)


STORES. m. terme de Sellier, &c. c'est une sorte de rideau que l'on met aux portieres des voitures ou des croisées des appartemens ; il se roule de lui-même sur une tringle mise en mouvement par un ressort ; quand on veut s'en servir, pour se garantir du soleil, on le tire, & on l'assujettit à une agraffe qui est au-bas de la portiere, ou de la croisée ; il se releve de lui-même dès qu'on l'ôte de l'agraffe. Les stores, quoique d'une grande commodité, & d'une petite dépense, sont d'une invention toute nouvelle ; on se servoit auparavant de rideaux qui n'ont point les mêmes avantages. (D.J.)


STOREA(Littérat.) nom que donnoient les Romains à une espece de petit panier tissu de nattes, de paille ou de jonc ; c'étoit dans ces sortes de paniers qu'ils cueilloient les fleurs & les fruits de leurs jardins. (D.J.)


STORMARIE(Géog. mod.) pays d'Allemagne, au duché de Holstein. Il est borné au nord par le Holstein propre ; à l'orient par la Wagrie, & le duché de Saxe-Lawenbourg ; au midi & à l'occident par l'Elbe, qui le sépare des duchés de Lunebourg & Brême. On peut aussi dire que ce pays est renfermé entre cinq rivieres, l'Elbe, le Stoër, la Trave, la Bille, & le Schonbeck ; il a titre de principauté ; sa longueur est de dix milles germaniques, & sa largeur de sept à huit milles. La ville de Hambourg en est regardée comme la capitale. Quelques auteurs ont écrit que la Stormarie avoit eu anciennement des seigneurs particuliers ; mais il est certain que depuis plusieurs siecles, elle n'en a point eu d'autres que les ducs de Holstein. (D.J.)


STOURELA, (Géog. mod.) il y a quatre rivieres de ce nom en Angleterre, & qu'il faut bien distinguer.

La premiere qui est la principale, & qu'on nomme en anglois Stower, sort de l'extrêmité orientale du comté de Suffolk, passe entre cette province & celle d'Essex, & va se jetter dans l'Océan par une large embouchure, près de Harwich.

La seconde, qu'on nomme la petite Stoure, en anglois Stort, sépare la province d'Essex, du comté de Hartford, & se perd dans le Ley.

La troisieme sort du comté de Wilt, traverse la forêt de Gillingham, & coule au sud jusqu'à Stourminster, où on la passe sur un pont de pierre ; ensuite elle tourne au sud-est, & se perd dans la baie de Pool.

La quatrieme, en latin Soarus, prend sa source dans la province de Leicester, coule au nord, entre ensuite dans le comté de Nottingham, où après avoir baigné Stanford, elle va se perdre dans la Trent. (D.J.)


STOW-MARKET(Géog. mod.) ville d'Angleterre, dans la province de Suffolk, avec droit de marché, sur l'Oswell ; c'est une ville riche par ses manufactures d'étoffes. (D.J.)


STOW-OU-THE-WOULD(Géograph. mod.) bourg d'Angleterre, dans Glocester-shire, aux confins du comté de Warwick, entre les rivieres d'Evenlode, & de Windrush. Ce bourg, bâti sur une éminence, & exposé à la fureur des vents, est remarquable par sa situation sur l'ancienne voie romaine, pavée de grosses pierres, & connue sous le nom vulgaire de Fosse way. (D.J.)


STOWERLA, (Géogr. mod.) riviere d'Angleterre, au comté de Kent ; elle y prend sa source, & coulant au nord, se partage en deux bras pour entrer dans la mer ; elle forme de cette maniere une île célebre, nommée Thanet. Voyez THANET. (D.J.)


STOZKOW(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne en Silésie, sur la Vistule, entre Ustronie & Rudzica ; elle a ses seigneurs particuliers. (D.J.)


STRABISMES. m. terme de Chirurgie, mauvaise conformation des yeux, qui consiste dans une direction dépravée du globe de l'oeil, qui rend louche, qui fait regarder de-travers, soit en-haut, soit enbas, soit sur les côtés. L'on convient assez généralement que cette indisposition dépend de la contraction de quelques muscles de l'oeil, & du relâchement de leurs antagonistes, & que les muscles contractés tirent le globe de leur côté, pendant que les muscles relâchés cedent à leur action. On donne pour preuve de ce sentiment, que les enfans sont sujets à devenir louches, par la faute de ceux qui les placent dans leurs berceaux, de maniere qu'ils ne voyent la lumiere, ou certains objets remarquables, qu'obliquement ; les muscles habitués à cette contraction, s'y affermissent & tournent toujours les yeux de ce côté-là. Pour y remédier, on change la situation des enfans, on met du côté opposé les objets qui les attachoient ; on leur met des mouches de taffetas gommé, pour leur faire tourner l'oeil de ce côté. Paul d'Aegine a inventé un masque qui couvre les yeux, & où il n'y a que deux petits trous correspondans au centre de la vue, pour recevoir directement les rayons lumineux : c'est ce que les modernes ont nommé bésicles. M. de Buffon a parlé du strabisme, dans les mémoires de l'académie royale des Sciences, & a conseillé d'obliger les enfans de se regarder souvent dans un miroir, afin de se redresser la vue. Antoine Maître-Jan, fameux chirurgien & oculiste, prétend que le strabisme ne dépend pas de l'action des muscles, mais d'une mauvaise conformation de la cornée transparente, plus tournée d'un côté que de l'autre ; que c'est un vice naturel, irréparable, & que tous les moyens proposés pour rendre la vue droite à ceux qui l'avoient de travers, ont été sans effets. Cette matiere offre encore un champ à des observations très-utiles. (Y)


STRACCIA-CAPPA(Géog. mod.) petit lac d'Italie, dans l'état de l'Eglise, au patrimoine de saint Pierre, entre le lac de Bracciano & celui de Bacano, environ à deux milles de chacun de ces lacs. C'est le Papirius, ou Papirianus lacus des anciens.


STRACTIONS. f. terme d'Imprimerie, il se dit particulierement lorsqu'on ôte avec une pointe quelques lettres d'une forme déjà imprimée, pour en remettre d'autres à la place, qui ayent été lessivées, afin de les imprimer en rubrique, & que l'encre noire ne gâte point la rouge. En général straction, qu'il faudroit dire extraction, signifie tirer un caractere ou un quadrat, pour les remplacer par d'autres. (D.J.)


STRAFFORD(Géog. mod.) Voy. STRATFORD.


STRAGENICKS. m. (Hist. mod.) c'est le nom qu'on donne en Pologne à un officier général qui commande l'avant-garde de l'armée de la république.


STRAGONA(Géog. mod.) ville de la Germanie, selon Ptolémée, liv. II. chap. xj. Quelques savans croyent que c'est aujourd'hui Posnanie ou Posen, ville de Pologne. Il est du-moins certain que Posen est fort ancienne.


STRALEN(Géog. mod.) ville des Pays - bas, dans le haut quartier de Gueldre, entre Gueldre & Venlo. Les François s'en saisirent en 1672, & en ruinerent les fortifications. Long. 25. 50. latit. 51. 26. (D.J.)


STRALSUNDE(Géog. mod.) ville d'Allemagne, dans la Poméranie ultérieure, sur la côte de la mer Baltique, vis-à-vis l'île de Rugen. Elle fut bâtie par les Danois l'an 1211, devint ensuite libre, impériale, & anséatique ; c'est aujourd'hui une des fortes villes d'Allemagne, & la plus considérable du cercle de la haute - Saxe. Elle jouit du privilege de battre monnoie, de nommer le gouverneur de l'île de Rugen, & de ne rien fournir lorsque l'Empire est en guerre. Long. 31. 10. latit. 54. 20. (D.J.)


STRAMONIUMS. m. (Botanique) Tournefort établit douze especes de ce genre de plante, & nomme pour la premiere celle qui est à fleurs blanches & à fruit rond épineux. I. R. H. 118. datura pericarpiis erectis, ovatis, Hort. cliff. 55. en anglois, the round thorny fructed apple, & vulgairement en françois, pomme épineuse : sa racine est grosse, blanche, fibreuse, ligneuse, annuelle. Elle pousse une tige à la hauteur de trois piés, quelquefois même à la hauteur d'un homme, grosse comme le pouce, ronde, creuse, divisée en plusieurs branches tant soit peu velues : ses feuilles sont larges, anguleuses, pointues, ressemblantes à celles du solanum, mais beaucoup plus grandes, placées alternativement, sinuées sur leurs bords, attachées à des longues queues, molles, grasses, d'un verd foncé, d'une puanteur exécrable & assoupissante.

Sa fleur est une grande cloche blanche, soutenue par un calice oblong, découpé dans le haut en cinq dentelures, ayant dans le milieu cinq étamines, à sommets jaunes, applatis.

Lorsque cette fleur est passée, il lui succede un fruit comme une noix commune, encore vêtue de sa premiere écorce, presque rond, garni tout-au-tour de pointes courtes, grosses, peu piquantes ; ce fruit dans sa maturité s'ouvre en quatre parties égales, séparées par des cloisons membraneuses, où sont attachées plusieurs semences noires, un peu applaties, semblables à un petit rein, d'un goût désagréable.

On cultive cette plante dans les jardins ; on la trouve quelquefois à la campagne dans des terreins gras ; elle fleurit en été, & ses graines mûrissent en automne. Toute cette plante est narcotique & stupéfiante ; on ne doit jamais l'employer intérieurement, pas même en lavement, à cause de ses mauvais effets, dont on a plusieurs observations. Le meilleur remede peut-être contre cette espece de poison, seroit d'employer la boisson du vinaigre, & d'autres acides ; on conseille communément le vomissement, la thériaque, & les sels volatils. (D.J.)


STRAMULIPou STRAMUZUPA, (Géog. mod.) province de la Grece, aujourd'hui soumise aux Turcs. Elle a pour bornes au midi le pays d'Athènes, au nord de la province d'Ianna, à l'orient le détroit de Négrepont, & à l'occident la Livadie propre.

Cette contrée est l'ancienne Béotie, dont l'air passoit pour être épais, & les habitans pour des gens grossiers. C'est cependant sous cet atmosphere épais, qui donna lieu à tant de proverbes, qu'étoient nés Pindare & Plutarque, l'un le poëte le plus sublime, l'autre un des esprits des plus sensés & des plus déliés qui ayent jamais paru ; mais il ne faut pas croire que les habitans modernes de Stramulipa tirent vanité de ces deux beaux génies : loin de savoir qu'ils sont nés dans leur pays, ils n'en ont jamais entendu parler. (D.J.)


STRAND-FRISEN(Géog. mod.) en latin Frisia cimbrica ; c'étoit anciennement une grande contrée de la Chersonese cimbrique. Elle est maintenant renfermée dans le duché de Slesvic, en Jutland. (D.J.)


STRANGFORD(Géogr. mod.) havre ou port d'Irlande, dans la province d'Ulster, au comté de Down. Ce havre est long de cinq à six milles, mais son entrée est traversée d'une barre de rochers, les uns cachés, les autres découverts, & qui tous sont fort dangereux. Vers le milieu de la longueur de ce havre, est un bourg qui lui donne son nom. (D.J.)


STRANGURIES. f. en Médecine, est une maladie qui occasionne une émission d'urine fréquente & involontaire, mais en très-petite quantité, & pour ainsi dire, goutte-à-goutte, accompagnée de douleurs violentes. Voyez URINE. Ce mot est formé du grec , gutta, goutte, & , urine.

La difficulté d'urine vient de la trop grande acrimonie de l'urine, qui picotant les parties nerveuses de la vessie, occasionne une envie d'uriner perpetuelle.

La biere nouvelle, & autres liqueurs qui n'ont pas bien fermenté, cause ordinairement cette maladie. La grande acreté de l'urine dans la strangurie, produit quelquefois un ulcere dans la vessie. Quelques auteurs confondent la strangurie que les Latins appellent urinae stillicidium avec l'urinae incontinentia. La différence consiste en ce que dans la premiere l'urine sort avec douleur, & dans la derniere sans douleur. La premiere vient de l'âcreté de l'urine, & la derniere d'un relâchement ou paralysie du sphincter de la vessie qui ne peut plus tenir le col de la vessie fermé. Voyez URINE.

La strangurie demande les remedes délayans, adoucissans, les diurétiques froids, &c. tels sont l'infusion de racine de guimauve, les fleurs de mauve, de bouillon blanc, les émulsions avec les semences froides, celle de pavôt & de graine de lin, les eaux de pariétaire, de mélilot, de camomille ; l'eau de poulet & de veau émulsionnée, l'eau de gruau, la semouille, & autres alimens de cette nature, sont les principaux remedes qui conviennent dans cette maladie.

Les lavemens émolliens, les demi-bains, les fomentations émollientes, les cataplasmes adoucissans appliqués sur le bas-ventre sont très - efficaces ici.


STRANTAWEou STRANTAVER, (Géogr. mod.) petite ville d'Ecosse, dans la province de Galloway, au fond du golfe de Rian, au sud-ouest d'Edimbourg. Long. 12. 50. lat. 52. 18. (D.J.)


STRAPASSERSTRAPASSONNER, (Peinture) se dit d'un dessein ou d'un tableau, où le peu de beauté qui s'y trouve paroissent plutôt l'effet d'une boutade, si l'on peut ainsi parler, que de la reflexion, dont presque toutes les parties sont forcées ou estropiées, & où regne enfin la confusion, le desordre & la négligence, au point que les choses ne sont, comme on dit, ni faites, ni à faire, quoiqu'elles soient cependant de façon à laisser voir que le peintre n'est pas sans talent. On ne se sert cependant guere que du terme strapasser.


STRAPONTINS. m. terme de Sellier, petit siege qu'on met sur le devant d'un carrosse coupé, pour suppléer au défaut d'un second fond ; ce siege peut se lever & se baisser. (D.J.)


STRASBOURG(Géog. mod.) ville de France, capitale de l'Alsace, sur la riviere d'Ill, proche le Rhin, à 20 lieues au nord de Basle, à 28 est de Nancy, à 36 sud-est de Luxembourg, à 44 sud-est de Mayence, à 145 ouest de Vienne, & à 102 au levant de Paris. Long. suivant Cassini, 25. 21. 30. lat. 48. 35. 30.

Cette ville est une des plus considérables du royaume par sa situation, & par l'importance des fortifications que Louis XIV. y fit faire après s'en être rendu le maître en 1681. Comme la riviere d'Ill passe au-travers de Strasbourg, avant que de se jetter dans le Rhin, il y a six ponts pour la communication des différens quartiers de la ville. Deux de ces ponts sont de pierre, & les quatre autres ne sont que de bois.

Ses principaux édifices sont bâtis de pierre rouge, dure & solide, qu'on tire des carrieres qui sont du côté de Saverne, ou le long du Rhin. On compte parmi les édifices publics, l'hôtel-de-ville, celui de l'intendant, l'évêché, la comédie, l'arsenal, l'hôpital des bourgeois, & celui des soldats.

Les habitans montent à environ vingt-huit mille ames. La ville a six paroisses & six couvents, trois d'hommes & trois de filles. L'église cathédrale, dédiée à Notre-Dame, est belle & ancienne ; sa tour commencée en 1229, n'a été finie qu'en 1449 ; c'est une pyramide de 574 piés de haut, & on y monte par un escalier qui a 635 marches. L'horloge qui est dans l'église est d'un grand travail, aussi composé qu'inutile.

L'évêché de Strasbourg, fondé vraisemblablement dans le vij. siecle, est le plus riche de France, & l'étoit encore davantage autrefois ; cependant il vaut encore à-présent environ deux cent quatre-vingt mille livres, & a deux grands bailliages qui en dépendent. L'évêque est suffragant de Mayence, & prince de l'Empire : quand ce siege devient vacant, ce sont les douze chanoines capitulaires qui élisent leur évêque, & c'est toujours conformément aux desirs du roi.

Le chapitre de la cathédrale de Strasbourg est un des plus nobles qu'il y ait dans l'Eglise. Ce chapitre est composé de 12 chanoines capitulaires, & de 12 chanoines domiciliers. Les capitulaires ont entrée & voix délibérative au chapitre : le revenu de leurs canonicats est d'environ six mille livres année commune. Les chanoines domiciliers n'entrent point au chapitre, mais ils parviennent par ancienneté aux places des capitulaires, à mesure qu'elles deviennent vacantes. Les chanoines capitulaires ne peuvent être admis qu'après avoir pris le sousdiaconat. Leur premiere dignité est celle de grand-prevôt ; c'est le saint siége qui y nomme ; suivant le concordat germanique passé entre le pape Nicolas V. & l'empereur Fréderic III. l'an 1447.

L'évêque de Strasbourg a son official, & le chapitre a le sien. Les revenus de la fabrique de la cathédrale peuvent monter à quarante mille livres par an, & sont distingués des revenus de l'évêque, & de ceux du chapitre. L'administration en appartient aux magistrats, qui les employent aux réparations & à l'entretien de l'église.

L'université de Strasbourg a obtenu ses premiers privileges l'an 1566 de l'empereur Maximilien II. Elle est composée des quatre facultés, & régie par des professeurs luthériens.

Strasbourg est un gouvernement de place du gouvernement militaire d'Alsace, avec état major. Le roi a dans cette ville une forte garnison, dont les soldats sont logés dans des cazernes bâties aux fraix des habitans.

Le premier auteur qui ait parlé de Strasbourg est Ptolomée, qui en étoit fort mal informé. Il la place dans le canton ou province des Vangions ; mais elle appartient certainement aux Tribocques. Les Vangions & les Tribocques n'étoient pas même limitrophes, puisque les Németes devoient être situés entre ces deux peuples. Je ne dirai pas pour cela qu'Argentoratum ait commencé à ce tems-là seulement ; comme c'étoit une ville déja fameuse dans le second siecle, où elle eut pour garnison une légion entiere, il ne faut pas douter qu'elle ne doive répeter son origine de tems plus reculés. Cependant comme le nom d'Argentoratum paroît romain, je ne voudrois pas placer cette origine au-delà des tems de la conquête des Gaules par César. Il y a même apparence qu'elle étoit un des cinquante châteaux ou forteresses que Drusus, beau-fils d'Auguste avoit bâties le long du Rhin, pour la défense du pays contre les Germains, & que c'est de-là qu'elle a tiré son origine. L'empereur Julien, dans sa lettre aux Athéniens, nomme cette ville , en quoi il a été suivi par l'historien Zosime.

Le nom de Strasbourg ne se trouve point avant le vj. siecle ; Grégoire de Tours est le premier qui en parle, l'appellant Strateburgum. Les fréquentes irruptions des Allemands dans les Gaules, aux troisieme & quatrieme siecles, & des autres barbares, dans le cinquieme siecle, désolerent & ruinerent tellement cette ville, qu'elle perdit beaucoup de son lustre. Elle fut même plus maltraitée que les autres situées sur le Rhin, ce qui est cause que Worms, Spire, Mayence, peuvent encore montrer plus de restes d'antiquités romaines que Strasbourg.

Cependant cette ville se releva insensiblement, & acquit de la puissance. Elle se soumit avec peine à l'empereur Othon, ayant tenu avec son évêque Ruthard le parti du duc Giselbert, opposé à celui des empereurs. Les ducs d'Allemagne n'en étoient point souverains, quoiqu'ils commandassent dans la province ; & les évêques même malgré leur crédit, n'en étoient pas seigneurs temporels, ou maîtres absolus.

L'empereur Lothaire le Saxon, ayant été couronné à Liege par le pape Innocent II. l'an 1121, prit spécialement cette ville sous sa protection. Son exemple fut suivi par Maximilien I. qui lui donna le privilege de battre monnoie d'or. L'empereur Sigismond lui accorda le droit de tenir une foire franche. Enfin Maximilien II. Rudolphe II. son fils, & l'empereur Sigismond l'honorerent encore de nouvelles faveurs.

Voici quelques hommes de lettres, dont elle est la patrie.

Eisenschmid (Jean-Gaspard) y naquit en 1656, & mourut en 1712. Il s'est fait connoître par un livre sur la figure de la terre elliptico - sphéroïde, & par un traité sur les poids, les mesures, & les monnoies anciennes.

Micyllus (Jacques), poëte & littérateur, s'acquit de la réputation par des commentaires sur Homere, une vie d'Euripide, & des poésies latines. Il mourut en 1558, âgé de 55 ans. Son véritable nom étoit Molser ; mais il représenta si bien au college le personnage de Micyllus, que Lucien introduit dans son dialogue intitulé le songe, qu'on s'accoutuma à lui donner le nom de Micyllus, qu'il porta toujours depuis.

Obrecht (Ulric) fut d'abord attaché aux intérêts de la maison d'Autriche, & publia quelques ouvrages pour les soutenir ; mais après la prise de Strasbourg par Louis XIV. il changea de sentiment, & se fit catholique, ce qui lui valut la charge de préteur royal de sa patrie. Il mourut en 1701 à l'âge de 55 ans. Il a fait plusieurs ouvrages de politique, tant en latin qu'en françois, & quelques-uns de littérature ; mais les uns & les autres sont tombés dans l'oubli.

Scheffer (Jean) né à Strasbourg en 1621, fut appellé tout jeune en Suede par la reine Christine, qui le fit professeur à Upsal, où il mourut en 1679. Il s'est distingué par d'excellens ouvrages ; tels sont 1°. Upsalia antiqua ; 2°. Suecia litterata ; 3°. de militiâ navali veterum ; 4°. de torquibus antiquorum ; 5°. de naturâ philosophiae pythagoricae ; 6°. Laponiae descriptio. (D.J.)

STRASBOURG, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans l'Uckermarck, aux confins de la Poméranie, sur le bord d'un petit lac, environ à trois lieues au nord de l'Uckersée.


STRASITESS. m. (Hist. nat. Lithologie) nom d'une pierre inconnue dont parlent quelques auteurs qui lui attribuent la vertu d'exciter à l'amour, & de faciliter la digestion ; on ne nous en donne aucune description.


STRASTNITS(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Moravie, au cercle d'Olunitz, remarquable par ses eaux minérales, bien plus que pour avoir donné la naissance à Nicolas Drabicius, fameux enthousiaste du xvij. siecle, qui par ses visions & ses prophéties, fit beaucoup de peine à la maison d'Autriche. Ses révélations extravagantes furent imprimées sous le titre de lux in tenebris ; mais la cour de Vienne ayant su qu'il en étoit l'auteur, chercha les moyens de la punir ; ensorte qu'il fut obligé pour éviter sa perte, de se sauver en Turquie où il mourut. Je ne crois pas que Ragotski ait ajouté la moindre foi aux prophéties de Drabicius ; mais il a pu croire que c'étoit une puissante machine pour amener de grandes révolutions sur la scene, que d'y préparer les peuples par des visions publiées avec enthousiasme. (D.J.)


STRATAdans l'Histoire naturelle, sont plusieurs lits ou couches de différentes matieres dont le corps de la terre est composé. Voyez TERRE.

Les strata comprennent toutes les couches de terres, minéraux, métaux, pierres, &c. qui sont sous la derniere couverture ou lit qu'on appelle terre. Voyez FOSSILE, MINERAL, METAL, &c.

C'est sans-doute dans le tems de la création, que ces différens lits ont été arrangés ; à-moins qu'on ne suppose avec quelques grands naturalistes, comme Stenon, le docteur Woodward, &c. que le globe de la terre a été dissous par les eaux du déluge. Voyez DELUGE.

En quelque tems que ce soit, dit M. Derham, que le globe terrestre ait été dans l'état de chaos, & que les particules terrestres se soient affaissées, ces différens lits ont été arrangés alors dans cet ordre commode dans lequel nous les voyons ; & ils l'ont été, à ce qu'on dit, suivant les loix de la pesanteur, c'est-à-dire, de maniere que les plus bas sont toujours plus pesans que ceux qui sont au-dessus.

Mais le docteur Leigh, parlant des mines de charbon, dans son histoire naturelle de Lancastre, nie que les strata soient placés suivant les regles de la pesanteur ; & il observe que dans ce pays-là les couches sont arrangées ainsi ; d'abord un lit de marne, ensuite trois lits de pierre, ensuite un lit de mine de fer, ensuite un de charbon, ensuite quelques autres lits, ensuite un autre lit de charbon, &c.

Cela détermina M. Derham à faire une recherche plus exacte sur cette matiere : en effet, en 1712 il fit fouiller la terre en différens endroits, mettant à part les différens lits, & ensuite il détermina bien exactement leur pesanteur spécifique. Le résultat fut qu'en un endroit les lits étoient par degrés spécifiquement de plus pesans en plus pesans, à mesure qu'ils alloient en avant ; mais dans un autre endroit, il ne put pas appercevoir de différence dans les pesanteurs spécifiques.

En ayant donné avis à la société royale, M. Hauksbée qui en est l'opérateur, reçut ordre d'examiner les lits d'une mine de charbon, qui étoit creusée à la profondeur de 30 lits. Il a donné dans les Transactions philosophiques une table de l'épaisseur & de la pesanteur spécifique de chacun de ces lits : & la conséquence qui en résulte, est qu'il paroît évidemment que les différens lits ne sont point rangés par ordre de pesanteur, mais purement au hasard comme ils se sont trouvés mêlés. Voyez VEINES, CHARBON.


STRATAGEMES. m. (Art milit.) ruse de guerre, ou artifice pour surprendre & tromper l'ennemi. Ce mot vient du grec , je commande une armée ; les anciens employoient beaucoup les stratagèmes ; mais les modernes font la guerre plus ouvertement ; Polyen & Frontin ont fait une collection des anciens stratagèmes de guerre. Voyez RUSES MILITAIRES. Chambers.


STRATARITHMOMÉTRIEen guerre, est l'art de tirer le plan d'une armée entiere, ou de partie d'une armée sous quelque figure géométrique, & d'exprimer le nombre des soldats qu'elle contient, sur la figure, de même qu'il est sur le terrein, ou proche les uns des autres, ou à quelque distance donnée. Harris.

Ce mot est formé du grec , armée, , nombre, & , mesure. Chambers. Ce mot n'est point d'usage, au-moins en France. (Q)


STRATARYHMÉTRIES. f. (Tactiq. milit.) c'est l'art de ranger en bataille un bataillon sur une figure géométrique donnée, & de trouver le nombre d'hommes que contient ce bataillon, soit qu'on les voie de près, ou qu'on les voie de loin. (D.J.)


STRATEGES. m. (Antiq. grecq. & Médailles) ; c'est dans Démosthène le nom du général d'armée chez les Athéniens. Tous les ans sur la fin de l'année, les Athéniens en élisoient dix pour commander leurs armées ; & cette élection se faisoit dans le pnyce, en même tems que celle des magistrats.

Le mot de vint insensiblement à désigner tout chef, tout supérieur ; il arriva même qu'on donne ce nom à des hommes qui exerçoient des charges purement civiles ou sacrées. On trouve dans les actes des apôtres, ch. xvj. v. 20. ce mot employé pour signifier les magistrats d'une ville, , c'est-à-dire, & les amenant devant les magistrats.

Remarquez aussi que le mot , d'où est dérivé , ne signifie pas toujours une armée, & qu'il désigne quelquefois plusieurs gens assemblés, & des spectateurs, comme dans l'Electre de Sophocle, vers 750.

Enfin, dans les siecles suivans, lorsqu'on voulut désigner un général d'armée, on ne se servoit plus du mot , seul, dont la signification étoit devenue trop vague ; mais on se vit contraint d'ajouter , pour la déterminer & la restreindre. Cette pratique parut d'autant plus nécessaire, qu'au généralat de l'armée, on joignit plusieurs autres charges qui n'étoient nullement militaires, telles qu'étoient l'édilité & l'intendance des grains.

On voit par ce détail que le mot a reçu deux significations, l'une militaire, & l'autre civile ; c'est dans cette derniere signification, qu'il est employé sur les médailles des villes grecques, pour désigner un magistrat dont la charge répondoit à celle de prêteur. Le nom de cette magistrature passa de la Grece en Ionie, où il se communiqua à plusieurs villes d'Asie ; les unes, dit Vaillant, ont eu des archontes pour magistrats, & les autres des strateges. L'expression de ce savant antiquaire ne paroît pas exacte dans la généralité, suivant la remarque de M. l'abbé du Belley ; parce que quelques villes ont eu l'une & l'autre magistrature, l'archontat & le stratégat. M. Spanheim cite pour exemples, les villes d'Apollonis en Lydie, & celle de Milet. Il leur faut ajouter la ville de Sardes, comme il paroît par un médaillon de Caracalla, & par une médaille d'Otacilia. Le stratégat étoit annuel, & comme il y avoit dans une ville plusieurs archontes, il y avoit aussi plusieurs stateges, ou prêteurs. (D.J.)


STRATÉGIENMOIS, (Calendrier) le mois stratégien étoit le neuvieme des Bithyniens ; il répondoit, selon quelques chronologistes, au mois de Mai du calendrier julien & grégorien. (D.J.)


STRATEGUESterme de Marine ancienne, c'étoient des officiers chargés de nommer les triérargues. Voyez TRIERARGUES.


STRATELATES. m. (Empire grec) nom d'un officier de guerre du tems de l'empire grec. Zozime & Jornandès en parlent, & il paroît que c'étoit le commandant des troupes d'un canton dans une province. (D.J.)


STRATFORou STRETFORD, (Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans Warvick-shire, sur l'Avon, qu'on y passe sur un fort beau pont de pierre de taille de quatorze arches, construit aux dépens de Hugues Clopton, maire de Londres, qui voulut laisser à sa patrie ce monument de son affection. Il n'y a pas long-tems qu'on montroit encore dans ce bourg, la maison où Shakespeare (Guillaume) étoit mort en 1626 ; on la regardoit même comme une curiosité du pays, dont les habitans regrettoient la destruction ; tant ils sont jaloux de la gloire de la naissance de ce génie sublime, le plus grand qu'on connoisse dans la poésie dramatique.

Il vit le jour à Stratford en 1564, son pere qui étoit un gros marchand de laine, ayant dix enfans, dont Shakespeare étoit l'aîné, ne put lui donner d'autre éducation, que de le mettre pendant quelque tems dans une école publique, pour qu'il suivît ensuite son commerce. Il le maria à l'âge de dix-sept ans avec la fille d'un riche paysan, qui faisoit valoir son bien dans le voisinage de Stratford. Shakespeare jeune, & abandonné à lui-même, vit des libertins, vint à Londres, & fit connoissance avec des comédiens. Il entra dans la troupe, & s'y distingua par son génie tourné naturellement au théâtre, sinon comme grand acteur, du-moins comme excellent auteur. Ce seroit un plaisir pour un homme curieux des anecdotes du théâtre anglois, de savoir quelle a été la premiere piece de cet auteur ; mais c'est ce qu'on ignore. On ne sait pas non plus le tems précis qu'il quitta le théâtre pour vivre tranquillement ; on sait seulement que ce ne fut qu'après l'année 1610.

Plusieurs de ses pieces furent représentées devant la reine Elisabeth, qui ne manqua pas de donner au poëte des marques de sa faveur. C'est évidemment cette princesse qu'il a eu en vûe dans son songe d'été, quand il dit : " une belle vestale couronnée dans l'occident " ; & tout cet endroit est un compliment joliment amené, & adroitement appliqué à la reine. L'admirable caractere de Falstaffe dans la piece de Henri IV. lui plût si fort, qu'elle dit à Shakespeare de le faire paroître amoureux dans une autre piece ; & ce fut-là ce qui produisit les commeres de Windsor, piece qui prouve que la reine fut bien obéie.

Mais Shakespeare reçut des marques extraordinaires d'affection du comte de Southampton, fameux dans l'histoire de ce tems-là, par son amitié pour le comte d'Essex. Ce seigneur lui fit à une seule fois un présent de mille livres sterling, pour l'aider dans une acquisition qu'il souhaitoit de se procurer. Il passa les dernieres années de sa vie dans l'aisance & dans le commerce de ses amis. Son esprit & son bon caractere lui valurent la recherche & l'amitié de la noblesse, & des gentilshommes du voisinage.

M. Rowe dit qu'on raconte encore dans la comté, une histoire assez plaisante sur ce sujet. Il étoit particulierement lié avec un vieux gentilhomme nommé Combe, très-connu par ses richesses & par son caractere usurier. Un jour qu'ils étoient en compagnie d'amis, M. Combe dit en riant à Shakespeare, qu'il s'imaginoit qu'il avoit dessein de faire son épitaphe, en cas qu'il vint à mourir, & que comme il ne sauroit point ce qu'on diroit de lui quand il seroit mort, il le prioit de la faire tout de suite : sur ce discours, Shakespeare fit quatre vers, dont voici le sens : " Cy gît, dix pour cent ; il y a cent contre dix, que son ame soit sauvée : si donc quelqu'un demande qui repose dans cette tombe : Ho ! ho ! répond le diable, c'est mon Jean de Combe. "

Ce M. Combe est vraisemblablement le même, dont Dugdale dit dans ses Antiquités de Warwickshire, qu'il a un monument dans le choeur de l'église de Stratford, avec l'épitaphe suivante : " Ici est enterré le corps de Jean Combe, écuyer, mort le 10 Juillet 1614. Il a légué diverses charités annuelles à la paroisse de Stratford, & cent liv. sterling pour les prêter à quinze pauvres marchands, de trois en trois ans, en changeant les parties chaque troisieme année, à quinze shellings par an, dont le gain sera distribué aux pauvres du lieu ". Cette donation a tout l'air de venir d'un usurier riche & raffiné.

Shakespeare mourut lui-même deux ans après dans la cinquante-troisieme année de son âge, & laissa très-peu d'écrits, mais ceux qu'il publia pendant sa vie ont immortalisé sa gloire. Ses ouvrages dramatiques parurent pour la premiere fois tous ensemble, à Londres en 1623, in-fol. & depuis MM. Rowe, Pope & Théobald en ont publié de nouvelles éditions. J'ignore si celle que M. Warburton avoit projettée, a eu lieu. Il devoit y donner dans un discours préliminaire, outre le caractere de Shakespeare & de ses écrits, les regles qu'il a observées pour corriger son auteur, avec un ample glossaire, non de termes d'art, ni de vieux mots, mais des termes auxquels le poëte a donné un sens particulier de sa propre autorité, & qui faute d'être entendus, répandent une grande obscurité dans ses pieces. Voyons maintenant ce qu'on pense du génie de Shakespeare, de son esprit, de son style, de son imagination, & de ce qui peut excuser ses défauts. Qu'on ne s'étonne pas si nous entrons dans ces détails, puisqu'il s'agit du premier auteur dramatique d'entre les modernes.

A l'égard de son génie, tout le monde convient qu'il l'avoit très - beau, & qu'il devoit principalement à lui-même ce qu'il étoit. On peut comparer Shakespeare, selon Adisson, à la pierre enchassée dans l'anneau de Pyrrhus, qui représentoit la figure d'Apollon avec les neuf muses dans ses veines, que la nature y avoit tracées elle-même, sans aucun secours de l'art. Shakespeare est de tous les auteurs, le plus original, & qui ne doit rien à l'imitation des anciens ; il n'eut ni modeles, ni rivaux, les deux sources de l'émulation, les deux principaux aiguillons du génie. Il est un exemple bien remarquable de ces sortes de grands génies, qui par la force de leurs talens naturels, ont produit au milieu de l'irrégularité, des ouvrages qui faisoient les délices de leurs contemporains, & qui font l'admiration de la postérité.

Le génie de Shakespeare se trouvoit allié avec la finesse d'esprit, & l'adresse à ménager les traits frappans. M. le Blanc rapporte un endroit fin de la tragédie de César. Décius, parlant du dictateur, dit : " Il se plaît à entendre dire, qu'on surprend les lions avec des filets, & les hommes avec des flatteries, &c. mais quand je lui dis, qu'il hait les flatteurs, il m'approuve, & ne s'apperçoit pas que c'est en cela que je le flatte le plus ". Dans sa tragédie de Macbeth, il représente avec beaucoup d'adresse l'impression naturelle de la vertu ; on voit un scélérat effrayé sur ce qu'il remarque la modération du prince qu'il va assassiner. " Il gouvernoit, dit-il en parlant de ce prince, avec tant de douceur & d'humanité " ; d'où il conclud que toutes les puissances divines & humaines se joindroient ensemble pour venger la mort d'un roi si débonnaire. Mais il ne se peut rien de plus intéressant que le monologue de Hamlet, prince de Danemarck, dans le troisieme acte de la tragédie de ce nom : on sait comme M. de Voltaire a rendu ce morceau. C'est Hamlet qui parle.

Demeure, il faut choisir, & passer à l'instant

De la vie à la mort, ou de l'être au néant.

Dieux cruels, s'il en est, éclairez mon courage !

Faut-il vieillir courbé sous la main qui m'outrage,

Supporter ou finir mon malheur & mon sort ?

Qui suis-je ? qui m'arrête ? & qu'est-ce que la mort ?

C'est la fin de nos maux ; c'est mon unique asyle ;

Après de longs transports, c'est un sommeil tranquille ;

On s'endort, & tout meurt ; mais un affreux réveil

Doit succéder peut-être aux douceurs du sommeil !

On nous menace ; on dit que cette courte vie,

De tourmens éternels est aussi-tôt suivie.

O mort ! moment fatal ! affreuse éternité !

Tout coeur à ton seul nom se glace épouvanté.

Eh, qui pourroit sans toi supporter cette vie ;

De nos prêtres menteurs bénir l'hypocrisie ;

D'une indigne maîtresse encenser les erreurs ;

Ramper sous un ministre, adorer ses hauteurs,

Et montrer les langueurs de son ame abattue

A des amis ingrats qui détournent la vue ?

La mort seroit trop douce en ces extrêmités,

Mais le scrupule parle & nous crie, arrêtez ;

Il défend à nos mains cet heureux homicide,

Et d'un héros guerrier fait un chrétien timide.

Par rapport au style, il est certain que ses expressions sont quelquefois sublimes. Dans les tableaux de l'Albane, les amours de la suite de Vénus ne sont pas représentés avec plus de grace, que Shakespeare n'en donne à ceux qui font le cortege de Cléopatre, dans la description de la pompe avec laquelle cette reine se présente à Antoine sur les bords du Cydneis ; mais à des portraits où l'on trouve toute la noblesse & l'élévation de Raphaël, succedent quelquefois de misérables tableaux dignes des peintres de taverne, qui ont copié Téniers.

Son imagination étoit vive, forte, riche & hardie. Il anime les fantômes qu'il fait paroître ; il communique toutes les impressions des idées qui l'affectent, & les spectateurs ont de la peine à se défendre de la terreur qu'inspirent les scenes des spectres de ce poëte. Il y a quelque chose de si bizarre, & en même tems de si grave dans les discours de ses fantômes, de ses fées, de ses sorciers, & de ses autres personnages chimériques, qu'on imagine que s'il y avoit de tels êtres au monde, ils parleroient & agiroient de la maniere dont il les a représentés.

L'obscurité des oracles de Shakespeare n'est souvent obscurité que pour ceux qui n'ont pas eu l'avantage d'en découvrir les beautés. Par exemple, dans le songe d'été, acte II. le roi des fées dit à son confident : " Tu te souviens du jour qu'assis sur le haut d'un promontoire, j'écoutois les chants d'une sirene portée sur le dos d'un dauphin ; elle remplissoit les airs d'accens si doux & si mélodieux, que la mer en fureur se calma aux charmes de sa voix, & que certaines étoiles se précipiterent follement de leurs spheres, pour prêter l'oreille aux sons harmonieux qu'elle faisoit retentir ".

Le but de l'auteur dans cette allégorie a été de faire l'éloge & la satyre de Marie, reine d'Ecosse, en couvrant néanmoins les deux vues qu'il avoit. D'abord la maniere dont il place le lieu de la scene, montre que c'est dans le voisinage de l'île de la grande Bretagne ; car il représente celui qui parle, attentif à la voix de la sirene, dans le même tems qu'il voyoit l'attentat de l'amour contre la vestale (la reine Elisabeth).

La sirene sur le dos du dauphin désigne clairement le mariage de la reine Marie avec le dauphin de France. Le poëte la représente sous l'image d'une sirene par deux raisons ; & parce qu'elle étoit reine d'une partie de l'île, & à cause de ses dangereux attraits. Remplissoit l'air d'accens si doux & si mélodieux ; voilà qui fait allusion à son esprit & à ses connoissances, qui la rendirent la femme la plus accomplie de son tems.

Les historiens françois rapportent que pendant qu'elle étoit à la cour de France & dauphine encore, elle prononça une harangue latine dans la grande-salle du Louvre avec tant de grace & d'éloquence, que toute l'assemblée en fut ravie d'admiration.

Que la mer en fureur se calma aux charmes de sa voix ; par-là l'auteur entend l'Ecosse, qui fut longtems contr'elle. Ce trait est d'autant plus juste, que l'opinion commune est que les sirenes chantent durant la tempête.

Certaines étoiles se précipiterent follement de leurs spheres, pour prêter l'oreille aux sons harmonieux qu'elle faisoit retentir. C'est ce qui fait allusion en général aux divers mariages qu'on lui proposa ; mais cela regarde plus particulierement la fameuse négociation du duc de Norfolk avec elle ; négociation qui lui ayant été si fatale, aussi-bien qu'au comte de Northumberland & à plusieurs autres illustres familles, on pouvoit dire avec assez d'exactitude, que certaines étoiles se précipiterent follement de leurs spheres.

Shakespeare possede à un degré éminent l'art de remuer les passions, sans qu'on apperçoive qu'il travaille à les faire naître, mais le coeur se serre & les larmes coulent au moment qu'il le faut. Il a encore l'art d'exciter les passions opposées, & de faire rire quand il le veut ; il connoît les ressorts de notre tendresse & ceux de nos foibles les plus frivoles, les ressorts de nos sentimens les plus vifs, comme ceux de nos sensations les plus vaines.

Il est ridicule de lui reprocher son manque de littérature, puisqu'il est certain qu'il montre dans ses pieces beaucoup de connoissances, & qu'il nous importe fort peu de savoir dans quelle langue il les a acquises. On voit qu'il avoit une bonne teinture de l'Histoire ancienne & moderne, de la Mythologie, & de ce qui constitue l'érudition poétique. Non-seulement l'esprit, mais les moeurs des Romains se trouvent peintes dans Coriolan & dans Jules-César, suivant les divers tems où ils ont vécu. Ses descriptions sont exactes, & ses métaphores en général assez justes. Il connoissoit les dramatiques grecs & latins, & l'on sait qu'il a emprunté de Plaute l'intrigue d'une de ses pieces. Il ne se montre pas quelquefois moins habile dans la critique qu'il fait des défauts de style ou de composition des autres auteurs. En voici deux exemples.

Dans la piece intitulée, Tout ce qui finit bien, est bien, acte V. scene II. Parolles représente ses malheurs au paysan par une métaphore sale & grossiere ; voyant que le paysan se bouchoit le nez, Parolles dit : Il n'est pas nécessaire que vous vous bouchiez le nez : je parle par métaphore. Le paysan répond : Si votre métaphore sent mauvais.... je me boucherai le nez pour les métaphores de qui que ce soit.

Dans Timon, acte V. scene III. le poëte flattant Timon par ses invectives contre l'ingratitude de ses amis, dit d'un ton ronflant : Je suis transporté de fureur, & je ne puis couvrir cette monstrueuse ingratitude d'aucune façon. Timon répond : Laissez-la nue, on ne la verra que mieux. La plaisanterie de cette réponse est excellente : elle renferme non-seulement un souverain mépris du flatteur en particulier, mais cette utile leçon en général, que les choses se voyent de la maniere la plus claire, quand on les exprime simplement.

En admirant Shakespeare, nous ne devons pas fermer les yeux sur ses défauts ; s'il étonne par la beauté de son génie, il révolte quelquefois par son comique trivial, ses pointes & ses mauvaises plaisanteries ; une scene ridicule se trouve à la suite d'une scene admirable : cependant M. Pope croit qu'on peut en quelque maniere excuser de pareils défauts dans ce poëte, & en donner des raisons, sans quoi il est difficile de concevoir qu'un si grand génie y soit tombé de gaieté de coeur. Il écrivit d'abord pour le peuple sans secours, sans avis, & sans aucune vue de réputation ; mais après que ses ouvrages eurent mérité les applaudissemens de la cour & de la ville, il perfectionna ses productions, & respecta davantage son auditoire.

Il faut encore observer que dans la plûpart des éditions de cet auteur il s'y est glissé des erreurs sans nombre, dont l'ignorance a été la source. On a mis très-injustement sur le compte du poëte quantité de fautes, qui ne viennent que des additions arbitraires, des retranchemens, des transpositions de vers, & même des scenes, de maniere que les personnages ont été confondus & les discours de l'un attribués à l'autre ; en un mot, de l'altération d'un nombre infini de passages, par la bêtise & les mauvaises corrections qu'ont faites les premiers éditeurs de ce poëte.

Pope conclud que malgré tous les défauts que la plus sévere critique peut trouver dans Shakespeare, & malgré toute l'irrégularité de ses pieces, on doit considérer ses ouvrages comparés avec d'autres plus polis & plus réguliers, comme un ancien bâtiment majestueux d'architecture gothique, comparé avec un édifice moderne d'une architecture réguliere. Ce dernier est plus élégant & plus brillant, mais le premier a quelque chose de plus fort & de plus grand. Il faut avouer qu'il y a dans l'un assez de matériaux pour fournir à plusieurs de l'autre espece. Il y regne plus de variété, & les appartemens sont bien plus vastes, quoiqu'on y arrive souvent par des passages obscurs, bisarrement ménagés & désagréables. Tout ce qu'il y a de défectueux n'empêche pas que tout le corps n'inspire du respect, quoique plusieurs des parties soient de mauvais goût, mal disposées, & ne répondent pas à sa grandeur.

Comme je goûte beaucoup le jugement plein de délicatesse & de vérité que M. Hume porte de Shakespeare, je le joins ici pour clôture. Si dans Shakespeare, dit-il, on considere un homme né dans un siecle grossier, qui a reçu l'éducation la plus basse, sans instruction du côté du monde ni des livres, il doit être regardé comme un prodige ; s'il est représenté comme un poëte qui doit plaire aux spectateurs raffinés & intelligens, il faut rabattre quelque chose de cet éloge. Dans ses compositions, on regrette que des scenes remplies de chaleur & de passion soient souvent défigurées par un mêlange d'irrégularités insupportables, & quelquefois même d'absurdités ; peut-être aussi ces difformités servent-elles à donner plus d'admiration pour les beautés qu'elles environnent.

Expressions, descriptions nerveuses & pittoresques, il les offre en abondance ; mais en vain chercheroit-on chez lui la pureté ou la simplicité du langage. Quoique son ignorance totale de l'art & de la conduite du théatre soit révoltante, comme ce défaut affecte plus dans la représentation que dans la lecture, on l'excuse plus facilement que ce manque de goût, qui prévaut dans toutes ses productions, parce qu'il est réparé par des beautés saillantes & des traits lumineux.

En un mot, Shakespeare avoit un génie élevé & fertile, & d'une grande richesse pour les deux genres du théatre ; mais il doit être cité pour exemple du danger qu'il y aura toujours à se reposer uniquement sur ces avantages, pour atteindre à l'excellence dans les beaux-arts ; peut-être doit-il rester quelque soupçon, qu'on releve trop la grandeur de son génie, à-peu-près comme le défaut de proportion & la mauvaise taille donnent quelquefois aux corps une apparence plus gigantesque. (D.J.)


STRATH-ERNE(Géogr. mod.) province de l'Ecosse méridionale. Cette province a pour bornes au nord, celle d'Athol ; au midi, celle de Menteith ; à l'orient, les provinces de Trife & de Perth ; & au couchant, celle de Braid-Albain. Elle tire son nom de la riviere d'Erne, qui la traverse dans sa longueur, car dans l'ancienne langue du pays, Strath signifie une vallée située le long d'une riviere. Les comtes de la maison de Drummond ont été long-tems gouverneurs héréditaires des provinces de Menteith & de Strath-Erne, avec titre de sénéchal. (D.J.)


STRATH-NAVERN(Géog. mod.) province de l'Ecosse septentrionale, réunie à celle de Sutherland qui la borne au midi, comme celle de Cathuen à l'orient. Sa longueur est de trente-quatre milles, & sa plus grande largeur de douze ; c'est un pays entierement montueux, & dont les montagnes sont hautes & couvertes de neige ; les forêts sont peuplées de bêtes sauvages, de cerfs, de daims, de chevreuils, & même de tant de loups, que les habitans sont obligés d'aller chaque année, en corps de commune, à la chasse de ces derniers animaux. Les rivieres les plus considérables de cette province, sont le Navern, le Torrisdail, l'Urredell, le Durenish, & le Hallowdail ; ses rivieres, les lacs, & les côtes de la mer, fournissent quantité de poissons à cette province ; ses habitans sont forts, robustes, laborieux, accoutumés à supporter toutes sortes de fatigues, le froid & le chaud, la soif & la faim ; ce sont de bonnes gens, francs, sinceres, vertueux ; ils se servent de la langue ancienne du pays, qui est un dialecte de l'Irlandoise ; ils n'ont ni villes, ni bourgs, mais des hameaux pour habitation. (D.J.)


STRATH-YLA(Géogr. mod.) petit pays d'Ecosse, dans la province de Banf. Il est arrosé par la riviere Yla, est fertile en pâturages, & abonde en carrieres de pierre de chaux. (D.J.)


STRATIESSTRATIAE, (Géogr. anc.) ville du Péloponnèse dans l'Arcadie. Quelques - uns ont cru, dit Pausanias, liv. VIII. c. xxv. que Straties, Enispe, & Ripe, dont Homere fait mention, Iliad. XIII. v. 606. étoient des îles de Ladon ; mais c'est une chimere ; cette riviere n'est pas assez large pour avoir des îles comme on en voit sur le Danube & sur le Pô. (D.J.)


STRATIFICATIONS. f. (Gram.) en chimie, disposition de différentes matieres par lits. Il y a plusieurs opérations de chimie, au succès desquelles cette manoeuvre est essentielle.


STRATIFIERv. act. mettre par lits.


STRATIOTESS. m. (Hist. nat. Bot.) nom d'un genre distinct de plante, suivant le systême de Linnaeus, & dont voici les caracteres. Le calice est composé d'une membrane à deux feuilles, comprimées, obtuses, conniventes, & carennées de chaque côté. Outre cette écorce membraneuse, la fleur a son enveloppe particuliere, qui est formée d'une seule feuille, divisée en trois segmens ; elle est droite & tombe ; la fleur est composée de trois pétales, droits, déployés, faits en coeur, & d'une grandeur double de celle du calice ; les étamines sont au nombre de vingt filets, de la longueur de l'enveloppe de la fleur, & inserées dans le réceptacle ; les bossettes des étamines sont simples ; le germe du pistil est porté sous le réceptacle du calice particulier de la fleur ; il y a six styles fendus en deux parties, & qui sont de la longueur des étamines ; les stigma sont simples ; le fruit est une baie ovale, contenant six loges, les graines sont nombreuses, oblongues, crochues, & comme aîlées ; ce genre de plante ne contient qu'une seule espece. Linnaei, gen. plant. p. 253. (D.J.)

STRATIOTES, (Botan. exot.) plante qui croît en Egypte, dans le tems des inondations du Nil. Prosper Alpin, dit qu'elle ressemble à l'aizoon, avec cette seule différence que ses feuilles sont plus larges ; nous ne savons pas cependant si c'est le stratiotes de Dioscoride. Celui des modernes nage sur la surface de l'eau, comme la lenticula palustris ; il n'a point d'odeur, & est astringent au goût ; c'est la lenticula aquatica palustris, aegyptiaca, foliis sedo majore latioribus, de C. B. P. 362. (D.J.)


STRATONICIE(Géog. anc.) 1°. Stratonicia, selon Strabon, Polybe, Tite - Live, & Etienne le géographe ; & Stratonica ou Stratonice, selon Ptolomée, l. V. c. ij. ville de l'Asie mineure, dans la Carie & dans les terres, au voisinage d'Abanda & d'Alinda, à-peu-près entre ces deux villes. Strabon, l. XIV. p. 66. en fait une colonie de Macédoniens ; mais de quels Macédoniens ? apparemment des Syriens-Macédoniens, ou Séleucides ; car cette ville avoit pris son nom de Stratonice, femme d'Antiochus Soter.

Tite-Live, l. XXXIII. c. xxx. nous apprend que Stratonicie fut donnée aux Rhodiens ; elle fut réparée par l'Empereur Hadrien, sous Etienne le géographe, qui ajoute qu'on l'appelle à cause de cela, Hadrianopolis ; mais l'ancien nom prévalut, même dans les notices épiscopales, & dans celles des provinces. On a une médaille de Géta, avec ce mot, ; Stratonicorum ou Stratonicensium.

Auprès de la ville de Stratonicie, de Carie, il y avoit un temple dédié à Jupiter Chrysaoréen. Ce temple étoit commun aux Cariens, & c'est où se tenoit l'assemblée générale du pays, dans laquelle les Stratoniciens étoient admis, non qu'ils fussent cariens d'origine, mais parce qu'ils possedoient des villages de la Carie ; il y avoit aussi dans le territoire de Stratonicie, un fameux temple d'Hécate.

2°. Stratonicie, ville de l'Asie mineure, près du mont Taurus. Strabon, l. XIV. p. 660. l'appelle Stratonicia ad Taurum, pour la distinguer de Stratonicie de Carie ; mais on ignore la province & le lieu où elle étoit située. (D.J.)


STRATONISSTRATONIS


STRATOPEDARCHA(Hist. des Emp. grecs) chef de la garde tzaconienne ou lacédémonienne, que les successeurs de Constantin entretenoient auprès de leur personne. Cette garde étoit armée de halebardes, & revêtue de corselets qui avoient des figures de lions ; elle portoit une capote de drap, & sur la tête un capuchon ; leurs pilaticia étoient à ce qu'on croit des masses d'armes, ou des banderoles attachées au bout d'un javelot. (D.J.)


STRATOR(Antiq. rom.) ce mot désigne quelquefois un officier de l'armée, chargé de veiller aux chemins, pour que rien n'arrêtât la marche des troupes ; en conséquence, il faisoit raccommoder les ponts, applanir les hauteurs, couper les bois incommodes, & disposer toutes choses pour le passage des rivieres.

Quelquefois strator ne désigne que l'officier chargé de prendre soin des chevaux que les provinces fournissoient pour l'usage public.

Enfin strator signifioit dans les derniers tems, l'écuyer qui tenoit la bride du cheval de l'empereur, & l'aidoit à monter dessus ; c'étoit le même homme que les Grecs nommoient anaboleus. (D.J.)


STRATOS(Géog. anc.) 1°. ville de Grece dans l'Acarnacie, sur le fleuve Achéloüs. Thucydide ; liv. II. p. 154. dit que Stratus est une très - grande ville de l'Acarnanie, & plus bas, en décrivant le cours du fleuve Achéloüs, il ajoute que dans la haute Acarnanie, ce fleuve arrosoit la ville de Stratus. Tite-Live nous apprend que cette ville étoit très-forte ; il la met dans l'Etolie, parce qu'elle étoit aux confins de cette contrée, qui étoit séparée de l'Acarnanie par le fleuve Achéloüs : d'ailleurs les bornes de ces deux contrées ne furent pas toujours les mêmes ; la puissance des Etoliens s'étant accrue, ils étendirent leurs frontieres aux dépens de leurs voisins. Strabon, l. X. donne la situation de Stratum, & sa distance de la mer : car il dit que pour arriver à cette ville, il falloit naviger deux cent stades & plus sur le fleuve Achéloüs.

2°. Fleuve de l'Hircanie ; c'étoit un de ceux qui prenoient leur source au mont Caucase ; selon Pline, l. VI. c. xvj. ce fleuve que Ptolémée, l. VI. c. ix. nomme Straton, venoit de la Médie, couloit par le pays des Anarins, & se jettoit dans la mer Caspienne. (D.J.)


STRAUBING(Géog. mod.) ville d'Allemagne, au cercle de Baviere, sur le Danube, capitale d'un petit territoire, auquel elle donne son nom, à huit lieues au-dessous de Ratisbonne ; les Autrichiens raserent ses fortifications en 1743. Long. 29. 40. latit. 48. 51.

Naogeorgus (Thomas), naquit en 1511 à Straubing, & mourut vers l'an 1578. Il entendoit assez bien le grec, & traduisit de cette langue en latin divers traités de Plutarque, Dion, Chrysostome, & les lettres de Synésius. Il fit aussi des poëmes en vers, qui ne plaisent ni aux Catholiques romains, ni aux Protestans qui ont un peu de goût. Tel est celui qui a pour titre, Bellum papisticum. Il le publia en 1553, & le dédia à Philippe landgrave de Hesse. Il composa des tragédies dans le même esprit, entr'autres son Pammachius, & son Mercator, le Marchand con verti, car cette derniere a été traduite en françois, & imprimée en 1591 ; le nom allemand de Naogeorgus, étoit Kirchmaier. (D.J.)


STRAVICou STRAVICHO, (Géogr. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la Romanie, aux confins de la Bulgarie, sur le bord de la mer Noire, au fond d'un golfe de même nom, entre Mesembria & Sissopoli. (D.J.)


STRELLA, (Géog. mod.) & par les Allemands Istrig, riviere de Hongrie, dans la partie septentrionale de la Transilvanie, qu'elle arrose pour se perdre ensuite dans la riviere de Muros, vers les confins de la Haute - Hongrie ; c'est la Sargetia des anciens. (D.J.)


STRELEN(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Silésie, dans la principauté de Brieg, sur la riviere d'Olaw. (D.J.)


STRÉLITS(Hist. de Russie) milice de Russie, cassée & abolie par le czar Pierre I. au sujet d'une grande rébellion qu'elle excita dans son empire. La milice des Strélits, comme celle des Janissaires, disposa quelquefois du trône de Russie, & troubla l'état presque toujours autant qu'elle le soutint. Ces Strélits composoient le nombre de quarante mille hommes. Ceux qui étoient dispersés dans les provinces, subsistoient de brigandages ; ceux de Moscou vivoient en bourgeois, ne servoient point, & poussoient à l'excès l'insolence. Enfin après plusieurs révoltes ces Strélits marcherent vers Moscou pendant que le czar étoit à Vienne en 1698 ; ils formerent le dessein de mettre Sophie sur le trône, & de fermer le retour à un czar, qui osa violer les usages, en osant s'instruire chez les étrangers. Pierre instruit de cette révolte, part secrettement de Vienne, arrive à Moscou, & exerce sur la milice des Strélits un châtiment terrible ; les prisons étoient pleines de ces malheureux. Il en fit périr deux mille dans les supplices, & leurs corps resterent deux jours exposés sur les grands chemins. Cette sévérité étoit sans exemple ; ce prince eût été sage de condamner les chefs à la mort, & de faire travailler les autres aux ouvrages publics, car ce furent autant d'hommes perdus pour lui & pour l'état ; & la vie des hommes doit être comptée pour beaucoup, sur - tout dans un pays presque désert, & où par conséquent la population demande tous les soins d'un législateur. Le czar au contraire ne montra dans cette occasion que de la fureur, par la multitude des supplices : il cassa le corps des Strélits, & abolit leur nom ; ce qu'il pouvoit faire en les dispersant dans ses vastes états, & en les occupant à défricher les terres. Hist. de l'empire de Russie par M. de Voltaire. (D.J.)


STRELITZ(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, en Silésie, dans la principauté d'Oppelen, à 4 lieues environ de la ville d'Oppelen, entre les rivieres de Malpenaw & de Kladinitz. (D.J.)


STRENGENBACou STRENGBACH, LE, (Géog. mod.) riviere de France, dans la haute Alsace. Elle prend sa source près de Sainte-Marie aux Mines, & se perd dans le Fecht. (D.J.)


STRENGNES(Géog. mod.) petite ville de Suede, dans la Sudermanie, sur la rive méridionale du lac Maler, & à 15 lieues au sud-ouest d'Upsal. Le roi Charles IX. est inhumé dans la cathédrale. Long. 35. 14. lat. 59. 28.

Peringskiod (Jean), savant antiquaire suédois, naquit à Strengnes en 1618, & mourut en 1720, âgé de 102 ans ; c'étoit le patriarche des hommes de lettres. Il a mis au jour de beaux & grands ouvrages pendant le cours de cette longue vie. On lui doit entr'autres celui qui est intitulé, Historia regum septentrionalium, & qui forme 14 vol. in-fol. Voyez le pere Nicéron, Mém. des hommes illustres, t. I. p. 66. & suiv. (D.J.)


STRÉNIES. f. (Mythol.) nom d'une déesse des Romains. C'étoit elle qui présidoit aux étrennes, c'est-à-dire aux présens qu'on se faisoit le premier jour de l'année. Elle avoit un temple à Rome dans la quatrieme région de la ville. Nonnus Marcellus dit qu'elle fut ainsi appellée de strénitas, valeur, parce que Tortius qui institua la coutume de donner des étrennes, les établit comme des présens destinés aux vaillans hommes. (D.J.)


STRETTO(Musiq. ital.) ce terme italien s'emploie quelquefois pour marquer qu'il faut rendre les tems de la mesure serrés & courts, & par conséquent fort vîtes. Brossard. (D.J.)


STRIATURA(Architecture des Rom.) ce mot se prend dans Vitruve pour les concavités des colonnes cannelées ; il désigne aussi dans cet auteur l'espace plat ou le listel, qui est entre chaque cannelure. (D.J.)


STRIBORDTRIBORD, DEXTRIBORD, EXTRIBORD, ou TIENBORD, s. m. (Marine) c'est le côté gauche du vaisseau quand on va de la poupe à la proue.


STRICTadj. (Gramm.) exact, rigoureux. On dit d'un terme, qu'il faut le prendre dans un sens strict.


STRIDON(Géog. anc.) ville située aux confins de la Dalmatie, au nord de la source du Ertius, & assez près de la Save, à la droite ; elle étoit par conséquent dans l'Illyrie : son nom moderne est Sdrigna, selon Biondo. Les Goths ruinerent cette ville, & saint Jérôme nous apprend lui-même que c'étoit sa patrie. Il y naquit vers l'an 340 de Jesus-Christ, & mourut l'an 420, âgé d'environ 80 ans. J'ai assez parlé de ce grand docteur, au mot PERES DE L'EGLISE. (D.J.)


STRIESS. f. (Conchyl.) rayures ou gravures en relief, qui se voyent sur la robbe d'une coquille ; elles sont différentes des rides qui forment des ondes irrégulieres, & des cannelures qui sont plus grandes & plus égales. (D.J.)

STRIES, dans l'ancienne Architecture, sont les filets, rayons ou intervalles qui séparent les cannelures des colonnes. Voyez STRIGES & CANNELURES.


STRIGA(Littérature) ce mot signifioit chez les Romains un espace de terrein vuide dans les champs, destiné à la promenade des chevaux ; cet espace étoit long de cent vingt piés, & large de soixante. Mais le mot de striga signifie au propre une grande raie entre deux sillons, & dans l'arpentage, il signifioit une grande mesure de longueur. (D.J.)

STRIGA ou STRIEGA, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne en Silésie, dans la principauté de Schweidnitz, sur le bord de la riviere de Polsnitz.


STRIGES. f. dans l'ancienne Architecture ; c'est ce qu'on appelle cannelure dans l'architecture moderne. Voyez CANNELURE.

On les appelle ainsi, parce qu'on suppose qu'originairement on les faisoit à l'imitation des plis des robes de femme, qu'on appelloit en latin strigae. Les filets ou espaces qui sont entre ces plis s'appelloient striae. Voyez STRIAE.


STRIGILES. m. (Gymnast.) strigile, instrument de fer, de cuivre, d'argent, d'ivoire, de corne, &c. avec lequel les anciens se décrassoient le corps.

On distinguoit dans le strigile deux parties, le manche & la languette. Le manche, capulus, formoit ordinairement un parallélépipede rectangle, creux & oblong, dans le vuide duquel on pouvoit par les côtés engager la main dont on empoignoit l'instrument. La languette, lingua, étoit courbée en demi-cercle, creusée en façon de gouttiere, & arrondie dans son extrêmité la plus éloignée du manche, ce qui faisoit une espece de canal pour l'écoulement de l'eau de la sueur, de l'huile & des autres impuretés qui se séparoient de la peau par le mouvement de cette sorte d'étrille. Le couteau de chaleur dont on se sert pour les chevaux a quelque rapport avec le strigile des Romains.

Ce strigile étoit chez eux d'un très-grand usage, non-seulement dans les bains pour frotter ceux qui se baignoient, mais aussi dans les gymnases pour nétoyer la peau des athletes de l'espece d'enduit que formoit le mêlange d'huile, de sueur, de sable, de boue & de poussiere, dont ils étoient couverts.

Presque tout le monde avoit des strigiles dans sa maison, & ceux à qui ils appartenoient, faisoient graver leur nom sur le manche, ainsi qu'il paroît par quelques-uns de ces instrumens qu'on a trouvés dans les ruines des thermes de Trajan. (D.J.)


STRIGMENTUM(Gymnastique) ce mot latin signifie dans Pline la crasse & les ordures qu'on enlevoit de dessus les corps dans les bains, & dans les lieux des exercices publics. Strigmentum désigne aussi dans le même auteur la crasse qu'on ôtoit de dessus les murs, ou les statues qui appartenoient au public.

Il y avoit donc trois sortes de strigmenta ; les unes qui provenoient des bains, étoient composées de sueur, d'huile & de crasse du corps. D'autres venoient de l'arene, & contenoient les mêmes choses avec addition de la poussiere, qui avoit été répandue sur le corps, après qu'on avoit été frotté d'huile. Les troisiemes étoient détachées des murs & des statues du gymnase. Ces dernieres contenoient aussi de l'huile, avec des particules de la substance particuliere à laquelle elles étoient attachées, & dont par conséquent elles empruntoient quelque propriété. Si, par exemple, elles étoient détachées des statues de cuivre, c'étoit un mêlange d'huile, de poussiere & de verd-de-gris. (D.J.)


STRIGONIou OSTROGON, (Géog. mod.) & par les Allemands GRAN. Voyez ce mot. Cette ville est la capitale du comté de Strigonie, dans la basse Hongrie. Elle a des bains naturels dont la chaleur est modérée, & elle est la patrie de saint Etienne, premier roi chrétien de Hongrie, mort à Bude en 1038.

STRIGONIE, comté de, (Géog. mod.) il est coupé en deux par le Danube. Il a les comtés de Comore & de Bars au nord, celui de Novigrad au levant, celui de Piliez au midi, & celui de Javarin au couchant. Ses principaux lieux sont Strigonie à la droite du Danube, & Pilsen à la gauche. (D.J.)


STRIKES. m. (Com.) est une mesure qui contient quatre boisseaux, & dont les deux font un quarter, ou huit boisseaux. Voyez BOISSEAU & QUARTER.

Le strike de lin, est la quantité de lin qu'on peut prendre en une poignée. Dictionn. de Chambers.


STRIMONICUSSINUS, (Géog. anc.) golfe de la mer Egée, sur la côte de la Macédoine & de la Thrace, à l'occident du golfe Persique : on le nomme présentement golfe de Contese.


STRIPERTou STRIPMALM, s. m. (Hist. nat. Minéralogie) les minéralogistes suédois désignent sous ce nom une mine de plomb, dans laquelle ce métal se trouve combiné avec de l'argent & de l'antimoine minéralisés par le soufre. Elle a la couleur de la mine de plomb, ou galêne ordinaire ; elle est composée de stripes ou d'aiguilles plus ou moins fines. On trouve cette mine dans la mine de Sahla en Suede ; elle est difficile à traiter, parce que ces substances se nuisent les unes aux autres.


STRIURES. f. (Architecture) il se dit de la cannelure des colonnes, & de cet intervalle creux qui regne du haut en bas du fût de la colonne, pour la faire paroître plus grosse & plus agréable.


STRIXS. m. (Littérat.) espece d'oiseau de nuit dont parlent les anciens ; nous ne le connoissons point ; eux-mêmes n'en savoient pas plus que nous du tems de Pline. Il est certain qu'il ne paroissoit que la nuit, & on le nommoit strix à cause de son cri. Ovide le dit dans le sixieme livre des fastes.

Est illis strigibus nomen, sed nominis hujus

Causa quod horrendâ stridere nocte solent.

Nos auteurs traduisent strix par chouette. Les poëtes font entrer les oeufs & les entrailles de cet oiseau dans toutes les compositions que faisoient les magiciennes. Médée le dit dans Séneque :

Miscetque & obscaenas aves

Moestique cor bubonis & raucae strigis

Exsecta vivae viscera.

" Elle y mêle les chairs des plus funestes oiseaux, le coeur d'un crapaud, & les entrailles qu'elle a arrachées à une chouette vivante ". Horace, Ode V. liv. V. dit que Canidie, la tête échevelée & entortillée de viperes, fit préparer sur le feu magique, une composition où elle mêla ensemble des racines de cyprès & de figuier sauvage déterrées dans un cimetiere, des plumes & des oeufs de chouette, nocturnae strigis, trempées dans le sang d'un crapaud, des herbes de Thessalie & d'Ibérie, pays fertiles en poisons, & des os arrachés de la gueule d'une chienne à jeun.

Ces détails de sorcellerie plaisoient apparemment aux anciens ; car nous voyons que leurs poëtes s'étendent volontiers sur cette matiere. Il faut pourtant avouer qu'Horace l'a fait avec modération ; mais il n'en est pas de même de Lucain, l'Erecto de son sixieme livre est réellement fort dégoûtante. Nous voulons que de pareilles images soient présentées rapidement, & en peu de mots. Mais les oeufs & les entrailles de l'oiseau strix entroient si nécessairement dans les compositions magiques, que les anciens nommoient striges toutes les sorcieres. (D.J.)


STROBULUSS. m. (Littérat.) nom que donnoient les Romains à une espece de bonnet que portoient les barbares, & qui s'élevoit comme une pomme de pin par plusieurs circonvolutions en spirale ; le bonnet des Romains au contraire, s'élevoit en pointe toute droite.


STROEKSS. m. pl. (vaisseaux moscovites) petits vaisseaux plats dont on se sert sur le Volga pour le négoce d'Astracan & de la mer Caspienne. Les stroeks contiennent environ trois cent ballots de soie, qui font quinze lasts. Ils vont à voile & à rames, & ont pour cela seize rames, un seul mât, & une seule voile. Le gouvernail est une longue perche, plate par l'endroit qui est dans l'eau. Le patron le guide par le moyen d'une corde attachée entre deux aîles qui le tiennent en état ; ils peuvent porter outre les marchandises, 25 matelots & 60 passagers. Diction. de Commerce. (D.J.)


STROMA(Géog. mod.) île d'Ecosse, à 2 milles au nord de la pointe de Catness, & l'une des îles qui sont au midi de celles de Mainland. Cette île qui est assez fertile, n'est point comptée entre les Orcades, parce qu'elle est trop près du continent de l'Ecosse. (D.J.)


STROMATESS. m. pl. (Littérat.) ce terme est grec, & signifie mêlanges ; il a servi de titre à plusieurs ouvrages. Plutarque & Origène l'ont employé ; mais S. Clément d'Alexandrie a particulierement illustré ce terme. Ses stromates sont un mêlange de ses propres pensées, & de celles des meilleurs auteurs qu'il avoit lûs. On y voit de l'histoire, de la littérature, de la critique, du sacré & du profane ; enfin, ce mêlange différent lui fit donner le nom de stromates. (D.J.)


STROMBERG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans l'évêché de Munster, chef - lieu d'un burgraviat, à 3 lieues de Lipstadt. Long. 25. 57. lat. 51. 43. (D.J.)


STROMBITES. f. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques naturalistes à des coquilles fossiles, que l'on nomme plus communément turbinites.


STROMBOLLE, (Géog. mod.) montagne de l'île de Candie, à 2 lieues au couchant de la ville de Candie. Il sort de cette montagne une grosse source, dont les eaux sont salées. (D.J.)


STROMBOLI(Géogr. mod.) île de la mer de Sicile, au nord de cette derniere île, à laquelle elle semble appartenir, & à 30 milles de Lipari, au levant d'été. On lui donne 12 milles de circuit ; mais elle est sans habitans, car ce n'est proprement qu'une montagne ronde qui brûle toujours, & qu'on découvre de loin. Les anciens l'ont appellée Strongylos. Voyez STRONGYLE, Géog. anc. (D.J.)


STROMONALA, (Géog. mod.) autrement Radini, Ischar, Marmara, Veratasar ; car tous ces noms indiquent le Strymon des anciens, riviere de la Turquie en Europe. Elle prend sa source dans les montagnes de la Bulgarie, traverse la province d'Iamboli, arrose ensuite Marmara & Tricala ; enfin, elle vient se perdre dans le golfe de Contessa & les ruines d'Emboli, ou Chrysopolis. (D.J.)


STRONGOLI(Géog. mod.) petite ville d'Italie, au royaume de Naples, dans la Calabre citérieure, sur une haute montagne à 9 milles au nord-est de Santa-Severina, dont son évêché est suffragant. Long. 32. 25. lat. 40. 41.


STRONGYLE(Géog. anc.) île sur la côte septentrionale de la Sicile, & l'une des îles Eoliennes, aujourd'hui Stromboli ; Strabon dit qu'elle fut appellée , Strongyle, à cause de sa figure ronde. Silius-Italicus, liv. 14. v. 260. écrit Strongylos : l'itinéraire d'Antonin, place cette île à 320 stades de Messine. (D.J.)


STRONGYLUS(Géog. anc.) montagne d'Asie, dans la Carmanie ; c'est une des branches du mont Taurus, & le nom moderne est Techisanda, selon Castald. (D.J.)


STRONou STRONZA, (Géog. mod.) île de la mer d'Ecosse, & l'une des Orcades, au levant de l'île de Sanda, à 4 milles de celle de Heth. On lui donne 6 milles de longueur, & 3 de largeur. Son terroir est fertile, & très-peuplé. (D.J.)


STROPHADESILES, (Géog. anc.) îles de la mer Ionienne, sur la côte du Péloponnèse. Strabon, liv. viij. les met vis-à-vis & à l'occident de la ville Cyparissia, presque à 400 stades du continent, & cette situation leur avoit fait donner le nom de Cyparissiorum insulae. Elles étoient au nombre de deux. Virgile, Aeneïd, l. III. v. 209. fait mention de ces îles, qu'il dit habitées par la cruelle Celaeno, & par les Harpyes.

Servatum ex undis Strophadum me litora primùm

Accipiunt. Strophadès grajo stant nomine dictae

Insulae Ionio in magno, quas dira Celaeno

Harpiaeque colunt.

Etienne le géographe dit aussi que les îles Strophades sont au nombre de deux. Quelques-uns, selon Pline, l. IV. c. xij. les appelloient Plotae ; & Apollonius donne à entendre qu'elles furent d'abord appellée Plotae, & que dans la suite on les nomma Strophadae, parce qu'elles flottoient & nageoient, pour ainsi dire, au milieu des flots, selon Apollonius, l. II. v. 296.


STROPHES. f. dans la Poésie grec. & latine, est une stance ou un certain nombre de vers qui renferment un sens complet, & qui est suivi d'une autre de la même mesure & du même nombre de vers dans la même disposition qu'on appelloit antistrophe. Voyez ANTISTROPHE.

La strophe est dans des odes, ce que le couplet est dans les chansons & la stance dans les poëmes épiques. Voyez COUPLET & STANCE.

Ce mot vient du grec qui est formé de , je tourne, à cause qu'après qu'une strophe est finie, la même mesure revient encore ; ou plutôt, comme ce terme se rapporte principalement à la musique & à la danse, parce que le choeur & les danseurs, qui, chez les anciens, marchoient en cadence autour de l'autel, pendant qu'on chantoit les odes ou hymnes en l'honneur des dieux, tournoient à gauche durant qu'on chantoit la strophe, & à droite lorsqu'on chantoit l'antistrophe. Voyez ANTISTROPHE.

Dans notre poésie lyrique, une strophe ne sauroit être moindre que de quatre vers, ni en contenir plus de dix ; & la premiere strophe sert toujours de regle aux autres strophes de la même ode pour le nombre, soit pour la mesure des vers & pour l'arrangement des rimes.


STROPHIUMS. m. (Antiq. rom.) ; sorte de ceinture ou bandelette large, dont les jeunes filles se serroient le sein, pour ne point paroître en avoir trop ; de-là vient que stropha, dans Martial, signifie une ruse, une finesse ; l'ouvrier qui faisoit les bandelettes pour serrer le sein des jeunes filles, se nommoit strophiarius ; le mot strophium désigne aussi des guirlandes de fleurs attachées ensemble sur la tête en guise de bandelettes. (D.J.)


STROPPUSS. m. (Littérat.) ce mot, dans Festus, désigne ou la couronne, ou le bonnet que les prêtres mettoient sur leurs têtes, dans les sacrifices & autres cérémonies religieuses. (D.J.)


STROUD(Géog. mod.) gros bourg à marché d'Angleterre, en Glocester-shire, sur la riviere de Stroud, entre Glocester & Bristol, à sept milles de la premiere, & vingt-neuf milles de la seconde. On voit dans ce bourg plusieurs moulins à foulon, & l'on y teint le drap en écarlate, les eaux de la riviere étant favorables à cette teinture. (D.J.)

STROUD, le, (Géog. mod.) riviere d'Angleterre, dans Glocester-shire ; elle sort des monts Cotteswold, traverse la province de Glocester dans sa longueur, & se jette dans la Saverne. (D.J.)


STRUFERTARII(Antiq. rom.) Festus nommoit ainsi les freres Arvaux, qui étoient employés à purifier les arbres foudroyés ; ils faisoient dans cette cérémonie un sacrifice avec de la pâte cuite sous les cendres. Voici les termes trouvés à Rome, sur une table de bronze antique.

LIII. ID. DEC. FRATRES. ARVALE. IN LUCO. DEAE. DIAE. VIA. CAMPANA. APUD. LAP. V. CONVENERE. PER. C. PORC. PRISCUM. MAG. ET. IBI. IMMOLAV. QUOD AB ICTU. FULMINIS. ARBORES LUCI SACRI D. D. ATTACTAE ARDUERINT EARUMQUE ADOLEFACTARUM ET. IN. EO LUCO SACRO. ALIAE SINT REPOSITAE.

Le dixieme jour de Décembre, les freres Arvaux s'assemblerent au bosquet de Junon, sur le grand chemin de la Campanie, à cinq milles de Rome, par l'ordonnance de C. Porcius Priscus, doyen du chapitre, & là ils sacrifierent pour raison de quelques arbres du sacré bosquet dédié à la déesse, qui avoient été frappés de la foudre. (D.J.)


STRUMETou STRUMITA, (Géog. mod.) petite ville, ou plutôt bourgade de la Turquie asiatique, en Anatolie, sur une montagne, dans la province de Mentezili, près de l'embouchure de la riviere de Mari, dans la mer de Caramanie. C'est à ce qu'on croit l'ancienne Myra, ville de Lycie, où S. Paul s'embarqua pour aller à Rome, sur un vaisseau d'Alexandrie. Le texte latin des actes 27. 5. porte Lystram, au-lieu de Myram qui est dans le grec ; c'est une faute, parce que Lystre étoit dans la Lycaonie, & n'étoit point une ville maritime. (D.J.)


STRUMUS(Botan. anc.) nom donné par quelques anciens naturalistes romains au cucubalus, morgeline baccifere. Cette plante fut ainsi appellée pour les vertus discussives qu'on lui attribuoit dans les tumeurs scrophuleuses. (D.J.)


STRUND-JAGERS. m. (Hist. anc.) c'est le nom que les navigateurs hollandois donnent à un oiseau qui se trouve sur les côtes de Spitzberg ; ce mot signifie chasse-merde ; il lui a été donné parce qu'il suit fidelement l'oiseau nommé kuytegef, afin de se nourrir de sa fiente ; il a le bec noir, crochu & épais ; il n'a aux pattes que trois ongles liés par une peau noire, ses jambes sont courtes, & sa queue forme un éventail ; il a les yeux noirs ainsi que le dessus de la tête, un cercle jaunâtre autour du cou, les aîles & le dos de couleur brune, & le ventre blanc.


STRUTHIUMS. m. (Hist. nat. Bot. anc.) nom donné par les Grecs à la plante que les Latins appelloient lanaria herba, à cause de son usage dans les manufactures de laine. Dioscoride, en parlant du struthium, se contente de dire que c'étoit une espece de chardon, ou de plante épineuse, dont la racine étoit large, longue, de la grosseur de deux ou trois doigts, & qui poussoit des feuilles armées de petits piquans. Quoique ce détail ne nous fasse point connoitre la plante dont il parle, il suffit néanmoins pour nous prouver que ce n'étoit point celle que les Romains appelloient antirrhinum, & que nous nommons en françois muffle de veau. Il seroit trop long d'indiquer toutes les conjectures des modernes, pour découvrir cette plante dans les écrits des Arabes ; il paroît seulement qu'ils n'ont pas rencontré, en imaginant que le struthium des Grecs étoit le candisi de Sérapion & autres. (D.J.)


STRUTOPHAGES(Géog. anc.) peuple de l'Ethiopie, sous l'Egypte, Strabon, l. XVI. p. 772. qui place ce peuple au voisinage des Elephantophagi, dit qu'il n'étoit pas bien nombreux. Selon Diodore de Sicile, l. III. c. xxviij. les Strutophagi habitoient au midi des Eléphantophagi. Agatharchide fait aussi mention de ces peuples & des guerres qu'ils avoient avec les Ethiopiens, surnommés Simi. Ptolémée, l. IV. c. viij. marque les Strutophagi à l'occident des Péchiniens. Le nom de Strutophages leur avoit été donné, à cause qu'ils ne s'occupoient qu'à la chasse des autruches, dont ils faisoient leur nourriture ordinaire ; ils se servoient de leurs peaux pour s'habiller, & pour en faire des couvertures. (D.J.)


STRYCHNODENDROSS. m. (Hist. nat. Bot.) nom que Ray donne à l'espece de solanum, nommé par Tournefort solanum fruticosum bacciferum. Cette plante s'éleve en arbrisseau haut de quatre ou cinq piés ; son tronc pousse des rameaux verts, garnis de feuilles oblongues, plus étroites que celles du solanum ordinaire ; sa fleur est une rosette blanche, découpée en cinq pointes ; il lui succede un fruit rond, mol, rouge, semblable à celui de coqueret, plein de suc, & renfermant quelques semences applaties, d'un goût fade. Cette plante est cultivée dans les jardins. (D.J.)


STRYME(Géog. anc.) ville de Thrace, selon Hérodote, l. VII. & Etienne le géographe. Suidas fait de Stryme ou Stryma, une colonie de Thasiens, & une place de commerce. S'il est vrai que c'étoit encore une île, comme il le dit, il falloit que cette île fut bien voisine du continent, à moins qu'il n'entende une île du lac d'Ismaride, qui séparoit Stryme de Maronée. On croit que les habitans de cette derniere ville avoient acquis quelque droit sur Stryme, en qualité de protecteurs ou de bienfaiteurs ; ce qui donna lieu à de fréquentes contestations entr'eux, & les Thasiens fondateurs de Stryma. (D.J.)


STRYMON(Géog. anc.) fleuve qui servoit autrefois de borne entre la Macédoine & la Thrace, selon le périple de Scylax. Pline, l. IV. c. x. remarque la même chose, & ajoute que ce fleuve prend sa source au mont Haemus. Le Strymon, selon Etienne le Géographe, mouilloit la ville d'Amphipolis, & donnoit le nom de Strymonii, aux peuples qui habitoient ses bords. Il avoit son embouchure sur la côte du golfe, qui de-là avoit pris le nom de Strymonicus sinus.

Le nom moderne est Stromona, que d'autres appellent Marmara, Radini, Ischar. Il y avoit nombre de grues sur les bords de ce fleuve ; elles y venoient à la fin du printems, & en partoient à la fin de l'automne, pour se rendre sur les rivages du Nil ; mais le Strymon est célebre dans l'histoire, parce que ce fut sur ses bords qu'une poignée d'athéniens triompha des Medes, au-travers des plus longues fatigues & des plus grands dangers. (D.J.)


STUBNou STUBEN, ou STUBN - BAD, (Géog. mod.) petite ville de la haute Hongrie, aux confins du comté de Zoll, à trois milles de Neu-Zoll, & à deux de Cremnitz ; elle est remarquable par ses bains chauds, & par les mines d'argent & de cuivre qu'on trouve dans des montagnes de son voisinage, du côté de l'orient. Long. 27. 31. lat. 48. 37. (D.J.)


STUCou MARBRE FACTICE, (Art méchan.) le stuc ou le marbre factice est une composition dont le plâtre fait toute la base. La dureté qu'on sait lui donner, les différentes couleurs que l'on y mêle, & le poli dont il est susceptible, le rendent propre à représenter presque au naturel les marbres les plus précieux.

La dureté que le plâtre peut acquérir, étant la qualité la plus essentielle à cet art, c'est aussi la premiere à laquelle les ouvriers doivent s'appliquer. Elle dépend absolument du degré de calcination que l'on doit donner au plâtre ; & comme la pierre qui le produit, est susceptible de quelques petites différences dans sa qualité intrinseque, suivant les différens pays où elle se rencontre, il faut tâtonner & étudier le degré de calcination qu'il faut lui donner, pour que le plâtre qui en viendra, prenne le plus grand degré de dureté qu'il est possible. On ne peut donner ici de notions sur cette méthode qu'en ce qui regarde le plâtre de Paris ; ce sera l'affaire des ouvriers d'essayer de calciner plus ou moins les pierres gypseuses des autres pays, afin de trouver le plus grand degré de dureté où l'on puisse porter le plâtre qu'elles produiront.

On casse les pierres à plâtre de Paris avec des marteaux, en morceaux à-peu-près gros comme un petit oeuf, ou comme une grosse noix. On enfourne ces morceaux dans un four que l'on a fait chauffer, comme si on vouloit y cuire du pain ; on bouche l'ouverture du four. Quelque tems après on débouche le four pour en tirer un ou deux des petits morceaux de plâtre que l'on casse avec un marteau. Si l'on s'apperçoit que la calcination a pénétré jusqu'au centre du petit morceau, de façon cependant qu'on y remarque encore quelques points brillans ; c'est une marque que la calcination est à son point de perfection, & alors on retire du four promtement tout le plâtre par le moyen d'un rable. Si dans la cassure on remarquoit beaucoup de brillans, ou qu'on n'en remarquât point du tout, ce seroit une preuve dans le premier cas, que la pierre ne seroit point assez calcinée ; & dans le second cas, qu'elle le seroit trop.

Quoique le plâtre devienne très-dur, lorsqu'il est calciné à son point, la surface se trouve cependant remplie d'une infinité de pores, & les grains sont trop faciles à en détacher pour qu'il puisse prendre le poli comme le marbre. C'est pour remédier à cet inconvénient, que l'on prend le parti de détremper le plâtre avec de l'eau dans laquelle on a fait dissoudre de la colle, qui remplissant les pores, & attachant les grains les uns aux autres, permet que, pour ainsi dire, on puisse user & emporter la moitié de chaque grain, ce qui forme le poli.

Cette colle est ordinairement de la colle de Flandre ; il y en a qui y mêlent de la colle de poisson, & même de la gomme arabique. C'est avec cette eau chaude & collée que l'on détrempe le plâtre ; mais comme le peu de solidité du plâtre, sur-tout lorsqu'il n'est point appuyé, demande qu'on donne une certaine épaisseur aux ouvrages, pour diminuer la dépense, on fait le corps de l'ouvrage ou le noyau avec du plâtre ordinaire, & on le couvre avec la composition de plâtre dont on vient de parler, en lui donnant une ligne & demie ou deux lignes d'épaisseur.

Lorsque l'ouvrage est suffisamment sec, on travaille à le polir, à-peu-près de la même façon que le véritable marbre. On employe ordinairement une espece de pierre qui est assez difficile à trouver. C'est une espece de cos ou pierre à aiguiser, qui a des grains plus fins que ceux du grès, & qui ne se détachent pas si facilement de la pierre ; la pierre de ponce peut aussi y servir. On frotte l'ouvrage avec la pierre d'une main ; & on tient de l'autre une éponge imbibée d'eau, avec laquelle on nettoye continuellement l'endroit que l'on vient de frotter, afin d'ôter par le lavage à chaque instant ce qui a été emporté de la surface de l'ouvrage ; pour cet effet, il faut laver l'éponge de tems en tems, & la tenir toujours remplie d'eau fraîche. On frotte ensuite avec un tampon de linge, de l'eau, de la craie ou du tripoli. On substitue à cela du charbon de saule, broyé & passé très-fin, ou même des morceaux de charbons entiers, pour mieux pénétrer le fond des moulures, en employant toujours l'eau avec l'éponge qui en est imbibée. On finit par frotter l'ouvrage avec un morceau de chapeau imbibé d'huile & de tripoli en poudre très-fine, & enfin avec le morceau de chapeau imbibé d'huile seule.

Lorsqu'on veut un fond de couleur, il suffit de délayer la couleur dans l'eau de colle, avant de s'en servir à délayer le plâtre.

Il semble qu'on pourroit ajuster les pierres à polir dont on vient de parler, à des morceaux de bois faits en façon de varloppes ou d'autres outils de menuisier ; les surfaces de l'ouvrage en seroient mieux dressées, & les moulures plus exactes ; mais il faut se souvenir de laver toujours à mesure que l'on frotte.

Lorsqu'on veut imiter un marbre quelconque, on détrempe avec l'eau collée chaude, dans différens petits pots, les couleurs qui se rencontrent dans ce marbre ; on délaye avec chacune de ces couleurs un peu de plâtre ; on fait une galette à - peu - près grande comme la main, de chaque couleur ; on met toutes ces galettes alternativement l'une sur l'autre, en mettant celles dont la couleur est dominante, en plus grand nombre ou plus épaisses. On tourne sur le côté ces galettes qui étoient arrangées sur le plat ; on les coupe par tranches dans cette situation, & on les étend ensuite promtement sur le noyau de l'ouvrage où on les applatit. C'est par ce moyen que l'on vient à bout de représenter le dessein bizarre des différentes couleurs dont les marbres sont pénétrés. Si l'on veut imiter les marbres qu'on appelle des breches, on met dans la composition de ces galettes, lorsqu'on les étend sur le noyau, des morceaux de différentes grosseurs de plâtre délayé avec la couleur de la breche ; & ces morceaux venant à être applatis, représentent très-bien la breche. Il faut remarquer que dans toutes ces opérations l'eau collée doit être un peu chaude, sans quoi le plâtre prendroit trop vîte, & ne donneroit pas le tems de manoeuvrer.

Si c'est sur un fond de couleur que l'on veut représenter des objets, comme des forêts, des paysages, des rochers, ou même des vases, des fruits & des fleurs, il faut les dessiner sur le papier, piquer ensuite les contours des figures du dessein, les appliquer sur le fond, après qu'il aura été presque achevé de polir, & les poncer avec une poudre d'une couleur différente du fond, c'est-à-dire du noir si le fond est blanc ; & du blanc si le fond est noir. On arrête ensuite tous les contours marqués par le poncif, voyez PONCIF, en les enfonçant profondément avec la pointe d'une alene dont se servent les Cordonniers ; après quoi, avec plusieurs alenes dont on aura rompu la pointe pour, en les aiguisant sur une meule, en former de petits ciseaux, on enlevera proprement toute la partie du fond qui se trouve contenue dans les contours du dessein qui est tracé ; ce qui formera sur le fond des cavités à-peu-près d'une demi-ligne de profondeur.

Lorsque tout ce qui est contenu dans l'intérieur des contours du dessein, sera ainsi champlevé, on aura plusieurs petits pots ou godets, dans lesquels on tiendra sur du sable ou de la cendre chaude de l'eau collée, dans laquelle on aura délayé différentes couleurs ; on mettra un peu de plâtre dans la paume de la main, que l'on colorera plus ou moins, en y mêlant plus ou moins de cette eau colorée ; on remuera bien le tout sur la paume de la main avec un couteau à couleur dont les Peintres se servent, jusqu'à ce que l'on s'apperçoive qu'il commence à prendre un peu de consistance ; alors on en prendra avec le couteau la quantité que l'on jugera à propos, que l'on placera dans un côté de l'intérieur du creux de la figure que l'on veut représenter, en pressant avec le couteau & unissant par-dessus la partie du plâtre coloré que l'on vient de mettre, qui touche les contours de la figure.

On détrempera ensuite promtement dans la main un autre plâtre coloré, mais d'une nuance plus claire, qu'on placera dans le même creux, à côté de celui qu'on vient de mettre ; on aura quatre ou cinq aiguilles enfoncées parallelement par la tête au bout d'un petit bâton comme les dents d'un peigne, avec lesquelles on mêlera un peu la derniere couleur avec celle qu'on a posée la premiere, afin que l'on n'apperçoive pas le passage d'une nuance à l'autre, & que la dégradation en soit observée. On continuera à poser ainsi des nuances plus claires du côté de la lumiere, jusqu'à ce que le creux de la figure que l'on veut représenter, soit exactement rempli. Après on applatira légérement le tout avec le couteau, & on laissera sécher.

Si on s'apperçoit, après avoir poli, que les nuances ne sont pas bien observées dans quelque endroit, on pourra avec une pointe faire des hachures dans cet endroit, & faire entrer dedans un plâtre coloré plus en brun & fort liquide ; il faut que ces hachures soient assez profondes pour ne pouvoir être tout-à-fait emportées par le poli qu'on sera obligé de donner sur tout l'ouvrage. On se sert de cette derniere manoeuvre pour découper les feuilles des arbres & celles des plantes, &c.

En général les figures indéterminées, comme les ruines, les rochers, les cavernes, &c. réussissent toujours beaucoup mieux dans cette façon de peindre, que les figures qui demandent de l'exactitude dans les nuances, & de la correction de dessein.

On polit les peintures de la même façon que l'on a dit pour les fonds ; & si l'on s'apperçoit, en polissant, qu'il se soit formé quelques petits trous, on les remplit avec du plâtre délayé très-clair avec de l'eau collée & de la même couleur. Il est même d'usage, avant d'employer l'huile pour le poli, de passer une teinte générale de plâtre coloré, & d'eau collée très-claire sur toute la surface, pour boucher tous ces petits trous.

Il faut choisir pour toutes ces opérations, le meilleur plâtre & le plus fin ; celui qui est transparent, paroît devoir mériter la préférence.

Pour les couleurs, toutes celles que l'on employe dans la peinture à fresque, y sont propres. Voyez PEINTURE A FRESQUE.

Comme il doit paroître singulier que dans cette façon de peindre on ait prescrit de se servir de la paume de la main pour palette, en voici la raison.

Lorsqu'on détrempe le plâtre avec l'eau de colle colorée, on est obligé de mettre une certaine quantité d'eau qui s'écouleroit si on la mettoit sur une palette ; au lieu que l'on forme un creux dans la main qui la contient, & qu'en étendant les doigts à mesure que le plâtre vient à se prendre ; cette singuliere palette, qui étoit creuse d'abord, devient plate quand il le faut. On pourroit ajouter à cela que la chaleur de la main empêche le plâtre de se prendre trop vîte.


STUCATEURS. m. (Archit. & Sculpt.) un ouvrier ou un artiste qui travaille en stuc.


STUCIA(Géog. anc.) fleuve de la Grande-Bretagne : Ptolémée, l. II. c. iij. marque son embouchure sur la côte occidentale, entre Cancanorum promontorium, & l'embouchure du fleuve Tuerobis. Le manuscrit de la bibliotheque palatine lit Stucia, au lieu de Stucia. Le nom moderne est Seïous, selon Villeneuve : mais Cambden, à qui je m'en rapporte davantage en pareille matiere, dit que ce fleuve s'appelle présentement Istuyth. (D.J.)


STUDIEUXadj. (Gram.) qui aime l'étude. Un enfant studieux, un homme studieux.


STUDIOLOS. m. (Hist. nat.) c'est ainsi qu'on nomme à Rome un assemblage ou assortiment de différentes especes de marbres, tant antiques que modernes. Ils sont taillés en morceaux minces & quarrés, polis par un côté. On vend ces sortes d'assortimens aux curieux plus ou moins cher, à proportion qu'ils sont complets ; cela est d'autant plus utile, que les Italiens donnent aux marbres, tant anciens que modernes, des noms assez bisarres & difficiles à arranger dans la mémoire. Il faut seulement prendre garde que quelquefois on mêle à ces collections, des marbres factices, que les Romains savent très-bien imiter.


STULINGEN(Géog. mod.) petite contrée d'Allemagne, avec le titre de landgraviat, dans le comté de Furstenberg, sur les confins du landgraviat de Nellembourg, & du canton de Schaffouse. (D.J.)


STULPINI(Géog. anc.) peuple de la Liburnie. Pline, l. III. c. xxij. compte ces peuples au nombre des quatorze cités qui composoient la nation. Le P. Hardouin lit Stlupini, parce que Ptolomée, liv. II. c. xvij. appelle leur ville , Stlupi.


STUPEFACTIFadj. (Gram.) qui engourdit ; il se dit des remedes qui donnent de la stupeur aux parties malades, & leur ôtent la sensibilité.


STUPEFACTIONS. f. (Gram.) engourdissement d'une partie qui la rend incapable de mouvement & de sentiment. Il se dit aussi au figuré de l'effet d'un grand étonnement. De-là stupefier, stupefiant, stupefait, stupeur.


STUPEURS. m. engourdissement causé par quelque bandage qui arrête le mouvement du sang & des fluides nerveux, ou par un affoiblissement dans les nerfs, comme dans une paralysie, &c. Voyez PARALYSIE.


STUPIDITÉDÉMENCE, s. f. (Médec.) c'est une maladie que la plûpart des gens regardent comme incurable, quoique les médecins les plus fameux assurent qu'on peut la guérir parfaitement, ou du moins en partie, au moyen de remedes convenables.

Cette maladie provient de la mauvaise conformation du cerveau, ou du mauvais état des esprits animaux, ou de ces deux causes ensemble.

Les causes générales de la stupidité sont la langueur des esprits animaux, l'obstruction des nerfs, leur humidité ou relâchement, la compression de leur origine ; c'est pour cela que l'engorgement de sang dans le cerveau, les concrétions polypeuses, l'hydrocephale, l'apoplexie, la paralysie sont suivis de la stupidité.

Les causes plus éloignées sont la mollesse des fibres, leur laxité trop grande, leur défaut de ressort, & enfin l'épaississement des humeurs, l'aquosité & l'humidité, la froideur du sang & des sucs qui servent aux fonctions animales.

De-là vient que les gens qui habitent les montagnes, les lieux marécageux & aqueux, ceux qui sont endurcis au travail, qui transpirent plus des extrêmités que de la tête, sont fort sujets à la stupidité.

De-là vient aussi que ceux qui ont reçu une éducation honnête, qui ont été instruits dans les belles-lettres, accoutumés à la réflexion, sont moins sujets à la stupidité que les gens rustiques, en qui l'habitude de la réflexion ne s'étant pas formée, l'incapacité de la réflexion actuelle & du jugement paroît plus sensible. D'ailleurs le travail déterminant les esprits dans les muscles, les détourne des fibres du cerveau, qui étant moins vibratiles & moins actives, deviennent calleuses & insensibles aux trémoussemens que ces mêmes fibres produisent dans ceux qui ne sont pas affectés de même.

Les remedes indiqués dans la démence sont tous ceux qui peuvent reveiller les esprits, rétablir le ton des fibres, & rendre au cerveau ses oscillations ; mais ces moyens ont peu d'effet dans la démence innée, & dans la démence accidentelle produite par l'apoplexie, la léthargie & la paralysie. Voyez ces maladies.


STURALA, (Géog. mod.) ou la Sture, nom commun à trois rivieres d'Italie.

1°. Stura, riviere du Piémont. Elle prend sa source dans la partie orientale de la vallée de Barcelonnette, coule dans le val de Sture, arrose la ville de Coni, celle de Fossano, & se rend dans le Tanaro, au-dessous de la ville Cherasco.

2°. Stura, riviere de la province de Turin. Elle a sa source aux confins du Val de Morienne, dans la montagne de Groscaval, & se jette dans le Pô, audessous de la ville de Turin.

3°. Stura, riviere du haut Montferrat. Elle naît près de Verrue, au sud-est, & vient se perdre dans le Pô, à quelques lieues au-dessus de Casal. (D.J.)


STURII(Géog. anc.) peuples de la basse Germanie. Pline, l. IV. c. xv. les compte au nombre des peuples qui habitoient les îles Helium & Flevum-Ostium, entre les embouchures du Rhin. On croit que ces peuples demeuroient dans le territoire de Staveren.


STURIUM(Géog. anc.) île de la mer Méditerranée sur la côte de la Gaule Narbonnoise, selon Pline, l. III. c. v. C'étoit une des petites Stoechades, aujourd'hui Ribaudon. (D.J.)


STURMINSTER(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans la province de Dorset, sur la riviere de Stoure, qu'on y passe sur un pont de pierre, au-dessus de Blanford.


STUTGARD(Géog. mod.) ville d'Allemagne, au cercle de Souabe, capitale du duché de Wirtemberg, dans une plaine proche le Necker, à 6 lieues de Tubinge, à 12 à l'est de Bade ; c'est la résidence des ducs qui y ont leur palais. Elle a trois fauxbourgs, trois temples & cinq portes. Longit. 26. 42. latit. 48. 39.

Borrhaus (Martin) naquit dans cette ville en 1499. Il voulut établir en Allemagne l'anabatisme, & n'ayant pas réussi, il revint à sa premiere religion, enseigna la rhétorique, & la théologie, mit au jour des commentaires sur plusieurs livres du vieux Testament, fut nommé professeur à Basle, & y mourut de la peste l'an 1564.

Jaeger (Jean - Wolfgang), théologien luthérien, naquit à Stutgard en 1647, & mourut chancelier de Tubinge en 1720 à 73 ans. Il a mis au jour en latin un grand nombre d'ouvrages théologiques, qu'on ne recherche plus aujourd'hui. Ses observations sur Grotius & Puffendorf ne montrent pas un homme versé dans le droit de la guerre & de la paix. (D.J.)


STUYVERS. m. (Commerce) monnoie qui a cours dans les Provinces-unies des Pays-bas, & dans quelques parties de la basse Allemagne. Elle vaut environ deux sols argent de France, vingt stuyvers font un florin d'Hollande.


STYGIENNESEAUX, (Chimie & Alchimie) quelques alchimistes ont ainsi nommé les acides ou dissolvans qu'ils employoient dans les opérations. Voyez DISSOLVANT & MENSTRUE.


STYLE(Gramm. Rhétoriq. Eloq. Bel. let.) maniere d'exprimer ses pensées de vive voix, ou par écrit : les mots étant choisis & arrangés selon les loix de l'harmonie & du nombre, relativement à l'élévation ou à la simplicité du sujet qu'on traite, il en résulte ce qu'on appelle style.

Ce mot signifioit autrefois l'aiguille dont on se servoit pour écrire sur les tablettes enduites de cire. Cette aiguille étoit pointue par un bout, & applatie par l'autre, pour effacer quand on le vouloit : c'est ce qui a fait dire à Horace, saepe stylum vertas, effacez souvent. Il se prend aujourd'hui pour la maniere, le ton, la couleur qui regne sensiblement dans un ouvrage ou dans quelqu'une de ses parties.

Il y a trois sortes de styles, le simple, le moyen & le sublime, ou plutôt le style élevé.

Le style simple s'employe dans les entretiens familiers, dans les lettres, dans les fables. Il doit être pur, clair, sans ornement apparent. Nous en développerons les caracteres ci-après.

Le style sublime est celui qui fait regner la noblesse, la dignité, la majesté dans un ouvrage. Toutes les pensées y sont nobles & élevées : toutes les expressions graves, sonores, harmonieuses, &c.

Le style sublime & ce qu'on appelle le sublime ; ne sont pas la même chose. Celui-ci est tout ce qui enleve notre ame, qui la saisit, qui la trouble tout-à-coup : c'est un éclat d'un moment. Le style sublime peut se soutenir long-tems : c'est un ton élevé, une marche noble & majestueuse.

J'ai vu l'impie adoré sur la terre :

Pareil au cedre, il portoit dans les cieux

Son front audacieux :

Il sembloit à son gré gouverner le tonnerre,

Fouloit aux piés ses ennemis vaincus :

Je n'ai fait que passer, il n'étoit déja plus.

Les cinq premiers vers sont du style sublime, sans être sublimes, & le dernier est sublime sans être du style sublime.

Le style médiocre tient le milieu entre les deux : il a toute la netteté du style simple, & reçoit tous les ornemens & le coloris de l'élocution.

Ces trois sortes de styles se trouvent souvent dans un même ouvrage, parce que la matiere s'élevant & s'abaissant, le style qui est comme porté sur la matiere, doit s'élever aussi & s'abaisser avec elle. Et comme dans les matieres tout se tient, se lie par des noeuds secrets, il faut aussi que tout se tienne & se lie dans les styles. Par conséquent il faut y ménager les passages, les liaisons, affoiblir ou fortifier insensiblement les teintes, à-moins que la matiere ne se brisant tout-d'un-coup & devenant comme escarpée, le style ne soit obligé de changer aussi brusquement. Par exemple, lorsque Crassus plaidant contre un certain Brutus qui deshonoroit son nom & sa famille, vit passer la pompe funebre d'une de ses parentes qu'on portoit au bucher, il arrêta le corps, & adressant la parole à Brutus, il lui fit les plus terribles reproches : " Que voulez-vous que Julie annonce à votre pere, à tous vos ayeux, dont vous voyez porter les images ? Que dira-t-elle à ce Brutus qui nous a délivré de la domination des rois " &c. ? Il ne s'agissoit pas alors de nuances ni de liaisons fines. La matiere emportoit le style, & c'est toujours à lui de la suivre.

Comme on écrit en vers ou en prose, il faut d'abord marquer quelle est la différence de ces deux genres de style. La prose toujours timide, n'ose se permettre les inversions qui font le sel du style poétique. Tandis que la prose met le régissant avant le régime, la poésie ne manque pas de faire le contraire. Si l'actif est plus ordinaire dans la prose, la poésie le dédaigne, & adopte le passif. Elle entasse les épithetes, dont la prose ne se pare qu'avec retenue : elle n'appelle point les hommes par leurs noms, c'est le fils de Pélée, le berger de Sicile, le cygne de Dircée. L'année est chez elle le grand cercle, qui s'acheve par la révolution des mois. Elle donne un corps à tout ce qui est spirituel, & la vie à tout ce qui ne l'a point. Enfin le chemin dans lequel elle marche est couvert d'une poussiere d'or, ou jonché des plus belles fleurs. Voyez POETIQUE, style.

Ce n'est pas tout, chaque genre de poésie a son ton & ses couleurs. Par exemple, les qualités principales qui conviennent au style épique sont la force, l'élégance, l'harmonie & le coloris.

Le style dramatique a pour regle générale de devoir être toujours conforme à l'état de celui qui parle. Un roi, un simple particulier, un commerçant, un laboureur, ne doivent point parler du même ton : mais ce n'est pas assez ; ces mêmes hommes sont dans la joie ou dans la douleur, dans l'espérance ou dans la crainte : cet état actuel doit donner encore une seconde conformation à leur style, laquelle sera fondée sur la premiere, comme cet état actuel est fondé sur l'habituel ; & c'est ce qu'on appelle la condition de la personne. Voyez TRAGEDIE.

Pour ce qui regarde la comédie, c'est assez de dire que son style doit être simple, clair, familier, cependant jamais bas, ni rampant. Je sais bien que la comédie doit élever quelquefois son ton, mais dans ses plus grandes hardiesses elle ne s'oublie point ; elle est toujours ce qu'elle doit être. Si elle alloit jusqu'au tragique, elle seroit hors de ses limites : son style demande encore d'être assaissonné de pensées fines, délicates, & d'expressions plus vives qu'éclatantes.

Le style lyrique s'éleve comme un trait de flamme, & tient par sa chaleur au sentiment & au goût : il est tout rempli de l'enthousiasme que lui inspire l'objet présent à sa lyre ; ses images sont sublimes, & ses sentimens pleins de feu. De-là les termes riches, forts, hardis, les sons harmonieux, les figures brillantes, hyperboliques, & les tours singuliers de ce genre de poésie. Voyez ODE, POESIE LYRIQUE & POETE LYRIQUE.

Le style bucolique doit être sans apprêt, sans faste, doux, simple, naïf & gracieux dans ses descriptions. Voyez PASTORALE, poésie.

Le style de l'apologue doit être simple, familier, riant, gracieux, naturel & naïf. La simplicité de ce style consiste à dire en peu de mots & avec les termes ordinaires tout ce qu'on veut dire. Il y a cependant des fables où la Fontaine prend l'essor ; mais cela ne lui arrive que quand les personnages ont de la grandeur & de la noblesse. D'ailleurs cette élévation ne détruit point la simplicité qui s'accorde, on ne peut mieux, avec la dignité. Le familier de l'apologue est un choix de ce qu'il y a de plus fin & de plus délicat dans le langage des conversations ; le riant est caractérisé par son opposition au sérieux, & le gracieux par son opposition au désagréable : sa majesté fourrée, une Hélene au beau plumage, sont du style riant. Le style gracieux peint les choses agréables avec tout l'agrément qu'elles peuvent recevoir. Les lapins s'égayoient, & de thim parfumoient leurs banquets. Le naturel est opposé en général au recherché, au forcé. Le naïf l'est au réfléchi, & semble n'appartenir qu'au sentiment, comme la fable de la laitiere.

Passons au style de la prose : il peut être périodique ou coupé dans tout genre d'ouvrage.

Le style périodique est celui où les propositions ou les phrases sont liées les unes aux autres, soit par le sens même, soit par des conjonctions.

Le style coupé est celui dont toutes les parties sont indépendantes & sans liaison réciproque. Un exemple suffira pour les deux especes.

" Si M. de Turenne n'avoit sû que combattre & vaincre, s'il ne s'étoit élevé au-dessus des vertus humaines, si sa valeur & sa prudence n'avoient été animées d'un esprit de foi & de charité, je le mettrois au rang des Fabius & des Scipions ". Voilà une période qui a quatre membres, dont le sens est suspendu. Si M. de Turenne n'avoit sû que combattre & vaincre, &c. ce sens n'est pas achevé, parce que la conjonction si promet au-moins un second membre ; ainsi le style est là périodique. Le veut-on coupé, il suffit d'ôter la conjonction : M. de Turenne a su autre chose que combattre & vaincre, il s'est élevé au-dessus des vertus humaines ; sa valeur & sa prudence étoient animées d'un esprit de foi & de charité ; il est bien au-dessus des Fabius, des Scipions. Ou si l'on veut un autre exemple : " Il passe le Rhin, il observe le mouvement des ennemis ; il releve le courage des alliés, &c. ".

Le style périodique a deux avantages sur le style coupé : le premier, qu'il est plus harmonieux ; le second, qu'il tient l'esprit en suspens. La période commencée, l'esprit de l'auditeur s'engage, & est obligé de suivre l'orateur jusqu'au point, sans quoi il perdroit le fruit de l'attention qu'il a donnée aux premiers mots. Cette suspension est très-agréable à l'auditeur, elle le tient toujours éveillé & en haleine.

Le style coupé a plus de vivacité & plus d'éclat : on les employe tous deux tour-à-tour, suivant que la matiere l'exige. Mais cela ne suffit pas à-beaucoup-près pour la perfection du style : il faut donc observer avant toutes choses que la même remarque que nous avons faite au sujet de la poésie, s'applique également à la prose, je veux dire que chaque genre d'ouvrage prosaïque demande le style qui lui est propre. Le style oratoire, le style historique & le style épistolaire ont chacun leurs regles, leur ton, & leurs loix particulieres.

Le style oratoire requiert un arrangement choisi des pensées & des expressions conformes au sujet qu'on doit traiter. Cet arrangement des mots & des pensées comprend toutes les especes de figures de rhétorique, & toutes les combinaisons qui peuvent produire l'harmonie & les nombres. Voyez ORATEUR, ORATEURS grecs & romains, ELOCUTION, ELOQUENCE, HARMONIE, MELODIE, NOMBRE, &c.

Le caractere principal du style historique, est la clarté. Les images brillantes figurent avec éclat dans l'histoire : elle peint les faits ; c'est le combat des Horaces & des Curiaces ; c'est la peste de Rome, l'arrivée d'Agrippine avec les cendres de Germanicus, ou Germanicus lui-même au lit de la mort. Elle peint les traits du corps, le caractere d'esprit, les moeurs. C'est Caton, Catilina, Pison ; la simplicité sied bien au style de l'histoire ; c'est en ce point que César s'est montré le premier homme de son siecle. Il n'est point frisé, dit Cicéron, ni paré, ni ajusté, mais il est plus beau que s'il l'étoit. Une des principales qualités du style historique, c'est d'être rapide ; enfin il doit être proportionné au sujet. Une histoire générale ne s'écrit pas du même ton qu'une histoire particuliere ; c'est presque un discours soutenu ; elle est plus périodique & plus nombreuse.

Le style épistolaire doit se conformer à la nature des lettres qu'on écrit. On peut distinguer deux sortes de lettres ; les unes philosophiques, où l'on traite d'une maniere libre quelque sujet littéraire ; les autres familieres, qui sont une espece de conversation entre les absens ; le style de celle-ci doit ressembler à celui d'un entretien, tel qu'on l'auroit avec la personne même si elle étoit présente. Dans les lettres philosophiques, il convient de s'élever quelquefois avec la matiere, suivant les circonstances. On écrit d'un style simple aux personnes les plus qualifiées audessus de nous ; on écrit à ses amis d'un style familier. Tout ce qui est familier est simple ; mais tout ce qui est simple n'est pas familier. Le caractere de simplicité se trouve sur-tout dans les lettres de madame de Maintenon : rien de si aisé, de si doux, de si naturel.

Le style épistolaire n'est point assujetti aux loix du discours oratoire : sa marche est sans contrainte ; c'est le trop de nombres qui fait le défaut des lettres de Balzac. Il est une sorte de négligence qui plaît, de même qu'il y a des femmes à qui il sied bien de n'être point parées. Telle est l'élocution simple, agréable & touchante sans chercher à le paroître ; elle dédaigne la frisure, les perles, les diamans, le blanc, le rouge, & tout ce qui s'appelle fard & ornement étranger. La propreté seule, jointe aux graces naturelles, lui suffit pour se rendre agréable.

Le style épistolaire admet toutes les figures de mots & de pensées, mais il les admet à sa maniere. Il y a des métaphores pour tous les états ; les suspensions, les interrogations sont ici permises, parce que ces tours sont les expressions même de la nature.

Mais soit que vous écriviez une lettre, une histoire, une oraison, ou tout autre ouvrage, n'oubliez jamais d'être clair. La clarté de l'arrangement des paroles & des pensées, est la premiere qualité du style. On marche avec plaisir dans un beau jour, tous les objets se présentent agréablement ; mais lorsque le ciel s'obscurcit, il communique sa noirceur à tout ce qu'on trouve sur la route, & n'a rien qui dédommage de la fatigue du voyage.

A la clarté de votre style, joignez s'il se peut la noblesse & l'éclat ; c'est par-là que l'admiration commence à naître dans notre esprit. Ce fut par - là que Cicéron plaidant pour Cornélius, excita ces emportemens de joie & ces battemens de mains, dont le barreau retentit pour-lors ; mais l'éclat dont je parle doit se soutenir ; un éclair qui nous éblouit passe légerement devant les yeux, & nous laisse dans la tranquillité où nous étions auparavant ; un faux brillant nous surprend d'abord & nous agite ; mais bien-tôt après nous rentrons dans le calme, & nous avons honte d'avoir pris du clinquant pour de l'or.

Quoique la beauté du style dépende des ornemens dont on se sert pour l'embellir, il faut les ménager avec adresse ; car un style trop orné devient insipide ; il faut placer la parure de même qu'on place les perles & les diamans sur une robe que l'on veut enrichir avec goût.

Tâchez sur-tout d'avoir un style qui revête la couleur du sentiment, cette couleur consiste dans certains tours de phrase, de certaines figures qui rendent vos expressions touchantes. Si l'extérieur est triste, le style doit y répondre. Il doit toujours être conforme à la situation de celui qui parle.

Enfin il est une autre qualité du style qui enchante tout le monde, c'est la naïveté. Le style naïf ne prend que ce qui est né du sujet & des circonstances : le travail n'y paroît pas plus que s'il n'y en avoit point ; c'est le dicendi genus simplex, sincerum, nativum des Latins. La naïveté du style consiste dans le choix de certaines expressions simples qui paroissent nées d'elles-mêmes plutôt que choisies ; dans des constructions faites comme par hasard, dans certains tours rajeunis, & qui conservent encore un air de vieille mode. Il est donné à peu de gens d'avoir en partage la naïveté du style ; elle demande un goût naturel perfectionné par la lecture de nos vieux auteurs françois, d'un Amyot, par exemple, dont la naïveté du style est charmante.

Il paroît assez par tous ces détails, que les plus grands défauts du style sont d'être obscur, bas, empoulé, froid, ou toujours uniforme.

Un style qui est obscur & qui n'a point de clarté, est le plus grand vice de l'élocution, soit que l'obscurité vienne d'un mauvais arrangement de paroles, d'une construction louche & équivoque, ou d'une trop grande brieveté. Il faut, dit Quintilien, nonseulement qu'on puisse nous entendre, mais qu'on ne puisse pas ne pas nous entendre ; la lumiere dans un écrit doit être comme celle du soleil dans l'univers, laquelle ne demande point d'attention pour être vue, il ne faut qu'ouvrir les yeux.

La bassesse du style, consiste principalement dans une diction vulgaire, grossiere, seche, qui rebute & dégoûte le lecteur.

Le style empoulé, n'est qu'une élevation vicieuse, il ressemble à la bouffissure des malades. Pour en connoître le ridicule, on peut lire le second chapitre de Longin, qui compare Clitarque, qui n'avoit que du vent dans ses écrits, à un homme qui ouvre une grande bouche pour souffler dans une petite flute. Ceux qui ont l'imagination vive tombent aisément dans l'enflure du style, ensorte qu'au-lieu de tonner, comme ils le croyent, ils ne font que niaiser comme des enfans.

Le style froid vient tantôt de la stérilité, tantôt de l'intempérance des idées. Celui-là parle froidement, qui n'échauffe point notre ame, & qui ne sait point l'élever par la vigueur de ses idées & de ses expressions.

Le style trop uniforme nous assoupit & nous endort.

Voulez-vous du public mériter les amours,

ans cesse en écrivant variez vos discours ;

Un style trop égal & toujours uniforme

En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme.

On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,

Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

La variété nécessaire en tout, l'est dans le discours plus qu'ailleurs. Il faut se défier de la monotonie du style, & savoir passer du grave au doux, du plaisant au sévere.

Enfin, si quelqu'un me demandoit la maniere de se former le style, je lui répondrois en deux mots, avec l'auteur des principes de littérature, qu'il faut premierement lire beaucoup & les meilleurs écrivains ; secondement, écrire soi-même & prendre un censeur judicieux ; troisiemement, imiter d'excellens modeles, & tâcher de leur ressembler.

Je voudrois encore que l'imitateur étudiât les hommes ; qu'il prît d'après nature des expressions qui soient non - seulement vraies, comme dans un portrait qui ressemble, mais vivantes & animées comme le modele même du portrait. Les Grecs avoient l'un & l'autre en partage, le génie pour les choses, & le talent de l'expression. Il n'y a jamais eu de peuple qui ait travaillé avec plus de goût & de style ; ils burinoient plutôt qu'ils ne peignoient, dit Denys d'Halicarnasse. On sait les efforts prodigieux que fit Démosthène, pour forger ces foudres, que Philippe redoutoit plus que toutes les flottes de la république d'Athènes. Platon à quatre - vingt ans polissoit encore ses dialogues. On trouva après sa mort, des corrections qu'il avoit faites à cet âge sur ses tablettes. (D.J.)

STYLE, harmonie du, voyez ORATOIRE, HARMONIE, ÉLOQUENCE. (D.J.)

STYLE, (Logiq.) le style des Logiciens & des Philosophes ne doit avoir d'autre but que d'expliquer exactement nos pensées aux autres ; c'est pourquoi il convient d'établir quelques regles particulieres à ce genre de style ; telles sont les suivantes.

1°. De ne s'écarter jamais des significations reçues des termes.

2°. Que les mêmes termes soient toujours pris dans le même sens.

3°. De fixer la signification des mots qui ont un sens vague & indéterminé.

4°. De désigner les objets essentiellement différens par des noms différens.

5°. Le logicien ou le philosophe doit toujours user des expressions les plus propres, & ne point employer plus de mots que ceux qui lui sont précisément nécessaires pour établir la vérité de la proposition qu'il avance. Voyez à ce sujet Wolf. Disc. prélimin. de la Logique, c. v. (D.J.)

STYLE ORIENTAL, (Prose & Poésie) le style oriental a cet avantage, qu'il éleve l'ame, qu'il soutient l'attention, & qu'il fait lire avec une sorte de plaisir, des choses qui pour le fond ne sont pas toujours nouvelles. (D.J.)

STYLE, Poésie du, (Poésie) la poésie du style, comme M. le Batteux l'a remarqué, comprend les pensées, les mots, les tours, & l'harmonie. Toutes ces parties se trouvent dans la prose même ; mais comme dans les arts, tels que la Poésie, il s'agit nonseulement de rendre la nature, & de la rendre avec tous ses agrémens & ses charmes possibles ; la Poésie, pour arriver à sa fin, a été en droit d'y ajouter un degré de perfection, qui les élevât en quelque sorte au-dessus de leur condition naturelle.

C'est pour cette raison que les pensées, les mots, les tours, ont dans la Poésie une hardiesse, une liberté, une richesse, qui paroîtroit excessive dans le langage ordinaire. Ce sont des comparaisons toutes nues, des métaphores éclatantes, des répétitions vives, des apostrophes singulieres. C'est l'Aurore, fille du matin, qui ouvre les portes de l'orient avec ses doigts de roses ; c'est un fleuve appuyé sur son urne penchante, qui dort au bruit flatteur de son onde naissante ; ce sont les jeunes zéphirs qui folâtrent dans les prairies émaillées, ou les nayades qui se jouent dans leurs palais de crystal ; ce n'est point un repas, c'est une fête.

La poésie du style consiste encore à prêter des sentimens intéressans à tout ce qu'on fait parler, comme à exprimer par des figures, & à présenter sous des images capables de nous émouvoir, ce qui ne nous toucheroit pas, s'il étoit dit simplement en style prosaïque.

Mais chaque genre de poëme a quelque chose de particulier dans la poésie de son style ; la plûpart des images dont il convient que le style de la tragédie soit nourri, pour ainsi dire, sont trop graves pour le style de la comédie ; du-moins le poëme comique ne doit-il en faire qu'un usage très-sobre. Il ne doit les employer que comme Chrémès, lorsque ce personnage entre pour un moment dans une passion tragique. Nous avons déjà dit dans quelques articles, que les églogues empruntoient leurs peintures & leurs images des objets qui parent la campagne, & des événemens de la vie rustique. La poésie du style de la satyre doit être nourrie des images les plus propres à exciter notre bile. L'ode monte dans les cieux, pour y emprunter ses images & ses comparaisons du tonnerre, des astres, & des dieux mêmes : mais ce sont des choses dont l'expérience a déjà instruit tous ceux qui aiment la Poésie.

Il faut donc que nous croiyions voir, pour ainsi dire, en écoutant des vers : ut pictura poesis, dit Horace. Cléopatre s'attireroit moins d'attention, si le poëte lui faisoit dire en style prosaïque aux ministres odieux de son frere : ayez peur, méchans ; César qui est juste, va venir la force à la main ; il arrive avec des troupes. Sa pensée a bien un autre éclat ; elle paroît bien plus relevée, lorsqu'elle est revêtue de figures poétiques, & lorsqu'elle met entre les mains de César, l'instrument de la vengeance de Jupiter. Ce vers,

Tremblez, méchans, tremblez : voici venir la foudre.

me présente César armé du tonnerre, & les meurtriers de Pompée foudroyés. Dire simplement qu'il n'y a pas un grand mérite à se faire aimer d'un homme qui devient amoureux facilement ; mais qu'il est beau de se faire aimer par un homme qui ne témoigna jamais de disposition à l'amour ; ce seroit dire une vérité commune, & qui ne s'attireroit pas beaucoup d'attention. Quand Racine met dans la bouche d'Aricie cette vérité, revêtue des beautés que lui prete la poésie de son style, elle nous charme. Nous sommes séduits par les images dont le poete se sert pour l'exprimer ; & la pensée de triviale qu'elle seroit, énoncée en style prosaïque, devient dans ses vers un discours éloquent qui nous frappe, & que nous retenons :

Pour moi, je suis plus fiere, & fuis la gloire aisée

D'arracher un hommage à mille autres offert,

Et d'entrer dans un coeur de toutes parts ouvert.

Mais de faire fléchir un courage inflexible,

De porter la douleur dans une ame insensible,

D'enchaîner un captif de ses fers étonné,

Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné,

Voilà ce qui me plaît, voilà ce qui m'irrite.

Phedre, act. II.

Ces vers tracent cinq tableaux dans l'imagination.

Un homme qui nous diroit simplement : je mourrai dans le même château où je suis né, ne toucheroit pas beaucoup. Mourir est la destinée de tous les hommes ; & finir dans le sein de ses pénates, c'est la destinée des plus heureux. L'abbé de Chaulieu nous présente cependant cette pensée sous des images qui la rendent capable de toucher infiniment :

Fontenay, lieu délicieux,

Où je vis d'abord la lumiere,

Bien-tôt au bout de ma carriere

Chez toi je joindrai mes ayeux.

Muses qui dans ce lieu champêtre

Avec soin me fîtes nourrir,

Beaux arbres qui m'avez vu naître,

Bien-tôt vous me verrez mourir.

Ces apostrophes me font voir le poëte en conversation avec les divinités & avec les arbres de ce lieu. Je m'imagine qu'ils sont attendris par la nouvelle qu'il leur annonce ; & le sentiment qu'il leur prête, fait naître dans mon coeur un sentiment approchant du leur.

La poésie du style fait la plus grande différence qui soit entre les vers & la prose. Bien des métaphores qui passeroient pour des figures trop hardies dans le style oratoire le plus élevé, sont reçues en poésie ; les images & les figures doivent être encore plus fréquentes dans la plûpart des genres de la Poésie, que dans les discours oratoires ; la Rhétorique qui veut persuader notre raison, doit toujours conserver un air de modération & de sincérité. Il n'en est pas de même de la Poésie qui songe à nous émouvoir préférablement à toutes choses, & qui tombera d'accord, si l'on veut, qu'elle est souvent de mauvaise foi. Suivant Horace, on peut être poëte en un discours en prose ; & l'on n'est souvent que prosateur dans un discours écrit en vers. Quintilien explique si bien la nature & l'usage des images & des figures dans les derniers chapitres de son huitieme livre, & dans les premiers chapitres du livre suivant, qu'il ne laisse rien à faire, que d'admirer sa pénétration & son grand sens.

Cette partie de la Poésie la plus importante, est en même tems la plus difficile : c'est pour inventer des images qui peignent bien ce que le poëte veut dire ; c'est pour trouver les expressions propres à leur donner l'être, qu'il a besoin d'un feu divin, & non pas pour rimer. Un poëte médiocre peut, à force de consultations & de travail, faire un plan régulier, & donner des moeurs décentes à ses personnages ; mais il n'y a qu'un homme doué du génie de l'art, qui puisse soutenir ses vers par des fictions continuelles, & par des images renaissantes à chaque période. Un homme sans génie, tombe bien-tôt dans la froideur qui naît des figures qui manquent de justesse ; & qui ne peignent point nettement leur objet ; ou dans le ridicule qui naît des figures, lesquelles ne sont point convenables au sujet. Telles sont, par exemple, les figures que met en oeuvre le carme auteur du poëme de la Magdelaine, qui forment souvent des images grotesques, où le poëte ne devoit nous offrir que des images sérieuses. Le conseil d'un ami peut bien nous faire supprimer quelques figures impropres ou mal imaginées ; mais il ne peut nous inspirer le génie nécessaire pour inventer celles dont il conviendroit de se servir, & qui font la poésie du style ; le secours d'autrui ne sauroit faire un poëte ; il peut tout au plus lui aider à se former.

Un peu de réflexion sur la destinée des poëmes françois publiés depuis cent ans, achevera de nous persuader, que le plus grand mérite d'un poëme, vient de la convenance & de la continuité des images & des peintures que les vers nous présentent. Le caractere de la poésie du style a toujours décidé du bon ou mauvais succès des poëmes, même de ceux qui par leur étendue, semblent dépendre le plus de l'économie du plan, de la distribution, de l'action, & de la décence des moeurs.

Nous avons deux tragédies du grand Corneille dont la conduite & la plûpart des caracteres sont très-défectueux, le cid & la mort de Pompée. On pourroit même disputer à cette derniere piece le titre de tragédie ; cependant le public enchanté par la poésie du style de ces ouvrages, ne se lasse point de les admirer ; & il les place fort au-dessus de plusieurs autres, dont les moeurs sont meilleures, & dont le plan est régulier. Tous les raisonnemens des critiques ne le persuaderont jamais, qu'il ait tort de prendre pour des ouvrages excellens deux tragédies, qui depuis un siecle, font toujours pleurer les spectateurs.

Nos voisins les Italiens ont aussi deux poëmes épiques en leur langue, la Jérusalem délivrée du Tasse, & le Roland furieux de l'Arioste, qui, comme l'Iliade & l'Eneïde, sont devenus des livres de la bibliotheque du genre humain. On vante le poëme du Tasse pour la décence des moeurs, pour la dignité des caracteres, pour l'économie du plan ; en un mot pour sa régularité. Je ne dirai rien des moeurs, des caracteres, de la décence & du plan du poëme de l'Arioste. Homere fut un géometre auprès de lui ; & l'on sait le beau nom que le cardinal d'Est donna au ramas informe d'histoires mal tissues ensemble qui composent le Roland furieux. L'unité d'action y est si mal observée, qu'on a été obligé dans les éditions postérieures d'indiquer, par une note mise à côté de l'endroit où le poëte interrompt une histoire, l'endroit du poëme où il la recommence, afin que le lecteur puisse suivre le fil de cette histoire. On a rendu en cela un grand service au public ; car on ne lit pas deux fois l'Arioste de suite, & en passant du premier chant au second, & de celui-là aux autres successivement, mais bien en suivant indépendamment de l'ordre des livres, les différentes histoires qu'il a plutôt incorporées qu'unies ensemble. Cependant les Italiens, généralement parlant, placent l'Arioste fort au-dessus du Tasse. L'académie de la Crusca, après avoir examiné le procès dans les formes, a fait une décision autentique, qui adjuge à l'Arioste le premier rang entre les poëmes épiques italiens. Le plus zélé défenseur du Tasse, Camillo Pelegrini, confesse qu'il attaque l'opinion générale, & que tout le monde a décidé pour l'Arioste, séduit par la poésie de son style. Elle l'emporte véritablement sur la poésie de la Jérusalem délivrée, dont les figures ne sont pas souvent convenables à l'endroit où le poëte les met en oeuvre. Il y a souvent encore plus de brillant & d'éclat dans ses figures que de vérité. Je veux dire qu'elles surprennent & qu'elles éblouissent l'imagination, mais qu'elles n'y peignent pas distinctement des images propres à nous émouvoir.

Il résulte de tout ce détail, que le meilleur poëme est celui dont la lecture nous touche davantage ; & que c'est celui qui nous séduit au point de nous cacher la plus grande partie de ses fautes, & de nous faire oublier volontiers celles mêmes que nous avons vues, & qui nous ont choqués. Or c'est à-proportion des charmes de la poésie du style qu'un poëme nous intéresse. Du Bos, réflexions sur la poësie. (D.J.)

STYLE, (Peint.) le style appartient en peinture à la composition & à l'exécution ; il y a des peintres qui travaillent dans un style héroïque, & d'autres dans un style champêtre. Pour ce qui concerne l'exécution, un tableau peut être d'un style ferme, ou d'un style poli. Le style ferme est une touche hardie, qui donne de la force & de l'action à l'ouvrage, tels sont les tableaux de Michel-Ange. Le style poli finit & termine toutes choses : c'est à quoi se sont le plus attaché les peintres hollandois. Le style ferme est quelquefois trop dur ; & le style poli trop composé, trop travaillé, mais leur union fait les délices des amateurs. (D.J.)

STYLE, en Musique, est la maniere de composer, d'exécuter & d'enseigner. Cela varie beaucoup selon les pays, le caractere des peuples & le génie des auteurs ; selon les matieres, les lieux, les tems, les sujets & les expressions, &c.

On dit le style de Handel, de Rameau, de Lully, de Destouches, &c. le style des Italiens, des François, des Espagnols, &c.

Le style des musiques gaies & enjouées est bien différent du style des musiques graves ou sérieuses. Le style des musiques d'église n'est pas le même que celui des musiques pour le théâtre ou pour la chambre. Le style des compositions italiennes est piquant, fleuri, expressif : celui des compositions françoises est naturel, coulant, tendre, &c.

De-là viennent les diverses épithetes qui distinguent ces différens styles ; on dit style ancien & moderne ; style italien, françois, allemand, &c. style ecclésiastique, dramatique, de la chambre, &c. style gai, enjoué, fleuri ; style piquant, pathétique, expressif ; style grave, sérieux, majestueux ; style naturel, coulant, tendre, affectueux ; style grand, sublime, galant ; style familier, populaire, bas, rampant.

Style dramatique ou récitatif, c'est un style propre pour les passions. Voyez RECITATIF.

Style ecclésiastique, c'est un style plein de majesté, grave & sérieux, & capable d'inspirer la piété.

Stile de motet, c'est un style varié, fleuri, & susceptible de tous les ornemens de l'art ; propre par conséquent à remuer les passions, mais sur-tout à exciter l'admiration, l'étonnement, la douleur, &c. Voyez MOTET.

Style de madrigal ; c'est un style affecté à la tendresse, à l'amour, à la compassion & aux autres passions douces. Voyez MADRIGAL.

Style hyporchematique, c'est le style qui convient au plaisir, à la joie, à la danse, &c. & plein par conséquent de mouvemens promts, vifs, gais & bien marqués.

Style symphonique ; c'est le style des instrumens. Comme chaque instrument a sa destination particuliere, il a aussi son style. Le style des violons, par exemple, est ordinairement gai ; celui des flûtes est triste, languissant, &c. celui des trompettes, animé, gai, martial, &c.

Style mélismatique, c'est un style naturel, & sur lequel on chante presque sans avoir appris ; il est propre pour les ariettes, les vilanelles, les vaudevilles, &c.

Style de phantaisie, ou phantaisie, stylo phantastico c'est un style d'instrument ou une maniere de composer & d'exécuter, libre de toute contrainte, &c.

Style de danse, stylo choraïco ; il se divise en autant de branches différentes qu'il y a de différens caracteres de danse. Il y a donc le style des sarabandes, des menuets, des passepiés, des gavottes, des rigaudons, des bourrées, des gaillardes, des courantes, &c. Voyez ces mots.

Les anciens avoient aussi leurs styles différens dont nous avons parlé aux mots, MODES, MELOPEE, &c. (S)

STYLE, (Littérat.) stylus, c'étoit, comme je viens de dire, un poinçon, ou une grosse aiguille, avec la pointe de laquelle les anciens écrivoient sur des tablettes enduites de cire. Voyez TABLETTE en cire.

Quintilien conseille pour apprendre aux enfans à écrire, de faire graver toutes les lettres sur une planche, afin que la trace des caracteres dirigeât le style, & que la main trouvant une égale résistance aux extrêmités, ne sortit point de son modele ; par cette méthode l'enfant, à force d'imiter des caracteres fixes, ne pouvoit manquer de rendre promtement sa main sûre, sans aucun besoin de maître pour la conduire ; car, ajoute notre judicieux critique, c'est une chose fort importante de savoir écrire bien, & vîte ; & c'est ce que les personnes de condition négligent un peu trop. Si Quintilien vivoit parmi nous, il auroit dit négligent au point, qu'on reconnoit un homme de qualité à son écriture illisible, & aux fautes d'ortographe. (D.J.)

STYLE, en Chronologie, (Hist. mod.) signifie une maniere particuliere de supputer le tems par rapport au retranchement de dix jours du calendrier dans la réformation qui en fut faite sous Grégoire XIII.

Le style est ancien ou nouveau.

Le vieux style est la maniere de compter selon le calendrier Julien, qu'on suivoit en Angleterre & dans quelques autres états protestans, qui ont refusé d'admettre la réformation. Voyez JULIEN.

Le nouveau style est la maniere de compter suivant le calendrier Grégorien, qui est suivi par les catholiques & par d'autres, en conséquence de la réformation. Voyez GREGORIEN.

Ainsi il y a une différence de dix jours entre le vieux style & le nouveau ; le dernier avance beaucoup devant le premier, de façon que quand les catholiques, par exemple, comptent le 21 de Mai, nous ne comptons que le 11.

Cette différence de dix jours est accrue d'un jour en 1707, & est maintenant de 11 jours ; par la raison que cette année n'étoit pas bissextile dans le vieux style, & qu'elle l'étoit dans le nouveau ; desorte que le dixieme de l'un répondoit au vingt-unieme de l'autre.

Cependant il y a différens endroits, même parmi les protestans, où on a commencé à admettre le nouveau style ; & il est assez vraisemblable qu'avec le tems le vieux style sera tout-à-fait abandonné. A la diete de Ratisbonne, en 1700, il a été résolu par le corps des protestans de l'empire, qu'on retrancheroit onze jours du vieux style pour l'ajuster à l'avenir au nouveau : le même réglement a été fait depuis en Suede & en Danemark ; la Russie est presque le seul état qui retienne le vieux style. Voyez CALENDRIER.

STYLE DE CHASSE, voyez CHASSE.

STYLE (Jurisprud.), en terme de pratique signifie la maniere dont on a coutume de rédiger les actes ; les notaires ont leur style, c'est-à-dire un certain ordre de discours, de certaines expressions qui leur sont propres. Il y a des clauses de style, c'est-à-dire qui se trouvent ordinairement dans tous les actes de même espece ; quelques-unes de ces clauses ne sont que de style sans rien ajouter aux conventions, comme le promettant, obligeant, renonçant des notaires qui seroient sous-entendus, quand même on ne les auroit pas exprimés.

Le style judiciaire est la forme que l'on suit pour l'instruction & pour les jugemens dans les tribunaux ; autrefois chaque tribunal avoit son style particulier ; l'ordonnance de 1667 a eu pour objet de rendre partout la procédure uniforme ; on avoit même dessein de faire des formules imprimées pour toutes sortes d'actes, afin de rendre par-tout le style uniforme ; mais les difficultés que l'on trouva dans l'exécution de ce projet le firent abandonner, & l'on se contenta de vendre le papier qui étoit destiné à contenir ces formules, que l'on timbre en tête d'une fleur-de-lis ; telle fut l'origine du papier & du parchemin timbré, dont l'usage commença en France en 1673.

Malgré les précautions que les ordonnances ont prises pour rendre par-tout le style uniforme, il subsiste encore bien des différences dans le style de la plûpart des Tribunaux.

Nous avons plusieurs styles anciens & nouveaux, qui sont des instructions sur la maniere de procéder dans chaque tribunal ; tels sont l'ancien style du parlement qui est dans les oeuvres de Dumoulin, les styles civil, criminel & du conseil, de Gauret ; le style de Gastier ; le style du châtelet, &c. Voyez FORME, FORMULES, ORDRE JUDICIAIRE, PAPIER TIMBRE, PROCEDURE. (A)

STYLE, mercantile, (Commerce) c'est celui qu'employent les marchands & les négocians dans les affaires de leur négoce, & dont ils se servent dans leurs écritures pour eux-mêmes, pour leurs associés, leurs correspondans & leurs commissionnaires ; il n'est pas étrange que le commerce ait son style, comme toutes les autres sciences, & il seroit honteux de ne le pas savoir, quand on a la sagesse d'embrasser cette utile profession. (D.J.)


STYLITESS. m. pl. (Hist. ecclésiast.) est le nom qu'on donnoit à une sorte de solitaires qui passoient le tems de leur vie sur le sommet d'une colonne pour mieux se livrer à la méditation. Voyez HERMITE, ANACHORETE.

Les auteurs ecclésiastiques citent beaucoup de solitaires qui menoient ce genre de vie, & l'on en trouve dès le second siecle. Le plus célebre d'entr'eux est S. Simon Stylite qui vivoit dans le cinquiéme siecle, & qui demeuroit sur une colonne élevée de 36 coudées, où il passa sa vie dans les exercices d'une continuelle pénitence.

Le haut de ces colonnes ou la plate forme qu'occupoient ces solitaires n'avoit, dit-on, que 3 piés de diametre ; & étoit entourée d'une espece de balustrade ou de rebord qui leur venoit jusqu'à la ceinture ; mais il n'y avoit point au bas de quoi se coucher ; & ils y habitoient en plein air. On dit que les fakirs ou moines des Indes imitent encore aujourd'hui ce genre de vie extraordinaire. Voyez FAKIR.


STYLO-GLOSSEen Anatomie, est une paire de muscles qui s'attachent le long de l'apophyse styloïde d'où descendant obliquement en avant, ils s'inserent à la racine de la langue. Ces muscles viennent quelquefois de l'angle de la mâchoire inférieure, ou sont fortifiés par un trousseau de fibres qui viennent de cet angle.


STYLO-HYOIDIENen Anatomie, est une paire de muscles qui viennent de la partie inférieure de l'apophyse styloïde, & s'inserent à la base de l'os hyoïde proche la grande corne, où il se partage très-souvent en deux portions entre lesquelles passent le tendon du digastrique. Voyez DIGASTRIQUE.


STYLO-KERATO-HYOIDIEen Anatomie, c'est le nom d'une paire de muscles, qui ne s'observent pas toujours & qui prennent leur attache de la partie moyenne de l'apophyse styloïde, & vont s'insérer à la petite corne de l'os hyoïde.


STYLO-MASTOIDIENen Anatomie, trou situé entre les apophyses styloïde & mastoïde de l'os des tempes. Voyez TEMPORAUX.


STYLO-PHARYNGIENen Anatomie, est une paire de muscles qui viennent de l'apophyse styloïde & qui en descendant obliquement se dispersent dans les parties postérieures du pharynx & dans la face interne du cartilage thiroïde, où quelques fibres s'attachent.


STYLOBATES. m. (Architect.) Voyez PIEDESTAL.


STYLOIDEen Anatomie, est une apophyse de l'os des tempes ainsi nommée, parce qu'elle ressemble à un stile ou stilet. Voyez nos Pl. d'Anatom. & leur explication. Voyez aussi les articles GRAPHOIDE & OS PETRE.


STYLOMETRIES. f. en Architecture, est l'art de distribuer & mesurer une colonne dans toutes ses parties pour en observer les justes proportions, du grec , colonne, & , mesure.


STYMMATA(Pharmac. anc.) ; ce mot dérive de , resserrer, ou épaissir ; en latin, spissamenta, corps épaissis. Les anciens appelloient ainsi leurs onguens les plus solides ; ils donnoient le même nom aux ingrédiens dont ils se servoient pour procurer à ces onguens de la consistance & de la solidité ; ces derniers épaississans étoient quelques simples odoriférans, comme le costus, le nard, la marjolaine, l'amome, la menthe, & autres, capables de resserrer, de donner aux onguens une odeur agréable, & de les préserver de la corruption. Dioscoride dit que les stymmata, ou épaississans de l'huile rosat, sont le lentisque, le jonc, & l'asphalte. Les stymmata différent des hédysmata, en ce que ces derniers sont liquides. (D.J.)


STYMPHALE(Géog. anc.) Stymphalus, ville du Péloponnèse, dans l'Arcadie, aux confins de l'Argolide, sur le bord d'un lac de même nom. Homere & Hésyche écrivent , Stymphelus. Il semble qu'il y avoit aussi une montagne nommée Stymphalus ; cependant Strabon, l. VIII. la passe sous silence, lorsqu'il décrit les montagnes de l'Arcadie ; mais Ptolémée, l. III. c. xvj. compte Stymphalus au nombre des montagnes du Péloponnèse, & une ville du même nom parmi celles de l'Arcadie.

Le lac étoit au pié d'une montagne, selon Pline, & sur le bord du lac étoit la ville Stymphalus ; dans le scholiaste d'Apollonius, ad lib. II. v. 1055. la ville est appellée Stymphalus, & le lac Stymphalis. Ovide, l. II. fast. v. 27. en parlant du lac, dit Stymphalides undae. Polybe, l. II. c. 55. appelle la contrée Stymphalia, & les habitans Stymphalii. Strabon compte Stymphalie parmi les villes détruites ; le fleuve qui sortoit du lac portoit aussi le nom de Stymphalus, jusqu'à l'endroit où il se cachoit sous terre ; mais lorsqu'il reparoissoit dans l'Argie, il prenoit celui d'Erasinus. Pausanias, l. VIII. c. xxij. décrit ainsi la ville, le lac & le fleuve Stymphalus.

Le mont Géronte étoit comme une barriere entre les Phénéates, & ceux de Stymphale. Ces derniers n'étoient plus censés du corps arcadique, depuis qu'ils s'en étoient volontairement séparés, pour ne plus dépendre que des états d'Argos.

Cependant Homere témoigne qu'ils étoient originairement Arcadiens, & on sait d'ailleurs que Stymphale leur fondateur, étoit petit-fils d'Arcas ; ce n'est pas qu'Arcas eût été le fondateur de Stymphale, qui subsistoit du tems de Pausanias ; mais il en avoit bâti une autre qui ne subsistoit plus. Ces peuples prétendoient que Téménus avoit habité l'ancienne Stymphale, qu'il y avoit élevé Junon, & qu'il lui avoit bâti ensuite trois temples sous divers noms, suivant les trois états où il l'avoit vue ; l'un à Junon enfant, l'autre à Junon femme de Jupiter, & le troisieme à Junon veuve, après qu'elle eut fait divorce avec Jupiter, & qu'elle se fut retirée à Stymphale. Voilà ce qu'ils disoient ; mais cela n'a rien de commun avec la nouvelle Stymphale dont il s'agit ici.

Aux environs de cette ville, il y avoit une fontaine, dont l'empereur Hadrien avoit fait venir l'eau jusque dans Corinthe. Cette fontaine formoit à Stymphale, durant l'hiver, une espece de petit lac, d'où le fleuve Stymphale se grossissoit ; l'été ce lac étoit ordinairement à sec, & pour lors c'étoit la fontaine qui fournissoit de l'eau à ce fleuve, lequel, à quelque distance de là, se précipitoit sous terre, alloit reparoître dans les terres des Argiens, non plus sous le nom de Stymphale, mais sous le nom d'Erasinus. On disoit que sur les bords du Stymphale il y avoit autrefois des oiseaux carnassiers qui vivoient de la chair humaine, & qu'Hercule les tua tous à coups de fleches. Pisandre de Camire dit qu'il ne fit que les chasser par le bruit des tymbales.

Les déserts d'Arabie, qui engendrent tant de sortes de bêtes, continue Pausanias, avoient aussi des oiseaux nommés stymphalides, qui ne sont gueres moins à craindre pour les hommes, que les lions & les léopards ; car lorsqu'ils étoient poursuivis par les chasseurs, ils fondoient tout-à-coup sur eux, les perçoient de leurs becs, & les tuoient. Le fer & l'airain étoient de foible résistance ; mais il y avoit dans le pays une écorce d'arbre fort épaisse, dont on se faisoit des habits ; le bec de ces animaux rebroussoit contre, & s'embarrassoit de la même maniere que les petits oiseaux se prennent à la glu. Les stymphalides étoient de la grandeur des grues, & ressembloient aux cigognes, avec cette différence, qu'ils avoient le bec beaucoup plus fort, & qu'ils ne l'avoient pas recourbé.

Je ne puis décrire, dit Pausanias, s'il y a eu autrefois en Arcadie des oiseaux de même nom que ceux qui se voyent aujourd'hui dans l'Arabie, quoique d'une forme différente ; mais supposé, ajoute le même Pausanias, que l'espece de stymphalides soit unique, & qu'elle ait toujours existé comme celle des éperviers, des aigles, & des autres oiseaux ; je me persuade que les stymphalides sont des oiseaux d'Arabie, dont quelques-uns auront volé vers les rives du Stymphale, & que dans la suite la gloire d'Hercule & le nom des Grecs, beaucoup plus célebre que celui des Barbares, aura fait appeller ces oiseaux stymphalides dans l'Arabie même, au lieu qu'auparavant ils avoient un autre nom.

Il y avoit à Stymphale un vieux temple de Diane, surnommé aussi stymphalie. La statue de la déesse étoit de bois, & dorée pour la plus grande partie ; la voûte du temple étoit ornée de figures d'oiseaux stymphalides. Sur le derriere du temple on voyoit des statues de marbre blanc, qui représentoient de jeunes filles avec des cuisses & des jambes d'oiseaux. On disoit que les habitans de Stymphale avoient éprouvé la colere du ciel d'une maniere terrible : la fête de Diane étoit négligée, on n'y observoit plus les cérémonies prescrites par la coutume : un jour l'arcade qu'on avoit faite pour l'écoulement des eaux du Stymphale, se trouva tout-à-coup engorgée au point que l'eau venant à refluer, inonda toute la campagne l'espace de plus de quatre cent stades ; un chasseur qui couroit après une biche, se laissant emporter à l'envie d'avoir sa proie, se jetta à la nage dans ce lac, & ne cessa de poursuivre l'animal, jusqu'à ce que tombés tous deux dans le même gouffre, ils disparurent & se noyerent ; les eaux se retirerent à l'instant, & en moins d'un jour la terre parut séche. Depuis cet événement, la fête de Diane se célébra avec plus de pompe & de dévotion.

Voila le récit de Pausanias. La ville de Stymphale se nomme aujourd'hui Vicisse, d'autres disent Vulsi. M. Fourmont y passant en 1719, ne vit point dans les environs de ce lieu, & n'entendit rien dire aux habitans, des oiseaux stymphalides si célebres chez les poëtes, & dans Pausanias ; mais M. Fourmont découvrit au voisinage de Stymphale, les ruines du tombeau de Térence, sur lequel il avoit fait espérer un mémoire particulier, qui n'a point vu le jour. (D.J.)


STYMPHALIDESSTYMPHALIDES

On croit qu'il s'agit ici de quelques troupes de brigands qui ravageoient la campagne, & détruisoient les passans, aux environs du lac Stymphale. Hercule trouva peut-être le moyen de les faire sortir de leur retraite, & les fit périr avec le secours de ses compagnons. (D.J.)


STYMPHALIE(Mythol.) Voyez STYMPHALE.


STYPTIQUEadj. (Physiolog. chirurg.) ce mot vient de , resserrer. Les styptiques sont des remedes propres à arrêter les hémorrhagies. Quand une hémorrhagie considérable est arrêtée par des absorbans ou des styptiques, la cause de la suppression est toujours un grumeau de sang, contenu par la compression, de maniere que l'orifice du vaisseau en est bouché ; ce grumeau a deux parties, dont l'une est en-dedans, l'autre en-dehors du vaisseau ; celle qui est en-dehors est formée par la derniere goutte de sang, qui en se coagulant, s'est incorporée avec la charpie, la mousse, & les poudres dont on s'est servi pour arrêter le sang ; ces deux parties ne forment souvent qu'un grumeau tout d'une piece, qui, en-dehors du vaisseau, forme comme un couvercle, & en-dedans comme un bouchon ; elles contribuent toutes deux à arrêter le sang au moyen de la solidité qu'elles acquiérent par la coagulation, par leur adhérence en-dedans, & avec les parties internes des vaisseaux, & en-dehors, avec son orifice externe.

Lorsqu'on use de styptiques & d'escarotiques, le grumeau se forme plus vîte que quand on n'employe que des absorbans, ou de simples astringens. Dans le premier cas, le grumeau occupe un plus grand espace dans la cavité du vaisseau, & le bouchon entre plus profondément ; le couvercle, ou la portion externe du grumeau est aussi plus épaisse, parce qu'en même tems que les styptiques & les escarotiques coagulent le sang, ils brulent aussi une portion du vaisseau & de la chair adjacente, qui, s'incorporant avec le sang coagulé, forment avec lui un couvercle plus épais & plus large. Ces réflexions sont de M. Petit.

De tous les styptiques, le plus ordinaire, & peut-être le meilleur, c'est l'alcohol, ou de l'esprit-de-vin pur ; il arrête presque sur le champ les hémorrhagies, prévient la putréfaction, & forme une escare solide quoique mince : de-là vient qu'il est la base de tous les secrets les plus vantés, pour arrêter les hémorrhagies ; mais ce n'est point un styptique universel, ni qui convienne dans tous les cas : il en est de même du styptique de Colbatch, du styptique balsamique du docteur Eaton, du styptique royal, & du styptique nommé boule médicinale, composé de limaille d'acier, d'une égale quantité de tartre, porphirisés avec de la meilleure eau-de-vie de France. (D.J.)


STYRA(Géog. anc.) ville de l'Eubée, au voisinage de la ville Carystus, selon Strabon, l. X. Pausanias, l. IV. c. xxxiv. dit que les habitans de Styra étoient Dryopes d'origine. (D.J.)


STYRAX(Mat. méd.) voyez STORAX.


STYXS. m. (Mytholog.) étoit fille de l'Océan & mere de l'Hydre de Lerne, selon les poëtes, qui la changerent ensuite en fleuve d'enfer. Le Styx, dit Virgile, se repliant neuf fois sur lui-même, tient les morts pour toujours emprisonnés. Le serment par les eaux du Styx faisoit trembler les dieux même ; Jupiter, avec toute sa puissance, n'osoit y contrevenir. Quand les dieux, dit Hésiode, osoient jurer par le Styx, ils devoient avoir une main sur la terre & l'autre sur la mer.

Le Styx étoit une fontaine de l'Arcadie septentrionale, près des monts Cylléniens, qui dégoûtoit d'un rocher extrêmement élevé, & dont l'eau tomboit dans le fleuve Crathis. M. Fourmont, en voyageant dans la Grece en 1730, trouva la ville de Phénéos, après avoir passé le Styx : il appelle ainsi un torrent qui, descendant du Tricara, coule dans trois gros villages, & forme enfin cet étang dont les poëtes ont tant parlé.

La description qu'ils en font, dit M. Fourmont, n'a rien de plus surprenant, que ce qu'il présente aux yeux de ceux qui le considerent. L'eau claire du fleuve s'y métamorphose en quelque chose de très-hydeux. Des couleurs fort déplaisantes à la vue s'y mêlent les unes aux autres ; une mousse épaisse d'un verd d'airain tacheté de noir se promene dessus au gré des vents, & les bouillons qui s'y forment ne ressemblent qu'au bitume & au goudron ; le poisson ne peut vivre dans ce lac, les vapeurs qui s'en exhalent brûlent tous les arbres d'alentour, & les animaux fuyent ses bords.

Après ce détail qu'on lit dans l'hist. des Insc. IV. iv. il ne faut plus s'étonner de ce que les poëtes grecs & Pausanias lui-même ont dit du Styx. (D.J.)

STYX, (Géog. anc.) fleuve du Péloponnèse, dans l'Arcadie, au territoire de Nonacris. Il sortoit du lac Phénée. Pausanias nous a donné la description de ce fleuve, & rapporte les endroits d'Homere & d'Hésiode, où il en est parlé.

Près des ruines de Nonacris, dit Pausanias, l. VIII. c. xvij. & xviij. une partie de la montagne Chélydorée s'éleve prodigieusement, & de son sommet dégoûte sans-cesse une eau, que les Grecs nomment l'eau du Styx.

Hésiode, dans sa Théogonie (car quelques - uns lui attribuent cet ouvrage), fait Styx fille de l'Océan & femme de Pallas : l'on prétend que Linus dit quelque chose de semblable dans ses poésies. Pour moi, dit Pausanias, j'ai lu avec soin ces ouvrages, & je les tiens tous les deux supposés. Mais Epiménide de Crete dit aussi que Styx fut fille de l'Océan, & il ajoute que mariée à Piras (on ne sait pas trop qui étoit Piras), elle enfanta l'hydre. Pour Homere, c'est de tous les anciens poëtes celui qui a le plus souvent employé le nom de Styx dans ses vers, témoin cet endroit où il exprime ainsi le serment que fait Junon.

J'en atteste le ciel, la terre & les enfers,

J'en atteste de Styx l'eau qui tombe sans-cesse.

Il semble qu'en homme qui avoit vu les lieux, le poëte ait voulu décrire l'eau qui dégoûte continuellement de ce rocher. Dans un autre endroit, en faisant le dénombrement de ceux qui avoient suivi Gunéus, il parle du fleuve Titarésius, & en parle comme d'un fleuve qui étoit formé des eaux du Styx. Enfin quand il nous représente Minerve se plaignant à Jupiter, & lui reprochant qu'il a oublié que c'est par elle & par son secours qu'Hercule étoit si heureusement sorti des travaux qui lui avoient été imposés par Eurysthée, il fait de Styx un fleuve qu'il place dans les enfers.

L'eau qui dégoûtoit de ce rocher près de Nonacris, après s'être fait une route à-travers une grosse roche fort haute, tomboit dans le fleuve Crathis. Cette eau étoit mortelle aux hommes & à tout animal, & les chevres mouroient lorsqu'elles en avoient bû, mais on fut du tems à s'en appercevoir.

Une autre qualité fort surprenante de cette eau, c'est qu'aucun vase, soit de verre, soit de crystal, soit de terre cuite, soit même de marbre, ne pouvoit la contenir sans se casser. Elle dissolvoit ceux qui étoient de corne ou d'os, elle dissolvoit le fer, le cuivre, le plomb, l'étain, l'ambre, l'argent & même l'or, quoiqu'au rapport de Sapho, la rouille ne l'altere jamais, ce qui est aussi confirmé par l'expérience. Cette même eau du Styx n'agissoit point sur la corne du pié des chevaux. Un vase de cette matiere étoit le seul où l'on en pût garder, & qui résistât à son impression. J'ignore, dit Pausanias, si Alexandre, fils de Philippe, fut empoisonné avec cette eau, mais je sais seulement qu'on l'a dit.

Pausanias auroit dû tenir le même langage de toutes les prétendues dissolutions qu'il vient de raconter, mais il faut pourtant convenir que le Styx inspire de l'horreur. C'est d'abord un gros torrent qui descendant du Tricara, passe dans trois gros villages de Wlaqs, & forme enfin un étang fort vilain. La description que les poëtes en font, n'a rien d'aussi surprenant que ce qu'il présente aux yeux de ceux qui le considerent. L'eau claire du fleuve, dit M. Fourmont, qui étoit sur les lieux en 1730, s'y métamorphose en ce qu'il y a de plus hideux, toutes les couleurs les plus déplaisantes à la vue s'y mêlant les unes aux autres ; une mousse épaisse d'un verd d'airain tacheté de noir se promene dessus au gré des vents, & les bouillons qui s'y forment ne ressemblent qu'au bitume & au goudron. Le poisson ne peut vivre dans ce lac ; les vapeurs qui s'en exhalent, brûlent tous les arbres d'alentour, & les animaux fuyent ses bords.

2°. Styx, marais de la Thessalie. Pline dit que le fleuve Titarésius y prenoit sa source, ce qui est en quelque sorte confirmé par Homere, qui appelle ce fleuve Titarésius.

3°. Styx, fontaine de la Macédoine, selon Quinte-Curce, qui pourroit bien par-là entendre le marais Styx, que Pline met dans la Thessalie, ou bien le fleuve Styx dans l'Arcadie. (D.J.)


SUABE(Géogr. mod.) prononcez Souabe, en allemand Schwaben, & en latin Suevia ; grande province d'Allemagne, & un des six cercles de l'empire. Elle est bornée au nord par la Franconie, & le cercle électoral du Rhin, au midi par la Suisse, au levant par la Baviere, & au couchant par le Rhin qui la sépare de l'Alsace ; c'est un pays fertile en blé, en vin & en pâturages. Ses principales rivieres sont le Necker, le Leck & le Danube.

Ce pays a été ainsi nommé des Sueves, peuples de la Germanie septentrionale qui faisoient partie des Wendiles, & qui s'étant avancés vers le Mein sous les derniers empereurs romains, s'établirent dans une partie du pays qui étoit habité par les Germains, & qu'ils étendirent depuis jusqu'aux Alpes. Ils furent d'abord gouvernés par des rois qui n'étoient proprement que leurs chefs ; tels furent Alaric & Adalgeric.

Ce pays fut ensuite du partage de Thierry, fils aîné de Clovis, & il demeura sous l'obéissance des rois francs de la premiere race. Charlemagne y établit pour gouverneurs des officiers de sa maison, & leurs successeurs, profitant de la foiblesse des rois, en usurperent la souveraineté.

Les empereurs donnerent la Suabe à différens princes. Rodolphe I. en investit Rodolphe son fils aîné en 1288 ; mais Jean, fils unique de Rodolphe, ayant assassiné l'empereur Albert I. son oncle, fut privé de ce duché ; & depuis ce tems-là, les archiducs d'Autriche ont pris seulement la qualité de princes de Suabe.

Quelque grande que soit la Suabe, qu'on divise en Suabe autrichienne & Suabe impériale, le cercle auquel elle donne son nom, a encore une plus grande étendue. Ce cercle renferme le duché de Wurtemberg, le marggraviat de Bade, la principauté de Hohen-Zollern, la principauté d'Oettingen, la principauté de Mindelheim, l'évêché d'Augsbourg, l'évêché de Constance, l'évêché de Coire, enfin divers comtés de l'empire, grand nombre d'abbayes immédiates d'hommes & de femmes, & les villes libres situées en Suabe.

L'évêque de Constance & le duc de Wurtemberg sont les directeurs de ce cercle, dont le contingent est de 343 cavaliers & de 2640 florins par mois. (D.J.)


SUADou SUADELA, s. f. (Mythologie) c'étoit la déesse insinuante de la persuasion & de l'éloquence, que les Grecs appelloient Peitho. Plutarque la met au nombre de celles qui présidoient au mariage. On la faisoit compagne de Vénus. Horace, par cette raison, les joint quelque part ensemble, decorant Suadela Venusque, dit-il dans une de ses épîtres : " J'aimerois cependant mieux prendre la chose en général, & dire que Suadela rend éloquent, & que Vénus rend aimable ". (D.J.)


SUAGES. m. terme de Marine, ce mot se dit du coût des suifs & des graisses, dont de tems en tems on enduit les vaisseaux pour les faire couler sur l'eau avec plus de facilité. Dans la mer du levant, particulierement à Marseille, on l'appelle sperme, d'où est venu espalmer ou esparmer, c'est-à-dire enduire un vaisseau de sperme ; le suage des vaisseaux marchands se met au nombre des menues avaries. (D.J.)

SUAGE, s. m. (Outil à l'usage de plusieurs ouvriers) celui des Chaudronniers est un tas à plusieurs crans, dans lequel on resserre & on unit parfaitement le cuivre sur les bords qu'on met dans une piece. Voy. les Planches du Chaudronnier.

SUAGER, v. act. (Chaudronnerie) c'est tellement approcher le cuivre sur le bord de fer d'un chaudron, &c. par le moyen du suage, qu'il soit parfaitement uni par-tout, & qu'il n'y ait aucune espace entre le cuivre & le cordon de fer. Voyez SUAGE, & les Planches du Chaudronnier, avec leur explication.


SUAIRES. m. (Gram. & Critiq. sacrée) en grec , en latin sudarium, mouchoir, linge pour essuyer la sueur du visage, d'où est venu son nom. On lit dans les actes des apôtres, xix. 12. qu'on portoit sur les malades des mouchoirs de S. Paul, , & leurs maladies cessoient. Le mot suaire désigne encore une espece de voile, dont on couvroit la tête & le visage des morts, Jean xj. 44. Mais ce mot est particulierement consacré à désigner le voile que le Sauveur avoit sur la tête dans le tombeau, Jean xx. 7. Plusieurs églises se disputerent l'honneur d'avoir ce suaire, ce qui doit au-moins faire soupçonner qu'aucune ne le possede. On le montre à Turin, à Toulouse, à Besançon, à Sarlat, à Compiegne, sans parler des villes d'Espagne & d'Italie, où on le montre aussi. Celui de Turin a été confirmé pour le véritable par quatre bulles du saint siege, avec des indulgences en sa faveur ; mais celui de Toulouse est autorisé par quatorze bulles des papes, à commencer par celle de Clément III. en 1190, c'est-à-dire sur la fin d'un des plus grands siecles d'ignorance & de barbarie. (D.J.)


SUANE(Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale. Elle s'étend jusqu'à la riviere du grand Kaketa, & comprend toutes les campagnes du nord du fleuve des Amazones. Elle a dans son sein une montagne qui produit de l'or ; cette montagne est à 317 degrés de longitude, & à 2 degrés de latitude australe. (D.J.)


SUANESLES, ou LES SOUANES, (Géog. mod.) peuples d'Asie. Ils habitent les montagnes du Caucase, où ils vivent indépendans entre les Tartares Circasses, & les peuples d'Imereti & de Carduel ; ils vont travailler par troupes pendant l'été dans la Géorgie, & regagnent leurs montagnes au commencement de l'hiver.


SUANETES(Géog. anc.) peuples que Pline, l. III. c. xx. met parmi ceux des Alpes, qui furent subjugués par Auguste. Le P. Hardouin soupçonne que les Suanetes sont les mêmes que les Sarunetes ; ce sentiment est d'autant plus probable, que les Suanetes de Pline sont les Suanitae de Ptolémée, l. II. c. xij. qui les place dans la Rhétie. (D.J.)


SUANI(Géog. anc.) peuples de la Colchide, selon Pline, l. VI. c. iv. & Cedrene. Agathias, l. IV. en fait une nation hibérique, au-delà du Caucase. Ils sont comptés parmi les Laziques dans les authentiques. Ce sont les Souani de Ptolémée, l. V. c. ix. & les Soanes de Strabon, l. II. p. 498. & d'Etienne le géographe. Il y a apparence que c'est un reste de ces peuples que l'on connoît encore aujourd'hui dans les montagnes du Caucase, & qu'on nomme Suanes. Voyez ce mot. (D.J.)


SUANTadj. (Gram.) qui est en sueur. Voyez les articles SUER & SUEUR.


SUANTEWITHS. m. (Mythologie) nom d'une divinité adorée par les habitans de l'île de Rugen, dans la mer Baltique, & à qui ils consacroient le tiers du butin qu'ils faisoient sur leurs ennemis, parce qu'ils croyoient que c'étoit ce dieu qui les assistoit dans les combats. Quelques auteurs ont nié l'existence de cette divinité, & ont prétendu que le Suantewith des Rugiens étoit saint Wit martyr ; mais il y a lieu de croire que cette opinion n'est point fondée, & que ce n'est qu'une certaine conformité dans les noms qui y a pu donner lieu. Voyez Keyssler, voyage.


SUAQUEou SUAQUIN, (Géogr. mod.) île d'Afrique, sur la côte occidentale de la mer Rouge, à peu d'éloignement de Babelmandel. Elle a environ 15 lieues de tour, qui renferment une petite ville de son nom. Son port est un des meilleurs de la mer Rouge, & il étoit fort commerçant avant que Moka lui eût enlevé son trafic. Les habitans de cette île sont turcs & arabes. Longitude 55. 16. latit. 18. 45. (D.J.)


SUAR(Géog. mod.) petite contrée de l'Asie mineure, dans la petite Arménie. Son ancien nom est Méliterne, qui s'appelloit ainsi de sa capitale. Suar abonde en arbres fruitiers, & produit aussi de l'huile & du vin.


SUARDONES(Géog. anc.) peuples de la Germanie, que Tacite comprend parmi les Sueves, & qui, selon la conjecture de Peucer, sont les mêmes que les Pharodeni de Ptolémée, l. II. c. xj. ils habitoient vraisemblablement une partie du duché de Stettin, & du territoire de la ville de Bardt. (D.J.)


SUASA(Géog. anc.) 1°. ville de l'Ethiopie sous l'Egypte, selon Pline, l. VI. c. xxix. 2°. ville d'Italie, dans l'Umbrie, qui étoit un municipe, selon une inscription rapportée par Gruter, p. 469. n °. 5. On prétend que les ruines de cette ville, se trouvent dans le duché d'Urbin, sur la riviere de Césano, dans un lieu appellé Sasa, environ à huit milles de Fossombrone. (D.J.)


SUASSAS. m. (Chimie Métall.) c'est ainsi que l'on nomme dans les Indes orientales un alliage métallique dont on fait des bagues & des bijoux de toute espece. On dit qu'il entre de l'or, du cuivre & du fer dans cette composition, qui est d'une couleur plus vive que l'or pur. Quelques personnes ont cru que cet alliage étoit l'electrum des anciens.


SUAVEadj. SUAVITé, s. f. (Langue françoise) ces deux mots ne se disent plus qu'en matiere de dévotion, d'odeurs & de peinture. Moliere a dit ingénieusement :

J'aurai toujours pour nous, ô suave merveille,

Une dévotion à nulle autre pareille. Tartuffe.

Ces mots dans tous mes sens, font couler à longs traits

Une suavité qu'on ne goûta jamais.

Le même.

Mais ce mot est surtout d'usage dans les écrits de spiritualité. " Cet encens, dit M. Fléchier, que vous avez vu fumer sur vos autels, & monter vers le ciel en odeur de suavité, est le symbole de vos prieres ". Cette expression est prise de l'Ecriture, comme il paroît par la Genese, viij. 21. Exod. xxix. 41. Lévit. ij. vers. 9. 12. &c. où l'on lit odeur de suavité pour odeur suave, parce que les Hébreux mettent souvent les abstraits pour les concrets. Nous disons la suavité des parfums ; & en fait de peinture, un tableau plein de suavité ; tels sont les tableaux de l'Albane & du Correge. (D.J.)

SUAVE, (Peinture) couleur suave, se dit d'un tableau où la couleur a une certaine sérénité & une douleur qui affecte agréablement la vue sans la frapper trop vivement.


SUAVIARIOSCULARI, (Littérature) ces deux mots sont à peu-près synonymes, & signifient baiser tendrement. Atticus en faisant à Ciceron les complimens d'Attica, lui dit dans un endroit, osculatur te Attica mea ; & dans un autre, tibi suavium dat Attica. Cicéron en réponse dit : Atticam nostram cupio absentem suaviari. Il se sert du terme suaviari, parce qu'il s'agit d'un enfant. Ce terme auroit été un peu fort, si la fille d'Atticus avoit eu quelques années de plus. Dans une autre lettre en parlant d'elle, il dit, ad osculum Atticae ; au lieu qu'en parlant de Tullia sa fille, qui étoit une femme faite, il dit ad complexum. Epist. I. lib. XII. Atque utinam continuo ad complexum meae Tulliae, ad osculum Atticae possim currere.


SUBSUB

La loi des douze tables, qui ne fut point observée par les Romains dans le tems de leurs richesses, disoit, rogum asciâ ne polito, que le bois du bucher ne soit point poli avec l'outil nommé ascia ; mais cette loi ne fournit aucune lumiere pour entendre l'inscription sub ascia dedicavit. M. Chorier a eu là - dessus une idée fort ingénieuse dans sa description des antiquités de Vienne en Dauphiné. , dit-il, signifie ombre en grec, d'où s'est fait le mot , & en latin ascia, qui veut dire un lieu sans ombre ; conséquemment sub abscia dedicare, signifieroit consacrer un tombeau à découvert, ou dans un lieu sans ombre. (D.J.)


SUB-AUGUSTA(Géog. anc.) ville de la Campanie, entre Rome & Tusculum. Elle devint évêché vers l'an 490, & a été détruite. On nomme aujourd'hui la place où elle étoit située, Torte-Pignatura. (D.J.)


SUB-LUPATIA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Pouille. L'itinéraire d'Antonin la marque entre Silvianum & Canales, à 21 milles du premier de ces lieux, & à 13 milles du second. Cette ville selon Holstein, étoit où est aujourd'hui la ville épiscopale d'Altamura. (D.J.)


SUBALTERNEadj. & subst. (Gouvernement) ce mot depuis quelque tems s'employe pour désigner dans tous les états & dans toutes les professions, quelqu'un qui est subordonné aux ordres d'un supérieur. Partout les subalternes sont chargés de la besogne qui demande le moins de génie & le moins de talens. Ainsi se trompent les ministres d'état qui se persuadent qu'avec du zèle, des notions générales, & le secours des subalternes, ils parviendront aisément à remplir l'objet de leur ministere. Le secours des subalternes, quelque grand qu'il soit, ne produit ni la réunion des vues, ni l'harmonie d'opération, qui fait la force d'une administration active, habile & éclairée. Ce secours même peut devenir dangereux, dès que les subalternes le sentent absolument nécessaire à leurs maîtres. La réalité du pouvoir ne tarde pas à passer dans leurs mains. Ils inspirent eux-mêmes les ordres dont on leur commet l'exécution, & le chef se trouve par amour propre obligé de les justifier, & de les soutenir. (D.J.)


SUBBIACou SUBIACO, (Géog. mod.) ville d'Italie, dans la campagne de Rome. Elle est bâtie sur une colline, près du Teveronne, vers les frontieres du royaume de Naples ; à 10 milles de Palestrine, à 18 de Segni & d'Anagni, & à 35 de Rome : c'est l'ancienne Sublaqueum, bâtie peut-être des ruines de la maison de plaisance de Néron. Long. 30. 32. latit. 41. 35. (D.J.)


SUBDÉLÉGATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsque celui qui est délégué pour faire quelque chose, délegue lui-même quelqu'un pour le faire en tout ou en partie à sa décharge.

On entend aussi par subdélégation, fonction de subdélégué, le tems pendant lequel il l'a exercée, quelquefois enfin l'étendue de son département. Voyez DELEGUE, COMMISSAIRE DEPARTI, INTENDANT, SUBDELEGUE. (A)


SUBDÉLÉGUÉS(Gram. & Jurisp.) est en général celui que le délégué a commis pour faire à sa place quelqu'une de ses fonctions.

On entend ordinairement par subdélégué, une personne que l'intendant ou commissaire départi dans une province commet dans chaque ville ou bourg de son département, pour y exécuter les ordres & mandemens qu'il lui adresse, pour y faire exécuter les ordres du roi, veiller à tout ce qui intéresse son service & qui est de la compétence de l'intendant, & lui en rendre compte. Voyez COMMISSAIRE DEPARTI DANS LES PROVINCES, DELEGUE, INTENDANT, SUBDELEGATION. (A)


SUBDIVISERverbe actif, SUBDIVISION, s. f. (Gram.) c'est l'action de diviser les parties d'un tout qu'on a déjà divisé. Les biens de cet homme étoient considérables, mais on en a fait tant de subdivisions, que chaque portion en est devenue bien petite. L'action de subdiviser s'appelle subdivision : l'effet de cette action retient le même nom.


SUBER MONTANUM(Hist. nat.) Voyez l'article LIEGE FOSSILE.


SUBEYT(Géog. mod.) petite ville d'Afrique, au royaume de Maroc, dans la province de Duquela, sur l'Omnirabi. Ses habitans commercent en cire, en miel, que les abeilles font dans les creux d'arbres du pays. (D.J.)


SUBGRUNDAES. f. (Archit. rom.) nous disons aussi subgronde ou seneronde ; c'est la partie de la couverture d'une maison, qui avance en-dehors pour jetter les eaux pluviales au-delà du mur, & empêcher qu'elles ne l'alterent. Comme les anciens croyoient que les ames des enfans qui mouroient avant que d'avoir atteint quarante jours, étoient changés en dieux lares au-dessous de la subgronde ; ils appellent subgrundarium, le tombeau où ils enterroient ces petits enfans. (D.J.)


SUBHASTATIONS. f. (Gramm. & Jurisprud.) est une vente d'un ou plusieurs héritages d'un débiteur, qui se fait au banc de cour de la justice des lieux où les héritages sont situés, après qu'ils ont été publiés & criés trois jours consécutifs audit banc de cour, & la troisieme & derniere de ces criées.

Ces ventes ont été ainsi appellées parce qu'elles tirent leur origine des ventes judicielles usitées chez les Romains qui se faisoient sub hastâ ; on plantoit une pique au lieu où la vente se faisoit à l'encan, pour marque de l'autorité, car cette vente ne se faisoit qu'en vertu d'une ordonnance du préteur.

Les subhastations sont usitées dans quelques provinces, comme Bresse, Bugey, Gex, & Valromey ; elles ont été confirmées dans cet usage par des lettres-patentes de Novembre 1602, & par des déclarations des 3 Juillet & 6 Décembre 1702.

L'objet de ces subhastations est le même que celui de la vente par decret, mais elles ne purgent pas les hypotheques. Voyez Revel & Collet sur les Statuts de Bresse, & le Traité de la vente des immeubles par decret, de M. d'Hericourt. Voyez CRIEES, DECRET, SAISIEREELLE. (A)


SUBI(Géog. anc.) fleuve d'Espagne. Pline, l. III. c. iij. le met dans la Cossetanie. Le nom moderne est Besos, selon Clusius, & Beles, selon Moralès : c'est aujourd'hui, dit le pere Hardouin, la riviere qui passe à Tarragone : ce seroit donc la Francoli. (D.J.)


SUBIGUE(Mythol.) subigus, dieu des Athéniens c'étoit celui qui la premiere nuit des noces soumettoit la jeune épouse à son époux.


SUBINTRANTEFIEVRE, (Médec.) on appelle fievres subintrantes, les fievres intermittentes dans lesquelles l'accès commence avant que le précédent soit fini, ce qui rend de telles fievres continues, & requiert la même méthode curative. (D.J.)


SUBIRv. act. (Gram.) être exposé de gré ou de force ; subir une loi dure ; subir un châtiment ; subir la rigueur du sort.


SUBITadj. (Gram.) qui exécute tout-à-coup ; il y a des coups subits, des échecs subits, des bonheurs subits, des fortunes, des élévations subites. C'est alors qu'on considere les hommes élevés si subitement, & qu'on se demande comment cela s'est fait, sans pouvoir se répondre. On se rappelle seulement un endroit où Lucien introduit Jupiter fatigué des clameurs qui s'élevoient de la terre, mettant la tête à sa trape, & disant de la grêle en Scythie, un volcan dans les Gaules, la peste ici, la famine là ; refermant sa trape, achevant de s'enyvrer, s'endormant entre les bras de Ganimede ou de Junon, & appellant cela gouverner le monde.


SUBJECTIONS. f. figure de Rhétorique, par laquelle l'orateur s'interroge & se répond à lui-même, ou répond lui-même à l'interrogation qu'il fait à son adversaire, comme dans cet endroit de Cicéron dans la harangue pro domo suâ.

Tu meam domum religiosam facere potuisti, & quâ mente ? quâ invaseras : quâ manu ? quâ disturbaras : quâ voce ? quâ incendi jusseras : quâ lege ? quam non scripseras.

On l'appelle subjection, parce qu'elle fournit la réponse immédiatement après l'interrogation, quia quaestioni statim responsum subjicit.


SUBJONCTIFVE, (Gram.) proposition subjonctive, mode subjonctif ; c'est sur-tout dans ce dernier sens que ce terme est propre au langage grammatical, pour y désigner un mode personnel oblique, le seul qu'il y ait en latin, en allemand, en françois, en italien, en espagnol, & apparemment en bien d'autres idiomes.

Le subjonctif est un mode personnel, parce qu'il admet toutes les inflexions personnelles & numériques, au moyen desquelles le verbe peut se mettre en concordance avec le sujet déterminé auquel on l'applique : & c'est un mode oblique, parce qu'il ne constitue qu'une proposition incidente, nécessairement subordonnée à la principale.

Quand je dis que le subjonctif ne constitue qu'une proposition incidente, je ne veux pas dire qu'il soit le seul mode qui puisse avoir cette propriété, l'indicatif & le suppositif sont fréquemment dans le même cas ; par exemple, achetez le livre que j'ai lû ; vous tenez le livre que je lirois le plus volontiers : je veux marquer par-là que le subjonctif ne peut jamais constituer une proposition principale ; ce qui le distingue essentiellement des autres modes personnels, qui peuvent être l'ame de la proposition principale, comme, j'ai lû le livre que vous avez acheté ; je lirois volontiers le livre que vous tenez. De cette remarque il suit deux conséquences importantes.

I. La premiere, c'est qu'on ne doit point regarder comme appartenant au subjonctif, un tems du verbe qui peut constituer, directement & par soi-même, une proposition principale.

C'est donc une erreur évidente que de regarder comme futur du subjonctif, ce tems que je nomme prétérit postérieur, comme amavero ; j'aurai aimé ; exivero, je serai sorti ; precatus ero ou fuero, j'aurai prié ; laudatus ero ou fuero, j'aurai été loué : c'est pourtant la décision commune de presque tous ceux qui se sont avisés de composer pour les commençans des livres élémentaires de grammaire : & l'auteur même de la Méthode latine de P. R. a suivi aveuglément la multitude des grammatistes, qui avoient répeté sans examen ce que Priscien avoit dit le premier sans réflexion, lib. VIII. de cognat. temp.

Suivons au contraire le fil des conséquences qui sortent de la véritable notion du subjonctif. Ce tems peut constituer une proposition principale, comme quand on dit en françois, j'aurai fini demain cette lettre : il la constitue dans ce vers d'Horace, II. sat. ij. 54. 55.

.... Frustrà vitium vitaveris illud

Si te alio pravum detorseris.

Car c'est comme si nous disions, vainement aurez-vous évité ce défaut, si mal-à-propos vous tombez dans un autre ; & tout le monde sent bien que l'on pourroit réduire cette phrase périodique à deux propositions détachées & également principales, vous aurez vainement évité ce défaut (voilà la premiere) car vous tomberez mal-à-propos dans un autre (voilà la seconde) ; or la premiere dans ce cas se diroit toujours de même en latin, frustrà vitium vitaveris illud, & la seconde seroit, si te aliò pravum detorquebis.

Concluons donc que le prétendu futur du subjonctif n'appartient point à ce mode, puisque toute proposition dont le verbe est au subjonctif est nécessairement incidente, & que ce tems peut - être au contraire le verbe d'une proposition principale. Cette conséquence peut encore se prouver par une autre observation déjà remarquée au mot FUTUR : la voici. Selon les regles établies par les méthodistes dont il s'agit, la conjonction dubitative an étant placée entre deux verbes, le second doit être mis au subjonctif. A partir de - là, quand j'aurai à mettre en latin cette phrase françoise, je ne sais si je louerai, je dirai que le si dubitatif doit s'exprimer par an, qu'il est placé entre deux verbes, & que le second je louerai doit être au subjonctif ; or je louerai est en françois le futur de l'indicatif (je parle le langage de ceux que je réfute afin qu'ils m'entendent) ; donc je mettrai en latin laudavero, qui est le futur du subjonctif, & je dirai, nescio an laudavero.... Gardez - vous bien, me diront - ils, vous ne parleriez pas latin : il faut dire, nescio an laudaturus sim, en vertu de telle & telle exception ; & quand le verbe est au futur de l'indicatif en françois, on ne peut jamais le rendre en latin par le futur du subjonctif, quoique la regle générale exige ce mode : il faut se servir.... Eh ! messieurs, convenez plutôt de bonne foi qu'on ne doit pas dire ici laudavero, parce qu'en effet laudavero n'est pas au subjonctif, & que l'on ne doit dire laudaturus sim, que parce que c'est là le véritable futur de ce mode. Voyez TEMS.

Ajoutons à ces considérations une remarque de fait : c'est qu'il est impossible de trouver dans tous les auteurs latins un seul exemple, où la premiere personne du singulier de ce tems soit employée avec la conjonction ut ; & que ce seroit pourtant la seule qui pût prouver en ce cas que le tems est du subjonctif, parce que les cinq autres personnes étant semblables à celles du prétérit du même mode, on peut toujours les rapporter au prétérit qui est incontestablement du subjonctif. Périzonius lui-même, qui regarde le tems dont il s'agit, comme futur du subjonctif, est forcé d'avouer le fait, & il ne répond à la conséquence qui s'en tire, qu'en la rejettant positivement & en recourant à l'ellipse pour amener ut devant ce tems. Sanct. Minerv. 1. 13. not. 6. Mais enfin, il faut convenir que c'est abuser de l'ellipse : elle ne doit avoir lieu que dans les cas où d'autres exemples analogues nous autorisent à la suppléer, ou bien lorsqu'on ne peut sans y recourir, expliquer la constitution grammaticale de la phrase ; c'est ainsi qu'en parle Sanctius même, (Minerv. iv. 2.) avoué en cela par Périzonius son disciple : Ego illa tantum supplenda praecipio, quae veneranda illa supplevit antiquitas, aut ea sine quibus grammaticae ratio constare non potest. Or, 1°. il est avoué qu'on ne trouve dans les anciens aucun exemple où la premiere personne singuliere du prétendu futur du subjonctif soit employée avec ut ; 2°. en considérant comme principale la proposition où entre ce tems, on en explique très-bien la constitution grammaticale sans recourir à l'ellipse, ainsi qu'on l'a vû plus haut : c'est donc un subterfuge sans fondement, que de vouloir expliquer ce tems par une ellipse, plutôt que d'avouer qu'il n'appartient pas au subjonctif.

Il y a encore deux autres tems des verbes françois, italiens, espagnols, allemands, &c. que la plûpart des grammairiens regardent comme appartenans au mode subjonctif, & qui n'en sont pas ; comme je lirois, j'aurois lû ; je sortirois, je serois sorti. L'abbé Regnier les appelle premier & second futur du subjonctif ; la Touche les appelle imparfait & plus-que-parfait conditionnels, & c'est le systême commun des rudimentaires. Mais ces deux tems s'employent directement & par eux-mêmes dans les propositions principales : de même que l'on dit, je le ferai, si je puis, on dit, je le FEROIS, si je pouvois ; je l'AUROIS FAIT, si j'avois pû : or il est évident que dans trois phrases si semblables, les verbes qui y ont des fonctions analogues sont employés dans le même sens ; par conséquent, je ferois & j'aurois fait sont à un mode direct aussi-bien que je ferai ; les uns ne sont pas plus que l'autre à un mot oblique ; tous trois constituent la proposition principale ; aucun des trois n'est au subjonctif.

II. La seconde conséquence à déduire de la notion du subjonctif, c'est qu'on ne doit regarder comme primitive & principale, aucune proposition dont le verbe est au subjonctif ; elle est nécessairement subordonnée à une autre, dans laquelle elle est incidente, sous laquelle elle est comprise, & à laquelle elle est jointe par un mot conjonctif, subjungitur.

C'est cette propriété qui est le fondement de la dénomination de ce mode, subjunctivus modus, c'est-à-dire modus JUVANS, ad JUVANDAM propositionem SUB aliâ propositione : ensorte que les grammairiens qui ont jugé à propos de donner à ce mode le nom de conjonctif, n'ont abandonné l'usage le plus général, que pour n'avoir pas bien compris la force du mot ou la nature de la chose ; conjungere ne peut se dire que des choses semblables, subjungere regarde les choses subordonnées à d'autres.

1°. Il n'est donc pas vrai qu'il y ait une premiere personne du pluriel dans les impératifs latins ; comme le disent tous les rudimens de ma connoissance, à l'exception de celui de P. R. amemus, doceamus, legamus, audiamus ; c'est la premiere personne du tems que l'on appelle le présent du subjonctif ; & si l'on trouve de tels mots employés seuls dans la phrase & avec un sens direct en apparence, ce n'est point immédiatement dans la forme de ces mots qu'il en faut chercher la raison grammaticale : il en est de cette premiere personne du pluriel comme de toutes les autres du même tems, on ne peut les construire grammaticalement qu'au moyen du supplément de quelque ellipse. Quelle est donc la construction analytique de ces phrases de Cicéron ? Nos autem tenebras COGITEMUS tantas quantae quondam, &c. (de nat. deor. ij. 38.) &, VIDEAMUS quanta sint quae à philosophiâ remedia morbis animorum adhibeantur. Tusc. iv. 27. La voici telle qu'on doit la supposer dans tous les cas pareils, res ESTO ita ut COGITEMUS, &c. res ESTO ita ut VIDEAMUS, &c. comme les verbes cogitemus & videamus sont au subjonctif, je supplée la conjonction ut qui doit amener ce mode ; cette conjonction exige un antécédent qui soit modifié par la proposition incidente ou subjonctive, c'est l'adverbe ita, qui ne peut être que le complément modificatif du verbe principal esto ; je supplée esto à l'impératif, à cause du sens impératif de la phrase, & le sujet de ce verbe est le nom général res.

Ce seroit le même supplément, si le verbe étoit à la troisieme personne dans la phrase prétendue directe. VENDAT aedes vir bonus propter aliqua vitia quae ipse novit, caeteri ignorent pestilentes SINT, & HABEANTUR salubres ; IGNORETUR in omnibus cubiculis apparere serpentes : malè materiatae, ruinosae : sed hoc, praeter dominum, nemo SCIAT. Off. iij. 13. Il faut mettre par-tout le même supplément, res esto ita ut.

2°. Ceux de nos grammairiens françois qui établissent une troisieme personne singuliere, & une troisieme personne plurielle dans nos impératifs, sont encore dans la même erreur. Qu'ils y prennent garde, la seconde du singulier & les deux premieres du pluriel ont une forme bien différente des prétendues troisiemes personnes ; fais, faisons, faites ; lis, lisons, lisez ; écoute, écoutons, écoutez, &c. ce sont communément des personnes de l'indicatif dont on supprime les pronoms personnels ; & cette suppression même est la forme qui constitue l'impératif, voyez IMPERATIF. Mais c'est tout autre chose à la prétendue troisieme personne ; qu'il ou qu'elle fasse, qu'il ou qu'elle lise, qu'il ou qu'elle écoute, au singulier ; qu'ils ou qu'elles fassent, qu'ils ou qu'elles lisent, qu'ils ou qu'elles écoutent, au pluriel ; il y a ici des pronoms personnels, une conjonction que, en un mot, ces deux troisiemes personnes prétendues impératives, sont toujours les mêmes, dit M. Restaut, ch. vj. art. 3. que celles du présent du subjonctif.

Or, je le demande, est-il croyable qu'aucune vûe d'analogie ait pu donner des formations si différentes aux personnes d'un même tems, je ne dis pas par rapport à quelques verbes exceptés, comme chacun sent que cela peut être, mais dans le systême entier de la conjugaison françoise ? Ce ne seroit plus analogie, puisque des idées semblables auroient des signes différens, & que des idées différentes y auroient des signes semblables ; ce seroit anomalie & confusion.

Je dis donc que les prétendues troisiemes personnes de l'impératif sont en effet du subjonctif, comme il est évident par la forme constante qu'elles ont, & par la conjonction qui les accompagne toujours : j'ajoute que dans toutes les occasions où elles paroissent employées directement, comme il convient en effet au mode impératif, il y a nécessairement une ellipse, sans le supplément de laquelle il n'est pas possible de rendre de la phrase une bonne raison grammaticale. Qu'il médite beaucoup avant que d'écrire, c'est-à-dire il faut, il est nécessaire, il est convenable, je lui conseille, &c. qu'il médite beaucoup avant que d'écrire : Qu'elles ayent tout préparé quand nous arriverons, c'est-à-dire, par exemple, je desire ou je veux qu'elles ayent tout préparé.

Mais dira-t-on, ces supplémens font disparoître le sens impératif que la forme usuelle montre nettement ; donc ils ne rendent pas une juste raison de la phrase. Il me semble au contraire, que c'est marquer bien nettement le sens impératif, que de dire je veux, je desire, je conseille (Voyez IMPERATIF) : & si l'on dit, il faut, il est nécessaire, il est convenable ; qu'est-ce à dire, sinon la loi ordonne, la raison rend nécessaire ou impose la nécessité, la bienséance ou la convenance exige ? Et tout cela n'est-il pas impératif ?

C'est donc la forme de la phrase, c'est le tour elliptique qui avertit alors du sens impératif ; & il n'est point attaché à la forme particuliere du verbe comme dans les autres personnes : mais la forme de la phrase ne doit entrer pour rien dans le systême de la conjugaison, où elle n'est nullement sensible. Que je dise à un étranger que ces mots qu'il fasse sont de la conjugaison du verbe faire, il m'en croira : mais que je lui dise que c'est la troisieme personne de l'impératif, & que la seconde est fais, je le dis hardiment, il ne m'en croira pas, s'il raisonne juste & conséquemment. S'il connoît les principes généraux de la grammaire, & qu'il sache que notre que est une conjonction, je ne doute pas qu'il n'aille jusqu'à voir que ces mots qu'il fasse sont du subjonctif, parce qu'il n'y a que des formes subjonctives qui exigent indispensablement des conjonctions.

3°. Par-tout où l'on trouve le subjonctif, il y a, ou il faut suppléer une conjonction, qui puisse attacher ce mode à une phrase principale. Ainsi dans ces vers d'Horace, II. Ep. j. 1.

Cùm tot SUSTINEAS & tanta negotia solus ;

Res italas armis TUTERIS, moribus ORNES,

Legibus EMENDES : in publica commoda PECCEM,

Si longo sermone MORER tua tempora, Caesar :

Il faut nécessairement suppléer ut avant chacun de ces subjonctifs, & tout ce qui sera nécessaire pour amener cet ut ; par exemple : Cùm res est ita ut tot SUSTINEAS & tanta negotia solus ; ut res italas armis TUTERIS, ut res italas moribus ORNES, ut res italas legibus EMENDES : res erit ita ut in publica commoda PECCEM, si res erit ita ut longo sermone morer tua tempora, Caesar.

Ferreus ESSEM, si te non AMAREM : (Cic. Ep. xv. 21.) c'est-à-dire, res ita jam dudum fuit ut ferreus ESSEM, si unquam res fuit ita ut te non AMAREM.

Pace tuâ DIXERIM : c'est-à-dire, ita concede ut pace tuâ DIXERIM.

Nonnulli etiam Caesari nuntiabant, quum castra moveri aut signa ferri JUSSISSET, non fore dicto audientes milites : (Caes. I. Gall.) c'est-à-dire, quum res futura erat ita ut castra moveri aut signa ferri JUSSISSET.

La nécessité d'interpréter ainsi le subjonctif, est non-seulement une suite de la nature connue de ce mode, c'est encore une chose en quelque sorte avouée par nos grammairiens, qui ont grand soin de mettre la conjonction que avant toutes les personnes des tems du subjonctif, parce qu'il est constant que cette conjonction est essentielle à la syntaxe de ce mode ; que j'aime, que j'aimasse, que j'aye aimé, &c. Les Rudimentaires eux-mêmes ne traduisent pas autrement le subjonctif latin dans les paradigmes des conjugaisons : amem, que j'aime ; amarem, que j'aimasse ; amaverim, que j'aie aimé, &c.

On trouve dans les auteurs latins plusieurs phrases où le subjonctif & l'indicatif paroissent réunis par la conjonction copulative, qui ne doit exprimer qu'une liaison d'unité fondée sur la similitude. (Voyez MOT, art. ij. n °. 3.) Les Grammairiens en ont conclu que c'étoit une énallage en vertu de laquelle le subjonctif est mis pour l'indicatif. Mais en vérité, c'est connoître bien peu jusqu'à quel point est raisonnable & conséquent ce génie supérieur qui dirige secrettement toutes les langues, que de croire qu'il puisse suggérer des locutions si contraires à ses principes fondamentaux, & conséquemment si nuisibles à la clarté de l'énonciation, qui est le premier & le plus essentiel objet de la parole.

L'énallage est une chimere inventée par les Grammatistes qui n'ont pas su analyser les phrases usuelles. (Voyez ENALLAGE) Chaque tems, chaque mode, chaque nombre, &c. est toujours employé conformément à sa destination ; jamais une conjonction copulative ne lie des phrases dissemblables, comme il n'arrive jamais qu'amare signifie haïr, que ignis signifie eau, &c. l'un n'est ni plus possible, ni plus raisonnable que l'autre.

Que falloit-il donc conclure des phrases où la conjonction copulative semble réunir l'indicatif & le subjonctif ? Par exemple, quand on lit dans Plaute : eloquere quid tibi EST, & quid nostram VELIS operam ; & ailleurs : nunc dicam cujus jussu VENIO, & quamobrem VENERIM &c. ? Voici, si je ne me trompe, comment il falloit raisonner ; la conjonction copulative & doit lier des phrases semblables ; or la premiere phrase quid tibi EST d'une part, ou cujus jussu VENIO de l'autre, est directe, & le verbe en est à l'indicatif ; donc la seconde phrase de part & d'autre doit également être directe & avoir son verbe à l'indicatif : je trouve cependant le subjonctif ? C'est qu'il constitue une phrase subordonnée à la phrase directe qui doit suivre la conjonction, dont l'ellipse a supprimé le verbe indicatif, mais dont la suppression est indiquée par le subjonctif même qui est exprimé. Ainsi je dois expliquer ces passages en suppléant l'ellipse : eloquere quid tibi EST, & ad quid res est ita ut nostram VELIS operam ; & l'autre, nunc dicam cujus jussu VENIO, & quamobrem factum EST ita ut VENERIM.

Mais ne m'objectera-t-on point que c'est innover dans la langue latine, que d'y imaginer des supplémens de cette espece ? Ces res est ou erat, ou futura est, ou futura erat ita ut, factum est ita ut, &c. placées par-tout avant le subjonctif, semblent être " des expressions qui ne sont point marquées au coin public, des expressions de mauvais aloi, qui doivent être rejettées comme barbares ". Ainsi s'exprime un grammairien moderne dans une sortie fort vive contre Sanctius. Je ne me donne pas pour l'apologiste de ce grammairien philosophe : je conviens au contraire qu'avec des vues générales très-bonnes en soi, il s'est souvent mépris dans les applications particulieres ; & moi-même j'ai osé quelquefois le censurer : mais je pense qu'il est excessif au moins de dire que certaines expressions qu'il a prises pour supplément d'ellipse, " ne sont les productions que de l'ignorance ". On ne doit parler ainsi de quelqu'un en particulier, qu'autant que l'on seroit sûr d'être infaillible. Je laisse cette digression & je viens à l'objection.

Je réponds, 1°. que ces supplémens ne sont pas tout-à-fait inconnus dans la langue latine, & qu'on en trouvera des exemples, & la preuve de ce que je soutiens ici sur la nature du subjonctif, dans les excellentes notes de Perizonius sur Sanctius même. Minerv. I. xiij.

Je réponds, 2°. qu'on ne donne point ces supplémens comme des locutions usitées dans la langue, mais comme des développemens analytiques, des phrases usuelles ; non comme des modeles qu'il faille imiter, mais comme des raisons grammaticales des modeles qu'il faut entendre pour les imiter à propos.

Je réponds, 3°. que dès que la raison grammaticale & analytique exige un supplément d'ellipse, on est suffisamment autorisé à le donner, quand même on n'en auroit aucun modele dans la construction usuelle de la langue. Personne apparemment ne s'est encore avisé de dire en françois, je souhaite ardemment que le ciel FASSE ensorte que nous ayons bien-tôt la paix : c'est pourtant le développement analytique le plus naturel & le plus raisonnable de cette phrase françoise, FASSE le ciel que nous ayons bien-tôt la paix ! C'est une regle générale dans la langue françoise, & qui peut-être n'a pas encore été observée, que quand un verbe est suivi de son sujet, il y a ellipse du verbe principal auquel est subordonné celui qui est dans une construction inverse. On en peut voir des exemples, (article RELATIF, à la fin), dans lesquels le verbe est à l'indicatif ; & l'on a vu (article INTERROGATIF), que c'est un des moyens qui nous servent à marquer l'interrogation, sans charger la phrase de mots superflus qui la rendroient lâche. Il en est de même pour le sens optatif de la phrase en question ; & l'ellipse y est indiquée non-seulement par l'inversion du sujet, mais encore par la forme subjonctive du verbe, laquelle suppose toujours un autre verbe à l'indicatif, qui ne peut être ici que le verbe je souhaite ; l'adverbe ardemment que j'y ajoute, me semble nécessaire pour rendre l'énergie du tour elliptique ; & ensorte est l'antécédent nécessaire de la conjonction que, qui doit lier la proposition subjonctive à la principale.

Pour ce qui concerne les tems du subjonctif, il en sera parlé ailleurs. Voyez TEMS.

Remarquons, en finissant, que le subjonctif, est un mode mixte, & par conséquent non nécessaire dans la conjugaison ; c'est pour cela que la langue hébraïque ne l'a point admis ; & il est évident que M. Lavery se trompe dans sa grammaire angloise dédiée à madame du Bocage, lorsqu'il veut faire trouver un subjonctif dans les verbes anglois : il ne faut pour s'en convaincre, que comparer les tems du prétendu subjonctif avec ceux de l'indicatif, & l'on y verra l'identité la plus exacte ; ce sera la même chose en comparant le prétendu second subjonctif avec le prétendu potentiel ; ils sont également identiques, & j'ajoute que ni l'un ni l'autre ne doit pas plus être compté dans la conjugaison angloise qu'on ne doit compter dans la nôtre ; je puis dîner, je pouvois dîner, &c. je veux dîner, je voulois dîner, &c. j'aime à dîner, j'aimois à dîner, &c. ou telle autre phrase où entreroit l'infinitif dîner. Il me semble difficile de bien exposer les regles d'aucune grammaire particuliere, quand on ne connoît pas à fond les principes de la Grammaire générale. (E. R. M. B.)


SUBJUGALadj. terme de plein chant, un ton subjugal, ou subordonné, tels que sont tous les tons plagaux. Voyez PLAGAL.


SUBJUGUERv. act. vaincre, dompter, soumettre, courber sous le joug ; c'est un homme subjugué par sa femme ; les conquérans se plaisent à subjuguer les hommes ; ce qu'ils n'exécutent pas sans en égorger un grand nombre. Philippe divisa les républiques de la Grece, pour les subjuguer plus facilement. Il a, je ne sais quel ascendant sur moi, il me subjugue malgré que j'en aie ; la grace subjugue la passion dans l'homme religieux ; l'âge, la raison, l'expérience, le dégoût dans le philosophe.


SUBLAPSAIREou POST-LAPSAIRE, ou INFRALAPSAIRE, s. m. (Hist. ecclésiastique) qualification usitée parmi les calvinistes, pour désigner ceux d'entre leurs théologiens qui pensent que Dieu ne reprouve certains hommes, & ne les destine aux supplices éternels qu'en conséquence de la prévision de la chute d'Adam. Ce sentiment est erroné, selon les catholiques, en ce que les sublapsaires veulent que le péché originel, quoique remis par le baptême, soit la cause primitive & radicale de la damnation des hommes, & les porte nécessairement au mal. Voyez calvin. Instit. lib. II. c. v. n °. 1.


SUBLAQUEUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans le Latium. Pline, l. III. c. xiij. dit que l'Anio passe au-travers de trois lacs fort agréables, qui avoient donné le nom à la ville de Sublaqueum. Tacite, Annal. l. XIV. p. 227. appelle aussi Sublaqueum la maison de plaisance que Néron avoit fait bâtir dans ce quartier-là, & à laquelle il avoit donné le nom de la ville, car la ville étoit au bord d'un des lacs, & la maison de plaisance sur une élevation. Hermolaüs voudroit lire Sublacum, au lieu de Sublaqueum, parce que la maison de plaisance de Néron est appellée Sublacensis villa, dans Frontain, de aquaeduct. p. 247. Sublaqueum n'étoit pas beaucoup au dessous de la source de l'Anio. Paul Diacre le met à quarante milles de Rome. Le nom de ce lieu est aujourd'hui corrompu en celui de Subiaco. (D.J.)


SUBLAVIOONIS, (Géog. anc.) ville du Norique ou de la Rhétie, suivant l'itinéraire d'Antonin ; mais Cluvier croit qu'il faut lire Sub-savione, au lieu de Sublavione, & sa correction paroît juste. Quoi qu'il en soit, cette ville n'est plus aujourd'hui qu'un méchant bourg nommé Siben ou Süben, dans le comté de Tirol. (D.J.)


SUBLIMATIONS. f. (Chimie) espece de distillation dont le caractere spécial est de ne fournir que des produits sous forme seche.

La forme, ou plutôt la consistance de ces produits est de deux especes, ou elle est ramassée en une seule masse solide, qu'on appelle quelquefois pain ou gateau, tels que les gateaux de sel ammoniac, les masses denses & liées de sublimé corrosif, &c. Les produits de la sublimation qui prennent cette consistance, retiennent spécialement le nom de sublimé. La seconde espece se présente sous la forme d'une couche rare & sans liaison. Ce produit est connu dans l'art sous le nom de fleurs ; c'est ainsi qu'on dit fleurs de soufre, fleurs de mars, fleurs de benjoin, &c. Les vaisseaux sublimatoires les plus usités sont l'alambic à chapiteau borgne, les alludels, les matras, les bouteilles de verre mince, appellées dans les boutiques phioles à médecine ; le pot de terre à double couvercle pour les fleurs d'antimoine en particulier, la cucurbite de terre basse surmontée d'un cone de papier pour celle de benjoin, &c. tous ces vaisseaux & appareils sont représentés dans les planches de chimie. (voyez ces Planches.)

La théorie de la sublimation & les loix manuelles de cette opération doivent se déduire absolument de la théorie & des loix manuelles de la distillation en général. Voyez DISTILLATION. La seule manoeuvre particuliere dont l'artiste puisse être averti, c'est le moyen de donner de l'air ou de ménager une issue aux vapeurs qui se raréfient dans l'intérieur de l'appareil fragile du matras ou des phioles, & de tenir le col de ces vaisseaux ouverts pendant les premiers tems de l'opération, en rompant ou abattant le sublimé, ou les fleurs qui l'obstruent au moyen d'une baguette ou d'un fil-de-fer, &c. (b)


SUBLIMEadj. (Matth. Transc.) géométrie sublime ou transcendante, est le nom qu'on donne particulierement à la géométrie infinitésimale, ou des infiniment petits. Voyez GEOMETRIE, TRANSCENDANT, DIFFERENTIEL, &c. (O)

SUBLIME, en Anatomie, nom de deux muscles fléchisseurs des doigts, l'un de la main, & l'autre au pié, par opposition avec un autre caché par chacun d'eux, qu'on appelle profond. Voyez PERFORE.

SUBLIME, (Art orat. Poésie, Rhétor.) qu'est-ce que le sublime ? l'a-t-on défini, dit la Bruyere ? Despréaux en a du-moins donné la description.

Le sublime, dit-il, est une certaine force de discours propre à élever & à ravir l'ame ; & qui provient ou de la grandeur de la pensée & de la noblesse du sentiment, ou de la magnificence des paroles, ou du tour harmonieux, vif & animé de l'expression, c'est-à-dire, d'une de ces choses regardées séparément, ou ce qui fait le parfait sublime de ces trois choses jointes ensemble.

Le sublime, selon M. Sylvain (dans un traité sur cette matiere), est un discours d'un tour extraordinaire, vif & animé, qui par les plus nobles images, & par les plus grands sentimens, éleve l'ame, la ravit, & lui donne une haute idée d'elle-même.

Le sublime en général, dirai-je en deux mots, est tout ce qui nous éleve au - dessus de ce que nous étions, & qui nous fait sentir en même tems cette élevation.

Le sublime peint la vérité, mais en un sujet noble : il la peint toute entiere dans sa cause & dans son effet : il est l'expression ou l'image la plus digne de cette vérité. C'est un extraordinaire merveilleux dans le discours, qui frappe, ravit, transporte l'ame, & lui donne une haute opinion d'elle-même.

Il y a deux sortes de sublime dont nous entretiendrons le lecteur, le sublime des images, & le sublime des sentimens. Ce n'est pas que les sentimens ne présentent aussi en un sens de nobles images, puisqu'ils ne sont sublimes que parce qu'ils exposent aux yeux l'ame & le coeur : mais comme le sublime des images peint seulement un objet sans mouvement, & que l'autre sublime marque un mouvement du coeur, il a fallu distinguer ces deux especes par ce qui domine en chacune. Parlons d'abord du sublime des images, Homere & Virgile en sont remplis.

Le premier en parlant de Neptune, dit

Neptune ainsi marchant dans les vastes campagnes,

Fait trembler sous ses piés & forêts & montagnes.

C'est-là une belle image, mais le poëte est bien plus admirable, quand il ajoute

L'enfer s'émeut au bruit de Neptune en furie :

Pluton sort de son trône, il pâlit, il s'écrie ;

Il a peur que ce dieu dans cet affreux séjour,

D'un coup de son trident ne fasse entrer le jour,

Et par le centre ouvert de la terre ébranlée,

Ne fasse voir du Styx la rive désolée,

Ne decouvre aux vivans cet empire odieux

Abhorré des mortels, & craint même des dieux.

Quels coups de pinceau ! la terre ébranlée d'un coup de trident ; les rayons du jour prêts à entrer dans son centre ; la rive du Styx tremblante & désolée ; l'empire des morts abhorré des mortels ! voilà du sublime, & il seroit bien étonnant qu'à la vue d'un pareil spectacle nous ne fussions transportés hors de nous-mêmes.

Homere toujours grand dans ses images, nous offre un autre tableau magnifique.

Thétis dans l'Iliade va prier Jupiter de venger son fils qui avoit été outragé par Agamemnon ; touché des plaintes de la déesse, Jupiter lui répond : " Ne vous inquiétez point, belle Thétis, je comblerai votre fils de gloire ; & pour vous en assurer, je vais faire un signe de tête, & ce signe est le gage le plus certain de la foi de mes promesses ". Il dit, du mouvement de sa tête immortelle l'Olympe est ébranlé ". Voilà sans-doute un beau trait de sublime, & bien propre à exciter notre admiration ; car tout ce qui passe notre pouvoir la reveille ; remarquez encore qu'à cette admiration il se joint toujours de l'étonnement, espece de sentiment qui est pour nous d'un grand prix.

N'est-ce pas encore le sublime des images, quand le même poëte peint la Discorde ayant

La tête dans les cieux, & les piés sur la terre.

Il en faut dire autant de l'idée qu'il donne de la vîtesse avec laquelle les dieux se rendent d'un lieu dans un autre.

Autant qu'un homme assis au rivage des mers,

Voit d'un roc élevé d'espace dans les airs,

Autant des immortels les couriers intrépides

En franchissent d'un saut.

Quelle idée nous donne-t-il encore du bruit qu'un dieu fait en combattant ?

Le ciel en retentit, & l'olympe en trembla.

Virgile va nous fournir un trait de sublime semblable à ceux d'Homere ; le voici : les divinités étant assemblées dans l'olympe, le souverain arbitre de l'univers parle : tous les dieux se taisent, la terre tremble, un profond silence regne au haut des airs, les vents retiennent leur haleine, la mer calme ses flots.

- Eo dicente Deûm domus alta silescit ;

Et tremefacta solo tellus, silet arduus aether :

Tùm zephyri posuere, premit placida aequora pontus.

Les peintures que Racine a fait de la grandeur de Dieu, sont sublimes. En voici deux exemples :

J'ai vû l'impie adoré sur la terre,

Pareil au cèdre il cachoit dans les cieux

Son front audacieux.

Il sembloit à son gré gouverner le tonnerre,

Fouloit aux piés ses ennemis vaincus,

Je n'ai fait que passer, il n'étoit déja plus.

Esther, sc. V. act. V. Racine.

Les quatre autres vers suivans, ne sont guere moins sublimes.

L'Eternel est son nom, le monde est son ouvrage,

Il entend les soupirs de l'humble qu'on outrage,

Juge tous les mortels avec d'égales lois,

Et du haut de son trône interroge les Rois.

Un raisonnement, quelque beau qu'il soit, ne fait point le sublime, mais il peut y ajouter quelque chose. On connoit le serment admirable de Démosthene ; il avoit conseillé au peuple d'Athénes de faire la guerre à Philippe de Macédoine, & quelque tems après il se donna une bataille où les Athéniens furent défaits : on fit la paix, & dans la suite l'orateur Eschine reprocha en justice à Démosthène ses conseils & sa conduite dans cette guerre, dont le mauvais succès avoit été si funeste à son pays. Ce grand homme, malgré sa disgrace, bien loin de se justifier de ce reproche, comme d'un crime, s'en justifie devant les Athéniens même, sur l'exemple de leurs ancêtres qui avoient combattu pour la liberté de la Grece, dans les occasions les plus périlleuses ; & il s'écrie avec une hardiesse héroïque : non, Messieurs, vous n'avez point failli, j'en jure, &c.

Ce trait, qui est extrêmement sublime, renferme un raisonnement invincible ; mais ce n'est pas ce raisonnement qui en fait la sublimité, c'est cette foule de grands objets, la gloire des Athéniens, leur amour pour la liberté, la valeur de leurs ancêtres, que l'orateur traite comme des dieux, & la magnanimité de Démosthene, aussi élevée que toutes ces choses ensemble ; enfin ce qui en augmente la beauté, c'est qu'on y trouve en petit toutes les perfections du discours rassemblées, la noblesse des mouvemens, beaucoup de délicatesse, de grandes images, de grands sentimens, des figures hardies & naturelles, une force de raisonnement : & ce qui est plus admirable encore, le coeur de Démosthene élevé au - dessus des méchans succès par une vertu égale à celle de ces grands hommes par lesquels il jure. Il n'y avoit que lui au monde qui pût oser, en présence des Athéniens, justifier par les combats même où ils avoient été victorieux, le dessein d'une guerre où ils avoient été défaits. Parlons à présent du sublime des sentimens.

Les sentimens sont sublimes quand fondés sur une vraie vertu, ils paroissent être presque au - dessus de la condition humaine, & qu'ils font voir, comme l'a dit Séneque, dans la foiblesse de l'humanité, la constance d'un Dieu ; l'univers tomberoit sur la tête du juste, son ame seroit tranquille dans le tems même de sa chute. L'idée de cette tranquillité, comparée avec le fracas du monde entier qui se brise, est une image sublime, & la tranquillité du juste est un sentiment sublime. Cette espece de sublime ne se trouve point dans l'ode, parce qu'il tient ordinairement à quelque action, & que dans l'ode il n'y a point d'action. C'est dans le poëme épique & dans le dramatique qu'il regne principalement. Corneille en est rempli.

Dans la Scene IV. du I. act. de Médée, cette princesse parlant à sa confidente, l'assure qu'elle saura bien venir à bout de ses ennemis, qu'elle compte même incessamment s'en venger ; Nérine sa confidente lui dit :

Perdez l'aveugle espoir dont vous êtes séduite,

Pour voir en quel état le sort vous a réduite.

Votre pays vous hait, votre époux est sans foi ;

Contre tant d'ennemis que vous reste-t-il ?

A quoi répond Médée, Moi ;

Moi, dis - je, & c'est assez,

Que Médée eût répondu : mon art & mon courage ; cela seroit très - noble & touchant au grand ; qu'elle dise simplement, moi : voilà du grand ; mais ce n'est point encore du sublime. Ce monosillabe annonceroit de la maniere la plus vive & la plus rapide, jusqu'où va la grandeur du courage de Médée ; mais cette Médée est une méchante femme, dont on a pris soin de me faire connoître tous les crimes, & les moyens dont elle s'est servi pour les commettre. Je ne suis donc point étonné de son audace ; je la vois grande, & je m'attendois qu'elle le devoit être ; mais quand elle répete : moi, dis-je, & c'est assez ; ce n'est plus une réponse vive & rapide, fruit d'une passion aveugle & turbulente ; c'est une réponse vive, & pourtant de sang-froid ; c'est la réflexion, c'est le raisonnement d'une passion éclairée & tranquille dans sa violence : moi, je ne vois encore que Médée : moi, dis - je, je ne vois plus que son courage & la jouissance de son art ; ce qu'il a d'odieux a disparu ; je commence à devenir elle-même, je réfléchis avec elle, & je conclus avec elle ; & c'est assez : voilà le sublime ; c'est particulierement ce c'est assez, qui rend sublime toute la réponse. Je ne doute point un instant que Médée seule ne doive être supérieure à tous ses ennemis ; elle en triomphe actuellement dans ma pensée, & malgré moi, sans m'en appercevoir même, je partage avec elle le plaisir d'une vengeance assurée. C'est ce que le moi tout seul n'eût peut-être pas fait. Je sais que M. Despréaux, suivi par plusieurs critiques, semble faire consister le sublime de la réponse de Médée, dans le seul monosillabe moi ; mais j'ose être d'un avis contraire.

Vous trouverez un autre trait du sublime des sentimens dans la VI. scene du III. act. des Horaces. Une femme qui avoit assisté au combat des trois Horaces, contre les trois Curiaces, mais qui n'en avoit point vu la fin, vient annoncer au vieux Horace pere, que deux de ses fils avoient été tués, & que le troisieme se voyant hors d'état de résister contre trois, avoit pris la fuite ; le pere alors se montre outré de la lâcheté de son fils, sur quoi sa soeur qui étoit là présente, dit à son pere :

Que vouliez-vous qu'il fît contre trois ?

Il répond vivement :

Qu'il mourût.

Dans ces deux exemples, Médée & Horace sont tous deux agités de passion, & il est impossible qu'ils expriment ce qu'ils sentent, d'une façon plus pathétique. Le moi qu'employe Médée, & à qui elle donne une nouvelle force, non-seulement en le répétant, mais en ajoutant ces deux mots, & c'est assez, peint au-delà de tout, la hauteur & la puissance de cette enchanteresse. Le sentiment qu'exprime Horace le pere, a la même sorte de beauté ; quand par bonheur un mot, un seul mot peint énergiquement un sentiment, nous sommes ravis, parce qu'alors le sentiment a été peint avec la même vîtesse qu'il a été éprouvé ; & cela est si rare, qu'il faut nécessairement qu'on en soit surpris, en même tems qu'on en est charmé.

Ne doutons point encore que l'orgueil ne prête de la beauté aux deux traits de Corneille. Lorsque des gens animés se parlent, nous nous mettons machinalement à leur place : ainsi quand Nérine dit à Médée, contre tant d'ennemis, que vous reste - t - il ? nous sommes extasiés d'entendre ce moi superbe, & répété superbement. L'orgueil de Médée éleve le nôtre, nous luttons nous-mêmes, sans nous en appercevoir, contre le sort, & lui faisons face comme Médée. Le qu'il mourût du vieil Horace, nous enleve : car comme nous craignons extrêmement la mort, il est certain qu'en nous mettant à la place d'Horace, & nous trouvant pour un moment animés de la même grandeur que lui, nous ne saurions nous empêcher de nous énorgueillir tacitement d'un courage que nous n'avions pas le bonheur de connoître encore. Avouons donc que les impressions que font sur nous le sublime dont nous venons de parler, nous les devons en partie à notre orgueil, qui souvent est fort sot & fort ridicule.

Une épaisse obscurité avoit couvert tout-à-coup l'armée des Grecs, ensorte qu'il ne leur étoit pas possible de combattre ; Ajax qui mouroit d'envie de donner bataille, ne sachant plus quelle résolution prendre s'écrie alors, en s'adressant à Jupiter :

Grand dieu, rens-nous le jour ; & combats contre nous.

C'est ici assûrément le triomphe de l'orgueil dans un trait de sublime ; car en goûtant une rodomontade si gasconne, on est charmé de voir le maître des dieux défié par un simple mortel. Nés tous avec un fond de religion, il arrive que notre fond d'impiété se réveille chez nous avec une sorte de plaisir ; la raison vient ensuite condamner un pareil plaisir, mais selon sa coutume, elle vient trop tard.

Corneille me fournit encore un nouveau trait de sublime des sentimens, que je ne puis passer sous silence.

Suréna, général des armées d'Orode, roi des Parthes, avoit rendu des services si essentiels à son maître, s'étoit acquis une si grande réputation, que ce prince, pour s'assurer de sa fidélité, resoud de le prendre pour gendre. Suréna qui aimoit ailleurs, refuse la fille du roi, & sur ce refus le roi le fait assassiner. On vient aussi-tôt en apprendre la nouvelle à la soeur & à la maîtresse de Suréna, qui étoient ensemble, & alors la soeur de Suréna éclatant en imprécations contre le tyran, dit :

Que fais-tu du tonnerre,

Ciel, si tu daignes voir ce qu'on fait sur la terre ?

Et pour qui gardes - tu tes carreaux embrasés,

Si de pareils tyrans n'en sont point écrasés ?

Ensuite s'adressant à la maîtresse de Suréna, qui ne paroissoit pas extrêmement émue, elle lui dit :

Et vous, madame, & vous dont l'amour inutile,

Dont l'intrépide orgueil paroît encore tranquille,

Vous qui brûlant pour lui sans vous déterminer,

Ne l'avez tant aimé que pour l'assassiner ;

Allez d'un tel amour, allez voir tout l'ouvrage,

En recueillir le fruit, en goûter l'avantage.

Quoi ! vous causez sa mort, & n'avez point de pleurs ?

A quoi répond Euridice, c'est-à-dire la maîtresse de Suréna.

Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs !

Et cette malheureuse princesse tombe aussi-tôt entre les bras de ses femmes qui l'emportent mourante. Voilà sans-doute un sublime merveilleux de sentimens, & dans l'action d'Euridice, & dans sa réponse. Finir ses jours en apprenant qu'on perd ce qu'on aime ! être saisi au point de n'avoir pas la force d'en gémir, & dire tranquillement qu'on meurt, ce sont des traits qui nous illustrent bien quand nous osons nous en croire capables !

Je puis à présent me livrer à des observations particulieres sur le sublime ; je crois d'abord qu'il faut distinguer, comme a fait M. le Batteux, entre le sublime du sentiment, & la vivacité du sentiment : voici ses preuves. Le sentiment peut être d'une extrême vivacité sans être sublime ; la colere qui va jusqu'à la fureur, est dans le plus haut degré de vivacité, & cependant elle n'est pas sublime. Une grande ame est plûtôt celle qui voit ce qui affecte les ames ordinaires, & qui le sent sans en être trop émue, que celle qui suit aisément l'impression des objets. Régulus s'en retourne paisiblement à Carthage, pour y souffrir les plus cruels supplices, qu'il sait qu'on lui apprête : ce sentiment est sublime, sans être vif. Le poëte Horace se représente la tranquillité de Régulus, dans l'affreuse situation où il est : ce spectacle le frappe, l'emporte, il fait une ode magnifique, son sentiment est vif, mais il n'est point sublime.

Le sublime des sentimens est ordinairement tranquille. Une raison affermie sur elle - même les guide dans tous leurs mouvemens. L'ame sublime n'est altérée ni des triomphes de Tibere, ni des disgraces de Varus. Aria se donne tranquillement un coup de poignard, pour donner à son mari l'exemple d'une mort héroïque : elle retire le poignard, & le lui présente, en disant ce mot sublime, Paetus, cela ne fait point de mal ; Paete, non dolet.

On représentoit à Horace fils, allant combattre contre les Curiaces, que peut-être il faudroit le pleurer, il répond :

Quoi ! vous me pleureriez mourant pour ma patrie ?

La reine Henriette d'Angleterre, dans un vaisseau, au milieu d'un orage furieux, rassûroit ceux qui l'accompagnoient, en leur disant d'un air tranquille, que les reines ne se noyoient pas.

Curiace allant combattre pour Rome, disoit à Camille sa maîtresse, qui, pour le retenir, faisoit valoir son amour :

Avant que d'être à vous, je suis à mon pays.

Auguste ayant découvert la conjuration que Cinna avoit formée contre sa vie, & l'ayant convaincu, lui dit :

Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie.

Voilà des sentimens sublimes : la reine étoit audessus de la crainte, Curiace au - dessus de l'amour, Auguste au-dessus de la vengeance, & tous trois ils étoient au-dessus des passions & des vertus communes. Il en est de même de plusieurs autres traits de sentimens sublimes.

Ma seconde remarque roulera sur la différence qu'il faut mettre entre le style sublime & le sublime ; & cette remarque sera fort courte, parce qu'on convient généralement que le style sublime consiste dans une suite d'idées nobles exprimées noblement, & que le sublime est un trait extraordinaire, merveilleux, qui enleve, ravit, transporte. Le style sublime veut toutes les figures de l'éloquence, le sublime se peut trouver dans un seul mot. Une chose peut être décrite dans le style sublime, & n'être pourtant pas sublime, c'est-à-dire n'avoir rien qui éleve nos ames : ce sont de grands objets & des sentimens extraordinaires qui caractérisent le sublime. La description d'un pays peut être faite en style sublime ; mais Neptune calmant d'un mot les flots irrités, Jupiter faisant trembler les dieux d'un clin d'oeil, ce n'est qu'à de pareilles images qu'il appartient d'étonner & d'élever l'imagination.

Longin confond quelquefois le sublime avec la grande éloquence, dont le fond consiste dans l'heureuse audace des pensées, & dans la véhémence & l'enthousiasme de la passion. Cicéron m'en fournit un bel exemple dans son plaidoyer pour Milon, c'est-à-dire dans le chef-d'oeuvre de l'art oratoire. Se proposant d'avilir Clodius, il attribue sa mort à la colere des dieux qui ont enfin vengé leurs temples & leurs autels profanés par les crimes de cet impie ; mais voyez de quelle maniere sublime il s'y prend, c'est en employant les plus grandes figures de rhétorique, c'est en apostrophant & les autels & les dieux.

" Je vous atteste, dit-il, & vous implore, saintes collines d'Albe que Clodius a profanées ; bois respectables qu'il a abattus ; sacrés autels, lieu de notre union, & aussi anciens que Rome même ; sur les ruines desquels cet impie avoit élevé ces masses énormes de bâtimens ! Votre religion violée, votre culte aboli, vos mysteres pollués, vos dieux outragés ont enfin fait éclater leur pouvoir & leur vengeance. Et vous, divin Jupiter latial, dont il avoit souillé les lacs & les bois par tant de crimes & d'impuretés, du sommet de votre sainte montagne vous avez enfin ouvert les yeux sur ce scélérat pour le punir. C'est à vous & sous vos yeux, c'est à vous qu'une lente, mais juste vengeance a immolé cette victime dont le sang vous étoit dû " ! Voilà de ce sublime dont parle Longin, ou, si l'on veut, voilà un exemple brillant de la plus belle éloquence ; mais ce n'est pas ce que nous avons appellé spécialement le sublime ; en le contemplant ce sublime, nous sommes transportés d'étonnement : tùm olympi concussum, inaequales procellas, fremitum maris, & trementes ripas, ac rapta in terras praecipiti turbine fulmina, cernimus.

Enfin le sublime differe du grand, & l'on ne doit pas les confondre. L'expression d'une grandeur extraordinaire fait le sublime, & l'expression d'une grandeur ordinaire fait le grand. Il est bien vrai que la grandeur ordinaire du discours donne beaucoup de plaisir, mais le sublime ne plaît pas simplement, il ravit. Ce qui fait le grand dans le discours, a plusieurs degrés, mais ce qui fait le sublime, n'en a qu'un. M. le Febvre a marqué la distinction du grand & du sublime dans un discours plein d'esprit écrit en latin, il dit : Magnitudo absque sublimitate ; sublimitas sine magnitudine nunquam erit : illa quidem mater est, & pulchra, & nobilis, & generosa, sed matre pulchrâ, filia pulchrior.

Quant au sublime des sentimens, une comparaison peut illustrer mon idée. Un roi qui, par une magnificence bien entendue & sans faste, fait un noble usage de ses richesses, montre de la grandeur dans cette conduite. S'il étend cette magnificence sur les personnes de mérite, cela est encore plus grand. S'il choisit de répandre ses libéralités sur les gens de mérite malheureux, c'est un nouveau degré de grandeur & de vertu. Mais s'il porte la générosité jusqu'à se dépouiller quelquefois sans imprudence, jusqu'à ne se réserver que l'espérance comme Alexandre, ou jusqu'à regarder comme perdus tous les jours qu'il a passés sans faire du bien ; voilà des mouvemens sublimes qui me ravissent & me transportent, & qui sont les seuls dont l'expression puisse faire dans le discours le sublime des sentimens.

Cependant comme la différence du grand & du sublime est une matiere également agréable & importante à traiter, nous croyons devoir la rendre encore plus sensible par des exemples. Commençons par en citer qui ayent rapport au sublime des images, pour venir ensuite à ceux qui regardent le sublime des sentimens.

Longin cite pour sublimes ces vers d'Euripide, où le soleil parle ainsi à Phaëton.

Prens garde qu'une ardeur trop funeste à ta vie,

Ne t'emporte au-dessus de l'aride Libye.

Là, jamais d'aucune eau le sillon arrosé,

Ne rafraîchit mon char dans sa course embrasé.

....

Aussi-tôt devant toi s'offriront sept étoiles ;

Dresse par-là ta course, & suis le droit chemin.

De ses chevaux aîlés, il bat les flancs agiles ;

Les coursiers du soleil à sa voix sont dociles,

Ils vont. Le char s'éloigne, & plus promt qu'un éclair,

Pénetre en un moment les vastes champs de l'air.

Le pere cependant plein d'un trouble funeste,

Le voit rouler de loin sur la plaine céleste,

Lui montre encor sa route, & du plus haut des cieux

Le suit autant qu'il peut de la voix & des yeux.

Va par-là, lui dit-il, reviens, détourne, arrête.

Ces vers sont pleins d'images, mais ils n'ont point ce tour extraordinaire qui fait le sublime : c'est un beau récit qui nous intéresse pour le Soleil & pour Phaëton ; on entre vivement dans l'inquiétude d'un pere qui craint pour la vie de son fils, mais l'ame n'est point transportée d'admiration. Voulez-vous du vrai sublime, j'en trouve dans le passage du Ps. cxiij. " La mer vit la puissance de l'Eternel, & elle s'enfuit. Il jette ses regards, & les nations sont dissipées. ".

Donnons maintenant des exemples de sentimens grands & élevés, je les puise toujours dans Corneille.

Auguste délibere avec Cinna & avec Maxime, s'il doit quitter l'empire ou le garder. Cinna lui conseille ce dernier parti ; & après avoir dit à ce prince que de se défaire de sa puissance, ce seroit condamner toutes les actions de sa vie ; il ajoute :

On ne renonce point aux grandeurs légitimes,

On garde sans remors ce qu'on acquiert sans crime,

Et plus le bien qu'on quitte est noble, grand, exquis,

Plus qui l'ose quitter, le juge mal acquis.

N'imprimez pas, seigneur, cette honteuse marque

A ces rares vertus qui vous ont fait monarque.

Vous l'êtes justement ; & c'est sans attentat

Que vous avez changé la forme de l'état ;

Rome est dessous vos loix par le droit de la guerre,

Qui sous les loix de Rome a mis toute la terre.

Vos armes l'ont conquise ; & tous les conquérans,

Pour être usurpateurs, ne sont pas des tyrans.

Quand ils ont sous leurs loix asservi des provinces,

Gouvernant justement, ils s'en font justes princes.

C'est ce que fit César ; il vous faut aujourd'hui

Condamner sa mémoire, ou faire comme lui.

Si le pouvoir suprême est blâmé par Auguste,

César fut un tyran, & son trépas fut juste ;

Et vous devez aux dieux compte de tout le sang

Dont vous l'avez vengé pour monter à son rang.

N'en craignez point, seigneur, les tristes destinées :

Un plus puissant démon veille sur vos années.

On a dix fois sur vous attenté sans effet,

Et qui l'a voulu perdre, au même instant l'a fait.

D'un autre côté, Maxime qui est d'un avis contraire, parle ainsi à Auguste :

Rome est à vous, seigneur, l'empire est votre bien.

Chacun en liberté peut disposer du sien.

Il le peut, à son choix, garder ou s'en défaire ;

Vous seul ne pourriez pas ce que peut le vulgaire,

Et seriez devenu, pour avoir tout dompté,

Esclave des grandeurs où vous êtes monté.

Possédez-les, seigneur, sans qu'elles vous possedent,

Loin de vous captiver, souffrez qu'elles vous cedent,

Et faites hautement connoître enfin à tous,

Que tout ce qu'elles ont est au-dessous de vous.

Votre Rome autrefois vous donna la naissance,

Vous lui voulez donner votre toute-puissance ;

Et Cinna vous impute à crime capital,

La libéralité vers le pays natal !

Il appelle remors l'amour de la patrie !

Par la haute vertu, la gloire est donc flétrie,

Et ce n'est qu'un objet digne de nos mépris,

Si de ses pleins effets l'infamie est le prix ?

Je veux bien avouer qu'une action si belle

Donne à Rome bien plus que vous ne tenez d'elle.

Mais commet-on un crime indigne du pardon,

Quand la reconnoissance est au-dessus du don ?

Suivez, suivez, seigneur, le ciel qui vous inspire.

Votre gloire redouble à mépriser l'empire,

Et vous serez fameux chez la postérité,

Moins pour l'avoir acquis, que pour l'avoir quitté.

Le bonheur peut conduire à la grandeur suprême.

Mais pour y renoncer, il faut la vertu même,

Et peu de généraux vont jusqu'à dédaigner,

Après un sceptre acquis, la douceur de regner.

On ne peut nier que ces deux discours ne soient remplis de noblesse, de grandeur & d'éloquence, mais il n'y a point de sublime. Les sentimens nobles qu'ils étalent ne sont que des réflexions de l'esprit, & non pas des mouvemens actuels du coeur, qui transportent l'ame avec l'émotion héroïque du sublime.

Cependant pour rendre encore plus sensible la différence du grand & du sublime, j'alléguerai deux exemples, où l'un & l'autre se trouvent ensemble dans le même discours. La même tragédie de Cinna me fournira le premier exemple, & celle de Sertorius le second.

Dans la tragédie de Cinna, Maxime, qui vouloit fuir le danger, ayant témoigné de l'amour à Emilie, qu'il tâche d'engager à fuir avec lui ; elle lui parle ainsi :

Quoi, tu m'oses aimer, & tu n'oses mourir !

Tu prétends un peu trop ; mais quoique tu prétendes,

Rends-toi digne du-moins de ce que tu demandes.

Cesse de fuir en lâche un glorieux trépas,

Ou de m'offrir un coeur que tu fais voir si bas.

Fais que je porte envie à ta vertu parfaite,

Ne te pouvant aimer, fais que je te regrette.

Montre d'un vrai romain la derniere vigueur,

Et mérite mes pleurs au défaut de mon coeur.

Le premier vers est sublime, & les autres, quoique pleins de grandeur, ne sont pourtant pas du genre sublime.

Dans la tragédie de Sertorius, la reine Viriate parle à Sertorius qui refusoit de l'épouser, parce qu'il s'en croyoit indigne par sa naissance, & qui cependant la vouloit donner à Perpenna ; & sur ce qu'il disoit qu'il ne vouloit que le nom de créature de la reine, elle lui répond :

Si vous prenez ce titre, agissez moins en maître,

Ou m'apprenez du-moins, seigneur, par quelle loi

Vous n'osez m'accepter, & disposez de moi ?

Accordez le respect que mon trône vous donne,

Avec cet attentat sur ma propre personne ;

Voir toute mon estime & n'en pas mieux user,

C'en est un qu'aucun art ne sauroit déguiser.

Tout cela est beau, tout cela est noble ; mais quand elle vient à dire immédiatement après :

Puisque vous le voulez, soyez ma créature ;

Et me laissant en reine ordonner de vos voeux,

Portez-les jusqu'à moi, parce que je le veux.

Ces trois derniers vers sont si sublimes, & élevent l'ame si haut, que les autres vers tout grands qu'ils sont, paroissent perdre de leur beauté ; desorte qu'on peut dire que le grand disparoît à la vûe du sublime, comme les astres disparoissent à la vûe du soleil.

Cette différence du grand & du sublime, me semble certaine ; elle est dans la nature, & nous la sentons. De donner des marques & des regles pour faire cette distinction, c'est ce que je n'entreprendrai pas, parce que c'est une chose de sentiment ; ceux qui l'ont juste & délicat, feront cette différence. Disons seulement que tout discours qui éleve l'ame éclairée avec admiration au-dessus de ses idées ordinaires de grandeur, & qui lui donne une plus haute opinion d'elle-même, est sublime. Tout discours qui n'a ni ces qualités ni ces effets, n'est pas sublime, quoiqu'il ait d'ailleurs une grande noblesse.

Enfin, nous déclarons que quand on trouveroit sublimes quelques-uns des passages qui nous paroissent seulement grands, cela ne feroit rien contre le principe ; & un exemple par nous mal appliqué, ne peut détruire une différence réelle & reconnue.

Comme les personnes qui ont en partage quelque goût, sont extrêmement touchées des beautés du sublime, on demande s'il y a un art du sublime, c'est-à-dire si l'art peut servir à acquérir le sublime.

Je réponds avec M. Silvain, que si on entend par le mot d'art un amas d'observations sur les opérations de l'esprit & de la nature, ou sur les moyens d'exciter à la production de ces beaux traits les personne qui sont nées au grand, il y a un art du sublime. Mais si on entend par art, un amas de préceptes propres à faire acquérir le sublime, je ne crois pas qu'il y en ait aucun. Le sublime doit tout à la nature ; il n'est pas moins l'image de la grandeur du coeur ou de l'esprit de l'orateur, que de l'objet dont il parle ; & par conséquent il faut, pour y parvenir, être né avec un esprit élevé, avec une ame grande & noble, & joindre une extrême justesse à une extrême vivacité. Ce sont-là, comme on voit, des dons du Ciel, que toute l'adresse humaine ne sauroit procurer.

D'ailleurs le sublime consiste non-seulement dans les grandeurs extraordinaires d'un objet, mais encore dans l'impression que cet objet a faite sur l'orateur, c'est-à-dire dans les mouvemens qu'il a excités en lui, & qui sont imprimés dans le tour de son expression. Comment peut-on apprendre à avoir ou à produire des mouvemens, puisqu'ils naissent d'eux-mêmes en nous à la vue des objets, souvent malgré nous, & quelquefois sans que nous nous en appercevions ? ne faut-il pas avoir pour cela un coeur & un naturel sensibles ? & dépend-il d'un homme d'être touché quand il lui plaît, & de l'être précisément autant & en la maniere que la grandeur des choses le demande ?

Dans le sublime des images, peut-on se donner ou donner aux autres cette intelligence vive & lumineuse, qui vous fait découvrir dans les plus grands objets de la nature une hauteur extraordinaire & inconnue au commun des hommes ? D'un autre côté, est-il au pouvoir d'un homme de faire naître en soi des sentimens héroïques ? Et ne faut-il pas qu'ils partent naturellement du coeur & d'un mouvement que la magnanimité seule peut inspirer ? Concluons que le seul art du sublime est d'être né pour le sublime.

Nous nous sommes étendus sur cette matiere, parce qu'elle annoblit le coeur, & qu'elle éleve l'ame au plus haut point de grandeur dont elle soit capable, & parce qu'enfin c'est le plus beau sujet de l'éloquence & de la poésie. (D.J.)


SUBLIMÉSUBLIMé


SUBLINGUALLE, adj. en Anatomie, se dit des parties qui sont situées sous la langue. Voy. LANGUE.

Les glandes sublinguales sont au nombre de deux, placées de chaque côté sous la langue ; elles versent dans la bouche la salive qu'elles séparent. M. Morgagni a décrit le premier les conduits particuliers de ces glandes : ils sont situés entre la langue & les gencives, & s'ouvrent à peu de distance du frein. Rivinus les découvrit le premier dans les veaux en 1679, Bartholin les découvrit ensuite dans le lion en 1682 ; c'est pour cela que ce conduit se nomme le conduit de Rivin ou de Bartholin.

L'artere sublinguale est une branche de la carotide externe : elle se distribue aux muscles hyoïdiens & glossiens, aux glandes sublinguales, & se plonge dans la langue, & s'anastomose aux environs de la pointe de la langue avec celle du côté opposé. Voyez CAROTIDE, LANGUE, &c. on l'appelle aussi artere ranine. Voyez RANINE.


SUBLUNAIREadj. (Phys.) se dit de toutes les choses qui sont sur la terre ou dans son atmosphere, au-dessous de la lune : ainsi on dit les corps sublunaires, pour marquer tous les corps qui sont ici bas, tous les météores, &c. (O)


SUBMERGERv. act. (Gram.) inonder, couvrir d'eau, noyer. Ce bâtiment a été submergé ; les rivieres se sont débordées, & toutes les terres voisines de leurs bords ont été submergées.


SUBMERSIONSUBMERSION

La portion du pays de Suffolk exposée à cette étrange submersion, est non-seulement sablonneuse par elle-même, mais située est-nord-est d'une partie d'un vaste terrein plat, exposé à des vents impétueux, qui emportent tout le sable qu'ils trouvent sur leur passage, & qui continuent d'agir avec leurs forces entieres, en parcourant sans être brisés ni interrompus, une grande étendue de terres.

On n'a point encore trouvé de meilleur secret pour garantir les habitations précieuses de cette submersion, que de les environner de haies de genêts épineux, qu'on plante serrés par gradation les uns au-dessus des autres. Ceux qui ont eu le courage de faire ces sortes de plantations, ont eu le bonheur d'arrêter & de détourner le progrès du ravage, après avoir vû auparavant dans ces mêmes terres le sable élevé jusqu'à la hauteur de vingt piés.

Près de Thetford, ville de la province de Norfolk, plusieurs villages ont été entierement détruits depuis plus de cent ans par les déluges de sable de Suffolk, & une branche de la riviere de l'Ouse, appellée depuis la riviere de Thetford, en a été tellement bouchée, qu'il n'y a plus que de petits bâtimens qui puissent y passer, au-lieu qu'auparavant les grands vaisseaux y navigeoient. Il est vrai que ce déluge de sable en se jettant dans la riviere, a préservé une partie de la province de Norfolk de la submersion sablonneuse, qui n'eût pas manqué d'y ruiner une grande partie de son terrein plat, si fertile en blé.

Aux environs de Saint-Paul de Léon en basse Bretagne, il y a sur le bord de la mer un canton, qui avant l'an 1666 étoit habité, & ne l'est plus, à cause d'un sable qui le couvre jusqu'à une hauteur de plus de vingt piés, & qui d'année en année gagne du terrein. A compter de l'époque marquée, il a gagné plus de six lieues, & il n'est plus qu'à une demi-lieue de Saint-Paul ; desorte que, selon toutes les apparences, il faudra abandonner la ville. Dans le pays submergé on voit encore quelques pointes de clochers & de cheminées qui sortent de cette mer de sable : les habitans des villages enterrés ont eu du moins le loisir de quitter leurs maisons pour aller mandier.

C'est le vent d'est ou de nord-est qui avance cette calamité ; il éleve ce sable qui est très-fin, & le porte en si grande quantité, & avec tant de vîtesse, que M. Deslandes, à qui on doit cette observation, dit qu'en se promenant en ce pays - là pendant que le vent charrioit, il étoit obligé de secouer de tems-en-tems son chapeau & son habit, parce qu'il les sentoit appesantis. De plus, quand le vent est violent, il jette ce sable par-dessus un petit bras de mer, jusque dans Roscose, petit port assez fréquenté par les vaisseaux étrangers : le sable s'éleve dans les rues de cette bourgade jusqu'à deux piés, & on l'enleve par charretées.

Ce désastre est nouveau, parce que la plage qui fournit ce sable, n'en avoit pas encore une assez grande quantité pour s'élever au-dessus de la surface de la mer, ou peut-être parce que la mer n'a abandonné cet endroit, & ne l'a laissé découvert que depuis un certain tems. Elle a eu quelque mouvement sur cette côte ; elle vient présentement dans le reflux une demi - lieue au - delà de certains rochers qu'elle ne passoit pas autrefois. Ce malheureux canton inondé d'une façon si singuliere, ainsi que les déluges de sable de la province de Suffolk, dont nous avons parlé au commencement de cet article, ne justifient que trop ce que les anciens & les modernes rapportent des tempêtes excitées en Afrique, qui ont fait périr par des déluges de sable, des villes, & même des armées. Histoire de l'académie des Sciences, 1722. (D.J.)


SUBORDINATIONS. f. (Gramm.) est un terme relatif qui exprime les degrés d'infériorité entre une chose & une autre.

Il y a dans l'église différens degrés de subordination, comme des diacres aux prêtres, des prêtres aux évêques, & des évêques au pape, à cause de sa primauté d'honneur & de jurisdiction. Voy. PRIMAUTE. L'assemblage de tous ces ordres se nomme hiérarchie. Voyez HIERARCHIE.

SUBORDINATION, la, c'est, dans l'art militaire, l'obéissance & la soumission que doit l'officier inférieur au supérieur pour toutes les choses qui concernent ses fonctions ou son emploi. C'est dans la subordination, renfermée dans ses justes bornes, que consiste principalement la discipline militaire, si importante dans les armées. Voyez DISCIPLINE MILITAIRE & OFFICIERS. (Q)


SUBORNATION(Grammaire & Jurisprud.) est l'action de corrompre quelqu'un, soit par flatterie & caresses, soit par promesses ou par menaces ; ce crime est mis dans la classe des différentes especes de faux.

Il y a deux sortes de subornation.

L'une est celle par laquelle on entraîne une personne dans la débauche.

L'autre est celle par laquelle on engage une personne à faire ou dire quelque chose contre la justice ou la vérité, comme lorsque l'on corrompt un juge ou autre officier public, pour lui faire faire quelque acte faux ou injuste.

La loi Cornelia de falsis, prononçoit la peine de faux contre ceux qui subornent les juges, & contre les juges qui se laissent suborner : parmi nous ces peines dépendent de l'arbitrage du juge & des circonstances.

Le terme de subornation est principalement usité pour exprimer la corruption des témoins que l'on engage à certifier ou déposer quelque chose contre la vérité.

La preuve de ce crime est difficile à acquérir, parce que l'on ne fait pas ordinairement de convention par écrit pour corrompre quelqu'un : c'est pourquoi deux témoins qui accusent un tiers de les avoir voulu suborner, suffisent pour faire décreter l'accusé, même pour le faire condamner à la question, on peut même le condamner quand il n'avoueroit rien, si les deux dépositions sont uniformes & sur un même fait.

La peine de la subornation chez les Romains, tant pour le suborneur que pour les témoins subornés, étoit la peine ordinaire du faux, ff. ad leg. Corn. de fals.

Les ordonnances de France, notamment celle de 1531, prononcent la peine de mort contre ceux qui subornent les témoins, & contre les témoins qui se laissent suborner.

Le subornement des témoins, sur-tout si c'est pour faire périr un innocent, mérite une mort plus rigoureuse que les autres, telle que le supplice de la roue.

Suivant le droit canon le suborneur est excommunié, & celui qui se laisse suborner est déclaré incapable de porter témoignage, & est noté d'infamie. Voyez le Traité des crimes par M. de Vouglans. (A)


SUBREDAURADES. f. (Hist. nat.) on donne ce nom à la daurade lorsqu'elle a pris tout son accroissement. Voyez DAURADE.


SUBREPTICEadj. (Gram. & Jurisprud.) est ce qui tend à ôter la connoissance de quelque fait ou de quelque piece que l'on a intérêt de dissimuler.

Des lettres de chancellerie sont subreptices, lorsque l'on a déguisé quelque fait essentiel qui eût empêché d'accorder les lettres.

Elles sont au contraire obreptices lorsqu'on y a avancé quelque fait contraire à la vérité, pour obtenir plus facilement ce que l'on demande. Voyez FAUX, LETTRES DE CHANCELLERIE, OBREPTICE, OBREPTION. (A)


SUBREPTION(Gram. & Jurisprud.) est lorsqu'on supprime artificieusement quelque fait pour obtenir du prince ou de la justice quelque chose que l'on demande. Voyez OBREPTICE, OBREPTION, BREPTICETICE. (A)


SUBROGATEURS. m. (Gramm. & Jurisprud.) est l'ancien créancier qui en subroge un nouveau en son lieu & place, aux droits qu'il avoit contre son débiteur. Voyez ci-après SUBROGATION. (A)


SUBROGATIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsqu'une personne succede & entre au lieu & place d'un autre pour exercer ses droits, ou lorsqu'une chose prend la place d'une autre, & est réputée de même nature & qualité, & sujette aux mêmes charges.

Quand il s'agit d'universalité de biens & de droits universels, la subrogation se fait indistinctement, soit des personnes l'une à l'autre, soit des choses, & la subrogation a toujours lieu de plein droit ; elle est naturelle & conforme au droit commun.

Telle est la subrogation qui s'opere de l'héritier au lieu & place du défunt.

Telle est aussi la subrogation qui a lieu en fait d'universalité de biens, lorsque l'héritier grevé de fidéicommis a vendu quelque bien de succession, & en a employé le prix à l'acquisition d'autres héritages.

En fait de droits particuliers, il y a aussi subrogation de personnes ; mais la subrogation n'a lieu que dans les cas exprimés par la loi ou par la convention.

Un acquêt donné en contrechange d'un propre, devient propre par subrogation. Voyez PROPRE & COUTUME DE SUBROGATION.

Mais le terme de subrogation est plus usité pour exprimer la maniere dont un créancier prend la place d'un autre, & succede à ses privileges & hypothèques.

Cette subrogation s'opere de deux manieres ; l'une en vertu de la loi, l'autre en vertu d'une stipulation expresse. La premiere est appellée légale, & a lieu de plein droit ; l'autre est appellée conventionnelle.

La subrogation, soit légale ou conventionnelle, a lieu en plusieurs cas différens.

Le premier est celui de la cession, transport ou délégation au profit d'un autre. Voyez CESSION, DELEGATION, MANDEMENT, TRANSPORT.

Le second est lorsqu'un créancier hypothéquaire rembourse un créancier antérieur à lui, ou même des créanciers postérieurs, pour empêcher qu'ils ne consomment en fraix les biens de leur débiteur commun. Il est subrogé de plein droit à leurs hypotheques, sans qu'il ait besoin de stipuler aucune subrogation ; mais un créancier chirographaire n'a pas le même droit.

Le troisieme cas est celui du tiers acquereur qui paye les dettes du vendeur, au moyen de quoi il est subrogé aux hypothèques des créanciers qu'il paye ; mais cette subrogation n'a son effet que sur l'immeuble acquis, & non sur les autres biens du vendeur.

Le quatrieme cas est lorsque l'héritier bénéficiaire ou le curateur aux biens vacans, payent les dettes de la succession, ils sont subrogés de plein droit aux créanciers qu'ils ont payé.

Le cinquieme cas est celui des co-obligés, cautions, & co-héritiers, qui sont contraints de payer pour autrui, soit par le moyen de l'action personnelle, soit par le moyen de l'action hypothéquaire. Ils ne sont pas à la vérité subrogés de plein droit ; mais ils peuvent obliger les créanciers qu'ils payent, de consentir la subrogation, ou, à leur refus, se faire subroger par justice : la loi leur permet même de refuser leur payement jusqu'à ce que la subrogation ait été accordée, & leur donner pour cela une exception appellée exceptio cedendarum actionum.

Le réglement du parlement de Paris de 1690 porte que pour succéder & être subrogé aux actions, droits, hypothèques & privileges d'un ancien créancier sur les biens de tous ceux qui sont obligés à la dette, ou de leurs cautions, & pour avoir droit de les exercer ainsi, & en la maniere que les créanciers l'auroient pu faire, il suffit que les deniers du nouveau créancier soient fournis à l'un des débiteurs avec stipulation faite par acte passé devant notaire, qui précede le payement, ou qu'il soit de même date, que le débiteur employera les deniers au payement de l'ancien créancier, que celui qui les prête sera subrogé aux droits du créancier, & que dans la quittance ou dans l'acte qui en tiendra lieu, lesquels seront aussi passés par devant notaires, il soit fait mention que le remboursement a été fait des deniers fournis à cet effet par le nouveau créancier, sans qu'il soit besoin que la subrogation soit consentie par l'ancien créancier, ni par les autres débiteurs & cautions, ou qu'elle soit ordonnée en justice.

Le réglement du parlement de Rouen de 1666, art. 132. porte que l'obligation du plege (ou caution) est éteinte quand la dette est payée par le principal obligé, lequel néanmoins peut subroger celui qui a baillé les deniers pour acquiter les dettes à l'hypothèque d'icelle, sur ses biens seulement, & non sur ceux du plege. Voyez au code le tit. de his qui in prior. heredit. locum succedunt, l'édit du mois de Mai 1609 ; le traité de la subrogation de Renusson avec les notes, & les mots CAUTION, CREANCIER, COOBLIGE, DEBITEUR, HYPOTHEQUE, PRIVILEGE, TRANSPORT. (A)


SUBROGÉadj. & subst. (Gramm. & Jurisprud.) est celui qui est au lieu & place d'une autre personne, ou qui est en ses droits.

Un conseiller est subrogé à un autre lorsqu'on le nomme rapporteur d'un procès en son lieu & place. Voyez SUBROGATEUR.

Un créancier est subrogé à un autre, lorsque celui-ci lui cede ses droits & actions. Voyez SUBROGATION. (A)

SUBROGE TUTEUR, est celui qui est nommé pour assister à l'inventaire & y servir de légitime contradicteur, lorsque c'est celui des pere & mere qui est survivant, qui est tuteur de ses enfans mineurs.

On nomme en ce cas un subrogé tuteur, à cause que les mineurs ont des intérêts à discuter avec leur tuteur ou tutrice.

La fonction du subrogé tuteur ne consiste qu'à assister à l'inventaire. Voyez CURATELLE, CURATEUR, INVENTAIRE, MINEUR, TUTELE, TUTEUR. (A)


SUBSÉQUENTadj. (Gram.) qui suit, qui vient après ; les années subséquentes n'ont pas été également malheureuses ; l'événement subséquent a un peu consolé des autres ; le jour subséquent, les fêtes subséquentes ; les chapitres subséquens.


SUBSIDEterme de Droit, se dit en général de toutes les taxes & impositions que les sujets payent au roi ou à ceux qui gouvernent, pour subvenir aux besoins de l'état.

Les Anglois définissent le subside une taxe ou tribut accordé au roi par autorité du parlement, dans les besoins pressans de l'état, & qui se leve sur les sujets à-proportion de leurs richesses ou du revenu annuel de leurs terres, biens, &c. Voyez TAXE, &c.

Tel est l'impôt sur les terres ou taxe royale, comme on l'appelle, qui monte ordinairement à deux, trois ou quatre schellings par livre pour le revenu des terres, & deux schellings & huit sols pour les biens personnels, quand celui des terres est de quatre schellings. Voyez AIDES, &c.

Les anciens rois saxons n'avoient point de subsides qui se levassent réglément ; mais au-lieu de cela, il y avoit différentes coutumes par lesquelles on levoit des deniers ou des corvées sur le peuple pour réparer les villes, châteaux, ponts, pour les expéditions militaires, &c. qu'ils appelloient burgote, brigbote, herefare, heregled, &c.

Mais depuis que leurs terres furent envahies par les Danois, le roi Ethelred convint en 1007, de payer à ceux-ci tous les ans 10000 liv. pour racheter la paix : cette somme fut depuis portée à 36000 l. & enfin jusqu'à 48000 liv. on l'appella danegeld, & on la leva sur les terres ; chaque hide ou charrue étoit taxée au douzieme, excepté celles de l'Eglise. Voyez DANEGELD.

De-là ce tribut fut appellé hidage, nom qui par la suite devint commun à toutes les taxes & subsides qu'on imposoit sur les terres ; comme celles qu'on imposoit sur les bestiaux, furent appellées hornegeld.

Mais les Normands les appelloient quelquefois toutes les deux taxes, du mot grec ; & quelquefois taillage, qui vient de leur propre langage, & quelquefois, suivant les usages d'au-delà de la mer, subsidia & auxilia. Voyez AUXILIUM.

Depuis la conquête, il paroît que ces subsides ont été accordés encore sur un autre pié qu'ils ne sont à présent : comme chaque neuvieme agneau, chaque neuvieme brebis, &c. quelquefois la taxe étoit le dixieme, & quelquefois le quinzieme. Voyez QUINZIEME, &c.

En France le roi seul, de sa propre autorité, impose des subsides sur le peuple à sa discrétion. Ce que Grotius dit ; que ceux qui payent des subsides aux autres souverains pour les engager à les défendre contre des ennemis puissans, reconnoissent en agissant ainsi leur propre foiblesse, & que cette reconnoissance fait tort à leur dignité ; ne doit s'entendre que de ces états qui sont trop foibles pour se défendre eux-mêmes, & qui, par rapport à cela, se rendent en quelque façon tributaires ; & non pas de ceux qui subsistant par leurs propres forces, donnent des subsides à leurs voisins, qui sont plus foibles, pour les empêcher d'être accablés par les autres.

Tels sont, par exemple, les rois de France & d'Angleterre par rapport aux rois de Suede & autres princes, à qui ils accordent des subsides dans les traités qu'ils font avec eux.

Dans le rôle des taxes & impositions d'Angleterre, il y a plusieurs sortes de subsides : l'ancien subside, le supplément à l'ancien subside, le nouveau subside, le tiers du subside, & les deux tiers du subside. Voyez IMPOTS, DROITS, &c.

Un homme de mérite a rassemblé sous un même point de vue l'apologie d'un des meilleurs auteurs politiques de nos jours, & la critique de quelques-uns de nos articles de finance. Son ouvrage, publié par lui-même, pouvoit certainement lui faire plus d'honneur, & nous causer plus de peine (s'il étoit si pénible de reconnoître ses erreurs), que n'en peuvent jamais attendre de leurs injurieuses & pauvres productions une infinité d'hommes obscurs, qui depuis 20 ans jusqu'à ce jour, depuis le plat Ch.... jusqu'à l'hypocrite abbé de S.... se sont indignement déchaînés contre nous.

Celui qui a écrit les observations suivantes, homme d'un caractere bien différent, nous les a envoyées à nous-mêmes, pour en faire l'usage qui nous conviendroit, & nous les imprimons.

M. de Voltaire s'est tout nouvellement chargé de nous venger des autres. Il a dit dans une de ses lettres, à-propos de la brochure de cet abbé de S... Quel est celui qui s'est occupé à vuider les fosses d'un palais où il n'est jamais entré ?... Tel misérable petit architecte, qui n'est pas en état de tailler un chapiteau, ose critiquer le portail de S. Pierre de Rome. Nous voudrions bien que ces comparaisons flatteuses, plus méritées de notre part, nous honorassent autant qu'elles doivent humilier nos ennemis.

Notre siecle a produit plusieurs livres dangereux, & un grand nombre d'inutiles, comme le crient les déclamateurs : mais ce qu'ils ne disent point, c'est qu'il sort journellement des presses, des ouvrages précieux à la raison, dont ils étendent l'empire, à la saine philosophie qu'ils répandent, à la nature à laquelle ils nous rappellent, & à l'humanité dont ils réclament les droits.

Si le gouvernement profitoit des vues présentées par quelques gens de lettres, le regne présent seroit mis par la postérité beaucoup au-dessus des regnes précédens, parce que les moeurs seroient plus sévères, les ames plus honnêtes, le systême de la bienfaisance mieux suivi, & les peuples conséquemment plus heureux.

Parmi les auteurs qui ont consacré leurs travaux à l'utilité publique, on doit citer avec reconnoissance M. de M.... Un rédacteur intelligent, semblable à celui qui a publié un des projets de l'abbé de S. Pierre, qui sauroit distinguer les maximes saines, lier les vérités, placer les réflexions, écarter les paradoxes, supprimer des digressions vuides, des déclamations choquantes, & des ironies trop amères, formeroit un excellent volume de tous ceux qui sont sortis de la plume de l'ami des hommes. Les doutes qui lui ont été adressés sur la théorie de l'impôt, n'ont point été conçus par une tête bien forte. On voit aisément l'esprit qui les a dictés ; ce qui ne prévient pas en leur faveur : car cet esprit n'est point celui de la candeur & du patriotisme. Ce n'est pas d'ailleurs avec quelques figures de rhétorique qu'on peut triompher des écarts d'un génie bouillant, & vaincre les élans d'un coeur que le spectacle de la misere a déchiré.

M. de M.... doit savoir gré à l'anonyme qui a consolidé ses maximes en s'efforçant de les détruire.

Tel est l'effet des objections foibles ; elles font présumer qu'un livre est hors de toute atteinte, parce qu'il a été mal attaqué, & que le vulgaire se persuade que le bouclier qui résiste est bon, tandis que c'est seulement le trait lancé qui manque de vigueur. Mais ce dont M. de M.... ne peut remercier son adversaire, c'est de cette politesse cruelle qui ne tend, en lui accordant des talens, qu'à le désigner comme un homme dangereux. N'est-il donc plus possible de critiquer sans rendre odieux ? C'est une méthode bien noire & bien usitée que celle qu'on employe contre presque tous les auteurs. On calomnie leurs principes, en leur attribuant des conséquences aussi détournées que funestes ; & on parvient à intéresser la religion ou le ministere, dans des discussions qui leur sont étrangeres. Le délire d'un bon citoyen n'en fera jamais de méchans, sur-tout lorsqu'il ne s'exercera que sur des matieres qui ne sont qu'à la portée du petit nombre, la multitude seule pouvant devenir séditieuse ou fanatique.

Au reste, il importeroit peu de relever les erreurs renfermées dans un in -12. obscur, qui aura le sort des écrits polémiques, si elles n'étoient soutenues & garanties par d'autres erreurs qui se sont glissées dans un ouvrage immortel (a). Elles y sont, il est vrai, réparées par la promesse que les éditeurs de l'Encyclopédie ont faite (b) d'insérer, sous une autre lettre, le correctif nécessaire aux mots ferme, (finance), & financier ; mais les espérances qu'on

(a) L'Encyclopédie.

(b) Voyez l'observation qui suit dans l'Encyclopédie l'article ferme, (finance).

avoit de la continuation d'un dictionnaire qui auroit honoré la nation, sont malheureusement aujourd'hui très-foibles (c) On ne se flatte plus guere de lire les articles Régie & Régisseur, qui eussent sans - doute offert une réfutation complete de ceux qui contiennent des refléxions mal digérées, des assertions légeres & une critique peu judicieuse de plusieurs passages de l'esprit des loix. Il faut donc tâcher de les détruire dans un morceau particulier, & d'empêcher que l'étranger ne se méprenne sur les idées qu'ont les François du crédit & de la finance.

Un coup-d'oeil rapidement jetté sur les doutes proposés à l'auteur de la théorie de l'impôt, conduira naturellement à l'examen des mots ferme & financier, où l'on retrouve les mêmes principes de la citation entiere desquels l'anonyme s'est servi contre l'ouvrage de M. de M....

Je tombe (p. 38.) sur une observation fausse & perfide : fausse, parce qu'elle donne à une phrase un sens dont elle n'est point susceptible : perfide, parce qu'elle dénonce une expression innocente sous un rapport odieux. M. de M.... a dit : lorsque les peuples reçoivent un chef, soit par élection, soit par droit héréditaire, sur quoi l'on observe avec affectation, que recevoir ne peut s'entendre que de ce qu'on a droit de refuser : or, ajoute-t-on, dans un royaume héréditaire, le choix ne dépend pas du peuple. M. de M.... avoit - il laissé la moindre équivoque ? En écrivant droit héréditaire, n'établissoit-il pas que le peuple ne pouvoit, ni refuser, ni choisir, puisque son souverain l'étoit de droit ?

M. de M.... a témoigné (p. 158 & 161.) ses allarmes sur l'abus qu'on pouvoit faire de la souveraineté ; on lui en fait un crime grave (p. 140 des doutes). Eh quoi ! cette appréhension contredit-elle la confiance qu'il a dans la bonté paternelle du souverain ? Quand on voit la flatterie empressée à empoisonner le coeur des rois ; quand on réfléchit sur la facilité & sur le penchant qu'ont tous les hommes à être injustes, dès qu'ils ne sont point arrêtés par le frein de la loi ; quand on médite sur les suites de cet abus fatal aux moeurs qu'il corrompt, à la liberté qu'il enleve & à l'humanité qu'il dégrade, le vrai citoyen peut-il trop multiplier les avis, les prieres, les images & tous les ressorts de cette éloquence qui maîtrise l'ame ?

" J'employe, a-t-on dit dans la théorie de l'impôt, (p. 187.) cinq mille livres que rapporte ma terre, au loyer d'une maison ; si le fisc prétend encore son droit sur cette location, il tire d'un sac deux moutures ". Sûrement ce raisonnement n'est point solide, mais la replique ne l'est pas davantage : car soutenir (p. 64. des doutes), que c'est le propriétaire de la maison & non le locataire qui paye l'imposition, c'est avancer que c'est le marchand, & non l'acheteur particulier, qui est chargé des droits d'entrée, tandis que les loyers, comme les marchandises, augmentent en raison des impôts qu'ils supportent : il falloit se borner à prouver que la possession qui donne un revenu, est très-distincte de l'emploi qu'on peut faire de ce même revenu ; que la propriété d'un fonds est indépendante d'une location ; & qu'ainsi les droits imposés tombent sur deux objets réellement différens, quoique réunis sous la même main.

L'anonyme veut démontrer à M. de M... (p. 70.) que le premier objet du contrôle des actes, est d'en constater la date & d'en assurer l'authenticité, & que le droit qu'on a joint à la formalité, n'en change point la véritable destination. L'anonyme s'est trompé : la quotité exorbitante du droit contredit absolument le but du législateur, puisqu'il est de fait que les particuliers aiment mieux encourir les peines de nullité & la privation d'hypotheque, en rédigeant leurs conventions sous signature privée, que d'acquiter les droits immenses auxquels sont assujettis les contrats publics. Est-on quelquefois contraint d'en passer ? on ne balance pas alors à s'exposer aux dangers d'un procès, en supprimant des clauses dont l'énonciation rendroit la formalité trop dispendieuse, ou en les embrouillant pour tâcher d'en soustraire la connoissance aux yeux avides du traitant. C'est ainsi que la condition du sujet est devenue pire qu'elle n'étoit avant l'établissement du contrôle : si la sûreté étoit alors moins grande à certains égards, elle l'étoit plus à d'autres ; & certainement elle étoit plus générale : la mauvaise foi altéroit moins d'actes que la crainte des droits n'en annulle aujourd'hui que les riches seuls peuvent s'y soumettre. Je dis la même chose de l'insinuation & du centieme denier ; en applaudissant à l'institution, je demande que la loi soit certaine, pour que la perception ne soit pas arbitraire ; qu'elle soit claire, pour que celui qui paye sache pourquoi il paye ; que le droit soit léger, pour que sa modicité permette de jouir de l'avantage qu'il procure ; qu'il soit volontaire, pour que le peuple conçoive que c'est en sa faveur, & non pas en faveur d'un fermier qu'il se leve & qu'il est établi. Le centieme denier, par exemple, dit l'auteur, est représentatif de lods & ventes ; je le prie de me dire pourquoi on en exige, lors même que les mutations ne donnent pas ouverture aux droits seigneuriaux ? Plusieurs questions de ce genre convaincroient que le légal des édits n'est qu'un prétexte, & que le bursal en est le motif.

Que veut-on dire par cette sentence énigmatique : l'oisiveté a son utilité, ce qu'elle consomme est son tribut ? (p. 166.) Ignore-t-on que quand quelqu'un ne fait rien, un autre meurt de faim dans l'empire ? qu'il ne peut y avoir dans un corps politique parfaitement sain, un membre qui reçoive sans donner ? que le tribut n'en sauroit être passif ? Voilà cependant ce que l'auteur des doutes appelle une vérité qu'il faudroit méditer pour en découvrir d'autres ; elles seroient probablement du même genre : on apprendroit, par exemple, que l'oisif est maître de son loisir (p. 168.) ce qui ne laisse pas que de composer un bon fonds pour asseoir un impôt.

On accuse aussi M. de M. de s'interdire les ressources du crédit (p. 170.) & on raisonne à perte de vue d'après cette supposition qui est très-gratuite. L'ami des hommes exclut le crédit, qui ne consiste qu'en expédiens, qui ne vient que des pertes que le roi fait avec certaines compagnies ; qui excede le degré fondé sur le revenu général de la nation ; qui détruit les arts, l'industrie, le commerce, après avoir anéanti la population & l'agriculture ; qui ayant desséché le germe de la prospérité d'un état, le deshonore & l'expose à une révolution funeste ; mais il est le partisan de ce crédit, qui naît de la confiance & d'une administration éclairée (théorie de l'impôt, p. 160.), qui est conséquent à ce principe : faites peu d'engagemens, & acquittez-les exactement. En effet, la faculté d'emprunter, qui porte sur l'opinion conçue de l'assurance du payement, constitue l'essence du crédit solide ; elle n'entraîne ni la création de nouveaux impôts, ni l'extension des anciens ; & voilà celle qu'adopte un ministre intelligent.

M. de M... a parlé de la cession des restes du bail des fermes générales (p. 405, 406, &c. de la théorie de l'impôt) ; il en sollicite une sevère liquidation. Son critique répond à ses plaintes sur ce sujet, en dissertant sur l'abus qu'il y avoit de les comprendre dans des affaires particulieres, comme on faisoit autrefois, au lieu de les réunir à la nouvelle adjudication, comme on fait depuis quelque tems. De ce que

(c) L'auteur ne parloit pas sans beaucoup de vraisemblance. Les jésuites existoient encore lorsqu'il écrivoit.

l'abus étoit très-grand dans la forme passée, s'ensuit-il que la présente n'en ait aucun ? Et si elle en a, n'est-on pas autorisé à s'en plaindre (d) ? N'est-il pas de l'injustice la plus criante de laisser subsister ces recherches interminables, contre lesquelles le citoyen ne peut jamais assurer sa tranquillité, & d'exiger des arrérages de vingt années, lorsqu'on restreint à deux les répétitions que les parties qui ont trop payé sont en droit de demander ?

" Ce mot de liberté, que chacun interprete ou confirme, admet ou rejette, fait aujourd'hui la base la plus générale des projets, des écrits & des conversations : on en a même fait une sorte de cri de guerre, un signal de combat ; il nous est venu d'Angleterre, & peut-être n'est-ce pas-là un des moindres torts que nous ayent fait nos voisins ". Cet étonnant langage, qu'un esclave avili sous un despote de l'Orient auroit de la peine à prononcer, se trouve à la page 186 des doutes. N'est-on pas indigné de tant d'humiliation ? Un roi, le pere de ses peuples, peut-il être plus noblement loué, que lorsque la liberté fait la base des écrits, des projets & des conversations ? C'est l'éloge le plus pur & le plus attendrissant qu'on puisse faire d'un souverain, que de s'entretenir devant lui du plus grand des biens. On ne le prononce pas sous un tyran, ce mot sacré ; il ne vient point de l'Angleterre, la nature l'a gravé dans tous les coeurs ; il est le cri du plus mâle des sentimens. On ne comprend point comment on a pu se permettre, à ce sujet, une sortie contre des livres anglois, qu'on feroit très-bien d'étudier avant d'en hasarder dans sa propre langue.

Par une suite des grandes vues de l'anonyme, il ne s'en fie pas à l'intérêt pour éclairer les hommes sur l'espece de culture & de commerce qu'ils doivent choisir ; il veut qu'on décide à Paris, si ce sont des oliviers qui conviennent à la Provence & des manufactures de soye à la ville de Lyon.

En voilà assez, & peut-être trop, pour indiquer la maniere du contradicteur de Mr. de M... Il est tems d'abandonner une critique qui ne respire, ni la chaleur de la bienfaisance, ni le courage de la justice, pour s'attacher à effacer ce que l'Encyclopédie offre de pernicieux sous les deux articles ferme, (finance) & financier.

Observations sur les articles ferme, finance, & financier de ce Dictionnaire. " Ferme du roi, finance. Il ne s'agit dans cet article que des droits du roi que l'on est dans l'usage d'affermer ; & sur ce sujet on a souvent demandé laquelle des deux méthodes est préférable, d'affermer les revenus publics ou de les mettre en régie ? "

Premier principe de M. de Montesquieu. " La régie est l'administration d'un bon pere de famille, qui leve lui - même avec économie & avec ordre, ses revenus. "

Observations de M. P ***. Tout se réduit à savoir, si dans la régie il en coûte moins au peuple que dans la ferme ; & si le peuple payant autant d'une façon que de l'autre, le prince reçoit autant des régisseurs que des fermiers. Car s'il arrive dans l'un ou dans l'autre cas (quoique par un inconvénient différent) que le peuple soit surchargé, poursuivi, tourmenté, sans que le souverain reçoive plus dans une hypothèse que dans l'autre ; si le régisseur fait perdre par sa négligence, ce que l'on prétend que le fermier gagne par exaction, la ferme & la régie ne seront-elles pas également propres à produire l'avantage de l'état, dès que l'on voudra & que l'on saura bien les gouverner ? Peut - être néanmoins pourroit-on penser avec quelque fondement, que dans le cas d'une bonne administration, il seroit plus facile encore d'arrêter la vivacité du fermier, que de hâter la lenteur de ceux qui régissent, c'est-à-dire qui prennent soin des intérêts d'autrui.

Quant à l'ordre & à l'économie, ne peut-on pas avec raison imaginer qu'ils sont bien moins observés dans les régies que dans les fermes ; puisqu'ils sont confiés ; savoir, l'ordre à des gens qui n'ont aucun intérêt de le garder dans la perception, l'économie à ceux qui n'ont aucune raison personnelle d'épargner les fraix du recouvrement ? C'est une vérité dont l'expérience a fourni plus d'une fois la démonstration.

Réponses. Si de la solution de cette premiere question dépendoit celle de la thèse générale, le principe de M. de Montesquieu auroit bientôt force de loi. Le régime le plus sage ne peut imprimer la perfection à aucun établissement, il ne peut que diminuer à un certain point, le nombre & la grandeur des abus. Laissons donc à la régie & à la ferme ceux dont elles sont susceptibles, & nous serons convaincus que le peuple paye plus dans la seconde que dans la premiere. La négligence ne poursuit ni ne surcharge ; elle est lente, elle oublie ; mais elle ne tourmente pas. Si elle fait perdre, c'est au souverain, qui dans une bonne administration doit compter sur ces pertes légeres en elles-mêmes, utiles à plusieurs citoyens, par-là faciles à réparer ; puisqu'elles laissent des moyens dont le gouvernement peut se ressaisir dans des tems orageux. Cette méthode ne peut donc avec son abus, nuire à l'état. Il n'en est pas ainsi de l'exaction ; le petit nombre qui l'exerce est le seul qui en profite : un peuple est écrasé, & le prince ne s'enrichit point. Le royaume sera épuisé, sans que le trésor - royal soit rempli : les gains extraordinaires attaqueront les ressources dans leur principe, & les enfans n'auront, dans les plus pressans besoins de leur pere, que des voeux stériles à lui offrir. Ceux qui connoîtront les hommes & les gouvernemens, avoueront que dans une monarchie, l'ardeur de l'intérêt particulier est bien plus impossible à réprimer, qu'il n'est difficile d'exciter le zele & de s'assurer de l'exactitude de ceux qui prennent soin des intérêts d'autrui. Accordons cependant, que l'un n'est pas plus aisé que l'autre, & il n'en sera pas moins évident que la paresse de la régie est préférable à la cupidité de la ferme.

Tout homme aime l'ordre & l'observe, tant que son intérêt ne s'y oppose point. C'est parce que le régisseur n'en a aucun à la perception, qu'elle sera juste : mais le fermier, dont les richesses augmentent en raison de l'étendue des droits, interprétera, éludera & forcera sans-cesse la loi ; seul il multipliera les fraix, parce qu'ils déterminent le recouvrement qui est le mobile de sa fortune, & qui est, comme nous l'avons supposé, indifférent au régisseur.

Second principe de M. de Montesquieu. " Par la régie, le prince est le maître de presser ou de retarder la levée des tributs, ou suivant ses besoins, ou suivant ceux de son peuple. "

Observations. Il l'est également quand ses revenus sont affermés, lorsque par l'amélioration de certaines parties de la recette & par la diminution de la dépense, il se met en état de se relâcher du prix du bail convenu, ou d'accorder des indemnités : les sacrifices qu'il fait alors en faveur de l'agriculture, du commerce & de l'industrie se retrouvent dans un produit plus considérable des droits d'une autre espece. Mais ces louables opérations ne sont, ni particulieres à la régie, ni étrangeres à la ferme ; elles dépendent dans l'un & dans l'autre cas d'une administration, qui mette

(d) Un ministre auquel un étranger demanderoit pourquoi il n'y a pas au-moins dans la capitale une salle où l'on puisse représenter convenablement les chefs-d'oeuvres du théatre françois, répondroit-il en disant qu'autrefois une populace d'importuns se mêloit à un sénat romain, qu'Athalie avoit un panier, & que ces grossieretés ridicules sont abolies ?

à portée de soulager le peuple & d'encourager la nation, &c.

Réponses. Il ne s'agit pas ici de savoir par quels moyens on parvient à la remise d'une partie des tributs : il est encore moins nécessaire d'établir qu'en accordant d'un côté, il faut reprendre d'un autre. Mais j'examine si le souverain, quand il peut & qu'il veut retarder la levée de l'impôt, est plus en état de le faire dans la régie, que dans la ferme ; je me décide pour l'affirmative. En effet, s'il juge à-propos d'accorder des modérations en affermant, il faut qu'il revienne sur un arrangement consommé, qu'il change des dispositions arrêtées, qu'il renonce à la destination déja faite de revenus fixes, & qu'enfin, il intervertisse l'ordre qu'il avoit établi : ce qui exige ainsi des opérations contraires à celles qui ont été faites, découle naturellement d'une régie qu'on presse ou qu'on retient conformément aux circonstances.

Troisieme principe de M. de Montesquieu. " Par la régie, le prince épargne à l'état les profits immenses des fermiers qui l'appauvrissent d'une infinité de manieres. "

Observations. Ce que la ferme absorbe en profits, la régie le perd en fraix ; ensorte que ce que l'état dans le dernier cas gagne d'un côté, il le perd de l'autre. Qui ne voit un objet que sous un seul aspect, n'a pas tout vû, n'a pas bien vû : il faut l'envisager sous toutes les faces. On verra que le fermier n'exigera trop, que parce qu'il ne sera pas surveillé ; que le régisseur ne fera des fraix immenses, que parce qu'il ne sera point arrêté. Mais l'un ne peut-il pas être excité, ne peut-on pas contenir l'autre ? C'est aux hommes d'état à juger des obstacles & des facilités, des inconvéniens & des avantages qui peuvent se trouver dans l'une & dans l'autre de ces opérations : mais on ne voit pas les raisons de se décider en faveur de la régie aussi promtement, aussi positivement, que le fait l'auteur de l'Esprit des loix.

Réponses. C'est sûrement ne pas tout voir, ne pas bien voir, que d'assurer que la régie perd en fraix, ce que la ferme absorbe en profits. Il a été démontré plus haut que le régisseur fait peu de fraix, parce qu'il n'a aucun intérêt au produit que rendent ces fraix : à lumieres égales, son administration sera donc plus douce & moins chere que celle du fermier. Que sera-ce, si l'on veut comparer ce que coûtent à l'état les profits de celui-ci, avec le montant des appointemens de l'autre ? Si c'est aux hommes d'état qu'il appartient de décider sur cet objet, personne n'en contestera, je crois, le droit à M. de Montesquieu. Dans cette occasion il ne falloit que calculer ; il le fit, & il prononça.

Quatrieme principe de M. de Montesquieu. " Par la régie, le prince épargne au peuple un spectacle de fortunes subites qui l'afflige. "

Observations. C'est moins le spectacle de la fortune de quelques particuliers qu'il faut épargner au peuple, que l'appauvrissement des provinces entieres. Ce sont moins aussi les fortunes subites qui frappent le peuple, qui l'étonnent & qui l'affligent, que les moyens d'y parvenir & les abus que l'on en fait. Le gouvernement peut en purifier les moyens, & l'on est puni des abus par le ridicule auquel ils exposent, souvent même par une chûte qui tient moins du malheur que de l'humiliation. Ce ne sont point là des raisons de louer ou de blâmer, de rejetter ou d'admettre la régie ou la ferme. Une intelligence, une industrie active, mais louable & renfermée dans les bornes de la justice & de l'humanité, peut donner au fermier des produits honnêtes, quoique considérables. La négligence & le défaut d'économie rendent le régisseur d'autant plus coupable de l'affoiblissement de la recette & de l'augmentation de la dépense, que l'on ne peut alors remplir le vuide de l'une, & pourvoir à l'excédent de l'autre, qu'en chargeant le peuple de nouvelles impositions ; au lieu que l'enrichissement des fermiers laisse au moins la ressource de mettre à contribution leur opulence & leur crédit.

Réponses. Les fortunes excessives de quelques particuliers n'attristent pas par elles-mêmes, ce sont les images qu'elles présentent avec elles, la disette du peuple & la dépopulation des provinces, les fondemens sur lesquels elles sont élevées, les matériaux dont elles sont construites, les moyens qui les conservent & les augmentent ; voilà ce qui porte le désespoir dans le coeur des sujets. " La matiere des troubles, dit Bacon,est dans la misere publique & dans le mécontentement universel ". Les émigrations, les terres en friche, le germe de l'état desseché ; telles sont les conséquences de ces richesses. Elles doivent donc inspirer l'effroi : le ridicule suffit - il alors pour punir les abus aussi violens ? Les riches sont-ils susceptibles d'une punition que tout le monde leur inflige au loin, mais que personne ne leur dénonce ? Ces maux ne se trouvent que dans la ferme. M. de Montesquieu les a considérés sous le même point de vûe que le roi qui nous gouverne. " Les fortunes immenses & précipitées des gens d'affaires (édit de 1716) l'excès de leur luxe & de leur faste, qui semble insulter à la misere de nos autres sujets sont par avance une preuve de leurs malversations, & il n'est pas étonnant qu'ils dissipent avec profusion, ce qu'ils ont acquis avec injustice : les richesses qu'ils possedent sont les dépouilles de nos provinces, la substance de nos peuples & le patrimoine de l'état, &c. " L'auteur de l'Esprit des loix ne s'est pas, à beaucoup près, exprimé avec tant de sévérité, mais ses maximes étoient celles de l'édit. A l'égard de cette ressource qui consiste à mettre les riches à contribution, il semble qu'elle n'ait été employée jusqu'ici, que pour donner lieu à des gains plus rapides, & pour faire passer dans les mains de quelques-uns, les débris de la véxation. Pour le crédit, qui est-ce qui ignore à quelles conditions onéreuses ils l'ont procuré ?

Cinquieme principe de M. de Montesquieu. " Par la régie l'argent levé passe par peu de mains ; il va directement au prince, & par conséquent revient plus promtement au peuple ".

Observations. L'auteur de l'Esprit des loix appuie tout ce qu'il dit sur la supposition que le régisseur qui n'est que trop communément avare des peines & prodigue de fraix, gagne & produit à l'état autant que le fermier, qu'un intérêt personnel & des engagemens considérables excitent sans-cesse à suivre de près la perception ; mais cette présomption est-elle bien fondée ? est-elle bien conforme à la connoissance que l'on a du coeur & de l'esprit humain ? est-il bien vrai d'ailleurs que les grandes fortunes des fermiers interceptent la circulation ? tout ne prouve-t-il pas le contraire ?

Réponse. M. de Montesquieu ne suppose pas (ce qui seroit absurde relativement à son axiome), que le régisseur retire du peuple autant d'argent que le fermier : il dit simplement, ce qui est très-vrai, qu'il en remet davantage au trésor royal. Son idée, pour être entendue, n'avoit pas besoin de cet éclaircissement. Ce seul moyen paroît d'abord bien efficace pour moins intercepter la circulation : il n'est pas douteux qu'elle est bien plus vive quand le prince a l'argent qu'il est forcé de répandre promtement jusqu'aux extrêmités de son royaume, que lorsque des fermiers l'enfouissent dans leurs coffres, ou le prodiguent dans la capitale.

Sixieme principe de M. de Montesquieu. " Par la régie le prince épargne au peuple une infinité de mauvaises loix, qu'exige de lui l'avarice toujours importune des fermiers, qui montre un avantage présent pour des réglemens funestes pour l'avenir. "

Observations. On ne connoît en finances, comme en d'autres matieres, que deux sortes de loix ; les loix faites, & les loix à faire : il faut être exact à faire exécuter les unes, il faut être reservé pour accorder les autres. Ces principes sont incontestables, mais conviennent-ils à la régie plus qu'à la ferme ? le fermier va, dit-on, trop loin sur les loix à faire ; mais le régisseur ne se relâche-t-il pas trop sur les loix qui sont faites ? on craint que l'ennemi ne s'introduise par la breche, & l'on ne s'apperçoit pas que l'on a laissé la porte ouverte.

Réponses. Il a déja été prouvé que l'inexactitude à faire observer les lois anciennes ne peut, dans aucun cas, être aussi funeste que l'avarice, qui chaque jour en obtient de nouvelles. Le fermier abuse également des unes & des autres : il interprête cruellement celles qui sont faites, il en propose sans-cesse d'analogues à son avidité, de façon qu'il corrompt tout, le passé & le présent.

Septieme principe de M. de Montesquieu. " Comme celui qui a l'argent est toujours le maître de l'autre, le traitant se rend despotique sur le prince même ; il n'est pas législateur, mais il le force à donner des loix ".

Observations. Le prince a tout l'argent qu'il doit avoir, quand il fait un bail raisonnable & bien entendu. Il laissera sans-doute aux fermiers qui se chargent d'une somme considérable, fixe, indépendante des événemens par rapport au roi, un profit proportionné aux fruits qu'ils doivent équitablement attendre & recueillir de leurs fraix, de leurs avances, de leurs risques & de leurs travaux.

Le prétendu despotisme du fermier n'a point de réalité : la dénomination de traitant manque de justesse ; on s'est fait illusion sur l'espece de crédit dont il jouit effectivement, il a celui des ressources, & le gouvernement sait en profiter ; il ne sera jamais despotique quand il sera question de faire des loix, mais il reconnoîtra toujours un maître, quand il s'agira de venir au secours de la nation, avec la fortune même qu'il aura acquise légitimement.

Réponses. Peut-on parler des risques que court le fermier, & des travaux qu'il essuie ? Ne le voit-on pas au moindre danger solliciter une indemnité ? est-ce là se charger des événemens ? Pour son travail, il le remet à des commis, & son opulence est d'autant plus scandaleuse, qu'elle est le prix de l'oisiveté : ses avances au moyen de l'intérêt qu'elles lui valent, sont plutôt une charge ruineuse, qu'une ressource réelle pour l'état.

Je ne vois pas pourquoi la dénomination de traitant manque de justesse ; elle convient à des gens qui traitent avec le roi pour ses revenus. Ce nom n'a pas par lui-même une acception odieuse ; il ne la reçoit que par l'abus que ceux qui le portent font de leurs traités.

Une compagnie qui ne prête qu'à un fort intérêt, qui ne donne d'une main que pour qu'on lui laisse la liberté de saisir de l'autre des droits plus onéreux, qui répete que les moyens qu'elle fournit, dépendent du succès de ses engagemens, & que ce succès tient à tel ou tel réglement, doit forcer le prince à lui accorder toutes les loix qu'elle desire. Elle est donc bien loin de la générosité patriotique qu'on s'efforce de lui attribuer ; elle est donc despotique : les expédiens qu'elle fournit, sont donc funestes à ceux qui les reçoivent, & n'ont d'utilité que celle que trouve un homme obéré, dans la bourse d'un usurier.

uitieme principe de M. de Montesquieu. " Dans la république les revenus de l'état sont presque toujours en régie ; l'établissement contraire fut un grand vice du gouvernement de Rome. Dans les états despotiques où la régie est établie, les peuples sont infiniment plus heureux ; témoins la Perse & la Chine. Les plus malheureux sont ceux où le prince donne à ferme ses ports de mer & ses villes de commerce. L'histoire des monarchies est pleine de maux faits par les traitans. "

Observations. Ce seroit un examen fort long, très-difficile, & peut-être assez inutile à faire dans l'espece présente, que de discuter & d'approfondir la question de savoir ce qui convient mieux, de la ferme ou de la régie relativement aux différentes sortes de gouvernement. Il est certain qu'en tout tems, en tous lieux, & chez toutes les nations, il faudra dans l'établissement des impositions, se tenir extrêmement en reserve sur les nouveautés, & qu'il faudra veiller dans la perception, à ce que tout rentre exactement dans le trésor public, ou, si l'on veut, dans celui du souverain.

Reste à savoir quel est le moyen le plus convenable, de la ferme ou de la régie, de procurer le plus sûrement & le plus doucement le plus d'argent. C'est sur quoi l'on pourroit ajouter bien des réflexions à celles qu'on vient de faire ; & c'est aussi sur quoi les sentimens peuvent être partagés sans blesser en aucune façon la gloire ou les intérêts de l'état ; mais ce qu'on ne peut faire sans les compromettre, ce seroit d'imaginer que l'on pût tirer d'une régie tous les avantages apparens qu'elle présente, sans la suivre, & la surveiller avec la plus grande attention : & certainement le même degré d'attention mis en usage pour les fermes, auroit la même utilité présente, sans compter pour certaines conjonctures, la ressource toujours prête que l'on trouve, & souvent à peu de fraix, dans l'opulence & le crédit des citoyens enrichis.

Réponses. Il me semble qu'on ne pouvoit mieux s'y prendre pour débarrasser cette question des difficultés qui à force d'être généralisées, deviendroient insolubles, que de rassembler des faits & d'en tirer des conséquences. L'expérience est un guide sûr, les inductions qui en naissent ne trompent point ; il n'étoit point inutile d'y avoir recours : cette méthode étoit nécessaire pour jetter un jour satisfaisant sur une matiere obscure. Pour détruire l'opinion de M. de M... il falloit lui opposer des résultats historiques, contraires à ceux qu'il présente, nous montrer les revenus publics affermés dans quelque état que ce fût, & ce même état redoutable au-dehors, florissant au-dedans, & ne cherchant d'autre gloire que la félicité du peuple : il falloit, en combattant un grand homme, user du scepticisme décent, qui doit être le partage de ceux qui ne pensent pas comme lui : il falloit, dans un examen qui tient au bien de sa patrie, procéder avec l'impartialité d'un citoyen : il falloit que la prévention se tût : il falloit enfin sentir que peu de mots tracés sur un objet, par un génie vigoureux, étoient le fruit d'une méditation profonde ; qu'ils ne pouvoient être attaqués qu'avec un esprit patriotique, & non pas avec un esprit de finance ; qu'un critique devoit user d'une extrême circonspection sur la nature des preuves, & d'une bonne foi décidée dans le choix des raisonnemens.

Les défauts que l'on remarque dans la composition de cet article, reparoissent au mot financier, où l'on poursuit encore le respectable auteur de l'Esprit des loix.

" Financier, homme qui manie les finances, c'est-à-dire les deniers du roi, qui est dans les fermes de sa majesté, quaestorius aerarii collector. "

Principe de M. de Montesquieu. " Il y a un lot pour chaque profession ; le lot de ceux qui levent les tributs est la richesse ; & les recompenses de ces richesses, sont les richesses même. La gloire & l'honneur sont pour cette noblesse qui ne connoît, qui ne voit, qui ne sent de vrai bien, que l'honneur & la gloire. Le respect & la considération sont pour ces ministres & ces magistrats qui, ne trouvant que le travail après le travail, veillent nuit & jour pour le bonheur de l'empire. "

Observations de M. P ***. Mais comment un philosophe, un législateur, un sage, a-t-il pu supposer dans le royaume une profession qui ne gagnât, qui ne méritât que de l'argent, & qui fût exclue par état de toute autre sorte de récompense ? &c. &c. &c. Un financier ne sera sans-doute ni récompensé, ni respecté, ni consideré comme un Turenne, un Colbert, un Seguier... Les services qu'il rend, les sacrifices qu'il fait, les vertus qu'il montre, ne sont ni de la même nature, ni du même prix ; mais peut-on, mais doit-on décemment, équitablement, raisonnablement en conclure qu'ils n'ont aucune sorte de valeur & de réalité ? & lorsqu'un homme de finance, tel qu'on vient de le peindre, & que l'on conçoit qu'il doit être, vient justifier l'idée que l'on en donne, sa capacité ne rend-elle pas à l'état des services essentiels ? son désintéressement ne fait-il pas des sacrifices ? & sa vertu ne donne-t-elle pas des exemples à suivre, à ceux-même qui veulent le dégrader ?

Il est certain (& l'on doit en convenir en ami de la vérité), il est certain que l'on a vu dans cette profession des gens dont l'esprit, dont les moeurs, dont la conduite ont mérité qu'on répandit sur eux à pleines mains, le sel du sarcasme & de la plaisanterie ; & ce qui devoit les toucher encore plus, l'amertume des reproches les mieux fondés. Mais ce corps est-il le seul qui présente des membres à retrancher ? & refusera-t-on à la noblesse, au ministere, à la magistrature, les éloges, les récompenses, & les distinctions qu'ils méritent, parce qu'on a vu quelquefois en défaut dans le militaire le courage ; dans le ministere les grandes vues ; dans la magistrature le savoir & l'intégrité ? On reclameroit avec raison contre cette injustice. La finance n'a-t-elle pas autant à se plaindre de l'Esprit des loix ? & ne doit-elle pas le faire avec d'autant plus de force, que l'auteur ayant plus de mérite & de célébrité, est aussi plus dangereux pour les opinions qu'il veut accréditer. Le moindre reproche que l'on puisse faire en cette occasion à cet écrivain, dont la mémoire sera toujours chere à la nation, c'est d'avoir donné pour assertion générale, une observation personnelle & particuliere à quelques financiers, & qui n'empêche pas que le plus grand nombre ne desire, ne recherche, ne mérite, & n'obtienne la sorte de récompense & de gloire, de respect & de considération qui lui est propre.

Réponse. Quel autre lot une ame libre & vraie pouvoit-elle assigner à une profession qui ne travaille que pour amasser de l'argent, qui n'a d'autre émulation que celle de grossir sa fortune, & qui tourne toute son industrie du côté des richesses ? Si les services qu'elle rend sont la levée des tributs ; s'il est démontré qu'elle ne fait de sacrifices que ceux dont elle obtient un retour usuraire ; si les vertus qu'elle montre consistent à exécuter fidelement ses traités, qui peut sans aveuglement lui décerner d'autre récompense que la richesse ? Cette récompense est proportionnée à la nature de ses soins ; elle n'a aucun titre pour en exiger d'autres ; lui en assigner de différentes, ce seroit confondre les principes, malheureusement ils ne sont que trop confondus dans le fait : car les coeurs nobles sont rares, & les vils flatteurs sont communs ; ils sont venus à bout de faire évanouir les distinctions. La capacité du financier ne s'exerce que pour sa propre utilité : son desintéressement est un être de raison : & sa vertu, si elle donne des exemples à suivre, est celle du particulier, & non pas celle de son état.

M. de Montesquieu étoit trop integre & trop instruit, pour avoir rejetté les exceptions ; il les admettoit telles qu'elles sont, c'est-à-dire dans le sens contraire à celui que son contradicteur indique : son principe, loin d'en être affoibli, en recevoit une nouvelle force : il y comprenoit, dans l'exception, non des gens dépravés, ineptes & méprisables, mais des hommes éclairés, justes, & bienfaisans ; ce qui est conforme à l'opinion générale, & à celle que les éditeurs de l'Encyclopédie ont établie dans la note qu'ils ont mise à la fin de cet article. La différence des autres corps à celui des financiers est sensible : dans les premiers, quelques membres isolés manquent à leur devoir & sont flétris ; dans l'autre c'est le petit nombre seul qui mérite l'estime ; & cela, parce que là l'esprit général est celui de l'honneur, & qu'ici l'esprit général est celui de la vexation. Il y a plus ; dans l'espece présente, la nature même de la chose résiste à une meilleure constitution. M. P *** en peignant le financier tel qu'il devoit être selon ses principes, s'est attaché à une chimere, qu'aucun effort de la part du ministere ne pourroit réaliser : la grande fortune est le fléau de la vertu, & ne la souffre point avec elle. " Comment seriez-vous hommes de bien, vous qui n'ayant pas eu de bien de votre pere, possédez de si grands trésors " ? Cette question d'un romain à Sylla, ne peut dans l'application souffrir de replique. Quel est l'homme qui ait la tête assez froide & le coeur assez pur, pour conjurer la séduction des richesses ? Elles énervent le courage, avilissent l'ame, concentrent dans l'individu l'affection qu'il auroit étendue sur ses semblables. Le coeur endurci, les moeurs sont bien-tôt corrompues ; le vice infecte également l'extrême misere, comme l'extrême opulence : le pauvre a par-tout sur le riche l'inestimable avantage de ne pouvoir faire le mal avec la même facilité.

Considération sur la finance. Qu'il soit permis de terminer l'examen que nous venons de faire, par quelques réflexions qui y sont analogues. Elles seront peu nombreuses, parce qu'il est difficile de présenter des idées neuves sur une matiere agitée depuis quelque tems par tant d'écrivains, & qu'il est rebutant de ne prendre la plume, que pour transcrire des volumes qui ont jusqu'ici causé plus d'ennui que de réforme.

I. Ce n'est point une médiocre preuve & une petite utilité de cet esprit philosophique qui doit son progrès à la persécution, que la quantité d'ouvrages sur l'Agriculture, le Commerce, & la Finance ; mémoires, journaux, feuilles hebdomadaires, gazettes, livres de toute espece ; on feroit aujourd'hui un recueil immense de tout ce qui s'imprime sur l'administration politique. Plusieurs moralistes se sont élevés contre le françois que l'amour de la nouveauté & la manie de l'imitation jettent tout d'un côté, & qui n'a pas un goût qui ne se tourne en passion. Mais ils ne comprennent pas que pour qu'il y ait assez dans de certains genres, il faut qu'il y ait trop ; qu'il n'y a presque pas de mauvais écrit qui ne renferme quelque vue saine, quelque répétition qui ne grave un objet important dans la mémoire, & quelque paradoxe qui ne force à réfléchir. Les faiseurs de systêmes ont engagé les vrais observateurs à tenter des expériences : enfin, il est heureux qu'on discoure sur les choses utiles, parce qu'à force d'en dire, on s'excite à en faire.

II. N'y a-t-il pas dans l'abbé de Saint-Pierre & dans M. de M.... ces deux grands rêveurs, des idées excellentes ? J'ai déjà dit ce que je pensois du dernier : mais, ce que je n'ai point remarqué, c'est que son intention bien reconnue étant d'encourager l'Agriculture, il n'en charge pas moins son produit de tout le fardeau des impositions : sa taxe porte sur les besoins réels qu'il veut favoriser, & l'exemption sur les besoins d'opinion qu'il veut proscrire (e). Ce qu'il y a encore de plus singulier, c'est que son adversaire qui devoit faire valoir uniquement une contradiction si frappante, l'a négligée. De la seule exposition qu'il en eût faite, dérivoient des conséquences si opposées aux principes de l'ami des hommes, que la théorie de l'impôt étoit ruinée. Il est vrai que cela n'auroit pas fait un livre ; mais une note qui détruit une erreur, vaut bien trois cent pages de déclamation.

III. Un peuple ne doit s'attendre à aucun soulagement, quand ses intérêts sont dirigés par une ame paresseuse & timide, qui redoute les travaux qu'exige toute réforme, & qui s'effraye des dangers qu'elle présente. Il faut renoncer aux changemens, si on a résolu de n'admettre que ceux qui ne sont susceptibles d'aucun abus : il est simplement question de considérer si l'abus qu'on fait naître est passager, particulier, & foible ; & si celui qu'on supprime est permanent, général, & considérable : alors il n'y a point à balancer : un mal léger & momentané pour un bien solide & durable. Telle devroit être la maxime d'un ministre éclairé, laborieux, & hardi.

IV. On a demandé si dans une monarchie il pouvoit exister un bon ministre (f), c'est-à-dire un homme, qui ayant les moyens de faire le plus grand bien de l'état, en auroit aussi la volonté. Ceux qui ont proposé cette question, sont convenus qu'on découvriroit peut-être un génie rare, éclairé par l'étude, formé par la méditation, mûri par les voyages, & qui auroit rassemblé, discuté, & combiné une assez grande quantité de faits politiques, pour avoir acquis dans la vigueur de l'âge une expérience consommée. Mais ils ont nié qu'un tel sujet voulût porter ses connoissances & ses talens dans l'administration. Dans un royaume, ont-ils dit, la prospérité de l'état n'est jamais liée à la fortune du particulier ; celle-ci ne peut même se faire très-souvent qu'aux dépens de l'autre ; le ministre réformateur n'obtiendra rien pour lui, ni pour les siens ; car il sera traversé par une cour sur laquelle porteront les premiers efforts de son économie, & il ne plaira point à un maître qu'il ne servira qu'au préjudice de ses favoris (g). Il y a plus ; les innovations qu'il entreprendra, ne devant produire qu'un avantage éloigné, il sera d'abord détesté du peuple : il faudra qu'il sacrifie sa réputation actuelle, la seule dont il puisse jouir, à la justice de la postérité, qui ne s'élevera que sur son tombeau. Enfin, il ne tiendra qu'à lui de pressentir que la rage de la multitude profanera ses cendres (h). Quel homme après ces considérations aura assez d'intrépidité pour immoler au bien public tout ce qu'il a de plus cher, & tout ce qui doit lui être le plus sacré ? Je ne sais que répondre à des objections de cette nature ; tout ce que je sais, c'est qu'il faudroit avoir la folie de la vertu pour braver des peines si ameres (i). Mais je suis persuadé, qu'un roi qui ne laisseroit à son ministre d'autre ressource pour augmenter sa fortune & satisfaire son ambition, que de travailler au bonheur de ses sujets, qui le soutiendroit contre ses ennemis, qui le consoleroit par une confiance entiere, de la haine aveugle ; je suis, dis-je, persuadé qu'un tel prince auroit un ministre qui ressembleroit beaucoup à un ministre patriote (k).

V. Il est des tems malheureux où l'homme le plus sage est forcé de recourir à des expédiens qu'il condamne, pour subvenir à des dépenses urgentes & inévitables. Mais si cet homme connoissoit mieux qu'aucun autre la finance de son pays & celle des deux états qui font sur cette partie la destinée des deux mondes par leur banque, leur commerce, & leur crédit ; il faudroit bien se garder de céder à des cris stupides & à l'orage du moment, en le privant d'une place qu'il peut remplir dignement, qui dans le fait est la plus importante du royaume, & qui, quand elle est mal occupée, enleve à la guerre sa gloire, à la marine son utilité, & toute considération aux affaires étrangeres.

VI. C'est sans-doute une opération imparfaite, que celle par laquelle voulant convertir en espece l'argent ouvragé, on n'en remet cependant qu'une partie à celui qui apporte la matiere : car quel est le but de cette opération ? De faciliter les emprunts, de donner une plus grande activité au commerce, effets qui suivent l'augmentation de l'argent monnoyé. Or si on ne satisfait qu'à une partie de la remise, quelque promesse que l'on fasse de l'entier payement, on inspire la méfiance, on engage le particulier à la soustraction de son argenterie, & l'on manque le résultat qu'on s'étoit proposé.

VII. C'est encore une bien mauvaise opération, que la suspension du payement de tous les papiers sur lesquels porte le seul crédit dont jouisse une nation, parce que son commerce, qui tient à une solvabilité promte & sûre, en est interrompu pour le présent, & diminué pour l'avenir. Le négociant est long-tems arrêté par la crainte d'un événement qui nuit à ses expéditions, & qui met sa fortune à découvert. J'ajoute au sujet de cet expédient & du précédent, qu'ils prouvent qu'on est réduit aux dernieres ressources, & qu'ils peuvent ainsi dans un tems de guerre, rendre l'ennemi plus fier, & les conditions de la paix plus dures.

VIII. Mais si ces fautes sont excusées par les circonstances, si le travailleur qui les a commises a été forcé par des raisons antérieures à sa gestion ; si en chargeant le luxe conformément à ses principes, & l'agriculture malgré ses maximes, il conçoit que c'est le seul moyen d'éviter à la nation la honte & le desastre d'une banqueroute, qui, en tombant sur un grand nombre de citoyens, la discréditeroit entierement chez l'étranger, on fera bien de ne rien reprocher à un tel ministre, & de s'abandonner aux soins de son intelligence. Continuant, puisque le sujet le comporte, le portrait que j'ai commencé plus haut, (article 5.) je dirai : si ce ministre joint à l'économie sévere, qui est la source de toute justice, le ressort de toute entreprise heureuse, & l'ame d'un régime vigoureux, les connoissances les plus vastes ; s'il sait comment on doit encourager l'Agriculture, sans altérer la concurrence ; s'il sait comment le laboureur pourra trouver l'aisance dans son travail, & ne la trouver que là ; s'il peut consulter dans la répartition de l'impôt, la fortune générale & la fortune particuliere ;

(e) Nous ne pouvons nous dispenser de remarquer ici que nous ne sommes point du tout de l'avis de l'auteur de ces considérations. S'il y eut jamais un besoin d'opinion, c'est la dentelle, par exemple ; cependant qu'il calcule le prix énorme du chanvre manufacturé de cette maniere, le tems & le nombre des mains employées, & il verra combien ce besoin d'opinion rend à la terre.

(f) On conçoit que l'on satisfait mal à la question, en citant d'Amboise, Richelieu ou Mazarin : on peut faire de grandes choses, sans être un bon ministre. Celui qui auroit vendu le royaume pour acheter la tiare, celui qui sacrifioit tout à son orgueil & à sa vengeance, celui qui faisoit servir son pouvoir à son insatiable avarice, ne mérite point le titre de bon ministre.

(g) Si le bon, l'adorable Henri IV. s'aigrissoit souvent contre le vertueux Sully, quel souverain pourra se promettre d'être plus inaccessible que lui aux calomnies travaillées de mains de courtisan.

(h) On sait jusqu'où la fureur du peuple poussa l'atrocité après la mort de Colbert, qu'on ne nomme aujourd'hui que pour en faite l'éloge.

(i) Je ne trouve dans l'histoire de France que Sully qui ait constamment voulu le bien ; mais il étoit parvenu dans ces tems orageux qui forment les ames vigoureuses & sublimes : il avoit partagé les malheurs de son maître ; il étoit son ami, & il travailloit sous les yeux & pour la gloire de cet ami.

(k) Si le maître ne s'étoit point trompé dans son objet, c'est-à-dire s'il n'eût pas pris pour la gloire ce qui n'en étoit que le fantôme, Colbert auroit préféré l'utilité à la splendeur.

si après avoir forcé la population par l'abondance, il doit porter ses vues sur le commerce intérieur & extérieur, en favoriser la branche avantageuse, gêner l'inutile, supprimer la plus dangereuse ; s'il sait garnir les manufactures sans dépeupler la campagne ; si dans les échanges, les traités, les retours, il fait pancher la balance du côté de sa nation ; si débarrassant l'exportation de toutes ses entraves, il tire parti de l'importation & de la réexportation ; s'il place utilement ses colonies ; s'il les entretient avec soin, & qu'il ne les applique qu'à la culture la plus fructueuse à la métropole ; s'il découvre lequel est le plus sage, de détruire la compagnie des Indes, ou de lui donner une meilleure direction ; s'il ne paye que des gens qui rendent plus qu'ils ne coûtent ; s'il a, sur toutes les parties de l'administration, des notions claires & précises ; s'il possede ce tact fin & promt, qui distingue la liberté de la licence, qui apperçoit où confine l'usage & où commence l'abus ; s'il ne se méprend pas sur les cas qui sollicitent des gratifications, & sur ceux qui exigent des prohibitions ; certainement ce ministre assurera le bonheur du gouvernement auquel il présidera.

IX. Un auteur célebre (l), qui voit presque toujours si philosophiquement, dit que ceux qui attribuerent dans les tems malheureux de Louis XIV, l'affoiblissement des sources de l'abondance aux profusions que ce roi fit en tous genres, ne savent pas que les dépenses qui encouragent l'industrie, enrichissent l'état. Comment cet écrivain ignore-t-il que la richesse que procure à l'état la dépense de son souverain, ne tombe d'abord que sur un petit nombre, & sur ce petit nombre déja opulent, qui n'a point de relation immédiate avec les denrées de premiere nécessité ? Comment n'a-t-il pas vu que la circulation toujours lente ne vivifie le général de la nation des produits de la dépense royale, que long-tems après qu'elle est faite ? L'argent reste même souvent enfoui dans les coffres de quelques particuliers. Or, dans des guerres ruineuses où le secours est indispensable, comment le demander à ceux qui n'ont pas une seule partie des profusions du monarque ? Comment retirer d'une bourse ce qui n'y est point entré ? Comment reprendre en un jour ce qui n'a été acquis qu'à force de peines & de tems, & ce qui a été détourné par différens emplois ? D'ailleurs, il faut que l'argent reste bien des années à la disposition du peuple, pour que la population, l'agriculture & le commerce en rapportent l'intérêt. Enfin, il n'est que trop bien démontré par les faits, qui sont les seules conséquences qui puissent, quand il est question de gouvernement, appuyer un principe, que lorsqu'une sage économie ne préside pas au fisc, l'état est oberé, que les sujets sont foulés, qu'on est contraint de renoncer aux opérations fermes, pour s'attacher à des expédiens funestes, qu'on ne peut réformer aucun abus, qu'on est enfin l'esclave & la victime de ceux qui ont l'argent, & qu'on réussit aussi mal à se relever pendant la paix, qu'à se défendre pendant la guerre. Les regnes de Charles V. de Henri IV. de Louis XIV. lui-même dans ses plus beaux momens, opposés aux exemples qu'il n'est que trop aisé d'accumuler, prouvent ce que j'avance.

X. M. de V. dit encore (m) que " le roi de France eut en 1756 tout l'argent dont il avoit besoin pour se venger des déprédations de l'Angleterre, par une des promtes ressources, qu'on ne peut connoître que dans un royaume aussi opulent que la France : vingt places nouvelles de fermiers généraux, & quelques emprunts suffirent pour soutenir les premieres années de la guerre, tandis que la grande - Bretagne s'épuisoit en taxes exorbitantes ". M. de V. se trompe ici dans tous les points. D'abord, ces vingt places de fermiers généraux ne produisirent aucun avantage, même passager, & elles causerent un mal à la circulation : leur création fut la suite de la suppression des sousfermes, dont la continuation auroit rendu sûrement autant, & peut - être plus, que les nouvelles places : le ministre qui fit en 1756 le bail des fermes, livra à vingt personnes les profits qui se partageoient entre cinq cent particuliers. Voilà le résultat de son opération, directement contraire à cette maxime qui établit, que dans une monarchie, les fortunes divisées valent mieux que les fortunes réunies.

Secondement, quelques emprunts ne suffirent pas, puisqu'il y eut un nouveau vingtieme en 1756, un doublement de capitation en 1760, précédé d'un troisieme vingtieme imposé en 1759. Ne sont-ce pas-là des taxes exorbitantes, & ne faut-il pas convenir que la guerre a été aussi ruineuse à la France qu'à l'Angleterre ?

XI. Quand j'ai discuté l'utilité de la régie & celle de la ferme, je n'ai point entendu qu'on fût actuellement maître de préférer l'un ou l'autre parti ; j'ai projetté pour l'avenir : lorsque le trésor royal est épuisé & que les choses sont venues au point, que le crédit qui n'est plus dans le corps desseché de l'état, ne repose encore que foiblement sur une compagnie opulente ; alors la ferme est forcée, parce qu'il faut des avances, & qu'il n'y a lieu ni à la réforme ni à ces dispositions des revenus, qui supposent les dettes liquidées & des fonds réservés.

XII. On le voit clairement, que l'état n'a point de crédit, & que l'on redoute les propositions, les banques & les arrangemens qui viendroient de lui. Dans les contrats de prêt, à quelque titre que ce puisse être, le débiteur s'oblige à ne jamais rembourser en papiers ou effets royaux. De telles conventions sont la preuve d'un très-grand mal. Emery disoit que la foi n'étoit que pour les marchands ; & que ceux qui l'alleguoient dans les affaires du roi, méritoient d'être punis. Ce discours du surintendant des finances étoit d'une férocité stupide. Les étrangers reçoivent l'allarme d'une nation qui n'a aucune confiance dans son gouvernement : ainsi, en se discréditant au-dedans, on se ruina au-dehors.

XIII. On a voulu dans ce siecle encourager l'agriculture, & on a eu raison ; elle est la richesse de premiere nécessité, & la source de toutes celles de convention : mais on s'est trompé sur les moyens ; les sociétés, les mémoires, les ordres des intendans, tout cela, ou contrarie l'objet, ou n'y tend qu'imparfaitement. Il est question de ramener & d'attacher les hommes à la terre ; ceux qui la travaillent, en leur faisant trouver leur aisance dans leur peine ; & ceux qui la possedent, ou qui sont en état d'acquérir, de défricher, d'améliorer, en leur présentant dans leur possession un revenu aussi avantageux & plus sûr que celui qu'ils pourroient chercher ailleurs. On y parviendra en baissant l'intérêt de l'argent, & en augmentant le produit des terres. Tant qu'une somme rendra 6 pour %, & que l'immeuble n'en fournira que 2, on voit bien qu'on fera valoir son argent sur la place. Mais si le taux de l'argent est réduit à 3 pour %, & que les terres, au moyen d'une exportation des grains non-seulement permise mais encouragée, & d'une décharge d'une partie des taxes qui absorbent près du tiers du revenu, donnent autant, ou à-peu-près autant ; alors les inquiétudes & les banqueroutes qui suivent le travail de l'argent, le feront rejetter. On désirera une richesse plus douce & plus solide ; elle excitera le courage & l'attention du cultivateur, comme le zele & les observations du propriétaire. Je ne parle point ici de la supériorité

(l) Essai sur l'histoire générale, vol. VII. p. 190.

(m) Essai sur l'histoire générale, vol. VIII. p. 275.

qu'une réduction réfléchie de l'intérêt donneroit à une nation sur les autres par les facilités & l'accroissement qu'elle communiqueroit à toutes les branches du commerce.

XIV. Tous les moyens de favoriser la population & l'agriculture, dit un philosophe anglois (M. Hume) sont violens ou inutiles, excepté celui qui prend sa force dans l'intérêt même du propriétaire des fonds.

XV. Le meilleur réglement qu'un souverain pourroit faire pour augmenter le commerce, seroit l'assurance d'un prêt sans intérêt de sommes considérables, à des négocians pour exécuter ou étendre des entreprises auxquelles leurs fortunes ne suffiroient pas. Tel est le moyen avec lequel Henri VII. quoiqu'avare, jetta les fondemens de la puissance de l'Angleterre : mais pour opérer ainsi, il faut avoir des fonds. Le grand principe de l'économie se démontre donc à l'homme d'état toutes les fois qu'il veut déraciner l'abus & commencer les établissemens fructueux.

XVI. Si une compagnie établie chez une nation, exporte son argent, pour acquérir dans des climats éloignés des marchandises qu'elle revient vendre à cette seule nation, elle est certainement nuisible. Si dans un autre royaume, une compagnie de la même espece répete les achats que fait l'autre ; mais que n'en limitant point la vente à ses concitoyens, elle l'étende assez pour remettre dans l'état, par son gain, la quantité d'especes qu'elle lui enleve pour l'emplette, cette compagnie est nulle. Mais, si dans une république qui possede les épiceries de l'Inde, une compagnie, au-lieu de sortir l'argent de sa patrie, lui en rapporte de toutes les parties du monde où elle trafique avec ses propres richesses ; cette compagnie est utile, & on peut ajouter qu'elle est le trésor du gouvernement sous lequel elle travaille.

Donc, en tems de paix, la dépense excede la recette de plus de douze millions quatre cent cinquante mille livres ; puisque j'ai compris dans la recette le profit de la douanne, qui n'a lieu qu'en tems de guerre, & que l'intérêt qui se paye à 4 pour %, n'a été porté qu'à 3. Donc, ce royaume, loin de pouvoir éteindre les capitaux augmentera ses emprunts pour suffire aux intérêts ; donc il sera forcé à une banqueroute générale, s'il ne tire de son sein un revenu bien plus considérable par des moyens extraordinaires.

Ainsi la dépense excede la recette de vingt millions ; & ce gouvernement n'a ni banqueroute à craindre, ni ressources violentes à mettre en oeuvre.

Un meilleur systême d'économie suffiroit seul pour apurer en moins de quinze ans la dette nationale. Concluons encore, qu'aucune des deux nations ne peut continuer la guerre sans marcher à sa ruine, surtout si son argent passe à des mains étrangeres ; comme il arrivera quelquefois à la France, & toujours à l'Angleterre, quand elle combattra sur terre (n).

XVIII. Jaques premier, dont l'ardeur pour le despotisme fut si funeste à son fils & à sa postérité, agitoit sans-cesse des questions relatives à la puissance absolue. Il demandoit un jour à deux évêques qui dînoient avec lui, si un roi pouvoit, sans autre loi que sa volonté, s'emparer de tout le bien de ses sujets. L'un dit qu'il n'y avoit aucun doute, & que sa majesté pouvoit disposer de tout ce que possédoit son peuple : l'autre voulut éluder la question ; mais pressé d'y satisfaire, il répondit : " Je crois que votre majesté peut prendre le bien de mon confrere qui le lui offre ". C'est ainsi que la nation voudroit qu'en usât son maître à l'égard de ces gens qui, partant du même principe que l'un des deux évêques avoit la bassesse d'admettre, imaginent sans-cesse de nouveaux impôts, & osent en presser l'établissement : leurs mémoires deviendroient fort rares, si on commençoit par s'emparer de leurs biens, avant de charger les peuples des taxes qu'ils ont inventées.

XIX. On pourroit juger assez surement de la bonne ou mauvaise administration d'un état, par le plus ou le moins de perfection qu'on y auroit donnée aux taxes sur les consommations du luxe. Je ne définis point ici le luxe, que je prends dans l'acception la plus générale. Le systême du chevalier Deker sur cet objet, peut fournir à un ministre de très-heureuses parties. On a indiqué un projet pour remplacer à Paris la capitation & le dixieme d'industrie, impôts onéreux & arbitraires, par une taxe sur les domestiques & sur les fenêtres : mais on n'a pas suffisamment développé cette idée. Pour les domestiques, il faudroit accroître l'imposition en raison de leur nombre, de leur nécessité & de leur destination. A l'égard des fenêtres, on devroit aussi observer des proportions entre celles du devant, du premier, de la rue, du quartier ; se régler sur la quantité & peut-être sur la forme. Mais comme on ne mettroit point de taxe, ou qu'il n'y en auroit qu'une très-légere pour les domestiques que la charge du maître rendroit d'une nécessité absolue, on exempteroit aussi les artisans qui ne tirent le jour que par un seul endroit. Voilà une petite branche du luxe imposée sans inconvénient, & même avec avantage, surtout la premiere qui renverroit à la culture des terres & dans les manufactures cette armée d'hommes forts ou adroits, qui surcharge insolemment les villes. Eh combien d'autres articles sur lesquels on pourroit détourner des impôts qui écrasent les fonds !

(n) Quand les calculs énoncés dans cet article ne seroient pas justes, pourvu qu'ils ne s'éloignassent pas du vrai, de façon à présenter des inductions opposées, les raisonnemens que l'on fait conserveroient toujours la même force.

XX. On a bientôt fait en divisant & subdivisant tout en genres, en classes & en especes : le vrai philosophe rejette ces divisions puériles : un faiseur de systêmes politiques qui voudra renouveller l'idée que d'assez bons esprits ont eue (séduits par la simplicité & l'unité des moyens), de réduire tous les impôts à un seul, divisera une nation en vingt classes ; il supposera qu'il y a deux millions de contribuables ; il assurera que c'est bien assez de taxer cent mille personnes à un écu, que ce n'est pas trop d'en taxer cent mille autres à 750 liv. il ne verra pas qu'il impose plus de la moitié de la nation à plus de 400 liv. Ce plan sera saisi avec une espece d'enthousiasme par ceux qui ne sont point instruits de ce qui peut former la finance d'un état ; quelques écrivains voudront corriger les vices de la premiere exposition du projet ; ils tâcheront, en conservant le fonds, de le revêtir d'une forme réguliere : tous présenteront un total qui s'élevant à une somme excessive, leur fera penser qu'ils ont fait développer une découverte de génie : aucun de ces réformateurs ne se sera apperçu qu'il ne suit ni états ni facultés, ni ressources ; qu'il ne distingue ni consommation, ni utilité absolue, ni besoin d'opinion ; & qu'enfin une telle opération ne peut être admise dans une monarchie où il y a du luxe, de l'industrie, du commerce, une banque & une diversité de productions, de revenus, d'occupations, de moyens & d'intérêts généraux & particuliers dont le détail seroit immense. Il est risible de considérer tant de gens qui ont la vue foible & mauvaise, qui n'ont ni ordre, ni justesse ; qui sont incapables de sentir qu'un principe, quoique simple, a des résultats compliqués, & qu'un ensemble régulier est formé d'une multitude de parties sagement combinées ; il est, dis-je, risible de les voir s'échauffer, prendre la plume, se croire inspirés, parce qu'ils ne peuvent se croire instruits, & s'ériger en législateurs.

Ces considérations, continue l'auteur, n'étoient point destinées à voir le jour ; mais les circonstances ont paru trop convenables à sa publication, pour qu'il se refusât de mêler sa foible voix à celle que plusieurs bons citoyens font entendre sur les objets relatifs à la prospérité de l'état. On ne trouvera ici de prétention que celle de saisir le vrai ; ce qui a paru tel est énoncé sans la déclamation qui lui nuit, & avec le respect dû à l'administration publique qui ne l'altere pas. Le style de la discussion n'a point comporté la véhémence avec laquelle on s'exprime sur les matieres de finance dans un discours couronné par l'académie françoise ; & la délicatesse de l'écrivain ne lui a pas même permis d'employer des traits aussi vigoureux, que ceux qui sont répandus dans l'éloge éloquent de M. de Sully.


SUBSIDIAIREadj. & subst. (Gram. & Jurisprud.) est ce qui n'a lieu que comme un dernier recours, une derniere ressource.

L'hypothèque subsidiaire est celle que l'on accorde en certains cas sur des biens, qui naturellement ne devoient pas y être sujets, & au défaut de recours sur d'autres biens, telle que celle de la femme pour sa dot pour les biens substitués. Voyez HYPOTHEQUE & SUBSTITUTION.

Les conclusions subsidiaires sont celles que l'on prend pour le cas où l'on n'obtient pas l'adjudication des premieres conclusions.

Les moyens subsidiaires, sont ceux que l'on fait valoir dans le cas où ceux que l'on a proposés les premiers ne réussiroient pas. (A)


SUBSIDIAIREMENTadj. (Gram. & Jurisprud.) est ce qui est demandé ou employé au défaut d'une autre chose. Voyez ci-devant SUBSIDIAIRE. (A)


SUBSISTANCESUBSTANCE, (Synonyme) le premier de ces mots veut dire proprement ce qui sert à nourrir, à entretenir, à faire subsister, de quelque part qu'on le reçoive. Le second signifie tout le bien qu'on a pour subsister étroitement, ce qui est absolument nécessaire pour pouvoir se nourrir, & pour pouvoir vivre.

Les ordres mendians trouvent aisément leur subsistance ; mais combien de pauvres honteux qui consument en douleur leur substance & leurs jours ? combien de partisans qui s'engraissent de la pure substance du peuple, & qui mangent en un jour la subsistance de cent familles ? C'est la Bruyere qui le disoit déja des partisans du dernier siecle. (D.J.)

SUBSISTANCE, (Art milit.) il y a deux sortes de subsistances : les unes se trouvent dans le pays, comme les fourrages, & souvent les grains pour les distributions. Les autres se tirent de loin, comme le pain, le vin, la viande, & les menues fournitures de l'armée. Le bois & la paille sont des commodités indispensables. Nous parlerons de toutes ces différentes substances, dont un général a soin que son armée soit pourvue, parce que leur défaut a de dangereuses conséquences. Commençons par les fourrages.

Ils sont de la derniere nécessité dans une armée, & un général a l'attention de se camper de telle sorte que l'ennemi ne puisse les lui enlever, ni les lui rendre difficiles. Il est de sa prudence & de son intérêt de n'en pas laisser manquer à ses troupes. Il doit en empêcher le dégât, surtout s'il séjourne dans son camp un tems considérable. La consommation des fourrages verds est beaucoup plus grande que celle des secs, mais aussi la quantité en est beaucoup plus grande sur la terre, parce que l'ennemi ne la peut diminuer ; au lieu qu'il peut détourner les secs, les emporter, les mettre dans les places, & même les consumer par le feu.

La paille est utile en plusieurs occasions ; dans le commencement de la campagne, elle sert pour coucher les hommes : après la récolte on se baraque avec de la paille, on en fait des écuries pour les chevaux, parce que dans cette saison les jours deviennent pluvieux, & les nuits plus froides. A la fin de la campagne, quand les fourrages sont éloignés des camps, où l'on est obligé de séjourner long-tems, ou quand les mauvais chemins les rendent plus difficiles à être portés en trousse au camp, la paille hachée pour les chevaux, & mêlée avec un peu de grain est excellente. Il seroit même à souhaiter qu'on leur donnât cette nourriture pendant la campagne, il en périroit moins, ils seroient dans un meilleur état, & résisteroient plus long-tems à la fatigue.

Il faut du bois dans les armées, tant pour chauffer les hommes, quand les chaleurs sont passées, & pour cuire, que pour les essuyer après les pluies. On doit tenir la main à ce qu'on ne dissipe pas le bois des charpentes & des édifices, empêcher qu'on ne les brûle pour le chauffage ; & obliger l'officier & le soldat de prendre le bois dont ils ont besoin, dans les bois qui sont sur pié. Une armée s'en trouve mieux dans la suite de la guerre. Par ce moyen, les habitans reviennent après le départ de l'armée, ne cessent pas la culture de leurs terres, & l'on les trouve fertiles l'année suivante, si on y reporte la guerre.

Un général, autant qu'il est possible, campe auprès des rivieres & des ruisseaux pour empêcher que la maladie ne se mette dans son armée ; car les eaux coulantes sont les meilleures & les plus saines. Lorsqu'on se trouve près des ruisseaux, on empêche qu'on n'en interrompe le cours, & l'on prend garde qu'on n'y jette rien qui gâte ou corrompe l'eau. Pour les eaux d'une riviere, on ne peut les détourner que par des travaux immenses. On en rend les abreuvoirs aisés. On ne fait des puits que lorsque les eaux courantes se trouvent trop éloignées du camp, parce que les eaux n'en sont pas saines, & qu'elles se troublent par la quantité qu'on en puise.

Il y a différentes especes de légumes pour les subsistances ; les unes sont semées ou plantées ; les autres sont produites par la terre sans beaucoup de culture. Celles qui sont plantées ou semées sont les pois, fêves & racines : celles que la terre produit avec peu de culture, sont des especes d'herbes ou racines, qui sont recherchées par le soldat, & employées à lui faire de la soupe. Tous ces différens légumes fournissent une grande subsistance au soldat ; mais il faut qu'il les aille chercher avec ordre, à la suite des fourrages, & avec des officiers commandés, afin d'empêcher qu'il ne s'écarte, & qu'il ne sorte des enceintes du fourrage. Quand les légumes se peuvent prendre en-dedans des gardes de cavalerie, ou des gardes fixes d'infanterie, on y conduit les soldats, qui sont toujours accompagnés d'officiers ou de sergens.

Les pays qui sont propres à la pâture, sont d'un grand soulagement à la cavalerie ; & un général peut rester beaucoup plus long-tems dans son camp. Quand la cavalerie est remplie d'une quantité de jeunes chevaux, on met, si le service le permet, cette cavalerie sur des ruisseaux, & dans des prairies voisines du lieu où l'on veut assembler l'armée, mais à couvert des insultes de l'ennemi. On y met tous les chevaux à l'herbe plus ou moins long-tems afin de leur faire perdre la mauvaise nourriture qu'ils peuvent avoir pris pendant l'hiver. C'est le moyen de les rafraîchir, & de les disposer à la nourriture du verd, avant que de les fatiguer. Cette pâture conserve beaucoup les chevaux pendant la campagne.

Il y a une autre espece de pâture qu'on donne aux chevaux, quand on est en corps d'armée ; elle sert à les rafraîchir de la nourriture des grains, qui les échauffe trop, & épargne les fourrages. On prend ces pâtures le long des ruisseaux proche de l'armée, & même dans les plaines fouragées, où il revient de petites herbes ; c'est toujours avec des gardes générales de tout le camp, & particulieres de chaque corps, qu'on couvre ces pâtures, afin que les petits partis des ennemis, & même le gros ne puissent pas venir enlever les chevaux lorsqu'ils paissent.

Le pain est une subsistance indispensable dans une armée. La fourniture s'en fait au parc des vivres ; & elle est faite d'avance au-moins pour quatre jours, lorsqu'on le peut avec commodité. Car souvent l'éloignement des lieux, d'où l'on tire le pain, ou la marche d'une armée d'un pays à l'autre, force le général à en faire distribuer pour six jours, & même pour huit, lorsqu'il prévoit qu'on en pourra consommer une partie dans le camp, & qu'on est obligé d'envoyer les caissons en avant pour rejoindre l'armée dans un nouveau camp. Mais on ne fait jamais cette distribution sans une nécessité indispensable, à cause que les soldats vendent leur pain. On le cuit dans les villes les plus proches, parce que les fours y sont en plus grande quantité. Il se cuit aussi à l'armée où on construit des fours, surtout lorsque les convois sont trop difficiles ; parce qu'une charette porte en farine le triple de ce qu'un caisson porte en pain.

On fournit aussi quelquefois du biscuit au lieu de pain frais. L'usage en est très-utile, & surtout dans les longues marches au-travers d'un pays ennemi. La ration à 24 onces, selon quelques-uns, n'est pas assez forte au commencement de la campagne. La terre n'a encore produit aucuns légumes ; & les deux premiers mois la ration devroit peser deux livres. Le soldat en soutiendroit mieux la fatigue ; & l'expérience apprend que les jeunes soldats meurent souvent d'inanition.

C'est à l'intendant de l'armée à avoir une attention particuliere sur le détail, la distribution, & la quantité de la viande. Il s'y passe une infinité de friponneries, dont le malheur tombe toujours sur le soldat, qui par-là se trouve privé d'une subsistance nécessaire. On donne pour ration de viande aux soldats une demi-livre. Outre les viandes que les entrepreneurs fournissent dans les armées, il y a encore une grande quantité de boucheries particulieres. On veille à la sureté des marchands de l'armée, & de plus à leur garde, soit dans les marches, soit pour la pâture de leurs bestiaux.

On pourvoit aussi à la sûreté des marchands de vin, d'eau-de-vie, de biere, & d'autres subsistances, à cause de la quantité des menus besoins dont ils soulagent les troupes. On les oblige à se joindre aux convois, afin que leur enlevement par les partis ennemis n'apporte pas la cherté dans l'armée. (D.J.)

SUBSISTANCE DES PIECES se dit dans l'Artillerie d'une certaine somme que le roi paye pour chaque piece de canon ou de mortier, que l'on met en batterie dans les sieges. Il y a un prix fixé pour mettre chaque piece en batterie, & un autre pour sa subsistance chaque jour.

Le roi paye ordinairement 300 livres pour chaque piece de canon mise en batterie. Au siege de Philisbourg en 1734, il y eut 84 pieces de canon de 24 en batterie, 97 de 16, 2 de 12, & 4 de 8. Il a été payé 300 livres pour chaque piece de 24 & de 16, à l'exception de 14 mises en batterie dans l'ouvrage à corne, qui ont été payées 400 liv. & 20 liv. pour la subsistance pendant vingt-quatre heures de chacune de ces pieces. Il a été payé pour chaque piece de douze & de huit mises en batterie 200 liv. & 16 liv. pour leur subsistance aussi pendant vingt-quatre heures.

Après que les fraix nécessaires pour les batteries sont acquités, le grand-maître fait une répartition du revenant-bon, aux officiers & aux ouvriers qui ont servi aux batteries. Voyez les mémoires de S. Remi. (Q)


SUBSTANCE(Philos. Log. Métaph.) c'est l'assemblage de plusieurs qualités, dont les unes subsistent toujours entr'elles, & les autres peuvent se séparer pour faire place à de nouvelles. Sous ce point de vûe, rien n'est si simple que l'idée de la substance dont on a tant disputé, & dont on disputera encore, sans pouvoir rien dire de plus clair sur sa nature.

L'on veut donner un nom à cet assemblage de qualités ; pour cela l'on néglige celles qui varient d'un moment à l'autre ; l'on ne porte son attention que sur les plus durables. Elles deviennent pour le commun des hommes essentielles à l'être, ou plutôt à l'assemblage désigné sous le nom général de substance, & l'on les appelle elles-mêmes souvent mal-à-propos les substances, & mieux les attributs essentiels, tandis que les autres qualités qui varient, qui peuvent être ou n'être pas dans cet assemblage, ne sont regardées que comme des manieres d'être que l'on appelle modes. Voyez l'article MODES. Mais les Philosophes, ou ceux qui cherchent à donner un sens plus resserré aux mots, ayant remarqué que parmi ces qualités durables de la substance il y en a de si essentielles, qu'elles ne se séparent jamais, & qu'elles sont même si inhérentes que l'on ne peut en concevoir la séparation, sans comprendre que l'être en seroit non-seulement changé, mais entierement détruit ; ils ont réservé le nom de substance, à désigner l'assemblage de ces qualités premieres, essentiellement inséparables ; & quant aux autres qui sont durables, mais qui cependant peuvent être retranchées sans que les premieres soient anéanties, ils les ont nommées substances modifiées. Un exemple qui indiqueroit toute la gradation des qualités d'une substance, serviroit aussi à expliquer ce que l'on peut dire de plus simple sur ce sujet. Jettons les yeux sur un fleuve ; nous verrons une vaste étendue d'eau qui résiste, mais foiblement, au toucher, qui est pesante, liquide, transparente, sans couleur, sans goût, sans odeur, & en mouvement. Si tout-à-coup ce corps venoit à perdre sa transparence, & à se colorer d'un gris sale, ou d'un gris noir ; pour un si léger changement, nous ne lui donnerions pas un nouveau nom, nous dirions seulement que le fleuve se trouble, qu'il charrie ; lors même qu'il acquéreroit quelque goût, quelque odeur, ce seroit toujours un fleuve. Mais s'il venoit à perdre son mouvement, à rester pour toujours en repos, ce changement nous paroîtroit plus considérable, parce qu'alors ce fleuve deviendroit semblable à ces amas d'eau, que l'on nomme lacs ou étangs ; ce ne seroit plus un fleuve, mais seulement de l'eau, un lac. Si ensuite la rigueur du froid agissoit, nous ne savons trop comment, sur cet amas d'eau, & lui faisoit perdre sa liquidité, il perdroit aussi son nom d'eau & deviendroit glace. L'été suivant, exposée aux ardeurs du soleil, cette eau quitteroit, pour ainsi dire, sa pesanteur, elle s'éleveroit dans l'air en vapeur ; on ne la nommeroit plus eau, mais vapeur, brouillard, nuage. Cependant dans tous ces changemens elle a conservé son étendue, cette résistance que les Physiciens appellent impénétrabilité ; aussi a-t-elle toujours été corps. Mais si elle venoit à perdre cette étendue, cette impénétrabilité, que lui resteroit-il ? Rien du tout ; car nous ne concevons ni la pesanteur, ni la fluidité, ni le mouvement sans étendue impénétrable. Aussi cette destruction de l'étendue & de l'impénétrabilité n'arrive point ; ces qualités sont tout autrement durables que les autres, il n'est aucune force dans la nature qui puisse les produire ou les détruire, c'est pourquoi leur assemblage prend le nom propre de la substance. Le corps, c'est-à-dire l'étendue impénétrable est une substance ; mais la vapeur, la glace, l'eau, le fleuve sont ici des substances modifiées.

Remarquons dans cet exemple que la gradation des qualités d'une substance, qui fait que nous les regardons comme plus ou moins essentielles, est toute fondée sur leur dépendance mutuelle. Ici un fleuve c'est de l'eau courante ; le cours de l'eau ne peut se concevoir que l'eau elle-même n'existe, l'eau est donc comme la substance du fleuve dont le mouvement est le mode. L'eau est un corps liquide, pesant. La liquidité, la pesanteur ne peuvent exister sans l'étendue impénétrable. C'est pourquoi le corps est regardé comme faisant la substance qui, modifiée par la pesanteur, par la liquidité, s'appelle eau. Nous ne voyons aucune qualité plus essentielle dont dépendent l'étendue & l'impénétrabilité, ce sont donc elles qui font la substance connue sous le nom de corps.

La raison s'arrête-là, parce qu'elle ne peut aller plus loin, en ne consultant que des idées claires. Mais l'imagination fait bien plus de chemin ; & voici comme elle raisonne chez la plûpart des hommes. Voyant, dans l'exemple dont nous nous servons, de l'eau tantôt froide, tantôt chaude ; jugeant d'ailleurs que l'eau refroidie est la même que l'eau qui étoit chaude peu auparavant, elle regarde l'eau comme un être distinct de ces deux qualités, le froid & le chaud, comme un sujet qui se revêt ou se dépouille alternativement de l'une ou de l'autre de ces qualités, qui, pour ainsi dire, sont des modes appliquées ou mises en usage sur un habit. Découvrant ensuite dans l'eau d'autres qualités, comme le mouvement, la transparence, la fluidité, dont les unes peuvent être séparées sans que l'eau cesse d'être eau, & dont les autres ne se trouvent pas dans tous les corps, l'imagination met toutes ces qualités dans le rang des modes ou des accidens, dont le sujet est revêtu jusqu'aux plus essentielles, telles que l'étendue, l'impénétrabilité ; ensuite elle cherche un sujet qui soit comme le soutien, le noeud de cet assemblage, & ce sujet est bientôt nommé substance. Puis on vient à l'examiner de plus près, & l'on trouve qu'on ne sauroit lui attribuer en propre aucune qualité, puisque l'on a écarté de son idée toutes celles dont l'on s'imaginoit qu'il étoit simplement revêtu : car, dit-on, le sujet de l'eau n'est pas lui-même l'étendue, mais il est doué d'étendue ; il n'est pas la fluidité, mais il possede cette qualité. Ne croyez pas que ce soit la pesanteur ou la transparence, mais dites qu'il a de la pesanteur & de la transparence ; ainsi plus on étudie ce prétendu sujet, moins on peut le concevoir, parce qu'en effet il n'est pas possible, après avoir dépouillé une chose de toutes ses qualités, de vouloir qu'il lui reste encore quelque chose. Ce sujet devient donc d'autant plus obscur, qu'on le regarde d'un oeil plus attentif, desorte que l'on est forcé de conclure que les substances nous sont entierement inconnues, & que nous n'en connoissons que les modes. M. Locke, ce quand métaphysicien, est allé jusque-là, & fondé sur ce que les vraies causes des qualités sensibles nous étoient cachées, il en a conclu que les essences réelles des êtres ou les substances nous étoient entierement inconnues. Il est vrai que nous ne connoissons pas toujours la liaison qui est entre ces qualités dont nous avons formé un assemblage, que nous ne pouvons pas savoir si cette liaison est nécessaire ou casuelle, parce que nous ne pouvons pénétrer jusqu'à la source d'où ces qualités dérivent, que jugeant par nos sens des êtres extérieurs, & ces sens ne nous montrant que la relation que ces êtres ont avec nous, ou les impressions qu'ils peuvent faire sur nous en agissant sur nos organes, il ne nous est pas facile de juger ni de connoître les qualités originales ou substantielles, qui donnent l'être aux qualités sensibles. Nous éprouvons que le feu est chaud ; mais qu'y a-t-il dans le feu qui ne se trouve pas dans la glace ? & en vertu de quoi cet élément fait-il sur nos organes cette impression d'où naît la sensation de la chaleur ? C'est ce qu'on ignore, & que les Physiciens ne savent guere mieux que les autres. En ce sens, on a raison de dire que les essences réelles ou les substances nous sont inconnues, que les idées que nous en avons fondées sur des qualités sensibles ne sont pas des images vraies, ni des ressemblances exactes des qualités primitives qui constituent la substance, qu'elles sont défectueuses, & très-diverses chez la plûpart des hommes, comme étant l'ouvrage de leur esprit. Cependant l'on ne peut pas dire absolument qu'elles soient de pur caprice, puisque ces qualités, à l'assemblage desquelles nous avons donné un nom & formé ainsi une substance, existent réellement ensemble & dans une union intime, si elles n'ont rien de contradictoire, ou qu'elles ne s'excluent pas mutuellement ; & que n'y ayant que les qualités sensibles qui nous trompent, nous connoîtrons du-moins l'essence des substances dans l'idée desquelles il n'entre aucune de ces idées sensibles, telles que l'ame & le corps pris en général & par abstraction ; qu'ainsi leur essence que nous savons consister dans la réunion des qualités primitives, & non sensibles, nous sera fidelement représentée par son idée, c'est-à-dire qu'elle nous sera connue tout comme celle des êtres qui sont purement de notre façon.

Nous pouvons dire que nous connoissons l'essence de l'ame, parce que nous avons une idée juste de ses facultés, l'entendement, l'imagination, la mémoire, la sensation, la volonté, la liberté ; voilà ce que c'est que l'ame & son essence. Nous croyons qu'il ne faut pas y chercher d'autre mystere, ni imaginer un sujet inconnu qui ne se présente jamais à nous, & que nous voudrions supposer être le soutien de ces propriétés qui se font connoître. Qu'est-ce en effet que l'entendement ? sinon l'ame elle-même entant qu'elle conçoit distinctement ; & la volonté de l'ame, n'est-ce pas l'ame elle-même considérée entant qu'elle veut ? Donc celui qui sait ce que c'est que l'entendement, la volonté, connoît l'essence de l'ame. De même celui qui connoît l'étendue, la solidité & la force en général, connoît l'essence du corps. Comment se persuader que le corps soit un être différent de ses propriétés, auquel l'étendue, la force, la solidité soient comme appliquées, qui le couvrent, de maniere qu'elles nous cachent le sujet ? N'est-il pas plus naturel, plus certain que l'étendue du corps n'est autre chose que le corps considéré par abstraction entant qu'étendu, & sans faire attention à la solidité, à la force ? Et peut-on se figurer un être étendu, solide, & capable d'agir, sans concevoir que c'est un corps ? De ces deux substances qu'il nous soit permis de nous élever à la substance infinie, premiere cause de toutes les substances créées, ou de tous les êtres. Comment pouvons-nous la connoître que par ses attributs ? Qu'est-ce que Dieu que l'Etre nécessaire, ayant en lui sa propre existence, éternel, immuable, infiniment parfait ? Cet Etre considéré sous toutes ces qualités, cet assemblage de perfections est la substance à laquelle nous donnons le nom de Dieu, & dont l'essence ne peut être connue, ni l'idée apperçue, qu'autant que nous avons celle de ses attributs ou de ses perfections.

Mettons cependant une réserve à ce que nous avons dit, que l'essence des substances nous étoit connue. Ce n'est pas à dire que nous connoissions à fond des êtres, tels que l'ame & le corps ; car nous pouvons bien connoître les qualités essentielles, & ignorer en même tems les attributs qui en découlent, tout comme nous pouvons très-bien entendre un principe, sans qu'il suive de-là que nous en découvrions toutes les conséquences. Le défaut de pénétration, d'attention, de réflexion, ne permet pas que nous envisagions un objet par toutes les faces qu'il peut avoir, ni que nous le comparions à tous ceux avec lesquels il a des rapports : ainsi de ce que nous connoissons en général l'essence de l'ame & du corps, on ne doit pas en conclure que nous connoissons l'essence de toutes les ames & de tous les corps en particulier. Ce qui fait la différence, ce qui distingue l'une de l'autre, c'est peut-être quelque chose de si fin, & de si délicat, qu'il peut nous échapper facilement. Les essences des corps particuliers sont hors de la portée de nos sens, & nous ne les distinguons guere que par des qualités sensibles ; dès-lors l'illusion s'en mêle : nous perdons de vûe l'essence réelle, & nous sommes forcés à nous en tenir à l'essence nominale, qui n'est que l'assemblage des qualités sensibles auquel nous avons donné un nom. Voyez le ch. vj. du III. liv. de l'Essai sur l'entendement humain de M. Locke, & plusieurs autres § §. de cet excellent ouvrage.

Je ne sais si le peu que nous avons dit des substances en général, n'est pas ce qu'il y a de plus simple & de plus vrai sur un sujet que l'on couvre de ténebres à force de vouloir l'analyser. Cela même ne suffiroit-il pas pour faire sentir la fausseté de la définition que l'on a donnée des substances, comme étant ce qui est en soi, & conçu par soi-même, ou dont l'idée n'a pas besoin pour être formée de l'idée d'autre chose ? En connoît-on mieux les substances ? Apperçoit-on ici l'union de l'idée d'être avec celle d'indépendance de toute autre chose ? Est-on fondé à ajouter à l'essence de la substance ce qui n'est point renfermé dans son idée, savoir l'existence en soi & indépendante de ses attributs ? Ce qui indique assez que ceux qui veulent bâtir un systême sur ce principe, & isoler la substance de ses qualités, n'ont d'autre but que de confondre tout sous l'idée d'une seule substance nécessaire, qui nous est & nous sera toujours inconnue, tant qu'on voudra la considérer comme un simple sujet existant dans ses qualités, & indépendamment de ses déterminations, que l'on ne peut en séparer ni les confondre entr'elles sans absurdité. Voyez sur le systême de Spinosa une ample réfutation dans un fort bon ouvrage, qui a paru nouvellement sous le titre d'Examen du Fatalisme.

SUBSTANCES ANIMALES, (Chimie) je renfermerai sous cette dénomination générale, toutes les diverses parties des animaux que la Chimie a soumises jusqu'à présent à l'analyse ; & principalement leurs parties solides ou organisées, telles que les chairs (Voyez CHAIR, Anatomie), les tendons, cartilages, os, cornes, ongles ; les écailles proprement dites ; les poils, les plumes, la soie, &c. & il sera d'autant plus convenable de traiter de toutes ces substances dans un seul article, que les Chimistes n'en ont retiré jusqu'à présent que les mêmes principes, & par conséquent qu'elles ne sont proprement qu'un même & unique sujet chimique. Cette identité de nature, soit réelle, soit relative à l'état présent des connoissances chimiques, est principalement observée sur les animaux les plus parfaits, les quadrupedes, les oiseaux, les poissons, les reptiles. Quelques insectes ont une composition différente, mais plutôt entrevue jusqu'à présent que convenablement établie, excepté cependant sur un petit nombre d'especes, & nommément sur la fourmi, à laquelle nous avons accordé aussi un article particulier. Voyez FOURMI, Chimie.

Certaines parties fluides des animaux ont encore la plus grande analogie chimique avec leurs parties solides, c'est-à-dire que l'analyse vulgaire les résout aussi dans les mêmes principes, à-peu-près. Il est même assez bien connu que l'humeur que j'appelle proprement animale, fondamentale, constituante, savoir la mucosité animale ; & que l'humeur en laquelle celle-ci dégenere immédiatement, savoir la lymphe, que ces humeurs, dis-je, sont au fond une même substance avec les parties solides ou organiques des animaux. Et cette vérité est non - seulement prouvée par l'identité des produits de leur analyse respective, mais encore par l'observation physiologique du changement successif de la mucosité, ou de la lymphe en diverses parties solides ou organisées ; ce changement est sur-tout singulierement remarquable dans la production de la soie ; qui est sensiblement dans le ver sous la forme d'une masse uniforme de vraie mucosité, qui a la consistance d'une gelée tendre & légere, se résolvant très-aisément en liqueur, &c. & qui est immédiatement & soudainement changée en filets très-solides, en passant par certaine filiere disposée dans la tête du ver. Ainsi analyser de la soie, analyser un cartilage, un os, un muscle, c'est proprement, & quant au fond, analyser de la mucosité, ou de la lymphe animale. Quelques-unes de ces substances solides ne different réellement de leur matiere primordiale, que par une différente proportion, ou plutôt par une surabondance de terre comme nous l'observerons dans la suite de cet article.

Il s'agit donc ici de la lymphe & des parties solides qui en sont formées. Quant à cette humeur générale, ou plutôt cet assemblage, cet océan (comme les Physiologistes l'appellent) de diverses humeurs animales, connu sous le nom de sang, cette substance animale mérite d'être considérée à part, par cette circonstance même d'être un mêlange très-composé, non-seulement chargé de la véritable matiere animale, c'est-à-dire, de la lymphe, & d'une partie qui lui paroît propre & qui le spécifie, savoir la partie rouge ; mais encore de diverses matieres excrémenticielles, ou étrangeres à la matiere animale proprement dite, savoir divers sels, une eau superflue, ou la partie de la boisson surabondante à la réparation ou à la nutrition, les diverses humeurs excrémenticielles, bile, urine, salive, &c. ou du moins leurs matériaux, &c. Aussi trouvera-t-on dans ce Dictionnaire un article particulier SANG, (Chimie) Voyez cet article.

On trouvera aussi un article particulier GRAISSE, (Chimie) & un article LAIT, (Chimie).

Les divers excrémens des animaux, soit solides, soit fluides, soit généraux, communs, ou du moins très-ordinaires, comme la matiere fécale, la bile, la salive, l'urine, soit particuliers à quelques animaux comme castoreum, civette, musc, &c. ayant chacun une composition particuliere, il en est traité dans des articles particuliers. Voyez BILE, FECALE, MATIERE, SALIVE, URINE, &c. CIVETTE, MUSC.

Les Chimistes n'ont point encore découvert la constitution chimique spéciale de la semence des animaux ; ils ne connoissent dans cette liqueur que les qualités communes de la lymphe.

Les produits pierreux de plusieurs animaux, tels que les coquilles, les taies crustoe, les coquilles d'oeuf, les perles, les pierres ou calculs, les bésoards, &c. doivent être rangés absolument dans la classe des pierres, & dans le genre des pierres calcaires. Voyez PIERRE & CHAUX, (Chimie) Ces substances ne different des pierres calcaires vulgaires, qu'en ce que les premieres contiennent une plus grande portion de cette colle, gluten, si bien observée par M. Pott dans sa lithogéognosie ; & en ce que le gluten de ces concrétions pierreuses animales, est plus sensiblement la mucosité animale : les os même, & leurs différentes especes, comme les cornes, l'ivoire, les dents, &c. ne different chimiquement (c'est-à-dire sans avoir égard à l'organisation) de ces concrétions pierreuses que du plus au moins. Lorsqu'on a enlevé aux os par la décoction, ou qu'on a détruit dans les os par la calcination la matiere muqueuse qu'ils contiennent abondamment, ils ne sont plus qu'une pierre calcaire, ou de la chaux. Cette matiere muqueuse, dont ils sont naturellement remplis, ne masque même pas tellement leur charpente terreuse, que cette terre ne puisse être enlevée par l'application des acides aux os même récens & inaltérés. C'est à cause de l'enlevement d'une partie de cette terre, que les os ont été ramollis par l'application des acides foibles, que les Anatomistes ont souvent pratiquée en travaillant à découvrir la structure des os ; opération dont ils n'ont pas soupçonné la théorie, qui véritablement n'étoit pas de leur objet. Cette terre osseuse est surabondante à la mixtion muqueuse, ou plutôt lui est étrangere, & est déposée par une vraie secrétion très-analogue à celle qui fournit l'enduit ou la coque aux oeufs, les coquilles, les tayes des crustacées, &c. L'identité chimique de ces matieres établit principalement cette analogie, qui mérite au moins que les Physiologistes ajoutent à la doctrine des secrétions un chapitre ou un problême de secretione terrae osseae. On trouvera quelques notions ultérieures sur tout ceci dans quelques articles particuliers. Voyez PIERRE ou CALCUL HUMAIN, voyez PERLE, voyez MERE DE PERLE, voyez HUITRE, &c.

La pierre ou calcul biliaire doit être distinguée des matieres pierreuses dont nous venons de faire mention. Voyez PIERRE ou CALCUL HUMAIN.

Une substance animale, telle que nous l'avons spécifiée, distinguée, circonscrite, étant soumise à l'analyse ancienne, c'est-à-dire, distillée sans intermede, fournit constamment, premierement, au plus leger degré de chaleur, & au bain - marie pour le plus sûr (voyez FEU, Chimie) une eau ou un phlegme insipide & proprement inodore (voyez ODORANT, PRINCIPE), c'est-à-dire, non aromatique ; mais chargé pourtant d'un gas, d'une émanation subtile, qui fait reconnoître, redolet, la matiere qui la fournit, & qui a un certain caractere du regne auquel cette matiere appartient. Cette premiere eau est, s'il est permis de s'exprimer ainsi, la partie la plus surabondante de l'eau naturellement surabondante dans le regne végétal & dans le regne animal, selon la doctrine de Becher. 2°. Au feu tant soit peu supérieur à la chaleur de l'eau bouillante, un phlegme un peu roussâtre, un peu trouble & fétide, c'est-à-dire, déja un peu huileux & un peu chargé d'alkali volatil, quoique si foiblement, que ce sel ne s'y manifeste point encore par ses effets ordinaires ; 3°. de l'huile sensible & distincte, d'abord jaunâtre & assez claire, & qui s'épaissit & devient de plus en plus brune dans les progrès de la distillation, de l'alkali volatil résout, ou esprit volatil, & de l'air ; 4°. de l'huile de plus en plus dense & noire, une liqueur trouble, aqueuse - huileuse ; chargée d'alkali volatil & d'acide, de l'alkali volatil concret & de l'air. 5°. La derniere violence du feu présente souvent quelques traces de phosphore, un produit lumineux incoercible, ou plutôt irramassable par sa paucité ; du moins plusieurs chimistes assurent la réalité de ce produit, dont d'autres nient l'existence : le sentiment des premiers est le plus probable. 6°. Enfin le produit fixe, ou le résidu de cette distillation est un charbon qui étant calciné, donne une cendre qui est une terre calcaire, & de laquelle, selon l'opinion la plus reçue, on ne retire point de sel par la lixiviation.

Cet acide, que nous venons de compter parmi les produits de la distillation des substances animales, a été contesté, nié par la plus grande partie des chimistes. Ils disoient que l'alkali volatil étoit le produit propre & exclusif de l'analyse des substances animales, comme l'acide étoit le produit propre & spécial de l'analyse des végétaux. Ce dogme étoit une double erreur. Voyez, quant à la derniere assertion, l'article VEGETAL, (Chimie) & quant à la premiere, savoir à l'exclusion de l'acide obtenu par la violence du feu des substances animales distillées sans intermede, les expériences d'Homberg, Mém. de l'ac. roy. des Scienc. 1712. & celles de M. Pott, Miscell. Berolin. tom. VI. en prouvent incontestablement l'existence. La coexistence d'un acide & d'un alkali dans une même liqueur, sans que ces deux sels y contractent l'union chimique, a été expliquée très-naturellement par l'état huileux de l'un & de l'autre sel, & par l'état semblable de la liqueur, dans laquelle ils sont dissous ou résous. Or que ces deux principes y existent ensemble, & tous les deux libres, nuds, ou si l'on veut très - superficiellement unis, cela est prouvé, non pas par le changement de quelques couleurs végétales alléguées par Homberg & par Lemery le fils, mais assez bien par l'effervescence que cette liqueur subit également par l'affusion d'un acide pur & par celle d'un alkali pur ; & enfin très-bien par l'expérience de M. Pott, qui est en même tems le fait majeur & fondamental sur lequel porte son assertion de l'acide animal, assertio acidi animalis, ce sont ses termes. Voici cette expérience : prenez la liqueur saline élevée dans la distillation à la violence du feu d'une substance animale : séparez-en exactement l'huile : rectifiez cette liqueur saline jusqu'à ce qu'il ne vous en reste qu'une petite portion : rectifiez de nouveau cette petite portion, selon le procédé d'Homberg, avec le résidu de la premiere distillation calciné, vous obtiendrez de l'acide, mais en petite quantité. L'auteur ne dit pas à quels signes il le reconnoît dans cette premiere voie de recherche ; mais il le cherche encore dans cette petite portion de résidu de la premiere rectification, par la voie de la précipitation : il verse sur cette liqueur de l'alkali, ou de la chaux vive ; aussi-tôt on sent naître, dit M. Pott, une odeur d'alkali volatil, que ne donnoit point auparavant cette liqueur ; preuve sensible de la présence d'un acide, qui s'est uni à l'alkali fixe ou à la chaux vive, & a laissé échapper un alkali volatil auquel il étoit joint. La vérité de cette induction est ultérieurement démontrée, en ce que si on a employé de l'alkali fixe, il se change en sel neutre, capable de crystalliser, &c.

On pourroit sans-doute chicaner M. Pott sur tout ceci ; car enfin cette derniere expérience, qui est la seule qui soit énoncée clairement & positivement, ne démontre que du sel ammoniac dans les produits de l'analyse vulgaire des substances animales, ce qui n'est pas ce semble le point contesté. Vainement répondroit - on que le sel ammoniac contenant de l'acide, c'est donner de l'acide, que de donner du sel ammoniac. Ce seroit raisonner d'après une logique très-mauvaise en soi, mais éminemment vicieuse lorsqu'on l'appliqueroit en particulier aux objets chimiques : & pour s'en tenir au cas particulier dont il s'agit, il est si clair que ce n'est pas d'un pareil acide, de celui d'un sel ammoniac dont il s'agit, que le problème de l'acide animal a toujours été agité entre des gens qui admettoient dans les animaux des sels neutres, au - moins du sel marin, & qu'une objection faite long-tems avant le travail de M. Pott, au célebre anatomiste Vieussens, qui avoit retiré de l'acide du sang, c'est qu'il n'avoit obtenu que celui du sel marin contenu naturellement dans cette substance. Toute huile contient de l'acide, j'en suis convaincu avec M. Pott, je crois même, d'après des expériences particulieres, qu'elle est essentiellement composée d'acide comme de soufre. Voyez HUILE. Les substances animales donnent de l'huile, & je sais retirer de l'acide de toute huile comme du soufre : si après avoir retiré ce produit d'une huile animale j'en déduisois l'assertion de l'acide animal, je croirois mal conclure, ou du-moins m'exprimer très-inexactement ; en un mot je crois qu'on pourroit me rappeller cette regle générale de logique en méthode chimique, que ce sont les principes immédiats de la composition d'un corps tel, qui sont propres, qui appartiennent à ce corps, & non pas les principes éloignés ou les principes de ses principes. Une substance animale reconnoît-elle l'huile pour un de ses principes ? question utile à la connoissance chimique de cette substance ; cette huile employée à la composition de cette substance est-elle formée d'acide, & cet acide peut-il par les tortures du feu, se manifester dans une analyse vicieuse & presque inutile d'ailleurs en soi en général ? question oiseuse, inutile à la découverte de la nature de cette substance ; vue vaine, pouvant induire à erreur, jettant les plus habiles dans des recherches inutiles, entortillées, dans des parallogismes, des sophismes, &c.

Mais M. Pott paroissant s'être borné à démontrer l'existence simple, absolue, générale de l'acide dans les animaux ; on ne peut disconvenir qu'il n'y ait réussi. Quant à la conclusion que ce célebre chimiste déduit de son travail, lorsqu'il dit, §. XX. que la santé consiste dans l'équilibre de cet acide avec le flegme, la terre, & le phlogistique de nos humeurs, par où il prétend formellement que cet acide est un principe immediat de la mixtion animale : nous ne saurions embrasser ce sentiment, qui évidemment accorde trop à l'analyse par la violence du feu, que les chimistes modernes ont appris à mieux évaluer. Voyez PRINCIPES. L'analyse menstruelle démontre que cet acide n'est point un des principes immédiats de la composition des substances animales : mais l'effet du feu, & des diverses réactions qui surviennent dans les distillations à la violence du feu, est trop connu des vrais chimistes pour qu'on fasse, à l'acide de M. Pott, le reproche vague d'être un nouveau produit, ou une créature du feu, dont M. Pott l'a défendu plus sérieusement, ce me semble, qu'une telle objection ne le méritoit ; mais c'est de l'un des vrais principes de la substance animale analysée (je puis démontrer que c'est de l'huile), que cet acide est retiré ; & voilà de quel reproche il falloit l'exempter, ce qui eût été & est encore véritablement fort difficile.

Les Chimistes n'ont encore rien publié sur les substances animales ou sur la substance animale dont il s'agit dans cet article, d'après son examen exécuté par l'analyse menstruelle (voyez MENSTRUELLE, analyse), par conséquent ils n'ont sur cette matiere que des notions analogiques, des inductions, des pressentimens.

Les notions positives & exactes sur cette substance peuvent seules donner la connoissance fondamentale, premiere, vraiment élémentaire, intime, de la formation, de l'accroissement, de la réparation, des altérations spontanées, en un mot de la nature & de toutes les affections purement matérielles, & peut-être même de l'être formel des affections organiques des animaux. (b)


SUBSTANTIAIRESS. m. pl. (Hist. ecclésiastique) secte de Luthériens, qui prétendoient qu'Adam avoit perdu par sa chûte tous les avantages de sa nature.


SUBSTANTIFadj. (Gramm.) ce terme est usité dans le langage grammatical comme adjectif distinctif d'une sorte de nom & d'une sorte de verbe.

I. Nom substantif. Tous les Grammairiens, excepté Mr. l'abbé Girard, divisent les noms en deux especes, les substantifs & les adjectifs. " Le nom substantif, dit l'abbé Regnier (in -12. p. 165. in -4°. p. 175.), est celui qui signifie quelque substance, quelque être, quelque chose que ce soit... Le nom adjectif est celui qui ne signifie point une chose, mais qui marque seulement quelle elle est ". Les notions de ces deux especes, données par les autres grammairiens, rentrent à-peu-près dans celles-ci. Qu'est-ce donc que les noms en général ? Oh ! ils ne sont point embarrassés de vous le dire : puisque la définition générale doit admettre la division dont il s'agit, il est évident que les noms sont des mots qui servent à nommer ou à qualifier les êtres.

Mais qu'il me soit permis de faire là-dessus quelques observations. La réponse que l'on vient de faire est-elle une définition ? n'est-ce pas encore la même division dont il s'agit ? Assurément, la Logique exige qu'une bonne définition puisse servir de fondement à toutes les divisions de la chose définie, parce qu'elle doit développer l'idée d'une nature susceptible de toutes les distinctions qui la présentent ensuite sous divers aspects ; mais loin d'exiger que la définition générale renferme les divisions, elle le défend au contraire ; parce que la notion générale de la chose fait essentiellement abstraction des idées spécifiques qui la divisent ensuite. Ainsi un géometre seroit ridicule, si pour définir une figure plane rectiligne, il disoit que c'est une surface plane, bornée par trois lignes droites & trois angles, ou par quatre lignes droites & quatre angles, ou par, &c. Il doit dire simplement que c'est une surface plane, bornée par des lignes droites, & qui a autant d'angles que de côtés. Cette notion est générale, parce qu'elle fait abstraction de tout nombre déterminé de côtés & d'angles, & qu'elle peut admettre ensuite toutes les déterminations qui caractériseront les especes : les triangles, quand on supposera trois côtés & trois angles ; les quadrilateres, quand on en supposera quatre, &c.

Veut - on néanmoins que ce soit définir le nom, que de dire que ce sont des mots qui servent à nommer ou à qualifier les êtres ? Ceux qui servent à nommer les êtres sont donc les substantifs : or je le demande, quelle lumiere peut sortir d'une pareille définition ? Les noms substantifs sont ceux qui servent à nommer les êtres, c'est dire, ce me semble, que les noms substantifs sont ceux qui sont des noms : définition admirable ! Que peut-elle nous apprendre, si elle ne nous conduit à conclure, que les noms adjectifs sont ceux qui ne sont pas des noms ? C'est en effet ce que j'entreprends de prouver ici.

J'ai déjà apprécié ailleurs (voyez GENRE), les raisons alléguées par l'abbé Fromant, Suppl. aux ch. ij. iij. & iv. de la II. part. de la Gramm. gén. en faveur de la vieille distinction des noms en substantifs & adjectifs ; & je dois ajouter ici, que dans une lettre qu'il écrivit à mon collegue & à moi le 12 Novembre 1759, il eut le courage de nous dire du bien de cette critique. " La critique, dit - il, que vous avez faite au mot GENRE, d'un endroit de mon supplément, est philosophique & judicieuse ". Cette louange si flatteuse n'est corrigée ensuite ni par si ni par mais ; elle est dictée par la candeur, & elle est d'autant plus digne d'éloges, qu'elle est un exemple malheureusement trop rare dans la république des lettres. Je reprends donc le raisonnement, que je n'ai pour ainsi-dire qu'indiqué au mot GENRE, pour en montrer ici le développement & les conséquences.

La nécessité de distinguer entre les substantifs & les adjectifs pour établir les regles qui concernent l'usage des genres, est la seule raison que j'aye employée directement, & même sans trop l'approfondir : je l'ai examinée plus particulierement en parlant du mot, article I. & les usages de toutes les langues, à l'égard des nombres & des cas, n'ont fait que fortifier & étendre le même principe. L'analyse la plus rigoureuse m'a conduit invariablement à partager les mots déclinables en deux classes générales ; la premiere pour les noms & les pronoms, & la seconde pour les adjectifs & les verbes : les mots de la premiere classe ont pour nature commune, de présenter à l'esprit des êtres déterminés ; ceux de la seconde classe, de ne présenter à l'esprit que des êtres indéterminés. Les adjectifs sont donc aussi éloignés que les verbes de ne faire avec les noms qu'une seule & même espece.

Ce qui a pu induire là-dessus en erreur les Grammairiens, c'est que les adjectifs reçoivent, dans presque toutes les langues, les mêmes variations que les noms, des terminaisons pour les genres, pour les nombres, & des cas même pour les idiomes qui le comportent : la déclinaison est la même pour les uns & pour les autres par-tout où on les décline, en grec, en latin, en allemand, &c. Ajoutez à cela la concordance de l'adjectif avec le nom, & de plus l'unité de l'objet désigné dans la phrase par l'union des deux mots : que de raisons d'errer pour ceux qui n'approfondissent pas assez, & pour ceux qui se croyent grammairiens parce qu'ils en ont appris la partie positive & les faits, quoiqu'ils n'en aient jamais pénétré les principes !

Les noms, que l'on appelle communément substantifs, & que je n'appelle que noms, sont des mots qui présentent à l'esprit des êtres déterminés par l'idée précise de leur nature : & les adjectifs sont des mots qui présentent à l'esprit des êtres indéterminés, désignés seulement par une idée précise qui peut s'adapter à plusieurs natures. Voyez MOT, article 1. & NOM. C'est parce que l'idée individuelle de l'adjectif peut être commune à plusieurs natures, & que le sujet en est indéterminé, que l'adjectif reçoit presque partout les mêmes accidens que les noms & d'après les mêmes regles, afin que la concordance des accidens puisse servir à constater le sujet particulier auquel on applique l'adjectif, & à la nature duquel on adapte l'idée particuliere qui en constitue la signification propre. Mais la maniere même dont se regle par-tout la concordance, loin de faire croire que le nom & l'adjectif sont une même sorte de mots, prouve au contraire qu'ils sont nécessairement d'especes différentes, puisqu'il n'y a que les terminaisons de l'adjectif qui soient assujetties à la concordance, & que celles des noms se décident d'après les vûes différentes de l'esprit & les besoins de l'énonciation.

Je crois donc avoir eu raison de réserver la qualification de substantifs pour les seuls noms qui désignent des êtres qui ont, ou qui peuvent avoir une existence propre & indépendante de tout sujet, ce que les Philosophes appellent des substances : tels sont les noms être, substance, esprit, corps, animal, homme, Ciceron, plante, arbre, pommier, pomme, armoire, &c. La branche de noms opposés à ceux-ci, est celle des abstractifs. Voyez NOM.

II. Verbe substantif. Le verbe est un mot qui présente à l'esprit un être indéterminé, désigné seulement par l'idée précise de l'existence sous un attribut. Voyez VERBE. Un verbe qui annonce l'existence sous un attribut quelconque & indéterminé, qui doit être ensuite exprimé à-part, est celui que les Grammairiens appellent verbe substantif : c'est en françois le verbe être, quand on l'employe comme dans cette phrase, Dieu est juste, où il n'exprime que l'existence intellectuelle, sans aucune détermination d'attribut, puisque l'on diroit de même Dieu est sage, Dieu est tout-puissant, Dieu est attentif à nos besoins, &c. Voyez VERBE.

La distinction des noms en substantifs & adjectifs, me semble avoir été la seule cause qui ait occasionné une distinction de même nom entre les verbes ; & cette dénomination n'est pas mieux fondée d'un côté que de l'autre. Je crois qu'il y auroit plus de justesse & de vérité à appeller abstrait, le verbe que l'on nomme substantif, parce qu'en effet il fait abstraction de toute maniere d'être déterminée ; & alors ceux que l'on nomme adjectifs devroient s'appeller concrets, parce qu'ils expriment tout-à-la-fois l'existence & la modification déterminée qui constitue l'attribut, comme aimer, partir, &c.


SUBSTANTIONSUSTANTION, SOSTANTION, (Géog. mod.) ancienne petite ville ou bourgade de la Gaule narbonnoise : elle ne subsiste plus. Catel assure que de son tems, on voyoit encore ses ruines à mille pas du grand chemin qui va de Montpellier à Nismes, & à pareille distance de Montpellier, près des villages de Castelnau & de Clapiers. Cette ville a eu longtems ses propres comtes, qui ne relevoient d'aucun autre seigneur. (D.J.)


SUBSTANTIVEMENTadv. c'est-à-dire à la maniere des substantifs. On dit en Grammaire qu'un adjectif est pris substantivement, pour dire qu'il est employé dans la phrase à la maniere des substantifs, ou plutôt à la maniere des noms : " Ce qui ne peut arriver, dit M. du Marsais (Trop. part. III. art. j.), que parce qu'il y a alors quelqu'autre nom sousentendu qui est dans l'esprit, par exemple, le VRAI persuadé, c'est-à-dire ce qui est vrai, l'être vrai, ou la vérité ; le TOUT - PUISSANT vengera les FOIBLES qu'on opprime, c'est-à-dire Dieu qui est toutpuissant vengera les hommes foibles ".

Si, quand un adjectif est employé seul dans une phrase, on le rapporte à quelque nom sousentendu qu'on a dans l'esprit, il est évident qu'alors il est employé comme tous les autres adjectifs, qu'il exprime un être déterminé accidentellement par l'application actuelle à ce nom sousentendu, en un mot qu'il n'est pas pris substantivement, pour parler encore le langage ordinaire. Ainsi quand on dit, Dieu vengera les FOIBLES, l'adjectif foibles demeure un pur & véritable adjectif ; & il n'est au pluriel & au masculin, que par concordance avec le nom sousentendu les hommes, que l'on a dans l'esprit.

Il y a cependant des cas où les adjectifs deviennent véritablement noms : c'est lorsque l'on s'en sert comme de mots propres à marquer d'une maniere déterminée la nature des êtres dont on veut parler, & que l'on n'envisage que relativement à cette idée, en quoi consiste effectivement la notion des noms.

Que je dise, par exemple, ce discours est VRAI, une VRAIE définition est le germe de toutes les connoissances possibles sur l'objet défini ; l'adjectif vrai demeure adjectif, parce qu'il énonce une idée que l'on n'envisage dans ces exemples que comme devant faire partie de la nature totale de ce qu'on y appelle discours & définition, & qu'il demeure applicable à toute autre chose selon l'occurrence, à une nouvelle, à un récit, à un systême, &c. Aussi vrai, dans le premier exemple, s'accorde-t-il en genre & en nombre avec le nom discours ; & vraie, dans le second exemple, avec le nom définition, en vertu du principe d'identité. Voyez CONCORDANCE, IDENTITE.

Mais quand on dit, le VRAI persuade, le mot vrai est alors un véritable nom, parce qu'il sert à présenter à l'esprit un être déterminé par l'idée de sa nature ; la véritable nature à laquelle peut convenir l'atribut énoncé par le verbe persuade, c'est celle du vrai : & il n'est pas plus raisonnable d'expliquer le mot vrai de cette phrase, par ce qui est vrai, l'être vrai, la vérité, que d'expliquer le mot homme de celle-ci, l'HOMME est sociable, par ce qui est homme, l'être homme, l'humanité ; à moins qu'on ne veuille en venir à reconnoître d'autre nom proprement dit que le mot être, ce qui seroit, je pense, une autre absurdité.

Dans la langue latine qui admet trois genres, on peut statuer, d'après ce qui vient d'être dit, qu'un adjectif au genre masculin ou au genre féminin, est toujours adjectif, quoiqu'il n'y ait pas de nom exprimé dans la phrase.

Tu vivendo, bonos ; scribendo, sequare peritos.

Il faut ici sousentendre homines, avec lequel s'accordent également les deux adjectifs bonos & peritos.

Mais un adjectif neutre qui n'a, ni dans la phrase où il se trouve, ni dans les précédentes, aucun correlatif, est à coup sûr un véritable nom dans cette phrase ; & il n'est pas plus nécessaire d'y sousentendre le nom negotium, que de sousentendre en françois être, quand on dit, le vrai persuade. Si l'usage a préféré dans ces occasions le genre neutre ; c'est, 1°. qu'il falloit bien choisir un genre ; & 2°. que l'espece d'êtres que l'on désigne alors n'est jamais animée, ni par conséquent sujette à la distinction des sexes.

Remarquez que l'adjectif devenu nom, n'est point ce que j'ai appellé ailleurs un nom abstractif, voyez NOM. C'est un véritable nom substantif, dans le sens que j'ai donné à ce mot ; & c'est la différence qu'il y a entre le vrai & la vérité ; la même qu'il y a entre l'homme & l'humanité. D'où il suit que l'adverbe substantivement peut rester dans le langage grammatical, pourvû qu'il y soit pris en rigueur. (E. R. M. B.)


SUBSTITUERv. act. (Gram.) remplacer une chose par une autre : vous effacez ce morceau, mais qu'y substituez -vous ? qui substituez -vous à la place de cet homme ? substituez l'amitié à l'amour, & vous y gagnerez.


SUBSTITUTS. m. (Gram. Jurisp.) est un officier établi pour en remplacer un autre en cas d'absence, maladie ou autre empêchement.

On confondoit anciennement le titre de substitut, avec celui de lieutenant, & on donnoit l'un ou l'autre indifféremment à tous ceux qui remplaçoient quelque officier public, soit juge ou autre officier de justice.

L'ordonnance du 23 Mars 1302 porte, art. 22. que les sénéchaux, baillifs, viguiers, vicomtes, juges & autres officiers de justice exerceront leurs offices en personne, & qu'ils ne pourront commettre en leur place des substituts ou des lieutenans, qu'en cas de nécessité, comme en cas de maladie, ou qu'ils aillent au conseil ; que dans ces sortes de cas ils prendront pour substituts des personnes du pays, sages & éclairées qui ne seront pas avocats, ou surchargés d'affaires, ni liés avec un trop grand nombre d'amis ; qu'ils seront responsables selon droit & raison du fait de leurs substituts, & que ceux-ci prêteront serment de bien faire leur devoir.

Présentement on ne donne le titre de substitut qu'aux officiers établis pour aider le procureur-général, ou le procureur du roi dans leurs fonctions. Les procureurs au parlement ont aussi des substituts. (A)

SUBSTITUTS DU PROCUREUR-GENERAL DU ROI : anciennement il n'en avoit point d'ordinaire, & en commettoit seulement dans les occasions où cela étoit nécessaire. On trouve dans les registres du parlement sous la date du 14 Novembre 1390, que M. Sureau, procureur - général, ayant demandé la permission de s'absenter, la cour en le lui permettant, lui ordonna de laisser un substitut pour l'expédition des affaires.

La fonction de ces substituts ne duroit pas plus que la cause pour laquelle ils avoient été commis.

Dans la suite le procureur-général commit plusieurs substituts pour l'aider dans ses fonctions, & ceux-ci devinrent ordinaires. En effet, lorsque le parlement fut transferé à Poitiers, M. Angevin, procureur-général, eut l'attention de destituer ceux de ses substituts qui ne purent le suivre. La portion du parlement qui étoit retenue à Paris par les Anglois, commit M. le Tue, avocat-général, pendant l'absence de M. Angevin, pour exercer l'office de ladite procure.

Lorsque la place de procureur-général venoit à vaquer par le décès de celui qui en étoit pourvu, la cour confirmoit les substituts qu'il s'étoit choisis, & les commettoit pour en remplir les fonctions pendant la vacance.

Les choses demeurerent en cet état jusqu'au mois de Mai 1586, que les substituts du procureur-général furent créés en titre d'office dans toutes les cours souveraines, comme ils sont encore présentement.

Au parlement de Paris ils sont au nombre de 18. Ils ont réuni à leur corps la charge d'avocat-général aux requêtes du palais, qu'ils exercent par celui d'entr'eux qui est commis à cet effet.

Il y en a aussi dans la plûpart des autres cours, mais le nombre n'en est pas par-tout égal.

Toutes leurs fonctions sont renfermées dans deux objets ; l'un, de soulager le procureur-général dans ses fonctions, comme de lui faire au parquet le rapport des instances, dans lesquelles il doit donner ses conclusions ; l'autre, de le remplacer dans le cas où il ne peut vaquer par lui-même à l'expédition des affaires dont il est chargé.

Le procureur-général qualifie aussi de ses substituts les procureurs du roi des sieges du ressort de la cour ; on en trouve un exemple dès 1344, dans l'ordonnance de Philippe de Valois, du mois de Juillet de ladite année, & en cas d'empêchement de leur part, il commet des substituts pour les remplacer, lorsqu'ils n'en ont point ; mais dans leur siege & dans tous autres actes, les procureurs du roi doivent être qualifiés de ce titre de procureur du roi, & non de celui de substituts du procureur-général. (A)

Substituts du procureur du roi, anciennement les procureurs du roi n'avoient pas la faculté de se nommer des substituts pour exercer leurs fonctions, même en leur absence ou autre empêchement, cela n'appartenoit qu'au procureur - général. L'art. 158 de l'ordonnance de Blois, défendit aux procureurs du roi, de commettre aucuns substituts en leur place, quand les avocats du roi seroient présens.

L'Edit du mois de Mai 1586, avoit créé en titre d'office, non-seulement des substituts des procureurs-généraux des cours ; mais aussi de tous les procureurs du roi dans les sieges inférieurs, pour faire toutes les fonctions des procureurs du roi en leur absence, négligence ou empêchemens ; & pour assister & être adjoints aux juges en tous actes de justice, où on avoit coutume de prendre un adjoint.

Mais ces offices n'ayant point été établis dans plusieurs des sieges inférieurs, & la plus grande partie de ceux qui avoient été levés, étant depuis restés vacans aux parties casuelles, Louis XIV. par un autre Edit du mois d'Avril 1696, créa de nouveau en titre d'offices dans chaque bureau, des trésoriers de France, sieges, présidiaux, bailliages, sénéchaussées, tables de marbre & sieges des eaux & forêts, maréchaussées, amirautés, prevôtés, vigueries, châtellenies, vicomtés, élections, greniers à sel & autres justices royales ordinaires & extraordinaires, tel nombre de ces substituts des avocats & procureurs du roi qui seroit reglé, outre ceux d'ancienne création, qui étoient pour lors remplis & exercés, pour en l'absence des avocats du roi, porter la parole en l'audience, & en l'absence du procureur du roi, donner des conclusions par écrit en toutes affaires sujettes à communication, & faire toutes les fonctions des avocats & procureurs du roi en leur absence, négligence ou légitime empêchement, ensemble pour jouir des autres prérogatives qui leur sont accordées par les édits & réglemens. (A)

Substituts des procureurs au parlement : avant que les procureurs fussent en titre d'office, on entendoit par substitut d'un procureur, celui que le fondé de procuration substituoit en son lieu & place.

Mais depuis longtems les réglemens ont obligé les procureurs de nommer chacun pour leurs substituts deux de leurs confreres. L'arrêt du 23 Juillet 1664, en prescrivant l'observation des anciens arrêts & réglemens, ordonne que suivant iceux, tous procureurs reçus en la cour, qui n'ont pas nommé des substituts, seront tenus dans trois jours de mettre au greffe des présentations, les actes contenant nomination chacun de deux substituts, pour les représenter & recevoir les significations au palais en cas d'absence ou de maladie, à peine contre les contrevenans de 24 liv. parisis d'amende, & d'être rayés de la matricule, leur fait défenses de signer pour autres procureurs que leurs substituts, à peine de faux & de pareille amende. Voyez le recueil des réglemens concernant les fonctions des procureurs, p. 91. (A)


SUBSTITUTIONS. f. en Algebre, consiste à mettre à la place d'une quantité qui est dans une équation, quelqu'autre quantité qui lui est égale, quoique exprimée d'une maniere différente. Supposons par exemple, que l'on ait ces deux équations a x = y y & x = b + c ; l'on aura par substitution, a b + a c = y y ; en mettant dans la premiere équation, en la place de x sa valeur b + c. Voyez EQUATION. (E)

SUBSTITUTION, (Jurispr.) est l'institution d'un second, troisieme, ou autre héritier, pour recueillir au défaut d'un autre héritier, ou après lui.

Cette définition annonce que le nom de substitution est commun à deux sortes de dispositions.

L'une est celle par laquelle un testateur ayant institué un héritier, & craignant qu'il ne puisse ou ne veuille l'être, en nomme un autre pour recueillir l'hoirie au défaut du premier ; c'est ce que l'on appelle substitution vulgaire.

L'autre sorte de disposition & substitution est celle qui fait passer les biens à un second héritier, après le premier qui les a recueillis : cette espece de substitution, qu'on appelle fidei-commissaire, est plus connue en droit sous le nom de fidei-commis simplement.

Néanmoins dans notre usage on se sert également du terme de substitution, pour désigner les fidei-commis, & les substitutions vulgaires : on les distingue seulement l'un de l'autre, en appellant les fidei-commis, substitutions fidei-commissaires.

Les regles de la substitution vulgaire, sont expliquées ci-après à l'article SUBSTITUTION VULGAIRE. Celle-ci est beaucoup plus simple que l'autre.

Les loix romaines contiennent une infinité de dispositions, au sujet des substitutions fidei-commissaires, & la jurisprudence des différens parlemens, qui n'étoit pas uniforme sur cette matiere, a été fixée par l'ordonnance du mois d'Août 1741. Comme cette loi ne laisse pas d'être fort étendue, nous ne ferons ici l'analyse que de ses principales dispositions.

Toutes personnes capables de disposer de leurs biens, peuvent faire des substitutions fidei-commissaires, dans les pays où elles sont en usage.

Les biens immeubles de leur nature, peuvent être chargés de substitution, encore qu'ils fussent réputés meubles à certains égards, par la loi de la situation.

Les offices peuvent aussi être chargés de substitution, ainsi que les rentes constituées, soit que la loi qui les régit, les repute meubles ou immeubles.

Les effets mobiliers sont censés compris dans la substitution, lorsqu'elle est apposée à une disposition universelle, ou faite par forme de quotité, à moins qu'il n'en ait été autrement ordonné ; dans le premier cas il en faut faire emploi ; mais ils ne peuvent être chargés d'une substitution particuliere, que l'auteur de la substitution n'ait expressément ordonné qu'il en sera fait emploi.

Mais les bestiaux & ustensiles servant à faire valoir les terres, sont toujours censés compris dans la substitution des terres, sans qu'on soit tenu de vendre ces effets, ni d'en faire emploi ; il suffit de les faire estimer, afin que l'on en rende d'une égale valeur lors de la restitution du fidei-commis.

Les meubles meublans d'un château ou maison, peuvent aussi être compris dans la substitution, même avec clause de les conserver en nature ; mais on ne peut substituer avec cette clause aucuns autres effets mobiliers, que les meubles dont il vient d'être parlé, & les bestiaux & ustenciles dont on a parlé dans l'article précédent.

Les substitutions apposées aux donations entrevifs, n'ont d'effet pour les effets mobiliers, qu'en cas qu'on en ait annexé à la minute de la donation, un état signé des parties, contenant une estimation, le tout à peine de nullité de la substitution pour les meubles. Voyez aussi l'article XV. de l'ordonnance des donations.

Le donataire de meubles avec substitution, doit en faire emploi.

Les substitutions faites par contrat de mariage, ou par donation entre vifs, étant acceptées, ne peuvent plus être révoquées ni augmentées, diminuées ou changées, même du consentement du donataire, & s'il renonce à la donation, la substitution sera ouverte au profit des appellés.

Il en est de même par rapport aux institutions & substitutions contractuelles qui sont également irrévocables, soit entre nobles ou roturiers.

Les biens donnés par contrat de mariage, ou par donation entre-vifs, sans charge de substitution, ne peuvent en être chargés par une disposition postérieure, encore que ce fût une donation du pere à ses enfans, que la substitution comprît expressément les biens donnés, & qu'elle fût faite en faveur des enfans ou descendans du donateur ou du donataire.

Lorsque la donation ou l'institution contractuelle a été faite à la charge de remettre les biens donnés à celui que le donateur ou le donataire voudra choisir, celui qui sera élu ne pourra, sous prétexte de l'élection faite en sa faveur, être chargé d'aucune substitution.

Quand le contrat de mariage, ou la donation, contiendroit une reserve par le donateur, de charger dans la suite de substitution, les biens par lui donnés, cette reserve est de nul effet depuis l'ordonnance.

Il faut pourtant excepter le cas où le donateur feroit une nouvelle libéralité avec charge de substitution, auquel cas le donataire acceptant la nouvelle libéralité, ne pourroit plus diviser les deux dispositions, ni renoncer à la seconde, pour s'en tenir à la premiere.

Les enfans qui ne sont pas expressément appellés à la substitution, mais seulement mis dans la condition, sans être chargés de restituer à d'autres, ne sont en aucun cas regardés comme étant dans la disposition, encore qu'ils soient dans la condition en qualité de mâles, que la condition soit redoublée, que les grevés soient obligés de porter les nom & armes de l'auteur de la substitution, & qu'il ait défendu de distraire la quarte trébellianique, ou qu'il se trouve des conjectures tirées d'autres circonstances, telles que la noblesse & la coutume de la famille, ou la qualité & la valeur des biens substitués, ou autres présomptions auxquelles on n'a aucun égard.

Les appellés à une substitution, dont le droit n'a pas été ouvert avant leur décès, n'en transmettent point l'espérance à leurs enfans ou descendans, encore que la substitution soit faite en ligne directe par des ascendans, & qu'il y ait d'autres substitués appellés à la même substitution après ceux qui seront décédés, & leurs enfans ou descendans.

La représentation n'a point lieu dans les substitutions, soit en directe ou en collatérale, & soit que les appellés le soient collectivement, ou désignés en particulier, suivant l'ordre de leur parenté avec l'auteur de la substitution, à moins qu'il n'ait expressément ordonné que la représentation auroit lieu, ou que la substitution seroit déférée suivant l'ordre des successions légitimes.

Dans les substitutions où les filles sont appellées à défaut de mâles, elles viennent dans l'ordre reglé par la substitution, & si cet ordre n'y est pas reglé, les plus proches du dernier possesseur des biens, les recueillent, à quelque degré de parenté qu'elles soient de l'auteur de la substitution, & encore qu'il y eût d'autres filles qui en fussent plus proches, ou d'une branche aînée.

Dans les substitutions faites au cas que le grevé décede sans enfans, ce cas sera censé arrivé, lorsque au jour du décès du grevé il n'y aura aucuns enfans légitimes & capables des effets civils, sans qu'on ait égard à l'existence des enfans naturels, même légitimés, si ce n'est par mariage subséquent, ni à l'existence des enfans morts civilement pour quelque cause que ce soit.

La substitution est ouverte par la mort civile du grevé.

La condition de se marier sera censée avoir manqué ; & celle de ne se point marier (dans le cas où elle peut être valable), sera censée accomplie, lorsque la personne à qui la condition étoit imposée, aura fait profession religieuse.

Dans tout testament autre que le militaire, la caducité de l'institution emporte celle de la substitution fidéi-commissaire, si ce n'est qu'il y ait clause codicillaire.

La renonciation de l'héritier légataire ou donataire grevé, ne peut nuire au substitué, lequel en ce cas, prend la place du grevé ; de même si le premier substitué renonce, le second prend sa place.

Celui qui est appellé à une substitution fidéi-commissaire, peut y renoncer lorsqu'elle est ouverte à son profit, ou même auparavant ; mais en ce dernier cas, la renonciation doit, à peine de nullité, être faite en minute devant notaires, avec le grevé, ou avec le substitué appellé après celui qui renonce.

L'exhérédation prononcée par les peres ou meres, ne prive point les enfans deshérités, des biens qu'ils doivent recueillir en vertu de substitutions faites par leurs ascendans ou autres, à moins que l'auteur de la substitution ne l'eût ainsi ordonné, ou qu'il ne fussent incapables de toute succession aux termes de la loi.

Toutes substitutions, par quelque acte qu'elles soient faites, & en quelques termes qu'elles soient conçues, ne s'étendent qu'à deux degrés, outre l'institution, & ce conformément à l'ordonnance d'Orléans ; celles qui sont antérieures à cette ordonnance, s'étendent jusqu'à quatre degrés, suivant l'ordonnance de Moulins.

Dans les provinces où les substitutions avoient été étendues par l'usage jusqu'à quatre degrés, outre l'institution, la restriction à deux degrés n'a lieu que depuis la publication de la nouvelle ordonnance des substitutions.

Il y a cependant encore quelques provinces où les substitutions n'ont point été restraintes à un certain nombre de degrés, & à l'usage desquelles il n'a pas encore été dérogé.

Les degrés de substitutions se comptant par têtes & non par souches ou génération, chaque personne qui recueille l'effet de la substitution est comptée pour un degré.

Le substitué n'est point saisi de plein droit, & ne gagne les fruits que du jour de la délivrance consentie à son profit, ou du jour de la demande.

La restitution anticipée du fidéi-commis, ne peut nuire aux créanciers du grevé, ni à ceux qui auroient acquis de lui.

En cas d'insuffisance des biens libres, les femmes ont une hypotheque subsidiaire sur les biens substitués, tant pour le fond ou capital de la dot, que pour les fruits ou intérêts.

On observe la même chose en faveur de la femme & des enfans, tant pour le douaire que pour l'augment de dot, ou autre gain de noces, qui en tient lieu ; & si le douaire ou autre gain est préfix, cette hypotheque n'a lieu que jusqu'à concurrence du coutumier ou légal.

La femme n'a point d'hypotheque subsidiaire sur les biens substitués, pour le préciput, les bagues & joyaux, & autres libéralités semblables, ni pour son deuil.

Elle n'en a point non plus pour le remploi de ses propres biens dotaux qui ont été aliénés de son consentement, ni pour les dettes auxquelles elle s'est obligée volontairement.

La femme ne peut exercer son hypotheque subsidiaire contre les enfans d'un mariage antérieur au sien, lorsque ce sont eux qui recueillent la substitution.

Les dispositions concernant l'hypotheque subsidiaire ont lieu, soit que la substitution ait été faite par un collatéral, ou même par un étranger, pourvu que ce soit en faveur des enfans du grevé, ou en faveur d'un autre, en cas que le grevé décede sans enfans.

Les adjudications par decret ne purgent point les substitutions publiées & enregistrées, encore que le substitué eût un droit ouvert avant le decret, & même avant la saisie réelle, & qu'il n'est point formé d'opposition, si ce n'est que le decret fût pour dette de l'auteur de la substitution, ou autres dettes antérieures.

Après le décès de celui qui a fait une substitution universelle ou particuliere, il doit être procédé dans les formes ordinaires à l'inventaire des biens de la succession, à la requête de l'héritier institué & légitime, ou du légataire universel, & ce dans le tems de l'ordonnance ; & s'il ne le fait pas, celui qui doit recueillir les biens substitués est tenu dans un mois après d'y faire proceder ; & faute de ce, l'inventaire sera fait à la requête du procureur du roi.

Il doit être fait par un notaire royal, en présence du premier substitué, s'il est majeur, ou de son tuteur ou curateur, s'il est mineur & interdit, ou du syndic ou administrateur, si la substitution est au profit d'une église, hôpital ou communauté.

On doit procéder à la vente des meubles par affiches & encheres.

L'emploi des deniers doit être fait d'abord au payement des dettes, & le surplus en fonds de terre, maisons, rentes foncieres ou constituées.

Toutes substitutions fidéi-commissaires faites entrevifs, ou à cause de mort, doivent être publiées en jugement l'audience tenant, & enregistrées au greffe du siege où la publication en est faite, & ce à la diligence du grevé de substitution.

La publication & l'enregistrement des substitutions doivent être faits au siege royal ressortissant nuement au parlement ou conseil supérieur dans l'étendue où le ressort duquel l'auteur de la substitution avoit son domicile au jour de l'acte qui la contient, ou au jour de son décès, si c'est par une disposition à cause de mort, & aussi dans les sieges de la même qualité où les biens substitués seront situés.

Si ce sont des rentes sur le roi, sur les villes, états ou sur le clergé, ou bien des offices, la publication & l'enregistrement se font dans les sieges de la même qualité, tant du lieu où les rentes se payent, ou dans lequel se fait l'exercice de ces offices, que du lieu du domicile de l'auteur de la substitution.

Les actes d'emploi doivent aussi être publics & registrés au siege royal du lieu où sont les biens.

La publication & l'enregistrement doivent être faits dans 6 mois à compter de l'acte, s'il est entrevifs, & du jour du décès, si c'est une disposition à cause de mort.

La substitution étant duement publiée & registrée, a effet même contre les créanciers & tiers-acquéreurs du jour de sa date, ou du jour du décès, si la substitution est faite par acte à cause de mort.

On peut cependant faire publier & enregistrer les substitutions après les 6 mois ; mais en ce cas elles n'ont effet contre les créanciers & tiers-acquéreurs, que du jour de l'enregistrement.

Le défaut de publication & d'enregistrement ne peut être suppléé par aucun autre acte, ni aucune circonstance, & peut être opposé à toutes sortes de personnes, même aux mineurs, églises, communautés ; & sauf le recours de ceux-ci contre leurs tuteurs, & autres administrateurs.

Les donataires, héritiers, légataires de celui qui a fait la substitution, ni les donataires, héritiers & légataires de ceux-ci, ne peuvent opposer aux substitués le défaut de publication & d'enregistrement de la substitution.

Le grevé, ou celui qui prend sa place, ne peut se mettre en possession des biens, qu'en vertu d'une ordonnance du juge royal.

Toutes contestations concernant les substitutions fidéi-commissaires, doivent être portées au siege royal, ressortissant nuement au parlement ou conseil supérieur. Voyez au digeste & aux institutes les titres de vulg. & pupill. substitut. & au code les titres de impub. & aliis substit. & de institut. & substit. & Voyez aussi les traités des substitutions, par Balde, Fusarius, Pérégrinus, Champy, Vulson, Ricard, & le mot FIDEI-COMMIS. (A)

SUBSTITUTION ABREGEE, est de deux sortes, l'une qu'on appelle bréviloque ou réciproque, l'autre qu'on appelle compendieuse. Voyez ci-après SUBSTITUTION BREVILOQUE, SUBSTITUTION COMPENDIEUSE.

SUBSTITUTION BREVILOQUE, dans quelques provinces, comme au parlement de Toulouse, cette dénomination est synonyme de substitution réciproque ; on l'appelle bréviloque, parce que le testateur ou testeur en disant qu'il substitue deux personnes réciproquement l'une à l'autre, simplifie & abrege sa disposition, en évitant de faire deux substitutions ensuite l'une de l'autre. Voyez Maynard, l. V. c. xxvij. & 41. & le mot SUBSTITUTION RECIPROQUE.

SUBSTITUTION CADUQUE, est celle qui ne peut avoir lieu, soit par le prédécès de l'appellé à la substitution, soit par quelqu'autre événement prévu par le testateur, & dans le cas duquel il n'a pas voulu que la substitution eût lieu.

SUBSTITUTION COMMUNE, est la même chose que la vulgaire. Voyez ci-après SUBSTITUTION VULGAIRE.

SUBSTITUTION COMPENDIEUSE, est celle par laquelle un pere ayant institué son fils, lui substitue une autre personne, sans s'expliquer davantage. Elle est ainsi appellée, comme qui diroit abrégée, parce qu'en peu de paroles elle comprend toutes les especes de substitutions ; desorte qu'elle est valable, soit que le fils décede avant le pere, soit qu'il décede après avoir recueilli sa succession, mais en âge de pupillarité, soit enfin qu'il décede en âge de puberté, après avoir recueilli la succession du pere : au premier cas la substitution sera vulgaire, & le substitué n'aura que les biens du pere, & les aura sans aucune diminution. Au second cas, elle sera pupillaire, & le substitué aura les biens du pere & du fils. Au troisieme, elle sera fidéi-commissaire, & le substitué n'aura les biens du pere, qu'en déduisant les quartes falcidie & trébellianique. Voyez Argout, en son instit. tom. I. l. II. c. xiv.

SUBSTITUTION CONDITIONNELLE, est celle qui n'est faite que sous condition, & en cas que tel événement arrive ou n'arrive pas ; par exemple, si la substitution est faite, en cas que l'héritier ne se marie pas, ou s'il n'a point d'enfant ou d'enfans mâles, &c. l'événement du cas prévu par le testateur, rend la substitution caduque.

SUBSTITUTION CONTRACTUELLE, est celle qui est faite par contrat entre-vifs, à la différence des autres substitutions qui sont faites par testament ou codicille : la substitution directe ne peut pourtant, en général, se faire que par testament ; mais comme les contrats de mariage sont susceptibles de toutes sortes de clauses ; on y peut aussi faire toutes sortes de substitutions, soit directes ou fidéi-commissaires. Voy. le traité de convention de succéder, par Boucheul, c. ij. & le mot INSTITUTION CONTRACTUELLE.

SUBSTITUTION CONVENTIONNELLE, est la même chose que substitution contractuelle. Voyez ci-devant SUBSTITUTION CONTRACTUELLE.

SUBSTITUTION DIRECTE, est ainsi appellée, parce qu'elle se faisoit en termes semblables à ceux de l'institution qualifiés en droit de termes directs, verbis directis, selon la formule des loix, haeres esto. Elle fait passer les biens droits & actions immédiatement, & comme des mains du testateur en celles du substitué, sans que le premier héritier ait recueilli. On en compte de trois sortes, la vulgaire ou commune, la pupillaire, & l'exemplaire, ou quasi pupillaire : elle est opposée à la substitution fidéi-commissaire, qui ne transmet les biens au substitué que par l'entremise & les mains de l'héritier institué. Voyez SUBSTITUTION COMMUNE, VULGAIRE, EXEMPLAIRE, PUPILLAIRE, FIDEI-COMMISSAIRE.

SUBSTITUTION DOUBLE ou RECIPROQUE. Voyez ci-après SUBSTITUTION RECIPROQUE.

SUBSTITUTION ETEINTE, est celle qui a fini en la personne du dernier grevé de la substitution, ou par l'événement de la condition sous laquelle elle étoit faite. Voyez SUBSTITUTION OUVERTE.

SUBSTITUTION EXEMPLAIRE ou JUSTINIENNE, ou quasi PUPILLAIRE, est celle qui se fait par les pere & mere à leur enfant, qui est en fureur ou démence, au cas qu'il ne revienne point en son bon sens.

On l'appelle justinienne, parce qu'elle a été introduite par Justinien en la loi humanitatis, cod. de impuberum & aliis substitut.

On lui donne aussi le nom de quasi pupillaire, parce qu'elle a été introduite à l'instar de la substitution pupillaire.

Comme elle est fondée sur un motif d'humanité, la mere peut aussi-bien que le pere faire une telle substitution.

Elle comprend tous les biens qui peuvent advenir à l'enfant, tant qu'il est en démence.

Lorsque l'enfant qui est furieux ou en démence a des enfans ou des freres & soeurs, le pere doit les lui substituer ou du-moins l'un d'entr'eux, & non pas un étranger.

Cette substitution n'a lieu, qu'en pays de Droit écrit.

SUBSTITUTION FIDEI-COMMISSAIRE, autrement fidei-commis, est celle qui ne transmet les biens au substitué, que par l'entremise & les mains de l'héritier institué, pour ne les recueillir que successivement & après lui, à la différence de la substitution vulgaire qui est faite pour avoir lieu au profit du substitué, au cas que l'institué ne veuille ou ne puisse pas recueillir l'effet de l'institution. Voyez FIDEICOMMIS & SUBSTITUTION VULGAIRE.

SUBSTITUTION FINIE, est lorsque la substitution cesse d'avoir lieu, & que les biens substitués sont libres en la personne de celui qui a droit de les posseder. Voyez SUBSTITUTION ETEINTE & SUBSTITUTION OUVERTE.

SUBSTITUTION GRADUELLE, est celle où les héritiers présomptifs sont appellés à titre de substitution de degré en degré, c'est-à-dire suivant l'ordre naturel de succéder. Voyez SUBSTITUTION LINEALE & SUBSTITUTION MASCULINE.

SUBSTITUTION GRADUELLE, RETARDEE. Voyez ci-après SUBSTITUTION RETARDEE.

SUBSTITUTION INDIRECTE ou OBLIQUE, est la même chose que substitution fidei-commissaire. Voyez ci-devant SUBSTITUTION FIDEI-COMMISSAIRE.

SUBSTITUTION JUSTINIENNE, est la même chose que la substitution exemplaire, que le pere peut faire à ses enfans étant en démence, elle fut aussi surnommée justinienne, parce qu'elle fut introduite par l'empereur Justinien par la loi humanitatis au code de impub. & aliis substitut.

SUBSTITUTION LINEALE, est celle qui est faite suivant l'ordre des lignes, c'est-à-dire sans intervertir l'ordre de succéder dans chaque ligne, & où les parens d'une autre ligne ne sont appellés, qu'au défaut de celle qui a le droit le plus prochain.

SUBSTITUTION LITTERAIRE & FORMELLE, est celle qui est expressément ordonnée par le testateur ou le donateur. Voyez SUBSTITUTION EXPRESSE.

SUBSTITUTION MASCULINE, est celle qui est faite en faveur des mâles seulement, ou dans laquelle les mâles sont toujours appellés par préférence aux femelles.

SUBSTITUTION OBLIQUE ou INDIRECTE, est la même chose que substitution fidei-commissaire. Voyez ci-devant FIDEI-COMMISSAIRE.

SUBSTITUTION OFFICIEUSE, est celle qui est faite pour assurer les alimens au grevé, & le fonds du bien à ses enfans, & empêcher par ce moyen que les biens ne soient la proie des créanciers du grevé ; on l'appelle plus communément exhérédation officieuse. Voyez EXHEREDATION.

SUBSTITUTION OUVERTE, est lorsque l'appellé est saisi du droit de recueillir la substitution, soit par le décès du grevé, soit par l'échéance de la condition. Voyez SUBSTITUTION ETEINTE.

SUBSTITUTION PARTICULIERE, est celle qui ne comprend qu'un ou plusieurs corps certains des biens du testateur ou donateur, & non l'universalité de ses biens, ni une certaine portion ou quotité, comme la moitié, le tiers, le quart, &c. Voyez SUBSTITUTION & TREBELLIANIQUE.

SUBSTITUTION PERPETUELLE, est celle qui est faite pour avoir lieu à perpétuité & à l'infini, autant que la substitution peut s'étendre. En France, les substitutions sont réduites à deux degrés, non compris l'institution ; on appelle néanmoins perpétuelles celles qui sont faites à l'infini, pour avoir lieu jusqu'à ce que le nombre de degrés fixé par les ordonnances, soit rempli. Voyez SUBSTITUTION FIDEI-COMMISSAIRE & SUBSTITUTION GRADUELLE.

SUBSTITUTION PRECAIRE ou FIDEI-COMMISSAIRE, est celle qui se fait, non en termes impératifs comme la substitution directe, mais en termes de priere, & par laquelle les biens ne se transferent pas directement en la personne du substitué ; mais passent ordinairement en la personne du premier institué, à la charge de les rendre au substitué ; c'est pourquoi elle est désignée plus souvent en droit par le terme de restitution & de fidei-commis, que par celui de substitution.

Justinien, par sa constitution au code communia de legat. & fideic. a supprimé la différence des paroles dont on usoit dans la substitution directe & dans la précaire, de maniere qu'il est indifférent présentement que le testateur exprime sa volonté en termes directs & impératifs, ou en termes obliques, précaires & fidei-commissaires.

Mais la différence qui étoit entre la substitution directe & la précaire ou fidei-commissaire, subsiste toujours quant au fond, en ce que dans la substitution directe le substitué prend les biens directement du testateur, au lieu que dans la substitution précaire du fidei-commissaire, il les prend des mains du grevé.

Mais comme on n'est plus obligé de se servir de termes précaires pour ces sortes de substitutions, on les appelle plus communément substitutions fidei-commissaires : il y a cependant encore des pays où l'on se sert quelquefois du terme de substitution précaire pour désigner la substitution fidei-commissaire, comme à Bordeaux. Voyez les consultations de Cujas, 15, 19 & 22. Lapeirere, lett. S. l'abregé de la Jurisprud. rom. de Colombet, & les mots FIDEI-COMMIS & SUBSTITUTION FIDEI COMMISSAIRE.

SUBSTITUTION PRESUMEE, voyez SUBSTITUTION TACITE.

SUBSTITUTION PUPILLAIRE, est celle que le testateur fait pour son enfant impubere, au cas que cet enfant décede avant d'être parvenu à l'âge où l'on peut tester ; c'est une extension de la puissance paternelle ; c'est pourquoi elle n'a lieu qu'en pays de Droit écrit & ne peut être faite que par le pere ayant son enfant en sa puissance ; il ne peut étendre cette substitution au-delà de la puberté. Il peut substituer ainsi à l'un de ses enfans, sans le faire à l'égard des autres.

Cette substitution est expresse ou tacite, expresse lorsqu'elle est écrite ; la tacite a lieu en vertu de la loi, lorsque le pere a fait une substitution vulgaire à son fils ; on présume qu'il a aussi eu intention de lui substituer le même héritier, au cas que cet enfant décede avant l'âge de puberté. Voyez au digeste le tit. de vulg. & pupill. substit.

SUBSTITUTION quasi PUPILLAIRE, est la même que la substitution exemplaire ; c'est celle qui se fait à un majeur, furieux & imbécille. Voyez ci-devant SUBSTITUTION EXEMPLAIRE.

SUBSTITUTION RECIPROQUE, est celle par laquelle deux personnes sont appellées l'une au défaut de l'autre, comme si le testateur dit : " J'institue Jean & Jacques ; & au défaut de chacun d'eux, ses enfans ; & au défaut de l'un & de ses enfans, ce sera l'autre, ou à son défaut les siens. " Voyez SUBSTITUTION BREVILOQUE.

SUBSTITUTION RETARDEE ou GRADUELLE RETARDEE, est celle où pour prolonger indirectement le fidei-commis d'un degré, on nomme pour héritier le petit-fils, ne laissant au pere qu'un simple usufruit. Voyez les traités de M. Davot, sur le Droit françois, tom. V. pag. 574.

SUBSTITUTION SIMPLE, est une substitution fideicommissaire où le fidei-commis ne doit opérer qu'une fois, à la différence de la substitution graduelle où il opere successivement au profit de plusieurs personnes l'une après l'autre. Voyez SUBSTITUTION GRADUELLE.

SUBSTITUTION TACITE, est celle, qui, quoique n'étant point écrite, s'ensuit néanmoins de la disposition, soit par une présomption légale & de droit, soit par une présomption tirée des termes du testament ou de la donation ; il y a des cas où l'on admet une substitution vulgaire, tacite, & quelquefois aussi une pupillaire tacite.

SUBSTITUTION UNIVERSELLE, est celle qui comprend tous les biens du testateur ou donateur, ou même seulement une portion ou quotité, ne fût-ce qu'un douzieme, un vingtieme, & la quarte trebellianique ne se prend que sur la substitution fidei-commissaire universelle.

SUBSTITUTION VULGAIRE ou COMMUNE, est celle par laquelle le testateur ou donateur institue un second héritier au défaut du premier, pour empêcher que la premiere institution ne soit caduque. Cette seconde institution se fait pour avoir lieu seulement dans le cas où le premier institué ne sera pas héritier, soit qu'il ne veuille pas l'être, ou qu'il ne le puisse ; ce qui renferme le cas du prédécès, & toute autre capacité & le refus.

On peut substituer de même un troisieme héritier au défaut du second, & même plusieurs autres.

Quand le premier institué se porte héritier, la substitution vulgaire devient caduque, & ainsi du troisieme ou quatrieme héritier, quand le précédent accepte.

On peut substituer de même à un légataire.

Cette sorte de substitution a lieu principalement dans le pays de droit écrit & autres, où les institutions d'héritier sont nécessaires pour la validité du testament ; mais dans les pays coutumiers où les institutions d'héritier ne valent que comme des legs universels, les substitutions vulgaires ne se pratiquent que pour subroger le substitué au-lieu de l'institué, au cas que celui-ci ne veuille ou ne puisse recueillir l'institution ou legs fait à son profit. Voyez au dig. le tit. de vulg. & pupill. substit. (A)


SUBTERFUGES. m. (Gram.) moyen injuste & détourné dont on use pour échapper à la pénétration, à la justice, à la correction.


SUBTILadj. en Physique, signifie un corps extrêmement petit, fin & délicat ; tels que sont les esprits animaux, les émanations des corps odorans, &c. Voyez ESPRIT, ECOULEMENS, EMANATIONS, &c.

Une portion de matiere n'est plus subtile qu'une autre, qu'en ce qu'elle se divise en parties plus petites ; ces parties s'insinuent plus aisément dans les pores des autres corps. Voyez PARTICULE, &c.

Les Cartésiens prennent pour leur premier élément une matiere subtile. Voyez CARTESIANISME, ÉLEMENT & MATIERE SUBTILE.

Ils la supposent si excessivement fine, qu'elle pénetre les plus petits pores du verre & des autres corps solides ; & ils prétendent expliquer par son moyen la plûpart des phénomenes de la nature. Voyez VUIDE, PLEIN, &c. Chambers. (O)

SUBTIL, MAL SUBTIL, (Fauconnerie) maladie qui arrive aux oiseaux de proie, & dans laquelle ils sont affamés, quoiqu'on leur donne toujours à manger.


SUBTILES(Hist. nat.) oiseaux de la nouvelle Espagne, qui sont des especes de corneilles ; ils sont de la grosseur d'un pigeon ; leur plumage est noirâtre, mais leur bec & le bout de leurs aîles sont jaunâtres ; leurs nids sont suspendus à l'extrêmité des branches des plus grands arbres, auxquelles on croiroit qu'ils ne sont point attachés, ils n'y tiennent que par des fils ou brins d'une herbe fort longue, dont le nid lui-même est formé & est très-artistement entrelacé : à l'un des côtés du nid est une ouverture, qui sert d'entrée à l'oiseau. On voit quelquefois jusqu'à trente de ces nids sur un même arbre.


SUBTILITÉS. m. (Gram.) qualité qui fait appeller une chose subtile. Voyez SUBTIL. Il se prend au simple & au figuré. On dit la subtilité de la matiere. la subtilité de l'eau, de l'air, du feu, de la poussiere ; la subtilité de l'esprit ; la subtilité du raisonnement. Il se prend plutôt en mauvaise part qu'en bonne. Dans les hommes, on se méfie de la subtilité ; dans les choses, il s'oppose à la solidité, & il se joint à presque toutes ses acceptions une idée de petitesse.


SUBUCULAS. f. (Littérat. rom.) c'étoit chez les Grecs l'habit de dessous, indusium, . Depuis que les Romains prirent une seconde tunique, on appella celle de dessus tunica superaria, , & celle de dessous tunica subucula ; celle-ci étoit de lin, & répondoit à nos chemises d'aujourd'hui ; une chemise de lin usée se nommoit subula trita. (D.J.)


SUBUR(Géog. anc.) 1°. fleuve de la Mauritanie tingitane. Ptolémée, l. IV. c. j. marque l'embouchure de ce fleuve sur la côte de l'Océan atlantique, entre l'embouchure du fleuve Lixus & le golfe Emporicus. Pline, l. V. c. j. fait aussi mention de ce fleuve, dont le nom moderne est Subu, selon quelques-uns, & Sus ou Cebit selon d'autres.

Il sort du mont Ciligo ou Salego, au royaume de Fez, dans la province de Cuz, & se précipite si rapidement, qu'il entraîne avec soi des pierres qui pesent un quintal. Il y a sur cette riviere un pont de cent cinquante toises de long.

Après qu'elle a traversé beaucoup de montagnes & de vallées, elle arrose une plaine à deux milles de la ville de Fez. Elle fait la même chose dans la province d'Asgar, & se jette dans la mer auprès de la ville de Maroc. Ce n'est toutefois qu'après s'être grossie de l'eau de plusieurs rivieres, comme de Guarca, de Sador, qui descendent des monts Gomere & Errif ; de celle de Fez, qui est le Fut de Pline, & le Pheut ou Theut de Ptolémée, & de celle d'Ynavan & de Bath dont la province d'Agascar est baignée.

2°. Subur, ville de l'Espagne tarragonoise. Ptolémée, l. II. c. vj. la donne aux Cosetani, & la place sur la côte entre Barcinon & Tarracon. Cette ville est connue de Pomponius Mela, l. II. c. vj. qui la compte au nombre des petites villes, situées aux environs de Tarracone. Pline, l. III. c. iij. ne fait que la nommer. Les habitans de Subur sont appellés Suburitani dans une inscription trouvée auprès de Tarragone, & rapportée par Gruter, p. 414.

L. FURIO L. F.

FAVENTINO.

SUBURITANI.

(D.J.) Public.


SUBURA(Topog. de l'anc. Rome) quartier de Rome qui étoit entre le mont Esquilin, le mont Viminal & le mont Quirinal. C'étoit le quartier ordinaire des courtisannes, & le rendez-vous des jeunes débauchés. Quand je n'eus plus, dit Perse, autour de moi que des gens complaisans, & que j'eus pris la robe blanche, c'est-à-dire la robe virile, je promenois mes yeux avec pleine licence dans le quartier Subura.

Cum blandi comites, totâque impunè Subura

Permisit sparsisse oculos, jam candidus umbo.

Dans Horace, ode v. l. V. Canidie invoque les divinités de la nuit, pour ameuter les chiens du quartier de Subura contre Varus, qui y alloit voir tous les soirs des filles de joie ; qu'ils décelent, ajoute-t-elle, sa perfidie, & qu'ils le rendent la fable de toute la ville.

Senem quòd omnes videant adulterum,

Latrent Suburanae canes.

(D.J.)


SUBURBANUou SUBURBANA, (Littérat.) en sous-entendant domus ou villa, signifioit chez les Romains une maison de campagne aux portes de Rome. Comme les sénateurs, & sur-tout ceux qui avoient beaucoup de part au gouvernement, ne pouvoient être long - tems absens de Rome ; outre ces maisons de campagne si magnifiques qu'ils avoient dans les endroits de l'Italie les plus délicieux, ils en avoient encore d'autres moins considérables dans les dehors de Rome, qu'ils appelloient leurs jardins. Les vignes des grands seigneurs italiens ont pris la place de ces suburbana. (D.J.)


SUBURBICAIRESadj. (Gram. & Jurisprud.) les provinces qui appartenoient au vicariat de Rome furent appellées suburbicaires, quasi sub urbe positae, ainsi que le démontre le P. Sirmond ; & par une suite on appella aussi églises suburbicaires celles qui étoient renfermées dans le vicariat de Rome. Cependant Saumaise & quelques autres auteurs resserrent les provinces & les églises suburbicaires dans des bornes beaucoup plus étroites ; ils prétendent que l'on ne doit donner ce nom qu'aux provinces qui étoient aux environs de Rome, dans la distance de cent milles ; d'autres ont donné dans un autre excès, & se sont efforcés de prouver que, par le terme de provinces suburbicaires, on entendoit toutes les provinces soumises à l'empire romain, ou du-moins celles qui étoient comprises sous ce qu'on appelle occident. Telle est l'opinion de Schelstrate & de Léon Allatius ; mais M. Dupin, partisan de l'opinion du P. Sirmond, a démontré l'erreur des deux autres opinions, & a prouvé solidement que le titre de suburbicaire étoit donné aux provinces & églises comprises dans le vicariat de Rome. (A)


SUBVENIRv. n. (Gram.) secourir, soulager. J'étois dans la détresse, il ne dédaigna pas de connoître ma misere & d'y subvenir. Ma grand-mere resta veuve à trente-trois ans, & elle avoit eu vingt-deux enfans, huit dans les quatre premieres couches ; il lui en restoit dix-neuf vivans autour de sa table. Je ne sais comment elle parvint à les élever & à subvenir à tous leurs besoins, avec le peu de fortune qu'elle avoit. De tant d'enfans, aucun n'est parvenu au-delà de soixante & quinze ans : je n'en ai jamais vu que trois ; je suis encore jeune, & au moment où j'écris, il n'en reste pas un. Avec quelle vîtesse les hommes passent ! Comment la nature subvient -elle à une diminution si rapide de l'espece ?


SUBVENTIONS. f. (Finance) tout impôt surajouté, pour fournir à de nouveaux besoins de l'état.


SUCon donne le nom de suc à tous les fluides ou humeurs du corps animal, ou du-moins à la plus grande partie. Voyez FLUIDE, HUMEUR & CORPS.

Le suc nerveux est une liqueur qui, suivant quelques médecins, se trouve dans les nerfs, d'où elle a tiré son nom.

Glisson, Wharton & Willis sont les premiers qui ayent parlé du suc nerveux. Ils croyent qu'il sert de véhicule aux esprits animaux, dont il empêche la trop grande dissipation, & que les parties du corps en sont nourries. Mais la plûpart des médecins modernes nient l'existence de ce suc. Voyez NERF, ESPRIT, &c.

Suc pancréatique, est une liqueur qui se sépare dans les glandes du pancréas. Voyez PANCREAS & PANCREATIQUE.

Suc gastrique, est une humeur ainsi nommée à cause qu'elle se sépare dans l'estomac ou ventricule, elle sert à la digestion.

Suc nourricier, est la matiere & l'étoffe de nos parties, il est différent, selon la qualité, la sécheresse des fibres & des humeurs. Dans les goutteux, il est goutteux ; dans les écrouelleux, il est écrouelleux ; dans les vérolés, il est vérolique ; dans les scorbutiques, il est scorbutique ; dans les galeux & dartreux, il est empreint d'un virus analogue à ces maladies : cela posé.

C'est la dépravation des sucs qui produit la cacochimie, la consomption & toutes les maladies lentes ; il n'y a pas de remede dans aucun des vices qui en proviennent sans changer auparavant la qualité vicieuse du suc nourricier. Et comme celle-ci est occasionnée par l'acrimonie de la lymphe, le vice des digestions, de l'hématose & des secrétions, il faut, avant toutes choses, penser à remédier à toutes ces causes, ainsi la cure thérapeutique de la dépravation du suc nourricier consiste à changer les fonctions naturelles, animales & vitales, s'il est possible.

SUC, en Pharmacie, est une préparation faite avec les végétaux.

Le suc est une liqueur qu'on tire des végétaux par incision ou par expression ; on en tire aussi des animaux, mais on leur donne d'autres noms.

Le suc qui se tire par incision est meilleur que celui qu'on retire par expression, parce que la presse fait couler beaucoup de parties terrestres avec la liqueur.

Pour avoir cette espece de sucs, on fait les taillades à la plante ou à sa racine ; il sort peu-à-peu par ces ouvertures une humeur qu'on fait évaporer au soleil, ou à une chaleur très-lente : c'est de cette maniere qu'on prépare l'aloës succotrin & le sang-dragon.

Les sucs se tirent par expression en pilant la plante, ses feuilles ou sa racine dans un mortier ; & l'exprimant fortement, il en sort une liqueur qu'on peut faire épaissir par la chaleur du soleil, ou par le feu : c'est ainsi que l'on prépare l'aloës caballin, le méconium, que nous appellons opium, l'acacia, l'hypociste, l'elaterium.

On tire davantage de suc de la plante, si, avant que de l'exprimer, on la laisse en digestion pendant quelques heures.

Plusieurs plantes sont naturellement si peu succulentes, qu'on doit les arroser de quelque liqueur appropriée lorsqu'on veut en tirer le suc : telles sont la petite centaurée, la verge d'or, l'armoise, l'euphraise & plusieurs racines.

Lorsqu'on veut garder les sucs en liqueur, on les dépure, soit en les faisant bouillir, soit en les coulant, soit en les laissant reposer un jour ou deux au soleil, & en les séparant ensuite de leur sédiment, on en remplira des bouteilles, on y ajoutera de l'huile d'amandes douces à la hauteur de deux doigts, cela empêche l'action de l'air qui y occasionneroit la fermentation & la corruption.

SUCS ARSENICAUX, (Chimie) les sucs arsénicaux, ou substances arsénicales, forment trois classes, qui sont l'orpiment, le réalgar, & l'arsenic proprement dit. Voyez ces trois mots.

Ces sortes de substances ont beaucoup d'affinité avec le soufre, aussi bien qu'avec les métaux. Elles conviennent avec le soufre, en ce qu'elles se dissolvent dans les huiles, qu'elles brûlent, s'enflamment, & que pendant ce tems, elles répandent une odeur de soufre plus forte, & souvent nuisible ; de plus, elles s'élevent entierement par la chaleur du feu en une légere fumée, ou comme les Chimistes l'appellent en une fleur volatile, sans qu'il reste rien ou très-peu de matiere métallique. Elles participent des métaux, & sur-tout du mercure, puisqu'elles en ont l'éclat, ou qu'elles le reçoivent facilement ; qu'elles laissent souvent après l'évaporation un peu de métal, & que leurs exhalaisons blanchissent le cuivre, comme le font celles du mercure. (D.J.)

SUCS BITUMINEUX, (Chimie) Les Chimistes appellent sucs bitumineux, des corps minéraux inflammables, qui se dissolvent, & se mêlent dans l'huile ; on divise les sucs bitumineux, en bitumes proprement dits, qui sont liquides ou concrets, en soufre & en arsenic. Voyez BITUME, SOUFRE, ARSENIC & SUCS ARSENICAUX. (D.J.)


SUCCADANA(Géogr. mod.) petite ville des Indes orientales, dans la partie occidentale de l'île de Bornéo, à l'embouchure de la riviere de Lavi, avec un port, que M. de Lisle nomme Porto-Dato. (D.J.)


SUCCASSES(Géog. anc.) peuples de la Gaule Aquitanique. C'est Pline, l. IV. c. 19. qui en parle. M. de Valois, p. 524. croit trouver des traces du nom de ce peuple dans Secus, ou Saucats, bourg situé entre la Garonne & l'Elyre, à trois lieues de Bourdeaux. (D.J.)


SUCCEDANÉEadj. en Pharmacie, est un remede qu'on substitue à un autre qui avoit été prescrit d'abord, lorsqu'on ne peut pas se procurer les drogues nécessaires pour la composition de cet autre. Voyez SUBSTITUT. Ce mot est formé du latin succedo, succéder, venir après.

Substitut & succedaneum emportent la même idée, à-moins qu'on n'aime mieux, avec quelques auteurs, employer le mot substitut, pour un simple qu'on met à la place d'un autre de pareille vertu ; & succedanée pour un remede composé dont on se sert au lieu d'un autre.


SUCCÉDERv. n. (Gram.) c'est se suivre ; les jours se succedent, mais ils ne se ressemblent pas. C'est remplir la place qu'un autre a laissée vacante ; qui est-ce qui succédera à ce vieil abbé ? C'est regner tour-à-tour ; les passions se succédent tour-à-tour les unes aux autres, & forment le zodiaque de notre vie. C'est hériter ; un fils succede à toute la richesse de son pere. C'est avoir un bon ou mauvais succès ; cette entreprise vous succédera bien ou mal. Voyez SUCCESSEUR.


SUCCENTEURS. m. (Hist. eccl.) synonyme à sous-chantre.


SUCCENTURIÉadj. (Anat.) deux muscles du bas-ventre, appellés maintenant pyramidaux. Voyez PYRAMIDAUX.


SUCCESS. m. (Gram.) fin ou issue bonne ou mauvaise d'une affaire. Le succès d'une entreprise ne dépend pas toujours de la prudence. Cette vertu nous console seulement, lorsqu'il ne répond pas à notre attente. Quel que soit le succès d'une chose, il vient de Dieu. Il n'arrive jamais, que ce qui doit arriver. Si le succès étoit autre, il faudroit que l'ordre universel changeât. Lorsque l'Etre tout-puissant gratifie une créature d'un bon succès, il fait un miracle aussi grand que quand il créa l'univers. Il faut la même puissance pour changer l'enchaînement universel des causes, que pour l'instituer. Si Dieu écoutoit nos souhaits & qu'il nous accordât des succès tels que nous les desirons, il feroit marcher l'univers à notre fantaisie, & souvent il nous châtieroit séverement. Qui est ce qui sait, si le succès qu'il demande, est celui qui convient vraiment au bon sens ? Reconnoissons donc la vanité & l'indiscrétion de nos voeux, & soumettons nous aux événemens.


SUCCESSEURS. m. (Gram. & Jurispr.) est celui qui remplace quelqu'un ; c'est un terme générique qui comprend différentes sortes de personnes qui succedent à des titres & à des objets différens.

Un héritier est un successeur à titre universel, mais tout successeur n'est pas héritier.

On peut être successeur d'un défunt ou d'une personne vivante.

Les légataires universels & particuliers sont des successeurs à un défunt, l'un à titre universel, l'autre à titre particulier ; mais ils ne sont pas héritiers.

Un donataire entre-vifs, est un successeur à l'égard de son donataire, quant aux biens donnés.

Celui qui est pourvu d'un bénéfice, au lieu & place d'un autre, est le successeur du précédent titulaire, quant au bénéfice.

L'acquéreur d'un office est le successeur de son prédécesseur : dans les offices de procureur & de notaire, celui qui a acheté l'office & la pratique, s'appelle successeur à l'office & pratique. Voyez BENEFICE, HERITIER, LEGS, OFFICE, PRATIQUE, SUCCESSION. (A)


SUCCESSIFadj. (Gram. & Jurispr.) est ce qui est relatif à une succession, comme titre successif, droit successif. Voyez SUCCESSION. (A)


SUCCESSIONen Philosophie, est une idée qui nous vient en réfléchissant sur cette suite d'idées enchaînées constamment les unes aux autres dans notre esprit, lorsque nous veillons.

La distance qu'il y a entre les parties de cette succession, est ce que nous appellons durée. Quand cette succession d'idées cesse, nous n'avons pas de perception du tems, ni de sa durée : mais le moment auquel nous nous endormons, & celui auquel nous nous réveillons, semblent joints ensemble.

Ceux qui pensent que nous acquérons l'idée de la succession, en observant le mouvement par le moyen des sens, tombent dans le sentiment de M. Locke & par - delà, quand ils considerent que le mouvement ne produit pas l'idée de succession, autrement qu'en produisant une suite continue d'idées qu'on peut distinguer les unes des autres.

Un homme qui considere un corps en mouvement, ne perçoit point le mouvement, à-moins que le mouvement ne produise une suite constante d'idées successives.

Mais en quelque lieu qu'un homme soit placé, quoique tout soit en repos autour de lui ; pourvu qu'il pense, il aura l'idée de la succession. Voyez TEMS.

SUCCESSION, s. f. (en Astronomie) la succession des signes, est l'ordre dans lequel ils se suivent, & suivant lequel le soleil y entre successivement. On appelle aussi cette succession, ordre des signes, & en latin consequentia. Voyez SIGNE. Cet ordre est exprimé dans les deux vers techniques qui suivent.

Sunt aries, taurus, gemini, cancer, leo, virgo,

Libraque, scorpius, arcitenens, caper, amphora, pisces.

Quand une planete est directe, on dit qu'elle va suivant l'ordre & la succession des signes, ou in consequentia, c'est-à-dire, d'aries en taurus, &c. Quand elle est retrograde, on dit qu'elle va contre l'ordre & la succession des signes, ou in antecedentia, c'est-à-dire, de gemini en taurus, ensuite en aries, &c. Voyez DIRECTE, RETROGRADE, &c. Chambers. (O)

SUCCESSION, (Jurisprud.) en général, est la maniere dont quelqu'un entre en la place d'un autre, ou recueille ses biens & ses droits avec leurs charges.

On succede à une personne vivante ou décédée dans un office, dans un bénéfice.

On peut aussi succéder aux biens, droits & charges d'une personne vivante, soit par donation, vente, échange, transport, subrogation ou autrement.

Mais l'on entend plus ordinairement par le terme de succession, la maniere dont les biens, droits & charges d'un défunt sont transmis à ses héritiers ou légataires.

On entend aussi par succession ou hérédité, la masse des biens, droits & charges qu'une personne laisse après sa mort.

Les successions aux biens & droits d'un défunt sont légitimes ou testamentaires ; on appelle légitimes, ou ab intestat, celles qui dérivent de la loi seule ; & testamentaires, celles qui sont fondées sur le testament du défunt.

On appelle héritier, celui qui recueille une succession en vertu de la loi, ou qui est institué héritier par testament. On appelle légataire, celui qui recueille une succession en tout ou en partie par testament ; mais à titre de legs, & non à titre d'institution d'héritier.

Toute personne est habile à recueillir une succession, à laquelle elle est appellée par la loi, ou par la disposition de l'homme, à-moins qu'il n'y alt dans l'héritier quelque cause d'incapacité d'héritier.

La succession ne comprend pas toujours tous les biens dont jouissoit le défunt, mais seulement ceux qu'il a pu transmettre à ses héritiers.

Il se trouve quelquefois dans une succession plus de dettes & charges que de biens.

Une succession peut même être sans biens, soit qu'ils se trouvent absorbés par les dettes, soit que le défunt n'en ait laissé aucuns ; c'est à l'héritier à voir s'il lui convient d'accepter la succession, & s'il espere y trouver quelque bénéfice présent ou avenir.

Les charges des successions sont de trois sortes ; la premiere, de celles qui sont dûes indépendamment de la volonté du défunt, comme ses dettes passives, la restitution d'un bien dont il n'avoit que l'usufruit ; la seconde, de celles qu'il peut avoir imposée sur ses biens, comme les legs ; & la troisieme, de celles qui peuvent survenir après sa mort, telles que les fraix funéraires.

La succession non encore acceptée, représente le défunt.

Les héritiers présomptifs ont trois mois pour faire inventaire des biens de la succession, & encore quarante jours pour délibérer s'ils accepteront la succession.

Cette acceptation est expresse ou tacite.

Elle est expresse, lorsque l'on prend la qualité d'héritier ; & tacite, lorsque l'on fait acte d'héritier, c'est-à-dire, que l'on s'immisce dans la jouissance des biens de la succession.

L'héritier qui craint que la succession ne lui soit plus onéreuse que profitable, a deux moyens de s'en garantir ; l'un, est de renoncer à la succession ; l'autre, de l'accepter par bénéfice d'inventaire.

L'adition pure & simple d'hérédité, oblige indéfiniment aux dettes ; l'adition en acceptation par bénéfice d'inventaire, n'oblige aux dettes, que jusqu'à concurrence de l'émolument.

Les dettes se divisent entre les héritiers, à proportion de la part que chacun prend dans les biens.

Les biens d'une succession ne s'estiment point, que déduction faite des dettes.

Le partage des biens de la succession, se fait par souches ou par tête ; par souches, lorsqu'il y a lieu à la représentation ; par tête, lorsqu'il n'y a point d'héritier dans le cas de la représentation.

Il y a trois ordres différens pour les successions légitimes ou ab intestat, celui des enfans & autres descendans ; celui des ascendans, & celui des collatéraux.

Le premier ordre de succession, est donc celui des enfans & petits enfans, lesquels succedent au défunt, par préférence à tous autres héritiers.

Les enfans succedent par portions égales.

Les petits enfans viennent par représentation avec les enfans du premier degré ; & aussi entr'eux, quoiqu'il n'y ait point d'enfans au premier degré.

Suivant le droit romain, les pere & mere, & à leur défaut les autres ascendans, succedent à leurs enfans & petits enfans décédés sans postérité.

Les ascendans les plus proches excluent les plus éloignés ; ils succedent entr'eux par souches, & non par têtes.

Les freres germains & les soeurs germaines, succedent avec les ascendans des neveux du défunt, ils peuvent aussi concourir avec eux.

Au défaut des ascendans, les collatéraux les plus proches succedent au défunt.

En pays coutumier, à défaut de descendans du défunt, les ascendans succedent aux meubles & acquêts, & aux choses par eux données ; mais les collatéraux sont préférés aux ascendans pour les propres de leur ligne.

Dans les pays de droit écrit, & dans les coutumes de double lieu, les freres germains excluent les autres.

Les enfans des freres germains concourent avec leurs oncles, ils excluent les freres consanguins, & les freres utérins.

Les freres consanguins & les freres utérins concourent ensemble.

Les enfans des freres & soeurs viennent par représentation avec leurs oncles & tantes.

Les autres collatéraux viennent selon leur proximité de degré.

L'égalité qui doit être observée entre certains héritiers, selon qu'elle est prescrite plus ou moins étroitement par les loix & les coutumes, oblige les héritiers à rapporter à la succession ce qu'ils ont reçu ; ce qui se fait en remettant effectivement les biens à la masse, ou en précomptant sur leur part héréditaire, ce qu'ils ont reçu. Voyez RAPPORT.

La matiere des successions est particulierement traitée dans le digeste, depuis le commencement du XVIII. livre, jusqu'à la fin du XXXVIII. Elle comprend tout le VI. livre du code, excepté les huit premiers titres ; & dans les institutes, elle commence au tit. 10. du l. II. & finit avec le tit. 13. du III. l.

Voyez aussi le III. & IV. liv. des Sentences de Paulus, & les Traités de Grassus, Barry, le Brun.

Sur ce qui concerne en particulier les successions testamentaires, on peut voir les mots DONATION A CAUSE DE MORT, HERITIER INSTITUE, LEGS, TESTAMENT, CODICILLE, FIDEI-COMMIS, SUBSTITUTION.

SUCCESSION ABANDONNEE ou VACANTE, est celle qui n'est reclamée par aucun héritier ni par aucune autre personne qui prétende y avoir droit au défaut des héritiers. On dit plus ordinairement succession vacante. Voyez ci-après SUCCESSION VACANTE.

SUCCESSION AB INTESTAT, ainsi nommée par abréviation du latin ab intestato, comme qui diroit quae ab intestato defertur, est celle qui est déférée par la loi lors que le défunt est mort intestat, c'est-à-dire sans avoir disposé des biens par testament ou autre disposition à cause de mort. Voyez ci-devant le mot SUCCESSION.

SUCCESSION DES AFFRANCHIS, étoit celle qui étoit déférée au patron, à l'effet de recueillir les biens de celui qui avoit été autrefois son esclave, & qu'il avoit affranchi.

Les regles que l'on observoit pour cette succession sont expliquées aux Institutes, lib. III. tit. 8. Voyez AFFRANCHI & ESCLAVE.

SUCCESSION DES ACQUETS, est celle qui comprend les biens acquets ; elle comprend aussi ordinairement les meubles, mais cela dépend de la disposition des coutumes. Voyez ACQUETS, SUCCESSION MOBILIAIRE, PROPRES, SUCCESSION DES PROPRES.

SUCCESSION DES AGNATS, agnatorum, étoit celle qui étoit déférée par la loi aux parens paternels agnati, au défaut des héritiers siens, & à l'exclusion des cognati ou parens du côté maternel.

Mais à-peu-près l'on admit aussi les cognats, & Justinien ayant enfin supprimé la différence que l'on faisoit entre les agnats & les cognats, voulut qu'ils fussent tous admis également selon la proximité de leur parenté avec le défunt. Voyez la loi des xij. tables ; la nov. 18. ch. iij. ; la nov. 118, ch. iv, les Instit. lib. III. tit. 2, & SUCCESSION DES COGNATS.

SUCCESSION ANCIENNE, veut dire l'ancien patrimoine des biens propres. La coutume de Normandie se sert de ce terme en ce sens, art. 240. On en trouve plusieurs autres exemples dans les coutumes. Voyez ACQUETS, HERITAGE, PATRIMOINE, NAISSANT, PROPRES.

SUCCESSION ANOMALE ou IRREGULIERE, est celle qui est déférée à quelqu'un contre le cours ordinaire des successions, telles sont les successions des seigneurs par droit de deshérence, bâtardise ; la succession du fisc par droit de confiscation.

SUCCESSION ANTICIPEE, est celle dont on commence à jouir d'avance ; c'est ainsi que l'on qualifie quelquefois les donations qui sont faites aux enfans par leurs pere & mere en avancement d'hoirie. Voyez AVANCEMENT D'HOIRIE, DONATION, HOIR, HEREDITE, SUCCESSION.

SUCCESSION APPREHENDEE, du latin apprehendere qui signifie prendre, est celle dont on a déja pris possession.

SUCCESSION ASCENDANTE, est l'ordre suivant lequel les ascendans succedent à leurs enfans, & autres descendans qui meurent sans postérité. Voyez SUCCESSION DESCENDANTE, SUCCESSION DIRECTE, SUCCESSION EN LIGNE DIRECTE.

SUCCESSION BENEFICIAIRE ou PAR BENEFICE D'INVENTAIRE, est celle que l'héritier n'accepte que sous le bénéfice d'inventaire, c'est-à-dire sous condition de n'être point tenu des dettes au-delà du contenu en l'inventaire. Voy. BENEFICE D'INVENTAIRE, DETTES, HERITIER, INVENTAIRE.

SUCCESSION EN EAUX, est celle qui est reglée par la coutume locale du bailliage de Caux, pour les biens regis par ladite coutume. Voyez la coutume de Normandie à la fin.

SUCCESSION DES COGNATS, étoit celle des parens du côté maternel appellés cognati, lesquels anciennement ne succédoient point en vertu de la loi avec les agnats ou parens paternels, mais seulement à leur defaut, & en vertu de l'Edit du préteur ; mais depuis la distinction des agnats & des cognats fut supprimée. Voyez SUCCESSION DES AGNATS.

SUCCESSION COLLATERALE, est celle qui passe du défunt à un héritier collatéral, c'est-à-dire qui n'est ni de ses ascendans ni de ses descendans, & qui n'est son parent que à latere. Voyez COLLATERAL, & ci-devant le mot SUCCESSION.

SUCCESSION CONTRACTUELLE, est celle dont l'ordre est reglé non par la loi, mais par un contrat ou donation entre-vifs, telles sont les institutions & substitutions contractuelles. Voyez le traité des conventions de succéder par Boucheul ; DONATION, INSTITUTION CONTRACTUELLE & SUBSTITUTION CONTRACTUELLE.

SUCCESSION COUTUMIERE, est celle qui est déférée, non selon la disposition de droit, mais reglée par la disposition de quelque coutume. Voyez Berault sur la coût. de Normandie, tom. I. p. 510. col. 2.

SUCCESSION DESCENDANTE, est celle qui est déférée en descendant aux enfans ou petits-enfans du défunt, selon la proximité de leur dégré. Voyez SUCCESSION ASCENDANTE & SUCCESSION DIRECTE.

SUCCESSION DEFEREE, c'est-à-dire que la loi donne à quelqu'un. Voyez SUCCESSION DEVOLUE.

SUCCESSION DES PROPRES, est celle qui comprend les propres ou biens anciens & patrimoniaux du défunt ; on la distingue de la succession des meubles & acquets, parce que celle - ci appartient au plus proche parent, au-lieu que la succession des propres paternels & maternels appartient à l'héritier qui en est le plus proche du côté où les propres sont échus au défunt. Voyez HERITIER, LIGNE, PROPRES.

SUCCESSION DEVOLUE ou DEFEREE ; ces termes sont souvent synonymes, si ce n'est que par le terme dévolue on entend plus particulierement celle qui d'un héritier a passé à un autre. Voyez HERITIER, RENONCIATION, SUCCESSION, SUCCESSION DEFEREE.

SUCCESSION DIRECTE ou EN LIGNE DIRECTE, est celle qui passe en droite ligne du défunt à son héritier, comme du pere au fils ou petit-fils, ou autre descendant, ou du fils ou petit-fils, au pere ou ayeul, ou autre ascendant. Voyez SUCCESSION ASCENDANTE & DESCENDANTE, SUCCESSION COLLATERALE.

SUCCESSION DIRECTE ASCENDANTE, est celle qui passe en droite ligne des descendans aux ascendans.

SUCCESSION DIRECTE DESCENDANTE, est celle qui passe en droite ligne des ascendans aux descendans. Voyez SUCCESSION DIRECTE & COLLATERALE.

SUCCESSION DROITE pour DIRECTE en l'ancienne coutume de Normandie. Voyez TERRIEN & SUCCESSION DIRECTE.

SUCCESSION DU FISC, est lorsque le fisc succede au défaut d'héritier par droit de deshérence ou par droit de confiscation. Voyez DESHERENCE, CONFISCATION, FISC.

SUCCESSION ECHUE, est celle qui est tombée ou dévolue à quelqu'un : une succession échue est différente d'une succession future, en ce que l'héritier a un droit acquis à la premiere, au lieu qu'il n'a qu'une espérance casuelle aux successions futures.

SUCCESSION EN DROITE LIGNE, est la même chose que succession en ligne directe.

On entend aussi quelquefois par-là ce qui est échu par succession immédiate à quelqu'un, quoiqu'en ligne collatérale, ou même par legs fait à un étranger ; c'est une expression impropre en ce sens. Voyez SUCCESSION DIRECTE.

SUCCESSION EN PROPRE ; la coutume de Normandie se sert de ce terme pour exprimer la succession aux biens propres & ancien patrimoine, tant en directe que collatérale. Voyez l'article 235 & suivant.

SUCCESSION FEODALE, est celle par laquelle un fief est échu à l'héritier. On entend aussi souvent parlà, l'ordre que les coutumes ont établi pour succéder aux fiefs.

SUCCESSION FIDEICOMMISSAIRE, est celle que l'héritier ne recueille que par forme de fidéicommis, c'est-à-dire, à la charge de la rendre à un autre héritier, soit de son vivant ou après sa mort, suivant les conditions apposées au fidéicommis. Voyez ci-devant FIDEICOMMIS, HERITIER, SUBSTITUTION, SUBSTITUTION FIDEICOMMISSAIRE, & ci - après SUCCESSION FIDUCIAIRE.

SUCCESSION FIDUCIAIRE, est la même chose que succession fidéicommissaire ; c'est celle que l'héritier est chargé de rendre à un autre. Voyez FIDEICOMMIS & SUBSTITUTION, SUCCESSION FIDEICOMMISSAIRE.

SUCCESSION FUTURE, est celle qui n'est pas encore échue, mais que l'on peut espérer de recueillir un jour à venir.

L'héritier présomptif ne peut pas en général disposer des successions futures, parce que viventis non est hereditas ; il y a néanmoins des cas où l'on peut renoncer à une succession future. Voyez RENONCIATION A SUCCESSION FUTURE.

SUCCESSION JACENTE, du latin jacere, est la même chose que succession abandonnée ou vacante.

SUCCESSION IMMOBILIAIRE, est celle qui comprend les immeubles du défunt, tels que les maisons, terres, rentes, offices & droits réels ; on distingue quelquefois la succession immobiliaire de la succession mobiliaire, parce que dans certaines coutumes, l'héritier des meubles & celui des immeubles ne sont pas toujours le même : en quelques lieux la succession mobiliaire doit acquiter l'immobiliaire des dettes.

SUCCESSION INDIVISE, est celle qui n'est point encore partagée entre les héritiers & autres qui peuvent y avoir droit, tels que la veuve du défunt, les donataires & légataires. Voyez PARTAGE & SUCCESSION.

SUCCESSION IRREGULIERE. Voyez SUCCESSION ANOMALE.

SUCCESSION LEGITIME, est celle qui est dévolue à quelqu'un par le seul bénéfice de la loi, sans aucune disposition de l'homme ; on en distinguoit de deux sortes, celle des héritiers siens, & celle des agnats : depuis tous les enfans & petits-enfans furent mis au rang des héritiers siens, & les cognats furent mis au rang des agnats.

La novelle 118 introduisit trois ordres de successions légitimes ; le premier est celui des descendans ; le deuxieme est celui des ascendans ; & le troisieme est celui des collatéraux.

La succession des enfans à leur mere, & celle de la mere aux enfans, étoit aussi une succession légitime déja introduite par les sénatus-consultes Tertyllien & Orphitien. Voyez SUCCESSION AB INTESTAT, HERITIER-SIEN, SIEN, SUITE, COGNATS, AGNATS, MERE, SUCCESSION DES MERES, & aux institutes le titre de haeredit. quae ab intestato deferuntur.

SUCCESSION LUCTUEUSE, luctuosa, est celle qui défere aux pere, mere, & à leur défaut aux autres ascendans en remontant, les biens de leurs enfans & petits-enfans décédés sans postérité. Cette sorte de succession est appellée luctueuse, parce qu'elle est contre l'ordre de nature, suivant lequel les enfans doivent succéder aux pere & mere, & non les pere & mere à leurs enfans. Voyez aux institutes de Justinien, lib. III. tit. iv.

SUCCESSION MAIN-MORTABLE, est celle d'une personne de main-morte qui est déférée au seigneur de la main-morte. Voyez ci-devant MAIN-MORTABLE, MAIN-MORTE.

SUCCESSION MATERNELLE, est celle qui provient à l'héritier, soit de la mere directement, soit du côté maternel. Voyez SUCCESSION PATERNELLE.

SUCCESSION DES MERES, est celle par laquelle les enfans viennent à la succession de leur mere décédée, & réciproquement la mere vient à la succession de ses enfans décédés sans postérité.

Par l'ancien droit romain, la conjonction féminine étoit si peu considérée, que les enfans ne succédoient point à leur mere ni la mere à ses enfans. Le sénatus-consulte Orphitien appelle les enfans à la succession de la mere, & le Tertyllien à la succession de leurs enfans.

L'édit de Charles IX. donné à Saint-Maur au mois de Mai 1567, appellé communément l'édit des meres, regle que les meres seroient réduites à l'usufruit des biens paternels avec la propriété des meubles & acquêts qui n'en faisoient pas partie ; mais cet édit a été revoqué par un autre édit du mois d'Août 1729, qui a ordonné que les successions des meres à leurs enfans seroient reglées suivant les loix romaines, comme elles l'étoient avant l'édit de Saint-Maur.

Voyez aux institutes les titres de S. C. Orphitiano & Tertylliano, & ci-devant au mot ÉDIT, l'article Edit des meres.

SUCCESSION DES MEUBLES ET AQUETS, est celle qui comprend le mobilier du défunt & les immeubles par lui acquis.

Les coutumes reglent diversement la succession des meubles & acquêts & ses charges : l'usage le plus général est que cette succession appartient au plus proche parent sans distinction de côté ni ligne, à la différence de la succession des propres, laquelle est déférée suivant l'ordre de proximité dans la ligne de laquelle vient le propre. Voyez AQUETS, MEUBLES, MOBILIERS, PROPRES, QUINT, SUCCESSION MOBILIAIRE.

SUCCESSION MISERABLE, successio miserabilis, étoit chez les Romains une maniere d'acquérir en propriété des biens à titre universel ; elle avoit lieu lorsqu'un homme libre se vendoit lui-même, tous biens étoient acquis à celui qui avoit acheté sa personne.

De même aussi lorsqu'une femme libre qui avoit commerce avec un esclave ne s'en abstenoit point après trois sommations, tous ses biens étoient acquis au maître de l'esclave.

Mais ces sortes de successions furent abolies, l'une par l'empereur Justinien, l'autre par l'empereur Léon, surnommé le sage. Voyez aux institutes, liv. III. tit. iij.

SUCCESSION MOBILIAIRE, est celle qui comprend le mobilier du défunt ; on comprend cependant quelquefois aussi sous ce terme la succession des acquêts, parce qu'elle suit communément le même sort que celle des meubles ; mais il faut consulter là-dessus chaque coutume, cette matiere étant reglée diversement. Voyez ACQUETS, MEUBLES, MOBILIER, HERITIERS DES MEUBLES, PROPRES, SUCCESSION DES MEUBLES & ACQUETS.

SUCCESSION NOBLE, est celle qui se partage noblement entre les héritiers ; la qualité de la succession dépend en quelques coutumes de celle des biens : les successions nobles sont celles des fiefs & franc-aleux nobles, lesquels se partagent toujours noblement, même entre roturiers. Tel est l'usage à Paris, & dans le plus grand nombre des coutumes : dans celles d'Anjou & Maine, la qualité des successions dépend de celle des personnes & non des biens : cependant la succession d'un noble dévolue à des héritiers roturiers, se partage noblement pour la premiere fois ; il en est de même des biens hommagés qui sont tombés en tierce foi, ils se partagent noblement entre roturiers. Voyez FIEF, FOI, (tierce) NOBLE, PARTAGE, & les coutumes d'Anjou & Maine, titre des partages, & Dupineau sur Anjou.

SUCCESION OBEREE, est celle qui est chargée de dettes & autres charges. Voyez CHARGES, DETTES, LEGS.

SUCCESSION OUVERTE, est celle qui est échue à quelqu'un par le décès de celui de cujus bonis : on dit figurément la succession est ouverte, comme si l'entrée en étoit ouverte par le décès du défunt. Voyez SUCCESSION ECHUE.

SUCCESSION PATERNELLE, est celle qui est échue à l'héritier par le décès de son pere, ou autre ascendant du côté paternel ; on l'appelle ainsi pour la distinguer de ce qui est échu du côté maternel. Voyez ci-devant SUCCESSION MATERNELLE.

SUCCESSION PRETORIENNE, étoit celle qui étoit déférée, non par la loi, mais en vertu de l'édit du préteur, dans les cas où l'on n'étoit pas appellé par la loi ; telle étoit la succession des cognats, avant que Justinien les eût assimilés en tout aux agnats. Voyez ci-devant SUCCESSION DES AGNATS & SUCCESSION DES COGNATS.

SUCCESSION PAR REPRESENTATION, est lorsque l'héritier ne vient pas à la succession de son chef, mais comme représentant son pere ou sa mere prédécédés, qui auroient été en parité de degré pour succéder avec les co-héritiers du représentant. Voyez REPRESENTATION.

SUCCESSION REPUDIEE, est celle à laquelle un héritier a renoncé. Voyez HERITIER, RENONCIATION, SUCCESSION.

SUCCESSION ROTURIERE, est celle qui n'est composée que de biens tenus en roture, ou qui se partagent roturierement entre les héritiers, soit nobles ou roturiers. Voyez ci-devant SUCCESSION NOBLE.

SUCCESSION PAR SOUCHES, in stirpes, est celle où plusieurs personnes sorties d'une même souche ou tronc viennent entr'elles pour une même portion par représentation de leur pere, mere, ayeul ou ayeule qui étoit en même degré que les autres héritiers. Voyez ci-devant REPRESENTATION, & ci-après SUCCESSION PAR TETES.

SUCCESSION PAR TETES, in-capita, est opposée à celle qui se fait par souches, in stirpes ; les héritiers qui succedent par têtes sont ceux qui viennent de leur chef à la succession, & non par représentation d'une personne décédée ; on dit qu'ils succedent par têtes, parce qu'ils sont comptés chacun pour une tête dans la succession, au-lieu que ceux qui viennent par représentation ne sont comptés tous ensemble que pour une tête. Voyez ci-devant REPRESENTATION & SUCCESSION PAR SOUCHES.

SUCCESSION PAR TIGES, est la même chose que succession par souches. Voyez ci-devant REPRESENTATION & SUCCESSION PAR SOUCHES.

SUCCESSION PAR VENTE SOLEMNELLE, étoit un moyen d'acquérir usité chez les Romains, par lequel tous les biens d'un débiteur caché, & qui ne se défendoit pas, ou qui étoit condamné & ne satisfaisoit pas au bout de trente jours, étoient vendus de l'autorité du préteur, & acquis à l'acheteur à condition de satisfaire aux créanciers.

Mais depuis que tous les jugemens furent rendus extraordinaires, on supprima ces sortes de ventes, & il fut permis aux créanciers de posséder les biens de leurs débiteurs, & de les faire vendre de l'autorité du magistrat. Voyez aux Instit. liv. III. le tit. 13. & le mot CREANCIER, DEBITEUR, DETTE, GAGE, HYPOTHEQUE.

SUCCESSION TESTAMENTAIRE, est celle qui est déférée, non par la loi ou la coutume, mais en vertu d'un testament ou codicille, ou autre disposition à cause de mort, à la différence de la succession ab intestat, qui est déférée par la loi. Voyez SUCCESSION AB INTESTAT.

SUCCESSION VACANTE, est celle qui n'est reclamée par aucun héritier, ni par aucune autre personne, au défaut des héritiers.

Lorsque l'on a quelque action à diriger contre une succession vacante, on fait créer un curateur à cette succession, lequel représente l'héritier, mais sans être tenu personnellement des dettes & charges de la succession, il est seulement obligé de rendre compte de ce qu'il peut avoir touché. Voyez CURATEUR A LA SUCCESSION VACANTE.

SUCCESSION UNDE VIR ET UXOR, ainsi appellée parce qu'elle a lieu en vertu de l'édit, undè vir & uxor, est une succession particuliere introduite originairement par le droit romain, & observée présentement par tout le royaume, en vertu de laquelle le survivant des conjoints par mariage succede au prédécédé à l'exclusion du fisc.

Pour que cette succession ait lieu, il faut que le prédécédé n'ait laissé ni descendans, ni ascendans, ni collatéraux capables de lui succéder.

Cette succession a lieu, non-seulement en cas de deshérence, mais aussi quand le prédécédé est bâtard ou aubain, même naturalisé, s'il ne laisse aucun héritier.

Cet usage est fondé sur ce que le fisc succede toujours le dernier, fiscus post omnes, il ne succede point tant qu'il y a quelque autre personne qui a quelque titre pour lui être préféré. Voyez au digeste le titre, undè vir & uxor ; Bacquet, de l'aubaine ; Colombet, Henrys, Bretonnier. (A)

SUCCESSION A LA COURONNE, (Droit politiq.) l'ordre de succession dans un état, est fondé sur le bien de l'état qui demande nécessairement que cet ordre soit fixé. La loi qui regle la succession des particuliers est une loi civile, qui a pour objet l'intérêt des particuliers ; celle qui regle la succession dans une monarchie, appartient au droit politique, qui a pour objet l'avantage & la conservation de l'état.

Il suit de-là, que lorsque la loi politique a établi dans un état un ordre de succession, & que cet ordre vient à finir, il est absurde de reclamer la succession en vertu de la loi civile de quelque peuple que ce soit.

Il suit encore de-là, que lorsque la loi politique a fait renoncer quelque famille à la succession, il est absurde de vouloir employer les restitutions tirées de la loi civile.

Il est ridicule de vouloir décider des droits des royaumes, des nations, & de l'univers, par les mêmes maximes sur lesquelles on décide entre particuliers d'un droit de gouttiere, pour me servir de l'expression de Cicéron.

Quand la loi politique qui a établi dans l'état un certain ordre de succession, devient destructive du corps politique pour lequel elle a été faite, il ne faut pas douter qu'une autre loi politique ne puisse changer cet ordre ; & bien loin que cette même loi soit opposée à la premiere, elle y sera dans le fond entierement conforme, puisqu'elles dépendent toutes deux de ce principe, " le salut du peuple est la suprême loi. "

Si un grand état a pour héritier le successeur d'un grand état, le premier peut fort bien l'exclure par une nouvelle loi politique, parce qu'il est utile à tous les deux états que l'ordre de la succession soit changé. Ainsi la loi de Russie faite au commencement du regne d'Elisabeth, exclut-elle prudemment tout héritier qui posséderoit toute autre monarchie : ainsi la loi de Portugal rejette-t-elle un étranger qui seroit appellé à la couronne par le droit du sang.

Les loix politiques décident encore dans les monarchies purement électives, dans quel cas la raison veut que la couronne soit déférée aux enfans, ou à d'autres. Esprit des loix. (D.J.)


SUCCINS. m. (Histoire nat. Minéral. & Chimie) en latin succinum, ambra citrina, karabe chryselectrum, smatternium, &c. c'est une substance résineuse, dure mais cassante, qui s'enflamme en répandant une odeur agréable ; elle est d'un jaune plus ou moins foncé ; il y en a d'opaque & de transparente : on la trouve en masses plus ou moins grosses.

Cette substance est la même que celle qu'on appelle ambre jaune ; elle a été décrite dans le premier volume de ce Dictionnaire sous ce nom ; cependant on a cru devoir suppléer ici à ce qui peut manquer à cet article, afin de présenter aux lecteurs quelques observations sur cette substance, qui paroît avoir été méconnue de la plupart des naturalistes.

Le succin se trouve par couches suivies en plusieurs endroits de la terre, & sur-tout dans le royaume de Prusse, sur les bords de la mer Baltique. Aux endroits où il se rencontre on voit d'abord à la surface de la terre une couche de sable, il vient ensuite une couche de glaise qui couvre une couche de bois résineux, presque entierement pourri & réduit en terre, mais qui a encore la propriété de s'enflammer. Au-dessous de ce bois se trouve une couche de terre alumineuse & vitriolique ; enfin on rencontre une nouvelle couche de sable, dans laquelle le succin est répandu par masses détachées, & en morceaux plus ou moins gros. M. Hellwing, qui a eu occasion d'observer par lui - même la situation de cette substance dans le sein de la terre, remarque dans son ouvrage qui a pour titre Lithographia angerbrugica, que l'on trouve toujours du bois bitumineux, de la terre bitumineuse noire, & du gravier, dans le voisinage du succin, & que l'on y rencontre aussi du vitriol & du soufre ; d'où il conclud, avec beaucoup de raison, que c'est un bois fossile & bitumineux qui doit être regardé comme la source d'où est venu le succin, qui se tire du sein de la terre, & que l'on nomme succin fossile, pour le distinguer de celui qui se tire de la mer ; cependant cette distinction est mal fondée, vû que le succin qui se pêche avec des filets dans la mer, & que pour cette raison l'on nomme succinum haustile, est précisément de la même nature que celui qui se tire de la terre. En effet, il ne se trouve dans la mer que parce que ses eaux poussées par les vents ont été frapper avec violence les côtes, ont miné le terrein, & en ont arraché des masses de succin qu'elles ont entraînées plus loin dans la mer. Ce qui prouve cette vérité, c'est qu'on ne trouve le succin en grande abondance dans la mer qu'à la suite des fortes tempêtes, & sur-tout de celles qui ont porté les flots avec violence contre les côtes qui contiennent des couches de cette substance : ainsi c'est une erreur de croire que le succin ait été produit dans le lit de la mer, ses eaux ne font que la détacher, & souvent on en trouve des morceaux qu'elles ont rejetté sur les bords.

En 1731, on découvrit une mine de succin en Saxe, dans le voisinage de Pretsch. Le terrein où l'on fit cette découverte est assez uni, quoique l'on y rencontre quelques butes ou inégalités ; il est composé d'un sable rougeâtre, mêlé de cailloux & de galets. Le sable rougeâtre peut avoir environ deux toises d'épaisseur, & couvre une couche de terre noire, qui est elle-même composée de deux bancs ; le premier est un limon mêlé de sable & de parties talqueuses ; en la portant sur la langue, on lui trouve un goût de vitriol, & en en jettant sur le feu il en part une fumée épaisse, & une odeur de bitume. Le second banc est une glaise grise, dans laquelle on trouve des morceaux de bois & des racines ; elle est aussi vitriolique, mais moins que le banc précédent. Le succin se trouvoit à la partie supérieure du banc noir, qui renfermoit aussi une substance semblable à du jais, & à qui, pour cette raison, on donnoit mal-à-propos le nom de succin noir, dont elle differe considérablement ; ce banc contenoit aussi différentes especes de bois bitumineux. Au-dessous de ces deux bancs étoit une glaise verdâtre qui ne contenoit rien de particulier.

Suivant le rapport de plusieurs auteurs, le terrein qui renferme ce succin de Saxe a souvent brûlé, & s'est embrasé, soit de lui-même, soit par différens accidens ; on assure que pendant les grandes chaleurs de l'été, on s'apperçoit en ce lieu d'une odeur très-agréable.

Tout ce qui vient d'être rapporté prouve que le succin est une vraie résine, qui tire son origine du regne végétal, & qui vient des arbres résineux, qui par quelque inondation ; ou quelque révolution du globe ont été ensevelis dans le sein de la terre ; origine qui lui est commune avec le charbon de terre, le jais, & tous les bitumes. La différence que l'analyse chymique fait trouver entre le succin & les résines ordinaires, ne paroît venir que du séjour qu'il a fait dans le sein de la terre, où les exhalaisons minérales, sulfureuses & vitrioliques peuvent lui avoir donné des qualités que n'a point une résine purement végétale, & qui n'a point été enfouie en terre pendant plusieurs siecles. C'est à ces mêmes vapeurs que le succin paroît être redevable de sa dureté ; car on ne peut douter que cette substance résineuse n'ait été molle & fluide dans son origine, comme toutes les résines que nous connoissons ; ce qui prouve cette vérité, c'est que les morceaux de succin que l'on trouve dans le sable, sont remplis de petits trous qui y ont été formés par les grains de gravier, lorsque cette matiere étoit encore molle ; ces petits trous, ou ces inégalités ne se trouvent point sur les morceaux de succin que l'on tire de la mer, parce qu'ils ont été roulés, & pour ainsi dire, polis par le mouvement des eaux. Ce qui démontre encore plus la fluidité primitive du succin, ce sont les insectes, les mouches, les araignées, &c. qui s'y trouvent renfermés, & comme embaumés ; nous voyons tous les jours que la même chose arrive aux insectes qui s'attachent aux arbres d'où il découle de la gomme ou de la résine.

Concluons de tous ces faits que le succin est une véritable résine, qui a découlé des bois résineux & bitumineux qui se trouvent dans la couche qui est audessus ; cette résine s'est filtrée au-travers de la couche alumineuse ou vitriolique d'où sa partie la plus pure a passé dans la couche du sable, où l'on trouve actuellement le succin ; qui par la suite des tems, soit par une évaporation lente, soit par le concours des exhalaisons de la terre, a acquis une consistance dure qu'il n'avoit point originairement.

On demandera peut-être quel est l'arbre qui a produit cette résine ? Il y a tout lieu de croire que cet arbre est étranger à ce climat où l'on trouve aujourd'hui le succin. Ce sera peut-être dans les Indes ou dans quelque pays lointain qu'il faudra chercher une résine végétale analogue. Cela ne paroîtra point absurde, pour peu que l'on fasse attention que les bois & les plantes, dont on trouve les empreintes dans les pierres feuilletées qui accompagnent nos mines de charbon de terre, sont entierement étrangeres à nos climats ; c'est une observation que M. de Jussieu a faite dans les mines de charbon de terre de S. Chaumont en Lyonnois, où il a trouvé le fruit de l'arbre triste, qui croît actuellement dans le Malabar. D'ailleurs plusieurs naturalistes qui ne se bornent point à observer les choses superficiellement, ont remarqué que les insectes qui sont renfermés dans le succin, different de ceux de nos climats, & ont leurs analogues vivans dans des pays éloignés. Ainsi pour rendre raison des événemens qui ont enterré les arbres d'où est provenu le succin, il faut recourir aux révolutions générales du globe qui ont bouleversé sa surface, & changé la position de ses parties. Voyez les articles FOSSILES, TERRE (révolutions de la), &c. Ces insectes sont des mouches, des vermisseaux, des papillons, des chenilles, &c. Quelques auteurs ont été jusqu'à dire qu'il y avoit des morceaux de succin où l'on trouvoit des grenouilles, des viperes, des lézards, mais il paroît constant que c'est l'art qui les a produits ; en effet, quelques personnes ont eu le secret de fondre le succin sans lui ôter sa transparence, qui même devient par-là plus grande.

On a encore des morceaux de succin qui renferment du bois, des feuilles d'arbres, de la mousse, &c. On sent aisément que plusieurs de ces morceaux peuvent être factices, & que ceux qui ont le secret de ramollir le succin, peuvent aussi y introduire tout ce qui leur plaît.

On prétend que Stenon & Kerckring ont eu le secret de réunir ensemble plusieurs petits morceaux de succin pour en faire un gros. Glauber faisoit pour cet effet dissoudre le succin dans de l'esprit-de-vin, que l'on enleve ensuite par la distillation, mais la masse qui reste est molle. On assure qu'en faisant bouillir le succin dans de l'huile de raves, il se durcit & perd sa couleur, ce qui peut venir de l'alkali volatil contenu dans cette huile.

Quelques artistes ont aussi le secret d'introduire dans le succin toutes les couleurs qui leur plaisent, & de contrefaire par-là les pierres précieuses.

Dans le royaume de Prusse la pêche du succin appartient au roi seul, qui l'afferme à des particuliers. On trouve encore du succin dans plusieurs autres parties de l'Europe : en 1738 on en a découvert une couche abondante en Ukraine à peu de distance de Kiow ; il étoit, ainsi que celui de Prusse, dans du sable. On en a trouvé en France, près de Soissons, dans les fouilles qui ont été faites par le canal de Picardie. On en a aussi trouvé en Sicile, & dans quelques endroits de l'Asie mineure.

Le succin varie pour la couleur ; il y en a d'un jaune de citron, d'un jaune d'or, d'orangé, de rouge, de blanc, de bleuâtre. Quelques auteurs font mention d'un succin noir, mais il paroît qu'ils ont voulu désigner par - là du jais.

Le succin faisoit autrefois une branche de commerce assez considérable ; c'étoit un objet de luxe ; aujourd'hui le prix en est beaucoup diminué, cependant les morceaux les plus gros, ne laissent pas de se vendre assez cher.

La composition du succin n'a pas moins occupé les chimistes que son origine. Les amateurs de l'histoire naturelle, Pott, Neumann, M. Bourdelin, sont ceux qui paroissent l'avoir examiné avec le plus de succès. Nous allons rapporter leurs travaux tels qu'ils se trouvent décrits dans une dissertation de M. Stockar de Neuforn, imprimée à Leyde en 1760, sous le titre de specimen chemico medicum inaugurale de succino in genere, & speciatim de succino fossili Wisholzensi, dans laquelle cet auteur a ajouté plusieurs expériences neuves, & apprécié de la maniere la plus lumineuse celles des savans chimistes que nous venons de nommer.

L'eau ne produit aucun changement dans le succin. Lorsqu'on l'expose long - tems à son action, elle contracte à la vérité une légere odeur, & se charge d'un peu de matiere mucilagineuse, & de quelque vestige de sel marin ; mais on doit attribuer plutôt ces produits aux ordures qui adherent à sa surface, qu'à la décomposition de sa substance.

Si l'on verse de l'esprit-de-vin rectifié sur du succin réduit en poudre très-subtile, & qu'on les fasse digerer ensemble, on obtient une teinture rouge, qu'on peut préparer plus promtement, si, comme Boërhaave le prescrit, on empâte le succin reduit en poudre avec un alkali résout, qu'on desseche la masse, qu'on la laisse tomber en déliquium pour la dessecher de nouveau, ce qu'on répete trois ou quatre fois ; ou, comme le prescrit M. Neuenhan, dans les mélanges d'observations, publiés à Léipsic en 1755, qu'on broie le succin avec de la potasse & du sucre, & qu'on le mette à digerer ensuite dans l'esprit-de-vin ; mais quoique l'on fasse, il n'y a jamais qu'une très-petite portion du succin qui se dissout, le résidu est mollasse, & on a beau y remettre de nouvel esprit-de-vin, on n'obtient plus rien.

Si l'on verse de l'eau sur ces teintures de succin, elles deviennent laiteuses, & le succin s'en sépare sous la forme d'une poudre blanche, si atténuée, qu'elle passe par le filtre avec l'esprit-de-vin ; mais elle se précipite bientôt au fond. La teinture de succin a un goût très-agréable, & l'odeur du succin ; on sent en même tems qu'il s'en dégage une poudre qui adhere à la langue, & qui paroît être entierement insipide.

Si l'on distille cette teinture de succin, on a un esprit-de-vin qui conserve le goût & l'odeur du succin ; mais duquel l'eau ne dégage plus rien : il reste au fond du vaisseau un peu d'une matiere d'un rouge foncé, molle & tenace. Cet esprit-de vin ainsi chargé de l'esprit recteur du succin pourroit être d'une grande utilité pour la médecine : il est plus que vraisemblable qu'il a toutes les vertus qu'on a reconnues dans la teinture du succin, puisque le succin doit nécessairement s'en dégager dans l'estomac, où il ne trouve plus aucun menstrue capable de le dissoudre ; du moins on pourroit se flatter d'augmenter la vertu de la teinture du succin, si on employoit pour la faire de l'esprit-de-vin qu'on auroit retiré de dessus le succin.

Les sels, soit acides, soit alkalis, n'agissent point sur le succin, il faut en excepter le seul acide vitriolique qui le dissout entier & en assez peu de tems : cette dissolution est claire & limpide, mais si aisée à déranger, que les acides, les alkalis, l'esprit-de-vin, l'huile de térébenthine, l'eau, &c. la décomposent ; il s'en dégage une poudre grise très-fine, qui n'a plus l'odeur agréable du succin, mais plutôt celle de la poix.

Le sucre dissous dans l'eau, ni le plomb fondu, n'operent aucun changement dans ce bitume ; il se ramollit un peu dans la cire & dans le soufre fondus ; mais il reprend sa premiere dureté si-tôt qu'il est refroidi, il change seulement de couleur.

Hoffman ayant renfermé du succin avec le double de son poids d'huile d'amandes dans la machine de Papin, le trouva réduit au bout d'une heure en une masse gélatineuse, transparente, au-dessus de laquelle nageoit un peu d'huile. M. Stockar dit avoir mis du succin de différentes couleurs dans des vaisseaux de verre cylindriques, & avoir versé par-dessus des huiles de raves, de pavot, d'amandes, d'olives, de noix, de laurier par décoction, de romarin, de casse, puis du succin, du baume de copahu & de térébenthine ; il boucha bien ses vaisseaux & les mit en digestion au bain de sable ; au bout de huit jours il trouva que le succin qu'il avoit mis dans le baume de copahu & de térébenthine s'étoit dissout en une liqueur d'un rouge foncé, laquelle étant réfroidie, forma une masse solide, fragile, de la même couleur. La dissolution faite dans l'huile de raves, étoit d'un beau jaune ; l'huile de pavot en donna une d'un rouge jaunâtre ; l'huile d'olive d'un beau rouge ; celle de noix étoit d'un rouge plus foncé ; il s'étoit déposé au fond une matiere mucilagineuse blanche ; la dissolution dans l'huile de laurier étoit d'un rouge pourpre ; elle avoit cela de singulier, que quoique cette huile ait ordinairement la consistance d'un beurre, la dissolution qu'elle avoit faite du succin resta liquide. La dissolution dans l'huile de lin étoit de couleur d'or ; celle dans l'huile d'amandes étoit d'un beau jaune ; l'huile de succin ne l'attaqua pas non plus que celles de romarin & de cajeput. M. Stockard conjecture que cela vient de ce que ces huiles s'évaporent. On peut accélerer ces dissolutions, en les faisant dans des vaisseaux fermés.

Nous ajouterons à ces observations de M. Stockard, qu'on peut les faire en un quart-d'heure, en faisant fondre le succin réduit en poudre grossiere dans de la térébenthine qu'on tient à cet effet sur le feu, & en y versant de l'huile de lin cuite toute bouillante. C'est ainsi que M. Rouelle prépare le vernis dont il se sert pour faire son lut gras.

Toutes ces dissolutions se mêlent parfaitement avec l'huile de térébenthine, & on peut faire par ce moyen de très-beau vernis ; tel est celui qu'on employe pour les tabatieres qui se fabriquent aux invalides. Elles ne se mêlent pas de même avec l'esprit-de-vin ; mais elles se dissolvent entierement aussi-bien que les vernis qu'on en prépare dans l'huile de vitriol qui leur donne une couleur rouge foncée, les autres acides ne sauroient les attaquer.

Le succin détonne avec le nitre, & lorsqu'on en a employé une quantité suffisante, c'est-à-dire dans la proportion de trois à quatre, on ne retrouve qu'un alkali pur ; au lieu que lorsqu'on suit la proportion indiquée par M. Bourdelin, de deux à quatre ; on retrouve encore du nitre entier qui n'a pas été décomposé ; calciné avec l'alun, il fait le pyrophore de Homberg. Ce pyrophore est jaune en-dedans comme en-dehors ; pour le bien faire, il faut commencer par dessécher l'alun, ensuite on le mêle avec le succin sans les calciner séparément, comme on fait quand on employe la farine, & on les calcine ensemble jusqu'à ce qu'il ne s'en exhale plus de vapeur ; le reste du procédé se fait à l'ordinaire.

Si l'on expose le succin dans une cornue à l'action du feu, on obtient à un degré de chaleur assez léger du phlegme qui vient d'abord sans couleur, & qui peu-à-peu en prend une laiteuse, il passe en même tems quelques vestiges d'une huile très - limpide qui est d'abord mêlée au phlegme ; mais il s'en sépare par le repos : en haussant le feu, la retorte & le récipient se remplissent de vapeurs blanches très-épaisses, on voit couler une huile pure, & il s'attache au col de la retorte quelques aiguilles salines qui augmentent peu-à-peu au point de boucher presqu'entierement ce col. Lorsque tout ce sel est passé, le succin se fond, il vient en même tems une huile qui se colore & s'épaissit de plus en plus, au point que sur la fin elle adhere au col de la retorte comme de la poix fondue. Lorsque tout est passé, il reste dans la cornue un charbon très-spongieux qui fait à peine un douzieme du succin employé. Quant à la proportion des autres produits, elle varie selon que le succin est plus ou moins pur ; cependant on peut l'évaluer à-peu-près à un huitieme de phlegme, trois quarts d'huile, un vingt-quatrieme de sel & un douzieme de terre.

Passons maintenant à l'examen de ces différens produits. Le premier phlegme qui passe est une eau pure, celui qui le suit est chargé d'un peu d'huile qui s'en sépare par le repos, & d'une petite quantité de sel qui se manifeste avec le syrop de violette qu'il rougit, & avec les alkalis avec lesquels il fait effervescence ; on y trouve encore un esprit recteur que l'esprit-de-vin peut lui enlever ; cet esprit recteur n'est pas le même que celui que le succin entier donne à l'esprit-de-vin ; puisqu'il n'a pas la même odeur, & que si on le rectifie, il devient puant. En distillant de l'esprit-de-vin sur ce phlegme de succin, on remarque un phénomene que nous ne devons pas passer sous silence ; l'huile qui est contenu dans ce phlegme monte avec l'esprit-de-vin, mais elle s'en sépare sur le champ, & tombe au fond du récipient.

Après le phlegme, vient comme nous l'avons dit, le sel concret. Les premiers chimistes qui l'ont connu, tels que Maurice Hoffman & Glaser l'ont mis au rang des alkalis volatils déterminés par sa volatilité ; mais il y a long-tems que Barchusen & Boulduc ont démontré qu'il est acide. Les chimistes sont peu d'accord sur la nature de cet acide ; Neumann, Sendelius, Fréderic Hoffman, &c. l'ont rangé parmi les sels vitrioliques. M. Bourdelin veut qu'il soit de la nature du sel marin ; le lecteur jugera par l'exposé que nous allons faire de ses propriétés, si ces prétentions sont fondées ; mais il faut auparavant que nous indiquions le moyen de l'avoir le plus pur qu'il est possible.

On a proposé différentes méthodes pour purifier ce sel, mais sans entrer dans des détails inutiles, nous dirons que la voie la plus sûre de l'avoir le moins chargé d'huile qu'il est possible ; c'est de le détacher du col de la retorte avec de l'eau bouillante, avant que l'huile épaisse ait commencé à passer ; car lorsqu'il en est une fois sali, il est très-difficile de l'en dépouiller ; on fera ensuite évaporer cette eau, & on la mettra crystalliser ; s'il n'est pas assez pur, on le dissoudra de nouveau & on le fera crystalliser une seconde fois. Ce sel ainsi purifié, crystallisé en prismes triangulaires dont les pointes sont tronquées, il est d'un goût manifestement acide & un peu astringent.

Il se dissout très-difficilement dans l'eau froide, puisqu'il en faut vingt-quatre parties pour dissoudre une partie de ce sel, au lieu qu'il ne faut que deux parties d'eau bouillante ; mais à mesure que cette eau se refroidit la plus grande partie du sel se dépose, il en reste néanmoins en dissolution plus que l'eau froide n'en auroit pû dissoudre.

L'esprit-de-vin ne le dissout, que lorsqu'il est aidé de la chaleur.

Exposé à un degré de chaleur un peu supérieur à celui de l'eau bouillante, il se liquefie & s'envole sous la forme d'une vapeur blanche, épaisse, qui incommode les poumons.

Il fait effervescence avec les alkalis, soit fixes, soit volatils, avec les terres absorbantes & calcaires, & les dissout : il rougit le syrop de violette, soit qu'on l'employe en forme concrete, soit qu'on prenne sa dissolution ou même le phlegme de succin. Il ne fait point effervescence & il n'en exhale aucune vapeur lorsqu'on verse dessus de l'huile de vitriol. Quelque chose qu'on fasse, il n'est pas possible de l'avoir sous forme fluide comme les autres acides.

Si on sature une dissolution de sel de succin avec un alkali fixe bien pur ; qu'après avoir fixé la liqueur, on l'évapore à un léger degré de chaleur, on obtient des crystaux transparens qui ont la même figure que ceux du sel de succin. Ce nouveau sel a une saveur qui lui est particuliere, il se dissout aisément dans l'eau froide, en quoi il differe essentiellement du tartre vitriolé. Il décrépite lorsqu'on le jette sur les charbons ardens ; il y reste fixe & sans se décomposer : les acides versés sur ce sel neutre n'y produisent aucun changement ; il ne change point l'eau forte en eau régale, il ne précipite pas l'argent dissous dans l'eau-forte ; il précipite à la vérité le vinaigre de saturne en une chaux blanche, mais il n'est pas possible de convertir cette chaux blanche en plomb corné.

Cette même dissolution de sel de succin saturée d'alkali volatil forme un sel ammoniacal, qu'on purifie en le sublimant dans des vaisseaux fermés. Ce sel est parfaitement neutre, il a un goût amer, & imprime un léger sentiment de froid sur la langue ; si on l'expose dans une cuillere d'argent sur des charbons allumés, il se liquefie & s'envole sous la forme d'une vapeur blanche.

Le sel de succin jetté sur du nitre en fusion détonne plus ou moins vivement, selon qu'il est plus ou moins chargé d'huile, il se dissipe avec l'acide du nitre, & il ne reste qu'un alkali fixe pur.

Si on le calcine avec parties égales d'alkali fixe bien pur & bien dépouillé de tout tartre vitriolé, il ne forme point un hepar sulphuris comme il auroit dû faire, s'il eût été de nature vitriolique, & il ne reste qu'un alkali fixe pur.

Le sel de succin distillé avec les acides du vinaigre, du sel, du nitre, du vitriol, se sublime sous sa premiere forme ; ces acides ne lui enlevent que son huile étrangere. Il faut un certain degré de chaleur pour que ces acides puissent le dissoudre, il n'y a que l'acide vitriolique qui le dissout à froid. De quelque maniere qu'on l'unisse à l'acide nitreux, il ne lui donne pas la propriété de dissoudre l'or, preuve évidente qu'il n'est pas de la nature de l'acide du sel marin.

Dissous avec parties égales de ce sel & distillé, il passe pur & dépouillé de son huile.

Si l'on mêle exactement ensemble parties égales de ce sel de succin & de fleurs de sel ammoniac & qu'on les distille, on obtient d'abord un peu d'une liqueur acide de couleur jaune, qui a toutes les propriétés de l'esprit de sel. Si l'on pousse le feu, ce qui reste de sel au fond de la cornue se sublime, de façon cependant qu'ils restent séparés & distincts ; le sel de succin occupant la partie supérieure du col de la retorte, & le sel ammoniac l'inférieure ; au sel de succin est unie la petite portion d'alkali volatil qui a perdu son acide du sel marin ; il reste au fond du vaisseau un peu de charbon noir. M. Stockar à qui nous devons cette expérience dit, qu'en ajoutant toujours de nouveau sel de succin aux mêmes fleurs de sel ammoniac, il étoit parvenu à les décomposer presqu'entierement.

La craie se dissout très-aisément dans la solution de sel de succin ; & lorsqu'on a attrapé le point de saturation, ce sel perd son goût acide pour en prendre un amer. Si l'on filtre la dissolution & qu'on l'évapore, elle crystallise beaucoup plutôt que le sel de succin pur. Les crystaux qu'on obtient, conservent leur figure tant qu'ils sont sous l'eau : mais dès qu'on les a desséchés, ils tombent en poussiere & prennent une couleur grise. Ce sel ne s'humecte point à l'air, & n'est soluble que dans l'eau chaude. Les acides n'en font exhaler aucune vapeur. Les alkalis fixes & volatils & l'acide vitriolique dégagent la craie de ce composé, les autres acides n'y operent aucun changement. Le sel de succin ne précipite la craie que lorsqu'elle est unie à l'acide végétal ; il n'a aucune action sur les dissolutions de cette terre dans les acides minéraux.

Le sel de succin, combiné de cette façon avec la craie, perd toute sa volatilité. L'acide du vinaigre le plus concentré distillé sur ce sel, ne peut pas en dégager le sel de succin. Le vinaigre passe pur, & la combinaison de sel de succin & de craie reste au fond de la cornue. La même chose arrive lorsqu'on distille ce sel avec l'acide du sel marin. Il n'en est pas de même, si au lieu de l'acide du sel on employe une solution de sel armoniac : car alors le sel de succin quitte la craie pour s'unir à l'alkali volatil, & l'acide du sel marin s'unit à la craie.

Si l'on traite de la même maniere ce sel cretacée de succin avec l'acide nitreux, on obtient d'abord cet acide pur ; mais lorsqu'il s'est concentré jusqu'à un certain point, il détonne avec la partie huileuse du sel de succin, & brise tout l'appareil.

Si l'on distille l'acide vitriolique sur ce même sel, il le décompose, l'acide vitriolique s'unit à la craie, & le sel de succin passe pur.

Le sel de succin dissous dans l'eau, dissout le cuivre, le fer, l'étain & le zinc ; il attaque plus difficilement le plomb & le bismuth ; il ne touche pas à l'argent, au mercure, à la platine ni au régule d'antimoine. Ces dissolutions présentent quelques phénomenes particuliers : par exemple, l'acide vitriolique dégage le cuivre uni à ce sel, & n'en dégage pas le fer ; l'étain se précipite de lui-même au fond de la dissolution, & il n'en reste rien dans la liqueur. Le plomb ne paroît que rongé à la surface, sans que la liqueur qui le surnage en paroisse rien contenir. L'alkali volatil versé sur la dissolution du zinc lui donne une petite couleur rouge. Alors l'alkali fixe ne peut plus la précipiter ; au-lieu qu'il la précipite sous la forme d'une poudre blanche, lorsqu'on le verse le premier.

Nous avons déja dit que le sel de succin ne dégageoit point l'argent ni le mercure dissous dans l'eau-forte ; il ne dégage pas non plus le plomb de l'eau-forte ni de l'esprit de sel ; mais il le dégage de l'acide du vinaigre, la poudre qu'on obtient par ce moyen, ne peut pas se changer en plomb corné.

Ces expériences sont plus que suffisantes pour démontrer que le sel de succin n'est pas un sel vitriolique, comme l'ont prétendu Neumann, Sendelius, &c. puisqu'il ne forme pas de soufre avec la poudre de charbon, ni un acide de la nature de l'acide du sel marin, puisqu'il ne convertit pas l'eau-forte en eau régale, qu'il ne dégage pas l'argent ni le mercure dissous dans cette même eau forte, & qu'il ne fait pas de plomb corné. Est-on plus fondé à le regarder comme une espece de sel végétal ? M. Pott seroit assez de ce sentiment, ce seroit aussi le nôtre ; car quant à ce que M. Stockard objecte qu'il ne fait pas de tartre tartarisé avec l'alkali fixe, & qu'il chasse l'acide du vinaigre, de la craie & du plomb auxquels il étoit uni, on pourroit lui répondre, que ce sel n'étant pas un acide pur, puisqu'il a une forme concrete, peut avoir quelques qualités particulieres qu'il doit aux matieres hétérogènes qui lui sont unies ; cela est si vrai que la crême de tartre & le vinaigre, quoiqu'ils soient un même acide végétal, forment des sels neutres différens avec l'alkali fixe & les terres absorbantes, & que l'acide du vinaigre & même le suc de citron, décomposent les différentes combinaisons de la crême de tartre avec les alkalis, les terres, & même les substances métalliques. D'ailleurs on trouve dans le regne végétal un sel concret acide qui paroît avoir la plus grande analogie avec le sel de succin, je veux parler des fleurs de benjoin.

Les Chimistes paroissent s'être bien moins occupés de développer la nature de l'huile de succin que celle de son sel : à-peine trouve-t-on quelques expériences sur cette substance ; on a cependant travaillé à l'avoir aussi pure qu'il est possible, ce qu'on a obtenu par des rectifications répétées. Ces rectifications se font, ou sans addition, ou en y ajoutant différens intermedes : de ces intermedes il n'y a que l'eau, l'esprit de vin ou l'acide du sel marin qu'on puisse employer avec sureté : les autres, ou décomposent l'huile de succin, ou en retiennent une grande partie.

Cette huile ainsi rectifiée est très-limpide, d'une odeur forte ; elle est insoluble dans l'esprit auquel on l'unit cependant par le moyen de différens intermedes, tels que le savon, le blanc de baleine, &c. & c'est le procédé que l'on suit ordinairement pour faire l'eau de luce. Elle se dissout aisément dans l'huile de vitriol, l'esprit de térébenthine, les huiles & les baumes des végétaux. Il n'a pas été possible à M. Stockard de l'unir à l'alkali fixe, quoiqu'il les ait tenu en digestion pendant très-long tems.

Le résidu qu'on trouve dans la cornue est plus ou moins abondant, selon que le succin qu'on a employé est plus ou moins pur. C'est une terre unie au phlogistique : celui-ci y tient si fort, que la calcination la plus long - tems continuée ne sauroit l'en dégager, & qu'il détonne encore avec le nitre. On trouve dans cette terre quelques vestiges de fer que l'aimant en sépare, & quelquefois un peu de sel marin, sur-tout lorsqu'on a employé du succin puisé dans la mer.

Il nous reste à parler de l'emploi que l'on fait en médecine de cette substance & de ses différens produits, comme sa teinture, son huile & son sel essentiel. On fait entrer le succin préparé, c'est-à-dire réduit en poudre très-subtile dans les différentes compositions antispasmodiques & nervines ; on l'employe même seul pour arrêter les gonorrhées & les hémorrhagies. Sa teinture, par sa vertu antispasmodique & nervine, convient dans les maladies hipocondriaques & hystériques, & quelquefois dans les maladies convulsives, sur-tout dans les personnes d'un tempérament lâche & humide.

Le sel de succin bien purifié & rangé parmi les remedes céphaliques, détersifs, balsamiques, antiseptiques & antispasmodiques. Il agit par la voie des urines ; & joint à petite dose aux diaphorétiques & aux purgatifs, il en augmente la vertu ; combiné avec l'esprit volatil de corne de cerf, il forme un sel qu'on conserve en liqueur sous le nom de liqueur de corne de cerf succinée, qu'on employe avec le plus grand succès à la suite des remedes apéritifs pour redonner aux parties le ton qu'elles ont perdu.

L'huile de succin est âcre, balsamique, vulnéraire, diaphorétique, emménagogue & antispasmodique ; on l'employe avec succès dans les vieux ulceres & dans les maladies de convulsions.

Usages médicinaux du succin. L'huile du succin blanche, & celle qu'on retire de l'huile noire par la rectification, sont regardées comme spécifiques contre les affections spasmodiques, & principalement contre la passion hystérique. Elles sont très - recommandées encore contre les maladies du systême nerveux & du cerveau, telles que la paralysie, l'apoplexie, &c. On l'ordonne communément par gouttes, & la dose la plus haute n'excede guere sept à huit gouttes. Il n'y a point d'inconvéniens à augmenter considérablement cette dose, à donner cette huile à un demi-gros, & même à un gros & davantage, si on l'unit à un jaune-d'oeuf ou à du sucre en poudre. Voyez oleo-saccharum. Outre l'usage intérieur dont nous venons de parler, on l'employe encore extérieurement contre les mêmes maladies, on en frotte les tempes, le dessous du nez, la nuque, l'épine du dos, dans les maladies nerveuses & convulsives, dans l'apoplexie, la paralysie, &c.

Dans les paroxismes des vapeurs hystériques, on en applique sous les narines, on en fait flairer un flacon, & on en fait encore un usage fort singulier & vraisemblablement fort inutile, qui est d'en frotter le pubis & la vulve, & même d'introduire dans le vagin des pessaires qui en soient imbibés.

L'esprit & le sel de succin, sont comptés parmi les apéritifs diurétiques les plus efficaces : on croit que la matiere huileuse dont ce sel est empreint, le rend très-propre à déterger & à consolider les ulceres de la vessie & de l'uretre. Cet esprit & ce sel sont encore recommandés contre les maladies des obstructions & en particulier contre la jaunisse : on le vante aussi pour le traitement du scorbut ; la dose commune de l'esprit est d'environ demi-gros jusqu'à un gros, dans une liqueur appropriée. Or en supposant l'esprit de succin comme une liqueur saline à-peu-près saturée, la dose de sel concret correspondante à un gros de liqueur, sera d'environ cinq grains : car une partie de sel de succin demande environ quatorze parties d'eau pour être dissoute ; d'où l'on peut conclure que cette dose vulgaire d'esprit de succin, pourroit être très-considérablement augmentée : car certainement le sel de succin ne sauroit être regardé comme un remede actif. Au reste le sel & l'esprit de succin sont des drogues fort peu employées.

L'usage pharmaceutique le plus ordinaire de l'esprit de succin, c'est d'être employé à la préparation de la liqueur de corne de cerf succinée, qui se fait en mêlant jusqu'au point de saturation de l'esprit de succin & de l'esprit volatil de corne de cerf, ce qui constitue une liqueur saline ou lessive d'un sel ammoniacal fort gras, & que plusieurs auteurs recommandent singulierement comme un excellent remede, dans les maladies convulsives, principalement dans l'asthme, & dans les maladies d'obstructions, dans lesquelles il paroît en effet que ce remede doit très-bien faire, & qu'il devroit par conséquent être plus usité parmi nous dans ces cas.

Le succin en substance ou en poudre est aussi employé à titre de remede ; mais il paroît peu propre à passer dans les secondes voies & à opérer un effet réel. La teinture qu'on en tire par l'esprit-de-vin, a un peu plus d'efficacité : d'abord parce que l'esprit-de-vin lui-même, qu'on y employe, a une vertu médicamenteuse reconnue contre les maladies auxquelles on employe cette teinture, & qui sont les mêmes pour lesquelles on recommande l'huile de succin ; secondement, par l'état de dissolution, ou au moins de très-grande division, dans lequel le succin contenu dans cette teinture peut parvenir à l'orifice des vaisseaux lactés, quand même cette teinture seroit précipitée par les liqueurs digestives : au reste cette teinture de succin est très-peu chargée ; l'esprit-de-vin ne dissout le succin qu'avec peine, qu'en petite quantité, & peut-être que fort incomplete ment. M. Baron dit dans ses notes sur Lemeri, que l'huile aromatique du succin, est la seule partie de ce bitume dont l'esprit-de-vin puisse se charger. Si cette proposition au-lieu d'être purement gratuite, étoit tant-soit-peu prouvée, il faudroit dire positivement que l'esprit-de-vin ne dissout le succin qu'incomplete ment, au-lieu de dire que cela est peut-être ainsi.

Quoiqu'il en soit, pour faire une bonne teinture de succin, une teinture bien chargée, vraiment empreinte de la vertu médicamenteuse du succin, il faut avoir recours à l'intermede de l'alkali fixe, qui est capable non-seulement de disposer le succin à être plus facilement attaqué par l'esprit-de-vin, mais même qui peut contracter avec ce bitume, une espece d'union sous forme de savon, qui le rend très-propre à se distribuer parfaitement dans le systême vasculeux, à se mêler à la masse des humeurs : l'alkali fixe opere l'un & l'autre effet dans la teinture de succin d'Hoffman, dont voici la description.

Teinture de succin d'Hoffman ; essentia succini praestantissima, décrite dans les observations physico-chimiques de cet auteur, liv. I. obs. 17. Prenez du sel de tartre & du succin choisi & réduit en poudre très-fine, parties égales ; faites-les digerer dans un vaisseau convenable, avec suffisante quantité d'esprit-de-vin, pour s'élever de quatre doigts au-dessus de la matiere ; distillez ensuite en un alambic de verre, vous obtiendrez un esprit bien empreint de l'huile subtile & aromatique de succin, qui sera par-là bien plus propre que l'esprit-de-vin ordinaire, à préparer la teinture suivante.

Prenez du succin transparent en poudre, broyez le sur le porphyre, en versant dessus peu-à-peu une suffisante quantité d'huile de tartre par défaillance, pour le réduire en consistance de bouillie, que vous sécherez doucement : alors mettez ce mêlange dans un vaisseau convenable, versez dessus suffisante quantité d'esprit-de-vin, bouchez convenablement le vaisseau, & digerez à une chaleur douce : on obtient par ce moyen une liqueur très - recommandable par son efficacité, son goût, & son odeur. Il est remarquable, dit Hoffman, que lorsqu'on la verse dans de l'eau, elle n'est point précipitée comme les dissolutions ordinaires des substances huileuses & résineuses dans l'esprit-de-vin ; ce qui ne prouve pas seulement que le succin est parfaitement divisé & atténué dans cette teinture, selon l'explication de M. Baron, note sur la chimie de Lemeri, chap. teinture de karabé, (car la division même radicale, celle que suppose la dissolution chimique, n'empêche point les huiles & les résines d'être précipitées du sein de l'esprit-de-vin, par l'eau : car le succin le plus divisé & le plus atténué, n'est point soluble dans l'eau) ; mais ce qui prouve que l'alkali fixe a contracté une union réelle avec le succin, ou quelque principe huileux du succin, & a formé par-là un savon qui est soluble par l'eau, aussi-bien que par l'esprit-de-vin. Cette idée est non-seulement établie par le phénomène même, mais encore par une expérience du même Hoffman, rapportée dans le même ouvrage, liv. II. obs. 23. savoir que le succin se dissout presque tout entier dans une dissolution alkaline.

Hoffman recommande son essence de succin, prise à la dose de quelques gouttes avec du sucre, du syrop d'oeillet, ou du syrop de limon, le matin, pour fortifier l'estomac, la tête, & le systême nerveux, avalant par-dessus quelques tasses de caffé ou de chocolat, à la maniere allemande. L'auteur dit qu'on peut le prendre encore pendant le repas, dans un vin de liqueur : il ajoute que c'est encore un bon remede pour faire couler les regles, pour arrêter les fleurs, & pour guérir les affections rhumatismales.

Syrop de karabé. On trouve sous ce nom, dans la plûpart des dispensaires modernes, un syrop narcotique, dans la composition duquel entre le succin, ou quelques-uns de ces principes à titre de correctifs de l'opium ; ce qui est, pour l'observer en passant, une vue assez vaine, tant absolument, ou en soi, qu'en particulier : c'est-à-dire, en se promettant cet effet du succin, ou de ces principes. Voici ce syrop, d'après la pharmacopée de Paris : prenez opium pur, coupé par morceaux, deux scrupules ; faites-le fondre dans un vaisseau de terre, sur un feu moderé, dans douze onces d'eau commune ; passez la solution avec forte expression ; clarifiez & cuisez en consistance de syrop épais, avec une livre de sucre blanc ; lorsque le syrop sera refroidi, mêlez-y exactement deux scrupules d'esprit de succin, gardez ce syrop dans un vaisseau exactement fermé : la dose de ce syrop, correspondant à un grain d'opium, est d'environ demi once : le succin entier, son huile & son sel, entrent dans un grand nombre de compositions officinales, tant externes qu'internes ; le succin entier, par exemple, dans la poudre antispasmodique de la pharmacopée de Paris ; dans le baume de Fioraventi ; l'huile & le sel dans la thériaque céleste ; l'huile seule dans les pilules hystériques, l'essence antihystérique, le baume hystérique, le baume acoustique, &c.

L'eau de luce n'est autre chose que de l'huile essentielle de succin, mêlée avec de l'esprit volatil de sel ammoniac. Pour faire ce mêlange, on triture avec grand soin dans un mortier, de l'huile essentielle de succin, avec du blanc de baleine (sperma ceti). On met ce mêlange en digestion avec de l'esprit-de-vin, qui par-là se charge de l'huile de succin : on verse quelques gouttes de cet esprit-de-vin dans de l'esprit volatil de sel ammoniac tiré par la chaux, ce qui lui donne une couleur laiteuse ou blanchâtre. C'est ce mêlange qui est connu sous le nom d'eau-de-luce ; qui est un remede souverain contre la morsure des serpens & des viperes, lorsqu'on en prend à plusieurs reprises dix gouttes dans un verre d'eau, ce qui produit une transpiration très-abondante. Il y a lieu de croire que ce remede auroit un effet très-heureux, si on l'employoit contre la rage. Article de M. ROUX, docteur en Médecine.


SUCCINCTadj. (Gram.) il se dit d'un discours compris en peu de paroles, & quelquefois de l'homme qui a parlé succinctement. Soyez succinct ; les éloges ne peuvent être trop succincts, si on ne veut ni blesser la modestie, ni manquer à la vérité. Si l'éloge n'est pas mérité, celui à qui on l'adresse doit souffrir ; il doit souffrir encore s'il le mérite. Tâchons donc d'être succinct, afin de faire souffrir le moins de tems qu'il est possible : on dit aussi un repas succinct.


SUCCIONS. f. (Phys.) est l'action de sucer ou attirer un fluide, comme l'air, l'eau, &c. par la bouche & les poumons. On suce l'air par la bouche, par le moyen des muscles du thorax & de l'abdomen, qui étendent la capacité des poumons & de l'abdomen. Ainsi l'air qui y est renfermé, est rarefié & cesse d'être en équilibre avec l'air extérieur qui, par conséquent pressé par l'atmosphere, est poussé dans la bouche & les narines. Voyez RESPIRATION.

On suce l'air avec un tuyau de même qu'avec la bouche seule ; c'est la même chose que si la bouche étoit allongée de la longueur du tuyau.

La succion des liqueurs plus pesantes que l'air se fait de la même maniere, par exemple, quand on se couche par terre pour boire à une source, &c. on applique les levres précisément sur la surface de l'eau, & on les place de façon à empêcher l'air de s'y insinuer : ensuite on élargit la cavité de l'abdomen, &c. & l'air qui presse sur la surface de l'eau hors de la circonférence de la bouche, étant plus pesant que celui qui presse la surface de l'eau occupée par la circonférence de la bouche, l'eau est obligée de monter, par le même principe qui la fait monter dans une pompe. Voyez AIR & POMPE.

Quand on suce une liqueur pesante comme l'eau, à-travers un tube, plus le tube est long, plus on a de peine à sucer ; & la grosseur & le diametre du tube augmentent encore la difficulté : la raison de cela est fondée sur les principes d'Hydrostatique.

En effet, si on veut sucer une liqueur, par exemple avec un tuyau d'un pié de long, il faut que l'air extérieur ait assez de force pour porter par sa pression la liqueur à la bouche, & par conséquent pour soutenir cette liqueur à la hauteur d'un pié ; & plus le tube est gros, plus la quantité de la liqueur que l'air doit soutenir est grande : c'est pourquoi plus le tube est long & gros, plus il faut que la pression de l'air extérieur surpasse celle de l'air qui est dilaté dans les poumons, & comme la pression de l'air extérieur est toujours la même à-très-peu près, il faut donc que l'air des poumons ait d'autant moins de force que le tube est plus long & plus gros, c'est-à-dire que l'inspiration ou la dilatation de l'air, doit être d'autant plus grande, & par conséquent la succion plus difficile.

De ce que nous venons de dire il paroît évidemment que ce que nous appellons succion, ne se fait pas par quelque faculté active qui réside dans la bouche, le poumon, &c. mais par la seule impulsion & par la pression de l'atmosphere.

SUCCION, l'action de sucer. Il y a dans les troupes du roi des soldats qu'on appelle superstitieusement pour la cure des plaies, & principalement celles qui sont faites par instrument piquant, & qui pénétrent dans la cavité de la poitrine ou du bas-ventre. Ces hommes n'ont aucune idée de la Chirurgie ; ils le signifient eux-mêmes : ils pansent du secret, c'est leur expression. Ce secret consiste à sucer les plaies, à y faire couler ensuite quelque peu d'huile & de vin, en marmottant quelques paroles & disposant les compresses en forme de croix. On trouve des personnes assez dépourvues de sens pour se mettre entre les mains de ces ignorans & imposteurs, & qui se laissent tellement prévenir par leurs promesses, qu'elles refusent tout secours de la part de la Chirurgie.

On sent assez que la plaie du bas-ventre avec lésion des intestins, les plaies de tête qui exigent le trépan, les plaies des gros vaisseaux dans les extrêmités, & tant d'autres qui exigent une grande expérience & beaucoup de soins intelligens de la part du chirurgien, soit par leurs causes, soit par leurs complications, ne sont pas susceptibles d'une guérison par un moyen aussi simple que l'est la succion.

La méthode de sucer pourroit cependant être bonne dans quelques cas. Un coup d'épée dans une partie charnue, où il n'y a aucun vaisseau considérable d'intéressé, occasionne un épanchement de sang dans tout le trajet du coup : on procureroit une promte guérison en suçant une pareille plaie, parce qu'on la débarrasseroit du sang dont la présence devient une cause de douleur, d'inflammation & d'abscès dans les interstices des muscles, accidens qui mettent quelquefois dans la nécessité de faire des incisions douloureuses.

Les plaies de poitrine avec épanchement de sang sur le diaphragme, peuvent être guéries très-promtement par la succion, pourvû qu'elle soit faite à-tems, c'est-à-dire avant la coagulation du sang épanché.

M. Anel, docteur en chirurgie & chirurgien de madame royale de Savoie, bisaïeule de Louis XV. persuadé de l'utilité de la succion des plaies, dans les circonstances que nous venons d'exposer, a donné un moyen de le faire sans se servir de la bouche. Il y a effectivement du danger à sucer la plaie d'un blessé qui se trouveroit atteint de quelque maladie contagieuse, comme la vérole, le scorbut, &c. & les blessés qui seroient d'une bonne constitution ne risqueroient pas moins de la part d'un suceur qui auroit quelque mauvaise disposition.

L'invention de M. Anel consiste dans l'usage de la seringue ordinaire, à laquelle il a adapté des tuyaux d'une figure particuliere. Voyez Pl. XXXI. fig. 4. & 5.

Pour se servir de cette seringue, il faut dégorger l'entrée de la plaie des caillots de sang, si elle en étoit bouchée. Si c'est par exemple, une plaie pénétrante dans la poitrine, on introduit une sonde jusque dans la cavité. Cette sonde cannelée, fig. 1. Pl. X. sera armée d'un fil ; on étend ce fil à droite & à gauche pour qu'il se trouve engagé & pressé par l'orifice du tuyau qui doit être appliqué sur la circonférence de la plaie, en maniere de ventouse : par ce moyen la sonde est assujettie.

On ajuste la seringue à ce tuyau, on en tire le piston, & l'on pompe ainsi tout le sang qui est épanché. On doit injecter ensuite dans la plaie un peu de baume tiede ; & couvrir l'orifice externe de la plaie pendant un quart d'heure, avec une compresse trempée dans l'eau vulnéraire. Alors on suce la plaie pour la seconde fois, afin d'ôter le baume superflu, qui restant dans la plaie & écartant les parois, empêcheroit la réunion ; & afin d'évacuer l'épanchement des humeurs qui auroit pu se faire depuis l'injection du baume. On applique une compresse & un bandage contentif, & on ne néglige point les autres secours qui peuvent favoriser la guérison, lesquels se tirent du régime, & de l'administration des remedes convenables. (Y)


SUCCISES. f. (Botan.) espece de scabieuse, nommée par Tournefort scabiosa folio integro. Elle pousse des feuilles oblongues, pointues, entieres, sans découpures, excepté qu'elles sont un peu crenelées en leurs bords. Sa tige haute de deux piés & plus porte des sommets de fleurs semblables à celles de la scabieuse, de couleur bleue, quelquefois purpurine ou blanche. Sa racine est grosse comme le petit doigt, courte, & comme rongée tout-autour. Elle croît aux lieux incultes, & son goût est amer. (D.J.)


SUCCOMBERv. neut. manquer de la force qu'il faut. On succombe sous un fardeau ; on succombe sous le poids du malheur ; on succombe à la tentation ; on succombe dans une affaire, dans une entreprise, dans une dispute, dans un combat, au travail, à la honte, à la prospérité.


SUCCOSA(Géog. anc.) ville de l'Espagne tarragonoise. Ptolomée, l. II. c. vj. la donne aux Ilergetes, & la place dans les terres. Quelques - uns croyent que c'est à présent Ainsa dans l'Aragon, & d'autres veulent que ce soit Suz-de-Surta, au même royaume. (D.J.)


SUCCUBAR(Géog. anc.) ville de la Mauritanie césariense. Pline, l. V. c. ij. lui donne le titre de colonia Augusta, & la place dans les terres. Les exemplaires imprimés lisent Succubar ; mais tous les manuscrits portent Succabar. Dans une ancienne inscription rapportée par Goltz, qui appelle cette ville Sugabarritanum municipium, ajoute qu'elle étoit Transcellensi monti accline. C'est la ville de Ptolémée, l. IV. c. ij. & c'est sans-doute la ville Sufazar de l'itinéraire d'Antonin. (D.J.)


SUCCUBES. m. (Divination) terme dont se servent les démonographes, pour signifier un démon ou un esprit qui prend la figure d'une femme, & qui, dans cet état, a commerce avec un homme. Voyez DEMON.

Quelques auteurs employent indistinctement les mots incube & succube. Cependant on doit les distinguer : on ne doit se servir du mot incube que quand le démon prend la figure d'un homme, & qu'en cet état il a commerce avec une femme.

Delrio prouve sérieusement qu'un succube ne sauroit ni concevoir, ni engendrer, parce que, dit-il, les femelles contribuent beaucoup plus à la génération que les mâles ; que la semence de ceux-ci ne forme pas tout-à-coup un corps organisé ; & que le foetus, pour être sustenté, demande dans la mere qui le porte une ame végétative, ce que les démons, ajoute-t-il, ne peuvent faire avec le corps fantastique qu'ils empruntent pour faire l'office de succubes. On peut voir le détail de ces raisons dans ses disquisitions magiques, liv. II. quest. xv. p. 162.


SUCCUBO(Géog. anc.) ville d'Espagne. Pline, l. III. c. j. la met dans la Bastitanie, & dit qu'elle étoit une des villes de l'assemblée générale de Cordoue. Hirtius, de Bel. Hispan. la nomme Umbis, & la place dans le voisinage d'Attegua. Capitolin nous apprend que Annius Verus, bisayeul paternel de l'empereur Marc Antonin, in M. Antonino, étoit de Succubo, qu'il appelle Succubitanum municipium. Ambr. Moralès veut que cette ville soit présentement Sierra de Ronda. (D.J.)


SUCCUIou SUCHUR, (Géog. mod.) ville d'Asie, dans la grande Tartarie, au royaume de Tangut, capitale d'une contrée de même nom. Cette ville est peuplée, & plusieurs de ses maisons sont bâties de briques. Il croît aux environs de la rhubarbe qui est estimée, & dont les habitans font trafic. (D.J.)


SUCCULENTadj. (Gram.) qui est rempli de suc. On dit des viandes succulentes ; un mets succulent.


SUCCURSALEadj. (Gram.) église bâtie pour servir de secours à une paroisse trop étendue pour le service des ecclésiastiques, & les besoins des paroissiens.

SUCCURSALE, s. f. (Gram.) ne se dit que de l'église d'une paroisse qui sert de secours à une autre trop étendue. Ainsi S. Joseph est succursale de S. Eustache.


SUCEMENTSUCER, (Gram.) termes qui désignent l'action d'attirer à soi, par le moyen de la bouche, des levres & de l'haleine. On les dit aussi des plantes ; & au figuré, des opinions que nous avons reçues de bonne heure, sucées avec le lait.

SUCEMENT des plaies, ou SUCCION des plaies, (Médec.) la réputation où étoient autrefois les psylles pour guérir la morsure des serpens par la succion, fit que quand les personnes d'un autre pays avoient été mordues d'un serpent, on employoit par préférence un psylle lorsqu'il s'en trouvoit quelqu'un sur le lieu pour sucer la plaie, & en épuiser le venin.

C'est ce qu'on pratiqua néanmoins sans succès par rapport à Cléopatre, qui, au rapport de quelques historiens & poëtes, Velléïus, Paterculus, Florus, Properce, Horace, &c. dont je ne garantis point le témoignage, s'étoit fait piquer par des aspics, pour ne point paroître au triomphe d'Auguste.

Celse remarque judicieusement que quiconque auroit eu la hardiesse d'un psylle pour tenter la même épreuve, auroit également réussi, & que même toute personne peut sans danger sucer une plaie produite par la morsure d'un serpent, pourvu que cette personne - là n'ait point d'ulcere ou d'excoriation dans la bouche. Cette remarque de Celse est confirmée par un grand nombre d'expériences que l'on a faites dans le siecle passé sur le venin des viperes, qui n'est nuisible qu'autant qu'il se mêle immédiatement avec la masse du sang.

Les femmes & les meres des Germains suçoient les blessures de leurs maris & de leurs enfans, & tâchoient ainsi de les guérir. Cette méthode de panser les blessures est assez naturelle, & son origine se perd dans l'antiquité la plus reculée. Homere en fait mention au quatrieme livre de l'Iliade. (D.J.)


SUCETvoyez REMORE.


SUCHE(Géog. anc.) ville de l'Ethiopie. Pline, l. VI. c. xxix. la place au voisinage du golfe d'Adulique. Elle tiroit apparemment son nom de Suchus, son fondateur. Strabon, l. XVI. p. 770. parle d'un château bâti par Suchus, & le place dans les terres. Le P. Hardouin veut que ce château & la ville Suche soient la même chose, & il ajoute que le nom & la situation conviennent également à la ville Suaquem d'aujourd'hui. (D.J.)


SUCHET(Géog. mod.) montagne de la Suisse. Elle fait partie de la joux au-dessus d'Orbe, & est fort élevée. (D.J.)


SUCHUEN(Géog. mod.) province de la Chine. Elle ne cede ni pour la grandeur ni pour l'abondance à aucune autre de l'empire. Le fleuve Kiang la coupe en deux parties. La province de Huquang la borne à l'orient, le royaume de Tibet à l'occident, la province de Xensi au nord, & celle de Junnan au midi. Elle produit beaucoup de fer, d'étain & de plomb. Cette province est la sixieme en rang. On y compte huit métropoles, six grandes cités, quatre villes militaires, une cité militaire, & plusieurs forteresses qui en dépendent. Ching-Tu est la capitale de la province. (D.J.)


SUCHUTCH(Médecine) maladie à laquelle sont sujets les habitans de Kamtschatka. C'est une espece de gale, qui forme comme une ceinture autour de la partie du corps qui est au-dessous des côtes. On prétend que tout homme dans ce pays a cette maladie une fois en sa vie, comme parmi nous la petite-vérole : elle est mortelle lorsque la gale n'entre pas en suppuration, & ne tombe pas ensuite d'elle-même.


SUCHZOW(Géog. mod.) ville de la Turquie européenne, dans la partie de la Valachie soumise à la Porte, sur la riviere de Strech, avec un château, où les Turcs tiennent garnison. (D.J.)


SUCK(Géog. mod.) riviere d'Irlande, dans la province de Connaught. Elle sépare le comté de Roscommon du comté de Galloway, & se jette dans le Shanon. (D.J.)


SUÇOIR(Conchyliol.) c'est dans un coquillage une partie concave qui a la faculté de se resserrer pour s'attacher au corps environnant, & pour pomper l'eau dans laquelle il nage. (D.J.)


SUCRES. m. (Hist. nat. Art) personne n'ignore que le sucre est une substance solide, blanche, douce, agréable au goût, fort en usage dans les offices, les cuisines, & même en pharmacie pour la confection des syrops & la préparation de plusieurs remedes, se dissolvant parfaitement dans l'eau, à laquelle il donne une saveur gracieuse, sans lui communiquer ni couleur ni odeur.

Quoiqu'il soit assez difficile de prescrire le tems auquel le sucre a commencé de paroître sous une forme concrete, il est cependant certain que les anciens l'ont connu, puisqu'au rapport de Théophraste, de Pline & autres, ils faisoient usage du suc de certains roseaux, qui vraisemblablement étoient des cannes à sucre, & dont Lucien entend parler lorsqu'il dit : quique bibunt tenera dulces ab arundine succos. Mais nous ne voyons point que l'antiquité ait possédé l'art de cuire ce suc, de le condenser & de le réduire en une masse solide & blanche, comme nous faisons aujourd'hui ; c'est ce dont il sera question dans cet article, après avoir parlé des cannes à sucre & de leur culture, des machines, des ustensiles & des ingrédiens nécessaires à la préparation de cette production exotique, qui fait un des principaux objets du commerce maritime.

Des cannes à sucre. La canne à sucre, ou canne de sucre, selon l'usage du pays, differe de certains roseaux creux, qu'on nomme cannes d'Espagne, en ce qu'elle est massive ; ses noeuds sont plus rapprochés les uns des autres, son écorce est moins ligneuse, plus mince, & sert d'enveloppe à une multitude de longues fibres parallelement disposées, formant une espece de tissu cellulaire, rempli d'un suc doux, agréable, un peu gluant, & ressemblant à du syrop délayé de beaucoup d'eau.

Le corps de la canne est divisé par noeuds, dont les intervalles croissent à proportion qu'ils s'éloignent du pié de la souche : c'est de ces noeuds que sortent les feuilles qui sechent & tombent à mesure que la plante acquiert de l'accroissement, ensorte qu'il n'en reste qu'un bouquet vers le sommet ; elles sont longues, étroites, dentelées imperceptiblement sur les bords, partagées d'une seule nervure, & ressemblant à de grandes lames d'espadon : lorsque la plante fleurit, il sort du milieu de ses feuilles un jet ou fleche très-droite, longue de 30 à 35 pouces, grosse à-peu-près comme l'extrêmité du petit doigt, garnie à son sommet d'un grand panache parsemé de petites houpes très-déliées, renferment la semence.

Les cannes plantées dans une bonne terre croissent ordinairement de six à huit piés de hauteur, portant environ douze à quinze lignes de diametre ; elles acquierent une belle couleur jaune en mûrissant, & le suc qu'elles renferment est savoureux. Celles que produisent les terreins bas & marécageux s'élevent jusqu'à douze & quinze piés, même plus ; elles sont presqu'aussi grosses que le bras ; mais leur suc, quoiqu'abondant, est fort aqueux & peu sucré ; les terreins arides au contraire donnent de très - petites cannes, dont le suc est peu abondant, trop rapproché, & comme à demi-cuit par l'ardeur du soleil.

Culture des cannes. Quoique la fleche ou fleur dont on a parlé renferme entre ses houpes une multitude de semences, on ne s'en sert point pour multiplier l'espece, l'expérience ayant appris qu'il est plus àpropos de planter les cannes de bouture : cette méthode est plus promte & plus certaine, c'est pourquoi on coupe le sommet des cannes par morceaux de quinze à dix-huit pouces de longueur, on les couche obliquement deux à deux dans chacune des fosses destinées à les recevoir ; on jette de la terre pardessus, sans en couvrir les extrêmités ; & si la saison est favorable, ce plan commence à pousser au bout de sept à huit jours : la quantité de brossailles qui levent en même tems, oblige de sarcler les cannes à cinq ou six reprises, jusqu'à ce qu'elles aient acquis assez de force pour étouffer les mauvaises herbes ; les cannes étant parvenues à une certaine grandeur, sont quelquefois attaquées par un grand nombre de petits insectes, que les habitans appellent puchons ou pucons ; les fourmis ne leur causent pas moins de dommages, & les rats en font un grand dégât.

Dans un bon terrein bien préparé & soigneusement entretenu, le plan subsiste douze à quinze ans, même plus, sans qu'il soit besoin de le renouveller.

L'âge auquel on doit couper les cannes n'est point fixe, le tems de leur maturité étant souvent retardé par les variétés de la saison ; on doit observer de ne jamais faire la récolte lorsqu'elles sont en fleurs, puisqu'elles ne peuvent pousser leurs jets ou fleches qu'aux dépens de leur propre substance ; l'usage indique qu'il faut prévenir ce tems d'environ un mois, ou bien attendre autant qu'il soit passé.

Description des moulins à écraser les cannes. On en construit ordinairement de trois sortes, savoir, à eau, à vent, & à boeufs ou chevaux. Voyez les figures.

Leur principal méchanisme consiste en trois gros rouleaux de bois de pareil diametre, rangés perpendiculairement sur une même ligne à côté l'un de l'autre, & couverts chacun d'un tambour ou cylindre de métal très-solide, C. Ces rouleaux, ou rôles, ainsi qu'on les nomme dans les pays, sont percés, suivant leur axe, d'un grand trou quarré, dans lequel est enchâssé avec force un gros pivot de fer, dont la partie inférieure est garnie d'un cul-d'oeuf bien acéré portant sur une crapaudine, & l'extrêmité supérieure étant de forme cylindrique, tourne librement dans un collet de métal. A quelques pouces au-dessous des tambours ou cylindres, sont placés des hérissons G, dont les dents engrenent les unes dans les autres. Il est facile de voir, par la disposition des trois rôles couronnés de hérissons, que celui du milieu étant mis en mouvement, doit faire agir à sens contraire ceux qui sont à ses côtés ; c'est pourquoi la partie supérieure de ce principal rôle doit être considérablement prolongée dans les moulins à vent & dans ceux qui sont mûs par des chevaux ; mais dans les moulins à eau cette partie n'est élevée que de quelques piés ; c'est ce qu'on appelle le grand arbre auquel la puissance est attachée. Voyez la lettre D, figure du moulin à eau, & H dans celle du moulin à boeufs.

Sous les rôles est une forte table B, construite pour l'ordinaire d'un seul bloc, dont le dessus un peu creusé en forme de cuvette est garni de plomb, ayant une gouttiere prolongée au besoin, par où le suc des cannes écrasées entre les tambours se rend dans la sucrerie ; toutes ces pieces sont bien assujetties & renfermées dans un chassis de charpente A, très-solidement construit : dans les moulins à eau, à peu de distance au-dessus du chassis, est une roue horisontale F, qui pour axe a le grand arbre ; les dents de cette roue étant disposées perpendiculairement, engrenent entre les fuseaux d'une lanterne G, mise en action par la grande roue à pots I, verticalement disposée, & sur laquelle tombe l'eau de la conduite X.

On sait qu'au lieu de roue à pots, les moulins à vent agissent par le moyen de grandes aîles. Quant aux moulins à bestiaux, leur méchanisme est si simple, que l'inspection seule de la figure suffit pour le concevoir.

Sucrerie, édifice, purgerie, étuve ; Voyez ces articles à leurs lettres.

Cases à bagasses. A quelque distance du moulin & de la sucrerie, on construit de grands hangards couverts de feuilles de cannes ou de roseaux, servant à mettre à l'abri de la pluie les bagasses ou morceaux de canne écrasés au moulin, dont on se sert pour chauffer les fourneaux de la sucrerie.

Les ustensiles de sucrerie, sont des chaudieres, dont on a parlé dans l'article SUCRERIE ; un canot à vesou, espece de grande auge de bois d'une seule piece, destinée à recevoir le vesou ou suc des cannes provenant du moulin.

Des rafraîchissoires de cuivre rouge ; ce sont de grandes bassines à fond plat, ayant deux anses pour les transporter.

Des becs-de-corbin, sorte de grands chaudrons à deux anses, ayant un large bec en forme de gouttiere. Voyez BEC-DE-CORBIN.

Chaque garniture de chaudiere consiste en un balai de feuilles de latanier, une grande cuillere de cuivre rouge en forme de casserole profonde, & une large écumoire de cuivre jaune. Ces deux instrumens sont emmanchés d'un bâton de cinq piés de longueur : leur usage est évident.

Pour passer le vésou & le syrop, on se sert de blanchets ; ce sont des morceaux de drap de laine blanche, soutenus par une grande caisse de bois percée de plusieurs trous de tariere, & dont le fond fait en forme de grille est supporté par deux bâtons disposés en bras de civiere ; ces bâtons se posent en travers sur les bords du glacis lorsqu'on veut passer le vesou où le syrop d'une chaudiere dans une autre.

On doit encore avoir plusieurs petites bailles ou baquets servant à recevoir les écumes.

Un cuvier élevé sur des piés & percé par le fond, servant à faire la lessive propre à la purification du sucre.

Un vase à préparer l'eau de chaux pour le même usage.

Des poinçons propres à percer le sucre dans les formes.

De grands couteaux de bois longs de trois piés, espece d'espatules, que les Raffineurs appellent pagayes.

Les instrumens nécessaires pour le travail qui se fait dans la purgerie, sont des tilles, especes de petites herminettes à manche court, des truelles rondes, des brosses semblables à des gros pinceaux à barbouiller, des serpes, un bloc de raffineur, sorte de grande sellette à trois piés, & une bonne provision d'une terre préparée semblable à celle dont on fait des pipes à Rouen.

Il est indispensable d'avoir un nombre suffisant de formes garnies de leurs pots : ces formes sont de grands vases de terre cuite de figure conique, ouverts entierement par leur base, & percés d'un trou à la pointe ; leur grandeur differe beaucoup, les unes ayant trois piés & plus de hauteur & environ quinze pouces de diametre à la base ; d'autres n'ont que dix-huit pouces sur un diametre proportionné. Il s'en trouve de moyennes entre ces deux grandeurs ; mais autant qu'il est possible, il est bon d'avoir un assortiment pareil : chaque forme doit être accompagnée d'un pot proportionné. Voyez la figure.

Parmi les ingrédiens dont on se sert pour la fabrique du sucre, on employe des cendres de bois dur, de la chaux, de l'alun, & quelques autres drogues dont on ne parlera pas, l'ignorance & le charlatanisme en ayant introduit l'usage.

Préparation de la lessive servant à purifier le sucre. Après avoir bouché légerement le trou du cuvier, on en garnit le fond avec des herbes & des racines coupées, fort estimées des Raffineurs : sur ce premier lit, on établit une couche de cendres épaisse de quatre doigts, sur laquelle on met une pareille épaisseur de chaux vive : le tout se recouvre avec des herbes, & l'on continue cet ordre jusqu'à ce que le cuvier soit totalement rempli ; alors on y verse de l'eau bouillante, qui après s'être impregnée des sels de la cendre & de la terre absorbante de la chaux, s'écoule par le trou du cuvier dans un vase destiné à la recevoir ; cette eau doit être recohobée plusieurs fois, afin de la bien charger de sels ; comme il y a quelques remarques importantes à faire sur sa composition, on croit devoir les renvoyer à la fin de cet article, pour ne pas interrompre l'ordre qu'on s'est proposé.

Procédé concernant la fabrique des sucres. Le vesou provenant des cannes écrasées au moulin, peut être bien ou mal conditionné, suivant la bonne ou mauvaise combinaison de ses principes constituans ; la nature du terrein où on a planté les cannes, leur degré de maturité, & la saison dans laquelle on a fait la récolte occasionnent des différences notables qu'il est essentiel de bien observer si l'on veut réussir.

C'est à l'inspection du vesou, lorsqu'on l'a fait passer du canot dans la grande chaudiere, que le raffineur décide du plus ou du moins d'ingrédiens qui doivent être employés, & dont la pratique seule indique des doses convenables. Si les principes salins, aqueux, terreux & huileux sont liés dans une juste proportion, le vesou se trouve parfait, & peut être travaillé facilement ; mais si au contraire les principes huileux & aqueux sont mal combinés avec les deux autres, l'acide se trouvant trop développé, le vesou alors doit être verd & gras ; c'est pourquoi il exige dans la chaudiere environ une pinte de cendre & autant de chaux en poudre très-fine bien délayée dans une suffisante quantité du même vesou.

Les vieilles cannes & celles qui ont souffert une grande sécheresse, donnent un suc noirâtre, épais, & comme à demi-cuit par la chaleur du soleil ; ce suc contient peu de principes aqueux, & l'acide n'y est plus sensible, s'étant, pour ainsi dire, neutralisé dans une portion du principe huileux qui s'y rencontre alors par surabondance.

La constitution de ce vesou oblige quelquefois d'y mêler de l'eau claire, & l'on jette dans la chaudiere une pinte de cendres, une chopine de chaux & un peu d'antimoine en poudre mêlé dans la lessive ; la nécessité d'employer cette derniere drogue n'est pas bien démontrée : au surplus on n'en met qu'une quantité si médiocre, qu'elle ne peut pas faire de mal, & on ne s'en sert que dans la fabrication du sucre qu'on veut laisser brut sans le blanchir ensuite. Voyez la remarque à la fin de l'article.

Ces précautions étant prises & le vesou chauffant dans la chaudiere, il faut avant qu'il bouille en enlever exactement toutes les écumes, jusqu'à ce qu'il n'en paroisse plus à la surface ; on le laisse ensuite bouillir pendant une heure, après quoi on le vuide avec des cuillieres dans la seconde chaudiere nommée la propre, ayant soin de le passer au-travers d'un blanchet soutenu de sa caisse percée ; la grande chaudiere se remplit de nouveau vesou, & l'on continue le travail sans interruption.

Le vesou qui a passé dans la propre commençant à bouillir, on y jette un peu de la lessive dont on a parlé, on écume avec soin, & l'on continue l'ébullition jusqu'à ce que la grande chaudiere soit en état d'être transvasée, alors en faisant usage des cuilleres & du blanchet, le vesou de la propre doit être passé dans le flambeau, ou troisieme chaudiere, pour acquérir un nouveau dégré de purification par la violence du feu & d'un peu de lessive qu'on y met à plusieurs reprises, écumant toujours à chaque fois.

Du flambeau le vesou étant passé dans la quatrieme chaudiere perd son nom & se convertit en syrop par la force de l'ébullition, on continue de le purifier avec un peu de lessive, & on se sert d'une écumoire dont les trous sont étroits.

La batterie ou cinquieme chaudiere étant remplie de ce syrop, & très-violemment échauffée, on y met encore un peu de lessive ; les bouillons montent considérablement, & le syrop pourroit s'épancher par-dessus les bords, si l'on n'avoit soin d'y jetter de tems en tems quelques petits morceaux de beurre ou d'autres matieres grasses en l'élevant avec l'écumoire pour lui donner de l'air. Cette manoeuvre répétée fait baisser les bouillons & donne le tems d'écumer, ce qu'il faut faire avec tout le soin possible.

Le syrop approchant du degré de cuisson qu'il doit avoir, & le raffineur se rappellant les phénomenes qu'il a observés dans la grande chaudiere, on verse dans la batterie, s'il en est besoin, une pinte d'eau de chaux dans laquelle on a fait dissoudre une once d'alun, quelquefois même pour mieux dégraisser le sucre, on met dans la chaudiere un peu d'alun en poudre.

C'est à la figure & au mouvement des bouillons qu'on juge si le syrop est suffisamment cuit, & afin de mieux s'en assurer, on en met une goutte sur le pouce ; y joignant l'index ou le doigt du milieu, & les écartant l'un de l'autre, il se forme un filet, dont la rupture plus ou moins nette & promte, montre le degré de cuisson ; cela s'appelle prendre la cuite, laquelle étant à son juste point, il faut avec une extrême diligence retirer le syrop, crainte qu'il ne brûle ; on le vuide dans le rafraîchissoire en le remuant avec la pagaye, après quoi on le laisse reposer ; au bout d'un quart d'heure ou environ, il se forme une croute à la surface, on la brise pour la bien mêler dans le syrop, & on laisse encore reposer le tout sur les habitations, où l'on se contente de faire le sucre brut, sans avoir intention de le blanchir ; il suffit, au moyen du bec-de-corbin, de transporter le syrop du rafraichissoire dans un grand canot de bois, où après l'avoir remué un peu, on le laisse refroidir au point d'y pouvoir tenir le doigt ; alors le bec-de-corbin sert à le verser dans de grandes barriques ouvertes par le haut, percées d'un trou par le fond, & posées debout sur les soliveaux de la citerne ; le trou de ces barriques doit être bouché d'une canne plantée debout, laquelle venant à se sécher un peu par la chaleur du sucre laisse un passage libre pour l'écoulement du syrop qui n'étant pas condensé fait divorce d'avec la masse du sucre.

Le sucre que l'on veut terrer & blanchir exige d'autres précautions ; on met à chaque chaudiere un ouvrier pour la soigner, & l'on ne met point d'antimoine dans la lessive ; les formes dont a parlé ayant trempé dans de l'eau claire pendant 24 heures, & étant bien nettoyées, on en bouche le trou fort exactement avec un tampon d'étoupes, & on les dispose dans la sucrerie la pointe en bas. Voyez la fig. M dans les Planches. Le tout ainsi préparé, on prend dans le rafraîchissoire une quantité suffisante de syrop pour en remplir le bec-de-corbin, cette quantité se partage par portions à-peu-près égales dans toutes les formes, dont le nombre est fixé suivant la capacité de la batterie ; on continue ainsi de charger & de vuider le bec-de-corbin jusqu'à ce que les formes soient totalement pleines de syrop à la surface duquel se forme une croute qu'il faut rompre & bien mêler avec ce qui est liquide, ce que l'on fait en remuant avec la pagaye, & ratissant l'intérieur des formes pour empêcher le sucre déja condensé d'y adhérer ; cette opération se fait deux fois seulement dans l'intervalle d'une demi-heure, ensuite on donne le tems au sucre de s'affermir sans y toucher nullement.

Après quinze ou seize heures on débouche les formes, & l'on enfonce dans le trou un poinçon de sept à huit pouces de longueur, afin de percer la tête du pain de sucre, & faciliter l'écoulement du syrop superflu ; on met la pointe des formes ainsi débouchées dans des pots faits exprès, & on les arrange le long d'un des côtés de la sucrerie où ces vases restent toute la semaine, tandis que l'on continue le travail des chaudieres nuit & jour.

Les syrops qui s'égouttent naturellement dans les pots s'appellent gros syrops, on les fait recuire pour en fabriquer du sucre nommé sucre de syrop, dont la qualité est inférieure à celle du précédent. Ce sucre de syrop étant mis à égoutter, donne un syrop amer servant à faire le taffia ou eau-de-vie de sucre.

Travail du sucre dans la purgerie suivant la capacité de l'étuve. On détermine le nombre de pains de sucre qui peuvent être soumis au travail, on commence par les visiter en les retirant l'un après l'autre de dedans les formes, & les remettant ensuite bien exactement chacun dans la sienne ; les défectueux se rangent à part pour les refondre, & toutes les formes dont on a choisi les pains sont portées dans la purgerie où on les place bien perpendiculairement la pointe en bas dans de nouveaux pots vuides, observant de les ranger des deux côtés du bâtiment avec beaucoup d'ordre & par divisions de six formes de front sur huit à dix de longueur, suivant la largeur du terrein, lequel par cet arrangement se trouve partagé d'un bout à l'autre par un chemin d'environ quatre à cinq pieds de large, & croisé d'autant de petites ruelles qu'il se trouve de divisions ou lits de formes ; cette disposition ressemble assez à celle des lits de malades dans un hôpital.

Toutes les formes ainsi placées sur leurs pots demandent une préparation avant de recevoir la terre qui les doit couvrir ; il faut, selon le langage des raffineurs, en faire le fond, c'est-à-dire enlever une croute séche qui s'est formée sur le sucre, & audessous de laquelle se trouve une autre croute plus grasse séparée de la premiere par un vuide d'environ un pouce : la croute séche se met à part pour être refondue avec le gros syrop, & la grasse n'est propre qu'à faire du taffia ; le vuide qu'elles occupoient dans les formes étant bien nettoyé avec des brosses, on le remplit à un demi-pouce près du bord d'une suffisante quantité de sucre blanc rapé, un peu tapé & bien dressé de niveau au moyen d'une petite truelle de fer ; le tout se couvre d'une couche de terre blanche bien nette & délayée en consistance de mortier clair.

Après cette préparation il faut fermer les fenêtres pour empêcher l'air extérieur de dessécher la terre ; l'eau qu'elle contient se philtre insensiblement au-travers des molécules du sucre, délaye le syrop superflu qui les coloroit, & le détermine par son poids à s'écouler dans les pots placés sous les formes ; c'est le syrop fin qu'on fait recuire dans les chaudieres placées à cet effet à l'une des extrêmités de la purgerie.

Il est nécessaire de visiter souvent les formes terrées, l'humidité de la terre pourroit agir inégalement, & former des gouttieres & des cavités dans l'intérieur du pain ; le remede à cet inconvénient est de mettre un peu de sable fin dans les petits creux qui commencent à paroître sur la surface de la terre : ce sable absorbe l'humidité & l'empêche de se précipiter trop vîte dans cette partie.

Au bout de dix à douze jours la terre s'étant totalement desséchée d'elle-même, on doit l'enlever proprement, & en séparer avec un couteau le côté qui touchoit au sucre, le reste se mettant à part pour servir une fois.

La place que la terre remplissoit dans la forme étant bien brossée & nettoyée, on creuse un peu le dessus du sucre avec un poinçon pour l'égrainer d'environ un pouce dans toute sa surface ; on le dresse avec la truelle, & on le couvre d'une nouvelle couche de terre délayée, en pratiquant ce qui s'est observé précédemment. Cette seconde terre acheve de précipiter le reste de la substance colorante dont la pointe du pain de sucre pourroit être encore impregnée, & lorsqu'elle a produit son effet, on ouvre les fenêtres pour donner de l'air, on nettoye le dessus des formes & on laisse reposer le sucre pendant huit à dix jours, & plus s'il en est besoin, ensuite on loche les formes, c'est-à-dire qu'on les renverse sur le bloc pour en retirer le pain dont la pointe doit se trouver blanche & séche, autrement on la sépare d'un coup de serpe, & on la met avec les croutes seches, & les gros syrops qui doivent être recuits dans la sucrerie.

Les pains tronqués & ceux qui par leur bonne constitution sont restés dans leur entier, sont portés à l'étuve qu'on a dû nettoyer & chauffer quelques jours auparavant. Il faut observer pendant les deux ou trois premiers jours de donner un feu modéré & par degré. On doit aussi visiter les pains de sucre, & en séparer soigneusement les morceaux qui paroissent s'en détacher ; s'il en tomboit quelque parcelle sur le coffre de fer qui sert de fourneau, cela occasionneroit un embrasement auquel il ne seroit pas facile de remédier. Le tout étant bien disposé, on ferme la trape & la porte de l'étuve, on augmente le feu jusqu'à faire rougir le coffre, & au bout de huit ou dix jours d'une chaleur continuelle, le sucre se trouve en état d'être retiré, alors on profite d'un beau jour pour le transporter sous les angards situés auprès de la purgerie, & on le pile dans de grands canots de bois faits exprès ; s'il se rencontre encore quelques pointes moins blanches que le corps des pains ; on les pile à part, & cela s'appelle sucre de têtes.

Le sucre bien pilé & passé au-travers d'un crible, se met dans des barriques en le foulant à force de pilons ; ces barriques étant remplies & foncées, pesent ordinairement huit, dix, jusqu'à douze quintaux. Les Portugais du Brésil se servent de grandes caisses, qu'ils appellent cassa, d'où le sucre, soit brut, soit terré, a pris le nom de cassonade brune ou blanche, dont les raffineurs d'Europe font le sucre raffiné, qu'ils mettent en petits pains pour le vendre aux épiciers.

Sucre raffiné à la façon des îles. Pour le faire, on employe les débris du sucre terré, les têtes qui n'ont pas blanchi sous la terre, les croutes séches, & quelquefois le sucre brut même.

Ayant mis dans une des chaudieres de la purgerie, poids égal de sucre & d'eau de chaux, on chauffe & l'on écume très-soigneusement, jusqu'à ce qu'il ne paroisse plus d'écume à la superficie de la liqueur, qu'il faut passer aussi-tôt au-travers d'un blanchet, & continuer de la faire chauffer, y jettant à plusieurs reprises des blancs d'oeufs délayés & battus avec des verges, dans de l'eau de chaux, & observant d'écumer à chaque fois le plus exactement qu'il est possible ; lorsqu'il ne monte plus d'ordures, & que le syrop paroît clair, on le passe une seconde fois au-travers d'un blanchet bien propre, & on acheve de le faire cuire dans la chaudiere voisine, jusqu'à ce qu'il ait acquis la cuisson nécessaire pour être retiré de dessus le feu, & mis dans le rafraîchissoir ; on le remue avec le couteau de bois, & après l'avoir saupoudré d'un peu de sucre raffiné, on le laisse reposer avant de le vuider dans les formes : du reste on procede comme il a été dit, en parlant du sucre terré, & quand il a été bien égouté naturellement, & ensuite par le moyen de la terre imbibée d'eau, on le transporte à l'étuve.

Ceux qui font une grande quantité de sucre raffiné se servent de sang de boeuf, au lieu d'oeufs ; cette méthode est moins dispendieuse, mais le sucre contracte souvent une très-mauvaise odeur.

Il est aisé de donner au sucre raffiné plusieurs degrés de perfection, en le faisant refondre & cuire dans de l'eau d'alun, & le purifiant toujours avec des blancs d'oeufs : on le met ensuite dans de petites formes que l'on couvre de plusieurs petits morceaux de draps imbibés d'eau claire, qui font l'office de la terre dont on a parlé ; & lorsqu'il est bien égoutté, on l'expose au grand soleil, sans le mettre à l'étuve, dont la chaleur pourroit le roussir. Ce sucre se nomme sucre royal, il acquiert beaucoup de blancheur & de pesanteur à l'égard de son volume ; mais s'il gagne au coup d'oeil, il perd considérablement de sa douceur primitive.

Observations essentielles sur les travaux précédens. Dans la composition de la lessive dont on a parlé, on a pour objet de retirer une liqueur imprégnée d'un sel alkali, & d'une terre absorbante, l'un & l'autre provenant des cendres & de la chaux mises dans le cuvier entre des lits d'herbes auxquelles on attribue de grandes propriétés ; l'eau bouillante qu'on verse dessus, dissout très-bien ce sel & cette terre, mais en même-tems elle se charge de la fécule & de la partie colorante des plantes & des racines, substances étrangeres, qui en colorant le vesou, lui communiquent une qualité nuisible à la perfection du travail. Il faudroit donc les supprimer comme inutiles & préjudiciables.

L'extrême chaleur de l'eau bouillante entraîne encore avec elle une huile grossiere contenue dans les cendres & dans les particules de charbon qui ont pu y rester ; cette huile colorée empyreumatique donne un mauvais goût, & se mêlant d'ailleurs aux parties salines, elle les empêche d'agir sur l'acide & sur l'huile surabondante du vesou.

Il paroît donc qu'il vaudroit mieux se servir d'eau froide, sans employer les cendres chaudes sortant du fourneau ; comme cela se pratique assez souvent ; après que l'eau froide aura été recohobée plusieurs fois sur les cendres, on pourra y mettre une suffisante quantité de chaux à infuser, après quoi il sera bon de philtrer le tout, au-travers d'une chausse bien serrée.

Si la lessive ainsi préparée ne paroît pas assez forte, on peut la concentrer en la faisant évaporer sur le feu, jusqu'à ce qu'une goutte étant mise sur la langue occasionne une vive sensation ; par ce moyen on aura une lessive très-alkaline, fort claire, & qui ne communiquera rien d'étranger au vesou ni au syrop.

La cendre qu'on met en substance dans la grande chaudiere, doit aussi par son huile grossiere, colorer & altérer le vesou ; cette cendre n'agissant qu'en raison du sel qu'elle contient, pourquoi ne pas employer ce sel même dégagé des matieres hétérogenes nuisibles à son action ? il est très-facile de s'en procurer en quantité, au moyen d'une lessive bien faite & évaporée jusqu'à siccité, ce sel n'étant pas de nature à crystalliser.

De la propriété qu'ont les alkalis fixes & les terres absorbantes, de s'unir intimément aux acides, & de se lier aux matieres grasses, il s'ensuit que le sel dont nous parlons, étant mêlé à l'eau de chaux & mis en proportion convenable dans les chaudieres, doit s'emparer de l'acide du vesou ; ce que fait aussi la terre absorbante contenue dans l'eau de chaux ; si l'on ajoute une nouvelle dose de sel & de terre absorbante, ces substances ne trouvant plus d'acide, agiront directement sur l'huile surabondante du sucre, & formeront un composé savonneux qui, par la chaleur, venant à s'élever à la surface du vesou, en rassemblera toutes les ordures grossieres, que le raffineur pourra facilement emporter avec son écumoire.

Comme on ne peut penser que personne ait jamais eu intention de donner au sucre une qualité émétique ou diaphorétique, on ne voit pas quel autre effet peut produire l'antimoine employé dans la lessive, heureusement que la dose ordinaire de cette substance est si petite, qu'elle ne peut pas faire de mal.

On observera en passant, que les alkalis fixes ont la faculté de se joindre au soufre de l'antimoine, avec lequel ils forment un composé connu sous le nom d'hépar, qu'on sait être le dissolvant des substances métalliques, & par conséquent de la partie réguline de l'antimoine ; cela posé, & la lessive étant rapprochée, il peut en résulter un kermès minéral, émétique ou diaphorétique à une certaine dose ; ce qui certainement doit être mieux placé dans les boutiques d'apoticaires, que dans les chaudieres à sucre.

Si l'alun en poudre qu'on jette dans la batterie contribue à dégraisser le syrop, il en reste toujours un peu dans la masse, lorsque le sucre prend corps : ainsi cette drogue en peut altérer la qualité, on ne doit donc l'employer qu'avec circonspection.

La terre dont on se sert pour blanchir le sucre, doit être grasse, blanche, sans aucun mélange de pierre ou sable, ne colorant point l'eau dans laquelle on la détrempe, & ne faisant point d'effervescence avec les acides ; c'est une sorte d'argille semblable à celle dont on fait les pipes à Rouen.

On a dit plus haut que les pains de sucre portés dans la purgerie, n'ont été terrés que deux fois seulement ; une troisieme opération seroit nuisible, puisque l'eau dont la terre est imbibée ne trouvant plus de syrop avec qui elle pût se mêler, agiroit directement sur le grain du sucre, & en dissoudroit une partie.

D'après le détail des opérations ci-dessus, il est aisé de connoître la nature du sucre, qui n'est autre chose que le sel essentiel de la canne réduit en masse concrete par le moyen de la cuisson & de la crystallisation : ce sel, par un nouveau travail, peut être formé en beaux crystaux solides, transparens, & à facettes, c'est ce que les confiseurs appellent sucre candi, dont voici le procédé, suivant l'usage de quelques particuliers des îles françoises de l'Amérique.

Ayant fait dissoudre du sucre blanc dans une suffisante quantité d'eau de chaux très-foible, on verse cette dissolution dans une bassine de cuivre rouge posée sur le feu, & la liqueur étant chaude, on y jette des blancs d'oeufs battus, on clarifie, & l'on écume avec beaucoup de soin, ensuite de quoi on passe la liqueur au-travers d'une chausse très-propre, & l'on continue de la faire cuire ; il est à propos de préparer une forme dans laquelle on arrange plusieurs petits bâtons bien propres, les disposant les uns au-dessus des autres en différens sens : on bouche légerement le trou de la forme avec un peu de paille, & on la suspend dans l'étuve la pointe en-bas, ayant soin de mettre au-dessous un vase propre pour recevoir le syrop qui s'égoutte.

Lorsque le syrop qui est dans la bassine se trouve suffisamment cuit, on le laisse un peu refroidir après quoi il faut le verser dans la forme, dont on couvre le dessus, & le sucre en se refroidissant, s'attache autour des petits bâtons par grouppes de beaux crystaux solides, anguleux, & transparens comme du verre, on présume que c'est sur ce même principe, que les confiseurs travaillent.

La disposition qu'ont les cannes à sucre de se gâter en vingt-quatre heures, si on néglige de les employer lorsqu'elles ont été coupées, & l'extrême rapidité avec laquelle elles passent de la fermentation spiritueuse à la fermentation acide, sont des sujets d'observation que la longueur de cet article ne permet pas de détailler : on en parlera convenablement lorsqu'il sera traité des esprits ardens tirés du sucre par le moyen de la distillation. Voyez RHUM ou TAFFIA. Article de M. LE ROMAIN.

Raffinage du sucre dans nos raffineries. Voici à-peu-près comme je le conçois. Il y a dans le suc des cannes, comme dans plusieurs autres sucs de plantes, une partie qui crystallise, & une qui ne crystallise pas : (je dirai en passant, que cette partie du corps muqueux qui crystallise, pourroit bien être au corps muqueux en général, ce que sont aux résines les fleurs de benjoin & le camphre, & aux huiles essentielles, ce corps d'une nature singuliere, observé par Boyle, qui en trouble la transparence, lorsqu'elles sont gardées long-tems). Est-ce à l'huile surabondante, à l'acide, à la terre, qu'il faut attribuer la difficulté qu'a une partie du corps muqueux à crystalliser ? Je n'en sais rien. Quoiqu'il en soit, le sucre que nous demandons pour nos usages, le sucre proprement dit, est cette partie du suc des plantes qui crystallise, mise à part & dégagée du mêlange de la mélasse ou syrop qui ne crystallise pas ; l'objet du travail des raffineries, est donc de séparer ces deux parties l'une de l'autre, & ce travail est tout entier renfermé dans deux points : 1°. faire crystalliser la plus grande quantité de sucre qu'il est possible : 2°. emporter le plus exactement qu'il est possible toute la mélasse. On atteint le premier point en faisant évaporer l'eau surabondante, par la cuite ; & le second, en lavant le sucre déja crystallisé, avec de l'eau qui emporte toute la mélasse, parce que cette mélasse est incomparablement plus soluble que le sucre crystallisé. Il ne faut que suivre le détail de toutes les opérations du raffineur, pour voir qu'elles se réduisent toutes à remplir ces deux points de vue.

1°. Le suc après avoir été exprimé des cannes, est mis dans les chaudieres où il s'évapore au-delà du point de la crystallisation, c'est-à-dire que l'eau y reste en trop petite quantité, pour qu'il soit tenu en dissolution à froid, & qu'ainsi il crystallise par le seul refroidissement, sans évaporation ultérieure ; chaque petit crystal est ainsi isolé, sans liaison avec les autres crystaux, environné de toutes parts d'un syrop gluant, ensorte que le tout reste friable & gras au toucher. Tel est l'état du sucre brut ou moscouade.

2°. Comme les petits crystaux, dans la moscouade, sont très-peu liés les uns avec les autres, & que la quantité de la melasse est très-considérable, si l'on entreprenoit de faire passer de l'eau à-travers la masse totale pour emporter la melasse, la plus grande partie du sucre seroit aussi dissoute & emportée avec la melasse. Une nouvelle cuite donne plus de corps & de masse aux crystaux, & diminue la proportion de la mélasse dans le tout : on redissout le sucre, & on le remet à évaporer dans des chaudieres : on se sert pour le dissoudre d'eau de chaux, & on clarifie avec le blanc d'oeuf, ou avec le sang de boeuf. C'est un fait qu'après cette opération, la proportion du sucre & de la melasse est changée ; mais quelle en est la raison ? l'eau de chaux fournit-elle à une portion de la melasse la terre qui lui manquoit pour crystalliser ? absorbe-t-elle une partie de la matiere grasse, surabondante, ou ne sert-elle qu'à absorber l'acide qui se développe par la chaleur du feu ? je penserois volontiers que le sucre est tout formé dans le suc de la plante, & qu'il se convertit plutôt par la suite en melasse, que la melasse en sucre ; la melasse étant toujours soluble & fluide, dissout toujours un peu de sucre qui y est plongé, & lui communique un leger commencement de fermentation qui en décompose une partie ; c'est je crois à cette cause qu'il faut attribuer le déchet ou coulage que souffre le sucre brut qu'on apporte des îles. Le sucre même est sujet à quelque déchet, si on le garde long-tems dans un lieu exposé à l'humidité ; il s'y excite un léger mouvement de décomposition, il jaunit peu-à-peu, il dévient gras, on est obligé de le raffiner de nouveau, & il s'y trouve de la melasse ; je conjecture que la cuite, sans augmenter la quantité du sucre déja tout formé dans la plante, diminue la quantité de la melasse & la décompose, précisément comme le mouvement de l'ébullition décompose en général le mucilage & les extraits, dont une partie se réduit toujours en terre à chaque fois qu'on les repasse au feu pour les clarifier ; cette terre forme l'écume & s'enleve par la despumation au blanc d'oeuf : car il n'est pas vrai, comme M. R. le dit, que le blanc d'oeuf serve à enlever la matiere grasse ou melasse ; car, puisqu'elle est plus soluble que le sucre même, à plus forte raison doit-elle passer comme lui à-travers le réseau que forme le blanc d'oeuf coagulé ; elle ne peut être enlevée que lorsqu'elle est décomposée & réduite en terre par la continuité des ébullitions ; à l'égard de l'eau de chaux, je crois qu'elle ne sert gueres qu'à absorber l'acide qui se développe par l'action du feu, à l'empêcher de réagir sur l'huile, & de donner à la matiere un goût empyreumatique ; peut-être aussi que cet acide, s'il restoit libre, pourroit agir sur le sucre même, & en décomposer une partie. J'attribue donc le changement de proportion entre le sucre & la melasse, à ce que le mouvement de l'ébullition agit plus fortement sur la melasse pour la décomposer, que sur le sucre : & je crois que les mêmes causes, la même perfection dans sa combinaison qui font crystalliser le sucre, & qui le rendent moins soluble, le font aussi résister davantage à sa décomposition : ce n'est pas que je voulusse décider absolument que l'eau de chaux ne contribue pas à faire crystalliser quelques portions de la melasse, en leur fournissant de la terre ; mais ce n'est-là qu'une conjecture vague, qui auroit besoin d'être prouvée, & qui est d'autant moins indiquée par les phénomènes, que la quantité absolue du sucre diminue plutôt que d'augmenter à chaque cuite.

3°. Nous avons vu tout ce que la cuite peut faire pour changer la proportion du sucre à la melasse, & pour obtenir la plus grande quantité possible de sucre crystallisé. Il ne s'agit plus que de le faire crystalliser & d'en séparer la melasse qui reste. On continue la cuite jusqu'à ce que le syrop soit au point d'avoir perdu toute son eau de dissolution, & ne conserve plus sa fluidité que par l'action de la chaleur. Si on évaporoit au-delà de ce point, la melasse trop peu fluide deviendroit un obstacle à ce mouvement des parties du sucre qui doivent s'arranger en crystaux, & les deux substances resteroient confondues. Les Raffineurs reconnoissent ce point précis par la consistance du syrop qu'ils font filer entre leurs doigts ; il est évident que c'est-là une connoissance qu'on ne peut manquer d'acquérir par le simple tâtonnement : c'est pourtant en ce point qu'ils font consister tout le secret de leur art ; c'est la derniere chose qu'ils apprennent à leurs éleves, & pour apprendre ce beau secret, il faut donner quatre cent francs. Le syrop une fois réduit à cette consistance, il ne s'agit plus que de le faire refroidir pour y faire crystalliser le sucre ; on le verse pour cet effet, dans des moules coniques renversés. Là le sucre crystallise, mais toujours au milieu de la melasse. Dans cet état il forme une masse solide, mais criblée d'une quantité innombrable de pores dans lesquels la melasse est retenue par a force du tuyau capillaire, augmentée par la viscosité qu'elle a acquise par la cuite du sucre, par l'évaporation de l'eau surabondante. Pour séparer cette melasse, il faut lui rendre assez de fluidité pour qu'elle puisse s'écouler à-travers la masse du sucre, comme à-travers un filtre, & s'égoutter par le sommet du cone renversé, dans lequel le sucre s'est crystallisé. Ce sommet est percé à cet effet, & son ouverture est placée sur un vase destiné à recevoir la melasse. L'eau versée sur la base du pain de sucre renversé, entraînera la melasse en se filtrant entre les pores du sucre. Mais quoique le sucre soit beaucoup moins soluble que la melasse, cependant si cette eau passoit en trop grande quantité, & trop rapidement entre tous ces crystaux, elle ne pourroit manquer d'en dissoudre aussi la plus grande partie, & de l'entraîner pêle-mêle avec la melasse. Pour ne donner à la melasse que la quantité précise d'eau nécessaire pour la rendre plus fluide, & pour l'entraîner sans attaquer le sucre, au lieu de verser de l'eau sur la base du pain de sucre, on y verse de l'argile détrempée & délayée à consistance de bouillie. Cette bouillie contient beaucoup plus d'eau que l'argile n'en peut soutenir ; elle la laisse donc échapper, mais en petite quantité, avec lenteur. La melasse supérieure humectée presse l'inférieure par son poids, celle-ci commence à s'égoutter, avant même que l'eau soit parvenue jusqu'à elle, de nouvelle eau s'échappe de l'argile, & continue à laver le filtre en entraînant le reste de la melasse. A mesure que l'eau a perdu plus de sa force par le chemin qu'elle a parcouru, & que l'argile en laisse moins échapper, la forme conique du vase le rassemble en plus grande quantité, à-proportion de la melasse qui se trouve dans les tranches inférieures du cone renversé. La melasse la moins fluide a passé dès le commencement, pressée par la chûte de la melasse des tranches supérieures ; celle-ci plus fluide s'écoule toute seule, & il n'en reste qu'une très - petite quantité au sommet du cone, où la force du tuyau capillaire la retient. Aussi le sommet du pain de sucre est-il moins beau que le sucre pris à deux ou trois doigts de distance. On voit par ce détail que la forme conique des pains de sucre n'est rien moins qu'indifférente pour l'écoulement de la melasse. La bouillie d'argile a encore un autre usage que de donner de l'eau à la melasse, c'est de former une croûte qui conserve son humidité & empêche l'évaporation de l'eau qui traverse le pain de sucre. On sent bien que la bouillie plus ou moins délayée, & formant une couche plus ou moins épaisse, détermine la quantité d'eau qui doit passer dans le pain de sucre ; & que le tâtonnement seul peut enseigner le point précis qu'il faut observer là-dessus, & qui doit varier suivant le degré de cuite du sucre, la forme & la hauteur du moule, la nature de l'argile qu'on employe, &c. malgré l'inégale solubilité du sucre & de la melasse ; l'eau entraîne un peu de sucre avec la melasse, & il reste aussi dans le sucre un peu de melasse. Aussi recuit-on la melasse pour en retirer encore le sucre, & le sucre pour achever de le raffiner de plus en plus. Celui qui n'a été raffiné qu'une fois s'appelle cassonade ou sucre terré ; on le repasse encore plusieurs fois pour en faire le sucre royal. On voit que la melasse joue précisément le même rôle dans le raffinage du sucre, que l'eau mere dans la purification du nitre. Je ne sais pourquoi M. R. donne à cette melasse le nom de matiere grasse, ni pourquoi il imagine que l'argile dégraisse le sucre, par la propriété qu'elle a de s'unir aux huiles. L'argile n'est appliqué qu'extérieurement au sucre déjà crystallisé, & si on en mêloit avec le sucre dans la cuite, il seroit très-difficile, vû l'extrême division dont elle est susceptible & la viscosité du syrop, de l'en séparer.

SUCRE DES ARABES, (Matiere médic. des Arabes) les Arabes ont fait mention de trois especes du sucre, qui sont le sacchar arundineum, c'est-à-dire le sucre de roseau ou de cannes ; le tabaxir & le sacchar alhusser ou alhussar.

On prétend que le sacchar arundineum d'Avicennes, coule de cannes, & se trouve dessus sous la forme de sel. Il ne peut être différent du sucre des anciens, qui découloit de la canne à sucre ; on lui donnoit encore le nom de tabarzet, parce qu'on le trouvoit tout blanc.

2°. Le tabaxir du même Avicenne, semble n'être autre chose que le sacchar mambu des Indes, ou le sucre naturel des anciens qui venoit du roseau en arbre. Ce roseau qui leur étoit également connu, est l'arundo mambu. Pison Mant. Aromat. 185, arundo arbor, in quâ humor lacteus gignitur, qui tabaxir Avicennae, & Arabicus dicitur, C. B. P. 18. Ili, Hort. Malab. 1. 16.

Ses racines sont genouillées & fibrées ; il en sort des tiges fort hautes, cylindriques, dont l'écorce est verte, & dont les noeuds sont durs ; ces racines sont composées de filamens ligneux, blanchâtres & séparés aux noeuds par des cloisons ligneuses : de ces noeuds sortent de nouvelles branches & des rejettons, creux en-dedans, garnis aussi de noeuds, armés d'une, de deux ou d'un plus grand nombre d'épines, oblongues & roides ; les tiges s'élevent à la hauteur de dix ou quinze piés, avant que de donner des rameaux.

Lorsqu'elles sont tendres & nouvelles, elles sont d'un verd - brun, presque solides, remplies d'une moëlle légere, spongieuse & liquide, que le peuple suce avec avidité, à cause de son goût agréable. Lorsqu'elles sont vieilles, elles sont d'un blanc jaunâtre, luisantes, creuses en-dedans, & enduites d'une espece de chaux : car la substance, la couleur, le goût & l'efficacité de la liqueur qu'elles contiennent se changent, & cette liqueur sort peu-à-peu ; elle se coagule souvent près des noeuds par l'ardeur du soleil, & acquiert la dureté de la pierre ponce : mais elle perd bientôt cette douceur, & devient d'un goût un peu astringent, semblable à celui de l'ivoire brûlé : c'est cette liqueur que les habitans du pays appellent sacchar-mambu, & que Garcias & Acosta nomment tabaxir. Ce suc est d'autant meilleur, qu'il est plus léger & plus blanc ; mais il est d'autant plus mauvais, qu'il est plus inégal & de couleur cendrée.

Les feuilles sortent des noeuds, portées sur des queues très-courtes ; elles sont vertes, longues d'un empan, larges d'un doigt près de la queue, plus étroites vers la pointe, cannelées & rudes à leurs bords.

Les fleurs sont dans des épics écailleux, semblables à celles du froment, plus petites cependant, posées en grand nombre sur les petits noeuds des tiges ; elles sont à étamines, & pendantes à des filamens très-menus.

On trouve quelques-uns de ces roseaux si grands & si solides, que selon Pison, on en fait des canaux en les coupant par le milieu, & on laisse deux noeuds à chaque extrêmité.

Les Indiens estiment beaucoup les nouveaux rejettons, qui sont fort succulens & de bon goût, parce qu'ils servent de base à la composition qu'ils nomment achar, & qui fait leurs délices.

Quoique ces roseaux soient remplis dans le commencement d'une liqueur agréable, cependant on ne la trouve pas dans tous les roseaux, ni dans toutes sortes de terres ; mais elle est plus ou moins abondante, selon la force du soleil & la nature du terroir. Or quoique le prix de ce sucre varie selon la fertilité de l'année, cependant Pison rapporte qu'on le vend toujours dans l'Arabie au poids de l'argent ; ce qui en fait la cherté, c'est que les médecins des Indiens, des Arabes, des Maures, des Perses & des Turcs, le regardent comme souverain dans les inflammations internes, les dyssenteries bilieuses, les stranguries & les gonorrhées.

Les anciens connoissoient cette espece de sucre, qu'il ne faut pas confondre avec celui que les modernes tirent par art des cannes à sucre. Les Perses, les Arabes l'appellent encore tabaxir, mot que les nouveaux grecs & latins qui ont interpreté les Arabes, ont rendu par celui de cendre ou de spode. Mais il faut observer que le spode des Arabes est bien différent de celui des anciens grecs ; car ceux-ci ont entendu par ce mot la cendre du cuivre, & les Arabes entendent par le même mot de spode, le sacchar mambu, ou même le sucre commun.

3°. Pour ce qui regarde le sacchar alhusser ou alhasser ou alhussal des Arabes, nous n'en pouvons parler que par conjectures, car tantôt ils lui ont donné le nom de manne, & tantôt celui de sucre, ne sachant eux-mêmes à quelle espece ils le devoient rapporter. Avicenne distingue le zucchar alhussar du sucre que l'on tire des roseaux.

Le zucchar alhussar est, dit-il, une manne qui tombe sur l'alhussar, & il ressemble aux grains de sel : il a quelque salure & quelque amertume, & il est un peu détersif & résolutif. Il y en a de deux sortes, l'un est blanc, & l'autre tire sur le noir : il appelle le blanc iamenum, & le noir agizium ; il est utile, selon lui, pour les poumons, l'hydropisie anasarque, en le mêlant avec du lait de chameau ; il est encore bon pour le foie, les reins, & la vessie ; il n'excite pas la soif, comme les autres especes de sucre, parce que sa douceur n'est pas grande.

Quoique Avicenne appelle ce sucre, manne qui tombe du ciel, peut-être parce qu'il est formé en petits grains qui ressemblent à de la manne, cependant il ne vient point-du-tout de la rosée, mais il découle d'une plante appellée alhussar, de la même maniere que les pommes & la manne elle-même, comme Sérapion le reconnoît. L'alhussar, dit cet auteur, a des feuilles larges & il sort du zucchar des yeux de ses branches & de ses feuilles ; on le recueille comme quelque chose de bon : il a de l'amertume. Cette plante porte des pommes, d'où découle une liqueur brûlante, stiptique, & très-propre pour faire des cauteres : le bois de l'alhussar est poli, gros, droit, & beau.

On ne trouve point à-présent dans nos boutiques ce sucre nommé alhusser : cependant il n'est pas inconnu en Egypte ni dans l'Arabie, car c'est une larme qui découle d'une plante d'Egypte, nommée beidel-ossar, par P. Alp. de plant. aegyp. 86. Apocynum erectum, incanum, latifolium aegyptiacum, floribus croceis, Herman. Par. Bat. Apocynum aegyptiacum, lactescens, siliquâ asclepiadis, C. B. P. 304. Beidelsar alpiei, sive apocynum syriacum, J. B. II. 136. Cette plante vient comme un arbrisseau : elle a plusieurs tiges droites qui sortent de la racine, & s'élevent à la hauteur de deux coudées : ses feuilles sont larges, arrondies, épaisses & blanches, d'où il découle une liqueur laiteuse quand on les coupe.

Ses fleurs sont jaunes, safrannées : ses fruits sont pendans deux-à-deux, oblongs, de la grosseur du poing, attachés chacun à un pédicule de la longueur d'un pouce, courbé, épais, dur & cylindrique. L'écorce extérieure est membraneuse, verte : l'intérieure est jaune, & ressemble à une peau mince passée en huile, elles sont liées ensemble par des filets semblables aux poils de la pulmonaire.

Tout l'intérieur du fruit est rempli d'un duvet blanc, aussi mou que de la soie, & des graines de la forme de celle de la citrouille, mais moins grosses de moitié, plus applaties, brunes ; la pulpe en est blanchâtre intérieurement & d'un goût amer. Les tiges & les feuilles sont blanches, couvertes de duvet ; enfin toute la plante paroît être saupoudrée d'une farine grossiere. L'écorce des tiges & la côte des feuilles, sont remplies de beaucoup de lait amer & âcre. Cette plante s'appelle communément en Egypte ossar, & son fruit beid-el-ossar, c'est-à-dire, oeuf d'ossar ; Honorius Belus n'a rien pû savoir sur le sucre que l'on dit qui se trouve sur cette plante, ou qui en découle, n'ayant pas pû l'observer sur les nouvelles plantes qu'il a cultivées : il a seulement remarqué que le lait qui découle de la feuille que l'on a arrachée, se fige avec le tems à la playe, & devient comme une certaine gomme blanche, semblable à la gomme adragant, sans avoir cependant de la douceur.

Il est vraisemblable que cette larme, ou cette espece de sucre découle d'elle-même seulement dans les pays chauds. Cette plante croît, selon P. Alpin, dans les lieux humides auprès d'Alexandrie, dans le bras du Nil, appellé Nili-calig, & au Caire près de Mathare, qui est presque toujours humide & marécageux à cause du Nil qui y croupit long-tems.

On se sert, dit P. Alpin, de ses feuilles pilées soit crues, soit cuites dans l'eau, en forme d'emplâtre pour les tumeurs froides. On fait avec son duvet des lits ou des coussins ; on s'en sert aussi à la place d'amadou pour retenir le feu de la pierre à fusil. Toute cette plante est remplie d'un lait très-chaud & brûlant, que plusieurs ramassent dans quelques vaisseaux pour tanner le cuir & en faire tomber les poils ; car si on le laisse quelque tems dans ce lait, tous les poils tombent. Ce lait étant desseché, produit des flux de ventre dyssentériques qui sont mortels. On l'employe extérieurement pour dissiper des dartres vives, & autres maladies de la peau. Le tems nous apprendra peut-être si la larme qui découle d'elle-même, & qu'on nomme sucre, a la même acrimonie. (D.J.)

SUCRE ANTI-SCORBUTIQUE, (Médecine) prenez une certaine quantité de suc de cochléaria, renfermez ce suc dans un vaisseau de verre bien fermé, jusqu'à ce que les feces soient précipitées ; décantez la partie claire & la mettez dans un mortier de marbre avec une quantité suffisante de sucre, travaillez le tout ensemble & faites-le sécher doucement ; versez de-rechef du suc sur le même sucre, travaillez le tout de-rechef & le faites sécher ; réiterez sept fois la même opération, & gardez le dernier mêlange pour l'usage.

SUCRE CANDI, (Hist. mod. des Drogues) ou par Myrepse, saccharum candum officin. est un sucre dur, transparent, anguleux, d'où lui est venu son nom. Il y en a de deux sortes, l'un est semblable au crystal, & s'appelle crystallin, qui se fait avec le sucre raffiné ou terré ; l'autre est roux & ne devient jamais clair, il se fait avec la moscouade & la cassonnade. Les uns choisissent celui qui est très-dur, sec, crystallin & transparent ; d'autres préferent celui qui est roussâtre, comme étant plus gras, & plus propre en qualité de remede.

Le sucre candi se fait mieux avec du sucre terré qu'avec du sucre raffiné, parce que le premier a plus de douceur. On fait dissoudre le suc qu'on y veut employer dans de l'eau de chaux foible, & après qu'on l'a clarifié, écumé & passé au drap, & qu'il est suffisamment cuit, on en remplit de mauvaises formes qu'on a auparavant traversées de petits bâtons pour retenir & arrêter le sucre lorsqu'il se crystallise. Ces formes se suspendent dans l'étuve déjà chaude, avec un pot au-dessous pour recevoir le syrop qui en sort par l'ouverture d'en-bas, qu'on bouche à demi pour qu'il filtre plus doucement. Quand les formes sont pleines, on ferme l'étuve & on lui donne un feu très-vif : alors le sucre s'attache aux bâtons dont les formes sont traversées, & y reste en petits éclats de crystal : lorsque ce sucre est tout-à-fait sec, on casse les formes, & l'on en tire le sucre candi.

On fait du sucre candi rouge en jettant dans la bassine où l'on cuit le sucre, un peu du jus de pommes de raquettes ; & si l'on veut lui donner du parfum, on jette quelques gouttes d'essence dans le sucre en le mettant dans les formes.

Cette maniere de travailler le sucre candi est du pere Labat. Celle qui suit est du sieur Pomet dans son histoire des drogues, qui ne parle que de celui qui se fait en France, & particulierement par quelques épiciers-droguistes & confiseurs de Paris. Ainsi on y trouvera quelque chose de différent de la maniere de le faire, rapportée par le missionnaire aux Antilles.

Le sucre candi blanc de France, dit Pomet, se fait avec du sucre blanc & de la cassonade de Brésil fondus ensemble & cuits à la grande poële. Il se candit à l'étuve, où on le porte enfermé dans les poëles de cuivre traversées de petits bâtons autour desquelles s'attachent les crystaux, à mesure qu'ils se forment. Le feu de l'étuve doit être toujours égal pendant quinze jours, après lesquels on tire le sucre des poëles pour l'égoutter & le sécher.

Le sucre candi rouge ou roux, comme on l'appelle à Paris, se fait comme le blanc, à la reserve qu'on employe des moscouades brunes, qu'on cuit à la feuille ou à la plume, ce qui se fait dans des pots de terre.

Le sucre candi crystallin, réduit en poudre fine, soufflé dans les yeux, dissipe les tayes récentes de la cornée : il fait encore plus surement cet effet étant dissout dans l'eau d'eufraise, de chélidoine ou de fenouil. On le jette sur des charbons ardens & l'on en respire l'odeur & la fumée dans l'enchifrenement de la membrane pituitaire, mais son plus grand usage n'est pas pour les maladies. Les Hollandois en consomment beaucoup pour leurs boissons de thé & de caffé ; ils le tiennent dans la bouche en buvant des liqueurs chaudes, & ils se perdent ainsi les dents. (D.J.)

On peut encore obtenir un vrai sucre de plusieurs arbres & plantes.

SUCRE D'ERABLE, (Hist. nat.) les Sauvages du Canada & des autres parties de l'Amérique septentrionale, font une espece de sucre, avec une liqueur qu'ils tirent d'une espece d'érable, que les Anglois nomment pour cette raison, sugar-mapple, c'est-à-dire, érable de sucre, dont il a été parlé à l'article ÉRABLE. Cet arbre fournit aux habitans de ces climats rigoureux, un sucre qui les dédommage en partie de ce que les cannes de sucre ne croissent point chez eux. Ray l'appelle acer montanum candidum, les Iroquois lui donnent le nom d'ozeketa. Il y a encore une espece d'érable que Gronovius & Linnaeus ont désigné par acer folio palmato angulato, flore fere apetalo fossili, fructu pedunculato corymboso. Voyez Gron. flora virgin. 41. & Lin. hort. ups 94. on en tire aussi du sucre. Les François le nomment érable rouge, plaine ou plane, & les Anglois mapple. Le sucre que fournit cet arbre, est d'une très-bonne qualité, & on le regarde comme fort sain ; mais c'est l'érable de sucre qui en donne le plus abondamment. Il se plaît dans les parties les plus septentrionales & les plus froides de l'Amérique, & devient plus rare, à mesure qu'on s'approche du midi. Alors on ne le rencontre que sur de très-hautes montagnes & du côté qui est exposé au nord ; d'où l'on voit que cet arbre exige un pays très-froid.

Voici la maniere dont les Sauvages & les François s'y prennent pour en tirer le sucre. Au printems, lorsque les neiges commencent à disparoître, ces arbres sont pleins de suc, alors on y fait des incisions, ou bien on les perce avec un foret ; & l'on y fait des trous ovales, par ce moyen il en sort une liqueur très-abondante, qui découle ordinairement pendant l'espace de trois semaines ; cependant cela dépend du tems qu'il fait, car la liqueur coule en plus grande abondance, lorsque la neige commence à fondre, & lorsque le tems est doux, & l'arbre cesse d'en fournir, lorsqu'il vient à geler & quand les chaleurs viennent. La liqueur qui découle est reçue dans un auget de bois, qui la conduit à un baquet ; quand on en a amassé une quantité suffisante, on la met dans une chaudiere de fer ou de cuivre que l'on place sur le feu ; on y fait évaporer la liqueur, jusqu'à ce qu'elle devienne épaisse pour ne pouvoir point être remuée facilement : alors on retire la chaudiere du feu & on remue le résidu, qui en refroidissant devient solide, concret, & semblable à du sucre brut, ou à de la melasse. L'on peut donner telle forme que l'on voudra à ce sucre en le versant dans des moules, après qu'il a été épaissi. On reconnoît que la liqueur est prête à se crystalliser ou à donner du sucre, lorsqu'on s'apperçoit qu'il cesse de se former de l'écume à sa surface, il y en a beaucoup au commencement de la cuisson, on a soin de l'enlever à mesure qu'elle se forme ; on prend aussi du syrop épaissi avec une cuillere, & l'on observe si en se refroidissant, il se convertit en sucre. Alors on ôte la chaudiere de dessus le feu, & on la place sur des charbons ; on remue sans-cesse, afin que le sucre ne s'attache point à la chaudiere & ne soit point brûlé ; en continuant ainsi, le syrop se change en une matiere semblable à de la farine ; alors on le met dans un lieu frais, & l'on a du sucre qui ressemble à la melasse. Il est d'une couleur brune avant que d'être raffiné, & communément on lui donne la forme de petits pains plats de la grandeur de la main. Ceux qui font ce sucre avec plus de soin, le clarifient avec du blanc d'oeuf pendant la cuisson, & alors ils ont un sucre parfaitement blanc.

On regarde le sucre d'érable comme beaucoup plus sain que le sucre ordinaire, & l'on en vante l'usage pour les rhumes & pour les maladies de la poitrine. Mais d'un autre côté il ne se dissout point aussi aisément dans l'eau que le sucre des cannes, & il en faut une plus grande quantité pour sucrer. Il y a lieu de croire, que si on le préparoit avec plus de soin que ne font les Sauvages & les François du Canada, on pourroit tirer de ce sucre d'érable un plus grand parti qu'on ne fait, & on le perfectionneroit considérablement. La liqueur que fournit l'érable, mise dans un barril, & exposée au soleil d'été, fait un très-bon vinaigre.

Les Sauvages & les François du Canada mêlent quelquefois le sucre d'érable avec de la farine de froment ou de maïz, & en forment une pâte dont ils font une provision pour les grands voyages qu'ils entreprennent. Ils trouvent que ce mêlange, qu'ils nomment quitsera, leur fournit un aliment très - nourrissant, dans un pays où l'on ne trouve point de provisions. Les habitans de ces pays mangent aussi ce sucre étendu sur leur pain, chacun en fait sa provision au printems pour toute l'année.

On fait aussi une espece de syrop avec la liqueur qui découle de l'érable, pour cet effet on ne la fait point bouillir aussi fortement que lorsqu'on veut la réduire en sucre. Ce syrop est très-doux, très-rafraîchissant & très-agréable au goût, lorsqu'on en mêle avec de l'eau ; mais il est sujet à s'aigrir, & ne peut être transporté au loin. On s'en sert aussi pour faire différentes especes de confitures.

La liqueur telle qu'elle sort de l'arbre, est elle-même très-bonne à boire, & elle passe pour fort saine ; celle qui découle des incisions faites à l'arbre au commencement du printems, est plus abondante & plus sucrée que celle qui vient lorsque la saison est plus avancée & plus chaude ; on n'en obtient jamais une plus grande quantité qu'à la suite d'un hiver rude, & où il est tombé beaucoup de neige ; & lorsque le printems est froid, & quand il reste encore de la neige sur la terre, & lorsque les nuits sont froides & accompagnées de gelée.

On a remarqué que durant les vents d'est, ces arbres cessent bien-tôt de donner de la liqueur. Ils en fournissent plus dans un tems serein, que lorsque le tems est couvert, & jamais on n'en obtient plus, que lorsqu'une nuit froide est suivie d'un jour clair & doux. Les érables d'une grandeur moyenne fournissent le plus de liqueur, ceux qui sont dans les endroits pierreux & montueux, donnent une liqueur plus sucrée que ceux de la plaine. Un bon arbre produit de 4 à 8 pintes de liqueur en un jour, & lorsque le printems est frais, un seul arbre fournira de 30 à 60 pintes de liqueur, dont 16 pintes donnent communément une livre de sucre. Un même arbre fournit de la liqueur pendant plusieurs années, mais il faudra pour cela faire les incisions, ou percer les trous toujours du même côté, & les faire de bas en haut, & non de haut en bas, sans quoi l'eau de la pluie, en séjournant dans l'ouverture, feroit périr l'arbre.

Tous ces détails sont dûs à M. Pierre Kalm, de l'académie de Stockholm, qui a vu par lui-même le travail qui vient d'être décrit, & en a rendu compte à l'académie dont il étoit membre, dans une dissertation insérée dans le t. XIII. de ses mémoires, année 1751 ; il conclud de ces faits, que l'on pourroit avec succès tirer le même parti des érables qui croissent dans les parties septentrionales de l'Europe. M. Gautier correspondant de l'académie des Sciences de Paris, a pareillement rendu compte à l'académie, de la maniere dont se fait le sucre d'érable, dans un mémoire inséré dans le second volume des mémoires présentés à l'académie, t. II. que l'on a aussi consulté dans cet article.

M. Kalm observe que l'on obtient pareillement du sucre d'une espece de bouleau, que les Anglois nomment sugar-birch, ou black-birch, betula folio ovali, oblongo acumine serrato. Gron. flor. virgin. 188. mais le sucre qu'on en tire est en si petite quantité, qu'il ne dédommage point de la peine.

On tire aussi du sucre d'un arbre d'Amérique, appellé par les François le noyer amer, & par les Anglois hickory, nux juglans virginiana alba minor, fructu nuci moschatae simili, cortice glabro, summo fastigio veluti in aculeum producto. Pluknet. Phyt. La liqueur que donne cet arbre est très-sucrée, mais en très-petite quantité.

On obtient encore du sucre de la plante appellée gleditsia, par Gronovius & Linnaeus, hort. upsal. 298. Lawson dans son histoire de la Caroline, p. 97. dit qu'on en plante en Virginie dans beaucoup de jardins pour cet usage.

Le maïz ou blé de turquie fournit aussi une liqueur propre à faire du sucre lorsqu'il est verd ; on trouve dans la tige un suc limpide, qui est très-doux ; les Sauvages d'Amérique coupent le maïz pour en sucer le suc. On peut encore obtenir du sucre de la ouate, (asclepias, caule erecto simplici annuo. Lin. hort. Clifford. 78.) On en tire aussi des fleurs que l'on cueille de grand matin lorsqu'elles sont pleines de rosée, on en exprime un suc qui épaissi par la cuisson, donne du sucre.

Le P. Charlevoix dans son histoire de la nouvelle france, nous dit qu'on tire du sucre d'une liqueur que fournit le frêne ; M. Kalm dit n'en avoir rien entendu dire dans l'Amérique septentrionale, & croit que le P. Charlevoix aura pris pour du frêne l'érable qui a des feuilles de frêne acer fraxini foliis, qui croît abondamment dans cette partie d'Amérique & que les habitans nomment frêne. Quand on y fait des incisions, il en découle une grande quantité d'un suc très-doux. Voyez les mémoires de l'académie de Suede, tome XIII. année 1751.

M. Marggraf célebre chimiste de l'académie de Berlin, a trouvé que plusieurs racines communes en Europe, étoient propres à fournir un vrai sucre, semblable à celui qui se tire des cannes. Il en a obtenu, 1°. de la bette-blanche, cicla officinarum, C. B. 2°. du chervi, fisarum, dodonaei. 3°. de la bette-rave. Toutes ces racines lui ont fourni un suc abondant, dans lequel à l'aide du microscope, on pouvoit découvrir des molécules crystallisées, semblables à celles du sucre ordinaire. Pour s'assurer de la présence du sucre, il a mis ces racines divisées en digestion dans de l'esprit-de-vin bien rectifié qu'il mit au bain de sable ; il poussa la chaleur jusqu'à faire bouillir ; il filtra la liqueur encore toute chaude, & la mit dans un matras à fond plat, qu'il plaça dans un lieu tempéré ; au bout de quelques semaines, il trouva qu'il s'étoit formé des crystaux au fond du vaisseau ; il les fit dissoudre de nouveau, afin d'avoir ces crystaux plus purs. Cette méthode est très-propre pour essayer si une plante contient du sucre, mais elle seroit trop couteuse pour l'obtenir en grande quantité. Il sera donc beaucoup plus court de tirer le suc de ces racines par expression, de le clarifier avec du blanc d'oeuf, & ensuite de l'évaporer sur le feu & de le faire crystalliser ; en un mot, de suivre la même méthode que pour le sucre ordinaire. M. Marggraf a aussi tiré du sucre des panais, des raisins secs, de la fleur de l'aloës d'Amérique. Voyez les mémoires de l'académie de Berlin, année 1747.

En Thuringe, on tire des panais une espece de syrop dont les gens du pays se servent au lieu de sucre, ils en mangent même sur le pain. Il passe pour être un bon remede contre les rhumes de poitrine, la pulmonie, & contre les vers auxquels les enfans sont sujets. On commence par couper les panais en petits morceaux, on les fait bouillir dans un chaudron, jusqu'à devenir assez tendres pour s'écraser entre les doigts ; & en les faisant cuire, on a soin de les remuer, afin qu'ils ne brûlent point. Après cela on les écrase & l'on exprime le suc dans un chaudron, on remet ce suc à bouillir avec de nouveaux panais, on exprime le tout de nouveau ; ce qu'on réitere tant qu'on le juge à-propos. Enfin on fait évaporer le jus, en observant d'enlever l'écume qui s'y forme ; on continue la cuisson pendant 14 ou 16 heures, ayant soin de remuer lorsque le syrop veut fuir. Enfin, l'on examine si la liqueur a l'épaisseur convenable. Si l'on continuoit la cuisson trop long-tems ; la matiere deviendroit solide, & formeroit du sucre. Voyez le magasin d'Hambourg, t. VIII. (-)

SUCRE PERLE, (Pharm.) autrement manus christi, est du sucre rosat, sur chaque livre duquel on a fait entrer demi-once de perles préparées : on l'appelle saccharum perlatum.

SUCRE A LA PLUME, (Art du Confiseur) c'est le sucre qui a atteint le quatrieme degré de cuisson. On l'éprouve avec l'écumoire ou la spatule, comme le sucre à souffler ; & toute la différence qui s'y rencontre, c'est que le sucre à la plume étant un peu plus poussé de chaleur, les bouteilles qui sortent de la spatule, en la secouant, sont plus grosses ; & même dans la grande plume, ces bouteilles sont si grosses & en si grande quantité, qu'elles semblent liées les unes aux autres. Les Apoticaires font cuire le sucre à la plume, pour les tablettes de diacartami ; & ce qui est plus agréable, les Confiseurs employent le même sucre pour leurs massepains. (D.J.)

SUCRE D'ORGE, en Epicerie, n'est autre chose que de la cassonade fondue avec de l'eau clarifiée : on le colore avec du safran.

SUCRE ROSAT, parmi les Epiciers, est un sucre blanc, clarifié & cuit dans de l'eau-rose.

SUCRE ROUGE, (Pharmac.) Le sucre rouge ou de Chypre, saccharum rubrum offic. est roussâtre ou brun, un peu gras, & fait du marc qui reste après que l'on a purifié la cassonade ; on ne l'employe que pour les lavemens, ou plutôt on n'en fait guere usage. (D.J.)

SUCRE ROYAL ; c'est en terme de Confiseurs, ce qu'il y a de plus dur & de plus fin en fait de sucre : on le clarifie en Hollande où l'on a l'art de le faire meilleur qu'ailleurs.

SUCRE TAPE, (Sucrerie). On appelle du sucre tapé du sucre que les affronteurs vendent aux îles Antilles pour du sucre royal ; quoique ce ne soit véritablement que du sucre terré, c'est-à-dire de la cassonade blanche préparée d'une certaine maniere. On l'appelle sucre tapé, parce qu'on le tape & qu'on le bat fortement, en le mettant dans les formes. (D.J.)

SUCRE TORS, (Pharm.) en latin penidium saccharum : on le prépare de la maniere suivante. On fait dissoudre telle quantité de sucre que l'on veut ; on le clarifie avec un blanc d'oeuf ; on le coule, & on le fait épaissir peu-à-peu ; quand il forme de grosses bulles, on le retire du feu jusqu'à ce qu'elles disparoissent ; on le verse ensuite sur une planchette qu'on doit avoir frottée avec de l'huile d'amandes douces. Lorsqu'il est un peu refroidi, on le prend avec un crochet & avec les mains saupoudrées d'amidon ; enfin après lui avoir donné la forme convenable, on le garde pour l'usage. (D.J.)


SUCRERIES. f. (Edifice) c'est un bâtiment solidement construit, faisant partie des établissemens où l'on fabrique le sucre. Il est toujours situé auprès du moulin ; sa grandeur est plus ou moins considérable, suivant l'équipage, c'est-à-dire le nombre des chaudieres qu'on y veut placer : quelques-uns en contiennent jusqu'à sept, d'autres quatre seulement, mais les plus ordinaires sont de cinq. Ce nombre n'exige qu'un bâtiment de quarante à cinquante piés de long, sur une largeur de trente à trente-six piés, étendue suffisante pour placer les cinq chaudieres sur une même ligne le long du mur de pignon. Voyez leurs noms & l'ordre de leur position dans nos Pl. d'Oecon. rustique. Elles sont enchâssées fort exactement dans un corps de maçonnerie très-solide, sous lequel sont disposés les arceaux, le fourneau & le canal par où se communique la chaleur sous chacune des chaudieres. On peut en voir le plan & la coupe dans les mêmes Pl. Il est à remarquer que le corps de maçonnerie dont on vient de parler, surmontant considérablement le dessus des chaudieres, cet excédent doit être garni de carreaux de terre cuite, proprement joints & bien liés avec du ciment, formant des encaissemens quarrés, terminés insensiblement en rond à la partie inférieure qui joint exactement le bord de chaque chaudiere.

La surface de ce corps de maçonnerie se nomme le glacis : il doit avoir à-peu-près six à sept piés de largeur & environ six à sept pouces de pente insensible, à prendre du dessus de la plus petite chaudiere nommée la batterie, jusqu'au-dessus de la grande : cette précaution étant nécessaire pour éviter que le vaisseau, autrement la liqueur qui bout en s'élevant considérablement, ne s'épanche des grandes chaudieres dans les plus petites, dont le syrop ayant acquis une supériorité de cuisson, seroit gâté infailliblement. Le contraire ne peut causer aucun dommage. Au-devant du glacis on laisse un espace de dix piés pour la commodité des raffineurs. Le reste du bâtiment étant occupé en partie par un citerneau couvert d'un plancher volant, & en partie par les vaisseaux & ustensiles nécessaires au travail.

SUCRERIE, (Habitation). Les habitations où l'on fabrique le sucre, sont plus ou moins considérables, suivant les facultés des propriétaires : quelle que soit l'étendue du terrein d'une sucrerie, il doit être partagé en plantations de cannes, en savanes ou paturages, en vivres & en bois. On divise ordinairement les champs de cannes par pieces de cent pas de large sur autant & même le double & le triple de longueur ; ayant attention de séparer ces pieces par des chemins bien alignés, d'environ dix - huit piés de largeur pour la commodité des charettes ou cabrouets qui servent à transporter les cannes au moulin, lorsqu'on travaille à faire la récolte : dans toute autre saison, ces espaces peuvent être semés & plantés de manioc précoce, de patates, de pois & d'autres plantations utiles à la subsistance des esclaves. Il faut autant qu'il est possible, que la maison du maître & ses dépendances soient placées sur une hauteur d'où l'on puisse aisément découvrir ce qui se passe dans l'habitation, dont un des principaux avantages est d'être arrosée d'une riviere ou d'un ruisseau assez fort pour faire agir un moulin, auprès duquel doivent être situées la sucrerie, les cases à bagasses, la purgerie, l'étuve & la vinaigrerie ou l'endroit destiné à faire l'eau-de-vie de sucre : cette disposition s'observe toujours, même dans les établissemens où, faute d'une suffisante quantité d'eau, on est obligé de faire usage de moulins à vent ou à bestiaux. Les cases à negres doivent être situées à la porte des opérations journalieres, & disposées par rues fort larges & tirées au cordeau. On laisse entre chaque case un espace d'environ vingt piés, afin de remédier facilement aux accidens du feu, & ce vuide est toujours rempli de calebassiers ou d'autres arbres utiles.

Pour exploiter une habitation d'une grandeur moyenne, c'est-à-dire de cent quarante ou cent cinquante quarrés, de cent pas de côté chacun, le pas étant de trois piés & demi à la Martinique, & de trois piés seulement à la Guadeloupe, il faut cent à cent vingt negres compris en trois classes : dans la premiere, sont les negres sucriers ou raffineurs. La seconde renferme les ouvriers de différens métiers, comme tonneliers, charpentiers, charrons, menuisiers, maçons, & quelquefois un forgeron très-nécessaire sur les grandes habitations.

Les esclaves de la troisieme classe sont les negres de jardin, ayant à leur tête un ou plusieurs commandeurs, suivant le nombre de troupes que l'on est obligé de disperser aux différens travaux ; c'est aussi du nombre de ces esclaves que l'on tire les cabrouettiers, les négresses qui fournissent les cannes au moulin, les gardeurs de bestiaux, & ceux qui chauffent les fourneaux de la sucrerie & de l'étuve.

Quant aux domestiques de la maison, ce sont ordinairement de jeunes esclaves des deux sexes, en qui l'on apperçoit des talens & de la figure : on les entretient proprement, & les commandans n'ont aucune inspection sur leur conduite, à-moins d'un ordre exprès du maître.

Il est peu d'habitations un peu considérables qui ne soient sous la régie d'un économe blanc, lequel rend compte au maître des travaux qui se sont faits dans le cours de la journée ou pendant la nuit.

Pour traiter les negres en cas de maladie ou d'accidens, il est bon d'avoir un chirurgien à gages, sous les ordres duquel on met des négresses qui ont soin de l'infirmerie.

On a déja dit à l'article NEGRES considérés comme esclaves, que cette espece d'hommes est extrêmement vicieuse, très-rusée & d'un naturel paresseux. Les negres, pour s'exemter du travail, feignent des indispositions cachées, affectent des maux de tête, des coliques, &c. dont on ne peut vérifier la cause par aucun signe extérieur. Cette ruse trop fréquente étant tolerée, pourroit causer beaucoup de desordre, si les maîtres n'y remédioient par des châtimens qui d'ordinaire sont trop rigoureux, inhumains, & même dangereux, car il peut se faire qu'un negre soit réellement incommodé. Le moyen le plus prudent & le plus conforme à l'humanité, est de faire enfermer le malade douteux dans une infirmerie bien close, en le privant pendant vingt-quatre heures de toute nourriture, & sur-tout de tabac à fumer dont les negres ne peuvent se passer ; & comme ils abhorrent les remedes d'eau tiéde, il n'est pas hors de propos d'en faire donner trois ou quatre au prétendu malade, en lui laissant un pot de tisane dont il peut boire à volonté. Un pareil traitement ne doit pas satisfaire un homme en bonne santé, & devient un préparatif nécessaire à celui qui réellement est malade : par ce moyen qui a été pratiqué plusieurs fois avec succès, on arrête le desordre, & l'on ne commet point d'injustice. Les maîtres prudens, humains, & qui sans bassesse, entendent leurs intérêts, ne peuvent trop ménager leur esclaves ; ils y sont obligés par la loi & encore plus par les sentimens de leur conscience. Lisez l'extrait du code noir, dans l'article NEGRES considerés comme esclaves.

Il est difficile de fixer au juste le revenu annuel d'une sucrerie. L'exposition du terrein, l'inégalité des saisons, les maladies des negres, plusieurs accidens imprévus, & les variations du prix des sucres occasionnent des différences considérables. Ainsi on ne croit pas pouvoir certifier, qu'une habitation de cent cinquante quarrés en bon état, ayant un moulin à eau, cinq chaudieres montées dans la sucrerie, & bien exploitée par cent vingt negres, doit produire année commune, quarante - cinq à cinquante mille livres. Article de M. LE ROMAIN.


SUCRIERS. m. (Sucrerie) les sucriers sont des ouvriers qui travaillent dans les sucreries ; il y a deux sortes de principaux ouvriers dans les sucreries des îles françoises de l'Amérique ; les uns que l'on appelle simplement sucriers, les autres que l'on nomme raffineurs : les sucriers sont ceux qui purifient le vesou ou suc de cannes, qui le cuisent, & qui en font le sucre brut : les raffineurs sont ceux qui travaillent sur le sucre blanc, c'est-à-dire, qui le raffinent. On appelle aussi sucriers, ceux qui font le commerce du sucre, & qui ont une sucrerie. (D.J.)

SUCRIER, (Orfévrerie) vaisseau d'argent, d'autre métal ou de fayance, composé d'un corps, d'un fond & d'un couvercle fait en forme de dôme, lequel est percé proprement de petits trous au - travers desquels passe le sucre quand on renverse le sucrier. Scarron reproche à sa soeur d'avoir fait apetisser les trous de son sucrier par économie. (D.J.)


SUCRO(Géog. anc.) fleuve de l'Espagne tarragonoise. Il est marqué dans le pays des Contestani par Ptolémée, l. II. c. vj. qui place son embouchure entre le port Illicitatus, & l'embouchure du fleuve Pallantia. Strabon, l. III. p. 158. met à l'embouchure de ce fleuve une ville de même nom, que Ptolémée passe sous silence ; mais Pline, l. III. c. iij. nous en donne la raison, c'est que cette ville ne subsiste plus. Sucro fluvius, dit-il, & quondam opidum. Il ajoute que le Sucro faisoit la borne de la Contestanie, qui commençoit à Carthage la neuve ; & il s'accorde en cela avec Ptolémée.

Cette riviere, selon Strabon, sortoit des montagnes qui s'étendent au nord de Malaca & de Carthage : on pouvoit la passer à gué, & elle étoit presque parallele avec l'Iberus, dont elle étoit un peu plus éloignée que de Carthage. C'en est assez pour nous faire connoître que cette riviere est présentement le Xucar. Le Sucro donna le nom à la bataille qui fut livrée entre Pompée & Sertorius, & qui fut appellée sucronensis pugna. (D.J.)


SUCUS. m. (Hist. nat. Botan. exot.) espece de pommier fort commun à la province de Canton à la Chine. Son fruit est un peu plus gros que les renettes ; il est presque rond, & de couleur rougeâtre ; on le seche comme nos figues, afin de le conserver toute l'année.


SUD(Géogr. mod.) l'un des quatre points cardinaux. Il est distant de 90 des points est & ouest, & de 180 du nord, auquel il est par conséquent diamétralement opposé.

Sud - est ; c'est la plage qui tient le milieu entre l'orient & le midi. Le vent qui souffle de ce côté porte aussi ce nom, & ceux d'eurauster, ou notapépéliotes.

Sud-est quart-à-l'est ; nom de la plage qui décline de 38°. 45'. de l'orient au midi. Le vent qui souffle de ce côté est ainsi appellé. On le nomme aussi meseurus.

Sud-est quart-au-sud ; c'est le nom de la plage qui décline de 33°. 45'. du midi à l'orient, & celui du vent qui souffle de cette partie du monde, & qu'on appelle aussi hypophoenix.

Sud-ouest ; plage qui tient le milieu entre le midi & l'occident. Le vent qui souffle de ce côté, porte le même nom ; en latin ceux d'africus, notolybicus, notozephyrus.

Sud-ouest quart-à-l'ouest ; nom de la plage qui est à 33°. 45'. du midi à l'occident. C'est aussi le nom du vent qui souffle de ce côté, qu'on nomme en latin hypafricus, hipolibs, subvesperus.

Sud-ouest quart-au-sud ; plage qui décline de 33°. 45'. de l'occident au midi. Le vent qui souffle de ce côté porte le même nom, & en latin celui de mesolibonotus.

Sud-quart-au-sud-est ; nom de la plage qui est à 11°. 15'. du midi à l'orient, & du vent qui souffle de ce côté, connu aussi sous le nom de mesophoenix.

Sud-quart-au-sud-ouest ; plage qui est à 11°. 15'. du midi à l'occident. Outre ce nom, le vent qui souffle de ce côté est encore connu sous celui d'hypolibonotus ou alsanus.

Sud-sud-est ; nom de la plage de 22°. 30'. du midi à l'orient, & du vent qui vient de cette partie du monde qu'on nomme aussi gangeticus, leuconotus, phoenicias.

Sud-sud-est ; c'est la plage qui décline de 22°. 30'. du midi à l'occident. Le vent qui souffle de ce côté, porte le même nom, & en latin ceux de austro-africus, libonotus, notolybicus. (D.J.)

SUD, COMPAGNIE ANGLOISE DU, (Com. & Hist. mod. d'Angl.) bien des lecteurs seroient fâchés de ne pas trouver ici un précis de l'histoire d'une compagnie qui a fait tant de bruit, ce qui peut-être dans son origine, fut moins un véritable établissement de commerce, qu'un systême de politique, pour trouver un secours promt & suffisant dans les pressans besoins de l'Angleterre épuisée par ses longues guerres contre la France, & cependant animée du desir de les soutenir glorieusement par de nouveaux efforts, vu le succès de ses armes au commencement de ce siecle.

Quoi qu'il en soit, le parlement d'Angleterre tenu en 1710, sous la reine Anne, ayant pris connoissance des dettes de la nation, tâcha d'y pourvoir. On trouva que ces dettes montoient en capital à 8 millions 47 mille 264 livres sterl. environ 183 millions 84 mille 256 livres de France. On s'avisa donc pour y remédier de former une compagnie qui auroit le commerce des mers du sud par préférence, & à l'exclusion de tous autres, à condition qu'elle se chargeroit d'acquiter les dettes de la nation, moyennant que le parlement lui accordât les fonds suffisans pour payer les intérêts aux particuliers jusqu'au remboursement du capital, qui seroit produit par ledit commerce. Ceux à qui appartenoient ces dettes publiques pourroient, à leur choix, être de cette compagnie préférablement aux autres, ou n'en être point.

L'ingénieux lord Harley, comte d'Oxford, fut l'auteur du projet, qui est une des belles choses qu'on ait fait en ce genre, & la reine le nomma premier gouverneur de cette compagnie. Par cet établissement, avec l'idée des deux loteries, la premiere de 15 cent mille livres sterl. ; la seconde de deux millions sterl. qui furent remplies en moins de 8 jours, & par d'autres secours, les dettes furent presque payées ; mais la nouvelle compagnie qui seroit peut-être tombée, n'ayant ni terrein, ni forteresses, trouva bien-tôt après les plus grandes ressources, en entrant en possession du traité de l'Assiente, c'est-à-dire de cette capitulation connue, par laquelle elle acquit du roi d'Espagne la permission de porter pendant 30 années 4800 negres par an dans l'Amérique espagnole, & d'envoyer chaque année aux foires du Mexique un vaisseau de 500 tonneaux.

Personne n'ignore les avantages & les suites de ce traité, non plus que le triomphe chimérique qu'eurent les actions du sud en 1720, leur promte chûte en 1722, les dettes de la compagnie, qui montoient alors à plus de 30 millions de livres sterl. (environ 670 millions de notre monnoie), l'infidélité des directeurs, la fuite des caissiers, & la punition de quelques - uns de ceux qui eurent part à tous ces désordres.

On peut juger à quel excès ces derniers avoient porté leurs friponneries, puisqu'on tira de la taxe à laquelle ils furent condamnés, 2 millions 400 mille livres sterlings, plus de 50 millions de France. Enfin l'on sait les soins que prit alors le parlement pour rétablir le crédit de cette compagnie, & l'heureux succès de ces soins qui l'ont remise en 1724 dans sa premiere splendeur, & qui la soutiennent encore dans un état florissant, ses actions faisant une des grandes circulations de la bourse de Londres. Ces derniers événemens sont les plus considérables du regne de George I. & la grande-Bretagne n'en perdra jamais le souvenir.

En 1736 le fond de la compagnie du sud étoit de 17 millions sterl. & en 1750 le roi d'Espagne devoit lui payer en dédommagement 2 millions 300 mille livres de notre monnoie. Voilà donc une compagnie qui peut fournir une ample matiere de spéculation & d'étonnement à ceux qui considéreront toutes ses vicissitudes jusqu'à ce jour, & seulement dans l'espace de 40 ans. (D.J.)

Compagnie angloise des Indes, (Comm.) de toutes les compagnies de l'Angleterre, & elle en a seule presque autant que les autres nations de l'Europe ensemble, la plus considérable est celle de l'Orient ; mais il suffira d'en tracer ici l'histoire abrégée, & de renvoyer le lecteur aux livres qui en parlent en détail.

Cette compagnie mérite toujours de tenir le second rang, que M. Savary lui assignoit en 1723 parmi celles qui sont établies en Europe pour le commerce des grandes Indes.

Elle se forma sous les dernieres années du regne d'Elisabeth en 1599, & parvint au plus haut point de sa grandeur en 1662. sous Charles II. qui accorda d'amples privileges, par plusieurs chartres qu'elle paya sous main libéralement ; elle perdit de sa splendeur depuis 1680, fut prête de culbuter en 1691, & finalement se rétablit en 1699 dans un état plus glorieux que jamais, par son union avec une nouvelle compagnie.

Alors on nomma des commissaires pour son établissement nouveau, & pour recevoir les souscriptions proposées à ce sujet de deux millions de livres sterlings (environ 46 millions de France) qui furent remplis en quatre jours. Il est même très-probable qu'on auroit eu le double, & peut-être le triple de cette somme, si on s'étoit moins hâté de fermer les livres, & qu'on eût donné le tems aux provinces & aux négocians étrangers de faire remettre leurs commissions à Londres. Ces fonds devinrent si considérables par cette incorporation, qu'en moins de deux ans, la compagnie avoit mis en mer jusqu'à 45 gros vaisseaux équipés pour son commerce.

Depuis ce tems-là, ses actions & son crédit ont toujours augmenté ; je n'entends point parler ici de cette manie subite qui, en 1719 & en 1720, donna au cours de ces actions & à celles du sud, ce haut prix trop connu, qui a été si fatal à l'état & aux particuliers ; désordre auquel le sage parlement de cette nation remédia bien-tôt après.

Cette compagnie a aujourd'hui outre Madras sur la côte de Coromandel, quatre principaux établissemens aux Indes ; savoir, à Surate, au golfe de Bengale, en Perse, & à Sumatra, ce qui lui forme plusieurs comptoirs. Les trois quarts de la cargaison de ses vaisseaux sont en or & en argent, le reste en marchandises. Ses retours montent ordinairement par an à plus de vingt-six millions de notre monnoie, sans parler du bénéfice des navires de permission, & des pacotilles qu'elle accorde aux propriétaires des vaisseaux qu'elle frette, & aux officiers qui les montent ; car sa méthode par rapport aux vaisseaux qu'elle employe pour son commerce, est entierement différente de celle de la compagnie orientale de Hollande. Celle-ci a une très-grande quantité de vaisseaux, & sa marine cede peu à celle de la république même. La compagnie d'Angleterre n'a en propre que quelques petits vaisseaux dans les Indes ; & tous ceux qu'elle y envoye de l'Europe, elle les frette à mesure de ses besoins, souvent de ses propres directeurs, & cependant ce n'est pas manque de fonds. Est - ce que l'intérêt particulier l'emporte sur l'intérêt public ? Ou la compagnie trouve-t-elle tout calculé des avantages à louer à fret pour chaque voyage par une charte - partie conventionnelle, le nombre de vaisseaux dont elle a besoin ?

On n'entrera point dans les autres détails de sa police, on ajoutera seulement, que le commerce de ses actions se fait en écritures ; ensorte que la sûreté & la bonne foi de ce commerce, consiste dans la fidélité des livres qui sont tenus par la compagnie. Pour en être membre, il faut être Anglois ou naturalisé Anglois, & payer 5 liv. sterl. en se faisant recevoir. Tous les magasins de la compagnie sont à Londres ; elle a vingt-quatre directeurs. Elle créa en 1733 pour un million de livres sterling de nouvelles actions. En 1743, elle avança un million de livres sterl. au gouvernement, en reconnoissance du renouvellement de sa charte pour quatorze ans. Ses privileges sont très-étendus ; & au point qu'elle peut faire la guerre dans les Indes sans en attendre les ordres de la cour. Finissons par une réflexion qui s'offre ici.

Il est assez singulier que la grande-Bretagne ayant une compagnie générale pour l'Asie, ait au contraire établi pour l'Amérique, dont elle possede une portion considérable, presque autant de compagnies particulieres qu'elle a de cantons. Je ne veux pas attaquer par-là la politique de l'état, je pense bien différemment ; je crois qu'il en résulte un bénéfice beaucoup plus grand pour la nation, puisque d'habiles gens ont calculé, que ce qui est apporté en Angleterre par ses compagnies particulieres des Indes occidentales, après en avoir pris ce qu'il faut pour l'usage du royaume, monte annuellement à 500 mille liv. sterl. & que ce qui est apporté des colonies d'Amérique, & des parties septentrionales de ce continent, monte à 400 mille liv. sterl. par an, c'est-à-dire en un mot, à plus de 20 millions de notre monnoie chaque année. Voilà les fruits du commerce qui ne ressemblent point à ceux de la guerre. (D.J.)


SUD-GOTHIE(Géog. mod.) contrée du royaume de Suede, qui fait l'une des trois parties de la Gothie, en latin Sud-Gothia, ou Gothia meridionalis. Elle a l'Ostrogothie & la Westrogothie pour bornes au nord, & la mer aux autres endroits. On l'appelle quelquefois Schonen ou Scanie, qui est le nom de la plus considérable de ses provinces. Les autres sont le Bleking, & la Jallande : les Danois qui ont été long-tems maîtres de ce pays, le céderent aux Suédois par le traité de paix qui fut fait en 1658. (D.J.)


SUDA(Géog. mod.) petit golfe qui fait partie de la mer de Candie, sur la côte septentrionale de l'île, & du territoire de la Canée. Ce golfe ne mérite que le nom de port ; mais c'est un port vaste & commode, connu des Italiens sous le nom de porto - Suda. (D.J.)


SUDAMINA(Médec. anc.) sont des petites rougeurs semblables à des grains de millet, qui viennent sur la peau des jeunes gens, sur-tout de ceux qui sont d'un tempérament chaud & qui font beaucoup d'exercice. Voyez SUEUR.

Ces pustules sont une suite des impuretés, soit bilieuses, soit salines, soit visqueuses, qui attaquent & défigurent les glandes de la peau ; elles sont fort incommodes dans l'été. Elles sortent avec la sueur ; elles causent une grande demangeaison, & font gratter beaucoup ceux à qui elles arrivent.

Les remedes sont les mêmes que ceux des dartres vives ; les saignées, les purgatifs, les sudorifiques coupés avec les émulsions sont indiqués ; l'acrimonie particuliere du sang & des humeurs peut faire varier ce traitement.

La répercussion en est fort dangereuse, de même que dans toutes les autres maladies cutanées.


SUDATOIRES. m. (Hist. anc.) est un nom que les anciens romains donnoient à leurs étuves ou chambres chaudes, qu'on appelloit aussi quelquefois laconia. Voyez BAIN & GYMNASIUM.

Les sudatoires étoient une sorte d'étuves ou hypocausta. Voyez HYPOCAUSTUM, &c.


SUDATSESLES, terme de relation, nom des Tartares méridionaux, tributaires du grand cham de Tartarie, & voisins des Tartares Zagatai, & du royaume de Turkestan. (D.J.)


SUDAVIELA, (Géog. mod.) contrée du royaume de Prusse, dans le cercle de Natangen ; elle est bornée au nord, par le cercle de Samland ; au midi & au levant, par la Lithuanie ; & au couchant, par la Bartonie. Lictk est le seul lieu un peu considérable de ce pays, qui est non-seulement rempli de lacs & de marais, mais entierement dépeuplé. (D.J.)


SUDAYCACA(Géogr. mod.) ville d'Afrique, au royaume de Tunis, sur une haute montagne, qui s'étend jusqu'à la mer, à l'endroit du golphe de Numidie, & à douze lieues de Constantine, du côté du nord. On prétend que c'est la Tacacie de Ptolémée, à laquelle il donne 29 degrés de longitude, & 32. 30 de latitude. (D.J.)


SUDBURY(Géog. mod.) ville d'Angleterre, dans Suffolck-shire, aux confins de la province d'Essex ; à 30 milles d'Ipswich, & sur la Stoure. C'est une ville riche, bien peuplée, & qui contient trois paroisses. Elle a droit de marché, députe au parlement, & fabrique beaucoup de draps. Ceux qui la nomment en latin Colonia, se trompent beaucoup. La Colonia d'Antonin est Colchester ; du - moins, c'est l'opinion de Cambden ; & celle qui paroît la plus vraisemblable, quoique M. Gale pense autrement. Long. de Sudbury, 18. 20. lat. 52. 15. (D.J.)


SUDERKOPING(Géog. mod.) & dans quelques cartes géographiques Soderkoëping, ville de Suéde, dans l'Ostrogothie, au fond du bras de mer, à 7 milles de Nordkoping, & à quinze de la mer Baltique. Quoiqu'ouverte & sans murailles, elle est assez marchande. Long. 35. 45. lat. 58. 7. (D.J.)


SUDERMANIEou SUDERMANLAND, (Géog. mod.) province de Suede, dans la Suéonie, avec titre de duché ; elle est bornée au nord par l'Uplande & par la Westmanie ; au midi par la mer Baltique ; au levant par la presqu'île de Toren, & au couchant par la Néricie. On donne à cette province 25 lieues suédoises de longueur, & 15 de largeur. Elle est des plus peuplées du royaume, contient dans son sein des mines de fer & de cuivre, & la terre y produit quantité de blé. Ses principales villes sont, Nikoping capitale, Strégnès, & Trosa. La Sudermanie a acquis de la célébrité, depuis que Charles son duc, fut nommé à la couronne de Suede, le 15 de Mai 1607, sous le nom de Charles IX. à la place de Sigismond roi de Pologne son neveu. (D.J.)


SUDERNUM(Géog. anc.) ville d'Italie, en Toscane, selon Ptolémée, l. III. c. j. qui la marque dans les terres ; Léander dit que c'est à-présent Maderno. (D.J.)


SUDORIFIQUESUDORIFIQUE

Cette sueur qu'ils excitent est appellée artificielle, pour la distinguer de celle que la nature opere quelquefois d'elle-même dans le cours des maladies, & de la transpiration qui est encore une espece de sueur naturelle & propre à l'état de santé.

L'évacuation cutanée ou la sueur est de deux especes ; savoir une insensible à laquelle appartient spécialement le nom de transpiration ou perspiration, (voyez TRANSPIRATION) & une autre sensible, qui coule par grosses gouttes, & quelquefois même par petits ruisseaux, sur toute la surface du corps, & qui est appellée proprement sueur.

Les remedes qui excitent la transpiration insensible, ou plutôt les remedes capables d'exciter l'excrétion cutanée en général, considérés comme excitant la transpiration insensible, sont appellés diaphorétiques & diapnoiques ; & les mêmes remedes considérés comme excitant la sueur proprement dite, sont appellés sudorifiques & hydrotiques.

Nous n'attachons point comme on voit les deux différentes vertus à des remedes différens : nous pensons au contraire que les mêmes remedes sont capables de ces deux effets, lesquels ne different que par le degré ; ensorte qu'en variant la dose & quelques autres circonstances de l'administration, tout remede vraiment capable de procurer l'effet diaphorétique, est aussi capable de procurer l'effet sudorifique, & réciproquement.

Cela n'empêche point que la transpiration & la sueur proprement dite, ne soient communément des choses très-différentes : car la transpiration insensible n'est & ne peut être qu'une exhalaison purement aqueuse, ou du-moins presque entierement aqueuse ; au lieu que la sueur est ordinairement chargée de matieres salines & de quelques autres substances qui ne sauroient s'exhaler avec la transpiration insensible ; car ces matieres ne sont point volatiles comme elles devroient l'être pour pouvoir être évacuées sous cette forme.

Il est connu, principalement par les observations de Sanctorius, & par celles des auteurs qui ont observé d'après sa méthode, que la transpiration insensible qui est une évacuation très-copieuse, a une influence majeure sur la conservation de la santé, & que les dérangemens qui surviennent dans cette évacuation, causent sur le champ un grand nombre d'incommodités, & sont à la longue la cause de beaucoup de maladies très-graves. Il est connu encore que l'évacuation critique la plus générale & la plus sûre, par laquelle les maladies aiguës sont terminées, c'est la sueur ; & même, selon la doctrine des anciens, nulle fievre n'est parfaitement jugée sans sueur.

Enfin, l'utilité de cette évacuation dans un grand nombre de maladies cutanées, dans les douleurs de membres, & dans toutes les affections sérieuses, chroniques, est généralement reconnue.

L'usage des sudorifiques se déduit aisément de ces trois observations.

On doit les employer où ils sont indiqués dans toutes les incommodités qui dépendent immédiatement d'une transpiration supprimée ou diminuée, telles que les rhumes, les enchifremens, les légeres fluxions sur les yeux ou sur les oreilles, sur le nez, &c. les légeres douleurs des membres, &c. lorsque ces incommodités surviennent après qu'on s'est exposé à l'humidité de l'air : dans les maladies aiguës qui se terminent éminemment par les sueurs ; telles que les fievres proprement dites & les douleurs de côté, & en général, lorsque les signes de la sueur, & sur-tout le pouls, annoncent cette évacuation avec l'indication de l'aider. Voyez POULS. Enfin, dans les maladies chroniques, douloureuses, séreuses, & cutanées, telles que les maux de tête invétérés, les rhumatismes, l'anasarque, les dartres, la gale, la lepre, &c.

Les sudorifiques ont été mis encore au rang des remedes éprouvés des maladies vénériennes. Voyez VEROLE.

Les remedes sudorifiques considérés très - généralement, ou les moyens d'exciter la sueur, different beaucoup entr'eux.

1°. L'exercice du corps ou la fatigue, excitent cette évacuation ; mais ce moyen ne sauroit être mis au rang des ressources thérapeutiques, ou tout au plus peut - on l'employer dans quelques maladies chroniques, comme douleurs rhumatismales, oedemes légers, &c. car en général les malades sont peu en état de faire de l'exercice. Les personnes attaquées de rhume léger en sont à peine capables ; cette maniere d'exciter la sueur est beaucoup plus utile, comme secours diététique & préservatif. Voyez EXERCICE, Médecine.

2°. On excite la sueur en exposant le corps à une chaleur extérieure ; soit celle d'un air échauffé, comme dans les étuves séches, les laconicons des anciens, voyez LACONICON ; soit celle de différentes vapeurs aromatiques, sulphureuses, métalliques, &c. dans les fumigations, voyez FUMIGATION ; soit celle d'une vapeur aqueuse, comme dans les étuves, eaux minérales, (voyez sous l'article MINERALES eaux), soit enfin, celle de l'eau qu'on verse en masse sur le corps, ce qui s'appelle donner des douches, voyez DOUCHE, sous l'article MINERALES eaux ; soit en plongeant le corps dans une eau chaude, comme dans les bains d'eau thermale, voyez l'article MINERALES eaux ; soit en couvrant le corps d'un sable très-chaud, du marc de raisin échauffé par la fermentation, ou du marc d'olive échauffé par l'eau bouillante, dont il a été imbibé depuis peu sur le pressoir, & qu'on en a exprimé tout récemment.

On peut rapporter à cette derniere classe de sudorifique l'imposition des couvertures que les Médecins ordonnent quelquefois pour faire suer les malades dans leurs lits, & les gros habits, les fourrures, &c. qu'ils prescrivent à ceux dont ils veulent augmenter la transpiration ; les camisoles d'Angleterre que l'on porte immédiatement sur la peau dans cette vue, &c. Tous ces moyens équivalent à l'application réelle d'une chaleur extérieure : car l'homme vivant communément dans un milieu beaucoup moins chaud que sa chaleur naturelle (voyez CHALEUR ANIMALE), & les couvertures empêchant la communication de ce milieu plus froid, & conservant par-là autour du corps une chaleur égale à sa chaleur propre ; il est clair qu'elles entretiennent autour du corps une chaleur inaccoutumée & artificielle.

Enfin, un grand nombre de médicamens propres à être pris intérieurement, remplissent la derniere classe des sudorifiques. Les végétaux fournissent un grand nombre d'eaux distillées aromatiques, d'huiles essentielles, de baumes, de résine, d'esprits alkalis volatils, soit spontanés, soit dus à la violence du feu de ses esprits ardens fermentés ; & enfin, plusieurs plantes usitées en substances, & qui doivent évidemment leurs vertus aux principes que nous venons d'indiquer. Entre ces substances végétales, le gayac, l'esquine, l'un & l'autre très-résineux, & le sassafras très-aromatique & très-riche en huile essentielle, tiennent un rang distingué. La zédoaire, l'angélique, la benoite, la sauge, le chardon bénit, les fleurs de sureau, &c. sont aussi au premier rang. Voyez ces articles particuliers.

Les chaux antimoniales absolues, telles que l'antimoine diaphorétique, bézoardique minéral, &c. qui sont les sudorifiques les plus renommés du regne minéral, n'ont à ce titre qu'une vertu fort douteuse : la propriété sudorifique, ou la vertu sudorifique des fleurs de soufre & de l'esprit sulphureux volatil, ne sont pas bien constatés non plus ; quant aux terres absorbantes, aux terres scellées qui sont au rang des argilleuses & aux pierres précieuses que les Pharmacologistes comptent au rang des sudorifiques, on peut prononcer hardiment que cette propriété qu'ils leur ont attribuée, est purement imaginaire. Voyez l'article TERREUX, & MATIERE MEDICALE.

Le regne animal fournit les alkalis volatils sous forme liquide, appellés communément esprits alkalis volatils, tels que celui du sel ammoniac, de la corne de cerf, de la soie, des viperes, du crâne humain, qui sont les plus efficaces de tous les sudorifiques ; ce regne fournit encore l'esprit des fourmis, qui est un remede peu éprouvé ; le sang de bouquetin, plus usité & plus efficace, les cloportes, les vers de terre, les écrevisses, la chair de vipere & de serpent, & celle des tortues, toutes substances dont les vertus échauffantes, animantes, sudorifiques, ne sont pas encore suffisamment constatées. Voyez les articles particuliers.

On ne doit point avoir meilleure opinion des matieres terreuses absorbantes de ce regne, que l'on trouve encore au rang des sudorifiques (telles que les coquilles, la mere de perles, la corne de cerf calcinée, la mâchoire de brochet, les bézoards, &c.), que des matieres terreuses du regne minéral.

On trouve encore dans les boutiques plusieurs compositions sudorifiques, tant sous forme solide que sous forme liquide ; les esprits ardents aromatiques, les élixirs, les teintures, les mixtures balsamiques aromatiques, dont l'excipient est toujours un esprit ardent ; les esprits volatils aromatiques, huileux ; la liqueur de corne de cerf succinée ; la thériaque, le mithridate, le diascordium, la confession alkermes, &c.

Les médicamens sudorifiques se donnent ordinairement sous forme de tisane. Voyez TISANE. C'est sous cette forme que sont certains remedes sudorifiques de charlatans, tels que la tisane de kalac ou calat, qui est à-présent oubliée, vraisemblablement parce qu'elle est connue, & celle de vinache, qui est un des deux cent secrets actuellement en vogue à Paris, voyez SECRET, (Médecine) & qui n'est vraisemblablement qu'une imitation, ou peut-être une copie de la tisane de kalac, qui ressemble elle-même à toutes les tisanes sudorifiques composées, qu'on a dès longtems employées au traitement des maladies vénériennes (voyez VEROLE), & dont les ingrédiens sont ce qu'on appelle les bois par excellence, c'est-à-dire, le gayac, le sassafras, la squine & la sarsepareille, auxquels on ajoute quelquefois l'iris de Florence, la réglisse, dans laquelle on fait bouillir, assez inutilement, des chaux antimoniales, ou du mercure crud, & enfin à laquelle on ajoute quelquefois des purgatifs.

Les sudorifiques élevent le pouls, augmentent la chaleur naturelle, sont véritablement échauffans. Voyez ÉCHAUFFANT. Par conséquent on doit être très-reservé sur l'usage des sudorifiques chez ceux qui sont d'un tempérament vif, ardent, mobile, sec, ou sanguin, & très-pléthorique, qui sont sujets à des hémorragies, qui ont la poitrine délicate ou quelque suppuration intérieure, & qui sont dans la fievre hectique ; quoiqu'il ne faille pas croire que des sueurs abondantes & critiques ne puissent être utiles dans les cas ordinaires aux sujets ainsi constitués, nous voulons dire seulement que les fautes dans l'administration de ce secours peuvent être plus dangereuses pour eux que pour les autres.

Quant aux précautions pratiquées & aux contr'indications tirées de l'état de maladie, ces choses découlent d'elles-mêmes de la loi générale, de n'employer ce remede que d'après l'indication propre & directe levée de la tendance de la nature vers cette évacuation ; tendance estimée principalement par le pouls. Nous observerons seulement que ceux qui se gouvernent par cette boussole, ne trouvent pas toujours les sudorifiques contr'indiqués par l'état de très-grande chaleur, de fievre très-forte, d'inflammation, d'orgasme ; car non-seulement cet état peut se trouver avec la sueur imminente, mais même la sueur imminente est ordinairement précédée de cet état, & elle en est souvent la plus heureuse solution : tandis que les Médecins qui se conduisent sous les indications artificielles redoutent cet état, méconnoissent l'événement qu'il présage, éloignent cet événement par des saignées ou d'autres remedes à contre-tems, &c. (b)


SUDSUTETES. m. (Critiq. sac.) ce mot est employé par saint Paul dans sa I. épître aux Corinthiens, ch. j. v. 20. ; c'est-à-dire, où est le sage ? où est le scribe ? où est le rechercheur de ce siecle ? , disquisitor, de , quaero. Le rechercheur dont il s'agit ici, est le juif qui étudie la science énigmatique des prophéties, & qui prétend en découvrir le sens. Le passage de saint Paul s'explique par un passage analogue de l'Ecclésiastique, c. xxxix. v. 1. Le sage, le scribe, le savant, recherchera la sagesse de tous les anciens, s'occupera de l'étude des prophéties & du sens caché de leurs sentences ; car il passe sa vie dans l'étude des paraboles énigmatiques. Les Juifs syzétetes se nommoient en hébreu darschan, & leurs explications midrasch. (D.J.)


SUEDE(Géog. mod.) un des royaumes des plus grands & des plus septentrionaux de l'Europe. Les terres qu'il renferme, sont comprises à-peu-près entre le 30. & le 45. degré de longitude, & entre les 55. & 70 degrés de latitude septentrionale. Il a ainsi dans sa plus grande longueur plus de 350 lieues du septentrion au midi, & plus de 140 d'orient en occident. Il est borné au nord par la Laponie norwégienne ou danoise, & par l'Océan septentrional ; au sud par la mer Baltique & par le golphe de Finlande ; à l'orient par la Moscovie, & au couchant par la Norwege, le détroit du Sund & le Cattegat.

Ce royaume jouit d'un air sain, qui est cependant si froid & si peu tempéré, qu'à l'hiver qui occupe les trois quarts de l'année, succedent durant deux mois des chaleurs excessives. Il n'y a presque point de milieu entre un froid très-violent & une chaleur étouffante ; & par conséquent il n'y a que peu ou point du tout de printems ni d'automne. Le soleil, dans sa plus grande élevation, est dix-huit heures & demie sur l'horison de Stockholm, & fait pendant quelques semaines un jour continuel ; mais les jours d'hiver sont bien courts à proportion, car le soleil n'y paroît que cinq heures & demie. La lumiere de la lune, la blancheur de la neige & la clarté du ciel dédommagent foiblement de l'absence du soleil. On se précautionne contre l'âpreté du froid par le moyen des poëles qui sont dans les maisons, & par de bonnes fourrures quand on est obligé de sortir. Les pauvres même sont obligés de se servir de peaux de mouton, & autres peaux semblables pour pouvoir résister au froid du climat. La négligence en ce genre seroit fatale, car on ne sauroit être mal-vêtu en Suede, sans courir risque de perdre le nez, les doigts des mains & des piés, & quelquefois même la vie.

La Suede se divise en Suede propre, Gothlande, Nortlande & Finlande. La Suede propre est située entre les Nordelles au nord, l'Ostrogothland au sud, la mer à l'orient, & les gouvernemens de Bahus, d'Aggerhus & de Drontheim vers l'occident ; elle renferme cinq provinces, savoir l'Uplande, la Sudermanie, la Westmanie, la Néricie & la Dalécarlie.

La Suede est un pays arrosé de rivieres & entrecoupé de grands lacs, qui, avec les montagnes & les forêts, occupent plus de la moitié du royaume. La terre y est ingrate en plusieurs choses utiles à la vie. On y voit des campagnes à perte de vue, couvertes de chênes & de sapins d'une hauteur prodigieuse. La chasse & la pêche produisent de quoi nourrir cette vaste contrée. On chasse les bêtes-fauves pour les manger ; les loups, les renards, les chats sauvages pour en avoir les peaux, qui servent à des fourrures. Il y a quantité d'aigles, de faucons & d'autres oiseaux de proie qui nous sont inconnus. Les renards & les écureuils y deviennent grisâtres, & les lievres blancs comme de la neige. Outre la mer, les lacs y fourmillent de poissons qu'on ne connoît point ailleurs. On y prend quantité de streamlings, sorte de poisson plus petit qu'un hareng ; on le sale, on l'encaque dans des barrils, & on le vend ensuite dans tout le pays. Le bétail de la Suede est en général petit, ainsi que dans les autres pays septentrionaux. La laine que donnent les moutons est extrêmement grossiere, & ne peut servir qu'aux habits des paysans. Les chevaux, quoique petits, sont légers, vigoureux, forts, & excellens pour le traîneau, qui est l'unique voiture des habitans pendant la longue durée de l'hiver.

Les forêts produisent du bois de charpente & à brûler tant qu'on veut ; on en fait un grand débit, tant pour les bâtimens que pour les mâtures des vaisseaux. Les mines de cuivre & de fer font un objet de commerce considérable. Il y a telle mine de cuivre dont on tire annuellement la valeur d'un million. Outre le fer qui se consume dans le pays, il s'en transporte tous les ans chez l'étranger pour d'assez grosses sommes ; mais voilà toutes les ressources de cette monarchie.

Son origine & son commencement nous sont inconnus. Les révolutions qu'elle a essuyées ont été exactement décrites par Puffendorf, & agréablement par l'abbé de Vertot. La Suede, probablement épuisée d'habitans par les anciennes émigrations dont l'Europe fut inondée, parut comme ensevelie dans la barbarie pendant les huit, neuf, dix & onzieme siecles. Le christianisme qui y fut préché dès le neuvieme, n'y fit aucun progrès. Elle renonça au christianisme dans le siecle suivant, & dans le onzieme siecle, toutes les côtes de la mer Baltique étoient encore payennes.

Les premiers rois de cet état étoient absolus. Les Suénones, dit Tacite, sont tombés sous la domination d'un seul ; ce n'est plus une monarchie tempérée, c'est le pur despotisme. Les Suénones sont les Suédois ; je n'ai pas besoin d'en avertir, ni de remarquer que les choses ont bien changé. Les Suédois, ce peuple de tous les Germains le seul esclave du tems de Tacite, & l'un des plus barbares dans les siecles d'ignorance, sont devenus de nos jours une nation du Nord des plus éclairées, & l'une des plus libres des peuples européens qui ont des rois. Outre que la monarchie y est mitigée, la nation suédoise est encore libre par sa belle constitution, qui admet les paysans mêmes dans les états généraux.

La couronne de Suede, anciennement élective, n'est devenue successive & héréditaire que sous le regne de Gustave I. Il fut résolu dans une assemblée de la noblesse, tenue à Stockholm en 1680, & confirmée à la diete en 1682, que les filles succéderoient à la couronne, si les mâles venoient à manquer dans la famille royale.

Les états du royaume avoient beaucoup plus d'autorité qu'ils n'en ont, depuis qu'on a changé la forme du gouvernement. Il consiste en quatre ordres, qui sont la noblesse, le clergé, les bourgeois, & les paysans. Ces quatre états composés d'un millier de gentilshommes, de cent ecclésiastiques, de cent cinquante bourgeois, & d'environ deux cent cinquante paysans, faisoient les loix du royaume.

On convoque ordinairement les états de quatre en quatre ans ; & quand ils s'assemblent à Stockholm, c'est dans la grande salle du château. La noblesse a pour chef le maréchal de la diete, qui est nommé par le roi : elle est partagée en trois classes ; la premiere est celle des comtes & des barons, la seconde, celle des maisons illustres par les charges de la couronne, ou par les emplois considérables, & la derniere est celle des simples nobles.

Cette distinction n'a été introduite que depuis que la couronne est héréditaire : car du tems de l'élection, il n'y avoit que la vertu & le mérite qui missent de la différence entre les gentilshommes. L'archevêque d'Upsal est à la tête du clergé, en qualité du primat du royaume. Les bourgeois ont ordinairement à leur tête le bourguemestre de Stockholm, & les paysans choisissent un président. Le roi congédie le plutôt qu'il peut l'assemblée des états, de peur qu'elle ne censure l'administration publique, & ne propose des réformations.

Le sénat est le corps le plus considérable du royaume après les états généraux. Le corps des sénateurs, aujourd'hui réduit à douze, étoit autrefois libre, juge des actions & de la vie du roi ; il n'est plus aujourd'hui que le témoin de sa conduite, & quoiqu'il entre en connoissance de toutes les affaires d'état, sa fonction est de lui donner conseil, sans pouvoir lui rien prescrire.

Le roi seul a le droit d'établir les impôts, de régler les étapes pour les soldats des provinces, de faire battre la monnoie, & de faire creuser les mines de salpêtre, à-moins qu'elles ne soient dans les terres ecclésiastiques. Il nomme à toutes les charges du royaume, & à toutes les magistratures ; il lui est permis, en cas de nécessité, de lever le dixieme homme pour aller à la guerre ; mais il prend en échange l'argent qui seroit employé à cette levée, & trouve, par ce moyen, le secret de ne pas dépeupler ses états ; ce qui fait que les armées de Suede sont presque toutes composées de soldats étrangers, & particulierement d'Allemands.

Outre les sénateurs, il y a dans ce royaume cinq grands officiers de la couronne, qui sont régens nés du royaume pendant la minorité des rois. Ces cinq officiers sont le drossart, ou le grand justicier, le connétable, l'amiral, le chancelier, & le grand trésorier. Ils président chacun à une chambre, composée de quelques sénateurs ; quand leur charge vient à vacquer, le roi la donne à qui bon lui semble, & ordinairement au plus ancien sénateur de la chambre.

Le grand justicier préside au suprême conseil de justice, auquel on appelle de tous les autres ; c'est lui qui a le privilege de mettre la couronne sur la tête du roi dans la cérémonie de son couronnement.

Le connétable est le chef du conseil de guerre, & prend soin de tout ce qui regarde les armées. Aux entrées des rois, il marche le premier devant eux tenant l'épée nue ; & dans l'assemblée des états, il est assis devant le trône, à main droite.

Le pouvoir de l'amiral est fort considérable : il a le commandement des armées navales ; il a le choix de tous les officiers de guerre & des finances qui servent dans la marine, & auxquels il donne des provisions. La justice de l'amirauté lui appartient, & se rend en son nom ; il a les amendes, les confiscations, le droit de dixieme sur toutes les prises & conquêtes faites à la mer, le droit d'ancrage, l'inspection sur les arsenaux maritimes, & la distribution des congés à tous les vaisseaux qui partent des ports & havres du royaume. Il est président du conseil de marine, qui connoît de toutes les entreprises de guerre, des abus & des malversations commises par les officiers de marine ; enfin il juge définitivement & en dernier ressort toutes les affaires qui concernent l'amirauté.

Le chancelier est le chef de la police, en corrige les abus, & fait tous les réglemens nécessaires pour le bien public ; il est dépositaire des sceaux de la couronne ; il expédie toutes les affaires d'état, & expose les volontés du roi aux états généraux ; il préside au conseil de police, & c'est en ses mains que le roi dépose la justice pour la faire rendre à ses sujets.

Le grand trésorier a l'administration des finances & des revenus du roi. Il fait rendre tous les comptes des fermes aux trésoriers particuliers : c'est lui qui signe les ordonnances, & autres expéditions du trésor, qui ordonne des fonds, & qui paye tous les officiers du royaume ; il préside à la chambre des comptes, qui expédie tous les arrêts portant imposition sur les peuples, & où l'on rapporte toutes les affaires qui regardent les finances.

Le revenu des rois de Suede a été beaucoup augmenté depuis le changement de religion, par la possession des biens du clergé, & par la réunion au domaine de tous ceux qui en avoient été aliénés. Le roi tire encore son revenu des droits qu'il leve sur les mines du royaume, sur les amendes, & sur les marchandises.

La justice est administrée en Suede par quatre tribunaux souverains, qu'on nomme parlemens, qui connoissent des affaires civiles & criminelles en dernier ressort dans leur jurisdiction. Ces quatre parlemens sont, celui de Stockholm, celui de Jenkoping, celui d'Abo en Finlande, & celui de Wismar, qui a dans son département les états que le roi de Suede possede en Allemagne.

La religion luthérienne regne en Suede. L'Eglise de ce royaume est gouvernée par un archevêque & par dix évêques, qui ne sont embarrassés de l'administration d'aucune affaire particuliere, & qui ne sont jamais appellés au conseil que lorsque les états s'assemblent. Leurs revenus sont fort médiocres. Ils ont sous eux sept ou huit surintendans qui ont tous autorité d'évêques, mais qui n'en ont pas le nom ; & sur chaque dix églises, il y a un prevôt ou diacre de la campagne. Il a quelqu'autorité sur les ecclésiastiques inférieurs qu'on compte par le nombre des églises, qui montent, tout-au-plus, à deux mille, tant dans le duché de Finlande, que dans la Suede. Les chapelains & les curés grossissent le corps des ecclésiastiques de près de quatre mille personnes. Ils sont tous fils de paysans, ou de simples bourgeois, & par conséquent ils se contentent du petit revenu qu'ils tirent de leurs charges. Lorsqu'il meurt un évêque, le clergé de chaque diocèse, propose trois personnes au roi, qui choisit l'une des trois pour remplir la prélature vacante. Tous les chapitres du royaume donnent aussi leurs suffrages pour l'élection d'un archevêque, mais la décision appartient au roi seul, qui de plus, a le patronage de toutes les églises, à la réserve de quelques-unes, dont la noblesse dispose.

On ne connoissoit point en Suede, en Danemarck, & dans le reste du nord, avant la fin du seizieme siecle, aucun de ces titres de comte, de marquis, de baron, si fréquens dans le reste de l'Europe. Ce fut le roi Eric, fils de Gustave Vasa, qui les introduisit dans son royaume, vers l'an 1561 pour se faire des créatures ; mais ce fut une foible ressource, & ce prince laissa au monde un nouvel exemple des malheurs qui peuvent suivre le desir de se rendre despotique.

Le fils du restaurateur de la Suede fut accusé de plusieurs crimes pardevant les états assemblés, & déposé par une sentence unanime, comme Christiern II. l'avoit été en Danemarck ; on le condamna à une prison perpétuelle, & on donna la couronne à son frere Jean III.

Les forces militaires du royaume de Suede consistent sur terre à près de cinquante régimens, qui font 60 mille hommes. Chaque régiment est ordinairement de 1200 hommes, y compris 96 officiers dans chacun ; comme ces régimens sont toujours complets, on peut assembler en tous tems une armée de 20 mille hommes sur les frontieres de Danemarck & de Norwege. Outre les fonds ordinaires, on a affecté à chaque régiment vingt fermes surnuméraires, pour faire subsister les officiers qui ne sont plus en état de servir. On a aussi établi pour les soldats qui sont hors de service par leur âge, ou par leurs blessures, un hôpital général qui jouit d'un bon revenu, indépendamment duquel, chaque officier qui s'avance paye au profit de l'hôpital, une somme d'argent proportionnée au grade qu'il acquiert. Un colonel paye cent écus, & les autres officiers à-proportion. Il y a à Stockholm un grand magasin d'armes toutes prêtes, & un autre au château de Jencoping, situé vers les frontieres de Danemarck.

Les Suédois sont grands, bien faits, d'une constitution vigoureuse, & capables de supporter toutes sortes de fatigues. La nature du climat & la bonne éducation leur procurent ces avantages. Leur génie les portant aux choses sérieuses, les fait réussir dans les études de ce genre. Depuis la réformation, les Lettres ont percé en Suede. Gustave Adolphe les protégea, & la reine Christine imita son exemple. Stockholm est aujourd'hui décorée d'une illustre académie des Sciences ; & le premier botaniste de l'europe est un suédois. (D.J.)


SUEL(Géog. anc.) ville de l'Espagne Bétique. Pline, l. III. c. j. la met sur la côte. Pomponius Mela l. II. c. vj. nomme aussi cette ville. Ptolémée la marque sur la côte de la mer Ibérique ; mais le manuscrit de la bibliotheque palatine lit Suea, au lieu de Suel.

Dans une inscription rapportée par Reinesius, p. 131. on lit ces mots, municipio suelitano ; & comme cette inscription avoit été trouvée à Fuengirola, village à quatre lieues de Malaca, quelques-uns s'étoient imaginé que ce village étoit l'ancienne Suel. Le P. Hardouin n'est pas de ce sentiment ; il soutient, mais sans en donner aucune raison, que l'inscription dont il s'agit est supposée & moderne, & ajoute que Suel est aujourd'hui le château de Molina, au royaume de Grenade, entre Marbella & Malaca.

Quoi qu'il en soit, voici l'inscription en entier, telle que la donne Bernard d'Aldrette dans ses origines de la langue castillane, l. I. c. ij.

Neptuno Aug. sacrum

L. Junius Puteolanus

VI. Vir. Augustalis

In Municipo suelitano.

(D.J.)


SUELTÉRIENSLES, (Géog. anc.) Suelteri, peuples de la Gaule Narbonnoise ; c'est Pline, liv. III. c. iv. qui en parle. Ils habitoient dans les dioceses de Fréjus, vers la riviere d'Argens, où sont aujourd'hui Brignole & Draguignan. C'est le sentiment d'Honoré Bouche, l. VII. c. vij. p. 183, qui est suivi par le P. Hardouin, & favorisé par la situation que la table de Peutinger donne aux Selteri, qui sont les mêmes que les Suelteri. (D.J.)


SUERv. neut. (Gram.) c'est rendre de la sueur, voyez l'article SUEUR. Il se dit aussi métaphysiquement des murailles & de leur humidité. Les murs suent. Voyez les articles suivans.

SUER, (Jardinage) se dit des blés, des foins ; c'est un reste d'humeur qui est en-dedans du blé & du foin, & qui n'ayant pas encore perdu sa chaleur, en sort & jette cette humeur en s'évaporant.

SUER, v. a. (Fabriq. de Tabac) pour faire suer les feuilles de tabac, on choisit un grenier sec où il y ait de l'air. Là au sortir de la pente, c'est-à-dire, après qu'elles ont seché pendues à des cordes, on en fait un lit sur le plancher de la longueur qu'on veut, sur la largeur de deux longueurs de feuilles. La maniere de les y placer est pointe contre pointe ou tête contre tête, en couvrant le premier lit de nouvelles feuilles, jusqu'à ce que le monceau ait environ trois piés de hauteur. En cet état, les feuilles s'échauffent & suent naturellement ; après un certain dégré de chaleur, on défait le tas, & on retourne les feuilles qu'on arrange comme la premiere fois : lorsque le tems est convenable, la sueur s'acheve en quinze jours ; si elle tarde, on couvre les feuilles de planches, & on les charge de quelques pierres. Labat Voyag. (D.J.)


SUERIES. f. (Manuf. de tabac) c'est ainsi qu'on appelle en Amérique la case, la maison, le bâtiment où les plantes de tabac coupées sont apportées pour les faire ressuer & fermenter. On les étend dans la suerie les unes sur les autres, on les couvre de quelques méchantes toiles ou nattes avec des planches par-dessus, & des pierres pour les tenir en sujétion ; c'est ainsi qu'on les laisse trois ou quatre jours, pendant lesquelles elles fermentent, ou pour parler comme aux îles, elles ressuent, après quoi on les fait secher. (D.J.)


SUESSA ARUNCA(Géogr. anc.) ou Suessa simplement, ville d'Italie dans la Campanie. On rapporte, dit Tite-Live, l. VII. c. xv. que les Arunces épouvantés abandonnerent leur ville, & se retirerent avec leurs femmes & leurs enfans à Suessa, qu'ils fortifierent. Cette ville fut nommée Arunca du nom de ces peuples, pour la distinguer de Suessa surnommée Pometia.

L'histoire ne nous apprend point que les Arunces aient été forcés dans Suessa Arunca. Quant à leur ancienne capitale, elle fut détruite par les Fidicins. Dans l'année 440 de la fondation de Rome, le sénat envoya une colonie à Suessa Arunca. Du tems de Cicéron elle avoit le titre de Municipe. Il en fait cet éloge magnifique. Lautissimum oppidum, nunc municipium honestissimorum quondam colonorum Suessam, fortissimorum militum sanguine (Antonius) implevit. Cicéron ne lui donna point en cet endroit de surnom, & Silius Italicus, l. VIII. v. 498 en use ainsi, detritaque bellis Suessa. La raison en est que Suessa Pometia avoit été détruite auparavant.

Suessa Arunca devint pour la seconde fois colonie romaine sous Auguste, selon une inscription ancienne rapportée par Gruter p. 1096, où on lit Aedilis colonia Julia felici classica Suessa. Les habitans de cette ville sont appellés Suessani dans une inscription faite du tems de l'Empereur Adrien, & rapportée par Holstenius p. 257. Qui viam Suessanis Municipiis sua pec. fecit.

Lucilius (Caius) chevalier romain, & poëte latin, naquit à Suessa au pays des Arunces, vers le commencement du septieme siecle de Rome, savoir l'an 605, & mourut à Naples vers l'année 660, âgé d'environ 55 ans. Il porta les armes sous Scipion l'Africain à la guerre de Numance, & il eut beaucoup de part à l'amitié de ce fameux général, & à celle de Laelius ; c'est Velleius Paterculus, l. II. c. ix. qui nous l'apprend. Celebre, dit-il, & Lucilii nomen fuit, qui sub P. Africano Numantino bello, eques militaverat. Pompée du côté maternel étoit petit neveu de Lucilius, ainsi ce poëte étoit de bonne maison. Il commença trente livres de satyres où il censuroit nommément & d'une maniere piquante plusieurs personnes qualifiées. Il ne fut pas l'inventeur de la satyre parmi les latins ; mais il en fut comme le restaurateur, par le nouveau tour qu'il lui donna, en se réglant sur le goût de l'ancienne comédie des Grecs ; avec cette différence qu'il se servoit ordinairement de vers Pythiens, que les grammairiens appellent vers héxametres, au lieu que les poëtes comiques n'avoient employé que des vers ïambes ou coraïques. Il fit plusieurs autres ouvrages, mais il ne nous reste que des fragmens de ses satyres ; ils ont été recueillis soigneusement par François Douza, & publiés à Leide avec des notes l'an 1597. Ils auroient cependant bon besoin d'être encore mieux éclaircis par quelque savant critique, parce qu'on en tireroit beaucoup de lumieres en ce genre. On apprendroit bien des choses dans les autres oeuvres de Lucilius qui se sont perdues.

Les anciens ont été fort partagés sur le mérite de ce poëte satyrique. On peut voir ce que dit Horace sat. I. l. II. sat. IV. l. I. & sat. X. qu'il employe toute entiere à répondre aux admirateurs de Lucilius, protestant en même tems qu'il ne prétend pas lui arracher la couronne qui lui est si justement due. Quintilien étoit extrêmement prévenu en faveur de Lucilius ; mais tous les critiques se sont déclarés pour le jugement d'Horace ; cependant Lucilius a eu le bonheur de certaines femmes qui avec très-peu de beauté, n'ont pas laissé de causer de violentes passions. Ce qu'il y a de singulier, c'est que Ciceron se soit contredit dans ses décisions sur le savoir de Lucilius. Il dit au premier livre de l'Orateur, c. 16 : sed ut solebat C Lucilius saepe dicere homo tibi subiratus, mihi propter eam ipsam causam minus quàm valebat familiaris, sed tamen & doctus & perurbanus, sic sentio neminem esse in oratorum numero habendum qui non sit omnibus iis artibus quae sunt libero homine dignae, perpolitus. Il lui donne le même éloge de docte au second livre du même ouvrage, & il le lui ôte au premier livre de finibus, c. 3.

Je n'ajoute plus qu'un mot sur Lucilius, parce que j'ai déja parlé de lui à l'article SATYRE. Il ne souhaitoit ni des lecteurs ignorans, ni des lecteurs très-savans. Il est vrai que ces deux sortes de lecteurs sont quelquefois également redoutables ; les uns ne voyent pas assez, & les autres voyent trop : les uns ne connoissent pas ce qu'on leur présente de bon ; & l'on ne sauroit cacher aux autres ce que l'on a d'imparfait. Ciceron ne veut point de lecteurs ignorans : il demande les plus habiles, déclarant ne craindre personne ; mais combien peu de gens peuvent tenir le même langage ? (D.J.)


SUESSA-POMETIA(Géog. anc.) ville d'Italie dans le Latium. Strabon, l. V. lui donne le titre de métropole des Volsques ; & Denys d'Halicarnasse l. VI. p. 364 l'appelle la premiere, ou la principale ville de ce peuple.

Cette ville fiere de sa puissance & de ses richesses, s'étoit crû permis de porter le ravage chez ses voisins ; les Latins s'en plaignirent ; mais lorsqu'ils en demanderent la réparation, ils n'eurent point d'autre réponse, sinon qu'on étoit prêt à vuider le différend par les armes. Tarquin saisit cette occasion de faire marcher ses troupes vers Suessa. L'armée des Suessans qui l'attendoit sur la frontiere, fut vaincue & prit la fuite. Tarquin ne tarda pas d'aller faire le siege de leur capitale. Il environna la place d'une ample circonvallation qu'il munit d'un large fossé, & poussa les attaques avec force. Les assiegés se défendirent courageusement, mais ne recevant ni convois, ni secours, & se voyant épuisés, ils préférerent de mourir sur leurs remparts, & de conserver leur liberté en périssant. A la fin leur ville fut prise d'assaut, tous ceux qui avoient porté les armes pour sa défense, furent impitoyablement massacrés. Les femmes, les enfans, les vieillards & les esclaves, dont le nombre étoit grand, devinrent la proie du soldat.

L'or & l'argent qu'on trouva dans cette ville opulente, furent seuls mis en réserve, & portés dans un endroit marqué. On en consacra la dixieme partie pour achever le Temple de Jupiter Capitolin. Toute la somme montoit à 40 talens d'or.

Cette ville se rétablit ; car l'année 258 de Rome, la grandeur de son enceinte, la multitude de ses habitans, ses richesses & son luxe la faisoient encore passer pour la capitale des Volsques. Le consul Servilius la prit d'assaut, & l'abandonna au pillage de ses troupes.

Cette ville fut nommée Pometia pour la distinguer de Suessa-Arunca. Quelquefois elle se trouve appellée simplement Suessa, parce qu'elle étoit la plus puissante des deux ; & quelquefois on la nomme seulement Pometia. Elle fut colonie romaine. Virgile Aeneid. l. VI. v. 775 désigne cette ville sous le nom du peuple.

Pometios, castrumque Invi, Bolamque, coramque. (D.J.)


SUESSIONES(Géog. anc.) peuples de la Gaule belgique. César, bel. gall. l. VIII. c. vj. les met sous les Rhemi ; in fines Suessionum qui Rhemis erant attributi. Les députés que les Rhemi envoyerent à César, appellent les Suessiones leurs freres & leurs parens, qui se servoient des mêmes lois, faisoient avec eux un même état, & avoient les mêmes magistrats : fratres, consanguineosque suos, qui eodem jure, iisdem legibus utantur, unum imperium, unumque magistratum cum ipsis habeant.

Le nom de ces peuples est différemment écrit par les anciens. Les divers exemplaires de César lisent quelquefois Suessones & quelquefois Suessiones. Cette derniere orthographe semble devoir être préférée, parce que le métafraste grec lit constamment . Pline, liv. IV. ch. xviij. écrit aussi Suessiones, de même que Tite-Live.

Les diverses éditions de Strabon varient aussi beaucoup ; les unes portent , & d'autres ou ; Lucain, l. I. v. 413. dit Suessones.

Et Bituris, longisque leves Suessones in armis.

Ptolémée a oublié apparemment la premiere lettre du nom de ces peuples, car il les appelle . L'itinéraire d'Antonin est pour Suessones, desorte que l'orthographe est absolument douteuse. Il est plus sûr que le peuple ainsi nommé habitoit le pays connu présentement sous le nom de diocèse de Soissons. Voyez SOISSONS. (D.J.)


SUESSITAINSLES, (Géog. anc.) Suessitani, peuples de l'Espagne citérieure, selon Tite-Live, l. XXXIV. c. xx. M. de Marca, Hispan. l. II. c. xxix. ne doute point que les Cosetani, ou plutôt une partie de cette nation, ne soit le peuple auquel Tite-Live donne le nom de Suessitani. Ce peuple, dit-il, allié du peuple romain, joignit ses troupes à l'armée romaine pour prendre Vergium, forteresse des Lacetani, qui voisins des Suessitani, avoient ravagé leurs terres. Ce voisinage avec les Lacétains, ne peut convenir à aucune autre nation qu'aux Cocétani & aux Ilergetes. Or ce ne peut point être ces derniers, puisque Tite-Live fait mention d'eux dans le même chapitre que j'ai cité. Il ne reste donc plus que les Cocetani, dont une partie du pays a été appellée Suessétanie. Vergium n'étoit pas la seule place des Suessetani ; Tite-Live, l. XXXIV. c. xxj. leur donne une ville qui s'étendoit en longueur, mais qui n'étoit pas large ; & ailleurs, l. XXXXI. c. lxij. il dit que A. Terentius prit d'assaut, dans le pays des Suessetani, une ville nommée Corbio. La question seroit de savoir si cette ville de Corbio ne seroit point la même que la ville longue & peu large dont nous venons de parler. (D.J.)


SUESSULA(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Campanie. La table de Peutinger la marque entre Capoue & Nola dans l'ordre qui suit.

Capua IX. Suessula ex Nola.

Ses habitans sont appellés Suessulani par Tite-Live, l. VIII. c. xiv. & par Pline, l. III. c. v. Frontin nous apprend que Sylla y envoya une colonie : Suessula oppidum muroductum : colonia, lege Sullanâ est deducta : cette ville est nommée présentement Castel di Sessola. (D.J.)


SUETOLTBUFOLT, orbis, s. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer, qui a derriere la tête, à l'endroit de la poitrine, un os fait en forme d'écusson, & le corps rond ; la bouche est plus saillante & plus avancée que celle du flascopsaro, auquel il ressemble par la forme du corps ; il a sur tout le corps des os ovoïdes disposés par rangées, & entre ces os il y a des aiguillons. Les yeux sont petits & ronds ; la bouche est garnie de dents plus petites que celles du flascopsaro. Le suetolt n'a que deux nageoires auprès des ouies, & une qui termine la queue ; sa chair n'est pas bonne à manger. Rondelet, Hist. nat. des poissons, I. part. l. XV. c. ij. Voyez FLASCOPSARO & POISSON.


SUETTES. f. Voyez ci-après SUEUR ANGLOISE.


SUEURS. f. (Physiolog.) humeur plus ou moins tenue, séparée du sang, selon la plûpart des physiciens, &, selon d'autres, par les vaisseaux artériels de Ruysch.

Plusieurs raisons persuadent que la sueur est une liqueur absolument artérielle ; 1°. elle sort par-tout le corps, même où personne n'a vu des follicules subcutanées, comme à la paume de la main, à la plante des piés, &c. 2°. l'injection des arteres & leur comparaison avec le velouté de l'estomac & les intestins, démontrent qu'une humeur aqueuse est poussée par un canal continu de tuyaux artériels cylindriques ; 3°. quoiqu'un corps sain ne sue pas, la sueur vient en excitant le mouvement du sang artériel par quelque boisson chaude, ou par l'exercice. Et par conséquent, si la filtration de la sueur étoit glanduleuse, les follicules devroient prodigieusement se distendre dans un corps qui est plusieurs jours sans sueur, & se vuider promtement dans la sueur, comme ceux de la vessie & de l'urethre, par exemple, qui desséchés en peu de tems par l'usage des médicamens diurétiques, cessent de filtrer leur mucosité naturelle. 4°. Il paroît cependant vrai que les glandes cutanées, toutes les fois que la sueur abonde trop à la peau, ne séparent pas leurs sucs gras bien purs, mais mêlés d'eau, plus copieux, & joints à l'humeur artérielle ; car la même détermination qui force les arteres cutanées à filtrer beaucoup de sueur, agit de la même maniere dans les arteres qui séparent sous la peau des matieres muqueuses. De-là vient qu'on sue davantage, & qu'on a une sueur grasse à la tête, aux aisselles, aux aînes & au visage ; & c'est en ce sens qu'on doit admettre une sueur glanduleuse.

Après tout, soit que la sueur soit séparée du corps par les glandes miliaires, ou par les petits vaisseaux de Ruysch, il est toujours constant qu'elle est différente, selon les variétés de l'air, du climat, du sexe, de l'âge, du tempérament, du régime de vie, du tems de la coction, de la structure des excrétoires, de l'état de la santé, ou de celui de la maladie.

La sueur en général est aqueuse, un peu gluante, & d'une couleur qui panche vers le jaune, comme le linge le marque. De plus, elle est salée, & donne à-peu-près par la distillation les mêmes principes chymiques que l'urine ; s'ils sont plus doux, c'est qu'elle n'a croupi dans aucun follicule. Si l'on joint à cela ces sueurs des phthisiques, on sera convaincu qu'elle est composée du serum dissous par une circulation réitérée, & de beaucoup d'eau chargée de sel humain. Ce n'est pas tout, il y a divers phénomenes sur l'écoulement de la sueur dont il importe de donner l'explication.

1°. Quand le chyle ne se change pas en sang comme dans les phthisiques, la masse des fluides qui circulent n'est presque que de l'eau ; ainsi il n'est pas surprenant qu'elle s'échappe par les pores, & que les malades soient toujours baignés de sueur. Mais quand les vaisseaux se dilatent dans les chaleurs, quand le sang est poussé avec violence, comme dans les exercices violens, la sueur doit couler, puisque les engorgemens qui surviennent alors, ferment les conduits de la transpiration. Cependant si le sang est poussé trop violemment, les arteres compriment aussi les tuyaux sudoriferes ; c'est pourquoi les cordiaux suppriment quelquefois la sueur.

2°. Dans l'agonie & la syncope, le sang s'arrête, de-là vient que la partie aqueuse s'en exprime ; les vaisseaux secrétoires qui sont alors relâchés, ne résistent pas à la force qui pousse le sang.

3°. Dans la frayeur, il coule une sueur froide. Les nerfs sont agités par la puissance qui anime nos corps, & les diametres des vaisseaux capillaires se raccourcissent : alors ces vaisseaux ne reçoivent plus tant de sang ; par conséquent les mouvemens de la chaleur y cessent, cependant la liqueur aqueuse qui étoit dans les organes secrétoires sort par cette contraction ; elle est froide, puisqu'elle sort d'un lieu où la chaleur a été interrompue, & elle se refroidit encore en tombant sur une surface refroidie.

4°. Quand on entre d'un lieu chaud dans un lieu froid, on sue d'abord ; la fraîcheur rétrécit la peau, en exprime la liqueur que la chaleur avoit ramassée dans les couloirs : cette liqueur sort en gouttes, au lieu que sans cette compression subite, elle seroit sortie en vapeurs.

5°. Si l'on descend dans un lieu profond, comme dans des mines, la sueur succede ; cela vient de ce que dans cet endroit profond l'air est plus pesant ; la peau est donc plus comprimée, & par conséquent l'eau ramassée dans les couloirs est exprimée.

6°. Si l'on relâche la peau, alors le sang ne trouvera pas tant de résistance dans les vaisseaux secrétoires ; par conséquent la sueur ou l'humeur aqueuse se séparera & sortira par ces vaisseaux : on relâche les tuyaux de la peau par des vapeurs d'eau tiede & par des bains ; on peut encore procurer le même relâchement par des remedes internes.

7°. Le sang & la lymphe sont des liqueurs trop épaisses ; mais si on les divise, & si on les réduit parlà en une matiere assez fine pour entrer dans les tuyaux secrétoires, on procurera la sueur.

8°. Lorsque le sang se trouve arrêté dans quelque viscere, il doit nécessairement gonfler davantage les vaisseaux : la sueur pourra donc survenir dans les autres parties, par la même raison qu'elle paroît quand les muscles par leur contraction chassent le sang avec force de leurs vaisseaux dans d'autres.

9°. Si un corps a beaucoup de graisse, les vaisseaux seront comprimés, & par-là fort étrécis ; ainsi au moindre exercice le sang coulera dans ces vaisseaux avec rapidité, la sueur surviendra donc aisément ; d'ailleurs comme la graisse arrête la transpiration insensiblement, l'humeur aqueuse sera obligée de se déterminer par les gros tuyaux sudoriferes qui vont aboutir à la peau dès qu'il surviendra quelque mouvement. On peut ajouter une troisieme raison, savoir, que la graisse doit être regardée comme une couverture ; il n'est donc pas surprenant qu'un corps gras sue facilement.

10°. Dans la fievre, les extrêmités capillaires sont bouchées par une matiere visqueuse ; le sang qui ne peut pas passer librement à cause de cet obstacle, dilate davantage les vaisseaux, y excite des battemens plus forts & plus fréquens ; mais dès que par le mouvement cette matiere a été divisée, il survient nécessairement des sueurs, parce que les passages se débouchent.

11°. La sueur ne coule que par quelque cause violente. Lorsque tout est tranquille dans le corps humain, elle ne paroît pas. De plus, la transpiration insensible, qui est la source de notre santé, se trouve interrompue par la sueur, qui n'est pas assez abondante pour tenir lieu de cette évacuation : on doit donc regarder le corps en sueur comme dans un état de maladie.

12°. La matiere de la sueur doit être plus grossiere que celle de la transpiration, car elle est filtrée dans des tuyaux plus grossiers ; comme ces tuyaux viennent des vaisseaux sanguins, le sang pourroit y passer s'ils se dilatent jusqu'à un certain point ; c'est aussi cette communication des vaisseaux sanguins avec ceux de la sueur, qui fait que quelques alimens communiquent à la sueur leur odeur & leur couleur. Il est rapporté dans les journaux d'Allemagne que la rhubarbe avoit coloré la matiere de la sueur à M. Mentzel. Salmuth & Bennet citent des exemples de personnes dont l'odeur de l'ail se faisoit appercevoir dans leur sueur. Pyrard raconte que la sueur des negres d'Afrique est si fétide quand ils sont échauffés, qu'il n'est pas possible d'approcher d'eux. Voilà les principaux phénomenes de la sueur.

Il ne me reste plus qu'à dire un mot des desavantages de son abondance. Elle nuit toujours par son premier effet, & si quelquefois elle est utile, ce n'est que par accident. On sait que ce sont les mêmes vaisseaux qui transpirent & qui suent ; s'ils se relâchent, ou que la circulation redouble, ce qui n'étoit qu'une vapeur d'eau forme des gouttes ; de-là vient qu'on sue beaucoup dans toutes les dissolutions du sang, dans le scorbut, dans la phthisie, dans la défaillance & dans tous les maux chroniques. Il y a maladie, dit Hippocrate, où regne la sueur. Cette façon de penser est bien différente de celle de quelques médecins qui attaquent tant de maladies par la provocation artificielle des sueurs. Je ne parle point de ceux qui font usage des sudorifiques dans les maladies inflammatoires, & en particulier dans la petite vérole ; cette pratique ne prendra jamais dans l'esprit des gens éclairés.

Cependant nous reconnoissons qu'il y a des sueurs vraiment critiques & salutaires ; telles sont, par exemple, celles qui avec un signe de coction dans l'urine, prennent vers le septieme jour d'une maladie inflammatoire, & sont continuées sans jetter le malade dans la langueur. Hippocrate admet aussi de telles sueurs comme bonnes dans le causus ou fievre ardente, dans les fievres aiguës, dans les fievres remittentes & dans la pleurésie ; mais en général les sueurs ne produisent aucun avantage dans le commencement de ces mêmes maladies, & n'en diminuent point la cause, parce qu'elles dépouillent le sang de la sérosité qui lui est nécessaire pour en surmonter la violence. (D.J.)

SUEUR, (Médec. séméiotiq.) l'examen de la sueur n'est point ou ne doit point être un objet indifférent pour le praticien, sur-tout dans le traitement des maladies aiguës ; les signes que lui fournit cette excrétion assez exactement vérifiés, peuvent lui aider à reconnoître quelques maladies, à en distinguer les différens états ; ils répandent principalement des lumieres sur le prognostic, partie plus brillante & non moins avantageuse ; non-seulement la sueur peut servir à annoncer un événement futur favorable ou pernicieux, mais souvent elle contribue à le produire ; une sueur abondante survenue un des jours critiques, n'est pas un simple signe passif de la guérison prochaine, elle en est la cause la plus efficace. Des sueurs continuelles en même tems qu'elles annoncent une maladie dangereuse, augmentent beaucoup le danger par le desséchement & l'épuisement qu'elles occasionnent sûrement ; c'est pourquoi les signes qu'on tire de la sueur sont toujours assez certains, le mal ou le bien qu'ils annoncent étant le plus souvent l'effet de cette excrétion diversement modifiée ; c'est toujours dans les écrits d'Hippocrate qu'il faut puiser les observations, les faits sur lesquels ils sont établis, & les vérités ou les axiomes qui en résultent. Avant lui on auroit inutilement cherché ces signes, & on ne les trouvera dans aucun des auteurs qui l'ont suivi, copié ou commenté, exposés avec plus d'exactitude & de précision. Prosper Alpin, dont les ouvrages seront toujours précieux aux vrais observateurs, a cependant trop raisonné la partie séméiotique qu'il a tirée d'Hippocrate. C'est un défaut qu'il doit sans-doute à Galien dans les volumineux écrits duquel il me paroît avoir étudié la doctrine du divin vieillard plutôt que dans les ouvrages-mêmes de cet illustre législateur de la Médecine ; laissant donc à part les aitiologies assez peu satisfaisantes qu'il propose d'après Galien, ne prenons que les faits, & tâchons de les présenter d'une maniere & dans un ordre convenables.

On peut, dans les sueurs, considérer la quantité, la qualité, les parties par où elle se fait, le tems de la maladie auquel elle a lieu, & l'état du malade qui l'éprouve. La quantité de la sueur peut être trop grande ou trop petite ; la qualité varie principalement par rapport à l'odeur & à la chaleur. Quelques auteurs ajoutent fort inutilement par rapport au goût ; car qui est-ce qui goûte la sueur de ses malades, & quel signe lumineux a produit l'attention à cette qualité ? Les parties par où se fait la sueur peuvent être plus ou moins étendues ; de-là naît la division importante des sueurs en générales & particulieres. Le tems de la maladie les fait distinguer en critiques & symptomatiques. L'état du malade favorise la même distinction, & établit celle des sueurs bonnes, mauvaises & mortelles : ce sont-là les principales sources d'où découlent tous les signes qui se tirent de la sueur. Dans l'exposition que nous allons en faire, nous prendrons la méthode suivante ; détaillant d'abord les signes heureux & critiques ; 2°. ceux qui font craindre quelque symptome fâcheux déterminé ; 3°. ceux qui sont en général mauvais, ou mortels.

I. On doit en général regarder comme avantageuses les sueurs qui paroissent, après la coction, un des jours critiques, qui emportent entierement la fievre, & celles qui découlent de tout le corps, sont chaudes, forment de petites gouttes, & diminuent la violence des accidens. Hippocr. prognost. lib. I. n °. 18. Les jours auxquels les sueurs survenues sont bonnes, & même critiques, sont le 3, le 5, le 7, le 9, le 11, le 14, le 17, le 21, le 27, le 31 & le 34. Aphor. 36. lib. IV. Hippocrate n'a point fait à dessein mention du quatrieme jour, quoiqu'il passe ordinairement pour un des critiques, parce que, remarque Galien, les fievres très-aiguës ayant leur redoublement les jours impairs, la crise ne peut se faire que dans ce même tems ; & Prosper Alpin ajoute qu'il n'a presque jamais observé ce jour-là des sueurs favorables. Les sueurs critiques sont ordinairement précédées de frissons ; les fievres intermittentes en offrent des exemples très-fréquens, où l'on voit encore que la quantité des sueurs est proportionnée à la durée & à l'intensité du frisson ; & quoiqu'elles soient inutiles à critiquer pour le fond de la maladie, pour la cause des accès, elles n'en sont pas moins critiques pour chaque accès particulier dont elles sont la terminaison ordinaire. Cette assertion se trouve aussi confirmée par les histoires de plusieurs malades qu'Hippocrate a rapportées dans ses épidémies, où il dit que les malades frissonnoient, avoient ensuite la fievre très-aiguë, ardente, , & suoient enfin très-abondamment : ainsi la femme qui demeuroit sur le rivage, eut un léger frisson le onzieme jour, qui fut suivi d'une fievre très-vive, la sueur survint, & la fievre cessa. Charion eut de même un petit frisson, la fievre & des sueurs entierement critiques. C'est avec raison que Galien assure que les sueurs qui succedent aux frissons sont très-heureuses si elles paroissent avec des signes de coction. Il n'est pas moins avantageux que les sueurs soient chaudes & universelles ; tous les malades qui en ont été soulagés ou guéris, dont il est parlé dans les épidémies, les ont éprouvées telles ; Cléomastide, Meton, Mélidie, Anaxion, la femme qui demeuroit sur le rivage, le malade du jardin de Déalces, &c. Périclès eut sur le midi une sueur abondante & chaude, & qui découla de tout le corps, la fievre cessa & ne revint plus. Nicodeme éprouva la même chose ; la vierge de Larisse frissonna, & bientôt après eut des sueurs copieuses, chaudes & universelles, & fut parfaitement guérie, epidem. lib. III. sect. 11. aegrot. 8. 10. 11 & 12. Les sueurs venant peu-à-peu sont d'un grand secours dans les convulsions accompagnées d'extinction de voix durable, coac. praenot. n °. 13. cap. xiv. Les personnes grêles, maigres, qui crachent beaucoup, se trouvent très-bien de suer en dormant. Plusieurs malades sont aussi soulagés par les sueurs, ibid. n °. 12. cap. x. Les douleurs aux hypocondres avec extinction de voix dans le cours des maladies aiguës se terminent heureusement par les sueurs ; & si cette crise n'a pas lieu, ces douleurs sont d'un mauvais caractere & très-dangereuses, prorrhet. lib. I. sect. 11. n °. 57. Les malades qui sont au commencement agités, ont des insomnies, rendent par le nez du sang goutte-à-goutte, qui soulagés le sixieme jour, retombent pendant la nuit plus mal qu'auparavant, ont le lendemain des légeres sueurs, & tombent ensuite dans l'assoupissement & le délire ; ces malades, dis-je, ont à la fin une hémorragie du nez très-abondante, ibid. sect. 3. n °. 40. Les délires avec refroidissement occasionnés par la crainte, sont terminés par des fievres accompagnées de sueurs & des sommeils qui interceptent la voix, coac. praen. cap. xxij. n °. 8.

On a lieu d'attendre des sueurs critiques ou avantageuses dans les maladies aiguës, lorsque les signes généraux de coction ont paru, & qu'on observe ceux d'une crise prochaine, lorsque la peau est lâche & molle & qu'elle devient morte ; que la chaleur du corps est humide ; que le visage est très-rouge ; que le frisson survient ; que le ventre est resserré, les urines peu abondantes ; que la saison est convenable, ce qui arrive sur-tout lorsque l'été est humide & semblable au printems, aphor. 6. lib. III. Lorsqu'il y a eu des délires, & enfin ce qui est le signe le plus sûr & le plus constant, lorsque le pouls devient mol & ondulant ; ce caractere du pouls, avant-coureur de la sueur critique, décrit par Galien, a été copié machinalement par tous les auteurs qui l'ont suivi, & aucun jusqu'à Solano n'a imaginé que les autres évacuations critiques devoient naturellement être précédées & annoncées par un pouls particulier. Ce médecin espagnol a fort bien vu que le dévoiement & l'hémorragie du nez avoient leur pouls propre ; mais il n'a vu que cela. Cette partie a reçu beaucoup d'accroissement & de perfection par les observations neuves & intéressantes de M. Bordeu. Voy. l'art. POULS. Solano a dit que le pouls de la sueur, qu'il appelle inciduus, étoit celui " dans lequel deux pulsations, trois ou quatre tout-au-plus, s'élevent non-seulement au-dessus des autres, mais aussi par degrés chacune au-dessus de la précédente, la seconde au-dessus de la premiere, & ainsi de suite jusqu'à la quatrieme inclusivement ; car Solano n'a jamais observé plus de quatre pulsations consécutives de cette sorte ". Galien avoit déja remarqué cette élévation graduée des pulsations. M. Bordeu prétend que ce pouls ondulant n'est pas simple, & qu'il tient toujours un peu du pectoral, & que la vrai pouls de la sueur est plein, souple, développé, fort ; que quelques pulsations s'élevent audessus les unes des autres, & vont en augmentant jusqu'à la derniere qui se fait distinguer par une dilatation, & une souplesse plus marquée que dans les autres pulsations. Recherches sur le pouls, chap. xvj.

II. Les sueurs n'annoncent pour l'ordinaire un symptome ou un accident déterminé que de concert avec quelques autres signes, & dans certains cas particuliers. Ainsi les sueurs abondantes sont rangées parmi les principaux signes d'une suppuration déja faite dans la poitrine, prognost. lib. II. n °. 59. & on observe dans ce cas que les sueurs commencent à se faire par la poitrine, & qu'elles y sont toujours en plus grande quantité ; ce qui vérifie encore l'axiome, qui dit que le siege du mal est dans la partie par où se fait la sueur, aphor. 38. lib. IV. ou les sueurs copieuses, chaudes ou froides continuelles sont un signe que la maladie sera longue & même dangereuse, ou que le corps a trop d'humidité, & en ce cas elles indiquent les purgatifs émétiques, si le sujet est robuste ; cathartique, s'il est d'une complexion délicate ; & si ces causes n'ont point lieu, ces sueurs dénotent que le malade mange trop, aphor. 42. 56. lib. VII. La fievre aiguë accompagnée de sueur survenue à un malade dont l'esprit n'est pas tranquille, annoncent & déterminent la phrénésie, prorrhet. l. I. sect. 1. n °. 17. les sueurs qui paroissent avec des tremblemens convulsifs, indiquent leur retour, ibid. sect. 3. n °. 13. des légeres sueurs, , avec douleur de tête & constipation précedent & présagent les convulsions, ibid. n °. 23. ramolissement de la langue, dégoût, sueurs froides à la suite d'un dévoiement, sont des signes de vomissement de matieres noirâtres, coac. praenot. c. vij. n °. 4.

III. Les sueurs qui fournissent un prognostic fâcheux, ou même qui donnent lieu de craindre la mort, sont en général celles qui paroissent avant la coction, par conséquent aucun des jours critiques qui n'apportent aucun soulagement, qui sont en trop petite ou trop grande quantité, qui ne sont que partielles, qui sont froides & fétides, & qui enfin sont accompagnées de signes pernicieux ; la sueur qui commence en même tems que la fievre dans les maladies aiguës est très-mauvaise, coac. praenot. e. xxvj. n °. 3. elle annonce une crise imparfaite & très-laborieuse, epidem. lib. II. n °. 2. Waldschmid assûre que les sueurs abondantes qui viennent au commencement des petites-véroles, & qui sont accompagnées de beaucoup de foiblesse, sont mortelles ; les sueurs qui n'ont aucun bon effet, sont censées inutiles, si elles n'ont d'ailleurs aucun mauvais caractere ; mais elles deviennent dangereuses, si elles sont trop abondantes, ce qui peut arriver de deux façons, ou si dans peu de tems elles coulent en grande quantité, ou si elles persistent trop long-tems & sont continuelles. Les sueurs abondantes qui fatiguent sont toujours mauvaises ; si la fievre ne diminue pas, elle en devient plus longue, aphor. 56. lib. IV. lorsqu'elles sont abondantes & chaudes, le danger est moins grand que lorsqu'elles sont en même tems froides, aphor. 42. ibid. La plûpart de ceux qui tomberent malades pendant la constitution pestilentielle décrite, epidem. lib. III. sect. 11. n °. 18. moururent ou traînerent longtems, les frissons étoient fréquens, la fievre aiguë & continuelle, & les sueurs copieuses presque toujours froides paroissoient dans des tems peu convenables. Pythion eut le jour de sa mort le dixieme de sa maladie une extinction de voix, un froid vif, la fievre très-aiguë & des sueurs abondantes, ibid. aegr. 3. Les sueurs survenues même les jours critiques, si elles sont fortes, abondantes & rapides, sont dangereuses ; il en est de même, si elles sortent du front comme des gouttes ; & si elles sont froides & copieuses, elles ne peuvent paroître ainsi sans beaucoup d'effort & de violence, aphor. 4. lib. VIII. Ceux qui, après le frisson, ont des sueurs abondantes, sont très-dangereusement malades, coac. praen. c. j. n °. 13. Les sueurs assidues, continuelles sont toujours symptomatiques & mauvaises, quand même elles ne seroient pas fort abondantes. Le phrénétique, dont parle Hippocrate dans ses épidémies, lib. III. sect. aegr. 4. vomissoit des matieres virulentes, avoit une fievre mêlée de frisson & des sueurs continuelles. Ce symptome est très-ordinaire, & mortel dans le troisieme degré de phthisie & dans les consomptions : les sueurs qui cessent trop-tôt, ou qui sont trop légeres, les désudations, , ne sont pas moins dangereuses que les précédentes. Galien a fort judicieusement remarqué que les sueurs qui ont commencé à paroître & qui cessent ensuite tout-à-coup, sont très-mauvaises, comment. in prorrhet. lib. I. Ceux qui ne suent que peu, & sur-tout aux environs de la tête dans les maladies aiguës, & qui sont inquiets, sont dans un danger pressant, sur-tout si les urines sont en même tems noires ; il en est de même, s'ils ne peuvent dormir & si la chaleur revient, prorrhet. lib. I. sect. 11. n °. 18. & 33. De légeres sueurs sont sur-tout pernicieuses, si elles se font avec refroidissement à la suite d'un saignement de nez, ibid. sect. III. n °. 34. Si elles succedent à des horripilations fréquentes qui passent & qui reviennent souvent, à des frissons qui accompagnent l'assoupissement, l'ardeur du visage & les douleurs de tête ; si elles se rencontrent avec lassitude, obscurcissement de la vue, vieille toux, & sur-tout si ces malades sont promtement rechauffés, & lorsque ces sueurs légeres paroissent après un frisson suivi de réfroidissement, avec douleur de tête & du col, & perte de voix, les malades meurent avec une gêne dans le gosier, qui empêche la libre sortie de l'air, com. praenot. c. j. n °. 12. 8. 7. 35. 36. 41. 42. 1. Le refroidissement ou le frisson qui succedent à ces légeres sueurs, les rendent presque toujours mortelles, sur-tout s'il y a de fréquentes alternatives de frissons & de sueurs, le ventre se relâche à la fin, & il se fait des suppurations, ibid. n °. 11. & 41. On peut voir combien fréquemment le frisson qui suit & intercepte les sueurs, annonce & précede la mort des malades, dans les histoires de la femme de Droméadus, epidem. lib. I. n °. 34. p. 11. de la fille d'Euryanocté, du jeune homme qui demeuroit au marché des menteurs, ibid. lib. III. sect. I. aegr. 6. & 8. de la femme de Théodore, de celle d'Euxenius & d'Aristocrate, epidem. lib. VII. n °. 45, &c. Autant les sueurs générales sont avantageuses, autant celles qui n'ont lieu que par quelque partie du corps, par le front, la tête, le col & les clavicules, la poitrine, &c. sont funestes & de mauvais augure, tous les malades dans lesquels Hippocrate a observé ces sueurs partielles sont morts, aussi les met il au nombre des signes qui caractérisoient dès le commencement les fievres ardentes qui devoient avoir une terminaison peu favorable, epidem. lib. I. passim. Les sueurs froides sont les plus pernicieuses de toutes, sur-tout si elles ne sont pas générales, prognost. lib. I. n °. 18. on les observe souvent dans les derniers tems des maladies, lorsque les malades sont prêts à rendre le dernier soupir ; si elles se rencontrent avec une fievre légere, elles n'annoncent que de la durée ; mais si la fievre est aiguë, elles dénotent une mort prochaine, aphor. 37. lib. IV. elles viennent quelquefois à la suite des déjections noires, coac. praen. c. xxviij. n °. 43. Philiscus eut le cinquieme jour des sueurs froides, & mourut le lendemain. Dans Silenus, après l'apparition de ce symptome, la mort fut plus lente, mais non pas moins certaine, epidem. lib. I. n °. 24. & 25. aegr. 1. & 2. Enfin quoique les sueurs n'ayent aucune mauvaise qualité, si elles paroissent en même tems que d'autres signes fâcheux, elles contribuent à confirmer le prognostic de mort, sur-tout si elles ne dissipent point ces accidens. Ainsi la femme d'Olympiade avoit la voix éteinte, l'orthopnée, mauvaise couleur, & suoit principalement des jambes & des piés, elle étoit déja à l'agonie & dans les bras de la mort, ibid. lib. VII. n °. 36. Erasinus dont la sueur étoit jointe à des convulsions, & qui avoit les extrêmités froides & livides, mourut le cinquieme jour, ibid. lib. III. sect. 3. aegr. 8. d'où l'on peut conclure que, quoique les sueurs soient des signes assez certains par elles-mêmes, on risqueroit souvent de se tromper si l'on s'en tenoit à ce seul signe, & l'on voit la nécessité de combiner tous les signes pour pouvoir porter un prognostic à-peu-près certain, c'est-à-dire qui ait beaucoup de probabilité : toutes les parties de la séméiotique se prêtent un appui & une force réciproques ; on ne peut, sous quelque prétexte que ce soit, s'exempter de les approfondir toutes avec soin, la moindre négligence sur ce point est impardonnable ; elle peut tourner au deshonneur du médecin coupable, & qui pis est au détriment du malade innocent. (m)

SUEUR ANGLOISE, (Médecine pratiq.) maladie particuliere aux Anglois, dont la sueur est le symptome principal, & l'unique remede ; elle est connue dans les différens auteurs sous les noms de fievre sudatoire, , de peste britannique, d'éphemere pestilentielle, de suette, &c.

Cette maladie épidémique en Angleterre, n'y a pas été de tout tems ; l'époque de son invasion dans ce pays, n'est pas bien déterminée : les écrivains qui la font remonter aux tems les plus reculés, ne la placent pas avant l'année 1480 ; tels sont Surius, Cambden, Caïus, & Childrel : d'autres prétendent que cette maladie n'a commencé à faire des ravages qu'au commencement du seizieme siecle ; mais ces prétentions sont détruites par les témoignages positifs des premiers, qui ne s'accordent cependant pas entr'eux sur l'année précise de son invasion. Le sentiment le plus commun, & qui paroît le plus sûr, c'est celui de Caïus, qui assure que la sueur angloise se répandit pour la premiere fois, en 1483, dans l'armée d'Henri VII. roi d'Angleterre, dès qu'elle fut abordée au port de Milfort, dans la principauté de Galles ; elle gagna aussi Londres, où elle attaqua & tua un grand nombre de personnes, depuis le premier Septembre jusqu'à la fin du mois d'Octobre, alors les sueurs se calmerent, & l'on n'en ressentit aucune atteinte jusque à l'été de 1485 ; depuis elle reparut en 1506, & en 1518, & cette année elle fut si violente, qu'elle emportoit en trois heures les malades ; aucun sexe, aucun âge, aucune condition, n'échappa à ses coups, plusieurs villes furent entierement dépeuplées : elle revint avec un peu moins de furie en 1528 ; cependant les malades qui en étoient attaqués succomboient en moins de six heures à la violence du mal, elle prit la plûpart de ses victimes parmi les gens de considération : Henri VIII. régnant alors ne fut pas à l'abri de ses fureurs, il en fut frappé en 1529 ; ce fut alors qu'elle se répandit dans les contrées maritimes de la Hollande, de la Zélande, ensuite à Anvers ; de-là, dans la Flandre & le Brabant, & immola dans tous ces pays, des milliers d'habitans ; elle infecta aussi quelques provinces d'Allemagne, & interrompit à Marpurg le fameux colloque de Zuingle & de Luther, sur l'eucharistie. Enfin cette terrible maladie reparut en 1551, avec tant de violence, qu'il mourut dans un seul jour cent-vingt personnes à Westminster. Ses ravages furent encore plus affreux à Shrewsbury, séjour du célebre Caïus, de qui nous tirons ces détails : ce canton fut presqu'entierement dépeuplé. Les Anglois effrayés avec raison du danger prochain qu'ils couroient, cherchoient leur salut dans la fuite, remede assuré dans les autres épidémies ; mais ce fut inutilement, le mal les suivoit & les attaquoit particulierement dans les pays où ils se réfugioient ; eux seuls étoient sujets à cette maladie, les autres nations n'en éprouvoient aucune atteinte, & suivant les observations bien constatées, aucun étranger voyageant ou établi dans leur pays, n'en fut attaqué. Ce fut cette année que l'épidémie épuisa ses fureurs ; l'Angleterre en a été depuis ce tems exempte jusqu'à présent.

Les symptomes qui accompagnoient la sueur angloise étoient différens dans presque tous les sujets ; elle s'annonçoit le plus ordinairement par une douleur dans quelque partie, dans le col, les épaules, les bras, les jambes, &c. ou par une espece de vapeur chaude qui parcouroit ces parties ; peu après une chaleur brulante se répandoit dans l'intérieur, le malade étoit tourmenté par une soif inextinguible, par des inquiétudes, des langueurs d'estomac, des maux de coeur, quelquefois il survenoit des vomissemens ; à ces accidens succédoient plus ou moins promtement des douleurs de tête, le délire, une langueur extrême, un penchant insurmontable au sommeil, le pouls devenoit vîte & véhément, & la respiration fréquente & laborieuse ; ces symptomes étoient tout-à-coup suivis d'une sueur plus ou moins abondante, qui venant ensuite à cesser, jettoit les malades dans l'affaissement avant-coureur de la mort prochaine ; dans les différentes constitutions épidémiques, & dans les différens sujets, la rapidité avec laquelle tous ces phénomènes se succédoient, varioit extrêmement ; en 1518, les malades avoient essuyé tous ces accidens, & étoient morts en trois heures ; en 1528, leur durée s'étendoit jusqu'à six heures ; en général les malades n'étoient pas sans danger jusqu'à ce que les vingt-quatre heures fussent expirées ; c'étoit-là le terme le plus ordinaire de la sueur angloise, qui l'avoit fait appeller peste éphémere. On a observé que lorsque ses coups étoient moderés & portés ce semble avec choix, ils ne tomboient que rarement sur les pauvres, les vieillards, les enfans, les atrabilaires, & les personnes d'une constitution foible & délicate : les crapuleux, les personnes sanguines, celles qui faisoient un grand usage du lait, étoient les premieres victimes de sa fureur.

Plusieurs objets s'offrent ici aux recherches des théoriciens, 1°. quelle est l'origine de cette maladie, la cause de son invasion en Angleterre ; 2°. pourquoi est-elle si aiguë ; 3°. pourquoi n'exerce-t-elle ses fureurs que sur le sang anglois, &c. Presque tous les auteurs qui en ont écrit, Herman comte de Nvénare, Riquinus, Schiller, & Alexander Benedictus, s'accordent pieusement à regarder cette maladie comme un des fleaux par lesquels un Dieu irrité exerce sa vengeance sur les criminels humains. La sueur angloise a été principalement destinée à punir l'incrédulité, sans-doute plus familiere aux Anglois, suivant ces vers de Pherntophius.

.... Coelestia numina nobis,

Nil sunt quam nugae, fabula, verba, jocus ;

Inde fames nobis, pestes, mars denique fontem

Hinc etiam inclemens habet

Saevum, horrendum, atrox, genus immedicabile morbi,

Nostrae perfidiae debitum, &c.

Et en partant de ces principes, on explique par la volonté de ce même Dieu, tous les autres phénomènes de cette maladie, & sur-tout son endémicité en Angleterre ; mais ces explications ne sauroient satisfaire le philosophe médecin, quoique infiniment persuadé que Dieu est l'auteur & la premiere cause de tous les effets, parce qu'il sait que pour les opérer, l'Etre souverain se sert des moyens physiques dont les recherches lui sont permises, & que les lui attribuer toujours, ou comme on dit, recourir sans-cesse à la sacristie, n'est qu'une ressource de la paresse orgueilleuse & de la superstitieuse ignorance. Quelles sont donc les causes physiques de la sueur angloise ? Schiller pense que l'influence des astres, sur-tout de saturne, de mars, & de mercure, n'y a pas peu contribué. Voyez INFLUENCE DES ASTRES. Il ajoute que le changement considérable des saisons, le genre de vie, & la mauvaise qualité de l'air, doivent aussi être accusées ; il tire une preuve de l'action de l'air, de l'observation faite sur les oiseaux qui étoient attaqués de cette peste, & qu'on trouvoit en grand nombre morts sur les arbres, avec des petits abscès sous les aisselles. Il n'est pas douteux que les mauvaises qualités de l'air ne soient la principale cause de toutes les maladies épidémiques & par conséquent de la sueur angloise ; mais ce qu'il n'est pas possible de déterminer, pourquoi cet air n'a-t-il été infecté qu'en 1483 ? pourquoi, & comment, cette infection s'est-elle renouvellée de tems-en-tems ? Les mauvaises raisons qu'on en a données, laissant encore ces problèmes à décider. Pourquoi aussi les étrangers en étoient-ils exempts en Angleterre, & pourquoi les Anglois fugitifs dans les autres pays, n'étoient-ils pas à l'abri de ses coups ? Y auroit-il dans le sang des Anglois une disposition sans laquelle on peut impunément s'exposer aux causes morbifiques : porteroient-ils en naissant le germe de cette funeste maladie, qui ne peut être développé que par la constitution analogue de l'air ? cette disposition seroit-elle un effet de leur façon de vivre, de l'usage immodéré qu'ils font de la chair des animaux, & de l'état particulier de leur atmosphere ? voilà des questions qu'on auroit pu décider, si les auteurs qui ont écrit sur cette maladie, eussent été meilleurs physiciens & plus exacts observateurs. La crainte peut être regardée comme une des causes des ravages de la sueur angloise ; dans toutes les pestes & les maladies épidémiques, elle joue un très grand rôle ; mais elle ne produit jamais l'épidémie, elle ne sert qu'à en accélérer les progrès ; plusieurs auteurs se sont manifestement trompés, en généralisant cette cause. Voyez PESTE.

Dès que cette maladie se déclaroit, il étoit très-important de la reconnoître, elle parcouroit ses tems avec une si grande rapidité, qu'il eût été dangereux de s'y méprendre ; mais cette même rapidité en étoit un signe distinctif : d'ailleurs, lorsqu'une maladie est épidémique, il n'est pas à craindre qu'on la méconnoisse, quelque variés qu'en soient les accidens ; il y a toujours un caractere commun qui frappe les moins éclairés, & que la crainte rend encore plus remarquable.

Le danger qui accompagnoit la sueur angloise, n'a pas été ni aussi pressant, ni aussi certain dans tous les différens tems où elle a paru ; les années les plus meurtrieres ont été, comme nous avons vu, 1518, 1528, & 1551. La premiere année que cette maladie se sit connoître, en 1483, l'incertitude des médecins, & les méthodes de traitement peu appropriées qu'ils suivirent, n'ajouterent pas peu à la violence des accidens ; & en effet, comme l'ont remarqué Herman, Erasme, & quelques autres, la sueur angloise presque sûrement mortelle dès le commencement, se calma au point que personne n'en mouroit que par le défaut ou l'ignorance du médecin ; ceux qui succomboient étoient toujours morts avant vingt-quatre heures : aucun, dit Thomas Morus, n'a péri de cette maladie que le premier jour ; Erasme a observé que les mêmes personnes étoient souvent attaquées trois ou quatre fois de cette maladie, jusqu'à ce qu'enfin elles devenoient hydropiques, epist. 57. lib. XXVI. la sueur qui paroissoit étoit, suivant toutes les observations, plutôt une crise salutaire, qu'un symptome dangereux ; sa cessation seule étoit l'accident le plus à craindre, la cause & le signe d'une mort prochaine ; ceux, dit Herman, dans qui on repercutoit la sueur, mouroient en peu d'heures, & bientôt après leur cadavre détruit par la putréfaction, s'en alloit en lambeaux & exhaloit une odeur insupportable.

La sueur étant l'unique remede de cette maladie, il paroît évidemment que le médecin n'a autre chose à faire qu'à seconder la nature, ou suppléer à son défaut si elle est trop foible ; il ne faut négliger aucun secours pour faire suer, les frictions doivent d'abord être employées ; si leur effet n'est pas assez considérable, il faut avoir recours aux sudorifiques internes ; la maniere de les administrer est assez indifférente, peu importe qu'on les donne en opiate, en potion, en tisane, &c. il faut bien se garder d'employer les préparations de pavot, qu'on est assez dans l'usage de mêler aux potions sudorifiques, pour en assurer & en augmenter l'effet ; le sommeil que ces remedes occasionnent est mortel dans ces maladies, & loin de l'exciter, il faut le prévenir & l'empêcher, en secouant le malade, en lui parlant à haute voix ; cette précaution est recommandée par tous les auteurs, ils s'accordent aussi tous à défendre tout aliment solide ou liquide, à moins que la foiblesse ne soit extrême, & que la syncope ne soit à craindre : alors on peut permettre un potage, ou un peu de poulet roti, & pendant tout le jour que dure, ou peut durer la maladie, il faut tenir le malade dans un lit bien chaud, bien couvert, sans cependant l'affaisser sous le poids des couvertures, avoir attention que l'air froid n'y pénetre pas ; dans cet état on le laisse suer sans le changer de linge ; dès qu'il a cessé & que les symptomes sont dissipés, on le frotte avec des serviettes chaudes, on lui met du linge blanc, & on le transporte dans un autre lit : on peut alors lui donner un bouillon, & le laisser dormir pendant quelques-heures, après quoi il n'est pas indifférent de lui provoquer de nouveau la sueur, si elle ne revient pas naturellement ; par ce moyen on prévient des rechutes presque toujours funestes. Riquinus raconte qu'un paysan attaqué de la sueur angloise, méprisant les regles ordinaires de traitement, s'avisa de se jetter dans un four d'où l'on venoit de tirer les pains, il y sua prodigieusement, on l'en retira après quelque tems extrêmement foible, mais guéri ; & ce qu'il y eut de plus singulier, c'est que, s'il en faut croire cet auteur, les pains qu'on cuisit après dans ce four, prirent une qualité venimeuse, & tous ceux qui en mangerent moururent enragés. Il paroît par-là qu'il n'y auroit pas de secours plus promt & plus assuré dans la sueur angloise que de mettre les malades dans une étuve, si l'on n'avoit pas à craindre le même inconvénient : cette crainte est fondée sur une autre observation semblable, rapportée par Herman. Un médecin ayant des bubons pestilentiels sous l'aisselle gauche, va comme pour se laver au bain public, il fait allumer plus qu'à l'ordinaire le feu des poëles, & dans cette espece d'étuve, il se fait frotter avec force par deux domestiques, pour exciter plutôt & plus abondamment la sueur qui ne tarda pas à couler de toutes parts ; il remédie à la foiblesse qu'il éprouvoit par quelques verres de vin spiritueux, & sort ainsi du bain parfaitement guéri ; mais sa sueur avoit tellement infecté le lieu du bain, que celui qui en avoit la direction, ses domestiques, & tous ceux qui vinrent ensuite se baigner, y moururent aussitôt ; le gouvernement fut obligé de faire murer cet endroit, pour prévenir d'autres accidens aussi funestes.

La fuite étant un expédient observé inutile pour se garantir de la sueur angloise, les auteurs conseillent d'allumer de grands feux avec des bois odoriférans, dans les rues & les maisons, précaution conseillée par Hippocrate dans la peste, & couronnée par le succès ; de prendre des poudres & des infusions aromatiques, alexipharmaques, &c. & lorsqu'on en a heureusement réchappé, il faut bien se garder du froid qui ne manque pas d'occasionner un cours de ventre presque toujours mortel, comme le prouve la triste expérience de ceux qui étant guéris, s'y sont inconsidérément exposés. (m)

SUEUR, s. m. (Corroyerie) ouvrier qui autrefois travailloit les cuirs au sortir de la main du tanneur. C'étoit celui qui les mettoit en suin ou en graisse, qu'on nomme alors souin ; les Sueurs, comme on le voit dans les anciens statuts des Corroyeurs, faisoient une communauté particuliere, qui, aussi-bien que celle des Baudroyeurs & des Cordonniers, a été réunie à la communauté des Corroyeurs. Savary. (D.J.)


SUEVESLES, (Géog. anc.) Suevi, nom général que Tacite, Germ. c. xxxiij. & xlv. donne non-seulement aux peuples qui habitoient au-delà de l'Elbe, & même dans la Sarmatie, au-delà des limites de la Germanie, mais encore aux habitans de la Scandinavie ; & de-là tous les vastes pays qu'occupoient ces nations nombreuses furent appellées du nom général de Suevia.

Selon le rapport de Pline, l. IV. c. xiv. les Sueves étoient compris sous les Hermunduri. Les peuples auxquels on donna le nom de Sueves ne se trouvent pas toujours dans la même région. Du tems de César, Bel. gall. l. I. c. xxxvij. & xliv. l. IV. c. j. & ij. l. VI. c. ix. x. & xxix. Les Cattes étoient réputés Sueves. Les Narcomani, les Harudes, & les Sedusii, furent compris ensuite sous le même nom ; du-moins ces peuples, lorsque Naraboduus les eut fait passer dans la Boheme, sont-ils comptés parmi les Sueves.

Strabon, l. VII. dit : la nation des Sueves est très-grande, car elle s'étend depuis le Rhin jusqu'à l'Elbe, & une partie même des Sueves habite au-delà de l'Elbe ; mais depuis le troisieme siecle on voit le nom de Sueves se restraindre extrêmement, à mesure que les peuples particuliers, compris auparavant sous ce nom général, se firent connoître par leurs victoires, comme les Goths, les Wandales, les Longobardi, & les Burgundiones.

On trouve que dans le cinquieme siecle, lorsque les Sueves passerent en Espagne, le nom de ces peuples étoit encore celui de diverses nations. Depuis ce tems-là les Sueves ne paroissent plus avoir été qu'un peuple particulier, fixé dans le pays des anciens Hermunduri. Jornandus, de reb. Get. en donnant les bornes du pays des Sueves dit, qu'il a les Bajoarii à l'orient, les Franci à l'occident, les Burgundiones au midi, & les Thuringi au septentrion. Il ajoute que les Alemani étoient joints aux Sueves, & qu'ils étoient maîtres des Alpes rhétiques.

Enfin les Alemani ayant abandonné entierement la Germanie, les Sueves se mirent peu-à-peu en possession de leurs terres, s'étendirent jusqu'aux sources du Danube, & jusqu'au lac de Constance, & donnerent à tout ce pays leur nom, qui s'y est conservé jusqu'à présent, quoiqu'un peu corrompu. Les Allemands l'appellent Schwabenland, & les François le nomment Suabe. (D.J.)


SUEVUou SUEBUS, (Géog. anc.) fleuve de la Germanie, selon Ptolémée, l. II. c. x. Spener, notit. Germ. ant. l. II. c. ij. veut que ce soit une des embouchures de l'Oder : savoir celle du milieu, appellée Suine ou Sueve, & qui approche plus du nom des Sueves qui ont anciennement habité dans ces quartiers. (D.J.)


SUEZ(Géog. mod.) petite ville d'Egypte, sur la côte septentrionale de la mer Rouge, à vingt lieues au nord de Tor, avec un vieux château ruiné, & un petit port à trois journées du chemin du Caire.

Les anciens appelloient Suez la ville des héros, Héréopolis ; peut-être ne s'acquit-elle un si beau nom qu'à cause de son commerce. Elle est cependant située dans un terrein fort stérile jusqu'à cinquante milles tout-autour ; elle manque d'eau, & son port qui a peu de fond, n'est qu'une vraie rade dangereuse : les soudans d'Egypte, & après eux les Turcs, ne l'ont point réparé ; & d'ailleurs dans le tems même qu'ils y travailloient pour s'opposer aux progrès que faisoient les Portugais, il falloit qu'alors même les chameaux portassent tous les matériaux, depuis le Caire jusqu'à Suez. (D.J.)

SUEZ, le golphe de (Géog. mod.) anciennement Heroopolites sinus ; c'est la partie la plus septentrionale de la mer Rouge, & l'endroit où vraisemblablement les Israëlites la passerent à pié sec ; ce golphe n'est séparé de la mer Méditerranée que par un isthme d'environ cinquante milles, qui joint l'Asie à l'Afrique, & qu'on appelle l'isthme de Suez ; nous en allons faire l'article. (D.J.)

SUEZ, isthme de, (Géog. mod.) isthme qui joint l'Asie à l'Afrique. Cet isthme peut avoir cinquante milles d'étendue, quoique Plutarque ne lui en donne que trente-sept, jusqu'à l'endroit où l'on s'embarque sur le Nil. Les rois d'Egypte considérant les grands avantages qui reviendroient à leur pays par la communication des mers, tenterent souvent de couper cet isthme, & de faire par ce moyen une île de toute l'Afrique. Sésostris, au rapport de Strabon, fut le premier qui forma ce dessein, & qui fit son possible pour l'exécuter. Darius, roi de Perse & d'Egypte, tenta la même entreprise, & conduisit son ouvrage jusqu'aux lacs Amers, nommés de la sorte à cause de l'amertume de leurs eaux. Le premier Ptolémée parmi les successeurs d'Alexandre, se proposa d'achever l'ouvrage, & l'abandonna cependant bientôt après. Les uns disent que ce fut par crainte d'inonder l'Egypte, qui est plus basse de trois coudées que la mer Rouge. D'autres assurent que ce fut de peur que la mer en entrant dans le Nil, ne gâtât par son amertume les eaux de ce fleuve, & que pour comble de maux tout son pays ne devînt stérile, d'abord que ses campagnes se trouveroient arrosées des eaux de la mer.

Quoi qu'il en soit, on se contenta de creuser un canal qui joignoit le Nil à la mer Rouge. Ce fut alors que les ports de cette mer commencerent à être fameux. La ville de Coptos devint l'entrepôt de toutes les marchandises qui passoient des Indes en Egypte. Depuis que l'on a laissé détruire le canal qui communiquoit le Nil avec la mer Rouge, on est obligé d'employer les chameaux pour transporter par terre les marchandises.

Cléopatre, après la perte de la bataille d'Actium, vint à Alexandrie, où se rendit Antoine, qui la trouva toute occupée d'un dessein fort extraordinaire. Pour éviter de tomber entre les mains d'Octave, présumant bien qu'il la poursuivroit, elle songeoit à faire transporter ses vaisseaux de la mer Méditerranée dans la mer Rouge par l'isthme qui a cinquante à soixante milles de largeur de Pharma à Suez. Elle projettoit ensuite de mettre ses trésors dans ses vaisseaux & dans les autres qu'elle avoit déja sur cette mer, pour aller chercher quelque retraite écartée ; mais elle abandonna ce dessein, dans l'espoir peut-être de faire encore la conquête de ce nouveau maître du monde. (D.J.)


SUEZIC(Géog. mod.) par les Orientaux Sueriah, province voisine de la Colchide, dont les peuples nommés anciennement Tzani & Lazi habitoient la plus grande partie. (D.J.)


SUFFEGMAR(Géog. mod.) riviere d'Afrique, dans la Barbarie, au royaume d'Alger ; elle prend sa source aux montagnes qui bornent le grand Atlas, & se jette dans la mer, au levant de Gigeri. C'est l'Ampsaga des anciens, ou l'Ampsagas de Ptolomée. (D.J.)


SUFFETESS. m. pl. (Hist. anc.) c'est ainsi que l'on nommoit chez les Carthaginois les deux principaux magistrats de la république qui étoient élus parmi les sénateurs les plus distingués par la naissance, par la richesse & par les talens. Leur autorité ne duroit que pendant une année, comme celle des consuls romains ; mais il ne paroît pas que les suffetes fussent chargés du commandement des armées pendant leur magistrature ; pour l'ordinaire leurs fonctions étoient purement civiles ; cependant nous voyons qu'Annibal, Himilcon & Magon ont commandé les armées des Carthaginois dans le tems même qu'ils étoient revêtus de la dignité de suffetes ; ils convoquoient le sénat auquel ils présidoient : ils y proposoient les matieres sur lesquelles on devoit délibérer ; ils recueilloient les suffrages. Quelques auteurs croyent qu'ils avoient le droit de vie & de mort, & d'infliger les punitions qu'ils jugeoient à-propos.

Aucune loi ne pouvoit passer dans le sénat sans leur concours ; lorsqu'ils n'étoient point d'accord avec le sénat, le peuple décidoit. Chaque ville de la domination carthaginoise avoit des suffetes, à l'exemple de la capitale.


SUFFIBULUMS. m. (Littérat.) ce mot, dans Festus, signifie le voile blanc que les vestales mettoient sur leurs têtes lors des sacrifices, & qui étoit attaché avec une agraffe. (D.J.)


SUFFISAMMENTASSEZ, (Synon.) ces deux mots, dit M. l'abbé Girard, regardent également la quantité ; avec cette différence, qu'assez a plus de rapport à la quantité qu'on veut avoir, & que suffisamment en a plus à la quantité qu'on veut employer.

L'avare n'en a jamais assez ; il accumule, & souhaite sans-cesse. Le prodigue n'en a jamais suffisamment ; il veut toujours dépenser plus qu'il n'a.

On dit, c'est assez, lorsqu'on n'en veut pas davantage ; & l'on dit, en voilà suffisamment, lorsqu'on en a précisément ce qu'il faut, pour l'usage qu'on en veut faire.

A l'égard des choses & de tout ce qui se consume, assez paroît marquer plus de quantité que suffisamment ; car il semble que quand il y en a assez, ce qui seroit de plus, y seroit de trop ; mais que quand il y en a suffisamment, ce qui seroit de plus, n'y feroit que l'abondance, sans y être de trop. On dit aussi d'une petite portion & d'un revenu médiocre, qu'on en a suffisamment, mais on ne dit guere qu'on en a assez.

Il se trouve dans la signification d'assez plus de généralité ; ce qui lui donnant un service plus étendu, en rend l'usage plus commun, au lieu que suffisamment renferme dans son idée un rapport à l'emploi des choses, qui lui donnant un caractere plus particulier, en borne l'usage à un plus petit nombre d'occasions.

C'est assez d'une heure à table pour prendre suffisamment de nourriture ; mais ce n'est pas assez pour ceux qui en font leurs délices.

L'économe sait en trouver assez où il y en a peu. Le dissipateur n'en peut avoir suffisamment, où il y en a même beaucoup. Girard, synonym. françois. (D.J.)


SUFFISANTSUFFISANCE, (Lang. franç.) lorsque suffisant est participe, il signifie seulement qui suffit, comme un ordinaire suffisant, des provisions suffisantes ; mais lorsqu'il est adjectif, il désigne un présomptueux, " rien de plus insupportable dans la vie que ces hommes suffisans, ces femmes suffisantes, qui décident de tout sans rien savoir ". Ce mot ne se prend en bonne part que quand il est joint à un autre qui en détermine la signification. Il ne faudroit donner les premieres places de l'état qu'à des gens suffisans, & capables de remplir les grandes charges de la couronne.

L'on doit faire la même remarque du mot suffisance ; il se dit du vrai mérite & du faux mérite. Les riches gâtés par la fortune montrent ordinairement une suffisance orgueilleuse ; mais l'adversité jointe au génie produit la grande capacité & la suffisance modeste.

SUFFISANT, IMPORTANT, ARROGANT, (Synon.) le suffisant, dit la Bruyere, est celui en qui la pratique de certains détails que l'on honore du nom d'affaires, se trouve jointe à une très-grande médiocrité d'esprit.

Un grain d'esprit & une once d'affaires plus qu'il n'en entre dans la composition du suffisant, font l'important ; sotte & puérile confiance dans celui qui se croit tel !

Pendant qu'on ne fait que rire de l'important, il n'a pas un autre nom : dès qu'on s'en plaint, c'est l'arrogant. (D.J.)


SUFFISANTEGRACE (Théol.) la grace suffisante, selon les Catholiques, est celle qui donne à la volonté un pouvoir véritable, dégagé & propre à vaincre la concupiscence, pour faire le bien méritoire de la vie éternelle.

Il est de foi que la grace est nécessaire, & que sans la grace on ne peut faire aucun bien qui soit méritoire de la vie éternelle. On convient aussi que Dieu ne refuse point les secours nécessaires, & tout le monde sait que l'homme ne fait pas ce qu'il devroit faire, & qu'il fait au contraire ce qu'il ne devroit pas faire.

De ces principes qui sont généralement avoués par toutes les sectes, quoique divisées à d'autres égards, il s'ensuit qu'il y a quelques graces de Dieu auxquelles l'homme résiste ; quelques-unes avec lesquelles l'homme n'agit point, quoiqu'il puisse véritablement agir ; quelques-unes enfin malgré lesquelles l'homme fait le mal, quoiqu'il puisse faire le bien. C'est ce secours que l'on appelle grace suffisante, parce qu'elle suffit pour que nous puissions agir, quoique nous puissions l'avoir sans agir.

En effet il est d'expérience qu'il y a des graces que l'homme prive par la résistance très-libre de sa volonté, de l'effet dont elles sont capables, eu égard aux circonstances où elles sont données, & que Dieu se propose de produire par leur moyen, dans le moment même qu'il les accorde. Tous les reproches que Dieu fait aux pécheurs dans l'Ecriture, d'avoir été sourds à sa voix, de n'avoir pas correspondu à ses saints desirs, d'avoir résisté aux inspirations célestes, établissent évidemment ce point de doctrine ; autrement ces reproches seroient injustes & illusoires.

Mais les théologiens scholastiques sont partagés sur la nature de cette grace suffisante.

Les Thomistes appellent grace suffisante celle avec laquelle l'homme peut faire le bien, mais avec laquelle il ne le fera jamais sans un nouveau secours qu'ils appellent prémotion physique. Voyez PREMOTION.

Les Augustiniens pensent de même ; mais au lieu de la prémotion physique, ils n'exigent qu'une prémotion morale. La grace suffisante, selon eux, donne assez de force à la volonté pour faire le bien, mais celle-ci ne le fera jamais sans une délectation victorieuse par elle-même & absolument.

D'autres qu'on nomme aussi Augustiniens, accordent qu'avec la grace suffisante non-seulement on peut faire le bien, mais encore que l'on accomplit réellement dans certaines occasions faciles ; mais pour les oeuvres plus difficiles, ils exigent une grace efficace.

Suarès & les Congruistes appellent grace suffisante celle qui n'est pas proportionnée aux différentes circonstances du tems, du lieu, ou de la personne à qui elle est donnée, & qui par cette raison n'a jamais son effet, quoiqu'elle donne toujours un pouvoir véritable & prochain pour agir.

Enfin les Molinistes appellent grace suffisante celle qui, telle que Dieu la donne, confere à l'homme un véritable pouvoir de faire le bien, & dont il peut user par la seule détermination de sa volonté, sans aucun autre secours ultérieur, ensorte que s'il y consent, elle devient efficace, s'il y résiste, elle n'en a pas moins été suffisante.

Luther & Calvin ont rejetté la grace suffisante, & Jansenius l'a aussi rejettée, en prétendant qu'il n'y a de véritable grace intérieure que celle à laquelle on ne résiste jamais.

Les théologiens catholiques prouvent que nonseulement Dieu ne refuse point la grace suffisante, mais encore qu'il la confere, l'offre ou la prépare aux justes, aux fideles, aux pécheurs, aux endurcis, aux infideles & aux enfans qui meurent sans baptême.

SUFFISANTE RAISON, (Métaphysiq.) principe de la raison suffisante. C'est celui duquel dépendent toutes les vérités contingentes. Il n'est ni moins primitif, ni moins universel que celui de contradiction. Tous les hommes le suivent naturellement ; car il n'y a personne qui se détermine à une chose plutôt qu'à une autre sans une raison suffisante, qui lui fasse voir que cette chose est préférable à l'autre.

Quand on demande compte à quelqu'un de ses actions, on pousse les questions jusqu'à ce qu'on soit parvenu à découvrir une raison qui nous satisfasse, & nous sentons dans tous les cas que nous ne pouvons point forcer notre esprit à admettre quelque chose sans une raison suffisante, c'est-à-dire, sans une raison qui nous fasse comprendre pourquoi cette chose est ainsi plutôt que tout autrement.

Si on vouloit nier ce grand principe, on tomberoit dans d'étranges contradictions : car dès que l'on admet qu'il peut arriver quelque chose sans raison suffisante, on ne peut assurer d'aucune chose, qu'elle est la même qu'elle étoit le moment d'auparavant, puisque cette chose pourroit se changer à tout moment dans une autre d'une autre espece ; ainsi il n'y auroit pour nous des vérités que pour un instant.

J'assure, par exemple, que tout est encore dans ma chambre dans l'état où je l'ai laissé, parce que je suis assuré que personne n'y est entré depuis que j'en suis sorti ; mais si le principe de la raison suffisante n'a pas lieu, ma certitude devient une chimere, puisque tout pourroit être bouleversé dans ma chambre sans qu'il y fût entré personne capable de le déranger.

Sans ce principe, il n'y auroit point des choses identiques ; car deux choses sont identiques, lorsque l'on peut substituer l'une à la place de l'autre sans qu'il arrive aucun changement par rapport à la propriété qu'on considere. Ainsi, par exemple, si j'ai une boule de pierre & une boule de plomb, & que je puisse mettre l'une à la place de l'autre dans le bassin d'une balance, sans que la balance change de situation, je dis que le poids de ces boules est identique, qu'il est le même, & qu'elles sont identiques quant à leurs poids : cependant s'il pouvoit arriver quelque chose sans une raison suffisante, je ne pourrois prononcer que le poids de ces boules est identique dans le tems même que j'assure qu'il est identique, puisqu'il pourroit arriver sans aucune raison un changement dans l'une qui n'arriveroit pas dans l'autre, & par conséquent leur poids ne seroit point identique ; ce qui est contre la définition.

Sans le principe de la raison suffisante, on ne pourroit plus dire que cet univers, où toutes les parties sont si bien liées entr'elles, n'a pu être produit que par une sagesse suprême ; car s'il peut y avoir des effets sans raison suffisante, tout cela a pu être produit par le hasard, c'est-à-dire, par rien. Ce qui arrive quelquefois en songe nous fournit l'idée d'un monde fabuleux, où tous les événemens arriveroient sans raison suffisante. Je rêve que je suis dans ma chambre occupé à écrire ; tout d'un coup ma chaise se change en un cheval aîlé, & je me trouve en un instant à cent lieues de l'endroit où j'étois, & avec des personnes qui sont mortes depuis long-tems. Tout cela ne peut arriver dans ce monde, puisqu'il n'y auroit point de raison suffisante de tous ces effets. C'est ce principe qui distingue le songe de la veille, & le monde réel du monde fabuleux que l'on nous dépeint dans les contes des fées.

Dans la Géométrie, où toutes les vérités sont nécessaires, on ne se sert que du principe de contradiction ; mais lorsqu'il est possible qu'une chose se trouve en différens états, je ne puis assurer qu'elle se trouve dans un tel état plutôt que dans un autre, à moins que je n'allegue une raison de ce que j'affirme ; ainsi, par exemple, je puis être assis, couché, debout, toutes ces déterminations de ma situation sont également possibles ; mais quand je suis debout, il faut qu'il y ait une raison suffisante pourquoi je suis debout, & non pas assis ou couché.

Archimede passant de la géométrie à la méchanique, reconnut bien le besoin de la raison suffisante ; car voulant démontrer qu'une balance à bras égaux, chargée de poids égaux restera en équilibre, il fit voir que dans cette égalité de bras & de poids, la balance devoit rester en repos, parce qu'il n'y auroit point de raison suffisante pourquoi l'un des bras descendroit plutôt que l'autre. M. de Leibnits, qui étoit très-attentif aux sources de nos raisonnemens, saisit ce principe, le développa, & fut le premier qui l'énonça distinctement & qui l'introduisit dans les sciences.

Le principe de la raison suffisante est encore le fondement des regles & des coutumes, qui ne sont fondées que sur ce qu'on appelle convenance ; car les mêmes hommes peuvent suivre des coutumes différentes, ils peuvent déterminer leurs actions en plusieurs manieres ; & lorsqu'on choisit préférablement à d'autres, celles où il y a le plus de raison, l'action devient bonne & ne sauroit être blâmée ; mais on la nomme déraisonnable, dès qu'il y a des raisons suffisantes pour ne la point commettre ; & c'est sur ces mêmes principes que l'on peut prononcer qu'une coutume est meilleure que l'autre, c'est-à-dire, quand elle a plus de raison de son côté.

Ce principe bannit de la philosophie tous les raisonnemens à la scholastique ; car les Scholastiques admettoient bien qu'il ne se fait rien sans cause ; mais ils alléguoient pour causes des natures plastiques, des ames végétatives, & d'autres mots vuides de sens ; mais quand on a une fois établi qu'une cause n'est bonne qu'autant qu'elle satisfait au principe de raison suffisante, c'est-à-dire, qu'autant qu'elle contient quelque chose par où on puisse faire voir comment, & pourquoi un effet peut arriver ; alors on ne peut plus se payer de ces grands mots qu'on mettoit à la place des idées.

Quand on explique, par exemple, pourquoi les plantes naissent, croissent & se conservent, & que l'on donne pour cause de ces effets une ame végétative qui se trouve dans toutes les plantes, on allegue bien une cause de ces effets, mais une cause qui n'est point recevable, parce qu'elle ne contient rien par où je puisse comprendre comment la végétation s'opere ; car cette ame végétative étant posée, je n'entends point de-là pourquoi la plante que je considere a plutôt une telle structure que toute autre, ni comment cette ame peut former une machine telle que celle de cette plante.

Au reste, on peut faire une espece d'argument ad hominem contre le principe de la raison suffisante, en demandant à Messieurs Leibnits & Wolf comment ils peuvent l'accorder avec la contingence de l'univers. La contingence en effet suppose une différence d'équilibre. Or, quoi de plus opposé à cette indifférence que le principe de la raison suffisante ? Il faut donc dire que le monde existe, non contingemment, mais en vertu d'une raison suffisante, & cet aveu pourroit mener jusqu'aux bords du spinosisme. Il est vrai que ces philosophes tâchent de se tirer d'affaire, en expliquant la contingence par une chose dont le contraire n'est point impossible. Mais il est toujours vrai que la raison suffisante ne laisse point la contingence en son entier. Plus un plan a de raisons qui sollicitent son existence, moins les autres deviennent possibles, c'est-à-dire, peuvent prétendre à l'existence.

Néanmoins le principe de la raison suffisante est d'un très-grand usage. La plûpart des faux raisonnemens n'ont d'autre source que l'oubli de cette maxime. C'est le seul fil qui puisse nous conduire dans ces labyrinthes d'erreur, que l'esprit humain s'est bâti pour avoir le plaisir de s'égarer. Il ne faut donc rien admettre de ce qui viole cette maxime fondamentale, qui sert de bride aux écarts sans nombre que fait l'imagination, dès qu'on ne l'assujettit pas aux regles d'un raisonnement sévere.


SUFFITIO(Littérat.) espece de purification pratiquée par ceux qui avoient assisté à des funérailles ; cette purification consistoit simplement à passer promtement sur du feu, & à une légere aspersion d'eau lustrale. (D.J.)


SUFFOCATIONS. f. (Physiolog.) perte de la respiration, soit en tout, soit en partie.

La suffocation procede de différentes causes ; mais nous n'expliquerons ici que la suffocation qui résulte, 1°. de la submersion, 2°. de la privation d'air dans la machine du vuide ; 3°. lorsqu'on monte sur des lieux fort élevés ; 4°. quand on respire un air trop chaud, condensé, ou rempli de vapeurs nuisibles aux poumons. Les suffocations qui proviennent de maladies, dépendent de ces maladies qui sont fort variées.

Dans la submersion par l'eau, les noyés meurent comme ceux qui sont étranglés. Dans les uns & dans les autres, le passage de l'air est bouché. Ce n'est point l'eau qui suffoque en entrant dans les poumons, car l'ouverture, c'est-à-dire, la glotte, n'est qu'une fente très-petite : or l'eau qui couvre cette fente, ne permet point à l'air d'en sortir, par conséquent elle ne sauroit s'y insinuer ; cependant lorsque les cadavres viennent à flotter, l'eau n'y trouve pas toujours les mêmes obstacles ; car dans certaines situations, elle ne peut couvrir qu'une des extrêmités de la glotte, tandis que l'autre répond à l'air ; ainsi dans ces situations, qui ne sont pas rares dans un corps qui flotte, & qui ne garde jamais la même position, il est certain que l'eau pourra s'introduire dans les poumons, mais cela n'arrive que long-tems après la mort ; c'est pourquoi on ne trouve pas toujours de l'eau dans les poumons ni dans l'estomac des gens noyés, mais seulement quelquefois.

L'espece de suffocation artificielle, celle des animaux qui meurent dans la machine du vuide, n'est pas embarrassante à concevoir ; cependant pour la comprendre, il faut se rappeller que les rameaux des bronches sortent à angles aigus les uns des autres, & qu'étant élastiques, ils résistent quand on les écartera ; or on ne sauroit gonfler les poumons sans écarter les branches des tuyaux bronchiques ; mais les rameaux qui pesent les uns sur les autres, résistent à la force qui fait effort pour les éloigner. Ajoutez la contractibilité du tissu pulmonaire qui tend toujours à raccourcir toutes les fibres, contractibilité qui n'est pas même perdue dans les cadavres. Cela posé, mettez un animal dans la machine du vuide, pompez-en l'air, que doit-il arriver quand l'air sera moins dense ? Il est certain qu'il ne pourra point soulever les bronches, par conséquent elles se rapprocheront ; & d'un autre côté, l'air qui est dans le tissu intérieur des poumons se dilatera : il y aura donc une dilatation & une contraction dans les poumons des animaux qui seront dans la machine du vuide, lorsque l'air en aura été pompé.

Il est évident que le mouvement progressif du sang sera difficile dans ces poumons, car d'abord l'air n'aura pas assez de force pour élever les rameaux bronchiques ; de plus les poumons seront tellement distendus par l'air du tissu intérieur, qu'il faudra de toute nécessité que les vaisseaux soient tiraillés, pressés, crevés ; ainsi les animaux qui seront dans la machine du vuide, seront dans des angoisses extraordinaires, mettront en jeu le diaphragme & leurs muscles intercostaux ; mais l'action même de ces muscles leur sera pernicieuse, car quand les côtes agrandiront l'espace que renferme le thorax, le poumon se gonflera davantage, & les vaisseaux seront plus écartés les uns des autres. Pour avoir une idée de ce qui arrive alors, qu'on se souvienne que les vésicules des poissons crevent souvent dans la machine du vuide, & que les grenouilles se boursoufflent ; la même chose doit arriver aux poumons des animaux qui meurent dans le vuide.

Une troisieme espece de suffocation, est celle qu'on éprouve quand on monte sur des lieux élevés. Il faut regarder les lieux fort élevés comme des especes de machines du vuide, car l'air y est très-raréfié ; ainsi il ne peut plus contrebalancer l'air qui est dans le tissu intérieur des poumons. Il faut regarder les poumons comme une vessie d'air qu'on porte sur le sommet des montagnes ; or tout le monde sait que cette vessie se gonfle à-proportion qu'elle est dans un lieu plus élevé : il en est de même des poumons ; ainsi les voilà exposés à un gonflement semblable à celui qui survient dans la machine du vuide. Ainsi on y remarquera les mêmes phénomènes, c'est-à-dire que les poumons pourront laisser échapper les fluides qu'ils renferment, & qu'ils causeront par la dilatation une oppression considérable. On ne sera plus surpris à-présent, de ce qui est rapporté par Acosta, lequel en passant par les montagnes du Pérou fut exposé à des accidens terribles ; l'estomac se bouleversa ; les vomissemens furent énormes dans leurs efforts, qui lui firent rendre jusqu'au sang ; & il crut enfin qu'il alloit mourir. D'autres voyageurs ont observé que les corps sont alors comme des cribles, l'eau en découle de tous côtés, comme s'ils étoient dans une sueur des plus abondantes : la pression de l'air qui diminue à-proportion qu'il est éloigné de la terre, doit produire tous ces symptomes.

Une quatrieme espece de suffocation arrive, lorsqu'un animal est renfermé dans un lieu resserré, qui n'a pas commerce avec l'air extérieur ; c'est qu'alors l'air qu'on respire n'étant point renouvellé, se charge d'exhalaisons grossieres & pernicieuses à la respiration. Le fait suivant justifie cette explication, & prouve qu'on rétablit la respiration lésée, en impregnant l'air de nouveaux corpuscules qui l'améliorent.

Il est rapporté dans les écrits de Boyle, que Corneille Drebel fit un bateau pour aller sous l'eau ; mais il avoit un inconvénient bien fâcheux pour ceux qui hasardoient d'entrer dans ce bateau, c'est qu'ils manquoient d'air frais ; Drebel trouva le secret de remédier à ce défaut par une liqueur. Lorsque l'air étoit surchargé des exhalaisons qui sortoient de ceux qui étoient dans le bateau, & qu'il ne pouvoit plus servir à la respiration, on débouchoit une bouteille remplie de sa liqueur, & dans le moment il s'exhaloit de cette bouteille une grande quantité de corpuscules qui corrigeoient l'air, & le rendoient plus propre à la respiration durant quelque tems.

L'air chaud produit la suffocation, parce qu'un des principaux usages de l'air est de tempérer la chaleur du poumon. Enfin l'air chargé de vapeurs nuisibles, irrite par l'âcreté de ces vapeurs le tissu du poumon, & gêne par conséquent la respiration. Quant aux autres phénomènes qui rendent la respiration difficile, courte, forte & fréquente, voyez pour les entendre, l'article RESPIRATION, Physiolog. (D.J.)


SUFFOLK(Géog. mod.) province maritime d'Angleterre, au diocèse de Norwich. Elle est bornée au nord par le duché de Norfolck, au midi par le comté d'Essex, au levant par le Norfolck encore, & au couchant par la province de Cambridge.

La province de Suffolk est d'une figure approchante d'une demi-lune. Elle a vingt-cinq milles dans sa plus grande largeur du nord au sud, quarante-cinq de longueur de l'orient à l'occident, & cent-quarante de circuit. Les anciens Icéniens habitoient cette province, ainsi que celle de Norfolck & de Cambridge. Les Saxons firent de tout cela un royaume, auquel ils donnerent le nom d'Est-Angle.

On compte dans la province de Suffolk vingt-deux hundreds ou centaines ; vingt-huit villes ou bourgs à marché ; cinq cent soixante & quinze paroisses, & environ un million d'arpens de terre. Il s'y trouve sept villes ou bourgs à marché, qui ont droit de députer au parlement, savoir Ipswich capitale, S. Edmondbury, Dunwich, Orford, Alborough, Eye & Sudbury.

L'air de cette province est fort doux & fort sain. Son terroir est très-fertile, étant pour la plûpart & d'argile & de marne. Il produit le meilleur beurre d'Angleterre. Les manufactures de drap & de toile de cette province, contribuent encore à y entretenir l'abondance. Elle a le titre de comté, érigé par Jacques I. en faveur de Thomas Howard, second fils du duc de Norfolck.

Je n'épuiserai point ici la liste des hommes de lettres qu'a produit cette province ; mais dans cette liste j'en choisirai quelques-uns qui ont fait du bruit par leurs écrits, & d'autres que leurs ouvrages ont rendu célebres.

Robert Grosse-tête, en latin Capito, l'un des plus grands théologiens, des plus illustres philosophes, & des plus savans hommes du xiij. siecle, tems d'ignorance & de barbarie, naquit de pauvres parens dans le comté de Suffolk. Il devint par sa science le premier docteur d'Oxford, puis archidiacre de Leicester, & enfin évêque de Lincoln, en 1235. Il remplit dignement les fonctions de l'épiscopat, employant tout son tems au bien de son troupeau, à l'avancement des lettres & à composer des ouvrages. Il défendit avec zele la jurisdiction des ordinaires, tantôt contre les moines, tantôt contre le pape Innocent IV. & mourut en 1253 ; mais ses écrits ont conservé son nom. Il en a fait de profanes & de sacrés. Son Abregé de la sphere a paru à Venise en 1504, & son Commentaire sur les analytiques d'Aristote, a été imprimé dans la même ville en 1537 & en 1552. On a publié à Londres en 1652, un ouvrage de ce prélat touchant les observations légales ; & M. Brown a fait imprimer pareillement à Londres en 1690, quelques-unes de ses lettres dans le second volume du Fasciculus rerum expectundarum.

Alabaster (Guillaume), accompagna le comte d'Essex en qualité de son chapelain, à l'expédition de Cadix. Ebloui par la pompe des églises, il se fit catholique ; cependant, bientôt après, ne trouvant point ce qu'il avoit espéré dans ce changement, il reprit sa premiere religion. Il entendoit fort bien la langue hébraïque, comme le prouve son Lexicon hebraicum ; mais il se gâta l'esprit par l'étude de la cabale. Il étoit poëte, & fit une tragédie latine intitulée Roxama, dont la représentation dans un college de Cambridge, fut accompagnée d'un accident remarquable. Il y eut une dame à cette piece qui fut tellement épouvantée du dernier mot de la tragédie sequar, sequar, prononcé par l'acteur d'un air furieux, qu'elle en perdit l'esprit pour toute sa vie.

Bale (Jean), en latin Balaeus, historien du xvj. siecle, quitta la religion romaine par les soins de mylord Wentworth, & peut-être aussi, dit Nicholson, par ceux de la belle Dorothée qu'il épousa. Le roi Edouard VI. le nomma évêque d'Ossory en Irlande ; mais la reine Marie étant montée sur le trône, il s'embarqua en 1553, pour passer la mer, & fut pris par des corsaires qui le vendirent. Ayant été racheté, il choisit Basle pour sa demeure. Cependant sous le regne d'Elisabeth il revint en Angleterre, où il mourut en 1565, âgé de 68 ans.

Il a publié plusieurs centuries latines des illustres écrivains de la Grande Bretagne : Scriptorum illustrium Majoris Britanniae, &c. Catalogus, continens xiv. centurias, Basileae, 1557 & 1559. Cet ouvrage a été proscrit d'une façon très-particuliere dans l'Indice, imprimé in-fol. à Madrid en 1667, & c'est avec justice ; car l'auteur fait l'histoire de la religion catholique d'un style amer, caustique, plein d'invectives, & a inventé cent faussetés pour multiplier les ennemis de l'église romaine. Tous les habiles & honnêtes gens qui se sont attachés à l'étude de l'antiquité étant dans les mêmes vûes, quoique de religion différente, ont toujours respecté la vérité, & n'ont jamais accommodé leurs histoires à leurs opinions particulieres, comme Balaeus & Pitseus. Si l'on compare les odieuses centuries de ces deux écrivains avec les excellens ouvrages de Leland & de Cambden, on s'appercevra bientôt de l'union intime qui se trouve entre le faux zele & l'ignorance, & entre l'érudition & la modération.

Boys (Jean), naquit en 1560 & mourut en 1643, âgé de 83 ans. Son premier dessein étoit d'apprendre la médecine, & dans cette vûe il acheta quantité de livres sur cet art ; mais comme en les lisant, il s'imaginoit quelquefois être atteint des unes ou des autres maladies dont ses lectures lui présentoient la description, cette crainte l'allarma, & lui fit abandonner une si triste étude. Il se tourna donc vers d'autres études, & devint par son application continuelle, bon grammairien, habile grec & savant théologien. Il fut nommé par son mérite pour être un des traducteurs de la Bible, dont le roi Jacques I. ordonna la version en anglois, au commencement de son regne ; & les livres apocryphes qui n'étoient pas les plus aisés à traduire, tomberent en partage à Boys. Il aida aussi de ses lumieres le chevalier Savile, pour l'exécution de sa belle édition des oeuvres de S. Chrysostome.

Messieurs Echard (Jean & Laurent), tous deux de la province de Suffolk, & tous deux théologiens, ont publié des ouvrages ; mais dans un genre différent. Le premier naquit en 1635, & mourut vers l'an 1696. Il abusa de son esprit par un écrit anonyme & satyrique intitulé : Recherches des causes du mépris qu'on a pour le clergé de la Grande Bretagne, & pour la religion. On lui répondit avec beaucoup de bon sens & de vérité, 1°. que dans un royaume où il y avoit huit ou neuf mille paroisses, & peut-être autant d'ecclésiastiques, il étoit mal de s'attacher à recueillir les fautes qui avoient pu échapper pendant soixante ans, & dans des tems d'anarchie, à quelques membres d'un corps si nombreux, & d'en faire un ouvrage peu propre à plaire aux honnêtes gens, & seulement amusant pour de jeunes libertins. 2°. qu'il abusoit le lecteur, en attribuant à tout un corps les idées extravagantes de quelques fanatiques, sans caractere. 3°. qu'il avoit confondu malicieusement les tems d'ignorance & de licence avec ceux de lumiere & de vertu.

En effet, la bonne morale & la théologie pratique, semblent aujourd'hui, pour ainsi dire, particulieres au clergé de la Grande Bretagne. Les ouvrages d'érudition & de piété sortis depuis un siecle de la plume des ecclésiastiques de ce royaume, font l'admiration de toute l'Europe. Les choses étoient différentes avant le regne de la reine Elisabeth. Alors les universités mêmes étoient si dépourvues de clercs qui pussent prêcher d'une maniere édifiante, & la barbarie étoit si grande, qu'un sherif du comté d'Oxford, qui passoit pour un génie à cause de ses pointes, monta en chaire, & fit au défaut du prédicateur qui étoit malade, un sermon qu'on imprima, & dont voici le début.

" Arrivant au mont de Ste Marie, sur le théâtre graveleux où je suis à-présent, je vous apporte, mes freres, quelques biscuits qui sont cuits au four de la charité, & que je réservois pour les poulets de l'Eglise, les moineaux de l'esprit & les hirondelles du salut, &c. " Fuller Church, history of Britan. lib. IX. p. 65. Cet exorde ridicule enchanta ses auditeurs.

Echard (Laurent), étoit dans les ordres. Il s'est fait connoître avantageusement dans ce siecle, par des traductions de Plaute & de Térence ; par une histoire ecclésiastique universelle, & par l'histoire d'Angleterre, en trois vol. in-fol. Ce dernier ouvrage est louable pour le style & la méthode, ainsi que pour plusieurs choses qui sont agréables & nouvelles ; mais il a mérité, à d'autres égards, la juste censure du docteur Edmond Calamy & de M. Jean Odlmixon. Laurent Echard est mort en 1730, dans sa voiture, en allant prendre les eaux de Scarborough.

Calamy (Benjamin), théologien non-conformiste, naquit en 1638 & mourut en 1685, à 47 ans. On a deux volumes de ses sermons, dont il s'est fait sept ou huit éditions depuis sa mort.

Wotton (Guillaume), un des illustres savans de notre siecle, naquit en 1666, & mourut en 1726 dans la 61e. année de son âge. Ses ouvrages montrent qu'il étoit profondément versé dans la connoissance des langues, & dans celle de la plûpart des sciences. Son livre sur le savoir des anciens & des modernes, imprimé à Londres en 1694 in-8°. est plein de jugement & d'érudition. Il publia en 1701 in-8°. son Histoire de Rome, depuis la mort d'Antonin le Pieux, jusqu'à la mort de Sévere Alexandre ; c'est une histoire estimée, parce que l'auteur a eu par-tout beaucoup d'égard à l'autorité des médailles, pour fixer l'époque des événemens les plus considérables du regne de chaque empereur. Ses discours sur les traditions & les usages des Scribes & des Pharisiens, parurent en 1718 en 2 vol. in-8°. Le but du docteur Wotton dans ce livre, est de donner aux jeunes étudians en théologie, une idée de la littérature judaïque, d'en faire connoître l'autorité & l'usage qu'on peut en tirer. Ceux qui ne sont pas en état de lire les grands ouvrages de Selden & de Lightfoot, en trouveront ici le précis.

Le même Wotton a traduit en latin, & publié les anciennes loix ecclésiastiques & civiles du pays de Galles, qu'il a illustrées de notes & d'un glossaire. Enfin il avoit conçu le dessein de publier l'Oraison dominicale en cent cinquante langues ; projet plus curieux qu'utile, mais projet qu'il pouvoit mieux exécuter que personne, parce qu'il entendoit lui-même la plûpart des langues de l'orient & de l'occident. (D.J.)


SUFFRAGANTS. m. suffraganeus, (Gram. & Jurisprud.) signifie en général celui qui a droit de suffrage dans une assemblée.

On donne ce titre aux évêques, relativement à leur métropolitain, parce qu'étant appellés à son synode, ils y ont droit de suffrage ; ou bien parce qu'ils ne peuvent être consacrés sans son suffrage ou consentement.

Chaque métropolitain a ses évêques suffragans ; par exemple l'archevêque de Paris a pour suffragans les évêques de Chartres, de Meaux, d'Orléans & de Blois.

L'appel des sentences rendues par les officiaux des évêques suffragans se releve par-devant l'official du métropolitain. Voyez Ducange & les mots ARCHEVEQUE, EVEQUE, METROPOLITAIN, SYNODE. (A)


SUFFRAGES. m. (Gram. & Jurisprud.) se prend en cette matiere pour la voix ou avis que l'on donne dans une assemblée où l'on délibere sur quelque chose ; en toute délibération les suffrages doivent être libres dans les tribunaux ; les suffrages uniformes de deux proches parens, savoir du pere & du fils, de deux freres, de l'oncle & du neveu, du beau-pere & du gendre, & celui des deux beau-freres ne sont comptés que pour un ; c'est le président de l'assemblée qui recueille les suffrages : les conseillers donnent leur suffrage de vive voix. Quand il s'agit d'une élection par scrutin, on donne quelquefois les suffrages par écrit.

Sur la maniere de compter les suffrages uniformes, voyez l'édit du mois d'Août 1669, celui du mois de Janvier 1681, la déclaration du 25 Août 1708, & celle du 30 Septembre 1728. Voyez aussi les mots DELIBERATION, OPINION, PARTAGE D'OPINIONS, VOIX. (A)

SUFFRAGE, (Antiq. rom.) suffragium, les Romains donnoient leurs suffrages ou dans l'élection des magistrats pour la réception des loix, ou dans les jugemens. Le peuple donna long-tems son suffrage de vive voix dans les affaires de la république, & le suffrage de chacun étoit écrit par un greffier à la porte du clos fait en parc, & qui se nommoit ovile.

Cet usage dura jusqu'en l'an 615 de la fondation de Rome. Alors sous le consulat de Q. Calpurnius Piso, & de M. Popilius Laenas, Gabinius tribun du peuple fit passer la premiere loi des bulletins pour l'élection des magistrats, qui ordonnoit qu'à l'avenir le peuple ne donneroit plus son suffrage de vive voix, mais qu'il jetteroit un bulletin dans l'urne, où seroit écrit le nom de celui qu'il voudroit élire. On appella cette loi lex tabellaria, à cause qu'on nommoit les bulletins tabellae.

Papirius Carbo, autre tribun du peuple, fit passer une autre loi nommée Papiria l'an 625, par laquelle il fut ordonné que le peuple donneroit son suffrage par bulletins dans l'homologation des loix : enfin Cassius tribun du peuple obligea les juges par une loi expresse de donner sa voix par bulletins dans leurs jugemens.

Toutes ces loix furent extrêmement agréables aux citoyens qui n'osoient auparavant donner librement leurs voix, de peur d'offenser les grands. Grata est tabella quae frontes aperit, hominum mentes legit, datque eam libertatem ut quid velint faciant : & ces tablettes ou bulletins étoient de petits morceaux de bois ou d'autre matiere fort étroits, marqués de diverses lettres, selon les affaires dont on délibéroit. Par exemple, s'il s'agissoit d'élire un magistrat, l'on écrivoit les premieres lettres du nom des candidats, & on en donnoit autant à chacun, qu'il y avoit de compétiteurs pour la charge.

Dans les assemblées pour la réception de quelque loi, on en donnoit deux à chacun, dont l'une étoit marquée de ces deux lettres U. R. qui vouloit dire uti rogas ; & l'autre seulement d'un A. qui vouloit dire antiquo, je rejette la loi. Dans les jugemens on en donnoit trois, l'une marquée d'un A. qui signifioit absolvo, j'absous l'accusé ; l'autre d'un C. condemno, je condamne l'accusé ; & la troisieme de ces deux lettres N. L. non liquet, l'affaire n'est point suffisamment éclaircie.

Ces tablettes étoient données à l'entrée du pont du parc par des distributeurs nommés diribitores, & le bureau où ils les délivroient, diribitorium. Le peuple venoit ensuite devant le tribunal du consul, ou de celui qui présidoit à l'assemblée, qui cistellam deferebat, & il jettoit dans l'urne celle des tablettes qu'il vouloit, & alors la centurie ou la tribu prérogative qui avoit été tirée au sort la premiere pour donner son suffrage, étant passée, on comptoit les suffrages, & le crieur disoit tout haut praerogativa renuntiat talem consulem ; s'il s'agissoit d'une loi, praerogativa legem jubet, ou non accipit. Le magistrat faisoit ensuite appeller les centuries de la premiere classe, celles de la cavalerie les premieres, & celles de l'infanterie ensuite. Mais lorsqu'un candidat n'avoit pas un nombre suffisant de suffrages pour obtenir une charge, le peuple pouvoit choisir qui bon lui sembloit, & cela s'appelloit en latin, non conficere legitima suffragia, & non explere tribus.

On ne sera peut-être pas faché de savoir encore quelle étoit la récompense de ceux qui poursuivoient les corrupteurs des suffrages pour arriver aux magistratures.

Il y en avoit de quatre sortes. La premiere, c'est que si les accusateurs avoient été eux-mêmes condamnés pour avoir eu des suffrages par subornation, ils étoient rétablis dans leurs droits, lorsqu'ils prouvoient suffisamment le délit de ceux qu'ils accusoient. Cic. orat. pro Cluentio. La seconde, c'est que l'accusateur ayant bien prouvé son accusation contre un magistrat désigné & élu, obtenoit lui-même la magistrature de l'accusé, si son âge & les loix lui permettoient d'y arriver. L'élection de Torquatus & de Cotta au consulat à la place de Sylla & d'Antronius qu'ils avoient poursuivis, en est une preuve, quoiqu'ils n'ayent été désignés qu'aux comices qui se tinrent de nouveau après la condamnation de ces deux derniers. La troisieme récompense étoit le droit qu'avoit l'accusateur de passer dans la tribu de l'accusé, si elle étoit plus illustre que la sienne. Cic. pro Balbo. La quatrieme, c'est qu'il y avoit une somme qui se tiroit de l'épargne pour récompenser un accusateur, lorsqu'il ne se trouvoit pas dans le cas de profiter d'aucun des trois avantages dont nous venons de parler. (D.J.)

SUFFRAGE à Lacédémone, (Hist. de Lacédém.) le peuple à Lacédémone avoit une maniere toute particuliere de donner ses suffrages. Pour autoriser une proposition, il faisoit de grandes acclamations, & pour la rejetter il gardoit le silence ; mais en même tems pour lever tous les doutes en fait d'acclamations ou du silence, la loi ordonnoit à ceux de l'assemblée qui étoient d'un avis, de se placer d'un côté, & à ceux de l'opinion contraire, de se ranger de l'autre ; ainsi le plus grand nombre étant connu, décidoit la majorité des suffrages sans erreur, & sans équivoque. (D.J.)

SUFFRAGE SECRET, (Hist. d'Athènes) c'étoit une des deux manieres d'opiner des Athéniens. Ce peuple opinoit de la main dans les affaires d'état ; voyez ce que nous avons dit de cette pratique ; & il opinoit par suffrage secret, ou par scrutin, dans les causes criminelles. Pour cet effet, on apportoit à chaque tribu deux urnes, l'une destinée pour condamner, & l'autre pour absoudre ; la loi ne voulant point commettre ses ministres à la haine de ceux que le devoir ou la tendresse intéressoit en faveur de l'accusé, ordonna le suffrage secret, ou le scrutin, qui cachoit même aux juges l'avis de leurs confreres. Cet usage prévenoit encore les animosités dangereuses, qui souvent à cette occasion, passent des peres aux enfans, & se perpétuent dans les familles.


SUFFRUTEXsous-arbrisseau, en Botanique, est un nom qu'on donne à la plus petite espèce de plantes boiseuses, & qui durent toute l'année, qui ne jettent point de feuilles de leurs racines, & qui commencent à pousser des branches par le haut de leur tige. Tels sont la lavande, la rüe, la sauge, &c. Voyez PLANTE, ARBRE, &c.


SUFFUMIGATIONen médecine, est la même chose que fumigation. Voyez FUMIGATION.


SUFFUSIONS. f. terme de chirurgie, maladie de l'oeil, c'est la même chose que la cataracte. Voyez CATARACTE & EXTRACTION.


SUGGESTIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsque l'on insinue à quelqu'un de faire une chose, comme un testament, une donation.

La suggestion est un moyen de nullité contre les actes qui en sont infectés, & surtout pour les testamens faits en maladie, ou dans une extrême vieillesse, parce que les personnes âgées ou malades sont plus susceptibles de suggestion que d'autres.

Quelques coutumes exigeoient pour la validité des testamens que l'on y fît mention que le testateur l'avoit fait sans suggestion de personne ; mais comme cette énonciation pouvoit-elle même être suggérée, la nouvelle ordonnance en a abrogé la nécessité. Voyez CAPITATION, TESTAMENT. (A)


SUGGESTUou SUGGESTUS, s. m. (Littérat.) c'étoit un endroit du champ de Mars assez élevé, où tous les magistrats, suivant leur rang & leurs titres, se rendoient pour haranguer le peuple ; car les particuliers n'avoient point ce droit, à-moins qu'ils n'en eussent obtenu la permission de quelque magistrat éminent. Les tribuns faisoient aussi monter dans cet endroit les personnes qu'ils dénonçoient au peuple comme coupables de quelque crime d'état. (D.J.)


SUGGRONDES. f. (terme de Couvreur) les Couvreurs donnent le nom de suggronde aux saillies qu'ils font au bas des couvertures, pour rejetter les eaux pluviales loin du mur, & empêcher qu'elles ne l'endommagent. (D.J.)


SUGILLATIONS. f. (Médec.) on donne quelquefois le nom de sugillation, ou lividité, aux taches livides qui restent après la succion d'une partie vasculeuse ; en voici l'explication.

Lorsque la pression de l'atmosphere sur la surface de quelque partie du corps que ce soit, vient à diminuer, ou à cesser tout-à-fait, soit par la succion ou par l'application des ventouses, le sang se porte aux parties qui sont le moins pressées par l'air, détend les vaisseaux, & entre dans les plus petits qui se trouvent dilatés, & qui naturellement ne contiennent point de sang rouge ; il arrive même souvent qu'il s'y engorge si fort, qu'il produit des taches rouges, livides & noires ; ces taches sont l'effet de cette sugillation. (D.J.)


SUGULMESSE(Géog. mod.) province d'Afrique. Voyez SEGELMESSE. (D.J.)


SUou SSI-NO-KI, s. m. (Hist. nat. Botan.) c'est un hêtre du Japon, qui a des feuilles de frêne, dont la fleur est hexapétale, & ramassée en épis. Son fruit est une noix renfermée dans une coque écailleuse, garnie de pointes & de la grosseur d'une aveline.


SUICIDES. m. (Morale) le suicide est une action par laquelle un homme est lui-même la cause de sa mort. Comme cela peut arriver de deux manieres, l'une directe & l'autre indirecte ; on distingue aussi dans la morale le suicide direct, d'avec le suicide indirect.

Ordinairement on entend par suicide, l'action d'un homme, qui de propos délibéré se prive de la vie d'une maniere violente. Pour ce qui regarde la moralité de cette action, il faut dire qu'elle est absolument contre la loi de la nature. On prouve cela de différentes façons. Nous ne rapporterons ici que les raisons principales.

1°. Il est sûr que l'instinct que nous sentons pour notre conservation, & qui est naturel à tous les hommes, & même à toutes les créatures, vient du créateur. On peut donc la regarder comme une loi naturelle gravée dans le coeur de l'homme par le créateur. Il renferme ses ordres par rapport à notre existence. Ainsi tous ceux qui agissent contre cet instinct qui leur est si naturel, agissent contre la volonté de leur créateur.

2°. L'homme n'est point le maître de sa vie. Comme il ne se l'est point donnée, il ne peut pas la regarder comme un bien dont il peut disposer comme il lui plaît. Il tient la vie de son créateur ; c'est un espece de dépôt qu'il lui a confié. Il n'appartient qu'à lui de retirer son dépôt quand il le trouvera à propos. Ainsi l'homme n'est point en droit d'en faire ce qu'il veut, & encore moins de le détruire entierement.

3°. Le but que le créateur a en créant un homme, est sûrement qu'il continue à exister & à vivre aussi long-tems qu'il plaira à Dieu : & comme cette fin seule n'est pas digne d'un Dieu si parfait, il faut ajouter qu'il veut que l'homme vive pour la gloire du créateur, & pour manifester ses perfections. Or ce but est frustré par le suicide. L'homme en se détruisant, enleve du monde un ouvrage qui étoit destiné à la manifestation des perfections divines.

4°. Nous ne sommes pas au monde uniquement pour nous-mêmes. Nous sommes dans une liaison étroite avec les autres hommes, avec notre patrie, avec nos proches, avec notre famille. Chacun exige de nous certains devoirs auxquels nous ne pouvons pas nous soustraire nous-mêmes. C'est donc violer les devoirs de la société que de la quitter avant le tems, & dans le moment où nous pourrions lui rendre les services que nous lui devons. On ne peut pas dire qu'un homme se puisse trouver dans un cas où il soit assuré qu'il n'est d'aucune utilité pour la société. Ce cas n'est point du tout possible. Dans la maladie la plus désespérée, un homme peut toujours être utile aux autres, ne fût-ce que par l'exemple de fermeté, de patience, &c. qu'il leur donne.

Enfin la premiere obligation où l'homme se trouve par rapport à soi-même, c'est de se conserver dans un état de félicité, & de se perfectionner de plus en plus. Ce devoir est conforme à l'envie que chacun a de se rendre heureux. En se privant de la vie on néglige donc ce qu'on se doit à soi-même ; on interrompt le cours de son bonheur, on se prive des moyens de se perfectionner davantage dans ce monde. Il est vrai que ceux qui se tuent eux-mêmes regardent la mort comme un état plus heureux que la vie ; mais c'est en quoi ils raisonnent mal ; ils ne peuvent jamais avoir une entiere certitude ; jamais ils ne pourront démontrer que leur vie est un plus grand malheur que la mort. Et c'est ici la clé pour répondre à diverses questions qu'on forme suivant les différens cas où un homme peut se trouver.

On demande 1°. si un soldat peut se tuer pour ne pas tomber entre les mains des ennemis, comme cela est souvent arrivé dans les siecles passés. A cette question on en peut joindre une autre qui revient au même, & à laquelle on doit faire la même réponse, savoir si un capitaine de vaisseau peut mettre le feu à son navire pour le faire sauter en l'air afin que l'ennemi ne s'en rende pas maître. Quelques-uns d'entre les moralistes croyent que le suicide est permis dans ces deux cas, parce que l'amour de la patrie est le principe de ces actions. C'est une façon de nuire à l'ennemi pour laquelle on doit supposer le consentement du souverain qui veut faire tort à son ennemi de quelque façon que ce soit. Ces raisons, quoique spécieuses, ne sont cependant pas sans exception. D'abord il est sûr que dans un cas de cette importance il ne suffit pas de supposer le consentement du souverain. Pendant que le souverain n'a pas déclaré sa volonté expressément, il faut regarder le cas comme douteux : or dans un cas douteux, on ne doit point prendre le parti le plus violent, & qui choque tant d'autres devoirs qui sont clairs & sans contestation.

Cette question a donné occasion à une seconde, savoir s'il faut obéir à un prince qui vous ordonne de vous tuer. Voici ce qu'on répond ordinairement. Si l'homme qui reçoit cet ordre est un criminel qui mérite la mort, il doit obéir sans craindre de commettre un suicide punissable, parce qu'il ne fait en cela que ce que le bourreau devroit faire. La sentence de mort étant prononcée, ce n'est pas lui qui s'ôte la vie, c'est le juge auquel il obéit comme un instrument qui la lui ôte. Mais si cet homme est un innocent, il vaut mieux qu'il refuse d'exécuter cet ordre, parce qu'aucun souverain n'a droit sur la vie d'un innocent. On propose encore cette troisieme question, savoir si un malheureux condamné à une mort ignominieuse & douloureuse, peut s'y soustraire en se tuant lui-même. Tous les moralistes sont ici pour la négative. Un tel homme enfreint le droit que le magistrat a sur lui pour le punir, il frustre en même tems le but qu'on a d'inspirer par le châtiment de l'horreur pour des crimes semblables au sien.

Disons un mot du suicide indirect. On entend parlà toute action qui occasionne une mort prématurée, sans qu'on ait eu précisément l'intention de se la procurer. Cela se fait ou en se livrant aux emportemens des passions violentes, ou en menant une vie déreglée, ou en se retranchant le nécessaire par une avarice honteuse, ou en s'exposant imprudemment à un danger évident. Les mêmes raisons qui défendent d'attenter à sa vie directement condamnent aussi le suicide indirect, comme il est aisé de le voir.

Pour ce qui regarde l'imputation du suicide, il faut remarquer qu'elle dépend de la situation d'esprit où un homme se trouve avant & au moment qu'il se tue ; si un homme qui a le cerveau dérangé, ou qui est tombé dans une noire mélancolie, ou qui est en phrénésie, si un tel homme se tue, on ne peut pas regarder son action comme un crime, parce que dans un tel état on ne sait pas ce qu'on fait ; mais s'il le fait de propos délibéré, l'action lui est imputée dans son entier. Car quoiqu'on objecte qu'aucun homme jouissant de la raison ne peut se tuer, & qu'effectivement tous les meurtriers d'eux-mêmes puissent être regardés comme des fous dans le moment qu'ils s'ôtent la vie, il faut cependant prendre garde à leur vie précédente. C'est-là où se trouve ordinairement l'origine de leur désespoir. Peut-être qu'ils ne savent pas ce qu'ils font dans le moment qu'ils se tuent, tant leur esprit est troublé par leurs passions ; mais c'est leur faute. S'ils avoient tâché de dompter leurs passions dès le commencement, ils auroient sûrement prévenu les malheurs de leur état présent, ainsi la derniere action étant une suite des actions précédentes, elle leur est imputée avec les autres.

Le suicide a toujours été un sujet de contestation parmi les anciens philosophes : les Stoïciens le permettoient à leur sage. Les Platoniciens soutenoient que la vie est une station dans laquelle Dieu a placé l'homme, que par conséquent il ne lui est point permis de l'abandonner suivant sa fantaisie. Parmi les modernes, l'abbé de S. Cyran a soutenu qu'il y a quelques cas où on peut se tuer. Voici le titre de son livre. Question royale où est montré en quelle extrêmité, principalement en tems de paix, le sujet pourroit être obligé de conserver la vie du prince aux dépens de la sienne.

Quoiqu'il ne soit point douteux que l'Eglise chrétienne ne condamne le suicide, il s'est trouvé des chrétiens qui ont voulu le justifier. De ce nombre est le docteur Donne, savant théologien anglois, qui, sans-doute, pour consoler ses compatriotes, que la mélancolie détermine assez souvent à se donner la mort, entreprit de prouver que le suicide n'est point défendu dans l'Ecriture-Sainte, & ne fut point regardé comme un crime dans les premiers siecles de l'Eglise.

Son ouvrage écrit en anglois, a pour titre : a déclaration of that paradoxe or thesis that self-homicide is not so naturally sin & that it mai never be otherwise, &c. London 1700. ce qui signifie exposition d'un paradoxe ou systême qui prouve que le suicide n'est pas toujours un péché naturel, Londres 1700. Ce docteur Donne mourut doyen de S. Paul, dignité à laquelle il parvint après la publication de son ouvrage.

Il prétend prouver dans son livre, que le suicide n'est opposé, ni à la loi de la nature, ni à la raison, ni à la loi de Dieu révélée. Il montre que dans l'ancien Testament, des hommes agréables à Dieu se sont donné la mort à eux-mêmes ; ce qu'il prouve par l'exemple de Samson, qui mourut écrasé sous les ruines d'un temple, qu'il fit tomber sur les Philistins & sur lui-même. Il s'appuie encore de l'exemple d'Eleazar, qui se fit écraser sous un éléphant en combattant pour sa patrie ; action qui est louée par S. Ambroise. Tout le monde connoît chez les payens, les exemples de Codrus, Curtius, Decius, Lucrèce, Caton, &c.

Dans le nouveau Testament, il veut fortifier son systême par l'exemple de Jesus-Christ, dont la mort fut volontaire. Il regarde un grand nombre de martyrs comme de vrais suicides, ainsi qu'une foule de solitaires & de pénitens qui se sont fait mourir peu-à-peu. S. Clément exhorte les premiers chrétiens au martyre, en leur citant l'exemple des payens qui se dévouoient pour leur patrie. Stromat. lib. IV. Tertullien condamnoit ceux qui fuyoient la persécution, Voyez Tertullian. de fugâ, propos. II. Du tems des persécutions, chaque chrétien pour arriver au ciel affrontoit généreusement la mort, & lorsqu'on supplicioit un martyr, les assistans s'écrioient, je suis aussi chrétien. Eusebe rapporte, qu'un martyr nommé Germanus, irritoit les bêtes pour sortir plus promtement de la vie. S. Ignace, évêque d'Antioche, dans sa lettre aux fideles de Rome, les prie de ne point solliciter sa grace, voluntarius morior quia mihi utile est mori.

Bodin rapporte d'après Tertullien, que dans une persécution qui s'éleva contre les chrétiens d'Afrique, l'ardeur pour le martyre fut si grande, que le proconsul lassé lui-même de supplices, fit demander par le crieur public, s'il y avoit encore des Chrétiens qui demandassent à mourir. Et comme on entendit une voix générale qui répondoit qu'oui, le proconsul leur dit de s'aller pendre & noyer eux-mêmes pour en épargner la peine aux juges. Voyez Bodin, Demonst. lib. IV. cap. iij. ce qui prouve que dans l'Eglise primitive les chrétiens étoient affamés du martyre, & se présentoient volontairement à la mort. Ce zele fut arrêté par la suite au concile de Laodicée, canon 33. & au premier de Carthage, Canon 2. dans lesquels l'Eglise distingua les vrais martyrs des faux ; & il fut défendu de s'exposer volontairement à la mort ; cependant l'histoire ecclésiastique nous fournit des exemples de saints & de saintes, honorés par l'Eglise, qui se sont exposé à une mort indubitable ; c'est ainsi que sainte Pélagie & sa mere se précipiterent par une fenêtre & se noyerent. Voyez S. Augustin, de civit. Dei, lib. I. cap. xxvj. sainte Apollonie courut se jetter dans le feu. Baroniu dit sur la premiere, qu'il ne sait que dire de cette action, quid ad haec dicamus non habemus. S. Ambroise dit aussi à son sujet, que Dieu ne peut s'offenser de notre mort, lorsque nous la prenons comme un remede. Voyez Ambros. de virginitate, lib. III.

Le théologien anglois confirme encore son systême par l'exemple de nos missionnaires, qui de plein gré s'exposent à une mort assurée, en allant prêcher l'Evangile à des nations qu'ils savent peu disposés à le recevoir ; ce qui n'empêche point l'Eglise de les placer au rang des saints, & de les proposer comme des objets dignes de la vénération des fideles ; tels sont S. François de Xavier & beaucoup d'autres que l'Eglise a canonisés.

Le docteur Donne confirme encore sa thése par une constitution apostolique, rapportée au lib. IV. cap. vij. & cap. ix. qui dit formellement qu'un homme doit plutôt consentir à mourir de faim, que de recevoir de la nourriture de la main d'un excommunié. Athenagoras dit que plusieurs chrétiens de son tems se mutiloient & se faisoient eunuques. S. Jerôme nous apprend, que S. Marc l'évangeliste se coupa le pouce pour n'être point fait prêtre. Voyez Prolegomena in Marcum.

Enfin, le même auteur met au nombre des suicides les pénitens, qui à force d'austérités, de macérations & de tourmens volontaires, nuisent à leur santé & accélerent leur mort ; il prétend que l'on ne peut faire le procès aux suicides, sans le faire aux religieux & aux religieuses, qui se soumettent volontairement à une regle assez austere pour abréger leurs jours. Il rapporte la regle des Chartreux, qui leur défend de manger de la viande, quand même cela pourroit leur sauver la vie ; c'est ainsi que M. Donne établit son systême, qui ne sera certainement point approuvé par les théologiens orthodoxes.

En 1732, Londres vit un exemple d'un suicide mémorable, rapporté par M. Smollet dans son histoire d'Angleterre. Le nommé Richard Smith & sa femme, mis en prison pour dettes, se pendirent l'un & l'autre après avoir tué leur enfant ; on trouva dans leur chambre deux lettres adressées à un ami, pour lui recommander de prendre soin de leur chien & de leur chat ; ils eurent l'attention de laisser de quoi payer le porteur de ces billets, dans lesquels ils expliquoient les motifs de leur conduite ; ajoutant qu'ils ne croyoient pas que Dieu pût trouver du plaisir à voir ses créatures malheureuses & sans ressources ; qu'au reste, ils se résignoient à ce qu'il lui plairoit ordonner d'eux dans l'autre vie, se confiant entierement dans sa bonté. Alliage bien étrange de religion & de crime !

SUICIDE, (Jurisprud.) chez les Romains, l'action de ceux qui s'ôtoient la vie par simple dégoût, à la suite de quelque perte ou autre événement fâcheux, étoit regardée comme un trait de philosophie & d'héroïsme ; ils n'étoient sujets à aucune peine, & leurs héritiers leur succédoient.

Ceux qui se défaisoient ou qui avoient tenté de le faire par l'effet de quelque aliénation d'esprit, n'étoient point réputés coupables, ce qui a été adopté par le droit canon & aussi dans nos moeurs.

Si le suicide étoit commis à la suite d'un autre crime, soit par l'effet du remord, soit par la crainte des peines, & que le crime fût capital & de nature à mériter le dernier supplice ou la déportation, les biens du suicide étoient confisqués, ce qui n'avoit lieu néanmoins qu'en cas que le criminel eût été poursuivi en jugement ou qu'il eût été surpris en flagrant délit.

Lorsque le suicide n'avoit point été consommé, parce qu'on l'avoit empêché, celui qui l'avoit tenté étoit puni du dernier supplice, comme s'étant jugé lui-même, & aussi parce que l'on craignoit qu'il n'épargnât pas les autres ; ces criminels étoient réputés infâmes pendant leur vie, & privés de la sépulture après leur mort.

Parmi nous, tous suicides, excepté ceux qui sont commis par l'effet d'une aliénation d'esprit bien caractérisée, sont punis rigoureusement.

Le coupable est privé de la sépulture on en ordonne même l'exhumation au cas qu'il eût été inhumé ; la justice ordonne que le cadavre sera traîné sur une claie, pendu par les piés, & ensuite conduit à la voirie.

Lorsque le cadavre ne se trouve point, on condamne la mémoire du défunt.

Enfin, l'on prononçoit autrefois la confiscation de biens ; mais Mornac & l'annotateur de Loysel remarquent, que suivant la nouvelle jurisprudence, cette peine n'a plus lieu. Voyez au digest. le tit. de his qui sibi mortem consciverunt ; le trait. des crimes, de M. de Vouglans, tit. IV. ch. vij. & le mot HOMICIDE. (A)


SUIES. f. (Chimie) humidité pénétrante, noire, & grasse, qui, quand on brûle des végétaux, s'éleve en fumée & s'insinue dans les parois de la cheminée, & par sa matiere huileuse les peint d'une couleur très-noire. Cette matiere ainsi rassemblée, s'amasse sur la superficie des parois d'une cheminée en forme de flocons noirs, peu adhérens, & se détachant aisément.

La suie est proprement un charbon volatil, mais fort gras, & qui lorsqu'elle est seche, est une matiere très-inflammable. Elle est très-amere, comme les huiles brûlées ; la quantité d'huile qu'elle contient est ce qui la rend grasse. Sa noirceur lui est donnée par cette même huile brûlée, comme cela arrive à tout charbon. Elle paroît fort simple ; mais, cependant si on la résout en ses principes par la distillation, elle donne premierement une assez grande quantité d'eau, qui étant exactement séparée de toute autre chose, éteint la flamme & le feu.

La vapeur aqueuse qui s'éleve encore dans cette premiere distillation, éteint aussi tout-à-fait le feu ; desorte qu'à parler proprement, on ne peut guere l'appeller esprit. Si l'on augmente ensuite le feu, il sort de la suie une grande quantité d'huile jaunâtre, inflammable, & qui est un aliment très-convenable au feu & à la flamme.

La partie la plus subtile de cette huile qu'on appelle esprit, est aussi inflammable : on en tire cependant un sel très-volatil, un autre qui l'est moins, & un troisieme qui est plus sec. Si l'on sépare exactement ces sels de l'huile & de l'esprit, dont je viens de parler, on n'y trouvera rien d'inflammable, le sel qui restera sera entierement incombustible.

Enfin la derniere chose qu'on trouvera par cette analyse, c'est du charbon. On voit à présent ce que c'est que la suie, & ce qu'elle renferme de véritablement combustible. Si on l'ôte de la cheminée lorsqu'elle est seche, & qu'on la mette ainsi récente sur le feu, elle brûle & elle s'enflamme presqu'aussi-bien que toute autre matiere combustible ; c'est ce qu'on n'a que trop souvent occasion de remarquer : combien de fois ne voit-on pas, que si on laisse long-tems des cheminées sous lesquelles on fait ordinairement grand feu sans les nettoyer, la suie s'y amasse, le feu y prend, & la flamme sortant par le haut de la cheminée cause de fâcheux incendies. (D.J.)

SUIE, (Agriculture) on regarde en Angleterre la suie comme très-bonne pour l'engrais des terres, on croit sur-tout qu'elle est très-propre à faire périr les mauvaises herbes & les plantes aquatiques telles que les joncs & les roseaux dans les prairies basses ; on assure que lorsqu'on veut les détruire, on ne fait que les enlever avec la bêche, & l'on répand de la suie par-dessus, ce qui les empêche de revenir.

SUIE, (Teinturerie) les Teinturiers se servent de suie pour faire une couleur fauve qui est assez belle, il est vrai qu'elle est d'une très-mauvaise odeur, mais en récompense elle conserve les draps & autres étoffes de laine, contre cette espece de vers qu'on appelle teigne, qui les percent & les rongent ; elle est aussi plus propre que la racine de noyer pour faire les feuilles mortes & couleurs de poils de boeuf, surtout quand elle est employée dans un garançage où il y a du terra-merita. Les teinturiers en soie, laine & fil, appellent la suie, bidanet. Diction. du commerce. (D.J.)

SUIE, (Chim. Mat. médic.) les médecins-chimistes ont dès long-tems traité la suie par la distillation à la violence du feu pour en retirer des remedes, savoir un alkali volatil & une huile empireumatique, qui sont des produits de cette opération, & qui sont connus, dans les chimies médicinales, sous le nom de sel volatil de suie ou d'esprit de suie, selon que cet alkali volatil est sous forme concrete, ou liquide, & sous celle d'huile de suie. Mais ces produits n'ayant que les qualités très-génériques des matieres de leur genre respectif, sont à peine employés aujourd'hui, ou ne méritent du-moins aucune préférence. Voyez ALKALI VOLATIL sous le mot SEL & HUILE EMPIREUMATIQUE à l'article général HUILE. Les chimistes du même ordre, c'est-à-dire les chimistes-médecins, entre lesquels Nicolas Lemeri mérite d'être distingué, font mention d'un sel fixe de suie qu'ils croyent être un alkali fixe. S'il est tel en effet, M. Baron a raison de dire dans ses notes sur Lemeri, que les propriétés médicinales de ce sel lui sont communes avec l'alkali fixe ordinaire, qui se prépare à beaucoup moins de fraix, & qui par cette raison mérite la préférence. Mais c'est vraisemblablement accorder trop de confiance à Lemeri que de l'en croire sans examen sur la nature de ce sel, dont la génération ne seroit point cependant difficile à découvrir ; mais encore un coup, avant de s'occuper de cette recherche, il faut s'assurer si le sel fixe de la suie est un alkali.

Outre les produits dont nous venons de parler, savoir l'alkali volatil, l'huile empireumatique, & un sel fixe lexiviel, les chimistes qui, comme Boerhaave, ont examiné plus soigneusement les produits de la distillation de la suie, exécutée dans des vues philosophiques, comptent parmi ces produits un sel ammoniacal, & observent que tous les produits dont nous venons de parler, sont précédés d'une assez bonne quantité d'eau limpide.

Le sel ammoniac vulgaire, est un produit de la distillation à la violence du feu, de la suie de cheminée où l'on brûle de la bouse de vache. Voyez SEL AMMONIAC.

La suie provenue des matieres animales paroît devoir différer de celle que fournissent les matieres végétales. Peut-être que le sel ammoniac fourni par cette derniere suie, differe du sel ammoniac vulgaire ; mais je ne sache point que les chimistes ayent cherché à s'assurer de cette différence, non plus que des autres principes distinctifs de l'une & de l'autre.

Au reste, ce point de vue est bien différent de celui qu'indique Boerhaave, lorsqu'il dit, à la fin de ses réflexions sur l'analyse de la suie végétale, que la suie qu'on ramasseroit dans les cheminées de cuisine seroit fort différente de celle-là, parce qu'elle seroit fournie non-seulement par les fumées des matieres qu'on emploiroit à entretenir le feu, mais encore par celles qui s'exhaleroient des viandes qu'on cuit ; ce qui paroît à peine pouvoir altérer légerement la suie ; car cuire des viandes, ce n'est pas les brûler, ou du-moins on ne brûle que très-accidentellement & très-rarement les viandes qu'on cuit dans les cuisines, & les vapeurs qui se détachent des viandes simplement cuites, ne sont presque qu'aqueuses, ou tout-au-plus chargées de la partie aromatique de quelques assaisonnemens qu'on employe à quelques-unes de ces cuites, & d'une légere émanation qui constitue l'odeur des viandes, toutes matieres peu propres à être retrouvées dans la suie. On peut observer encore que l'analyse de la suie que Boerhaave donne comme fournissant le complément des connoissances acquises déjà sur les végétaux traités par le secours du feu dans les vaisseaux fermés, & qu'un chimiste françois qui l'a adoptée trouve décrite avec beaucoup d'exactitude & de précision ; que cette analyse, dis-je, ne sauroit fournir la moindre connoissance sur l'objet auquel Boerhaave la destine ; car cet auteur se promettant de découvrir par cette analyse les matieres que le feu ouvert chasse des corps actuellement brûlans en plein air, a très-mal choisi son sujet en prenant la suie ordinaire des cheminées, formée en partie, selon sa propre observation, par des matieres qui se sont élevées en forme de fumée, n'est point-du-tout un produit propre de l'ignition à l'air libre, mais au contraire un produit propre aux substances échauffées dans les vaisseaux fermés. La fumée qui précede l'apparition de la flamme, dans la combustion à l'air libre, est une matiere absolument identique avec les premieres vapeurs salines & huileuses qui s'élevent d'une matiere végétale dans le commencement de la distillation analytique : ainsi la suie ordinaire contient pêle & mêle, des produits pareils à ceux que le feu chasse d'un vaisseau dans un autre, selon les termes de Boerhaave, & des produits propres à la combustion dans l'air libre, & par conséquent n'est point propre à démontrer les principes que le feu enleve d'une matiere végétale qui brûle & se consume à l'air libre.

L'analyse méthodique de la suie est donc encore une chose intentée ; & pour l'exécuter de maniere à mériter véritablement cet éloge d'exactitude & de précision, il faudroit préparer à dessein une suie qui fut fournie par des matieres uniquement végétales, ou uniquement minérales, toujours enflammées, en ne les plaçant sous la cheminée destinée à recevoir cette suie qu'après qu'elles auroient cessé de fumer, & lorsqu'elles flamberoient vertement.

Un principe de la suie, qui est évidemment produit par les matieres combustibles actuellement enflammées, c'est la matiere colorante noire, qui n'est autre chose qu'un charbon très-subtil volatilisé, ou pour mieux dire, entraîné par le mouvement rapide de la flamme.

Le noir de fumée, qui est la suie des matieres résineuses qui brûlent avec flamme, ne differe de cette matiere colorante de la suie vulgaire, qu'en ce que la premiere est un charbon à-peu-près pur, & que dans la derniere ce charbon est mêlé à de l'eau & à des substances huileuses & salines. (b)


SUIFS. m. est une espece de graisse qu'on trouve dans les daims, les moutons, les boeufs, les porcs, &c. & qui étant fondue & clarifiée, fait ce qu'on appelle suif dont on fait des chandelles. Voyez GRAISSE & SUIF.

Ce mot est formé du latin suedum, sebum ou sevum qui signifie la même chose, & qui vient a sue à cause de la graisse de cet animal.

Les Anatomistes, &c. distinguent quatre sortes de graisse dans le corps d'un animal : la premiere qui se lie, & qui après qu'on l'a fondue, se refroidit & acquiert beaucoup de consistance, se nomme suif. On la trouve en grande quantité dans le bas-ventre & autour des reins.

Le P. Lecomte fait mention d'un arbre qui vient dans la Chine, & qui porte le suif. Voyez ARBRE A SUIF.

SUIF, (Pharm. & Mat. médic.) espece de graisse qui ne mérite une considération particuliere, quant à ses usages pharmaceutiques, qu'à cause de sa consistance ferme & cassante jusqu'à un certain point, à laquelle on doit avoir égard lorsqu'on l'employe dans des compositions pharmaceutiques, dont il modifie la consistance générale par cette qualité. Le suif n'a d'ailleurs que les qualités médicinales communes des graisses. Voyez GRAISSE, Chimie, &c.

On distingue dans les boutiques le suif de bélier, celui de mouton, celui de bouc, celui de boeuf, & celui de cerf.

On demande dans la Pharmacopée de Paris le suif de bélier pour l'onguent de la mere, pour le mondificatif d'ache & pour le sparadrap ; le suif de mouton, pour l'emplâtre appellé ciroëne, & pour l'onguent de litharge ; le suif du bouc, pour le baume d'Arceus & pour l'emplâtre de mélilot composé ; le suif de boeuf, pour l'emplâtre de mélilot simple ; & le suif de cerf, pour l'emplâtre de Nuremberg ; mais il est très-sûr (& c'est assurément une infidélité très-pardonnable) que les Apoticaires employent tous ces suifs fort indifféremment, à la réserve seulement du suif de cerf, qu'ils se gardent bien d'employer, au-moins dans les contrées où cette drogue est rare & chere. Des quatre autres suifs moins magnifiques, celui de bouc est le plus beau & le plus ferme, mais ses qualités méritent cependant fort peu de préférence dans l'usage pharmaceutique. (b)

SUIF, bois de, (Hist. nat.) on trouve à la Chine un arbre qui fournit une substance parfaitement semblable à du suif. Le fruit de cet arbre est renfermé dans une enveloppe qui, lorsque le fruit est mûr, s'ouvre d'elle-même comme celle de nos châtaignes, il en sort deux ou trois fruits de la grosseur d'une noisette, dont la pulpe a les mêmes propriétés que le suif, & qui, fondue avec un peu d'huile ou de cire, devient propre à faire des chandelles, dont on fait usage dans tout l'empire de la Chine. Pour séparer cette espece de suif de son fruit, on le pulvérise, après quoi on le fait bouillir dans de l'eau, à la surface de laquelle il surnage une substance semblable à de l'huile, qui se condense lorsqu'elle est refroidie, & qui prend la même consistance que le suif. On mêle dix parties de cette substance avec trois parties d'huile de lin & avec un peu de cire, afin de lui donner de la solidité, & pour l'empêcher de s'attacher aux doigts. Les Chinois donnent la forme d'un segment de cône aux chandelles faites de cette substance, que l'on y colore quelquefois en y incorporant des couleurs avec des parfums, pour en rendre l'odeur plus agréable. Les meches que l'on y met sont de coton.

Le bois de suif a précisément l'odeur du suif ordinaire.

SUIF-NOIR, (Marine) c'est un mêlange de suif & de noir, dont les corsaires frottent le fond de leurs bâtimens, afin qu'il ne paroisse pas qu'on l'a suivé.

SUIF, mettre les cuirs en suif, terme de Corroyeur & de Hongrieur, qui signifie imbiber les cuirs avec du suif chaud par le moyen d'une espece de tampon de laine, appellé gipon.


SUIFFEvoyez VANDOISE.


SUILLATES(Géog. anc.) peuples d'Italie dans l'Umbrie, selon Pline, l. III. c. xiv. Ils habitoient, à ce que croit Cluvier, Ital. l. II. p. 617. le quartier où est aujourd'hui Sigello, aux confins de la Marche-d'Ancône. (D.J.)


SUILLUS LAPIS(Hist. nat.) quelques naturalistes donnent ce nom à une pierre qui, suivant Wallerius, est un spath brun opaque, elle a l'odeur de la corne brûlée. Il s'en trouve en Suede, dans la Gothie orientale & occidentale. Mise dans le feu, elle pétille & décrépite comme le sel marin, devient blanche & se convertit en chaux. M. Hiaerne en a tiré une huile semblable à celle qu'on obtient du charbon de terre ou pétrole, & il s'attacha un sel au col de la cornue ; ce sel étoit en très-petite quantité, & avoit une odeur urineuse & le goût du sel ammoniac. Voyez Urban Hiaerne, tentamina chimica. M. Wallerius dit que cette pierre se trouve communément dans le voisinage des mines d'alun. Il en distingue de prismatique, de striée ou rayonnée & de sphérique, avec des cercles qui vont du centre à la circonférence. Voyez la Minéralogie de Wallerius.


SUINou OESIPE, s. m. (Lainage) espece de graisse ou axonge qui se trouve adhérente à la laine des moutons & brebis ; les marchands épiciers-droguistes qui en font le négoce, la vendent sous le nom d'oesipe.


SUINTEMENTSUINTER, (Gram.) termes relatifs au mouvement d'un fluide qui s'échappe presqu'insensiblement d'un corps. Dans la plûpart des cavernes, l'eau suinte d'entre les pierres ; ce vaisseau suinte ; cette plaie seroit guérie sans un léger suintement d'humeur, qu'il seroit dangereux d'arrêter.


SUIONSLES, Suiones, (Géog. anc.) peuples septentrionaux, dont parle Tacite, Germ. c. xvj. Après avoir décrit la côte de la mer Suévique, aujourd'hui la mer Baltique, il fait mention des Suïons ; Suionum, dit-il, hinc civitates, ipso in Oceano : par le mot civitates, il faut entendre des peuples : & quand il dit, ipso in Oceano, cela signifie dans une île de l'Océan, savoir la Scandie ou Scandinavie, que les anciens ont prise pour une île, quoique ce ne soit qu'une péninsule. C'est-là qu'habitoient les Suïons, partagés en divers peuples ou cités. Dans un autre endroit, Tacite, c. xlv. donne les Suïons pour voisins des Sitons : Suionibus Sitonum gentes continuantur. Enfin il dit ailleurs : " Les Suïons rendent honneur aux richesses, ce qui fait qu'ils vivent sous le gouvernement d'un seul ". Cela signifie bien, dit l'auteur de l'Esprit des loix, que le luxe est singulierement propre aux monarchies. (D.J.)


SUIPPELA, (Géog. mod.) petite riviere de France en Champagne. Elle prend sa source aux confins de l'élection de Châlons & de l'Argonne, & se perd dans l'Aisne, entre Neuchâtel & Roucy. (D.J.)


SUISSEon donne ce nom en Bourgogne à la salamandre terrestre. Voyez SALAMANDRE.

SUISSE, la, (Géog. mod.) pays d'Europe, séparé de ses voisins par de hautes montagnes. Ses bornes ne sont pas aujourd'hui les mêmes que dans le tems que ce pays étoit connu sous le nom d'Helvétie ; la Suisse moderne est beaucoup plus grande.

L'étendue du pays occupé présentement par les Suisses, par les Grisons & par leurs autres alliés, est proprement entre les terres de l'Empire, de la France & de l'Italie. Il confine vers l'orient avec le Tirol ; vers l'occident, avec la Franche-comté ; vers le nord, avec le Sungtgaw, avec la Forêt-noire & avec une partie de la Suabe ; & vers le midi, avec le duché de Savoie, la vallée d'Aoste, le duché de Milan, & les provinces de Bergame & de Bresce. Ce pays, en le prenant dans sa plus grande largeur, s'étend environ l'espace de deux degrés de latitude, savoir depuis le 45d. 45. jusqu'au-delà du 47. & demi, & il comprend environ quatre degrés de longitude, c'est-à-dire depuis le 24. jusqu'au 28. Sa longueur est conséquemment d'environ 90 lieues de France, & sa largeur de plus de 33.

De cette façon, aujourd'hui comme autrefois, la Suisse est bornée au midi par le lac de Geneve, par le Rhône & par les Alpes, qui la séparent des Vallaisans & du pays des Grisons ; mais à l'occident, elle ne se trouve bornée qu'en partie par le mont Jura, qui s'étend du sud-ouest au nord-est, depuis Geneve jusqu'au Botzberg, en latin Vocetius, comprenant au-delà du Jura le canton de Bâle, avec deux petits pays, qui autrefois étoient hors de la Suisse, & dont les habitans portoient le nom de Rauraci. A l'orient & au nord, elle est encore bornée aujourd'hui par le Rhin, à la réserve de la ville & du canton de Schaffouse, qui sont au-delà de ce fleuve & dans la Suabe.

La Suisse n'est pas seulement séparée de ses voisins, mais quelques cantons le sont l'un de l'autre par des suites de montagnes, qui leur servent également de limites & de fortifications naturelles. Elle est séparée particulierement de l'Italie par une si longue chaîne des Alpes, que l'on ne peut pas aller d'un pays à l'autre sans en traverser quelqu'une. Il n'y a que quatre de ces montagnes par lesquelles on puisse passer de la Suisse en Italie, ou du-moins n'y en a-t-il pas davantage où il y ait des chemins pratiqués communément par les voyageurs. L'une est le mont Cenis, par lequel on passe par la Savoye dans le Piémont ; la seconde est le S. Bernard, entre le pays nommé le bas-Vallais & la vallée d'Aoste ; la troisieme est le Sampion, située entre le haut-Vallais & la vallée d'Ossola, dans le Milanez ; & la quatrieme est le S. Godard, qui conduit du canton d'Ury à Bellinzona, & aux autres bailliages suisses en Italie, qui faisoient autrefois partie de l'état de Milan. C'est dans cette étendue de pays montagneux, dit le comte d'Hamilton,

Que le plus riant des vallons,

Au-lieu de fournir des melons,

Est un honnête précipice,

Fertile en ronces & chardons ;

L'on y respire entre des monts,

Au sommet desquels la genisse,

Le boeuf, la chevre, & les moutons,

Ne grimpent que par exercice,

Si fatigués, qu'ils ne sont bons

Ni pour l'usage des maisons,

Ni pour offrir en sacrifice.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer que ces montagnes soient des rocs nuds, comme celles de Gènes. Elles portent la plûpart de bons pâturages tout l'été, pour des grands troupeaux de bétail ; & l'on trouve dans certains intervalles des plaines fertiles, & d'une assez grande étendue.

La subtilité de l'air qu'on respire dans la Suisse & les diverses rivieres qui y prennent leur source prouvent que ce pays est extrêmement élevé. L'Adde, le Tésin, la Lintz, l'Aar, la Russ, l'Inn, le Rhône & le Rhin en tirent leur origine. On y peut ajouter le Danube, car quoiqu'à la rigueur il prenne naissance hors des limites de la Suisse, néanmoins c'est dans le voisinage de Schaffouse. La source de l'Ille est près de Bâle, & celle de l'Adige, quoique dans le comté de Tirol, est pourtant sur les confins des Grisons.

Entre le nombre de lacs de la Suisse, ceux de Constance, de Genève, de Neufchâtel, de Zurich & de Lucerne sont très-considérables ; les deux premiers ont près de 18 lieues de longueur, & quelquefois 2, 3 ou 4 de largeur ; ils sont également beaux & poissonneux.

Jules César est le premier qui ait fait mention du peuple helvétique comme d'une nation. Il rapporte au commencement de ses commentaires la guerre qu'il eut avec les Helvétiens. Pendant son gouvernement des Gaules, ils firent une irruption en Bourgogne, avec le dessein de se transplanter dans un pays plus agréable & plus capable que le leur, de contenir le nombre infini de monde dont ils fourmilloient. Pour exécuter d'autant mieux ce projet, ils brûlerent douze villes qui leur appartenoient, & quatre cent villages, afin de s'ôter toute espérance de retour. Après cela, ils se mirent en marche avec leurs femmes & leurs enfans, faisant en tout plus de trois cent soixante mille ames, dont près de cent mille étoient en état de porter les armes. Ils voulurent se jetter dans le gouvernement de César par la Savoye ; mais ne pouvant passer le Rhône à la vue de son armée qui étoit campée de l'autre côté de ce fleuve, ils changerent de route, & pénétrerent par la Franche-comté. César les poursuivit, & leur livra plusieurs combats avec différens succès, jusqu'à ce qu'à la fin il les vainquit dans une bataille rangée, les obligea de revenir chez eux, & réduisit leur pays à l'obéissance des Romains, le joignant à la partie de son gouvernement, appellée la Gaule celtique.

Ils vécurent sous la domination romaine jusqu'à ce que cet empire même fut déchiré par les inondations des nations septentrionales, & qu'il s'éleva de nouveaux royaumes de ses ruines. L'un de ces royaumes fut celui de Bourgogne, dont la Suisse fit partie jusque vers la fin du xij. siecle. Il arriva pour-lors que ce royaume fut divisé en plusieurs petites souverainetés, sous les comtes de Bourgogne, de Maurienne, de Savoye, de Provence, ainsi que sous les dauphins du Viennois & sous les ducs de Zéringen.

Par ce démembrement, la Suisse ne se trouva plus réunie sous un même chef. Quelques-unes de ses villes furent faites villes impériales. L'empereur Frédéric Barberousse en donna d'autres avec leur territoire (pour les posséder en fief de l'empire), aux comtes de Habspourg, desquels la maison d'Autriche est descendue. D'autres villes suisses, du moins leur gouvernement héréditaire, fut accordé au duc de Zéringen. La race de ces ducs s'éteignit dans le xiij. siecle : ce qui fournit l'occasion aux comtes de Habspourg d'aggrandir leur pouvoir dans tout le pays. Mais ce qui mit la liberté de la Suisse le plus en danger, ce fut le schisme qui partagea si fort l'empire dans le même siecle, lorsqu'Othon IV. & Frédéric II. étoient empereurs à la fois, & alternativement excommuniés par deux papes qui se succéderent. Dans ce désordre tout le gouvernement fut bouleversé, & les villes de la Suisse en particulier sentirent les tristes effets de cette anarchie ; car comme ce pays étoit rempli de nobles & d'ecclésiastiques puissans, chacun y exerça son empire, & tâcha de s'emparer tantôt d'une ville, tantôt d'une autre, sous quelque prétexte que ce fût.

Cette oppression engagea plusieurs villes de la Suisse & de l'Allemagne d'entrer ensemble en confédération pour leur défense mutuelle ; c'est par ce motif que Zurich, Ury & Schwitz conclurent une alliance étroite en 1251. Cependant cette union de villes ne se trouvant pas une barriere suffisante contre la violence de plusieurs seigneurs, la plûpart des villes libres de la Suisse, & entr'autres les trois cantons que je viens de nommer, se mirent sous la protection de Rodolphe de Habspourg, en se réservant leurs droits & leurs franchises.

Rodolphe étant devenu empereur, la noblesse accusa juridiquement les cantons de Schwitz, d'Ury & d'Underwald de s'être soustraits à leur domination féodale, & d'avoir démoli leurs châteaux. Rodolphe qui avoit autrefois combattu avec danger ces petits tyrans, jugea en faveur des citoyens.

Albert d'Autriche, au lieu de suivre les traces de son pere, se conduisit, dès qu'il fut sur le trône, d'une maniere entierement opposée. Il tâcha d'étendre sa puissance sur des pays qui ne lui appartenoient pas, & perdit par sa conduite violente, ce que son prédécesseur avoit acquis par la modération. Ce prince ayant une famille nombreuse, forma le projet de soumettre toute la Suisse à la maison d'Autriche, afin de l'ériger en principauté pour un de ses fils. Dans ce dessein, il nomma un certain Grisler baillif ou gouverneur d'Ury, & un nommé Landerberg, gouverneur de Schwitz & d'Underwald ; c'étoient deux hommes dévoués à ses volontés. Il leur prescrivit de lui soumettre ces trois cantons, ou par la corruption, ou par la force.

Ces deux gouverneurs n'ayant rien pu gagner par leurs artifices, employerent toutes sortes de violences, & exercerent tant d'horreurs & de traitemens barbares, que le peuple irrité n'obtenant aucune justice de l'empereur, & ne trouvant plus de salut que dans son courage, concerta les mesures propres à se délivrer de l'affreux esclavage sous lequel il gémissoit.

Il y avoit trois hommes de ces trois cantons dont chacun étoit le plus accrédité dans le sien, & qui pour cette raison furent les objets principaux de la persécution des gouverneurs ; ils s'appelloient Arnold Melchtal, du canton d'Underwald ; Werner Stauffacher, du canton de Schwitz ; & Walter Furst, de celui d'Ury. C'étoient de bons & d'honnêtes paysans ; mais la difficulté de prononcer des noms si respectables, a nui peut-être à leur célébrité.

Ces trois hommes naturellement courageux, également maltraités des gouverneurs, & unis tous trois par une longue amitié que leurs malheurs communs avoient affermie, tinrent des assemblées secrettes, pour délibérer sur les moyens d'affranchir leur patrie, & pour attirer chacun dans leur parti, tous ceux de son canton, auxquels il pourroit se fier, & qu'il sauroit avoir assez de coeur pour contribuer à exécuter les résolutions qu'ils prendroient. Conformément à cette convention, ils engagerent chacun trois amis sûrs dans leur complot, & ces douze chefs devinrent les conducteurs de l'entreprise. Ils confirmerent leur alliance par serment, & résolurent de faire, le jour qu'ils fixerent, un soulevement général dans les trois cantons, de démolir les châteaux fortifiés, & de chasser du pays les deux gouverneurs avec leurs créatures.

Tous les historiens nous apprennent que cette conspiration acquit une force irrésistible par un événement imprévu. Grisler, gouverneur d'Ury s'avisa d'exercer un genre de barbarie également horrible & ridicule. Il fit planter sur le marché d'Altorf, capitale du canton d'Ury, une perche avec son chapeau, ordonnant sous peine de la vie, de saluer ce chapeau en se découvrant, & de plier le genou avec le même respect que si lui gouverneur eût été là en personne.

Un des conjurés, nommé Guillaume Tell, homme intrépide & incapable de bassesse, ne salua point le chapeau. Grisler le condamna à être pendu, & par un raffinement de tyrannie, il ne lui donna sa grace, qu'à condition que ce pere, qui passoit pour archer très-adroit, abattroit d'un coup de fleche, une pomme placée sur la tête de son fils. Le pere tira, & fut assez heureux ou assez adroit pour abattre la pomme, sans toucher la tête de son fils. Tout le peuple éclata de joie, & battit des mains d'une acclamation générale. Grisler appercevant une seconde fleche sous l'habit de Tell, lui en demanda la raison, & lui promit de lui pardonner, quelque dessein qu'il eût pu avoir. " Elle t'étoit destinée, lui répondit Tell, si j'avois blessé mon fils. " Cependant effrayé du danger qu'il avoit couru de tuer ce cher fils, il attendit le gouverneur dans un endroit où il devoit passer quelques jours après, & l'ayant apperçu, il le visa, lui perça le coeur de cette même fleche, & le laissa mort sur la place. Il informa sur le champ ses amis de son exploit, & se tint caché jusqu'au jour de l'exécution de leur projet.

Ce jour fixé au premier Janvier 1308, les mesures des confédérés se trouverent si bien prises, que dans le même tems les garnisons des trois châteaux furent arrêtées & chassées sans effusion de sang, les forteresses rasées, & par une modération incroyable dans un peuple irrité, les gouverneurs furent conduits simplement sur les frontieres & relâchés, après en avoir pris le serment qu'ils ne retourneroient jamais dans le pays. Ainsi quatre hommes privés des biens de la fortune & des avantages que donne la naissance, mais épris de l'amour de leur patrie, & animés d'une juste haine contre leurs tyrans, furent les immortels fondateurs de la liberté helvétique ! Les noms de ces grands hommes devroient être gravés sur une même médaille, avec ceux de Mons, des Doria & des Nassau.

L'empereur Albert informé de son désastre, résolut d'en tirer vengeance ; mais ses projets s'évanouirent par sa mort prématurée ; il fut tué à Konigsfeld par son neveu Jean, auquel il détenoit, contre toute justice, le duché de Souabe.

Sept ans après cette avanture qui donna le tems aux habitans de Schwitz, d'Ury & d'Underwald de pourvoir à leur sûreté, l'archiduc Léopold, héritier des états & des sentimens de son pere Albert, assembla une armée de vingt mille hommes, dans le dessein de saccager ces trois cantons rebelles, & de les mettre à feu & à sang. Leurs citoyens se conduisirent comme les Lacédémoniens aux Thermopyles. Ils attendirent, au nombre de cinq cent hommes, la plus grande partie de l'armée autrichienne au pas de Morgarten. Plus heureux que les Lacédémoniens, ils porterent le désordre dans la cavalerie de l'archiduc, en faisant tomber sur elle une grêle affreuse de pierres, & profitant de la confusion, ils se jetterent avec tant de bravoure sur leurs ennemis épouvantés, que leur défaite fut entiere.

Cette victoire signalée ayant été gagnée dans le canton de Schwitz, les deux autres cantons donnerent ce nom à leur alliance, laquelle devenant plus générale, fait encore souvenir par ce seul nom, des succès brillans qui leur acquirent la liberté.

En vain, la maison d'Autriche tenta pendant trois siecles de subjuguer ces trois cantons ; tous ses efforts eurent si peu de réussite, qu'au lieu de ramener les trois cantons à son obéissance, ceux-ci détacherent au contraire d'autres pays & d'autres villes du joug de la maison d'Autriche. Lucerne entra la premiere dans la confédération en 1332. Zurich, Glaris & Zug suivirent l'exemple de Lucerne vingt ans après ; Berne qui est en Suisse ce qu'Amsterdam est en Hollande, renforça l'alliance. En 1481 Fribourg & Soleure ; en 1501 Basle & Schaffouse accrurent le nombre des cantons. En voilà douze. Le petit pays d'Appenzell, qui y fut aggrégé en 1513, fit le treizieme. Enfin les princes de la maison d'Autriche se virent forcés par le traité de Munster de déclarer les Suisses un peuple indépendant. C'est une indépendance qu'ils ont acquise par plus de soixante combats, & que selon toute apparence, ils conserveront long-tems.

Les personnes un peu instruites conviennent que le corps helvétique doit plutôt être appellé la confédération que la république des Suisses, parce que les treize cantons forment autant de républiques indépendantes. Ils se gouvernent par des principes tout differens. Chacun d'eux conserve tous les attributs de la souveraineté, & traite à son gré avec les étrangers ; leur diete générale n'est point en droit de faire des réglemens, ni d'imposer des loix.

Il est vrai qu'il y a tant de liaison entre les treize cantons, que si l'un étoit attaqué, les douze autres seroient obligés de marcher à son secours ; mais ce seroit par la relation que deux cantons peuvent avoir avec un troisieme, & non par une alliance directe, que chacun des treize cantons a avec tous les autres.

Les Suisses ne voulant pas sacrifier leur liberté à l'envie de s'aggrandir, ne se mêlent jamais des contestations qui s'élevent entre les puissances étrangeres. Ils observent une exacte neutralité, ne se rendent jamais garans d'aucun engagement, & ne tirent d'autre avantage des guerres qui désolent si souvent l'Europe, que de fournir indifféremment des hommes à leurs alliés, & aux princes qui recourent à eux. Ils croyent être assez puissans, s'ils conservent leurs loix. Ils habitent un pays qui ne peut exciter l'ambition de leurs voisins ; & si j'ose le dire, ils sont assez forts pour se défendre contre la ligue de tous ces mêmes voisins. Invincibles quand ils seront unis, & qu'il ne s'agira que de leur fermer l'entrée de leur patrie, la nature de leur gouvernement républicain ne leur permet pas de faire des progrès au-dehors. C'est un gouvernement pacifique, tandis que tout le peuple est guerrier. L'égalité, le partage naturel des hommes, y subsiste autant qu'il est possible. Les loix y sont douces ; un tel pays doit rester libre !

Il ne faut pas croire cependant que la forme du gouvernement républicain soit la même dans tous les cantons. Il y en a sept dont la république est aristocratique, avec quelque mêlange de démocratie ; & six sont purement démocratiques. Les sept aristocratiques sont Zurich, Berne, Lucerne, Basle, Fribourg, Soleure, Schaffouse ; les six démocratiques sont Ury, Schwitz, Underwald, Zug, Glaris & Appenzell. Cette différence dans leur gouvernement semble être l'effet de l'état dans lequel chacune de ces républiques se trouva, avant qu'elles fussent érigées en cantons. Car comme les sept premieres ne consisterent chacune que dans une ville, avec peu ou point de territoire, tout le gouvernement résida naturellement dans les bourgeois, & ayant été une fois restraint à leurs corps, il y continue toujours, nonobstant les grandes acquisitions de territoires qu'elles ont faites depuis. Au contraire, les six cantons démocratiques n'ayant point de villes ni de villages qui pussent prétendre à quelque prééminence par dessus les autres, le pays fut divisé en communautés, & chaque communauté ayant un droit égal à la souveraineté, on ne put pas éviter de les y admettre également, & d'établir la pure démocratie.

On sait que la Suisse prise pour tout le corps helvétique, comprend la Suisse propre, les alliés des Suisses, & les sujets des Suisses. La Suisse propre est partagée en seize souverainetés, savoir treize cantons, deux petits états souverains, qui sont le comté de NeufChâtel & l'abbaye de S. Gall, une république qui est la ville de S. Gall. Les alliés des Suisses sont les Grisons, les Vallaisans & Genève. Les sujets des Suisses sont ceux qui sont hors de la Suisse, ou ceux qui obéissent à plusieurs cantons qui les possedent par indivis.

Il y a des cantons qui sont catholiques, & d'autres protestans. Dans ceux de Glaris & d'Appenzell, les deux religions y regnent également sans causer le moindre trouble.

Je me suis étendu sur la Suisse, & je n'ai dit que deux mots des plus grands royaumes d'Asie, d'Afrique & d'Amérique ; c'est que tous ces royaumes ne mettent au monde que des esclaves, & que la Suisse produit des hommes libres. Je sais que la nature si libérale ailleurs, n'a rien fait pour cette contrée, mais les habitans y vivent heureux : les solides richesses qui consistent dans la culture de la terre, y sont recueillies par des mains sages & laborieuses. Les douceurs de la société, & la saine philosophie, sans laquelle la société n'a point de charmes durables, ont pénétré dans les parties de la Suisse où le climat est le plus tempéré, & où regne l'abondance. Les sectes de la religion y sont tolérantes. Les arts & les sciences y ont fait des progrès admirables. Enfin dans ces pays autrefois agrestes, on est parvenu en plusieurs endroits à joindre la politesse d'Athènes à la simplicité de Lacédémone. Que ces pays se gardent bien aujourd'hui d'adopter le luxe étranger, & de laisser dormir les loix somptuaires qui le prohibent !

Les curieux de l'histoire des révolutions de la Suisse consulteront les mémoires de M. de Bochat, qui forment trois volumes in-4°. Gesner, Scheuchzer & Wagner ont donné l'histoire naturelle de l'Helvétie. (D.J.)

SUISSES, privileges des Suisses en France pour leur commerce ; ils peuvent introduire dans le royaume les toiles du cru & de la fabrique de leurs pays sans payer aucuns droits. Ce privilege est fondé sur les traités que nous avons faits avec eux depuis le xv. siecle, ainsi que sur plusieurs arrêts & lettres-patentes qui ont encore expliqué & confirmé ce privilege. Le détail de tous ces titres paroît être ici superflu, il suffira d'en donner les dates. Voyez les traités de 1463, 1475, 1512, 1663 & 1715. Voyez les lettres-patentes & les arrêts de 1551, 1571, 1594, 1602, 1658, 1693, 1692 & 1698.

Sous le nom de Suisses, il faut entendre ici nonseulement les peuples des Treize Cantons, mais encore les habitans des ville & abbaye de Saint-gall, du Vallais, de la ville de Mulhausen, & enfin ceux des trois ligues grises & de la comté de Neuchatel. Ils composent tous le louable corps helvétique, & jouissent tous en France des mêmes privileges sans aucune distinction.

L'entrée des toiles étrangeres n'est permise dans le royaume que par les villes de Rouen & de Lyon, en prenant pour cette derniere des acquits à caution aux bureaux de Gex ou de Colonges, suivant un arrêt du 22 Mars 1692. Mais, en faveur des Suisses seulement, le bureau de Saint-Jean-de-Losne est ouvert comme les deux autres, par un arrêt de 1698.

La position du territoire des Suisses & de celui de leurs alliés, ne leur permet pas de faire entrer leurs toiles par Rouen ; ainsi ce n'est qu'à Lyon qu'ils exercent leurs droits, après avoir rempli néanmoins certaines formalités.

Ils sont obligés de faire inscrire leurs noms & enregistrer leurs marques au bureau de la douanne. Chaque particulier n'y est admis qu'après avoir constaté son origine devant le président en la jurisdiction de la douanne, par des certificats authentiques des magistrats des lieux de sa naissance. La vérité de ces certificats doit être attestée avec serment par deux négocians suisses déja inscrits. Ensuite le procureur du roi & le directeur de la douanne sont entendus ; & enfin lorsque rien ne s'y oppose, on expédie des lettres d'inscription, dans lesquelles il est défendu au nouvel inscrit de prêter son nom & sa marque, à peine d'être déchu de son privilege.

Il n'y a que ceux des marchands suisses qui ont rempli ces formalités, qui puissent faire entrer leurs toiles à Lyon sans payer des droits. On exige même que les balles de toiles portent l'empreinte de la marque inscrite (qui par conséquent a été envoyée à un correspondant), & qu'elles soient accompagnées des certificats des lieux d'où elles viennent, portant que ces toiles sont du cru & de la fabrique du pays des Suisses, conformément aux arrêts de 1692 & 1698.

Il semble que de la teneur de ces deux arrêts, les Suisses pourroient inférer que leurs basins doivent être exempts de droits d'entrée comme leurs toiles. Mais il est constant que leurs basins payent les droits ordinaires ; peut-être est-ce parce que tout privilege est de droit étroit, & que les basins ne sont point nommés dans ces privileges, ou bien parce que le coton dont ces basins sont en partie composés, empêche que l'on ne puisse les regarder comme marchandises du cru du pays des Suisses.

Par une concession de François I. en l'année 1515, qui est motivée pour services rendus, & entr'autres prêt d'argent, les marchands des villes impériales avoient obtenu quinze jours de délai, au-delà des quinze jours suivant immédiatement chaque foire, pendant lesquels, conformément aux édits de Charles VII. & de Louis XI. les marchandises ne payent à la sortie de Lyon aucun des droits dûs dans les autres tems. Les Suisses qui n'avoient que dix jours de grace, en demanderent quinze comme les Allemands, ce qui leur fut accordé par Henri II. le 8 Mars 1551. Pour jouir de cette faveur, ils doivent se faire inscrire à l'hôtel-de-ville comme ils le sont à la douanne pour l'affranchissement des droits d'entrée. La raison en est que ces droits de sortie, qui sont domaniaux, ont été aliénés à la ville de Lyon en 1630.

Voyez sur tout cet objet les différentes histoires des Suisses, ou au moins le recueil de leurs privileges, imprimé chez Saugrain en 1715 ; le mémoire de M. d'Herbigny, intendant de Lyon ; dans l'état de la France, par le comte de Boulainvilliers ; & le recueil des tarifs, imprimé à Rouen en 1758.

Il peut être important d'ajouter ici que les toiles de Suisse, que l'on envoye de France aux îles & colonies françoises, sont assujetties, par l'article 14. du réglement du mois d'Avril 1717, concernant le commerce de nos colonies, aux différens droits dûs à la sortie & dans l'intérieur du royaume d'une province à l'autre. Voyez PROVINCES réputées étrangeres.

L'article 3. du même réglement, a exempté de tous ces droits, dans le cas de l'envoi aux colonies, les marchandises & les denrées du cru & de la fabrique de France. Mais comme les toiles de Suisse une fois sorties de leurs ballots, n'ont plus rien qui les caractérise, il paroît qu'il seroit aisé de les envoyer à-travers tout le royaume, de Lyon à la Rochelle, pour passer à nos colonies comme toiles françoises.

Afin de prévenir tout abus à cet égard, on pourroit exiger que les toiles de Suisse reçussent dans leur pays, ou lors de l'ouverture des balles en France, une marque particuliere & distinctive. Cette idée s'est présentée si naturellement, que j'ai cru devoir l'ajouter à cet article avant de le terminer. Article de M. BRISSON, inspecteur des manufactures, & académicien de Ville-Franche en Beaujolois.


SUITES. f. (Gram.) enchaînement, liaison, dépendance, qui détermine un ordre successif entre plusieurs choses. On dit les suites d'une affaire ; la suite de la débauche ; la suite d'un raisonnement ; la suite d'un prince ; c'est à la suite d'une affaire ; une suite d'événemens fâcheux ; une suite de sottises ; la suite de l'histoire ecclésiastique ; une suite de médailles de poëtes.

SUITE en Algebre, est la même chose que serie. Voyez SERIE.

SUITE, (Jurisprud.) signifie la continuation ou la poursuite d'une chose.

Suivre le barreau, c'est le fréquenter, y assister.

Etre à la suite de la cour ou du conseil, c'est se tenir auprès & à ses ordres.

Faire suite d'une demande ou procédure, c'est continuer les poursuites commencées.

Suites de bêtes, dans la coutume de Berry & autres coutumes, c'est proprement une revendication que fait celui qui a donné du bétail à cheptel, lorsqu'il est vendu à son insçu par le preneur.

Suite se prend quelquefois pour le croît du bétail. On dit croît & suite ; la coutume de Touraine, article 100, dit que ceux qui ont droit de faultrage & préage, avec faculté de mettre dans les prés dont ils jouissent des vaches & bêtes chevalines avec leur suite, n'y peuvent mettre que le croît & suite de l'année seulement, c'est-à-dire, les veaux & poulins de l'année.

Suite de dixme, ou dixme de suite. Voyez DIXME.

Suite par hypotheque, est lorsqu'en vertu de l'hypotheque on poursuit le détenteur d'un bien qui est hypothéqué à une créance. On dit communément que les meubles n'ont pas de suite par hypotheque, c'est-à-dire, que quand ils sont déplacés du lieu où on les avoit donnés en nantissement, on ne les peut pas saisir entre les mains d'un tiers, si ce n'est en cas de banqueroute ou par droit de revendication. Voyez l'article 270 de la coutume de Paris.

Suite de personnes serves, c'est la revendication que peut faire le seigneur de ses hommes serfs, lorsque sans son consentement ils vont demeurer hors de sa seigneurie. Voyez les coutumes de Berry, Nivernois, Bourbonnois, Bourgogne, Comté.

Droit de suite du châtelet de Paris, est un droit particulier, en vertu duquel lorsqu'un commissaire du châtelet de Paris a apposé le scellé, il doit être par lui apposé par droit de suite dans tous les lieux où il peut se trouver des effets du défunt, & l'inventaire doit être fait de même par les notaires du châtelet, ou par ceux des lieux auxquels les officiers du châtelet délivrent des commissions à cet effet.

Ce droit de suite n'a été établi par aucune loi précise ; il paroît tirer son origine de ce qu'anciennement le scel du châtelet étoit unique & universel pour tout le royaume ; on s'en servoit même, au défaut du grand, pour sceller les actes de chancellerie.

Ce scel étant exécutoire dans toute l'étendue du royaume, il est naturel que les officiers du châtelet ayant commencé à instrumenter en vertu de ce sceau, continuent de le mettre à exécution dans tous les lieux où il y a occasion de le faire.

Ce droit de suite résulte d'ailleurs de l'indivisibilité de la matiere, & l'on argumente pour cela du titre du code ubi de haereditate agatur, & des interprétations que les docteurs lui ont donné, tantôt en fixant la compétence du juge par le lieu où se trouvent les choses héréditaires ou la plus grande partie, par le lieu du domicile du défunt, ce qui doit sur-tout avoir lieu en France, où les meubles suivent le domicile du défunt pour la maniere d'y succéder.

Quoi qu'il en soit des motifs qui ont pu faire introduire cet usage, il est certain qu'il a été autorisé par plusieurs réglemens ; il l'est implicitement par un édit du mois de Décembre 1477, qui donne pour motif d'une nouvelle création de commissaires-examinateurs, que le roi avoit recouvré par ses conquêtes plusieurs duchés, comtés, villes, châteaux, seigneuries & possessions, ce qui donnoit, est-il dit, beaucoup plus d'étendue à la jurisdiction du châtelet, tant à cause des privileges de l'université qu'autrement ; motif qui suppose que les commissaires peuvent apposer le scellé dans tout le royaume par droit de suite.

Ce même droit a été autorisé par divers arrêts.

On peut néanmoins voir ce que dit à ce sujet l'auteur du recueil des réglemens sur les scellés & inventaires, liv. II. ch. ix. lequel prétend que ce droit de suite n'est point particulier aux offices du châtelet, qu'il ne résulte que de l'indivisibilité du scellé & de l'inventaire ; il prétend même que divers arrêts qu'il rapporte ont mis des bornes à ce privilege, mais il est certain que les officiers du châtelet ont pour eux la possession. Voyez le traité de la police par de la Mare, tom. I. liv. I. tit. 12. le style du châtelet.

Quelques autres officiers jouissent aussi du droit de suite pour les scellés, comme Messieurs de la chambre des comptes sur les biens des comptables, en quelque endroit du royaume que ces biens soient situés ; mais c'est moins en vertu d'un privilege attaché à leur sceau, qu'en conséquence de leur jurisdiction, qui s'étend par-tout sur les biens des personnes qui sont leurs justiciables. Voyez ATTRIBUTION, COMPETENCE, PRIVILEGE. (A)

SUITE, (Art numismat.) les antiquaires appellent suite, l'arrangement qu'ils donnent à leurs médailles, de grand, moyen & petit bronze, comme nous l'avons expliqué au mot médaille. Voyez MEDAILLE.

Mais la méthode la plus ordinaire est de former les suites par le côté de la médaille qu'on nomme la tête, & c'est de cette distribution dont nous allons entretenir ici les curieux.

Il y a dans les médailles parfaites deux côtés à considerer, qui contribuent à leur beauté & à leur rareté ; le côté qu'on appelle la tête, & celui qu'on appelle le revers. Le côté de la tête détermine les suites, & fixe l'ordre & l'arrangement de chacune, soit qu'effectivement l'on y voie la tête d'un personnage, comme d'un dieu, d'un roi, d'un héros, d'un savant, d'un athlete, soit qu'il s'y rencontre autre chose qui tienne lieu de la tête, & qu'on ne laisse pas cependant de nommer ainsi, comme une figure, un nom, ou quelque monument public, dont l'inscription est mise de l'autre côté.

De ces différentes têtes dont nous parlons, se forment cinq ordres différens de médailles, dont on peut composer des suites fort curieuses. Dans le premier on met la suite des rois. Dans le second celle des villes, soit grecques, soit latines ; soit avant, soit après la fondation de l'empire romain. Dans le troisieme se rangent les familles romaines, dont les médailles se nomment aussi consulaires. Dans le quatrieme, les impériales, & toutes celles qui y ont rapport. Dans le cinquieme, les déités, soit qu'elles se trouvent sur les médailles en simple buste, soit qu'elles y soient tout de leur haut, & revêtues de leurs qualités, & de leurs symboles. On y voit les héros & les hommes illustres dont on a conservé les médailles, comme Homere, Pythagore, & certains capitaines grecs & latins, &c.

Dans le premier ordre, qui est celui des rois, les suites peuvent être fort belles, & même très-nombreuses, si l'on veut mêler les métaux, car il nous reste beaucoup de médailles grecques de ce genre. M. Vaillant nous a donné les rois de Syrie, dont il a formé une histoire pleine de savantes remarques. Le titre de son livre est Seleucidarum imperium, sive historia regum Syriae ad fidem numismatum accommodata, P. 1701, in-4°. Il a ramassé dans cet ouvrage la suite complete des rois de Syrie depuis Séleucus I. dit Nicator, jusqu'à Antiochus XIII. du nom appellé Epiphanes, Philopator, Callinicus, & connu par la qualité d'asiatique, ou Comagene ; c'est-à-dire, que M. Vaillant a renfermé dans son histoire numismatique le regne de 27 rois, qui fait l'espace de plus de 250 ans ; puisque Séleucus commença de regner environ l'an 312 avant J. C. & que le dernier Antiochus finit environ l'an 75. On trouve dans cet ouvrage une suite de 120 médailles, gravées & expliquées avec beaucoup de netteté.

Le même auteur nous a donné les rois d'Egypte, dont il a fait un recueil très-curieux, intitulé historia Ptolemaeorum Aegypti regnum ad fidem numismatum accommodata. Amst. 1701, in-fol. Près de 20 ans après la mort de ce savant antiquaire, on a publié en deux volumes de sa main, & achevé avant sa mort, l'ouvrage qui regarde les médailles & l'histoire des rois Parthes, des rois du Pont, du Bosphore & de Bithynie. Le premier volume est intitulé, Arsacidarum imperium sive regnum Parthorum historia ad finem numismatum accommodata ; & le second : Achaemenidarum imperium, sive regnum Ponti, Bosphori & Bithyniae historia, ad fidem numismatum accommodata. Paris, 1725, in-4°. Il seroit à souhaiter que quelqu'un nous donnât de même l'histoire des rois de Macédoine, de Thrace, de Cappadoce, de Paphlagonie, d'Arménie, de Numidie, par les médailles ; nous avons celle des rois de l'Osrhoesne, & de la Bactriane, par M. Bayer.

Il se voit des rois goths, dont les médailles ont passé jusqu'à nous, soit en bronze, soit en argent. Quelques-unes ne sont pas méprisables. Telles sont celles d'Athalaric, de Wiligez, de Baduela, & de Thela. On en trouve même d'or, mais d'un or très-pâle & très bas, où M. Patin dit qu'il n'y a que la quatrieme partie de fin. On ne peut point former de suites de pareilles médailles.

Dans le deuxieme ordre, qui est celui des villes, on trouve de quoi faire des suites considérables ; des seules villes grecques, l'on peut en ramasser plus de 250 ; j'entends à n'en prendre qu'une de chaque ville : car les différens revers conduiroient beaucoup plus loin.

Goltzius paroît y avoir travaillé avec beaucoup d'application, parce qu'il regardoit ces monumens non-seulement comme un embellissement, mais encore comme des preuves de son histoire. Il en a composé un gros ouvrage où il y a beaucoup à apprendre ; & où l'on trouve de quoi entendre les types différens de ces médailles, qu'il semble n'avoir pas voulu se donner la peine d'expliquer plus distinctement. Nous les avons depuis l'an 1618, gravées autrefois par Goltzius même, réparées & imprimées de nouveau par Jacques de Bie à Anvers, en plus de cent tables, & mises à la tête de deux tomes de l'histoire grecque de ce même Goltzius. Le premier contient la grande Grece & la Sicile. Le second comprend la Grece même, les îles de la Grece, & une partie de l'Asie. Le plus grand chagrin des antiquaires, c'est qu'on a perdu la meilleure partie des médailles que Goltzius avoit ramassées, & que de 30 provinces dans lesquelles il avoit divisé toute la suite, il n'en est resté que les cinq moindres : la Colchide, la Cappadoce, la Galatie, le Pont, & la Bithynie.

M. de Boze possédoit un volume entier manuscrit des médailles de Goltzius, toutes dessinées fort exactement. Il seroit à souhaiter qu'on les fît graver, parce qu'il y en a quantité de fort rares ; le nombre va jusqu'à près de sept mille toutes impériales, depuis Jules César jusqu'à Justinien, outre celles que nous avons déja du même auteur, gravées dans l'histoire qu'il nous a donnée des trois premiers Césars, Jules, Auguste & Tibere. Il est vrai qu'on n'est point d'accord sur la confiance qu'on doit donner à Goltzius. Chez plusieurs antiquaires, ce célebre artiste passe pour avoir rapporté quantité de médailles qui n'ont jamais existé : desorte que sa destinée est comme celle de Pline entre les naturalistes, que tout le monde admire, & que personne ne veut croire ; cependant l'on découvre tous les jours de ces médailles que l'on prétendoit avoir été faites à plaisir par ce fameux antiquaire, comme l'on découvre tous les jours de ces merveilles de la nature, qu'on regardoit comme d'agréables imaginations, que Pline avoit rapportées, sur la foi de gens à qui il avoit trop déféré.

Les médailles des colonies pourroient faire chez les curieux qui aimeroient la géographie ancienne, une suite différente de celle-ci, fort nombreuse, fort agréable, & fort aisée, avec le secours que nous avons maintenant pour la former, & pour la bien entendre. Je parle de ces villes où les Romains envoyoient des citoyens, soit pour décharger Rome d'un trop grand nombre d'habitans, soit pour récompenser les vieux soldats, en leur distribuant des terres & des établissemens. On donnoit aussi le nom de colonies à des villes que les Romains bâtissoient de nouveau ; & l'on accordoit le même titre à d'autres villes, dont les habitans obtenoient le droit de citoyens romains, ou le droit du pays latin, qu'on appelloit jus civitatis, ou jus latii. Ces villes conservoient le nom de colonie ou de municipe, soit qu'elles fussent dans la Grece, soit qu'elles fussent ailleurs ; car les Grecs regardoient ce mot , comme un mot consacré, qu'ils avoient adopté par respect.

Le nombre des médailles de colonies deviendroit encore bien plus grand pour en former des suites, si l'on y joignoit toutes les villes qui ont battu des médailles en leur nom, sans considérer si elles sont impériales ou non ; si elles sont grecques ou latines : mais pour perfectionner un cabinet en ce genre, il faudroit y placer comme tête, ce qui est revers dans les impériales, ensorte que la figure de l'empereur n'y seroit considérée que par accident. Nous avons indiqué au mot médaille, les beaux ouvrages qui ont été publiés sur cette matiere ; nous ajouterons seulement ici, que les têtes des médailles des villes, ne sont ordinairement que le génie de la ville même, ou de quelqu'autre déité qui y étoit honorée, comme il est aisé de le voir dans le recueil de Goltzius.

Les médailles consulaires font, dans le troisieme ordre, une suite très-nombreuse, comme nous le dirons ci-après. Cette suite néanmoins, a peu de choses curieuses, pour les légendes & pour les types ; si ce n'est dans les médailles qui ont été frappées depuis la décadence de la république, & qui devroient commencer naturellement la suite des impériales. Avant ces tems-là, ces sortes de médailles, représentent simplement la tête de Rome casquée, ou celle de quelque déité, & le revers est ordinairement une victoire traînée dans un char, à deux ou à quatre chevaux.

Il est vrai que vers le septieme siecle de Rome, les triumvirs monétaires se donnerent la liberté de mettre sur les médailles, les têtes des hommes illustres qu'ils comptoient parmi leurs ancêtres, & de les y représenter, soit sous leur figure propre, soit sous celle de la divinité tutélaire de leur famille. Cet usage eut lieu jusqu'à la décadence de la république, que l'on commença à graver sur les médailles les têtes de Jules-César, des conjurés qui le tuerent, des triumvirs qui envahirent la souveraine puissance, & de tous ceux qui eurent depuis part au gouvernement ; jusqu'à ces malheureux tems, il n'étoit permis à personne de graver sa tête sur la monnoie : ce privilege étant regardé comme une suite de la royauté, dont le nom même fut toujours odieux aux Romains.

Il faut remarquer ici que Jules-César fut le premier dont on ait mis, de son vivant, la tête sur la monnoie. On trouve ensuite des médailles d'or & d'argent avec la tête de M. Brutus, dont quelques-unes ont au revers une espece de bonnet entre deux poignards ; mais il n'y a point apparence que ces médailles aient été frappées à Rome, où son parti n'étoit pas le plus fort ; elles le furent, selon Dion, lorsque Brutus passa en Asie pour y joindre Cassius, après s'être rendu maître de la Macédoine, & d'une partie de la Grece. Au reste, jusqu'à présent on ne connoit point de médaille de Brutus aussi singuliere que celle qu'a fait graver le savant marquis Scipion Maffei, où l'on voit d'un côté la tête de Jules-César couronné de laurier, avec le bâton augural devant, & pour légende Julius-Caesar ; au revers, la tête de Brutus sans couronne, un poignard derriere, & ces mots : M. Brutus. Mais il faut avouer que cette médaille est suspecte par trop de raisons, pour ne pas croire que c'est une médaille de coin moderne.

Dans le Thesaurus Morellianus, on trouve deux cent six familles romaines, dont on a fait graver deux mille quatre cent quinze médailles, sans comprendre dans ce nombre ni les médailles qu'on n'a pu attribuer à aucune famille particuliere, & qui vont à cent trente-cinq, ni les médailles consulaires qui ne se trouvent que dans les fastes de Goltzius.

Il s'agit maintenant d'indiquer l'arrangement qu'on donne aux familles consulaires. Leur suite peut se faire en deux façons ; l'une, selon la méthode d'Ursini ; l'autre, selon celle de Goltzius.

Ursini a suivi l'ordre alphabétique des noms différens des familles qui se lisent sur les médailles, mettant ensemble toutes celles qui paroissent appartenir à la même maison. Cette maniere manque d'agrément, mais elle a la vérité, la réalité & la solidité.

Goltzius a fait la suite des familles par les fastes consulaires, rangeant sous chaque année les médailles des consuls. Cette deuxieme maniere est sans-doute belle & savante, mais par malheur elle n'a que de l'apparence ; & dans la vérité, l'exécution en est impossible. 1°. Parce que nous n'avons aucune médaille des premiers consuls, depuis l'an 244 jusqu'en l'an 485 : ce qui a obligé Goltzius de mettre à leur place seulement les noms de ces magistrats, selon qu'ils se trouvent dans les fastes. 2°. Depuis l'an 485 jusqu'à l'empire d'Auguste, les médailles que Goltzius rapporte n'ont point été frappées ni par les consuls, ni pour les consuls dont elles portent le nom, mais seulement par les Monétaires qui étant de la même famille, ont voulu conserver leur nom ou celui de leurs ancêtres. C'est ce qu'il est nécessaire d'observer, pour corriger l'erreur des jeunes curieux, qui s'imaginent que les médailles consulaires sont ainsi nommées, parce qu'elles ont été frappées pour les consuls qui entroient toutes les années en charge ; quoique dans le vrai, on ne leur ait donné ce nom que parce qu'elles ont été battues du tems que la république étoit gouvernée par les consuls.

Parlons à-présent des médailles impériales qui constituent notre quatrieme ordre, & où l'on trouve toutes les têtes nécessaires, pour faire la suite complete des empereurs jusqu'à nos jours. On estime particulierement les antiques, & parmi les antiques celles qui composent le haut-empire, que l'on renferme entre Jules-César & les trente tyrans. Il ne laisse pas d'y en avoir d'assez bien frappées & d'assez curieuses jusqu'à la famille de Constantin, où finit toute la belle curiosité. Occo, médecin allemand à Augsbourg, nous en a donné la premiere description dès l'année 1579. Son livre fut imprimé à Anvers, & le nombre des médailles qu'il ramassoit s'étant toujours grossi, il en fit une seconde édition à Augsbourg en 1601, qui est la bonne. Le comte Mezza-Barba en a donné une troisieme édition, augmentée de plusieurs milliers.

On fait un cinquieme ordre de suites de médailles ; c'est celle des déïtés, parce que l'on commence à rechercher ces sortes de médailles avec soin, à cause du plaisir qu'il y a d'y voir les noms des divinités, les symboles, les temples, les autels & les pays où elles étoient honorées. On en peut former une belle suite de bronze par le moyen des villes grecques, où l'on en trouve une très-grande quantité ; mais la plus agréable est celle d'argent que fournissent les médailles des familles. Il y en a quantité dans le cabinet du roi, & l'on peut porter cette suite beaucoup plus loin que dans l'un & dans l'autre métal, si l'on veut emprunter les revers des impériales, où les déïtés sont représentées plus agréablement encore que sur les médailles des familles, tant parce qu'elles y ont tous leurs titres différens, que parce qu'elles y sont ordinairement représentées de toute leur grandeur ; desorte que l'on y distingue l'habillement, les armes, les symboles, & les villes où elles ont été plus particulierement honorées.

Le P. Jobert a imaginé une sixieme suite qui seroit composée de toutes les personnes illustres dont nous avons les médailles, comme des fondateurs des villes & des républiques. Bizas, Tomus, Nemausus, Taras, & c. Smyrna, Amastris, &c. des reines, Cléopatre, Zénobie, &c. des plus fameux législateurs, Lycurgue, Zaleucus, Pittacus ; des grands hommes, comme Pythagore, Archimede, Euclide, Hippocrate, Chrysippe, Homere, & semblables personnages, recommandables par leur science ou par leur sagesse ; très-assûrément on verroit avec plaisir une suite pareille, si, comme le remarque M. de la Bastie, on avoit lieu d'espérer de la porter à une certaine perfection.

Plusieurs antiquaires ont depuis long-tems essayé de nous donner des suites de têtes des hommes illustres de l'antiquité ; mais la plupart de ceux qui ont eu cette pensée, ont jugé qu'il étoit impossible d'en ramasser beaucoup, s'ils se contentoient de s'attacher aux têtes qui se trouvent sur les médailles ; c'est pourquoi ils y ont ajouté celles qui se sont conservées par le moyen des statues & des bustes, en marbre ou en bronze, & même des pierres gravées. Je ne connois pas de recueil en ce genre plus ancien que celui qui fut publié à Rome par Achille Stace, savant portugais, sous ce titre : Illustrium virorum, ut extant in urbe expressi vultus, 1569, fol.

Cette collection fut considérablement augmentée par les soins de Fulvio Ursini, & réimprimée à Rome sous ce titre : Imagines & elogia virorum illustrium, ex lapidibus & numismatibus, expressa cum annotationibus, ex bibliothecâ Fulvii Ursini, Rom. 1570, fol. Le cabinet d'Ursini ayant encore reçu de nouvelles augmentations, Théodore Gallaeus, dans un voyage qu'il fit à Rome, dessina de nouveau les têtes des hommes illustres qu'il y remarqua ; il y joignit les desseins de ce qu'il trouva dans les autres cabinets romains ; & de retour en France, il les grava, & les publia avec ce titre : Illustrium imagines ex antiquis marmoribus, numismatibus, & gemmis expressae, quae extant Romae, major pars apud Fulvium Ursinum. Theodorus Gallaeus delineabat Romae ex archetypis incidebat, Antverp. 1598, ex officinâ Plantin. in-4°. Il n'y avoit dans ce livre que 151 images ; mais l'on y en ajouta 17 nouvelles, lorsqu'on imprima le commentaire de Jean Faber sur ces portraits : Joannis Fabri Bambergensis medici romani, in imagines illustrium ex Fulvii Ursini bibliothecâ Antverpiae à Theodoro Gallaeo expressas commentarius, Antverp. ex off. Plant. 1606, in-4°.

Enfin dans le siecle passé, il parut deux recueils encore plus amples de têtes d'hommes illustres ; l'un en italien, l'autre en latin. Le premier est intitulé : Iconografia, cioè disegni d'imagini di famosissimi monarchi, filosofi, poeti, ed oratori del antichità, cavati del Angelo Canini, dè frammenti de marmi antichi, è de gioé, medaglie d'argento, d'oro, è simili metalli, Romae 1669, fol. Le second a pour titre : Veterum illustrium philosophorum, poëtarum, rhetorum imagines, ex vetustis nummis, gemmis, hermis, marmoribus, aliisque antiquis monumentis desumptae, à Joan. Petro Bellorio expositionibus illustratae, Rom. 1685, fol.

Quoique dans tous ces recueils il n'y ait pas plus de 200 têtes différentes, on a cependant été obligé d'y faire entrer également les médailles, les médaillons, les contorniates, les statues, les bustes & les pierres gravées. De plus, dans ces mêmes recueils, & principalement dans les trois premiers : il y a près de la moitié des têtes copiées d'après les médailles qui entrent plus naturellement dans d'autres suites, comme celles des rois d'Egypte, de Syrie, de Bithynie, du Pont, des familles romaines, & même des empereurs : il faut outre cela prendre garde que quelques-unes de ces têtes ayant été trouvées sans inscription, ont été nommées au hasard, & que les inscriptions de plusieurs autres sont très-certainement fausses & modernes.

Si l'on veut donc se renfermer dans les bornes que le P. Jobert prescrit ici à une suite de têtes de personnes illustres représentées sur les médailles, on ne peut se flatter de la rendre bien nombreuse. Il ne seroit cependant pas bien inutile d'essayer jusqu'où l'on pourroit la pousser ; mais il faudroit éviter de suivre l'exemple de M. Seguin, qui ayant destiné le second chapitre de son livre de médailles choisies à celles des hommes illustres, ne l'a presque rempli que des têtes de divinités & de rois. Haym en a fait aussi des articles dans son Tesoro Britanico, tome I. p. 124-149. & tome II. p. 57-76.

Au reste, la maniere de ranger les cabinets dépend de l'inclination de chaque particulier, & du nombre de médailles qu'il possede. Mais comme il n'y a que les grands princes qui puissent avoir des cabinets complets, c'est-à-dire enrichis de toutes les différentes suites dont nous avons parlé, il faut que les autres hommes se bornent à quelques-unes, en évitant de mêler les métaux & les grandeurs. Quelque grande que soit la tentation, quand on ne veut point gâter son cabinet, il est bon d'avoir le courage d'y résister.

Après tout, les savans ont aujourd'hui la facilité d'étudier les plus nombreuses suites dans les catalogues détaillés de médailles qui sont entre les mains de tout le monde. Ces ouvrages, en rendant publiques d'immenses collections, multiplient en quelque sorte les cabinets, les exposent à plus de regards, & mettent les Antiquaires en état de comparer ensemble un plus grand nombre de ces monumens, & de les éclaircir l'un par l'autre. La lecture de tous les catalogues est non-seulement utile par les objets qu'elle offre à la curiosité, mais elle a encore l'avantage d'indiquer ce qui manque aux plus riches cabinets. Enfin elle nous procure quelquefois la connoissance des médailles rares, que leurs possesseurs se déterminent à publier, soit par vanité, soit par un sentiment plus noble. C'est par ce dernier motif que se conduisit M. de Valois en publiant en 1746 les médailles curieuses de la suite qu'il avoit formée, & qu'il accompagna de remarques historiques. Toutes ces choses concourent à éteindre la connoissance de l'art numismatique. (D.J.)


SUIVABLEadj. (Manuf. en laine) un fil suivable est un fil filé égal, & qui ne barre point l'étoffe.


SUIVANTadj. & subst. (Gram.) celui qui suit, qui accompagne. Le jour suivant ; un marchand suivant la cour ; un suivant d'Apollon.


SUIVANTES. f. (Littérat.) c'est dans la comédie un rôle subalterne de femme. La suivante est attachée au service d'une autre femme ; c'est la confidente de cette femme ; c'est elle qui la conseille bien ou mal, qui la révolte contre ses parens, ou qui la soumet à leurs volontés ; qui conduit son intrigue, qui parle à l'amant, qui ménage l'entrevûe, &c. en un mot, qui lui rend à-peu-près les mêmes services que l'amant reçoit de son valet, avec lequel la suivante est toujours en assez bonne intelligence. La suivante est communément rusée, intéressée, fine, à-moins qu'il ne plaise au poëte d'en disposer autrement, & de placer de l'honnêteté, du courage, du bon esprit & de la vertu même dans ce rôle.


SUIVER(Marine) voyez ESPALMER.


SUIVREv. act. (Gram.) marcher sur les pas d'un autre. Les jeunes animaux suivent leur mere. Suivez ce chemin, c'est le plus sûr & le plus court : il faut le suivre, & voir ce qu'il devient. Quand il parut, tout son monde le suivoit ; je l'ai suivi dans tous ses tours & retours. On suit une affaire, un bon exemple, un beau modele, la parti des armes, une femme, un ministre, un discours, un prédicateur, la bonne doctrine, son génie, &c.

SUIVRE, terme de Chasse, le limier suit les voies d'une bête qui va d'assûrance ; quand elle fuit, on dit qu'il la chasse.


SUIZELA, (Géog. mod.) petite riviere de France en Champagne. Elle a sa source dans l'élection de Langres, & vient se joindre à la Marne un peu audessus de Chaumont. (D.J.)


SUJETS. m. (Gouvernement civil) on nomme sujets tous les membres de l'état, par opposition au souverain, soit que l'autorité souveraine ait été déférée à un seul homme, comme dans une monarchie, ou à une multitude d'hommes réunis, comme dans une république : ainsi le premier magistrat de cette république même, est un sujet de l'état.

On devient membre ou sujet d'un état en deux manieres, ou par une convention expresse, ou par une convention tacite.

Si c'est par une convention expresse, la chose est sans difficulté ; à l'égard du consentement tacite, il faut remarquer que les premiers fondateurs des états, & tous ceux qui dans la suite en sont devenus membres, sont censés avoir stipulé que leurs enfans & leurs descendans auroient, en venant au monde, le droit de jouir des avantages communs à tous les membres de l'état, pourvu néanmoins que ces descendans, parvenus à l'âge de raison, voulussent de leur côté se soumettre au gouvernement, & reconnoître l'autorité du souverain.

Je dis pourvu que les descendans reconnoissent l'autorité du souverain, car la stipulation des peres ne sauroit avoir par elle-même la force d'assujettir les enfans malgré eux, à une autorité à laquelle ils ne voudroient pas se soumettre ; ainsi l'autorité du souverain sur les enfans des membres de l'état, & réciproquement les droits que ces enfans ont à la protection du souverain, & aux avantages du gouvernement, sont établis sur un consentement réciproque.

Or de cela seul, que les enfans des citoyens parvenus à un âge de discrétion, veulent vivre dans le lieu de leur famille, ou dans leur patrie, ils sont par cela même censés se soumettre à la puissance qui gouverne l'état, & par conséquent ils doivent jouir, comme membres de l'état, des avantages qui en sont les suites ; c'est pourquoi aussi les souverains une fois reconnus, n'ont pas besoin de faire prêter serment de fidélité aux enfans qui naissent depuis dans leurs états.

Les sujets d'un état sont quelquefois appellés citoyens ; quelques-uns ne font aucune distinction entre ces deux termes, mais il est mieux de les distinguer. Celui de citoyen doit s'entendre de tous ceux qui ont part à tous les avantages, à tous les privileges de l'association, & qui sont proprement membres de l'état, ou par leur naissance, ou d'une autre maniere ; tous les autres sont plutôt de simples habitans, ou des étrangers passagers que des citoyens ; pour les serviteurs, le titre de citoyens ne leur convient qu'en tant qu'ils jouissent de certains droits, en qualité de membres de la famille d'un citoyen, proprement ainsi nommé, & en général, tout cela dépend des loix & des coutumes particulieres de chaque état.

Quant au devoir des sujets, nous nous contenterons de remarquer, qu'ils sont ou généraux ou particuliers, les uns & les autres découlent de leur état & de leur condition.

Tous les citoyens ont cela de commun, qu'ils sont soumis au même souverain, au même gouvernement, & qu'ils sont membres d'un même état ; c'est de ces relations que dérivent les devoirs généraux ; & comme ils occupent les uns & les autres différens emplois, différens postes dans l'état, qu'ils exercent aussi différentes professions, de-là naissent leurs devoirs particuliers. Il faut encore remarquer que les devoirs des sujets supposent & renferment les devoirs de l'homme considéré simplement comme tel, & comme membre de la société humaine en général.

Les devoirs généraux des sujets ont pour objet, ou les conducteurs de l'état, ou tout le corps du peuple & la patrie, ou les particuliers d'entre les concitoyens. A l'égard des conducteurs de l'état, tout sujet leur doit l'obéissance que demande leur caractere. Par rapport à la patrie, un bon citoyen se fait une loi de lui faire honneur par ses talens, sa probité, & son industrie : ces devoirs particuliers sont attachés aux différens emplois qu'il a dans la société.

Mais c'est un droit naturel à tous les peuples libres, que chaque sujet & citoyen a la liberté de se retirer ailleurs, s'il le juge convenable, pour s'y procurer la santé, les nécessités, & les commodités de la vie, qu'il ne trouve pas dans son pays natal.

Les Romains ne forçoient personne à demeurer dans leur état, & Cicéron appelle cette maxime, le fondement le plus ferme de la liberté, qui consiste à pouvoir retenir ou céder son droit sans y renoncer, comme on le juge à propos ; voici ses propres termes. O jura praeclara atque divinitùs jam indè à principio romani nominis à majoribus nostris comparata.... ne quis invitus civitate mutetur, neve in civitate maneat invitus ; haec sunt enim fundamenta firmissima nostrae libertatis, sui quemque juris & retinendi & dimittendi esse dominum. Orat. pro L. Corn. Balbo.

On cesse aussi d'être sujet ou citoyen d'un état, quand on est banni à perpétuité, en punition de quelque crime ; car du moment que l'état ne veut plus reconnoître quelqu'un pour un de ses membres, & qu'il le chasse de ses terres, il le tient quitte des engagemens où il étoit en tant que citoyen ; les Jurisconsultes appellent cette peine mort civile. Au reste, il est bien évident que l'état, ou le souverain, ne peut pas chasser un citoyen de ses terres quand il lui plaît, & sans qu'il l'ait mérité par aucun crime.

On peut enfin perdre la qualité de sujet d'un état, par l'effet d'une force supérieure de la part d'un ennemi, par laquelle on est obligé de se soumettre à sa domination : c'est encore là un cas de nécessité, fondé sur le droit que chacun a de pourvoir à sa conservation.

Je finis par répondre à la question la plus importante qu'on fasse sur les sujets, vis-à-vis des souverains. On demande donc si un sujet peut exécuter innocemment un ordre qu'il sait être injuste, & que son souverain, lui prescrit formellement ; ou s'il doit plutôt refuser constamment d'obéir, même au péril de perdre la vie ?

Hobbes répond qu'il faut bien distinguer, si le souverain nous commande de faire, en notre propre nom, une action injuste qui soit réputée nôtre, ou bien s'il nous ordonne de l'exécuter en son nom & en qualité de simple instrument, & comme une action qu'il répute sienne. Au dernier cas, il prétend que l'on peut sans crainte exécuter l'action ordonnée par le souverain, qui alors en doit être regardé comme l'unique auteur, & sur qui toute la faute en doit retomber. C'est ainsi, par exemple, que les soldats doivent toujours exécuter les ordres de leur prince, parce qu'ils agissent comme instrumens, & au nom de leur maître. Au contraire, il n'est jamais permis de faire en son propre nom une action injuste, directement opposée aux lumieres d'une conscience éclairée. C'est ainsi qu'un juge ne doit jamais, quelque ordre qu'il en ait du prince, condamner un innocent ni un témoin à déposer contre la vérité.

Mais, cette distinction ne leve point la difficulté ; car de quelque maniere qu'un sujet agisse dans tous les cas illicites, soit en son nom, soit au nom du souverain, sa volonté concourt à l'action injuste & criminelle qu'il exécute. Conséquemment, ou il faut toujours lui imputer en partie l'une & l'autre action, ou l'on ne doit lui en imputer aucune. Il est donc vrai que dans tout ordre du souverain évidemment injuste, ou qui nous paroît tel, il faut montrer un noble courage, refuser de l'exécuter, & résister de toutes ses forces à l'injustice, parce qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, quel que soit leur rang sur la terre. En promettant au souverain une fidele obéissance, on n'a jamais pu le faire que sous la condition tacite qu'il n'ordonneroit rien qui fût contraire aux loix de Dieu, soit naturelles, soit revélées. " Je ne croyois pas, dit Antigone à Créon, roi de Thebes, que les édits d'un homme mortel tel que vous, eussent tant de force, qu'ils dûssent l'emporter sur les loix des dieux mêmes, loix non écrites à la vérité, mais certaines & immuables ; car elles ne sont pas d'hier ni d'aujourd'hui ; on les trouve établies de tems immémorial ; personne ne sait quand elles ont commencé ; je ne devois donc pas par la crainte d'aucun homme, m'exposer, en les violant, à la punition des dieux. " C'est un beau passage de Sophocle, Tragédie d'Antigone, vers 463. (D.J.)

SUJET, s. m. (Log. Gram.) En Logique, le sujet d'un jugement, est l'être dont l'esprit apperçoit l'existence sous telle ou telle relation à quelque modification ou maniere d'être. En Grammaire, c'est la partie de la proposition qui exprime ce sujet logique. Le sujet peut être simple ou composé, incomplexe ou complexe ; propriétés qui ont été développées ailleurs, & dont il n'est plus nécessaire de parler ici. Voyez CONSTRUCTION & sur-tout PROPOSITION. (B. E. R. M.)

SUJET, (Poésie) c'est ce que les anciens ont nommé dans le poëme dramatique la fable, & ce que nous nommons encore l'histoire ou le roman. C'est le fond principal de l'action d'une tragédie ou d'une comédie. Tous les sujets frappans dans l'histoire ou dans la fable, ne peuvent point toujours paroître heureusement sur la scene ; en effet leur beauté dépend souvent de quelque circonstance que le théâtre ne peut souffrir. Le poëte peut retrancher ou ajouter à son sujet, parce qu'il n'est point d'une nécessité absolue, que la scene donne les choses comme elles ont été, mais seulement comme elles ont pu être.

On peut distinguer plusieurs sortes de sujets ; les uns sont d'incidens, les autres de passions ; il y a des sujets qui admettent tout-à-la-fois les incidens & les passions. Un sujet d'incidens, est lorsque d'acte en acte, & presque de scene en scene, il arrive quelque chose de nouveau dans l'action. Un sujet de passion, est quand d'un fond simple en apparence, le poëte a l'art de faire sortir des mouvemens rapides & extraordinaires, qui portent l'épouvante ou l'admiration dans l'ame des spectateurs.

Enfin les sujets mixtes sont ceux qui produisent en même tems la surprise des incidens & le trouble des passions. Il est hors de doute que les sujets mixtes sont les plus excellens & ceux qui se soutiennent le mieux. (D.J.)

SUJET, (Peinture) On appelle sujets en Peinture, tout ce que l'art du pinceau peut imiter. Ainsi pour transcrire ici les judicieuses réflexions de M. l'abbé du Bos, nous dirons avec lui, que tout ce qui tombe sous le sens de la vue peut devenir un sujet d'imitation. Quand les imitations que la peinture nous en présente, ont le pouvoir de nous attacher, tout le monde dit que ce sont là des sujets heureux. La représentation pathétique du sacrifice de la fille de Jephté, de la mort de Germanicus sont, par exemple, des sujets heureux. On néglige pour les contempler des sujets grotesques ; & même les paysages les plus rians & les plus gracieux. L'art de la peinture n'est jamais plus applaudi que lorsqu'elle réussit à nous affliger ; & si je ne me trompe fort, généralement parlant, les hommes trouvent encore plus de plaisir à pleurer qu'à rire au théâtre.

Il résulte de cette réflexion, que dès que l'attrait principal du peintre est de nous émouvoir par des imitations capables de produire cet effet, il ne sauroit trop choisir les sujets intéressans ; car comment serons-nous attachés par la copie d'un original incapable de nous affecter ?

Ce n'est pas assez que le sujet nous intéresse, il faut encore que ce sujet se comprenne distinctement & qu'il imite quelque vérité ; le vrai seul est aimable. De plus, le peintre ne doit introduire sur sa toile que des personnages dont tout le monde, dumoins le monde devant lequel il doit produire ses ouvrages, ait entendu parler. Il faut que ce monde les connoisse déja ; car le peintre ne peut faire autre chose que de les lui faire reconnoître.

Il est des sujets généralement connus ; il en est d'autres qui ne sont bien connus que dans certains pays : les sujets les plus connus généralement dans toute l'Europe, sont tous les sujets tirés de l'Ecriture-sainte. Voilà pourquoi Raphaël & le Poussin ont préféré ces sujets aux autres. Les principaux événemens de l'histoire des Grecs & celle des Romains, ainsi que les avantures fabuleuses des dieux qu'adoroient ces deux nations, sont encore des sujets généralement connus.

Il n'en est pas ainsi de l'histoire moderne, tant ecclésiastique que prophane. Chaque pays a ses saints, ses rois, & ses grands personnages très-connus, & que tout le monde y reconnoît facilement, mais qui ne sont pas reconnus de même en d'autres pays. Saint Pierre vétu en évêque, & portant sur la main la ville de Bologne, caractérisée par ses principaux bâtimens & par ses tours, n'est pas une figure connue en France généralement comme elle l'est en Lombardie. Saint Martin coupant son manteau, action dans laquelle les Peintres & les Sculpteurs le représentent ordinairement, n'est pas d'un autre côté une figure aussi connue en Italie qu'elle l'est en France.

C'est à tort peut-être que les Peintres se plaignent de la disette des sujets, la nature est si variée, qu'elle fournit toujours des sujets neufs à ceux qui ont du génie. Un homme né avec du génie, voit la nature que son art imite, avec d'autres yeux que les personnes qui n'ont pas de génie. Il découvre une différence infinie entre des objets, qui aux yeux des autres hommes paroissent les mêmes. Il fait si bien sentir cette différence dans son imitation, que le sujet le plus rebattu, devient un sujet neuf sous sa plume ou son pinceau. Il est pour un grand peintre une infinité de joies & de douleurs différentes qu'il sait varier encore par les âges, par les tempéramens, par les caracteres des nations & des particuliers, & par mille autres moyens. Comme un tableau ne représente qu'un instant d'une action, un peintre né avec du génie, choisit l'instant que les autres n'ont pas encore saisi ; ou s'il prend le même instant, il l'enrichit de circonstances tirées de son imagination, qui font paroître l'action un sujet neuf. Or c'est l'invention de ces circonstances qui constitue le poëte en peinture.

Combien a-t-on fait de crucifimens depuis qu'il est des peintres ? Cependant les artistes doués de génie, n'ont pas trouvé que ce sujet fût épuisé par mille tableaux déja faits. Ils ont su l'orner par des traits nouveaux de poésie, & qui paroissent néanmoins tellement propres au sujet, qu'on est surpris que le premier peintre qui a médité sur la composition d'un crucifiment, ne se soit pas saisi de ces idées. C'est ce qu'ont prouvé Rubens, le Poussin & Coypel par leurs tableaux sur la crucifixion de Notre-Seigneur. En un mot, les peintres qui tiennent leur vocation du génie, trouveront toujours des sujets neufs dans la nature ; & pour parler figurément, leurs devanciers ont laissé plus de marbres dans les carrieres qu'ils n'en ont tiré pour le mettre en oeuvre.

Ce n'est pas assez d'avoir trouvé des sujets heureux, intéressans, & connus à imiter ; les Peintres doivent observer en traitant les sujets qu'ils ont choisis, de n'y rien mettre contre la vraisemblance. Les hommes ne sont guere touchés d'un événement qui leur paroît sensiblement impossible.

Enfin, il est encore des sujets plus propres à chaque genre de peinture qu'à d'autres genres de peinture. Le sacrifice d'Iphigénie, par exemple, ne convient qu'à un tableau où le peintre puisse donner à ses figures une certaine grandeur. Un pareil sujet ne veut pas être représenté avec de petites figures destinées à l'embellissement d'un paysage. Un sujet grotesque ne veut pas être traité avec des figures aussi grandes que le naturel. Des figures plus grandes que nature, ne seroient point propres à représenter sur toile une Vénus. (D.J.)

SUJET, en Musique, se dit du chant principal, sur lequel roule toute la disposition d'une piece ou d'un morceau de musique, & dont toutes les autres parties ne sont que l'accompagnement. Quelquefois le sujet est à la basse, plus souvent dans les dessus, rarement dans les parties moyennes. Dans les musiques, qu'on appelle duo, trio, quatuor, &c. le sujet est ordinairement distribué entre plusieurs parties, ce qui le rend plus difficile à traiter.

Le sujet est la partie la plus importante du dessein. Voyez DESSEIN. Toutes les autres ne demandent que du raisonnement & de l'art. Celle-ci seule dépend uniquement du génie, & c'est en elle que consiste l'invention. Les principaux sujets en musique produisent des imitations, des fugues, des basses-contraintes, &c. Voyez ces mots.

Enfin, sujet se dit encore du texte ou des paroles sur lesquelles on compose de la musique. (S)


SUKOTYRou SUKOTARIO, s. m. (Zoolog.) nom que les Chinois donnent à un très-gros animal remarquable par ses cornes, & qui paroît être le taureau carnivore des anciens.

Cet animal est de la grandeur d'un grand boeuf ; il a le museau approchant de celui d'un cochon ; deux oreilles longues & rudes ; une queue épaisse & touffue. Ses yeux sont placés perpendiculairement dans la tête, d'une maniere tout-à-fait différente de ce qu'ils sont dans d'autres animaux. De chaque côté de la tête, tout proche des yeux, il sort une longue corne ou plutôt une dent, non pas tout-à-fait aussi épaisse que la dent d'un éléphant. Il paît l'herbe dans les endroits deserts & éloignés.

Nieuhof, dont nous tenons cette description & qui nous a donné la figure de cet animal, ajoute, sans en être peut-être trop instruit, qu'on le prend fort rarement. Nous ne connoissons en Europe de cette bête que sa paire de cornes, qui est d'une grandeur extraordinaire, & dont le chevalier Hans Sloane, qui en avoit dans son cabinet, a communiqué le détail suivant à MM. de l'académie des Sciences.

Ces cornes furent trouvées dans un magasin qu'avoit à Wapping M. Doyly, homme fort curieux, & dont une certaine étoffe d'été porte le nom. Il en fit présent au chevalier Hans. Elles étoient assez gâtées, & les vers les avoient rongées profondément dans leur surface en divers endroits ; personne ne put instruire M. Doyly de quel pays elles étoient venues, ni en quel tems, & de quelle maniere elles avoient été mises dans ce magasin. Quoiqu'il en soit, on les a représentées dans les Mémoires de l'académie de Sciences, année 1727.

Elles sont assez droites à une distance considérable de la base, & puis se courbant, elles vont insensiblement se terminer en pointe. Elles ne sont pas rondes, mais un peu plates & comprimées, avec des sillons larges & transversaux sur leur surface, ondées par-dessous. La grandeur des deux cornes n'est pas tout-à-fait la même ; la plus longue a six piés six pouces & demi, mesure d'Angleterre ; son diametre à la base est de sept pouces, & sa circonférence d'un pié & demi. Elle pesoit vingt-deux livres, & contenoit dans sa cavité un galon & une pinte d'eau. L'autre corne étoit un peu plus petite, pesoit par conséquent un peu moins, & ne contenoit pas tout-à-fait autant de liqueur.

Le capitaine d'un vaisseau des Indes ayant considéré ces cornes chez le chevalier Hans, l'assûra que c'étoit celle d'une grande espece de boeuf indien, qu'il avoit eu occasion de voir dans ses voyages. Plusieurs autres raisons ont aussi convaincu le chevalier Hans que cet animal est le boeuf ou le taureau qui se trouve dans l'Ethiopie & d'autres contrées au milieu de l'Afrique, & qui a été décrit par Agatharchide Cnidien, & par les autres anciens écrivains, quoique ce qui doit paroître étrange, peu d'auteurs modernes en ayent fait mention. Nous parlerons au long de cet animal au mot TAUREAU SAUVAGE.

C'est assez de dire ici que Bernier, dans sa relation des états du grand-mogol, tome II. p. 43. remarque que parmi plusieurs présens qui doivent être offerts par deux ambassadeurs de l'empereur d'Ethiopie à Aureng-Zeb, il se trouvoit une corne de boeuf prodigieuse remplie de civette ; que l'ayant mesurée, il trouva que la base avoit demi-pié en diametre. Il ajoute que cette corne, quoiqu'elle fût apportée par les ambassadeurs à Delhi où le grand-mogol tenoit alors sa cour, ne lui fut pourtant pas présentée, parce que se trouvant courts d'argent, ils avoient vendu la civette en route.

Gesner, Icon. anim. quadrup. Tiguri 1560, p. 34. parle & donne la figure d'une corne fort grande, qu'il dit avoir vu suspendue à une des colonnes de la cathédrale de Strasbourg, & qui paroît être de la même espece que les cornes en question. Il ajoute que l'ayant mesurée le long de la circonférence extérieure, il trouva qu'elle avoit quatre verges romaines en longueur ; & il pense que ç'avoit été la corne d'un grand & vieux urus, taureau sauvage, que vraisemblablement on avoit suspendu dans cet endroit à cause de sa grandeur extraordinaire. Quant aux cornes de la collection du chevalier Hans Sloane, ce savant naturaliste conjecture que, du tems que les Anglois avoient un grand commerce à Ormus, elles y furent portées avec d'autres marchandises, & ensuite envoyées ou apportées en Angleterre par quelque personne curieuse. (D.J.)


SULACISLE, (Géog. mod.) on écrit aussi Xula & Xul, île de la mer des Indes, & l'une des Moluques. Elle est entre l'île Célebes & la nouvelle Guinée, à cinquante lieues sud-ouest de l'île de Ternate, environ à 142. 35 de longitude, sous le 2 d. de latitude méridionale. Ses habitans vont tous nuds. (D.J.)


SULÉVESS. m. pl. (Mytholog.) divinités champêtres, qu'on trouve au nombre de trois sur un ancien marbre : elles sont assises tenans des fruits & des épis ; on ne sait point l'origine de leur nom, & elles n'ont point d'autres symboles qui les fasse connoître. (D.J.)


SULLANUMCIVILE BELLUM, (Antiq. Rom.) c'est ainsi qu'Eutrope nomme la guerre civile de Sylla, qui jointe à celle des alliés d'Italie Sociale Italicum, dura dix ans, pendant lesquelles périrent plus de cent cinquante mille hommes, trente-trois personnages consulaires, sept préteurs, soixante édiles, deux cent sénateurs, sans parler du nombre innombrable d'hommes de toutes les parties d'Italie. (D.J.)


SULLONIACIS(Géog. anc.) ou Sulloniaca, ou Sullomaca, ville de la Grande-Bretagne. Elle est marquée dans l'itinéraire d'Antonin, sur la route du retranchement à Portus-Rutupin, entre Verolamium à Londinium, à neuf milles de la premiere de ces places, & à douze milles de la seconde. On s'accorde à dire que c'est présentement Brockley-Hills, où l'on découvre assez souvent des médailles, des urnes sépulcrales, & d'autres monumens d'antiquité. (D.J.)


SULLY(Géog. mod.) ou Sully sur Loire, petite ville de France dans le Gatinois sur la Loire, à 8 lieues au-dessus d'Orléans, avec titre de duché-pairie érigé en 1606 en faveur de la maison de Béthune. Il y a une collégiale dédiée à St. Ythier, & le duc de Sully nomme aux bénéfices du chapitre. Long. 20. 4. latit. 47. 48.

Sully, (Maurice de) célébre évêque de Paris, nâquit à Sully dans le xij. siecle, & prit le nom du lieu de sa naissance. Sa famille étoit obscure, mais sa science & sa vertu lui procurerent l'évêché de Paris après la mort de Pierre Lombard. Il étoit magnifique, car non-seulement il jetta les fondemens de l'église de Nôtre-Dame de Paris, mais il est encore le fondateur des abbayes de Herivaux & de Hermieres. Il mourut l'an 1196, & fut enterré dans l'abbaye de S. Victor, où l'on lit son épitaphe. (D.J.)

SULLY, isle, (Géog. mod.) petite ville d'Angleterre dans le Glomorghan-Shire, un peu au-dessous de l'embouchure du Taf, vers une petite pointe de terre. Cette île est voisine d'une autre appellée Barry, & toutes deux ne sont séparées de la terre que par un petit détroit. (D.J.)


SULMO(Géog. anc.) premiere ville d'Italie. C'est une de celles que Ptolémée, l. III. donne aux Peligni. César fait mention de cette ville au premier livre de la guerre civile, c. xviij. Il la connoît seulement sous le nom de ses habitans qu'il nomme Salmonenses, & il ajoute qu'elle est à sept milles de Corfinium. Silius Italicus l. viij. v. 510, donne à Sulmo l'épithéte de gelidus, à cause de sa situation près des deux rivieres dont les eaux sont très-froides.

Cette ville devint par la suite colonie Romaine ; car on lit dans Frontin : Sulmona eâ lege est adsignata, & ager Eserniae : or Eserniae, selon le même auteur ne fut colonie Romaine que sous Néron. Cette ville subsiste encore présentement. On la nomme Sulmona.

C'est la patrie d'Ovide, comme il nous l'apprend lui-même. Trist. l. IV. Eleg. 9.

Sulmo mihi patria, & gelidis uberrimus undis.

Ovidius Nason (Publius) chevalier romain, a été le poëte le plus galant de l'antiquité. Il ne se contenta pas de faire des conquêtes de galanterie, il apprit aussi au public l'art d'aimer, & l'art de se faire aimer ; c'est-à-dire qu'il réduisit en systême une science pernicieuse, & qui n'a pour but que le deshonneur des familles. Auguste le relégua fort loin, à Tomer dans la basse-Moësie, pour des raisons qui nous sont inconnues, & que personne n'a pu deviner. Il mourut dans son triste exil âgé de 60 ans, étant né l'an de Rome 711. Il paroît que la meilleure édition de ses oeuvres est celle de M. Burmann. Lugd. Batav. 1722. 4. vol. in-4°.

Le plus bel ouvrage de ce poëte, dont nous entretiendrons ici le lecteur, est celui des Métamorphoses, & c'est aussi de cet ouvrage que l'auteur espéroit principalement l'immortalité de son nom. Il prédit qu'il résistera au fer & au feu, à la foudre & aux injures du tems. On sait par coeur les neuf vers qui en font la conclusion.

Jamque opus exegi, quod nec Jovis ira, nec ignes,

Nec poteret ferrum, nec edax abolere vetustas ;...

Ore legar populi : perque omnia saecula famâ,

Si quid habent veri vatum praesagia, vivam.

Cette prédiction n'a point été démentie, & ne le sera que quand le monde tombera dans la barbarie. Il faut croire que la traduction en prose de l'abbé Banier, & ce qui vaut mieux, celle de Dryden & de Garth en vers subsisteront encore longtems ; mais il faudroit être bien dupe pour s'imaginer qu'un certain poëme intitulé de Vetulâ, est un ouvrage d'Ovide ; ce poëme a paru à Wolfembutel l'an 1662, & sa premiere édition est de 1534 ; cet ouvrage barbare est vraisemblablement la production d'un chrétien du bas Empire.

Ovide avoit composé ses métamorphoses avant le tems de sa disgrace ; se voyant condamné au bannissement, il les jetta dans le feu, soit par dépit, soit parce qu'il n'y avoit pas encore mis la derniere main, comme il nous l'apprend lui-même. Trist. l. I. Eleg. 7. v. 13. Quelques copies qu'on avoit déja tirées de ce bel ouvrage, ont été cause qu'il n'a point péri.

L'auteur souhaita qu'en cas qu'il mourût au pays des Getes, ses cendres fussent portées à Rome, & que l'on mît sur son tombeau l'épitaphe qu'il se fit lui-même ; en voici la fin, Trist. l. III. Eleg. 3. v. 59.

Hic ego qui jaceo, tenerorum lusor amorum,

Ingenio perii, Naso poeta, meo.

At tibi qui transis, ne sit grave, quisquis amasti,

Dicere, Nasonis molliter ossa cubent.

Il trouva non-seulement de l'humanité parmi les Getes, mais aussi beaucoup de bonté & de faveur ; ils l'aimerent, l'honorerent singulierement, lui accorderent des exemptions, & lui témoignerent leur estime singuliere par des decrets publics en son honneur. Il est vrai que les descriptions que le poëte fit de leur pays, ne leur plurent pas, mais il les adoucit par des excuses. Un italien délicat & maigre comme lui, souffroit réellement dans une région froide, & voisine d'un peuple qui faisoit continuellement des irruptions. Il écrivit pendant son exil une infinité de vers ; comme il manquoit de conversation, & qu'il n'aimoit ni à boire ni à jouer, les muses furent toute sa ressource.

Il faut mettre au nombre de ses bonnes qualités, celle de n'avoir point été satyrique. Il étoit pourtant très-capable de faire des vers piquans, car dans son poëme contre Ibis, qu'il écrivit un peu après son exil, il n'y eut jamais de fiel plus amer que celui qu'il y versa, ni des malédictions ou des anathèmes plus atroces. Bayle & M. de Chaufepié ont fait un article fort curieux de cet aimable poëte. (D.J.)


SULMONou SULMONE, (Géog. mod.) anciennement Sulmo par les Romains, ville d'Italie, au royaume de Naples, dans l'Abruzze-citérieure sur la Sora. Elle a dès le vj. siecle un évêché qui releve aujourd'hui du saint Siege. Long. 31. 37. latit. 42. 6.

Ciofani, (Ercole) littérateur du xvj. siecle, nâquit à Sulmone. L'honneur d'être le compatriote d'Ovide, lui fit entreprendre de donner des observations sur les métamorphoses de ce poëte, & on lui en sait bon gré, car ses observations ne sont pas seulement savantes, mais écrites d'un style pur, élégant & fleuri. (D.J.)


SULPICESAINT, (Géog. mod.) ou S. Sulpice de Lézadois, petite ville de France dans le haut-Languedoc, au diocèse de Rieux, à deux lieues de Rieux, & à quatre de Toulouse. Cette petite place suit le droit écrit, & fait partie de la commanderie de Reineville de l'ordre de Malthe. Il n'y a point de gabelle dans cette ville, elle est très-pauvre, ne fait aucun commerce, & sa taille est réelle ; son premier consul entre aux états de Languedoc, & n'y a nul crédit. (D.J.)


SULTANS. m. (Hist. mod.) ce mot qui est arabe, signifie empereur ou seigneur ; on croit qu'il vient de selatat qui signifie conquérant ou puissant. Le nom de sultan tout court, ou précédé de l'article le désigne alors l'empereur des Turcs ; cependant le titre de padischah est réputé plus excellent ; & les Turcs appellent le sultan Padischahi Alem Penah, c'est-à-dire, empereur, le refuge & le protecteur du monde, ou bien on le nomme Aliothman Padischahi, empereur des enfans d'Othman. Voyez l'article SCHAH. On donne aussi le titre de sultan au fils du kan de la Tartarie Crimée. Le mot sultanum est chez les Turcs un titre de politesse qui répond à celui de monsieur parmi nous.

Le sultan exerce sur ses sujets l'empire le plus despotique. Selon la doctrine des Turcs, leur empereur a le privilege de mettre à mort impunément chaque jour, quatorze de ses sujets, sans encourir le reproche de tyrannie ; parce que, selon eux, ce prince agit souvent par des mouvemens secrets, par des inspirations divines, qu'il ne leur est point permis d'approfondir ; ils exceptent cependant le parricide & le fratricide qu'ils regardent comme des crimes, même dans leurs sultans. Cela n'empêche point que les freres des empereurs n'ayent été souvent les premieres victimes qu'ils ont immolées à leur sûreté. Les sultans les plus humains les tiennent dans une prison étroite dans l'intérieur même du palais impérial ; on ne leur permet de s'occuper que de choses puériles, & très-peu propres à leur former l'esprit, & à les rendre capables de gouverner. Malgré ce pouvoir si absolu des sultans, ils sont souvent eux-mêmes exposés à la fureur & à la licence d'un peuple furieux & d'une soldatesque effrenée qui les dépose & les met à mort, sous les prétextes les plus frivoles.

Le lendemain de son avénement au trône, le sultan va visiter en grand cortege un couvent qui est dans un des faubourgs de Constantinople ; là le scheik ou supérieur du monastere, lui ceint une épée, & pour conclure la cérémonie, il lui dit : allez, la victoire est à vous ; mais elle ne l'est que de la part de Dieu. Jamais l'empereur ne peut se dispenser de cette cérémonie qui lui tient lieu de couronnement.

On n'aborde le sultan qu'avec beaucoup de formalités ; nul mortel n'est admis à lui baiser la main ; le grand visir, lorsqu'il paroît en sa présence, fléchit trois fois le genou droit ; ensuite touchant la terre de sa main droite, il la porte à sa bouche & à son front, cérémonie qu'il recommence en se retirant.

Le sultan n'admet personne à sa table ; nul homme n'ose ouvrir la bouche sans ordre dans son palais ; il faut même y étouffer jusqu'aux envies de tousser ou d'éternuer ; on ne se parle que par signe ; on marche sur la pointe des piés ; on n'a point de chaussure, & le moindre bruit est puni avec la derniere sévérité.

Les résolutions prises par le sultan passent pour irrévocables, quelqu'injustes qu'elles soient ; il ne peut jamais se rétracter. Ses ordres sont reçus comme s'ils venoient de Dieu même, & c'est une impiété que d'y désobéir ; quand il veut faire mourir un grand visir, il lui signifie sa sentence par écrit en ces termes : tu as mérité la mort, & notre volonté est qu'après avoir accompli l'abdest (c'est-à-dire, l'ablution de la tête, des mains & des piés ordonnée par la loi), & fait le namaz ou la priere selon la coutume, tu résignes ta tête à ce messager que nous t'envoyons à cet effet. Le visir obéit sans hésiter, sans quoi il seroit deshonoré & regardé comme un impie & un excommunié. Le sultan prend parmi ses titres celui de zillulah qui signifie image ou ombre de Dieu : ce qui donne à ses ordres un caractere divin, qui entraine une obéissance aveugle.

Malgré tout ce pouvoir, le sultan ne peut point toucher, sans la nécessité la plus urgente, au trésor public de l'état, ni en détourner les deniers à son usage particulier : ce qui occasionneroit infailliblement une révolte ; ce prince n'a la disposition que de son trésor particulier, dont le gardien s'appelle hasnadar bachi, & dans lequel du tems du prince Cantemir, il entroit tous les ans jusqu'à vingt-sept mille bourses, chacune d'environ 1500 livres argent de France ; c'est dans ces trésors qu'entrent toutes les richesses des bachas & des visirs que le sultan fait ordinairement mourir, après qu'ils se sont engraissés de la substance des peuples dans leurs différentes places qu'ils ont occupées. La confiscation de leurs biens appartient de droit à leur maître.

Les sultans sont dans l'usage de marier leurs soeurs & leurs filles dès le berceau aux visirs & aux bachas ; par-là ils se déchargent sur leurs maris du soin de leur éducation ; en attendant qu'elles soient nubiles, ceux-ci ne peuvent point prendre d'autre femme avant que d'avoir consommé leur mariage avec la sultane ; souvent le mari est mis à mort avant d'avoir rempli cette cérémonie ; alors la femme qui lui étoit destinée, est mariée à un autre bacha. En moins d'un an la soeur d'Amurath IV. eut quatre maris, sans que le mariage eût été consommé par aucun d'eux ; aussi-tôt que la cérémonie nuptiale tiroit à sa conclusion, le mari étoit accusé de quelque crime, on le mettoit à mort, & ses biens étoient adjugés à sa femme ; mais on prétend qu'ils entroient dans les coffres de l'empereur.

Les sultans ont un grand nombre de concubines. Dans les tems du Bairam ou de la pâque des Mahometans, les bachas envoyent à leur souverain les filles les plus charmantes qu'ils peuvent trouver ; parmi ces concubines il se choisit des maîtresses, & celles qui ont eu l'honneur de recevoir le sultan dans leurs bras & de lui plaire, se nomment sultanes hasekis. voyez cet article. Voyez l'histoire ottomane du prince Cantemir.


SULTAN-CHÉRIF(terme de relation) titre du prince qui gouverne la Mecque. Ce prince étoit d'abord soumis & tributaire du grand-seigneur ; mais dans la division de l'empire musulman, la race du prophete s'est conservé la souveraineté & la possession de la Mecque & de Médine, sans être dans la dépendance de personne ; c'est alors qu'on a donné à ces princes le titre de sultans-chérifs, pour marquer leur prééminence. D'ailleurs tous les autres princes mahométans ont pour eux & pour les lieux qu'ils possedent, une extrême vénération, leur envoyant souvent des offrandes & des présens considérables. Enfin les sultans-chérifs ont usurpé un grand pays sur les Abyssins, lesquels ne possedent plus aujourd'hui de port en propriété sur la mer Rouge. (D.J.)


SULTANES. f. (Hist. mod.) maîtresse ou concubine du grand-seigneur. Nous ne disons pas son épouse, parce que la politique des empereurs turcs ne leur permet pas d'en prendre. Sultane favorite est une des femmes du serrail que le sultan a honoré de ses faveurs, & qu'on nomme aseki sultana. Voyez ASEKI.

Sultane regnante est la premiere de toutes qui donne un enfant mâle au grand-seigneur. On l'appelle ordinairement bujuk aseki, c'est-à-dire, la premiere ou la grande favorite.

Sultane validé est la mere de l'empereur regnant, comme nous disons la reine mere.

Toutes ces sultanes sont renfermées dans le serrail sous la garde d'eunuques noirs & blancs, & n'en sortent jamais qu'avec le grand-seigneur, mais dans des voitures si exactement fermées, qu'elles ne peuvent ni voir ni être vues.

Quand le grand-seigneur meurt, ou perd l'empire par quelque révolution, toutes ces sultanes sont confinées dans le vieux serrail.

Sultane est aussi le nom que les Turcs donnent à leurs plus gros vaisseaux de guerre.

SULTANE, en terme de Confiseur, ce sont des petits ouvrages d'assortiment & de symmétrie dont on se sert pour garnir quelque tourte ou autre chose.


SULTANIou SULTANIA, (Géog. mod.) ville de Perse, dans l'Irac-Agémi, sur les frontieres de l'Azerbijane, dans une plaine terminée par une montagne. Sultan Mahomet Chodabande fit bâtir Sultanie des ruines de l'ancienne ville de Tigranocerta, & en fit le siege de son empire ; c'est de là qu'elle a pris le nom de Sultanie, qui veut dire ville royale. Elle devint très-considérable, & les prédécesseurs d'Ismaël sophi y firent souvent leur résidence ; mais cette ville ayant été saccagée par Tamerlan, & par d'autres princes turcs & tartares, n'a conservé de son ancien lustre qu'une belle mosquée dans laquelle est le tombeau de Chodabande. On en peut voir la description dans l'histoire de Timur-Bec, l. III. c. xxj. Long. de Sultanie, suivant Tavernier, 76. 15. latit. 39. 40. (D.J.)


SULTANINS. m. (Monnoie) le sultanin est une monnoie d'or qui se fabrique au Caire, & qui a cours dans tous les états du turc ; c'est la seule espece d'or qui se fasse au coin du grand-seigneur ; on l'appelle aussi schérifi & sequin ; il vaut à-peu-près le ducat d'or. On nomme aussi sultanins des especes d'or qui se frappent à Tunis ; mais outre que ces sultanins sont d'un tiers plus forts que ceux d'Egypte, l'or en est à plus haut titre, & tout du plus fin qu'il puisse être, c'est-à-dire, au plus près de vingt-quatre karats. (D.J.)


SULTZ(Géog. mod.) petite ville ou plutôt bourg de France, dans la haute-Alsace, dépendant de l'évêché de Strasbourg. Il y a aussi un bourg appellé Sultz, en Allemagne, dans la Suabe, chef-lieu d'un comté de même nom ; ce comté confine avec les cantons de Zurich, de Schaffouse, le landgraviat de Stulingen, & la forêt-noire. (D.J.)

SULTZ, comté de, (Géog. mod.) comté d'Allemagne, en Suabe ; ce comté confine avec les cantons de Zurich & de Schaffouse, le landgraviat de Stulingen, & la forêt-noire. Le pays en est assez beau, & divisé en quatre bailliages. Son chef-lieu est un gros bourg de même nom. (D.J.)


SULTZBACH(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la principauté de même nom, qui est située aux confins du haut palatinat, vers la Franconie. Cette seigneurie appartenoit à la branche de Neubourg. (D.J.)


SULTZBURG(Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans le Brisgaw, dépendante des marggraves de Bade-Dourlac, qui y ont bâti un château. Le terroir de ce lieu produit des vins rouges fort estimés en Allemagne. Long. 25. 14. latit. 47. 53. (D.J.)


SULWAY(Géog. mod.) en latin Itunae, Aestuarium, golfe de la grande Bretagne, sur la côte occidentale de l'Ecosse, vers les confins de l'Angleterre. Ce golfe est fort couvert de bancs de sable, & sert de séparation entre la grande Bretagne & l'Ecosse.

Sur la pointe de terre qui est à l'issue du golfe, on voit une petite place nommée Bulnesse ; ce n'est aujourd'hui qu'un village ; autrefois c'étoit une ville que les Romains appelloient Blatum-Bulgium, peut-être du mot gaulois bulch, qui signifie séparation, parce qu'alors ce lieu étoit la tête d'une muraille que les Romains éleverent le long du rivage, jusque près de Carlisle ; lorsque la mer est basse, on en voit encore quelques ruines. Il y avoit aussi dans cet endroit un port que la mer a insensiblement comblé par le sable qu'elle y a jetté. (D.J.)


SUMACrhus, s. m. (Hist. nat. Bot.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposées en rond ; le pistil sort du calice & devient dans la suite une capsule arrondie, qui a presque la forme d'un rein, & qui renferme une semence de la même forme. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SUMACH, rhus, petit arbre qui vient naturellement dans l'Europe méridionale, dans quelques contrées de l'Amérique septentrionale, & en Afrique ; mais les sumachs d'Afrique sont toujours verds, de plus petite stature, & bien différens de ceux d'Europe & d'Amérique : ces derniers s'élevent à douze ou quinze piés : ils font rarement une tige droite, leur écorce est lisse sur les vieilles branches, & extrêmement velue sur les jeunes rameaux, ce qui, joint à la direction courbe & oblique de ces rameaux qui sont fort gros, leur donne de loin l'apparence d'un bois de cerf ; c'est ce qui a occasionné de donner au sumach le nom de bois de cerf ; leurs feuilles sont composées de plusieurs folioles longues, pointues, dentelées & rangées par paires sur un filet commun qui est terminé par une seule foliole. Ces arbrisseaux donnent en Juin & Juillet de grosses grappes de fleurs un peu jaunâtres, & de peu d'apparence ; les graines qui s'étendent, sont de très-petites baies velues, & bien peu charnues, qui contiennent un noyau rond, l'automne est le tems de leur maturité.

Les sumachs d'Europe & d'Amérique sont très-robustes, & leur accroissement est très-promt : on les voit réussir par-tout, depuis le sol de pur argile, jusque dans les terreins les plus pierreux : ils s'accommodent de toutes les expositions, ils reprennent aisément à la transplantation, ils souffrent la taille dans toutes les saisons, & ils se multiplient plus que l'on ne veut : on n'est pas en usage de les semer, ce seroit un moyen trop long, & d'ailleurs les graines levent difficilement ; mais leurs racines qui rampent près de la surface de la terre, & qui s'étendent au loin, poussent une grande quantité de rejettons : cependant à leur défaut, on peut se servir des seules racines, qui étant coupées de la longueur du doigt, & mises en terre au printems, reprennent très-aisément.

On peut tirer quelque parti des sumachs pour l'agrément ; leur feuillage est fort apparent & d'une belle verdure, quelques especes même donnent des grappes rouges qui sont d'un bel aspect dans l'automne & pendant tout l'hiver, & ces arbrisseaux sont très-propres soit à faire de la garniture dans les bosquets, soit à remplir promtement des places vuides, où quantité d'arbrisseaux ne pourroient réussir à cause de la défectuosité du terrein ; mais ces arbrisseaux ne sont pas sans utilité : on se servoit anciennement de leurs graines pour assaisonner différents mets. Belon rapporte que de son tems les Turcs les employoient à cet usage, qui n'a cessé vraisemblablement qu'à cause que cet assaisonnement noircissoit les dents. Il y a tout lieu de présumer cette propriété dans la graine du sumach, puisque la décoction de ses feuilles noircit les cheveux, & que le bois peut servir à faire de l'encre : on cultive ces arbrisseaux en Espagne & dans nos provinces méridionales, pour la préparation des cuirs, & on employe à ce service toutes les parties du sumach, le bois, la feuille, & la graine. Ce petit arbre est au nombre des drogues colorantes qui sont communes aux teinturiers du grand & du petit teint ; il sert à teindre en verd, & il entre dans l'apprêt des marroquins noirs, & de quelques autres peaux ; c'est du Portugal qu'on tire la plus grande partie du sumac qui se consomme en France ; on peut faire du vinaigre avec les grappes de cet arbrisseau ; en faisant des incisions au tronc, il en découle un suc résineux qui pourroit avoir de l'utilité pour les arts : enfin on fait quelqu'usage des graines de sumac en médecine, par rapport à leur qualité astringente & rafraîchissante.

Il y a plusieurs especes de sumacs.

1°. Le sumac à forme d'orme : c'est le seul qui vienne naturellement en Europe, & celui qui a le moins d'agrément : on doit appliquer particulierement à cette espece, ce qui a été dit ci-dessus.

2°. Le sumac de Virginie : c'est celui que l'on cultive le plus communément dans les Jardins pour l'agrément de ses grappes rouges qui restent sur l'arbre pendant tout l'hiver ; son bois est fort tendre, mais il est veiné d'une couleur verte de deux nuances assez belles.

3°. Le sumac de Virginie velouté de rouge : c'est une variété du précédent, il fait un plus grand arbre, son accroissement est plus promt, ses jeunes rameaux sont garnis de duvet d'un rouge fort vif, ses grappes de fleurs sont blanches, fort grandes, & éparses.

4°. Le sumac d'Amérique à bois lisse : c'est l'espece qui a la plus jolie apparence, par la verdure bleuâtre de son feuillage & de ses jeunes rameaux, qui sont sans aucun duvet ; ses grappes sont éparses, & elles n'ont jamais de couleur apparente ; cet arbre fait une tige plus droite que les autres.

5°. Le sumac de Canada à feuilles longues, ou le vinaigrier : cet arbrisseau s'éleve moins que les précédens ; ses feuilles sont luisantes & d'une couleur de verd de mer, & ses grappes de fleurs d'un rouge vif de la plus belle apparence ; il est vrai que ses branches viennent fort irrégulierement, & qu'il pousse un grand nombre de rejettons, ce qui déprime un peu l'agrément qu'il a d'ailleurs.

6°. Le petit sumac de Virginie : cet arbrisseau ne s'éleve guere qu'à quatre piés ; sa fleur n'a rien de fort remarquable ; toute sa beauté consiste dans la singularité de ses feuilles qui sont doublement empannées, c'est-à-dire que le filet qui soutient plusieurs paires de folioles est bordé d'un fanage qui se réunit avec les folioles, cet arbrisseau ne donne point de rejetton du pié, il faut le faire venir de graine.

7°. Le sumac de Caroline à fruit écarlate.

8°. Le sumac de Caroline à fruit noir : ces deux dernieres especes sont encore très-rares, & peu connues.

9°. Le sumac copal, rhus obsoniorum : cet arbre est originaire de la Caroline & de la Virginie, où il s'éleve à plus de vingt piés ; ses feuilles sont ailées & composées de quatre, cinq, ou six paires de folioles, mais celle qui termine le filet commun n'a point de pédicule ; il sort du tronc de cet arbre un suc épais qui a quelque ressemblance avec la gomme copal.

On connoît encore de cinq ou six sortes de sumacs qui sont originaires de l'Afrique : ce sont de petits arbrisseaux fort délicats, qui n'ont d'autre agrément que d'être toujours verds.

SUMAC, (Mat. méd.) ordinaire ou commun, & sumac de Virginie. Les fruits de la premiere espece de sumac étoient employés dans la cuisine des anciens, à titre d'assaisonnement ; aussi portent-ils chez plusieurs botanistes le titre de sumac, ou rhus obsoniorum, rhus culinaria, &c. les Turcs s'en servent encore aujourd'hui, au rapport de Belon ; mais il est absolument inusité à ce titre parmi nous.

Nous n'employons plus cet arbrisseau, & principalement celui de la seconde espece, le sumac de Virginie, qu'à titre de remede ; ses feuilles & les fruits sont comptés parmi les plus puissans astringens : on en employe l'infusion & la décoction dans les cours de ventre & les hémorrhagies qu'il faut arrêter. Ces remedes sont encore mis au rang des bons anti-scorbutiques.

Le fruit de sumac entre dans le syrop myrtin & dans le vin astringent pro fotu, de la pharmacopée de Paris ; les semences entrent dans l'onguent de la comtesse.

SUMAC, s. m. (Teinture) drogue propre pour teindre en verd ; cette drogue dont on se sert aussi dans l'apprêt des maroquins noirs & de quelques autres peaux, n'est autre chose que les feuilles & les jeunes branches de l'arbrisseau, pilées dans un mortier.

Quoique le sumac soit du nombre des drogues colorantes, qui sont communes aux teinturiers du grand & du petit teint, il est néanmoins défendu aux uns & aux autres d'en employer de vieux, c'est-à-dire qui a déja servi à passer les maroquins, ou autres peaux. Le meilleur sumac pour la teinture est celui qui est verdâtre & nouveau. C'est du port de Porto, en Portugal, que vient la plus grande partie du sumac qui se consomme en France. (D.J.)


SUMATIA(Géog. anc.) ville du Péloponnèse dans l'Arcadie. Pausanias, liv. VIII. c. xxxvj. nous apprend que cette ville étoit ruinée de son tems, & qu'elle avoit été située au midi de Lycoa, autre ville ruinée. (D.J.)


SUMATRA(Géog. mod.) grande île de l'Océan indien, à l'occident de la presqu'île du Malaca & de l'île de Bornéo, & séparée de celle de Java par le détroit de la Sonde.

Cette île s'étend depuis la pointe d'Achem qui est par les 5 deg. 30'. nord, jusqu'au détroit de la Sonde, par les 5 deg. 30'. sud, qui font onze degrés. Ainsi cette île auroit 300 lieues de longueur, & environ 70 de large.

Elle est arrosée d'un grand nombre de rivieres, grandes, moyennes & petites. Elle ne manque pas de mines d'étain, de fer & de cuivre. Elle est semée çà & là de montagnes très-hautes ; mais l'air de ce pays est fort mal-sain, à cause de la ligne équinoxiale qui le coupe par le milieu, & des pluies qui y regnent une partie de l'année, & qui sont ensuite suivies de calmes qui surviennent après ces tempêtes. Cependant les côtes de cette île offrent à la vûe des plaines couvertes d'orangers, de cocotiers & d'autres arbres fruitiers ; des forêts toujours verdoyantes, des collines ornées de bocages, & des hameaux où brillent toutes les beautés champêtres.

Les terres produisent une quantité prodigieuse de riz, d'orge, de miel, de cire & sur-tout de poivre. Les lieux incultes & sauvages nourrissent des éléphans, des sangliers, des cerfs, des singes & des serpens. Les rivieres ne manquent pas de crocodiles qu'on nomme caymans. Les prairies nourrissent quantité de bufles, de boeufs & de chevaux.

L'île de Sumatra est divisée en plusieurs royaumes, dont le plus puissant est celui d'Achem, qui occupe le côté septentrional de l'île. Le côté méridional dépend en partie du royaume de Bantam, & en partie du Mataram de Java.

On parle la langue malaye dans toute l'île, & la plupart des habitans ont embrassé le Mahométisme, à l'exemple des Maures. En général ils sont noirs, de la taille des Javanois, fiers, audacieux, perfides & sanguinaires. Ils craignent leurs rois qui sont absolus, & qui pour des fautes légeres, leur font couper inhumainement les piés & les mains.

Ils sont presque tout nus, depuis la ceinture enhaut. Les plus magnifiques ont une légere cabaie, qui est de toile de coton. Leurs édifices, pagodes & maisons, sont élevés sur des piliers de bois, & bâtis de légers matériaux, à la maniere des Maures.

Leurs vivres ordinaires sont du riz, du poisson, des noix de cocos, & des herbages. On trouve chez eux d'assez bons ouvriers pour la construction des navires, pour la fonte des vaisseaux de cuivre, & pour forger des couteaux, des poignards, des javelines.

Les Hollandois ont plusieurs forteresses dans cette île, où ils ont acquis une grande autorité par leur puissance & leur commerce. Ils se sont fait respecter des rois d'Achem, de Bantam & de Java. Ils enlevent tout le poivre du pays, qui est le plus estimé des Indes après celui de Cochin.

Selon Maffaei l'île de Sumatra est la Chersonese d'or des anciens ; du-moins n'est-ce point la presqu'île de Malaca, car il n'y a point du tout d'or dans tout le pays autour de Malaca, & l'on trouva beaucoup d'or dans l'île de Sumatra lorsque les Portugais s'en emparerent. (D.J.)


SUMBI(Géog. mod.) province d'Afrique au royaume d'Angola, dans l'Ethiopie occidentale. Elle est située par les 11 deg. de latitude méridionale. Plusieurs rivieres la traversent & l'arroseroient suffisamment pour la fertiliser, si elle étoit cultivée, & qu'on détruisît les bêtes sauvages qui la désolent. Ses habitans ont les mêmes coutumes & la même religion que les Chissames. (D.J.)


SUMES(Mytholog.) les Carthaginois honoroient Mercure sous ce nom, qui signifioit en langue punique, le messager des dieux. (D.J.)


SUMMANALIES. m. (Mytholog.) gâteau de farine, fait en forme de roue. Les uns dérivent ce mot du dieu Summane auquel on les offroit ; d'autres des sumen, ou de la mamelle de la truie dont ils avoient la forme.


SUMMANE(Mytholog.) un des dieux des enfers : les Mythologues ne s'accordent point sur cette divinité. Ovide parlant des temples qu'on rebâtit en l'honneur de ce dieu, pendant la guerre contre Pyrrhus, témoigne qu'on ne savoit pas bien quel dieu c'étoit. Pline le naturaliste observe qu'on attribuoit à Summanus, les foudres & les tonnerres qui arrivoient pendant la nuit, au lieu que ceux qui se faisoient entendre de jour étoient censés venir de Jupiter.

Les anciens romains, au rapport de S. Augustin, avoient eu plus de vénération pour ce dieu infernal, que pour Jupiter même, jusqu'au tems qu'on bâtit le fameux temple du Capitole, qui attirant alors tous les voeux des Romains, fit oublier jusqu'au nom de Summanus. Cependant il avoit encore un temple à Rome du tems de Pline, auprès de celui de la Jeunesse, & une fête qu'on célébroit le 24 Juin. On lui immoloit deux moutons noirs, ornés de bandelettes noires.

Macrobe prétend avec beaucoup de vraisemblance, que Summanus n'est qu'un surnom de Pluton, que c'est l'abregé de summus manium, le chef & le souverain des manes, ou le prince des dieux de l'enfer.

Cicéron raconte que le dieu Summanus avoit une statue qui n'étoit que de terre, placée sur le faîte du temple de Jupiter. Cette statue ayant été frappée de la foudre, & la tête ne s'en étant trouvée nulle part, les aruspices consultés répondirent que le tonnerre l'avoit jettée dans le Tibre : elle y fut trouvée toute entiere, à l'endroit qu'ils avoient désigné. (D.J.)


SUMMASENTA(Hist. nat.) c'est le nom que les Espagnols donnent à des vents d'est & de sud-est, qui se font quelquefois sentir nuit & jour pendant une semaine entiere ; ils sont frais & secs, & regnent pendant les mois de Février, de Mars & d'Avril dans la baie de Campêche, dans un espace d'environ 120 lieues, ils soufflent sur-tout dans les basses marées : on dit qu'ils different également des vents de terre & des vents de mer.

SUMMASENTA, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique septentrionale. Elle a son embouchure sur la côte de la baie de Campêche. On la trouve à l'est du lac des Marées, lorsqu'on entre à Port-Royal. Elle est petite, mais néanmoins assez grande pour donner entrée aux pirogues. (D.J.)


SUMMUS LACUou SUMMO LACO, (Géog. anc.) comme décrit l'itinéraire d'Antonin ; bourgade d'Italie dans le pays des Eugani. L'itinéraire d'Antonin la place sur la route Brigantia à Milan, en prenant par le lac Larius, & il la marque entre Murus & Commun, à vingt milles de la premiere de ces places, & à quinze milles de la seconde. Cette bourgade conserve encore aujourd'hui son ancien nom un peu corrompu, car on l'appelle Sammoleco. Mais si elle a été autrefois très-considérable, elle a perdu tout son ancien lustre, par la chûte d'une montagne voisine, qui l'a tellement ruinée qu'à peine en voit-on quelques vestiges à six milles de Chiavenne. Ce lieu avoit pris son nom de sa situation sur la rive de la partie septentrionale du lac Larius, à laquelle on donnoit anciennement le nom de Lacus summus, par opposition à la partie méridionale qu'on appelloit Lacus inferior. (D.J.)


SUMMUS PENINUou SUMMUM PENINUM, (Géog. anc.) lieu des Alpes pénines, marqué dans l'itinéraire d'Antonin sur la route de Milan à Mayence, en prenant par les Alpes pénines, Ce lieu se trouve entre Augusta Praetoria & Octodurum, à vingt-cinq milles de chacune de ces places. Il avoit été ainsi nommé à cause de sa situation sur le haut de la montagne, où l'on adoroit anciennement le dieu Pennius dont parle Tite-Live, liv. XXI. ch. xxxviij, & dont il est fait mention dans une ancienne inscription rapportée par Gudius, page 54. n °. 6.

Lucius Lucullus

Deo Pennio

Optimo,

Maximo,

Domum dedit.

Cette montagne s'appelle à-présent le Grand S. Bernard. (D.J.)


SUMMUS-PYRENAEUS(Géog. anc.) lieu que l'itinéraire d'Antonin place sur une des routes de la Gaule en Espagne, savoir sur celle de Narbonne à Terragone. Ce lieu est marqué entre ad Centuriones & Juneiria, à seize milles du premier de ces lieux, & à quinze milles du second. Il avoit pris son nom de sa situation au sommet des Pyrénées, & aux confins de la Gaule & de l'Espagne. Ce lieu est appellé aujourd'hui Port par les François, & Puerto par les Espagnols ; & il fait encore la séparation du Lampourdan avec le Roussillon. (D.J.)


SUMPTUMS. m. (Gram. Jurisprud.) terme de chancellerie romaine, qui signifie une copie collationnée, que les maîtres du registre des suppliques délivrent d'une signature insérée dans leurs registres, au bas de laquelle ils mettent de leur main sumptum ex registro supplicationum apostolicarum, collationatum per me n... ejusdem registri magistrum. Voyez le traité de l'usage & pratique de cour de Rome, par Castel, tome I. p. 39. (A)


SUNA(Religion mahométane) nom du recueil des traditions qui concernent la religion mahométane ; c'est leur thalmud ; mais les exemplaires de ce thalmud sont fort différens les uns des autres, parce que la tradition est toujours différente, selon les divers pays. Aussi celle des Perses musulmans, des Arabes, des Africains, des habitans de la Mecque, sont opposées les unes aux autres. Cette opposition a produit les diverses sectes de la religion mahométane, & a introduit toutes les variations qui regnent dans les explications de l'alcoran. (D.J.)

SUNA, (Géog. anc.) ville d'Italie, l'une de celles où les Aborigènes avoient eu des établissemens, & qui subsistoient du tems de Denis d'Halicarnasse, l. I. c. vj. Cet ancien historien la met à 40 stades de Vesbola ; il ajoute que c'étoit une belle ville, remarquable principalement par un ancien temple de Mars. Sylburge croit que c'est la ville Suana de Ptolémée. (D.J.)


SUNCOPULLIS. m. (Hist. nat. Litholog.) nom que l'on donne dans les Indes orientales à une pierre que l'on fait calciner, & que l'on donne ensuite dans la fievre.


SUNDDETROIT DU, (Géog. mod.) célebre détroit d'Europe, dans les états de Danemarck ; il est entre les côtes de Schonen & de Séeland ; c'est la clé de la mer Baltique. Elseneur, place de Danemarck, défendue par la forteresse de Cronemburg, est sur le bord du Sund, & garde le passage de ce détroit. De l'autre côté, est le château d'Elsinbourg, dans la province de Shonen, qui appartient à la Suede. On donne à ce détroit 16 lieues de longueur, & 5 dans sa plus grande largeur ; mais vis-à-vis la forteresse de Cronenburg, il n'a pas au-delà d'une lieue de large, desorte que les gros vaisseaux n'y peuvent passer que sous le canon de la forteresse ; c'est ce qui produit une somme considérable au roi de Danemarck, le péage qu'il leve sur les bâtimens qui passent par le détroit, rapporte à ce prince environ 30 mille liv. sterling par an. Ce tribut procede d'une ancienne convention des villes anséatiques, avec le Danemarck, pour l'entretien de quelques fanaux le long de la côte. Lorsque ces villes tomberent en décadence, cette convention devint un droit. On y voit passer année commune deux mille vaisseaux, parmi lesquels il y en a bien mille appartenant aux Hollandois. Voyez SOND. (D.J.)


SUNDERBOURG(Géog. mod.) ville de Danemarck, dans l'île d'Alsen, sur le petit détroit nommé Sunderburger-Sund, à 2 milles de Norodbourg, à 3 de Lensbourg, à 6 au nord de Sleswick, & à sept d'Hadersleben, avec un château. Long. 27. 43. lat. 54. 52. (D.J.)


SUNDERHAUSEou SONDERSHAUSEN, (Géog. mod.) petite ville d'Allemagne, dans la Thuringe, sur le Wipper, avec un château. Elle appartient avec Arnstad, à la branche des comtes de Schwartzbourg-Sondershausen. (D.J.)


SUNDERLAND(Géog. mod.) bourg d'Angleterre, dans la province de Durham, à l'embouchure de la Were. Ce bourg qui est considérable, a droit de marché, & il s'y fait autr'autres commerces, un riche trafic de charbon de terre. Il se trouve environné de la mer, & comme séparé de la terre, quand la marée est haute ; de-là lui est venu le nom de Sunderland. (D.J.)


SUNDEWIT(Géog. mod.) petit pays de Jutland, qu'on met dans la principauté de Lugsbourg ; il appartient aux ducs de Sleswick & du Holstein Sonderbourg. A l'orient & au septentrion, il est borné par le détroit qui sépare l'île d'Alsen de la terre ferme ; au midi, il a le golfe de Fleusbourg ; à l'occident, il a en partie le même golfe & le territoire de Lundhofftharde. (D.J.)


SUNDou SUNDO, (Géog. mod.) province du royaume de Congo, dans l'Ethiopie occidentale, au midi de la riviere de Zaire. Cette province est arrosée d'un grand nombre de rivieres, & a dans ses montagnes plusieurs mines de fer, & de cuivre. La capitale qui lui donne son nom, est à six lieues de la grande cascade du Zaire. (D.J.)


SUNDIVA(Géogr. mod.) île d'Asie, dans les Indes, à 6 lieues de la terre ferme de Bengale. On lui donne 30 lieues de tour ; son commerce consiste à faire une grande quantité de sel, dont tout le pays de Bengale se fournit. Les Portugais s'emparerent de cette île en 1602, mais ils furent obligés de l'abandonner l'année suivante au roi d'Aracan, qui en est resté le maître. (D.J.)


SUNDSWALD(Géogr. mod.) ville de Suede, capitale de la Médelpadie, à l'embouchure d'une grande riviere, dans le golfe de Bothnie, avec un bon port. C'est une ville nouvellement bâtie qui prospere, & dont les habitans s'occupent en partie à la fabrique des armes. (D.J.)


SUNIADE(Mythol.) Minerve avoit un temple au haut du promontoire de Sunium, qui étoit à l'entrée de l'Attique, & qu'on appelle aujourd'hui le cap Colonne, parce qu'il reste encore de ce temple de Minerve dix-neuf colonnes qui sont de bout ; Minerve fut appellée de-là Suniade. (D.J.)


SUNIQUESLES, (Géogr. anc.) Sunici, peuples de la Germanie, en deçà du Rhin. La plûpart des géographes conviennent, que ces peuples dont le nom commence à n'être connu que depuis le tems d'Auguste, faisoient partie des Suéves, qui furent transférés au deçà du Rhin, & qu'ils habitoient entre les Ubiens & les Tungres. M. Spener, notit. gem. l. VI. c. v. se joint au sentiment commun, & dit que les Sueves dont les Sunici faisoient partie, étoient ceux auxquels on avoit donné le nom de Catti.

Aujourd'hui, quelques géographes prétendent trouver dans les noms de quelques lieux, habités autrefois par les Sunici, l'origine du nom de ce peuple ; mais il seroit encore plus naturel de dire, que ce sont les Sunici qui ont donné leur nom à ces lieux. Quoi qu'il en soit, la demeure de ces peuples en deçà du Rhin est fixée par Tacite, qui dit que Civilis, après avoir fait alliance avec les habitans de Cologne, résolut de gagner les cités voisines, ou de réduire par les armes, celles qui s'opposeroient à son dessein : que comme il s'étoit emparé du pays des Sunici, & avoit partagé toute leur jeunesse en diverses cohortes ; Claudius Labéon s'étoit mis à la tête de quelques troupes qu'il avoit levées à la hâte chez les Béthasiens, les Tungres & les Nerviens, & avoit entrepris de lui résister, s'assurant sur l'avantage du poste, ayant commencé de s'emparer du pont de la Meuse.

On peut conjecturer de ce récit, & de la connoissance qu'on a de la demeure des autres peuples, que les Sunici habitoient entre les Ubiens & les Tungres ; que la Meuse du côté de l'occident séparoit les Tungres & les Ménapiens des Sunici, comme du côté de l'orient ; la Roër séparoit ces derniers des Ubiens & des Gugerni : ces mêmes Gugerni & les Ménapii bornoient au nord les Sunici. (D.J.)


SUNIUM(Géog. anc.) 1°. promontoire de l'Attique ; c'est celui où aboutissent les côtes orientales & méridionales de cette contrée. Strabon, Tite-Live, Ptolémée & divers autres auteurs anciens parlent de ce promontoire. Stace dit :

Linquitur eois longè speculabile proris

Sunion.

Ce promontoire est appellé par Vitruve, liv. IV. ch. vij. Sunium Palladis, sans-doute, à cause du temple qu'on y avoit bâti à l'honneur de Pallas. Par la même raison, il est nommé Palladis promontorium dans Homere & dans Aristophane.

Pausanias, liv. I. c. j. le décrit ainsi. Dans cette partie du continent de la Grece, qui regarde les Cyclades & la mer Egée, s'éleve à l'entrée de l'Attique, le promontoire Sunium. Au bas est une rade, & au haut un temple dédié à Minerve Suniade. Il ajoute que quand on a passé le promontoire Sunium, on voit un peu plus loin la montagne de Laurium, où les Athéniens avoient autrefois des mines d'argent.

Le promontoire Sunium est nommé par les Grecs modernes, capo Colonaïs ; & par les François le cap Colonne ; parce qu'on y voit plusieurs colonnes doriques sur pié, qui sont les restes du temple de Minerve. On y voit aussi des ruines d'édifices qui composoient le bourg de même nom que le promontoire dont nous parlerons dans l'article suivant.

Les colonnes du temple de Minerve sont blanches, selon M. de Wheler, voyage de Grece, tom. II. p. 261. & se voyent de fort loin en mer. Ce temple, ajoute-t-il, est situé sur la croupe d'un haut rocher qui s'avance dans la mer. On voit neuf colonnes doriques au sud-ouest, & cinq vis-à-vis. Il reste deux pilastres à l'extrêmité méridionale, étant partie du pronaos, où sont gravés plusieurs noms anciens & modernes. Il semble par les fondemens des murailles, que le temple étoit renfermé dans la forteresse, audessous de laquelle on voit d'autres fondemens de murailles, qui sont indubitablement ceux de la ville de Sunium. Il y a une petite baie à main droite, où étoit l'ancien port qui est aujourd'hui abandonné, aussi-bien que la petite île Patroclea, que la plûpart appellent Guidronisa.

2°. Sunium, bourg de l'Attique, selon Strabon, liv. IX. pag. 398. qui le met sur le promontoire d e même nom ; c'est apparemment le bourg Sunium, qui, au rapport d'Etienne le géographe, faisoit partie de la tribu Léontide. Il est bien vrai que dans le marbre qui contient la liste des bourgs de l'Attique, Sunium est mis sous la tribu Attalide : mais ce doit avoir été l'effet du changement arrivé dans les tribus de l'Attique, au moyen de leur nombre qui fut augmenté de dix à treize. Sunium, dit M. Spon, fut célebre pour son beau temple de Minerve Suniade, bâti de la maniere de celui de Minerve à Athenes, & d'ordre dorique. Neptune y étoit aussi adoré sous le titre de Suniarator, & on y faisoit pendant les fêtes panathénées des combats de galeres.

Ce bourg autrefois fort peuplé, & qu'on pourroit nommer ville, est aujourd'hui sans habitans ; & l'on ne peut juger de sa grandeur que par ses ruines. Le monument le plus entier qui y reste, est le temple de Minerve Suniade, avec dix-sept colonnes entieres d'un ouvrage tout semblable à celui du temple de Thésée à Athènes. On y voit sur un bas-relief de marbre de Paros, une femme assise avec un petit enfant, qui comme elle, leve les bras, & paroît regarder avec effroi un homme nud qui se précipite du haut d'un rocher. M. Fourmont dans son voyage de Grece en 1729, prit les dimensions de ce temple, leva le plan de la ville & du port. (D.J.)


SUNNETS. m. (Hist. mod.) les Mahométans distinguent deux especes de préceptes dans l'alcoran ; ils appellent sunnet, ceux dont on peut être dispensé en de certaines occasions ; de ce nombre sont la circoncision, les rites ecclésiastiques, &c. On ne peut cependant les omettre sans péché véniel ; à-moins qu'il n'y eût nécessité. Quant aux préceptes qui sont d'une nécessité indispensable, ils les nomment fars ; tel est le précepte appellé salavat, c'est-à-dire, la confession de foi mahométane, qu'on ne peut négliger sans mettre son salut en danger ; tel est aussi le zekkiat, ou la nécessité de donner aux pauvres la cinquantieme partie de son bien.


SUNNING(Géog. mod.) village d'Angleterre, dans Berckshire, sur le bord de la Tamise, un peu au-dessous de Reading. Ce village dans les premiers siecles de l'Eglise, a été le siege de huit évêques, avant que cet honneur fut transféré à Sherborn, & ensuite à Salisbury. (D.J.)


SUNNIou SONNIS, (Hist. mod.) secte des mahométans turcs attachés à la sunna ou sonna, & opposés à celle des schiais, c'est-à-dire, des mahométans de Perse.

Les Sunnis soutiennent que Mahomet eut pour légitime successeur Abubekir, auquel succéda Omar puis Osman, & ensuite Mortuz-Ali, neveu & gendre de Mahomet. Ils ajoutent qu'Osman étoit secrétaire du prophete & homme d'un génie profond ; que les trois autres étoient aussi fort éclairés, & d'ailleurs très-grands capitaines, & qu'ils ont plus étendu la loi par la force des armes que par celle des raisons. C'est pourquoi dans la secte des Sunnis, il n'est pas permis de disputer de la religion, mais seulement de la maintenir le cimeterre à la main. Les Schiais ou Schistes traitent les Sunnis d'hérétiques, qualification que ceux-ci ne ménagent pas davantage à l'égard des Schistes. Tavern. Voyage de Perse.


SUNTGAWou SUNDGOW, (Géog. mod.) en latin moderne Suntgowia, ou Sugitensis pagus, pays d'Allemagne en Alsace. Il est borné au septentrion par la haute Alsace ; à l'orient par le Rhin, & par le canton de Basle ; au midi par la principauté de Porentru, & par la Franche-Comté ; & à l'occident par les états du duc de Lorraine.

Ce pays est du territoire des anciens Rauraques, qui faisoient partie des Séquaniens. Ensuite le Suntgaw fit partie du royaume d'Austrasie, & puis du royaume de Bourgogne ; d'où il passa entre les mains de l'empereur Conrard le salique. Le Suntgaw avoit alors pour capitale Mulhausen, qui étoit immédiatement soumise à l'empire ; cependant le comte de Pfirt, appellé de nos jours par les François comte de Ferrette, en possédoit une bonne partie.

Les François se rendirent maîtres de ce pays dans le dernier siecle, & il fut cédé à la couronne de France en toute souveraineté par le traité de Munster, l'an 1648. Le Suntgaw comprend aujourd'hui les bailliages de Ferrette, Lauser, Altkirck, Tham, & Béfort ; ses lieux principaux sont Ferrette, Béfort, & Huningue. (D.J.)


SUOLA(Géog. mod.) bourg de Grece, dans la Livadie, sur le golfe de Lépante, au midi du mont Parnasse, & à six lieues des ruines de Delphes. C'est l'ancienne Anticyra, suivant les interpretes de Ptolémée. (D.J.)


SUOVETAURILIESS. f. pl. (Antiq. rom.) suovetaurilia, où l'on immoloit un verrat, un bélier, & un taureau, comme le prouve le mot même suovetaurilia, qui est composé de sus, ovis, taurus ; le mot ove est pris ici pour un bélier ; car c'est le mâle de l'espece qui n'étoit point coupé, qu'on offroit dans cette cérémonie ; d'où vient qu'on l'appelloit autrement solitorilia, c'est-à-dire, selon Sextus Pompeïus, solida, mot qui signifie que les animaux étoient entiers, & qu'ils n'avoient perdu aucune partie de leur corps.

Les sacrifices du bélier, du verrat, & du taureau, étoient les plus grands, & les plus considérables que l'on faisoit à Mars. Ce sacrifice se faisoit pour la lustration du peuple, après le dénombrement du censeur, pour l'expiation des champs, des fonds de terre, des armées, des villes, & de plusieurs autres choses, pour les sanctifier, ou les expier, ou les purifier, & attirer la protection des dieux par cet acte de religion.

Les suovetaurilia se distinguoient en grands & en petits : dans les petits, l'on immoloit de jeunes animaux, un jeune verrat, un agneau, un veau ; dans les grands, on sacrifioit des animaux parfaits qui avoient toute leur taille, comme le verrat, le bélier, le taureau. Avant le sacrifice, on faisoit faire à ces animaux trois fois le tour de la chose qu'il s'agissoit de purifier. Que la victime qui doit être offerte, soit promenée trois fois autour des champs, dit Virgile. Le verrat étoit toujours immolé le premier, comme l'animal qui nuit le plus aux semences & aux moissons ; & successivement le bélier & le taureau.

Les suovetaurilies étoient chez les Romains un sacrifice à Mars ; mais chez les Grecs ce sacrifice s'offroit à d'autres dieux : dans Homere à Neptune, & dans Pausanias à Esculape. (D.J.)


SUPANNE(Marine) quelques marins entendent par ce mot, être en panne. Voyez PANNE.


SUPARA(Géogr. anc.) ville de l'Inde, en-deçà du Gange, sur le golfe Barigazene, selon Ptolémée, l. VII. c. j. qui la donne aux Ariaces. (D.J.)


SUPERv. n. (Marine) on dit qu'une voie d'eau a supé, lorsqu'il y est entré quelque chose qui en a bouché l'ouverture.


SUPERAEQUANI(Géog. anc.) peuples d'Italie, placés dans la quatrieme région par Pline, l. III. c. xij. qui les met dans le pays des Peligni. La ville est nommée Superequum par Frontin, p. 170. & colonia superaequana par Balbus. Holsten dit que c'est aujourd'hui Castel-Vecchio subequo, près de la riviere de Pescara. (D.J.)


SUPERATIONS. f. (Astron.) différence du mouvement d'une planete comparée à une autre ou à elle-même en deux points différens de son orbite.


SUPERBEadj. (Gram.) s'il se dit d'un homme, il est synonyme à vain, fier, orgueilleux ; un vainqueur superbe : d'une chose, il en marque l'éclat, la grandeur, la magnificence, un ornement superbe, un superbe édifice, une entrée superbe, un vêtement superbe.

SUPERBE, s. f. (Hist. nat. Bot.) methonica, genre de plante dont la fleur est en lis, composée de six feuilles rangées autour du même centre. Le pistil devient un fruit ovale, divisé dans sa longueur en trois loges qui renferment des semences assez rondes. Il faut ajouter aux caracteres de ce genre, la racine charnue taillée en éguiere, & les feuilles terminées par une main. Tournefort, mém. de l'acad. roy. des Sci. an. 1706. Voyez PLANTE.

SUPERBE, en Anatomie, nom de l'un des quatre muscles droits de l'oeil, appellé aussi le releveur. Voy. OEIL & DROIT.


SUPERCESSIONSS. f. pl. (Jurisprud.) arrêts du conseil d'état qui déchargent les comptables.


SUPERFÉTATIONS. f. (Physiologie) en grec , comme qui diroit surconception, lorsque la mere concevroit en divers tems divers foetus d'inégale grosseur, & qui naîtroient les uns après les autres.

Quoique les secrets des mysteres de la génération soient couverts d'un voile impénétrable, cependant l'expérience & la théorie se réunissent à faire regarder la superfétation comme impossible, ou du-moins si difficile à imaginer, que les meilleurs physiciens en nient généralement l'existence. Il paroît, ainsi que l'a dit Hippocrate, qu'après la conception le cou de la matrice se resserre, & que son orifice se ferme de maniere à ne pouvoir plus laisser rien entrer. Ensuite la semence ne peut plus aller de la matrice aux ovaires par les trompes, dont l'embouchure dans le fond de la matrice est alors fermée par le placenta du foetus naissant ; ou, si l'on veut, un oeuf fécondé ne peut plus entrer dans la matrice par une trompe ainsi bouchée ; car dans ces premiers tems la matrice étant encore fort petite & fort étroite, le fond en est aisément occupé par le placenta, toujours d'autant plus grand à proportion que le foetus est plus petit : enfin le foetus accru, abaisse par son poids le fond de la matrice, qui ne répond plus à l'orifice interne, & par conséquent la semence entreroit vainement dans la matrice, elle ne peut plus prendre la route des trompes qui se sont trop abaissées avec le fond auquel elles sont attachées. Mém. de l'acad. ann. 1705. (D.J.)


SUPERFICIES. f. en Géométrie, est la même chose que surface : ainsi l'on dit la superficie d'un cercle, d'un triangle, pour dire sa surface ou son aire. Voyez AIRE & SURFACE. (E)

SUPERFICIE, (Jurisprud.) on entend dans cette matiere par superficie, ce qui se construit, édifie, ou plante sur le sol, comme une maison ou un moulin, des arbres. La maxime en Droit est que, superficies solo cedit, c'est-à-dire que celui qui a le sol a le dessus, & que le bâtiment construit sur un fond appartient au propriétaire du fond, sauf à tenir compte à celui qui a bâti de ce dont le fond a été amélioré par la construction du bâtiment. Voyez aux Institutes, l. II. tit. 1. §. 30. & suiv. (A)

SUPERFICIE, (Hydraul.) on ne dit point surface en parlant de l'étendue d'eau d'un bassin, mais superficie, ainsi les eaux de superficie sont celles qui roulent & qui se perdent à mesure qu'elles viennent dans un bassin, ce qu'on appelle encore, décharge de superficie. (K)


SUPERFICIELadj. (Gram.) il se dit des choses & des personnes. Un homme superficiel est celui qui n'a effleuré des connoissances que la superficie, qui n'a rien appris à fond. Un ouvrage superficiel est celui qui a le défaut de l'homme superficiel. Plus il y a d'hommes superficiels dans une contrée, plus, tout étant égal d'ailleurs, il y aura d'hommes profonds, car il n'y a qu'un seul moyen de se distinguer des autres, c'est de savoir mieux qu'eux.


SUPERFINS. m. terme de Manufacture, ce mot se dit pour exprimer superlativement la finesse d'une étoffe. Ainsi un drap, un camelot, &c. superfin, est celui qui est le plus fin de tous ceux que l'on puisse fabriquer, ou qui a été manufacturé avec de la laine, de la soie, ou autre matiere extrêmement fine. (D.J.)

SUPERFIN, terme de Tireur d'or, c'est du fil d'or ou d'argent trait, tant fin que faux, qui après avoir passé par une infinité de pertuis ou trous de filiere, toujours en diminuant de grosseur, est enfin parvenu à n'être pas plus gros qu'un cheveu ; soit que ce fil ait été battu, écaché ou mis en lame, ou qu'on l'ait ensuite filé sur la soie ou sur le fil de chanvre ou de lin, on ne laisse pas toujours de lui donner le nom de superfin, ensorte que l'on dit indifféremment de l'or & de l'argent trait superfin, de l'or ou de l'argent battu, écaché, ou en lame superfin, du fil d'or ou d'argent superfin. Savary. (D.J.)


SUPERFLUadj. & subst. (Gram.) ce qui est de trop : un mot superflu, une démarche superflue.

Le superflu, c'est-à-dire tout ce qu'on possede audelà des besoins de son état : on a dit que c'étoit le patrimoine des pauvres.

En musique, un intervalle est superflu, lorsqu'étant rapporté à la gamme d'ut en majeur, ou à la gamme de re en mineur, cet intervalle est plus grand qu'il ne l'est dans ces deux gammes.

De superflu, en morale, on a fait superfluité. C'est par la superfluité en tout genre, que les grands se piquent de mériter leur opulence : quelque riche qu'un homme puisse être, on lui pardonnera le dégoût de la superfluité, s'il sait accorder à la bienfaisance tout ce qu'il supprimera de son faste.


SUPERHUMÉRAL(Hist. sacrée) ce mot signifie ce qui se met sur les épaules ; c'est le terme latin de la vulgate pour désigner l'éphod, ornement sacerdotal chez les Juifs. Voyez ÉPHOD. (D.J.)


SUPÉRIEURS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui est élevé au-dessus des autres, comme le supérieur d'une communauté. Voyez CONGREGATION, COMMUNAUTE, COUVENT, MONASTERE, ORDRE. Les cours supérieures sont les mêmes qu'on appelle cours souveraines. Voyez COUR, CONSEIL. Juge supérieur, est celui devant lequel se releve l'appel du juge inférieur. Voyez APPEL, JUGE, JURISDICTION, RESSORT. (A)

SUPERIEURS, caracteres, terme d'Imprimeur, on appelle caracteres supérieurs, de petites lettres qui se mettent au-dessus de la ligne courante, ce qui sert d'ordinaire aux abréviations, comme lorsqu'on marque primo avec un p, un point, & un petit ° au-dessus. (D.J.)

SUPERIEUR, lac, (Géogr. mod.) nom qu'on donne à un lac de l'Amérique septentrionale, dans le Canada. C'est un prodigieux lac qui reçoit le fleuve Saint-Laurent, & qui passe pour avoir trois cent lieues de tour, sur cinquante de longueur. (D.J.)


SUPÉRIORITÉS. f. (Gram.) avoir la supériorité, c'est exceller sur quelqu'un en quelque chose. Il a la supériorité sur moi presque en tout, mais je suis si jaloux de sa gloire, que jamais mon amour-propre n'est mortifié.


SUPERLATIFVE, adjectif, qui assez souvent est pris substantivement, terme de Grammaire. Ce mot a pour racines la préposition super (au-dessus de), & le supin latum (porter) ; desorte que superlatif signifie littéralement, qui sert à porter au-dessus de. Cette étymologie du mot indique bien nettement ce que pensoient de la chose les premiers nomenclateurs ; le superlatif étoit, selon eux, un degré réel de comparaison, & ce degré marquoit la plus grande supériorité : avoient-ils raison ?

Le superlatif latin, comme sanctissimus, maximus, facillimus, pulcherrimus, peut bien être employé dans une phrase comparative, mais il n'exprime pas plus la comparaison que la forme positive ne l'exprime elle-même. Sanctius en a donné jusqu'à quatorze preuves dans sa Minerve II. xj. sans rechercher à quoi l'on peut s'en tenir sur la juste valeur de toutes ces preuves, je me contenterai d'en indiquer deux ici.

La premiere, c'est que l'on trouve des exemples où l'adjectif est au positif, quoique la phrase énonce une comparaison, comme quand Tite-Live dit (lib. XXXVI.), inter caeteras pugna fuit insignis, & Virgile (Aen. IV.), sequimur te, sancte deorum, quisquis es, de la même maniere que Pline (lib. XIII.) dit, inter omnes potentissimus odor, & (lib. IX.) velocissimus omnium animalium... est delphinus, en employant le superlatif au lieu du positif. En effet, puisqu'il faut convenir que la comparaison doit être marquée par quelque préposition, dans les phrases ou l'adjectif est au positif, & nullement par l'adjectif même, pourquoi ne donneroit-on pas la même fonction aux mêmes prépositions, dans des phrases toutes semblables où l'adjectif est au superlatif ? La préposition inter marque également la comparaison, quand on dit, inter caeteras pugna insignis, & inter omnes potentissimus odor : pareillement sancte deorum veut dire sans-doute sancte (in numero ou suprà caeteram turbam) deorum ; & velocissimus omnium animalium signifie de même velocissimus (in numero ou suprà caeteram turbam) omnium animalium.

Perizonius croit (Minerv. II. xj. not. 2.), que cet argument ne prouve rien du tout, par la raison que les positifs se construisent aussi de la même maniere que les comparatifs avec la préposition prae, qui exprime directement la comparaison ; c'est ainsi, dit-il, que nous lisons dans Cicéron, tu beatus prae nobis ; or de cette ressemblance de construction, Sanctius ne conclura pas que l'adjectif comparatif n'exprime pas une comparaison, & par conséquent il n'est pas mieux fondé à le conclure à l'égard du superlatif.

Je ne sais ce que Sanctius auroit répondu à cette objection ; mais pour moi, je prétends que l'on peut également dire du comparatif & du superlatif, qu'ils n'expriment par eux-mêmes aucune comparaison, & cela pour les raisons pareilles qui viennent d'être alléguées. S'il est aussi impossible avec l'un qu'avec l'autre d'analyser une phrase comparative, sans y introduire une préposition qui énonce la comparaison ; il est également nécessaire d'en conclure que ni l'un ni l'autre n'exprime cette comparaison. Or on trouve plusieurs phrases effectivement comparatives, où la comparaison est explicitement énoncée par une préposition, sous quelque forme que paroisse l'adjectif : 1°. sous la forme positive : ô felix una ante alias priameïa virgo ! (Virg.) Prae se formosis invidiosa dea est. (Propert.) Parvam albam prae eâ quae conderetur fore (Liv.) 2°. sous la forme comparative : Pigmalion scelere ante alios immanior omnes (Virg.) ; Praeter caeteras altiorem... crucem statui jussit (Suet.) ; Prae caeteris feris mitior cerva (Apul.) : 3°. sous la forme superlative : Ante alios pulcherrimus omnes Turnus (Virg.) ; Famosissima super caeteras coena (Suet.) ; Inter omnes maximus (Ovid.) ; Ex omnibus doctissimus (Val. Maximus). Il est donc en effet raisonnable de conclure, que ni le positif, ni le comparatif, ni le superlatif n'expriment par eux-mêmes la comparaison, & que, comme le dit Sanctius, (II. xj.) vis comparationis non est in nomine, sed in praepositione.

Mais Perizonius se déclare contre cette conclusion de la maniere la plus forte : ferre vix possum quod auctor censet, vim comparationis esse in praepositionibus, non in nominibus. (not. 12 in Minerv. IV. vj.) A quoi serviroit donc, ajoute-t-il, la formation du comparatif, & que signifieroit doctior, s'il ne marque pas directement & par lui-même la comparaison ? Voici ce que je réponds. Dans toute comparaison il faut distinguer l'acte de l'esprit qui compare, & le rapport que cette comparaison lui fait appercevoir entre les êtres comparés : il y a en effet la même différence entre la comparaison & le rapport, qu'entre le télescope & les taches qu'il me montre sur le disque du soleil ou de la lune ; la comparaison que je fais de deux êtres est à moi, c'est un acte propre de mon esprit ; le rapport que je découvre entre ces êtres par la comparaison que j'en fais, est dans ces êtres mêmes ; il y étoit avant ma comparaison & indépendamment de cette comparaison, qui sert à l'y découvrir & non à l'y établir ; comme le télescope montre les taches de la lune, sans les y mettre ; cela posé, je dis que la préposition prae, qui semble plus particulierement attachée à l'adjectif comparatif, exprime en effet l'acte de l'esprit qui compare, en un mot, la comparaison ; au lieu que l'adjectif que l'on nomme comparatif, exprime le rapport de supériorité de l'un des termes comparés sur l'autre, & non la comparaison même, qui en est fort différente.

J'avoue néanmoins que tout rapport énoncé, & conséquemment connu, suppose nécessairement une comparaison déjà faite des deux termes. C'est pour cela 1°. que l'on a pu appeller comparatifs les adjectifs doctior, pulchrior, major, pejor, minor, &c. parce que s'ils n'expriment pas par eux-mêmes la comparaison, ils la suppose nécessairement. C'est pour cela 2°. que l'usage de la langue latine a pu autoriser l'ellipse de la préposition vraiment comparative prae, suffisamment indiquée par le rapport énoncé dans l'adjectif comparatif. Mais ce que l'énergie supprime dans la phrase usuelle, la raison exige qu'on le rétablisse dans la construction analytique qui doit tout exprimer. Ainsi ocior ventis (Hor.) signifie analytiquement ocior prae ventis (plus vite en comparaison des vents) ce que nous rendons par cette phrase, plus vite que les vents. De même si vicinus tuus meliorem equum habet quàm tuus est (Cic.), doit s'analyser ainsi, si vicinus tuus habet equum meliorem prae eâ ratione secundùm quam rationem tuus equus est bonus. Ego callidiorem hominem quàm Parmenonem vidi neminem (Ter.), c'est-à-dire, ego vidi neminem hominem callidiorem prae eâ ratione secundùm quàm rationem vidi Parmenonem callidum. Similior sum patri quàm matri (Minerv. II. x.), c'est-à-dire, sum similior patri prae eâ ratione secundùm quam rationem sum similis matri. Major sum quàm cui possit fortuna nocere (Ovid.), c'est-à-dire, major sum prae eâ ratione secundùm quam rationem ille homo, cui homini res est ita ut fortuna possit nocere, est magnus. Major, quam pro re, laetitia (Liv.), c'est-à-dire, laetitia major, prae eâ ratione secundùm quam rationem laetitia debuit esse magna pro re. Cette nécessité de suppléer est toujours la même, jusques dans les phrases où le comparatif semble être employé d'une maniere absolue, comme dans ce vers de Virgile (Aen. I.) : tristior, & lachrimis oculos suffusa nitentes, c'est-à-dire, tristior prae habitu solito.

Ceux qui ne se sont jamais mis en peine d'approfondir les raisons grammaticales du langage, les Grammairiens purement imitatores, ne manqueront pas de s'élever contre ces supplémens, qui leur paroîtront des locutions insoutenables & non autorisées par l'usage. Quoique j'aie déjà répondu ailleurs aux scrupules de cette fausse & pitoyable délicatesse, je transcrirai ici une réponse de Périzonius, qui concerne directement l'espece de supplément dont il s'agit ici. (Minerv. III. xiv. not. 7.) horridiora ea sunt saepe, fateor, sed & idcircò, sue elegantiae majoris gratiâ, omissa sunt. Nam si uteremur integris semper & plenis locutionibus, quàm maximè incomta & prorsus absona foret latina oratio. Et un peu plus bas : vides quam aliena ab aurium voluptate & orationis concinnitate sint haec supplementa ; sed & idcircò etiam praecisa sunt, ut dixi, retentâ tantùm illâ voculâ, in quâ vis transitionis in comparando consistit, sed quae vis non nisi per illa supplementa explicari, planè & ut oportet, potest.

Je reviens au comparatif, puisque j'ai cette occasion d'en approfondir la nature, & que cela n'a point été fait en son lieu par M. Dumarsais. Si l'adjectif ou l'adverbe comparatif, par la raison qui énonce un rapport, suppose nécessairement une comparaison des deux termes ; on peut dire réciproquement que la préposition prae, qui est comparative en soi, suppose pareillement que l'adjectif ou l'adverbe énonce un rapport découvert par la comparaison ; ce rapport est en latin celui de supériorité, comme le seul auquel l'usage ait destiné une terminaison propre, & le seul peut-être auquel il ait été fait attention dans toutes les langues. De-là viennent 1°. ces locutions fréquentes, où la comparaison est très-sensible, quoique l'adjectif ou l'adverbe soit au positif, comme nous avons vu plus haut : prae nobis beatus, prae se formosis, parvam prae eâ quae conderetur. De-là vient 2°. que les Hébreux ne connoissent que la forme positive des adjectifs & des adverbes, & qu'ils n'expriment leurs comparaisons que comme on le voit dans ces exemples latins, ou par la préposition men ou me qui en est l'abrégé, & qui a la signification extractive de ex ou celle de prae, ou bien par la préposition al qui veut dire super ; c'est ainsi qu'il faut entendre le sens de ce passage (ps. cxvij. 8. 9.) ; bonum est confidere in domino quàm confidere in homine ; bonum est sperare in domino quàm sperare in principibus ; le quàm latin étant ramené à sa valeur analytique, prae eâ ratione secundùm quam rationem bonum est, rend la valeur de la préposition hébraïque, & prouve qu'avec bonum il faut sousentendre magis que les Hébreux n'expriment point ; c'est encore par un hébraïsme semblable qu'il est dit (ps. cxij. 4.) excelsus super omnes gentes dominus, pour excelsior prae omnibus gentibus. De-là vient 3°. que l'on trouve le superlatif même employé dans des phrases comparatives, dont la comparaison est énoncée par une préposition, ou désignée par le régime nécessaire de le préposition, si elle est sousentendue ; ante alios pulcherrimus, famosissima super caeteras, inter omnes maximus, ex omnibus doctissimus, la préposition est exprimée, quod minimum quidem est omnibus seminibus (Matth. xiij. 32.), la préposition prae est indiquée ici par l'ablatif qui en est le régime nécessaire.

Résumons ce premier argument. On trouve des phrases comparatives où l'adjectif est au positif ; la comparaison n'y est donc pas exprimée par l'adjectif, c'est uniquement par la préposition : on trouve d'autres phrases où la même préposition comparative est exprimée, ou clairement désignée par son régime nécessaire, quoique l'adjectif soit au comparatif ou au superlatif ; donc dans ces cas là même, l'adjectif n'a aucune signification comparative : j'ai déterminé plus haut en quoi consiste précisément la signification du degré comparatif ; pour celle du superlatif, nous l'examinerons en particulier, quand j'aurai ajouté à ce que je viens de dire, la seconde preuve que j'ai promise d'après Sanctius, & qui tombe directement sur ce degré.

C'est que l'on rencontre quantité de phrases où ce degré est employé de maniere qu'il n'est pas possible d'y attacher la moindre idée de comparaison, ce qui seroit apparemment impossible, s'il étoit naturellement destiné au sens comparatif. Quand Cicéron par exemple écrit à sa femme Térence : ego sum miserior quam tu quae es miserrima ; la proposition est sans contredit comparative, & l'adjectif miserior, qui qualifie par un rapport de supériorité, suppose nécessairement cette comparaison, mais sans l'exprimer ; rien ne l'exprime dans cette phrase, elle n'y est qu'indiquée, & pour la rendre sensible il faut en venir à l'analyse, ego sum miserior (prae eâ ratione secundùm) quam (rationem) tu, quae es miserrima, (es misera) : or il est évident que miserrima n'est pas plus comparatif, ou si l'on veut, pas plus relatif dans quae es miserrima, que misera ne l'est lui même dans tu es misera : au lieu du tour complexe que Cicéron a donné à cette proposition, il auroit pu la décomposer de cette maniere, où il ne reste pas la moindre trace d'un sens relatif : equidem tu es miserrima ; sed ego sum miserior quam tu ; vous êtes malheureuse, j'en conviens, & très-malheureuse ; cependant je le suis encore plus que vous.

Cette explication là même nous met sur les voies du véritable sens de la forme qu'on a nommée superlative ; c'est une simple extension du sens primitif & fondamental énoncé par la forme positive, mais sans aucune comparaison prochaine ou éloignée, directe ou indirecte ; c'est une expression plus énergique de la même idée ; ou si quelque chose est ajouté à l'idée primitive, c'est une addition réellement indéterminée, parce qu'elle se fait sans comparaison : je dirois donc volontiers que l'adjectif, ou l'adverbe, est pris alors dans un sens ampliatif, plutôt que dans un sens superlatif, parce que cette derniere dénomination, supposant, comme on l'a vu plus haut, une comparaison de termes qui n'a point lieu ici, ne peut qu'occasionner bien des erreurs, & des discussions souvent aussi nuisibles aux progrès de la raison, que l'erreur même.

Que ce soit en effet ce sens ampliatif qui caractérise la forme particuliere dont il est ici question, c'est une vérité attestée par bien des preuves de fait.

1°. La langue hébraïque & ses dialectes n'ont point admis cette forme ; mais elle y est remplacée par un idiotisme qui présente uniquement à l'esprit cette addition ampliative & absolue ; c'est la répétition de l'adjectif même ou de l'adverbe. Cette sorte d'hébraïsme se rencontre fréquemment dans la version vulgate de l'Ecriture, & il est utile d'en être prévenu pour en saisir le sens, malum est, malum est, dicit omnis emptor, (Prov. xx. 17.) c'est-à-dire, pessimum est. Voyez AMEN, IOTISMEISME. La répétition même du verbe est encore un tour énergique, que l'analyse ne peut rendre que par ce qu'on nomme superlatif : par exemple, fiat ! signifie analytiquement cupio hoc ut res fiat ; mais fiat, fiat ! c'est cupio vehementissimè, &c.

2°. L'idée de cette répétition pour désigner le sens ampliatif ; & celle sur-tout de la triple répétition, n'étoit pas inconnue aux Latins : le tergeminis tollere honoribus d'Horace, I. od. 1 ; son robur & aes triplex, I. od. 3 ; le terveneficus de Plaute, pour signifier un grand empoisonneur ; son trifur, voleur consommé ; son triparens, fort mesquin ; le mot de Virgile, I. aen. 98. o terque quaterque beati, répeté par Tibulle, o felicem illum terque quaterque diem, & rendu encore par Horace sous une autre forme, felices ter & amplius ; tout cela, & mille autres exemples, démontre assez que l'usage de cette langue attachoit un sens véritablement empliatif, sur-tout à la triple répétition du mot.

3°. Vossius, de anal. II. 20. nous fournit de la même vérité, une preuve d'une autre espece, quoiqu'il en tire une conséquence assez différente ; voici ses propres termes : non parùm hanc sententiam juvat ; (il parle de son opinion particuliere, & je l'applique à la mienne avec plus de justesse, si je ne me trompe) ; quòd superlativi, in antiquis inscriptionibus, positivi geminatione exprimi soleant : ita BB in iis notat benè benè, hoc est optimè : item BB, bonis bonis, hoc est optimis ; & FF. PP. FF. fortissimi, piissimi, felicissimi ; item LL. libentissimè ; MM. meritissimò, etiam malus malus, hoc est pessimus. Vossius cite Gruter pour garant de ce qu'il avance, & j'y renvoye avec lui.

4°. Cet usage de répéter le mot pour en amplifier le sens, n'étoit pas ignoré des Grecs, non qu'ils le répétassent en effet, mais ils en indiquoient la répétition : ; (Odyss. 5.) ter beati Danaï & quater, c'est-à-dire, beatissimi Danaï : on peut observer que le surnom de Mercure Trismégiste, , a par emphase une double ampliation, puisqu'il signifie littéralement ter maximus.

5°. Les Italiens ont un superlatif assez semblable à celui des Latins, de qui ils paroissent l'avoir emprunté, mais il n'a dans leur langue que le sens ampliatif que nous rendons par très : sapiente, sage ; sapientissimo pour le masculin, & sapientissima pour le féminin, très-sage. Jamais il n'a le sens comparatif que nous exprimons par plus précédé d'un article. " Le plus, dit Vénéroni (part. I. ch. ij.) s'exprime par il più ; exemples : le plus beau, il più bello ; le plus grand, il più grande ; la plus belle, la più bella ; les plus beaux, i più belli ; les plus belles, le più belle ". Et de même, le plus sage, il più sapiente ; la plus sage, la più sapiente ; les plus sages, i più sapienti, m. ou le più sapienti, f. Il me semble que cette distinction prouve assez clairement que le superlatif latin n'avoit, de même, que le sens ampliatif, & nullement le comparatif.

Il est vrai, car il faut tout avouer, que les Allemands ont un superlatif qui n'a au contraire que le sens comparatif, & nullement le sens ampliatif : ils disent au positif, weiss, sage ; & au superlatif ils disent wiessest, le plus sage ; s'ils veulent donner à l'adjectif le sens ampliatif, ils employent l'adverbe sehr, qui répond à notre très ou fort, & ils disent sehr weiss, très-sage, fort sage.

Cette différence des Italiens & des Allemands ne prouve rien autre chose que la liberté de l'usage dans les différens idiomes ; mais l'une des deux manieres ne prouve pas moins que l'autre la différence réelle du sens ampliatif, & du sens superlatif proprement dit, & par conséquent l'absurdité qu'il y auroit à prétendre que le même mot pût servir à exprimer l'un & l'autre, comme nos rudimentaires le pensent & le disent du superlatif latin. D'ailleurs la plus grande liaison de l'italien avec le latin, est une raison de plus pour croire que la maniere italienne est plus conforme que l'allemande à celle des Latins.

6°. Notre propre usage ne nous démontre-t-il pas la même vérité ? Les premiers grammairiens françois voyant le superlatif latin dans des phrases comparatives, & dans les phrases absolues, & se trouvant forcés de le traduire dans les unes par plus, précédé d'un article, & dans les autres par très ou fort, &c. n'ont pas manqué d'établir dans notre langue deux superlatifs, parce que la grammaire latine, dont ils ne croyent pas qu'il fallût s'écarter le moins du monde, leur montroit également le superlatif sous les deux formes : c'est à la vérité reconnoître bien positivement la différence & la distinction des deux sens ; mais où les a conduits l'homonymie de leur dénomination ? à distinguer un superlatif relatif, & un superlatif absolu : le relatif est celui qui suppose en effet une comparaison, & qui exprime un degré de supériorité universelle ; c'est celui que les Allemands expriment par la terminaison est, & nous par plus précédé d'un article, comme weissest, le plus sage : l'absolu est celui qui ne suppose aucune comparaison, & qui exprime simplement une augmentation indéfinie dans la qualité qui individualise le mot ; c'est celui que les Hébreux indiquent par la double ou triple répétition du mot que les Italiens marquent par la terminaison issimo pour le masculin, & issima pour le féminin, & que nous rendons communément par la particule très, comme sapientissimo, masc. sapientissima, fem. très-sage. Rien de plus choquant à mon gré, que cette distinction : l'origine du mot superlatif indique nécessairement un rapport de supériorité ; & par conséquent un superlatif absolu est une forme qui énonce sans rapport, un rapport de supériorité : c'est une antilogie insoutenable, mais cela doit se trouver souvent dans la bouche de ceux qui répetent en aveugles, ce qui a été dit avant eux, & qui veulent y coudre, sans réforme, des idées nouvelles que les progrès naturels de l'esprit humain font appercevoir.

Que conclure de tout ce qui précéde ? que le systême des degrés n'a pas encore été suffisamment approfondi, & que l'abus des termes de la grammaire latine, adaptés sans examen aux grammaires des autres langues, a jetté sur cette matiere une obscurité qui peut souvent occasionner des erreurs & des difficultés : ceci est sensible sur le sapientissimo des Italiens, & le weissest des Allemands ; le premier signifie très-sage, l'autre veut dire le plus sage, & cependant les grammairiens disent unanimement que tous deux sont au superlatif, ce qui est assigner à tous deux le même sens, & les donner pour d'exacts correspondans l'un de l'autre, quelque différence qu'ils ayent en effet.

Pour répandre la lumiere sur le systême des degrés, il faut d'abord distinguer le sens graduel de la forme particuliere qui l'exprime, parce qu'on retrouve les mêmes sens dans toutes les langues, quoique les formes y soient fort différentes. D'après cette distinction, quand on aura constaté le systême des différens sens graduels, il sera aisé de distinguer dans les divers idiomes les formes particulieres qui y correspondent, & de les caractériser par des dénonciations conversables sans tomber dans l'antilogie ni dans l'équivoque.

Or il me semble que l'on peut envisager dans la signification des mots qui en sont susceptibles, deux especes générales de sens graduels, que je nomme le sens absolu & le sens comparatif.

I. Un mot est pris dans un sens absolu, lorsque la qualité qui en constitue la signification individuelle, est considérée en soi & sans aucune comparaison avec quelque degré déterminé, soit de la même qualité, soit d'une autre : & il y a trois especes de sens absolus, savoir, le positif, l'ampliatif & le diminutif.

Le sens positif est celui même qui présente la signification primitive & fondamentale du mot, sans aucune autre idée accessoire de plus ni de moins : tel est le sens des adjectifs, bon, savant, sage, & des adverbes bien, savamment, sagement, quand on dit, par exemple, un BON livre, un homme SAVANT, un enfant SAGE, un livre BIEN écrit, parler SAVAMMENT, conduisez-vous SAGEMENT.

Le sens ampliatif est fondé sur le sens positif, & il n'en differe que par l'idée accessoire d'une grande intensité dans la qualité qui en constitue la signification individuelle : tel est le sens des mêmes adjectifs bon, sage, savant, & des mêmes adverbes bien, savamment, sagement, quand on dit, par exemple, un TRES-BON livre, un homme FORT SAVANT, un enfant BIEN SAGE, un livre FORT BIEN écrit, parler BIEN SAVAMMENT, conduisez-vous TRES-SAGEMENT.

Le sens diminutif porte de même sur le sens positif, dont il ne differe que par l'idée accessoire d'un degré foible d'intensité dans la qualité qui en constitue la signification individuelle : tel est encore le sens des mêmes adjectifs, bon, savant, sage, & des mêmes adverbes bien, savamment, sagement, quand on dit, par exemple, un livre ASSEZ BON, c'est un homme PEU SAVANT, un enfant PASSABLEMENT SAGE, un livre ASSEZ BIEN écrit, parler PEU SAVAMMENT, vous vous êtes conduit ASSEZ SAGEMENT ; car il est visible que dans toutes ces phrases on a l'intention réelle d'affoiblir l'idée que présenteroit le sens positif des adjectifs & des adverbes.

On sent bien qu'il ne faut pas prendre ici le mot de diminutif dans le même sens que lui donnent les Grammairiens en parlant des noms qu'ils appellent substantifs, tels que sont en latin corculum diminutif de cor, Terentiola diminutif de Terentia ; & en italien vecchino, vecchieto, vecchiettino, diminutifs de vecchio (vieillard) : ces diminutifs de noms ajoutent à l'idée de la nature exprimée par le nom, l'idée accessoire de petitesse, prise plutôt comme un signe de mépris, ou au contraire de caresse, que dans le sens propre de diminution physique, si ce n'est une diminution physique de la substance même, comme globulus diminutif de globus.

Les mots pris dans le sens diminutif dont il s'agit ici, énoncent au contraire une diminution physique, dans la nature de la qualité qui en constitue la signification fondamentale, un degré réellement foible d'intensité : tels sont en espagnol tristezico (un peu triste) diminutif de triste, & en latin tristiculus ou subtristis, diminutif de tristis, subobscaenè diminutif d'obscaenè, &c.

II. Un mot est pris dans un sens comparatif, lorsqu'un degré quelconque de la qualité qui constitue la signification primitive & individuelle du mot, est en effet relatif par comparaison, à un autre degré déterminé, ou de la même qualité, ou d'une autre, soit que ces degrés comparés appartiennent au même sujet, soit qu'ils appartiennent à des sujets différens. Or il y a trois especes de sens comparatifs, selon que le rapport accessoire que l'on considere, est d'égalité, de supériorité ou d'infériorité.

Le sens comparatif d'égalité est celui qui ajoute au sens positif l'idée accessoire d'un rapport d'égalité entre les degrés actuellement comparés.

Le sens comparatif de supériorité est celui qui ajoute au sens positif l'idée accessoire d'un rapport de supériorité à l'égard du degré avec lequel on le compare.

Le sens comparatif d'infériorité est celui qui ajoute au sens positif l'idée accessoire d'un rapport d'infériorité à l'égard du degré avec lequel on le compare.

Ainsi, quand on dit, Pierre est AUSSI SAVANT, PLUS SAVANT, MOINS SAVANT aujourd'hui qu'hier, on compare deux degrés successifs de savoir considérés dans le même sujet : & l'adjectif savant, qui exprime le degré de savoir d'aujourd'hui, reçoit de l'adverbe aussi le sens comparatif d'égalité ; de l'adverbe plus, le sens comparatif de supériorité ; & de l'adverbe moins, le sens comparatif d'infériorité.

Quand on dit, Pierre est AUSSI SAVANT, PLUS SAVANT, MOINS SAVANT que sage, on compare le degré de savoir qui se trouve dans Pierre, avec le degré de sagesse dont est pourvu le même sujet : & au moyen des mêmes adverbes aussi, plus, moins, l'adjectif savant reçoit les différens sens comparatifs d'égalité, de supériorité ou d'infériorité.

Si l'on dit, Pierre est AUSSI SAVANT que Paul est sage, ou bien, Pierre est PLUS SAVANT, MOINS SAVANT que Paul n'est sage, on compare le degré de savoir de Pierre avec le degré de sagesse de l'autre sujet Paul : & les divers rapports du savoir de l'un à la sagesse de l'autre, sont encore marqués par les mêmes adverbes ajoutés à l'adjectif savant.

On peut comparer différens degrés de la même qualité considérés dans des sujets, & différencier par les mêmes adverbes les rapports d'égalité, de supériorité ou d'infériorité. Ainsi, pour comparer un degré pris dans un sujet, avec un degré pris dans un autre sujet, on dira, Pierre est AUSSI SAVANT, PLUS SAVANT, MOINS SAVANT que Paul, c'est énoncer en quelque sorte une égalité, une supériorité ou une infériorité individuelle : mais pour comparer un degré pris dans un sujet avec chacun des degrés pris dans tous les sujets d'un certain ordre, on dira, Pierre est AUSSI SAVANT qu'aucun jurisconsulte, ou bien, Pierre est LE PLUS SAVANT, LE MOINS SAVANT des jurisconsultes ; c'est énoncer une égalité, une supériorité ou une infériorité universelle, ce qu'il faut bien observer.

III. Voici le tableau abregé du systême des divers sens graduels dont un même mot est susceptible.

Sans m'arrêter aux dénominations reçues, j'ai songé à caractériser chacun de ces sens par un nom véritablement tiré de la nature de la chose ; parce que je suis persuadé que la nomenclature exacte des choses est l'un des plus solides fondemens du véritable savoir, selon un mot de Coménius que j'ai déja cité ailleurs : Totius eruditionis posuit fundamentum, qui nomenclaturam rerum naturae & artis perdidicit. Jan. Ling. tit. I. period. iv.

Or il est remarquable que le sens comparatif ne se présente pas sous la forme unique à laquelle on a coutume d'en donner le nom ; & si quelqu'un de ces sens doit être appellé superlatif, c'est précisément celui que l'on nomme exclusivement comparatif, parce que c'est le seul qui énonce le rapport de supériorité, dont l'idée est nettement désignée par le mot de superlatif.

Sanctius trouve à redire, comme je fais ici, à l'abus des dénominations introduites à cet égard par la foule des grammairiens, (Minerv. II. xj.) Perizonius observe (Ibid. not. I.) que quand il s'agit de l'usage des choses, il est inutile d'incidenter sur les noms qu'on leur a donnés ; parce que ces noms dépendent de l'usage de la multitude qui est inconstante & aveugle ; & que d'ailleurs il doit en être des noms des différens degrés comme de ceux des cas, des genres, & de tant d'autres par lesquels les Grammairiens se sont contentés de désigner ce qu'il y a de principal dans la chose, vû la difficulté d'inventer des noms qui en exprimassent toute la nature.

Mais je ne donnerai pour réponse à cet habile commentateur de la Minerve, que ce que j'ai déja remarqué ailleurs, voyez IMPERSONNEL, d'après Bouhours & Vaugelas, sur la nécessité de distinguer un bon & un mauvais usage dans le langage national, & ce que j'en ai inséré par rapport au langage didactique.

J'ajouterai ici pour ce qui concerne la prétendue difficulté d'inventer des noms qui expriment la nature entiere des choses, qu'elle n'a de réalité que pour ceux à qui la nature est inconnue ; que d'ailleurs, quand on vient à l'approfondir davantage, la nomenclature doit être réformée d'après les nouvelles lumieres, sous peine de ne pas exprimer avec assez d'exactitude ce que l'on conçoit ; & que pour le cas présent, j'ose me flatter d'avoir employé des dénominations assez justes pour ne laisser aucune incertitude sur la nature des sens graduels.

IV. Il ne reste donc plus qu'à reconnoître comment ils sont rendus dans les langues.

De toutes les maniéres d'adapter les sens graduels aux mots qui en sont susceptibles, celle qui se présente la premiere aux yeux de la Philosophie, c'est la variation des terminaisons. Cependant, si l'on excepte le positif, qui est par-tout la forme primitive & fondamentale du mot, il n'y a aucun des autres qui soit énoncé par-tout par des terminaisons spéciales. Nous n'en avons aucune, si ce n'est pour le sens ampliatif d'un petit nombre de mots conservés au cérémonial, sérénissime, éminentissime, &c. Voyez Bouhours, Rem. nouv. tome I. page 312. & pour le sens comparatif de supériorité de quelques mots empruntés du latin sans égard à l'analogie de notre langue, comme meilleur, pire, moindre, mieux, moins, pis, au-lieu de plus bon, plus mauvais, plus petit, plus bien, plus peu, plus mal : mais ces exceptions mêmes en si petit nombre confirment l'universalité de notre analogie.

1°. Le sens ampliatif a une terminaison propre en grec, en latin, en italien & en espagnol ; c'est celle que l'on nomme mal-à-propos le superlatif. Ainsi très-sage se dit en grec , en latin sapientissimus, en italien sapientissimo, en espagnol prudentissimo ; mots dérivés des positifs , sapiens, sapiente, prudente, qui tous signifient sage. Dans les langues orientales anciennes, le sens ampliatif se marque par la répétition matérielle du positif ; & ce tour qui est propre au génie de ces langues, a quelquefois été imité dans d'autres idiomes ; j'ai quelquefois vu des enfans, sous l'impression de la simple nature, dire de quelqu'un, par exemple, qui fuyoit, qu'il étoit loin loin, d'un homme dont la taille les avoit frappés par sa grandeur ou par sa petitesse, qu'il étoit grand grand, ou petit petit, &c. notre très, qui nous sert à l'expression du même sens, est l'indication de la triple répétition ; mais nous nous servons aussi d'autres adverbes, & c'est la maniere de la plûpart des langues qui n'ont point adopté de terminaisons ampliatives, & spécialement de l'allemand qui employe sur-tout l'adverbe sehr, en latin valdè, en françois, fort.

2°. Le sens diminutif se marque presque par-tout par une expression adverbiale qui se joint au mot modifié, comme un peu obscur, un peu triste, un peu froid. Il y a seulement quelques mots exceptés dans différens idiomes, lesquels reçoivent ce sens diminutif, ou par une particule composante, comme en latin subobscurus, subtristis ; ou par un changement de terminaison, comme en latin frigidiusculus, ou frigidulus, tristiculus, & en espagnol tristezico.

3°. Je ne connois aucune langue où le comparatif d'égalité soit exprimé autrement que par une addition adverbiale ; aussi sage, aussi loin : si ce n'est peut-être dans quelques mots exceptés par hasard, comme tantus qui veut dire en latin tam magnus.

4°. Le comparatif de supériorité a une terminaison propre en grec & en latin : de , sage, vient , plus sage ; de même les Latins de sapiens forment sapientior. Comme c'est dans ces deux langues le seul des trois sens comparatifs qui y ait reçu une terminaison propre, on donne à l'adjectif pris sous cette forme le simple nom de comparatif. Pourvu qu'on l'entende ainsi, il n'y a nul inconvénient ; sur-tout si l'on se rappelle que ce sens comparatif énonce un rapport de supériorité, quelquefois individuelle & quelquefois universelle. La langue allemande, & peut-être ses dialectes, a deux terminaisons différentes pour ces deux sortes de supériorité : quand il s'agira de la supériorité individuelle, ce sera le comparatif ; & quand il sera question de la supériorité universelle, ce sera véritablement le superlatif : weiss (sage) ; weisser (plus sage), comparatif ; weisset (le plus sage), c'est le superlatif. D'où il suit que ce seroit induire en erreur, que de dire que les Allemands ont, comme les Latins, trois degrés terminés ; le superlatif allemand weisset n'est point du tout l'équivalent du des Grecs, ni du sapientissimus des Latins, qui tous deux signifient très-sage ; il ne répond qu'à notre le plus sage.

En italien, en espagnol & en françois, il n'y a aucune terminaison destinée ni pour le comparatif proprement dit, ni pour le superlatif : on se sert également dans les trois idiomes de l'adverbe qui exprime la supériorité, piu en italien, mas en espagnol, plus en françois ; più sapiente, ital. mas prudente, esp. plus sage, franç. Voilà le comparatif proprement dit.

Pour ce qui est du superlatif, nous ne le différencions du comparatif propre qu'en mettant l'article le, la, les ou son équivalent avant le comparatif ; je dis son équivalent, non-seulement pour y comprendre les petits mots du, au, des, aux, qui sont contractés d'une préposition & de l'article, mais encore les mots que j'ai appellés articles possessifs, savoir mon, ma, mes, notre, nos ; ton, ta, tes, votre, vos ; son, sa, ses, leur, leurs ; parce qu'ils renferment effectivement, dans leur signification, celle de l'article & celle d'une dépendance relative à quelqu'une des trois personnes, voyez POSSESSIF. Nous disons donc au comparatif, plus grand, plus fidele, plus tendre, plus cruel, & par exception, meilleur, moindre, &c. & au superlatif nous disons avec l'article simple, la plus grande de mes passions, le plus fidele de vos sujets, le plus tendre de ses amis, les plus cruels de nos ennemis, le meilleur de tes domestiques, le moindre de leurs soucis, ce qui est au même degré que si l'on mettoit l'article possessif avant le comparatif, & que l'on dit, ma plus grande passion, votre plus fidele sujet, son plus tendre ami, nos plus cruels ennemis, ton meilleur domestique, leur moindre souci.

Nous conservons au superlatif la même forme qu'au comparatif, parce qu'en effet l'un exprime comme l'autre un rapport de supériorité ; mais le superlatif exige de plus l'article simple ou l'article possessif, & c'est par-là qu'est désignée la différence des deux sens : sur quoi est fondé cet usage ?

Quand on dit, par exemple, ma passion est plus grande que ma crainte, on exprime tout ; & le terme comparé ma passion, & le terme de comparaison, ma crainte ; & le rapport de supériorité de l'un à l'égard de l'autre, plus grande ; & la liaison des deux termes envisagés sous cet aspect, que : ainsi l'esprit voit clairement qu'il y a un rapport de supériorité individuelle.

Mais quand on dit, la plus grande de mes passions, l'analyse est différente : la annonce nécessairement un nom appellatif, c'est sa destination immuable, & les circonstances de la phrase n'en désignent pas d'autres que passion ; ainsi il faut d'abord dire par supplément, la (passion) plus grande : la préposition de, qui suit, ne peut pas tomber sur grande, cela est évident ; ni sur plus grande, nous ne parlons jamais ainsi ; elle tombe donc sur un nom appellatif encore sous-entendu, & comme il s'agit ici d'une supériorité universelle, il me semble que le supplément le plus naturel est la totalité, & qu'il faut dire par supplément, (la totalité) de mes passions : mais ce supplément doit tenir par quelque lien particulier à l'ensemble de la phrase, & d'ailleurs plus grande n'étant plus qu'un simple comparatif exige un que & un terme individuel de comparaison ; je ferois donc ainsi l'analyse entiere de la phrase, la (passion) plus grande que les autres (passions de la totalité) de mes passions ; ce qui exprime bien clairement la supériorité universelle qui caractérise le superlatif.

Si l'on dit au contraire, ma plus grande passion, la suppression totale du terme de comparaison est le signe autorisé par l'usage pour désigner que c'est la totalité des autres objets de même nom, & que la phrase se réduit analytiquement à celle-ci, ma passion plus grande (que toutes mes autres passions).

Dans ces deux cas, l'article simple ou possessif, servant à individualiser l'objet qualifié par le comparatif, est le signe naturel qu'on doit le regarder comme extrait, à cet égard, de la totalité des autres objets de même nature soumis à la même qualification.

5°. Le comparatif d'infériorité est exprimé par l'adverbe qui marque l'infériorité, du-moins dans toutes les langues dont j'ai connoissance : les Grecs disent, ; les Latins, minus sapiens ; les Italiens, meno sapiente ; les Espagnols, menos prudente ; & nous, moins sage.

Comme moins est par lui-même comparatif, si nous avons besoin d'en exprimer le sens superlatif, nous le faisons comme il vient d'être dit, par l'addition de l'article simple ou possessif ; le moins instruit des enfans ; votre moins belle robe.

V. L'exposition que je viens de faire du systême des sens graduels seroit incomplete , si je ne fixois pas les especes de mots qui en sont susceptibles. Tout le monde conviendra sans-doute que grand nombre d'adjectifs & d'adverbes sont dans ce cas : mais il paroîtra peut-être surprenant à quelques-uns, si j'avance qu'un grand nombre de verbes sont également susceptibles des sens graduels, & qu'il auroit pu arriver dans quelques idiomes, que l'usage les y eût caractérisés par des terminaisons propres ; cependant la chose est évidente.

Les adjectifs & les adverbes qui peuvent recevoir les différens sens graduels, & conséquemment des terminaisons qui y soient adaptées, ne le peuvent, que parce que la qualité qui en constitue la signification individuelle, est en soi susceptible de plus & de moins : il est donc nécessaire que tout verbe, dont la signification individuelle présente à l'esprit l'idée d'une qualité susceptible de plus & de moins, soit également susceptible des sens graduels, & puisse recevoir de l'usage des terminaisons qui y soient relatives.

Quant à la possibilité des terminaisons qui caractériseroient dans les verbes ces différens sens ; c'est un point qui est inséparable de la susceptibilité même des sens, puisque l'usage est d'ailleurs le maître absolu d'exprimer comme il lui plaît tout ce qui est de l'objet de la parole. Cela se justifie d'ailleurs par plusieurs usages particuliers des langues.

1°. La voix active & la voix passive des Latins donnent un exemple qui auroit pu être étendu davantage : si l'usage a pu établir sur un même radical des variations pour deux points de vue si différens, rien n'empêchoit qu'il n'en introduisît d'autres pour d'autres vues ; & quoique l'on ne trouve point de terminaisons graduelles dans les verbes latins, on y rencontre au-moins quelques verbes composés qui, par-là, en ont le sens : amare (aimer), est le positif ; adamare (aimer ardemment), c'est l'ampliatif : " la préposition per, dit l'auteur des recherches sur la langue latine (ch. xxv. p. 328.) est dans tous les verbes, comme aussi dans les noms adjectifs & les adverbes, augmentative de ce que signifie le simple ; & dans le plus grand nombre des verbes, elle y équipolle à l'un de ces adverbes françois, beaucoup, grandement, fortement, parfaitement ou en perfection, tout-à-fait, entierement " ; il est aisé de reconnoître à ces traits le sens ampliatif : malo est en quelque sorte le comparatif de supériorité de volo, &c.

2°. Les terminaisons d'un même verbe hébraïque sont en bien plus grand nombre, puisqu'à s'en tenir à la doctrine de Masclef, laquelle est beaucoup plus restrainte que celle des autres hébraïsans, le même verbe radical reçoit jusqu'à cinq formes différentes, que l'on appelle des conjugaisons ; mais que j'appellerois plus volontiers des voix : ainsi l'on dit (mesar) tradidit ; (noumesar) traditus est ; (hemesir) tradere fecit ; (hemesar) tradi fecit ; (hethmesar) se tradidit. Sur quoi il faut observer que je suis ici la méthode de Masclef pour la lecture des mots hébreux.

3°. La langue lapone, que nous ne soupçonnons peut-être pas de mériter la moindre attention de notre part, nous présente néanmoins l'exemple d'une dérivation bien plus riche encore par rapport aux verbes : on y trouve laidet, conduire ; laidelet, continuer l'action de conduire ; laidetet, faire conduire ; laidetallet, se faire conduire ; laidegaetet, commencer à conduire ; laidestet, conduire un peu (c'est le sens diminutif) ; laidanet, être conduit de plein gré ; laidanovet, être conduit malgré soi ou sans s'aider ; laidetalet, empêcher de conduire. Voyez les notes sur le ch. iij. de la description historique de la Laponie suédoise, traduit de l'allemand par M. de Kéralio de Gourlay.

Je terminerois ici cet article, si je ne me rappellois d'avoir vu dans les mémoires de Trévoux (Octobre 1759. II. vol. p. 2668) une lettre de M. l'abbé de Wailly aux auteurs de ces mémoires, sur quelques expressions de notre langue, laquelle peut donner lieu à quelques observations utiles. Ce grammairien y examine trois expressions, dont les deux premieres ont déja été discutées par Vaugelas, rem. 514. & 85. & la troisieme par M. l'abbé Girard, vrais princip. disc. xj. tom. II. p. 218. Je ne parlerai point ici de la premiere ni de la troisieme, qui sont étrangeres à cet article, & je ne m'arrêterai qu'à la seconde qui y a rapport direct. Rien de mieux que les observations de M. de W. sur la remarque 85. de Vaugelas, & je souscris à tout ce qu'il en pense : je crois cependant qu'il auroit encore dû relever ici quelques fautes échappées à Vaugelas, ne fût-ce que pour en arrêter les suites, parce qu'on prend volontiers les grands hommes pour modeles.

Cet académicien énonce ainsi sa regle : Tout adjectif mis après le substantif avec ce mot plus, entre deux, veut toujours avoir son article, & cet article se met immédiatement devant plus, & toujours au nominatif, quoique l'article du substantif qui va devant soit en un autre cas, quelque cas que ce soit. Il applique ensuite la regle à cet exemple : c'est la coutume des peuples les plus barbares.

Or indépendamment de la doctrine des cas, qui est insoutenable dans notre langue (voyez CAS), il est notoirement faux que tout adjectif mis après son substantif, avec ce mot plus, entre deux, veuille toujours avoir son article : en voici la preuve dans un exemple que M. de W. cite lui-même, sans en faire la remarque ; je parle d'une matiere plus délicate que brillante : il n'y a point là d'article avant plus, & il ne doit point y en avoir, quoique l'adjectif soit après son substantif.

Il semble que Vaugelas ait senti le vice de son énoncé, & qu'il ait voulu en prévenir l'impression. " Au reste, dit-il plus bas, quand il est parlé de plus ici, c'est de celui qui n'est pas proprement comparatif, mais qui signifie très, comme aux exemples que j'ai proposés ". Mais, comme l'observe très-bien M. Patru, " ce plus est pourtant comparatif dans les exemples rapportés par l'auteur : car en cette façon de parler (c'est la coutume des peuples les plus barbares), on sousentend de la terre, du monde, & autres semblables qui n'y sont pas exprimées.... L'adverbe très ne peut convenir avec ces manieres de parler ". J'ajouterai à cette excellente critique de M. Patru, qu'il me semble avoir assez prouvé que notre plus est toujours le signe d'un rapport de supériorité, & conséquemment qu'il exprime toujours un sens comparatif ; au lieu que notre très ne marque qu'un sens ampliatif, qui est essentiellement absolu, d'où vient que ces deux mots ne peuvent jamais être synonymes : ce que Vaugelas envisageoit donc, & qu'il n'a pas exprimé, c'est la distinction de la supériorité individuelle, & de la supériorité universelle, dont l'une est marquée par plus sans article, & l'autre plus, précédé immédiatement d'un article simple ou d'un article possessif ; ce qui fait la différence du comparatif propre & du superlatif.

Outre ce mal-entendu, Vaugelas s'est encore apperçu lui-même dans sa regle d'un autre défaut qu'il a voulu corriger ; c'est qu'elle est trop particuliere, & ne s'étend pas à tous les cas où la construction dont il s'agit peut avoir lieu ; c'est pourquoi il ajoute : " Ce que j'ai dit de plus, s'entend aussi de ces autres mots, moins, mieux, plus mal, moins mal ". Mais cette addition-même est encore insuffisante, puisque l'adjectif comparatif meilleur est encore dans le même cas, ainsi que tous les adverbes qui seront précédés de plus ou de moins, lorsqu'ils précédent eux-mêmes, & qu'ils modifient un adjectif mis après son substantif, pour parler le langage ordinaire : ex. je parle du vin le meilleur que l'on puisse faire dans cette province ; du systême le plus ingénieusement imaginé, le moins heureusement exécuté, le plutôt réprouvé, &c.

Puisque M. de W. avoit pris cette remarque de Vaugelas en considération, il devoit, ce me semble, relever tous les défauts de la regle proposée par l'académicien, & des corrections même qu'il y avoit faites, & ramener le tout à une énonciation plus générale, plus claire, & plus précise. Voici comme je rectifierois la regle, d'après les principes que j'ai posés soit dans cet article, soit dans tout autre : si un adjectif superlatif, ou précédé d'un adverbe superlatif qui le modifie, ne vient qu'après le nom auquel il se rapporte ; quoique le nom soit accompagné de son article, il faut pourtant répéter l'article simple avant le mot qui exprime le rapport de supériorité ; mais sans répéter la préposition dont le nom peut être le complément grammatical.

Vaugelas, non content d'établir une regle, cherche encore à en rendre raison ; & celle qu'il donne, pourquoi on ne répete pas avant le superlatif la préposition qui peut être avant le nom, c'est, dit-il, parce qu'on y sousentend ces deux mots, qui sont, ou qui furent, ou qui sera, ou quelqu'autre tems du verbe substantif avec qui. Voici sur cela la critique de M. de W.

" Si l'on ne met point, dit-il, la préposition de ou à entre le superlatif & le substantif, " (il auroit dit la même chose de toute autre préposition, s'il n'avoit été préoccupé, contre son intention même, de l'idées des cas dont Vaugelas fait mention) ; " ce n'est pas, comme l'a cru Vaugelas, parce qu'on y sousentend ces mots qui sont, qui furent, ou qui sera, &c. c'est parce que la préposition n'est point nécessaire en ce cas entre l'adjectif & le substantif ". Mais ne puis-je pas demander à M. de W. pourquoi la préposition n'est point nécessaire entre l'adjectif & le substantif ; ou plutôt n'est-ce pas à cette question-même que Vaugelas vouloit répondre ? Quand on veut rendre raison d'un fait grammatical, c'est pour expliquer la cause d'une loi de grammaire ; car ce sont les faits qui y font la loi. La remarque de M. de W. signifie donc que la préposition n'est point nécessaire en ce cas, parce qu'elle n'y est point nécessaire. Or assurément il n'y a personne qui ne voye évidemment jusqu'à quel point est préférable l'explication de Vaugelas. La nécessité de répéter l'article avant le mot comparatif, vient du choix que l'usage de notre langue en a fait pour désigner la supériorité universelle, au moyen de tous les supplémens dont l'article reveille l'idée, & que j'ai détaillés plus haut : ce besoin de l'article suppose ensuite la répétition du nom qualifié, lequel ne peut être répété que comme partie d'une proposition incidente, sans quoi il y auroit pléonasme ; & cette proposition incidente est amenée tout naturellement par qui sont, qui furent, qui sera, &c. donc ces mots doivent essentiellement être suppléés, & dès-lors la préposition qui précede leur antécédent n'est plus nécessaire dans la proposition incidente qui est indépendante dans sa construction, de toutes les parties de la principale.

" Comme il est ici question du superlatif, dit ensuite de M. de W. permettez-moi d'observer que le célebre M. du Marsais pourroit bien s'être trompé quand il a dit dans cette phrase, deorum antiquismus habebatur coelum, c'est comme s'il y avoit coelum habebatur antiquissimus (è numero) deorum. Il me semble que c'est deus qui est sousentendu : coelum habebatur antiquissimus (deus) deorum. En effet, comme je l'ai remarqué dans ma grammaire, quand nous disons, le Luxembourg n'est pas la moins belle des promenades de Paris ; c'est comme s'il y avoit, le Luxembourg n'est pas la moins belle (promenade) des promenades de Paris : & n'est-ce pas à cause de ce substantif sousentendu que le superlatif relatif est suivi en françois de la préposition de, & en latin d'un génitif " ?

M. de W. pourroit bien s'être trompé lui-même en plus d'une maniere. 1°. Il s'est trompé en prenant occasion de ses remarques, sur une regle qui concerne les superlatifs françois pour critiquer un principe qui concerne la syntaxe des superlatifs latins, & qui n'a aucune analogie avec la regle en question : non erat hic locus. 2°. Il s'est trompé, je crois, dans sa critique ; & voici les raisons que j'ai de l'avancer.

Il est vrai que dans la phrase latine du P. Jouvenci, interpretée par M. du Marsais, deus est sousentendu ; & cela est même indiqué par deux endroits du texte ; l'adjectif antiquissimus suppose nécessairement un nom masculin au nominatif singulier ; & d'autre part deorum, qui est ici le terme de la comparaison énoncée par l'ensemble de la phrase, démontre que ce nom doit être deus, parce que dans toute comparaison, les termes comparés doivent être homogenes. Mais il ne s'ensuit point que ce soit à cause du nom sousentendu deus, que l'adjectif antiquissimus est suivi du génitif deorum : ou bien la proposition n'est point comparative, & dans ce cas coelum habebatur antiquissimus deus deorum (en regardant deorum comme complément de deus), signifie littéralement, le ciel étoit reputé le très-ancien dieu des dieux, c'est-à-dire, le très-ancien dieu créateur & maître des autres dieux ; de même que deus deorum dominus locutus est (Ps. xlix. 1.), signifie le seigneur dieu des dieux a parlé. Car le génitif deorum appartenant au nom deus, ne peut lui appartenir que dans ce sens, & alors il ne reste rien pour énoncer le second terme de la comparaison, puisqu'il est prouvé qu'antiquissimus par lui-même n'a que le sens ampliatif, & nullement le sens superlatif ou de comparaison.

Quand la phrase où est employé un adjectif ampliatif, a le sens superlatif, la comparaison y est toujours rendue sensible par quelque autre mot que cet adjectif, & c'est communément par une préposition : ante alios pulcherrimus omnes (très-beau au-dessus de tous les autres, c'est-à-dire le plus beau de tous ; & afin qu'on ne pense pas que ce plus beau de tous n'est que le moins laid, l'auteur ne dit pas simplement, ante alios pulcher, mais pulcherrimus, très-beau réellement beau) ; de même, famosissima SUPER caeteras coena ; INTER omnes maximus ; EX omnibus doctissimus. Quelquefois aussi l'idée de la comparaison est simplement indiquée par le génitif qui est une partie du second terme de la comparaison ; mais il n'en est pas moins nécessaire de retrouver, par l'analyse, la préposition qui seule exprime la comparaison : dans ce cas il faut suppléer aussi le complément de la préposition, qui est le nom sur lequel tombe le génitif exprimé.

Il résulte de-là qu'il faut suppléer l'une des prépositions usitées dans les exemples que l'on vient de voir, & lui donner pour complément immédiat un nom appellatif, dont le génitif exprimé dans le texte puisse être le complément déterminatif ; & comme le sens présente toujours dans ce cas l'idée d'une supériorité universelle, le nom appellatif le plus naturel me semble être celui qui énoncera la totalité, comme universa turba, numerus integer, &c. de même que pour la phrase françoise j'ai prouvé qu'il falloit suppléer la totalité avant la préposition de.

Ainsi deorum antiquissimus habebatur coelum, ne peut pas être mieux interpreté qu'en disant : coelum habebatur (deus) antiquissimus, (ante universam turbam) deorum, ou (super universam turbam) deorum, ou (inter universam turbam) deorum ; ou enfin (ex integro numero) deorum. Si M. du Marsais s'est trompé, ce n'est qu'en omettant deus, & l'adjectif integro, qui est nécessaire pour indiquer la supériorité universelle, ou le sens superlatif.

Il en est de même de la phrase françoise de M. de Wailly, le Luxembourg n'est pas la moins belle des promenades de Paris, selon l'analyse que j'ai indiquée plus haut, & qui se rapproche beaucoup de celle qu'exige le génie de la langue latine, elle se réduit à celle-ci : le Luxembourg n'est pas la (promenade) moins belle (que les autres promenades de la totalité) des promenades de Paris. Si ce grammairien trouvoit dans mes supplémens trop de prolixité ou trop peu d'harmonie, je le prierois de revoir plus haut ce que j'ai déjà répondu à une pareille objection ; & j'ajoute ici que cette prolixité analytique ne doit être condamnée, qu'autant que l'on détruiroit les principes raisonnés qui en sont le fondement, & que je crois établis solidement. (E. R. M. B.)


SUPERPATIENTadj. (Arithmet. & Géom.) sorte de rapport. On dit que deux nombres ou deux lignes sont superpatientes, lorsqu'une des deux contient l'autre un certain nombre de fois avec un reste, & que ce reste est une de ses aliquotes.


SUPERPOSITIONS. f. (Géom.) maniere de démontrer qui consiste à appliquer une figure sur une autre. Voyez sur cela l'article GEOMETRIE.


SUPERPURGATIONLA, s. f. (Médecine) est une purgation excessive & trop violente. Voyez PURGATION. Elle arrive à la suite d'un purgatif trop violent, ou donné à trop grande dose.

Un homme qui avoit pris intérieurement de la poudre de diacarthame, alla à la selle jusqu'à cent fois, & fut guéri de cette superpurgation par un bouillon de chapon, dans lequel on avoit mêlé une once de sucre rosat, cinq grains de laudanum & un jaune d'oeuf. Au lieu de laudanum on employe quelquefois la thériaque nouvelle de Venise, à la dose d'un gros & demi. Burnet.


SUPERSEDERv. n. (Gram. & Jurisp.) du latin supersedere ; signifie en terme de pratique, surseoir la continuation de quelque acte ou procédure. Voyez SURSEANCE. (A)


SUPERSTITIEUX(Philosophie) c'est celui qui se fait une idée plus ou moins effrayante de la divinité & du culte religieux.

La crainte continuelle qui agitoit ce malheureux sur la tête duquel étoit suspendue une pierre énorme, ne rendoit pas son état plus triste, que l'est quelquefois la situation du superstitieux. Le sommeil peut délivrer un esclave de la vie importune d'un maître qu'il déteste, & lui faire oublier le poids de ses chaînes ; mais le sommeil du superstitieux est communément agité par des visions effrayantes. Il craint l'Etre bienfaisant, & regarde comme tyrannique son empire paternel. Inconsolable dans l'adversité, il se juge digne des maux qu'il souffre, & ne suit que de fausses démarches pour en adoucir le fardeau. Il ne croit jamais avoir rempli ses devoirs, parce qu'il n'en connoît ni l'étendue, ni les bornes. Il s'attache sur-tout aux formalités, qu'il regarde comme des choses essentielles. Telle est la source des minuties qui sont si cheres aux ames foibles & aux ignorans. Aussi voit-on que les personnes de peu de génie, celles qui ont été mal élevées, celles qui ont passé leur jeunesse dans le vice & le libertinage, deviennent naturellement superstitieuses. En général, il n'y a point d'absurdité si grossiere, ni de contradiction si palpable, que les grands, le petit peuple, les soldats, les vieilles femmes & la plupart des joueurs, ne se portent à croire sur les causes invisibles, la religion, la divination, les songes, & toutes les pratiques les plus vaines & les plus ridicules. (D.J.)


SUPERSTITION(Métaphys. & Philos.) tout excès de la religion en général, suivant l'ancien mot du paganisme : il faut être pieux, & se bien garder de tomber dans la superstition.

Religentem esse oportet, religiosum nefas.

Aul. Gell. l. IV. c. ix.

En effet, la superstition est un culte de religion, faux, mal dirigé, plein de vaines terreurs, contraire à la raison & aux saines idées qu'on doit avoir de l'être suprême. Ou si vous l'aimez mieux, la superstition est cette espece d'enchantement ou de pouvoir magique, que la crainte exerce sur notre ame ; fille malheureuse de l'imagination, elle employe pour la frapper, les spectres, les songes & les visions ; c'est elle, dit Bacon,qui a forgé ces idoles du vulgaire, les génies invisibles, les jours de bonheur ou de malheur, les traits invincibles de l'amour & de la haine. Elle accable l'esprit, principalement dans la maladie ou dans l'adversité ; elle change la bonne discipline, & les coutumes vénérables en momeries & en cérémonies superficielles. Dès qu'elle a jetté de profondes racines dans quelque religion que ce soit, bonne ou mauvaise, elle est capable d'éteindre les lumieres naturelles, & de troubler les têtes les plus saines. Enfin, c'est le plus terrible fléau de l'humanité. L'athéisme même (c'est tout dire) ne détruit point cependant les sentimens naturels, ne porte aucune atteinte aux loix, ni aux moeurs du peuple ; mais la superstition est un tyran despotique qui fait tout céder à ses chimeres. Ses préjugés sont supérieurs à tous les autres préjugés. Un athée est intéressé à la tranquillité publique, par l'amour de son propre repos ; mais la superstition fanatique, née du trouble de l'imagination, renverse les empires. Voyez comme l'auteur de la Henriade peint les tristes effets de cette démence.

Lorsqu'un mortel atrabilaire,

Nourri de superstition

A par cette affreuse chimère,

Corrompu sa religion,

Son ame alors est endurcie,

Sa raison s'enfuit obscurcie,

Rien n'a plus sur lui de pouvoir,

Sa justice est folle & cruelle,

Il est dénaturé par zele,

Et sacrilége par devoir.

L'ignorance & la barbarie introduisent la superstition, l'hypocrisie l'entretient de vaines cérémonies, le faux zele la répand, & l'intérêt la perpétue.

La main du monarque ne sauroit trop enchaîner le monstre de superstition, & c'est de ce monstre, bien plus que de l'irreligion (toujours inexcusable) que le trône doit craindre pour son autorité, & la patrie pour son bonheur.

La superstition mise en action, constitue proprement le fanatisme, voyez FANATISME ; c'est un des beaux & des bons articles de l'Encyclopédie. (D.J.)


SUPINS. m. terme de Grammaire. Le mot latin supinus signifie proprement couché sur le dos ; c'est l'état d'une personne qui ne fait rien, qui ne se mêle de rien. Sur quel fondement a-t-on donné ce nom à certaines formes de verbes latins, comme amatum, monitum, rectum, auditum, &c. ? Sans entrer dans une discussion inutile des differentes opinions des grammairiens anciens & modernes sur cette question, je vais proposer la mienne, qui n'aura peut-être pas plus de solidité, mais qui me paroît du moins plus vraisemblable.

Les verbes appellés neutres par le commun des grammairiens, comme sum, existo, fio, sto, &c. Diomedes dit, au rapport de Vossius, (Anal. III. 2.) que le nom de supins leur fut donné par les anciens, quod nempe velut otiosa resupinaque dormiant, nec actionem, nec passionem significantia. Si les anciens ont adopté dans ce sens le terme de supin, comme pouvant devenir propre au langage grammatical ; c'est assurément dans le même sens qu'il a été donné à la partie des verbes qui l'a retenue jusqu'à présent, & c'est avec beaucoup de justice qu'il en est aujourd'hui la dénomination exclusive. Qu'il me soit permis, pour le prouver, de faire ici une petite observation métaphysique.

Quand une puissance agit, il faut distinguer l'action, l'acte & la passion. L'acte est l'effet qui résulte de l'opération de la puissance, (res acta), mais considéré en soi, & sans aucun rapport à la puissance qui l'a produit, ni au sujet sur qui est tombée l'opération ; c'est l'effet vû dans l'abstraction la plus complete . L'action, c'est l'opération même de la puissance ; c'est le mouvement physique ou moral, qu'elle se donne pour produire l'effet, mais sans aucun rapport au sujet sur qui peut tomber l'opération. La passion enfin, c'est l'impression produite par l'acte, dans le sujet sur qui est tombée l'opération. Ainsi, l'acte tient en quelque maniere le milieu, entre l'action & la passion ; il est l'effet immédiat de l'action, & la cause immédiate de la passion ; il n'est ni l'action, ni la passion. Qui dit action, suppose une puissance qui opere ; qui dit passion, suppose un sujet qui reçoit une impression ; mais qui dit acte, fait abstraction, & de la puissance active & du sujet passif.

Or, voilà justement ce qui distingue le supin des verbes : amare (aimer) exprime l'action ; amari (être aimé) exprime la passion ; amatum (aimé) exprime l'acte.

De-là vient, 1°. que le supin amatum peut être mis à la place du prétérit de l'infinitif, & qu'il a essentiellement le sens prétérit, dès qu'on le met à la place de l'action. Dictum est, l'acte de dire est, & par conséquent l'action de dire a été, parce que l'action est nécessairement antérieure à l'acte, comme la cause à l'effet ; ainsi dictum est a le même sens que dicere fuit ou dixisse est pourroient avoir, si l'usage les avoit autorisés.

De-là vient, 2°. que le prétérit du participe passif en françois, en italien, en espagnol & en allemand, ne differe du supin, que parce que le participe est déclinable, & que le supin ne l'est pas : supin indéclinable ; loué, fr. lodato, ital. alabado, esp. gelobett, all. Prétérit du participe passif, déclinable ; loué, ée, fr. lodato, ta, ital. alabado, da, esp. gelober, te, tes, all. & il y a encore à remarquer que le supin & le participe dans la langue allemande, ont tous deux la particule prépositive ge qui est le signe de l'antériorité, & qui ne se trouve que dans ces deux parties du verbe loben (louer) ; ce qui confirme grandement mes observations précédentes.

De-là vient, 3°. que le supin n'exprimant ni action, ni passion, a pu servir en latin à produire des formes actives & passives, comme il a plû à l'usage, parce que la diversité des terminaisons sert à marquer celle des idées accessoires qui sont ajoutées à l'idée fondamentale de l'acte énoncé par le supin ; ainsi le futur du participe actif, amaturus, a, um, & le prétérit du participe passif, amatus, a, um, sont également dérivés du supin.

Je ne m'étendrai pas davantage ici sur la nature du supin, ni sur la réalité de son existence dans notre langue & dans celles qui ont des procédés pareils à la nôtre, voyez PARTICIPE, art. II. Mais j'ajouterai seulement quelques remarques, qui sont des suites nécessaires de la nature même de la chose.

1°. Le supin est véritablement verbe, & fait une partie essentielle de la conjugaison, puisqu'il conserve l'idée différencielle de la nature du verbe, celle de l'existence sous un attribut, qui est marquée dans le supin par le rapport d'antériorité qui le met dans la classe des prétérits. Voyez VERBE, PRETERIT & TEMPS.

2°. Le supin est véritablement nom, puisqu'il peut être sujet d'un autre verbe, comme les noms ou complément objectif d'un verbe relatif, ou complément d'une préposition. Itum est, itum erat, itum erit ; le supin est ici le sujet du verbe substantif, & conséquemment au nominatif ; c'est la même chose dans cette phrase de Tite-Live, vij. 8. Diù non perlitatum tenuerat dictatorem, littéralement, n'avoir pas fait pendant long-tems de sacrifices agréables aux dieux avoit retenu le dictateur, car perlitare signifie faire des sacrifices agréables aux dieux, des sacrifices heureux & de bon augure ; c'est-à-dire ce qui avoit retenu le dictateur, c'est que depuis longtems on n'avoit point fait de sacrifices favorables. Dans Varron, esse in arcadiâ scio spectatum suem ; le supin est complément objectif de scio, & littéralement scio spectatum veut dire, je sais avoir vu. Enfin, dans Salluste, nec ego vos ultum injurias hortor, le supin est complément de la préposition ad, sous-entendue ici, & communément exprimée après le verbe hortor.

3°. Le supin, à proprement parler, n'est ni de la voix active, ni de la voix passive, puisqu'il n'exprime ni l'action, ni la passion, mais l'acte : cependant comme il se construit plus souvent comme la voix active, que comme la voix passive, parce qu'on le rapporte plus fréquemment au sujet objectif, qu'à la puissance qui produit l'acte ; il convient plutôt de le mettre dans le paradigme de la conjugaison active. En effet, on le trouve souvent employé avec l'accusatif pour régime, & jamais la préposition à ou ab avec l'ablatif, ne lui sert de complément dans le sens passif ; car impetratum est à consuetudine (Cic.) se dit comme on diroit à l'actif impetravimus à consuetudine.

4°. Le supin doit être placé dans l'infinitif, puisqu'il est communément employé pour le prétérit de l'infinitif : dictum est, pour dixisse est, équivalent de dicere fuit, on a dit.

5°. Quelques grammairiens ont prétendu que le supin en u n'est pas un supin, mais l'ablatif d'un nom verbal dérivé du supin, lequel est de la quatrieme déclinaison : je crois qu'ils se sont trompés. Les noms verbaux de la quatrieme déclinaison, différent de ceux de la troisieme, en ce que ceux de la quatrieme expriment en effet l'acte, & ceux de la troisieme l'action ; ainsi visio, c'est l'action de voir, visus en est l'acte ; pactio, l'action de traiter ; pactus, l'acte même ou le traité ; actio & actus, d'où nous viennent action & acte. Or le supin ayant un nominatif & un accusatif, & surtout un accusatif qui est souvent régi par des prépositions, pourquoi n'auroit-il pas un ablatif pour la même fin ? On répond que l'ablatif devroit être en o à cause du nominatif en um : mais il est vraisemblable que l'usage a proscrit l'ablatif en o, pour empêcher qu'on ne le confondît avec celui du participe passif, & que ce qui a donné la préférence à l'ablatif en u, c'est qu'il présente toujours l'idée fondamentale du supin ; l'idée simple de l'acte, soit qu'on le regarde comme appartenant au supin, soit qu'on le rapporte au nom verbal de la quatrieme déclinaison, quand il en existe ; car tous les verbes n'ont pas produit ce nom verbal, & cependant plusieurs dans ce cas-là même ne laissent pas d'avoir le supin en u ; ce qui confirme l'opinion que j'établis ici. (E. R. M. B.)


SUPINATEURen Anatomie, est le nom de deux muscles du bras, dont l'un est appellé long supinateur, & l'autre court supinateur.

Le court supinateur vient de la partie externe & supérieure du cubitus & du condyle externe de l'humerus, & passant autour du radius va s'insérer à la partie supérieure & antérieure de cet os, au-dessous du tendon du biceps. Voyez nos planches anatomiques & leur explication.

Le long supinateur est situé à la partie interne de l'avant-bras un peu en dehors, il vient de trois ou quatre travers de doigts au-dessus du condyle externe de l'humerus, de-là s'avançant le long du radius, il se termine à la partie interne de l'apophyse stiloïde de cet os. Voyez HUMERUS & RADIUS.


SUPINATIONS. f. en Anat. est l'action des muscles supinateurs, ou le mouvement par lequel ces muscles font tourner en-haut la paume de la main. Voyez SUPINATEUR.


SUPINO(Géog. mod.) en latin Saepinum & Sepinum ; ville d'Italie au royaume de Naples, dans le comté de Molise, à la source de la Tamara. Elle est située entre Vénafre, à l'occident, & Luceria à l'orient, dans l'Apennin, sur les confins de la terre de Labour, à 20 milles de Benevent : cette ville étoit un bourg des Samnites, appellé Sepium, par Ptolémée ; & Sepino, par Léander Alberti. Long. 32. 39. latit. 40. 51. (D.J.)


SUPPARUM(Littérat.) robe de femme très-légere. Les dames l'attachoient avec une agraffe, & la laissoient tomber négligemment sur leurs épaules. Sidonius nous l'apprend, Carm. 11. v. 323.

Perque humeros teretes, rutilantesque lacertos

Pendula gemmiferae mordebant suppara bullae.

Lucain en parle aussi sur le même ton, liv. II. v. 362.

Humerisque haerentia primis

Suppara nudatos cingunt augusta lacertos.

C'étoit la robe des jeunes demoiselles, si nous nous en rapportons à Festus, qui dit, supparum puellarum vestimentum lineum ; voyez Ferrarius de re vestiariâ. Je m'imagine que cette robe étoit fort à la mode, car elle pare plus d'une jolie fille dans les planches d'Herculanum. (D.J.)


SUPPILOTES(Hist. nat.) oiseau du Mexique & des autres parties de la nouvelle Espagne ; ils sont de la grosseur d'un corbeau. On en distingue deux especes, les uns ont une crête de chair sur la tête, les autres ont une hupe de plumes. Ces oiseaux ne vivent que de charognes & d'immondices, & par cette raison il est défendu de les tuer à la Veracruz, dans l'idée où l'on est qu'ils contribuent à purifier l'air.


SUPPLANTERv. act. (Gram.) c'est par des voies adroites, secrettes, ou par la force ouverte, écarter quelqu'un de sa place & s'en emparer ; conduite toujours deshonnête. Il ne faut supplanter personne. On supplante auprès d'un ministre, d'un protecteur, d'une femme.


SUPPLÉERv. act. & neut. (Lang. franç.) ce verbe gouverne le datif & l'accusatif ; mais suppléer avec le datif signifie d'ordinaire réparer une chose par une autre. Son mérite supplée au défaut de sa naissance ; la valeur supplée au nombre. On ne diroit pas supplée le défaut de sa naissance, supplée le nombre. Suppléer avec l'accusatif veut dire proprement fournir ce qui manque, remplir un vuide. On supplée dans une inscription les lettres que le tems a mangées. (D.J.)


SUPPLÉMENTS. m. en Grammaire ; on appelle supplément, les mots que la construction analytique ajoute, pour la plénitude du sens, à ceux qui composent la phrase usuelle. Par exemple, dans cette phrase de Virgile, (Eccl. xj. 1.) Quò te, Moeri, pedes ? il n'y a que quatre mots ; mais l'analyse ne peut en développer le sens, qu'en y en ajoutant plusieurs autres. 1°. Pedes au nominatif pluriel, exige un verbe pluriel dont il soit le sujet ; & te, qui paroît ici sans relation en sera le régime objectif : d'autre part, quò qui exprime un complément circonstanciel du lieu de tendance, indique que ce verbe doit exprimer un mouvement qui puisse s'adapter à cette tendance vers un terme : le concours de toutes ces circonstances assigne exclusivement à l'analyse le verbe ferunt. 2°. Quò est un adverbe conjonctif, qui suppose un antécédent ; & la suppression de cet antécédent indique aussi que la phrase est interrogative : ainsi l'analyse doit suppléer, & le verbe interrogatif & l'antécédent de quò qui se servira de complément à ce verbe, (voyez INTERROGATIF, RELATIF) : le verbe interrogatif est dic, auquel on peut ajouter mihi, ainsi que Virgile lui-même l'a dit au commencement de sa troisieme éclogue, dic mihi, Damaeta, cujum pecus : le complément objectif de dic sera eum locum, exigé par le sens de quò ; par conséquent le supplément total qui doit précéder quò, c'est dic mihi eum locum. La construction analytique pleine est donc : Moeri (dic mihi eum locum) quò pedes (ferunt) te ; où l'on voit un supplément d'un seul mot ferunt, & un autre de quatre) dic mihi eum locum.

Quoique la pensée soit essentiellement une & indivisible ; la parole ne peut en faire la peinture, qu'au moyen de la distinction des parties que l'analyse y envisage dans un ordre successif. Mais cette décomposition même oppose à l'activité de l'esprit qui pense, des embarras qui se renouvellent sans-cesse, & donne à la curiosité agissante de ceux qui écoutent ou qui lisent un discours, des entraves sans fin. Delà la nécessité générale de ne mettre dans chaque phrase que les mots qui y sont les plus nécessaires, & de supprimer les autres, tant pour aider l'activité de l'esprit, que pour se rapprocher le plus qu'il est possible, de l'unité indivisible de la pensée, dont la parole fait la peinture.

Est brevitate opus, ut currat sententia, neu se

Impediat verbis lassas onerantibus aures.

Ce que dit ici Horace, I. Sat. x. 9. 10. pour caractériser le style de la satyre, nous pouvons donc en faire un principe général de l'élocution ; & ce principe est d'une nécessité si grande & si universellement sentie, qu'il a influé sur la syntaxe de toutes les langues : point de langues sans ellipses, & même sans de fréquentes ellipses.

Il ne faut pourtant pas s'imaginer, que le choix & la maniere en soient abandonnés au caprice des particuliers, ni même que quelques exemples autorisés par l'usage d'une langue puissent y fonder une loi générale d'analogie : l'ellipse est elle-même une exception à un principe général, qui ne doit & qui ne peut être anéanti ; & il le seroit par le fait, si l'exception devenoit générale. L'usage, par exemple, de la langue latine, permet de dire elliptiquement, vivere Romae, Lugduni (vivre à Rome, à Lyon) au lieu de la phrase pleine, vivere in urbe Romae, in urbe Lugduni ; mais on feroit un solécisme, si on alloit dire par une fausse analogie, vivere Athenarum, pour in urbe Athenarum ou pour Athenis (vivre à Athènes) ire Romae, Lugduni, pour ire in urbem Romae, in urbem Lugduni ou pour ire Romam, Lugdunum (aller à Rome, à Lyon) : c'est que vivere Romae, Lugduni, est une phrase que l'usage n'autorise que pour les noms propres de villes qui sont singuliers & de l'une des deux premieres déclinaisons, quand ces villes sont le lieu de la scène, ou comme disent les rudimens, à la question ubi ; dans d'autres circonstances, l'usage veut que l'on suive l'analogie générale, ou n'en permet que des écarts d'une autre espece.

Or, s'il est vrai, comme on ne peut pas en douter, qu'une ellipse usitée ne peut pas fonder une analogie générale ; c'est une conséquence nécessaire aussi, que de l'analogie générale on ne peut pas conclure contre la réalité de l'ellipse particuliere. C'est pourtant ce que fait, dans sa préface, l'auteur d'un rudiment moderne. " Il ne rencontre pas plus juste, dit-il, en parlant de Sanctius, quand il dit que cette phrase, natus Romae, est l'abrégé de celle-ci, natus in urbe Romae ; puisqu'avec son principe on diroit également, natus Athenarum, qui seroit aussi l'abrégé de celle-ci, natus in urbe Athenarum ". Il est évident que cet auteur prend acte de l'analogie générale qui ne permet pas de dire à la faveur de l'ellipse, natus Athenarum, pour en conclure que quoiqu'on dise natus Romae, ce n'est point une expression elliptique. Mais cette conséquence, comme on vient de le dire, n'est point légitime, parce qu'elle suppose qu'une exception une fois constatée, peut fonder une loi générale & destructive de l'analogie dont elle n'est qu'une exception.

S'il falloit admettre cette conséquence, qui empêcheroit qu'on ne dit à cet auteur qu'il est certain que natus Romae, est une phrase très-bonne & très-latine, & que par conséquent on peut dire par analogie, natus Athenarum, natus Avenionis ? S'il donne à cette objection quelque réponse plausible, je l'adopte pour détruire l'objection qu'il fait lui-même à Sanctius ; & je reviens à ce que j'ai d'abord avancé, que le choix & la maniere des ellipses ne sont point abandonnées au caprice des particuliers, parce que ce sont des transgressions d'une loi générale à laquelle il ne peut être dérogé que sous l'autorité incommunicable du législateur, de l'usage en un mot.

Quem penes arbitrium est, & jus, & norma loquendi.

Mais si la plénitude grammaticale est nécessaire à l'intégrité de l'expression & à l'intelligence de la pensée, l'usage lui-même peut-il étendre ses droits jusqu'à compromettre la clarté de l'énonciation, en supprimant des mots nécessaires à la netteté, & même à la vérité de l'image que la parole doit tracer ? Non sans-doute, & l'autorité de ce législateur suprême de la parole, loin de pouvoir y établir des loix opposées à la communication claire des pensées des hommes, qui en est la fin, n'est au contraire sans bornes, que pour en perfectionner l'exercice. C'est pourquoi, s'il autorise un tour elliptique pour donner à la phrase le mérite de la briéveté ou de l'énergie, il a soin d'y conserver quelque mot qui indique par quelque endroit la suppression & l'espece des mots supprimés.

Ici, c'est un cas qui est essentiellement destiné à caractériser ou le complément simple d'une préposition, ou le complément objectif d'un verbe, ou le complément déterminatif d'un nom appellatif ; & quoique la préposition, le verbe, ou le nom appellatif ne soient pas exprimés, ils sont indiqués par ce cas, & entierement déterminés par l'ensemble de la phrase : quem Minerva omnes artes edocuit, suppl. ad omnes artes ; ne sus Minervam, suppl. doceat ; ad Minervae, suppl. aedes.

Là, c'est un mot conjonctif qui suppose un antécédent, lequel est suffisamment indiqué par la nature même du mot conjonctif & par les circonstances de la phrase ; souvent cet antécédent, quand il est suppléé, se trouve lui-même dans l'un des cas que l'on vient de marquer, & il exige ou un nom appellatif, ou un verbe, ou une préposition : quando venies ? suppl. dic mihi illud tempus, ou quaero illud tempus ; quò vadis ? suppl. dic mihi ou quaero illum locum, &c. Voyez RELATIF, INTERROGATIF.

Ailleurs une simple inversion qui déroge à la construction ordinaire, devient le signe usuel d'une ellipse dont le supplément est indiqué par le sens : viendras-tu ? c'est-à-dire, dis-moi si tu viendras ; dussions-nous l'acheter, c'est-à-dire, quoique nous dussions l'acheter ; que ne l'ai-je vu ! c'est-à-dire, je suis fâché de ce que je ne l'ai pas vu, &c.

Partout enfin ceux qui entendent la langue, reconnoissent à quelque marque infaillible ce qu'il peut y avoir de supprimé dans la construction analytique, & ce qu'il convient de suppléer pour en rétablir l'intégrité.

L'art de suppléer se réduit en général à deux points capitaux, que Sanctius exprime ainsi (Minerv. IV. ij.) : ego illa tantùm supplenda praecipio, quae veneranda illa supplevit antiquitas, aut ea sine quibus grammatica ratio constare non potest. La premiere regle de ne suppléer que d'après les anciens, quand les anciens fournissent des phrases pleines qui ont ou le même sens, ou un sens analogue à celui dont il s'agit ; cette premiere regle, dis-je, est fondée évidemment sur ce qu'il faut apprendre à parler une langue comme on la parle, & que cela ne peut se faire que par l'imitation de ceux qui sont reconnus pour l'avoir le mieux parlée.

Mais comme il y a quantité d'ellipses tellement autorisées dans toutes les circonstances, qu'il n'est pas possible d'en justifier les supplémens par des exemples où ils ne soient pas supprimés ; il faut bien se contenter alors de ceux qui sont indiqués par la logique grammaticale, en se rapprochant d'ailleurs, le plus qu'il est possible, de l'analogie & des usages de la langue dont il est question : c'est le sens de la seconde regle, qui autorise à juste titre les supplémens, sine quibus grammatica ratio constare non potest.

On objecte que ces additions faites au texte par forme de supplément, ne servent qu'à en énerver le style par des paroles superflues & des circonlocutions inouies & fatigantes, verbis lassas onerantibus aures : ce qui est expressément défendu par Horace, & par le simple bon sens, qui est de toutes les langues : que d'ailleurs, si au défaut des exemples & de l'autorité, l'on se permet de faire dépendre l'art des supplémens des vues de la construction analytique, telle qu'on l'a montrée dans les différens articles de cet ouvrage qui ont pu en donner occasion ; il arrivera souvent d'ajouter le barbarisme à la battologie : ce qui est détruire plutôt qu'approfondir l'esprit de la langue.

J'ai déja répondu ailleurs (voyez SUBJONCTIF, à la fin), que le danger d'énerver le style par les supplémens est absolument chimérique, puisqu'on ne les donne pas comme des locutions usitées, mais au contraire comme des locutions évitées par les bons écrivains, lesquelles cependant doivent être envisagées comme des développemens analytiques de la phrase usuelle. Ce n'est en effet qu'au moyen de ces supplémens, que les propositions elliptiques sont intelligibles ; non qu'il soit nécessaire de les exprimer quand on parle, parce qu'alors il n'y auroit plus d'ellipse ni de propriété dans le langage ; mais il est indispensable de les reconnoître & de les assigner, quand on étudie une langue étrangere, parce qu'il est impossible d'en concevoir le sens entier & d'en saisir toute l'énergie, si l'on ne va jusqu'à en approfondir la raison grammaticale. Il est mieux, à la vérité, de puiser, quand on le peut, ces supplémens analytiques dans les meilleures sources, parce que c'est se perfectionner d'autant dans la pratique du bon usage ; mais quand ce secours vient à manquer, il faut hardiment le remplacer comme on peut, quoiqu'il faille toujours suivre l'analogie générale : dans ce cas, plus les supplémens paroissent lâches, horribles, barbares, plus on voit la raison qui en a amené la suppression, malgré l'enchaînement des idées grammaticales, dont l'empreinte subsiste toujours, lors même qu'il est rompu par l'ellipse. Mais aussi plus on est convaincu de la réalité de l'ellipse, par la nature des relations dont les signes subsistent encore dans les mots que conserve la phrase usuelle, plus on doit avouer la nécessité du supplément pour approfondir le sens de la phrase elliptique, qui ne peut jamais être que le résultat de la liaison grammaticale de tous les mots qui concourent à l'exprimer. (B. E. R. M.)

SUPPLEMENT d'un arc, en termes de Géométrie ou de Trigonométrie, est le nombre de degrés qui manquent à un arc pour faire le demi-cercle entier, ou 180 degrés, ainsi que complément est ce qui manque à un arc pour faire un quart de cercle. Voyez COMPLEMENT.

Ainsi le supplément d'un arc ou angle de 30 degrés est 150 degrés, & son complément est 60 degrés. (E)

SUPPLEMENT, en matiere de Littérature, se dit d'une addition faite pour suppléer à ce qui manquoit à un livre. Voyez APPENDIX & PARERGON.

Frenshemius a composé divers supplémens pour rétablir les livres de plusieurs auteurs de l'antiquité, dont on avoit perdu des fragmens.

Les François se servent aussi du mot supplément, pour exprimer une espece de taxe, ou d'arriere-payement que l'on exige des propriétaires & possesseurs de terres & de charges, sous prétexte qu'elles ont été vendues d'abord au-dessous de leur juste valeur : c'est ce qu'on appelle supplément de finances.

SUPPLEMENT, arc de, c'est l'arc parcouru par le régulateur, après l'arc de levée, dans quelque échappement que ce soit : ainsi le recul dans l'un & le repos dans l'autre, sont l'objet de l'arc de supplément. Cet arc varie d'étendue par le plus ou le moins de force motrice ; mais il ne varie point, ou très-peu, dans le tems employé à le parcourir : au lieu que l'arc de levée, qui peut être appellé arc constant, ne varie point d'étendue par le plus ou le moins de la force motrice, mais bien dans le tems employé à le parcourir. Voyez ARC de levée.

SUPPLEMENT, s. m. (terme de Finances) ce mot se dit d'une taxe ou augmentation qu'on fait payer aux acquéreurs des domaines du roi qu'on croit aliénés au-dessous de leur juste valeur, ou à des officiers pourvus de charges dont le prix paroît trop médiocre ; ce qui n'arrive guere dans le dernier cas, que pour des offices de nouvelle création. Diction. de Finances. (D.J.)


SUPPLIANTS. m. (Gram.) en général celui qui supplie. Voyez SUPPLIER, SUPPLIQUE & SUPPLICATION.

SUPPLIANT, (Antiq. grecq. & rom.) c'étoit la coutume des supplians chez les Grecs & les Romains, lorsqu'il desiroient de faire plus d'impression sur ceux dont ils vouloient obtenir quelque grace, de s'approcher du foyer consacré aux dieux Lares, sous la protection desquels étoient la maison & ceux qui l'habitoient. C'est ainsi qu'Homere nous représente Ulysse dans la maison d'Alcinoüs, dont il venoit implorer le secours ; il alla s'asseoir au foyer près des cendres ; mais Alcinoüs l'en retira, pour le faire asseoir sur un trône magnifique.

Thucydide dit la même chose de Thémistocle lorsqu'il vint chez Admete, où ne l'ayant point trouvé, il se jetta aux piés de la femme de ce prince, qui lui conseilla de prendre son fils entre ses bras, & d'attendre Admete aux piés du foyer. L'historien ajoute que c'étoit la maniere de supplier la plus efficace.

C'est encore dans le même état que Plutarque met Coriolan, lorsqu'il arriva chez le prince des Volsques ; il entre, dit-il, dans la maison de Tullus ; & aussi-tôt il s'approche du foyer, où il se tint dans un grand silence ; car le silence & l'air affligé, étoient encore des marques affectées par les supplians, pour émouvoir la compassion. (D.J.)


SUPPLICATIONS. f. (Gram.) l'action de supplier. Voyez SUPPLIER & SUPPLIQUE.

SUPPLICATION, (Antiq. rom.) les supplications chez les Romains étoient ou publiques ou particulieres.

Les supplications publiques se faisoient ou dans les occasions pressantes, comme dans le tems de peste ou de quelque maladie populaire, ou, comme nous le dirons dans la suite, après quelque victoire inespérée, lorsque celui qui venoit d'être élu général, demandoit au sénat sa confirmation, & en même tems la supplication, pour se rendre les dieux favorables, & pour d'autres sujets encore.

Ces supplications étoient des jours solemnels, où il n'étoit pas permis de plaider pour quelque sujet que ce fût, & on les célebroit par des sacrifices, des prieres & des festins publics. Quelquefois le sénat bornoit à un jour la durée de cette fête ; quelquefois on y en employoit plusieurs ; & l'histoire nous apprend qu'il y en a eu qui ont duré jusqu'à cinquante jours.

Il y avoit une autre espece de supplication publique, qu'on nommoit le lectisterne. Voyez LECTISTERNE.

Les supplications particulieres n'étoient autre chose que les prieres que chacun faisoit aux dieux, ou pour obtenir la santé, une bonne récolte, &c. ou pour les remercier des biens qu'on en avoit reçus. Une seule formule des prieres des payens, suffira pour en donner quelque idée : je trouve celle-ci, qui a été conservée dans une inscription que Camilla Amata fait à la fievre pour son fils malade. Divinae febri, sanctae febri, magnae febri, Camilla Amata pro filio malè affecto. P. Camilla Amata offre ses prieres pour son fils malade, à la divine fievre, à la sainte fievre, à la grande fievre ".

Les voeux peuvent encore être regardés comme des supplications particulieres. Voyez VOEUX.

Les supplications publiques qu'on faisoit dans les féries impératives des Romains, avoient beaucoup de rapport à nos processions, car il s'y trouvoit un nombre indéterminé, mais assez considérable d'ensans de l'un & de l'autre sexe, nés libres, ayant encore leurs peres & leurs meres, patrimi & matrimi, couronnés de fleurs & de verdure, ou tenant à la main droite une branche de laurier, qui marchoient à la tête, & chantoient des hymnes à deux choeurs.

Dianam tenerae dicite virgines,

Intonsum pueri dicite Cynthium.

Ils étoient suivis des pontifes, après lesquels on voyoit les magistrats, les sénateurs, les chevaliers, les plébéïens, tous habillés de blanc, & avec les marques les plus éclatantes du rang que chacun tenoit dans la république : les dames mêmes, séparées des hommes, & avec leurs plus beaux atours, faisoient quelquefois le plus brillant ornement de ces fêtes. Il y a eu des tems où il ne leur étoit permis de porter de l'or & des habits de diverses couleurs, que dans ces grandes solemnités : ces jours-là n'étoient point compris dans la loi oppia.

On alloit dans cet ordre se présenter devant les dieux de la premiere classe, diis majorum gentium, qu'on trouvoit couchés sur des lits dressés exprès, & rehaussés de paquets ou gerbes de verveine, ou bien debout sur des estrades, d'où ils paroissoient respirer l'encens qu'on leur brûloit, & accepter les victimes qu'on leur immoloit. Toute cette cérémonie est exprimée dans Tite-Live par ces mots, ire supplicatum ad omnia pulvinaria.

Ces supplications s'ordonnoient pour deux raisons tout-à-fait opposées, pour le bien & pour le mal. Par exemple, un général d'armée qui avoit remporté une victoire signalée, ne manquoit pas d'envoyer au sénat des lettres ornées de feuilles de laurier, par lesquelles il lui rendoit compte du succès de ses armes, & lui demandoit qu'il voulût bien décerner en son nom des supplications en actions de grace aux dieux ; & le decret du sénat étoit souvent une assurance du triomphe pour le vainqueur, triumphi praerogativa.

On ne doit pas s'étonner du grand nombre de jours que duroient ces fêtes, sur-tout vers la fin de la république. Le sénat en ordonna quinze au nom de Jules-César pour les victoires qu'il avoit remportées sur les Gaulois ; & ce qui n'avoit encore été fait pour personne, il en ordonna cinquante en faveur de D. Brutus, qui avoit vaincu Marc-Antoine, dont l'ambition devenoit aussi pernicieuse à la république que l'avoit été celle de Jules-César.

Cicéron en fit ordonner autant au nom de C. Octavien, d'Hirtius & de Pansa, comme il le dit dans la philippique xiv. mais environ vingt ans auparavant il avoit eu le plaisir de voir décerner des supplications en son nom, pour autant de jours qu'on en eût jamais accordé aux plus grands capitaines, & cela pour avoir étouffé la conjuration de Catilina, & remis le calme dans toute l'étendue de l'empire romain. L'orateur consul ne manqua pas de faire valoir cette distinction, en exhortant tout le peuple à célebrer ces fêtes avec toute la joie qu'on est capable de goûter, lorsqu'on connoît la grandeur du péril qu'on a couru, & le miracle par lequel on a été préservé.

L'autre occasion de faire des supplications n'étoit pas si fréquente ; mais comme l'on est plus sensible au mal qu'au bien, quand il étoit question de parer les traits de la colere céleste, on redoubloit son zele, on n'épargnoit ni peine, ni dépense ; les prieres, les voeux, les sacrifices, les spectacles mêmes, pour lesquels on s'imaginoit que les dieux ne devoient pas avoir moins de sensibilité que les hommes, tout étoit mis en usage. (D.J.)


SUPPLICES. m. (Gouvernem.) peine corporelle, plus ou moins douloureuse, plus ou moins atroce.

Un dictionnaire des divers supplices, pratiqués chez tous les peuples du monde, feroit frémir la nature ; c'est un phénomene inexplicable que l'étendue de l'imagination des hommes en fait de barbarie & de cruauté.

Gouverner par la force des supplices, c'est vouloir faire faire aux supplices ce qui n'est pas en leur pouvoir, je veux dire, de donner des moeurs. Les supplices retranchent bien de la société un citoyen qui ayant perdu ses moeurs, viole les loix ; mais si le monde, ou si la plus grande partie d'un état a perdu ses moeurs, les supplices les retablissent-ils ? Ils arrêteront, je l'accorde, plusieurs conséquences du mal général, mais ils ne corrigeront pas ce mal.

La vue des Perses dans leurs sages établissemens, au rapport de Xénophon, étoit d'aller au-devant du mal, persuadés qu'il vaut bien mieux s'appliquer à prévenir les fautes qu'à les punir ; & au lieu que dans les autres états on se contente d'établir des punitions contre les méchans, ils tâchoient de faire ensorte que parmi eux il n'y eût point de méchans. (D.J.)

SUPPLICE DE LA CENDRE, (Littér. sacrée & profane.) supplice particulier à la Perse, & dont on ne se servoit que pour de grands criminels ; on les faisoit périr en les étouffant dans la cendre. Voici la description qu'en donne le II. liv. des Macch. On remplissoit de cendres jusqu'à une certaine élévation, une grande tour. Du haut de cette tour on jettoit le criminel dans la cendre la tête la premiere, & ensuite avec une roue on remuoit cette cendre autour de lui, jusqu'à ce qu'elle l'étouffât. Vous trouverez dans Valere Maxime l'origine de ce supplice, l. I. 9. 2. extern. §. 6. C'est de ce supplice qu'Ochus plus connu sous le nom de Darius Nothus, fit périr Sogdien son frere qui s'étoit emparé du trône par des meurtres. Il traita de même Arsites son autre frere, par le conseil de sa femme Parysatis. On ne voit dans l'histoire que des crimes punis par d'autres crimes. (D.J.)

SUPPLICES DES HEBREUX, on remarque plusieurs sortes de supplices usités chez les Hébreux & mentionnés dans l'Ecriture. On peut les réduire à ceux-ci 1°. le crucifiement ou le supplice de la croix dont nous avons parlé sous les mots CRUCIFIEMENT & CROIX, 2°. la suspension ou la corde, 3°. la lapidation, 4°. le feu, 5°. le tympanum ou le fouet. 6°. la prison, 7°. l'épée ou la décollation, 8°. la scie, 9°. précipiter les coupables du haut d'un rocher, 10°. les précipiter dans une tour remplie de cendres, 11°. les écraser sous des épines ou sous les piés des animaux, 12°. leur faire perdre les yeux, 13°. les étendre sur le chevalet, 14°. leur couper les cheveux pour marque d'infamie. On en trouve encore un grand nombre d'autres marqués dans le livre des Macchabées, comme celui de la poële ardente, d'arracher la peau avec les cheveux de la tête, de brûler les côtés & les entrailles avec des torches ardentes, de les déchirer avec des peignes de fer, d'étendre sur la roue, de couper les extrêmités des piés & des mains, &c. mais comme ces derniers étoient moins usités, & plutôt suggérés par la barbarie que prescrits par les loix, nous nous attacherons principalement à donner au lecteur une idée des premiers que nous avons indiqués d'après la dissertation que le p. Calmet a donnée sur cette matiere ; avant que d'entrer dans le détail de chacun, il sera bon d'observer les formalités qui précédoient tous les supplices.

Les rabbins en racontent plusieurs qui accompagnoient & qui suivoient la décision des juges en matiere criminelle. Quand il étoit question de décider de la vie ou de la mort d'un homme, on y procédoit avec beaucoup de maturité. Lorsque les témoins avoient été ouis, on renvoyoit l'affaire au lendemain ; les juges se retiroient chez eux, mangeoient peu, & ne buvoient point de vin ; le lendemain ils se rassembloient deux à deux pour examiner de nouveau plus à loisir les circonstances du procès. Après cet examen on pouvoit encore réformer le jugement, de maniere que celui qui avoit été pour la condamnation, pouvoit changer de sentiment & absoudre, au lieu que celui qui avoit absous, ne pouvoit varier ni condamner.

La sentence étant confirmée & prononcée, on conduisoit le criminel au supplice. Un homme placé à la porte de la cour tenoit un mouchoir à sa main ; un peu plus loin étoit posté un cavalier ou un héraut à cheval. S'il se présentoit quelqu'un pour parler en faveur du condamné, la premiere sentinelle faisoit signe avec son mouchoir, & le cavalier couroit & faisoit ramener le coupable. Deux juges marchoient à ses côtés pour entendre s'il avoit lui-même quelque chose à dire pour sa justification. On pouvoit le ramener jusqu'à cinq fois pour entendre ceux qui vouloient parler pour sa défense. S'il n'y avoit rien qui arrêtât l'exécution, on crioit à haute voix : un tel est abandonné pour un tel crime : tels & tels ont déposé contre lui : si quelqu'un a des preuves de son innocence, qu'il les produise.

On donnoit aux suppliciés à boire du vin mêlé d'encens, de myrrhe ou d'autres drogues fortes capables d'engourdir les sens, & de leur faire perdre le sentiment de la douleur. Salomon conseille de donner du vin à ceux qui sont accablés de douleur, & nous voyons la pratique de cette oeuvre d'humanité envers J. C. dans sa passion ; on lui offrit du vin de myrrhe avant qu'il fût crucifié, & du vinaigre lorsqu'il étoit à la croix, Matth. xxvij. 34. 48. Ces choses étoient générales, & regardoient tous les suppliciés.

1°. La suspension ou la corde étoit en usage chez les Juifs ; mais il n'est pas sûr qu'on y pendit les coupables vivans. Les Juifs disent qu'il n'y avoit que les blasphémateurs & les idolâtres qu'on pendoit ainsi ; pour les autres, on leur ôtoit apparemment la vie d'une autre maniere, & l'on suspendoit ensuite leurs corps à un poteau ou une croix. Les exemples du pannetier de Pharaon dans la genèse ; du roi d'Haï, dans Josué ; de cinq autres rois chananéens que ce général fit encore pendre ; d'Aman & de plusieurs autres, prouvent que le supplice du gibet étoit connu des Juifs, & que quelquefois on pendoit les hommes vivans, mais que plus souvent on pendoit les cadavres des coupables après les avoir mis à mort.

2°. La lapidation consistoit, comme le nom le porte, à écraser un homme à coups de pierres, que tout le peuple ou la multitude des assistans lançoit contre lui. Cette exécution se faisoit ordinairement hors des villes, comme il paroît par les exemples du blasphémateur, du violateur du sabbat, d'Achan & de saint Etienne. Les Rabbins prétendent que parmi les Hébreux lapider n'étoit point la même chose que chez tous les autres peuples ; selon eux, celui qui étoit condamné à ce supplice, étoit conduit sur une éminence de la hauteur de deux hommes ; les deux témoins le précipitoient de-là sur des cailloux, & s'il n'étoit point mort de sa chûte, le peuple l'accabloit à coups de pierres. Mais cette idée est une vision des docteurs juifs, qui n'a pas le moindre fondement dans l'Ecriture.

3°. La peine du feu. Elle étoit en usage parmi les Hébreux, même avant la loi. Juda ayant appris que Thamar sa belle-fille étoit enceinte, voulut la faire brûler comme adultere. La loi de Moïse impose la peine du feu aux filles des prêtres qui tombent dans l'impureté, Levit. xxj. 9. Moïse veut qu'on brûle vif celui qui aura épousé la mere & la fille, & il condamne ces femmes au même genre de mort : ce qui suppose un feu appliqué à l'extérieur. Cependant les auteurs juifs prétendent qu'on ne brûloit point dans les flammes celui qui étoit condamné au feu ; on l'enterroit, selon eux, jusqu'aux genoux dans du fumier, on lui enveloppoit la gorge d'un grand linge qui étoit tiré à deux, tant que le patient étoit obligé d'ouvrir la bouche, ou s'il faisoit résistance, on la lui tenoit ouverte de force par deux tenailles, puis on lui faisoit couler du plomb fondu qui consumoit ses entrailles. Il y a grande apparence que cette idée est de l'invention des rabbins.

4°. Le tympanum ou le fouet. Les critiques ont été fort partagés sur la signification du mot tympanum ; quelques-uns ont cru qu'il vouloit dire écorcher vif, d'autres, trancher la tête, d'autres, tourmenter sur le chevalet. Dom Calmet croit, d'après le scholiaste d'Aristophane, qu'il signifie la bastonnade ou le supplice des verges, dans lequel on faisoit étendre le criminel par terre, & on le frappoit à coups de bâtons, quelquefois jusqu'à lui ôter la vie. A l'égard du fouet, lorsqu'un homme y étoit condamné, les exécuteurs de la justice le saisissoient, le dépouilloient depuis les épaules jusqu'à la ceinture, & déchiroient même sa tunique depuis le col jusqu'aux reins. Ils frappoient sur son dos avec un fouet de cuir de boeuf composé de quatre lanieres & assez long pour atteindre jusqu'à sa poitrine ; il y en a même qui veulent qu'on ait frappé six coups sur le dos, puis trois coups sur la poitrine, à l'alternatif. Le patient étoit attaché fortement par les bras à une colonne assez basse, afin qu'il fût panché, & celui qui frappoit, étoit derriere lui monté sur une pierre. Pendant l'exécution les trois juges étoient présens, & l'un d'eux crioit : si vous n'observez point les paroles de cette loi, Dieu vous frappera de plaies extraordinaires, vous & vos enfans. Le second comptoit les coups, & le troisieme exhortoit le licteur à faire son devoir. Le nombre des coups n'étoit, selon quelques-uns, que de trente-neuf, ni plus ni moins ; mais Schickard prétend qu'on le diminuoit pour les moindres fautes, & qu'on le réitéroit pour les grandes.

5°. La prison. C'étoit en général moins un supplice qu'une punition ; mais quelquefois elle étoit regardée comme supplice. Ainsi les Philistins après avoir crevé les yeux à Samson, le garderent dans un cachot où il étoit obligé de tourner la meule. Les liens, les menottes, les entraves, les chaînes qui accompagnoient pour l'ordinaire la prison, en aggravoient la peine. Mais les anciens hébreux avoient une espece de joug composée de deux pieces de bois longues & larges, dans lesquelles on faisoit une entaille pour passer le cou du criminel. Ils se servoient aussi de ceps ou d'entraves, qui étoient des bois ouverts de distance en distance dans lesquelles on faisoit passer les jambes des prisonniers à une plus ou moins grande distance, selon qu'on vouloit les tourmenter. Prudence a exprimé ce supplice dans ces deux vers de son hymne 4e.

Lignoque plantas inserit

Divaricatis cruribus.

Il en est aussi parlé dans le livre de Job, c. xiij. v. 27, & dans les proverb. c. vij. v. 22.

6°. Le supplice de l'épée ou la décollation. On en a plusieurs exemples dans l'Ecriture. Le pannetier de Pharaon eut la tête tranchée, & après cela son cadavre fut pendu à un poteau, Genes. xl. v. 19. Abimelech, fils de Gédeon, fit décapiter 70 fils de Gédeon ses freres sur une seule pierre, Indic. ix. v. 2. Ceux de Samarie firent couper les têtes aux 70 fils d'Achab, & les envoyerent à Jehu dans des paniers. S. Jean fut décapité dans sa prison par le commandement d'Hérode. Matth. xij.

7°. Le supplice de la scie. On n'en trouve d'exemple que dans la personne d'Isaïe qui fut, dit-on, scié par le milieu du corps depuis la tête jusqu'aux cuisses par ordre de Manassé, & l'on ajoute que ce fut avec une scie de bois. Mais le p. Calmet remarque que S. Jérôme & les septante appellent quelquefois du nom de scie certains gros rouleaux de bois armés de pointes de fer qu'on faisoit passer sur les gerbes pour les battre & en tirer le grain, & que ce fut sous une semblable machine que le prophete Isaïe fut déchiré & mis en pieces. Que si l'on veut entendre le passage de S. Paul où il en est parlé, d'une scie proprement dite, il faut reconnoître que c'étoit une scie de fer à scier du bois, supplice qui n'étoit pas inconnu aux anciens, qui est en usage à Siam, & qu'on prétend aussi usité parmi les Suisses.

8°. Précipiter les coupables du haut d'un rocher. On en a quelques exemples parmi les Hébreux. Amasias, roi de Juda, fit sauter à bas d'un rocher dix mille Iduméens qu'il avoit pris à la guerre. II. Paralip. xxv. 12. Les juifs de Nazareth voulurent précipiter Jesus-Christ du haut de leur montagne. S. Jacques le juste fut jetté en bas de l'endroit le plus élevé du temple dans la vallée qui étoit au pié.

9°. Le précipiter dans une tour remplie de cendre ou de poussiere pour les étouffer. C'étoit un supplice plus en usage chez les Perses & les autres peuples voisins des Hébreux, que chez les Hébreux mêmes, où l'on n'en cite aucun exemple particulier à la nation.

10°. Ecraser sous les épines, sous des traineaux ou sous les piés des éléphans sont des supplices inconnus aux peuples d'occident, mais dont on trouve quelques exemples dans l'Ecriture. Il est dit dans les Juges, c. viij. v. 16, que Gédeon étant de retour de la poursuite des Madianites, écrasa sous les épines & les ronces du désert les principaux de la ville de Socoth qui lui avoient insulté. Il mit apparemment du gros bois ou de grosses pierres sur les épines qui couvroient ces malheureux, afin de les écraser & de les faire mourir. C'est ainsi à-peu-près qu'en usoient les Romains envers ceux qu'ils faisoient mourir sous la claie : sub crate necare ; on mettoit le patient sous une claie qu'on chargeoit de grosses pierres. David fit encore souffrir un supplice plus cruel aux Ammonites pris en guerre ; car il les coupa avec des scies ; il fit passer sur eux des chariots armés de fer, les fit couper en pieces avec des couteaux, & les fit jetter dans les fourneaux où l'on cuit les briques, ainsi qu'il est rapporté dans le II. liv. des Rois, c. xij. v. 31. mais par les scies il faut entendre les rouleaux de bois armés de pointes de fer dont nous avons parlé ci-dessus. Les chariots étoient des machines propres à briser les gerbes, & à en faire sortir le grain, il y en avoit de plusieurs sortes, mais tous étoient armés de pierre ou de fer. Enfin il les fit passer par des couteaux de fer & par un lieu où l'on cuit la brique, soit qu'on entende ces derniers mots d'un four à brique ou du lieu où l'on broie la terre des tuiliers où on écrasa ces malheureux ; supplices horribles, mais tolérés parmi ces peuples qui se permettoient de mettre à mort tout ce qui étoit pris en guerre.

Lex nulla capto parcit, aut poenam impedit. Senec.

Ptolémée Philopator voulut faire écraser les Juifs sous les piés de ses éléphans ; on dit que c'étoit chez les Carthaginois la peine qu'on infligeoit quelquefois aux deserteurs.

11°. Arracher les yeux & faire perdre la vue, c'étoit des supplices peu communs, & dont l'on n'a des exemples que dans la personne de Samson & de Nabuchodonosor.

12°. Le supplice du chevalet consistoit à étendre violemment le coupable sur une espece de banc avec des cordes & des poulies, & là on le tourmentoit de diverses manieres. Voyez CHEVALET.

13°. Couper les cheveux des coupables, paroît être un supplice plus ignominieux que douloureux ; cependant on croît que l'on joignoit la douleur à la honte, qu'on ne se contentoit pas de couper & de raser les cheveux, mais qu'on les arrachoit avec violence, comme on plume un oiseau vivant ; c'est la propre signification de l'hébreu & du grec qui se lit dans Néhémie, qui dit qu'il reprit les juifs qui avoient épousé des femmes étrangeres, qu'il en battit quelques-uns & leur arracha les cheveux, decalvavit eos, en grec, . Quelquefois on jettoit de la cendre chaude sur la peau dont on avoit arraché le poil, afin de rendre la douleur plus aiguë & plus vive. C'est ainsi qu'on en usoit à Athènes envers les adulteres, comme le remarque le scholiaste d'Aristophane, & c'est encore ainsi qu'en usent les sauvages d'Amérique qui, lorsqu'ils brûlent leurs prisonniers, leur arrachent la peau de la tête, & leur répandent ensuite de la cendre chaude sur le crâne sanglant & dépouillé.

Ce supplice étoit commun en Perse. Artaxerxès y apporta quelques changemens ; il ordonna qu'au lieu d'arracher les cheveux à ceux de ses satrapes ou généraux qui avoient commis quelque faute, on les obligeât à quitter la tiare. L'empereur Domitien fit raser les cheveux & la barbe au philosophe Apollonius. En France on coupe les cheveux aux sorciers. On a souvent fait souffrir cette peine aux martyrs de la religion chrétienne. Les Juifs, dans le livre impie qu'ils ont composé de la vie de Jesus-Christ sous le nom de Toledos Jesu, disent que leurs ancêtres lui firent couper les cheveux, & lui firent ensuite frotter la tête d'une liqueur qui empêcha les cheveux de croître, & qui le rendit chauve pour toute sa vie. Mais il y a bien d'autres calomnies & d'autres impertinences dans cet ouvrage. Calmet, Dictionn. de la Bibl. tom. III. pag. 599. & suiv. & dissert. sur les supplices des Hébreux.


SUPPLICIERv. act. (Gram.) exécuter la sentence de mort prononcée contre un criminel.


SUPPLIQUES. f. (Gram. Jurisprud.) est un acte qui contient quelque supplication ou réquisition faite à un supérieur, comme la supplique que fait au pape celui qui requiert de lui la provision d'un bénéfice : cette supplique commence en ces termes : beatissime pater supplicat humiliter sanctitati vestrae devotus illius orator N..., &c. C'est au bas de cette supplique que le pape ou le préfet met la signature qui tient lieu de provision. Voyez PROVISION, SIGNATURE.

On appelle aussi supplique la réquisition qu'un gradué fait au recteur pour avoir sa nomination, à l'effet d'obtenir un bénéfice en vertu de ses grades. Voyez GRADUES.

Enfin l'on appelle encore supplique la démarche que fait un candidat qui supplie dans quelque faculté, pour y subir un examen ou autre acte. Voyez BACCALAUREAT, EXAMEN, LICENCE, THESE, UNIVERSITE. (A)


SUPPORTS. m. (Gram.) il se dit en général de tout ce qui soutient quelqu'un ou quelque chose : ôtez cette piece, & le reste s'écroulera faute de support. J'ai perdu mon support en le perdant.

SUPPORTS, (Hist. nat. Bot.) les supports sont certaines parties des plantes qui soutiennent & qui défendent les autres : on en compte de dix especes.

1°. Le péduncule qui soutient & porte la fleur & le fruit.

2°. La hampe, scapus, qui est uniquement destinée à porter la fructification ; elle nait immédiatement de la racine & pas du tronc.

3°. Le pétiole qui soutient les feuilles, comme le péduncule soutient la fructification.

4°. La vrille, cirrhus, qui est une espece de lien par lequel une plante s'attache à un autre corps.

5°. La feuille florale, bractea, qui est une espece de feuille singuliere ; elle se trouve près de la fleur, & ne paroît qu'avec elle.

6°. La stipule qui forme le bourgeon & se trouve aux insertions.

7°. L'aiguillon, qui est une pointe fragile ; elle tient si peu à la plante, qu'on l'en détache aisément sans rien déchirer.

8°. L'épine qui est très-adhérente à la plante.

9°. La glande qui sert à la sécrétion des humeurs.

10°. L'écaille qui se trouve d'ordinaire dans les chatons à la base du calice de quelques fleurs, ou sous les fleurs. Flor. Paris. prodrom. p. 5. & 6.

SUPPORT, en Architecture, un poteau ou une muraille de brique ajustée entre les deux bouts d'une piece de bois pour empêcher que tout son poids ne porte sur les extrêmités seulement. Voyez PORTER.

SUPPORT, outil d'Arquebusier ; c'est un billot de bois rond, lourd & un peu épais, qui est surmonté par le milieu d'un petit pilier de bois de la grosseur d'un pouce, & long de six, & est traversé d'un petit morceau de bois plat en forme de croix, & sert aux arquebusiers pour soutenir le bout d'un canon de fusil, quand l'autre bout est arrêté dans l'étau.

SUPPORT, en terme de Boutonnier, est une croix à trois bras. La branche transversale au milieu est percée d'un demi-trou servant à appuyer l'ouvrage, celle du milieu est garnie de deux pointes, l'une plus haute à vis & écrou ; pour serrer le support contre la poupée, & l'autre plus petit & plus bas, entrant dans la poupée pour l'y fixer : cet instrument sert à creuser les bourrelets de lustre. Voyez BOURRELETS DE LUSTRE.

SUPPORT, dans la pratique de l'Imprimerie ; est une reglette de bois, plus ou moins forte, que l'on colle à l'endroit de la frisquette qui porte sur un vuide dans la forme, pour soutenir la pression de la platine en cet endroit, & pour empêcher que le papier ne creve ou ne casse, ou que l'impression ne vienne trop noire aux endroits découverts où la lettre ne supporte pas assez. Mais comme ces sortes de supports laissent toujours sur le papier une empreinte desagréable, on est aujourd'hui dans l'usage d'élever les bois de garniture presque à la hauteur de la lettre, c'est-à-dire, à l'épaisseur d'un papier près : en suivant cette nouvelle méthode, on a la satisfaction de voir que les bois de garnitures soutiennent mieux l'effort de la presse, ménagent même l'oeil de la lettre, & empêchent jusqu'à la plus petite apparence de foulage.

SUPPORT, en terme de Piqueur en tabatiere, c'est un morceau de bois quarré par un bout, & percé de plusieurs trous de distance en distance. A l'autre extrêmité il est arrondi, & se termine en forme de vis. Ce support se plante dans une table, ou sur le coin d'un établi, & y est retenu par le moyen d'une virole au-dessus de l'établi, & d'un écrou à main pardessous. Les trous qu'on voit sur la partie quarrée du support servent à recevoir le porte-aiguille ou le forêt qu'on tourne dans la piece en le faisant jouer avec la main.

SUPPORT, chez les Tourneurs, est une partie ministrante du tour sur laquelle ils posent leurs outils afin d'avoir plus de force. Voyez la description & les figures des différentes sortes de supports. Voyez au mot TOUR.

SUPPORT, terme de Blason, ce sont les figures peintes à côté de l'écu, qui semblent le supporter. Les supports de l'écu de France sont des anges. Il y en a qui ont des sauvages pour supports. Les princes de Monaco ont des moines augustins pour supports : les Ursins, des ours, par équivoque à leur nom. On ne doit dire supports, que lorsque l'on se sert des figures des animaux ; & lorsque ce sont des anges ou des figures humaines, on doit les appeller tenans. (D.J.)


SUPPORTANTterme de Blason, il se dit de la fasce, lorsqu'elle semble soutenir ou supporter quelqu'animal qui est peint au chef de l'écu, quoiqu'il ne porte que sur le champ, & qui met de la différence avec la chargée, qui se dit lorsqu'il y a des pieces qui posent effectivement sur elle ; on le dit aussi des jumelles d'une bande d'un croissant. Ménestrier. (D.J.)


SUPPORTÉterme de Blason, ce mot se dit des plus hauts quartiers d'un écu divisé en plusieurs quartiers, qui semblent être supportés & soutenus par ceux d'en-bas. On appelle aussi chef supporté ou soutenu, lorsqu'il est de deux émaux, & que l'émail de la partie supérieure en occupe les deux tiers. En ces cas, il est en effet supporté par l'autre émail qui est au-dessous. Ménestrier. (D.J.)


SUPPOSERv. act. (Gramm. & Jurisprud.) signifie quelquefois admettre une chose pour un moment & par forme d'hypothèse : quelquefois supposer signifie mettre par fraude une chose au lieu d'une autre, comme supposer un nom, un testament, un enfant. Voyez SUPPOSITION. (A)


SUPPOSITIFv. adj. (Gram.) le françois, l'italien, l'espagnol, l'allemand, ont admis dans leur conjugaison un mode particulier, qui est inconnu aux Hébreux, aux Grecs, & aux Latins : je ferois, j'aurois fait, j'aurois eu fait, je devrois faire.

Ce mode est personnel, parce qu'il reçoit dans chacun de ses tems les inflexions & les terminaisons personnelles & numériques, qui servent à caractériser par la concordance, l'application actuelle du verbe, à tel sujet déterminé : je ferois, tu ferois, il feroit ; nous ferions, vous feriez, ils feroient.

Ce mot est direct ; parce qu'il peut constituer par lui-même la proposition principale, ou l'expression immédiate de la pensée : je lirois volontiers cet ouvrage.

Enfin, c'est un mode mixte, parce qu'il ajoute à l'idée fondamentale du verbe, l'idée accidentelle d'hypothèse & de supposition : il n'énonce pas l'existence d'une maniere absolue, ce n'est que dépendamment d'une supposition particuliere : je lirois volontiers cet ouvrage, si je l'avois.

Parce que ce mode est direct, quelques-uns de nos grammairiens en ont regardé les tems comme appartenant au mode indicatif. M. Restaut en admet deux à la fin de l'indicatif ; l'un qu'il appelle conditionnel présent, comme je ferois ; & l'autre qu'il nomme conditionnel passé, comme j'aurois fait. Le P. Buffier les rapporte aussi à l'indicatif, & il les appelle tems incertains ; mais il est évident que c'est confondre un mode qui n'exprime l'existence que d'une maniere conditionnelle, avec un autre qui l'exprime d'une maniere absolue, ainsi que le premier de ces grammairiens le reconnoît lui-même par la dénomination de conditionnel : ces deux modes, à la vérité, conviennent en ce qu'ils sont directs, mais ils different en ce que l'un est pur, & l'autre mixte ; ce qui doit empêcher qu'on ne les confonde : c'est de même parce que l'indicatif & l'impératif sont également directs, que les grammairiens hébreux ont regardé l'impératif comme un simple tems de l'indicatif ; mais c'est parce que l'indicatif est pur, & l'impératif mixte, que les autres grammairiens distinguent ces deux modes. La raison qu'ils ont eu à cet égard, est la même dans le cas présent ; ils doivent donc en tirer la même conséquence : quelque frappante qu'elle soit, je ne sache pourtant aucun grammairien étranger qui l'ait appliquée aux conjugaisons des verbes de sa langue ; & par rapport à la nôtre, il n'y a que M. l'abbé Girard qui l'ait sentie & réduite en pratique, sans même avoir déterminé à suivre ses traces, aucun des grammairiens qui ont écrit depuis l'édition de ses vrais principes ; comme s'ils trouvoient plus honorable d'errer à la suite des anciens que l'on ne fait que copier, que d'adopter une vérité mise au jour par un moderne que l'on craint de reconnoître pour maître.

D'autres grammairiens ont rapporté au mode subjonctif, les tems de celui-ci : l'abbé Régnier appelle l'un premier futur, comme je ferois, & l'autre second futur composé, comme j'aurois fait. La Touche les place de même au subjonctif, qu'il appelle conjonctif ; je ferois, selon lui, en est un second imparfait, ou l'imparfait conditionnel ; j'aurois fait, en est le second plus que parfait, ou le plus que parfait conditionnel. C'est la méthode de la plûpart de nos rudimentaires latins, qui traduisent ce qu'ils appellent l'imparfait & le plus que parfait du subjonctif : facerem, que je fisse, ou je ferois ; fecissem, que j'eusse fait, ou j'aurois fait. C'est une erreur évidente, que j'ai démontrée au mot SUBJONCTIF, n. 1. & c'est confondre un mode direct avec un oblique.

Cette méprise vient, comme tant d'autres, d'une application gauche de la grammaire latine à la langue françoise ; dans les cas où nous disons je ferois, j'aurois fait, les latinistes ont vu que communément ils doivent dire facerem, fecissem ; de même que quand ils ont à rendre nos expressions, je fisse, j'eusse fait ; & comme ils n'ont pas osé imaginer que nos langues modernes pussent avoir d'autres modes ou d'autres tems que la latine, ils n'ont pu en conclure autre chose, sinon que nous rendons de deux manieres l'imparfait, & le plusque-parfait du subjonctif latin.

Mais examinons cette conséquence. Tout le monde conviendra sans-doute, que je ferois & je fisse, ne sont pas synonymes, puisque je ferois est direct & conditionnel, & que je fisse est oblique & absolu : or il n'est pas possible qu'un seul & unique mot d'une autre langue, réponde à deux significations si différentes entr'elles dans la nôtre, à-moins qu'on ne suppose cette langue absolument barbare & informe. Je sais bien qu'on objectera que les latins se servent des mêmes tems du subjonctif, & pour les phrases que nous regardons comme obliques ou subjonctives, & pour celles que nous regardons comme directes & conditionnelles ; & je conviens moi-même de la vérité du fait ; mais cela ne se fait qu'au moyen d'une ellipse, dont le supplément ramene toujours les tems dont il s'agit, à la signification du subjonctif : illud si scissem, ad id litteras meas accommodassem ; Cic. c'est-à-dire analytiquement, si res fuerat ita ut scissem illud, res ita ut accommodassem ad id meas litteras ; si la chose avoit été de maniere que je l'eusse su, la chose étoit de maniere que j'y eusse adapté ma lettre. On voit même dans la traduction littérale, que je n'ai employé aucun des tems dont il s'agit ici, parce que le tour analytique m'en a épargné le besoin : les latins ont conservé l'empreinte de cette construction, en gardant le subjonctif scissem, accommodassem ; mais ils ont abregé par une ellipse, dont le supplément est suffisamment indiqué par ces subjonctifs mêmes, & par le si. Notre usage nous donne ici la même licence, & nous pouvons dire, si je l'eusse su, j'y eusse adapté ma lettre ; mais c'est, comme en latin, une véritable ellipse, puisque j'eusse su, j'eusse adapté sont en effet du mode subjonctif, qui suppose une conjonction, & une proposition principale, dont le verbe doit être à un mode direct ; & ceci prouve que M. Restaut se trompe encore, & n'a pas assez approfondi la différence des mots, quand il rend son prétendu conditionnel passé de l'indicatif par j'aurois, ou j'eusse fait ; c'est confondre le direct & l'oblique.

C'est encore la même chose en latin, mais non pas en françois, lorsqu'il s'agit du tems simple, appellé communément imparfait. Quand Ovide dit, si possem, sanior essem ; c'est au-lieu de dire analytiquement, si res erat ita ut possem, res est ita ut essem sanior ; si la chose étoit de maniere que je pusse, la chose est de maniere que je fusse plus sage. Dans cette traduction littérale, je ne fais encore usage d'aucun tems conditionnel ; j'en suis dispensé par le tour analytique que les latins n'ont fait qu'abréger comme dans le premier exemple ; mais ce que notre usage a autorisé à l'égard de ce premier exemple, il ne l'autorise pas ici, & nous ne pouvons pas dire elliptiquement, si je pusse, je fusse plus sage : c'est l'interdiction de cette ellipse qui nous a mis dans le cas d'adopter ou l'ennuyeuse circonlocution du tour analytique, ou la formation d'un mode exprès ; le goût de la briéveté a décidé notre choix, & nous disons par le mode suppositif, je serois plus sage, si je pouvois ; la nécessité ayant établi ce tems du mode suppositif, l'analogie lui a accordé tous les autres dont il est susceptible ; & quoique nous puissions rendre la premiere phrase latine par le subjonctif, au moyen de l'ellipse, nous pouvons le rendre encore par le suppositif, sans aucune ellipse ; si je l'avois su, j'y aurois adapté ma lettre.

Il arrive souvent aux habitans de nos provinces voisines de l'Espagne, de joindre au si un tems du suppositif : c'est une imitation déplacée de la phrase espagnole qui autorise cet usage ; mais la phrase françoise le rejette, & nous disons, si j'étois, si j'avois été, & non pas, si je serois, si j'aurois été, quoique les Espagnols disent si estuviéra, si uviéra estado.

J'ai mieux aimé donner à ce mode le nom de suppositif, avec M. l'abbé Girard, que celui de conditionnel ; mais la raison de mon choix est fort différente de la sienne ; c'est que la terminaison est semblable à celle des noms des autres modes, & qu'elle annonce la destination de la chose nommée, laquelle est spécifiée par le commencement du mot suppositif, qui sert à la supposition, à l'hypothèse ; comme impératif, qui sert au commandement ; subjonctif, qui sert à la subordination des propositions dépendantes ; &c. Tous les adjectifs françois terminés en if & ive, comme les latins en ivus, iva, ivum, ont le même sens, qui est fondé sur l'origine de cette terminaison.

Pour ce qui regarde le détail des tems du suppositif. Voyez TEMS. (B. E. R. M.)

SUPPOSITION, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est lorsque l'on met une chose au-lieu d'une autre, comme une supposition d'un nom pour un autre, ou d'un testament, ou autre acte, ou signature, qui n'est pas véritable.

La supposition de faits est lorsqu'on met en avant des faits inventés.

Supposition de personne est lorsqu'une personne s'annonce pour une autre, dont elle prend le nom pour abuser quelqu'un, ou commettre quelqu'autre fraude. Ce crime est puni selon les circonstances. Voyez Papon, l. XXII. tit. 9.

La supposition de part, ou d'enfant, est lorsqu'un homme ou une femme annoncent pour leur enfant quelqu'un qui ne l'est point. Ce crime est si grave qu'il est quelquefois puni de mort. Voyez au digest. les titres ad leg. com. de fall. de inspicien. ventre & de Ca.... edicto. So.... tom. I. cant. II. ch. lxxxix. Dard... tom. II. l. VII. ch. xxxj. (A)

SUPPOSITION des anciens auteurs, (Littérature) comme il importe encore d'anéantir l'hypothèse bizarre du pere Hardouin, qui a tenté d'établir la supposition de la plûpart des anciens auteurs, je vais rapporter ici cinq argumens décisifs, par lesquels M. des Vignoles a sappé pour toujours le systême imaginaire du jésuite trop audacieux.

Le premier argument qu'il employe, c'est que dans les anciens historiens, comme Thucydide, Diodore de Sicile, Tite-Live, & autres, que le pere Hardouin regarde comme supposés : on trouve plusieurs éclipses de soleil & de lune marquées, qui s'accordent avec les tables astronomiques, & dont les chronologues spécifient le jour dans l'année Julienne proleptique, avec exactitude. Comment concevoir que des moines du xiije. siecle, fabricateurs de tous ces anciens ouvrages, selon le P. Hardouin, ayent eu des tables semblables à celles que le roi Alphonse fit faire depuis. M. des Vignoles répond en même tems à une objection tirée de Pline, & il prouve que ce que Pline dit, n'est nullement propre à invalider le témoignage des autres écrivains ?

En second lieu, on demande au P. Hardouin, où des moines françois du xiije. siecle, auroient trouvé la suite des archontes athéniens, qui quadre parfaitement avec des inscriptions anciennes qu'ils n'avoient jamais vues, & avec toute l'histoire. Les fastes des consuls romains fournissent un argument de la même force ; d'où ces faussaires ont-ils eu ces fastes, pour les insérer dans leur Tite-Live, dans leur Diodore, & dans leur Denys d'Halicarnasse, ensorte qu'ils s'accordent avec les fastes capitolins déterrés depuis peu ? En quatrieme lieu, M. des Vignoles demande d'où ils ont sû les noms & la suite des mois athéniens, puisque l'on a disputé jusqu'au siecle passé, de leur suite, & que ce n'est qu'alors qu'il a paru par divers monumens, & par les inscriptions, que Joseph Scaliger l'avoit bien marquée ? Il falloit que ces moines du treizieme siecle fussent bien habiles, pour savoir ce qui étoit inconnu aux plus savans hommes du seizieme & du dix-septieme siecle. On peut tirer un nouvel argument des olympiades, qui se trouvent si bien placées dans les historiens grecs prétendus supposés : on voit du premier coup d'oeil que ces cinq argumens sont sans replique ; mais l'on en sentira encore mieux toute la force, si l'on se donne la peine de lire les vindiciae veterum scriptorum, que M. Lacroze publia en 1708. contre l'étrange paradoxe, ou pour mieux dire la dangereuse hérésie du P. Hardouin ; car c'en est une que de travailler à détruire les monumens antiques grecs & latins, qui font aujourd'hui la gloire de nos études, & le principal ornement de nos bibliotheques. (D.J.)

SUPPOSITION, s. f. ce mot a aujourd'hui deux sens en Musique. 1°. Lorsque plusieurs notes montent ou descendent diatoniquement dans une partie sur une même note d'une autre partie, alors ces notes diatoniques ne sauroient toutes faire harmonie, ni entrer à la fois dans le même accord, il y en a donc qui y sont comptées pour rien, & ce sont ces notes qu'on appelle notes par supposition.

La regle générale est, quand les notes sont égales, que toutes les notes qui sont sur le tems fort doivent porter harmonie, celles qui passent sur le tems foible, sont des notes de supposition qui ne sont mises que par goût pour former des degrés conjoints. Remarquez que par tems fort & tems foible, j'entens moins ici les principaux tems de la mesure, que les parties mêmes de chaque tems. Ainsi s'il y a deux notes égales dans un même tems, c'est la premiere qui porte harmonie, la seconde est de supposition : si le tems est composé de quatre notes égales, la premiere & la troisieme portent harmonie, la seconde & la quatrieme sont par supposition, &c.

Quelquefois on pervertit cet ordre, on passe la premiere note par supposition, & l'on fait porter la seconde ; mais alors la valeur de cette seconde note est ordinairement augmentée par un point aux dépens de la premiere.

Tout ceci suppose toujours une marche diatonique par degrés conjoints ; car quand les degrés sont disjoints, il n'y a point de supposition, & toutes les notes doivent entrer dans l'accord.

2°. On appelle accords par supposition, ceux où la basse continue ajoute ou suppose un nouveau son audessous même de la basse fondamentale ; ce qui fait que de tels accords excedent toujours l'étendue de l'octave.

Les dissonnances des accords par supposition doivent toujours être préparées par des syncopes, & sauvées en descendant diatoniquement sur des sons d'un accord, sous lequel la même basse supposée puisse tenir comme basse fondamentale, ou du moins comme une consonnance de l'accord. C'est ce qui fait que les accords par supposition bien examinés, peuvent tous passer pour de pures suspensions. Voyez SUSPENSION.

Il y a trois sortes d'accords par supposition, tous sous des accords de la septieme ; la premiere quand le son ajouté est une tierce au-dessous du son fondamental, tel est l'accord de neuvieme ; si l'accord de neuvieme est formé par la médiante ajoutée au-dessous de l'accord sensible en mode mineur, alors l'accord prend le nom de quinte superflue. La seconde espece, est quand le son supposé est une quinte audessous du son fondamental, comme dans l'accord de quarte ou onzieme ; si l'accord est sensible, & qu'on suppose la tonique, cet accord prend le nom de septieme superflue. Enfin la troisieme espece d'accord par supposition, est celle où le son supposé est au-dessous d'un accord de septieme diminuée ; si c'est une quinte au-dessous, c'est-à-dire que le son supposé soit la médiante, l'accord s'appelle accord de quarte & quinte superflue ; & si c'est une septieme au-dessous, c'est-à-dire que le son supposé soit la tonique, l'accord prend le nom de sixte mineure & septieme superflue. A l'égard des renversemens de ces divers accords, on trouvera au mot ACCORD, tous ceux qui peuvent se tolérer. (S)


SUPPOSITOIRES. m. (Pharmac.) en latin glans, balanus, , parce qu'on le faisoit autrefois d'ordinaire en forme de gland ; c'est un médicament plus ou moins solide, rond ou rond-oblong, en forme de petit globe, de petit cône ou de gland, qu'on introduit dans l'anus pour différens usages.

La matiere & la préparation du suppositoire simple, sont connues même du vulgaire. Il en employe de différentes, & l'effet est néanmoins presque toujours le même. Telles sont un morceau de savon de Venise figuré en petit cône ; un petit bout de bougie enduit de beurre ; le miel cuit jusqu'à dureté ; une racine de mauve, de guimauve, de bette, &c. dépouillée de son écorce, figurée convenablement, & enduite d'huile ou de beurre salé. Ces matieres vulgaires étant préparées comme il convient, & introduites dans le rectum, servent dans les enfans, & quelquefois dans les adultes, à provoquer les selles & à émouvoir plus ou moins.

Le suppositoire composé est ou stimulant, ou propre aux maladies particulieres de l'anus. La matiere du suppositoire stimulant est excipiente ou excipiende. L'excipiente est le miel cuit jusqu'à dureté ; quelquefois le savon de Venise, ou le mucilage de la gomme tragacanthe. L'excipiende sont toutes les especes d'âcres stimulans, soit secs en poudre, soit épais & qui different les uns des autres par leurs degrés d'acrimonie ; tels sont le savon, le sel commun, le nitre, le sel ammoniac, l'alun, l'aloës, la myrrhe, les masses de pilules purgatives cochées, le suc d'absynthe épaissi, le fiel de boeuf épaissi, le castoreum ; enfin les purgatifs & les émétiques les plus âcres, comme la coloquinthe, le jalap, la scammonée, l'euphorbe, le safran des métaux.

Les suppositoires d'Hippocrate étoient composés de miel, de suc de mercuriale, de sel de nitre & de poudre de coloquinte, qu'il faisoit introduire dans le fondement en forme longuette comme le petit doigt, moins encore, pour irriter le muscle sphincter & procurer l'évacuation des matieres.

Le suppositoire propre aux maladies particulieres du rectum, est composé d'une matiere qui varie selon la différence de la maladie. Elle est stimulante, détersive, balsamique, consolidante, assoupissante, émolliente, astringente, &c.

On prépare cette matiere de trois façons ; ou 1°. on la réduit en masse dure, emplastique, & on l'introduit ainsi dans l'anus ; on se sert quelquefois seulement d'un morceau d'emplâtre officinal enduit d'une huile appropriée. 2°. On lui donne encore la consistance d'onguent, qu'on étend sur de la charpie : on en forme une petite tente, & on y attache un fil qu'on laisse pendre en-dehors pour servir à la retirer de l'anus. 3°. On en fait une espece de pâte renfermée dans un linge dont on forme un nouet qu'on introduit dans le fondement.

Le choix de tous les suppositoires est fixé par le différent but que se propose, par la vertu connue de la matiere, par le prix qu'elle coûte & par la maladie.

La grandeur du suppositoire détermine la quantité de matiere dont il a besoin, & qui va depuis une drachme jusqu'à six. De plus l'âge différent, l'ouverture plus ou moins grande du rectum malade, & l'action plus ou moins lente du suppositoire, convenablement à l'espece de maladie qu'on traite, détermine sa forme & sa grosseur.

Les suppositoires qui sont durs, doivent être toujours enduits d'huile douce, de beurre, de graisse, &c. avant de les introduire. Il est encore nécessaire d'évacuer auparavant les excrémens contenus dans les intestins, à-moins qu'on n'employe le suppositoire dans cette vûe.

Le suppositoire peut souvent remplacer l'usage des lavemens purgatifs ; il peut être d'un grand secours dans les affections soporeuses & apoplectiques. On employe avantageusement des suppositoires appropriés, dans les maladies particulieres du rectum, des fistules, de petits ulceres, &c. Mais il faut se défier des suppositoires qui sont âcres, & l'on ne doit point les ordonner aux personnes dont les fibres sont délicates, ou qui sont attaquées de fissures, d'ulceres, de douleurs au rectum ; ni à celles qui sont sujettes au flux hémorrhoïdal, &c. On a vu des femmes enceintes accoucher avant le terme, pour avoir fait usage de suppositoires trop stimulans.

Les suppositoires simples qu'on employe pour relâcher le ventre, sont composés communément d'une drachme de savon de Venise, d'une demi-drachme de sel commun & d'une quantité suffisante de miel épaissi par la coction ; ce suppositoire est pour un adulte, & on a soin de l'enduire de quelque huile douce. La matiere médicale de Boerhaave, & M. Gaubius dans son Art de dresser les formules de médecine, ont pris la peine de donner quelques exemples de suppositoires composés. (D.J.)


SUPPRESSIONS. f. (Gramm. & Jurisp.) est l'anéantissement de quelque chose.

La suppression d'une charge est lorsqu'on en éteint le titre.

Suppression d'une communauté ou confrérie, c'est lorsqu'on l'anéantit & qu'on lui défend de s'assembler.

Suppression d'une piece, est lorsqu'on la détourne pour en dérober la connoissance.

On entend aussi par suppression d'un écrit, la condamnation qui est faite de quelque écrit ou de certains termes qui sont dangereux pour le public, ou injurieux à quelque particulier.

Suppression d'un fait, c'est la réticence de ce fait. (A)

SUPPRESSION DE PART, est lorsqu'une fille ou femme cache la naissance de son enfant, ou le fait périr aussitôt qu'il est né, soit en le suffoquant, soit en le jettant dans un puits, riviere, cloaque ou autre endroit, pour en dérober la connoissance au public.

La loi penult. cod. ad leg. corr. de sicariis, qui est de l'empereur Valentinien, déclare ceux qui sont convaincus d'avoir fait périr l'enfant, sujets à la peine capitale.

Les ordonnances de nos rois prononcent aussi la peine de mort contre les meres coupables de ce crime.

L'édit d'Henri II. du mois de Février 1566, veut même que toute femme qui aura célé sa grossesse, soit reputée avoir homicidé son enfant, & qu'elle soit punie de mort. Il est enjoint aux curés de publier cet édît au prône tous les trois mois. Voyez le tr. des crimes, par M. de Vouglans, tit. 17. ch. v. & les mots ACCOUCHEMENT, ENFANS, EXPOSITION, PART. (A)

SUPPRESSION DES ÉCOULEMENS, (Médecine) les observations des terribles accidens qui surviennent à la suppression des écoulemens, sont en très-grand nombre, & assez généralement connues ; tous les livres de Médecine en sont remplis, & il est peu de personnes qui ne pussent rapporter comme témoins oculaires des exemples effrayans dans ce genre.

Le danger qui accompagne cette suppression, peut varier suivant la nature des écoulemens, leur ancienneté, le tempérament & la constitution particuliere du sujet ; on peut distinguer en général trois sortes d'écoulemens, eu égard à la gravité & la subitanéité des accidens qu'entraîne leur suppression. Dans la premiere classe, la moins dangereuse, je comprends ceux qu'on appelle communément excrétions, & qui sont des fonctions propres & constamment attachées à l'état de santé, telles sont les excrétions des urines, de la transpiration, des sueurs, de la salive, des regles dans les femmes, & des hémorroïdes dans certains sujets ; leur suppression occasionne plus ou moins promtement des maladies de différent caractere, suivant la nature de l'humeur séparée & l'importance des fonctions auxquelles elle sert, & l'utilité ou la nécessité de son excrétion. Voyez tous ces différens articles. La seconde classe renferme ces mêmes excrétions lorsqu'elles paroissent ou sont augmentées dans le cours de quelque maladie, auxquelles on peut ajouter les hémorrhagies par le nez, les éruptions cutanées, les abscès, les dévoyemens & l'expectoration ; & on peut les considérer sous deux points de vue différens, ou comme symptomatiques, ou comme critiques. Dans le premier cas, leur suppression n'est pas, à beaucoup près aussi grave ; elle n'est cependant pas toujours exempte de danger ; mais la suppression des excrétions critiques cause mille ravages, & souvent entraîne une mort prochaine. Elle peut être occasionnée par les passions d'ame, & sur-tout par la frayeur subite, par le froid, & sur-tout par des remedes contraires, c'est-à-dire, des astringens trop forts donnés inconsidérément, ou des remedes qui procurent une excrétion opposée : enfin les écoulemens de la troisieme espece, qui méritent par le danger pressant attaché à leur suppression une attention particuliere, sont ceux que la nature établit ou entretient lorsqu'ils sont formés par accident, pour guérir ou prévenir des maladies fâcheuses, pour dépurer le sang, &c. & que l'art, dans les mêmes vues, imite quelquefois ; de ce nombre sont les crevasses qui se font aux jambes des hydropiques, les ulceres familiers aux vieillards & aux personnes cacochymes, les vieux ulceres, les fistules anciennes, les larmoyemens devenus habituels, la teigne, la croute de lait, le fluement des oreilles dans les enfans, les crachats purulens, les cauteres, les setons, &c. Il est inconcevable avec quelle rapidité les symptomes les plus fâcheux, avant-coureurs d'une mort prochaine, succedent à la suppression de la plûpart de ces écoulemens : outre le grand nombre de faits attestés par différens auteurs que je pourrois alléguer en preuve de cette vérité, & qu'on pourra trouver dans les recueils ordinaires d'observations, je n'en rapporterai qu'un seul qui s'est passé sous mes yeux.

Un vieillard cacochyme avoit depuis quelques années un ulcere à la jambe, qu'il n'avoit jamais pu venir à-bout de faire fermer ; après avoir consulté différentes personnes qui, soit par prudence, soit par ignorance, avoient laissé son ulcere dans le même état, il s'adressa à moi, me priant de le débarrasser d'un mal aussi incommode & desagréable. Je vis le danger qu'il y auroit à se rendre à ses desirs ; cependant pour l'empêcher d'aller chercher ailleurs des secours d'autant plus dangereux qu'ils seroient plus efficaces, je lui promis de le guérir, & demandai pour cela beaucoup de tems ; cependant je l'amusai par des remedes indifférens, qui laisserent continuer l'écoulement avantageux de l'ulcere ; enfin ennuyé & rebuté de ce peu de succès, il a recours à un chirurgien, qui n'étant pas assez éclairé pour sentir les conséquences de ce qu'il faisoit, n'oublia rien pour cicatriser l'ulcere, & il n'y réussit que trop bien ; mais à l'instant que la cicatrice fut parfaitement fermée, le malade tombe comme apoplectique, presque sans pouls & sans connoissance, & avec beaucoup de difficulté de respirer ; ayant été appellé, & arrivant au bout de quelques heures, je trouve le malade au râle, déja le froid de la mort occupoit les parties extérieures ; je n'eus pas de peine à deviner la cause de ce terrible état, & pour m'en assurer, j'examine la jambe, que je trouvai bien cicatrisée ; je fais à l'instant appliquer à l'endroit de l'ulcere un cautere actuel & un large vésicatoire derriere le dos, mais ce fut inutilement ; le malade en parut ranimé pendant quelques momens, mais il retomba bientôt dans l'agonie, qui fut très-courte. Je fis ouvrir le cadavre, & je trouvai les poumons délabrés & remplis d'une grande quantité de pus ; tous les autres visceres me parurent à-peu-près dans l'état naturel.

La méthode la plus appropriée & la plus sûre qu'on doit suivre dans le traitement des maladies occasionnées par la suppression de quelque écoulement, est de le rétablir lorsque cela est possible. Les secours qui peuvent remplir cette indication sont différens suivant les especes d'écoulemens ; ils sont exposés à leurs articles particuliers. Voyez URINE, SUEUR, TRANSPIRATION, REGLES, CRACHATS, DIARRHEE, URETIQUESQUES, SUDORIFIQUES, EMMENAGOGUES, BECHIQUES, PURGATIFS, &c. Pour rappeller les écoulemens attachés aux éruptions cutanées, il faut faire reparoître ces éruptions par le moyen des bains un peu chauds, & sur-tout en faisant coucher le malade avec d'autres personnes attaquées de la même maladie. Voyez PEAU, maladies de la. Lorsque ces écoulemens viennent de quelque ulcere, d'une fistule, d'un cautere, &c. qu'on a fait inconsidérément cicatriser, le seul moyen de s'opposer aux accidens survenus, est de r'ouvrir ces ulceres par le fer ou les caustiques, ou même, quand le mal est pressant, par le feu ; & si l'on ne peut pas le faire dans l'endroit même de l'ulcere, il faut appliquer les cauteres dans d'autres parties du corps ; on peut en soutenir & presser les effets par les vésicatoires ; mais le succès dépend sur-tout de la promtitude avec laquelle on administre ces secours : le moindre retardement est souvent funeste, & la perte de quelques heures est irréparable. (m)

SUPPRESSION, feu de, (Chimie) feu qu'on met dessous & dessus un vaisseau qui contient les ingrédiens sur lesquels il s'agit d'opérer, ensorte que la matiere contenue dans le vaisseau reçoive une chaleur égale dessus & dessous. (D.J.)


SUPPRIMERv. act. (Gram.) retrancher, anéantir, abolir, éteindre. On supprime un droit, une charge, une piece, une clause, une condition.


SUPPURATIFS. m. & adj. terme de Chirurgie concernant la matiere médicale externe, médicament qui facilite & procure la formation du pus dans une partie. Voyez PUS. Pour bien connoître les propriétés & la maniere d'agir des remedes suppuratifs, il faut savoir précisément en quoi consiste l'action de la nature qui produit le pus. Voyez SUPPURATION.

Nous répéterons ici ce que nous avons dit au mot SARCOTIQUE sur la vertu des remedes : elle varie suivant les cas où on les applique, desorte que le même médicament, qui est suppuratif dans une circonstance, procure la résolution dans une autre, & vice versâ. Quand les humeurs qui forment l'engorgement ne sont pas suppurables, & que les vaisseaux ont ou trop, ou trop peu d'action, pour convertir les humeurs en pus, les remedes qui sont réputés les plus favorables à la suppuration, seroient appliqués vainement. La génération du pus ne peut donc être produite par aucun médicament qui ait spécifiquement la vertu suppurante ; ainsi l'on doit admettre pour suppuratifs tout remede qui est capable dans certains cas déterminés de favoriser les symptomes nécessaires dans ces mêmes cas pour la formation du pus.

Quand l'inflammation d'une partie est considérable, les remedes émolliens, humectans & anodyns calment l'érétisme des vaisseaux, rendent leur oscillation plus libre, & peuvent en conséquence procurer la suppuration. Ainsi dans ce cas le cataplasme de mie de pain & de lait avec le safran paroît souvent suppuratif, ainsi que le cataplasme fait avec les pulpes émollientes. Quand on croit que la suppuration aura lieu, ce qu'on connoît aux signes qui annoncent qu'elle se fera, on ajoute des remedes gras & onctueux au cataplasme émollient, tels que l'onguent d'althoea, de l'onguent de la mere, du basilicum, ou onguent suppuratif, ou simplement de l'axonge ou graisse de porc.

Si la tumeur est circonscrite, & qu'il faille pour obtenir la suppuration conserver la chaleur de la partie, & même augmenter un peu l'action des vaisseaux, les compositions emplastiques, en bouchant les pores & stimulant les fibres, produiront l'effet requis. L'emplâtre diachylum gommé, ou l'onguent de la mere rempliront l'intention du chirurgien.

Quand il ne suffit pas de conserver la chaleur de la partie, & qu'il est nécessaire de l'augmenter, on a recours à des remedes plus actifs : le cataplasme avec les oignons de lis & la thériaque, ou avec les farines résolutives & le miel ; les feuilles d'oseille cuites sous les cendres mêlées avec de la graisse de porc ; le levain avec les fientes de pigeon, de chevre, de porc ou de boeuf ; & tous les remedes résineux & gommeux. Il y a donc des suppuratifs émolliens, des suppuratifs relâchans, des suppuratifs irritans ; il y en a d'antiputrides, dans lesquels entrent des substances balsamiques : des especes de différentes classes peuvent être employées successivement, & combinées diversement dans le traitement particulier d'une tumeur humorale qui se termine par suppuration. C'est au chirurgien à varier les remedes, suivant les indications qui se présentent. On trouvera les meilleurs principes sur cette matiere, dans le traité de la suppuration purulente, par M. Quesnay ; & dans les mémoires qui ont concouru pour le prix de l'académie royale de Chirurgie sur les remedes suppuratifs, imprimés dans le second tome du recueil des prix. (Y)


SUPPURATIONS. f. terme de Chirurgie & de Médecine, action de la nature qui convertit des humeurs en pus. Voyez PUS. Lorsque la matiere purulente coule par une solution de continuité, l'action qui forme ce pus se nomme plus particulierement digestion. La suppuration proprement dite, est la formation du pus dans une partie enflammée, qui fait de la tumeur inflammatoire un abscès. La production du pus dans les inflammations est un effet immédiat de l'action des arteres sur les humeurs mêmes qu'elles contiennent, & sur les graisses renfermées dans le tissu cellulaire enflammé. Car on remarque que ce ne sont ni les muscles, ni les tendons, ni les nerfs, ni les vaisseaux principaux qui suppurent, c'est toujours la membrane adipeuse qui est le siege de la matiere suppurée ; les autres parties solides peuvent se pourrir, mais elles ne suppurent pas. Voyez INFLAMMATION & PHLEGMON.

L'attention du chirurgien dans le traitement d'une inflammation, consiste à s'opposer à la suppuration, s'il convient & s'il est possible de l'empêcher ; & à la procurer ou à la favoriser, quand elle est avantageuse ou inévitable. La résolution est souvent la terminaison la plus convenable. Voyez RESOLUTION & RESOLUTIF. Mais quand il est nécessaire qu'une tumeur suppure, on ne peut compter que sur l'inflammation pour obtenir une suppuration louable ; mais cette suppuration qui forme un abscès, n'est pas une terminaison naturelle de l'inflammation, puisqu'elle suppose en outre dans le tissu adipeux une solution de continuité accidentelle, dans laquelle l'humeur purulente s'extravase : les indications principales pour conduire une inflammation à suppuration, doivent donc être de procurer cette solution de continuité dans l'intérieur de la partie malade, & de faciliter la collection du pus. M. Quesnay, qui a traité à fond cette matiere intéressante dans un traité particulier, dont nous avons recommandé la lecture au mot SUPPURATIF, reconnoît quatre causes principales de la formation de l'abscès, ou de la dilacération du tissu cellulaire ; 1°. l'inflammation portée à un point qui ferme les routes des cellules graisseuses entr'elles, & avec les veines qui resorbent les sucs qui s'épanchent naturellement dans ces cellules ; 2°. l'action violente des vaisseaux, qui produit une humeur âcre & putrescente ; 3°. la surabondance de l'humeur engorgée, qui rompt les parois qui la retiennent ; 4°. les médicamens qui favorisent ces différentes causes.

On voit, par cet exposé, que pour produire du pus il y a quelquefois l'indication de calmer une inflammation excessive, qui suffoque les vaisseaux, & feroit tomber la partie en mortification ; qu'il faut dans d'autres cas ranimer une inflammation foible & languissante ; qu'ainsi il y a des suppuratifs émolliens & des suppuratifs stimulans.

La suppuration a un second état, qui est son accroissement : l'abscès est déja commencé, il faut en procurer la maturation. Les remedes suppuratifs sont alors maturatifs ; mais le pus déja formé coopere plus que tout à la destruction du tissu cellulaire, & à l'ampliation du foyer de l'abscès : tous les sucs engorgés s'y déposent ; les accidens de la fievre qui accompagnoient l'inflammation commencent à cesser ; les pulsations locales qui étoient les agens de la formation du pus diminuent, & lorsque l'abscès est fait, ce dont on s'apperçoit par la mollesse de la tumeur & par la fluctuation des liqueurs épanchées, il leur faut procurer une issue. Voyez ABSCES, INCISION. (Y)


SUPPUTATIONS. f. (Arith.) c'est l'action d'estimer ou de compter en général différentes quantités, comme l'argent, le tems, les poids, les mesures, &c. Voyez CALCUL.


SUPPUTERv. act. (Arithmét.) action de compter, calculer, ou examiner par voie d'arithmétique, en additionnant, soustrayant, multipliant, ou divisant certaines sommes ou nombres. (D.J.)


SUPRAJONCTAIRESS. m. (Hist. mod.) officiers de justice créés par Jacques II. roi d'Aragon, pour faire exécuter les sentences des juges ; ils étoient, dit-on, en Espagne, ce que sont ici les prevôts des maréchaussées. On les appelloit auparavant paciaires & vicaires.


SUPRALAPSAIRES(LES) s. m. pl. en termes de Théologie, sont ceux qui soutiennent que Dieu, sans avoir aucun égard aux bonnes & aux mauvaises oeuvres, a résolu par un decret éternel de sauver les uns & de damner les autres. Voyez REPROBATION.

On les appelle aussi Antelapsaires, & ils sont opposés à ceux qu'on nomme Sublapsaires & Infralapsaires. Voyez SUBLAPSAIRES.

Suivant les Supralapsaires, l'objet de la prédestination, est l'homme en tant qu'il peut être créé, & qu'il peut tomber dans le péché ; en suivant les Infralapsaires, c'est l'homme créé & tombé. Voyez PREDESTINATION.

Il semble que les Supralapsaires dans un seul decret absolu, confondent deux decrets différens, savoir un decret conditionnel qui précede la prévision de l'obéissance ou de la désobéissance de l'homme à la grace de Dieu, & le decret absolu qui suit cette prévision. Voyez PRESCIENCE.

Les Prédéterminans admettent aussi un decret absolu antérieur à la prévision du péché originel, en quoi ils se conforment au sentiment des Supralapsaires ; mais ils se distinguent de ces derniers, aussi-bien que les Jansénistes, en ce que leur decret absolu renferme des moyens suffisans que Dieu ne refuse à personne pour arriver au salut ; desorte que pour ce qui regarde l'article du pouvoir, rien n'empêche les hommes de se sauver. Voyez GRACE.


SUPRÉMATIE(Gouvernement politique) l'Eglise reçue dans l'état sous Constantin, y avoit apporté son culte, qu'elle ne tenoit que de Dieu seul, mais qu'elle ne pouvoit exercer publiquement que par la permission de l'empereur ; c'étoit lui qui assembloit les conciles ; & quand la religion fut encore plus répandue, les souverains, chacun dans leurs états, exercerent dans les choses ecclésiastiques la même autorité que l'empereur. Ainsi le concile d'Orléans fut convoqué par l'autorité de Clovis ; Carloman & Pepin son frere, n'étant que maires du palais, en convoquerent aussi.

L'assemblée des conciles généraux intéressoit trop l'autorité des princes séculiers, pour qu'il n'y eût point entr'eux par la suite des tems, de jalousie au sujet de la convocation. Il falloit, pour les accorder, un lien commun formé par la religion, qui tînt à tous, & qui ne dépendît de personne ; c'est ce qui rendit enfin les papes, en qualité de peres communs des fideles, maîtres de cette convocation, mais avec le concours juste & nécessaire des souverains. Les légats étendirent beaucoup depuis les droits du saint siége à cet égard ; Charles-le-Chauve autorisa leurs entreprises ; & on les vit souvent assembler des conciles nationaux dans les royaumes où ils furent envoyés, sans en consulter les souverains. Henault. (D.J.)

SUPREMATIE, dans la politique angloise, signifie la supériorité ou la souveraineté du roi sur l'église, aussi-bien que sur l'état d'Angleterre, dont il est établi le chef. Voyez ROI.

La suprématie du roi fut établie, ou comme d'autres parlent, recouvrée par le roi Henri VIII. en 1534, après avoir rompu avec le pape. Depuis ce tems-là, elle a été confirmée par divers canons, aussi-bien que par les statuts synodaux de l'église anglicane ; ce qui a donné lieu au formulaire d'un serment que l'on exige de tous ceux qui entrent dans les charges & emplois de l'église & de l'état, de ceux qui aspirent aux ordres sacrés, des membres de la chambre haute & de la chambre basse du parlement, &c. Voyez SERMENT.

Le droit de suprématie consiste principalement dans ces articles.

1°. Que l'archevêque de chaque province ne peut convoquer les évêques & le clergé, ni dresser des canons sans le consentement exprès du roi, comme il paroît par le statut de la vingt-cinquieme année du regne d'Henri VIII. c. xix. au lieu qu'auparavant les assemblées ecclésiastiques étoient convoquées, & que l'on y faisoit des loix pour le gouvernement de l'Eglise, sans aucune intervention de l'autorité royale. Voyez CONVOCATION.

2°. Aujourd'hui on peut appeller de l'archevêque à la chancellerie du roi ; en conséquence de cet appel, on expédie une commission sous le grand sceau adressée à certaines personnes, qui pour la moitié sont ordinairement des juges séculiers, & pour l'autre moitié des juges ecclésiastiques ; ce que l'on appelle la cour des délégués, où se décident définitivement toutes les causes ecclésiastiques ; quoique dans certains cas on permette de revenir de la sentence de cette cour par forme de révision. Avant ce statut d'Henri VIII. on ne pouvoit appeller de l'archevêque qu'au pape seul. Voyez DELEGUE, APPEL, &c.

3°. Le roi peut accorder des commissions à l'effet de visiter les lieux exempts de la jurisdiction des évêques ou des archevêques ; & de-là les appels ressortissent à la chancellerie du roi : au lieu qu'avant le statut d'Henri VIII. il n'y avoit que le pape qui pût ordonner ces visites, & recevoir les appels interjettés de ces cours.

4°. Les personnes revêtues des ordres sacrés ne sont pas plus exemptes de l'autorité des loix temporelles, que les personnes séculieres. Voyez EXEMPTION, IMMUNITE, &c.

5°. Les évêques & le clergé ne prêtent aucun serment, & ne doivent aucune obéissance au pape ; mais ils sont obligés de prêter au roi le serment de fidélité & de suprématie.


SUR LE TOUTen termes de Blason, se dit d'un écusson qui est sur le milieu d'une écartelure & des pieces qui brochent sur les autres.

Chissey en Genevois, parti d'or & de gueules au lion de sable sur le tout.


SUR UN PIÉ(Rubanerie) passer sur un pié, se dit lorsque dans un patron, il n'y a que 12 marches écrites au lieu de 24 qui devroient y être, ce que l'on verroit dans une Planche où le patron seroit écrit sur un pié, & se comprendroit aisément par la comparaison de cette planche avec une autre où le dessein seroit sur deux : expliquons ceci ; une haute-lisse qui est toujours la premiere, c'est-à-dire, la plus près du porte-rame de devant venant à lever, leve avec elle, toutes les rames qu'elle porte suivant le passage du patron. La seconde levant à son tour, fait le même effet, excepté que toutes les rames qui laissoient sur la premiere, vont prendre sur celle-ci, & ainsi des autres alternativement. Ceci entendu, on voit que lorsqu'on dit sur un pié, on sous-entend que toute rame doit avoir son contraire, & que par conséquent un point noir, autrement appellé pris, doit avoir pour répétition un point blanc appellé laissé, ou pour mieux le faire entendre, un point désigne deux hautes-lisses ; donc si un point fait un pris sur la premiere haute-lisse, il fera un laissé sur la seconde ; au contraire, s'il fait un laissé sur cette premiere, il fera un pris sur la seconde ; il est donc presque inutile d'écrire un patron sur deux piés ; & ce n'est que pour satisfaire à la routine de certains anciens ouvriers, que l'on s'assujettit encore à cet usage. Des figures montreroient encore mieux ce dont il s'agit. Si on voyoit les rames des extrêmités ou bords de l'ouvrage, qui a 80 rames de large ; on ne verroit lever sur la premiere marche de ce patron que tous les points noirs de cette largeur de 80, & à l'autre marche le contraire. Ce qui est dit ici, doit servir de regle pour expliquer ce que l'on entend par deux piés.


SUR-ENCHERES. f. (Gram.) enchere faite sur une autre.


SUR-ÉPINEUXvoyez SUS-EPINEUX.


SUR-MESURES. f. (Eaux & Forêts) dans le recolement des ventes qui se font par les officiers des eaux & forêts, on appelle sur-mesure ce qui se trouve entre les piés cormiers de plus que ce qui est porté par le procès-verbal d'arpentage. Par l'ordonnance de 1669, quand il se trouve de la sur-mesure, le marchand adjudicataire doit la payer à proportion du prix principal & des charges de sa vente. Dict. des Eaux & Forêts. (D.J.)


SUR-OSS. m. chez les Maréchaux, est une excroissance ou tumeur calleuse & insensible, qui vient au canon du cheval au-dessous de genou, en-dedans ou en-dehors.

Quand il y en a un autre de l'autre côté en-dehors, on l'appelle sur-os chevillé, parce qu'il perce, pour ainsi dire, l'os ; il est extrêmement dangereux : les uns l'appellent sur-os double, & d'autres sur-os qui traverse.


SUR-SCAPULAIREen Anatomie, nom d'une branche d'artere qui se distribue aux différentes parties qui environnent la partie supérieure de l'omoplate, qu'on appelle en latin scapula ; elle vient de la souclaviere. Haller, icon. anat. sas. 11.


SUR-SOLIDEadj. en Arithmétique, est la cinquieme puissance d'un nombre, ou la quatrieme multiplication d'un nombre considéré comme racine. Voyez PUISSANCE & RACINE.

Le nombre 2, par exemple, considéré comme une racine, & multiplié par lui-même, produit 4, qui est le quarré ou la seconde puissance de 2 ; & 4 multiplié par 2 donnent 8, la troisieme puissance, ou le cube de 2 ; ensuite 8 multiplié par 2 produit 16, la quatrieme puissance, ou le quarré quarré de 2 ; & multiplié encore une fois par 2, produit 32, la cinquieme puissance, ou-bien le sur-solide de 2.

Un problème sursolide est celui qui ne peut être resolu que par des courbes plus élevées que les sections coniques. Voyez PROBLEME, ÉQUATION & CONSTRUCTION. Chambers. (E)


SUR-TAUXS. m. (Gram. & Finance) taux suspect, & qui excede les moyens de celui qu'on taxe, ou la proportion de ses moyens aux moyens des autres.


SUR-TAXERv. act. (Gram.) c'est taxer trop haut.


SUR-TONDRESUR-TONDRE


SURA(Hist. nat.) espece de rat qui se trouve en Afrique, sur-tout dans le royaume de Congo ; il travaille sous terre comme les taupes ; sa chair est un manger excellent, & un festin manqueroit de délicatesse, si l'on n'y servoit de ces animaux ; il y a cependant des negres qui par la superstition s'en privent comme d'une viande impure.

SURA, ou SURE, (Relig. mahomét.) mot arabe qui signifie proprement un pas ; mais les collecteurs de l'alcoran désignent par ce mot, les différentes sections de cet ouvrage, qui sont au nombre de 114. Le pere Souciet dit surate au lieu de sura, parce qu'en arabe le hé final marqué de deux points, se prononce comme te. (D.J.)

SURA, (Géog. anc.) ville de Syrie, dans la Palmyrène : Ptolémée, l. V. c. xv. la marque sur le bord de l'Euphrate. Pline, l. V. c. xiv. dans un endroit, nomme cette ville Ura, & plus bas, l. V. c. xxvj. il l'appelle Sura. Il ajoute qu'elle étoit bâtie dans l'endroit où l'Euphrate tournant vers l'orient, laissoit les deserts de Palmyrène. Ortélius, le pere Hardouin & Cellarius, conviennent que c'est cette ville qui est nommée Flavia, Firma, Sura, dans la notice des dignités de l'empire, sect. 24. Le pere Hardouin soutient que quand même on écriroit Ura, au lieu de Sura, la conjecture de Bochart, part. I. l. II. c. vj. qui voudroit en faire l'Ur des Chaldéens, ou de la Babylonie, n'en deviendroit pas plus probable, parce que la Babylonie est trop éloignée de la Palmyrène. Dans une ancienne notice ecclésiastique, cette ville est appellée .

Dans le second passage de Pline, qui vient d'être cité, on lit : a Sura autem proximè est Philiseum. Les anciens éditeurs de Pline, au lieu de a Sura, lisoient Asura, Arura, ou Assur. Mais cet endroit de Pline suffit pour juger qu'il faut lire ab Ura, ou a Sura. (D.J.)

SURA, (Géog. anc.) fleuve de la Gaule belgique, & l'un de ceux qui se jettent dans la Moselle ; Ausone in Mosellâ, v. 354. le décrit ainsi :

... Pronaeae Nemesaeque adjuta meatu

Sura tuas properat non degener ire sub undas

Sura interceptus tibi gratificata fluentis.

Ce fleuve s'appelle aujourd'hui Saur, & les François le nomment le Sour. La Pronaea & la Nemesa, qui, selon Ausone, grossissent ses eaux, sont aujourd'hui la Prum ou Pruym, & la Nyuns. (D.J.)


SURABONDANCES. f. (Gram.) abondance excessive & vicieuse : on dit surabondance de droit, surabondance de grains & de vin.


SURABONDANT(Chimie) lorsque, outre la proportion requise d'un certain principe pour la formation d'une substance déterminée, d'un tel mixte, d'un tel composé, &c. il existe dans un sujet chimique une quantité indéterminée de ce même principe ; on dit de cette derniere quantité qu'elle est surabondante à ce mixte, à ce composé, &c. par exemple, tous les sels crystallisables contiennent une certaine quantité d'eau essentielle à leur crystallisation ; si des crystaux d'un sel sont unis à une autre portion d'eau qui les résout en liqueur, &c. on dit de cette eau qu'elle est surabondante à la crystallisation ; une certaine quantité de terre surabondante au corps muqueux, paroît constituer l'être spécifique du corps farineux. Voyez FARINE & FARINEUX, (Chimie) Une certaine quantité d'acide marin & de mercure, constitue un composé connu dans l'art sous le nom de mercure sublimé doux ; si on charge ce composé d'une plus grande proportion d'acide, ce qui arrive lorsqu'on convertit le mercure sublimé doux en un autre sel appellé mercure sublimé corrosif, cette derniere portion d'acide qui spécifie le sublimé corrosif, est dite surabondante.

Les sels neutres métalliques sont éminemment propres à se surcharger d'acide, ou à recevoir dans leur composition un acide surabondant : & les différentes proportions de ce principe surabondant, font considérablement varier leurs effets, les phénomenes qu'ils présentent dans les différens procédés qu'on exécute sur ces substances ou avec ces substances. M. Rouelle a donné dans les Mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1754 un excellent mémoire sur cette importante matiere (b)


SURACHAT(Finances) on appelle Surachat la remise que des particuliers savent se procurer du bénéfice que fait le roi de la monnoie, ou de partie de ce bénéfice sur une quantité de marcs qu'ils se chargent de faire venir de l'étranger. Traçons d'après l'auteur des considérations sur les finances, les idées saines qu'il faut revêtir sur une pareille opération.

Nul homme, dit-il, au fait des principes politiques de l'administration, ne doute qu'il ne soit avantageux de payer au commerce les matieres qu'il apporte suivant la valeur entiere, c'est-à-dire, de rendre poids pour poids, titre pour titre ; car si le prince retient un bénéfice sur sa monnoie, il délivre en monnoie une moindre quantité de grains pesant de métal pur, pour une plus grande qui lui est apportée. Ainsi il est évident qu'une telle retenue, est une imposition sur le commerce avec les étrangers ; or le commerce avec les étrangers est la seule voie de faire entrer l'argent dans le royaume : d'où il est aisé de conclure, que toute remise générale des droits du prince sur la fabrication de la monnoie, est un encouragement accordé à la culture & aux manufactures ; puisque le négociant est en état, au moyen de cette remise, ou de payer mieux la marchandise qu'il exporte, ou de procurer à l'état une exportation plus abondante, en faisant meilleur marché aux étrangers ; unique moyen de se procurer la préférence des ventes, & dès-lors du travail.

Cette police occasionne encore des entrepôts de matieres pour le compte des autres nations : or tout entrepôt est utile à celui qui entrepose. On se contente ici de poser ces principes évidens qui suffisent pour détruire les sophismes que peuvent suggérer, sur ce sujet, de petites vûes intéressées. Dans ces matieres, il n'est qu'un intérêt à considérer, c'est celui des hommes qui produisent, c'est-à-dire, du cultivateur, du manufacturier, de l'armateur : mais lorsque l'état n'est pas dans une situation qui lui permette de faire cette gratification entiere au commerce, il est dangereux qu'il l'accorde à des particuliers qui s'offrent de faire venir de grandes sommes dans le royaume. Prétexte ridicule aux yeux de ceux qui font quelque usage de leur esprit ! Nous ne pouvons recevoir de l'argent que par la solde du commerce, lorsqu'il rend les étrangers nos débiteurs. Si nous en recevons d'eux qu'ils ne nous doivent pas, il est clair que nous devenons leurs débiteurs : ainsi ils auront plus de lettres de change sur nous, que nous n'en aurons sur eux ; par conséquent le change sera contre nous, le commerce total du royaume recevra moins de valeur de ses denrées, qu'il ne devoit en recevoir, & sa dette à l'étranger lui coûtera plus cher à acquiter.

Pour faire cesser cette perte, il n'y auroit qu'un seul moyen, c'est de solder cette dette, en envoyant des marchandises, ou en envoyant des especes.

Si l'étranger n'a pas besoin de nos marchandises, ou bien elles y resteront invendues, ce qui ne le rendra pas notre débiteur ; ou bien elles y seront vendues à perte, ce qui est toujours fâcheux. Si l'étranger a besoin de nos marchandises, il est clair qu'il les auroit également achetées, quand même nous n'aurions pas commencé par tirer son argent ; il est également évident qu'ayant été payés avant que d'avoir livré, nous aurons payé l'intérêt de cet argent par le change ; & dès-lors nos denrées ne nous auront pas rapporté ce qu'elles nous auroient valu, si nous ne nous étions pas rendus débiteurs de l'étranger par des surachats de matiere.

Si nous faisons sortir notre dette en nature pour faire cesser le désavantage du change, il est clair que l'entrée de cet argent n'aura été d'aucune utilité à l'état, & qu'elle aura troublé le cours du commerce général pour favoriser un particulier. Tel sera toujours l'effet de toute importation forcée de l'argent dans les monnoies ! Concluons qu'il ne doit entrer que par les bénéfices du commerce avec les étrangers, & non par les emprunts du commerce à l'étranger.

Enfin dans le cas où l'étranger se trouveroit notre débiteur, il est clair que tout surachat est un privilege accordé à un particulier pour faire son commerce avec plus d'avantage que les autres ; ce qui renverse toute égalité, toute concurrence. En effet, ce particulier pouvant, au moyen du bénéfice du surachat, payer les matieres plus cheres que les autres, on le rend maître du cours du change, & c'est positivement lever à son profit un impôt sur la totalité du commerce national, conséquemment sur la culture, les manufactures & la navigation. Voilà au juste le fruit de ces sortes d'opérations, où les proposans font leurs efforts pour ne faire envisager aux ministres qu'une grande introduction d'argent, & une grace particuliere qui ne coute rien au prince. On leur cache que le commerce perd réellement tout ce qu'ils gagnent, & bien au-delà. Hé peut-on dire sérieusement qu'il n'en coute rien au prince quand tous ses sujets perdent, & qu'un monopoleur s'enrichit ! (D.J.)


SURALLE, adj. en Anatomie, se dit des parties relatives au gras de la jambe, appellée en latin sura. La veine surale est assez grosse, & se divise en deux branches, l'externe & l'interne ; chacune de ces branches se subdivise encore en deux, & elle forme avec les branches de la poplitée tout le plexus veineux qu'on voit sur le pié.


SURALLERv. n. (terme de Chasse) ce mot se dit d'un chien qui passe sur les voies sans crier, & sans donner aucune marque que la bête y est passée. (D.J.)


SURANDOUILLERS. m. (Venerie) c'est un grand andouiller qui se rencontre à quelques têtes de cerf, & qui excede en longueur les autres de l'empaumure.


SURANNATIONLETTRES DE, s. f. (Gram. Jurisprud.) on entend par surannation le laps de plus d'une année qui s'est écoulé depuis l'obtention de certaines lettres de chancellerie. Les lettres de surannation sont celles que le roi accorde pour valider d'autres lettres qui sont surannées. Cet usage qui s'est conservé dans les chancelleries vient de ce qu'autrefois chez les Romains toutes les commissions étoient annales. Voyez le style de la chancellerie par Ducrot. (A)


SURANNÉadj. (Jurisprud.) terme de chancellerie dont on se sert pour désigner des lettres dont la date remonte à plus d'une année ; on dit que ces lettres sont surannées, pour dire qu'elles sont audessus d'un an. Les lettres surannées ne peuvent plus servir, à-moins que le roi n'accorde d'autres lettres pour les valider, qu'on appelle lettres de surannation. Voyez le style de la chancellerie par Ducrot. (A)


SURARBITRES. m. (Jurisprud.) est celui qui est choisi pour départager les arbitres : on peut prendre pour surarbitres tous ceux que l'on prend pour arbitres ; mais ordinairement on observe de prendre pour surarbitre quelqu'un qui soit ou plus qualifié que les arbitres, ou au moins de rang, d'âge & de considération égale ; on peut prendre un ou plusieurs surarbitres, on les choisit ordinairement en nombre impair, afin qu'il n'y ait point de partage. Voyez ARBITRAGE, ARBITRE, GREFFIER DES ARBITRAGES, SENTENCE ARBITRALE. (A)


SURASS. m. (Hist. mod.) c'est ainsi que les Arabes Mahométans nomment les chapitres dans lesquels l'Alcoran est partagé. Ce livre en contient 114 qui sont d'une longueur inégale.


SURATou SURATTA, (Géog. mod.) ville des Indes dans les états du Mogol au royaume de Guzurate, sur la riviere de Tapy, vers l'entrée du golfe de Cambaye, avec un château où le grand-Mogol tient toujours un gouverneur. Les dehors de la ville sont les plus beaux du monde ; car outre les jardins où l'on cultive toutes sortes d'arbres fruitiers, la campagne entiere semble vouloir contribuer à tout ce qui peut réjouir la vûe.

Les maisons des gens aisés sont bâties en brique, les autres sont construites en bambous, & couvertes de feuilles de palmier. C'est la ville de toute l'Asie la plus commerçante, & l'abord des marchands de toutes les nations. Les Anglois & les Hollandois y ont des loges, des magasins & des commis. Les Anglois particulierement y ont établi le fort de tout leur commerce des Indes.

La ville est aussi peuplée d'Arabes, de Persans, d'Arméniens, de Turcs & de Juifs qui y demeurent, ou qui s'y rendent perpétuellement pour le commerce. Il consiste en étoffes d'or, de soie, de coton, en épiceries que les Hollandois y portent, en perles, en diamans, rubis, saphyrs, & toutes autres pierres précieuses.

Toutes les monnoies étrangeres y sont converties en roupies d'or & d'argent, sur lesquelles on met la marque affectée à l'empereur regnant. La roupie d'or en vaut quatorze d'argent, & la roupie d'argent vaut environ vingt-sept sols d'Angleterre.

Le havre de Surate est à deux lieues de la ville, au village de Suali ; c'est-là où les navires déchargent leurs marchandises, que l'on acheve de porter par terre à Surate. Cette rade a sept brasses d'eau dans la haute marée, & cinq dans la basse.

Les habitans de Surate sont ou Bénians, ou Bramans, ou Monguls. Ces derniers professent le mahométisme, & sont les plus considérés, tant à cause de leur religion qu'ils ont commune avec le mogol, & avec les principaux seigneurs du pays, qu'à cause qu'ils portent volontiers les armes. Les Bénians au contraire s'appliquent au travail, au commerce, & ont une dévotion extraordinaire pour les choses religieuses.

Long. de Surate suivant Cassini, 89. 51'. 30''. latit. 21. 10'. Long. suivant les P. P. Jésuites, 90. 21'. 30''. latit. 21. 50'. Latit. sur les cartes angloises, 20. 56, & sur les cartes de M. d'Après de Manvillette, 21. 10 ; ce qui est conforme aux observations de Cassini. (D.J.)


SURBAISSEMENTS. m. (Archit.) c'est le trait de tout arc bandé en portion circulaire ou elliptique, qui a moins de hauteur que la moitié de sa base, & qui est par conséquent au-dessous du plein ceintre. Sur-haussement, c'est le contraire. Daviler. (D.J.)


SURBAISSER(Coupe de pierres) c'est n'élever une courbure de ceintre A B C, fig. 26. qu'au-dessous du demi-cercle A B D, c'est-à-dire faire un ceintre elliptique, dont le grand axe soit horisontal.


SURBANDES. f. (terme d'Artillerie) bande de fer qui couvre le tourillon d'une piece ou d'un mortier quand ils sont sur leur affut ; elle est ordinairement à charniere. (D.J.)


SURBAY(Géog. mod.) baie sur la côte d'Angleterre, dans Yorck-Shire. Surbay veut dire baie assurée, nom qui lui vient de la bonté de sa rade, qui d'ailleurs peut contenir quantité de vaisseaux. Les anciens l'appelloient Eulimenon, mot qui signifie la même chose. Ptolémée la nomme Eulimenon Gabrantonicorum, du nom du peuple qui habitoit le pays d'alentour. (D.J.)


SURBOUTARBRE, (Charpent.) on appelle arbre sur-bout une grosse piece de bois tournante sur un pivot qui reçoit divers assemblages de charpente pour des machines. (D.J.)


SURCASES. f. (Jeux) On appelle surcase au trictrac une case remplie de plusieurs dames, ou les dames surnuméraires de cette même case. Académie des jeux. (D.J.)


SURCENSS. m. (Gram. & Jurispr.) est un second cens qui est ajouté au premier : c'est pourquoi on l'appelle aussi croît de cens ou augmentation de cens.

Il differe du chef-cens ou premier cens, en ce que celui-ci est ordinairement très-modique, & imposé moins pour le profit que pour marque de la seigneurie, au lieu que le surcens est ordinairement plus considérable que le cens, & est établi pour tenir lieu du produit de l'héritage.

Le surcens est seigneurial ou simplement foncier.

Il est seigneurial, lorsqu'il est dû au seigneur censuel outre le cens ; & dans ce cas même il n'a pas les privileges du cens, il n'emporte pas lods & ventes, il se purge par decret faute d'opposition.

Le surcens simple foncier est la rente non-seigneuriale imposée sur le fonds par le propriétaire depuis le bail à cens. Voyez RENTE FONCIERE, BAIL A RENTE, CENS, CENSIVE, FIEF. Brodeau sur Paris, titre des censives. (A)


SURCHARGES. f. (Gram. & Jurispr.) est une charge ou redevance imposée outre & pardessus une autre sur un héritage. Le cens est la premiere charge sur un héritage censuel, le surcens ou la rente fonciere est une surcharge.

Mais on entend ordinairement par surcharge l'augmentation qui se trouve faite au cens ou à la rente seigneuriale, sans que l'on en voie la cause. Si l'on fait reconnoître deux sols de cens au lieu d'un ou bien qu'avec le cens ordinaire on fasse reconnoître d'autres prestations qui n'étoient point accoutumées, ce sont des surcharges.

Pour connoître s'il y a surcharge, il faut remonter au titre primitif ou à la plus ancienne reconnoissance. Voyez Loiseau, du déguerpissement, liv. VI. ch. ij. Henrys, Vedel, sur M. de Catelan. (A)


SURCHAUFFERv. act. (Ouvriers de forge) c'est brûler le fer en partie par le trop de feu qu'on lui a donné.


SURCHAUFFURES. f. c'est le défaut d'un fer surchauffé.


SURCOSTAUou RELEVEURS DE STENON, en Anatomie, nom des muscles qui s'attachent sur les côtes.

Ces muscles sont au nombre de trente-deux, seize de chaque côté, douze courts & quatre longs. Les courts viennent des apophyses transverses de la derniere vertebre du col & des onze supérieures du dos, & s'inserent obliquement à chaque côte entre la tuberosité & son angle. Les longs viennent de la 7e. 8e, 9e & 10e vertebre du dos, & se terminent à la 9e, 10e, 11e & 12e côte.


SURCOTS. m. (Lang. franç.) vieux mot qui signifioit un riche habillement que les dames mettoient sur elles ; ensuite il vint à désigner une sorte de vêtement que les chevaliers de l'étoile institués par le roi Jean, portoient sous leurs manteaux. La lettre de leur institution en parle en ces termes. " Les chevaliers qui seront appellés chevaliers de Notre-Dame ou de la noble maison de l'étoile, porteront sous le manteau surcot blanc ou cote blanche. "

Le surcot étoit un habit fort en usage du tems de S. Louis ; les hommes & les femmes en portoient. Joinville raconte que, Robert de Sorbonne lui ayant reproché qu'il étoit plus richement vêtu que le roi, il lui répondit qu'il " portoit encore l'habit que son pere & sa mere lui avoient donné ; mais vous, continua-t-il, qui êtes fils de vilain & de vilaine, avez laissé l'habit de vos pere & mere, & vous êtes vêtu de plus fin camelin que le roi n'est ; & lors je prins la peau de son surcot & de celui du roi, que je joignis près l'un de l'autre ; & lui dis, or, regardez si j'ai dit vrai. "

M. Ducange dit, en expliquant ce terme, que parmi les Danois le mot serk signifioit un habit de femme. Il pourroit être, ajoute-t-il, que les François ont emprunté ce mot des Normands qui vinrent si souvent ravager la France ; mais il n'est pas moins probable que cet habillement fut ainsi nommé, parce qu'il se mettoit sur la cotte des dames ; ensuite on appliqua ce nom aux robes des hommes comme à celles des femmes. (D.J.)


SURCROITS. m. (Gram.) accroissement, augmentation excessive & vicieuse. Un surcroît de compagnie, un surcroît de fortune, de douleur, de misere.


SURDAONES(Géog. anc.) peuples de l'Espagne tarragonoise. Pline, l. III. c. iij. les place sur le bord du fleuve Sicoris, aujourd'hui la Segre ; & il leur donne pour capitale la ville d'Ilerda, à-présent Lerida qui étoit aussi la capitale des Ilergetes. Ainsi les Ilerdenses ou les habitans de Ilerda faisoient partie des Surdaons. Les Surdaons étoient compris sous les Ilergetes, & Ilerda étoit la capitale de ces deux peuples. (D.J.)


SURDENTS. m. (terme de Maréchal) Les maréchaux appellent surdent les dents mâchelieres du cheval, qui viennent à croître en-dehors ou en-dedans ; ensorte que cet animal voulant manger du foin, les pointes des dents qui sont crues plus hautes que les autres, pincent le palais ou la langue du cheval, lui causent de la douleur, & l'empêchent de manger. Soleisel. (D.J.)


SURDITÉS. f. (Malad.) est l'état d'une personne qui est privée du sens de l'ouïe ; ou c'est une maladie de l'oreille, qui empêche cet organe de recevoir les sons. Voyez OUÏE & OREILLE.

La surdité vient en général ou d'une obstruction, ou compression du nerf auditif, ou de quelque amas de matiere dans la cavité interne de l'oreille, ou de ce que le conduit auditif est bouché par quelque excroissance dure ; ou enfin de quelque gonflement des glandes, ou de quelque corps étranger qui ferme le conduit, &c.

Les sourds de naissance sont aussi muets, au-moins ordinairement ; parce qu'ils ne sont pas capables d'apprendre à parler. Cependant comme les yeux aident les oreilles, au-moins en partie, ils peuvent, à la rigueur, entendre ce qu'on dit, en observant le mouvement des levres & de la bouche ; ils peuvent même s'accoutumer à faire des mouvemens semblables, & par ce moyen apprendre à parler.

Ainsi le Dr. Wallis parle de deux jeunes gens qui étoient sourds de naissance, & qui ne laissoient pas d'entendre ce qu'on leur disoit, & d'y répondre pertinemment. Le chevalier Digby nous dit avoir vu un autre exemple de la même chose. Il n'y a pas longtems qu'il y avoit à Amsterdam un médecin suisse nommé Jean Conrad Amman, qui apprenoit avec succès à parler à des enfans nés sourds : il avoit réduit cette pratique à des regles fixes, & à une espece d'art & de méthode qu'il a publiée dans son surdus loquens, Amst. 1692. & dans son traité de loquelâ, ibid. 1700.

M. Waller, secrétaire de la S. R. de Londres, parle dans les Transactions philosophiques, n °. 313. d'un frere & d'une soeur, âgés d'environ 50 ans chacun, & nés dans la même ville que M. Waller, qui tous deux étoient entierement sourds : cependant l'un & l'autre savoient tout ce qu'on leur disoit, en examinant seulement le mouvement des levres ; & ils y répondoient sur le champ.

Il paroît qu'ils avoient tous deux joui du sens de l'ouïe étant enfans, & qu'ils l'avoient perdu dans la suite ; mais qu'ils avoient conservé une espece de langage qui, quoique barbare, étoit cependant intelligible.

L'évêque Burnet nous a rapporté encore un autre exemple de la même chose dans l'histoire de la fille de M. Gaudy, ministre de S. Gervais, à Geneve. Cette fille devint sourde à l'âge de deux ans ; depuis ce tems, elle n'entendoit plus que le grand bruit, mais rien de ce qu'on lui disoit ; mais en observant le mouvement des levres de ceux qui lui parloient, elle apprit un certain nombre de mots, dont elle composa une espece de jargon ; au moyen duquel elle pouvoit converser avec ceux qui étoient en état d'entendre son langage. Elle ne savoit rien de ce qu'on lui disoit, à-moins qu'elle ne vît le mouvement des levres de la personne qui lui parloit ; desorte que pendant la nuit, on ne pouvoit lui parler sans lumiere. Mais ce qui doit paroître plus extraordinaire, c'est que cette fille avoit une soeur, avec laquelle elle conversoit plus aisément qu'avec personne ; & pendant la nuit, il lui suffisoit de mettre la main sur la bouche de sa soeur, pour savoir ce qu'elle lui disoit, & pour pouvoir lui parler dans l'obscurité. Burn. lit. IV. p. 248. C'est une chose digne de remarque, que les sourds, & en général ceux qui ont l'ouïe dure, entendent mieux, & avec plus de facilité, lorsqu'il se fait un grand bruit dans le tems même qu'on leur parle ; ce qui doit être attribué sans-doute à la grande tension du tympan dans ces occasions. Le sieur Willis parle d'une femme sourde, qui entendoit fort distinctement ce qu'on lui disoit, lorsqu'on battoit du tambour ; desorte que son mari pour pouvoir converser plus aisément avec elle, prit à son service un tymbalier. Le même auteur parle d'une autre personne, qui demeuroit proche d'un clocher, & qui entendoit fort bien trois ou quatre coups de cloches ; mais rien de plus.

SURDITE, (Médecine séméiotiq.) les signes que l'on tire de la surdité qu'on observe dans les maladies aiguës varient suivant les circonstances où se trouve le malade, de façon que dans certains cas, ils annoncent une crise salutaire ; d'autrefois ils font craindre ou la mort, ou quelqu'accident fâcheux ; en général la surdité au commencement d'une maladie aiguë n'est point d'un mauvais augure, sur-tout si on n'apperçoit aucun autre mauvais signe ; lorsqu'elle paroît sur la fin, & que les évacuations critiques ne la dissipent point, ou qu'elle leur succede, on a tout à craindre pour les jours du malade ; & s'il se rencontre en même tems quelque signe funeste, elle en confirme & augmente le danger : c'est sur cette observation qu'Hyppocrate a prononcé que la mort étoit prochaine, si la surdité étoit jointe à des douleurs de tête & de col, aux tremblemens des mains, & des urines épaisses, à des déjections noires par les selles, à la résolution de la langue, & à l'engourdissement de tout le corps, coac. praenot. cap. v. n °. 9. il porte le même prognostic sur la surdité qui arrive aux malades extrêmement foibles ; si lorsque les forces sont tout-à-fait épuisées, l'oeil ne voit pas, & l'oreille n'entend pas, le malade n'a plus qu'un instant à vivre, aphor. 49. lib. IV. le même auteur, dans les différens ouvrages de qui nous puisons tous ces axiomes de séméiotique, détaille avec une justesse infinie les différens cas où la surdité est funeste, & ceux où elle est favorable ; nous ne faisons que traduire ses propres paroles, sans entrer dans aucune discussion théorique, & sans les étendre dans un commentaire superflu : la surdité, dit-il, qui survient aux fievres aiguës accompagnées de beaucoup d'inquiétude & de trouble est un mauvais signe, prorrhet. lib. I. sect. 1. n °. 32. elle annonce le plus souvent un délire furieux, coac. praenot. cap. V. n °. 8. elle est aussi d'un mauvais augure dans les maladies chroniques, & elle présage d'ordinaire des douleurs aux cuisses, ibid. n °. 2. Lorsque les évacuations critiques, loin de soulager le malade, donnent naissance à quelque phénomene qui n'existoit pas auparavant, & que sur ces entrefaites le malade devient sourd, sa vie est en danger, prorrhet. iij. text. 35. de tous les malades dans qui Hippocrate a observé ce symptome, Horophon seul, suivant la remarque de Galien, en a échappé ; il en est de même si la surdité ayant paru avant la crise, subsiste après qu'elle a eu lieu, Philista mourut au cinquieme jour avec ce symptome. La surdité, avons-nous dit, est quelquefois un signe de délire prochain : nous ajouterons ici, qu'on doit d'autant plus compter sur la vérité de ce signe, qu'il sera joint dans le cas de douleur de tête avec le vomissement de matieres porracées, rugineuses, & de veilles opiniâtres ; alors, dit notre grand observateur, le malade ne tarde pas à extravaguer, & d'une maniere violente, prorrhet. lib. & sect. I. n °. 10. de même la surdité qui se rencontre avec des urines rougeâtres sans sédiment, qui n'ont que des nuages, annoncent surement un dérangement d'esprit, l'ictere survenant dans ces circonstances seroit pernicieux, & plus encore s'il étoit suivi d'imbécillité ; ibid. n ° 31. & coac. praenot. cap. v. n °. 10.

Dans bien des cas la surdité fait espérer une hémorragie du nez, ou un dévoyement critiques ; & si ces évacuations surviennent, la maladie se termine heureusement. Aphor. 60. lib. IV. On peut s'attendre à cette issue favorable, lorsque la coction est faite, & que les autres signes sont bons ; le dévoyement surtout bilieux, & la surdité, se succedent & se dissipent mutuellement, aphor. 28. lib. IV. j'ai observé cette succession à plusieurs reprises chez un malade qui guérit très-bien. L'hémorragie est plus surement indiquée par la surdité, si en même tems la tête est lourde, les hypochondres tendus, & les yeux fatigués par la lumiere, coac. praenot. cap. V. n °. 7. si dans cet état l'hémorragie est petite, il y a quelqu'obstacle que le vomissement ou la diarrhée peuvent emporter avec succès, ibid. n °. 20. Si par ces différentes crises la surdité ne disparoît pas en entier, qu'elle ne soit que diminuée, c'est signe qu'elles ont été incomplete s ; & il faut s'attendre qu'elles seront réitérées tant que la surdité subsistera ; on voit un exemple frappant de cette remarque dans l'histoire qu'Hippocrate donne de la maladie d'une fille d'Abderos, epidem. lib. III. text. 78. au huitieme jour d'une fievre aiguë, la surdité survint avec dégoût, frisson sans délire & sans aucun changement dans les urines ; elle dura ainsi jusqu'au quatorzieme jour ; alors il y eut un peu de délire, la fievre s'appaisa ; & le dix-septieme l'hémorragie du nez fut abondante, la surdité en fut diminuée ; les jours suivans même symptome, surdité, dégoût & délire : le 20, la malade sentit une douleur aux piés ; à l'instant ces symptomes disparurent, la malade saigna du nez quelque peu, eut une legere sueur, & fut tout-à-fait exempte de fievre. Le 24 la surdité, le délire & la fievre revinrent ; la douleur des piés se maintint : le 27 il y eut des sueurs copieuses, & en même tems la surdité & la fievre cesserent pour toujours & la malade entra en convalescence. De tout ce que nous avons dit, nous pouvons conclure avec Waldschmid, que la surdité qui se fait par un effort critique, criticè, dans les maladies aiguës est un bon signe ; & qu'au-contraire celle qui vient par intervalle, & qui est plutôt dûe à la violence du mal, qu'à l'opération critique de la nature, est un signe fâcheux.


SURDOSterme de Bourrelier ; c'est une longue bande de cuir qui regne le long de l'épine du dos des chevaux de carosse, qui d'un bout sort de la bricole ou coussinet, & de l'autre est terminé par la croupiere : le surdos a d'espace en espace des bandes de cuir qui y sont attachées, & descendent latéralement jusqu'aux fourreaux qui enveloppent les reculemens ou bandes de côtés : l'usage des surdos est de contribuer à l'ornement du harnois, & en même tems à soutenir au moyen des bandes latérales qui sont comme des côtes, les reculemens ou bandes de côté. Voyez les Pl. & figures du Bourrelier.


SUREAUS. m. (Hist. nat. Bot.) sambucus, genre de plante à fleur monopétale, en forme de roue, & profondement découpée ; le milieu de cette fleur est percé par la pointe du calice, comme par un clou : le calice devient dans la suite une baie pleine de suc, qui renferme des semences oblongues. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

Tournefort établit sous ce genre de plante 7 especes de sureau, & met à leur tête le sureau commun à fruit noir, sambucus fructu in umbellâ nigro, I. R. H. 606. en anglois, the common elder Wilth black berries.

C'est tantôt un arbre de moyenne hauteur qui répand ses rameaux au large ; tantôt un arbrisseau dont les branches sont longues, rondes, remplies de beaucoup de moëlle blanche, ayant le bois peu épais, vertes d'abord, & puis grisâtres ; son tronc est couvert d'une écorce rude, crevassée & cendrée ; sur cette écorce extérieure il s'en trouve une seconde qui est verte, & d'usage en médecine ; son bois est assez solide, jaunâtre, mais facile à couper ; ses rameaux sont garnis de noeuds par intervalles ; ses feuilles sont attachées cinq ou six le long d'une côte, comme celles du noyer ; mais plus petites, dentelées en leurs bords, & d'une odeur forte.

Ses fleurs naissent aux sommités des branches en ombelles ou parasols, amples, larges, formées en bassinets ou rosettes en cinq quartiers, blanches, petites, fort odorantes avec cinq étamines à sommets arrondis. Après que les fleurs sont tombées, il leur succede des baies grosses comme celles du génévrier, rondes, vertes d'abord, noires dans leur maturité, pleines d'un suc rouge foncé ; elles contiennent ordinairement dans une seule loge trois semences menues, convexes d'un côté, & de l'autre anguleuses. Ses baies s'appellent dans les boutiques, grana actes.

Cet arbre croît presque par-tout, dans les haies, dans les fosses des villes, dans les vallées, aux lieux ombrageux & humides ; il pousse de très-bonne heure, & fleurit en Mai & Juin : ses baies sont mûres en automne. Si on le cultive dans les jardins, il forme un arbre assez gros, élevé, & de longue vie. Il est rare en Italie, & dans les pays chauds, parce qu'il aime les terres grasses. (D.J.)

SUREAU, (Mat. méd.) ou grand sureau ; l'usage du sureau est très-ancien dans la médecine ; on y employe son écorce moyenne, ses feuilles, ses fleurs & ses baies, qui sont connues dans la pharmacie sous le nom de grana actes. Les anciens ont employé la décoction des feuilles & des tendrons de sureau, aussi-bien que la décoction des racines dans le vin pour vuider les eaux des hydropiques par les selles & par les urines. Les fleurs fraîches sont aussi laxatives, mais l'écorce moyenne est celle des parties du sureau, qui est regardée comme possédant la vertu purgative au plus haut degré. Aussi n'est-ce que cette partie que les modernes employent à titre de purgatifs. Ils en donnent la décoction, le suc ou l'extrait. Ces remedes sont véritablement hydragogues, & ils agissent assez communément par haut & par bas, font ordinairement assez bien dans les hydropisies, & agissent sans violence & sans accident.

La dose du suc est d'une once ; celle de l'écorce, employée à l'infusion de demi-once ; & celle de l'extrait depuis demi-gros jusqu'à un gros. Les remedes analogues tirés du petit sureau ou yeble, sont beaucoup plus forts. Voyez YEBLE.

Les fleurs seches de sureau qu'on n'employe guere que dans cet état, passent pour diaphorétiques & pour carminatives. On les fait entrer quelquefois à ce dernier titre dans les lavemens. Ses fleurs sont un remede assez peu usité & assez foible. Leur principal usage est diétetique. On en prépare par infusion pour l'usage de la table un vinaigre appellé communément vinaigre surat, qui est fort agréable, & qui vraisemblablement n'emprunte aucune autre qualité, soit bonne, soit mauvaise, de l'infusion de ces fleurs ; quoique quelques pharmacologistes n'ayent pas manqué de dire qu'il étoit moins contraire à l'estomac & plus sain que le vinaigre pur & commun ; & que quelques personnes trouvent peut-être avec plus de fondement que ce vinaigre a une odeur nauséeuse, & portant à la tête.

L'eau distillée des fleurs de sureau est regardée comme céphalique, cordiale, diaphorétique, &c. mais elle est si foible, chargée d'un parfum si leger, qu'on ne peut guere compter sur un pareil remede.

On prépare avec le suc des baies de sureau & la farine de seigle des rotules ou trochisques qu'on fait cuire au four, & qui sont connus dans les pharmacies sous le nom de trochisci granorum actes, qui sont recommandés pour les dissenteries, à la dose de deux gros jusqu'à demi-once ; c'est un remede peu usité & peu éprouvé.

On prépare aussi avec le même suc & une quantité convenable de sucre (demi-livre, par exemple, sur une livre de suc), un rob qui est plus usité que le remede précédent contre la même maladie. Ce rob est mis aussi au rang des bons diurétiques & des sudorifiques legers.

Les usages extérieurs du sureau sont les suivans : ses feuilles, qu'on a fait échauffer & ressuer sur le feu, étant appliquées sur les enflures, sur les plaies, sur les vieux ulceres, & sur les brûlures, sont regardées comme produisant de très-bons effets. Ces feuilles sont aussi un ingrédient très-efficace des vins aromatiques.

L'écorce moyenne pilée passe aussi pour un excellent remede contre la brûlure. On en compose encore contre ce mal plusieurs onguens, qui sont tous, sans en excepter celui de Mathiole, des remedes assez mal entendus, ou au-moins à la vertu desquels l'écorce de sureau ne contribue en rien.

On prépare avec les fleurs de sureau une huile par infusion, qui est adoucissante comme l'huile d'olive, & peut-être un peu résolutive. On fait aussi imbiber ces fleurs dans de l'eau, dans du vin, ou dans l'eau distillée des mêmes fleurs, & on les applique sur les érésipeles, les dartres, &c. à titre de remedes anodins, adoucissans, légerement résolutifs. On peut assurer qu'il est au-moins assez innocent.

Les fleurs de sureau entrent dans l'eau vulnéraire & le baume tranquille ; les feuilles dans l'onguent martiatum, & l'onguent pour la brûlure ; les baies dans l'eau hystérique ; l'écorce dans l'onguent pour la brûlure. (b)


SUREROGATIONOEUVRES DE, on appelle ainsi en Théologie, les bonnes oeuvres faites au-delà de ce qui est prescrit par la loi, tel qu'est, par exemple, l'accomplissement des conseils évangéliques.

Les Catholiques soutiennent, & avec raison, que les oeuvres de surérogation sont méritoires aux yeux de Dieu, puisqu'elles ne sont pas commandées à tout le monde, & qu'il y a du mérite à tendre à la perfection. Les Protestans, au contraire, qui nient le mérite de toutes sortes de bonnes oeuvres, rejettent conséquemment les oeuvres de surérogation.


SURETÉS. f. (Gram.) précaution qu'on prend dans les affaires, & qui met à l'abri de la tromperie ; prenez vos suretés avec cet homme. Quelle sureté me donnera-t-il ? Y en a-t-il d'autres avec un honnête homme que sa parole ? Ce mot se prend aussi pour le repos, la tranquillité, qui naissent de la confiance ; la sureté des rues pendant la nuit, la sureté des auberges, la sureté de conscience. On dit d'un asyle que c'est un lieu de sureté ; la sureté de la main, du pié.


SURFACES. f. en Géométrie, c'est une grandeur qui n'a que deux dimensions, longueur & largeur sans aucune épaisseur. Voyez DIMENSION & GEOMETRIE.

Dans les corps, la surface est tout ce qui se présente à l'oeil. On considere la surface comme la limite ou la partie extérieure d'un solide. Quand on parle simplement d'une surface, sans avoir égard au corps ou au solide auquel elle appartient, on l'appelle ordinairement figure. Voyez FIGURE.

Une surface rectiligne est celle qui est comprise entre les lignes droites.

La curvi-ligne est comprise entre des lignes courbes. Voyez COURBE.

Une surface plane est la même chose qu'un plan. Voyez PLAN.

L'aire d'une surface est l'étendue ou le contenu de cette surface. Voyez AIRE & MESURE ; & sa quadrature consiste à déterminer cette aire. Voyez QUADRATURE.

Pour la mesure des surfaces des différentes especes de corps, comme les spheres, les cubes, les parallélepipedes, les pyramides, les prismes, les cônes, &c. Voyez SPHERE, CUBE, &c.

On trouve sur le compas de proportion la ligne des surfaces, que l'on appelle communément ligne des plans. Voyez COMPAS DE PROPORTION.

Nous ne finirons point cet article, sans faire remarquer que l'on s'expose à des parallogismes très-grossiers, en considérant les lignes comme étant composées d'un nombre infini de points égaux ; les surfaces comme résultantes d'un nombre infini de lignes, & les solides comme engendrés par un nombre infini de surfaces, ainsi qu'on le fait dans la Méthode des indivisibles. Voyez INDIVISIBLE. " Ce point de vue est très-fameux, dit M. Stone dans l'édition de 1743 de son dictionnaire de Mathémat. au mot superficies, & peut conduire à une multitude d'absurdités lorsqu'on s'applique à rechercher les rapports des surfaces des corps, &c. Car si l'on conçoit une pyramide ou un cône comme deux solides, dont l'un soit composé d'un nombre infini de quarrés également distincts, & l'autre d'un nombre infini de cercles également distans, paralleles à leurs bases respectives, & croissant continuellement comme les quarrés des nombres naturels, il s'ensuivra que les surfaces des deux pyramides, ou de deux cônes quelconques de même base & de même hauteur seront égales, ce que l'on sait être très-faux pour peu que l'on ait de teinture de Géométrie ; & la raison pour laquelle on tire quelquefois une conclusion vraie de cette fausse idée, quand on cherche les rapports des surfaces planes ou solides, compris entre les mêmes paralleles, c'est que le nombre infini de parallélogrammes, dont une figure plane peut être composée, & de parallélipipedes infiniment petits qui constituent un solide, sont tous d'une même hauteur infiniment petite ; ils sont donc entr'eux comme leurs bases : c'est pourquoi l'on peut, en ce cas, prendre ces bases comme les parallélogrammes ou les parallélipipedes correspondans ; & il n'en résultera aucune erreur ". Mais cela n'arrive que par accident, c'est-à-dire, qu'à cause de l'égalité des hauteurs. (E)


SURFAIREv. act. & n. (terme de Commerce) c'est demander d'une marchandise beaucoup au-delà du prix qu'elle vaut, ou qu'on a resolu de la vendre. C'est toujours une mauvaise maxime à un marchand ou négociant de surfaire sa marchandise. Les négocians anglois, grands & petits, ne surfont presque jamais. (D.J.)


SURFAIXS. m. (Corderie) espece de tissu grossier, ou sangle non fendue par les deux bouts, composée de plusieurs fils de chanvre, qui se fabrique par les cordiers, & qu'on met par-dessus les autres sangles du cheval pour rendre la selle plus assurée.


SURFEUILLES. f. (Hist. nat. Botan.) c'est une petite membrane, qui couvre le bourgeon, & qui s'ouvrant peu-à-peu, n'y laisse entrer le vent, la pluie & le soleil que par degrés, & à-proportion que la plante en a besoin. (D.J.)


SURFONCIEREadj. (Gram. & Jurisprud.) rente très-fonciere, c'est celle qui est imposée sur l'héritage après la premiere rente fonciere. Voyez CENS, FONCIER, RENTE FONCIERE. (A)


SURGELAINE, (Lainage) on appelle laines surges, les laines grasses ou en suin, qui se vendent sans être lavées ni dégraissées ; il en vient beaucoup du Levant, & particulierement de Constantinople, de Smirne, d'Alep, d'Alexandrie, de Chypre, de Barbarie, de Tunis ; on en tire aussi quantité d'Espagne. (D.J.)


SURGIRv. n. (Marine) vieux terme qui signifie arriver, ou prendre terre, & jetter l'ancre dans un port.


SURHAUSSERv. a. (Stéréotom.) c'est élever le cintre au-dessus du demi-cercle, ou faire un ovale dont le grand axe soit à-plomb par le milieu de la clé.


SURIS. m. (terme de relation) liqueur que les Indiens tirent du palmier cocotier, & qui enivre comme du vin ; elle est agréable au goût dans la nouveauté, mais à la longue, elle devient forte, & propre à produire un esprit par la distillation. On en obtient encore un vinaigre & une espece de sucre que les habitans appellent jagra. Pour avoir du suri, on fait une incision au sommet de l'arbre, on éleve l'écorce en talus, & le suri qui distille se recueille dans des vaisseaux ; celui du matin est déja acescent, & celui du troisieme jour est acide. Le vinaigre du suri se fait en mettant la liqueur fermenter pendant quinze jours. (D.J.)


SURIANES. f. (Hist. nat. Botan.) suriana, genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs pétales disposés en rond. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit qui a plusieurs capsules réunies en forme de tête, & qui renferme une semence le plus souvent ronde. Plumier, nova plant. Americ. gen. Voyez PLANTE.


SURICI(Géogr. mod.) île de l'Archipel, près de la côte septentrionale de l'île de Negrepont. On prend cette île pour l'ancienne Cicynaethus ou Otulis d'Etienne le géographe. (D.J.)


SURIGA(Géog. anc.) ville de la Mauritanie tingitane, sur l'Océan atlantique. Son nom moderne est Abet selon les uns, & Goz-Porto, selon les autres.


SURINA(Géog. mod.) province de l'Amérique méridionale au pays des Amazones, à l'orient de celui de Cusignates, nation qui cultive les plaines situées sur le bord méridional du fleuve des Amazones. Les peuples qui habitent cette province sont les Surines & les Coripunes, nations les plus curieuses & les plus adroites de toute l'Amérique, en ouvrage de bois. (D.J.)


SURINAMou SURINAME, (Géog. mod.) riviere de l'Amérique méridionale dans la terre ferme, au pays appellé Guïane, ou Goyanne.

Cette riviere qui a son embouchure entre celles de Coupenam & de Soramine, est située dans la Guiane sur les côtes de l'Amérique méridionale, à six ou sept degrés de latitude septentrionale. Elle donne son nom à une vaste étendue de pays, où les Anglois s'étoient d'abord établis, & qu'ils céderent aux Hollandois en 1674.

Ce pays a plus de trente lieues d'étendue le long de la riviere. Les Hollandois y ont aujourd'hui une colonie très-florissante, défendue par deux forts, celui de Zélandia & celui de Sommelsdyk.

La colonie de Surinam est sujette à trois co-seigneurs qui sont la compagnie des Indes occidentales, la ville d'Amsterdam, & l'héritier du feu M. de Sommelsdyk ; mais la souveraineté en appartient aux Etats-généraux.

Les principales productions du pays pour le commerce, sont du tabac, du bois de teinture, du café & du sucre. Il y croît présentement assez de riz, de cacao & de rocou. Le tabac est presque tout consommé par les habitans. Le bois de teinture a un assez bon débit ; mais le café & le sucre sont des objets importans ; le café a très-bien réussi, & le sucre vaut mieux que celui de l'île des Barbades ; on en tire une liqueur distillée qu'on nomme rum, qui est plus forte que l'eau-de-vie, & dont on fait un grand négoce dans les colonies angloises. Les orangers, limoniers, citronniers, les melons d'eau, & les raisins de vigne, croissent parfaitement bien dans cette colonie. Les rivieres y sont fertiles en poissons.

Les pluies regnent fréquemment dans ce pays depuis le mois de Novembre jusqu'au mois de Juillet, & dans ce tems-là le vent de nord-est tempere le climat ; pendant le reste de l'année la chaleur y est excessive. Les jours & les nuits y sont presque toujours égaux, le soleil se levant & se couchant toujours à six heures, une demi-heure plutôt, ou plus tard.

Dans de certaines saisons de l'année, on prend sur le bord de la mer de très-grosses tortues. On cultive dans la terre ferme la cassave, le bonanoe & autres racines bonnes pour la nourriture. Les guaves & les pommes de pin y naissent naturellement. Les bêtes sauvages & les animaux venimeux infectent les bois de cette contrée. On y redoute extrêmement trois sortes de tigres, les uns noirs, les autres marquetés & les autres rouges. Les singes & les guenons fourmillent dans les forêts. On y trouve des serpens en grand nombre, de différentes sortes & grandeurs. Les mosquites y sont extrêmement incommodes, sur-tout dans les terres basses & vers la mer. Les terres sablonneuses sont ravagées par les fourmis. Enfin, il n'y a point de pays au monde où il y ait une plus grande quantité de grenouilles & de crapaux.

La colonie de Surinam est gouvernée à Amsterdam par un college de directeurs, qui envoie ses ordres à la régence de Surinam pour l'observation de la police, & de tout ce qui est nécessaire au maintien de la colonie. Ce sont aussi les directeurs qui envoyent un gouverneur à Surinam ; mais il faut qu'il soit approuvé par les Etats-généraux, auxquels il doit prêter serment de fidélité, de même qu'aux directeurs.

Les troupes qu'on entretient pour la sûreté de la colonie consistent en quatre compagnies d'infanterie. Le gouverneur est colonel de ces quatre compagnies, & capitaine de la premiere. (D.J.)


SURINSTITUTIONS. f. (Gram. & Jurisprud.) signifie une institution faite sur une autre, comme si A est admis & institué dans un bénéfice sur un titre, & que B soit admis & institué sur la présentation d'un autre. Voyez INSTITUTION.


SURINTENDANTS. m. (Hist. mod.) titre usité en France en divers tems & pour différentes charges dans lesquelles il marque la premiere supériorité.

Surintendant de la navigation & du commerce de France, fut le titre que prit le cardinal de Richelieu, à qui n'auroit pas convenu à cause de son état, celui d'amiral dont la charge avoit toujours été remplie par des militaires du premier ordre.

Surintendant des finances, officier qui avoit le maniment & la direction de toutes les finances ou revenus du roi. Ce titre fut supprimé en 1661, après la disgrace de M. Fouquet. Les fonctions & l'autorité du surintendant ont passé au contrôleur général des finances.

Surintendant des bâtimens de France, il y avoit autrefois les surintendans particuliers pour les principales maisons royales. Mais les surintendans des bâtimens royaux de Paris étant les plus considérables, ils ont eu ensuite le titre de surintendant général des bâtimens, auquel on a joint le soin des arts & manufactures qui servent à la construction & à l'embellissement des maisons royales, comme l'architecture, la peinture, la sculpture, les tapisseries. M. Colbert qui eut le titre de surintendant des bâtimens du roi, y ajouta l'inspection sur tous les arts & manufactures du royaume. Après la mort de Mansart on substitua au nom de surintendant celui de directeur général des bâtimens du roi, c'est ce qu'on appelle en Angleterre inspecteur des travaux.

Surintendant général des postes & relais de France, est un ministre chargé de l'inspection des postes. Ce titre est encore subsistant.

Surintendant de la maison de la reine, premier officier de la maison de la reine qui en a la principale administration, pour régler les dépenses, payer les officiers, entendre & arrêter les comptes.

SURINTENDANT, (Hist. ecclés.) signifie aussi un supérieur ecclésiastique dans les différentes églises protestantes où l'épiscopat n'est point reçu, & particulierement parmi les luthériens d'Allemagne & les calvinistes de quelques autres pays.

Ce surintendant differe un peu d'un évêque quant à l'autorité ; elle est seulement un peu plus restreinte que celle de nos évêques diocésains. Il est le principal pasteur, & a l'inspection sur tous les pasteurs intérieurs de son district ou diocèse. Voyez EVEQUE & DIOCESE.

Il y avoit autrefois en Allemagne des surintendans généraux en ce genre qui étoient au-dessus des surintendans ordinaires, comme sont les archevêques parmi les Catholiques ; mais cette dignité ne subsiste plus. Il n'y a que le surintendant de Virtemberg qui prenne la qualité de surintendant général.


SURIUou SURION, (Géog. mod.) ville de la Colchide. Ptolémée, l. V. c. x. la marque dans les terres. Pline, l. VI. c. iv. la plaça dans l'endroit où le Phase commence à être navigable, & reçoit un fleuve aussi nommé Surium. (D.J.)


SURJAULES. m. (Marine) on désigne par ce mot un cable qui a fait un tour au-tour du jas & de l'ancre qui est mouillée.


SURJETS. m. (terme de Tailleur) c'est une couture ronde & élevée qui se fait dans certains ouvrages du tailleur ; & c'est ce qu'il appelle surjetter.


SURJETTERv. act. (Gram. & Jurisprud.) se dit en quelques lieux pour enchérir, offrir un plus haut prix. Ce terme dérive de surjet, qui dans quelques coutumes signifie enchere ou augmentation de prix. Voyez le Glossaire de M. de Lauriere au mot SURJET. (A)


SURJON(Géog. mod.) ville de Perse, célebre par les beaux tapis qu'on y faisoit dans le dernier siecle, & qu'on appelle communément tapis de Turquie. Long. 74. 40. latit. 30. 20. (D.J.)


SURJURER(Jurisprudence) ancien terme de droit. Autrefois quand un criminel tâchoit de s'excuser par son propre serment ou par celui d'un ou plusieurs témoins, & que néanmoins son crime étoit si notoire, qu'il étoit convaincu par le serment d'un plus grand nombre de témoins, cette maniere de le convaincre par une contre-information s'appelloit surjurer. Voyez PURGATION, SERMENT, &c.


SURLOS. m. (Poids du Levant) il pese vingt-sept rotolis un quart, à raison de sept cent vingt dragmes le rotolis, c'est-à-dire, de quatre livres huit treiziemes, poids d'Amsterdam. Savary. (D.J.)


SURLONGES. f. (Gram. & Boucherie) c'est la partie du boeuf qui reste après qu'on en a coupé l'épaule & la cuisse & où se tirent les aloyaux & le flanchet. C'est à la tête de la surlonge que se tire la piece parée.


SURMARCHERv. n. (Vénerie) il se dit de la bête chassée, lorsqu'elle revient sur ses erres, & passe au même lieu.


SURMECHS. m. (terme de relation) les Turcs appellent surmech une poudre d'antimoine cru, de laquelle ils se servent pour noircir les sourcils, usage des plus anciens qui soit dans le monde. Le meilleur surmech de l'Orient se fait dans la ville d'Hamadan en Perse, & les plus austeres des derviches, ainsi que les femmes turques, s'en peignent les sourcils & les paupieres. (D.J.)


SURMENERSURMENER


SURMONTÉparticipe de surmonter. Voyez SURMONTER.

SURMONTE, (terme de Blason) ce mot se dit lorsque l'émail de la partie inférieure du chef excede le reste du chef. Surmonté se dit aussi d'une piece de l'écu qui en a une autre au-dessus d'elle. Il porte de sable au chevron d'or surmonté d'un écusson, d'une fleur de lis, &c. Enfin surmonté se dit encore lorsqu'une fasce est accompagnée de quelques pieces qui sont mises au chef de l'écu ; il porte d'argent à une fasce de gueules surmontée de trois roses de même. Ménestrier. (D.J.)


SURMONTERv. act. (Gram.) c'est vaincre, s'élever au-dessus, franchir ; la riviere a surmonté le parapet : il se prend au figuré ; il n'y a point d'obstacle qu'il ne surmonte, avec l'opiniatreté, la prudence & la force qu'il a ; on surmonte ses passions, quand elles sont foibles.


SURMULETvoyez BARBARIN.

SURMULET, BARBARIN, MOIL, mullus, s. m. (Hist. nat. Ichthyolog.) poisson de mer dont Rondelet a décrit trois especes ; on a donné le nom de barbarin au surmulet de la premiere espece, parce qu'il a deux barbillons à la partie antérieure de la machoire ; il devient long d'un pié. Le dos & la tête sont un peu voûtés ; il y a sur les côtés du corps des traits de couleur d'or qui s'étendent depuis la tête jusqu'à la queue. La peau est d'un rouge pourpre ; cette couleur paroît à-travers les écailles, parce qu'elles ont de la transparence ; elles sont grandes, minces & découpées ; elles se détachent aisément de la peau ; les yeux sont rouges ; la bouche est petite, & il n'y a point de dents. Le surmulet a deux nageoires rouges près des ouies, deux blanches à la partie antérieure du ventre, une au-dessous de l'anus, & deux sur le dos ; la chair de ce poisson a un très-bon goût, mais elle est dure.

Le surmulet de la seconde espece est lisse & sans écailles ; il a deux barbillons placés au-dessous des ouies ; mais il n'en a point à l'extrêmité de la machoire comme le précédent ; les côtés du corps sont traversés par des lignes qui s'étendent depuis le dos jusqu'au ventre ; le dos est rouge ; le ventre & les côtés du corps ont une couleur blanche ; la tête est grande & parsemée de taches qui ressemblent à des étoiles ; il y a sur toute la longueur du dos depuis la tête jusqu'à la queue, deux rangées de petits os pointus ; l'espace qui se trouve entre ces rangées est creux ; les os qui recouvrent les ouies, sont terminés en arriere par un aiguillon.

On a donné en Languedoc le nom de cavillonne au surmulet de la troisieme espece ; il n'a point de barbillons à l'extrêmité de la machoire ; le corps est court, rond & terminé en pointe par son extrêmité postérieure à-peu-près comme une cheville ; c'est pourquoi on lui a donné le nom de cavillonne ; il est d'une belle couleur rouge ; la tête, les ouies & les nageoires de ce poisson sont semblables à ces mêmes parties du surmulet de la seconde espece, dont il differe principalement en ce qu'il a des écailles qui sont petites & découpées tout-au-tour ; elles rendent la surface de ce poisson rude & raboteuse : ce qui lui a fait donner le nom de mullus asperus. Les nageoires des ouies sont en parties vertes, & en parties noires en-dedans, & blanches en-dehors. La chair de ce poisson est dure & seche. Rondelet, hist. nat. des poissons, I. part. livre X. chap. iij. iv. & v. Voyez POISSON.


SURNAGERv. neut. (Gram.) il se dit de tout corps qui plus léger en pareil volume que le fluide sur lequel il est placé, se soutient à sa surface. Le vin, l'esprit-de-vin, l'huile surnagent à l'eau : les scories surnagent au fer en fusion ; il se dit aussi au figuré : je ne sais comment il a surnagé.


SURNATURELadj. (Théol.) signifie en général ce qui est au-dessus de la nature, ce qui surpasse les forces de la nature.

Les théologiens sont fort partagés pour fixer la véritable notion de ce terme : les uns définissent le surnaturel, tout ce qui surpasse les forces actives de la nature ; d'autres disent que c'est ce qui surpasse les forces tant actives que passives de la nature ; mais outre qu'on n'entend pas clairement ce que c'est que ces forces passives, il est certain que la création d'une ame ou d'un ange, surpasse les forces actives de la nature, & n'est pas cependant proprement un effet surnaturel.

D'autres disent que par surnaturel on doit entendre tout ce qui surpasse l'exigence & les forces tant physiques qu'intentionnelles des substances existentes & des modifications qui leur sont naturelles. Quelques-uns prétendent qu'un être ou un effet est surnaturel, dès qu'il se rapporte à Dieu comme auteur de la grace ou de la gloire ; mais on sent assez combien ces définitions sont vagues & insuffisantes.

La plûpart des théologiens entendent par surnaturel, tout ce qui surpasse les forces & l'exigence de toute nature créée ou à créer, ce qui a un rapport spécial à Dieu, comme auteur de la grace ou de la gloire, & ce qui suppose une union avec Dieu ; soit que cette union soit réelle & physique, comme l'union hypostatique, soit qu'elle soit intentionnelle, immédiate & prochaine, comme la vision béatifique ; soit qu'elle soit intentionnelle, mais immédiate & moins prochaine, comme la grace sanctifiante, les vertus infuses & théologiques, & les autres dons surnaturels qui sont comme autant de degrés pour arriver à la vision béatifique, ou qui ont rapport à l'union hypostatique. D'autres enfin entendent par surnaturel, ce qui est au-dessus de toutes les loix naturelles, ce qui surpasse le pouvoir de toutes les créatures existentes ou possibles, ou dans sa substance, ou dans la maniere dont il est produit.

On distingue deux especes de surnaturel, l'un par essence, & l'autre par participation : Dieu seul est surnaturel par essence ; l'union hypostatique, la vision béatifique, la grace, la foi, l'espérance, la charité, &c. sont surnaturelles par participation, c'est-à-dire par le rapport immédiat ou médiat qu'elles ont avec Dieu considéré comme auteur de la grace & de la gloire. C'est en ce sens qu'on appelle oeuvres surnaturelles, ou dans l'ordre surnaturel, toutes les actions que l'homme fait avec le secours de la grace, & qui peuvent être méritoires pour la vie éternelle, par opposition à celles qu'il produit par les seules forces de la nature & du libre arbitre.

Tout ce qui est surnaturel est proprement gratuit par rapport à l'homme, ses forces & sa nature ne l'exigent point. Tout ce qui est surnaturel n'est pas toujours miraculeux ; par exemple, la justification par les sacremens est surnaturelle, cependant elle n'est pas miraculeuse, parce qu'elle n'est pas hors des voies ordinaires de la grace. Quelquefois un effet est en même tems miraculeux & surnaturel, telle fut la conversion de S. Paul ; & quelquefois aussi un effet est miraculeux, sans être proprement surnaturel, par un rapport essentiel à Dieu, comme auteur de la gloire, telle que la guérison subite d'un malade, qui n'a pas toujours un rapport direct à Dieu, comme auteur de la gloire, ni de la part de celui qui opere le miracle, ni de la part de celui sur lequel il est opéré : ainsi ces termes miraculeux & surnaturel ne sont pas exactement synonymes : cependant dans l'usage ordinaire on les employe indifféremment. Il est vrai que tout miracle est surnaturel en ce qu'il surpasse le pouvoir des créatures, soit dans sa substance, soit dans la maniere dont il est produit : mais tout ce qui est surnaturel, n'est pas pour cela un miracle : on peut consulter sur cette matiere, Cajetan, Suarès, Médina, Ripalda, le cardinal d'Aguirre, Tournely, & les théologiens modernes.


SURNEIGÉES. f. (Venerie) ce sont les voyes des bêtes sur la neige.


SURNOMS. m. signifie un nom ajouté au nom propre, ou au nom de baptême pour désigner la personne de telle ou telle famille. Voyez NOM.

Cet usage fut introduit d'abord par les anciens Romains, qui prenoient des noms héréditaires, & ce fut à l'occasion de leur alliance avec les sabins, dont le traité fut confirmé à condition que les Romains mettroient devant leur nom un nom sabin, & que les Sabins mettroient un nom romain avant leur nom propre.

Ces noms nouveaux devinrent des noms de familles, ou des surnoms, & les noms anciens continuerent d'être des noms personnels ; les premiers s'appelloient cognomina, & gentilitia nomina ; & les derniers s'appelloient praenomina. Voyez PRENOM.

Quand les François & les Anglois commencerent à faire usage des premiers, on les appelloit surnoms, non pas que ce fussent les noms du pere, mais parce que, selon Cambden, on les ajoutoit aux noms personnels, ou plutôt parce que, selon Ducange, ce nom de famille se mettoit au commencement au-dessus du nom personnel, de cette maniere :

De Bourbon

Louis.

Au lieu de surnoms, les Hébreux, pour conserver la mémoire de leurs tributs, ont coutume de prendre le nom de leur pere, en y ajoûtant le mot de Ben, fils : comme Melchi ben Addi, Addi ben Cosam, &c. de même les Grecs disoient, Icare, fils de Dédale ; Dédale, fils d'Eussalme, &c. les anciens Saxons disoient Conrald, fils de Cléowald ; Cléowald, fils de Cut ; les anciens Normands disoient, Jean, fitz Robert ; Robert, fitz Ralph, &c. Ce qui subsiste encore en Irlande, & en Moscovie, où les czars ont joint leurs noms à ceux de leurs peres : ainsi le czar Pierre se nommoit Pierre Alexiowitz, c'est-à-dire, Pierre, fils d'Alexis.

Scaliger ajoûte que les Arabes prenant le nom ou le surnom de leurs peres, sans se servir de leur nom personnel, comme aven Pace ; aven Zoar ; c'est-à-dire, fils de Pace, fils de Zoar, &c. Si Pace avoit un fils, & qu'à sa circoncision on l'eût appellé Haly, ce fils auroit pris le nom d'aven Pace, sans faire mention d'Haly ; mais le fils de ce dernier, se seroit appellé aven Haly, quelqu'autre nom qu'il eût reçu à la circoncision, &c.

Les Romains, par succession de tems, multiplierent leurs surnoms ; & outre le nom général de leur famille, ou nomen gentilitium, ils en adoptoient un autre particulier, pour distinguer la branche de la famille, ce qu'ils appelloient cognomen ; & quelquefois un troisieme, par rapport à quelque action ou distinction personnelle, comme étoient le nom d'Africanus, pris par Scipion, & celui de Torquatus, pris par Manlius.

Ces trois différentes sortes de surnoms avoient aussi leurs noms différens : savoir nomen, cognomen, & agnomen ; mais les deux derniers n'étoient point héréditaires, parce que dans le fond, ce n'étoient que des especes de sobriquets, sur-tout quand ces noms ne marquoient ni une bonne, ni une mauvaise qualité. Spanheim a traité avec beaucoup d'exactitude, ce qui regarde les noms & les surnoms des Romains, de praest. & usu numism. diss. 10. Voyez AGNOMEN.

Les Romains ont été imités en cela par les autres nations, qui outre l'ordre numéral de succession, qui étoit suffisant pour distinguer les princes, leur ont de plus donné divers surnoms pour les distinguer, tirés de quelque vertu ou action éclatante, ou même de quelque qualité corporelle : ainsi parmi nos rois, dans ceux-là seuls qui ont porté le nom de Philippe, nous trouvons Philippe auguste ou le conquérant ; Philippe le hardi, Philippe le bel, Philippe le long ; & dans ceux du nom de Louis, Louis d'outremer, Louis le débonnaire, Louis le gros, Louis le jeune, Louis le pere du peuple, Louis le juste, Louis le grand, &c. Dans l'histoire d'Angleterre nous trouvons qu'Edgar fut surnommé le paisible, & Helred, le paresseux ; Edmond, côte de fer ; Harold, patte de lievre ; Guillaume, le bâtard ; Henri, beauclerc ; Jean, sans terre ; &c.

Mais les fils de ces princes n'adopterent point ces noms ; Cambden & autres trouvent étrange que Plantagenet ait été le surnom de la famille royale d'Angleterre, jusqu'au roi Henri VII ; & celui de Tydur ou Tudor, le nom des rois d'Angleterre depuis Henri VII. jusqu'à Jacques I ; celui de Stuard, le nom des rois depuis Jacques I. jusqu'à George I. Celui de Valois, le surnom de la derniere race des rois de France ; celui de Bourbon, le surnom de la famille regnante ; celui d'Oldembourg, le surnom des rois de Danemarck ; & celui d'Habsbourg, le nom de famille des empereurs de la maison d'Autriche. Voyez PLANTAGENET.

Duchesne observe que les surnoms étoient inconnus en France avant l'année 987, lorsque les seigneurs commencerent à prendre les noms de leurs domaines. Cambden rapporte que l'on commença à les prendre en Angleterre, un peu avant la conquête qui se fit sous le roi Edouard le confesseur ; mais il ajoûte que cette coutume ne fut pas établie parfaitement parmi le commun du peuple, avant le regne d'Edouard II. car jusqu'alors on ne prenoit que le nom de son pere ; si par exemple, le pere s'appelloit Richard, le fils prenoit le nom de Richard son, c'est-à-dire fils de Richard ; mais depuis ce tems-là, l'usage des surnoms fut établi, à ce que disent quelques auteurs, par un acte de parlement.

Les plus anciens surnoms sont ceux que l'on trouve dans le grand cadastre ou terrier d'Angleterre, & dont la plûpart sont des noms de places, devant lesquelles on met la particule de, comme Godefridus de Mannevilla, Walterus de Vernon, Robert de Oyly, &c.

D'autres prenoient le nom de leurs peres, comme Guilielmus filius Osberni ; d'autres le nom de leurs charges, comme Eudo Dapifer, Gulielmus Camerarius, Gislebertus Cocus, &c. mais les simples particuliers ne prenoient que leurs noms de baptême, sans y ajoûter aucun surnom.

En Suede, personne ne prit de surnom avant l'année 1514, & le commun du peuple n'en prend point encore aujourd'hui, non plus que les Irlandois, Polonois, Bohémiens, &c.

Ceux du pays de Galles n'en prennent que depuis peu, encore ne sont-ils formés que par la suppression de l'a dans le mot ap, dont ils ajoutent le p au nom de leur pere, comme au-lieu de dire Evan ap Rice, ils disent aujourd'hui Evan Price, &c.

Dutillet soutient qu'originairement tous les surnoms furent donnés par forme de sobriquets, & il ajoûte que tous ces surnoms sont significatifs & intelligibles pour ceux qui entendent les anciennes dialectes des différens pays.

La plûpart des surnoms anglois, & ceux des plus grandes familles, sont des noms de terres de Normandie, où ceux qui passerent en Angleterre avec Guillaume le conquerant, & qui porterent les premiers ces noms, avoient leurs domaines, tels sont les noms Mortimer ou Mortemart, Warren ou Varennes, Albigny ou Aubigny, Piercy, d'Evreux, Tankerville, Neuil, Montfort, &c. Il ajoûte qu'il n'y a pas un village en Normandie, qui n'ait donné le nom à quelque famille d'Angleterre ; les autres surnoms dérivent des places d'Angleterre, comme Aston, Sutton, Wotton, &c.

Parmi les anciens Saxons, les particuliers prenoient le nom de baptême de leur pere ou de leur mere en y ajoûtant le mot fitz ; plusieurs prenoient le surnom de leur métier, comme Jean Maréchal, Paul Charpentier, Jacques Tailleur, François Tisserand, &c. d'autres celui de leur office, comme Portier, Cuisinier, Sommelier, Berger, Charretier, &c. d'autres, de leur complexion, comme Fairfax, c'est-à-dire, beaux-cheveux, blond ou jaune ; d'autres, le nom d'oiseaux, comme Roitelet, Pinson, &c. d'autres, les noms d'animaux, comme Mouton, Lievre, Cerf, &c. d'autres, les noms des vents ; d'autres, les noms des saints, &c.

En France les noms de famille sont héréditaires, tant pour les roturiers que pour les nobles, ceux-ci seulement ajoûtent un nombre au nom de baptême qu'ils peuvent avoir commun avec leurs ancêtres, ainsi l'on dit dans les généalogies, Jean de Rochechouart, deuxieme du nom ; Charles de Rohan Guemené, troisieme du nom ; mais cette dénomination numérale n'appartient qu'aux aînés des maisons.


SURNOMMERv. act. (Gram.) c'est ajouter un nouveau nom à celui de famille, ou de seigneurie. Voyez l'article SURNOM.


SURNUMÉRAIREadj. & subs. (Gram.) qui est par-dessus le nombre fixe & déterminé. Il y a des convives surnuméraires ; des officiers, des soldats surnuméraires ; des juges surnuméraires.

SURNUMERAIRE, en Anatomie, sont des parties qui ne s'observent pas toujours, ni en même nombre, ni aux mêmes endroits ; c'est dans ce sens que l'on dit les os surnuméraires, les muscles surnuméraires.

SURNUMERAIRE ou AJOUTEE, s. f. en Musique, étoit le nom de la plus basse corde du systême des Grecs ; ils l'appelloient en leur langue prostambanomenos. Voyez ce mot. (S)


SUROou SERON, s. m. (Comm.) ballot couvert de peau de boeuf fraîche & sans apprêt, le poil en-dedans, & cousu avec des filets & lanieres de la même peau.

Ces ballots viennent ordinairement de la nouvelle Espagne & de Buenos-Ayres dans l'Amérique méridionale. Les uns sont remplis d'herbe du Paraguai ; les autres de cochenille ou autres marchandises. Ce mot est espagnol, mais francisé, surone en espagnol signifiant un ballot. Diction. de comm. t. III.

M. Chambers observe que le suron ou seron d'amandes pese deux cent livres, celui de semence d'anis depuis trois à quatre cent, & celui de savon de Castille depuis deux cent cinquante jusqu'à trois cent soixante-quinze. Dict. de Chambers.


SURPARTICULIERESURPATIENTE, &c. (Raison) Voyez RAISON.


SURPASSERv. act. & n. (Gramm.) avoir de l'avantage sur ses semblables, & sur soi-même ; il s'est surpassé dans cette occasion : ce chêne surpasse en hauteur tous les arbres de la forêt ; cette femme surpasse en beauté tout ce que j'ai vu.


SURPAYERv. act. (Gramm. & Comm.) payer une chose plus qu'elle ne devroit valoir, en donner au-delà de son véritable prix. Diction. de com. & de Trévoux.


SURPEAUS. f. (Anat.) petite peau qui couvre la peau, & qui la suit par-tout. Voyez CUTICULE & EPIDERME.


SURPENTES. f. (Marine) grosse corde de trente à quarante brasses, qui est amarrée au grand mât & à celui de misaine, à laquelle on attache le palan, pour embarquer & débarquer les canons, ou quelques grands fardeaux.


SURPLISS. m. terme d'Eglise, ornement ecclésiastique que les prêtres séculiers portent l'été pardessus leur soutane lorsqu'ils chantent l'office, ou qu'ils prêchent. Il est fait de toile & va jusqu'à mi-jambe, avec deux aîles de même étoffe qui pendent plus bas. M. Godeau & autres écrivent surpelis, & je crois que c'est la bonne ortographe, parce qu'il est assez vraisemblable que ce mot vient du latin superpellicium, & parce qu'on le mettoit autrefois sur l'aumusse qui couvroit la tête. (D.J.)


SURPLOMBS. m. (Archit.) on dit qu'un mur est en surplomb, quand il deverse & qu'il n'est pas à-plomb. (D.J.)


SURPLOMBERv. act. (Stéréotomie) c'est faire pancher une ligne ou une surface à angle aigu avec l'horison ; c'est précisément tout le contraire de talud. Voyez TALUD.


SURPLUÉESterme de Chasse, ce sont les voies des bêtes après la pluie.


SURPLUSS. m. (Gramm. & Comm.) ce qui est au-delà d'une certaine quantité, ou d'un certain prix. Les marchands font quelquefois des conventions pour la vente de leurs marchandises, dans lesquelles le surplus, c'est-à-dire ce qui excede le prix auquel ils se sont fixés, est pour le commissionnaire qui les leur fait vendre. Souvent aussi dans leurs restes, ou dans l'excédent de leurs aunages, ils donnent aux acheteurs le surplus, ce qui s'entend de ce qui est audelà de la juste mesure que l'acheteur a demandé, & c'est une petite gratification. Diction. de com. & de Trévoux.


SURPOINTS. m. (Corroyerie) on nomme ainsi la raclure que les Corroyeurs ont levée de dessus les cuirs après qu'ils leur ont donné le suif. Les Maréchaux se servent du surpoint dans quelques maladies de chevaux. (D.J.)


SURPRENANTadj. (Gramm.) qui étonne, qui cause de la surprise. La nouveauté, l'étrangeté & notre ignorance, voilà les fondemens de la surprise.


SURPRENDRETROMPER, LEURRER, DUPER, (Synonym.) faire donner dans le faux, est l'idée commune qui rend ces quatre mots. Mais surprendre, c'est y faire donner par adresse, en saisissant la circonstance de l'inattention à distinguer le vrai. Tromper, c'est y faire donner par déguisement, en donnant au faux l'air & la figure du vrai. Leurrer, c'est y faire donner par les appas de l'espérance, en la faisant briller comme quelque chose de très-avantageux. Duper, c'est y faire donner par habileté en faisant usage de ses connoissances aux dépens de ceux qui n'en ont pas, ou qui en ont moins.

Il semble que surprendre marque plus particulierement quelque chose qui induit l'esprit en erreur ; que tromper dise nettement quelque chose qui blesse la probité ou la fidélité ; que leurrer exprime quelque chose qui attaque directement l'attente ou le desir ; que duper ait proprement pour objet les choses où il est question d'intérêt & de profit.

Il est difficile que la religion du prince ne soit pas surprise par l'un ou l'autre des partis, lorsqu'il y en a plusieurs dans ses états. Il y a des gens à qui la vérité est odieuse, il faut nécessairement les tromper pour leur plaire. L'art des grands est de leurrer les petits par des promesses magnifiques ; & l'art des petits est de duper les grands dans les choses que ceux-ci commettent à leurs soins. Girard, Synonymes françois. (D.J.)

SURPRENDRE un cheval, (Maréchal.) c'est se servir des aides trop brusquement ; c'est aussi approcher de lui lorsqu'il est à sa place dans l'écurie, sans lui parler auparavant, ce qui lui fait peur & le porte à ruer.


SURPRISES. f. (Gramm.) mouvement admiratif de l'ame, occasionné par quelque phénomène étrange. Je ne sais s'il y a beaucoup de diversité dans la maniere dont nos organes sont émus. Tout se réduit peut-être aux différens degrés d'intensité & la différence des objets ; & depuis l'émotion la plus légere de plaisir, celle qui altere à-peine les traits de notre visage, qui n'émeut que l'extrêmité de nos levres & y répand la finesse du souris, & qui n'ajoute qu'une nuance imperceptible d'éclat à celui de nos yeux : jusqu'aux agitations, aux transports de la terreur qui nous tient la bouche entr'ouverte, le front pâle, le visage transi, les yeux hagards, les cheveux hérissés, tous les membres convulsés & tremblans, ce n'est peut-être qu'un accroissement successif d'une seule & même action dans les mêmes organes, accroissement qui a une infinité de termes dont nous ne représentons que quelques-uns par les expressions de la voix ; ces termes dans le cas présent, sont surprise, admiration, étonnement, allarme, frayeur, terreur, &c.

SURPRISES, (Art. milit.) ce sont à la guerre des événemens ou plutôt des attaques imprévues auxquelles on ne s'attend point.

Il y a des surprises de différentes sortes, comme celles des armées dans le camp ou dans les marches, celles des quartiers, des villes, &c.

On surprend une armée lorsqu'on tombe sur elle dans son camp ou dans sa marche, avant qu'elle ait pris aucune précaution pour se défendre ; on surprend les quartiers & les villes, quand on s'y introduit secrettement, ou qu'on cherche à les forcer par une attaque brusque & imprévue.

Ce qui peut faire réussir les surprises, c'est le secret, & l'art de se conduire de maniere qu'on ne donne aucun soupçon à l'ennemi.

Si l'on considere toutes les regles & les préceptes que prescrit la science militaire pour se garantir des surprises, il paroîtra que rien ne doit être plus difficile que la réussite de ces sortes d'entreprises. Mais si l'on fait attention que les hommes se négligent souvent sur les devoirs les plus essentiels de leur état ; que tous n'ont pas une assez grande étendue d'esprit pour prévoir tout ce qui peut arriver, & le prévenir ; on verra bientôt que les surprises conduites avec art & intelligence peuvent réussir dans bien des circonstances, surtout vis-à-vis des généraux bornés ou présomptueux.

Nous avons déja remarqué que les ruses & les surprises doivent être la ressource des foibles. Voyez RUSES MILITAIRES. C'est par-là qu'ils peuvent se soutenir devant les plus puissans, & leur faire perdre l'avantage de leur supériorité.

Comme cette partie de la guerre dépend absolument de l'esprit & du génie du général ; qu'elle est le fruit de l'étude & de la réflexion, & que la routine n'apprend rien sur ce sujet ; il arrive que les surprises sont plus rares qu'elles ne l'étoient autrefois. Il faut que le général imagine lui-même les différens pieges qu'il veut tendre à son ennemi, & cela relativement aux connoissances qu'il a de son caractere, & de sa science, du pays qu'il occupe, & de la maniere dont il fait observer le service militaire. C'est à quoi Annibal donnoit la plus grande attention. Il changeoit sa maniere de faire la guerre, suivant les généraux qui lui étoient opposés, & c'est par cette conduite que ce redoutable ennemi des Romains leur fit éprouver tant de défaites.

Si l'on se trouve opposé à un général qui se croit supérieur en tout à son ennemi, & qui se persuade qu'on le craint, il faut pour le surprendre, l'entretenir dans cette idée, se retrancher avec soin lorsqu'il est à portée, affecter d'éviter avec grande attention toutes les occasions de se commettre avec lui ; & lors qu'on s'apperçoit qu'il se conduit relativement à l'idée qu'il croit qu'on a de ses forces & de ses talens, qu'il commence à se relâcher sur l'exactitude du service, il n'est pas bien difficile de lui tendre les piéges pour tomber sur lui, & l'attaquer dans le moment même qu'il pense qu'on n'a dessein que de l'éviter.

Comme les ruses & les moyens qu'il faut employer pour surprendre l'ennemi, doivent varier à l'infini, suivant les circonstances qui peuvent y donner lieu ; il est difficile d'entrer dans aucun détail raisonné sur ce sujet. Nous observerons seulement que le secret de se garantir des surprises n'est pas impossible, & que la meilleure précaution qu'on puisse prendre à cet égard, consiste à avoir des espions sûrs & fideles, à portée de pénétrer les secrets de l'ennemi, & d'être informés de tous ses desseins. Mais il ne faut pas que la confiance que l'on a dans les espions fasse négliger les autres moyens qui peuvent mettre à l'abri des surprises ; parce qu'il peut arriver qu'un espion étant découvert, soit obligé de donner des faux avis, comme le prince d'Orange obligea celui de M. de Luxembourg, qui étoit dans son secrétariat, d'écrire à ce général, ce qui manqua de le faire battre à Steinkerque. C'est pourquoi indépendamment des avis que donnent les espions, il faut éclairer toutes les démarches du général ennemi par des partis commandés par des officiers habiles & intelligens, qui puissent rendre compte de tout ce qui entre & qui sort de son camp.

M. le chevalier de Folard prétend, dans son commentaire sur Polybe, que les événemens de la guerre ne sont pas au-dessus de la prévoyance d'un chef habile & expérimenté ; & que quand ils ne seroient pas tous prévus, on peut au-moins les rendre vains & inutiles par une défiance : non, dit-il, de celles qui sont assez ordinaires aux esprits trop fins, qui la poussent trop loin, mais de celles qui se bornent aux précautions que la guerre nous enseigne, qui sont de la compétence de tout le monde, & qu'on peut apprendre avant même qu'on ait dormi à l'air d'un camp.

Tous les cas différens qui peuvent arriver à la guerre, quelques singuliers & extraordinaires qu'ils puissent être, sont arrivés ; & par conséquent doivent nous être connus, autant par notre propre expérience, que par l'étude de l'histoire qui nous les représente.

Tout ce qui arrive aujourd'hui est arrivé il y a un siecle ou deux ; il y en a dix si l'on veut. Tous les stratagêmes de guerre qui se trouvent dans Frontin, dans Polyen, dans une infinité d'historiens anciens & modernes, ont été imités par mille généraux. Ceux de l'Ecriture-sainte, qui en contient un grand nombre de très-remarquables, ont trouvé des imitateurs. Tout est dit, tout est fait : c'est une circulation d'événemens toujours semblables, sinon dans toutes les circonstances, du-moins dans le fond.

Les anciens convenoient qu'ils n'avoient pas besoin de recourir aux oracles pour prévoir les événemens de la guerre, ou pour les faire naître. Un général profond dans la science des armes, & d'ailleurs instruit à fond des desseins primitifs de son ennemi, de la nature de ses forces, du pays où il s'engage pour venir à ses fins, de ce qu'il peut raisonnablement tirer de ses troupes & de sa tête, comme de son courage, peut aisément prévenir les desseins de son adversaire, & les reduire à l'absurde. Les grands capitaines ont tous été remplis de cet esprit prophétique. Qu'on suive M. de Turenne dans toutes ses actions, & l'on verra qu'aucun des anciens ni des modernes ne l'a surpassé sur cet article. Il prévoyoit tout ; il faisoit usage de son esprit, de ses talens, de sa capacité ; tout cela est très-grand & très-étendu. Il dépend de nous de faire usage du premier, de cultiver les autres, ou de les acquérir par l'étude, & de les perfectionner par l'expérience. Comment. sur Polybe, tome III.

Nous n'entrerons point ici dans le détail des surprises anciennes & modernes. Nous renvoyons pour ce sujet à l'ouvrage de M. le chevalier de Folard que nous venons de citer, où l'on trouve beaucoup de réflexions & d'observations sur cet important objet ; aux réflexions militaires de M. le marquis de Santa-Crux, 2, 11 ; aux mémoires de M. le marquis de Feuquiere, 2, 111, &c. (Q)

SURPRISE, c'est encore, parmi les Horlogers, le nom d'une piece de la cadrature d'une montre ou pendule à répétition. Cette piece est représentée dans nos Planches de l'Horlogerie ; & dans le développement elle est mince & platte, & porte d'un côté une cheville, que l'on ne voit pas dans la figure, parce qu'elle est par-dessous. Cette cheville déborde du côté que l'on voit en K, & entre dans une fente 2, faite exprès dans le limaçon des quarts, même figure.

Cependant l'usage ordinaire est de ne la point faire déborder de ce côté-là, & de renverser cet ajustement ; c'est-à dire, de fixer la cheville au limaçon des quarts par-dessous, & de faire la fente dans la surprise. Cette piece se pose à-plat contre ce limaçon, sur la face qui regarde la platine, de façon que la partie R se trouve sous la partie Q ; elle est retenue dans cette situation au moyen d'une petite virole 4, 4, qui entre sur le canon de la chaussée, & qui en la pressant contre le limaçon lui laisse cependant la facilité de pouvoir se mouvoir horisontalement. Voici comment elle fait son effet ; ajustée sur le limaçon des quarts, ainsi que nous venons de le dire, & tournant avec lui sa cheville, située en-dessous, elle fait sauter l'étoile, comme on l'a vu à l'article REPETITION. Or, la largeur de cette cheville étant telle que l'étoile en sautant, la face de la dent qui succede à celle qui vient d'échapper vienne frapper cette cheville par derriere, ce coup produit un petit mouvement horisontal dans la surprise, au moyen dequoi elle déborde un peu le degré 2 du limaçon par sa partie R ; desorte qu'alors, c'est comme si l'on avoit un limaçon dont ce degré formeroit une plus grande portion de la circonférence ; cette piece est nécessaire, parce que si la cheville qu'elle porte étoit fixée au limaçon, elle feroit bien sauter l'étoile de même ; mais comme il faut que dans l'instant que l'étoile a sauté, le degré Q soit situé de façon, que si l'on fait répéter la pendule ou la montre, la queue de la main vienne s'appuyer dessus, afin que la répétition sonne l'heure juste sans quarts ; il arriveroit souvent que ce degré se trouvant ou trop ou pas assez avancé, la répétition sonneroit tantôt l'heure, tandis qu'il ne seroit encore que les trois quarts, & tantôt l'heure & les trois quarts en sus, tandis qu'elle ne devroit sonner que l'heure, parce qu'il seroit fort difficile de faire cet ajustement assez parfait, pour que dans le même tems que l'étoile a sauté, & par-là que le degré du limaçon des heures a changé, il seroit fort difficile, dis-je, que le degré du limaçon des quarts fût assez bien déterminé, pour qu'il ne fît pas sonner à la pendule l'heure trop-tôt, ou les trois quarts trop-tard. Voyez REPETITION.


SURRENTINUMSURRENTINUM


SURRENTIUMSURRENTIUM


SURRENTUM(Géog. anc.) ville d'Italie, dans la Campanie, sur le bord de la mer. Pomponius Méla, l. II. c. iv. qui décrit cette côte en revenant de la Lucanie, pour aller dans le Latium, place Surrentum sur le golfe de Pouzzol aujourd'hui le golfe de Naples, entre le promontoire de Minerve, & Herculaneum. Pline, l. III. c. v. au contraire, qui va du Latium dans la Lucanie, met Surrentum entre le Sarnus & le promontoire de Minerve. Ces deux auteurs s'accordent ainsi pour la position de cette ville, qui subsiste aujourd'hui dans le même endroit, & conserve son ancien nom, car on l'appelle à présent Sorrento.

C'étoit une colonie romaine, selon Frontin, de coloniis, qui l'appelle Surrentinum oppidum. Au voisinage sont les collines de Surrente, colles Surrentini, vignoble fameux, dont le vin le disputoit aux meilleurs de l'Italie. Ovide, Métam. l. XV. v. 710. en fait l'éloge :

Et Surrentino generosos palmite colles.

Et Martial dit :

Surrentina bibis ? nec murrhenâ picta nec aurum

Sume, dabunt calices haec tibi vina suos.

Cette ville étoit évêché dès l'an 500. & on la voit archevêché tout-à-coup vers l'an 1059. (D.J.)


SURREY(Géog. mod.) province d'Angleterre avec titre de comté. Elle est bornée au nord par la Tamise, au midi par la province de Sussex, au levant par celle de Kent & de Sussex encore, & au couchant par les comtés de Northampton & de Back-Shire.

Elle a trente quatre milles de longueur, vingt-deux de largeur, & cent douze milles de circuit. On compte dans cet espace treize hundreds ou quartiers, treize villes ou bourgs à marché, cent quarante paroisses, & plus de trente quatre mille maisons ; ce qui suffit pour faire comprendre combien cette province est peuplée.

Outre la Tamise, elle a deux rivieres qui l'arrosent dans toute sa largeur du sud au nord, savoir le Wey & le Mole ; son terroir est sur-tout abondant en pâturage, où l'on nourrit le meilleur mouton du royaume ; on y recueille aussi beaucoup de blé ; mais les extrêmités de ce comté sont beaucoup moins fertiles que le milieu ; c'est ce qui fait qu'on le compare à une piece de drap grossier, avec une lisiere fine. Guilford en est la capitale : voyez de plus grands détails dans l'ouvrage intitulé : the natural history, and antiquities of the county of Surrey. London, in-fol.

Saundres (Nicolas), en latin Sanderus, théologien catholique, naquit dans le comté de Surrey, au commencement du seizieme siecle, devint professeur en droit canon à Oxford, & passa à Rome pour sa religion, peu de tems après qu'Elisabeth fut montée sur le trône, c'est-à-dire en 1560. Il suivit le cardinal Hosius au concile de Trente, en Pologne, & dans ses autres courses. Il fut lui-même envoyé en Espagne, en qualité de nonce, par Grégoire XIII. qui le fit ensuite passer en Irlande avec le même titre, & pour y encourager les catholiques de ce royaume dans le rébellion ; mais leur défaite obligea Saunders de se cacher dans des forêts, où il fut long-tems errant, & où il mourut de misere en 1583. Ses deux principaux ouvrages sont : 1°. De visibili monarchiâ Ecclesiae, libri octo. 2°. De schismate anglicano, libri tres. Ce dernier ouvrage a été traduit en françois, en Italien, & en anglois. L'évêque Gilbert Burnet l'a réfuté, moins pour la bonté de l'ouvrage, que pour l'importance du sujet. " Il est certain, dit le P. Niceron, que ce livre est écrit avec trop de passion, qu'on y trouve bien des faits suspects, & qu'on y reconnoît sans peine, que son auteur avoit plus de zèle contre la prétendue réformation, que de discernement dans le choix des moyens dont il s'est servi pour l'attaquer ".

Hammond (Henri), né dans le comté de Surrey, en 1605, mit au jour en 1654, un petit ouvrage sur le schisme, dans lequel il défend l'église anglicane, contre les objections des catholiques romains. Hammond est un des savans théologiens d'Angleterre ; il cultiva toutes les sciences ; & particulierement les antiquités ecclésiastiques. Il mourut en 1660 dans la 55e. année de son âge, après s'être acquis une haute réputation par plusieurs ouvrages qui ont été recueillis, & imprimés à Londres en 1684, en quatre volumes in-fol. Ses remarques sur le Nouveau Testament, parurent en 1659. in-fol. M. le Clerc traduisit cet ouvrage en latin, & le publia à Amsterdam en 1698 ; en 2 vol. in-fol. sous ce titre : Novum Testamentum Domini nostri Jesu-Christi, ex editione vulgatâ, cum paraphrasi & adnotationibus Henrici Hammondi ; mais M. le Clerc y a joint ses corrections, & quantité d'excellentes choses.

Evelyn (Jean) naquit à Wotton en Surrey, l'an 1620, & employa sept années à voyager dans les pays les plus civilisés de l'Europe. En 1667. il obtint par son crédit auprès du lord Howard, depuis duc de Norfolck, que les marbres d'Arundel, qui étoient dans les jardins de l'hôtel d'Arundel, fussent remis à l'université d'Oxford, qui l'en remercia par des députés. Il procura la bibliotheque d'Arundel à la Société Royale, & lui fit présent en son particulier de très-belles tables des veines & des arteres, qu'il avoit apportées d'Italie. Non content de contribuer de tout son pouvoir à favoriser les efforts des autres, il perfectionna par ses travaux utiles, les connoissances de ses compatriotes. Il mourut en 1706, dans la 86e. année de son âge. Je citerai quelques-uns de ses ouvrages, dans le grand nombre de ceux qu'il a publiés.

Le principal est la sculptura, ou l'histoire de la Chalcographie, & de l'art de graver en cuivre, avec un catalogue des plus célébres graveurs, & de leurs productions, Londres 1662. in-8°. il s'agit dans le premier chapitre de cet ouvrage (qui mériteroit d'être traduit), de la sculpture en général, de ses especes, des stiles, & autres instrumens qu'on y employe. Le second chapitre traite de l'origine de la sculpture. Le troisieme roule sur ses progrès chez les Grecs & les Romains. Le quatrieme donne l'invention de la chalcographie, avec un catalogue des plus célebres maîtres. Le cinquieme concerne le dessein. Le sixieme expose une nouvelle maniere de graver, ou de demi-teinte, mezzo-tinto, communiquée par le prince Robert.

L'auteur, après avoir décrit deux instrumens employés dans le mezzo-tinto, le hacher, & le stile, explique la façon de s'en servir ; il finit en disant : cette nouvelle maniere de graver est due au hazard, & c'est un soldat allemand qui en a la gloire ; ayant remarqué quelques ratissures sur le canon de son mousquet, il raffina là-dessus, jusqu'à ce qu'il eut trouvé le moyen de produire les effets qu'il désiroit, & qui surpassent en délicatesse tout ce qu'on a imaginé dans cet art, pour imiter ces traits admirables que les Italiens appellent morbidezza. Je suis le premier anglois, ajoute M. Evelyn, à qui on a fait l'honneur de communiquer ce secret, & son altesse qui a bien voulu se donner la peine de me diriger, m'a permis de le rendre public.

Il y a une seconde maniere de graver, en roulant sur une plaque un instrument pareil à celui dont nos notaires se servent pour diriger leur regle sur le parchemin ; seulement le nombre des pointes est plus grand dans cet instrument ; & lorsque par la fréquente friction sur la surface unie, la plaque est suffisamment couverte de taches, de maniere que le fond soit assez obscur, on employe le style comme dans la demi-teinte.

Un autre ouvrage de M. Evelyn, est sa Sylva, ou discours sur des arbres de forêts, & sur la propagation du mairain dans les domaines de sa majesté, &c. Londres, 1664, 1669, & 1679, in-fol.

Son calendrier du jardinier, a été imprimé sept ou huit fois avant l'année 1684.

L'origine & les progrès de la navigation & du commerce, contenant une histoire du négoce en général, de ses avantages, & de ses progrès, par M. Evelyn, parut à Londres en 1674 in-8°.

Son discours philosophique sur la culture des terres, pour perfectionner la végétation & la propagation des plantes, a été extrait dans les transactions philos. n °. 119. p. 454.

Son Numismata, ou discours touchant les médailles des anciens & modernes, &c. a été imprimé à Londres en 1697. in-fol.

M. Evelyn a aussi traduit plusieurs ouvrages, & entr'autres le parallele de l'architecture ancienne & moderne de Chambray. Les Anglois lui doivent encore la traduction du parfait jardinier, de M. de la Quintinie. (D.J.)


SURSAUT(Gram.) expression métaphorique, emprunté du mouvement d'un corps qui va en frapper un autre en tombant & par rebond, & en sens contraire : il semble que nous éprouvions quelque chose de semblable dans l'interruption subite du sommeil. Je ne sai ce que j'ai entendu, & je me suis reveillé en sursaut.


SURSÉANCES. f. (Gram. & Jurisprud.) est un délai qu'on accorde à ceux qui sont obligés de payer quelque dette, ou de faire quelque chose. Les lettres de répit & celles d'état qu'on accorde en chancellerie contiennent des clauses de surséance.

Les arrêts & sentences qui portent défenses d'exécuter les jugemens d'un juge inférieur portent surséance à toute poursuite. Ces surséances sont levées en connoissance de cause par le juge qui les a accordées. Voyez DEFENSE & SURSIS. (A)


SURSÉE(Géog. mod.) petite ville de Suisse, au canton de Lucerne, & à deux lieues au midi de Lucerne, à l'issue du lac que forme la Sur, près de l'endroit d'où elle sort. Cette petite ville est bien bâtie, & ornée de plusieurs fontaines. Elle a son avoyer, une police, un conseil, & point de baillif. Long. 25. 48. lat. 47. 3. (D.J.)


SURSEMÉse dit encore des porcs ladres qui ont des grains semés çà & là à la langue, ce qui annonce que le reste de leur chair en est remplie. Les porcs sursemés sont confiscables avec amende. Il y a des officiers, conseillers du roi, langueyeurs de cochons, qui veillent à ce qu'on ne tue point des porcs sursemés, & qu'on ne distribue point au peuple de cette chair mal-saine.


SURSEMERv. act. (Agricult.) c'est semer derechef sur une terre déja ensemencée. On surseme soit d'une même graine, soit d'une autre. En plusieurs lieux on surseme de menus grains sur le froment.


SURSEOIRv. a. (Gram. & Comm.) différer l'exécution d'une chose. Surseoir le payement d'une dette, la poursuite d'une action contre un débiteur, c'est suspendre le droit qu'on a de se faire payer de son débiteur, ou de le poursuivre en justice. Dict. de Comm. & de Trévoux.


SURSISS. m. (Jurisprud.) on dit un jugement sursis, pour dire suspendre, différer. Quelquefois on dit un sursis simplement, pour surséance. Voyez SURSEANCE. (A)


SURTOUT(terme de Charretier) espece de petite charrette à deux roues, fort légere, faite en forme de grande manne, & qui sert à porter du bagage. (D.J.)

SURTOUT, (Orfévrerie) piece de vaisselle d'argent ou d'autre métal, que l'on sert garnie de fruit sur la table des gens riches. Il a quelquefois plusieurs bobêches dans lesquelles on met les bougies. Germain a fait des surtouts de la plus grande beauté pour la cizelure & le goût. (D.J.)

SURTOUT, terme de Tailleur, nom qu'on a donné à un juste-au-corps qu'on met en hiver par-dessus les autres habits. Ce mot n'a été mis en vogue qu'en 1684 ; on l'appelloit anciennement suravit, comme qui diroit surhabit. (D.J.)


SURUNGA(Géog. mod.) une des quinze provinces de la grande contrée du sud-est de l'empire du Japon ; elle a deux journées & demie de longueur, s'étendant de l'est à l'ouest, & est divisée en sept districts ; cette province se distingue par la variété de ses villes, villages, collines, & plaines fertiles. (D.J.)

SURUNGA, (Géog. mod.) ville du Japon, capitale de la province de son nom, dans l'île de Niphon ; elle est toute ouverte, & pleine de boutiques fournies d'étoffes à fleurs de toute espece. On bat de la monnoie dans cette ville, comme à Jédo & à Méaco ; & l'on y fait en particulier des cobangs, qui sont des pieces d'or plates & en ovale, de la valeur d'environ cinq ducats. Le château qui lui sert de défense est un bâtiment quarré, fortifié par des fossés & de hautes murailles de pierres de taille. Long. 156. 35. latit. 34. 27. (D.J.)


SURVEILLANTS. m. (Gram.) celui qui surveille. On prend des hommes sages pour surveiller à éducation des enfans.


SURVENANCES. f. (Gram. & Jurisprud.) événement sur lequel on n'avoit aucune raison de compter. La donation est revocable par survenance d'enfans.


SURVENANTS. m. celui qui survient inattendu. Il y a dans les grandes maisons toujours quelques couverts pour les survenans.


SURVENDREv. act. (Gram. & Com.) vendre une chose plus haut prix qu'elle ne vaut.


SURVENIRv. act. & neut. (Gram.) arriver inattendu. On le croyoit guéri, mais il est survenu un accident qui a ôté toute l'espérance qu'on avoit conçue. Il est survenu un vent qui a dissipé l'orage ; il m'est survenu des affaires qui m'ont fait manquer au rendez-vous. Il survient dans le plaisir toujours quelqu'incident léger qui en altere la douceur.


SURVENTES. f. (Commerce) excès du prix d'une marchandise, ce que le marchand exige au-delà de sa juste valeur. (D.J.)


SURVETIRv. neut. (Gram.) c'est mettre un vêtement sur un autre. Le ministre prêche survêtu d'un surplis.


SURVIES. f. (Gram. & Jurisprud.) est l'action de survivre plus long-tems qu'un autre.

La survie est une condition sousentendue dans les institutions d'héritier & de légataire.

Les donations de survie sont celles qui ne doivent avoir lieu au profit du donataire, qu'au cas qu'il survive au donateur. Voyez DONATION.

Les gains de survie sont des gains nuptiaux, qui dépendent de la même condition. Voyez GAINS NUPTIAUX. (A)


SURVIVANCES. f. (Jurisprud.) est le droit que le roi ou quelqu'autre seigneur accorde à quelqu'un de succéder à une charge, & de l'exercer lorsqu'elle deviendra vacante.

Loiseau, en son traité des offices, l. I. c. xij. distingue quatre sortes de survivance.

La premiere qu'il appelle simple, est quand on résigne l'office pour en jouir par le résignataire au cas qu'il survive le résignant.

La seconde est la survivance reçue, où le résignataire est reçu & installé dès le moment de la résignation, de maniere qu'après le décès du résignant il n'a pas besoin de nouvelle réception ni installation.

La troisieme est la survivance jouissante, c'est-à-dire celle avec laquelle on accorde dès-à-présent au survivancier l'exercice par concurrence avec le résignant.

La quatrieme, qu'on appelle survivance en blanc, est celle où le nom du résignataire est laissé en blanc, de maniere qu'on peut la remplir du nom de telle personne que l'on juge à propos ; ce qui empêche l'office de vaquer par mort.

De cette derniere espece ont été les survivances accordées par les édits de 1568, 1574, 1577 & 1586, qu'on appelle les édits des survivances, qui attribuoient cette survivance en finançant le tiers-denier de la valeur de l'office, même avec la clause de regrès dans les résignations faites au fils ou au gendre de l'officier, & encore avec la clause d'ingrès ou accès, savoir que si l'officier qui avoit financé, délaissoit un fils mineur, il succéderoit à l'office & y seroit reçu étant en âge, & cependant que l'office seroit exercé par commission.

Telle est aussi la survivance attribuée par l'édit du 12 Décembre 1604, appellé vulgairement l'édit de Paulet, du-moins à l'égard des officiers non sujets à suppression ; & à l'égard des autres, quoique ce ne soit qu'une dispense des quarante jours, comme il faut résigner avant sa mort ; cependant comme il suffit d'avoir passé procuration en blanc pour résigner ce que les officiers n'obmettent point, c'est en effet une survivance en blanc qui se renouvelle tous les ans.

Dans l'usage, on appelle offices à survivance ceux qui n'ont pas racheté la paulette, & qui payent une somme pour jouir de ce droit de survivance. Voyez ANNUEL, CHARGE, CONCURRENCE, EXERCICE, INSTALLATION, HEREDITE, OFFICE, PAULETTE, RECEPTION. (A)


SURVIVANCIERS. m. (Gram. & Jurisprud.) est celui qui a obtenu la survivance d'un office ou autre place, pour l'exercer après le décès de celui qui en est actuellement pourvu. Voyez ci-devant SURVIVANCE. (A)


SURVIVANTadj. & subst. (Gram.) celui qui survit à un autre. Les dons & testamens mutuels se font au profit du survivant.


SURVIVREv. act. & neut. c'est vivre plus qu'un autre. Le mari a survécu à sa femme. On est presque sûr de survivre à quelques-uns de ceux qu'on aime, & c'est une pensée affligeante pour les personnes qui ont l'ame délicate & sensible. Il y a des contrées où il est honteux à une femme de survivre à son mari ; aucune où il soit honteux à un mari de survivre à sa femme. Voilà une des plus fortes preuves de notre injustice, de notre cruauté, de notre despotisme & de notre jalousie. On dit au figuré, il a survécu à sa fortune, à son esprit, à son honneur, à sa réputation. Il y a pour les auteurs de mode une espece de mort qu'ils sentent, & qui leur donne bien de l'humeur, c'est celle du genre dans lequel ils ont écrit. L'homme vain est bien fâché de survivre à l'auteur. Faisons donc, si nous pouvons, des ouvrages qui soient de tous les tems & de tous les pays.


SURVUIDERv. act. (Gram.) ôter ce qu'il y a de trop dans un vaisseau, un sac, pour le répandre dans un autre.


SUS(Géog. anc.) torrent de la Béotie ; Pausanias, l. IX. c. xxx. après avoir dit que ce torrent tombe du mont Olympe, ajoute que les habitans de Larisse avoient une tradition qui concernoit ce torrent, & il la rapporte. (D.J.)

SUS, (Géog. mod.) province d'Afrique, au royaume de Maroc ; elle est bornée au nord par l'Atlas, au midi par la Numidie, au levant par le fleuve Sus, & au couchant par l'océan. Cette province contient la plus grande partie du royaume de Maroc, & renferme les villes de Messe, Tecéut, Garet, Tarudante, Tagoast, Aguer, & Garitguessen. Cette province est fort peuplée ; & sa plus grande partie est un pays plat qui s'arrose avec les eaux du Sus, qu'on tire par des canaux & des rigoles ; il y a beaucoup de blé, de troupeaux, de vergers, de légumes, & de palmiers. Les habitans sont Bereberes, & ont plus d'adresse pour les armes que les autres barbares.

SUS, LA, (Géog. mod.) riviere d'Afrique, au royaume de Maroc ; il y a quelque apparence que c'est l'Una de Ptolémée, qui la met au huitieme degré de longitude, sous le 28. 30. de latitude. Elle tire sa source du grand Atlas, traverse les plaines de Sus auxquelles elle donne son nom, arrose les pays les plus fertiles de ces quartiers, & vient se perdre dans l'océan, près de Guertessen. (D.J.)


SUS-ÉPINEUXen Anatomie, nom d'un muscle qui prend ses attaches dans toute la fosse sus épineuse de l'omoplate, & se termine à la facette supérieure de la grosse tubérosité de l'humerus.


SUSA(Géog. anc.) nous disons Suses ou Suzes en françois. Voyez SUSES.

Susa, ville de Perse, & la capitale de la Susiane ; elle fut autrefois la résidence des rois de Perse, comme le remarque Pline, l. VI. c. xxvij. Il ajoute qu'elle fut bâtie par Darius fils d'Hystaspes : vetus regia Persarum Susa à Dario Hystaspis filio condita. Cela n'est pas juste, à-moins que Pline par le mot condita, n'entende un rétablissement, ou une nouvelle enceinte ; car Susa est une très-ancienne ville, qui, selon Strabon, l. XV. p. 228. a été bâtie par Tahonus, pere de Memnon. Il lui donne un circuit de vingt-six stades, une figure oblongue, & une forteresse nommée Memnoneum. Hérodote dit que Susa est appellée ville de Memnon : Strabon compare les murs de cette ville avec ceux de Babylone. Je ne m'en rapporterai donc pas à Polyclete, qui vouloit que la ville de Susa n'eût point de murailles ; cela n'est nullement croyable de la capitale d'un empire, ni d'une ville, où, selon Diodore de Sicile, l. XVII. c. lxvj. on gardoit des trésors immenses, que divers rois avoient amassés depuis plusieurs siecles, pour que leur postérité pût s'en servir dans un cas de nécessité.

L'Ecriture-sainte parle beaucoup de Suses, qu'elle nomme en hébreu Susan, mot qui signifie un lis ; c'est dans cette ville qu'arriva l'histoire d'Esther. C'est sur le fleuve qui y couloit, que Daniel eut la vision du bélier à deux cornes, & du bouc qui n'en avoit qu'une ; c'est aussi dans cette ville que Benjamin de Tudele & Abulfarage mettent le tombeau de ce prophete. Enfin, c'est à Susan que Néhémie obtint du roi Artaxerxès la permission de retourner en Judée, & de réparer les murs de Jérusalem. (D.J.)


SUSAINou SUSIN, s. m. (Marine) c'est un pont brisé, ou une partie du tillac, qui regne depuis la dunette jusqu'au grand mât.


SUSANNÉterme de Pratique, synonyme à suranné, & moins en usage. Voyez SURANNE.


SUSBANDES. f. c'est dans l'Artillerie, une bande de fer qui couvre le tourillon d'un canon ou d'un mortier quand ils sont sur leur affut ; elle est ordinairement à charniere. Voyez AFFUT. (Q)


SUSBECS. m. (Fauconnerie) maladie d'oiseaux qui en fait mourir un grand nombre ; c'est une pituite chaude & subtile qui leur distille du cerveau.


SUSCEPTIBLEadj. (Gram.) capable de recevoir ; cette terre est susceptible d'amélioration ; cet homme d'amendement ; cet enfant d'éducation ; ce sujet d'ornement ; l'esprit du peuple de toutes sortes de mauvaises impressions. De susceptible, on a fait susceptibilité, susception.


SUSCESS. f. (Com.) étoffes qui se fabriquent au Bengale ; ce sont des especes de taffetas que les Anglois portent à Madras où ils sont de vente.


SUSCITERv. act. (Gram.) produire, faire naître ; Jesus-Christ disoit que de ces pierres qui étoient à ses piés, il en pouvoit susciter des enfans à Abraham ; Dieu a suscité de tems en tems des prophetes, des martyrs, des docteurs, qui ont uni leurs voix à celle de l'univers pour annoncer aux hommes sa gloire, sa puissance, sa justice, son existence. Susciter lignée à son frere, c'est faire revivre son nom, en épousant sa veuve ; on dit susciter une affaire fâcheuse, une querelle, un procès, des envieux ; cet Ouvrage nous a suscité bien des ennemis.


SUSCRIPTIONS. f. (Gram.) adresse qui est écrite sur le dos d'une lettre missive. Voyez ADRESSE & LETTRE.

La suscription doit contenir le nom, les qualités, la profession, ou la demeure de celui à qui l'on écrit. Sous le mot de demeure, est compris le nom de la province, de la ville, du quartier, & même de la rue où celui à qui la lettre s'adresse fait actuellement son séjour ; parce que des erreurs sur ces différens points dans les suscriptions ou adresses des lettres, sont quelquefois de la derniere conséquence. Dictionnaires de Commerce & de Trévoux.


SUSDAL(Géog. mod.) province de l'empire russien avec titre de duché. Elle est bornée au nord par le Volga, au midi par le duché de Moskou, au levant par celui de Wolodimer, & au couchant par ceux de Jéroslaw & de Rostow ; c'est un pays en friche, & tout couvert de forêts remplies de bêtes fauves. La capitale & la seule ville de cette province, en a pris le nom ; elle a titre d'archevêché, & est située dans la partie méridionale du pays, mais toutes ses maisons sont en bois, & ceux qui les habitent dans la pauvreté ou la servitude, tant l'empire russe est encore barbare. Long. 59. 38. latit. 56. 14. (D.J.)


SUSEPROVINCE DE, (Géog. mod.) province des états du roi de Sardaigne dans le Piémont, avec titre de marquisat, & de vallée ou val. Elle est bornée au nord par le val de Maurienne, au midi par le val de Carmagnole, à l'orient par la province de Turin, & au couchant par les Alpes. Suse est sa capitale ; ses deux principales rivieres sont la Doria & le Cénis. Cette province autrefois très-étendue sous le nom de Marche Ségusiane, n'a guere aujourd'hui que vingt quatre milles de longueur, sur huit milles de largeur. Sa partie septentrionale est inhabitable & impraticable, à cause des hautes montagnes, qui la couvrent, & qui font partie du mont Génevre & des monts Cénis. On ne peut passer de la vallée de Prégell dans le val de Suse, que par trois endroits qui sont le col de Collet, le col de la Rousse, & le col de Fénestrelles. (D.J.)

SUSE, (Géogr. mod.) ville d'Italie dans le Piémont, capitale de la province à laquelle elle donne son nom. Elle est située sur les bords de la Doria, à 15 lieues au nord-ouest de Turin. Elle est environnée de montagnes & de collines fertiles en fruits & en vins. La plaine est arrosée par la Doria & par le Cénis, qui fournissent aux habitans des eaux saines, & à la terre une grande fécondité. Son gouverneur est en même tems gouverneur de la province ; & la citadelle a son gouverneur particulier. Long. 24. 43. lat. 45. 7.

Cette ville est mise par les anciens au nombre des villes les plus illustres des Alpes. On l'appelloit Segusio, Secusio, Secusia, Segusium, & ses habitans Segusini. On y voit encore quelques restes des ouvrages des Romains, & entr'autres ceux d'un arc de triomphe élevé à l'honneur d'Auguste.

Ammian Marcellin nous apprend qu'on y voyoit le tombeau du roi Cottius, qui y avoit fait sa résidence. Elle étoit encore très-célebre lorsqu'elle devint la capitale du marquisat auquel elle donna son nom, & qui comprenoit une partie de la Lombardie & de la Ligurie. Mais si la ville de Suse est fameuse par son ancien lustre, elle ne l'est pas moins par les fureurs de la guerre auxquelles sa situation l'a toujours exposée.

Bellovèse, Brennus & les Carthaginois, prirent cette route pour passer en Italie, & commirent bien des hostilités dans le pays. Flavius Valens qui vint après eux, ruina cette ville & les bourgades voisines, après avoir mis à feu & à sang la vallée de Maurienne. Les Goths firent le même ravage lorsqu'ils passerent dans les Gaules, sous le regne de Théodoric. Les Wandales ne furent pas moins barbares ; & l'armée de Constantin, victorieuse de Maxence, après avoir pillé & ruiné tous les environs, détruisit cette ville de fond en comble. Ce ne fut pas là la fin de ses malheurs : elle eut beaucoup à souffrir de la part des Lombards lorsqu'ils passerent dans la Gaule, sous la conduite d'Amon Zaban & de Rodanus. Les Sarrasins, qui vers l'an 900 traverserent le val de Suse pour pénétrer en Italie, porterent le fer & le feu dans ce val, & n'épargnerent pas la ville.

Mais de toutes ces calamités, la plus déplorable peut-être, fut celle qu'elle souffrit de la part de l'empereur Barberousse, quand il passa d'Allemagne en Italie. Suse fut absolument réduite en cendres, & dans cet incendie périrent les archives & les anciens monumens qui prouvoient l'origine de cette ville. Enfin la division de ses habitans mit le comble à ses malheurs. Il y a environ quatre cent ans qu'il s'y forma deux partis qui se firent une longue & cruelle guerre. Elle se trouva par-là tellement dépeuplée qu'elle n'eut plus aucune espérance de se rétablir, ce qui obligea de restraindre l'enceinte des murs au point où on les voit à-présent. (D.J.)

SUSE, (Géog. mod.) ville d'Afrique en Barbarie, au royaume de Tunis sur la côte, à 2 lieues de Carvan, & à 35 de Tunis. Elle a été autrefois considérable, & a soutenu de longs sieges. Les Turcs en sont aujourd'hui les maîtres. Son terroir ne rapporte que de l'orge, mais le pays a des huiles, des dattes & des figues. (D.J.)


SUSERAIou SUZERAIN, s. m. (Gramm. & Jurisp.) il faut porter cette affaire pardevant le juge suserain ; c'est-à-dire, le supérieur, le juge de ressort. Les seigneurs suserains sont les ducs, comtes & autres grands seigneurs. Ils peuvent être juges de ressort, & les appellations des juges des hauts justiciers, se relevent devant le juge, seigneur suserain, quand il a le droit de ressort. Si le seigneur suserain est un ancien pair de France, les appellations des sentences rendues par ses juges se relevent immédiatement au parlement ; s'il n'est pas pair, elles se relevent devant les baillis ou sénéchaux. Aujourd'hui on ne vérifie plus les lettres de duché & pairie qu'à la charge du ressort ordinaire. Loyseau a observé que les mots de suserain & de suseraineté n'avoient été faits que pour désigner cette portion de la puissance publique & de la souveraineté qui a été usurpée par les particuliers, & que ces termes sont aussi étranges, que cette espece de seigneurie est absurde. Du Tillet dit que le droit de ressort est un droit de souveraineté ; c'est pourquoi les modernes, pour ôter l'équivoque, appellent suseraineté, le droit de ressort que quelques grands seigneurs du royaume, ont conservé : il faut avoir un titre pour cela. Dict. de Trév.


SUSEou SUZES, (Géog. mod.) ville de Perse capitale du Kusistan, à 34 lieues au sud-ouest d'Ispahan, sur le Caron qui est le fleuve Eulée des anciens. Les Persans appellent cette ville Schousch & Schouschster. Ils tiennent par tradition qu'elle a été bâtie par Houdschenk, troisieme roi de Perse de la premiere race nommée des Pischdadiens. Les tables arabiques placent cette ville dans le troisieme climat. Elles lui donnent 84. 30. de longit. & 31. 30. de latit. septentrionale.

Quant à l'ancienne Suses, cette superbe ville autrefois la résidence des rois de Perse en hiver, voyez l'article SUSA. (D.J.)


SUSIANE(Géogr. anc.) les Grecs écrivent tantôt Susiana, tantôt Suris ; c'est une contrée de la Perse ; elle prenoit son nom de la ville de Suses sa capitale. Cette contrée avoit pour bornes l'Assyrie au septentrion, à l'orient l'Elymaïde, dont elle étoit séparée par le fleuve Eulée, au midi le golfe Persique, & le tigre au couchant. Ptolémée, liv. VI. ch. iij. lui donne une plus grande étendue ; car il y comprend l'Elymaïde, & il lui donne le fleuve Oroatis pour borne du côté de l'orient. Strabon distingue les Elyméens des Susiens ; & Pline dit positivement que le fleuve Eulée faisoit la séparation entre la Susiane & l'Elymaïde. Le nom moderne de la Susiane est Khus, ou le Khusistan. (D.J.)


SUSIDAE-PYLAE(Géog. anc.) fameux détroit des montagnes, entre la Perside propre & la Susiane, & qui a pris quelquefois le nom de l'une de ces contrées, quelquefois de l'autre. Ce détroit, ou pas de montagnes, est appellé Susidae-Pilae par Quinte-Curse, l. V. c. iij. & Rupes-Susiades, , par Diodore de Sicile, l. XVII. c. lxviij. comme il se trouve au-delà du Pasitigris, il étoit dans la Perse propre : ce qui fait qu'Arrien, l. III. c. xviij. le nomme , Pilae Persides, & Strabon , Portae Persicae. C'est ce que nous connoissons à-présent sous le nom de Pas-de-Suse. (D.J.)


SUSOR(Géog. mod.) petite ville de la Turquie, en Asie, dans l'Anatolie, sur la côte méridionale de la presqu'île qui s'étend depuis Smyrne jusqu'à l'île de Scio. Quelques auteurs la prennent pour l'ancienne Téos, patrie d'Anacréon, & épiscopale suffragante d'Ephèse. (D.J.)


SUSPECTadj. (Gram.) sur lequel on a des soupçons bien fondés : un auteur suspect, une femme suspecte, une opinion, une doctrine suspecte, une conduite suspecte, des moeurs suspectes ; qui est-ce qui n'est pas un peu suspect en ce monde ?


SUSPENDREv. act. (Gram.) c'est attacher quelque chose en-haut : on suspend une cage, un lustre, une cloche ; la terre est suspendue dans l'espace ; au figuré, on dit suspendre un jugement, suspendre son jugement, demeurer suspendu entre la crainte & l'espérance ; suspendre les progrès de la corruption, du luxe, de l'impiété ; suspendre de ses fonctions un prêtre, un officier de justice, &c.


SUSPENSadj. (Jurisp.) du latin suspensus, est celui qui a encouru la peine de la suspense, c'est-à-dire, que l'on a suspendu de quelques fonctions ecclésiastiques. Voyez ci-après SUSPENSE. (A)


SUSPENSES. f. (Jurisprud.) est une interdiction faite à un clerc de faire les fonctions de son ordre pendant un certain tems, à la différence de l'interdiction à perpétuité qui emporte la déposition.

La suspense est une peine propre aux clercs ; elle est plus ou moins grave, selon la qualité des fautes, & elle varie aussi quelquefois selon les usages des églises.

C'est ordinairement la premiere peine que prononce le juge d'église.

Il peut l'ordonner sur un simple interrogatoire de l'accusé.

Le decret d'ajournement personnel emporte suspense contre les clercs.

On distingue la suspense en locale ou personnelle ; elle est locale, quand l'ecclésiastique n'est interdit de ses fonctions que dans un certain lieu, & personnelle, s'il l'est en tout lieu.

Elle peut-être générale ou bornée à certaines fonctions, comme pour la prédication seulement, ou pour la confession, ou pour la célébration de la messe.

Elle peut être indéfinie ou bornée à un tems plus ou moins long, auquel cas elle cesse de plein droit après l'expiration du terme.

Un clerc peut aussi être interdit, non des fonctions de son ordre, mais de quelqu'autre droit, comme un chanoine que l'on prive pour un tems du droit de suffrage, ou de l'entrée au choeur, ou du revenu de son bénéfice.

Celui qui n'observe pas la suspense, encourt l'irrégularité. Voyez l'institution au droit ecclés. de M. Fleury, & le mot IRREGULARITE. (A)


SUSPENSEURMUSCLE, (Anat.) ce muscle du testicule, autrement nommé cremaster, vient nonseulement de la partie inférieure du muscle oblique interne, mais encore de la corde tendineuse, ou ligament de Fallope, qui est formée de l'union des muscles obliques & transverses dans leur partie inférieure.

Le muscle suspenseur descend le long de la tunique vaginale ; à mesure qu'il approche des testicules, les fibres charnues qui le composent, s'écartent, & leur expansion semble former une espece de membrane, que plusieurs anatomistes ont nommé erythroïde ou rougeâtre, laquelle est étroitement unie à la vaginale.

Vésale a le premier décrit par lettres le muscle suspenseur du testicule & son origine, Casserius ensuite, & Cowper beaucoup mieux. (D.J.)


SUSPENSIFadj. (Jurisprud.) est ce qui a l'effet de suspendre l'exécution d'un jugement ; en général l'appel n'est pas simplement dévolutif, il est aussi suspensif, excepté dans les cas où le jugement est exécutoire par provision. Voyez APPEL, EXECUTION, DEFENSES, JUGEMENT, MATIERE SOMMAIRE, PROVISION, SENTENCE PROVISOIRE. (A)


SUSPENSIONS. f. en Méchanique, le point de suspension d'une balance est le point où la balance est arrêtée & suspendue. Les points de suspension des poids de la balance sont les points où sont attachés ces poids. Le point de suspension d'une balance à bras égaux est le point de milieu de la balance. Il n'en est pas de même de la balance romaine, dont le point de suspension est fort près d'une de ses extrêmités. Voyez APPUI, BALANCE, LEVIER, PESON, ROMAINE. (O)

SUSPENSION, (Belles-Lettres) figure de rhétorique par laquelle l'orateur commence son discours de maniere que l'auditeur n'en prévoit pas la conclusion, & que l'attente de quelque chose de grand excite son attention & pique sa curiosité. Telle est cette pensée de Brebeuf dans ses entretiens solitaires. Il s'adresse à Dieu :

Les ombres de la nuit à la clarté du jour,

Les transports de la rage aux douceurs de l'amour,

A l'étroite amitié la discorde & l'envie,

Le plus bruyant orage au calme le plus doux,

La douleur au plaisir, le trépas à la vie,

Sont bien moins opposés que le pécheur à vous.

Autre sorte de suspension :

Vel pater omnipotens adigat me fulmine ad umbras,

Pallentes umbras erebi, noctemque profundam,

Ante pudor quam te violo, aut tua jura resolvo.

Didon s'arrête à la fin du premier vers ; elle fortifie son serment, elle s'effraye elle-même par des spectres, afin de s'encourager à tenir son serment.

Voici une même suspension dans des vers qui ne le cedent point en beauté à ceux de Virgile ; c'est Clitemnestre qui s'adresse à Oreste qui avoit demandé en mourant que sa cendre fut déposée à côté de celle d'Agamemnon son pere ; elle lui dit : tu veux donc

Que je descende au fond de ces grands monumens ;

Où la nuit du trépas, cette nuit immobile,

De l'ombre de ton pere est l'éternel azile.

SUSPENSION, s. f. en Musique ; on appelle ainsi tout accord sur la basse duquel on soutient un ou plusieurs sons de l'accord précédent, avant que de passer à ceux qui lui appartiennent ; comme si la basse passant de la tonique à la dominante, je suspens encore quelques instans sur cette dominante l'accord de la tonique qui la précede, avant que de le résoudre sur le sien, c'est une suspension.

Il y a des suspensions qui se chiffrent & entrent dans l'harmonie ; quand elles sont dissonantes, ce sont toujours des accords par supposition. Voyez SUPPOSITION. D'autres suspensions ne sont que de goût ; mais de quelque nature qu'elles soient, on doit toujours les assujettir aux trois regles suivantes.

1°. La suspension doit se faire sur le frappé de la mesure, ou du moins sur un tems fort.

2°. Elle doit toujours se résoudre diatoniquement, soit en montant, soit en descendant, c'est-à-dire que chaque partie qui a suspendu, ne doit ensuite monter ou descendre que d'un degré, pour arriver à l'accord naturel de la note de basse qui a porté la suspension.

3°. Toute suspension chiffrée doit se sauver en descendant, excepté la seule note sensible qui se sauve en montant.

Avec ces précautions il n'y a point de suspension qui ne puisse se pratiquer avec succès ; mais c'est au goût seul qu'il appartient de les distribuer à-propos. (S)

SUSPENSION, (Jurisprud.) signifie quelquefois cessation, interruption, comme quand on dit qu'il y a eu cessation de poursuites.

Quelquefois suspension signifie interdiction ; c'est ainsi que les défenses que les cours font aux officiers inférieurs, portent ordinairement la clause à peine de suspension de leurs charges. Voyez INTERDICTION.

En matiere canonique on dit plutôt suspense que suspension. Voyez SUSPENSE. (A)

SUSPENSION D'ARMES, en terme de Guerre, est une treve de peu de jours dont les parties belligerantes conviennent pour avoir le tems d'inhumer leurs morts, d'attendre du secours ou les ordres de leurs souverains, &c. Chambers.

C'est aussi une treve ou un tems pendant lequel on convient de ne faire aucun acte d'hostilité de part & d'autre. Voyez ARMISTICE. (Q)

SUSPENSION, terme d'Horlogerie, se dit en général des pieces ou parties par lesquelles un régulateur est suspendu.

Suspension par des soies. La suspension la plus usitée du pendule, lorsqu'il est court & léger, comme celui des pendules à ressort, des réveils, &c. est une soie doublée & attachée au coq par ses deux extrêmités ; le haut de la verge du pendule qui dans ce cas est recourbé, s'accroche au milieu de la soie, & le mouvement est communiqué à ce pendule au moyen de la fourchette qui le prend aux environs du tiers de sa longueur. Voyez FOURCHETTE & PENDULE.

Suspension par des ressorts. Dans les pendules à grandes vibrations, au lieu de soie on se sert de deux ressorts très-affoiblis, qui passant au-travers du coq sont retenus par les parties de cuivre où ils sont rivés. Dans cette pratique, la fourchette a le même usage que dans la précédente. Voyez la fig.

Suspension par des couteaux. Une autre suspension qui est encore fort usitée dans les pendules, sur-tout en Angleterre, c'est celle qu'on appelle suspension à couteaux. Elle n'exige point de fourchette, le pendule y est suspendu à une tige, aux extrêmités de laquelle on forme des angles d'environ 30 degrés, ou des couteaux, lesquels s'appuient dans des angles internes plus ouverts fixés sur chacune des platines, ou comme le pratique M. Graham sur des plans droits paralleles ; les angles étant alors le centre de l'arc décrit, le frottement devient peu considérable ; & l'on remédie au petit retard qui peut naître de la diminution d'élasticité des ressorts.

Suspension par des rouleaux. M. Suly, ingénieux artiste, employoit pour le régulateur de ses pendules & montres marines, une suspension que quelques horlogers ont aussi appliquée aux pendules ordinaires. Elle consistoit en deux grands rouleaux posés parallelement aux platines, & formant entr'eux un angle curviligne aussi grand qu'il se pouvoit. Le pivot de l'arbre qui portoit le pendule & qui en étoit le plus près venoit s'appuyer dans l'angle ci-dessus. Quand le pendule étoit en vibration, tout le frottement de la suspension étoit peu sensible ; ce frottement se transportant sur les pivots des rouleaux, qui parcouroient un espace diminué, dans le rapport de leur grandeur à celle de leurs pivots. L'expérience a fait voir que cette suspension, quoiqu'inférieure aux précédentes dans les pendules, pouvoit devenir fort utile pour diminuer le frottement des pivots des balanciers.


SUSPENSOIRELIGAMENT, (Anatom.) un des quatre ligamens ainsi nommés du foie ; c'est celui qui fait le partage de la surface convexe du foie en deux lobes. Ce ligament n'est que la continuation de ce repli du péritoine qui loge la veine ombilicale : il est attaché par sa partie inférieure tout le long de la surface convexe du foie, qui répond directement à la scissure, & il distingue par-là le grand lobe d'avec le petit ; il s'avance même pardevant jusqu'au commencement de la scissure, où il communique avec une capsule particuliere, en s'attachant dans tout ce trajet, non-seulement à l'appendice d'un os du sternum nommé xiphoïde, mais même aux portions du diaphragme qui lui répondent ; il se termine enfin environ le milieu de la partie supérieure & postérieure du foie à son ligament nommé coronaire. Ce ligament moyen s'attache aussi obliquement le long de la partie supérieure & postérieure de la gaine du muscle droit. (D.J.)

SUSPENSOIRE, terme de Chirurgie, bandage qui sert à contenir l'appareil appliqué sur le scrotum. Voyez SCROTUM.

Le suspensoire est une espece de poche dont on ne peut déterminer la largeur : il faut qu'elle soit proportionnée au volume du scrotum ; il se fait ordinairement avec une piece de linge ou de futaine de 8 pouces en quarré, pliée en deux parties égales. On la coupe par un côté, depuis le milieu jusqu'à la réunion des deux angles de cette extrêmité, en observant de décrire une ligne courbe. On coud ensuite l'endroit coupé, ce qui donne une espece de poche. On fait un trou au milieu de la partie supérieure de cette poche pour passer la verge. On coud ensuite un bout de bande de trois quarts d'aune de long, garnie de quelques oeillets à l'un des angles supérieurs ; & un autre bout de bande d'un demi-pié, garni de même à l'autre côté. On place aux angles inférieurs deux autres bouts de bande de demi-aune pour faire passer sous les cuisses. Les chefs supérieurs s'attachent autour du corps comme une ceinture, & les inférieurs passent de devant en arriere ; & après avoir croisé chaque cuisse au-dessous du moignon de la fesse, ils seront attachés aux côtés de la ceinture, un à droite, l'autre à gauche. Voyez les fig. 11. & 12. Pl. XXVII. le suspensoire est lui-même un excellent secours, & un moyen curatif du varicocele. Voyez VARICOCELE. (Y)


SUSPICIONS. f. (Gram.) soupçon, méfiance ; il y a de véhémentes suspicions qu'il a fait le libelle qu'on lui attribue. La moindre suspicion de partialité dans une affaire, doit nous en écarter, par respect pour nous-mêmes & pour les autres. C'est le caractere de l'accusé qui affoiblit ou fortifie la suspicion.


SUSSEX(Géog. mod.) province maritime d'Angleterre, dans la partie meridionale de ce royaume, avec titre de comté. Cette province nommée anciennement Suth-sex, a retenu le nom des Saxons méridionaux, dont le royaume comprenoit ce comté avec la province de Surrey. Le Sussex s'étend en long du levant au couchant le long de l'Océan, qui le borne au midi & au sud-est. Du côté du nord, il fait face au comté de Southampton ; sa longueur est de 64 milles, sa largeur de 20 milles, & son circuit de 58 milles.

Il est partagé en six grands quartiers, que les habitans du pays appellent rapes ; savoir, Hastings, Pevensey, Lewes, Bramber, Arundel & Chichester. Chaque quartier ou rape a une forêt, une riviere & un château, dont il a pris le nom. Ils sont subdivisés en cinquante-deux hundreds ou centaines, composées de trois cent douze églises paroissiales, dans lesquels se trouvent dix-neuf villes ou bourgs à marché, entre lesquels il y en a neuf qui ont droit de députer au parlement ; savoir, Chichester, capitale de la province, Horsham, Midhurst, Lewes, New-Shoreham, Bramber, Steyning, Est-Grinsted & Arundel.

Il y en faut joindre quatre autres, qui sont des places maritimes & des ports fameux, & qui avec quatre autres places du comté de Kent, font une espece de corps à part, & envoyent ensemble seize députés au parlement, qu'on appelle par honneur les barons des cinq ports. Les quatre places du comté de Sussex, sont Hastings, Winchelsey, la Rye & Séaford. Les quatre autres de la province de Kent, sont Douvre, Romney, Sandwich & Hyeth.

Le terroir de cette province abonde en tout ce qui est nécessaire à la vie. La mer fournit quantité de poisson. Les Dunes rapportent du blé abondamment. Le milieu du pays est tapissé de champs, de prés & de riches pâturages. La partie la plus avancée au nord est presque toute couverte de bois, qui procurent l'avantage de pouvoir travailler le fer, dont on trouve des mines dans ce comté.

Enfin cette province est féconde en hommes, qui ont rendu leurs noms célébres dans la poésie, dans les mathématiques & dans les autres sciences. Je me hâte d'en citer quelques-uns de la liste de M. Fuller, The Worthies, in Sussex.

Dorset (Thomas Sackville, comte de) homme d'une naissance illustre, grand trésorier d'Angleterre, sous la reine Elisabeth, & pour dire quelque chose de plus, beau génie, & excellent poëte. Il naquit dans le comté de Sussex en 1556, fit d'excellentes études à Oxford, à Cambridge & au temple.

Après ses études, il voyagea en France & en Italie où il se perfectionna dans les langues, l'histoire & la politique. A son retour en Angleterre, il prit possession des grands biens que son pere mort en 1566 lui avoit laissé, dont il dissipa en peu de tems la meilleure partie par la splendeur avec laquelle il vivoit, ou plutôt par ses magnifiques prodigalités. Il avoit à son service les plus habiles musiciens de l'Europe, & donnoit souvent des festins à la reine & aux ministres étrangers.

Distingué par sa naissance & par ses qualités, tant naturelles qu'acquises, sa maison fut toujours sur un pié honorable, & consista pendant vingt ans en plus de deux cent vingt personnes, sans compter les ouvriers & autres gens à gage ; en même tems il recevoit, par sa noble façon de penser, un tiers de moins de relief que les autres seigneurs ; charitable envers les pauvres dans les années de disette, il distribuoit du blé gratuitement à plusieurs paroisses du comté de Sussex, & en tiroit aussi de ses greniers qu'il faisoit vendre au marché fort au-dessous du prix courant.

Il fut créé baron de Buckhurst en 1567, & bientôt après envoyé en ambassade vers Charles IX. roi de France, pour des affaires importantes qui regardoient les deux royaumes. En 1589, il fut fait chevalier de l'ordre de la Jarretiere ; & en 1591, chancelier de l'université d'Oxford.

En 1598, la reine Elisabeth voyant que ses exhortations & les conseils de l'âge avoient modéré le cours des profusions dont une certaine grandeur d'ame héréditaire à sa maison avoit été la principale cause, le nomma grand trésorier d'Angleterre. Alors cette princesse en agit en maîtresse judicieuse & indulgente, elle lui tendit la main pour qu'il pût réparer sa fortune, prouvant par-là qu'elle le regardoit comme un enfant qui avoit part à ses bonnes graces. Il mourut subitement d'apoplexie étant au conseil le 19 d'Avril 1608, âgé de 62 ans. Le lord Sackville descend de lui en ligne directe.

On a loué beaucoup l'éloquence du comte de Dorset, mais encore davantage l'excellence de sa plume. On dit que ses secrétaires ne faisoient pas grande chose pour lui, lorsqu'il s'agissoit de dresser des pieces, parce qu'il étoit fort délicat pour le style & le choix des expressions. Il avoit une maniere peu ordinaire de dépêcher ses affaires. Son secrétaire de confiance, qui l'accompagnoit, prenoit par écrit les noms de ceux qui poursuivoient quelque demande, & y joignoit la date du tems où ils s'adressoient au grand trésorier pour la premiere fois, ensorte que le nouveau-venu ne pouvoit passer devant un autre plus ancien en date, à-moins que son affaire particuliere ne pût souffrir aucun délai, ou qu'il ne fût question d'affaires d'état pressantes.

Entre ses ouvrages poétiques, on doit mettre 1°. son Ferrex & Porrex, fils de Gorboduc, roi de Bretagne, tragédie réimprimée à Londres en 1736, in-8°. 2°. le miroir des magistrats, où l'on prouve par des exemples avec quelle séverité le vice est puni. A la suite de l'épître au lecteur vient l'introduction en vers de mylord Sackville. Cette introduction est une descente dans les enfers, à l'imitation du Dante. Comme c'est un morceau très-rare & entierement inconnu en France, nous en rapporterons quelques traits qui feront connoître par le pinceau du lord Sackville les élémens de la poésie pittoresque en Angleterre, sous le regne d'Elisabeth. L'auteur commence par peindre la Tristesse, dont la demeure tenoit toute l'enceinte du ténare.

" Son corps semblable à une tige brûlée par l'ardeur du soleil étoit entierement flétri ; son visage étoit défait & vieilli ; elle ne trouvoit de consolation que dans les gémissemens. Telle qu'une glace inondée de gouttes d'eau, ainsi ses joues ruisseloient de larmes. Ses yeux gros de pleurs auroient excité la compassion des coeurs les plus durs. Elle joignoit souvent ses débiles mains, en jettant des cris douloureux qui se perdoient dans les airs. Les plaintes qu'elle faisoit en conduisant l'auteur aux enfers étoient accompagnées de tant de fréquens soupirs, que jamais objet si pitoyable ne s'est offert à la vue des mortels.

A l'entrée de l'affreux séjour de Pluton étoit assis le sombre Remords, se maudissant lui-même, & ne cessant de pousser d'affreux sanglots. Il étoit dévoré de soucis rongeans, & se consumoit en vain de peines & de regrets. Ses yeux inquiets rouloient de côté & d'autre, comme si les furies le poursuivoient de toutes parts. Son ame étoit perpétuellement désolée de l'accablant souvenir des crimes odieux qu'il avoit commis. Il lançoit ses regards vers le ciel, & la terreur étoit gravée sur son visage. Il désiroit toujours la fin de ses tourmens, mais tous ses desirs étoient infructueux.

Auprès du Remords étoit la Frayeur have, pâle & tremblante, courant à l'avanture d'un pas chancelant, la parole embarrassée & le regard tout effaré. Ses cheveux hérissés faisoient relever sa coëffure. Epouvantée à la vue de son ombre même, on s'appercevoit qu'elle craignoit mille dangers imaginaires.

La cruelle Vengeance grinçoit les dents de colere, méditant les moyens d'assouvir sa rage, & de faire périr son ennemi avant que de prendre aucun repos.

La Misere se faisoit aussi remarquer par son visage décharné, par son corps, sur lequel il n'y avoit que quelques lambeaux pendans, & par ses bras consumés jusqu'aux os. Elle tenoit un bâton à la main, & portoit la besace sur l'épaule ; c'étoit sa seule couverture dans les rigueurs de l'hiver. Elle se nourrissoit de fruits sauvages, amers ou pourris. L'eau des ruisseaux fangeux lui servoit de boisson, le creux de la main de coupe, & la terre froide de lit.

Le Souci, qu'on reconnoissoit distinctement par ses agitations, faisoit sur l'ame un autre genre de pitié. Il avoit les doigts noués & chargés de rides. A peine l'aurore a-t-elle entr'ouvert nos yeux par les premiers rayons de la lumiere, qu'il est debout, ou plutôt ses paupieres desséchées ne se ferment jamais. La nuit a beau faire disparoître le jour & répandre ses voiles sombres, il prolonge sa tâche à la faveur d'une lumiere artificielle.

Il admiroit d'un oeil inquiet le Sommeil immobile, étendu par terre, respirant profondément, également insensible aux disgraces de ceux que maltraite la fortune, & à la prospérité de ceux qu'elle éleve. C'est lui qui donne le repos au corps, le délassement au laboureur, la paix & la tranquillité à l'ame. Il est le compagnon de la nuit, & fait la meilleure partie de notre vie sur la terre. Quelquefois il nous rappelle le passé par des songes, nous annonce les événemens prochains, & plus souvent encore ceux qui ne seront jamais.

A la porte de la Mort étoit son messager, vieillard décrépit, courbé sous le poids des années, sans dents, & presque aveugle. Il marchoit sur trois piés, & se traînoit quelquefois sur quatre. A chaque pas qu'il faisoit, on entendoit le cliquetis de ses os desséchés. La tête chauve, le corps décharné, il heurtoit de son poing sec à la porte de la Mort, hâletant, toussant, & ne respirant qu'avec peine.

Aux côtés du vieillard étoit la pâle Maladie accablée dans un lit, sans pouls, sans voix, sans goût, & rendant une haleine infecte, objet d'horreur à ceux qui la regardent.

Un spectacle non moins déplorable s'offroit près d'elle ; c'étoit la Famine qui, jettant d'affreux regards, demandoit de la nourriture, comme étant prête à expirer. Sa force est si grande, que les murailles même ne sauroient lui résister. Ses ongles crochus arrachent & déchirent tout ce qui se présente ; elle se dévore elle-même, rongeant sa carcasse hideuse, dont on peut compter les os, les nerfs & les veines. Tandis que le poëte avoit sur elle les yeux fixés & mouillés de larmes de sang à la vue d'un pareil objet, elle jettoit tout-d'un-coup un cri dont l'enfer même retentit. On vit à l'instant un dard enfoncé au milieu de sa poitrine, & ce dard venoit ouvrir un passage à sa vie.

Enfin parut la Mort elle-même, divinité terrible qui, la faulx à la main, moissonne indistinctement tout ce qui respire sur la terre, sans que les prieres, les larmes, la beauté, le mérite, la grandeur, la puissance, les royaumes, les empires, les forces réunies des mortels & des dieux puissent soustraire personne à son pouvoir irrésistible. Tout est contraint de subir ses loix inexorables ".

Kidder (Richard), savant évêque de Bath & Wells, naquit en 1649, & publia plusieurs ouvrages théologiques. Il fut tué dans son lit à Wells avec sa femme, par la chûte d'une rangée de cheminée que renversa sur sa maison la violente tempête du 26 Novembre 1703. On a fait plusieurs éditions de son livre intitulé, les devoirs de la jeunesse. Sa démonstration du Messie parut à Londres en 1684, 1699 & 1700, en trois volumes in-8°. Son commentaire sur les cinq livres de Moïse, avec une dissertation sur l'auteur du Pentateuque, a été imprimé à Londres en 1694, deux volumes in-8°.

May (Thomas), poëte & historien, naquit sous le regne de la reine Elisabeth, & mourut subitement dans une nuit de l'année 1652. Il a donné 1°. cinq pieces de théâtre. 2°. Un poëme sur le roi Edouard III. imprimé à Londres en 1635, in-8°. Ce poëme commence ainsi : " Je chante les hauts faits du troisieme & du plus grand des Edouards, qui, par ses exploits, éleva tant de trophées dans la France vaincue, s'orna le premier de ses fleurs de lis, & porta ses armes victorieuses jusqu'au rivage occidental, où le Tage roulant sur un sable d'or, se précipite dans l'Océan ". 3°. Une traduction en vers anglois, de la Pharsale de Lucain, imprimée à Londres en 1630, in-8°. 4°. Histoire du parlement d'Angleterre de l'année 1640, Londres 1647, in-fol. Il dit dans la préface de cette histoire : Quod plura de patriae defensorum, quàm de partis adversae rebus gestis exposuerim, mirùm non est, quoniàm plus familiaritatis mihi cùm ipsis, & major indagandi opportunitas fuit. Si pars adversa idem tali probitate ediderit, posteritas omnia gesta magno cùm fructu, cognoscet.

Otvay (Thomas), fameux tragique anglois, naquit en 1651 ; il quitta l'université sans y avoir pris aucun degré, & vint à Londres, où il cultiva la poésie, & même monta quelquefois sur le théâtre, ce qui lui valut les bonnes graces du comte de Plimouth, un des fils naturels de Charles II. En 1677, il passa en Flandres en qualité de cornette dans les troupes angloises, mais il en revint en pauvre équipage, & se remit de nouveau à la poésie, & à écrire pour le théâtre. Il finit ses jours en 1685 à la fleur de son âge, n'ayant que 34 ans. Quoique royaliste ouvert, & dans la plus grande misere, il n'obtint jamais de Charles II. le moindre secours, & se vit réduit par un sort singulier, à mourir littéralement de faim.

M. Addison observe, qu'Otvay a suivi la nature dans le style de la tragédie, & qu'il brille dans l'expression naturelle des passions, talent qui ne s'acquiert point par le travail ni par l'étude, mais avec lequel il faut être né ; c'est en cela que consiste la plus grande beauté de l'art ; il est vrai que quoique ce poëte ait admirablement réussi dans la partie tendre & touchante de ses tragédies, il y a quelque chose de trop familier dans les endroits qui auroient dû être soutenus par la dignité de l'expression. Ses deux meilleures pieces sont Venise sauvée, ou la conjuration découverte, & l'Orpheline, ou le malheureux mariage ; c'est dommage que cet auteur ait fondé sa tragédie de Venise sauvée sur une intrigue si vicieuse, que les plus grands caracteres qu'on y trouve, sont ceux de rébelles & de traitres. Si le héros de cette piece eût fait paroître autant de belles qualités pour la défense de son pays, qu'il en montre pour sa ruine, les lecteurs n'auroient pu trop l'admirer, ni être trop touchés de son sort. Mais à le considerer tel que l'auteur nous le dépeint, tout ce qu'on en peut dire, c'est ce que Salluste dit de Catilina, que sa mort auroit été glorieuse, s'il eût péri pour le service de sa patrie : si pro patriâ sic concidisset.

Sa tragédie l'Orpheline, quoique toute fictive, peint la passion au naturel, & telle qu'elle a son siege dans le coeur. Mademoiselle Barry, fameuse actrice, avoit coutume de dire, qu'en jouant le rôle de Monime dans cette piece, elle ne prononçoit jamais sans verser des larmes, ces trois mots, ha ! pauvre Castalio ! qui par leur simplicité font un effet d'un pathétique sublime.

Pell (Jean), mathématicien du xvij. siecle, naquit en 1611. Il fut nommé professeur en mathématiques à Amsterdam, & en 1646 à Breda ; en 1654 Cromwel alors protecteur, l'envoya pour résider auprès des cantons protestans. Il revint à Londres en 1648, prit la prêtrise, & fut nommé un des chapelains domestiques de l'archevêque de Cantorbery. Il mourut en 1685. Il a publié quelques livres de mathématiques, & entr'autres, 1. celui qui est intitulé, de verâ circuli mensurâ ; 2. table de dix mille nombres quarrés ; savoir, de tous les nombres quarrés, entre o & cent millions, de leurs côtés & de leurs racines. Londres 1672, in-fol.

Sadler (Jean) naquit en 1615, & mourut en 1674. Son ouvrage intitulé les droits du royaume, parut en 1646, in-4°. dans le tems que l'auteur étoit secrétaire de la ville de Londres. Cet ouvrage fut fort estimé dans ce tems-là, & ne l'a pas été moins depuis.

Olivier Cromwel faisoit grand cas de M. Sadler, & lui offrit par une lettre du 31 Décembre 1649 la place de premier juge de Mounster en Irlande, avec mille livres sterling d'appointemens ; mais il s'excusa de l'accepter. Voici le précis de la lettre de Cromwel, qui peint son caractere, sa conduite, & son attention à nommer les meilleurs sujets à toutes les places du gouvernement, & à les nommer avec des graces irrésistibles. Il n'étoit pas possible qu'un homme de cette vigilance & de cette habileté ne vînt à triompher au-dedans & au-dehors. Lisons sa lettre à Sadler.

" Vous proposer, monsieur, à l'improviste une charge importante, c'est peut-être s'exposer à vous prévenir de maniere à vous empêcher d'y penser du tout, ou à prendre le parti de la négative, quand il s'agira de vous déterminer. Nous avons murement réfléchi à ce que nous vous offrons, comme vous vous en appercevrez par les raisons dont nous appuyons notre demande, & nous vous l'offrons de bon coeur, souhaitant que ce soit Dieu, & non pas vous qui nous réponde.

Que Dieu nous ait visiblement assisté dans les grandes révolutions arrivées depuis peu parmi nous, c'est une chose que tous les gens de bien sentent, & dont ils lui rendent graces, persuadés qu'il a de plus grandes vues encore : & que comme il a manifesté, par tout ce qui s'est passé, sa sévérité & sa justice, il viendra aussi un tems, où il fera éclater sa grace & sa miséricorde.

Quant à nous, dont il s'est servi comme d'instrument pour cette oeuvre, ce qui cause notre joie, c'est que nous faisons l'oeuvre de notre maître ; qu'il nous honore de sa protection ; & que nous vivons dans l'espérance qu'il ramenera la paix, & qu'il nous introduira dans le royaume glorieux & pacifique qu'il a promis.

Si cette espérance nous console, nous ne sommes pas moins réjouis de voir que les affaires prennent un tour qui donne lieu de croire que l'éternel a dessein de faire sentir à cette pauvre île les effets de sa miséricorde. Nous ne pouvons donc nous dispenser de faire tout ce qui dépend de nous, (en qualité de foible instrument), pour répondre aux vues de Dieu, quand l'occasion s'en présente.

On avoit coutume d'avoir dans la province de Mounster un premier juge, qui, conjointement avec quelques assesseurs, décidoit des affaires ; c'est cet emploi que je vous prie d'accepter. Comme je crois que rien ne vous conviendra mieux que d'avoir des appointemens fixes, j'ose vous promettre mille livres sterling par an, payables tous les six mois. J'ignore jusqu'où vous regarderez cet emploi comme une vocation ; ce dont je suis sûr, c'est que je n'ai jamais rien fait avec plus de plaisir. Informez-moi cependant le plutôt que vous pourrez de votre résolution. Je me recommande à vos prieres, & suis votre affectionné ami & serviteur. "

O. CROMWEL.

Corke, le 31 Décembre 1649.

Selden (Jean) est regardé des étrangers pour un des savans hommes de l'Europe ; mais ils ignorent en général la gloire qu'il s'est acquise dans son pays, en qualité de membre du parlement, & le rôle qu'il y a joué, sans pour cela discontinuer la culture des lettres, & sans que les traverses qu'il essuya en défendant les droits de la nation, ayent eu le pouvoir d'ébranler la force de son ame. Il avoit pris pour sa devise ces mots grecs, , la liberté sur toutes choses.

Il naquit en 1584, étudia à Oxford, s'y distingua, & se fit bientôt une grande réputation par les écrits qu'il mit au jour, consécutivement sur divers sujets. En 1621 le roi Jacques I. mécontent du parlement, fit arrêter Selden, avec quelques-uns des membres de la chambre des communes. En 1625, il fut élu député au premier parlement qui se tint sous Charles I. & alors il se déclara nettement contre le duc de Buckingham. Il s'opposa encore fort vivement au parti de la cour en 1627 & en 1628.

" Je ne prens pas la parole, dit-il, dans des débats qu'il y eut touchant la liberté des sujets ; je ne prens pas la parole pour alléguer des raisons sur ce point, le plus important qu'on ait jamais agité. Cette liberté, qui est reconnue, je me flatte de tout le monde, aussi-bien que des jurisconsultes, a été violée, non sans qu'on se soit plaint ; mais je ne crois pas, que jamais on en ait légitimé la violation, sinon en dernier lieu. Le privilege du habeas corpus a été réclamé ; la cause a été rapportée par ordre du roi ; signification s'est faite de la part du conseil. On a plaidé, on a allégué sept actes parlementaires : tout cela n'a servi de rien ; l'autorité seule a agi, on a décidé, que quiconque est emprisonné par ordre du roi ou du conseil, ne peut être élargi. J'ai toujours vu que dans les affaires graves, on a coutume d'alléguer publiquement les raisons qu'on a d'agir : il s'agit ici d'une affaire où sa majesté & son conseil sont intéressés. Je desire seulement que quelques-uns du conseil nous instruisent de ce qui peut fonder un pouvoir si étendu ".

L'an 1629 Selden se signala de nouveau contre la cour, lorsqu'on agita dans la chambre-basse de voter, si la saisie des effets des membres du parlement par les officiers de la douanne, n'étoit pas une violation de leurs privileges ? L'orateur refusa de proposer la question, en conséquence de la défense du roi. Selden lui dit : " il est étonnant, M. l'orateur, que vous n'osiez faire une proposition lorsque la chambre vous l'ordonne. Ceux qui vous succéderont, pourront ainsi déclarer dans tous les cas, qu'ils ont ordre du roi de ne point faire une proposition ; mais sachez, monsieur, que ce n'est point là remplir votre charge ; nous sommes assemblés ici pour le bien public par ordre du roi, & sous le grand sceau ; & c'est le roi lui-même, qui, séant sur son trône, & en présence des deux chambres, vous a nommé notre orateur ".

Le roi ayant dissout le parlement, Selden fut arrêté, & emprisonné dans la prison du banc du roi, où il courut risque de la vie, à cause de la peste qui regnoit dans le quartier. Il recouvra la liberté quelque tems après ; & le parlement lui donna cinq mille livres sterling pour le dédommager des pertes qu'il avoit faites dans cette occasion.

En 1630, il fut encore emprisonné avec quelques seigneurs, ayant été accusé d'avoir répandu un libelle intitulé propositions pour le service du roi, de brider l'impertinence des parlemens. La naissance de Charles, prince de Galles, engagea le roi à ordonner qu'on mît Selden, & les autres prisonniers, en liberté.

En 1634, il survint une querelle entre l'Angleterre & la Hollande, pour la pêche du hareng sur les côtes de la grande-Bretagne ; Grotius ayant publié en faveur des Hollandois son mare liberum, Selden lui répondit par son mare clausum, seu de dominio maris, libri duo, Londres 1636, in-8°. Cet ouvrage le mit si bien avec la cour, qu'il ne tint qu'à lui de s'élever aux premiers emplois, mais il leur préfera le plaisir de s'appliquer tout entier à l'étude. Le roi lui-même ayant résolu d'ôter les sceaux à M. Littleton, eut quelqu'envie de les donner à Selden ; mais les lords Clarendon & Falkland déclarerent à sa majesté, que Selden refuseroit ce poste. Il accepta seulement la garde des archives de la tour, que le parlement lui confia ; & quelque tems après, il fut mis du nombre des douze commissaires établis pour l'administration de l'amirauté.

En 1654, sa santé s'affoiblit au commencement de cette année, & il mourut le 16 Décembre suivant. Ses exécuteurs testamentaires se désaisirent généreusement de sa bibliotheque, pour en faire présent à l'université d'Oxfort. Le docteur Burnet dit que cette bibliotheque étoit estimée quelques mille livres sterling, & qu'on la regardoit comme une des plus curieuses de l'Europe.

Tous les ouvrages de Selden, ont été recueillis par le docteur David Wilkins, en trois volumes in-folio, à Londres en 1726. Les deux premiers volumes contiennent les ouvrages latins, & le troisieme les anglois. L'éditeur a mis à la tête une vie fort étendue de Selden, & a ajouté à son édition quelques autres pieces du même auteur qui n'avoient pas encore paru, entr'autres des lettres, des poésies, &c.

Il est assez surprenant, que l'éditeur n'ait point inséré dans sa collection l'ouvrage intitulé, recherches historiques & politiques sur les lois d'Angleterre, depuis les premiers tems jusqu'au regne de la reine Elisabeth. Cet ouvrage est de Selden, & a été publié sous son nom à Londres en 1739, in-fol. quatrieme édition. Le but principal est de prouver par des déductions historiques, que les rois d'Angleterre n'ont jamais été revêtus d'un pouvoir arbitraire. Ce livre fut imprimé pour la premiere fois in-4°. l'an 1649, peu de tems après la mort de Charles I.

Le savoir de Selden est connu de tout le monde. Le docteur Hickes observe néanmoins, qu'il ne possédoit pas à fond l'anglo-saxon. Son érudition étoit peu commune, toujours variée, & pleine d'observations utiles ; mais il manque à ses ouvrages la méthode & la clarté du style. Ses analecta anglo-britannica ne font pas connoître, autant qu'on le desireroit, la religion & le gouvernement des Saxons, ni les révolutions arrivées parmi eux.

Son fameux traité de diis Syris, a trois grands défauts, qui lui sont communs avec la plupart de ceux qui ont écrit sur l'idolâtrie des peuples orientaux. 1°. Le peu de choix des citations ; 2°. c'est que dans ce nombre, la plûpart de ceux qui ont écrit des dieux de l'Orient, confondent perpétuellement les dieux des Grecs avec ceux des peuples barbares ; 3°. l'explication allégorique des fables, que Selden n'a pas toujours évitée.

Son histoire des dîmes choqua extrêmement le clergé, & fut attaquée de toutes parts. Le but de cet ouvrage est de prouver que les dîmes ne sont pas de droit divin, quoique l'auteur ne veuille pas en contester aux ecclésiastiques la possession qui est fondée sur les loix du pays.

Ses travaux sur les marbres d'Arundel, lui ont fait beaucoup d'honneur, & nous ont valu les belles éditions de Prideaux, en 1676, in-fol. & de Maitaire, en 1732.

Ses titres d'honneur ont été réimprimés trois ou quatre fois séparément. Nicholson dit, que pour ce qui regarde la haute & petite noblesse d'Angleterre, elle doit avouer qu'il faut lire cet ouvrage pour acquérir une idée générale de tous les différens degrés de distinction, depuis celui d'empereur, jusqu'à celui de gentilhomme campagnard.

Son mare clausum est extrêmement loué par les Anglois, qui soutiennent constamment que l'auteur a démontré contre Grotius par les anciens monumens historiques, l'empire des Anglois sur les quatre mers, & que les François, les Flamands & les Hollandois n'ont aucun droit d'y pêcher sans leur permission ; mais Grotius a pour lui le suffrage des étrangers. Quoi qu'il en soit, la nation angloise estima si fort l'ouvrage de Selden, que ce livre, par ordre exprès du roi & du conseil, fut remis publiquement aux barons de l'Echiquier, pour être déposé dans les archives, comme une piece inestimable, parmi celles qui regardent les droits de la couronne.

Son fleta, seu commentarius juris anglicani, parut à Londres, in-4°. & c'est un monument de prix pour la nation. On en a donné une seconde édition en 1685, dans laquelle on auroit dû corriger les fautes que Selden lui-même avoit indiquées.

Le livre de jure naturali, & gentium, a reçu de grandes louanges de Puffendorf ; mais messieurs le Clerc & Barbeyrac, pensent différemment. Le premier lui reproche ses principes rabbiniques, bâtis sur une supposition incertaine de la tradition judaïque. Le second ajoute que Selden se contente de citer les décisions des rabbins, sans se donner la peine d'examiner si elles sont justes ou non. Il est certain que dans un ouvrage de cette nature, il falloit dériver ses principes des pures lumieres de la raison, & non pas uniquement des préceptes donnés à Noé, dont le nombre est fort incertain, & qui ne sont fondés que sur une tradition douteuse. Enfin, dans cet ouvrage de Selden il regne beaucoup de desordre, & sur-tout l'obscurité, qu'on remarque en général dans ses écrits. (D.J.)


SUSTENTATIONS. f. (Gram.) aliment, nourriture en quantité suffisante à l'entretien de la vie. Il faut manger pour la sustentation du corps & des forces. On dit aussi sustenter ; le pain sustente beaucoup : ce prélat a sustenté en grain, en riz, tous les pauvres de son diocèse pendant les années passées. Au figuré, la lecture de l'Ecriture sainte est plus propre qu'aucune autre à sustenter l'ame. Je ne sais si on ne dit pas mieux substenter, que sustenter.


SUSTEREN (Géog. mod.) petite ville, aujourd'hui bourg d'Allemagne dans le cercle de Vestphalie, au duché de Juliers, à l'orient de Maseyck, sur le ruisseau de Zafel. (D.J.)


SUSUDATA(Géog. anc.) ville de la Germanie, selon Ptolémée, l. II. c. xj. Il y en a qui veulent que ce soit aujourd'hui Wilnach, dans la marche de Brandebourg. (D.J.)


SUTERA(Géog. mod.) petite ville de Sicile dans le val de Mazara, entre Fiume de Platnai & Fiume Salso. C'est à-peu-près l'endroit où se trouve l'ancienne Petrina. (D.J.)


SUTHERLAND(Géog. mod.) province maritime d'Ecosse, au nord du comté de Soss. Elle est bornée à l'orient par la mer d'Allemagne, au midi par le Taine, & la riviere d'Okell qui la séparent de la province de Ross ; à l'occident par la seigneurie d'Assint ; au nord par la province de Strath-Navern, & au nord-est par celle de Caithness. Sa longueur est d'environ 40 mil. & sa plus grande largeur de 20. Les plus remarquables des rivieres qui l'arrosent sont le Shin, l'Uns, le Brora & l'Ully, qu'on appelle autrement Helmsdail. Cette province est toute montueuse, & entrecoupée de trois grandes forêts remplies de bêtes sauvages, & d'oiseaux des bois de diverses especes. Le plus considérable des lacs du pays est le lac de Shin : il est comme tous les autres fécond en poisson. L'orge de cette province est le meilleur qui croisse dans les pays du nord. On tire du Sutherland de très-bon fer des mines. Les anciens comtes de cette province étoient de la maison de Murray ; aujourd'hui cette seigneurie est tombée dans la maison des Gordons, dont le chef de la branche aînée prend le titre de duc de Gordon. (D.J.)


SUTHWELL(Géog. mod.) bourg à marché d'Angleterre, dans le Nottingham-Shire sur la Trent.


SUTRI(Géog. mod.) en latin Sutrium ; petite ville d'Italie dans l'état de l'Eglise, au patrimoine de S. Pierre, sur le Pozzuolo, à 10 lieues au nord-ouest de Rome. Il s'y tint un concile en 1046. Elle fut érigée en évêché au cinquieme siecle par le pape S. Hilaire : mais son état misérable a fait réunir cet évêché à celui de Népi. Long. 30. 5. latit. 42. 10. (D.J.)


SUTRIUM(Géog. anc.) ville d'Italie dans l'Etrurie. Cette ville étoit autrefois célebre & une ancienne colonie romaine, selon Tite-Live l. IX. c. xxxij. La colonie y avoit été conduite sept ans après que les Gaulois eurent pris la ville de Rome, comme nous l'apprend Velléius Paterculus, l. I. c. xiv. Auguste l'augmenta, ce qui fait que dans une inscription rapportée par Gruter, pag. 302. n. 1. elle est appellée colonia Julia Sutria. Pline, l. III. c. v. la connoît sous le nom de colonia Sutrina, & nomme ses habitans Sutrini. L'itinéraire d'Antonin qui la marque sur la voie Claudienne, la met sur la route de Luques à Rome, entre Forum Cassii & Baccanae, à onze milles du premier de ces lieux, & à douze milles du second. Cette ville conserve son ancien nom. On la nomme présentement Sutri. (D.J.)


SUTURES. f. en Anatomie, est une connexion ou articulation particuliere de certains os dans le corps animal ; ainsi nommée parce qu'elle ressemble à une couture. Voyez ARTICULATION.

Il y a deux sortes de sutures, l'une appellée vraie, lorsque les os sont dentelés comme une scie, & reçus mutuellement les uns dans les autres.

L'autre appellée fausse ou écailleuse, lorsque les os avancent l'un sur l'autre comme les écailles de poisson. Voyez ÉCAILLEUSE.

Les os du crâne sont ordinairement joints ensemble par trois sutures vraies ; savoir la coronale, qui va d'une tempe à l'autre. Voyez nos Planches Anat. & l'article CORONAL. La sagittale qui unit les os pariétaux. Voyez l'article SAGITALE. Et la lambdoïde, ainsi nommée parce qu'elle ressemble au lambda grec . Voyez LAMBDOÏDE.

Outre ces trois sutures il y en a une quatrieme, qui est fausse ou écailleuse, & que l'on suppose faussement n'être pas dentelée. Elle joint les os des tempes à l'os sphénoïde, à l'occipital, &c. & on l'appelle aussi suture temporale. Voyez nos Pl. Anat. & ÉCAILLEUSE.

Les Naturalistes disent qu'en Perse on trouve souvent des gens qui ont le crâne composé d'un seul os, sans aucune suture, & sans qu'on voye résulter de-là aucun inconvénient. M. Fléchier, dans sa Vie du cardinal Ximenès, rapporte aussi la même chose de ce cardinal. Il semble néanmoins que ce défaut de sutures devroit avoir de fâcheuses suites, comme de rendre la transpiration fort imparfaite, & de causer par là des pesanteurs de têtes & des vertiges. Voyez CRANE.

La suture sphénoïdale, est une suture ainsi appellée parce qu'elle environne l'os sphénoïde qu'elle sépare du coronal, de l'os des tempes & de l'occipital. Voyez SUTURE, CRANE, SPHENOÏDE, &c.

SUTURE DU CRANE, (Physiolog.) on nomme suture du crâne, l'articulation ou la jonction de ses os ensemble. Selon le systême des anciens, toutes les sutures du crâne se divisent en sutures vraies ou dentelées, & en sutures fausses ou écailleuses ; nous allons parler physiologiquement des unes & des autres en général.

Vésale, & après lui des Anatomistes de grande réputation, comme Fallope, Spigel, &c. prétendent qu'en examinant la calotte du crâne humain ; on ne remarque, sur sa face concave, à l'endroit des sutures, que des lignes plus ou moins régulieres, au lieu qu'à sa face convexe les dentelures, comme tout le monde sait, y sont très-sensibles. On peut encore exposer cette remarque d'un autre façon, en disant que les dents qui unissent les os coronal, pariétaux & occipital entr'eux, ne se trouvent qu'à la table interne & au diploé, & qu'il n'y a point de dentelure à la table interne de ces os.

M. Hunauld prévenu en faveur d'une observation qui vient de si bonne part, & qu'il avoit lui-même vérifiée plusieurs fois, fut fort étonné d'y trouver par la suite des exceptions. Il voulut s'assurer en examinant quantité de crânes, si ces exceptions n'étoient point un jeu de la nature ; & voici ce qu'il a découvert.

Les crânes qu'on étudie le plus, & dont on sépare les os pour la démonstration, sont assez souvent des crânes de sujets morts après avoir passé l'âge de la jeunesse. On ne trouve point pour l'ordinaire de dents à la table interne de ces crânes ; & plus les sujets sont avancés en âge, & plus l'union des os en-dedans de la calotte du crâne, paroît en forme de lignes ; ces lignes même s'effacent entierement dans la vieillesse. Au contraire dans le bas âge, il y a des dents à la table interne de la calotte du crâne, & les sutures paroissent à sa surface concave. Ces dents & ces sutures y sont d'autant plus apparentes que les sujets sont plus jeunes. Voilà une variété bien certaine, bien constante, & qui fait porter à faux l'observation de Vésale, & d'autres célebres anatomistes. C'est de cette variété dont M. Hunauld a tâché de développer les causes, & c'est ce qu'il a fait avec beaucoup d'esprit.

Une voûte, dit-il, a plus d'étendue à sa surface convexe qu'à sa surface concave, & plus une voûte est épaisse, & plus sa surface interne est petite par rapport à l'externe. Cette différence d'étendue fait que les pieces qui composent une voûte doivent être taillées obliquement, pour être appliquées les unes à côté des autres. Si l'on suppose que les pieces d'une voûte fassent également effort pour s'augmenter suivant toutes leurs dimensions, la pression de ces pieces les unes contre les autres sera plus forte vers la surface concave, que vers la surface convexe. Ces idées simples appliquées à ce qui se passe dans l'augmentation du crâne, semblent fournir la raison de l'effacement des sutures internes du crâne à un certain âge.

Dans l'enfance, le coronal, les pariétaux, & l'occipital, commencent peu-à-peu à s'ajuster ensemble par le moyen des dents, & des échancrures qui se trouvent à leurs bords. Ces os sont alors très-minces, & les dents qui se trouvent gravées dans toute leur épaisseur, sont aussi longues à la table interne qu'à l'externe ; ainsi les sutures coronale, sagittale, & lambdoïde, paroissent à la surface convexe de la calotte du crâne, de même qu'à la surface concave ; mais ensuite les choses changent : les os du crâne se pressent mutuellement les uns & les autres, à mesure que leur étendue augmente : comme en même-tems leur épaisseur devient plus considérable, il faut nécessairement que les dents ayent moins de longueur à la table interne qu'à l'externe, & il faut que la pointe de ces mêmes dents soit taillée obliquement, car la calotte du crâne ainsi qu'une voûte, a moins d'étendue à sa surface concave, qu'à sa surface convexe ; ainsi les bords des os qui la composent, pour pouvoir s'appliquer à côté les uns des autres, doivent être taillés obliquement.

A mesure que l'épaisseur du crâne augmente, les dents deviennent de plus en plus moins longues à la table interne qu'à l'externe ; cette inégalité de longueur fait que les échancrures, qui ne sont que les interstices des dents, ont aussi moins d'étendue à la surface concave du crâne, qu'à la surface convexe ; par conséquent si l'on regarde le dedans de la calotte du crâne, quand il commence à acquérir une certaine épaisseur, les sutures y doivent paroître moins considérables qu'à sa surface externe.

Voilà donc déja les dents moins longues, & les échancrures moins profondes à la table interne qu'à l'externe ; mais il faut encore quelque chose de plus, car avec l'âge les échancrures se remplissent entierement à la table interne, & les dents y disparoissent entierement.

Lorsque les os de la calotte du crâne commencent à se presser réciproquement, par l'augmentation de leur étendue, la partie de la pointe des dents, qui appartient à la table interne, pressée contre les échancrures de l'os opposé, trouve moins de résistance vers la substance spongieuse du diploë, que contre la table interne des échancrures où ces dents sont engagées ; cette partie de la pointe des dents qui appartient à la table interne, se dirigera donc vers le diploë : le peu d'épaisseur de la table interne rend cette détermination facile ; la table interne de la dent, en se portant ainsi vers le diploë, forme un talus, & perd le niveau du dedans du crâne ; mais la table interne du fond de l'échancrure, en profite bientôt, en s'avançant sur le talus de la dent opposée, & elle s'y avance d'autant plus, que les os faisant plus d'effort les uns contre les autres vers leur surface concave qu'ailleurs, y sont plus disposés à s'étendre vers les endroits où il se trouve une diminution de résistance.

Voilà donc en même tems deux nouvelles causes qui contribuent à effacer les sutures du dedans de la calotte du crâne. 1°. Toute la pointe des dents qui se releve vers le diploë, cesse de paroître en-dedans du crâne. 2°. La table interne qui s'avance du fond de chaque échancrure, diminue la longueur des dents du côté de leur racine, ainsi par le double moyen, peu-à-peu & avec le tems, les dents se trouvent effacées au-dedans du crâne, il n'y paroît plus de figure, & l'union des os ne se fait appercevoir que par des lignes.

Les dents qui composent les sutures, ne sont pas toutes de la même longueur : les petites dents qui ne sont séparées que par de petites échancrures, disparoissent les premieres ; plusieurs dents d'une longueur inégale, placées à côté les unes des autres, se confondent, & n'en font plus qu'une d'une largeur considérable, lorsque les interstices qui les séparent, sont remplis. Il se trouve encore des dents beaucoup plus longues que les autres : celles-ci disparoissent plus tard, ou ne disparoissent même jamais entierement. Toutes ces inégalités donnent à l'union des os en-dedans du crâne, la figure de lignes irrégulieres.

Lors donc qu'il ne paroît point de dents à la surface concave du crâne, cela ne se fait pas, pour empêcher, comme on le dit ordinairement, que la dure-mere ne soit blessée dans les cas de fracture, ou d'enfoncement à l'endroit des sutures ; mais c'est par une suite nécessaire de la conformation des os du crâne, & de sa figure.

C'en est assez pour ce qui concerne les sutures vraies ou dentelées : la différence qui se trouve entr'elles & les sutures fausses ou écailleuses, montre que leurs usages doivent être différens. Dans l'une, les os s'unissent par le moyen des avances & des enfoncemens qui sont à leurs bords : dans l'autre le bord d'un os est appliqué sur le bord d'un autre os, & pour s'ajuster ainsi, ils sont tous les deux taillés en bizeau. Presque tous les anatomistes ont ou proposé des raisons de cette différence, ou adopté quelques-unes des raisons qu'on avoit proposées avant eux ; cependant en les examinant toutes, il paroît qu'on n'en a point encore trouvé de suffisantes, à l'exception de celle que propose M. Hunauld, dans les mêmes mémoires de l'acad. des Sciences, an. 1730. (D.J.)

SUTURE, terme de Chirurgie, couture que l'on fait aux plaies, pour en tenir les levres approchées, afin que le suc nourricier puisse les réunir. Voyez PLAIES.

Les sutures ne sont pas le seul moyen que la chirurgie employe pour maintenir les bords d'une plaie dans le contact mutuel qui est nécessaire pour leur consolidation. Voyez REUNION. On a beaucoup abusé en chirurgie de l'opération de la suture, comme M. Pibrac l'a démontré dans une excellente dissertation, insérée au troisieme tome des mémoires de l'académie royale de Chirurgie.

Les scholastiques distinguent plusieurs especes de sutures, qui se réduisent à l'entrecoupée dont nous allons parler dans cet article ; à l'enchevillée qui convient aux plaies pénétrantes du bas ventre, voyez GASTRORAPHIE ; à l'entortillée qui sert aux plaies des levres, voyez BEC DE LIEVRE ; & à la suture du pelletier, dont on prescrit l'usage pour les plaies des intestins : Voyez PLAIES DES INTESTINS. Les trois premieres ont été appellées sutures incarnatives, & elles se font à points séparés ; la derniere se nomme restrinctive ; parce qu'elle s'oppose à l'issue des matieres contenues dans le canal intestinal ; cette suture se fait à points continus, en surjettant le fil, comme les pelletiers font en cousant les peaux.

Quoique la réunion soit l'indication générale que donne la cure des plaies, il y a des cas où il ne faut point mettre en usage les moyens de la procurer. Telles sont 1°. les plaies soupçonnées d'être venimeuses, parce qu'il est à propos de donner issue au venin, & de faire pénétrer les remedes dans l'intérieur des parties où il s'est insinué. 2°. Les plaies accompagnées de grandes inflammations, ne permettent pas l'usage des sutures ; parce que les points d'aiguilles augmenteroient les accidens ; mais on peut se servir des autres moyens unissans, s'ils peuvent avoir lieu. 3°. Les plaies contuses devant nécessairement suppurer, ne peuvent point être réunies, non plus que celles où il y a une déperdition de substance, qui empêche l'approximation des bords de la plaie. 4°. On ne réunit point les plaies qui pénétrent dans l'intérieur de la poitrine. Voyez PLAIES DE POITRINE. 5°. Les plaies où il y a des gros vaisseaux ouverts, n'indiquent point la réunion : car il faut faire des ligatures, & comprimer l'orifice des vaisseaux ouverts ; ces cas, loin de permettre la réunion, exigent au-contraire fort souvent qu'on fasse des incisions pour découvrir le vaisseau blessé. Voyez ANEVRISME FAUX.

Dionis, après plusieurs auteurs plus anciens, a cru que l'on ne devoit point réunir les plaies où les os sont découverts, à cause des exfoliations qu'il en faut attendre. Ce précepte ne doit pas être pris à la rigueur : on ne doit le suivre que quand les os découverts sont alterés : car s'ils sont simplement découverts, ou même divisés par un instrument tranchant, en approchant les parties nouvellement divisées, on les préservera de l'impression de l'air qui est nuisible aux os découverts ; & les sucs nourriciers des parties divisées & rapprochées, fourniront le baume le plus convenable pour leur réunion. On pourroit appuyer la pratique de réunir les plaies avec division des parties osseuses, sur un grand nombre de faits ; nous avons entr'autres une observation communiquée à l'académie royale de Chirurgie, par feu M. de la Peyronie, son président, qui est très-concluante sur ce point de l'art. Un homme reçut obliquement un coup d'instrument tranchant sur la partie extérieure & moyenne du bras ; l'os en fut coupé net avec les muscles & les tégumens qui le couvroient, ensorte que ce bras ne tenoit qu'à une bande de peau de la largeur d'un pouce, sous laquelle étoit le cordon des vaisseaux. M. de la Peyronie tenta la réunion, bien persuadé qu'il seroit toujours assez à tems d'ôter le membre, si le cas le requéroit : il mit les deux extrêmités de l'os divisé en leur situation naturelle, fit plusieurs points de suture pour la réunion des parties molles, & appliqua un bandage capable de contenir la fracture ; ce bandage étoit fenétré vis-à-vis la plaie, pour la facilité des pansemens : on employa pour topique l'eau-de-vie, animée d'un peu de sel ammoniac, dont on fomenta aussi l'avant-bras & la main qui étoit froide, livide & sans sentiment : on parvint à rappeller la chaleur naturelle : on pansa la plaie ; le huitieme jour, l'appareil en fut levé par la fenêtre du bandage ; le quatorzieme jour, pour le second appareil, & la plaie parut disposée à la réunion. Le dix-huitieme la cicatrice se trouva avancée, la partie presque dans son état naturel, & le battement du pouls sensible : alors M. de la Peyronie substitua un bandage roulé au fénétré : on eut soin de lever l'appareil de dix en dix jours ; après cinquante jours on l'ôta entierement, & au bout de deux mois de la blessure, le malade fut entierement guéri, à un peu d'engourdissement près dans la partie. On doit conclure de cette observation, qu'on doit tenter la réunion quelque grande que soit la plaie, & qu'il n'y a point d'inconvénient à l'essayer ; pour peu que la conservation d'un membre soit vraisemblable ; la nature ne demandant souvent qu'à être aidée, pour faire des prodiges.

Pour faire la suture entrecoupée, il faut avoir préparé l'appareil convenable ; il consiste en aiguilles, fils, plumaceaux, compresses & bandes ; les aiguilles doivent être plus ou moins grandes, selon la profondeur de la plaie. Voyez AIGUILLE. Les fils doivent par la réunion de plusieurs fils cirés, former un cordonnet plat : ce cordonnet sera proportionné à l'aiguille, comme l'aiguille à la plaie ; il sera plus fort pour une plaie profonde que pour une superficielle.

Tout étant disposé on lavera la plaie pour la débarrasser des ordures & autres corps étrangers qui peuvent y être, & en ôter les caillots de sang qui s'opposeroient à la réunion ; le chirurgien doit alors considérer exactement la grandeur & la profondeur de la plaie : par l'étendue de la plaie, il décidera du nombre de points de suture qu'il faudra pour la réunir ; il seroit aussi mal-à-propos de les multiplier sans nécessité, que de n'en pas faire autant qu'il convient ; dans les plaies qui n'ont qu'une direction, si un point suffit, il se fait ordinairement au milieu : s'il en faut deux, on les fait à égale distance entr'eux, qu'il y en aura de chaque point à l'angle de la plaie dont il est le plus proche ; Pl. XXX. fig. 9. s'il faut trois points, on commencera par celui du milieu, & les deux autres seront placés entre le premier & l'angle de la plaie, à droite & à gauche ; ainsi du reste. Voy. Pl. XXXI. fig. 1. J'ai dit qu'ordinairement un seul point de suture se plaçoit au milieu de la plaie : car si la plaie étoit plus profonde vers un de ses angles, ce seroit dans cet endroit qu'il conviendroit de faire la suture.

Lorsque les plaies ont plusieurs directions, & qu'il y a un ou plusieurs lambeaux, on doit commencer la suture par les angles des lambeaux, sans quoi on risqueroit de ne pas pouvoir réunir la plaie dans toutes ses parties. Pl. XXX. fig. 10 & 11.

La profondeur de la plaie servira à déterminer à quelle distance de ses levres chaque point doit être fait ; le fil doit décrire une ligne courbe dans l'épaisseur des parties, & il faut que le milieu de cette courbe passe à une ligne du fond de la plaie ; pour y réussir, il faut que l'éguille entre d'un côté, à une distance égale à la profondeur de la plaie, & qu'elle sorte de l'autre côté à pareille distance ; si l'on prenoit moins de parties, le milieu du fil n'iroit point jusqu'au fond de la plaie : on parvient à en réunir la superficie ; mais les bouches des vaisseaux qui ne sont point affrontés dans le fond, laissent échapper du sang & de la lymphe ; il s'y forme une suppuration à laquelle il faut donner issue par une incision, lorsque la cicatrice est bien formée dans toute l'étendue de la superficie de la plaie ; si l'aiguille pénetre à trop de distance, on risque d'embrasser les parties au-delà du fond de la plaie, ce qui en causant une douleur inutile, ne seroit pas sans danger.

Pour pratiquer la suture, toutes ces mesures prises, on rapproche les levres de la plaie : on les fait tenir dans cette situation par un aide : on prend l'aiguille avec la main droite ; le doigt index & celui du milieu seront sur la convexité de l'aiguille, & le pouce dans la concavité ; la pointe sera tournée du côté de la poitrine de l'opérateur, & le cordonnet dont elle sera enfilée, sera jetté extérieurement sur la main. Le chirurgien appuiera légerement le petit doigt & l'annulaire de sa main droite sur la partie blessée, & portera la pointe de l'aiguille sur la peau, à la distance convenable ; le pouce & le doigt indicateur de la main gauche, appuyeront par leurs extrêmités sur le côté opposé à l'endroit où l'on doit faire entrer la pointe de l'aiguille, & par ce moyen on percera tout-à-la-fois les deux levres de la plaie ; lorsque la pointe de l'aiguille est suffisamment sortie entre les deux doigts de la main gauche, qui par leur compression en favorisoient le passage, on tire l'aiguille par sa pointe avec ces deux doigts de la main gauche, en observant qu'en même-tems qu'ils saisissent la pointe de l'aiguille pour la tirer, on porte deux doigts de la main droite pour soutenir latéralement les parties que l'aiguille traverse : on continue de faire les autres points sans couper les fils que l'on tient fort lâches pour qu'ils forment des anses assez grandes pour faire les noeuds : quand on a fait autant de points que l'étendue de la plaie l'a requis, on coupe les anses par le milieu, & on fait les noeuds à la partie supérieure, ou à la moins déclive de la plaie, afin qu'ils ne s'imbibent ni de sang ni de pus ; le noeud que l'on fait doit d'abord être simple, & être assujetti par un demi-noeud en rosette, afin de pouvoir être desserré ou resserré au besoin : dans cette vue M. le Dran conseille de graisser la superficie du noeud avec quelque huile ou pommade, & de mettre par-dessus une petite compresse aussi graissée. Ces préceptes généraux souffrent quelques exceptions.

1°. Lorsque les plaies sont profondes, on ne prend point les deux levres d'un seul coup d'aiguille : on pénetre du dehors au-dedans, à un des côtés de la plaie, & après avoir retiré entierement l'aiguille, on acheve le point en perçant l'autre levre du dedans au-dehors.

2°. Dans les plaies à lambeaux le noeud ne doit pas toujours se faire à la partie supérieure, ou à la partie la moins déclive de la plaie, car si le lambeau est fait de bas en haut, la réunion exige que le noeud se fasse en-bas ; & on doit déroger à toute regle qui est contraire à la fin qu'on se propose.

L'appareil consiste à mettre sur la plaie un plumaceau trempé dans quelque baume vulnéraire, qui ne soit point trop dessicatif, de crainte qu'il ne s'oppose à la transudation purulente qui se fait toujours du plus ou du moins dans toutes les plaies : on pose une ou deux compresses mollettes sur la plaie ; on entoure le membre avec une autre, & on maintient le tout par quelques tours de bande.

On prévient, ou on calme l'inflammation par la saignée & le régime ; on fomente la plaie avec l'eau & l'eau-de-vie tiede, & on ne leve l'appareil qu'au bout de trois ou quatre jours, à-moins qu'il n'y ait des accidens. S'il survient inflammation, on relâchera les points, jusqu'à ce qu'elle soit calmée ; pour les resserrer ensuite : quand la réunion est faite, on ôte les fils en les coupant à la partie opposée au noeud : on les retire doucement & facilement : comme la cicatrice est nouvelle, il est bon de tenir quelques jours la partie en repos, & même d'appliquer quelques languettes d'emplâtres agglutinatifs pour la soutenir. Les plaies faites par les aiguilles, se guérissent aisément, il suffit d'y couler un peu d'eau vulnéraire ou d'eau-de-vie. (Y)


SUVARO CAPO(Géogr. mod.) cap d'Italie, dans le royaume de Naples, sur la côte de la Calabre ultérieure. Magin veut que ce soit l'ancien Brettium Promontorium. (D.J.)


SUVEREAUvoyez SAUREL.


SUWA(Culte & Mythologie) divinité très-révérée des Japonois, & qui préside à la chasse. On célebre plusieurs fêtes en son honneur. Voyez SINTOS.


SUWO(Géogr. mod.) une des huit provinces de la contrée montagneuse méridionale de l'empire du Japon. Elle est divisée en six districts, & a trois journées d'étendue de l'est à l'ouest. Son pays abonde principalement en plantes & en pâturages. Les côtes de la mer lui fournissent du poisson, des écrevisses, des coquillages, & des choses semblables, en aussi grande quantité que partout ailleurs. (D.J.)


SUZANPORTE DE, (Hist. des Juifs) c'est ainsi que fut appellée la porte orientale du temple de Jérusalem. Elle reçut ce nom, parce que l'édit en vertu duquel le temple fut achevé, avoit été donné par Darius, 515 ans avant Jesus-Christ, dans son palais de Suzan ou Suze, ainsi que disent les Grecs. Cette ville de Suze fut en conséquence représentée en sculpture au-dessus de la porte dont nous parlons, & l'ouvrage a subsisté jusqu'à la destruction du temple par les Romains. Voyez Ligfoot de templo, cap. iij.


SUZANNESAINTE, (Géog. mod.) petite ville de France, dans le Maine, à dix lieues du Mans, au bord de la petite riviere d'Hervé ; c'étoit autrefois une place forte. Long. 17. 14. latit. 48. 9. (D.J.)

SUZANNE, (Critiq. sacrée) l'histoire intéressante de Suzanne se trouve dans le xiij. chap. de Daniel ; c'est dommage qu'il y ait lieu de douter de son authenticité ; mais l'amour de la vérité doit l'emporter sur tout.

On sait qu'une partie du livre de Daniel, savoir depuis le 4 v. du ij. chap. jusqu'à la fin du chap. vij. a été écrite originairement en langue chaldaïque. Comme le prophete y parle des affaires de Babylone, il les écrivit en chaldéen, ou langue babylonienne ; tout le reste est en hébreu. La version grecque de ce livre dont les églises grecques se servoient, étoit celle de Théodotion. C'est seulement dans cette version grecque & dans la vulgate, que se trouve l'histoire de Suzanne, chap. iij. & celle de l'idole Bel & du dragon, ch. xiv.

Ces deux histoires n'ont jamais été reçues dans le canon des saintes Ecritures par l'église judaïque, comme l'observe S. Jérôme. Elles ne sont point écrites ni en hébreu, ni en chaldaïque ; les hébraïsmes qu'on y remarque, prouvent tout au plus qu'elles ont été écrites en grec par un juif qui transportoit les manieres de parler de sa propre langue, dans celle dans laquelle il écrivoit, comme il arrive d'ordinaire dans ces occasions.

Une preuve démonstrative qu'elles ont été écrites originairement en grec par quelque juif helléniste, sans avoir été tirées d'une source plus éloignée, c'est que dans l'histoire de Suzanne, Daniel dans ses réponses aux vieillards fait allusion aux noms grecs des arbres sous lesquels ces calomniateurs de la chaste Suzanne disoient qu'elle avoit commis adultere : allusions qui ne peuvent avoir lieu dans les autres langues.

En effet, quand Daniel interroge séparément les deux anciens, l'un d'eux ayant dit qu'il avoit vu Suzanne commettre l'adultere , c'est-à-dire, sous un lentisque, Daniel lui répond par allusion à , l'ange de Dieu a reçu ordre, , c'est-à-dire, de te couper par le milieu ; & l'autre ayant répondu qu'il l'avoit vue , c'est-à-dire, sous un chêne verd, Daniel faisant allusion au mot , lui répond ; l'ange du seigneur est prêt avec l'épée, , c'est-à-dire, de te couper en deux.

Après ces réflexions, il est difficile de comprendre pourquoi l'église romaine a cru devoir attribuer à cette histoire de Suzanne la même autorité qu'au reste du livre de Daniel ; car le concile de Trente le range également parmi les livres canoniques ; mais les anciens n'ont rien fait de semblable. Africanus, Eusebe & Apollinaire rejettent ces pieces non-seulement comme non canoniques, mais encore comme fabuleuses. S. Jérôme n'appelle pas autrement l'histoire de Bel & du dragon ; enfin ceux qui se sont contentés de les admettre comme des instructions pour les moeurs, les ont rejettées comme parties des écritures canoniques ; en quoi ils ont été suivis par les églises protestantes qui les placent dans leurs bibles parmi les livres apocryphes, sans les reconnoître pour canoniques. (D.J.)


SUZERAINvoyez SUSERAIN.


SVELTEadj. (Beaux Arts) ce terme tiré de l'italien svelto, & dont on a fait usage en parlant du dessein, de la peinture, de la sculpture, & même de l'architecture, est l'opposé du gout lourd & écrasé ; il donne l'idée d'un morceau exécuté avec grace, avec légereté, d'une maniere dégagée & un peu allongée. De-là vient que figure svelte est une figure déliée & d'une taille légere & délicate.


SWALELA, (Géog. mod.) riviere d'Angleterre, dans la partie septentrionale de ce royaume. Elle naît de hautes montagnes des provinces de Westmorland, & se jette dans l'Youre. Cette riviere est célebre dans l'histoire ecclésiastique d'Angleterre, parce que S. Paulin, premier archevêque d'Yorck, y baptisa un prodigieux nombre d'anglois convertis au christianisme. (D.J.)


SWANSEou SWINSEY, (Géog. mod.) bourg d'Angleterre, dans le comté de Glamorgan, sur le chemin de Caërmarthen à Londres, à sept milles de Llogher, à l'embouchure de la riviere de Taw. Ce bourg a été nommé Swansey à cause des porcs marins qu'on voit quelquefois dans son voisinage. Son havre est fort bon & fort fréquenté. (D.J.)


SWARTALA, (Géog. mod.) riviere d'Allemagne, en Bohème, au cercle de Chrudim, où elle prend sa source ; elle entre dans la Moravie, mouille Brinn, & au-dessous de cette ville, elle se perd dans la Teya.


SWARTSTEou SWARTSKIOEI, s. m. (Hist. nat. Minéral.) ce mot qui est suédois, signifie pierre noire. C'est la même pierre que l'on trouvera décrite sous le nom de TRAPP. Elle se change en verre sans addition, & est très-propre à faire des bouteilles solides, & sur lesquelles les acides n'agissent point. Voyez TRAPP.


SWÉRIN(Géog. mod.) ville d'Allemagne, capitale de la principauté de même nom, au cercle de la haute Saxe, sur le lac de Swerin, à 18 lieues au sud-est de Lubeck. Cette ville dans le onzieme siecle étoit un évêché qui fut converti en principauté séculiere par le traité d'Osnabruck, & cédée au duc de Mekelbourg en compensation de la ville de Wismar, qui devoit demeurer aux Suédois. Long. 28. 50. lat. 53. 42. (D.J.)


SWERSHAUSEN(Géog. mod.) bourgade d'Allemagne, dans le duché de Lunebourg, aux confins de l'évêché d'Hildesheim, entre les rivieres d'Awe & de Fuse. Ce lieu est remarquable par la sanglante bataille qui s'y donna le 7 Juillet 1553, entre Albert, marggrave de Brandebourg, qui y fut défait, & Maurice, électeur de Saxe, qui acheta la victoire de plusieurs blessures dont il mourut peu de jours après.


SWIATZK(Géog. mod.) & par Oléarius Suiatski, ville de l'empire russien, au royaume de Casan, sur une agréable colline, à la droite du Volga, vis-à-vis de Casan, avec un château bâti en pierre ; car tous les autres bâtimens, même ses tours & ses remparts, sont en bois. (D.J.)


SWILLYLA, ou la SUILLIE, (Géog. mod.) riviere d'Irlande, dans la province d'Ulster, au comté de Tirconnel. Elle prend sa source au coeur de ce comté, l'arrose, & se jette dans une grande baie à laquelle elle donne le nom de lac de Swilly, quoique l'eau de ce lac soit salée. (D.J.)


SWINAR(Géog. mod.) petite ville de la Turquie européenne, dans la Bosnie, aux frontieres de la Hongrie & de l'Esclavonie, sur la Sade, à trois milles au midi de Posega, & assez près des ruines de la Servitium d'Antonin. Long. 35. 48. latit. 45. 32. (D.J.)


SWORDS(Géog. mod.) ville, ou plutôt bourg à marché d'Irlande, dans la province de Leinster, au comté de Dublin, proche la mer. (D.J.)


SWYNBORG(Géog. mod.) petite ville de Danemarck, dans l'île de Funen, vis-à-vis celle de Langeland, sur le bord du détroit qui sépare la Fionie de l'île de Tassing. C'est de cet endroit que Charles Gustave, au commencement de Février 1668, fit partir son armée, & la conduisit au milieu des glaces dans les iles de Langeland, de Falster & de Sélande. (D.J.)


SYAGROS(Géog. anc.) promontoire de l'Arabie heureuse, sur l'Océan indien, au pays des Ascytae, selon Ptolémée, l. VI. c. vij. c'est présentement capo Rizalgate, selon Bari, le cap Sfalcahat, selon Ramusio, & le cap Fartac, selon d'autres. (D.J.)


SYALAGOGUE(Médecine) voyez SALIVANT.


SYALITAS. f. (Hist. nat. Botan. exot.) espece de pommier du Malabar, arbor pomifera, indica, flore maximo, cui multae innascuntur siliquae, Hort. Mal. Il est haut de quarante à cinquante piés ; sa fleur est très-belle & très-odoriférante ; elle fait place à un gros fruit approchant en figure, en goût, en odeur, & en chair, des pommes acides de nos climats. (D.J.)


SYBARIS, (Géog. anc.) 1°. ville d'Italie, dans la Lucanie, à deux cent stades de Crotone, entre deux rivieres ; le Sybaris qui lui a donné son nom, & le Crathis. Le Sybaris maintenant appellé Cochilé, rendoit, si l'on en croit Pline, ceux qui buvoient de ses eaux, d'une complexion plus robuste, & d'un teint plus noir que les autres ; elles faisoient même crêper leurs cheveux ; elles rendoient aussi les bêtes ombrageuses ; ce qui obligeoit les habitans voisins de cette riviere, d'abreuver leurs troupeaux ailleurs, parce qu'ils étoient saisis d'éternumens violens, s'ils usoient des eaux du Sybaris. Le Crathis, qui a gardé le nom de Crathe, rendoit ceux qui en buvoient plus blancs, & d'une complexion plus foible ; apparemment que les Sybarites ne buvoient que des eaux du Crathis.

Solin prétend que Sybaris avoit été fondée par les Troézéniens, & par Sagare, fils d'Ajax le Locrien ; Strabon veut au contraire qu'elle ait été fondée par les Achéens. Peut-être que cette ville avoit été seulement ornée ou aggrandie par les Achéens ; car souvent les anciens auteurs se servent du mot de bâtir, pour signifier aggrandir, rétablir. Quoi qu'il en soit, cette ville avec le tems s'éleva à un tel point de grandeur, qu'elle commandoit à quatre nations voisines ; qu'elle avoit l'empire sur vingt-cinq villes, & qu'elle occupoit cinquante stades de territoire, couvert de ses habitations. Diodore de Sicile, l. XII. dit que les Sybarites mirent sur pié une armée de trente mille hommes, dans la guerre qu'ils eurent contre les Crotoniates ; ces derniers néanmoins resterent les vainqueurs, & ôterent aux premiers leur gloire & leurs richesses. Milon les repoussa jusque dans leur ville capitale, dont il forma le siége ; il s'en rendit le maître & la détruisit.

Sybaris demeura ensevelie sous ses ruines pendant cinquante-huit ans ; ensuite sous l'archontat de Callimaque à Athènes, les anciens habitans dispersés, qui restoient après cette déroute, se joignirent à quelques thessaliens, avec le secours desquels ils entreprirent de rebâtir leur ville sur ses anciens débris, & de ses démolitions ; mais les Crotoniates en prirent ombrage, & les en chasserent au bout de cinq ans. Ainsi fut détruite & sans retour, cette ville qui avoit été long-tems le scandale de l'univers par sa mollesse. Voyez-en pour preuve le mot SYBARITES.

Cependant peu de tems après, une nouvelle colonie grecque fonda sous la conduite de Lampon & de Xénocrite, à quelque distance de l'ancienne Sybaris, la ville de Thurium. Voyez THURIUM, n °. 1. c'est un article curieux.

2°. Sybaris, fleuve d'Italie dans la Lucanie.

3°. Sybaris. Ceux qui sont versés dans les antiquités de l'Italie, dit Pausanias, l. VI. c. xix. veulent que la ville de Lupia, qui est entre Brindes & Hydrunte, ait été appellée autrefois Sybaris. Cette ville, ajoute-t-il, a un port fait de main d'homme par ordre & sous l'empire d'Hadrien.

4°. Sybaris, fontaine du Péloponnèse dans l'Achaïe propre, près de la ville de Bura. Strabon, l. VIII. p. 386. dit qu'on prétendoit que cette fontaine avoit occasionné le nom du fleuve Sybaris, en Italie.

5°. Sybaris, ville de la Colchide, selon Diodore de Sicile, l. IV. qui en fait la résidence du roi du pays. Il ajoute que le temple de Mars où étoit gardée la toison d'or, ne se trouvoit qu'à soixante & dix stades de cette ville. (D.J.)


SYBARITES(Hist.) peuples de Sybaris, ville de la Lucanie : les terribles échecs qu'ils éprouverent de la part des Crotoniates, ne changerent rien à leur luxe & à leur mollesse. Athénée & Plutarque vous en feront le détail que je supprime ici, persuadé qu'on aimera mieux y trouver le tableau des Sybarites modernes, par le peintre du temple de Gnide.

On ne voit point, dit-il, chez eux de différence entre les voluptés & les besoins ; on bannit tous les arts qui pourroient troubler un sommeil tranquille ; on donne des prix aux dépens du public, à ceux qui peuvent découvrir des voluptés nouvelles ; les citoyens ne se souviennent que des bouffons qui les ont divertis, & ont perdu la mémoire des magistrats qui les ont gouvernés.

On y abuse de la fertilité du terroir, qui y produit une abondance éternelle ; & les faveurs des dieux sur Sybaris, ne servent qu'à encourager le luxe & la mollesse.

Les hommes sont si efféminés, leur parure est si semblable à celle des femmes ; ils composent si bien leur teint ; ils se frisent avec tant d'art ; ils employent tant de tems à se corriger à leur miroir, qu'il semble qu'il n'y ait qu'un sexe dans toute la ville.

Les femmes se livrent, au lieu de se rendre ; chaque jour voit finir les desirs & les espérances de chaque jour ; on ne sait ce que c'est que d'aimer & d'être aimé ; on n'est occupé que de ce qu'on appelle si faussement jouir.

Les faveurs n'y ont que leur réalité propre ; & toutes ces circonstances qui les accompagnent si bien ; tous ces riens qui sont d'un si grand prix, ces engagemens qui paroissent toujours plus grands ; ces petites choses qui valent tant ; tout ce qui prépare un heureux moment ; tant de conquêtes au lieu d'une ; tant de jouissances avant la derniere ; tout cela est inconnu à Sybaris.

Encore si elles avoient la moindre modestie, cette foible image de la vertu pourroit plaire : mais non ; les yeux sont accoutumés à tout voir, & les oreilles à tout entendre.

Bien-loin que la multiplicité des plaisirs donne aux Sybarites plus de délicatesse, ils ne peuvent plus distinguer un sentiment d'un sentiment.

Ils passent leur vie dans une joie purement extérieure ; ils quittent un plaisir qui leur déplaît, pour un plaisir qui leur déplaira encore ; tout ce qu'ils imaginent est un nouveau sujet de dégout.

Leur ame incapable de sentir les plaisirs, semble n'avoir de délicatesse que pour les peines : un citoyen fut fatigué toute une nuit d'une rose qui s'étoit repliée dans son lit, plus doux encore que le sommeil.

La molesse a tellement affoibli leurs corps, qu'ils ne sauroient remuer les moindres fardeaux ; ils peuvent à peine se soutenir sur leurs piés ; les voitures les plus douces les font évanouir ; lorsqu'ils sont dans les festins, l'estomac leur manque à tous les instans.

Ils passent leur vie sur des siéges renversés, sur lesquels ils sont obligés de se reposer tout le jour, sans s'être fatigués ; ils sont brisés, quand ils vont languir ailleurs.

Incapables de porter le poids des armes, timides devant leurs concitoyens, lâches devant les étrangers, il sont des esclaves tout prêts pour le premier maître. (D.J.)


SYBILLEvoyez SIBILLE.


SYBOTA(Géog. anc.) port de l'Epire : Ptolémée, l. III. c. xiv. le marque sur la côte d'Almene, entre l'embouchure du fleuve Thiamis & la ville Torona. (D.J.)


SYCAE(Géog. anc.) nom d'une ville de la Cilicie, & d'une ville de la Thrace, selon Etienne le géographe. (D.J.)


SYCAMINORUMOPPIDUM, (Géog. anc.) Sycaminus & Sycaminon, ville de Phénicie, au pié du mont-Carmel, du côté du midi, sur la mer Méditerranée, vis-à-vis de Ptolémaide, qui n'en est éloignée que de la largeur de son port. C'est la position que lui donne dom Calmet. Il est certain que Sycaminum étoit une ville maritime & peu éloignée de Ptolémaïde, puisque, selon Josephe, ant. l. XIII. c. xx. Ptolémée Latur y fit sa descente avec son armée, lorsqu'il vint pour assiéger Ptolémaïde.

Eusebe, in onomast. ad vocem, , dit que Sycaminos est une bourgade maritime, entre Césarée & Ptolémaïde, près du mont-Carmel, & que de son tems on la nommoit Epha, . Strabon qui l'appelle Sycaminorum urbs, la place entre Ptolémaïde & la tour de Straton : ce qui s'accorde avec la position que lui donne Eusebe.

Dans l'itinéraire d'Antonin elle est aussi marquée entre Ptolémaïde & Césarée, à vingt-quatre milles de la premiere de ces villes, & à vingt milles de la seconde. (D.J.)


SYCAMINOS(Géog. anc.) ou Sycaminon, ancienne ville de la Béotie, appellée aujourd'hui Scamino, ou Sicamino, à 5 lieues de Négrepont. 2°. Sicaminos est encore une ville que Philostrate met aux confins de l'Egypte & de l'Ethiopie. Pline & l'itinéraire d'Antonin appellent cette ville Hiera Sicaminos. (D.J.)


SYCOMANCIES. f. divination qui se faisoit avec des feuilles de figuier, sur lesquelles on écrivoit la question ou proposition sur laquelle on vouloit être éclairci pour l'avenir. Voyez BOTANOMANCIE.

Ce mot vient du grec , figuier & , divination.


SYCOMORES. m. (Hist. nat. Botan. exot.) arbre étranger nommé sycomorus sive ficus aegyptia par J. B. Parkinson, Rauwolf & Ray ; ficus folio mori fructum in calice ferens. C. B. P. Son nom est formé de , figuier, & mûrier, comme qui diroit plante qui tient du figuier & du mûrier ; en effet c'est une espece de figuier qui tient beaucoup du mûrier par ses feuilles, & qui devient un grand arbre fort rameux ; son bois est dur & robuste, noirâtre, jettant un suc laiteux quand on y fait des incisions ; ses feuilles sont semblables à celles du mûrier, mais plus rudes & moins vertes ; son fruit est une espece de figue qui croît attachée à son tronc ; il en porte trois ou quatre fois l'année ; ce fruit differe de la figue commune, premierement, en ce qu'il ne mûrit que rarement, à moins qu'on ne l'entame avec l'ongle, ou avec un couteau ; secondement, en ce qu'il ne contient point de grains ; troisiemement, en ce que son goût est plus doux. On peut cultiver cet arbre dans les pays chauds ; il a été apporté d'Egypte en Europe.

Pline, l. XIII. ch. vij. Théophraste, l. IV. c. ij. & Dioscoride, l. I. remarquent que ces figues ne murissent point qu'on ne les entame avec le couteau. Amos, VII. v. 14, avoit dit la même chose : " je ne suis pas prophete, dit-il, je suis un simple pasteur qui me mêle d'égratigner les sycomores. "

Le goût du fruit du sycomore est à-peu-près le même que celui des figues sauvages. On féconde cet arbre en faisant des fentes dans l'écorce ; il découle continuellement du lait de ces fentes : ce qui fait qu'il s'y forme un petit rameau chargé quelquefois de six ou sept figues. Elles sont creuses, sans grains, & on y trouve une petite matiere jaune, qui est ordinairement une fourmiliere de vers. Ces figues sont douces, désagréables au goût, mais elles humectent & rafraîchissent.

Il croît beaucoup de sycomores en Egypte, surtout aux environs du Caire ; quelques-uns sont si gros, qu'à peine trois hommes les pourroient embrasser. Il y en avoit aussi en Judée, puisque Zachée monta sur un sycomore pour voir passer Jesus-Christ, la petitesse de sa taille l'empêchant de le découvrir autrement dans la foule ; le mot schikamah traduit par mûrier, pseaume 77, v. 52, veut dire un sycomore.

L'arbre qu'on appelle à Paris fort improprement sycomore, n'est autre chose que le grand érable, acer majus ; la beauté de son bois le fait rechercher par les Menuisiers & les Ebénistes. Le véritable sycomore ne vient point en France. (D.J.)


SYCOPHANTES. m. (Littér. grecq.) , c'est-à-dire, calomniateur ; mais ce mot dans sa premiere origine, & pris à la lettre, signifie un délateur, un dénonciateur de ceux qui transportent des figues hors de l'Attique, , figue, & , j'indique, je montre, je mets en lumiere. Les Athéniens étoient grands mangeurs de figues, & les aimoient passionnément ; ils firent une loi pour défendre qu'on en transportât hors de l'Attique ; cette loi fut une occasion aux gens du menu peuple de s'entr'accuser, & de se dénoncer les uns les autres ; mais comme assez souvent ces sortes de dénonciations étoient de pures calomnies, on se servit du mot de sycophante, pour dire un calomniateur. (D.J.)


SYCOSES. f. (Gram. Chirurgie) tumeurs à l'anus qui ne differe du thyme que par sa grosseur, voyez THYME ; en grec, ; & en latin marisca. Celse en distingue de deux sortes : la dure & ronde, l'humide & inégale.


SYCOTA(Littérat.) , de , figue ; c'étoit une espece de mêts fait de carca, dont la douceur, suivant Galien, étoit amie des visceres. (D.J.)


SYCOTE(Mythol.) surnom donné à Bacchus à cause de la nymphe Syca, ou plutôt parce qu'il a le premier planté des figues appellées en grec . (D.J.)


SYCURIUM(Géog. anc.) ville de la Thessalie, dans la Magnésie, & au pié du mont Ossa, selon Tite-Live, l. XLII. c. ljv. (D.J.)


SYDERITESS. f. (Hist. nat.) Henckel dit que les anciens naturalistes ont voulu désigner sous ce nom la pyrite à cause du fer qui est contenu.


SYDEROPOECILUSS. m. (Hist. nat. Litholog.) nom d'une pierre dont il est parlé chez les anciens auteurs, qui ne nous en apprennent rien, sinon qu'elle se trouvoit en Arabie. Son nom semble annoncer qu'elle avoit des taches de couleur de fer ; on croit que c'étoit un granite.


SYDEROPYRITES(Hist. nat.) nom sous lequel quelques auteurs ont voulu désigner la pyrite martiale. Voyez PYRITE.


SYÉNE(Géog. anc.) ville située sur la rive orientale du Nil dans la haute Egypte, au voisinage de l'Ethiopie. Le marbre nommé syénites, & que quelques-uns appellent aussi signites, à cause qu'il est tacheté de points de différentes couleurs, se tiroit des montagnes voisines de cette ville. Comme il est très-dur, les Egyptiens s'en servoient pour éterniser la mémoire des grands hommes dont ils marquoient les actions par des caracteres gravés sur des pyramides de ce marbre. Ils en ornoient leurs tombeaux ; c'est celui que nous appellons granit d'Egypte.

Mais ce n'est pas par son marbre que Syéné intéresse les géographes, c'est par la fixation de la latitude sur laquelle M. de la Nauze a fait des remarques très-curieuses insérées dans les mém. de Littérat. tom. XXVI. in-4°. En voici le précis.

Pline, l. II. c. lxxiij. assure que le jour du solstice à midi, les corps ne font point d'ombre à Syéné, & que pour preuve on y a fait creuser un puits qui dans ce tems-là est tout éclairé. Strabon a dit la même chose, & selon tous les modernes, cette observation démontre que Syéné est justement sous le tropique du cancer, à 23 deg. 30. m. de latit. sept. M. Delisle lui-même a embrassé ce sentiment dans les mém. de l'acad. royale des Sciences, année 1708, pag. 370.

Ainsi presque tous les savans jusqu'à ce jour, ont établi la latitude de Syéné à environ vingt-trois degrés & demi, parce qu'ils sont fondés sur la prétendue immobilité de l'écliptique : l'antiquité, disent-ils, a placé la ville de Syéné au tropique, & le tropique est environ à vingt-trois degrés & demi de l'équateur ; donc la latitude de Syéné est d'environ vingt-trois degrés & demi ; mais tout ce raisonnement porte à faux, à cause de la diminution qui se fait insensiblement de siecle en siecle dans l'obliquité de l'écliptique, diminution qui n'est plus contestée aujourd'hui, surtout depuis que M. Cassini en a donné les preuves dans ses élemens d'Astronomie, & qu'un autre savant académicien (M. l'abbé de la Caille) a trouvé l'obliquité de vingt-trois degrés vingt-huit minutes seize secondes l'année 1752, par des observations faites dans l'île de Bourbon, au voisinage du tropique.

L'obliquité avoit été beaucoup plus considérable dans le siecle d'Eratosthène & de Pythéas, vers l'an 235 avant Jesus-Christ. Eratosthène l'observa d'environ vingt-trois degrés cinquante-une minutes vingt secondes, selon le témoignage de Ptolémée ; & Pythéas fit à Marseille une observation d'où résultoit l'obliquité de vingt-trois degrés quarante-neuf minutes vingt-une secondes vers le même tems. Ce sont deux minutes de différence pour les deux observations des deux mathématiciens contemporains ; desorte qu'en nous arrêtant à l'an 235 avant J. C. & en prenant le milieu des deux observations, nous aurons pour cette année-là l'obliquité de vingt trois degrés cinquante minutes vingt secondes. A ce compte la diminution de l'obliquité depuis l'an 235 avant J. C. jusqu'à l'an 1752 de l'ere chrétienne, aura été de vingt-deux minutes quatre secondes en dix-neuf cent quatre-vingt six ans : ce qui fait une minute en quatre-vingt-dix années ; & l'on trouve en effet assez exactement cette proportion par l'évaluation moyenne des autres observations de l'obliquité faites dans les siecles intermédiaires.

Strabon fit le voyage de Syéné avec Cornélius Gallus, gouverneur de l'Egypte, vers l'an 28 avant J. C. L'obliquité de l'écliptique, selon l'hypothèse que nous avons proposée, étoit cette année-là de 23 degrés 48 minutes 2 secondes ; le zénith de la ville étoit donc alors à 11 minutes 18 secondes en-deçà du centre du soleil solsticial, & à 4 minutes 31 secondes par de-là le limbe septentrional : Syéné, par conséquent recevoit encore la lumiere verticale : aussi Strabon assuroit-il, que le premier canton de l'Egypte qu'on rencontroit, où le soleil ne fit point d'ombre, étoit le canton de Syéné.

Le soleil solsticial n'abandonna le zénith de la ville qu'environ l'an 380 de J. C. ainsi les écrivains antérieurs à cette année 380 & postérieurs à Strabon, ont eu les mêmes raisons, que lui, de reconnoître pour le tems la direction verticale des rayons solaires sur Syéné. Lucain vers l'an 60 de J. C. qu'il écrivoit sa pharsale, supposoit cette direction ; Pline vers l'an 75, disoit qu'il n'y avoit point d'ombre à Syéné le jour du solstice à l'heure de midi. Plutarque vers l'an 90 disoit la même chose, dans un passage pris à contre-sens par Casaubon, comme si l'écrivain grec eût prétendu que de son tems, les gnomons de Syéné n'étoient déjà plus sans ombre, pendant qu'il assure le contraire. Arrien vers l'an 130, parlant des différentes projections des ombres dans l'Inde, citoit en conformité les expériences de Syéné.

Ptolémée vers l'an 140 écrivoit dans le même sens, que le soleil passoit une fois l'an au zénith de Syéné, quand l'astre étoit au tropique. Aristide, contemporain de Ptolémée avoit été sur les lieux : il déclare qu'à Elephantine, ville séparée de Syéné, par le Nil, tout étoit sans ombre à midi, temples, hommes & obélisques. Pausanias vers le même tems disoit aussi, que ni les arbres ni les animaux, ne jettoient aucune ombre à Syéné, quand le soleil entroit dans le signe du cancer. Servius & Ammien Marcellin, qui ont écrit l'un & l'autre vers l'an 380, quand le soleil cessoit de répondre même par son limbe au zénith de la ville, ont tenu l'ancien langage sur la nullité des ombres dans Syéné ; & les écrivains postérieurs, quoique le phénomene eut totalement cessé, n'ont pas laissé de le rapporter, comme un fait toujours subsistant, sans que personne se soit jamais avisé de le vérifier. De-là l'erreur de ceux d'entre les géographes modernes, qui supposant Syéné toujours sous le tropique, & le tropique toujours à environ 23 degrés & demi de l'équateur, ont prétendu corriger la latitude donnée à Syéné, par Eratosthène, & rapprocher de l'équateur cette ville beaucoup plus qu'il ne falloit.

Il y avoit à Syéné un fameux puits, totalement éclairé par les rayons directs du soleil solsticial. Eratosthène & les compagnons de ses voyages avoient apparemment fait creuser ce puits : on ne peut guere se refuser à cette idée, quand on sait qu'Eratosthène choisit, selon Pline, le voisinage de l'Ethiopie pour le principal début de ses opérations géodésiques ; & quand on voit d'un autre côté, par le témoignage du même Pline & par celui de Servius, que de savans mathématiciens voulurent laisser le puits de Syéné pour monument de leurs travaux & de leurs découvertes. Il ne faut donc point imaginer que ces anciens observateurs, ayant trouvé par hasard le puits totalement éclairé dans le tems du solstice, en ayent conclu la position de Syéné sous le tropique proprement dit, & que ce soit ce principe fautif qui ait rendu défectueuse leur mesure de la terre. Eratosthène certainement ne supposoit pas le puits sous le tropique, puisqu'il plaçoit, comme nous l'avons vû, le tropique à 23 degrés 51 minutes, & Syéné à 24 degrés de l'équateur.

D'ailleurs, ceux d'entre les anciens qui avoient quelque habileté, ne pouvoient pas penser que tout ce qui étoit verticalement éclairé par les rayons solaires, fût dès-lors sous le tropique proprement dit, & sous le centre même du soleil ; ils connoissoient, aussi-bien que nous, la grandeur de l'espace où le soleil vertical absorboit les ombres : ils l'évaluoient, selon Cléomede, à 300 stades, qui pris pour des stades de 8 au mille romain, comme ils étoient au tems de Cléomede, font 37 milles & demi romains. Or, comme les milles romains sont de 75 au degré, les 300 stades donnent un demi degré ; & si le diametre du soleil solsticial est un peu plus grand, la différence est si légere, que les 300 stades en nombre rond sont parfaitement excusés. Comment donc prétendre qu'il a suffi aux anciens observateurs de la mesure de la terre, de voir un puits totalement éclairé, pour en placer aussi-tôt le zénith au tropique & prendre de-là leur mesure ?

Après tous les caracteres topographiques & astronomiques qui nous restent dans les anciens écrivains sur la position de Syéné, il ne seroit pas extrêmement difficile d'en découvrir l'emplacement dans la géographie moderne. Plusieurs pensent que la position & la dénomination de Syéné, répondent au lieu nommé présentement Assuana ou Assouan, dans la haute Egypte ; mais le peu qu'ils disent sur ce rapport, mériteroit une plus ample vérification. Si donc les voyageurs bien instruits vouloient s'en assurer, ils n'auroient pas lieu vraisemblablement de se repentir de leur entreprise, à cause de la nature du sol & de celle de l'air, qui par-tout ailleurs concourant à la destruction des anciens vestiges des villes, semble en favoriser la conservation dans le pays dont nous parlons. Les changemens arrivés au terrein de l'Egypte, ne regardent pas tant les monumens de pierre & de marbre, que les atterrissemens & les alluvions formés par le Nil. Des altérations de cette espece, survenues dans un intervalle de sept cent ans au voisinage de Syéné, firent qu'Aristide n'y vit pas tout-à-fait ce qu'Hérodote y avoit vû. La différence des tems devoit donc empêcher l'orateur de Smyrne de critiquer comme il a fait, le pere de l'histoire, & elle devroit à plus forte raison rendre plus circonspects les voyageurs modernes, qui s'en iroient à la découverte de l'ancienne ville de Syéné.

Ce ne seroient pas les géographes seuls qui profiteroient d'un tel voyage de Syéné ; les physiciens y découvriroient un nouveau climat, dont les singularités ne sauroient manquer d'enrichir l'histoire naturelle ; ceux qui ont le goût des antiquités retrouveroient dans les ruines d'une ville, autrefois florissante, ces restes d'architecture égyptienne, ces obélisques, ces ornemens en tout genre qui étoient encore plus communs dans la haute que dans la basse Egypte ; les savans particulierement, curieux de suivre les traces des Arts & des Sciences dans tous les pays & dans tous les siecles, pourroient dans un endroit qui fut une des principales stations d'Eratosthène, vérifier l'exactitude de ses recherches, & en apprécier le mérite. Enfin, les mathématiciens y feroient des observations au tropique, pour déterminer de plus en plus la figure de la terre ; observations qui paroissent manquer à celles de l'équateur & du cercle polaire, qu'on a faites il y a trente ans avec beaucoup de gloire.

Maurus Terentianus qui florissoit sous les derniers Antonins, avoit été gouverneur de Syéné ; il est auteur d'un petit ouvrage curieux en vers latins, dans lequel il traite de la prononciation des lettres, de la mesure, & de la quantité des vers. (D.J.)


SYENITES(Hist. nat.) nom donné par les anciens à un granite, parce qu'il se trouvoit en Egypte à Syene.


SYFINUS LAPIS(Hist. nat.) pierre d'un gris de cendre & peu dure, qui frottée d'huile & exposée au feu, devenoit très-dure.


SYLLABAIREadject. pris substantivement, (Gram.) c'est ainsi que l'on nomme communément le petit livre qui renferme les premiers élémens de la lecture, en quelque langue que ce soit. Il en est des élémens de l'art de lire comme de tous les autres ; les livres abécédaires ne sont point rares, les bons ne sont pas communs, & les meilleurs ne sont pas sans défauts : c'est que tout livre préparé pour l'instruction, & sur-tout pour celle des enfans, doit être conçu & rédigé par la Philosophie ; non pas cette philosophie sourcilleuse, qui méprise tout ce qui n'est pas surprenant, extraordinaire, sublime, & qui ne croit digne de ses regards que les objets éloignés d'elle & placés peut-être hors de la sphere de sa vûe ; mais par cette philosophie modeste & rare, qui s'occupe simplement des choses dont la connoissance est nécessaire, qui les examine avec discrétion, qui les discute avec profondeur, qui s'y attache par estime, & qui les estime à-proportion de l'utilité dont elles peuvent être.

Il me semble entendre quelques-uns de ces orgueilleux philosophes dont je viens de parler, reprendre avec dédain le ton élevé dont je me sers ici pour annoncer un genre d'ouvrage qui, à leurs yeux, n'étoit peut-être pas même digne d'être indiqué dans l'Encyclopédie. J'avoue que la lecture est la moindre des parties nécessaires à une éducation ; mais au moins c'en est une, & l'on peut même dire qu'elle est fondamentale, puisque c'est la clé de toutes les autres sciences, & la premiere introduction à la Grammaire ; quae nisi oratori futuro fundamenta fideliter jecerit, quidquid superstruxeris, corruet. C'est Quintilien qui en parle ainsi. Inst. I. jv. 1.

Lui-même, dès le premier chapitre de son excellent ouvrage, s'est occupé dans un assez grand détail de ce qui choque ici la fausse délicatesse de nos graves philosophes : & je ne veux leur répondre que par les propres paroles de ce sage rhéteur, qui dès son tems avoit à prévenir de pareilles objections. Quòd si nemo reprehendit patrem qui haec non negligenda in suo filio putet, cur improbetur, si quis ea quae domi suae rectè faceret, in publicum promit ?... An Philippus Macedonum rex Alexandro filio suo prima litterarum elementa tradiab Aristotele summo ejus aetatis philosopho voluisset, aut ille suscepisset hoc officium, si non studiorum INITIA A PERFECTISSIMO QUOQUE TRACTARI, pertinere ad summam credidisset ? On le voit ; ce n'est pas aux plus malhabiles que Quintilien abandonne le soin de montrer les premiers élémens, initia ; il juge que l'homme le plus parfait n'est pas de trop pour cette premiere culture, à perfectissimo quoque tractari ; & il en conclut qu'il ne doit pas avoir honte d'exposer au commencement de son ouvrage ses vûes sur la maniere d'enseigner ces choses : pudeatne me in ipsis statim elementis etiam brevia discendi monstrare compendia. Inst. I. j. 4.

Me voilà donc encore bien plus autorisé que Quintilien même à proposer ainsi mes vûes sur la même matiere : elles deviennent une partie essentielle d'un ouvrage, qui ayant pour objet l'enchaînement de toutes les sciences & de tous les arts, ne peut & ne doit en négliger aucune partie : j'y suis d'ailleurs encouragé par plus d'un exemple dont Quintilien ne pouvoit s'étayer ; & le sien même est le principal de tous.

Quelques-uns de nos syllabaires les mieux faits sont de gros in-douze. Ce sont des livres trop volumineux pour des enfans, qui aiment à changer souvent, & qui croyent avancer d'autant ; si c'est une illusion, il est utile de la leur laisser, parce qu'elle sert à les encourager. Ajoutez à cette premiere observation, que des livres si considérables sont par là même beaucoup trop chers pour leur destination ; la partie la moins aisée des citoyens est la plus nombreuse, & les enfans ont le tems de déchirer plusieurs fois des livres un peu gros, avant que d'arriver à la fin.

Un syllabaire doit donc être d'un volume très-mince, tant pour n'être pas si long-tems nécessaire aux enfans, dont il faut ménager & non pas émousser le goût, que pour être d'une acquisition plus facile pour tous les ordres de citoyens. Il s'en faut beaucoup qu'ils puissent tous fournir à leurs enfans, ces secours ingénieux mais dispendieux, que l'art a inventés pour apprendre à lire avec succès, comme des fiches, des cartes, une boëte typographique, &c. Mais il y en a peu qui ne puissent faire l'acquisition d'un petit livre élémentaire : & s'il est assez bien fait pour être utile aux pauvres citoyens, les riches mêmes feront peut-être bien de ne pas le dédaigner. Il n'est pas bien sûr que le méchanisme de l'enseignement par le bureau typographique, n'accoutume pas les jeunes esprits à une espece de marche artificielle, qu'il n'est ni possible, ni avantageux de leur faire suivre par-tout.

Mais à quoi faut-il réduire un syllabaire, pour lui donner toute l'utilité dont il est susceptible ? A l'exposition juste & méthodique de tous les élémens des mots, & à quelque petit discours suivi qui sera la matiere préparée des premiers essais de lecture.

I. Elémens des mots. La premiere chose qu'il faut faire connoître aux enfans, ce sont les lettres, & les diverses combinaisons de lettres auxquelles l'usage a attaché la représentation des élémens simples de la voix. Je n'irai point grossir cet article d'un détail minutieux qui ne peut pas convenir ici, on trouvera (articles LETTRE, CONSONNE, VOYELLE, DIPHTONGUE), de quoi y suppléer.

Après les lettres doivent venir les diverses combinaisons des consonnes, & l'on feroit bien de partager ces combinaisons en sections, d'après ce qui est dit de leur sociabilité, au mot SYLLABE.

Les syllabes viendront ensuite : 1°. les syllabes physiques, où le son simple est précédé d'une consonne : 2°. celles où il est précédé de deux consonnes : 3°. celles où il est précédé de trois consonnes : 4°. les syllabes dont le son sensible est une diphtongue réelle & auriculaire, soit seule, soit précédée d'une, de deux ou de trois consonnes.

Je ne parlerai point des syllabes artificielles finales, où le son sensible est suivi d'une consonne, parce que je crois qu'il est plus utile & plus vrai de détacher cette consonne finale pour la prononcer à-part avec son schéva ou e muet presque insensible, comme je l'ai montré ailleurs. Voyez SYLLABE.

Je ne dis pas non plus qu'il faut nommer toutes les consonnes avec ce schéva ou e muet, conformément aux vûes de la grammaire générale, adoptées depuis par MM. Dumas & de Launay, & par les maîtres les plus sages. Cette épellation me paroît si vraie, si simple & si utile ; & l'ancienne au contraire, si inconséquente, si embarrassée, & si opposée aux progrès des enfans, que je pense qu'il n'est plus nécessaire d'insister sur cela.

Mais je remarquerai, comme une chose importante, que pour ce qui concerne les syllabes dont j'ai indiqué le détail & les divisions, il n'en faut omettre aucune dans les tables que l'on en dressera : syllabis nullum compendium est, perdiscendae omnes. C'est l'avis de Quintilien. (Inst. I. j. 5.) ; & il veut qu'on y arrête les enfans jusqu'à ce qu'on ait toute la certitude possible qu'ils ne sont plus embarrassés de la distinction d'aucune syllabe. Je suis persuadé qu'ils ne le seront jamais guere, s'ils nomment les consonnes par le schéva ; parce qu'il est aisé de leur faire concevoir, qu'au lieu de schéva, il faut mettre le son qui suit la consonne.

II. Essais de lecture. Quand les enfans seront fermes sur leurs lettres & sur leurs syllabes, il faut leur faire lire quelque chose ; mais cela doit être préparé. Je ne trouve rien de mieux imaginé que l'expédient que j'ai vu employé dans quelques syllabaires. Le discours qui doit servir de matiere aux premieres lectures, est imprimé à droite sur la page recto, sous la forme ordinaire ; & vis-à-vis, à gauche sur le verso, le même discours est imprimé en pareils caracteres, mais avec une séparation & un tiret entre chacune des syllabes de chaque mot. Par exemple :

Dieu tou-ché de la ve-rtu de Jo-se-ph, lui fit trou-ver gra-ce de-vant le gou-verneu-r.

Dieu touché de la vertu de Joseph, lui fit trouver grace devant le gouverneur.

On commence à faire lire l'enfant au verso ; cela est aisé pour lui, il y retrouve dans un autre ordre les mêmes syllabes qu'il a vues auparavant : on l'avertit qu'il faut lire de suite celles qui sont attachées par un tiret ; que les consonnes finales qui sont séparées doivent se prononcer, comme dans gou-ve-rneu-r ; que celles qui ne sont pas séparées sont muettes, comme dans trou-ver, de-vant : il est bientôt au fait, & on peut, après deux essais, lui cacher le verso, & lui faire répéter la même lecture au recto.

Mais quelle matiere offrira-t-on à ses premiers essais ? Il me semble que jusqu'ici on n'a apporté guere de discernement ou d'attention au choix que l'on en a fait. Dans quelques syllabaires, c'est l'oraison dominicale, la salutation angélique, le symbole des apôtres, la confession, les commandemens de Dieu & de l'Eglise, & quelquefois les pseaumes de la pénitence ; choses excellentes en soi, mais déplacées ici : 1°. parce qu'elles ne sont pas de nature à fixer agréablement l'attention des enfans, dont la curiosité n'y trouve aucune idée nouvelle nettement développée & tenant à leur expérience : 2°. parce qu'on a soin dans les familles chrétiennes d'apprendre de bonne heure aux enfans les mêmes choses qu'on leur met ici sous les yeux, ce qui les expose à rendre très-bien l'enchaînement des syllabes & la suite des mots, sans être plus intelligens dans l'art de lire, & à tromper ainsi l'espérance de leurs maîtres, qui en les faisant passer à un autre livre, les trouvent aussi embarrassés & aussi neufs que s'ils n'avoient encore rien vu de pareil.

D'autres syllabaires ne renferment que des choses inutiles, déplacées, ou au-dessus de la portée des enfans : j'ai vu dans l'un des principes de grammaire, & quels principes ! dans un autre, les fables d'Esope réduites chacune à quatre vers françois, quelquefois difficiles à concevoir pour les lecteurs les plus raisonnables, tandis qu'on a bien de la peine à proportionner la prose la plus simple à la foible intelligence des enfans.

Il est constant qu'ils s'occuperont d'autant plus volontiers de leur lecture, qu'ils la trouveront plus à la portée de leur esprit, & qu'ils auront plus de facilité à l'entendre ; que rien n'est moins éloigné de leur intelligence que les faits historiques, parce que ce sont des tableaux où ils se retrouvent eux-mêmes, & dont leur petite expérience les rend déja juges compétens ; mais que cette matiere même doit encore être rapprochée d'eux par la maniere dont on la leur présente ; que le style doit en être concis & clair, les phrases simples & peu recherchées, les périodes courtes & peu compliquées.

L'histoire de Joseph la plus intéressante & la plus instructive de toutes pour les enfans, la plus favorable au développement des premiers germes de vertu qui sont dans leurs coeurs, & la plus propre à mettre dans leurs ames l'idée heureuse & la conviction utile des attentions perpétuelles de la providence sur les hommes, me semble mériter par tous ces titres, la préférence sur toute autre histoire pour paroître la premiere sous les yeux de l'enfance.

Je voudrois qu'elle fût partagée en plusieurs articles, & que chaque phrase fût en alinea. Ces alinea pris un-à-un, deux-à-deux, &c. selon la capacité de chaque enfant, fixeroient naturellement les premieres tâches ; chaque article feroit l'objet d'une répétition totale. Après avoir fait lire à l'enfant un ou deux versets, on lui feroit relire assez pour l'affermir un peu, & on l'exhorteroit à les relire assez en son particulier pour les redire par coeur : ce moyen, en mettant de bonne heure en exercice sa mémoire & l'art de s'en servir, lui procureroit plus promtement l'habitude de lire, par la répétition fréquente de l'acte même. En allant ainsi de tâche en tâche, on ne manqueroit pas de lui faire reprendre la lecture de tout l'article, quand on seroit à la fin, & de lui faire répeter en entier par coeur, avant que d'entamer le suivant. Quand on seroit parvenu à la fin de toute l'histoire, il seroit bon de la reprendre, en faisant alors de chaque article une seule leçon, & enfin de tous les articles une seule répétition, ou du moins deux répétitions partielles, qui deviendroient elles-mêmes la matiere d'une répétition totale, tant pour la lecture que pour la récitation.

Qu'il me soit permis d'analyser ici cette histoire telle que je pense qu'il la faudroit. I. La haine des enfans de Jacob contre leur frere Joseph ; ils le vendent à des marchands qui vont en Egypte, & font croire à leur pere qu'une bête l'a dévoré. II. Joseph chez Putiphar, puis en prison ; il est établi sur tous les autres prisonniers. III. Ses prédictions au grand échanson & au grand pannetier du roi. IV. Il explique les songes du roi. V. Années d'abondance & de stérilité ; premier voyage des enfans de Jacob en Egypte. VI. Second voyage. VII. Joseph reconnu par ses freres. VIII. Etablissement de la maison de Jacob en Egypte.

Après l'histoire de Joseph, imprimée, comme je l'ai dit, sous deux formes différentes mises en parallele ; on pourroit ajouter quelqu'autre chose, seulement sous la forme ordinaire, afin d'accoutumer les enfans à lire sans trouver les syllabes décomposées. Mais il faut que cette attention tourne encore au profit des jeunes lecteurs, & soit relative à leurs besoins les plus pressans. Les notions des sons, des articulations, des voyelles constantes, des variables, soit orales, soit nasales ; des consonnes labiales, linguales, & gutturales, des dentales, des sifflantes, des liquides, des mouillées, des nasales, des foibles & des fortes mises en parallele ; des syllabes physiques, artificielles, usuelles : les noms & les usages des accens, de la cédile, de l'apostrophe, du tiret : les noms des ponctuations, & la mesure des poses qu'elles indiquent : voilà, si je ne me trompe, ce qui doit faire la matiere de cette addition. Ce sont les principes immédiats de l'art de la lecture, qui seront plus intelligibles après les premiers essais, & qui contribueront à la perfection des suivans ; pourvu que le style en soit aussi assujetti aux petites lumieres de l'enfance, & qu'on les fasse lire & apprendre aux jeunes éleves avec les mêmes précautions que l'histoire de Joseph.

Un syllabaire, bien exécuté dans son détail, est un ouvrage d'autant plus digne d'un citoyen vraiment philosophe, que le public même qu'il serviroit lui en tiendroit moins de compte : parce qu'en effet plus habet operis quàm ostentationis. Quintil.


SYLLABES. f. M. Duclos, dans ses remarques sur le ch. iij. de la I. partie de la grammaire générale, distingue la syllabe physique de la syllabe usuelle. " Il faut observer, dit-il, que toutes les fois que plusieurs consonnes de suite se font sentir dans un mot, il y a tant de syllabes réelles (ou physiques), qu'il y a des consonnes qui se font entendre, quoiqu'il n'y ait point de voyelle écrite à la suite de chaque consonne ; la prononciation suppléant, alors un e muet, la syllabe devient réelle pour l'oreille, au lieu que les syllabes d'usage ne se comptent que par le nombre des voyelles qui se font entendre, & qui s'écrivent... Par exemple, le mot armateur est de trois syllabes d'usage, & de cinq réelles, parce qu'il faut suppléer un e muet après chaque r ; on entend nécessairement a-re-ma-teu-re ".

M. Maillet de Boulay, secrétaire pour les belles-lettres de l'académie royale des belles-lettres, sciences & arts de Rouen, dans le compte qu'il rendit à sa compagnie, des remarques de M. Duclos & du supplément de M. l'abbé Fromant, dit, en annonçant le même chapitre dont je viens de parler : " Nous ne pouvons le mieux commencer, qu'en adoptant la définition de l'abbé Girard, cité par M. Fromant. Suivant cette définition, qui est excellente, & qui nous servira de point fixe, la SYLLABE est un son simple ou composé, prononcé avec toutes ses articulations, par une seule impulsion de voix. Examinons sur ce principe le systême adopté par M. Duclos. "

Qu'il me soit permis de faire observer à M. du Boulay, qu'il commence sa critique par une vraie pétition de principe : adopter d'abord la définition de l'abbé Girard, pour examiner d'après elle le systême de M. Duclos, c'est s'étayer d'un préjugé pour en déduire des conséquences qui n'en seront que la répétition sous différentes formes. Ne seroit-on pas aussi-bien fondé à adopter d'abord le systême de M. Duclos pour juger ensuite de la définition de l'abbé Girard ; ou plutôt ne vaut-il pas mieux commencer par examiner la nature des syllabes en soi, & indépendamment de tout préjugé, pour apprécier ensuite le systême de l'un & la définition de l'autre ?

Les élémens de la voix sont de deux sortes, les sons & les articulations. Le son est une simple émission de la voix, dont la forme constitutive dépend de celle du passage que lui prête la bouche. Voyez SON, Gramm. L'articulation est une explosion que reçoit le son, par le mouvement subit & instantané de quelqu'une des parties mobiles de l'organe. Voyez H. Il est donc de l'essence de l'articulation, de précéder le son qu'elle modifie, parce que le son une fois échappé, n'est plus en la disposition de celui qui parle, pour en recevoir quelque modification que ce puisse être : & l'articulation doit précéder immédiatement le son qu'elle modifie, parce qu'il n'est pas possible que l'expression d'un son soit séparée du son, puisque ce n'est au fond rien autre chose que le son même sortant avec tel degré de vîtesse acquis par telle ou telle cause.

Cette double conséquence, suite nécessaire de la nature des élémens de la voix, me semble démontrer sans réplique.

1°. Que toute articulation est réellement suivie d'un son qu'elle modifie, & auquel elle appartient en propre, sans pouvoir appartenir à aucun son précédent ; & par conséquent que toute consonne est ou suivie ou censée suivie d'une voyelle qu'elle modifie, sans aucun rapport à la voyelle précédente : ainsi, les mots or, dur, qui passent pour n'être que d'une syllabe, sont réellement de deux sons, parce que les sons o & u une fois échappés, ne peuvent plus être modifiés par l'articulation r, & qu'il faut supposer ensuite le moins sensible des sons que nous appellons e muet, comme s'il y avoit o-re, du-re.

2°. Que si l'on trouve de-suite deux ou trois articulations dans un même mot, il n'y a que la derniere qui puisse tomber sur la voyelle suivante, parce qu'elle est la seule qui la précede immédiatement ; & les autres ne peuvent être regardées en rigueur que comme des explosions d'autant d'e muets inutiles à écrire, parce qu'il est impossible de ne pas les exprimer, mais aussi réels que toutes les voyelles écrites : ainsi, le mot françois scribe, qui passe dans l'usage ordinaire pour un mot de deux syllabes, a réellement quatre sons, parce que les deux premieres articulations s & k supposent chacune un e muet à leur suite, comme s'il y avoit se-ke-ri-be ; il y a pareillement quatre sons physiques dans le mot sphinx, qui passe pour n'être que d'une syllabe, parce que la lettre finale x est double, qu'elle équivaut à s, k, & que chacune de ces articulations composantes suppose après elle l'e muet, comme s'il y avoit se-phinke-se.

Que ces e muets ne soient supprimés dans l'orthographe, que parce qu'il est impossible de ne pas les faire sentir quoique non écrits, j'en trouve la preuve non-seulement dans la rapidité excessive avec laquelle on les prononce, mais encore dans des faits orthographiques, si je puis parler ainsi. 1°. Nous avons plusieurs mots terminés en ment, dont la terminaison étoit autrefois précédée d'un e muet pur, lequel n'étoit sensible que par l'allongement de la voyelle dont il étoit lui-même précédé, comme ralliement, éternuement, enrouement, &c. aujourd'hui on supprime ces e muets dans l'orthographe, quoiqu'ils produisent toujours l'allongement de la voyelle précédente, & l'on se contente, afin d'éviter l'équivoque, de marquer la voyelle longue d'un accent circonflexe, rallîment, éternûment, enroûment. 2°. Cela n'est pas seulement arrivé après les voyelles, on l'a fait encore entre deux consonnes, & le mot que nous écrivons aujourd'hui soupçon, je le trouve écrit soupeçon avec l'e muet dans le livre de la précellence du langage françois, par H. Estienne, (édit. 1579.) Or il est évident que c'est la même chose pour la prononciation, d'écrire soupeçon ou soupçon, pourvu que l'on passe sur l'e muet écrit, avec autant de rapidité que sur celui que l'organe met naturellement entre p & ç, quoiqu'il n'y soit point écrit.

Cette rapidité, en quelque sorte inappréciable de l'e muet ou scheva, qui suit toujours une consonne qui n'a pas immédiatement après soi une autre voyelle, est précisément ce qui a donné lieu de croire qu'en effet la consonne appartenoit ou à la voyelle précédente, ou à la suivante, quoiqu'elle en soit séparée : c'est ainsi que le mot âcre se divise communément en deux parties, que l'on appelle aussi syllabes, savoir a-cre, & que l'on rapporte également les deux articulations k & r à l'e muet final : au contraire, quoique l'on coupe aussi le mot arme en deux syllabes, qui sont ar-me, on rapporte l'articulation r à la voyelle a qui précede, & l'articulation m à l'e muet qui suit : pareillement on regarde le mot or comme n'ayant qu'une syllabe, parce qu'on rapporte à la voyelle o l'articulation r, faute de voir dans l'écriture & d'entendre sensiblement dans la prononciation, une autre voyelle qui vienne après & que l'articulation puisse modifier.

Il est donc bien établi, par la nature même des élémens de la voix, combinée avec l'usage ordinaire de la parole, qu'il est indispensable de distinguer en effet les syllabes physiques des syllabes artificielles, & de prendre des unes & des autres les idées qu'en donne, sous un autre nom, l'habile secrétaire de l'académie françoise : par-là son systême se trouve justifié & solidement établi, indépendamment de toutes les définitions imaginables.

Celle de l'abbé Girard va même se trouver fausse d'après ce systême, loin de pouvoir servir à le combattre. C'est, dit-il, (vrais princip. tom. I. disc. I. pag. 12.) un son, simple ou composé, prononcé avec toutes ses articulations, par une seule impulsion de voix. Il suppose donc que le même son peut recevoir plusieurs articulations, & il dit positivement, pag. 11, que la voyelle a quelquefois plusieurs consonnes attachées à son service, & qu'elle peut les avoir à sa tête ou à sa suite : c'est précisément ce qui est démontré faux à ceux qui examinent les choses en rigueur ; cela ne peut se dire que des syllabes usuelles tout au plus, & encore ne paroît-il pas trop raisonnable de partager comme on fait les syllabes d'un mot, lorsqu'il renferme deux consonnes de suite entre deux voyelles. Dans le mot armé, par exemple, on attache r à la premiere syllabe, & m à la seconde, & l'on ne fait guere d'exception à cette regle, si ce n'est lorsque la seconde consonne est l'une des deux liquides l ou r, comme dans â-cre, ai-gle.

" Pour moi, dit M. Harduin, secrétaire perpétuel de l'académie d'Arras, rem. div. sur la prononc. pag. 56. je ne vois pas que cette distinction soit appuyée sur une raison valable ; & il me paroîtroit beaucoup plus régulier que le mot armé s'épellât a-rmé.... Il n'y a aucun partage sensible dans la prononciation de rmé ; & au contraire on ne sauroit prononcer ar, sans qu'il y ait un partage assez marqué : l'e féminin qu'on est obligé de suppléer pour prononcer l'r, se fait bien moins sentir & dure bien moins dans rmé que dans ar. En un mot, chaque son sur lequel on s'arrête d'une maniere un peu sensible, me paroît former & terminer une syllabe ; d'où je conclus qu'on fait distinctement trois syllabes en épellant ar-mé, au lieu qu'on n'en fait pas distinctement plus de deux, en épellant a-rmé. Ce qui se pratique dans le chant peut servir à éclaircir ma pensée. Supposons une tenue de plusieurs mesures sur la premiere syllabe du mot charme ; n'est-il pas certain qu'elle se fixe uniquement sur l'a, sans toucher en aucune maniere à l'r, quoique dans les paroles mises en musique, il soit d'usage d'écrire cette r immédiatement après l'a, & qu'elle se trouve ainsi séparée de l'm par un espace considérable ? N'est-il pas évident, nonobstant cette séparation dans l'écriture, que l'assemblage des lettres rme se prononce entierement sous la note qui suit la tenue ?

Une chose semble encore prouver que la premiere consonne est plus liée avec la consonne suivante qu'avec la voyelle précédente, à laquelle, par conséquent, on ne devroit pas l'unir dans la composition des syllabes : c'est que cette voyelle & cette premiere consonne n'ont l'une sur l'autre aucune influence directe, tandis que le voisinage des deux consonnes altere quelquefois l'articulation ordinaire de la premiere ou de la seconde. Dans le mot obtus, quoiqu'on y prononce foiblement un e féminin après le b, il arrive que le b contraint par la proximité du t, se change indispensablement en p, & on prononce effectivement optus.... Ainsi l'antipathie même qu'il y a entre les consonnes b, t, [parce que l'une est foible & l'autre forte], sert à faire voir que dans obtus elles sont plus unies l'une à l'autre, que la premiere ne l'est avec l'o qui la précede.

J'ajoute que la méthode commune me fournit elle-même des armes qui favorisent mon opinion. Car 1°. j'ai déjà fait remarquer que, selon cette méthode, on épelle â-cre & E-glé : on pense donc du moins qu'il y a des cas où deux consonnes placées entre deux voyelles, la premiere a une liaison plus étroite avec la seconde, qu'avec la voyelle dont elle est précédée. 2°. La même méthode enseigne assurément que les lettres s t appartiennent à une même syllabe dans style, statue : pourquoi en seroit-il autrement dans vaste, poste, mystere ? [On peut tirer la même conséquence de pseaume, pour rapsodie ; de spécieux, pour aspect, respect, &c. de strophe, pour astronomie ; de Ptolémée, pour aptitude, optatif, &c. C'est le systême même de P. R. dont il va être parlé.] 3°. Voici quelque chose de plus fort. Qu'on examine la maniere dont s'épelle le mot axe, on conviendra que l'x tout entier est de la seconde syllabe, quoiqu'il tienne lieu des deux consonnes c, s, & qu'il représente conséquemment deux articulations. Or si ces deux articulations font partie d'une même syllabe dans le mot axe, qu'on pourroit écrire ac se, elles ne sont pas moins unies dans accès, qu'on pourroit écrire acsès : & dès qu'on avoue que l'a seul fait une syllabe dans accès, ne doit-on pas reconnoître qu'il en est de même dans armé & dans tous les cas semblables ?

Dom Lancelot, dans sa méthode pour apprendre la langue latine, connue sous le nom de Port Royal, (traité des lettres, ch. xiv. §. iij.) établit, sur la composition des syllabes, un systême fort singulier, qui, tout différent qu'il est du mien, peut néanmoins contribuer à le faire valoir. Les consonnes, dit-il, qui ne se peuvent joindre ensemble au commencement d'un mot, ne s'y joignent pas au milieu ; mais les consonnes qui se peuvent joindre ensemble au commencement d'un mot, se doivent aussi joindre au milieu ; & Ramus prétend que de faire autrement, c'est commettre un barbarisme. Il est bien sûr que si la jonction de telle & telle consonne est réellement impossible dans une position, elle ne l'est pas moins dans une autre. M. D. Lancelot fait dépendre la possibilité de cette jonction d'un seul point de fait, qui est de savoir s'il en existe des exemples à la tête de quelques mots latins. Ainsi, suivant cet auteur, pastor doit s'épeller pa-stor, parce qu'il y a des mots latins qui commencent par st ; tels que stare, stimulus : au contraire arduus doit s'épeller ar-duus, parce qu'il n'y aucun mot latin qui commence par rd. La regle seroit embarrassante, puisqu'on ne pourroit la pratiquer sûrement, à moins que de connoître & d'avoir présens à l'esprit tous les mots de la langue qu'on voudroit épeller. Mais d'ailleurs s'il n'y a point eu chez les Latins de mot commençant par rd, est-ce donc une preuve qu'il ne pût y en avoir ? Un mot construit de la sorte seroit-il plus étrange que bdellium, Tmolus, Ctesiphon, Ptolomaeus ? "

A ces excellentes remarques de M. Harduin, j'en ajouterai une, dont il me présente lui-même le germe. C'est que pour établir la possibilité de joindre ensemble plusieurs consonnes dans une même syllabe, il ne suffiroit pas de consulter les usages particuliers d'une seule langue, il faudroit consulter tous les usages de toutes les langues anciennes & modernes ; & cela même seroit encore insuffisant pour établir une conclusion universelle, qui ne peut jamais être fondée solidement que sur les principes naturels. Or il n'y a que le méchanisme de la parole qui puisse nous faire connoître d'une maniere sûre les principes de sociabilité ou d'incompatibilité des articulations, & c'est conséquemment le seul moyen qui puisse les établir. Voici, je crois, ce qui en est.

1°. Les quatre consonnes constantes m, n, l, r, peuvent précéder ou suivre toute consonne variable, foible ou forte, v, f, b, p, d, t, g, q, z, s, j, ch.

2°. Ces quatre consonnes constantes peuvent également s'associer entr'elles, mn, nm, ml, lm, mr, rm, nl, ln, nr, rn, lr, rl.

3°. Toutes les consonnes variables foibles peuvent se joindre ensemble, & toutes les fortes sont également sociables entr'elles.

Ces trois regles de la sociabilité des consonnes sont fondées principalement sur la compatibilité naturelle des mouvemens organiques, qui ont à se succéder pour produire les articulations qu'elles représentent : mais il y a peut-être peu de ces combinaisons que notre maniere de prononcer l'e muet écrit ne puisse servir à justifier. Par exemple, dg se fait entendre distinctement dans notre maniere de prononcer rapidement, en cas de guerre, comme s'il y avoit en-ca-dguer-re ; nous marquons jv dans les cheveux, que nous prononçons comme s'il y avoit léjveu, &c. c'est ici le cas où l'oreille doit dissiper les préjugés qui peuvent entrer par les yeux, & éclairer l'esprit sur les véritables procédés de la nature.

4°. Les consonnes variables foibles sont incompatibles avec les fortes. Ceci doit s'entendre de la prononciation, & non pas de l'écriture qui devroit toujours être à la vérité, mais qui n'est pas toujours une image fidele de la prononciation. Ainsi nous écrivons véritablement obtus, où l'on voit de suite les consonnes b, t, dont la premiere est foible & la seconde forte ; mais, comme on l'a remarqué ci-dessus, nous prononçons optus, en fortifiant la premiere à cause de la seconde. Cette pratique est commune à toutes les langues, parce que c'est une suite nécessaire du méchanisme de la parole.

Il paroît donc démontré que l'on se trompe en effet dans l'épellation ordinaire, lorsque de deux consonnes placées entre deux voyelles on rapporte la premiere à la voyelle précédente, & la seconde à la voyelle suivante. Si, pour se conformer à la formation usuelle des syllabes, on veut ne point imaginer de schéva entre les deux consonnes, & regarder les deux articulations comme deux causes qui concourent à l'explosion du même son ; il faut les rapporter toutes deux à la voyelle suivante, par la raison qu'on a déjà alléguée pour une seule articulation, qu'il n'est plus tems de modifier l'explosion d'un son quand il est déjà échappé.

Quant à ce qui concerne les consonnes finales, qui ne sont suivies dans l'écriture d'aucune voyelle, ni dans la prononciation d'aucun autre son que de celui de l'e muet presque insensible, l'usage de les rapporter à la voyelle précédente est absolument en contradiction avec la nature des choses, & il semble que les Chinois en ayent apperçu & évité de propos délibéré l'inconvénient ; dans leur langue, tous les mots sont mono-syllabes, ils commencent tous par une consonne, jamais par une voyelle, & ne finissent jamais par une consonne. Ils parlent d'après la nature, & l'art ne l'a ni enrichie, ni défigurée. Osons les imiter, du-moins dans notre maniere d'épeller ; & de même qu'il est prouvé qu'il faut épeller charme par cha-rme, accès par a-ccès, circonspection par circon-spe-cti-on, séparons de même la consonne finale de la voyelle antécédente, & prononçons à la suite le schéva presque insensible pour rendre sensible la consonne elle-même : ainsi acteur s'épellera a-cteu-r, Jacob sera Ja-co-b, cheval sera che-va-l, &c.

On sent bien que cette maniere d'épeller doit avoir beaucoup plus de vérité que la maniere ordinaire, qu'elle est plus simple & par conséquent plus facile pour les enfans à qui on apprend à lire. Il n'y auroit à craindre pour eux que le danger de rendre trop sensible le schéva des consonnes, qui ne sont suivies d'aucune voyelle écrite ; mais outre la précaution de ne pas imprimer le schéva propre à la consonne finale, un maître intelligent saura bien les prévenir là-dessus, & les amener à la prononciation ferme & usuelle de chaque mot : ce sera même une occasion favorable de leur faire remarquer qu'il est d'usage de regarder la consonne finale comme faisant syllabe avec la voyelle précédente, mais que ce n'est qu'une syllabe artificielle, & non une syllabe physique.

Qu'est-ce donc qu'une SYLLABE physique ? C'est un son sensible prononcé naturellement en un seul coup de voix. Telles sont les deux syllabes du mot a-mi : chacune d'elles est un son a, i : chacun de ces sons est sensible, puisque l'oreille les distingue sans les confondre : chacun de ces sons est prononcé naturellement, puisque l'un est une simple émission spontanée de la voix, & que l'autre est une émission accélérée par une articulation qui le précede, comme la cause précede naturellement l'effet ; enfin chacun de ces sons est prononcé en un seul coup de voix, & c'est le principal caractere des syllabes.

Qu'est-ce qu'une SYLLABE artificielle ? C'est un son sensible prononcé artificiellement avec d'autres sons insensibles en un seul coup de voix. Telles sont les deux syllabes du mot trom-peur : il y a dans chacune de ces syllabes un son sensible, om dans la premiere, eu dans la seconde, tous deux distingués par l'organe qui les prononce, & par celui qui les entend : chacun de ces sons est prononcé avec un schéva insensible ; om, avec le schéva que suppose la premiere consonne t, laquelle consonne ne tombe pas immédiatement sur om, comme la seconde consonne r ; eu, avec le schéva que suppose la consonne finale r, laquelle ne peut naturellement modifier eu comme la consonne p qui précede : chacun de ces sons sensibles est prononcé artificiellement avec son schéva en un seul coup de voix ; puisque la prononciation naturelle donneroit à chaque schéva un coup de voix distinct, si l'art ne la précipitoit pour rendre le schéva insensible ; d'où il résulteroit que le mot trompeur, au-lieu des deux syllabes artificielles trom-peur auroit les quatre syllabes physiques te-rom-peu-re.

Il y a dans toutes les langues des mots qui ont des syllabes physiques & des syllabes artificielles : ami a deux syllabes physiques ; trompeur a deux syllabes artificielles ; amour a une syllabe physique & une artificielle. Ces deux sortes de syllabes sont donc également usuelles ; & c'est pour cela que j'ai cru ne devoir point, comme M. Duclos, opposer l'usage à la nature, pour fixer la distinction des deux especes que je viens de définir : il m'a semblé que l'opposition de la nature & de l'art étoit plus réelle & moins équivoque, & qu'une syllabe usuelle pouvoit être ou physique ou artificielle ; la syllabe usuelle, c'est le genre, la physique & l'artificielle en sont les especes.

Qu'est-ce donc enfin qu'une SYLLABE usuelle, ou simplement une syllabe ? C'est, en supprimant des définitions précédentes les caracteres distinctifs des especes, un son sensible prononcé en un seul coup de voix.

Il me semble que l'usage universel de toutes les langues nous porte à ne reconnoître en effet pour syllabes, que les sons sensibles prononcés en un seul coup de voix : la meilleure preuve que l'on puisse donner, que c'est ainsi que toutes les nations l'ont entendu, & que par conséquent nous devons l'entendre ; ce sont les syllabes artificielles, où l'on a toujours reconnu l'unité syllabique, nonobstant la pluralité des sons réels que l'oreille y apperçoit ; lieu, lien, leur, voilà trois syllabes avouées telles dans tous les tems, quoique l'on entende les deux sans i, eu dans la premiere, les deux sons i, en dans la seconde, & dans la troisieme le son eu avec le schéva que suppose la consonne r ; mais le son prépositif i dans les deux premieres, & le schéva dans la troisieme sont presque insensibles malgré leur réalité, & le tout dans chacune se prononce en un seul coup de voix, d'où dépend l'unité syllabique.

Il n'est donc pas exact de dire, comme M. Duclos, (loc. cit.) que nous avons des vers qui sont à-la-fois de douze syllabes d'usage, & de vingt-cinq à trente syllabes physiques. Toute syllabe physique usitée dans la langue en est aussi une syllabe usuelle, parce qu'elle est un son sensible prononcé en un seul coup de voix ; par conséquent on ne trouvera jamais dans nos vers plus de syllabes physiques que de syllabes usuelles. Mais on peut y trouver plus de sons physiques que de sons sensibles, & de-là même plus de sons que de syllabes ; parce que les syllabes artificielles, dont le nombre est assez grand, renferment nécessairement plusieurs sons physiques ; mais un seul est sensible, & les autres sont insensibles.

On divise communément les syllabes usuelles, ou par rapport au son, ou par rapport à l'articulation.

Par rapport au son, les syllabes usuelles sont ou incomplexes ou complexes.

Une syllabe usuelle incomplexe est un son unique, qui n'est pas le résultat de plusieurs sons élémentaires, quoiqu'il y ait d'ailleurs quelque schéva supposé par quelque articulation : telles sont les premieres syllabes des mots, A-mi, TA-mis, OU-vrir, COU-vrir, EN-ter, PLAN-ter.

Une syllabe usuelle complexe est un son double, qui comprend deux sons élémentaires prononcés distinctement & consécutivement, mais en un seul coup de voix : telles sont les premieres syllabes des mots OI-son, CLOI-son, HUI-lier, TU-lier.

Par rapport à l'articulation, les syllabes usuelles sont ou simples ou composées.

Une syllabe usuelle simple est un son unique ou double, qui n'est modifié par aucune articulation : telles sont les premieres syllabes des mots A-mi, OUvrir, EN-ter, OI-son, HUI-lier.

Une syllabe usuelle composée est un son unique ou double, qui est modifié par une ou plusieurs articulations : telles sont les premieres syllabes des mots TA-mis, COU-vrir, PLAN-ter, CLOI-son, TUIlier.

Pour terminer cet article, il reste à examiner l'origine du nom de syllabe. Il vient du verbe grec , comprehendo ; R. R. , cùm ; & , prehendo, capio : de-là vient le nom , syllabe Priscien & les grammairiens latins qui l'ont suivi, ont tous pris ce mot dans le sens actif : SYLLABA, dit Priscien, est comprehensio litterarum, comme s'il avoit dit, id quod comprehendit litteras. Mais 1°. cette pluralité de lettres n'est nullement essentielle à la nature des syllabes, puisque le mot a-mi a réellement deux syllabes également nécessaires à l'intégrité du mot, quoique la premiere ne soit que d'une lettre. 2°. Il est évidemment de la nature des syllabes, telle que je viens de l'exposer, que le comprehensio des Latins & le des Grecs doivent être pris dans le sens passif, id quod uno vocis impulsu comprehenditur ; ce qui est exactement conforme à la définition de toutes les especes de syllabes, & apparemment aux vues des premiers nomenclateurs. (E. R. M. B.)

SYLLABE, (Versif. franç.) comme le nombre des syllabes fait la mesure des vers françois, il seroit à souhaiter qu'il y eût des regles fixes & certaines pour déterminer le nombre des syllabes de chaque mot ; car il y a deux mots douteux à cet égard, & il y en a même qui ont plus de syllabes en vers qu'en prose ; les noms qui se terminent en ieux, en iel, en ien, en ion, en ier, &c. causent beaucoup d'embarras à ceux qui se piquent d'exactitude : odieux, précieux, sont de trois syllabes, & cependant cieux, lieux, dieux, n'ont qu'une syllabe. De même, fiel, miel, bien, mien, sont monosyllabes, mais dans lien, ancien, magicien, académicien, musicien, la terminaison en ien est de deux syllabes. Dans les mots fier, altier, métier, la rime en ier est d'une seule syllabe, & de deux dans bouclier, ouvrier, meurtrier & fier quand il est verbe. Toutes ces différences demandent une application particuliere pour ne s'y pas tromper, & ne pas faire un sollécisme de quantité. En général il faut consulter l'oreille, qui doit être le principal juge du nombre des syllabes, & pour lors la prononciation la plus douce & la plus naturelle doit être préférée. Mourgues. (D.J.)

SYLLABE, s. f. en Musique, , est, au rapport de Nicomaque, le nom que donnent quelquefois les anciens à la consonnance de la quarte, qu'ils appelloient communément diatessaron. Voyez DIATESSARON.


SYLLABIQUEadj. (Gramm.) qui concerne les syllabes, qui appartient aux syllabes, qui leur est propre. L'unité syllabique, c'est ce qui fait qu'une syllabe est une, ce qui dépend sur-tout de l'unité du coup de voix. Voyez SYLLABE. Le tems ou la valeur syllabique, c'est la proportion de la durée d'une syllabe relativement à celle des autres syllabes d'un même discours. Voyez QUANTITE. L'harmonie, le nombre ou le rythme n'est pas le résultat de la simple combinaison des tems syllabiques des mots ; c'est la proportion de cette combinaison avec la pensée même dont la phrase est l'image.


SYLLABUBS. m. (Pharmacie) espece de boisson composée de vin blanc & de sucre, à quoi l'on ajoute du lait nouveau. On en fait principalement usage pendant des chaleurs de l'été.

Quelquefois on le fait de vin de canarie au-lieu de vin blanc, auquel cas on épargne le sucre, & l'on y met à la place un peu de jus de citron & de noix de muscade.

La meilleure façon est de mêler le vin avec tous les ingrédiens dès la veille, & de n'y joindre le lait ou la crême que le lendemain matin. La proportion est une pinte de vin sur trois pintes de lait.

Mais pour faire du syllabub fouetté, on prend une chopine de vin blanc ou de vin du Rhin, & une pinte de crême avec trois blancs d'oeuf ; on assaisonne le tout avec du sucre, & on le fouette avec des brins de bouleau ; on en ôte l'écume à mesure qu'elle se forme, on la met dans un vaisseau, & après qu'elle s'y est reposée deux ou trois heures, elle est bonne à manger.


SYLLEPSES. f. (Gram.) , comprehensio ; c'est la même étymologie que celle du mot syllabe, voyez SYLLABE ; mais elle doit se prendre ici dans le sens actif, au-lieu que dans syllabe elle a le sens passif : , comprehensio duorum sensuum sub unâ voce ; ou-bien acceptio vocis unius duos simul sensus comprehendentis. C'est tout-à-la-fois la définition du nom & celle de la chose.

La syllepse est donc un trope au moyen duquel le même mot est pris en deux sens différens dans la même phrase, d'une part dans le sens propre, & de l'autre dans un sens figuré. Voici des exemples cités par M. du Marsais. trop. part. II. art. xj. pag. 151.

" Corydon dit que Galatée est pour lui plus douce que le thym du mont Hybla ; Galatea thymo mihi dulcior Hyblae, Virg. ecl. vij. 37. le mot doux est au propre par rapport au thym, & il est au figuré par rapport à l'impression que ce berger dit que Galatée fait sur lui. Virgile fait dire ensuite à un autre berger ; ibid. 41. Ego Sardoïs videar tibi amarior herbis, (quoique je te paroisse plus amer que les herbes de Sardaigne, &c.) Nos bergers disent, plus aigre qu'un citron verd.

Pyrrhus, fils d'Achille, l'un des principaux chefs des Grecs, & qui eut le plus de part à l'embrasement de la ville de Troie, s'exprime en ces termes dans l'une des plus belles pieces de Racine : Andromaq. act. I. sc. jv.

Je souffre tous les maux que j'ai faits devant Troie ;

Vaincu, chargé de fers, de regrets consumé,

Brûlé de plus de feux que je n'en allumai.

brûlé est au propre, par rapport aux feux que Pyrrhus alluma dans la ville de Troie ; & il est au figuré, par rapport à la passion violente que Pyrrhus dit qu'il ressentoit pour Andromaque...

Au reste, cette figure joue trop sur les mots pour ne pas demander bien de la circonspection : il faut éviter les jeux de mots trop affectés & tirés de loin. "

Cette observation de M. du Marsais est très-sage ; mais elle auroit pû devenir plus utile, s'il avoit assigné les cas où la syllepse peut avoir lieu, & qu'il eût fixé l'analyse des phrases sylleptiques. Il me semble que ce trope n'est d'usage que dans les phrases explicitement comparatives, de quelque nature que soit le rapport énoncé par la comparaison, ou d'égalité, ou de supériorité, ou d'infériorité : brûlé d'autant de feux que j'en allumai, ou de plus de feux, ou de moins de feux que je n'en allumai. Dans ce cas, ce n'est pas le cas unique exprimé dans la phrase, qui réunit sur soi les deux sens ; il n'en a qu'un dans le premier terme de la comparaison, & il est censé répété avec le second sens dans l'expression du second terme. Ainsi le verset 70 du ps. 118. Coagulatum est sicut lac cor eorum, est une proposition comparative d'égalité, dans laquelle le mot coagulatum, qui se rapporte à cor eorum, est pris dans un sens métaphorique ; & le sens propre qui se rapporte à lac est nécessairement attaché à un autre mot pareil sous-entendu ; cor eorum coagulatum est sicut lac coagulatur.

Il suit de-là que la syllepse ne peut avoir lieu, que quand le sens figuré que l'on associe au sens propre est autorisé par l'usage dans les occurrences où il n'y a pas de syllepse. C'est ainsi que feux est de mise dans l'exemple de Racine, parce qu'indépendamment de toute comparaison on peut dire par métaphore, les feux de l'amour. J'ajouterai que peut-être seroit-il plus sage de restraindre la syllepse aux seuls cas où le sens figuré ne peut être rendu par un mot propre.

M. du Marsais semble insinuer, que le sens figuré que la syllepse réunit au sens propre, est toujours une métaphore. Il me semble pourtant qu'il y a une vraie syllepse dans la phrase latine, Nerone neronior ipso, & dans ce vers françois, Plus Mars que le Mars de la Thrace ; puisque Nero d'une part & Mars de l'autre sont pris dans deux sens différens : or le sens figuré de ces mots n'est point une métaphore ; c'est une antonomase ; ce sont des noms propres employés pour des noms appellatifs. Je dis que dans ces exemples il y a syllepse, quoique le mot pris à double sens soit exprimé deux fois : c'est que s'il n'est pas répété dans les exemples ordinaires, il est sous-entendu, comme je l'ai remarqué plus haut, & que l'ellipse n'est point nécessaire à la constitution de la syllepse.

Il y a aussi une figure de construction que les Grammairiens appellent syllepse ou synthèse. Mais comme il me semble dangereux pour la clarté de l'enseignement, de donner à un même mot technique des sens différens, je n'adopte, pour nommer la figure dont il s'agit, que le nom synthèse, & c'est sous ce nom que j'en parlerai. Voyez SYNTHESE, Grammaire. (E. R. M. B.)


SYLLEPSIOLOGIES. f. dans l'Economie animale, c'est une partie qui traite de la salive.

Ce mot est composé du grec , salive & , discours.


SYLLOGISMES. m. (Logique) le syllogisme est un raisonnement énoncé suivant les regles de la logique. Pour le construire, on compare deux idées dont on veut connoître le rapport ou la différence à une troisieme idée qui se nomme moyenne. Quand deux idées peuvent être comparées ensemble pour en former immédiatement un jugement affirmatif ou négatif, il n'est pas besoin de recourir au raisonnement ; mais comme cela ne se peut pas toujours, c'est alors qu'on recourt à l'idée moyenne, qui sert de principe de comparaison. Si j'entreprends, par exemple, de prouver que la terre est sphérique, il m'est impossible de comparer immédiatement l'idée de la figure sphérique & celle de la terre ; mais avec le secours d'une idée moyenne, savoir celle de l'ombre de la terre, qui se trouve entre l'ombre d'un corps sphérique, je ferai la comparaison dont il s'agit ; & voici comment j'exprimerai mon argument : tout corps est sphérique, si son ombre tombant directement sur un plan est circulaire, quelle que soit la situation de ce corps ; or nous voyons dans les éclipses de la lune que l'ombre de la terre a cette propriété : donc la terre est un corps sphérique.

Pour que la conclusion soit juste, il faut 1°. que les prémisses qui constituent la matiere de l'argument, soient vraies : ensuite que la conclusion en soit bien déduite, c'est-à-dire, que la comparaison de l'idée moyenne avec les termes de la conclusion démontre leur relation : ce qui fait la forme de l'argument.

Quand une seule idée moyenne suffit pour conduire à la conclusion cherchée, ce raisonnement est simple ; quand il faut plusieurs idées moyennes pour démontrer la relation qu'ont entr'elles deux idées qu'on veut comparer, le raisonnement devient composé, & se forme de l'assemblage de plusieurs raisonnemens simples. Pour avoir une idée distincte des syllogismes, il faut connoître les parties qui les composent.

Dans chaque syllogisme régulier il y a trois termes & trois propositions : trois termes, le grand ou l'attribut, le petit ou le sujet, & le terme moyen : trois propositions, la majeure & la mineure, qui forment les deux prémisses, & la conclusion. L'attribut de la conclusion s'appelle le grand terme ; & la proposition dans laquelle ce terme est comparé avec l'idée moyenne, forme la majeure de l'argument. Le sujet de la conclusion se nomme le petit terme ; & on donne le nom de mineure de l'argument à la proposition dans laquelle ce terme est joint avec l'idée moyenne.

Les regles qui servent à construire un syllogisme, sont de deux sortes : les unes générales qui concernent tous les syllogismes, & les autres particulieres, qui déterminent les figures & les modes. Voyez les figures & les modes où ces regles sont expliquées. Nous nous bornerons à parler ici des regles générales : ces regles sont fondées sur les axiomes qui ont été établis touchant les propositions affirmatives & négatives.

Les propositions considérées par rapport à leur quantité & à leur qualité, se partagent en quatre classes, qu'on désigne par les lettres A, E, I, O.

A, marque une proposition universelle affirmative.

E, une universelle négative.

I, une particuliere affirmative.

O, une particuliere négative.

Voici donc les axiomes qu'on peut regarder comme la base sur laquelle sont appuyées toutes les regles générales des syllogismes.

1°. Les propositions particulieres sont enfermées dans les générales de même nature, I dans A, & O dans E. On pourroit dans la rigueur des termes, contester la vérité de cet axiome. On ne peut pas dire, par exemple, dans toute la précision philosophique, que quelque homme est raisonnable, que quelque cercle est rond, parce qu'en le disant, on semble restraindre la rationalité à certains hommes, & l'exclure des autres, de même qu'on paroît restraindre la rondeur à quelques cercles seulement, avec l'exclusion des autres. Quoi qu'il en soit, il est certain que ce qui convient aux sujets pris dans toute leur universalité, convient aussi à tous les individus ou inférieurs de ces sujets : ce qui suffit par rapport aux regles des syllogismes.

2°. L'universalité ou la particularité d'une proposition dépend de l'universalité ou de la particularité du sujet : donc le sujet d'une proposition universelle est universel, & le sujet d'une proposition particuliere est particulier.

3°. L'attribut est toujours particulier quand la proposition est affirmative, parce que l'affirmation ne regarde jamais qu'une partie de l'attribut. En disant, tout homme vit, je ne parle point de toute sorte de vie.

4°. L'attribut d'une proposition négative est toujours universel, à cause que ce sujet est séparé de l'attribut pris dans toute l'étendue dont il est capable. Un certain homme n'est point blanc ; il s'agit ici de toute sorte de blancheur.

De-là on déduit les conséquences suivantes : toute proposition universelle négative a ses deux termes pris universellement, & cette propriété ne convient qu'à ces sortes de propositions seules.

Toute proposition particuliere affirmative a ses deux termes pris particulierement, & il n'y a que ces sortes de propositions qui ayent cette propriété.

Toute proposition universelle affirmative ou particuliere négative n'a qu'un terme universel.

Une proposition affirmative qui a un terme universel, est universelle.

Une proposition négative qui n'a qu'un terme universel, est particuliere.

De ces axiomes nous déduisons des regles, par le secours desquelles nous déterminons si la conclusion du syllogisme est légitimement tirée des prémisses ; & ces mêmes regles nous enseignent ce qu'il faut observer dans la construction du syllogisme ; les voici :

1°. Dans tout syllogisme il y a trois termes, & il n'y en peut avoir que trois, chacun desquels est employé deux fois, & pas davantage, de maniere que nous ayons pourtant six termes en trois propositions.

2°. Le moyen terme doit être pris, au moins une fois, universellement ; car s'il se prend particulierement dans la majeure & dans la mineure, il pourra arriver que dans ces deux propositions, ce qu'on prend pour le terme moyen, exprimera des idées différentes, & alors il n'y aura point d'idée moyenne. Ainsi dans cet argument, quelque homme est saint : quelque homme est voleur : donc quelque voleur est saint, le mot d'homme étant pris pour diverses parties des hommes, ne peut unir voleur avec saint, parce que ce n'est pas le même homme qui est saint & qui est voleur. Pour déterminer donc si un argument est en forme, il faut examiner d'abord s'il n'a pas quatre termes, c'est-à-dire, si les termes majeur & mineur ont le même sens dans les prémisses que dans la conclusion, & si c'est la même idée qu'on employe dans chaque prémisse, comme idée moyenne.

3°. Les termes de la conclusion ne doivent pas y avoir plus d'étendue que dans les prémisses. La raison est qu'on ne peut rien conclure du particulier au général ; car de ce que quelque homme est estimable, on n'en doit pas conclure que tous les hommes le soient.

De-là on déduit les conséquences suivantes : 1°. il doit toujours y avoir dans les prémisses un terme universel de plus que dans la conclusion ; car tout terme qui est général dans la conclusion, le doit être aussi dans les prémisses ; d'ailleurs le moyen terme doit être pris du moins une fois universellement ; 2°. lorsque la conclusion est négative, il faut nécessairement que le grand terme soit pris généralement dans la majeure ; car comme il est l'attribut de la conclusion, & que tout attribut de conclusion négative est toujours universel, s'il n'avoit pas la même étendue dans la majeure, il s'ensuivroit qu'il seroit pris plus universellement dans la conclusion que dans les prémisses : ce qui est contraire à la troisieme regle ; 3°. la majeure d'un argument dont la conclusion est négative, ne peut jamais être une particuliere affirmative ; car le sujet & l'attribut d'une proposition affirmative sont tous deux pris particulierement, comme nous l'avons vu, & ainsi le grand terme n'y seroit pris que particulierement ; 4°. le petit terme est toujours dans la conclusion, comme dans les prémisses ; la raison en est bien claire ; car quand le petit terme de la conclusion est universel dans la mineure, tout ce qui en est prouvé, ne doit pas plutôt être rapporté à une de ses parties qu'à l'autre ; d'où il s'ensuit qu'étant le sujet de la conclusion auquel se rapporte l'affirmation ou la négation, il sera aussi universel dans la conclusion, & communiquera à celle-ci son universalité.

4°. On ne peut rien conclure de deux propositions négatives. Le moyen est séparé dans les prémisses, du grand & du petit terme ; or de ce que deux choses sont séparées de la même chose, il ne s'ensuit ni qu'elles soient, ni qu'elles ne soient pas la même chose. De ce que les Espagnols ne sont pas turcs, & de ce que les Turcs ne sont pas chrétiens, il ne s'ensuit pas que les Espagnols ne soient pas chrétiens, non plus que les Chinois le soient, quoiqu'ils ne soient pas plus turcs que les Espagnols.

5°. On ne sauroit déduire une conclusion négative de deux propositions affirmatives. Comment deux termes pourroient-ils être séparés, parce qu'ils sont unis l'un & l'autre avec un même moyen ?

6°. La conclusion suit toujours la plus foible partie. La partie la plus foible, dans la qualité est la négation, & dans la quantité, c'est la particularité ; desorte que le sens de cette regle est, que s'il y a une des deux propositions qui soit négative, la conclusion doit l'être aussi, comme elle doit être particuliere, si une des deux prémisses l'est. Le moyen, s'il est séparé d'un des deux termes, ne sauroit jamais démontrer que la conclusion est affirmative, c'est-à-dire, que les termes de cette conclusion sont joints ensemble ; c'est pourquoi une pareille conclusion ne sauroit subsister avec une des prémisses qui seroit négative.

Nous prouvons aussi que la conclusion est particuliere, si l'une des prémisses est telle. Les prémisses sont toutes deux affirmatives, ou l'une d'elles est négative ; dans le premier cas, comme une des prémisses est particuliere, nous aurons au-moins trois termes particuliers parmi les quatre termes des prémisses, savoir le sujet & l'attribut de la proposition particuliere, & le prédicat de l'universelle, & il n'y aura au plus qu'un de ces termes, savoir le sujet de l'universelle, qui sera universel ; mais le moyen est pris au-moins une fois universellement : donc les deux termes de la conclusion seront pris particulierement ; ce qui la rend elle-même particuliere.

Dans le second cas, à cause d'une proposition particuliere, il n'y a dans les prémisses que deux termes pris universellement, savoir le sujet de la proposition universelle & l'attribut de la négative ; mais le moyen est pris une fois universellement : donc il n'y a qu'un seul terme universel dans la conclusion, laquelle est négative, & par cela même particuliere, comme nous l'avons démontré ci-dessus.

7°. De deux propositions particulieres il ne s'ensuit rien ; si elles sont l'une & l'autre affirmatives, tous les termes seront particuliers, & le moyen ne sera pas pris universellement une seule fois : donc la conclusion ne sauroit être juste. Si les deux prémisses sont négatives, on n'en peut aussi rien conclure ; mais si l'une est négative & l'autre affirmative, elles n'ont qu'un seul terme universel, mais ce terme est le terme moyen, & les deux termes de la conclusion sont particuliers : ce qui ne sauroit être, à cause que la conclusion est négative.

Les syllogismes sont ou simples ou conjonctifs.

Les simples sont ceux où le moyen n'est joint à la fois qu'à un des termes de la conclusion ; les conjonctifs sont ceux où il est joint à tous les deux.

Les syllogismes simples sont encore de deux sortes : les uns, où chaque terme est joint tout entier avec le moyen, savoir avec l'attribut tout entier dans la majeure, & avec le sujet tout entier dans la mineure : les autres où la conclusion étant complexe, c'est-à-dire, composée des termes complexes, on ne prend qu'une partie du sujet ou une partie de l'attribut pour joindre avec le moyen dans l'une des propositions, & on prend tout le reste qui n'est plus qu'un seul terme, pour joindre avec le moyen dans l'autre proposition, comme dans cet argument :

La loi divine oblige d'honorer les rois :

Louis XV. est roi :

Donc la loi divine oblige d'honorer Louis XV.

Nous appellerons les premiers des syllogismes incomplexes, & les autres des syllogismes complexes, non que tous ceux où il y a des propositions complexes, soient de ce dernier genre, mais parce qu'il n'y en a point de ce dernier genre, où il n'y ait des propositions complexes.

Il n'y a point de difficulté sur les syllogismes incomplexes ; pour en connoître la bonté ou le défaut, il n'est question que de les plier aux regles générales que nous venons de rapporter. Mais il n'en est pas tout-à-fait de même des syllogismes complexes ; ce qui les rend obscurs & embarrassans, c'est que les termes de la conclusion qui sont complexes, ne sont pas pris tout entiers dans chacune des prémisses, pour être joints avec le moyen, mais seulement une partie de l'un des termes, comme en cet exemple :

Le soleil est une chose insensible :

Les Perses adoroient le soleil :

Donc les Perses adoroient une chose insensible.

où l'on voit que la conclusion ayant pour attribut, adoroient une chose insensible, on n'en met qu'une partie dans la majeure, savoir une chose insensible, & adoroient dans la mineure.

On peut réduire ces sortes de syllogismes aux syllogismes incomplexes, pour en juger par les mêmes regles. Prenons pour exemple ce syllogisme que nous avons déja cité.

La loi divine commande d'honorer les rois :

Louis XV. est roi :

Donc la loi divine commande d'honorer Louis XV.

Le terme de roi, qui est le moyen dans le syllogisme, n'est point attribut dans cette proposition : la loi divine commande d'honorer les rois, quoiqu'il soit joint à l'attribut commande, ce qui est bien différent ; car ce qui est véritablement attribut, est affirmé & convient : or roi n'est point affirmé, & ne convient point à la loi de Dieu. Si l'on demande ce qu'il est donc, il est facile de répondre, qu'il est sujet d'une autre proposition enveloppée dans celle-là. Car quand je dis que la loi divine commande d'honorer les rois, comme j'attribue à la loi de commander, j'attribue aussi l'honneur aux rois. Car c'est comme si je disois, la loi divine commande que les rois soient honorés. Ainsi ces propositions étant ainsi développées, il est clair que tout l'argument consiste dans ces propositions.

Les rois doivent être honorés.

Louis XV. est roi.

Donc Louis XV. doit être honoré.

Et que cette proposition, la loi divine commande, qui paroissoit la principale, n'est qu'une proposition incidente à cet argument, à laquelle elle sert de preuve.

Il faut observer qu'il y a beaucoup de syllogismes complexes, dont toutes les propositions paroissent négatives, & qui néanmoins sont très-bons ; parce qu'il y en a une qui n'est négative qu'en apparence, comme on le peut voir par cet exemple.

Ce qui n'a point de parties ne peut périr par la dissolution de ses parties :

Notre ame n'a point de parties :

Donc notre ame ne peut périr par la dissolution de ses parties.

Il y a des personnes qui apportent ces sortes de syllogismes pour montrer que l'on ne doit pas prétendre que cet axiome de logique, on ne conclut rien de pures négatives, soit vrai généralement & sans distinction. Mais ils n'ont pas pris garde que dans le sens, la mineure de ce syllogisme & autres semblables, est affirmative, parce que le moyen, qui est le sujet de la majeure, en est l'attribut. Or le sujet de la majeure comprend tous ces mots, ce qui n'a point de parties. Donc, pour que le moyen terme, qui est le prédicat dans la mineure, soit le même que dans la majeure ; il doit être composé des mêmes mots, ce qui n'a point de parties. Ce qui étant, il est manifeste que pour faire de la mineure une proposition, il faut y sous-entendre le verbe est, qui servira à unir le sujet & l'attribut, & qui rendra par conséquent cette proposition affirmative. Il importe peu qu'il y ait une négation dans une proposition complexe. Elle conservera toujours sa qualité d'affirmative, pourvu que la négation ne tombe pas sur le verbe de la proposition principale, mais sur la complexion, soit du sujet, soit du prédicat. Ainsi, le sens de la mineure en question est : notre ame est une chose qui n'a point de parties.

L'auteur de l'art de penser donne une regle plus générale, & par-là plus simple, pour juger tout-d'un-coup de la bonté ou du vice des syllogismes complexes, sans avoir besoin d'aucune réduction. Cette regle est qu'une des deux prémisses contienne la conclusion, & que l'autre prouve qu'elle y est contenue.

Comme la majeure est presque toujours plus générale, on la regarde d'ordinaire comme la proposition contenante, & la mineure comme applicative. Pour les syllogismes négatifs, comme il n'y a qu'une proposition négative, & que la négation n'est proprement enfermée que dans la négative, il semble qu'on doive toujours prendre la proposition négative pour la contenante, & l'affirmative seulement pour l'applicative.

Il n'est pas difficile de montrer que toutes les regles tendent à faire voir que la conclusion est contenue dans l'une des premieres propositions, & que l'autre le fait voir. Car toutes ces regles se réduisent à deux principales, qui sont le fondement des autres. L'une, que nul terme ne peut être plus général dans la conclusion que dans les prémisses. Or cela dépend visiblement de ce principe général, que les prémisses doivent contenir la conclusion. Ce qui ne pourroit pas être, si le même terme étant dans les prémisses & dans la conclusion, avoit moins d'étendue dans les prémisses que dans la conclusion. Car le moins général ne contient pas le plus général. L'autre regle générale est, que le moyen doit être pris au-moins une fois universellement. Ce qui dépend encore de ce principe, que la conclusion doit être contenue dans les prémisses. Car, supposons que nous ayons à prouver que quelqu'ami de Dieu est pauvre, & que nous nous servions pour cela de cette proposition, quelque saint est pauvre ; je dis qu'on ne verra jamais évidemment que cette proposition contient la conclusion, que par une autre proposition, où le moyen qui est saint soit pris universellement. Car il est visible, qu'afin que cette proposition, quelque saint est pauvre, contienne la conclusion, quelque ami de Dieu est pauvre, il faut que tout saint soit ami de Dieu. Nulle des prémisses ne contiendroit la conclusion, si le moyen étant pris particulierement dans l'une des propositions, il n'étoit pris universellement dans l'autre. Lisez le onzieme chapitre de la troisieme partie de l'art de penser ; & vous y verrez cette regle appliquée à plusieurs syllogismes complexes.

Les syllogismes conjonctifs ne sont pas tous ceux dont les propositions sont conjonctives ou composées ; mais ceux dont la majeure est tellement composée qu'elle enferme toute la conclusion. On peut les réduire à trois genres, les conditionnels, les disjonctifs & les copulatifs.

Les syllogismes conditionnels sont ceux où la majeure est une proportion conditionnelle, qui contient toutes les conclusions, comme

S'il y a un Dieu, il le faut aimer :

Or il y a un Dieu :

Donc il le faut aimer.

La majeure a deux parties ; la premiere s'appelle l'antécédent ; la seconde le conséquent. Ce syllogisme peut être de deux sortes ; parce que de la même majeure on peut former deux conclusions.

La premiere est, quand ayant affirmé le conséquent dans la majeure, on affirme l'antécédent dans la mineure selon cette regle, en posant l'antécédent, on pose le conséquent.

Si la matiere ne peut se mouvoir d'elle-même, il faut que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.

Or la matiere ne peut se mouvoir d'elle même :

Il faut donc que le premier mouvement lui ait été imprimé par Dieu.

La seconde sorte est, quand on ôte le conséquent pour ôter l'antécédent, selon cette regle, ôtant le conséquent, on ôte l'antécédent.

Si quelqu'un des élus périt, Dieu se trompe :

Mais Dieu ne se trompe point :

Donc aucun des élus ne périt.

Les syllogismes disjonctifs sont ceux où la majeure est disjonctive, c'est-à-dire, partagée en deux membres ou plus.

La conclusion est juste quand on observe cette regle ; en niant tous les membres, excepté un seul, ce dernier est affirmé ; ou en affirmant un seul, tous les autres sont niés. Exemple.

Nous sommes au printems, ou en été, ou en automne, ou en hiver :

Mais nous ne sommes ni au printems, ni en automne, ni en été.

Donc nous sommes en hiver.

Cet argument est fautif, quand la division dans la majeure n'est pas complete : car s'il y manquoit une seule partie, la conclusion ne seroit pas juste, comme on le peut voir dans ce syllogisme.

Il faut obéir aux princes en ce qu'ils commandent contre la loi de Dieu, ou se révolter contr'eux :

Or il ne faut pas leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu :

Donc il faut se révolter contr'eux.

ou Or il ne faut pas se révolter contr'eux ;

Donc il faut leur obéir en ce qui est contre la loi de Dieu.

Les syllogismes copulatifs ne sont que d'une sorte, qui est quand on prend une proposition copulative niante, dont ensuite on établit une partie pour ôter l'autre.

Un homme n'est pas tout ensemble serviteur de Dieu, & idolâtre de son argent :

Or l'avare est idolâtre de son argent :

Donc il n'est pas serviteur de Dieu.

Car cette sorte de syllogisme ne conclut point nécessairement, quand on ôte une partie pour mettre l'autre ; comme on peut voir par ce raisonnement tiré de la même proposition.

Un homme n'est pas tout ensemble serviteur de Dieu & idolâtre de l'argent :

Or les prodigues ne sont point idolâtres de l'argent ;

Donc ils sont serviteurs de Dieu.

Un syllogisme parfait ne peut avoir moins de trois propositions : mais cela n'est vrai que quand on conclut absolument, & non quand on ne le fait que conditionnellement ; parce qu'alors la seule proposition conditionnelle peut enfermer une des prémisses outre la conclusion, & même toutes les deux : prenons pour exemple ce syllogisme.

Tout corps qui réfléchit la lumiere de toutes parts est raboteux :

Or la lune réfléchit la lumiere de toutes parts,

Donc la lune est un corps raboteux.

Pour conclure conditionnellement, je n'ai besoin que de deux propositions.

Tout corps qui réfléchit la lumiere de toutes parts est raboteux :

Donc si la lune réfléchit la lumiere de toutes parts, c'est un corps raboteux.

Je puis même renfermer ce raisonnement en une seule proposition ; ainsi,

Si tout corps qui réfléchit la lumiere de toutes parts est raboteux, & que la lune la réfléchisse ainsi ; il faut avouer que ce n'est point un corps poli, mais raboteux.

Toute la différence qu'il y a entre les syllogismes absolus, & ceux dont la condition est enfermée avec l'une des prémisses dans une proposition conditionnelle, est que les premiers ne peuvent être accordés tout entiers, que nous ne demeurions d'accord de ce qu'on nous vouloit persuader : au lieu que dans les derniers, on peut accorder tout, sans que celui qui les fait ait encore rien gagné ; parce qu'il lui reste à prouver, que la condition d'où dépend la conséquence qu'on lui accorde est véritable.

Et ainsi ces argumens ne sont proprement que des préparations à une conclusion absolue : mais ils sont aussi très-propres à cela ; & il faut avouer que ces manieres de raisonner sont très-ordinaires & très-naturelles ; & qu'elles ont cet avantage, qu'étant plus éloignées de l'air de l'école, elles en sont mieux reçues dans le monde.

Le plus grand usage de ces raisonnemens, est d'obliger celui à qui on veut persuader une chose, de reconnoître, 1°. la bonté d'une conséquence qu'il peut accorder, sans s'engager encore à rien, parce qu'on ne lui propose que conditionnellement, & séparée de la vérité matérielle, pour parler ainsi de ce qu'elle contient ; & par-là on le dispose à recevoir plus facilement la conclusion absolue qu'on en tire. Ainsi, une personne m'ayant avoué que nulle matiere ne pense, j'en conclurai, donc si l'ame des bêtes pense, il faut qu'elle soit distincte de la matiere ; & comme il ne pourra pas me nier cette conclusion conditionnelle, j'en pourrai tirer l'une ou l'autre de ces deux conséquences absolues : or l'ame des bêtes pense : donc elle est distincte de la matiere. Ou bien au-contraire : or l'ame des bêtes n'est pas distincte de la matiere ; donc elle ne pense pas.

On voit par-là, qu'il faut quatre propositions, afin que ces sortes de raisonnemens soient achevés, & qu'ils établissent quelque chose absolument. Voyez logique de Port-Royal.

Il se présente ici naturellement une question, savoir, si les regles des syllogismes, qu'on explique avec tant d'appareil dans les écoles, sont aussi nécessaires qu'on le dit ordinairement pour découvrir la vérité. L'opinion de leur inutilité est la plus grande de toutes les hérésies dans l'école ; hors d'elles point de salut. Quiconque erre dans les regles, est un grand homme ; mais quiconque découvre la vérité d'une maniere simple par la connexion des idées claires & distinctes que nous fournit l'entendement, n'est qu'un ignorant. Cependant, si nous examinons avec un peu d'attention les actions de notre esprit, nous découvrirons que nous raisonnons mieux & plus clairement, lorsque nous observons seulement la connexion des preuves, sans réduire nos pensées à une regle ou forme de syllogisme. Nous serions bien malheureux, si cela étoit autrement ; la raison seroit alors le partage de cinq ou six pédans, de qui elle ne fut jamais connue. Je ne crois pas qu'on s'amuse à chercher la vérité par le syllogisme dans le cabinet des princes, où les affaires qu'on y décide, sont d'assez grande conséquence pour qu'on doive y employer tous les moyens nécessaires pour raisonner & conclure le plus justement qu'il est possible : & si le syllogisme étoit le grand instrument de la raison, & le meilleur moyen pour mettre cette faculté en exercice, je ne doute pas que les princes n'eussent exigé que leurs conseillers d'état apprissent à former des syllogismes dans toutes les especes, leur royaume & leur personne même, dépendant des affaires dont on délibere dans leurs conseils. Je serois fort étonné qu'on voulût me prouver que le reverend pere professeur de philosophie du couvent des cordeliers, grand & subtil scotiste, fût aussi excellent ministre que le cardinal de Richelieu, ou Mazarin, qui, à coup sûr, ne formoient pas un syllogisme dans les regles aussi-bien que lui. Henri IV. a été un des plus grands princes qu'il y ait eu. Il avoit autant de prudence, de bon sens & de justesse d'esprit, qu'il avoit de valeur. Je ne pense pourtant pas qu'on le soupçonne jamais d'avoir su de sa vie ce que c'étoit qu'un syllogisme. Nous voyons tous les jours une quantité de gens, dont les raisonnemens sont nets, justes & précis, & qui n'ont pas la moindre connoissance des regles de la logique.

M. Locke dit avoir connu un homme, qui, malgré l'ignorance profonde où il étoit de toutes les regles de syllogisme, appercevoit d'abord la foiblesse & les faux raisonnemens d'un long discours artificieux & plausible, auquel d'autres gens exercés à toutes les finesses de la logique se sont laissés attraper.

" Ces subtilités, dit Seneque en parlant des argumens, ne servent point à éclaircir les difficultés, & ne peuvent fournir aucune véritable décision ; l'esprit s'en sert comme d'un jouet qui l'amuse, mais qui ne lui est d'aucune utilité ; & la bonne & véritable philosophie en reçoit un très-grand dommage. S'il est pardonnable de s'amuser quelquefois à de pareilles fadaises, c'est lorsqu'on a du tems à perdre ; cependant elles sont toujours pernicieuses, car on se laisse aisément séduire à leur clinquant & à leurs fausses & ridicules subtilités ".

Si le syllogisme est nécessaire pour découvrir la vérité, la plus grande partie du monde en est privée. Pour une personne qui a quelque notion des formes syllogistiques, il y en a dix mille qui n'en ont aucune idée. La moitié des peuples de l'Asie & de l'Afrique n'ont jamais oui parler de logique. Il n'y avoit pas un seul homme dans l'Amérique, avant que nous l'eussions découverte, qui sût ce que c'étoit qu'un syllogisme ; il se trouvoit pourtant dans ce continent des gens qui raisonnoient peut-être aussi subtilement que les Logiciens. Nous voyons tous les jours des paysans avoir dans les choses essentielles de la vie, sur lesquelles ils ont réfléchi, plus de bon sens & de justesse que des docteurs de Sorbonne. L'homme seroit bien malheureux, si sans le secours des regles d'Aristote, il ne pouvoit faire usage de sa raison, & que ce présent du ciel lui devînt un don inutile.

Dieu n'a pas été si peu libéral de ses faveurs envers les hommes, que se contentant d'en faire des créatures à deux jambes, il ait laissé à Aristote le soin de les rendre créatures raisonnables ; je veux dire ce petit nombre, qu'il pourroit engager à examiner de telle maniere les fondemens du syllogisme, qu'ils vissent qu'entre plus de 60 manieres dont trois propositions peuvent être rangées, il n'y en a qu'environ quatorze où l'on puisse être assuré que la conclusion est juste, & sur quel fondement la conclusion est certaine dans ce petit nombre de syllogismes & non dans d'autres. Dieu a eu beaucoup plus de bonté pour les hommes. Il leur a donné un esprit capable de raisonner, sans qu'ils ayent besoin d'apprendre les formes des syllogismes. Ce n'est point, dis-je, par les regles du syllogisme que l'esprit humain apprend à raisonner. Il a une faculté naturelle d'appercevoir la convenance ou la disconvenance de ses idées ; il peut les mettre en ordre sans toutes ces répétitions embarrassantes. Je ne dis point ceci pour rabaisser en aucune maniere Aristote, qu'on peut regarder comme un des plus grands hommes de l'antiquité, que peu ont égalé en étendue, en subtilité, en pénétration d'esprit, & qui, en cela même qu'il a inventé ce petit systême des formes de l'argumentation, par où l'on peut faire voir que la conclusion d'un syllogisme est juste & bien fondée, a rendu un grand service aux savans contre ceux qui n'avoient pas honte de nier tout. Il faut convenir que tous les bons raisonnemens peuvent être réduits à ces formes syllogistiques. Mais cependant je crois pouvoir dire que ces formes d'argumentation, ne sont ni le seul ni le meilleur moyen de raisonner ; & il est visible qu'Aristote trouva lui-même que certaines formes étoient concluantes, & que d'autres ne l'étoient pas, non par le moyen des formes mêmes, mais par la voie originale de la connoissance, c'est-à-dire, par la convenance manifeste des idées. Dites à une dame que le vent est sud-ouest, & le tems couvert & tourné à la pluie ; elle comprendra sans peine qu'il n'est pas sûr pour elle de sortir, par un tel jour, légerement vêtue après avoir eu la fievre ; elle voit fort nettement la liaison de toutes ces choses, vent sud-ouest, nuages, pluie, humidité, prendre du froid, rechute, danger de mort, sans les lier ensemble par une chaîne artificielle & embarrassante de divers syllogismes, qui ne servent qu'à retarder l'esprit, qui sans leur secours va plus vîte d'une partie à l'autre.

Au reste, ce n'est pas seulement dans l'usage ordinaire de la société civile, que l'on se passe très-bien du burlesque étalage des syllogismes : c'est encore dans les écrits des savans & dans les matieres les plus dogmatiques. Les mathématiques mêmes & la géométrie en particulier, qui portent avec elles l'évidence de la démonstration, ne s'avisent point de rechercher le secours du syllogisme ; leurs traités n'en sont ni moins solides, ni moins conformes aux regles de la plus exacte logique.

Ainsi à l'égard de la plus essentielle des vérités, je veux dire, l'existence de Dieu, tous les syllogismes du monde ne convaincront pas l'esprit plus efficacement, que cette suite uniforme & simple de propositions.

1°. L'univers a des parties ; 2°. ces parties ont de la subordination ; 3°. cette subordination est établie & conservée par quelque principe d'ordre ; 4°. le principe qui établit & qui conserve l'ordre dans toutes les parties de l'univers, est une intelligence supérieure à tout ; 5°. cette intelligence supérieure est appellée Dieu.

Par cette simple suite ou liaison d'idées, l'esprit apperçoit toute la vérité qu'on pourroit découvrir ; par le plus exact tissu de syllogismes ; & même on ne pourra former de syllogismes sur ces articles, qu'en supposant cette suite d'idées que l'esprit aura déja apperçues. Car un syllogisme ne contribue en rien à montrer ou à fortifier la connexion de deux idées jointes immédiatement ensemble ; il montre seulement par la connexion, qui a été déja découverte entr'elles, comment les extrêmes sont liés l'un à l'autre. Cette connexion d'idées ne se voit que par la faculté perceptive de l'esprit qui les découvre jointes ensemble dans une espece de juxta-position ; & cela, lorsque les deux idées sont jointes ensemble dans une proposition, soit que cette proposition constitue ou non la majeure ou la mineure d'un syllogisme.

C'est dans cette vue que quelques-uns ont ingénieusement défini le syllogisme ; le secret de faire avouer dans la conclusion ce qu'on a déja avoué dans les prémisses.

On voit plus aisément la connexion de ses idées lorsqu'on n'use point du syllogisme, qui ne sert qu'à ralentir la pénétration & la décision de l'entendement. Supposons que le mot animal, soit une idée moyenne, & qu'on l'employe pour montrer la connexion qui se trouve entre homme & vivant, je demande si l'esprit ne voit pas cette liaison aussi promtement & aussi nettement, lorsque l'idée qui lie ces deux termes, est au milieu dans cet argument naturel,

homme.... animal.... vivant....

que dans cet autre plus embarrassé,

animal.... vivant.... homme.... animal ?

Ce qui est la position qu'on donne à ces idées dans un syllogisme, pour faire voir la connexion qui est entre homme & vivant, par l'intervention du mot ANIMAL.

De tout ce que nous avons dit jusqu'ici, il en résulte que les regles des syllogismes ne sont pas, à beaucoup près, si nécessaires que se l'imagine le vulgaire des philosophes, pour découvrir la vérité. S'il falloit attendre à former un raisonnement, qu'on s'appliquât à observer les regles du syllogisme, quand seroit-ce fait ? Il en seroit comme de ceux qui attendroient, pour danser un ballet, qu'ils eussent appris par les regles de la méchanique, la maniere dont il faut remuer la jambe : la vie entiere pourroit s'écouler, sans avoir fait le premier pas du ballet.

Connoître & agir, raisonner ou marcher, sont des puissances qui sont en nous sans que nous nous en mêlions. Ce sont des présens de Dieu. L'expérience, l'exercice & nos réflexions, plutôt que les regles, nous apprennent à raisonner vrai. Combien de gens dans l'étude de la logique, qui ont mis tout leur soin à connoître les secrets & la pratique du syllogisme, ne jugent pas plus sainement que d'autres hommes, des choses les plus ordinaires & les plus importantes de la vie ! Il est donc un autre exercice plus nécessaire pour découvrir la vérité ; & cet exercice est l'attention à la liaison immédiate qu'a une idée avec une autre idée, pour former une proposition juste & un jugement exact : c'est-là ce qu'on peut appeller l'essentiel & la derniere fin de la logique. Sans cette attention, l'exercice même du syllogisme pourroit éloigner de la vérité, dégénérant en sophisme ; au lieu qu'avec cette attention seule, on peut se mettre à couvert de l'illusion des sophismes.

Au reste, dans tout ce que je viens de dire, je n'ai garde de blâmer ceux qui s'aident des regles syllogistiques pour découvrir la vérité. Il y a des yeux qui ont besoin de lunettes pour voir clairement & distinctement les objets ; mais ceux qui s'en servent, ne doivent pas dire pour cela que personne ne peut bien voir sans lunettes. On aura raison de juger de ceux qui en usent ainsi, qu'ils veulent un peu trop rabaisser la nature en faveur d'un art auquel ils sont peut-être redevables. Lorsque la raison est ferme & accoutumée à s'exercer, elle voit plus promtement & plus nettement par sa propre pénétration, que lorsqu'elle est offusquée, retenue & contrainte par les formes syllogistiques. Mais si l'usage de cette espece de lunettes a si fort offusqué la vue d'un logicien, qu'il ne puisse voir sans leur secours, les conséquences ou les inconséquences d'un raisonnement, on auroit tort de le blâmer parce qu'il s'en sert. Chacun connoît mieux qu'aucun autre ce qui convient le mieux à sa vue ; mais qu'il ne conclue pas de-là, que tous ceux qui n'employent pas justement les mêmes secours qu'il trouve lui être nécessaires, sont dans les ténebres ; quoiqu'à dire le vrai il paroisse assez plaisant, que la raison soit attachée à ces mots barbara, celarent, darii, ferio, &c. qui tiennent tant soit peu de la magie, & qui ne sont guere d'un plus grand secours à l'entendement, qu'ils ne sont doux à l'oreille. Il a été sans-doute permis à M. de Gravesande, de vouloir apprendre aux hommes à parler & à penser d'une maniere juste & précise, par un certain arrangement de lettres de l'alphabet. Mais il seroit fort injuste à lui de trouver mauvais qu'on se moquât d'une méthode si extraordinaire. Je pense, dit un critique moderne, que ces préceptes figureroient fort bien dans le Bourgeois Gentilhomme ; il me semble ouïr M. Jourdain, a e e, a o o, o a o, e i o, e a e, e a o. Que cela est beau ! que cela est savant ! La façon d'apprendre aux hommes à raisonner est bien sublime & bien élevée.

Montagne ne se contente pas de mépriser, ainsi que Locke, les regles de l'argumentation ; il prétend que la logique ordinaire ne sert qu'à former des pédans crottés & enfumés. " La plus expresse marque, dit-il, de la sagesse, c'est une jouïssance constante ; son état est comme des choses au-dessus de la lune toujours serein. Ces baroco & baralipton qui rendent leurs suppôts ainsi crottés & enfumés, ce n'est pas elle, ils ne la connoissent que par ouï-dire, comme elle fait état de sereiner les tempêtes de l'ame & d'apprendre à rire la faim & les fievres, non par épicycles imaginaires, mais par raisons naturelles & probables ". Si Montagne avoit vu les a a & les o o du professeur hollandois, sans-doute qu'il en eût dit ce qu'il a dit des baroco & des baralipton.

Enfin pour terminer ce que j'ai à dire sur le syllogisme, je dirai qu'il est principalement d'usage dans les écoles, où l'on n'a pas honte de nier la convenance manifeste des idées, ou bien hors des écoles à l'égard de ceux qui, à l'occasion & à l'exemple de ce que les doctes n'ont pas honte de faire, ont appris aussi à nier sans pudeur la connexion des idées qu'ils ne peuvent s'empêcher de voir eux-mêmes. Pour ceux qui cherchent sincèrement la vérité, ils n'ont aucun besoin de ces formes syllogistiques, pour être forcés à reconnoître la conséquence, dont la vérité & la justesse paroissent bien mieux en mettant les idées dans un ordre simple & naturel. Delà vient que les hommes ne font jamais des syllogismes en eux-mêmes lorsqu'ils cherchent la vérité ; parce qu'avant de pouvoir mettre leurs pensées en forme syllogistique, il faut qu'ils voyent la connexion qui est entre l'idée moyenne & les deux autres idées auxquelles elle est appliquée, pour faire voir leur convenance ; & lorsqu'ils voyent une fois cela, ils voyent si la conséquence est bonne ou mauvaise ; & par conséquent le syllogisme vient trop tard pour l'établir.

On croit, à la vérité, qu'il est à-propos de connoître le secret du syllogisme, pour démêler en quoi consiste le vice des raisonnemens captieux, par lesquels, on voudroit nous embarrasser & nous surprendre, & dont la fausseté se dérobe sous l'éclat brillant d'une figure de rhétorique, & d'une période harmonieuse qui remplit agréablement l'esprit. Mais on se trompe en cela. Si ces sortes de discours vagues & sans liaison, qui ne sont pleins que d'une vaine rhétorique, imposent quelquefois à des gens qui aiment la vérité, c'est que leur imagination étant frappée par quelques métaphores vives & brillantes, ils négligent d'examiner quelles sont les véritables idées d'où dépend la conséquence du discours, ou bien éblouïs de l'éclat de ces figures, ils ont de la peine à découvrir ces idées. Mais pour leur faire voir la foiblesse de ces sortes de raisonnemens, il ne faut que les dépouiller d'un faux éclat, qui impose d'abord à l'esprit, des idées superflues, qui, mêlées & confondues avec celles d'où dépend la conséquence, semblent faire voir une connexion où il n'y en a point ; après quoi il faut placer dans leur ordre naturel ces idées nues, d'où dépend la force de l'argumentation ; & l'esprit venant à les considérer en elles-mêmes dans une telle position, voit bientôt, sans le secours d'aucun syllogisme, quelles connexions elles ont entr'elles. Les meilleurs ouvrages que nous ayons, les plus étendus, les plus clairs, les plus profonds & les mieux raisonnés, ne sont point hérissés de syllogismes, ils ne sont qu'un tissu de propositions ; tant il est vrai que l'art du syllogisme n'est pas le moyen le plus immédiat, le plus simple & le plus commode de découvrir & de démontrer la vérité. Lisez le chap. xj. qui traite de la raison, liv. IV. de l'essai sur l'entendement humain, où l'inutilité du syllogisme est approfondie.


SYLTou SYLOT, (Géog. mod.) petite île du royaume de Danemarck, sur la côte occidentale du duché de Sleswick, au nord de l'île Fora, dont elle est séparée par le Rode-Tift, ou canal rouge. Sylt n'a que 4 milles de longueur, dont la plus grande partie est couverte de collines de sable & de bruyeres. Ses habitans au nombre d'environ quinze cent, partagés en quatre paroisses, vivent de la pêche de la baleine, qu'ils vont faire du côté de l'Islande, de Groënlande & du Spitzberg. Ils parlent la langue des anciens Frisons, & conservent leur ancienne maniere de s'habiller, particulierement les femmes qui portent des robes, qui ne tombent que jusqu'aux genoux. (D.J.)


SYLVEvoyez SILVE.

SYLVE, s. f. (Jeux rom.) en latin sylva, divertissement & jeux publics des Romains, qui consistoient dans une espece de chasse. On construisoit une forêt artificielle dans le cirque avec de grands arbres que l'on faisoit apporter par des soldats & qu'on y replantoit ; on y lâchoit quantité de bêtes que le peuple poursuivoit à la course, & qu'il falloit prendre vives ; c'est pourquoi on n'y lâchoit point de bêtes féroces, comme on faisoit au pancarpe, qui étoit un autre spectacle à-peu-près semblable.

Plusieurs autres prétendent, que c'étoit le même divertissement, connu sous deux différens noms. Telle est l'opinion de Casaubon, de Cujas & de François Pithon ; mais Saumaise dans ses notes sur Jules Capitolin, assure que ces deux spectacles étoient différens, & que les Sylves ne durerent que jusqu'à Constantin, après quoi l'histoire n'en parle plus, tandis qu'elle fait encore quelquefois mention du pancarpe.

Quoi qu'il en soit, au commencement on ne lâchoit que quelques petits animaux dans cette forêt postiche, mais l'empereur Héliogabale y fit mettre des boeufs, des chameaux & des cerfs. La plus fameuse sylve dont parle l'histoire, est celle qui fut donnée par l'empereur Gordien ; il y avoit deux cent cerfs, trente chevaux farouches, cent chevres, dix élans, cent taureaux, trois cent autruches, trente ânes sauvages, cent cinquante sangliers, deux cent chevres sauvages & deux cent daims. (D.J.)


SYMAETHUS(Géog. anc.) un des principaux fleuves de Sicile, qui se jette dans la mer de Catane. Voyez SIMOETHUS. (D.J.)


SYMARES. f. (Habit des dames rom.) en latin syrma, mante à longue queue traînante ; les dames romaines l'attachoient avec une agraffe plus ou moins riche sur l'épaule.

Il faut savoir que les dames par-dessus leur stole, portoient la mante ou la symare dont nous venons de parler. La queue extrêmement traînante de cette symare, se détachoit de tout le reste du corps, depuis les épaules, où elle étoit attachée avec une agraffe, le plus souvent garnie de pierreries, & se soutenoit à une longue distance par son propre poids : la partie supérieure portoit ordinairement sur l'épaule & sur le bras gauche, pour donner plus de liberté au bras droit, que les femmes portoient découvert comme les hommes ; elle formoit par-là en descendant, un grand nombre de plis qui donnoient de la dignité & de la grace à cet habillement.

Quelques-uns ont prétendu que la forme en étoit quarrée, quadrum pallium. Le fond étoit de pourpre, & les ornemens d'or. Isidore s'est plû à l'enrichir de pierreries : affixis in ordinem gemmis distincta. La mode de cette symare s'introduisit sur la scene, & les comédiennes balayoient les théâtres avec leur longue queue.

.... Longo syrmate vertit humum.

(D.J.)


SYMBACCHI(Antiq. d'Athenes) ; c'étoit le nom qu'on donnoit aux deux prêtres, chargés de purifier la ville d'Athènes dans la fête des targélies. (D.J.)


SYMBOLE(Gramm.) signe ou représentation d'une chose morale par les images ou propriétés des choses naturelles. Voyez SIGNE, FIGURE.

Ce mot est formé du grec symbolon, marque, signe, caractere, & du verbe symballein, conférer ou comparer. Dans ce sens-là, nous disons que le lion est le symbole du courage, le pélican celui de l'amour paternel. Les symboles étoient en grande estime parmi les anciens hébreux, & sur-tout parmi les Egyptiens, qui s'en servoient pour couvrir la plûpart de leurs mysteres de morale, & pour représenter nonseulement des choses morales pour des choses naturelles ; mais aussi les naturelles par les morales. Voyez HYEROGLIPHES.

Il y a différentes sortes de symboles, comme types, énigmes, paraboles, fables, allégories, emblêmes, hyérogliphes, que l'on trouvera sous leurs articles particuliers, type, énigme, &c. La plûpart des lettres chinoises ne sont que les symboles significatifs. Voyez LETTRE.

SYMBOLE, (Théologie) dans les auteurs ecclésiastiques & dans les Théologiens, signifie quelquefois la matiere des sacremens, ce qu'il y a de sensible & d'exposé aux yeux. Ainsi dans le baptême, l'eau est le symbole de la purification intérieure. Dans l'Eucharistie, le pain & le vin sont les symboles du corps & du sang de Jesus-Christ, qui sont réellement présens dans ce sacrement. Voyez MATIERE, SACREMENT.

Symbole signifie parmi les Chrétiens, une formule de profession de foi. Nous en connoissons quatre, adoptés par l'Eglise ; savoir, le symbole des Apôtres, celui du concile de Nicée, celui de S. Athanase & celui du concile de Constantinople, de chacun desquels nous traiterons séparément.

Le symbole des Apôtres est une formule de profession de foi, qu'on croit qui nous vient des Apôtres, & qui a été rédigée par eux vers l'an 36 de l'ere vulgaire, avant qu'ils se séparassent pour aller prêcher l'évangile. C'est comme l'abrégé de la doctrine de Jesus-Christ & de l'Eglise chrétienne ; c'étoit comme le signal & la marque à laquelle les Chrétiens se reconnoissoient entr'eux.

Rufin, de symbol. pag. 539. dit qu'il a appris par tradition, que les Apôtres étant prêts à se séparer, s'assemblerent, & conférant ensemble les pensées que chacun d'eux avoit sur les principaux articles de la foi, en composerent le symbole qui en est comme l'abrégé. S. Jerôme, epist. lxj. attribue aussi aux Apôtres le symbole que nous avons sous leur nom. S. Léon dit, qu'il comprend douze articles des douze Apôtres. Enfin, quelques-uns prétendent que chaque apôtre a fait son article, & désignent en particulier l'article que chacun a composé. On cite pour cette opinion un manuscrit grec de la bibliotheque de l'empereur, dans lequel le symbole se trouve ainsi divisé en douze articles, avec les noms des Apôtres que l'on prétend avoir composé chaque article. Le premier y est attribué à S. Pierre, & les autres successivement, à S. André, à S. Jacques le majeur, à S. Jean, &c. Cependant M. Dupin remarque, qu'il y a de fortes raisons pour prouver que ce sentiment n'est pas fondé, qu'on convient que le symbole est des Apôtres, pour le fonds & pour la doctrine, mais non pas pour l'expression. Car, s'il étoit vrai, que les Apôtres eussent fait un symbole, il eût été par-tout le même dans toutes les Eglises & dans tous les siecles, tous les auteurs l'auroient rapporté dans les mêmes termes ; ce qui n'est pas, puisque non-seulement dans le deux & dans le troisieme siecle de l'Eglise, mais encore dans le quatrieme, il y avoit plusieurs symboles, & que ces symboles, quoique les mêmes dans la doctrine, étoient différens pour les termes. Par exemple, le premier article de l'ancien symbole romain étoit : Credo in Deum, patrem omnipotentem ; celui du symbole de l'église d'Orient, credo in unum Deum, patrem omnipotentem, invisibilem & impassibilem ; celui d'Aquilée, credo in unum Deum, patrem omnipotentem ; & l'ancien vulgaire porte, credo in unum Deum, patrem omnipotentem, creatorem coeli & terrae. S. Cyrille de Jérusalem rapporte un symbole particulier en usage dans l'église de Jérusalem. Enfin S. Augustin, S. Jerôme, S. Pierre Chrysologue, &c. remarquent des différences notables quant à l'expression, dans les différens symboles connus sous le nom de symboles des Apôtres.

On n'est pas non-plus d'accord, pourquoi on a donné le nom de symbole à cet abrégé des articles de la foi chrétienne ; quelques-uns disent que c'est parce que le symbole est comme la marque caractéristique du chrétien, faisant allusion à l'ancienne coutume des Grecs chez qui l'on donnoit une marque de gage, , pour se reconnoître entre personnes liées par l'hospitalité. D'autres prétendent que c'est à l'occasion d'une assemblée ou conférence des Apôtres, où chacun d'eux ayant déclaré ce qu'il pensoit sur la foi, on en composa les articles du credo ou symbole, de , confero. Mais ce que nous avons remarqué ci-dessus doit faire juger de la solidité de cette étymologie.

On prétend que S. Cyprien est le premier qui se soit servi du mot de symbole. M. Fleury observe, que jusqu'au tems de S. Grégoire le Grand, on n'avoit pas coutume de réciter le symbole à la messe de l'église de Rome, parce que cette église n'ayant été infectée d'aucune hérésie n'avoit pas besoin de faire profession de sa foi, tom. VIII. liv. XXXVI. de l'hist. ecclésiast.

Au reste, le symbole des Apôtres est consacré par le respect de toute l'antiquité. On le récitoit ordinairement avant le baptême, & en quelques endroits, on le prononçoit publiquement sur le jubé en présence de tout le peuple. Comme on l'avoit reçû des Apôtres sans écriture, on le conservoit de vive voix, & il étoit même défendu de l'écrire, comme le témoignent S. Augustin & S. Cyrille. Il paroît par ce qu'ils en rapportent qu'il étoit plus court que celui que nous récitions. S. Ambroise croit que l'église de Rome l'a conservé long-tems tel qu'elle l'avoit reçu d'abord, sans y rien ajouter. Mais Suicer observe qu'on y a ajouté plusieurs mots en différentes occasions & à mesure qu'il s'élevoit de nouvelles hérésies.

Bingham dans ses antiquités ecclésiastiques, rapporte en entier le symbole qui étoit en usage dans l'église de Jérusalem, & qui est un peu plus étendu pour les termes que le symbole des Apôtres, quoiqu'il soit le même pour la substance. On n'en trouve que le commencement dans la liturgie de S. Jacques, mais S. Cyrille dans ses catéchèses le rapporte dans toute sa teneur, & son autorité en ce point est d'autant moins suspecte, qu'il étoit lui-même évêque de Jérusalem. Au reste, ce symbole est plus ancien que celui de Nicée, puisqu'on n'y trouve point le mot de consubstantiel que les peres de Nicée avoient consacré. Il est aussi plus ancien que celui de Constantinople, puisque de l'aveu de tous les critiques, les catéchèses de S. Cyrille sont antérieurs de quelques années à ce dernier concile.

Le même auteur rapporte aussi un symbole qui étoit en usage dans l'église de Césarée de Palestine, il comprend principalement ce qui regarde les mysteres de la Trinité, de l'Incarnation & de la Rédemption, mais il n'y est fait mention ni de la descente aux enfers, ni de la résurrection des morts, ni de l'église comme dans les autres symboles ; parce qu'il n'y avoit encore eu nulle erreur ou dispute sur tous ces points.

Le symbole de l'église d'Alexandrie étoit encore plus court que celui de Césarée, & cependant il exprimoit nettement les articles de la résurrection des morts & de l'église. On croit que c'est celui qu'Arius & Euzoïus présenterent à Constantin, comme s'il eût contenu la foi de Nicée, mais on n'y trouve pas le mot consubstantiel.

Cassien nous a conservé une partie du symbole qu'on récitoit dans l'église d'Antioche depuis le tems des Apôtres, & auquel on ajouta seulement le mot depuis le concile de Nicée.

Le symbole de l'église Romaine, étoit le symbole même des Apôtres, & celui d'Aquilée n'en différoit que par quelques additions de termes, faites de tems-en-tems à mesure qu'il s'élevoit de nouvelles hérésies ou qu'on les avoit condamnées. Bingham, orig. ecclésiast. tom. IV. liv. X. ch. iv. §. 8. 9. 10. 11. 12. & seq.

Le symbole de Nicée fut publié l'an 325. par ordre du premier concile général de Nicée, tenu sous Constantin, contre l'hérésie des Ariens.

Le symbole attribué à S. Athanase est une confession de foi, fort nette & fort étendue que quelques-uns croient avoir été présentée par ce saint docteur, au pape & au concile de Rome, tenu en 340 pour justifier sa créance. Ils ajoutent qu'on mit cette piece dans les archives avec les actes des conciles, & que long-tems après ayant été retrouvée avec beaucoup d'autres qu'on croyoit perdues, par les révolutions qui avoient agité Rome, on l'inséra dans l'office divin à la fin des matines, comme la plus parfaite expression de la foi de l'Eglise catholique, contre l'hérésie des Ariens ; mais tous les savans conviennent que ce symbole n'est point de S. Athanase.

Le symbole de Constantinople est conforme à celui de Nicée, mais on y ajouta par forme d'explication ce qu'on venoit de définir dans ce concile touchant le S. Esprit, dont Macédonius nioit la divinité. En 477. les peres du concile assemblé en Espagne contre les priscillianistes, ajouterent ces mots à l'article du S. Esprit dans le symbole de Constantinople & du Fils, pour marquer la foi de l'Eglise par ces paroles, qui procede du Pere & du Fils, conformément aux Ecritures ; ce que les églises d'Espagne & de France ont retenu depuis. Dans le troisieme concile de Tolede, tenu en 589 ; on ordonna que dans toutes les églises d'Espagne, le peuple chanteroit pendant la messe le symbole de Constantinople. L'Eglise romaine retint néanmoins durant quelques siecles, l'usage du symbole des Apôtres dans la cérémonie de la messe ; mais enfin, le pape Benoît VIII. ordonna en 1014, qu'on chanteroit dans toute église latine le symbole de Constantinople avec l'addition qui ex Patre filioque procedit, & cet usage subsiste encore aujourd'hui dans toute l'Eglise latine. Dupin, bibliot. des auteurs ecclés. Voss. de trib. symbol. Tenselius, de symbol. Athanas. Suicer, thesaur. eccles. ex patrib. graec. verb. symbolum. Calmet, Dict. de la bibl. tom. III. lettre S au mot symbole, p. 607.

SYMBOLE D'ATHANASE, (Hist. ecclésiast.) les savans conviennent généralement aujourd'hui que le symbole qui porte ce nom, n'est point de ce pere de l'Eglise. Le P. Quesnel avoit conjecturé que ce symbole étoit de Vigile de Tapse, évêque d'Afrique dans le sixieme siecle, qui a publié d'autres ouvrages sous le nom de S. Athanase, & qui se sert souvent des expressions employées dans ce symbole. Long-tems avant le P. Quesnel, M. Pithou avoit soupçonné que ce symbole n'étoit point de Vigile de Tapse, mais d'un théologien françois. Enfin Joseph Anthelmi a publié à Paris, en 1693, une savante dissertation latine sur le symbole d'Athanase : Nova de symbolo Atanasiano disquisitio, dans laquelle il a fait revivre la conjecture de M. Pithou.

Cette dissertation est divisée en quatre parties. Dans la premiere, il ajoute quelques preuves fort singulieres, à celles qui avoient été données jusqu'ici pour montrer que ce symbole n'est pas de S. Athanase, & ne peut même être de lui. Dans la seconde, il fait une exacte recherche du tems auquel ce symbole a été connu & publié depuis sous le nom de S. Athanase, & en remontant depuis le dixieme siecle dans lequel Vossius prétend que cette confession de foi a commencé à paroître, jusqu'aux précédens, il place l'époque de cette piece vers le milieu du cinquieme siecle. Dans la troisieme partie, il examine quel peut être le pays de l'auteur du symbole, & s'il étoit africain ou françois, & refute le systême du P. Quesnel, qui l'attribue à Vigile de Tapse. Les preuves qu'il presse contre lui sont : 1°. que les traités où l'on remarque des formules ou des expressions qui se trouvent dans ce symbole, ne sont point incontestablement de Vigile de Tapse, au sentiment même du P. Chifflet, qui les a donnés sous le nom de Vigile, & qui avoue néanmoins qu'ils ne peuvent passer que pour des ouvrages douteux. M. Anthelmi va plus loin ; il allegue plusieurs raisons pour montrer qu'ils sont d'Idace, & répond aux argumens du P. Chifflet : 2°. que quand ces ouvrages seroient de Vigile de Tapse, la conformité de quelques expressions avec celles du symbole d'Athanase, n'est pas une conviction que ce symbole soit du même auteur, puisqu'on en trouve de semblables dans S. Augustin, à qui personne ne s'est avisé d'attribuer ce symbole : 3°. on dit que Vigile ayant publié quelques-uns de ses traités sous le nom de S. Athanase, & sous celui de quelques autres peres pour leur donner plus d'autorité, il y a beaucoup d'apparence qu'il a composé le symbole dans la même vûe, & lui a fait porter le nom de S. Athanase. M. Anthelmi prétend que cela ne peut être, parce que ce symbole a paru d'abord avec le nom de son auteur, & non sous celui de S. Athanase. Dans la derniere partie, M. Anthelmi prétend avoir trouvé le françois auteur du symbole ; c'est Vincent de Lérins.

Les conjectures sur lesquelles il se fonde, sont la conformité des expressions & des phrases de cet auteur avec le symbole, & un passage où il promet de retoucher plus au long les expressions qui regardent la confession des mystères de la Trinité & de l'Incarnation. L'objection que l'on peut faire naturellement, est que Gennade ne parle point de ce symbole dans son livre des écrivains ecclésiastiques, où il parle de Vincent de Lérins, & de son traité contre les hérésies. M. Anthelmi ne s'embarrasse pas beaucoup de cet argument négatif ; & pour l'affoiblir davantage, il dit que Gennade n'a point parlé de plusieurs auteurs, & qu'il a omis plusieurs ouvrages de ceux dont il parle, comme l'exposition du symbole d'Hylaire d'Arles, dont l'auteur de sa vie fait mention avec éloge. L'opinion d'Anthelmi ne me paroît pas plus solide que celles qu'il combat, & tout prouve qu'on ne connoît point l'auteur du symbole qui porte faussement le nom de S. Athanase. (D.J.)

SYMBOLE, (Art numismat.) les Médaillistes appellent symbole, ou type, certaines marques, attributs, & figures, qui se voyent sur les médailles, pour caractériser certains hommes, ou certaines divinités ; les parties du monde, les royaumes, les provinces, & les villes, ont aussi leurs différens symboles dans les médailles.

On sait que les symboles se trouvent sur l'une ou l'autre face des médailles, c'est-à-dire, sur la tête, ou sur le revers, & quelquefois sur les deux côtés. Nous reservons à parler au mot TETE, des ornemens & des symboles qu'on voit le plus ordinairement sur ce côté de la médaille. Mais comme c'est particulierement sur les revers, que sont placés les symboles ou types, sans la connoissance desquels les curieux ne peuvent tirer des médailles, ni le plaisir, ni l'instruction qu'ils s'en promettent, il faut en traiter ici avec un peu d'application, d'étendue, & de méthode.

Nous remarquerons d'abord qu'il y a des revers où les symboles sont attachés aux figures ; d'autres où les figures mêmes servent de symboles ; soit que ce soit des figures d'hommes ou d'animaux, ou de choses insensibles.

Des symboles attachés aux figures, les uns sont communs à plusieurs, qui ne se distinguent que par la légende : d'autres sont uniques, & tiennent lieu de légende, lorsqu'il ne s'y en rencontre point ; car il ne faut point de légende pour deviner, par exemple, qu'une figure qui tient la foudre à la main, & un aigle à ses piés, est Jupiter ; ou qu'une autre qui tient une harpe & une branche de laurier, est Apollon.

L'haste qui est un javelot sans fer, ou plutôt un ancien sceptre, convient à toutes les divinités, parce qu'il désigne la bonté des dieux, & la conduite de leur providence, également douce & efficace. Justin marque expressément que la coutume d'en donner à toutes les déïtés, vient de la superstition des anciens, qui dès le commencement du monde avoient adoré le sceptre comme les dieux mêmes ; sans-doute parce que les statues n'étoient point alors si communes qu'elles l'ont été depuis ; car il ne faut pas s'imaginer qu'ils les adorassent comme de véritables déïtés.

La patere dont on se servoit pour les sacrifices, se met pareillement à la main de tous les dieux, soit du premier, soit du second ordre, pour faire connoître qu'on leur rendoit les honneurs divins, dont le sacrifice est le principal. La patere se voit aussi à la main des princes, pour marquer la puissance sacerdotale unie avec l'impériale, par la qualité de souverain pontife : c'est pourquoi il y a souvent un autel, sur lequel il semble que l'on verse la patere.

La corne d'abondance, se donne à toutes les divinités, aux génies, & aux héros, pour marquer les richesses, la félicité, & l'abondance de tous les biens, procurés par la bonté des uns, ou par les soins & la valeur des autres : quelquefois on en met deux, pour indiquer une abondance extraordinaire.

Le caducée, est encore un symbole commun, quoiqu'attribué à Mercure par préférence ; il signifie la bonne conduite, la paix, & la félicité. Il est composé d'un bâton qui marque le pouvoir, de deux serpens qui désignent la prudence, & de deux aîles qui marquent la diligence ; toutes qualités nécessaires pour réussir dans ses entreprises.

Les symboles que j'appelle uniques, sont sans nombre ; il suffit de marquer ici les plus ordinaires.

Le thyrse, qui est un javelot entouré de lierre ou de pampre, est le symbole de Bacchus, & caractérise la fureur que le vin inspire.

La foudre dans la main d'une figure, & ou à côté ou au-dessous du buste, lorsque ce n'est pas la tête d'un empereur, marque la tête du Ve-Jove, c'est-à-dire, de Jupiter foudroyant & irrité ; car il y a quelques empereurs qu'on a flatté jusqu'à leur mettre la foudre en main, comme à Jupiter.

Une branche de laurier à la main d'un empereur, fait voir ses victoires, ses conquêtes, & son triomphe, comme la branche d'olivier représente la paix qu'il a donnée ou conservée à l'état. Les autres plantes particulieres désignent les pays où elles naissent, comme la rose marque l'île de Rhodes, &c.

Deux mains jointes peignent la concorde des particuliers, ou les alliances, ou l'amitié.

L'enseigne militaire placée sur un autel, marque une nouvelle colonie, dont le bonheur doit dépendre de la protection des dieux ; j'entens une colonie faite de vieux soldats ; car c'est ce que l'enseigne veut dire ; & quand il s'en trouve plusieurs, cela signifie que les soldats ont été tirés de différentes légions. Le nom s'y distingue assez souvent, comme Leg. XXII. dans Septime Severe, dans Galien, &c.

Un gouvernail posé sur un globe accompagné de faisceaux, est le symbole de la souveraine puissance. Dans la médaille de Jules, où l'on y a joint le caducée, la corne d'abondance, & le bonnet pontifical, on a voulu marquer que César gouvernant la république, y faisoit fleurir la paix, la félicité, & la religion.

Le bouclier, signifie des voeux publics rendus aux dieux pour la conservation des princes, ou marque que le prince est l'assurance & la protection de ses sujets. Ces sortes de boucliers s'appelloient clypei votivi : on les pendoit aux autels, ou aux colonnes des temples. L'on en voit deux d'une figure extraordinaire sur une médaille d'Antonin Pie, avec ce mot Ancilia : c'est par allusion au bouclier fatal envoyé du ciel, une marque que ce bon prince étoit regardé comme le maître de la destinée de l'empire. On portoit ces boucliers aux jeux séculaires, & à certaines processions publiques, qui se faisoient dans les nécessités de l'état.

Des boîtes & des urnes mises sur une table, d'où il sort des palmes, ou des couronnes placées à côté avec le simpule, qui est un petit vase dont on faisoit les libations, désignent les jeux auxquels on joignoit ordinairement des sacrifices.

Un vaisseau en course, annonce la joie, la félicité, le bon succès, l'assurance. Quand on en voit plusieurs aux piés d'une figure tourelée, ils indiquent que c'est une ville maritime, où il y a un port & du commerce. Quand ils sont aux piés d'une victoire aîlée, ils marquent des combats de mer, où l'on a vaincu la flotte ennemie.

Une grappe de raisin, signifie abondance, la joie, & un pays fertile en bon vin.

Une ou deux harpes, marquent les villes où Apollon étoit adoré, comme chef des Muses.

Le boisseau d'où il sort des épics de blé & des pavots, est le symbole de l'abondance, & des grains qu'on a fait venir pour le soulagement du peuple, dans un tems de famine.

Les signes militaires qui se trouvent quelquefois jusqu'à quatre, font connoître, ou les victoires remportées par les légions, ou le serment de fidélité qu'elles prêtent à l'empereur, ou les colonies qu'elles ont établies ; quelquefois ce sont des drapeaux pris par les ennemis, & renvoyés & repris par force. L'aigle est l'enseigne principale de chaque légion ; les autres signes militaires sont les enseignes des cohortes ; le guidon est l'enseigne de la cavalerie.

Un bâton tourné par en-haut en forme de crosse, est la marque des augures ; on l'appelle en latin lituus. Ils s'en servoient pour partager le ciel lorsqu'ils faisoient leurs observations. On y joint quelquefois des poulets à qui l'on donne à manger, ou des oiseaux en l'air, dont on observe le vol. Les augures croyoient par les uns & par les autres pouvoir deviner les choses à venir.

Un bonnet surmonté d'une pointe croisée sur le pié, avec deux pendans que les Romains nommoient apex & filamina, peint la dignité sacerdotale & pontificale, soit que ce bonnet se rencontre seul, soit qu'on le trouve joint aux instrumens dont on se servoit pour les sacrifices ; ces instrumens étoient un vase, un plat-bassin, un aspersoir, une hache, avec la tête d'un animal, un couteau, un tranchoir & un simpule. La tête désigne la victime, la hache sert pour l'assommer, le bassin pour recevoir les entrailles, & les chairs qui devoient être offertes, le couteau pour les couper, le vase pour mettre l'eau lustrale, & l'aspersoir pour la répandre sur les assistans afin de les purifier, le simpule pour les libations, & comme l'essai des liqueurs qu'on répandoit sur la tête des victimes.

La chaise curule représente la magistrature, soit des édiles, soit du préteur, soit du consul ; car tous avoient droit de s'asseoir dans une chaise d'ivoire en forme de pliant. Quand elle est traversée par une haste, c'est le symbole de Junon qui est en usage pour désigner la consécration des princesses.

Quelquefois le sénat décernoit une chaise d'or, qu'il faut savoir distinguer, aussi-bien que les statues de ce métal.

Un ornement de vaisseau recourbé, soit à la poupe que les Grecs nommoient , soit à la proue, en grec , marque les victoires navales, & les vaisseaux pris ou coulés à fond ; quelquefois les villes maritimes, comme Sidon, &c. On arrachoit ces ornemens aux vaisseaux ennemis qu'on avoit pris, & l'on en faisoit comme des trophées de la victoire.

Un char traîné, soit par des chevaux, soit par des lions, soit par des éléphans, veut dire ou le triomphe ou l'apothéose des princes. Quant au char couvert, traîné par des mules, il n'est usité que pour les princesses, dont il marque la consécration, & l'honneur qu'on leur faisoit de porter leurs images aux jeux du cirque.

Une espece de porte de ville ou de tour, qui se trouve depuis Constantin, avec ces mots, Providentia Augusti, désigne des magasins établis pour le soulagement du peuple ; ou, comme d'autres pensent, la ville de Constantinople, dont l'étoile qui paroît au-dessus de la tour est le symbole, aussi-bien que le croissant.

Un panier de fleurs & de fruits signifie la beauté & la fertilité du pays.

Une espece de cheval de frise fait avec des pieux enlacés, comme dans la médaille de Licinius, montre un camp fortifié & palissadé pour la sûreté des troupes.

Le trépié couvert ou non, couvert avec une corneille & un dauphin, est le symbole des quinze-virs députés pour garder les oracles des sibylles, & pour les consulter dans l'occasion. On les conservoit au pié de la statue d'Apollon palatin, à qui la corneille est consacrée, & à qui le dauphin servoit d'enseigne dans les cérémonies des quinze-virs.

Le zodiaque avec tous ses signes, le soleil & la lune au milieu ; comme dans une médaille d'Alexandre Sévere, figure l'heureuse étoile des princes, & la conservation de tous les membres de l'état, que le prince soutient, comme le zodiaque fait les astres.

Passons aux symboles des médailles qui concernent principalement les déïtés.

L'ancre qui se voit sur plusieurs médailles des rois de Syrie, étoit un signe que tous les Séleucides porterent à la cuisse, depuis que Laodicé mere de Séleucus, s'imagina être grosse d'Apollon, & que ce dieu lui avoit donné un anneau sur lequel une ancre étoit gravée. Dans son sens naturel l'ancre marque les victoires navales.

Un bouquet d'épics est le symbole du soin que le prince s'étoit donné de faire venir du blé pour le peuple, ou simplement de la fertilité du pays, comme sur la médaille d'Alexandrie.

La colonne marque quelquefois l'assurance, quelquefois la fermeté d'esprit.

Le char attelé de deux, de quatre ou de six chevaux, ne marque pas toujours la victoire ou le triomphe. Il y a d'autres cérémonies où l'on se servoit de chars ; l'on y portoit les images des dieux dans les supplications ; on y mettoit les images des familles illustres aux funérailles, & de ceux dont on faisoit l'apothéose. Enfin, on y conduisoit les consuls qui entroient en charge, comme nous l'apprenons par les médailles de Maxence & de Constantin ; l'une & l'autre porte, Felix processus consulis Augusti nostri.

Les étoiles dénotent quelquefois les enfans des princes regnans, quelquefois au contraire les enfans morts, & mis dans le ciel au rang des dieux.

La harpe est l'attribut d'Apollon. Quand elle est entre les mains d'un centaure, c'est Chiron, le maître d'Achille. On sait que Mercure en fut l'inventeur, & qu'il en fit présent à Apollon. Quand elle est jointe au laurier & au couteau, elle marque les jeux apollinaires.

Le masque est le symbole des jeux scéniques qu'on faisoit représenter pour divertir le peuple, & où les acteurs étoient ordinairement masqués. Il y en a dans la famille Hirtia.

Des branches de palme signifient les enfans des princes, selon Artémidore.

Un panier couvert avec du lierre à-l'entour, & une peau de faon, annoncent les mysteres des bacchanales ; on le connoît par la statue de Bacchus qui se trouve souvent au-dessus. On sait que Sémelé, grosse de Bacchus, fut mise par Cadmus dans une corbeille, & jettée dans la riviere.

Une roue désigne les chemins publics raccommodés par ordre du prince, pour la commodité des charrois, comme via Trajana. Au pié de la Fortune, elle désigne l'inconstance : à ceux de Némésis, elle indique le supplice des méchans.

Une espece de siege sur lequel est assis Apollon dans le revers des médailles des rois de Syrie, qu'on prendroit pour une petite montagne percée de plusieurs petits trous, c'est le couvercle qu'on mettoit sur l'ouverture où les prêtres d'Apollon alloient recevoir les oracles, ou se remplir de la fureur sacrée qui les faisoit eux-mêmes répondre en gens inspirés à ceux qui les consultoient.

La toise marquée à chaque pié, signifie une nouvelle colonie dont on avoit toisé l'enceinte, & les champs qui lui étoient attribués. Cette toise se trouve quelquefois accompagnée d'un boisseau, qui désigne le blé qu'on avoit donné pour commencer à ensemencer les terres.

Les déïtés se reconnoissent presque toutes par des symboles particuliers, dont je ne marquerai que les principaux.

Jupiter par la foudre & par l'aigle ; Neptune par le trident & le dauphin. Quelques-uns veulent que le trident marque la troisieme région que tient l'eau dans le monde après le feu & l'air.

Les dieux marins, Mélicerte, Palémon & Portumne, soit qu'ils ne fassent que la même déïté sous trois noms différens, soit qu'on les ait regardés comme trois dieux, n'ont que le même symbole ; car ils sont représentés par un enfant assis sur un dauphin, & ils désignent les jeux de l'Isthme, qui furent institués par Sisyphe en l'honneur du premier de ces dieux.

Junon se reconnoît par le paon qui devint son oiseau, après qu'elle en eut donné la forme à son fidele Argus.

Esculape, Hygée & Salus, par le serpent, qui est le premier inventeur de ce que la Médecine cherche inutilement, savoir le moyen de rajeunir.

Bacchus est couronné de pampres, marque de la joie que le vin inspire ; le pot à la main, toujours prêt à boire, & à faire boire les autres ; une panthere est à ses piés, parce que le vin rend furieux. Un tyrse est à la main de ce dieu, & son char est tiré par des tigres. Il est tantôt barbu, tantôt sans barbe, parce que les jeunes gens boivent par débauche, & les vieillards par nécessité. Quelquefois nud, d'autrefois habillé, parce que l'excès du vin ruine les buveurs, au-lieu que le vin pris modérement entretient la santé, & aide la chaleur naturelle.

Le Canope, dieu d'Egypte, est représenté par un pot de terre, d'où il sort une tête qui porte la fleur d'Isis. Ce pot plein d'eau, percé de tous côtés, mais dont les trous étoient bouchés avec de la cire, éteignit le feu des Perses qui consumoit toutes les autres déïtés. Ainsi furent confondus les prêtres de Mithra, qui se vantoient que leur dieu étoit le plus grand de tous les dieux.

Le dieu Lunus est distingué par le croissant, dont il a les épaules chargées ; par le bonnet arménien qui lui couvre la tête, & par un coq qu'on met auprès de lui ; Latone, mere de Diane, avoit fait du coq son oiseau favori, depuis qu'il lui avoit été d'un grand secours à ses couches.

Astarte, la déesse des Sidoniens, est placée sur un char à deux roues ; c'est ainsi qu'on la menoit dans le pays, pour amasser de l'argent. Quoique l'on ne convienne ni de son nom, ni de sa figure, on croit avec assez peu d'apparence, que c'est l'Astaroth, dont il est parlé dans l'Ecriture. On la voit quelquefois sur un lion, tenant en main la foudre, principalement sur les médailles de Carthage.

Cybele porte la couronne de tours, parce que la terre porte les villes. Elle a des lions à ses piés, qui marquent ses amours furieuses pour Atys. Le crotale, espece de tambour de basque, est l'instrument dont ses prêtres se servoient, comme ceux d'Isis du sistre.

Iris a pour symbole une étoile, c'est la canicule : un sistre qui rappelle à l'imagination l'harmonie des cieux dans leur mouvement continuel ; une fleur sur la tête, parce que les immortels ne vieillissent point.

Cerès se reconnoît par la couronne d'épics, par le char que traînent des serpens, & par les flambeaux allumés au mont Ethna, pour chercher Proserpine.

Proserpine a pour symbole une grenade, parce que Cerès ayant pressé Jupiter de lui faire rendre sa fille, il la lui promit, pourvu qu'elle n'eût encore rien mangé chez Pluton. Or il se trouva qu'elle avoit mangé quelques grains de grenade.

Diane s'annonce par le croissant, par l'arc, par le carquois, par l'habit de chasseuse, & par le char où des cerfs sont attelés.

Pour la Diane d'Ephèse, son type est très-singulier ; elle a une infinité de mamelles, parce qu'on la regarde comme la mere de toutes choses ; elle est soutenue sur des appuis, ayant à ses piés, tantôt deux cerfs, tantôt deux boeufs, & sur la tête un panier de fruits. Tout cela est mystérieux, & se trouve expliqué dans le savant ouvrage de M. Menêtrier, intitulé, Symbolica Dianae Ephesiae statua, Rom. 1657, in-4°. Il y en a aussi une édition in-fol.

On donne ordinairement à Minerve le chat-huant & le serpent, tous deux symboles de la sagesse, l'un parce qu'il voit clair au milieu des ténèbres, l'autre parce qu'il sait garder adroitement sa tête, & exposer tout son corps pour la couvrir. Il a l'adresse de se dépouiller de sa vieille peau pour en prendre une nouvelle ; enfin, il sait se précautionner contre les charmes de l'enchanteur en se bouchant les oreilles.

Vénus se connoît par la pomme que Pâris lui adjugea, par son fils Cupidon qui est souvent auprès d'elle, & par un gouvernail qu'on lui donne, pour montrer le pouvoir de l'amour ; quelquefois par le bouclier & le casque, pour peindre la force de cette passion. Dion dit que Jules dans les affaires les plus importantes, se servoit d'un cachet où étoit gravé Venus victrix ; & qu'à la bataille de Pharsale, il donna ce mot aux soldats, comme Pompée celui d'Hercules invictus.

La Vénus adorée à Paphos, n'avoit point d'autre figure qu'une pierre taillée en borne, telle qu'on la voit sur quelques médailles de cette ville, & sur celle d'Hadrien, frappée avec ces mots, .

Jupiter étoit aussi figuré par une grosse pierre ronde coupée par la moitié, tel qu'on le voit sur les médailles avec l'inscription . La tête est de Trajan, & le revers porte , où étoit adoré celui que Cicéron appelle Jupiter lapis.

Vesta est représentée ordinairement assise, ou debout, tenant d'une main le palladium, & de l'autre une patere, ou la capeduncula. On trouve même dans le livre de M. Vaillant, une médaille de Julia Pia, où au-lieu d'une patere, Vesta tient une corne d'abondance. D'autres fois elle tient une haste, ou droite, ou transversale. On la voit assise au revers d'une médaille de Vitellius, tenant d'une main la patere, & de l'autre un flambeau allumé ; elle est debout avec les mêmes symboles sur une médaille de Salonine ; l'une & l'autre se trouvent dans le savant ouvrage de M. Spanhein, de Vestâ & Prytanibus, & on verra dans le même livre les différens types de cette déesse, tant sur les médailles grecques que sur les latines.

Mars est figuré avec le casque & la cuirasse, tenant une pique ou haste d'une main, & un trophée de l'autre.

La Paix se fait connoître par la branche d'olivier, ou par un flambeau, avec lequel elle met le feu sur un monceau d'armes.

La Providence porte une baguette dont elle semble toucher un globe, pour marque qu'elle gouverne le monde, elle est très-souvent aussi représentée tenant un globe à la main droite, & de la gauche une longue haste transversale.

L'Abondance étale des épics ; elle a ses piés un boisseau d'où sortent des épics, & un pavot, pour figurer l'attention du prince à entretenir l'abondance dans ses états. Quelquefois on y voit un vaisseau qui montre qu'on a fait venir du blé des pays éloignés.

Le Piété est ordinairement couverte d'un grand voile ; quelquefois elle a les bras étendus en forme de suppliante. On la voit aussi tenant en main un temple ou une boëte d'encens pour jetter sur un autel ; à ses piés est une cicogne. Tous ces symboles signifient que la piété paroît dans les prieres publiques & particulieres, & dans les devoirs que l'on rend à ses parens. On dit que les cicognes nourrissent les leurs, & qu'elles ont été nommées pour cela par les Hébreux & les Latins aves piae.

La Liberté tient d'une main le bonnet, parce que les esclaves étoient toujours tête nue, & qu'en les affranchissant, on leur mettoit un bonnet. De l'autre main elle porte une baguette nommée vindicta, dont le préteur touchoit aussi les esclaves, pour apprendre qu'il les tiroit de la servitude & du pouvoir de leur maître.

La Libéralité tient à la main une tablette quarrée, emmanchée, piquée d'un certain nombre de points qui marquent ce que le prince donnoit de blé ou d'argent. Elle préside à tous les congiaires.

La Clémence porte le plus souvent une branche d'olivier qui caractérise la douceur ; quelquefois une branche de laurier, parce qu'on s'en servoit pour expier les criminels.

La Noblesse porte une haste, pour marquer qu'elle nous approche des dieux, & une petite image, parce qu'on consacroit celle de ses ancêtres, & que le nombre de ces images étoit la preuve de l'antiquité de la race.

La Pudicité est couverte d'un grand voile, & a le doigt sur la bouche, pour régler les habits, les regards, & les paroles.

La Sécurité est assise négligemment sur une chaise, la tête appuyée sur sa main, pour montrer qu'elle n'a rien à craindre.

La Fortune est tantôt assise, & tantôt debout, tenant un gouvernail, parce que les payens croyoient que le hasard gouvernoit tout. On voit une roue à côté d'elle, pour annoncer son inconstance ; & dans sa main une corne d'abondance, parce qu'elle répand aveuglément tous les biens.

La Valeur, virtus, est représentée sous la figure d'une femme casquée, tenant d'une main la haste ; & de l'autre, le parazonium, type assez semblable à celui de Rome.

La Félicité est peinte par une femme debout, vêtue de la stole, tenant le caducée d'une main, & la corne d'abondance de l'autre.

L'Espérance offre de la main droite une poignée d'herbes naissantes, ou un bouquet de fleurs ; & de la gauche releve sa robe par derriere.

La Fécondité est représentée par une médaille de Julia Domna, par une femme demi-nue, couchée à terre, appuyée le bras gauche sur une corbeille remplie de fruits ; de la main droite elle touche un globe, autour duquel sont quatre petits enfans.

La Joie, hilaritas, brille sous la figure d'une femme debout, qui tient de la main droite une palme ou une branche d'arbre ; & de la gauche, la corne d'abondance.

La Foi, fides ou fides publica, est le plus souvent figurée tendant la main à quelqu'un en signe d'assurance, suivant ce passage de Valere Maxime : Venerabile fidei manum dexteram suam, certissimum salutis humanae pignus, ostentat. Cependant sur les médailles d'Hadrien, & de plusieurs autres empereurs, elle est désignée par une femme debout, qui tient de la main droite des épics ; & de la gauche, un petit plat chargé de fruits.

On ne finiroit point si l'on vouloit décrire tous les types de ces divinités subalternes ; on apprendra à les connoître par l'usage même des médailles.

On trouve aussi sur les revers des médailles des figures sans bras & sans piés, que nous appellons termes ; & si nous en croyons Polybe, la superstition en est venue des querelles que les peuples ont eues pour leurs limites, lesquelles étant appaisées, ils élevoient des statues aux dieux qu'ils croyoient avoir présidé à leur accord. De-là vient le Jupiter terminalis des Crotoniates & des Sybarites.

L'Equité & la Monnoie portent également la balance ; souvent on met trois figures pour la Monnoie, qui ont chacune à leurs piés un fourneau, à cause de l'or, de l'argent, & du cuivre, qui sont les trois métaux sur lesquels on bat la monnoie. On y voit plus souvent trois petits tas de monnoies.

Deux figures, au milieu desquelles est ce mot, OMONOIA, marquent l'alliance que faisoient certaines villes les unes avec les autres, dont elles vouloient que leurs dieux fussent les témoins & les garans.

Deux figures, qui ont à leurs piés une roue, & qui tiennent le doigt sur la bouche, sont les déesses vengeresses des crimes, dites Nemeses. La roue dénote la sévérité ; & le doigt sur la bouche apprend à ne pas se plaindre de la justice des dieux, comme si leur colere épargnoit les coupables, pour ne tourmenter que les gens de bien : Lento enim gradu ad sui vindictam divina procedit ira ; sed tarditatem supplicii gravitate compensat, dit Valere Maxime.

Trois figures qui se tiennent par la main, comme pour danser, sont les trois graces.

Trois figures qui supportent un grand voile étendu en arc sur leur tête, marquent l'éternité, ou les trois différences du tems passé, présent & futur, qui sont confondues dans un seul instant, incompréhensible à l'esprit humain. L'éternité est encore marquée par une figure debout, qui tient dans une de ses mains la tête du soleil, & dans l'autre celle de la lune, parce que ce sont les deux dieux que les Egyptiens croyoient éternels.

Trois autres figures armées de flambeaux, de poignards & de serpens, sont les furies, nommées autrement euménides & erynnies, qui portent la discorde, le fer & le feu par-tout.

Quatre petites figures désignent les quatre saisons de l'année. La seule qui est vêtue, marque l'hiver ; l'automne se distingue par un lievre, parce que c'est la saison de la chasse ; le printems porte un panier de fleurs ; l'été une faucille pour les moissons.

Une espece de grosse pierre en forme de montagne, traînée sur un char, représente le soleil, tel qu'Héliogabale l'adoroit, selon l'opinion de ceux qui croyoient que cet astre étoit une pierre enflammée. L'étoile qui paroît au-dessus, est l'étoile qui précede le soleil, & cette étoile nous sert à distinguer les médailles de ce prince d'avec celles de Caracalle, à ce que prétend le P. Jobert ; sa remarque seroit juste, si toutes les médailles de Caracalle avoient une étoile ; mais cette étoile ne s'y trouve pas toujours ; & quand elle paroît, elle accompagne le plus souvent des types qui ayant un rapport marqué avec le sacerdoce d'Héliogabale applanissent toute difficulté.

Quant au soleil levant, il est représenté par une figure nue, couronnée de rayons, avec un fouet à la main, à cause de la rapidité de sa course.

Les figures couchées & appuyées sur un vase sont les fleuves ; quelquefois cependant les rivieres paroissent comme des figures à mi-corps qui nagent dans l'eau.

M. Vaillant assûre que les fleuves ne sont représentés couchés, que quand ils en reçoivent d'autres qui les grossissent, & qu'alors le fleuve qui porte ses eaux dans un autre est représenté debout.

Mais cette remarque de M. Vaillant est détruite par plusieurs médailles ; je me contenterai d'en citer deux. La premiere, qui est de Gordien Pie, a été frappée par les Saïtténiens dans la Lydie : on y voit au revers deux figures couchées avec des joncs & des urnes ; ce sont deux rivieres, dont l'une, qui est le Pactole ou l'Hyllus, se jette dans l'Hermus. Dans la seconde médaille, qui est d'Apamée, on voit le Méandre & le Marsyas, tous les deux couchés, quoique le Marsyas se jette dans le Méandre. Ces deux médailles sont citées par M. Spanheim dans une de ses lettres à Morel.

Les figures couchées dans des lits sont des exemples d'une cérémonie particuliere aux payens, nommée lectisterne. En effet, dans les grandes nécessités, comme pour faire cesser les maladies contagieuses, ils mettoient dans des lits magnifiques des idoles de certaines déïtés, comme Apollon, Diane, Latone, Cérès, la Fortune, Neptune, Hercule, Mercure. Tite-Live prétend que cette superstition, qu'Arnobe reproche aux payens, commença l'an 366 de Rome.

Il faut parler maintenant des symboles des provinces & des villes.

Les provinces ont pareillement des marques qui les font connoître, soit dans leur habillement, soit dans les symboles qui les environnent.

L'Afrique est coëffée d'une tête d'éléphant. Elle a auprès d'elle un scorpion, un serpent ou un lion, tous animaux qui naissent dans ce pays. On y voit quelquefois des montagnes, à cause de celles qui s'élevent jusques aux nues, dans la Mauritanie Tingitane.

L'Asie est désignée par le serpent & par un gouvernail, pour montrer que c'est un pays où l'on ne pouvoit aller que par mer. Je ne sai si les deux serpens sur la médaille d'Auguste, Asiâ subactâ, ne signifient pas plutôt que l'Asie divisée entre lui & M. Antoine revint en entier à Auguste, après la bataille d'Actium.

L'Europe n'a point de symbole particulier ; car les médailles où l'on voit Europe enlevée par Jupiter transformé en taureau, sont les médailles de Sidon.

L'Orient est figuré par une jeune tête, couronnée de rayons ; souvent le mot Orient y est exprimé.

La Macédoine est vêtue en cocher, le fouet à la main, ou parce qu'elle fournissoit d'excellens chevaux, ou parce qu'elle honoroit particulierement le soleil. Les médailles de ce pays-là portent aussi la massue d'Hercule, dont les rois de Macédoine se vantoient de descendre.

La Mauritanie se marque par un cheval & par une houssine, à cause de la vîtesse de ses coursiers, à qui l'on ne donnoit jamais de l'éperon, comme on ne leur mettoit jamais de mors à la bouche.

L'Egypte se connoît par le sistre, par l'ibis & par le crocodile. Alexandrie prend un bouquet d'épics & un sep de vigne.

L'Achaïe se distingue par un lapin, dont elle nourrit grande quantité, ce qui l'a fait nommer par Catulle Cuniculosa. On la voit en habit de soldat, avec un petit bouclier, & deux javelots, à cause de la valeur de ses peuples. Elle tient des épics, à cause de sa fertilité.

La Gaule a une espece de javelot, que Virgile nomme gaesum. Elle est vêtue d'une saie, assez semblable au juste-au-corps qu'on y porte aujourd'hui. La saie étoit un habit militaire.

La Judée est en robe, & se connoît par le palmier qu'elle porte, ou contre lequel elle est appuyée ; c'est parce qu'elle fait partie de la Phénicie, à qui proprement appartient le palmier, dont elle a pris le nom .

L'Arabie se marque par le chameau qui, dans ce pays-là, va plus vîte que le cheval, à ce que dit Aristote, par la canne parfumée & par l'arbre qui porte l'encens.

La Dace est représentée en habit de femme, portant un javelot avec une tête d'âne, type de sa valeur ; les anciens ayant nommé cet animal , & en ayant fait en Orient la monture des princes : quelquefois c'est une tête de boeuf ou de cheval, qui sert de symbole à la Dace, à cause des trompettes paphlagoniennes dont le son approchoit fort du cri de ces animaux. Elle est aussi quelquefois assise sur une cotte d'armes, avec une palme & une enseigne, à cause de la bravoure de son peuple.

La Sicile est désignée par une tête au milieu de trois cuisses, qui sont ses trois promontoires. Elle a quelquefois une faucille & des épics, pour faire connoître sa fertilité.

La Pannonie est marquée par deux figures de femmes vêtues à cause de la froideur du climat ; elle tient des enseignes militaires à la main, pour caractériser la vaillance de ses habitans.

L'Italie, comme reine du monde, est assise sur un globe, la couronne tourelée sur la tête, à cause de la quantité de villes qu'elle renferme, & qui marque son empire sur l'univers ; la corne d'abondance qu'elle tient d'une main, désigne sa fertilité. Ce type de l'Italie se rencontre sur les médailles de Titus, d'Antonin-Pie, de Commode, &c. Dans Hadrien, l'Italie est représentée debout, s'appuyant de la main droite sur une haste sans fer, & tenant de la gauche une corne d'abondance. La légende est Italia.

La Germanie est taillée en grande femme, avec un javelot & un bouclier, plus long & plus étroit que ceux des Romains. Les Grisons & la ville d'Augsbourg ont pour symbole la pomme de pin, à cause de la quantité de pins qui se trouvent sur les Alpes voisines du pays, dit Ortélius.

L'Arménie porte le bonnet en coqueluche, avec l'arc & les fleches.

Le royaume des Parthes est représenté par une femme habillée à la mode du pays, avec l'arc & le carquois, à cause de l'habileté des Parthes à tirer des fleches, même en fuyant.

La Bithynie tient un cartouche pareil à celui qu'on met à la main de la Libéralité. Ce symbole pourroit bien être particulier aux médailles d'Adrien, restitutori Bithyniae, & peindre les largesses que fit ce prince, pour rétablir les villes de ce pays que les tremblemens de terre avoient renversées, principalement Nicomédie & Nicée.

La Cappadoce porte la couronne tourelée, & un guidon de cavalerie, qui marque les troupes que les Romains en tiroient. Elle est aussi ordinairement accompagnée du mont Argée, soit qu'elle le tienne à la main, soit qu'on le voie placé à ses piés. On sait que les Cappadociens l'adoroient comme une deïté.

La Mésopotamie figure entre deux fleuves, le Tigre & l'Euphrate, avec une espece de mitre sur la tête, dit Antoine Augustin ; mais si la médaille de Trajan qu'il cite est celle sur laquelle nous lisons Armenia & Mesopotamia in potestatem P. R. redactae, il y a grande apparence qu'il a pris l'un des deux fleuves, qui figure la Mésopotamie pour la province même.

La grande Bretagne, qui est une île, se reconnoît par le gouvernail sur lequel elle s'appuie, & par une proue de navire à ses piés, ainsi que par la forme du bouclier & du javelot plus long que le romain.

Les villes particulieres ont eu aussi des symboles, sur lesquels je ne m'étends point, parce qu'ordinairement la légende les indique ; outre qu'ayant à parler des animaux, je vais être forcé de faire mention de la plûpart de ces symboles.

L'abeille est l'emblême de la ville d'Ephese, parce que les muses, sous la figure d'abeilles, y conduisoient la flotte des Athéniens, qui, selon l'oracle de Delphes, formerent en même tems treize colonies. Les médailles latines où l'on trouve des abeilles représentées, ont été frappées à Rome pendant le tems de la république, & elles entrent dans la suite des consulaires. Voyez la dissertation intitulée : Jo. Petri Bellorii notae in numismata, tùm Ephesia, tùm aliarum urbium, apibus insignita, Rom. 1658, in-4°.

L'aigle est le symbole naturel des légions, dont il étoit la principale enseigne. Il signifie la puissance souveraine, parce que Jupiter s'en sert pour porter son foudre. On le donne aussi aux ministres des princes, dont on veut qu'il marque les bonnes qualités, parce qu'Aelien déclare que les oiseaux ne mangent point de chair, ne vont jamais à la proie, & ne vivent pas de certaines herbes.

Le boeuf ou le taureau désigne cent choses différentes. Sur les médailles d'Egypte, c'est Apis ; on s'en sert aussi pour marquer la consécration d'Antinoüs, que les Egyptiens mirent au nombre de leurs dieux comme un second Apis. Sur d'autres médailles, ils signifient la force, la patience, la paix, favorable au laboureur ; enfin les sacrifices où ces animaux servoient de victimes : alors ils ont les cornes chargées de rubans, & on les appelle tauri vittati, ou infulati ou mithrati.

Quand ils sont en posture de frapper de la corne, ils annoncent la guerre ou simplement des combats de taureaux qu'on a donnés pour spectacle. Quand ils sont ou passans ou accouplés, & conduits par un homme voilé, ils marquent les colonies dont on traçoit l'enceinte avec la charrue.

On sait peut-être la cérémonie qui se pratiquoit pour les villes qu'on vouloit bâtir. On atteloit, non pas une paire de boeufs, mais un boeuf & une vache, & on mettoit le boeuf en-dehors & la vache en-dedans. Le sens de ce mystere est que le boeuf marque les hommes qui doivent aller & venir pour les affaires, & la vache marque les femmes qui doivent garder le logis & prendre soin du domestique.

Le cancre décele les villes maritimes. C'est encore le symbole de la prudence, & il est consacré à Minerve, déesse de la sagesse, à cause de l'industrie qu'il a de se défaire de son écaille, quand il en est incommodé. On le trouve joint à un papillon, à cause du bon mot d'Auguste, festina lente.

Le capricorne, ou simple ou double, est le symbole de cet empereur. On croit que c'est le signe sous lequel ce prince vint au monde, & qu'il marquoit l'horoscope qui lui fut faite à Apollonie par Théogene, lorsqu'il lui prédit l'empire. Cette opinion cependant se trouve combattue par les savans, qui soutiennent qu'Auguste n'est point né sous le capricorne.

Le cerf fait connoître Ephese & les autres villes où Diane étoit singulierement honorée.

Le chameau nous annonce l'Arabie.

Le cheval dans les médailles puniques est le symbole de Carthage, bâtie, selon l'oracle, dans le lieu où l'on apperçut une tête de cheval. Les chevaux paissans marquent la paix & la liberté, ou simplement un pays abondant en pâturages. Le cheval bondissant dénote l'Espagne fertile en excellens chevaux. Quelquefois il désigne les victoires remportées dans les jeux publics, comme sur les médailles du roi Hiéron. Quelquefois c'est le bucéphale d'Alexandre, ou simplement l'emblême des rois de Macédoine.

Le chien est l'image de la fidélité. On le donne à Mercure, à cause de sa vigilance & de son industrie à découvrir ce qu'il quête. Diane a ses levriers pour symbole. Quand le chien est auprès d'une coquille & qu'il a le museau barbouillé de rouge, il marque la ville de Tyr ; car c'est-là que le chien d'Hercule, ayant mangé le murex, en revint le nez tout empourpré, & fit connoître cette belle couleur. On possede une médaille d'argent consulaire de la famille Mamilia, sur laquelle l'on voit d'un côté la tête de Mercure couverte du pétase, & le caducée derriere. De l'autre est un homme en habit de voyageur, qui s'appuie de la main gauche sur un grand bâton, & qui tend la main droite sur un chien qui semble le reconnoître & s'approcher pour le caresser. Tout le monde reconnoît là l'aventure d'Ulysse racontée dans l'Odyssée d'Homere. La légende de ce côté de la médaille est C. MAMILLIMEA. Elle a été restituée par Trajan.

La cicogne qui nourrit son pere & sa mere durant leur vieillesse, est le symbole de la piété. Elle se place ordinairement aux piés de cette déesse, ou à côté des enfans qui ont singulierement honoré leurs parens.

Le coq, est l'attribut de la vigilance. On le donne au dieu Lunus & à Mercure ; quelquefois à Bacchus, parce qu'on le lui sacrifioit pour la conservation des vignes. Il dénote aussi les combats & la victoire.

La corneille, est le symbole d'Apollon le dieu des devins. Quand elle est perchée, elle désigne la foi conjugale.

Le crocodile, représente le Nil & l'Egypte qu'il arrose, parce qu'il naît dans ce fleuve. Quelquefois il marque des spectacles, où l'on avoit donné le plaisir au peuple de voir ces animaux extraordinaires.

Le dauphin, entortillé à un trident ou à une ancre, spécifie la liberté du commerce & l'empire de la mer. Quand il est joint à un trépié d'Apollon, il caractérise le sacerdoce des quinze-virs, qui pour annoncer leurs sacrifices solemnels, portoient par toute la ville un dauphin au bout d'une perche, & qui regardoient ce poisson comme étant consacré à Apollon, ainsi que la corneille parmi les oiseaux.

L'éléphant figure l'éternité, parce qu'il est d'une très-longue vie. Plus souvent néanmoins, il marque les jeux publics, où l'on en exposoit aux yeux du peuple.

Dans les médailles de Jules, du tems de la république, lorsqu'il n'étoit pas encore permis de mettre sa tête sur les monnoies, il fit graver à la place cet animal, dit le P. Jobert, parce qu'en langue punique, caesa signifie un éléphant. Mais il n'est pas vraisemblable que César ait employé cette frivole équivoque ; de plus, l'histoire nous apprend que le surnom de César étoit dans la famille des Jules, dès le tems de la seconde guerre punique.

La harpie, est l'emblême de la valeur.

Le hibou, qui voit comme le chat dans les ténebres, est le symbole de la sagesse ; il est consacré à Minerve, & placé quelquefois sur son casque, quelquefois à ses piés.

L'hippopotame, représente le Nil & l'Egypte que ce fleuve arrose.

Le lievre & le lapin sont le symbole de l'Espagne ; on en voit aussi sur les médailles de Sicile. Ils caractérisent en général l'abondance, à cause de leur fécondité.

Le loup & la louve signifient, ou l'origine de la ville de Rome, fondée par les deux freres qu'on publioit avoir été alaités par une louve, ou simplement la domination romaine, à laquelle les peuples étoient soumis ; peut-être désignent-ils le pays où il se trouvoit quantité de loups, comme l'exprime la médaille de la ville de Mérida. Souvent on voit les deux freres, Rémus & Romulus, attachés aux têtes de la louve.

Le paon & l'aigle, peignent la consécration des princesses, comme on peut le voir sur des médailles de Plotine, de Marciana, de Matidie & de Sabine, rapportées par M. Vaillant. Comme on croyoit que ces oiseaux favoris, l'un de Junon & l'autre de Jupiter, portoient les ames au ciel : on les voit quelquefois au-dessus du bûcher.

Le pégase aîlé, est le symbole de Corinthe, où Minerve le donna à Bellerophon pour combattre la Chimere. Il se trouve aussi sur les médailles des villes d'Afrique, & sur celles de Sicile, depuis que les Carthaginois s'en furent rendus les maîtres ; parce qu'on tenoit que ce cheval miraculeux étoit né du sang de Méduse qui étoit africaine. Syracuse en particulier, qui avoit une étroite alliance avec Corinthe, gravoit un pégase sur ses médailles.

Le phénix, qui renaît à ce qu'on prétend de ses cendres, signifie tantôt l'espérance d'un plus heureux tems, tantôt l'éternité même & la durée de l'empire. On le voit quelquefois seul perché sur un globe ; le plus souvent il est dans la main du prince.

Les pigeons sont consacrés à Vénus, & se trouvent quelquefois à son char & à celui de son fils ; ils sont ordinairement sur ses temples, & à côté de ses autels.

Les poissons, marquent les villes maritimes ; mais les thons, appellés pélamides, sont le symbole particulier de Byzance, parce qu'on y en pêche quantité.

Le porc, sur les médailles d'Antonin, signifie les commencemens de Rome, & le lieu où Lavinium fut bâti, selon l'oracle qui avoit ordonné qu'on le plaçât à l'endroit où la truie se seroit arrêtée, promettant qu'après autant d'années qu'elle auroit de petits cochons, on se trouveroit en état d'en bâtir une bien plus considérable.

Le sanglier, est le symbole des jeux séculaires qui se faisoient en l'honneur de Diane à qui cet animal est consacré. Quelquefois il désigne de certaines chasses dont on donnoit le plaisir au peuple.

Le serpent seul, est mis ordinairement pour Esculape, ou pour Glycon le second Esculape ; & quand il est ou à l'autel, ou dans la main d'une déesse, c'est toujours le symbole d'Hygée ou de la Santé. Le double serpent, est la marque de l'Asie. Quelquefois il signifie la guerre & la discorde, quand il est aux piés de la Paix. Quand il est aux piés de Minerve, à qui Plutarque dit qu'il étoit consacré, il marque le soin qu'on doit prendre des filles, qu'il faudroit, s'il est possible, garder avec le dragon des Hespérides. Quand il sort d'une corbeille, ou qu'il accompagne Bacchus, il marque les orgies de ce dieu. Quand il est au-dessus d'un trépié, il marque l'oracle de Delphes, qui se rendoit par un serpent.

La sirene, dont l'image se trouve sur les médailles de Cumes, est Parthénope qui y est enterrée.

Le sphinx, représente la prudence, & se donne à Apollon & au Soleil, à qui rien n'est caché. On le mettoit à l'entrée des temples, pour marquer la sainteté des mysteres. Sur les médailles d'Auguste, il nous représente le cachet de ce prince, qui prétendoit montrer par-là que les secrets des princes doivent être impénétrables.

La tortue, est un symbole de Vénus ; il apprend alors que les femmes mariées doivent se tenir à la maison.

La tourterelle, est l'image de la concorde entre la femme & le mari.

Certains animaux extraordinaires qui se rencontrent sur les revers avec ce mot, Munificentia Aug. ou bien avec celui-ci, Saeculares Aug. ne signifient autre chose, sinon que les princes dont la médaille porte le nom, les ont fait venir des pays étrangers, afin de les donner en spectacle au peuple.

On a quelquefois pris le soin de spécifier sur les médailles, l'ordre dans lequel on les avoit fait voir au peuple ; c'est ce qu'expriment certains chiffres qui se trouvent sur les médailles des Philippes, I. II. III. &c. ils veulent dire que cet animal parut le premier, le second, &c.

Avec ces notions générales, il n'est personne qui ne puisse agréablement s'appliquer à déchiffrer ces médailles, en attendant que la lecture & l'usage lui découvrent les mysteres cachés d'autres symboles singuliers, dont l'intelligence est reservée aux gens consommés dans l'art numismatique. (D.J.)


SYMBOLIQUECOLONNE, (Archit.) colonne qui, par des attributs, désigne ou une nation, comme une colonne d'ordre françois, semée de fleurs-de-lys, ainsi qu'il y en a au portail des PP. jésuites à Rouen ; ou quelque action mémorable, comme la colonne Corvine, contre laquelle étoit un corbeau, & qui fut élevée à Valerius Maximus surnommé Corvinus, en mémoire de la défaite d'un géant par le moyen d'un corbeau, ainsi que le rapporte M. Félibien dans ses Principes des arts, l. I. ch. iij.

On comprend encore sous le nom de colonnes symboliques, celles qui servent de symboles, comme on en voit une sur la médaille de Néron, qui marque la stabilité de l'empire romain. Diction. d'archit.


SYMBOLONou SYMBOLORUM PORTUS, (Géog. anc.) port sur les côtes méridionales de la Chersonese taurique. Arrien, Péripl. p. 20. le place entre la ville de Lampas, & celle de la Chersonese, à cinq cent vingt stades de la premiere de ces places, & à cent quatre-vingt stades de la seconde. Dans un fragment d'un périple du Pont-Euxin, & du Palus Méotide, p. 6. ce port est appellé Ebuli portus, ou Symbulon, & placé à trois cent stades, ou quarante milles du promontoire Criû, & à quatre-vingt stades, ou vingt-quatre milles de la ville de Chersonese. Strabon, l. VII. pag. 308. place aussi le port Symbolum sur la côte septentrionale de la Chersonese taurique, après la ville de Chersonese ; & Pline, l. IV. c. xij. lui donne la même situation ; desorte qu'il doit y avoir faute dans Ptolémée, l. III. c. vj. qui met ce port sur la côte occidentale & dans le golfe Carcinite, non-seulement avant la ville de Chersonese, mais encore avant le promontoire Parthenium. (D.J.)


SYMBOLUM(Géog. anc.) lieu de la Thrace, ainsi appellé par les Grecs, selon Dion Cassius, liv. XLVII. parce que le mont Symbolus, dans cet endroit, se joint à une autre montagne qui avance dans le milieu du pays. Ce lieu étoit entre les villes de Néapolis & de Philippi, dont la premiere étoit située sur le bord de la mer, du côté de l'île Thasus, & la seconde dans les terres, au milieu d'une plaine, entre les monts Paugée & Symbolus. (D.J.)


SYME(Géog. anc.) île d'Asie, dans la mer Carpathienne, sur la côte de la Doride, entre Cnide & Loryma, selon Strabon, l. XIV. & Ptolémée, l. V. c. ij.

Athénée raconte que Glaucus, le dieu marin, ayant enlevé Syme, fille de Jalemus & de Dotis, passa dans une île déserte près de Carie, qu'il appella du nom de sa femme. Diodore prétend néanmoins qu'elle prit son nom de la femme de Neptune : il ajoute que Niréus, ce grand & bel homme, qui amena du secours à Agamemnon pendant la guerre de Troie, fut roi de cette île, que posséderent ensuite les Cariens qui se trouvoient les maîtres de la mer ; mais ayant été contraints de l'abandonner par une sécheresse qui y fit de grands ravages, l'île demeura déserte, jusqu'au tems que la flotte des Lacédémoniens y vint aborder.

Homere fait mention de cette île dans son II. liv. de l'Iliade, où il dit que Niréus, roi de Syme, & le plus beau d'entre les Grecs, après Achille, vint à la guerre de Troïe, mais avec peu de monde. Ce fut devant la même île que les Athéniens furent battus par les Lacédémoniens, dans un combat naval où ils perdirent sept vaisseaux ; & alors les Lacédémoniens prirent terre à Syme, & y dresserent un trophée en mémoire de la victoire qu'ils venoient de remporter sur leurs ennemis.

On ne peut pas douter que cette île n'ait été autrefois très-cultivée & très-fertile en grain ; car on a des médailles anciennes qui le justifient ; on voit sur un des côtés de ces médailles, Cérès couronnée d'épics, & de l'autre côté encore une javelle d'épics.

Le nom moderne de Syme, est Simio. Voyez-en l'article. (D.J.)


SYMMACHIE(Mythol.) surnom que les habitans de Mantinée donnerent à Vénus, parce qu'elle avoit, disoient-ils, combattu pour les Romains, à la journée d'Actium. (D.J.)


SYMMETRIA(Archit. rom.) Pline dit que de son tems la langue latine n'avoit point de terme propre, pour exprimer le mot grec , quoique Cicéron se soit servi du verbe commetiri, d'où vient le commensus dont Vitruve use, & qui contient toute la signification du mot grec : car commensus, de même que Symmetria, signifient l'amas & le concours, ou rapport de plusieurs mesures, qui dans diverses parties ont entr'elles une même proportion, qui est convenable à la parfaite composition du tout. Il est à remarquer que nous n'entendons à présent par symmétrie, autre chose que ce que les anciens entendoient par symmetria : car leur mot grec & latin ne signifioit que proportion, au-lieu que symmétrie, dans notre langue, désigne un rapport de parité, soit de hauteur, de largeur, ou de longueur de parties, pour composer un beau tout ; en un mot, en architecture, c'est une disposition réguliere de toutes les parties d'un bâtiment. (D.J.)


SYMMETRIE(Architect.) est le rapport, la proportion & la régularité des parties nécessaires pour composer un beau tout. Ce mot est composé du grec sym, avec, & metron, mesure.

La symmétrie, selon Vitruve, consiste dans le rapport & dans la conformité des parties d'un ouvrage à leur tout, & de la beauté de chaque partie, à celle de tout l'ouvrage, eu égard à une certaine mesure ; desorte qu'il regne dans le bâtiment & dans tous ses membres, une aussi juste proportion que celle qu'ont les bras, les coudes, les mains, les doigts, & les autres membres du corps humain, les uns par rapport aux autres, & par rapport à tout le corps.

La symmétrie uniforme est celle où la même ordonnance regne dans tout le pourtour.

Et la symmétrie respective est celle où il n'y a que les côtés opposés qui soient pareils ou égaux les uns aux autres.

La symmétrie qui est le fondement de la beauté en architecture, en est la ruine dans la plûpart des autres beaux arts. Rien n'est plus insipide qu'un discours oratoire symmétrique, bien arrangé, bien distribué, bien compassé ; rien n'est plus insipide dans un discours oratoire où le stile doit se conformer naturellement aux passions & aux images, que des phrases bien arrondies, bien arrangées, bien cadencées, bien symmétriques ; rien n'est plus insipide dans un poëme où le génie & la verve doivent regner, & où je dois toujours voir le poëte la tête ceinte d'une couronne en désordre, les yeux égarés dans le ciel, les bras agités comme un énergumene, emporté dans les airs sur un cheval aîlé, sans éperon qui le dirige, sans mors qui l'arrête, que la méthode, l'équerre, le compas & la regle ; rien n'est plus insipide dans un ouvrage de peinture où l'artiste n'a dû suivre dans la distribution de ses personnages sur la toile que la vérité de la nature, qu'un contraste recherché, une balance rigoureuse, une symmétrie incompatible avec les circonstances de l'événement, la diversité des intérêts, la variété des caracteres. Je conseille à tous ces esprits froids, analystes & méthodiques, de se mettre sous le même joug avec le boeuf, & de tracer des sillons qui plus ils seront droits & égaux, mieux ils seront. Rien de plus contraire aux grands effets, à la variété, à la surprise, que la symmétrie, qui par une seule partie donnée vous annonce toutes les autres, & semble vous dispenser de les regarder.

SYMMETRIE des plantations (agricult. décor.) Voyez PLANTATION.

J'ajoute avec M. J. J. Rousseau, que l'homme de goût, capable d'envisager les choses dans le grand, ne s'attache pas à la symmétrie des plantations, parce que cette symmétrie est ennemie de la nature & de la variété ; toutes les allées de nos plantations se ressemblent si fort, qu'on croit toujours être dans la même. Je permets qu'on élague le terrein pour s'y promener commodément ; mais est-il nécessaire que les deux côtés des allées soient toujours paralleles, & que la direction soit toujours en ligne droite ? Le goût des points de vue, des lointains, vient du penchant qu'ont la plûpart des hommes à ne se plaire que là où ils ne sont pas ; avides de ce qui est loin d'eux, l'artiste qui ne sauroit les rendre assez contents de ce qui les entoure, leur perce toujours des perspectives pour les amuser ; mais l'homme dont je parle, n'a pas besoin de cette ressource ; & quand il est occupé du spectacle des beautés de la nature, il ne se soucie pas des gentillesses de l'art. Le crayon tomba des mains de le Nôtre, dans le parc de Saint-James, étonné, confondu, de voir réellement ce qui donne tout ensemble de la vie à la nature, & de l'intérêt à son spectateur. (D.J.)


SYMPATHIEdans un sens plus naturel & plus vrai, s'employe pour exprimer l'aptitude qu'ont certains corps pour s'unir ou s'incorporer, en conséquence d'une certaine ressemblance, ou convenance dans leurs figures. Comme antipathie signifie une disposition contraire, qui les empêche de se joindre ; bien entendu qu'on n'attache à ces mots d'autres idées que celle de la propriété qu'ils expriment, sans prétendre que cette propriété vienne de quelque être métaphysique, ou qualité occulte résidente dans ces corps.

Ainsi, le mercure qui s'unit à l'or, & à beaucoup d'autres métaux, roule dessus le verre, la pierre, le bois, &c. & l'eau qui mouille le sel, & qui le dissout, coule sur le suif sans s'y attacher ; de même que sur une surface couverte de poussiere, & sur les plumes des oiseaux de riviere.

Deux gouttes d'eau ou de mercure se joindront immédiatement par le contact, & ne feront qu'une ; mais si vous versez sur du mercure de l'huile de tartre, de l'esprit-de-vin & de l'huile de térébenthine par-dessus, & enfin qu'il y ait de l'air par-dessus le tout ; tous ces fluides resteront dans le vaisseau sans se mêler ou s'unir en aucune sorte les uns avec les autres.

La différence de pesanteur spécifique de ces liqueurs paroît être la principale cause de ce phénomene. Car l'hydrostatique nous apprend que si deux fluides d'inégale pesanteur sont dans un vase, le plus léger se mettra toujours au-dessus du plus pesant. Il faut cependant, pour que les fluides ne se mêlent pas, que la différence de pesanteur soit un peu considérable. Car le vin, par exemple, quoique plus léger que l'eau, se mêle avec elle, à-moins qu'on ne le verse fort doucement, ou à-moins qu'on ne le verse sur quelque corps nageant sur la surface de l'eau (tel par exemple, qu'une tranche de pain), & qui amortisse la force que le vin peut avoir reçu en tombant. (O)

SYMPATHIE, (Physiolog.) cette convenance d'affection & d'inclination ; cette vive intelligence des coeurs, communiquée, répandue, sentie avec une rapidité inexplicable ; cette conformité de qualités naturelles, d'idées, d'humeurs & de tempéramens, par laquelle deux ames assorties se cherchent, s'aiment, s'attachent l'une à l'autre, se confondent ensemble, est ce qu'on nomme sympathie. Quelle est rare & délicieuse, sur-tout quand elle est si forte, que pour me servir des termes d'un auteur anglois, il ne peut naître de troisieme amour entre deux ! mais ce n'est point de cette heureuse liaison, dont je dois entretenir le lecteur. Il s'agit ici de cette communication qu'ont les parties du corps les unes avec les autres, qui les tient dans une dépendance, une position, une souffrance mutuelle, , & qui transporte à l'une des douleurs, les maladies qui affligent l'autre. Il est vrai pourtant que cette communication produisoit aussi quelquefois par le même méchanisme un transport, un enchaînement de sensations agréables.

La sympathie, en physique anatomique, est donc l'harmonie, l'accord mutuel qui regne entre diverses parties du corps humain par l'entremise des nerfs, merveilleusement arrangés, & distribués pour cet effet.

La nature s'est proposée trois choses principales dans leur distribution ; 1°. de donner du sentiment aux organes des sens.

2°. De donner du mouvement aux muscles & aux fibres.

3°. De mettre les parties du corps dans une dépendance réciproque les unes des autres. L'oeil, comme s'exprime un écrivain sacré (c'est S. Paul), ne peut pas dire à la main, je n'ai que faire de toi, ni la tête aux piés, je n'ai que faire de vous : ainsi les nerfs sont autant de renes dont l'ame se sert pour tourner le corps de tous côtés ; ce n'est qu'à eux que les parties doivent leurs mouvemens ; les rameaux que leur envoyent les mêmes troncs, ou ceux qui se communiquent, les tiennent dans une dépendance mutuelle, & portent à l'une les maux ou les plaisirs, qui affligent l'autre.

Fausse hypothèse sur la sympathie. Quelques auteurs ont attribué cette espece de commerce qui se trouve entre les parties, aux membranes qui leur sont communes ; mais il n'y eut jamais d'opinion moins fondée ; l'expérience nous apprend que les membranes perdent le sentiment de l'action, dès qu'elles n'ont plus de liaison avec les nerfs ; ce n'est donc pas sur elles qu'on doit rejetter les accidens qui s'étendent d'une partie à l'autre ; souvent la partie qui partage la couleur d'une autre est fort éloignée, & ce qui se trouve dans l'entre-deux, ne souffre point.

Comment pourroit-il se faire qu'une membrane qui transporte ces mouvemens irréguliers, ne fît aucun ravage dans le milieu ? D'ailleurs, ceux qui soutiennent l'opinion dont nous parlons, s'imaginent que c'est par des oscillations que les membranes se communiquent leurs mouvemens ; mais qui pourra croire que des membranes pressées fortement de tous côtés, attachées à chaque point de leur surface, flottantes dans une infinité d'endroits, lâches presque partout, conduites par plusieurs détours, soient capables de vibrations ? Ce n'est donc qu'aux nerfs & aux vaisseaux qu'il faut rapporter la sympathie qui se trouve entre les parties du corps. Entrons dans l'explication de ce méchanisme.

Sympathie de la tête avec d'autres parties du corps expliquées. Dans diverses maladies du cerveau, comme dans les contusions, les yeux s'enflamment ; le suc nerveux porté dans les nerfs qui vont à l'oeil, donne beaucoup de force aux vaisseaux, & pousse le sang dans les arteres lymphatiques ; les nerfs de la troisieme, quatrieme & sixieme paires, mettent les muscles en convulsion, & le regard devient féroce, ce qui pronostique le délire prochain.

Les douleurs de l'oreille sont des plus aiguës ; le grand nombre de rameaux de la septieme paire, & sa communication avec la huitieme, en donnent la raison ; il survient des pustules à la langue, & quelquefois on ne peut plus parler quand le cerveau est abscédé : d'abord les nerfs envoyent beaucoup de suc dans les muscles de la langue, y engorgent les vaisseaux, & forment par-là des pustules ; enfin par la violente compression des nerfs, la langue devient paralytique.

Dans les blessures de tête, on vomit de la bile ; en voici la raison ; par l'action des nerfs qui vont à ce viscere, les tuyaux sont resserrés, & comme le sang n'a pas un grand mouvement, il s'accumule & filtre plus de bile ; mais l'action ne doit pas se terminer seulement au foie, elle peut s'étendre sur d'autres parties ; aussi a-t-on remarqué que dans les blessures de tête, il se répandoit dans la cuisse un engourdissement ; l'intercostal qui s'étend aux cuisses, explique ce phénomene.

Sympathie des yeux expliquée. Les parties de la tête qui sont hors du crâne, ont beaucoup d'empire sur les autres. 1°. Les yeux reçoivent des nerfs de la cinquieme paire ; ainsi la dure-mere est agitée quand les yeux le sont ; de-là vient que l'ophthalmie produit une douleur de tête avec des battemens : 2°. quand un oeil est attaqué, l'autre l'est dans la suite, c'est peut-être parce que les deux branches de la troisieme paire sortent du même endroit : 3°. quand les humeurs d'un oeil s'écoulent par quelque blessure, l'autre diminue ; cet accident vient du vaisseau sympathique, lequel communique avec les deux yeux : 4°. les yeux nous marquent les passions ; parce que la cinquieme paire qui se répand dans l'oeil, communique avec les nerfs des visceres : dès qu'il y a quelque grande agitation dans le cerveau, le suc nerveux qui est envoyé dans les nerfs des yeux, y imprime divers mouvemens. 5°. La diarrhée, selon Hippocrate, guérit l'ophthalmie ; cela doit être ainsi, puisqu'alors les vaisseaux engorgés dans les yeux se désemplissent. 6°. Dans certaines maladies, les yeux se bouffissent, parce que le sang ne peut pas retourner par les veines, car quand on lie la jugulaire d'un chien, son oeil se gonfle extraordinairement. 7°. Dans les grandes passions, il succede une inflammation de l'oeil ; cela vient de ce que les nerfs contractent les extrêmités capillaires des arteres ; alors le sang étant accumulé, & poussé avec plus de force, se jette dans les arteres lymphatiques de l'oeil. 8°. Quand le corps est privé de nourriture, les yeux s'enfoncent, parce que ce qui forme leur masse, & la graisse qui les environne diminue. 9°. Comme il y a beaucoup de houpes nerveuses dans les paupieres, elles doivent être sensibles ; & quand elles seront fort irritées, il pourra survenir des convulsions dans tout le corps, à cause des communications de la cinquieme paire d'où elles tirent leur naissance.

Sympathie des narines expliquée. La dépendance mutuelle des narines & du diaphragme s'explique par le nerf intercostal, qui donne un rameau au diaphragme, & en reçoit un de chaque côté des nerfs diaphragmatiques. Baglivi s'est imaginé, que le nez avoit quelque liaison particuliere avec les intestins, parce que quand on fume, on est quelquefois purgé ; mais c'est qu'alors, on a avalé de la fumée de tabac. Pour ce qui regarde le cerveau, il n'est pas surprenant que certaines matieres comme l'héllebore, puissent causer des convulsions ; la communication de la cinquieme paire avec le nez explique ce phénomene : mais il y a une chose singuliere qui arrive très-souvent, c'est qu'on éternue en regardant fixement le soleil ; cela vient de ce que la branche nasale de l'ophtalmique donne un rameau qui rentre dans le crâne, & en sort avec l'olfactif, pour s'aller répandre dans la membrane pituitaire.

Sympathie des oreilles expliquée. Nous avons vu la liaison du cerveau avec les oreilles ; mais il reste à expliquer plusieurs phénomenes qui regardent d'autres parties.

1°. Wincler a dit qu'en faisant faire des mouvemens violens à un homme qui avoit une fluxion à l'oreille, il le délivra de cette incommodité ; c'est que par des mouvemens violens il agita les nerfs, & rendit le cours aux liqueurs arrêtées.

2°. Fabrice de Hildan rapporte d'une femme, que les douleurs qu'elle sentoit à l'oreille s'étendoient jusqu'au bras ; c'est que la portion dure communique avec la seconde & la troisieme vertébrale, qui de leur côté, communiquent avec les nerfs brachiaux.

3°. Quelquefois les douleurs s'étendent à la cuisse ; ce symptome ne peut résulter que de la communication des nerfs lombaires avec l'intercostal ; le suc nerveux étant poussé par ce dernier nerf, retrécit les extrêmités capillaires des vaisseaux, & par les engorgemens qu'il y forme, il y cause des douleurs.

4°. Dans les maux d'oreille, il arrive quelquefois une difficulté d'avaler ; cet effet procede de ce que les nerfs de la cinquieme paire, qui vont à la langue, communiquent avec la portion dure.

5°. Selon l'observation de Baglivi, la surdité qui survient dans les maladies, arrête le cours-de-ventre : quand il arrive des dérangemens dans les nerfs de l'oreille, l'intercostal étant secoué, envoye plus de suc nerveux dans les plexus mésentériques, & retrécit les extrêmités capillaires des arteres.

6°. Les douleurs d'oreilles naissent souvent dans les maladies aiguës, & sont un bon signe ; c'est qu'alors la matiere qui cause la maladie, se dépose dans les glandes parotides ; plusieurs médecins font appliquer un cautere actuel à ces glandes, & cela réussit fort bien. Au reste, ce dépôt arrive par la facilité que trouve la matiere à s'arrêter dans les cellules glanduleuses.

Sympathie des dents expliquée. Les dents n'ont pas moins de liaisons que l'oreille avec plusieurs parties du corps. 1°. Le mal aux dents cause une tumeur & une inflammation ; nous le concevons en ce que les nerfs de la cinquieme paire qui vont aux dents, envoyent des rameaux aux joues, aux gencives, aux muscles du visage ; ainsi, quand la douleur de dents est violente, les nerfs contractent les extrêmités artérielles ; les engorgemens qui arrivent alors, forment des inflammations, & font filtrer beaucoup de liqueur dans les interstices des fibres, soit des gencives, soit de la joue : en un mot, il arrive ici ce qu'on voit arriver quand on lie la jugulaire d'un chien, c'est-à-dire, que le voisinage se gonfle.

2°. La douleur des dents s'étend jusqu'aux oreilles, à cause de la communication de la portion dure avec la cinquieme paire.

3°. Les yeux souffrent du mal des dents ; quelquefois il survient une tumeur sous l'oeil, & la paupiere paroît palpiter : la branche qui se porte aux dents de la mâchoire supérieure, envoye un rameau dans le canal qui est sous l'orbite, va se répandre aux tégumens du visage, & à la levre supérieure ; or ce nerf étant agité, le suc qui y coule contracte les extrêmités artérielles sous l'oeil, & y cause une tumeur par ce retrécissement. L'origine commune de cette branche & de l'ophtalmique de Willis, fait voir encore que l'oeil doit pâtir du mal des dents.

4°. Quand les dents sortent aux enfans, ils éprouvent des diarrhées, des fievres, des vomissemens. Comme les nerfs de la cinquieme paire sont fort agités, la huitieme qui communique avec elle dans la bouche, & avec l'intercostal, qui tire son origine de la cinquieme, contracte à diverses reprises les extrêmités artérielles des intestins, il doit donc s'exprimer une liqueur qui se filtrera dans les intestins ; si la contraction est telle que tout soit bouché, alors la fievre & des vomissemens succéderont.

5°. Il survient aux enfans des mouvemens épileptiques, l'agitation de la cinquieme, huitieme paire, & de l'intercostal, en donnent la raison ; d'ailleurs le sang agité dans les visceres, agite de tous côtés les nerfs par diverses secousses qu'il reçoit du coeur ; & de-là dépend l'observation d'Hippocrate ; savoir, que les convulsions ne surviennent pas aux enfans qui ont des diarrhées, car les vaisseaux se désemplissent.

6°. Les remedes qu'on met dans l'oreille, appaisent quelquefois le mal de dents ; on le conçoit par la communication de la cinquieme paire avec la portion dure.

7°. Les vésicatoires guérissent quelquefois l'odontalgie. C'est un principe constant que tout étant en équilibre dans le corps humain, l'effort se jette vers l'endroit où cet équilibre est interrompu ; or par les vésicatoires l'équilibre est interrompu dans un point, & alors l'effort se portant vers ce point-là, il est moindre aux environs des dents.

8°. Pour ce qui regarde la liaison du larynx & du pharynx, la paire vague y envoye des rameaux de dessous le corps olivaire, & le récurrent en donne à l'oesophage & à la trachée-artere.

Sympathie des poulmons expliquée. La poitrine nous offre plusieurs phénomenes curieux ; mais il y a beaucoup de faits qu'on rapporte à la sympathie, qui dépendent d'une autre cause. 1°. Les poulmons étant attaqués, les nerfs intercostaux doivent produire des inspirations fréquentes ; car l'intercostal joint aux nerfs dorsaux, communique avec la huitieme paire.

2°. Les inflammations des poulmons font sentir de la douleur vers les clavicules & l'omoplate, parce que le nerf intercostal forme avec la seconde paire dorsale le nerf qui se porte au muscle souclavier.

3°. Les joues rougissent dans les phthisiques. Pour expliquer ce phénomene, il faut observer que le sang ne coulant pas librement dans les poumons, il se trouve arrêté dans la veine cave supérieure ; les arteres doivent donc nécessairement se gonfler, & envoyer plus de sang au visage. Autre remarque, c'est que le réseau est considérable aux joues ; or les parties venant à se sécher dans la phthisie, & le réseau du visage étant plus gros aux joues, il arrive que le sang s'y jette en plus grande quantité.

4°. Le cerveau souffre dans les maladies du poumon ; cela peut résulter de la communication de la huitieme paire avec la cinquieme, laquelle envoye des rameaux à la dure-mere ; mais il faut sur-tout avoir égard au sang qui ne peut pas descendre commodément du cerveau.

5°. Baglivi croit qu'il y a de la sympathie entre la poitrine & les testicules, parce que les maladies du poumon se jettent dans les bourses ; mais cet accident rare ne vient pas de leur liaison. Les matieres qui forment un abscès dans le tissu pulmonaire, se peuvent transporter dans tout le corps, soit par la disposition des parties, soit par quelque accident.

6°. En appliquant des vésicatoires aux jambes, on a soulagé quelquefois les pleurétiques. On a dit que dans l'endroit où agissent les vésicatoires, il se fait une dérivation, & que la matiere déposée dans les poulmons se porte aux jambes ; mais cette explication n'est qu'un jeu d'esprit, & le fait même est douteux.

7°. Quand le diaphragme est enflammé, on tombe dans la phrénésie, qui n'est quelquefois qu'une inflammation des meninges ; cela vient de ce que le diaphragme n'ayant plus de mouvement libre, le sang s'arrête dans les poumons, & par conséquent dans le cerveau ; d'ailleurs le nerf diaphragmatique communiquant avec l'intercostal, agite la cinquieme paire qui donne des rameaux à la dure-mere ; ce même nerf se rendant au cerveau, peut encore y porter une agitation qui causera la phrénésie.

Sympathie du ventricule expliquée. Les maux qui surviennent au ventricule, se répandent presque de toutes parts. 1°. Les douleurs de tête, le délire, le vertige, la rougeur du visage, les affections soporeuses dépendent très-souvent de ce viscere. Les nerfs du ventricule étant agités, ceux des reins, de la rate, du foie, des plexus mésentériques le sont aussi, & contractent les vaisseaux. La contraction des extrêmités artérielles arrête le sang dans toutes ces parties ; c'est donc une nécessité que les liqueurs se portent en plus grande quantité vers la tête, & y produisent les effets dont nous venons de parler.

2°. Les nerfs qui vont au ventricule, fournissent des rameaux au larynx, au pharynx, aux muscles de l'os hyoïde & à l'oesophage ; ainsi le ventricule étant agité, les rameaux le seront, & envoyeront plus de suc nerveux dans ces endroits ; aussi l'excrétion de la salive précede le vomissement. Souvent les esquinancies se guérissent par les purgatifs ; & la langue, selon Baillou, se sent toujours de l'état du ventricule.

3°. Pour la poitrine, elle n'a pas moins de liaison avec le ventricule. On sait que la huitieme paire qui donne des rameaux à la trachée-artere, va former les plexus pneumoniques, & se répand sur l'oesophage. Il ne faut donc pas être surpris si le trouble qui arrive dans ce viscere, excite des toux opiniâtres, & si les matieres qui relâchent le ventricule, sont si salutaires dans l'inflammation des poumons.

4°. Mais si les poumons sont troublés par le ventricule, le coeur ne l'est pas moins. Les rameaux qui vont au plexus cardiaque, au coeur, aux oreillettes, doivent nécessairement être agités, quand les nerfs du ventricule le sont ; car ils sortent de la huitieme paire ; alors l'esprit nerveux se portera dans le coeur en si grande abondance, que ce muscle demeurera longtems en contraction ; or cela ne sauroit arriver qu'on ne tombe en syncope, & les praticiens en rapportent plusieurs exemples.

Outre les liaisons dont nous venons de parler, le ventricule en a encore d'autres avec l'abdomen. D'abord, le plexus semi-lunaire qui forme par ses rameaux le plexus splénique, communique avec le plexus stomachique ; ainsi quand la rate sera remplie de sang épais dans les hypocondriaques, ses mouvemens irréguliers se communiqueront au ventricule, & en resserrant son pylore, ils donneront lieu à l'air de se raréfier, & de causer des gonflemens. Le foie ne souffrira pas moins des mouvemens irréguliers du ventricule ; les fibres nerveuses que la huitieme paire envoye au pylore, se joignent au plexus hépatique ; ainsi quand elles seront agitées, la bile coulera sur le champ.

Le plexus stomachique communique avec le plexus mésentérique : donc les douleurs de l'estomac peuvent passer dans les intestins ; en outre le plexus rénal gauche communique avec le plexus stomachique ; ainsi les reins s'enflammant, le vomissement pourra succéder. Les vomissemens qui surviennent aux femmes grosses, naissent de ce que le sang qui sortoit de l'utérus, n'ayant plus cette issue, il se jette en plus grande quantité dans l'artere coeliaque. Enfin comme les nerfs de la huitieme paire qui se terminent presque au ventricule, communiquent avec les nerfs qui se répandent au-dehors, on ne sera pas surpris si les maux qui arrivent à l'estomac, excitent des sueurs, ou suppriment la transpiration ; la grande contraction qu'éprouvent alors les vaisseaux, exprimera d'abord les liqueurs des couloirs, & finira par boucher les tuyaux secrétoires.

Sympathie des intestins expliquée. Les intestins reçoivent leurs nerfs des intercostaux ; ces nerfs forment le plexus cardiaque & le splénique, qui communiquent avec les nerfs dorsaux, les nerfs de l'estomac & ceux de la vessie ; ainsi 1°. dans la passion iliaque il surviendra souvent des syncopes par l'agitation du plexus cardiaque ; 2°. la respiration sera difficile, parce que les nerfs costaux seront tirés par l'intercostal ; 3°. on vomira à cause de la communication des plexus mésentériques avec le stomachique ; 4°. il surviendra un grand écoulement de bile, & peut-être une inflammation au foie, parce que le plexus hépatique sort du plexus semi-lunaire, qui jette des rameaux pour former les plexus du mésentere ; 5°. l'urine s'arrêtera, parce que les plexus rénaux rétréciront les extrêmités capillaires des arteres rénales ; 6°. les coliques pourront causer des maux de tête, puisque le sang étant arrêté dans les intestins, dans les reins & dans le foie, se porte à la tête en plus grande quantité. Les tiraillemens causés par les nerfs inférieurs, pourront aussi produire des convulsions, & ces convulsions pourront causer la paralysie.

Sympathie du foie expliquée. Le foie reçoit son plexus du nerf intercostal qui lui envoye trois rameaux, après qu'il en a donné un au diaphragme. Voyons ce que doit produire une telle origine. 1°. Dans les inflammations du foie, il arrive des hémorrhagies par la narine droite ; cela vient de ce que le nerf intercostal droit qui fournit le plexus hépatique, communique avec les nerfs qui vont au nez, & y cause des engorgemens qui sont suivis d'une hémorrhagie. 2°. Ceux qui ont le foie trop gros & enflammé, sentent, selon Baillou, une douleur aux clavicules & aux omoplates ; il faut remarquer qu'alors on ne respire qu'en élevant les côtes ; on tient l'omoplate & la clavicule élevés, ce qui ne peut se faire quelque tems sans douleur. 3°. Il arrive des vomissemens, à cause que les fibres de la huitieme paire qui vont au pilore, se joignent au plexus hépatique. 4°. Hollier rapporte qu'il a vu deux ou trois fois à la cuisse des douleurs insupportables qui ne cédoient à rien, & qu'il a trouvé du pus entre les muscles. Dans ce cas, le foie avoit quelque vomique ; car ce phénomene ne dépend pas des nerfs ; peut-être que le pus de la jambe s'étoit déposé dans le foie, ou que du foie il étoit venu en circulant au-travers la substance celluleuse jusqu'aux extrêmités.

Sympathie de la rate expliquée. Nous avons déja dit quelque chose de la rate. 1°. Ses incommodités se font sentir quelquefois au côté droit ; cela doit arriver par la communication du plexus sémi-lunaire gauche avec le plexus hépatique ; car c'est ce plexus sémi-lunaire qui donne origine au plexus splénique. 2°. Quand il y a quelque obstruction, on est sujet au vomissement ; cela vient de la communication du plexus sémi-lunaire avec le plexus stomachique. 3°. Les hypocondriaques ont une difficulté de respirer ; les rameaux de l'intercostal qui se joignent aux nerfs dorsaux, doivent causer ce symptome, & la branche intercostale qui va s'unir à la huitieme paire près des plexus pneumoniques, peut encore contribuer à cet effet, de même que l'union du plexus sémi-lunaire avec le nerf gauche de la huitieme paire. 4°. Par la derniere communication dont nous venons de parler, les hypocondriaques sentent du resserrement à la région de l'estomac ; il faut y ajouter encore la grande quantité du sang que reçoit le ventricule à cause de l'obstruction de la rate. 5°. Comme le plexus cardiaque reçoit des branches de l'intercostal gauche, le coeur peut participer aux maux de la rate. 6°. On doit sentir un poids, surtout quand on a mangé ; car le resserrement causé par les nerfs accumule le sang dans les arteres, & la rate est comprimée par les alimens.

Sympathie des reins expliquée. Une partie qui cause bien des dérangemens dans la machine, c'est les reins. 1°. S'il y a quelque pierre, il survient une difficulté de respirer ; cela se conçoit par la communication de l'intercostal avec les nerfs costaux & avec la huitieme paire ; d'ailleurs, afin que le diaphragme ne comprime pas le rein, on éleve les côtes, on se tient droit. De cette même cause naissent quelquefois des douleurs de côté semblables à celles de la pleurésie.

2°. Lister remarque qu'il survient des palpitations, quand on a quelque pierre aux reins ; cela peut arriver par les contractions fréquentes que causent dans le coeur les branches de l'intercostal qui forment le plexus cardiaque.

3°. Le pouls est petit du côté malade ; car comme l'intercostal communique avec les nerfs brachiaux, ces nerfs qui sont alors agités, contractent les arteres, & les empêchent d'obéir, comme auparavant, aux mouvemens du coeur.

4°. Il survient des coliques & des vomissemens ; la communication des plexus mésentériques & du stomachique avec les plexus rénaux, produisent ces accidens.

5°. Le testicule se retire en haut, à cause des rameaux lombaires qui se jettent dans les vaisseaux spermatiques, & qui vont au muscle crémaster, lequel en se contractant, doit de nécessité soulever le testicule.

6°. On sent un engourdissement à la cuisse, en conséquence de la compression du nerf intercostal près du rein.

7°. Il arrive une suppression d'urine, parce que les nerfs irrités contractent les extrêmités artérielles des reins.

8°. On éprouve une douleur aux lombes, parce que vers l'endroit où naissent les branches des plexus rénaux, il y a des filets qui vont se jetter aux lombes ; d'ailleurs les plexus semi-lunaires, après avoir donné des plexus aux reins, donnent des branches aux lombes.

9°. Les douleurs d'un rein s'étendent à l'autre ; souvent même elles ne se font pas sentir dans le rein qui est affligé, mais dans l'autre. Comme les plexus semi-lunaires communiquent ensemble, lorsqu'un rein est malade, la contraction que les plexus porteront dans les arteres de l'autre rein, y pourront causer une suppression ; mais si les pierres causent une grande compression dans un rein, il n'y aura plus de sentiment ; cependant les distensions que causeront ces pierres, tirailleront les nerfs de l'autre rein, & y transporteront la douleur.

Sympathie de la vessie expliquée. Nous finirons les mouvemens sympathiques qui regardent les couloirs de l'urine, par le rapport de la vessie avec quelques parties. 1°. Quand elle contient quelque pierre, on sent de la douleur au gland ; ce symptome résulte de ce que les nerfs étant irrités par la pierre, contractent les vaisseaux tendres qui sont au gland, & y causent quelque séparation dans les fibres. 2°. Quand on urine avec douleur, on sent de petits mouvemens convulsifs presque par tout le corps ; c'est que les nerfs intercostaux agitent les nerfs épineux, qui peuvent porter leur mouvement dans toutes les parties. 3°. La vessie doit communiquer ses mouvemens à l'abdomen, à cause qu'elle reçoit les nerfs du plexus mésentérique inférieur. 4°. A l'anus, aux prostates, aux vésicules séminales ; car les nerfs que reçoit la vessie, viennent de la même origine, c'est-à-dire, du plexus mésentérique & de l'intercostal.

Sympathie de l'uterus expliquée. Si quelque partie a de la liaison avec les autres, c'est assurément la matrice. 1°. Dans la passion hystérique les femmes sentent quelquefois un froid glaçant derriere la tête ; les nerfs vertébraux qui communiquent avec l'intercostal, sont tellement agités par ce dernier nerf, qu'ils envoient dans les tégumens de la tête une grande quantité de suc nerveux ; desorte que les vaisseaux sont entierement resserrés ; & comme le sang n'y peut pas couler, la diminution du mouvement fait sentir le froid.

2°. Il survient une grande douleur de tête, parce que le sang arrêté dans les parties inférieures se porte en grande quantité vers les parties supérieures ; c'est de-là que dépend encore le vertige dont l'origine consiste dans le gonflement des arteres qui vont à l'oeil ; c'est encore à cette même cause, qu'il faut rapporter le tintement d'oreille ; car les vaisseaux qui accompagnent le nerf acoustique, agitent ce nerf par leurs battemens.

3°. La pâleur qui survient dans cette maladie, peut s'expliquer par le gonflement des gros tuyaux qui compriment les petits & empêchent le sang d'y couler.

4°. Les convulsions naissent du sang arrêté, qui, par ses secousses, agite par-tout le genre nerveux.

5°. Il survient un grand resserrement au larynx & aux pharynx ; ce resserrement procede de la liaison du plexus glangliforme de l'intercostal, avec la branche de la huitieme paire qui se porte au larynx & au pharynx.

6°. La difficulté de respirer, résulte de l'agitation que cause l'intercostal dans les plexus pneumoniques, par le rameau qui s'insere à la huitieme paire. Le sang étant arrêté dans les poumons, parce qu'il ne peut pas couler vers les parties inférieures, peut encore rendre la respiration pénible : ajoutez la communication du nerf diaphragmatique avec l'intercostal, & vous verrez que toutes ces causes ne seront que trop suffisantes pour déranger la respiration.

7°. Le vomissement peut venir, 1°. du sang qui se jette en trop grande quantité dans le ventricule ; 2°. de l'agitation que les plexus mésentériques causent dans les rameaux que la huitieme paire envoie à l'oesophage ; & 3°. de l'agitation des branches lombaires, qui vont aux muscles de l'abdomen.

8°. La syncope procede de ce que les plexus cardiaques tiennent le coeur dans une longue contraction, par la grande quantité de suc nerveux qui y est envoyé.

9°. Le foie doit pareillement être attaqué, car le plexus hépatique est formé par l'intercostal : ainsi les vomissemens seront bilieux, comme le remarque Sydenham.

10°. Il se forme souvent une tumeur mobile dans le bas-ventre. Les plexus mésentériques qui naissent de l'intercostal, communiquent avec ce nerf ; ils envoient aussi des branches à la matrice, lesquelles contractent les intestins.

11°. On conçoit qu'il pourra survenir des coliques affreuses, ainsi que des douleurs de lombes, en conséquence des branches de nerfs, que les plexus mésentériques & l'intercostal fournissent à ces parties.

12°. L'urine est claire comme de l'eau, parce que l'intercostal étant agité, les plexus rénaux le sont aussi ; alors la grande quantité de suc nerveux poussé dans les extrêmités artérielles des reins, y cause un resserrement qui ne permet pas aux parties grossieres de s'échapper ; l'eau seule a des parties assez subtiles pour passer par les couloirs.

Ce sont-là les phénomenes que présente ordinairement la passion hystérique, cette maladie si variée dans ses jeux, qu'on peut la comparer au pouvoir qu'avoit Prothée de se changer en toutes sortes de formes.

Passons aux phénomenes sympathiques qui accompagnent la grossesse. Le vomissement dépend plutôt des vaisseaux que des nerfs ; car s'il dépendoit des nerfs, il seroit plus violent. Quand le foetus croît, le sang qui ne peut se décharger par la matrice, est obligé de se porter en plus grande quantité dans le ventricule, & y cause le vomissement. Les femmes enceintes sentent de la douleur aux cuisses lorsqu'elles se mettent à genoux ; cela vient de ce que le cordon que forment les vaisseaux & le nerf crural sont extrêmement tendus dans cette situation. Il y en a qui tomberoient en foiblesse, si elles restoient quelque tems à genoux ; comme l'abdomen est alors fort pressé, le diaphragme ne peut pas descendre, & par conséquent la respiration ne peut se faire qu'avec peine. La vessie, le rectum & la matrice reçoivent des nerfs des mêmes troncs ; on ne sera donc pas surpris que ces parties partagent réciproquement leurs maladies. Enfin dans l'amour, l'utérus partage aussi les impressions des parties du corps qui en sont les plus éloignées. L'on sait les effets que produisent dans cet organe de la génération, les baisers des amans sur les levres, par une suite de la communication des nerfs de la cinquieme paire. Cette cinquieme paire distribuant ses ramifications aux deux levres, à l'oeil, à la langue, & par l'inoculation d'un de ses nerfs, au coeur, aux visceres, à la matrice, toutes ces parties sont agitées ; & le léger contact de quelques mamelons veloutés d'un corps spongieux, couvert d'une pellicule très-fine, cause tout cet embrâsement.

Remarques. Je finis par un fait particulier rapporté dans l'hist. de l'acad. des Scienc. En 1734, M. Hunauld fit à l'académie la démonstration d'un rameau de nerf assez considérable, qui partant du plexus gangliforme semilunaire de M. Vieussens, remonte du bas-ventre à la poitrine, & va se perdre à l'oreillette droite, & à la base du coeur, où il se distribue. Comme les nerfs qui portent le sentiment dans la machine, font que des parties assez éloignées sont en commerce de sensations, on comprendra par ce nouveau nerf, le commerce qui se rencontre quelquefois entre les visceres du bas-ventre & le coeur.

Il saut pourtant avouer que si ces sortes de communications servent à un commerce réciproque de mouvemens, il y a une communication plus cachée & primitive, qu'il faut chercher dans l'origine des nerfs. Des faits incontestables nous la démontrent, & nous la rendent assez sensible pour que nous puissions la reconnoître. Cette communication est telle, qu'un nerf étant irrité, celui qui lui répond dans le cerveau entre en mouvement. Est-ce à une cause de cette espece que l'on pourroit rapporter le premier mouvement machinal, je veux dire, le mouvement du coeur ?

Tels sont les détails physiologiques de M. Senac sur cette matiere. Willis y a mêlé sans-cesse ses fausses hypothèses, mais il nous manque toujours un ouvrage complet sur un sujet si curieux ; cette besogne savante exigeroit tout ensemble un ramas d'observations bien avérées touchant les mouvemens sympathiques des diverses parties du corps humain, beaucoup de génie, de lumieres & de connoissances de la Nevrologie. (D.J.)

SYMPATHIE, (Peint.) les Peintres se servent de ce terme pour signifier l'union & comme l'amitié qui est entre certaines couleurs ; le goût & la pratique apprennent aux artistes à connoître cette union. (D.J.)


SYMPATHIQUEREMEDE, (Médec.) c'est ainsi qu'on nomma par excellence, sur la fin du seizieme siecle, l'eau & la poudre de sympathie du chevalier Digby. Voyez POUDRE de sympathie.

L'ouvrage que cet anglois mit au jour pour justifier la possibilité naturelle des cures sympathiques, & ensuite la fameuse imposture de Jacques Aymar par sa baguette devinatoire, furent cause que dans le dernier siecle, quelques personnes renouvellerent le systême ridicule des sympathies ; mais ce n'est que dans la bouche des Poëtes, comme, par exemple, dans celle de l'auteur du Pastor fido, atto I. scena j. qu'un pareil systême peut se faire écouter des amans.

Mira d'intorno, Silvio,

Quanto il mondo ha di vago, e di gentile :

Opera è d'amore : amante è il cielo, amante

La terra, amante il mare, &c.

(D.J.)


SYMPHONIAS. f. (Hist. nat. Botan.) nom donné par quelques botanistes à l'amaranthe de trois couleurs, que Tournefort appelle amaranthus, folio variegato. Cette amaranthe est fort cultivée par les Fleuristes à cause de sa grande beauté ; ils l'appellent tricolor. Voyez TRICOLOR. (D.J.)


SYMPHONIES. f. mot formé du grec syn, avec, & phoné, voix, signifie dans la musique ancienne, cette union de voix ou de sons qui forme un concert. C'est un sentiment reçu que les Grecs ne connoissoient pas l'harmonie, dans le sens que nous donnons aujourd'hui à ce mot. Ainsi leur symphonie ne formoit pas des accords ; mais elle résultoit du concours de plusieurs voix ou instrumens chantans & jouans la même partie. Cela se faisoit de deux manieres : ou tout concertoit à l'unisson, & alors la symphonie s'appelloit plus particulierement homophonie, ; ou la moitié des parties étoit à l'octave, ou même à la double octave de l'autre, & cela se nommoit antiphonie, . On trouve la preuve de tout cela dans les problêmes d'Aristote.

Aujourd'hui le mot de symphonie s'entend de toute musique instrumentale, tant de pieces qui ne sont destinées que pour les instrumens, comme les sonates & concerto, que de celles où les instrumens se trouvent mêlés avec les voix, comme dans nos opéra & dans plusieurs autres sortes de musiques. On distingue la musique vocale en musique sans symphonie, qui n'a d'autres accompagnemens que la basse continue, & musique avec symphonie, qui a au moins un dessus d'instrumens, violons, flûtes ou hautbois. On dit d'une piece qu'elle est grande symphonie, quand outre la basse & les dessus, elle a encore deux autres parties instrumentales ; savoir, taille & quinte de violon. La musique de la chapelle du roi, celle de plusieurs églises, & celle de nos opéra, sont presque toujours en grande symphonie.

A cet excellent article, je ne joindrai que quelques-unes des réflexions de M. l'abbé du Bos, après avoir indiqué le sens du mot symphonie chez les anciens. Ils attachoient trois significations principales à ce mot symphonie, , qui veut dire consonnance.

1°. Ils désignoient par-là les rapports entre certains sons qui se succédoient les uns aux autres dans ce qu'on appelle mélodie, chant simple, modulation ; ainsi l'intervalle de la quarte, celui de la quinte, & celui de l'octave avec leur répétition, se nommoient symphoniques. Il n'en étoit pas de même des autres intervalles, quoique reçus dans le chant simple ou la mélodie, tels que le ton, la tierce, la sixte, &c. Ils ne formoient point, selon les anciens, une véritable symphonie, mais seulement emmelie, c'est-à-dire, concinnitas, convenance. 2°. On entendoit par ce terme symphonie, le concert de plusieurs voix, celui de plusieurs instrumens, ainsi que le mêlange de ceux-ci avec les voix, soit que les uns & les autres fussent à l'unisson, soit qu'ils fussent à la tierce ou à la double octave, soit qu'ils jouassent ou chantassent un sujet, soutenu d'un simple bourdon. 3°. Enfin l'on employoit ce même mot, pour spécifier plus particulierement cette sorte de concert de plusieurs voix, ou de plusieurs instrumens, qui chantoient & jouoient à l'unisson ou à la tierce.

La musique, dit M. l'abbé du Bos, ne s'est pas contentée d'imiter dans ses chants le langage inarticulé de l'homme & tous les sons naturels dont il se sert par instinct. Cet art a voulu encore faire des imitations de tous les bruits qui sont les plus capables d'agir sur nous lorsque nous les entendons dans la nature. La musique ne se sert que des instrumens pour imiter ces bruits dans lesquels il n'y a rien d'articulé, & nous appellons communément ces imitations des symphonies.

La vérité de l'imitation d'une symphonie, consiste dans la ressemblance de cette symphonie avec le bruit qu'elle prétend imiter. Il y a une vérité dans une symphonie, composée pour imiter une tempête, lorsque le chant de la symphonie, son harmonie & son rithme nous font entendre un bruit pareil au fracas que les vents font dans l'air, & aux mugissemens des flots qui s'entrechoquent, ou qui se brisent contre les rochers.

Ainsi quoique ces symphonies ne nous fassent entendre aucun son articulé, elles ne laissent pas de pouvoir jouer des rôles dans des pieces dramatiques, parce qu'elles contribuent à nous intéresser à l'action, en faisant sur nous une impression approchante de celle que feroit le bruit même dont elles sont une imitation, si nous entendions ce bruit dans les mêmes circonstances que nous entendons la symphonie qui l'imite. Par exemple, l'imitation du bruit d'une tempête qui va submerger un personnage à qui le poëte nous fait prendre actuellement un grand intérêt, nous affecte comme nous affecteroit le bruit d'une tempête prête à submerger une personne pour laquelle nous nous intéresserions avec chaleur, si nous nous trouvions à portée d'entendre cette tempête véritable. Il seroit inutile d'ajouter ici que l'impression de la symphonie ne sauroit être aussi sérieuse que l'impression que la tempête véritable feroit sur nous ; car on sait que l'impression qu'une imitation fait sur nous, est bien moins forte que l'impression faite par la chose imitée.

Il n'est donc pas surprenant que les symphonies nous touchent beaucoup, quoique leurs sons, comme le dit Longin, ne soient que de simples imitations d'un bruit inarticulé ; &, s'il faut parler ainsi, des sons qui n'ont que la moitié de leur être & une demi-vie.

Voilà pourquoi l'on s'est servi dans tous les pays & dans tous les tems du chant inarticulé des instrumens pour remuer le coeur des hommes, & pour mettre certains sentimens en eux, principalement dans les occasions où l'on ne sauroit leur inspirer ces sentimens en se servant du pouvoir de la parole. Les peuples civilisés ont toujours fait usage de la musique instrumentale dans leur culte religieux. Tous les peuples ont eu des instrumens propres à la guerre, & ils s'y sont servi de leur chant inarticulé, nonseulement pour faire entendre à ceux qui devoient obéir, les ordres de leurs commandans, mais encore pour animer le courage des combattans, & même quelquefois pour le retenir. On a touché ces instrumens différemment suivant l'effet qu'on vouloit qu'ils fissent, on a cherché à rendre leur bruit convenable à l'usage auquel on le destinoit.

Peut-être aurions-nous étudié l'art de toucher les instrumens militaires autant que les anciens l'avoient étudié, si le fracas des armes à feu laissoit nos combattans en état d'entendre distinctement le son de ces instrumens. Mais quoique nous n'ayons pas travaillé beaucoup à perfectionner nos instrumens militaires, & quoique nous ayons si fort négligé l'art de les toucher qui donnoit tant de considération parmi les anciens, que nous regardons ceux qui exercent cet art aujourd'hui comme la partie la plus vile d'une armée, nous ne laissons pas de trouver les premiers principes de cet art dans nos camps : nos trompettes ne sonnent point la charge comme ils sonnent la retraite : nos tambours ne battent point la chamade du même mouvement dont ils battent la charge. (D.J.)


SYMPHONISTES. m. (Gram.) musicien qui compose ou exécute des symphonies, ou de la musique instrumentale.


SYMPHYSEen Anatomie, est une sorte de connexion ou d'union des os. Voyez UNION.

Le mot est grec, , & signifie une liaison ou connexion naturelle.

La symphyse ou union des os, est de deux sortes, l'une avec moyen & l'autre sans moyen.

La symphyse sans moyen est celle où deux os assemblés sont maintenus dans cet état par eux-mêmes, sans le secours d'une troisieme chose, & elle a lieu dans les os articulés par suture. Voyez SUTURE.

Cette union se fait à-peu-près de la même maniere que celle d'une greffe avec un arbre. Voyez GREFFE.

La symphyse avec moyen est de trois sortes, qui sont la synevrose, la syssarcose & la synchondrose. Voyez chacune à leur article propre.


SYMPHYTUMS. m. (Botan.) genre de plante, nommé en anglois confrey, & en françois consoude ; voyez-en sous ce mot les caracteres d'après Tournefort.

Dans le systême de Linnaeus, le calice de ce genre de plante est conique, pentagone, divisé en cinq segmens dans les bords, & subsistant après que la fleur est tombée. La fleur est composée d'une seule feuille, qui forme un court tuyau, un peu ventreux, & divisé à l'extrêmité en cinq quartiers ; l'ouverture de la fleur est à cinq rayons, qui se réunissent en forme de cône ; les étamines sont cinq filets pyramidaux placés alternativement avec les rayons ; les bossettes des étamines sont droites, aiguës & couvertes ; le pistil a quatre germes ; le stile est de la même longueur de la fleur ; le stigma est unique ; le calice grossit, tient la place du fruit, & contient quatre semences bosselées, pointues, & dont les sommets se réunissent ensemble. Linnaei gen. plant. p. 38.

Tournefort compte dix especes de symphytum ; la principale est celle qu'il nomme symphytum, seu consolida major, I. R. H. 138. en françois, la grande consoude. Sa racine est divisée en plusieurs branches ; elle est noire au-dehors, blanche au-dedans, & pleine d'un suc épais & tenace. Ses feuilles les plus basses sont assez larges, longues, étroites, pointues par le bout, velues & rudes. Ses tiges sont anguleuses, s'élévent à deux ou trois piés de haut, sont couvertes de petites feuilles, & portent à leur sommet des épis inclinés de fleurs blanches, qui s'ouvrent par degrés. Chaque fleur est creuse, en godet, divisée dans sa partie supérieure en cinq segmens obtus, & placée dans un calice fort velu, où l'on trouve quatre semences anguleuses, après que la fleur est tombée. Cette plante croît au bord des rivieres, & fleurit en Juin. Ses racines, ses fleurs & ses feuilles sont d'usage ; son suc visqueux rend bonne cette plante dans toutes sortes de flux, & sur-tout dans exulcération des poumons. Symphytum vient de , j'agglutine, parce que cette plante est pleine d'un suc glutineux propre à consolider les petits ulceres.

Les anciens ont donné le nom de symphytum à quelques plantes fort différentes ; Dioscoride en particulier nomme tantôt symphytum, l'énule-campane, & tantôt il appelle ainsi la prêle, aequicetum. (D.J.)


SYMPLÉGADES(Mythol.) ce sont deux îles, ou plutôt deux écueils situés près du canal de la mer Noire, au détroit de Constantinople, & qui sont si près l'un de l'autre, qu'ils semblent se toucher ou s'entrechoquer, ce qui a donné lieu aux poëtes d'en faire deux monstres marins redoutables aux vaisseaux. (D.J.)

SYMPLEGADES, îles, (Géog. anc.) les Symplégades, ou les Cyanées, sont deux petites îles, ou plutôt un amas de rochers d'une figure irréguliere, qui se trouvent à quatre ou cinq lieues de l'entrée du Pont-Euxin, & dont une partie est du côté de l'Asie, l'autre du côté de l'Europe, & assez près les uns des autres pour ne laisser qu'un passage difficile. Les flots de la mer qui viennent s'y briser avec beaucoup de fracas, font élever une espece de fumée qui obscurcit l'air. Comme, selon Strabon, il n'y a entre ces rochers que vingt stades de distance, & qu'à mesure qu'on en étoit proche ou loin, ils paroissoient se joindre ou se séparer, on croyoit en les voyant dans l'éloignement qu'ils se rejoignoient pour engloutir les vaisseaux qui y passoient ; ce que Pline exprime ainsi : Cianeae ab aliis Symplegades appellatae, traditaeque fabulis inter se concurrisse, quoniam parvo discretae intervallo, ex adverso intrantibus geminae cernebantur, paulùmque deflexâ acie coeuntium speciem praebebant. Et c'est en effet ce qui fit donner le nom de Symplégades, pour marquer que ces rochers s'entreheurtoient & s'entrechoquoient. (D.J.)


SYMPLOCES. f. (Rhétorique) figure par laquelle un même mot est répété à dessein plusieurs fois, soit au commencement, soit à la fin d'un discours. Cicéron nous en fournit un bel exemple dans son oraison pour Rullus : Quis legem tulit ? Rullus. Quis majorem populi partem suffragiis privavit ? Rullus. Quis comitiis praefuit ? idem Rullus. (D.J.)


SYMPOSIAQUES. m. (Littérat.) entretien ou conversation des philosophes dans un banquet.

Ce mot est formé du grec , banquet.

Plutarque a fait neuf livres qu'il a intitulés symposiaques ou questions symposiaques, c'est-à-dire, disputes, ou conversations de table.


SYMPOSIARQUES. m. (Antiq. grecq.) nom que les Grecs donnoient aux directeurs d'un repas. Cet emploi étoit quelquefois rempli par la personne qui donnoit le repas ; quelquefois par celle qu'il nommoit lui-même ; & d'autres fois sur-tout dans les repas par écot, le sort en décidoit, ou les suffrages des convives. On le nommoit aussi modimperator, ou basileus, le roi de la fête, & c'étoit lui qui faisoit les loix tendantes à la bonne union & à la gaieté, veillant à ce qu'elles fussent bien observées ; d'où vient qu'on l'appelloit par cette raison ophthalmus, l'oeil du festin.

Tous les conviés étoient obligés de suivre ses ordres, sur quoi Cicéron raille un certain homme qui avoit toujours obéi aux loix du cabaret, & n'avoit jamais voulu se soumettre à celles du peuple romain : Qui numquam populi romani legibus paruisset, is legibus quae in poculis ponebantur, obtemperabat.

Les principaux magistrats se prêtoient de bonne grace à exécuter les loix établies par celui que le sort avoit nommé le législateur du repas. Plutarque rapporte qu'Agésilas, roi de Lacédémone, ayant été fait symposiarque dans un festin, l'échanson vint lui demander la quantité de vin que chaque convive boiroit, à quoi il répondit : " Si vous avez abondance de vin, que chacun en boive à sa volonté, sinon faites ensorte que chacun en ait une portion égale ". (D.J.)


SYMPTOMATIQUEadj. en Médecine, est un terme souvent employé pour marquer la différence entre les causes primitives & les causes secondaires des maladies. Par exemple, une fievre causée par la douleur, se nomme symptomatique, parce qu'elle ne provient que de la douleur ; c'est pourquoi on ne doit pas en pareil cas avoir recours aux remedes ordinaires des fievres, mais à ceux qui éloignent la douleur ; car la douleur étant cessée, la fievre cessera aussi sans qu'on ait rien employé directement contre elle. Voyez FIEVRE.

Une fievre maligne est essentielle lorsqu'elle provient d'une inflammation même du cerveau, ou des miasmes putrides répandus dans la masse du sang ; mais elle est symptomatique si elle est occasionnée par une autre maladie, telle que l'inflammation de la poitrine, de l'estomac, ou la sabure nidoreuse des premieres voies.

C'est ainsi qu'une dyssenterie est distinguée en essentielle lorsqu'elle provient de l'inflammation même du canal intestinal comme primitive cause, & symptomatique lorsqu'elle vient à la suite d'une maladie premiere, & qui s'est déterminée sur le canal intestinal par metastase.

Cette distinction de symptomatique & d'essentiel a lieu au sujet des maladies aiguës & chroniques, & parmi les premieres dans celles qui se terminent par différentes crises ; c'est ainsi que l'on distingue un dévoiement en critique & en symptomatique : le critique est salutaire, & soulage le malade ; le symptomatique est fâcheux, & fatigue le malade.


SYMPTOMES. m. en Médecine, se confond ordinairement avec le signe, & on les définit un signe, ou un assemblage de signes dans une maladie, lesquels indiquent sa nature & sa qualité, & font juger quel en sera l'événement. Voyez SIGNE.

Dans ce sens, le délire est regardé comme un symptome de la fievre. La douleur, les veilles, l'assoupissement, les convulsions, la suppression d'urine, la difficulté de respirer ou d'avaler, la toux, le dégoût, les nausées, la soif, les défaillances, les pamoisons, le dévoiement, la constipation, la sécheresse & la noirceur de la langue, sont les principaux symptomes des maladies aiguës, malignes, ou fâcheuses.

Boerhaave donne une plus juste idée du symptome. Tout accident contre nature qui provient de la maladie comme de sa cause, ensorte néanmoins qu'on puisse le distinguer de la maladie elle-même & de sa cause immédiate, est proprement un symptome de cette maladie. Voyez MALADIE.

Si un symptome provient de la même façon de la cause de la maladie, on le nomme symptome de la cause. Voyez CAUSE.

S'il provient de quelque symptome antérieur, comme de sa cause, on le nomme symptome d'un symptome.

Tout ce qui survient dans une maladie par quelqu'autre cause que celles dont nous avons parlé, s'appelle plus proprement epigennema, comme qui diroit superaccession.

Il paroît de-là que les symptomes rapportés ci-dessus, sont de véritables maladies.

Ils sont différens quant à leur nombre, leur effet, &c. Cependant on peut, après les anciens, les rapporter assez convenablement à des défauts dans les fonctions, les excrétions & les retentions.

Sous le premier chef doivent être rangées toutes les diminutions, les abolitions, les augmentations & les dépravations des actions animales, particulierement par rapport à la faim, à la soif, au sommeil & à la veille, &c.

Sous le second chef doivent être rangées les nausées, les vomissemens, les lienteries, les affections coeliaques, les diarrhées, les dyssenteries, les passions iliaques, &c.

Sous le troisieme chef doit être rangée la jaunisse, la pierre, l'hydropisie, la fievre, l'ischurie, la strangurie, l'asthme, le rhume, &c. Voyez chacune de ces choses sous son article particulier, FAIM, NAUSEE, LIENTERIE, DIARRHEE, JAUNISSE, HYDROPISIE, PIERRE, FIEVRE, &c.

Les symptomes critiques sont ceux qui marquent & annoncent une crise salutaire ; telle est l'éruption d'une parotide à la fin ou dans l'augmentation d'une fievre maligne ; telle est une hémorrhagie par l'une des narines, dans le cas de pléthore, qui s'est jettée sur la plevre, ou sur le poumon.

Les symptomes en général demandent un traitement particulier, quoiqu'ils disparoissent avec la cause de la maladie ; mais on doit commencer surtout par les abattre dans les maladies aiguës, ainsi la fievre dans toutes les inflammations avec la douleur, fait la premiere indication. Voyez MALADIE.

SYMPTOMES protéiformes, (Médec.) on nomme ainsi dans les fievres & autres maladies des symptomes irréguliers si peu attendus, & si violens, qu'ils mettent en danger la vie du malade, parce qu'ils dérobent au médecin le caractere de la maladie, & son état présent ; ensorte qu'il ne peut la reconnoître, ni par le tempérament, ni par le pouls, ni par les urines, ni par aucune autre des voies accoutumées. Souvent il ne remarque qu'un grand frisson, un vomissement continuel, une violente diarrhée, une colique d'estomac, des spasmes, une douleur piquante de côté, ou d'autres accidens qui ne servent qu'à écarter son esprit de la vraie méthode curative. Il faut alors s'en tenir aux seuls remedes propres à calmer des symptomes les plus urgens, & ne rien entreprendre qui puisse détruire les forces de la nature, & arrêter les crises heureuses qu'elle peut opérer. (D.J.)


SYMPTOSES. f. (Lexicogr. Médic.) ; terme qui, composé de & de je tombe, désigne l'affaissement ou la contraction des vaisseaux, comme il arrive après des évacuations considérables. Ce mot se prend aussi quelquefois pour un affaissement du corps accablé de lassitude & de foiblesse ; enfin ce mot signifie tout abattement particulier de quelque partie que ce soit du corps, des yeux, du visage, &c. (D.J.)


SYMPULES. m. (Antiq.) petit vase dont les anciens romains se servoient dans les sacrifices pour faire des libations. Voyez SIMPULE.


SYNAGOGUESYNAGOGUE

Il est très-vraisemblable que le peuple juif n'avoit point de synagogue avant la captivité ; ce fait paroît justifié, non-seulement par le profond silence de l'Ecriture, du vieux Testament, mais même par plusieurs passages qui prouvent évidemment qu'il falloit qu'il n'y en eût point alors : car la maxime des Juifs, que là où il n'y a pas de livres de la loi, il ne peut pas y avoir de synagogue, est une proposition que le bon sens dicte ; en effet, comme le service essentiel de la synagogue consistoit à lire la loi au peuple, il en résulte que là où il n'y avoit point de livres de la loi, il ne pouvoit pas y avoir de synagogue.

Quantité de passages de l'Ecriture nous marquent combien le livre de la loi étoit rare dans toute la Judée avant la captivité. Quand Josaphat envoya des missionnaires dans tous les pays, pour instruire le peuple dans la loi de Dieu, 11. Chron. xvij. 9. ils porterent un exemplaire de la loi, précaution fort inutile, s'il y en eût eu dans les villes où ils alloient : & il y en eût eu, sans-doute, s'il y eût eu des synagogues : il seroit aussi ridicule de supposer parmi les Juifs une synagogue sans un exemplaire de la loi, que parmi les Protestans une église paroissiale sans bible. Or cette particularité prouve qu'on manquoit alors en Judée d'exemplaires de la loi, & qu'il n'y avoit point de Synagogue ; c'est donc vraisemblablement à la lecture qu'Esdras établit de la loi en public, après la captivité, que les Juifs ont été redevables de l'érection de leurs synagogues. Examinons présentement 1°. dans quel lieu on devoit ériger des synagogues ; 2°. quel étoit le service qui s'y faisoit ; 3°. dans quel tems ; 4°. enfin quels ministres y officioient.

1°. Voici la regle qu'on observoit par rapport au lieu : par-tout où il y avoit dix batelnim, c'est-à-dire dix personnes d'un âge mûr, libres, qui pussent assister constamment au service, on devoit y établir une synagogue. Selon les rabbins il falloit dix personnes telles qu'on vient de dire, pour former une assemblée légitime : & là où ce nombre n'étoit pas complet, on ne pouvoit faire légitimement aucune partie du service de la synagogue. Mais par-tout où l'on pouvoit s'assurer du service de dix personnes en état d'assister aux assemblées avec les qualités requises ; il falloit bâtir une synagogue. Cela ne se trouvoit que dans un endroit assez peuplé ; & on ne vouloit pas en avoir ailleurs. Car je regarde cette regle comme une défense d'en établir où ces conditions ne se trouvoient pas ; aussi bien qu'un ordre positif d'en bâtir où elles se trouvoient, & où le nombre des habitans étoit assez grand, pour compter qu'on auroit toujours sur semaine, aussi bien que le jour du sabbat, au moins dix personnes qui auroient le tems d'assister au service, qui ne pouvoit pas se faire sans ce nombre complet d'assistans.

D'abord il n'y eut que fort peu de ces synagogues ; mais dans la suite elles se multiplierent extrêmement, & devinrent aussi communes que le sont parmi nous nos églises paroissiales, auxquelles elles ressemblent beaucoup. Du tems même de notre Seigneur, il n'y avoit pas de ville de Judée, quelque petite qu'elle fût, qui n'eût pour le moins une synagogue. Les Juifs nous disent, qu'environ ce tems-là, la seule ville de Tibérias en Galilée en avoit douze, & celle de Jérusalem 480. Mais si l'on prenoit ce nombre à la lettre, il faudroit pour plusieurs de ces synagogues, avoir recours à l'expédient de quelques savans qui prétendent que ces dix résidens de synagogues, qu'on nomme batelnim, étoient des personnes gagées ; sans cela, comment s'assurer pour tant de synagogues, d'un nombre suffisant de gens sur semaine, pour former toutes ces assemblées ? Il y avoit au-moins deux de ces jours qui en demandoient une solemnelle, aussi bien que le sabbat. Lightfoot, pour lever la difficulté, croit que les batelnims étoient les anciens & les ministres qui officioient dans la Synagogue.

2°. Passons au service de la synagogue : il consistoit dans la priere, la lecture de l'Ecriture & la prédication. La priere des Juifs est contenue dans les formulaires de leur culte. D'abord ce culte étoit fort simple, mais à-présent il est fort chargé & fort long. La partie la plus solemnelle de leurs prieres, est ce qu'ils appellent Schémonehé-Eshre, ou les dix-neuf prieres. Il est ordonné à toutes les personnes parvenues à l'âge de discrétion de les offrir à Dieu trois fois le jour, le matin, vers le midi & le soir. On les lit avec solemnité tous les jours d'assemblée ; mais elles ne sont néanmoins que comme le fondement d'autres prieres.

La seconde partie du service de la synagogue, est la lecture du vieux Testament. Cette lecture est de trois sortes. 1°. Le kiriath-shéma ; 2°. la loi ; 3°. les prophetes.

Le kiriath-shéma ne consiste qu'en trois morceaux de l'Ecriture. Le premier est celui qui commence au v. 4. du vj. chap. du Deutéronome, & finit par le 9. Le second commence au v. 13 du chap. xj. du même livre, & finit par le 21. Et le troisieme est tiré du xv. chap. du livre des Nombres, & commence au 37 v. jusqu'à la fin du chap. Comme en hébreu le premier mot du premier de ces passages est shéma, qui signifie écoute ; ils donnent à ces trois passages le nom de shéma ; & à sa lecture celui de kiriath-shéma, la lecture du shéma. La lecture de ce shéma est accompagnée de plusieurs prieres & actions de graces, devant & après ; mais la lecture du shéma n'est pas aussi rigide que celle des prieres ; il n'y a que les hommes libres qui y soient obligés le matin & le soir : les femmes & les serviteurs en sont dispensés ; quant à la lecture de la loi & des prophetes, nous en parlerons tout-à-l'heure.

La troisieme partie du service de la synagogue, est l'explication de l'Ecriture, & la prédication. La premiere se faisoit en la lisant, & l'autre après la lecture de la loi & des prophetes. Il est clair que Jesus-Christ enseignoit les juifs de l'une & de l'autre de ces manieres, dans leurs synagogues. Quand il vint à Nazareth, Luc, xvj. 17. &c. la ville où il avoit son domicile, on lui fit lire comme membre de la synagogue, le haphterah, ou la section des prophetes, qui servoit de leçon pour ce jour-là ; & quand il se fut levé, & qu'il l'eût lue, il se rassit & l'expliqua, comme cela se pratiquoit parmi les Juifs ; car, par respect pour la loi & les prophetes, on ne les lisoit que debout ; mais quand on les expliquoit, celui qui officioit étoit assis en qualité de maître. Mais dans les autres synagogues dont il n'étoit pas membre, quand il y alloit, ce qu'il faisoit toujours, Luc, iv. 16. le jour du sabbat, en quelqu'endroit qu'il se trouvât, il enseignoit le peuple par sa prédication, après la lecture de la loi & des prophetes. C'est aussi ce qu'on voit pratiquer à S. Paul, Act. XIII. xv. dans la synagogue d'Antioche, dans la Pisidie : car l'histoire des actes remarque expressément que la prédication se fit après la lecture de la loi & des prophetes.

III. Le tems des assemblées de la synagogue, pour le service divin, étoit trois jours par semaine, sans compter les jours de fêtes & de jeûne : & chacun de ces jours-là, on s'assembloit le matin, l'après midi, & le soir. Les trois jours de synagogue étoient le lundi, le jeudi, & sur-tout le samedi jour du sabbat.

On y faisoit la lecture de la loi, ou des cinq livres de Moïse, qu'on partageoit en autant de sections qu'il y a de semaines dans l'année.

IV. Pour ce qui est du ministere de la synagogue, il n'étoit pas borné à l'ordre sacerdotal. Cet ordre étoit consacré au service du temple, qui étoit d'une toute autre nature, & ne consistoit qu'en oblations, soit de sacrifices, soit d'autres choses. Il est vrai que pendant le sacrifice du matin & du soir, les lévites & les autres chantres, chantoient devant l'autel, des pseaumes de louange à Dieu ; & que, pour conclure la cérémonie, les prêtres bénissoient le peuple ; ce qui ressemble un peu à ce qui se faisoit dans la synagogue ; mais dans tout le reste, ces deux services n'avoient rien de commun : cependant pour conserver l'ordre, il y avoit dans chaque synagogue un certain nombre d'officiers ou de ministres fixes, qui étoient chargés des exercices religieux qui s'y devoient faire : on les y admettoit par une imposition des mains, solemnelle.

Les premiers étoient les anciens de la synagogue, qui y gouvernoient toutes les affaires, & régloient les exercices. Dans le nouveau Testament, ils se sont appellés les principaux de la synagogue ; il n'est marqué en aucun endroit quel étoit leur nombre ; tout ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il y en avoit plus d'un dans une synagogue : car il en est parlé au pluriel dans quelques passages du n. Testament, où il ne s'agit que d'une ; & à Corinthe où vraisemblablement il n'y avoit pas deux synagogues : on en voit deux à qui ce titre est donné, Crispe & Sosthènes.

Après ceux-ci, il y avoit le ministre de la synagogue. On ne sait pas bien même si ce n'étoit pas un de ceux dont on vient de parler ; mais enfin, il y avoit une personne affectée au service de la synagogue, qui prononçoit les prieres au nom de toute l'assemblée ; & par cette raison, comme il les représentoit tous, & étoit leur messager, pour ainsi dire, auprès de Dieu, on l'appelloit en hébreu, scheliach zibbor, l'ange, ou le messager de l'église. De-là vient que dans l'apocalypse, les évêques des sept églises d'Asie, sont appellés d'un nom pris de la synagogue, les anges de ces églises : car comme le scheliach zibbor de la synagogue des Juifs, étoit le premier ministre qui offroit à Dieu les prieres du peuple, l'évêque étoit aussi dans l'Eglise de Christ, le premier ministre qui offroit à Dieu celles des chrétiens de son église.

Il est vrai que ce n'étoit pas toujours l'évêque qui faisoit cette fonction, parce que dans chaque église il y avoit des prêtres sous lui, qui la faisoient souvent au-lieu de lui. Mais dans la synagogue, ce n'étoit pas non plus toujours le scheliach zibbor qui officioit en personne : c'étoit bien son emploi, & ordinairement il le faisoit ; mais il ne laissoit pas d'arriver assez souvent, qu'on le faisoit faire extraordinairement par quelqu'autre, pourvû que ce fût un sujet que l'âge, la bonne conduite, l'habileté, & la piété, en rendissent capables. Celui qu'on choisissoit ainsi, étoit pendant ce tems-là le scheliach zibbor, ou l'ange de l'assemblée : car comme un héraut, un messager envoyé de la part de Dieu à son peuple, est un ange de Dieu, puisque le terme d'ange en hébreu, signifie proprement un messager ; tout de même un messager de la part du peuple auprès de Dieu, pouvoit fort bien s'appeller l'ange du peuple. Ce n'est qu'en ce dernier sens qu'on donnoit le nom d'ange à ce ministre de la synagogue ; mais il appartient aux ministres de l'église chrétienne, dans l'un & dans l'autre.

Après le scheliach zibbor, venoient les diacres, ou les ministres inférieurs de la synagogue, que l'on nommoit en hébreu chazanim, c'est-à-dire surintendans. C'étoient des ministres fixes, qui sous la direction des principaux de la synagogue, avoient le soin & l'intendance de tout ce qui s'y faisoit : c'étoient eux qui gardoient les livres sacrés de la loi & des prophetes, & du reste de l'Ecriture sainte ; les livres de leur liturgie, & les autres meubles de la synagogue ; & qui les donnoient quand il falloit s'en servir. Ils se tenoient auprès de celui qui lisoit les leçons de la loi ou des prophetes, & les corrigeoient, s'il leur arrivoit de se tromper ; enfin c'étoit à eux qu'on rendoit le livre quand la lecture étoit finie. Ainsi il est dit de notre Seigneur, quand il fut appellé à lire la leçon des prophetes dans la synagogue de Nazareth, dont il étoit membre, que quand il eut fini la lecture, il rendit le livre au ministre, c'est-à-dire au chazan, ou au diacre de la synagogue.

Autrefois il n'y avoit point de personne fixe établie pour lire les leçons dans la synagogue. Les principaux de la synagogue appelloient celui de l'assemblée qu'il leur plaisoit, & qu'ils en connoissoient capable, lorsque le tems de les lire étoit venu ; s'il y avoit des prêtres dans l'assemblée, on appelloit d'abord un prêtre ; ensuite un lévite, s'il y en avoit : au défaut de ceux-là, on prenoit quelque israëlite que ce fût ; & cela alloit jusqu'au nombre de sept. De-là vient qu'autrefois chaque section de la loi étoit partagée en sept parties : c'étoit pour ces sept lecteurs. Dans quelques bibles hébraïques, elles sont encore marquées à la marge : la premiere par le mot choën, c'est-à-dire le prêtre : la seconde par celui de lévi, le lévite : la troisieme par celui de schelishi, le troisieme : & ainsi du reste, par les noms hébreux qui marquent les nombres jusqu'à celui de sept, pour montrer par-là ce que devoit lire le prêtre, le lévite, & chacun des cinq autres, dont le choix étoit indifférent, pourvu qu'ils fussent israélites & membres de l'assemblée, & qu'ils sussent lire l'hébreu, sans distinction de tribu.

Le premier officier de la synagogue, après le chazanim, étoit l'interprête, dont l'office consistoit à traduire en chaldéen les leçons qu'on lisoit au peuple en hébreu : comme cet emploi demandoit un homme bien versé dans les deux langues, quand ils en trouvoient un assez habile, ils lui faisoient une pension, & le retenoient au service de la synagogue, dont il devenoit alors ministre fixe.

Pour la bénédiction, s'il y avoit un prêtre dans l'assemblée, c'étoit lui qui la donnoit ; mais s'il ne s'y en trouvoit point, c'étoit le scheliach-zibbor, qui avoit lu les prieres, qui le faisoit par un formulaire qui lui étoit particulier.

Voilà ce qui nous a paru pouvoir être de quelque utilité à nos lecteurs, pour leur faciliter l'intelligence de l'Ecriture, en leur donnant une idée de l'ancien culte de la synagogue. Celui que les Juifs pratiquent aujourd'hui, s'en écarte en plusieurs points. Les gens curieux de plus grands détails, pourront consulter la synagogue de Buxtorf, & celle de M. Vitringa, écrites en latin, & sur-tout Maimonides ; particulierement dans les traités suivans, Tephillah, Chagigah, & Kiriath-shema. (D.J.)

SYNAGOGUE, (Critique sacrée) lieu destiné chez les Juifs au service divin, qui consistoit dans la priere, la lecture de la loi & des prophetes, & leur explication, act. XIII. xv. Voyez-en les détails à SYNAGOGUE des Juifs.

Il suffira de remarquer ici que le mot grec , ne se prend pas seulement dans l'Ecriture pour l'assemblée religieuse des Juifs ; mais encore pour toute assemblée de juges & de magistrats, au sujet des affaires civiles. Salomon dit par exemple : peu s'en est fallu que je n'aye été maltraité dans la synagogue ; il ne s'agit point là d'une assemblée religieuse. De même dans l'Ecclésiast. j. 32. que le Seigneur vous abatte au milieu de la synagogue ; & ch. xxiij. 34. rendez-vous aux volontés de la synagogue : c'est-à-dire soumettez-vous aux grands. Enfin ce mot marque une assemblée d'ennemis. David dit, ps. lxxxv. 14. une assemblée (synagoga) de gens violens a cherché ma perte. (D.J.)


SYNALEPHES. f. (Gram.) dans la poésie latine, lorsqu'un mot finissoit par une m, ou par une voyelle, & que le mot suivant commençoit par une voyelle, on retranchoit dans la prononciation la lettre finale du premier mot : c'est ce qu'on appelle élision. Voyez ELISION.

Les grammairiens latins reconnoissent deux sortes d'élision ; 1°. celle de la lettre finale m, qu'ils appellent ecthlipse, du grec , elidere, briser. 2°. Celle de la voyelle finale, qu'ils appellent synalephe, du grec , counctio, mot composé de , cum, & de , ungo : le mot de synalephe est donc ici dans un sens métaphorique, pour indiquer que les deux voyelles qui se rencontrent, se mêlent ensemble comme les choses grasses ; une couche de la derniere, fait disparoître la premiere.

L'idée générale, & le seul terme d'élision, me semblent suffisant sur cette matiere ; & soudiviser un pareil objet, c'est s'exposer à le rendre inintelligible : à force de diviser certains corps, on les réduit en une poudre impalpable, que le vent emporte aisément, & il n'en reste rien. Voyez sur l'élision les artic. ELISION, BAILLEMENT, HIATUS. (E. R. M. B.)


SYNALLAGMATIQUEadj. (Jurispr.) se dit de ce qui est obligatoire des deux côtés, à la différence de certains actes qui n'obligent qu'une personne envers une autre : ainsi le contrat de louage est un acte synallagmatique, parce qu'il oblige le bailleur à faire jouir le preneur, & celui-ci à payer le prix du louage, à la différence d'une promesse, ou billet, qui n'oblige que le débiteur envers le créancier. Voy. CONTRAT, ENGAGEMENT, OBLIGATION, PROMESSE. (A)


SYNANCHES. f. en Médecine, est une sorte d'esquinancie, qui attaque les muscles internes du gosier ou pharynx. Voyez ANGINE & ESQUINANCIE. Le mot est formé du grec , avec, & , serrer, suffoquer.

Lorsque les muscles externes du pharynx sont attaqués, la maladie s'appelle parasynanché. Voyez PARASYNANCHE.


SYNAPHES. f. dans la Musique ancienne, est, selon le vieux Bacchius, la résonnance de diatessaron ou quarte, qui se fait entre les cordes homologues de deux tétracordes conjoints. Ainsi il y a trois synaphes dans le systême des Grecs. La premiere, entre le tétracorde meson & le tétracorde hypaton ; la seconde, entre le tétracorde synnemenon & le tétracorde meson ; & la troisieme, entre le tétracorde diezeugmenon & le tétracorde hyperboléon : car tous ces tétracordes sont conjoints. Voyez SYSTEME, TETRACORDE. (S)


SYNARTHROSES. f. en Anatomie, est une sorte d'articulation des os du corps, par laquelle ils demeurent sans aucun mouvement, du-moins apparent. Voyez ARTICULATION. Le mot est formé du grec , avec, , connexion, articulation.

La synarthrose est une articulation, par laquelle les os sont joints si étroitement ensemble, qu'ils sont immobiles les uns par rapport aux autres. Dans ce sens la synarthrose est opposée à la diarthrose. Voyez DIARTHROSE.

Elle se divise en trois especes. La premiere est la suture, qui ressemble quelquefois aux dents de deux peignes ou de deux scies qui entrent les unes dans les autres, & quelquefois à des écailles qui avancent l'une sur l'autre. Voyez SUTURE.

La seconde espece de synarthrose s'appelle harmonie ; & c'est lorsque les os sont unis sans dentelure, soit que la ligne d'union soit droite ou circulaire. Voyez HARMONIE.

La troisieme espece est appellée gomphose. C'est lorsqu'un os est arrêté dans un autre en maniere de clou ou de cheville qui est reçue dans un trou. Voyez GOMPHOSE.


SYNARTROISMES. m. (Rhétor.) , cette figure de rhétorique que Longin appelle arthroïsme, & d'autres rhéteurs coacervatio, collectio, espece d'amplification qui se fait par un amas de plusieurs choses ou d'espece d'une chose, au-lieu de nommer la chose même. M. Péarse en donne pour exemple ce passage de Cicéron pour Marcellus : Nihil ex istâ leude centurio, nihil praefectus, nihil cohors, nihil turma decerpit.

Quelquefois cette figure, pour peindre plus vivement, se plaît à étaler & à accumuler plusieurs faits, plusieurs actions, qui ont une liaison étroite avec la chose dont on parle ; c'est ainsi que le même Cicéron dit avec tant de force & de sentimens. Qui mihi fratrem optatissimum, me fratri amantissimo, liberis nostris parentes, nobis liberos ; qui dignitatem, qui ordinem, qui fortunas, qui amplissimam rem publicam, qui patriam, quâ nihil potest esse jucundius, qui denique nosmetipsos, nobis reddidistis. (D.J.)


SYNAULIES. f. terme de l'ancienne Musique, c'étoit le concert de plusieurs musiciens qui jouoient alternativement des chalumeaux ou des flûtes, sans qu'il y eût des voix de la partie.

M. Malcolm, qui doute si les anciens avoient une musique composée uniquement pour les instrumens sans mêlange de voix, ne laisse point de citer cette synaulie d'après Athénée. Voyez SYMPHONIE, HARMONIE, MUSIQUE, &c. (S)


SYNAXARIONS. m. (Hist. ecclésias.) est le nom d'un livre ecclésiastique des grecs, où ils ont recueilli en abrégé la vie de leurs saints, & où ils exposent en peu de mots le sujet de chaque fête. Ce livre est imprimé non-seulement dans la langue grecque ordinaire, mais aussi en grec vulgaire ; car on en fit une version en cette langue, afin qu'il fût lu du simple peuple. Il y a bien des choses fausses dans ce livre qui a été augmenté ; & l'on peut voir dans les deux dissertations que Léo Allatius a composées sur les livres ecclésiastiques des grecs, ce qu'il dit contre Xantopule, qui a inséré beaucoup de faussetés dans le synaxares ; c'est pourquoi l'auteur des cinq chapitres du concile de Florence, attribués au patriarche Gennadius, rejette ces additions de Xantopule, & assure que ces sortes de synaxares, qui sont remplis d'erreurs, ne se lisent point dans l'église de Constantinople. Il faut remarquer qu'on trouve au commencement ou à la fin de quelques exemplaires grecs manuscrits du nouveau Testament, des indices ou catalogues, appellés aussi synaxaria, qui représentent les évangiles qu'on lit dans les églises grecques pendant les jours de toute l'année. Ce qui est tiré de leur évangélistaire qu'on a accommodé aux évangiles, marquant au haut des pages les jours que chaque évangile se doit lire, & par ce moyen on supplée au livre de l'évangélistaire.


SYNAXES. m. (Hist. ecclésias.) le synaxe étoit anciennement l'assemblée des chrétiens où l'on chantoit les pseaumes, & où l'on faisoit les prieres en commun.


SYNCELLES. m. (Hist. ecclésias.) officier de l'église de Constantinople, étoit le clerc qui demeuroit continuellement avec le patriarche. Il y en avoit plusieurs qui se succédoient, dont le premier s'appelloit le proto-syncelle, qui étoit témoin de toutes les actions du patriarche. Cette charge a commencé à être établie dans le ix. siecle. Ces proto-syncelles, comme les archidiacres de Rome, avoient beaucoup de part au patriarchat quand il demeuroit vacant. Les autres patriarches & même les évêques avoient des syncelles, & l'on a aussi donné ce nom à quelques officiers de l'évêque de Rome ; mais il y a long-tems qu'il n'y en a plus en Occident, & que ce n'est qu'un vain titre en Orient. Zonaras, annal. t. III.

Le pere Thomassin remarque que dans les premiers siecles de l'Eglise les évêques, pour prévenir les mauvais soupçons, devoient toujours avoir un clerc couché dans leur chambre ; & que c'étoit ce clerc qu'on appelloit syncelle. Cet emploi devint si considérable auprès des patriarches de Constantinople, qu'on le vit quelquefois rempli par des fils & des freres des empereurs. Les évêques mêmes & les métropolitains se firent un honneur d'en être revêtus, quoiqu'un pareil office convint fort peu au rang qu'ils tenoient dans l'Eglise. Les syncelles prirent delà occasion de faire entendre que leur dignité les élevoit au-dessus des évêques & des métropolitains. Aussi se plaçoient-ils au-dessus d'eux dans les cérémonies ecclésiastiques. La faveur & le crédit des syncelles à la cour n'avoient pas peu servi à soutenir cette usurpation. Leurs prérogatives, quoique restraintes, sont encore aujourd'hui très-grandes. Dans le synode tenu à Constantinople contre le patriarche Cyrille Lucas qui vouloit répandre en Orient les erreurs de Calvin, le proto-syncelle paroît comme la seconde dignité de l'église de Constantinople. Thomassin, discipl. ecclesiast. part. I. l. I. c. xlvj. & part. III. l. I. c. lj. part. IV. l. I. c. lxxvj.


SYNCHISES. f. (Gram.) , confusio : R. R. , cùm, & , fundo. C'est une prétendue espece d'hyperbate, qui se fait quand les mots d'une phrase sont mêlés entr'eux, sans aucun égard ni à la succession de l'ordre analytique, ni aux rapports qui lient les mots entr'eux.

C'est le respect pour les anciens porté jusqu'à l'idolâtrie & à l'enthousiasme, qui a fait imaginer un nom honorable pour des écarts réels, plutôt que d'oser prononcer que ces grands hommes se fussent mépris. Il y a du fanatisme à les croire infaillibles, puisqu'ils sont hommes : & souvent on les compromet davantage en les louant sans mesure, qu'en les critiquant à propos.

Ajoutons qu'il nous arrive souvent de prendre pour confusion un ordre très-bien suivi dont la liaison nous échappe, parce que nous manquons des lumieres nécessaires ou de l'attention requise. Il y a dans l'Enéïde (II. 348.) un passage regardé jusqu'ici comme une synchise très-compliquée ; & Servius auroit cru manquer à son devoir de commentateur, s'il n'en avoit pas débrouillé la construction. " Il semble, dit M. Charpentier, (Déf. de la langue franç. disc. II. part. III. p. 269.) que ce pauvre grammairien ait donné lui-même dans une embuscade des ennemis, dont il a toutes les peines du monde à se sauver ; & je crois qu'Enée trouva plus facilement un asyle pour son pere contre la violence des Grecs, qu'il n'en a trouvé un pour son auteur contre cette importante synchise qu'il rencontre ici, c'est-à-dire une franche confusion, dont il n'a presque osé prononcer le nom en sa propre langue ". On voit que M. Charpentier regarde aussi la synchise comme un véritable défaut ; mais il est persuadé que ce défaut existe dans le passage de Virgile dont il s'agit : je n'en crois rien, & il me semble avoir prouvé qu'on ne l'a point encore bien entendu, faute d'avoir bien connu les principes de l'analyse, la propriété de quelques termes latins & la véritable ponctuation de ce passage. Voyez METHODE.

Si donc l'analyse elle-même vient à nous démontrer la réalité de quelque synchise bien embarrassante dans un ancien, disons nettement que c'est une faute : si la confusion ne va pas au point de jetter de l'obscurité sur la phrase, disons simplement que c'est un hyperbate. Voyez HYPERBATE.

SYNCHISE, (Médec.) confusion causée par des coups orbes, reçus sur l'oeil avec perte de la vue. Quand des coups orbes & violens, des chûtes sur des corps durs & éminens, ou pareils accidens ont fait tant d'impression sur l'oeil, que ses parties extérieures sont déchirées, rompues, séparées, confuses & brouillées, avec perte de la vue ; c'est ce que les Grecs nomment synchisis. Dans le cas de l'oeil crevé ou rompu, état de l'oeil que les auteurs appellent rhexis, les douleurs & l'inflammation ne sont pas si grandes que dans la confusion. Dans le rhexis tout est déja détruit, dans le synchisis tout n'est que contus, dilaceré, brouillé, mais la destruction de l'oeil suit bien-tôt après. (D.J.)


SYNCHONDROSES. f. (Ostéolog.) , de , cartilage ; connexion de deux os par le moyen d'un cartilage : cette articulation cartilagineuse paroît dans la connexion commune des os pubis, dans celle des côtes avec le sternum, de même qu'avec les vertebres, &c. Il faut remarquer que les os qui sont articulés de cette maniere, n'ont qu'un mouvement de ressort qui est proportionné à l'étendue & au volume du cartilage qui les unit. (D.J.)


SYNCHRONEadj. Ce mot est d'usage en Méchanique & en Physique, pour marquer les mouvemens ou effets qui se font dans le même tems. On peut dire en ce sens, que des vibrations ou des chûtes qui se font dans le même tems ou dans des tems égaux, sont synchrones ; cependant les mots d'isochrone ou de tautochrone sont plus usités pour marquer des effets qui se font en tems égal, & le mot de synchrone pour marquer des effets qui se font, non-seulement dans un tems égal, mais dans le même tems ; ce mot venant de , tems, & de , ensemble.

M. Jean Bernoulli a nommé courbe synchrone, une courbe telle qu'un corps pesant parti du centre C, fig. 69 Méch. & décrivant successivement les courbes C M, C m, &c. arrive aux différens points D, m, M, &c. de cette courbe dans le même tems, & dans le plus court tems possible ; voyez les actes de Leipsic, année 1697. & le I. volume des Oeuvres de M. Bernoulli, imprimées à Lausanne, en 4. vol. in-4°. 1743. (O)


SYNCHRONISMES. m. (Méchan.) terme dont on se sert pour exprimer l'égalité ou l'identité des tems dans lesquels deux ou plusieurs choses se font.

Ce mot est formé du grec , avec, & , tenûs, & ainsi les vibrations d'un pendule se faisant toutes en tems égal, on peut exprimer cette propriété par le mot de synchronisme des vibrations ; cependant elle s'appelle plus proprement isochronisme ou tautochronisme, quoique certains auteurs confondent ces deux termes. Voyez SYNCHRONE, ISOCHRONE & TAUTOCHRONE. (O)


SYNCOMISTONS. m. (Littérat.) nom donné par Athenée à une espece de gros pain que mangent les pauvres en plusieurs pays, & qui est fait de farine dans laquelle le son se trouve mêlé. Ce genre de pain est fort nourrissant ; mais il ne convient qu'à des laboureurs ou à des gens forts qui font beaucoup d'exercice. (D.J.)


SYNCOPES. (Gramm.) c'est un métaplasme ou une figure de diction, par laquelle on retranche du milieu d'un mot quelque lettre ou quelque syllabe. , vient , cùm, qui marque ici ce qui est originairement compris dans le mot, le milieu du mot, & de , scindo.

Les Latins faisoient grand usage de la syncope dans leurs déclinaisons & leurs conjugaisons : Di pour Dii, Deûm, virûm, nummûm, sestertiûm, liberûm pour Deorum, virorum, nummorum, sestertiorum, liberorum ; apûm, infantûm, adolescentûm, loquentûm, au lieu d'apium, infantium, adolescentium, loquentium. Audii, audiero, audiissem ou même audissem pour audivi, audivero, audivissem.

Ce métaplasme est d'un usage assez fréquent dans la génération des mots composés ou dérivés, surtout à leur passage d'une langue à une autre. Sans sortir de la même langue, nous trouverons en latin possum, syncopé de potis sum ; scriptum pour scribtum, syncopé de scribitum qui seroit le supin analogique ; & une infinité d'autres pareils. Au passage d'une langue à une autre, aranea vient d', en supprimant le , que nous avions seulement affoibli dans aragnée, que nos peres prononçoient comme le latin dignus ; notre sur vient de super ; vie de vita ; dortoir pour dormitoir, de dormitorium, &c. Voyez METAPLASME.

SYNCOPE, en Musique, , est le prolongement du son sur une même note, contre l'ordre naturel du tems.

Pour bien entendre cette définition, il faut savoir que dans toute espece de mesure, il y a toujours tems fort & tems foible, & que chaque tems, & même chaque note peuvent encore se concevoir, divisés en deux parties, dont l'une est forte & l'autre foible, Voyez TEMS.

Or, l'ordre naturel veut que chaque note ainsi conçue, commence par le tems fort de sa valeur, & finisse par le tems foible. Toutes les fois donc que cet ordre est perverti, & qu'une note commence sur le tems foible & finit sur le tems fort, il y a syncope. Il faut même remarquer que la syncope n'existe pas moins, quoique le son qui la forme, au lieu d'être continu, soit refrappé par deux ou plusieurs notes, pourvû que la disposition de ces notes qui repetent le même son, soit conforme à la loi que je viens d'établir.

La syncope a ses usages dans la mélodie, pour l'expression & le goût du chant ; mais sa principale utilité est dans l'harmonie, pour la pratique des dissonances. La premiere partie de la syncope sert à la préparation ; la dissonance se frappe sur la seconde ; & dans une succession de dissonances, la premiere partie de la syncope suivante, sert en même tems à sauver la dissonance qui précéde, & à préparer celle qui suit. Voyez PREPARER.

Syncope de , cum, avec, & , je coupe, je bats ; parce que la syncope retranche de chaque tems, heurtant pour ainsi dire l'un avec l'autre. M. Rameau veut que ce mot vienne du choc des sons qui s'entre-heurtant en quelque maniere dans la dissonance, comme s'il n'y avoit de syncope que dans l'harmonie, & que même alors il n'y en eût point sans dissonance. (S)

SYNCOPE, en Médecine, est une grande & soudaine pamoison, dans laquelle le malade reste sans aucune chaleur, ni mouvement, ni connoissance, ni respiration sensible : il est saisi par tout le corps d'une sueur froide, & tous ses membres sont pâles & froids, comme s'il étoit mort. Voyez DEFAILLANCE. Le mot est formé du grec , avec, & , couper, ou frapper.

La syncope est produite par plusieurs causes : 1°. par un épuisement de forces, comme après une longue diete, après des évacuations excessives, des exercices violens, des bains trop long-tems continués, &c. 2°. par le mouvement irrégulier des esprits, qui les empêche de se distribuer convenablement dans les parties, comme il arrive quelquefois dans la crainte, la colere, & d'autres passions violentes ; 3°. par des hémorragies excessives ; 4°. par une mauvaise constitution du sang, comme dans la cacochimie, ou dans les personnes qui ont pris quelque chose qui dissout ou coagule le sang ; 5°. par des maladies cachées, comme des abscès ou des polypes du coeur, des vers, &c. Une cause aussi fort ordinaire, est un accès de vapeurs ; les hypochondriaques & les femmes vaporeuses y sont fort sujettes ; le resserrement du genre nerveux est la cause de ce symptome. Dans ce cas, l'effet prompt & assuré des calmans, des antispasmodiques, est une preuve de cette théorie.

Dans les assemblées nombreuses & pressées, on tombe quelquefois en syncope, à cause de l'air chaud, épais & impur, que l'on respire alors. Certaines femmes y tombent facilement par l'odeur du musc, de la civette, &c.

Le remede de la syncope varie selon la cause : dans la syncope il faut donner des esprits volatils & des aromatiques. Heurnius recommande l'eau thériacale, & l'eau de canelle ; Ettmuller le sel volatil de vipere, l'esprit de sel ammoniac, l'huile de succin, & la saignée en certains cas.

On doit considérer ici l'accès de la syncope, ensuite la cause éloignée ; l'un & l'autre méritent l'attention du médecin.

Dans l'accès, on doit employer tout ce qui doit ranimer, réveiller, ou rappeller les esprits ; tels sont l'aspersion de l'eau froide, les odeurs puantes mises sous le nez ; tels que l'assa fétida, la corne de cerf brûlée, la savatte, le papier brûlé, & autres.

On doit mettre la personne couchée sur le dos, lui soulevant un peu la tête, & la mettant à l'abri de la compression de ses habits, & de tout ce qui peut la gêner.

Les remedes cordiaux, volatils, amers, tels que le lilium, la teinture de soufre d'antimoine, l'élixir, de propriété, sont excellens.

Les anti-hystériques, tels que la teinture de castor, de laudanum, de benjoin, sont aussi indiqués.

La cause demande la saignée dans la pléthore, & la suppression des évacuations ordinaires, voyez PLETHORE ; dans l'épaississement du sang, dans la rougeur du visage, & la pesanteur de la tête.

On doit émétiser & purger, si les premieres voies sont embarrassées de crudités, si le canal intestinal est rempli d'une bile épaisse, érugineuse.

On employera les amers combinés avec les cordiaux, si le sang est épais ; si les fibres de l'estomac sont foibles & relâchées, les stomachiques sont indiqués ; on aura recours aux sudorifiques, tels que la squine, la salsepareille, la bardane, & autres, si le sang est trop séreux, & les fibres trop lâches.

Enfin, les eaux thermales, l'exercice modéré, la tranquillité de l'esprit & du coeur, sont indiqués dans tous ces cas.


SYNCRESE(Chimie) voyez UNION, (Chimie)


SYNCRETISTESHÉNOTIQUES, ou CONCILIATEURS, s. m. (Hist. de la Philos.) ceux-ci connurent bien les défauts de la philosophie sectaire ; ils virent toutes les écoles soulevées les unes contre les autres ; ils s'établirent entr'elles en qualité de pacificateurs ; & empruntant de tous les systêmes les principes qui leur convenoient, les adoptant sans examen, & compilant ensemble les propositions les plus opposées, ils appellerent cela former un corps de doctrine, où l'on n'appercevoit qu'une chose : c'est que, dans le dessein de rapprocher des opinions contradictoires, ils les avoient défigurées & obscurcies ; & qu'au lieu d'établir la paix entre les Philosophes, il n'y en avoit aucun qui pût s'accommoder de leur tempérament, & qui ne dût s'élever contr'eux.

Il ne faut pas confondre les Syncrétistes avec les Eclectiques : ceux-ci, sans s'attacher à personne, ramenant les opinions à la discussion la plus rigoureuse, ne recevoient d'un systême que les propositions qui leur sembloient réductibles à des notions évidentes par elles-mêmes. Les Syncrétistes au contraire ne discutoient rien en soi-même ; ils ne cherchoient point à découvrir si une assertion étoit vraie ou fausse ; mais ils s'occupoient seulement des moyens de concilier des assertions diverses, sans aucun égard ou à leur fausseté, ou à leur vérité.

Ce n'étoit pas qu'ils ne crussent qu'il convenoit de tolérer tous les systêmes, parce qu'il n'y en avoit aucun qui n'offrît quelque vérité ; que cette exclusion qui nous fait rejetter une idée, parce qu'elle est de telle ou de telle école, & non parce qu'elle est contraire à la nature ou à l'expérience, marquoit de la prévention, de la servitude, de la petitesse d'esprit, & qu'elle étoit indigne d'un philosophe ; qu'il est si facile de se tromper, qu'on ne peut être trop reservé dans ses jugemens ; que les philosophes qui se disputent avec le plus d'acharnement, seroient souvent d'accord, s'ils se donnoient le tems de s'entendre ; qu'il ne s'agit le plus ordinairement que d'expliquer les mots, pour faire sentir ou la diversité ou l'identité de deux propositions ; qu'il est ridicule d'imaginer qu'on a toute la sagesse de son côté ; qu'il faut aimer, plaindre & servir ceux mêmes qui sont dans l'erreur, & qu'il étoit honteux que la différence des sentimens fût aussi souvent une source de haine.

Ce n'étoit pas non plus qu'ils s'en tinssent à comparer les systêmes, & à montrer ce qu'ils avoient de commun ou de particulier, sans rien prononcer sur le fond.

Le syncrétiste étoit entre les Philosophes, ce que seroit entre des hommes qui disputent, un arbitre captieux qui les tromperoit & qui établiroit entre eux une fausse paix.

Le Syncrétisme paroîtra si bizarre sous ce coup d'oeil, qu'on n'imaginera pas comment il a pu naître, à-moins qu'on ne remonte à l'origine de quelque secte particuliere, qui ayant intérêt à attirer dans son sein des hommes divisés par une infinité d'opinions contradictoires, & à établir entr'eux la concorde, lorsqu'ils y avoient été reçus, se trouvoit contrainte tantôt à plier ses dogmes aux leurs, tantôt à pallier l'opposition qu'il y avoit entre leurs opinions & les siennes, ou entre leurs propres opinions.

Que fait alors le prétendu pacificateur ? Il change l'acception des termes ; il écarte adroitement une idée ; il en substitue une autre à sa place ; il fait à celui-ci une question vague ; à celui-là une question plus vague encore ; il empêche qu'on n'approfondisse ; il demande à l'un, croyez-vous cela ? à l'autre, n'est-ce pas là votre avis ? Il dit à un troisieme, ce sentiment que vous soutenez n'a rien de contraire à celui que je vous propose ; il arrange sa formule de maniere que son dogme y soit à-peu-près, & que tous ceux à qui il la propose à souscrire, y voyent le leur : on souscrit ; on prend un nom commun, & l'on s'en retourne content.

Que fait encore le pacificateur ? Il conçoit bien que si ces gens viennent une fois à s'expliquer, ils ne tarderont pas à réclamer contre un consentement qu'on leur a surpris. Pour prévenir cet inconvénient, il faut imposer silence, mais il est impossible qu'on soit long-tems obéi. La circonstance la plus favorable pour le syncrétiste, c'est que le parti qu'il a formé soit menacé ; le danger réunira contre un ennemi commun ; chacun employera contre lui les armes qui lui sont propres ; les contradictions commenceront à se développer ; mais on ne les appercevra point, ou on les négligera ; on sera tout à l'intérêt général. Mais le danger passé, & l'ennemi commun terrassé, qu'arrivera-t-il ? C'est qu'on s'interrogera ; on examinera les opinions qu'on a avancées dans la grande querelle ; on reconnoîtra que, compris tous sous une dénomination commune, on n'en étoit pas moins divisés de sentimens ; chacun prétendra que le sien est le seul qui soit conforme à la formule souscrite ; on écrira les uns contre les autres ; on s'injuriera ; on se haïra ; on s'anathématisera réciproquement ; on se persécutera, & le pacificateur ne verra de ressource, au milieu de ces troubles, qu'à éloigner de lui une partie de ceux qu'il avoit enrôlés, afin de se conserver le reste.

Mais à qui donnera-t-il la préférence ? il a ses propres sentimens, qui pour l'ordinaire sont très-absurdes. Mais rien ne quadre mieux à une absurdité qu'une absurdité ; ainsi on peut, avant sa décision, prononcer, que ceux qui soutiennent des opinions à-peu-près sensées, seront séparés de sa communion. Son systême en sera plus ridicule ; mais il en sera plus un : ce sera une déraison bien continue & bien enchaînée.

Il y a des Syncrétistes en tout tems, & chez tous les peuples. Il y en a de toutes sortes. Les uns se sont proposés d'allier les opinions des Philosophes avec les vérités révélées, & de rapprocher certaines sectes du Christianisme. D'autres ont tenté de réconcilier Hippocrate & Galien avec Paracelse & ses disciples en Chimie. D'un autre côté, ils ont proposé un traité de paix aux Stoïciens, aux Epicuriens & aux Aristotéliciens. D'un autre, ils ont tout mis en oeuvre pour concilier Platon avec Aristote ; Aristote avec Descartes : nous allons voir avec quel succès.

Il faut mettre au nombre des Syncrétistes tous ces philosophes qui ont essayé de rapporter leurs systêmes cosmologiques à la physiologie de Moïse : ceux qui ont cherché dans l'Ecriture des autorités sur lesquelles ils pussent appuyer leurs opinions, & que nous appellons théosophes.

Un des Syncrétistes les plus singuliers fut Guillaume Postel. Il publia un ouvrage intitulé Panthéonosie ou Concordance de toutes les opinions qui se sont élevées parmi les Infideles, les Juifs, les Hérétiques & les Catholiques, & parmi les différens membres de chaque église particuliere sur la vérité ou la vraisemblance éternelle. C'est un tissu de paradoxes où le Christianisme & la Philosophie sont mis alternativement à la torture. L'ame du Christ est la premiere créature ; c'est l'ame du monde. Il y a deux principes indépendans : l'un bon, l'autre mauvais. Ils constituent ensuite Dieu. Voyez la suite des folies de Postel dans son ouvrage.

En voici un autre qui fait baiser la morale du paganisme & celle des Chrétiens, dans un ouvrage intitulé Osculum sive Consensus ethnicae & Christianae philosophiae, Chaldaeorum, Aegyptiorum, Persarum, Arabum, Graecorum, &c.... C'est Mutius Pensa.

Augustanus Steuchus Eugubinus s'est montré plus savant & non moins fou dans son traité de perenni philosophiâ. Il corrompt le dogme chrétien ; il altere les sentimens des anciens ; & fermant les yeux sur l'esprit général des opinions, il est perpétuellement occupé à remarquer les petites conformités qu'elles peuvent avoir.

L'ouvrage que Pierre-Daniel Huet a donné sous le titre de Quaestiones alnetanae de concordiâ rationis & fidei, mérite à-peu-près les mêmes reproches.

Le Systema philosophiae gentilis, de Tobie Pfannerus est un fatras de bonnes & de mauvaises choses, où l'auteur, perpétuellement trompé par la ressemblance des expressions, en conclut celle des sentimens.

Quels efforts n'a pas fait Juste Lipse pour illustrer le Stoïcisme en le confondant avec la doctrine chrétienne ?

Cette fantaisie a été celle aussi de Thomas de Gataker : André Dacier n'en a pas été exempt.

Il ne faut pas donner le nom de Syncrétiste à Gassendi. Il a démontré à la vérité que la doctrine d'épicure étoit beaucoup plus saine & plus féconde en vérités qu'on ne l'imaginoit communément ; mais il n'a pas balancé d'avouer qu'elle renversoit toute morale.

Bessarion, Pie, Ficin n'ont pas montré la même impartialité ni le même jugement dans leur attachement à la doctrine de Platon.

Les sectateurs d'Aristote n'ont pas été moins outrés : que n'ont-ils pas vu dans cet auteur !

Et les disciples de Descartes, croyent-ils que leur maître eût approuvé qu'on employât des textes de l'écriture pour défendre ses opinions ? Qu'auroit-il dit à Amerpoel, s'il eût vu son ouvrage intitulé de Carteseo moïsante, sive de evidente & facili conciliatione philosophiae Cartesii, cum historiâ creationis primo capite geneseos per Mosem traditâ ?

Paracelse avoit soulevé contre lui toute la Médecine, en opposant la pharmacie chimique à la pharmacie galénique. Sennert essaya le premier avec quelque succès de pacifier les esprits. Méchlin, George Martin & d'autres se déclarerent ensuite avec plus de hardiesse en faveur des préparations chimiques. De jour en jour elles ont prévalu dans la pratique de la médecine. Cependant on ne peut pas dire qu'aujourd'hui même cette sorte de syncrétisme soit éteint ; il y a encore des médecins & des chirurgiens qui brouillent ces deux pharmacies, & je ne crois pas que ce soit sans un grand inconvénient pour la vie des hommes.

Jean-Baptiste du Hamel travailla beaucoup à montrer l'accord de la philosophie ancienne & moderne. Cet homme étoit instruit, il avoit reçu de la nature un jugement sain ; il naquit à Caen en 1624, il y étudia la philosophie & les humanités. Il vint à Paris où il se livra à la théologie, à la physique & aux mathématiques. Il vécut pendant quelque tems d'une vie assez diverse. Il voyagea en Angleterre & en Allemagne ; & ce ne fut qu'en 1660 qu'il publia son astronomie physique, ouvrage qui fut suivi de son traité des affections des corps, de celui de l'ame humaine, de sa philosophie ancienne & moderne à l'usage des écoles, de son histoire de l'académie des sciences, de sa concordance de la philosophie ancienne & moderne. Dans ce dernier ouvrage, il parcourt tous les systêmes des philosophes anciens, il montre la diversité & la conformité de leurs opinions, il les concilie quand il peut ; il les approuve, ou les refute ; il conclut qu'ils ont vu, mais qu'ils n'ont pas tout vu. Il s'attache d'abord à la philosophie de Platon. Après avoir avec ce philosophe élevé l'esprit à la connoissance de la cause éternelle & premiere des choses ; il parle d'après Aristote des principes des corps ; il examine ensuite le systême d'Epicure ; il expose la doctrine de Descartes, & finit par deux livres qui contiennent les élémens de la chimie, avec quelques expériences relatives à cet art.

On ne peut nier que cet auteur n'ait bien mérité de la philosophie, mais ses ouvrages sont tachés de quelques traces de syncrétisme. Il avoit trop à coeur la réconciliation des anciens & des modernes, pour qu'il pût exposer la doctrine des premiers avec toute l'exactitude qu'on desireroit. Du Hamel mourut fort âgé, il avoit quatre-vingt-deux ans : on le perdit donc en 1706.

Mais il n'y a point eu de syncrétisme plus ancien & plus général que le Platonico-Peripatetico-Stoïcien : Ammonius, Porphyre, Themistius, Julien, Proclus, Marin, Origène, Sinesius, Philopones, Psellus, Boëthius, Bessarion, Fran. Pic, Gaza, Patricius, Schalichius, & une infinité de bons esprits en ont été infectés, en Grece, en Italie, en France, en Angleterre, en Allemagne, depuis les tems les plus reculés, jusqu'aux nôtres, les uns donnant la palme à Platon, les autres l'arrachant à Platon pour en couronner Aristote ou Zénon, quelques-uns plus équitables la partageant à-peu-près également entr'eux.

Ce syncrétisme divisoit les esprits, & exposoit la philosophie au mépris des gens du monde ; lorsqu'il sortit de l'école de Ramus & de Mélanchton, une espèce de secte qu'on pouvoit appeller les philosophes mixtes : de ce nombre furent Paulus Frisius, André Libavius, Aegid. Bucherius, Conrad Dietericus, Alstedius, & d'autres entre lesquels il ne faut pas oublier Keckermann.

Mais personne ne tenta la reconciliation d'Aristote avec les philosophes modernes, avec plus de chaleur & de talent que Jean Christophe Sturmius. Il fut d'abord syncrétiste, mais cette maniere de philosopher ne tarda pas à lui déplaire ; il devint Eclectique ; il eut une dispute importante avec Henri Morus, Leibnitz & Schelhammer sur le principe qui agit dans la nature. Morus y répandoit un esprit immatériel, mais brute ; Leibnitz une force active, propre à chaque molécule, dans laquelle elle s'exerçoit ou tendoit à s'exercer selon des loix méchaniques ; Schelhammer, le principe d'Aristote.

Leibnitz commença & finit comme Sturmius ; je veux dire qu'il passa du syncrétisme à l'Eclectisme.

Il paroît par ce que nous avons dit de cette secte, qu'elle a peu fait pour le progrès de la philosophie, qu'on lui doit peu de vérités, & qu'il ne s'en est fallu de rien qu'elle ne nous ait engagé dans des disputes sans fin.

Il s'agit bien de concilier un philosophe avec un autre philosophe ; & qu'est-ce que cela nous importe ? Ce qu'il faut savoir, c'est qui est-ce qui a tort ou raison.

Il s'agit bien de savoir si un systême de philosophie s'accorde avec l'Ecriture ou non ; & qu'est-ce que cela nous importe ? Ce qu'il faut savoir, c'est s'il est conforme à l'expérience ou non.

Quelle est l'autorité que le philosophe doit avoir pour soi ? celle de la nature, de la raison, de l'observation & de l'expérience.

Il ne doit le sacrifice de ses lumieres à personne, pas même à Dieu, puisque Dieu même nous conduit par l'intelligence des choses qui nous sont connues, à la croyance de celles que nous ne concevons pas.

Tandis que tant d'esprits s'occupoient à concilier Platon avec Aristote, Aristote avec Zénon, les uns & les autres avec Jesus-Christ ou avec Moïse ; le tems se passoit, & la vérité s'arrêtoit.

Depuis que l'éclectisme a prévalu, que sont devenus tous les ouvrages des syncrétistes ? ils sont oubliés.


SYNCRITIQUEREMEDE. (Médec. anc.) Les méthodistes nommerent remedes syncritiques ceux qui sont d'une nature coercitive & astringente ; Thessalus écrivit un volume entier sur ces remedes, & deux pages auroient suffi. (D.J.)


SYNDERESES. f. (Gram.) reproche secret de la conscience. La marque la plus complete de la scéleratesse parfaite, seroit le défaut de synderese ; mais on n'en vient point là.


SYNDESMO-GLOSSEen Anatomie, nom d'une partie de muscles de la langue qui viennent de la partie moyenne du ligament qui unit l'os hyoïde avec le cartilage thyroïde, & se termine à la partie postérieure de la langue, & à la partie latérale du pharynx. Voyez SYNDESMO-PHARYNGIEN.


SYNDESMO-PHARYNGIENen Anatomie, nom d'une paire de muscles qui viennent de la partie moyenne, & quelquefois de la partie inférieure des ligamens qui unissent les cornes supérieures du cartilage thyroïde avec les grandes cornes de l'os hyoïde ; de-là vont aux parties latérales & supérieures du pharynx & de la langue. Voyez SYNDESMO-GLOSSE.


SYNDESMOLOGIEen Anatomie, la partie qui traite des ligamens ; ce mot vient du grec ensemble, du verbe , unir, & , traité, c'est-à-dire discours sur ce qui unit ensemble, ou traité des ligamens.

Weitbrecht, professeur en Anatomie à Petersbourg, nous a laissé un traité in-4°. sur les ligamens, intitulé syndesmologie, imprimé à Petersbourg en 1742 ; c'est le seul traité que nous ayons sur cette matiere, il est orné de figures qui ne sont pas estimées par la beauté de la gravure, comme la plupart des figures anatomiques, mais par leur exactitude. Tous les connoisseurs en font un très-grand cas.


SYNDICS. m. en matiere de Gouvernement & de Commerce, est un officier chargé des affaires d'une ville ou d'une communauté ; c'est lui qui convoque les assemblées, & qui fait les représentations au ministere & au magistrat, &c. suivant l'exigence des cas.

Ce mot dérive du latin syndicus, ou plutôt du grec syndycos, qui signifie la même chose.

Le syndic est chargé de répondre de la conduite du corps ; il fait & reçoit les mémoires qui regardent les affaires ou les intérêts de la communauté ; il contrôle & corrige les actions & les fautes des particuliers qui dépendent de la communauté, ou du-moins il les fait blâmer ou réprimander dans les assemblées publiques. Dans le fond, le syndic est en même tems l'agent & le censeur de la communauté. La plûpart des compagnies de Paris & d'autres villes, comme les universités & les communautés des arts & métiers, ont leur syndic aussi bien que la plûpart des villes de Provence & de Languedoc.

On appelle aussi syndic, celui qui est chargé de solliciter une affaire commune, & où il est intéressé lui-même ; comme il arrive en particulier dans les directions où il se trouve plusieurs créanciers d'un même débiteur qui a fait banqueroute, ou qui est mort insolvable. Voyez AVOCAT, &c.

Les premiers magistrats de la ville de Genève, s'appellent syndics ; il y en a quatre pour chaque année ; le premier préside au conseil des vingt-cinq, qui est le conseil principal de la ville, & où l'on décide de toutes les affaires tant civiles que politiques : les quatre syndics élus ne peuvent revenir en charge qu'au bout de quatre ans ; desorte que le syndicat roule entre seize personnes, que l'on choisit toujours dans le nombre de ceux qui composent le conseil des vingt-cinq.

Syndic est aussi le nom que le roi Louis XIV. a accordé par les arrêts de son conseil d'état pour l'érection des chambres particulieres de commerce dans quelques villes de son royaume aux marchands, négocians ou autres qui composent lesdites chambres. Ceux de Rouen sont appellés syndics du commerce de la province de Normandie : à Lille simplement syndics de la chambre de commerce : dans les autres villes ce sont des députés ou directeurs. Voyez CHAMBRE DE COMMERCE, DEPUTES DU COMMERCE, &c. Dictionnaire de commerce, tome III. lettre V. p. 256.

SYNDIC, (Littér. grec.) ; ce mot avoit en grec deux significations ; il signifioit en premier lieu, tout orateur commis pour défendre avec un autre la même cause. En second lieu, il désignoit un orateur choisi, & député pour soutenir les prérogatives d'une ville, ou d'une nation entiere. Ainsi nous lisons dans Plutarque, que les Athéniens élurent Aristide pour syndic, & le chargerent de plaider au nom de leurs citoyens, la cause de toute la Grece, on ne pouvoit pas être deux fois syndic dans ce dernier sens. Nous avons emprunté le terme de syndic, mais nous en avons un peu détourné la signification, car en France il veut dire celui qui est élu pour prendre soin des affaires d'une communauté, ou d'un corps dont il est membre. (D.J.)


SYNDICATcharge ou fonction de syndic ; il se dit aussi du tems que le syndic reste en charge.


SYNDROME(Lexic. méd.) de , courir, de , & veut dire concours. C'est un mot introduit en Médecine par la secte des empiriques, qui l'employoient pour exprimer le concours des symptomes ; tels que sont, dans la pléthore, la distension des vaisseaux, la rougeur, la pesanteur du corps, l'inhabilité au mouvement, la tension des membres, un sentiment douloureux de lassitude. Ils joignoient à tous ces signes une vie passée dans l'inaction, une constitution vorace, & la suppression des excrétions ordinaires. Voilà la syndrome pléthorique, qui demandoit alors la saignée ; les Empiriques formerent de même la syndrome de la plûpart des maladies, bien plus difficile que celle de la pléthore, mais Galien tourne en ridicule la conduite des empiriques dans leurs syndromes, parce que, dit-il, elles arrivent fort rarement, & en même tems lentement ; ensorte que si le médecin vouloit attendre sa syndrome de tous les symptomes pour les remedes, il lui arriveroit souvent de commencer la cure trop tard. (D.J.)


SYNE(Chronolog. éthiop.) nom du dixieme mois de l'année éthiopienne. Il commence le 26 Mai du calendrier Julien. (D.J.)


SYNECDOQUEou SYNECDOCHE, s. f. (Gram.) cet article est en entier de M. du Marsais : trop. part. II. art. iv. p. 97. Ce que j'y ai inséré du mien, je l'ai mis à l'ordinaire entre deux crochets [ ].

On écrit ordinairement synecdoche : [c'est l'orthographe étymologique] ; voici les raisons qui me déterminent à écrire synecdoque.

1°. Ce mot n'est point un mot vulgaire qui soit dans la bouche des gens du monde, ensorte qu'on puisse les consulter pour connoître l'usage qu'il faut suivre par rapport à la prononciation de ce mot.

2°. Les gens de lettres que j'ai consultés le prononcent différemment ; les uns disent synecdoche à la françoise, comme roche ; & les autres soutiennent avec Richelet qu'on doit prononcer synecdoque.

3°. Ce mot est tout grec, , comprehensio ; il faut donc le prononcer en conservant au sa prononciation originale : c'est ainsi qu'on prononce & qu'on écrit époque, ; monarque, ; Pentateuque, ; Andromaque, ; Télémaque, , &c. On conserve la même prononciation dans écho, ; école (schola) , &c.

Je crois donc que synecdoque étant un mot scientifique, qui n'est point dans l'usage vulgaire, il faut l'écrire d'une maniere qui n'induise pas à une prononciation peu convenable à son origine.

4°. L'usage de rendre par ch le des Grecs, a introduit une prononciation françoise dans plusieurs mots que nous avons pris des Grecs. Ces mots étant devenus communs, & l'usage ayant fixé la maniere de les prononcer & de les écrire, respectons l'usage ; prononçons cathéchisme, machine, chimere, archidiacre, architecte, &c. Comme nous prononçons chi dans les mots françois : mais encore un coup, synecdoque n'est point un mot vulgaire ; écrivons donc & prononçons synecdoque.

Ce terme signifie compréhension : en effet dans la synecdoque, on fait concevoir à l'esprit plus ou moins que le mot dont on se sert, ne signifie dans le sens propre.

Quand au lieu de dire d'un homme qu'il aime le vin, je dis qu'il aime la bouteille ; c'est une simple métonymie (voyez METONYMIE) ; c'est un nom pour un autre ; mais quand je dis, cent voiles pour cent vaisseaux, non-seulement je prends un nom pour un autre ; mais je donne au mot voiles une signification plus étendue que celle qu'il a dans le sens propre ; je prends la partie pour le tout.

La synecdoque est donc une espece de métonymie, par laquelle on donne une signification particuliere, à un mot qui, dans le sens propre, a une signification plus générale ; ou au contraire, on donne une signification générale à un mot qui, dans le sens propre, n'a qu'une signification particuliere. En un mot, dans la métonymie, je prends un nom pour un autre, au lieu que dans synecdoque, je prends le plus pour le moins, ou le moins pour le plus.

Voici les différentes sortes de synecdoques que les Grammairiens ont remarquées.

I. Synecdoque du genre : comme quand on dit, les mortels pour les hommes ; le terme de mortels devroit pourtant comprendre aussi les animaux, qui sont sujets à la mort aussi bien que nous : ainsi, quand par les mortels on n'entend que les hommes, c'est une synecdoque du genre ; on dit le plus pour le moins.

Dans l'Ecriture-sainte, créature ne signifie ordinairement que les hommes ; euntes in mundum universum, praedicate evangelium omni CREATURAE : Marc. xvj. 15. C'est encore ce qu'on appelle la synecdoque du genre, parce qu'alors un mot générique ne s'entend que d'une espece particuliere : créature est un mot générique, puisqu'il comprend toutes les especes de choses créées, les arbres, les animaux, les métaux, &c. Ainsi lorsqu'il ne s'entend que des hommes, c'est une synecdoque du genre, c. à. d. que sous le nom du genre, on ne conçoit, on n'exprime qu'une espece particuliere ; on restreint le mot générique à la simple signification d'un mot qui ne marque qu'une espece.

Nombre est un mot qui se dit de tout assemblage d'unités : les latins se sont quelquefois servi de ce mot en le restreignant à une espece particuliere.

1°. Pour marquer l'harmonie, le chant : il y a dans le chant une proportion qui se compte. Les Grecs appellent aussi numerus, tout ce qui se fait avec une certaine proportion : quidquid certo modo & ratione fit.

.... Numeros memini, si verba tenerem.

" Je me souviens de la mesure, de l'harmonie, de la cadence, du chant, de l'air ; mais je n'ai pas retenu les paroles ". Virg. ecl. ix. 45.

2°. Numerus se prend encore en particulier pour les vers ; parce qu'en effet les vers sont composés d'un certain nombre de piés ou de syllabes : scribimus numeros. Pers. sat. j. 3. nous faisons des vers.

3°. En françois nous nous servons aussi de nombre ou de nombreux, pour marquer une certaine harmonie, certaines mesures, proportions ou cadences, qui rendent agréable à l'oreille un air, un vers, une période, un discours. Il y a un certain nombre qui rend les périodes harmonieuses. On dit d'une période qu'elle est fort nombreuse, numerosa oratio ; c. à. d. que le nombre des syllabes qui la composent est si bien distribué, que l'oreille en est frappée agréablement : numerus a aussi cette signification en latin. In oratione numerus latinè, graecè , inesse dicitur.... Ad capiendas aures, ajoûte Cicéron. Orat. n. 51. aliter 170. 171. 172. numeri ab oratore quaeruntur ; & plus bas, il s'exprime en ces termes : Aristoteles versum in oratione vetat esse, numerum jubet ; Aristote ne veut point qu'il se trouve un vers dans la prose, c. à. d. qu'il ne veut point que lorsqu'on écrit en prose, il se trouve dans le discours le même assemblage de piés, ou le même nombre de syllabes qui forment un vers : il veut cependant que la prose ait de l'harmonie ; mais une harmonie qui lui soit particuliere, quoiqu'elle dépende également du nombre des syllabes & de l'arrangement des mots.

II. Il y a au contraire la synecdoque de l'espece : c'est lorsqu'un mot qui dans le sens propre ne signifie qu'une espece particuliere, se prend pour le genre. C'est ainsi qu'on appelle quelquefois voleur un méchant homme : c'est alors prendre le moins pour marquer le plus.

Il y avoit dans la Thessalie, entre le mont Ossa & le mont Olympe, une fameuse plaine appellée Tempé, qui passoit pour un des plus beaux lieux de la Grece. Les poëtes grecs & latins se sont servis de ce mot particulier pour marquer toutes sortes de belles campagnes. " Le doux sommeil, dit Horace, III. od. j. 22. n'aime point le trouble qui regne chez les grands ; il se plait dans les petites maisons de bergers, à l'ombre d'un ruisseau, ou dans ces agréables campagnes dont les arbres ne sont agités que par le zéphyre " ; & pour marquer ces campagnes, il se sert de Tempe :

.... Somnus agrestium

Lenis virorum non humiles domos

Fastidit, umbrosamque ripam,

Non zephyris agitata Tempe.

[M. du Marsais est trop au-dessus des hommes ordinaires, pour qu'il ne soit pas permis de faire sur ses écrits quelques observations critiques. La traduction qu'il donne ici du passage d'Horace, n'a pas, ce me semble, toute l'exactitude exigible ; & je ne sais s'il n'est pas de mon devoir d'en remarquer les fautes. " On peut toujours relever celles des grands hommes, dit M. Duclos, préf. de l'hist. de Louis XI. peut-être sont ils les seuls qui en soient dignes, & dont la critique soit utile ".

N'aime point le trouble qui regne chez les grands ; il n'y a rien dans le texte qui indique cette idée ; c'est une interpolation qui énerve le texte au-lieu de l'enrichir, & peut-être est-ce une fausseté.

Non fastidit n'est pas rendu par il se plaît : le poëte va au-devant des préjugés qui regardent avec dédain l'état de médiocrité ; ceux qui pensent ainsi s'imaginent qu'on ne peut pas y dormir tranquillement, & Horace les contredit, en reprenant négativement ce qu'ils pourroient dire positivement, non fastidit : cette négation est également nécessaire dans toutes les traductions ; c'est un trait caractéristique de l'original.

Les petites maisons de bergers : l'usage de notre langue a attaché à petites maisons, quand il n'y a point de complément, l'idée d'un hôpital pour les fous ; & quand ces mots sont suivis d'un complément, l'idée d'un lieu destiné aux folies criminelles des riches libertins : d'ailleurs le latin humiles domos dit autre chose que petites maisons ; le mot humiles peint ce qui a coutume d'exciter le mépris de ceux qui ne jugent que par les apparences, & il est ici en opposition avec non fastidit ; l'adjectif petit ne fait pas le même contraste.

Virorum agrestium, ne signifie pas seulement les bergers, mais en général tous ceux qui habitent & cultivent la campagne, les habitans de la campagne. Je sais bien que l'on peut, par la synecdoque même, nommer l'espece pour le genre ; mais ce n'est pas dans la traduction d'un texte qui exprime le genre, & qui peut être rendu fidelement sans forcer le génie de la langue dans laquelle on le traduit.

L'ombre d'un ruisseau ; c'est un véritable barbarisme, les ruisseaux n'ont pas d'ombre : umbrosam ripam signifie un rivage couvert d'ombre : au-surplus il n'est ici question ni de ruisseau, ni de riviere, ni de fleuve ; c'est effacer l'original que de le surcharger sans besoin.

Zephyris agitata Tempe : il n'y a dans ce texte aucune idée d'arbres ; il s'agit de tout ce qui est dans ces campagnes, arbres, arbrisseaux, herbes, fleurs, ruisseaux, troupeaux, habitans, &c. La copie doit présenter cette généralité de l'original. Il me semble aussi, que si notre langue ne nous permet pas de conserver la synecdoque de l'original, parce que Tempe n'entre plus dans le systême de nos idées voluptueuses, nous devons du-moins en conserver tout ce qu'il est possible, en employant le singulier pour le pluriel ; ce sera substituer la synecdoque du nombre à celle de l'espece, & dans le même sens, du moins par le plus.

Voici donc la traduction que j'ose opposer à celle de M. du Marsais. " Le sommeil tranquille ne dédaigne ni les humbles chaumieres des habitans de la campagne, ni un rivage couvert d'ombre, ni une plaine délicieuse perpétuellement caressée par les zéphyres ".]

Le mot de corps & le mot d'ame (c'est M. du Marsais qui continue), se prennent aussi quelquefois séparément pour tout l'homme : on dit populairement, sur-tout dans les provinces, ce corps-là pour cet homme-là ; voilà un plaisant corps, pour dire un plaisant personnage. On dit aussi qu'il y a cent mille ames dans une ville, c'est-à-dire cent mille habitans. Omnes animae domûs Jacob (Genes. xlvj. 27.) toutes les personnes de la famille de Jacob. Genuit sexdecim animas, (ibid. 18.) il eut seize enfans.

III. Synecdoque dans le nombre ; c'est lorsqu'on met un singulier pour un pluriel, ou un pluriel pour un singulier.

1°. Le Germain révolté, c'est-à-dire, les Germains, les Allemands. L'ennemi vient à nous, c'est-à-dire, les ennemis. Dans les historiens latins on trouve souvent pedes pour pedites, le fantassin pour les fantassins, l'infanterie.

2°. Le pluriel pour le singulier. Souvent dans le style sérieux on dit nous au-lieu de je ; & de même, il est écrit dans les prophetes, c'est-à-dire, dans un livre de quelqu'un des prophetes ; quod dictum est per prophetas. Matt. ij. 23.

3°. Un nombre certain pour un nombre incertain. Il me l'a dit dix fois, vingt fois, cent fois, mille fois, c'est-à-dire, plusieurs fois.

4°. Souvent pour faire un compte rond, on ajoute ou l'on retranche ce qui empêche que le compte ne soit rond : ainsi on dit, la version des septante, aulieu de dire la version des soixante & douze interpretes, qui, selon les peres de l'Eglise, traduisirent l'Ecriture-sainte en grec, à la priere de Ptolémée Philadelphe, roi d'Egypte, environ 300 ans avant Jesus-Christ. Vous voyez que c'est toujours ou le plus pour le moins, ou au contraire le moins pour le plus.

IV. La partie pour le tout, & le tout pour la partie. Ainsi la tête se prend quelquefois pour tout l'homme : c'est ainsi qu'on dit communément, on a payé tant par tête, c'est-à-dire, tant pour chaque personne ; une tête si chere, c'est-à-dire, une personne si précieuse, si fort aimée.

Les poëtes disent, après quelques moissons, quelques étés, quelques hivers, c'est-à-dire, après quelques années.

L'onde, dans le sens propre, signifie une vague, un flot ; cependant les poëtes prennent ce mot ou pour la mer, ou pour l'eau d'une riviere, ou pour la riviere même. Quinault, Isis, act. I. sc. 3.

Vous juriez autrefois que cette onde rebelle

Se feroit vers sa source une route nouvelle,

Plutôt qu'on ne verroit votre coeur dégagé :

Voyez couler ces flots dans cette vaste plaine ;

C'est le même penchant qui toujours les entraîne ;

Leur cours ne change point, & vous avez changé.

Dans les poëtes latins, la poupe ou la proue d'un vaisseau se prennent pour tout le vaisseau. On dit en françois cent voiles, pour dire cent vaisseaux. Tectum (le toit) se prend en latin pour toute la maison. Aeneam in regia ducit tecta, elle mene Enée dans son palais. Aen. I. 635.

La porte, & même le seuil de la porte, se prennent aussi en latin pour toute la maison, tout le palais, tout le temple. C'est peut-être par cette espece de synecdoque qu'on peut donner un sens raisonnable à ces vers de Virgile. Aen. I. 509.

Tum foribus divae, mediâ testudine templi,

Septa armis, solioque altè subnixa resedit.

Si Dion étoit assise à la porte du temple, foribus divae, comment pouvoit-elle être assise en même tems sous le milieu de la voûte, mediâ testudine ? C'est que par foribus divae, il faut entendre d'abord en général le temple ; elle vint au temple, & se plaça sous la voûte.

[Ne pourroit-on pas dire aussi que Didon étoit assise au milieu du temple & aux portes de la déesse, c'est-à-dire, de son sanctuaire ? Cette explication est toute simple, & de l'autre part la figure est tirée de bien loin.

Lorsqu'un citoyen romain étoit fait esclave, ses biens appartenoient à ses héritiers ; mais s'il revenoit dans sa patrie, il rentroit dans la possession & jouissance de tous ses biens : ce droit, qui est une espece de droit de retour, s'appelloit en latin, jus postliminii ; de post (après), & de limen (le seuil de la porte, l'entrée).

Porte, par synecdoque & par antanomase, signifie aussi la cour du grand-seigneur, de l'empereur turc. On dit, faire un traité avec la porte, c'est-à-dire, avec la cour ottomane. C'est une façon de parler qui nous vient des Turcs : ils nomment porte par excellence, la porte du serrail ; c'est le palais du sultan ou empereur turc ; & ils entendent par ce mot ce que nous appellons la cour.

Nous disons, il y a cent feux dans ce village, c'est-à-dire cent familles.

On trouve aussi des noms de villes, de fleuves, ou de pays particuliers, pour des noms de provinces & de nations. Ovide, Métam. I. 61.

Eurus ad Auroram, Nabathaeaque regna recessit.

Les Pélagiens, les Argiens, les Doriens, peuples particuliers de la Grece, se prennent pour tous les Grecs, dans Virgile & dans les autres poëtes anciens.

On voit souvent dans les poëtes le Tibre pour les Romains ; le Nil pour les Egyptiens ; la Seine pour les François.

Cùm Tiberi, Nilo gratia nulla fuit.

Prop. II. Eleg. xxxiij. 20.

Per Tiberim, Romanos ; per Nilum Aegyptios intelligito. Beroald. in Propert.

Chaque climat produit des favoris de Mars,

La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars.

Boileau, Ep. I.

Fouler aux piés l'orgueil & du Tage & du Tibre.

Id. Disc. au roi.

Par le Tage, il entend les Espagnols ; le Tage est une des plus célebres rivieres d'Espagne.

V. On se sert souvent du nom de LA MATIERE POUR marquer LA CHOSE QUI EN EST FAITE : le pain ou quelqu'autre arbre se prend dans les poëtes pour un vaisseau : on dit communément de l'argent, pour des piéces d'argent, de la monnoie. Le fer se prend pour l'épée ; périr par le fer. Virgile s'est servi de ce mot pour le soc de la charrue : I. Georg. 50.

At priùs ignotum ferro quàm scindimus aequor.

M. Boileau, dans son ode sur la prise de Namur, a dit l'airain, pour dire les canons :

Et par cent bouches horribles

L'airain sur ces monts terribles

Vomit le fer & la mort.

L'airain, en latin aes, se prend aussi fréquemment pour la monnoie, les richesses ; la premiere mon noie des Romains étoit de cuivre : aes alienum, le cuivre d'autrui, c'est-à-dire, le bien d'autrui qui est entre nos mains, nos dettes, ce que nous devons. Enfin, aera se prend pour des vases de cuivre, pour des trompettes, des armes, en un mot pour tout ce qui se fait de cuivre. [Nous disons pareillement des bronzes, pour des ouvrages de bronze].

Dieu dit à Adam, tu es poussiere, & tu retourneras en poussiere, pulvis es, & in pulverem reverteris ; Genes. iij. 19. c'est-à-dire, tu as été fait de poussiere, tu as été formé d'un peu de terre.

Virgile s'est servi du nom de l'éléphant pour marquer simplement de l'ivoire ; ex auro, solidoque elephanto, Georg. III. 26. Dona dehinc auro gravia sectoque elephanto, Aen. III. 464. C'est ainsi que nous disons tous les jours un castor, pour dire un chapeau fait de poil de castor, &c.

Tum pius Aeneas hastam jacit : illa per orbem

Aere cavum triplici per linea terga, tribusque

Transiit intextum tauris opus. Aen. X. 783.

Le pieux Enée lança sa haste (pique, lance. Voyez le pere de Montfaucon, tom. IV. p. 65), avec tant de force contre Mézence, qu'elle perça le bouclier fait de trois plaques de cuivre, & qu'elle traversa les piquures de toile, & l'ouvrage fait de trois taureaux, c'est-à-dire, de trois cuirs. Cette façon de parler ne seroit pas entendue en notre langue.

Mais il ne faut pas croire qu'il soit permis de prendre indifféremment un nom pour un autre, soit par métonymie, soit par synecdoque : il faut, encore un coup, que les expressions figurées soient autorisées par l'usage, ou du-moins que le sens littéral qu'on veut faire entendre, se présente naturellement à l'esprit sans révolter la droite raison, & sans blesser les oreilles accoutumées à la pureté du langage. Si l'on disoit qu'une armée navale étoit composée de cent mâts, ou de cent avirons, au-lieu de dire cent voiles pour cent vaisseaux, on se rendroit ridicule : chaque partie ne se prend pas pour le tout, & chaque nom générique ne se prend pas pour une espece particuliere, ni tout nom d'espece pour le genre ; c'est l'usage seul qui donne à son gré ce privilege à un mot plutôt qu'à un autre.

Ainsi quand Horace a dit, I. od. j. 24. que les combats sont en horreur aux meres, bella matribus detestata ; je suis persuadé que ce poëte n'a voulu parler précisément que des meres. Je vois une mere allarmée pour son fils qu'elle sait être à la guerre, ou dans un combat dont on vient de lui apprendre la nouvelle : Horace excite ma sensibilité en me faisant penser aux allarmes où les meres sont alors pour leurs enfans ; il me semble même que cette tendresse des meres est ici le seul sentiment qui ne soit pas susceptible de foiblesse ou de quelqu'autre interprétation peu favorable : les allarmes d'une maîtresse pour son amant n'oseroient pas toujours se montrer avec la même liberté, que la tendresse d'une mere pour son fils. Ainsi quelque déférence que j'aie pour le savant pere Sanadon, j'avoue que je ne saurois trouver une synecdoque de l'espece dans bella matribus detestata, Le pere Sanadon, poésies d 'Horace, tom. I. pag. 7. croit que matribus comprend ici même les jeunes filles : voici sa traduction : les combats qui sont pour les femmes un objet d'horreur. Et dans les remarques, p. 12. il dit, que " les meres redoutent la guerre pour leurs époux & pour leurs enfans ; mais les jeunes filles, ajoute-t-il, ne DOIVENT pas moins la redouter pour les objets d'une tendresse légitime que la gloire leur enleve, en les rangeant sous les drapeaux de Mars. Cette raison m'a fait prendre matres dans la signification la plus étendue, comme les poëtes l'ont souvent employé. Il me semble, ajoute-t-il que ce sens fait ici un plus bel effet ".

Il ne s'agit pas de donner ici des instructions aux jeunes filles, ni de leur apprendre ce qu'elles doivent faire, lorsque la gloire leur enleve l'objet de leur tendresse, en les rangeant sous les drapeaux de Mars, c'est-à-dire, lorsque leurs amans sont à la guerre ; il s'agit de ce qu'Horace a pensé. [Il me semble qu'il devroit pareillement n'être question ici que de ce qu'a réellement pensé le pere Sanadon, & non pas du ridicule que l'on peut jetter sur ses expressions, au moyen d'une interprétation maligne : le mot doivent dont il s'est servi, & que M. du Marsais a fait imprimer en gros caracteres, n'a point été employé pour désigner une instruction ; mais simplement pour caractériser une conséquence naturelle & connue de la tendresse des jeunes filles pour leurs amans, en un mot, pour exprimer affirmativement un fait. C'est un tour ordinaire de notre langue, qui n'est inconnu à aucun homme de lettres : ainsi il y a de l'injustice à y chercher un sens éloigné, qui ne peut que compromettre de plus en plus l'honnêteté des moeurs, déjà trop efficacement attaquée dans d'autres écrits réellement scandaleux]. Or il me semble, continue M. du Marsais, que le terme de meres n'est relatif qu'à enfans ; il ne l'est pas même à époux, encore moins aux objets d'une tendresse légitime. J'ajouterois volontiers que les jeunes filles s'opposent à ce qu'on les confonde sous le nom de meres. Mais pour parler plus sérieusement, j'avoue que lorsque je lis dans la traduction du pere Sanadon, que les combats sont pour les femmes un objet d'horreur, je ne vois que des femmes épouvantées ; au-lieu que les paroles d'Horace me font voir une mere attendrie : ainsi je ne sens point que l'une de ces expressions puisse jamais être l'image de l'autre ; & bien loin que la traduction du pere Sanadon fasse sur moi un plus bel effet, je regrette le sentiment tendre qu'elle me fait perdre. Mais venons à la synecdoque.

Comme il est facile de confondre cette figure avec la métonymie, je crois qu'il ne sera pas inutile d'observer ce qui distingue la synecdoque de la métonymie. C'est,

1°. Que la synecdoque fait entendre le plus par un mot qui dans le sens propre signifie le moins ; ou au contraire elle fait entendre le moins par un mot qui dans le sens propre marque le plus.

2°. Dans l'une & l'autre figure il y a une relation entre l'objet dont on veut parler, & celui dont on emprunte le nom ; car s'il n'y avoit point de rapport entre ces objets, il n'y auroit aucune idée accessoire, & par conséquent point de trope : mais la relation qu'il y a entre les objets, dans la métonymie, est de telle sorte, que l'objet dont on emprunte le nom, subsiste indépendamment de celui dont il réveille l'idée, & ne forme point un ensemble avec lui ; tel est le rapport qui se trouve entre la cause & l'effet, entre l'auteur & son ouvrage, entre Cerès & le blé, entre le contenant & le contenu, comme entre la bouteille & le vin : au-lieu que la liaison qui se trouve entre les objets, dans la synecdoque, suppose que ces objets forment un ensemble, comme le tout & la partie ; leur union n'est point un simple rapport, elle est plus intérieure & plus indépendante. C'est ce qu'on peut remarquer dans les exemples de l'une & de l'autre de ces figures. Voyez TROPE. (E. R. M. B.)


SYNECPHONESou SYNÉRESE, s. f. (Gram.) c'est une figure de diction, par laquelle on se débarrasse d'une syllabe, sans rien retrancher des élémens du mot ; ce qui se fait en prononçant, d'un seul coup de voix, deux sons consécutifs qui, dans l'usage ordinaire, se prononcent en deux coups. C'est ainsi que l'on trouve aureis en deux syllabes longues, à la fin d'un vers hexametre ; dependent lychni laquearibus ãrs : (Virg.) sãdet pour sãdet ; suadet enim vesana fames. (id.), &c. Voyez la méthode latine de P. R. Traité de la poésie latine, ch. iij. §. 5.

Les anciens grammairiens donnoient à cette figure le nom de synecphonese, lorsque l'une des deux voyelles étoit entierement supprimée dans la prononciation, & qu'elles faisoient une fausse diphtongue ; comme dans alvearia, si, pour le prononcer en quatre syllabes, on dit alvaria, de même que nous disons Jan au lieu de Jean. Au contraire, ils l'appelloient syrenèse, lorsque les deux sons étoient conservés & fondus en une diphtongue vraie, comme dans cui, si nous le prononçons de même que notre mot françois lui.

Mais comme nous ne sommes plus en état de juger de la vraie prononciation du latin, ni de discerner entre leurs vraies & leurs fausses diphtongues, & que ces termes sont absolument propres à leur prosodie ; nous ferons mieux de les regarder comme synonymes par rapport à nous.

Synecphonese vient de , cùm, & du verbe , enuncio ; comme pour dire, duorum simul sonorum enunciatio.

Synérese vient aussi de , cùm, & du verbe , capio ; comme si l'on vouloit dire, duorum sonorum complexio. (E. R. M. B.)


SYNGRAPHES. m. (Droit rom.) nom que les Romains donnoient aux billets, promesses & obligations qu'ils faisoient quand ils empruntoient de l'argent.

Le syngraphe étoit scellé de l'anneau du débiteur, où étoit gravé son cachet ; c'est dans ce sens que l'affranchi de Trimalcion, qui querelle si vivement Ascylte & Giton, leur dit : " allons sur la bourse emprunter de l'argent ; tu verras si l'on n'a pas de la confiance en cet anneau, quoiqu'il ne soit que de fer. " Voyez Pline, l. XXXIII. c. j. (D.J.)


SYNNADAORUM, (Géog. anc.) ville de la grande Phrygie, & voisine de celle de Docimia ou Docimeum. Elle n'étoit pas grande du tems de Strabon, l. XII. qui en parlant de cette ville dit, non magna urbs. Il ajoute que le marbre de Synnada étoit en grande réputation. Tite-Live & Ptolémée écrivent aussi Synnada au nombre pluriel.

Etienne le géographe rapporte qu'on disoit qu'Acamas errant après la guerre de Troye, arriva dans la Phrygie ; qu'y ayant trouvé le prince du pays assiégé par ses ennemis, il lui donna du secours, & devint maître d'une contrée où il bâtit cette ville. Il ajoute qu'Acamas, pour peupler sa ville, rassembla plusieurs Macédoniens venus de Grece, & qui s'étoient établis en Asie ; & que de ces gens ramassés pour demeurer en un même lieu, que dans la suite les habitans du voisinage corrompirent en celui de Synnada, on donna d'abord à la ville le nom de Synnaea ; on trouve le mot sur diverses médailles anciennes. Plusieurs auteurs écrivent encore le nom de cette ville Synnas, adiis ; de ce nombre est Martial, livre IX. épigramme 76.

De marmore omni, quod Carystos invenit

Quod Phrygia Synnas, Afra quod nomas mittit.

Prudence, adv. Symmach. l. II. v. 246. suit la même orthographe.

Et quae saxa Paros secat, & quae punica rupes,

Quae viridis Lacedaemon habet, maculosaque Synnas.

Stace, l. I. Silvar. Carn. V. v. 36, dit aussi :

Sola nitet flavis Nomadum accisa metallis

Purpura, sola cavo Phrygiae quam Synnados auro

Ipse cruentavit maculus lucentibus Atys.

Ces témoignages nous font voir que la ville de Synnada, fournissoit un marbre précieux & tacheté. Ce marbre étoit blanc avec des taches rouges, ou couleur de pourpre, comme le remarque Pline, liv. XXXV. ch. j. qui au liv. V. ch. xxix. écrit Synnada, dae, & donne cette ville pour le lieu où se faisoient les assemblées générales de la province. Si cela est, il falloit que quoique très-petite, elle fût considérable ; car les Romains ne mettoient les tribunaux que dans les villes de quelque importance. Dans la suite on vit Synnada, capitale de la Phrygie salutaire, & métropole de la province. (D.J.)


SYNNEMENONadj. en Musique ; c'est le nom que donnoient les Grecs à leur troisieme tétracorde, quand il étoit conjoint avec le second, & divisé d'avec le quatrieme. Quand, au contraire, il étoit conjoint au quatrieme & divisé d'avec le second, ce même tétracorde prenoit le nom de diezeugmenon. Voyez aussi ce mot, voyez aussi TETRACORDE, SYSTEME. (S)


SYNNEVROSES. f. (Anat.) est une espece de symphyse ou d'union des os. Voyez SYMPHYSE. Ce mot est formé du grec , avec, & , nerf, ligament.

La synnevrose est la liaison des os par un ligament : c'est ainsi que le fémur est joint à l'os ischium, la rotule au tibia. Voyez LIGAMENT.


SYNODALadj. (Jurisprud.) se dit de ce qui est relatif au synode, comme un statut synodal, une ordonnance synodale, c'est-à-dire, qui est émanée du synode. Voyez SYNODE. (A)

SYNODALES, épitres, terme d'histoire ecclésiastique, étoient des lettres circulaires écrites par le synode aux prélats absens, ou lettres générales adressées à tous les fideles, pour les informer de ce qui s'est passé dans le synode.

Dans le recueil des conciles, on trouve une grande quantité de ces lettres synodales. Voyez CONCILE.

SYNODAUX, TEMOINS, terme d'histoire ecclésiastique, étoit le nom que l'on donnoit autrefois aux doyens des villes & aux doyens ruraux, parce qu'ils faisoient des informations, & rendoient compte dans le synode épiscopal des désordres qui regnoient parmi le clergé & le peuple. Voyez DOYEN.

Après que ceux-ci furent déchus de leur autorité, on les remplaça par une autre sorte de témoins synodaux, qui ressembloient à des jurés ; c'étoit un prêtre & deux ou trois laïques députés de chaque paroisse : ensuite on commença de nommer deux de ces jurés pour chaque diocèse ; & enfin cet office fut conféré aux marguilliers ou anciens du consistoire.


SYNODATIQUEadj. (Jurisp.) est le droit que les curés & les abbés qui sont obligés d'assister aux synodes des évêques, étoient tenus de leur payer : on l'appelle synodatique, parce qu'il se payoit ordinairement dans le synode ; & cathédratique, parce qu'il se payoit pro honore cathedrae.

Hincmar, archevêque de Reims, reprend plusieurs évêques, qui convoquoient de fréquens synodes pour percevoir plus souvent ce droit.

Quelques-uns prétendent que ce droit est le même que celui qu'on appelloit circada ; mais d'autres tiennent que celui-ci est le même que le droit de procuration.

Quoi qu'il en soit de l'identité de ces deux droits, l'usage des synodatiques est très-ancien dans l'église.

Le concile de Braga, en 572, en parle comme d'un usage déja ancien qui l'autorise.

Ce réglement fut confirmé au septieme concile de Tolede, en 646.

Gratien, dans son decret, rapporte plusieurs décisions des conciles & des papes sur cette matiere.

Suivant un capitulaire de Charles le Chauve, en 844, il étoit au choix de l'évêque de percevoir le droit en deniers ou en argent.

Quelques évêques l'ayant voulu augmenter, le concile de Châlons-sur-Saône, en 813, leur défendit de le faire.

Le pape Honoré III. écrivant à l'évêque d'Assise, confond le cathédratique & le synodatique, & le met au nombre des droits dûs à l'évêque dans les églises soumises à sa jurisdiction ; il fixe ce droit à deux sols, qui se payoient sur le pié que la monnoie étoit lorsque le droit avoit été établi, à moins qu'il n'y eût quelque accord au contraire.

Suivant ce qu'en dit Innocent III. ce droit n'étoit pas par-tout le même, & se payoit ailleurs qu'au synode.

Le concile de Bourges, en 1584, ordonna que le droit de cathédratique & autres seroient payés par tous ecclésiastiques sans distinction, à peine d'excommunication, & autres poursuites extraordinaires.

Le payement en fut aussi ordonné par l'assemblée de Melun en 1579.

Dans les derniers siecles, ce droit ayant été contesté à plusieurs évêques, la perception en a été négligée dans plusieurs diocèses.

Dans l'assemblée du clergé de 1602, ce droit fut reclamé par l'évêque d'Autun ; & en 1605 le clergé fit des remontrances pour la conservation de ce droit & autres, qu'on refusoit de payer aux évêques. Le roi répondit, qu'il vouloit qu'ils leurs fussent conservés ; mais qu'ils se contenteroient de ce que leur attribuoit l'article 20 de l'ordonnance de Blois.

M. Bignon portant la parole, le 23 Février 1637, ne traita pas favorablement le synodatique ; il établit que les curés devoient assister au synode, mais qu'ils n'étoient tenus de payer pour cela aucune chose. Voyez les mémoires du clergé. (A)


SYNODES. m. terme dont on se servoit autrefois dans l'ancienne Astronomie, pour marquer la conjonction de deux ou de plusieurs étoiles ou planetes dans le même lieu du ciel. Voyez CONJONCTION.

Ce mot est formé du grec , assemblée, & il est composé de , avec, & , voie ou chemin. C'est de-là qu'on dit le mois synodique de la lune, pour désigner l'intervalle entre deux conjonctions successives de la lune au soleil. Cette derniere expression est restée, & celle de synode a vieilli. (O)

SYNODE, (Jurisprud.) signifie en général une assemblée de l'Eglise.

Quelquefois le terme de synode est pris pour une assemblée de l'Eglise universelle ou concile écuménique, quelquefois pour un concile national ou provincial. Voyez CONCILE.

Il y a plusieurs sortes de synodes.

Synode de l'archidiacre, est la convocation que l'archidiacre fait devant lui de tous les curés de la campagne dans le diocèse de Paris ; il se tient le mercredi d'après le second dimanche de Pâques.

Synode de l'archevêque, est celui que tient l'archevêque dans son diocèse propre, comme chaque évêque dans le sien. Voyez SYNODE EPISCOPAL.

Synode du grand-chantre, est celui que le chantre de la cathédrale tient pour les maîtres & maîtresses d'école.

Synode diocésain, est celui auquel sont convoqués tous les curés & autres ecclésiastiques d'un même diocèse. Voyez ci-après SYNODE EPISCOPAL.

Synode épiscopal ou de l'évêque, est la même chose que synode diocésain ; l'objet de ces assemblées est de faire quelques réglemens & quelques réformations pour conserver la pureté des moeurs.

Les conciles d'Orléans & de Vernon ordonnent la convocation des synodes tous les ans, & que tous les prêtres, même les abbés, seront tenus d'y assister.

Le concile de Trente ordonne aussi la tenue du synode diocésain tous les ans, auquel doivent assister les exempts, qui ne sont point sous chapitres généraux, & tous ceux qui sont chargés du gouvernement des églises paroissiales, ou autres séculieres, même annexes.

Ces assemblées se faisoient même anciennement deux fois l'année au mois de Mai, & aux calendes de Novembre.

Les curés des paroisses qui dépendent des abbayes & ordres exempts, ne sont pas dispensés d'assister au synode de l'évêque, n'étant pas exempts de sa jurisdiction.

Le réglement de l'assemblée de Melun, en 1579, ordonne aux curés qui viennent au synode, de déférer à l'évêque le nom de leurs paroissiens coupables de crimes publics, afin que le synode y pourvoie. Voyez les mémoires du clergé.

Synode national, est celui qui comprend le clergé de toute une nation. Voyez CONCILE NATIONAL.

Synode de l'official, est celui que tient l'official, où il convoque tous les curés de la ville, fauxbourgs & banlieue à Paris : ce synode se tient le lundi de quasimodo.

Synode provincial. Voyez CONCILE PROVINCIAL.

Synode des religionnaires. Les églises prétendues réformées avoient leurs synodes pour entretenir leur discipline : il y en avoit de nationaux & de provinciaux. Le synode de Dordrecht pour la condamnation des Arminiens, est un des plus fameux. Les assemblées de l'Eglise anglicane, s'appelloient aussi du nom de synode. (A)

SYNODE, convocation d'un, (Droit politiq.) la plupart des auteurs du droit civil & politique, estiment que c'est aux rois qu'appartient le droit de convoquer les synodes, d'en confirmer les décisions, & de faire tout ce que les empereurs ont fait autrefois, & que les évêques de leur tems ont reconnu qu'ils avoient droit de faire.

Il paroît que les princes chrétiens ont seuls le droit de convoquer des synodes, par l'histoire des conciles généraux assemblés de leur tems, & par l'exemple de ceux qui se sont tenus dans la suite, sous différens empereurs. Il paroît encore, par l'histoire, qu'ils ont le droit d'examiner, de revoir, d'approuver, & de casser leurs décisions. On sait sur quel ton Constantin écrivit au concile de Tyr. " Vous tous qui avez tenu le concile de Tyr, rendez-vous auprès de moi, sans délai, pour y faire voir en ma présence, la justice du jugement que vous avez rendu ; auprès de moi, dis-je, à qui vous ne sauriez refuser la qualité de fidele serviteur de Dieu ". Socrate, Hist. eccles. l. I. c. xxxiv. Il est certain qu'on pouvoit refuser à Constantin la qualité qu'il s'arroge de fidele serviteur de Dieu ; mais en qualité d'empereur, on ne pouvoit lui refuser le droit de convoquer le concile, & de juger sa conduite.

Ainsi lorsque les princes convoquent le clergé en synode, le clergé est, 1°. obligé de s'assembler ; 2°. il n'est pas en droit de s'assembler de sa propre autorité, si le prince ne le convoque. Ces deux propositions sont prouvées, 1°. par la loi de Dieu, confirmée par les loix de tous les peuples ; 2°. par des exemples avant J. C. & dans l'église judaïque, non seulement depuis le tems de Moïse jusqu'à celui des Macchabées, mais encore après J. C. depuis Constantin jusqu'au-delà du dixieme siecle, par les conciles généraux, & par les conciles nationaux & provinciaux, assemblés pendant tout cet espace de tems, sous les empereurs & sous les rois.

Les loix payennes déclarerent illégitimes toutes celles qui se tenoient sans les ordres de l'autorité souveraine, quoiqu'elles fussent , dit Solon ; sous prétexte de religion, sub praetextu religionis, disent les loix romaines. Les empereurs chrétiens n'ont jamais affoibli ce droit ; au contraire ils lui ont donné plus de force & d'étendue. Il se trouva à Nicée trois cent & dix-huit évêques, entre lesquels il n'y en eut aucun qui refusât de venir quand Constantin les convoqua, comme n'étant pas légitimement convoqués ; aucun dans ce premier concile, ne déclara qu'il falloit faire renoncer Constantin à ses droits prétendus, & lui représenter de ne plus se mêler des assemblées & des affaires ecclésiastiques.

Il résulte de cet exemple & de plusieurs autres, que l'Eglise n'a d'autre droit de s'assembler en synode, que celui qu'elle tire de la permission du prince chrétien ; que, quand le synode est assemblé, il ne sauroit decréter, ou conclure sur quelque matiere de dogme ou de discipline que ce soit, qu'autant que cela aggrée au souverain ; que le prince peut ratifier ou annuller tous les actes du synode, & suspendre l'exécution de toutes, ou de quelques-unes de ses ordonnances. Qu'enfin l'autorité des actes synodaux, dépend entierement du monarque, & qu'aucun synode n'a le droit de se séparer sans son acquiescement.

En un mot, les plus savans politiques soutiennent que l'autorité civile doit s'étendre sur les affaires ecclésiastiques comme sur les civiles ; & c'est-là, dit Grotius, une des principales prérogatives du souverain ; mais en même tems, ajoute-t-il, la raison & le christianisme nous enseignent que chaque particulier doit jouir du droit de suivre le dictamen de sa conscience ; & que la non-conformité avec la religion dominante, ne doit priver personne d'aucun droit naturel, ni d'aucun droit civil. (D.J.)

SYNODE D'APOLLON, (Antiq. rom.) c'étoit une espece de confrérie d'Apollon, où l'on recevoit des gens de théâtre, appellés scéniques, des poëtes, des musiciens, des joueurs d'instrumens : cette société étoit fort nombreuse. Nous trouvons dans Gruter 60 aggrégés au synode d'Apollon, désignés par leurs noms & surnoms, entre lesquels je n'en nommerai qu'un seul, Marc Aurele Septentrion, affranchi d'Auguste, & le premier pantomime de son tems, qui étoit prêtre du synode d'Apollon, parasite du même Apollon, & qui fut honoré par l'empereur de charges considérables. (D.J.)

SYNODE des Calvinistes en France, (Hist. du calvinis.) nom des assemblées ecclésiastiques formées des ministres & des anciens des églises calvinistes en France. Ces églises ont tenu dans ce royaume vingt-neuf synodes nationaux, depuis l'an 1559, jusqu'à l'année 1659. Le premier synode national des églises réformées, se tint à Paris le 25 Mai 1559, au fauxbourg S. Germain. L'on y dressa la confession de foi en quarante articles, & un projet de discipline qui fut souvent retouché par les synodes suivans. Dans le dernier synode qui se tint à Loudun en 1659, le commissaire du roi déclara que ces nombreuses assemblées coûtant beaucoup de fraix & d'embarras, & les affaires pouvant être reglées par des synodes provinciaux, sa majesté avoit résolu qu'on ne convoqueroit plus de synode national, que lorsqu'elle le jugeroit expédient. On peut consulter sur ce sujet, l'Histoire de l'édit de Nantes, & celle des synodes nationaux des Calvinistes, par Aymon. (D.J.)


SYNODIEou RENTES SYNODALES, terme de Droit, à-présent inusité, aussi-bien que la chose qu'il signifioit, étoient des rentes pécuniaires que chaque curé payoit à l'évêque ou à l'archidiacre, dans le cours des visites qu'ils faisoient vers le tems de Pâques.

Ces rentes s'appelloient synodales, parce qu'on les payoit ordinairement dans les synodes, & qu'autrefois les évêques avoient coutume de faire leurs visites, & de tenir leurs synodes diocésains en même tems. On appelloit aussi ces rentes procurations. Voyez PROCURATION.


SYNODIQUEadj. (Astronom.) le mois synodique de la lune est de vingt-neuf jours & demi, & il differe du mois périodique, ou du tems que la lune met à parcourir le zodiaque, ce dernier mois étant de 27 jours 7 heures. La raison de cette différence, est que pendant une révolution de la lune, le soleil fait environ 27 degrés dans le même sens ; il faut donc pour que la lune se retrouve en conjonction avec le soleil, qu'elle le rattrappe pour ainsi dire, & elle employe environ deux jours à parcourir les 27 ou 28 degrés qu'il faut qu'elle parcoure pour cela. Voyez LUNE & LUNAISON.

SYNODIQUE, (Jurisp.) se dit de ce qui est émané du synode, comme une lettre synodique, ou lettre circulaire qu'un concile écrivoit aux prélats absens, aux églises, ou en général aux fideles, pour les instruire de ce qui s'étoit passé dans le concile, & le leur notifier. On trouve de ces lettres synodiques dans la collection des conciles. (A)


SYNOECIESLES, (Antiq. grecq.) , fête instituée par Thésée en mémoire des onze villes de l'Attique, qu'il avoit engagées à venir habiter conjointement dans Athènes. signifie demeurer ensemble. Thucydide ajoute, dès-lors jusqu'à présent, les Athéniens ont célébré la fête . Il ne faut pas s'arrêter à sa maniere d'écrire ce mot par un , tous les écoliers savent que c'est le propre de la dialecte attique, de mettre souvent un au lieu d'une S. Le scholiaste de Thucydide dit que cette fête étoit en l'honneur de Minerve ; & le scholiaste d'Aristophane assure qu'on y faisoit à la paix un sacrifice, dans lequel on ne répandoit point de sang sur l'autel ; ces deux narrations ne sont point incompatibles. (D.J.)


SYNONYMEadj. (Gram.) mot composé de la préposition grecque , cùm, & du mot , nomen : de là , cognominatio, & , cognominans ; ensorte que vocabula synonyma sunt diversa ejusdem rei nomina. C'est la premiere idée que l'on s'est faite des synonymes, & peut-être la seule qu'en ayent eu anciennement le plus grand nombre des gens de lettres. Une sorte de dictionnaire que l'on met dans les mains des écoliers qui fréquentent nos colleges, & que l'on connoit sous le nom général de synonymes, ou sous les noms particuliers de Regia Parnassi, de Gradus ad Parnassum, &c. est fort propre à perpétuer cette idée dans toutes les têtes qui tiennent pour irréformable ce qu'elles ont appris de leurs maîtres. Que faut-il penser de cette opinion ? Nous allons l'apprendre de M. l'abbé Girard, celui de nos grammairiens qui a acquis le plus de droit de prononcer sur cette matiere.

" Pour acquérir la justesse, dit-il, (synonymes franç. préf. page x.) il faut se rendre un peu difficile sur les mots, ne point s'imaginer que ceux qu'on nomme synonymes, le soient dans toute la rigueur d'une ressemblance parfaite, ensorte que le sens soit aussi uniforme entr'eux que l'est la saveur entre les gouttes d'eau d'une même source ; car en les considérant de près, on verra que cette ressemblance n'embrasse pas toute l'étendue & la force de la signification, qu'elle ne consiste que dans une idée principale, que tous énoncent, mais que chacun diversifie à sa maniere par une idée accessoire qui lui constitue un caractere propre & singulier. La ressemblance que produit l'idée générale, fait donc les mots synonymes ; & la différence qui vient de l'idée particuliere qui accompagne la générale, fait qu'ils ne le sont pas parfaitement, & qu'on les distingue comme les diverses nuances d'une même couleur ".

La notion que donne ici des synonymes cet excellent académicien, il l'a justifiée amplement dans l'ouvrage ingénieux qu'il a fait exprès sur cette matiere, dont la premiere édition étoit intitulée, justesse de la langue françoise, à Paris, chez d'Houry 1718, & dont la derniere édition est connue sous le nom de synonymes françois, à Paris, chez la veuve d'Houry, 1741.

On ne sauroit lire son livre sans desirer ardemment qu'il y eût examiné un plus grand nombre de synonymes, & que les gens de lettres qui sont en état d'entrer dans les vues fines & délicates de cet ingénieux écrivain, voulussent bien concourir à la perfection de l'édifice dont il a en quelque maniere posé les premiers fondemens. Je l'ai déja dit ailleurs : il en résulteroit quelque jour un excellent dictionnaire, ouvrage d'autant plus important, que l'on doit regarder la justesse du langage non-seulement comme une source d'agrémens, mais encore comme l'un des moyens les plus propres à faciliter l'intelligence & la communication de la vérité. Les chefs-d'oeuvres immortels des anciens sont parvenus jusqu'à nous ; nous les entendons, nous les admirons même ; mais combien de beautés réelles y sont entierement perdues pour nous, parce que nous ne connoissons pas toutes ces nuances fines qui caractérisent le choix qu'ils ont fait & dû faire des mots de leur langue ! Combien par conséquent ne perdons-nous pas de sentimens agréables & délicieux, de plaisirs réels ! Combien de moyens d'apprécier ces auteurs, & de leur payer le juste tribut de notre admiration ! Nous n'avons qu'à juger par-là de l'intérêt que nous pouvons avoir nous-mêmes à constater dans le plus grand détail l'état actuel de notre langue, & à en assurer l'intelligence aux siecles à venir, nonobstant les révolutions qui peuvent l'altérer ou l'anéantir : c'est véritablement consacrer à l'immortalité les noms & les ouvrages de nos Homeres, de nos Sophocles, de nos Eurypides, de nos Pindares, de nos Démosthènes, de nos Thucydides, de nos Chrysostomes, de nos Platons, de nos Socrates : & les consécrateurs ne s'assurent-ils pas de droit une place éminente au temple de Mémoire ?

Les uns peuvent continuer sur le plan de l'abbé Girard, assigner les caracteres distinctifs des synonymes avec cette précision rare qui caractérise cet écrivain lui-même, & y adapter des exemples qui en démontrent la justesse, & l'usage qu'il faut en faire.

Les autres recueilleront les preuves de fait que leurs lectures pourront leur présenter dans nos meilleurs écrivains, de la différence réelle qu'il y a entre plusieurs synonymes de notre langue. Le p. Bouhours, dans ses remarques nouvelles sur la langue françoise, en a caractérisé plusieurs qui pourroient bien avoir fait naître l'idée de l'ouvrage de l'abbé Girard. Dans le journal de l'académie françoise, par l'abbé de Choisy, que M. l'abbé d'Olivet a inséré dans les opuscules sur la langue françoise, on trouve l'examen exprès des différences des mots mauvais & méchant, gratitude & reconnoissance, crainte & frayeur, &c. Il y aura aussi une bonne récolte à faire dans les remarques de Vaugelas, & dans les notes de MM. Patru & Th. Corneille.

Mais il ne faut pas croire qu'il n'y ait que les Grammairiens de profession qui puissent fournir à cette compilation ; la Bruyere peut fournir sans effort une douzaine d'articles tout faits : docteur & docte ; héros & grand-homme ; galante & coquette ; foible, inconstant, léger & volage ; infidele & perfide ; émulation, jalousie & envie ; vice, défaut & ridicule ; grossiereté, rusticité & brutalité ; suffisant, important & arrogant ; honnête-homme & homme de bien ; talent & goût ; esprit & bon-sens.

Le petit, mais excellent livre de M. Duclos, considérations sur les moeurs de ce siecle, sera aussi fécond que celui des caracteres : il a défini poli & policé ; conviction & persuasion ; probité & vertu ; avilir & deshonorer ; réputation & renommée ; illustre & fameux ; crédit & faveur ; abaissement & bassesse ; suivre & obéir ; naïveté, candeur & ingénuité ; finesse & pénétration, &c.

En général, tous nos écrivains philosophes contribueront beaucoup à ce recueil, parce que l'esprit de justesse est le véritable esprit philosophique ; & peut-être faut-il à ce titre même citer l'Encyclopédie, comme une bonne source, non-seulement à cause des articles exprès qu'on y a consignés sur cette matiere, mais encore à cause des distinctions précises que l'examen métaphysique des principes des sciences & des arts a nécessairement occasionnées.

Mais la besogne la plus utile pour constater les vraies différences de nos synonymes, consiste à comparer les phrases où les meilleurs écrivains les ont employés sans autre intention que de parler avec justesse. Je dis les meilleurs écrivains, & j'ajoute qu'il ne faut compter en cela que sur les plus philosophes ; ce qui caractérise le plus petit nombre : les autres, en se donnant même la peine d'y penser, se contentent néanmoins assez aisément, & ne se doutent pas que l'on puisse leur faire le moindre reproche ; en voici une preuve singulierement frappante.

M. le duc de la Rochefoucault s'exprime en cette sorte (pens. 28, édit. de l'abbé de la Roche) : " La jalousie est en quelque maniere juste & raisonnable, puisqu'elle ne tend qu'à conserver un bien qui nous appartient, ou que nous croyons nous appartenir ; au lieu que l'envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres ". Rien n'est plus commun, dit là-dessus son commentateur, que d'entendre confondre ces passions... Cependant elles ont des objets bien différens. Mais lui-même sert bientôt de preuve à ce qu'il observe ici ; car à l'occasion de la pensée 55, où l'auteur parle de la haine pour les favoris, quel est, dit l'abbé de la Roche, le principe de cette haine, sinon un fond de jalousie qui nous fait envier tout le bien que nous voyons dans les autres ? Il est clair qu'il explique ici la jalousie par l'idée que M. de la Rochefoucault devoit lui avoir fait prendre de l'envie, d'où il a même emprunté le verbe envier. Au reste ce n'est pas la seule faute qu'il ait faite dans ses remarques sur un texte qui n'exigeoit de lui que de l'étude & du respect.

Quoi qu'il en soit, je remarquerai qu'il suit naturellement de tous les exemples que je viens d'indiquer dans différens écrivains, que ce qu'enseigne l'abbé Girard au sujet des différences qui distinguent les synonymes, n'est rien moins qu'arbitraire ; qu'il est fondé sur le bon usage de notre langue ; & qu'il ne s'agit, pour en établir les décisions sur cet objet, que d'en extraire avec intelligence les preuves répandues dans nos ouvrages les plus accrédités & les plus dignes de l'être. Ce n'est pas non plus une chose qui appartient en propre à notre idiôme. M. Gottsched vient de donner (1758, à Leipsick) des observations sur l'usage & l'abus de plusieurs termes & façons de parler de la langue allemande : elles sont, dit M. Roux (annales typogr. Août 1760. bell. lett. n. clviij.), dans le goût de celles de Vaugelas sur la langue françoise, & on en trouve plusieurs qui ressemblent beaucoup aux synonymes de l'abbé Girard.

Il y a long-tems que les savans ont remarqué que la synonymie n'étoit pas exacte dans les mots les plus ressemblans. " Les Latins, dit M. du Marsais (trop. part. III. art. xij. pag. 304.), sentoient mieux que nous ces différences délicates, dans le tems même qu'ils ne pouvoient les exprimer... Varron (de ling. lat. 1. v. sub fin.), dit que c'est une erreur de confondre agere, facere & gerere, & qu'ils ont chacun leur destination particuliere ". Voici le texte de Varron : propter similitudinem agendi, & faciendi, & gerendi, quidam error his qui putant esse unum ; potest enim quis aliquid facere & non agere, ut poëta facit fabulam, & non agit ; contrà actor agit, & non facit ; & sic à poëtâ fabula fit & non agitur, ab actore agitur & non fit ; contrà imperator qui dicitur res gerere, in eo neque agit neque facit, sed gerit, id est sustinet, translatum ab his qui onera gerunt quòd sustinent.

Cicéron observe (tusc. II. n. 15.) qu'il y a de la différence entre dolere & laborare, lors même que ce dernier mot est pris dans le sens du premier. Interest aliquid inter laborem & dolorem ; sunt finitima omninò, sed tamen differt aliquid ; labor est functio quaedam vel animi vel corporis gravioris operis vel muneris ; dolor autem motus asper in corpore... Aliud, inquam, est dolere, aliud laborare. Cùm varices secabantur Cn. Mario, dolebat ; cùm aestu magno ducebat agmen, laborabat. Cette remarque de l'orateur romain n'est que l'application du principe général qu'il n'y a point de mots tout-à-fait synonymes dans les langues, principe qu'il a exprimé très-clairement & tout-à-la-fois justifié dans ses topiques (n. 34) : quanquam enim vocabula propè idem valere videantur, tamen quia res differebant, nomina rerum distare voluerunt.

Non-seulement Cicéron a remarqué, comme grammairien, les différences délicates des synonymes, mais il les a suivies dans la pratique comme écrivain intelligent & habile. Voici comme il différencie dans la pratique amare & diligere.

Quis erat qui putaret ad eum amorem quem erga te habebam posse aliquid accedere ? Tantum accessit, ut mihi nunc denique amare videar, anteà dilexisse. (ep. famil. ix. 14.) & ailleurs : Quid ego tibi commendem eum quem tu ipse diligis ? Sed tamen ut scires eum non à me diligi solùm, verùm etiam amari, ob eam rem tibi haec scribo. (ib. xiij. 47.)

Les deux adjectifs gratus & jucundus que nous sommes tentés de croire entierement synonymes, & que nos traducteurs les plus scrupuleux traduiroient peut-être indifféremment de la même maniere, si des circonstances marquées ne les déterminoient à y faire une attention spéciale ; Cicéron en a très-bien senti la différence, & en a tiré un grand parti. Répondant à Atticus qui lui avoit appris une triste nouvelle, il lui dit : ista veritas etiamsi jucunda non est, mihi tamen grata est. (ep. ad Attic. iij. 24.) & dans une lettre qu'il écrit à Lucretius après la mort de sa fille Tullia : amor tuus gratus & optatus ; dicerem jucundum, nisi hoc verbum ad tempus perdidissem. (ep. famil. v. 15.)

On voit par-là avec quelle circonspection on doit étudier la propriété des termes, & de la langue dont on veut traduire, & de celle dans laquelle on traduit, ou même dans laquelle on veut écrire ses propres pensées. " Nous avons, dit M. du Marsais (Trop. III. xij. pag. 304.) quelques recueils des anciens grammairiens sur la propriété des mots latins : tels sont Festus, de verborum significatione ; Nonius Marcellus, de variâ significatione sermonum, (voyez Veteres grammatici.) On peut encore consulter un autre recueil qui a pour titre, Autores linguae latinae. De plus, nous avons un grand nombre d'observations répandues dans Varron, de lingua latina : [il fait partie des grammatici veteres ] dans les commentaires de Donat & de Servius : elles font voir les différences qu'il y a entre plusieurs mots que l'on prend communément pour synonymes. Quelques auteurs modernes ont fait des réflexions sur le même sujet : tels sont le P. Vasseur, jésuite, dans ses Remarq. sur la langue latine ; Scioppius, Henri Etienne, de latinitate falsò suspectâ, & plusieurs autres ". Je puis ajouter à ces auteurs, celui des Recherches sur la langue latine. (2 vol. in-12. Paris, chez Mouchet 1750.) Tout l'ouvrage est partagé en quatre parties ; & la troisieme est entierement destinée à faire voir, par des exemples comparés, qu'il n'y a point d'expressions tout-à-fait synonymes entr'elles, dans la langue latine.

Au reste, ce qui se prouve dans chaque langue, par l'autorité des bons écrivains dont la maniere constate l'usage, est fondé sur la raison même ; & par conséquent il doit en être de même dans toutes les langues formées & polies. " S'il y avoit des synonymes parfaits, dit encore M. du Marsais, (ibid. p. 308.) il y auroit deux langues dans une même langue. Quand on a trouvé le signe exact d'une idée, on n'en cherche pas un autre. Les mots anciens & les mots nouveaux d'une langue sont synonymes : maints est synonyme de plusieurs ; mais le premier n'est plus en usage ; c'est la grande ressemblance de signification, qui est cause que l'usage n'a conservé que l'un de ces termes, & qu'il a rejetté l'autre comme inutile. L'usage, ce [prétendu] tyran des langues, y opere souvent des merveilles, que l'autorité de tous les souverains ne pourroit jamais y opérer.

Qu'une fausse idée des richesses ne vienne pas ici, dit l'abbé Girard, (Préf. des Synon. pag. 12.) faire parade de la pluralité & de l'abondance. J'avoue que la pluralité des mots fait la richesse des langues ; mais ce n'est pas la pluralité purement numérale.... C'est celle qui vient de la diversité, telle qu'elle brille dans les productions de la nature.... Je ne fais donc cas de la quantité des mots que par celle de leur valeur. S'ils ne sont variés que par les sons ; & non par le plus ou le moins d'énergie, d'étendue & de précision, de composition ou de simplicité, que les idées peuvent avoir ; ils me paroissent plus propres à fatiguer la mémoire, qu'à enrichir & faciliter l'art de la parole. Protéger le nombre des mots sans égard au sens, c'est, ce me semble, confondre l'abondance avec la superfluité. Je ne saurois mieux comparer un tel goût qu'à celui d'un maître-d'hôtel qui feroit consister la magnificence d'un festin dans le nombre des plats plutôt que dans celui des mets. Qu'importe d'avoir plusieurs termes pour une seule idée ? N'est-il pas plus avantageux d'en avoir pour toutes celles qu'on souhaite d'exprimer " ? On doit juger de la richesse d'une langue, dit M. du Marsais, (Trop. pag. 309.) par le nombre des pensées qu'elle peut exprimer, & non par le nombre des articulations de la voix : & il semble en effet que l'usage de tous les idiomes, tout indélibéré qu'il paroît, ne perde jamais de vue cette maxime d'économie ; jamais il ne légitime un mot synonyme d'un autre, sans proscrire l'ancien, si la synonymie est entiere ; & il ne laisse subsister ensemble ces mêmes mots, qu'autant qu'ils sont réellement différenciés par quelques idées accessoires qui modifient la principale.

" Les synonymes des choses, dit M. le Président de Brosses, dans un mémoire dont j'ai déja tiré bon parti ailleurs, viennent de ce que les hommes les envisagent sous différentes faces, & leur donnent des noms relatifs à chacune de ces faces. Si la rose est un être existant réellement & de soi dans la nature, sa maniere d'exciter l'idée étant nette & distincte, elle n'a que peu ou point de synonymes, par exemple, fleur ; mais si la chose est une perception de l'homme relative à lui-même, & à l'idée d'ordre qui se forme à lui-même pour sa convenance, & qui n'est qu'en lui, non dans la nature, alors comme chaque homme a sa maniere de considérer & de se former un ordre, la chose abonde en synonymes " (mais dans ce cas-là même, les différentes origines des synonymes démontrent la diversité des aspects accidentels de la même idée principale, & justifient la doctrine de la distinction réelle des synonymes) ; " par exemple, une certaine étendue de terrein se nomme région, eu égard à ce qu'elle est régie par le même prince ou par les mêmes loix : province, eu égard à ce que l'on y vient d'un lieu à un autre (provenire.) " [L'i & le c de provincia me feroient plutôt croire que ce mot vient de procul & de vincere, conformément à ce qu'en dit Hégésippe cité par Calepin (verb. provincia) ; scribit enim Hegesippus, dit-il, Romanos cùm vincendo in suam potestatem redigerent procul positas regiones, appellavisse provincias : ou bien du verbe vincire, qui rendroit le nom de provincia applicable aux régions mêmes qui se soumettroient volontairement & par choix à un gouvernement : ce qui se confirme par ce que remarque Cicéron (Verrin. iv.) que la Sicile est la premiere qui ait été appellée province, parce qu'elle fut la premiere qui se confia à l'amitié & à la bonne foi du peuple romain ; mais toutes ces étymologies rentrent également dans les vues de M. le président de Brosses, & dans les miennes] : " contrée, parce qu'elle comprend une certaine étendue circonvoisine (tractus, contractus, contrada) : district, en tant que cette étendue est considérée comme à part & séparée d'une autre étendue voisine (districtus, distractus) : pays, parce qu'on a coutume de fixer les habitations près des eaux : car c'est ce que signifie le latin pagus, du grec , fons : état, en tant qu'elle subsiste dans la forme qui y est établie, &c.... Tous ces termes passent dans l'usage : on les généralise dans la suite, & on les emploie sans aucun égard à la cause originelle de l'institution. Cette variété de mots met dans les langues beaucoup d'embarras & de richesses : elle est très-incommode pour le vulgaire & pour les philosophes qui n'ont d'autre but en parlant que de s'expliquer clairement : elle aide infiniment au poëte & à l'orateur, en donnant une grande abondance à la partie matérielle de leur style. C'est le superflu qui fournit au luxe, & qui est à charge dans le cours de la vie à ceux qui se contentent de la simplicité. "

De la diversité des points de vue énoncés par les mots synonymes, je conclurois bien plutôt que l'abondance en est pour les philosophes une ressource admirable, puisqu'elle leur donne lieu de mettre dans leurs discours toute la précision & la netteté qu'exige la justesse la plus métaphysique ; mais j'avoue que le choix peut leur donner quelque embarras, parce qu'il est aisé de se méprendre sur des différences quelquefois assez peu sensibles. " Je ne disconviens pas qu'il n'y ait des occasions où il soit assez indifférent de choisir ; mais je soutiens qu'il y en a encore plus où les synonymes ne doivent ni ne peuvent figurer l'un pour l'autre, surtout dans les ouvrages médités & composés avec réflexion. S'il n'est question que d'un habit jaune, on peut prendre le souci ou le jonquille ; mais s'il faut assortir, on est obligé à consulter la nuance " (préf. des synon.)

M. de la Bruyere remarque (caract. des ouvrages d'esprit) qu'entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n'y en a qu'une qui soit la bonne : que tout ce qui ne l'est point, est foible, & ne satisfait pas un homme d'esprit qui veut se faire entendre. " Ainsi, dit M. du Marsais, (trop. pag. 307), ceux qui se sont donné la peine de traduire les auteurs latins en un autre latin, en affectant d'éviter les termes dont ces auteurs se sont servis, auroient pu s'épargner un travail qui gâte plus le goût qu'il n'apporte de lumiere. L'une & l'autre pratique (il parle de la méthode de faire le thème en deux façons) est une fécondité stérile qui empêche de sentir la propriété des termes, leur énergie, & la finesse de la langue. " (E. R. M. B.)


SYNONYMIES. f. (Belles-Lettres) figure de rhétorique où l'on emploie plusieurs mots synonymes ou différens termes qui tous ont la même signification, dans le dessein d'amplifier ou d'enfler le discours. Voyez SYNONYME & AMPLIFICATION.

Tel est ce passage de Cicéron, abiit, evasit, excessit, erupit, pour dire que Catilina est sorti de Rome.

Ce mot est formé du grec , & , nom.


SYNOQUE(Médec.) , en latin febris continens, fievre renfermée dans un seul paroxysme depuis le commencement jusqu'à la fin, & prolongée pendant plusieurs jours de suite ; le terme n'est pas proprement grec ; car il faudroit dire avec Hippocrate ; mais il a été forgé par le tems à l'effet de rendre une idée pour laquelle on manquoit d'expression ; ensuite on a établi deux especes de fievres synoques, savoir la fievre synoque simple & la fievre synoque putride. Voyez SYNOQUE SIMPLE & SYNOQUE PUTRIDE. (D.J.)

SYNOQUE SIMPLE, (Médec.) sorte de fievre continue sans redoublement, ni rémission depuis le commencement jusqu'à la fin, & qui s'étend au-delà de quatre jours, sans être cependant ni dangereuse ni putride ; c'est proprement une fievre éphemere, prolongée au-delà des vingt-quatre heures, mais qui ne va pas jusqu'au septieme jour.

Ces causes sont les mêmes que celles de l'éphemere, mais plus considérables à-proportion des humeurs retenues, & des forces du corps plus foibles pour en produire la coction ou l'expulsion : de-là vient que ces symptômes durent plus long-tems, & que si la coction de la maladie ne se termine pas au bout des quatre jours, la santé revient avec peine, & quelquefois cette fievre se change en synoque putride. Il faut modérer la chaleur fébrile par des boissons antiphlogistiques, rafraîchissantes, délayantes & diurétiques. La saignée ne convient que dans la pléthore sanguine, & les purgations ne doivent être employées que dans une surabondance d'humeurs, qui exigent cette méthode curative d'évacuation par les selles. La fievre synoque putride demande au contraire des remedes administrés par des mains habiles & prudentes. Voyez SYNOQUE PUTRIDE. (D.J.)

SYNOQUE PUTRIDE, (Médec.) fievre continue sans rémission, & accompagnée de putréfaction.

Nous n'entrerons pas dans le détail des différentes causes de ces sortes de fievres continues, accompagnées de putréfactions dans les humeurs. D'ailleurs, selon les différentes constitutions des malades, selon les différens degrés d'acrimonie, & selon la quantité des humeurs viciées, la même cause peut produire dans la même maladie différentes complications plus ou moins dangereuses. Mais quand les Médecins connoîtroient même ses causes, ils n'en apperçoivent que les qualités sensibles ; ils ignorent la nature de leur malignité, parce qu'elle est inaccessible aux sens ; elle leur est seulement indiquée & très-obscurément par ses effets : ainsi étant réduits à tâtonner, ils savent uniquement que toute irritation des nerfs capable d'accélérer excessivement l'action des arteres, produit la fievre, & que lorsque cette irritation est causée par quelque substance hétérogene mêlée avec les humeurs, la fievre ne peut se terminer que par la correction, ou par l'expulsion de cette substance nuisible, quelle qu'elle soit. On ne connoît point dans les fievres continues de remedes capables de corriger les mauvaises qualités d'une telle cause ; ce n'est que l'expérience qui leur apprend quand ils doivent provoquer l'expulsion de cette cause, & par quelle voie elle peut être expulsée. Eh ! qui ne sait combien cette expérience est fautive ? Cependant il faut se borner là, tant que les hommes seront privés de remedes spécifiques, capables de corriger ou de détruire immédiatement les mauvaises qualités des causes qui produisent la synoque putride.

Les caracteres de cette fievre, sont une chaleur vive & mordicante, qu'on remarque distinctement quand on touche long-tems la peau du malade, un pouls inégal & un peu concentré, sur-tout dans le commencement de la maladie ; les urines sont, à la fin des exacerbations, un peu plus chargées, & d'un rouge plus foncé que dans l'état naturel : cette espece de fievre commence ordinairement par un frisson, ce qui la distingue d'abord de la synoque simple, où ce frisson est plus rare.

Souvent cette fievre est accompagnée de quelques épiphénomenes spasmodiques ; tels sont au-moins la dureté, l'inégalité, le resserrement du pouls, l'anxiété, les inquiétudes, la douleur de tête, des douleurs dans les lombes, dans les membres, quelquefois même le délire ou l'assoupissement dans le fort des redoublemens ; mais ordinairement ces affections sont moins graves que dans les fievres malignes : elles suffisent cependant pour faire distinguer dès le commencement la synoque putride d'avec la synoque simple.

Ces épiphénomenes plus ou moins variés, diversifient beaucoup de fievres synoques ; c'est pourquoi les auteurs n'en donnent guere une description exacte, & même d'autant moins exacte, qu'ils ont attribué à la fievre même tous ces épiphénomenes qui lui sont étrangers, & qui sont des complications de maladie. Il suffit d'appercevoir, par tous les signes qu'on vient d'exposer, que la fievre n'est pas troublée par cette complication à un degré où la coction & la crise ne pourroient pas s'accomplir : ainsi nous nous bornons présentement à la cure particuliere de cette fievre en général.

La synoque putride finit rarement avant le quatorzieme jour ; elle s'étend souvent plus loin, & paroît devenir plus forte en s'approchant de sa fin ; mais la coction s'opere alors plus sûrement, & ce n'est pas un mauvais présage.

L'usage des boissons farineuses & des bouillons légers délayés dans beaucoup d'eau, ne conviennent pas mal au commencement de cette fievre ; mais les tisanes légeres faites avec les racines apéritives, la réglisse, les pommes de reinette, les aigrelets & les sels neutres, forment une boisson encore meilleure pour tempérer la chaleur d'acrimonie. Comme il s'agit de laver les humeurs, & de les entraîner principalement par la voie des urines, il faut rendre les boissons légérement apéritives, afin d'exciter l'action des excrétoires qui les séparent de la masse des humeurs. On doit juger ici combien les remedes actifs, tels que les cordiaux, les sudorifiques, &c. seroient dangereux dans cette sorte de fievre, où il s'agit d'humecter & de relâcher les solides, en évitant toute irritation.

La saignée n'est un remede essentiel que quand la fievre est accompagnée d'une pléthore sanguine. Lorsqu'il y a dans les premieres voies des matieres dépravées, l'indication de les évacuer est très-pressante, au commencement même de la synoque putride, pourvu néanmoins qu'il n'y ait aucun froncement spasmodique remarquable, ni aucune disposition inflammatoire dans les entrailles. Alors il faut répéter la saignée, recourir aux lavemens, à l'huile d'amandes douces, & au petit lait en grande quantité ; ensuite dans les jours de rémission, on pourra recourir aux potions laxatives.

La continuation des remedes tempérans & humectans, doit être proportionnée à la dureté, à la contraction du pouls & à la violence de la fievre. Sydenham étoit lui-même très-attentif à n'employer ces derniers remedes qu'autant qu'ils étoient nécessaires ; car l'insuffisance de la fievre pour la coction, lui paroissoit avec raison une disposition fort opposée à la guérison de la maladie. Il faut consulter ce grand médecin, & bien profiter de ses lumieres, auxquelles il faut joindre les écrits de Baillou, ouvrage que les Médecins françois lisent peu, & dont ils suivent encore moins les excellens préceptes. (D.J.)


SYNOSTÉOGRAPHIEen Anatomie. Voyez SYNOSTEOLOGIE.


SYNOSTÉOLOGIEou la SYNOSTOSE, ou la SYNOSTEOGRAPHIE, s. f. seu synostosis, synosteographia, (Anatomie) c'est la partie de l'Ostéologie qui traite de la connexion des os. Boerh.

Ce mot est formé du grec , avec, , os, , traité des articulations des os.


SYNOVIALLE, adj. en Anatomie, ce qui appartient à la synovie.

Les glandes synoviales sont du genre des conglomerées, & sont placées dans les cavités inégales des articulations des os, desorte qu'elles peuvent être légérement comprimées sans être écrasées.

Clopton Havers paroît être le premier qui nous en ait donné une description exacte : de-là elles ont été nommées haverienes.

Humeur synoviale. Voyez SYNOVIE.


SYNOVIE(Physiolog. Médec.) en latin mucilago ; liqueur mucilagineuse qui sert, tant qu'elle est dans son état naturel, à oindre & à lubréfier les ligamens & les cartilages des jointures.

Clopton Havers est le premier des modernes qui ait exactement décrit l'origine & la nature de la synovie. Il nous a fait connoître que cette humeur onctueuse est composée de la matiere générale de la transpiration, & de l'huile médullaire qui vient des cellules situées aux jointures des os.

Cette liqueur mucilagineuse est fournie par des glandes disposées dans l'articulation, de maniere à pouvoir être légérement pressées, mais non point détruites par son mouvement. Toutes les fois que cette liqueur est la plus nécessaire, c'est-à-dire, que les mouvemens sont les plus fréquens, il s'en sépare une plus grande quantité. Ces glandes sont molles & mucilagineuses, sans être friables : elles sont pour la plûpart conglomérées, c'est-à-dire, qu'il se trouve un grand nombre de petites glandes enveloppées d'une membrane commune. Leurs conduits excrétoires empêchent les obstructions qui pourroient se former dans le corps de la glande, & facilitent le retour de cette liqueur, quand elle est en état d'être reçue par les vaisseaux absorbans, qui doivent se trouver dans les articulations aussi-bien que dans les autres cavités du corps.

On peut, en pressant ces glandes avec les doigts, faire sortir de leurs excrétoires la liqueur mucilagineuse, qui ressemble quelquefois au blanc d'oeuf, ou à la sérosité du sang, & dont le goût est manifestement salé. Elle ne se coagule point à la chaleur, comme la sérosité ; mais elle devient plus claire, & ne laisse, après qu'elle s'est évaporée, qu'une pellicule déliée, d'un goût salé. Certains sels produisent le même effet sur elle que sur les autres liqueurs de notre corps, car les acides la coagulent, & les alkalis l'atténuent.

La quantité de cette liqueur mucilagineuse doit être considérable, si l'on en juge par l'écoulement de synovie qui accompagne les plaies ou les ulceres des articulations, & dont ce mucilage compose la plus grande partie.

Les vaisseaux qui fournissent les liqueurs dont ce mucilage se sépare, n'ont pas besoin de préparation pour être vus ; car on n'a pas plutôt injecté les arteres que les glandes en paroissent toutes couvertes.

Ces glandes n'ont aucune sensibilité, tant qu'elles sont dans un état sain ; mais on y sent des douleurs cruelles, lorsqu'elles s'enflamment & qu'elles viennent à suppuration, ce qui prouve qu'elles ont des nerfs.

Ces glandes mucilagineuses sont ordinairement logées dans une substance cellulaire, qui se trouve pareillement dans d'autres parties du sac formé par les ligamens des articulations, & contiennent une matiere onctueuse, qui doit nécessairement être atténuée, & poussée à-travers les membranes qui l'enferment dans la cavité de l'articulation, par la pression qu'elles souffrent de la part des os qui se meuvent.

Cette matiere onctueuse de la substance cellulaire, mêlée avec la lymphe subtile qui s'écoule continuellement des petites artères distribuées dans les ligamens, est extrêmement propre à entretenir la flexibilité des parties qui composent les articulations, à les faire glisser également les unes sur les autres, & à empêcher qu'elles ne s'échauffent, de même que le vieux-oing dont on graisse les roues des chariots, les empêchent de s'user & de s'échauffer. Après que cette liqueur des articulations a été suffisamment atténuée, elle rentre dans la masse du sang par les vaisseaux absorbans qu'ont les articulations.

S'il arrive par quelque cause que ce soit, que la synovie ne soit point dissipée, repompée ou suffisamment broyée entre les os, elle s'accumulera peu-à-peu, remplira la cavité de la jointure, & ôtera aux os articulés la liberté du mouvement ; cependant la partie la plus subtile de ce mucilage se dissipera, & conséquemment le reste acquerra de la consistance. Comme le mouvement de la jointure est la cause principale de la dissipation de ce mucilage, après qu'il a rempli sa destination ; le mouvement étant gêné ou totalement détruit, le mucilage s'accumulera davantage, & le mal deviendra incurable, tant par l'épaississement de la liqueur, que par l'acrimonie qu'elle acquerra dans la stagnation, & qui rongera les surfaces cartilagineuses des os, & les ligamens dont les jointures sont entourées.

On reconnoît cette maladie par une tumeur à la jointure qui est d'abord molle, & qui s'étend peu-à-peu. L'articulation du genou y est plus sujette qu'une autre. Hippocrate dit, Aphor. 25. sect. 5. qu'on soulagera considérablement ceux qui ont des tumeurs & des douleurs aux jointures sans ulcères, en versant dessus une grande quantité d'eau froide. Des Médecins célebres ont adopté depuis peu cette pratique. Peut-être est-elle capable de produire des effets salutaires, lorsque le mal commence, en resserrant subitement les parties par le froid qu'on leur communique, & en contraignant ainsi l'humeur qui s'accumule à se dissiper, pourvû qu'elle soit suffisamment fluide. Mais si l'humeur est déja épaisse ; si elle est en grande quantité, il n'est guere vraisemblable que l'eau froide puisse procurer un vrai soulagement.

On aura recours avec plus de succès aux frictions, au mouvement de la jointure affectée, aux fomentations pénétrantes de vin, de sel, de vinaigre & d'urine de personnes saines, avec une addition de plantes aromatiques, comme le marrube, le scordium & la rue, & aux cataplasmes préparés de substances semblables. Dans les cas opiniâtres, les embrocations d'eaux chaudes minérales, ou qu'on fera tomber lentement & de haut sur la partie affectée, soulageront beaucoup & guériront quelquefois radicalement. Au défaut d'eaux minérales, on se servira des fomentations pénétrantes, & l'on en usera même en forme d'embrocation.

Nous lisons dans le traité des maladies des Os, de M. Petit, qu'on obtiendra les mêmes effets avec l'eau de chaux vive, & une lessive de sel ammoniac versée de haut sur la partie affectée ; car l'eau de chaux vive & la lessive de sel ammoniac, donnent sur le champ un esprit de sel ammoniac très-pénétrant, qui passe avec raison pour un atténuant des plus énergiques. Mais si la quantité de la synovie accumulée est si grande, qu'elle ne puisse être dissipée par ces moyens, M. Petit veut que l'on découvre la partie la plus basse de la tumeur avec une lancette, qu'on pénétre jusqu'à la cavité de l'articulation, qu'on en fasse sortir la liqueur qu'elle contient, & qu'on acheve la cure avec les remedes dont nous venons de faire mention.

S'il arrive par quelque cause que ce soit, que les ligamens se roidissent, il y aura immobilité, quand même toutes les autres parties de la jointure seroient dans leur état naturel. Cette immobilité sera suivie d'une tumeur parce que la synovie accumulée dans la cavité de la jointure ne sera point dissipée par le mouvement, d'où il s'en suivra une ankilose parfaite. Toutes les causes capables de produire trop de roideur dans les fibres solides, ou même dans les vaisseaux, peuvent donner lieu à l'ankylose.

Aussi voyons-nous, que presque toutes les personnes fort âgées, ont de la roideur & de l'inflexibilité aux jointures ; ce qui provient en partie de la disette de l'huile grasse destinée à la lubréfication des os, en partie de la callosité, & quelquefois de l'ossification de ligamens. On remarque la même chose dans les hommes qui ont été occupés à des travaux violens, avant que d'arriver à un grand âge ; l'excès du mouvement musculaire a endurci en eux les parties fermes du corps. L'ankylose est encore assez fréquemment une suite des violentes inflammations aux ligamens maltraités ; ce qui donne lieu à la stagnation & à la coagulation du fluide dans les vaisseaux qui le contiennent. Ceux qui ont essuyé des attaques fréquentes de goutte, sont aussi quelquefois incommodés de l'immobilité des jointures. Passons aux autres vices de cette humeur onctueuse.

Lorsque la synovie devient trop âcre, elle ronge les os & les cartilages, & cela arrive souvent à ceux qui ont la vérole, le scorbut, les écrouelles, ou un spina ventosa. Lorsque la sécrétion de cette liqueur est trop petite, l'articulation devient roide, & lorsqu'on veut la mouvoir, on entend un craquement, ainsi que les vieillards l'éprouvent. Lorsque le mucilage & la lymphe abondent trop, & que les vaisseaux absorbans ne s'acquitent point autant qu'il faut de leur office, il peut en résulter une hydropisie des articles dont Hildanus a traité fort au long. Cette même cause relâche quelquefois si fort les ligamens, que les articulations en deviennent extrêmement foibles : de-là naissent des luxations, dont la réduction est plus aisée que la cure ; quelquefois enfin, quand cette liqueur s'épanche en trop grande quantité, elle occasionne plusieurs maux très-fâcheux ; tels que l'enflure, la douleur des jointures, des ulceres sinueux, des fistules, la carie des os, l'immobilité des articles, la maigreur, l'atrophie, des fievres hectiques & autres maladies semblables. Hippocrate a décrit avec beaucoup d'exactitude, la plûpart des symptomes qui proviennent du mauvais état de la synovie, & Hildanus en rapporte des exemples qu'il a vus. (D.J.)


SYNTAGMES. m. (Belles-Lettres) la disposition ou l'arrangement des choses dans un certain ordre. Voyez COMPOSITION.


SYNTAXES. f. (Gram.) mot composé de deux mots grecs ; , cùm, & , ordino : de-là, , coordinatio. J'ai dit, (voyez GRAMMAIRE, de l'Orthologie, §. II.) que l'office de la syntaxe est d'expliquer tout ce qui concerne le concours des mots réunis pour exprimer une pensée : & M. du Marsais (voyez CONSTRUCTION) dit que c'est la partie de la grammaire qui donne la connoissance des signes établis dans une langue pour exciter un sens dans l'esprit. On voit que ces deux notions de la syntaxe sont au fond identiques, quoiqu'énoncées en termes différens.

Il seroit inutile de grossir cet article par des répétitions. Pour prendre une idée nette de tout ce que doit comprendre en détail un traité de syntaxe, il faut voir la partie que je viens de citer de l'article GRAMMAIRE, qui en comprend un plan général ; & en suivant les renvois qui y sont marqués, on consultera pour le détail les articles, PROPOSITION, CONCORDANCE, IDENTITE, APPOSITION, REGIME, DETERMINATION, CONSTRUCTION, IDIOTISME, INVERSION, METHODE, FIGURE, CAS, &c. SUPPLEMENT, PREPOSITION, USAGE, &c. (E. R. M. B.)


SYNTEXISS. f. en Médecine, est une exténuation ou colliquation des parties solides d'un corps ; ainsi qu'il arrive souvent dans les atrophies, les inflammations des boyaux, les fievres colliquatives, &c. où l'on rend par les selles avec les excrémens, une matiere grasse & d'une odeur fétide. Voyez COLLIQUATION, EXTENUATION, &c.


SYNTHESES. f. (Philos. & Mathém.) est une espece de méthode opposée à l'analyse. On se sert de la synthèse ou méthode synthétique, pour chercher la vérité par des raisons tirées de principes établis comme certains, & de propositions que l'on a déja prouvées, afin de passer ainsi à la conclusion par un enchainement régulier de vérités connues ou prouvées.

Telle est la méthode que l'on a suivie dans les élémens d'Euclide, & dans la plûpart des démonstrations mathématiques des anciens où l'on part des définitions & des axiomes, pour parvenir à la preuve des propositions & problêmes, & de ces propositions prouvées, à la preuve des suivantes.

Cette méthode s'appelle aussi méthode de composition, & elle est opposée à la résolution ou analyse, aussi le mot synthèse est formé des mots grecs , ensemble, & , position, desorte que synthèse est la même chose que composition. Voyez COMPOSITION.

La méthode synthétique est par conséquent celle dont on se sert après avoir trouvé la vérité, pour la proposer ou l'enseigner aux autres. Voici ses principales regles.

Avant toutes choses, on doit expliquer les mots dans lesquels il peut y avoir la moindre obscurité. En effet, ce seroit envain qu'on entreprendroit d'expliquer une chose à celui qui n'entendroit pas les mots qu'on emploie ; l'intelligence des mots se donne par les définitions ; il y en a une de nom, & une de chose ; dans l'une & dans l'autre, on se propose de déterminer une idée, soit qu'il s'agisse d'une idée que nous avons besoin d'exprimer par tel ou tel mot, comme dans la définition de nom ; ou qu'il soit question de l'idée d'une chose déterminée, ce qui a lieu dans la définition de chose. Cette idée doit être tellement déterminée, qu'on puisse la distinguer de toute autre, car c'est-là le but de la définition, qui ne doit contenir que cela pour éviter toute confusion ; mais il faut prendre garde de ne pas employer dans les définitions, des termes obscurs ; si cela ne peut s'éviter, il faut commencer par définir ces termes. Les définitions n'ont point lieu pour les idées simples ; tout ce qui a rapport à ces idées, ne sauroit être expliqué à ceux qui ne les ont pas. Les explications des mots sont principalement nécessaires, quand il s'agit de choses ou de termes ordinaires, mais dont les notions ne sont pas exactement déterminées, quoiqu'il n'y ait rien de plus ordinaire que de négliger les définitions dans ces sortes d'occasions. Les mots d'être, de néant, de perfection, de volonté, de liberté, d'inertie, &c. ne sont pas entendus dans le même sens par tout le monde. Lorsqu'on a donné une définition, il ne faut pas employer le terme défini, dans un autre sens que celui qu'on lui a attribué dans la définition : défaut dont il est facile de s'appercevoir, en substituant le défini à la place de la définition ; il n'est pas nécessaire de commencer par les définitions de tous les termes qu'il faut expliquer ; c'est assez qu'on explique les mots avant que de les employer, pourvû qu'on prenne garde à ne pas interrompre un raisonnement, en y faisant entrer une définition.

Après avoir expliqué les termes, il faut observer qu'il ne sauroit y avoir de raisonnement dans lequel il n'y ait du moins deux propositions à considérer, de la vérité desquelles dépend celle du raisonnement : ainsi il est clair qu'on ne sauroit rien prouver aux autres par des raisonnemens, à-moins qu'ils ne soient persuadés de la vérité de quelques propositions : c'est par-là qu'il faut commencer ; mais pour qu'il n'y ait aucune difficulté à cet égard, il faut choisir des propositions dans lesquelles le sujet puisse être immédiatement comparé avec l'attribut, parce qu'alors tous ceux qui entendent les termes, ne sauroient avoir le moindre doute sur ces propositions. Une telle proposition s'appelle un axiome. Voyez AXIOME.

II. Il faut proposer clairement les axiomes dont on doit déduire les raisonnemens que l'on a à faire. Il y a des propositions qui ne sont pas des axiomes, mais qu'on emploie comme tels, ce qui est nécessaire en bien des rencontres : on pourroit les appeller des axiomes relatifs, c'est-à-dire des propositions qui à la vérité ne sont pas claires par elles-mêmes, mais dont la certitude est parfaitement connue à ceux auxquels nous proposons nos raisonnemens, desorte qu'il seroit inutile de les démontrer. Il y a des sciences entieres qui servent de fondement à d'autres, & on les suppose connues à ceux à qui on doit expliquer ces dernieres : au reste, il n'importe gueres qu'un raisonnement soit déduit d'axiomes, dont la vérité se fait appercevoir immédiatement, ou d'axiomes relatifs : car dans l'un & l'autre cas, si le raisonnement est bien déduit, il ne sauroit y avoir aucun doute sur la conclusion. Si les choses que nous devons expliquer concernent la pratique, il est nécessaire que celui à qui nous entreprenons d'enseigner cette pratique, puisse agir. Enseigner la pratique d'une chose, c'est expliquer comment il faut diriger certaines actions ; mais ces actions mêmes doivent être déterminées d'avance : c'est cette détermination qu'on appelle demande. Je demande que celui à qui j'entreprens d'enseigner la multiplication des nombres, puisse multiplier les nombres exprimés par un seul caractere, c'est-à-dire, en ait le produit imprimé dans sa mémoire. Je demande que celui à qui je dois enseigner la Géométrie, puisse tirer des lignes & tracer des cercles. L'on place ordinairement les demandes immédiatement après les axiomes ; mais ce n'est pas à dire que les axiomes & les demandes doivent précéder tous les raisonnemens ; il suffit qu'on les place avant les raisonnemens auxquels ils ont rapport, pourvu que d'ailleurs ils n'interrompent pas le fil de la démonstration. Aux définitions, aux axiomes, & aux demandes, on ajoute souvent des hypothèses : c'est ce qui se fait quand on entreprend d'expliquer ce qui doit résulter de la combinaison de certaines circonstances ; le raisonnement en ce cas est hypothétique, & il faut commencer par poser les circonstances ; tout cela étant fait, il faut en venir à traiter le sujet proposé, ce qui doit se faire par parties.

III. La division du sujet proposé doit être faite de telle maniere que toutes les parties en puissent être traitées séparément. Le sens de cette regle est, qu'entre les parties, il faut qu'il y en ait une qui puisse être expliquée, sans que les autres entrent en considération ; & cette partie doit être la premiere : la seconde doit être choisie de même parmi les parties qui restent ; & ainsi des autres.

IV. La division que la nature du sujet indique, doit être préférée, & les parties les plus simples de ce sujet doivent être expliquées avant celles qui sont plus composées : cette regle est subordonnée à la précédente, c'est-à-dire n'a lieu qu'autant qu'elle s'accorde avec l'autre. Si j'entreprenois d'enseigner les élémens de Géométrie, voici la division & l'ordre que je devrois suivre, en ne faisant attention qu'à la derniere regle que je viens de proposer ; je devrois commencer par ce qui regarde les lignes, de-là passer aux triangles, & puis aux autres figures rectilignes ; enfin je devrois parler du cercle, &c. Mais quelle géométrie seroit-ce que celle-là ? Ce qui regarde les lignes paralleles & perpendiculaires, doit être déduit de ce qu'on démontre des triangles, &c. C'est pourquoi quelque naturel que paroisse l'ordre que nous venons d'indiquer, il faut pourtant en suivre un autre : cependant on ne doit s'écarter de cette quatrieme regle, qu'autant qu'elle ne sauroit s'accorder avec la troisieme. Il y a pourtant des occasions où il faut observer la quatrieme regle, en violant la troisieme : ce qui n'a lieu que lorsque le sujet n'admet pas de division qui s'accorde avec la troisieme regle ; alors il faut commencer par supposer quelque proposition, qu'on ne peut démontrer que dans la suite. Après avoir exposé la division du sujet, il faut en traiter les diverses parties, en rangeant les propositions dans un ordre convenable, & en démontrant celles dont la vérité ne paroît pas immédiatement, à moins qu'on ne les envisage comme déja connues. Toute conclusion est déduite de deux prémisses, de la vérité desquelles dépend celle de la conclusion.

V. Il n'est permis d'admettre comme vraie, aucune proposition, à moins qu'elle ne soit déduite des axiomes, des demandes, des hypothèses, ou des propositions déja prouvées ; excepté le seul cas indiqué tout-à-l'heure ; savoir, lorsque le sujet n'admettant point de division, on suppose quelque proposition sans preuve, en se réservant de la démontrer dans la suite. Il faut prendre garde aussi, en employant une hypothèse, de regarder comme absolument vraie, une conclusion qui n'est vraie qu'hypothétiquement.

VI. Toutes les propositions qui ne servent ni à démontrer, ni à éclaircir le sujet qu'on traite, doivent être rejettées. En négligeant d'observer cette regle, on ne sauroit s'empêcher de tomber dans la confusion.

VII. Les propositions simples doivent précéder celles qui sont composées, & les propositions générales doivent être traitées avant les particulieres. Il est quelquefois impossible d'observer cette regle, à cause qu'il arrive souvent qu'une proposition simple ne peut être déduite que d'une proposition composée, & qu'une proposition générale ne peut être expliquée avant que d'en avoir démontré quelque cas particulier ; dans ces occasions on doit négliger cette septieme regle : c'est de quoi nous trouvons plusieurs exemples dans Euclide, auquel bien des gens ont reproché d'avoir péché contre l'ordre ; mais ceux qui lui ont fait de pareils reproches, n'ont pas fait attention à la subordination des regles qui regardent l'ordre des propositions.

VIII. Après chaque proposition il faut premierement démontrer celles qui en sont des conséquences, ensuite celles qui y ont quelque rapport, en faisant précéder celles qui y ont la relation la plus étroite. Cette seconde partie de la huitieme regle, doit être entendue de maniere qu'elle ne doive avoir lieu que quand elle ne se trouve point en opposition avec la regle précédente. Euclide a eu raison de séparer la seizieme, & la trente-deuxieme proposition du premier livre de ses élémens, quoique dans l'une & l'autre proposition, il soit question de l'angle extérieur du triangle.

La difficulté qui se trouve à suivre toutes les regles de la synthèse, qui viennent d'être exposées, n'est pas fort considérable. Cependant avant que d'y être accoutumé, on pourra en faciliter la pratique, en observant les regles suivantes. D'abord on doit marquer, & bien déterminer ce que l'on a entrepris d'expliquer, en faisant une liste qui contienne toutes les propositions qui doivent être démontrées, exprimées en peu de mots, ou plutôt simplement indiquées, ensuite on doit rechercher les argumens par le moyen desquels on croit pouvoir prouver, avec le plus de facilité & de briéveté, les propositions dont il s'agit. Ces argumens contiennent de nouvelles propositions, qu'il faut ajouter aux autres : après cela on doit aussi marquer les principes dont ces dernieres propositions peuvent être déduites ; soit immédiatement, soit par une suite de propositions déja marquées sur la liste : enfin il faut indiquer les mots obscurs qui doivent être définis, aussi-bien que les demandes & les hypothèses, s'il en est question. Ces différens matériaux doivent être rédigés en ordre, suivant les regles qui viennent d'être prescrites ; & cela de maniere qu'à l'égard de chacun de ces matériaux en particulier, on apperçoive la raison pour laquelle on lui assigne plutôt telle place que telle autre ; les choses ainsi disposées, il ne s'agit plus que d'expliquer les propositions qui auront été simplement indiquées ; ce qui pourra se faire, ou par un discours suivi, ou par des propositions séparées, suivant la méthode des mathématiciens.

Cet article, qui nous a été donné par M. Formey, est tiré de l'introduction à la philosophie de M. S'Gravesande, lib. part. II. ch. xxxvj.

SYNTHESE, s. f. (Grammaire) c'est une figure de construction que les Grammairiens appellent encore & même plus communément syllepse : mais comme il y a un trope particulier qui a déja le nom de syllepse, & qu'il peut être nuisible à la clarté de l'enseignement de désigner par le même nom des objets totalement différens, ainsi que je l'ai déja remarqué sous ce mot ; je donne uniquement le nom de synthèse à la figure dont il est ici question.

" Elle sert, dit M. du Marsais, (FIGURE ) lorsqu'au-lieu de construire les mots selon les regles ordinaires du nombre, des genres, des cas, on en fait la construction relativement à la pensée que l'on a dans l'esprit ; en un mot... lorsqu'on fait la construction selon le sens, & non pas selon les mots ".

1°. Les Grammairiens ne reconnoissent la synthèse que dans le genre, ou dans le nombre, ou dans tous les deux : dans le genre, comme daret ut catenis fatale monstrum, QUAE generosiùs perire quaerens, &c. Hor. dans le nombre, comme missi, magnis de rebus UTERQUE, legati : id. enfin dans le genre & dans le nombre tout-à-la-fois, comme pars in carcerem ACTI, pars bestiis OBJECTI. (Sall.) Mais aucun d'eux n'a parlé de synthèse dans les cas, & aucun n'auroit pu assurément en trouver d'exemples en quelque bon auteur que ce fût. C'est donc par inadvertance que M. du Marsais a compris le cas dans la définition qu'il donne ici de cette figure.

2°. Il me semble que ce grammairien ayant assigné avec tant de justesse & de vérité la différence qu'il y a entre construction & syntaxe (voyez CONSTRUCTION), il auroit dû regarder la synthèse comme une figure de syntaxe plutôt que comme une figure de construction ; puisque c'est, de son propre aveu, la loi de concordance qui est violée ici dans les mots, quoiqu'elle subsiste encore dans le sens. Or la concordance est l'un des objets de la syntaxe, & la construction en est un autre.

3°. Ce n'est au reste que relativement à la maniere dont ce philosophe a envisagé la synthèse, que je dis qu'il auroit dû en faire une figure de syntaxe : car, par rapport à moi, c'est une véritable figure de construction, puisque je suis persuadé que ce n'est qu'une sorte d'ellipse. Les Grammairiens eux-mêmes semblent en convenir, quand ils disent qu'on y fait la construction selon le sens, & non pas selon les mots : cela veut dire que le corrélatif discordant en apparence, si l'on n'envisage que les mots exprimés, est dans une exacte concordance avec un autre mot non-exprimé, mais indiqué par le sens. Reprenons en effet les exemples de synthèse cités plus haut ; & l'on va voir que par de simples supplémens d'ellipse ils vont rentrer dans les regles, & de la construction analytique & de la syntaxe usuelle. La premiere se réduit à ceci, daret ut catenis Cleopatram, fatale monstrum, quae, &c. on voit que fatale monstrum est ajouté à l'idée de Cleopatram, qui étoit tout-à-la-fois sous-entendu & désigné par le genre de quae qui rentre parlà dans les vues de la concordance. Le second exemple se construit ainsi, missi legati, & uterque legatus missus de magnis rebus, cela est évident & satisfaisant. Enfin quand Salluste a écrit, pars in carcerem acti, pars bestiis objecti, c'est comme s'il avoit dit : divisi sunt in duas partes ; ii, qui sunt prima pars, in carcerem acti sunt ; ii, qui sunt altera pars, bestiis objecti.

Il n'y a qu'à voir la maniere dont les exemples de cette figure sont expliqués dans la méthode latine de P. R. (des fig. de constr. ch. iv.) & l'on ne pourra plus douter que, quoique l'auteur ne songeât pas explicitement à l'ellipse, il n'en suivît néanmoins les indications, & n'en envisageât les supplémens peut-être même à son insu. Or il est constant que, si l'on peut par l'ellipse rendre raison de toutes les phrases que l'on rapporte à la synthèse, il est inutile d'imaginer une autre figure ; & je ne sais même s'il pourroit réellement être autorisé par aucun usage, de violer en aucune maniere la loi de la concordance. Voyez IDENTITE.

Je ne veux pas dire néanmoins qu'on ne puisse distinguer cette espece d'ellipse d'avec les autres par un nom particulier : & dans ce cas, celui de synthèse s'y accommode avec tant de justesse, qu'il pourroit bien servir encore à prouver ce que je pense de la chose même. , compositio ; RR. , cùm, & , pono : comme si l'on vouloit dire, POSITIO vocis alicujus subintellectae CUM voce expressâ ; ce qui est bien le cas de l'ellipse. Mais au fond un seul nom suffit à un seul principe ; & l'on n'a imaginé différens noms, que parce qu'on a cru voir des principes différens. Nous retrouvons la chaîne qui les unit, & qui les réduit à un seul ; gardons-nous bien de les séparer. Si nous connoissons jamais les vérités, nous n'en connoîtrons qu'une. (E. R. M. B.)

SYNTHESE, en Chirurgie, est un terme générique qui comprend toute opération, par laquelle on réunit les parties qui ont été séparées, comme dans les fractures, les plaies, par le moyen des sutures, &c. Voyez PLAIE REUNIE, SUTURE, FRACTURE. (Y)

SYNTHESE, s. f. synthesis, (Usages des Romains.) espece de robe ample que prenoient les Romains au sortir du bain avant que de se mettre à table. C'étoit un habillement commode pour être à leur aise sur leurs lits : il différoit du pallium des Grecs, étoit léger, flottant, & ne tenoit presque à rien, comme il paroît par les marbres antiques. Juvenal en parle, sat. ij. vers. 283. & Martial, l. XXXIV. épigr. 141. nous apprend que de son tems il y avoit des personnes qui, par un air de luxe & de magnificence, en changeoient plusieurs fois pendant le festin. La couleur de la synthèse étoit blanche, & du-moins jamais noire, pas même dans le repas qu'on donnoit aux funérailles. (D.J.)


SYNTHÉTIQUEadj. (Géom.) qui a rapport à la synthèse, méthode synthétique. Voyez SYNTHESE.


SYNTHÉTISMES. m. (Chirurgie) terme usité en Chirurgie par quelques auteurs, pour comprendre sous un seul mot les quatre opérations nécessaires pour remettre une fracture, qui sont l'extension, la coaptation, la remise & le bandage. (D.J.)


SYNTHRONE(Littérature) terme qui veut dire participant au même rang, au même trône ; c'est un surnom dont l'empereur Adrien honora son cher Antinoüs, lorsqu'il le mit au rang des dieux. (D.J.)


SYNTONIQUEadj. en Musique, c'est l'épithete, par laquelle Aristoxeme distingue l'une des deux especes du genre diatonique, dont il donne l'explication. C'est le diatonique ordinaire, dont le tétracorde est divisé en un semi-ton & deux tons égaux : au-lieu que dans le diatonique mol, après le semi-ton, le premier intervalle est de trois quarts de ton, & le second de cinq. Voyez GENRES, TETRACORDE, &c.

Syntonolydien est aussi le nom d'un des modes de l'ancienne Musique. Platon dit que les modes mixolydien & syntonolydien sont propres aux larmes.

On voit dans le premier livre d'Aristide Quintilien une explication de divers modes de l'ancienne Musique, qu'il ne faut pas confondre avec les tons qui portent les mêmes noms, & dont j'ai parlé sous le mot MODE, pour me conformer à l'usage moderne, introduit très-mal-à-propos par Glarean. Les modes étoient des manieres différentes de varier l'ordre des intervalles. Les tons différoient, comme aujourd'hui, par leur corde fondamentale : c'est dans le premier sens qu'il faut entendre le mode syntonolydien dont parle Platon. (S)


SYNUSIASTESS. m. pl. (Hist. ecclésias.) secte d'hérétiques, soutenant qu'il n'y avoit dans Jesus-Christ qu'une seule nature & une seule substance. Ce mot est formé du grec , avec, & , substance.

Les Synusiastes nioient que le verbe eût pris un corps dans le sein de la Vierge, mais ils prétendoient qu'une partie du verbe divin s'étant détachée du reste, s'y étoit changée en chair & en sang : par conséquent ils croyoient que Jesus-Christ étoit consubstantiel au Pere, non-seulement par rapport à sa divinité, mais aussi par rapport à son humanité, & à son corps humain.


SYPA(Géog. anc.) fleuve de l'Inde, au-delà du Gange. Son embouchure est marquée par Ptolémée, l. VII. c. ij. sur la côte du golfe Sabaracus, au pays des Bysingetes anthropophages, entre Babysinga & Beraba. Ce fleuve est appellé Besinge dans le manuscrit de la bibliotheque palatine. (D.J.)


SYPHILISS. m. (Maladies) est un terme employé par certains auteurs pour exprimer la vérole. Voyez VEROLE. Quelques-uns le dérivent du grec , avec, & , amour ou amitié, parce que cette maladie provient d'un commerce amoureux avec une personne infectée. D'autres le font venir du nom d'un berger ainsi appellé, & qui étoit violemment attaqué de cette maladie. Quoi qu'il en soit, plusieurs auteurs distingués emploient le mot de syphilis, & en particulier Fracastor, célebre médecin italien, qui l'a mis pour titre à un beau poëme qu'il a écrit sur la vérole. Voyez SIPHILIS.


SYPHONS. m. en Hydraulique, est un tube recourbé, dont une jambe ou branche est ordinairement plus longue que l'autre, & dont on se sert pour faire monter les liqueurs, pour vuider les vases, & pour différentes expériences hydrostatiques.

Ce terme qui tire son origine du grec, signifie tuyau, tube ; c'est pourquoi on l'applique quelquefois aux tuyaux ou tubes ordinaires.

Le syphon le plus ordinaire est celui dont voici la description. On prend un tube recourbé A B C, (Pl. hydraulique, fig. 2.) dont la longueur & l'angle soit telle, que quand l'orifice A est posé sur un plan horisontal, la hauteur D B n'excede pas 30 piés. Pour l'usage ordinaire il suffit qu'il ait un pié & demi ; alors si on trempe la branche la plus courte dans l'eau ou dans toute autre liquide, & que l'on suce l'air par l'ouverture C, jusqu'à ce que la liqueur monte par A, la liqueur continuera de couler hors du vase par le tuyau B C, tant que l'ouverture A se trouvera sous la surface de la liqueur.

Remarquez que la même chose arrivera, si au lieu de sucer l'air, on remplit d'abord le syphon de quelque fluide, & que l'on bouche avec le doigt l'ouverture C, jusqu'à ce que l'ouverture A soit plongée dans le vase.

Ce phénomene est confirmé par quantité d'expériences ; la raison n'en est pas difficile à trouver, dumoins en partie. En suçant, l'air qui est dans le tube est raréfié, & l'équilibre est détruit ; par conséquent, il faut que l'eau monte dans la branche la plus courte A B, à cause de la pression prépondérante de l'atmosphere. Le syphon étant rempli, l'atmosphere presse également sur chacune de ses extrêmités, de façon qu'elle pourroit soutenir une quantité égale d'eau dans chaque branche ; mais l'air qui pese sur l'orifice de la seconde branche, c'est-à-dire sur la branche la plus longue, ayant un plus grand poids d'eau à soutenir que l'air qui pese sur l'orifice de la branche la plus courte ; ce dernier air sera donc prépondérant ; il fera donc monter de nouvelle eau dans la branche la plus courte ; mais cette eau nouvelle ne sauroit monter, qu'elle ne chasse devant elle celle qui y étoit auparavant ; au moyen de quoi l'eau est continuellement chassée dans la branche la plus longue, à proportion qu'il en monte toujours dans la branche la plus courte.

L'air qui tend à rentrer dans la plus longue branche, a dans cette tendance ou action toute la force du poids de l'atmosphere, moins celle de la colonne d'eau contenue dans cette branche : d'un autre côté, l'air qui tend à entrer dans la plus courte branche a dans cette action toute la force du poids de l'atmosphere, moins celle de la colonne d'eau contenue dans cette branche. Ainsi voilà deux forces égales en elles-mêmes, mais affoiblies toutes deux par les circonstances, & qui agissent l'une contre l'autre. Si elles sont également affoiblies, c'est-à-dire, si les deux branches du syphon sont de la même longueur, il y aura équilibre ; & par conséquent dès qu'on aura cessé de sucer, l'eau cessera de monter dans la premiere branche, & de sortir par la seconde. A plus forte raison cet effet arrivera-t-il, si la seconde branche est la plus courte ; & par la raison contraire, l'eau continuera de sortir par la seconde branche, si elle est la plus longue, comme elle l'est toujours dans les syphons, qui ne sont destinés qu'à un usage. La pesanteur de l'air est donc la cause de l'effet des syphons, & aucun physicien ne le conteste. Aussi les syphons mis en mouvement dans l'air libre, rendent-ils l'eau plus lentement dans la machine pneumatique, à mesure qu'on en pompe l'air, & enfin s'arrêtent tout-à-fait quand l'air est pompé, autant qu'il peut l'être. Si on les remet à l'air libre, ils ne recommencent point de couler, à-moins qu'on ne les suce de nouveau ; & il est évident que cela doit être ainsi, puisqu'ils sont dans le même cas que s'ils n'avoient jamais coulé.

Quelques-uns prétendent qu'il reste toujours assez d'air dans un récipient épuisé d'air pour faire monter l'eau à un pouce ou deux ; mais comme on trouve que le mercure & l'eau tombent tout-à-fait hors du tube de Torricelli dans le vuide, il s'ensuit que la pression de l'air qui reste dans le récipient, ne peut jamais faire monter le mercure ni l'eau, dans la branche la plus courte du syphon.

Comme la hauteur du syphon est limitée à 32 piés, par la seule raison que l'air ne peut pas faire monter l'eau plus haut ; on peut juger par-là de la proposition de Heron, de transporter l'eau au moyen d'un syphon, par-dessus le sommet des montagnes jusque dans les vallées opposées. Car Heron ne prescrit rien autre chose que de boucher les ouvertures du syphon, & de verser l'eau avec un entonnoir dans l'angle ou à la rencontre des branches, jusqu'à ce que le syphon soit plein ; ensuite bouchant le trou qui est à l'angle, & ouvrant les deux autres, l'eau coulera continuellement à ce qu'il prétend.

On doit remarquer que la figure du syphon peut être variée à volonté (voyez figure 3. &c.) pourvu seulement que l'orifice C soit plus bas que le niveau de la surface de l'eau qu'on veut y faire monter : mais que plus il en est éloigné, plus le fluide sortira promtement. Et si dans le cours de l'écoulement, on tire l'orifice A hors du fluide, toute la liqueur qui est dans le syphon sortira par l'orifice inférieur C ; celle qui est dans la branche B C, entraînant pour ainsi dire après elle, celle qui est dans la branche la plus courte A B.

Enfin, il faut observer que l'eau coulera, quand même le syphon seroit interrompu, c'est-à-dire, quand même les branches A D & F B, (figure 4.) seroient jointes ensemble par un tube plus gros & rempli d'air.

Il y a certains syphons qui s'étant arrêtés dans le vuide, recommencent à couler d'eux-mêmes quand on les remet à l'air libre. Ce sont ceux qui ont un des petits diametres, comme d'un tiers de ligne ; remis à l'air libre, après s'être arrêtés dans le vuide, ils se remettent d'eux-mêmes en mouvement. Pour connoître la force qui produit cet effet, il faut faire les observations suivantes. Quand ces syphons sont d'abord en mouvement, ils ne rendent l'eau que goutte à goutte, & par des intervalles d'environ deux secondes, au lieu que les autres d'un plus grand diametre la rendent par filets continus d'un diametre égal à celui de la seconde branche. Cette différence vient de ce que les syphons sont menus, & en général les tuyaux capillaires sont pleins d'eau : dès qu'ils sont mouillés dans leur surface intérieure, une goutte d'eau qui mouille un petit endroit de cette surface, se joint à la goutte d'eau qui est vis-à-vis d'elle, & s'y joint par une certaine viscosité que les Physiciens reconnoissent dans l'eau. Quand ces syphons sont à l'air libre, & qu'ils sont une fois mouillés par l'eau qui y a passé, il faut pour continuer leur mouvement, que la pesanteur de l'air, outre le poids qu'elle a à élever, en surmonte encore la viscosité ; ce qui ne se fait que par une certaine quantité d'eau amassée, & par conséquent avec un certain tems ; & de-là vient que ces syphons ne coulent que goutte à goutte, & par reprises. Chaque goutte qui sort tombe en partie, parce qu'elle est poussée par le poids des gouttes supérieures. Lorsqu'on met ces syphons dans le vuide, nonseulement la pesanteur de l'air agit toujours de moins en moins, & enfin n'agit plus, mais encore l'air contenu dans l'eau s'étend, parce qu'il n'est plus pressé par l'air extérieur ; il se dégage de dedans l'eau, & forme de grosses bulles, qui interrompent la suite des gouttes d'eau dont les deux branches étoient mouillées & remplies, & celles qui sont à l'extrêmité de la seconde, n'ont plus assez de poids, & ne sont plus assez pressées par les autres pour tomber. Si on remet les syphons à l'air libre, l'air qui s'étoit étendu est obligé de reprendre son premier volume ; les gouttes d'eau qu'il ne tient plus séparées retombent, les supérieures sur les inférieures, & le syphon recommence à couler tant qu'il est mouillé, mais toujours goutte à goutte, & toujours plus lentement, & ne cesse point que la seconde branche ne soit seche, au-moins jusqu'à un certain point. Il suit de cette explication, que si de l'eau étoit renfermée sans air dans ces interstices, un syphon capillaire continueroit de couler dans le vuide, tant qu'il seroit mouillé. Aussi est-ce ce que M. Homberg a éprouvé avec de l'eau purgée d'air, soit parce qu'on l'avoit bien fait bouillir, ou parce qu'elle avoit été mise dans la machine pneumatique ; & ce phénomene qui paroît d'abord si contraire au systême de la pesanteur de l'air, s'y accorde cependant parfaitement, & est même une suite nécessaire du ressort de l'air bandé par sa pesanteur. Il est aisé de prévoir que si pour l'expérience des syphons capillaires, on employe des liqueurs qui contiennent plus d'air, ou de l'air qui se dégage plus facilement ; telles que sont les liqueurs fermentées, les syphons s'arrêteront plutôt dans le vuide. De même tout le reste étant égal, ils doivent s'arrêter plutôt en hiver qu'en été ; car en hiver l'air est plus disposé à se dégager, puisque dans les liqueurs qui se sont gelées tout est semé par grosses bulles. On jugera aussi par cette expérience, que les liqueurs grasses comme l'huile ou le lait, contiennent moins d'air, ou de l'air plus engagé ; car avec ces liqueurs les syphons ne s'arrêtent point dans le vuide dans quelque tems que ce soit. Hist. de l'acad. année 1714. p. 108. & suiv. article de M. Formey.

Voici une difficulté que propose Reiselius contre la théorie des syphons. Ce savant fait voir que l'eau s'écoule par un syphon dont les deux branches E, C, (fig. 5. hydraul.) sont égales : si la branche E, par exemple, est plongée dans un vase plein d'eau, M. Musschenbroeck, §. 1375, de son Essai de physique, explique cette expérience, & remarque que si on y fait attention, le syphon cesse d'avoir ses branches égales, lorsque l'on présente l'eau à l'ouverture E. (O)

Si on prend un syphon dont les jambes soient égales ou inégales, tant en hauteur qu'en grosseur, & qu'on place ce syphon de maniere que les deux ouvertures A, C, soient en-haut, & la partie B en-bas, qu'ensuite on remplisse ce syphon d'un fluide, comme d'eau, ce fluide se mettra à la même hauteur dans les deux branches, quelque inégales qu'elles soient.

Si on met dans les deux branches deux différens fluides, par exemple du mercure dans l'une, & de l'eau dans l'autre, l'eau s'élevera beaucoup plus haut que le mercure, & la hauteur de la colonne d'eau sera à celle du mercure, comme la pesanteur du mercure est à celle de l'eau. Voyez FLUIDE.

Si on verse d'abord du mercure dans un syphon, ensorte qu'il s'y mette de niveau, & qu'on verse ensuite de l'eau par une des branches, ensorte qu'elle tombe sur le mercure, cette eau repoussera le mercure peu-à-peu, & l'obligera de monter dans l'autre branche ; & lorsqu'on aura versé assez d'eau pour que le mercure passe tout entier dans l'autre branche, l'eau se glissera dans cette seconde branche entre les parois du verre & le mercure, & une partie de cette eau viendra se mettre au-dessus du mercure, qui occupera toujours la partie inférieure de la branche, & se trouvera, pour ainsi dire, alors entre deux eaux.

SYPHON de Wirtemberg, (Hydraul.) c'est un syphon à deux jambes égales, un peu courbées par-dessous ; dans lequel syphon, 1°. les ouvertures de ses deux branches étant mises de niveau, l'eau montoit par l'une, & descendoit par l'autre : 2°. les ouvertures ne se remplissant d'eau qu'en partie, ou même à-demi, l'eau ne laissoit pas que de monter : 3°. quoique le syphon demeurât à sec pendant long-tems, il pouvoit également produire le même effet : 4°. l'une des ouvertures quelle qu'elle fût étant ouverte, & l'autre demeurant fermée pendant quelques heures, puis étant ouverte, l'eau couloit comme à l'ordinaire : 5°. l'eau montoit ou descendoit indifféremment par l'une ou l'autre des deux branches : 6°. chaque branche avoit la hauteur de 20 piés, & étoit éloignée de 18 piés l'une de l'autre.

Jean Jordan bougeois de Stutgard, inventa ce syphon, que Fréderic Charles, duc de Wirtemberg, regarda comme une merveille, & dont Salomon Reisel son médecin, publia par son ordre quelques-uns des effets en 1684. A cette nouvelle, la société royale de Londres chargea M. Dionis Papin de tâcher de développer le principe de cette machine hydraulique ; & ce savant méchanicien non-seulement le découvrit, mais il exécuta un syphon qui avoit toutes les propriétés de celui de Wirtemberg, & dont il donna une description fort claire dans ses Transact. philos. ann. 1685. n °. 167. On ne douta point alors que ce savant n'eût découvert toute la méchanique du syphon de Jordan. Reisel lui-même confirma cette conjecture ; car comme il vit que le secret du syphon d'Allemagne étoit connu, il n'hésita plus de le rendre public, dans un ouvrage intitulé Sypho Wirtembergicus, per majora experimenta firmatus. Stutgardiae, 1690. in-4°. (D.J.)


SYPILE(Géog. anc.) Voyez SIPYLE.


SYRA(Géog. anc.) Voyez SYROS.


SYRACUSAE(Géog. anc.) ville de Sicile, sur la côte orientale de l'île dans le val de Noto. Cette ville autrefois très-grande & très-puissante, & la capitale de l'île, est connue de presque tous les auteurs anciens qui la nomment Syracusae. Quelques-uns cependant écrivent , Syracusa, & Diodore de Sicile, liv. XIV. est de ce nombre. Elle conserve encore son ancien nom, un peu corrompu ; car les Siciliens l'appellent présentement Saragusa ou Saragosa, & les François Syracuse. Dans les auteurs grecs, les habitans sont nommés, , Syracusii ; & Syracusani dans les auteurs latins. Cependant sur les médailles anciennes, on lit , Syracosii, ce qui est un dialecte différent ; & c'est ce qui fait qu'on lit , Syracosas, dans Pindare, Pythior. oda ij.

L'origine de cette ville est marquée dans Thucydide, qui nous apprend que l'année d'après la fondation de Naxe, dans la même île, Archias, corinthien, l'un des Héraclides, partit de Corinthe, & fonda Syracuse, après avoir chassé les Siciliens de l'île où il la bâtit. Or comme la ville de Naxe ou Naxus, fut bâtie, selon Diodore de Sicile, la premiere année de la onzieme olympiade, & 448 ans après la guerre de Troye, il s'ensuit que l'époque de la fondation de Syracuse, doit être placée à la seconde année de la même olympiade, & à la 448 année depuis la guerre de Troye.

Si nous en croyons Strabon, liv. VI. pag. 269. Archias, averti par l'oracle de Delphes de choisir la santé ou les richesses, préféra les richesses, & passa en Sicile, où il fonda la ville de Syracuse. Aussi, ajoute-t-il, les habitans de cette ville devinrent-ils si opulens, que quand on parloit d'un homme extrêmement riche, on disoit en maniere de proverbe, qu'il ne possédoit pas la dixieme partie du bien d'un habitant de Syracuse. La fertilité du pays & la commodité de ses ports furent, selon le même auteur, les sources de l'accroissement de cette ville, dont les citoyens, quoique soumis eux-mêmes à des tyrans, devenoient les maîtres des autres peuples ; & lorsqu'ils eurent recouvré leur liberté, ils délivrerent les autres nations du joug des barbares : de-là vient que les Syracusains furent tantôt appellés les princes, tantôt les rois, tantôt les tyrans de la Sicile. Plutarque, in Marcello, & Tite-Live, liv. XXV. remarquent qu'après que les Romains, sous la conduite de Marcellus, eurent pris Syracuse, ils y trouverent autant de richesses que dans la ville de Carthage.

On voit dans Cicéron, in Verrem, liv. IV. une magnifique description de la ville & des ports de Syracuse. On vous a souvent rapporté, dit-il, que Syracuse est la plus grande & la plus belle des villes des Grecs ; tout ce qu'on en publie est vrai. Elle est dans une situation également forte & agréable ; on y peut aborder de toutes parts, soit par terre, soit par mer ; elle a des ports comme renfermés dans ses murailles, pour ainsi dire sous ses yeux ; & ces ports qui ont des entrées différentes, ont une issue commune, où ils se joignent ensemble. Par la jonction de ces ports la partie de Syracuse à laquelle on donne le nom d'île, & qui est séparée du reste par un petit bras de mer, y est jointe par un pont, & ne fait qu'un même corps.

Cette ville est si vaste qu'on peut la dire composée de quatre grandes villes, dont l'une est celle que j'ai dit être appellée l'île, qui ceinte de deux ports, s'avance à l'entrée de l'un & de l'autre. On y voit le palais où logeoit le roi Hiéron, & dont se servent les préteurs. Il y a dans cette ville plusieurs temples ; mais deux sur-tout l'emportent sur les autres, savoir celui de Diane & celui de Minerve. A l'extrêmité de cette île est une fontaine d'eau douce, appellée Aréthuse, d'une grandeur surprenante, abondante en poisson, & qui seroit couverte des eaux de la mer sans une muraille ou une digue de pierre qui l'en garantit.

La seconde ville qu'on voit à Syracuse, est celle qu'on nomme Achradina, où il y a une place publique d'une très-grande étendue, de très-beaux portiques, un prytanée très-orné, un très-grand édifice où l'on s'assemble pour traiter des affaires publiques, & un fort beau temple de Jupiter olympien. Les autres parties de la ville sont coupées d'une rue large, qui va d'un bout à l'autre, traversée de diverses autres rues, bordées des maisons des particuliers.

La troisieme ville est celle qu'on nomme Tyche, à cause d'un ancien temple de la Fortune, qu'on y voyoit autrefois. On y trouve un lieu très-vaste pour les exercices du corps, & plusieurs temples : cette partie de Syracuse est très-peuplée.

Enfin la quatrieme ville est celle qu'on nomme Néapolis, parce qu'elle a été bâtie la premiere. Au haut de cette ville est un fort grand théâtre : outre cela il y a deux beaux temples, l'un de Cérès, l'autre de Proserpine, & la statue d'Apollon téménite, qui est très-belle & très-grande.

Telle est la description que Cicéron donne de Syracuse. Tite-Live, liv. XXIV. & XXV. en décrit la grandeur, la beauté & la force. Plutarque, in Timoleonte ; Pindare, Pyth. oda ij. Théocrite, idyll. xvj. Silius Italicus, liv. XIV. & Florus, liv. II. c. vj. font l'éloge de cette ville. Ausone, dans son poëme des plus illustres villes de l'empire romain, & Silius Italicus, conviennent avec Cicéron, sur le nombre des villes qui composoient Syracuse : mais Strabon, liv. IV. au lieu de quatre villes, en compte cinq qui étoient, ajoute-t-il, renfermées dans une commune enceinte de 180 stades d'étendue ; Tite-Live, Diodore de Sicile & Plutarque, paroissent être du sentiment de Strabon.

En effet, Plutarque, in Marcello, nomme trois de ces villes ; savoir, Achradina, Tyché & Néapolis ; & dans un autre endroit il en nomme deux autres, qui sont Insula & Epipolae. Diodore de Sicile, dans le XI. liv. connoît trois de ces villes, Achradina, Insula & Tyché ; dans le XVI. liv. Néapolis & Achradina ; & dans le XIV. liv. Epipolae : de même que Tite-Live, partie dans le XXIV. liv. partie dans le XXV. nomme Epipolae, Achradina, Tyché, Néapolis, Nassos, qui est le mot grec qui signifie île, mais prononcé selon le dialecte dorique. On ne peut pas douter après cela que Syracuse n'ait été composée de cinq parties, ou de cinq villes. Lorsque les Athéniens en formerent le siege, elle étoit composée de trois parties, qui sont l'Isle, l'Achradine & Tyché. Thucydide ne parle que de ces trois parties. On y en ajouta deux autres dans la suite, savoir Néapolis & Epipole.

L'Isle située au midi, étoit appellée Nassos & Ortygia ; elle étoit jointe au continent par un pont. C'est dans cette île qu'on bâtit dans la suite le palais des rois & la citadelle. Cette partie de la ville étoit très-importante, parce qu'elle pouvoit rendre ceux qui la possédoient maîtres des deux ports qui l'environnent. C'est pour cela que les Romains, quand ils eurent pris Syracuse, ne permirent plus à aucun syracusain de demeurer dans l'île. Il y avoit dans cette île une fontaine célebre, qu'on nommoit Aréthuse. Les Poëtes, fondés sur des raisons qui sont sans aucune vraisemblance, ont supposé que l'Alphée, fleuve d'Elide dans le Péloponnèse, conduisoit ses eaux à-travers ou sous les flots de la mer, sans jamais s'y mêler jusqu'à la fontaine d'Aréthuse. C'est ce qui a donné lieu à ces vers de Virgile, eclog. x.

Extremum hunc, Arethusa, mihi concede laborem,

Sic tibi cum fluctus subterlabêre Sicanos,

Doris amara suam non intermisceat undam.

Achradine, située entierement sur le bord de la mer, & tournée vers l'orient, étoit de tous les quartiers de la ville le plus spacieux, le plus beau & le plus fortifié, selon Strabon, liv. VI. pag. 270.

Tiqué ou Tyché, ainsi appellée du temple de la Fortune, , qui ornoit cette partie, s'étendoit le long de l'Achradine au couchant, depuis le septentrion vers le midi. Elle étoit fort habitée ; elle avoit une fameuse porte, nommée Hexapyle, qui conduisoit dans la campagne, & elle étoit située au septentrion de la ville.

Epipole étoit une hauteur hors de la ville, & qui la commandoit. Elle étoit située entre Hexapyle & la pointe d'Euryelle, vers le septentrion & le couchant. Elle étoit en plusieurs endroits fort escarpée, & pour cette raison d'un accès difficile. Lorsque les Athéniens firent le siege de Syracuse, Epipole n'étoit point fermée de murailles ; les Syracusains la gardoient avec un corps de troupes contre les attaques des ennemis. Euryelle étoit l'entrée & le passage qui conduisoit à Epipole. Sur la même hauteur d'Epipole étoit un fort, nommé Labdale. Ce ne fut que longtems après, sous Denys le tyran, qu'Epipole fut environnée de murs, & enfermée dans la ville, dont elle fit une cinquieme partie, mais qui étoit peu habitée. On y en avoit déja ajouté une quatrieme, appellée Néapolis, c'est-à-dire, ville neuve, qui couvroit Tyqué.

La riviere Anape couloit à une petite demi-lieue de la ville. L'espace qui les séparoit étoit une grande prairie, terminée par deux marais ; l'un appellé Syraco, qui avoit donné son nom à la ville, & l'autre Lysimele. Cette riviere alloit se rendre dans le grand port. Près de l'embouchure vers le midi, étoit une espece de château, appellé Olympie, à cause du temple de Jupiter olympien qui y étoit, & où il y avoit de grandes richesses. Il étoit à cinq cent pas de la ville.

Syracuse, comme nous l'avons vu, avoit deux ports tout près l'un de l'autre, & qui n'étoient séparés que par l'île, le grand & le petit, appellés autrement lacus. Selon la description qu'en fait Cicéron, ils étoient l'un & l'autre, environnés des édifices de la ville. Le grand avoit de circuit un peu plus de cinq mille pas, ou de deux lieues.

Ce port avoit un golfe, appellé Dascon. L'entrée du port n'avoit que cinq cent pas de large. Elle étoit fermée d'un côté par la pointe de l'île Ortygie, & de l'autre par la petite île, & par le cap de Plemmyrie, qui étoit commandé par un château de même nom. Au-dessus de l'Achradine étoit un troisieme port nommé le port de Trogile.

Cette ville fut souvent assiégée sans être prise ; mais enfin Marcellus, qui avoit eu la Sicile pour département, réduisit toute cette île sous la puissance du peuple romain, en se rendant maître de Syracuse, qui fut emportée, malgré le génie d'Archimede, qui employoit tout son savoir à défendre sa patrie. On prétend que les richesses qui furent pillées par les Romains au sac de Syracuse, égaloient celles qui furent trouvées bientôt après à Carthage. Il n'y eut que le trésor des rois de Syracuse qui ne fut point pillé par le soldat. Marcellus le réserva pour être porté à Rome dans le trésor public.

On disoit communément que Syracuse produisoit les meilleurs hommes du monde, quand ils se tournoient à la vertu, & les plus méchans, lorsqu'ils s'adonnoient au vice ; quoique portés naturellement à la volupté, les fâcheux accidens qu'ils essuyerent, les remirent dans le devoir. Ils défendirent aux femmes les robes riches, & mêlées de pourpre, à-moins qu'elles ne voulussent se déclarer courtisannes publiques ; & les mêmes loix défendoient aux hommes d'avoir de semblables ornemens, s'ils ne vouloient passer pour gens qui servoient à corrompre les femmes.

Les Syracusains eurent une chanson & une danse particuliere de Minerve cuirassée. A l'égard de leurs funérailles, ce que Plutarque raconte de Dion, qui accompagna le corps d'Héraclide à la sépulture, avec toute l'armée qui le suivit, fait juger que leur coutume étoit d'enterrer les morts ; cependant Diodore de Sicile dit qu'Hozithemis, envoyé par le roi Démétrius, fit brûler le corps d'Agathoclès.

Leurs forces furent bien considérables, puisque Gelon, s'étant fait tyran de Syracuse, vers l'an 260 de Rome, promit aux Grecs de leur fournir un secours de deux cent galeres, de vingt mille hommes, armés de toutes pieces, de deux mille chevaux armés de la même façon, de deux mille soldats armés à la légere, de deux mille archers, & de deux mille tireurs de fronde, avec le blé qui leur seroit nécessaire durant la guerre contre les Perses. Denys eut aussi cinquante gros vaisseaux, avec vingt ou trente mille hommes de pié, & mille chevaux. Denys le jeune, son fils, fut encore plus puissant, puisqu'il eut quatre cent vaisseaux ou galeres, cent mille hommes de pié & dix mille chevaux.

Ils avoient une loi, suivant laquelle ils devoient élire tous les ans un nouveau prêtre de Jupiter ; ils avoient aussi une confrairie de ministres de Cérès & de Proserpine, & il falloit faire un serment solemnel pour en pouvoir être. Celui qui devoit jurer entroit dans le temple des déesses Thesmosphores, Cérès & Proserpine, se revêtoit après quelques sacrifices, de la chape de pourpre de Proserpine, & tenant en sa main une torche ardente, il prêtoit le serment. Mais il faut consulter sur l'ancienne Syracuse le cavalier Mirabella. J'ajouterai seulement que cette ville qui avoit un sénat, dont il n'est presque jamais fait mention dans l'histoire, quoiqu'il fût composé de six cent membres, essuya des malheurs que la corruption ordinaire ne donne pas. Cette ville toujours dans la licence ou dans l'oppression, également travaillée par sa liberté & par sa servitude, recevant toujours l'une & l'autre comme une tempête, & malgré sa puissance au-dehors, toujours déterminée à une révolution par la plus petite force étrangere, avoit dans son sein un peuple immense qui n'eut jamais que cette cruelle alternative, de se donner un tyran, ou de l'être lui-même.

Syracuse soutint la guerre contre les Athéniens, les Carthaginois & les Romains ; mais elle fut soumise par Marcellus, l'an 452 de la fondation de Rome. Ce grand homme sauva les habitans de la fureur du soldat, qui piqué d'une résistance trop opiniâtre, vouloit tout mettre à feu & à sang. Il conserva à cette ville sa liberté, ses privileges & ses loix. Enfin les Syracusains trouverent dans leur vainqueur un protecteur & un patron. Pour lui marquer leur reconnoissance, ils établirent en son honneur une fête qui se célebroit encore du tems de Cicéron, & que cet orateur compare à celle des dieux.

Marcellus au milieu de sa gloire, fut extrêmement touché de la mort d'Archimede ; car il avoit expressément ordonné qu'on prît soin de ne lui faire aucun mal. Archimede étoit occupé à quelque démonstration de géométrie pour la défense de sa patrie, dans le tems même qu'elle fut prise. Un soldat brutal étant entré dans sa chambre, & lui ayant demandé son nom, Archimede pour réponse, le pria de ne le point interrompre. Le soldat piqué de cette espece de mépris, le tua sans le connoître.

Ce savant géometre périt ainsi à l'âge de 75 ans, dans la 142e olympiade, l'an de Rome 452, & 212 ans avant J. C. Archimede avoit souhaité que ceux qui prendroient soin de sa sépulture, fissent graver sur son tombeau une sphere & un cylindre, ce qu'ils ne manquerent pas d'exécuter, & ils y ajouterent une inscription en vers de six piés. Son dessein étoit d'apprendre à la postérité, que si parmi ce grand nombre de découvertes qu'il avoit faites en Géométrie, il en estimoit quelqu'une plus que les autres, c'étoit d'avoir trouvé la proposition du cylindre à la sphere qui y est contenue.

Cicéron nous apprend dans ses tusculanes, liv. V. n °. 62-66. que ce monument si remarquable étoit inconnu de son tems à Syracuse. " Lors, dit-il, que j'étois questeur en Sicile, la curiosité me porta à chercher le tombeau d'Archimede. Je le démêlai, malgré les ronces & les épines dont il étoit presque couvert ; & malgré l'ignorance des Syracusains, qui me soutenoient que ma recherche seroit inutile, & qu'ils n'avoient point chez eux ce monument. Cependant je savois par coeur certains vers sénaires que l'on m'avoit donnés pour ceux qui étoient gravés sur ce tombeau, & où il étoit fait mention d'une figure sphérique, & d'un cylindre qui devoient y être. Etant donc un jour hors de la porte qui regarde Agragas (Agrigente), & jettant les yeux avec soin de tous côtés, j'apperçus parmi un grand nombre de tombeaux qui sont dans cet endroit-là, une colonne un peu plus élevée que les ronces qui l'environnoient, & j'y remarquai la figure d'une sphere & d'un cylindre. Aussi-tôt adressant la parole aux principaux de la ville qui étoient avec moi, je leur dis que je croyois voir le tombeau d'Archimede. On envoya sur le champ des hommes qui nettoyerent la place avec des faulx, & nous firent un passage. Nous approchâmes, & nous vîmes l'inscription qui paroissoit encore, quoique la moitié des lignes fût effacée par le tems. Ainsi la plus grande ville de Grece, & qui anciennement avoit été la plus florissante par l'étude des lettres, n'eût pas connu le trésor qu'elle possédoit, si un homme, né dans un pays qu'elle regardoit presque comme barbare, un arpinate, n'eût été lui découvrir le tombeau d'un de ses citoyens, si distingué par la justesse & par la pénétration de son esprit. "

Le peuple de Syracuse, si passionné autrefois pour les sciences, qui avoit fourni au monde des hommes illustres en toute espece de littérature ; ces hommes si amoureux de la belle poésie, que dans la déroute des Athéniens, ils accordoient la vie à celui qui pouvoit leur réciter les vers d'Euripide ; ces mêmes hommes étoient tombés dans une profonde ignorance, soit par une révolution, qui n'est que trop naturelle aux choses du monde, soit que le changement arrivé plusieurs fois dans le gouvernement en eût apporté dans l'éducation des hommes & dans les manieres de penser. La domination des Romains avoit frappé le dernier coup, & abâtardi les esprits au point qu'ils l'étoient, lorsque Cicéron alla questeur en Sicile.

Le même jour qui met un homme libre aux fers,

Lui ravit la moitié de sa vertu premiere.

Tandis qu'on est obligé à Cicéron de son curieux récit de la découverte du tombeau d'Archimede, on ne lui pardonne pas la maniere méprisante dont on croit qu'il a parlé d'abord du grand mathématicien de Syracuse, immédiatement avant le morceau qu'on vient de lire. L'orateur de Rome voulant opposer à la vie malheureuse de Denys le tyran, le bonheur d'une vie modérée & pleine de sagesse, dit : " je ne comparerai point la vie d'un Platon & d'un Archytas, personnages consommés en doctrine & en vertu, avec la vie de Denys, la plus affreuse, la plus remplie de miseres, & la plus détestable que l'on puisse imaginer. J'aurai recours à un homme de la même ville que lui, un homme obscur, qui a vécu plusieurs années après lui. Je le tirerai de sa poussiere, & je le ferai paroître sur la scène, le compas à la main, cet homme est Archimede, dont j'ai découvert le tombeau " ; & le reste que nous avons d'abord traduit ci-dessus. Ex eadem urbe hominem homuncionem à pulvere & radio excitabo, qui multis annis post fuit, Archimedem.

Je ne puis me persuader que Cicéron, si curieux de découvrir le tombeau d'Archimede, triomphant en quelque maniere d'avoir réussi, & d'avoir fait revivre cet homme si distingué par la pénétration & par la justesse de son esprit, ce sont ses termes : je ne puis, dis-je, me persuader qu'il ait eu dessein de marquer en même tems du mépris pour lui, & qu'il se soit contredit si grossierement. Disons donc que Cicéron fait allusion à l'oubli dans lequel Archimede étoit tombé, jusques-là, que ses propres concitoyens l'ignoroient. Ainsi la pensée de Cicéron est, qu'il ne mettroit pas Denys en parallele avec des hommes célebres étrangers & connus, mais avec un homme obscur en apparence, enseveli dans l'oubli, inconnu dans sa propre patrie, qu'il avoit été obligé d'y déterrer, & qui par cela-même faisoit un contraste plus frappant.

Par ces mots je le tirerai de la poussiere, cette poussiere ne doit pas se prendre dans le sens figuré, mais dans le sens propre ; c'est la poussiere sur laquelle on traçoit des figures de géométrie dans les écoles d'Athènes. Si cette poussiere, pulvis, n'a rien de bas, ce radius, cette baguette qui servoit à y tracer des figures, n'a rien qui le soit non-plus : Descripsit radio totum qui gentibus orbem. C'est cette baguette que Pythagore tient à la main dans un beau revers d'une médaille des Samiens, frappée à l'honneur de l'empereur Commode, & dans une autre, frappée par les mêmes Samiens, en l'honneur d'Herennia Etruscilla, femme de Trajanus Decius.

Il nous reste plusieurs ouvrages d'Archimede, & l'on sait qu'il y en a plusieurs de perdus. Entre les ouvrages qui nous restent, il faut mettre assumptorum, sive lemmatum liber, qu'Abraham Echellensis a traduit de l'arabe, & qui a paru avec les notes de Borelli à Florence, en 1661, in-fol. Il y a sous le nom d'Archimede un traité des miroirs ardens, traduit de l'arabe en latin par Antoine Gogava. On a d'ailleurs les ouvrages suivans, qui ne sont pas imprimés : de fractione circuli, en arabe, par Thebit. perspectiva, en arabe. Opera geometrica Archimedis in compendium redacta per Albertum. Bartolocci assure qu'on trouve dans la bibliotheque du Vatican, en hébreu ms. les élémens de mathématique d'Archimede.

On pourroit mettre au rang des ouvrages perdus de ce grand homme, la description des inventions dont il étoit l'auteur, & qu'on peut recueillir de ses écrits, & des autres anciens. Tels sont 1°. , méthode pour découvrir la quantité d'argent mêlé avec l'or dans une couronne ; voyez le récit que Vitruve, l. IX. c. iij. nous a fait de cette découverte. 2°. Une autre invention d'Archimede, le , machine à vis pour vuider l'eau de tous endroits. Diodore de Sicile nous apprend qu'il inventa la roue égyptienne, qui tire l'eau des lieux les plus profonds. 3°. L'helix, machine à plusieurs cordes & poulies, avec laquelle il remua une galere du roi Hiéron. 4°. Le trispaste ou polyspaste, machine pour enlever les fardeaux. 5°. Les machines dont il se servit pour la défense de Syracuse, que Polybe, Tite-Live & Plutarque, ont amplement décrites. 6°. Les miroirs ardens avec lesquels on dit qu'il mit le feu aux galeres des Romains. Voyez les mém. de l'acad. des Sciences. 7°. Ses machines pneumatiques, sur lesquelles il écrivit de très-belles choses.

On doit mettre parmi les beaux ouvrages d'Archimede perdus, sa méchanique, son traité de la composition de la sphere, celui de de septangulo in circulo, & ses coniques.

Entre les machines qu'il inventa, les moins connues sont les suivantes ; 1°. une sphere de verre ; 2°. des lanternes qui s'entretenoient d'elles-mêmes ; 3°. un orgue hydraulique ; 4°. une machine composée de 14 petites lames d'ivoire, qui servoit à aider la mémoire, & qui étoit amusante par la variété des figures. Tant d'ouvrages & d'inventions prouvent assez qu'Archimede étoit un des plus grands génies qui ait paru dans le monde. Fabricius vous indiquera les diverses éditions de ses oeuvres.

Mais Archimede n'est pas le seul homme célébre dont Syracuse soit la patrie ; Epicharme, poëte philosophe ; Lysias, orateur ; Moschus, poëte lyrique ; Théocrite, poëte bucolique, & Philiste, historien, naquirent dans cette ville.

Epicharme vivoit, selon l'opinion la plus commune, vers l'année 300 de Rome ; cependant Aristote, dans sa poétique, le vieillit d'un siecle de plus, à quoi se rapporte aussi l'opinion de Suidas. On le fait auteur de 35 ou 55 comédies, qui ont toutes péri ; mais Horace nous a conservé la mémoire du caractere de ses pieces, en louant Plaute de l'avoir imité dans une des qualités qu'il possédoit ; cette qualité est de n'avoir jamais perdu son sujet de vue, & d'avoir toujours suivi régulierement le fil de l'intrigue.

Plautus ad exemplar Siculi properare Epicharmi.

Pline, l. VII. c. lvj. observe qu'Aristote croyoit que le même Epicharme avoit ajouté deux lettres à l'alphabet grec, le

& le ; invention que d'autres attribuent à Palamede. Non-seulement Epicharme fut un des premiers poëtes de son tems pour la comédie ; mais Platon fit tant de cas de ses ouvrages philosophiques, qu'il jugea à-propos de s'en approprier divers morceaux.

Lysias vit la lumiere 455 ans avant J. C. & fut mené à Athènes par Céphales son pere, qui l'y fit élever avec soin. Lysias en profita, & s'acquit une réputation extraordinaire par ses harangues & par ses ouvrages. Il savoit par un heureux choix de mots propres, & par son adresse à les arranger, répandre sur tout ce qu'il écrivoit, un air de noblesse & de dignité. Il excelloit à peindre les moeurs, à donner à ses personnages les caracteres qui leur convenoient, & à dire tout avec une grace infinie ; c'est le jugement qu'en portent Denys d'Halicarnasse, Cicéron, Plutarque & Longin. Cet aimable orateur mourut dans une extrême vieillesse, 374 ans avant J. C. Il nous reste de lui trente-quatre harangues, qui sont écrites en grec, avec une élégance, une pureté de style, & une douceur inexprimables. La meilleure édition des oeuvres de Lysias, est celle d'Angleterre, in-4°.

Moschus vivoit du tems de Ptolémée Philométor, & se rendit célébre en Sicile, tandis que Bion son maître, brilloit à Smyrne en Ionie. Les fragmens qui nous restent de leurs oeuvres, ont paru deux fois dans le siecle passé, à Cambridge, savoir en 1652 & 1661, in-8°. Moschus mit dans ses idylles plus de choix & plus d'esprit que Théocrite. Son idylle sur l'enlévement d'Europe, est extrêmement brillante : il en a fait d'autres qui sont courtes & pleines de finesse. En voici une du nombre des jolies, d'après la traduction de M. Chevreau, en vers françois.

Pour Echo le dieu Pan soupire,

Echo brûle pour un Satyre,

Que les yeux de Lydas consument jour & nuit ;

Et dans le feu qui les dévore,

Chacun hait l'objet qui le suit,

Autant qu'il est haï de l'objet qu'il adore.

Toi qui des feux d'Amour sens ton coeur enflammé,

Pour éviter ce mal extrême,

Aime toujours l'objet qui t'aime,

Et n'aime point celui dont tu n'es point aimé.

Théocrite précéda Moschus. Nous avons déja beaucoup parlé de cet aimable poëte bucolique aux mots ÉGLOGUE, IDYLLE, POESIE, PASTORALE, &c.

Il vivoit à la cour d'Egypte du tems de Ptolémée Philadelphe, vers la cent-trentieme olympiade. La meilleure édition de ses oeuvres est celle d'Oxford en 1699, in-8°. Ses idylles écrites en dialecte dorienne, sont des chefs-d'oeuvres qui ont servi de modele à Virgile dans ses églogues ; mais le poëte grec a sur le poëte latin, l'avantage de la naïveté, de la diction, & du genre de poésie qu'il a choisi. Il n'y a guere de juges recevables sur le mérite de Théocrite, que ceux qui se sont mis en état de l'entendre dans sa langue, & de goûter sa versification. Toute traduction de ce charmant poëte sera nécessairement dépourvue de ce que la langue dorienne, & de ce que la structure du vers bucolique, répandent de graces & de beautés dans l'original.

On peut fixer assez exactement la naissance de l'historien grec Philistus, dans la quatre-vingt-septieme olympiade. Gratifié par la fortune de biens très-considérables, il reçut une excellente éducation. On l'envoya étudier l'Eloquence à Athènes sous Isocrate ; & comme il avoit beaucoup d'ambition, il cultiva soigneusement un art à la faveur duquel il se flattoit de gouverner un jour sa patrie. Des qualités éminentes, une pénétration peu commune, beaucoup de valeur & de fermeté, le menoient comme par la main aux emplois les plus brillans de la république de Syracuse ; mais dans la crainte de n'y parvenir que lentement, il ne se fit point scrupule d'entrer dans les complots que Denys tramoit pour la domination, & l'aider de tout son pouvoir. Il se mit bien avant dans ses bonnes graces, après s'être offert de payer une amende considérable à laquelle Denys fut condamné par les magistrats. Philiste ne manqua pas de gagner aussi l'affection du peuple, & ses intrigues le rendirent peu de tems après maître de Syracuse.

Plus ami néanmoins de la tyrannie que du tyran, l'intérêt seul fut le motif de ses liaisons avec Denys. Il obtint de lui le gouvernement de la citadelle de Syracuse, & ne déchut de sa faveur que pour s'être marié sans la participation de ce prince, avec la fille de Leptine, frere de Denys. Il fut banni par cette raison, & ne revint dans sa patrie que lorsque les courtisans attachés au jeune Denys, le firent rappeller pour l'opposer à Dion & à Platon.

Philiste de retour, séduisit le jeune Denys, éloigna Platon, & engagea le tyran à chasser Dion, sous prétexte qu'il entretenoit des intelligences avec les Carthaginois. Dion touché des malheurs de sa patrie, & comptant sur le mécontentement général des peuples, repassa en Sicile à la tête d'une armée, & battit la flotte que commandoit Philistus, la premiere année de la cent-septieme olympiade. Les uns disent que Philistus ayant perdu la bataille, se tua lui-même ; les autres, qu'il tomba au pouvoir de ses ennemis, qui après plusieurs traitemens ignominieux, lui couperent la tête. Il étoit déja vieux, & devoit avoir environ 70 ans.

C'étoit un homme de mérite, à le considérer du côté de l'esprit, de la science, de la plume & même de la bravoure ; mais les qualités de son coeur sont dignes de tout notre mépris, puisqu'il n'employa ses talens qu'à cacher sous des prétextes spécieux, les injustices de la tyrannie. A le considérer du côté de la république des lettres, il est certain qu'il a fait des ouvrages qui ont rendu son nom mémorable. Entre plusieurs livres qu'il composa, on fit cas de son Histoire de Sicile, sur laquelle néanmoins les écrivains de l'antiquité ont porté des jugemens différens. Contentons-nous de donner ici celui de Denys d'Halicarnasse, qui est de tous le plus travaillé.

" Philiste, dit-il, imite Thucydide, au caractere près. Dans les écrits de l'athénien, regnent une généreuse liberté, beaucoup d'élévation & beaucoup de grandeur. Le syracusain flatte en esclave les excès des tyrans ; il a affecté, à l'exemple de Thucydide, de laisser imparfait l'ouvrage qu'il avoit entrepris ; il n'a point employé certaines façons de parler étrangeres & recherchées propres à Thucydide ; il en a très-bien attrapé la rondeur. Son style, ainsi que celui de cet historien, est serré, plein de nerf & de véhémence. Philiste cependant n'a pu atteindre à la beauté de l'expression, à la majesté & à l'abondance des pensées de l'original ; il n'en a ni le poids, ni le pathétique, ni les figures : rien de si petit ni de si rampant lorsqu'il s'agit de décrire un canton, des combats de terre & de mer, & la fondation des villes. Son discours ne s'égale jamais à la grandeur de la chose ; il est néanmoins délié, & en matiere d'élocution bien plus utile que Thucydide, pour ceux qui se destinent au maniement des affaires publiques ".

Les ouvrages de Philiste n'ont point passé jusqu'à nous ; mais ils étoient en grande réputation dès le tems d'Alexandre. Ce prince souhaita les avoir, & ils lui furent envoyés par Harpatus. Plusieurs siecles après on les conservoit encore dans les bibliotheques ; Porphyre du moins les y avoit vus, lui qui se plaint de la négligence des copistes qui les avoient extrêmement défigurés.

Les littérateurs curieux peuvent lire & l'article de Philistus dans Bayle, & dans les Mémoires de Littérature, tom. XIII. in-4°. les Recherches sur la vie & sur les ouvrages de Philiste, par M. l'abbé Sévin.

Enfin Vopiscus (Flavius) historien latin, étoit de Syracuse. Il vivoit du tems de Dioclétien, vers l'an 304 de J. C. & mit au jour à Rome, la vie d'Aurélien, de Tacite & de quelques autres empereurs. (D.J.)

SYRACUSE, (Géog. mod.) c'est ainsi que les François nomment improprement la ville de Sicile, dans le val de Noto, que les Italiens appellent Saragosa ou Saragusa, & qui a succédé à l'ancienne Syracuse. Voyez donc pour l'ancienne Syracuse, SYRACUSAE, & pour la moderne, SARAGOSA. (D.J.)


SYRACUSII(Géog. anc.) peuples de la Sicile, selon Ptolémée, lib. III. c. iv. qui les place dans la partie méridionale de l'île, en tirant vers le levant, ce qui fait voir qu'ils avoient pris leur nom de la ville de Syracuse dont ils dépendoient. (D.J.)


SYRASTENE(Géog. anc.) contrée de l'Inde, en-deçà du Gange. Elle est mise par Ptolémée, liv. VII. c. j. sur la côte du golfe de Canthus, à l'embouchure du fleuve Indus. Le manuscrit de la bibliotheque Palatine lit Syrastrene, qui paroît être la véritable orthographe ; car cette contrée tiroit apparemment son nom de la bourgade Syrastra, que Ptolémée place dans cette région ; outre qu'Arrien, dans son Périple de la mer Erythrée, pag. 25, écrit Syrastrena. Cette contrée étoit assez étendue. (D.J.)


SYRGIou SYRGES, (Géog. anc.) fleuve de la Scythie européenne. C'est selon Hérodote, lib. IV. pag. 116, un des quatre grands fleuves qui prenoient leur source dans le pays des Thyssagetes, & se perdoient dans les Palus-Méotides. (D.J.)


SYRIACUM MARE(Géog. anc.) c'est cette partie de la mer Méditerranée qui baignoit les côtes de la Syrie. Tacite l'appelle Judaicum mare, la mer des Juifs. (D.J.)


SYRIACUS LAPIS(Hist. nat.) nom donné par quelques auteurs à la pierre judaïque. Voyez JUDAÏQUE, pierre.


SYRIAM(Géog. mod.) ville des Indes, dans le royaume de Pégu, au confluent des rivieres de Pégu & d'Ava, prêtes à se jetter ensemble dans la mer. Le P. Duchals parle de Syriam, comme d'une ville très-peuplée, & aussi grande que Metz. Long. selon ce pere, 114. 1. 30. latit. 15. 55. cependant si l'on suppose la longitude de Pondicheri 100. 30. & la largeur du golfe de Bengale en cet endroit, 16. 30. la longitude de Syriam devroit être d'environ 117 degrés. (D.J.)


SYRIE(Géog. anc.) Syria ; grande contrée d'Asie, qui s'étendoit du nord au midi, depuis les monts Amanus & Taurus, jusqu'à l'Egypte, & à l'Arabie-Pétrée ; & d'occident en orient, depuis la mer Méditerranée, jusqu'à l'Euphrate, & jusqu'à l'Arabie déserte dans l'endroit où l'Euphrate prend son cours vers l'orient. Strabon, l. II. dit même que les peuples qui demeuroient au-delà de l'Euphrate, & ceux qui habitoient en deçà, avoient la même langue : & dans un autre endroit, il nous apprend que le nom de Syrien s'étendoit depuis la Babylonie jusqu'au golfe Issicus, & autrefois même depuis ce golfe, jusqu'au Pont-Euxin ; il fait voir que les Cappadociens, tant ceux qui habitoient le mont Taurus, que ceux qui demeuroient sur le bord du Pont-Euxin, avoient été appellés leuco-Syri, c'est-à-dire Syriens blancs.

La Syrie est nommée dans l'hébreu, Aram ou Paddam-Aram ; & Laban est dit Araméen ou Syrien, comme traduisent les septante. Les Araméens, ou les Syriens, occupoient la Mésopotamie, la Chaldée, une partie de l'Arménie, la Syrie proprement dite, comprise entre l'Euphrate à l'orient, la Méditerranée à l'occident, la Cilicie au nord, la Phénicie, la Judée, & l'Arabie déserte au midi.

Les Hébreux étoient Araméens d'origine, puisqu'ils venoient de Mésopotamie, & qu'il est dit que Jacob étoit un pauvre araméen. L'Ecriture désigne ordinairement les provinces de Syrie, par la ville qui en étoit la capitale ; elle dit, par exemple, la Syrie de Damas, la Syrie d'Emoth, la Syrie de Rohob, &c. mais les géographes partagent la Syrie en trois parties ; savoir, la Syrie propre, ou la haute Syrie ; la Célé-Syrie, c'est-à-dire la basse Syrie, proprement la Syrie creuse ; & la Syrie palestine.

La haute Syrie contenoit la Commagène, la Cyrrhétique, la Séleucide, & quelques autres petits pays, & s'étendoit depuis le mont Aman au septentrion, jusqu'au Liban au midi ; elle fut appellée dans la suite, la Syrie Antiochienne. La seconde commençoit au Liban, & alloit jusqu'à l'anti-Liban ; elle renfermoit Damas & son territoire ; & parce que ce n'étoit presque que des vallons entre ces deux hautes chaines de montagnes, on l'appelloit Célé-Syrie, ou Syrie-creuse. De l'anti-Liban jusqu'à la frontiere d'Egypte, étoit la Syrie palestine. Toute la côte de ces deux dernieres, étoit ce que les Grecs appelloient la Phénicie, depuis Arad jusqu'à Gaza.

La Syrie propre devint un grand royaume, lorsque l'empire d'Alexandre fut divisé entre ses capitaines, après sa mort. Ce royaume commença l'an du monde 3692. c'est-à-dire, 312 ans avant l'ere vulgaire. Il a duré 249 ans, & a eu vingt-sept rois. Séleucus I. surnommé Nicator, fut le premier de ses rois ; & Antiochus XIII. nommé l'Asiatique, fut le dernier. Pompée, vainqueur de l'orient, le dépouilla du royaume de Syrie, l'an du monde 3941, & ne lui laissa que Commagène. Ainsi finit ce royaume, qui étant assujetti aux Romains, devint une province romaine.

Les Sarrasins se rendirent maîtres de la Syrie dans le septieme & huitieme siecle ; les Chrétiens, dans les croisades, leur en prirent une partie, dont ils jouirent même peu de tems, sous Godefroi de Bouillon. Les Sarrazins y rentrerent bientôt, & laisserent la Syrie aux sultans d'Egypte, à qui les Turcs l'enleverent. Ce pays se nomme aujourd'hui Sourie, ou Soristan. Voyez SORISTAN.

C'est dans la Syrie propre, soumise aux Romains, que naquit Publius Syrus, célébre poëte mimique qui florissoit à Rome, vers la sept cent dixieme année de cette ville, & la quarante-quatrieme avant Jesus-Christ. Les anciens goûterent singulierement ce poëte ; Jules César, Cassius Sévérus, & Séneque le philosophe, le préféroient à tous ceux qui l'avoient précédé, soit dans la Grece, soit en Italie ; mais il ne reste plus de ses mimes, que des fragmens ou sentences qui en furent extraites du tems des Antonins ; elles ont été jointes à celles de Laberius, & souvent imprimées ; la meilleure édition a été donnée en Hollande, par Havercamp, en 1708, avec des notes. (D.J.)

SYRIE, rois de, (art. numism.) la partie de l'histoire qui concerne les rois de Syrie, est très-obscure ; on sait seulement que dix ans après la mort d'Alexandre le grand, Séleucus, l'un de ses généraux, fonda le royaume de Syrie, qui subsista environ deux cent cinquante ans, c'est-à-dire, jusqu'au tems où Pompée ayant conquis la Syrie sur Antiochus l'asiatique, en fit une province de l'empire romain. On a tiré peu d'éclaircissement de l'histoire des rois de Syrie, par Josephe, & par les livres des Macchabées ; mais un heureux hazard a procuré à M. Vaillant (Jean Foix), l'occasion d'éclaircir l'histoire de Syrie, par les seules médailles.

Un ami qu'il avoit connu particulierement à Constantinople, lui fit présent d'un sac rempli de médailles, & entr'autres de médailles des rois de Syrie ; ces médailles lui firent naître la pensée d'en chercher d'autres, & d'employer tous les moyens possibles pour en former une suite complete ; il réussit dans son entreprise par le secours de plusieurs savans qui lui communiquerent toutes les médailles qu'ils avoient sur cette partie de l'histoire ancienne.

Enfin il se vit en état de mettre au jour, par les médailles, la représentation des vingt-sept rois qui regnerent dans la Syrie, depuis Séleucus I. jusqu'à Antiochus XIII. dont Pompée fut le vainqueur. Il a prouvé la succession chronologique de ces princes, par les époques différentes marquées sur leurs médailles ; avec le même secours, il a rétabli la plupart de leurs surnoms, qui étoient corrompus dans les livres, ou dont on ignoroit la véritable étymologie.

Il a aussi déterminé par le secours des médailles, le commencement de l'ere des Séleucides. Les meilleurs chronologistes le rapportoient unanimement à la premiere année de la cent dix-septieme olympiade, trois cent treize avant Jesus-Christ ; mais ils ne s'accordoient point sur le tems de l'année où cette époque avoit commencé. M. Vaillant l'a fixée à l'équinoxe du printems, parce qu'Antioche, capitale de la Syrie, marquant ses années sur ses médailles, y représenta presque toujours le soleil dans le signe du belier.

Telles sont les découvertes de M. Vaillant dans l'histoire des rois de Syrie, par leurs médailles. Cet ouvrage parut sous ce titre : Seleucidarum imperium, sive historia regum Syriae, ad fidem numismatum accommodata. Paris 1681. in-4°. Mais l'édition faite à la Haye, en 1732. in-fol. est beaucoup plus belle. Le lecteur trouvera dans cet ouvrage également curieux & utile, tout ce que les anciens auteurs ont dit de chaque roi de Syrie, les médailles qui s'y rapportent, ou qui y suppléent, & leur explication par notre habile antiquaire. (D.J.)


SYRIENNELA DEESSE, (Mythol.) il y a en Syrie, dit Lucien, en son traité de la déesse syrienne, une ville qu'on nomme Sacrée ou Sérapolis, dans laquelle est le plus grand & le plus auguste temple de la Syrie ; outre les ouvrages de grand prix, & les offrandes qui y sont en très-grand nombre, il y a des marques d'une divinité présente. On y voit les statues suer, se mouvoir, rendre des oracles ; & on y entend souvent du bruit, les portes étant fermées. Les richesses de ce temple sont immenses ; car on y apporte des présens de toutes parts, d'Arabie, de Phénicie, de Cappadoce, de Cilicie, d'Assyrie, & de Babylone. Les portes du temple étoient d'or, aussi-bien que la couverture, sans parler du dedans qui brilloit partout du même métal. Pour les fêtes & les solemnités, il ne s'en trouve pas tant nulle part. Les uns croient que ce temple a été bâti par Sémiramis, en l'honneur de Dérito sa mere : d'autres disent qu'il a été consacré à Cybele, par Atys, qui le premier enseigna aux hommes les mysteres de cette déesse ; mais c'étoit l'ancien temple dont on entendoit parler : pour celui qui subsistoit du tems de Lucien, il avoit été bâti par la fameuse Stratonice, reine de Syrie.

Parmi plusieurs statues des dieux, on voyoit celle de la déesse qui présidoit au temple : elle avoit quelque chose de plusieurs autres déesses ; car elle tenoit un sceptre d'une main, & de l'autre une quenouille ; sa tête étoit couronnée de rayons, & coëffée de tours, avec un voile au-dessus, comme celui de la Vénus céleste : elle étoit ornée de pierreries de diverses couleurs, entre lesquelles il y en avoit une sur la tête qui jettoit tant de clarté, que tout le temple en étoit éclairé pendant la nuit ; c'est pourquoi on lui donnoit le nom de lampe. Cette statue avoit une autre merveille, c'est que de quelque côté qu'on la considérât, elle sembloit toujours vous regarder.

Apollon rendoit des oracles dans ce temple, mais il le faisoit par lui-même, & non par ses prêtres ; quand il vouloit prédire, il s'ébranloit, alors ses prêtres le prenoient sur leurs épaules, & à leur défaut, il se remuoit lui-même & suoit. Il conduisoit ceux qui le portoient, & les guidoit comme un cocher fait ses chevaux, tournant deçà & delà, & passant de l'un à l'autre, jusqu'à ce que le souverain prêtre l'interrogeât sur ce qu'il vouloit savoir. Si la chose lui déplait, dit Lucien, il recule, sinon il avance, & s'éleve quelquefois en l'air : voilà comme ils devinent sa volonté ; il prédit le changement des tems & des saisons, & la mort même.

Apulée fait mention d'une autre façon de rendre les oracles, dont les prêtres de la déesse syrienne étoient les inventeurs ; ils avoient fait deux vers dont le sens étoit : les boeufs attelés coupent la terre, afin que les campagnes produisent leurs fruits. Avec ces deux vers, il n'y avoit rien à quoi ils ne répondissent. Si on venoit les consulter sur un mariage, c'étoit la chose même des boeufs attelés ensemble, des campagnes fécondes ; si on les consultoit sur quelques terres qu'on vouloit acheter, voilà des boeufs pour les labourer, voilà des champs fertiles ; si on les consultoit sur un voyage, les boeufs sont attelés, & tout prêts à partir, & les campagnes fécondes vous promettent un grand gain ; si on alloit à la guerre, les boeufs sous le joug, ne vous annoncent-ils pas que vous y mettrez aussi vos ennemis ?

Cette déesse qui avoit les attributs de plusieurs autres, étoit, selon Vossius, la vertu générative ou productive que l'on désigne par le nom de mere des dieux. (D.J.)


SYRIENS(Hist. ecclésiast. grecq.) nom qu'on a donné aux chrétiens grecs répandus dans la Syrie, dans la Mésopotamie, dans la Chaldée, & qui suivoient les erreurs d'Eutychés ; erreurs qu'ils communiquerent aux Arméniens. Ils n'admettent qu'une nature en Jesus-Christ, ne donnent l'extrême-onction qu'aux prêtres, & seulement après la mort ; ils ne croient point le purgatoire, chantent l'office divin en langue syriaque, consacrent en pain levé, & ont des abstinences plus austeres que celles des latins. Enfin les Syriens sont à peu de chose près dans les mêmes opinions que ceux qu'on nomme Jacobites. Voyez JACOBITES. (D.J.)


SYRINGAS. m. (Hist. natur. Botan.) genre de plante à fleur en rose, composée de plusieurs petales disposés en rond. Le pistil sort du calice & devient dans la suite un fruit qui adhere au calice & qui est turbiné comme la pomme du pin ; ce fruit s'ouvre ordinairement en quatre parties, & il est divisé en quatre loges qui contiennent de petites semences. Tournefort, inst. rei herb. Voyez PLANTE.

SYRINGA, arbrisseau assez commun qui s'éleve à six ou sept piés, & quelquefois jusqu'à dix. Il pousse quantité de rejettons du pié qui affoiblissent les principales tiges si l'on n'a soin d'en retrancher une partie. Ses feuilles sont oblongues, assez grandes, terminées en pointe, dentelées sur les bords, & d'une verdure agréable. Ses fleurs paroissent au mois de Mai, & leur durée va jusqu'à la mi Juin, si la saison n'est pas trop seche : elles sont blanches, rassemblées en bouquet, d'une belle apparence & d'une odeur de fleur d'orange un peu trop forte. Sa graine qui est extrêmement menue vient dans des capsules que la maturité fait ouvrir au mois d'Août.

Cet arbrisseau est très-robuste ; il endure le froid comme le chaud ; il réussit dans tous les terreins. Son principal mérite est de se plaire dans les lieux frais, serrés & couverts, même à l'ombre des autres arbres. Il se multiplie plus que l'on ne veut par ses rejettons qui cependant ne tracent pas au-loin. On peut aussi le faire venir très-aisément de bouture. Plus on taille cet arbrisseau, mieux il réussit.

On peut faire différens usages du syringa pour l'agrément dans de grands jardins. Il est propre à venir en buisson dans les plates-bandes, à faire de la garniture dans les massifs des bosquets, mais particulierement à former de moyennes palissades dans des endroits serrés, ombragés, & même écartés, par rapport à l'odeur trop pénétrante de ses fleurs qui n'est agréable que de loin. En Angleterre on se sert de ses fleurs que l'on renouvelle souvent pour parfumer les gants.

Il y a quelques variétés de cet arbrisseau.

1. Le syringa ordinaire ; c'est à cette espece qu'on doit particulierement appliquer le détail ci-dessus.

2. Le syringa à fleur double ; cet arbrisseau ne s'éleve qu'à trois ou quatre piés. On regarde ses fleurs comme doubles, parce qu'elles ont quelques pétales de plus que la fleur simple ; d'ailleurs elles ne se trouvent doubles que quand elles sont seules ; car dès qu'elles viennent en bouquet elles sont simples. Il y a dans cette variété plus de singularité que d'agrément.

3. Le syringa à feuilles panachées ; ses feuilles sont tachées de jaune, & elles ont peu d'éclat. Il faut à cet arbrisseau un terrein sec & beaucoup de soleil ; car si on le mettoit dans un lieu frais & à l'ombre, il y prendroit trop de vigueur, & les taches de ses fleurs disparoîtroient.

4. Le syringa nain ; il ne s'éleve guere qu'à un pié, & il ne donne point de fleurs. Tout le service qu'on en pourroit tirer seroit d'en faire des bordures pour régler les allées dans un lieu vaste, où il n'exigeroit ni taille ni culture, parce que cet arbrisseau ne trace point.

5. Le syringa de la Caroline ; ses feuilles ne sont point dentelées sur les bords, & ses fleurs sont sans odeur, mais plus grandes que celles du syringa ordinaire. Cet arbrisseau est très-rare & encore peu connu.

SYRINGA, (Géog. anc.) ville de l'Hyrcanie à une petite distance de Tambrace. Polybe, liv. X. c. jv. dit que cette ville pour sa force & pour les autres commodités, étoit comme la capitale de l'Hyrcanie. Elle étoit entourée de trois fossés, larges chacun de trente coudées, & profonds de quinze. Sur les deux bords de ces fossés, il y avoit un double retranchement, & au-delà une forte muraille. Toutes ces fortifications n'empêcherent pas qu'Antiochus le grand, roi de Syrie, ne se rendît maître de cette ville, après un siege assez long & très-meurtrier. (D.J.)


SYRINGAE(Géog. mod.) lieu d'Egypte, au-delà du Nil & près de Thebes, selon Pausanias, liv. I. c. xlij. qui dit qu'on voyoit auprès de ce lieu un colosse admirable. C'est, ajoute-t-il, une statue énorme, qui représente un homme assis : plusieurs l'appellent le monument de Memnon ; car on disoit que Memnon étoit venu d'Ethiopie en Egypte, & qu'il avoit pénétré même jusqu'à Suses. Les Thébains vouloient que ce fut la statue de Phaménophés, originaire du pays, & d'autres disoient que c'étoit celle de Sésostris. Quoi qu'il en soit, poursuit Pausanias, Cambyse fit briser cette statue, & aujourd'hui toute la partie supérieure depuis la tête jusqu'au milieu du corps est par terre, le reste subsiste comme il étoit ; & tous les jours, au lever du soleil, il en sort un son tel que celui des cordes d'un instrument de musique lorsqu'elles viennent à se casser.

Strabon, liv. XVII. rapporte ce fait comme Pausanias : il en avoit été témoin comme lui, mais il n'étoit pas tout-à-fait si crédule ; car il avertit que le son qu'il entendit, & que la statue sembloit rendre, pouvoit fort-bien venir de quelques-uns des assistans. Il aime mieux en attribuer la cause à la supercherie des gens du pays, qu'à la statue.

Ammien Marcellin, liv. XXII. c. xv. qui écrit Syringes, dit que par ce mot on entend certaines grottes souterraines pleines de détours, que des hommes, à ce qu'on disoit, instruits des rites de la religion, avoient creusées en divers lieux avec des soins & des travaux infinis, par la crainte qu'ils avoient que le souvenir des cérémonies religieuses ne se perdît. Pour cet effet, ajoute-t-il, ils avoient taillé sur la muraille des figures d'oiseaux, de bêtes féroces, & d'une infinité d'autres animaux ; ce qu'ils appelloient des lettres hiérographiques ou hiéroglyphiques.


SYRINGITESS. f. (Hist. nat. Litholog.) Pline dit que c'étoit une pierre semblable au noeud d'une paille, & ayant une cavité comme elle. Boot croit que c'est l'ostéocolle.


SYRINGOIDEPIERRE, (Hist. nat.) pierre qui ressemble à un amas de roseaux pétrifiés. Quelques naturalistes ont donné le nom de pierre syringoïde à des especes de madréporites, composés de tuyaux placés perpendiculairement à côté les uns des autres. D'autres ont donné ce nom à des incrustations ou dépôts qui se sont faits dans l'eau sur de vrais roseaux, ce qui a produit avec le tems des pierres qui ont conservé la forme des roseaux sur lesquels le dépôt terreux, qui depuis s'est changé en pierre, est venu se placer. (-)


SYRINGOTOMES. m. instrument de Chirurgie, c'est une espece de bistouri circulaire avec lequel on coupe la peau, la graisse, les duretés, & tout ce qui recouvre un canal fistuleux situé au fondement ou dans une autre partie.

Ce mot est grec ; il vient de , fistula, roseau, fistule, & de , sectio, incision, du verbe , seco, je coupe.

On trouve dans Scultet & dans Aquapendente des figures de syringotomes ; ce sont des bistouris courbes, des especes de petites faucilles boutonnées par leur extrêmité. On ne se sert point de ces instrumens. La chirurgie moderne a perfectionné le syringotome, en faisant souder à la pointe du bistouri courbe un stilet d'argent de figure pyramidale : ce stilet a six ou huit pouces de long ; il est plus gros par sa base qui est soudée à l'acier, & il va doucement en diminuant pour se terminer par un petit bouton. Ce stilet doit être recuit, afin que l'argent ayant ses pores plus ouverts, soit mou & flexible. Voyez la figure 2. Pl. XXVII.

Ce syringotome est gravé dans une dissertation sur la fistule à l'anus par Bassius, professeur à Hale, en 1718. On donne l'invention de cet instrument à M. Lemaire, chirurgien major de l'hôpital royal & militaire à Strasbourg, quoiqu'on le trouve dans les anciens.

Pour se servir de cet instrument dans l'opération de la fistule à l'anus, on introduit le stilet dans la fistule, on le fait sortir en-dehors par l'intestin, & en le tirant on coupe la peau, la graisse, les duretés, & tout ce qui couvre le canal fistuleux. Voyez FISTULE A L'ANUS. Cet instrument est peu en usage. (Y)


SYRINXS. f. (Littér. & Mythol.) ce mot en grec & latin signifie un tuyau ou chalumeau fait de roseau ; mais les poëtes donnent ce nom à la flûte du dieu Pan. Ils disent que ce dieu courant comme un étourdi après la nymphe Syringa, dont il étoit éperdument épris, il n'attrapa qu'un roseau dans lequel elle fut métamorphosée ; alors, pour se consoler, il coupa d'autres roseaux dont il fit une flûte qui porta le nom de la nymphe, & devint à la mode parmi les bergers. Ovide en a fait l'histoire agréable dans les vers suivans :

Panaque, cùm prensam sibi jam Syringa putaret

Corpore pro nymphae calamos tenuisse palustres :

Dumque ibi suspirat, motos in arundine ventos

Effecisse sonum tenuem, similem quaerenti ;

Arte novâ vocisque deum dulcedine captum ;

Hoc mihi concilium te cum dixisse manebit :

Atque ita disparibus calamis compagine cerae

Inter se junctis nomen tenuisse puellae.

(D.J.)


SYRITESS. f. (Hist. nat. Litholog.) nom donné par quelques auteurs au saphir. Pline donne ce nom à une pierre qui, selon lui, se formoit dans la vessie du loup.


SYRMA(Antiq. rom.) longue robe commune aux deux sexes, & qui traînoit jusqu'à terre, elle étoit d'usage sur le théâtre, pour représenter avec plus de dignité les héros & les héroïnes. (D.J.)


SYRMAEA(Mat. méd. des anciens) ; c'est un terme équivoque dans les écrits des médecins grecs ; il signifie quelquefois, 1°. une espece de raphanus propre à procurer le vomissement, & à agir par les selles. Galien dit par cette raison que les anciens entendoient par syrmaesmus, une évacuation modérée par haut ou par bas. Hérodote parlant des coutumes des Egyptiens, nous apprend que tous les trois mois ils se provoquoient une évacuation avec le syrmaea, pour conserver leur santé : 2°. désigne une potion purgative, composée de sel & d'eau : 3°. ce même mot signifie une espece de confiture faite de miel & de graisse, qui étoit le prix d'un certain exercice en usage chez les Spartiates : 4°. , dans Hippocrate, paroît être quelque potion ou suc, dans lequel il infusoit de certains remedes. C'est ainsi qu'il ordonne de faire une masse de coniza odorata avec du miel, & de la poudre dans du vin odoriférant, ou dans du syrmaea pour chasser le foetus ou l'arriere-faix. (D.J.)


SYRMÉES(Antiq. grecq.) ; jeux établis à Lacédémone, qui prenoient leur nom du prix de ces jeux : il consistoit en un ragoût composé de graisse & de miel, appellé . C'étoit bien-là un ragoût de spartiate. Potter, Archaeol. graec. tom. I. p. 431. (D.J.)


SYRO-PHÉNICIE(Géog. anc.) c'est la Phénicie proprement dite, dont Sidon étoit la capitale, & qui ayant été unie par droit de conquête au royaume de Syrie, joignit son ancien nom de Phénicie à celui de Syrie, de même que la Palestine fut surnommée Syrie, parce qu'elle étoit considérée comme faisant partie de la Syrie. La chananéenne est nommée syro-phénicienne par S. Marc, viij. 26, parce qu'elle étoit de Phénicie, qui étoit alors regardée comme faisant partie de la Syrie, & obéissant au gouverneur de cette province. S. Matthieu, c. xv. 22. 24. qui avoit écrit en hébreu ou en syriaque, l'appelle chananéenne, parce que ce pays étoit véritablement peuplé de Chananéens, Sidon étant le fils aîné de Chanaam. (D.J.)


SYROou SIROP, s. m. (Pharm. Thérapeut. Diete) on entend par ce mot de Pharmacie, une dissolution de sucre dans une liqueur aqueuse, jusqu'au point de saturation. Voyez SATURATION, Chimie.

Ce point de saturation se trouve entre le sucre & l'eau pure, lorsqu'une partie de ce liquide est unie à deux parties de sucre ; ou ce qui est la même chose, l'eau commune est capable de dissoudre même à froid un poids de sucre double du sien propre ; la liqueur épaisse & mielleuse qui résulte de la combinaison de ces deux substances, est connue dans l'art sous le nom de syrop blanc ; & cet état épais & mielleux dont nous venons de faire mention sous celui de consistance syrupeuse ou de syrop.

Mais le syrop blanc est une préparation, dont l'usage est très-rare en Pharmacie & en Thérapeutique. La liqueur aqueuse employée à la préparation des syrops usuels est presque toujours chargée d'une substance à laquelle elle est unie, par une dissolution vraie ou chimique. Les différentes substances qui spécifient les liqueurs aqueuses employées communément à la préparation des syrops sont, 1°. le principe aromatique des végétaux, l'alkali volatil spontané végétal ou le principe volatil très-analogue à ce dernier qui se trouve dans plusieurs plantes, & enfin l'acide volatil spontané végétal. 2°. Des parties extractives ou mucilagineuses, retirées des végétaux par infusion ou par décoction ; 3°. le corps doux & le corps acidule, tels qu'ils se trouvent dans le suc doux ou acidule des végétaux : 4°. les teintures de quelques fleurs ; 5°. la substance muqueuse retirée par décoction de quelques matieres animales.

Selon que chacune de ces matieres occupe plus ou moins d'eau, la proportion du sucre pour la saturation de la liqueur aqueuse déja chargée de cette substance doit varier. Cette variété n'est pourtant pas si considérable dans le fait, ou d'après l'expérience que la simple considération du principe que nous venons d'exposer pourroit le faire soupçonner. Le Febvre, célébre chimiste François, & un des premiers qui ait porté dans la Pharmacie le flambeau de la Chimie, propose trop généralement la proportion de neuf onces de liquide aqueux composé pour une livre de sucre ; mais les Artistes ne sont point obligés d'avoir une table de ces proportions pour se guider dans la composition de chaque syrop ; ils employent dans les cas les plus ordinaires, une quantité de liquide aqueux très-surabondante ; & ils dissipent ensuite l'eau superflue par une évacuation à grand feu, qu'ils terminent à l'apparition de certains signes qui annoncent la consistance syrupeuse ou le point de saturation dans tous ces cas : ce qui s'appelle cuire un syrop à consistance ; & ces signes qu'on n'apprend à saisir sûrement que par l'exercice ou l'habitude d'ouvrier, sont un degré de tenacité, telle qu'une goutte de syrop refroidie reserrée entre deux doigts, file ou s'étende entre ces deux doigts, lorsqu'on les écarte doucement ; mais seulement jusqu'à la distance d'une ligne ou de deux, ou que si l'on fait tomber un peu de syrop d'une cuilliere ou d'une spatule ; les dernieres gouttes grossissent & s'allongent avant que de tomber.

Avant que la pharmacie fût perfectionnée par les utiles observations du chimiste, dont nous venons de parler, & par celles de Zwelfer ; la maniere de composer les syrops, dont nous venons de donner l'idée, étoit la seule employée ; mais ces réformateurs ayant observé que plusieurs substances qu'on faisoit entrer dans la composition des syrops étoient altérées, par la longue ébullition employée à la cuite, ils ajouterent à la méthode ancienne deux nouvelles manieres de préparer les syrops. Ils laisserent subsister l'ancienne méthode pour ceux qui étoient préparés avec de l'eau, qui n'étoient chargés que de substances fixes, telles que les parties extractives ou mucilagineuses, & le corps doux-exquis qu'on retiroit de plusieurs substances végétales, par l'infusion ou par la décoction, & le suc gélatineux retiré des substances animales par la décoction. Cette méthode qui est très-simple & très-suffisante pour ces substances que l'ébullition n'altere point, fournit d'ailleurs la commodité de clarifier ce syrop par le moyen du blanc d'oeuf, opération qui exige l'ébullition. Voyez CLARIFICATION, Chimie, ARMACIEACIE.

La seconde maniere de procéder à la composition des syrops est propre aux sucs acides, aux sucs alkalis volatils, aux eaux distillées aromatiques, & aux teintures délicates des fleurs, & sur-tout à celle de ces teintures qui sont en même tems aromatiques ; car l'ébullition altere diversement toutes ces matieres pour faire un syrop avec l'une ou l'autre de ces matieres ; par exemple, avec du suc de citron, de verjus, d'épine-vinette, ou avec celui de cochléaria ou de cresson, ou avec une forte teinture de violette ou d'oeillet rouge ; on prend l'une ou l'autre de ces liqueurs (si c'est le suc acide préalablement dépuré par le repos, ou même par une légere fermentation suivie de la filtration, & si c'est un suc alkali volatil, par la filtration immédiate. Voyez DEPURATION, Chimie), & on y unit par le secours de la douce chaleur d'un bain-marie, à laquelle on peut même l'exposer dans des vaisseaux fermés, le double de son poids de beau sucre blanc & très-pur ; car il ne peut être ici question de la clarification qui est principalement destinée à emporter les impuretés des sucres communs qu'on employe à la préparation des syrops, selon le premier procédé. Il faut remarquer que les syrops acides ne demandent point une si grande quantité de sucre, & qu'il est même bon, tant pour l'agrément du goût, que pour l'utilité médicamenteuse qu'on laisse leurs acides un peu plus à nud que si on recherchoit exactement le point de saturation qui est presque pour les sucs acides végétaux, le même que pour l'eau pure. Le syrop d'orgeat (voyez l'article ORGEAT) est beaucoup meilleur lorsqu'on le prépare par cette méthode, que lorsqu'on lui fait subir une cuite conformément à l'ancienne maniere, & selon qu'il est prescrit encore dans la cinquieme édition de la Pharmacopée de Paris.

La troisieme maniere de préparer le syrop est beaucoup plus compliquée ; elle est destinée à ceux qui sont préparés avec des matieres, dont la principale vertu médicamenteuse réside dans un principe mobile & fugitif, tel que sont principalement le principe odorant & l'esprit volatil des plantes cruciferes. D'après la méthode ou plutôt d'après les principes de le Febvre ou de Zwelfer, on prépare ce syrop dans un appareil de distillation. L'exemple de la préparation de l'un de ces syrops qu'on va donner instruira beaucoup mieux de cette méthode, que l'exposition générale qu'on pourroit en faire.

Syrop de stoechas, selon la Pharmacopée de Paris. Prenez épis séchés de stoechas, trois onces ; sommités fleuries & séches de thym, de calament & d'origan, de chacun une once & demie ; de sauge, de bétoine & de romarin, de chacun demi-once ; semences de rue, de pivoine mâle & de fenouil, de chacun trois gros ; cannelle, gingembre & roseau aromatique, de chacun deux gros : toutes ces drogues étant concassées ou hachées, faites les macérer dans un alambic de verre ou d'étain pendant deux jours, avec huit livres d'eau que vous entretiendrez dans un état tiede ; après cette macération, distillez au bain-marie bouillant, jusqu'à ce que vous ayez obtenu huit onces de liqueur aromatique, avec laquelle vous ferez un syrop, en l'unissant par le secours de la chaleur d'un bain-marie, au double de son poids de sucre blanc (d'après le second procédé ci-dessus exposé). D'ailleurs, collez & exprimez la liqueur & le marc qui seront restés au fond de l'alambic ; ajoutez à la colature quatre livres de sucre commun ; clarifiez au blanc d'oeuf & cuisez à consistance de syrop auquel, lorsqu'il sera presque refroidi, vous ajouterez votre autre syrop ou celui que vous avez préparé avec votre eau distillée ; c'est ainsi que se prépare le syrop d'érysimum, le syrop d'armoise, le syrop antiscorbutique de la Pharmacopée de Paris, avec la seule différence qu'on emploie du vin dans ce dernier, au lieu de l'eau qu'on emploie dans l'exemple cité.

On se propose deux vues principales en composant des syrops : la premiere de rendre durable la matiere médicamenteuse, soit simple, soit composée, qu'on réduit sous cette forme ; & la seconde, de corriger son goût désagréable, ou même de lui donner un goût véritablement agréable. Le sucre est dans la classe des corps doux, celui qui possede éminemment la qualité assaisonnante, condiens, qui est pourtant commune à la classe entiere de ces substances végétales, & que le miel possede en un degré presque égal à celui du sucre. L'eau, ou si l'on veut, la liquidité aqueuse est un instrument très-efficace de destruction pour les corps chimiques composés ; par conséquent une dissolution aqueuse d'une substance végétale ou animale d'un ordre très-composé (comme elles le sont pour la plupart), & surtout lorsque cette liqueur est délayée ou très-aqueuse, une pareille liqueur, dis-je, n'est point durable ; elle subit bientôt quelque espece de fermentation qui la dénature ; le corps doux & le sucre lui-même ne sont point à l'abri de l'activité de cet instrument, lorsqu'il est libre ; mais si l'eau est occupée par un corps auquel elle est chimiquement miscible, c'est-à-dire, si elle est chargée de ce corps jusqu'au point de saturation, son influence destructive ou au-moins fermentative est diminuée, & d'autant plus qu'elle peut recevoir ou dissoudre ce corps dans une plus haute proportion ; or comme le sucre est de tous les corps connus celui que l'eau peut s'associer en une proportion plus forte (nous avons observé plus haut qu'une partie d'eau peut dissoudre deux parties de sucre), il ne doit point paroître étonnant qu'il soit capable de détruire absolument cette propriété de l'eau, lorsqu'il l'occupe toute entiere, c'est-à-dire, qu'il est mêlé avec elle au point précis de saturation. Il y a une observation remarquable qui confirme cette doctrine : c'est que les matieres mucilagineuses végétales & la matiere gélatineuse animale paroissent être l'extrême opposé au sucre quant à la propriété d'occuper l'eau ou de fixer son activité fermentative ; & aussi le mucilage & la gelée saoulent-ils l'eau dans la plus foible proportion connue, c'est-à-dire, qu'une très-petite quantité de matiere propre de mucilage ou de gelée est capable de s'associer une quantité très-considérable d'eau. Il est donc tout simple, & l'expérience le confirme, que les dissolutions de mucilage ou de gelée, même au point de saturation, soient très-peu durables ; mais ce qui ne s'ensuit pas si évidemment, & que l'expérience seule a appris, c'est que les liqueurs aqueuses chargées de mucilages ou de gelées animales ne sont point durables, lors même qu'elles sont assaisonnées avec le sucre, & qu'on leur a donné par la cuite, autant qu'il a été possible, la consistance de syrop. Le syrop de guimauve, le syrop de nénuphar, le syrop de tortue, &c. sont très-sujets à se corrompre par cette cause ; tous les autres sont des préparations très-durables, quand elles sont bien faites.

Le syrop trop concentré, ou dans laquelle la proportion de sucre est excessive, pourvu que ce ne soit pas au point d'avoir absolument perdu la consistance liquide, n'est sujet à d'autres inconvéniens qu'à celui de candir, c'est-à-dire, de déposer son sucre superflu par une vraie crystallisation.

Les syrops sont divisés communément dans les pharmacopées, en syrops simples & en syrops composés, & les uns & les autres en syrops altérans & syrops purgatifs. Voyez SIMPLE, COMPOSE, ALTERANT, PURGATIF. On emploie à la préparation de quelques syrops, selon un ancien usage, du miel au lieu de sucre : ceux-là s'appellent vulgairement miels. On trouve dans les boutiques un miel de concombre sauvage, un miel rosat, un miel violat, un miel scillitique, un miel mercurial appellé aussi syrop de longue vie. Voyez MERCURIALE, &c.

On trouve aussi dans les boutiques un remede appellé syrop très-improprement, & seulement à cause de la ressemblance qu'il a par sa consistance avec le syrop : c'est le syrop ou extrait de mars. Voyez l'article MARS & REMEDES MARTIAUX.

Les syrops sont tous des remedes officinaux ; & c'est même une suite du principal objet qu'on se propose dans leur préparation, que les médecins n'ordonnent point de remedes magistraux sous cette forme ; en effet ce seroit inutilement qu'on s'appliqueroit à rendre durable un remede qui doit être donné sur le champ. Que si les médecins ordonnent cependant des syrops pour être employés sur le champ, tel que le syrop de pruneaux ou le syrop de bourache, c'est le mot seulement qu'ils emploient, mais non pas la chose ; car ces prétendus syrops contiennent à peine la sixieme partie du sucre nécessaire pour constituer la vraie consistance du syrop.

Les syrops officinaux s'ordonnent par gros ou par once, soit seuls, c'est-à-dire, cependant dissous dans de l'eau commune, soit dans les juleps dont ils constituent un ingrédient essentiel, dans des émulsions, des potions, & même dans des apozèmes, quoiqu'ils soient absolument indifférens à la forme de ce remede.

On ne sauroit disconvenir que le sucre ne tempere jusqu'à un certain point l'activité de quelques remedes, & par conséquent que ces remedes chargés de sucre ne soient plus doux caeteris paribus, que le suc, l'infusion, la décoction, l'esprit, l'eau aromatique, &c. avec laquelle ils sont préparés ; mais il faut bien se garder de croire que le sucre opere une correction réelle de ces médicamens, & encore moins qu'il soit une matiere nuisible & dangereuse en soi. Voyez CORRECTION, Pharmacie. Voyez DOUX. Voyez SUCRE.

Au reste l'usage des syrops est passé comme bien d'autres genres d'assaisonnemens, de la pharmacie à l'office & à la boutique du limonadier. On prépare plusieurs syrops principalement acides, aromatiques ou émulsifs, tels que le syrop de limon, le syrop de coin, le syrop de capillaire, le syrop d'orgeat, &c. qui étant dissous en une proportion convenable dans de l'eau fournissent une boisson très-agréable & très-salutaire. (b)

SYROP, s. m. (terme de Sucrerie) nom d'une des chaudieres dans lesquelles on cuit le vesou ou suc des cannes, dans les sucreries ou atteliers où on travaille au sucre brut. On l'appelle de la sorte, parce que c'est dans cette chaudiere par laquelle le vesou passe avant que d'être réduit en sucre, & c'est-là où il prend sa consistance, & commence à devenir syrop. (D.J.)


SYROS(Géog. anc.) 1°. ville de l'Asie mineure dans la Carie ; 2°. fleuve du Péloponnèse, dans l'Arcadie, aux confins des Messéniens & des Mégalopolitains ; 3°. île de l'Asie mineure sur la côte d'Ionie, suivant Etienne le géographe, qui parle d'une autre île de même nom dans l'Acarnanie ; 4°. Syros ou Syra, île de l'Archipel voisine de Paros. Elle n'a que vingt-cinq milles de tour, & est bien cultivée. On voit sur le port, les ruines de sa capitale autrefois nommée Syros, de même que l'île. Tournefort trouva dans son voisinage la plante qui donne la manne de Perse, en latin alhagi Maurorum. Il a cru que Phérécides étoit né dans cette île de Syros ; mais il s'est trompé ; c'est dans Scyros, île de la mer Egée, à l'orient de celle d'Eubée. Voyez-en l'article. (D.J.)


SYRTES(Géog. anc.) écueils de la mer Méditerranée, sur la côte d'Afrique, & appellés présentement Seches de Barbarie, Baxos de Barbaria. Il paroît d'un passage de Pline, l. V. c. iv. que par le mot de syrtes on n'entendoit pas seulement des écueils ou basses, mais des endroits où les vaisseaux entrainés par les vagues viennent échouer.

Les anciens auteurs distinguent deux Syrtes, la grande sur la côte de la Cyrénaïque, la petite sur la côte de la Bysacène. Strabon, l. II. p. 123, distingue, ainsi que Pomponius Mela, mais moins exactement, la petite Syrte de la grande ; l'une & l'autre sont très-dangereuses à cause des bancs de sable qui s'y amassent, & qui changent souvent de place.

Les poëtes parlent quelquefois des Syrtes au nombre singulier, & quelquefois au nombre plurier. Ce n'est pas tout, ils nomment aussi Syrtes les campagnes arides & sablonneuses de la Lybie qui s'avancent dans les terres, & où l'on ne peut voyager qu'avec de grandes incommodités. C'est dans ce dernier sens que Claudien & Virgile ont pris le nom de Syrtes, quand l'un a dit, stant pulvere Syrtes getulae, & l'autre, hunc ego getulis agerem, si Syrtibus exul. Horace dit pareillement, sive per Syrtes iter oestuosas facturus, soit qu'il traverse les sables brûlans de l'Afrique. Prudence place le temple de Jupiter Ammon dans les Syrtes, c'est-à-dire, dans des campagnes sablonneuses ; car ce temple étoit bien éloigné de la mer. (D.J.)

SYRTES, s. m. pl. (Marine) ce sont des sables nouveaux, agités par la mer, tantôt ammoncelés, tantôt dispersés, mais toujours très-dangereux pour les vaisseaux.


SYRTITESS. f. (Hist. nat. Lithol.) nom donné par quelques auteurs anciens à une pierre précieuse, dans laquelle on voyoit comme des petites étoiles d'un jaune d'or.


SYRUS LAPIS(Hist. nat. Lithol.) nom donné par quelques auteurs à une pierre, dont on ne nous apprend rien, sinon qu'elle nageoit à la surface de l'eau. Peut-être étoit-ce une pierre ponce.


SYRY(Géog. mod.) province de l'Ethiopie, au nord-est de celle d'Ogara, & dont elle est séparée par la riviere de Tekesel. C'est le pays le plus beau & le plus fertile de toute l'Ethiopie. Les lettres édifiantes disent qu'on y voit de grandes plaines arrosées de fontaines, des forêts d'orangers, de citronniers, de grenadiers, &c. & des campagnes couvertes de mille sortes de fleurs qui embaument l'air. La capitale de cette province, porte le même nom, & n'a point été décrite. (D.J.)


SYSCIA(Géog. anc.) ville de la haute Pannomie, sur la Save, selon Ptolémée, l. II. c. xv. Elle étoit au confluent de la riviere Colapis, & au midi de l'île Segestica, que forme la Save en cet endroit : c'est aussi la situation que lui donne Pline, liv. III. c. xxv.

Strabon, l. VII. qui écrit Syscia, en fait une ville fortifiée, ou du-moins il lui donne le titre de Castellum. Zosime, l. II. c. xlviij. fait mention de la garnison de la ville Syscia, située sur le bord de la Save. Velleïus Paterculus, liv. II. c. cxiij. parle aussi de cette ville ; & Prudence, verset 3. en décrivant le martyre de saint Quirinus, évêque de Syscia, dit :

Urbis moenia Sysciae

Concessum sibi martyrem

Complexu patris fovent.

Cette ville, dans l'itinéraire d'Antonin, est marquée sur la route de Hemona à Sirmium, entre Quadrata & Varianae, à 28 milles de la premiere de ces places, & à 23 milles de la seconde.

Dans la table de Peutinger, la ville de Syscia se trouve au milieu de l'île Segestica, avec les marques de ville & de colonie. Cette ville subsiste encore aujourd'hui, & conserve son ancien nom, corrompu en celui de Sisak, Sisek ou Sisseg : ce n'est plus qu'une bourgade. La qualité de ville, le nombre des habitans, & la dignité épiscopale : tout cela a été transféré à Zagrab. (D.J.)


SYSPIÉRITIDE(Géogr. anc.) Syspieritis, contrée que Strabon, l. XI. p. 503. semble placer dans la grande Arménie. Constantin Porphirogénete met ce pays dans la petite Arménie. Cicéron ad Atticum, nomme cette région Syspira. (D.J.)


SYSSARCOSE(Médec.) ; de , avec, & , chair, espece d'articulation qui se fait par l'intervention des chairs, ou plutôt, comme dit M. Monro, par des muscles communs à un os, & à un autre.

On entend encore par syssarcose la maniere de traiter les plaies, sur-tout celles de la tête, lorsque le crâne est découvert, & que l'intervalle entre les levres est trop grand pour pouvoir les rapprocher, & donner lieu à la réproduction des chairs ; ce que les anciens appelloient granulatio.

Enfin Paul Eginete se sert du terme syssarcose pour désigner une production contre nature des chairs autour des vaisseaux, & des tuniques des testicules, qui donnent lieu au sarcocele. (D.J.)


SYSTALTIQUEadj. (Médec.) ce mot veut dire tout ce qui a le pouvoir de se resserrer, de se contracter. C'est une épithete qu'on donne au mouvement du coeur, des arteres, des nerfs & des fibres, qui, par leur vertu élastique, se contractent alternativement, & accélerent le mouvement progressif des liqueurs.


SYSTASES. f. (Lexicographie médic.) ce terme est grec, & veut dire en général amas d'humeurs ; mais Hippocrate s'en sert quelquefois pour exprimer une espece de contraction douloureuse du corps, causée par quelque sensation désagréable. (D.J.)


SYSTEMES. m. (Métaphysique) systême n'est autre chose que la disposition des différentes parties d'un art ou d'une science dans un état où elles se soutiennent toutes mutuellement, & où les dernieres s'expliquent par les premieres. Celles qui rendent raison des autres s'appellent principes, & le systême est d'autant plus parfait, que les principes sont en plus petit nombre : il est même à souhaiter qu'on les réduise à un seul. Car de même que dans une horloge il y a un principal ressort duquel tous les autres dépendent, il y a aussi dans tous les systêmes un premier principe auquel sont subordonnées les différentes parties qui le composent.

On peut remarquer dans les ouvrages des philosophes trois sortes de principes, d'où se forment trois sortes de systêmes. Les uns sont des maximes générales ou abstraites. On exige qu'ils soient si évidens ou si bien démontrés, qu'on ne les puisse révoquer en doute. La vertu que les philosophes leur attribuent est si grande, qu'il étoit naturel qu'on travaillât à les multiplier. Les métaphysiciens se sont en cela distingués. Descartes, Malebranche, Leibnitz, &c. chacun à l'envi nous en a prodigués ; & nous ne devons plus nous en prendre qu'à nous-mêmes, si nous ne pénétrons pas les choses les plus cachées. Les principes de la seconde espece sont des suppositions qu'on imagine pour expliquer les choses dont on ne sauroit d'ailleurs rendre raison. Si les suppositions ne paroissent pas impossibles, & si elles fournissent quelque explication des phénomenes connus, les philosophes ne doutent pas qu'ils n'aient découvert les vrais ressorts de la nature. Une supposition qui donne des dénouemens heureux, ne leur paroît pas pouvoir être fausse. De-là cette opinion que l'explication des phénomenes prouve la vérité d'une supposition, & qu'on ne doit pas tant juger d'un systême par ses principes, que par la maniere dont il rend raison des choses. C'est l'insuffisance des maximes abstraites qui a obligé d'avoir recours à ces sortes de suppositions. Les métaphysiciens ont été aussi inventifs dans cette seconde espece de principes que dans la premiere. Les troisiemes principes sont des faits que l'expérience a recueillis, qu'elle a consultés & constatés. C'est sur les principes de cette derniere espece que sont fondés les vrais systêmes, ceux qui mériteroient seuls d'en porter le nom. Conséquemment à cela, j'appellerai systêmes abstraits ceux qui ne portent que sur des systêmes abstraits ; hypothèses, ceux qui n'ont que des suppositions pour fondement ; & vrais systêmes, ceux qui ne s'appuyent que sur des faits bien prouvés.

M. l'abbé de Condillac, dans son traité des systêmes, s'est appliqué sur-tout à décrire tous les systêmes abstraits. Selon lui, il y a trois sortes de principes abstraits en usage. Les premiers sont des propositions générales exactement vraies dans tous les cas. Les seconds sont des propositions vraies par les côtés les plus frappans ; & que pour cela on est porté à supposer vraies à tous égards. Les derniers sont des rapports vagues qu'on imagine entre des choses de différente nature. Les premiers ne conduisent à rien. Qu'un géometre, par exemple, médite tant qu'il voudra ces maximes, le tout est égal à toutes ses parties ; à des grandeurs égales, ajoutez des grandeurs égales, les tous seront égaux ; ajoutez-en d'inégales, ils seront inégaux : aura-t-il là de quoi devenir un profond géometre ? S'il n'est donné à aucun homme de devenir, après quelques heures de méditation, un Condé, un Turenne, un Richelieu, un Colbert ; quoique l'art militaire, la politique & les finances aient comme toutes les autres sciences leurs principes généraux, dont on peut en peu de tems découvrir toutes les conséquences : pourquoi un philosophe deviendroit-il tout-à-coup un homme savant, un homme pour qui la nature n'a point de secrets ; & cela par le charme de deux ou trois propositions ? Ce seul parallele suffit pour faire voir combien s'abusent ces philosophes spéculatifs, qui apperçoivent une si grande fécondité dans les principes généraux. Les deux autres ne menent qu'à des erreurs. Et c'est ce que l'auteur du traité des systêmes prétend prouver, par les différens systêmes qu'il parcourt. Bayle, Descartes, Malebranche, Leibnitz, l'auteur de l'action de Dieu sur la créature, & Spinosa, lui fournissent des exemples de ce qu'il avance. En général le grand défaut des systêmes abstraits, c'est de rouler sur des notions vagues & mal déterminées, sur des mots vuides de sens, sur des équivoques perpétuelles. M. Locke compare ingénieusement ces faiseurs de systêmes à des hommes, qui sans argent & sans connoissance des especes courantes, compteroient de grosses sommes avec des jettons, qu'ils appelleroient louis, livre, écu. Quelques calculs qu'ils fissent, leurs sommes ne seroient jamais que des jettons : quelques raisonnemens que fassent des philosophes à systêmes abstraits, leurs conclusions ne seront jamais que des mots. Or de tels systêmes, loin de dissiper le cahos de la métaphysique, ne sont propres qu'à éblouir l'imagination par la hardiesse des conséquences où ils conduisent, qu'à séduire l'esprit par des fausses lueurs d'évidence, qu'à nourrir l'entêtement par les erreurs les plus monstrueuses, qu'à éterniser les disputes, ainsi que l'aigreur & l'emportement avec lequel on les soutient. Ce n'est pas qu'il n'y ait de ces systêmes qui ne méritent les éloges qu'on leur donne. Il y a tels de ces ouvrages qui nous forcent à les admirer. Ils ressemblent à ces palais où le goût, les commodités, la grandeur, la magnificence concouroient à faire un chef-d'oeuvre de l'art ; mais qui ne porteroient que sur des fondemens si peu solides, qu'ils paroîtroient ne se soutenir que par enchantement. On donneroit sans-doute des éloges à l'architecte ; mais des éloges bien contrebalancés par la critique qu'on feroit de son imprudence. On regarderoit comme la plus insigne folie d'avoir bâti sur de si foibles fondemens un si superbe édifice ; & quoique ce fût l'ouvrage d'un esprit supérieur, & que les pieces en fussent disposées dans un ordre admirable, personne ne seroit assez peu sage pour y vouloir loger.

Par la seule idée qu'on doit se faire d'un systême, il est évident qu'on ne peut qu'improprement appeller systême ces ouvrages, où l'on prétend expliquer la nature par le moyen de quelques principes abstraits. Les hypothèses, quand elles sont faites suivant les regles que nous en avons données, méritent mieux le nom de systême. Nous en avons fait voir les avantages. Voyez l'article HYPOTHESE.

Les vrais systêmes sont ceux qui sont fondés sur des faits. Mais ces systêmes exigent un assez grand nombre d'observations, pour qu'on puisse saisir l'enchaînement des phénomenes. Il y a cette différence entre les hypothèses & les faits qui surviennent des principes, qu'une hypothèse devient plus incertaine à mesure qu'on découvre un plus grand nombre d'effets, dont elle ne rend pas raison : au-lieu qu'un fait est toujours également certain, & il ne peut cesser d'être le principe des phénomenes, dont il a une fois rendu raison. S'il y a des effets qu'il n'explique pas, on ne doit pas le rejetter, on doit travailler à découvrir les phénomenes qui le lient avec eux, & qui forment de tous un seul systême.

Il n'y a point de science ni d'art où l'on ne puisse faire des systêmes : mais dans les uns, on se propose de rendre raison des effets ; dans les autres, de les préparer & de les faire naître. Le premier objet est celui de la physique ; le second est celui de la politique. Il y a des sciences qui ont l'un & l'autre, telles sont la Chimie & la Médecine.

SYSTEME, s. m. (Philos.) signifie en général un assemblage ou un enchaînement de principes & de conclusions : ou bien encore, le tout & l'ensemble d'une théorie dont les différentes parties sont liées entr'elles, se suivent & dépendent les unes des autres.

Ce mot est formé d'un mot grec qui signifie composition ou assemblage.

C'est dans ce sens-là que l'on dit un systême de Philosophie, un systême d'Astronomie, &c. le systême de Descartes, celui de Newton, &c. Les Théologiens ont formé une quantité de systêmes sur la grace.

Gassendi a renouvellé l'ancien systême des atomes, qui étoit celui de Démocrite, suivi par Epicure, Lucrece, &c. Voyez CORPUSCULAIRE, ATOME & MATIERE.

Les expériences & les observations sont les matériaux des systêmes. Aussi rien n'est-il plus dangereux en Physique, & plus capable de conduire à l'erreur, que de se hâter de faire des systêmes, sans avoir auparavant le nombre de matériaux nécessaires pour les construire. Ce n'est souvent qu'après un très-grand nombre d'expériences qu'on parvient à entrevoir la cause d'un effet, & il y en a même plusieurs, sur lesquelles des expériences répétées & variées à l'infini, n'ont pu encore nous éclairer. Le Cartésianisme qui avoit succédé au Péripatétisme, avoit mis le goût des systêmes fort à la mode. Aujourd'hui, grace à Newton, il paroît qu'on est revenu de ce préjugé, & qu'on ne reconnoît de vraie physique que celle qui s'appuie sur les expériences, & qui les éclaire par des raisonnemens exacts & précis, & non pas par des explications vagues. Voyez EXPERIENCE & EXPERIMENTAL.

SYSTEME, en terme d'Astronomie, est la supposition d'un certain arrangement des différentes parties qui composent l'univers ; d'après laquelle hypothèse les Astronomes expliquent tous les phénomenes ou apparences des corps célestes, &c. Voyez ASTRONOMIE, PLANETE, &c.

Il y a dans l'Astronomie trois systêmes principaux, sur lesquels les philosophes ont été partagés : le systême de Ptolémée, celui de Copernic, & celui de Tycho-Brahé.

Le systême de Ptolémée place la terre immobile au centre de l'univers, & fait tourner les cieux autour de la Terre d'orient en occident ; desorte que tous les corps célestes, astres & planetes suivent ce mouvement. Voyez PTOLEMEE.

Pour ce qui est de l'ordre & des distances des différens corps qui entrent dans ce systême, les voici. D'abord la Lune tourne autour de la Terre ; ensuite Vénus, puis Mercure, le Soleil, Mars, Jupiter & Saturne. Tous ces astres, selon Ptolémée, tournoient autour de la Terre en vingt-quatre heures ; & ils avoient outre cela un mouvement particulier par lequel ils achevoient leurs révolutions annuelles. Voyez Pl. astron. fig. xliij.

Les principaux partisans de ce systême sont Aristote, Hipparque, Ptolémée & un grand nombre d'anciens philosophes que tout l'univers a suivis pendant plusieurs siecles, & que suivent encore plusieurs universités & autres colleges d'où l'on a banni la liberté de philosopher ; mais les observations des derniers tems ont entierement détruit ce systême ; & même aujourd'hui on ne manque pas de démonstrations pour l'anéantir absolument. Voyez TERRE, &c.

En effet, les observations nous apprennent qu'en quelque lieu que l'on place le Soleil, il faut nécessairement reconnoître qu'il est renfermé dans l'orbite de Vénus, puisque cette planete paroît passer tantôt derriere le Soleil, tantôt entre le Soleil & la terre. Donc l'orbite du Soleil ne sauroit entourer celle de Vénus, comme elle l'entoure dans le systême de Ptolémée. Il en est de même de Mercure qui est presque perpétuellement plongé dans les rayons du Soleil, & qui, parce qu'il s'en écarte beaucoup moins que Vénus, doit par cette raison avoir une orbite beaucoup plus petite.

D'ailleurs, nous n'exposons ici que ce qu'il y a de plus simple dans le systême de Ptolémée. Si nous y ajoutions tous les cieux de crystal qu'il imaginoit pour rendre raison des différens phénomenes célestes, c'en seroit assez à un bon esprit pour rejetter entierement cette hypothèse.

Le systême de Copernic place le Soleil immobile au centre de l'univers, si ce n'est qu'il donne au Soleil un mouvement de rotation autour de son axe. Voyez SOLEIL.

Autour de lui tournent d'occident en orient, & dans différentes orbites, Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter & Saturne. Voyez PLANETE.

La Lune tourne dans une orbite particuliere autour de la Terre, & elle l'accompagne dans tout le cercle qu'elle décrit autour du Soleil. Voyez LUNE.

Quatre satellites tournent de même autour de Jupiter, & cinq autour de Saturne. Voyez SATELLITE.

Dans la région des planetes sont les cometes qui tournent autour du Soleil, mais sur des orbites fort excentriques, le Soleil étant placé dans un de leurs foyers. Voyez COMETE.

A une distance immense, au-delà de la région des planetes & des cometes, sont les étoiles fixes. Voyez ÉTOILE.

Les étoiles, eu égard à l'immensité de leur distance, & au peu de rapport qu'elles paroissent avoir à notre monde, ne sont pas censées en faire partie. Il est très-probable que chaque étoile est elle-même un soleil & le centre de l'univers & de son immensité, & toutes les observations s'accordent à en prouver la vérité. Voyez COPERNIC.

Le systême qu'on vient d'exposer, est le plus ancien ; c'est le premier qui ait été introduit par Pythagore en Grece & en Italie, où il a été appellé pendant plusieurs siecles le systême pythagoricien : il fut suivi par Philolaüs, Platon, Archimede, &c. Il se perdit sous le regne de la philosophie péripatéticienne ; mais enfin il fut remis en vigueur heureusement il y a plus de deux cent ans, par Nicolas Copernic dont il porte aujourd'hui le nom. Voyez-en le plan, Pl. astron. fig. xliv. Voyez aussi COPERNIC.

Le systême de Tycho-Brahé revient, à plusieurs égards, à celui de Copernic ; mais dans celui de Tycho-Brahé l'on suppose la terre immobile, on supprime son orbite que l'on remplace par l'orbite du Soleil qui tourne autour de la terre, tandis que toutes les autres planetes, excepté la Lune & les satellites, tournent autour de lui.

Mais il n'y a aucune raison ni aucun phénomene dans la nature qui oblige d'avoir recours à un subterfuge si manifeste, que l'auteur n'a employé lui-même que par le motif de la persuasion superstitieuse où il étoit que c'étoit une chose contraire à l'Ecriture, que de supposer le Soleil immobile & la Terre en mouvement : ce scrupule n'a pas donné un échec bien considérable au vrai systême.

L'Ecriture, dans les endroits où elle semble supposer le mouvement de la Terre, parle conformément aux idées vulgairement reçues, & aux simples apparences. C'est pourquoi on ne sauroit taxer d'hérésie ceux qui soutiennent l'opinion contraire, une telle matiere n'intéressant ni les moeurs ni la foi. D'ailleurs, la loi découverte par Kepler dans les mouvemens des planetes, & expliquée si heureusement par le célebre Newton, fournit une démonstration directe contre le systême de Ticho-Brahé.

Kepler a observé, que les tems des révolutions des planetes autour du Soleil, avoient un certain rapport avec leurs distances à cet astre, & on a trouvé que la même loi s'observoit dans les satellites de Jupiter & de Saturne ; & M. Newton a fait voir que cette loi si admirable étoit une suite nécessaire de la gravitation de toutes les planetes vers le Soleil, & de la gravitation des satellites vers leurs planetes principales, en raison inverse du quarré des distances. Desorte que si la Lune & le Soleil tournoient autour de la terre, il faudroit que ces deux planetes gravitassent ou pesassent vers la terre, comme font les autres planetes vers le Soleil, & que les tems des révolutions du Soleil & de la Lune autour de la Terre fussent entr'eux dans le rapport que la loi de Kepler établit ; c'est-à-dire, comme les racines quarrées des cubes de leurs distances à la Terre. Or ces tems ne sont point du-tout dans ce rapport ; d'où il s'ensuit que le Soleil & la Lune ne tournent point autour de la Terre comme centre commun. Voyez le plan du systême de Tycho, fig. xlv. astron.

On se sert aussi en général du mot de systême pour marquer une certaine disposition ou arrangement que plusieurs corps ont les uns par rapport aux autres. Ainsi dans la méchanique, l'assemblage de plusieurs corps qui se meuvent ou qui sont en repos, sur un plan ou sur une surface quelconque, s'appelle un systême de corps ; une verge chargée de trois corps, est un systême de trois corps, &c. Chambers. (O)

SYSTEME, en Anatomie, c'est un assemblage des parties d'un tout ; c'est dans ce sens qu'en parlant de tous les vaisseaux sanguins, on dit le systême des vaisseaux sanguins, de tous les nerfs, le systême des nerfs, &c.

SYSTEME, (Belles-Lettr.) en poésie, se dit d'une hypothèse que le poëte choisit, & dont il ne doit jamais s'éloigner.

Par exemple, s'il fait son plan selon la Mythologie, il doit suivre le systême fabuleux, s'y renfermer dans tout le cours de son ouvrage, sans y mêler aucune idée de Christianisme : si au contraire il traite un sujet chrétien, il doit en écarter toute hypothèse de paganisme. Voyez INVOCATION, MUSES, &c.

Ainsi dès qu'une fois il a invoqué Apollon, il doit s'abstenir de mettre sur la scène le vrai Dieu, les anges ou les saints, afin de ne point confondre les deux systêmes. Il est vrai que le systême fabuleux est plus gai, plus riche, plus figuré ; mais d'un autre côté quelle figure font, & quel rôle peuvent jouer dans un poëme chrétien les dieux du paganisme ? Le pere Bouhours observe que le systême de la poésie est de sa nature entierement payen & fabuleux, & plusieurs auteurs l'ont pensé comme lui ; mais cette opinion n'est pas universelle, & d'autres écrivains célebres ont prouvé que les fictions de la Mythologie ne sont nullement essentielles à la poésie ; qu'aujourd'hui même elles ne sont plus de saison, & qu'un poëme pour plaire & pour intéresser n'a pas besoin de tout cet attirail de divinités & de machines qu'employoient les anciens. Voyez MACHINE & MERVEILLEUX.

SYSTEME, dans l'Art militaire, est l'arrangement d'une armée, ou la disposition de toutes les parties de la fortification, suivant les idées particulieres d'un général ou d'un ingénieur.

Ainsi l'on diroit qu'un ordre de bataille ou un ordre d'attaquer est, suivant le systême de M. de Folard, s'il étoit conforme à l'arrangement prescrit par cet auteur ; & de même qu'une ville est fortifiée selon le systême de M. de Vauban, lorsque sa fortification est disposée selon les regles de ce fameux ingénieur. Voyez à la suite du mot FORTIFICATION, les principaux systêmes de fortification.

Bien des gens se plaignent de notre fortification actuelle, qu'ils jugent mauvaise par le peu de résistance des places. On souhaiteroit d'avoir une méthode plus parfaite & moins dispendieuse que celle qui est en usage, pour les rendre capables d'une plus longue résistance ; mais en attendant qu'on trouve un systême qui réponde à ces vues, il est un moyen bien simple de rendre les places susceptibles d'une plus longue défense sans en augmenter ou changer les fortifications : il ne s'agit pour cela que de ne les confier qu'à des chefs habiles & expérimentés, fort au fait de la place, de l'artillerie & de tout ce qui concerne le génie ; on verra alors ce qu'on peut attendre de la fortification moderne, comme M. Dupuy-Vauban l'a fait voir dans sa belle défense de Béthune. Voyez GUERRE DES SIEGES. (Q)

SYSTEME, en Musique, est tout intervalle composé, ou que l'on conçoit composé d'autres intervalles plus petits ; & ces intervalles premiers, qui sont les élémens du systême s'appellent par les Grecs diastêmes. Voyez ce mot.

Il y a une infinité d'intervalles différens ; il y a, par conséquent, autant de systêmes possibles. Pour nous borner ici à quelque chose de réel, nous parlerons seulement des systêmes harmoniques ; c'est-à-dire, de ceux dont les élémens sont, ou des consonnances, ou des intervalles engendrés médiatement ou immédiatement par des consonnances. Voyez INTERVALLES.

Les anciens divisoient les systêmes en systêmes particuliers & en systêmes généraux. Ils appelloient systême particulier tout composé d'au-moins deux intervalles, tels que sont l'octave, la quinte, la sixte, & même la tierce. J'ai traité de ceux-ci au mot INTERVALLE.

Les systêmes généraux qu'ils appelloient plus communément diagrammes, étoient formés par la somme de tous les systêmes particuliers, & comprenoient par conséquent tous les sons employés dans la mélopée. C'est de ceux-là qu'il me reste à parler dans cet article.

On doit juger des progrès de l'ancien systême par ceux des instrumens de musique destinés à l'exécution ; car ces instrumens accompagnant la voix, & jouant tout ce qu'elle chantoit, devoient nécessairement rendre autant de sons différens qu'il en entroit dans le systême. Or les cordes de ces premiers instrumens se touchoient à vuide ; il y falloit donc autant de cordes que le systême renfermoit de sons, & c'est ainsi que dès l'origine de la Musique, on peut sur le nombre des cordes de l'instrument déterminer le nombre des sons du systême.

Tout le systême des Grecs ne fut donc d'abord composé que de quatre cordes qui formoient l'accord de leur lyre ou cithare. Ces quatre sons, selon quelques-uns, formoient des degrés conjoints, selon d'autres, ils n'étoient pas diatoniques, mais les deux extrêmes sonnoient l'octave, & les deux sons moyens la partageoient en une quarte de chaque côté, & en un ton dans le milieu ; de cette maniere :

Ut - trite diezeugmenon,

Sol - lichanos meson,

Fa - parypate meson,

Ut - parypate hypaton.

C'est ce que Boëce appelle le tretracorde Mercure.

Ce systême ne demeura pas longtems borné à si peu de sons. Chorèbe, fils d'Athis, roi de Lydie, y ajouta une cinquieme corde, Hyagnis une sixieme, Terpandre une septieme, à l'imitation du nombre des planetes, & enfin Lichaon de Samos la huitieme.

Voilà ce que dit Boëce ; mais Pline témoigne que Terpandre ayant ajouté trois cordes aux quatre anciennes, joua le premier de la cithare à sept cordes, que Simonide y en joignit une huitieme, & Thimothée une neuvieme. Nicomaque le Gérasénien attribue cette huitieme corde à Pythagore, la neuvieme à Théophraste de Piérie, puis une dixieme à Histyée de Colophon, & une onzieme à Timothée de Milet, &c. Phérécrate, dans Plutarque, fait faire au systême un progrès plus rapide ; il donne douze cordes à la cithare de Mélanippide, & autant à celle de Timothée ; & comme Phérécrate étoit contemporain de ces musiciens, son témoignage est d'un grand poids sur un fait qu'il avoit, pour ainsi dire sous les yeux.

Mais comment pourroit-on à un certain point s'assurer de la vérité parmi tant de contradictions, soit entre les auteurs, soit dans la nature même des faits qu'ils rapportent ? Par exemple, le tétracorde de Mercure donne évidemment l'octave ou le diapazon. Comment donc s'est-il pu faire qu'après l'addition de trois cordes, tout le diagramme se soit trouvé diminué d'un degré & réduit à un intervalle de septieme ? c'est pourtant ce que font entendre la plûpart des auteurs anciens, & entr'autres Nicomaque, qui dit que Pythagore trouvant tout le systême composé seulement de deux tétracordes conjoints qui formoient entre leurs extrêmes un intervalle dissonnant, il le rendit consonnant en divisant ces deux tétracordes par l'intervalle d'un ton, ce qui produisit l'octave.

Quoi qu'il en soit, c'est du-moins une chose certaine que le systême des Grecs s'augmenta insensiblement, tant en haut qu'en bas, & qu'il atteignit, & passa même l'étendue du disdiapason, ou de la double octave ; étendue qu'ils appellent systema perfectum, maximum, immuatum, le grand systême, le systême parfait, immuable par excellence, à cause qu'entre ces extrêmités, dont l'intervalle formoit une consonnance parfaite, étoient contenues toutes les consonnances simples, doubles, directes & renversées, tous les systêmes particuliers, &, selon eux, les plus grands intervalles qui pussent avoir lieu dans la mélodie.

Ce systême étoit composé de quatre tétracordes ; trois conjoints & un disjoint, & d'un ton de plus, qui fut ajouté au-dessous du tout pour achever la double octave, d'où la corde qui le formoit prit le nom de proslambanomene ou d'ajoutée. Cela n'auroit dû produire que quinze sons dans le genre diatonique ; il y en avoit pourtant seize. C'est que la disjonction se faisant sentir tantôt entre le second & le troisieme, tantôt entre le troisieme tétracorde & le quatrieme, il arrivoit dans le premier cas qu'après le son la, le plus aigu du second tétracorde, suivoit en montant le son si qui commençoit le troisieme ; ou-bien, dans le second cas, que ce même son la commençant lui-même le troisieme tétracorde étoit immédiatement suivi du si bémol ; car le premier degré de chaque tétracorde étoit toujours d'un semi-ton. Cette différence produisoit donc un seizieme son, à cause du si naturel qu'on avoit d'un côté, & de l'autre le si bémol. Ces seize sons étoient représentés par dix-huit noms, c'est-à dire que l'ut & le re étant, ou les deux derniers sons, ou les sons moyens du troisieme tétracorde, selon ces deux différens cas de disjonction, on donnoit à chacun de ces deux sons des noms qui marquoient ces diverses circonstances.

Mais comme le son fondamental varioit selon le mode, il s'ensuivoit pour chaque mode dans le systême total, une différence du grave à l'aigu qui multiplioit de beaucoup les sons. Car si les divers modes avoient plusieurs sons communs, ils en avoient aussi de particuliers à chacun ou quelques-uns seulement. Ainsi, dans le seul genre diatonique l'étendue de tous les sons admis dans les quinze modes dénombrés par Alypius, est de trois octaves & un ton ; & comme la différence de chaque mode à son voisin étoit seulement d'un semi-ton, il est évident que tout cet espace gradué de semi-ton en semi-ton, produisoit dans le diagramme général la quantité de 39 sons pratiqués dans la musique ancienne. Que si déduisant toutes les repliques des mêmes sons on se renferme dans les bornes d'une seule octave, on la trouvera divisée chromatiquement par douze sons différens, comme dans la musique moderne ; ce qui est de la derniere évidence par l'inspection des tables mises par Meibomius à la tête de l'ouvrage d'Alypius. Ces remarques sont nécessaires pour relever l'erreur de ceux qui s'imaginent, sur la foi de quelques modernes, que toute la musique ancienne n'étoit composée que de seize sons.

On trouvera, dans nos Pl. de Musiq. une table du systême général des Grecs pris dans un seul mode & dans le genre diatonique. A l'égard des genres enharmoniques & chromatiques, les tétracordes s'y trouvoient bien divisés, selon d'autres proportions ; mais comme ils contenoient toujours également quatre sons & trois intervalles consécutifs, de même que dans le genre diatonique, ces sons portoient chacun dans leur genre le même nom que chaque son qui leur correspondoit portoit dans le diatonique. C'est pourquoi je ne donne point de tables particulieres de chacun de ces genres. Voyez GENRE. Les curieux pourront consulter celles que Meibomius a mises à la tête de l'ouvrage d'Aristoxene ; on y en trouvera six, une pour le genre harmonique, trois pour le chromatique, & deux pour le diatonique, selon les diverses modifications de chacun de ces genres.

Ce systême demeura à-peu-près dans cet état jusqu'à l'onzieme siecle, où Guy d'Arezze y fit des changemens considérables. Il ajouta dans le bas une nouvelle corde, qu'il appella hypoproslambanomene, & dans le haut, un cinquieme tétracorde qu'il appella le tétracorde des suvaiguës. Outre cela, il inventa, diton, le bémol, nécessaire pour distinguer le si, deuxieme note d'un tétracorde conjoint d'avec le si du même tétracorde disjoint, c'est-à-dire qu'il fixa cette signification de la lettre b, que S. Grégoire, avant lui, avoit déja assignée à la note si : car puisqu'il est certain que les Grecs avoient depuis long-tems ces mêmes conjonctions & disjonctions de tétracordes, & par conséquent des signes pour en exprimer chaque degré dans ces deux différens cas, il s'ensuit que ce n'étoit pas un nouveau son introduit dans ce systême par Guy, mais seulement un nouveau nom qu'il donnoit à ce son, réduisant ainsi à un même degré ce qui en faisoit deux chez les Grecs.

On conçoit aisément que l'invention du contrepoint, à quelque auteur qu'elle soit due, dut bientôt reculer encore les bornes de ce systême. Quatre parties doivent avoir bien plus d'étendue qu'une seule. Le systême fut fixé à quatre octaves, & c'est l'étendue du clavier de toutes les anciennes orgues. Mais enfin on s'est trouvé gêné par des limites, quelque espace qu'elles pussent avoir ; on les a franchies, on s'est étendu en haut & en bas : on a fait deux claviers à ravalement ; on a démanché sans cesse ; & enfin, on s'est tant donné de licence à cet égard, que le systême moderne n'a plus d'autres bornes dans le haut, que le caprice des compositeurs. Comme on ne peut pas de même démancher pour descendre, la plus basse corde des basses ordinaires ne passe pas encore le c sol ut ; mais on trouvera également le moyen de gagner de ce côté-là en baissant le ton du systême général : c'est même ce qu'on fait insensiblement ; & je tiens pour une chose certaine que le ton de l'opéra est plus bas aujourd'hui qu'il ne l'étoit du tems de Lully. Au contraire celui de la musique instrumentale est monté, & ces différences commencent même à devenir assez sensibles pour qu'on s'en apperçoive dans la pratique.

Voyez dans nos Pl. une table générale du grand clavier à ravalement, & de tous les sons qui sont contenus dans l'étendue de cinq octaves. (S)

SYSTEME, (Finance) on a donné très-bien ce nom vers l'an 1720 au projet connu & exécuté par le sieur Law écossois, de mettre dans ce royaume du papier & des billets de banque pour y circuler, & représenter l'argent monnoyé, comme en Angleterre & en Hollande. J'ai vu plusieurs éloges de ce grand projet, & quelques-uns faits avec éloquence. C'étoit, dit M. Dutot, un édifice construit par un habile architecte, mais dont les fondemens n'avoient été faits que pour porter trois étages. Sa beauté surpassa même les espérances que l'on en avoit conçues, puisqu'il fit mépriser pendant quelques mois l'or & l'argent, espece de miracle que la postérité ne croira peut-être pas. Cependant, sans égard au bien que la postérité pouvoit retirer de cette idée, une puissante cabale formée contre l'architecte, eut assez de crédit pour engager le gouvernement à surcharger ou à élever cet édifice jusqu'à sept étages, ensorte que les fondemens ne pouvant supporter cette surcharge, ils s'écroulerent, & l'édifice tomba de fond en comble. Voilà bien de l'esprit en pure perte.

Je veux croire cependant que le sieur Law en formant une banque, se proposoit d'augmenter utilement la circulation publique, de faciliter le commerce, & de simplifier la perception des revenus du roi ; mais comment pouvoit-il se flatter dans la disette la plus générale, d'établir une banque de crédit qui eût la confiance de la nation & des étrangers ? Si l'on parut pendant quelques mois donner la préférence des billets de sa banque à l'argent réel, c'étoit dans la vue de les fondre, & d'en tirer du profit dès qu'ils auroient haussé davantage par le délire de la nation. Enfin, les remboursemens du sieur Law n'ont enrichi que des familles nouvelles en ruinant les anciennes, & les débris de son systême n'ont produit dans l'état qu'une compagnie exclusive de commerce, dont je laisse à de plus habiles que moi à calculer les avantages rélativement au bien public. (D.J.)

SYSTEME, (Rubanier) se dit en galon pour la fabrication duquel on se sert de deux navettes, l'une de filé d'or ou d'argent pour travailler en-dessus, & l'autre de soie convenable à la couleur pour le dessous ; par ce moyen il ne paroît point de filé du tout en-dessous, ce qui épargne considérablement les étoffes d'or ou d'argent.


SYSTOLES. f. en Médecine, est la contraction du coeur d'un animal, par laquelle le sang est poussé des ventricules du coeur dans les arteres. Voyez COEUR, SANG, ARTERE, &c.

La systole du coeur est très-bien expliquée par Lower, qui montre que le coeur est un véritable muscle, dont les fibres sont mises en action, comme celles des autres muscles, par le moyen de certaines branches de la huitieme paire des nerfs qui s'y distribuent, & qui y transmettent du cerveau le fluide nerveux, autrement les esprits animaux. L'abord de ces esprits fait enfler les fibres musculaires du coeur, & ainsi les raccourcit. En conséquence la longueur du coeur diminue, sa largeur ou son épaisseur augmente, la capacité des ventricules devient moindre, les orifices tendineux des arteres se dilatent, ceux des veines sont formés par leurs valvules, & le sang contenu dans les ventricules est exprimé dans les orifices des arteres. Voyez MUSCLE.

Tout cela s'appelle systole ou contraction du coeur. L'état opposé à celui-là se nomme la diastole, ou la dilatation du coeur. Voyez DIASTOLE & POULS.

Drake ajoute à l'explication de Lower, que les muscles intercostaux & le diaphragme contribuent à la systole, en ouvrant au sang un passage du ventricule droit du coeur au ventricule gauche à-travers les poumons, sans quoi le sang ne pourroit passer d'un ventricule à l'autre ; & par ce moyen l'obstacle que le sang contenu dans le ventricule droit formeroit nécessairement à sa contraction, ne subsiste plus. Voyez CONTRACTION.

Lower & Drake prétendent que la systole est l'état naturel du coeur, & que la diastole est son état violent. Boerhaave prétend au contraire que la systole est l'état violent, & la diastole l'état naturel.

SYSTOLE, dans la poésie grecque & latine, figure ou licence poétique, par laquelle d'une syllabe longue on en fait une breve, comme dans ce vers de Virgile.

Matri longa decem tulerunt fastidia menses.


SYSTYLES. f. (Architect.) bâtiment où les colonnes sont placées moins près les unes des autres, que dans les pycnostyles ; la mesure de cet espacement est d'ordinaire de deux diametres, ou de quatre modules entre deux fûts. Ce mot est composé de , avec, & , colonne.


SYTHAS(Géog. anc.) fleuve du Péloponnèse, dans la Sicyonie, selon Pausanias, l. II. cap. xij. Si vous prenez, dit-il, le chemin qui mene de Titane à Sicyone le long du rivage, vous verrez à gauche un temple de Junon, qui n'a plus ni toît ni statue ; on croit que ce temple fut autrefois consacré par Praetus fils d'Abas. Plus loin, en tirant vers le port des Sicyoniens, si vous vous détournez un peu pour voir les aristonautes (c'est ainsi qu'on nomme l'arcénal de Pelline), vous trouverez à la gauche, & presque sur votre chemin, un temple de Neptune. Mais si vous prenez le grand chemin entre les terres, vous ne serez pas long-tems sans côtoyer l'Elysson & le Sythas, deux fleuves qui vont tomber dans la mer. (D.J.)


SYZYGIESS. f. pl. (en Astronomie) c'est un terme dont on se sert également pour marquer la conjonction & l'opposition d'une planete avec le soleil. Voyez CONJONCTION & OPPOSITION.

Ce terme s'employe sur-tout en parlant de la lune.

On sait dans l'Astronomie physique que la force qui diminue la pesanteur de la lune dans les syzygies est double de celle qui l'augmente dans les quadratures ; ensorte que dans les syzygies la pesanteur de la lune est diminuée en partie par l'action du soleil ; & cette partie est à la pesanteur totale, comme 1 est à 89, 36 ; au lieu que dans les quadratures sa pesanteur augmentée est à la pesanteur totale, comme 1 est à 178, 73. Voyez QUADRATURE.

Quand la lune est dans les syzygies, ses apsides sont rétrogrades. Voyez APSIDE & LUNE.

Quand la lune est dans les syzygies, les noeuds se meuvent très-vîte contre l'ordre des signes ; ensuite leur mouvement se ralentit petit-à-petit jusqu'à ce qu'ils parviennent au repos, lorsque la lune arrive aux quadratures. Voyez NOEUD.

Enfin, quand les noeuds arrivent aux syzygies, l'inclinaison de l'orbite est la plus petite de toutes.

Ajoutez que ces différentes inégalités ne sont pas égales à chaque syzygie, mais toutes un peu plus grandes dans la conjonction que dans l'opposition. Voyez PLANETE, LUNE, &c.

C'est au célebre M. Newton que nous devons l'explication de toutes ces inégalités que les Astronomes ont observées si long-tems, sans en pouvoir pénétrer la cause. Ce célebre philosophe a fait voir qu'elles étoient la suite de l'action du soleil sur la lune, & il a employé toute une section du livre premier de ses principes à expliquer en détail ces différentes inégalités, & à faire voir comment l'action du soleil sur la lune les produisoit. Cette section est la onzieme de ce premier livre ; & la proposition dans laquelle il développe les causes des inégalités dont il s'agit, est la soixante-sixieme qui a un grand nombre de corollaires. Non-seulement ce grand géometre les a expliquées, il a donné aussi le moyen de les calculer par la théorie de la gravitation ; & ses calculs répondent très-bien aux observations. Cet accord a été confirmé depuis d'une maniere plus indubitable par les géometres qui dans ces derniers tems ont travaillé à la théorie de la lune, savoir, par MM. Euler, Clairaut & moi. Voyez LUNE.

On peut dire que cette correspondance & cette précision sont la pierre de touche de tout systême physique. Il n'y a pas d'apparence que la théorie des tourbillons cartésiens puisse jamais conduire à des déterminations aussi exactes & aussi précises ; on n'en pourra jamais tirer que des explications vagues des phénomenes, que l'on expliqueroit aussi-bien par ce secours, s'ils étoient tous différens de ce qu'ils sont. (O)


SZASCOWAou SEZACHSCHOW, (Géogr. mod.) petite ville de la basse Pologne, au palatinat de Rava, entre Varsovie & Lencici.


SZEBRZIN(Géog. mod.) petite ville de Pologne, dans le palatinat de Russie, sur la rive gauche du Wicperez, au nord-ouest de Tomarzon.


SZOPA(Hist. mod.) c'est ainsi que l'on nommoit en Pologne un vaste bâtiment de bois soutenu par des piliers. Autrefois il étoit ouvert de tous côtés ; mais actuellement il est fermé pour éviter les violences. Ce bâtiment se construit au milieu du champ où s'assemble la diete de Pologne pour l'élection d'un roi ; il est destiné aux sénateurs ; & les nonces ou députés de la noblesse assistent à leurs délibérations, dont ils rendent compte à leurs constituans.


SZUCZA(Géograp. mod.) les François disent Choueza, ville de la Prusse polonoise au palatinat de Culm, sur le bord de la Vistule, à trois lieues de Culm ; elle est bâtie en briques, & a été long-tems possédée par les chevaliers teutoniques. Long. 36. 44. lat. 53. 15. (D.J.)